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Full text of "Le comte de Fersen et la cour de France"

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31C 

KT5 



LE COMTE DE FERSEN 



KT 



LA COUR DE FRANCE. 



• • 



TrPOGftAPniK FIRnif-DIDOT. — MBUVIL (BUM). 



LE COMTE DE FERSEN 



ET 



LÀ COUR DE FRANCE. 

EXTRAITS DES PAPIERS 

t 

DU GBÂND MABÉCHAL DE SUÈDE, COMTE 

JEAN AXEL DE FERSEN 



PUBLIÉS PAB SON PBTIT-NBYBU 



• • 



LE BARON R M. DE KLINOKOWSTROM 

COLONEL SOËDOIS. 



TOME SECOND' 

FORMATION D'VN CONGKàB ABM6 DKS PITISSANOBS fiTRAKOàRES. — COALITION CONTRB 
LA FRANCS. — DIFFÉRENT PROJETS DE DÉLITRER LA FAMILLE ROYALE DE FRANCE. 
— I.E8 PET7X PREMIÈRES CAMPAGNES DES PUISSANCES COALISÉES CONTRB LA FRANCE. 



PARIS 

LIBBAIBIE DE PIBMIN-DIDOT ET C 

IMrBIMEUBS DX l'institut, bub jaoob, 56 

1878 



LE COMTE DE FERSEN 



ET 



LA COUR DE FRANCE 



ex. 



EXTRAITS 



DU JOURNAL DU COMTK JEAN AXEL DE FERSEN 
POUR LES ANNEES 1792, 1793 ET 1794. 

1792. 

Janvier. Le 1". Dimanche, — Pris des renseignements sur la nou- 
velle du baron d'Oxenirtjema de la lettre de l'empereur à l'électeur 
de Trêves. Metternich montre au baron la lettre que l'empereur lui 
écrit : il dit qu'il a écrit à. l'électeur de Trêves qu'il le protégera, à. 
condition qu'il n'y ait point chez lui de rassemblements armés et 
qu'il se conduise comme il se conduit dans les Pays-Bas ; que c'est 
une condition sine qiui non, et que dans ce cas il donnera des ordres 
au maréchal Bender. — On mande de Coblence que la joie y a été 
grande par la manière dont les princes avaient dit cette nouvelle, 
mais qu'on y a été fort abattu quand on a su le vrai. L'électeur de 
Cologne-a donné ordre à tous les Français réfugiés à. Andernach d'en 
sortir. Il a demandé à l'archiduchesse à être protégé par des troupes 
de l'empereur. Elle lui a répondu qu'elle n'avait aucun ordre pour 
cela. Un aide de camp de M. de Jaucourt est venu le matin chez 
le baron de Breteuil lui porter une lettre du baron de Viomesnil, qui 
lui mande que M. de Galonné a dit beaucoup de bien de lui, qu'il 
désire sincèrement se réconcilier avec lui et travailler avec lui. Il y 
en avait une de M""® de Galonné au baron, qui lui dit la même chose, 

T. II. 1 



3200t)'. 



2 LE COMTE DE FEIISEN 

se félicite sur ce rapprochement, et lui parle de la ferme résolution 
de Galonné de se retirer dès que tout serait fini. Je n'en crois rien. 
Cet aide de camp était porteur d'ordres à tous les Français rassemblés 
à Ath de se porter sur les frontières de Trêves. Nouvelle folie. 

Lé 2. Lundi. — Écrit à la reine. 

Le 5. Jeudi. — Le coïnte de Laval arrive de Coblence ; dit que 
l'insubordination est à son comble ; que la petite noblesse se révolte 
contre celle de la cour. 

Le 8. Dimanche. — Mémoire de la reine (1) à l'empereur : détes- 
table, fait par Barnave, Lameth et Duport ; veut eflfrayer l'empe- 
reur, lui prouver que son intérêt est de ne pas faire la guerre, mais 
de maintenir la constitution, de peur que les Français ne propagent 
leur- doctrine et ne débauchent ses soldats. On voit cependant qu'ils 
ont peur. — Lettre de la reine (2) & l'empereur, la reine d'Espagne 
et moi. M. Signeul, qui retourne à Paris, me porte des dépêches, ce 
qu'il faut pour aller à Paris. Mémoires et lettres au roi et à la reine 
bien faits. 

Le II, Mercredi. — Lettre de Crawford; il a vu la reine (3) et 
causé avec elle. On veut envoyer l'évêque d'Autun à Londres pour 
négocier ; le petit Custine à Brunswick ; on veut tout gagner par de 
l'argent. 

Le 14, Samedi. — L'abbé de Limon, revenu de Paris, dit que les 
esprits y sont étonnamment changés, qu'ils désirent un changement 
et qu'on vienne à leur secours ; c'est-à-dire, ils veulent la constitu- 
tion, mais de grands changements. Ils craignent la banqueroute et 
les vengeances. Peu de cocardes à Paris, encore moins dans les pro-. 
vinces ; point de gardes nationaux à. Valenciennes. Au Louvre on 
lui a dit avec douleur et tristesse : « Vous nous quittez, vous nous 
laissez ici seuls. » — Il a répondu : a Mes amis, mais c'est pour 
revenir. — Oui, mais avec les Allemands, pour nous égorger 
tous. » 

Le 18. Mercredi. — M. de la Galissonnière a dit que deux ou trois 
cents bourgeois de Paris allaient par bandes de dix à douze à Kehl 
oii était leur rendez-vous, et de là chez les princes; que deux étaient 



(1) Marie* Antoinette. 

(2) Id. 

(3) Id. 



ET LA COUR DE FRANCE. 3 

venus chez lui, lui demander le chemin ; qu^ils ont chacun 25 louis. 
Le 20. Vendredù — Le prince de Condé reçut une lettre de l'em- 
pereur de quitter Ettenheim, de disperser les rassemblements qui y 
sont et la légion Mirabeau. Tous les Français ici disent qu'il y a de 
bonnes nouvelles de Vienne, que l'empereur s'explique fortement, 
qu'il dit : «c Les Français veulent la guerre, ils l'auront ; mais ils en 
paieront les dépenses. » — M. de Nesle confia à. Brelin, la première 
fois qu'il le vit, une lettre, où on lui mande qu'il y avait un complot 
de départ pour le roi, arrangé la nuit du 12 au 13, que cela a été 
découvert, et que Pétion avait fait doubler les postes au Château 
et aiix chemins. 

n lui a confié le moyen de fuite de M. Brabançon toujours par 
les bois ; il lui a parlé du parti des princes et du roi, tout cela à la 
première vue : quelle confiance et quelle indiscrétion! 

Il y avait un complot entre les patriotes ici et ceux réfugiés à 
Lille, pour faire une révolte le 10 février ; c'est ce qui a donné lieu à. 
l'arrestation des individus ; on a arrêté chez un imprimeur la planche 
de la proclamation ; il a donné tous les noms. Il y a deux femmes 
d'arrêtées, dont une très-jolie fille de boutique de vingt-deux ans. 
Le 21. Lundi. — La reine (1) a consenti que j'aille à Paris. 
Le 23. Samedi. — M. de Limon vint me voir; c'est celui qui avait 
fait, l'hiver de 1790 à 1791, ce concltisum de la diète de Ratisbonne 
qui fit tant de bruit, et que M. de Montmorin n'osa pas désavouer de 
peur qu'il ne se trouvât vrai ; il avait fait aussi la lettive du roi 
d'Angleterre à ses ministres, qui fut désavouée ensuite, de même que 
la prétendue lettre de lord Leeds, qu'on faisait quitter à cause de ce 
désaveu. — J'ai vu la comtesse Proli. Son fils, qui fait le cosmopo- 
lite, est dans tous les tripotages. Elle me dit qu'il travaille contre 
Brissot, pour empêcher que la guerre ne se fasse contre l'empereur et 
que le traité subsiste ; que déjà il était parvenu â faire suspendre les 
délibérations ; que Lauraguais travaille pour le marquis de la Queilles 
et les princes à pousser à la guerre. Elle me demande si ce n'était 
pas l'intérêt du roi qu'elle se fît? Je dis oui. Elle me dit que LL. 
AA. RR. ici savaient et approuvaient que son fils travaille dans ce 
sens, et qu'en cas de guerre avec la France ce pays-ci était perdu. 



(1) Harie-Antoinette. 



4 LE COMTE DE FERSEN 

Le 24. Mardi. — Madame la princesse de Tarente est arrivée. Nou- 
velles qu'il y a eu à Paris du mouvement pour la cherté du sucre, qui 
coûtait 3 livres 5 sous. On a pillé l'hôtel des Américains, dit-on, et 
plusieurs autres boutiques d'épicier. On a vendu le sucre sur la place 
à 24 sous. Mon voyage à Paris fixé au 3 février. 

Le 29. Dimanche. — Lettre de la reine, qui me prie de différer mon 
voyage jusqu'à ce que le décret sur les passe-ports soit rendu et la 
tranquillité un peu rétablie à. Paris. Ou y parlait beaucoup du départ 
du roi ; les papiers l'indiquaient par Calais. Voilà le fruit de l'indis- 
crétion française ; ceux qui en ont imaginé le projet l'ont dit à tout 
le monde, et les espions l'ont mandé. 

FÉVRIER. Le P'. Mercredi. — Dîné chez La Marck. Beaucoup 
parlé de Mirabeau et de toutes ses intrigues avec Lafayette; La 
Marck est un intrigant. Le prince de Nassau écrit au comte d'Ar- 
tois qu'il était fort content de l'empereur, qu'il agirait. Le comte 
d'Artois écrit cela au prince de Condé ; le prince de Condé envoya 
la lettre originale pour être lue par tous les gentilshommes qui sont 
avec lui. 

Le 3. Vendredi. — Lettre de la reine qu'il est impossible, à cause 
des passe-ports individuels , de venir, et qu'il faut y renoncer. Cela 
est mal pour moi et les affaires. On a feint de soupçonner le départ 
du roi, on a excité du bruit dans Paris, le tout pour empêcher la nou- 
velle garde du roi de prendre ses fonctions, ce qui est fixé au 10, et 
on a fait les passe-ports pour empêcher le départ, s'il devait avoir 
lieu ; le moyen n'est pas mauvais. 

Le 6. Lundi. — J'ai pris mon parti d'aller à Paris, sur une lettre 
de la reine qui me mande que le décret sur les passe-ports ne sera 
pas sanctionné, et des Français qui ont très-bien passé écrivent pour 
en prévenir. 

Le 9. Jeudi. — Simolin arrivé à onze heures sans aucun obstacle ; 
dîné avec lui chez le baron de Breteuil. Il va à Vienne de la part de 
la reine, pour instruire l'empereur de leur position, de l'état de la 
France et de leur désir positif d'être secourus. H les a vus secrète- 
ment ; la reine lui a dit : « Dites à P empereur que la nation a trop 
« besoin du roi et de son fils pour qu'ils aient rien à craindre , c^est eux 
« qu'il est intéressant de sauver; quant à moi, je ne crains rien, et 
« jaime mieux courir tous les dangers possibles que de vivre plus 
« longtemps dans l'état d avilissement et de mulheur où je suis. » — 



ET LA COUR DE FRANCE. 5 

Simolin a été touché aux lanues de sa conversation. H m'a parlé de 
lettres charmantes de la reine (1) à l'empereur, à l'impératrice et 
au prince de Kaunitz. M. de Mercy, qu'il a vu, lui a tenu le même 
langage que de coutume. Simolin lui a reproché la conduite que 
l'empereur avait tenue, si différente de celle indiquée dans ses décla- 
rations de Padoue, et qu'il avait trompé les puissances ; il a été forcé 
d'en convenir. Les ordres de l'impératrice à Simolin, au mois de 
juillet, étaient de faire la déclaration de Padoue, de toujours se ral- 
lier au parti le plus vigoureux qui serait proposé , sans attendre de 
nouvelles instructions, et de partir sur-le-champ si les autres minis- 
tres partaient. * 

Le 10. Vendredi. — J'ai fait tous mes arrangements pour partir. 

Le 11. Samedi. — Je suis parti à neuf heures et demie en chaise 
de Courier avec Reutersvaerd sans domestique. Nous avions un passe- 
port de courrier pour le Portugal, sous des noms supposés. Les lettres 
et le mémoire du roi [de Suède] au roi de France, adressés à là reine 
de Portugal, que j'avais mis sous l'enveloppe de l'ambassadeur de 
Suède à Paris avec un faux chiflEre, en contrefaisant la signature du 
roi, et une de même, contrefaite, à Bergstedt, le chargé d'affaires, si- 
gnée Franc ; le tout cacheté des armes de Suède faites ici. J'avais 
aussi, pour ma sûreté, une lettre de créance comme ministre de la 
reine de Portugal. 

A huit heures nous étions à Toumay, où nous couchions. 

Le 12. Dimanche. — Parti à trois heures et demie du matin. Reu- 
tersvaerd fut voir le soir M. d'Aponcourt, commandant, pour avoir 
les portes. H le prit pour un courrier suédois et lui dit qu'il n'arri- 
verait de 15 jours à Paris, et serait arrêté partout. A Orchies on ne 
nous dit rien ; nous déjeunâmes à Bouchain, dînâmeff à Bonavis, et 
couchâmes à Gournai ; notre chariot cassa à Péronne, nous y fûmes 
(]fuatre heures. Arrivé à Gournai à une heure et demie du matin. Je 
me tenais très-caché ; j'avais une perruque. Partout on fut très-poli 
et surtout à Péronne, même les gardes nationaux. 

