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31C
KT5
LE COMTE DE FERSEN
KT
LA COUR DE FRANCE.
• •
TrPOGftAPniK FIRnif-DIDOT. — MBUVIL (BUM).
LE COMTE DE FERSEN
ET
LÀ COUR DE FRANCE.
EXTRAITS DES PAPIERS
t
DU GBÂND MABÉCHAL DE SUÈDE, COMTE
JEAN AXEL DE FERSEN
PUBLIÉS PAB SON PBTIT-NBYBU
• •
LE BARON R M. DE KLINOKOWSTROM
COLONEL SOËDOIS.
TOME SECOND'
FORMATION D'VN CONGKàB ABM6 DKS PITISSANOBS fiTRAKOàRES. — COALITION CONTRB
LA FRANCS. — DIFFÉRENT PROJETS DE DÉLITRER LA FAMILLE ROYALE DE FRANCE.
— I.E8 PET7X PREMIÈRES CAMPAGNES DES PUISSANCES COALISÉES CONTRB LA FRANCE.
PARIS
LIBBAIBIE DE PIBMIN-DIDOT ET C
IMrBIMEUBS DX l'institut, bub jaoob, 56
1878
LE COMTE DE FERSEN
ET
LA COUR DE FRANCE
ex.
EXTRAITS
DU JOURNAL DU COMTK JEAN AXEL DE FERSEN
POUR LES ANNEES 1792, 1793 ET 1794.
1792.
Janvier. Le 1". Dimanche, — Pris des renseignements sur la nou-
velle du baron d'Oxenirtjema de la lettre de l'empereur à l'électeur
de Trêves. Metternich montre au baron la lettre que l'empereur lui
écrit : il dit qu'il a écrit à. l'électeur de Trêves qu'il le protégera, à.
condition qu'il n'y ait point chez lui de rassemblements armés et
qu'il se conduise comme il se conduit dans les Pays-Bas ; que c'est
une condition sine qiui non, et que dans ce cas il donnera des ordres
au maréchal Bender. — On mande de Coblence que la joie y a été
grande par la manière dont les princes avaient dit cette nouvelle,
mais qu'on y a été fort abattu quand on a su le vrai. L'électeur de
Cologne-a donné ordre à tous les Français réfugiés à. Andernach d'en
sortir. Il a demandé à l'archiduchesse à être protégé par des troupes
de l'empereur. Elle lui a répondu qu'elle n'avait aucun ordre pour
cela. Un aide de camp de M. de Jaucourt est venu le matin chez
le baron de Breteuil lui porter une lettre du baron de Viomesnil, qui
lui mande que M. de Galonné a dit beaucoup de bien de lui, qu'il
désire sincèrement se réconcilier avec lui et travailler avec lui. Il y
en avait une de M""® de Galonné au baron, qui lui dit la même chose,
T. II. 1
3200t)'.
2 LE COMTE DE FEIISEN
se félicite sur ce rapprochement, et lui parle de la ferme résolution
de Galonné de se retirer dès que tout serait fini. Je n'en crois rien.
Cet aide de camp était porteur d'ordres à tous les Français rassemblés
à Ath de se porter sur les frontières de Trêves. Nouvelle folie.
Lé 2. Lundi. — Écrit à la reine.
Le 5. Jeudi. — Le coïnte de Laval arrive de Coblence ; dit que
l'insubordination est à son comble ; que la petite noblesse se révolte
contre celle de la cour.
Le 8. Dimanche. — Mémoire de la reine (1) à l'empereur : détes-
table, fait par Barnave, Lameth et Duport ; veut eflfrayer l'empe-
reur, lui prouver que son intérêt est de ne pas faire la guerre, mais
de maintenir la constitution, de peur que les Français ne propagent
leur- doctrine et ne débauchent ses soldats. On voit cependant qu'ils
ont peur. — Lettre de la reine (2) & l'empereur, la reine d'Espagne
et moi. M. Signeul, qui retourne à Paris, me porte des dépêches, ce
qu'il faut pour aller à Paris. Mémoires et lettres au roi et à la reine
bien faits.
Le II, Mercredi. — Lettre de Crawford; il a vu la reine (3) et
causé avec elle. On veut envoyer l'évêque d'Autun à Londres pour
négocier ; le petit Custine à Brunswick ; on veut tout gagner par de
l'argent.
Le 14, Samedi. — L'abbé de Limon, revenu de Paris, dit que les
esprits y sont étonnamment changés, qu'ils désirent un changement
et qu'on vienne à leur secours ; c'est-à-dire, ils veulent la constitu-
tion, mais de grands changements. Ils craignent la banqueroute et
les vengeances. Peu de cocardes à Paris, encore moins dans les pro-.
vinces ; point de gardes nationaux à. Valenciennes. Au Louvre on
lui a dit avec douleur et tristesse : « Vous nous quittez, vous nous
laissez ici seuls. » — Il a répondu : a Mes amis, mais c'est pour
revenir. — Oui, mais avec les Allemands, pour nous égorger
tous. »
Le 18. Mercredi. — M. de la Galissonnière a dit que deux ou trois
cents bourgeois de Paris allaient par bandes de dix à douze à Kehl
oii était leur rendez-vous, et de là chez les princes; que deux étaient
(1) Marie* Antoinette.
(2) Id.
(3) Id.
ET LA COUR DE FRANCE. 3
venus chez lui, lui demander le chemin ; qu^ils ont chacun 25 louis.
Le 20. Vendredù — Le prince de Condé reçut une lettre de l'em-
pereur de quitter Ettenheim, de disperser les rassemblements qui y
sont et la légion Mirabeau. Tous les Français ici disent qu'il y a de
bonnes nouvelles de Vienne, que l'empereur s'explique fortement,
qu'il dit : «c Les Français veulent la guerre, ils l'auront ; mais ils en
paieront les dépenses. » — M. de Nesle confia à. Brelin, la première
fois qu'il le vit, une lettre, où on lui mande qu'il y avait un complot
de départ pour le roi, arrangé la nuit du 12 au 13, que cela a été
découvert, et que Pétion avait fait doubler les postes au Château
et aiix chemins.
n lui a confié le moyen de fuite de M. Brabançon toujours par
les bois ; il lui a parlé du parti des princes et du roi, tout cela à la
première vue : quelle confiance et quelle indiscrétion!
Il y avait un complot entre les patriotes ici et ceux réfugiés à
Lille, pour faire une révolte le 10 février ; c'est ce qui a donné lieu à.
l'arrestation des individus ; on a arrêté chez un imprimeur la planche
de la proclamation ; il a donné tous les noms. Il y a deux femmes
d'arrêtées, dont une très-jolie fille de boutique de vingt-deux ans.
Le 21. Lundi. — La reine (1) a consenti que j'aille à Paris.
Le 23. Samedi. — M. de Limon vint me voir; c'est celui qui avait
fait, l'hiver de 1790 à 1791, ce concltisum de la diète de Ratisbonne
qui fit tant de bruit, et que M. de Montmorin n'osa pas désavouer de
peur qu'il ne se trouvât vrai ; il avait fait aussi la lettive du roi
d'Angleterre à ses ministres, qui fut désavouée ensuite, de même que
la prétendue lettre de lord Leeds, qu'on faisait quitter à cause de ce
désaveu. — J'ai vu la comtesse Proli. Son fils, qui fait le cosmopo-
lite, est dans tous les tripotages. Elle me dit qu'il travaille contre
Brissot, pour empêcher que la guerre ne se fasse contre l'empereur et
que le traité subsiste ; que déjà il était parvenu â faire suspendre les
délibérations ; que Lauraguais travaille pour le marquis de la Queilles
et les princes à pousser à la guerre. Elle me demande si ce n'était
pas l'intérêt du roi qu'elle se fît? Je dis oui. Elle me dit que LL.
AA. RR. ici savaient et approuvaient que son fils travaille dans ce
sens, et qu'en cas de guerre avec la France ce pays-ci était perdu.
(1) Harie-Antoinette.
4 LE COMTE DE FERSEN
Le 24. Mardi. — Madame la princesse de Tarente est arrivée. Nou-
velles qu'il y a eu à Paris du mouvement pour la cherté du sucre, qui
coûtait 3 livres 5 sous. On a pillé l'hôtel des Américains, dit-on, et
plusieurs autres boutiques d'épicier. On a vendu le sucre sur la place
à 24 sous. Mon voyage à Paris fixé au 3 février.
Le 29. Dimanche. — Lettre de la reine, qui me prie de différer mon
voyage jusqu'à ce que le décret sur les passe-ports soit rendu et la
tranquillité un peu rétablie à. Paris. Ou y parlait beaucoup du départ
du roi ; les papiers l'indiquaient par Calais. Voilà le fruit de l'indis-
crétion française ; ceux qui en ont imaginé le projet l'ont dit à tout
le monde, et les espions l'ont mandé.
FÉVRIER. Le P'. Mercredi. — Dîné chez La Marck. Beaucoup
parlé de Mirabeau et de toutes ses intrigues avec Lafayette; La
Marck est un intrigant. Le prince de Nassau écrit au comte d'Ar-
tois qu'il était fort content de l'empereur, qu'il agirait. Le comte
d'Artois écrit cela au prince de Condé ; le prince de Condé envoya
la lettre originale pour être lue par tous les gentilshommes qui sont
avec lui.
Le 3. Vendredi. — Lettre de la reine qu'il est impossible, à cause
des passe-ports individuels , de venir, et qu'il faut y renoncer. Cela
est mal pour moi et les affaires. On a feint de soupçonner le départ
du roi, on a excité du bruit dans Paris, le tout pour empêcher la nou-
velle garde du roi de prendre ses fonctions, ce qui est fixé au 10, et
on a fait les passe-ports pour empêcher le départ, s'il devait avoir
lieu ; le moyen n'est pas mauvais.
Le 6. Lundi. — J'ai pris mon parti d'aller à Paris, sur une lettre
de la reine qui me mande que le décret sur les passe-ports ne sera
pas sanctionné, et des Français qui ont très-bien passé écrivent pour
en prévenir.
Le 9. Jeudi. — Simolin arrivé à onze heures sans aucun obstacle ;
dîné avec lui chez le baron de Breteuil. Il va à Vienne de la part de
la reine, pour instruire l'empereur de leur position, de l'état de la
France et de leur désir positif d'être secourus. H les a vus secrète-
ment ; la reine lui a dit : « Dites à P empereur que la nation a trop
« besoin du roi et de son fils pour qu'ils aient rien à craindre , c^est eux
« qu'il est intéressant de sauver; quant à moi, je ne crains rien, et
« jaime mieux courir tous les dangers possibles que de vivre plus
« longtemps dans l'état d avilissement et de mulheur où je suis. » —
ET LA COUR DE FRANCE. 5
Simolin a été touché aux lanues de sa conversation. H m'a parlé de
lettres charmantes de la reine (1) à l'empereur, à l'impératrice et
au prince de Kaunitz. M. de Mercy, qu'il a vu, lui a tenu le même
langage que de coutume. Simolin lui a reproché la conduite que
l'empereur avait tenue, si différente de celle indiquée dans ses décla-
rations de Padoue, et qu'il avait trompé les puissances ; il a été forcé
d'en convenir. Les ordres de l'impératrice à Simolin, au mois de
juillet, étaient de faire la déclaration de Padoue, de toujours se ral-
lier au parti le plus vigoureux qui serait proposé , sans attendre de
nouvelles instructions, et de partir sur-le-champ si les autres minis-
tres partaient. *
Le 10. Vendredi. — J'ai fait tous mes arrangements pour partir.
Le 11. Samedi. — Je suis parti à neuf heures et demie en chaise
de Courier avec Reutersvaerd sans domestique. Nous avions un passe-
port de courrier pour le Portugal, sous des noms supposés. Les lettres
et le mémoire du roi [de Suède] au roi de France, adressés à là reine
de Portugal, que j'avais mis sous l'enveloppe de l'ambassadeur de
Suède à Paris avec un faux chiflEre, en contrefaisant la signature du
roi, et une de même, contrefaite, à Bergstedt, le chargé d'affaires, si-
gnée Franc ; le tout cacheté des armes de Suède faites ici. J'avais
aussi, pour ma sûreté, une lettre de créance comme ministre de la
reine de Portugal.
A huit heures nous étions à Toumay, où nous couchions.
Le 12. Dimanche. — Parti à trois heures et demie du matin. Reu-
tersvaerd fut voir le soir M. d'Aponcourt, commandant, pour avoir
les portes. H le prit pour un courrier suédois et lui dit qu'il n'arri-
verait de 15 jours à Paris, et serait arrêté partout. A Orchies on ne
nous dit rien ; nous déjeunâmes à Bouchain, dînâmeff à Bonavis, et
couchâmes à Gournai ; notre chariot cassa à Péronne, nous y fûmes
(]fuatre heures. Arrivé à Gournai à une heure et demie du matin. Je
me tenais très-caché ; j'avais une perruque. Partout on fut très-poli
et surtout à Péronne, même les gardes nationaux.
Le 13. Lundi. — Très-beau et doux. Parti à neuf heures et demie.
Arrêté deux heures à Louvres pour dîner ; arrivé sans accident à Pa-
ris à cinq heures et demie du soir, sans qu'on nous dise rien. Laissé
(1) Hario- Antoinette.
6 LE COMTE DE FERSEN
descendre mon officier à l'hôtel des Princes, me de Richelieu. Pris
un fiacre pour aller chez Gog. (1) rue Pelletier. Le fiacre ne savait
pas la rue. Craint de ne pas la trouver. Un autre fiacre nous l'indi-
qua. Gog. n'y était pas. Attendu dans la rue jusqu'à six heures et
demie. Pas venu. Cela m'inquiétait. Voulu aller joindre Reuter-
svaerd. Il n'avait pa-s trouvé place à l'hôtel des Princes ; on ne savait
où il était allé. Retourné chez Gog., pas rentré. Pris le parti d'at-
tendre dans la rue. Enfin à sept heures arrivé. Ma lettre n'était ar-
rivée que le même jour à midi, et on n'avait pu le joindre avant.
Allé chez la reine, passé par mon chemin ordinaire, peur des gardes
nationaux ; pas vu le roi.
Le 14. Mardi, — Très-beau et doux. Vu le roi à six heulres du soir;
il ne veut pas partir, et il ne peut pas , à cause de l'extrême sur-
veillance ; mais, dans le vrai, il s'en fait un scrupule, ayant si sou-
vent promis de rester, car c'est un honnête homme. Il a cependant
consenti, lorsque les armées seraient arrivées, à aller avec des con-
trebandiers, toujours par les bois, et se faire rencontrer (?) par un dé-
tachement de troupes légères. Il veut que le congrès ne s'occupe
d'abord, que de ses réclamations, et, si on les accordait, insister alors
pour qu'il sorte de Paris dans un lieu fixé pour la ratification. Si on
refuse, il consent que les puissances agissent, et se soumet à tous les
dangers. H croit ne rien risquer, car les rebelles en ont besoin pour
obtenir une capitulation. — Il (le roi) portait le cordon rouge. Il voit
qu'il n'y a de ressource que la force ; mais, par une suite de sa fai-
blesse, il croit impossible de reprendre toute son autorité. Je lui
prouvais le contraire , dis que c'était par la force, et que les puis-
sances le désirent ainsi. H en convint. Cependant, à moins d'être tou-
jours encouragé, je ne suis pas sûr qu'il ne soit tenté de négocier avec
les rebelles. Ensuite il me ait : a Ah çà, nous so?mnes e^itre iiaus^ et
« nmis pouvons parler. Je sais qu'on me taxe de faiblesse et d'irrcsù-
tt liUion, mais personne nje s est jamais trouve dans ma position. Je
« sais que f ai manqué le m/mient, c était le 14: juillet; il fallait aÀars
(( s'en aller, et je le voulais, rfiais comment faire quand Monsieur lui-
c( 7nêm£ me priait de ne pas partir, et que le muréchal de Broglie, qui
« commandait, me répondait : « Oui, nous pouoons aller à Metz, mais
« que ferons-nous quand rwus y serons? » — Jai manque le m^o-
1^1) Gopuelat.
ET LA COUR DR FRANCE. 7
« meifit, et depuis je ne l'ai pas retrouvé. Xai été aiandonné rie tout le
monde. » — Il me pria de prévenir les puissances qu'elles ne de-
vaient pas être étonnées de tout ce qu'il serait obligé de faire;
qu'il y était obligé et que c'était l'efifet de la contrainte. «< Il
faut^ » — dit-il, — « qu'on me mette tout à /ait de côté, et qu^on
m me laisse faire, » H désira aussi qu'on expliquât aux puissances
qu'il n'avait sanctionné le décret sur le séquestre des biens des
émigrés que pour les conserver ; sans cela, ils auraient été pillés et
brûlés, mais qu'il ne consentirait pas à ce qu'on les vendît comme
biens nationaux. H a aussi voulu par là faire passer son veto sur les
passe-ports.
La reine me dit qu'elle voyait Alex. Lameth et Duport, qu'ils lui
disaient sans cesse qu'il n'y avait de remède que des troupes étran-
gères, sans cela tout était perdu ; que ceci ne pouvait durer ; qu'eux
avaient été plus loin qu'ils ne voulaient, et que c'étaient les sottises
des aristocrates qui avaient fait leur succès, et la conduite de la cour
qui les aurait arrêtés si elle s'était jointe à eux. Ils parlent des aris-
tocrates, mais elle croit que c'est l'efiFet de la Jiaine contre l'Assem-
blée actuelle, où ils ne sont rien et n'ont aucune influence, et la peur^
voyant que tout ceci doit changer, et voulant se faire d'avance un
mérite. Malgré cela, elle les croit mauvais, ne s'y fie pas, mais s'en
sert ; cela est utile. Tous les ministres sont des traîtres qui trahissent
le roi. M. Cahier de Gerville surtout est le plus mauvais et menace
sans cesse de quitter le conseil et de dénoncer ses confrères. Bertrand
est bon, mais seul il ne peut rien. Narbonne et Lessart feront tout
pour se conserver, et rien pour le roi. Cahier de Gerville était un pe-
tit avocat à 700 francs par an. M"'' Rocherette était maîtresse de
Gouvion et lui disait tout. Elle n'avait que des soupçons. Interrogée
le lendemain du départ, elle a dit des horreurs sur la Teine ; ayant été
demandée si elle n'a pas entendu passer par cette porte et si elle n'a
pas eu peur, en ne venant pas avertir, — elle a dit qu'elle y enten-
dait passer si souvent, quand le roi était couché, que cela ne lui pa-
raissait pas nouveau. Depuis quelque temps, la garde était souvent
triplée ; ce jour du 20 juin', elle l'était de l'après-dîner. M. de Valori,
à qui on avait dit le matin qu'il serait envoyé en courrier avec ses
deux camarades, l'avait dit à mademoiselle sa maîtresse, qui l'était
aussi de M un enragé. En passant le grand Carrousel, la reine
envoya M. de qui l'accompagnait, et qui ne savait pas où était le
8 LE COMTE DE FERSEN
petit Carrousel, le demander à la sentinelle de la garde à cheval. A
Châlons, ils furent reconnus : un homme en avertit le maire, qui
prit le parti de lui dire que s'il en était sûr il n'avait qu'à le publier,
mais qu'il serait responsable des suites. Les gardes du corps, bons
à rien. En revenant, M. de Dampierre, qui était venu les voir, don-
nait le bras à une des femmes du Dauphin pour monter en voiture.
Elle l'avertit de s'en aller, qu'on lui en voulait. Il lui dit que non. Il
monte à cheval, et à cinquante pas on le tira dans la plaine comme un
lapin ; quand il fut tombé de cheval, on le massacra, et ils revinrent à
la voiture, les mains ensanglantées, et portant la tète. La reine donna
un morceau de bœuf à la mode, que j'avais mis dans la voiture, à
un homme; une voix cria : « N'en mange paSy ne vois-tu pas qu'on
veut t' empoisonner? » — Elle (1) en mangea sur-le-champ et en fit
manger à M. le Dauphin. Latour-Maubourg et Barnave fort bien;
Pétion indécent. Le premier ne voulut jamais monter en voiture du
roi ; il dit qu'il devait être assuré de lui, mais qu'il serait intéres-
sant de gagner les deux autres, tétion dit qu'il savait tout, qu'ils
avaient pris une voiture de remise, près du Château menée par un
Suédois nommé (il feignit de ne pas savoir mon nom) et s'a-
dressa à la reine pour le savoir. Elle répondit : a Je ne suis pas
« dans l'usage de savoir le ncm des cockers de remise. » M"® Eoche-
rette se présenta toute parée, elle comptait être femme de chambre ;
elle avait plusieurs fois avant le départ cherché le portefeuille de la
reine. Ils furent depuis six heures du matin jusqu'à sept heures du
soir, depuis Meaux aux Tuileries, sans oser baisser ni stores ni ja-
lousies. Pendant les six semaines, toujours des officiers dans la cham-
bre attenante. Ils voulaient coucher dans la chambre de la reine.
Tout ce qu'elle put obtenir ftit qu'ils resteraient eijtre les deux por-
tes ; deux ou trois fois, ils sont venus dans la nuit voir si elle était
dans son lit. Une fois qu'elle ne pouvait dormir et qu'elle alluma sa
lanterne, l'officier entra et s'établit en conversation. Un camp devant
les fenêtres, qui faisait un sabbat infernal. Toute la nuit, les officiers
dans la chambre se relevaient toutes les deux heures.
Le 2\. Mardi. — A six heures, je sortis; je trouvai Reuters vaerd
avec qui je fis tous les arrangements pour le départ à minuit. J'ac-
compagnai Gog. pour aller prendre congé du roi et de la reine. La
(1) La ime.
ET LA COUR DE FRANCE. 9
reine me mandait que la réponse au mauvais mémoire qu'elle avait
envoyé h l'empereur, fait par Êarnave, Duport et Lameth, venait
d'arriver et était détestable. Je pris le thé et soupai avec eux. A mi-
nuit, je les quittai. Frantz me fit sortir par la grande porte. Nous ne
trouvâmes pas Reuterswaerd, ce qui m'inquiéta. Au bout d'un quart
d'heure, il vint; nous nous rendîmes à son auberge, où son hôte,
quoique démocrate et protestant, l'avait comblé d'amitiés, comme
tout le monde.
A une heure nous montâmes en voiture. La voiture était légère, à
trois chevaux.
Le 22. Mercredi. — Nous passâmes Senlis à trois heures et demie
sans inconvénient. A Pons, quoique les gardes nationales fussent déjà
sur pied, on ne nous dit rien. Nous déjeunâmes à huit heures et de-
mie à Gournai ; il y neiga pendant une heure assez fort ; ensuite beau
et froid. Nous fûmes cependant fort retardés par le glissant. Nous
arrivâmes à Bon- A vis & sept heures du soir ; nous soupâmes mal et
couchâmes dans une chambre de charretier tout habillés.
Le 23. Jetidù — Beau, très-froid. Partis à cinq heures et demie,
chemins afifreux jusqu'à Cambrai , restés là une heure et demie : les
postillons ne voulaient pas mener à cause des chemins , et le maître
de poste me dit que, dans, les temps présents, il ne pouvait les forcer.
Enfin il y en eut un qui, en faveur de la légèreté de la voiture,
se décida. Nous passâmes fort bien Bouchain , mais à un petit village
de dix maisons, à une demi-lieue avant Marchiennes, je fus éveillé
par la voiture qui s'arrête, et un monsieur qui demande à Reuter-
svaerd son certificat. Je fis semblant de dormir ; après l'avoir lu pen-
dant cinq minutes, il dit que cela ne valait, qu'il y avait de par le roi,
et pas de par la loi, ce qui voulait dire que la loi était avant le roi ;
que d'ailleurs il n'y avait pas de signalement , et qu'il n'était pas
bon. Reuters vaerd se fâcha et dit : « Mais c'est le passe-port du ministre,
« il doit bien savoir comment iLlesfaut, et notre ministre ne nous au-
a rait pas donné un passe-port j s^il n'avait été en règle\ » — Le mon-
sieur dit : c( H n'est pas conforma au modèle que nous avons; il ne
K vaut rien. » — Alors le postillon, qui vit la plaque de courrier, dit :
<c Monsieur, mms est-ce que vous ne voyez pas qvs ces messieurs sont
« courriers? Vous n'avez pc^ le droit de les arrêter. » <c Sûrement, »
— dit Reutersvaerd, — « ^ counners suédois; cela est dans le passe-
port , et voilà celui de notre ministre. » Cet imbécile n'avait pas encore
10 LE COMTE DE FKRSEN
découvert cela, et, comme il vît que Reutersvaerd devenait poli, il
devint insolent. Après une seconde lecture, il nous laissa passer. Il
nous dit que. nous ne devions pas être surpris d'être encore arrêtés
à Marchiennes ; effectivement nous le fûmes à la seule porte qu'il y
a en entrant, par une sentinelle en veste grise. L'oflâcier, en vieil
habit brun ; après lui avoir dit que nous étions des courriers et montré
les passe-ports, il nous laissa passer. Nous fûmes encore arrêtés avant
Orchies à une barrière nationale , établie pour la recherche de l'ar-
gent. On fut poli et ne nous visita pas. A Orchies, qui est un gros
endroit, on ne nous dit rien. Le postillon nous avertit que nous
pouvions jeter nos cocardes. A une lieue d'Orchies nous fûmes hors
de France, on ne nous visita pas, et nous étions trop heureux d'en
être dehors. A quatre heures nous étions à Tournai , nous y dînâmes
bien et dans la même chambre où nous avions couché en allant. Quelle
différence! A cinq heures et demie nous partîmes. Le soir et la nuit
furent excessivement froids; les roues criaient comme en Suède.
Nous arrivâmes à Bruxelles à trois heures du matin. Ma joie fut
grande d'avoir si bien réussi et de me trouver chez moi.
Le 27. Lundi, — Le baron de Breteuil me prévint que M. de Mercy
s'est plaint du mécontentement que la reine témoigne de l'empereur,
qu'il m'en croit la cause ; a donné â entendre qu'il l'avait découvert.
Ce ne pourrait être que par mes lettres, et je ne crois pas qu'ils aient
pu les déchiffrer, le chiffre de Suède est trop difficile, et mes lettres
pour Paris, écrites en blanc, ne seraient pas parvenues, si elles
avaient été lues. Mais c'est un soupçon à cause du parti pris par le
roi de France de s'adresser lui-même aux puissances. M. de Mercy
a fait sentir que j'étais très-suspect et très-incommode, il l'a souvent
prié de ne pas me redire ce qu'il lui confiait. Cela ne me fait pas de
peine et me prouve qu'ils ne m'ont pas cru aussi clairvoyant. Je fus
chez le comte de Mercy, il me parla des affaires, de l'incommodité
dont étaient les princes, qu'il fallait les écarter, qu'ils seraient mieux
dans le Midi. -Je fus de son avis , excepté pour les écarter tout à fait,
mais qu'ils pourraient être utiles en seconde ligne et en dirigeant
leur conduite.
Mars. Le 2. Vendredi. — Au cercle à la cour, depuis longtemps
l'archiduchesse ne me parle plus des affaires. Nouvelles de Péters-
bourg, pas très-bonnes. L'impératrice, trop prévenue pour les princes,
croit aux calomnies contre le baron de Breteuil , ne fait pas assez
ET LA COUR DE FRANCE. 11
de cas de la lettre de la reine ; je crains aussi que Bombelles ne voie
trop en noir. Berlin toujours bon. Je crois qu'il faut consentir à tout
pour faire arriver les troupes ; c'est le principal.
Le 5. Lundi. — Dîné chez M. de Breteuil. Thugut et Browne se
sont lâchés contre l'empereur en mécontentement de ce qu'il ne
voulait pas agir. Le premier l'a dit au baron, en ajoutant qu'il en
était sûr. H a aussi douté qu'il voulût rétablir les choses en France
comme elles étaient, et a dit que, pour s'en assurer, il fallait de-
mander à M. de Mercy s'il entendait rendre au roi le maniement
des finances, comme avant la révolution. Il croit, et je suis de son
avis , que l'empereur veut éviter d'agir, mais que, s'il y est forcé, il
veut être assez fort, avec la Prusse, pour exclure les cours du Nord
et donner à la France un gouvernement mixte qui la mette dans sa
dépendance et lui ôte toute sa force et son influence en Europe. C'est
pour cela qu'il a consenti aux 50,000 hommes posés par la Prusse,
afin de présenter aux cours du Nord cette force comme suffisante,
les empêcher par là d'en envoyer, et, s'il n'y peut parvenir, au moins
avoir une grande supériorité et décider de tout. Mais avec l'influence
de l'impératrice, la bonne volonté de la Prusse et l'ambition du duc
de Brunswick, ce plan sera aisé & déjouer, et il faudra alors mettre
en avant les princes, leur faire faire des réclamations, concertées
avec le roi, auxquelles les puissances auront l'air de céder. Il a con-
seillé au baron de ne s'engager vis-à-vis de Mercy au remboursement
d'argent que lorsque le roi serait rétabli dans la plénitude de son
autorité. •
Le 6. Mardi. — Dépêche de Caraman à Berlin, bonne, et de
Bombelles pas autant ; mais il est d'un caractère inquiet, cela se
voit, et il y a trop de choses contre Esterhazy dans ses lettres. L'im-
pératrice, qui n'a jamais eu de relations qu'avec les princes, est trop
prévenue pour eux. H faut du temps pour la désabuser. — M. de
Galonné a été à Cologne sans voir le maréchal de Castries. Il a fort
désapprouvé, vis-à-vis de quelqu'un avec qui il a causé, le système
du baron de Breteuil que le roi doit être le maître de sa confiance
vis-à-vis des princes.
Le 8. Jeudi. — L'évêque vint à sept heures et demie me dire que
l'empereur était mort subitement ; qu'on avait interrompu le spec-
tacle et que l'acteur l'avait annoncé ; qu'il y avait eu deux ou trois
applaudissements. Je sus effectivement qu'un courrier était arrivé.
12 LE COMTE DE FERSEN
L'archiduchesse l'ignorait ; elle envoya même , au sortir de table ,
M. de Metternich pour voir s'il y avait des lettres pour elle. Elle
fit venir le soir tous les généraux et leur parla fort bien et avec
bonne contenance. — M. de Mercy avait été à deux heures chez le
baron de Breteuil ; il parla de la réponse de l'empereur. Le baron
la désapprouva, la trouva trop longue, etc., etc., mais il ajouta que sans
doute M. de Mercy savait qu'il paraîtrait bientôt une autre décla-
ration commune, qui serait meilleure. M. de Mercy répliqua :
« Comment, monsieur, une déclaration ! ce ne sont plus des déclarations
qu'il faut; H empereur Va senti, et a enfin changé de système. » Puis, se
levant avec vivacité et portant la main à son épée : « Cest de cela
qu'il fatU; V empereur y est décidé, et bientôt vous en aurez. »
Le vicomte de Vérac, qui vint me voir le soir, me dit que dans les
rues on se disait : « U empereur est mort, eh bien, c'est bon » . Lui , l'é-
vêque et beaucoup de gens croyaient que cela allait tout changer et
tout retarder, occasionner des Içngueurs. Je ne fus pas de cet avis,
je le leur prouvais , et je sens que le baron de Breteuil avait été de
mon avis. Je pris alors mon parti d'écrire à la reine mon opinion là-
dessus, que je lui envoyai le lendemain par la poste.
Le 9. Vendredi. — Dans toutes les sociétés hier au soir la mort
de l'empereur avait fait peu d'efifet et n'avait pas dérangé les parties.
Les généraux ne témoignaient pas même là-dessus le moindre chagrin,
mais presque le contraire. Thugut dit au baron qu'il en était bien
aise. Dans la ville (1) cela ne faisait aucune sensation; les officiera
en étaient même contents. On Uvait répandu des billets pour exciter
le peuple à la révolte , en disant que c'était le moment , qu'il fallait
en profiter et séduire les soldats. Les portes de la ville furent fer-
mées depuis onze heures du matin , mais rien ne paraissait en ville.
Les uns disent qu'il est mort d'une fluxion de poitrine ; d'autres, et
c'est le chancelier Crumpipen et M. de Metternich, qu'il a eu le
24 une attaque de colique , qu'il a été saigné trois fois, et que le 2 à
midi l'attaque est revenue, et qu'il est mort dans des vomissements
affreux. On veut dire par là qu'il est mort empoisonné. Tant mieux ;
cela prouvera la nécessité d'exterminer les monstres en France.
L'objet de M. de Crumpipen , en accréditant cette nouvelle , est au
(1) Bruxelles.
ET LA COUR DE FRANCE. 13
contraire de prouver le danger qu'il y a de se mêler des affaires de
France.
Le 10. Samedi. — Les soldats sont contents de la mort de l'em-
pereur. Une sentinelle, qui vit du mouvement le lundi soir, demanda
ce que c'était; on le lui dit. Réponse : « Oh! oh! er ist dodty no so
vimt Frandscus der Soldaten VcUer! »
Z^ 13. Mardi. — M. de Narbonne, renvoyé du ministère par le roi,
à cause de sa conduite indigne vis-à-vis de M. Bertrand, ministre de
la marine, qu'il a voulu perdre de toutes les manières possibles, et
à cause des lettres qu'il s'est fait écrire par les maréchaux Bocham-
beau et Luckner et Lafayette pour conserver le ministère. Le che-
valier de Grave , jeune démocrate de 28 à 30 ans , \ lui succède.
M. Bertrand a demandé sa démission et l'a eue. M. de Lessart a
été arrêté, avec ses papiers, par ordre de l'Assemblée, et mis en état
d'accusation. C'est un triomphe des jacobins. On dit que M. Cahier
de Gerville s'en va; ce serait fort heureux. Ce sont MM. Duport,
Bamave et Alex. Lameth qui auront désiré le renvoi de M. de Nar-
bonne ; ils en sont mécontents, et on dit qu'il les avait trompés.
Ze 14. Mercredi. — DupUcité de l'empereur qui a fait croire que
tout ce qu'il a voulu faire, et les ordres donnés au maréchal Bender
ont été retardés par la reine et le baron de Breteuil. Le prince de
Nassau se conduit à merveille.
Z^ 18. Dimanche. — Lettre de Crawford qui m'inquiète d'autant
plus que le chevalier de Coigny avait mandé le projet des jacobins
de mettre la reine dans un couvent ou la mener à Orléans pour être
confrontée avec M. de Lessart, et qu'il y a quelques jours, le
10 mars, M. Vergniaux avait dit dans l'Assemblée : « H faut que la
« terreur entre à présent dans ce palais cCoù elle est sortie tant de
^^ fois; que tous ceux qui y sont tremblent; il n'y a qui uns seule per-
« sonne inviolable. »
Le 22. Jeudi. — Lettre de M"'* de Lamballe au baron de Breteuil,
qui mande que l'on veut dénoncer la reine dans l'affaire de M. de
Lessart et la séparer ainsi du roi pour la mettre dans un couvent.
Cela se rapporte à ma lettre de Crawford. Je crois au projet, mais je
doute de l'exécution. L'abbé de Saint-Albin dit qu'on croyait que la
reine s'en irait ; je ne crois pas qu'elle se sépare jamais du roi, et
où irait-elle? cela serait difficile , & cause de Coblence.
Le 23. Vendredi. — Trouvé Goguelat chez moi en rentrant. Il
14 LE COMTE DE FERSEN
avait passé par Calais, Douvres et Osteiide. 11 était parti depuis
huit jours. Leur (1) situation fait horreur. J'en Êiis le détail dans ma
dépêche au roi du 24, avec les événements qui ont préparé le tout.
On a entendu des députés dire : « Lessart s'en tirera; mais la
reine me s'en tirera pas. » Deux autres, sur la terrasse des Feuillants ,
disaient, en parlant du départ du roi : « Ces h là ne partiront
pas y vous le verrez. » Iriarti a demandé un congé et ira à Madrid,
chargé de la même commission que Simolin à Vienne. Groguelat
n'avait qu'une petite autorisation qui disait :
a Je vous prie , mon neveu , d'Bvoir confiance à tout ce que le por-
« teur vous dira de notre part. — Marie- ANTomETTE. »
« Je me joins à votre tante et pense absolument comme elle.
— Louis. »
Nous filmes voir le baron de Breteuil. Il m'eut l'air de ne pas trop
approuver la démarche. Il n'en dit cependant ri^i.
Le 24. Samedi, — Goguelat vu Mercy ; il lui donna de bons con-
seils pour Vienne, qu'il fallait surtout appuyer sur les petits détails.
11 dit qu'il n'y avait de ressource que la force et qu'il faudrait s'y
décider. La reine avait écrit à M. de Mercy au sujet de la réponse
de l'empereur à ce mauvais mémoire une. lettre assez forte, qu'il ne
nous a pas montrée ; pour l'avoir, Gog. devait demander de la part
de la reine à la copier ; mais, craignant qu'il ne la refuse sous pré-
texte qu'il ne l'avait plus, il en discuta quelques points et se la fit
montrer, alors il la demanda, et Mercy la lui promit au retour.
Le 25. Dimanche. — Goguelat parti à une heure. Il vit Espienne
qui revient de Coblence fort mécontent de tout ce qu'il a vu, et di-
sant qu'il se croit plus utile chez lui, s'il y a quelque chose à faire ;
qu'il est sûr de rassembler 500 hommes. Il dit beaucoup de bien du
comte d'Artois et de ses intentions. Il a trouvé M. de Jaucourt sage
et modéré. M. de Galonné est regardé par tout le monde comme un
fat et un étourdi; il a trouvé le comte d'Artois disposé à la patience,
et sentant que tout cela ne pouvait être si prompt ; mais les autres
Français ne sont pas dans les mêmes dispositions. — Dîné chez moi
avec le baron de Thugut ; il pense à merveille ; il me dit qu'il y a
15,000 hommes dans le Mlanais, pour la sûreté du roi de Sardai-
gne, si on agit. Il désapprouve la réponse de l'empereur qui a causé
(1) La famille royale de France.
ET LA COUR DE FRANCE. 15
le renvoi de Lessart ; il en voulait une insignifiante, et l'envoi sur-
le-champ des 50,000 hommes, et faire alors une réponse ferme. Il a
raison. Il blâme de Mercy et ceux qui ont fait la réponse , et vou-
drait qu'on agisse avec force au plus tôt et que le roi pût partir.
Lettres de Suède : l'impératrice voit mal les affaires de France et
Esterhazy est bien coupable ; c'est chez lui manque de réflexion et
de jugement et non d'attachement, mais cela fait bien du mal.
Le 27. Mardi. — Simolin a reçu ordre de revenir de Vienne à Pé-
tersbourg. Bombelles se plaint toujours : il a mal saisi l'esprit de sa
commission , il se voit toujours ambassadeur, et non voyageur, et a
des prétentions. L'impératrtce très-prévenue pour les princes.
Avril. Le 3. Mardi. — Le duc d'Uzès à la tête de 150 gentils-
hommes français vint me voir, pour avoir des nouvelles [de l'assas-
sinat du roi de Suède]. Lettre de la reine.
Le 12. Jeudi, r— Reçu des lettres de Suède du 23 et du 27. Le
bulletin mauvais. Dans l'enveloppe de Brégart était un papier où il
est dit que le roi (1) est mort le 29 vers midi ; j'en fus atterré. Le
baron de Hopp , ministre de Hollande , dit la même chose. Je vou-
lais espérer que non , mais je ne le pouvais ; les détails sur son état
étaient trop mauvais ; je fus très-tourmenté.
Le 17. Mardi. — Dîné chez Breteuil. Thugut lui a dit que le roi
de Hongrie avait écrit ici, était las de ce qui se passe en France, et
décidé à agir et à y mettre fin; qu'il ferait marcher les troupes,
qu'il fallait amuser les Français pendant deux mois, qu'elles puis-
sent arriver, et que, s'ils attaquent ou non, il était décidé à les atta-
quer.
Le 25. Mercredi. — Un ingénieur nommé Obredi, qui a été en-
voyé reconnaître le pays, les Français et la disposition des habitants,
rapporte que M. de Rochambeau est campé depuis lundi sous Mau-
beuge, vis-à-vis de Mons, dans une très-belle position et retranchée ;
que les dispositions sont telles que rien n'empêche les Français d'en-
trer et d'arriver jusqu'à Bruxelles; qu'il n'y a aucune précaution
prise pour les arrêter ; que les troupes sont placées tellement qu'elles
seraient coupées et ne pourraient jamais se réunir ; qu'il n'y a abso-
lument rien de fait, que cela fait horreur, et qu'il n'y a pas un ins-
,(1) De Suède.
16 LE COMTE DE FERSEN
tant à perdre. Lorsqu'il en rendit compte & Farcliidnchesse y elle se
mit à pleurer, disant qu'elle était perdue. H a trouvé les habitants
vers les frontières très-mal disposés ; en un mot il a trouvé leur po-
sition très-dangereuse, leur inertie et leur apathie a été extrême. Ils
n'ont rien fait. La jalousie du général Browne contre le maréchal
Bender est extrême, et gâtera tout. Ce premier n'a jamais été recon-
naître le pays. Un homme fidèle de Namur, qui a été patriote, a
demandé depuis deux mois, par le baron de Breteuil, d'être appelé
ici pour donner des éclaircissements importants pour le gouyeme-
ment. M. de Mettemich l'a oublié et il n'a pas encore été entendu
ni appelé. Quand on parle d'affaires importantes à l'archiduchesse,
elle pleure; le duc Albert bavarde ; Mercy dit qu'il n'a rien à faire,
mais qu'il en parlera à Mettemich, qui les oublie; cela fait horreur.
S'ils en souffraient seuls, il n'y aurait pas de mal. Bender voulait
former un cordon, depuis Ostende à Luxembourg : belle platitude 1
— T On va faire camper et prendre une position. Le général Ferrari,
homme de mérite, est indigné; il n'est pas employé; il a indiqué
plusieurs positions importantes à garder, auxquelles on n'avait pas
pensé.
Le 26. Jeudi. — Dîné à la cour, l'archiduchesse ne me parla pas.
Le camp de Rochambeau n'est rempli que de 100 pièces de canon
et 1,200 hommes. H a écrit de Valenciennes au général Beaulieu à
Mons , par un aide de camp accompagné de deux trompettes ; sa
lettre est datée l'an IV de la Liberté : il déplore les maux de la guerre
et demande que, pour épargner du sang, on ne fasse de part et d'au-
tre aucune hostilité avant que la guerre franche (?) commence , qu'il
n'est pas autorisé à faire cette proposition , mais qu'il espère que le
général en fera part au gouverneur général, et que, s'ils n'ont pas
assez de confiance en lui , il enverra un courrier à Paris prendre les
ordres du roi. Il parle toujours en son nom. L'aide de camp arriva &
Mons au moment de la parade ; on la lui laissa voir, et on le renvoya
après. Les troupes se mettront en mouvement le 29, et seront cam-
pés du 5 au 8.
M. de Breuil est arrivé ici comme chargé des affaires de France,
mais sans avoir déployé son caractère ; de sorte qu'étant de ce pays^
on ne peut le renvoyer sans lui faire son procès, et on ne peut même
l'attaquer sur ses dépêches en chiffre, car il les fait signer par M. de
la Gravière, qui attend le ministre qui doit le remplacer. Ce Breuil
ET LA COUR DE FRANCE. 17
«st un gueux qui a été dans la révolution du Brabant et qui est du
pays.
Le 30. Lundi. — Reçu le matin nouvelle qu'il y a eu une affaire
près de Toumay, où les Français ont été repoussés. Voici la rela-
tion : on fut toute la journée fort inquiet sur Mons. A deux heures, je
rencontrai M. de Mettemich ; il me dit qu'on venait d'apprendre qu'H
y avait eu une affaire entre les avant-postes à Mons ; il. ajouta qu'il
avait eu les plus vives inquiétudes que les troupes n'eussent pas le
temps de se rassembler avant l'attaque des Français ; qu'à présent il
était tranquille sur ce point. U ailleurs , ajouta-t-il, ce ri est pas ma
ffvuie, car depuis trois semaines j'en ai averti et je n'ai cessé de
presser lârdessus; ils n'ont jamais voulu rien faire. -^ En rentrant de la
promenade à huit heures du soir, j'appris que les Français avaient été
repoussés et bien battus à' Mons. Voici ce que le comte de Mettemich
m'écrivait là-dessus et la relation de Beaulieu. Il m'envoyait aussi
l'adresse des Belges. Lui et le comte de Mercy avaient été dans les
plus grandes inquiétudes depuis l'arrivée du premier courrier; que
tout le pays était fort mal disposé et notamment la ville de Bruxel-
les ; que, s'ils avaient été battus, on aurait vu ici les horreurs d'Avi-
gnon ; qu'on avait trouvé dans la partie du rivage des uniformes na-
tionaux et des cocardes ; qu'il y avait même eu des gens qui en avaient
porté. La joie ne fut pas très-grande dans la ville ; on cria quelques
vivats à l'archiduchesse, qui alla se promener au parc. On dit que
M. de Biron, qui commandait les troupes, avait disparu au commence-
ment de l'action ; on donne des éloges à la manière dont les compa-
gnies françaises qui y étaient se sont conduites.
Mai. Le 10. Jeudi. — Les princes ont écrit à l'archiduchesse pour
lui offrir tous les Français qui sont à leurs ordres , et qu'ils avaient de
même écrit à Vienne. Elle a répondu qu'elle ne pouvait rien décider
avant d'avoir des ordres du roi ; c'est d'après l'avis de M. de Mercy,
<qui a dit au baron de Breteuil qu'ils étaient décidés à ne pas se ser-
vir des Français et à ne les admettre à rien. Il a dit au baron Thu-
gut que tout ce qu'il craignait était que le baron de Breteuil fût mêlé
dans tout cela, et qu'il fallait l'en exclure. Il lui a dit de dire à
Vienne , où il va , que, quoiqu'il fût décidé à se retirer, il resterait à
cause de la circonstance si intéressante et où il pourrait être utile,
qu'il continuerait à traiter les affaires et qu'il désirait être chargé de
&ire la paix , mais à condition qu'il eût plein pouvoir de la faire
T. II. 2
18 LE COMTE DE FERSEN
comme il voudrait. Dans ses propos on voit toujours le désir de négo^-
cier et de faire un accommodement, qui ne serait que mauvais , car
il est lié par La Borde avec les constitutionnels Barnave, Lameth et
Duport, etc., et n'a pas dit au baron de Breteuil l'ofire des princeâ.
J'ai conseillé au baron de Breteuil de lui répéter la même ofifre et
de lui répéter l'avantage de l'accepter, et le danger de le refuser dans
un moment où ils n'ont pas assez de troupes et où les émigrés pour-
raient servir à débaucher dès troupes françaises, et, s'il refuse, le prier
de se rappeler l'offre qu'il lui en a faite.
i^ 13. Dimanche. — Limon venu chez moi me dire que les pairs
et les parlements étaient convoqués du 25 au 30 à Coblence. C'est
apparemment pour faire la constitution. Il se plaignit de ce que le
baron de Breteuil ne le traitait pas assez bien , et ne faisait pas assez
de cas de lui ; qu'il se confiait à des jeunes gens qui redisaient tout, et
qu'il pourrait l'employer lui utilement. Le baron de Breteuil a
tort : le Limon est un gueux, mais il faut le ménager et s'en servir,
sans y avoir confiance.
Le 19. Samedi, — 82 hommes du régiment de Saxe rentrés en
France ; c'est un grand malheur ; mieux vaudrait qu'ils ne fussent
pas sortis. Le baron de Breteuil vu l'archiduchesse et Mercy. Pour
les émigrés, ils n'en veulent pas dans leurs armées. Mercy dit que
cela ferait croire que les puissances partagent leurs opinions et veu-
lent tout rétablir sur l'ancien pied, et que tous les partis se réuni-
raient contre eux. Le baron dit que dans ce cas il était sûr que la
Prusse ne les repoussera pas. L'archiduchesse choquée de cela.
Le2\. Lundi. — Lettres de Russie et de Berlin que tout marche;
que le duc de Brunswick sera à Coblence le 9 juillet ; que le 13 tous
les émigrés seront cantonnés dans les environs de Philippsbourg ;
qu'on mande aux princes de se tenir tranquilles jusque-là ; que Ca-
raman doit voir le duc de Brunswick à Halberstadt ; que les rois
de Hongrie et de Prusse ont demandé aux princes d'Allemagne d'être
prêts au mois de juillet. — Un courrier de Londres passe par Berlin
et Vienne ; il porte l'assurance de la neutralité parfaite du roi d'An-
gleterre et qu'il verra avec plaisir ce que les puissances feront pour
le roi de France. L'impératrice morte. Dépêche de Russie à moi assez
bonne , mais rien de positif.
Le 26. Samedi. — Strùcker arrivé ; parti mercredi matin. Il dit
que le désordre est à son comble à Yalenciennes. Rochambeau aurait
ET LA COUR DE FRANCE. 19
été massacré comme Dillon, s'il ne s'était tenu caché à l'abbaye Saint-
Sauve trois jours ; on a été le chercher trois fois. Lundi Luckner
voulut lever le camp ; le soldat refuse en jurant contre ce ... d'étranger
qui voulait les mener à la boucherie, mais qu'ils le pendraient, et qu'ils
voulaient savoir pourquoi et où ils iraient. Boyal-Suédois refuse d'al-
ler en garnison à Douai ; trois soldats rencontrèrent le duc de Char-
tres, ils l'ont arrêté, lui ont dit des sottises; que, si on les faisait
partir, ils le idassacreraient ; que c'était lui qui machinait tout cela;
qu'il était un gueux , que sa place était à Coblence avec les autres
princes , mais qu'il s'était si mal conduit qu'il n'osait y aller.
Juin, i^ P'. Vendredi, — Vicomte de Caraman de retour, porte as-
surances positives du roi de Prusse qu'il n'abandonnera pas le roi de
France; qu'il n'écoutera aucune négociation ; qu'il veut que le roi soit
libre et fasse la constitution qu'il veut ; qu'il paiera aux princes la solde
des troupes qui passeront. L'impératrice (1) lui mande qu'elle envoie
16,000, dont 3 de cavalerie, qui débarqueront à Wismar et traverse-
ront l'Allemagne. Caraman l'a vu (2) avec lé duc de Brunswick à Mag-
debourg, tous deux fort bien. Les troupes toutes arrivées le 4 août,
les Prussiens sur la Moselle et la Meuse, les émigrés sur Philipps-
bourg, les Autrichiens dans le Brisgau. 15,000 hommes aux ordres
de Clairfait agiront de ce côté-ci ; le reste , aux ordres du duc Al-
bert, pour garder le pays. Tout avancera pour masquer les plans, et
le duc marche avec 36,000 hommes d'élite droit sur Paris.
Le 7, Jeudi. — Bergstedt arrivé à 9 heures du soir, passé fort bien
à Valenciennes. B dit que les jacobins sont tranquilles depuis le ren-
voi de la garde du roi ; c'est pour être maîtres de sa personne et l'em-
mener avec eux; ils y réussiront, car ceux qui veulent l'empêcher
n'ont point de chef, et, comme ce sont les chefs de bataillon qui
commandent toute la garde nationale pendant deux mois, il ne peut y
en avoir. Servan brouillé avec Dumouriez, qui voulait dominer ; il a
voulu quitter, car on demandait compte des 6 millions pour les dé-
penses secrètes. Les jacobins, qui le soupçonnent, l'auraient chassé,
mais ils ne savent par qui le remplacer. Luckner trouve l'armée
trop mauvaise pour attaquer ; Dumouriez insiste et veut y aller, pour
(1) De Russie.
(3) Le roi de Pnuse.
20 LE COMTE DE FERSEN
l'y décider ou commander. C'est M"*' de Staël qui a écrit les lettres
des généraux à Narbonne, et qui a fait renvoyer Lessart. Tous les
constitutionnels, amis de Narbonne, n'ont pas été à l'Assemblée pour
•le défendre, et comme cela les jacobins ont réussi à le mettre en ac-
cusation. C'est une intrigue de M"* de Staël. Elle porte toujours du
poison pour en prendre, s'il arrive quelque chose à Narbonne. Elle a
été, déguisée en homme, & Arras le voir ; elle a versé en revenant;
cela a fait histoire. Elle a été absente du mardi au dimanche.
Le 10. Dimanche, — Lettre de la reine de France. Ordres à Luck-
ner d'attaquer, etc.
Le 12. Mardi. — Luckner est campé avec 20,000 hommes; vers Tour-
nay il y a 16,000 hommes. L'attaque sur les Français a manqué parce
que la colonne du centre a attaqué trop tôt et que les deux autres ,
à cause des mauvais chemins et du terrain gâté par la pluie, n'ont
pu arriver ni la cavalerie agir. Sans cela la retraite leur aurait été
coupée. Les Autrichiens y ont perdu plus de 800 paires de souliers.
Ils voulaient entamer une affaire générale avec Lafayette et s'empa-
rer de Maubeuge ; les Français qui y étaient ont été fort maltraités :
à peine leur art-on permis de voir, et on disait qu'il y avait des hus-
sards postés derrière la ligne pour les forcer à se retirer, s'ils s'é-
taient'trop avancés.
Le 16. Samedi. — Déchiffré la lettre de Paris ; Mercy me parla
fort là-dessus, disant qu'on ne pouvait plus négocier avec aucun
parti, tous également scélérats et ne voulant que s'emparer du pou-
voir ; qu'il n'y avait plus que les baïonnettes ; que ce serait folie de
vouloir de haute lutte rétablir tout sur l'ancien pied ; qu'il fallait
commencer par créer une autorité , la rendre au roi, lui donner le
droit de paix, de guerre, d'alliances ; mettre l'armée et les grâces
dans ses mains ; rétablir la noblesse dans tous ses droits et préroga-
tives honorifiques ; rétablir un peu le clergé sans lui rendre ses biens,
et préparer les choses pour que le roi pût ensuite peu à peu reprendre
la même autorité qu'il avait, et que dans dix ou quinze ans il l'au-
rait; qu'il avait toujours prévu que l'Angleterre et l'Espagne iraient
mal ; que le roi de Prusse donnait à la première réquisition 7 à
8,000 hommes de Westphalie, que 7,000 arrivaient du Brisgau et
qu'avec cela il n'y avait rien à craindre ici. H ne croit pas que le roi
et la reine courent des dangers personnels, mais qu'ils pourraient
bien être enmienés dans l'intérieur. Qu'il écrira à Vienne pour pré-
ET LA COUR DE FRANCE. 21
Tenir sur l'envoi de ce constitutionnel et de ce qu'il faut dire^ selon
le désir de la reine ^ et qu'il lui fera une réponse dans le même sens.
En tout 9 il parla fort bien. — Tous les ministres^ excepté Dumou-
rîez, renvoyés, on croît, pour avoir proposé le rassemblement des
20,000 hommes. Je crois que Dumouriez ne tardera pas à être chassé
à son tour.
Le 24. Dimanche. — Cosmopolite du 21. Affreuse relation de l'at-
tentat du 21 au château des Tuileries ; horrible I elle est ci-jointe,
les suites font frémir.
JxJiLLET. Le 4. Mercredi. — Le baron de Breteuil croit que Mercy
savait par les constitutionnels, avec lesquels il est toujours en relation,
le voyage de Lafeyette à Paris , et qu'il l'approuvait. M. de Toulon-
geon est allé à Vienne négocier pour qu'on prenne les troupes de son
commandement de Franche-Comté à la solde de l'empereur. Les
princes l'ont désapprouvé ; cependant il va son train en disant que
cela lui parait avantageux.
Le 8. Dimanche. — Lasserez arrivé avec une lettre de la reine
pour moi et Mercy. Elle veut qu'on agisse et parle au plutôt. Cela
ne se peut, avant l'arrivée des forces, car il ne faut parler qu'en agis-
sant.
Le 9. Lundi. — Vu Mercy. Il est de mon avis qu'il faut être prêt
à agir lorsqu'on parlera. La reine lui demande que dans le manifeste
on rende Paris responsable du roi et de sa famille ; elle demande s'il
ne serait pas bon de sortir de Paris. IL répond a oui » , si on est sûr
d'un parti pour protéger la sortie, et aller alors à Compiègne, et
appeler les départements d^ Amiens et de Soissons. H me parla bien
sur le manifeste, qu'il faut y laisser de l'espoir à tous pour sauver
le roi , excepté les factieux ; pas parler de la constitution ; qu'il faut
lui faire la guerre sans le dire , et l'anéantir. Il se plaignit des en-
tqurs du baron de Breteuil qui empêchent de lui rien confier ; que
le roi ne doit pas tout de suite reprendre son autorité, cela est im-
possible, mais peu à peu ; qu'on le calomnie, accuse de froid pour les
intérêts de la reine ; que sa correspondance fait foi du contraire, mais
qu'il n'ose se livrer aux Français, qui tous, même les aristocrates, ne
valent rien ; — qu'il a toujours écrit à Vienne, mais qu'il ne peut en
venir & bout. H dit cela avec humeur et impatience ; qu'il a instruit
l'archiduc Charles de tout, et de la lettre de la reine pour en
parler à Tempereur. Il était indigné de la conduite de l'Espagne, qui
22 LE COMTE DE FERSEN
se (îouvre, disait-il, de boue. Je lui parlai de réclamer les Suisses ;
il me dit que l'empereur y avait un homme pour cela et qu'il avait
invité le roi de Prusse à se joindre à lui et user de son influence.
Léonard arrivé de Paris, portant une lettre de la reine pour moi.
Le 10. Mardi, — Renvoyé Lasserez avec une lettre & la reine, Gra-
zette universelle du 7, discours horrible de M. Danton au conseil
général de la commune de Paris ; cela fait horreur. Lettre de la reine
par la poste.
Le 12. Jeudi. — Le duc de Brunswick se conduit bien. Les princes
ont des prétentions ridicules, il n'y cède pas. M. de Lambert y est
fort utile, et les contient un peu. Galonné est toujoi^rs fou ; îl n'était
pas content des cantonnements désignés et avait engagé. M. Schon-
felt de les faire changer. Son expression était : « j^ous avons enfariné
Schxmfélt. » Schonfelt s'est perdu pour avoir voulu s'en mêler, et le
duc de Brunswick disait : « S'iU croient menfariner aussi ils se trom-
pent. » — Le maréchal de Broglie se plaignait de ne pas trouver as-
sez de place dans les cantonnements. Le duc lui répondit : fn A la
bataille de Berghen, vous aviez plus de monde, et vous n'occupiez pas
tant de terrain. » — Le roi de Prusse a déclaré qu'à l'entrevue avec
les princes il ne voulait traiter qu'avec le maréchal de Castries,
qu'il ne fallait amener que lui, et qu'il ne voulait pas voir Galonné.
Le \Z. Vendredi — Prince de Nassau arrivé. Les princes [ont]
foit un mémoire bête et insolent pour le roi, envoyé à toutes les
cours ; que le roi (1), par faiblesse, se laisse aller aux constitutionnels
pour demander une trêve et négocier, et qu'il ne faut pas l'écouter ;
communiqué au baron, pour qu'il leur ' réponde. Le baron assure
du contraire ; il en écrivit & M. de Schoulenbourg et au duc de
Brunswick, qui lui avait écrit pour lui demander si cela était vrai.
H avait assistée à un conseil des princes , où on avait parlé. Galonné
a dit que sûrement le baron (2) ne répondrait pas à ce mémoire,
pour faire entendre qu'il est de cet avis. Nassau se plaint de lui et de
Esterhazy qui est, dit-il, plus occupé de rester à Pétersbourg et de
plaire à l'impératrice , que des afl*aires du roi et de la reine. M. de Me-
nou arrivé de Paris ; il a été au Ghâteau le 20, mais seulement dans
(1) Louis XVI.
(2) De Breteoil.
ET LA COUR DE FRANCE. 23
Vescalier ; il conte qu'ayant voulu entrer par la porte de la cour de
Marsan^ deux grenadiers nationaux, qui y étaient au lieu des Suisses,
lui avaient refusé l'entrée ; qu'un moment après dix sans-culottes,
sortant d'un cabaret et armés de piques, ou de bâtons avec des cou-
teaux au bout, se sont présentés ; on les a laissés passer ; il a passé
avec eux, mais les grenadiers^ l'ayant reconnu, l'ont voulu faire sor-
tir. Alors il leur a montré un bâton où il y avait un marteau et une
petite hache, en guise de pommeau en ajoutant : JTea suis atissi ! et
alors ils l'ont laissé passer.
Le \Al, Samedi, — J'ai reçu de Paris une brochure : le Cri de la
douleur ou journée du 20 juin; c'est de Mercier, très-bien fait et digne
d'être gardé.
Le 22. DimaîicAe. — Vicomte de Caraman revenu très-content; ma-
jor au service de Prusse, et doit suivre le roi ou le duc de Brunswick,
comme il voudra ; traité comme ministre de France. Exposé succinct
des raisons du roi de Prusse pour la guerre ; fort bien, excepté une
phrase autrichienne (npour rétablir un pouvoir légal », etc. : ils ont
senti que cela ne valait rien. Projet de manifeste montré à Caraman,
par Schoulembourg ; bon, mais trop long. Il y était question du
rassemblement d'états généraux ; Caraman l'a désapprouvé, Schou-
lembourg en convint, mais que c'était l'idée de l'impératrice apportée
par Nassau; promis cependant de le changer. Caraman fait sentir
qu'il fallait que cela fût très-court, et fort insister sur la liberté du
roi qu'on voulait, sur la responsabilité de Paris ou telle autre ville
où le roi serait; promettre sûreté et protection à tous les citoyens
paisibles , tous ceux en armes traités comme rebelles au roi. Schou-
lembourg a senti cela et Bischoffswerder encore mieux. Ils ont avoué
que les Autrichiens leur avaient dit que Lafayette et les constitu- .
tionnels négocient avec eux, mais qu'ils avaient tout rejeté. — Ce
' sont les Prussiens qui ont exclu Mercy et La Marck des conférences.
Turpin passé avec tous les plans de la frontière et ménagé des in-
telligences avec ceux qui restent. Fort embarrassé des princes. Mon-
sieur et le comte d'Artois restent avec le roi de Prusse. On voulait
abandonner la prise de l'Alsace à Condé et les émigrés, car on
croyait que Hohenlohe ou Clairfait ne pourrait pas la contenir. J'ai
conseillé de le faire aller en Espagne, pour savoir au juste ce qu'elle
veut faire et si elle veut se faire donner des armes pour les catholi-
ques et les mécontents, les armer et se former unNîorps utile qui
24 LE COMTE DE FERSEN
empêcherait l'enlèvement du roi, si l'Espagne refuse se porter du
côté de la Savoie et y rassembler les mécontents qui n'ont pas de
chefs. — Sainfc-Foix écrit au baron (1) que les jacobins ont baissé
et que l'occasion est bonne pour le duc de Brunswick de négocier une
trêve, une convention nationale et un congrès, que c'est le seul moyen
de chasser l'Assemblée, défaire des changements dans la .constitutioi»
et rétablir ; que jamais on n'y parviendra par la force , etc., etc. Les:
Autrichiens ont désarmé sans peine une vingtaine de villages en
France.
Le 23. Lundi. — Reçu quatre lettres de Paris. Leur (2) situation
est alarmante ; ils demandent la publication du manifeste et l'entrée
des armées. Ils croient qu'ils seront emmenés. La reine n'a pas voulu
céder & la proposition des constitutionnels avec Lafayette et Luckner
d'aller & Compiègne, pour ne pas tomber dans leurs mains et fournir
aux puissances, peu bien voulantes, un prétexte pour négocier.
Le 24. Mardi. — Lettre de Schoulembourg bien. Mande qu'on n'en-
tendra à aucune négociation. Il a composé un ministère : affaires
étrangères, Bombelles ; guerre, la Galissonnière ; marine, du Mou-
tiers; garde des sceaux, Barentin ; Paris, La Porte ; finances, l'évêque
de Pamiers et* un conseil composé de Damecourt, Latour
et un négociant Fouache, du Havre.
Le2Q, Jeitdi. — Lettre de Limon ; il est content de la proclamation ;
on a en partie adopté la sienne ; il croit que Calonne quittera lea
princes. Mercy me dit que dans le manifeste on rendait Paris res-
ponsable de la famille royale, que le duc de Brunswick marche le
80, que les émigrés seront divisés en trois corps, ce qu'il désap-
prouve, parce que, — dit-il, — cela a l'air d'une trop grande con-
nivence avec eux et d'agir pour eux. Il voulait toujours qu'on les.
mît tout à fait de côté et que les puissances agissent pour elles-
mêmes, sans égard à eux ; c'était le projet de Vienne. Je lui dis que
je croyais cette manière des trois corps préférable, car on serait le
maître de les contenir et les annuler, que si on les avait laissés y
comme il voulait , tous ensemble et qu'on leur eût abandonné l'Al-
sace pour y opérer. Quatre cents fédérés de Marseille ont passé à
(1) De Breteuiî.
(2) Le roi de France et la reine Marie -Antoinette.
ET LA COUR DE FRANCE. 26
Lyon; la municipalité les' a invités au spectacle^ où ils ont chanté
des chansons horribles contre la reine ; des citoyens honnêtes leur
ont imposé silence , et ces citoyens ont été le lendemain accusés par
la municipalité.
Le 28. Vendredi. — Vu M. Crawford ; je lui lus la déclaration du duc
de Brunswick, qui est fort bien ; c'est celle de Limon, excepté le
préambule, qui est supprimé (1).
Le 29. IHmomche. — Vu le baron de Breteuil. Limon lui avait écrit ;
je lui expliquai comment la chose (2) s'était passée ; il en fut content ;
dit que Limon méritait beaucoup. La Marck lui dit qu'il avait été
fortement question de l'échange de la Bavière, mais que la facilité
avec laquelle la Prusse y avait consenti avait fait craindre qu'il n'y
eût quelque chose làrdessous, et lui a fait abandonner pour le mo-
ment ce projet.
Le2A. Mardi. — Limon vint me voir ; traite avec distinction. Le
préambule de sou projet de déclaration pas accepté, à cause de la con-
tre-déclaration, faite à Vienne et l'exposé succinct de Berlin. Il le
fait imprimer séparément. Les princes demandent & l'empereur que
la déclaration, avant d'être décidée, soit communiquée & Calonne, et,
quoique les deux souverains et leurs ministres eussent déclaré ni
vouloir voir ni traiter avec Oalonne, l'empereur promit. Cependant
la déclaration fut signée et puis conmiuniquée à Calonne, par le
chevalier de RoUe ; personne ne l'a vue. Il (3) obtint la permission de
venir à May^nce et fit faire des représentations par BoUe, qu'il fal-
lait faire cette pièce par quelqu'un qui connût la France ; on lui ré-
pondit que tout cela était rempli, car c'était M. de Limon. Il fit alors
demander à Limon, par le prince de Nassau et Lambert, de voir son
travail ; il y consentit à condition que ces deux y seraient. L'entrevue
fut chez le prince de Nassau et dura deux heures ; Calonne finit par
approuver tout. Schoulembourg, en offrant à Limon de faire la dé-
claration, lui dit que, s'il ne le voulait, on la ferait faire par un autre,
(1) Avec la composition de la déclaration dn duc da Branswick.
(2) Le comte de Fersen écrit le même jour en chiffre à K. SUfreretolpe : a: BmxeUeSj 29
jmOet 1792. Cest moi qui ai /ait /aire la déclaration du duc de Brunsunckpar M. de Limon^
eehn qtd était autrefois attaché au duc d^ Orléans ^ et elle a été adoptée avec de très-légers chan-
gmtents, »
(8) Calonne.
26 LE COMTE DE FERSBN
car on ne voulait pas de la prose de Calonrie, et qu'il devait le faire
savoir au comte d'Artois. Limon refusa de faire passer cette commu-
nication. Les princes invitèrent Limon & Bingen ; il y fut. Ils lui
firent de grands éloges. Le comte d'Arlx)is lui dit qu'il avait fait sen-
tir à Galonné qu'il ne pouvait rester, et qu'il était impossible de rien
faire de lui contre la volonté générale, et qu'il s'était décidé & aller
en Italie. Le comte d'Artois pria Limon de rester avec lui; Limon
refusa. ,
Le comte d'Artois : Mais vous êtes bien resté avec BreteuiL .
Limon : Non pas avec lui, mais à Bruxelles.
Le comte d'Artois : Mais vcms Pavez vu.
Limon : Le plus qv£J'ai pu, mais pas tant que j'aurais voulu, car
il était fort occupé.
Le comte d'Artois : CroyeZ''VOu:s qu'il soit ministre?
Limon : Je crois impossible qu^il ne le soit pas, c'est le dernier du
choix du roi, il a ensuite eu les pleins pouvoirs; c'est le seul homme ûT-É-
toi qu'il y ait. Je l'ai toujours pensé, et si je ne V avais pas cru tel, ce que
Monsieur me dit au mois de juillet 1789^ en me demandant si je voun
drais travailler avec lui et mêle nommant commue le seul en état de sauver
Ja France, m'en aurait donné cette idée.
Le comte d'Artois : Oui, c'est vrai, mais il m'a manqué; s'il avait
des pleins pouvoirs, je devais par ma naissance en avoir, et il aurait du
se concerter avec mm. Il m'a manqué.
Limon : Cela est impossible.
Le comte d'Artois : IT importe, s'il est ministre je l'appuierai de
tout mon crédit, et quel qtce soit le ministère, même mauvais, je le se»
couderai.
L'empereur et le roi de Prusse ont grande aversion pour les émi-
grés. Mercy pas de crédit ; Limon déjà connu favorablement & Berlin
par sa correspondance avec Heymann, qui montrait ses lettres. Scbou-
lembourg dit qu'il fallait faire agir les troupes sur-le-champ, car
l'officier et le soldat commençaient & murmurer sur les fatigues et
les dépenses pour les affaires de France. •
Août. Le 3. Vendredi. — Il y a eu, le 30, à l'arrivée des Marseillais
une rixe très-forte avec la garde nationale; ceux qui sont au Château
revenaient de dîner aux Champs-Elysées, ils ont été insultés par la
populace, les Marseillais s'y sont joints, la garde néttîonale a tiré le
sabre et bataillé, trois gardes de Saint-Thomas tués, plusieurs blés-
ET LA COUR DE FRANCE. 27
ses. M. du (1) officier, a été massacré rue Saint-Florentin; le
maire est arrivé et a tout calmé. Santerre et Merlin étaient avec les
Marseillais. La garde nationale demande justice, ou se la fera. A
Lille, des prêtres, ayant lu la déclaration du duc de Brunswick, ont
proposé d^ empoisonner le vin et de le laisser dans les caves.
Le 4. Samedi. — Yu le baron de Breteuil. Le duc de Brunswick
lui mande que l'armée est partie le 30 de Coblence, arrivera le 5 août
à Trêves, y restera pour avoir du .pain et fourrages et sera sur la
frontière le 15 ou 16*; que les Français sont en trois corps : 9,000 avec
les princes et le roi de Prusse, 6,000 au prince de Condé avec les
Autrichiens du Brisgau, et 4,000 avec le duc de Bourbon et Clairfait ;
Toensin dit que des 9,000 hommes les princes ne pourront guère
agir qu'avec 2 ou 3,000, le reste peu ou point équipé ; — que Lam-
bert excède le duc de Brunswick , en entrant chez lui pour des bêtises
deux ou trois fois par jour. — Caraman mande que le roi de Prusse
désire que les Russes arrivent ; Nassau envoyé un courrier pour cela.
Caraman croit que c'est pour les laisser en France et éviter ainsi
tout soupçon de conquêtes. Les princes ont obtenu 100,000 écus du
roi de Prusse et de l'empereur, chacun en disant que cela suffirait,
et les deux souverains se sont promis de ne plus leur en donner.
Cependant, quatre jours après, Calonne a fait demander au roi de
Prusse 800,000 livres par Nassau; le roi promit, Schoulembourg
refuse à cause de l'engagement avec l'empereur. Le roi retire sa pa-
role , Nassau lui a alors demandé cet argent en emprunt pour lui-
même. Le roi a accordé, Schoulembourg fâché a demandé à Nassau sur
quoi il hypothèque le payement, -r- Sur ses prétentions sur la maison
d'Orange. Schoulembourg très-piqué, et l'arrangement de cette af-
faire, qu'on était intentionné de faire agréable pour lui, n'aura pro-
bablement pas lieu. Simolin dit que Vaudreuil a fait tout ce qu'il a pu
pour noircir Bombelles & Vienne et le baron de Breteuil. Calonne
travaille de même & Saint-Pétersbourg. L'impératrice très-prévenue
contre Bombelles et le baron de Breteuil et entièrement pour les
princes. Simolin l'a, — dit-il, — un peu désabusée.
Le 7. Mardi. — Dîner Sullivan. Demande delà Mun. (2). de Paris
4
(1) jLenom illisible.
(2) 3Iunicipalité.
28 LE COMTE DE FERSEN
pour la déchéance du roi. Très-inquiétant, Madame Sullivan, qui s'en
afflige tous les jours, qui ne cesse de s'en occuper et qui en est même
malade d'inquiétude, me proposa d'envoyer en Angleterre, de faire
demander au roi une démarche pour leur sauver la vie ; de faire dire
qu'il (1) ne souffrirait pas qu'on attentât à leurs jours et qu'alors il
en tirerait une vengeance éclatante ; qu'on pouvait leur montrer que
cela ne nuirait pas à leur système de neutrahté , puisque ce n'était
que dans le cas où on attentât à la vi^ du roi et de la reine, et que
d'ailleurs ils n'étaient engagés à rien ; car, si on les massacrait, l'An-
gleterre était encore la maîtresse de ne rien faire. Je trouvai l'idée
bonne, mais milte obstacles ; l'embarras pour Pitt qu'une telle dé-
marche fût discutée au parlement, et la question de savoir à quel
point une nation a le droit de détrôner et juger son roi ; le peu de
temps qu'il y avait, la mauvaise volonté des Anglais. Elle répondit
qu'en admettant tout cela il fallait du moins le tenter, qu'il s'agis-
sait de les sauver, qu'on ne devait pas regretter les peines qu'on
prendrait, et que, quand même cela ne ferait rien, on aurait du moins
la satisfaction d'avoir tout tenté. Je n'eus rien à répliquer et me dé-
cidai d'y' engager le baron de Breteuil. Elle parla avec Simolin qui
fut de son avis et qui crut que cela réussirait ; elle engagea Crawford
à y aller ; il y consentit, et espérait pour le mieux. Le soir, j'en parlai
au baron de Breteuil ; il y fut tout à fait contraire par les mêmes
raisons que moi le matin, et il ajouta la crainte de la mauvaise vo-
lonté de Pitt, qui pourrait trahir le tout et, en instruisant les factieux
de la démarche, exposer le roi. Cela était exagéré, et je le prouvai
au baron. Cependant il persista dans son refus , en ajoutant qu'en
politique une démarche inutile est toujours nuisible. Je lui alléguai
les mêmes raisons que madame Sullivan le matin, et le priai d'y réflé-
chir la nuit, et que je viendrais le matin savoir ses résolutions. En
attendant je convins avec Crawford que, s'il persistait, nous enver-
rions un homme avec des lettres au duc de Dorset pour tâcher de
faire faire la démarche.
Le 8. Mercredi, — Je fus à 8 heures chez le baron de Breteuil ;
il était entièrement revenu à mon idée et sa lettre & Pitt était déjà
faite; il voulait l'envoyer par un courrier. Je lui représentai qu'il
fallait envoyer quelqu'un pour parler, afin de marquer l'intérêt^qu'on
(1) Le roi d'Angleterre.
BT LA COUR DE FRANCE. 29
y met ; il désira que Crawford y allât. Je fus lui parler, il y consentit ;
mais observa qu'un Français, comme Tévêque de Pamiers, homme
de confiance du baron, ferait plus d'effet, car on pourrait dire, & lui
Crawford, que c'était une idée à lui ; et que, comme Anglais, il aurait
dû la détourner. Je représentai cela au baron , et il ftit décidé que l'é-
vêque irait. A deux heures, Crawford et moi ftùnes chez le baron ; je
lui demandai d'écrire aussi à lord Gran ville, ministre des affaires
étrangères, et à lord Cametford pour se charger de mener l'évêque. Il
fut convenu qu'on éviterait avec soin de parler de rien que de .ce seul
objet, en prouvant que cela ne nuisait en rien à la neutralité. Craw-
ford et moi donnâmes des lettres pour le duc de Dorset ; le soir tout
fût prêt
Le 10. Vendredi. — Les nouvelles de Paris sont fort rassurantes;
mais sur quoi peut-on compter avec des scélérats et des lâches? Le
Château est toujours menacé, le roi et la reine ne dorment plus qu'al-
ternativement, il y en a toujours un des deux levé.
Le IS. Lundi. — Nouvelles terribles de Paris. Le jeudi matin le
Château assailli, le roi et la reine sauvés dans l'Assemblée ; à une
heure , on se battait encore dans les cours et le Carrousel. Le sang
ruisselait, beaucoup de tués et de pendus, le Château forcé partout,
huit pièces de canon braquées contre et tiraient. Bomainvilliers tué,
Daffy aussi ; une fîimée épaisse faisait croire qu'on avait mis le feu
au Château. Mon Dieu, quelle horreur I — Mercy chez le baron de
Breteuil propose d'envoyer un homme à Lafayette lui proposer d'a-
près cela de joindre son armée avec celle des Autrichiens : ce serait
une bêtise ; car, si c'est un secours pour eux, il est trop tardif, et, si
c'est pour négocier avec les constitutionnels, cela ne vaut rien et ne
les sauvera pas à l'avenir. Mercy dit le soir qu'on avait entouré l'As-
semblée de canons et que cette démarche en avait imposé aux factieux ;
que la déchéance était prononcée ou que le roi avait abdiqué de lui-
même. La tentative sur Landau manquée.
Le 15. Mercredi. — Nouvelles de Paris : la famille royale à l'hô- *
tel deNoailles, gardée à vue, ne pouvant voir personne. Parlé au
baron de Breteuil pour engager le roi de Prusse & tenter Lafayette
et les généraux pour passer avec leurs armées et dissoudre leurs ar-
mées pour livrer les places, etc., etc.; faire parler à Dillon pour rendre
Valenciennes ; que le roi de Prusse et l'empereur réclament les Suis-
ses ; donner à Bouille des pleins pouvoirs pour cela ; écrire fortement
30 LE COMTE DE FERSEN
au comte d'Aranda; il a dît à la Vauguyon qu'il agirait lorsque le
moment serait venu, et qu'on serait content de lui ; il a avoué que
quatre millions avaient été promis et seraient donnés quand l'affaire
serait engagée. Sur la demande de l'époque où il la croirait engagée,
il a dit que ce serait lorsque le premier coup de canon serait tiré;«
mais il oublie qu'il nous faut les quatre millions pour le tirer et que
c'est comme cela qu'ils avaient été promis.
Le 16. Jeudi. — Dîner Crawford avec lord Elgin, nouveau ministre
d'Angleterre ici. Le duc de Levis est ici ; il devait y dîner, mais n'osa
pas se faire voir, il est tout & fait aristocrate ; il a vu le baron de
Breteuil et Crawford ; il leur a dit que tout ce qu'il avait fait était
dans l'intention du bien et pour servir le roi, que c'était d'accord
avec Monsieur, qu'il a encore ses lettres ; que c'était pour faciliter à
Monsieur de voir Mirabeau, et, quand il jn'a plus voulu le voir, pour
lui rapporter ce que pensaient ou faisaient Mirabeau et les autres ; qu'à
présent, il avait écrit plusieurs fois pour demander à se faire tuer
comme soldat ou comme on voudrait, mais qu'il n'avait pas reçu de
réponse ; qu'il venait de faire encore une tentative, et, si elle ne réus-
sissait pas mieux, il retournerait à Paris pour tâcher d'y servir le roi.
Le 17. Vendredi. — Nouvelles de Paris : le roi et sa famille en-
fermés dans la tour du Temple ; mesdames de Lamballe et. Tourzel
renfermées avec eux. C. Lameth arrêté à Rouen, allant au Havre
pour passer en Angleterre avec sa femme ; il a demandé pour toute
grâce de ne pas être renvoyé & Paris , car il y serait massacré. Le
Duport, qu'on avait cru bon jusqu'à présent, hésite à le renvoyer ou
& le garder en prison.
Z^ 19. Dimanche. — Le baron de Breteuil vint le matin. Son
courrier revenu de Luxembourg. Le vicomte lui mande le nouveau
projet de la régence pour Monsieur ; on voit que c'est M. de Moustier,
et Castries, et Lambert, etc., etc., qui ont tripoté cela; ils en ont
même parlé au roi de Prusse et au duc de Brunswick, mais ils n'ont
rien dit & M. de Schoulembourg et au prince de Beuss, qui y sont
contraires.
Le roi de Prusse en a écrit & Vienne pour le proposer, à condition
que Calonne soit écarté et que le baron de Breteuil soit à la tête.
Lambert écrit une lettre très-forte au baron pour l'engager à être
de cet avis ; elle est même insolente et menaçante. Vicomte de Ca-
raman écrit que le roi et le duc désirent qu'il vienne les voir, que
ET LA COUR DE FRANCE. 31
les princes doivent l'y inviter. Le baron avait envie de ne pas aller ;
mais comme le roi de Prusse est un homme facile et qu'il se livre
au dernier qui lui parle, qu'on pourrait lui donner des préventions
contte le baron et son intraitabilité, il vaut peut-être mieux qu'il y
aille un moment et revienne ensuite ici. Tout cela est une intrigue
du diable. Le baron a fait écrire & Vienne par M. de Metternich pour
empêcher cette idée de régence.
Le 21. Mardi. — L'évêquede Pamiers arrivé, content du duc Dor-
set; Pitt bien parlé, plus intéressé aux affaires de France qu'il ne
veut paraître. L'évêque prit sur lui de dire que c'est par ordres
exprès du roi (1) que le baron a fait la démarche. L'évêque a insisté
pour une expression plus prononcée à la fin de la dépêche à lord
Gower, il n'a pu l'obtenir. Il croit qu'ils auraient tous envie de se
prononcer davantage, mais qu'ils ne l'osent à cause de la nation, qui
est fortement travaillée par les propagandistes de tous les pays, dont
Londres abonde. Pitt a assuré que jamais les factieux ne seraient
reçus en Angleterre ; il a dit qu'ils y avaient beaucoup d'argent.
Lettre de Dorset à moi, fort bien. Lafayette, Alex. Lameth, Latour-
Maubourg, baron de Perzy, avec treize autres et leurs domestiques, en
tout quarante chevaux, et beaucoup d'or, arrêtés à Eochefort ; rela-
tion très-exacte dans le journal de Mons du 22.
Le 23. Jeiidi. — Mesdames de Lamballe et de Tourzel et cinq
femmes de la reine mises à la Force. Lafayette est à Namur. La
Marck parle au baron pour qu'il engage le duc de Brunswick, qui
l'a déjà refusé une fois, de dire qu'il sera bien aise de le voir, afin
que le comte de Mercy, qui est bien aise de l'avoir avec lui toujours,
puisse le mener ; car, disait La Mark, il y aura à faire là pour plus
d'une politique. Sur ce que La Mark disait qu'il y aurait des choses
de l'ancienne constitution à conserver, le baron de Breteuil lui a
déclaré qu'il n'avait d'autre projet et qu'il ne pouvait en concevoir
un autre que celui de rétablir les choses comme elles étaient au-
paravant.
Le 27. Lundi. — Le duc Albert a voulu garder Lafayette, mais
relâcher tous les autres ; on s'y est opposé. Le baron de Breteuil
a parlé à l'archiduchesse sur l'inaction du duc, que cela lui faisait
honte et qu'il pouvait acquérir de la gloire en tentant quelque chose
(1) LouiB XVI.
32 LE COMTE DE FERSEN
contre les places devant lui ; qu'il y avait grande probabilité de
succès, etc., etc. Elle a eu l'air de le sentir, en mettant cependant en
avant les craintes sur la tranquillité de ce pays-ci ; elle a cependant
pris note de tout. Nouvelles que La Porte a été exécuté le 25 ; mort
avec courage, protestant de son innocence. Le jeune Brancas arrêté.
Le 29. Mercredi. — Le coL Crawford, qui était établi à Versailles,
arrivé ici, sans passer à Paris. Dit que passé Senlis et même près
de Paris^ ils sont indignés de ce qui s'y passe. Us ne savent rien de la
marche des Prussiens ni de leur entrée en France i même à Valen-
cienûes, le 26, on ne savait pas la prise de Longwy, et Dillon lui
assurait que les Prussiens ne feraient rien. Il a vu la statue de
Louis XV renversée à Valenciennes. Dillon lui a assuré qu'il venait
tous les jours beaucoup de déserteurs autrichiens et le matin , pen-
dant qu'il y était, il en a vu arriver dix ; cela fait frémir. Une lettre
à M. de Neville mande que le projet des jacobins est la loi agraire,
et que la convention nationale s'en occupera.
Le 30. Jeiidi. — Nouvelles de Paris : la princesse de Tarente, qui
avait déjà été à l'Abbaye, qui avait eu deux fois des gardes chez
elles, vient d'être menée à la Force. On cherche partout M. de Poix.
Le maréchal de Mouchy doit être arrêté. M. de Nicolaï mande que
la reine n'est pas bien. M. d'Affry absous ; il a dit qu'il n'avait
pas donné aux Suisses l'ordre de tirer sur le peuple, quoique la reine
le lui eût plusieurs fois demandé , et que la preuve était le peu de
cartouches qu'il a données, car ils n'en avaient que six : quelle in-
famie de sa part! — Lafayette et compagnie partis pour Luxem-
bourg à la demande du roi de Prusse. Lafayette a fait demander à
l'archiduchesse de la venir voir, ayant des choses de la dernière im-
portance à lui communiquer ; elle a refusé et lui a envoyé un homme
pour savoir ce qu'il voulait, en lui faisant dire qu'il pouvait y avoir
confiance entière ; cet homme revenu ; rien ne transpire ; on ne sait
pas même qui il était.
SEPTEMBRB.i^ 2. Dimanche. — M. de Rivarol vint me voir le soir. Il
parla beaucoup, fort bien , mais dit peu de choses . Il me dit que son
frère, qui était aux Tuileries le 10, lui mandait que le roi avait placé lui-
même tous les postes : les Suisses du côté de la Comédie, 4,000 gardes
nationaux & l'autre bout du Château ; que la reine l'avait accompagné,
avait encouragé tout le monde, avait pris un pistolet du duc de
Choiseul et l'avait donné au roi. Ils remontèrent au Qiâteau. Les
ET LA COUR DE FRANCE. 33
brigands arrivés tirèrent cinq coups de fusil et crièrent qu'on se
rendît. Cinq canonniers passèrent de leur côté et tournèrent leurs
canons contre le Château ; le reste fut fidèle. Alors on engagea le roi
à se réfugier dans l'Assemblée. Les Suisses et les gardes nationales
tirèrent, et tout le monde s'enfuit. Alors on vint dire aux Suisses
qu'ils avaient tort de défendre le Château , puisque l'oiseau était dé-
niché et que le roi n'y était plus. Ils dirent que c'était un piège
qu'on leur tendait et qu'ils savaient bien qu'il y était. On dit la
même chose aux gardes nationales qui abandonnèrent les Suisses et
furent entourer l'Assemblée. M. de Rivarol fit alors la réflexion que
le roi avait eu tort d'abandonner le Château et de se mettre sous le
glaive des décrets jacobins de l'Assemblée ; que s'il était resté , la
canaille aurait toujours été repoussée et les constitutionnels auraient
eu le dessus, ce qui valait mieux, puisque du moins la vie de LL.
MM. était assurée. Il a raison, mais pour juger il faut bien connaître
toutes les circonstances.
Le 5. Mercredi. — Nouvelles de Paris, aflfreuses. On disait ma-
dame de Tarente sauvée. On disait que le peuple jugeait et faisait
exécuter sur-le-champ ; Verdun pris le P^, à sept heures du soir, après
un bombardement de quatre heures; le commandant s'est brûlé la cer-
velle. La garnison renvoyée en France, désarmée. Il faudrait du moins
garder les officiers. Stenay occupé par le général Clairfait. Le prince
de Hohenlohe répond de prendre Thionville ; M. de Wimpffen , qui y
commandait, paraissait d'intelligence avec les princes pour rendre la
place à leur approche. Les bourgeois le voulaient aussi, mais les
soldats s'y sont opposés , et, soit qu'ils l'aient soupçonné ou non, ils
ont destitué Wimpflfen et nommé commandant Marquet, ancien ser-
gent aux gardes-françaises.
Le 6. Jeudi, — Détails affreux de Paris. Manuel a dit au roi, quand
on l'a forcé de voir le cadavre de madame de Lamballe : Regarde!
il peut y avoir une contre-dévolution, mais du moins tu n' en jouiras pas^
voilà le sort qui f attend. — Tous ces détails me firent craindre pour
le roi et la reine; je me décidai à lui envoyer un courrier et à lui écrire
la lettre datée du 7; je croyais qu'il était nécessaire d'adopter une
autre marche ; je n'avais jamais craint autant.
Le 7. Vendredi, — Vu le ministre de Prusse, le baron de Reckj
parle bien sur les affaires de France. Il croit le roi perdu. Il a en-
gagé le duc Albert à agir, mais il a trouvé peu de bonne volonté et
T. II. 3
U LE COMTE DE FERSEN
beaucoup de lenteur et d'indécision. Il paraît dire assez librement
ce qu'il pense et désapprouva tout haut de ce qu'on s'occupait de
Thionville et de ce qu'on n'exterminait pas tous les jacobins des
Tilles où on passait, et qu'on avait trop de clémence. IL ajouta que
tant de gens se mêlaient de conseiller. Nouvelles de Paris ; tout est
calme à présent, mais je ne le suis pas. J'écrivis aussi au duc de
Dorset.
Le 10. Lundi. — Lettre du baron deBreteuil , de Verdun, le 8. H
•est arrivé le 6 au soir ; il a vu le roi (1) le 7, très-content de lui et
du duc de Brunswick, très-bien tous deux pour le roi (2). Grand
désir d'arriver à Paris. On proposera à Monsieur de garder son titre
et de se mettre à la tête des affaires avec le baron seul. Le baron se
montrera une machine ; il appellera pour cela quelques personnes ; on
ne sait paa encore si Monsieur y consentira. Calonne va à Naples;
fl a tout dilapidé, il s'est payé de toutes ses avances et il y a deux
jours qu'il est venu présenter une note aux princes pour leur dire
qu'il n'y avait plus rien, pas même de quoi payer les troupes.
On a été obligé de leur envoyer 20,000 livres. Monsieur dit assez
haut qu'il en est mécontent. Le comte d'Artois est obligé d'avouer
qu'il a été dupe de son bon cœur. Le duc de Brunswick espère que le
duc Albert agira à présent. — Rien de nouveau de Paris , tout y est
•calme. Le duc de la Bochefoucauld massacré près de la Roche-
Guyon.
Le 12. Mercredi — Thionville pas encore pris; elle fait un feu
•d'enfer ; il paraît qu'on se repent de l'avoir attaqué ; cela retarde
tout. On dit aussi que le duc de Brunswick est mécontent du peu
•d'activité des Autrichiens. Nouvelles de Paris ; les prisonniers d'Or-
léans, au nombre de 53, amenés à Versailles, par 2,000 gardes na-
tionales et 10 pièces de canon et massacrés en arrivant sur la place
■d'armes.
Le 16. Samedi. — M. de Mercy venu me voir. Voulu l'engager
4 parler à milord Elgin, avec qui j'en étais convenu, pour lui de-
mander de représenter à M. Pitt combien il serait honteux pour
l'Angleterre que, pouvant sauver la famille royale de France sans
4irmer un seul vaisseau^ et pouvant faire plus avec un seul mot que
(1) De Prusse.
(2) De France.
ET LA COUR DE FRANCE. 35
toutes les armées ^ ils ue voulussent pas le dire ; qu'on lui demandait
de promettre sûreté, asile, protection et même des récompenses &
tous ceux qui contribueraient & sauver leurs jours, à les livrer ou
les laisser prendre. M. de Mercy ne voulut pas s'avancer autant, ni
même que Tarchiduchesse le fît : 1* parce qu'il n'avait pas d'ordres,
et qu'il fallait qu'il pût pour cela promettre que l'empereur, le roi
de Prusse et le roi de France pardonneraient ; 2® parce qu'il craignait
que l'Angleterre ne se prévalût de cette demande pour se mêler de
cette affaire et vouloir y jouer un rôle principal ; 3* parce que les
ministres de Vienne et de Naples avaient pris sur eux de faire une
démarche pour le même objet et que M. Pitt y avait répondu très-
froidement , qu'il voulait parler le soir chez Crawford à lord Elgin ,
mais historiquement, en lui représentant combien l'honneur et l'a-
vantage de l'Angleterre devaient l'engager à cette conduite, et qu'il
allait écrire à M. de , ministre de l'empereur, une lettre très-
forte sur ce sujet, qu'il ferait en sorte qu'elle fût lue et ferait plus
d'effet que ce qu'il dirait à lord Elgin. L'évêque vint me lire son
plan, en voici le résumé ; il me paraît bon. L'évêque me dit qu'au
moment du départ de la cavalerie de Thîonville, l'infanterie émigrée
s'est révoltée, disant qu'elle voulait aller aussi ou qu'elle s'en irait.
Le maréchal de Castries, qui voulait les calmer, a été insulté, et,
pour les apaiser, le comte d'Artois a promis de rester avec eux, et il
est parti furtivement ensuite. — Le vicomte de Noailles a dit que
tout était arrangé avec Lafayette pour enlever le roi et le mener à
la frontière ; que M. de Mercy le savait et était d'accord. Qu'ensuite
il (1) a changé, que c'était un pauvre homme et un gueux ; il parais-
sait repentant.
Le n. Lundi. — M. Dumouriez, sachant le général Clairfait à
Grandpr^ est parti avec 6,000 hommes, a tourné le bois de la Croix,
pour l'attaquer. Clairfait a détaché quatre bataillons à attaquer les
Français à Bouc-aux-Bois, les a culbutés, leur a pris du canon et les
a chassés. Le prince Charles de Ligne a été tué ; ils ont perdu 5 tués
et 11 blessés, dont 4 ofiSciers; on dit que les Français ont beaucoup
perdu. — Lord Elgin expédia le matin un courrier & Londres et
rendit compte d'une manière très-forte de sa conversation samedi soir
avec le comte de Mercy ; il offrit d'aller à Paris, si le ministère le
(1) Lafayette,
36 LE COMTE DE FERSEN
désirait. Lord Elgin a reçu une lettre particulière de lord Granville,
où il lui marque les inquiétudes du ministère sur la famille royale
de France et leur désir de contribuer, par tous les moyens, à leur
sûreté.
Le 18. Mardi. — Nouvelles de Paris : le duc d'Orléans changé de
nom, pris celui de Y Égalité, et le Palais-Royal Pafc?^ de la Révolution.
Grand massacre à Lyon et Besançon ; on a arrêté tous les parents
des émigrés.
Galonné ne part plus. L'infanterie émigrée très-mécontente de ce
que les princes ont fait marcher tous les soldats émigrés et ont laissé
devant Thionville les compagnies des gentilshommes. Le comte
d'Artois leur a promis qu'on les ferait marcher aussi , et il est parti
ensuite. Plusieurs gentilshommes ont dit qu'ils étaient dégagés de
leurs serments, puisque les princes les abandonnaient et étaient
honteux de les mener avec eux, et ils sont partis. La majorité les a
blâmés et a senti la nécessité d'obéir. Le comte d'Erbach arrivé à
Thionville avec un renfort de 10,000 hommes.
Le 19. Mercredi. — Les Français ont abandonné les gorges de Cler-
montoir ; on n'a pu atteindre l'avant-garde, qui a été battue ; elle a
perdu ses équipages, 4 pièces de canon et sa caisse. Le duc de Bruns-
wick se proposait de suivre les Français dans les plaines de Cham-
pagne et de s'emparer de Châlons.
Le 20. Jeudi. — On parla beaucoup de la vie frugale du roi de
Prusse : cinq gros plats, point de dessert, point de café, voilà son
dîner. Il a ordinairement 30 couverts. H est toujours à cheval; il
répondit au baron de Breteuil qui faisait l'éloge de cette frugalité :
Cest avec cette économie que je puis entretenir mon armée.
On dit que M. de Cobenzl et Spielman viennent à Luxembourg
et que le duc Albert perd son commandement et sera remplacé par
un autre officier général. Les nouvelles de Paris disent que la nou-
velle défaite de Dumouriez y a produit la stupeur. Dieu veuille que
cela continue! Le compte que Dumouriez en rend est extraordi-
naire, et fait pour les effrayer; il dit que 1,500 hommes en ont
battu 10,000.
Le 22. Samedi. — M. de Mercy a dit à Simolin qu'il ne venait
plus de troupes russes; la cour de Vienne, qui a toujours désiré que
l'impératrice ne fournisse que de l'argent, l'y aura sans doute en-
gagée.
ET LA COUR DE FRANCE. 37
Le 24. Lundi. — Nouvelles de Paris du 21 : Paris a été fort trati"
quille hier et parait devoir être de même aujourdhuL La Convention nO'
tionale, au nombre de 217, s'est assemblée aux Tuileries. Les nouvelles
de la chronique font peu de sensation, mais celles de V Angleterre beaur
coup ; elles assureront probablement les jours de la famille royale. Le
vœu des sections sur cet objet se prononce de plus en plus; en attendant,
chacun (l)se porte assez bien.
Sur une demande du comte de Stadion^ ministre de l'empereur, et
de M. de Castelcicala, ministre de Noples, à M. Pitt, d'une démarche
de l'Angleterre, pour assurer les jours du roi, en déclarant que ceux
qui pourraient commettre un tel crime n'auraient point d'asile en
Angleterre, M. Pitt leur a répondu que le roi (2) s'était décidé à la
faire ; mais, comme il n'avait aucun moyen de la faire parvenir au-
thentiquement à Paris et que le roi avait défendu toute communica-
tion avec M. Chauvelin et l'abbé Noël, il avait pris le parti de re-
mettre cette déclaration à tous les ministres étrangers, en leur deman-
dant de la faire parvenir s'ils avaient des moyens pour cela ; il a
donné des assurances du désir du roi de contribuer de tous les
moyens à la conservation de la famille royale ; cette déclaration ne
suflSt pas , il aurait fallu ajouter celle d'une part active. — Simolin
croit qu'il est vrai que l'impératrice n'envoie pas de troupes , mais
donne de l'argent; quoiqu'il n'en ait pas de nouvelles officielles, il
fut d'accord avec moi pour désapprouver cette démarche.
Mercy a dit à Simolin qu'il ne savait pas l'objet de la venue de
ces trois envoyés de Vienne : Thugut vient ici, Spielman va à l'armée.
M. de Mercy dit le soir chez M"" de Sulivan que dans cette affaire
la politique n'avait rien à faire, qu'elle devait se taire et qu'il n'y
avait que le canon et la baïonnette qui pussent la terminer ; que si on
n'exterminait pas les jacobins et on ne fid^ait pas un exemple de
tout ce qui s'est passé en France, tous les pays étaient perdus et
seraient plus tôt ou plus tard bouleversés.
Le 25. Mardi. — Dîné chez le comte de Mercy. H me dit qu'il fal-
lait beaucoup de sévérité et qu'il n'y avait que ce moyen, qu'il
fallait mettre le feu aux quatre coins de Paris. — Le duc Albert a
marché avec son armée ; il était le 24 sous Lille ; il donne une pro-
(1) Probablement, la famille royale.
(2) D'Angleterre.
38 . LE COMTE DE .FERSEN
damation, voyez le n<> 142 du journal de la guerre. M. Dorset fait
circuler un écrit, où il dit qu'il faut renvoyer le roi, et le laisser aller,
car un roi chassé est couvert de mépris et ne peut jamais reprendre
ses droits; mais s'il est assassiné, il inspire la pitié et l'intérêt. Cela
serait bon si on pouvait savoir par où il sortira et venir le prendre,
et si on ne l'assassine pas à la barrière. J'avais compté aller à l'ar-
mée joindre le baron de Breteuil ; j'aurai^ été bien aise d'être témoin
des opérations et à portée de donner des conseils et pousser à ce
qu'on doit faire.
Le 27. Jeudi. — Le baron de Breteuil mande à sa fille (1) que
les émigrés ont quitté Thionville sans aucun ordre , et mécontents
de ce que le comte d'Artois leur a promis, en partant, de revenir les
joindre ou de les faire venir et de ce qu'il leur a manqué de parole ;
que le maréchal de Broglie allait passer à Verdun ; qu'il partage le
mécontentement des émigrés et l'a par conséquent augmenté; qu'on
ne sait où vont les émigrés. On assure que c'est l'abbé de Galonné ,
après le départ de son frère, qui a fomenté cette insurrection. — Le
corps du duc de Bourbon de 4,000 hommes n'ayant pu joindre Clair-
fût , qui était à quinze jours de marche d'eux, ce général leur a dit de
joindre le duc Albert; il les a refusés, sous prétexte qu'il fallait le
consentement du duc de Brunswick ; quand il l'a eu , il a demandé
celui de l'empereur, le tout pour ne les pas avoir. En attendant , il se
plaint de ce qu'on lui a ordonné de faire le siège de Lille et qu'il
n'a pas assez de monde, et les émigrés sont restés sur les frontières
sans canons. Le duc Albert leur a reftisé ceux pris sur les Français ,
que le duc de Bourbon ofirait de rendre après la campagne exposés à
être écrasés par les Français. Les munitionnaires autrichiens leur ont
même dit qu'ils ne pouvaient leur fournir des vivres, à moins qu'ils
ne se rapprochent de Namur ; ils y ont été, et le duc Albert leur a
refusé d'entrer dans la ville, mais accordé de rester dans les enviroûs.
Cela fait horreur, et cette conduite envers eux est indigne. Le comte
de Mercy la partage et ne veut pas qu'on les emploie ; ce corps se
conduit bien , mais celui des princes indignement. Ils ont fait des
horreurs, pillé et ravagé tout dans le pays de Trêves , même à Trêves ,
où il n'y a sorte de choses qu'ils n'aient faite.
Lt 28. Vendredi. — Un oflScier civil autrichien mande au comte
(1) Hadame de HAtignon.
ET LA COUR DE FRANCE. 3»
de Mettemich, par estafette du 25, qu'un courrier prussien a dit que
Dumouriez était enveloppé, qu'il avait demandé à capituler et à se
retirer avec ses troupes, en abandonnant ses canons, ses bagages et
ses tentes ; que le duc avait demandé toutes les armes sans distinct
tion.
Le 29. Samedi. — Lorsque le courrier de lord Elgin arriva à Lon-
dres avec le résultat de la conversation que M. de Mercy avait eue
avec lui au sujet des démarches à faire pour la sûreté de la famille
royale , lord Gran ville écrivit à MM. de Stadion et de Castelcicala
pour leur demander de faire la démarche officielle. Il avait aussi
écrit à M. del Campo, ambassadeur d'Espagne, mais il était à sa
campagne. If envoya ordre en même temps à lord Oakland, ambas-
sadeur à la Haye, de demander à la Hollande une déclaration et
d'engager le ministre de l'empereur à faire de son côté une démarche
officielle pour le même objet. Celui-ci, qui est un jeune homme, le
comte Louis Staremberg, hésita, et ce ne fut que lorsqu'il lui eut dit
que tout était déjà convenu avec le grand pensionnaire qu'il s'y dé-
cida. L'Angleterre est très-bien disposée à présent ; elle sent le dan-
ger qu'il y a pour tous les pays , si on ne parvient à étouffer le mal
français.
Octobre. Le P^ Lundi. — Plusieurs lettres arrivées des émigré»
et du vicomte de Caraman du 24, à sa femme, mandent que Dumouriez
est dans un poste inattaquable, que le temps est affreux, que les
années manquent de tout. On démolit les maisons pour se chauffer»
Il a fallu prendre le grain dans les granges. Ce qui se fait prouve
qu'il y a peu d'ordre, qu'une grande partie a été perdue et des
villages entiers consumés, ce qui fait gçand tort aux moissons. Ce
pays n'offre plus que le spectacle de la dévastation et d'un désert.
Le tableau qu'en fait le vicomte de Caraman et de la misère des ha-
bitants est affreux ; il raconte avoir vu, dans un village tout en feu^
un vieillard avec sa femme assis devant leur maison toute en feu^
contemplant dans un morne silence' la destruction de tout ce qu'ils
possédaient ; leur chien était couché près d'eux, poussant des hurle-
ments affreux. — La lettre de Yauban à sa femme fait un tableau
affreux de la misère des émigrés ; ils sont depuis dix jours à bivouac^
sans tentes, sans équipages, affligés de la dyssenterie, sans secours
et sans moyens de la soulager ; manquant absolument de vivres : il
avait mangé sa dernière livre de pain et ne savait plus où en trouver»
40 LE COMTE DE FER8EN
Ces deux lettres ont Tair de douter du succès de l'entreprise et di-
sent : Dieu seul mit comment cela finira. Le vicomte parle d'une
canonnade qui a duré quatre heures par cent pièces de canon de part
et d'autre ; l'artillerie française dans les retranchements était servie
à merveille et a tué beaucoup de monde.
Les lettres de Paris du 27 arrivèrent ; c'était le commandant de
Valenciennes qui les avait arrêtées. Elles ne parlent pas de la position
de Dumouriez , mais le journal du soir dit que le duc d'Orléans a
déposé à la Convention une lettre de Heyman qui propose, de la part
du roi de Prusse, un accommodement ; on a décidé qu'on n'y enten-
drait que lorsque les armées auraient évacué le territoire français.
Si cela est vrai, c'est une grande gaucherie qui a été faite ; ce n'est
ni de cette manière ni avec le duc d'Orléans qu'il faut négocier.
Le 2. Mardi. — Un courrier autrichien, officier, parti le 28 au soir
de l'armée, dit que la suspension avait duré quatre jours ; qu'au bout
de ce temps Dumouriez n'avait pas parlé de capituler ; qu'on igno-
rait quel parti prendrait le duc de Brunswick ; que la position de
Dumouriez est inattaquable, que les vivres sont très-difficiles; qu'à
son départ, l'ordre était donné de renvoyer tous les équipages, et
qu'on croyait que le duc attaquerait de tous les côtés en même temps ;
qu'il avait en effet entendu une forte canonnade le 30. — Le baron
de Reck paraît fort inquiet ; il croit qu'on fera un mouvement sur
Beims et que l'armée est très-mal et ne peut plus tenir dans sa
position. Il fut de mon avis qu'on a eu tort d'accorder la suspension,
et que Dumouriez en a profité pour se retrancher. — On apprend
par la Hollande que le Grand-Seigneur a refusé de recevoir Simon-
ville et ordonné de le chasser de ses États, en disant qu'il ne veut
pas d'envoyé régicide.
Le 3. Mercredi. — Lettre du baron de Breteuil du 28 mande, du 25
au soir, qu'il attendait à tout moment des nouvelles de la capitulation.
Bressac mande que Heyman a été dîner avec Dumouriez, Kellerman,
etc., etc., qu'il a dit qu'ils étaient dans une telle disette de vivres
qu'il était impossible qu'ils ne capitulassent pas. Cela confirme la
nouvelle de Paris de la lettre de Heyman au duc'd'Orléans, et je
crains que le duc de Brunswick ne se soit laissé aller à négocier et à
accorder pour cet effet la suspension ; ce serait une terrible faute ,
mais malheureusement il n'y a personne près de lui pour le bien
guider dans cette partie, et il aurait eu tort de ne pas suivre son
ET LA COUR DE FRANCE. 41
premier plan de battre et puis de négocier. Le duc de Levis mande
que tout le pays est contre eux ; que les paysans massacrent tout ce
qui s'écarte, que des déserteurs leur ont dit que Dumouriez man-
quait absolument de vivres. L'avant-garde des Français est aux
Islettes dans un poste très-fort. — Le prince de Hohenlohe avec les
Autrichiens est devant eux. Le reste des rebelles est posté à Valmy
et retranché sur des hauteurs très-fortes. Le général Clairfait, qui
fait Tavant-garde, est à la vue des retranchements. Hohenlohe
(Prussien) est avec l'avant-garde prussienne sur la route de Châlons.
On bombarde Lille, le feu prend sans cesse dans la ville, cependant
elle ne capitule point. On m'assure que lundi ou mardi le duc (1)
veut lever le siège, parce qu'il n'a ni assez de monde ni assez de mu-
nitions. Cela serait affreux! pourquoi n'ont-ils pas attaqué Valen-
ciennes?
Le 4. Jeudi. — Le soir, à minuit, courrier de lord Elgin apporta la
nouvelle que le P*" octobre l'armée prussienne et autrichienne s'était
retirée sur Grand-Pré et, on disait, de là à Verdun. C'est un officier ;
il dit que l'armée est abîmée par les fatigues , le manque de tout
et les maladies ; que, ne voyant arriver aucun de leurs convois, la peur
d'être entouré commençait à se répandre ; que les Français faisaient
bonne contenance ; qu'ils ne cessaient de faire des batteries ; qu'on
avait tiré beaucoup sur eux sans qu'ils eussent répondu ni cessé de
travailler ; que les sentinelles s'étaient moquées des Prussiens lors-
qu'ils sont partis. Que les habitants sont détestables , qu'ils n'amè-
nent rien au camp, qu'ils tirent sur tout ce qui se présente et qu'ils
ne donnent rien, même en payant, aux voyageurs. Le courrier a été
obligé de suivre l'armée jusqu'à Grand-Pré, de peur d'être enlevé.
Il accuse le duc de Brunswick de timidité et dit qu'il aurait pu,
le 23, attaquer et enlever Dumouriez. On a en Angleterre la même
opinion du caractère du duc de Brunswick, et on dit qu'il aime à
négocier.
Le 6. Vendredi. — Reçu une lettre du baron de Breteuil. H mande
à sa fille que le duc de Brunswick veut faire le siège de Thionville et
Metz. Cette retraite est horrible par ses suites, et tout me semble fini
pour cette aimée , à moins que l'armée ne soit encore en état d'agir
(1) Albert.
42 LE COMTE DE FERSEN
et qu'on puisse suivre un autre plan, ce dont je doute. Il faudra voir
le duc de Choiseul, arrivé ; il est parfait pour le roi et la reine.
Le 6. Samedi. — Lord Elgin croit être sûr que c'est le cabinet de
Vienne qui a influé sur la retraite du duc de Brunswick et sur le
parti de prendre des quartiers d'hiver ; qu'il l'a toujours désiré , et
qu'il veut dégoûter le roi de Prusse de l'entreprise et l'engager à
l'abandonner pour laisser l'empereur seul le maître. Ce ne sont pas
les dispositions personnelles de l'empereur, mais bien de son cabinet.
Il faudra voir l'objet de la mission de Spielman, et, si le projet d'un
congrès à Verdun se réalise, quel sera son objet. ^
Le 7. Dimanche. — Je fus chez le comte de Metternich. Madame
médit que les Français de Landau, commandés par Custine, étaient
en possession de Spire ; qu'ils avaient défait un corps de 2,000 Mayen-
çais et 300 Autrichiens; qu'ils emmenaient tout ce qu'ils pouvaient
des magasins et brûlaient le reste ; que Mayence était menacée, que
tout le monde qu'on avait fait avertir, tous les Français de partir, que
les bourgeois avaient signifié au commandant que , s'il n'ouvrait les
portes aux Français, ils l'y forceraient ; que le landgrave de Darm-
stadt devait s'y porter avec 4,000 hommes, mais qu'il craignait
pour sa propre tranquillité ; que les émigrés étaient cause de cela, car
en quittant Thionville ils avaient forcé d'y envoyer le comte d'Er-
bach, et que les magasins s'étaient trouvés dégarnis ; que Heidelberg,
où les Autrichiens avaient des magasins encore plus considérables y
était menacé et qu'il y avait tout à craindre des mauvaises disposi-
tions de l'électeur de Bavière, qui recevait les Français partout ; qu'il
avait laissé les blessés et les malades des Autrichiens six heures à la
porte de Mannheim. Elle ajouta que c'était le moment d'envoyer
on Bavière 50,000 hommes pour le châtier, s'emparer de l'Electorat,
le joindre à la maison d'Autriche, et qu'on pourrait donner au roi de
Prusse Berghen et Juliers qu'il désirait. Cela me prouve qu'il en est
question, et c'est sans doute l'objet de l'arrivée de Spielman ; celui de
réunir l'Alsace, la Lorraine et les Pays-Bas français aux autrichiens
et de donner le tout à un archiduc pourrait bien aussi exister.
Le \\. Jeudi. — Le duc de Choiseul parti. Il m'avait donné des
détails sur ce qui s'est passé à Paris et à l'affaire de Varennes. Par
ce qu'il me dit de Paris, il parait qu'après l'affaire du 20 juin, les
constitutionnels avaient prévu leur chute et l'impossibilité de lutter
contre les jacobins, et qu'ils avaient résolu de faire sortir le roi de
ET LA COUR DE FRANCE. 43
Paris de gré oa de force, en rassemblant et faisant filer les troupes
sur la route, et mener le roi à Compiègne. Lafayette et Luckner avaient
préparé l'esprit de leurs armées et firent faire des adresses. Dans le
temps Lafayette vint à Paris essayer son influence , mais, quoique la
garde nationale le reçût très-bien , il ne put jamais en rassembler
400 pour aller chasser et mettre le feu aux jacobins. Le roi ré-
pugnait à cette idée de départ et la reine encore plus, quoiqu'elle eût
dit au duc de Choiseul et autres qu'elle n'avait aucun avis , et que
c'était au roi à se décider. Lafayette partit pour maintenir son armée
dans les mêmes dispositions et toujours dans l'espoir de faire partir
le roi pour Compiègne. Arriva la fédération ; il y avait un parti pour
Pétion, un autre pour Lafayette. Luckner était resté à Paris, et,
comme c'était une bête, les constitutionnels ne le quittaient pas, pour
l'empêcher de tomber entre les mains des jacobins. Le ministère
était bon ministre de la guerre ne voulut jamais faire partir
les gardes suisses. Tous intriguaient, et les jacobins déjouaient sans
cesse leurs intrigues. Les individus qui devaient composer l'armée
sous Paris étaient arrivés et y restaient sans aucun ordre , sans au-
cune discipline. Lafayette imagina de faire faire une revue et de
profiter de ce rassemblement pour tomber sur les jacobins. Tout
était arrangé pour cela. Pétion, qui s'en douta, fit défendre la revue.
Luckner fut au comité militaire et fut retourné par eux. Il dit et fit
cent bêtises, compromit Lafayette, etc., etc. Enfin les jacobins firent
la scène du 10 août, et tout fut perdu. Cet événement avait été prévu.
Tout le monde avait pressé le roi de partir, il ne le voulut pas. —
M. de Sainte-Croix s'est bien conduit ; il a prédit tout ce qui est
arrivé. H lut la veille un mémoire où tout était détaillé, et où il y
avait des éclaircissements sur leurs projets ; il y en eut un qu'il ne
lut pas, c'était celui d'enfermer la reine dans une cage de fer et de
l'exposer ainsi à la vue du peuple. La cage était même déjà faite.
Deux jours avant, les ministres voulaient que le roi partît avec des
relais pour Compiègne. Il aurait monté en voiture le matin, en se
promenant au Pont tournant, aurait passé le pont à Poissy, qu'on au-
rait rompu; les gardes suisses, 6 à 700 gentilshommes à pied ou à
cheval, auraient couvert la marche, et, pour ôter à cette démarche l'air
de faite, il aurait écrit, en montant en voiture, à huit heures du matin,
un billet pour dire qu'en vertu de la constitution, il allait à Compiè-
gne. Mais le roi se refusa à tout. Dans la journée du 9 on fut instruit
44 LE COMTE DE FERSEN
des mouvements ; les rassemblements augmentaient vers le soir ; on
doubla la garde du Château, elle était bonne : tous les Suisses, au
nombre de mille, y étaient. M. Mandat, commandant général de la
garde nationale, y était; M. Kœderer s'y rendit. 250 à 300 gentils-
hommes étaieut dans le Château; personne ne se coucha. Il arrivait
sans cesse des rapports. M. Mandat obtint de la municipalité l'ordre
de repousser la forcer par la force. A minuit arriva M. Pétion ; il fiit
très-mal reçu par la garde nationale , on mit sa voiture dans un coin
de la cour et ils résolurent de le garder pour lui faire donner des
ordres de défense. Il assura le roi que tout se calmerait. En descen-
dant, il aperçut des dispositions de la garde et ne fit rien pour sortir,
mais il se promena dans les cours et dans le jardin jusqu'à trois heures
du matin, pour voir les forts et les faibles , et causait avec Eœderer,
qui, sous l'apparence de dévouement, trahissait le roi. La municipalité,
inquiète de ne pas voir revenir Pétion, témoigna à l'Assemblée ses
craintes qu'il ne fût arrêté au Château. Il fut mandé à la barre pour
rendre compte du fait et nia qu'il eût été empêché de sortir. Il partit
et envoya tout de suite des renforts au Château de tout ce qu'il y
avait de plus mauvais , gardes nationales et piques. Ils furent mêlés
avec ceux des cours, mais prirent poste principalement dans le jardin
le long des terrasses. Les Suisses bordaient les escaliers ; il y en
avait dans toutes les cours avec des gardes nationales.
A trois heures du matin, on entendait de temps en temps un coup de
fusil ; un canonnier en lâcha même un dans la cour royale , sous pré-
texte de maladresse, mais il y alieu de croire que c'étaient des signaux.
A six heures le roi alla faire la visite des postes du jardin et des cours.
Il fiit insulté dans le jardin et courut même des risques ; il fut cou-
ché en joue , menacé des piques et serré de près par deux hommes
avec des pistolets. Un garde national , qui avait accompagné le roi ,
revint tout pâle et tremblant. A sept heures M. Mandat reçut ordre de
venir à la municipalité, sous prétexte de concerter les moyens de
défense, mais en efi'et pour retirer l'ordre de repousser la force par
la force et pour désorganiser la garde nationale en lui enlevant son
commandant. Mandat n'obéit pas ; on lui envoya un second ordre :
Eœderer lui conseilla d'obéir. Il fut massacré en y arrivant. Dès lors
personne ne commandait plus. On organisa les gentilshonmies ; M. de
Viomesnil, maréchal Mailly, Pont-Labbé et d'Ervilly commandaient.
Les gardes nationales en prirent ombrage. Le roi et la reine leur
ET LA COUR DE FRANCE. 46
parlèrent avec bonté et force, ils furent convaincus, s'unirent avec les
gentilshommes et furent placés avec eux dans les appartements. On
avait déjà parlé au roi de se rendre à l'Assemblée. Les ministres
l'avaient averti que c'était le projet. Tous et surtout M. de Sainte-
Croix l'en dissuadaient, il y était déterminé et la reine dit au baron de
Viomesnil et à M. de Clermont-Gallerand : Si tous me voyez aller
à t Assemblée j je vous permets de me clouer à ce mur.
A huit heures arriva M. Rœderer à la tête du département. Il de-
manda à parler seul au roi, il passa avec lui , la reine et les ministres
dans son cabinet. M. Roederer lui demanda d'aller à l'Assemblée ,
comme le seul parti à prendre. La reine s'y opposa fortement. M. Rœ-
derer lui demanda alors si elle se chargeait de la responsabilité des
événements, du massacre qu'il pourrait j avoir, de celui du roi, de
ses enfants et de tous les gentilshommes? que plus de 20,000 hommes
marchaient contre le Château, etc., etc. La reine ne dit plus rien, et
le roi se décida à aller. M. Rœderer demanda qu'il y allât seul avec
sa famille, de crainte qu'il ne fût exposé si on le voyait avec tant de
monde. Il ordonna donc à tout le monde de rester et sortit par les
appartements, le grand escalier, la grille du milieu et le jardin, en
montant l'escalier de la terrasse vis-à-vis l'Assemblée. Il y eut foule ;
on criait : Point de femmes ! et mille sottises. Le département fut
obligé de pérorer, et on laissa passer. Il n'y avait avec le roi que la
reine, les enfants, madame de Tourzel , madame Elisabeth, M. de
Brige. En traversant les appartements, les gentilshommes et les
gardes nationales pleuraient et voulaient l'arrêter ; il les consolait en
disant qu'il allait revenir. Dès qu'il fut parti le découragement se mit
parmi tout le monde ; une demi-heure après le Château fut attaqué ;
les canonniers ouvrirent la porte royale ; la canaille entra, mais une
décharge des Suisses et gardes nationales la balaya. Ils s'emparèrent
de deux canons et empêchèrent la canaille de revenir. Pendant ce
temps tout ce qui était dans le Château de gardes nationales et gen-
tilshommes se sauva cpmme il put, et les Suisses, enveloppés de
toutes parts, furent tous pris ou massacrés.
Par les détails que le duc de Choiseul me donna, je vis clairement
qu'il avait eu raison de quitter le poste du pont du Sommevesle avec
son détachement, car les campagnes étaient en mouvement à cause
de quelques villages de M". d'Elbœuf qui avaient refusé de payer ; on
devait les y contraindre par la force, et ils avaient cru que les hus-
-. i_
46 LE COMTE DE FERSEN
sards étaient destinés à cela. Le tocsin avait sonné et les paysans
s'étaient rassemblés. Beaucoup venaient voir les hussards ; l'inquié-
tude commençait même à gagner à Châlons. Ils eurent raison de ne
pas repasser par Sainte-Menehould, où ils avaient déjà été mal reçus.
Malgré tout cela et le retard de cinq heures que le roi eut de Paris à
Châlons et son étourderie de parler et de se faire voir à Sainte-Me-
nehould; où le maître de poste le reconnut , le roi aurait passé Va-
rennes, si les hussards avaient été à cheval hors de la ville , et si le
roi eût trouvé un homme pour lui dire où était le relai, car tout était
tranquille dans la ville^ et le maître de poste entra dans la ville
pendant que le roi était arrêté pour demander où était le relai ; mais
les hussards étaient dans les écuries ou en ville à boire, les chevaux
n'étaient pas sellés et le jeune Bouille était couché. Il fut éveillé
par le palefrenier du duc de Choiseul, qui lui dit qu'il y avait du
mouvement, qu'une voiture était arrêtée et qu'on disait que c'était
le roi. Il alla seller son cheval , et quand le duc de Choiseul arriva
avec son détachement, une demi-heure après que le roi fut arrêté, il
ne trouva aux casernes que les chevaux non sellés et les gardes d'é-
curies ; pas un officier et pas un hussard. Il en rassembla le plus
qu'il put : les officiers municipaux vinrent lui signifier de se rendre
à la municipalité ; pour toute réponse il fit marcher son détachement
et se porta devant la maison où était le roi. Il y avait alors 3 à 400
personnes, mal armées. Il monta, et trouva tout le monde dans la
même chambre. Les trois gardes du corps dormant, le chapeau sur
la tête. Monsieur Sauce promettait au roi de partir au jour, car les
chemins étaient trop mauvais. Pendant ce temps il faisait venir du
monde, le tocsin sonnait dans les villages , etc., etc. Le roi parla au
peuple à merveille , leur disant qu'il ne voulait pas les quitter, qu'il
s'était éloigné de Paris où il n'était pas libre , qu'il venait au milieu
d'eux, que tous pouvaient le suivre, qu'il irait avec eux. Cela les
calmait, mais Sauce sous main faisait répandre que, s'ils laissaient
aller le roi, ils seraient tous massacrés. On prouva au roi qu'avec les
hussards il pourrait passer, que M. de Bouille était sûrement en mar-
che, qu'ils le rencontreraient ; mais le conseil était difficile à suivre,
car tous devaient s'en aller à cheval, et on ne pouvait répondre des
coups de fusil. Le roi préféra de rester et attendre M. de BouiUé ,
car on ne parlait pas de le faire retourner à Paris. Des gens de Verdun
voulaient que le roi y vîût, disant qu'il y serait bien. On parla &
ET LA COUR DE FRANCE. 47
Sauce, on lui démoutra le mérite qu'il aurait d'avoir sauvé le roi, et,
de l'autre côté, qu'il ne pouvait échapper à la vengeance , car M. de
Bouille ne manquerait pas d'arriver avec une armée. Sauce parut
ébranlé, et la municipalité aussi. C'est dans ces entrefaites qu'arri-
vèrent les deux aides de camp de Lafayette, Ramœuf (1) et Bâillon,
avec le décret de l'Assemblée. Alors tout changea de face, et il fut
résolu de ramener le roi ; il parla seul à Bâillon, pour l'engager à ne
pas presser son départ ; celui-ci le promit , mais au contraire il excita
le peuple, en disant qu'il n'y avait pas un moment à perdre, que,
si Bouille arrivait après le départ, il ne ferait rien à la ville, etc., etc.
Le roi, sous mille prétextes de maladie ou fatigue, voulait retarder ;
le peuple criait qu'il partît, qu'il fellait le mettre en voiture de force,
etc., etc., et à huit heures du matin on T emmena sans qu'on eût entendu
parler de Bouille. Il paraît que la faute est P la nonchalance ou
ignorance du jeune Bouille à Varennes ; 2° que le père, au lieu d'être
au centre de l'expédition, était à un bout, dans la crainte apparem-
ment que cela ne manquât, et pour pouvoir se sauver; 3' le retard de
cinq heures sur la route de Châlons, et 4** l'imprudence du roi de se
faire voir & Sainte-Menehould.
Le 13. Samedi. — Lettre du baron (2) à sa fille, qui mande
qu'il revient ; je lui expédiai à midi un courrier pour l'engager à res-
ter et attendre M. de Mercy. A une heure j'appris qu'il était décidé
qu'on évacuerait Verdun et qu'on se retirerait hors de France.
Dumouriez campé devant Verdun , les Prussiens de l'autre côté de
la Meuse, Clairfait marche sur Stenay, suivi de près par les rebelles.