Le 13. Lundi. — Très-beau et doux. Parti à neuf heures et demie. 
Arrêté deux heures à Louvres pour dîner ; arrivé sans accident à Pa- 
ris à cinq heures et demie du soir, sans qu'on nous dise rien. Laissé 



(1) Hario- Antoinette. 



6 LE COMTE DE FERSEN 

descendre mon officier à l'hôtel des Princes, me de Richelieu. Pris 
un fiacre pour aller chez Gog. (1) rue Pelletier. Le fiacre ne savait 
pas la rue. Craint de ne pas la trouver. Un autre fiacre nous l'indi- 
qua. Gog. n'y était pas. Attendu dans la rue jusqu'à six heures et 
demie. Pas venu. Cela m'inquiétait. Voulu aller joindre Reuter- 
svaerd. Il n'avait pa-s trouvé place à l'hôtel des Princes ; on ne savait 
où il était allé. Retourné chez Gog., pas rentré. Pris le parti d'at- 
tendre dans la rue. Enfin à sept heures arrivé. Ma lettre n'était ar- 
rivée que le même jour à midi, et on n'avait pu le joindre avant. 
Allé chez la reine, passé par mon chemin ordinaire, peur des gardes 
nationaux ; pas vu le roi. 

Le 14. Mardi, — Très-beau et doux. Vu le roi à six heulres du soir; 
il ne veut pas partir, et il ne peut pas , à cause de l'extrême sur- 
veillance ; mais, dans le vrai, il s'en fait un scrupule, ayant si sou- 
vent promis de rester, car c'est un honnête homme. Il a cependant 
consenti, lorsque les armées seraient arrivées, à aller avec des con- 
trebandiers, toujours par les bois, et se faire rencontrer (?) par un dé- 
tachement de troupes légères. Il veut que le congrès ne s'occupe 
d'abord, que de ses réclamations, et, si on les accordait, insister alors 
pour qu'il sorte de Paris dans un lieu fixé pour la ratification. Si on 
refuse, il consent que les puissances agissent, et se soumet à tous les 
dangers. H croit ne rien risquer, car les rebelles en ont besoin pour 
obtenir une capitulation. — Il (le roi) portait le cordon rouge. Il voit 
qu'il n'y a de ressource que la force ; mais, par une suite de sa fai- 
blesse, il croit impossible de reprendre toute son autorité. Je lui 
prouvais le contraire , dis que c'était par la force, et que les puis- 
sances le désirent ainsi. H en convint. Cependant, à moins d'être tou- 
jours encouragé, je ne suis pas sûr qu'il ne soit tenté de négocier avec 
les rebelles. Ensuite il me ait : a Ah çà, nous so?mnes e^itre iiaus^ et 
« nmis pouvons parler. Je sais qu'on me taxe de faiblesse et d'irrcsù- 
tt liUion, mais personne nje s est jamais trouve dans ma position. Je 
« sais que f ai manqué le m/mient, c était le 14: juillet; il fallait aÀars 
(( s'en aller, et je le voulais, rfiais comment faire quand Monsieur lui- 
c( 7nêm£ me priait de ne pas partir, et que le muréchal de Broglie, qui 
« commandait, me répondait : « Oui, nous pouoons aller à Metz, mais 
« que ferons-nous quand rwus y serons? » — Jai manque le m^o- 

1^1) Gopuelat. 



ET LA COUR DR FRANCE. 7 

« meifit, et depuis je ne l'ai pas retrouvé. Xai été aiandonné rie tout le 
monde. » — Il me pria de prévenir les puissances qu'elles ne de- 
vaient pas être étonnées de tout ce qu'il serait obligé de faire; 
qu'il y était obligé et que c'était l'efifet de la contrainte. «< Il 
faut^ » — dit-il, — « qu'on me mette tout à /ait de côté, et qu^on 
m me laisse faire, » H désira aussi qu'on expliquât aux puissances 
qu'il n'avait sanctionné le décret sur le séquestre des biens des 
émigrés que pour les conserver ; sans cela, ils auraient été pillés et 
brûlés, mais qu'il ne consentirait pas à ce qu'on les vendît comme 
biens nationaux. H a aussi voulu par là faire passer son veto sur les 
passe-ports. 

La reine me dit qu'elle voyait Alex. Lameth et Duport, qu'ils lui 
disaient sans cesse qu'il n'y avait de remède que des troupes étran- 
gères, sans cela tout était perdu ; que ceci ne pouvait durer ; qu'eux 
avaient été plus loin qu'ils ne voulaient, et que c'étaient les sottises 
des aristocrates qui avaient fait leur succès, et la conduite de la cour 
qui les aurait arrêtés si elle s'était jointe à eux. Ils parlent des aris- 
tocrates, mais elle croit que c'est l'efiFet de la Jiaine contre l'Assem- 
blée actuelle, où ils ne sont rien et n'ont aucune influence, et la peur^ 
voyant que tout ceci doit changer, et voulant se faire d'avance un 
mérite. Malgré cela, elle les croit mauvais, ne s'y fie pas, mais s'en 
sert ; cela est utile. Tous les ministres sont des traîtres qui trahissent 
le roi. M. Cahier de Gerville surtout est le plus mauvais et menace 
sans cesse de quitter le conseil et de dénoncer ses confrères. Bertrand 
est bon, mais seul il ne peut rien. Narbonne et Lessart feront tout 
pour se conserver, et rien pour le roi. Cahier de Gerville était un pe- 
tit avocat à 700 francs par an. M"'' Rocherette était maîtresse de 
Gouvion et lui disait tout. Elle n'avait que des soupçons. Interrogée 
le lendemain du départ, elle a dit des horreurs sur la Teine ; ayant été 
demandée si elle n'a pas entendu passer par cette porte et si elle n'a 
pas eu peur, en ne venant pas avertir, — elle a dit qu'elle y enten- 
dait passer si souvent, quand le roi était couché, que cela ne lui pa- 
raissait pas nouveau. Depuis quelque temps, la garde était souvent 
triplée ; ce jour du 20 juin', elle l'était de l'après-dîner. M. de Valori, 
à qui on avait dit le matin qu'il serait envoyé en courrier avec ses 
deux camarades, l'avait dit à mademoiselle sa maîtresse, qui l'était 

aussi de M un enragé. En passant le grand Carrousel, la reine 

envoya M. de qui l'accompagnait, et qui ne savait pas où était le 



8 LE COMTE DE FERSEN 

petit Carrousel, le demander à la sentinelle de la garde à cheval. A 
Châlons, ils furent reconnus : un homme en avertit le maire, qui 
prit le parti de lui dire que s'il en était sûr il n'avait qu'à le publier, 
mais qu'il serait responsable des suites. Les gardes du corps, bons 
à rien. En revenant, M. de Dampierre, qui était venu les voir, don- 
nait le bras à une des femmes du Dauphin pour monter en voiture. 
Elle l'avertit de s'en aller, qu'on lui en voulait. Il lui dit que non. Il 
monte à cheval, et à cinquante pas on le tira dans la plaine comme un 
lapin ; quand il fut tombé de cheval, on le massacra, et ils revinrent à 
la voiture, les mains ensanglantées, et portant la tète. La reine donna 
un morceau de bœuf à la mode, que j'avais mis dans la voiture, à 
un homme; une voix cria : « N'en mange paSy ne vois-tu pas qu'on 
veut t' empoisonner? » — Elle (1) en mangea sur-le-champ et en fit 
manger à M. le Dauphin. Latour-Maubourg et Barnave fort bien; 
Pétion indécent. Le premier ne voulut jamais monter en voiture du 
roi ; il dit qu'il devait être assuré de lui, mais qu'il serait intéres- 
sant de gagner les deux autres, tétion dit qu'il savait tout, qu'ils 
avaient pris une voiture de remise, près du Château menée par un 
Suédois nommé (il feignit de ne pas savoir mon nom) et s'a- 
dressa à la reine pour le savoir. Elle répondit : a Je ne suis pas 
« dans l'usage de savoir le ncm des cockers de remise. » M"® Eoche- 
rette se présenta toute parée, elle comptait être femme de chambre ; 
elle avait plusieurs fois avant le départ cherché le portefeuille de la 
reine. Ils furent depuis six heures du matin jusqu'à sept heures du 
soir, depuis Meaux aux Tuileries, sans oser baisser ni stores ni ja- 
lousies. Pendant les six semaines, toujours des officiers dans la cham- 
bre attenante. Ils voulaient coucher dans la chambre de la reine. 
Tout ce qu'elle put obtenir ftit qu'ils resteraient eijtre les deux por- 
tes ; deux ou trois fois, ils sont venus dans la nuit voir si elle était 
dans son lit. Une fois qu'elle ne pouvait dormir et qu'elle alluma sa 
lanterne, l'officier entra et s'établit en conversation. Un camp devant 
les fenêtres, qui faisait un sabbat infernal. Toute la nuit, les officiers 
dans la chambre se relevaient toutes les deux heures. 

Le 2\. Mardi. — A six heures, je sortis; je trouvai Reuters vaerd 
avec qui je fis tous les arrangements pour le départ à minuit. J'ac- 
compagnai Gog. pour aller prendre congé du roi et de la reine. La 

(1) La ime. 



ET LA COUR DE FRANCE. 9 

reine me mandait que la réponse au mauvais mémoire qu'elle avait 
envoyé h l'empereur, fait par Êarnave, Duport et Lameth, venait 
d'arriver et était détestable. Je pris le thé et soupai avec eux. A mi- 
nuit, je les quittai. Frantz me fit sortir par la grande porte. Nous ne 
trouvâmes pas Reuterswaerd, ce qui m'inquiéta. Au bout d'un quart 
d'heure, il vint; nous nous rendîmes à son auberge, où son hôte, 
quoique démocrate et protestant, l'avait comblé d'amitiés, comme 
tout le monde. 

A une heure nous montâmes en voiture. La voiture était légère, à 
trois chevaux. 

Le 22. Mercredi. — Nous passâmes Senlis à trois heures et demie 
sans inconvénient. A Pons, quoique les gardes nationales fussent déjà 
sur pied, on ne nous dit rien. Nous déjeunâmes à huit heures et de- 
mie à Gournai ; il y neiga pendant une heure assez fort ; ensuite beau 
et froid. Nous fûmes cependant fort retardés par le glissant. Nous 
arrivâmes à Bon- A vis & sept heures du soir ; nous soupâmes mal et 
couchâmes dans une chambre de charretier tout habillés. 

Le 23. Jetidù — Beau, très-froid. Partis à cinq heures et demie, 
chemins afifreux jusqu'à Cambrai , restés là une heure et demie : les 
postillons ne voulaient pas mener à cause des chemins , et le maître 
de poste me dit que, dans, les temps présents, il ne pouvait les forcer. 
Enfin il y en eut un qui, en faveur de la légèreté de la voiture, 
se décida. Nous passâmes fort bien Bouchain , mais à un petit village 
de dix maisons, à une demi-lieue avant Marchiennes, je fus éveillé 
par la voiture qui s'arrête, et un monsieur qui demande à Reuter- 
svaerd son certificat. Je fis semblant de dormir ; après l'avoir lu pen- 
dant cinq minutes, il dit que cela ne valait, qu'il y avait de par le roi, 
et pas de par la loi, ce qui voulait dire que la loi était avant le roi ; 
que d'ailleurs il n'y avait pas de signalement , et qu'il n'était pas 
bon. Reuters vaerd se fâcha et dit : « Mais c'est le passe-port du ministre, 
« il doit bien savoir comment iLlesfaut, et notre ministre ne nous au- 
a rait pas donné un passe-port j s^il n'avait été en règle\ » — Le mon- 
sieur dit : c( H n'est pas conforma au modèle que nous avons; il ne 
K vaut rien. » — Alors le postillon, qui vit la plaque de courrier, dit : 
<c Monsieur, mms est-ce que vous ne voyez pas qvs ces messieurs sont 
« courriers? Vous n'avez pc^ le droit de les arrêter. » <c Sûrement, » 
— dit Reutersvaerd, — « ^ counners suédois; cela est dans le passe- 
port , et voilà celui de notre ministre. » Cet imbécile n'avait pas encore 



10 LE COMTE DE FKRSEN 

découvert cela, et, comme il vît que Reutersvaerd devenait poli, il 
devint insolent. Après une seconde lecture, il nous laissa passer. Il 
nous dit que. nous ne devions pas être surpris d'être encore arrêtés 
à Marchiennes ; effectivement nous le fûmes à la seule porte qu'il y 
a en entrant, par une sentinelle en veste grise. L'oflâcier, en vieil 
habit brun ; après lui avoir dit que nous étions des courriers et montré 
les passe-ports, il nous laissa passer. Nous fûmes encore arrêtés avant 
Orchies à une barrière nationale , établie pour la recherche de l'ar- 
gent. On fut poli et ne nous visita pas. A Orchies, qui est un gros 
endroit, on ne nous dit rien. Le postillon nous avertit que nous 
pouvions jeter nos cocardes. A une lieue d'Orchies nous fûmes hors 
de France, on ne nous visita pas, et nous étions trop heureux d'en 
être dehors. A quatre heures nous étions à Tournai , nous y dînâmes 
bien et dans la même chambre où nous avions couché en allant. Quelle 
différence! A cinq heures et demie nous partîmes. Le soir et la nuit 
furent excessivement froids; les roues criaient comme en Suède. 
Nous arrivâmes à Bruxelles à trois heures du matin. Ma joie fut 
grande d'avoir si bien réussi et de me trouver chez moi. 

Le 27. Lundi, — Le baron de Breteuil me prévint que M. de Mercy 
s'est plaint du mécontentement que la reine témoigne de l'empereur, 
qu'il m'en croit la cause ; a donné â entendre qu'il l'avait découvert. 
Ce ne pourrait être que par mes lettres, et je ne crois pas qu'ils aient 
pu les déchiffrer, le chiffre de Suède est trop difficile, et mes lettres 
pour Paris, écrites en blanc, ne seraient pas parvenues, si elles 
avaient été lues. Mais c'est un soupçon à cause du parti pris par le 
roi de France de s'adresser lui-même aux puissances. M. de Mercy 
a fait sentir que j'étais très-suspect et très-incommode, il l'a souvent 
prié de ne pas me redire ce qu'il lui confiait. Cela ne me fait pas de 
peine et me prouve qu'ils ne m'ont pas cru aussi clairvoyant. Je fus 
chez le comte de Mercy, il me parla des affaires, de l'incommodité 
dont étaient les princes, qu'il fallait les écarter, qu'ils seraient mieux 
dans le Midi. -Je fus de son avis , excepté pour les écarter tout à fait, 
mais qu'ils pourraient être utiles en seconde ligne et en dirigeant 
leur conduite. 

Mars. Le 2. Vendredi. — Au cercle à la cour, depuis longtemps 
l'archiduchesse ne me parle plus des affaires. Nouvelles de Péters- 
bourg, pas très-bonnes. L'impératrice, trop prévenue pour les princes, 
croit aux calomnies contre le baron de Breteuil , ne fait pas assez 



ET LA COUR DE FRANCE. 11 

de cas de la lettre de la reine ; je crains aussi que Bombelles ne voie 
trop en noir. Berlin toujours bon. Je crois qu'il faut consentir à tout 
pour faire arriver les troupes ; c'est le principal. 

Le 5. Lundi. — Dîné chez M. de Breteuil. Thugut et Browne se 
sont lâchés contre l'empereur en mécontentement de ce qu'il ne 
voulait pas agir. Le premier l'a dit au baron, en ajoutant qu'il en 
était sûr. H a aussi douté qu'il voulût rétablir les choses en France 
comme elles étaient, et a dit que, pour s'en assurer, il fallait de- 
mander à M. de Mercy s'il entendait rendre au roi le maniement 
des finances, comme avant la révolution. Il croit, et je suis de son 
avis , que l'empereur veut éviter d'agir, mais que, s'il y est forcé, il 
veut être assez fort, avec la Prusse, pour exclure les cours du Nord 
et donner à la France un gouvernement mixte qui la mette dans sa 
dépendance et lui ôte toute sa force et son influence en Europe. C'est 
pour cela qu'il a consenti aux 50,000 hommes posés par la Prusse, 
afin de présenter aux cours du Nord cette force comme suffisante, 
les empêcher par là d'en envoyer, et, s'il n'y peut parvenir, au moins 
avoir une grande supériorité et décider de tout. Mais avec l'influence 
de l'impératrice, la bonne volonté de la Prusse et l'ambition du duc 
de Brunswick, ce plan sera aisé & déjouer, et il faudra alors mettre 
en avant les princes, leur faire faire des réclamations, concertées 
avec le roi, auxquelles les puissances auront l'air de céder. Il a con- 
seillé au baron de ne s'engager vis-à-vis de Mercy au remboursement 
d'argent que lorsque le roi serait rétabli dans la plénitude de son 
autorité. • 

Le 6. Mardi. — Dépêche de Caraman à Berlin, bonne, et de 
Bombelles pas autant ; mais il est d'un caractère inquiet, cela se 
voit, et il y a trop de choses contre Esterhazy dans ses lettres. L'im- 
pératrice, qui n'a jamais eu de relations qu'avec les princes, est trop 
prévenue pour eux. H faut du temps pour la désabuser. — M. de 
Galonné a été à Cologne sans voir le maréchal de Castries. Il a fort 
désapprouvé, vis-à-vis de quelqu'un avec qui il a causé, le système 
du baron de Breteuil que le roi doit être le maître de sa confiance 
vis-à-vis des princes. 

Le 8. Jeudi. — L'évêque vint à sept heures et demie me dire que 
l'empereur était mort subitement ; qu'on avait interrompu le spec- 
tacle et que l'acteur l'avait annoncé ; qu'il y avait eu deux ou trois 
applaudissements. Je sus effectivement qu'un courrier était arrivé. 



12 LE COMTE DE FERSEN 

L'archiduchesse l'ignorait ; elle envoya même , au sortir de table , 
M. de Metternich pour voir s'il y avait des lettres pour elle. Elle 
fit venir le soir tous les généraux et leur parla fort bien et avec 
bonne contenance. — M. de Mercy avait été à deux heures chez le 
baron de Breteuil ; il parla de la réponse de l'empereur. Le baron 
la désapprouva, la trouva trop longue, etc., etc., mais il ajouta que sans 
doute M. de Mercy savait qu'il paraîtrait bientôt une autre décla- 
ration commune, qui serait meilleure. M. de Mercy répliqua : 
« Comment, monsieur, une déclaration ! ce ne sont plus des déclarations 
qu'il faut; H empereur Va senti, et a enfin changé de système. » Puis, se 
levant avec vivacité et portant la main à son épée : « Cest de cela 
qu'il fatU; V empereur y est décidé, et bientôt vous en aurez. » 

Le vicomte de Vérac, qui vint me voir le soir, me dit que dans les 
rues on se disait : « U empereur est mort, eh bien, c'est bon » . Lui , l'é- 
vêque et beaucoup de gens croyaient que cela allait tout changer et 
tout retarder, occasionner des Içngueurs. Je ne fus pas de cet avis, 
je le leur prouvais , et je sens que le baron de Breteuil avait été de 
mon avis. Je pris alors mon parti d'écrire à la reine mon opinion là- 
dessus, que je lui envoyai le lendemain par la poste. 

Le 9. Vendredi. — Dans toutes les sociétés hier au soir la mort 
de l'empereur avait fait peu d'efifet et n'avait pas dérangé les parties. 
Les généraux ne témoignaient pas même là-dessus le moindre chagrin, 
mais presque le contraire. Thugut dit au baron qu'il en était bien 
aise. Dans la ville (1) cela ne faisait aucune sensation; les officiera 
en étaient même contents. On Uvait répandu des billets pour exciter 
le peuple à la révolte , en disant que c'était le moment , qu'il fallait 
en profiter et séduire les soldats. Les portes de la ville furent fer- 
mées depuis onze heures du matin , mais rien ne paraissait en ville. 
Les uns disent qu'il est mort d'une fluxion de poitrine ; d'autres, et 
c'est le chancelier Crumpipen et M. de Metternich, qu'il a eu le 
24 une attaque de colique , qu'il a été saigné trois fois, et que le 2 à 
midi l'attaque est revenue, et qu'il est mort dans des vomissements 
affreux. On veut dire par là qu'il est mort empoisonné. Tant mieux ; 
cela prouvera la nécessité d'exterminer les monstres en France. 
L'objet de M. de Crumpipen , en accréditant cette nouvelle , est au 



(1) Bruxelles. 



ET LA COUR DE FRANCE. 13 

contraire de prouver le danger qu'il y a de se mêler des affaires de 
France. 

Le 10. Samedi. — Les soldats sont contents de la mort de l'em- 
pereur. Une sentinelle, qui vit du mouvement le lundi soir, demanda 
ce que c'était; on le lui dit. Réponse : « Oh! oh! er ist dodty no so 
vimt Frandscus der Soldaten VcUer! » 

Z^ 13. Mardi. — M. de Narbonne, renvoyé du ministère par le roi, 
à cause de sa conduite indigne vis-à-vis de M. Bertrand, ministre de 
la marine, qu'il a voulu perdre de toutes les manières possibles, et 
à cause des lettres qu'il s'est fait écrire par les maréchaux Bocham- 
beau et Luckner et Lafayette pour conserver le ministère. Le che- 
valier de Grave , jeune démocrate de 28 à 30 ans , \ lui succède. 
M. Bertrand a demandé sa démission et l'a eue. M. de Lessart a 
été arrêté, avec ses papiers, par ordre de l'Assemblée, et mis en état 
d'accusation. C'est un triomphe des jacobins. On dit que M. Cahier 
de Gerville s'en va; ce serait fort heureux. Ce sont MM. Duport, 
Bamave et Alex. Lameth qui auront désiré le renvoi de M. de Nar- 
bonne ; ils en sont mécontents, et on dit qu'il les avait trompés. 

Ze 14. Mercredi. — DupUcité de l'empereur qui a fait croire que 
tout ce qu'il a voulu faire, et les ordres donnés au maréchal Bender 
ont été retardés par la reine et le baron de Breteuil. Le prince de 
Nassau se conduit à merveille. 

Z^ 18. Dimanche. — Lettre de Crawford qui m'inquiète d'autant 
plus que le chevalier de Coigny avait mandé le projet des jacobins 
de mettre la reine dans un couvent ou la mener à Orléans pour être 
confrontée avec M. de Lessart, et qu'il y a quelques jours, le 
10 mars, M. Vergniaux avait dit dans l'Assemblée : « H faut que la 
« terreur entre à présent dans ce palais cCoù elle est sortie tant de 
^^ fois; que tous ceux qui y sont tremblent; il n'y a qui uns seule per- 
« sonne inviolable. » 

Le 22. Jeudi. — Lettre de M"'* de Lamballe au baron de Breteuil, 
qui mande que l'on veut dénoncer la reine dans l'affaire de M. de 
Lessart et la séparer ainsi du roi pour la mettre dans un couvent. 
Cela se rapporte à ma lettre de Crawford. Je crois au projet, mais je 
doute de l'exécution. L'abbé de Saint-Albin dit qu'on croyait que la 
reine s'en irait ; je ne crois pas qu'elle se sépare jamais du roi, et 
où irait-elle? cela serait difficile , & cause de Coblence. 

Le 23. Vendredi. — Trouvé Goguelat chez moi en rentrant. Il 



14 LE COMTE DE FERSEN 

avait passé par Calais, Douvres et Osteiide. 11 était parti depuis 
huit jours. Leur (1) situation fait horreur. J'en Êiis le détail dans ma 
dépêche au roi du 24, avec les événements qui ont préparé le tout. 
On a entendu des députés dire : « Lessart s'en tirera; mais la 
reine me s'en tirera pas. » Deux autres, sur la terrasse des Feuillants , 

disaient, en parlant du départ du roi : « Ces h là ne partiront 

pas y vous le verrez. » Iriarti a demandé un congé et ira à Madrid, 
chargé de la même commission que Simolin à Vienne. Groguelat 
n'avait qu'une petite autorisation qui disait : 

a Je vous prie , mon neveu , d'Bvoir confiance à tout ce que le por- 
« teur vous dira de notre part. — Marie- ANTomETTE. » 

« Je me joins à votre tante et pense absolument comme elle. 
— Louis. » 

Nous filmes voir le baron de Breteuil. Il m'eut l'air de ne pas trop 
approuver la démarche. Il n'en dit cependant ri^i. 

Le 24. Samedi, — Goguelat vu Mercy ; il lui donna de bons con- 
seils pour Vienne, qu'il fallait surtout appuyer sur les petits détails. 
11 dit qu'il n'y avait de ressource que la force et qu'il faudrait s'y 
décider. La reine avait écrit à M. de Mercy au sujet de la réponse 
de l'empereur à ce mauvais mémoire une. lettre assez forte, qu'il ne 
nous a pas montrée ; pour l'avoir, Gog. devait demander de la part 
de la reine à la copier ; mais, craignant qu'il ne la refuse sous pré- 
texte qu'il ne l'avait plus, il en discuta quelques points et se la fit 
montrer, alors il la demanda, et Mercy la lui promit au retour. 

Le 25. Dimanche. — Goguelat parti à une heure. Il vit Espienne 
qui revient de Coblence fort mécontent de tout ce qu'il a vu, et di- 
sant qu'il se croit plus utile chez lui, s'il y a quelque chose à faire ; 
qu'il est sûr de rassembler 500 hommes. Il dit beaucoup de bien du 
comte d'Artois et de ses intentions. Il a trouvé M. de Jaucourt sage 
et modéré. M. de Galonné est regardé par tout le monde comme un 
fat et un étourdi; il a trouvé le comte d'Artois disposé à la patience, 
et sentant que tout cela ne pouvait être si prompt ; mais les autres 
Français ne sont pas dans les mêmes dispositions. — Dîné chez moi 
avec le baron de Thugut ; il pense à merveille ; il me dit qu'il y a 
15,000 hommes dans le Mlanais, pour la sûreté du roi de Sardai- 
gne, si on agit. Il désapprouve la réponse de l'empereur qui a causé 

(1) La famille royale de France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 15 

le renvoi de Lessart ; il en voulait une insignifiante, et l'envoi sur- 
le-champ des 50,000 hommes, et faire alors une réponse ferme. Il a 
raison. Il blâme de Mercy et ceux qui ont fait la réponse , et vou- 
drait qu'on agisse avec force au plus tôt et que le roi pût partir. 

Lettres de Suède : l'impératrice voit mal les affaires de France et 
Esterhazy est bien coupable ; c'est chez lui manque de réflexion et 
de jugement et non d'attachement, mais cela fait bien du mal. 