— Présenté le baron d'Hamilton chez Metternich ; il paraissait fort
triste de cette nouvelle , mais l'armée est hors d'état d'agir, il n'y a
pas d'autre parti à prendre. M. de Metternich, à la nouvelle de la
marche rétrograde, n'en avait pas été surpris et avait eu l'air de l'a-
voir attendue et conseillée. — Les propos de l'archiduchesse mar-
quent le désir du gouvernement ici de dégoûter l'empereur des affaires
de France , en lui présentant la perte de ce pays comme certaine. On
veut aussi exciter la jalousie des deux souverains pour les dégoûter
tous deux. Le comte de Mercy dit toujours que toute l'Europe est
perdue, si on ne prend des mesures vigoureuses et si toutes les puis-
(1) Dans les joumanz de ce temps, cet aide de camp est appelé Robœuf,
(2) De BieteuiU
48 LE COMTE DE FERSEN
sancesne s'en mêlent; qu'il ne faut plus négocier, mais se battre.
Comme il change souvent de langage, on n'ose y croire. — Le duc
de Levis revenu de l'armée de Clairfait; il a fait sa campagne avec les
chasseurs. Il paraît que c'est Clairfait qui a empêché de se battre le
20. La disposition du prince de Hohenlohe (Autrichien ) à la gauche ,
était devant les Islettes, poste très-fort, où était Dumouriez lui-même.
Le duc de Brunswick était devant le reste de l'armée rebelle, com-
mandée par Kellermann ; elle était postée sur une hauteur, mais sans
batteries. A la droite devait être Clairfait. L'attaque devait commen-
cer le 20, à une heure après midi : celle du prince de Hohenlohe était
fausse, celle du duc de Brunswick la vraie, et Clairfait devait pren-
dre les rebelles en flanc. Il était posté à Grand-Pré. Le duc lui en-
voya ordre de se mettre en marche le 19, à minuit, pour arriver der-
rière les Prussiens et à la faveur de la canonnade et de la fumée se
porter sur le flanc, sans être vu des rebelles. Mais Clairfait, au*lieu
de marcher à minuit, ne marcha qu'à cinq heures du matin et n'arriva
qu'à six heures du soir, lorsque la canonnade finit. On ne conçoit pas la
raison, car son camp fut détendu à minuit et les troupes restèrent
sous les armes jusqu'à cinq heures par une pluie et un froid terribles.
— Le 22 il aurait encore été possible d'attaquer les rebelles, ils
avaient pris une position en arrière ; les armées étaient en présence,
tout le monde s'y attendait. Le soldat, qui avait déjà manqué de pain
et qui mangeait des pommes de terre à moitié cuites , témoignait la
plus grande ardeur et demandait à attaquer en disant i II y à là
du pain à prendre , lorsque tout à coup il y eut ordre de camper et
de ne plus tirer. La suspension d'armes commença et tout fut perdu ;
on voyait les rebelles construire leurs batteries, mais on disait :
Cest pour occuper les soldats; c'est indiscipline j on ne peut pas les
en empêclierj etc., etc.
Le 14. Dimanche. — Lord Elgin me dit qu'on disait à l'armée
qu'il y avait une amnistie pour les émigrés , qu'on avait demandé sur
cela plusieurs choses à Dumouriez, qui avait répondu qu'il n'était pas
autorisé à prononcer là-dessus. Lord Elgin craignait qu'on ne voulût
trop négocier ; je le crains aussi, et que c'est ce qui a tout perdu. A
sa retraite plusieurs émigrés ont déchiré leurs uniformes de rage,
ont pris des habits de paysans et sont rentrés en France. La con-
duite du duc de Brunswick est bien extraordinaire, et je ne suis pas
entièrement rassuré sur les bonnes intentions de l'Angleterre. Il y a
ET LA COUR DE FRANCE. 49
ea de Londres une correspondance bien suivie avec le duc. Le temps
BOUS éclaircira tout cela. Plusieurs personnes croient que c'est l'An-
gleterre qui Fa poussé à négocier et à ne pas se battre , pour avoir six
mois de retard et arranger en France un gouvernement qui lui con-
vienne , qu'on établira l'année prochaine à main armée. D'après tout
ce qu'on me dit de la disposition du ministère et de l'intérêt qu'ils
ont de réprimer le danger de l'exemple^ j'ai de la peine à j croire.
Le 18. Jeudi. — Lettre du baron de Breteuil. Quantité d'émigrés
qui arrivent M. de Puisigneux, les trois Durfort, etc., etc., de re-
tour. Tous s'accordent à dire qu'il était aisé d'attaquer Dumouriez,
mais que le duc de Brunswick ne l'a pas voulu ; que les Autrichiens
l'ont demandé ; que tous les généraux prussiens étaient du même avis.
Cette conduite est fort extraordinaire. Les soupçons sur la correspon-
dance avec l'Angleterre s'accréditent ; on soupçonne lord Elgin d'être
un homme profondément faux. Un propos du baron de B.eck, qui dit
qu'il serait fort heureux que l'Angleterre se bornât à rester neutre,
les accrédite encore. Le temps seul peut développer tout cela. On dit
que le pays où les armées ont passé est un désert horrible ; tout est
brûlé ou pillé, les chemins sont jonchés de chevaux et de soldats
tués ou morts , surtout de Verdun à Longwy. Plusieurs émigrés se
sont cassé la tête de désespoir. — Beuterswœrd dit que les troupes
prussiennes déjà arrivées à Luxembourg y sont sans tentes, sans
équipages , on bivouaque sur les glaces ; que cela a l'air d'une dé-
route complète. Les rues sont comblées de monde, de voitures et
de fuyards de France ; tout le monde est mécontent du duc de Bruns-
wick.
Le 22. Lundi. — Les lettres de France , en retard depuis le 2 ,
arrivées. Les dernières gazettes sont du 18. La famille royale est réu-
nie, et le procès du roi est différé de quatre mois. Lors de la sépara-
tion, le roi avait été mis dans la grosse tour du milieu, et la chambre
était grillée et éclairée par le haut. Le maréchal ferrant de M. de Ni-
colal, garde national, avait été témoin de la séparation qui a été, dit-
il, affreuse. La reine et les autres ont aussi été séparés plusieurs jours.
Le roi de Prusse veut que le duc de Brunsvick ait le commande-
ment de l'armée de l'empire, mais l'empire veut qu'il entre alors à
son service et qu'il soit à ses ordres. On mande que le comte d'Ar-
tois a été fort content du baron de Breteuil, et qu'il dit qu'il lui a
donné de fort bons conseils.
T. II. 4
60 , LE COMTE DE FERSEN
Le 25. Jeudi. — Nouvelle de la prise de Mayence par Custine avec
30,000 rebelles; après trente heures de bombardement elle a capitulé :
les troupes sont sorties avec armes et bagages. On dit que les Fran-
çais marchent sur Francfort. Longwy est rendu par capitulation, on
y rétablit les magasins et l'artillerie qui y ont été pris. Le baron (1)
ajoute : Cette étonnante conduite jette un grand blâme mr le duc
de Brunswick j c'est un homme dans la boue. Sa lettre est du 21.
Le 29. Lundi. — La Convention nationale a donné un décret qui
condamne tous les émigrés, même ceux qui rentreraient, à la mort,
et le maître de poste à Calais a envoyé une barque à Douvres aver-
tir qu'il y avait ordre de les massacrer en arrivant.
Novembre. Le V^. Jeudi. — Il paraît que le duc de Brunswick est
«n homme au-despous de sa besogne, qui a été effrayé de trouver
m peu de résistance, tandis qu'il n'en attendait aucune; qui a voulu
négocier, et qui a été trompé par Dumouriez qui a profité de ce temps
pour se retrancher. Le prince de Nassau, ayant demandé à parler à
.... officier général , il vint avec sa suite aux uvant-postes et les deux
généraux se parlèrent à une distance. Le Français parla d'un
ten très-po»itif ; s'étant avancé ensuite tout près du prince de Nas-
sau, comme si son cheval malgré lui le portait en avant, il lui dit
tout bas : Mordieu / agissez donc, nous attendons demain un convoi
de Châlons, si vous pouvez k prendre nous sommes perdus ; puis, en se
retirant : Monsieur^ si vous n'aviez pas autre chose à me dire y il ne
valait pas la peine de me faire demxmder. Le prince de Nassau en
rendit compte ; on hésita, et on arriva une heure trop tard pour enle-
ver le convoi. — Le 20 , pendant la canonnade et au moment quel'arr
mée prussienne marcha cent cinquante pas en bataille pour attaquer,
il y avait déjà du mouvement dans les Français pour se retirer ; au
bout d'une heure une partie des rebelles, ennuyés de la canonnade, se
mettait en colonne sans ordre pour aller de même attaquer les Prus-
siens, on ne put jamais faire monter à cheval la cavalerie , ils don-
naient pendant ce temps de l'avoine à leurs chevaux : et le duc de
Brunswick citait cela au maréchal de Castries comme une preuve de
leur bonté et combien ils étaient redoutables. Un aide de camp de
M. de Valence, envoyé pour un échange, demanda à voir le comte
(J ) De Broteuil,
ET LA COUR DE FRANCE. 51
d'Artois, en disant que c'était pour lui faire savoir que le roi se portait
bien, que sa situation intéressait autant dans leur armée que dans celle
des émigrés, et que, si on avait attaqué le 20, toute la cavalerie et
une grande partie de Tinfanterie passait; car, ajouta-t-il, il j
avait alors beaucoup de gens égarés. Un autre gueux, envoyé à Ver-
dun, dit au duc de Brunswick qu'ils ne s'étaient jamais flattés de
résister à un aussi grand général et à d'aussi bonnes troupes ; que
la famille royale était fort contente, qu'on ferait leur procès, qu'on
les jugerait, mais que le peuple leur ferait grâce, et qu'on leur don»
nerait un traitement pour vivre où ils voudraient
Le roi de Prusse a été au désespoir, mais il a assuré le baron (1)
qu'il n'y avait rien de perdu , qu'on allait réclamer toutes les puis-
sances d'y prendre part, qu'on ferait tous les préparatifs pour com-
mencer avec plus de vigueur au printemps. Le duc de Brunswick dit
au baron que, si ce n'était une lâcheté, il se casserait la tête ; il sou-
tenait qu'il était impossible de les attaquer. Presque tous les géné-
raux prussiens contraires à cette expédition , surtout Kalkreuth. La
Corbière, commandant à Verdun, disait avant le 20 que, si le duc de
Brunswick ne se retirait au plus tôt, il perdrait le roi, ses fils et toute
l'armée prussienne , et qu'on serait fort de sauver les deux tiers.
Talon, qui est à Londres, a écrit au baron une lettre où il offre
ses services, en disant qu'il peut être titile, mais fort utile au roi,
et qu'il consent à parler, si on lui envoie un homme qu'il connaît
et dont il soit sûr. On lui a écrit de venir sous un autre nom, qu'il
sera en sûreté chez le baron et très-inconnu. Le roi de Prusse veut
donner 25,000 francs aux princes pour leurs personnes par mois,
et que l'empereur en donne autant. Il veut proposer à l'Espagne,
Naples et la Russie de partager cette dépense et celle pour les
émigrés
Le 7. Mercredi. — Le baron de Breteuil vint chez moi me dire
que les Autrichiens avaient été battus devant Mons par 80,000 Fran-
çais avec 150 pièces de canon, que la retraite était décidée, que le
gouverneur allait partir et l'archiduchesse, pour se retirer à Rure-
monde, et que Mettemich lui avait conseillé de s'en aller ; que leurs
troupes avaient beaucoup souffert, et le baron me dit qu'il par-
Ci) De Breteuil.
52 LE COMTE DE FERSEN
tait pour Earemonde dans trois heures. A neuf heures la nouvelle fut
publique^ et la consternation et la peur générale. On aurait cru que
les Français étaient aux portes de la ville , on ne voyait que des gens
courant pour chercher les moyens de s'en aller. Tous ces malheu-
reux émigrés sans argent , sans ressources, étaient au désespoir ; on
ne trouvait pas un seul fiacre , tous étaient retenus pour aller à An-
vers ou ailleurs, et toute la journée on ne voyait que des partants
et des équipages arriver de l'armée. Depuis deux jours il y avait or-
dre de ne pas donner de chevaux de poste sans permission ; tout cela
alarmait. Je fus dire la nouvelle à Crawford et les engager à faire
leurs paquets. Je fis faire les miens , et nous nous arrangeâmes pour
aller ensemble et Simolin par Anvers à Bréda. Je fus chez Mercy
lui demander si on avait eu soin des diamants de Joséphine (?). U
eut le front de me dire qu'il ne gavait pas qu'il y en eût , qu'il avait
bien reçu une boîte , mais qu'il en avait remis la clef à l'archidu-
ehesse à son arrivée, tandis que c'était moi qui lui avais écrit la
lettre dans le temps et envoyé la boîte. Je tâchai de lui donner du
eourage en lui prouvant que rien n'était perdu , qu'il fallait rassem-
bler toutes les forces éparses dans le pays, prendre une bonne posi-
tion entre Mons et Bruxelles , y attendre les Français et les attaquer.
Par ce moyen on les éloignait de chez eux et de leurs moyens, et on
ks battrait &cilement II me dit qu'il en avait déjà souvent écrit,
qu'il allait le faire encore, mais qu'avec un homme comme le duc Al-
bert il n'y avait rien à espérer, et il ne fallait songer qu'à s'en al*
1er, car probablement les Français seraient à Bruxelles dans huit
jours, ou peut-être demain. On avait déjà fait partir les archives, et
dans la matinée on vida toutes les caisses. L'effroi , l'étonnement et
la crainte étaient peints sur tous les visages. Je rencontrai Mal-
deghem, il me dit qu'on s'était battu beaucoup, que les Autrichiens
avaient attaqué plusieurs fois et avaient été repoussés, qu'ils avaient
beaucoup perdu. Toute la route de Mons était couverte d'équipages
et de chariots de blessés; toutes les places aussi, excepté la place
Koyale. Nous devions dîner chez l'ambassadeur de Naples, il nous fit
déprier. Il partait sans cesse des équipages et des voitures de la cour.
Nous avions fixé notre départ au lendemain, mais M. de Mercy, qui
vint le soir chez M"*" de Sullivan et qu'elle consulta , nous conseilla
de ne pas nous presser, que nous avions encore trois ou quatre jours ,
qu'il n'allait pas à Buremonde, qui était un endroit vilain et mal*
ET LA COUR DE FRANCE. dS
sain, mais qa^il s'établissait àDusseldorf, et nous pria d'y venir. Le
soir, nous nons décidâmes à y aller et à différer notre départ.
Le 8. Jeudi. — Milord Elgin reçut de M. de Metternich l'aver-
tissement que le gouvernement partait pour Ruremonde et l'invitar
tion de s'y rendre ; j'écrivis au comte de Mercy pour savoir s'il ne
serait pas plus prudent de partir au plus tôt : il nous assura le soir
que rien ne pressait et que nous avions encore deux ou trois jours ; mais
quand il fot parti, la Marck vint nous dire que l'archiducliesse était
déjà partie , que Métternicli partait dans la nuit et Mercy avec lui,
que le gouvernement était presque tout parti, que le conseil de Bra-
bant était dissous , qu'on allait ouvrir toutes les prisons , qu'il n'y
avait plus de gouvernement, qu'il allait partir à minuit et qu'il nous
conseillait d'en faire autant, car probablement les troupes qui avaient
été placées le long du chemin pour protéger le départ se retireraient,
peut-être môme la garnison de Bruxelles, dans la nuit, et que, l'armée
allant peut-être sur Namur, nous nous trouverions dans l'embarras»
Crawford voulait partir dans la nuit ; je tâchai de les rassurer, d'at-
tendre au lendemain, en pestant contre M. de Mercy et son égoïsme
de ne pas avertir des gens avec qui il vivait journellement et de les
exposer. Milord Elgin venait sans cesse nous conter qu'il y avait des
complots dans la ville, mais que l'éclat était différé, et mille bêtises
de ce genre , car tout était tranquille. H fut décidé que nous parti-
rions le lendemain. Le chevalier Durfort, qui était parti pour Anvers,
revint le soir comme beaucoup d'autres , car la canaille pillait les
voitures. Le duc de Bourbon arriva le soir avec son corps de 3,000 émi-
grés à la Cambre ; il avait quitté la position devant Namur lorsque
le conmiandant de Charleroi lui eut mandé qu'il avait eu ordre d'é-
vacuer la place ; n'en ayant, lui, reçu aucun et n'ayant pu obtenir de
passeports à Bruxelles pour deux courriers qu'il avait envoyés en cher-
cher chez le duc Albert, il était arrivé ; on ordonna de leur donner
des vivres et des logements dans les villages : c'était une raison de
plus pour rester la nuit.
Le 9. Vendredi. — Simolin, qui s'était chargé des chevaux de
louage, n'en avait pu trouver ; j'en achetai quatre pour notre fourgon
et j'en trouvai huit pour les voitures, j'avais les miens. Ils payèrent
22 louis d'or quatre chevaux jusqu'à Maëstrich. — Un soldat sué-
dois du régiment de Bender vint m'avertir le matin à six heures que
la garnison avait ordre de faire ses équipages au plus vite et de
Si LE COMTE DE FERSEN
sortir par la porte de LouYain ; cela m'effraya un moment y mais après
plusieurs questions [j'appris que] Tordre n'était que pour les équi-
pages d'être prêts. — La nouvelle de l'insurrection d'Anvers fut pu-
blique ; je craignis le danger de l'exemple^ et déjà on disait qu'une
voiture que milord Elgin envoyait à Anvers, et qui fiit versée dans
le canal par la maladresse du conducteur, j avait été jetée par
des capons ; ils aidèrent au contraire à la relever, et tout était calme
dans le bas de la ville. Au moment où nous étions prêts à partir on
commençait à dire que l'insurrection s'était manifestée à Liège et
sur toute la route, qu'on pillait et tuait tout le monde. Charbonnier,
valet de chambre de Crawford et démocrate puant, nous le dit ; son
hôtesse le croyait et nous conjurait de ne pas partir. Cela fit hésiter
Crawford ; on était tenté de rester, on me conjurait de me déguiser
et de partir seul ou avec Simolin. Je n'eus pas de peine à leur prou-
ver l'absurdité de tous ces bruits : nous aurions déjà vu beaucoup de
revenants, si cela avait été ; les équipages de la cour partaient encore
à tout moment, enfin le corps du duc de Bourbon, qui avait marché
dans la nuit sur Louvain ; l'ordre aux équipages de la garnison de
sortir par cette porte , enfin le ridicule de rester lorsque tout était
prêt et attelé, et la, possibilité de retourner au premier avis certain
que nous aurions. Il fut décidé qu'on monterait en voiture. On vou-
lut m'engager à brûler le portefeuille qui contenait les papiers de la
reine, mais je n'en fis rien, je le plaçai avec les miens dans la voi-
ture de Simolin ; j'avais résolu la veille de les remettre à lord Elgin
pour être envoyés en Angleterre, mais l'insurrection d'Anvers me fit
changer d'avis, ou plutôt M°*® de Sullivan ne les lui fit pas donner
dans la nuit , lorsqu'il les envoya chercher par son courrier. — Enfin
à midi nous partîmes : Simolin et moi dans sa voiture , nos valets de
chambre dans la mienne, les deux femmes et Crawford dans une
autre, les femmes de chambre dans une troisième, un fourgon et
deux cabriolets et mes chevaux de selle. Crawford resta avec milord
Elgin, qui devait nous suivre ; je montai à cheval, et, malgré tout ce
que j'avais dit, je n'étais pas à l'abri des craintes d'un mouvement
soit dans Bruxelles, soit sur la route ; mais tout ftit tranquille, et tout
le monde avait l'air consterné et craintif. Nous trouvâmes tout le
long du chemin des troupes et des voitures , je m'informai aux bar-
rières, aux diligences et aux postillons de retour. Tous m'assurèrent
de la tranquillité à Liège et sur la route ; mais un spectacle déchi-
ET LA CODR DE FRANCE. 65
rant , c^étaît celui de ces malheareux émigrés ; des jeunes gens et
des vieillards du corps de Bourbon étaient restés en arrière, pou-
vant à peine se traîner avec leur fusil et leur sac ; d'autres voya-
geurs & pied et en charrettes , portant le peu qu'ils avaient pu em-
porter. Il y avait même des femmes comme il faut, avec leurs femmes
de chambre ou sans elles, allant à pied, les unes portant leur enfant
sur le bras, d'autres un petit paquet. J'aurais voulu avoir en ce mo-
ment cent voitures pour recueillir tous ces malheureux ; cela f^Lisait
horreur et pitié. Je rencontrai un ofl&cierd'uhlans, avec son équipage;
il me dit qu'il venait de Mons , qu'il en était parti la veille au ma-
tin comme les Français y entraient, qu'il avait même entendu les cris
Vive la nation! que les Autrichiens tenaient alors encore le faubourg,
que l'armée était postée entre Braine-le-Comte et Castiau, que le duc
Albert avec le quartier général était à Hall, que les troupes avaient
fait des prodiges de valeur, qu'ils n'étaient que 15,000 contre 80,000
avec 150 pièces de canon, dont trente de 24 et 36, qu'on les avait
attaqués sans les reconnaître, qu'on n'avait su qu'ils avaient du gros
canon que lorsqu'on eut vu en un moment les redoutes rasées , que
leurs troupes manœuvraient fort bien, qu'il y avait beaucoup d'Al-
lemands, car ils ont crié aux Autrichiens : Vous n'avez pa^ affaire
à des Français, mais à des Allemands qui savent se battre ^ — Que
les régiments de Bender et de Cobourg dragons sont presque anéan-
tis : ce dernier a chargé six fois, et il n'y a presque pas un officier
qui ne soit tué ou blessé; qu'ils ont abandonné toute Tartillerie dans
les redoutes, que les munitions ont manqué aux Autrichiens, qu'on
en faisait venir en poste de Braine-le-Comte, tandis que les Fran-
çais faisaient un feu terrible. Cet oflScier paraissait blâmer beaucoup
les opérations du duc Albert ; il me disait que tous les officiers avaient
été d'avis de porter toutes les forces aux avant-postes et d'attaquer
les Français dès qu'ils paraîtraient. Le duc ne le voulut pas, sous
prétexte de les laisser reposer à Mons. Ce fut en vain qu'on lui repré-
senta que, le temps étant beau , ils se reposeraient aussi bien aux
avant-postes. U vantait beaucoup Beaulieu ; il dit que les Autrichiens
ont perdu 3,000 , les Français 4 à 5,000. Quand je fus assuré que la
route était sûre et tranquille, je montai en voiture avec ces deux
dames ; nous traversâmes Louvain, où il y avait beaucoup d'équipages
et de monde dans les rues, mais tout y était tranquille. Nous nous
rafraîchîmes hors de la ville.
66 LE COMTE DE FERSEN
Le 10. Samedi. — A neuf heures, nous partîmes ; tout le monde al-
lait à Tongres et Maëstrich. Je proposai de passer par Liège, qui était
fort tranquille ; on ne voulut pas. Nous arrivâmes à Tongres et, comme
j'avais envoyé devant, nous fûmes logés par le magistrat chez un
d'eux fort hien. Je couchai à terre avec Simolin sur la paille. Nous
ne fûmes guère plus gais que la veille et nous trouvâmes la même
quantité de voitures : c'était une procession.
Le 11. Dimanche. — Nous partîmes à dix heures, et nous rencon-
trâmes en route le comte de Metternich ; il nous dit qu'il était parti
de Bruxelles la nuit du jeudi au vendredi ; que M. de Mercy n'était
pas prêt et était resté ; que la ville était fort hien et lui avait envoyé
une députation pour le prier de rester, qu'il n'avait rien à craindre
et que tous le garderaient ; que tout le monde semblait craindre l'ar-
rivée des Français. Il nous invita de venir à Huremonde, qu'à Mons
ils n'avaient que 15,000 hommes. Il fut de mon avis quand je lui dis
que le duc aurait dû rassembler toutes les forces , prendre une posi-
tion entre Mons et Bruxelles et y attaquer les Français à leur arri-
vée. Je lui dis qu'il en était encore temps. Il me dit qu'il en avait
déjà écrit plusieurs lettres et que le duc Albert rassemblait en ce mo-
ment toutes ses forces. A une heure nous arrivâmes à Maëstrich ;
pas de logement à trouver ; nous descendîmes pour dîner chez un
traiteur, il donna deux chambres ; Simolin et moi fûmes logés à côté,
tous les deux dans une chambre basse. Je fus voir le baron (1); je
le trouvai à table avec vingt personnes toutes connues et de sa société.
Tout le monde y était, et depuis deux jours il était arrivé plus de
9,000 âmes ; plusieurs avaient couché dans la rue. Le prince de
Hesse, qui est frère du landgrave et gouverneur, avait 'envoyé de-
mander des ordres relativement à cette grande affluence de monde
qui était embarrassante.
Le 14. Mercredi. — Dîné chez le prince de Hesse avec M"® de
Brionne, Breteuil, prince Camille de Rohan, Dangevilliers, arche-
vêque de Reims, etc., etc. Brionne nous dit que la princesse de
Yaudemont a été fort maltraitée à Anvers, tirée par les che-
veux, etc., etc., pillée; on dit qu'elle avait commencé par donner de
l'argent à la canaille, qui en voulut encore plus ; qu'alors ses gens
(1) De Breteuil.
ET LA COUR DE FRANCE. 57
ont tiré le sabre pour les chasser^ et alors le train a commencé. M*"^ de
Marsan a été obligée de s'enfuir déguisée. L'insurrection a été apai-
sée dans la journée du 9 par la garnison de concert avec les bour-
geois. La réponse des états généraux était arrivée. Les Français ne
sont point renvoyés y mais le prince de Hesse témoigna à table le dé-
sir que, pour leur propre bien et pour la sûreté de la place, ils se ré-
pandent davantage et ne^restentpas tous en ville. Comme nous nous
étions décidés à partir le lendemain pour Aix-la-Chapelle, j'envoyai
un homme à la Yaupallière pour prendre des logements. La peur
prit au gouvernement des Pays-Bas de s'établir à Ruremonde, de
crainte d'y être enlevé, et le comte de Metternich alla à Dusseldorf ,
le reste resta à Maëstrich. Le duc Albert quitta l'armée qui était
campée sur les hauteurs de Louvain, il vint joindre l'archiduchesse ;
l'archiduc Charles et tous partirent pour Bonne. Le duc prétexta
une maladie. Clairfait et Beaulieu refusèrent le commandement, et ce
ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il put les décider à accepter. Il
avait déjà voulu quitter à Hall, mais le baron de Seckendorf l'en em-
pêcha et lui dit des choses fort dures et très-fortes.
Le 15. Jeudi Comme l'archiduchesse n'allait pas à iSiremonde,
lord Elgin prit son parti et retourna à Londres. Son valet de cham-
bre était arrivé le matin et lui dit que le 14 , à trois heures du matin,
les Français avaient pris possession de Bruxelles ; que le 13 les
Français, au nombre de 15,000 hommes et 43 pièces de canon, se
présentèrent & la porte d'Anderleck; la garnison, au nombre de 3,000,
commandée par le général Diesback, sortit et les repoussa au pont
qui est sur la chaussée. Ils envoyèrent alors un parlementaire qui
refusa de traiter avec le général , et demanda à voir les magistrats ;
il fut introduit & l'hôtel de ville, et la capitulation fut signée. Les
Autrichiens se retirèrent sur le parc, où ils restèrent jusqu'au 14, à
trois heures du matin, qu'ils sortirent par la porte de- Louvain. Ce
valet de chambre disait que tout était fort tranquille en ville, que
les Autrichiens étaient fort mécontents du duc Albert, qu'ils en
parlaient tout haut, qu'ils avaient peur d'être tournés et enveloppés.
Le 17. Samedi. — Point de lettres de Bruxelles. Les papiers di-
saient qu'on y a établi aux jésuites le club jacobin ; c'est l'abbé d'Es-
pagnac qui préside. A Mons, Dumouriez a établi un gouvernement
semblable à celui de France, le peuple y est souverain ; à Bruxelles
ce sera sans doute de même, l'arbre de la liberté est érigé, on a
58 LE COMTE DE FERSEN
fait danser les capucins, etc., etc., mais il n'y a eu ni désordre ni
pillage.
Le 25. Dimanche. — Les princes français arrivèrent le soir. Les
ducs d'Aremberg et d'Ursel sont nommés de la nouvelle assemblée
à Bruxelles ; on ne sait encore s'ils accepteront.
Le26* Lundi. — Les princes doivent partir à huit heures du matin.
J'y fus ; ils avaient été arrêtés par un homme du pays de Limbourg à
qui il était dû 80,000 livres pour fournitures de troupes. Tout le
monde leur avait conseillé de ne pas passer ici, à cause de cela; mais
le comte d'Artois, pour voir M. de Polastron qui y est, l'avait désiré,
et l'évêque d'Arras avait obtenu du bourgmestre l'assurance qu'il
n'arriverait rien; mais il y a ici, depuis les troubles, deux autorités :
celle des magistrats de la ville sur la ville et celle du grand-majeur,
établie par l'électeur palatin, qui fût appelé pour faire cesser les
troubles et qui a la grande main sur les étrangers. Ces deux pou-
voirs sont sans cesse en dispute, et le créancier s'était adressé au
grand-majeur pour faire opposition au départ des princes. Ils étaient
fort embarrassés d'autant qu'ils n'avaient pas un sol pour payer et
pas un pour s'en aller individuellement, ayant laissé tout leur argent
dans la voiture. L'évêque d'Arras fut consulter le bourgmestre : il
convoqua ses trois échevins ; les princes donnèrent au comte français
d'Escars un pouvoir pour comparaître. Enfin, sous prétexte d'ordres
donnés aux princes d'aller à Dusseldorf, où le créancier pourrait en-
core se pourvoir, l'opposition fut levée à une heure et ils partirent,
quoique la position f&t on ne peut plus fâcheuse ; on voyait sur tous
les visages l'empreinte de la légèreté française, cela faisait peine.
Leur position est affreuse, sans ressources, obligés d'éviter tous les
endroits libres, où ils peuvent être arrêtés ; ils vont s'établir dans le
comté de la Marck.
DÉCEMBRE. Le 3. Lundi. — Le comte de Mercy nous dit que Clairfait
ne se retirait que faute de vivres, sans cela il aurait pu tenir, qu'il
tiendrait encore quelque temps à Henri-la^Chapelle et qu'ensuite il
passerait le Rhin à Cologne. Il dit que le duc Albert a tout perdu,
qu'il voulait absolument retourner à l'armée et qu'on a eu mille peines
à l'en empêcher ; qu'il ne commanderait qu'en Autriche : on met
toute l'armée sur pied de guerre ;qu'à son entrevue, près de Luxem-
bourg, avec le duc de Brunswick, qu'il ne vit qu'une fois, il ne lui
avait pas parlé du tout de sa campagne, qu'il n'y «avait été question
ET LA COUR DE FRANCE. 59
que dn retour du prince de Hohenlohe et du comte d'Erback pour
occuper le pays de Luxembourg , sur quoi le comte de Mercy avait
insisté positivement en disant qu'il fallait concentrer toutes leurs
forces pour la défense des Pays-Bas , car les Français porteraient
toutes leurs forces contre eux, et les Pays-Bas seront peut-être perdus.
Le duc fut très-poli et humble, et dit : Oman Dieu! mais dans ce cas
nous volerions à votre secours. Il avait déjà consenti à cette demande,
mais le comte de Mercy lui fit une autre demande, et Clairfait aussi :
c'était de laisser 5 à 6,000 hommes entre Luxembourg et Trêves pour
couvrir l'empire de ce côté et protéger Luxembourg. Il fit mille diffi-
cultés et se quittèrent sans rien décider. — Le roi de Prusse assure
le comte de Mercy de sa ferme résolution de suivre cette affaire et
que l'empereur trouverait toujours en lui un allié fidèle et loyal qui
remplirait religieusement tous ses engagements. — Clairfait n'a au-
cune relation ni aucun concert avec Beaulieu et Hohenlohe ; au mo-
ment du départ du duc Albert il n'y en avait pas, et depuis il n'a
pu y en avoir. Cha<;un agit pour soi. Beaulieu communique avec Ho-
henlohe et a sa retraite assurée sur lui : il a 16,000 hommes, Clairfait
aussi.
Le 13. Jeudi. — En sortantàdeux heures, j'appris que toute l'armée
autrichienne passait, qu'elle s'était toute retirée d'Aix-la-Chapelle et
qu'elle campait à Stetrick; à quatre heures tout avait déjà passé et nous
n'avions plus rien entre nous et les Français. Les portes de la ville
étaient fermées et on ne laissait passer personne, lord Kerry ne put
pas même entrer. Nous étions fort embarrassés sur quel parti prendre.
Le soir nous craignions que les Français ne suivissent de près les
Autrichiens ; il y avait des inconvénients pour Simolin et moi de
nous trouver avec les Français. La route de Furth n'était pas sûre, car
les généraux nous disaient que les Français étaient avancés de Rure-
monde à deux heures de la ville, et le général Dalvick, qui venaitd'ar-
river pour commander en ville , nous l'assurait. La Marck avait une
peur de chien, il voyait déjà les Français et il était décidé à partir
le même soir. Je ne voulais pas abandonner les dames. Enfin Simolin
et moi nous nous décidâmes à partir le soir, et Crawford le lendemain
matin, par la route de Cologne. A dix heures nous partîmes , à une
heure après minuit nous arrivâmes à Bergheim. En passant l'armée
autrichienne, tout le monde était couché dansi les bois ; il n'y avait pas
seulement une sentinelle. A trois heures nous repartîmes, car nous n'y
60 LE COMTE DE FERSEN
trouvâmes pas de places, et à six heures nous arrivâmes à Kœnigs-
dorff ; la nuit fut froide et noire, il neigea le matin et tout était blanc.
Nous restâmes dans un mauvais cabaret sans coucher.
Le 14. Vendredi. — Pluie et vent. La Marck et moi allâmes à un
quart de lieue, à un couvent de bénédictines, chercher du logement
pour les dames. Toutes les religieuses étaient parties de peur, il n'en
restait qu'une, la marquise de Coppens, qui nous offrit toute la mai-
son ; il y avait déjà des soldats , mais la maison était démeublée.
Nous redescendîmes à l'auberge ; Simolin partit pour Cologne et nous
remontâmes au couvent. On venait de demander du logement pour
le baron de Pinzenstein, général d'artillerie. Nous gardâmes le réfec-
toire pour les dames et nous* les fîmes avertir à Bergheim. Il y avait
au couvent le major de Ruremonde, M. Petit, avec sa femme, qui fut
très-obligeante et nous aida & rassembler ce qu'il fallait. Nous fîmes
un dîner détestable avec la religieuse. Pendant le dîner arriva le
général d'artillerie ; il entra chez lui ; ensuite entrèrent trois oflSciers
des uhlans, dont un était le comte de Schafgotsche de Vienne. A quatre
heures M°® Petit partit et emmena avec elle sa cousine la religieuse.
La Marck et moi restâmes seuls dans le réfectoire, je fus très-triste :
l'idée d'une maison toute abandonnée et démeublée, l'incertitude si
elles arriveraient, si Crawford n'avait pas changé de plan, tout cela
m'attristait. Enfin à sept heures on vint m'avertir qu'elles arrivaient, et
un quart d'heure après elles y étaient ; elles couchèrent dans le ré-
fectoire, nous dans les voitures.
Le 16. Samedi, — A onze heures nous partîmes ; à trois heures nous
étions à Cologne. Je logeai avec Simolin à la cour de Cologne , les
dames sur le Domhof. Lettre de Paris que M. Blaire m'envoya, qui
me fit de la peine.
Le 17. Lundi, — Nous partîmes à dix heures et arrivâmes à deux
heures à Opluden ; nous y fûmes mal logés.
Le 18. Mardi. — Nous partîmes à onze heures et nous n'arrivâmes
à Dusseldorf qu'à six heures du soir.
Le 23. Dimanche, — Causé avec le baron de Breteuil. Le roi de
Prusse lui a dit qu'il connaissait tous les propos démocrates qui se
tenaient dans son armée et contre lui ; qu'on en tenait de pareils
dans les antichambres de son oncle qui n'y faisait pas attention, et
que lui en faisait de même. Il a renvoyé le général Corbière, celui qui
commandait à Verdun, pour des propos. Il a fait mettre en prison et
ET LA COUR DE FBANCE. 61
renvoyé pour la même raison le général de l'artillerie. Bischoffswerder
voulait depuis longtemps le faire retourner à Berlin ; il le bourrait
toutes les fois, et ne veut y retourner qu'après avoir chassé les Fran-
çais de l'autre côté du Rhin.
1793. Janvier. Le 2 Mercredi. — Le roi a été à la barre le 26. De
a Sèze lu sa justification, qui est forte de choses. Le roi a ajouté avec
sensibilité que ce qui le touchait le plus était d'être accusé d'avoir
voulu répandre le sang de son peuple, lui qui depuis son règne
n'avait cherché que leur bonheur. Le roi s'est retiré, et on a ajourné
la discussion à tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit décidée.
Le 12. Samedi. — M. Murrai passé pour aller joindre le roi de
Prusse et rester avec lui. Il dit que Pitl ^st bien décidé à se déclarer ;
qu'on travaille à sauver la famille royale, qu'on veut gagner Du-
mouriez, car il s'est donné avec Danton, Sainte-Foix, Bobespierre et
Marat au parti d'Orléans. Ils veulent exterminer la famille royale et
placer celle d'Orléans, et, s'ils ne peuvent placer le père, du moins
le fils. Boland et Le Brun sont contraires à cela.
Le 27. Dimanche. — Reçu le soir, à dix heures et demie, de l'arche-
vêque de Tours les tristes détails de la mort du roi. Quoique j'y fusse
préparé, la certitude d'un si affreux attentat renouvela toutes mes
douleurs. Les souvenirs les plus déchirants se présentaient à mon
imagination. J'expédiai le soir une estafette au régent (1), pour l'en
instruire, et cette expédition me coûta beaucoup.
Le 30. Mercredi. — Testament de Louis XVI superbe. Nicolaï s'of-
fre pour défenseur de la reine, il mande la mort de la petite Madame;
il a écrit à la reine pour s'offrir et a envoyé sa lettre au président de
la Convention.
Le Zl. Jeudi. — Les lettres ne parlent pas du procès de la reine ;
elle était encore au Temple. La Marck propose à Mercy de faire une
démarche très-simple et uniquement pour réclamer sa tante. Combattu
cette idée. La démarche n'est point utile et ne peut la sauver, car
rien ne fait sur ces scélérats, mais elle peut être nuisible en faisant
agiter la question de son procès et en le précipitant peut-être, pour éviter,
comme on a dit à la réclamation de l'Espagne en faveur du roi, que
d'autres puissances ne fassent des démarches pareilles ; il faudrait
(1) Prince-régent de Suède pendant la minorité du roi Gostaye IV Adolphe.
62 LE COMTE DE FERSEN
mieux coDnaître la disposition des esprits à Paris pour décider po-
sitivement là-dessns. Mais une démarche qui ne peut être utile ne
me paraît pas devoir être faite, si on peut croire qu'elle pût être nui-
sible. Crawfordy Simolin, la Marck et moi consultâmes ensemble
toute la soirée là-dessus.
FÉVRIER. Le P^ Vendredi. — Pelun est à Londres en relation avec
Stadion et le ministère. Il avait proposé de gagner l'évêque d'Autun
et par lui Dnmouriez qui ont des relations de voleries et d'agiotage,
et Pelun a fait donner à Tévêque d'Autun par son banquier pour
l'agiotage un homme nommé Jaubert, dévoué à lui, qui est allé
résider auprès de Dnmouriez pour fidre les affaires d'argent. Il vou-
lait qu'on convînt avec Dnmouriez de laisser prendre les d'Orléans ,
qu'on aurait gardés comme otages pour le roi. Saint-Foix, Talon,
Danton, Espagnàc, Dnmouriez, tout cela est de la cKque d'Orléans.
Le 3; Dimanche* — On a mandé à M. Quidor, qui est ici, qu'on vou-
lait déclarer le Dauphin bâtard, raser la reine et l'enfermer à la
Salpêtrière. On n'ose y penser à force d'horreur, mais tout est possi-
ble. Le jeune Bouille a dit que le prince de Gralles avait eu un plan
avec le duc de Choiseul et d'autres pour enlever le roi. Cela me fit
naître l'idée pour ce qui reste de la famille , mais il n'y a que des
Anglais qui le puissent, et j'y vois encore mille difficultés. Cependant
je m'attache à cette idée.
La déclaration de Monsieur pour la régence était arrivée ; l'arche-
vêque de Tours me la porta le soir. Elle est bien écrite ; mais il
n'aurait dû prendre ce titre que vu les circonstances , au lieu de spé-
cifier jusqu'à la majorité, et aurait pu passer sous silence tous les
engagements. Cette pièce sera imprimée ici et à Cologne ; les im-
primeurs ne l'ont pas osé; 'on a essayé à Francfort. Le cardinal de
Montmorency, qui est chargé de la notifier aux Français, voulait les as-
sembler tous dans une cour, et la leur lire ; on lui a représenté que,
les Français n'étant pas ici de droit mais de fait, puisque il y a ordre
de les renvoyer, cela serait imprudent. Il voulait aussi faire prêter
un serment; tous les évêques s'y sont opposés; jamais, même au
sacre, on n'en prête individuellement ; 'tout Français naît sujet. Il y
a déjà des partis entre les Français. Les uns approuvent la régence
de Monsieur, d'autres rappellent les droits de la reine, et il est fort à
craindre que cette division d*opinion n'ait des suites un jour. Les
princes vont faire mille bêtises déjà. On dit qu'ils vont désigner un
1
ET LA COUR DE FRANCE. 63
chancelier, mais à la mort de Maupeon; Barentin Ta été par lettres du
feu roi 9 et Barentin réclamera.
Le 6. Mercredi. — La mort du roi n'a pas fait grand effet sur les
émigrés ; ils se consolent avec la régence de Monsieur. Quelques-uns
ont même été au spectacle et au concert.
Ije 13, Mercredi, — Nouvelles de Cologne que la France a déclaré
la guerre le V^ février à l'Angleterre et à la Hollande ; qu'elle va faire
un manifeste et appel aux peuples. Décrété 800 millions d'assignats,
20 millions pour acheter des grains à l'étranger ; qu'on ira chercher
des bois en Corse pour construire sur-le-champ des vaisseaux à Tou-
lon. Protection spéciale pour tous les Anglais et leurs biens. Si cela
n'était sérieux, cela ne serait que risible.
Le 16. Vendredi. — Des lettres de Paris à la Haye mandent que
la reine est fort maigrie et changée, mais se porte bien ; que le Dau-
phin est charmant, que ses gardes ne le quittent que pleurant. Kalk-
reulh a dit que le secrétaire de M. Pache, arrivé avec lui à Mayence,
et plus enragé que tout ce qui a jamais été vu, a dit que le duc
d'Orléans avait demandé à être bourreau pour exécuter le roi, qu'il
avait dit que, si on le chassait de France, il demandait à être plutôt
guillotiné, car il ne serait reçu dans aucun pays.
Le 21. Jettdi. — Dumouriez demande une entrevue avec lord
Aukland; après eu avoir reçu l'agrément de la cour, milord consent,
fixe le jour et le lieu. C'est alors qu'arrive la déclaration de guerre,
dont Dumouriez a été fort choqué et qui lui a fait écrire cette lettre
remplie de fiel à la Convention. Je suis fâché que l'entrevue n'ait
pas eu lieu, car je crois qu'elle avait bien plus en vue les affaires
particulières de Dumouriez que celles de la république, et qu'on l'au-
rait peut-être engagé à rendre un grand service en livrant l'armée et
les enfants d'Orléans et terminant ainsi la guerre dans les Pays-Bas.
Trois aubergistes. Grenier, Boyer et ont été exportés d'An-
gleterre; on a trouvé que depuis longtemps ils étaient en correspon-
dance avec le duc d'Orléans et qu'il soutenait même leurs hôtels pour
que les étrangers y fussent bien et à un prix raisonnable.
Le 26. Mardi, — Des nouvelles de Breteuil du 17 mandent qu'on
y sait que la reine et sa famille se portent bien. On dit que Du-
mouriez a dit, en partant de Paris, que dans six semaines il y revien-
drait et y trouverait un roi, apparemment le duc d'Orléans, dont on
veut faire un consul avec un pouvoir illimité.
64 LE COMTE DE FERSEN
Mars. Le P'. Lundi. — Le duc de Brunsvick a toujours une grande
influence et cela fait craindre peu d'activité de ce côté. Il ne veut
pas changer sa manière de faire la guerre. Le roi est très-entrepre-
nant, ardent et désireux de faire, mais trop faible contre les raisonne-
ments du duc ; on espère pouvoir l'engager à appeler Mollendorf et
qu'alors le duc quittera, ou que du moins le roi aura alors la force
pour agir selon ses dispositions. Le plan actuel est de fitire passer
le Rhin au vieux Wurmser avec les Autrichiens à Oppenheim , de
tomber sur Spire et Worms, chasser les Français de devant Manheim,
où ils ont des batteries, et, lorsque la communication avec liandau sera
ainsi coupée, d'attaquer Mayence de tous les côtés. Le roi de Prusse
aura 50,000 hommes de ses troupes, 6,000 Saxons, 10,000 de Hesse-
Gassel et 6,000 de Darmstadt ; en tout 72,000 hommes. Toute la
cavalerie prussienne est remontée et l'armée est dans le plus bel état
possible. En Hollande il y aura aux ordres du duc de York 50,000
hommes, c'est-à-dire 7,000 Anglais, 12,000 Hanovriens, 6,000 Hessoig
à la solde d'Angleterre, et 25,000 hommes, que les Hollandais met-
tront en campagne, sans compter les garnisons. Cette armée ne sera
prête qu'au commencement d'avril ; il n'y a à présent que 2,000 An-
glais et les garnisons des places. Le prince de. Cobourg n'a en tout
avec Beaulieu que 55,000 hommes, dont il a détaché 5,000 hommes
pour renforcer le prince Ferdinand, qui n'a que. hommes. Les
Hanovriens ne sont pas encore arrivés, par uue méprise : l'ordre était
arrivé d'envoyer le contingent de 4,000 hommes et de compléter les
régiments désignés en tirant des autres, tout de suite. Après vint
l'ordre de fikire marcher 12,000 hommes : alors la régence fit faire
halte au contingent déjà en marche et fit revenir les soldats qui
avaient été tirés des autres régiments ; c'était une erreur. Des ordres
sont partis pour hâter leur arrivée.
Le 7. Jeudi. — Nicolaï mande de Paris, du 26, qu'une section a
délibéré sur le Temple et a dit que Louis Oapet était né pour être
un mauvais sujet, qu'il fallait en faire un bon , et l'enlever à deux
femmes incorrigibles. On parle de pétitions pour juger la reine. Il
paraît sûr que le parti d'Orléans travaille fort ; on croit même qu'ils
profitent des mouvements au sujet de la misère et du manque, ou
qu'ils les excitent, pour prouver la nécessité d'un souverain et faire
nommer le duc d'Orléans.
Le 10. Dimanche. — Le baron de Breteuil arriva le soir. Il était
ET LÀ COUR DE FRANCE. 65
fort content personnellement de Pitt et des ministres anglais , mais
pas content pour les affaires. H dit que Pitt est un pauvre homme
pour toutes les affaires extérieures, qu'il n'entend pas du tout, et
couvre sa médiocrité par le silence ; qu'il entend parfaitement celles
du dedans, et surtout l'intrigue pour conserver sa place et sa popula-
rité. H croit que les ministres ne travaillent qu'à la ruine totale de
la France et ne sont pas fort intéressés à la conservation de la famille
royale. Les constitutionnels ont proposé au baron (1) d'obtenir un
décret pour faire exporter la reine et sa famille et demandent pour
cela six millions payables lorsque la famille sera sur terre étrangère.
Le baron en parla à Pitt, pour obtenir les six millions, qui y trouva
des difficultés telles que celle de traiter avec ces gens-là, et qu'ils s'en
vanteraient; il promit cependant d'en parler au roi. Quelque temps
après, un nommé Toustaing, premier aide de camp et homme de con-
fiance de Dumouriez , qui avait été obligé de se sauver à cause d'un
décret de prise decorps sur l'affaire de Tulon et Sainte-Foix, ot^il
était compromis , vint voir le baron et lui fit pour Dumouriez lés
propositions ci-jointes, qu'il écrivit de sa propre main chez le baron,
qui les porta à Pitt. Il y fit la même objection que pour les six mil-
lions et promit de même d'y penser. Le baron partit trois semaines
après, isans avoir reçu de réponse. Il lui écrivit la veille un billet sur
ces objets sans réponse ; ce ne fut qu'en arrivant ici qu'il trouva la
lettre de M. Pitt, avec le papier de Toustaing qu'il lui renvoyait.
Cette conduite est extraordinaire ; le baron l'attribue au peu d'envie
qu'ils ont pour le rétablissement de la France et la conservation de
la famille royale. Il se confirme dans ses soupçons par un traité qui
a été signé par des députés des îles françaises et le ministère anglais,
pour prendre les îles sous sa protection, où il est dit dans un article
que l'Angleterre ne gardera les îles qu'autant qu'il y aurait sur le
trône de France une autre famille que celle des Bourbons. Le baron
a représenté aux députés, qui lui en ont parlé, combien cet article
était mauvais et pouvait refroidir sur le sort et la conservation de la
reine et du jeune roi ; il croit aussi que cela est; moi, je ne le crois
pas, car ils sont même sans cela les maîtres de tout faire et de tout
garder. C'est plutôt méfiance en ce que promettent les Français et
crainte de leur légèreté.
(1) De Breteua.
T. II. 6
66 LE COMTE DE FERSEN
Le 20. Mercredù — D'après mon conseil, le baron (1) s'était décidé
à envoyer le vicomte de Caraman à Wesel, pour communiquer avec
le comte de Mercy sur les propositions de Dumouriez et le refus de
l'Angleterre. Il fut aussi étonné de l'un qu'il approuva l'autre ; il
saisit l'affaire avec chaleur, dit qu'il en écrirait à Vienne , appuierait
la chose, et qu'on donnerait jusqu'à 3 ou 4 millions ; mais que, vu les
circonstances qui étaient changées, il fallait demander que Dumouriez
se laissât prendre avec les deux fils du duc d'Orléans et qu'il livrât
une ou deux grandes places ; qu'on lui donnerait de l'argent, amnistie
pour lui et ceux qu'il indiquerait et l'assurance de quelque grande
place au service du roi. Il fut & merveille sur les affaires de France :
il dit qu'il fallait rétablir la royauté, la monarchie, les trois ordres,
sans cela la France serait un ver rongeur qui inquiéterait sans cesse
toute l'Europe. On suppose que d'avoir été déclaré citoyen français
et d'avoir tout perdu lui a donné ces bonnes dispositions. Il ne sait
pas encore où sera le congrès.
Les Français, en abandonnant le siège de Wilhelmstadt et les
bords de Mordyck, y ont laissé cent et quelques pièces de canon qu'ils
ont enclouées, et ont brûlé leurs batteries.
Les dons patriotiques vont & merveille à Vienne : trois petits vil-
lages qui font commerce en quincailleries ont donné 200,000 florins.
Les députés sont venus demander à l'empereur à qui il fallait remet-
tre leur don : il leur a répondu que c'était à lui; ils l'ont prié d'at-
tendre et ont été chercher cette somme, qu'ils ont jetée en or à ses
pieds. Les mêmes ont présenté à l'impératrice, qui est grosse, une
pièce de toile pour ses couches ; l'impératrice les a remerciés. Ils lui
ont dit qu'ils lui en donneraient davantage, si elle en avait besoin ,
que cela se faisait chez eux, et ils l'ont priée d'examiner la toile. En
l'ouvrant elle a trouvé entre les bandes pour 80,000 florins en billets
de banque.
Le 30. Samedi. — Dumouriez a été fort bien partout, et tous ceux
qui ont eu affaire à lui en sont fort contents. Il a écrit une lettre en
date du 12 mars et qui se trouve dans la gazette de Bruxelles, qui
est la dernière qui a été imprim,ée ; cette lettre est très-forte contre
l'Assemblée , et Dumouriez paraît par là vouloir rompre avec l'As-
(1) De Breteuil.
ET LA COUR DE FRANCE. 67
semblée. On n'en a pas fait rapport à la Convention , du moins cela
n'est dans aucun papier de Paris. Il paraît certain que Dumouriez a
fait des propositions au prince de Cobourg ; MM. Marck et Fischer
ont été à son camp et sont restés longtemps avec lui ; à leur retour
Fischer est parti sur-le-champ pour Vienne. — On dit que les trou-
pes de ligne ne veulent plus se battre et qu'elles font des propositions
pour passer.
Le 31, Dimanche, — Reçu une lettre de la duchesse de Polignac qui
me mande qu'elle a reçu des nouvelles de la reine par un médecin ;
c'est sûrement la Gaze.
Avril. Le 5. Vendredi, — Un exprès envoyé par le vicomte de
Caraman au baron de Breteuil a apporté l'arrangement fait par Du-
mouriez avec le prince de Cobourg. J'en envoyai une estafette en por-
ter la nouvelle en Suède. La joie fut très- vive. J'en eus d'autant plus,
que je ne craignais plus rien pour la reine. Je demandai à Taube (1)
de me dire si je devais me régler encore selon les instructions que
j'avais, au cas que le roi (2) fût en liberté, ou bien en attendre d'au-
tres, et dans ce cas de me les faire envoyer au plus tôt, car ceci
pouvait aller très-vite. Comme il connaît mieux la position, je croyais
qu'il valait mieux laisser cela à sa décision que de rien demander. —
Le soir le maréchal de Broghe reçut la nouvelle que Dumouriez
marchait seul sur Paris avec 50,000 hommes qui avaient tous la co-
carde blanche, et que le prince de Cobourg restait sur la frontière,
tout prêt à l'appuyer, si cela était nécessaire.
Le 7. Dimanche, — Je proposai au baron (3) d'envoyer quelqu'un
qui pût voir la reine au moment de sa délivrance, pour l'instruire de
sa position et lui donner des conseils sur ce qu'elle aurait à faire en
opposition avec ceux que M. de Mercy ne manquerait pas de lui
envoyer par écrit. Il goûta mon idée, et l'évéque de Pamiers devait
.partir le lendemain; il devait se rapprocher de l'armée française et
tâcher par Sainte-Foix de voir Dumouriez.
Le 8. Lundi, — J'étais occupé & écrire le matin à la reine la note
ci-jointe, lorsque l'évéque de Pamiers entra chez moi et me dit que
l'armée de Dumouriez s'était révoltée contre lui, qu'il était passé
(1) Ministre des affaires étrangères en Suède.
(2) Louis XVII.
(3) De Breteuil.
68 LE COMTE DE FERSEN
à Mons avec tout son état-major, presque tous les officiers du génie
et d'artillerie et beaucoup de troupes de ligne, et que le reste le sui-
vait : c'était Dampierre qui avait débauché les gardes nationales ; que
Dumouriez, lorsqu'il s'était aperçu qu'on tramait quelque chose, avait
voulu livrer l'artillerie et la caisse, mais qu'il en avait été empêché
et n'avait pu que se sauver tout seul ; qu'il avait même été fusillé
par un de ses détachements. Dans le premier moment cette nouvelle
me frappa ; mes craintes pour la reine renaquirent, car sans cela la
nouvelle aurait été bonne : leur armée était désorganisée, et Du-
mouriez, qui aurait été une puissance ayant 50,000 hommes à ses
ordres, n'était plus rien. La consternation parmi les Français était
aussi grande que leur joie l'avait été : ils croyaient tout perdu.
Le \0. Mercredi. — Je vis chez moi le soir M. de limon, qui était
revenu de Vienne. H n'est pas vrai qu'il en ait été renvoyé, comme l'on
avait dit; il y a été au contraire très-bien reçu et bien traité, on lui
a même parlé d'affaires. Il me rendit compte de ses conversations,
et me lut un mémoire qu'on lui avait demandé sur les opérations de
la campagne.
Je fus très-content du tout. H leur a dit franchement la vérité.
Son plan était d'avoir deux armées : une faible du côté de Cologne
et la principale devait percer par Luxembourg, marcher sur les places
frontières et forcer ainsi les Français à se retirer ou les couper et
détruire leur armée ; il insistait sur beaucoup d'artillerie. Son plan
était bien fait, bien raisonné, la partie des subsistances était bien
feite et il l'avait bien discutée. Cependant celui de Jarry vaut mieux.
H prétend que c'est ce mémoire qui a décidé la marche des troupes et
de l'artillerie. H mit dans tout cela l'importance qui ne le quitte
jamais.
Le maréchal de Castries passa pour aller & Bruxelles. H venait
et disait qu'il allait pour des affaires pécuniaires, mais c'était sans
doute pour se rapprocher des événements et de Dumouriez et traiter
de la régence. Limon , qui avait vu Monsieur, assurait que, d'après ce
qu'il lui avait dit, il avait lieu de croire que Monsieur la résignerait
à la reine dès qu'elle serait en liberté.
Un M. de la Jarre, qui avait souvent été envoyé en courrier par
les princes, et qui passa, assura au baron (1) que c'était l'intention
(1) De BreteuU.
ET LA COUR DE FRANCE. 69
de Monsieur. J'en parlai à Limon, qui était de cet avis et ne l'avait
pas caché à Vienne au duc de Polignac, lequel ne paraissait pas penser
de même, et à Hamm aux entours de Monsieur. Je dis à Limon
combien il serait important d'avoir quoiqu'un qui pût engager Mon-
sieur à écrire et envoyer une lettre qui pourrait être remise à la
reine au moment de sa délivrance, ou du moins que Monsieur fît cette
démarche dans le moment même où il en aurait la nouvelle ; mais
que, s'il ne le faisait de ^on propre mouvement et sans consulter per-
sonne, il en serait détourné par son conseil, et que cette renoncia-
tion était importante pour éviter les intrigues du dedans et empêcher
la désunion parmi les puissances. Limon sentit mon raisonnement et
m'offrit d'être cet homme et d'engager Monsieur à cette démarche,
s'il pouvait être le premier & lui porter la nouvelle de la délivrance
de la reine, afin d'empêcher que l'affaire ne fût délibérée au con-
seil et qu'on ne fît des démarches vis-à-vis des puissances. Le ba-
ron (1) l'approuva, et nous convînmes de tâcher par Metternich qu'il
en serait le premier instruit. Il me dit que le maréchal de Castries
avait à Hamm l'existence d'un premier ministre. Il y avait eu à An-
vers une conférence de tous les généraux et les ministres des puis-
sances coalisées ; on en ignorait le résultat.
Le 11. Mercredi. — Dumouriez arriva à deux heures ; je fus le voir
avec Simolin à la poste. Nous perçâmes une foule de monde et le
trouvâmes dans une salle basse, les fenêtres étaient assiégées de
monde. Il était seul avec trois aides de camp. Il reconnut Simolin ;
je me nommai , il me fit un compliment, disant qu'il aurait dû me
reconnaître à ma belle figure. Je le remerciai des politesses qu'il
avait faites à Berlin ; il me répondit que, s'il n'avait pu en faire
toujours, ce n'avait pas été sa faute mais celle des circonstances. Je
lui dis que j'étais bien aise de le voir ici; il me répondit qu'il en
avait depuis longtemps le projet. Il nous dit que Sainte-Foix n'avait
rien à craindre, que la peur était à Paria et qu'on n'oserait, rien lui
faire. Je lui dis : Expliquez-moi ^ monsieur, ce qui vient de se passer
pour M. le duc d'Orléans. — Jenepuis vausen donner aucune explication,
monsieur le comte, car je n'ai jamais eu de relations avec monsieur le
duc d Orléans, que j'ai toujours méprisé et que j'ai regardé comme un
(1) De Breteuil.
70 LE COMTE DE FERSEN
scélérat Je sais cependant qu'an Va beaucoup dit; mais, comme ce bruit
est la seule tache dont on puisse noircir mja conduite, je vais donner une
procla/nation qui prouvera que je n'ai jamais eu de rapports avec lui.
Je lui demandai des détails bwx les circonstances de sa fuite. Il me
les donna telles qu'elles sont dans sa proclamation, et ajouta que
son aide de camp Batiste, qui était là, avait eu un cheval tué sous lui*
Il me dit beaucoup de bien du duc de Chartres, qui, disait-il, ne
ressemblait en rien à son père. Il m'assura que Biron et Custine se
conduiraient bien, qu'il se rapprochait de Mayence pour avoir des in-
telligences avec lui; qu'il irait peut-être à Vienne, qu'il avait un
projet en tête. Il se plaignit de la lenteur des Autrichiens, qu'il
fallait plus d'activité contre ces gens-là et qu'on en viendrait facile-
ment à bout; qu'il n'y avait plus d'armée, que toutes les troupes
de ligne passeraient dès qu'elles pourraient; qu'ils avaient placé les
gardes nationales en première ligne, l'infanterie de ligne en seconde,
et la cavalerie, dont ils se méfient encore plus, à quatorze lieues en
arrière. Il se plaignit beaucoup de Dampierre, qui l'avait trahie et en
qui il avait eu confiance, étant, disait-il, un homme de qualité et fait
pour bien penser; que son projet était de s'emparer et livrer Lille,
Condé, Valenciennes et Maubeuge avec les commissaires qui y
étaient pour servir d'otages ; que ce projet avait manqué par l'im-
bécillité de ceux qu'il en avait chargés ; qu'on avait déjà proposé de
changer les quatre commissaires arrêtés contre la famille royale;
que son opinion avait été qu'il fallait tout accorder pour avoir la
famille royale et qu'il ne fallait ensuite rien tenir à ces gueux-là ;
que, même en reconnaissant la république, on pouvait ensuite
continuer la guerre et voir qui serait plus fort, d'elle ou des puis-
sances; qu'on avait envoyé un courrier à Vienne pour cela. En
tout, je trouvai en lui un vrai Français : vain, confiant et étourdi,
ayant de l'esprit et peu de jugement. Tout son plan a manqué par
un excès de confiance dans ses forces et son influence sur l'armée.
Il n'avait pas assez préparé la chose. Je le trouvai fort inquiet
et ému au moindre bruit que faisait la foule qui était à la porte
et aux fenêtres ; il avait l'air de craindre quelque mésaventure.
Son laquais vint se plaindre d'avoir été insulté par un émigré,
il le renvoya et nous dit : Si ces messieurs poussent la chose trop
loin j je leur montrerai que je sais encore me faire respecter, — Son
laquais avait tort : il avait dit que son maître était toujours bon
ET LA COUR DE FRANCE. 71
patriote. Les émigrés étaient fort irrités et plusieurs voulaient l'as-
sommer. Je le quittai dans la crainte que quelques têtes chaudes
ne fissent une scène.
En montant en voiture, il fut insulté de paroles. — Il me dit ,
pour justifier les différentes proclamations qu'il avait faites, qu'il
fallait parler à ces gens-là leur langage, et qu'on ne passait pas de
l'état d'anarchie où ils étaient au despotisme sans passer par diffé-
rentes gradations. Une voiture, cassée nous avait obligés de passer la
journée à Aix-la-Chapelle.
Le 20. Samedi. — Il y a eu des propositions pour échanger la
famille royale contre les quatre commissaires pris par Dumoariez,mais
on demande de plus une suspension d'armes illimitée et la reconnais-
sance de la république. Le prince de Cobourg a fait demander une
explication sur l'énoncé vague d'une suspension illimitée, et que la
famille royale ftit emmenée aux frontières, que les commissaires le
seraient aussi et qu'alors on traiterait. On attend la réponse à ces
propositions. Metternich a dit à Facius, consul de Russie, qu'il espé-
rait que bientôt la famille royale serait ici.
Le 28. Dbnanche. — L'archiduc fit son entrée (1), il était dans
un phaéton arrangé en char, traîné par plus de trois cents per-
sonnes ; un amour était sur le siège. Il fut reçu avec des démonstra-
tions véritables d'amour. Il y eut cercle; tous les appartements
étaient dévastés,, et dans le salon toutes les glaces et les tables
d'un côté étaient brisées , la cheminée aussi ; les tapisseries enle-
vées. A la comédie, on lui fit un joli compliment. Il y eut illumi-
nation, bal et souper à la maison du roi sur la grande place ; c'est
une maison indigne. Ce qu'il y avait de vraiment remarquable c'est
Tordre et la tranquillité qui régnaient dans la foule du monde qu'il
y avait partout.
Mai. Le 3. Jeudi. — Le comte de Mercy a eu ordre de venir joindre
le prince de Cobourg pour diriger sa conduite politique, qu'on craint
depuis sa proclamation du 5 avril. C'est sur la nouvelle de la défec-
tion de Dumouriez et la persuasion où l'on était que les affaires
iraient plus vite, qu'on avait donné ordre au comte de Mercy de ne
plus aller à Londres, et lli conduite du prince de Cobourg a fait
confirmer cet ordre. La déclaration dont Dumouriez nous avait parlé
— — . . 1 — - - ■ ■ - - ■- - ^^-^^^— ^—
(1) A Bruxelles.
72 LE COMTE DE FERSEN
à Aîx4a^Chapelle contre le duc d'Orléans parut ; elle est plate et ne
prouve rien.
Le 3. Vendredi. — Crawford revint de Tournay; il avait été té-
moin delà petite affaire que les Anglais avaient eue le 1*'. Il dit que
les Français se sont battus atec une valeur extraordinaire; qu*ils
avancent bien, que leurs canonniers tiraient quoiqu'ils fussent en-
tourés par les dragons autrichiens ; qu'un canonnier eut un poing
coupé par un dragon dans le moment qu'il allait mettre la grappe
de raisin dans le canon. Il a vu les prisonniers : l'officier était très-
insolent et répondit mal au duc d'York, qui dit tout ; il paraît que
ces messieurs n'ont pas encore la tonte de leurs crimes. Les dra-
gons autrichiens et les habitants étaient fâchés de ce qu'on avait fait
des prisonniers et, disaient-ils, ils nous Tnasscvcrent quand ils nous
prennent, pourquoi les ménager ? Le duc d'York pense que le roi et la
monarchie devaient être rétablis en entier, et la reine régente, qu'on
le lui doit pour son caractère et tout ce qu'elle a souffert. Les An-
glais sont 6 à 7,000 hommes ; ils ont deux escadrons autrichiens
avec eux, jusqu'à ce que leur cavalerie soit arrivée. Les Hollandais
sont 10,000 hommes.
Le \\. Samedi. — Le comte de Mercy a été fort content de mylord
Auckland à la Haye. Ils sont convenus d'agir franchement, autant
que le pourront deux hommes qui ne le sont point naturellement ;
mais ils ont été d'accord que la régence devait appartenir & la reine,
qu'il fallait, à tel prix que ce fût, écraser la république et les nou-
veaux principes, et qu'ils travailleraient tous les deux à engager
leurs cours à redoubler d'efforts. Les royalistes augmentent tous les
jours et Gaston a des succès. Il paraît certain que Nantes est pris.
Ce Gaston était major d'infanterie et lieutenant-colonel constitu-
tionnel; il voulut émigrer et fut refusé à Coblence; Darzon de même.
La conduite imbécile des princes leur a toujours fait refuser à tort
égal les gens utiles et accepter les inutiles.
i^ 14. Mardi. — Les papiers de Paris du 7 et 8 rendent compte
de la nouvelle que M. de Limon avait reçue la veille. Il est dit que
les commissaires ont rendu compte des succès des rebelles et demandé
des secours prompts, mais ils n'entrent dans aucun détail. Il paraît
que l'Angleterre a envoyé à Gaston des secours en armes et muni-
tions. Il faudrait aussi un peu d'argent et 4 à 5,000 hommes, qui gar-
deraient un port quelconque et pourraient donner un coup de collier.
ET LA COUR DE FRANCE. 73
Ce léger secours ferait grand effet et assurerait ses succès par l'o-
pinion, car s'il a un revers , la moitié de son monde l'abandonnera,
et s'il est soutepu, il ira à Paris et fera, lui seul, la contre-révolu-
tion, même avant que les armées alliées soient entrées en France ;
mais il ne faut pas souffrir que des émigrés en corps ou individuelle-
ment y aillent ; l'envie et la jalousie gâteraient tout.
Le 20. Lundi. — M. de Mercy a dit à Crawford qu'il irait une fois
par semaine voir le prince de Cobourg ; qu'il avait les pleins pouvoirs
les plus étendus pour les affaires de France, qu'il était décidé d'agir
avec la plus grande confiance vis-à-vis de l'Angleterre et à les ins-
truire de tout. Que quant aux négociations, il pense qu'il n'en faut
entamer aucune avec les Français et n'écouter aucune proposition,
car elles ne mènent à rien, et il est décidé à ne recevoir personne,
à moins qu'il n'en vienne chargés de conmiissions ostensibles et pu-
bliques. Il croit qu'il ne faut employer absolument que la force, et
qu'il faut secourir Gaston et même lui envoyer quelques troupes,
mais pas d'émigrés.
H pria Crawford de bien dire cela. Il soupçonne toujours les in-
tentions de l'impératrice et qu'elle n'a voulu et ne veut encore
que bien engager l'empereur et les autres à ne rien faire. Il est vrai
qu'elle a clairement prouvé que son affaire principale était la Pologne ,
car, celle-là finie, elle donne 12,000 hommes, Mercy croit qu'elle
n'a reconnu la régence de Monsieur que dans l'espoir d'embarrasser
les autres puissances. M. le comte d'Artois s'est embarqué à Réval
pour Londres ; son arrivée ne fera pas plaisir. Je ne serais pas étonné
que l'impératrice lui ait confié le commandement des 12,000 hommes
et qu'il voudra les mener en France , se joindre à Gaston ; l'Angle-
terre ne le permettra pas. Monsieur a fait dire en Angleterre qu'il
n'avait pris le titre de régent que parce qu'il croyait que cela était
avantageux pour donner aux Français un point de ralliement, mais
qu'il était décidé & remettre la régence à la reine et qu'il n'était pas
du tout offensé du refus des puissances de le reconnaître.
Le 22. Mercredi. — La Caze a été au Temple : il a trouvé la reine
très-peu changée. M™* Elisabeth tellement méconnaissable qu'il ne
l'a reconnue que lorsque la reine l'a nommée ma scmr ; elle était
dans la chambre, en bonnet de nuit, vêtue d'un habit d'indienne très-
commune. La petite Madame^ avait tout le corps couvert d'ulcères
et était menacée d'une dissolution de sang. Sa jeunesse et beaucoup
74 LE COMTE DE FERSEN
de soins pourront la tirer d'affaire. On mandait de Paris que le jeune
roi avait été malade et que la Commune avait refusé le médecin que
la reine avait demandé, sous prétexte qu'il était aristocrate, et en
avait envoyé un à sa façon. — On disait Angers pris par Gaston, et
que le chevalier de Coigny et M. de Choisy étaient à la tête de ces
différentes colonnes. Je ne serais pas éloigné de croire à une coali-
tion entre l'empereur, l'Angleterre et la France, quand les affaires
seront rétablies, contre la Russie et la Prusse, dont on paraît mé-
content à cause de l'affaire de Pologne et de leur peu d'activité.
Juin. Le 11. Mardi. — Le comte Diedrikstein mande de l'armée
que le siège de Valenciennes devait commencer le soir ; que par des
gazettes de France on apprenait que Gaston avait eu un nouveau
succès, qu'il était devant Niort, où il y avait quatre commissaires de
la Convention ; qu'à Lyon il y avait eu un combat et que les jaco-
bins avaient eu le dessous ; qu'en Auvergne le chevalier de Bolat
était à la tête d'un parti royaliste, qu'il avait proclamé le roi ; qu'il
s'emparait des villes au nom du roi et tuait tous les jacobins et les
volontaires nationaux.
Le 16. Lundi. — La reine se baigne ; Louis XVII a une rup-
ture, la Commune lui a envoyé un médecin.
Le 22. Samedi. — Dumouriez est arrivé, le 17 à Londres, sous le
nom d'un marchand. Dès qu'on a su son arrivée, une foule s'est ras-
semblée devant sa maison et a crié A la lanterne! Il a été obligé
de déloger, a eu ordre du gouvernement de partir. C'est aussi sûre-
ment le gouvernement qui a fait crier A la lanterne. Pelun a écrit
& la Marck que le ministère anglais a fait écrire à Gaston par le
baron de Giliers, qui intrigue à Londres, pour lui demander quel
était le genre de secours qu'il pouvait désirer.
Le 28. Vendredi. — Mercy dit que la reine a été très-malade,
qu'elle va bien à présent et qu'elle a été extrêmement soignée dans
sa maladie.
Juillet. Le V\ Lundi. — H paraît certain que c'est M. de Mercy qui
a envoyé Damouriez en Angleterre, et qu'il était convenu avec lui
qu'il engagerait le gouvernement anglais à l'envoyer en Bretagne
joindre Gaston avec les émigrés qui sont à Leuze , car il a dit
à M™* Sullivan qu'il avait conseillé à Dumouriez d'aller à Lon-
dres et qu'il avait eu un projet sur lui ; qu'on ne pouvait pas
souffrir Damouriez ici , mais que les Anglais auraient bien dû lui
ET LA COUR DE FRANCE. 76
donner nn asile ou le transporter à ponr en être débarrassés.
Le baron Ta poussé vivement sur les projets relativement à la
constitution, il n'a jamais voulu s'expliquer; il paraît que Vienne* a
déjà négocié avec la Suisse, mais qu'ils n'ont pas réussi, et c'est pour
cela qu'il est venu chercher des éclaircissements et des moyens chez
le baron. Il a tout dit à M. de Mercy, mais il l'a averti qu'il n'aurait
des troupes suisses qu'en les payant, et que pour faciliter l'affaire
il fallait prendre les Suisses qui avaient été au service de France,
avec la promesse de les rendre à la France quand le roi serait
libre, et qu'alors le roi paierait tous les frais qui auraient été faits
pour les Suisses. M. de Mercy eut l'air de goûter cette idée. Le
baron croit qu'en traitant avec les Suisses , Vienne a le double projet
de les ôter à la France , du moins pendant les six premiers mois ,
et d'avoir ensuite l'air de les lui donner, et c'est ce qu'il voudrait
éviter.
Le 3. Mercredi. — M. de Mercy a presque avoué au baron (1) qu'il
y aura un congrès ou plutôt de simples conférences pour régler les
opérations de la campagne ultérieure, car il n'y a encore aucun plan
de fait. La rapidité des succès depuis le mois de mars a empêché,
disait-il, d'en faire. Le baron lui dit : Mais si, par un Iiasard possible,
le roi et la reine étaient libres, gusferiez-vous? les reeevriez-vous ? »
Après y avoir un peu réfléchi, le comte de Mercy lui répondit :
Mais (fest un thème. Il lui soutint ensuite que si on proposait de
les livrer hors du royaume, il faudrait pour leur sûreté le refuser. Le
baron croit que c'est pour ne pas avoir une puissance avec laquelle
il faudrait traiter et ne pas être gênés dans les arrangements qu'ils
ont l'intention de faire, mais ils ne le seraient guère même par la
présence du roi de France.
Le 7. Dimanche. — Je reçus une lettre de Deux-Ponts, du 2 juillet.
Elle est très-curieuse et prouve bien la faiblesse de ce bon roi de
Prusse ; il est dans une mauvaise position par ses entours. M. de Mercy
est assuré que le baron de Giliers a été chargé d'écrire à Gaston. Il
paraît que les princes avaient indiqué un honmie que le gouverne-
ment anglais pourrait charger d'instructions pour Gaston, et que, cet
homme en ayant en effet reçu pour les porter, les princes les ont
(1) De Bretenil.
76 LE COMTE DE FERSEN
changées et en ont substitué d'autres à la place, qu'on a trouvées sur
cet homme, qui avait été soupçonné et arrêté ; le gouvernement an-
glais en est fort irrité. On dit aussi que les princes ont intrigué au^
près de Gaston pour qu'il reconnaisse la régence de Monsieur, ce qu'il
ne fera pas; ceux des Français émigrés ou autres qui le voudraient
sont en fort petit nombre, et, si la famille royale au Temple périt, la
, France sera divisée entre ceux qui auront quelque puissance pour
s'en emparer, car tout le monde est d'accord pour la régence de la
reine. Crawford me mande qu'en Angleterre il n'y a qu'une voix là-
dessus, et que l'on est décidé à soutenir fortement Gaston.
Le 10. Mercredi. — Une femme venue de Paris dit qu'on com-
mence à être bien pour la famille royale, que la reine se promène et
qu'on Tapplaudit quand on peut la voir, qu'on ciie môme Vive le
Dauphin!
Le 12. Vendredi. — Mauvaises nouvelles de France : Gaston re-
poussé devant Nantes, son armée battue; Saumur repris sans résis-
tance. Le Dauphin séparé de la reine par la ... ^ . et mis dans une
autre chambre du Temple ; cela me paraît fort mauvais : quelle peine
affreuse pour la reine ; malheureuse princesse !
Le 13. Samedi. — Les mauvaises nouvelles confirmées, la sépara-
tion du roi et de la reine est inconcevable ; une seule chose console
et donne un peu d'espoir, c'est qu'il semble qu'on parle un peu plus
respectueusement de la famille royale. Des lettres de Paris disent
qu'il est question de transporter la famille royale à Saint-Cloud, et
que Wimpffen est à neuf lieues de Paris ; mais cela est apocryphe.
Le 20. Samedi. — Goguelat, qui était venu passer quelques jours
ici, partit. Je lui donnai un cheval. Il me dit qu'il était fort mécon-
tent des airs que le duc de Choiseul se donnait sur le roi et la reine,
que la reine en avait toujours été fort ennuyée et ne lui avait jamais
donné ni les bagues ni le portrait dont il se vante.
Le25. Jeudi, — Nouvelle de la prise de Mayence le matin, à onze
heures ; elle fut rendue le 22 matin, par capitulation. Lord Elgin
arrivé la veille; les détails qu'il donne des opérations du duc de
Brunswick font horreur : il a adopté une défensive désastreuse et mal
choisie. L'affaire du 18 devant Landau a été très-sérieuse ; les Fran-
çais, avec 60,000 hommes, ont attaqué Wurmser qui n'en avait que
25,000. Les avant-postes ont soutenu tout le choc, et se sont battus
comme des lions , surtout les Serviens et les Croates ; mais ils ont
ET LA COUR DE FRANCE. 77
été obligés de se replier, les Français ayant percé avec une colonne
par les montagnes et les bois qui couvraient la droite, et qu'on avait
cru impassables. Les Français sont restés maîtres du terrain qu'oc-
cupaient les avant-postes autrichiens , et coupaient la communication
avec Kaiserslautern, où est le duc de Brunswick avec son armée. Les
émigrés se sont fort distingués ; ils occupaient le village de et
ont repoussé deux fois les Français. Le duc de Brunswick a eu si
peur, qu'avant l'attaque il a rappelé à lui deux bataillons prussiens
qui étaient avec Wurmser. Il avait déjà fait partir les bagages, et
lord Elgin est persuadé que sans la reddition de Mayence il se se-
rait retiré, aurait peut-être repassé le Rhin et nous aurait donné le
second tome de la dernière campagne.
Wurmser est très-mécontent des opérations militaires. H voudrait
agir et ne cesse de le demander, mais en vain. Ses troupes sont rem-
plies d'ardeur, et servent à merveille ; on les emploie toujours aux
avant^postes.
Le 21. Samedi. — D'après la lettre de Crawford du 16 nous nous
décidâmes, le baron de Breteuil et moi, de lui envoyer le chevalier
de Vaugiraud, capitaine de vaisseau, qui était major de l'escadre
de M. de Grasse, et qui peut remplir la mission qu'on désire auprès
de Gaston. Il vint me voir, et je le trouvai très-raisonnable et pas
Français.
Le 31. Mercredi. — Je partis avec Eeutersvaerd à cinq heures du
matin et arrivai à Raismes à quatre heures. Je m'étais arrêté une heure
à Condé pour m'habiller et manger un morceau. Condé, n'a pas souf-
fert du tout ; l'inondation est très-considérable , beaucoup de bour-
geois, qui étaient mauvais et qui avaient servi , ont été arrêtés et
emmenés. Les autres sont contents de retrouver la tranquillité. Trois
bataillons sont destinés pour y être en garnison ; ils campent hors
de la ville et n'y entreront qu'en deux jours à cause des casernes
qui ne sont pas encore nettoyées. Je ne pus me défendre d'un senti-
ment triste en voyant cette ville occupée par les Autrichiens. Le
démembrement de la France m'affecta, je ne puis m'y faire. Les en-
virons de Condé ne sont pas extrêmement dévastés, excepté le vil-
lage du Cocq, dont toutes les maisons sont ou brûlées ou démolies ;
en approchant de Baismes on voit plus de dévastation, et tout près
du village les maisons sont absolument ruinées. Le baron de Bar-
tenstein, homme de quarante-cinq à cinquante ans, intendant de l'ar-
8 LE COMTE DE FERSEN
mée, était logé à Raismes dans le château. Il donnait un grand dîner
à l'archiduc et au prince de Cobourg. Le comte de Mercy, que j'avais
prévenu de mon arrivée, y était aussi. Je rencontrai, en me prome-
nant, le prince de Lambesc et le général Clairfait, et, quand tous
furent partis le comte de Mercy vint me prendre et me présenta k
M. et M"® de Bartenstein. Je soupai avec exix et la duchesse
d'Aremberg mère, qui était arrivée en même temps que moi; elle
était accompagnée du comte de Crokenbourg. Notre souper fut assez
gai. Le baron de Bartenstein est assez aimable, sa femme est sèche
et pincée, et M. de Crokenbourg est un brise-raison assez drôle à
rencontrer.
Août. Le P'. Jeudi. — Je partis de Baismes à six heures. J'y avais
mes chevaux de selle. Je fus à Aubry, où était l'archiduc; je l'ac-
compagnai chez le prince de Cobourg ; & Hérin, M. de Wahrendorff
me présenta à lui. Je le trouvai prévenant, peu parlant et froid ; il a
l'air d'un homme de cinquante ans. Nous partîmes à sept heures , la
suite était très-nombreuse. Nous passâmes l'inondation à Fri sur une
des digues qui ont été faites ; c'est un ouvrage superbe et d'une grande
solidité. Il y en a trois de ces digues, nous ne pûmes voir les deux
^ autres. Je causai beaucoup en route avec le prince de Hohenlohe ; il
me parut très-persuadé de la nécessité de toujours attaquer, n'im-
porte dans quel nombre ils sont. Il me pada longtemps de sa cam-
pagne de Champagne, où il a contenu lui seul l'armée française et
sauvé la prussienne. Il me dit que ce fut lui qui conseilla d'évacuer
Verdun, à cause de l'état où étaient les Prussiens ; qu'il dit au duc
de Brunswick : Si vous voulez vous battre, il le faut faire d abord, et
je suis tout prêt; si voies ne voulez pa^, il faut abandonner Verdun.
A huit heures, nous arrivâmes à la Briguette; les troupes an-
glaises , autrichiennes , hanovriennes étaient arrivées et se formaient
pour la haie où devaient passer les Français. C'était un spectacle
unique que ce rassemblement des plus belles troupes de l'Europe, et
c'était une réunion rare. Les troupes anglaises avaient le poste le
plus près de la ville. La formation fut assez longue, et il me parut
que cela n'avait pas été très-bien ordonné. A neuf heures, au moment
où la garnison devait sortir, on vint avertir le duc d'York que les
commissaires prétendaient sortir à la tête de la garnison. Le duc
d'York leur fit dire qu'il n'en connaissait point, que s'ils voulaient
sortir il fallait qu'ils fussent en uniforme, ou avec la canaille qui
ET LA COUR DE FRANCE. 79
suivait, et qu'il n'y avait pas de place pour eux. Le maréchal de
Cobourg fut de son avis, mais le comte de Mercy me parut n'en pas
être. Cependant le duc d'York insista et envoya M. de Saint-Léger le
leur dire. On aurait désiré que le peuple de Valenciennes les eût ar-
rêtés, et on avait donné pour cela toutes sortes de facilités ; on avait
même dit la veille que cela était , mais on s'était trompé.
A neuf heures on annonça l'arrivée de la garnison ; elle fut pré-
cédée par une troupe de canaille de toutes espèces, femmes, en-
fants, etc., etc. Les troupes avec leurs chariots découverts défilèrent
jusqu'à une heure et demie ; elles mirent bas les armes dans un grand
carré; leur contenance était très-simple, ni insolente, ni abattue;
ils avaient l'air de miliciens, point de tenue, point d'uniformité,
très-déguenillés, même les troupes de ligne ; il n'y en avait que deux
détachements de Dillon et Royal-Comtois. Tout le reste était gardes
nationales, les uns en casques, d'autres en chapeaux, d'autres en
bonnets de grenadier ; on ne distinguait les officiers qu'aux épau-
lettes ; cela faisait un contraste frappant avec les troupes qui bor-
daient la haie, et on était au désespoir de penser que c'était avec
telles gens qu'elles avaient & se battre. Les soldats le disaient eux-
mêmes. Ce qu'il y avait de mieux était l'artillerie : c'étaient de beaux
hommes , bien ^ habillés, mais mal tenus. J'estimai entre 5 et
6,000 hommes le nombre de ceux qui défilèrent. Les voitures étaient
chargées d'effets et de malades et blessés. Je ne remarquai aucun
chagrin ; en posant les armes plusieurs disaient môme : Tant mieux j
wild qui est Jim. Beaucoup de femmes suivaient sur des chariots et
des voitures.
En deux heures nous entrâmes en ville. Faute d'ordre, la foule fut
très-grande sur les ponts et dans les portes. La municipalité vint à
la porte, avec un drapeau aux armes de l'empire, remettre les clefs
au duc d'York. On cria Vive le roi! vive V empereur ! vivent les Anglais/
etc., etc.; il y en eut pour tout le monde, mais surtout pour le prince
de Lambesc; j'étais à côté de lui, on le reconnut et on le fêta par-
tout. Nous parcourûmes toute la ville et vîmes partout les effets du
bombardement : il n'y avait pas de maison qui ne fût endommagée ;
tous les carreaux de vitres étaient cassés , mais le quartier de Saint-
Gery et celui entre la porte de Mons , de Cardon et Toumay étaient
entièrement détruits. Les rues aboutissantes aux vieilles casernes fai-
saient horreur à voir ; ce n'étaient que des monceaux de décombres ; la
80 LE COMTE DE FERSEN
porte de Mons. était toute écrasée et comblée et les remparts abîmés.
On y pouvait à peine passer. La citadelle n'avait pas souffert Les
soldats avaient campé sur les remparts entre la porte Toumay et la
citadelle, et je suis persuadé que, si on avait établi plus tôt des bat-
teries de ce côté, la viUe se serait rendue plus tôt. J'eus du plaisir à
revoir la citadelle, et le vieux chevalier d'Éole qu'on y avait laissé,
mais qui n'y commandait pas. Les habitants témoignaient une joie
véritable, ils ne sentaient en ce moment* que le bonheur de vivre et
celui d'être délivrés de cette horde de soldats indisciplinés ; les mé-
contents se cachaient. A trois heures et demie nous arrivâmes à
Étreux, chez le duc d'York ; nous y dînâmes. En partant d'Étreux je
m'égarai et fus jusqu'à Jalain ; cela me fit arriver si tard à Valen-
ciennes que je n'eus que le temps de traverser la ville. J'arrivai à
Raismes très-fatigué, et mon cheval aussi , à huit heures du soir.
Le 2. Vendredi. — Je sortis à six heures du matin et fus à Hérin,
chez le prince de Cobourg. Jamais je n'ai vu d'homme plus tran-
quille et qui ait l'air moins* occupé ; il a partout l'air d'un simple
spectateur, et en le voyant on doit le croire ou fort au-dessus de sa
besogne ou s'en reposant sur d'autres, et c'est aussi ce qu'il fait.
Il a le mérite de se laisser guider ; c'en est un quand le choix est
bon; autrefois c'était Mack qui faisait tout. Depuis son départ le
prince de Cobourg s'est livré au prince de Hohenlohe, et il ne pou-
vait mieux choisir. La contenance du prince de Cobourg est très-
simple et sa conversation très-embarrassée. L'archiduc arriva à sept
heures et nous partîmes pour le Te Deum , qui se chantait à l'armée
d'observation. Elle est commandée par le général Clairfait et campée
sur deux lignes sur les hauteurs devant Denain : la première ligne
coupe la chaussée de Cambrai ; la seconde y appuie la gauche. Les
deux lignes étaient en bataille, et je n'ai rien vu de plus beau que la
première, composée de 12 bataillons, presque tous grenadiers, et d'une
cavalerie superbe. Les hussards de l'empereur, de 3,600 chevaux, qui
étaient arrivés de Koschim depuis huit jours, avaient l'air de sortir
de leurs quartiers, et toutes les autres troupes avaient l'air de sortir
de leurs garnisons, même celles du siège, que j'avais vues le veille,
surtout les Autrichiens. Les Anglais et les Hanovriens n'avaient pas
la même apparence de fraîcheur. L'armée d'observation était de
35,000 Autrichiens. Le Te Deum fut chanté en avant des deux lignes,
dans une tente ; il y eut trois décharges de canon et d'un feu rou-
k
»
<:
ET LA COUR DE FRANCE. 81
lant qui ressemblait au tonnerre et qui était extrêmement imposant.
Le Te Deum fini, je rentrai à Valenciennes par la porte de Tournay,
car celle de Notre-Dame était fermée. Je parcom'us les rues ; les
désastres de cette malheureuse ville faisaient horreur. J'éprouvai un
sentiment de tristesse en voyant la place Verte, la maison du comte
d'Esterhazy et l'église Saint-Nicolas entièrement détruites; la maison
du chevalier de Baincourt dans la rue de Mons Tétait aussi.
Je regrettai de ne pas avoir le temps de parcourir à mon aise toute
la ville ; mais j'étais pressé pour retourner & Hérin dîner chez le
prince de Cobourg. Tous les généraux y étaient et ce rassemblement
de militaires de différentes nations formait un spectacle assez rare.
Le dîner fut dans l'église; il était très-mUitaire, mais très-bon. Nous
reçûmes la nouvelle que le général Wurmser a repoussé les Français
le 27 jusqu'à Wissembourg; ils se sont peu battus. Le duc d'York
avait aussi reçu la confirmation des succès de Gaston ; le 18 il a pris
aux républicains quinze à dix-huit pièces de canon. Le comte de Mercy
me dit que l'armée ne tarderait pas à se mettre en mouvement, mais
que le plan n'était pas encore arrêté; ce que le prince de Hohenlohe
m'avait dit la veille me l'avait déjà fait penser.
A quatre heures et demie je retournai à Raismes ; je vis le baron de
Bartenstein, qui me dit qu'il venait de recevoir des nouvelles de
Chimay où on lui mandait que les troupes françaises marchaient sur
Péronne. A six heures je partis de Kaismes. Je vis dans le village un
détachement de chasseurs croates : ils sont habillés comme les sol-
dats autrichiens, ils ont la culotte hongroise, sont armés de sabres,
d'une longue pique avec un fer large et tranchant des deux côtés ;
il y a dans le bâton un crochet qu'on hausse et baisse à volonté pour
appuyer la carabine et tirer plus juste. Leurs carabines sont à deux
coups et très-lourdes ; deux d'entre eux, auxquels on a le plus de con-
fiance, ont des carabines à vent; ils ont deux crosses, chaque crosse
porte quatre-vingts coups, les quarante premiers portent à trois cents
pas, les quarante autres moins loin; tontes les balles sont déjà placées
et il n'y a qu'un ressort à toucher pour la faire tomber en place. Cette
arme est extrêmement lourde ; elle n'est pas très-bonne, elle exige un
grand soin; mais dans des attaques de postes ou redoutes elle est
très-utile.
Le 3. Samedi, — Je partis à neuf heures d'Enghien et arrivai à
une heure à Bruxelles ; j'étais bien aise de m'y retrouver.
T. II. 6
82 LE COMTE DE FERSEN
Le 7. Mardi. — M. de Septeuil était arrivé. Les douze cent mille
francs qu'il avait placés pour le roi en Angleterre ont été retirés et
rendus au roi le 5 ou 6 août.
Le 8. Jetidi. — M. de Ferraris était arrivé. Il ftit voirie baron (1)*
Il parle à merveille et pense de même sur les affaires de France et la
nécessité de hâter les opérations. La cour de Vienne a pris pour prin-
cipe de ne se pas expliquer clairement sur le parti qu'elle veut pro-
téger, soit les royalistes, les constitutionnels ou les républicains ; c'est
pour les tenir tous en suspens, et n'en point avoir contre soi. Le
baron combat cette idée et dit que de même ils n'en ont aucun pour
eux, mais au contraire, puisque chacun craint de ne pas être soutenu ;
il veut que Ferraris les engage & se prononcer clairement, car il est
appelé & Vienne , et il paraît que c'est par le baron de Thugut et
pour être ministre de la guerre. Il confirme que le plan actuel est
de pousser en avant le plus possible et de donner la main aux mou-
vements qui se font en France.
Le 9. Vendredi. — M. de Mercy avait été le matin chez le baron (2),
et avait fort bien parlé sur la nécessité de pousser les opérations
avec vigueur et de ne pas s'en tenir au premier plan , qui était de
s'étendre le long de la frontière, mais de marcher en avant et de
donner la main aux mouvements de l'intérieur. Il convint que le
baron avait eu raison lorsqu'il le demandait, et que lui, Mercy, n'a-
vait jamais cru que ces mouvements prendraient autant de consistance.
Il ajouta que depuis la dispersion du camp de César et la sommation
qui a été faite à Cambray, il était d'avis qu'il fallait sur-le-champ
l'attaquer, et ne pas retourner sur Maubeuge ; il n'y a encore rien de
décidé & cet égard.
Le 11. Dimanche. — Comme j'avais causé avec la Marck sur les
moyens de sauver la reine et que nous avions trouvé qu'il n'y en
avait que de pousser sur-le-champ un gros corps de cavalerie sur
Paris, ce qui était d'autant plus facile qu'il n'y avait plus d'armée
devant et que toutes les granges étaient remplies de vivres, je fus
chez le comte de Mercy et je le trouvai de glace sur cette idée. Il y
voyait de l'impossibilité, et le second tome de la Champagne, si on le
(1) De Breteuil.
(2) Id.
ET LA COUR DE FRANCE. 83
tentait. Il croyait la famille royale perdue sans qu'on puisse rien
faire pour elle; il ne croyait pas que les factieux voulussent traiter,
mais qu'ils se porteront aux derniers excès pour lier tellement toute
la France & leurs forfaits qu'il n'y aurait plus pour les individus
d'autre parti à prendre que celui de vaincre ou de mourir, et finit par
me dire qu'il n'y avait rien à faire. Je le quittai et pressai La Marck
de lui parler ; il l'engagea, en eflFet, & écrire au maréchal de Cobourg
et me promit de me montrer la lettre le lendemain. — Je fus à la
comédie, pour éviter tout ce qui pouvait avoir l'air d'affectation ; j'y
trouvai tous les Français qui y sont d'ordinaire , même des femmes ;
quelle nation, grands dieux I
Le 12. Lundi. — La Marck vint me voir. Il me montra la lettre
au prince de Cobourg qu'il avait fidte pour le comte de Mercy, elle
était très-pressante et très-bien faite ; il propose de marcher sur
Paris et prouve combien il serait impolitique de retourner à Maubeuge
et le Quesnoy au Heu d'attaquer Cambrai ; M. de Mercy n'exige rien,
mais ces propositions sont très-pressantes, et si le prince de Cobourg
ne s'y rend pas, il est responsable de tous les malheurs. La Marck
a eu de la peine à décider le comte de Mercy & cette démarche ; il
craignait que l'Angleterre n'en fUt pas contente et ne les accusât de
changer sans cesse de plans ; Crawford le rassura sur le désir très-
prononcé du ministère anglais de sauver la famille. Le comte de
Mercy le pria d'écrire en Angleterre et de détailler les raisons de ce
nouveau plan, et il promit au comte de la Marck d'envoyer la lettre
hier au soir par estafette.
Le baron de Breteuil reçut une lettre de M. de Yaugiraud ; il lui
mande que milord Aukland lui a écrit que, n'étant pas dans le mi-
nistère , il ne pouvait rien faire pour lui que de l'adresser au sous-
secrétaire d'État, qui lui dit qu'il fallait attendre le retour des minis-
tres. M. Dundas, qui ne parle pas français, ne lui a fait que des com-
pliments, et je crois qu'on ne s'en servira pas; il me paraît même
douteux qu'ils aient envie d'avoir des relations avec Gaston. Des
lettres du petit d'Ervilly feraient croire qu'ils ont l'envie de prendre
ou de détruire Brest ; ils lui ont demandé et à beaucoup d'autres des
renseignements sur ce port, et on croit que c'est à cause de ces dé-
tails et beaucoup d'autres que les constitutionnels ont donnés, qu'ils
sont si bien traités. M de Carency prétend savoir, par des commis avec
lesquels il s'est lié, que la destination de la flotte de Howe n'est pas
84 LE COMTE DE FERSEN
de chercher celle de la république, mais de prendre Cherbourg, Saint-
Malo et Dunkerque. — C'est par les soins de Bombelles que Se-
monville et Noël ont été arrêtés par l'empereur sur les frontières des
Grisons et du Milanais ; ils ont été transférés à Milan ; les femmes
sont revenues en Suisse. Des lettres de Paris du 6 ne disent rien sur
la reine ; une de la duchesse de Maillé à sa fille dit d'une manière
très-enveloppée qu'elle court de grands dangers.
Le lé. Mercredi. — Les papiers du 10 ne parlaient de la reine
que pour détruire des faux bruits qui s'étaient répandus et assurer
qu'elle était à la Conciergerie. Des lettres de Menin disent qu'on y
avait eu la nouvelle que la Convention avait fait à la reine la proposi-
tion d'écrire à l'empereur pour qu'il retire ses troupes, et qu'à ce prix
elle et sa famille seraient mises en liberté ; mais qu'elle avait répondu
que la même promesse faite au feu roi relativement aux troupes
prussiennes n'avait pas garanti ses jours , et que d'ailleurs elle ne
pouvait traiter avec des assassins. Tout cela me paraît faux.
Le 15. Jeudi. — Le duc d'York a répondu à milord qui lui
avait envoyé un courrier pour le prévenir de la lettre de M. de Mercy
au prince de Cobourg, que depuis qu'il avait quitté le prince de
Cobourg il n'en avait pas eu de nouvelles et qu'il était déjà à Orchies
en marche pour Dunkerque , qu'il chassait devant lui tout ce qui
se présentait, qu'il désarmait le pays, et qu'il espérait bientôt
avoir fiui son expédition de Dunkerque. Le comte de Mercy a com-
muniqué au baron de Breteuil la réponse du prince de Cobourg. I\ a
cru qu'on lui demandait de marcher avec toute son armée sur Paris,
et il trouve la chose impossible ; mais il laisse entrevoir la possibilité
d'une expédition partielle de cavalerie : c'est ce qu'on lui demandait,
et ce que le comte de Mercy va appuyer fortement, en lui prouvant
que dans la pénurie d'argent où ils sont c'est un moyen d'en lever
par contribution, soit en espèces, soit en vivres de toute espèce.
Mercy a aussi dit au baron (1) que tout allait fort mal dans ce pays,
qu'on y était déjà aussi révolutionnaire que jamais, et qu'il était im-
possible que Metternich y restât encore deux mois ; il ne croyait pas
qu'on y nommât Ferraris, qui, selon lui, n'y était pas propre, mais
bien M. de Chotech, et sur l'observation de Breteuil qu'il avait des
(1) De Breteuil.
t
ET LA œUR DE FRANCE. 85
principes démocratiques, Mercy lui dit qu'il ne fallait que l'envoyer
ici pour les faire bientôt changer. Il dit que Thugut avait une grande
connaissance de la politique y et de l'esprit ; mais qu'il avait été trop
longtemps subalterne, et qu'il était trop accoutumé & faire sa cour
à ceux qui étaient au-dessus de lui, et par conséquent aux Colloredos
qui ont en ce moment la confiance de l'empereur. — M. dç Mercy
lui dit, sous le sceau du secret, que c'était le duc d'York qui se re-
fusait à l'expédition sur Paris ; que le prince de Cobourg ne le lui
mandait pas, mais qu'il savait qu'il avait demandé au duc d'York de
retarder de quinze jours son expédition de Dunkerque et de rester
avec lui, parce qu'il avait un autre projet à exécuter ; mais que le
duc d'York avait refusé d'attendre et insisté pour marcher. Ce
doit être une fausseté, d'après la lettre du duc d'York, et il est
impossible que ce prince s'y soit opposé, surtout si on lui a oiOFert le
commandement de cette expédition. Le baron (1) en est convenu et
croit que c'est une finesse pour jeter le blâme sur lui ; en tout le
baron a été fort content de la chaleur et de l'intérêt avec lesquels
Mercy lui a parlé et lui a promis d'écrire.
Le 15. JetulL — La Marck me dit que Clairfait avait écrit à Mercy
pour lui dire qu'il avait déjà proposé, avant l'arrivée de sa lettre, la
même opération au prince de Cobourg, qui l'avait refusée ; qu'il s'é-
tait alors adressé au duc d'York, qui avait embrassé cette idée avec
chaleur et avait envoyé sir James Murray en parler au prince de
Cobourg, qui s'y était constamment refusé, et qu'alors le duc d'York
était parti pour son expédition de Dunkerque. Comment cela s'ar-
range-t-il avec ce que Mercy a dit au baron sur ce prince ? Serait-ce
pour excuser le prince de Cobourg que Mercy a inventé ce petit
mensonge ?
Leï6. Vendredi. — La réponse du prince de Cobourg au comte de
Mercy est pitoyable ; elle roule toujours sur l'idée d'aller avec l'armée
à Paris, et sur l'impossibilité d'une pareille entreprise. H ne consi-
dère dans sa lettre rien que la partie militaire et encore mécanique-
ment, car il est clair que l'opération proposée était la meilleure de toutes
à faire, n'y aurait-il eu que l'avantage d'enlever toutes les subsistances
de la Picardie, les chevaux, les chariots, etc., etc., pour les avoir et
(1) De Bretenil.
86 LE COMTE DE FERSEN
empêcher les antres de les prendre ; mais non , l'armée a déjà marché
sur le Quesnoy et le quartier général de Cobourg est à ; il
envoie 10,000 hommes du côté de Trêves, on ne sait pourquoi ; on
croit que KnobelsdorflF y va. Cette opération latéralement rétrograde
décide delà campagne, elle finira par la prise de quelques places, on
n'aura gagné que deux ou trois lieues de pays, et au lieu défaire l'année
prochaine une campagne si on avait bien opéré, on sera forcé d'en
faire une active. Le prince de Cobourg se couvre de honte, il donne la
mesure de son génie et de celui de son bras droit, le prince de Hohen-
lohe^ qui n'est qu'un routinier militaire, et tout le monde regrette
plus que jamais le départ de M. de Mack ; c'était le seul qui fût en
état de mener la chose.
Le 19. Lundi. — A la sollicitation de la Marck, le comte de Mercy
s'est décidé à envoyer quelqu'un à Paris, pour savoir ce qui s'y passe
et voir si on peut négocier, pour de l'argent et l'espoir du pardon,
la déportation de la reine ; il a jeté les yeux sur Novère, le maître de
ballet, qui consent à y aller, et sur M. Ribbes, un financier qui a
toujours ménagé tous les partis pour son intérêt particulier, ayant
toujours bien pensé. Je fus en parler au baron de Breteuil, à qui M. de
Mercy avait communiqué le projet; je l'y trouvai assez opposé par la
crainte que cette démarche, au lieu de calmer leur scélératesse, ne fît
que l'augmenter, & raison de l'intérêt qu'ils verraient qu'on y prend.
J'avais toujours été de cet avis, tant que la reine était au Temple avec
son fils , sans être menacée ; mais à présent qu'elle l'est, qu'on l'a
séparée de son fils , et surtout depuis le refus du prince de Cobourg
de marcher, je crois qu'il n'y a que cette démarche à faire, et qu'elle
ne peut présenter que des avantages sans dangers. Le baron s'y dé-
termina , et je l'engageai à faire venir Ribbes et à lui proposer ce
voyage. Cela lui est d'autant plus facile que c'était cet homme que
Talon mena chez le baron à Londres, et qui devait alors être chargé
de réaliser l'oflfre que fit Talon de faire déporter toute la famille royale
pour six millions. Ce Ribbes s'est ensuite rapproché du baron, en lui
disant qu'il ne se laissait employer par ces gens-là que pour lui être
utile et au roi. — Je démontrai ensuite à la Marck, que je fus voir,
que pour réussir il fallait isoler la reine de toute question politique,
en faire simplement un objet d'intérêt pour la maison d'Autriche,
leur prouver combien peu ce nouveau crime leur serait utile, et com-
bien au contraire il appellerait la vengeance sur leurs têtes, et sur-
ET LA COUR DE FRANCE. 87
tout bien leur dire que rien ne pouvait plus arrêter la marche des
puissances alliées. Il fut de mon avis et le baron aussi. Je conseillai
de ne pas faire cette démarche sans en faire part à TAngleterre et à la
Prusse. Le prince de Cobourg ou plutôt ses entours, ayant craint la
responsabilité où le mettait son refus, ont voulu s'acquitter en faisan
aussi une proposition. Le prince, en conséquence, écrit une lettre la
plus plate au comte de Mercy, où il lui propose une proclamation où
on menacerait des plus terribles représailles sur les commissaires et
les prisonniers qu'ils ont. Le comte de Mercy, qui a senti cette finesse^
a répondu par une lettre très-bien faite par la Marck, où il lui dit
que la démarche qu'il lui propose se trouve renfermée dans la de-
mande qu'Q lui a déjà faite et en aurait été une conséquence ; mais
qu'une menace isolée ne produirait que de nouveaux malheurs. — Le
prince de Cobourg propose aussi l'offre d'échanger la reine contre les
quatre commissaires.
Le 21. Mercredi. — Le baron de Breteuil vit M. Ribbes : il con-
sent à se charger de la commission ; mais comme il ne peut aller lui-
même à Paris, il se rendra à l'extrême frontière, y fera venir son frère,
le chargera de parler à Danton et, s'il est nécessaire, de lui demander
un rendez-vous même près de Paris , où Eibbes se rendra. Il ne de-
mande pas un sol pour cela ; il a même eu l'esprit, voyant que Pelem
en était informé, et ne sachant jusqu'à quel point on peut compter
sur lui, de lui proposer de le mettre pour quelque chose dans la
somme qu'il faudra donner aux scélérats , ce que Pelem a accepté.
Ce Ribbes a prêté au feu roi 600,000 livres. Il a dit au baron que
la Marck lui avait déjà parlé , il y a quelques jours, mais qu'il avait
refusé de se charger de rien, sans l'ordre du baron, et c'est sans
doute d'après cela qu'on s'est décidé à lui en parler.
Le 22. Jeudi. — Le baron de Breteuil a vu la Marck ; ils ont été
parfaitement d'accord sur le genre de commission à donner à M. Rib-
bes, mais ils ne l'ont pas été sur d'autres points politiques. Le baron
a cru voir, par les réponses de la Marck , que l'empereur pourrait
bien ne se pas contenter des Pays-Bas français , mais avoir des vues
même sur la Picardie. Le baron a d'ailleurs une idée, qui est que
l'Autriche devait se prononcer et faire prononcer les autres puissan-
ces sur leurs vues relativement au gouvernement français, si c'est
imroi, une constitution ou une république qu'ils veulent établir; il
appuya son opinion de tout ce qu'il y a de bon à dire là-dessus, et
88 LE COMTE DE FERSEN
ajouta que par ce silence on éloignait encore le peuple , à qui on
fait croire que les puissances ne veulent faire que des conquêtes, et
qui veut rester Français et craint de passer sous la domination au-
trichienne. La Marck ne croyait pas à ce sentiment français, et
croyait qu'il n'y avait que le sentiment du malaise et du méconten-
tement qui agisse sur le peuple. Il dit aussi que c'était à l'Angleterre
à donner l'impulsion, puisqu'il était vrai que l'Autriche la recevait
d'elle et que, l'Angleterre ne se prononçant pas, c'était qu'elle ne le
voulait pas. Le baron réfuta cela en disant que de tout temps ce langage
avait été tenu par la cour de Vienne, quoiqu'il n'eût jamais été vrai,
et encore moins dans cette occasion, où le ministère anglais , à cause
de son gouvernement, ne peut pas se prononcer le premier, mais le
ferait après, sous prétexte de se conformer aux vœux des autres, et
pour éviter les difficultés que ferait naître une marche différente de
celle des autres puissances. Quant à l'idée de ne rien prononcer sur
la royauté que la maison d'Autriche , disait La Marck , est décidée &
rétablir, il y trouvait l'avantage de diminuer la résistance en laissant
de l'espoir à tous. Il m'en parla, espérant que je serais peut-être de
son avis : je ne le fus pas, et je lui dis que j'avais partagé cette opi-
nion un moment, car c'était une affaire d'opinion, mais que, si elle
avait pu être juste il y a six mois ou un an, elle ne l'était plus : au
lieu de produire des partisans , cette incertitude avait inspiré à tous
les partis une telle méfiance et une telle crainte qu'aucun ne voulait
agir pour les puissances, dans la crainte de travailler peut-être pour
une des deux autres. Sur les deux autres points, je fus entièrement
de l'avis du baron : j'admis que la lassitude et le sentiment de ma-
laise produiraient leur effet, mais qu'il serait plus lent, qu'il ne serait
jamais que passif, et qu'on pourrait l'accélérer et le rendre actif et
utile en éclairant et rassurant les peuples , et qu'il n'avait jamais
d'inconvénient, puisqu'on serait toujours maître de garder ce qu'on
voudrait par untraité définitif; mais qu'il ne devait pas être indif-
férent & la maison d'Autriche de raccourcir la guerre de six mois. La
Marck me parut ébranlé et ne me répondit que faiblement.
Le 25. Dimanche. — Les gazettes de France du 20 disent que
l'accusateur du tribunal révolutionnaire a demandé les pièces contre
la reine , et qu'on a décrété de les lui remettre ; cela me fait frémir,
je suis bien sûr qu'il n'y en a pas , mais on en aura fait.
On assure que c'est le duc d'York qui a refusé de marcher en
ET LA COUR DE FRANCE. 89
avant vers Paris ; voici le fait. Le duc d'York était à Orchies lorsque
le prince de Cobourg reçut la lettre de M. de Mercy. H envoya sur-
le-champ au duc d'York, et, sans lui rien communiquer de ce projet,
il le pria seulement de suspendre sa marche et de rester quinze jours
à Orchies. Le duc lui répondit que, s'il lui en faisait la réquisition, il
s'y soumettrait ; que, sans cela, il continuerait sa marche et suivrait
le premier plan convenu. Le comte d'Artois , sur ce qu'il avait sup-
posé ou qu'on lui avait mandé que le duc d'York allait marcher
avec un corps vers Paris , était parti de Hamm pour aller trouver le
duc d'York, et arriva & Dusseldorf à six heures du matin ; il entra
en ville à pied et se rendit chez le conseiller Morberg , d'où on envoya
au nom du conseiller chez différents Français pour savoir la vérité
de cette nouvelle. Tous assurèrent qu'elle était fausse. Alors le comte
d'Artois retourna avec le chevalier de Puységur à la barrière attendre
M. de RoUet et le duc de Castries, qui étaient allés prendre des
informations extérieures. Ils rejoignirent le prince à neuf heures, et
tous prirent la route de Hamm, sans avoir même vu le maréchal de
Broglie, M. de Mirau ou l'évêque d'Arras, qui en sont fort choqués..
Tous les Français des environs formaient déjà des plans pour rentrer
en France : les uns en allant rejoindre Gaston, d'autres avec la flotte
russe, d'autres enfin avec le comte d'Artois, qui, à ce qu'on dit, en
avait déjà fait avertir plusieurs, ce qui a fort mécontenté les autres.
C'est d'Aubiez qui mande ce détail au baron de Breteuil. Monsieur
l'a aussi mandé à M"*" de Balbi, en ajoutant que le tout a été fait
par l'avis du maréchal de Castries ; qu'on lui avait proposé , à lui
Monsieur, de partir aussi, mais qu'il avait dit qu'il attendrait des
nouvelles de son frère pour se mettre en route.
Il y avait dans la gazette de Hambourg des détails sur le trans-
port de la reine à la Conciergerie qui n'ont été dans aucune autre
gazette ; ils font horreur. O'Connell, celui qui avait servi dans le ré-
giment Royal-Suédois, qui était tant protégé par le comte d'Artois et
les Polignac, et qui était resté ensuite dans la révolution, s'étant
fait faire maréchal de camp hors de rang et avant tout le monde, a
donné les détails suivants (1).
Le 29. Jeudi, — Ribbes avait vu M. de Mercy ; il avait trouvé les
instructions proposées par lui et dans le sens qui avait été convenu ,
(1) MaUieareofiement tous ces détails manquent dans le journal.
90 LE COMTE DE FERSEN
bonnes, mais il fit des difficultés sur l'argent à promettre et croyait
que des grâces, sûreté, protection et pardon suffiraient. H se rendît
cependant, ou en eut l'air, aux objections qui lui furent faites ; mais
il refusa absolument de laisser faire l'ouverture et de parler au nom
de l'empereur. Il avait la crainte flue ces scélérats n'en profitassent
pour publier la démarche, et il craignait que, n'ayant point été con-
certée avec les autres puissances, elles n'en prissent ombrage, et
qu'elle n'embrouillât la coalition, qui l'était déjà assez sans la com-
pliquer encore davantage par cette nouvelle démarche. Il voulait
donc que M. Ribbes parlât à Danton comme de la part des spécu-
lateurs éclairés et intéressés dans les affaires politiques de l'Europe,
pour découvrir ce qu'on pourrait en attendre. Cela était un misé-
rable moyen, et ce changement de M. de Mercy me surprit et m'aflfli-
gea. La Marck lui-même, sans le dire, semblait le désapprouver. J'en
fus d'autant plus peiné que je croyais entrevoir dans la seconde
objection de M. de Mercy le doute jusqu'à quel point les puissances
et même l'Autriche désireraient la liberté de la reine ; car, comme on
devait poser pour base d'écarter toute idée politique et demander la
reine comme simple individu , tuante de son neveu , cette demande ne
pouvait influer sur les opérations politiques ni embrouiller la coali-
tion. M. de Mercy avait aussi ajouté : Il/aiU qtieje le dise à regrety
mais la reine serait sur Vêchafaud que cette dernière atrocité ne pour-
rait plus arrêter les puissances ni changer leur marche. — Le baron
de Breteuil fut extrêmement irrité contre M. de Mercy et devait avoir
une conversation avec lui ; je l'exhortai à la modération, à se plier
aux circonstances, et tâcher d'en tirer le meilleur parti possible^ en
faisant la démarche comme il l'entendrait.
Le 30. Vendredi. — Le baron de Breteuil avait vu M. de Mercy,
qui, malgré tout ce que le baron lui disait, n'a pas voulu se désister de
son idée. Le baron s'est f&ché et a dit que, de cette manière, Ribbes
ne pouvait partir et que sa mission devenait inutile. M. de Mercy
voulait qu'il allât sonder Danton, que pendant ce temps il en-
verrait un courrier à Vienne demander les autorisations néces-
saires et que, au retour de Ribbes, il aurait la réponse et pourrait
alors traiter plus positivement. Ribbes vint chez moi très-mécontent,
surtout, à ce qu'il me parut, de ne pas avoir l'importance d'un négo-
ciateur chargé de pleins pouvoirs ; il s'était déjà cru un personnage
important et regrettait de ne plus l'être. En cela je le trouvai très-
ET LA COUR DE FRANCE. 91
Français; je rengageai à se charger de la commission dans le sens
que M. de Mercy le désirait , et j'y déterminai aussi le baron en lui
disant qu'il devait autoriser Ribbes à y donner une plus grande lati-
tude et nommant les personnes qui l'envoyaient. Le baron indiqua
à M. de Mercy les diamants pris à Semonville et l'argent comme
pouvant être employés à cet usage ; M. de Mercy fat du même avis
et assura qu'on ne comptait pas le garder. Il assura aussi le baron
de la manière la plus positive qu'il n'y avait encore rien de réglé entre
les puissances sur les indemnités qu'elles voulaient prendre à la
France, qu'on en avait déjà parlé, mais qu'on n'était encore convenu de
rien. Le baron avait de la peine à le croire , mais moi je le crois, et la
difficulté de s'entendre, jointe à la crainte de se brouiller, retarde
sans doute cet accord si nécessaire. La Marck a dit à Ribbes, en
parlant de Tétat de la France à venir : Quand on lui aura pris les
provinces les jûus belles, cette puissance ne sera plus rien. Malgré
cela, j'ai peine à croire que les vues de conquête puissent s'étendre
plus loin qu'à celles des conquêtes de Louis XIV. M. de Bressac,
depuis son retour en Suisse, s'était efforcé de détruire dans l'esprit
de la reine de Naples les impressions défavorables qu'on lui avait
données sur le feu roi, la reine et le baron de Breteuil ; il y est
parvenu, et je vis une lettre très-bien faite qu'elle lui écrivait à ce
sujet : elle parle avec justesse des différentes puissances de l'Europe
et de leur conduite, qu'elle blâme ; elle représente l'empereur Léopold
comme un homme faible , mais qui désirait sincèrement d'aider sa
sœur et son beau-frère, qui détestait les princes et les émigrés >
mais qui s'est trouvé entraîné à les voir en Italie et à Pillnitz ; il
avait fait le vœu de ne pas faire de conquêtes et l'aurait tenu. Elle
parle du jeune François comme d'un jeune homme mené par ses
entours, et de Thugut comme d'un ministre plus économe qu'éclairé.
Elle le prie de lui indiquer ce qu'elle pourrait faire pour sa sœur?
qu'elle le fera, et finit par désirer que, si elle est assez heureuse
pour être libre avec son fils , on lui conseille de ne se pas charger de
régence, mais d'en laisser le pénible fardeau à Monsieur, et de se
borner à être bonne mère et à faire du bien, car la régence ne lui
ferait que des ennemis. La lettre est très-bien faite.
Septembre. Le 3. Mardi. — Vaugiraud a écrit au baron de Breteuil.
H est employé et va passer en Bretagne ; il est très-content de la
manière dont M. Pitt l'a traité : il n'a pas voulu lui donner de cutter
92 LE COMTE DE FERSEN
da roi, pour ne pas trop paraître dans cette affaire , mais il lui donne
un corsaire de même force. On a eu bien de la peine à en trouver ;
aucim ne voulait s'en charger, ils trouvaient la chose trop périlleuse.
Enfin on en a trouvé un de Jersey de 16 canons. Vaugiraud est
chargé d'aller trouver Gaston , d'établir des relations avec lui et de
lui offrir de la part du gouvernement anglais toute l'assistance qu'il
pourra désirer en armes, munitions, habits et argent, dès qu'on aura
un port ou un autre moyen sûr pour les faire passer, puisqu'on sup-
pose que ce rassemblement a pour but le rétablissement de l'ordre
et de la tranquillité : voilà ses expressions. J'ai été fâché de n'y pas
trouver le roi et la monarchie, mais peut-être est-ce une faute de
Vaugiraud. Il emmène avec lui six personnes ; d'Ervilly et le baron
de la Rochefoucauld sont du nombre.
Ribbes part enfin demain ; la Marck l'a engagé à demander à
Danton un homme de sa confiance qui reviendrait ici avec lui , avec
lequel on traiterait et auquel on donnerait toutes les sûretés néces-
saires. Le baron de Breteuil voit dans cette demande le projet d'avoir
un homme auprès de Danton avec lequel M. de Mercy traiterait
ensuite à son insu. Je crois cette manière de voir trop soupçonneuse
dans cette occasion, et je vois l'arrivée de cet homme comme un
moyen plus sûr de traiter. Il est d'ailleurs facile, en Élisant rester
cet homme en France près de la frontière, de conserver Ribbes
comme intermédiaire , et cela pare à tout.
Le \\. Mercredi, — L'abbé de Montesquieu vint me voir, il arrivait
d'Angleterre. Il me dit que M. de Mercy doit avoir à la reine quinze
cent mille francs que lui, l'abbé, a fait sortir.
Le 13. Vendredi. — Les nouvelles de Paris arrivées la veille, et
qui sont dans le petit journal de la guerre, sont très-mauvaises
pour la reine. On y voit l'intention de commencer son procès. Ribbes
est revenu; il a pris le parti d'écrire à Danton d'une manière inin-
telligible pour tout autre que pour lui, et il lui a envoyé la lettre.
Je crains qu'elle n'arrive trop tard. Quels reproches M. de Mer(y
n'aura-t-il pas alors à se faire, lui qui a fait perdre huit jours par
son séjour & la campagne, et quatre autres depuis son retour, par
toutes les difficultés qu'il a faites 1 Cela fait horreur à penser. Dieu
la conserve et me donne la satisfaction de la revoir un jour !
Le 26. Jeudi, — On mande de Paris que la reine avait subi un
interrogatoire au tribunal révolutionnaire; qu'on lui a demandé si
ET LA COUR DE FRANCE. 93
elle était la veuve de Louis Capet ; — qu'elle a répondu : Votes savez
que je suis la veuve de votre roi. Sur une seconde question, elle ré-
pondit : Vous pouvez être mes bourreœux, mes assassins j mais jamais
vous ne serez mes juges; qu'alors il lui prit une attaque de nerfs qui
obligea de la ramener chez elle.
OcTOBBE. Le 5. Samedi. — On avait pris Drouet, commissaire de la
Convention à Maubeuge , qui avait essayé de s'échapper la nuit avec
une escorte de cent dragons. Cela fait honneur à l'activité des postes
autrichiens. On croit que c'est le maître de poste de Sainte-Menehould ;
j'en doute, je crois que c'est son frère. Il doit être transféré ici.
Le 6. Dimxmche. — Drouet arriva à onze heures. Je fus avec le co-
lonel Hervey le voir dans sa prison, à Sainte-Elisabeth. C'est un
homme de six pieds, de trente-trois ou trente-quatre ans, qui serait
assez bien de figure, s'il n'était pas si grand scélérat. Il avait les fers
aux pieds et à la main. Nous lui demandâmes s'il était le maître de
poste de Sainte-Meuehould qui avait arrêté le roi à Varennes ; il nous
dit que c'était lui qui avait été à Varennes , mais que ce n'était pas
lui qui avait arrêté le roi. Nous lui demandâmes s'il était sorti de
Maubeuge, de peur d'être pris. U dit que non, mais pour remplir une
commission dont il était chargé. Il ne voulut jamais ouvrir sa redin-
gote, pour ne pas faire voir sa chaîne, qui prenait du pied droit à la
main gauche. La vue de cet infâme scélérat me mit en colère, et
l'eifort que je fis pour ne lui rien dire, à cause de Tabbé de limon
et du comte Fitz- James, qui étaient avec nous, me fit mal.
Un autre officier, pris avec lui, a dit que la reine ne courait aucun
danger, qu'elle était fort bien traitée , et qu'elle avait tout ce qu'elle
voulait. Les scélérats , comme ils mentent 1 — Un Anglais , arrivé
en Suisse, dit avoir payé 25 louis pour entrer dans la prison de la
reine ; il y a porté une cruche d'eau. C'est dans un souterrain où il
n'y a qu'un mauvais lit, une table et une chaise. Il a trouvé la reine
assise, le visage appuyé et couvert de ses mains , la tête enveloppée
de deux mouchoirs, et extrêmement mal habillée; elle ne l'a pas
même regardé, et il ne lui a rien dit ; cela était convenu. Quel détail
horrible I Je vais m'assurer de la vérité.
Le 9. Mercredi. — Drouet a été hier chez le comte de Metternich,
où il a été questionné. Il a commencé par déclarer qu'il répondrait
à tout, mais que, s'il connaissait un côté faible de Maubeuge et qui
pût en faciliter la prise, il ne le dirait pas. Voici le résultat de ses
\
94 LE COMTE DE FERSEN
réponses sur la reine : que sa vie ne tient à rien; que si les puissances
ont des succès et marchent sur Paris sa mort est certaine, et même
sans cela il n'en répond pas ; que le jeune roi n'a rien & craindre ;
qu'il y a cependant des gens assez féroces pour vouloir l'immoler ;
mais, si cela arrive , ce sera contre l'avis du grand nombre ; que la
reine répondra de sa vie, à lui Drouet, qu'on ne l'échangerait cepen-
dant pas contre lui, mais que, si on l'avait proposé dans le temps,
on aurait donné la reine et sa famille pour les quatre commissaires
livrés par Dumouriez, que cela était décidé ; que la reine n'était point
maltraitée ; qu'il avait été commissaire auprès d'elle & la Concierge-
rie ; que, lorsqu'elle y est entrée, elle n'avait pour lit qu'un misérable
grabat ; que, l'ayant trouvée enrhumée et lui en ayant demandé la
cause, elle avait dit que c'était l'humidité de la prison, qui était
une chambre basse ; qu'alors il lui avait fait préparer une chambre
haute et l'y avait installée ; qu'il lui avait fait donner du linge et tout
ce qu'elle demanda ; qu'il lui avait fait apporter un bon lit et deux
matelas et avait eu pour elle tous les soins et les égards possibles ;
qu'on pouvait s'en informer, et que sans doute la reine ne se plain-
drait pas de lui. Les raisons de sa translation et les mauvais trai-
tements qu'on a l'air de lui faire ne sont faits que pour en imposer
aux puissances, mais que dans le fond elle n'était pas maltraitée ,
qu'elle avait tout ce qu'elle voulait et qu'il n'était point vrai qu'on
eût mis le jeune roi au pain noir.
Sur l'arrestation du roi, il dit : que c'est le maître de poste de Ch^
Ions qui est venu lui dire; que M. de Ramœuf y était arrivé une
heure après le roi, tellement fatigué qu'il ne pouvait continuer;
qu'il lui avait dit que le roi et sa famille étaient dans cette voiture
et qu'il devait aller avertir à Sainte-Menehould , de courir après et
de les arrêter ; qu'il était parti et était arrivé trois quarts d'heure
avant le roi à Varennes ; que, se doutant qu'il y aurait des hussards,
il était descendu à son auberge accoutumée, où il en avait efifective-
ment trouvé ; qu'un garde du corps était arrivé un moment après
pour les avertir ; qu'il avait été alors avertir ses connaissances et
avait barricadé le pont. H ne donna aucun autre détail sur l'arresta-
tion, qui fut faite par la municipalité, et à laquelle il n'eut aucune
part, ayant évité avec soin de se trouver devant le roi et ne lui ayant
jamais manqué de respect. Que lui n'avait pas accompagné le roi et
ne lui avait manqué de respect en rien ; qu'il était arrivé à Paris un
ET LA COUR DE FRANCE. 95
jour avant le roi. Sur la mort du roi, il dît qu'il avait voté pour^
parce qu'il la croyait nécessaire, comme celle de Jésus-Christ ; que
d'ailleurs ce qui y avait décidé était qu'on l'accusait d'être la cause
de l'entrée des armées en Champagne, puisque tout se faisait en son
nom et pour lui. C'est un homme sans éducation, mais on croit qu'il
écrit mieux , car il dit plusieurs fois qu'il répondrait mieux par écrit
aux questions qu'on lui faisait. Il dit que tout ce qu'il a fait, il le
ferait encore. Il dit que Barrère est l'homme principal, que c'est lui
qui est chargé de toutes les choses secrètes et des commissions les
plus dangereuses ; qu'il a du courage et de l'esprit.
i^ 14. LundL — Il n'y avait pas un mot de vrai des nouvelles que
le comte de Metternich nous avait dit la veille. Ce voyageur est un
nommé Aubré, avocat de cette ville, qui fait le commerce. Il arrive
de Paris avec des effets et n'a pas dit un mot de tout cela. C'est une
espèce de jacobin que cet Aubré. Il a dit, au contraire, que la reine n'é-
tait pas maltraitée, comme on l'avait dit ; que sa chambre était aussi
bonne qu'elle pouvait être dans une prison ; que son lit était de fer
avec des rideaux d'indienne , de bons matelas et les couvertures né-
cessaires, le tout très-propre ; que son dîner était celui d'une bonne
bourgeoise en convalescence ; que, lorsqu'on avait ôté le geôlier de la
Conciergerie, on lui avait aussi ôté la femme qui la servait et qui était
très^respectueuse avec elle ; qu'après cela la reine n'avait voulu
personne pour la servir ; il a ajouté qu'il aurait pu sauver la reine
pour 200,000 francs qu'on lui avait proposés, mais qu'elle l'avait re-
fiisé. Cela fit naître au baron de Breteuil l'idée de parler à cet Au-
bré, de lui proposer deux millions pour cela, s'il réussit. J'approu-
vai l'idée, mais à condition qu'il nous dirait les moyens, afin d'être sûr
qu'il ne regarde pas la délivrance de la reine comme un billet à la
loterie et qu'il n'expose pas ses jours pour gagner les deux millions,
sans une grande probabilité de succès.
Le 20. Dimanc/ie. — Grandmaison vint me dire qu'Ackerman,
un banquier, recevait une lettre de son correspondant à Paris, qui
lui mandait que le jugement de la reine avait été prononcé la veille,
qu'il devait être exécuté sur-le-champ, mais que des circonstances l'a-
vaient retardé ; que le peuple, c'est-à-dire le peuple payé, commen-
çait à murmurer, et que c'était ce matin que Marie-Antoifiette doit
paraître à la fenêtre nationale / Quoique j'y fusse préparé et que depuis
la translation de la Conciergerie je m'y attendisse, cette certitude
96 LE COMTE DE FERSEN
m'accabla ; je n'eus pas la force de rien sentir. Je sortis pour parler
de ce malheur avec mes amis et M"® de Fitz- James et le baron deBre-
teuil, que je ne trouvai pas ; je pleurai avec eux, surtout M"' de Fitz-
James. La gazette du 17 en parle ; c'est le 16, à onze heures et demie,
que ce crime exécrable a été commis, et la vengeance divine n'a point
éclaté sur ces monstres I
Le 21. Lundi. — Je ne pouvais penser qu'à ma perte ; il était af-
freux de n'avoir aucun détail positif, qu'elle ait été seule dans ses
derniers moments, sans consolation, sans personne à qui parler, à qui
donner ses dernières volontés. Cela fait horreur. Les monstres d'en-
fer! Non, sans la vengeance, jamais mon cœur ne sera content.
Le 23. Mercredi. — Un nommé Eougeville, qui se disait lieute-
nant-colonel et chevalier de Saint-Louis , ayant été attaché à la mai-
son de Monsieur, était arrivé avec 200 louis dans sa poche et des
imprimés fort bons, dont il a dit être l'auteur. Il dit avoir été celui
qui a voulu sauver la reine et être chargé de sa part de dire à l'em-
pereur que, s'il lui arrivait des papiers ou des lettres signées d'elle,
il ait à n'y pas croire. On s'est assuré de cet homme, et il paraît que
c'est ou un carmagnol qui a voulu simplement émigrer, ou un espion,
car il ne peut nommer personne qui répond pour lui. — Il y eut le
soir un office au château pour la feue reine.
Le 26. Vendredi. — H est arrivé un courrier de Vienne portant à
Londres le projet d'une proclamation. On l'a envoyé par un courrier
de lord Elgin, et le courrier de Vienne doit y retourner ; d'abord l'em-
pereur n'attendait que son retour pour partir, mais on craint que le
rapport qu'on lui fera sur le mauvais état des opérations (kns ce
pays et sur cette frontière ne l'empêche d'y venir ; sa présence y se-
rait cependant bien nécessaire , car il faut une autre marche aux opé-
rations militaires. Il est affreux de songer qu'avec des succès aussi
brillants et aussi rapides que ceux depuis le 1'''' mars au 15 avrils et
avec des moyens aussi grands et les meilleures troupes, on n'ait ga-
gné pendant sept mois que deux lieues de terrain en France et
qu'on soit maintenant sur une défensive désavantageuse , et à la veille
de craindre une grande invasion dans le pays , dont une partie reste
toujours exposée aux brigandages des Français. On assure que le roi
de Prusse veut retirer ses troupes ; qu'il a dit que ses finances , que
l'état de son pays et le bonheur de son peuple ne lui permettaient
plus de continuer à prendre à cette affaire une part aussi active ;
ET LA COUR DE FRANCE. 97
qu'il laisserait son contingent de 1 2^000 hommes et qu'il espérait
que les autres puissances de l'Europe en feront autant. Ce serait une
trahison manifeste, mais digne de la perfidie du cabinet de Berlin
et de la fidblesse du roi. C'est l'impératrice de Eussie qui en est la
cause ; malgré le génie qu'on lui accorde , elle n'a pas vu en grand
homme l'affaire de France ; elle ne l'a pas envisagée sous le point de
vue d'un danger commun, et par conséquent d'un intérêt général ;
elle n'a songé qu'à en tirer parti pour ses vues particulières sur la
Pologne, auxquelles elle a associé le roi de Prusse, en ne donnant à
la malheureuse famille de Bourbon et à la restauration de la France
que des démonstrations , et qui tendaient plus à embrouiller les af-
faires par l'appui direct qu'elle s'obstinait à vouloir donner aux
princes, malgré la volonté bien énoncée du feu roi de France, et en
opposition avec les vues des autres puissances. Sa conduite vis-à-vis
de la feue reine a été indigne ; elle n'a jamais répondu à la lettre
qu'elle lui écrivit au mois de novembre 1791.
Le 26. Samedi, — Les Français ont évacué tout le pays et se sont
retirés chez eux. Le prince de Cobourg a fait un mouvement en
avant ; son armée est à Solesmes. Il voulait par ce mouvement obli-
ger les Français à se retirer de la Flandre, mais leur retraite a été
indépendante de ce mouvement. Clairfait demande à faire le siège de
Landrecies, on doute que le maréchal y consente, et il persiste en-
core à se tenir sur la défensive. Le prince de Hohenlohe n'a parlé
que des quartiers d'hiver. Les intrigues à cette armée sont extrêmes ;
tout se mène par là, et le bien du service y est sacrifié. On croit que
le prince de Hohenlohe ne cherche par ses conseils qu'à perdre le
prince de Cobourg, et à se faire donner ensuite le commandement de
l'armée; il voudrait aussi écarter Clairfait, qui est son ancien, et
qui paraît, par tout ce qu'il a proposé et ce qu'il a fait, être le meil-
leur de tous pour cette besogne. Il a de l'intelligence , de l'activité
et de l'audace; il serait fort bien secondé par Beaulieu, qui a déjà
donné des preuves de son talent. En tout il faut un changement, car
avec la manière actuelle d'opérer on finira par tout perdre , après avoir
épuisé les plus grands moyens. Toute l'armée regrette M. Mack et dit
des horreurs de Cobourg et de Hohenlohe. Dans le vrai, ils ont perdu
cette campagne. Hélas 1 ce que je leur reproche le plus , c'est d'avoir
perdu cette infortunée reine, en marchant sur Cambray etPéronne ;
en menaçant Paris, elle était sauvée.
T. H. 7
*
I
98 LE COMTE DE FERSEN
Dans une conversation que le baron de Breteuil a eue avec M. de
Mercy, où il le pressait de reconnaître la régence de Monsieur, puis-
que la reine n'était plus, cet ambassadeur lui répondit que la régence
de la reine n'avait jamais été que douteuse, que ce n'était pas cette
raison qui avait fait refixser de la reconnaître, mais parce qu'en la r^
connaissant on reconnaissait Louis XVII et qu'on l'exposerait à
être sacrifié; qu'il y aurait à la vérité toujours un roi, puisque les
princes étaient dehors, mais que cela ne leur était pas indifférent, et
qu'ils ne voulaient pas que la couronne passât ainsi à une autre bran-
che. Le baron lui cita alors la conduite des Anglais à Toulon ; il la
désapprouva fort, en disant qu'il ne comprenait pas comment ils
avaient pu s'y laisser aller ; il taxa le général Wurmser de vieux
radoteur, parce qu'il suit la même marche en Alsace, au grand con-
tentement des habitants ; il n'y eut jamais moyen de le tirer de là.
H parla beaucoup de son attachement pour l'infortunée reine et de
sa douleur sur son sort , mais toujours fondés sur son respect pour la
mémoire de Marie- Thérèse, car il a toujours affecté de n'être atta-
ché à la reine qu'à cause de sa mère, tandis qu'il aurait dû l'être par
toutes les bontés et la confiance que cette trop malheureuse princesse
lui avait témoignées.
Le 27. DimaTicke, — Je dînai chez la Marck avec l'abbé de
Montesquiou et le frère de Hack de Deux-Ponts, qui était lieutenant-
colonel de Chamborant et qui l'est à présent dans Berchiny. Il nous
dit des choses superbes sur la bonté, la discipHne et le courage des
troupes autrichiennes ; il nous conta qu'à l'affaire de la forêt de Mor-
mal 60 pionniers, après avoir épuisé toutes leurs cartouches, se jetè-
rent dans une redoute où les grenadiers français les attaquèrent ; ils
s'y défendirent avec leurs haches, en tuèrent une quarantaine et les
arrêtèrent jusqu'à ce que le secours leur arrivât. Il y a mille exem-
ples de ce genre ; cela fait mal à entendre , quand on pense que les
généraux savent si peu combien on peut faire avec de telles gens, et
qu'ils n'ont pas entrepris davantage. Il avait été dans les premières
affaires de la guerre, à Bossu et à Gliseul, où Gouvion fut tué ; par
tout ce qu'il me conta de l'état de cette armée, de la disposition des
officiers et des troupes , et de ce qu'il avait fait pour passer avec tout
le régiment de Chamborant qui était déjà en marche , et fiit arrêté par
des détachements qui avaient été envoyés en avant pour cela d'après
l'avertissement qui avait été donné par quelques officiers, je vis clai-
ET LA COUR DE FRANCE. ^
rement qu'on aurait pu profiter de cet esprit, si on avait voulu, pour
faire passer beaucoup de monde.
Nous causâmes longuement avec Tabbé de Montesquiou sur tous
les événements, et ils furent obligés de convenir avec moi que, depuis
le 6 octobre 1 789 , tout ce qui est arrivé était inévitable avec une
nation comme la française, légère, indiscrète, immenable, remplie
de vanité et de pirétentions, et dans une position de choses et de per-
sonnes où les amis faisaient autant de mal que les ennemis.
Le 28. Lundi. — H paraît que la pluralité de l'armée voudrait
Clairfait pour commandant ; il a déjà déclaré que, si on le lui offrait,
il le refuserait; qu'il restait parce qu'il le croyait de son devoir, mais
que sa santé ne lui permettait pas de se charger de cette besogne.
Dans toute l'armée, on croit Fischer gagné par les jacobins fran-
çais ; il ne serait même pas extraordinaire que Lucchesini le f&t. La
conduite des Prussiens et leur lenteur dans cette campagne est trop
extraordinaire; combien n'ont-ils pas traîné le siège de Mayence, et,
depuis, combien n'ont-ils pas perdu de temps ? car l'opération combi-
née qu'on vient de faire sur les lignes de Wissembourg pouvait se
faire il y a longtemps. Le duc de Brunswick , pendant toute la cam-
pagne, a toujours su, par de belles manœuvres, chasser les Français
des positions qui pouvaient l'inquiéter, mais ce n'est que lorsqu'il
prévoit que toutes les opérations sont finies et qu'il ne faut plus son-
ger qu'aux quartiers d'hiver qu'il se prête à faire l'opération sur les
lignes. Cette conduite ne prouve-t-elle pas le désir de traîner la
guerre en longueur pour donner le temps aux Français de se former,
ou pour affaiblir les autres puissances et profiter, pendant l'inter-
valle, des circonstances qui pourront naître, comme ils ont fait pour
la conquête de la Pologne, qui sera un sujet de guerre interminable,
du moins pour la Russie ? Les souverains ne font pas assez d'atten-
tion aux sous-ordres, qui peuvent être gagnés. Quand on arriva de-
vant Maubeuge, le corps du génie et d'artillerie proposa de prendre la
place, c'est-à-dire le camp retranché de Voussi le lendemain, avec
perte de 2 à 3,000 hommes, ou bien d'y sacrifier cinq à six jours^ et
qu'on l'aurait alors avec la plus grande facilité, en perdant peut-
être 8 à 900 hommes. Ces deux corps assuraient du succès. Le prince
de Cobourg a préféré d'y perdre entre 3 et 4,000 hommes, sans
prendre la place.
Le 2 Novembre. Samedù — M. de Mercy avait désiré qu'on écrivît:
100 LE COMTE DE FERSEN
sur la mort de la reine, pour échauffer les esprits ; il parut plusieurs
petites brochures de MM. Murray, de Froissard, de Malouet, etc., etc.
Il 7 en a d'assez bonnes, mais faibles. On en distribua même aux
soldats dans toutes les langues. Il parut aussi une déclaration de
l'Angleterre , où, après avoir déduit les raisons qui ont déterminé à
la guerre, le roi promet sûreté et protection à tous ceux qui sui-
vront l'exemple de Toulon en se déclarant pour un gcuvemeTnent mo^
narchiqm. Elle appelle tous les Français à coopérer avec elle, et les
invite à se rallier à t étendard et une monarchie héréditaire, non pas
pour décider dans ce moment de irofubUs, de calamités et de dangers
publics sur toutes les modifications dont cette forme de gouvernement
pourra dxvns la suite être susceptible, mais pour y rétablir l'ordre , la
paix, etc., etc. La déclaration est assez bien faite et elle a le mérite
d'être la première qui se prononce sur la monarchie. Cependant les
Français n'en sont pas contents, ils ne la trouvent pas assez forte,
n semble même que M. de Mercy n'en soit pas content , mais ce se-
rait par la raison inverse. H a dit au baron de Breteuil qu'on n'y
avait pas même parlé de la reine, ce qui est faux; ce qui ferait
soupçonner qu'on n'en est pas content, c'est qu'on l'a gardée quatre
jours sans la faire imprimer, et qu'à la fin M. Bruce , frère de milord
Elgin, l'a reprise et l'a fait imprimer.
Le 6. Mercredi. — Le sort de Madame Elisabeth paraît décidé,
et ces deux malheureux enfants les voilà abandonnés à ces ini&mes
scélérats! Madame est surtout à plaindre; elle est sensible et a
assez de raison pour sentir toute l'horreur de sa situation ; ils sont
capables de tout envers elle. Quant au roi, ils feront tout pour
gâter son bon naturel et son existence sera peut-être un malheur
pour la France, si jamais il en est roi. Quelle horreur, et comment
la justice divine ne venge-t-elle pas de pareils attentats ?
Le 17. Dimanche. — On dit que le fiacre qui avait mené l'infor-
tunée reine du Temple à la Conciergerie avait été tout rempli de sang ;
que le cocher n'avait pas su qui il menait, mais qu'il s'en était douté,
ayant attendu fort longtemps ; qu'arrivé à la Conciergerie, on était
resté assez longtemps sans descendre , que les hommes étaient sortis
les premiers et la femme après ; qu'elle s'était appuyée sur son bras,
et qu'il avait trouvé son fiacre tout rempli de sang ; mais tout cela
n'est pas bien authentique.
Le 18. Lundi. — Je ftis voir, le matin, M. de Rougeville. Je
ET LA COUR DE FRANCE. 101
trouvai un homme un peu fou, très-entiché de lui, de ce qu'il a fait,
se donnant une grande importance , mais pensant bien et nullement
espion. Daubiez le connaît, et il le connaît aussi. M""* de Maillé Ta
reconnu l'autre jour de sa fenêtre dans la place pour être un M. de
Bougeville, qui passait sa vie dans les antichambres de la reine et
qui la suivait partout. H est ici à l'hôtel de îSaxe-Teschen , gardé
par deux officiers qui l'accompagnent quand il sort. Voici en subs-
tance ce qu'il m'a dit sur sa dernière aventure de la Conciergerie. Il
connaissait madame de Tilleul , une Américaine , assez riche et bien
pensante, et ils formèrent le projet de sauver la reine; alors il fit
connaissance avec Fontaine , un honnête homme, marchand de bois,
et par son moyen avec Michonis, un limonadier. Il les trouva tous
deux très-disposés. Michonis était porté de cœur pour la reine et re-
fusa l'argent qu'il lui offrit, mais il en donna aux deux autres admi-
nistrateurs. Un jour il accompagna Michonis dans la prison ; la reine
se leva et dit : Ah! <fest vous, monsieur Michonis, et en voyant M. de
Hougeville elle fut extrêmement saisie, au point de tomber dans son
fauteuil, ce qui surprit les gendarmes. Il lui fit signe de se rassurer,
et lui dit de prendre les œillets où était le billet ; elle n'osa, et il les
laissa tomber sans pouvoir lui parler. Michonis sortit pour affaires
dans la prison, et lui aussi. La reine alors fit dire à Michonis de revenir,
elle l'occupa avec les gendarmes et pendant ce temps elle dit à Bou-
geville qu'il s'exposait trop ; il lui dit de prendre courage , qu'on la
secourrait, qu'il lui apporterait de l'argent pour gagner les gendarmes.
Elle lui dit : Si je suis faible et abattue, ceci (en mettant la main sur
son cœur) ne V est pas. Elle lui demanda si elle serait bientôt jugée :
il la rassura. Elle lui dit : Regardez-moi, regardez mon lit et dites à mes
parcTUs et à mes amiSj si nxms pouvez vous sawoer, Vétat où vous m'avez
vue. Alors ils sortirent. Le concierge et la concierge étaient gagnés.
Le plan était que Michonis, qui avait conduit la reine du Temple à
la Conciergerie, irait la nuit à dix heures la prendre, par ordre de
la municipalité, comme pour la mener au Temple, et la ferait éva-
der. Ainsi, et déchargeant le livre du concierge, afin qu'il ne lui ar-
rivât rien, ils y allèrent effectivement; les deux gendarmes, moyen-
nant cinquante louis, ne dirent rien, mais le dernier s'y opposa.
Michonis lui dit qu'il avait ordre de la municipalité, mais il (1) dit
(1) Le gendarme.
Î02 LE COMTE DE FERSEN
que^ si on ne ramenait Madame, il appellerait la garde. Le coup fut
manqué, et Bougeville se sauva.
Voici les particularités sur la reine : sa chambre était la troisième
porte en entrant à droite, vis-ii-yis celle de Custine; elle était au
rez-de-chaussée, la fenêtre donnait sur la cour, qui était remplie
toute la journée de prisonniers qui regardaient par la fenêtre et
insultaient la reine. La chambre était petite, humide et fétide, il
n'y avait ni poêle ni cheminée ; il y avait trois lits : un pour la reine ,
l'autre , à côté du sien , pour la femme qui la servait ; le troisième
pour les deux gendarmes qui ne sortaient jamais de la chambre, pas
même lorsque la reine avait des besoins ou des soins naturels à se
donner. Le lit de la reine était, comme celui des autres, de bois ; une
paillasse , un matelas et une couverture de laine , sale et trouée, qui
servait depuis longtemps aux prisonniers ; les draps étaient de toile
grosse et grise comme ceux des autres, et il n'y avait pas de rideaux,
mais un vieux paravent. La reine était vêtue d'un caraco noir ; ses
cheveux, coupés sur le &ont et derrière, étaient tout gris ; elle était
tellement maigrie qu'on avait de la peine à la reconnaître et si faible
qu'à peine pouvait-elle se tenir sur ses jambes. Elle avait aux doigts
trois anneaux, mais pas de bagues. La femme qui la servait était
une espèce de poissarde dont elle se plaignait fort. Les gendarmes
dirent à Michonis que Madame ne mangeait pas et que de cette
manière elle ne pouvait pas vivre ; ils dirent que son manger était
fort mauvais, et apportèrent un poulet maigre et presque gâté, en
disant : Voilà un poulet doïtt Madame n'a pas mangé et qu'on lui sert
deptds quatre jours. Les gendarmes se plaignirent de leur lit, quoi-
qu'il fût pareil à celui de la reine. La reine couchait toujours tout
habillée en noir, attendant à tout moment d'être massacrée ou d'être
menée au supplice, et voulant y aller en deuil. Rougeville dit que
Michonis en pleurait de douleur ; U lui a confirmé les pertes de sang
que la reine faisait , et que, lorsqu'il a fallu aller au Temple cher-
cher le caraco noir et les linges nécessaires pour la reine, il n'a pu y
aller qu'après une délibération du conseil. Voilà les tristes détails
qu^il me donna.
Le 22. Vendredi. — Goguelat arrivé; je fus- bien aise de voir
quelqu'un aussi attaché à la malheureuse princesse que je ne puis
trop regretter. H me dit que les Autrichiens et les Anglais envoient
des officiers dans la Vendée ; il a été consulté par le prince de Co-
ET LA COUR DE FRANCE. 103
bourg sur les officiers des régiments de Saxe-Berchiny et Eoyal-Al-
lemand à y envoyer ; il en a donné la liste. Le prince lui a dît d'en
causer ici avec le comte de Mercy. Je sens ensuite que le prince de
Cobourg s'était décidé à cela^ à la demande de T Angleterre et sur
l'autorisation du comte de Mercy ; qu'il y envoie en outre des ar-
mes , du canon ^ des artilleurs et des hussards. Le duc d'York y en-
voie aussi des offi.ciers. Les Anglais y envoient 17^000 hommes ef-
fectifs, mais ils veulent que la chose soit secrète, et pour cela ils
ont l'air de faire des difficultés même aux Français qu'ils sont dans
l'intention d'y faire passer.
Le 26. Mardi. — Les Autrichiens envoient aux royalistes 20 piè-
ces de canon avec des canonniers et tout l'attirail (ce sont en partie
des pièces françaises), et 700 hussards. Ils envoient en outre des ar-
mes , des munitions et des vivres pour se joindre aux 1 7,000 Anglais
qui y passent. Ce corps aura en tout 80 pièces de canon. Tout cela est
déjà en marche pour s'embarquer à Ostende, et les Anglais doivent
partir incessamment. Si les royalistes peuvent seulement se soutenir
jusqu'au moment de leur arrivée, il n'est pas douteux qu'avec ce ren-
fort ils n'aient de grands succès. La seule chose à craindre, c'est
l'arrivée des émigrés et les prétentions qu'ils y apporteront; mais,
pour prévenir l'inconvénient des tracasseries, il faut en faire un
choix ; il faut laisser subsister et maintenir le conseil qui jusqu'à
présent a réglé leurs opérations , avec la liberté d'y admettre qui ils
voudront, et avoir la fermeté de renvoyer d'abord t.out esprit turbu-
lent ou ambitieux qui pourrait ou voudrait les troubler ; il faut que
lord Moira ait assez de fermeté pour cela.
Le 30. Samedi. — Nous reçûmes la nouvelle que les Prussiens,
après leur tentative manquée sur Bitsch, se sont retirés à Garlsberg
et Hombourg, derrière Deux-Ponts ; que les Français sont entrés dans
cette ville, où ils ont commis les plus grandes horreurs, ainsi que
dans les environs. Les lettres de Francfort et de l'armée, qui en
parlent, accusent le duc de Brunswick de l'avoir fait exprès, les uns
disent par jalousie contre Wurmser, d'autres par trahison , étant ga-
gné par la Convention. On dit que sa conduite est trop claire pour
n'être pas soupçonnée : il fit pendant six semaines des préparatifs
pour surprendre Bitsch et l'attaqua ensuite avec 1,500 hommes, et
il vient d'abandonner aux Français des positions très-fortes ; il expose
Trêves et l'empire aux incursions des Français. Ils ont déjà été dans
104 LE COMTE DE FERSEN
les environs de cette ville, où ils ont chassé un poste de 500 Autri-
chiens. On travaille à présent tant qu'on peut à forcer les Prussiens
d'avancer. L'Angleterre et l'Autriche en sont extrêmement mécon-
tentes et voient clairement que la politique de Berlin n'a été que de
les mettre en avant pour faire , pendant ce temps, son opération avec
l'impératrice en Pologne , de ne faire que de faibles efforts pendant
que l'Autriche et l'Angleterre en faisaient de considérables et d'af-
faiblir ainsi ces deux puissances. Quelle misérable politique dans un
moment aussi important pour tous les souverains et qui doit décider
de leur sort ! L'impératrice a suivi la même politique, qui ne lui fidt
pas honneur et sera une tache à sa mémoire.
Le 4 DECEMBRE. Mercredi. — MM. de Richelieu et Olivier de Vérac
devaient aller dans la Vendée , mais ils ont été arrêtés par le prince
de Cobourg, qui voulait les employer à autre chose, et voici à quoi.
Dans différents temps, des troupes de paysans de Flandre et d'Ar-
tois, au nombre de 3 à 400, ont émigré et ont passé chez les Autri-
chiens : c'était surtout pendant le siège de Maubeuge. Ils ont dit
qu'ils étaient même députés par les autres pour offrir leurs secours
aux Autrichiens, et que, si on voulait leur fournir du secours et les
soutenir, 15 à 18,000 étaient tout prêts à se déclarer. Des prêtres
déguisés ont été les intermédiaires. Un comte de Cunchy d'Arras,
qui est à Tournay, fomentait tout cela, et on goûta fort cette idée
d'une nouvelle Vendée. M. de Mercy l'approuvait, et on donne à ceux
qui ont passé une paye, du pain et de la viande, et ils travaillent.
On voulait incorporer le rassemblement projeté dans les troupes,
mais M. Froissard proposa et on convint de les laisser ensemble,
commandés par des gens de leur pays. Comme M. de Cunchy est
un vrai Français exalté, confiant, étourdi et emporté, le prince de
Cobourg fit choix de M. de Richelieu pour mettre à la tête, mais à
l'insu de M, de Cunchy et prit M. de Vérac avec lui. Au commen-
cement de novembre, six cents de ces paysans se sont retirés dans les
bois, pour se soustraire à la réquisition. Le département, effrayé, les a
engagés à revenir, en les assurant qu'ils seraient exempts. Déjà deux
fois on avait pris des arrangements, et le moment pour eux de se ras-
sembler était fixé. Toiyours les Autrichiens l'ont différé, et, d'après ce
que M. de Richelieu vient d'apprendre ici, il croit que l'on abandonne
cette idée, que les Autrichiens ne se soucient plus de ce rassemble-
ment, et vient en conséquence de demander pour lui et Vérac au prince
ET LA COUR DE FRANCE. 105
de Cobonrg de pouvoir passer avec les autres en Bretagne. C'est de Vé-
rac que je tiens tout cela. Si cela est la conduite des Autrichiens, elle
est incompréhensible et ne peut s'expliquer que par leur bêtise, leur
apathie ou la crainte qu'un rassemblement de ce genre ne puisse dé-
ranger leurs projets de conquêtes. Dans une proposition de M. de Cun-
chy on parle de former deux corps : l'un Royal-Artois, l'autre Boyal-
Handre ; Cobourg répond qu'il ne peut- accepter les dénominations
tf Royal, yi que cela n'était pas encore décidé et qu'il ne fallait pas,
par une dénomination, choquer les idées et les préventions, et sacri-
fier le grand objet pour une chose en elle-même aussi indifférente.
Cela est-il convenable dans le temps où les Anglais proclament
Louis XVII à Toulon, où ils vont soutenir les royalistes de la
Vendée et qu'ils déclarent par une proclamation qu'ils veulent réta-
blir le roi et la monarchie ? Mais les Autrichiens prennent possession
ici au nom de l'empire et en Alsace au nom des alliés ; quelle inco-
hérence de conduite, et quel manque total de plan et de suite!
Le 16. Lundi. — Je fus à dix heures faire ma cour au duc d'York.
C'était l'heure à laquelle il devait partir, les chevaux étaient déjà
mis ; mais, par un effet de l'indécision anglaise, il fat alors se pro-
mener, il traîna et barguigna et ne partit qu'à cinq heures du soir,
quoique les chevaux fussent arrêtés sur la route et qu'il était attendu
à Gand, où il avait fait faire à dîner. Il y va établir son quartier
général, et ne retourne plus à Toumay, à moins d'opérations mili-
taires.
J'ai rencontré le prince de Ligne chez le baron de Breteuil ; il est
très-mécontent de ne pas être employé et blâme par conséquent tout
ce qui se fait ; en cela il peut avoir raison. H nous dit que l'empe-
reur Joseph était extrêmement changeant : tantôt bien, tantôt mal
pour quelqu'un , mais qu'il devenait toujours bon quand on lui te-
nait tête. Le baron de Breteuil nous dit qu'en Champagne Spielman
était arrivé, parce qu'on croyait être le 10 octobre à Paris, qu'il
était revêtu de pleins pouvoirs illimités, et que c'était sur cet homme
qu'auraient roulé les intérêts de l'Europe ; qu'il l'avait trouvé au des-
sous du médiocre.
Plusieurs lettres de Français embarqués avec le comte Moira
écrivent de Guemesey, le 9 au soir, que les royalistes répondaient aux
signaux et qu'on allait appareiller.
LeZl. Mardi. — La Prusse fait de grandes difficultés, et veut re-
106 LE COMTE DE FERSEN
tirer ses troupes et ne laisser qu'un contingent, si on ne lui accorde
un subside de 12 millions , car elle veut envisager ses acquisitions en
Pologne comme une chose absolument étrangère à cette guerre. Elle
a déclaré qu'elle ne voulait pas de conquêtes ; mais eUe sait bien que
ni l'Angleterre ni l'Autriche ne peuvent lui payer 12 millions, et il
faudra bien alors la payer en possessions dont l'Autriche fera les frais,
par des sacrifices dans la haute Silésie, quitte à eUe à se dédom-
mager sur la France de ce que la Prusse lui coûtera. Le roi de Prusse
demande une réponse prompte pour avoir le temps de &ire marcher
des troupes et de recruter celles qui sont déjà ici. On assure que le
partage de la Oallicie autrichienne est déjà arrangé entre la Prusse
et la Russie. On voit avec peine, par toutes ces intrigues, combien les
souverains voient mal les affaires de France, et combien peu ils sen-
tent le danger qui les menace tous, si ce foyer n'est étouffé. La po-
sition des alliés n'est pas très-brillante à la fin de cette année, en
comparaison de la manière dont elle avait commencé. H est vrai que
l'année dernière les frontières de la France étaient intactes, que les
Pays-Bas étaient conquis et que les armées firançaises étaient aux
portes de Botterdam, sur le Bhin, et jusqu'à Francfort, dont ils
étaient maîtres. Cette année les alliés sont maîtres de Condé, Yalen-
ciennes, Quesnoy ; les Anglais sont à Guemesey, n'attendant que le
moment de faire une descente en France pour se joindre aux roya-
listes. En Alsace, les armées combinées sont maîtresses de tout ce pays
jusqu'à Hagenau ; Fort-Louis est pris et Landau doit tomber. Tou-
lon était au pouvoir des Anglais, et, s'il n'y est plus, du moins la ma-
rine républicaine est détruite et les carmagnols chassés de la Médi-
terranée. Les Espagnols, quoique forcés de se retirer, sont restés en
possession de Bellegarde. Voilà la position des premiers jours de dé-
cembre. Mais quand on envisage l'ennemi qu'on a à combattre, les
généraux, le manque de toutes les choses nécessaires à la guerre, et
celui des vivres qui se fait sentir en France, les trahisons, le mécon-
tentement et les mouvements séditieux qui s'y manifestent de toutes
parts, et le nombre et la bonté des armées alliées, on devait croire
que les armées des plus grandes puissances de l'Europe auraient dû
avoir des succès plus marqués ; mais ce manque de succès ne doit
être attribué qu'au peu d'accord et aux intrigues du cabinet de Ber-
lin, au défaut d'un plan général et à l'inactivité et l'inhabileté du
prince de Cobourg, et surtout du prince de Hohenlohe qui, depuis le
ET LA COUR DE FRANCE. 107
départ de Mack^ est son factotam. La fin de Tannée est encore moins
heureuse : les royalistes ont des revers^ Toulon est évacué, le siège
de Landau est leyé et les armées prussiennes et autrichiennes peut^
être forcées de repasser le Bhin. C'est la nouvelle que nous reçûmes
le jour de l'an. Ainsi donc, après huit mois de campagne avec les
forces autrichiennes, prussiennes, anglaises, espagnoles, sardes, ita-
liennes et de l'empire, le territoire français ne se trouve entamé sur
deux points que de trois ou quatre lieues, et les quartiers d'hiver ne
iont point établis en France, tandis qu'en suivant un bon plan, dans
le genre de celui de Jarry, il aurait été possible de les établir sur la
Somme.
CXL
DE M. DE CARISIEN, ENVOYIÊ DE S. M. LE ROI DE SUÈDE A BERLIN,
AU COMTE DE FERSEN (1).
A Berlin, ce 2 de janvier 1792.
Monsieur le comte,
Ayant reçu avant-hier par estafette la lettre très-intéressante que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, monsieur le comte, en date
du 26 décembre, je n'ai pas balancé un instant à m'acquîtter de la
commission qu'elle renferme, persuadé, comme j'ai lieu de l'être, par
les instructions précédentes reçues du roi, que ma conduite en cette
occasion est conforme à ses vues, et ne saurait par conséquent être
désapprouvée par S. M. Je viens d'avoir une conversation confiden-
tielle avec le comte de Schoulembourg, dans laquelle j'ai informé ce
ministre des différentes notions que vous m'avez communiquées et
surtout de l'arrivée prochaine du chevalier de Bressac avec des lettres
de S. M. T. C. J'ai fait valoir de mon mieux les preuves non équi-
(1) Lettre originale en chiffre, déchiffrée ; le comte de Fersen a écrit en marge : lieçu U
11 Janv. 1792, rép, le 19.
108 LE COMTE DE FERSEN
voqnes qu'on allait recevoir ici de Tétat de contrainte dans lequel ce
prince continuait de se trouver et de son désir secret de voir les au-
tres puissances s'intéresser ouvertement en sa faveur par des me-
sures vigoureuses et efficaces. Les réponses que j'ai reçues ont été
tellement que j'ai pu les prévoir. On m'a témoigné beau-
coup de surprise d'une nouvelle qui contrastait singulièrement avec
d'autres preuves quasi irréfragables qu'on croyait avoir ici, et sur-
tout à Vienne, que le roi de France se regardait obligé par son propre
intérêt à soutenir de bonne foi l'ordre présent des choses dans son
royaume, que la reine partageait cette conviction, et que l'un et
l'autre désiraient sincèrement que les puissances étrangères voulussent
s'abstenir de toute démarche capable d'entretenir les vues des émi-
grants et les troubles intérieurs qui déchirent la France. Le comte de
Schoulembourg ne me cachait pas qu'il lui restait encore des doutes
sur la véritable façon de penser de S. M. T. C, et qu'il suspendrait
son jugement à cet égard jusqu'à ce qu'il aurait vu les termes mêmes
de la lettre dont M. de Bressac serait le porteur. Il observait,
d'ailleurs, qu'on connaissait assez le caractère du roi de France pour
savoir qu'il n'agissait pas par lui-même, et que ses résolutions pou-
vaient varier selon les vues des différentes personnes qui s'empa-
raient tour à tour de son esprit. Il n'en pouvait résulter que beau-
coup d'embarras pour les cours qui s'intéressaient en faveur de ce
prince, puisqu'on ne pouvait faire aucun fond sur sa persévérance
dans une conduite uniforme. Ce ministre me répétait, au reste, son
ancien raisonnement sur la nécessité qu'une politique naturelle im-
poserait, dans tous les cas possibles, au roi de Prusse de ne point se
mêler des affaires de France, sans que la cour de Vienne ne fdt de
la partie. Il était absolument nécessaire, disait-il, que l'empereur
se mît en avant, en sa qualité de parent et d'allié de la maison
royale de France, ainsi que dans celle de chef de l'empire. Depuis
peu il avait paru que la conduite inconsidérée tenue en dernier lieu
par l'Assemblée nationale avait engagé l'empereur à proposer aux
autres puissances d'arrêter la fureur des démagogues français par une
déclaration plus prononcée ; il fallait voir auparavant quelle impres-
sion aurait fait à Vienne les dernières nouvelles du parti pris à Pa-
ris d'agir offensivement contre les princes qui protègent les rassem-
blements des émigrés. M. de Schoulembourg croyait que l'exécution
de ces menaces pourrait plus que toute autre chose entraîner la
ET LA COUR DE FRANCE. 109
France dans une guerre ouverte avec les autres puissances. Comme
ce ministre a senti avec moi l'importance du secret des lettres parti-
culières que le roi et la reine de France viennent d'écrire aux sou-
verains ci-dessus nommés, et que nous ignorons si les princes, frè-
res de S. M. T. G.y sont de la confidence, nous sommes convenus de
ne parler de cette affaire ni au baron de Eolle ni aux ministres
d'Espagne et de Russie. Lorsque M. de Bressac arrivera, il verra lui-
même jusqu'où il voudra pousser ses confidences ; je ne lui conseil-
lerai pas en tout cas d'en &ire au comte de Nesselrode, qui est re-
gardé ici conmie peu discret et incapable de garder un secret
Je suis bien aise de pouvoir vous informer, monsieur le comte,
qu'à force de représentations nous avons enfin obtenu, il y a quelques
jours, qu'on envoyât un courrier à Vienne pour proposer à l'empe-
reur de déclarer, en commun avec le roi de Prusse, à la cour de
France, que le passage des frontières allemandes par les troupes
françaises serait regardé comme une hostilité contre l'empire ger-
manique. Des instructions ont été envoyées en même temps au comte
de Goltz qui l'autorisent à tenir à Paris un langage dans le même
sens, en attendant qu'il lui soit enjoint de faire la déclaration for-
melle, n ne fitut cependant pas se cacher que cette demande n'est
dictée au fond que par le désir de conserver la paix, et par la crainte
d'être compromis et d'être entraîné malgré soi dans la querelle. Le
roi de Prusse a donné part de sa résolution à l'électeur de Trêves,
dans une réponse à la lettre de ce prince, dont le baron de RoUe
avait été le porteur. Je suppose cependant que dans cette même ré-
ponse le roi aura dissuadé toute permission d'attroupement armé et
aura conseillé à l'électeur de se borner à accorder simplement aux
émigrés français un asile qui ne saurait être regardé que comme très-
innocent.
Je viens de recevoir également par estafette la dépêche du 27
avec l'extrait des instructions dont M. de Ségur a été muni, en se
rendant ici. Je tâcherai d'en faire l'usage que les circonstances pour-
ront m'indiquer conmie le plus convenable aux vues du roi. Cet usage
me paraît cependant demander de la circonspection, puisqu'en m'y
prenant imprudemment je pourrais me faire le plus grand tort en
même temps que je gâterais l'affaire et nuirais au but même que je
me proposerais. En confiant aux ministres du cabinet le plan de cor-
ruption qu'on a recommandé à M. de Ségur, je ferais une démarche
110 LE COMTE DE FBRSBN
très-hasardée, et d'aillears assez inutile, puisque aucun d'eux n'au-
rait le courage de heurter de front ni le &vori ni la maîtresse du
roi. Les comtes de et de Schoulembourg tiennent Tun et l'autre
à leur place. Le premier est craintif, il ne demande pas mieux que la
tranquillité, et il aime mieux laisser aller les choses que de s'opposer
au torrent des abus. M. de Schoulembourg est à la vérité d'un carac-
tère plus ferme, mais sa retraite précédente lui a trop pesé pour
qu'il ne soit pas dégoûté d'une résistance qui pourrait l'éloigner de
nouveau du ministère ; il est ambitieux à l'excès, et pour se conser-
ver à la tète des affaires il n'y a pas de ménagement qu'il n'ait pour
M. de Bischoffswerder ; je doute cependant qu'il puisse aimer au fond
de son cœur un homme qui bride son crédit et blesse son amour-
propre; mais, pour aller plus sûrement son chemin, il préfère de lou-
voyer encore et d'attendre du temps les moyens d'écarter son rival.
Je verrai si en ébruitant les projets de corruption de M. de Ségur,
sans qu'on sache que cela vient de moi, je puis peut-être, par la pu-
blicité, arrêter ceux qui seraient tentés de conclure le marché, si tant
y est qu'il existe un frein à l'avidité. H n'est que trop certain qu'in-
dépendamment des moyens illicites M. de Ségur trouvera ici de
grands avantages locaux dans sa négociation , autant que l'objet de
celle-ci n'est que d'empêcher une participation vigoureuse de cette
cour aux affaires de France. Les généraux, la maîtresse du roi et la
grande partie des hommes en place s'empresseront d'y contribuer,
guidés par des impulsions différentes, mais qui tendent au même
but. M. de Bischoffswerder paraît, à l'heure qu'il est, tout à fait
voué à l'Autriche ; aussi longtemps que l'empereur persiste dans ses
ménagements, il ne conseillera pas au roi de Prusse de tenir une con-
duite différente ; il est, en général, bien plus facile d'arrêter une cour
faible et de faire naître des entraves à ses résolutions, que de la
pousser à une démarche vigoureuse.
M. de Ségur n'est point encore arrivé ici, mais on l'attend au plus tôt.
Vous aurez déjà vu, monsieur le comte, par ce que j'ai dit ci-des-
sus, que je sens parfiaitement combien il est important que le roi et
la reine de France ne soient pas compromis, et je me garderai assu-
rément de faire à M, de Heymann des confidences qui pourraient être
dangereuses, vu son caractère, sur lequel vous avez eu la bonté de
me prévenir.
Ds Cabisien.
ET LA COUB DE FRANCE.
tZ/f-'-fè ii'i- uuvnHie fl/?t,re>t.
i^ m/^i^e**'^' /, ont /'imjff.''^'
^t'tt fttiu^t-ju/tèl nit'i/ i////L.
4fM fn./tu inV-lJ'niit /Vt/yt/ifn)
tê.'y'i*- fioTï't- ticn/itift '7)t v-wif/io
^m r/fiit t'ti i$.Ct ^tn et- i IHHln t-
mliittii, ftul/j' yottTyi m/^i^
( 1 ) Billat Butograplie non signé. Le oomtc da Fowen a écrit en marge : iieçu It
110 LE COMTE DE FER8BN
J-jAn-Viainijil ^^™~^^^— '""^^■^■^^— i^^^M^M
ET LA COUR DE FRANCE. 111
CXII a.
DE LA REINE MARIE-ANTOINKTTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Ce 4 janvier 1792.
Je ne vous écris qu'un mot
la personne qui vous porte celle-ci vous dira et fera connaître notre
position telle qu'elle est. J'y ai entière confiance et il la mérite par
son attachement et sa raison. Il porte un mémoire absurde, mais que
je suis obligée d'envoyer. Il est essentiel que l'Emp. soit bien per-
suadé qu'il n'y a pas là un mot qui soit de nous, ni de notre manière
de voir les cboses ; mais qu'il me fasse pourtant ime réponse, comme
s'il croyait que c'est là ma manière de voir, et que je puisse montrer ;
car ils sont si méfiants ici qu'ils exigeront la réponse. Le porteur de
tous ces papiers ne sait pas par qui ils me sont venus et il ne faut
pas lui en parler. Le mémoire est bien mal fait, et on voit que les
gueux ont peur ; mais pour notre sûreté personnelle il faut encore les
ménager, et surtout leur inspirer confiance par notre conduite ici. On
vous expliquera tout cela, ainsi que les raisons pourquoi souvent je
ne peux pas vous avertir d'avance de ce qu'on va faire. Mon homme
n'est pas encore revenu ; je voudrais pourtant bien avoir des nouvel-
les d'où vous êtes. Que veut dire cette déclaration subite de l'Emp.?
pourquoi ce silence profond de Vienne et même de Brux. envers
moi? Je m'y perds, mais ce que je sais bien, c'est que, si c'est pru-
dence ou politique qui fait qu'on ne me dit rien, on a bien tort et on
m'expose beaucoup, puisque personne ne croira que je sois dans cette
ignorance, et il serait pourtant nécessaire que je pus se régler mes
propos et ma conduite d'après ce qui se passe : c'est ce que je charge
la personne de dire à M. de Mercy. Je vais finir
(1 ) BiUet autographe non signé. Le oomte de Fersen a écrit en marge : ReKpi le 8 jimv,
par Gog,
Il2 LE COMTE DE FERSEN
CXII b.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE A LA REINE d'eSPAGNE (1).
Ce 4 janrier 1792.
Madame ma sœur et cousine^
J'aurais bien désiré pouvoir écrire à Y. M. en même temps que le
roi a écrit au roi d'Espagne, mais les moments m'ont manqué, et il
faut être si circonspect dans toutes nos démarches, qu'il m'a fallu
attendre une occasion sûre pour envoyer celle-ci à M. le baron de
Breteuil, que vous savez déjà avoir toute notre confiance. Je m'a-
dresse avec d'autant plus de plaisir à vous, Madame, pour me réu-
nir à la lettre que le roi a écrite, que la noblesse de votre caractère,
le double lien du saug qui vous unit à nous, ne me laisse aucun
doute de l'intérêt que vous prenez à tout ce qui nous regarde. Veuil-
lez donc bien entretenir le roi d'Espagne dans la bienveillance pour
nos intérêts. La lettre qu'il a reçue du roi lui explique nos véritables
sentiments et nous ne pouvons pas en avoir d'autres. Il est inutile
de dire à V. M. combien le plus grand secret est nécessaire, sa pru-
dence et notre position le font assez connaître. Quant à moi, Madame,
je serai charmée de vous avoir obligation, et d'ajoutejp ce sentiment à
celui d'attachement et d'amitié que j'ai voué à V. M. depuis long-
temps et pour la vie.
Marie-Antoinette.
( 1 ) D'après une copie dans les papiers du comte de Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 113
CXIII.
DU COMTE DE FERSEN AU COMTE d'eSTBRHAZY (1).
Bruxelles, ce 9 janvier 1792.
Personne n'est plus convaincu que moi de la conduite indigne de
l'empereur, on l'est de même aux Tuileries. Quant à l'union avec
les princes, il n'y a que l'extrême indiscrétion de leur conseil qui
empêche de leur rien confier dans une affaire où le secret est si né-
cessaire, et il est impossible, car les princes ont accoutumé la no-
blesse à être instruite de tout, et il y a parmi eux un grand nombre
d'espions. La conduite du roi et toutes ses démarches sont aisément
expliquées par la prison où il est, et la nécessité de feire tout ce
qu'on exige de lui, tant pour sa sûreté et celle de sa famille, qui, sans
cette marche, serait exposée à des périls certains, que pour se mé-
nager les moyens, en gagnant ainsi la confiance, d'agir quand l'occa-
sion s'en présentera ; mais dans un moment où il n'est encore assuré
d'aucun secours efficace, qu'il n'y a ni plan ni réunion de puissances,
quel point d'appui aurait-il? Mon ami, ce que vous pourriez faire de
mieux en ce moment serait de quitter Pétersbourg le plus tôt pos-
sible et de trouver un prétexte vis-à-vis des princes pour retourner
à Tournai ; croyez-en ma tendre amitié pour vous. Je vous en expli-
querai les raisons à votre passage ici, et vous verrez que je n'avais
pas tort. Je ne puis vous en dire davantage; notre ami approuvera
même cette marche.
( 1 ) Lettre toute en chiffre ; copiée d'après la minute du comte de Fersen , qui a écrit en
marge : Chyffrt, au C, â^Esterhazy,
T. II. 8
lu LE COMTE DE FERSEN
CXIV.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
Bruxelles, ce 6 janyier 1792.
Un aide de camp de M. de Janconrt a porté à Ath Tordre au
rassemblement qui y était de se porter sur les frontières de l'élec-
torat de Trêves. Vous sentirez aisément combien cette opération a
d'inconvénients et combien elle est désavantageuse : l"" elle augmente
les embarras des électeurs et vous force à une levée de boucliers
qu'il est intéressant de retarder jusqu'au moment où il y aura quelque
chose de préparé au dehors ; 2* c'est un moyen de moins pour com-
promettre l'empereur, et 3*" c'est donner à l'Assemblée la &cilité de
présenter ce départ comme l'effet des menaces du roi. Elle exigera
peut-être des électeurs la même conduite ; ils n'auront plus la faci-
lité de répondre qia'ils se conforment chez eux à ce qui se pratique
dans les Pays-Bas^ et d'après la connaissance que j'ai des intentions
de l'empereur, je ne serais pas étonné qu'il appuyât cette demande.
Je sais qu'il est décidé à ne fournir, pour le soutien des électeurs et
princes de l'Empire, que le contingent auquel il est obligé comme
co-État ; il craint la guerre , il craint de se mêler de vos affaires, et,
n'ayant plus chez lui de rassemblement, il pourrait exiger qu'il n'en
exist&t pas chez les autres. Le baron de Breteuil a écrit au maréchal
de Castries pour empêcher le départ des rassemblements ; j'en ai
écrit de même au baron d'Oxenstjerna.
La réponse du roi a l'office de l'empereur me parait un peu trop
forte ; ne pensez-vous pas qu'il faudrait toujours se tenir en mesure
de faire la guerre, mais reculer le moment de la commencer jusqu'à
celui où il y aurait un concert établi, et où il y aurait une force quel-
conque qui vous servirait d'appui ? Ne pensez-vous pas qu'il eût été
préférable de dire que si, à l'époque fixe, l'électeur de Trêves n'a pas
(1) Lettre probablement expédiée en chiffre. La minute de la main du comte de Fersen»
qui a écrit en marge : 6 fanv, 1792, par It S, à la Reine,
ET LA COUB DE FRANCE. 115
dissipé les rassemblements, le roi attend de l'amitié de l'empereur
qa'il interposera ses bons offices pour l'y obliger? Je crois qn'il serait
intéressant d'accorder à l'électeur de Trêves une seconde époque, jus-
qu'au 1^^ ou 15 février, si cela se peut; ce délai nous donnerait le
temps de recevoir des réponses. Le roi ne pourraitril pas faire valoir
le désir qu'il a de conserver la paix, et d'éviter une guerre toigours
ruineuse, et surtout dans un moment où les finances exigent une aussi
grande attention ?
cxv.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON d'eHRENSVAERD, ENVOTlf EXTRAORDI-
NAIRE- DE SUÈDE A MADRID (1).
Bruxelles, ce 12 janvier 1792.
Monsieur le baron.
J'ai l'honneur de remercier N. N. des passeports qu'il a bien
voulu m'envoyer, et je ferai mon profit des éclaircissements et des
précautions que vous m'indiquez.
Notre maître s'étant décidé à adopter l'idée d'un congrès armé, et
devant en faire la proposition, de concert avec l'impératrice de Rus-
sie, à toutes les cours, cette démarche, jointe à la lettre du roi de
France, doit décider la cour d'Espagne à entrer dans les mêmes
vues.
Le roi de France et la reine semblent craindre qu'en cas de guerre
ou d'attaque du côté du nord, les factieux ne prennent le prétexte du
peu de sûreté qu'il y aurait à Paris pour la famille royale et pour
l'Assemblée nationale, pour les amener dans l'intérieur du royaume,
vers les provinces méridionales. On dit même, et cela paraît positif,
que M. de Lafayette a signé avec les protestants de ces provinces
(1 ) D'après le brouillon de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^ à
Ehrtntvaerdy 12 janv, par la poste.
116 LE COMTE DE FERSEN
un traité dont on ignore la teneur. Pour déjouer ce projet, qui existe
en effet, le roi de France désirerait que le roi d'Espagne et celui de
Sardaigne portassent sur les frontières des forces qui leur en impo-
sassent, et le baron de Breteuil en écrit à M. de la Vauguyon; je crois
qu'il serait intéressant que N. N. lui en parlât, se fît montrer les de-
mandes du baron de Breteuil et les appuyât. Je sais que le roi d'Es-
pagne a déjà sur la frontière un cordon de troupes considérable;
mais ne vaudrait-il pas mieux le diminuer, en former une partie en
corps d'armée et donner des ordres à un plus grand nombre de trou-
pes de se tenir prêtes à marcher?
N. N. pourra rassurer le comte de Florida Blanca sur les tentar-
tives des princes ; ils n'en feront point de partielles, et encore moins
depuis que le roi de France s'est adressé aux cours de Stockholm et
de Pétersbourg pour régler leur conduite d'après ce qui aurait été
concerté avec celle de Madrid. N. N. fera de cet éclaircissement l'u-
sage que sa prudence lui dictera, pour ne pas choquer le ministère
espagnol. Je pense absolument comme N. N. sur le projet de s'em-
parer de Perpignan; ces opérations, qui manquent toujours, ne font
que répandre le découragement dans le parti du roi de France, et sa-
crifier inutilement des gens qui, dans un grand ensemble, pourraient
lui être fort utiles. J'espère que dorénavant les princes ne feront plus
de pareilles folies.
Tous les officiers autrichiens ont ordre de rejoindre leurs corps, et
le maréchal Beoder avoue avoir reçu des ordres pour la protection
de l'électorat de Trêves.
Le roi de Prusse a fait demander ministériellement à l'empereur
de s'expliquer sur le degré de protection qu'il voulait accorder aux
électeurs et princes de l'Empire, en ajoutant que, l'Empire parais-
sant menacé d'une attaque du côté de la France, il ne comptait pas,
dans ce cas, rester spectateur oisif. S. M. I. a répondu qu'elle avait
donné des ordres au maréchal Bender de secourir l'électeur de Trêves,
au cas qu'il f&t attaqué.
Les Pays-Bas sont toujours dans une grande fermentation. Les
rebelles espèrent être soutenus par leurs camarades français, et le
gouvernement autrichien prend peu de précautions pour arrêter et
prévenir le mal. Dans l'électorat de Trêves, les états se révoltent
contre l'électeur pour en faire chasser tous les Français, et il y a des
groupes, dans les rues de Coblence et dans les cafés, qui parlent fort
ET LA COUR DE FRANCE. 117
haut. L'aveuglement des souverains, dans cette occasion, est extrême;
ils ne veulent pas sentir le danger qui les menace tous.
CXVI.
DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1).
Petit ch&teau du nouveau Haga, ce 18 jaurier 1792.
M. le comte de Fersen. J'ai reçu votre lettre du 25. Je vous en-
voie des extraits des lettres (2) du baron d'Ehrensvaerd, qui vous
feront connaître que la cour de Madrid est fort éclairée sur le compte
de l'empereur. Cependant il semble que ce prince revient sur ses dé-
marches et prend un ton plus imposant. C'est l'effet des représenta-
tions de l'impératrice de Russie et des miennes. La paix qui vient
d'être signée entre la Russie et la Porte va laisser les mains libres
à l'impératrice d'agir en faveur de la France. Elle paraît persister,
avec une grande énergie, dans ses sentiments, et les injures des fol-
liculaires français n'attiédiront pas ces sentiments. J'ai écrit au roi
de Prusse pour le prévenir sur la mission du comte de Ségur et j'é-
cris à Carisien en conséquence. Je ne manquerai pas de faire de môme
à Pétersbourg, et j'attends le courrier que vous m'avez annoncé. Sur
ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte de Fersen, dans sa
sainte et digne garde , étant
Votre très-affectionné,
Gustave.
Au comte de Fersen.
(L) Lettre en chîfiEre, déchifiErée. Le comte de Fersen a écrit en marge : Hegu le 30,
rep. le 5 fèor,
(2) Voir les annexes ts^ 1, 2, 8 et 4, ci-après.
118 LE COMTE DE FBRSEN
CXVII.
ANNEXE N« 1
A LA LETTRE PR&îfoBNTE, ÉCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI
DE SUèDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN.
Dépèche de 1! envoyé de S, M. le roi de Suède à la cour de Madrid, le
baron et Ettrensmerd, aurai Gustave III, datée le 8 décembre 1791.
J'ai eu une conférence avec Florida Blanca dans laquelle je lui ai
expliqué les objets du tenu des ordres de V. M. du 4 novembre. Il
était d'accord sur tout ce que V. M. me fait l'honneur de me mander
de l'empereur. Je lui ai insinué la marcbe à tenir pour engager l'im-
pératrice à persister dans les sentiments qu'elle a jusqu'ici déclarés,
et par son moyen obliger l'empereur finalement d'y concourir. Flo-
rica Blanca était prêt à entrer dans l'union projetée pour le soutien du
roi de France , et était parfaitement d'accord sur la garantie des pos-
sessions françaises en Europe, de même que sur l'énoncé en faveur
des princes d'Allemagne sur leurs droits en Alsace ; mais il y a de
la peine à lui faire abandonner son idée de réunir le Danemark dans
cette alliance, d'autant plus que le ministre de Bussie, plutôt pour
dire quelque chose que muni d'aucun ordre de sa cour, avait marqué
à Florida Blanca l'intérêt que le Danemark y fïlt compris ; et si Flo-
rida Blanca, par M. de Coral, revient sur cette même idée, s'ap-
puyant sur ce que le ministre de Bussie ici avait ^.vancé, je puis
assurer en toute soumission à Y. M. que le ministre de Bussie m'a
avoué que sa cour ne lui avait rien mandé de cet objet, et je lui ai
observé que le Danemark , n'ayant point été compris dans le traité
d'alliance, ni même été informé amicalement par la cour de Péters-
bourg que cette alliance se traitait, il me paraissait que cela lui tra-
çait sa marche ici.
Florida Blanca voulait encore que Monsieur se déclarât régent ou
lieutenant général du royaume ; mais ce point peut toujours, d'une
manière ou d'autre, dans le courant de la négociation, être arrangé,
ET LA COUR DE FRANCE. 119
tsnrtout le consentement de Monsieur y devant préalablement con-
courir.
A regard du pavillon national, j^ai eu Thonneur de mander à
y. M., dans son temps , que le roi de France avait communiqué à
cette cour que les couleurs du pavillon français avaient été changées,
et qu'en conséquence le roi d'Espagne avait donné ordre de recon-
naître le nouveau dans ses ports. Florida Blanca dit que, la commu-
nication ayant été faite au nom du roi et reconnue par S. M. Catholi-
que, on aurait de la peine actuellement d'y revenir, d'autant plus
que l'Espagne, peu avant, avait changé les couleurs de son pavillon,
mais que cela n'empêcherait pas de prendre une mesure équivalente,
quand on viendrait aux détails dans cette négociation.
Florida Blanca me dit qu'il me livrerait pour samedi prochain,
qui est le jour ordinaire des conférences des ministres , et hors du-
quel il donne bien peu d'mstants au corps diplomatique, une note
dans laquelle il expliquera ses idées, et conformément auxquelles il
donnera ordres rapidement à M. de Gralvez de poursuivre la négocia-
tion.
Je ne pourrai donc, avant d'avoir vu ce papier, donner un compte
exact à Y. M. comment Florida Blanca s'est identifié les idées que
V. M. m'a prescrites, et selon lesquelles V. M. désire que cette né-
gociation soit conduite.
A l'égard de ce que V. M. me fait l'honneur de me dire sur le plan
d'opération qu'il faudrait adopter, je dois en toute soumission préve-
nir V. M. que l'on a ici une nouvelle que le plan de V. M. était de
passer la chaîne des forteresses, en les laissant sur le 'flanc gauche,
faire la descente près du Havre-de-Qrâce et marcher droit sur Paris.
Ce plan réunit l'avantage de pouvoir d'abord dissiper les factieux,
en les chassant de Paris , foyer de leur enthousiasme , et de ména-
ger la France , en rendant la guerre d'aussi peu de durée que possi-
ble, n est naturel que l'Assemblée fera tous les efforts imaginables
pour avoir une flotte. L'Angleterre, qui ne voit point de bon œil l'ao-
croissement de la marine des couronnes du Nord, supportera encore
moins qu'une expédition puisse s'effectuer si près de ses côtes. Le
ministère, qui aura dans cette occasion la nation de son côté , peut
saisir ce moment pour se venger de la Suède et de la Bussie, tant
è. cause de la neutralité armée comme pour détruire une marine que
l'Angleterre doit toujours craindre et que, dans la Baltique, l'Angle-
120 LE COMTE DE FERSEN
terre ne peut jamais entamer. J'ose donc croire , Sire ^ qu'une attaque
par mer devenant très-difficile , il &ut calculer être une affaire de
durée Tentreprise de réduire la France , surtout depuis qu'il paraît que
les enragés se sont rendus maîtres de l'Assemblée. Et si ainsi l'at-
taque principale se détermine natureUement par terre, de quelque
longueur que paraît le chemin, quelque difficulté qu'il y aura de for-
mer les magasins pour le passage, Y. M. obtient de ne pas être gênée
dans le transport des troupes suédoises et russes, que la cavalerie
arrive en bon état et que l'Allemagne servira à recruter les armées,
Si l'expédition va au delà d'une campagne, que Y. M. peut toujours
avoir un corps en Poméranie sous prétexte de réserve, mais princi-
palement pour brider les Danois, et en même temps pour renforcer
l'armée, en cas de besoin ; et enfin que toutes les démarches que Y. M.
fera pour obtenir le passage des troupes, près des princes en Alle-
magne, serviront ou véritablement pour ce but, ou pour cacher l'ex-
pédition maritime, si elle se peut effectuer. J'ose supplier Y. M., en
toute soumission, de me rendre la justice de croire que je ne me per-
suade pas de rien trouver, comme pouvant échapper à la haute péné-
tration de Y. M., mais le zèle qui m'anime pour le service de Y. M.,
me fait désirer que mes idées imparfaites puissent servir à en trouvei
de bonnes et utiles.
On avait pensé ici à envoyer quatre régiments en Amérique, mais
je crois que cet envoi a été remis.
ET LA COUB DE FRANCE. 121
CXVIIL
#
ANNEXE N* 2
A LA LETTRE PR^C^DENTE, lÈCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN.
Mémoire du ministre cTÉtat de S. M. Catkoliqtiey le comte de Florida
Blanca^ à P envoyé de S. M. le roi de Stiède à la cour de Madrid.
Les plans qu'on a donnés ou formés jusqu'à présent ont été éten-
dus dans ridée d'agir de concert avec l'empereur et les souverains
qu'il avait invités de s'unir pour le rétablissement de l'autoiité royale
de S. M. T. C. et pour obtenir sa liberté. Mais les circonstances ayant
varié par la manière actuelle de penser de S. M. L et de son allié^ il
faut par conséquent que les plans changent , pour le moins dans la
forme^ pendant que pour le fond ils sont, ou doivent être, toujours
constants.
D'exiger de l'Assemblée la liberté de S. M. T. C. par des offices
ministériels, en retirant les ambassadeurs et les ministres et en inter^
rompant toute communication et commerce, comme il a été proposé ;
de préparer ou former un congrès dans lequel on réglerait et garan-
tirait le rétablissement de l'autorité royale, ne sont plus, dans l'état
actuel des choses, des moyens à adopter, puisque le roi de France
lui-même dit et cherche & persuader aux autres cours qu'il est libre,
et que l'empereur de même que le roi de Prusse ont aflFecté de croire
à cette liberté, et ont fait de quelque manière des compliments à ce
monarque pour ce qu'ils appellent sa satisfaction, et hors de cela la
quantité d'émigrés français et les partis formés dans les provinces de
ce royaume contre ceux qui ont fait la révolution, ne se trouvent pas
en état d'attendre plus longtemps, leur manquant jusqu'au néces-
saire pour vivre ; et par conséquent cette affaire ne donne pas temps
pour former le concert qui sera indispensable entre les puissances
du Nord et celles du Midi, afin qu'ils pussent combiner et exécuter
la manière de chacun pour agir et d'aplanir et expliquer les difficul-
122 LE COMTE DE FERSEN
tés qui peuvent exister dans de pareilles circonstances : il paraît ac-
tuellement qu'il convient de se fixer au plan suivant :
1* Donner des secours pécuniaires aux princes français et aux émi-
grants pour les retenir ; pour qu'ils puissent subsister au moins le
temps qu'ils doivent avoir pour fortifier leur parti et se préparer à
entrer en France, sans risquer d'être insultés.
2"" Les puissances du Nord, particulièrement la Bussie et la Suède,
les aideront avec des troupes, autant qu'il sera possible, et les autres
puissances avec les subsides pécuniaires, des armes et des nmnitions,
et des autres provisions pour la guerre.
3® Les puissances limitrophes renforceront les troupes du cordon,
exigeant au moins sûreté de l'empereur, pour qu'ils puissent faire,
en menaçant, une diversion, pouvant en même temps par ce moyen
tenir en respect les mécontents des Pays-Bas.
4* Publier des manifestes très-courts et faciles à comprendre par
le peuple, dans lesquels on protesterait de ne rien entreprendre contre
la nation et ses droits, seulement contre les tyrans et usurpateurs de
l'autorité et les destructeurs de la monarchie.
5° Assurer dans ces manifestes de l'indivisibilité du royaume de
France, tel qu'il se trouve, et ne demander son délabrement, ni en
le modifiant ni en substance.
Les cours de Madrid, Turin et Naples seront sans le moindre doute
d'accord, sur les points expliqués. Celle de Madrid ne s'avancera pas,
pour le moment, d'offrir des secours de troupes hors celles du cordon,
ni d'agir avec elles offensivement contre la France sur le juste et
très-fondé soupçon qu'elle tient que, malgré la neutralité que l'An-
gleterre a offerte, elle cherchera à rompre avec l'Espagne, sur un
des prétextes multipliés qu'elle a et pense de se les rendre utiles
dans les disputes non terminées dans les affaires de l'Amérique.
Ajoutant à cela que les intentions de la nation jfrançaise pourront
faire croire que les intentions deTEspagne sont de ne réintégrer du
royaume ce qui l'indisposerait pour la
bonne cause. Le roi de Sardaigne a des motifs d'agrandissement et
même l'empereur pourra les prétexter pour se réduire à ne faire qu'une
menace, en formant un cordon de quelque force, ou à donner quelque
secours en argent. On sondera le roi de Prusse pour voir ce qu'il
compte faire, et on croit qu'il ne laissera pas que d'entrer en quelque
chose.
ET LA COUR DE FRANCE. 123
En suivant ce plan, il n'est pas besoin de lui donner plus d'ap-
parence, ni de déclarer Monsieur régent, ni le roi incapable, ni autre
chose qui puisse choquer les idées de la reine, ou celles en général
de la nation française. H suffit, comme il vient d'être dit, de suppo-
ser que le roi n'est point en liberté et qu'il ne s'agit que de châtier
ceux qui troublent Ja tranquillité des empires et les usurpateurs du
pouvoir royal.
CXIX.
ANNEXE N° 3
A LA LETTRE PR^ClÊDENTE, ]ÉCRITB LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN.
Observations de F envoyé de S. M, le roi de Suède à la cour de Madrid,
le baron d* Ehrensoaerd, sur le mémoire précédent du comte de Florida
Blanca, datées h 12 décembre 1791.
Pour être en état de rendre compte au roi des intentions de la cour
d'Espagne relativement aux mesures à prendre ci-après, en faveur
du roi de France et du rétablissement de l'autorité royale, l'envoyé
de Suède a eu l'honneur de demander à Son Excellence M. le comte
de Florida Blanca, premier secrétaire d'État de S. M. C, des éclair-
cissements sur quelques points dans le nouveau plan proposé, que
S. E. vient de lui remettre.
Il paraît, par le préambule, que la cour d'Espagne se fonde sur les
réponses données par l'empereur et le roi de Prusse à la lettre du roi
de France, et les déclarations de ce prince sur la libre acceptation de
la constitution, pour ne plus trouver comme moyens à adopter de re-
tirer les ambassadeurs de Paris, ni de former un congrès, ni d'inter-
rompre les commimications conmierciales avec les Français.
S. M. C. ayant, postérieurement à la réponse qu'a donnée l'em-
pereur, renouvelé la déclaration de ne pouvoir reconnaître , dans les
124 LE COMTE DE FERSEN
communications faites par le roi d'Espagne, l'état de liberté de ce
prince, mais s'appuyant en quelque sorte en ce moment sur les let-
tres du roi de France , il est essentiel d'écarter toute erreur sur un
point aussi essentiel, l'envoyé de Suède étant persuadé d'après les
conversations qu'il a eu l'honneur d'avoir avec S. E. M. le comte de
Florida Blanca, qui surtout n'est point revenu sur un point qui fait
la base des démarches à faire en faveur de S. M. T. C. et de l'auto-
rité royale.
n est annoncé dans le nouveau plan que l'état dans lequel se trou-
vent réduits les princes et les émigrés jusqu'à manquer des moyens
de subsister est la cause que le temps est insuffisant pour former un
concert entre les cours du Nord et celles du Midi ; mais que le plus
pressé est de retenir les princes & ne point entreprendre avec la seule
noblesse française une démarche qu'on paraît appréhender, qui serait
l'unique ressource du courage quand toutes les autres leur auraient
manqué, et de fournir aux princes des secours pécuniaires, jusqu'à ce
qu'ils pourraient entrer en France avec moindre risque d'être insultés.
S. M. Suédoise désirera certainement, pour éviter une perte de
temps ultérieure, de pouvoir expliquer le vrai sens par rapport au
premier paragraphe, qui ne paraît annoncer la résolution de sou-
tenir les princes que jusqu'à ce qu'ils pourront faire leur paix avec
l'Assemblée. Si l'intention est d'attendre jusqu'à ce que les princes
auront un parti assez grand dans le royaume pour pouvoir se mettre
à la tête, il paraît que, malgré la désunion qui règne, les esprits ne
sont point encore revenus au point de sentir, aussi vivement qu'il est
nécessaire, toute l'incohérence de la nouvelle forme de gouvernement.
Ainsi les princes doivent attendre jusqu'à ce qu'ils soient à peu près
lassés de l'Assemblée, et alors il y a temps à se concerter avec les
couronnes du Nord ; ou les princes et la noblesse doivent se soumettre
à la constitution, et alors les armées étrangères sont inutiles.
n est essentiel de savoir si l'intention est de faire subsister les
princes jusqu'à ce qu'ils retournent en France avec probabilité de
sûreté personnelle, ou de les aider jusqu'à ce que le roi de France
soit remis en liberté ou que les factieux aient perdu le pouvoir usurpé.
Si ce sentiment est celui de S. M. C. et qu'il est à prévoir que l'As-
semblée nationale ne se dessaisira pas de bon gré de la puissance, ni
ne se laissera intimider par des menaces, il devient nécessaire pour que
S. M. Suédoise puisse prendre à temps les mesures indispensables.
ET LA COUR DE FRANCE. 125
tant poor les troupes que pour Téquipement des vaisseaux à leur
transport, que S. M. C. veuille donner les pleins pouvoirs à son mi-
nistre à Stockholm d'entrer en négociation sur l'emploi de ces trou-
peS; afin qu'elles soient prêtes à marcher aussitôt qu'il sera nécessaire.
Le troisième point du nouveau plan est de beaucoup de conséquence ,
sachant que l'empereur fait marcher des troupes sur la frontière de
France. L'empereur s'y déterminera probablement si l'impératrice
appuie, comme il est à présumer, cette demande de S. M. C; et il
sera utile qu'il soit convenu que ces troupes se rendront sur la fron-
tière & un temps déterminé.
Le quatrième point, dans lequel il est projeté de déclarer dans les
manifestes Vintéffrité du royaume de France, acquerrait une plus
grande force aux yeux des peuples, s'ils étaient instruits que les
mêmes puissances qui se sont armées pour le rétablissement de l'au-
torité royale auront garanti, par une convention formelle, l'intégrité
du royaume, et que d'autres y avaient accédé.
S. M.^C. ne croyant point utile que Monsieur prenne le titre de ré-
gent ou lieutenant général du royaume, qui n'avait été projeté que
pour trouver un point de réunion à des négociations transversales,
qui consumaient inutilement le temps, il serait donc naturel que
S. M. C, chef de la maison de Bourbon (le roi de France ne jouis-
sant pas de sa liberté), et intéressée à la succession du trône, s'u-
nisse avec le roi de Suède et l'impératrice de Bussie, comme les deux
souverains qui ont ouvertement témoigné le plus grand intérêt en
&veur du roi de France , sa famille et le rétablissement de l'auto-
rité royale.
Les démarches que la cour d'Espagne promet de faire près de
l'empereur et du roi de Prusse, de même que le concours des cours
de Naples et de] Turin et celui des cantons helvétiques , donneront à
ces puissances réunies un poids respectable pour but qu'on se propose.
Le baron d'Ehrensvaerd osera ajouter qu'au delà de ce que les sen-
timents généreux inspireront, il est même de l'intérêt de l'Espagne
de faire un vigoureux effort pour le rétablissement de l'autorité royale
en France ; car il est très-problématique que le gouvernement dé-
mocratique, s'il peut se consolider, et qui ne reconnaîtra point l'union
entre la maison de Bourbon, conservera l'amitié avec l'Espagne, mais
recherchera plutôt l'Angleterre, comme un pays plus conforme en sen-
timents religieux et pohtiques, et si l'Espagne tient actuellement à
126 LE COMTE DE FERSEN
des motifs d'ancieùne haine envers TAngleterre, il n'est point im-
possible que TAngleterre ne profite des avantages dans un temps
fator, des divisions avec FEspagne. Si ranarchie en France, au con-
traire, continue, et que les haines et les vengeances montent à leur
comble, la France reproduira en grand les trahisons désastreuses
d'Avignon, et l'Espagne sera encore forcée, comme puissance voisine,
d'intervenir pour sauver le démembrement de la France.
Ce n'est que dans le seul cas de la France monarchique que l'Es-
pagne peut s'assurer de son amitié, et c'est au rétablissement de cet
état que S. M. Suédoise a voué tous ses e£forts.
Siffné : C.-A. Ehrensvaerd.
ICadrid, ce 12 décembre 1791.
cxx.
ANNEXE N^ 4
A LA LETTRE PR^C^DENTE, ÉCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN.
Extrait dune dépèche de V envoyé de S. M. le roi de Suède à la cour
de Madridj le baron d Ehrensvaerd^ au roi Gustave IIIj datée du
12 décembre 1791.
Les contradictions et une nullité de moyens, dont est composé le
nouveau plan que Florida Blanca vient de me remettre et dont j'ai
eu l'honneur de mettre sous les yeux de V. M. la traduction, feront
juger à V. M. que le roi d'Espagne est prêt & suivre l'exemple des
cours qui ont reconnu le nouveau gouvernement en France. Les ex-
pressions verbales du comte de Florida Blanca sont pourtant très-
éloignées de ce sentiment; mais pour que Y. M. puisse juger avec
plus de certitude des dispositions de cette cour, j'ai demandé, par
écrit, des éclaircissements, dont j'ai l'honneur de joindre en soumis-
ET LA COUR DE FRANCE. 127
BÎon la copie. J'ai fait mon possible pour obtenir que le ministre de
Bnssie, dans le compte qu'il rend à l'impératrice de ce plan^ cherche
d'en modifier l'impression défavorable; et, sur les observations que
nous lui avons faites, Morida Blanca a prié qu'on n'attache point de
l'importance à l'énoncé de ce plan ; mais j'ai cependant préféré obte-
nir une expUcation par écrit.
Le comte de Florida Blanca pria le ministre de Russie et moi, sé-
parément, à une conférence particulière, et il nous a remis, sous le
plus grand secret, un papier écrit en espagnol de sa main, sur une
accession au traité d'alliance qui vient d'être conclu entre la Suède et
laBussie ; cette note, que j'aurais l'honneur de ci-joindre, est mot pour
mot du même contenu que celle qui a été donnée au ministre de Rus-
sie, hors l'offre de subsides qui ne s'y trouve point. Je répondis .que
j'étais sûr que ce projet serait agréable à V. M., et que V. M. m'a-
vait donné ordre de lui dire que, quand ce traité serait ratifié, je re-
cevrais des ordres sur la manière de le communiquer.
Florida Blanca a convenu de munir M. de Coral de pleins pouvoirs
pour traiter de l'alliance en faveur de la France, et de la marche à
tenir tant à Pétersbourg qu'à Vienne, en conformité des ordres de
y. M. du 4 novembre. Je lui ai également communiqué les senti-
ments de V. M. à l'égard du Danemark, et j'espère qu'il ne revien-
dra plus & les mettre en question. Je lui ai aussi donné h entendre de
la manière qu'il convient en ce qui regardait M. de Galvez.
Florida Blanca dit : On 'sait que la Suède a fait un traité d'al-
liance avec l'impératrice, mais on en ignore les articles. Il conviendra
d'informer l'Espagne du contenu de ce traité, et de l'inviter d'y ac-
céder, à quoi il n'y aura pas de difficulté, du moment que ce n'est
qu'ime alliance défensive; et en ce cas on pourrait régler les secours
que ces puissances doivent se donner, dans le cas qu'une d'elles soit
attaquée, et on pourra combiner, par une convention particulière
avec la Suède, d'autres idées et des subsides, autant que le peut per-
mettre la situation des finances de l'Espagne. Ce point pourra se
traiter séparément, ou avec les affaires qui concernent la France,
comme on le trouvera le mieux.
128 LE COMTE DE FERSEN
CXXL
DU ROI DE PRUSSE AU BARON DE BRETEUIL, DU 14 JANVIER 1792(1).
Monsieur le baron de Breteuil. Le courrier que vous avez adressé au
comte de Schoulembourg vient de me faire parvenir la lettre secrète
de S. M. T. C. du 3 décembre, et la vôtre du 3 de ce mois. Les senti-
ments de vif intérêt pour la situation de ce monarque et de la reine,
son épouse, que j^ai manifestés en plusieurs occasions, et dont je
crois avoir donné des preuves non douteuses, sont invariablement
les mêmes, et je désire beaucoup pouvoir lui être utile; c'est ce que
je viens de lui témoigner d'une manière expressive dans la réponse
ci-jointe, que je vous prie de lui faire parvenir avec les précautions
que vous jugerez vous-même être nécessaires. Ma façon de penser à
son égard me rend très-disposé à entrer dans ses vues, relativement
à l'établissement d'un congrès armé, et je me suis empressé en
conséquence de faire sonder & cet égard S. M. l'empereur, auquel la
même idée a été proposée, de même qu'à l'impératrice de Russie et
aux rois d'Espagne et de Suède. Quoique je ne puisse me dissimuler
les lenteurs et les difficultés qu'une mesure de ce genre ne peut
manquer d'éprouver, j'aime cependant à en prévoir des eflfets heu-
reux pour S. M. T. C, et j'aurais même souhaité de pouvoir entrer,
dans la lettre que je lui adresse, en quelques détails sur la manière
de l'établir, s'il n'était essentiel d'entendre avant toute chose à ce
sujet le sentiment des autres souverains qui doivent y concourir, et
nommément l'empereur.
Mais une considération que le soin de mon peuple m'a obligé de
présenter au roi, votre maître , et de soumettre à son équité , c'est
celle des dépenses très-considérables que le rassemblement des forces
nécessaires pour appuyer le congrès ne peut manquer de m'occa-
sionner, et d'un juste dédommagement à cet égard, que, malgré ma
bonne volonté et mon désir personnel de rendre service à S. M. T. C,
(1) D*aprè8 une copie dans les papiers du comte de Fersen, qui a écrit en marge : /îcçti
U 23 ;a«r. par Btlzunct,
ET LA COUR DE FRANCE. 129
le bien de mon Etat et de mes snjets ne me permet pas de passer
BOUS silence.
Je verrai arec plaisir que vous youliez bien à cet égard, comme
pour ce qni concerne le bien dn congrès et la manière de l'établir,
vous expliquer envers mon ministère, que j'autoriserai & communi-
quer avec vous pour tout ce qui sera relatif à cet important objet.
L'envoi d'une personne de confiance à Berlin de votre part me
sera très-agréable ; soyez, au reste, parfaitement sûr du secret de ma
part et de ceux auxquels je le confierai ; j'ai donné les mêmes assu-
rances à S. M. T. C, en lui témoignant toutefois que je ne saurais
répondre de même des autres cours qui doivent y concourir.
Il m'est agréable. Monsieur, de trouver une occasion aussi intéres-
sante pour vous donner des assurances de mon estime et de la jus-
tice que je me plais à rendre à vos lumières et à vos talents. Je suis
très-sensible aux sentiments que vous me témoignez, et je vous prie
de me croire sincèrement
Votre très-affectionné,
Frédéric-Guillaume.
Berlin, ce 14 janvier 1792.
CXXII.
DU ROI DE PRUSSE A SA MAJESTÉ TRÈS-CHRÉTIENNE, DU 14 JANVIER
1792 (1).
MoQ^iear mon frère. Je viens de recevoir la lettre que V. M. m'a
écrite le 3 décembre, et que le baron de Breteuil m'a fait parvenir.
Je reconnais avec une vive sensibilité la confiance qu'elle m'y té-
moigne , et je la prie d'être bien persuadée que M. de Moûtier n'a
fait que lui exprimer mes véritables sentiments, en lui parlant de
l'intérêt sincère que je prends à sa situation et & celle de la reine,
son auguste épouse, et du désir qui m'anime de pouvoir leur être
utile, pour amener un état de choses plus conforme à leurs vœux.
(1) D'aprèt une copie dans les papiers dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : Reçu
le 23janv, par Behunoe,
T. 11. •
130 LE COMTE DE FERSEN
Far une suite de ces dispositions, je suis très-porté à entrer dans
les vues de V. M. par rapport à rétablissement d'un congrès armé,
et je vais en conséquence faire sonder incessanmient S. M. Fem-
pereur à cet égard, avec lequel j'ai suivi jusqu'à présent un concert
confidentiel sur les affaires de France, et auquel Y. M. me
marque avoir fait la même proposition. Malgré les lenteurs et les
difficultés' que l'arrangement d'un tel congrès armé éprouvera né-
cessairement, j'aime à croire que ses effets, et l'impression qui
en résultera, répondront à l'attente de Y. M. Mais, avec toute la
bonne volonté dont je me sens animé pour ses intérêts, je ne sau-
rais en même temps me refuser à la considération des dépenses très-
considérables auxquelles cette mesure doit donner lieu , et, père de
mon peuple , je dirai avec franchise à un roi qui a donné de si fortes
preuves des mêmes sentiments, qu'une juste indemnisation de ces
frais me paraît indispensable pour concilier les services que je
souhaite de rendre à Y. M. avec mes soins pour le bonheur de l'État
que je gouverne.
Je me ferai, au reste, un plaisir de faire communiquer par mon mi-
nistre, le comte Schoulembourg, avec le baron de Breteuil, que Y. M.
honore de sa confiance, et qui le mérite à si juste titre, sur tout ce
qui sera relatif à cet important objet ; mais je serai charmé en même
temps de pouvoir recevoir des nouvelles directes de Y. M. aussi
souvent qu'elle jugera pouvoir m'en donner avec sûreté ; et quant au
secret qu'elle me demande, et dont je sens parfaitement la grande
nécessité, je lui réponds qu'il sera religieusement et strictement
observé par moi-même, et par ceux auxquels la chose devra être
confiée de ma part, mais elle sentira sans peine que je ne puis de
même répondre du secret aux autres cours qui doivent y concourir.
Je termine cette lettre en réitérant à Y. M. les vœux ardents et
sincères que je forme pour elle et sa famille royale, et l'assurance des
sentiments invariables de considération et d'attachement avec les-
quels je suis,
Monsieur mon frère,
de Yotre Majesté
le bon frère,
FR^DéRIC-GuiLLAUME.
Berlin, le 14 janvier 1792.
ET LA COUR DE FRANCE. 131
CXXIII.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE m (1).
Bruxelles, ce 16 janvier 1792.
Sire,
J'ai déjà eu rhonneur de mander à V. M. Tarrivée du courrier
Signeul avec le paquet dont il a plu à V. M. de le charger pour moi.
Je me conformerai exactement au contenu du mémoire qui doit me
servir d'instruction et je ferai de mon mieux pour remplir les inten-
tions de V. M. Je crois comme elle la démarche indiquée très-né-
cessaire, et je ne doute pas que le roi de France et la reine ne s'y
décident; elle ne pourra varier que dans la manière de l'exécuter,
qui doit dépendre des circonstances et de la position du moment,
qu'il m'est impossible de connaître encore au juste.
Je suis charmé que V. M. se soit décidée pour le congrès. J'en ai
senti comme elle tous les inconvénients, mids avec la mauvaise vo-
lonté de l'empereur je crois ce moyen (d'ailleurs très -mauvais) le
seul pour le forcer à agir. La lettre circulaire de ce prince , dont
V. M. a bien voulu m'envoyer la copie , est une nouvelle preuve de
la duplicité de sa conduite, et je ne manquerai pas d'en faire usage
pour convaincre encore mieux le roi de France et la reine de tous ses
torts envers eux.
D'après la connaissance que j'ai des dispositions du roi de France
et de la reine et de la connaissance parfaite qu'ils ont de la conduite
de l'empereur, et dont V. M. aura déjà vu des preuves, par les lettres
que j'ai eu l'honneur de lui envoyer, je crois préférable de remettre
à la reine la plus longue des deux lettres de Y. M. : elle lui marque
plus de confiance, et doit faire un meilleur effet. Je me conduirai
pour tout le reste selon les ordres et les indications de Y. M.
J'ai reçu une lettre de M. de Carisien dont je ne saurais assez
(1) D'après la minnte de la maiii du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre au
rcij 16 jano.^ avec la poste.
132 LE COMTE DE FERSEN
dire de bien à Y. M. ; elle est écrite avec sagesse; esprit et inteUigence,
et il me paraît que sa condnite y est analogue. Celle que je reçois du
baron d'Oxens^'ema est de même ; il doit avoir rendu compte de
tout à Y. M. et doit déjàTavoir prévenue de la grande indiscrétion qui
règne & Coblence et qui empêche de leur confier des affaires dont le
secret seul peut assurer la réussite. H finit sa dépêche par me dire,
en parlant de Coblence : Mais, toutes les considératioTis à part. Userait
à désirer que, si l'empereur voulait bientôt s'occuper sérieusement de nos
af aires j il le fit sans nous consulter et surtout ^ans nous communiquer
ses projets; carnaus sommes plus légers, phis indiscrets et plus bavards
que tout ce qu'il est possible de s'imaginer.
Toutes les troupes des Pays-Bas viennent de recevoir Tordre de
se compléter sur pied de guerre, ce qui portera les forces dans cette
partie et l'Autriche antérieure à près de 70 & 72,000 hommes. Y. M.
sait déjà que tous les officiers ont ordre de rejoindre.
Un voyageur raisonnable arrivé de Paris m'assure qu'on commence
à s'y lasser de la révolution de même que dans les provinces. Il y a
peu de cocardes et dans plusieurs villes plus de gardes nationales.
La grande majorité, sans désirer le retour de l'ancien ordre de choses
en entier, veut un changement et qu'on vienne à leur secours. Us
craignent seulement la banqueroute et les vengeances ; en les rassu-
rant sur ces deux points la besogne ne sera pas si difficile, et avec le
secours de Y. M. et de l'impératrice de Russie j'espère qu'elle se
fera.
Les ministres du roi de France ont imaginé d'envoyer en Angle-
terre l'évêque d'Autun pour s'assurer de cette cour, et lui offrir même
la cession de quelques possessions , si cela était nécessaire. La reine
me le mande et me charge d'en prévenir Y. M. J'ai d^'à écrit à Lon-
dres, à quelqu'un qui a de l'influence dans le ministère, pour avertir
de cette démarche et en détruire les effets.
ET LA œUR DE FRANCE. 183
CXXIV.
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1).
■
Stockholm, c« 17 janTier 1792.
L'estafette de Hambourg est arrivée samedi passé au soir, et tont
heureusement arrivé. Le roi de Suède est parfaitement content de la
lettre de la reine de France à lui, et de celle qu'elle a écrite à l'im-
pératrice, mais il ne l'est point autant de celle que le roi de France
a écrite au roi d'Espagne. Le roi de Suède ne trouve pas que les
secours et l'assistance qu'il lui demande sont assez fortement pro-
noncés , ni que le roi ait dit au roi d'Espagne qu'il ne veut point de
composition avec les rebelles, ni un gouvernement mixte, mais revoir
la monarchie et le pouvoir royal dans toute sa plénitude. Le roi de
Suède me charge de vous dire, mon ami, et vous prie de déclarer de
sa part, que si le roi de France ne persiste pas dans ces mêmes sen-
timents-là, tout secours étranger lui deviendra inutile, et sa puissance
alors serait même inutile à ses amis et alliés. Le roi de Suède ap-
prouve fort la conduite que le roi de France tient actuellement avec
les rebelles : on ne peut pas trop les endormir; mais avec ses amis
il ne faut jamais parler ou proposer que le rétablissement de la mo-
narchie tout entière , et telle qu'elle était avant la révolution. Quant
à la proposition de prendre le Danemark avec dans la ligue, c'est
chose impossible ; depuis vingt ans que le roi de Suède règne, l'im-
pératrice a tenté en vain de le forcer à faire une triple alliance entre
elle, lui et le Danemark , sans pouvoir jamais y réussir. D faut ainsi
rayer cela totalement des projets du roi et de la reine, s'ils veulent
son appui. Entre nous, mon ami, sans les sots ménagements que la
France a de tout temps eu pour le Danemark, contraires aux intérêts
de la Suède, nous aurions été actuellement plus puissants, et par
conséquent plus utiles dans ces moments à la France. Le roi de
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de.Fersen , qui a écrit en marge :
2 Jévritr reçu; rép. le b février.
134 LE COMTE DE FERSEN
Suède a écrit une lettre au roi de Prusse pour le prévenir sur l'ar-
rivée de Ségur pour qu'il le renvoie ; le roi de Suède va aussi écrire
à l'impératrice au sujet du congrès , sur lequel le baron de Breteuil
insiste^ au nom du roi de France et de la reine.
cxxv.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE 8TEDINGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE
A SAINT-PÉTERSBOURG (1).
Bruxelles, c?19 janvier 1792.
A l'heure qu'il est, M. de Bombelles doit être arrivé ou ne peut
tarder, et vous serez instruit alors, mon ami, des véritables sentiments
du roi et de la reine. Vous verrez clairement alors combien l'empereur
était de mauvaise foi, et par la lettre de la reine l'impératrice ne
pourra plus douter des véritables sentiments de cette princesse, et
du mécontentement où elle est de la conduite de son frère. Elle ne
s'en cache pas vis-à-vis de l'impératrice, et sa lettre est bien faite.
Quant à celle de la reine de France à l'empereur, dont vous avez
connaissance , elle a été écrite à la fin de juillet ; elle était de six
pages et a été remise à M. de Montmorin, pour être envoyée à M. de
Noailles, qui l'a fait tenir à l'empereur. La reine avait été forcée à
cette démarche, et l'empereur l'a si bien senti, qu'il m'a dit lui-même
qu'il avait reçu de la reine une lettre confidentielle, remise par M. de
Noailles ; qu'il sentait fort bien le cas ^ju'il ^n fallait faire ; que la
reine avait été forcée à cette démarche, et qu'il en était assuré par
les quatre dernières lignes, où elle disait : Vous connaisses depuis
longtemps ma façon dépenser et mes sentiments; ils n'ont point changé.
Il ajouta qu'il entendait fort bien ce que cela voulait dire, mais qu'il
profiterait de cette occasion pour envoyer à la reine, par la môme
(1) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chif-'
fre, à 8tedingl'; 19 janvier^ par la jioste.
ET LA COUR DE FRANCE. 135
voie, une lettre confidentielle, qu'elle pourrait montrer, et qui ferait
un bon eflet. L'empereur a encore reçu, au mois de septembre, et
avant l'acceptation de la constitution , une autre lettre de la reine,
oti elle lui demande d'agir, mais d'arrêter la fougue des princes et
de les empêcher de faire des folies. — Voilà , mon ami, toutes les
lettres que la reine a écrites & l'empereur avant celle de la fin de
septembre, où elle lui détaille sa position et renouvelle la demande
d'un congrès armé, et en indique les prétextes. Dans la lettre que
Bombelles vous porte, vous aurez vu les raisons de la conduite que
tiennent le roi et la reine ; il fiiut bien se rappeler, dans toutes les
occasions, qu'elle est forcée et n'a pour but que d'endormir les fac-
tieux et se préparer les moyens d'agir. M. le chevalier de Bressac
n'étant point arrivé, le baron de Breteuil envoie à Berlin le comte
Caraman, l'aîné [de] celui qui a déjà fait un Voyage en Suède et
eu Russie : tu le connais, il est estropié de la main droite. — Il n'y a
jamais eu de projet d'évasion du roi ; c'était un faux bruit , imaginé
par les factieux pour faire du mouvement. Ils viennent tout à l'heure
d'employer le même moyen, et il y en a eu un peu dans Paris. Il oi'y a
pas de projet d'abdication, et, avant de former un plan raisonnable ,
il faut être un peu éclairé sur les intentions et les secours des puis-
sances étrangères. En atteu^dant le roi et la reine continuent de suivre
la conduite qu'ils ont adoptée et de préparer ainsi , par la lassitude
du désordre, les esprits à recevoir un changement, et en efi'et l'opi-
nion change beaucoup en France, et ils conmiencent à sentir le poids
des malheurs qui les accablent; mais cela ne suffît pas pour opérer
un changement , il faut pour cela une force extérieure.
Les patriotes de ce pays remuent plus fortement que jamais ;
l'exemple de la France les encourage, et le gouvernement ne veut
pas sentir qu'il en sera de même tant que les factieux de France
ne seront pas détruits. Il craint de voir recommencer la révolté s'il
donne des troupes pour agir contre la France. Quelle misérable
politique 1 Pendant deux nuits, on a enlevé plusieurs bourgeois chez
eux, soupçonnés d'avoir des correspondances avec les jacobins et les
patriotes réfugiés en France.
136 LE COMTE DE FERSEN
CXXVI.
DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE 111 AU COMTE DE FERSEN (1).
Au petit cliâteaa du nourean Haga, ce 20 janvier 1792.
Monsieur le comte de Fersen. J'ai reçu samedi dernier le paquet
que Reutersvaerd a porté à Hambourg, Mon départ pour Gefle et les
nombreuses occupations que Touyerture de la diète occasionne m'em-
pêchent de vous écrire plus au long, mais la pièce ci-jointe (2) doit
vous prouver que j'ai adopté les mesures que le roi de France sou-
haite de moi. Je vous prie de le dire au baron de Breteuil, et quoique
je n'espère rien d'un congrès pareil, qui servirait plutôt à brouDler
les souverains qu'à les réunir, comme je suis convaincu que l'empe-
reur s'y reAisera, j'ai voulu montrer au roi.de France que je me con-
forme à ses souhaits avant la réponse de l'empereur. Si l'Assemblée
marche de la vitesse qu'elle a commencé, ou sera bien obligé de re-
courir & des mesures moins lentes que celles d'un congrès. Au reste,
je persiste toujours sur la nécessité de faire partir le roi de Paris.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte de Fersen, dans
sa sainte garde, étant
Votre très-affectionné,
Gustave.
Au comte de Fersen.
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : Reçu le 6 février
1792 ;rep. le 79 févr.
(2) Voir l'annexe ci-après.
ET LA COUR DE FRANCE. 137
CXXVII.
ANNEXE
A LA LETTRE PRÉCiJdENTB, ECRITE LE 20 JANVIEB 1792 PAR LE ROI
DE SUÈDE GUSTAVE lU AU COMTE DE FEBSEN (1).
Apostille du 20 janvier 1792.
Aperçu relatif à V office fait par 1^ empereur relaUvement aux affaires
de France.
Il paraît au premier moment que le premier but de l'empereur,
par l'office que le prince de Kaunitz vient de faire, relativement aux
affaires de France, est de gagner du temps, en ne s'expliquant pus
expressément avec le roi de Prusse, puissance qui sait prendre un
intérêt intime au sort de LL. MM. TT. CC. et en même temps se jus-
tifiant vis-à-vis d'elle de la contradiction qui se manifeste entre la
conduite que l'empereur semble avoir adoptée aujourd'hui et les
principes qu'il a manifestés au mois de juillet dernier ; mais, en exa-
minant de plus près la proposition d'une déclaration commune à
faire, il est difficile de ne pas y reconnaître le désir d'engager la
Suède, la Russie et l'Espagne à une démarche par laquelle on leur
fit reconnaître ( du moins tacitement ) l'Assemblée et la liberté du
roi de France, et par là leur ôter le droit de reprocher à l'empereur
une sorte de défection des principes que ce prince avait d'abord ma-
nifestés, qui semblent avoir engagé les puissances du Notd à s'avan-
cer plus loin qu'elles ne l'auraient fait si elles eussent pu prévenir le
changement de système de l'empereur. L'évidence de l'intention de
la cour de Vienne d'atteindre ce but frappe encore plus lorsqu'on
vient à examiner les démarches nécessaires pour effectuer la proposi-
tion de l'empereur. Une pareille déclaration ne peut être destinée
qu'à être remise à Paris; mais à qui faudrait- il la remettre? Serait-ce
au roi? la Suède et la Russie paraîtraient donc croire que ce prince
(1) Apostille en chiffre, déchiffrée.
138 LE COMTE DE FERSEN
est libre, et qu'il suit avec volonté et persuasion la marche que les
rebelles lui prescrivent ; et dès lors de quel droit une ou plusieurs
puissances étrangères pourraient-elles se mêler des affaires domes-
tiques de la France, lorsque le roi et le peuple sont déjà d'accord?
Serait-ce & l'Assemblée? les puissances du Nord sanctionneraient
donc, pour ainsi dire, l'usurpation d'un peuple révolté, reconnaîtraient
ses principes destructeurs de tout ordre , ngiême en ayant l'air de les
combattre, et par là se lieraient les mains de ne secourir que par la voie
lente et infructueuse des négociations le roi de France , les princes
français et tant d'illustres expatriés, à qui ces puissances ont promis
leur protection ? L'attention suivie que les Suédois et les Russes ont
eue de ne faire aucun acte qui pût contredire leur système adopté de
la non-liberté du roi de France serait rompue par là, et une négocia-
tion serait établie entre eux et les rebelles dont les suites ne peuvent
se calculer, tandis que l'empereur se réserverait tout le mérite de la
démarche des cours envers l'Assemblée. Celles qui se sont conservées
intactes dans leur noble conduite en perdraient tout le fruit et n'ob-
tiendraient pas même ceux que leur complaisance pourrait leur mé-
riter des partis dominants et leur démarche ne porterait que le ca-
ractère de la faiblesse ou celui de la fluctuation. Il paraît également
peu admissible de proposer aucune compensation des droits du roi
de France, de négocier sur cet objet et d'entrer dans un détail de lé-
gislation pour l'intérieur; la politique des ministres de l'empereur
pourrait peut-être trouver cette mesure intéressante pour lui, en lui
ouvrant par là un moyen d'influer directement dans les affaires de
France ; mais, en l'envisageant avec plus d'attention, ils doivent se
convaincre que, si ce résultat est contraire à l'intérêt simplement po-
litique des «autres puissances de l'Europe, il n'est nullement utile à
l'empereur en établissant un exemple que la Prusse ou l'Angleterre
seraient un jour tentées de suivre vis-à-vis de lui, dans les affaires
de Hongrie, de Bohême ou des Pays-Bas. Il paraît donc que le seul
parti à tirer des propositions de l'empereur est de prendre le temps
pour l'embarrasser par d'autres projets, mettre en avant les intérêts
des princes de l'Empire qui se sont adressés à la Suède et à la Rus-
sie, prendre en main les justes réclamations du saint-siége contre
une usurpation fondée sur les principes les plus dangereux , pour
tranquilliser le public et lui faire connaître le parti irrévocablement
pris i)ar les cours du Nord de ne point se départir du système
ET LA COUR DE FRANCE. 139
qu'ils ont adopté, conforme à la justice , à l'honneur et aux vœux:
personnels de l'empereur, et lui proposer en outre les mesures qu'on
sait que la cour des Tuileries lui a depuis longtemps demandées,
et exiger une détermination précise des principes de l'empereur
qui lui servira d'engagement dont il ne peut, sans se donner un tort
irréparable, se départir. Par là on obtiendrait le double but de mon-
trer son adhésion aux souhaits de LL. MM. TT. CC, d'obliger l'em-
pereur de s'expliquer définitivement et de nous conserver tout l'hon-
neur et le mérite de la constance en lui laissant l'odieux du refus. La
Suède méritera par là une gratitude réelle des princes allemands et
se trouvera à môme de prendre les mesures nécessaires, d'après la
réponse de l'empereur ; si enfin ce prince, forcé par l'ascendant que
la grande âme et l'exemple de l'impératrice doivent avoir sur lui, se
prête aux propositions déjà énoncées, alors il en résulte comme une
suite nécessaire qu'il ouvrira ses portes et recevra dans ses États les
secours que les alliés du Nord voudront fournir; que les troupes al-
lemandes que ces puissances voudront engager en leur nom pourront
se rassembler dans les environs d'Aix-la-Chapelle, et qu'enfin un
système [continu] pourra être adopté et suivi, qui, en rassurant les il-
lustres fugitifs, en imposera aux rebelles, encouragera peut-être LL.
MM. TT. CC. à prendre des mesures qui faciliter^ent la bonne vo-
lonté de leurs amis, et amènera insensiblement la crise désirée sans
compromettre les princes français ni exposer les illustres émigrés à
des démarches hasardées. Dans le cas que ces mesures fussent adop-
tées, on a joint à ce mémoire la lettre ostensible que le roi a envoyée à
Vienne, pour être lue en réponse à celle du prince de Kaunitz du
25 novembre dernier, et que le baron de Nolcken remettra, dès que
Basoumoffsky ou l'ambassadeur de Russie lui aura communiqué la
coopération de l'impératrice dans le même sens.
140 LE COMTE DE FER8EN
CXXVIII.
DU BABON DE STEDINGK, AMBASSADEUB DE SUla)E A SAINT-P^TEBSBOURQ
AU COMTE DE FEBSEN (1).
Baint-Pétenbonrg, ce 20 janyier 1792.
J'ai reçu hier, mon ami, votre lettre du 29 décembre. Je l'ai en-
voyée sur-le-champ à l'impératrice, sachant que les nouvelles que tu
me donnes feraient grand plaisir à S. M. J'en ai fait part aussi au
comte d'Esterhazy, qui en a été ravi, mais qui trouve avec raison
qu'il ne peut pas rester ici, du moment que M. de Bombelles y sera
accrédité pour les affaires du roi de France. Deux négociateurs dif-
férents supposent deux négociations différentes aussi, ce qu'il est im-
portant d'éviter dans le &it et dans l'opinion. Le différend qui existe
entre le comte d'Artois et M. de Bombelles ne permet pas d'ailleurs
une grande intimité entre lui et M. d'Esterhazy. Le départ de celui-
ci ne peut cependant que- nuire infiniment aux affaires, puisqu'il a su
gagner par sa loyauté et ses manières franches et honnêtes la con-
fiance de l'impératrice au suprême degré, et qu'il est généralement
chéri et estimé. M. de Bombelles, comme porteur de lettres et de
pièces si intéressantes, sera très-bien venu. Comme négociateur,
comme l'homme accrédité du roi, je doute très-fort qu'il le soit. N'é-
tant pas encore instruit des desseins du roi de France et de la reine,
je dois suspendre mon jugement, mais je crois voir dans le choix de
M. de Bombelles, dont le comte d'Artois croit avoir tant à se plain-
dre, un trait de la politique du baron de Breteuil, de sa rancune contre
les princes et de son animosité contre Calonne. Ces deux person-
nages font, selon moi, un tort infini aux affaires : le dernier par sa
légèreté, et l'autre par son orgueil et par ses caprices. On les voit
toujours là où l'on ne doit voir que les affaires du roi leur maître. Au-
cun être sensé ne peut douter que le grand projet qui vous occupe
ne peut réussir que par un accord parfait entre le roi de France et
(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge :
Reçu leS/évr, Rèp. le 10 par h courrier de Simolin.
ET LA COUR DE FRANCE. 141
lès princes et leurs fidèles serviteurs. Si la captivité du roi l'oblige à
dissimuler, il faut du moins qu'il ait une confiance entière, et qui
ne soit point partagée, dans les personnes qui ont encore la liberté
d'agir en sa faveur, et tous ses véritables amis doivent tâcher de la
lui inspirer, si le malheur l'a bannie de son âme. Si, au lieu de cela,
il reçoit des avis contraires les uns aux autres, si on lui fait craindre
pour son autorité même de la part de ceux qui s'occupent à la réta-
blir, sa tète n'est point assez bonne pour choisir le meilleur parti et
il se laisse aller à l'inaction ou à des fausses démarches. Ces ré-
flexions, mon ami, ne te sont point échappées, et comme tu es sûre^
ment de ceux qui s'intéressent le plus ail sort de la France, et que tu
es plus instruit que moi de ce qui s'y passe, elles serviront à te
guider. Tout ce que je puis te dire, d'après la connaissance que j'ai
du local et des personnages, est que le comte d'Esterhazy est
l'honmie qu'il &ut ici ; que les affaires ont singulièrement prospéré
entre ses mains ; qu'en tout ce qu'il fait il n'agit que pour le roi de
France et la reine; que si les princes pouvaient avoir un autre senti-
ment, il les abandonnerait, et qu'il peut très-bien être chargé de
leurs communs intérêts. Si la situation critique du roi exigeait qu'il
fit semblant de prendre parti contre les princes, il doit éviter aussi
toute apparence extérieure de liaison avec cette cour, qui s'est dé-
darée si ouvertement pour ses frères; et je vous demande, en ce cas^
si un long séjour de M. de Bombelles ici, qu'on connaît être la créa-
ture du baron de Breteuil, n'exciterait pas des soupçons, surtout de
M. Genêt, qui est encore ici, étant fort habile dans l'art de fureter,
et s'il ne vaut pas mieux de se servir du comte d'Esterhazy ou de
moi, pour faire parvenir à l'impératrice ce qu'il est important qu'elle
sache. D'après cela je ferai tous mes efforts pour retenir Esterhazy ,
et faire partir Bombelles. Tout ce que je vous dis, mon ami, est
d'après mon réel sentiment. Je n'ai pas pu prendre encore celui de
l'impératrice, qui, à ce que je crois, n'en diffère nullement. Si cela
était, je vous le ferais savoir aussitôt ; mais conmie il part un cour-
rier pour Coblence dans une heure d'ici, je m'en sers pour vous faire
parvenir cette lettre , ne voulant pas perdre un instant pour vous dire
ce que je pense et pour vous assurer de tout mon attachement.
Adieu, mon bon ami, je vous embrasse de tout mon cœur.
C. Stedingk.
A M. le comte de Fenen, à Bruxelles,
142 LE COMTE DE FERSEN
CXXIX.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUEDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 22 janvier 1792.
Sire,
D'après la lettre que V. M. m'a fait rhonneur de m'écrire du 30 dé-
cembre, je me suis hâté de faire parvenir à la reine les détails sur les
dispositions de Timpératrice de Russie qui pouvaient l'intéresser et
lui prouver la nécessité d'une conduite et d'un planfermes et suivis,
et j'espère dans peu, et dès qu'ils le jugeront convenable, pouvoir l'ex-
pliquer plus en détail au roi et à la reine et savoir plus positivement
leurs résolutions. La reine de France vient d'être forcée à envoyer à
l'empereur un mémoire (2) fait par MM. Bamave, Lameth et Du-
port, à l'insu de l'Assemblée actuelle, qui y est fort maltraitée ; dans
ce mémoire , qui est très-mauvais et mal fait , ils veulent effrayer
l'empereur sur les suites d'une guerre avec la France , en lui présen-
tant les séductions qu'on emploiera sur ses troupes et la propagation
'des nouveaux principes d'égalité et de liberté qu'on portera dans tous
les pays où passera l'armée française. Ils essaient ensuite de lui
prouver, par des arguments très-faux, l'intérêt qu'il a (même pour la
sûreté de ses provinces belges) de s'allier avec la France et d'y main-
tenir la constitution telle qu'elle a été décrétée par l'ancienne Assem-
blée. On voit à chaque ligne de ce mémoire combien c'est la peur
qui l'a dicté, et que ce n'est qu'un moyen qu'ils ont tenté pour
détacher l'empereur de la ligue générale et surtout de l'idée d'un
congrès , démarche qu'ils semblent craindre par-dessus tout. La reine
n'a pas cru devoir refuser d'envoyer ce mémoire et d'avoir l'air de
l'adopter ; elle a même désiré que son frère lui fit à ce sujet une ré-
ponse ostensible, qu'elle pût montrer aux faiseurs pour les con-
( I) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :' Ch^firt^
22 Jantner 1792.
(2) Voir K. Feuillet de Gonchee : Louis XVI, Marie-AnUnnetU et Madame Elisabeth, V« to-
lume, page 108.
ET LA COUR DE FRANCE. 143
vaincre de la prétendue bonne foi qu'elle y apportait, et j'ai l'honneur
d'envoyer à V- M. la copie de la lettre particulière que la reine écrit
à ce sujet à l'empereur (1) ainsi que quelques passages de celle
qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire à ce sujet (2). En remettant
ces différentes pièces à M. le comte de Mercy j'en prévins le baron
de Breteuil, et dans la conversation qu'ils eurent ensemble le len-
demain le comte de Mercy lui dit qu'il ne trouvait pas ce mémoire
si mauvais, qu'il y avait d'assez bonnes choses et qu'il le trouvait
assez raisonnable. Y. M. peut juger aisément de la surprise du baron
de Breteuil et de son indignation, et, voyant qn'il ne pouvait parvenir
à convaincre M. de Mercy, il finit par lui représenter que le roi et la
reine, envisageant la chose sous un autre point de vue et demandant
de l'amitié de l'empereur uae réponse analogue de leur opinion, ils
avaient droit de l'espérer (3). Cette conversation de M. de Mercy,
jointe à ce que M. de Semonville a dit au général Wrangel, m'a fait
soupçonner que ce ministre avait déjà connaissance de ce mémoire et
qu'il avait été fait de concert avec lui ; car je soupçonne depuis long-
temps, et j'ai plusieurs indices, d'une correspondance entre lui et les
factieux de l'ancienne Assemblée, dont ] 'empereur est instruit. Le baron
de Breteuil a été de mon avis et le croit de même. J'ai cru nécessaire
d'instruire V. M. de ces détails, dans la croyance où je suis que l'em-
pereur cherchera à faire encore un mauvais usage de l'envoi de ce
mémoire.
La dispersion des émigrés est sans doute un malheur pour eux,
mais je ne le crois pas de même pour la chose ; pour réussir tout doit
marcher d'accord, et le dedans allait beaucoup plus vite que le dehors.
En effet, quel appui le roi aurait-il eu en ce moment pour soutenir un
grand mouvement qui se serait fait en sa faveur ? Ces mouvements,
quels qu'ils soient , ne peuvent jamais avoir un grand effet sans le
secours de quelque puissance étrangère , et la saison ne permet ni à
V. M. ni à l'impératrice de fournir en ce moment ceux qu'ils sont dé-
cidés à donner ; mais en laissant les princes à Coblence, en tenant les
(1) Voir H. Feuillet de Conches : Louis XVI, 3îarie-AtUoinette et Madame Élûabeth,
V« Tol., page 91.
( 2 } Voir la lettre autographe de la reine au comte de Fersen du 4 janvier 1792, n^ CXII a,
( 8} Ce récit est confirmé par la dépêche de K. de Mercy au prince de Kaunitz du 14 jan-
Tier 1792, chez M. Feuillet de Conches, Louis XVI, etc., V* vol., page 92,
144 LE CX)MT£ DE FERSBN
émigrés dispersés dans les pays voisins, en faisant cesser pour le mo-
ment tont rassemblement et même dénomination de corps , on en-
dort les factieux, on se donne le temps de tout préparer, et en repre
nant, lorsqu'il en sera temps, toutes ces dispositions hostiles et
menaçantes, on sera sûr d'enflammer de nouveau la bile de l'Assem-
blée et de la pousser à un éclat.
Le gouvernement des Pays-Bas vient enfin d'ouvrir les yeux. Il a
découvert un complot entre les patriotes du pays et ceux réfugiés à
Lille. Ils doivent tenter, pour le 10 février, un soulèvement ; un im-
primeur, chez qui on a trouvé la planche du manifeste qui devait être
publié, a dénoncé les principaux auteurs, et pendant deux nuits on a
arrêté différents bourgeois : ils sont au nombre de 15, dont deux
femmes. La même opération a été faite au même moment dans plu-
sieurs autres villes. On assure qu'il y en aura plusieurs de pendus,
et qu'on a enfin reconnu l'abus d'une clémence qui tient plutôt de la
fSsdblesse. Cet événement n'a fait aucun mouvement dans la ville,
tout y a été calme et tranquille.
D'après ce que me mande M. de Carisien des dispositions de la cour
de Berlin et des intrigues qui y mènent les affaires, il me paraît dif-
ficile de l'engager à agir indépendamment de la cour de Vienne, et
V. M. ne pense-t-elle pas que la seule chose qu'on puisse lui demander
serait de 'faire auprès de l'empereur des propositions fortes et pronon-
cées et pareilles en tout à celles que feraient à ce prince V. M., l'im-
pératrice et le roi d'Espagne ? Il me semble que la coalition de ces
trois puissances devrait décider le roi de Prusse et ne peut manquer
d'influer sur sa conduite et sur ses déterminations.
J'apprends dans l'instant qu'un M. de Marbois doit aller à Vienne
avec des propositions de la part de l'Assemblée, mais j'ignore de
quelle nature elles sont.
Apostille, Les raisons pour lesquelles la reine ne peut pas nous ins-
truire à temps de ce qui va se faire sont la promptitude avec laquelle
ks déterminations sont prises et exécutées. Celle de la sommation aux
électeurs et de l'allée du roi à l'Assemblée fut décidée à onze heures
du soir ; le discours fut fait dans la nuit et prononcé le lendemain. Il
en a été de même de plusieurs autres.
ET LA COUR DE FRANCE. 146
CXXX.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1).
Ce 24 janvier 1792.
Vous verrez par la lettre du roi de Prusse que ses dispositions sont
bonnes, mais qu'il ne veut rien faire sans l'empereur. Il ne s'agit
donc plus que de pousser le roi de Prusse à faire à ce prince des pro-
positions positives. — J'ai reçu une lettre d'Espagne parfaite, dont
je vous dirai les détails. Celles de Russie le sont de même. L'impéra-
trice dit au roi de Suède : Peut-être la reine de France elle-même sera-
t-^lle dans la nécessité de réclamer C assistance de son frère. V. M.
doit savoir mieux que mm s'il sera difficile de l'y porter. L'impératrice
sera entièrement convaincue là-dessus par votre lettre. Elle dit plus
loin : Plus la cause que nous plaidons est digne de tous nos soins et
plus naus.dewns ne rien négliger pour la faire triompher, et nous aur
rons, mon cher frère y auprès de nos contemporains et de la postérité, le
mérite de ne pas nous être désistés et une si belle entreprise, sans avoir
fait tous les efforts possibles pour surmonter les difficultés que nous
avons rencontrées, — Mais le roi et l'impératrice insistent toujours sur
une nouvelle fiiite, et je vous porte un mémoire là-dessus et des lettres
du roi. Son projet est qu'elle s'exécute par mer et par des Anglais ;
il ne devrait y en avoir que deux seuls dans la confidence. Je vous
porterai de nouvelles preuves sur la conduite de l'empereur. On dit
la reine de Portugal fort bien -disposée; elle a beaucoup d'argent, et
on dit qu'elle en donnerait. Je crois qu'il serait bon de lui écrire ; cela
la déciderait.
M™" de Vaudemont est à Paris pour empêcher qu'on ne prenne sa
maison, ou demander une indemnité ; mais comme elle porte en même
temps la démission de M. de Lambesc et de Vaudemont, vous croirez
sans doute qu'on n'est obligé à lui rien donner, non plus que de leur
( 1 ) D'après la minute de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge : A la reine
par Vibray et Cravjford,
T. II. 10
146 LE COMTE DE FERSEN
accorder les pensions qu'ils demandent en ce moment , surtout &
M. de Vaudemont, et si M. de Lambesc a 20 ou 30,000, c'est tout
ce qu'il peut espérer. Vous penserez aussi qu'il ne &ut pas lui laisser
vendre sa charge. Il est venu la proposer au baron de Breteuil pour
son gendre, pour la somme de 300,000 livres. Il l'a refusée en disant
qu'il croyait que le roi ne devait plus se mettre de pareilles entraves et
ne plus tolérer les finances des places. Mais le baron demande des
bontés du roi de donner cette place à son gendre un jour, et il m'a
ajouté : <c II pense bien, il est trop riche pour rien demander au roi,
et assez pour tenir un grand état. » — D'ailleurs, il est trop bête pour
lui être jamais importun ou se mêler des affaires. Je paierai au baron
les 22,000 qui lui sont dus, mais il faudrait encore m'autoriser à lui
remettre 20 ou 30,000 livres, dont il rendra compte, pour les frais
de courrier et autres qu'il est indispensable de faire. La perte sur
l'argent est terrible; elle est de 40 pour cent, c'est-à-dire que de
que vous avez en Hollande, vous n'en aurez véritablement que
Je vous en rendrai un compte exact, et je prends le parti de le lever
tout à la fois et de le déposer, de crainte qu'il n'augmente encore.
J'éprouve la même perte sur tout celui que je tire.
Je ferai tous mes arrangements pour arriver le 3, à six heures du
soir.
CXXXI.
DIT CHEVALIER FRANC, SECRIÉTAIRE d'^TAT DU ROI DE SUÈDE, GlÊRANT
LES AFFAIRES IÊTRANGÈRES, AU BARON DE NOLCKEN, ENVOYA EXTRA-
ORDINAIRB DE SUÈDE A VIENNE (1).
Stockholm, le 24 janvier 1792.
Le comte de Ludolf m'ayant communiqué la dépèche officielle du
vice-chancelier de cour et d'État, comte Cobenzl, relative aux af-
(1) D^aprëa une copie, dans les papiers du comte de Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 147
faires de France, du 25 décembre 1791, S. M. m'a ordonné de vous
charger expressément de témoigner au ministre de S. M. L sa re-
connaissance pour la confiance que l'empereur a témoignée au roi,
en s'ouvrant à lui franchement sur les afiaires de France. Le roi n'a
point caché ses sentiments et ses principes, et il a constamment per-
sisté dans ceux qu'il a adoptés avec l'impératrice. S. M., loin de
pouvoir admettre la liberté du roi de France , est encore plus que par
le passé persuadée, par les raisons les plus fortes et les moins équivo-
ques, de la contrainte qu'éprouve la volonté de S. M. Très-Chrétienne,
des violences dont elle est environnée, et des dangers auxquels sa
vie, autant que sa dignité, est sans cesse exposée. S. M. a des raisons
de croire que l'empereur doit en être aujourd'hui instruit et con-
vaincu, et c'est non-seulement dans cette persuasion, mais aussi par
une suite de la confiance que le roi met dans les sentiments de S. M. I.
pour le roi, son beau-frère, et de la constance des principes que
l'empereur a annoncés cet été à toutes les puissances , que S. M. vous
autorise, M. le baron, de vous ouvrir au ministère de S. M. Impé-
riale sur la persévérance du roi.
Si S. M., par l'amitié qu'elle a vouée au roi de France, et par l'in-
térêt que les malheurs de ce prince ne pouvaient qu'inspirer, a cru
devoir employer tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour venir
au secours de ce prince infortuné, le roi est encore plus intéressé de
ne pas abandonner les afiaires de France depuis que les rebelles qui
s'intitulent l'Assemblée nationale, ne se bornant plus au bouleverse-
ment de leur patrie , s'occupent d'étendre ce système destructeur sur
les pays voisins, et, après avoir décrété qu'ils ne feraient jamais de
guerre, sous une autre dénomination en font une bien plus funeste, et
déployant les drapeaux de la liberté, qui n'est qu'anarchie, excitent
les peuples à la révolte contre les autorités légitimes, et, sous le pré-
texte de ramener l'ordre, s'emparent des États des autres souverains.
Telle a été la conduite de l'Assemblée nationale, et le résultat des
manœuvres de sa politique, en dépouillant le saint-siége d'Avignon;
telle a été sa conduite à l'égard de l'Empire, et telles vont bientôt
en être les suites funestes pour les États limitrophes. Prince de
l'Empire lui-même et uni par les liens les plus forts au maintien de
l'Empire, S. M. ne peut voir qu'avec le plus vif intérêt les malheurs
qui le menacent, et elle attend du chef de l'Empire des démarches
dignes de lui. Le roi vous charge expressément, monsieur, de té-
148 LE COMTE DE FERSEN
moigner le contentement que S. M. a éprouvé en lisant la lettre de
l'empereur, conçue dans des termes si conformes aux sentiments de
6. M. Impériale, et qui lui méritera la reconnaissance de tout TEm-
pire. En France , le roi ne doute pas que si cette lettre fût arrivée
huit jours plus tôt, elle n'eût prévenu les démarches violentes de
l'Assemblée nationale ; mais S. M. est également persuadée que, l'im-
pulsion aggressive étant une fois donnée, il sera impossible de faire
reculer cette assemblée, ces sortes de corps ne réglant jamais leur
démarche à la mesure de la raison, mais étant également conduits
par une présomption aveugle de leur force, ou par une crainte ex-
trême, et ne pouvant pas reculer après s'être une fois trop avancés.
S. M. croit donc essentiel de prendre, le plus tôt possible, des me-
sures d'union qui peuvent, par le concours des puissances les plus
considérables, en imposer aux rebelles, ou, si cette voie n'est plus à
espérer, convenir des mesures communes k prendre. S. M. vous or-
donne donc de proposer à l'empereur l'assemblée d'un congrès &
Aix-lar-Chapelle, soutenu par des forces armées, où les puissances
qui s'intéressent par leur parenté, leur alliance et leur amitié à S. M.
Très-Chrétienne, ou qui ont un intérêt commun à l'indépendance et au
maintien de l'Empire, puissent traiter ensemble, par leurs ambassa-
deurs , des mesures à prendre pour s'opposer aux attentats de tout
genre de l'Assemblée nationale. Le roi vous permet, monsieur, de
faire sentir au prince de Eaunitz que S. M. a des raisons de pré-
sumer que cette mesure sera très-agréable à LL. MM. Très-Chré-
tiennes, et que le roi croit que l'empereur ne l'ignore pas maintenant ;
mais que le roi croit en même temps qu'il faudrait soigneusement
éviter de compronaettre en rien le nom, la dignité et la personne du
roi de France, et que, pour cet effet, aucun ministre venant de France
ue doit être admis au congrès. Par une suite de cette mesure, S. M.
propose qu'on présente comme un objet ostensible pour la négocia-
tion :
l^' De la manière de satisfeire le saint-siége, et de lui rendre Avi-
gnon;
2° Des intérêts des princes de lE'mpire, et dont l'empereur a déjà
pris le parti, comme chef de l'Empire ; et de l'observation des traités,
faits entre l'Empire et la France.
Et comme les résolutions violentes de l'Assemblée nationale pour-
raient troubler les délibérations du congrès, il est d'autant plus con-
ET LA COUR DE FRANCE. 149
venable de protéger ce sénat des souverains de l'Europe par Tarmée
de l'Empire et par les forces que l'empereur, les puissances du Nord
et le roi de Prusse jugeraient à propos d'y rassembler. Le roi vous
prévient au reste, monsieur, que S. M. fait feire la même ouverture
à S. M. l'impératrice et à la cour d'Espagne, et elle vous ordonne
de la faire à l'ambassadeur de Sardaigne et à celui de Naples , ainsi
que je vais en écrire au ministre du roi à Berlin. Si l'empereur agrée
cette proposition, j'aurai l'honneur de vous instruire plus au long
des objets que le roi croit qu'on doit y traiter pour que vous les trans-
mettiez au ministère impérial.
SiffTiéy U. G. Franc.
CXXXII.
DU COMTB DE FBRSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
, Bruxelles, ce 25 janvier 1792.
Sire,
J'ai l'honneur d'envoyer à V. M., sous les numéros 1, 2 et 3, la
réponse du roi de Prusse au roi de France, celle de ce prince au
baron de Breteuil (2), de même que celle du comte de Schoulembourg.
Les copies en ont déjà été envoyées au roi de France. V. M. verra
par ces lettres la vérité des bonnes dispositions de S. M. Prussienne,
et une preuve de plus de la mauvaise foi de l'empereur. Une lettre
que je reçois en même temps de M. de Carisien, qui me rend compte
de sa conversation avec M. le comte de Schuolembourg, confirme en-
tièrement ces bonnes nouvelles ; mais elle prouve aussi que le roi de
Prusse se croit dans la nécessité et dans l'impossibilité de rien faire
sans le concours de l'empereur, et Y. M. pensera sans doute que.