Le 27. Mardi. — Simolin a reçu ordre de revenir de Vienne à Pé- 
tersbourg. Bombelles se plaint toujours : il a mal saisi l'esprit de sa 
commission , il se voit toujours ambassadeur, et non voyageur, et a 
des prétentions. L'impératrtce très-prévenue pour les princes. 

Avril. Le 3. Mardi. — Le duc d'Uzès à la tête de 150 gentils- 
hommes français vint me voir, pour avoir des nouvelles [de l'assas- 
sinat du roi de Suède]. Lettre de la reine. 

Le 12. Jeudi, r— Reçu des lettres de Suède du 23 et du 27. Le 
bulletin mauvais. Dans l'enveloppe de Brégart était un papier où il 
est dit que le roi (1) est mort le 29 vers midi ; j'en fus atterré. Le 
baron de Hopp , ministre de Hollande , dit la même chose. Je vou- 
lais espérer que non , mais je ne le pouvais ; les détails sur son état 
étaient trop mauvais ; je fus très-tourmenté. 

Le 17. Mardi. — Dîné chez Breteuil. Thugut lui a dit que le roi 
de Hongrie avait écrit ici, était las de ce qui se passe en France, et 
décidé à agir et à y mettre fin; qu'il ferait marcher les troupes, 
qu'il fallait amuser les Français pendant deux mois, qu'elles puis- 
sent arriver, et que, s'ils attaquent ou non, il était décidé à les atta- 
quer. 

Le 25. Mercredi. — Un ingénieur nommé Obredi, qui a été en- 
voyé reconnaître le pays, les Français et la disposition des habitants, 
rapporte que M. de Rochambeau est campé depuis lundi sous Mau- 
beuge, vis-à-vis de Mons, dans une très-belle position et retranchée ; 
que les dispositions sont telles que rien n'empêche les Français d'en- 
trer et d'arriver jusqu'à Bruxelles; qu'il n'y a aucune précaution 
prise pour les arrêter ; que les troupes sont placées tellement qu'elles 
seraient coupées et ne pourraient jamais se réunir ; qu'il n'y a abso- 
lument rien de fait, que cela fait horreur, et qu'il n'y a pas un ins- 



,(1) De Suède. 



16 LE COMTE DE FERSEN 

tant à perdre. Lorsqu'il en rendit compte & Farcliidnchesse y elle se 
mit à pleurer, disant qu'elle était perdue. H a trouvé les habitants 
vers les frontières très-mal disposés ; en un mot il a trouvé leur po- 
sition très-dangereuse, leur inertie et leur apathie a été extrême. Ils 
n'ont rien fait. La jalousie du général Browne contre le maréchal 
Bender est extrême, et gâtera tout. Ce premier n'a jamais été recon- 
naître le pays. Un homme fidèle de Namur, qui a été patriote, a 
demandé depuis deux mois, par le baron de Breteuil, d'être appelé 
ici pour donner des éclaircissements importants pour le gouyeme- 
ment. M. de Mettemich l'a oublié et il n'a pas encore été entendu 
ni appelé. Quand on parle d'affaires importantes à l'archiduchesse, 
elle pleure; le duc Albert bavarde ; Mercy dit qu'il n'a rien à faire, 
mais qu'il en parlera à Mettemich, qui les oublie; cela fait horreur. 
S'ils en souffraient seuls, il n'y aurait pas de mal. Bender voulait 
former un cordon, depuis Ostende à Luxembourg : belle platitude 1 
— T On va faire camper et prendre une position. Le général Ferrari, 
homme de mérite, est indigné; il n'est pas employé; il a indiqué 
plusieurs positions importantes à garder, auxquelles on n'avait pas 
pensé. 

Le 26. Jeudi. — Dîné à la cour, l'archiduchesse ne me parla pas. 
Le camp de Rochambeau n'est rempli que de 100 pièces de canon 
et 1,200 hommes. H a écrit de Valenciennes au général Beaulieu à 
Mons , par un aide de camp accompagné de deux trompettes ; sa 
lettre est datée l'an IV de la Liberté : il déplore les maux de la guerre 
et demande que, pour épargner du sang, on ne fasse de part et d'au- 
tre aucune hostilité avant que la guerre franche (?) commence , qu'il 
n'est pas autorisé à faire cette proposition , mais qu'il espère que le 
général en fera part au gouverneur général, et que, s'ils n'ont pas 
assez de confiance en lui , il enverra un courrier à Paris prendre les 
ordres du roi. Il parle toujours en son nom. L'aide de camp arriva & 
Mons au moment de la parade ; on la lui laissa voir, et on le renvoya 
après. Les troupes se mettront en mouvement le 29, et seront cam- 
pés du 5 au 8. 

M. de Breuil est arrivé ici comme chargé des affaires de France, 
mais sans avoir déployé son caractère ; de sorte qu'étant de ce pays^ 
on ne peut le renvoyer sans lui faire son procès, et on ne peut même 
l'attaquer sur ses dépêches en chiffre, car il les fait signer par M. de 
la Gravière, qui attend le ministre qui doit le remplacer. Ce Breuil 



ET LA COUR DE FRANCE. 17 

«st un gueux qui a été dans la révolution du Brabant et qui est du 
pays. 

Le 30. Lundi. — Reçu le matin nouvelle qu'il y a eu une affaire 
près de Toumay, où les Français ont été repoussés. Voici la rela- 
tion : on fut toute la journée fort inquiet sur Mons. A deux heures, je 
rencontrai M. de Mettemich ; il me dit qu'on venait d'apprendre qu'H 
y avait eu une affaire entre les avant-postes à Mons ; il. ajouta qu'il 
avait eu les plus vives inquiétudes que les troupes n'eussent pas le 
temps de se rassembler avant l'attaque des Français ; qu'à présent il 
était tranquille sur ce point. U ailleurs , ajouta-t-il, ce ri est pas ma 
ffvuie, car depuis trois semaines j'en ai averti et je n'ai cessé de 
presser lârdessus; ils n'ont jamais voulu rien faire. -^ En rentrant de la 
promenade à huit heures du soir, j'appris que les Français avaient été 
repoussés et bien battus à' Mons. Voici ce que le comte de Mettemich 
m'écrivait là-dessus et la relation de Beaulieu. Il m'envoyait aussi 
l'adresse des Belges. Lui et le comte de Mercy avaient été dans les 
plus grandes inquiétudes depuis l'arrivée du premier courrier; que 
tout le pays était fort mal disposé et notamment la ville de Bruxel- 
les ; que, s'ils avaient été battus, on aurait vu ici les horreurs d'Avi- 
gnon ; qu'on avait trouvé dans la partie du rivage des uniformes na- 
tionaux et des cocardes ; qu'il y avait même eu des gens qui en avaient 
porté. La joie ne fut pas très-grande dans la ville ; on cria quelques 
vivats à l'archiduchesse, qui alla se promener au parc. On dit que 
M. de Biron, qui commandait les troupes, avait disparu au commence- 
ment de l'action ; on donne des éloges à la manière dont les compa- 
gnies françaises qui y étaient se sont conduites. 

Mai. Le 10. Jeudi. — Les princes ont écrit à l'archiduchesse pour 
lui offrir tous les Français qui sont à leurs ordres , et qu'ils avaient de 
même écrit à Vienne. Elle a répondu qu'elle ne pouvait rien décider 
avant d'avoir des ordres du roi ; c'est d'après l'avis de M. de Mercy, 
<qui a dit au baron de Breteuil qu'ils étaient décidés à ne pas se ser- 
vir des Français et à ne les admettre à rien. Il a dit au baron Thu- 
gut que tout ce qu'il craignait était que le baron de Breteuil fût mêlé 
dans tout cela, et qu'il fallait l'en exclure. Il lui a dit de dire à 
Vienne , où il va , que, quoiqu'il fût décidé à se retirer, il resterait à 
cause de la circonstance si intéressante et où il pourrait être utile, 
qu'il continuerait à traiter les affaires et qu'il désirait être chargé de 
&ire la paix , mais à condition qu'il eût plein pouvoir de la faire 

T. II. 2 



18 LE COMTE DE FERSEN 

comme il voudrait. Dans ses propos on voit toujours le désir de négo^- 
cier et de faire un accommodement, qui ne serait que mauvais , car 
il est lié par La Borde avec les constitutionnels Barnave, Lameth et 
Duport, etc., et n'a pas dit au baron de Breteuil l'ofire des princeâ. 
J'ai conseillé au baron de Breteuil de lui répéter la même ofifre et 
de lui répéter l'avantage de l'accepter, et le danger de le refuser dans 
un moment où ils n'ont pas assez de troupes et où les émigrés pour- 
raient servir à débaucher dès troupes françaises, et, s'il refuse, le prier 
de se rappeler l'offre qu'il lui en a faite. 

i^ 13. Dimanche. — Limon venu chez moi me dire que les pairs 
et les parlements étaient convoqués du 25 au 30 à Coblence. C'est 
apparemment pour faire la constitution. Il se plaignit de ce que le 
baron de Breteuil ne le traitait pas assez bien , et ne faisait pas assez 
de cas de lui ; qu'il se confiait à des jeunes gens qui redisaient tout, et 
qu'il pourrait l'employer lui utilement. Le baron de Breteuil a 
tort : le Limon est un gueux, mais il faut le ménager et s'en servir, 
sans y avoir confiance. 

Le 19. Samedi, — 82 hommes du régiment de Saxe rentrés en 
France ; c'est un grand malheur ; mieux vaudrait qu'ils ne fussent 
pas sortis. Le baron de Breteuil vu l'archiduchesse et Mercy. Pour 
les émigrés, ils n'en veulent pas dans leurs armées. Mercy dit que 
cela ferait croire que les puissances partagent leurs opinions et veu- 
lent tout rétablir sur l'ancien pied, et que tous les partis se réuni- 
raient contre eux. Le baron dit que dans ce cas il était sûr que la 
Prusse ne les repoussera pas. L'archiduchesse choquée de cela. 

Le2\. Lundi. — Lettres de Russie et de Berlin que tout marche; 
que le duc de Brunswick sera à Coblence le 9 juillet ; que le 13 tous 
les émigrés seront cantonnés dans les environs de Philippsbourg ; 
qu'on mande aux princes de se tenir tranquilles jusque-là ; que Ca- 
raman doit voir le duc de Brunswick à Halberstadt ; que les rois 
de Hongrie et de Prusse ont demandé aux princes d'Allemagne d'être 
prêts au mois de juillet. — Un courrier de Londres passe par Berlin 
et Vienne ; il porte l'assurance de la neutralité parfaite du roi d'An- 
gleterre et qu'il verra avec plaisir ce que les puissances feront pour 
le roi de France. L'impératrice morte. Dépêche de Russie à moi assez 
bonne , mais rien de positif. 

Le 26. Samedi. — Strùcker arrivé ; parti mercredi matin. Il dit 
que le désordre est à son comble à Yalenciennes. Rochambeau aurait 



ET LA COUR DE FRANCE. 19 

été massacré comme Dillon, s'il ne s'était tenu caché à l'abbaye Saint- 
Sauve trois jours ; on a été le chercher trois fois. Lundi Luckner 
voulut lever le camp ; le soldat refuse en jurant contre ce ... d'étranger 
qui voulait les mener à la boucherie, mais qu'ils le pendraient, et qu'ils 
voulaient savoir pourquoi et où ils iraient. Boyal-Suédois refuse d'al- 
ler en garnison à Douai ; trois soldats rencontrèrent le duc de Char- 
tres, ils l'ont arrêté, lui ont dit des sottises; que, si on les faisait 
partir, ils le idassacreraient ; que c'était lui qui machinait tout cela; 
qu'il était un gueux , que sa place était à Coblence avec les autres 
princes , mais qu'il s'était si mal conduit qu'il n'osait y aller. 

Juin, i^ P'. Vendredi, — Vicomte de Caraman de retour, porte as- 
surances positives du roi de Prusse qu'il n'abandonnera pas le roi de 
France; qu'il n'écoutera aucune négociation ; qu'il veut que le roi soit 
libre et fasse la constitution qu'il veut ; qu'il paiera aux princes la solde 
des troupes qui passeront. L'impératrice (1) lui mande qu'elle envoie 
16,000, dont 3 de cavalerie, qui débarqueront à Wismar et traverse- 
ront l'Allemagne. Caraman l'a vu (2) avec lé duc de Brunswick à Mag- 
debourg, tous deux fort bien. Les troupes toutes arrivées le 4 août, 
les Prussiens sur la Moselle et la Meuse, les émigrés sur Philipps- 
bourg, les Autrichiens dans le Brisgau. 15,000 hommes aux ordres 
de Clairfait agiront de ce côté-ci ; le reste , aux ordres du duc Al- 
bert, pour garder le pays. Tout avancera pour masquer les plans, et 
le duc marche avec 36,000 hommes d'élite droit sur Paris. 

Le 7, Jeudi. — Bergstedt arrivé à 9 heures du soir, passé fort bien 
à Valenciennes. B dit que les jacobins sont tranquilles depuis le ren- 
voi de la garde du roi ; c'est pour être maîtres de sa personne et l'em- 
mener avec eux; ils y réussiront, car ceux qui veulent l'empêcher 
n'ont point de chef, et, comme ce sont les chefs de bataillon qui 
commandent toute la garde nationale pendant deux mois, il ne peut y 
en avoir. Servan brouillé avec Dumouriez, qui voulait dominer ; il a 
voulu quitter, car on demandait compte des 6 millions pour les dé- 
penses secrètes. Les jacobins, qui le soupçonnent, l'auraient chassé, 
mais ils ne savent par qui le remplacer. Luckner trouve l'armée 
trop mauvaise pour attaquer ; Dumouriez insiste et veut y aller, pour 



(1) De Russie. 