(l*) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre»
( 2} Cette lettre est imprimée chez M. Feuillet de Conchea : Louis XVI, Marie-AntaineUe
€t Madame ÉliêaUth, rV« vol., page 296.
150 LE COMTE DE FERSEN
d'après cette certitude, il ne s'agit que d'engager ce prince à faire à
S. M. Impériale des propositions fortes et prononcées, et analogues à
celles qui lui viendront de la part de V. M., de l'impératrice de Bussie
et du roi d'Espagne. D'après les bonnes dispositions que S. M. Ca-
tholique manifeste et le plan qu'elle a proposé à l'impératrice de Russie,
et que V. M. a bien voulu m'envoyer, V. M. ne croit-elle pas qu'il
serait intéressant de demander à ce prince de faire des magasins
d'armes et de munitions sur la frontière de France, afin de pouvoir
en donner, lorsqu'il en sera temps, à tons les catholiques de cette
partie du royaume dont la plupart ont été désarmés par les pro-
testants. Cette mesure de précaution ne pourrait faire qu'un bon effet.
Le baron de Breteuil a goûté cette idée et se propose d'en écrire à
M. de la Vauguyon ; mais, étant présentée également par V. M., le
succès en sera plus certain. Je vais en écrire au baron d'Ehren-
svaerd.
Le comte de Bomanzof n'est point venu à Bruxelles et n'a eu avec
le baron de Breteuil aucune communication, ni verbale ni par lettres.
CXXXIIL
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1).
Gefle, ce 26 janvier 1792.
■
[^En clair,']
Je suis arrivé dans cette ville depuis quatre jours ; demain les
états s'assemblent au Rikssalen (2). Il paraît, à juger tant des per-
sonnes qui sont rassemblées ici que par le nombre, que tout s'ar-
rangera à l'amiable et tranquillement. Dieu veuille que cela soit, et
( 1 ) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
Le 24 févr. reçu; rêp. le 26 févr.
(2) La aalle de rassemblée des quatre ordres qui formaient alors la diète de Suède.
(Note de P éditeur,)
ET LA COUR DE FRANCE. 161
que la darée de ce rassemblement ne soit pas au delà de quatre à
cinq semaines. J'ai reçu, mon ami, vos deux lettres du 5 et du 11
de ce mois.
[JEn ckiffreJ]
Le roi approuve fort que vous ayez prévenu Carisien (1) sur
renvoi de Ségur à Berlin. Le roi de Suède a fait la même chose,
dès qu'il en a été informé par vous, par une lettre qu'il en écrivit au
roi de Prusse. Aussi Ségur a-t-il déjà échoué dans sa négociation à
Berlin par l'habileté de Carisien, qui a dit au prince de Beuss, mi-
nistre de l'empereur à Berlin, que Ségur était chargé par l'Assem-
blée nationale de négocier un traité entre elle et le roi de Prusse, et
le détacher de l'alliance avec l'empereur, et que Ségur était chargé
d'offrir de l'argent, tant à la maîtresse qu'au favori, pour y parvenir.
Le prince de Beuss a dit cela à qui a voulu l'entendre ; cela a in-
digné tout le monde contre Ségur, même ceux qui auraient sans
cela accepté son argent. — Nolcken de Vienne nous fait savoirque
l'empereur fait marcher 16 bataillons pour renforcer son armée en
Brabant et pour secourir les électeurs. Le roi de Prusse a envoyé
ordre à M. Goltz à Paris de déclarer qu'il ne souffrira pas qu'on
inquiète les princes d'Allemagne ni de l'Empire, et qu'il les proté-
gera de toutes ses forces contre toute invasion. C'est le roi de Prusse
qui force l'empereur à faire la même déclaration. Je vous préviens,
mon ami, que l'impératrice lit toutes vos lettres, que vous écrivez à
Stedingk ; il les lui montre par Souboff : je vous le dis afin que vous
dirigiez votre style en conséquence. Elle est indignée contre l'empe-
reur et sa mauvaise foi ; elle se propose de le pousser à bout, et le
forcer de dégainer, et pour y parvenir elle fait faire des propositions
au roi de Prusse de prendre part aux affaires de France. Le roi de
Suède me charge de vous dire, mon ami, que si vous ne recevez
point aussi régulièrement que de coutume des lettres de lui, cela ne
doit pas vous inquiéter ; il vous assure qu'il n'abandonnera jamais la
cause de son plus ancien ami et allié. Je brûle de savoir ce que
( 1 ) L'envoyé de Suède & Berlin.
152 LE COMTE DE FERSEN
vous pensez de la fuite proposée ; je ne la crois pas impossible, et,
elle faite, la bataille est gagnée pour Leurs Majestés.
M. de Calonne veut envoyer, dit-on, son frère l'abbé auprès de
l'impératrice , au lieu du comte d'Esterhazy ; ce serait une lourde
balourdise.
CXXXIV.
DU COMTK DE FEBSEN AU BARON D'eHRENSVAERD, ENVOYlÉ EXTRAORDI-
NAIRE DE SUÈDE A MADRID (1).
BrnxeUes, ce 27 janyier 1792.
Monsieur le baron.
Dans ma dernière j'ai eu l'honneur de parler à N. N. des prépa-
ratifs hostiles que le roi de France désirerait voir faire par les rois
d'Espagne et de Sardaigne sur leurs frontières. Une autre mesure à
y ajouter serait de former des magasins d'armes et de munitions
assez & portée de ces mêmes frontières pour pouvoir en fournir,
lorsque cela deviendrait uécessaire, aux catholiques bien intentionnés
des provinces méridionales de France, qui ont presque tous été dé-
sarmés par les protestants. Le roi de France désire cette mesure. Le
baron de Breteuil en a écrit à M. de la Yauguyon, et N. N. croira
probablement pouvoir appuyer cette demande. J'en ai écrit au roi
notre maître, qui l'approuvera sans doute ; d'après les bons senti-
ments que le roi d'Espagne témoigne, et le plan de conduite dont
il a fait part & l'empereur et à l'impératrice de Bussie, je ne doute
pas qu'il ne consente à cette mesure de précaution, à moins cepen-
dant qu'il n'y ait des empêchements physiques. Si l'on se décide à
former de tels dépôts, il faudrait avoir soin de les placer de manière
à ce qu'ils fussent à l'abri d'un coup de main ou d'une incursion fran-
(1) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge : Bctrmt
tPEhrentvaerdj chiffre.
ET LA COUR DE FRANCE. 153
' çai^. Les chefs du gouvernement de ce pays-ci et M. le comte de
Mcrcy croient la guerre avec la France inévitable.
cxxxv.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, oe 29 janyier 1792.
Sire,
D'après une conversation que je viens d'avoir avec le comte de
Mercy, ce ministre me paraît croire la guerre avec la France inévi-
table, et je ne doute pas que l'empereur ne la voie de même. Toutes
les lettres particulières d'Autriche et de Bohême annoncent des ordres
donnés pour la marche des troupes ; mais les généraux employés dans
'ce pays et le comte de Mercy n'en ont encore aucune connaissance.
D'après tout ce qui m'est revenu, je crois le crédit de cet ambassadeur
à la cour de Vienne fort diminué, et c'est M. de Spielman qui s'est
emparé de toute l'influence et qui semble diriger toutes les résolu-
tions.
Tous les Français réfugiés à Toumay, même les femmes, viennent
de recevoir l'ordre d'en sortir et de se retirer dans les villes de l'inté-
rieur. On dit que c'est à cause de la proximité de la frontière, dont on
veut les éloigner. V. M. jugera sans doute que cette mesure est au
moins déplacée en ce moment.
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre,
164 LE COMTE DE FEBSEN
CXXXVl.
DU BARON DE STEDINGE, AMBASSADEUR DE SUÈDE A SAINT-P^TERSBOURO,
AU COMTE DE FERSEN (1).
Saint' Pétenbonrg, ce ff janvier 1792.
Le marquis de Bombelles est arrivé le 14 janvier ; il s'est adressé
directement à Osterman, à qniil a remis ses lettres. J'ai fait parvenir
à rimpératrice celle qu'il m'a apportée de toi. Sa Majesté m'a dit
qu'elle voudrait ne l'avoir point lue, tant elle a été alarmée des
dangers de la famille royale, que vous y retracez d'une manière si
touchante. Je me suis chargé du marquis de Bombelles , et je lui
rendrai tous les services qui dépendront de moi. Nous avons déjà eu
plusieurs conférences ensemble avec les ministres de l'impératrice, et
nous sommes d'accord sur l'objet principal de sa mission ; mais le
mystère qui doit l'accompagner a empêché que l'impératrice vît M. de
Bombelles en particulier, et qu'elle lui fît un accueil distingué en
public. Il aura cependant une audience particulière de S. M. au pre-
mier jour. Quant à Esterhazy, il est fort embarrassé de sa position
ici, et fort affligé de ce que vous lui avez mandé ainsi qu'à sa femme.
Il voudrait partir; mais comment pourrions-nous y consentir, lorsque
ce départ ne manquerait pas de dévoiler la commission de M. de
Bombelles, et compromettrait visiblement le roi et la reine? H faut
qu'il reste, et qu'il devienne l'instrument de la réunion, si nécessaire,
entre les princes et le baron de Breteuil. U a fait beaucoup de bien
ici à la cause du roi et de la reine. Nous n'admettons point ici de
différence entre Leurs Majestés et les princes. Les premiers étant
captifs, on peut se conformer à leur volonté, lorsqu'elle peut se ma^
nifester librement ; mais on ne peut agir, ou avoir l'air d'agir qu'en
conformité avec les princes. C'est ce qui rend si intéressant de sou-
tenir leur parti, le seul en évidence, le seul qui présente un point de
ralliement. Si les princes ou leurs alentours pouvaient tenter d'a-
( 1 ) D*aprè8 la lettre originale, déchiffrée dans les papiers da comte de Fersen, qui a
écrit en marge : 24 fèvr, rt/^ rip, le 1«' mars.
ET LA COUR DE FRANCE. 1Ô5
buser de leur position, qui les met à la tète da parti monarchique
(ce qui ne nons paraît pas à craindre), les puissances qui les sou-
tiennent sauront bien les contenir. En attendant, le projet du con-
gprës est à peu près adopté ici, et déjà depuis deux mois on a sondé
les cours alliées et amies sur cet objet. L'impératrice ne répondra à
la lettre apportée par M. de Bombelles qu'après avoir consulté
S. M. Suédoise. Pour ce qui regarde l'indiscrétion des alentours des
princes, nous en sommes convaincus ici, et nous prenons toutes les
précautions pour nous en garantir. Cependant ces envois de négocia-
teurs me paraissent aussi une indiscrétion. Ici, par exemple, un simple
courrier, qui m'eût été adressé de ta part, eût fait meilleur effet que
l'envoi de M. de BombeUes. Adieu, mon bon ami, rappelle-moi au sou-
venir de madame de Matignon, du baron et de celles de nos an-
ciennes connaissances qui se trouvent dans les lieux où vous êtes.
E. Stedinge.
CXXXVII.
EXTRAIT d'une LETTRE DE L'iMP^RATRICE DE RUSSIE
AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
J'ai fait ajouter à mes représentations & la cour de Vienne un
plan à concerter et à exécuter au printemps prochain. Je vous prie de
m'en dire votre sentiment et si V. M. juge convenable de l'appuyer
auprès des cours auxquelles je l'ai également fait proposer : ces cours
sont celles d'Espagne, de Naples^ de Sardaigne et de Berlin. Il doit
plaire à la première, puisqu'il est en partie calqué sur celui qu'elle
avait tracé elle-même. Quant à la dernière, elle s'en est déjà expliquée
en quelque façon ; mais si elle n'a fait aucune objection, elle a remis
( 1 ) Cet extrait est ajouté comme apostille à la lettre en chiffre ( non déchiffrée ) du roi
de Saëde GnBtaye m au comte de Fersen, datée de Stockholm, le 28 février 1792 ; la lettre
de rimpératzioe doit avoir été écrite à la fin de janvier ou dans les premiers joars de
février 1792.
156 LE COMTE DE FERSEN
toute décision au concert avec la cour de Vienne et à sa décision.
Celle-ci n'a pas eu le temps encore de dire son avis, mais son am-
bassadeur ici a annoncé que . Tempereur n'a plus de doutes sur les
véritables intentions et les vœux secrets du roi et de la reine de
France , et qu'il sentait la nécessité de recourir aux mesures efficaces ;
il n'a fait suspendre les ouvertures qu'il se propose de faire aux autres
cours favorables que jusqu'à l'arrivée du courrier qu'il attendait
d'ici. Vous m'avez prévenu, mon cher frère, sur l'envoi du baron de
Bombelles ; il est arrivé ici depuis quelques jours avec une lettre du
baron de Breteuil, qui en accompagnait une de la reine (1). Le princi-
pal objet de la lettre était de se disculper des imputations injustes
dont on l'avait chargée et d'appuyer sur la nécessité d'assembler
un congrès armé. Je lui ai toujours rendu justice sur le premier point-
Quant au second, je ne le regarde comme avantageux qu'autant
qu'il est nécessaire pour donner le branle aux mouvements de ceux
qu'on a de la peine à déterminer, et, sous cet aspect, c'est à mon avis
un point de la plus grande importance ; mais j'avoue que je ne trouve
aucune bonne raison à ce que me dit la reine dans sa lettre, qu'il &ut
mettre en avant les puissances étrangères et laisser en arrière les
princes ses beaux-frères avec leur parti.
Ce parti est composé de la principale noblesse, du haut clergé,
de quantité de militaires et de tous ceux qui tiennent sincèrement à
la religion catholique. Ce parti pourrait également servir par lui-
même la cause du roi et faciliter les opérations étrangères, aussi
longtemps qu'elles seraient. Ainsi le plus essentiel pour nous est de
continuer de travailler à réunir le plus tôt les puissances, desquelles
nous avons quelque chose à espérer, en un système fixe et déter-
miné, et à les provoquer à des démarches réelles et conséquentes.
Jusqu'à ce que nous sachions à quoi nous en tenir là-dessus, je ne sau-
rais rien dire à V. M. sur ce que lui mande M. de Bouille au sujet
des troupes allemandes qui étaient au service de la république de
Hollande, mais il me semble qu'à tout égard cet article doit entrer
dans le contingent de l'Espagne. Quant à l'aperçu relatif à l'office
fait par l'empereur au sujet des affaires de France, je ne puis qu'ap-
plaudir aux sages et saines réflexions qu'il renferme, mais je crois
( 1 ) Voir Louis XVI, Marie- Antoinette et Madatae Élisnbethy par M. Feuillet de Conches,
TV* voL, page 857 et page 276.
ET LA COUR DE FRANCE. 157
qu'il est bon de les garder pour nous jusqu'à ce que TafiFaire soit bien
sérieusement engagée; une marche prudemment combinée est ce qui
convient le mieux à la chose, et ne nous expose à rien.
CXXXVIII.
DE MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE, AU PRINCE DE KAUNITZ (1).
Du 1" février 1792.
Croyez, monsieur, à tout ce que le porteur de ce billet vous dira;
il voit juste et connaît bien notre position. Je suis charmée d'avoir
une occasion d'assurer le respectable et bon serviteur de Marie-Thérèse
que, quelque chose qui arrive, sa fille cherchera toujours à être digne
d'une pareille mère, et de l'estime de son ministre et ami.
Signé, Marie-Antoinette.
yyAAAlA.
' DE MARIE -ANTOINETTE, REINE DE FRANCE, A L'iMPIÈRATRICE
DE RUSSIE (2).
Ce l»" février 1792.
Madame ma sœur. L'intérêt dont V. M. veut bien nous fau*e
donner l'assurance est une grande consolation dans nos peines. Comme
( 1 ) D'après une copie que M. BimoKn a envoyée au comte de Fersen, qui y a écrit en
marge : 9 février ^ reçu par Sitnoîin,
(2) D'après une copie que M. Simolin a envoyée au comte de Fersen, qui y a écrit en
marge : 9 février, reçu par Simolin,
168 LE COMTE DE FER8EN
nous souhaitons que rien dans notre conduite ne lui soit caché, nous
avons désiré que M. de Simolin, son ministre, voulût bien se charger
pour nous d'une affaire très-délicate et qui exige autant de pru-
dence que de secret.
Nous ne pouvons nous défendre de croire que l'empereur a été
induit en erreur par des informations fausses, tant à l'égard de nos
sentiments personnels qu'à l'égard du véritable état des affaires
d'ici; nous souhaitons qu'il soit désabusé. La manière prompte et
firanche dont M. de Simolin a accepté cette proposition de notre part
nous a bien fait connaître en lui un fidèle serviteur de Y. M., et en
queUes mains pourrions-nous remettre plus sûrement nos intérêts les
plus chers que dans les vôtres, madame, et dans celles d'un de vos
ministres, qui, avec toute la prudence et la sagesse de son esprit, a
tout vu et a pu former, depuis le commencement de la révolution,
un jugement impartial sur tous ses détails, et qui nous a montré per-
sonnellement, dans toutes les occasions, intérêt et attachement? Le
roi et moi désirons donc, madame, que vous approuviez notre idée,
si le bien de votre service actuel admet cette course, et que V. M.
veuille bien aussi voir dans cette démarche de notre part une preuve
de l'entière confiance que nous avons en elle.
V. M. a toujours excité notre admiration; aujourd'hui nous lui
sommes attachés par des liens plus étroits et plus doox, ceux de
l'amitié et de la reconnaissance.
Siffné^ Marie- Antoinette.
Ayant eu occasion de voir M. Simolin seule chez moi, j'ai cru de-
voir l'instruire que j'ai déjà écrit une fois à V. M. J'espère qu'elle
ne désapprouvera pas cette confidence de ma part.
ET LA COUR DE FRANCE. 159
CXI.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE NOLCKEN, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE
DE SUÈDE A VIENNE (1).
Bruxelles, ce 8 février 1792.
Le roi et la reine de France étant enfin éclairés par la conduite
perfide de l'empereur à leur égard, et sur son peu de bonne volonté
active pour les secourir, qui s'est manifesté d'une manière encore plus
positive dans le refas formel que ce prince a fait du rassemblement
d'un congrès armé, que la reine lui avait demandé, en lui écrivant
elle-même à ce sujet. Leurs Majestés se sont décidées à s'adresser
directement, pour cet objet, aux différentes cours; mais N. N. sentira
combien il est intéressant que cette démarche reste dans le plus
profond secret. L'empereur est instruit de ces démarches, mais je
doute qu'il le soit des lettres particulières qui ont été écrites par
Leurs Majestés aux différents souverains, et N. N. croira comme moi
qu'il ne sera pas nécessaire d'avoir l'air d'en être instruit. C'est le
baron de Breteuil qui a toute la confiance du roi de France, et qui
est chargé des négociations et des ouvertures à faire. Il a proposé
en Espagne, en Prusse, en Suède et en Kussie le congrès armé,
qui a été aussi demandé par les lettres particulières du roi et de la
reine de l^rance. Toutes ces puissances y ont consenti, et l'Espagne
est dans les meilleures dispositions possibles. Mais toutes ces cours
sentent la nécessité défaire concourir l'empereur à cette mesure, sur-
tout depuis que la Prusse se trouve liée par son traité avec ce prince
à ne faire que des démarches pareilles aux siennes. La réponse de
cette cour est très-favorable; le roi de Prusse manifeste le désir
d'aider le roi de France de tous ses moyens , mais le comte de Schou-
lembourg avoue que son maître ne peut agir sans l'empereur. Il
adopte ridée d'un congrès armé et promet d'en écrire à Vienne ;
il s'engage à taire la lettre du roi de France au roi son maître et à
( 1) D'après le brouillon de la main du comte de Feraeni qui a écrit en marge : Chiffre,
au baron de Nolcken,
160 LE COMTE DE FERSBN
ne parler qne des ouvertures faites par le baron de Breteuil au nom
du roi de France. N. N. croira sans doute que c'est la conduite la
plus prudente à tenir, à moins que les instructions du roi notre
maître ne soient différentes. H a déjà dû faire passer à N. N. ses
ordres pour appuyer la demande du congrès armé. tTai Thonneur
d'envoyer à N. N. une gazette sur ce qui s'est passé à l'Assemblée
nationale relativement à la guerre. Le discours de M. Brissot, qu'il
serait bon de communiquer à l'empereur et à ses ministres, pourra
éclairer sur les raisons qui ont forcé le roi de France à sa démarche
vis-à-vis de ce prince. Je joins aussi quelques passages d'autres pa-
piers qu'il serait bon de leur montrer. L'esprit de révolte dans les
Pays-Bas est plus fort que jamais, et, si cette peste n'est bientôt étouf-
fée en France , elle ne tardera pas à éclater ici. L'aveuglement et la
sécurité de l'empereur à cet égard sont bien étranges.
Je crois déjà avoir prévenu N. N. de ne pas se livrer aux Poli-
gnac, ni aux envoyés des princes; leur terrible indiscrétion défend
de leur rien confier. Adieu.
CXLL
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈD'E GUSTAVE IH (1).
Bruxelles, ce 6 férrier 1792.
Sire,
Par les dépêches d'Espagne que V. M. a bien voulu me faire com-
muniquer, on voit clairement l'effet de l'incertitude de cette cour et
des insinuations de l'empereur pour l'engager à tenir une conduite
analogue à la sienne. Le cabinet de Madrid, toujours incertain et
flottant, a besoin d'être conduit, mais avec sagesse et sans qu'il s'en
aperçoive, pour ne pas choquer son orgueil. Le premier plan remis
( 1 ) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qai a écrit en marge : Chiffre,
ET LA COUR DE FRANCE. 161
au ministre de Bussie et dont Y. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer
copie dans sa dépêche du 30 décembre, était fort bon. Celui qui a en-
suite été communiqué au baron d'Ehrensvaerd Test moins, et on voit
dans tous les deux le désir de TEspagne de ne pas se mettre en
avant, sous le prétexte du soupçon qu'elle pourrait vouloir rentrer
dans ses anciens droits , mais dans le fait par la peur qu'elle a de
l'Angleterre. C'est par une suite de ce même sentiment et d'après les
insinuations de l'empereur qu'elle voudrait éviter le congrès en le
présentant comme un moyen trop lent; mais, avec la mauvaise vo-
lonté et la perfidie de l'empereur, avec le traité qui enchatne la
bonne volonté de la Prusse et la rend dépendante de ses opérations ,
avec ) le flottement continuel de l'Espagne , quel autre moyen y a-
t-il de parvenir à un concert et à une décision quelconque ? quel pré-
texte donner pour la marche des troupes ? Il ne resterait alors que
celui d'attaquer la France, et dans l'intervalle de leur arrivée on
laisserait le temps à mille intrigues , tant extérieures qu'intérieures.
Comment conviendrait-on des opérations à faire et des manifestes à
donner ? — En calculant les distances géographiques , on voit aisé-
ment le temps énorme qu'il faudrait ; et quand on connaît les disposi*
tiens de lenteur de l'empereur et sa mauvaise volonté , on voit encore
combien cela en ferait perdre , par la facilité qu'il aurait de retarder
les réponses et de mettre des entraves à tout ce qu'on proposerait.
U faut un centre, un point de réunion quelconque, et, depuis la mau-
vaise foi reconnue de l'empereur et la faiblesse de l'Espagne, je per-
siste à penser qu'il ne saurait y en avoir d'autres qu'un congrès, ob
les plénipotentiaires des différentes puissances, étant en présence,
se surveilleraient mutuellement et sauraient bientôt démêler les bon-
nés d'avec les mauvaises intentions , plus aisément que lorsqu'elles
sont enfermées dans le secret des cabinets. La conduite de l'empereur
paraît nécessiter cette mesure , quelque mauvaise qu'elle soit en elle-
même. Four la rendre utile, les plénipotentiaires ne devraient y ap-
porter d'autres vues que le rétablissement de la monarchie française,
en mettant de côté toutes les autres vues politiques. L'objet à traiter
est trop intéressant pour tous ; c'est une cause si neuve qu'il faut,
pour la gagner, des moyens tout nouveaux. lia garantie des posses-
sions françaises semble devoir être un article des instructions à don-
ner aux plénipotentiaires.
Le roi et la reine de France m'ont témoigné le désir de ne faire
T. II. 11
162 . LE COMTE DE FERSEN
entrer le Danemark dans la ligue qu'autant que la réunion de cette
puissance pourrait faciliter les opérations ; mais LL. MM. n'y tien-
nent nullement y et il n'a été fait à ce sujet aucune démarche.
Je trouve l'idée du baron d'Ebrensvaerd, relativement à l'arrivée
des troupes de V. M., fort bonne, dans le casob on ne serait pas as-
suré au moins de la neutralité parfaite de l'Angleterre. V. M. pensera
sans doute que cette certitude sera nécessaire , et si , pour l'obtenir,
il était utile que M. Crawford y retourne, je suis sûr qu'il ne s'y re-
fuserait pas. On pourrait le charger en même temps d'une lettre du
roi de France au roi d'Angleterre, et il serait plus en état qu'un
autre de donner des notions positives qui, — venant à l'appui des
réponses qui auraient été faites aux ouvertures que le ministre de
y. M. aurait été chargé de faire, — ne laisseraient plus aucun doute sur
les intentions de cette puissance, à moins que Y. M. ne préfère de ne
pas charger le baron de Nolcken de cette besogne. Si V. M. était une
fois assurée de n'avoir rien à craindre de l'Angleterre, je crois le
transport des troupes par mer préférable par la promptitude, l'éco-
nomie, la diversité et la facilité des moyens d'opération qu'il pré-
sente. Le corps de réserve en Poméranîe pourrait toujours exister et
même être utile , et les chevaux de la cavalerie pourraient traverser
l'Allemagne plus lestement ; un homme mènerait trois.
Le désir de la guerre continue toujours à Paris . et c'est un désir à
exciter. La réponse de l'empereur en décidera en partie. Je n'ai pu
avoir aucune notion à ce sujet ; à en croire les propos de M. de Mercy,
elle doit être ferme et peu satisfaisante pour l'Assemblée, car ce mi-
nistre croit la guerre inévitable, et il dit l'autre jour qu'il fallait la
faire avec vigueur et que tout fût terminé en un an ou dix-huit mois
au plus. Je ne sais si l'on peut se flatter que le langage de l'empereur
sera conforme à celui de son ambassadeur.
Les derniers mouvements à Paris pour le sacre et les bruits sur le
départ du roi n'ont pour objet que d'empêcher la nouvelle garde du
roi d'entrer en fonction. Ce soupçon d'une nouvelle évasion a été ac-
crédité par l'indiscrétion de beaucoup de gens bien intentionnés, mais
Français, qui tous avaient imaginé différents moyens, même ceux
par la mer, et qui, pour en assurer le secret, l'ont confié à tous
leurs amis. L'Assemblée n'a pas tardé à en être instruite, et dans
l'incertitude de la réalité de ce projet, et pour l'empêcher, s'il devait
exister, ils ont fait le décret sur les passeports, qui livre les voyageurs
ET LA COUR DE PRANCE. 163
aux vexations et aux inquisitions de toutes les municipalités et de
tous les gardes nationaux^ et remplit à merveille leur objet en ren-
dant la sortie du roi de France impossible, sans courir le risque
d'être reconnu et arrêté à chaque pas. J*ai l'honneur d'envoyer à
V. M. la copie des diiSférents articles de ce décret.
La réponse du roi à l'Assemblée sur la sommation à faire à l'Espa-
gne est très-mauvaise , mais elle est la suite de la position où le roi
se trouve, entouré de ministres qui le trahissent sans cesse et qui.
sont vendus & l'Assemblée. Il aurait été préférable que le roi eût
sanctionné simplement le décret, qui est tout & fait contraire à leur
constitution , et qui par cela même aurait été frappé de nullité ;
mais il n'en a pas été le maître, et on a exigé de lui cette démarche
comme une preuve de sa liberté et un acte de la bonne foi qu' il
apportait au maintien de cette même constitution.
CXLIL
DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1).
A Qefle, ce 6 février 1792.
Monsieur le comte de Fersen. Je vous envoie ci-joint, en forme
d'apostille, l'extrait d'une dépêche du sieur de Carisien, qui fait
clairement voir qu'il ne faut pas penser à faire entrer le roi de Prusse
dans des démarches pour le rétablissement de la monarchie française,
qu'en lui faisant espérer un dédommagement servant à agrandir
ses possessions. J'ai écrit à Carisien de tâcher de faire tomber le choix
du ministère prussien sur quelque établissement dans les Indes :
outre qu'un tel engagement ne présente rien d'odieux pour le roi de
France, on gagnerait même parla d'avoir empêché l'unité d'intérêt
de la Prusse avec l'Autriche dans cette affaire peut-être. En atten-
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : liera le 27, rvp,
le 29/t»n<r.
164 LE COMTE DE FEBSEN
dant que Carisien vous fasse part du plas ou moins de possibilité
qu'il verra de réussite de ce projet, vous pourrez vous procurer la
connaissance des sentiments du roi et de la reine de France relative-
ment à une telle proposition ^ si elle avait lieu. Carisien me mande
aussi que les n^ociations des^ princes , pour pouvoir se retirer dans
les États prussiens 9 nesouffiriront pas de di£Sculté; mais que celle
pour avoir de l'argent rencontrerait .beaucoup d'obstacles. Par la
copie de ma dépêche à Bergstedt , vous verrez les ordres qu'il va
recevoir ; je ne crois pas qu'on se porte de sitôt à cette extrémité ,
mais si elle a lieu, je vous autorise de lui donner les ordres que
vous trouverez les plus convenables, soit de le garder auprès de
vous , soit de le renvoyer en Angleterre pour me rendre compte de
ce qui se passe , si vous trouvez que ses principes ou son langage
pourraient nuire à mes intentions ici en Suède. — La diète continue
de conserver le calme le plus parfait. A vue de pays , elle pourra
être finie au plus tard en trois semaines. Le marquis de Bouille me
mande qu'il m'envoie son fils ; il se plaint de l'indiscrétion qui rè-
gne à Coblence. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte
de Fersen , dans sa sainte et digne garde ; étant
Votre très-affectionné,
Gustave.
A Monsieur le comte de Fersen.
ApostUle, da 6 février 1792.
Extrait éttme dépêche de M. Carisien d Berlin, au roi.
Le comte de Schoulembourg, avec lequel j'eus l'occasion de m'en-
tretenir hier sur l'intérêt que paraissaient avoir la plupart des au-
tres puissances à s'entremettre efficacement pour tirer la France de
ses malheurs actuels^ me dit ces propres termes qui m'ont paru
bien remarquables : « Je vous avoue^ monsieur, et vous pouvez môme
le mander à votre cour, que la plus grande difficulté que je vois à la
chose sera à l'égard du pécuniaire , s'il ne s'agit que d'une guerre
d'Empire, & laquelle on contribuerait par un double ou triple contin-
gent ; il sera difficile de parvenir jamais au but qu'on se propose ; mon
avis est que pour réussir il est nécessaire d'employer de grands
moyens ; or, comme la Prusse n'a pas un intérêt assez puissant à la
ET LA COUR DE FRANCE. ]r65
chose pour dépenser gratuitement des sommes immenses , il fau-
drait du moins un aveu du roi au sujet du remboursement »
Il me semble que de l'idée d'un remboursement il n'y a pas loin
à celle d'un dédonmiagement par la cession de provinces, et que de
cette feçon le soupçon que j'ai osé exposer dans ma dernière très-
humble dépêche commence déjà à se confirmer.
[Ut in litteris.]
Gustave.
CXLIII.
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1).
(îefle, ce 6 février 1792.
Le roi de Suède vous aurait mandé aujourd'hui ]es conditions
auxquelles le roi de Prusse voudra prendre part aux affaires du roi de
France. Lui et l'empereur n'ont pour but premier que de démem-
brer la France, et le roi de Prusse fait revivre la première propo-
sition qu'il fit à l'empereur, pendant qu'il était encore en Italie ;
ils veulent abuser de la détresse dans laquelle se trouvent LL. MM.
Oe qui les terrasserait et rendrait tous leurs projets inutiles, ce se-
rait que LL. MM. eussent le bonheur de se sauver, car, sans cela,
ces deux princes alliés leur tireront pied ou aile.
Un nommé la Villette y a été envoyé aussi pour les mêmes né-
gociations ; il a été autrefois au service du roi de Prusse. Celui-
là a été encore plus malmené que le premier, puisqu'il a reçu
ordre de quitter tout de suite et Berlin et les États du roi de Prusse.
On voit par là que ce prince est bien intentionné, mais il veut être
sûr d'une indemnisation, et l'empereur la lui .promet s'il veut coo-
pérer avec lui et exclure, s'il Je peut, les cours du Nord. Il y a
(1) Lettre en chiffre ; déchii&ée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
27 février, reçu ; rép, le 4 mart. •
166 LE COMTE DE FERSEN
longtemps que Temperear aurait agi en fayeur de la France , s'il
avait pu j parvenir. Le roi de Saède est très-informé de Tindiscré-
tion des princes à Coblence et ne leur confie rien. J'ai oublié de vous
dire que l'Escars est parti pour Copenhague avec Corral et va ré-
venir après la diète.
CXLIV.
DU COÎfTE DE FERSEN A MARIE-ANTOINETTE (1).
Ce 6 féTiier 1792.
Il faut absolument vous tirer de Tétat ob vous êtes , et il n'y a
que des moyens violents qui puissent vous en tirer Le petit ar-
chiduc a dit à Tordre^ aux officiers^ qu'il allait en recevoir, pour que
tout fût prêt ici pour le P'mars, que 6,000 hommes étaient déjà
partis et que 14,000 autres allaient les suivre ; que la guerre contre
la France paraissait sûre. M. de Mettemich a dit qu'on allait enfin
changer de langage, qu'il n'attendait que la décision du conseil du
Brabant, sur les personnes dernièrement arrêtées, pour remettre
une note très-forte sur ce siqet & M. de la Gravier e. Il a ajouté
qu'on apprendrait bientdt des nouvelles de Prusse, plus intéressantes
que celles du suicide de M. de Ségur. Malgré cela , je ne croirai à
rien de la part de l'empereor avant d'en voir des effets.
On dit qu'on veut que le roi oppose son veto au décret sur les
passeports. Ceux qui conseillent cet acte veulent ensuite le présen-
ter comme un acte de liberté, et je crois que le roi doit sanction-
ner. Les factieux présenteraient le refus comme une preuve qu'il
veut s'en aller et en conserver les moyens , et comme ce décret est
une chose vexatoire qui pèse sur le peuple surtout, à cause du pa-
pier timbré, il faut lui en laisser sentir tout le poids. D'ailleurs,
malgré le veto du roi, les jacobins, par leur infiuence, feront
(1) D'apits la miniite de la main dtr comte de Fersen, qui a écrit en marge : A la reine.
BT LA COUR DE FRANCE. 167
vexer les voyageurs. Le veto ne sera bon à rien, et Ton sera toujours
obligé de prendre des passeports. Le roi peut allouer, contre les
conseils du veto^ le désir qu'il a de prouver qu'il ne veut pas
s'en aller.
CXLV.
DU COMTE DE FERSEK AU BARON DE TAUBE.
BraxeUeSj oe 14 féyrier.
Mon cher ami. Tout est changé de nouveau, et je pars dans une
heure pour Paris. H sera peut-être nécessaire que, pour éviter tout
soupçon, je fasse un point vers l'Espagne. Dans tous les cas, je
serai ici pour le 23 ou 25.
M. de Simolin est ici; il va à Vienne, de la part de la reine,
pour dire à l'empereur leur véritable position, leurs désirs et le pres-
ser d'agir. Dans la conversation qu'il a eue avec eux , la reine lui
a dit : Dites à l'empereur çt^il n'y a rien à craindre pour nous;
la nation a besoin du roi, et que aonJUè vive, qu'il faut sauver;
et quant à moi, je ne crains rien., Jaime mieux me soumettre à tout,
que de vivre plus longtemps dans F état d avilissement où je suis, et
tout me paraît préférable à F horreur de notre position*
Mon ami, ces paroles sont significatives, et Simolin les a man-
dées à l'impératrice. La reine lui a aussi écrit sur le voyage de Si-
molin. Elle a écrit de même à l'empereur et au prince de Eau-
nitz une lettre charmante pour les prier d'avoir confiance entière
dans monsieur de Simolin. J'attends de bons effets de cette dé-
marche.
(1) Lettre en chiiEre, déchifErée de la main du baron de Taube.
168 LE COMTE DE FERSEN
CXLVL
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FBRSEN (1).
Gefle, oe 16 février 1792.
Le roi de Suède fait écrire avec la poste, aujourd'hui , à Staël un
ordre de ne point revenir en Suède, et qui doit le trouver à Ham-
bourg, au cas qu'il prît le parti de revenir ici, qui est contre les
ordres du roi. Le roi est fort content des lettres du roi de Prusse,
mais il est désespéré du mémoire que la reine (2) s'est laissé for-
cer à écrire à l'empereur, surtout après les lettres qu'elle vient d'é-
crire si récemment aux autres souverains. D'abord, elle ser^ dupe
des coquins qui lui ont arraché ce mémoire, car ils la trahiront ; puis
ils ont appris qu'elle a des moyens de correspondance qu'ils épie-
ront , et qu'à la fin ils intercepteront. L'on peut d'ailleurs être as-
suré que l'empereur fera mauvais usage de ce papier, malgré la
lettre particulière que la reine lui a écrite. Le roi de Suède vient
d'en prévenir l'impératrice avec la poste, afin qu'elle n'en soit pas
trompée par l'empereur. Je désapprouve fort ce que vient
là de faire la reine , car qu'est-ce qui a pu la forcer à entrer en
négociation ou pour parler avec Barnave et consorts ? D'ailleurs,
mon ami, celui qui entreprend de tromper trop de monde à la fois,
ne trompe à la fin personne. La reine n'a qu'un rôle à jouer, tant
qu'elle reste enfermée en France, qui est de ne jamais se confier
à un Français tant qu'elle reste en France, le crût-elle même bien
intentionné ; mais elle doit faire accroire à tout le monde et à tout
venant qu'elle ne veut vivre que d'après la constitution dans tous
ses points. C'est la seule manière d'endormir les rebelles.
Je sens, mon ami , qu'il sera impossible de vouloir séparer le roi
de France de la reine et du Dauphin ; je sens aussi la nécessité qu'ils
restent ensemble; mais, pour Madame Elisabeth et la petite, je
(1) Lettre en chiffre, déchifErée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 17
mari 1792 reça; le 21 mars, rcp,
(2) De France.
ET LA COUR DE FRANCE. 169
ne vois pas qn^l soit nécessaire de les prendre avec, ni même de
les prévenir du départ : toute confidence sur ce point est trop ris-
qnable. D'ailleurs , ils ne risqueront rien à rester ; la rage des re-
belles ne se portera jamais contre elles. Ce qui me chagrine le plus,
c'est de voir que rien n'avance et que tout se borne à des intri-
gues , à des négociations sans aucun résultat. Le roi n'entend par-
ler d'aucun secours pécuniaire du côté d'Espagne^ et sans l'argent
il est absolument impossible qu'il puisse faire marcher son armée
ni ses vaisseaux. Un autre malheur est celui que la saison est
très-rude cette année, de manière que nos ports ne seront proba-
blement ouverts qu'à la fin du mois de mai. D'ailleurs l'armée de
terre et de mer est en état complet de marcher; il ne faut que
l'argent pour la mettre en mouvement, et pour l'achat des pro-
visions de bouche, et pour les chevaux du train d'artillerie, et
pour les bagages.
CXLVII.
DU COMTE DE FLOKIDA BLANCA, MINISTRE-PRESIDENT d'eSPAGNE,
A M. ZINOWIEFF, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE DE RUSSIE A MADRID , DU
20 FÉVRIER 1792 (ï).
Les idées et les réflexions contenues dans les dépêches que
M. de Zinowieflf a reçues de sa cour sont si conformes à la façon de
penser du roi, qu'il ne paraît point nécessaire de s'arrêter à exa-
miner et à prouver la solidité de leurs fondements.
La dépêche dont l'extrait nous a été communiqué est divisée en
trois parties : la première, où l'on propose au roi d'appuyer avec l'em-
pereur et le roi de Prusse le plan en six articles que la cour de Russie
a formé, et solliciter qu'il soit adopté des deux souverains , en trai-
tant de son exécution prompte ou de celle d'un autre qui pourrait
( 1 ) D'après une copie retrouyée parmi les papiers du baron d'EhrensTaerd, envoyé de
Saède à Madrid, 1787-1799.
170 LE COMTE DE FERSEN
remplir les intentions et les désirs des puissances d'éviter par les
moyens les plus efficaces les extrémités de la révolution de France ;
la deuxième^ où il s'agit de faciliter au roi de Suède des subsides pé-
cuniaires pour le mettre en état d'opérer sans délais avec les prépa-
ratifs et les armements qu'il a tout prêts; et- la troisième^ où il est
question de recommander et de protéger auprès des cantons suisses,
l'acquisition de troupes pour les princes français; tout comme
S. M. I. de Bussie le fera auprès des potentats d'Allemagne par le
moyen de l'empereur et du roi de Prusse.
Le roi a pris la résolution de recommander et d'appuyer, ainsi
qu'on le propose dans la première partie, le plan en six articles dans les
termes et avec les explications dont chacun d'eux est accompagné
accommodées à la variation des temps et des circonstances survenues ,
et qui peuvent survenir : une telle prévoyance et précaution étant
nécessaire pour éviter les erreurs dans lesquelles, fitute d'en avoir,
l'on pourrait tomber.
Pour ce qui est des subsides pécuniaires dont il s'agit dans la
deuxième partie, les intentions et les dispositions du roi sont exprimées
dans la réponse séparée, et le roi s'arrangera directement avec le
roi de Suède, et avec les princes ses cousins, qu'il se propose de
secourir autant que l'état de ses finances, les dépenses qu'il est
et sera forcé de faire pour ses préparatifs intérieurs et pour ceux
des frontières, et de la guerre actuelle contre le roi de Maroc, lui
permettront.
Enfin, S. M. appuiera aaprès des cantons suisses, ainsi qu'il est
proposé dans la troisième partie, tout ce qui conviendra à Ja
cause commune, en faisant passer tous les bons offices que les cir-
constances exigeront, après qu'on les aura bien examinés, et que
l'on sera bien assuré de la disposition qu'il y aura de maintenir et
de remplir les conventions qui seront faites avec lesdits États.
C'est ce que le comte de Florida Blanca a l'honneur de répondre
à M. de Zinowieff pour qu'il en fasse part à sa cour, et qu'il
veuille bien marquer à S. M. l'impératrice de Bussie la gratitude
et les sentiments d'amitié dont le roi est pénétré pour cette prin-
cesse aussi généreuse qu'incomparable.
Aranjuez, oe 20 février 1792.
ET LA COUR DE FRANCE.
171
CXLVIIL
EXTRAIT d'une DjSpÊCHE DE LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG A
m/zINOWIEFF, BNYOTi de RUSSIE A HADRID, COMMUNIQUÉ A LA
COUR DE MADRID, ET LES RÉPONSES DE CETTE DERNIÈRE COUR SUR
LES DIFFÉRENTS ARTICLES.
(Annexe à la dépêche précédente, du ccmte de Flcrida Blanca à
M. Zinewiejf^ du 20 février 1792.)
1»
l«
Le roi fournira anx princes , consins
de 8. M., pour leur soutien, un contin-
gent qu'il fixera dès & présent, suivant
que les circonstances actuelles le lui per-
mettront ; ayant en considération que les
idées d'armements de ces princes seront
évanouies par une suite de la dispersion
des émigrants et des dispositions de
rélecteur de Trêves et autres, et de
celles de Tempereur et du roi de Prusse,
pour qu'ils ne se rassemblent point.
Les puissances concertantes convien-
draient d'un contingent en argent que
chacune d'elles fournirait proportionnel-
lement aux intérêts de parenté, de voisi-
nage et des liaisons politiques qu'elles
ont au soutien de la bonne cause. Le
fonds qui en résulterait serait principa-
lement destiné & l'entretien des princes
et de leur parti , ainsi qu'à fournir aux
frais des armements qu'ils seront dans
le cas de faire.
2»
2o
Le roi est parfaitement d'accord sur
ce point.
L'empereur, ayant une armée assez
considérable dans les Pays-Bas , se con-
tenterait de la faire répartir de manière
qu'elle puisse contenir les Français dans
leurs frontières de ce côté ; mais il renfor-
cerait ses troupes dans le Brisgau, de
même que le roi de Prusse dans ses pos-
sessions sur le Rhin , conformément à ce
que les princes émigrés ont proposé à
cet égard.
3«
3»
S. M. se conformera aussi à tout ce
qui est ici proposé.
L'Espagne et la Sardaigne garniraient
leurs frontières d'un nombre de troupes
172
LE COMTE DE FERSEN
40
A regard du 4« point Ton sait avec
certitude que le Roi Très-Chrétien désire
très-sincèrement que nulle irruption ne
soit faite. D'ailleurs, il doit être bien
difficile de contenir les émigrants et les
puissances limitrophes armées, dès que
les Français révolutionnaires montre-
ront des dispositions pour une agression
prochaine, qu'il vaut mieux prévenir
qu'attendre. C'est pourquoi il convient
de se borner sur cet article àce qui est
proposé dans la réponse au 6« point,
où il s'agit d'un congrès armé.
proportionné à leurs facultés et con-
venu d'avance avec S. M. l'empereur
et S. M. le roi de Prusse. Toutes ces me-
sures respectives devraient être prêtes
avec le printemps prochain, afin de ne
pas manquer la première occasion fa-
vorable qui se présentera, pour les dé-
ployer convenablement.
40
Les troupes des puissances combinées
n'auront pas besoin d'agir hostilement
dès le premier moment, si cela ne leur
convient pas ; mais elles seront postées de
manière à pouvoir de tous côtés pro-
téger les opérations des émigrés et de
ceux qui se déclareront pour eux ; de ma-
nière qu'en cas d'événements ils puissent
avoir une retraite sûre et recevoir les se-
cours dont ils pourraient avoir besoin ,
soit en vivres, soit en munitions de
guerre.
50
L'on doit répéter sur ce point ce qui
a été dit dans la réponse au précédent.
5«
Comme par plusieurs considérations,
et entre autres pour n'avoir pas trop
longtemps à porterie fardeau de l'entre-
tien des émigrés, et pour ne pas laisser
s'éteindre l'ardeur qu'ils montrent à pré-
sent, leur activité ne doit pas être trop
longtemps suspendue, il serait bon de
les mettre en action aussitôt que le roi
de Suède sera en état de paraître du
côté dont on sera convenu, ce qui pourra
s'effectuer sans faute dès le commence-
ment du printemps prochain.
Il n'y a nulle difficulté pour la tenue
d'un congrès, que l'empereur a toujours
désiré , quoique l'on ignore si c'est d'a-
Comme le roi et la reine de France
paraissent désirer le rassemblement d'un
congrès sous prétexte des affaires d'A-
ET LA COUR DE FRANCE.
173
près le souhait du roi et de la reine de
France, et si rambassadeur & Vienne
en a fait ou non la proposition formelle.
Le roi fera partir, pour se trouver au
congrès avec des instructions et des
pouvoirs suffisants, le chevalier Onis,
déjà désigné pour cette commission. Le
congrès devra commencer ses sessions
le 1^ de mai ou avant , si les plénipo-
tentiaires se trouvaient assemblés plus
tôt; et les délibérations devront finir
avec la fin du mois de juin. II est de
toute nécessité d*y assigner un terme.fixe
improrogeable; car autrement il pour-
rait s'en suivre les plus grands maux
de la dilation.
vignon et de celles des princes d'Alle-
magne poBsessionnés en France, et que
Tambassadeur de France, à ce que nous
apprenons, en a fait la proposition for-
melle & la cour de Vienne, cette mesure
paraît excellente à adopter en ce qu'elle
peut favoriser la marche des troupes ,
attendu que toute négociation autorise
un certain appareil militaire , propre à
la soutenir. Il faudrait seulement que
l'assemblée de ce congrès fût fixée à
un des mois de l'hiver courant ou au
commencement du printemps, pour pou-
voir ouvrir, dès rentrée de cette der-
nière saison', les opérations militaires,
si elles peuvent avoir lieu.
Les difficultés peuvent rouler sur Tobjet, le motif ou Tapparence
qu'il faudra donner au congrès ; sur les divers points que l'on devra
7 traiter et arrêter ; sur la combinaison à £ûre de sa tenue avec les
apprêts et les opérations militaires^ et sur la manière de s'entendre
avec la France^ afin que les décisions et les arrêtés des puissances
concourantes y aient leur effet. Ces points-ci sont plus scabreux et
plus difficiles qu'ils ne semblent; cependant le roi dira ce qu'il y
entend et S. M. le proposera aux cours de Vienne et de Berlin, et
à celles de Turin et de Naples, dans la vue de savoir si elles se
conformeront, et si les deux premières veulent passer leurs offices
auprès des princes, potentats ou puissances, avec qui dles sont en
relation ou ont une influence.
L'objet que l'on doit présenter et proposer pour un congrès, c'est
que les puissances et potentats qui auront à se plaindre de la con-
duite et des résolutions du gouvernement actuel de France, pour des
usurpations de biens et de droits, des infractions des traités, des vio-
lations de territoires, des insultes ou des men ées réelles ou verbales
contre les pouvoirs légitimes, soient invités de les exposer audit
congrès, pour y traiter de concert des moyens d'en obtenir la répa-
ration et la satisfaction, et d'éviter la continuation de ces maux.
L'on doit présenter d'abord l'idée de vouloir préférer les voies pa-
cifiques aux violentes, l'intention des souverains n'étant point d'al-
lumer une guerre, s'il est possible d'éviter autrement les désordres
et les offenses.
174 LE COMTE DE FERSEN
L'objet du congrès ainsi rendu public, il est clair quels seront
les points que l'on y traitera d'abord, puisque les princes de l'Em-
pire pourront réclamer les droits que les traités leur donnent ; le
Pape, l'usurpation d'Avignon ; l'Espagne, le dépouillement et la pri-
vation des fitcultés, des biens et des rentes faites à plusieurs
évéques et monastères, et l'infraction des traités dans plusieurs
articles essentiels ; le roi de Sardaigne et l'empereur, et même les
autres puissances et républiques auront à se plaindre des sugges-
tions et des manèges pour soulever leurs propres sujets. Les pléni-
potentiaires doivent être munis de pouvoirs et d'instructions sur le
m
tout.
Mais le point le plus essentiel dont il faudra traiter, ce sera
d'examiner, de concerter et de décider le moyen d'assurer qu'il y ait
en France un gouvernement avec qui l'on puisse s'entendre, capa-
ble de faire remplir les traités quelconques, les promesses, les stipu-
lations, paroles ou satisfactions qu'il donnera ou devra donner aux
puissances étrangères, sans qu'elles soient exposées aux insultes et
aux contraventions que l'on essuie continuellement contre le droit
public de l'Europe, par l'insubordination et les caprices qui subsis-
tent actuellement dans ce royaume-là, sans que l'on voie un pouvoir
qui suffise pour les contenir et pour y remédier.
Ce point-ci fournira un motif juste soit pour régler en France une
autorité légitime, avec la force suffisante pour se faire obéir, soit
pour laisser ce royaume-là et ses habitants hors du conmierce et
de la communication générale des nations, soit pour déclarer
comme finis, avec le même royaume, tous les traités^ et pour établir
que chaque puissance étendra, restreindra, ou anéantira toutes les
relations avec les Français, comme bon lui semblera, tout comme
ils ont voulu le faire par leurs décrets.
n est bon de prendre ici en considération les derniers décrets de
l'Assemblée, celui surtout du 14 janvier qui déclare infâme et traî-
tre tout Français ou agent du pouvoir exécutif qui prendra part di-
l'ectement ou indirectement à un congrès dont l'objet serait ou d'ob-
tenir la modification de la constitution , ou une médiation entre la
nation française et ceux qu'elle nomme rebelles,* ou un arrange-
ment avec les princes d'Allemagne qui avaient des possessions en
Alsace. Ce décret et sa communication aux puissances étrangères, sanc-
tionnés et accomplis par le Roi Très-Chrétien, avec déclaration qu'il
ET LA COUB DE FRANCE. 175
regardera comme ennemi tout prince qui voudra offenser la consti-
tutioUy exigent toute la réflexion des souverains, et donnent occasion
à l'idée insinuée d'examiner et de décider s'il convient de laisser
hors de tout commerce et communication politique avec le reste de
l'Europe une nation qui n'admet pas d'autres règles que ses propres
délibérations, même par rapport aux droits et aux intérêts des puis-
sances étrangères.
C'est pourquoi il serait juste d'inviter toutes les puissances au
congrès, et particulièrement toutes celles qui intervinrent à la paix
de Westphalie et à celle d'Utrecht, ou qui en furent les garants ;
pour examiner si l'on doit laisser subsister cette nouvelle manière
d'agir contre le système reçu par les puissances de l'Europe, et
mettre chaque nation en liberté de faire ce qu'elle voudra, malgré
les traités.
Il reste & combiner les opérations militaires avec la tenue du con-
grès. Le roi est d'accord, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que toutes
les puissanees limitrophes se préparent et approchent des frontiè-
res des forces capables d'en imposer, de résister k quelque agres-
sion, et de soutenir les résolutions du congrès. Il convient aussi que
le roi de Prusse, comme allié de l'empereur, place ses troupes
dans l'endroit indiqué, et que tous soient prêts pour s'entr'aider
et pour agir en cas de besoin.
Mais il est déjà difficile, s'il n'est pas impossible, que les princes
et leurs émigrants se réunissent en corps d'armée, capable de faire
une entrée utile en France. Leur dispersion, autorisée et promise
par l'empereur et par les électeurs de Trêves et de Mayence, a changé
les circonstances. Les instances du Roi Très-Chrétien pour qu'on
s'abstienne d'une telle irruption , parvenues au roi par des voies
très-sûres , sont un obstacle de plus pour la réunion et l'entrée des
princes, et pour accepter d'abord la bonne volonté des troupes et
des forces auxiliaires du roi de Suède.
C'est pour cela qu'il semble que l'on doit concerter, dans le
congrès même, les opérations militaires, et une garantie récipro-
que des puissances, en cas qu'elles seraient attaquées; et l'on agira,
en attendant, suivant que la conduite de la France l'exigera, en
répandant des manifestes et des idées tendantes à persuader le
peuple de cette nation-là, et même les troupes, qu'il ne s'agit pas
de leur faire la guerre, mais de protéger leur véritable liberté, la
176 LE COMTE DE FERSEN
sûreté de leurs persoimes et de leurs biens , et leur bonne corres-
pondance, leur commerce et leurs droits avec les autres nations.
n peut convenir à cette fin de conseiller de retourner chez eux tous
les émigrés qui n^auraient à courir ni à craindre avec fondement
des risques imminents à leur retour ; car ils seraient peut-être d'une
plus grande utilité à la cause commune en appuyant et en répan-
dant lesdites idées ou maximes des puissances assemblées , dissimu-
lant et cachant toujours que l'objet et le but soient de détruire la
constitution. Une nation qui a reçu et nourri généralement cet en-
thousiasme doit être attirée par des moyens indirects et obliques.
Tant que Ton n'agira pas avec cette précaution, la violence des
armes hors de saison ne servira qu'& réunir les peuples, et à les
obstiner contre la force même.
U reste enfin la façon de s'entendre avec le Boi Très-Chrétien , et
sur ce point le Boi pense qu'en lui faisant part de l'objet du con-
grès, dans des termes ostensibles et modérés, ainsi qu'il a été ex-
posé dans cette réponse , on lui dise que tout comme il appartient
aux puissances assemblées de traiter des moyens de réparer et d'éviter
des dommages qu'elles essuient, il appartient de même audit mo-
narque d'examiner et décider s'il lui convient d'envoyer des per-
sonnes qui le représentent pour l'intérêt de la France. Ce der-
nier pas ne devrait pas se &ire jusqu'à ce que le congrès serait
assemblé, et qu'il aurait concerté quelques préliminaires, et celui
de la garantie réciproque surtout.
CXLIX.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DB TAUBB (1).
BrnzelleB, oe 26 féTzier 1792.
Je suisde retour ici, mon cher ami, depuis avant-hier à quatre heures
du matin, et j'ai trouvé vos deux lettres du 26 janvier et 2 février.
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main dn baron de Tanbe.
ET LA COUR DE FRANCE. 177
Je suis parti d'ici le 11, et je suis arrivé & Paris sans aucune diffi-
culté, le 13, à six heures du soir. J'ai vu LL. MM. le soir, et encore le
lendemain au soir, à minuit Je suis reparti et j'ai été obligé, pour
éviter les soupçons, d'aller jusqu'à Tours, et revenir par Fontaine-
bleau. J'étais de retour à Paris le 19, à six heures du soir ; je n'ai point
osé risquer d'aller au Château. J'ai écrit pour savoir si on avait des
ordres à me donner, et je suis parti le 21, à minuit. Comme on m'avait
prévenu qu'il y avait des difficultés pour sortir, à cause des passeports
que les municipalités exigent, quoique le roi n'ait pas sanctionné, et
que beaucoup de monde avait été arrêté, j'ai pris le parti de faire part
de mon voyage au chargé d'affaires, et je me suis fait donner par
lui un passeport de courrier et un de M. Lessart. C'est ce qui a re-
tardé mon départ, et je suis resté caché pendant ce temps. J'ai été
arrêté plusieurs fois, mais pas reconnu, quoiqu'on examinât fort, et
dans un petit village de dix à douze maisons on voulait nous arrêter,
parce qu'il n-'y avait pas le signalement sur le passeport, et ce n'est
qu'à force de leur dire que nous étions courriers et étrangers qu'ils
nous ont laissés passer, après y être restés près d'une heure. Mais il
est impossible que jamais mon voyage soit connu.
Je suis assez content de ma course , quoique je n'aie pu occasionner
ce que le roi (1) désirait. La fuite est physiquement impossible en ce
moment, à cause de la surveillance qui est extrême. Us sont gardés
à vue, et on visite tous les bâtiments qui partent. Mais j'ai eu d'autres
explications dont le roi sera content, et dont j'enverrai les détails
par le premier courrier.
M. de Goltz, à Paris, se conduit fort mal, et LL. MM. en sont très-
mécontentes ; il est fort lié avec M. Péthion , et il n'exécute que très-
faiblement les ordres qu'il reçoit de sa cour. H n'a rien fait pour le
courrier du roi de Prusse , qui a été arrêté à Metz, et qui s'est cru
obligé de brûler ses dépêches ; de sorte que la déclaration du roi de
Prusse, conforme à celle de l'empereur sur les princes d'Allemagne,
n'a pas encore été faite, et M. de Goltz ne tient pas même à Paris
le langage qui lui est ordonné par sa ceur.
(1) De Suède.
T. n. 12
178 LE COMTE DE FERSEN
CL.
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1).
Stockholm, ce 28 février 1792.
L'impératrice n'a pas reçu aussi bien M. de Bombelles que je
l'aurais désiré ; Esterhazy l'a trop prévenue en faveur des princes, et
elle croit que la reine veut exclure les princes de toute participation
à son rétablissement, et qu'en aidant les princes et les émigrés avec
de l'argent, cela sera suffisant pour dompter les rebelles. Esterhazy
a eu l'art de lui faire accroire cela ; l'impératrice vient cependant d'é-
crire une lettre au roi (2), dans laquelle elle lui dit qu'il faut un
congrès pour forcer encore davantage l'empereur à agir; die veut
aussi avoir ce congrès armé et qu'il soit assemblé encore cet hiver.
Dans une entrevue particuUère que Bombelles a' eue avec elle, elle a
versé des larmes, lorsqu'il lui a conté les malheurs du roi et de la
reine de France. Je vous préviens, mon ami, que Stedingk ne connaît
point la correspondance particulière entre l'impératrice et notre roi,
ni le comte de Stackelberg, qui est ici; il paraît au roi que Stedingk
penche trop pour Esterhazy. Vous connaissez la lettre du roi de Prusse
au roi de Suéde, elle est parfaite, et je crois ce prince de bonne foi ;
mais l'empereur agira toujours en Florentin, et, malgré toutes les pro-
messes et les assurances qu'il donne, il nous trompera tous, et soyez
persuadé, mon ami, que si l'on ne fournit pas au roi de Suède, avant
la mi-avril, deux millions d'écus de banque de Hambourg pour
mettre sa flotte et son armée en mouvement , rien ne se fera ni ne
sera entrepris ; car s'il n'y met le bras, le tout finira par des pro-
messes et quelques déclarations inutiles, qui ne feront peur à per-
sonne.
( 1 ) Lettre en chiffre , déchiffrée de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge :
23 mars reçu; rép. h 1*' arrxL
(•2) De Suède.
ET LA COUR DE FRANCE. 179
CLL
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE HI (1).
Bruxelles, ce 29 février 1792.
Sire,
Le baron de Taube doit déjà avoir eu l'honneur de mettre sous les
yeux de V. M. les détails de mon voyage ; il sera donc inutile de les
répéter.
J'avais apporté au roi et à la reine plusieurs extraits des dépêches
de V. M. qui avaient rapport à ma mission et qui pouvaient servir à
la faire réussir et' remplir les vues de V. M, J'ai trouvé le roi et la
reine très-touchés de l'intérêt que vous preniez , Sire, à leur sort, et
ils m'ont chargé d'en témoigner à V. M. la plus vive reconnaissance
et combien le souvenir leur en sera cher et précieux ; ils ont senti à
merveille combien une nouvelle fuite donnerait d'impulsion aux
affaires, en facilitant la bonne volonté de leurs amis, et combien
elle aurait d'avantages pour eux ; mais, quelque utile qu'elle pût être,
LL. MM. sont trop convaincues que la réussite en est impossible en ce
moment pour vouloir la tenter, et, quoique j'aie employé et cherché vis-
à-vis d'elles tous les moyens possibles, je suis forcé de convenir
que, d'après l'inquiétude et la vigilance extrême qui règne autoiu» d'eux
et dans le royaume, d'après l'exécution partielle du décret sur les passe-
ports qu'on se permet même dans des villages , je crois cette faite im-
possible. La reine surtout en sentait vivement tout l'avantage et m'a
assuré que la mauvaise réussite de leur première tentative à cet égard
ne les arrêterait jamais sur une seconde ; mais LL. MM., n'y voyant
pour le moment aucune probabilité de réussir, s'y sont refusées abso-
lument. Elles ont cependant consenti à la tenter lorsque les forces des
différentes puissances seraient réunies sur la frontière et pourraient
leur servir dé point d'appui ou les protéger, au cas d'un événement
comme celui du mois de juin. Le plan que j'avais proposé à cet effet
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre.
180 LE COMTE DE FERSEN
était de passer toujours par les forêts de chasse, de se faire mener en-
suite de la même manière par des contrebandiers jusqu'à la frontière ;
de se faire rencontrer à dix ou douze lieues de la frontière par un dé-
tachement de cinquante hommes de troupes légères d'une des armées,
qui assurerait leur sortie, tandis que cette armée se tiendrait prête à
avancer pour les soutenir, si besoin était. Je m'étais assuré auparavant
de la possibilité d'une fuite de ce genre, et LL. MM. ont goûté cette
idée et ont consenti à la suivre, si elles voyaient que dans le moment
une telle démarche présentât de grands avantages.
Je présentai ensuite au roi les deux manières d'opérer pour le con-
grès qui sont contenues dans le mémoire ci-joint ; il préféra la se-
conde, en me disant que c'était celle qui lui présentait le plus de
chances pour se joindre au congrès. Je lui représentai cependant
qu'il pourrait arriver que les rebelles consentissent aux demandes
des puissances plutôt que de les voir se mêler de leur constitution,
et avec la mauvaise foi de l'empereur la bonne volonté des puissances
amies pourrait se trouver enchaînée , sous le prétexte qu'ayant tout
obtenu, il ne restait plus rien à demander. Alors il me répondit :
Mais c'est alors le cas et insister sur ma liberté, sur ma sortie de Paris
et ma présence dans un lieu indiqua, pour y signer et ratijîer les enga^
gements qtie j'aurai pris avec les puissances, et si, comme je le crois, je
ne puis V obtenir, les puissances seront alors libres dagir en ma fa-
teur.
Un autre objet sur lequel j'ai cru intéressant de m'éclaircir était la
latitude que le roi voulait donner à la liberté des puissances pour
agir, tant qu'il serait retenu à Paris par les rebelles, et le degré d'é-
gards qu'il faudrait avoir pour sa sûreté personnelle et celle de sa fa-
mille, s'il restait entre leurs mains. J'ai cru devoir lui présenter tous
les dangers auxquels il pourrait être exposé; j'ai cru devoir lui pré-
senter la possibilité qu'il fût emmené dans les Cévennes et placé par
les rebelles & la tête d'une armée de protestants ; je lui ai présenté
en même temps combien je croyais ces dangers affaiblis par la né-
cessité dont sa conservation était aux factieux pour obtenir une
meilleure capitulation, et, quant au projet des Cévennes, je pro-
posai, dans le cas oti il se renouvelât, de le faire évanouir en faisant
écrire par quelque personne affidée un pamphlet dégoûtant de déma-
gogie et d'invectives contre lui et surtout contre la reine , où l'on pré-
senterait le projet de les mener dans les Cévennes comme un moyen
ET LA COUR DE FRANCE. 181
imaginé par les aristocrates de les faire sortir de Paris pour les mener
aux armées étrangères. Le roi fut de mon avis sur tous ces points, et
il me dit que dans le cas où il ne pourrait sortir de Paris, ni par la
fuite ni autrement, il désirait que les puissances n'eussent aucun
égard pour ses dangers personnels ; qu'il voyait comme moi sa sû-
reté dans l'intérêt que les rebelles avaient à sa conservation et qu'il
emploierait tous les moyens possibles pour ne pas être emmené
hors de Paris ; que les brochures démocratiques l'avaient déjà très-
bien servi à cet égard, et que, s'il était nécessaire, il emploierait celui
que je venais de lui indiquer. Le roi me parut en tout très-décidé à
n'arrêter les puissances sur rien, et la reine me répéta ce qu'elle avait
déjà dit à M. de Simolin et que j'ai mandé au baron de Taube. Le
roi me répéta la même chose pour lui. La reine me parla alors d'un
objet de réclamation de plus pour les puissances, qui est le désar-
mement des forces considérables que la France entretient et qui sont
inutiles si elle n'a pas de projets hostiles. Cet article, ajouta-t-elle, ne
pourra être accordé par l'Assemblée, quand même elle le voudrait ; il
était contenu dans le mémoire que la reine a envoyé au mois de
septembre à l'empereur, mais M. de Mercy ne nous en a jamais parlé.
J'ai déclaré ensuite au roi, de la part de V. M., son intention, qui
était conforme à celle de l'impératrice de Russie , de ne point souffrir
en France l'établissement d'un gouvernement mixte ; de ne point
composer avec les rebelles, mais de rétablir la monarchie et l'au-
torité royale dans toute sa plénitude. La reine a saisi cette idée avec
chaleur, et le roi, quoiqu'il le désirât, a eu l'air de croire qu'il serait
diflSicile de l'obtenir; mais je n'ai pas eu de peine à lui prouver
qu'avec le moyen d'im secours étranger, et m'ayant déjà assuré qu'il
était impossible et qu'il était bien décidé à ne pas composer avec les
rebelles, il n'y avait rien de plus facile; il a fini par en être con-
vaincu et m'a assuré que son intention n'était pas de composer avec
les rebelles, dont les uns, disaît-il, ne peuvent pas faire le bien et
les autres ne le veulent pas. Mais il m'a prié en même temps de re-
présenter à V. M. la nécessité où sa position le mettait de traiter avec
eux en ce moment, de s'en servir et de faire tout ce qu'on exigeait
de lui , quelque répugnance qu'il y eût. J'ai assuré le roi que V. M.
sentait la nécessité de cette conduite et qu'elle l'approuvait, mais
seulement comme un moyen de gagner du temps et de les endormir.
Le roi demande aussi à. Y. M. de ne pas être surprise de toutes les
182 LE COMTE DE FERSEN
démarches qu'il pourrait être forcé de faire et de n'y jamais voir que
l'effet de son malheur et de la contrainte où il est. Tout ce qu'il me
dit là-dessus et sur l'abandon total où il était, privé de conseils et
éloigné des gens sur l'attachement desquels il pourrait compter et
qui pourraient lui être utiles, me toucha jusqu'aux larmes. Il voulut
bien à cette occasion dire des choses très-touchantes et très-flatteuses
pour moi. La reine me parla avec une sensibilité touchante de l'amitié
et de l'intérêt que V. M. et l'impératrice leur témoignent et en fit la
comparaison avec la conduite de l'empereur, qui ne fiit pas à son
avantage ; elle en fit un rapprochement avec tout ce qu'ils ont éprouvé
d'ingratitude dans l'intérieur des gens qui leur devaient tout et d'at-
tachement de ceux qui ne leur devaient rien. Le roi m'a chargé de
dire à V. M. qu'il n'avait sanctionné le décret sur le séquestre des
biens des émigrés que pour éviter qu'ils ne fussent brûlés et pillés,
ce qui n'aurait pas manqué s'il eût refusé ; mais qu'il est décidé à
ne pas consentir qu'on s'en empare et qu'on en dispose comme biens
nationaux.
En tout j'ai trouvé le roi et la reine très-décidés à supporter tout,
plutôt que l'état où ils sont, et, d'après la conversation que j'ai eue
avec LL. MM., je crois pouvoir vous assurer, Sire, qu'elles sentent
fortement que toute composition avec les rebelles est inutile et impos-
sible, et qu'il n'y a de moyen pour le rétablissement de leur auto-
rité que la force et des secours étrangers.
Par l'extrait de la dépêche du vicomte de Caraman au baron de
Breteuil, que j'ai honneur d'envoyer à V. M., elle jugera comme moi
que les conjectures très-bien fondées sur les projets du roi de Prusse,
relativement au remboursement des frais , se trouvent heureusement
détruites et qu'il ne songe à être indemnisé qu'en argent. Ce prince
paraît se livrer avec un intérêt vrai au rétablissement de la monar-
chie française. Mais V. M. verra par cette dépêche une nouvelle
preuve de la politique sourde et astucieuse du cabinet de Vienne.
V. M. croira sans doute que, des différentes propositions faites par
l'empereur, celle d'un congrès à Vienne doit être étudiée. Outre que
ce rassemblement n'aurait pas vis-à-vis des rebelles l'aspect impo-
sant d'un congrès ad hoc dans un lieu fixé et appuyé de forces im-
posantes prêtes à agir, la distance locale , les ménagements que des
ministres ou des ambassadeurs qui sont à Vienne depuis trente ou
quarante ans, et qui y ont même contracté des alliances , se croient ob-
ET LA COUR DE FRANCE. 183
1 igés d'avoir pour cette cour, l'espèce de dépendance où d'autres y sont
et la marche peu franche de l'empereur, — tout cela doit occasion-
ner des retards, et V. M. croira sans doute que ce n'est même que sous
ce point de vue que l'empereur le désire et pour pouvoir se rendre
maître des délibérations et , en embarrassant la question , gagner du
temps et éviter, s'il est possible, d'agir. M. de Mercy, à qui le baron
de Breteuil en a parlé, lui a dit : Eh bien , si on ne vent pas dun con-
grès à Vienne^ il n'y a qu'à le placer à Madrid. Cet emplacement me
paraîtrait préférable, quoique la distance locale fût encore plus
grande; mais je persiste à croire qu'il serait plus utile, plus impo-
sant et d'un effet plus assuré à Aix-la-Chapelle ou Cologne, éloigné
des intrigues et de l'influence d'une cour et assez rapproché de L. M.
Très-Chrétiennes pour être en peu de temps informé de leurs inten-
tions et assuré de leur coopération.
L'observation du vicomte de Caraman sur l'article qui regarde la
liberté du roi rentre absolument dans l'idée du roi de France ; et,
en effet, une telle demande aurait plus de poids lorsque toutes les
forces seraient rassemblées et auraient imprimé* la terreur qu'elles
doivent produire en tout. L'objet principal me paraît être l'arrivée des
troupes de toutes les puissances et leur accord sur cet objet. Cette dé-
marche une fois faite, elles ne pourront plus reculer, et il sera aisé
ensuite de s'entendre avec le roi de France et d'opérer en consé-
quence, surtout depuis qu'on est rassuré sur les vues d'agrandisse-
ment du roi de Prusse. Le roi de France doit lui envoyer incessam-
ment une ratification des engagements que le baron de Breteuil a
<;ontractés en son nom et une obligation pour le remboursement en
argent des frais de la guerre.
Je viens de recevoir la dépêche que V. M. m'a fait l'honneur
de m'envoyer du 6 de ce mois et je me conformerai aux ordres
qu'elle me donne relativement au sieur Bergstedt. V. M. aura déjà
vu par ma lettre au baron de Taube ce que je pense de lui.
La reine vient d'écrire une lettre à la reine de Naples et à celle de
Portugal ; on dit cette princesse bien intentionnée et disposée & four-
nir de l'argent. Le chevalier de Bressac doit y aller, pour traiter cet
objet.
184 LE COMTE DE FERSEN
CLII.
DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1).
Stockholm, ce 2 mars 1792.
Monsieur le comte de Fersen. J'ai reçu votre lettre du 5 février
et je suis entièrement de votre avis sur les raisonnements qu'elle
contient. Je crois très-utile que le roi de France écrive au roi d'An-
gleterre, en le priant de ne point s'opposer aux efforts que feront
les puissances pour sauver S. M. Très-Chrétienne ; cette démarche ne
pourra que faire un excellent effet. Je persiste à regarder la fuite
du roi de France comme absolument nécessaire , et, depuis que par
le décret sur les passeports votre voyage, périlleux qu'il était, de-
vient impossible, je crois que la seule mesure qui reste à prendre
pour le roi est de se confier à des Anglais , et le sieur Crawford
pourrait servir LL. MM. Très-Chrétiennes pour aider cette importante
mesure. Le marquis de Bouille me mande qu'il leur a proposé le même
chemin pour s'enfuir et qu'il n'en a pas reçu la moindre réponse; il
faut que cette mesure soit bien bonne puisqu'elle nous est venue
en même temps en pensée. Si le roi de France voudrait étendre sa
(2) pour le roi d'Angleterre plus loin , il me paraît que vous
seriez la personne la plus propre pour en être chargée , et, depuis que
vous ne pouvez aller à Paris, votre proximité de l'Angleterre fa-
voriserait ce projet. Dans ce cas, je vous enverrai une lettre de
main propre pour le roi d'Angleterre, qui vous servirait de lettre de
créance. En attendant , je ne reçois nulles nouvelles de l'Espagne.
La saison avance, et rien ne se fait. Il faudra voir ce que la présence
du prince de Nassau opère à Pétersbourg. Il paraît toujours que les
dispositions y continuent & être favorables. Sur ce, je prie Dieu qu'il
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : 26 reçw; rqj. le 1
avril,
(2) Ici manque un mot.
ET LA COUR DE FRANCE. 185
TOUS aîty monsieur le comte de Fersen ; dans sa sainte et digne
garde ; étant
Votre très-affectionné,
Gustave.
A Monsieur le comte de Fersen, Bruxelles.
CLIII.
DE LA BEINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
N° 2. Ce 20 mars 1792.
M. de Laporte ne reçoit plus de journaux depuis un mois. Je crains
que vous ne m'ayez écrit par là, d'autant que j'ai vu dans une lettre
de M. C. que vous l'adressez à moi pour des détails. Je n'ai rien reçu de
vous depuis votre retour. H ne faudra plus se servir des journaux,
il y a à croire qu'on les arrête.
La dépêche de Vienne fait beaucoup de bruit ici ; pour moi , je ne
la comprends pas. Je crains bien qu'il n'y ait encore de la mauvaise
volonté, n est clair qu'il veut gagner du temps pour ne rien faire.
M. Grog, vous a envoyé tous les papiers sur cela. Adieu.
(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
6mar5 re^j rép, h 6.
186 LE COMTE DE FERSEN
CLIV.
DU MARQUIS DE BOUILLIE AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III,
LE 3 MARS 1792 (1).
OBSERVATIONS SUR DIFFKRJEKTS POINTS DB DEBARQUEMENT SUR LES CÔTES DE FRANCE.
Dunlierque et environs.
On peut débarquer au vieux Mardik, à deux lieues dans l'ouest de
Dunkerque ; mais on ne pourra faire mouiller à portée de ce point
de débarquement que des transports et des frégates tirant de douze à
quinze pieds d'eau au plus, encore ne sera-t-il prudent de l'entrepren-
dre que dans la belle saison, et par im temps sûr et fait, ce mouillage
étant en pleine côte et battu par tous les vents , depuis le nord-est
jusqu'à l'ouest, en passant par le nord. On observera en même temps
que les vents régnants dans ces parages, qui sont ceux du nord au
nord-est, sont beaux et maniables communément aux mois de mai,
juin et juillet, et que les bâtiments qui y seraient mouillés à cette
époque seront bien peu exposés.
La plage du vieux Mardik est de sable ; les chaloupes de descente
peuvent toutes s'y échouer à la lame ; les bâtiments depuis six jus-
qu'à dix pieds d'eau pourront protéger le débarquement avec du ca-
non de huit livres de balle. Les transports seront mouillés hors de
portée de canon de la côte.
Le fort Mardik, qui est dans une demi-lieue dans l'est du vieux
Mardik, n'est point en état de défense et ne pourrait retarder la
marche des troupes qui iraient attaquer Dunkerque. Cette place
est mal fortifiée et n'a qu'une simple enceinte en terre, mais dans
quarante-huit heures on peut noyer les fossés et les glacis ; les
(1) D'après roriginal dans les papiers du comte de Fersen. Ce mémoire est mentionné dans
les mémoires du marquis de Bouille (^Collection des mémoires relatifs à la révolution fran"
^aisey page 315 ), mais n'j est pas imprimé.
ET LA COUR DE FRANCE. 187
écluses sont en bon état. Bergues et Gravelines sont en bon état
de défense.
Calais et Boulogne.
On pourra très-facilement débarquer entre Boulogne et Calais,
près le cap Gris-Nez , à six lieues dans le sud-ouest de Calais. La
plage est toute de sable, les frégates et même les vaisseaux de ligne
peuve nt l'approcher à portée de canon ; on y mouille, ainsi qu'au
vieux Mardik , en pleine côte , et on n'y a à craindre que les vents
forcés bien rares dans la belle saison.
Côte de Normandie entre Fécamp et le Havre de Grâce.
L'intervalle de côte qui est entre Fécamp et le Havre joint à l'a-
vantage d'être proche de Paris celui de donner beaucoup de facilité
pour une descente. L'escadre et la flotte peuvent venir mouiller dans
le nord d'Yport et d'Etretat, par les quinzes brasses fond de sable
razard, à 3/4 de lieue de terre; quoique mouillées en pleine côte,
elles y sont en appareillage de tous les vents et n'ont aucun risque
& courir.
Le débarquement se fera très-facilement à Yport et à Étretat,
qui sont deux villages à environ une lieue de distance l'un de l'au-
tre, situés dans deux gorges dont les abords n'offrent aucune dé-
fense ; les chaloupes peuvent aller s'échouer à la lame, vis-à-vis de
ces deux points, sur une plage de sable fort belle et fort unie. Les
frégates et même les vaisseaux de ligne pourront protéger la descente
de leur feu et faire taire, s'il est nécessaire, une mauvaise batterie
de côte établie sur le point d'Etretat. La côte est saine dans toute
cette partie ; il y a seulement sur le cap d' Antifer trois roches qui
découvrent et qui sont à environ un quart de lieue au large.
Les troupes débarquées tant à Yport qu'à Etretat ne trouvent aucun
obstacle pour gagner les hauteurs de Sainte-Adresse, d'où on domine
à portée de canon la ville et le port du Havre. Il semble hors de
doute que dans cette position , avec trois ou quatre mortiers, on ré-
duirait bien promptement la ville, si, contre toute apparence,elle fer-
mait ses portes.
La distance d'Etretat au Havre est de quatre lieues environ, et
aucun fort, aucun poste retranché ne se rencontre dans l'intervalle ;
188 LE COMTE DE FERSEN
il n'y a, dans ce moment, dans cette ville qu'un seul bataillon du
régiment de Salis-Suisse pour toute garnison.
Il semble que, pour ne rien donner au hasard, l'escadre et la
flotte devraient être mouillées aux dunes et n'en partir pour venir
faire la descente que par un temps sûr et fait; elles en seraient
aussi à portée que de Spithead, les vents de nord-est qui sont
les vents régnants les conduisant vent arrière au point indiqué. La
position de l'escadre aux dunes peut encore avoir l'efifet d'attirer
toutes les forces sur les côtes de Flandre , qu'elle aurait l'air de me-
nacer bien plus que celles de Normandie. Monsieur le marquis de
Senneville, brigadier des armées navales, qui a ses terres sur cette
côte, offre de s'y rendre pour y seconder, de concert avec monsieur
Mistral, intendant de la marine au Havre (dont les bonnes disposi-
tions sont connues ), l'entreprise que l'on propose, et dont le succès
semble infaillible. Par le moyen de ces messieurs on aura à sa dis-
position les pilotes du roi au Havre, qui se rendraient en Angleterre
pour y attendre l'escadre.
Brest et Bertkeaume.
Si l'on avait pour objet de s'emparer de Brest, la rade de Ber-
theaume est celle où il paraît le plus convenable de faire mouiller
l'escadre et la flotte. Cette rade, quoique foraine, est d'une bonne
tenue, elle n'est mauvaise que par les vents de sud-ouest forcés, qui
sont fort rares dans la belle saison. Les vents de sud-est y battent
aussi en côte, mais ils permettent d'appareiller.
On ferait la descente sans peine dans le fond de la baie, à quatre
lieues de Brest, sur une plage de sable. Les deux batteries établies
sur les deux points de l'est et de l'ouest, qui ferment la baie, se-
raient aisément réduites par le feu des vaisseaux de ligne. Les
troupes descendues s'empareront aisément des forts du Mengand et
du Portzic, qui, pris à revers du côté de la terre, n'offrent aucune
défense ; la position de l'escadre à Bertheaume, jointe & la posses-
sion de ces deux forts, ferme absolument la sortie de la rade de
Brest.
Le chemin qui conduit de Bertheaume à Brest est coupé de gorges
et de collines assez escarpées, qui offrent à chaque pas des postes
ET LA COUR DE FRANCE. 189
naturels et faciles à défendre pied à pied ; on trouve de plus, à envi-
ron un quart de lieue de la ville, plusieurs redoutes et ouvrages en
terre qui en défendent les approches.
Il y a dans ce moment à Brest au moins 8,000 hommes, tant sol-
dats de ligne que gardes nationaux, tous dévoués au parti des plus
forcenés révolutionnaires. Ces gardes nationaux sont pour la plupart
d'anciens soldats, et sont plus capables de résolution que ceux qui
portent ailleurs le même habit ; ils auraient sans doute à leur tête
quatre officiers du génie militaire employés à Brest qui passent
pour fort instruits et qui sont partisans de la révolution.
Il résulte des derniers renseignements que l'on a pu se procurer
sur l'état de la ville et du port de Brest que le désordre et l'insu-
bordination y sont à leur comble, tant dans les nouveaux corps civils
que militaires , et qu'il n'y reste plus d'officiers de la marine. Cinq
des vaisseaux de ligne qui sont dans ce port sont gréés et ont leur
artillerie à bord, les autres ont leur premier plan d'eau & bord et leurs
bas-mâts seulement, mais tous sont sans équipages.
Dans le temps même où tout était dans l'ordre, il eût fallu deux
mois au moins pour lever les matelots nécessaires à un armement de
quinze vaisseaux ; on est certain qu'il n'y a encore rien d'ordonné
sur cet objet, et on serait en droit d'affirmer que, quand même on
ordonnerait des levées dans cet instant, il serait impossible, par le
désordre qui règne dans les classes , de rassembler les matelots né-
cessaires & un armement de douze vaisseaux de ligne.
On ose enfin assurer qu'avec une escadre de quinze vaisseaux de
ligne, on sera maître de la mer partout où on se présentera sur les
côtes de France.
Bade et baie de Quiberon.
De tous les points de débarquement, celui qui réunit le plus d'a-
vantages, tant pour la facilité du débarquement que pour la sûreté
des vaisseaux, est sans contredit la baie de Quiberon sur la côte
de Bretagne ; la rade est à l'abri de tous les vents hors celui de
sud-est, qui est le moins à craindre de tous ; on y mouille depuis 7
jusqu'à 10 brasses fond de raze, la tenue y est très-bonne.
lok baie est fort grande, on y trouve mouillage partout ; on pourra
choisir celui qui sera le plus proche du point où on voudrait faire
190 LE COMTE DE FERSEN
le débarquement. Si on veut se rendre maître du Port-Louis et de
Lorient, la descente devra se faire au village de Quiberon même,
qui n'est qu'à environ quatre lieues du Port-Louis ; cette place n'est
presque point défendue du côté de la terre : sa prise assure celle de
Lorient, où on aurait l'avantage de trouver des magasins considé-
rables de munitions de guerre et de bouche.
De Lorient à Brest il y a environ trente lieues ; cet intervalle
ne présente aucune place forte, ni môme aucun poste retranché,
mais le pays est coupé de gorges et de collines assez escarpées.
Si on se proposait de pénétrer dans l'intérieur de la Bretagne,
la descente devrait se faire dans la rivière de Vannes ou dans la
rivière d'Auray, qu'on peut remonter toutes les deux à plus de deux
lieues dans les terres. Il n'existe aucun fort, aucune batterie sur ces
deux rivières, et sur le rivage de la baie de Quiberon il n'y a que
de faibles batteries de côte, que la moindre frégate réduirait aisé-
ment, s'il était nécessaire.
Rendu à Vannes, où les chaloupes peuvent remonter, ou esta
24 lieues de Nantes et à 18 lieues de Rennes ; ces deux villes sont,
après Brest, les plus importantes de la Bretagne et les seules qui
aient des milices nationales un peu nombreuses.
La position de l'escadre à Quiberon lui donne la facilité de tenir
la rivière de Nantes bloquée par deux frégates qu'elle tiendrait en
croisière entre Belle-Isle et Noirmoutier.
La baie de Quiberon a l'avantage de donner à une escadre de
quinze vaisseaux la facilité de s'embosser dans une position à ne pas
craindre des forces beaucoup supérieures. Cette baie a encore l'a-
vantage de rendre très-facile le débarquement de l'artillerie.
Côte d'Aunis et de Poitou,
Si on se propose de faire une descente en Aunis ou en Poitou,
c'est dans la rade des Basques que l'escadre et la flotte doivent ve-
nir mouiller. Cette rade est située entre l'île de Ré, l'île d'Oléron
et l'île d'Aix, à une lieue de distance de cette dernière. On mouille
par les 9 et 14 brasses fond de sable razard, la tenue y est excel-
lente, et la mer ordinairement belle. Le mouillage pourrait contenir
plus de 30 vaisseaux de ligne et de deux cents voiles. Établi dans
ET LA COUR DE FRANCE. 191
cette rade, on ferme l'entrée du port de la Rochelle qui n'en est
éloignée que d'environ deux lieues. On peut très-facilement s'em-
parer de l'île d'Aix en descendant dans le nord-est de l'fle, qui
est absolument sans défense ; on s'empare très-facilement du fort
en bois, qui, pris à revers du côté de la terre, n'en offre aucune : on
est alors maître de la rade de l'île d'Aix d'où on ferme l'embou-
chure de la Charente, d'oti il ne peut plus sortir aucun vaisseau de
guerre.
Il sera facile aussi de tenir bloqué le port de Bordeaux en tenant
quelques frégates et corvettes en croisière à l'embouchure de la Ga-
ronne, et par cette disposition le commerce de la Guienne, du Poi-
tou^ de l'Aunis et de la Saintonge se trouve entièrement arrêté.
De la rade des Basques on sera à portée de choisir entre trois dif-
férents points de débarquement : le plateau d'Angoulain, à deux"
lieues de distance de la Rochelle, est celui où la descente se fera le
plus aisément ; on s'emparera sans peine des hauteurs de Chate-
laillon qui dominent les marais qui sont entre Angoulain et la
Rochelle, lieu où l'on avait placé un camp en 1759, quand on crai-
gnit une descente des Anglais. Angoulain n'est qu'à deux petites
lieues de la Rochelle , et les marais qui restent à traverser pour s'y
rendre sont desséchés et coupés par un beau et très-large grand
chemin : débarqué en ce lieu, on intercepte toute communication
par terre entre Rochefort et la Rochelle.
Si on veut marcher sur Rochefort d'abord , on peut descendre au
plateau d'Yres , qui n'en est éloigné que d'environ deux lieues ; on
s'établira facilement siu* les hauteurs de Charras , qui dominent les
marais qu'il faut traverser pour se rendre à Rochefort. Le chemin
qui traverse ces marais est très-beau ; il est coupé de plusieurs ca-
naux , sur lesquels sont de fort bons ponts en pierre qui pourraient
être défendus par l'artillerie qu'on aurait établie en arrivant sur les
hauteurs de Charrsis : cette position intercepte également la commu-
nication de Rochefort avec la Rochelle.
On peut débarquer aussi sur la pointe d'Aiguillon en Poitou, qui est
éloignée de six lieues de la rade des Basques ; mais on peut faire
approcher les frégates et même les transports jusqu'à un petit quart
de lieue de la pointe , on peut même les faire échouer sans danger
sur des razes très-molles, en dedans et très-près de cette pointe, la
mer y étant toujours unie, comme dans un étang. Le débarquement
192 LE COMTE DE FERSEN
se ferait en ce lieu avec tonte la sûreté et tonte la facilité possible ,
d'autant qu'il n'existe sur cette côte aucun fort, aucune batterie qui
puisse le gêner. On gagnerait dans l'instant les hauteurs de Saint-
Michel-en-l'Herme et la petite ville de Luçon, ouverte et sans défense,
qui n'en est éloignée que de deux lieues. Ce pays, ainsi que le reste
du bas Poitou, est riche en blé et en bestiaux; il présente de plus
un grand avantage, c'est que le peuple qui l'habite est ennemi dé-
claré de la révolution, et accueillerait comme des libérateurs ceux
qui viendraient y rappeler l'ordre. On observe encore que ce point
est sûrement celui vers lequel on portera le moins de défense.. On
aurait encore l'avantage en ce lieu de débarquer très-commodément
l'artillerie par le moyen d'un canal profond, navigable à trois .lieues
dans les terres.
OBSERVATIONS G^'lÈRALES. *
Quel que soit celui des points de débarquement proposés qu'on
choisisse, tl sera toujours nécessaire d'avoir quelques frégates de
gros calibre. Il serait à désirer aussi d'avoir trois ou quatre chalou-
pes canonnières portant une pièce de 18 livres de balle, et ne tirant
que six pieds d'eau ; il serait surtout important que ces derniers bâ-
timents soient gréés et construits de manière à manœuvrer et & gou-
verner facilement , pour pouvoir se porter rapidement dans tous les
points où il sera nécessaire de protéger les bateaux ou chaloupes de
descente.
n est à désirer que les chaloupes de débarquement ne tirent pas
plus de trois pieds d'eau, et que chacune porte avec elle deux
planches de quinze à dix-huit pouces de large chacune et de la plus
grande longueur qu'il se pourra , sans pourtant encombrer ; aussitôt
que la chaloupe s'échouera on poussera ces deux planches de l'avant ,
elles porteront d'un bout à terre et seront saisies et genopées très-
près l'une de l'autre sur l'avant de la chaloupe par le moyen de
deux crocs , ou de deux estropes. Cette très-simple précaution ren-
dra bien facile et bien plus prompt le débarquement des soldats.
Four éviter de grandes difficultés dans le débarquement de la
grosse artillerie, il serait bien à désirer que chaque bâtiment de trans-
port, qui en portera, ait à son bord les bois ou plançons nécessaires
ET LA COUR DE FRANCE. 193
«
pour faire des radeaux de dimensions et de force êc supporter le
poids de rartillerie qu'on voudrait leur faire porter. On peut pour
augmenter la résistance de ces radeaux & Timmersion leur accoler
des barriques vides et bien futaillées.
On se borne ici & donner Tidée de ces radeaux ; les détails de la
force et des dimensions à donner, dépendant du poids qu'ils sont
destinés à porter^ seront partout appréciés et déterminés par les gens
du métier. On observe seulement que pour débarquer la grosse artil-
lerie en pleine côte , ce moyen est nécessaire à employer pour éviter
des longueurs et des difficultés considérables.
Bouillie.
CLV.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE XII (1).
Bruxelles, ce 4 mars 1792.
Sire,
Les nouvelles de Berlin continuent à être bonnes. M. de Bischofifewer-
der a donné au vicomte de Caraman les assurances les plus positives
de la bonne volonté du roi son maître pour le roi de France, et
combien lui^ Bischoffswerder, les partageait. Il a promis de pousser
vigoureusement la cour de Vienne ; il y a porté le plan des opéra-
tions, &it par le duc de Brunswick, et doit proposer de conférer à ce
prince le commandement des forces réunies. M. Bischoffswerder a
dit que le roi de Prusse était dans Tintention de commander son
armée en personne. D'après la déclaration du roi de Prusse de ne
vouloir être remboursé de ses frais qu'en argent, l'empereur s'est pro-
bablement décidé à en faire de même, car le comte de Mercy en a
fait la demande au baron de Breteuil ; il s'est aussi plaint à lui du
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : ChifrCf par
la poste,
T. II. 13
194 LE COMTE DE FERSEN
mécoiitenteiBent que la reine témoignait sur la conduite de l'empe-
reur et a donné à entendre qu'on m'en croyait la cause et qu'on l'avait
découvert. Si cela est, ce ne pourrait être que par quelques-unes de
mes lettres à V. M. qu'ils auront peut-être déchiffrées , ce que je ne
crois guère possible, ni même pour celles que j'écris à Paris ; mais ils
le soupçonnent sans doute d'après les démarches que le roi et la reine
de France se sont décidés à faire directement auprès des différentes
puissances. Le baron de Breteuil m'a averti aussi que je leur étais
extrêmement suspect et incommode, et que souvent M. de Mercy l'en-
gageait de ne pas me dire les choses qu'il lui confiait. Cela nie prouve
qu'ils m'ont trouvé plus clairvoyant qu'ils ne l'ont cru.
M. de Bombelles mande au baron de Breteuil qu'il a trouvé l'im-
pératrice très-prévenue pour les princes et un peu contre lui , baron
de Breteuil ; qu'elle paraît avoir des doutes sur la validité de son
plein pouvoir, qu'elle envisage de même que celui qui a été donné à
Monsieur après l'arrestation du roi, et qu'elle le regarde, ainsi que
la lettre de la reine ( à laquelle elle ne paraît pas attacher tout le
prix que mérite une confiance aussi touchante), comme arraché par
importunité et comme une suite de l'ambition du baron de Breteuil
et de ses intrigues contre M. de Galonné , intrigues qu'elle regarde
comme le seul obstacle à la réunion et à la confiance intime qui se-
raient si nécessaires entre le roi et les princes ; que, dans une conver-
sation qu'il a eue avec l'impératrice, elle avait blâmé les projets du
baron de Breteuil , dont l'exécution achèverait de perdre la France.
L'impératrice avait ajouté foi aux calomniateurs du baron de Bre-
teuil, qui lui prêtent ceux de la composition de deux chambres et de
l'introduction d'un gouvernement mixte en France. Personne n'en
est cependant, par caractère et par principes, plus éloigné que lui et
ne sent plus fortement la nécessité que le roi reprenne la plénitude de
son autorité. Enfin l'impératrice blâmait le baron sur sa correspon-
dance avec les princes. On reconnaît dans tout cela l'effet des intri-
gues des entours des princes, et M. de Bombelles s'est efforcé & jus-
tifier le baron de Breteuil sur tous ces points, et, pour éclaircir encore
mieux celui de sa correspondance avec les princes, le baron de Bre-
teuil a pris le parti d'en envoyer la copie à l'impératrice ; mais il se-
rait digne de l'amitié et de l'intérêt que V. M. témoigne au roi de
France et à ses malheurs de vouloir bien de son côté éclairer aussi
l'impératrice, en lui prouvant que ce n'est pas le manque de confiance
ET LA COUR DE FRANCE. 195
dans les sentiments de ses frères qui empêche le roi d'avoir en eux
toute la confiance que son cœur et son amitié pour eux lui inspirent ;
que l'inimitié qui peut régner entre le baron de Breteuil et M. de Ga-
lonné n'est pas même un obstacle, maïs que le seul véritable et bien
fondé qu'il y ait est l'indiscrétion qui règne dans leur conseil et
dont M. d'Oxenstjerna et de Eomanzow ont déjà rendu compte ; que
le roi apprécie fortement l'utilité dont ses frères et leur parti peu-
vent lui être, en réunissant tous ceux qui en France voudront se dé-
clarer pour lui , en recevant et excitant les troupes à passer et à di-
minuer et affaiblir ainsi le parti des rebelles ; — mais que le roi per-
siste à croire qu'ils ne doivent agir qu'avec les puissances dont l'action
sera plus imposante et imprimera plus de terreur que celle des prin-
ces et des émigrés , qui ne ferait qu'irriter par l'imprudence qu'ils ont
eue de présenter dans tous leurs écrits et déclarations le désir d'une
vengeance sans bornes. Quant au plein pouvoir du baron de Breteuil,
il ne lui a été donné qu'après que le roi lui eût proposé de se charger
de ses affaires et dans un temps où le baron de Breteuil n'avait au-
cune correspondance avec le roi, et il n'a connu le plan et les vo-
lontés du roi que par le roi lui-même. V, M. , qui est seule au fait de
tous ces détails, peut seule rectifier là-dessus les idées de l'impéra-
trice ; un mot de sa part fera un grand effet, et, si elle se décide à
l'écrire, j'instruirai sur-le-champ le roi et la reine de France de cette
nouvelle obligation qu'ils auront à V. M. Le baron de Breteuil se
proposait d'avoir l'honneur d'en écrire à V. M., mais un accès de
goutte assez fort, qui le retient au lit depuis trois jours, l'en empêche,
et tout ce qu'il a pu faire a été d'accompagner l'envoi de sa cor-
respondance avec les princes d'une lettre pour l'impératrice.
La réponse de l'empereur à la lettre du roi est arrivée et aura
sans doute été communiquée à V. M. Elle jugera sans doute qu'on ne
pouvait attendre autre chose et qu'elle est très-mauvaise. S. M. Ln-
périale y reconnaît la constitution et la sanction libre du roi de
France, et j'ai de la peine à accorder cette réponse avec les proposi-
tions déjà faites au roi de Prusse et qui doivent l'avoir été de même
aux* autres cours , à moins d'établir que c'est l'archiduc d'Autriche
qui a fait la réponse et le chef de l'Empire qui fait les propositions.
Quelque diversité de marche et de principes qu'il y ait dans la con-
duite indiquée dans ces propositions , Y.* M. pensera sans doute que
l'objet principal étant celui de l'arrivée des armées sur les frontières
196 LE COMTE DE FERSEN
de France, il serait peut-êbe de la politique des vrais amis du roi
de France de s'accorder sur ce point ; de mettre les troupes en mou-
vement et de profiter du temps qu'il leur faudra pour se rendre aux
endroits de leur destination , pour négocier sur l'emplacement d'un
congrès, que les circonstances peuvent ensuite rendre absolument
inutile , et sur l'article de l'énoncé de la non-liberté du roi : une fois
les armées formées et le plan des opérations militaires convenu , les
puissances sont engagées. Celles dont les intentions ne sont pas très-
franches seront forcées & laisser agir les autres, selon les circons-
tances qui ne manqueront pas de se présenter et qui seules feront
le reste.
CLVL
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE,
DU 4 MARS 1792 (1).
Bruxelles, ce 4 mars.
Je vous envoie une note que le baron de Breteuil m'a remise. Il
est dans un besoin très-pressant, et j'espère que vous trouverez sa de-
mande [juste].
Voici ce qu'il dit :
« Je suis obligé de revenir au besoin pressant d'argent dans le-
« quel je me trouve pour faire face aux dépenses de tous les jours
« des personnes employées à demeure, ou allant et venant. Je suis
« déjà à grosses avances à cet égard , et je ne pouvais aller plus loin
<& sans me jeter dans de sérieux embarras qui nuisaient à la fois aux
«c affaires et à ma considération personnelle. Je demande qu'on me
« fasse passer et mettre & ma disposition la somme de 300 m. I.
c( pour m'ôter toute gêne dans les mesures actuelles , et dans celles
(1) D'après la minute de la maiti du comte de Fersen écrite sur la lettre originale du
baron de Breteuil, Le comte de Fersen a écrit en marge : i. mur» en blarir, envoyé par Gog,
ET LA COUR DE FRANCE. 197
(c que de nouvelles circonstaijces pourront exiger successivement.
« Je dois d'ailleurs vous dire avec franchise et avec la confiance que
« je dois à vos bontés que je n'ai plus les moyens de subsister sans
« un secours du roi. Depuis trois ans que ses bienfaits et mes rentes
« sont saisies, j'ai vécu du peu que je pouvais tirer de ma terre et de
« la vente successive de mes meilleurs effets. Le séquestre m'ôtant le
« produit de ma terre, et ma vaisselle épuisée, je ne puis m'empê-
« cher, quelque peine que je m'en fasse , de devenir à charge au roi , et
« de prier S. M. de m'accorder six mille livres par mois pour ma dé-
« pense courante ; cela fera soixante-douze mille livres pour tannée.
<t J'ai réduit ma dépense à cette somme, en me bornant au simple né-
« cessaire et décent. Je ne demande ce secours au roi qu'en sup-
(c pliant qu'il me soit permis de le rendre le jour que, rentré dans
« mon bien, je pourrai toucher les arrérages de mon revenu saisi. »
La demande du baron est très-juste , il est sans ressources et prêt
& perdre tout ce qu'il a à Saint-Domingue. On pourrait lui envoyer
150,000 livres pour les dépenses courantes et 30,000 livres pour sa
dépense ; ce serait pour six mois. Si vous voulez faire remettre cet
argent à Périgaud , comme à moi , en lui disant de me le faire pas-
ser, mais il faudrait en remettre beaucoup plus , car il est nécessaire
d'avoir cette somme en entier ; et pour le reste , si vous voulez, je
verrai si voas pouvez le trouver à emprunter en Hollande ; il ne vous
coûterait que 5 pour cent au lieu de 6 ou 7. Quant à celui que j'ai
pour vous , je vous en rendrai compte dans quelques jours ; il est
d'ailleurs insuffisant pour cette dépense, et il vaut mieux le garder,
il pourra être bon à retrouver un jour. Voyez si vous pouvez trouver
à Paris quelqu'un qui vous procure un emprunt de 200,000 livres,
en Hollande ou ailleurs, mais hors du royaume, et prenez-le ; vous y
gagnerez beaucoup, et si vous voulez me le faire remettre ici, au
banquier monsieur Danoot fils et Cie. Je n'en donnerai au baron
que sur votre autorisation.
M. de Mercy s'est plaint au baron sur le mécontentement que vous
avez témoigné de la conduite de l'empereur ; il m'en soupçonne la
cause et a donné à entendre qu'il l'avait découverte. Je crois que ce
n'est qu'un soupçon, car toutes mes lettres vous sont parvenues , et s'il
avait fait paraître l'écriture il n'aurait pu les envoyer. Il est aussi im-
possible qu'il eût pu déchiffrer mes lettres au roi , mais le baron m'a
prévenu que je leur étais très-suspect et incommode , et que souvent
198 LE COMTE DE FERSEX
M. de Mercy lui recommandait de ne pas me dire ce qn'il loi con-
fiait. D'après cela je ne doute pas qu'ils ne cherchent tous les moyens
possibles pour me nuire auprès de vous , en inventant même des his-
toires, quoique je doive espérer que mon zèle et mon dévouement vous
soient trop connus pour craindre que vous y ajoutiez foi. J'ose cepen-
dant vous demander de ne pas me les laisser ignorer, pour que je
puisse les repousser et continuer à mériter la confiance si flatteuse
dont vous avez Lien voulu m'honorer.
Les nouvelles de Prusse sont toujours bonnes ; M. C... est chargé
de vous les conunnniquer. Le roi de P veut se mettre lui-même
à la tête de son armée. M. de Mercy est enchanté de la réponse de
l'empereur, il s'est vanté au baron d'en avoir été l'auteur.
CLYIL
DU C03ITE DE FERSEX A LA REINE MARIE-.\>rrOIXETTE (1).
N" 2. Ce 6 mars [1792].
J'ai reçu votre n<» 2 hier. Les détails auxquels je renvoyai M. C.
sont contenus dans les papiers du baron qu'il vous a envoyés. Comme
on ne se servait plus des journaux, on ne les a plus envoyés depuis
deux mois, et on n'en enverra que quand on en aura besoin. Pré-
venez M. de Laporte de vous les remettre quand il en recevra.
La réponse de l'empereur est un galimatias politique, un plaidoyer
qui ne dit rien, et c'est la seule manière favorable de l'envisager ; on
ne peut la concilier avec ce qu'il a proposé à Berlin qu'en supposant
qu'il se réserve, s'il est enfin forcé d'agir, de faire la distinction sub-
tile de sa conduite comme chef de la maison d'Autriche et comme chef
de l'Empire, et, dans ce cas, il est clair qu'il n'a voulu que gagner
du temps pour se préserver d'une invasion et avoir celui de se mettre
(1) D'après la minute de la miln du comte de Ferscn, qui a écrit en marge : 6 niars en
bianCf par Gog,
ET LA COUR DE FRANCE. 199
en mesure. S'il est encore de mauvaise foi, ce qui est plus probable,
sa réponse le sert à merveille. Moi, je crois Tun et l'autre ;,je crois
qu'il veut toujours éviter d'agir, mais qu'il craint d'y être forcé par
les autres puissances, et qu'il n'a consenti à la proposition de la
Prasse, de porter leurs forces à 50,000 hommes chacun, que dans
l'espoir d'exclure par là les cours du Nord , en leur représentant que
cette force est plus que suflSsante et qu'il est inutile d'en employer
davantage, et, s'il ne peut y parvenir, d'être tellement supérieur,
qu'elles se trouveront subordonnées à la marche qu'il voudra indiquer
et qu'alors il pourra créer à son gré en France un gouvernement qui
mette ce royaume dans sa dépendance, lui ôte sa force et l'empêche
de jamais reprendre en Europe le poids qu'il y a eu. Mais il ne sent
pas qu'avec l'influence de l'impératrice, la bonne volonté de la Prusse
et l'ambition du duc de Brunswick, il sera aisé de déjouer ce projet,
et c'est alors que les princes pourront vous être utiles , car les puis-
sances amies auront l'air de céder aux réclamations des princes , qui
auront été dictées secrètement par vous. L'essentiel est de s'accorder
pour faire arriver les troupes des différentes puissances sur les fron-
tières, et j'ai mandé au roi de Suède, et en Russie et Espagne, que je
croyais qu'il fallait tout sacrifier pour obtenir cet accord, et qu'on
pourrait, pendant leur marche, discuter l'article de répression de
la non-liberté du roi et de l'emplacement du congrès, dont le ras-
semblement deviendrait alors moins important, et peut-être inutile.
C'est d'après cette manière de voir sur les projets de l'empereur
que j'ai conseillé au baron (1) de ne se pas presser et de bien spécifier
dans l'engagement du remboursement des frais , que M. de Mcrcy
lui a demandé, que ce ne serait que lorsque le roi serait rétabli dans
la plénitude de son autorité telle qu'elle était avant la révolution.
M. de Mercy s'est vanté d'avoir fait la réponse de l'empereur.
Il faudrait prévenir Gog. que toutes ïes fois qu'il y aura au haut
du chiffre le n** et un tiret, comme par exemple 49, — cela signifiera
qu'il y a du chiffre jusqu'au premier gros point [ . ] 5 le reste ne signi-
fiera rien et sera en blanc ; s'il y a 49, c'est-à-dire le tiret en dessous
alors la lettre sera pour lui, le chiffre ne sera rien, à moins qu'il n'y
ait après le n" un ou deux points. Si après un pareil n* il y avait de
l'écriture simple, il y aurait du blanc dans les entre-lignes. Il sera
(l; De Ereteuil.
200 LE 6OMTE DE FERSEN
nécessaire de le prévenir là-dessus. Quand vous m'écrirez, il vaut
mieux que ce soit en blanc dans les entre-lignes d'un chiflfre qui ne
signifiera rien, car on peut trouver le chiflFre ici ; il faudra alors mettre
un tiret après ou dessous le chiffre et pas de points après, pour me
l'indiquer. Il faudra numéroter exactement pour savoir s'il y en a de
perdues. A Paris je suis sûr qu'on ne les ouvre pas, ils n'ont pas de
machine montée pour cela.
CLVIIT.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 7 mars 1792.
Sire,
La réponse de Vienne est arrivée à Berlin. Tous les articles ont été
acceptés, et quant à celui qui regarde l'énoncé de la liberté du roi il
est dit qu'on avait mal compris (2), etc. Si la cour de Vienne at-
tache à ces expressions un sens littéral, on ne peut rien désirer de
plus, car la liberté du roi le laisse le maître de former tel gouverne-
ment qu'il jugera à propos ; mais je crains toujours la mauvaise foi de
l'empereur et sa politique tortueuse, et je persiste à croire , d'après
tout ce que dit M. de Mercy, et par autres notions que j'ai eues, que
l'intention de l'empereur est toujours d'éviter d'agir, s'il le peut. Sa
réponse n'est qu'un galimatias politique, un plaidoyer de sa conduite
qui ne répond pas à la question ; ce n'est proprement qu'une réponse
du prince de Kaunitz à M. de Noailles sur la lettre de M. de Les-
sart, oh il ne s'adresse même qu'à M. de Lessart, et qui dans le fait
ne dit rien, et c'est la seule manière favorable de l'envisager. Si l'em-
pereur est de bonne foi, ce que j'ai de la peine à croire, il n'a voulu
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : CfiijTre,
(2) Voir la dépêche du vicomte de Caramanau baron de Breteuil, du 28 février, et dont
le comte de Fersen a inaéré un extrait , qui manque dans sa minute.
ET LA COUR DE FRANCE. 201
que gagner du temps pour se préserver d'une invasion et avoir celui
de se mettre en mesure. S'il est de mauvaise foi, ce qui paraît plus
probable, sa réponse le sert à merveille. Quant à moi, je crois l'un et
l'autre; je crois qu'il veut toujours éviter d'agir, mais que, craignant
d'y être enfin forcé par les autres puissances , il n'a consenti à la pro-
position de la Prusse, de porter leurs forces à 50,000 hpmmes chacun,
que dans l'espoir d'exclure par là les puissances du Nord, en leur
présentant ces forces comme plus que suffisantes et qu'il serait inu-
tile qu'elles en envoient, et, s'il ne peut les y faire consentir, d'être
tellement supérieur qu'elles se trouvent subordonnées à la marche
qu'il voudra indiquer ; qu'alors il pourra créer à son gré un gouver-
nement en France qui mette ce royaume dans sa dépendance, lui
ôte sa force, son énergie et l'empêche de reprendre en Europe le
poids et l'influence qu'il y a toujours eus. V. M. croira sans doute
que, si tel est le projet de l'empereur, il sera aisément déjoué par l'ac-
tion des cours du Nord, la bonne volonté de la Prusse et de l'Es-
pagne et l'ambition du duc de Brunsv^ick. C'est alors que les princes
pourront être vraiment utiles, en leur faisant faire des réclamations
concertées avec le roi de France auxquelles les puissances amies au-
ront l'air de céder. Cest d'après cette manière d'envisager les pro-
jets de l'empereur que j'ai conseillé au baron de Breteuil de ne se
pas trop presser et de bien spécifier dans l'engagement qu'il prendra
avec M. de Mercy, pour le remboursement des frais, qu'il n'aurait
son effet que lorsque le roi serait rétabli dans la plénitude de son au-
torité et la monarchie rétablie comme elle était avant la révolution.
Le vicomte de Caraman croit que le plan militaire porte de réunir
les troupes suédoises, russes, hessoises et celles de l'Empire avec les
émigrés, et en donner le commandement aux princes. Le chevalier
de Rolt, qui est à Berlin, mande cette nouvelle à Coblence; elle est
déjà publique ici et même à Paris. Je doute que V. M. et l'impéra-
trice consente à cette réunion ; la désunion et l'indiscipline qui règne
et régnera longtemps parmi les émigrés gâterait l'armée de V. M.,
et ce serait un moyen de paralyser son action. V. M. pensera sans
doute que son armée, jointe à celle de l'impératrice, des Hessois et
quelques troupes d'Empire, doit former un corps séparé, et que sa po-
sition, indiquée à cause des flottes, sera à la droite de l'armée et le
plus près possible des côtes.
202 LE COMTE DE FERSEN
CLIX.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARTE- ANTOINETTE (1).
N* 8. Ce 9 mare 1792.
Nous avons appris, hier au soir, la mort de l'empereur. Cette nou-
velle fait plaisir aux uns et peine à d'autres par le retard qu'ils crai-
gnent que cet événement n'apporte dans les aflFaircs. Moi, je le crois
plutôt un avantage pour vous. L'empereur est mort, mais Tarcliidue
d'Autriche ne l'est pas ; sa puissance et son intérêt restent toujours
les mêmes, et il peut faire en cette qualité tout ce qu'il aurait fait
comme empereur, et accorder, de concert avec le roi de Prusse, la
même protection à ses co-États que lorsqu'il était empereur. L'un et
l'autre n'y ont d'autre droit que celui de leur influence, fondée sur
leur puissance, et d'autres raisons que celles de l'intérêt général et
commun. Les dispositions de l'archiduc François ont d'ailleurs tou-
jours été favorables, et je sais qu'il a souvent blâmé la conduite
molle, lente et indécise de son père. Il est militaire dans Fâme, il
ressemble plus à Joseph qu'à Léopold. Cet événement doit encore
augmenter en ce moment l'influence du roi de Prusse, auquel la cour
de Vienne à intérêt de plaire pour conserver la dignité impériale,
et, d'après les bonnes dispositions que ce prince vous témoigne, cette
circonstance doit vous être très-favorable. Je crois qu'une lettre de
vous et du roi à l'archiduc François serait très-utile en ce moment ;
cette attention le flatterait et enflammerait son zèle pour vous. Après
avoir partagé sa douleur sur la perte qu'il fait d'un père et vous d'un
frère , vous pourriez lui dire qu'on ne vous a pas laissé ignorer toute
la sensibilité et l'intérêt qu'il a témoignés sur votre sort et que vous
espérez, d'après ces sentiments , qu'il donnera encore plus d'activité
aux espérances que son père vous avait données ; que vous n'hésitez
pas à lui donner les mêmes marques de confiance et à lui réitérer la
demande de l'envoi de forces imposantes sur les frontières et de la
(1) D'après la minute de la maiu du comte de Fereen, qui a écrit en marge : ^l la reiiw,
en ùlanCj par Gcff.
ET LA COUR DE FRANCE. 203
formation d'un congrès à Aix-la^Chapelîe ou Cologne ; que vous avez
lieu d'être assurée des bonues dispositions du roi de Prusse, qui doit
déjà avoir fait des propositions analogues à vos désirs, et que vous
avez depuis longtemps des preuves non équivoques de l'intérêt des
cours de Pétersbourg, de Stockholm et de Madrid. Vous pourriez
finir par lui faire sentir combien votre position oblige au plus grand
secret et surtout vis-à-vis des princes, à cause de l'indiscrétion de
leurs entours , et par demander des bontés pour le baron de Breteuil
qui a toute, votre confiance. Cette lettre ne saurait être écrite trop
tôt; il faudrait me l'envoyer par la diligence tout simplement à mon
adresse dans une boîte qui contiendrait du drap pour frac, quelques
gilets et cravates nouvelles, pour rendre la chose plus probable et
éviter tout soupçon.
Je n'ai pas encore reçu les papiers de Gog., les papiers que vous
m'annoncez, ni la lettre pour la reine de Portugal ; cela serait pour-
tant nécessaire. N'oubliez pas l'article de l'argent. Pour éviter encore
mieux tout soupçon, il faudrait écrire en même temps une simple lettre
de compliment à l'archiduc, que vous feriez passer par M. de Les-
sart, où vous ajouteriez quelque chose dans le sens de ces messieurs, en
lui rappelant en peu de mots ce que vous aviez déjà écrit* à son père,
et combien vous espérez qu'il suivra la marche de son père et qu'il
sera désireux de maintenir avec la France une paix également avan-
tageuse aux deux pays. Mais il faudrait que ces deux lettres arrivas-
sent en même temps, pour que l'archiduc ne soit pas incertain sur
vos véritables intentions. Vous pourriez instruire M. de Mercy de
cette démarche, pour qu'il écrive en xon séquence. Dans une conver-
sation qu'il a eue avec le baron, il a été fort bien, et il a dit : Ce
ne sont plus des déclarations qu'il faut, V empereur a enfin change
de système; — puis, en se levant avec chaleur, et montrant son
éi>ée : Cest de cela qu'il faut; V empereur y est décide et dans peu il
y en aura. J'aurais bien voulu être témoin de cette vivacité de M. de
Mercy, cela devait faire un contraste assez extraordinaire.
Envoyez-moi au plus tôt ces papiers et la lettre pour l'archiduc, elle
presse. Le baron veut envoyer à Vienne auprès de l'archiduc M. de Choi-
seul d'Aillecourt, le député; mandez-moi ce que vous en pensez.
204 LE COMTE DE FERSEN
CLX.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 11 mars 1792.
Sire,
Le courrier qui apportait la nouvelle de la mort de l'empereur est
arrivé jeudi 8, à trois heures après midi. Elle fut publique à six heures
et reçue avec indifférence par les uns et plutôt avec joie par les au-
tres, excepté madame l'archiduchesse, qui lui était personnellement
attachée. Personne ne le regrette ; la conduite molle et incertaine
qu'on lui a fait tenir dans ce pays-ci lui avait aliéné tous les esprits.
Il ^'y était ni craint ni aimé. Les officiers témoignent presque tout
haut leur joie, même les soldats, et il y en eut un de ces derniers qui
était de faction, et, ayant appris par les passants la nouvelle, dit en
allemand \Ah! ah ! il est mort ; eh bien, vive François , le père des sol-
dats / Les Français témoignent une joie indécente à cette occasion,
et leurs propos sont peu mesurés pour des gens auxquels on accorde
l'hospitalité ; mais les malheurs ne les corrigent pas. Leur joie sur la
mort de l'empereur est cependant balancée par l'incertitude où ils
sont sur la volonté et la possibilité qu'aura l'archiduc François d'agir
pour eux , et par la crainte que cet événement n'apporte de grands
retards dans les affaires. Je crois l'une et l'autre de ces appréhensions
mal fondées. La puissance de l'archiduc est la même que celle de son
père ; il est toujours co-État de l'Empire, et en cette qualité son inté-
rêt ne peut varier. Ses liaisons avec la Prusse subsistent telles qu'elles
étaient, mais l'influence de la cour de Berlin doit augmenter et, par
les bonnes dispositions que S. M. Prussienne témoigne, cette in-
fluence est un bonheur pour les affaires de France et doit en hâter
le développement, et l'intérêt de la cour de Vienne doit être de
plaire en ce moment à celle de Berlin , pour conserver la dignité im-
périale dans sa maison.
(1) D'après la minute de la main du comte de FerseD, qui a écrit en marge : Chiffre.
ET LA COUR DE FRANCE. 205
D'après toutes ces données et les notions que j'ai sur la façon de
penser particulière de l'archiduc François , qui a souvent improuvé la
conduite lente, molle et indécise de son père dans les affaires de
France , je n'hésite pas à regarder la mort de Léopold comme un
événement plutôt heureux pour le roi de France. D'ailleurs, l'homme
de la confiance de l'archiduc François, et qui l'accompagne depuis
longtemps en qualité d'aide de camp, est un monsieur de Lamber-
tie, Lorrain de naissance, dont la façon de penser sur la révolution
française a toujours été très-prononcée; et je ne doute pas que son
opinion n'influe sur celle de l'archiduc et sur la conduite qu'il tiendra.
Il paraît qu'avant sa mort l'empereur avait changé de système.
Du moins, dans ime conversation que le comte de Mercy eut le jeudi
matin avec le baron de Breteuil, il le lui assura positivement. Le ba-
ron, improuvant la réponse qui avait été envoyée, lui parla de la
déclaration proposée par l'empereur ; le comte de Mercy lui répondit :
Ce ne sont plus des déclarations qïîïlfautj V empereur le sent et a enfin
changé de système; — puis, se levant avec vivacité et portant la
main à son épée, il ajouta : Cest de cela qu'il faut ; V empereur le sent,
il y est décidé et dans peu il y en aura ; il ne reste plus d autre moyen
pour sauver la France et toute P Europe. Ce langage était bon , mais
pouvait-on compter sur les promesses de l'empereur ?
Le seul changement que cet événement me semble devoir appor-
ter dans la marche des affaires est celui de l'emplacement du con-
grès à Vienne. Cette idée doit tomber et celle d'Aix-la-Chapelle ou
Cologne doit se reproduire, ce qui ne me paraît pas un malheur.
206 LE COMTE DE FERSEN
CLXL
DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1).
Stockholm, ce 16 mars 1792.
Le roi (2) m'ordonne de vous charger de faire savoir au roi
et à la reine de France que, dans une audience particulière que le
nouveau ministre de Prusse eut chez le roi, S. M. lui demanda ce que
son maître pensait surPétat actuel delà France. Ce ministre lui répon-
dit : « La reine de France est la sœur de l'empereur ; mon maître
craint que , la puissance étant rendue au roi de France , la reine de
France ne favorise trop son frère. — Mais, dit le roi (2), si la France
s'éclipse entièrement de la balance politique de l'Europe , l'Angle-
terre prescrirait des lois à toutes les puissances. » Le ministre de
Prusse lui assura que si son maître était assuré que la reine de
France ne penchât pas entièrement pour l'empereur, il signerait tout
de suite une ligue, avec tous les autres souverains, pour remettre
le roi de France sur le trône. Le roi (2) lui dit qu'il était assuré que
la reine de France , instruite par ce malheureux cas, n'emploierait
son influence et son autorité qu'à la (3) ou envers ceux qui re-
connaissaient à son époux et & ses enfants la couronne de France ,
que l'Assemblée nationale venait d'usurper. Le roi de Suède veut que
la reine de France sache cette conversation , pour qu'elle connaisse
les craintes de la cour de Prusse, et afin qu'elle prenne en consé-
quence les mesures qu'elle croit lui être les plus utiles dans la con-
joncture présente. Le roi (4) a aussi dit au ministre de Danemark
qu'il lui conseillait de ne point recevoir dans leurs ports le pavillon de
l'Assemblée nationale. Quant aux deux prétendants à être ambassa-
deurs, dont vous me parlez dans votre dernière lettre, le roi (4) se
(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
Chiffre de Taubtj le 16 mars,
(2) De Suède.
(8) Ce mot est illisible.
(4) De Suède.
ET LA COUR DE FRANCE. 207
tient à sa première décision de n'en point recevoir que du roi de
France directement, et sans aucun changement à la forme ordinaire
des lettres de créance usitées de tout temps entre les deux cours. Le
roi de Suède voudrait savoir si le prince de Condé est chargé de
quelques commissions en Allemagne , de la part du roi de France,
ou d'écrire à notre roi, et que ce prince lèverait des troupes dans les
Etats des électeurs ecclésiastiques.
CLXIL
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
Bruxelles, ce 17 mars 1792.
Je ne regarde pas le changement du ministère en Espagne comme
un malheur, et le caractère connu du comte d'Aranda devrait rassu-
rer sur ses dispositions à votre égard. Cependant on ne peut pas sa-
voir jusqu'où son aversion pour son prédécesseur et l'envie qu'il aura
de défaire tout ce qui a été fait par lui peut le porter. M. de la Vau-
guyon dans sa dépêche au baron (2) regrette M. de Florida Blanca,
sans avoir cependant de notions sur les idées de son successeur. Dans
cette position , je crois qu'une lettre du roi au comte d'Aranda se-
rait d'une nécessité absolue, et ferait le plus grand effet sur un
homme haut et dont la vanité est une des premières passions ; elle
le déciderait en faveur de vos intérêts, s'il ne l'est pas déjà, et s'il
l'est, elle ne fera que lui donner plus de zèle et plus d'activité. Dans
tous les cas, je crois donc très-important de l'écrire, et, si le roi s'y
décide, je crois qu'il n'y a pas un moment à perdre, et qu'on ne
saurait trop se hâter de l'envoyer. Le baron, à qui j'en ai parlé, le
pense comme moi et se propose de lui écrire aussi. Dans cette lettre
(1) D'après la mlnate de la main du comte de Ferseo, qui a écrit en marge : A la reine,
en blanCy par Gog,
(2) De BieteuiL
208 LE COMTE DE FERSEN
le roi, après avoir exprimé au comte d'Aranda combien il est charmé
de voir que le choix du roi se soit porté sur un homme dont les qua-
lités connues justifient autant la confiance que son maître lui té-
moigne, lui rappellerait le temps qu'il a passé en France et com-
bien le roi a de raisons pour compter sur son attachement, par celui
qu'il lui a toujours connu pour la maison de Bourbon. Le roi lui expri-
merait le désir qu'il a d'être secouru par le roi d'Espagne , et lui par-
lerait de sa lettre au roi d'Espagne et des démarches qu'il a faites
auprès des autres cours, dont le succès doit dépendre de l'intérêt
que le roi d'Espagne mettra à exciter leur zèle , et qu'il espère que le
comte d'Aranda maintiendra et raffermira le roi d'Espagne dans
les bonnes dispositions qu'il lui a déjà témoignées , et sur lesquelles
il aime à compter. Le roi renouvellerait la demande du congrès ou
s'en rapporterait simplement à la lettre qu'il a déjà écrite à ce sujet
au roi d'Espagne. Il nommerait le baron de Breteuil comme étant
l'homme de sa confiance , et chargé de ses pleins pouvoirs , et de- ^
manderait pour lui la confiance du comte d'Aranda. Il lui ferait sen-
tir la nécessité du plus grand secret, et finirait par un compliment,
qui peut le flatter et lui prouver le cas que le roi fait de sa personne.
Il est intéressant que cette lettre soit écrite le plus tôt possible, le ba-
ron l'enverra par courrier.
L'Espagne donne 4 millions au roi de Suède et un demi-million aux
princes. Elle a envoyé un plan d'opération à l'impératrice que nous
aurons dans peu ; elle consent au congrès , et a déjà désigné le comte
d'Ouis pour y aller, mais ce choix sera probablement changé par le
comte d'Aranda.
La Prusse va toujours bien, et le comte de Schoulembourg a dit
qu'il regardait la mort de l'empereur comme avantageuse aux affiaires
de France, dont cela hâterait la marche. Mais la lettre que je vous ai
demandée pour le nouveau roi est absolument nécessaire ; le baron en
joindra une de sa part. Cette démarche est très-pressée, de même que
celle vis-à-vis du comte d'Aranda. Lé dernier article de ma lettre à
M. Qog. est le moyen le plus sûr, le plus simple et le plus naturel
de me la faire passer ; mais je ne saurais trop répéter combien il
est nécessaire qu'elle se fasse promptement.
Je supplie de ne voir dans mes importunités et dans mes sollicita-
tions que le bien de votre service. J'ose encore vous rappeler l'article
de l'argent, le baron étant sans ressources de ce côté.
^
ET LA COUR DE FRANCE. 209
CLXIII.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 18 mars 1792.
Sire,
Je viens de recevoir la dépêche que V. M. a daigné m'envoyer du
19 février; depuis plus d'un mois j'avais été sans nouvelles de ma
patrie, et j'ose me flatter que V. M. rend assez de justice à mes sen-
timents et à mou dévouement pour sa personne pour sentir combien ,
dans un moment aussi important que celui d'une diète, cette priva-
tion a dû me tourmenter; mîais plus mon inquiétude était grande et
plus ma joie l'a été en apprenant , par le bulletin que V. M. a dai-
gné me faire envoyer, que la diète était non-seulement finie, mais
que tous les objets soumis à ses délibérations avaient été réglés au
gré de ses souhaits. Daignez recevoir. Sire, avec bonté l'expression
de la vive satisfaction que cette nouvelle a causée au plus dévoué
de vos serviteurs, et celle des vœux que je ne cesserai de former
pour le bonheur et la prospérité de V. M., heureux s'il a pu y contri-
buer par ses faibles services.
Dès que je fus informé avec certitude de l'intention du roi de
France de s'adresser directement à l'impératrice, j'écrivis au comte
d'Esterhazy pour lui conseiller de quitter Pétersbourg. N'ayant aucun
chiffre avec lui je n'aurais pu lui en dire les raisons ; d'ailleurs ce
conseil de mon amitié m'en aurait empêché, car il n'avait pour but
que d'éviter au comte d'Esterhazy l'embarras où devait le jeter ce
qu'il doit à son attachement pour le roi et la reine et ce qu'il devait
à la confiance dont les princes l'honorent. J'espérais que ma lettre
lui arriverait assez tôt pour qu'il pût être parti avant l'arrivée de
M. de Bombelles , et qu'étant dans une ignorance totale de la démar-
che du roi de France , qui devait être un secret pour les princes , il
pourrait satisfaire à la première de ses obligations sans manquer à
(1) D*aprè8 la minute de la main du comte de Fersen j cette lettre a été expédiée en clair
et en chiffre.
T. II. 14
210 LE COMTE DE FERSEN
l'autre. Le comte d'Esterhazy ayant cru ne pouvoir quitter Péters-
bourg sans l'aveu des princes , et M. de Bombelles étant arrivé sur
ces entrefaites , j'ai senti qu'il était nécessaire que le comte d'Ester-
hazy restât pour couvrir les pégociations dont M. de Bombelles était
chargé et assurer d'autant mieux le secret de sa mission que son dé-
part dans ce moment aurait pu compromettre, et je me suis em-
pressé d'en écrire dans ce sens. Le baron de Breteuil , qui ignorait
absolument le conseil que j'avais donné au comte d'Esterhazy, a fort
désapprouvé, par des raisons que je viens de dire , son départ, et a
désiré qu'il restât à Pétersbourg et qu'il continuât à y suivre les né-
gociations dont les princes le chargeraient.
Nous n'avons encore aucune nouvelle des causes du renvoi de M.
de Florida Blanca ni de l'influence que ce changement peut avoir sur
les dispositions de l'Espagne relativement aux affaires de France.
J'ai lieu d'espérer que le roi de France se décidera à écrire au comte
d'Aranda. D'après la connaissance que je puis avoir du caractère de
ce ministre , j'ai cru cette démarche nécessaire et d'un grand effet,
et je l'ai indiquée ; si le roi s'y décide, je la crois d'un effet assuré.
Le baron de Nolcken aura sans doute mandé à V. M. les change-
ments qui ont déjà été faits par le nouveau roi de Hongrie. Cette
conduite, qui marque du caractère, doit faire présumer qu'il ne sui-
vra pas en tout le système de son père, et c'est d'un bon augure
pour les affaires de France.
J'ai l'honneur d'envoyer à V. M. la copie d'un papier qui circule
beaucoup ici, il a été répandu avec profusion dans les casernes (1).
Jusqu'à présent il n'a fait aucun ef .et sur les soldats , qui l'ont porté
eux-mêmes à leurs officiers. Malgré cela, le gouvernement n'est pas
très-rassuré. Les patrouilles sont multipliées, surtout la nuit, et les
(1) Ce papier contenait le sennent suivant :
XL Serment des confédérés :
« Nous confédérés troupes VaUones, Hongroises et Allemandes, réunies avec la confé-
n dération de toutes les proTÎnoes, jurons de ylvre et de mourir fidèles à notre religion et
« à notre constitution, de défendre les droits et les privilèges de la Nation, particuliére-
« ment pour les ordres de l'État au péril de notre vie. Nous jurons de mourir plutôt que
« de souffrir plus longtemps la tyrannie qui nous opprime. Nous jurons de rester réunU
« jusqu'à la mort à la confédération et d'oublier toute haine et esprit de parti ; de nou.^
« joindre, dans toutes les circonstances possibles, à la confédération pour le bien-être
n général. Nous prenons à témoin, pour ce notre serment, le ciel et la terre. »
ET LA COUR DE FRANCE. 211
oiBciers ne sont pas aussi sûrs qu'ils devraient l'être de la fidélité de
leurs soldats, et si on ne prend enfin des mesures vigoureuses con-
tre les rebelles en France , ce pays-ci est perdu pour le roi de Hon-
grie. Voilà les effets de la faiblesse , quand on la confond avec la
douceur.
CLXIV.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUEDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 21 mars 1792.
Sire,
Je vois par la lettre du baron de Taube du 16 février dernier que
V. M. a désapprouvé le mémoire que la reine a été forcée d'envoyer
à l'empereur et qu'elle a peine à sentir les raisons qui ont pu enga-
ger h une démarche aussi extraordinaire. Elle était cependant inévi-
table, d'après la conduite que LL. MM. ont adoptée. Les gens aux-
quels ils ont affaire sont trop rusés pour qu'il soit aisé de les .trom-
per ; ils ne se contentent plus de demi-moyens, et, pour leur ôter la
possibilité de calomnier les intentions du roi et pour diminuer autant
qu'il est possible les soupçons qu'ils conservent toujours sur sa bonne
foi , il est nécessaire d'adopter les propositions qu'ils font et de faire
ce qu'on ferait si effectivement on était de bonne foi. Je vais tâcher
en peu de mots de donnera V. M. une idée de la position du roi et de
la r«ine, qui pourra la mettre à même déjuger la conduite qu'ils
sont forcés de tenir. Y. M. aura sans doute été informée pai* son am-
bassadeur que c'est au moment de l'arrestation du roi et de son re-
tour à Paris que le parti républicain s'est déclaré ouvertement, et
qu'il voulait faire adopter les mesures les plus violentes. Les au-
teurs de la nouvelle constitution, craignant alors le renversement de
(1) D*aprÙ8 la minute de la main du comte de Fersen ; qni a écrit en marge : Chiffre.
Gustave m fut blessé morteUem3nt au bal misqué de T Opéra, à Stockholm, le 16 mars
1792, et expira le 29 du même mois.
212 LE COMTE DE FEBSEN
leur ouvrage, firent des propositious de se coaliser avec le roi pour
s^opposer aux entreprises des républicains ; et le roi, abandonné de
tout le monde , ne voyant aucune démarche prononcée de la part des
puissances , et d'après les conseils du comte de Mercy, se décida &
se concerter avec eux et à accepter la constitution. La nouvelle as-
semblée fut convoquée ; elle est divisée en deux partis bien pronon-
cés et également mauvais : ce sont les constitutionnels ou partisans de
l'ancienne assemblée, et les jacobins ou républicains. Le troisième
parti n'existe plus. Les premiers se disent les amis du roi, c'est-à-
dire du roi constitutionnel ; ils veulent l'ordre , mais c'est pour assu-
rer l'établissement de leur infernale constitution, pour assurer leur
sûreté individuelle, et se soustraire au châtiment qu'ils ont si bien
mérité. Les seconds sont les ennemis déclarés du roi , de l'ordre et
de tous les pouvoirs , ils veulent le renversement de la constitution ,
de la, monarchie et du roi, et ne tendent qu'à une république ou
plutôt à une subversion totale , à la faveur de laquelle ils espèrent
trouver dans le pillage et les désordres de tout genre un moyen de
s'enrichir, de se sauver et d'échapper ainsi au châtiment dû à leurs
crimes. Le roi et la reine , ayant senti tout l'avantage qu'il y avait
pour eux à fomenter dans l'Assemblée cet esprit de parti , pour mieux
la perdre et entraver la constitution , ont pris celui de rester liés avec
les constitutionnels et de régler leurs actions et le choix des ministres
d'après leur avis , bien persuadés cependant de leurs mauvaises in-
tentions et de l'impossibilité de gouverner par cette constitution ,
mais trouvant dans cette conduite le double avantage d'empêcher la
réunion des deux partis et d'augmenter en même temps la confusion
et les désordres de tous genres dans le royaume , de préparer par là les
esprits au mécontentement, et faciliter les opérations vigoureuses
qu'elles pourraient espérer des puissances. Voilà, Sire, les raisons qui
ont déterminé la conduite du roi et de la reine ; mais, pour parvenir
au but que LL. MM. se proposaient, il a fallu avoir l'air de se livrer
entièrement à la marche indiquée par les constitutionnels ; il a fallu ,
pour mieux les endormir, adopter les démarches proposées par eux,
et, pour les empêcher de se réunir aux républicains , il a fallu avoir
l'air d'être de bonne foi dans leur parti y d'être dans le sens de la
constitution et décidé à la soutenir et à marcher uniquement par
elle. C'était le seul moyen d'empêcher une réunion qui aurait exposé
les jours du roi et aurait pu donner des possibilités d'établir une ma-
N
ET LA COUR DE FRANCE. 213
nîère de constitution. Malgré cela , LL. MM. ne se sont jamais fiées
aux rebelles , ni aux assurances d'attachement qu'ils n'ont cessé de
leur donner. LL. MM. n'ont jamais été la dupe du véritable motif
qui les guidait; elles ont toujours senti qu'ils ne voulaient et ne
pouvaient jamais faire le bien, qu'il n'y avait de ressource qu'un
secours étranger, et LL. MM. m'ont fait l'honneur de me dire qu'il
n'y avait que l'extrême nécessité qui ait pu les déterminer à l'avi-
lissement de traiter avec d'aussi grands scélérats , et que c'était un
des plus grands désagréments de leur malheureuse position. M. Bar-
nave, Duport et Alexandre Lame th, quoiqu'ils ne soient plus mem-
bres de l'Assemblée, dirigent le parti constitutionnel et sont les in-
termédiaires auprès du roi. Ce sont eux qui ont fait le mémoire
adressé à l'empereur et dont l'envoi a été longtemps différé sous
différents prétextes , dont le plus spécieux était la difficulté de le
faire tenir, la reine ayant nié avoir aucune correspondance directe
avec l'empereur et aucun moyeu sûr de rien faire parvenir à M. de
Mercy. Ces messieurs ayant trouvé le moyen d'aplanir toutes ces
difficultés, un refus ultérieur aurait été impossible et aurait mis au
jour les véritables intentions du roi ; et la reine a espéré qu'en pré-
venant l'empereur et les cours amies, elles ne verraient en cette dé-
marche, si contraire à leurs vrais sentiments, qu'une nouvelle preuve
de la contrainte où LL. MM. sont retenues et du malheur de leur po-
sition. Le changement qui vient de s'opérer dans le ministère est en-
core une suite de ce plan de conduite. C'est d'après l'avis des consti-
tutionnels que M. de Narbonne avait été appelé au département de
la guerre ; il les a bientôt abandonnés , et a intrigué contre M. Ber-
trand , qui avait aussi été placé par eux , ainsi que M. de Lessart.
Les jacobins ayant eu le dessus dans la séance du 9 de ce mois et
ayant fait arrêter M. de Lessart, les constitutionnels ont déterminé le
roi au renvoi de M. de Narbonne et à la nomination du chevalier de
Grave , afin qu'il ne restât au conseil que M. Cahier de Gerville à la
dévotion des jacobins. J'ignore absolument ce qui a décidé le choix
de M. Dumouriez et la Coste ; le premier est un intrigant, très-mau-
vais sujet, qui avait été employé autrefois par le comte de Broglie
dans la correspondance secrète de Louis XY et qui se laissa employer
ensuite à espionner le comte de Broglie. On les dit tous les deux ja-
cobins ; si cela était, leur triomphe serait complet, et dans ce cas il
est impossible de prévoir ce qui en pourra arriver.
214 LE COMTE DE FERSEN
Il parait; par la dernière dépêche du marquis de Bombelles, que
la prévention de l'impératrice pour les princes a jeté de la défa-
veur sur la démarche de la reine vis-à-vis de cette princesse et
qu'elle n'en a pas assez senti tout le prix. Il semble même que l'im-
pératrice suspecte les intentions du baron de Breteuil et qu'elle le
soupçonne de vouloir affaiblir l'influence que sa conduite noble et
généreuse doit lui donner dans cette affaire, et qu'elle prête au roi
de France de vouloir absolument écarter ses frères. Je ne sais d'où
peuvent naître ces idées, que la lettre seule de la reine aurait dû
détruire. Les expressions en sont claires ; la reine y exprime toute
sa sensibilité et celle du roi de ne pouvoir se livrer à la confiance
qu'ils aimeraient à avoir dans leurs frères et qu'ils ùiéritent pour
leur attachement; elle motive la nécessité de cette réserve par
l'indiscrétion qui règne dans leur conseil et parmi ceux qui les
entourent. Elle désire que les princes n'agissent point partiellement,
mais que toutes leurs démarches soient réglées et concertées av/cc les
puissances ; et, ne pouvant elle-même manifester aux princes ce
désir, ni leur communiquer ses projets, elle demande à l'impératrice
de les guider et de déterminer leur marche, sans qu'ils puissent se
douter que c'est d'accord avec le roi ou à sa demande. Quelle mar-
que de confiance plus grande et plus touchante la reine pouvait-elle
donner à l'impératrice que cette demande d'être la tutrice de ses
frères, et l'impératrice peut-elle conclure de là le projet de diminuer
son influence, et d'exclure les princes de toutes les opérations, et
peut-elle soupçonner de ce projet le ministre qui a conseillé ou ap-
prouvé cette démarche? V. M. peut seule détruire les préventions
de l'impératrice à cet égard, en la rassurant sur les sentiments et
les idées du baron de Breteuil , et en lui persuadant que le roi et la
reine sentent tout le prix de la conduite des princes, mais qu'ils ne
la croient utile qu'autant qu'elle sera concertée avec les forces que
les puissances voudront accorder, et que, le roi ne pouvant, à cause
de la nécessité absolue de secret, les diriger lui-même, il attend ce
soin de l'amitié des puissances qui lui ont témoigné le plus d'in-
térêt, et que c'est à ce titre qu'il s'est adressé à V. M. et à l'impéra-
trice.
V. M. approuvera sans doute le projet envoyé au roi de Prusse
par le comte de Goltz, et que M. de Carisien lui aura communiqué,
de faire élire et couronner le roi de Hongrie empereur par les mi-
ET LA COUR DE FRANCE. 215
nistres déjà résidents à la diète. Cette mesure, que des exemples an-
térieurs autorisent, me paraît d'un grand avantage en ce moment,
et V. M. pensera sans doute qu'il sera intéressant de l'appuyer de
tout son crédit.
CLXV.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1).
Bruxelles, ce 21 mars 1792.
Mon cher ami. D'après le retard qu'ont éprouvé les postes je
doute que Staël ait pu recevoir à Hambourg l'ordre du roi. J'envoie
aujourd'hui au roi un détail de la position du roi et de la reine de
France, par où il verra que la reine, malgré tout ce qu'elle a pu
faire pour l'éviter, n'a pu se défendre d'envoyer à l'empereur le mé-
moire dont vous me parlez. Je pense comme vous qu'il aurait été
préférable que cela ne fût pas, mais cela ne se pouvait autrement.
Il est important pour le roi et la reine de France, et pour faciliter
les opérations, que les deux partis restent divisés; cette division
empêche l'établissement de la constitution, et de cet empêchement
naissent tous los désordres et le discrédit des assignats, et c'est par
ce discrédit que la contre-révolution sera facilitée, car ce mal et
celui de l'anarchie se font sentir aujourd'hui sur toutes les classes ;
mais si le roi de France ne s'était lui-même donné à aucun parti,
et qu'il ne lui eût pas opposé l'autre, ce parti, étant sans appui
et n'ayant plus d'espoir, se réunirait à l'autre, et on parviendrait
peut-être par cette réunion à établir une espèce de gouvernement,
et c'est ce qu'il importe d'empêcher. La reine n'est point dupe des
coquins avec lesquels elle est forcée de traiter; elle les connaît
pour ce qu'ils valent, et ils en ont eux-mêmes tant de peur qu'il
faut une grande attention pour qu'ils ne s'en aperçoivent pas, et
jusqu'à présent cela a fort bien réussi : ils ne se doutent pas des
(I) Lettre en chiffrei dOchiffrée de la main du baron de Taube.
216 LE COMTE DE FERSEN
projets du roi de France, ni de ses liaisons extérieures ; ils croient
qu'il n'a d'autres ressources qu'eux, que son arrestation l'a telle-
ment eflfrayé qu'il croit ne pouvoir rien que par eux, qui c'est la
nécessité qui l'a rapproché d'eux, et que c'est cette même néces-
sité qui fait qu'il y est de bonne foi. Ils n'ont pas appris, par
l'envoi du mémoire, que la reine avait des moyens de le faire pas-
ser ; elle est trop fine pour se laisser prendre ainsi ; ils ont dû croire,
au contraire, par tout ce qu'on leur a laissé voir, par la frayeur de
la reine sur cet envoi, qu'elle n'en avait aucun ; elle le leur a même
déclaré, et ce sont ces messieurs qui l'ont fourni. D'ailleurs, soyez
tranquille, mon ami, la reine a trop vécu en France et a trop
d'expérience pour ne pas sentir comme vous la nécessité de ne se
confier à aucun Français. Le rôle que vous voulez lui faire jouer,
celui de faire croire à tout le monde qu'elle approuve la constitution,
est précisément celui qu'elle a adopté; mais lorsque cette même
constitution est attaquée dans tous ses points, et que les républi-
cains font tous leurs efforts pour la renverser et enlever encore au
roi le peu d'autorité qu'elle lui laisse, il est naturel et conséquent
à ce plan de conduite que la reine, ayant l'air d'aimer cette cons-
titution, doit faire tout ce qu'elle peut pour la maintenir, et que le
parti constitutionnel, connaissant l'ascendant qu'elle a sur le roi, doit
s'adresser à elle pour qu'elle emploie tous les moyens pour par-
venir à ce but ; et la reine , pour ne pas se trahir, ne peut éviter
de traiter avec eux, quelque pénible qu'il soit pour elle de se prêter
à cette conduite. Si vous pouviez connaître comme moi, mon ami,
tous les détails de ses relations, loin de la blâmer, vous seriez
forcé d'admirer son courage, et d'avoir pitié de l'excès de ses mal-
heurs et des efforts continuels qu'elle est obligée de faire sur elle-
même pour supporter leur insolence et l'avilissement auquel elle
est sans cesse exposée; ce courage est au-dessus de celui des plus
grands dangers, et la reine le sent vivement.
L'accident arrivé à la reine de Portugal est un malheur poux nos
affaires. J'avais indiqué une démarche de la reine de France auprès
de cette princesse, qui n'aurait eu pour but que d'en obtenir des
secours pécuniaires, dont une partie aurait été donnée au roi (1).
(1) De Suède.
ET LA COUR DE FRANCE. 217
La reine y avait consenti, mais l'état où est la reine de Portugal et
la faiblesse et les intrigues d'une régence rendent cette démarche
impossible. Le baron d'Ehrensvaerd me mande que l'Espagne donne
an roi (1) quatre millions; cette somme ne serait suffisante que
dans les premiers moments, et il faudra tâcher que l'on en fournisse
davantage dans le courant des opérations ; avant tout, il sera néces-
saire à présent de connaître les dispositions du comte d'Aranda. Le
baron de Breteuil lui écrit pour cela, et insiste sur les promesses
faites par la cour d'Espagne ; l'argent promis au roi est un des prin*
cipaux articles.
CLXVL
DU COMTE DE FERSEN A M. DE BILDT, CHARGÉ d'aFFAIRES DE SUÈDE
A VIENNE (2).
Bruxelles, ce 28 mars 1792.
Monsieur. Faites-moi le plaisir de passer chez M. de Simolin, et
de lui dire ce qui suit ; au cas qu'il fût déjà parti, vous voudriez
bien brûler ma lettre, ou bien la garder quelque temps, au cas
qu'il repasse à Vienne :
« Mon cher Simolin. J'apprends ^ans le moment que votre souve-
raine, en approuvant votre voyage, vous envoie ordre de revenir
fiurJe-champ à Pétersbourg, pour lui donner des détails sur la
France. Je suis bien feché de cet ordre qui me privera du plaisir
de vous voir ; je me faisais une fête de passer quelque temps avec
vous , et il n'y a que l'utilité dont vous pourrez être à Pétersbourg
qui puisse me consoler un peu. Voici, mon cher Simolin, quelques
détails que je crois nécessaire de vous donner. Vos ennemis (car
(1) De Suède.
(2) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^
à M, de Bildtf par un courrier de Vienne.
218 LE COMTE DE FERSEN
qui n'en a pas? ) ont tâché de vous faire passer pour démocrate ;
cependant il ne paraît pas que cela ait fait aucune impression sur
l'esprit de l'impératrice, elle doit être persuadée du contraire; ses
dispositions nobles et généreuses sont toujours également bonnes,
mais elle est fortement prévenue pour les princes et elle désap-
prouve fort qu'on n'agisse pas entièrement par eux ; elle s'est
même persuadée que l'intention du roi et de la reine était de les
exclure tout à fait. Le roi de Suède ne partage pas ces idées de
l'impératrice, et il sent l'impossibilité de faire des princes les acteurs
principaux, et celle que le roi de France vpuisse se confier à eux à
cause de leur indiscrétion. Le prince de Nassau, quoique attaché
aux princes, est fort raisonnable; mais le comte d'Esterhazy entre-
tient l'impératrice dans ces idées, et il doit être fort accueilli par
elle. Il serait digne de vous, mon cher Simolin, de tâcher de recti-
fier peu à peu les idées de l'impératrice à cet égard, de lui prouver
les dangers et les inconvénients d'une confiance illimitée du roi
de France dans ses frères, car ce serait le moyen que tous les pro-
jets fussent sus à Paris, et dès lors tout serait perdu. Il faudrait
bien lui dire que le projet du roi et de la reine n'est pas d'exclure
les princes; qu'ils sont convaincus de leur attachement et de la
pureté de leurs vues ; qu'ils sentent toute l'utilité dont ils sont
pour leur cause, ainsi que la noblesse, mais que l'indiscrétion de
leurs entours a imposé au roi la dure nécessité de ne pas se livrer,
vis-à-vis d'eux, à toute la confiance que son cœur lui inspire; que
les difl*érentes proclamations exagérées qu'ils ont données, et qui
ne respirent que haine et vengeance, ont tellement effrayé et irrité
contre eux qu'en les présentant seuls à la tête de la contre-révolu-
tion, on éprouverait de plus grands obstacles que si les princes ne
faisaient qu'agir de concert avec les puissances, et qu'elles fussent
les agents principaux ; que c'est pour obvier à tous ces inconvénients,
et donner du crédit aux négociations des princes en sa faveur, que
le roi est décidé à faire des démarches directes auprès des différentes
puissances, et que celle que la reine a faite auprès de l'impératrice,
en la priant de régler et de diriger la conduite des princes, en lui
donnant une marque touchante de la plus grande confiance, doit
lui prouver que son intention n'est pas de les exclure, mais un moyen
de remédier à l'indiscrétion de leurs entours et de rendre leurs
démarches utiles au roi et au rétablissement de la monarchie. L'in-
ET LA COUR DE FRANCE. 219
tentîon du roi est donc d'agir avec les princes, mais non pas uni-
quement par eux, dans la persuasion que cette marche rendrait
l'opération plus diflScile. — On est aussi parvenu à persuader à
l'impératrice que le baron de Breteuil voulait négocier avec l'As-
semblée, qu'il voulait l'établissement de deux chambres, etc. Vous
savez que son idée est le rétablissement en entier de la monarchie,
et qu'il croit qu'elle ne peut être opérée que par la force et le se-
cours des puissances étrangères.
a Voilà, mon cher Simolin, ce dont j'ai cru intéressant de vous
prévenir; j'espère que vous n'y verrez que l'intérêt de mon amitié
pour vous, et celui d'une cause qui nous intéresse tous deux. —
Depuis quelque temps la position du roi et de la reine a tellement
empiré qu'ils courent les plus grands dangers, et que les secours
des puissances étrangères deviennent plus pressants que jamais.
Les jacobins ont absolument le dessus ; il y a eu un projet d'accuser
la reine, de l'implîquer dans l'affaire de M. de Lessart, de la séparer
du roi et la mettre dans un couvent, de suspendre le roi de ses
fonctions et de nommer M. Condorcet gouverneur du Dauphin.
Cela a été différé, mais pas abandonné. Tout le ministère est jaco-
bin. J'en ai envoyé un détail à Stedingk, demandez à le voir. Si vous
aviez quelques détails à me faire parvenir, vous pourriez les donner
à M. de Bildt, qui vous porte cette lettre, et il me les ferait passer
en chiffre.
« Adieu, mon cher Simolin ; ne doutez jamais des sentiments que
je vous ai voués. »
Vous sentez, monsieur, combien il est intéressant que ce que je
vous confie soit pour vous seul, et j'espère que vous voudrez bien
vous charger de lo'envoyer ce que M. de Simolin pourrait avoir à
me communiquer.
220 LE COMTE DE FERSEN
CLXVIL
DE LA REINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Ce 80 mars 1792.
J'ai reçu hier votre lettre du 27. Cette manière est bien sûre ;
vous pourrez toujours m'écrire, soit sous cette adresse ou celle
de M. Broune ; mais il faut mettre un n k vos lettres et à la pre-
mière tnettez n = deux, cela sera encore plus sûr.
Parlez à M"® Sullivan d'une manière dont elle a parlé à Jarjayes
pour me faire tenir des boîtes de biscottes; il faudrait savoir
le nom de la femme à laquelle ' il faut s'adresser chez elle ; mais
prenez garde, M. C... ne sait rien de cela, il n'a même pas voulu
qu'elle voie J. la dernière fois.
Que veut dire la nouvelle lettre de Vienne en réponse de celle
de M. de Lessart? Elle reparaît ici aussi mauvaise que l'autre. Pour
ici tout le monde la trouve superbe et d'une excellente politique.
Il est certain qu'elle nous décidera vraisemblablement à attaquer.
On n'attend pour cela que la réponse & la lettre de M. Dumouriez.
Je l'ai, mandé à M. de'Mercy. Le plan est d'attaquer par la Savoie
et le pays de Liège; on espère que, n'ayant pas assez de troupes
encore de ces deux côtés, on pourra faire quelque chose. Turin est
averti par moi depuis trois semaines. Il est essentiel de prendre des
précautions du côté de Liège. On envoie aux Deux-Ponts un M. de
Naiac qui vit à Vienne avec le car. de Rohan, et M. Chauvelin
comme ministre à Londres.
Je suis bien tourmentée dans ce moment pour le gouverneur de
mon fils. Nous nous sommes décidés pour M. de Fleurian, mais
nous ne savons pas encore le moment où nous le dirons.
M. C... vous aura parlé d'une manière pour m'écrire sans chiflre
en italien ; n'oubliez pas de m'envoyer la liste des noms. Quand mes
lettres auront un second n après avoir d'abord écrit, il sera du pre-
(I) Lettre en chiffre, déchifErée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
Chiffrt de la reine } 8 avril re^.
ET LA COUR DE FRANCE. 221
mîer volume de en toutes lettres ; ce sera des choses qui ne re-
garderont plus le b. de Bret. :
Notre position est toujours affreuse, mais pourtant moins dange-
reuse si c'est nous qui attaquerons. Les ministres viennent de faire
sanctionner le décret des passeports.
CLXVIIL
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1).
Bruxelles, ce 1«' avril 1792.
Sire,
La dernière dépêche que j'ai eu l'honneur d'adresser à V. M. était
du 24 mars (2) et fut expédiée par estafette. J'avais déjà reçu
celle que vous avez daigné m'envoyer, Sire, du 28 février, et celle
du 2 mars vient de m'être remise. Nous n'avons point encore de
nouvelles des dispositions du comte d'Aranda relativement aux
affaires de France. Le baron de Breteuil lui a envoyé un courrier
pour les connaître et le presser de fortifier et d'accélérer celles que
le roi d'Espagne a déjà témoignées. Un des articles principaux de
sa lettre est celui des secours pécuniaires à fournir à V. M. Il rap-
pelle au comte d'Aranda les engagements déjà pris à cet égard
par le roi d'Espagne et les promesses faites au ministre de V. M.
dans sa conférence avec le comte de Florida Blanca, le 2 août 1791,
où ce ministre promit de la part de son maître de concourir de se-
cours pécuniaires à la concurrence de 8 à 10 millions. Il insiste
pour qu'il soit fourni à V. M. la somme de 2 millions d'écus de
Hambourg pour mettre sa flotte et son armée en état d'agir de
concert avec les autres puissances. Il demande que 4 millions soient
(1) D'après la minute de la jnain du comte de Fenen.
(2) Cette lettre est publiée dans Touvrage de M. Feuillet de Conches : LouU XVI, 3farie'
AnUnnOte et Madame Elisabeth, V« vol., p. 858.
222 ' LE COMTE DE FERSEN
«
payés dans le courant du mois d'avril et le reste à des époques dé-
terminées, et il prend, au nom du roi de France, l'engagement de
rembourser au roi d'Espagne toutes les avances qui seront faites à
V. M. J'ai prévenu le baron d'Ehrensvaerd de cette démarche afin
qu'il puisse s'en appuyer dans celle qu'il jugera convenable de faire.
Si l'Espagne, au lieu de fournir 'aux princes tant de millions qui
ont été gaspillés on ne sait comment, les avait gardés ou les eût
fournis à V. M., ils auraient servi plus utilement & la cause du roi
de France.
Les nouvelles de Prusse sont toujours également bonnes, et il
paraît que le roi et le ministère prussien se livrent avec toute la
franchise de la bonne foi; ils ont donné les assurances les plus
positives au vicomte de Caraman et ils pressent fortement le nou-
veau roi de Hongrie de se déclarer ouvertement. M. de Carisien aura
sans doute rendu compte à V. M. qu'ils suivent avec chaleur le pro-
jet de hâter l'élection de l'empereur. Nous n'aurons de nouvelles
positives de Vienne que par le retour de la personne qui y a été
envoyée par le roi et la reine ; mais une personne du pays, cligne
de foi, mande que le jeune roi a dit qu'il ne donnerait point contre-
ordre à la marche des troupes.
Par la lettre que V, M. a daigné m'envoyer de l'impératrice, et
dont je ne ferai aucun usage, il paraît que la trop grande partialité
de cette princesse pour les princes subsiste toujours et que, si on
ne parvient à la diminuer, elle pourrait embarrasser la marche des
affaires, par la trop haute idée que l'impératrice a de leurs forces
et de leurs moyens et que les envoyés des princes ne fortifient ^ue
trop ; quel que soit l'état de faiblesse et de nullité où est le royaume
de France dans ce moment, il lui reste encore assez de force et
d'exaltation pour résister aux princes, et jamais on ne parviendra à
réduire les rebelles que par l'action et l'accord imposant des puis-
sances réunies. Un autre point sur lequel il serait essentiel d'éclairer
l'impératrice^ c'est sur la latitude que S. M. donne à cette expression
de la lettre de la reine où il est dit qu'il faut dans tous les cas
mettre en avant les puissances étrangères, et laisser les princes et
leur parti en arrière. L'impératrice conclut de là que l'intention est
de les exclure de toutes les opérations , ce qui n'est ni le projet da
roi ni de la reine. Leur idée est, en peu de mots, qu'il faut agir
avec les princes mais non uniquement par eux, mais par les puis-
£T LA COUR DE FRANCE. 223
sances; que ce sont les puissances qui donneront le branle, et que
les princes et leur parti seront alors des auxiliaires très-utiles. Cette
manière de voir est fondée sur des raisons déjà alléguées d'indiscré-
tion, e1 d'opposition plus forte si on les voyait à la tête de tout.
La certitude que vous avez. Sire, sur la neutralité de l'Angleterre
est un point capital, et bien intéressant à communiquer à l'Espagne,
qui est sans cesse retenue par la crainte des projets de cette puis-
sance.
Le projet d'écrire confidentiellement au roi d'Angleterre, qui avait
été adopté par le roi de France, vient d'être abandonné par le chan-
gement de position où S. M. se trouve et l'impossibilité où est ce
prince d'avoir aucune correspondance; il pourra cependant être
repris, si les circonstances changeaient. Tout ce qui vient de se passer
légitimerait bien la fuite du roi et de la reine, et la rend plus né-
cessaire que jamais. Je ne cesse de m'occuper des moyens de la
faire réussir, et de voir s'il sera possible d'y engager LL. MM. Je
n'en désespère pas, si les troupes des diflTéreutes puissances arrivent.
C'est un point capital, et V. M. pensera sans doute que tout doit
être sacrifié pour l'obtenir.
La tranquillité est un peu revenue à Paris, mais durera-t-elle ?
c'est ce qu'il est impossible de prévoir et même d'espérer. Le roi et
la reine ne s'en flattent pas, et LL. MM. sentent vivement tous les
dangers auquels ils sont sans cesse exposés. Us ont déjà fait avertir
le roi de Hongrie, du projet qu'ont les rebelles de l'attaquer, et
M. Crawford, qui vient d'arriver, est chargé de la part de la reine de
confirmer cette nouvelle à M. de Mercy, et d'y ajouter qu'ils font
de très-grands préparatifs, qu'il ne faut pas mépriser.
224 LE COMTE DE FERSEN
CLXIX.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1).
Ce 9 avril 1792.
Quant à l'argent, il faudrait que M. de Septeuil donne une
traite sur son correspondant à Londres , en faveur de MM. Danoot
fils, soit en mon nom, ou en celui de M. Crawford. Bien n'est plus
aisé, mais il faudrait que cela fût le plus tôt possible, et que j'en fusse
prévenu. La somme serait de cent mille écus pour les dépenses
courantes, et de trente-six mille francs pour six mois de dépense
pour le baron (2) . J'ai reçu votre n" 2 ; oui, c'est un événement
affreux, mais il faut espérer que le coup est manqué. Le roi (3)
continue à aller bien. Je vous envoie ce petit détail que j'ai fait
pour vous ; je Tadresse à M. Broune. Je vous écrirai demain par
M. d'Agoult qui va à Paris. J'ai été bien triste, mais je suis un peu
plus tranquille.
Comme M. d'Agoult part ce soir, je ne pourrai vous écrire par
lui. D'ailleurs, avant de connaître bien les intentions du comte d'A-
randa, il n'y a rien d'intéressant à vous mander. Une lettre du roi
à lui ferait un bon effet.
(1) Lettre expédiée en chiffre. Copiée d'après la minute de la main dn comte de Fersen,
qui a écrit en marge : A la reine,
(2) De BreteuiL
(3) De Suède.
ET LA COUR DE FRANCE. 226
CLXX.
DU BOI DB HONGRIE A LA REINE MARIB-ANTOINBTTB (1).
Votre homme s'esjk bien acquitté de sa commission. Comptez pour
sûr qu'on fera tout ce qu'on pourra pour vous satisfaire^ et, si vous
n'êtes pas servie tout de suite, c'est que plus d'un doivent y mettre
la main.
Vienne , ce 19 ayril 1792.
CLXXL
DU PRINCE DE KAUNITZ A LA REINE MABIB-ANTOINETTE (2).
L'inviolable attachement que j'ai voué à toute la postérité de
l'immortelle Marie-Thérèse et très-particulièrement à Y. M., depuis
son enfance 9 ne finira qu'avec ma vie. Je prie Y. M. de ne jamais
en douter, et, en cette considération, j'espère qu'elle voudra bien
continuer sa bienveillance au plus ancien serviteur de sa maison.
( 1 ) Copie de la main du comte de Fenen, qni a écrit deesiiB : Copie du billet écrit par
le roi tT Hongrie, êw vn petit morceau de papier^ de $a main, à la reine de France, et remit à
Gog, §an» date; <f était du 9 avril, 17 avril reçu,
(2) Copie de la main du comte de Fersen, qui a écrit dessus : Copie du hUlet du prince
Kaunitz à la reine, remis à Gog, Ce billet était écrit eur un petit papier par un êeerétaire.
T. II. 15
226 LE COMTE DE FERSEN
CLXXIL
DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYJÉ DU ROI LOUIS XVI A LA
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 10 AVRIL 1792 (1).
«
Vous aurez été bien affecté, monsieur le baron , de la mort du roi de
Suède ; elle doit être sentie par tous les bons Français, comme la perte
d'un de leurs plus généreux protecteurs. Ma reconnaissance per-
sonnelle a encore ajouté pour moi à ce pénible sentiment, et cette
ftmeste catastrophe m'a véritablement accablé. C'est un concours
bien bizarre de circonstances, toutes plus extraordinaires les unes
que les autres, qui semblent vouloir mettre notre patience aux
dernières épreuves , et je ne crois pas qu'il soit possible d'ajouter
quelque chose à la fatalité qui nous poursuit. Cette mort a été peu
sentie ici, où l'on n'aimait pas le roi de Suède, mais cependant le
roi en a été véritablement touché.
Bischoffswerder est arrivé avant-hier, 8 de ce mois , à 7 heures du
soir ; il était parti le 4 de Vienne , et ne s'était arrêté que quelques
heures à Prague, où il a encore vu le prince de Hohenlohe. Hier
matin il est parti de très-bonne heure pour Potsdam, de sorte qu'il
m'a été impossible de le voir; mais par le prince de Beuss, qui a
passé la soirée avec lui chez sa fiUe, et par d'autres voies , dont je
me suis assuré, voici les détails que je puis vous transmettre avec
sûreté :
M. Bischoffswerder a été très-content en général du roi de Hon-
grie, dont il donne les plus grandes espérances, et il en été aussi
plus particulièrement relativement à nos affaires. H lui a toujours
montré autant de volonté que de caractère. Ce prince reconnaît les
égards qu'il doit à MM. de Eaunitz et de Lascy, mais il ne les
écoute pas aveuglément, et, relativement à ce qui nous regarde, il
a dit à M. de Bischoffswerder qu'il fallait bien qu'il eût l'air de
prendre leurs conseils, mais qu'il ne devait pas s'en effrayer, que son
( 1 ) Diaprés une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fenen, qui a
écrit en marge : 18 avril, reçu.
ET LA COUR DE FRANCE. 227
, parti était bien pris, et qu'il n'y avait que le prince de Hohenlohe
avec qui il pût en parler franchement^ parce que lui seul connais-
sait ses véritables sentiments. Eaunitz et Lascy sont ouvertement
contre le projet ; le seul Spielman est pour nous, et il y est avec
d'autant plus de chaleur que le parti opposé cherche à le déjouer,
et même à le déposter, mais il est trop nécessaire pour que cela
puisse réussir. Spielman est l'homme de confiance, d'autant plus, à
ce qu'a dit sûrement Bischoffswerder, que le prince de Kaunitz, qui
conserve encore des élans de génie, est cependant étonnamment baissé
et quelquefois même radote. Le prince de Hohenlohe est tout feu
pour la chose, et c'est d'un bon augure, puisque le roi de Hongrie
le soutient et lui témoigne toute confiance. Bischoffswerder a ob-
tenu la circulaire , il l'a apportée ici ; aussitôt qu'elle sera retour-
née à Vienne , avec l'assentiment de la cour de Berlin, elle sera en-
fin expédiée aux cours étrangères. Ce n'est pas sans peine que Bis-
chofifewerder a pu déterminer à cette démarche. Le jour où il a pris
congé du prince Eaunitz, il lui a dit : Votes vous embarqtiezdans une
araire dont vous vous repentirez; vous étiez entraîne par une ardeur
peu réfléchie ; mais enfin, puisque votes le voulez, cette ardeur vous per^
dra, Jai donné mon consentement à la drculaircjje Fat signée, et elle par--
tira, mais souvenez-vous que je vous prédis que vous vous en repentirez*
Le roi de Hongrie a remis à Bischoffswerder une lettre pour le roi de
Prusse, que l'on dit charmante ; il lui en a aussi donné une pour le
duc de Brunswick , où il lui témoigne toute la confiance que, dans
ce moment, ses talents lui donnent, et combien il augure favora-
blement de voir la direction de cette entreprise confiée à d'aussi
grands talents. H a même été convenu, et ceci, monsieur le baron, doit
rester entre vous et moi, que sous quinze jours le prince de Hohen-
lohe se rendra secrètement à Pots dam pour se concerter plus inti-
mement avec le duc de Brunswick. Cette entrevue devait avoir lieu
à Leipzig; mais, le roi de Prusse ayant désiré être présent, le roi
de Hongrie y a accédé sur-le-champ, et le prince de Hohenlohe se
rendra à Potsdam.
Best donc encore possible, monsieur le baron, de former quelques
nouvelles espérances ; cette idée consolante ranime tout mon courage, et
j'en retrouve d'autant plus que j'ai tout lieu de croire que Bischoffs-
werder a pris notre affaire très à cœur, et qu'il la poussera autant
qu'il dépend de lui. D'un autre côté, je sais que le duc du Bruns-
228 LE COMTE DE FERSEN
r wick y a aperça un grand rôle à jouer, et il a dit au roi qu'il lui
promettait de tout terminer en trois mois.
J'écrirai à Potsdam au général Bischoffswerder pour savoir si
je puis espérer de le voir; j'ai pour prétexte quelques personnes de
ma connaissance qui s'y trouvent actuellement, et j'en profiterai.
Comme la poste jusqu'ici ne m'a jamais manqué, et que les mal-
heureuses circonstances où nous nous trouvons permettent de tout
craindre, j'ai été bien] inquiet de n'avoir rien reçu par le dernier
courrier, ni de Bruxelles ni de France. J'étais tout préoccupé d'idées
\ désastreuses, lorsque le prince de Beuss est venu m'annoncer hier
au soir l'arrivée d'un courrier, expédié par Leurs Altesse Boyales.
Vous connaissez sûrement le motif de son envoi, et j'ai été bien con-
trarié de ne rien recevoir de vous par lui ; je ne puis supposer
qu'on l'ait feit partir sans vous en prévenir, et c'est ce qui m'a rendu
plus étonnant de n'avoir rien reçu. Le prince de Beuss a été sur-le-
champ chez M. de Schoulembourg, pour lui communiquer les soupçons
que l'on avait d'une invasion prochaine et engager la cour de Ber-
^ lin à prendre des résolutions qui ne laissent aucun retard , lors-
qu'on lui communiquera les précautions que l'on prendra à Vienne.
Le ministère a été un peu ému de cette nouvelle, et il ne croyait pas
voir vérifier sitôt les inquiétudes que j'avais cherché à lui faire re-
garder comme bien fondées. Tout ceci sera probablement envoyé sur-
le-champ à Potsdam, et^ si je ne le puis plus tôt, je vous instruirai du
résultat par le courrier que le prince de Beuss doit renvoyer à Bruxel-
les après-demain. Je crois que pour premier moyen on fera por-
ter en avant le landgrave de Cassel, qui demande depuis longtemps
à être autorisé à marcher. On n'ose pas se servir des troupes de
Wesiphalie, parce qu'elles sont presque toutes composées de déser-
teurs français. Je ne sais encore s'il est question de se servir des
émigrés ; mais le prince de Beuss m'a dit qu'il serait possible de
porter les légions et autres corps organisés vers le pays de Trêves et
entre Luxembourg et le Bhin, afin de lier par ce moyen et celui des
troupes de Hesse le Brisgau avec Luxembourg, ce qui formerait une
ligne de défense qui donnerait le temps d'attendre les renforts.
Comme avec les voies actives , il sera bientôt important de faire
parler convenablement les puissances, et qu'il est très-important
que leur langage soit combiné avec là sûreté du roi et le] succès de
l'effroi que répandra le développement de l'appareil militaire, j'ima-
ET LA COUR DE FRANCE 229
gine, monsieur le baron, que vous ne tarderez pas à m'envoyer les ba-
ses d'après lesquelles vous désirez que j'en dirige l'expression. Jusque-
1& je m'occuperai de presser toutes les démarches de dispositions , de
manière à engager le plus tôt possible le premier pas ; car ce ne sera
que lorsqu'il aura été fait que je croirai tenir quelque chose.
Bou fait tous ses efforts pour profiter de ce moment pour obtenir
qu'on accorde aux princes la faculté de se mettre en attitude mili-
taire ; il me semble que je ne puis l'appuyer dans cette démarche.
La seule chose que je sollicite vivement encore , c'est que cette au-
torisation soit donnée en termes assez formels pour nécessiter ceux
qui la donneront à la regarder comme un engagement de leur part
qui lie les émigrés & leur cause et leur assure leur soutien, et c'est
dans ce sens que je me conduirai.
Ce mardi 10, à midi. "
J'ai été chez M. de Schoulembourg, et, soit feinte, soit erreur, il
a pris avec moi l'air de la plus grande tranquillité et sécurité : il m'a
dit que tout cela n'était encore que des bruits vagues , et que rien
ne constatait que ce fdt fondé en raison; qu'au reste c'était tout
ce qu'il désirait, mais puisque le temps était trop court pour pren-
dre les précautions nécessaires, il fallait attendre que cela se confir-
mât, ce qui devait, selon lui, arriver tôt ou tard. Il se refuse toigours à
se servir des troupes de la Westphalie, quoique le gouvernement
des Pays-Bas le sollicite ; mais il m'a dit que les troupes hessoises
étaient déjà rapprochées, et qu'en cas d'attaque elles se porte-
raient où il serait nécessaire. Les princes ont positivement fait un
traité avec le landgrave , mais il n'aura lieu qu'en cas de guerre.
Il est fait au nom du roi de France , et on y stipule que les trou-
pes hessoises seront conservées ensuite, pendant un certain temps,
à la solde de la France en France ; même le roi de Prusse a donné
son assentiment à ce traité, mais seulement en cas de guerre. C'est
M. de Schoulembourg qui m'a donné cette explication; il m'a dit
aussi que Custine avait été embarrassé de produire ce que son der-
nier courrier lui avait apporté , qu'il ne l'avait pas osé communi-
quer. Cependant M. de GoUz mandait de Paris que l'on attendait
avec impatience le retour de ce courrier.
230 LE COMTE DE FERSEN
CLXXIII.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
[NO 4. Ce 16 avrU 1792.
M. de Maulde part pour Vienne aujourd'hui, il semble que c'est
la dernière au roi, on veut absolument la guerre ici ; tant mieux si
cela peut décider tout le monde , car notre position n'est plus sup-
portable. J'ai reçu votre lettre du 9 ; il n'y avait point de numéro,
mais je la compte pour n** deux. Je suis inquiète du retour de M. Gog ;
je crains qu'on ne le guette ; il faut qu'il prenne bien des précau-
tions. Adieu.
H n'est plus sûr que g... de Maulds parte; je ne peux pas en
dire davantage, il faut donner ma lettre. Adieu.
CLXXIV.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (2).
Ce 17 avril 1792.
Vous aurez déjà reçu la triste et accablante nouvelle de la mort du
roi (3). Vous perdez en lui un ferme appui, un bon allié, et moi un
protecteur et un ami. Cette perte est cruelle.
Le compte que M. de Simolin a rendu au baron (4) de sa négo-
( 1 ) BîUet en chiffre, déchîfiEré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
De la reine; 18 avrils reçu»
(2) Lettre expédiée en chiffre. Copiée d'après la minute de la main du comte de Ferseo.
qui a écrit en marge : Chiffre à la reine, N^S; 19 avril 1792, daté 17.
(8) De Suède Gustare III.
(4) De Breteul.
ET LA COUR DE FRANCE. 231
ciation à Yienne ne promet rien de plus actif de cette cour que par
le passé. H paratt que le même système y sera suivi ^ et ^ depuis la
mort du roi de Suède ^ on ne peut être assuré de la marche que Tim-
pératrice suivra ; mais, dans cette incertitude , le moyen le plus sûr
est de t&cher de &ire attaquer : une démarche hostile de votre part
est la seule chose qui puisse les décider tous. Si elle pouvait être re-
tardée d'un mois 9 cela vaudrait mieux. Je vous expliquerai tout cela
plus en détail par une caisse de biscottes.
J'ai parlé à M"*" Sulliwan ; elle a dit à J (1) qu'elle laisserait des
ordres pour que, malgré son absence, je puisse vous envoyer des pa-
piers comme par le passé, et que vous puissiez m'en envoyer. La
femme à qui il faut s'adresser est M"'" Toscani; elle est sûre, et, en
lui envoyant une boîte qui contiendra quelques morceaux de drap ou
autre chose, conmie pour M. Crawford, elle la ferait passer. Elle
n'en a pas parlé à M. C (2), car il est tellement craintif et pru-
dent qu'il aurait hésité , et qu'on ne ferait jamais rien. C'est à cause
de cela qu'il n'a pas voulu qu'elle vît J...., car d'ailleurs il n%» pas de
secrets pour elle et lui dit tout.
CLXXV.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (3).
Brazelles, ce 18 ayril 1792.
[En clair,]
Depuis l'accablante lettre du 29, je n'en ai point reçu de vous,
mon ami ; la poste d'Allemagne a sans doute été retardée par les
mauvais chemins. Je ne puis me consoler de la perte affreuse (4)
(1) Jaijays?
(2) Crawford.
(8) Lettre antographe, déchiffrée de la main du baron de Taube.
(4) La mort da roi de Suède GuBtare m.
232 LE COMTE DE FERSEN
que nous venoiiB de &.ire. Tons les jours, ma douleur se renouvelle;
le souvenir de ses bontés, ce souvenir ne me quittera jamais, et ma
reconnaissance ne finira qu'avec ma vie. Mon Dieu I pourquoi ne
puis-je encore lui en offrir Thommage I Vous devez sentir le plaisir
que j'aurais à avoir son portrait , si cela se peut.
[En chiffre.]
Les nouvelles que nous recevons de Vienne ne sont pas bonnes ;
on n'y sera pas plus actif que sous le défunt, et Simolin n'y a
lien pu occasionner. Il faudra voir ce que la personne que la
reine y a envoyée rapportera. Cette disposition et Tincertitude sur
celle de l'impératrice m'ont engagé à conseiller à LL. MM. de
pousser les rebelles à attaquer; depuis la mort de notre roi, c'est la
seule ressource qui leur reste pour décider les puissances.
Je suis décidé, mon ami, à ne pas retourner en Suède dans ce
moment; conmieje tiens seul le fil des affaires ^ et que toutes celles
de LL. MM. passent par moi , je ne pourrais m'absenter sans qu'elles
en souffrent ou même qu'elles soient tout à fait interrompues. Si on
en avait l'idée , t&cbez de l'éloigner. Je vous enverrai copie de ma
lettre à la reine de France. Comme je finissais ce chiffre, j'apprends
par une voie très-sûre que les dispositions à Vienne ont changé , que
le roi (1) est décidé à agir, que ses troupes vont marcher. Une lettre
du comte de Caraman, de Berlin, confirme la nouvelle ; je vous enver-
rai les détails dimanche. La circulaire pour inviter les autres puis-
sances doit être partie.
(1) De HongriOi plna tard l'exnpeienr François II.
ET LA COUR DE FRANCE. 233
CLXXVI.
DU COMTE DE FERSEN A LA REDŒ MARIS-ANTOINETTE (1).
N» 4. Ce 19 ayril 1792.
•
J'ai reçu hier le n^ quatre^ mais le n* trois manque. M. Gog. est
arrivé ce matin ; il porte de bonnes nouvelles , mais elles ne seraient
encore rien, si nous n'en avions reçu de plus positives de Berlin. H
paraît qu'on est enfin décidé à fia.ire marcher, et le baron Thugut
Ta dit au b... (2), sous le plus grand secret. Je vous enverrai les dé-
tails , samedi, dans une caisse de biscottes. Envoyez mardi, à 6 heu-
se du soir, cher M. C... (3) ; faites demander M™' Toscani, elle re-
mettra les papiers. M. Gog. part demain matin, il passe par la
France.
CLXXVII.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (4).
N» 6. Ce 19 avril 1792.
Ce qui suit est sous le même chiffre de même, mais vous pouvez
le faire déchiffrer par un autre. Il faut que B... (5) dise tout cela de
ma part à M. de Mercy , que je n'ai pas osé lui écrire directement,
ni par le secrétaire, parce que je suis horriblement espionnée dans
ce moment. Peut-être même ne pourrai-je plus vous écrire ; j'en cher-
(1) Billet expédié en chiffre. Copié d'après la minute de la main dn comte de Fer^en,
qui a écrit en marge : Chiffre, à la reine,
(2) Baron de Bretenil.
(8) Giawford.
(4) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Eexien, qni a écrit en marge : Chif-
fit , de la reine ; reçu 8 mai 1792 ; rép, le 16 mai,
(5) Baron de Bretenil.
234 LE COMTE DE FEBSEN
cherai toujonrs les moyens (1)
Le roi désire que le roi d'Angleterre sache seul que la lettre que
M. Chanvelin porte y et qui est de sa main j n'est au moins pas son
style.
Adieu. Je vous ferai écrire dans deux jours dans l'enveloppe du
Moniteur.
Les ministres et les jacobins font déclarer au roi demain la guerre
& la maison d'Autriche ^ sous prétexte que par ses traités de l'année
dernière elle a manqué à celui d'alliance de cinquante-six j et qu'elle
n'a pas répondu catégoriquement à la dernière dépèche. Les minis-
tres espèrent que cette démarche fera peur et qu'on négociera dans
trois semaines. Dieu veuille que cela ne soit point et qu'enfin on se
venge de tous les outrages qu'on reçoit de ce pays-ci! Dans ce qui
sera dit on se plaint beaucoup des procédés de la Prusse , mais on ne
l'attaque pas.
CLXXVm.
DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA COUR DE
BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 19 AVRIL 1792 (2).
Le prince de Beuss a reçu avant-hier un courrier de Vienne qui a
continué hier au soir sa route pour Pétersbourg. H porte, on dit ,
la circulaire si désirée, et dont nous devons l'expédition à la com-
munication qu'a faite à Vienne celui qui y a été envoyé.
Ce même courrier a apporté au prince de Beuss la copie de tout ce
qui s'était passé à cet égard, même la copie du billet écrit au roi
d'Hongrie et la réponse du roi ; il est enfin difficile de douter que ceci
nous mène à l'exécution des projets dont on nous a si longtemps
bercés ; mais la ^mauvaise volonté de MM. de Lascy et de Kaunitz
a paru encore dans les détails qui ont été ici une cause d'humeur as-
sez violente : et c^eat ce qui m'a déterminé à vous expédier une esta-
(i) Ces deux lignée sont efiEacées.
(2) D'après la copie que le baron de Breteoil a envoyée au comte de Feisen; dans les
papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 235
fette, h, poste ne devant partir que dans trais jours. Depuis le récit
fait à Vienne par l'homme de confiance ^ soit qa'il se soit expliqué
sur les princes avec trop de chaleur^ soit qu'on ait voulu mal inter-
préter ce qu'il a dit, M. de Kaunitz dit dans son rapport que, le roi
et la reine, ayant fait témoigner combien ils redovtai&nt de voir les
princes et les émigrés mis en avant y et combien ils désiraient qi^ils ne
fussent de rien et ne parussent pas dans V exécution du plan contre les
factieux, la cour de Vienne proposait qu'ils fussent employés derrière
les armées combinées , et destinés à garder les places et les maga-
sins. La manière dont ce projet semblait être appuyé par ce qu'avait
dit l'émissaire accrédité a paru ici contredire tout ce que j'avais
avancé, d'après vos ordres , sur la place honorable que vous désiriez
que je fisse assigner aux princes et à la noblesse française : on m'en a
demandé l'explication, et je n'ai pas hésité à rejeter la dureté de
cette disposition de la cour de Vienne sur ce que probablement on
avait mal interprété ce que l'envoyé avait dit ; qu'il n'était ni pro-
bable ni décent de supposer que l'intention fbt de laisser les frères du
roi et la noblesse française employés comme gardes-magasins ; que
sans doute on avait eu raison de redouter que, livrés à leur juste res-
sentiment, les coupables ne fiissenc poussés aux derniers excès en
se voyant livrés à des vengeurs si justement irrités, mais qu'il pa-
raissait à la fois et juste et raisonnable de les comprendre dans la
ligne de l'armée ; que là il serait facile de modérer leur impétuosité et
et enchaîner même une ardeur trop naturelle en leur assignant un poste
qui ne serait pOrS destiné à se montrer des premiers; que là, soumis
aux ordres du commandant général des forces combinées, ils ne
pourront que se soumettre à ses dispositions; mais que de leur assigner
d'avance un poste où ils se verraient dévoués à une honteuse inac-
tion , c'était peut-être les provoquer à quelques démarches impruden-
tes, qu'eux-mêmes ne pourraient peut-être pas arrêter. M. de Schou-
lembourg et le prince de Beuss ont également senti et approuvé mes
raisons , et c'est dans le sens de ce que je viens d'avoir l'honneur de
vous détailler que l'on répondra à Vienne , et le prince de Reuss m'a
promis d'en écrire à Spielman et au prince de Kaunitz.
J'avoue, monsieur le baron, que, dans le premier moment, j'ai été em
barrasse de cette contradiction ; mais il m'a semblé que ce que vous
me mandiez, le 13 février dernier, devait me servir de guide, et j'y
ai vu trop clairement que votre intention n'avait jamais été de faire
236 LE COMTE DE FEBSEN
tenir aux princes une place qui ne f&t pas convenable à leur rang ;
mais qu'il n'était pas non plus dans vos projets de leur laisser une a/>
tion directe. J'ai donc cru me conformer à vos mes y en m' expliquant
ainsi que je F ai fait et en désavouant la trop grande extension que l'on
avait donnée à ce qui avait été dit à Vienne par celui que vous y avez enr
voyé* Mais l'article le plus essentiel ^ et celui qui a donné ici une
véritable humeur, c'est celui où la cour de Vienne , en conséquence
de l'urgence du moment, propose de fidre marcher incessamment
15,000 hommes, le reste devant suivre quand il sera prêt. Ici
l'on soupçonne ( et l'on ne me l'a même pas caché) que toutes ces
propositions partielles cachent l'arrière-vue du cabinet autrichien
qui pourrait être de mettre et de maintenir les possessions autri-
chiennes à l'abri de toute attaque , en rassemblant dans les envi-
rons des forces imposantes , mais de traîner rassemblement complet,
à la faveur de quelque ombre de négociation, sans se porter à aucune
voie active envers la France , et de remplir ainsi à très-bon marché
le but des protections pour les possessions éloignées du roi d'Hon-
grie , laissant au temps et au désordre le soin d'amener un change-
ment dans nos affaires, que l'on soutiendrait de loin, mais sans
user de violence. La cour de Vienne ne prononce rien clairement sur
cet article , mais on sait assez qu'il est le plan favori du prince Eau-
nitz, et M. de Schoulembourg a assez démêlé tout ce qui y ten-
dait pour m'en paraître fort agité ; quoique son avis soit fortement
prononcé contre toutes les mesures partielles ou inactives, il a ce-
pendant tout envoyé au roi, sans lui motiver sa façon de penser, et
il attend ce matin sa réponse définitive. Je ne ferai point partir ma
lettre sans vous en mander le résultat ; il est facile de le prévoir,
parce que le roi a toujours repoussé tout ce qui tendait à l'inaction :
primo y parce qu'il craint que la cour de Vienne lui fasse faire inuti-
lement la dépense de mettre 50,000 hommes sur le pied de
guerre, pour ensuite les dévouer à l'inaction , si la cour de Vienne
traîne de son côté l'envoi de ses troupes ; secondement , parce qu'il veut
absolument, s'il se met en marche, que ce soit pour entrer en France
sans balancer : premièrement, pour ne pas perdre le temps et l'ar-
gent inutilement ; secondement, pour ne pas risquer de laisser com-
promettre ses troupes, ce qui arriverait infailliblement si elles res-
taient dans l'inaction , et ce qu'il ne redoute pas si l'on agit. H est
difficile de combattre d'aussi bonnes raisons, et je suis persuadé que
ET LA COUR DE FRANCE. 237
c'est d'après ce principe que le roi répondra , mais je crains que ce
soit d'une manière nn peu vive^ parce que c'est^la troisième fois qu'il
s'explique à cet égard. J'ai profité de ce moment d'humeur de M. de
Schoulembourg pour le presser de mettre la cour de Vienne au pied
du mur^ par une nouvelle déclaration précise de l'époque de la
marche des troupes , et j'ai obtenu ce que j'avais désiré : il va donc
annoncer que, puisque la cour de Vienne désire mettre au plus tôt
en mouvement un corps de 15^000 hommes, celle de Prusse y
accède et fera marcher 17 bataillons et 20 escadrons qui dans ce mo-
ment-ci sont complets et les moins éloignés, et que le reste des
50,000 hommes sera arrivé sur les frontières de France avant le
1*' août ; mais, après une ouverture aussi positive, il demande que la
cour de Vienne fixe également le temps précis où ses troupes se trou-
veront réunies aux Prussiens.
La cour de Vienne a fait demander si , dans le cas où les Pays-
Bas seraient attaqués, les troupes prussiennes pourraient être requi-
ses pour les défendre , en conformité des articles du traité d'alliance.
A cette demande, qui n'était que captieuse, on a répondu avec une
franchise qui m'a fait éprouver le plus grand plaisir. Le roi a
déclaré que les 50,000 hommes qu'il envoyait ne devaient être
absolument employés que contre la France ; que rien ne devait les
distraire de ce but, et que, si l'Autriche se trouvait dans le cas de
réclamer les articles de garantie réciproque du traité, alors S. M.
Prussienne fournirait, en sus des 60,000 hommes , le nombre stipulé,
et que, ceux-là , la cour de Vienne pourrait en disposer à son gré ;
mais qu'ainsi qu'il est convenu, ils seraient à ses frais; mais que
dans aucun cas il ne souffrirait qu'il fUt rien détourné de ce qu'il des-
tinait à agir contre la France.
Content des dispositions qu'on m'a montrées ici , j'ai tâché d'adou-
cir l'opinion de M. de Schoulembourg sur l'opposition absolue qu'il
voulait mettre à toute démarche qui pouvait même avoir l'air de ten-
dre à un plan défensif , car il m'avait dit nettement que, si le roi
suivait son conseil , il préférerait encore ne rien faire, plutôt que de
se rendre à un plan qu'il ne pouvait regarder que comme désastreux.
J'ai cherché de lui démontrer qu'il était impossible, dans tous les
cas , que d'aussi grandes forces ne produisissent pas , par leur seule
présence, ou la résistance ou la soumission , et qu'alors de toutes
manières le but se trouverait rempli , et que d'ailleurs le duc de
238 LE COMTE DE FERSEN
Brtuiswick, étant commandant général, à moins que la cour de
Vienne prononçât très-positivement qu'elle ne veut rien faire , une
fois qu'ils seraient en campagne y il serait bien impossible de le te-
nir dans rinaction ; qu'ainsi il me paraissait que ce serait une nou-
velle marque de bonté que nous donnerait le roi de ne pas se laisser
aller à montrer ses soupçons, bien sûr qu'une fois en mouvement
il lui sera bien facile d'éviter d'être arrêté dans sa course. J'ai du
moins engagé le ministre à modérer les expressions de sa réponse à
Vienne , et il me l'a promis. Nos ennemis ne verraient qu'avec trop
de plaisir un sujet d'aigreur s'établir entre les deux cours , et c'est
pour les desservir que j'ai tâché d'en adoucir d'un côté tous les mo-
tifs. J'ai pris la route opposée vis-à-vis du prince de Beuss , je ne lui
ai pas dissimulé que l'on avait ici de l'humeur contre sa cour , et
pour lui je l'ai plutôt augmentée que diminuée; comme il redoute
très-fort les désagréments qui en résulteraient pour lui , il a écrit
sur-le-champ à Vienne pour alarmer sur le mauvais effet des réso-
lutions partielles que l'on a fait proposer ici ; il les assure qu'il n'y a
pas de temps à perdre pour en réparer l'impression f&cheuse , en se-
condant avec franchise la volonté très-prononcée du roi de Ftusse.
Sans doute, monsieur le baron, tous ces points de difficultés vous par
raîtront les derniers retranchements de la mauvaise volonté, mais
au moins j'ai trouvé de la marge pour en détruire l'eflfet, et j'espère
que le premier courrier nous apportera une accession complète.
J'ai profité du courrier du prince de Eeuss pour instruire M. de
Bombelles de ce que j'ai cru qu'il était nécessaire qu'il sût pour as-
surer la marche ; je lui ai écrit entre lignes, et ma lettre lui sera re-
mise sans que le courrier ni M. de Cobenzl puisse savoir de qui elle
vient, mais le prince de Beuss la lui recommande. Il m'a paru qu'a-
vant tout il était essentiel de faire faire le premier pas , et l'impéra-
trice plus que personne peut le provoquer. J'engage M. de Bombel-
les à tâcher d'obtenir d'elle qu'elle réponde à l'empereur qu'elle re-
garde sa circulaire conmie un engagement si formel qu'elle ne pou-
vait qu'y accéder, et que, ne doutant pas qu'aussitôt sa réponse reçue
ses troupes et celles du roi de Prusse ne soient mises en mouvement,
elle allait faire marcher également celles qu'elle nous destine. Ma
déclaration dans, ce genre , jointe à la manière dont l'on presse ici ,
doit nécessairement décider les lenteurs de la cour de Vienne, et
rompre enfin la glace. RoU écrit dans ce sens par mon courrier au
ET LA COUR DE FRANCE. 239
prince de Nassau , et le ministre de Russie écrit aussi directement
à sa souveraine. Ptiissent enfin tant de moyens réunis donner quel-
ques espérances à ceux que nous servons avec tant d'intérêt I
P. S.j à 8 heures du soir.
Je sors de chez M. de Schoulembourg ; il a déjà reçtt une réponse
du roi, qui confirme ses dispositions, et demande de nouveaux dé-
tails sur la manière dont on pourrait fixer la marche de l'avant-
garde de 15,000 hommes, et sur les termes à demander pour les
fidre suivre par le reste des troupes. D'après cette nouvelle demande,
M. de Schoulembourg, sans cependant l'assurer, présume que le roi
se déterminera à accéder à la proposition de presser la marche des
premiers 15,000 honmies, à condition cependant que la cour de
Vienne fixera positivement le terme du rassemblement total ; conmie
je ne doute pas, d'après la manière dont m'a parlé M. de Schoulem-
bourg, que son avis ne prévale, vous pouvez presque compter^ mon-
sieur le baron, que les dispositions que je vous ai exposées dans le
courant de cette dépêche sont effectuées.
Mais comme le contenu de ma lettre me paraissait assez impor-
tant pour désirer vous en savoir instruit le plus tôt possible, je fais
partir mon estafette sans attendre la seconde réponse du roi, qui
peut-être tardera un ou deux jours. Le cabinet prussien a expédié
aujourd'hui un courrier à Péters bourg. La circulaire est aussi partie
pour la Haye et pour Londres. Le courrier qui va en Russie porte
celle qui est destinée pour la Suède.
Le jeune Bouille est arrivé hier, venant de Suède; il dit que l'on
espère que la régence se passera sans troubles. M. de Schoulem-
bourg a reçu aujourd'hui la nouvelle que les cinq conjurés qui por-
teront leur tête sur l'échafaud sont MM. de Bibbing, Anckarstroem,
Hom, Engestrœm et Liljehom ; ils ont avoué leur crime , et donné
même leurs dépositions par écrit ; ils y avouent que leurs caractères
ardents, échauffés par les circonstances, ont été portés k cet hor-
rible attentat par la lecture des ouvrages de la révolution française.
Cet aveu est bon à répandre et donnera, j'espère, à penser. Je crains
que les dernières pages ne soient point bien lisibles. M. de Beuss
m'a prié de me charger de cette lettre pour M. de Metternich.
240 LE COMTE DE FEBSEN
CLXXIX.
DU VICOMTE- DE CARAMAN^ BNVOrf DU ROI LOUIS XVI A LA COUB DE
BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 21 AVRIL 1792 (1).
Je n'ai qu'à vous confirmer, monsieur le baron, ce que j'ai eu
l'honneur de vous mander par ma dépêche du 19. Le roi a effective-
ment répondu comme M. de Schoulembourg me l'avait annoncé, et
il consent aux différentes mesures qu'a proposées la cour de Vienne,
à condition qu'elle fixera de la manière la plus précise l'époque des
premiers mouvements et celle du rassemblement de toutes les
forces, et il s'engage à suivre immédiatement tout ce qui sera dé-
cidé à cet égard. Le roi a en outre demandé au roi de Hongrie de
vouloir bien permettre au prince de Hohenlohe d^accélérer son voyage
à Potsdam, et de s'y trouver au plus tard le 12 mai. Le duc de
Brunswick y est appelé pour la même époque, et ces deux géné-
raux seront logés au château pour y conférer plus librement. Mais
il est à présumer que les premières troupes seront en marche avant
ce temps.
Ainsi que je vous l'ai mandé, il n'est que trop vrai que la cabale
anti-autrichienne a t&ché de profiter de l'instant d'humeur qui a en
lieu pour donner plus de force aux intentions cachées que l'on
attribuait à la cour de Vienne. Le chargé d'affaires prussien à
Vienne, M. Jacobi, dont tous les rapports, depuis le traité de Bei-
chenbach, qui s'est fait malgré et sans lui, tendent toujours à aug-
menter la défiance, n'a pas peu contribué dans ce moment à fortifier
les soupçons que l'on voulait &ire concevoir. Le roi même en a été
un instant ébranlé; mais heureusement Bischoffswerder était à
Potsdam, il a aussitôt détourné l'orage par une franchise noble et
hardie, et il a déclaré au roi qu'après tout ce que lui avaient dit le
roi de Hongrie et Spielman , il devait être cru plutôt que Jacobi, à
qui on ne fait que des ouvertures ministérielles, et qu'en consé-
quence il répondait sur sa tête des intentions de la cour de Vienne,
(1) D'aprèi une copie que le baron de Breteuil a euToyée au comte de Feisen; dans les
papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 241
suppliant le roi d'éloigner tonte idée qni pourrait alarmer sa con-
fiance ^ et lui offrant sa vie si, dans cette occasion, la cour de Vienne
n'était pas de bonne foi. Le favori a été puissamment secondé par
une note de ce même Jacobi arrivée hier, et dans laquelle il rétracte
une partie des soupçons qu'il avait cru devoir donner, et avoue que
tout ce qu'il voit lui prouve cependant que la cour de Vienne veut
réellement agir. Le roi a montré cette note à Bischoffswerder, aus-
sitôt qu'il eut lu, en lui disant que ceux même qui n'étaient pas de ses
amis venaient prouver qu'il avait raison. En conséquence, Bischoffs-
werder est venu ici hier porter au prince Reuss de nouvelles assu-
rances des bonnes dispositions du roi, et le tranquilliser sur ses senti-
ments h l'égard de la cour de Vienne, dont l'alliance me paraît dans ce
moment plus affermie que jamais, et qui résistera d'autant mieux
aux attaques sans cesse renaissantes du parti qui voudrait l'anéantir
pour éloigner l'étranger (M. de Bischoffswerder) qui en est l'auteur
et le principal soutien.
Vous approuverez sans doute, monsieur le baron, que dans cette
occasion , j'ai servi le prince de Beuss de tout mon pouvoir, et je me
suis concerté avec lui sur tous les moyens qui pouvaient déjouer les
effets d'une cabale qui dans ce moment doit être regardée comme
notre plus dangereux ennemi.
Le prince de Beuss, expédiant aujourd'hui son courrier à Vienne,
n'a pas le temps d'écrire, comme il l'aurait désiré, à M. de Metter-
nich,mais il espère!, monsieur le baron, que vous voudrez bien ne pas
lui refuser de lui communiquer ce qui peut l'intéresser et de lui dire
que les nuages qui avaient paru un moment sont entièrement dis-
sipés, et qu'il ne doute pas que très-incessamment il ne reste plus
aucun obstacle à lever.
U est arrivé ici un ministre de Hesse-Cassel. Il paraît que le land-
grave reprend ses projets sur la dignité électorale, et je crois aussi
qu'il est question de la négociation des troupes hessoises pour les
princes.
T. II. 16
242 LE COMTE DE FERSEN
CLXXX.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
Bruxelles, ce 24 ayril 1792.
Je VOUS envoie une dépêche de Berlin qui est intéressante. Elle
Yoas donnera une idée de ce qui se passe. A Tappni de cette dé-
pêche vient la nouvelle que M. de Thngut a dit an baron que le roi
de Hongrie avait mandé ici qu'il était las de tout ce qui se passait
jBU France ; qu'il était décidé à 7 mettre fin et d'agir ; qu'il allait
&ire marcher ses troupes de concert avec le roi de Prusse; que si
les Français attaquaient, il fallait les amuser pendant six semaines
ou deux mois, que les armées puissent arriver ; que s'ils n'attaquaient
pas, il était de même décidé à les attaquer, et qu'il fallait égidement
les amuser par des apparences de paix jusqu'au moment où il pour-
rait agir. — Je ne sais par quelle raison M. de Mercy ne convient
point de cette lettre ; il n'en a pas parlé.
J'ai reçu hier la nouvelle de la déclaration de guerre, et j'en suis
bien aise. C'est le meilleur et le seul parti à prendre pour décider
enfin les puissances. L'impératrice a déclaré à Vienne son intention
de se mêler des affaires de France d'une manière active, et qu'elle
voulait le rétablissement de la monarchie telle qu'elle était avant
la révolution. C'est M. de Merçy qui a dit cette nouvelle.
Les nouvelles d'Espagne ne sont pas bonnes, et ce ne sera que
d'après la conduite du roi de Hongrie et de Prusse qu'elle agira. Ce
qu'elle pourrait fSûre de plus utile, et qui s'accorde assez avec ses
projets, serait un cordon de 20,000 hommes sur la frontière, et de
fournir des armes et des munitions aux catholiques et aux mécontenta
des provinces méridionales. C'est ce qu'on a déjà demandé, et sur quoi
il faut insister.
Je n'ai pas encore des nouvelles sur ce qui me regarde, et je ne sais
pas si je serai continué ou non. Mon père me presse de revenir et de
(1) Copié snr la minnte de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : A h
reine en blanc, dans une caiue de hUcoiteê.
ET L'A COUR DE FRANCE. 243
tout abandonner ; c^est ce que je ne ferai jamais, dussé-je être réduit
à la misère. J'ai assez dWets pour subsister encore quelque temps
en les vendant. Mais s'il obtient du duc (1) d'avoir la même volonté,
je me trouverai embarrassé par la privation de mon petit revenu.
Comme je suis dépendant d'eux par là, ils espéreront me tenir de
cette manière, et, si le duc ne s'y prête pas, je crains que mon père ne
veuille essayer de cette manière ; mais j'y suis décidé, rien au monde
ne pourrait m'engager à tout abandonner en ce moment.
CLXXXl.
D]êpÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA
COUR DE BERLIN, AU BARON DE RRBTEUIL, DU 24 AVRIL 1792 (2).
Nous attendons, monsieur le baron, le retour de tous les courriers,
ce qui nous laisse un moment dans un état de stagnation, au moins
quant à ce qui nous occupe. Nous venons cependant de recevoir de
Pologne l'avis d'un mouvement qui peut avoir une influence fecheuse
sur nos affaires, si le généreux intérêt de l'impératrice pour nos mal-
heureux souverains ne l'emporte pas sur les intérêts du voisinage. A
la rentrée de la diète de Pologne on a rendu compte des dépêches des
différents ministres polonais aux cours étrangères, et comme il en a
résulté des inquiétudes très-fondées sur les dispositions des puissances
voisines, relativement à la révolution qui s'est opérée, la diète a pris
le parti d'investir le roi, pour un certain temps , d'une espèce de dic-
tature, n peut disposer de toutes les forces de la république, les
augmenter selon le besoin, en confier le commandement aux officiers
qu'il lui plaise de nommer, même à des officiers étrangers , et^ pour
lui faciliter les moyens d'agir avec plus de promptitude , on a remis
à sa disposition 12 millions de florins qui se trouvaient dans le
trésor, et on a ouvert en outre un emprunt de 30 millions de florins.
(1) Duc de Sadennonie , régent en Suède apiès la mort da roi Giutaye UL
(2) D'après une copie que le baron de BreteuU a envoyée an comte de Fersen; dans
les papiers de ce dernier.
244 LE COMTE DE FEBSEN
qui lui seront égàleinent remis pour s'en servir à son gré. En prenant
toutes ces mesures pour défendre leur pays y ils vont &ire aux puis-
sances étrangères une déclaration, pour les assurer que ces dispositions
n'ont rien d'hostile , mais qu'ils sont déterminés à employer toutes
leurs forces et tous leurs moyens pour s'opposer & ce que l'on tente
de renverser la constitution qu'ils se sont données.
Ces nouvelles n'ont pas laissé que de répandre de l'inquiétude ici ;
cependant rien n'en a encore percé. Je suppose que l'on ne prendra
aucun parti avant que la Bussie se soit expliquée ; mais si l'impé-
ratrice ne veut pas remettre à d'autres temps ses projets sur la Po-
logne, et si elle veut y employer la force, je crains bien que cette
diversion n'ait de grands inconvénients pour nous, en donnante la
mauvaise volonté une retraite commode et sûre. J'ai cependant de
la peine à croire qu'après une conduite aussi prononcée l'impératrice
renonce au grand rôle qui l'attend dans cette immense entreprise, et
je vois trop de moyens de concilier nos intérêts avec ses vues sur
la Pologne pour ne pas me flatter qu'elle ne se détournera pas
de la route que jusqu'ici elle a suivie d'une manière aussi franche et
aussi intéressante pour nous.
Ce 24, au Boir.
Je croyais, monsieur le baron, n'avoir rien de bien intéressant à
vous mander, mais heureusement je me suis bien trompé. L'ordre
vient d'être donné à tous les fournisseurs de vivres, d'équipages et
de chevaux de se tenir prêts de manière à ce que 56,000 hommes
puissent marcher vingt jours après le second ordre. La suite du roi
est nommée ; ses fils vont avec lui. Le prince Louis-Ferdinand de
Prusse est attaché au régiment de Waldeck en Westphalie. Un équi-
page de 10 batteries de canons, faisant 100 pièces, marche indépen-
damment des pièces de campagne. On a donné l'ordre aux régiments
désignés de donner la liste de tous les déserteurs français ou autres,
afin de les remplacer par des gens du pays. Toutes ces dispositions
seront publiques incessamment et feront sans doute quelques mécon-
tents. Pour moi, j'en suis comblé de joie. Mandez-moi, je vous prie,
monsieur le baron, en cas de mouvement, ce que vous voulez que je
fasse. Si j'ai été dévoué dans des temps plus malheureux, vous devez
croire que je le suis actuellement.
ET LA COUR DE FRANCE. 245
CLXXXIL
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
Bruxelles, ce 26 avril 1792.
Sire,
Y. M. aura sans doute reçu par M. de Oarîsien des détails sur les
bonnes dispositions de la cour de Berlin et sur les apparences qu'il
y a qu'elle se décidera enfin de concert avec celle de Vienne à agir
activement en faveur du roi de France, et la circulaire qui invite les
autres puissances à accéder & la ligue doit déjà être arrivée. J'ai su
aussi , par une voie très-sûre, que le roi de Hongrie avait mandé au
gouvernement des Pays-Bas qu'il était las de tout ce qui se passe
en France ; qu'il était décidé & y porter remède et & agir ; qu'il allait
faire marcher les troupes de concert avec celles du roi de Prusse ;
que si les Français attaquaient, le roi de Prusse était assuré des trou-
pes hessoises et qu'il les ferait avancer vers les Pays-Bas, celles
qu'il avait en Westphàlie n'étant pas assez sûres, étant composées
des déserteurs et de beaucoup de Français ; qu'avec ce renfort il fidlait
leur résister et les amuser pendant six semaines ou deux mois ,
temps nécessaire pour l'arrivée de ses troupes ; mais que s'ils n'atta-
quaient pas, il était déterminé à les attaquer, et dans ce cas il &llait
les endormir avec des apparences de paix jusqu'au moment où il serait
prêt & agir. Les ministres ne conviennent pas de cette lettre, ou du
moins n'en parlent pas, mais je suis informé qu'ils prennent en se-
cret toutes les précautions et qu'ils font toutes les dispositions néces-
saires. La déclaration de guerre que l'Assemblée nationale vient de
décréter au roi de Hongrie, et dont je n'ai eu que le temps demander
la nouvelle au baron de Taube dans ma dernière dépêche, doit h&ter
le développement de cette grande affaire. Je n'ai pas encore de notions
sur le genre de guerre que les rebelles feront, si elle sera offensive
ou défensive; et comme on ne peut marcher d'après aucune base so-
(1) D'après la minute de la main dn comte de Fenen, qoi a écrit en marg^ i Ch\ffre^ au
roi.
246 LE COMTE DE FERSEN
lide ni raisonnable , il est absolument impossible de former même
des coiyectures , toutes les déterminations dépendent de Fexaltation
du moment, et les partis les plus fous sont ordinairement ceux qu'ils
adoptent de préférence ; mais quand même ils se décideraient pour
la guerre défensive, l'indiscipline et le désordre sont tels dans leurs
troupes que les chefs ne seront pas les maîtres d'empêcher que 4 à
500 hommes ne fassent des incursions à une ou deux Keues, pour
brûler et piller, et donner par cette conduite des raisons plus que
suffisantes pour les attaquer chez eux.
Le courrier que j'avais envoyé en Espagne, et qui portait la lettre
du baron de Breteuil au comte d'Arranda pour réclamer la promesse
déjà faite par le roi d'Espagne de 10 millions pour V. M., n'est pas
encore de retour. Dès qu'il le sera, j'aurai l'honneur d'instruire V. M.
de la réponse qu'il apportera.
CLXXXIII.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGE , AMBASSADS;UR
DE SUÈDE A SAINT-PJÉTERSBOURG (1).
Broxelles, ce 27 avril 1792.
Je ne sais, mon ami, si vous avez reçu des nouvelles instructions
sur la conduite à tenir ^ je n'en ai point encore, le duc (2) m'a
seulement ordonné de continuer les négociations, et qu'il m'enver-
rait des nouvelles lettres de créance. Le rôle que nous allons jouer
sera moins beau et moins actif ; il sera entièrement subordonné à la
conduite des autres puissances, et des réclamations qu'elles nous
feront, surtout à celles de l'impératrice. Je ne doute pas que les dis-
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chifre, à
Stedinghf par eitqfette.',
(2) Duc de Sudermanie, plus tard le roi Charles XIII, alors régent pendant la minorité
du roi Gustave IV Adolphe, son neveu.
ET LA COUR DE FRANCE. 247
positions dn duc ne soient bonnes , mais il n'est que régent ; c'est
donc à rimpératrice seule que nous serons redevables de la part que
nous prendrons dans les affaires de France, et c'est & l'engager à agir
avec vigueur et à nous réclamer qu'il faut employer tous nos soins.
Je travaillerai de mon côté à obtenir de l'Espagne, ou par quelques
autres moyens, l'argent nécessaire à l'envoi de nos troupes. Le baron
de Breteuil envoie une estafette à BombeUes pour l'instruire d'une
nouvelle perfidie de la cour de Vienne, qui veut insinuer que le désir
du roi et de la reine est d'exclure les princes de toutes les opérations,
qu'ils soient placés derrière les armées pour servir d'arrière-garde
ou de gardes-magasins, tandis que le baron n'a cessé d'écrire au vi-
<;omte de Caraman qu'il fasse obtenir pour les princes et les émigrés,
dans les armées des puissances, le rang honorable que leur naissance
•et leur courage leur donnent le droit d'attendre. La cour de Vienne
■a falsifié ce qui lui a été dit par un homme qui lui a été envoyé par
le roi et la reine, pouf lui demander une explication positive sur ce
qu'elle voulait faire pour eux. La réponse & ce srget a été satisfai-
sante, mais ils ont mandé à Berlin, et probablement & Saint-Péters-
bourg, que cet homme leur avait parlé aussi du désir de LL. MM.
de voir les princes exclus de toutes les opérations ; et, dans le compte
qu'il a rendu au baron de sa mission, il prévient le baron (1) que
c'était leur intention , mais qu'U. avait rectifié leurs idées & ce sujet
•et leur avait dit que le roi demandait seulement que les princes n'a-
gissent pas seuls, mais de cpncert avec les puissances, et qu'on leur
■assigne une place honorable et utile. Demandez & BombeUes de ma
part qu'il vous lise cet article de la dépêche du baron (1), et tâchez
de votre côté de détruire les mauvaises impressions qu'une idée aussi
fausse pourrait peut-être produire sur l'esprit de l'impératrice, et qui
n'a jamais été celle du roi ou de la reine ; mais c'est encore un nou-
veau moyen que la cour de Vienne emploie pour traîner le temps en
longueur, pour faire naître des difficultés et éviter encore, s'il est
possible, d'agir. La déclaration de guerre leur en ôtera probablement
les moyens, et si les Français sont assez bien instruits de leur posi-
tion ici, s'ils savent qu'il n'y a aucune disposition de faite pour la
défense du pays et pour le rassemblement des troupes qui sont encore
(1) De Bretetdl.
248 LE COMTE DE FERSEN
dispersées par petits pelotons dans le pays^ ils ne tarderont pas à
les attaquer, et^ avec la mauvaise disposition des habitants, ils auront
des succès assurés, ils battront ou enlèveront tous ces détachements
en détail, ils les empêcheront de se réunir, ils soulèveront le pays, qui
y est déjà tout disposé, et pourront réduire les Autrichiens, comme
en 1790, & la seule possession de Luxembourg et peut-être de Bruxel-
les. Le seul espoir qui teste est celui que la peur ou Tignorance de
la situation des Autrichiens empêche ou retarde l'attaque française,
et que des renforts de troupes aient le temps d'arriver ; car la mol-
lesse, l'indécision et l'inertie de ce gouvernement sont extrêmes , et
donnent les plus justes inquiétudes.
CLXXXIV.
DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYlÊ DU ROI LOUIS XVI A LA
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE
28 AVRIL 1792 (1).
Nos espérances semblent acquérir tous les jours plus de force et de
valeur, monsieur le baron. Depuis ma dernière, il est encore arrivé de
nouvelles dépêches de Vienne qui ont tellement satisfait et le ministre
et le roi de Prusse, que M. de Schoulembourg m'a dit qu'il faudrait
actuellement une défiance aussi indécente que ridicule pour se per-
mettre le moindre doute sur les intentions de la cour de Vienne. Le
roi de Hongrie remet absolument la disposition de toute l'opération
au duc de Brunswick, il lui donne plein pouvoir à cet effet. Les pré-
paratifs & Vienne se font avec activité, et le prince de Reuss et M. de
Schoulembourg m'ont confié, sous le secret, que les troupes autri-
chiennes qui se trouvent dans le Milanais avaient ordre de s'avancer
dans les Etats du roi de Sardaigne. Le prince de Beuss croit aussi
que dans ce moment 15,000 hommes sont en marche ou prêts à y
(1) D'après une copie que le baron de BretenU a envoyée au comte de Feroen ; dans
les papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 249
entrer, pour se porter vers le Bhin. Il ne nous reste pins à attendre ,
monsieur le baron, qne la fixation du jour où ce grand mouvement
commencera. H nous faut aussi une réponse favorable. de la Russie,
car le ministre prussien m'a encore articulé qu'il fallait absolument
que cette puissance agit aussi de son c6té et rassur&t sur la Pologne,
et que c'était une condition sine qtui non. Les dernières nouvelles du
ministre de Bussie ne laissent aucun doute sur la volonté de l'impé-
ratrice, et j'aime à penser que d'aussi heureux symptômes ne se dé«
mentiront pas. La Russie me semble actuellement le but vers lequel
se dirigeront toutes les menées de l'Angleterre, et le ministre de cette
puissance me disait encore hier qu'il était persuadé que nous ne ver-
rions pas un Russe dans cette affaire.
J'ai su, monsieur le baron , que l'on avait voulu faire envisager au
roi de Prusse le langage un peu fort, relativement aux princes, de
l'homme qui a été & Vienne comme une instruction dictée par votre
éloignement personnel ; je me suis empressé de tout employer pour
détruire une aussi fausse idée; j'ai protesté du contraire, et pour le
prouver j'ai lu au ministre et au prince de Reuss l'article d'une de
vos dépêches où vous me prescrivez de ménager aux princes et à la
noblesse française un poste digne de leur rang et du généreux dé-
vouement qu'ils avaient montré. Cette explication m'a paru les
convaincre et les satisfaire, ils m'ont promis tous les deux de détruire
les plus légères traces de cette fausse opinion, sur laquelle j'ai très-
fortement insisté, parce que je sais que c'est vous faire connaître tel
que vous êtes que d'éloigner toute idée de personnalité des démarches
que votre zèle vous inspire ; il ne reste plus aigourd'hui de doute &
cet égard.
Les princes et la noblesse française seront donnés comme le point
de ralliement de tous les bons Français, et l'on réunira au drapeau
blanc tout ce qui sortira de France , soit en masse, soit individuelle-
ment. Le plan de cette grande opération, par le peu que j'en ai pu
découvrir, me paratt bien sagement combiné et calculé sur les résis-
tances probables. On ne fera pas de sièges, mais on masquera les
grandes places par le gros de l'armée, contre lequel il est & présumer
que l'on ne hasardera pas de sortie, et un corps d'élite marchera, sans
s'arrêter, droit à Paris.
Voici plus précisément le détail de l'armée que l'on destine à mar-
cher : 39 bataillons d'infanterie, grenadiers et fusiliers ; 8 bataillons
250 LE COMTE DE FER8EN
de chasseurs ; 10 escadrons de coirassiers ; 35 de dragons et 25 de
hussards, 100 pontons , 10 batteries composées chacune de 9 pièces
de 6 livres et d'un obusier ; 2 batteries de 10 mortiers, une batterie
d'artillerie à cheval, et, en outre, une réserve de quelques grosses
pièces. Ceci forme le grand pan, et, indépendamment^ chaque batail-
lon a avec lui deux pièces de campagne. Tous ces corps sont choisis
et forment l'élite de l'armée prussienne ; on en a renvoyé tous les
Français et déserteurs suspects, et ils sont remplacés par des nationaux.
Cette belle armée marchera sur six colonnes , les marches sont déjà
tracées et préparées et l'on compte que le régiment le plus éloigné,
en cinquante-cinq jours de route, y compris les séjours, sera rendu à
son poste aux frontières de la France, et il en est qui y seront en
vingt-huit jours. Toute la suite du roi est nommée, et on travaille de
tous côtés aux équipages. M. de Schoulembourg est de la suite , et
cela me fait grand plaisir, parce que les affaires en iront bien plus
vite. fHeymann est aussi nommé, et comme l'intention du roi est
d'avoir un officier général auprès des princes et à l'armée autrichienne,
et que réciproquement on lui en enverra de ces deux côtés , je crois
qu'il désilre qu'Heymann soit le général français envoyé près de lui.
— J'ai parlé à M. de Schoulembourg du prix que j'attacherai à termi-
ner ma mission à la suite de S. M. ; il m'a observé que le roi ne voulait
admettre près de lui aucun étranger, pour ne pas être dans le cas de
faire aucune exception, et que, ne pouvant être dans ce moment
qu'étranger, il lui serait difficile de me nommer. Il m'a promis ce-
pendant qu'il exposerait ma demande au roi, et qu'il croyait que l'on
pourrait me donner les moyens de lui rapprocher, en venant remplir,
lorsqu'il serait près de France, une commission quelconque, ou lui
porter une lettre, ce qui alors lui donnerait naturellement occasion
de me placer à sa suite. Il me semble, monsieur le baron, qu'après
les revues, si les troupes sont en marche, il sera utile que je vienne
prendre de nouvelles instructions pour la suite des opérations, et com-
biner la manière de les suivre, tant auprès du roi qu'auprès du duc
de Brunswick; aussi bien ma présence ici, après lesrevues, ne pourrait
être que très-suspecte. Ne croyez pourtant pas, monsieur le baron,
que je sois fatigué de ma position ; mon dévouement vous prouvera
que mon plus grand bonheur sera de tout sacrifier à une si belle
cause , et je vous supplie de disposer de moi sans aucun ménage-
ment.
ET LA COUR DE.FRANCE. 251
n est arrivé ici un hommes envoyé par je ne sais qui^ et qni s^est
adressé à Heymann ; cet homme est venu le sonder, pour tâcher de
savoir ce que les puissances veulent obtenir. Il en a rendu compte &
M. de Schoulembourg; qui Ta fort engagé à ne pas écouter de fausses
confidences. Je crois avoir bien fait de mettre le ministre en garde
contre toutes ces demi-négociations , et j'espère l'avoir -assez bien
disposé & repousser tout ce qui ne pourrait tendre qu'à retarder la
marche 9 et qui sera la dernière arme dont se serviront les factieux.
On me semble bien déterminé ici à n'écouter aucune proposition ,
jusqu'à ce qu'on ait obtenu du positif, et je sx^is bien secondé par la
crainte très-fondée qu'a le roi de voir corrompre ses troupes, si par
l'inaction on les expose aux tentatives des factieux. On a renforcé la
garnison de Maëstricht de troupes brunswickoises ; le duc y a des
oflBciers de confiance, qu'il a envoyés jusque sur nos frontières, et qui
l'ont rassuré sur les craintes et même la possibilité d'une invasion
prochaine.
CLXXXV.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
Bruxelles, ce 29 avril 1792.
Sire,
J'ai reçu hier la dépêche qu'il a plu à V. M. de m'adresser, du 6 et
10 avril, et je me conformerai à ses ordres en me concertant avec le
baron d'Oxenstjema sur les recherches à faire auprès de madame de
Vagenfeldt, relativement à l'assassinat du roi (2)] : il m'est parvenu
depuis quelques jours, une indication du même genre, et, en combi-
nant les deux, peut-être serons-nous assez heureux pour découvrir
quelque chose ; j'y emploierai tous mes soins.
(1) Diaprés la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit eu marge : Chiffre^
au roi,
(2) Gustave m.
252 LE COMTE DE FERSEN
Je ferai passer, dès que j'en trouverai l'occasion, les lettres de V. M.
pour le roi et la reine de France.
Depuis la déclaration de guerre, il n'y a encore eu aucun acte d'hos-
tilité de conunis. M. le comte de Bochambeau, qui commande
l'armée qur cette frontière, a écrit au général Beaulieu, qui com-
mande à Mons, une lettre par laquelle il lui demande , pour éviter de
répandre du sang, de suspendre tous les actes d'hostilité jusqu'au
moment où la gtierre franche conmiencera ; il a ajouté qu'il enverra
prendre là-dessus les ordres du roL Sa lettre est datée l'an lY de la
liberté. Le général autrichien lui a répondu qu'il j consentait , et
qu'U prendrait là-dessus les ordres du gouvernement. Cependant , si
l'on doit en croire le rapport de deux lieutenants-colonels de la gar-
nison de Yalenciennes qui ont déserté, et dont l'un se dit aide de
camp général du comte de Bochambeau, et avoir assisté, en cette
qualité, à un conseil de guerre tenu par lui, son projet est d'attaquer
aujourd'hui sur trois points : Tournai, Namur et Mons. Cette der-
nière nouvelle doit être la véritable, les deux autres seront fausses.
Si ce plan est vrai; il paraît d'une exécution extrêmement difficile
pour des troupes aussi indisciplinées et aussi peu exercées. Il n'y a
point de précautions prises sur la frontière, ils n'ont point de postes
avancés, et le peu qu'ils en ont sont dans la plus grande sécurité. A
peine y a-t-il une sentinelle, et le reste de la troupe est couché dans
le corps de garde. Si le projet de^ Français n'est que de gagner du
temps, n'étant pas encore tout à fait prêts, comme je le crois, il ne
faudrait pas leur en donner ; il faudrait les étonner et les intimider
par un coup hardi, et je crois le moment de les attaquer très-favora-
ble ; mais je crains que la lenteur et l'inertie du gouvernement l'em-
pêchent de profiter de ses avantages. Jusqu'au moment de la
déclaration de guerre, il n'avait fait aucune disposition, quoiqu'il f&t
averti depuis longtemps , et ce n'est que depuis trois jours que les
troupes sont en mouvement et se rassemblent, et si les Français
étaient entrés le lendemain de la déclaration, ils auraient eu des
succès assurés ; ils auraient empêché la réunion des troupes dispersées
dans les villages, les auraient battues en détail, auraient soulevé le
pays et auraient pu marcher sur Bruxelles , ou du moins, s'ils n'a-
vaient osé entrer si avant dans ce pays, auraient-ils pu y mettre
une grande confusion et relever le courage de leurs troupes et exalter
encore plus la tête des rebelles en France.
ET LA COUR DE FRANCE. 263
CLXXXVI.
DiPÊCHB DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYlÈ DU ROI LOUIS XVI A LA
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRBTEUIL, DU P' MAI 1792 (1).
L'homme dont je vous ai parlé dans ma dernière se nomme Be-
noît; il s'est adressé à Heymann, qui a rendu compte à M. de Schou-
lembourg de ce qu'il lui avait dit. Le ministre n'a voulu ni le voir
ni entrer en aucune communication avec lui ; il a seulement rédigé
une réponse, dans laquelle il dit que ce n'est pas dans un moment
où il n'y a en France aucune autorité légitime que l'on peut écouter
quelques négociations ; il ajoute que le roi de Prusse est déterminé
irrévocablement à suivre son système d'union avec le roi de Hongrie ;
qu'ils ont été poussés à bout par les factieux , et qu'actuellement
ils ne poseront les armes que lorsqu'ils verront en France un gou-
vernement tel qu'il ne puisse donner aucune inquiétude aux puis-
sances voisines, lorsqu'ils auront fait rendre au roi toute l'autorité
qui lui appartient, et lorsqu'ils auront rétabli dans une juste posi-
tion tous ceux dont les propriétés ont été violées. En suite de cette
déclaration, que Heymann devait faire verbalement, M. Benoît doit
être prié de se retirer très-incessamment. J'ai été satisfait, comme
V0U9 le serez sans doute, du sens de cette déclaration , mais j'avoue
que j'aurais préféré que l'on ne répondît rien du tout. Je conserve
même encore l'espérance que cela soit ainsi; cette réponse a été
, envoyée et soumise à la décision du roi , et je me flatte encore que
le roi sentira combien il serait déplacé de répondre à un homme
qui vient négocier presque le même jour où l'on déclare la guerre.
J'ai reçu hier, monsieur le baron , votre dépêche du 23 ; vous ne
m'y parlez pas de cette déclaration, mais je l'ai reçue par les papiers
que l'on m'envoie, et par les lettres qu'un courrier suédois a laissées
à Wesel , et qui ont été envoyées ici au ministre de Suède. M. de
Goltz a écrit par ce même courrier, mais il a eu la mauvaise foi de
(1) D'après une copie enyoyée par le baron de Breteoil an comte de Fersen ; dans les
papiers de ce dernier.
254 LE COMTE DE FEBSEN
mander la proposition du roi, et de ne pas parler de la résolution de
TAssemblée ; de sorte que M. de Schoulembonrg ne Yonlait pas j
croire. Henrensement le prince de Beuss a reçu un oonrrier de
Bruxelles qui lui confirme tout , et il a été aussi choqué que moi de
la réserve de Tenvoyé prussien. M. de Schoulembonrg en a été un
peu déconcerté^ et je crois qu'il a été âLché d^avoir laissé percer un
instant de la confiance dans les nouvelles de M. de Gtoltz. Le prince
de Beuss s'est joint à moi pour &ire sentir le danger de Tindécence
d'un pareil agent, et je ne doute pas qu'il ne s'en trouve très-mal,
et la rupture prochaine empêche seulement qu'il ne soit rappelé sur-
le-champ. M. de Schoulemhourg a été un peu effarouché de cette
déclaration, qu'il ne croyait pas probable, ou du moins si prochaine,
et en général l'effet qu'elle a produit ici est fort singulier : tous
ceux qui ne nous veulent pas du bien en ont été atterrés; ils ne s'at-
tendaient pas à se voir forcer ainsi le dernier retranchement de la
mauvaise volonté, et ils perdent tout prétexte de blftmer la part ac-
tive que le roi de Prusse a voulu prendre à nos affaires.
Le ministre de Russie m'a demandé mes papiers, pour les envoyer
sur-le-champ par estafette à l'impératrice. U a reçu des nouvelles du
6 avril de M. d'Esterhazy, qui lui confirme tout ce que nous pouvons
désirer de ses sentiments pour nous et des preuves qu'elle veut nous
en donner. On dit que le roi, pendant l'expédition, se tiendra & Bai-
reuth, et ne marchera & l'armée que dans le cas ob la tournure des
affaires militaires l'obligerait à y mener la réserve qui se préparera
ici. Heymann le suit, en qualité d'officier pensionné du roi; on ne
doute pas que d'ici à trois ou quatre jours il n'arrive un courrier
de Vienne porteur de l'annonce des résolutions que les circonstances,
auront fait prendre, et l'on compte tellement sur le parti de vigueur
qu'ici une grande partie des ordres sont donnés sous main. Les mi-
nistres de Hollande et d'Angleterre ont redoublé de conférences depuis
la nouvelle de la guerre. Le dernier n'a pas craint d'avoir hier, chez
la princesse Henri, un aparté très-long et très-public avec Custine ;
mais il m'a été impossible, malgré toutes mes recherches, de péné-
trer s'il se trame quelque chose, ou si cet intérêt n'est fondé que sur
la neutralité ou le désir d'obtenir par lui des lumières sur ce qui se
passe, et qu'on lui cache.
ET LA COUR DE FRANCE. 255
CLXXXVII.
I
DU BAROK DE STEDINGK^ AMBASSADEUR DE SUk)E A SAIKT-P^TERSBOURG^
AU COlfTE DE FERSEN (1).
Saint-Pétenbourg, oe —^ 1792.
Depuis le malheur afifreux qui nous est anivé, je n'ai pas eu la
force ni le courage de vous écrire. J'ai reçu toutes vos lettres ; celle
du 25 mars, arrivée par estafette, a précédé de plusieurs jours M. de
Belzunce, qui m'a remis votre lettre du 15 mars. J'ai donné la pre-
mière à lire à l'impératrice en entier, mais la seconde en extrait ,
M. de Bombelles ne voulant point que Belzunce parût ici conmie
quelqu'un qui lui fClt adressé. L'impératrice a été fort contente de
vos lettres et des dispositions dans lesquelles vous avez laissé le roi
et la reine ; mais elle se méfie un peu de leur persévérance , et cela
parce qu'il lui est impossible de se mettre dans leur position, et
qu'elle attribue souvent à la faiblesse ce qui n'est qu'une suite de
l'infortune et de la nécessité. Un autre préjugé, plus plausible et
qui est fortement enraciné dans l'esprit de l'impératrice , est que le
roi et la reine , dans l'état de captivité où ils sont , ne peuvent con-
tribuer en rien & une contre-révolution, et servent plutôt d'instru-
ment & la fureur des démagogues. Les princes, dans la situation
présente des affaires , sont regardés comme les vrais représentants
du pouvoir monarchique. Tout ce que le marquis de Bombelles avec
beaucoup d'adresse, d'esprit et de patience a pu faire , c'est d'amal-
gamer avec le droit que le roi conserve toujours de transiger avec
les puissances étrangères et de revêtir de ce pouvoir qui il veut.
Nous avons été obligés de nous retrancher derrière cet argument.
Bombelles a mandé tout cela au baron de Breteuil , ainsi que les
conversations qu'il a eues avec l'impératrice , dont je lui ai procuré
une, et Nassau l'autre. Nous sommes parvenus aussi à diminuer le
(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Ferseu.
256 LE COMTE DE FERSEN
préjugé contre le baron de Breteuil, et à démentir les &nsses inter-
prétations que Ton avait données à sa conduite. Voilà la seule utilité
qu'aura produit le voyage de Bombelles ; et quoiqu'il ait gagné
beaucoup dans Topinion de Timpératrice j et qu'il soit vu ici avec
plaisir même d'Esterhazy, qui a &it ses éloges aux princes, dans
ses dernières dépêches, que j'ai vues , je crains cependant que son
séjour n'aboutisse à rien de plus. Il m'en paratt aussi convaincu que
je le suis moi-même, et je le crois décidé & profiter de la permission
qu'il a reçue du baron de Breteuil de partir d'ici lorsqu'il le jugera &
propos. Il est certain qu'une lettre que vous m'écririez, et que je
montrerais confidenmient à l'impératrice, sans qu'elle puisse se
douter qu'il y ait eu de l'intention, exciterait plus d'intérêt et ferait
plus d'effet que tout ce qui aura l'air d'une négociation en sens
contraire & l'opinion reçue ici.
Le courrier de Vienne, si longtemps attendu, est. enfin arrivé,
précédé d'un de Berlin. Quoique leurs dépêches ne soient pas encore
connues tout à fait , nous en savons cependant assez pour remplir
plusieurs feuilles. M. de Bombelles s'acquittera mieux que moi de
cette besogne, et je lui dirai tout ce que je sais.
L'impératrice n'est point trop contente des dépêches de Vienne, où
la timidité et la lenteur dominent dans le conseil. La cour de Berlin,
au contraire, a montré les meilleures dispositions et veut agir offen-
sivement contre la France. Ces idées ne sont peut-être mises en avant
que pour se rapprocher de cette cour, avec laquelle le roi de Prusse
aura bientôt de grands intérêts à démêler au si]get de la Pologne ;
mais l'impératrice en est charmée, et son intérêt pour les affaires de
France, qui commençait un peu à se ralentir, a repris toute sa chaleur.
Les horreurs que se permettent les jacobins, et qui menacent tous
les souverains, y contribuent aussi sans doute. Le chargé des affaires
de Bussie à Paris sera rappelé, mais n'en dites rien à personne. On
prend cette précaution pour ne point l'exposer, vu qu'on a arrêté
ici plusieurs Français plus ou moins suspects, et que de plus on vou*
drait être débarrassé de M. de Qénet
ET LA COUR DE FRANCE. 257
CLXXXVIII.
DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN , ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 6 MAI 1792 (1).
Votre paquet expédié le 27 avril par estafette, monsieur le baron
m*est arrivé le 3 de ce mois. J'ai sur-le-champ été communiquer à
M. de Schoulembourg les articles les plus importants de cette dépê-
che. Je lui ai lu en entier tout ce qui était éloge du roi de Prusse et
de son ministre, sur la franchise de leur marche et la générosité de
leurs intentions ; j'y ai encore ajouté de nouvelles expressions de
reconnaissance, au nom du roi et au vôtre, sur la noble déclaration
que l'on a faite à la cour de Vienne, relativement à l'emploi des
forces, dans le cas de réclamation, stipulé par le traité d'alliance. Le
ministre m'y a paru sensible. Je l'ai prié d'en rendre un fidèle té-
moignage au roi; il me l'a. promis avec empressement : mais, pour
s'en acquitter avec plus d'avantage , il m'a prié de lui donner l'ex-
trait de cette partie de votre dépêche , pour la lire au roi. Je Tai
fait en cherchant à le présenter sous la forme que je savais pouvoir
plaire davantage. Le ministre a aussi écouté avec intérêt tous les dé-
tails que je lui ai donnés du manège de M. de Cobenzl ; le prince
deEeuss, qui le donne hautemeiit pour le plus faux des hommes ■
l'avait déjà assez prévenu à cet égard , pour qu'il fût très-disposé à
croire tout ce que j'ai pu en dire. M. de Schoulembourg m'a encore
demandé si, pour soulager sa mémoire et donner en même temps
plus de force à cette explication satisfaisante, je pourrais aussi lui en
donner l'extrait, me promettant sur sa parole de me le rendre : je
n'ai pas cru pouvoir m'y refuser, et, en y conservant l'intégrité du ré-
cit et des expressions, j'en ai seulement retranché tout ce qui pouvait
avoir l'air du mécontentement de la cour de Vienne, et je n'y ai ré-
servé que les reproches personnels à M, de Cobenzl ; il m'a paru que
cela contribuerait plus que tout à détruire toute idée de défiance re-
( 1 ) D'après nue copie que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fersen ■ dans les
papiers de ce dernier.
T. 11. 17
t
258 LE COMTE DE FERSEN
lativement à ce qui peut regarder remploi des princes et de leurs
forces, et j'espère y avoir complètement réussi; même avant l'arri-
vée de votre dépêche, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le man-
der. Ceci éclaircira l'intention de cette petite menée, de manière à
rejeter tout le blâme sur celui qui le mérite, et rendra dorénavant
plus circonspect dans la croyance qu'on accordait à ce qui venait de
ce côté.
Il n'est que trop sûr, monsieur le baron , que les Anglais ont en
but de surprendre, s'il est possible, l'effet décisif que doit produire
la réunion d'aussi grandes forces. Leur projet est de se porter pour
médiateurs, lorsque l'on sera au moment d'entrer en action, et je
suis très-persuadé que l'audace des jacobins ne vient que de la certi-
tude qu'ils ont de cette marche. C'est en effet le seul moyen qui
puisse leur faire concevoir quelque espérance de conserver quelques
portions de leur monstrueux ouvrage. Aussi' je ne néglige rien pour
tenir les yeux ouverts sur les dangers de ce plan, et je fais tout au
monde pour armer contre luj la vigilance et la fermeté du cabinet
prussien ; heureusement, il m'a été très-facile de blesser Tamour-pro-
pre du ministre, en lui représentant sans cesse que cette ambitieuse
nation cherchera tous les moyens d'enlever aux Prussiens , sans faire
aucuns frais, la gloire de terminer cette grande entreprise, en la
soumettant à leur médiation. Je lui ai représenté que si les Anglais
parviennent à suspendre un moment l'action des forces, leur but
est atteint , parce que bientôt la crainte de corrompre les troupes , la
' crainte de dépenser des sommes considérables sans aucune utilité
apparente ferait entrevoir sans regret une issue paisible à ce grand
ouvrage , et qu'alors tous les cabinets ne partageant pas également
l'intérêt généreux du roi de Prusse pour le roi et le royaume de
France, on se verrait bientôt entraîné à accepter l'entremise offerte.
J'ai trouvé sur ce sujet le ministre aussi bien disposé que possible ,
et il m'a donné l'assurance formelle qu'une fois en marche, c'était
en vain que toutes les puissances chercheraient à ralentir l'action des
forces du roi, à moins que des faits bien prononcés n'aient donné
une preuve non suspecte du désir de se soumettre. Une ancienne
liaison avec M. Elliot, ministre d'Angleterre à Dresde, qui vient de
Londres par la Haye, et que je ne crois pas entièrement étranger à
la chose, m'a donné quelques moyens pour m'assurer de la vérité de
ces dispositions que je craignais depuis longtemps, et tout ce qui lui
ET LA COUR DE FRANCE. 259
est échappé m'a confirmé dans mon opinion. J^en ai prévenu M. de
Schoalembourg et le prince de Beuss, et je ne perdrai pas de vue,
tant que je serai ici, tout ce qui pourra contribuer à affermir les ré-
solations prussiennes contre les tentatives anglaises. En général, la
jalousie qu'inspire la puissance et la dangereuse politique de cette
nation commence à lui créer sinon des ennemis , du moins d'actifs
surveillants, et il me semble que la saine politique éclaire enfin sur
sa perfide amitié, qu'elle n'accorde que lorsque les avantages lui en
sont exclusivement réservés.
J'ai prié M. de Schoulembourg de me donner, s'il est possible ,
des moyens de voir le duc de Brunswick ; il m'a promis qu'il s'en
occuperait. Il n'est pas encore au fait des relations secrètes du roi et
de ma mission ; mais rien ne lui sera plus caché, lors de l'entrevue
du 12, et alors je pourrai chercher une occasion favorable de lui por-
ter les assurances dont vous me chargez pour lui. Je suis bien sen-
sible, monsieur le baron, à l'approbation que vous voulez bien don-
ner à mon travail ; c'est pour moi une récompense dont je sais , je
vous assure, tout le prix, et mon plus grand bonheur sera d'avoir
pu justifier, par mes soins, la marque honorable de confiance que
vous avez bien voulu me donner.
Le 6 mai^ au matin. — Le prince de Beuss va faire partir pour
Bruxelles le courrier qu'il en avait reçu, et il veut bien que j'en
profite pour vous adresser cette dépêche. Hier au soir, une estafette
expédiée par M. de Metternich nous a apporté la nouvelle de l'ex-
cursion des jacobins et du mauvais succès de l'armée jacobine dans
ses premières tentatives. M. de Schoulembourg a été si pressé d'en
faire part au roi qu'il a demandé les pièces originales au prince de
Beuss, pour ne pas perdre un moment, bien sûr du plaisir que cette
nouvelle fera au roi , et il ne s'est pas trompé. Hier l'ordre , signé du
roi a été donné pour la marche des troupes , et tout était si bien dis-
posé que M. de Schoulembourg vient de m'assurer que ce soir il
ne resterait plus un ordre à expédier ; il m'a montré le tableau des
dispositions du rassemblement. Toute l'armée prussienne se portera
entre la Moselle et le Bhin; mais, quelque diligence que l'on fasse
aujourd'hui, il est impossible qu'avant le 8 ou le 9 juillet l'avant-
garde, composée de 15 bataillons et 20 escadrons avec 30 pièces
d'artillerie à cheval , soit rassemblée & Coblence ou dans les envi-
rons. Le ministre m'a témoigné la plus grande satisfaction de ce que
260 LE COMTE DE FERSEN
j'étaîs passé aux Pays-Bas ; il m'a détaillé avec tout le plaisir d'un
intérêt réel tous les avantages qui devaient en résulter pour nous.
M. de Schoulembourg m'a remercié de la part du roi de la commu-
nication de l'extrait de votre dépêche^ qui ne lui laisse rien à désirer ;
il l'a aussi chargé de me témoigner ses regrets de ne pas pouvoir
m'admettre à sa suite ; mais il l'a refusé même au duc d'York.
Mais^ une fois en campagne^ je pourrais me rapprocher de lui avec
une commission particulière. Quant au duc de Brunswick^ il me sera
difficile de le voir à Fotsdam , où il ne restera que trois jours ; mais
M. de Schoulembourg m'a promis de l'instruire de tout , et m'a con-
seillé d'aller le voir, avant son départ pour l'armée , à Halberstadt
ou à Brunswick, où il ira en quittant Potzdam. Alors, monsieur le
baron, ma mission se trouvant remplie à Berlin, si vous me donnez
les ordres nécessaires pour quitter cette ville et me rapprocher de
vous, je pourrais passera Brunswick, qui est mon chemin naturel,
et là je me concerterais sans gêne avec le duc , sur les moyens de
me tenir en relation directe avec lui, dès qu'il sera en activité. Si
vous approuvez ce projet, je vous supplie de me le mander courrier
par courrier, afin que je prenne mes précautions pour ne pas partir
trop brusquement d'ici, et je crois que, dans ce cas, il serait avan-
tageux que vous m'envoyassiez une lettre que je remettrai au duc.
Les Anglais ont été un peu étonnés de la nouvelle d'hier, et en
général dans le public on a vu avec plaisir l'insolence justement ré-
primée. Tous les démocrates sont fort tristes, et j'espère que Custine
recevra bientôt un compliment de congé.
M. de Schoulembourg désire que les princes et les émigrés soient
placés incessamment dans une position utile et susceptible de dé-
fense; il compte en faire un des premiers objets de discussion, lors-
que les généraux seront réunis , et son avis est de les placer entre
Mayence etWorms, de manière à se lier avec l'avant-garde prus-
sienne et les forces de l'Autriche antérieure.
Le roi a terminé ce matin la revue spéciale de la garnison de
Berlin, il n'a pas été du tout en ville, et est retourné ce matin à
Potsdam.
ET LA COUR DE FRANCE. 261
CLXXXIX.
MEMOIRE ENVOYÉ PAR LA COUR IMPERIALE DE VIENNE AUX PUIS-
SANCES ENNEMIES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE , POUR LES COALISER
CONTRE LA FRANCE ; PRÉSENTÉ , PAR LES ENVOYÉS d' AUTRICHE ET
DE PRUSSE A LA COUR DE SUÈDE, AU SECRÉTAIRE D^ÉTAT, M. DE
FRANC, CHARGÉ DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A STOCKHOLM, DANS
L'NE CONFÉRENCE LE 17 MAI 1792 (1).
La proposition d'un concert actif, sur les affaires de la France,
faite par feu l'empereur, au mois de juillet de Tannée dernière , était
motivée :
1® Par l'arrestation et les dangers imminents du Roi Très-Chrétien ;
2* par le danger commun que les principes de révolte et d'anarchie
ne se propagent et ne troublent la tranquillité des autres gouverne-
ments de l'Europe.
L'objet du concert proposé, limité aux considérations qui dérivent
des résultats les plus généraux du droit des gens et de l'intérêt
commun des puissances (2) , consistait dans une déclaration vigou-
reuse et commune, soutenue par des moyens de force respectables et
également communs, laissant toutefois les voies ouvertes a rétablisse^
ment pacifique (Tun état de choses en France qui sauve du moins la
dignité de la couronne et les considérations essentielles de la tran-
quillité générale (3).
Quoique divers empêchements ne permissent point alors l'établisse-
ment et la réalisation de ce concert, les principes en furent agréés par
les cours invitées, et l'appréhension de leur réunion prochaine op^ra
(1) Dépêche circulaire dn chancelier de cour et d'État, du moia de juillet 1791, communi-
quée par les miniBtres impériaux.
(2) D'après une copie , annexe à la lettre du marquis de Bombelles , datée de Saint-Péters-
bourg le 8 mai 1792, au baron de Breteuil. Un pareil mémoire a été remis au secrétaire d'É-
tat, chargé des affaires étrangères à Stockholm (M. Franc), par l'envoyé d'Autriche
comte Ludolf et l'euToyé de Prusse à la cour de Suède, le 17 mai 1792. Un autre exem-
plaire , envoyé par M. Franc au comte de Fersen , se trouve dans les papiers de ce der-
nier.
(3) Lettre adressée par feu S. M. l'empereur aux principaux souverains, au mois de
juillet 1791.
262 LE COMTE DE FERSEN
l'effet que le roi de France ftlt relâché , et que son inviolabilité ainsi
que le maintien du gouvernement monarchique dissent établis pour
base de la nouvelle constitution portée à l'acceptation de S. M. T. C,
le 13 septembre de la même année.
Cet événement paraissant remédier à ce qu'il y avait de plus pres-
sant dans les motifs du concert proposé par feu S. M. I. Elle crut
convenable d'en proposer la suspension aux puissances; jusqu'à ce
que l'expérience eût prononcé entre les apparences d'amende-
ment qu'offraient la situation du roi^ et les dispositions de la nation
et entre les indices qui inspiraient des doutes sur la solidité et la
durée de ces apparences; d^autant plus que l'hiver^ allant sus-
pendre pour six mois toute opération et même tout rassemblement
de forces communes, rendait physiquement nécessaire une détermina-
tion dont la convenance découlait des principes scrupuleux de léga-
lité, d'impartialité et de modération qui avaient servi de règle à la
première invitation de l'empereur.
Il y a déjà quelque temps que la décision de la question , si la
situation du roi et du royaume de France continuerait, ou non, cTêtre
un objet de cause commune pour les autres puissances (1), n'est plus
équivoque. Il n'est pas besoin de leur prouver que les dangers s'ac-
croissent avec une rapidité qui les rendrait bientôt aussi imminents
qu'alarmants , si elles tardaient plus longtemps à s'y opposer par
leur réunion.
La mort prévint, de peu de jours, une démarche formelle de feu
S. M. I. pour les inviter à un nouveau concert de déclarations et de
mesures communes, fondé sur les mêmes principes qui avaient con-
cilié leurs suffrages à ses premières propositions, adaptés à l'état
actuel des rapports internes et externes de la France.
La prépondérance décidée du parti violent , et sa tendance mani*
feste à renverser totalement le gouvernement monarchique , repro-
duisent incontestablement la nécessité et le droit d'une intervention
commune (2), pour arrêter ses violences et ses desseins.
Quant à la conduite à laquelle ce même parti a entraîné le gou-
vernement français vis-à-vis des puissances étrangères, jamais il ne
leur a été fourni des moyens directs de griefs et d'inquiétudes plus
(1) Dépêche circulaire du chancelier de cour et d'État, da 12 nov. 1791.
(2) Ibidem.
ET LA COUR DE FRANCE. 263
éclatants et plas urgents que dans Je moment actuel. C'est la France
qui menace^ qui arme, qui les provoque de toute manière ; en sorte
que ces motifs produisent aujourd'hui Toccasion, le droit et l'objet
principal d'une intervention armée.
En conservant donc la priorité d'ordre à cette catégorie de motifs ,
voici brièvement les points de réclamations et d'exigence auxquels
il semblait à feu S. M. I. que la nature des circonstances détermi-
nait et restreignait en ce moment le but de la cause commune des
puissances :
P Que les armements extraordinaires et les préparatifs de guerre
que la France vient d'entreprendre soient discontinués et dissous.
2^ Que le gouvernement français fasse cesser, et réprime, par les
mesures les plus énergiques et les plus suivies, les menées auda-
cieuses et criminelles des associations et des individus, tendantes à
propager dans d'autres pays des principes capables d'y altérer la
tranquillité intérieure.
3* Qu'il reconnaisse et maintienne l'obligation et la foi des traités
publics, et qu'en conséquence il satisfasse aux griefs des princes de
l'Empire, soit en les restituant dans la jouissance et l'exercice de
leurs droits, soit en les dédommageant complètement par des équi-
valents de même nature, valeur et convenance ; et que pareille jus-
tice soit rendue au saint-siége sur ses droits & la possession et sou-
veraineté des comtés d'Avignon et de Venaissin.
4^» Qu'il soit adopté des moyens vigoureux et suffisants pour re-
primer, punir, et prévenir efficacement, par la suite, toutes les entre-
prises et tentatives d'associations ou d'individus, tendantes à ren-
verser en France la forme et les fondements essentiels du gouverne-
ment monarchique, ou à restreindre la liberté du roi et l'exercice de
ses prérogatives, par des voies de fait, des empiétements arbitraires,
et par une tolérance de troubles et d'insubordination générale, incom-
patible avec l'établissement d'un ordre de choses régulier, calme et
stable.
Quant & la nature des moyens à déterminer par le concert, l'em-
pereur était d'opinion : P qu'il serait essentiel de rassembler, dans
les lieux, dans le temps et de la manière dont on conviendrait , des
forces de troupes très-considérables ; afin d'être & même non-seule-
ment de prévenir et repousser les hostilités et violences que la France
entreprendrait au dehors, mais aussi de la forcer à satisfaire complé-
264 LE COMTE DE FERSEN
tement le concert des puissances sur les points de réclamation et
d'exigence ci-dessus au cas qu'il devienne nécessaire d'y employer
les extrêmes.
2° Qu'une entreprise dont le but intéressait la tranquillité et l'hon-
neur de tous les souverains et gouvernements de l'Europe, et dont le
succès dépendait de la plus grande vigueur et promptitude, exigeait,
par la nature d'une cause commune, une répartition équitable d'ef-
forts et de frais, proportionnée à l'étendue des moyens de chaque
puissance, et qui compenserait les disproportions d'éflForts nécessitées
par la différence des rapports de situation, en dédommageant dans
la quotité des frais les excédants d'efforts auxquels les mieux situés
se prêteraient.
Enfin feu S. M. I. s'était préalablement ouverte sur ce nouveau
plan de concert à S. M. Prussienne, qui l'avait entièrement approuvé;
et les deux souverains s'étaient déterminés à concourir à son exécu-
tion, au cas que les principes ci-dessus fussent généralement adoptés,
par l'emploi d'une armée de 50,000 hommes chacun, au delà des
troupes qui se trouvent déjà dans les Pays-Bas et en Westphalie. Et
comme, en attendant, la fermentation extrêmeet les armements hos-
tiles de la France rendaient désirable qu'il fût mis quelque frein à
l'audace du parti républicain prépondérant, l'empereur saisit l'occa-
sion des dangers d'invasion, dont les États de l'électeur de Trêves
furent menacés, pour s'expliquer vis-à-vis du ministère et de la na-
tion française de la manière la plus franche et la plus énergique.