(3) Le roi de Pnuse. 



20 LE COMTE DE FERSEN 

l'y décider ou commander. C'est M"*' de Staël qui a écrit les lettres 
des généraux à Narbonne, et qui a fait renvoyer Lessart. Tous les 
constitutionnels, amis de Narbonne, n'ont pas été à l'Assemblée pour 
•le défendre, et comme cela les jacobins ont réussi à le mettre en ac- 
cusation. C'est une intrigue de M"* de Staël. Elle porte toujours du 
poison pour en prendre, s'il arrive quelque chose à Narbonne. Elle a 
été, déguisée en homme, & Arras le voir ; elle a versé en revenant; 
cela a fait histoire. Elle a été absente du mardi au dimanche. 

Le 10. Dimanche, — Lettre de la reine de France. Ordres à Luck- 
ner d'attaquer, etc. 

Le 12. Mardi. — Luckner est campé avec 20,000 hommes; vers Tour- 
nay il y a 16,000 hommes. L'attaque sur les Français a manqué parce 
que la colonne du centre a attaqué trop tôt et que les deux autres , 
à cause des mauvais chemins et du terrain gâté par la pluie, n'ont 
pu arriver ni la cavalerie agir. Sans cela la retraite leur aurait été 
coupée. Les Autrichiens y ont perdu plus de 800 paires de souliers. 
Ils voulaient entamer une affaire générale avec Lafayette et s'empa- 
rer de Maubeuge ; les Français qui y étaient ont été fort maltraités : 
à peine leur art-on permis de voir, et on disait qu'il y avait des hus- 
sards postés derrière la ligne pour les forcer à se retirer, s'ils s'é- 
taient'trop avancés. 

Le 16. Samedi. — Déchiffré la lettre de Paris ; Mercy me parla 
fort là-dessus, disant qu'on ne pouvait plus négocier avec aucun 
parti, tous également scélérats et ne voulant que s'emparer du pou- 
voir ; qu'il n'y avait plus que les baïonnettes ; que ce serait folie de 
vouloir de haute lutte rétablir tout sur l'ancien pied ; qu'il fallait 
commencer par créer une autorité , la rendre au roi, lui donner le 
droit de paix, de guerre, d'alliances ; mettre l'armée et les grâces 
dans ses mains ; rétablir la noblesse dans tous ses droits et préroga- 
tives honorifiques ; rétablir un peu le clergé sans lui rendre ses biens, 
et préparer les choses pour que le roi pût ensuite peu à peu reprendre 
la même autorité qu'il avait, et que dans dix ou quinze ans il l'au- 
rait; qu'il avait toujours prévu que l'Angleterre et l'Espagne iraient 
mal ; que le roi de Prusse donnait à la première réquisition 7 à 
8,000 hommes de Westphalie, que 7,000 arrivaient du Brisgau et 
qu'avec cela il n'y avait rien à craindre ici. H ne croit pas que le roi 
et la reine courent des dangers personnels, mais qu'ils pourraient 
bien être enmienés dans l'intérieur. Qu'il écrira à Vienne pour pré- 



ET LA COUR DE FRANCE. 21 

Tenir sur l'envoi de ce constitutionnel et de ce qu'il faut dire^ selon 
le désir de la reine ^ et qu'il lui fera une réponse dans le même sens. 
En tout 9 il parla fort bien. — Tous les ministres^ excepté Dumou- 
rîez, renvoyés, on croît, pour avoir proposé le rassemblement des 
20,000 hommes. Je crois que Dumouriez ne tardera pas à être chassé 
à son tour. 

Le 24. Dimanche. — Cosmopolite du 21. Affreuse relation de l'at- 
tentat du 21 au château des Tuileries ; horrible I elle est ci-jointe, 
les suites font frémir. 

JxJiLLET. Le 4. Mercredi. — Le baron de Breteuil croit que Mercy 
savait par les constitutionnels, avec lesquels il est toujours en relation, 
le voyage de Lafeyette à Paris , et qu'il l'approuvait. M. de Toulon- 
geon est allé à Vienne négocier pour qu'on prenne les troupes de son 
commandement de Franche-Comté à la solde de l'empereur. Les 
princes l'ont désapprouvé ; cependant il va son train en disant que 
cela lui parait avantageux. 

Le 8. Dimanche. — Lasserez arrivé avec une lettre de la reine 
pour moi et Mercy. Elle veut qu'on agisse et parle au plutôt. Cela 
ne se peut, avant l'arrivée des forces, car il ne faut parler qu'en agis- 
sant. 

Le 9. Lundi. — Vu Mercy. Il est de mon avis qu'il faut être prêt 
à agir lorsqu'on parlera. La reine lui demande que dans le manifeste 
on rende Paris responsable du roi et de sa famille ; elle demande s'il 
ne serait pas bon de sortir de Paris. IL répond a oui » , si on est sûr 
d'un parti pour protéger la sortie, et aller alors à Compiègne, et 
appeler les départements d^ Amiens et de Soissons. H me parla bien 
sur le manifeste, qu'il faut y laisser de l'espoir à tous pour sauver 
le roi , excepté les factieux ; pas parler de la constitution ; qu'il faut 
lui faire la guerre sans le dire , et l'anéantir. Il se plaignit des en- 
tqurs du baron de Breteuil qui empêchent de lui rien confier ; que 
le roi ne doit pas tout de suite reprendre son autorité, cela est im- 
possible, mais peu à peu ; qu'on le calomnie, accuse de froid pour les 
intérêts de la reine ; que sa correspondance fait foi du contraire, mais 
qu'il n'ose se livrer aux Français, qui tous, même les aristocrates, ne 
valent rien ; — qu'il a toujours écrit à Vienne, mais qu'il ne peut en 
venir & bout. H dit cela avec humeur et impatience ; qu'il a instruit 
l'archiduc Charles de tout, et de la lettre de la reine pour en 
parler à Tempereur. Il était indigné de la conduite de l'Espagne, qui 



22 LE COMTE DE FERSEN 

se (îouvre, disait-il, de boue. Je lui parlai de réclamer les Suisses ; 
il me dit que l'empereur y avait un homme pour cela et qu'il avait 
invité le roi de Prusse à se joindre à lui et user de son influence. 
Léonard arrivé de Paris, portant une lettre de la reine pour moi. 

Le 10. Mardi, — Renvoyé Lasserez avec une lettre & la reine, Gra- 
zette universelle du 7, discours horrible de M. Danton au conseil 
général de la commune de Paris ; cela fait horreur. Lettre de la reine 
par la poste. 

Le 12. Jeudi. — Le duc de Brunswick se conduit bien. Les princes 
ont des prétentions ridicules, il n'y cède pas. M. de Lambert y est 
fort utile, et les contient un peu. Galonné est toujoi^rs fou ; îl n'était 
pas content des cantonnements désignés et avait engagé. M. Schon- 
felt de les faire changer. Son expression était : « j^ous avons enfariné 
Schxmfélt. » Schonfelt s'est perdu pour avoir voulu s'en mêler, et le 
duc de Brunswick disait : « S'iU croient menfariner aussi ils se trom- 
pent. » — Le maréchal de Broglie se plaignait de ne pas trouver as- 
sez de place dans les cantonnements. Le duc lui répondit : fn A la 
bataille de Berghen, vous aviez plus de monde, et vous n'occupiez pas 
tant de terrain. » — Le roi de Prusse a déclaré qu'à l'entrevue avec 
les princes il ne voulait traiter qu'avec le maréchal de Castries, 
qu'il ne fallait amener que lui, et qu'il ne voulait pas voir Galonné. 

Le \Z. Vendredi — Prince de Nassau arrivé. Les princes [ont] 
foit un mémoire bête et insolent pour le roi, envoyé à toutes les 
cours ; que le roi (1), par faiblesse, se laisse aller aux constitutionnels 
pour demander une trêve et négocier, et qu'il ne faut pas l'écouter ; 
communiqué au baron, pour qu'il leur ' réponde. Le baron assure 
du contraire ; il en écrivit & M. de Schoulenbourg et au duc de 
Brunswick, qui lui avait écrit pour lui demander si cela était vrai. 
H avait assistée à un conseil des princes , où on avait parlé. Galonné 
a dit que sûrement le baron (2) ne répondrait pas à ce mémoire, 
pour faire entendre qu'il est de cet avis. Nassau se plaint de lui et de 
Esterhazy qui est, dit-il, plus occupé de rester à Pétersbourg et de 
plaire à l'impératrice , que des afl*aires du roi et de la reine. M. de Me- 
nou arrivé de Paris ; il a été au Ghâteau le 20, mais seulement dans 



(1) Louis XVI. 

(2) De Breteoil. 



ET LA COUR DE FRANCE. 23 

Vescalier ; il conte qu'ayant voulu entrer par la porte de la cour de 
Marsan^ deux grenadiers nationaux, qui y étaient au lieu des Suisses, 
lui avaient refusé l'entrée ; qu'un moment après dix sans-culottes, 
sortant d'un cabaret et armés de piques, ou de bâtons avec des cou- 
teaux au bout, se sont présentés ; on les a laissés passer ; il a passé 
avec eux, mais les grenadiers^ l'ayant reconnu, l'ont voulu faire sor- 
tir. Alors il leur a montré un bâton où il y avait un marteau et une 
petite hache, en guise de pommeau en ajoutant : JTea suis atissi ! et 
alors ils l'ont laissé passer. 

Le \Al, Samedi, — J'ai reçu de Paris une brochure : le Cri de la 
douleur ou journée du 20 juin; c'est de Mercier, très-bien fait et digne 
d'être gardé. 

Le 22. DimaîicAe. — Vicomte de Caraman revenu très-content; ma- 
jor au service de Prusse, et doit suivre le roi ou le duc de Brunswick, 
comme il voudra ; traité comme ministre de France. Exposé succinct 
des raisons du roi de Prusse pour la guerre ; fort bien, excepté une 
phrase autrichienne (npour rétablir un pouvoir légal », etc. : ils ont 
senti que cela ne valait rien. Projet de manifeste montré à Caraman, 
par Schoulembourg ; bon, mais trop long. Il y était question du 
rassemblement d'états généraux ; Caraman l'a désapprouvé, Schou- 
lembourg en convint, mais que c'était l'idée de l'impératrice apportée 
par Nassau; promis cependant de le changer. Caraman fait sentir 
qu'il fallait que cela fût très-court, et fort insister sur la liberté du 
roi qu'on voulait, sur la responsabilité de Paris ou telle autre ville 
où le roi serait; promettre sûreté et protection à tous les citoyens 
paisibles , tous ceux en armes traités comme rebelles au roi. Schou- 
lembourg a senti cela et Bischoffswerder encore mieux. Ils ont avoué 
que les Autrichiens leur avaient dit que Lafayette et les constitu- . 
tionnels négocient avec eux, mais qu'ils avaient tout rejeté. — Ce 
' sont les Prussiens qui ont exclu Mercy et La Marck des conférences. 
Turpin passé avec tous les plans de la frontière et ménagé des in- 
telligences avec ceux qui restent. Fort embarrassé des princes. Mon- 
sieur et le comte d'Artois restent avec le roi de Prusse. On voulait 
abandonner la prise de l'Alsace à Condé et les émigrés, car on 
croyait que Hohenlohe ou Clairfait ne pourrait pas la contenir. J'ai 
conseillé de le faire aller en Espagne, pour savoir au juste ce qu'elle 
veut faire et si elle veut se faire donner des armes pour les catholi- 
ques et les mécontents, les armer et se former unNîorps utile qui 



24 LE COMTE DE FERSEN 

empêcherait l'enlèvement du roi, si l'Espagne refuse se porter du 
côté de la Savoie et y rassembler les mécontents qui n'ont pas de 
chefs. — Sainfc-Foix écrit au baron (1) que les jacobins ont baissé 
et que l'occasion est bonne pour le duc de Brunswick de négocier une 
trêve, une convention nationale et un congrès, que c'est le seul moyen 
de chasser l'Assemblée, défaire des changements dans la .constitutioi» 
et rétablir ; que jamais on n'y parviendra par la force , etc., etc. Les: 
Autrichiens ont désarmé sans peine une vingtaine de villages en 
France. 

Le 23. Lundi. — Reçu quatre lettres de Paris. Leur (2) situation 
est alarmante ; ils demandent la publication du manifeste et l'entrée 
des armées. Ils croient qu'ils seront emmenés. La reine n'a pas voulu 
céder & la proposition des constitutionnels avec Lafayette et Luckner 
d'aller & Compiègne, pour ne pas tomber dans leurs mains et fournir 
aux puissances, peu bien voulantes, un prétexte pour négocier. 

Le 24. Mardi. — Lettre de Schoulembourg bien. Mande qu'on n'en- 
tendra à aucune négociation. Il a composé un ministère : affaires 
étrangères, Bombelles ; guerre, la Galissonnière ; marine, du Mou- 
tiers; garde des sceaux, Barentin ; Paris, La Porte ; finances, l'évêque 

de Pamiers et* un conseil composé de Damecourt, Latour 

et un négociant Fouache, du Havre. 