Cette explication, dont l'imprimé ci-joint renferme les principales
pièces, a été secondée, de la part de S. M. Prussienne, par des insi-
nuations et une déclaration parfaitement analogues; et c'est aussi
tant pour confirmer l'intention sérieuse de ces démarches mutuelles,
que pour être mieux à même de protéger la sûreté des firontières de
l'Allemagne, jusqu'à l'époque du concert, que LL. MM. Impériale et
Prussienne avaient résolu d'envoyer, sans délai, dans leurs Etats de
Souabe et de Franconie un renfort de 6,000 hommes chacun, en anti-
cipation des susdites forces, qu'elles destinaient au soutien du nouveau
concert.
Le roi de Hongrie et de Bohême, pénétré des mêmes sentiments
qui animaient feu l'empereur son père pour le bien public et la tran-
quillité générale de l'Europe, également convaincu de l'équité et de
la convenance des principes du nouveau plan qu'il allait proposer aux
J
ET LA COUR DE FRANCE. 266
autres puissances^ s'empresse à réaliser vis-à-yis d'elles la démarche
qui Toccupait dans les derniers jours de sa vie, dans Tespoir qu'elles
r accueilleront ayec la même confiance qu'elles accordèrent aux ou-
vertures précédentes de ce prince sur le même objet.
En conséquence, S. M. Apostolique, après avoir renouvelé et con-
firmé avec S. M. Prussienne le concert préalable et les arrangements
éventuels ci-dessus mentionnés, a l'honneur d'inviter toutes les puis-
sances & se réunir pour l'exécution commune du plan de concert qui
vient d'être détaillé ; et, pour en faciliter la promptitude, autant que
l'éloignement des distances peut le permettre, elle leur propose de
munir leurs ministres à Vienne, ou telle personne qu'il leur plaise
de désigner à cette fin, des pouvoirs et instructions nécessaires, à
l'eflTet de convenir, par un engagement commun formel, tant sur les
principes généraux de leur intervention et réclamation commune que
sur la répartition et la réalisation des efforts et moyens, pour les
rendre suflSsamment eflScaces. En se flattant qu'à l'un et l'autre
égard elles trouveront dignes de leur concours les propositions que
le présent mémoire leur transmet de sa part, dans un accord parfait
avec les intentions de S. M. Prussienne.
CXC.
DÉPÊCHE DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI
A LA COUR DE SAmT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL (1).
Pétersbourg, le 8 mai 1792.
Monsieur le baron.
Les personnes les mieux informées ici avaient été laissées dans le
doute sur le véritable motif du départ du dernier courrier. Nous sa-
(1) D'après une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Feraen j dans
les papiers de ce dernier.
266 LE COMTE DE FEBSEN
vons maintenant que, quoiqu'il dît porter une lettre de l'impératrice
au roi de Hongrie, renfermant les instances dont j'ai eu l'honneur de
vous rendre compte, l'essentiel de l'expédition était relatif aux af-
fiiires de Pologne. Ce courrier devait laisser à Varsovie des exem-
plaires du manifeste dont il porte la communication à Tienne. Je ne
sais si l'on s'est bien assuré du succès que cette pièce pourrait y avoir ;
il est plus certain qu'elle est conçue dans les termes les plus morti-
fiants pour le roi et la partie de la nation polonaise attachée à la
constitution du 3 mai 1791. H passe pour constant que les troupes
russes, marchant sur trois colonnes, entreront dans ce malheureux
royaume le V^ de mai vieux style, ce qui répond au 12 de ce mois-
Ainsi, quand ma dépêche vous parviendra, il y aura déjà seize jours
que les Polonais, pour avoir voulu favoriser chez eux la prérogative
royale, seront vexés par les troupes d'une souveraine qui s'est mon-
trée si portée à rétablir la prérogative royale en France. Il serait
bien fâcheux que cette contradiction de principes fût mise & profit
par le cabinet autrichien, et qu'il dît^ l'impératrice que, puisqu'il
lui convient de modifier la constitution d'une puissance voisine d'elle,
il faut qu'elle trouve bon que les plus près voisins de la France mo-
difient aussi la constitution de notre patrie. On voit cette funeste
intention à notre égard dans toutes les insinuations du mémoire en-
voyé ici par le roi de Hongrie ; je n'ai pu me le procurer qu'hier au
soir. Le comte de Cobenzl n'en a accordé que peu de lectures très
à la hâte, et le ministre russe n'en a laissé prendre copie qu'au baron
de Stedingk; celui-ci s'est fait tourmenter pendant vingt-quatre
heures, jusqu'à ce qu'enfin je lui ai démontré que comme ambassadeur
de Suède il était de son devoir de présenter des observations, qu'il
m'a permis de rédiger et qui arriveront comme de lui à l'impéra-
trice. C'est aussi d'après son autorisation que je joins ici une copie de
ce mémoire (1), parce qu'il serait possible qu'en raison de divers
articles fort artificieusement conçus, ojfi ne vous en eût pas donné une
fidèle communication. Ce mémoire est pour vous, monsieur le baron,
et pour le comte de Fersen ; nous en sommes ainsi convenus avec le
baron Stedingk.
(1) Voir ce mémoire, enyoyô par la cour impériale à toutes les cours participant dans
la coalition contre la France, du 17 mai 1792 , n" CLXXXix.
ET LA COUB DE FRANCE. 267
Les papiers remis par moi an comte d'Ostermann sont passés en-
suite an comte de Bezborodko. S. M. I. travaille sur les divers ma-
tériaux qui lui sont parvenus d'ailleurs et doit, avant de prendre les
avis de son conseil, avoir fixé ses idées par un résumé qu'elle lira à
ses ministres. Vous jugez bien que s'ils se permettent des réflexions,
ce ne seront que celles qu'ils jugeront devoir être agréables à leur
souveraine.
Le comte d'Ostermann était trës*contraire à un envoi de troupes :
un mot que je lui ai fait dire, par le ministre^ de Naples, a changé
ses idées ; maintenant il proposera que la Russie prenne des Suisses
à sa solde, mais si (comme on veut le persuader) l'impératrice fait
marcher des troupes vers la France, ce seront des Russes, au nombre
de 18,000 et des Suédois qui compléteront un corps de 24,000 hom-
mes.
M. de Zoubow s'est entretenu depuis deux jours avec le prince
de Nassau de la marche que tiendraient les troujpes ensemble ; ils
ont devisé sur le point vers lequel ce corps se porterait. Les car-
tes que j'ai fournies sont, sans qu'il sache qu'elles m'appartiennent,
dans le cabinet du favori. Il a repris de l'ardeur pour nos aflGaires
depuis qu'il pense qu'elles n'empêcheront pas ce qu'il se promet pour
lui de l'invasion de la Pologne.
L'ambassadeur de Hongrie et le ministre de Prusse se donnent bien
du mouvement pour que les secours de la Russie ne soient qu'en
argent ; mais nous avons à leur opposer : 1*^ le juste orgueil de
l'impératrice, qui, si elle fait quelque chose, voudra que ses dra-
peaux paraissent ; 2° l'embarras plus grand de tirer d'ici de l'argent
que des hommes. Sans me montrer, je donne le plus qu'il m'est pos-
sible du mouvement et de la force aux personnes qui peuvent agir.
Je crois, monsieur le baron, bien saisir l'esprit de mes instructions
en poussant à ce qu'une armée russe se mette en campagne et serve
de point de ralliement à tous les Français bien intentionnés. Le plus
fâcheux de nos maux serait, après toutes nos disgrâces, de recevoir
des mains de l'Autriche une constitution façonnée par son incurable
jalousie. La Russie, la Suède, les Suisses^ l'Espagne et même le Pié-
monl» ne peuvent guère penser à s'agrandir & nos dépens, et n'ont
pas d'intérêt à emmaillotter l'autorité royale en France ; cette vérité
sera sentie daùs nos provinces, comme par ce qui n'est pas encore tout
à fait gangrené dans la capitale. Alors l'opinion se manifestera quand
268 LE COMTE DE FERSEK
on verra qu'on a de Pappni, et la cour de Vienne sera obligée de
carguer les voiles, lorsque le vent lui sera trop contraire. Ce langage,
monsieur le baron , ne ressemble pas tout à fait à celui que je vous
tenais dans ma dépêche n° 21 du 20 avril, mais j'ai appris à votre
école que la raison recevait souvent les lois des circonstances ; alors
que tout annonçait l'abandon de la Russie, je disais : il vaut mieux
perdre des provinces que de recevoir une constitution ; aujourd'hui
que (sans beaucoup y compter encore) je vois l'impératrice pencher
à faire marcher une armée pour nous, je me permets d'espérer qu'il
serait possible de reprendre notre ancien gouvernement et de con-
server nos frontières intactes. Il y a une dépêche du comte de Co-
benzl au comte d'Ostermann dont je n'ai pu encore, monsieur le bar
ron, me procurer ni copie ni lecture, mais voici les trois articles
essentiels sur lesquels elle roule :
1® De ne point faire mention d'un retour vers l'ancien régime, de
peur de rebuter de prime abord la nation, qu'on suppose être très-
entichée de la nouvelle constitution.
2® De ne point mettre en ligne les princes, ni la noblesse, parce
que ce serait trop les exposer au ressentiment d'un peuple acharné
contre les aristocrates. A cela sont jointes des réflexions très-déso-
bligeantes sur la conduite tenue à Coblence.
3° Une justification des motifs qui ont déterminé à ce que les
ministres des puissances se concertassent plutôt à Vienne qu'ail-
leurs ; ces motifs portent uniquement sur l'avantage du local, et le
cabinet autrichien dit tant de choses sur l'impartialité de ses inten-
tions, qu'il doit, par cela même , ajouter foi à la méfiance qu'inspire
toigours sa tortueuse politique.
Je le répète, monsieur le baron, plus j'ai vu qu'on s'attachait du
côté de Vienne à ne rien faire des princes, plus il m'a paru essentiel
de montrer que l'intention du roi était que ses frères fussent em-
ployés honorablement, en abondant dans le vœu de l'impératrice,
' en lui montrant qu'elle fait autant de plaisir à S. M. T. C. qu'aux
princes, lorsqu'elle les soutient. Rien n'était plus propre à la ranimer
pour une cause que depuis quelque temps elle voyait avec une
indifférence née du déplaisir de ne pas primer. Aujourd'hui,* l'im-
pératrice peut se persuader que , sans avoir une armée équivalant aux
forces autrichiennes , elle n'en sera pas moins la puissance qui aura
dans l'intérieur du royaume la majeure influence, et je suis loin de
ET LA COUR DE FRANCE. 269
craindre^ comme je vous Tai déjà mandé, que s'il 7 a mie armée
russe, elle reçoive la loi des conseillers de Coblence. Leur insuffi-
sance déjà connue leur fera assigner les places pour lesquels ils sont
&its. Quant à Nosseigneurs, ils recevront de grandes marques de
respect ; ils jouiront des hommages dus à la pureté de leurs in-
tentions, et Texpérience leur apprendra que, quelques caresses que
fassent les souverains aux agnats de leurs trônes , il 7 a entre les
tètes couronnées une paternité d'intérêt, de convenance et d'égoïsme
qui emporte toujours la balance.
J'ai l'honneur d'être, etc., etc.
Le marquis de Boubelles.
Le chevalier de Belzunce, qui a copié cette dépêche, se désolait
de ce que je ne le renvo7ais pas; mais il m'a paru impossible de ne
pas attendre pour le charger, si cela se présente comme je le crois,
de choses que je ne veux pas confier à la poste. Depuis trois jours on
lui a annoncé qu'il aurait une audience particulière de l'impératrice,
n 7 a eu de la vilenie sans doute dans le soin de Técarter d'un hon-
neur auquel sa conduite, les circonstances et ses malheurs lui don-
naient des droits. Le prince de Nassau s'est conduit à cet égard
comme il se conduira toujours ; en parlant de ce prince, j'ose vous
assurer que je connais bien peu d'hommes qui portent dans toute es-
pèce d'affaire un caractère aussi lo7al.
CXCI.
DlêPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN , ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A
LA COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE
8 MAI 1792 (1).
H est incro7able à quel point l'échec des patriotes français a ex-
cité ici l'esprit militaire ; oflâciers et soldats ne partageaient pas éga-
(1) D'après une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fcraen j dans les
papiers de oe dernier.
270 LE COMTE DE FERSEN
lement le plaisir et l'ardeur de marclier ; ils redoutaient le sort qu'ils
avaient eu deux fois depuis trois ans y oh on les avait fait miBurcher
inutilement en Silésie contre l'empereur, et en Prusse contre la
Bussie ; mais aujourd'hui que, grâce au zèle impétueux des rebel-
les, ils voient que l'action est trop engagée pour ne pas être active,
ils montrent une joie générale et un désir extrême de se mesurer
de valeur avec les Autrichiens. Tous les prépaoratifs se font avec la
plus grande activité ; on voit défiler toute la journée des trains d'ar-
tillerie, et, malgré toute cette activité, on presse cependant encore
avec tant d'intérêt tous les mouvements, que le ministre montre
une véritable satisfaction quand il a pu gagner un ou deux jours
sur quelques dispositions.
Le courrier définitif de la cour de Vienne est arrivé. Le roi de
Hongrie annonce que 10,000 hommes doivent être arrivés dans le
Brisgau, que 15,000 sont près d'y arriver, et que le reste va se
mettre successivement en route de manière & ce que tout soit réuni
avant la fin de juillet. A ces dispositions satisfaisantes la cour de
Vienne ajoute encore la proposition de s'engager réciproquement en-
tre les deux cours , dans le cas que l'impératrice de Bussie ne pour-
rait ou ne voudrait pas entrer dans le plan de concert , de n'en pas
moins continuer les opérations et de terminer entre elles deux l'en-
treprise qu'elles ont commencée. Cette proposition doit avoir été faite
hier oflSciellement par le prince de Beuss, et il n'en sait pas encore
lui-même le résultat, mais on ne doute pas, ni moi, qu'elle ne soit
acceptée ; au reste, ceci est secret.
En général, le ton de la cour prussienne a étonnamment changé,
et ses expressions portent toutes aujourd'hui le caractère de la plus
ardente volonté ; on le doit , en grande partie , au ressentiment per-
sonnel du prince Kaunitz', que les intérêts réunis de toute l'Europe
n'auraient pas pu émouvoir, mais qui a été mis hors de lui en li-
sant les insolences de M. Dumouriez, et à qui il veut prouver que
sa débile main peut encore les embarrasser beaucoup.
Les ministres d'Angleterre et de Hollande sont toujours fort dé-
contenancés , depuis la nouvelle des hostilités. Les menées de ce der-
nier, qui ne peut pas oublier qu'il a régné ici , ont tellement déplu,
que je crois que le roi veut le faire rappeler. Franchement, je n'ai rien
négligé de ce qui pouvait leur nuire, et je le devais pour détruire
l'effet (le la guerre invisible qu'ils nous faisaient en cherchant à
ET LA COUR DE FRANCE. 271
arrêter ce que nos soin pouvaient obtenir. Aujourd'hui ils sont sur-
veillés par une méfiance très-mal intentionnée pour eux, et j'espère
qu'ils sont hors de mesure de pouvoir nous être dangereux.
Le ministre des finances Struensée, ancien ami de Mirabeau, leur
est dévoué, et est mécontent de tout ce que l'on fait. H a voulu faire
des objections et présenter des calculs ; on lui a répondu de faire des
provisions et de donner de l'argent , en supprimant ses objections.
C'est un homme habile, mais uniquement en affaires de commerce.
Tous ces opposants se rassemblent autour du ministre d'Hertzberg,
protecteur déclaré du système anglais, qui le cajole encore; mais
il est aujourd'hui sans crédit et sans moyens, et, quelque chose qui
arrive, je crois pouvoir assurer que, de ce règue-ci, il ne reparaîtra
pas sur l'horizon.
CXCII.
DÉPÊCHE DU VICOMTE DK CARAMAN , ENVOYlÊ DU ROI LOUIS XVI A LA
GOURDE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE 15
MAI 1792 (1).
Les conférences ont été terminées hier, monsieur le baron , et à la
plus grande satisfaction de ceux qui s'y sont trouvés. Le duc de Bruns-
wick est parti hier pour son inspection de Magdebourg. La position
des princes et des émigrés a été déterminée, et ils seront armés et
placés derrière le Khin, aux environs de Philipsbourg dans l'évêché
de Spire. On leur demande de rester parfaitement tranquilles là où
ils sont, jusqu'au 5 d^ juillet ; c'est alors que, jusqu'au 13, on les
fera défiler vers le côté qu'ils devront occuper. Le duc de Bruns-
wick sera lui-même à Coblence le 5 juillet, pour présider au déblaye-
ment des Français , et préparer la réception de l'avant-garde prus-
sienne, qui arrivera le 9. D'après la position que l'on a assignée
aux princes, il n'y a pas de doute que les intentions ne soient de les
(1) D'après une copie que le baron de Bretenil a envoyée an coznte de Fersen; dans
les papiers de ce dernier.
272 LE COMTE DE FEBSEN
diriger vers TAlsace ; cependant ce n'est qu'une combinaison qui
m'est personnelle, car le duc, avec raison, n'a pas voulu que la vé-
ritable destination fût connue , et les dispositions sont restées abso-
lument secrètes entre ceux qui ont été présents à la conférence. J'ai
cependant acquis quelques connaissances sur les dispositions ma-
jeures , mais je me réserve de vous les conmiuniquer à mon retour ;
ce que j'ai appris avec grand plaisir, c'est que le roi marchera très-
positivement avec son armée, et il se rendra à Coblence aussitôt
qu'elle sera réunie. M. de Schoulembourg m'a encore répété que, dès
qu'il y sera, je pourrais m'y rendre avec une commission particulière,
et qu'alors je le suivrai, pendant la durée de l'expédition. Le duc de
Brunswick m'a répondu de Potsdam , et il me marque combien il
est sensible à ce que je lui ai dit de votre part et de celle du roi.
Il me donne rendez-vous à Magdebourg avant le 24 , ou à Halberstadt
le 28 ; j'ai choisi le dernier endroit.
-^ Il me paraît que la Russie ne se conduit pas avec une grande
franchise relativement à la Pologne , il se répand du moins des bruits
peu favorables à cet égard ; mais M. de Schoulembourg m'a fait
entendre que, quant à nos affaires, je ne devais rien craindre, et
que les 50,000 hommes envoyés contre la France laissaient encore
des moyens suffisants pour s'opposer à des projets qui ne pourraient
pas convenir.
La cour de Vienne a communiqué ici une lettre circulaire qu'elle
envoie à tous les princes de l'Empire, pour leur expliquer ses griefs
contre la France, et leur annoncer que ce qu'il fait comme roi de
Hongrie n'est que pour assurer ce qu'il fera comme empereur. H
les engagea se joindre à lui, soit par des troupes, soit par un équi-
valent en argent. Le roi de Prusse va appuyer cette circulaire par
une lettre à peu près semblable. M. de Custine a reçu un courrier
de France par lequel on fait encore quelques compliments au roi de
Prusse en lui notifiant la déclaration de guerre au roi de Hongrie.
Ce courrier a aussi apporté une lettre du roi de France qui prie celui
de Prusse, en qualité de directeur du cercle de Franconie, de vou-
loir bien y observer la neutralité, et en conséquence d'y refuser le
passage aux troupes autrichiennes. Dans la lettre du roi, on nomme
M. de Custine ministre plénipotentiaire, et le vieux comte de Fin-
kenstein en a profité pour observer à M. de Custine que, comme il
n'était pas accrédité sous ce titre, il ne pouvait pas recevoir de lui
ET LA COUR DE FRANCE. 273
les lettres qu'il lui apportait. En conséquence, il a été obligé défaire
repartir le courrier avec cette observation , sans avoir pu faire usage
de ce qu'on lui avait envoyé. Il lui est aussi arrivé un renfort de
négociateurs, dont l'un lui est envoyé comme secrétaire de légation,
et l'autre, qui est un marchand de vin qui en a fourni au-
trefois au comte de Hertzberg, a été choisi comme pouvant par
ce canal, avancer beaucoup les affaires, et il a été chargé de
lettres de créances pour lui, en s'engageant à lui faire employer
tout son crédit pour faire changer de résolution au roi. Le choix de
cette nouvelle route a fort animé M. de Schoulembourg, puisqu'elle
prouve la parfaite ignorance de tous ces agents et même du minis-
tère ; car assurément il ne faut être ici qu'un quart d'heure pour
savoir que M. de Hertzberg ne peut avoir aucune influence. Le
ministre a envoyé au roi tout le paquet des ambassadeurs, et le
roi l'a remis à M. de Schoulembourg.
Je joins ici l'ordre de la marche des troupes avec la date de leur
départ et de leur arrivée ; c'est en allemand , mais vous trouverez
facilement à le faire traduire.
CXCIIL
DU COMTE DE FERSBN AU BARON DE TAUBE (1).
Braxelles, ce 16 mai 1792.
lEn clairJ]
J'ai reçu dimanche, mon cher ami, votre lettre du 27, et je
n'eus que le temps de vous en accuser la réception dans ma der-
nière, et de vous dire combien j'ai été vivement touché de la nou-
velle marque des bontés du feu roi. Oui, mon ami, notre perte
est grande, et jamais je ne cesserai de le regretter toute ma vie.
(1) Lettre antographe, déchifiErée de la xaain du baron de Taube.
T. II. 18
274 LE COMTE DE FERSEN
[En chifreJ]
Vos conjectures sur l'impératrice me paraissent très-bien fondées,
et vous verrez par ma dépêche combien son intérêt aurait été né-
cessaire pour empêcher les projets trop probables des rois de Hon-
grie et de Prusse, dont la France serait la victime. Notre bon et
trop malheureux maître aurait seul été en état de Tempêcher et
d'exciter Timpératrice. J'engagerai le baron de Breteuil à négocier
là-dessus vis-à-vis d'elle ; mais je crains que le roi de France sera
obligé de consentir à quelque démembrement, et, si cela est d'une
nécessité absolue pour le rétablissement de la monarchie et de son
autorité, je crois qu'il n'y a pas à balancer. Mandez-moi, mon
ami, ce que le duc (1) compte faire dans le cas où l'impératrice
réclamerait les secours qui étaient convenus avec le feu roi pour
agir contre la France, et s'il les donnerait. Je continuerai à m'oc-
cuper de trouver de l'argent. Tout est encore tranquille ici, mais
gare à un échec! alors tout serait en révolution. J'ai envoyé tous
mes papiers à Coblence au baron d'Oxenstjema, afin de pouvoir
partir plus vite si cela était nécessaire, car Bruxelles est très-mau-
vais, et je n'y serais pas en sûreté alors.
CXCIV.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (2).
Bruxelles, ce 16 mai 1792.
Sire,
La dépêche que V. M. a daigné m'envoyer du 27 avril m'est par-
venue.
(1) Le dnc Charlee de Sudermamiie, régent de Suède pendant la minorité du roi 6iu-
tare IV Adolphe.
(2) Diaprés la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Ck^/rt
au rot.
ET LA COUR DE FRANCE. 275
Ce que j'ai eu l'honneur de mander à V. M., dans ma dernière
dépêche du 9 de ce mois , sur les intentions et négociations de l'An-
gleterre paraît se confirmer^ à moins que l'attaque des Français sur
les Pays-Bas ne fasse changer les résolutions^ et je crois avoir la
certitude que le lord Elgin, qui a été à Paris et qui, à son retour
de là en Angleterre, est venu passer ici 24 heures, sous le prétexte
de faire sa cour à madame l'archiduchesse, était chargé de propo-
sitions de ce genre. Ce projet pourrait encore être secondé par la
volonté que l'impératrice paraît témoigner de s'occuper plus vive-
ment des affaires de Pologne que de celles de France, et, si ce sys-
tème de négociation est adopté, la monarchie et l'autorité royale
sont perdues, et la France devient un pays nul dans la balance po-
litique de l'Europe et pour ses alliés ; car, quel que soit le gouver-
nement qui en sera la suite, il sera impossible à établir sans anéan-
tir le parti qui domine et son esprit, sans rétablir l'ordre dans le
royaume et une force publique, et ce ne sera pas par des négocia-
tions qu'on y parviendra. H y a lieu de supposer encore qu'il entre
dans les projets du cabinet de Vienne de se payer des secours qu'il
accordera au roi de France par quelques échanges avec le roi de
Prusse, dont le résultat serait la perte de l'Alsace et de la Lorraine
pour la France, et peut-être de tous les Pays-Bas , qu'on donnerait,
avec ceux de la maison d'Autriche , au duc des Deux- Ponts à titre
de souveraineté en échange de la Bavière, et on céderait au roi de
Prusse Berghen et Juliers , avec des arrondissements à sa conve-
nance dans la Silésie. Je n'ai point la certitude que se soit là l'é-
change que la cour de Vienne désire, ni que le roi de Prusse adopte
une pareille idée; il y a même lieu de croire, d'après les assurances
qu'il en a données récemment, qu'il ne consentira pas à un arran-
gement de ce genre ; mais si tel était le projet des deux cours, elles
trouveraient dans le peu de bonne volonté de l'Espagne, et en lais-
sant les mains libres à l'impératrice d'agir sur la Pologne, de gran-
des facilités pour son exécution, et ces deux puissances, étant char-
gées seules alors du rétablissement de la monarchie française, elles
en seraient absolument maîtres , à moins que les autres puissances
de l'Europe ne sentent combien cet exemple serait dangereux et
combien la conservation de la monarchie française, dans son entier,
importe à leur sûreté et à la balance politique de l'Europe. Quel-
que désavantageux que ftit ce lîlan au rétablissement de l'autorité
276 LE COMTE DE FERSEN
royale eD France, V. M. pensera sans doute qu'il est préférable pour
le roi à la voie des négociations.
L'esprit de révolte et de sédition existe toujours dans ce pays-ci,
et la fermentation y est grande. Elle n'est contenue que par la
crainte des troupes; mais si elles avaient des revers tout le pays se
soulèverait ; dans ce cas, le projet du gouvernement est de retirer
les troupes des frontières et de couvrir, avec les 60,000 hommes
qu'il a , tout le pays qui est derrière Bruxelles, Namur et Mons. Je
persiste toujours à croire que c'est le parti qu'il aurait fallu adopter
d'abord sans courir les hasards d'y être forcé, et que cette conduite
aurait tenu en respect non-seulement tout le pays, mais même les
Français, qui auraient hésité, avec une armée aussi mal organisée et
aussi indisciplinée, de venir les attaquer chez eux.
Les troupes autrichiennes, au nombre de 30 à 35,000 hommes,
sont campées sur la frontière à Mons et Tournai ; le reste compose
les garnisons de Bruxelles, Namur, Luxembourg, Anvers et Malines,
où ils ont leur parc d'artillerie. On attend à tout moment l'arrivée
du général Luckner à Yalenciennes, et on suppose que les Français
ne tarderont pas alors à faire une attaque sur Mons et en même
temps sur Namur.
cxcv.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
BrnxeUes, ce 23 mai 1792.
Sire,
Le roi de Prusse a fait notifier officiellement au roi d'Angleterre
la marche de 50,000 hommes sur le Rhin, et que la totalité de
cette armée serait rassemblée le 4 août. La même notification a été
(1) D'après la minute de la main du comte de Fenen , qui a écrit en marge : Chiffre m
roi.
ET LA COUR DE FRANCE. 277
faite à la diète de Ratisbonne. Les lettres du vicomte de Caraman
de Berlin mandent que tous les préparatifs sont faits ^ que tout le
monde; depuis le roi et le ministre jusqu'au dernier soldat ^ parta-
gent la même ardeur. Les premiers régiments partiront le l"juin
et les autres successivement. Les premières troupes arriveront le
8 juillet, et les dernières le 4 août. Le roi va à l'armée avec les mi-
nistres ; il doit S'établir à Baireuth ou Anspacli. Il paraît que cette
armée agira sur la Moselle. Les princes ont été prévenus par le roi
de Prusse de se tenir tranquilles et de ne tenter aucune opération,
que le duc de Brunswick sera à Coblence le 9 juillet, et que le 13 il
en ferait partir tous les émigrés pour les rassembler du côté de
Philipsbourg. Les princes d'Allemagne ont été requis par les rois
de Prusse et de Hongrie de fournir leurs contingents pour la fin de
juillet. Le comte de Schoulembourg a assuré le vicomte de Caraman
que, quels que soient les projets de l'impératrice sur la Pologne
et la conduite qu'elle tiendra dans les affaires de la France, rien ne
ralentira l'action du roi son maître, et qu'il lui restait encore assez
de troupes pour la contrarier en Pologne. V. M. voit par là que les
intentions actives de la cour de Berlin sont bien prononcées et je les
crois sincères. Je ne suis pas aussi assuré de celles de la cour de
Vienne, qui aura de la peine & se départir de son système de len-
teur et d'indécision. H faut espérer qu'elle sera forcée par l'activité
prussienne et l'ambition du duc de Brunswick. Malgré tout cela j'ai
lieu de croire que le projet d'un échange et de démembrer la France
existe toujours, surtout de la part du cabinet de Vienne, dont c'est
l'idée favorite, et je ne crois pas assez au désintéressement prus-
sien pour croire que ce cabinet s'y refusera. Nous avons connais-
sance d'un plan à cet égard, naais dont je ne garantis pas la certi-
tude ; le voici : l'Alsace serait remise à l'Empire ; la Lorraine serait
remise au duché de Luxembourg et formerait l'apanage d'un ar-
chiduc ; les Pays-Bas français seront remis aux Pays-Bas autri-
chiens; les îles françaises indépendantes; la Corse donnée & l'impé-
ratrice et Dantzig, Thom et un arrondissement en Pologne, avec
les duchés de Berghen et Juliers, au roi de Prusse.
H a passé ici un courrier de Londres portant aux cours de Berlin
et de Vienne l'assurance positive de la neutralité de cette puis-
sance, et qu'elle verrait avec plaisir ce que les autres feront pour
le rétablissement de la monarchie française et l'autorité du roi. L'at-
278 . LE COMTE DE FERSEN
taque des Français et, plus que toute la crainte que M. Pitt a couru,
des propositions faites dans le parlement, par des esprits remuants,
pour des changements dans la représentation du peuple, lui auront
sans doute fait changer de système, et je ne serais pas étonné que
cette crainte le décidât même & favoriser l'action des puissances
réunies. La manière la plus utile et la plus facile pour lui, celle qui
présenterait le moins d'inconvénients, serait un secours pécuniaire,
dont une partie pourrait être employée en faveur de V. M., si, comme
je n'en doute pas, elle pense qu'il est encore de son intérêt de pren-
dre une part active & une aussi grande et noble opération.
Les Autrichiens avaient formé, il y a trois jours, un détachement
pour enlever un régiment français qui devait passer dans un de
leurs villages à portée de la frontière. Les Autrichiens ont manqué
leur capture et à leur arrivée dans le village les paysans ont tiré
sur eux. Le village a été abandonné au pillage, et plus de 80 pay-
sans ont été tués»
CXCVL
DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR
DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL. N° 34 (1).
Saint-Pétenbourg, le 24 mai 1792.
Monsieur le baron,
»
Le chevalier de Belzunce s'est rendu ce matin à Zarsko-Célo ;
il doit y recevoir les paquets de l'impératrice et ceux de M. d'Es-
terhazy, venir ensuite prendre ici les dépêches du prince de
Nassau et se porter en droiture à Coblence, où, après avoir touché
barre, il ira remettre à Bruxelles les lettres adressées à M. Grimm.
Depuis m^ dépêche n* 33, il est arrivé à l'ambassadeur de Hongrie
des ordres très-pressants pour insister sur le plus prompt secours.
(l) D après ime copie qne le baron de Breteuîl a envoyée au comte de Fersen ; dans les
papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 279
L'ambassadeur de Suède, le ministre de Prusse, tiennent le même
langage ; les ministres russes le trouvent raisonnable ; mais le fa-
vori, qui, comme j'ai eu l'honneur devons le mander, a voulu une
guerre qui fondât sa fortune, fait encore ce qu'il peut pour que rien
ne distraie de l'envahissement de la Pologne ; on a saisi l'impéra-
trice par son faible, et ce ne sera qu'avec peine qu'on la détournera
du plan tracé dans son boudoir. Elle a vu qu'après avoir accordé la
paix aux Turcs, après avoir dit à la Pologne : <i Je suis venue, j'ai vu,
j'ai vaincu, 3) ilétait beau de passer de là aux frontières de France»
Mais tout ce qui raisonne ici se permet d'observer assez haut que
S. M. I. s'est trop mise en avant sur les affaires de France
pour être, indépendamment des positions géographiques, si fort en
arrière des autres puissances, lorsqu'il s'agit d'effets, et que les belles
paroles ne suffisent plus. Le prince de Nassau ne se borne pas à être
de l'avis des gens sensés trop précautionneux , il dit ce qu'il faut
dire, et vient d'écrire aux princes ce qu'il était convenable de leur
mander, et ce que je doute fort que leur agent ici leur articule aussi
nettement.
Ce prince, dont l'âme est aussi bien bâtie que sa taille, a eu ici là
conduite qui pouvait le plus maintenir sa considération ; elle ne di-
minuera pas, mais la jalousie de toute une nation envers un étran-
ger, qui a beaucoup de rivaux et point d'émulés, est un obstacle que
M. le prince de Nassau rencontrera toujours, lorsque de grands
maux n'existeront pas, et que les besognes pourront être réparties
à 'des ouvriers ordinaires. On met un sot & la tête d'une armée qui
doit ravager la Pologne ; on donnera peut-être le commandement du
corps qui marchera tardivement sur les bords du Bhin à quelque of-
ficier général qui n'offusquera personne. Il n'en était pas de même
lorsque le canon des Suédois retentissait dans les bosquets de Zarsko-
Célo, et qu'on chargeait les voitures pour se retirer & Moscou ; alors
tous les grands de l'empire étaient bien petits devant le prince de
Nassau, et la souveraine mettait avec discernement une entière con-
fiance dans l'homme valeureux dont elle avait reconnu les talents.
Le refus fait au prince de Nassau du commandement des troupes
destinées à marcher contre les Français rebelles a cependant , comme
j'ai eu l'honneur de vous le mander, monsieur le baron, été ac-
compagné de tout ce qui pouvait le rendre honnête. L'impératrice a
dit, entre autres motifs, qu'elle avait des ménagements à garder et
280 LE COMTE DE FERSEN
que le commandement dans des pays si loin de la Bassie devait être
confié à un homme de la religion russe. Depuis^ nous avons différentes
données pour croire que cet homme, qui, quoique du rite grec, ne sera
sûrement pas un Grec, sera aussi d'un grade inférieur à celui du
prince de Nassau, et que ce prince alors recevra l'ordre de prendre
la grande main, une fois que les troupes auront été conduites & leur
première destination ; mais quand y arriveront-elles ? c'est ce qu'il
n'est pas aisé à décider. Hier nous reprenions espoir pour l'envoi
prochain de 7 à 8,000 hommes par mer. Aujourd'hui l'ambassa-
deur de Hongrie croit que ce qu'il y a de mieux à obtenir, c'est qu'on
n'attende pas la décision des affaires de Pologne, et que par la Galicie
on fasse plutôt filer de la Moldavie les corps qui se replient et qui, en
vertu du traité de paix, doivent évacuer cette contrée.
Dans cette perplexité, très-grande pour les bons Français, vrai-
semblablement très-simulée de la part des Autrichiens, j'ai cru de-
voir renouveler mes instances pour la prompte expédition d'un corps
quelconque de Busses, qui empêchât que la France, rendue à la
raison, ne tombât à la merci de ses rusés voisins. Le moment de
vous faire parler était favorable, parce que, comme je vous l'ai
mandé, vos actions sont au meilleur taux ici. J'ai donc pensé que je
servais bien et très-bien le roi en vous présentant comme le plus
zélé et le plus positif appui des princes ses frères. Et il m'a pcuru
assez piquant de parler en votre nom en faveur de Nosseigneurs,
quand l'homme qu'ils ont ici est comme Boland enchanté dans le
palais d'Axmide. Sérieusement parlant, je ne connaîtrais rien de plus
ftineste que de tomber dans les mains autrichiennes , et je ne vois
rien de mieux que de réunir à un drapeau russe tous les gens bien
pensants, tous nos intérêts, et d'y trouver notre sauve garde. Je suis
donc bien sûr que vous approuverez tout ce que je dis dans la lettre
que j'ai écrite au vice-chancelier, et dont je joins ici copie (1) ; elle
confondra vos ennemis, elle peut décider une résolution bien essen-
tielle à obtenir, et, si mes motifs n'étaient pas approuvés aux Tuile-
ries, j'en serais plus filché pour mon maître que pour moi.
Nous espérons que la Suède se piquera d'honneur, et, si elle fiûsait
un pas, on en ferait bien vite ici quelques-uns de plus. Mais, malgré
toutes les superbes promesses, je vous le répète, monsieur le baron,
(1) Voir l'anneze à cette lettre.
ET LA COUR DE FRANCE. 281
il s'en faut bien qu'on fasse jamais le quart de ce qu'on avait fait
sonner si haut.
Le parti qui sera définitivement pris ne peut pourtant pas tarder
à être prononcé ; cela fait, je ne suis plus bon à rien à Pétersbourg,
parce qu'en supposant qu'on m'y fit l'honneur de me regarder comme
un bon conseiller, il n'est pas nécessaire que le roi paye un donneur
d'avis dont les idées, toujours prises ad référendum, ne tourneraient
pas au profit de S. M.
A moins de circonstances imprévues, je n'irai pas à Moscou, parce
que la frime de ce voyage n'est plus nécessaire. Je prendrai peut-
être ma route par la Suède et le Danemark; j'ai des facilités de
navigation qui me rendront ce tour moins dispendieux que si^ du
fond de la Eussie, je regagnais la Pologne, où vraisemblablement on
ne tardera pas à se battre.
L'ambassadeur de Suède et d'autres gens raisonnables m'exhor-
tent fort à voir, dans un passage rapide, les deux autres capitales du
Nord; peut-être même cela conviendra-t-il au cabinet de Péters-
bourg. J'aurai l'honneur de vous indiquer où je pourrai recevoir vos
ordres ultérieurs. Si le service du roi ne vous présente aucune né-
ce^ssité bien urgente de m' employer ailleurs, vous sentez où ma place
est marquée depuis que les Français peuvent revendiquer, les armes
à la main, des droits si sacrés et si odieusement foulés aux pieds. Je
compte aller voir ma femme, embrasser mes enfants et me rendre
dans le Brisgau à l'armée autrichienne. Là je serai près et de Frank-
fort et de Batisbonne, où peut-être il sera nécessaire de porter des
paroles ; là je pourrai voir ce qui se fera en Suisse, et ce qu'on
pourrait faire de la Suisse. Vous sentez d'ailleurs que, dans les cir-
constances survenues, la trop longue prolongation de mon séjour à
Pétersbourg pourrait compromettre le roi, parce que je suis assez
estimé pour qu'on ne me suppose pas occupé d'un voyage de plaisir,
ou même d'instruction, lorsque tout gentilhomme de mon âge doit
payer de sa personne, en présence des ennemis de la sainte patrie.
Ce 26 maL
J'ai VU hier soir le vice-chancelier ; il m'a d'abord serré la main,
ce qui est pour lui un grand signe de satisfaction ; puis il m'a dit
qu'il avait envoyé sur-le-champ ma lettre à l'impératrice et que
282 LE COMTE DE FERSEN
S. M. impériale^ approuvant fort votre idée sur M. de Lucknery me
ferait seconder par son ministre à Copenhague, si j'étais disposé à
prendre ma route par le Danemark. J'ai témoigné reconnaissance
de cette nouvelle marque de bonté, et, vraisemblablement, je serai
expédié peu de jours après le départ du prince de Nassau, parce que
M. d'Esterhazy, en nous caressant chacun suivant nos positions, aura
le plus sensible plaisir à nous voir tourner les talons. Il ne dissimule
pas que nous voyons trop clairement la nullité de ses soins en faveur
des princes, et l'art qu'il met à les endormir tant qu'il peut, pour
rester ici, sans rien faire que de se ménager une faveur personnelle
qu'il entre dans les vues de l'impératrice de lui prodiguer. Il n'est
jamais si bien traité que dans les instants où les affaires marchent le
moins, et l'impératrice dit alors : <ic H faut bien consoler ce pauvre
M. d'Esterhazy, il est si à plaindre, d Alors aussi une robe de cham-
bre, un frac le rend heureux, comme je le serais si j'avais à annoncer
l'embarquement effectué de vingt mille Rosses.
J'ai l'honneur d'être, avec le plus respectueux attachement.
Monsieur le baron.
Votre très-humble et très-obéissant serviteur.
Le marquis de Bombelles.
Apostille. Vous verrez, monsieur le baron, ce que je dis dans ma
lettre d'hier au comte d'Ostermann relativement aux projets de feu
l'Empereur pour nous laisser, sauf le changement du veto, la consti-
tution actuelle : j'ai eu des notions certaines & cet égard.
Je charge le chevalier de Belzunce de vous dire ce qu'il a vu, ce
qu'il a entendu sur le soin que prend M. d'Esterhazy d'entretenir &
Coblence l'humeur qu'il devient si difficile d'avoir contre vous. Pour
cela, on me représente comme un pécheur converti qui a pris sur lui
bien des choses que vous désapprouvez ; mais cette tournure sera
déjouée par les exacts rapports du prince de Nassau, et M. d'Ester-
hazy voit que l'impératrice vous juge trop bien en ce moment pour
oser vous rattaquer envers elle.
ET LA COUR DE FRANCE. 283
CXCVII.
DU MARQUIS DE BOMBBLLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR DE
SAINT-PIÉTEBSBOURG, AU COMTE d'oSTERMANN , VICE-CHANCELIER DE
RUSSIE (1).
( Annexe à la lettre du marquis de Bomhelles au baron de Breteuil ,
du 24 mai 1792.)
Monsieur le comte ,
Je me hâte de mettre sous les yeux de Votre Excellence une copie
authentique du rapport que le général Beaulieu adressa le 30 avril
an maréchal Bender.*
L'endroit souligné^ dans lequel cette copie diffère de ce qui a été
imprimé en lettres italiques dans le journal de Bruxelles, ne permet
pas de douter qu'alors le gouvernement des Pays-Bas était encore
imbu d'idées défavorables aux princes et à la noblesse, idées qui,
j'espère, n'existent plus à Vienne. Il n'en est pas moins remar-
quable que, dans la joie d'un éclatant succès, on ait voulu laisser
ignorer au public les éloges donnés par M. de Beaulieu à la bonne
conduite de 200 chevaliers français.
En m'envoyant les pièces ci-jointes, on m'ajoute que cette réticence
n'annonce pas une volonté bien favorable pour la cause du roi, des
princes et de la monarchie. ^
Croyez, je vous en supplie, monsieur le comte, que cette cause a
plus que jamais besoin de l'instante assistance de Catherine II. Je
n'aime pas à forger des chimères pour les combattre ; je suis per-
suadé que le roi de Hongrie mettra dans la conduite de nos affaires
une marche plus digne de ce prince que celle que l'on voulait tenir
ci-devant ; mais que n'avons-nous pas & redouter des mêmes hommes
qui, sous le précédent règne, étaient parvenus à persuader qu'en
(1) D*aptè8 nne copie que le baron de Bietenil a envojée an comte de Feraen ; dans les
papiers de ce dernier.
284 LE COMTE DE FERSEN
obtenant an roi de France le veto absolu , il fallait laisser subsister
tout l'ensemble de sa nouvelle constitution? J'ai Thonneur de ré-
péter à Votre Excellence que je ne pense pas qu'on amène jamais le
roi de Hongrie à méconnaître à ce point ce que tout souverain doit à
l'honneur des couronnes. MaiS; au train que prennent les choses, il
est possible qu'en peu de temps la détresse des rebelles les force à
tenter de négocier. Tous les calculs politiques seront présentés au
roi de Hongrie sous les apparences de ce qu'il devra au repos de ses
sujets, à l'économie de ses finances, et à une économie plus touchante
pour ce souverain : celle du sang humain. L'exagération des anciens
abus facilitera l'adoption d'un arrangement quelconque, et nous cour-
rons risque de passer de l'anarchie aux cruelles langueurs résul-
tantes d'une constitution qui, sous le prétexte de balancer les pou-
voirs, les rendra tous insuffisants.
L'impératrice, monsieur le comte, l'impératrice peut seule sauver
le trône de Louis XY I de ce nouveau genre de .calamité. Oui, le salut
de la France tient & ce qu'indépendamment de toute autre considé-
ration, 7 à 8,000 Russes arrivent sur les bords du Rhin, aussi vite
qu'il sera physiquement possible de les y conduire. Ce noyau d'ar-
mée donnera son nom à tout ce qui se réunira sous les ordres des
princes, et quelques milliers de Russes, se rendant par Wismar à
Coblence^ en attendant qu'il plaise à S. M. d'envoyer des renforts,
suffiront pour composer à l'impératrice une armée qui de minute en
minute deviendra plus puissante, tant par la multitude de Français
qui s'y réuniront que par la confiance qui les fixera sous les bannières
de Catherine II.
Soit à tort, soit à raison, nous pouvons être inquiets de toute autre
ntervention, tandis que nous n'attendons que des bienfaits de l'im-
pératrice. Les Français, et je n'en excepte pas nos princes, obéiront
à tout ce qu'elle prescrira, parce que l'univers sait comme pense
S. M^ Impériale, et comme elle est invariable dans ses hautes pen-
sées.
C'est sur cette constance dans les plus nobles volontés que nous
fondons nos plus grandes espérances ; non,, monsieur le comte, nous
n'aurons pas le tourment de languir cinq à six mois jusqu'à ce que
l'étendard russe se marie à celui de Bourbon. L'impératrice a sûre-
ment daigné prendre en considération ce que deviendraient pendant
cette longue attente nos princes et tous les bons Français, enchâssés
ET LA COUR DE FRANCE. 285
on dispersés dans des années dont on voulait même leur interdire
Faccës ; quelle peine n'auraient-ils pas & faire valoir leurs justes ré-
clamations, et quel tourment serait-ce pour ces braves défenseurs du
trône que de se voir peut-être réduits à paraître ratifier des conven-
tions funestes I
Après avoir assuré à Votre Excellence que dans aucune circons-
tance; et dans aucun temps, Timpératrice ne donnera au roi mon
maître une marque plus essentielle de son amitié qu'en unissant
des troupes russes à la noblesse française, j'ai l'ordre d'ajouter qu'il
n'y a jamais eu de moment où les princes aient eu un plus pressant
besoin des nouvelles marques de la générosité de S. M. Impériale.
M. le baron de Breteuil, qui se trouve à portée des événements,
pense que les échecs que viennent d'essuyer les rebelles feront ar-
river aux frères du roi tout ce qui pourra déserter une cause impie,
n me mande qu'il connaît trop bien Votre Excellence pour n'être pas
sûr qu'elle comprendra, mieux qu'on ne peut le lui exposer, combien il
serait important que les princes fussent & même de satisfaire aux
premiers besoins de tout ce qui se rendra près d'eux.
n serait également important que S. M. Impériale mît le comble
à tout ce qu'elle a fait en faveur du trône français, en voulant bien
déclarer à toutes les cours que, conformément à l'honneur que les
princes ont reçu d'elle par l'envoi d'un ministre, elle marque dé-
sormais leur place, et celle de tous leurs adhérents, immédiatement
à côté des campements russes.
Ma confiance dans les sentiments de Votre Excellence me rend
moins attentif à bien des ménagements que prescrit la politique en
s'adressant au vice-chancelier d'un grand empire. Je suis comme «et
homme qui, n'ayant plus qu'un moment à vivre, n'a rien à dissimu-
ler. Si cependant mon zèle paraissait indiscret, je réclamerais l'in-
dulgence de l'amitié de Votre Excellence, et, lorsque je dis ce que j'ai
l'ordre de dire, et ce que je pense, à un ministre que je respecte
comme mon père, je ne crains pas qu'il m'expose à l'inconvénient
d'aller au delà du but.
Je suis, etc.
286 LE COMTE DE FERSEN
CXCVIIL
DU COMTE DE FERSEN A LA BEINE MARIE- ANTOINETTE (1).
N» 8. Ce 2 jmn 1792.
La Prusse va bien, c'est la seulesur laquelle vous puissiez compter.
Vienne a toujours le projet du démembrement et de traiter avec les
constitutionnels. L'Espagne est mauvaise. J'espère que l'Angle-
terre ne sera plus mauvaise. L'impératrice sacrifie vos intérêts
pour la Pologne. Notre régent est bien pour vous, mais il ne
peut rien, ou peu de chose. Il va chasser l'homme qui lui a été
envoyé ; c'est pour cela qu'il rappelle son chargé d'affaires. H a en-
gagé l'impératrice à faire* de même. Tâchez de faire continuer la
guerre, et ne sortez pas de Paris. M'avez-vous envoyé les blancs
seings, et à quelle adresse? M"* Tosc. (2) vous remettra mes
lettres.
La tête de l'armée prussienne arrive le 9 juillet. Tout y sera le
4 août. Ils agiront sur la Moselle et la Meuse, les émigrés du côté
de Philipsbourg, les Autrichiens sur Brisgau. Le duc de Brunswick
vient le 5 juillet à Coblence, quand tout y sera arrivé. Le duc de
Brunswick avancera, masquera les places fortes et avec 36,000 hommes
d'élite marchera droit sur Paris. L'impératrice envoie 15,000 hommes,
dont 3,000 de cavalerie. Us débarquent à Wismar et marchent par
l'Allemagne. Elle a fait entrer le 22 [juin] 30,000 hommes en Po-
logne.
Le V. de C... (3) est de retour. Il porte l'assurance positive du roi
de Prusse qu'il n'écoutera aucune négociation ni arrangement ; qu'il
veut que le roi soit libre et maître de faire alors telle constitution
qu'il voudra. Il désire que le roi le sache , que cette résolution de
sa part ne changera pas , et qu'il peut y compter. H fournit l'ar-
gent pour les troupes qui passeront.
(1) Copiée sur la minute de la main dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : £n bknc
à Gog, par madame Toic,
(2) Madame Toscani, Burveillante de la maison de >C. Crawford à Paris.
(3) Vicomte de Caraman.
ET LA COUR DE FRANCE. 387
CXCIX.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1),
Bruxelles , ce 8 juin 1792.
Sire,
Le vicomte de Caraman est de retour de Berlin ; il a vu le roi de
Prusse et le duc de Brunswick à Magdebourg, et il a rapporté de la
part de S. M. Prussienne l'assurance la plus positive que rien
ne la détournera de son projet de secourir le roi de France et de
rétablir la monarchie; qu'elle ne se laissera arrêter par aucune
autre négociation ou proposition d'accommodement, avant que
le roi de France ne soit en parfaite liberté, et qu'elle entend qu'il
soit maître alors de former tel gouvernement qu'il jugera à propos.
Le roi de Prusse a désiré qu'on fit parvenir au roi de France cette
assurance positive de sa part. S. M. Prussienne a aussi communiqué
au vicomte de Caraman une lettre qu'il recevait de l'impératrice,
où cette princesse lui mande qu'elle envoie 16,000 hommes, dont
3,000 de cavalerie, pour agir contre la France. Ces troupes débar-
queront en Allemagne et continueront ensuite leur marche par terre.
Le roi de Prusse s'est engagé aussi & fournir aux princes français la
solde des troupes françaises qui passeraient de leur côté. La tête de
l'armée prussienne arrivera le 9 juillet à Trêves, et le reste succes-
sivement, de sorte que les 50,000 hommes seront tous réunis le
4 août. Les Autrichiens doivent être rendus &la même époque dans le
Brisgau. Le duc de Brunswick sera à Coblence le 5 juillet. L'armée
prussienne agira sur la Moselle et la Meuse ; les princes, avec les
émigrés français, du côté de Philipsbourg ; les Autrichiens, du côté
du Brisgau. On formera des 56,000 hommes qui sont dans les
Pays-Bas un détachement de 12 à 15,000 hommes aux ordres
du général Clairfait, qui agira, de concert avec l'armée prussienne,
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^ au
Roi.
288 LE COMTE DE FEBSEN
sur cette frontière. Le reste, aux ordres du duc Albert, servira pour
contenir ce pays-ci, et agir, s'il est nécessaire. Lorsque les troupes
seront ainsi disposées, le duc de Brunswick fera avancer le tout
pour masquer les places fortes françaises, et avec 36,000 hommes
d'élite il compte marcher droit sur Paris, pour détruire ce foyer d'in-
surrection et d'horreur, et délivrer le roi. Ce plan a été communiqué
et accepté par la cour de Vienne. Malgré cela, je crois être sûr que
le projet de ce cabinet est encore de négocier plutôt que d'agir, et qu'il
conserve toujours celui de démembrer la France ; mais je n'ai aucune
certitude jusqu'à quel point celui de Berlin voudra y concourir : à
en juger des assurances du roi et de ses ministres, on devrait êtr«
rassuré sur cette crainte, et j'espère que nous trouverons des moyens
pour l'empêcher. Y. M. est sans doute instruite des mauvaises dis-
positions de l'Espagne, et combien peu on peut comifter sur ses se-
cours. Le roi de Sardaigne se dispose & agir efficacement ; il a à sadis-
position 15,000 hommes de troupes autrichiennes , que feu l'Empe-
reur avait fait passer dans le Milanais, pour assurer la tranquillité
des États de ce prince. Les Suisses agiront en faveur du roi de France
s'ils sont réclamés par quelque grande puissance, et si on leur assure
le remboursement de leurs frais. Dans la crainte que les ordres que
y. M. a envoyés au sieur Bergstedt ne fussent interceptés à la
poste de Paris, qui est toute entre les mains des jacobins, je lui
ai écrit pour l'en prévenir, et l'autoriser à pa rtir sur ma lettre ,
dans le cas où les ordres de Y. M. ne lui fussent pas parve-
nus. Je me suis déjà occupé du soin d'exécuter ceux que Y. M.
me donne pour trouver quelqu'un qui puisse informer Y. M.
de ce qui se passe, et continuer à lui envoyer les feuilles tous les
jours de courrier. J'espère y réussir, malgré la surveillance, qui est
extrême et qui effraie tout le monde.
ET LA COUR DE FRANCE. 289
ce.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 6 juin 1792.
[En clair.]
J'ai reçu votre lettre n** 7 ; je me suis occupée sur-le-cliamp de
retirer vos fonds de la société Boscaris. Il n'y avait pas de temps à
perdre , car la banqueroute a été déclarée hier et ce matin la chose
était publique à la Bourse. On dit que les créanciers perdront
beaucoup. — Voici l'état des dilfférents objets que j'ai entre les
mains : •
[En chiffre.]
Il y a des ordres pour que V armée de Luckner attaque incessam-
ment; il s'y oppose, mais le ministère le veut. Les troupes manjttent de
tout et sont dans le plus grand désordre.
[En clair.]
Vous me manderez ce que je dois faire de ces fonds. Si j'en
étais le maître, je les placerais avantageusement, en faisant l'acqui-
(1) Le comte de Fereen a écrit de sa main en marge : 10 juin 1792 reçu; rép. le 11. —
Cette lettre, ainsi qne les suivantes du 7 juin n® CCIII, du 23 juin n® CCXII, du 26 juin
no CCXIII, du 7 juillet n* CCXXII,du 11 juiUet n» CCXXV, du 15 juillet n» CCXXVII,
du 21 juUlet no CCXXIX, du 24 juiUet no CCXXXI et du 1" août n» CCXXXVI ne
sont pas de la main de la reine , mais indubitablement écrites selon ses ordres , et arec
ses données sur les événements, par un fidèle serviteur, probablement M. de Gognelat ; car
dans une lettre du comte de Fersen à la reine du 80 juin 1792 (voir ci-après le liP CCXVII)
il dit : Vous devriez charger Gog. de tiC écrire tout les dimanche* et les mercredis, pour me don"
ner des détails de ce qui se passe. Sous le déguisement d'une correspondance d'affaires ces
lettres contiennent des nouvelles très-intéressantes sur la situation de la famille royale et
sur les événements politiques, surtout quand on connaît la source de cette correspondance.
Le comte de Fersen y figure sous le nom de M. Rignon. Nous avons comparé la date des
réponses avec le reg^tre des lettres expédiées par le comte de Fersen, registre encore con-
servé dans ses papiers, ainsi qu'avec le contenu de ses réponses ici publiées, avec les dates
et numéros écrits de la main du comte sur les lettres mentionnées, et tout donne la cer-
titude que ces lettres appartiennent à la correspondance de la reine.
T. II. 19
290 LE COMTE DE FERSEN
sition de quelques beaux domaines du clergé; c'est, quoi qu'on en
dise , la meilleure manière de placer son argent. Vous pourrez me ré-
pondre par la même voie que je vous écris.
Vos amis se portent assez bien. La perte qu^ils ont faite leur donne
beaucoup de chagrin. Je fais ce que je peux pour les consoler. Ils
croient le rétablissement de leur fortune impossible, ou au moins
très-éloigné. Donnez-leur, si vous le pouvez , quelque consolation à
cet égard ; ils en ont besoin ; leur situation devient tous les jours
plus affreuse. Adieu. Recevez leurs compliments et l'assurance de
mon entier dévouement.
CGI.
NOTE CONFIDENTIELLE DU DUC DE SUDERMANIE, R:ÉGENr DE SUEDE,
AU COMTE DE STACKELBERG , AMBASSADEUR DE RUSSIE A LA COUR DE
STOCKHOLM, DU 5 JUIN 1792 (1).
(Annexe à la lettre du duc régent au comte de Fersen^ du 26 juin
1792, n« CCXV.)
Le duc de Sudermanie a reconnu, dans la communication amicale
que S. M. l'impératrice de Russie vient de faire parvenir au roi,
par son ambassadeur extraordinaire le comte de Stackelberg, de ses
intentions par rapport à la Pologne, les mai*ques les moins équivo-
ques de la confiance intime qui, du temps de feu S. M., de
glorieuse mémoire, a été si heureusement établie et consolidée entre
les deux cours, et que le duc cherchera, en toute occasion, de main-
tenir, autant par une suite des sentiments distingués dont il est pé-
nétré pour la personne de S. M. l'impératrice que par le zèle qu'il
mettra toujours à remplir les engagements réciproques qui , pour le
bonheur, l'intérêt et l'utilité des deux États, subsistent entre le roi
et S. M. Impériale, en vertu du traité d'amitié et d'union, par lequel
(1) D'après une copie annexe à la lettre originale da duc de Sudermanie, régent de
Suède, au comte de Fersen, du 26 juin 1792, n^ CCXV.
ET LA COUR DE FRANCE. 291r
LL. MM. ont resserré encore plus les liens étroits qui les unissent l'une
à l'autre.
Par les communications faîtes à S. M. Impériale , tant du vivant
du feu roi que depuis , elle connaît déjà toutes les circonstaiices de
la négociation entamée entre la Suède et l'Espagne relativement
aux affaires de France. Il serait donc superflu de répéter ici les pro-»
positions de feu S. M., et les réponses de la cour d'Espagne à ce sujet.
S. M. Impériale aura sans doute remarqué que le zèle généreux
du roi ne fut retenu dans son exécution que par l'impossibilité où
il se trouvait de fournir de ses propres fonds aux dépenses néces-
saires peur cet effet; qu'il s'est vu obUgé, par cette même raison ,
de demander de l'Espagne^ dès le commencement^ comme une con-
dition indispensable (et sine qua non) y le paiement de douze
millions de livres tournois et une lettre de crédit pour tout ce que
les dépenses pouvaient outrepasser cette somme. Les réponses que
le cabinet d'Espagne a données, à différentes reprises , ne laissent
pas le moindre doute qu'il ne fût très-porté à entrer dans ces vues
du roi. L'époque du paiement parut seul rencontrer quelques dif-
ficultés , et S. M. Impériale sait combien ces retards ont été nui-
sibles à la cause commune , en laissant le roi hors d'état de prendre
d'avance toutes les mesures nécessaires. Néanmoins le roi, persuadé de
labonne volonté de S. M. C.,avaitpris, dans le courant de l'année passée,
plusieurs arrangements par rapport à une expédition par mer, et
qui occasionnèrent des dépenses considérables , dont une partie de-
vait être remboursée au commencement de l'année présente par
une remise immédiate de quatre millions^ indépendamment de
douze mentionnés pour l'expédition de cette année, et qui devaient
être fournis incessamment après, pour mettre le roi en état d'agir.
On attendait au mois d'avril les lettres d'avis pour les sommes con-
venues , lorsque le changement arrivé dans le ministère espagnol
arrêta tout d'un coup les effets de toutes ces promesses , et on n'a
eu jusqu'ici ni le remboursement des dépenses faites, déjà très-con-
sidérables , ni les fonds nécessaires pour l'expédition projetée.
L'intention clairement manifestée de feu S. M. ayant par consé-
quent été de n'entrer dans aucune mesure hostile et de ne faire agir
les troupes suédoises contre la France qu'aux conditions susmen-
tionnées d'un secours suffisant de la part de l'Espagne, le duc, en
sa qualité de régent seulement et de tuteur du roi son neveu, pourra
292 LE COMTE DE FERSEN
encore moins transgresser ces principes établis par le feu roi, surtout
dans un moment où des considérations fondées sur la situation inté-
rieure du royaume s'y opposent. Le régent n'attend que l'accomplis-
sement des conditions que le cabinet d'Espagne a adoptées pour
s'occuper sérieusement de toutes les mesures nécessaires, afin de
pouvoir alors prendre une part active dans les affaires de France, et
le duc verrait avec plaisir le moment où il pourrait suivre à la fois
la volonté prononcée d'un frère chéri, et plus que regretté, et son
propre désir de concourir, pour sa part, au but salutaire de S. M.
Impériale, d'autant plus qu'il croirait y trouver un moyen de plus
pour manifester son empressement de conserver et de consolider
l'amitié intime et sincère, que les deux cours se font un plaisir et
un devoir de se témoigner réciproquement Mais le duc croirait mal
répondre à ce qu'il doit à la mémoire d'un grand roi, s'il se permet-
tait jamais de se départir des conditions expresses et indispensables
sur lesquelles ce monarque a trouvé nécessaire, dans sa sagesse, d'ap-
puyer exclusivement, pour l'intérêt de son royaume ; et S. M. Impé-
riale, par une suite de sa magnanimité ordinaire et de ses sentiments
connus pour un ami tendrement regretté, dont elle apprécie d'autant
plus toutes les grandes qualités qu'elle les possède elle-même au
plus haut degré, reprocherait sans doute au duc, s'il était capable
d'oublier un instant des devoirs aussi sacrés pour lui, et s'il s'é-
cartait en rien de la marche que lui a tracée à cet égard feu le
roi son frère. Le duc n'a cependant pas perdu l'espoir de se voir en
état de faire participer la Suède dans l'expédition contre les rebelles
en France. Le changement dans le ministère espagnol, quelque
peu favorable qu'il parût au commencement pour cette affaire, n'a
occasionné jusqu'ici aucunes mesures ultérieures dont on pourrait
conclure à un changement effectif du système politique de cette cour,
n paraît, au contraire, que le comte d'Aranda commence à revenir
de ses erreurs, et le baron d'Ehrensvaerd, ministre du roi à Madiîdy
a reçu les ordres les plus positifs d'y travailler de son côté de toutes
ses forces, et de presser le cabinet d'Espagne à remplir sans délai les
engagements dont dépend uniquement la part active que prendra ou
non la Suède aux affaires de France.
ET LA COUR DE FRANCE. 293
CCII.
DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR
DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL (1).
Saint-Pétersbonrg, ce 5 juin 1792.
Monsieur le baron,
Le prince de Nassau, qui devait décidément partir hier au soir,
a été retenu jusqu'à demain, et peut-être après-demain, par l'arrivée
d'un courrier qu'a expédié le comte de Romanzoff. Il a apporté des
détails sur le voyage de M*' l'évoque de Pamiers à Coblence, voyage
dont on avait eu nouvelle samedi dernier, et dont on espérait savoir
par moi l'objet. Ce que j'en ai pu découvrir, monsieur le baron, me
fait regretter de n'avoir pas été instruit par vous d'une démarche
qui , fort bonne dans l'aperçu, a eu lieu trop tard. Je sais qu'elle
n'a pas plu à l'impératrice, et nous eussions paré à cet inconvénient
si j'avais été mis à môme de l'en prévenir et d'user des moyens que
me donûe maintenant la connaissance de ce pays.
J'ai dit , monsieur le baron, que j'aurais vraisemblablement de vos
nouvelles par l'ordinaire prochain, et que si je n'en recevais pas,
c'est que vous pouvez penser que je n'étais plus ici.
Vous aurez vu qu'il n'était plus possible d'arrêter les affaires de
Pologne, et j'ai lieu de présumer que le vicomte de Caraman a été
trompé à Berlin sur le haut ton qu'on annonçait avoir été pris par
la Prusse et l'Autriche pour empêcher l'impératrice d'aller en avant
contre les Polonais. Rien n'annonce que les cours de Vienne et de
Berlin soient dans ce moment tentées d'élever la voix d'une manière
qui déplaise.
L'ambassadeur de Hongrie est très-fraîchement traité et redouble
de souplesse. Le ministre de Prusse , conformément à des ordres re-
çus et réitérés , se rend le plus agréable qu'il peut.
( 1 ) D'après tme copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fersen ; dans les
papiers de ce dernier.
294 LE COMTE DE FERSEN
Un fait certain , mais tenu fort secret , sert à confirmer dans l'o-
pinion qu'ici l'on est content de Berlin. On va donner à connaître
(si cela n'est pas encore fait) que l'impératrice ne veut pas interve-
nir dans le traité conclu entre les rois de Hongrie et de Prusse, mais
que S. M. L est très-disposée à s'allier directement à S. M. Prus-
sienne par un traité direct et séparé. Le succès de cette négocia-
tion n'aurait rien de fâcheux pour nous , et je pense que nous avons
intérêt à en dérober la connaissance au cabinet de Vienne. Celui-ci
est peint des plus noires couleurs par le nouvel ambassadeur Ra-
zoumowsky, et le ministre de Russie à Madrid ne voit pas avec des
yeux plus indulgents la marche qui se tient en Espagne. En atten-
dant, on va pourtant se déterminer à faire marcher, sans ultérieurs
délais, les troupes russes qui ne doivent s'acheminer vers le Rhin
que lorsque les affaires de Pologne seraient arrangées suivant la vo-
lonté de l'impératrice. C'est le comte d'Ostermann qui, remué par le
sentiment de l'équité, et par ce qu'il a vu qu'il convenait de faire, a
emporté cette détermination, et s'est procuré l'ordre de la signifier
dans les termes les plus précis en répondant à l'oflSce de la cour de
Vienne.
J'apprends, monsieur le baron, que les princes font à l'impéra-
trice un exposé très-touchant de leur détresse ; ils doivent aussi avoir
mis sous les yeux de S. M. I. une dépêche du duc de Polignac qui
rend compte d'une conversation dans laquelle le vice-chancelier
Cobenzl lui a tenu les propos les plus alarmants sur la conduite à tenir
envers la France. Je sais de bonne part que, dans la note remise
au Danemark par le ministre autrichien, on y parle clairement
d'une constitution mitigée à donner aux Français. On renouvelle
aussi de tous côtés les soupçons et les assertions calomnieuses sur le
projet soi-disant formé par vous et envoyé à feu l'empereur Léopold,
projet inséré dans les feuilles de M»^ l'abbé de Fontenay. J'ai pris
la liberté de vous dire déjà combien il me paraissait instant de faire
connaître vos principes où il est essentiel qu'ils soient appréciés.
J'ai l'honneur d'être.
Monsieur le baron,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Le marquis DE Bombelles.
ET LA COUR DE FRANCE. 295
CCIII.
I)E LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 7 juin 1792.
[En ckifreJ]
Mes constit. (2) font partir un homme pour Vienne j il passera par
Bruxelles; il faut prévenir M, de Mercy de le traiter comme s'il était
annoncé et recommandé par la R. (3) , de né ff acier avec lui dans le sens
du mémoire que je lui ai remis. On (4) désire qu'il (5) écrive à Vienne
pour r annoncer j recommander qu'on lui tienne mon voyage secret et
dire qu'on se tient au plan fait par les cours de V. (6) et de B.(7),
mais qu'il est nécessaire de paraître entrer dam les vues des const, et
de persuader surtout que c'est diaprés les vœux et les demandes, de ta
R. (3) ; ces mesures sont très-nécessaires.
Ce n'est pas F abbé Louis qui part ;je ne sais pas le nom de celui
qui le remplace.
Dites à M, de Mercy qu'on ne peut pas lui écrire, parce qu'on est
trop observé,
[En clair,"]
Voflà la situation dé vos affaires avec Boscary et Chol, dont je
vous ai appris la faillite dans ma dernière lettre. J'attends des nou-
velles de la Rochelle pour vous mander où vous en êtes avec Da-
(1) Voir la note à la lettre précédente n^* CC. Le comte de Fersen a écrit en marge :
\hjidn reçu; réporue le 21 juin. Dans une lettre du comte de Fersen au baron de Taube
du 20 juin la même année, le comte de Fersen répète les mêmes expressions que contient
.cette lettre, disant : Le pauage de la lettre de la reine qui démontre clairement tes intew
•iions est intéressant j je Vai envoyé à Stedingk^ le voici.
(2) Les constitutionnels.
(3) Reine.
(4) Le roi et la reine de France.
(6) M. de Mercy.
(6) Vienne.
(7) Berlin.
296 LE COMTE DE FERSEN
niel Gareché et Jacque Guibert; ce que je sais, c'est que leur faillite
n'est pas très-considérable. Vous auriez mieux fait, comme je vous
l'avais conseillé, d'acheter du bien du clergé que de placer vos fonds
cbez des banquiers. Si vous voulez, j'emploierai de cette manière
ceux qui vont vous rentrer dans le mois prochain.
J'ai reçu vos n** 7 et 8.
CCIV.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1).
Bruxelles, ce 10 juin 1792.
[^En clair.]
Mon cher ami, J'ai reçu vos deux lettres du 22 et 28, et celle da
8 mai avec le paquet dont le baron de Damas s'était chargé.
[En chiffre.]
La réponse faite & l'impératrice me paraît fort bonne ; on voit clai-
rement qu'elle ne tient aux affaires de France que par amour-pro-
pre et vanité, et que son intérêt se porte tout entier sur la Polo-
gne : elle veut embrasser trop de choses à la fois, et elle trouvera
plus de résistance qu'elle ne croit en Pologne.
Bombelles mande, du 15 mai, que les 15,000 hommes qu'elle des-
tine contre la France ne pourraient marcher au plus tôt que dans
six semaines, car elle compte vers ce temps avoir terminé les affaires
de Pologne ; qu'elle veut joindre nos 6,000 hommes aux siens sous
les ordres du prince de Nassau et agir avec les émigrés français.'
Vous voyez à combien de lenteur cela entraîne, et l'activité que le
roi de Prusse y met dans ce moment, si elle se soutient, rendra ses
(1) Lettre autographe, déchîffrf^e delà main du baron de Taube..
ET LA COUK DE FRANCE. 297
seconrs inutiles. L'idée d'une correspondance établie par le moyen
de Souboff est très-bonne , mais on doit y mettre un grand secret, &
cause des ministres russes. J'ai lieu de croire qu'il entre encore dans
les projets de la cour de Vienne de former un congrès à Vienne ou
ailleurs, soit avant les opérations, soit pendant leur durée. Vous
sentez, mon ami, combien cette mesure serait pernicieuse dans
l'état des choses actuelles, et ce n'est plus la volonté du roi de
France ; les circonstances sont changées depuis qu'il en avait fait
la demande. Il sera donc essentiel de prévenir sur cela l'impératrice,
et de donner des instructions en conséquence aux différents minis-
tres, ou s'y opposer, si cette idée était produite. Ee prince de Nas-
sau, quoique envoyé des princes, s'est conduit à merveille pour le
roi de France et le baron de Breteuil ; il a été fort utile à M. de
Bombelles en contenant un peu M. d'Esterhazy : c'est là la raison
qui aura sans doute engagé Stedingk à s'appuyer de lui et à se diri-
ger d'après ses conseils.
[ En clair. ]
Je m'occupe de trouver quelqu'un à Paris en état de donner des
nouvelles bonnes et sûres , mais je crains que , sans le payer, cela
sera impossible. Personne n'ose plus écrire, et la crainte d'être
compromis, soupçonné et arrêté, empêche tout le monde d'écrire,
rend la chose fort difficile , et retient beaucoup de gens qui y seraient
très-propres.
On attend une attaque à tout moment. Luckner est sorti de Valen-
ciennes, et il a joint LafayetteàBavay : c'est à trois heures de Mons.
Lafayette s'y était rendu du Givet avec 15 à 20,000 hommes, à ce
qu'on dit. Adieu, mon meilleur ami ; croyez toujours à ma tendre
amitié.
298 LE COMTE DE FERSEN
CCV.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1).
No 9. Ce 11 juin 1792.
Le roi de Prusse veut que vous sachiez que le chevalier de Boufflers
retourue à Paris ; qu'il lui a demandé ses ordres, mais que, comme îl
en a mauvaise opinion, il ne lui a rien dit, et que ce chevalier ne con-
naît aucunement ses dispositions, et qu'ainsi vous n'ajoutiez aucune
foi à tout ce qu'il pourrait vous dire, n'étant chargé de rien. Je croîs
que vous ferez bien de ne pas le voir du tout.
Mon Dieu ! que votre situation me peine; mon Ame en est vive-
ment et douloureusement affectée. Tâchez seulement de rester à
Paris, et on viendra à votre secours. Le roi de Prusse y est décidé,
et vous pouvez y compter.
L^impératrice nous a demandé 6,000 hommes, mais il nous faut
de l'argent. Vous ne m'avez pas dit si vous m'avez envoyé les blancs
seings, et par où et comment.
CCVL
DU COMTE DE ^FERSEN AU ROI DE SUÈDE (2).
BmzeUes, le 18 juin 1792.
Siro,
Je reçois dans ce moment des nouvelles très-f&cheuses de Paris.
La situation de LL. MM. devient tous les jours plus affreuse, et elles
(1) Lettre expédiée en chiffre. Copiée snr la minute de la main du comte de Fersen, qui
a écrit en marge : Chiffre à la reine par Gog, à madame Tosc,
(2) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Ckifre au
roi.
ET LA COUR DE FRANCE. 299
regardent leur délivrance comme impossible, ou du moins fort
éloignée. Les jacobins gagnent tous les jours plus d'autorité et sont
maîtres de tout, par un prestige et une lâcheté qui font honte à la
nation française ; car ils sont dans le fond détestés et le mécontente-
ment contre eux est très-grand. Us ont le projet d'emmener LL. MM.
avec eux dans l'intérieur du royaume et de s'appuyer de l'armée qu'ils
ont eu soin de former dans le Midi, composée de celle de Marseille
et de tous les brigands d'Avignon et des autres provinces. Ce projet,
quelque contraire qu'il soit au véritable intérêt de la ville de Paris,
qui le sent , pourrait bien réussir, surtout depuis le licenciement de
la garde du roi ; car, depuis cette époque , les bourgeois et la partie
de la garde nationale qui voudrait s'y opposer n'ont plus de chefs
ni de point de ralliement , et ils prendront le parti qu'ils ont pris
jusqu'à présent de gémir, de se désespérer, de crier et de laisser faire.
Je ne vois de remède à tant d'horreurs qu'une proclamation très-
forte et très- menaçante des puissances étrangères qui rendrait Paris
ou toute autre ville du royaume responsable de la sûreté de la fa-
mille royale; mais pour avoir tout son effet, il faudrait que cette
proclamation fût appuyée de forces imposantes prêtes à agir, et les
lenteurs de l'Empereur ont tellement retardé le rassemblement de
ces forces qu'elles ne seront réunies que le 4 août, et je crains qu'a-
lors il ne soit bien tard, et cependant je crois qu'il serait peu pru-
dent de la faire avant cetteépoque.
300 LE COMTE DE FERSEK
CCVIL
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1).
Bruxelles, ce 17 juin 1792.
\_En chiffre^
La proposition de l'impératrice d'agir avec les princes et les
émigrés est folle, et peut d'autant moins avoir lieu que le plan du
roi de Prusse est de les séparer en trois corps et de les placer dans
des endroits différents. Je suis de votre avis sur tout ce que vous me
dites de ses projets sur la Pologne et de son peu d'intérêt pour la
France. Cet intérêt avait été créé par notre cher et malheureux maî-
tre, et il est mort avec lui. Les constitutionnels vont envoyer encore
un homme à Vienne, pour négocier dans leur sens et contre les
jacobins : c'est de l'aveu de la reine, et elle a l'air de l'appuyer et
d'approuver tout ce qu'il dira, quoique dans le fond elle désapprouve
tout leur système, et qu'elle sent qu'ils ne peu vent jamais être utiles, .
et que s'ils parvenaient à écraser les jacobins, ils seraient tout aussi
mauvais qu'eux, et que l'attachement qu'ils montrent pour la royauté
n'est qu'un moyen pour s'emparer de l'autorité ; mais sa position
l'oblige de ménager ce parti et d'avoir l'air de marcher avec lui,
pour avoir un appui contre les jacobins ; sans cela il se réunirait à
l'autre, et LL. MM. seraient encore plus mal.
J'ai prévenu M. de Mercy, de la part de la reine , de tout cela ;
mais , comme la première fois, la cour de Vienne pourrait peut-être
encore l'engager à faire un mauvais usage de cet envoi il serait bon
de prévenir là-dessus l'impératrice ; j'en écrirai à Stedingk et à Ca-
risien, il ne m'a pas mandé la réponse du roi de Prusse à l'invitation
de l'impératrice.
(1) Lettre autographe, déchifiErée de la main du baron de Taube.
ET LA COUR DE FRANCE. 301
lEn clair.']
Tout le ministère vient d'être renvoyé, à Paris, excepté M. Du-
mouriez, qui sera probablement chassé dans peu par les jacobins. On
croit que la raison de leur renvoi est le rassemblement de 20,000
hommes à Paris, qu'ils ont proposé et que M. Dumouriez désap-
prouvait. Il faudra voir ce que ce changement produira.
Le roi de Prusse donne 400,000 francs par mois aux princes pour
la solde des troupes qui passeront ; il a proposé au roi de Hongrie
de donner quelque chose pour l'entretien des émigrés qui sont avec
les princes. H a aussi consenti à fournir 6 à 7,000 hommes des
troupes de Westphalie, dans le cas où les gouv. généraux les deman-
deraient. Avec ce secours, et les 7,000 hommes qui vont arriver du
Brisgau, ce pays-ci n'a rien à craindre des Français. Adieu, mon
ami.
CCVIII.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDDsGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE
A SAINT-PÉTERSBOUKG (1).
Bruxelles, ce 18 juin 1792.
Monsieur le baron.
J'ai reçu vos lettres du P' et 25 mai. La dernière m'a été remise
par le chevalier deBelzunce, et j'y vois avec peine que l'intérêt que
l'impératrice semblait prendre aux affaires de France cède au désir
qu'elle a de soumettre la Pologne. Ce désir pourra la mener plus
loin qu'elle ne pense, et elle y rencontrera peu1>être plus de résis-
tance qu'elle ne croit, ce qui rendra le secours qu'elle destine au roi
de France nul ou du moins tardif et sans effet. L'affaire sera décidée
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : ChijfjTre
au baron de Sttdingh,
302 LE COMTE DE FERSEN
avant cette époque par la Prusse et l'Autriche, et la France sera
livrée aux vues intéressées de la cour de Vienne, qui, je crois, con-
serve' toujours le projet de démembrer le royaume, à moins qu'on ne
puisse parvenir à faire adopter & celle de Berlin une marche plus
généreuse et plus désintéressée. Nous avons enfin obtenu du roi de
Prusse l'assurance positive que les princes et les émigrés seraient
compris dans le système des opérations et qu'ils y occuperaient, entre
les armées autrichiennes et prussiennes une place honorable, et telle
qu'ils ont droit de l'attendre par leur rang et leur généreux dévoue-
ment. Le baron de Breteuil est fortement occupé en ce moment à
trouver l'argent nécessaire à leur entretien. Le roi de Prusse donne
400,000 livres par mois pour la solde des troupes qui passeront II a
proposé au roi de Hongrie d'en donner un (1) pour payer les émigrés
qui sont auprès des princes ; il n'y a point encore de réponse à ce
sujet, et il est à croire qu'elle sera négative, à moins que l'exemple
du roi de Prusse ne maîtrise la mauvaise volonté de la cour de
Vienne. — Je viens de recevoir l'avis que les constitutionnels vont
envoyer un homme à Vienne pour négocier dans leur sens. La reine
a l'air vis-à-vis d'eux d'approuver cet envoi et d'appuyer ce qu'il
dira ; mais dans le fond elle désapprouve tout leur système. Elle
sent qu'ils ne peuvent jamais être utiles au rétablissement de l'au-
torité et de la monarchie, et que si, dans ce moment, ils ont l'air de
le vouloir, ce n'est que pour écraser les jacobins , et s'emparer à leur
tour de l'autorité et tenir le roi en tutelle. La reine envisage le parti
des constitutionnels comme tout aussi mauvais que celui des jacobins ;
mais sa position l'oblige à le ménager et à avoir l'air de marcher
avec eux, pour empêcher une réunion entre les deux partis et arrêter
les tentatives des scélérats. Sans cette conduite ils n'auraient plus
de frein, et cette désunion peut être d'un grand avantage au moment
de l'entrée des puissances en France. La reine, en me mandant l'en-
voi de cet ambassadeur constitutionnel, qui doit passer ici, me dit :
Prévenez M. de Meraj de le traiter comme s'il avait été annoncé et
rec(mmandé par moi y et qu'il traite avec lui dans leur sens; qu'il
écrive à Vienne pour l'annoncer ; qu'on lui cache soigneusement que j'y
ai jamuis envoyé, et qu'il est nécessaire de paraître entrer dans les vues
des constitutionnels et de leur persuader surtout que c*est (Câpres mes
(l)UnmilUon.
KT LA COUR DE FRANCE. 303
vues et mes demandes; ces mesures sont absolument nécessaires. Mon
neveu ne saurait se méprendre sur mes véritables intentions.
J'ai communiqué tout cela au comte de Mercj, qui m'a promis
d'en écrire à Vienne dans le même sens ; mais comme je crains que
la mauvaise foi de ce cabinet ne soit tentée de faire un mauvais
usage de cette démarche vis-à-vis des autres cours, j'ai cru néces-
saire de vous en instruire, pour que vous soyez à môme d'éclaircir là-
dessus l'impératrice et de la mettre en garde contre les fausses in-
sinuations que la cour de Vienne paraît être tentée de lui faire à
ce sujet. Quand cet envoi sera ici, je vous ferai part de ce qui lui aura
été dit par le comte de Mercy.
CCIX.
BULLETIN AVEC DETAILS SUR CE QUI s'eST PASSlS AUX TUILERIES
LE 20 JUIN 1792 (1).
A quatre heures , les Tuileries furent investies par environ 50,000
piques ; les cris étaient : A bas monsieur Veto! madame Veto et toute
leur séquelle! etc., etc. La garde nationale paraissait déterminée à
garder et défendre les portes , nul commandement ne les dirigeait.
On a dégarni la porte royale ; trois officiers municipaux ont requis
12 grenadiers, qui y étaient restés, d'ouvrir cette porte ; les piques y
sont entrées à flots. Le roi a vu ce débouché, annoncé par des cris
horribles ; on a fermé les portes de son appartement, on a ouvert
celles des deux premières pièces. La troisième^ celle des Suisses, a
été défendue. C'est alors que les haches ont été levées. Au fracas que
faisait le brisement de cette porte, le roi a demandé son chapeau, et
est entré dans cette salle en commandant avec fermeté qu'on ouvrît
les portes, et disant qu'il voulait se montrer et parler au peuple.
Comme il disait ces paroles, la porte, déjà brisée, a été enfoncée, et
(1) D'après Toriginal envoyé par le chargé d'affaires de Suède & Paris', S' Bergstedt, au
comte de Fenen ; dans les papiers de ce dernier.
304 LE COMTE DE FERSEN
un flot de piques est entré. Quelques grenadiers fidèles et coufageux
ont poussé le roi dans l'embrasure de la troisième croisée, en lui
disant de se fier à eux et de n'avoir pas peur. Peur, a repris le
roi, mettez la main sur mon cosur, et voyez s'il bat plus fort qu'à
V ordinaire. Pendant ce propos remarquable, un piqueur, présentant
la pointe de son arme, criait : Où^s-qu'il est, que je le tue! — M<U-
heureux! lui dit un huissiei? de l'appartement, le voilà, ton roi ,
oseS'tu le regarder? — Les piqueurs et le flot des piques qui l'en-
vironnait ont reculé, saisis d'une espèce de terreur. H s'est fiiit un
moment de silence. Le roi a voulu en profiter pour parler, mais une
inondation de piques est survenue avec de si horribles cris que Dieu
tonnant n'eût pas été entendu. On n'entendait que des injures, des
insultes, des reproches, des menaces. Au milieu de cet infernal spec-
tacle, Madame Elisabeth est venue pour se jeter dans les bras du roi.
Elle a été heureusement recueillie par les grenadiers qui gardaient
cette porte non encore ouverte, et ils l'ont poussée derrière eux, dans
l'embrasure de la quatrième croisée. Elle y est restée trois heures,
ainsi que le roi dans la sienne. On leur a jeté des bonnets rouges,
et, à la prière instante des grenadiers , le roi en a mis un sur sa
tête.
La reine était d'abord dans l'appartement de M. le Dauphin et
avec lui. Aux premiers cris, elle a voulu aller au roi ; mais déjà une
chambre intermédiaire était saisie. Elle criait : Je veux aller mourir
aux pieds du roi. On lui a désobéi, et on l'a menée, malgré elle,
dans la chambre du conseil ; on lui a fait un rempart de la table du
conseil, et un monsieur Blegny est allé appeler des grenadiers qui
gardaient une porte inutile, puisque le peuple était dans les appar-
tements : 200 grenadiers l'ont suivi par im petit escalier ; ils ont en-
vironné la table derrière laquelle étaient la reine et le Dauphin, et
certes ils ont miraculeusement pris et occupé ce poste, car ils étaient
encore dans ce mouvement que l'appartement de M. le Dauphin était
pris, par une porte que le meneur des piques devait connaître mieux
que d'autres, car à peine le peu de gens de service intérieur la con-
naissaient-ils. Les deux troupes piquières sont entrées à la fois par
les portes opposées. M. Santerre , en leur nom en quelque sorte, a
harangué la reine. La reine, avec un courage surnaturel, l'a attiré par
une réponse, un accent et une majesté dignes de Marie-Thérèse. On a
observé qu'à ses paroles les piques avaient reculé. La communication
ET LA COUR DE FRANCE. 305
s'est rétablie de Tappartement du roi à celui de la reine , et par ce
doublement de ces deux appartements les piques revenaient à Tesca-
lier et plusieurs rentraient au lieu de descendre. On est parvenu ,
à Taide des grenadiers, à ramener le roi à la reine. Le peuple se re-
froidissait, s'apitoyait, beaucoup pleuraient. Le maire Pétion les a
harangués, félicités sur leur « brave » conduite, et d'un mot il les a
congédiés.
Jamais courage ne fut plus vrai, plus grand, plus digne que celui
du roi, de la reine et de Madame Elisabeth. La reine a entendu
plusieurs fois demander sa tête, et son visage n'en était pas altéré.
La scène, les acteurs, les moyens, tout a changé. Cette date en
rappelle une semblable et en annonce une autre.
CCX.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
N» 10. Brnxellei, ce 21 inin 1.792.
Que l'on a su à Coblence l'envoi de Gog. à Vienne, le même jour
qu'il est arrivé id, et qu'on a envoyé ce même jour une estafette à
Pét (2) pour en avertir, c'est de là que Bomb. (3) le mande. C'est
sûrement quelqu'un de votre intérieur qui écrit tout aux princes.
Si d'Aranda veut avoir une correspondance directe avec vous , il
faut l'éviter, car il est mauvais et veut négocier, et alors vous êtes
perdus. Que notre régent pense bien , qu'il m'a envoyé des lettres
de notification pour vous, avec ordre de vous les envoyer, sans passer
par vos ministres, avec lesquels nous n'avons pas de communication ;
— que je crains que l'Espagne, l'Angleterre et l'Empereur ne veulent
négocier ; — que nous t&chons d'y parer ; — que l'Empereur a le projet
(1) Lettre expédiée en chii&e et en blanc. Copiée sur la minute de la main dn comte
de Fenen, qni a écrit en marge : Chiffré ttU, àla reine par M, Toic, et Gog,
(2) Saint-Péterebonrg.
(8) De Bombelles.
T. II. 20
306 LE COMTE DE FERSEN
d'un démembrement, et que s'il ne l'obtient de vous, il traitera avec
les constitutionnels et l'obtiendra d'eux, et vous perdriez alors en-
core votre autorité, sans empêcher le démembrement ; — qu'il vaut
donc mieux vous y décider, si cela est inévitable ; quelle est votre
volonté là-dessus? Mais il 7 a peut-être un moyen de l'empêcher,
c'est de donner au roi de Prusse un engagement par écrit pour le
remboursement : il le désire, mais il faut la signature du roi. Il me
reste encore un blanc seing dont je n'ai pas parlé au b... (1). Voulez
vous que j'en fasse usage, si cela peut être utile à nous assurer de
l'opposition du roi de Prusse à tout démembrement ? M'en avez-vous
envoyé d'autres, et comment? Il serait bon que j'en eusse encore trois.
Achetez deux jolis chapeaux à la charlotte de deuil, portez-les chez
M"' Toscani et faites-lui coudre les trois papiers dans le fond, entre
la doublure , et dites-lui de les envoyer à M. Sullivan ; elle sait com-
ment. Le nom peut être écrit en noir, ou même, s'il le faut, en blanc.
Dans ce cas, il faut marquer avec un crayon l'endroit où. est le nom.
On peut même , dans les deux cas, écrire sur une feuille un mémoire
de marchand, car on n'a besoin que de l'autre feuille. Soyez assurée
que je ne donnerai les signatures que si cela est nécessaire et utile.
J'ai fait votre commission à M. de Mercy, il a fort bien entendu,
et doit déj& avoir écrit à Tienne en conséquence. Dans l'affaire ob
Qouvion est mort, Lafayette a perdu 400 hommes, au dire des pay-
sans ; les Autrichiens, 114 morts ou blessés. H leur est arrivé des
renforts, et il n'y a plus rien à craindre. — J'ai prévenu en Russie
et à Berlin de l'envoi du constitu., de crainte qu'on ne soit tenté d'en
faire mauvais usage.
(1) Baron de BreteuiL
ET LA COUR DE FRANCE. 307
GCXI.
BULLETIN DE CE QUI s'eST PASSÉ AUX TUILERIES LE 20 JUIN 1792 (1).
A Paris, ce 21 juin 1792.
Nos maîtres existent, quel miracle! jamais ils n'ont vu le danger
de plus près. Pour moi, qui n'ai pas quitté le Château, je verrai long-
temps 16,000 hommes armés, faisant bonne contenance, se croyant
obligés de céder à deux municipaux qui leur ordonnent, par la loi ,
d'en laisser passer 20,000 avec des piques, haches, escaladant avec
une vitesse terrible les marches du palais. Jamais les vagues fu-
rieuses de la mer ne m'ont semblé si dangereuses. On avait, au nom
du roi, fait éloigner les habits noirs qui gardaient les avenues de son
sanctuaire, tandis que ce malheureux prince les croyait à deux pas.
Trois maréchaux de France, MM. de Beauvejiu , de Mouchy et de
Mailli, avec cinq ou six gardes nationaux et deux ou trois gentilshom-
mes, sont restés seuls avec le roi. Madame Elisabeth , avec le sang-
froid d'une âme admirable , n'a pas quitté un instant son vertueux
frère. La reine , malgré elle , a été arrachée d'auprès du roi : on le
croyait plus sage. Monsieur le Dauphin criait, ainsi que madame sa
sœur, voyant l'état de leur mère, et entendant enfoncer les portes,
lorsque le roi a fait ouvrir la dernière, disant qu'il ne redoutait point
la mort. Son courage a étonné le furieux Santerre. Un des gardes ,
qui était près du roi, m'a dit que ce monstre avait été terrassé en
voyant la vertu si près du vice. Le roi, comme vous le lirez dans les
journaux, n'a cédé à aucune modification sur les décrets où il avait
apposé son veto. Il a seulement daigné répondre à cette horde non>-
breuse que ce n'était pas le moment. Son ton fier, assuré, aux bri-
gands, et ses réponses aux députés de l'Assemblée qui sont venus
ensuite , ont fait l'admiration de ceux qui l'entouraient. Messieurs
Isnard et Merlin ont parlé comme des royalistes nés et sensibles.
^. Pétion, pour ne pas sortir de son caractère comme ces messieurs.
(1) D'après une lettre en chiffre d'une personne témoin oculaire. La lettre a été dé<
cMOErée par un secrétaire du comte de Fersen.
a08 LE COMTE DE FEBSEN
a dit à l'année de Santerre (après qu'elle avait brisé portesjfenêtres,
serrures chez le roi^ la reine, M. le Dauphin et Madame) : Ct-
toyens! vous vous êtes conduits avec dignité^ retoumez^vous-^n de
mime. Ces messieurs ont fait dans le Château , sur les toits, et les
pleins extérieurs un séjour de cinq heures. Ils voudraient y retour-
ner aujourd'hui : l'indignation de l'Assemblée, des départements,
même de la municipalité, doit les en empêcher. Moi, d'après ce que
j'ai vu de mes yeux hier, je ne connais plus d'obstacle à tout ce que
voudront faire les factieux. Toutes les autorités sont nulles , excepté
celle de M. Pétion. On prétend que le département doit le dénoncer
aujourd'hui, comme criminel de haute trahison, ainsi que M. de San-
terre. — Je ne suis sorti qu'à minuit du Château; tout y était calme,
et comme le peuple ne se désheure pas dix-neuf heures, ils étaient
évacués.
ccxn.
DE LA REINE MABIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FEBSEN (1).
Le 28 iuin 1792.
\_En chiffreJ]
Dumounez part demain pour Varm^ée de Luckner; il a promis d^ in-
surger le Bradant. Saint-Hunige (?) part aussi pour remplir le même
objet.
[En clair.']
Voilà l'état des sommes que j'ai payées pour vous. Je vous enver-
rai celui de votre recette lorsqu'elle sera achevée.
Je crois avoir reçu toutes vos lettres. Les deux dernières sont 8
(1) Voix la note à la lettre du 6 juin n<* CC. Ce qui était en chiffre est déchilEré de
la main da comte de Fersen , qui a écrit en marge : Reçu It 29 ; r^. h 80.
ET LA COUR DE FRANCE. 309
et 9. Le n'* 9 était du 11 juin ; je n'ai pas conservé la date de Tautre.
Votre ami est dans le plus grand danger. Sa maladie fait des pro-
grès effrayants. Les médecins n'y connaissent plus rien. Si vous vou-
lez le voir, dépêchez-vous. Faites part de sa malheureuse situation à
ses parents. J'ai fini vos affaires avec lui, aussi à cet égard n'ai-je
nulle inquiétude. Je vous donnerai de ses nouvelles assidûment.
CCXIII.
DE LA REINE MARI£>- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 26 juin 1792.
Je viens de recevoir votre lettre n° 10; je m*empresse de vous en
accuser la réception. Vous recevrez incessamment des détails relatifs
aux biens du clergé dont j'ai fait acquisition pour votre compte. Je
me bornerai aujourd'hui à vous tranquilliser sur le placement de vos
assignats, il m'en reste peu, et dans quelques jours j'espère qu'ils se-
ront aussi bien placés que les autres.
Je suis &chée de ne pouvoir vous rassurer sur la situation de votre
ami. Depuis trois jours cependant la maladie n'a pas fait de progrès ;
mais elle n'en a pas moins des symptômes alarmants ; les plus ha-
biles médecins en désespèrent II faut une crise prompte pour le ti-
rer d'affaire, et elle ne s'annonce point encore ; cela nous désespère.
Faites part de sa situation aux personnes qui ont des affaires avec
lui, afin qu'elles prennent leurs précautions ; le temps presse. . . .
je serai exacte à vous faire part du mieux ou du pire qu'il éprouvera.
Envoyez exactement à la poste. Adieu. Recevez amitiés et compli-
ments de tout ce qui vous intéresse.
(1) Voir pour cette lettre, toute en dair et non signée, la note à la lettre du 5 juin
n® ce. Le comte de f ersen a écrit en marge : Beçu le 30 Juin,
310 LE COMTE DE FERSEN
CCXIV.
DU PRINCE CHARLES, DUC DE SUDERMANIE, ET R]£gENT PENDANT LA
MINORITÉ DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE IV ADOLPHE, AU COMTE DE
FERSEN (1).
Château de Drottningholm, ce 26 juin 1792.
Monsieur le comte,
Le lieutenant général baron de Taubenous a communiqué la lettre
qu'il a reçue aujourd'hui de vous, du 13 de ce mois, par laquelle
vous témoignez le désir de savoir la conduite que vous aurez à tenir,
dans le cas où le roi et la reine de France, par un événement heureux
et inattendu, seraient mis en liberté ; et nous avons trouvé de la der-
nière importance que vous vous rendiez dans ce cas, et sans le moin-
dre délai, auprès de LL. MM. T. C, pour les assister de vos sages
conseils et leur exprimer l'empressement de la cour de Suède de leur
témoigner la part sincère qu'elle prend & tout ce qui regarde le sort
de la maison royale de France. Vous pourrez donc, dans cette occar
sion, et sans attendre de nouveaux ordres, remettre les lettres de
créance qui vous ont déjà été envoyées.
Vous sentez assez combien, dans cette occasion, il sera intéressant
pour le roi de France d'appeler auprès de lui des personnes qui, sans
précipitation, mais avec prudence et courage, puissent l'aider à fixer
sa détermination sur le meilleur parti à prendre, selon ce que les
circonstances exigeront, s'il ne veut pas, par imprudence ou n^li-
gence, retomber bientôt dans la situation malheureuse où il se trouve
à présent. Le roi de France ne doit donc voir dans la présente ins-
truction que nous vous adressons qu'une nouvelle preuve de notre
désir de contribuer, par tous les moyens possibles, à tout ce qui peut
lui être utile et agréable ; et, par la connaissance que nous avons de
(1) La lettre originale est en suédois et traduite en français ; c'est cette traduction que
nous ayons reproduite. Toutes les deux se trourent parmi les papiers du comte de
Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 311
votre prudence et de votre zèle sincère, nous croyons pouvoir laisser,
avec une confiance entière, à votre propre jugement de déterminer
ce qu'il 7 aura de mieux à faire de notre côté dans cette occasion,
étant persuadé que vos démarches auront tonjours pour but de con-
tribuer à tout ce qui pourra être à l'avantage du roi et du royaume,
et vous ne sauriez en cela éprouver d'obstacles que ceux des circons-
tances de la part d'une cour qui, depuis des siècles, a été l'alliée de
la Suède, et qui en a reçu des preuves multipliées d'amitié constante
et de dévouement.
L'intérêt général, qui dans ce moment est si étroitement lié au sort
de la famille royale de France, puisque la tranquillité de l'Europe
dépend peut-être de la chute ou du rétablissement de cette monarchie,
devrait rassurer sur la crainte de voir quelques puissances sacrifier
le but commun à des vues secrètes. Cependant on ne peut plus douter
que les cours de Tienne et de Berlin visent au démembrement de
la France, et que l'Angleterre, sans apercevoir le danger qu'elle
court elle-même, désire la continuation des troubles. Vous savez as-
sez combien ses projets sont contraires à nos intérêts. Votre objet doit
donc être de tâcher d'éclairer LL. MM., d'un côté, sur la conduite in-
téressée de leurs voisins, et combien elle est nuisible à la prospérité
de la France, et, de l'autre, sur celle de sujets traîtres'ou ambitieux,
et sur les plans insidieux des exécrables révolutionnaires qui, en in-
voquant les droits de l'homme, ne cherchent qu'à saper les fonde-
ments de la monarchie, à lui enlever son appui et à préparer l'exé-
cution libre des plus grands désordres. De tous ces inconvénients, le
premier ne peut échapper à l'attention de la cour, mais le dernier
présente plus de difficultés à vaincre, tant par les ressorts secrets
qu'on fait jouer que par les promesses flatteuses dont on tâche d'en-
dormir le roi, et que son penchant naturel le porte à écouter, sans
apercevoir les pièges secrets qu'on lui tend et les dangers qu'on lui
prépare. C'est donc cette dernière circonstance qui doit fixer votre
attention dans la commission intéressante et difficile dont vous êtes
chargé et dont dépendent en si grande partie le maintien de la tran-
quillité de l'Europe et en particulier la prospérité de la Suède.
Nous vous recommandons gracieusement au Dieu tout-puissant,
demeurant
Votre très-affectionné,
Charles.
312 LE COMTE DE FERSEN
ccxv.
DU PRINCE CHARLES, DUC DE SUDBRMANIE, ET RlÉGENT PENDANT LA
MINORITE DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE IV ADOLPHE, AU COMTE DE
FERSEN (1).
Château de Drottningliolin, ce 26 juin 1792.
Monsieur le comte,
Par votre lettre du 3 de ce mois au premier gentilhomme de la
chambre baron de Taube, nous avons vu avec grande satifaction une
nouvelle preuve que Tunique but de votre zèle constant et des soins
que vous n'avez cessé de vous donner a été d'assurer la gloire et la
prospérité du royaume, et nous croyons vous donner un nouveau té-
moignage de notre confiance en votre prudence si connue en vous
envoyant, sans instructions ultérieures que celles que votre sagesse
vous dictera, les lettres de créance que vous avez désirées pour les
rois de Hongrie et de Prusse et pour le duc de Brunswick, pour en
faire l'usage que vous jugerez le plus avantageux au service du roi
et du royaume.
Nous vous envoyons aussi pour votre instruction particulière copie
de la note confidentielle qui a été remise au comte de Stackel-
berg (2), en réponse à son dernier office, et celle de la lettre que nous
écrivons aujourd'hui au baron d'Oxenstjema; ces deux pièces vous
confirmeront encore dans l'opinion que vous aviez déjà énoncée sur
la nécessité où nous nous trouvons de ne pouvoir guère dans les cir-
constances présentes, autrement que par nos bons offices, prendre
part au rétablissement de la famille royale de France.
Persuadé de la connaissance parfaite que vous avez de toutes les
mesures à prendre dans cette occasion, nous laissons à votre zèle ex-
(1) La lettre originale est en snédois et traduite en français ; c'est cette traduction que
nous ayons reproduite. Toutes les deux se trouvent parmi les papiers du comte de Fersen.
* (2) Voir Tannexe à cette lettre, sous le n? CCI.
ET LA COUR DE FRANCE. 313
périmenté le soin de contribuer de cette manière à xm but qui nous
est personnellement aussi agréable qu'il est avantageux au bien de
l'État.
Nous vous recommandons gracieusement au Dieu tout-puissant^
demeurant
Votre très-affectionné ,
I Charles.
CCXVI.
DU COMTE DE FERSEN AU BABON d'eHRENSYASBD ^ ENVOYÉ DE SUÈDE
A MADRID (1).
BrozeUes, ce 26 juin 1792.
Monsieur le baron,
Je suis entièrement de votre avis sur la conduite que le roi de
France doit tenir relativement au projet que vous supposez avec rai-
son à M. d'Aranda de se rendre médiateur et de modifier la consti-
tution. Il n'y a que les cours de BerKn et de Pétersbourg qui puis-
sent s'y opposer; encore l'impératrice, depuis la mort du feu roi,
s'est-elle un peu refroidie de l'intérêt qu'elle portait aux afiBftires de
France, pour faire de celles de Pologne l'objet de son intérêt le plus
vif. Cependant sa vanité la force à ne pas abandonner la cause des
princes, qu'elle a embrassée avec tant d3 chaleur ; mais on ne peut
pas trop compter sur celle de Vienne, et, malgré tout ce qu'elle fait,
il 7 a lieu de croire qu'elle verrait avec plaisir s'établir une négocia-
tion où elle espère jouer un grand rôle. J'espère qu'il n'y a aucune
communication directe entre le roi de France et M. d'Aranda ; ce-
pendant, comme en ce moment celle avec le roi est très-difficile et
très-rare, je ne puis avoir aucune certitude à cet égard.
(!) D'après la minute de la main du comte de Fenen, qni a écrit en marge : Ch^fre au
baron ^Ehrentuaerd,
314 LE COMTE DE FBRSBN
De tons les souyerams qui s'intéressent au sort du roi de France,
nal ne se conduit aussi mal que TEspagne et aussi bien que le roi de
Prusse ; il a donné les assurances les plus positives de secours et
qu'il ne veut entendre à aucune n^ociation ou modification de la
constitution, mais au contraire qu'il veut avant tout la liberté du
roi, et qu'il fasse lui-même la constitution qu'il voudra et qu'il ju-
gera la plus avantageuse pour le bonheur de son royaume. Il donne
400,000 livres par mois aux princes pour payer les troupes qui pas-
seront et compte leur assigner une place honorable dans les opéra-
tions qui auront lieu. H a écrit au roi de Hongrie pour lui proposer
de donner une somme pour l'entretien des émigrés. Je doute que
cette proposition soit acceptée. La mauvaise volonté de cette cour est
trop marquée pour eux ; les émigrés ne sont pas même sou£ferts à
leur armée comme simples spectateurs, et, au lieu d'en recevoir 7 à
8,000 qui ont été offerts, ils ont préféré de risquer que tout le pays
soit occupé par les rebelles finançais qui n'avaient davantage sur eux
que le nombre. Depuis qu'il leur est arrivé des renforts, ils n'ont
plus rien à craindre ; mais ils ont eu des moments très-critiques et an
moment que M. de Biron marchait sur Mons, le général Beaulieu
n'avait que 1,800 hommes et 3 canons; 1,200 hommes arrivèrent
dans la nuit et 6 canons en poste. Même à présent, ils hésitent, faute
de monde, à attaquer et chasser les Français de Menin et Courtray.
Ce qu'on dit de la brouillerie du baron de Breteuil et de Galonné
et du mécontentement du comte d'Artois est sans fondement. Il n'y
aura jamais de confiance intime,' mais aussi rien qui puisse nuire à
la marche des affaires, et le baron de Breteuil travaille en ce moment
pour les princes.
Le bruit de l'entrée d'une flotte russe dans la Méditerranée est
sans fondement; elle n'arme pas de vaisseaux et veut même envoyer
par terre les 15,000 hommes qu'elle destine contre la France, lorsque
les affaires de Pologne seront arrangées.
ET LA COUR DE FRANCE. 316
CCXVIL
DU COMTE DE FEBSEN A LÀ BBINE MARIE-ANTOmETTE (1).
K» 12. Ce 80 juin 1792.
J'ai reçu hier la lettre du 23 ; il n'y a rien à craindre tant que
les Autrichiens ne seront pas battus. Cent mille Dumouriez ne fe-
ront pas révolter ce pays-ci, quoiqu'il y soit très-fort disposé.
Votre position m'inquiète sans cesse. Votre courage sera admiré,
et la conduite ferme du roi fera un excellent effet. J'ai déjà envoyé
partout la relation, et je vais encore envoyer la Gazette universelle j
qui rend compte de sa conversation avec Pétion ; elle est digne de
Louis XIV. n faudra continuer de même, et surtout tâcher de ne
pas quitter Paris. C'est là le point capital. Alors il sera aisé de
venir à vous, et c'est là le projet du duc de Brunswick. Il fera pré-
céder scn entrée par un manifeste très-fort, au nom des puissances
coalisées, qui rendront la France entière et Paris en particulier res-
ponsables des personnes royales. Ensuite il marche droit sur Paris,
en laissant les armées combinées sur les frontières, pour masquer
les places et empêcher les troupes qui y sont d'agir ailleurs et de
s'opposer à ses opérations. L'impératrice fait marcher 15,000 hom-
mes ; notre régent a accordé les 8,000 hommes qu'elle demande.
Us sont prêts, et marcheront dès que nous aurons de l'argent.
Le duc de Brunswick arrive le 3 à Coblence; la V^ division prus-
sienne y arrive le 8 ; on donne tout de suite 7,000 hommes pour ce
pays, qui occuperont Luxemb., afin que les Autrichiens puissent
augmenter leurs forces de celle qui y est. Ils ont fait une sottise de
ne pas avoir attaqué Luckner à son entrée. A présent il est trop
bien posté et retranché, et il y a apparence qu'on l'y laissera, jus-
qu'à ce que les troupes soient arrivées. Ils ont fidt une étourderie
de se laisser prendre 60 chefs devant Maubeuge.
n a passé ici un M. Viette qui a dit au vicomte de Cariaman
(1 ) D'après la minute de la main du comte de Fenen , qui a écrit en marge : A la
r^ine, en hlanc,par Totc*
316 LE COMTE DE FEBSEN
qu'il était envoyé par vous à Coblence, chargé d'une commission,
n lui a montré une lettre adressée au général Schmidth , et écrite^
disait-il, en blanc dans les entre-lignes. H aura sans doute fait la
même confidence à quelques autres de ses connaissances.
Je vous ai écrit du 25 n* 11 par Gog., le n* 10 par madame Tosc.
du 21. Répondez-moi sur les blancs seings et sur le démembre-
ment.
Vous devriez charger Gog. de m'écrire tous les dimanches et les
mercredis, pour me donner les détails de ce qui se passe. Quand il
me dira : On dit, mais je n'en crois rien, je saurai alors que la chose
est sûre. Toutes les lettres de ce genre arrivent.
ccxvin.
DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUÈDE (1).
BraxéUee, ce 1**' juillet 1792.
Monseigneur,
J'ai reçu la lettre dont V. A. R. m'a honoré du 15 juin, et je
ferai parvenir aux sieurs de Beutersvaerd et de Piper ce que Monsei-
gneur veut bien leur faire savoir.
Les nouvelles de Paris sont un peu plus rassurantes ; la tran-
quillité semble un peu revenue pour le moment, mais les factieux
ne cessent de remuer et d'exciter la populace, et malgré le calme
apparent on attend à tout moment une nouvelle scène d'horreur,
et V. A. R. pourra voir par les papiers qu'on lui envoie combien
les jacobins ont levé le masque. La position du roi et de la reine
est affreuse, et ils courent encore de grands dangers, sans qu'il
soit possible de rien faire pour les en garantir ; car une proclama-
tion des puissances, avant le moment où elles pourront la soutenir
( 1 ) D'après la minute de la main da comte de Fenen, qui a écrit en marge : EnMr,
au due.
ET LA COUR DE FRANCE. 317
par une masse de forces imposantes qui imprime la terreur, ne fe-
rait qu'exposer Leurs Majestés davantage, sans les sauver.
M. Dumouriez est parti pour l'armée du maréchal Luckner; on
croit même qu'il en prendra le commandement et que le maréchal
retournera à celle d'Alsace. Il a emmené avec lui M. de Saint-Huruge,
et il a promis en partant d'insurger tous les Pays-Bas ; mais tant que
les Autrichiens ne seront pas battus, il n'y a rien à craindre d'une
révolte dans ce pays, quoique les habitants y soient très-disposés.
Comme dans le nombre des gazettes qu'on envoie à V. A. R.
j'ignore si la Gazette universelle se trouve, j'ai l'honneur d'en en-
voyer une. Monseigneur y trouvera des détails assez intéressants
sur la journée du 20 et la conversation du roi avec M. Pétion ;
y. A. B. en sera sans doute contente.
CCXIX.
DE LA REINE MABIE-AKTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Du 3 juUlet 1792.
J'ai reçu votre lettre du vingf^dnq n' onze; j'en
ai été bien touchée. Notre position est affireuse, mais ne vous in-
quiétez pas trop; je sens du courage, et j'ai en moi quelque chose
qui me dit que nous serons hientôt heureux et sauvés. Cette seule
idée me soutient. L'homme que j'envoie est pour M. de Mercy; je lui
écris très-fortement pour décider qu'enfin on parle. Agissez de msr-
nière à en imposer ici ; le moment presse et il n'y a plus moyen
d'attendre. J'envoie les blancs seings comme vous les avez demandés.
Adieu. Quand nous reverrons-nous tranquillement?
(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main dn comte de Fenen, qni a écrit en marge
Ch^re de la reine du 8 juUkt 1792; S, reçu par M, Louerez; rép. le 10 par Ltueeres,
318 LE COMTE DE FERSEN
ccxx.
DE LA REINE MABIE-ANTOINSTTE AU COMTE DE FERSEN (1).
6 îaaiet 1792.
On m'a remis votre dernière lettre écrite en blanc, après en avoir
fait sortir l'écriture : c'est la seconde fois que cela arrive. Il faut
prendre d'autres mesures, afin qu'on ne se trompe plus. Vous sen-
tirez aisément l'importance de cet avertissement.
On s'attend à une catastrophe terrible le 14 dans tous les coins
de Paris et J particulièrement aux jacobins. On prêche le régicide,
il 7 a des projets sinistres; mais, étant connus, il sera peut-être
possible de les faire échouer. Les jacobins de toutes les provinces
arrivent ici en foule ; il n'y a pas de jour qu'on n'avertisse la reine
de se tenir sur ses gardes ; tantôt c'est un officieux, tantôt c'est un
intrigant; on ne lui laisse pas un instant de tranquillité.
J'ai les trois blancs seings, mais je ne sais par où vous les envoyer
les voitures publiques ne passant plus. Indiquez-moi un moyen
sûr autre que celui-là.
CCXXI.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (2).
[En chiffre^
ne vous tourmentez pas trop sur mon compte. Croyez
(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :
10re;tti rip» le 18.
(2) Billet en chiffre et en encre sympathique, copié de la main du comte de Feraen, qoi
a écrit en marge : Ht^ par Léonard, %juUUi 179t.
I
I
\
ET LA COUB DE FRANCE. 319
que le courage en impose toujours. Le parti que nous venons de
prendre nous laissera, j'espère, le temps d'attendre, mais six se-
maines sont encore bien longues. Je n'ose pas vous écrire davantage.
Adieu. Hâtez , si vous pouvez , les secours qu'on nous promet pour
notre délivrance.
[En encre sympathique.']
J'existe encore, mais c'est un miracle. La journée du 20 a été
affreuse. Ce n'est plus à moi qu'on en veut le plus, c'est & la vie
même de mon mari, ils ne s'en cachent plus. Il a montré une fer-
meté et une force qui en ont imposé pour le moment, mais les dan-
gers peuvent se reproduire à tout moment. J'espère que vous re-
cevez de nos nouvelles. Adieu. Ménagez-vous pour nous, et ne vous
inquiétez pas sur nous.
CCXXIL
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FEB8EN (1).
Le 7 juillet 1792.
[En clair.']
Je vous ai adressé, il y a quelques jours, l'état de vos dettes ac-
tives. Voici le supplément que je reçois ce matin de votre ban-
quier de Londres.
[En chijjfre.]
Les diférenta partis de VAss. nat. se sont réunis aujcfurdhui;
cette réunion ne peut être sincère de la part des jacobins, ils dissimu-
lent pour cacher un projet quelconque. Un de ceux qiCon peut leur sup^
(1) Voir pour cette lettre la note à la lettre du 5 jnin, n^ CC. Le comte de Fersen a
fait le déchiffrement de sa main et écrit en marge : 23 reçu; rép, le 26.
320 LE COMTE DE FEBSEN
poser, (fest de faire demander par le roi une suspension d armes et
de t engager à négocier la paix, n fcad prévenir que toute démarche
officieUe à cet égard ne sera pas le vœu du roi; que s*il est dans la
nécessité d'en manifester un d après les circonstances, il le fera par
P organe de M. de BreteuiL — M. de Cranford recevra par une oc-
casion les trois blancs seings : prévenez-le, pour qyiiloware le paquet
avec précaution; ils sont signés en blane.
[En clairJ]
m
Je pense tonjonrs que vous n'avez rien de mieux à faire que de
placer vos fonds ici. La tranquillité s'établit et tous les partis se
réunissent en ce moment pour faire marcher la constitution. Donnez-
moi carte blanc he^ je suis sûre de vous faire de bonnes acquisitions
et que vos fonds seront doublés dans deux ans. Je viens de ter-
miner le marché de la maison que nous avons vue ensemble, rue de
l'Université; elle me coûtera, tous frais &its, 157 mille livres.
Adieu. Toute la famille se porte bien, vous fait mille compliments,
et désire ardenmient vous revoir bientôt.
CCXXIII.
DU COMTE DE FEBSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
BmzelleB, ce 7 juillet 1792.
Sire,
J'ai l'honneur d'informer V. M. que le S*" Bergstedt est arrivé ici
hier de Hollande ; il part demain pour se rendre & Londres. Il m'a
dit avoir envoyé au S' de Bosenstein le résultat de l'objet de son
(1) D'après la minute de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : Au rot,
c/at> et chiffre.
ET LA COUR DE FRANCE. 321
voyage & Amsterdam. H sera sans doute mis bous les yeux de Y. M.
Il paraît que le voyage de M. de Lafayette & Paris n'a produit
que peu ou point d'effet. Le combat est à mort entre les constitution-
nels et les jacobins^ c'est-à-dire entre ceux qui ont tout à perdre et
rien & gagner. Les constitutionnels sentent à présent la nécessité de
la royauté 9 et combien il est nécessaire pour eux qu'elle soit res-
pectée et revêtue d'une grande autorité ; mais ils ont oublié qu'ils ont
eux-mêmes donné l'exemple, et qu'ils sont la première cause de son
anéantissement et de son avilissement^ et ils ne disent pas que s'ils
avaient le dessus^ ils suivraient encore la même marche. Les jaco-
binSy profitant de leur supériorité, les traitent à présent comme eux-
mêmes ont traité les soi-disant aristocrates dans l'autre Assemblée ;
ce sont les mêmes moyens, les mêmes injustices et la même oppres-
sion, et îl est impossible d'avoir une opinion sur l'issue de ce combat.
En attendant, les jacobins poussent leur pointe ; tous les moyens leur
sont bons et aucun crime ne les arrête. Malgré la foule d'adresses
des différents départements, qui toutes sont dirigées contre eux^ ils
feront mettre à exécution le décret pour le rassemblement des
20,000 hommes & Paris, et déjà des détachements sont en marche
pour s'y rendre. Je ne doute pas que tous arrivent, et au lieu de 20
ce rassemblement sera peut-être de 30 à 40,000 hommes ou plutôt
brigands, qui, n'étant dirigés ou contenus par aucune autorité re-
connue, pourront avec plus de facilité servir les vues des jacobins et
assurer leur triomphe. Dès lors, il n'y aura plus de sûreté pour le
roi et sa famille, et s'ils n'attentent à ses jours, du moins est-il vrai-
semblable qu'ils l'emmèneront comme otage dans l'intérieur du
royaume. L'Espagne seule aurait pu déjouer ce projet, mais sa con-
duite faible et honteuse pour un souverain, et surtout pour un parent,
a &vorisé ce projet.
Voilà, Sire, la position affreuse où les opérations des constitu-
tionnels ont entraîné le roi ; les jacobins ont perfectionné leur ou-
vrage. Les constitutionnels voudraient maintenant, non par amour
pour lui, mais pour leur propre intérêt, pour s'emparer de son pou-
voir et établir leur constitution, se rallier au roi et lui rendre, pour
le moment, ce qu'ils lui ont ôté ; mais ils n'en ont pas la puissance.
Les jacobins^ sont maîtres de tout, et il n'y a que la réunion des ar-
mées étrangères qui puisse écraser une secte qui ferait bientôt
trembler tous les rois et ébranlerait tous les trônes.
T. IL 21
322 LE COMTE DE FERSEN
[En chiffre,'\
V. M. aura déjà été instruite de l'arrivée du duc de Brunswick ;
il paraît décidé à agir vigoureusement. C'est aussi l'avis du roi de
Prusse et de son ministère, et, à en croire l'assurance que S. M. Prus-
sienne en a donnée, rien ne l'arrêtera, et l'on peut tout attendre
d'une conduite aussi noble et d'un intérêt aussi touchant. H donne
aux princes français et aux émigrés une position intermédiaire
entre son armée et celle du roi d'Hongrie ; elle sera dans les envi-
rons de Philipsbourg.
[En clair.]
Les Français paraissent vouloir abandonner cette frontière et se
retirer dans les Evêchés, pour se porter ensuite où besoin sera. On
assure que M. de Luckner a renvoyé tous les patriotes pour avoir
été la principale cause des horreurs commises dans la retraite de
Courtrai. M. de Luckner les accuse aussi de l'avoir trompé en lui
assurant que, dès qu'il serait entré en Flandre, tout le pays se sou-
lèverait et viendrait se joindre à lui.
CCXXIV.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
Bnizelles, ce 10 juillet 1792.
M. Lasserez et M. Léonard sont arrivés et m'ont remis vos lettres.
Je n'ai pas besoin de vous dire qu'elles m'ont fait grand plaisir.
Votre courage est admirable, et la fermeté de votre mari fait un
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la retne
en hianCy par Lasserez.
j
ET LA COUR DE FRANCE. 323
grand effet. Il faut conserver l'un et l'autre pour résister à toute ten-
tative pour vous faire .sortir de Paris. Il est bien avantageux d'y
rester. Cependant je suis entièrement de l'avis de M. de Mercy sur
le seul cas où il fallût en sortir; mais il faut prendre bien garde
d'être bien assuré, avant de la tenter, du courage et de la fidélité de
ceux qui protégeraient votre sortie, car si elle manquait, vous seriez
perdus sans ressource, et je n'y pense pas sans frémir. Ce n'est donc
pas une tentative à faire légèrement ou sans être sûr de la réussite. Il
ne faudrait jamais, si vous la faites, appeler Lafayette, mais les dépar-
tements voisins.
On hâte le plus possible les opérations ; l'arrivée de Prussiens est
déjà un peu accélérée, et dans les premiers jours d'août on pourra
commencer. Mais de parler fortement dans ce moment, sans être
prêt à agir de même pour soutenir son dire, serait une mesure qui
manquerait son effet. Elle ne serait pas aussi imposante et pourrait
vous exposer davantage.
D'après ce que vous me dites de l'envoi des blancs seings, j'ima-
gine que vous avez approuvé ce que je vous mandais, et, selon les
circonstances plus ou moins pressantes, je ferai usage, en attendant,
de celui qui me reste.
La conduite de l'Espagne est honteuse et blâmée dans toute l'Eu-
rope. L'Angleterre est bien. Notre régent, par les intrigues de
Staël, ne veut pas se mettre en avant. Je tâche de le déjouer le
plus que je peux. Staël voit beaucoup M. Yeminac. On aura soin
que le manifeste soit le mieux possible; nous nous en occupons. On
y rendra la ville de Paris responsable de la sûreté du roi et de sa
famille.
La scène horrible du 20 a révolté toute l'Europe et a fait perdre
beaucoup de partisans à la révolution. Luckner et Lafayette parais-
sent abandonner cette frontière pour se rendre dans les Évêchés. Si
les Autrichiens s'étaient conduits avec plus d'activité, ils auraient pu
enlever le duc d'Orléans et l'armée de Luckner à Courtrai. Les prin-
ces vont faire une assemblée de parlements et de pairs & Manheim,
c'est une folie. Nous tâchons de l'empêcher : c'est M. de Luxem-
bourg qui provoque tout cela.
824 LE COMTE DE FEBSEN
CCXXV.
■
DU COMTB DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1).
Bruxelles, ce 11 juOlet 1792.
Bien obligé, mon cher ami, pour vos lettres du 19 et 22 et pour
les détails que contient celle du 19; ils m'étaient nécessaires, et
je réglerai ma conduite et mes rapports en conséquence. Cela m'af-
flige cependant pour les suites, et je vois avec peine que le duc ne
suit pas en tout la marche du feu roi. Il pourra, s'il n'y prend
garde, y rencontrer de grands embarras. J'ai reçu des lettres de la
reine, elle demande qu'on se presse à parler et à agir, car sa posi-
tion n'est plus supportable ; malheureusement, on ne peut rien faire
pour elle, avant que toutes les troupes soient arrivées. Sa lettre
est remplie d'un courage surnaturel, car il est impossible de prévoir,
et elle le sent, les dangers qu'elle courra & l'entrée des troupes
étrangères : ce sera au commencement du mois d'août. J'ai reçu
hier soir un courrier de Hambourg avec tout ce que vous m'annon-
ciez ; je suis fort content du tout, et je me conduirai en consé-
quence. Je n'ai pas encore eu le temps de déchiffrer votre lettre.
(1) Lettre autographe, déchiffrée de la main du baron de Taube.
ET LA COUR DE FRANCE. 326
CCXXVI.
DE LA REIKE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 11 jmUet 1792, n« 1.
[En clair,']
Je sens bien^ mon cher Bignon^ que relativement à vos spécu-
lations de finance vous avez un grand intérêt à être au courant
des événements; aussi ferai-je tout ce qui dépend de moi pour ne
rien vous laisser à désirer à cet égard. Cependant je dois vous
prévenir que, mes relations étant fort peu étendues et le cercle
où je vis fort étroit, je vous serai d'une faible ressource. Mais enfin,
si je ne vous suis pas d'une utilité réelle, au moins vous prouverai-
je zèle et bonne volonté.