Le2Q, Jeitdi. — Lettre de Limon ; il est content de la proclamation ; 
on a en partie adopté la sienne ; il croit que Calonne quittera lea 
princes. Mercy me dit que dans le manifeste on rendait Paris res- 
ponsable de la famille royale, que le duc de Brunswick marche le 
80, que les émigrés seront divisés en trois corps, ce qu'il désap- 
prouve, parce que, — dit-il, — cela a l'air d'une trop grande con- 
nivence avec eux et d'agir pour eux. Il voulait toujours qu'on les. 
mît tout à fait de côté et que les puissances agissent pour elles- 
mêmes, sans égard à eux ; c'était le projet de Vienne. Je lui dis que 
je croyais cette manière des trois corps préférable, car on serait le 
maître de les contenir et les annuler, que si on les avait laissés y 
comme il voulait , tous ensemble et qu'on leur eût abandonné l'Al- 
sace pour y opérer. Quatre cents fédérés de Marseille ont passé à 



(1) De Breteuiî. 

(2) Le roi de France et la reine Marie -Antoinette. 



ET LA COUR DE FRANCE. 26 

Lyon; la municipalité les' a invités au spectacle^ où ils ont chanté 
des chansons horribles contre la reine ; des citoyens honnêtes leur 
ont imposé silence , et ces citoyens ont été le lendemain accusés par 
la municipalité. 

Le 28. Vendredi. — Vu M. Crawford ; je lui lus la déclaration du duc 
de Brunswick, qui est fort bien ; c'est celle de Limon, excepté le 
préambule, qui est supprimé (1). 

Le 29. IHmomche. — Vu le baron de Breteuil. Limon lui avait écrit ; 
je lui expliquai comment la chose (2) s'était passée ; il en fut content ; 
dit que Limon méritait beaucoup. La Marck lui dit qu'il avait été 
fortement question de l'échange de la Bavière, mais que la facilité 
avec laquelle la Prusse y avait consenti avait fait craindre qu'il n'y 
eût quelque chose làrdessous, et lui a fait abandonner pour le mo- 
ment ce projet. 

Le2A. Mardi. — Limon vint me voir ; traite avec distinction. Le 
préambule de sou projet de déclaration pas accepté, à cause de la con- 
tre-déclaration, faite à Vienne et l'exposé succinct de Berlin. Il le 
fait imprimer séparément. Les princes demandent & l'empereur que 
la déclaration, avant d'être décidée, soit communiquée & Calonne, et, 
quoique les deux souverains et leurs ministres eussent déclaré ni 
vouloir voir ni traiter avec Oalonne, l'empereur promit. Cependant 
la déclaration fut signée et puis conmiuniquée à Calonne, par le 
chevalier de RoUe ; personne ne l'a vue. Il (3) obtint la permission de 
venir à May^nce et fit faire des représentations par BoUe, qu'il fal- 
lait faire cette pièce par quelqu'un qui connût la France ; on lui ré- 
pondit que tout cela était rempli, car c'était M. de Limon. Il fit alors 
demander à Limon, par le prince de Nassau et Lambert, de voir son 
travail ; il y consentit à condition que ces deux y seraient. L'entrevue 
fut chez le prince de Nassau et dura deux heures ; Calonne finit par 
approuver tout. Schoulembourg, en offrant à Limon de faire la dé- 
claration, lui dit que, s'il ne le voulait, on la ferait faire par un autre, 



(1) Avec la composition de la déclaration dn duc da Branswick. 

(2) Le comte de Fersen écrit le même jour en chiffre à K. SUfreretolpe : a: BmxeUeSj 29 
jmOet 1792. Cest moi qui ai /ait /aire la déclaration du duc de Brunsunckpar M. de Limon^ 
eehn qtd était autrefois attaché au duc d^ Orléans ^ et elle a été adoptée avec de très-légers chan- 
gmtents, » 

(8) Calonne. 



26 LE COMTE DE FERSBN 

car on ne voulait pas de la prose de Calonrie, et qu'il devait le faire 
savoir au comte d'Artois. Limon refusa de faire passer cette commu- 
nication. Les princes invitèrent Limon & Bingen ; il y fut. Ils lui 
firent de grands éloges. Le comte d'Arlx)is lui dit qu'il avait fait sen- 
tir à Galonné qu'il ne pouvait rester, et qu'il était impossible de rien 
faire de lui contre la volonté générale, et qu'il s'était décidé & aller 
en Italie. Le comte d'Artois pria Limon de rester avec lui; Limon 
refusa. , 

Le comte d'Artois : Mais vous êtes bien resté avec BreteuiL . 

Limon : Non pas avec lui, mais à Bruxelles. 

Le comte d'Artois : Mais vcms Pavez vu. 

Limon : Le plus qv£J'ai pu, mais pas tant que j'aurais voulu, car 
il était fort occupé. 

Le comte d'Artois : CroyeZ''VOu:s qu'il soit ministre? 

Limon : Je crois impossible qu^il ne le soit pas, c'est le dernier du 
choix du roi, il a ensuite eu les pleins pouvoirs; c'est le seul homme ûT-É- 
toi qu'il y ait. Je l'ai toujours pensé, et si je ne V avais pas cru tel, ce que 
Monsieur me dit au mois de juillet 1789^ en me demandant si je voun 
drais travailler avec lui et mêle nommant commue le seul en état de sauver 
Ja France, m'en aurait donné cette idée. 

Le comte d'Artois : Oui, c'est vrai, mais il m'a manqué; s'il avait 
des pleins pouvoirs, je devais par ma naissance en avoir, et il aurait du 
se concerter avec mm. Il m'a manqué. 

Limon : Cela est impossible. 

Le comte d'Artois : IT importe, s'il est ministre je l'appuierai de 
tout mon crédit, et quel qtce soit le ministère, même mauvais, je le se» 
couderai. 

L'empereur et le roi de Prusse ont grande aversion pour les émi- 
grés. Mercy pas de crédit ; Limon déjà connu favorablement & Berlin 
par sa correspondance avec Heymann, qui montrait ses lettres. Scbou- 
lembourg dit qu'il fallait faire agir les troupes sur-le-champ, car 
l'officier et le soldat commençaient & murmurer sur les fatigues et 
les dépenses pour les affaires de France. • 

Août. Le 3. Vendredi. — Il y a eu, le 30, à l'arrivée des Marseillais 
une rixe très-forte avec la garde nationale; ceux qui sont au Château 
revenaient de dîner aux Champs-Elysées, ils ont été insultés par la 
populace, les Marseillais s'y sont joints, la garde néttîonale a tiré le 
sabre et bataillé, trois gardes de Saint-Thomas tués, plusieurs blés- 



ET LA COUR DE FRANCE. 27 

ses. M. du (1) officier, a été massacré rue Saint-Florentin; le 

maire est arrivé et a tout calmé. Santerre et Merlin étaient avec les 
Marseillais. La garde nationale demande justice, ou se la fera. A 
Lille, des prêtres, ayant lu la déclaration du duc de Brunswick, ont 
proposé d^ empoisonner le vin et de le laisser dans les caves. 

Le 4. Samedi. — Yu le baron de Breteuil. Le duc de Brunswick 
lui mande que l'armée est partie le 30 de Coblence, arrivera le 5 août 
à Trêves, y restera pour avoir du .pain et fourrages et sera sur la 
frontière le 15 ou 16*; que les Français sont en trois corps : 9,000 avec 
les princes et le roi de Prusse, 6,000 au prince de Condé avec les 
Autrichiens du Brisgau, et 4,000 avec le duc de Bourbon et Clairfait ; 
Toensin dit que des 9,000 hommes les princes ne pourront guère 
agir qu'avec 2 ou 3,000, le reste peu ou point équipé ; — que Lam- 
bert excède le duc de Brunswick , en entrant chez lui pour des bêtises 
deux ou trois fois par jour. — Caraman mande que le roi de Prusse 
désire que les Russes arrivent ; Nassau envoyé un courrier pour cela. 
Caraman croit que c'est pour les laisser en France et éviter ainsi 
tout soupçon de conquêtes. Les princes ont obtenu 100,000 écus du 
roi de Prusse et de l'empereur, chacun en disant que cela suffirait, 
et les deux souverains se sont promis de ne plus leur en donner. 
Cependant, quatre jours après, Calonne a fait demander au roi de 
Prusse 800,000 livres par Nassau; le roi promit, Schoulembourg 
refuse à cause de l'engagement avec l'empereur. Le roi retire sa pa- 
role , Nassau lui a alors demandé cet argent en emprunt pour lui- 
même. Le roi a accordé, Schoulembourg fâché a demandé à Nassau sur 
quoi il hypothèque le payement, -r- Sur ses prétentions sur la maison 
d'Orange. Schoulembourg très-piqué, et l'arrangement de cette af- 
faire, qu'on était intentionné de faire agréable pour lui, n'aura pro- 
bablement pas lieu. Simolin dit que Vaudreuil a fait tout ce qu'il a pu 
pour noircir Bombelles & Vienne et le baron de Breteuil. Calonne 
travaille de même & Saint-Pétersbourg. L'impératrice très-prévenue 
contre Bombelles et le baron de Breteuil et entièrement pour les 
princes. Simolin l'a, — dit-il, — un peu désabusée. 

Le 7. Mardi. — Dîner Sullivan. Demande delà Mun. (2). de Paris 



4 

(1) jLenom illisible. 

(2) 3Iunicipalité. 



28 LE COMTE DE FERSEN 

pour la déchéance du roi. Très-inquiétant, Madame Sullivan, qui s'en 
afflige tous les jours, qui ne cesse de s'en occuper et qui en est même 
malade d'inquiétude, me proposa d'envoyer en Angleterre, de faire 
demander au roi une démarche pour leur sauver la vie ; de faire dire 
qu'il (1) ne souffrirait pas qu'on attentât à leurs jours et qu'alors il 
en tirerait une vengeance éclatante ; qu'on pouvait leur montrer que 
cela ne nuirait pas à leur système de neutrahté , puisque ce n'était 
que dans le cas où on attentât à la vi^ du roi et de la reine, et que 
d'ailleurs ils n'étaient engagés à rien ; car, si on les massacrait, l'An- 
gleterre était encore la maîtresse de ne rien faire. Je trouvai l'idée 
bonne, mais milte obstacles ; l'embarras pour Pitt qu'une telle dé- 
marche fût discutée au parlement, et la question de savoir à quel 
point une nation a le droit de détrôner et juger son roi ; le peu de 
temps qu'il y avait, la mauvaise volonté des Anglais. Elle répondit 
qu'en admettant tout cela il fallait du moins le tenter, qu'il s'agis- 
sait de les sauver, qu'on ne devait pas regretter les peines qu'on 
prendrait, et que, quand même cela ne ferait rien, on aurait du moins 
la satisfaction d'avoir tout tenté. Je n'eus rien à répliquer et me dé- 
cidai d'y' engager le baron de Breteuil. Elle parla avec Simolin qui 
fut de son avis et qui crut que cela réussirait ; elle engagea Crawford 
à y aller ; il y consentit, et espérait pour le mieux. Le soir, j'en parlai 
au baron de Breteuil ; il y fut tout à fait contraire par les mêmes 
raisons que moi le matin, et il ajouta la crainte de la mauvaise vo- 
lonté de Pitt, qui pourrait trahir le tout et, en instruisant les factieux 
de la démarche, exposer le roi. Cela était exagéré, et je le prouvai 
au baron. Cependant il persista dans son refus , en ajoutant qu'en 
politique une démarche inutile est toujours nuisible. Je lui alléguai 
les mêmes raisons que madame Sullivan le matin, et le priai d'y réflé- 
chir la nuit, et que je viendrais le matin savoir ses résolutions. En 
attendant je convins avec Crawford que, s'il persistait, nous enver- 
rions un homme avec des lettres au duc de Dorset pour tâcher de 
faire faire la démarche. 

Le 8. Mercredi, — Je fus à 8 heures chez le baron de Breteuil ; 
il était entièrement revenu à mon idée et sa lettre & Pitt était déjà 
faite; il voulait l'envoyer par un courrier. Je lui représentai qu'il 
fallait envoyer quelqu'un pour parler, afin de marquer l'intérêt^qu'on 



(1) Le roi d'Angleterre. 



BT LA COUR DE FRANCE. 29 

y met ; il désira que Crawford y allât. Je fus lui parler, il y consentit ; 
mais observa qu'un Français, comme Tévêque de Pamiers, homme 
de confiance du baron, ferait plus d'effet, car on pourrait dire, & lui 
Crawford, que c'était une idée à lui ; et que, comme Anglais, il aurait 
dû la détourner. Je représentai cela au baron , et il ftit décidé que l'é- 
vêque irait. A deux heures, Crawford et moi ftùnes chez le baron ; je 
lui demandai d'écrire aussi à lord Gran ville, ministre des affaires 
étrangères, et à lord Cametford pour se charger de mener l'évêque. Il 
fut convenu qu'on éviterait avec soin de parler de rien que de .ce seul 
objet, en prouvant que cela ne nuisait en rien à la neutralité. Craw- 
ford et moi donnâmes des lettres pour le duc de Dorset ; le soir tout 
fût prêt 

Le 10. Vendredi. — Les nouvelles de Paris sont fort rassurantes; 
mais sur quoi peut-on compter avec des scélérats et des lâches? Le 
Château est toujours menacé, le roi et la reine ne dorment plus qu'al- 
ternativement, il y en a toujours un des deux levé. 