Vous avez eu sans doute connaissance du rapprochement des dif-
férents partis de l'Assemblée, de la démarche du roi à cette assem-
blée, de la suspension de Fétion et de Manuel par le départe-
ment ; de quelques légers mouvements du peuple pour la réintégra-
tion du maire dans ses fonctions, et du vœu d'une partie de l'As-
semblée à cet égard. C'est encore aujourd'hui cet événement qui
occupe les Parisiens; on dit que Pétion sera réintégré, parce que
l'arrêté du département pèche par les formes,^ et que le roi ne le
confirmera pas. D'autres disent que le roi, effrayé de la puissance
du maire, révolté de son orgueil et convaincu de ses mauvaises inten-
tions, confirmera l'arrêté du département ; mais je n'en crois rien (2).
lia paix que Lamourette avait ramenée au milieu de l'Assemblée
(1) Voir pour cette lettre la note à la lettre du 5 joiD , n° CO. Le comte de Fersen Va,
déchiffrée et a écrit en marge : 23 reçu, rép. le 26.
(2) Dana sa lettre à la reine, du 80 juin 1792, n<* CCiLYll, le comte de Fersen dit : « Vous
« devriez charger Gog. de m'écrire tous les dimanches et les mercredis, pour me donner les
t détails de ce qui se passe. Quand il me dira : On dit, maiije n^encrois rien, je saurai alors
« que la chose est sûre. » Une preuve de plus que cette lettre appartenait à la correspon-
dance de la reine, quoiqu'elle ne soit pas de sa main.
326 LE COMTE DE FERSEN
nationale n^a en que le règne d'un moment. Brissot a prononcé nn
discours tendant à examiner la conduite du roi depuis le commen-
cement de la révolution et à le suspendre ; tendant & déclarer la
patrie en danger^ & rendre solidairement les ministres responsables ,
à faire déclarer qu^ils n'ont pas la confiance de la nation , & faire pro-
noncer un décret d'accusation contre Chambon^ etc.; etc. Cet incident a
rebrouillé tout le monde. Il s'en est suivi qu'on a mandé les six
ministres, qu'on leur a demandé de rendre compte dans les vingt-quatre
heures de la situation de l'intérieur de la France, des frontières et de
l'armée : on les a tellement gourmandes pendant quatre heures, ils se
sont tellement trouvés surchargés du poids de leur responsabilité,
qu'hier matin ils ont tous donné leur démission, et aujourd'hui le roi
n'a plus de ministres. On blâme généralement la lâcheté de ceux-ci,
qui n'avaient rien à craindre en suivant la ligne de la constitution.
On s'inquiète à l'approche de la fédération, on craint que cette
fête religieuse et patriotique ne soit le prétexte d'une insurrection
contre les Tuileries. Le cérémonial n'est pas encore réglé. La
famille royale doit assister & cette cérémonie. Le nombre des fé-
dérés qu'on attendait, surtout des provinces du Midi, est bien moins
considérable qu'on ne l'avait pensé. Les uns sont arrêtés par la
peur d'être envoyés sur les frontières, les autres par les travaux
dé la campagne. Le plus grand nombre viendra des départements
voisins, et il y a tout lieu de croire que tout se passera tranquille-
ment.
Le duc d'Orléans a quitté l'armée de Flandre; il est au Rinci
depuis trois ou quatre jours. Il était si fort déconsidéré parmi les
troupes, qu'il a été 'obligé de fuir. Je vais vous rendre un compte
sommaire des affaires que j'ai faites pour vous depuis le P' de ce
mois :
[_En chiffrer^
Les coTist., réunis à Lafayette et Luckner^ veulent emmener le rai à
Compiègne le lendemain de la fédération; à cet effet les deux géné-
raux vont arriver ici. Le roi est disposé à se prêter à ce projet; ht reine
le combat. On ignore encore quelle sera l'issue de cette grande entreprise,
que je suis bien éloigné (f approuver, Ltickner prend l^ armée du Rhin;
Lafayette passe à celle de Flandre, Biron et Dumx>unez à celle du centre.
ET LA COUR DE FRANCE. 327
[JSw clair.']
Votre banquier de Londres n'est pas très-exact à me faire passer
vos fonds. Je vous engage à lui écrire deux mots. Adieu, mon cher
Rignon, je vous embrasse de tout mon cœur.
A Faveuir, mes lettres seront numérotées au haut de la page,
comme l'est celle-ci.
COXXVII.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 15 jnîUet 1792, d<> 2.
Les malintentionnés avaient donné de grandes inquiétudes pDur
l'époque de la fédération. Ils avaient annoncé l'arrivée d'une multi-
tude de brigands et une entreprise criminelle de leur part. Vous
pouvez être agité des mômes craintes et je m'empresse de vous
rassurer sur le sort de tout ce qui vous intéresse ici. M. Pétion a
été rappelé à ses fonctions par l'Assemblée nationale et le vœu du
peuple. 11 a la confiance générale, ce qui nous fait espérer que si
quelqu'un, par son influence particulière, peut assurer la paix et
s'opposer utilement aux projets des factieux, c'est ce magistrat, père du
peuple : c'est ainsi qu'il est nooimé par les véritables patriotes.
Le général Luckner est arrivé ici la nuit du 13 au 14. Il paraî-
tra demain & l'Assemblée nationale. On prétend qu'il vient deman-
der une augmentation de 50,000 hommes pour son armée.
Paris est toujours dans une grande agitation ; on s'attend à un
grand événement, que chaque parti veut diriger à son avantage,
mais que je ne peux m'expliquer. Un jour détruit toat calcul ,
(1 } Voir pour cette lettre, toute en clair et non signée, la note à la lettre du 5 juin, h? CO.
Le comte de Fersen a écrit en marge : 28 reçt, rép. le 26.
328 LE COMTE DE FERSEN
change absolnment les circonstances. Four vous mettre an courant
des événements, il faudrait vous écrire deux fois par jour.
Nous avons ici cinq ou six mille fédérés sortant presque tous du club
des jacobins. Les uns vont rester ici^ les autres vont aller au camp
de Soissons. On attend ces jours-ci l'armée de Marseille et celle de
Bordeaux. Les trois régiments de ligne qui faisaient la garde de Paris,
en vertu d'un décret de l'Afisemblée, vont partir pour la frontière
dans deux ou trois jours. Il est grandement question de faire partir
les gardes suisses.
Voilà, mon cher Rignon, à peu près où en sont les choses. Je
vous écrirai demain sur vos affaires particulières; aujourd'hui, je
n'en ai pas le loisir. Adieu; je suis tout & vous.
Mandez-moi si vous avez reçu les gants que je vous ai envoyés.
CCXXVIIL
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
N» 18. BroxeUes, ce 18 JuUlet 1792.
J'ai reçu toutes vos lettres et les trois blancs seings; mais le nom
paraît bien faiblement, et je ne suis pas sûre qu'on en puisse faire
usage. Si vous trouviez un bon moyen de m'en envoyer, où il fût
écrit d'une encre plus foncée, cela serait bon.
Les princes ont envoyé un mémoire à toutes les puissances, où
ils établissent que le roi, d'accord avec les constitutionnels et trompé
par leurs promesses, va négocier pour obtenir une trêve, etc., etc.,
et pour les prier de n'y point avoir égard. Ils ont envoyé ce
mémoire au baron (2) en demandant sa réponse. Il en a été
indigné et a nié positivement que cela ttt II en a sur-le-champ
(1 ) Copié BUT la miniite de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : à la retnt
en bianCfPar Toic»
(2) De Bretenil.
ET LA COUB DE FRANCE. 329
écrit au comte de Schoulembourg et au duc de Brunswick, que les
priçces avaient induit en erreur, et j'en ai écrit partout là-dessus.
M. de Calonne, pour faire entendre que le baron était d^accord
dans cette conduite, a dit : Vcms verrez que le baron n'y répondra
pas. Il conseille mille sottises aux princes. M. de Lambert sert à
merveille et t&che de les empêcher, et le duc de Brunswick les
contient, mais cela donne beaucoup de peine.
Le rassemblement des parlements et des pairs à Manheim n'aura
plus lieu; tous ceux d'ici ont refusé : c'était une idée de Calonne
mise en avant par M. de Luxembourg, le duc. Les Autrichiens
ont voulu enlever un bataillon de gardes nationales à Orchies ; ils
l'ont manqué et n'ont pris qu'un canon et quelques chariots dans
la ville. D'ailleurs tout va bien à l'extérieur. Que ne puis-je être
aussi rassurée sur l'intérieur? Nous attendons tous les jours la poste
avec des craintes mortelles.
J'espère que l'Angleterre refusera la médiation qui lui a été
demandée par M. de Chauvelin. J'ai reçu de Suède de fort bonnes
instructions. Nous n'attendons que l'argent pour faire partir nos
troupes. La Pologne occupe l'impératrice plus que la France; j'es-
père cependant qu'elle fera marcher.
Le prince de Nassau, qui est venu passer un jour ici, est fort
mécontent d'Esterhazy. Le comte d'Aranda est toujours mauvais ;
il semble cependant revenir un peu. On travaille au manifeste.
J'en ai fait faire un par M. de Limon, qu'il a donné à M. de Mercy,
sans qu'il sache que c'est de moi. Il est fort bien et tel qu'on peut
le désirer. On ne promet rien à personne, aucun parti n'est dégoûté,
on ne s'engage à rien, et on rend Paris responsable de la sûreté du
roi et sa famille. On dit que le 15 août les opérations commenceront.
Envoyez six exemplaires du Cri de la douleur, il faut l'envoyer par-
tout. J'ai écrit hier à M. Goguelat.
330 LE COMTE DE FERSEN
CCXXIX.
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 21 jaillet 1792, n*" 4.
Je VOUS adresse aujourd'huî deux brochures, deux & M™® Sullivan
et deux à M. de Crawford. Je suis bieu aise que vous soyez content
des gants que je vous ai envoyés ; vous le serez sans doute aussi des
chapeaux.
Tous les membres du département de Paris ont donné leur
démission. Un grand nombre de députés du côté droit ne tardera
pas à en faire autant. M. Mathieu Montmorin a donné la sienne^
puis est parti pour l'Angleterre. Demain on prononcera définitive-
ment sur le sort de M. de Lafayette ; on croit généralement qu'il
sera décrété d'accusation.
Le roi, la reine et Madame Elisabeth ne paraissent point dans
le jardin qu'ils n'y soient insultés, malgré la précaution qu'on a
prise de n'y laisser entrer que les fédérés et les personnes qui ont des
cartes de service. Celles-ci accusent les fédérés, mais il est plus pro-
bable que c'est un abus des cartes qu'un abus de la liberté de la part
des fédérés. Au surplus, le bruit court, et je vous préviens que je
ne crois pas un mot de ce que je vais vous dire (2), que les jaco-
bins ont plus que jamais le projet de sortir de Paris avec le roi
et de gagner les provinces méridionales : pour cet effet, dit-on, ils
font arriver des provinces de nombreux détachements de gardes
nationales sorties de toutes les jacobiniëres ; demain il en arrive
huit cents de Marseille. On dit que dans huit jours le rassemblement
sera assez fort pour l'exécution de ce projet. D'autres disent que
les jacobins de l'Assemblée attendent le manifeste des puis-
sances étrangères pour prendre un parti. On l'attendait cette se-
(1) Voir pour cette lettre, toute en clair et non signée, la note à la lettre du 5 job,
n" GO. Le comte de Fersen a écrit en marge : 24 reçu; rép. le 26.
(2) Voir la note 2 à la lettre du 1 1 juillet, n<> CCXXVI.
ET LA COUR DE FRANCE. 331
maine; on ignore ce qui a pu en retarder l'envoi. Si vous aviez
connaissance de quelques articles principaux^ vous me feriez plaisir
de m'en faire part. De mon côté, je vous tiendrai, le plus que je
pourrai, au courant des nouvelles de ce pays-ci. Mandez-moi si
vous avez reçu toutes mes lettres.
Tout ce qui vous intéresse ici se porte bien. J'ai donné de vos
nouvelles hier au soir, on les a reçues avec plaisir; on m'a chargé
de vous le dire et de vous engager à en donner aussi souvent que
vous le pourrez.
Adieu, mon cher Rignon ; je vous embrasse bien tendrement.
CCXXX.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR
DE SUÈDE A LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG (1).
BruxeUes, ce 28 jmUet 1792.
Je VOUS envoie, mon ami, les deux pièces ci-jointes, à la demande
du baron de Breteuil ; il désire qu'elles soient mises sous les yeux
de l'impératrice. Comme S. M. Impériale aura sans doute eu
connaissance de la note des princes, il est nécessaire qu'elle soit
instruite aussi des réponses que le baron de Breteuil y a faites ^
pour ne pas donner croyance aux bruits également faux et inju-
rieux qu'on s'efforce & répandre sur les intentions et la conduite
du roi et sur sa prétendue intelligence avec les constitutionnels ;
s'il est forcé à les écouter, ce n'est que dans le dessein de ne pas
les décourager et dans la vue de les empêcher ainsi de se réunir
aux jacobins. S. M. Impériale elle-même doit sentir combien cette
division est favorable aux opérations pour le rétablissement de l'au-
torité du roi. L'apostille ci-jointe, qui contient la réponse du baron
(1) D'après la minute de la main da comte de Feneni qni a écrit en marge : chiffre
au baron de Stedingk,
332 LE COMTE DE FERSEN
de Breteail, prouve assez combien la crainte des princes, exprimée
dans leur note^ était peu fondée. Cette note fut remise au baron
par le prince de Nassau, qui a passé un jour ici, et c'est d'après
le désir qu'il en a témoigné au baron de Breteuil de la part des
princes, qu'il y a fait ses réponses. Tous les articles de cette note
n'exigeant aucune réponse, ce n'est donc, comme vous le verrez,
qu'au troisième et quatrième que le baron répond.
Les Autrichiens ont fait une folle expédition sur Orchies. Us ont*
manqué le bataillon de gardes nationales qu'ils voulaient enlever;
depuis ils se sont campés avec 18 à 20,000 hommes à Malplaquet
et Bavay, et on croit qu'ils ont des projets sur Maubeuge ; mais
s'ils n'ont pas les moyens nécessaires pour s'y maintenir, cette
opération sera plus nuisible qu'utile. Si ce projet existe, il n'a été
formé par le duc Albert que pour avoir la gloire d'avoir fait quel-
que chose avant les' opérations des armées combinées, et balancer
ainsi la nullité dont il sera alors, puisqu'on ne lui laisse que 25
à 30,000 hommes pour la défense du pays, et que le reste, aux
ordres du général Clairfayt, composé de l'élite de cette armée, doit
se joindre à l'armée prussienne. Les Autrichiens ont désarmé une
vingtaine de villages en France : c'est la seule chose raisonnable
qu'ils aient faite depuis longtemps.
CCXXXL
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
24 juillet 1792, n» 6.
Dans le courant de cette semaine, l'Assemblée doit décréter sa trans-
lation à Blois et la suspension du roi. Chaque jour produit une
scène nouvelle, mais tendant toujours à la destruction du roi et de sa
(1) Lettre en clair et en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit
en marge : chiffre de la reine, 24t juillet. Voir ponr cette lettre la note à la lettre da 5 juin,
n*» 00.
ET LA COUR DE FRANCE. 333
famiUs; des pétitionnaires ont dit, à la barre de f Assemblée^ que si an
ne le destituait, ils le mc^ssacreraient. Bs ont eu les honneurs de la
séance. Dites donc à M. de Mercy que les jours du roi et de la reine
sont dans le plus grand danger; qu'un délai et un jour peut produire
des malheurs incalculables, q%iil fa\d envoyer le manifeste sur-l^
champj qu'on (attend avec une extrême impatience, que nécessaire-
ment il ralliera beaucoup de monde autour du roi et le mettra en
sûreté; qu'autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre
heures .\ la troupe des assassins grossit sans cesse.
\_En clair.']
J'ai employé le reste des fonds, dont voilà Tétat exact, en deux
maisons d'un assez bon produit et presque neuves. La première
consiste en un principal corps de logis an fond de la cour,
élevé d'un étage au-dessus du rez-de-chaussée, et un comble lam-
brissé couvert en tuiles ; un autre corps de logis à gauche, servant
de remise et écuries et avec une boutique sur la rue^ grenier à
fourrage au-dessus, aussi couvert en tuiles.
Ladite maison a son entrée par une porte cochère et xme cour
pavée eu grès ayant puits et aisances.
La seconde consiste en un corps de logis ayant son entrée par
une allée et composé de deux boutiques, arrière-boutiques, escalier
et cour derrière avec aisances et puits mitoyen au-dessus duquel est
pratiqué un éclusoir conmiuniquant les eaux de ladite maison. Le
tout est élevé de cinq étages carrés avec caves au-dessous, et
chambres de domestiques lambrissées dans le comble, qui est
couvert en tuiles.
»
Chaque étage est distribué en deux petits appartements . composé
chacun de deux pièces à cheminées et une autre pièce aussi à chemi-
née, dégageant sur l'escalier, et lieux à l'anglaise.
Ces deux maisons peuvent être louées 9,500 livres, ainsi vous
voyez que vos fonds ne sont pas mal placés.
Mandez-moi si vous avez reçu les quatre numéros précédents. Il y
a deux jours qu'on m'a remis une lettre de vous que j'ai fait passer
à son adresse. Vous avez dû recevoir les six brochures que vous
m'avez demandées.
334 LE COMTE DE FERSEN
CCXXXIL
DE MONSIEUR DE CARISIEN, ENVOYÉ DE SUÈDE A LA COUR DE
BERLIN, AU COMTE DE FERSEN (1).
Berlin, ce 24 de jniUet 1792.
[En clair.']
Monsieur le comte, J'ai rhonneur de vous faire mes siocères remer-
cîments de votre lettre du 2 de ce mois, et des notions qu'elle
renferme, tant sur les événements arrivés à Paris, que sur l'éva-
cuation et l'incendie de Courtray. Nous sommes dans l'attente jour-
nalière d'apprendre comment le 14 se sera passé à Paris. Après le
discours de M. Brissot et la fermentation qui régnait dans les es-
prits , on pouvait prévoir les démarches les plus hardies contre la
personne du roi. Il faut espérer que la vengeance ne sera plus
éloignée. Le roi de Prusse vient de faire publier un exposé pour
mettre sous les yeux de l'Europe les motifs qui l'engagent à pren-
dre les armes contre la France. Comme cette pièce sera imprimé
dans toutes les gazettes, je me dispense de vous l'envoyer.
[En chiffre^
La communication officielle qui me ftit faite dernièrement, au
sujet de la résolution de S. M. Prussienne de prendre les armes
contre la France, ayant donné lieu à un entretien entre le comte de
Finkenstein et moi, sur la conduite moins active que les circons-
tances prescrivent dans cette occasion à la Suède, j'ai cru m'a-
percevoir toujours davantage que, malgré la démarche faite à la
cour de Stockholm par celles de Vienne et de Berlin, pour inviter
la Suède à se joindre au concert proposé aux puissances , l'on n'a
même jamais désiré ici tout de bon de voir effectuer le concours
(1) D'après la lettre 'originale en clair et en chiffre, âéchif&ée par un secx^taire du comte
de Fereen, qui a écrit en marge : 80 reç»; rip, 2 aoùL
^
ET LA COUR DE FRANCE. 336
général dont ^ il était question d'abord. Il paraît que l'on s'est
persuadé, dès le premier moment, que les forces réunies de l'Au-
triche et de la Prusse seraient plus que suffisantes pour venir à
bout de l'entreprise, et que l'on a cru que le nombre des parties
coopérantes pourrait gêner l'exécution ainsi que les plans de dé-
dommagement qu'on se sera formés d'avance. Quoi qu'il en soit, il
est certaiti que, depuis la funeste catastrophe arrivée à Stockholm
par la mort de feu le roi, on n'a plus cru possible que la Suède
serait de la partie. L'on n'ignorait pas d'ailleurs que les arrange-
ments faits entre feu S. M. et l'impératrice de Russie portaient
sur un secours pécuniaire à fournir par l'Espagne, et depuis la révo-
lution • survenue dans le ministère de la cour d'Espagne, l'on a
prévu bientôt les changements qui en seraient la conséquence. Le
roi de Prusse, sans s'étendre sur ces détails, me fit sentir cepen-
dant, en termes généraux, lors de l'audience que j'eus auprès de
lui, avant son départ, qu'il entrait parfaitement dans la position
particulière du duc de Sudermanie, qu'il savait qu'à l'égard des
affaires de France ce prince adhérait aux sentiments de feu le roi,
mais qu'il trouvait également que les circonstances ne permettraient
guère que S. A. Royale pût prendre une part active aux mesures
auxquelles la Prusse et l'Autriche allaient se porter. Le moment
approche maintenant où l'on pourra juger du plus ou du moins de
succès qu'aura la grande entreprise, ainsi que des véritables vues
des deux puissances qui s'en sont chargées ; peut-être même que
l'entrevue qui a lieu ces jours-ci, entre l'Empereur et le roi de
Prusse, aura déjà mis au jour ce qu'il y avait encore d'obscur sur
les intentions secrètes de la cour de Vienne. Beaucoup de personnes
ici pensent qu'en tout cas le roi de Prusse pourrait bien ne pas
rester longtemps à l'armée, où sa présence ne laisserait pas de
gêner le duc de Brunswick, auquel on a confié le commandement
et tout ce qui y a rapport.
[_En clair.']
J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute considération.
Monsieur le comte.
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
DE Carisisn.
336 LE COMTE DE FERSEN
CCXXXIII.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
N"» 14. BruxeUes, ce 26 juillet 1792.
J'ai reçu vos lettres, la dernière n° 4, et celle du 7 sans numéro.
On a déjà averti de n'ajouter foi qu'à ce qui viendrait par le baron
de Breteuil. Vous avez très-bien fait de ne pas vous laisser emmener
par Lafayette et les constitutionnels. Nous n'avons cessé de presser
sur le manifeste et sur les opérations ; elles commenceront le 2 ou 3
août. Le manifeste est fait, et voici ce qu'en dit au baron de Breteuil
M. de Bouille, qui l'a vu : On suit entièrement vos principes, et j'ose
dire les nôtres j pour le manifeste et le plan général, malgré Us intrigues
dont j'ai été témoin^ et dont j'ai ri^ étant bien sûr, diaprés ce que je
savais, qu'elles ne prévaudraient pas. — H est à Mayence, fort bien
traité par le duc et le roi ; le vicomte de Caraman aussi ; il a été fait
major au service de Prusse, pour pouvoir, sans inconvénient, suivre
le duc et le roi, mais il est traité comme ministre de France. — Nous
avons insisté pour que le manifeste soit menaçant, surtout pour ce
qui regarde la responsabilité sur les personnes royales , et qu'il n'y
soit jamais question de constitution ou de gouv. — Schoulembourg a
écrit au baron (2) que le roi (3) n'entendra à aucune négociation et
qu'il veut la liberté du roi (4). Ils ont fait imprimer un exposé suc-
cinct des raisons qui leur font faire la guerre, que je vous envoie, qui
est assez bien fidt. — Voici le projet du baron pour le ministère : il
veut qu'il soit tout dans sa main, pour éviter les contradictions; £1
donne \à. guerre à La Gallissonnière, qui, dit-il, lui a fourni de très-
bonnes idées, la marine à du Moutier, les sceaux à Barentin, les
affaires étrangères à Bombelles, Paris à La Porte et \Q^fina7u:es à
(1) Copié sur la minute de la main du comte de Ferseni qui a écrit en marge : à la
rtine en ft/one, par Toêc,
(2) De Breteuil.
(8) De PnuBse.
(4) De France.
ET LA COUR DE FRANCE. 337
révoque de Pamiers pour éviter les systèmes et y avoir un homme
d'ordre et ferme, avec un conseil de finances composé de six personnes :
la Tour, Damecaurt, un négociant, probablement Fouache du Havre ;
je ne me rappelle pas des autres. Mandez-moi au plus tôt ce que vous
en pensez. Il laisse la Vauguyon en Espagne et Saint-Priest en
Russie. Nous sommes parvenus à exclure la Marck des affaires, et à
empêcher qu'il ne fût envoyé par l'empereur, pour résider près du duc
de Brunswick. Le roi de Prusse n'a pas voulu de M. de Mercy à la
conférence, il lui attribue la conduite lente, molle et double de Vienne.
Les émigrés seront séparés en trois corps pour agir avec les armées,
mais ils ne seront pas à l'avant-garde comme ils l'avaient demandé,
et on ne les laissera pas agir seuls ; j'ai fortement insisté là-dessus.
Les princes restent avec le roi de Prusse ; le prince de Condé avec le
prince Hohenlohe, l'Autrichien, et M. d'Egmont, qui commande le
3® corps , avec le général Clairfay t. Le maréchal de Castries se vante
d'avoir une communication directe avec le roi ; il l'a même fait sentir
au baron. C'est d'ailleurs un pauvre esprit en affaires.
CCXXXIV.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
Bruxelles, ce 28 juillet 1792.
Je reçois dans ce moment la déclaration du duc de Brunswick, elle
est fort bien; c'est celle de M. de Limon, et c'est lui qui me l'envoie :
pour éviter tous les soupçons, je ne vous l'envoie pas, mais M. Cr. (2)
l'envoie à l'ambassade d'Angleterre à milord Kery, il la donnera
sûrement à M. de Lamb. (3). Voici le moment critique, et mon âme
( 1 ) Copie de la minute de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : à la
reine en blanc, par Toec.
(2) Crawford.
(S) Lambesc. ^
T. II. 22
338 LE COMTE DE FERSEN
en frémit. Dieu vous conserve tous, c'est mon unique vœu. S'il était
utile que vous vous cachiez jamais, n'hésitez pas, je vous prie, à
prendre ce parti; cela pourrait être nécessaire, pour donner le temp
d'arriver à vous. Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre, attenant
à l'appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous
pourriez vous en servir.
C'est aujourd'hui que le duc de Brunswick se met en mouvement ; il
lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. On croit générale-
ment que les Autrichiens vont faire une tentative sur Maubeuge.
CCXXXV.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1).
Bruxelles, ce 29 juillet 1792.
[En clair.']
Mon cher ami, Je vous envoie la déclaration du duc de Brunswick,
vous en serez content ; et, pour que vous l'ayez plus tôt, je vous l'a-
dresse à Krageholm, où vous serez peut-être encore.
[En chiffre,']
C'est moi qui l'ai fait faire par M. de Limon, celui qui était
autrefois au duc d'Orléans. Vienne n'en est pas content. Jusqu'à pré-
sent tout va bien, et la Prusse se conduit à merveille, et contiendra,
j'espère, l'Empereur.
( 1 ) D'après la lettre originale toute autographe , déchiffrée par le baron de Taube ; dans
les papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 33y
\_En clair,']
J'attends avec impatience des nouvelles de Paris. Voici le moment
critique pour]eux ; Dieu les conserve ! Votre dernière était du 11 . Oui,
mon ami, tout ce que vous me dites sur notre cher et malheureux
[roi] est bien vrai, et m'a vivement touché; tous les jours il me
semble que je le regrette davantage, et je ne puis jamais me consoler
de sa perte. Je le regretterai et le pleurerai toute ma vie. Adieu ;
aimez toujours un ami qui ne cessera de vous chérir tendrement.
CCXXXVI.
DE LA REINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1).
Le 1« août 1792, n<» 7.
lEn clair,']
J'ai reçu votre n* 14 du 26 juillet avec l'imprimé qui y était joint.
J'ai terminé aussitôt l'affaire dont vous m'entretenez ; il ne s'agit
plus que de m'envoyer les fonds nécessaires pour l'acquit de mes
engagements, et je crois qu'il faut faire en sorte de les envoyer en
numéraire, parce qu'il y a beaucoup à gagner à l'échange en assignats.
Je n'ai pas encore trouvé à louer vos maisons. Les troubles de Paris
font fuir tous les gens qui pourraient les habiter. L'assassinat de
M. Desprémenil, l'arrivée d'une grande quantité d'étrangers très-
suspects et la crainte du pillage de Paris sont les principales causes
de l'émigration. Les personnes qui ne sortent point de France se
retirent à Rouen et dans les environs. L'événement du 30 a augmenté
les inquiétudes, irrité partie de la garde nationale et découragé l'autre.
( 1 ) Yoir pour cette lettre la note à la lettre du 5 juin, n? CC. Le comte de Fersen a
écrit en marge : 6 août reçu, rép. 7 août.
340 LE COMTE DE FERSEN
On s'attend à une catastrophe prochaine ; l'émigration redouble. Les
gens faibles avec des intentions pures , ceux qui n'ont qu'un courage
incertain et de la probité se cachent ; les malintentionnés seuls se
montrent avec audace. Il faut une crise pour faire sortir la capitale
de l'état de contraction où elle se trouve ; chacun la désire, chacun la
veut dans le sens de ses opinions, mais personne n'ose en calculer
les effets dans la crainte de trouver un résultat en faveur des scélérats.
Quoi qu'il arrive, le roi et les honnêtes gens ne laisseront porter
aucune atteinte è. la constitution, et, si elle est renversée, ils périront
avec elle.
Vos amis se portent bien, ils vous font mille compliments et dési-
rent ardemment vous voir bientôt.
P. S. Le ballot que j'ai mis pour vous à la diligence porte le
n** 141 (1), et chaque pièce d'étoffe les lettres ci-après.
\_En chiffre,']
Il y a du blanc.
\^En encre sympathiqite,']
La vie du roi est évidemment menacée depuis longtemps, ainsi que
celle de la reine. L'arrivée et environ 600 Marseillais et d'une quantité
(Vautres députés de tous les clubs des jacobins augmente bien nos inquiet
tudes, malheureusement trop fondées. On prend des précautions de toutes
espèces pour la sûreté de LL. MM., mais les assassins rôdent conti^
nuellem>ent autour du Château; on excite le peuple; dans une partie de
la garde nationale il y a mauvaise volonté, et dans l'autre Jaiblesse et
lâcheté. La résistance qu'on peut opposer aux entreprises des scélérats
n'est que dans quelques personnes décidées à faire un rempart de leurs
corps à la famille royale^ et dans le régiment des Gardes-Suisses. L' af-
faire qui a eu lieu le 30^ à la suite dun dîner aux Champs-Elysées,
entre 180 grenadiers d^ élite de la garde nationale et des fédérés mar-
seillais, a démontré clairement la lâcJieté de la garde nationale et le
peu de fond qu'il faut faire sur cette troupe, qui ne peut réellement en
^^^-^^^^— ■ ■ ■ 1 1 ■ - ■ ■ ■ — ■_ — ■ — — — . — ^ ^ ^
(1) Ce nombre indique la clef da chiffre ci-après.
ET LA COUR DE FRANCE. 341
imposer que par sa masse. Les 180 grenadiers ont pris la fuite; il y
en a deux ou trois de tués et une vingtaine de blessés. Les Marseillais
font la police du Palais-Royal et du jardin des Tuileries, que V Assem-
blée nationale a fait ouvrir. Au milieu de tant de dangers j il est difficile de
s'occuper du choix des ministres. Si on obtient un moment de tranquillité,
je vous mxmderai ce qu'on pense de ceux que vous proposez. Pour le
Tooment il faut songer à éviter les poignards et à déjouer les conspira-
teurs qui fourmillent autour du trône prêt à disparaître. Depuis long-
temps les factieux Tie prennent plus la peine de cacher le projet et anéantir
la famille royale. Dans les deux dernières assemblées noctumeSy on ne
différait que sur les mxyyens à employer. Vous avez pu juger par une
précédente lettre combien il est intéressant de gagner vingt-quatre heures;
je neferai que vous le répéter aujourdhui, en ajoutant que si on n^ arrive
pas, il n'y a que la Providence qui puisse sauver le roi et sa famille.
CCXXXVII.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1).
No 16. Braxelles, ce 3 août 1792.
J'ai reçu le n° 5. Vous avez déjà le manifeste, et vous devez en
être content. M. de Limon, qui Ta fait, a du mérite; il a été traité à
merveille par le roi de Prusse, l'Empereur et leurs ministres, même
par les princes. Le comte d'Artois lui a parlé à merveille sur l'inten-
tion où il était d'obéir aveuglément au roi et aux ministres qu'il
choisirait. Il lui a dit que Galonné le quittait, qu'il lui avait fait sentir
qu'il était impossible de l'employer à rien , puisque le roi de Prusse
et l'Empereur avaient déclaré ne pas vouloir traiter avec lui, et que
leurs ministres n'avaient pas même voulu le voir. Galonné va en Italie.
Le duc de Brunswick vient de donner une déclaration additionnelle
( 1} Copie de la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la reine
en UanCj par Tok,
342 LE COMTE DE FERSEN
très-forte, où il somme toutes les villes et villages de s'opposer au
passage du roi, de la reine et de la famille, si les factieux tentaient
de les amener, et les rend responsables du manque d'obéissance.
— Il vous faudra de l'argent dans le premier moment. Combien en
avez-vous â Londres? Arrangez-vous pour qu'il soit disponible d'un
moment à l'autre, lorsqu'il sera certain que vous êtes libre. Consentez-
vous qu'on mette en gage vos diamants? Croyez que si cela n'est pas
nécessaire, cela ne sera pas, et je l'empêcherai. Il faudrait emporter
les diamants de la couronne. Le baron (1) me dit que la Balue est
un honnête homme qui lui est entièrement dévoué, et, qu'en le flat-
tant un peu et lui parlant du baron , il donnerait un ou deux millions.
Voyez si vous pouvez ou osez lui faire parler. Je m'occupe à vous
3n trouver en Angleterre, et peut-être de la poche du roi. Répondez-
moi au plus tôt. Quand les armées seront en France, j'irai voir pour
un jour le roi de Prusse et le duc de Brunswick ; le baron aussi. Parmi
toutes mes peines, j'ai encore eu celle de perdre mes deux chiens ; ils
ont été empoisonnés le même matin, et sont morts à la fois. Cette
perte m'a été très-sensible, ils m'étaient précieux.
Si le duc de Brunswick arrive à Paris, il faudra le loger au Châ-
teau, cela vaudra mieux que partout ailleurs. Si vous pouviez trouver
un moyen sûr de sortir de Paris , prenez ce parti ; mandez-moi si vous
le voulez , et nous en trouverons peut-être ; cela serait essentiel.
CCXXXVIIL
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (2).
N° 17. Bruxelles, ce 7 août 1792.
J'ai reçu votre n° 7, le n° 6 manque. Mon inquiétude est extrême,
et le peu de fond qu il y a à faire sur la garde nationale, même la
( 1 ) De Breteail.
( 2 ) Minute de la main du comte de Feraen, qui a écrit en marge : à la reine en Wanc,
par Totc,
ET LA COUR DE FRANCE. 343
partie bien intentionnée, me désespère. J'ai toujonrs été convaincu
qu'on ne pouvait pas plus compter sur eux que sur les gens bien
intentionnés de Paris, qui craignent de se mettre en avant, de peur
d'avoir une égratignure, et qui se bornent à faire des vœux, tandis
que les scélérats agissent. Je les ai toujours vus de même, et cette
certitude m'a toujours fait trembler. Nous pressons le plus que nous
pouvons les opérations, et la volonté prussienne est parfaite ; celle
de l'Empereur personnellement l'est aussi, mais il n'est pas aussi bien
secondé par son ministère. Mercy a perdu près de lui presque toute
çon influence, l'archiduchesse aussi, et M. de Metternich, qui revient
de Frankfort et qui pense bien, a des pleins pouvoirs. On croit d'a-
près cela qu'elle partira. La Marck a été écarté de tout par le roi de
Prusse, comme tenant à M. de Mercy. L'armée prussienne est arrivée
le 6 à Trêves ; elle s'y arrête quelques jours pour avoir du pain et des
fourrages. Cela retarde un peu sa marche, mais le 15 ou le 16 le duc
de Brunswick entre en France, avec toutes ses forces. Je tremble pour
ce ihoment, et je ne cesse de faire des vœux ; que ne puis-je faire da-
vantage !
On a fait une grande faute de ne pas envoyer la déclaration d'une
manière officielle. Personne n'y avait pensé ; j'en ai fait sur-le-champ
l'observation et indiqué une manière. J'espère qu'on l'aura adoptée et
que cela est fait.
Simolin est de retour. Il a dit que les 18,000 Busses doivent partir
de Varsovie, et qu'il les croit déjà en marche. Il dit que Vaudreuil a
fait tout ce qu'il a pu à Vienne pour noircir le baron (1) et Bombel-
les, et qu'il y avait réussi, de même que Calonne a réussi à Péters-
bourg ; que l'impératrice était très-prévenue contre eux et pour les
princes ; qu'il l'a un peu ramenée. — C'est le duc de Bourbon qui
commande à la place de M. d'Egmont, mais les émigrés sont telle-
ment dépourvus de tout qu'il n'y en aura peut-être qu'un quart qui
pourra suivre les opérations. Le duc de Brunswick en est déjà très-fa-
tigué. Les princes veulent absolument faire un manifeste. Nous tâchons
de l'empêcher, mais je ne sais si nous y parviendrons.
(1) DeBreteuU.
344 LE COMTE DE FERSEN
CCXXXIX.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR DE SU&DE
A SAINT-PETERSBOURG (1).
Bruxelles, ce 9 août 1792.
Les dangers imminents auxquels le roi et la reine de France sont
exposés, et la certitude que nous avons du projet des factieux d'at-
tenter à leurs jours , ou du moins de les emmener dans la partie
méridionale de la France, après avoir fait prononcer la déchéance
du trône, — nous ont engagé à tenter encore un moyen de les sauver,
s'il est possible ; et le baron de Breteuil a envoyé ce matin Tévêque
de Pamiers à Londres , avec des lettres pour M. Pitt et lord Gren-
ville, où il demande à Tamitié du roi d'Angleterre, et à l'intérêt que
la situation de LL. MM. T. C. doit inspirer à toute âme sensible, de
vouloir signifier à M. de Chauvelin et faire déclarer, par son ambas-
sadeur à Paris, que, quoique S. M. Britannique soit décidée de ne
pas se départir du système de neutralité qu'elle a adopté , elle ne
souffrira aucun attentat contre les personnes de LL. MM. T. C. et
de leur famille, et que, dans le cas où les factieux voudraient atten-
ter à leurs jours, elle se réunirait aux puissances coalisées pour en
tirer une vengeance éclatante.
(1) Minute autographe de la Hiaizi du comte de Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 345
CCXL.
I
DU COMTE DE FBRSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (i).
No 18. Bruxelles, oe 10 août 1792.
J'ai engagé le baron (2) à faire une démarche auprès de M. Pitt
pour engager le roi d'Angleterre à déclarer qu'il vengera d'une ma-
nière éclatante tout attentat contre vos personnes. L'évêque y est allé
pour cela. Les dangers que vous courez m'ont fait adopter cette
mesure^ peut-être inutile; mais pour un objet aussi intéressant, il faut
tout tenter. L'idée est de M"* SuU : le baron y était contraire, la
regardant comme inutile; mais il l'a adoptée ensuite, quand je la lui
ai bien détaillée. M. Crawford était prêt à y aller, mais nous avons
trouvé ensuite que, comme compatriote, il rencontrerait peut-être des
obstacles, et que l'évêque ferait plus d'eflfet. Mon projet était d'y
aller, mais quand on m'a représenté que je pourrais être plus utile,
j'ai abandonné ce projet qui satisfaisait bien mon cœur. Mon inquié-
tude pour vous est extrême ; je n'ai pas un moment de tranquillité, et
je n'ai de consolation que de voir mes inquiétudes vivement partagées
par M. C. (3), qui n'est occupé que de vous et des moyens de vous
servir.
C'est toujours le 15 que le duc de Brunswick entre. Le prince Ho-
henlohe a eu des succès. On le croit devant Landau, et on croit que
la place se donnera à lui. Le duc Albert est entré en France avec
toutes ses forces; on croit qu'il a des projets sur Coudé ou Maubeuge.
Je regrette bien que vous ne soyez pas sortis de Paris.
( 1 ) Minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la reine en blanc,
par TVwc.
(2) DeBreteniL
( 3; Crawford.
346 LE COMTE DE FERSEN
CCXLL
■
BULLETIN SUR CE QUI s'eST PASSÉ LE 10 AOUT 1792 A PARIS, A LA
PRISE DES TUILERIES (1).
Le 11 août 1792.
Le roi et la famille royale sont en sûreté pour le moment. Personne
ne le croyait hier; on l'espère aujourd'hui. Pour le moment, le roi
€st déchu de toutes ses fonctions. L'Assemblée l'a pris avec la famille
royale soiis sa protection. Vous verrez les détails dans les papiers.
Aucune parole ne peut rendre l'horreur de la journée d'hier. Tout
Paris entendait tirer sur le Château sans savoir que la famille royale
était à l'Assemblée. On évalue le massacre des Suisses par le peuple à
700 et la populace tuée par le feu des Suisses à 600, dont 200 Mar-
seillais, qui ont tout fait avec les fédérés.
Comme l'événement des Tuileries est arrivé au moment où on
pendait les malheureux aux Feuillants, dès qu'on entendit le canon,
on quitta pour s'y porter ; il y en avait encore dix-neuf qui avaient été
pendus, c'est-à-dire mutilés, car on ne leur coupait la tête qu'après les
avoir fait mourir sous le bâton. Personne ne sait encore qui ils sont;
mais certainement tous gens distingués. Cette nuit, on a mené à l'Ab-
baye les oflSciers suisses qui restaient à Courbevoie. Tous ceux qu'il
y en avait dans Paris ont péri, et en ce moment, supposant qu'il
peut y en avoir dans les souterrains du Château, on les remplit d'eau.
Passé 7 heures du soir, on aurait cru qu'il y avait une réjouissance
publique ; on entend partout chanter, les cabarets étaient pleins.
On dit que M. Pétion s'était fait consigner chez lui par les sans-
culottes ; on le dit, mais je ne puis le croire. H est constant qu'il n'a
paru que lorsque tout était fini. On frémit de l'idée que la famille
royale aille au Luxembourg.
( 1 ) En chifEre, du S' Bergstedt, chargé dea affaires de Suède 4 Paris; déchiffrée par un
secrétaire du comte de Fersen, qui a écrit eu marge : 14 <ioùt 179 2, reçu.
ET LA COUR DE FRANCE. 347
CCXLII.
DE M. DE NICOLAY AU BARON DE BRETEUIL (1).
Paris, ce 11 août 1792.
Vous aurez assez de détails de tout ce qui s*est passé hier. Tocsin
et générale sonné et battue partout. M. Pétion dans le Château à 11
heures, envoyé chercher par l'Assemblée à minuit passé. Précautions
prises dans les Tuileries très-bonnes jusqu'à 5 heures, alors arrivée
de diverses troupes; à 5 heures et demie, descente du roi pour voir
les postes, même celui du pont Tournant. De retour au Château, les
assiégeants arrivent par le guichet, se mettent en bataille dans le
Carrousel ; ils avaient dix pièces de canon qu'ils braquèrent devant les
différentes portes, et restèrent tranquilles pendant longtemps. A
8 heures , le roi et toute la famille royale demandés par décret de
l'Assemblée, ils s'y rendent sous forte escorte, ce qui dégarnit d'au-
tant le Château. Le maréchal de Mailly y commandait, M. de Bouf-
flers (?) ; point d'ordres donnés et beaucoup de désordre. Les fédérés en
assez grand nombre, pendant que la famille royale gagnait l'Assemblée,
entrèrent sur la terrasse des Feuillants, braquèrent deux pièces de
canon contre le Château, il y en avait six sur la terrasse. Aucun ordre
donné. Les canonniers réciproques finissent par se joindre et s'assurer
les uns des autres. Le roi allait monter sur la terrasse pour entrer à
l'Assemblée ; il passe dans ce moment un détachement de piques et
trois têtes au bout, je les ai vues. Le roi, entré à l'Assemblée, la porte
du Château fut jetée à bas ; on fit relever ceux qui la gardaient, on en
encombrait d'autant le Château: Les fédérés encore dans la cour se
mirent en bataille de droite et de gauche, s'emparent du canon, de-
mandent les Suisses ; les fédérés tirèrent les premiers ; alors un moment
de fusillade très-vive des fenêtres du Château. Les fédérés se sauvèrent
au Carrousel. Deux compagnies suisses descendirent jusqu'à la grande
porte, reprirent le canon, mais nul ordre donné pour les soutenir.
( î) D'après une lettre déchifErée que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fersen,
•qui a écrit en marge : 14 aoât 1792, reçu.
;
348 LE COMTE DE FERSEN
Beaucoup de personnes se sont retirées. Comme les Suisses n'ont pas
été soutenus, la garde nationale, qui était avec eux, doit avoir assez
souffert. Le nombre des morts doit être considérable ; il s'est commis
des horreurs partout. M. de Clermont-Tonnerre , ancien député, était
parti le matin ; ramené au district de la Croix-Bouge, il a été massacré
à la porte de l'Abbaye- aux-Bois. — Le roi a été suspendu ; la liste
civile en séquestre ; le ministère n'ayant point la confiance nationale,
il est tout nommé au scrutin. Une commission aéra aussi nommée
pour juger S. M. Toute la famille royale a dû coucher aux Feuillants,
et sera gardée pour servir d'otage à tout événement.
On a brûlé tous les établissements qui avaient été faits pour la
garde au Château, qui lui-même a été criblé de coups de canon.
CCXLIIL
DE M. DE SAINTE- FOIX AU BARON DE BRETEUIL (1).
Paris, ce 11 août 1792.
La journée d'hier a fourni presque tous les résultats que je vous ai
annoncés, au milieu du tumulte par lequel elle a été commencée. Le
Château n'a point été incendié, ce ne sont que les baraques et petits
bâtiments accessoires que le mauvais goût et de faux besoins avaient
élevés entre les cours et le Carrousel. Les appartements ont été pillés,
surtout celui de la reine ; on a un peu plus respecté celui du roi.
Beaucoup d'effets précieux ont été rapportés à la visite dans l'Assem-
blée, et notamment une caisse couverte en velours, dans laquelle était
une figure de saint ou de sainte en argent, qui servait sans doute &
la dévotion de la reine. Les caves ont été enfoncées et plus de dix
mille bouteilles de vin, dont j'ai vu les débris dans la cour, ont telle-
ment enivré le peuple que je me suis pressé de terminer une enquête
( 1 ) D'après une copie que le barou de Breteuil a envoyée au comte de Fenen ; dans les
papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 349
assez imprudemment entreprise, au milieu de deux mille ivrognes,
ayant des armes nues qu'ils maniaient très-maladroitement. Je crois
qu'il reste aujourd'hui bien peu de Suisses ; ce qui n'est pas clair,
c'est de savoir qui d'eux ou de la populace a conmiencé à tirer. Le roi
n'est point déchu, mais seulement suspendu, comme l'année dernière,
et l'Assemblée a fait sur-le-champ rentrer dans le ministère les Cla-
vière, Roland et Servan. H en faut encore trois qu'où prendra dans
le même sens. La famille royale a été conduite au Luxembourg, et
nous allons avoir cette Convention nationale dont j'avais l'idée, mais
que j'aurais voulu convoquée par le roi et sur d'autres principes qu'elle
ne sera probablement, c'est-à-dire que j'aurais voulu qu'elle ne fût
composée que de propriétaires. On abat les statues des places publi-
ques, ce qui est ime vraie barbarie.
Danton, ministre de la justice, dit-on, et Le Brun, un des commis
des affaires étrangères, ministre.
Tous les 800 gardes suisses sont massacrés.
CCXLIV.
DU COMTE DE FERSBN AU ROI DE SUÈDE (1).
Bruxelles, ce 12 août 1792.
Sire,
Les dangers imminents auxquels le roi et la reine de France sont
exposés, et la certitude du projet des factieux d'attenter à leurs jours,
par tous les moyens possibles, ou de les emmener dans la partie méri-
dionale de la France, s'ils peuvent faire prononcer la déchéance du
trône, ont engagé le baron de Breteuil à tenter encore un moyen de
les sauver, s'il est possible. H a envoyé pour cet effet l'évêque de
Pamiers en Angleterre avec des lettres pour M. Pitt et lord Grenville,
(1) D'apite la minute de la main du comte de Feraen, qui a écrit en marge : chiffre,
au rm.
350 LE COMTE DE FERSEN
dans lesquelles il demande à l'amitié du roi d'Angleterre, et à l'in-
térêt que la situation de LL. MM. T. C. doit inspirer à toute ftme
sensible, de vouloir signifier à M. de Chauvelin et faire déclarer, par
son ambassadeur à Paris, que, quoique S. M. Britannique soit décidée
à ne pas se départir du système de neutralité qu'elle a adopté pour
les affaires de France, elle ne souffrira aucun attentat contre les
personnes du roi, de la reine ou de la famille royale, et que, dans le
cas où les factieux voudraient attenter à leurs jours, à leur sûreté ou
à leur liberté, elle se réunirait aux puissances coalisées pour en tirer
une vengeance éclatante.
Dès que l'évêque de Pamiers sera de retour, j'aurai l'honneur d'ins-
truire V. M. du succès de cette démarche.
CCXLV.
DÉPÊCHE DE M. PITT, CHANCELIER DE l'ÉCHIQUIER DE LA GRANDE-
BRETAGNE, A l'ambassadeur de s. m. LE ROI DE LA GRANDE-
BRETAGNE A PARIS (1).
Whitehall, ce 17 août 1792.
Milord ,
Pendant l'absence de lord GrenvUle, j'ai reçu et mis sous les yeux
du roi la dépêche de V. E. n° 40 par Merley. S. M. apprend, avec la
plus profonde sollicitude, jusqu'à quel point les excès ont été portés
à Paris, et les conséquences déplorables qui en put été la suite, et qui
affectent doublement S. M. tant par le sentiment invariable que
S. M. éprouve pour les personnes de LL. MM. T. C. et l'intérêt qu'elle
prend à leur bonheur, que par les vœux qu'elle forme pour la tran-
quillité et la prospérité d'un royaume avec lequel elle est en amitié.
(1) D'après une traduction française de la main du comte de Fersen, d'après une copie
en anglais envoyée an baron de Breteuil, de la part du cabinet de Londres, et reçue par
l'évêque de Pamiers, le 21 août 1792.
ET LA COUR DE FRANCE. 351
Dans les circonstances présentes, comme il paraît que le pouvoir
exécutif a été ôté à sa S. M. T. C, les lettres de créance par lesquelles
V. E. a été accréditée jusqu'à présent ne sont plus valables, et S. M.
juge convenable, par cette raison de même que conforme aux principes
de neutralité que S. M. a observés jusqu'à présent, que vous ne
restiez plus à Paris. C'est donc le bon plaisir de S. M. que vous quit-
tiez Paris , et que vous reveniez en Angleterre aussitôt que vous le
pourrez, après vous être procuré les passeports nécessaires.
Dans toutes les conversations que vous pourriez avoir, avant votre
départ, vous aurez soin de tenir un langage conforme aux sentiments
ci-dessus énoncés, et vous chercherez particulièrement toutes les occa-
sions d'exprimer que, quoique S. M. entende adhérer strictement aux
principes de neutralité pour tout ce qui regarde l'établissement du
gouvernement intérieur de la France, elle ne regarde pas comme une
déviation de ces principes de manifester, par tous les moyens qui
sont en son pouvoir, sa sollicitude pour la situation personnelle de
LL. MM. T. C. et de leur famille, et l'espoir sérieux qu'ils seront au
moins à l'abri de tous les actes de violence, ce qui ne pourrait man-
quer de produire dans tous les pays (Je l'Europe un sentiment uni-
versel d'indignation.
CCXLVI.
DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
Bruxelles, ce 22 août 1792.
Sire,
L'évêque de Pamiers, dont j'ai eu l'honneur de mander à V. M. le
voyage à Londres, dans ma dépêche du 12, est de retour depuis hier.
La demande dont il était chargé et les derniers événements qui ont
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : chiffrty
au rai de Stiède,
352 LE COMTE DE FER8EN
eu lieu à Paris ont décidé le roi d'Angleterre au rappel de son ambas-
sadeur ; mais l'évêque de Pamiers n'a jamais pu obtenir la déclaration
formelle qu'il sollicitait, on s'est borné à ordonner à l'ambassadeur
de témoigner dans ses conversations le tendre intérêt que le roi
d'Angleterre prend au bonheur de LL. MM. T. C, et que, quoique
elle entende adhérer strictement aux principes de neutralité pour
tout ce qui regarde l'établissement du gouvernement intérieur de la
France, elle ne regarde pas comme une déviation de ces principes de
manifester, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, sa sollicitude
pour la situation personnelle de LL. MM. T. C. et de leur fianille, et
l'espoir sérieux qu'elles seront au moins à l'abri de tous actes de
violence, qui ne pourraient manquer de produire dans tous les pays
de l'Europe im sentiment universel d'indignation. L'ambassadeur
reçoit ordre de partir sur-le-champ. La crainte de se trouver com-
promis et de s'écarter du système de neutralité adopté a empêché le
roi d'Angleterre et son ministère de se prononcer plus fortement.
CCXLVIL
DU VICOMTE DE CARAMAN AU BARON DE BRETEUIL (1).
An camp deyant Longwj, oe 28 (août) an soir ( 1792 ).
Monsieur le baron.
Votre courrier m'est arrivé ce matin , mais ce n'est qu'assez tard
qu'il a pu me rejoindre, parce que je m'étais rendu à l'année de
M. jde Clairfayt pendant le siège de Longwy . Je m'empresse de vous
le renvoyer, parce que je sais combien il vous sera utile, et seconde-
ment j'ai bien de l'empressement de vous dire combien je suis heureux
de la résolution que vous avez prise de venir ici. J'ai été en rendre
(1) D'apxës la lettre originale que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fenen;
dans les papiers de ce dernier.
ET LA COUR DE FRANCE. 353
compte aussitôt à M*' le duc de Brunswick qui m'a témoigné, d'une
manière bien obligeante, le plaisir qu'il aurait à vous voir arriver.
Je ne lui ai rien caché de votre opinion sur la régence, etc. ; il m'a paru
beaucoup moins séduit de cette idée, depuis que la prise de Longwy
et la soumission rapide de tout le pays lui apprennent qu'il peut tout
espérer pour le succès de ses armes, sans penser à ces mesures étran-
gères. Je ne vous parle pas de l'opinion de M. de Schoulembourg,
elle est toujours la même, et quant à la régence, etc., et quant au
désir et à l'utilité qu'il trouve à vous voir arriver; vous pouvez être
sûr de ses sentiments, d'autant plus que vous avez toujours été d'ac-
cord d'idées, avant même de vous les être communiquées. Le roi,
chez qui je me suis rendu sur-le-champ, m'a reçu avec toute l'obli-
geance et la bonté dont il est susceptible, c'est dire qu'il est impossible
d'y mettre plus de moyens de séduire et d'attacher celui qui a l'avan-
tage de l'approcher. Il m'a chargé de vous dire combien il était
satisfait de la résolution que vous avez prise, et combien il espérait
en retirer d'utilité, en vous consultant sur tout ce qui intéresserait le
royaume. S. M. a même ajouté une phrase touchante, en me disant
qu'elle aimait encore dans cette démarche à montrer toute son amitié
sincère et son profond intérêt 'pour le roi de France, et qu'elle croyait
que ce serait pour lui un motif de satisfaction et de consolation en
voyant auprès de lui le ministre à qui il avait donné de si grandes
marques de sa confiance. J'ai pris texte d'un sentiment aussi touchant
pour assurer le roi que tout votre désir était de lui prouver que vous
étiez digne de cette marque de sa bienveillance, et ensuite j'ai fran-
chement rompu la glace sur toutes les insinuations malignes dont on
l'avait entouré. Je lui ai dit qu'elles m'avaient péniblement affecté,
et pour la chose aussi bien que pour vous et pour moi, et j'en ai tiré
parti pour parler avec assez de franchise au roi de vos sentiments
réels, pour que je crois* ne lui avoir laissé aucun doute à cet égard. J'ai
parlé d'abondance et de confiance à S. M., qui a paru m'écouter avec
intérêt, et je l'ai suppliée, sans m'expliquer davantage, de peser nos
sentiments avec nos intérêts, sans même parler de la reconnaissance,
et de voir ensuite si un fidèle serviteur du roi de France pourrait se
permettre de penser à marcher dans une route qui ne le conduirait
pas à témoigner à la Prusse et notre attachement et notre intérêt.
Il m'a remercié de la franchise de mon explication, en me donnant
toutes les assurances possibles qu'à cet égard on n'altérerait jamais
T. II. 23
354 LE COMTE DE FERSEN
sa confiance et qu'il comptait sur nous. Nous avons ensuite parlé de
la régence, etc. ; je lui ai avoué naturellement qu'il me paraissait que
votre opinion sur cet objet était 4emeurée négative, et, comme il m'a
dit que les princes devaient venir demain chez lui, je l'ai supplié de
vouloir bien, sans entrer en explication, se retrancher sur ce qu'il
n'avait pas encore reçu de réponse de la cour de Vienne, et il me l'a
promis. Je n'ai pas voulu aller au delà, ni me charger de le convaincre ;
il me suffisait que rien ne se fît avant votre arrivée , et il m'a dit
qu'alors il verrait avec vous, si ce projet ne pouvait décidément pas
convenir, ce qu'il serait possible de faire pour assurer l'ordre et établir
un gouvernement provisoire, jusqu'au moment où le roi pourra faire
connaître ses intentions. J'ai seulement supplié S. M. de vouloir bien
vous voir avant tout, et de permettre aussi que la première entrevue
entre les princes et vous soit en sa présence, et il m'en a donné l'as-
surance. Le roi m'a paru très-satisfait de ses premiers succès, et ils
lui donnent les plus grandes espérances pour l'avenir.
Je lui ai parlé des prisonniers, Lafayette et autres, et j'ai obtenu
ce que vous m'aviez chargé de demander, et le roi a, je crois, écrit
lui-même pour les demander à Luxembourg et ensuite les enfermer
dans le château de l'électeur de Trêves. Il est également entré dans
mes vues sur la nécessité de faire agir M*' le duc de Saxe (1), et il
doit également lui écrire pour le prier instamment de faire quelques
mouvements. J'ai aussi engagé le prince de Reuss à répondre au gou-
vernement des Pays-Bas qu'il avait pris sur lui de déclarer au roi
de Prusse que les intentions de sa cour seraient conformes au désir
de S. M. Prussienne sur le transport des prisonniers et qu'il en avait
répondu. Le général Clairfeyt avait envoyé un officier en courrier à
Rochefort, où ces messieurs ont été arrêtés, pour les amener sur-le-
champ à Luxembourg; mais ils étaient déjà partis pour Namur.
Longwy s'est rendu hier au soir. 11 y a eu quelque difficulté
pour la capitulation, mais une porte a été occupée le soir par un
bataillon hongrois, ce qui décide la chose. Je crois que la garni-
son sortira avec les honneurs de la guerre. Les troupes de ligne
seront gardées prisonnières, et les gardes nationales seront ren-
voyées avec déclaration bien précise que, si l'un d'eux est repris
( 1 } Saze-Teschcn.
ET LA COUR DE FRANCE. 355
€n nnifonne ou les armes à la mam, il sera pendu sans ancnne
rémission. Cette décision m'a paru réonir le double avantage de
ne pas nous ruiner en dépense de prisonniers, et de renvoyer dans
rintérieur du pays autant de courriers qui annonceront les forces
imposantes des troupes alliées, qui publieront la louange du roi et
du duc, et qui répandront l'avantage que l'on trouvera à se rendre
lorsqu'ils se présenteront. Il a été convenu que les magasins de vivres
et munitions seront partagés également entre les deux puissan-
ces, et que l'on dressera inventaire des objets nécessaires à l'en-
tretien et à la défense de la place, qui seront remis au commandant
de la place, ainsi que l'inventaire des pièces de canon et objets
appartenant à la place, qui seront conservés pour être remis au roi
de France.
En général, monsieur le baron, toutes les circonstances semblent
se réunir pour accélérer notre ouvrage. Les campagnes des environs
«e présentent comme on peut le désirer; les maires abondent pour
faire les soumissions les plus respectueuses; le désarmement se
fait volontairement et d'avance dans beaucoup d'endroits, et dans
d'autres le maire les rassemble au premier ordre. Tous ces gens
sont reçus avec une bonté extrême par le duc, qui se donne lui-
même la peine de les encourager et de les prêcher; il leur donne
des sauvegardes et cherche à leur inspirer la confiance par tous
les moyens possibles. L'entrée des troupes en France a été mar-
quée par des excès bien condamnables, mais qui ont été réprimés
aussitôt par des punitions très-sévères. Le pillage a été affreux,
mais le roi a cassé et renvoyé le colonel du régiment qui s'y était
le plus livré, et deux pilleurs ont été pendus ; le roi, de plus, a
ordonné que les colonels payeraient dorénavant les indemnités des
pillés, et lui-même a donné 100 ducats au village le plus mal-
traité, et des bons de reconnaissance pour les bestiaux qui auront
4té volés ou qui seront fournis, et ces bons pourront servir conmie
argent pour payer les impositions. C'est avec de tels moyens que le
roi a rassuré la confiance et rétabli l'ordre si nécessaire dans la
marche de ses troupes, qu'il veut faire regarder comme une protec-
tion et nullement comme un fléau. Les Autrichiens ont aussi
pillé de leur côté d'une manière horrible, mais la justice n'a été
ni si exacte ni si sévère, et les indemnités ont été nulles. J'ai
supplié le duc de vouloir bien donner ses ordres pour que les
356 LE COMTE DE FERSEN
mêmes principes soient suivis également à l'autre armée^ et il me
Ta promis.
Nous restons encore dans ce camp-ci jusqu'au 27. On cuit du
pain, et on veut prendre ici tous les moyens d'ensemble avec le
prince de Hohenlohe et M. de Clairfayt. Le 27, nous marcherons
droit sur Verdun, sans nous arrêter. M. de Clairfayt ira à Mont-
médy, et le prince de Hohenlohe marchera sur Thionville. Les
princes traverseront une partie de Luxembourg et entreront par
Bouillon. Telles sont les dispositions du moment. On a quelques
espérances sur Luckner, qui a renvoyé de son camp les gardes
nationales et n'y a conservé que les troupes de ligne dont l'esprit
actuel paraît vouloir se laisser entraîner à une faible résistance.
L'armée de Lafayette, dénuée de chefs et étonnée de la désertion
de ceux que l'on a arrêtés, ne sait plus où donner de la tête. Si
le roi n'était pas dans une situation aussi affreuse, que d'espérance
n'aurions-nous pas !
Je me rendrai le 28 à Luxembourg, monsieur le baron, et je
vous y attendrai. Je prendrai les ordres du roi avant de partir, et
je crois que son désir est que vous le suiviez le plus près possible ;
à mesure que son armée avancera, vous serez logé dans les petites
villes les plus proches, parce qu'il veut vous épargner les fatigues
et les incommodités inséparables d'un camp, mais vous avoir à
portée de vous voir souvent.
Adieu , monsieur le baron ; permettez-moi de vous parler de tout
le plaisir que j'aurai à vous revoir et à partager avec vous les
suites de cette grande entreprise, qui semble se développer d'une
manière plus heureuse que je n'osais l'espérer. Faites, je vous en
supplie, tout ce qui vous sera possible pour ne pas perdre un moment
J'ai l'honneur d'être, avec le plus respecteux attachement, mon-
sieur le baron,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Le V*® DE Caramàk.
ET LA COUR DE FRANCE. 357
CCXLVIII.
DU COMTE DE FERSEN A M. DE SILFVERSPABRE, EMPLOYA AU MINIS-
TÈRS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A STOCKHOLM (1).
Ce 29 aoftt 1792.
Paris est tonjoors dans le même état. La terreur, la constematioii
et le crime j régnent. Il ne se passe pas de jour qu'on n'arrête et
qu'on n'exécute quelqu'un. M. de la Porte, l'intendant de la liste
civile, a été décapité le 24, pour avoir, disait-on, employé l'argent
de la liste civile à soudoyer des écrivains contre-révolutionnaires.
C'était un fort honnête homme, dont le seul crime était d'être
attaché à son maître, et qui ne s'est jamais mêlé de rien. Bamave
et Ch. Lameth sont arrêtés, et j'espère qu'ils seront exécutés ;
personne ne l'aura plus mérité. On cherche M. du Port partout ; on
cherche aussi la duchesse de Luynes. H est impossible d'avoir des
nouvelles positives de la famille royale ; personne ne peut les voir.
On assure cependant qu'ils se portent tous bien. Il passe très-peu
de lettres, [et d'ailleurs personne n'oqp écrire, de peur d'être soup-
çonné et arrêté. ï)e gazettes, il n'y en a plus que celles que la
faction dominante fait faire, et vous savez combien peu on peut
compter sur leur véracité; encore les reçoit-on difficilement. A
Yalenciennes, on a abattu la statue de Louis XY et déchiré son
portrait qui était à l'hôtel de ville. C'est à Grenoble que Bamave
a été arrêté. Les commissaires de l'Assemblée, arrêtés à Sedan,
ont été relâchés. Enfin tel est l'effet de la peur, et telle est la
lâcheté des Français, que cette faction exécrable, qui est en hor-
reur partout, qui a partout la majorité contre elle, a cependant
partout l'avantage et gouverne en despote. ^
On ne sait rien à Paris de l'entrée des armées en «France ; à Ya-
lenciennes même, on ignorait encore avant-hier la prise de Longwy.
On cache tout au peuple ; on l'endort à force de mensonges et
( 1 ) D'aprèft la minute du comte de Fenen , qui a écrit de Ba propre main : en clair, à
Silfvertparrt,
358 LE COMTE DE FEBSEN
d'impostures ; mais gare le réveil, il sera terrible pour les scélérats î
Il est impossible de se former une idée raisonnable de leur plan :
veulent-ils ou ne veulenWls pas conserver la famille royale? La
raison devrait rassurer sur leurs jours, mais peut-on espérer que
des fous ou des forcenés écouteront sa voix?
Les armées devaient marcheif le 27 ou le 28; celle du duc de
Brunswick devait se porter sur Verdun, eelle de Clairfayt sur
Montmédy, et celle de Hohenlohe sur Thionville. II paraît que le
duc de Brunswick ne veut pas avancer avant la réduction de ces
trois places. Il n'aura ensuite aucun obstacle jusqu'à Paris ; tout
le pays se soumet volontairement, sans aucune opposition, et le
désarmement se fait de même.
M. de Lafayette et ses camarades sont à Nivelles ; en attend
le retour d'un courrier de Vienne et ce qui aura été convenu entre
le roi de Prusse et l'Empereur, pour savoir s'ils seront conduits à
Anvers ou dans un ch&teau dans l'électorat de Trêves. Beaucoup
de gens se sont étonnés de ce [qu'ils sont si bien traités ; peut-être
aurait-il été juste de les traiter avec plus de rigueur.
Adieu, monsieur, recevez l'assurance des sentiments que je vous ai
voués depuis longtemps.
CCXLIX.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE BRETEUIL (1).
Ce 8 Eeptembre 1792.
Monsieur le baron.
Voilà de mauvaises nouvelles de Paris, monsieur le baron, et
quoique ma raison me dise sans cesse d'être tranquille sur leurs
vies et qu'il est de l'intérêt des scélérats de les conserver, cepen-
( 1 ) D'aprôt une copie parmi les papiers du comte de Fersen , qui a écrit de ea propre
main en marge ; copie de ma lettre au baron de Breteuil, par le baron de Bats,
ET LA COUR. DE FRANCE. 359
dant je n'ose me livrer tout entier à cet espoir^ et la séparation
du roi et de la reine me fait tout craindre ; je me perds en coujec-
tures, elles me paraissent toutes également fondées^ et je finis tou-
jours par me dire qu'il est impossible de raisonner avec des fous.
Les opinions sur ce qui a déterminé 'à ouvrir les barrières de Paris
et à laisser sortir sans passeports sont différentes ; celle qui paraît
la plus générale est que les scélérats ont voulu se ménager par là
un moyen de se sauver, et que nous les verrons un beau jour
abandonner Paris à Tanarcliie la plus complète. H serait bien inté-
ressant alors qu'il se montrât un homme qui pût se créer une
autorité et qui n'en fît usage que pour sauver le roi et sa famille,
et lui rendre celle qu'il a perdue. Parmi les gens qui lui sont
dévoués pu les aristocrates qui sont à Paris, je n'en vois aucun
qui ait la force, l'énergie et le courage, et en même temps assez
de confiance et d'influence sur la canaille, pour réussir à jouer ce
rôle; mais j'en vois un parmi les constitutionnels, qui réunit ces
qualités et qui a de plus l'avantage d'être connu de la canaille
et de l'avoir menée longtemps : c'est M. Acloque, autrefois brasseur
du faubourg Saint-Marceau. Cet homme, quoique démocrate, s'est
dans tous les temps bien montré pour le roi ; il a même rendu
des services. Il a assez d'esprit pour sentir tout ce qu'il a à répa-
rer ; il a des vengeances particulières à exercer ; il a été opprimé ;
il sent que son parti est anéanti pour jamais ; il veut écraser celui
des jacobins. L'entrée des armées étrangères lui défend de jouer un
grand rôle ; tout doit donc le déterminer à se déclarer pour le roi,
et je ne doute pas, si la peur chasse l'Assemblée, qu'il ne le fît.
C'est d'ailleurs un homme qui pourra vous être fort utile, monsieur
le baron, dans la suite, pour la recherche des coupables d'une
classe plus obscure. Ne pensez-vous pas , monsieur le baron, qu'un
homme de cette espèce, auquel le roi a des obligations, serait bon
à employer comme prévôt des marchands, ou dans une autre grande
place de la ville? Sa nomination aurait encore l'avantage de faire
un bon effet parmi le peuple, et de vous donner un homme entière-
ment à votre dévotion.
M"** de Matignon m*a parlé hier d'un mémoire que M. de
Bombelles doit vous envoyer sur la nécessité de faire paraître une
espèce de proclamation, pour prouver à la ville de Paris la néces-
sité non-seulement de se détacher des factieux et des scélérats.
360 LE COMTE PE FERSEN
mais même d'agir contre eux, et qu'ils ne peuvent échapper à la
juste vengeance du duc de Brunswick en se bornant à se renfermer
dans leurs maisons, pour ne pas prendre part aux horreurs qui se
commettent. Je crois l'idée juste et utile, maïs le moyen de lui
procurer son effet insuffisant ; car vous savez, comme moi, combien
on cache au peuple tous ces écrits, et l'art qu'on a, lorsqu'ils per-
cent, de les dénaturer, de les falsifier et d'en détruire l'effet. Je
croirais donc qu'une fois arrivé à Châlons, il vaudrait bien mieux
chercher, par tous les moyens possibles, la possibilité d'entrer en
pourparlers et en négociations avec les factieux, et tout sacrifier
pour assurer l'existence du roi et de sa famille, et procurer sa
liberté ; ralentir même, s'il le fallait, sous différents prétextes, la
marche des troupes, et tout promettre, quitte à trouver ensuite des
prétextes pour ne tenir que ce qu'on voudrait.
Voilà, monsieur le baron, mon idée. Vous jugerez bien mieux que
moi jusqu'à quel point elle pourra être admissible ou utile. Je crois
aussi qu'on ne saurait trop éclairer et rassurer le peuple par des écrits
simples, courts et clairs, et qu'il serait bon de les multiplier. Ne
pensez-vous pas que M. de Limon serait bon pour cette besogne et qu'il
pourrait être utile de le faire venir ? 11 vous est attaché, il a de l'esprit,
il connaît bien le royaume et les formes ; il a de l'ambition, et, comme
il attend tout de vous, il vous sera dévoué, et son esprit d'intrigue
ne peut pas être à craindre. Si vous y trouviez quelque utilité et que
vous vous décidiez à lui écrire, je lui parlerais aussi de mon côté pour
l'y décider.
Ce 6 septembre 1792.
Ma lettre a été commencée le 3. M"* de Matignon m'avait dit qu'il
partirait ce jour-là un courrier. Celle-ci vous sera portée, monsieur, le
baron, par le baron de Batz ; permettez au respect et à l'attachement le
plus'sincère et le plus inviolable une prière , c'est de ne pas avoir l'air
de donner trop de confiance au baron de Batz, et de n'en parler que
comme d'un homme dont vous appréciez le mérite à sa juste valeur,
mais dont vous vous servez en ce moment à cause de ses liaisons
banquières, pour savoir des détails qui peuvent être utiles. Vous savez
comme moi, monsieur le baron, que la réputation du baron n'est pas
des meilleures . qu'il est regardé par beaucoup de gens comme un che-
valier d'industrie, et vos ennemis ne manqueraient pas de dire que
ET LA COUR DE FRANCE. 361
VOUS ne mettez de coûfiance et que yons ne vous entourez que de
gens de cette espèce. Pardon ^ monsieur le baron , de vous faire cette
observation, mais j'aime à. me flatter que vous n'y verrez qu'une preu-
ve de mon sincère attachement , et de mon désir d'assurer les succès
que mon cœur vous souhaite. Le baron de Batz ne pourrait-il pas
vous servir à entamer une négociation avec les factieux? Permettez-
moi de vous rappeler encore la nécessité de détruire les clubs jaco-
bins et d'arrêter et renvoyer sur les derrières les chefs et les plus
zélés partisans de cette secte ; il ne faut pas se flatter de les rame-
ner par la douceur, il faut les exterminer, et voilà le moment. Des
gens de cette espèce ne pourront supporter l'inaction, et, après avoir
joué un rôle, ils ne consentiront jamais à rentrer paisiblement dans
la classe d'où ils étaient sortis.
Je suis f&ché qu'on ait pris le parti de renvoyer en France tous
les prisonniers ; il aurait été bon de garder du moins les officiers ; ce
sont autant de factieux que vous cachez parmi le peuple et qui ne feront
que prêcher la révolte . H y avait à Longwy un monsieur d'Ervillé,
autrefois officier dans mon régiment, qui est un homme affreux, et
qu'on ne ramènera jamais. Les exemples de sévérité sont bien néces-
saires et en même temps des écrits pour instruire , rassurer et éclairer
le peuple ; mais la sévérité est indispensable , et l'exemple de ce qui
se passe à Paris est une preuve qu'on ne peut mener le peuple qu'a-
vec une verge de fer. Les trois quarts de la ville sont révoltés de la
tyrannie des jacobins, mais ils n'ont pas le courage de s'y opposer.
C'est ce qu'il est bien essentiel de prouver au duc de Brunswick.
Les derniers événements sont affreux, mais ils me donnent de
grandes espérances sur la sûreté du roi et de la reine. H paraît que
Pétion et Robespierre sont brouillés, et que le premier n'a imaginé la
visite dans toutes les maisons de Paris que pour faire arrêtera la fois
tous les gens qu'il craignait, et les faire ensuite massacrer par un
mouvement populaire, pour éviter l'odieux de les juger et dans la
crainte qu'une grande partie du nouveau tribunal ne quitte , à l'exem-
ple de leur président Robespierre, qui a donné sa démission, et qui
paraît vouloir devenir moins scélérat. Ce Robespierre a un grand parti
parmi les jacobins, et peut-être pourrait-on proflter de cette désu-
nion ; mais il faudrait que cela fût avec de grandes précautions pour
ne pas exposer encore la famille royale.
J'espère que l'exemple de Yarennes sera déjà fait. Ma santé va
362 LE COMTE DE FERSEN
mieux; je me rétablis, mais doucement. Anriez-yons la bonté, mon-
sieur le baron, de me faire avoir un passeport du duc de Brunswick,
et de me mander ce que vous pensez du temps où je dois arriver? Dès
que M. de Mercy sera de retour, ce qui doit être du 10 au 15, je vous
informerai de ses projets.
CCL.
BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU PRINCE RlÊGENT DE SUEDE, DE
CE QUI SE PASSE EN FRANCE, DATlÊ DE BRUXELLES LE 9 SEP-
TEMBRE 1792 (1).
Thionville n'est pas encore pris ; il paraît que le général de Wimp-
fen, celui qui était membre de l'Assemblée constituante, et qui y
commandait, était convenu avec les princes de livrer la place, dès que
les armées combinées s'y présenteraient. Soit que cette trahison ait
été découverte, soit que la garnison ait été mécontente de la disposi-
tion du général Wimpfen, qui, d'accord avec la bourgeoisie, voulait
rendre la place, ils l'ont destitué ; ils l'ont mis au cachot, et on nomme
pour commandant un monsieur Maquer, sergent des gardes-françaises.
On se dispose à faire le siège de la place, ce qui pourrait bien re-
tarder la marche des armées. L'avant-garde du roi de Prusse est à
Sainte-Ménehould ; le reste de son armée occupe Yarennes, Clermont,
Saint-Michel et Verdun, Le général Clairfaytest toujours à Stenay; il
n'a encore rien tenté sur Sedan, qui est très-bien disposé, et dont la
possession donnerait tout le cours de la Meuse.
Les dernières lettres de Paris annoncent de la tranquillité, mais
combien durera-t-elle? On ne cesse de dire et faire des horreurs
contre le roi et la reine ; un décret de l'Assemblée a aboli la royauté,
et tout le monde a juré la haine des rois. Lorsqu'on força le roi et
la reine à voir le corps sanglant de M""^ de Lamballe, M. Manuel
leur dit : Regardez bien ; il peut y avoir une contre-révolution^ mais
du moins vous n'en jouirez pas : voilà le sort qui vous attend. — Voici
(1) D'après la minute parmi les papiers du comte de Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 363
quelques détails arrivés dans des lettres particalières : un garde
national, qui était de garde dans la chambre de la reine, lui a vu
faire son lit, aidée de Madame Elisabeth ; qu'elles avaient demandé si
elles ne pourraient pas avoir quelqu'un pour faire leur garde-robe et
vider les pots de chambre , et qu'on leur avait répondu que des ci-
toyens libres n'étaient pas faits pour servir des tyrans. M'' le Dauphin
laissa tomber de l'eau d'un verre qu'il tenait, la reine prit un linge
et l'essuya ; l'officier de garde, qui était là assis, sans se remuer, lui
dit : Voua croyez peut-être qxie ce serait à moi à faire cela, mais sachez
que je suis V officier et un peuple libre, qui ne sert que la liberté, et non pas
les tyrans. — Lorsqu'on leur porte à dîner, l'officier municipal, qui y
assiste, coupe tout, jusqu'aux petits pâtés, pour voir s'il n'y a pas
de lettres. On ne leur laisse pas manger même des raisins sans les
mettre contre le jour et regarder chaque grappe. La reine pleura
beaucoup lorsqu'on emmena M"*^ de Lamballe , qui voulait à genoux
baiser la main de la reine. On l'arracha , en lui disant que c'était bon
pour un esclave envers des tyrans , mais que dans une nation libre
et un peuple égal cela ne devait pas se voir. M"" de Tarente et de
Tourzel sont sauvées , elles ont été reconduites chez elles.
Ne pouvant réussir à me procurer encore les gazettes de Paris, je
prends le parti d'en envoyer deux qui s'impriment ici , et qui sont
assez exactes.
CCLL
DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1).
Yerdun, le 11 septembre 1792.
J'ai reçu vos trois lettres, mon cher comte ; je ne réponds aujour-
d'hui qu'à la douleur de la dernière. J'en suis accablé, mais je ne
( 1 ) Lettre autographe. Le comte de Ferscn a écrit en marge : 18 rtçu , rép. le 17
»ept.
364 LE COMTE DE FERSEN
puis encore abandonner Fespoir ; mon malheur serait trop grancL
Je vous écris par un courrier du prince de Reuss; le vôtre ne
partira qu'après-demain ; il vous portera peut-être des nouvelles d'une
bataille. Les armées tout entières ont marché ce matin pour cette
grande œuvre. Si les rebelles ont l'audace d'attendre, M. le duc de
Brunswick se porte vers Châlons ; de manière ou d'autre, il y sera
dans cinq jours, et l'armée y fera un séjour un peu marqué comme
ici. Le temps ne favorise pas la marche d'aujourd'hui ; la pluie a
tombé fortement toute la nuit et continue. On laisse ici peu de
malades, il n'y a encore eu qu'un déserteur. Je causerai plus lon-
guement avec vous par votre courrier.
Je suis vivement sensible à tout ce que vous me dites de la part
de M"® de Sullivan, et je vous prie de lui dire que je mérite tout
son souvenir par mon amitié pour elle. Kemerciez aussi beaucoup
M. Crawford, à qui j'ai voué de vrais sentiments , et faites agréer
mes hommages à M"*^ de Franquemont.
Aimez-moi toujours, mon cher comte, par la raison de ma tendre
amitié pour vous.
Tout ce qui se passe chez vous m'afflige comme vous ; on est ici
bien scandalisé des grâces faites par le régent.
M. de Lafayette doit être en marche pour Wesel.
CCLIL
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE BRETETTIL (1).
Brozelles, ce 11 septembre 1792.
Monsieur le baron ,
Ma raison ne peut calmer mes craintes sur le Temple. L'intérêt
que nous avons à leur conservation est trop grand pour pouvoir être
(1) D'après la minute de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : au baron
de BrttmUj par Bombelleê,
ET LA COUR DE FRANCE. 365
tranquille et pour ne pas prendre tous les moyens pour l'assurer.
J'attends avec impatience le retour de mon courrier pour savoir si
vous avez goûté mon idée, et si le roi de Prusse Ta adoptée. Il me
semble que ce prince doit sentir combien la conservation de la famille
royale importe à sa politique, combien le service qu'il rend au roi
est différent de celui qu'il rend aux princes, et combien, par consé-
quent, doit être différente leur reconnaissance envers lui ; non-seule-
ment il sauve la vie au roi et à sa famille, il la délivre de la capti-
vité, il lui rend sa couronne ; mais, par sa conduite noble et géné-
reuse, il épargne au roi la trop grande reconnaissance qu'il aurait
été forcé d'avoir aux princes et aux émigrés , s'ils avaient été partie
principale, et anéantit l'influence «qu'il aurait été difficile de leur re-
fuser dans le gouvernement, et qui n'aurait servi qu'à faire nattre
de nouveaux embarras. Le roi de Prusse doit donc tout attendre d'un
pareil service. Mais si le roi n'était plus, et que Monsieur parvînt
à la couronne, le roi de Prusse n'aurait, vis-à-vis le nouveau roi,
que le mérite d'avoir sauvé la France de l'anarchie et n'aurait point
celui d'aucun service personnel ; il aurait^ au contraire, le démérite
d'avoir réduit Monsieur à ne jouer, dans toute cette entreprise , qu'un
rôle secondaire, au lieu du rôle principal qu'il prétendait jouer, et
dès lors la reconnaissance de Monsieur et ses effets seraient propor-
tionnés à l'étendue du service qu'il aurait reçu et seraient plus bor-
nés que celle du roi. Ce raisonnement bien développé par vous, mon-
sieur le baron, doitfirapper S. M. Prussienne, et lui prouver combien
il est intéressé à la conservation de la famille royale et la nécessité
d'employer tous les moyens possibles et de tout sacrifier pour obtenir
ce but.
M. de Bombelles vous donnera mieux que moi toutes les nouvel-
les ; mais ce qu'il ne pourra jamais vous dire, c'est le respect et l'at-
tacbement inviolable que je vous ai voués.
M"* de Sullivan me charge de vous dire mille et mille choses.
Pauvre fenmie, elle a été hier au service pour les victimes du
2 [septembre] ; elle y a bien pleuré et en a été malade toute la jour-
née. M. Crawford et M"* de Franq. désirent être rappelés à votre
souvenir. L'évêque m'a montré votre lettre du 8 ; elle m'a fait grand
plaisir.
D'après ce que me disent les personnes qui viennent de l'armée
sur la mauvaise disposition du pays conquis et surtout des villes, il
366 LE COMTE DE FERSEN
semble qu'il ne fait que céder & la force, et dans ce cas la clémence
me paraît extrêmement pernicieuse. C'est le moment de détruire les
jacobins ; vous penserez sans doute qu'il ne faut pas le manquer,
et qu'il faudrait arrêter les chefs et les principaux membres de cette
société dans tous les endroits où l'on passe , et les renvoyer sur les
derrières.
CCLIIL
DU BARON DE BRETEUIL AU COBITE DE FERSEN (1).
Yerdon, le 12 septembre 1792.
Je vous ai accusé, mon cher comte, la réception de vos lettres;
j'aime aujourd'hui causer avec vous sur ce qu'elles renferment. Je
commence par vous parler de votre santé ; je vois avec peine que
votre accident traîne en longueur. Je vous exhorte à le soigner pa-
tiemment, et j'espère que cette lettre vous en trouvera débarrassé.
Je le désire d'autant plus qu'à la manière dont M. le duc de Bruns-
vnck me paraît vouloir marcher sur Paris, il faudra bientôt vous
mettre en chemin pour pouvoir y arriver aussitôt que lui ; la journée
de demain, si les rebelles l'ont attendue , pourrait augmenter encore
son ardeur et les moyens pour arriver à son but Je ne doute pas que
M. le prince de Reuss n'en dise autant à M. de Mercy pour fixer la
marche de ce côté. M. le duc de Brunswick ne compte s'arrêter à
Yalmy, où il sera dans quatre jours, que le temps qu'il lui faudra pour
renouveler et assurer les vivres de son armée, t^i vous fixez votre
départ d'après cet aperçu, je ne crois pas qu'il faille le différer beau-
coup pour pouvoir joindre l'armée avant qu'elle soit aux portes pari-
siennes. Vous m'avez demandé de vous envoyer un passeport d'ici ;
c'est chose absolument inutile, il ne vous faut qu'un passeport du baron
(1) Lettre autographe. Le oomte de Fenen a écrit en marge : reçu le 19 par Reidertvaerd,
ET LA COUR DE FRANCE. 367
de Beck et un an maréchal Bînder par surabondance de précautions.
Ainsi je ne vous en fais pas passer d'ici. Sans doute qu'ainsi que moi
et les autres ministres étrangers vous fixerez votre séjour dans la
ville la plus voisine du camp ; M. de Mercy apparemment sera le
chef de file, d'après lequel vous réglerez votre marche. Votre arrivée
me donnera grande satisfaction. Je vous préviens que vous trouverez
des chemins affreux , et difficilement à manger jusqu'à Longwy, d'a-
près ce que m'ont dit mes gens : ainsi munissez- vous.
Je ne me suis pas épargné pour faire sentir & M. le duc de Bruns-
wick la nécessité d'une grande sévérité, mais .son caractère est doux
et ses principes du moment répugnent encore plus à la sévérité dont
nous avons tant besoin. Le duc de Brunswick ne veut pas qu'on lui
reproche des sévérités en France comme en Hollande ; il veut, au
contraire, effacer le souvenir des premières par les formes actuelles.
Ce calcul est très-âlcheux pour nous, et nous laissera trop d'embar-
ras, si je ne parviens pas à le faire changer ; je ne puis me dissi-
muler que ce sera chose difficile ; le duc n'a qu'un but , arriver à la
vue de Paris, en sauver le roi ; nous lui devons trop de reconnais-
sance, s'il le remplit, pour pouvoir lui reprocher de n'avoir pas
veillé à tout ce qui peut ramener l'ordre. Le roi de Prusse, de son
côté, est le meilleur des hommes, et tous les mouvements qui le por-
tent à secourir le roi le portent aussi à une grande bonté. Cependant
il m'a promis de donner des ordres de sévérité , et de les faire exé-
cuter. Yarennes, par exemple, doit être ch&tié ces jours-ci, mais je ne
croirai & l'exécution qu'autant qu'elle sera faite. Yous ne sauriez
vous &ire d'idée à quel point la généralité et les sous-ordres sont
contraires aux mesures qui peuvent rétablir notre antique adminis-
tration; vous jugerez, d'après cela, combien il est difficile de mettre
en œuvre l'autorité dont tout a besoin. Il n'y a pas un objet sur
lequel il ne faille aller doucement, quand tout requerrait prompti-
tude.
Je pense avec vous qu'il &udrait des imprimés instructifs , ras-
surants ou menaçants, suivant les cas , mais je ne vois pas possibilité
de mettre tous ces objets entre les mains d'une volonté qui puisse et
veuille surtout y donner le mouvement. M. le comte de Schoulem-
bourg, avec lequel je n'ai été que trois jours, mais avec lequel je me
serais entendu, a quitté hier matin la partie ; il est retourné à Berlin
par raison de santé et aussi d'un peu de mécontentement. Ainsi
368 LE COMTE DE FERSEN
ce moyen y qui était grand, me manque dès mes premiers pas. Le
marquis Lucchesini m'a été indiqué par le roi comme celui à qui je
devais m'adresser, et j'en suis très-content; il a esprit et bonne vo-
lonté , mais il n'a pas l'autorité ministérielle, comme M. le comte
de Schoulembourg , il est de plus étranger, un Italien. Vous jugez
d'après cela le chapitre des ménagements : aujourd'hui seulement
quelques factieux seront arrêtés et mis en prison pour servir d'exem-
ple à la ville ; jusqu'ici les plus méchants se montraient avec le
front de l'assurance ; je ferai aussi chasser aujourd'hui tous les intrus
des églises ; ils j célébraient comme si les jacobins dominaient
encore dans la ville. Je crois comme vous qu'il ne faudrait pas être
trop sévère sur le pillage pour conserver l'ardeur du soldat, et sur
cela il n'y a rien à demander aux généraux, ils sont fort indulgents
pour leurs soldats : ainsi, en le laissant, on est plus que sûr que l'avi-
dité du soldat sera satisfaite ; au reste, il serait sans fruit de vouloir
s'y opposer. Vous m'avez souvent entendu gémir d'avance sur ce
malheur, mais il va plus loin que je ne croyais. Les Hessois surtout
le portent à l'extrême ; ces six mille hommes consomment en huit
jours ce qui en ferait vivre vingt mille, et démeublent toutes les
maisons.
J'ai beau réfléchir, mon cher comte , à tous les malheurs qui nous
menacent, j'avoue qu'aucun moyen ne se présente à moi pour les pré-
venir ou pour en empêcher l'atrocité, si elle est décidée par les scélé-
rats. Je trouve comme vous impossible de raisonner des fous, cepen-
dant je reviens sans cesse au désir de les aborder par des réflexions
frappantes, et sans cesse j'en abandonne comme j'en reprends l'espoir^
sans être plus satisfait d'une idée*que de l'autre. Je m'attache volon-
tiers à la pensée que la raison qui a fait rouvrir les portes de Paris ,
en laisser sortir de nouveau sans passeports sans que les misérables
veulent pouvoir s'échapper à l'approche des armées, pourvu qu'ils
nous remettent le roi, la reine et M*' le Dauphin, je veux bien qu'ils
évitent la potence, ces misérables. San.s doute que cet événement de
leur friite arrivant, il serait à souhaiter de trouver un homme, comme
vous me dites l'être ce sieur Acloque (1), qui pût s'emparer de l'esprit
(I) Pent-être le chef de la 2® légion de la garde nationale , Acloque, qui, le 20
jnin 1792, saieiBsant le roi à bras-le-corps, le conjura de sa montrer au peuple. (Edmond
et Jules de Groncourt : HitUnre de Marie-Antoinette^ Paris, 1869, page 881.)
ET LA COUR DE FRANCE. 369
•
du peuple, en se créant une autorité propre à sauver le roi, la reine,
je ne demanderais pas mieux que de m'assurer un tel homme ; mais
comment l'attirer à nous et s'aboucher avec lui? Vous savez que je
n'ai aucun moyen pour arriver à de semblables personnages : sans doute
cet Acloque est à Paris ; où trouver un homme à lui députer? Si vous
en connaissiez, si vous pouviez lui faire parler, certes il faudrait tout
promettre et faire pour le sieur Acloque. L'idée de le nommer prévôt
des marchands ne me répugnerait en aucune manière, s'il nous ren-
dait le roi et voulait le servir de bonne foi. Cet homme connu , aimé
du peuple, pourrait remplir fort utileme nt cet emploi, dans les premiers
moments, surtout, du retour à la raison de la ville de Paris. Si vous
pouviez trouver un homme à envoyer à Acloque, je ratifierais tout ce
que vous lui feriez promettre. Peut-être l'abbé de Villefort se char-
gerait-il d'aller à Paris, malgré tous les dangers ? S'il n'y était pas
pendu, une abbaye de 17 ou 20,000 livres de rente serait la récom-
pense. Faites-lui-en la proposition, et payez-lui grassement son
voyage, s'il accepte la mission.
Bombelles m'a, en efi'et, envoyé un mémoire sur l'idée d'une décla-
ration ; je le trouvai, comme vous, aussi insuffisant que difficile à faire
circuler assez abondanunent pour qu'elle eût son efi'et; je crois plutôt
avec vous que tant que l'armée sera rapprochée de Paris, car Châlons
me paraîtrait encore trop loin , il faudrait tenter la voie d'une négo-
ciation et tout y sacrifier pour ravoir le roi, la reine, sa famille; je
tenterais savamment ce moyen si je voyais tous ces gueux leurrés de
près dans Paris. Sans cela, toute démarche ne frapperait que leur
orgueil, et peut-être n'en augmenterait que la rage et la folie. Je
n'hésiterais pas à prier le roi de Prusse de leur faire ouverture de tout
pardon et très-hautement, s'il gagnait une bataille demain ; je prie-
rais même S. M. d'ajouter à cette démarche authentique des promesses,
tout bas, de grâces pour les plus importants, et par conséquent pour
les plus coupables. J'espérais succès de ces ouvertures pacifiques et
bienfaisantes, surtout après une victoire, et l'effroi qu'elle devait
porter dans la capitale. Besterait à voir si les chefs de parti, après cela,
ont un crédit prépondérant sur les scélérats qui intimident assez le
peuple pour le gouverner.
Nous avons envoyé deux émissaires à M. Dumouriez ; c'est le comte
. Dumontier qui lui a écrit et qui se croyait en droit de le faire d'après
diverses conversations qu'il avait eues avec lui à Paris. D'ailleurs, la
T. II. 24
370 LE COMTE DE PEBSEN
cour de Berlin espérait que ce Dumonriez voudrait l'entendre, parce
qu'il lui avait envoyé un émissaire à Berlin, il y a quelques mois,
pour montrer repentir. Mais dans ce moment il n'a rien répondu aux
lettres ; il les a seulement déchirées en très-petits morceaux devant
le porteur, et a dit : J*y répandrai à coups de canoUy le tout fort froide-
ment. Vous voyez qu'il ne reste rien à faire avec ce drôle, du moins
de ce côté-ci. Mais peut-être avons-nous la ressource de l'attaquer plus
fructueusement par la voie de Rivarol, dont je vous ai parlé, et qui
doit aujourd'hui avoir eu réponse de sa sœur, à laquelle je l'avais
chargé d'écrire des douces et utiles propositions, tant pour elle que
pour Dumouriez. Cette sœur est sa maîtresse et a, suivant Kivarol,
un crédit absolu sur Dumouriez. Au reste, j'avais dit à Kivarol de
s'ouvrir en mon absence à l'évêque sur ce que la sœur répondrait ;
l'évêque peut l'attaquer sur cela, s'il ne lui a encore rien dit ; ce qui
avait été convenu entre Eivarol et moi, c'est que la sœur, qui était
restée à Paris, se rapprocherait sur-le-champ de Dumouriez dans la
Flandre, où il était, et que Eivarol lui donnerait rendez-vous sur la
frontière pour bien l'endoctriner. Il assure que c'est une femme
d'esprit ; il faudrait, si Eivarol ne parlait pas à l'évêque, qu'il lui
demandât où en est l'affaire dont je l'avais chargé pour sa sœur, et
alors l'évêque pourrait suivre cette affaire de concert avec vous, pen-
dant le temps que vous avez encore à rester à Bruxelles. Ce qu'il
faudrait aujourd'hui demander à Dumouriez, — si son armée et celle
de Luckner, battue ou non , mais poussée par celle de M. le duc de
Brunswick, se retirait sous les murs de Paris, — ce serait de soulever
alors son armée en faveur du roi, et de le retirer du. Temple pour
l'amener à l'armée prussienne et faire là la paix parisienne. Je ne
sais point de bornes à mettre aux grâces que Dumouriez pourrait
demander, pour lui et ses adjoints, en pareille circonstance. Voyez avec
l'évêque si la maîtresse de Dumouriez peut arriver à ce but, et dites à
Eivarol qu'il faut qu'elle se mette à la suite de son camp, si elle n'y est
pas encore, et qu'il doit surtout tâcher de la voir pour lui faire sa leçon.
Sans doute que Pétion serait bien ce qu'il y aurait de meilleur à
gagner pour le salut du roi; mais je n'aperçois aucune route qui
mène & cet atroce coquin. Peut-être que si M. le duc de Brunswick
gagnait une grande bataille, cette route s'ouvrirait ; je pense qu'après
une victoire on peut tenter toutes négociations pacifiques : elles sont
toujours nobles en pareil cas, si elles ne sont pas utiles.
ET LA COUR DE FRANCE, 371
Qaant à l'idée de faire attaquer l'Angleterre par ]e roi de Prusse
pour la porter à des démarches conciliatoires, j'en ai parlé ici après
avoir raconté la mienne ; le ministère prussien m'a répondu qu'il
avait fait des tentatives auprès de l'Angleterre à peu près conformes
à la mienne ; et qu'elles n'avaient pas été accueillies plus cordiale-
ment. J'en reviens à dire que, si le roi de Prusse gagnait la bataille
qu'il veut donner, il serait facile de le décider à faire de nouveaux
efforts politiques auprès de l'Angleterre, mais on m'en a montré
l'éloignement pour le moment.
Je ne vous dis rien sur la pensée de suspendre la marche des
armées vers Paris, dans l'espoir de nouer une négociation avec les
factieux pour la délivrance du roi. Cette tentative auprès des Prus-
âiens serait sans fruit, comme je crois qu'elle serait sans succès auprès
des rebelles, si le roi de Prusse s'y prêtait. Les Prussiens montrent
impatience d'être à Paris, et le général d'armée, qui en est le plus
pressé, pense avec la même impatience au moment où il pourra
ramener son armée dans les foyers avec la gloire de son entreprise ;
car si le roi était emmené dans le Midi, l'armée prussienne ne le
suivrait pas ; tout ce que nous en pourrions obtenir, serait de nous
laisser une partie à notre solde. La difficulté de faire parvenir des
écrits faits pour éclairer le peuple en rendrait le travail assez inutile.
Si nous possédions des provinces entières, cela aurait un objet plus
certain ; mais nous n'avons encore qu'un territoire de grands chemins,
extrêmement étroit. Je crois, au reste, comme vous, que Limon pouvait
être l'ouvrier de ces écrits , et, s'il voulait se mettre à la suite poli-
tique, je pourrais l'en occuper. Parlez-lui de mon désir à cet égard,
et décidez-le à venir (1) après le départ. Il s'est offert à M. le
comte de Schoulembourg pour venir écrire sous ses yeux ou sous sa
dictée. C'est un homme bien impatient d'agir.
Je pense contmie vous sur le baron de Batz, et vous remercie de
votre réflexion à son égard ; vous savez que je ne le tiens près de moi
dans ce moment que dans l'espoir d'en tirer grandes ressources pécu-
niaires, pour les premiers pas du roi dans l'administration. L'évêque
vous a dit son plan, et le parti que nous comptons en tirer.
Ne m'oubliez pas auprès de M"** Sullivan et de M. Crawford et de
M"* Franquemont.
(1} Alot illisible.
\
372 LE COMTE DE FERSEN
Bonjour, mon cher comte ; je viens de vous écrire bien long, mais
il me semble que ma confiance et mon amitié ne peuvent jamais vous
en dire assez. Je vous embrasse.
Mes amitiés à M. de Simolin. J'ai oublié de vous dire que M. le
duc de Brunswick compte entrer au plus tard de 10 octobre à la vue
de Paris.
Le 16.
Je garde encore votre courrier ; les nouvelles importantes de Tannée
se font attendre. Hier Tannée de Clairfayt a eu une vigoureuse affaire
de poste, de laquelle pourtant elle est sortie victorieuse. Il s'agissait
de s'emparer d'une hauteur que les rebelles occupaient ; ils ont com-
battu quatre heures avant de le céder, mais enfin les Autrichiens les ont
chassés, et cette position fait, dit-on, que nos vilains sont absolument
renfermés par M. le duc de Brunswick. L'armée de Claûrfayt a perdu
dans cette attaque 4 ou 500 honmies, et, ce qui m'afflige sensiblement,
le prince de Ligne y a été tué ; je l'aimais depuis son enfance, c'était
le sujet le plus distingué de son âge parmi les Autrichiens. C'est une
perte affreuse pour son père. La bataille que M. le duc de Bruns-
wick (1) s'est différée; on dit que ce sera pour aujourd'hui, mais je
n'y crois que pour demain, puisque je vois qu'il a appelé à lui la
cavalerie française et qu'elle n'y sera que ce soir.
Bombelles m'a remis hier matin votre lettre. Vous voyez ce que je
réponds aux différentes idées de vos précédentes, je n'y puis rien
ajouter : si M. le duc de Brunswick bat, nous voyons ce que la victoire
pourra nous présenter pour tenter le Cîolot (?) par la conciliation.
Peut-être le baron de Batz se dévouera-t-il à aller à Paris ; hier enfin,
du moins, il m'en a montré la volonté, et je tâcherai de la soutenir
jusqu'à l'effet. Je ne pouvais pas employer un meilleur par ses con-
naissances locales.
Des amitiés à vos amis.
Le 17, 6 henres du 8oir.
Je fais partir votre courrier avec nos nouvelles venues aujourd'hui ;
elles ne sont pas aussi avantageuses qu'on l'avait espéré, mais elles
(1) DcTait liTrer.
ET LA COUR DE FRANCE. 373
sont bonnes, comme vous le verrez par les détails que ma fille vous
en donnera.
Je joindrai à Chàlons aussitôt que je saurai que Tarmée l'occupe,
quatre jours doivent remplir ce but.
Des hommages et amitiés à M"* Sullivan, M"* Franquemont et
M. Crawford.
Je vous ai écrit deux mots ce matin, par M. le colonel Steger.
CCLIV.
DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1).
Verdun, le 17 septembre 1792, 6 h. du matin.
Je vois loger devant moi, mon cher comte, des Anglais qui vont
partir pour Bruxelles. J'en profite pour vous dire que l'ennemi a pris
fugue (?) en passant l'Aisne pour gagner Ch&lons, sans que M. le duc
de Brunswick ait pu l'obliger en bataille ; il n'y a eu que l'aflfaire
Clairfay t, qui, dit-on, a coûté aux Autrichiens 5 ou 600 hommes avec
le pauvre prince de Ligne, et 2 ou 3,000 hommes aux rebelles. J'ai
grand'peine de ce peu de choses, il eût été si nécessaire de les battre
fortement avant la Convention nationale.
M. le duc de Brunswick est à la suite de l'armée Luckner et
Dumouriez, il les poussera sans doute au delà de Chftlons, où il s'arrê-
tera pour quelques jours. Je m'y rendrai aussitôt que le quartier géné-
ral y sera établi ; mais je m'y rendrai bien triste de n'avoir pas une
bataille gagnée par les Prussiens.
Je vous renverrai votre courrier, je crois, dans la journée ; je n'at-
tends que des détails et nouvelles officielles de l'armée pour le faire
partir.
Le désarmement se fait mal, parce que rien de ce qui nous regarde
ne se fait en règle. J'ai cependant fait rétablir hier l'évèque, les cha-
noines, les moines de cette ville; il n'y reste pas un intrus.
Bonjour, et amitiés pour vous et vos amis.
(1) Lettre antograpbe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 21, reçu par le éd. Steger,
374 LE COMTE DE FERSEN
CCLV.
BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU PRINCE RlÉOENT DE BUÈDE, SUR
CE QUI s'est PASSé EN FRANCE; DE BRUXELLES, LE 19 SEPTEM-
BRE 1792 (1).
Les nouvelles de Paris mandent que le calme continue, c*est-ii-
dire qu'il n'y a paâ de grands massacrée, mais on arrête du monde
tous les jours. Le 14, une troupe de bandits se promenait dans les
rues, ayant à leur tête un faux officier municipal. Us arrêtaient
toutes les femmes, et, pour avoir leurs boucles d'oreilles, leur arra-
chaient leurs oreilles. On battit la générale ; plusieurs de ces coquins
ftirent arrêtés et neuf furent pendus sur-le-champ. A Lyon, on a
massacré une quantité de nobles et de prêtres; & Besançon, on a
mis dans les prisons tous les parents des émigrés. La famille royale
se porte biep. Les détails sur les massacres des prisonniers d'Orléans
font frémir. On a coupé le nez et les oreilles du duc deBrissac et Ton
l'a laissé vingt-quatre heures dans cet état avant de le tuer. On a envoyé
une de ses jambes à M"* du Barry. M"* la princesse de Lamballe a été
martyrisée pendant quatre heures de la manière la plus horrible. La
plume se refuse à ces détails ; on lui a arraché le sein avec les dents,
et on a lui administré tous les secours possibles, pendant deux heures,
pour la faire revenir d'un évanouissement, afin de lui &ire mieux
sentir la mort.
Le 14, M. de Luckner a détaché M. Damouriez, avec six mille
hommes, pour attaquer ou inquiéter la marche du général Clairfayt.
Il a envoyé quatre bataillons contre eux , et les Français ont été tota-
lement battus , avec perte de presque toute leur artillerie. Nous n'a-
vons pas encore de nouvelles de la grande attaque ; il est à croire
que les grandes pluies qui sont tombées depuis quinze jours auront
retardé la marche des troupes.
L'infanterie émigrée est restée devant Thionville ; ils ont témoigné
très-fortement leur mécontentement de ne pas avoir été commandés
(1) D'après la minate dans les papiers du comte de Fersen.
ET LA COUR DE FRANCE. 375
pour suivre la cavalerie ; on est cependant parvenu à calmer ce
mouvement 9 qui a été assez fort.
Une estafette , arrivée dans ce moment, porte la nouvelle que les
Français ont abandonné les gorges du Clermontois le 16. Le duc de
Brunswick n'a pu joindre que leur arrière-garde, qui a été battue et a
perdu presque tous ses équipages. Les Prussiens sont maîtres de
Clermont et de Sainte-Menehould, et le duc de Brunswick se proposait
de suivre les Français pour s'emparer de Ch&lons ou leur livrer ba-
taille dans les plaines de Champagne. Us ont perdu 4 à 500 hommes.
Les Prussiens et les Autrichiens n'ont eu que 50 hommes tués ou
blessés.
La nouvelle du départ de Pétion et de Manuel ne s'est pas con-
firmée.
CCLVI.
DU COMTE DE FBRSEN AU BARON DE BRETEUIL (1).
Bruxelles, oe 28 septembre 1792.
Le comte de Mercy a encore assuré aujourd'hui à Simolin que
l'impératrice n'envoyait plus de troupes, mais qu'elle donnerait de
l'argent. C'est le comte de Cobenzl qui le lui mande. Simolin est
convenu avec moi combien cette démarche est désavantageuse pour
les affaires ; il en est d'autant plus surpris que l'impératrice avait
déjà refiisé plusieurs fois cette proposition de la cour de Vienne. J'en
écris à Stedingk pour l'empêcher^ si cela se peut.
L'envoi des MM. Spielman, Columback et Thugut est très-positif.
Ce dernier vient ici. M. de Mercy va à Luxembourg s'aboucher avec
Spielman, qui doit ensuite se rendre à l'armée du roi de Prusse.
M. de Mercy a assuré à M. de Simolin ne pas savoir du tout l'objet
de leur mission. Hier, en parlant des affaires de France, il dit que
(1] D'après la minate de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : à 3/. le
baron de BreteuUjpar M. de Briffe.
376 LE COMTE DE FERSEN
la politique n'y pouvait rien, qu'elle était inutile et qu'elle devait se
taire ; qu'il n'y avait que le canon et la baïonnette qui pussent les
terminer; que, si on n'exterminait les jacobins et si on ne faisait
unes, (1), tous les pays s'en ressentiraient et seraient bouleversés.
— Sur une demande positive des ministres de Vienne et de Naples
à M. Pitt , l'Angleterre a déclaré que toutes les personnes qui auraient
eu part à des violences contre le roi et sa famille ne trouveraient pas
d'asile en Angleterre, etc., etc. ; suivent les détails, assurances d'in-
térêt du roi d'Angleterre, et prière aux ministres étrangers de faire
parvenir cette déclaration, puisqu'il n'y avait plus de mission à Paris,
et que le B : avait défendu toute communication avec Chauvelin et
l'abbé Noël.
Ne pensez-vous pas, monsieur le baron, que si le roi sort de Paris
et qu'il fût question de choisir un endroit pour se retirer, Valenciennes
ttt le plus convenable? Grande ville, bien passante, peu de canaille,
grandes ressources pour les logements et les vivres, châteaux dans
les environs, proximité de la frontière.
Je crois, monsieur le baron, que je serai obligé de différer encore
mon dépai't, et j'en suis bien f&ché. J'aurais eu un vrai plaisir à vous
aller trouver , mais j'ai reçu avant-hier une lettre de Suède en ré-
ponse à celle où je mandais le projet du comte de Mercy de se rendre
à l'armée , lorsqu'elle serait à 20 lieues de Paris , et que je croyais
devoir m'y rendre à la même époque. On m'a répondu d'y aller,
lorsque d'autres ministres étrangers s'y rendraient. D'après cela, il
me faudra attendre cette époque.
J'ai parlé au comte de Mercy de ses projets. Je lui ai représenté
combien je croyais que le rassemblement des ministres étrangers à
l'armée pourrait faire d'effet à Paris. Il a eu l'air de le sentir, mais
il m'a dit qu'il ne pouvait rien décider avant d'avoir vu et causé
avec M. Spielman, qui devait être à l'armée, et avec lequel il doit
avoir une conférence à Luxembourg dont il ignore, m'a-t-U dit, l'é-
poque et le sujet. H a dit à Simolin de même qu'il ignorait le but de
leur mission ; que Thugut venait ici et que Spielman, après être
venu à Luxembourg, retournait à l'armée, chargé de la correspon-
dance avec Vienne. Il est probable que l'arrivée de Spielman empê-
che M. de Mercy de se rendre à l'armée. Je tâcherai cependant de
(1) Exemple.
ET LA COUR DE FRANCE. 377
l'y engager; en attendant, ne croyez-vous pas que vous dussiez lui
en écrire?
D'après ce qui m'a été dit par plusieurs personnes, et entre autres
M. Brantzen, que Saint-Foix s'était entièrement livré au duc d'Orléans,
et d'après la connaissance que j'ai de son caractère et de ses liaisons
avec vous, j'ai pensé que c'était l'homme qui pourrait nous être le
plus . utile à Paris. J'ai donc imaginé d'y envoyer le cousin de
Léonard, qui me l'a offert, qui sera chargé de remettre un billet chez
Saint-Foix pour le prévenir de chauffer toutes les lettres qui lui vien-
dront de vous, de M"'' Matignon ou de l'évoque. Lorsque nous serons
assurés que cet envoyé peut être arrivé, je lui écrirai pour lui faire les
propositions dont vous étiez convenu avec Bivarolpour M. Dumouriez,
et, s'il fait une réponse, je vous la ferai passer. Je crois, monsieur le ba-
ron, qu'il serait bon que vous me fissiez passer une lettre pour Saint-Foix
à ce sujet. Si elle arrive à temps, ce sera celle-là que nous enverrons ; si
non, nous lui en écrirons une pour le prévenir, et j'en verrai la vôtre
dès que je l'aurai reçue. Elle fera toujours un bon effet. Il en fitudrait
une ostensible, sur des objets vagues, et W^^ de Matignon écrirait
ensuite dans les entre-lignes les propositions que vous voudrez lui faire.
Vous croirez sans doute qu'Userait important de m'envoyer le tout
par estafette le plus tôt possible.
S'il est vrai, comme on nous l'a dit hier, que Dumouriez ait de-
mandé à capituler, c'est le moment de lui parler et de faire ses con-
ditions. L'Angleterre est très-bien disposée, et la démarche qu'ont
faite les ministres de l'Empereur et de Naples a été provoquée par lord
Grenville, à la suite du c ompte que lord Elgin a rendu à Londres de
sa conversation avec M. de Mercy. Ce dernier tient les meilleurs
propos du monde , et insiste fort sur une grande sévérité, comme le
seul moyen de sauver le roi et empêcher dans toute l'Europe le pro-
grès du mal français.
378 LE COMTE DE FERSEN
CCLVII.
DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1).
Yerdua, le 2 octobre 1792, à 6 h. du soir.
Je ne vous écris pas^ mon cher comte , autant que je le voudrais,
mais votre amitié m'excuse.
Yous savez et partagez tous les malheurs que la marche rétro-
grade des. armées cumule sur nous y dans le moment où nous croyions
avoir tout à espérer. Je ne vous dissimule pas que cette circonstance
assomme autant mon âme que mon esprit; j'en suis accablé , et il me
faut quelques jours pour me retrouver. Si j'étais un peu moins seul ,
peut-être me surmonterais-je un peu plus facilement, si surtout je
pouvais causer avec vous ; malgré cela, je suis bien aise que vous ne
soyez ni ne veniez pas encore au milieu de toutes nos peines, vous
n'y auriez rien à faire qu'à vous désoler de tout ce que vous verriez
et entendriez. Cependant on me console par les plans que je mande
à ma fille.
Le duc de Brunswick a fait une nouvelle déclaration, à laquelle
il ne manque que d'avoir battu l'ennemi ; je lui avais demandé de
différer jusque-là, mais la république prononcée a décidé à mettre au
jour.
On dit que l'arrivée des grands faiseurs autrichiens tient au désir
d'un congrès ; mais s'il était dans les projets autrichiens il y a six se-
maines, ils me paraissent impossibles à réaliser aujourd'hui. Malgré
cela, occupez-vous de tirer ce trouble au clair; j'en écris aiyourd'hui
franchement au comte de Mercy.
Les princes vont arriver avec leur armée, je ne doute pas que le
désir de la régence ne se remontre avec force ; je n'aurai plus à y
opposer l'espoir de la prochaine délivrance du roi, et, quoique je croie
bien qu'il n'y a rien à gagner pour la chose publique ni pour eux
dans cette régence chimérique, puisqu'elle est et sera sans force
(1} Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 6 oct, 1792, rép, h 8.
ET LA COUR DE FRANCE. 379
comme sans territoire, je ne puis plus m'élever contre, sans être taxé
de pins d'entêtement que de raison ; je crois donc que je me tiendrai
dans le silence et laisserai faire les puissances ; si elles àédàQutpour,
je ne pouvais ni ne veux m'en faire un mérite ; si contre j je devais
en être innocent, mais je ne m'attends pas à cette justice. Quoi qu'il
en soit, si cette régence s'établit et que les puissances veuillent que
je me place à la tête du conseil , croyez-vous que je puisse suivre
mon vœu, qui serait de le refuser, ou que mon respect, mon atta-
chement pour le roi exige encore] ce sacrifice de ma part? Il sera
grand, mais je ne m'y refuserai pas, s'il le faut. Pensez bien que je
n'aurai point la confiance du régent ni du frère, que je serai sans
cesse tourmenté par les autres.
Si l'armée combinée avait eu du succès, les déclarations anglaise
et hollandaise auraient été imposantes ; vous me direz l'objet de l'ar-
rivée subite du duc Dorset, il est sûrement de bonne foi, dévoué
pour le roi.
Je ne suis pas f&ché de la démarche annoncée de Saint-Evr. ; mais
sans avoir eu le moindre avantage des armes , je ne puis croire qu'il
puisse être utile ; je ne me presse pas de vous envoyer la lettre que
vous désirez pour cet ouvrier, parce que nos tristes circonstances me
paraissent devoir au moins suspendre de donner l'efifectif à cette idée;
si vous pensez autrement, je céderai à votre opinion, et alors je vous
ferai passer une lettre.
Les bons propos du comte de Mercy exigent de le soigner. Faites
que ma fille se prête un peu à le voir, à causer avec lui ; il se plaint
à moi de ne l'avoir pas rencontrée chez elle.
Si M. Grenville a provoqué les démarches des ministres de l'Emp.
et de Naples, c'est en efiet d'un bon augure pour les dispositions ac-
tuelles de l'Angleterre , et il faut suivre ce mouvement par notre ami
Crawford, auprès du milord Elgin.
Vous n'en aurez pas davantage de moi aujourd'hui. Je suis accablé
par mille détails qui ne me regardent pas , tenant à notre noble armée,
mais dont je ne puis éviter de me mêler.
Il est bien nécessaire de pousser M. le duc Albert à faire un siège,
s'il pouvait avoir Lille, et encore mieux Douai, à cause de tout ce
qu'elle renferme.
Des amitiés sans mesure à M"*^ Sullivan, et à M. Crawford et
M"* Franquemont.
380 LE COMTE DE FERSEN
Jevons renonvelle; mon cher comte^ tous mes tendres sentiments ;
vous savez comme je vous aime.
CCLVIII.
DU BABON DE BBETEUIL AU COMTE DE FEBSEN (1).
Verdun, le 3 octobre 1792.
Bien n'est plus certain^ mon cher comte^ que l'impératrice de
Russie n'envoie point de troupes, et que le système pécuniaire que
la cour de Vienne a préféré nous prive de cet avantage cette année.
On peut croire qu'il en serait de même pour l'année prochaine, si
le cabinet autrichien peut se faire également écouter ; mais on peut
aussi se flatter que Catherine II entend assez les intérêts et la
gloire pour entendre un autre raisonnement pendant le cours de
l'hiver, et faire partir les troupes avec le dégel. Je ne m'épargne-
rai pas pour échauffer le roi de Prusse à ce siget, dès qu'il sera
rendu ici. Je vous donnerai l'avis d'en écrire à l'impératrice au
nom du roi et de ses malheurs; j'espère qu'elle n'y sera pas insensi-
ble. Vous pousserez votre ambassadeur à Pétersbourg & tenir le
même langage, quand même il n'en aurait pas l'ordre du régent.
Si le roi et la reine n'étaient pas dans la plus affreuse position, et
s'il n'était pas à craindre que les scélérats, en voyant les armées
combinées rétrograder devant eux, n'en prennent une audace d'atro-
cités sans mesure, je chercherais à me consoler de la cruelle campagne
du duc de Brunswick, en pensant qu'elle éveille sa gloire et son
amour-propre de manière à lui faire employer l'hiver & prendre
toutes les mesures qui peuvent ramener sa réputation, la campagne
prochaine. Je me dirais aussi qu'on peut trouver remède à l'excès
du mal actuel, en employant bien le temps d'ici au printemps à
bien lier la partie entre toutes les puissances de l'Europe qui
(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 8 reçtij r4p, h 8.
ET LA COUB DE FRANCE. 381
peuvent et doivent concourir à rétablir Tordre en France, pour
s'assurer de le maintenir chez elles; j'inviterais l'Espagne à
changer son inertie dans un système d'action, propre à mettre
en œuvre les bons principes du roi de Sardaigne. Je me représen-
terai de même la Suisse suivant ce mouvement avec vigueur ; car j'en
concluerais que les espérances les mieux fondées, comme les plus cer-
taines, doivent reporter (?) le printemps et l'été prochain ; mais
je ne puis jouir de cet heureux aperçu ; quand je me remets sous les
yeux l'affreuse longueur de cette époque pour les malheurs du roi
et de la reine, je ne puis que me désoler. Cependant, il &ut bien
commander à la douleur et à son abattement, pour ne rien négli-
ger de tout ce qui peut être favorable à ces augustes personnes. Je
tâche de ranimer toutes mes pensées pour me trouver en état d'en
faire usage avec le roi de Prusse, son ministre et le généralissime,
dès que le quartier général les aura tous fixés ici près ; je compte
que ce sera le 8. Je me propose de les attaquer vivement pour
que, dès cet instant, on s'occupe de former et suivre rm plan éga-
lement politique et militaire qui embrasse tout ce qui doit concourir
au succès ; je ferai mes efforts pour qu'il ne soit pas perdu un jour
par le cabinet prussien et par le cabinet autrichien, pour mettre en
mouvement tous ceux de l'Europe vers le même but. Je ne crois
pas trouver grande difficulté pour donner cette impulsion au minis-
tère prussien ; son intérêt le commande à ses principes, il ne doit
penser qu'à appuyer son entreprise d'une force qui la rende imman-
quable pour sa gloire; mais je ne puis me faire la même peinture
des dispositions autrichiennes : je ne doute pas qu'elles ne donnent
la préférence au système pacifique sur toutes les mesures de vi-
gueur, la dépense de la suite de la guerre et ses incertitudes
lui serviront de prétexte comme de moyens pour vouloir tout
ramener à la conduite politique. Vous le pensez, j'imagine, comme
moi, et vous en aurez peut-être déjà la certitude quand
cette lettre vous arrivera, par ce que vous aurez pu apercevoir dans
les discours de Thugut ; je suis bien fâché de ne pas me trouver à
portée de causer avec lui.
Je reçois aujourd'hui de Luxembourg la nouvelle que le com-
mandant a signifié à tous les étrangers et étrangères de quitter
cette ville dims un terme très-court ; je ne peux expliquer cette
sévérité que par la résolution d'y établir le congrès dont on parle.
382 LE COMTE DE FERSEN
Je concevrais pourtant difficilement que les puissances voulussent
émettre leur opinion dans les murs d'une ville de guerre. Quoi
qu'il en soit, peu de jours sans doute nous donneront lumière sur
tout ce qui a droit à notre sollicitude.
Dumouriez a eu l'atrocité de faire imprimer une relation men-
songère de ses pourparlers avec les Prussiens. Le marquis Lucche-
sini me le mande avec grande colère. Ce ministre n'était pas près
du roi de Prusse quand cette négociation a conunencé; il n'est
arrivé qu'au moment où les bons aides de camp du roi étaient fort
en train de se laisser tromper par le fourbe Dumouriez. L'orgueil
de ce gueux doit le rendre aujourd'hui inabordable et tous ses
compagnons également. Jamais position aussi difficile ne s'est ren-
contrée, de quelque côté qu'on se tourne.
Mille et mille amitiés, cher comte, pour vous de tout mon cœur,
et pour vos amis.
CCLIX.
DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDIN6E, AMBASSADEUR
DE SUÈDE A LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG (1).
Bruxelles, ce 11 octobre 1792.
Mon cher ami, Vous aurez sans doute appris la retraite du duc
de Brunswick sur Verdun. Les raisons pour lesquelles il n'a pas
attaqué les rebelles le 20, lorsqu'il les a joints, et qu'il s'est con-
tenté de les canonner pendant cinq heure?, nous sont encore incon-
nues. Ceux qui le connaissent beaucoup, en rendant justice à ses
talents militaires, ne lui accordent pas l'audace, qui aurait été si
nécessaire dans cette occasion, et lui reprochent d'avoir trop traité
les rebelles comme des armées bien disciplinées et d'avoir perdu
trop de temps à manœuvrer contre eux, lorsqu'il n'aurait fallu que
(1) D'après la minute de la main du comte de FerseD, qui a écrit en marge : ch^ffré^ à
Sttdingh,
ET LA COUR DE FRANCE. 383
les presser Tivement^ sans leur donner le temps de respirer^ et leur
en imposer par cette conduite. D'autres croient qu'il s'est laissé
amuser par des propositions de négociations^ entamées par Dumou-
riez pour se donner le temps de prendre une position et de s'y
fortifier. Quoi qu'il en soit, le résultat a été affreux pour la cause du
roi de France, dont la captivité se trouve prolongée ; car quelles que
soient les opérations possibles, cel|e sur Paris ne le sera plus qu'au
printemps prochain, et si le mauvais état des armées, qui ont été fu-
rieusement &tiguées par le mauvais temps et le manque de vivres,
permet encore de les faire agir avant l'hiver, ce ne pourra être que
pour s'emparer de quelques places et préparer les succès de la cam-
pagne prochaine.
L'invasion des rebelles dans les électorals vous ' surprendra sans
doute, mon cher ami, mais vous le serez encore plus d'apprendre que les
émigrés en sont la cause. Lors du départ des armées combinées de
Verdun , le prince de Hohenlohe, qui était devant Thionville avec les
émigrés, eut ordre de se porter en avant de Verdun pour couvrir
cette place, et la cavalerie des émigrés eut celui de joindre l'armée
prussienne.
L'in&nterie témoigna un grand mécontentement de rester devant
Thionville, et M. le comte d'Artois, qui était resté avec elle, mais qui
voulait rejoindre la cavalerie, ne trouva d'autre moyen pour l'a-
paiser et avoir celui de partir, que de lui promettre de revenir ou d'ob-
tenir pour elle l'ordre de marcher. Il ne fit ni Tun ni l'autre. Alors
il s'éleva de grands murmures, il y eut une insurrection générale
parmi eux. M. le maréchal de Broglie, qui était resté avec eux, la
légitimait, en partageant et manifestant hautement son méconten-
tement. Tous partirent sans ordre pour joindre l'armée prussienne, et,
pour ne pas laisser Thionville à découvert, on fut obligé d'y faire
marcher le comte d'Erbach, qui avait été détaché de l'armée du
comte d'Esterhazy, avec 10,000 hommes, et qui était posté devant
Landau pour couvrir les magasins de Spire, d'Heidelberg et
les électorats. C'est après le départ du comte d'Erbach que M. de
* (Justine forma et exécuta le projet d'entrer en l'Empire. Vous juge-
rez aisément de là combien le duc de BrunsiVick est mécontent de
leur conduite, et combien ils sont plus nuisibles qu'utiles aux opé-
rations. Le baron de Rech, ministre de Prusse ici, ne cache pas son
mécontentement, et tout le monde le partage.
384 LE COMTE DE FERSEN
On nous assure que les 16^000 hommes que rimpératrîce destinait
au secours du roi de France ont eu contre-ordre, et que cette prin-
cesse s'est décidée à consentir au désir qui lui en avait déjà été té-
moigné plusieurs fois^ par la cour de Vienne, de fournir, selon son
traité^ 12,000 hommes en argent, mais que la générosité et l'intérêt
qu'elle a toujours pris aux malheurs du roi de France l'ont décidée
à donner aux princes la valeur des autres 4,000 hommes en argent.
Vous sentez, mon cher ami, comme moi, la différence de ce secours,
tant pour l'intérêt du roi de France et pour le ré tablîssement de la
monarchie, que pour celui de l'impératrice et pour sa gloire.
L'influence que tant de titres lui donnent en devient plus lente
et moins directe. L'action de ses troupes eût contribué d'une ma-
nière plus efficace à réduire les rebelles et lui aurait donné plus de
facilité pour s'opposer aux projets des cours de Vienne et de Berlin,
dans le cas où ils en auraient eu de contraires à ses intérêts et à ceux
du roi de France. Far les mêmes raisons et par tout ce que je vous ai
mandé de l'inutilité et môme des inconvénients des émigrés, vous
penserez comme moi que l'argent qu'Us viennent d'obtenir de la gé-
nérosité de l'impératrice est perdu pour l'utilité de la cause, et il
est à craindre qu'il soit aussi mal employé que celui qui leur a déjà
été donné tant de fois. Il ne faudrait jamais leur en fournir que pour
des besoins déterminés. Tâchez, mon ami, de faire naître l'occasion
de parler à l'impératrice de ces différents objets, surtout d'éclairer
sa prévention en faveur des princes et des émigrés, et de modérer les
sensations de sa grande [âme] sur leurs malheurs. Dites-lui qu'il
faut travailler pour eux, mais non par eux, et qu'au lieu d'être par-
tie principale, ils ne peuvent être que secondaire. En suivant une
autre marche, on perdrait tout. Votre zèle, votre prudence et la con-
naissance que vous avez, mon ami, des lieux et des personnes, vous
diront mieux que moi ce qu'il j aura à faire pour une cause qui nous
intéresse tous deux également.
ET LA COUR DE FRANCE. 385
CCLX.
DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1).
Luxembourg, le 17 octobre 1792.
Combien je voijs remercie, mon cher comte, de m'avoir envoyé votre
honnête compatriote dans cette ville pour me donner de vos nouvelles,
et de tout ce qui m'intéresse ! La suite de votre amitié et les recher-
ches me sont vivement sensibles, je ne puis vous le témoigner assez.
Je m'étais déterminé à venir et à rester ici, quand votre courrier
est arrivé ; mais vos justes raisonnements m'en auraient fait prendre
la résolution , si elle avait été incertaine ; je ne sais pas si j'y serai
fort utile à nos trop malheureuses à Paris , mais enfin je serai avec
ceux qui peuvent s'en occuper et qui peuvent continuer à sentir la
nécessité de ne pas rester (2) les honteux dégoûts du moment.
J'ai vu M. Spielman, j'ai vu le baron de Thugut; je suis content,
des dispositions que m'a montrées le premier, conmie je le suis des
principes du second : l'un et l'autre assurent que l'Empereur ne sera
occupé tout l'hiver que des mesures propres à assurer à la campagne
prochaine des succès qui réparent les désastres de celle-ci. Tout ce
qui tient au roi de Prusse proteste la même résolution ; la gloire comme
l'intérêt de ces puissances demandent tant cette forte et invariable
résolution qu'on doit y croire. Quand M. de Mercy sera ici, je ne doute
pas qu'il ne l'appuie dans l'esprit de M. Spielman ; ses lettres sont
aussi gracieuses aujourd'hui qu3 ses discours l'étaient p3u l'hiver
dernier.
Le roi de Prusse passera, je crois, ici le 20 ou 21 ; on dit qu'il y
séjournera. Je le désire, pour qu'il puisse raisonner entre ses ministres
et ceux de l'Empereur sur le plan poUtique de la campagne prochaine,
afin de faire marcher du même pas le plan militaire de M. le duc de
Brunswick. Je demande que ces deux grands objets soient mieux
(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 18, reçu par Reuttrsvatrd.
(2) Mot miBible.
T. II. 26
386 LE COMTE DE FERSEN
arrêtés que cette année , dans leurs moyens comme dans leurs vues.
Je crois que je serai en état de vous parler sciemment de ces objets,
et ce ne sera sans douleur.
Je voudrais, comme vous, que M. le duc de Brunswick compte pou-
voir faire quelque chose de guerrier pendant Thiver, mais je ne l'es-
père pas ; son armée est fondue d'une manière inconcevable, et les
idées s'en ressentent de même. Il dit qu'il ne veut plus commander
les armées ; cependant je ne crois pas qu'il veuille rester sur la honte
de la campagne , et il m'a paru écouter volontiers tout ce que j'ai
présenté à son amour-propre pour le ramener aux seules pensées
dignes de son courage et de sa réputation.
Il y a dans les deux armées un grand parti contraire à tout ce qu'il
faut faire pour que les puissances soutiennent avantageusement leur
entreprise et ne songent qu'à la suivre, mais je crois les rois frappés
de leur danger, s'ils n'écrasaient pas les nouveaux prédicants et leur
dogme; je crois qu'ils l'entendent de môme, qu'ils n'en peuvent trouver
aujourd'hui les moyens que dans le plus parfait accord, afin d'animer
et de réunir à eux toutes les puissances également incertaines et
faibles. Voilà ce que je prêche, et prêcherai tant que j'en trouverai
l'occasion. Vous ne saurez vous faire idée de la haine toujours agis-
sante entre les Autrichiens et les Prussiens, et combien peu de gens
raisonnables dans les deux bandes à cet égard ; la liaison de ces deux
souverains est un miracle des circonstances.
J'apprends avec plaisir que votre santé va mieux, et j'espère qu'elle
sera parfaite quand je vous reverrai.
Mes amitiés à M"* Sullivan, je serai très-aise de me retrouver
le soir dans sa société. Vous savez, mon cher comte, le prix que je
mets à la vôtre, ma tendre amitié vous en renouvelle ses assurances.
ET LA COUR DE FRANCE. 387
CCLXI.
DU BARON DE BRETEUIL A MADAME DE MATIGNON, SA FILLE (1).
Lnxemboarg, le 22 octobre, midi [1792].
Je vous ai écrit en me levant aujourd'hui, chère enfant, par la
poste ; mais M. de Mercy m'apprend qu'il va expédier un courrier à
M"** l'archiduchesse, j'en profite pour vous dire encore un petit
bonjour et qu'il m'est dur de ne pas vous le prononcer de vive voix.
J'espère que le mois ne finira pas sans cette vive satisfaction pour
moi. Je m'arrange pour partir le 25 ou 26, quand le roi de Prusse
aura passé par cette ville.
En rendant Longwy, on y rétablit les magasins et l'artillerie qui
y ont été pris ; ne le dit^s pas, pour que vous ne soyez pas citée pour
le blâme que cette étonnante conduite jette de plus sur M. le duc de
Brunswick, c'est un homme dans la boue. M. le comte d'Artois con-
tinue à se bien conduire, pour (2) ; je crois qu'il s'accoutumerait
facilement à me voir le diriger; mais quoique j'en suis très-content,
je ne m'accoutumerais pas de même à me donner ce soin : il quittera
cette ville après-demain, et ce matin il est retourné chez le roi de
Prusse, dont le quartier général n'est qu'à deux petites lieues d'icL
Les quartiers d'hiver prussiens prendront depuis Trêves jusqu'ici.
L'armée autrichienne depuis Namur jusqu'ici.
Les électeurs de Mayence et de Trêves ont envoyé des courriers
hier ici pour demander secours contre l'armée de M. de Custine qui,
disent-ils, avance de nouveau avec 30,000 hommes pour occuper
Spire. Je crois aisément à ce projet, et je crains son exécution.
Je n'ai lu que ce matin ce que vous m'avez mandé de vos lettres
et demande (3) pour modèle; je l'approuve fort. Nous serions
trop dans la misère si je perdais mon habitation ; il me semble que
(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : du baron de BreUuiî,
25 octobre 1792, reçu.
(2) Mot UliBible.
(8) Mot UliBible. ^ _ .
388 LE COMTE DE FERSEN
je saurais la supporter pour moi, mais pour vous, chère enfant , et
pour Caroline, je ne résisterais pas à la douleur de vous y voir.
Je vous embrasse. J'embrasse Tévêque.
CCLXIL
DU COMTE DE FERSEN AU PRINCE R^OENT DE SUÈDE (1).
BruxeUes, ce 7 novembre 1792.
Monseignetir,
y. A. B. aura sans doute été aussi étonnée de la retraite inattendue
et inconcevable du duc de Brunswick qu'elle le sera d'apprendre qu'il
ne faut attribuer cette funeste manœuvre qu'à la petitesse de son es-
prit, qui était au-dessous de la besogne dont il s'était chargé, et à la
peur qui l'a saisi dans le moment où il avait le plus besoin de tout
son courage. Voici quelques détails qui mettront Y. A. R en état
d'en juger par elle-même. Après l'aflfaire de Grand-Pré, poste très-
important tant par sa force que parce qu'il est la clef de la forêt
d'Argonne et des gorges du Vermontois, où, de l'aveu même de
M. Dumouriez, quinze cents Autrichiens ont chassé dix mille Fran-
çais au travers d'une lieue d'abatis et de retranchements, le duc de
Brunswick, par des manœuvres très-belles, enveloppa Dumouriez dans
la position qu'il avait choisie, sur la côte de l'Hiron, son avant-garde
aux Islettes, et gagna sur lui la chaussée de Châlons, où Dumouriez
avait ses magasins. Ce fut le 20 septembre qu'il se trouva en pré-
sence ; il fit déployer son armée en bataille, et marcha ainsi 150 pas
en avant, en commandant une canonnade avec 70 pièces de canon.
Tout le monde s'attendait à attaquer sur-le-champ, et il comimençait
déjà à y avoir du flottement dans l'armée française. Le duc de
Brunswick, apparemment dans l'espérance de la culbuter sans per-
(1) D'après la minute de la main dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : chiffrt au
duCj envcyi et Aix-la-Chapelle. Apoitille lit* A. le 19 nov. 1792.
ET LA COUR DE FRANCE. 389
dre da mon de , et de tomber sur eux dans sa suite, fit halte et con-
tinua pendant cinq heures sa canonnade, à laquelle les Français répon-
dirent avec la même vigueur ; car l'artiUerie est la seule arme qui
leur reste, et elle est très-bien servie. Cette résistance eflfraya le duc
de Brunswick, qui, d'après tous les rapports qu'on lui avait faits, s'é-
tait fait une idée exagérée de leur faiblesse et avait cru. qu'il n'y
avait qu'à se montrer pour les battre, et qu'il leur en imposerait par
sa canonnade. Il persista dans une opinion tout aussi exagérée de
leur force qu'il en avait eu de leur faiblesse, quoiqu'on lui repré-
sentât que, l'artillerie étant la seule arme qu'ils eussent encore, il
fallait les empêcher de s'en servir, et quoiqu'il sût que, pendant la
canonnade, jamais on n'avait pu faire monter à cheval la cavalerie,
que les chevaux étaient au piquet, et qu'une grande partie de l'in-
fanterie, ennuyée de rester tranquille, s'était mise en colonne, sans
aucun ordre, et comptait de même aller attaquer les batteries prus-
siennes. La canonnade finit à 6 heures du soir. Dans la nuit, Du-
mouriez abandonna la position, et en prit une plus rapprochée de
Sainte-Menehould, où il avait quelques magasins. Le 21 au matin,' les
Prussiens occupèrent la position que les Français avaient quittée,
mais il n'attaqua point, quoique, au dire de tous les officiers, il l'au-
rait pu avec encore plus d'avantage que la veille, et que tous le lui
demandaient. Le roi de Prusse lui-même le désirait. Le duc de Bruns-
wick résista à tout, et ceux qui le connaissent attribuent cette ré-
sistance à son indécision naturelle et au peu d'énergie et de courage
de son caractère, qui est abattu par le plus léger revers, comme il
est exalté par les succès. Mille circonstances dans le cours de cette
campagne l'ont prouvé. La marche rapide qui avait été faite depuis
Grand-Pré avait empêché de bien reconnaître la position et la force
de Dumouriez ; on ne savait s'il avait 40, 60 ou 80,000 hommes.
Pour s'en assurer, le duc de Brunswick imagina de traiter pour un
cartel ; il fit des ouvertures en conséquence, le 22, et la manière dont
M. de Manstein, aide de camp du roi, fut reçu, lui donna l'idée de
traiter avec Dumouriez. Cet homme, qui a de l'esprit et de la finesse,
jugea qu'il fallait amuser le duc de Brunswick, afin de gagner du
temps pour se fortifier dans sa position, et faire consommer aux
ennemis le peu de vivres qu'il pouvait y avoir dans le pays le plus
pauvre de la France, et gêner leurs subsistances par la difficulté
qu'il y avait de les faire venir, les chemins étant presque imprati-
390 LE COMTE DE FEBSEN
cables par les plaies continuelles qu'il faisait depuis six semaines.
Le duc de Brunswick ne s'aperçut pas du piège ; Dumouriez reçut à
merveille ses propositions, et y répondit de même ; on posa pour
base la liberté du roi et de sa famille; on discuta l'article des
princes et des émigrés, etc., etc. Enfin Dumouriez reçut la nouvelle
de l'établissement de la république ; il la communiqua au roi de
Prusse avec sa résolution de la reconnaître. Aussi il accompagna cet
envoi du mémoire insolent au roi de Prusse que j'ai déjà eu l'hon-
neur de faire passer à Y. A. B. Sa Majesté Prussienne en fut si cho-
quée que dès cet instant toutes les négociations finirent, et le roi ne
voulut plus recevoir aucun des nationaux dans son camp. Le duc
de Brunswick s'aperçut alors, mais trop tard, qu'il avait été joué ; il
en fut tellement affecté qu'il dit à quelqu'un que, si ce n'était lâ-
cheté, il se casserait la tête. Il prit alors la résolution de se retirer.
C'était le 28, et on s'accorde à dire qu'il lui aurait été difficile d'aller
en avant, même après une victoire, qu'il aurait sans aucun doute
remportée ; car une grande partie des troupes nationales ne voulaient
pas se battre, au dire même des officiers nationaux venus ensuite
pour des échanges ou autres commissions. Mais l'armée prussienne
était hors d'état d'agir ; le manque de vivres, occasionné par la dif-
ficulté des transports dans des chemins absolument rompus par les
pluies continuelles qui mettaient les hommes et les chevaux dans
la boue, jusqu'aux genoux ; le défaut de bois pour se sécher et se
chauffer, tout cela avait mis les maladies et la mortalité parmi les
hommes et les chevaux ; la dyssenterie régnait extrêmetnent, les che-
vaux mouraient par vingtaines, et ces huit jours de séjour à Hans ont
<^oûté à l'armée prussienne 6 à 7,000 hommes, tant morts que malades,
et peut-être plus. Enfin le 29, l'armée commença sa retraite, qui se fit
dans le meilleur ordre possible, mais avec des difficultés inouïes. Les
canons et les chariots restaient dans la terre grasse et calcaire de la
Champagne, et il a fallu 7 mettre jusqu'à seize et vingt chevaux
pour les en tirer, et si Dumouriez avait eu du talent et d'autres
troupes, il aurait pu tirer grand parti de cette retraite ; mais il n'a
jamais osé s'approcher, et, la seule fois qu'il ait voulu tenter quelque
chose contre le prince de Hohenlohe, deux seuls coups de canon ont
ait fuir l'armée, et on a pris même des prisonniers. Les capitulations
honteuses de Verdun et de Longwy sont des choses inexplicables, et
beaucoup de gens croient que le duc de Brunswick a entièrement
ET LA COUR DE FRANCE. 391
'perdu la tête ; c'est, je crois, ce qu'on peut dire de mieux en sa fa-
veur. On avait débité fortement que l'Angleterre avait influé sur sa
conduite et avait arrêté sa marche, et on concluait cela de la quantité
de courriers anglais quiallaient sans cesse à l'armée ; mais je crois être
sûr, au contraire, que c'était pour avoir des nouvelles exactes de ce
qui s'y passait, et que cet empressement était dicté par le désir du
succès de l'opération. Tout me prouve que l'Angleterre sent la néces-
sité et l'avantage même pour elle d'étouflfer les nouveaux principes,
qui sans cela ne tarderaient pas à se répandre dans toute l'Europe et
& troubler même sa tranquillité ; elle désire le rétablissement de la
France, car cette puissance est déjà assez abaissée pour ne plus lui
être dangereuse, et elle voit dans la destruction des nouveaux prin-
cipes et la punition des factieux le seul moyen d'étouffer les idées de
la réforme parlementaire, qui gagnent beaucoup. Je suis sûr que le
vœu du roi et du ministère est favorable au rétablissement de la
France, et milord Elgin vient de recevoir des ordres positifs de dé-
mentir formellement les bruits qui s'étaient répandus sur les disposi-
tions de l'Angleterre, contraires à l'expédition entreprise par l'Empe-
reur et le roi de Prusse.
CCLXIII.
DU COMTE DE FERSKN AU BARON DE TAUBE (1).
m
Aix-la-Chapelle, ce 19 norembre 1792.
Mon cber ami. Dans quel siècle vivons-nous ! il semble que la
Providence épuise les coups les plus funestes pour accabler cette
famille bonne et trop infortunée, et mon âme est déchirée de mille
manières. Vous étiez déjà au désespoir, mon ami, de la retraite du
duc de Brunswick ; eh bien, vous le serez encore plus lorsque vous
saurez que les Autrichiens se sont crus obligés d'abandonner les
(1) Lettre nutog^plie.
392 LE COMTE DE FERSEN
P.iys-Bas, à l'approche de Dumourîez et d'un tas de bandits, de vo-
leurs et de rebelles. Cela fait horreur à penser, surtout lorsqu'on sait
que c'est à la faiblesse^ à l'imbécillité et au manque d'énergie du gou-
vernement et du duc Albert, qui commandait l'armée, qu'on doit ce
malheur ; car les troupes sont excellentes, elles ont fait des prodiges de
valeur, mais elles ont été mal conduites. Les Vallons se sont bien battus
et sont restés âdèles, jusqu'au moment où ils ont vu qu'on abandonnait
Bruxelles et tout le pays ; alors seulement la majeure partie a quitté,
mais la peur a saisi tout le monde, tous n'ont pensé qu'à se sauver et
ont tout abandonné; ni canons ni magasins, rien n'a été emporté ,
et on a tout laissé entre les mains des Français. Le pays même n'était
pas mauvais ; il n'y a pas eu un seul mouvement de révolte dans le
pays, et celui très-petit à Anvers a été étouflfé par les bourgeois
eux-mêmes; personne, si ce n'est la canaille, ne désirait les Fran-
çais ; ils voient trop les malheurs des individus en France pour
vouloir leur être assimilés, mais le gouvernement a fui lâchement
et a tout abandonné, cela fait horreur. Figurez-vous , mon ami, qu'à
Mons^ lorsque le duc de Saxe se décida enfin, mais trop tard, à at-
taquer, ce fut le général Beaulieu, avec 6,000 hommes, qui en attaqua
70 à 80,000 ; il les fit plier, mais le reste de l'armée autrichienne ne
le soutint pas, et il fut obligé de rentrer dans sa position. Je ne
suffirais pas à vous mander tous les petits faits particuliers de ce
genre dont j'ai connaissance ; bref, le résultat de tant de sottises
multipliées a été la retraite des Autrichiens. Ils ont pris poste à Lou-
vftin, et on croit qu'ils veulent défendre et couvrir tout ce qui est
derrière la Meuse. Le duc Albert a quitté le commandement; ce
sont les généraux Clairfayt et Beaulieu qui l'ont accepté, après beau-
coup d'instances. Les princes et les émigrés sont dans Liège, dans
un état déplorable, sans argent, sans ressources, dans la misère la
plus grande, et ne sachant encore si les puissances les en tireront.
Tous ces environs sont mal disposés et n'attendent que les Français
pour se déclarer. Les maximes françaises de liberté et d'égalité ga-
gnent fortement dans les Électorats ; enfin, mon ami, si tous les sou-
verains ne sentent pas assez leurs intérêts pour se liguer ensemble,
et arrêter le mal en l'étoufiant, ils en seront tous les victimes. Il
n'y aura plus ni rois ni noblesse, et tous les pays éprouveront les hor-
reurs dont la France est à présent la victime, et, pour avoir une exis-
tence et conserver de quoi vivre, il se faudra faire jacobin.
ET LA COUR DE FRANCE. 393
Si vous pouvez vous procurer la lecture de mes lettres au duc
d'aujourd'hui, vous y verrez des détails sur les événements. Nous
n'avons pas des. nouvelles détaillées de Paris ; on s'y occupe du
procès du roi, mais il y a lieu de croire qu'il ne sera pas exécuté,
quoique sûrement condamné. H est affreux pour moi d'écrire de
pareilles horreurs, et je suis bien tourmenté. Je n'ai pas été à
Bréda, à cause de l'insurrection d'Anvers ; je suis parti de Bruxel-
les le 9, après midi, avec Simolin et Crawford. Nous avions nos
chevaux et d'autres de louage; nous sommes arrivés avec mille
embarras, trouvant à peine à manger et pas à coucher, à cause de
laquantité de monde, le 11, pour dîner à Maëstricht. C'était une file
de voitures et d'équipages le long du chemin, et jamais coup d'oeil
n'a été plus afSigeant : ces malheureux émigrés français à pied
et en charrettes le long du chemin, ayant à peine de quoi manger ;
des femmes comme il faut à pied, avec leurs femmes de chambre
ou seules, portant un petit paquet sous le bras, ou leur enfant. A
Maëstricht, nous eûmes mille peines où trouvera nous mettre à cou-
vert ; il y avait plus de 1 1,000 âmes, arrivées en trois jours. Nous
restâmes quatre jours, et, le 16, nous arrivâmes ici. Nous y resterons
encore quelques jours, et comme MM. Metternich, de Mercy et de Bre-
teuil vont à Dusseldorf, j'y irai aussi; Simolin y vient, et j'espère que
Crawford se décidera à s'y établir avec nous. Dans tous mes cha-
grins, je crains d'avoir bientôt aussi des embarras particuliers d'argent ;
tous mes effets à Paris sont vendus ou vont l'être ; j'en avais laissé chez
un gentilhomme dans les Pays-Bas, ils seront probablement pillés
par les Français. Je n'ai pu emporter tous ceux que j'avais à Bru-
xelles, et j'ignore encore si je les ai ou s'ils ont été pris. Vous savez,
mon ami, que je n'ai jamais eu im sol de traitement ; je n'en désirais
pas, le plaisir de servir mon roi et celui de France me dédomma-
geait amplement de tous mes sacrifices ; mais ma position se prolonge,
et ma perspective est bien incertaine à présent ; ce déplacement est
énormément cher, et j'ai beaucoup sacrifié d'argent en courriers,
etc., etc., dont je ne puis être remboursé par personne. Dieu sait
que je ne regrette rien, et, si à la fin je puis me flatter de leur
avoir été utile, je ne regretterai rien, et je me vouerai volon-
tiers à toutes les privations. Je vais calculer, quand je serai plus
tranquille, ce qui me reste encore, et je verrai alors ce que j'aurai
à faire. J'avais pris des arrangements pour me faire venir mes lettres
394 LE COMTE DE FERSEN
de Bruxelles, mais depuis plusieurs jours il n'en vient point ici ;
c'est encore une privation et un malheur de plus.
CCLXIV.
DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUEDE (1).
Aix-la-Chapelle, ce 19 noyembre 1792.
Monseigneur,
Les Autrichiens ont évacué les Pays-Bas, sans se battre, et cette
funeste manœuvre ne doit être attribuée qu'à la faiblesse et au
manque d'énergie du gouvernement, et à la mauvaise conduite
militaire du duc de Saxe-Teschen, qui n'a jamais voulu suivre les
conseils des généraux Clairfayt et Beaulieu. Ils lui avaient conseillé
de porter toutes ses forces aux avant-postes et d'attaquer les
Français, dès qu'ils paraîtraient et avant qu'ils n'eussent le temps
de se former, et sans leur laisser celui de faire arriver tous leurs
moyens et de prendre une position. Le général Beaulieu lui en
avait donné l'exemple, lorsque, au moment de la déclaration de
guerre, il attaqua 15,000 Français dans le même endroit (à Bossus
devant Mons) avec 2,000 hommes et trois pièces de canon, et
qu'il les battit; mais le duc ne suivit pas leur avis, et il laissa
les Français prendre une position devant Mons, après avoir repoussé
tous ses avant-postes. Alors les généraux insistèrent de nouveau
pour que le duc rassemblât toutes ses forces ; qu'il rappelât tous
les détachements épars dans le pays à Tournai et dans la Flandre ;
qu'il prît une position en arrière de Mons, dans le centre du pays,
à portée de se porter du côté où les Français se dirigeraient, d'y
attendre les Français et de les attaquer, dès qu'ils paraîtraient. Cette
manœuvre offrait l'avantage d'affaiblir leurs moyens en les éloi-
gnant de chez eux, et d'agir sur l'esprit des soldats, mal comman-
(1) D'après la minute de la main du comte de Ferseo, qui a écrit en marge : chij/re
au duc.
ET LA COUR DE FRANCE. 395
dés^ sans discipline, ne sachant point manœuvrer et qui auraient
été moins rassurés, éloignés de leurs foyers et dans un pays ennemie
qui, quoique mauvais, n'osait pas se déclarer. Le duc de Saxe ré-
sista à tous ces avis, et il se décida, mais trop tard, à attaquer,
sans connaître au juste la force de son ennemi ni sa position, et il
n'apprit que lorsqu'il vit ses redoutes rasées , qu'ils avaient des
canons de 24 et môme de 36. Depuis cette époque, la terreur pani-
que s'est emparée de tout le monde. L'archiduchesse et le gouver-
nement ont fui précipitamment de Bruxelles, comme si l'ennemi
avait été aux portes de la ville, emportant tout ce qu'ils avaient
de plus précieux et abandonnant le reste ; et l'armée n'est restée
en avant de Bruxelles que pour assurer cette fuite, qu'on aurait pu
éviter en terminant plus tôt les différends avec les états de Flandre,
dont les prétentions n'étaient pas très-injustes, car ils demandaient
seulement le maintien de la Joyeux enJtrée qui avait été garan-
tie au moment oti les Autrichiens ont fait la conquête du pays, en
1790. Par cet acte, les conseillers du Brabant sont inamovibles, et
les états demandaient que les cinq conseillers qui ont été renvoyés
par l'Empereur, et qui sont l'objet de la discussion, fussent jugés
et punis, s'ils étaient coupables, ou rétablis dans leurs places, s'ils
étaient innocents. Par cette condescendance du gouvernement, tous
les différends étaient terminés, et l'Empereur aurait trouvé dans le
pays des soldats et de l'argent, assez pour le conserver, car les
démocrates brabançons ne .désiraient pas de régime français, ils en
voient de trop près les inconvénients et les malheurs pour ne le
pas craindre ; mais l'entêtement a été extrême de part et d'autre, il
a été funeste à la maison d'Autriche, et pourra, si on n'étouffe le
mal, le devenir à toute l'Europe.
Il avait été décidé que le gouvernement se transporterait à Bure-
monde, et tous les ministres étrangers avaient été invités de s'y
rendre ; mais la peur les a encore poursuivis à Maëstrîcht, et au lieu
d'aller à Ruremonde, le duc Albert et l'archiduc Charles sont allés
à Vienne, le comte de Mettemich à Dusseldorf et M"* l'archi-
duchesse je ne sais où. Le ministre d'Angleterre est parti de Maës-
tricht pour Londres, et celui de Hollande est retourné à la Haye.
Il faut en avoir été témoin pour se faire une idée des fautes, de
la faiblesse et de l'ineptie de ce gouvernement, et de la peur qui a
saisi tout le monde.
396 LE COMTE DE FERSEN
CCLXV.
BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU DUC DE SUDERMANIE,
RIÈGENT DE SUÈDE (1).
Aix-la-Chapelle, ce 19 novembre 1792.
Le 4 et le 5, les avant-postes des Autrichiens furent repoussés
du Bossus et de Saint-Guilain, et se retirèrent dans la position qui
avait été choisie devant Mous et fortifiée de quelques redoutes. Le
duc de Saxe y porte toutes ses forces, consistant en 16 à 17,000
hommes. Le reste était détaché à Tournay et en Flandre, car il
aurait dû avoir 36,000 hommes en campagne, puisque les forces
autrichiennes sont comptées sur le pied de 55,000 hommes. Le 6, le
duc se décide à attaquer les Français ; ils étaient 70 à 80,000 hom-
mes avec 150 pièces de canon, dont 30 de 24 et de 36. Us ont
attelé, pour les transporter, jusqu'à 28 à 30 chevaux. Au lieu de
commencer l'attaque avant le jour, ce ne fut qu'à 11 heures du
matin, et l'afiaire dura jusqu'à 7 heures du soir. Le général Beau-
lieu attaqua avec 6,000 hommes, et fit plier les Français ; mais
n'ayant pas été soutenu, il fut obligé de se retirer dans sa position.
Les Autrichiens, firent des prodiges de valeur, mais ils trouvèrent
partout un rempart de bronze, et ils furent obligés de se retirer
dans leur position. Leurs redoutes furent rasées, dans le moment,
du feu de la grosse artillerie, et ce ne fut que dans ce moment qu'ils
s'aperçurent que les Français avalent des pièces de 24 et de 36. Ils
repoussèrent cependant 1 es Français, qui n'avanç.aient qu'à la feveur
de leur artillerie, et ils se maintinrent dans leur position ; mais
pendant la nuit ils se retirèrent, et prirent une position derrière
Mons sur la Haine, abandonnant tous leurs canons de 12, qui
étaient dans les redoutes, et d'autres encore, n'ayant pas assez de
chevaux pour les traîner. Leur retraite ne fut point inquiétée, et les
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrie en marge : chiffre,
au duc.
ET LA COUR DE FRANCE. 397
Français n'entrèrent à Mons que le 7, lorsque toute l'armée autri-
chienne eut abandonné sa nouvelle position et en eut pris une
autre à trois lieues en arrière, entre Braine-le-Comte et Castiau, et le
quartier général revint à Hall, à trois lieues de Bruxelles. Les Au-
trichiens perdirent 3,000 hommes ; on ignore la perte des Français.
Depuis le 5, tous les équipages de l'armée revenaient à Bruxelles, et
la terreur commençait à gagner ; on parlait de départ, cependant
tout le monde était encore dans une ignorance parfaite de ce qui
s'était passé. Les détails n'en étaient pas connus. Enfin, le 7 au
matin, la nouvelle de la retraite des Autrichiens fut publique, et,
d'après l'avis des chefs du gouvernement, tout le monde se décida à
partir. Le 8, il notifia aux ministres étrangers son intention de
quitter Bruxelles et de se transporter à Buremonde, en les invitant
à s'y rendre aussi. M.°^^ l'archiduchesse partit incognito dans la
soirée, et le comte de Metternich dans la nuit. Les malheureux
émigrés français étaient partis ou partaient ; la grande affluence de
monde qui passa à Anvers j occasionna du mouvement dans la soi-
rée. Les voitures furent pillées et les voyageurs extrêmement mal-
traités ; mais ce mouvement fut apaisé dans la journée du 9 par les
troupes et les bourgeois. Dans la matinée, on avait dissous le conseil
du Brabant, et il n'existait plus de gouvernement que celui du com-
mandant et de la garnison, composée de 1,500 hommes des troupes
de Wûrtzbourg et de détachements de difi'érents régiments de Vallons,
en tout 2,000 hommes. Le 9, on ouvrit toutes les prisons, et il y eut
quelques prisonniers portés en triomphe en criant, Vive Vandernootf
mais tout était tranquille, et on ne voyait sur tous les visages d'au-
tre sensation que celle de l'étonnement et de la consternation. Tout
le monde semblait craindre l'arrivée des Français. L'émigration
continuait ce jour-là, mais elle était moins forte, car presque tout
le monde était déjà parti. Toute la route, jusqu'à Maëstricht, était
couverte de détachements pour assurer la marche des équipages.
Le pays était fort tranquille et paraissait partager les sensations
de la ville de Bruxelles. Le 13, l'armée autrichienne marcha sur
Louvain, où elle prit une position. La garnison de Bruxelles re-
pousjsa les Français, qui voulurent entrer dans la ville. Ils envoyè-
rent alors un trompette sommer la ville. Le trompette ne voulut point
traiter avec le commandant, mais avec l'hôtel de ville. La capitu-
lation fiit faite, et le 14, à 3 heures du matin, la garnison sortit par
398 LE COMTE DE FERSEN
la porte de Louvain et alla rejoindre le reste de rarmée. Nous n'
YODS pas de détails de ce qni s'y est passé depuis^ car il n'est pas
arrivé de lettres de Bruxelles ici ; mais on assure qu'il n'y a en*
core eu de pillés que les magasins de l'Empereur et dix à douze
maisons. Les Français ont pris possession de Malines et d'Anvers,
avec tous les canons et magasins qui y étaient et que les Autri-
chiens n'avaient pas évacués.
Le gouvernement a abandonné le projet de s'établir & Rure-
monde; il ne se croit pas en sûreté dans la Gueldre, et on ne
sait où il ira. Comme il n'y a plus rien à gouverner, le gouverne-
ment paraît superflu. Le duc de Saxe a quitté le commandement, et
on dit même le service; c'est avec beaucoup de^ peine qu'il a pu
engager les généraux Clairfayt et Beaulieu de s'en charger. Nous
n'avons pas des nouvelles positives de l'armée; nous savons seu-
lement qu'elle est restée dans sa position à Louvain. Il paraît
que Clairfayt a le projet de se placer sur la Meuse et de couvrir
le pays de Luxembourg, Namur et Liège. Les princes et les émi-
grés sont & Liège; ils ignorent encore quel sera leur sort; il n'y
a rien de décidé ni sur leur emplacement ni sur leur subsistance,
et ils sont dans le plus affreux embarras. Le pays de Liège est en-
core tranquille, quoique tout prêt & se soulever si les Français ap-
prochent. Aix-la-Chapelle est dans les mêmes sentiments.
Nous n'avons pas de nouvelles fraîches de Paris. Nous savons
seulement qu'on s'occupe en ce moment du procès du roi. Les avis
paraissent partagés : l'abbé Fauchet croit Sa Majesté assez punie
par tout ce qui lui est arrivé et veut qu'on la laisse aller ; d'autres
veulent qu'elle soit jugée et exécutée, et qu'on abolisse ensuite la
peine de mort. Il y a lieu de croire que le projet est de juger le roi,
de le condamner et de lui faire donner la grâce par la nation, en
lui assignant une somme pour son entretien et celui de sa famille ;
mais on ignore si on le gardera en prison ou si on lui laissera la
liberté d'aller où il voudra.
ET LA COUK DE FRANCE. 399
CCLXVL
DU COMTE DE DEUX-PONTS AU COMTE DE FERSEN (1).
Deux-Ponts, ce 17 déœmbre 1792.
Votre lettre du 3 , mon cher Fersen, m'a tiré d'inquiétude sur votre
compte ; il était bien tourmentant de vous savoir errant^ sans pou-
voir avoir de vos nouvelles.
Après la désastreuse et inconcevable campagne qui a mis le comble
aux malheurs du roi et de la reine, je suis revenu ici à la fin d'oc-
tobre. Nous y avons été entourés d'armées françaises, elles ont même
campé sous nos yeux. Nos paysans, malgré toutes les séductions,
sont restés bons et honnêtes et fidèles, à l'exception d'un bailliage
enclavé dans l'Alsace. On nous dit ici que Dumouriez a reçu un échec
près Aix-la-Chapelle ; je persiste encore & en douter.
De nos côtés, Beurnonville a échoué devant Trêves. Son armée a
extrêmement diminué par la désertion des gardes nationales , qui
aiment mieux retourner se chauffer chez eux que de camper dans
la neige du Holtzwald, ce qui n'est pas si déraisonnable. Custine est
rencoigné dans Mayence comme le maréchal de Belle-Isle l'était à
Prague, et, si Dumouriez ne parvient pas au Rhin, il est difficile
qu'il s'en tire bien. Ses gardes nationaux nous passent ici par bandes,
se plaignant beaucoup de lui et ne voulant plus retourner dans cette
Allemagne où on gèle et où on n'est point mûr pour la liberté.
Ce que vous me mandez de Bruxelles se confirme de tous les côtés;
ils veulent leur ancienne constitution, et nullement la liberté à la
mode en France.
Après vous avoir fait ma gazette, il faut vous dire, mon cher ami,
que je ne puis dans ce moment vous trouver un cocher qui soit aussi
bon que je le désire ; mais je crois dans peu pouvoir faire votre com-
mission parfaitement bien, car les événements forcent le duc à une
réforme considérable dans son écurie et sa chasse. Je m'emparerai
(1] Lettre autographe en dair. Le comte de Fenen a écrit en marge : reçu 29 déc. 1792,
rép, 29 déc.
400 LE COMTE DE FERSEN
pour vous du meilleur sujet. Mandez-moi en conséquence où je pourrai
vous l'adresser, lorsque j'en aurai un.
Il me semble, puisque vous voilà errant, que vous seriez mieux à
Frankfort, ou aux environs, que nulle part; c'est là probablement
que sera le centre de tout, et on y est très-certainement à l'abri des
événements futurs. J'espère pouvoir dans peu en dire autant du pays
que j'habite, et que je ne quitterai sûrement pas tant qu'il est exposé.
Adieu, mon cher Fersen, comptez à jamais sur la constante amitié
de votre ancien ami.
Deux-Ponts.
Je dois vous observer que les lettres du Bas-Rhin passent par
Mayence, où on ne se refuse pas le plaisir de les ouvrir.
Dans ce moment passe un officier d'artillerie en courrier de Paris
à Custine, pour lui apporter l'ordre de traiter d'une suspension
d'armes.
CCLXVII.
DU COMTE^DE FERSEN AU DUC DE SUDBRMANIE, RÉGENT DE SUÈDE (1).
Dusseldorf, le 29 janvier 1793.
Le courrier de France n'est point arrivé hier.
Quelques lettres particulières mandent que Madame, fille du roi, est
morte le 21 au soir, d'une attaque de nerfs occasionnée par le sai-
sissement qu'elle a éprouvé au moment que 1& roi a été emmené du
Temple.
Les 12 bataUlons et 15 escadrons qui devaient passer le Rhin à
Hesel n'ont point effectué ce passage. Seulement 1,200 hommes et
300 hussards se sont portés en avant dans la Gueldre ; on ignore la
raison de ce changement, mais on suppose que c'est l'augmentation
de la garnison de Buremonde qui a été portée à 10,000 hommes.
(1} D'après la minute de la main du comte de Fersen.
'- I
ET LA COUR DE FRANCE. 401
Rien de nouveau des armées , si ce n'est des affaires d'ayant-pos-
tes de peu d'importance.
CCLXVIII.
l'archevêque de tours au comte de fersen,
DU 27 JANVIER 1793 (1).
{Extrait des lettres de Paris.)
Le 21, à 9 heures 1/2 du matin ^ le roi est sorti du Temple , escorté
de 400 hommes de cavalerie et de 1,200 d'infanterie.
Il a été conduit, au milieu du plus profond silence, par les boule-
vards du Temple, de Saint-Martin et de Saint-Honoré, à l'échafaud,
dressé sur la place ci-devant de Louis XV, à présent diteefe la Révo^
lution, entre l'emplacement où était la statue, et l'entrée des Champs-
Elysées.
Dans le fond de la voiture, et à la gauche du roi, était son confes-
seur, prêtre irlandais; sur le devant, deux officiers de la gendarmerie.
Arrivé au pied de l'échafaud, il a souffert, avec un grand sang-
froid, qu'on lui liât les mains, et a monté avec courage.
Il a voulu parler au peuple ; mais le bruit des tambours a étouffé
sa voix. Cependant ceux qui étaient près de l'échafaud ont entendu
ces paroles, prononcées d'un ton ferme : Je pardonne à mes ennemis , et
je désire que ma m^ort fasse le salut de la France.
Il a rendu le dernier soupir à 10 heures 3/4 ; sa tête tombée fut
présentée au peuple. Au même moment l'air retentit des cris de Vive
la nation ! vive la république française!
Plusieurs volontaires ont trempé leurs piques dans son sang, d'au-
tres leurs mouchoirs.
Son corps et sa tête ont été portés et ensevelis à la Magdeleine.
L'archevêque de Tours a l'honneur, pour se conformer au désir de
(1) D'après la lettre toute autographe et originale, dans les papiers du comte de Fersen,
«qui a écrit en marge : 27 Janvier 1793.
T. II. 2G
402 LE COMTE DE FERSEN
monsieur le comte de Fersen, de lui envoyer les tristes et horribles
détails du crime atroce qui déshonorerait à jamais le nom français,
s'il n'était désavoué par ceux, en très-grand nombre, qui sont encore
dignes de le porter.
Les lettres de Paris gardent le silence le plus absolu sur la famille
royale.
Ce dimanche au soir.
CCLXIX.
DU COMTE DE FERSEN AU COMTE DE MERCY (1).
Dusseldorf, ce 3 février 1793.
Monsieur le comte,
La lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire du
31 dernier me fut remise hier au soir.
J'ai été flatté de voir que V. E. ait approuvé mes réflexions sur la
régence. Quant aux démarches à faire pour sauver la reine, il serait
bien diflîcile d'oser prononcer définitivement sur une aussi impor-
tante [affaire], et il faudrait pour cela une connaissance plus exacte
que je ne l'ai sur la disposition actuelle des esprits; mais plus je con-
sidère tout ce qui s'est passé, plus je me raffermis dans mon opinion
qu'on ne peut la servir qu'en ne faisant rien pour elle. 11 est affreux
de devoir borner son zèle à l'inactivité ; mais si cet effort est pénible,
la jouissance sera plus grande, s'il est couronné parle succès. Une
démarche de l'Empereur, simple et qui n'aurait pour but que de ré-
clamer la reine , serait sans contredit conforme à la dignité de l'Em-
pereur ; mais si cette démarche, loin d'être utile à la reine, pouvait
lui être nuisible, ne serait-il pas plus beau, plus noble, plus généreux
de tout sacrifier à un si grand intérêt ; et la dignité de l'Empereur ne
(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : au comte
Mercy.
ET LA COUR DE FRANCE. 403
serait-elle pas à couvert, si une explication secrète justifie son silence
aux yeux des cours de l'Europe? Le but de cette démarche serait
la sortie de la reine du royaume ; mais jamais les factieux n'y con-
sentiraient. L'intérêt que la présence et les malheurs de cette princesse
inspirera ou réclame , les détails qu'elle pourra donner , les moyens
qu'elle pourra indiquer, l'esprit de vengeance dont on la suppose
agitée, tout s'oppose à cet espoir. Eeste donc à considérer cette dé-
marche sous le seul rapport des effets qu'elle produira : elle sera
ou utile, ou nuisible, ou indiflférente. L'exemple du passé et le peu
de cas qu'on a fait des réclamations de l'Espagne, qui n'ont fait que
hâter la perte du roi, ne prouvent-ils pas assez le peu d'eflet qu'il
faut attendre de pareilles démarches , et ne donnent- ils pas la triste
certitude qu'il n'y en a aucune autre que celle de la force qui
puisse changer le sort de la reine, s'il est décidé? Mais une démar-
che .très-ostensible ne peut-elle pas éveiller une discussion sur le pro-
cès de la reine, qui avait été décrété en même temps que celui du
roi, mais dont il n'est pas encore question, et qu'un parti veut peut-
être faire oublier? ne peut-elle pas servir de prétexte pour hâter le
jugement de la reine, afin, comme il a été dit au procès du roi, d'é-
viter de la part des autres puissances des démarches pareilles ? L'in-
térêt que l'Empereur manifestera pour sa tante ne sera-t-il pas une
raison pour les factieux , et un moyen dont ils se serviront pour la
perdre , en réveillant la haine contre les Autrichiens et montrant la
reine comme étrangère et complice des crimes qu'ils ont imputés au
roi? En vain les raisonnements les plus justes démontrent l'impossi-
bilité du procès par l'absence de toutes les preuves, et celle de l'as-
sassinat par l'intérêt même des factieux ; mais nous avons vu que
ces considérations ne les ont pas arrêtés, et ose-t-on espérer qu'ils
seront à présent plus sages et moins atroces?
Si une démarche de ce genre pouvait être absolument indifférente,
alors la dignité de l'Empereur devrait l'engager à la faire ; mais
comment peut-on la croire telle , lorsque d'un côté il paraît certain
qu'elle est inutile, puisqu'elle ne remplira pas son objet, et que de
l'autre on peut entrevoir la possibilité qu'elle soit nuisible , et n'est-
ce pas alors le cas de n'en faire aucune? Un autre moyen plus effi-
cace de servir la reine serait, selon moi, des agents intelligents de
l'Angleterre qui gagneraient, à force d'argent et de promesses, les
meneurs du parti d'Orléans, tels que Laclos, Santerre, Dumouriez ;
404 LE COMTE DE FERSEN
car il ne faudrait pas s'adresser au duc d'Orléans , il est aussi nul et
incapable que scélérat et poltron , et ce n'est que par les autres qu'il
faut arriver à lui. Vous êtes plus à portée que moi de savoir jusqu'à
quel pointée moyen est possible. D'après la conduite des factieux, je
me persuade qu'ils espèrent, en détruisant la famille royale, détruire
aussi l'intérêt des puissances pour la monarchie , et qu'alors les vues
des puissances, se tournant vers le démembrement du royaume, elles
leur abandonneront un noyau où ils pourront établir leur république
et se mettre à l'abri des châtiments qu'ils ont si bien mérités. C'est
ce qui me fait espérer que si la conduite des puissances leur permet de
conserver cet espoir, ils ne voudront pas se charger inutilement
du nouveau crime d'égorger ce qui reste de cette famille infortunée.
Mon zèle et mon attachement pour la reine m'ont seuls dicté toutes
ces réflexions que je soumets avec confiance à l'expérience de V. E.
Je la supplie d'agréer l'assurance de la haute considération avec la-
quelle, etc.
CCLXX.
DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1).
Londres, le 24 février 1798.
Je reconnais avec vive sensibilité , mon cher comte , votre amitié
particulière pour moi, et vos sentiments pour nous en tout ce que
vous me dites sur ce malheur affreux et sur ce qui reste à craindre.
Cet effroi me suit sans cesse avec la douleur profonde qui ne peut
plus me quitter.
J'avais pensé à tout ce que vous m'indiquez pour assurer le salut
des augustes têtes, et j'en suis autant occupé que je le dois; je vous
dirai sur ce grand objet, quand je serai rapproché de vous, la marche
que j'ai tenue.
(1) Lettre autographe. Le comte de Ferssn a écrit en marge : 28yerrwr, rrçi».
ET LA COUft DE FRANCE. 405
L'ÀDgleterre paraît de votre avis sur la régence dont Monsieur
s'est revêtu : elle semble ne vouloir le reconnaître qu'après s'être
concertée avec les autres puissances, et particulièrement l'Espagne
et Naples. J'ai même lieu de croire que le duc d'Harcourt a été si
persuadé de l'inutilité de ses démarches, près du ministère anglais,
qu'il n'a fait aucun usage des lettres de notification que Monsieur
l'avait chargé de remettre ici ; mais ne dites pas cette particularité de
la conduite sage du duc d'Harcourt. Je pense fort avec vous sur la
nécessité du silence relativement aux droits de la reine sur la régence ;
ils ne sauraient péricliter, si S. M. recouvrait la liberté, aiusi que
le roi. Il n'y a que le temps qui puisse éclairer sur le plus ou le moins
de possibilité pour le succès de ce vœu.
M"* de Lassence m'a chargé de mille choses pour vous. Sa douleur
et sa conduite dans cette funeste circonstance la rendent fort inté-
ressante. Goguelat est ici et veut passer en Allemagne. Vous savez
que j'attends pour mon passage un bâtiment de la marine anglaise ;
on me fait espérer que l'occasion s'en présentera incessamment, je le
souhaite plus ardemment que je ne puis l'exprimer, j'ai besoin de me
retrouver avec mes amis.
Ne m'oubliez pas auprès de M™*^ Sullivan , de M. Crawford et
de M. de Simolin; j'aurai grand plaisir à me retrouver le soir au
milieu de votre société.
Vos commissions seront faites.
Je vous renouvelle , cher comte, ma vieille et tendre amitié.
Ce que vous me dites du comte de la Marck me fait partager la
satisfaction que vous en (1); parJoz-lui de mon amitié.
(1) Ce mot manque parce que le papier est déchiré.
406 LE COMTE DE FERSEN
CCLXXI.
DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE
SUÈDE (1).
Diisseldorf, ce 29 mara 1793.
Monseigneur,
Il paraît certain qu'il y aura un congrès de toutes les puissances
coalisées, non pour reconnaître la république française ou traiter avec
elle, toutes sont d'accord sur l'impossibilité ou l'inutilité de ces
négociations, puisqu'il n'y a pas en France un pouvoir qui puisse en
garantir l'exécution; --.-mais l'objet de ce congrès doit être de régler
et surveiller les opérations militaires, de prononcer sur les difficultés
ou les événements difficiles qui pourraient naître, et éviter par là
les retards que l'envoi des courriers doit nécessairement apporter dans
les affaires ; enfin ce congrès doit décider du sort de la France , en
réglant les échanges et les indemnités entre les puissances, et en y
établissant un gouvernement quelconque. Toutes les puissances ont
senti également combien il importait à leur propre tranquillité et à
leur sûreté de rétablir un gouvernement en France , de faire cesser
les troubles qui déchirent ce malheureux pays, de prévenir les dangers
de l'exemple, en punissant les excès de tous genres qui y ont été
commis, et d'arrêter, en l'étouffant, un mal qui pourrait gagner toute
l'Europe et la replonger dans la barbarie. Il est impossible de prévoir
quel sera le gouvernement qu'on établira en France, mais il est juste
de croire qu'il sera calculé sur l'intérêt qu'auront les puissances les
plus influentes de tenir ce pays dans un état de faiblesse qui ne
puisse leur faire ombrage, et lui défende de rivaliser avec elles ; l'in-
fluence de celles qui ont un intérêt commun à la conservation de la
France et à son existence dans le système politique de l'Europe peut
seule apporter un changement à cette probabilité de conduite. Le
(1) D'après la minute de la main du comte de Ferscn, qui a écrit en marge : chiffre, au
duc.
ET LA COUR DE FRANCE. 407
projet d'un démembrement partiel de la France, pour servir d'indem-
nité aux puissances, paraît être arrêté, mais les détails et les échanges
qui pourront en être la suite ne me sont pas encore connus. Celui de
la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens, auxquels on joindrait les
Pays-Bas français, l'Alsace et la Lorraine à titre de royaume, paraît
probable. L'Angleterre serait dédommagée par des avantages de
€ommerce et des possessions aux Indes et aux îles ; le roi de Prusse,
par la possession de Danzig et Thorn, et des arrondissements en
Pologne et en Allemagne. L'Espagne et la Sardaigne obtiendront
quelques avantages sur leurs frontières, mais il est diflSicile de pi^juger
ceux que la Bussie peut désirer pour donner les mains à ce projet;
cependant il n'est pas douteux qu'il existe , il n'y aurait que la diffi-
culté d'une juste répartition qui peut le détruire. Le lieu et l'époque
du rassemblement du congrès ne sont pas encore connus, mais on
croit que les plénipotentiaires seront nommés incessamment, et que
Cologne ou Aix-la-Chapelle seront le lieu de leurs séances.
Les cantons suisses sont divisés entre eux; plusieurs veulent
observer une stricte neutralité, les autres veulent se déclarer contre
la France. Il n'est pas douteux que les puissances coalisées n'influent
sur leur décision et les forcent, par leur réunion, & agir de concert
avec elles et défendre toute communication avec la France.
L'Angleterre paraît décidée à agir vigoureusement ; elle pousse les
opérations avec une grande activité. Je crois être sûr qu'elle a
demandé à la Russie d'engager le Danemark à refuser l'entrée du
Sund aux vaisseaux français, et à cesser toute communication avec
la France. C'est principalement de cette mesure, généralement adop-
tée, que les puissances coalisées attendent de grands moyens pour
réduire la nouvelle république française. On assure qu'elles sont
même en négociation avec les puissances barbaresques pour le
même objet.
408 LE COMTE DE FERSEN
CCLXXIL
DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE A M. DE JARJAYES (mARS OU
AVRIL 1793) (1),
Adieu ! je crois que si vous êtes bien décidé à partir, il vaut mieux
que ce soit promptement. Mon Dieu! que je plains votre pauvre
femm^. T (2) vous dira l'engagement formel que je prends de
vous la rendre, si cela m'est possible.
Que je serais heureuse si nous pouvions être bientôt tous réunis !
Jamais je ne pourrai assez reconnaître tout ce que vous avez fait
pour nous.
Adieu! ce mot est cruel!
CCLXXIII.
DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (3).
Ce 8 avril 1793.
La position oti vous allez vous trouver va être très-embarrassante,
vous aurez de grandes obligations à un gueux, qui, dans le fait, n'a
cédé qu'à la nécessité, et n'a voulu se bien conduire que lorsqu'il voyait
l'impossibilité de résister plus longtemps. Voilà tout son mérite
envers vous ; mais cet homme est utile, il faut s'en servir et oublier
(1) D'après une copie de la main de M. de Jarjajes, annexe d'une lettre que ce dernier a
écrite au comte de Fersen, datée de Turin, le 18 février 1794; Toir ci-après, n° CCLXXXIV.
M. de JarjayeB a écrit au-dessus de cette copie de la lettre de la reine : copie au bilUt qve
fat rsçtf de la i2..... au moment de mon départ. Cette copie ainsi que la lettre de M. de Jar-
jajes se trouTent dans les papiers du comte de Fersen.
(2) Touland.
(8) Minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : note pour la reine^
ET LA COUR DE FRANCE. 409
le passé ; avoir même l'air de croire ce qu'il dira de ses bonnes inten-
tions^ agir même franchement avec lui, pour les choses que vous
pouvez désirer^ et le rétablissement de la monarchie dans son entier,
et telle que vous la voulez et que les circonstances le permettent.
Vis-à-vis de Damouriez, vous ne risquez rien ; son intérêt est en ce
moment intimement lié au vôtre et au rétablissement de votre auto-
rité comme régente. Il doit craindre celle de Monsieur, et l'influence
des princes et des émigrés ; mais il faudrait tâcher de ne pas trop
vous engager avec lui, et surtout écarter le plus possible tous les
autres intrigants qu'il voudra placer et recommander; ses gens vous
seront incommodes, et il sera facile de lui prouver qu'ils le seront
même pour lui, et pourraient affaiblir les obligations que vous lui
avez et diminuer les récompenses qu'il doit attendre, en gênant ce que
vous seriez tentée de faire pour lui. C'est un homme vain et avide,
il sentira la force de ce raisonnement, et votre esprit vous suggérera
mieux que moi les choses à lui dire là-dessus.
Votre volonté sur le rétablissement de la monarchie sera encore
gênée par l'influence des puissances coalisées. Il n'y a plus de doute
que le démembrement partiel du royaume ne soit décidé ; leur intérêt,
j'en excepte la Prusse, la Russie et l'Espagne, est de donner à la
France un gouvernement qui la tienne dans un état de faiblesse.
M. de Mercy ne peut et ne doit vous donner des conseils que d'après
cette base. Il faut donc vous défier un peu de ce qu'il vous dira
là-dessus, et mettre en opposition les avis de gens sages, intéressés
comme vous au rétablissement de la monarchie et de votre autorité ;
de cette opposition peut naître un résultat moins défavorable pour
vous.
Vous ne pouvez être régente sans le chancelier et l'enregistrement
des parlements, et il est intéressant d'insister là-dessus ; c'est même
une raison pour faire le moins de choses possible jiisqu'à cette épo-
que. Il vous faut un conseil de régence, il faudrait le convoquer, avant
de rien faire. Il ne faut pas hésiter à y appeler les princes, même le
prince de Condé ; c'est un moyen de le rendre nul. Il faut tâcher
d'empêcher Dumouriez de vouloir en être président ou membre, et
lui parler franchement là-dessus, s'il en témoigne le moindre désir.
En tout, jusqu'au moment où vous serez reconnue régente, et où
vous aurez formé votre conseil, il faut faire le moins possible et
payer tout le monde en politesses.
410 LE COMTE DE FERSEN
L'évêque, avec qui j'ai beaucoup causé et à qui j'ai dit mes idées^
vous les expliquera mieux que je ne le pourrais par écrit. Vous serez
contente de lui et de sa sagesse. Il vous instruira de tout, et je l'ai
trouvé très-raisonnable et sentant la nécessité de se prêter aux cir-
constances. S'il était nécessaire que Dumouriez fût chef du conseil
de régence, ou même si vous y placez Monsieur, il serait bon pour
vous d'y appeler le baron (1), si vous ne voulez pas faire de lui le
chef de ce conseil.
Mon zèle m'a seul dicté ces aperçus. Les circonstances peuvent
les faire varier à l'infini, et ils ne sont bons que pour les méditer. Il
faudrait écrire à l'Empereur, aux rois de Prusse et d'Angleterre ; ils
ont été parfaits pour vous, surtout le roi de Prusse. Il faudrait écrire
aussi à l'impératrice ; mais une lettre simple et digne, car je ne suis
pas contenu de sa conduite ; elle n'a jamais répondu à votre lettre.
CCLXXIV.
BULLETIN DU COMTE DE FERSEN AU CHANCELIER DE SUÈDE, COMTE
DE SPARRE (2).
Aix-la-Chapelle| ce 16 avril 1793.
Un homme digne de foi, parti de Paris le 11, a apporté ici la nou-
velle que M. et M"® la duchesse d'Orléans, M. le duc de Conti,
M"® la duchesse de Bourbon, M"® de Montesson, MM. de Sillery et
Laclos avaient été arrêtés et menés au château d'If en Provence.
Voici les circonstances les plus probables de cet événement.
Il y avait & Paris trois partis : celui d'Orléans, qui visait à la dic-
tature ou au triumvirat ; celui de Robespierre, Danton et Marat, qui
(1) De Breteuil.
(2) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : au ch<tn-
ctlier.
ET LA COUR DE FRANCE. 411
avait les mêmes vues, mais qui voulait en exclure M. le duc d'Or-
léans ; et celui de Pétion, qui veut & tout prix faire la paix et qui
paraît s'entendre avec Dumouriez. Les deux premiers partis vou-
laient la destruction de la famille royale ; le dernier veut la sauver
et la rétablir. Le parti d'Orléans avait gagné Santerre et voulait, à
l'aide de son influence, faire une insurrection dans le faubourg Saint-
Antoine ; mais, au moment de l'exécution, la peur prit au duc d'Or-
léans, et il la contremanda. Les deux autres partis se rapprochèrent
alors, et, pour écraser le troisième, convinrent de se défaire du chef;
mais comme ils ne pouvaient se défaire de la personne du duc d'Or-
léans tout seul, Os ont pris le parti d'envelopper dans la même pros-
cription toute la famille de Bourbon. On croit que M. le duc d'Or-
léans sera massacré en chemin, car Bx)bespierre doit avoir dit qu'on
ne ferait rien aux femmes. Les partis de Robespierre et Pétion sont
maintenant bien prononcés et très-acharnés l'un contre l'autre. Le
sort des prisonniers du Temple dépend de celui qui sera vainqueur :
si c'est Pétion, ils sont sauvés; si c'est Robespierre, il y a tout à
craindre pour leurs jours.
jyjiie d'Orléans et M"* de Sillery ont passé hier ici, allant en
Suisse par l'Allemagne.
La nouvelle de la prise de Condé ne s'est pas confirmée ; un
mouvement subit d'une partie de l'armée autrichienne vers cette
place aura sans doute donné lieu à ce bruit.
L'armée, aux ordres du prince Frédéric de Brunswick, est à Tour-
nay. On croit que le prince de Cobourg attend un train d'artillerie
de siège considérable, et qui doit arriver sous peu de jours, pour
marcher sur Valenciennes et Condé.
412 LE COMTE DE FERSEN
CCLXXV.
DU DUC DE SUDEHMANIE, RÉGENT DE SUEDE, AU COMTE DE FERSEN (1).
Stockholm, ce 16 avril 1798.
Monsieur le comte de Fersen. Rieu ne peut se comparer à la joie
que j'ai ressentie à la réception de votre lettre du 6 de ce mois , que
j'ai reçue ce matin. Il est donc arrivé ce moment désiré que le délire
et les succès tragiques et sanguinaires de la France vont cesser,
qu'elle sera enfin soumise à ses légitimes maîtres, et que la malheu-
reuse famille de Bourbon, notre ancienne et véritable amie, entrera
dans ses anciens droits ; qu'enfin rétabli sur le trône de son père, on
verra Louis XVII, guidé par une mère tendre et respectable, recevoir
en même temps l'hommage d'un peuple coupable mais trompé, et
punir d'une main terrible les meurtriers de son père, ramener la
tranquillité de l'Europe, en vengeant la royauté outragée, en écra-
sant cette secte impie dont les principes exécrables menaçaient d'in-
fester le monde d'un barbarisme universel.
Je me hâte de vous envoyer ces lignes par M. de Reutersvaerd,
qui restera près de vous autant de temps que vous en aurez besoin
comme un homme sûr et affidé, et dont vous pouvez vous servir avec
toute sûreté dans toutes les occasions qui se présenteront. Il vous
dira que cette nouvelle agréable a rempli de joie la cour et la ville,
que ce jour a été un jour de réjouissance, et que personne plus que
moi ne participe à cette allégresse commune. Je vois arriver l'époque
où notre ancienne amie pourra s'unir avec nous, et quel intérêt plus
à cœur pourrais-je avoir que de cimenter les anciennes liaisons qui
jadis unissaient la France avec la Suède, intérêt que je sens aussi
bien que vous, mon cher comte, surtout lorsque tout paraît prouver
qu'une puissante voisine semble vouloir profiter de notre situation
(1) D'après la lettre toute autographe, dans les papiers du comte de Fersen, qui a écrit
en marge ; 28 avril reçu par Heutersvaerd; rép. en clair et le 6 mai en chiffre , datée
29 avril.
ET LA COUR DE FRANCE. 413
politique pour s'arroger des droits dont aucune puissance ne peut
user yis-àr-yis d'un allié libre et indépendant.
Je vous charge, mon cher comte, d'être l'interprète auprès du nou-
veau roi des sentiments d'amitié et d'intérêt que le roi mon neveu,
et toute notre famille portent à ce jeune rejeton de la famille de
Bourbon. Vous êtes Suédois, vous aimez votre patrie, je suis votre
ami, et j'ai des droits sur la vôtre : je ne puis guère mieux confier les
intérêts de ma patrie qu'en vos mains, et je vous constitue ambassa-
deur du roi près de Louis XVII. Vous jugerez vous-même mieux
que moi le temps et le moment propice pour vous rendre à Paris, à
votre destination ; comme étant sur les lieux, vous jugerez, après les
événements qui se présenteront, le moment le plus convenable aux
intérêts de votre patrie, pour faire valoir votre caractère diplomati-
que. Comme le temps n'a pas permis de vous envoyer les lettres de
crédit, vous ferez valoir, s'il est nécessaire, celles dont le feu roi
vous avait chargé, celles du roi d'aujourd'hui vous seront envoyées
incessamment. Vous jugerez vous-même d'ailleurs le moment le
plus favorable pour l'intérêt de votre patrie de déployer votre carac-
tère ; vous connaissez ma façon de penser, les intérêts de la Suède,
et, guidé par l'amour de votre patrie, je suis sûr que vous devinerez
l'instant le plus propice.
Je suppose qu'avant l'arrivée deM.de Reutersvaerd les affaires- au-
ront déjà pris une face heureuse et décidée. Je forme des vœux sin-
cères pour la santé du roi et de la reine; les assurances que vous
m'avez données sur leurs personnes me donnent quelque espoir pour
leurs jours, et j'aime à me persuader de leur heureuse délivrance.
Je crois devoir vous avertir, mon cher comte, que j'ai reçu une
lettre de Monsieur, dans laquelle il me donne avis de la mort de
Louis XVI et, en même temps, qu'il a pris le titre de régent du
royaume. J'ai cru devoir, sans entrer en quelque détail touchant son
titre de régent, lui faire simplement un compliment sur la perte tra-
gique de son frère, et je n'ai en rien parlé de ce titre, dont en vérité
j'ignore s'il en a les droits. J'ai fait cela pour ne pas me compro-
mettre, si la régence tombait au pouvoir de la reine-mère, pour épar-
gner des discussions fâcheuses en tout genre. Vous savez tout ce qu'il
a existé de tracasseries et de brouilleries dans la conduite des princes
à son égard, soit dans le temps du feu roi, comme aussi dans le
commencement de l'année passée, lorsqu'auprès de l'impératrice il
414 LE COMTE DE FERSEN
eut une discussion désagréable sur le sujet de Calonne et de Bre-
teuil à Pétersbourg. J'attends de vous des éclaircissements sur ce
sujet, avant que je puisse prononcer sur cette affaire.
Au reste, il est bon que vous sachiez mes raisons sur ce sujet. L'Em-
pereur et l'Angleterre n'ont point encore reconnu Monsieur pour régent,
et c'est surtout le premier qui m'a suggéré l'idée qu'il était possible
qu'il 7 eût du micmac dans cette affaire.
J*ai ordonné au grand chancelier de vous envoyer de l'argent de
même qu'une lettre de crédit pour tirer sur le comptoir de l'État
pour la somme de 6,000 rixdalers. Ils sont à votre disposition,
et ils seront d'abord payés lorsque la poste d'avance vous en aver-
tira. M. de Sparre, le grand chancelier, a reçu de même l'ordre de
rappeler incessamment le S' Dahlman, et vous pouvez vous servir
de Reutersvaerd comme* secrétaire, jusqu'à ce qu'un autre secrétaire de
légation puisse être nommé, si vous en désirez un à la place de Bea-
tersvaerd.
Je laisse à votre pénétration, à votre attachement pour le service
de votre patrie, à celui que vous avez pour le roi mon neveu, et
l'amitié que je puis exiger de vous, de profiter des premiers mo-
ments. Vous savez les dépenses que le feu roi a faites pour les af-
faires de France, dont les frais chargent considérablement nos fi-
nances. Tâchez de' faire valoir ces droits, pour nous indemniser sur
ce sujet. La France, par sa nature et par son intérêt, est née notre
alliée, elle l'a été de tout temps ; il est du plus grand intérêt de la
Suède, autant pour sa situation politique que pour ses finances, de
renouer cette union avec des liens étroits. Je remets cette affaire en
vos mains; je suis persuadé de la réussite, connaissant la chaleur
avec laquelle vous embrassez les affaires de votre patrie. Attendez
tout de mon amitié, de la reconnaissance du roi, si vous réussissez à
conduire cette affaire à bon port, pour nous assurer un soutien solide
contre ceux qui voudront nous tenir dans la dépendance. Quelle
gloire pour vous d'avoir assuré l'indépendance et la prospérité de
votre patrie!
Je suis avec la considération la plus parfaite et d'amitié sincère,
monsieur le comte de Fersen ,
Votre très -affectionné,
ClIAHLES.
ET LA. COUR DE FRANCE. 415
CCLXXVl.
DÉPÊCHE DU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE A LA
COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE
SUÈDE (1).
Saint* Pétersbourg, ce 26 avril 2793.
Le plan de mettre le comte d'Artois à la tête deç mécontents en
Bretagne est convenu entre TEspagne, l'Angleterre et la Bussie.
L'impératrice a reçu, à la fin de la semaine dernière, le plan qui
avait été concerté entre MM. Clairfayt et Dumouriez, d'après
lequel ce dernier a agi, depuis le commencement de cette campagne.
L'attaque de la Hollande, les dispositions des Français sur la Meuse
et sur le Ruhr : tout avait été concerté depuis longtemps. Cependant,
la cour devienne n'en avait rien communiqué ni à celle de Saint-Pé-
tersbourg ni aux autres puissances coalisées ; ce qui était très-pru-
dent^ a beaucoup déplu ici. Toute cette intrigue avait été conduite
par le comte de Mercy, et MM. Cobenzl et Spielman ont été éloignés
des affaires, pour n'avoir pas voulu y entrer. Un grief encore, que l'on
lance contre la cour de Vienne, est qu'elle n'a pas voulu accéder au
partage de la Pologne, se réservant apparemment un dédommage-
ment ailleurs. Elle n'a pas non plus communiqué ici la déclaration
que l'Espagne lui avait faite longtemps avant de la faire ici. On sup-
pose ici un dessein à la cour de Vienne de ne pas être dupe plus
longtemps des menées de la cour de Berlin, et de s'affranchir de la
dépendance où elle s'était mise, aussitôt qu'elle pourra le faire avec
sûreté. Si la reine est régente, si l'ordre renaît en France, la maison
d'Autriche retournera vraisemblablement à l'ancien système; mais
c'est ce que l'on voudrait éviter ici. En secourant les princes dans
leur détriment, en leur ménageant une grande influence dans les af-
faires, on veut s'assurer de leur appui, lorsqu'ils seront revenus en
France. On n'aime point la reine ici ; cependant on reconnaîtrait sa
(1) D'après une copie, envoyée comme annexe h la lettre du grand chancelier de SuOde
au comte de Fersen, du 10 mai 1793; dans les papiers de ce dernier.
416 LE COMTE DE FERSEN
régence, parce que Ton ne pourrait pas faire autrement. Le comte
d'Artois m'a assuré que si la reine avait la régence, lui et son frère
seraient les premiers à s'en réjouir ; mais ces princes ont trop de
griefs contre la cour de Vienne pour ne point s'opposer à son in-
fluence en France, et l'évoque d'Arras m'a dit que l'alliance de
l'Autriche avait été ftmeste à la France ; qu'elle avait besoin de celle
de la Prusse et de la Russie, et que, pour cette raison, le partage de
la Pologne et l'abaissement de la Turquie n'étaient point un mal
pour la France.
CCLXXVII.
DU COMTE DE FERSEN AU DUO DE SUDERMANIE, RAGENT DE SUÈDE (1).
Bruxelles, ce 29 ayril 1793.
Monseigneur,
Je ne répéterai point à V. A. R. les expressions de ma vive sen-
sibilité et de ma reconnaissance pour les expressions flatteuses que
renferme la lettre dont elle m'a honoré par le sieur de Reutersvaerd.
Ces sentiments sont un hommage que je dois aux bontés de V. A. R*,
et que mon cœur aimera toujours à lui rendre.
Je connais trop l'âme noble, sensible et généreuse de V. A. R
pour douter de la joie qu'elle a éprouvée à la nouvelle du 5 du
mois dernier ; celles postérieures, que j'ai eu l'honneur de faire passer
à Monseigneur, n'étaient pas aussi bonnes, et la fuite à laquelle Du-
mouriez a été forcé, par la trahison d'une partie de son armée, a
ralenti la marche des affaires, sans cependant rien changer aux
bonnes espérances qu'on avait conçues. Les succès seront moins ra-
pides, piais je les crois également sûrs, et Dumouriez, avec qui j'en ai
causé assez longuement, à son passage à Aix-la-Chapelle, les regarde
(1) D*aprës la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : parti le
6 mai.
ET LA COUR DE FRANCE. 417
comme tels. Il m'a dit qu'il n'y avait plus en France ni armée, ni
ressources, ni moyens d'aucun genre ; que la désunion et la méfiance
régnent parmi eux et qu'ils n'ont plus aucun moyen de résistance ;
que la république ne peut subsister ni se soutenir contre les efforts
des puissances réunies pour l'accabler ; que tout l'édifice des consti-
tutionnels doit crouler, et qu'il faut rétablir la monarchie et l'ancien
régime à la place du nouveau ; que s'il a tenu, dans les proclama-
tions, un autre langage, c'est qu'il a cru nécessaire de marcher par
degrés au despotisme et d'observer les différentes gradations pour y
accoutumer un peuple livré, depuis trois ans, à l'anarchie et à la
licence la plus affreuse. Enfin, la conversation de Dumouriez m'a
persuadé, encore plus que je ne l'étais, qu'aucun bon mouvement n'a
dicté sa conduite, et qu'elle ne l'a été que par l'impossibilité qu'il
avait reconnue de résister plus longtemps, et le désir qu'il avait
de se sauver de la chute générale et de faire oublier tous ses torts par
un grand service. Il y avait plus de trois mois qu'il pressentait cette
nécessité et qu'il avait négocié pour cet objet. Depuis son départ,
des négociations ont été entamées pour l'échange des prisonniers du
Temple contre les commissaires de la Convention, détenus à Maës-
tricht ; mais les conditions proposées par les républicains n'ont pu
être acceptées, elles étaient trop vagues. Ils demandaient, entre
autres, une suspension d'armes illimitée, et, comme on a craint quelque
tromperie, on a demandé des explications plus claires , et on est dé-
cidé, pour éviter le second tome de la campagne du duc de Bruns-
wick en Champagne, de pousser les opérations avec vigueur et
d'accélérer et déterminer aussi le résultat des négociations ; tout fait
espérer qu'il sera favorable et que la malheureuse famille de Bour-
bon sera bientôt délivrée de la captivité où elle languit depuis
dix mois. Dès que j'en aurai la nouvelle, je ferai usage des ordres et
instructions que V.A. R. a bien voulu me donner. La manière dont
elle veut bien me les transmettre est une preuve trop flatteuse de
sa confiance, pour ne pas mettre à leur exécution tout le zèle et la
prudence qu'exigent la gloire de V. A. R. et l'intérêt de la Suède, et
je conserverai toute ma vie la lettre flatteuse dont V. A. R. m'a ho-
noré, comme le plus beau témoignage de ses bontés pour moi ; mais
je répondrais mal à la confiance et à l'amitié dont elle m'honore, si
je n'entrais dans quelques détails sur le contenu de sa lettre.
V. A. R. a trop bien exprimé son désir et les avantages dont est
T. II. 27
,418 LE COMTE DE FERSEN
pour la Suède une union étroite avec la France, redevenue monar-
chie, pour qu'il soit nécessaire de discuter cet objet ; cette union as-
surera notre prospérité intérieure en soulageant nos finances et notre
existence politique, en réprimant les vues ambitieuses d'une voisine
puissante ; mais V. A. R. pensera, sans doute, qu'en voulant une chose
il faut aussi en vouloir les moyens, et jela'supplie de croire que si je
lui présente mes idées, ce n'est que par le désir que j'ai de remplir ses
vues et celui de m'en ménager les moyens. Personne n'a senti plus
que moi combien, depuis la mort du feu roi, et par la position de
V. A. R., nous devions diminuer la part active que feu S. M. avait
prise aux affaires de France, et V. A. R. en sera convaincue, si elle
daigne se rappeler le contenu de ma lettre au baron de Taube, du
3 juin de l'année dernière, où je lui mandais : « Je crois donp que,
depuis la mort du feu roi, le but du duc doit être, — en donnant aux
affaires de France le degré d'intérêt actif qu'elles méritent, que notre
propre intérêt exige, et que nous ne saurions leur refuser, — de s'oc-
cuper principalement de notre tranquillité intérieure, et je pense que
ces objets sont remplis, en ne fournissant que 4 à 5,000 hommes. »
J'avais fait sentir cette vérité au baron de Breteuil, en lui prouvant
combien, même pour l'intérêt de la France, la Suède devait conserver
sa puissance, et ce ministre avait approuvé mes idées, et rendu justice
à la sagesse de la note du 5 juin, remise par l'ordre de V. A. R, au
comte de Stackelberg. Je proposai ensuite d'exciter l'amour-propre
de l'impératrice et de flatter sa vanité sur le rôle qu'elle jouerait en
se chargeant d'être le chef de l'expédition, pour couvrir ainsi, par
une apparence de déférence, la diminution des secours que nous pro-
posions. A cette lettre, V. A. R. daigna m'écrire, en date du 26 :
Par votre lettre du 3 de ce mois au premier gentilhomme de la cham-
bre^ le baron de Taube^ nous avons vu, avec grande satisfactiony une
nouvelle preuve qus l'unique but de votre zèle constant et des soins que
voies rCavez cessé de vous donner, a été d assurer la gloire et la prospé-
rité de la patrie, — Je pensais qu'il était nécessaire de diminuer
nos efforts, mais de conserver l'expression du même intérêt, pour avoir
des droits plus certains à être indemnises des frais déjà faits par le feu
roi pour cette cause ; car je n'ai jamais pensé que la révolution fran-
çaise pût prendre aucune consistance, j'en connaissais trop la marche
et les effets, et j'ai toujours été assuré que plus elle avancerait et
plus les souverains sentiront combien, pour leur propre tranquillité
ET LA COUR DE FRANCE. 419
et celle de leurs pays, ils avaient d'intérêt à rétoufifer. Ces raisons
deviennent encore plas fortes en ce moment, où toutes les puissances
de l'Europe ont enfin senti cet intérêt, et se sont liguées pour culbuter
la nouvelle constitution, la république, et rétablir le roi et la monar-
chie ; car quelles que soient leurs vues d'échange, d'agrandissement,
ou de politique particulière, elles sont toutes d'accord sur ce point ;
c'est un intérêt commun qui les unit en ce moment, et leur résolution
à cet égard est invariable. L'Angleterre, qui de toutes les puissances
était la seule dont l'intérêt particulier pouvait faire soupçonner les
intentions, et dont la coopération était si nécessaire et si décisive, est
dans la coalition, et je suis assuré de sa ferme résolution de réduire
la France par tous les moyens qui sont en son pouvoir. L'Espagne,
la Sardaigne et le Portugal ont été décidés par elle, et les Suisses le
seront par les réclamations des puissances réunies. Les princes d'Italie
n'attendent que la protection d'une flotte pour contribuer, autant que
leur position et leurs moyens le permettent, à cette grande œuvre, et
toute l'Allemagne y est forcément engagée. Si donc le système de
neutralité, adopté et suivi jusqu'à présent par V. A. R., a pu être
avantageux à la Suède dans un temps où la coalition des puissances
de l'Europe était encore incertaine et leurs résolutions douteuses,
V. A. R. ne pense-t-elle pas qu'il pourrait l'être à présent, au moment
où toute l'Europe se ligue contre la république française, de suivre la
même impulsion et de céder aux désirs des puissances, dont un des
grands moyens de réduire la France est une ligue générale, une réu-
nion de toutes les forces et une cessation de toute relation de com-
merce avec cette puissance, pour empêcher par là toute importation
de vivres dans un pays qui en manque déjà? Si ce moyen est adopté,
comme j'ai lieu de le croire, cette résolution des puissances coalisées
n'est-elle pas incompatible avec la neutralité de quelques autres, et
n'expose-t-elle pas à des insultes impossibles à supporter et difficiles
à venger? De deux choses l'une : ou la France, après avoir été
démembrée, sera livrée à elle-même et à l'anarchie qui la déchire, ou
la monarchie sera rétablie par la ligue des puissances. Dans le pre-
mier cas, l'état de désorganisation où est ce royaume ne permet pas
d'entrevoir le terme où l'ordre y sera assez rétabli pour pouvoir retirer
quelques avantages d'une alliance avec son gouvernement, quel qu'il
soit; et ce gouvernement sera-t-il assez fort, assez puissant pour que
cette alliance puisse devenir utile après y avoir sacrifié celle des autres
420 LE COMTE DE FERSEN
puissances? Dans le second cas, n'a-t-on pas vis-à-\'is de la monar-
chie le tort d'avoir refusé de contribuer à sa restauration? et, dans
les deux cas, ne s'est-on pas aliéné l'amitié et la bienveillance des
puissances, qui mettront à leur alliance un prix plus fort, à raison
du besoin qu'on en aura contre une voisine puissante?
Voilà, monseigneur, des réflexions que m'a suggérées la connais-
sance que j'ai de la position des affaires. Je les soumets à la sagesse
éclairée de V. A. R. ; elle jugera mieux que moi combien elles sont
conformes ou non aux intérêts de la Suède. Puisse V. A. R. ne voir,
dans la communication que j'ai l'honneur de lui en faire, que mon
zèle pour le service de ma patrie, et mon désir de mériter et de
répondre à la confiance dont V. A. R. m'honore !
Rien ne peut être plus sage que la réponse que V. A. R. a faite à
la lettre de Monsieur. Je crois être sûr qu'aucune puissance n'a Im-
tention de reconnaître sa régence, et il y a lieu de croire qu'elle
retombera à la reine ; c'est du moins l'avis de l'Angleterre. L'impé-
ratrice de Russie seule s'est empressée de la reconnaître , et cette
précipitation est fort désapprouvée. Les autres puissances ont toutes
fait, aux différentes demandes à cet égard, des réponses évasives, por-
tant qu'une telle reconnaissance ne pouvait être que le résultat d'un
accord préalable entre elles, et elles sont décidées à ne point se départir
de cette réponse, jusqu'au moment où elles pourront prononcer sur
cette question, sans danger pour la reine et sa famille. Celles qui se
sont trouvées forcées d'entrer dans quelques détails, vis-à-vis des
agents de Monsieur, ont allégué l'inutilité dont était cette déclara-
tion pour Monsieur, puisqu'il n'avait pas de pays à régir, et les dan-
gers de prononcer sur une question qui pouvait exposer les jours de
la famille royale, détenue au Temple ; mais aucune n'a montré le
véritable motif, qui est celui de conserver la régence à la reine.
Je terminerai cette dépêche, déjà assez longue, en demandant à
V. A. R. de vouloir bien ne pas douter de mon zèle à exécuter les
ordres qu'elle m'a donnés, et en la suppliant de peser dans sa sagesse
jusqu'à quel point il sera nécessaire de préparer les moyens d'y
réussir-
ET LA COUR DE FRANCE. . 421
CCLXXVIII.
DU COMTE DE SPARRE, GRAND CHANCELIER DE SUÈDE, AU COMTE
DEFERSEN (1).
Stockholm, ce 10 mal 1793.
Monsieur le comte,
M. de Stedingk m'ayant mandé, par sa dépêche dn 26 avril, que
M. le comte d'Artois allait quitter la cour de Saint-Pétersbourg le len-
demain, pour se rendre à Rével par terre, et passer de là à Londres à
bord d'une frégate de S. M. l'impératrice de Russie, que .l'on y tenait
préparée pour cet effet , le duc a jugé nécessaire que je vous communi-
que, monsieur, cette nouvelle.
Vous jugerez, monsieur le comte, par ces notions , quelles sont les
vues qui animent les princes, quelle est la profondeur du génie de
leur ministre, l'évêque d'Arras, et quel est le caractère présent de la
politique que suit le cabinet de Russie. Ce départ d'un Bourbon
pour l'Angleterre sur une frégate russe, qui l'emmène de Pétersbourg
s'offrir aux Anglais pour les conduire au sein de sa patrie, à l'effet
d'y soutenir une guerre civile, des succès de laquelle il peut espérer
le rétablissement de sa famille sur le trône, par le concours d'une
nation de tout temps rivale de la prospérité française, est une chose
qui doit bien heurter les idées dans ce pays-là, et y aigrir plus forte-
ment encore les esprits contre tout ce qui est du sang des Bourbons.
Il semble donc que la destinée de ces princes, frères du malheureux
Louis XYI, ait voulu, dès le commencement, qu'ils ne cessassent
point d'être bien mal conseillés.
(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée par un secrétaire du comte de Fer-
sen, qui a écrit en marge : reçue le 23 mat, rép. U 9 juin.
422 [LE COMTE DE FERSEN
CCLXXIX.
DU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUÈDE, AU COMTE DE FERSEN (1).
Stockholm , ce 30 de mai 1793.
Monsieur le comte de Ferseii , Le baron de Taube m'a parlé d'une
lettre que M. de Sparre vous a écrite, du 23 ou 26 d'avril ; je ne sais
ni la tournure ni les phrases de cette dépêche ; mais mon intention,
dont je lui avais chargé de vous faire part, était que vous ne de-
viez déployer votre caractère et vos lettres de créance que quand
vous vous trouveriez auprès du roi de France à Paris, et que lorsqu'il
se trouverait eflfectivement rétabli dans ses anciens droits, — mais
que, conjointement avec les ambassadeurs de l'Empereur et du roi
d'Angleterre, vous vous occupiez toujours du rétablissement de la
monarchie française, sans cependant compromettre notre neutralité,
et que mes intentions étaient qu'il n'y avait que la reine seule à qui
appartenait la régence, pendant la minorité du roi. Le dénûmeut oii
se trouvent nos finances, après la dernière guerre, m'a empêché de
suivre mon penchant de prendre une part active, conjointement avec
les autres puissances, aux affaires de France, et vous savez d'ailleurs,
mon cher comte , que toutes les belles promesses que ces puissances
firent au feu roi mon frère, de secours pécuniaires, n'ont été qu'illu-
soires et sans efifet réel. C'est cela qui m'a fait et presque forcé d'a-
dopter un système de neutralité et de ne donner, depuis que la
guerre est déclarée, que des convois nécessaires pour la sûreté de
notre commerce. C'est d'après ces principes et sur cet avis que vous
réglerez votre conduite, jusqu'à ce que des circonstances et des évé-
nements plus heureux me procurent l'occasion de témoigner à notre
plus ancien alliée l'intérêt vif et tendre que je prends à son sort,
au rétablissement et à la conservation de la famille royale. Sur
ce, je prie Dieu, monsieur le comte de Fersen, de vous avoir dans
sa sainte garde , étant toujours votre très-affectionné,
Charles.
(1) D'après la lettre toute autographe, originale, dans les papiers du comte de Feraexii
qui a écrit en marge : />€ 11 ^miiï à b ^ h. du »oir\ reçue par estafette; rép, 2SjinH,
ET LA COUR DE FRANCE. 423
CCLXXX.
DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RlÈGENT DE SUÈDE (1).
BraxelleSi ce 23 juin 1793.
Monseigneur,
La dépêche chiffrée du 28 mai, que V. A. K. m'a fait l'honneur de
m'adresser, m'est parvenue, et je me conformerai aux ordres qu'elle
renferme et qui portent d'observer seulement les événements, et d'en
rendre compte, sans me mêler en rien des affaires, ni d'aucune né-
gociation qui y soit relative, puisque le système de neutralité adopté
ne permet pas de prendre aux affaires actuelles de France une part
active. Je me conformerai aussi à l'ordre précis de ne faire aucune
démarche, fondée sur des instructions antérieures, avant d'en avoir
rendu compte, et d'en avoir reçu de nouveaux. J'aurai d'autant plus de
facilité à me conformer à ces nouveaux ordres de V. A. R. que, d'a-
près les connaissances que j'ai de la position des affaires et le peu
d'utilité de la trahison de Dumouriez , je n'avais entamé aucune né-
gociation, et que j'avais senti la nécessité de suspendre l'exécution
des instructions flatteuses du 17 avril que V. A. R. a bien voulu
m'envoyer par le S' de Reutersvaerd ; mais pour bien entendre les
nouveaux ordres qu'elle me donne, par sa dépêche du 28 mai, et me
mettre à même de les exécuter de la manière et dans le sens qu'elle
désire , monseigneur me permettra de lui demander si , dans la dé-
fense expresse de suivre les instructions anciennes , je dois aussi com-
prendre celles de V. A. R. du 17 avril, et si je dois les regarder
comme non avenues, et ne point déployer, dans aucun cas quelcon-
que, le caractère de ministre, dont j'ai les lettres de créance du feu
roi, confirmées par des nouvelles de V. A. R., avant d'avoir obtenu à
cet égard de nouveaux ordres.
Si V. A. R. pense que cette manière pourrait occasionner des re-
(I) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : chiffre,
au duc.
424 LE COMTE DE FERSEN
tards peu favorables à l'empressement qu'elle semble vouloir témoi-
gner & la famille royale^ et que la confiance dont elle m'a honoré
jusqu'à présent l'engage à confirmer les instructions antérieures et
celles du 17 avril, par laquelle V. A. R. me laisse le maître déjuger ,
d après les événements le moment lepltis convenable aux intérêts de la
Suède pour faire valoir mon caractère diplomatique, je la supplie de
vouloir bien m'instruire si je dois borner l'exécution de ses ordres et
ne déployer mon caractère que dans le cas seulement où la famille
royale serait libre dans Paris , ou si la condition expresse est seule-
ment leur liberté, sans égard au lieu, où ils seront, et si je dois rég-ler
ma conduite dans cette occasion sur celle des ministres des antres
cours ; car il est possible et même probable que la sortie du roi de
Paris soit demandée comme un acte et une assurance de sa liberté,
et qu'il fixe son séjour dans un lieu où il soit à l'abri de tons les
dangers auxquels des événements imprévus peuvent encore l'exposer.
Je supplie donc V. A. R. de vouloir bien me faire savoir si sa volonté
est que je déployé mon caractère de ministre du roi partout où le
roi de France sera libre, ou si je ne dois le faire valoir que dans le
seul cas où il le fût dans Paris.
V. A. R. voudra bien recevoir mes très-humbles remercîments et
l'expression de ma reconnaissance pour la promesse flatteuse d'ac-
complir, lorsque ,Ies circonstances le permettront, celle qu'elle a
bien voulu me faire. Il m'est doux de pouvoir toujours compter sur
les bontés de V. A. R., et je la supplie de ne jamais douter de mon
désir de mériter sa confiance.
ET LA COUR DE FRANCE. 425
CCLXXXI.
DU DUC DE DBUX-PONTa AU COMTE DE FBRSEN (1).
Creuznach, ce 26 juUlet 1798.
Vous avez sans doute, mon cher Fersen, appris la reddition de
Mayence. J'y ai été avant-hier, j'en ai vu sortir 7,000 Français hier,
et aujourd'hui le reste a suivi. Ils sont sortis avec leurs effets et leurs
fusils, mais sans canons. Le roi (2), après la capitulation, a donné,
comme une marque de son estime, deux pièces de campagne au
commandant Doiré, qui était avec nous en Amérique. Ces deux pièces
pourraient bien le faire guillotiner, car il retourne dans sa chère
patrie. Je n'ai jamais rien vu ni de plus insolent ni de plus sale que
ces sons ofliherty. Dès le premier jour, ils ont commis des excès sur
la route, car ils ne sont escortés que par 30 cavaliers, qui n'osent
rien leur dire ; ils en commettront sans doute jusque chez eux.
Vous êtes peut-être étonné, mon cher ami, de me voir dater de
Creuznach; il m'a fallu fuir, samedi dernier, de Cassel, parce que
les Prussiens ont fui de Ramstein le même jour, devant le général
Houchard, et certes cela n'en valait pas la peine. Il n'avait que
15,000 hommes, et eux en avaient 12,000 à lui opposer. Je comp-
tais sur une bataille et non sur une fuite; mais le système est tel-
lement timide qu^avec le plus brave des rois on n'ose cependant s'é-
tonner de rien, lorsqu'il se méfie de lui-même, et accorde sa confiance
à des gens qui en sont indignes.
Doiré a rendu une place qui pouvait se défendre encore trois semai-
nes au moins, ce qui me fait penser que l'argent a ouvert les portes.
La garnison était encore de 15 à 16,000 combattants et 2,300 valets,
sans compter les hôpitaux, qui vont à peu près à 4,000 hommes. Us
ont perdu à peu près 2,000 hommes pendant le siège, et les assié-
geants, 3,000 et quelques cents. Les approvisionnements qui restent
(1) D'après la lettre originale, tonte autographe, dans les papiers du comte de Fersen,
qui a écrit en marge : 3 ajoùi 1798, reçu. •
(2) De Prusse.
426 LE COMTE DE FERSEN
en grains, farine, vin et poudre sont immenses; ils manquaient de
boulets de calibre et de mitrailles.
Le prince Louis-Ferdinand s'est couvert de gloire dans l'attaque
d'une flèche que les généraux Eœden et Crousas avaient refusé d'at-
taquer les deux jours précédents. Cela ne doit pas vous étonner, car les
neuf dixièmes de ces gens-là ne combattent que pour manque de pain;
c'est ainsi que les journaliers travaillent, et il en est beaucoup qui y
vont encore de meilleure foi. J'en gémis pour le soldat, qui , quoique
toujours affamé et mal nourri , est plein de la plus belle valeur.
Dès avant-hier, le roi a fait marcher des troupes à Kaiser slautern ;
il s'y portera probablement de sa personne. Je ne doute pas que l'Al-
lemagne va être nettoyée jusqu'à la Saar ; on assiégera et prendra
Saarlouis dans peu de temps ; mais enfin Metz est un morceau de bien
dure digestion pour des gens qui n'aiment pas les sièges, et qui ne
s'en cachent même pas , et avant ce temps-là je doute que ces cou-
pables Français soient assez humiliés, à moins que les contre-révo-
lutionnaires ne fassent des progrès.
Je pense qu'au moment où je vous écris le prince de Cobourg est
maître de Valenciennes. Ainsi, à quelques petites places près, il s'est
ouvert une grande porte pour entrer en France. Il est malheureux
que de nos côtés nous n'ayons pas d'Autrichiens : la Lorraine irait
au-devant de ses anciens ducs, mais elle se défendra contre les Prus-
siens, qui, par leur conduite de l'année dernière, ont révolté même
les poltrons.
Je n'ai pu apprendre sans une douleur extrême la séparation du
jeune roi d'avec notre malheureuse reine. Cette séparation redouble
mes frayeurs ; puissiez-vous me rassurer, mon cher Fersen, sur le «ort
de ces têtes si chères, qui ont toujours le glaive de Damoclès suspendu
sur leur tête !
Je vous remercie du souvenir que vous donnez à ma mère ; elle est
à Trarbach sur la Moselle. Mon frère est à Meissenheim, et moi je
vais retourner à Cassel, où je vous prie de me toujours adresser vos
lettres. Vous en recevrez bientôt une seconde de moi, dos que j'aurai
vu les nouvelles dispositions de l'armée prussienne. Recevez, en at-
tendant, mon cher Fersen, les assurances de ma sincère et tendre
amitié.
J'apprends dans ce moment, par une lettre, que la reine et le roi
peuvent communiquer " ensemble ; que leur séparation n'est qu'une
ET LA COUR DE FRANCE. 427
aflfaire de forme. Puissiez-vous me confirmer cette bonne nouvellç ,
car je vous crois plus qu'aucun autre sur le sort de ces têtes si chères !
CCLXXXII.
du' DUC DB DEUX-PONTS AU COMTE DE FERSEN (1).
Ce 4 d'octobre 1793.
La campagne de ce côté-ci, mon cher Fersen, est & peu près finie,
et sans avoir gagné un pouce de terrain depuis la reddition de Mayence.
Le projet du roi (2) était bon et sage ; il voulait prendre Saarlouis,
se rendre maître de la Saar, et y hiverner. U avait fait tous les frais
du siège, Tartillerie avait déjà remonté la Moselle jusqu'à six lieues
de Trêves. M. de Wurmser a anéanti ce projet, par amour pour les
lignes de Wissembourg, qu'il n'a cependant pas prises encore, mais
où, dans difi'érentes occasions , il a perdu beaucoup de monde. Il a eu
pour le roi les procédés les plus malhonnêtes, et tout à fait oppo-
sés aux ordres de l'Empereur. Malgré cela, il est encore l'arbitre des
opérations, mais au grand mécontentement de tout le monde, sans
en excepter les Autrichiens même, et nous lui avons, à lui seul, le
reproche à faire , qu'une partie du duché des Deux-Ponts, principauté
de Saarbriick , électorat de Trêves, restera cet hiver au pouvoir des
Français, et que le reste sera dévasté et aiFamé par le séjour des
armées. Il en arrivera encore que la sûreté de la ville de Trêves
exigera beaucoup de troupes, qui eussent été utilement employées
ailleurs, si Saarlouis nous appartenait.
Landau doit être bloqué cet hiver, et c'est par là que M. de
Wurmser veut justifier son opiniâtreté sur Wissembourg ; mais ces
lignes ne serviront pas à couvrir le blocus, c'est en arrière, et dans la
(1) Diaprés la lettre originale, tonte antographe, dans les papiers du comte de Fersen,
qui a écrit en marge : IS oct. 17 9S, 7'eçu,
(2) De Prusse.
428 LE COMTE DE FERSEN
position que le duc de Mariborough avait en 1705, qu'il feut faire
les dispositions.
Les Hollandais ont été honteusement battus et Beaulieu s'est cou-
vert de gloire, en réparant leurs sottises. Les fins de campagne, mon
cher ami, ne sont pas brillantes ; j'espère cependant que de votre côté,
où on a acquis l'habitude dé faire de grandes choses , on battra encore
vigoureusement Houchard, qui m'a l'air de chercher bataille pour
éviter la guillotine.
J'attends , mon cher Fersen, de vos nouvelles avec impatience, et
vous réitère le^ assurances de ma tendre et inviolable amitié.
J'oubliais de vous dire que le roi est retourné à Berlin ; les affaires
de la Pologne, qui ne vont pas très-bien, sont cause de ce voyage.
CCLXXXIII. •
DU DUC DE DEUX-FONTS AU COMTE DE FERSEN (1).
Mannheim, oe 24 octobre 1793.
J'étais venu ici, mon cher Fersen, pour parler au baron d'Esbeck,
en conséquence de la lettre que vous m'aviez écrite, et aujour-
d'hui nous recevons l'affreuse nouvelle que ces barbares, ces sangui-
naires Français ont terminé la vie malheureuse de notre chère et res-
pectable reine. Cette horreur, & laquelle je m'attendais cependant,
m'accable et me révolte à un tel point que j'en suis malade au phy-
sique comme au moral.
Le baron d'Esbeck m'a dit avoir fait part au ministère prussien de
ses idées relativement à la délivrance de notre auguste défunte, dès
le moment qu'il revint en Allemagne. Les moyens qu'il proposa fu-
rent rejetés comme impraticables ; il s'est refusé à me les détailler,
mais il me dit que, dans le moment où je lui en parlais, cela n'était
(1) Diaprés la lettre originale toute autographe en clair, dans les papiers du comte de
Fersen, qui a écrit en marge : 80 oct., reçu.
ET LA COUR DE FRANCE. 429
plus possible, puisqu'on venait d'arrêter plusieurs personnes qui y
étaient essentielles, et qu'on avait changé les geôliers sur lesquels
on aurait pu compter. Il regrette beaucoup, à ce qu'il paraît, de n'a-
voir pas été écouté dès le moment de son arrivée ; il n'y avait plus
rien à faire lorsque je lui en parlais. Nous la regretterons toute notre
vie, cette grande reine, aussi supérieure au malheur qu'elle l'était à son
sexe ; sa mémoire sera aussi respectée que le peuple féroce qui Ta
immolée à son injuste haine sera détesté et méprisé. Que feront-ils, ces
barbares, de ces illustres et malheureux enfants ; aurons-nous aussi
des larmes à répandre sur eux ?
Vous saurez sûrement avec détails comment les lignes de Wis-
sembourg ont été forcées. M. de Wurmser a poussé son avant-garde
jusqu'à Brumpt. Les troupes autrichiennes se sont conduites partout
avec cette valeur qui les distingue. Mais dans tous ces succès je ne
vois rien de solide, la saison est trop avancée pour des sièges de con-
séquence ; le blocus de Landau sera l'occupation de l'hiver, qui sera
très-fatigant pour les troupes, puisque M. de Wurmser a rejeté le
projet du roi de Prusse , qui était de se rendre maître de la Saar en
prenant Saarlouis, et c'est à cette place que tenait la déliyrance totale
de l'Allemagne. Dès que les dispositions des quartiers d'hiver seront
faites, je vous eu instruirai.
Je compte sur votre amitié, mon cher ami; j'ai besoin d'y penser
souvent, pour dissiper la tristesse de mon âme déchirée. Comptez à
jamais sur la mienne.
430 LE COMTE DE FERSEN
CCLXXXIV.
DU GÉNÉRAL DE JARJAYES AU COMTE DE FERSEN (1).
Turin, ce 18 février 1794.
Monsieur le comte,
Quoique je n'aie pas reçu encore votre réponse à la lettre que j'ai eu
l'honneur de vous écrire par le courrier de M. de Trévor, je n'en
augure pas moins qu'elle vous est fidèlement parvenue, et que vous
avez actuellement entre les mains le billet précieux que je n'ai pas
hésité d'y joindre, bien sûr que votre délicatesse n'hésiterait pas elle-
même à me le renvoyer.
La facilité que j'ai aujourd'hui de vous écrire, avec plus de liberté
que je n'ai pu le faire alors, m'engage à vous demander vos conseils
sur un autre billet relatif à un dépôt confié à M. de Mercy. Je lui en
envoie une copie dans une lettre ci-incluse, que je laisse ouverte,
afin que vous puissiez la lire avant de la cacheter pour la lui faire
passer ensuite, par la voie que vous jugerez être la plus sûre.
Vous y verrez, indépendamment de son objet principal, que mes
vues (ainsi que celles de l'ami avec lequel je suis sorti de France et
que j'avais attiré auprès de moi au dépôt général de la guerre, dont
j'étais directeur) sont d'obtenir du service dans l'armée du prince de
Cobourg. J'ai été reçu parfaitement par le roi de Sardaigne, et cet
excellent prince continue de me combler de bontés ; mais tous mes
efforts ont été vains jusqu'à présent pour lui être de quelque utilité,
et il me paraît trop cruel d'être uniquement témoin d'un système
d'inertie qui, sans des événements que l'on n'a pas droit d'attendre,
conduira infailliblement le Piémont à sa perte.
Si M. de Mercy se bornait à me mander que ses rapports ne lui
permettent pas de s'employer pour mon ami et pour moi, et qu'il me
devînt impossible de quitter l'Italie, quelle devrait être alors ma
(1) D'après la lettre originale, dans les papiers du comte de Fersen, qui a C-crit en
marge : 25 fnars 1793.
ET LA COUR DE FRANCE. 431
conduite relativement à la commission dont j'ai été chargé auprès de
lui? Celle à qui j'en devais compte n'est malheureusement plus,
il est vrai; mais son fils existe, et ce fils a des représentants;
quel est celui auquel je devrais remettre cet écrit, que le sort de la
guerre peut faire tomber, ainsi que mes autres papiers, entre les
mains* du gouvernement dans lequel je me trouve? Je ne ferai rien à
cet égard, quelle que soit la réponse de M. de Mercy, sans vous avoir
consulté ; et quand M. le marquis de la Fare, par qui M. le baron de
Breteuil recevra la lettre que j'ai l'honneur de vous écrire mainte-
nant, repassera par Bruxelles, pour se rendre à Turin, vous pourrez
lui remettre ou lui faire remettre avec confiance la réponse de M. de
Mercy, et celle que vous voudrez bien y joindre. Je ne parle point du
contenu de cette lettre à M. de Breteuil, et je me contente de lui dire
que je suis entré dans quelques détails avec vous sur mon sort ; ainsi
vous serez parfaitement le maître de ne lui communiquer que ce que
vous jugerez convenable. J'ose croire que, si vous pouvez ajouter
vous-même h, l'intérêt que M. de Mercy mettra h seconder le vœu de
mon ami et le mien, vous aurez la bonté de le faire : il me semble
même, d'après l'idée que j'ai de votre cœur, que c'est un tort de ma
part de vous faire aucune invitation sur ce point. Je vous prierai
seulement alors de lui observer combien, dans les démarches qu'il
fera, le secret est essentiel & ma position ; et combien il sera nécessaire,
— d'après la confiance et les bontés particulières dont m'honore ici
le roi, — de ne motiver les renseignements que M. de Mercy croira
devoir prendre sur aucune demande faite par moi.
Vous imaginerez aisément, monsieur le comt^, que ce n'est pas
après du service que je cours, mais après une existence quelconque,
qui puisse me mettre à même de retirer ma malheureuse femme de
France, et de jouir, dans la retraite, de la seule consolation qui puisse
désormais nous convenir à -l'un et à l'autre, qui est le souvenir des
bontés de notre grande et infortunée souveraine. Aucune pensée d'in-
térêt ne s'est jamais mêlée à mon dévouement pour cette princesse ;
je suis resté auprès d'elle tant que j'ai pu la servir; je suis sorti de
France lorsque B[arnave] a été arrêté, et que, ne pouvant manquer
alors de l'être moi-même, j'ai prévu que je serais confronté avec cet
honmie, et qu'outre les dangers personnels que j'aurais courus, il eût
été impossible de ne pas compromettre de plus grands intérêts. Je
suis parti alors très-précipitamment ; je n'ai pu emporter avec moi
432 LE COMTE DE FERSEN
que ce qui m'était rigoureusement nécessaire pour arriver à Turin ;
de sorte que, me trouvant dépourvu aujourd'hui de toute ressource,
je ne peux concevoir quelque espérance de voir réaliser le seul projet
qui me convienne qu'autant que vous déterminerez M. le comte de
Mercy à présenter à l'Empereur la situation de mafemme etlaemîenne,
de manière à exciter son intérêt et à engager ce souverain à nous
donner, au lieu de l'emploi que je sollicite dans son armée, un asile
et un secours suflEisant pour nous y faire subsister, jusqu'au moment
où je pourrai retirer mes biens de France, ou réaliser les billets sur
Bruxelles dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre.
Voilà, monsieur le comte, le service auquel j'attacherais le plus de
prix, et celui que je réclame plus particulièrement de vos bontés ; je
joins jnème ici la copie d'un billet que j'ai reçu du Temple, au
moment de mon départ de Paris, dans l'espoir qu'il pourra vous être
utile pour cette négociation. Combien je serais heureux de tenir de
vous la seule existence que je désire ! car quel attrait peut avoir pour
moi la carrière militaire, lorsque je suis poursuivi à chaque instant
par l'idée que les scélérats, découvrant que je sers dans les armées
coalisées, vont égorger ma femme et mes enfants ? Au nom de l'huma-
nité, monsieur le comte, tirez-moi d'une situation aussi cruelle. Je n'ai
pas cru devoir entrer dans ces derniers détails avec M, le comte de
Mercy ; je préviens seulement ce ministre que vous voudrez bien l'en-
tretenir de mes intérêts. Si ce dernier arrangement pouvait avoir lieu,
pour lors je laisserais suivre ici sa carrière militaire à l'ami qui est
sorti de France avec moi ; car je compte assez sur les bontés du roi
pour être certain qu'il lui fera le sort que je désirerai.
Pardon, monsieur le comte, si je vous écris une lettre aussi lon-
gue; il m'est si difficile de me procurer des occasions sûres de cau-
ser avec vous, que je me livre peut-être trop peu discrètement à
celle-ci.
M. le marquis de la Fare, qui se charge de mon paquet
pour M. le baron de Breteuil, est loin de se douter du projet
dont je vous fais part. La faveur dont il me voit jouir ici, les ser-
vices que j'ai été à portée de lui rendre, ne lui permettent pas d'a-
voir la moindre idée sur ce que contiennent mes lettres. Je compte
absolument sur son exactitude, soit à s'acquitter de ma commission
auprès de M. le baron de Breteuil, soit pour me rapporter la
réponse dont vous voudrez bien m'honorer. 11 doit revenir à Turin
LE COMTE DE PER8EN ET LA COUR DE FRANCE. 433
après avoir fait une course rapide à Londres ; je vous prie donc de
vouloir bien, pendant qu'il sera en Angleterre, remettre votre réponse,
et celle de M. le comte de Mercy, à M. le baron de Breteuil et
engager ce dernier à en faire un seul paquet, auquel il joindra un
mot de sa part, afin que M. le marquis de la Fare ne sache pas même
que j'ai eu l'honneur de vous écrire, et qu'il croie que ma correspon-
dance s'est bornée à M. le baron de Breteuil.
Yousme feriez un grand plaisir, monsieur le comte, si vous vouliez
bien m'écrire un mot seulement par la poste, aussitôt que M. de la
Fare sera à Bruxelles, sans entrer dans aucun autre détail que de
m'apprendre si vous avez reçu cette lettre, et celle que j'ai fait partir
par le courrier de M. de Trevor.
J'ai l'honneur d'être, avec un respectueux et inviolable attache-
ment,
Monsieur le comte,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Jarjates.
P. S. Youdriez-vous bien faire mes compliments à Groguelat, lors-
que vous lui écrivez? Comme il pourrait se faire que M. le marquis
de la Fare f&t reparti de Bruxelles pour Turin avant que M. le
comte de Mercy puisse me faire une réponse positive, je vous prie
d'engager ce ministre de m'écrire alors sous le couvert de M. de
Guerarcini, ministre de l'Empereur à Turin.
FIN DU SECOND VOLUME.
T. II. 2S
TABLE DES MATIÈRES
DU SECOND VOLUME.
Pagei.
GX. — Extraits dn journal dn oomte de Fersen pour les aimées 1792 et 1798 1
CXI. — H. de CariBien, envoyé dn ici de Snède à Berlin, an comte de Fersen. Berlin, le
2 janyier 1792 107
CXn a. — La reine Marie- Antoinette au oomte de Fersen. 4 janvier [1792] 111
CXII i. — La reine Marie-Antoinette à la reine d'Espagne. 4 janvier 1792 112
CXni. — Comte de Fersen an comte d'Esterhazy. Bruxelles, le 5 janvier 1792 113
CXIY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Bruxelles, le 6 janvier 1792. 114
CXV. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé extraordinaire de Suède à
Madrid. Brnxelles, le 12 janvier 1792 , 116
CXYL — Le roi de Suède Gustave HE an comte de Fersen. Petit château de Haga,
le 18 janvier 1792 1 17
CXVn. — Annexe a<> 1 à la lettre précédente : Dépêche de l'envoyé de Suède & Ma-
drid, le baron d'Ehrensvaerd, au roi de Suède. 8 décembre 1791 118
OXYin. — Annexe n'^ 2 à la lettre précédente : Mémoire du ministre d'État de S. M.
Catholique, le comte de Florida-Blanca, à l'envoyé de Suède à la cour de Madrid.. . 121
CXTX. — Annexe n^* 8 & la lettre précédente : Observations de l'envoyé de Suède à
Madrid, sur le mémoire précédent; datées le 12 décembre 1791 128
CXX. — Annexe n® 4 & la lettre précédente : Extrait d'une dépêche de l'envoyé du
roi de Suède à Madrid au roi Gustave m ; datée le 12 décembre 1791 126
CXXL — Le roi de Prusse an baron de Breteuîl. Le 14 janvier 1792 • 128
CXXn. -^ Le roi de Prusse à S. M. Très-Chrétienne. Le 14 janvier 1792 129
CXXni. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 15 janvier 1792 181
CXXiy. — Baron de Taube au comte de Fersen. Stockholm, le 17 janvier 1792.. ... 188
OXXV. — Comte de Fersen au baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint-
Pétersbourg. Bruxelles, le 19 janvier 1792 184
CXXYI. — Le roi de Suède au comte de Fersen. Petit château de Haga, le 20 janvier
1792 186
OXXVn. — Annexe à Li lettre précédente : Aperçu relatif & l'office fait par l'Empereur
relativement aux affaires de France. Le 20 janvier 1792 187
OXXVm. — Baron de Stedingk, ambassadeur de Snède à Saint-Pétersbourg, au comte
de Fersen. Saint-Pétersbourg, le /; janvier 1792 1^0
436 TABLE DES MATIÈRES.
GXXIX. — Comte de Penen an roi de Suède. Bruxelles, le 22 janvier 1792 142
GXXX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 24 janvier 1792 145
CXXXI. — Chevalier Franc, secrétaire d'État du roi de Suède, gérant les aflEaires étran-
gères, au baron de Kolcken, envoyé extraordinaire de Suède à Vienne. Stockholm,
le 24 janvier 1792 146
CXXXII. ^ Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 26 janvier 1792 149
ex XXIII. — Baron de Taube au comte de Fersen. Qefle, 26 janvier 1792 160
CXXXiy. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé extraordinaire de Suède
à Madrid. Bruxelles, 27 janvier 1792 162
CXXXY. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, 29 janvier 1792 168
CXXXYI. — Baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint-Pétersbourg, au comte
de Fersen. Saint-Pétersbourg, le j| janvier 1792 164
CXXXYII. — Extrait d'une lettre de l'impératrice de Bussie au roi de Suède. (Sans
date.) : 166
CXXXYIII. — La reine Marie-Antoinette au prince de Kaunitz. Le 1*' février 1792. . 167
CXXXTX. —La leine Marie- Antoinette à l'impératrice de Russie. Le 1*' février 1792. 167
CXL. — Comte de Fersen au baron de Nolcken, envoyé extraordinaire de Suède 4
Vienne. Bruxelles, le S février 1792 169
CXU. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 6 février 1792 160
CXLII. — Le roi de Suède an comte de Fersen. Gefle, le 6 février 1792 168
CXLin. — Baron de Taube au comte de Fersen. Gefle, le 6 février 1792 166
CXLIV. — Comte de Fersen & la leine Marie- Antoinette. Le 6 février 1792 166
CXLV. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 14 février 1792 167
CXLVI. — Baron de Taube an comte de Fersen. Gefle , le 16 février 1792 168
CXLVII. — Comte de Florida-Blanca, ministre-président d'Espagne, 4 M. Zinowie£P,
envoyé extraordinaire de Russie & Madrid. Le 20 février 1792 169
CXL VIII. — Extrait d'une dépêche de la cour de Saint-Pétersbourg à M. Zinowie^
envoyé de Russie à Madrid, communiquée à la cour de Madrid, et les réponses de
cette dernière cour sur les différents articles « 17
CXLIX. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 26 février 1792 176
CL. — Baron de Taube au comte de Fersen. Stockholm, le 28 février 1792 178
CLI. -. Comte de Fersen an roi de Suède. Bruxelles, le 29 février 1792 179
CLII. -^ Le roi de Suède au comte de Fersen. Stockholm, le 2 mars 1792 184
CLIII. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 2 mars 1792 186
CLIV. — Marquis de Bouille au roi de Suède ] observations sur différents points de
débarquement sur les côtes de France. Le S mars 1792 186
CLV. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 4 mars 1792 108
CLVI. — Comte de Fersen & la reine Marie- Antoinette. Le 4 mars 1792 / 196
ÇLVII. — Du même à la même. Le 6 mars 1792 198
CLViii. ~ Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 7 mars 1792 200
OLIX. — Comte de Fenen & la reine Marie- Antoinette. Le 9 mars 1792 202
CLX. — Comte de Fersen an roi de Suède. Bruxelles, le 11 mars 1792 204
CIiXI. — Baron de Tanbe au comte de Fersen. Stockholm, le 16 mars 1792 206
CLXn. — Comte de Fersen à ht reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 17 mars 1792. . 807
TABLE DES MATIÈRES. 487
CLXIII. — Comte de Fenen* an roi de Suède. Broxellee, le 18 mars 1792 209
CLXIY. — Bu même au même. Bruxelles, le 21 mars 1792 211
CLXY. — Oomte de Ferseu au baron de Taube. Bruxelles, le 21 mars 1792 216
CLXYI. — Comte de Fersen à M. de Bildt, chargé d'affaires de Suède à Vienne.
Bruxelles, le 28 mars 1792. , 217
CUTVII. — La reine ICarie- Antoinette au comte de Fersen. Le 30 mars 1792 220
CLXYIII. — Comte de Fersen au roi de Suède GuBtaye m. Bruxelles, le l*»' avril
1792 221
OLXIX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 9 avril 1792 224
CLXX. — Le roi de Hongrie k la reine Marie- Antoinette. Vienne, 9 avril 1792 225
CLZXL — Prince de Eaunitz à la reine Marie- Antoinette. Vienne, le 9 avril 1792. . 225
CLXXn. — Dépêche du vicomte de Caraman, envoyé du roi Louis XVI à la cour de
Berlin, au baron de BreteuiL Du 10 avril 1792 226
CLXXXn. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 15 avril 1792 230
CTiXXTV. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 17 avril 1792 230
CLXXV. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 18 avril 1792 281
CLXXVL — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 19 ayril 1792 233
CLXXVII. — La reine Marie- Antoinette an comte de Fersen. Le 19 avril 1792 233
CLXXVIII. — Vicomte de Caraman, envoyé du roi Louis XVI à la cour de Berlin,
au baron de BreteuiL Le 19 avril 1792 234
CLXXIX. — Du même au môme. Berlin, le 21 avril 1792 240
CLXXX. — Comte de Fe«en à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 24 avril 1792. 242
CLXXXI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de BreteuU. Le 24 avril 1792. 243
CLXXXII. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 25 avril 1792 245
CLXXXm. — Comte de Fersen au baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint-
Pétersbourg. Bruxelles, le 27 avril 1792 246
CLXXXrV. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Berlin, le 28
avril 1792 248
CLXXXV. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 29 avril 1792 251
ÇLXXXVI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Le 1*' mai
1792 253
CLXXXVII. — Baron de Stedingk au comte de Fersen. Saint-Pétersbourg, le 20
avril (!•' mai) 1792 255
CLXXXVni. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de BreteuiL Berlin, le
5 mai 1792 257
CLXXXIX. — Mémoire envoyé par la cour impériale de Vienne aux puissances en-
. nemies de la révolution française, pour les coaliser contre la France ; présenté par les
envoyés d'Autriche et de Prusse à la cour de Suède au secrétaire d'État, M. de
Franc, chargé des affaires étrangères à Stockholm, dans une conférence le 17 mai
1792.. 261
CXC. — Dépêche du marquis de Bombelles, envoyé du roi Xiouis XVI à la cour de
SainVPétersbonrg, au baron de BreteuiL Pétersbourg, le 8 mal 1792 265
(XSOI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Berlin, le 8 mai 1792. 269
CXCU. — Du même an. mêo^. Berlin, le 15 mai 1792 , 271,
438 - TABLE DES MATIERES.
CXCm. — Comte de Feroen aa baron de Tanbe. Bruxelles, le 16 mai 179S 273
CXCIY. •— Comte de Fersen an roi de Suède. BruzéUeB, le 16 mai 1792 274
CXCY. — Bu même au même. Bruxelles, le 28 mai 1792 « 276
CZCY I. — Marquis de Bombelles au baron de Breteuil. Saint-Péterabourg, le 24 mai
1792 278
CXUVll. — Marquis de Bombelles au comte d'Osterman, yice-chanoelier de Bosne. 288
CXCYIIL — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 2 juin 1792 286
CXCIX. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 8 juin 1792 287
ce. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 5 juin 1792 289
CCI. — Note confidentielle du duc de Sudermanie, régent de Suède, au comte de Stac-
kelberg, ambassadeur de Bussie à la cour de Stockholm. Le 5 juin 1792 290
CCII. — Marquis de Bombelles au baron de BreteuiL Saint-Pétersbourg, le 6 juin
1792 298
CCIII. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 7 juin 1792 29S
CCIY. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 10 juin 1792 296
CCY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 11 juin 1792 298
CCYI. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 13 juin 1792 298
CCYII. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 17 juin 1792 800
CCYIII. — Comte de Fersen au baron de Stedingk. Bruxelles, le 18 juin 1792 301
CCIX. — Bulletin arec détails sur ce qui s*est passé aux Tuileries le 20 juin 1792. . . 803
CCX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 21 juin 1792. . . 805
CCXL— Bulletin de ce qui s'est passé aux Tuileries le 20 juiik 1792 807
CCXII. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le 23 juin 1792 808
CCXIIL — De la même au même. ]Cie 26 juin 1792 309
CCXIY. — Prince Charles, duc de Sudermanie, et régent pendant la minorité du roi
de Suède Gustaye lY Adolphe, au comte de Fersen. Château de Drottningholm, le
26 juin 1792 310
CCXY. — Du même au même. Château de Drottningholm, le 26 juin 1792 312
CCXYI. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé de Suède à Madrid.
Bruxelles, le 26 juin 1792 , 813
CCXYH. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 30 juin 1792 816
CCXYIII. — Comte de Fersen au duo de Sudermanie, régent de Suède. Bruxelles, le
1*' juillet 1792 816
CCXTX. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le 8 juillet 1792.. 817
CCXX. — De hi même au même. Le 6 juillet 1792 818
CCXXI. — De la même au même. (Sans date.) 818
CCXXn. — De la même au même. Le 7 juillet 1792 819
CCXXni. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 7 juillet 1792 820
CCXXIY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Bruxelles, le 10 juillet
1792 822
CCXXY. — Comte de Fersen an baron de Taube. Bruxelles, le 11 juillet 1792 824
CCXXYI. — La reine Marie-Antoinette an comte de Fenen. Le 11 juillet 1792 826
CCXXYIL — De hi même au même. Le 15 juillet 1792 827
CGXXYIII. — Comte de Fersen à la reine Mane-Antoinette. Bnix«Uai| le 18 juil*
TABLE DES MATIÈRES. 439
let 1792. , , , . 828
CCXXIX. — La reine Harie* Antoinette au comte de Fenen. Le 21 juillet 1792 880
GCXXX. — Comte de Ferq^ au baron Stedingk, ambasaadenr de Suède à la cour de
Saint-Pétenbôurg. Bruxelles, le 28 juillet 1792. . ^ 881
OGZXXI. — La RÎBe Marie-Antoinette au comte de Fezsen. Le 24 juillet 1792. . . 882
OC AXXTT . — V. de Oninen, enTojé de Soède à la cour de Beriin, au comte de Fer-
een. Berlin, le 24 juillet 1792. . . ., j 334
CC XXXJTI . — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. BmxdlaB, le 26 jidllat
1792 386
OCXXXIV. — Du même à la même. Bruxelles, le 28 juillet 1792 387
CCXZXY. — Comte de Fersen au baron de Taube. [Bruxelles], le 29 juillet 1792. . « 888
CCXXXYI. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le l"" août 1792 889
CCXXXYII. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 8 août
1792 841
CCXXXVIII. ■— Du même à la même. Bruxelles, le 7 août 1792 842
CCXXXIX. — Comte de Fersen au baron de Stedingk. Bruxelles, le 9 août 1792. ... 844
CCXL. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 10 août 1792. 845
CCXLI. — Bulletin sur ce qui s'est passé le 10 août à Paris, & la prise des Tuileries. 846
CCXLII. — M. de Nicolay au baron de BreteniL Paris, le 11 août 1792 847
CCXTiTTI. •— M. de Sainte-Foix au baron de Breteuil. Paris, le 11 août 1792 848
CCXLIY. — Comte de Feiaen au roi de Suède. Bruxelles, le 12 août 1792 849
CCXLY. — Dépêche de M. Pitt, chancelier de l'échiquier de la Grande-Bretagne, &
l'ambassadeur de S. M. le roi de la Grande-Bretagne à Paris. WhitehaU, le 17 août
1792 350
CCXLYI. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 22 août 1792 851
CCXL Vil. — Vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Au camp devant Longwy,
le 28 [août 1792] 852
CCXLYin. — Comte de Fenen à M. de Silfrersparre, employé au ministère des af-
faires étrangères, à Stockholm. Le 29 août 1792 857
CCXLIX. — Comte de Fersen an baron de Breteuil. Le 8 septembre 1792 858
CCL. — Bulletin du comte de Fersen au prince régent de Suède, de ce qui se passe en
France. Bruxelles, le 9 septembre 1792. 862
CCLI. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 11 septembre 1792 868
CCLII. — Comte de Fersen au baron de Breteuil. Bruxelles, le 11 septembre 1792. . 864
CCLm. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 12 septembre 1792. . . 866
CCLTV. — Du même an même. Verdun, le 17 septembre 1792 878
CCLV. — Bulletin du comte de Fersen au prince régent de Suède^ sur ce qui s'est
passé en France. Bruxelles, le 19 septembre 1792 874
CCLVI. — Comte de Fersen au baron de Breteuil. Bruxelles, le 28 septembre 1792. / 875
CCLVn. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 2 octobre 1792 878
CCLVni. — Du même an même. Verdun, le 8 octobre 1792 880
CCLIX. — Comte de Fersen an baron de Stedingk. Bruxelles, le 11 octobre 1792. ... 882
CCLX. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Luxembourg, le 17 octobre 1792. . 885
CCLXI* -— BaroD de BreteujI à 9a illlc, M"*' de Mati^on. Luxembourg, le 22 octobre
440 TABLE DES MATIÈRES.
1792., • .,.....•.*. 887
GOLXn. — Comte de Fersen an prince régent de Bnède. BmxelleB» le 7 novembre
1792 888
GCLXin. — Comte de Fersen an baron de Tanbe. Aix-la-Chapelle, le 19 novembre
1792 891
CCLXIY. — Comte de Fersen an prinoe régent de Suède. Aix-la-Cbapelle, le 19 no-
vembre 1792 894
GCLX V. — Du même an même. Aix-la-Chapelle, le 19 novembre 1792 896
CCLXYI. — Bue de Beux- Ponts an comte de Fersen. Beux-Ponts, le 17 d^mbre
1 79 2 899
COLZVIL — Comte de Fersen an prince régent de Suède. Btisaeldorf , le 29 janvier
1798 400
CCLXYIII. — L'archevêque de Tours au comte de Fersen. Le 27 janvier 1798 401
CCLXIX. » Comte de Fersen an comte de Mercy. Biisseldorf, le 8 février 1798 402
CCLXX. — Baron de Breteuil an comte de Fersen. Londres, le 24 février 1793 404
CCLXXI. —Comte de Fersen an prince régent de Suède. BUsseldorf, le 29 mars 1798. 406
CCLXX TI. — La reine Marie- Antoinette à M. de Jarjayes. [Mars on avril 1793] ..... 408
CCTiXXTTT. — Comte de Fersen & la reine Marie- Antoinette. Le 8 avril 1798 408
CCLXXTV. — Comte de Fersen au chancelier de Bnède, comte de Sparre. Aix-la-Cha-
peUe, 16 avril 1798 410
»
CCLXXY. — , Le prinoe régent de Suède an comte de Fersen. Stockholm, le 16 avril
1798 412
CCTiXXVl. — Bépêche du baron de Stedingk au prince régent de Bnède. Saint-Pé-
tersbourg, le 26 avril 1793 415
CCLXXYIL — Comte de Fersen an prince régent de Suède. Bruxelles, le 29 avril
1798 416
CCLXXYIII. — Comte de Sparre, grand chancelier de Suède, an comte de Fersen.
Stockholm, le 10 mai 1798 421
CGTiXXTX. — Le prince régent de Suède au comte de Fersen. Stockholm, le 80 mai
1798 422
OCTiXXX. — Comte de Fersen an prinoe régent de Suède. Bruxelles, le 23 juin 1798 . • 428
OCTiXXXT. — Le duc de Beux-Ponts au comte de Fersen. Crenznach, le 26 juillet
1798 425
CCLXXXn. — Bu même an même. Le 4 octobre 1798 427
CCTiXXXni, — Bu même an même. Mt^nnhelm, le 24 octobre 1798 426
OCLXXXIY. — Le général de Jarjayes au comte de Fersen. Turin, le 18 février
1794 .......> 480
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Flir DB LA TABLB DU BBCOND VOLVICB,