Le IS. Lundi. — Nouvelles terribles de Paris. Le jeudi matin le 
Château assailli, le roi et la reine sauvés dans l'Assemblée ; à une 
heure , on se battait encore dans les cours et le Carrousel. Le sang 
ruisselait, beaucoup de tués et de pendus, le Château forcé partout, 
huit pièces de canon braquées contre et tiraient. Bomainvilliers tué, 
Daffy aussi ; une fîimée épaisse faisait croire qu'on avait mis le feu 
au Château. Mon Dieu, quelle horreur I — Mercy chez le baron de 
Breteuil propose d'envoyer un homme à Lafayette lui proposer d'a- 
près cela de joindre son armée avec celle des Autrichiens : ce serait 
une bêtise ; car, si c'est un secours pour eux, il est trop tardif, et, si 
c'est pour négocier avec les constitutionnels, cela ne vaut rien et ne 
les sauvera pas à l'avenir. Mercy dit le soir qu'on avait entouré l'As- 
semblée de canons et que cette démarche en avait imposé aux factieux ; 
que la déchéance était prononcée ou que le roi avait abdiqué de lui- 
même. La tentative sur Landau manquée. 

Le 15. Mercredi. — Nouvelles de Paris : la famille royale à l'hô- * 
tel deNoailles, gardée à vue, ne pouvant voir personne. Parlé au 
baron de Breteuil pour engager le roi de Prusse & tenter Lafayette 
et les généraux pour passer avec leurs armées et dissoudre leurs ar- 
mées pour livrer les places, etc., etc.; faire parler à Dillon pour rendre 
Valenciennes ; que le roi de Prusse et l'empereur réclament les Suis- 
ses ; donner à Bouille des pleins pouvoirs pour cela ; écrire fortement 



30 LE COMTE DE FERSEN 

au comte d'Aranda; il a dît à la Vauguyon qu'il agirait lorsque le 
moment serait venu, et qu'on serait content de lui ; il a avoué que 
quatre millions avaient été promis et seraient donnés quand l'affaire 
serait engagée. Sur la demande de l'époque où il la croirait engagée, 
il a dit que ce serait lorsque le premier coup de canon serait tiré;« 
mais il oublie qu'il nous faut les quatre millions pour le tirer et que 
c'est comme cela qu'ils avaient été promis. 

Le 16. Jeudi. — Dîner Crawford avec lord Elgin, nouveau ministre 
d'Angleterre ici. Le duc de Levis est ici ; il devait y dîner, mais n'osa 
pas se faire voir, il est tout & fait aristocrate ; il a vu le baron de 
Breteuil et Crawford ; il leur a dit que tout ce qu'il avait fait était 
dans l'intention du bien et pour servir le roi, que c'était d'accord 
avec Monsieur, qu'il a encore ses lettres ; que c'était pour faciliter à 
Monsieur de voir Mirabeau, et, quand il jn'a plus voulu le voir, pour 
lui rapporter ce que pensaient ou faisaient Mirabeau et les autres ; qu'à 
présent, il avait écrit plusieurs fois pour demander à se faire tuer 
comme soldat ou comme on voudrait, mais qu'il n'avait pas reçu de 
réponse ; qu'il venait de faire encore une tentative, et, si elle ne réus- 
sissait pas mieux, il retournerait à Paris pour tâcher d'y servir le roi. 

Le 17. Vendredi. — Nouvelles de Paris : le roi et sa famille en- 
fermés dans la tour du Temple ; mesdames de Lamballe et. Tourzel 
renfermées avec eux. C. Lameth arrêté à Rouen, allant au Havre 
pour passer en Angleterre avec sa femme ; il a demandé pour toute 
grâce de ne pas être renvoyé & Paris , car il y serait massacré. Le 
Duport, qu'on avait cru bon jusqu'à présent, hésite à le renvoyer ou 
& le garder en prison. 

Z^ 19. Dimanche. — Le baron de Breteuil vint le matin. Son 
courrier revenu de Luxembourg. Le vicomte lui mande le nouveau 
projet de la régence pour Monsieur ; on voit que c'est M. de Moustier, 
et Castries, et Lambert, etc., etc., qui ont tripoté cela; ils en ont 
même parlé au roi de Prusse et au duc de Brunswick, mais ils n'ont 
rien dit & M. de Schoulembourg et au prince de Beuss, qui y sont 
contraires. 

Le roi de Prusse en a écrit & Vienne pour le proposer, à condition 
que Calonne soit écarté et que le baron de Breteuil soit à la tête. 
Lambert écrit une lettre très-forte au baron pour l'engager à être 
de cet avis ; elle est même insolente et menaçante. Vicomte de Ca- 
raman écrit que le roi et le duc désirent qu'il vienne les voir, que 



ET LA COUR DE FRANCE. 31 

les princes doivent l'y inviter. Le baron avait envie de ne pas aller ; 
mais comme le roi de Prusse est un homme facile et qu'il se livre 
au dernier qui lui parle, qu'on pourrait lui donner des préventions 
contte le baron et son intraitabilité, il vaut peut-être mieux qu'il y 
aille un moment et revienne ensuite ici. Tout cela est une intrigue 
du diable. Le baron a fait écrire & Vienne par M. de Metternich pour 
empêcher cette idée de régence. 

Le 21. Mardi. — L'évêquede Pamiers arrivé, content du duc Dor- 
set; Pitt bien parlé, plus intéressé aux affaires de France qu'il ne 
veut paraître. L'évêque prit sur lui de dire que c'est par ordres 
exprès du roi (1) que le baron a fait la démarche. L'évêque a insisté 
pour une expression plus prononcée à la fin de la dépêche à lord 
Gower, il n'a pu l'obtenir. Il croit qu'ils auraient tous envie de se 
prononcer davantage, mais qu'ils ne l'osent à cause de la nation, qui 
est fortement travaillée par les propagandistes de tous les pays, dont 
Londres abonde. Pitt a assuré que jamais les factieux ne seraient 
reçus en Angleterre ; il a dit qu'ils y avaient beaucoup d'argent. 
Lettre de Dorset à moi, fort bien. Lafayette, Alex. Lameth, Latour- 
Maubourg, baron de Perzy, avec treize autres et leurs domestiques, en 
tout quarante chevaux, et beaucoup d'or, arrêtés à Eochefort ; rela- 
tion très-exacte dans le journal de Mons du 22. 

Le 23. Jeiidi. — Mesdames de Lamballe et de Tourzel et cinq 
femmes de la reine mises à la Force. Lafayette est à Namur. La 
Marck parle au baron pour qu'il engage le duc de Brunswick, qui 
l'a déjà refusé une fois, de dire qu'il sera bien aise de le voir, afin 
que le comte de Mercy, qui est bien aise de l'avoir avec lui toujours, 
puisse le mener ; car, disait La Mark, il y aura à faire là pour plus 
d'une politique. Sur ce que La Mark disait qu'il y aurait des choses 
de l'ancienne constitution à conserver, le baron de Breteuil lui a 
déclaré qu'il n'avait d'autre projet et qu'il ne pouvait en concevoir 
un autre que celui de rétablir les choses comme elles étaient au- 
paravant. 

Le 27. Lundi. — Le duc Albert a voulu garder Lafayette, mais 
relâcher tous les autres ; on s'y est opposé. Le baron de Breteuil 
a parlé à l'archiduchesse sur l'inaction du duc, que cela lui faisait 
honte et qu'il pouvait acquérir de la gloire en tentant quelque chose 

(1) LouiB XVI. 



32 LE COMTE DE FERSEN 

contre les places devant lui ; qu'il y avait grande probabilité de 
succès, etc., etc. Elle a eu l'air de le sentir, en mettant cependant en 
avant les craintes sur la tranquillité de ce pays-ci ; elle a cependant 
pris note de tout. Nouvelles que La Porte a été exécuté le 25 ; mort 
avec courage, protestant de son innocence. Le jeune Brancas arrêté. 

Le 29. Mercredi. — Le coL Crawford, qui était établi à Versailles, 
arrivé ici, sans passer à Paris. Dit que passé Senlis et même près 
de Paris^ ils sont indignés de ce qui s'y passe. Us ne savent rien de la 
marche des Prussiens ni de leur entrée en France i même à Valen- 
cienûes, le 26, on ne savait pas la prise de Longwy, et Dillon lui 
assurait que les Prussiens ne feraient rien. Il a vu la statue de 
Louis XV renversée à Valenciennes. Dillon lui a assuré qu'il venait 
tous les jours beaucoup de déserteurs autrichiens et le matin , pen- 
dant qu'il y était, il en a vu arriver dix ; cela fait frémir. Une lettre 
à M. de Neville mande que le projet des jacobins est la loi agraire, 
et que la convention nationale s'en occupera. 

Le 30. Jeiidi. — Nouvelles de Paris : la princesse de Tarente, qui 
avait déjà été à l'Abbaye, qui avait eu deux fois des gardes chez 
elles, vient d'être menée à la Force. On cherche partout M. de Poix. 
Le maréchal de Mouchy doit être arrêté. M. de Nicolaï mande que 
la reine n'est pas bien. M. d'Affry absous ; il a dit qu'il n'avait 
pas donné aux Suisses l'ordre de tirer sur le peuple, quoique la reine 
le lui eût plusieurs fois demandé , et que la preuve était le peu de 
cartouches qu'il a données, car ils n'en avaient que six : quelle in- 
famie de sa part! — Lafayette et compagnie partis pour Luxem- 
bourg à la demande du roi de Prusse. Lafayette a fait demander à 
l'archiduchesse de la venir voir, ayant des choses de la dernière im- 
portance à lui communiquer ; elle a refusé et lui a envoyé un homme 
pour savoir ce qu'il voulait, en lui faisant dire qu'il pouvait y avoir 
confiance entière ; cet homme revenu ; rien ne transpire ; on ne sait 
pas même qui il était. 

SEPTEMBRB.i^ 2. Dimanche. — M. de Rivarol vint me voir le soir. Il 
parla beaucoup, fort bien , mais dit peu de choses . Il me dit que son 
frère, qui était aux Tuileries le 10, lui mandait que le roi avait placé lui- 
même tous les postes : les Suisses du côté de la Comédie, 4,000 gardes 
nationaux & l'autre bout du Château ; que la reine l'avait accompagné, 
avait encouragé tout le monde, avait pris un pistolet du duc de 
Choiseul et l'avait donné au roi. Ils remontèrent au Qiâteau. Les 



ET LA COUR DE FRANCE. 33 

brigands arrivés tirèrent cinq coups de fusil et crièrent qu'on se 
rendît. Cinq canonniers passèrent de leur côté et tournèrent leurs 
canons contre le Château ; le reste fut fidèle. Alors on engagea le roi 
à se réfugier dans l'Assemblée. Les Suisses et les gardes nationales 
tirèrent, et tout le monde s'enfuit. Alors on vint dire aux Suisses 
qu'ils avaient tort de défendre le Château , puisque l'oiseau était dé- 
niché et que le roi n'y était plus. Ils dirent que c'était un piège 
qu'on leur tendait et qu'ils savaient bien qu'il y était. On dit la 
même chose aux gardes nationales qui abandonnèrent les Suisses et 
furent entourer l'Assemblée. M. de Rivarol fit alors la réflexion que 
le roi avait eu tort d'abandonner le Château et de se mettre sous le 
glaive des décrets jacobins de l'Assemblée ; que s'il était resté , la 
canaille aurait toujours été repoussée et les constitutionnels auraient 
eu le dessus, ce qui valait mieux, puisque du moins la vie de LL. 
MM. était assurée. Il a raison, mais pour juger il faut bien connaître 
toutes les circonstances. 

Le 5. Mercredi. — Nouvelles de Paris, aflfreuses. On disait ma- 
dame de Tarente sauvée. On disait que le peuple jugeait et faisait 
exécuter sur-le-champ ; Verdun pris le P^, à sept heures du soir, après 
un bombardement de quatre heures; le commandant s'est brûlé la cer- 
velle. La garnison renvoyée en France, désarmée. Il faudrait du moins 
garder les officiers. Stenay occupé par le général Clairfait. Le prince 
de Hohenlohe répond de prendre Thionville ; M. de Wimpffen , qui y 
commandait, paraissait d'intelligence avec les princes pour rendre la 
place à leur approche. Les bourgeois le voulaient aussi, mais les 
soldats s'y sont opposés , et, soit qu'ils l'aient soupçonné ou non, ils 
ont destitué Wimpflfen et nommé commandant Marquet, ancien ser- 
gent aux gardes-françaises. 

Le 6. Jeudi, — Détails affreux de Paris. Manuel a dit au roi, quand 
on l'a forcé de voir le cadavre de madame de Lamballe : Regarde! 
il peut y avoir une contre-dévolution, mais du moins tu n' en jouiras pas^ 
voilà le sort qui f attend. — Tous ces détails me firent craindre pour 
le roi et la reine; je me décidai à lui envoyer un courrier et à lui écrire 
la lettre datée du 7; je croyais qu'il était nécessaire d'adopter une 
autre marche ; je n'avais jamais craint autant. 

Le 7. Vendredi, — Vu le ministre de Prusse, le baron de Reckj 
parle bien sur les affaires de France. Il croit le roi perdu. Il a en- 
gagé le duc Albert à agir, mais il a trouvé peu de bonne volonté et 

T. II. 3 



U LE COMTE DE FERSEN 

beaucoup de lenteur et d'indécision. Il paraît dire assez librement 
ce qu'il pense et désapprouva tout haut de ce qu'on s'occupait de 
Thionville et de ce qu'on n'exterminait pas tous les jacobins des 
Tilles où on passait, et qu'on avait trop de clémence. IL ajouta que 
tant de gens se mêlaient de conseiller. Nouvelles de Paris ; tout est 
calme à présent, mais je ne le suis pas. J'écrivis aussi au duc de 
Dorset. 

Le 10. Lundi. — Lettre du baron deBreteuil , de Verdun, le 8. H 
•est arrivé le 6 au soir ; il a vu le roi (1) le 7, très-content de lui et 
du duc de Brunswick, très-bien tous deux pour le roi (2). Grand 
désir d'arriver à Paris. On proposera à Monsieur de garder son titre 
et de se mettre à la tête des affaires avec le baron seul. Le baron se 
montrera une machine ; il appellera pour cela quelques personnes ; on 
ne sait paa encore si Monsieur y consentira. Calonne va à Naples; 
fl a tout dilapidé, il s'est payé de toutes ses avances et il y a deux 
jours qu'il est venu présenter une note aux princes pour leur dire 
qu'il n'y avait plus rien, pas même de quoi payer les troupes. 
On a été obligé de leur envoyer 20,000 livres. Monsieur dit assez 
haut qu'il en est mécontent. Le comte d'Artois est obligé d'avouer 
qu'il a été dupe de son bon cœur. Le duc de Brunswick espère que le 
duc Albert agira à présent. — Rien de nouveau de Paris , tout y est 
•calme. Le duc de la Bochefoucauld massacré près de la Roche- 
Guyon. 

Le 12. Mercredi — Thionville pas encore pris; elle fait un feu 
•d'enfer ; il paraît qu'on se repent de l'avoir attaqué ; cela retarde 
tout. On dit aussi que le duc de Brunswick est mécontent du peu 
•d'activité des Autrichiens. Nouvelles de Paris ; les prisonniers d'Or- 
léans, au nombre de 53, amenés à Versailles, par 2,000 gardes na- 
tionales et 10 pièces de canon et massacrés en arrivant sur la place 
■d'armes. 

Le 16. Samedi. — M. de Mercy venu me voir. Voulu l'engager 
4 parler à milord Elgin, avec qui j'en étais convenu, pour lui de- 
mander de représenter à M. Pitt combien il serait honteux pour 
l'Angleterre que, pouvant sauver la famille royale de France sans 
4irmer un seul vaisseau^ et pouvant faire plus avec un seul mot que 



(1) De Prusse. 

(2) De France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 35 

toutes les armées ^ ils ue voulussent pas le dire ; qu'on lui demandait 
de promettre sûreté, asile, protection et même des récompenses & 
tous ceux qui contribueraient & sauver leurs jours, à les livrer ou 
les laisser prendre. M. de Mercy ne voulut pas s'avancer autant, ni 
même que Tarchiduchesse le fît : 1* parce qu'il n'avait pas d'ordres, 
et qu'il fallait qu'il pût pour cela promettre que l'empereur, le roi 
de Prusse et le roi de France pardonneraient ; 2® parce qu'il craignait 
que l'Angleterre ne se prévalût de cette demande pour se mêler de 
cette affaire et vouloir y jouer un rôle principal ; 3* parce que les 
ministres de Vienne et de Naples avaient pris sur eux de faire une 
démarche pour le même objet et que M. Pitt y avait répondu très- 
froidement , qu'il voulait parler le soir chez Crawford à lord Elgin , 
mais historiquement, en lui représentant combien l'honneur et l'a- 
vantage de l'Angleterre devaient l'engager à cette conduite, et qu'il 
allait écrire à M. de , ministre de l'empereur, une lettre très- 
forte sur ce sujet, qu'il ferait en sorte qu'elle fût lue et ferait plus 
d'effet que ce qu'il dirait à lord Elgin. L'évêque vint me lire son 
plan, en voici le résumé ; il me paraît bon. L'évêque me dit qu'au 
moment du départ de la cavalerie de Thîonville, l'infanterie émigrée 
s'est révoltée, disant qu'elle voulait aller aussi ou qu'elle s'en irait. 
Le maréchal de Castries, qui voulait les calmer, a été insulté, et, 
pour les apaiser, le comte d'Artois a promis de rester avec eux, et il 
est parti furtivement ensuite. — Le vicomte de Noailles a dit que 
tout était arrangé avec Lafayette pour enlever le roi et le mener à 
la frontière ; que M. de Mercy le savait et était d'accord. Qu'ensuite 
il (1) a changé, que c'était un pauvre homme et un gueux ; il parais- 
sait repentant. 

Le n. Lundi. — M. Dumouriez, sachant le général Clairfait à 
Grandpr^ est parti avec 6,000 hommes, a tourné le bois de la Croix, 
pour l'attaquer. Clairfait a détaché quatre bataillons à attaquer les 
Français à Bouc-aux-Bois, les a culbutés, leur a pris du canon et les 
a chassés. Le prince Charles de Ligne a été tué ; ils ont perdu 5 tués 
et 11 blessés, dont 4 ofiSciers; on dit que les Français ont beaucoup 
perdu. — Lord Elgin expédia le matin un courrier & Londres et 
rendit compte d'une manière très-forte de sa conversation samedi soir 
avec le comte de Mercy ; il offrit d'aller à Paris, si le ministère le 



(1) Lafayette, 



36 LE COMTE DE FERSEN 

désirait. Lord Elgin a reçu une lettre particulière de lord Granville, 
où il lui marque les inquiétudes du ministère sur la famille royale 
de France et leur désir de contribuer, par tous les moyens, à leur 
sûreté. 

Le 18. Mardi. — Nouvelles de Paris : le duc d'Orléans changé de 
nom, pris celui de Y Égalité, et le Palais-Royal Pafc?^ de la Révolution. 
Grand massacre à Lyon et Besançon ; on a arrêté tous les parents 
des émigrés. 

Galonné ne part plus. L'infanterie émigrée très-mécontente de ce 
que les princes ont fait marcher tous les soldats émigrés et ont laissé 
devant Thionville les compagnies des gentilshommes. Le comte 
d'Artois leur a promis qu'on les ferait marcher aussi , et il est parti 
ensuite. Plusieurs gentilshommes ont dit qu'ils étaient dégagés de 
leurs serments, puisque les princes les abandonnaient et étaient 
honteux de les mener avec eux, et ils sont partis. La majorité les a 
blâmés et a senti la nécessité d'obéir. Le comte d'Erbach arrivé à 
Thionville avec un renfort de 10,000 hommes. 

Le 19. Mercredi. — Les Français ont abandonné les gorges de Cler- 
montoir ; on n'a pu atteindre l'avant-garde, qui a été battue ; elle a 
perdu ses équipages, 4 pièces de canon et sa caisse. Le duc de Bruns- 
wick se proposait de suivre les Français dans les plaines de Cham- 
pagne et de s'emparer de Châlons. 

Le 20. Jeudi. — On parla beaucoup de la vie frugale du roi de 
Prusse : cinq gros plats, point de dessert, point de café, voilà son 
dîner. Il a ordinairement 30 couverts. H est toujours à cheval; il 
répondit au baron de Breteuil qui faisait l'éloge de cette frugalité : 
Cest avec cette économie que je puis entretenir mon armée. 

On dit que M. de Cobenzl et Spielman viennent à Luxembourg 
et que le duc Albert perd son commandement et sera remplacé par 
un autre officier général. Les nouvelles de Paris disent que la nou- 
velle défaite de Dumouriez y a produit la stupeur. Dieu veuille que 
cela continue! Le compte que Dumouriez en rend est extraordi- 
naire, et fait pour les effrayer; il dit que 1,500 hommes en ont 
battu 10,000. 

Le 22. Samedi. — M. de Mercy a dit à Simolin qu'il ne venait 
plus de troupes russes; la cour de Vienne, qui a toujours désiré que 
l'impératrice ne fournisse que de l'argent, l'y aura sans doute en- 
gagée. 



ET LA COUR DE FRANCE. 37 

Le 24. Lundi. — Nouvelles de Paris du 21 : Paris a été fort trati" 
quille hier et parait devoir être de même aujourdhuL La Convention nO' 
tionale, au nombre de 217, s'est assemblée aux Tuileries. Les nouvelles 
de la chronique font peu de sensation, mais celles de V Angleterre beaur 
coup ; elles assureront probablement les jours de la famille royale. Le 
vœu des sections sur cet objet se prononce de plus en plus; en attendant, 
chacun (l)se porte assez bien. 

Sur une demande du comte de Stadion^ ministre de l'empereur, et 
de M. de Castelcicala, ministre de Noples, à M. Pitt, d'une démarche 
de l'Angleterre, pour assurer les jours du roi, en déclarant que ceux 
qui pourraient commettre un tel crime n'auraient point d'asile en 
Angleterre, M. Pitt leur a répondu que le roi (2) s'était décidé à la 
faire ; mais, comme il n'avait aucun moyen de la faire parvenir au- 
thentiquement à Paris et que le roi avait défendu toute communica- 
tion avec M. Chauvelin et l'abbé Noël, il avait pris le parti de re- 
mettre cette déclaration à tous les ministres étrangers, en leur deman- 
dant de la faire parvenir s'ils avaient des moyens pour cela ; il a 
donné des assurances du désir du roi de contribuer de tous les 
moyens à la conservation de la famille royale ; cette déclaration ne 
suflSt pas , il aurait fallu ajouter celle d'une part active. — Simolin 
croit qu'il est vrai que l'impératrice n'envoie pas de troupes , mais 
donne de l'argent; quoiqu'il n'en ait pas de nouvelles officielles, il 
fut d'accord avec moi pour désapprouver cette démarche. 

Mercy a dit à Simolin qu'il ne savait pas l'objet de la venue de 
ces trois envoyés de Vienne : Thugut vient ici, Spielman va à l'armée. 
M. de Mercy dit le soir chez M"" de Sulivan que dans cette affaire 
la politique n'avait rien à faire, qu'elle devait se taire et qu'il n'y 
avait que le canon et la baïonnette qui pussent la terminer ; que si on 
n'exterminait pas les jacobins et on ne fid^ait pas un exemple de 
tout ce qui s'est passé en France, tous les pays étaient perdus et 
seraient plus tôt ou plus tard bouleversés. 

Le 25. Mardi. — Dîné chez le comte de Mercy. H me dit qu'il fal- 
lait beaucoup de sévérité et qu'il n'y avait que ce moyen, qu'il 
fallait mettre le feu aux quatre coins de Paris. — Le duc Albert a 
marché avec son armée ; il était le 24 sous Lille ; il donne une pro- 



(1) Probablement, la famille royale. 

(2) D'Angleterre. 



38 . LE COMTE DE .FERSEN 

damation, voyez le n<> 142 du journal de la guerre. M. Dorset fait 
circuler un écrit, où il dit qu'il faut renvoyer le roi, et le laisser aller, 
car un roi chassé est couvert de mépris et ne peut jamais reprendre 
ses droits; mais s'il est assassiné, il inspire la pitié et l'intérêt. Cela 
serait bon si on pouvait savoir par où il sortira et venir le prendre, 
et si on ne l'assassine pas à la barrière. J'avais compté aller à l'ar- 
mée joindre le baron de Breteuil ; j'aurai^ été bien aise d'être témoin 
des opérations et à portée de donner des conseils et pousser à ce 
qu'on doit faire. 

Le 27. Jeudi. — Le baron de Breteuil mande à sa fille (1) que 
les émigrés ont quitté Thionville sans aucun ordre , et mécontents 
de ce que le comte d'Artois leur a promis, en partant, de revenir les 
joindre ou de les faire venir et de ce qu'il leur a manqué de parole ; 
que le maréchal de Broglie allait passer à Verdun ; qu'il partage le 
mécontentement des émigrés et l'a par conséquent augmenté; qu'on 
ne sait où vont les émigrés. On assure que c'est l'abbé de Galonné , 
après le départ de son frère, qui a fomenté cette insurrection. — Le 
corps du duc de Bourbon de 4,000 hommes n'ayant pu joindre Clair- 
fût , qui était à quinze jours de marche d'eux, ce général leur a dit de 
joindre le duc Albert; il les a refusés, sous prétexte qu'il fallait le 
consentement du duc de Brunswick ; quand il l'a eu , il a demandé 
celui de l'empereur, le tout pour ne les pas avoir. En attendant , il se 
plaint de ce qu'on lui a ordonné de faire le siège de Lille et qu'il 
n'a pas assez de monde, et les émigrés sont restés sur les frontières 
sans canons. Le duc Albert leur a reftisé ceux pris sur les Français , 
que le duc de Bourbon ofirait de rendre après la campagne exposés à 
être écrasés par les Français. Les munitionnaires autrichiens leur ont 
même dit qu'ils ne pouvaient leur fournir des vivres, à moins qu'ils 
ne se rapprochent de Namur ; ils y ont été, et le duc Albert leur a 
refusé d'entrer dans la ville, mais accordé de rester dans les enviroûs. 
Cela fait horreur, et cette conduite envers eux est indigne. Le comte 
de Mercy la partage et ne veut pas qu'on les emploie ; ce corps se 
conduit bien , mais celui des princes indignement. Ils ont fait des 
horreurs, pillé et ravagé tout dans le pays de Trêves , même à Trêves , 
où il n'y a sorte de choses qu'ils n'aient faite. 

Lt 28. Vendredi. — Un oflScier civil autrichien mande au comte 



(1) Hadame de HAtignon. 



ET LA COUR DE FRANCE. 3» 

de Mettemich, par estafette du 25, qu'un courrier prussien a dit que 
Dumouriez était enveloppé, qu'il avait demandé à capituler et à se 
retirer avec ses troupes, en abandonnant ses canons, ses bagages et 
ses tentes ; que le duc avait demandé toutes les armes sans distinct 
tion. 

Le 29. Samedi. — Lorsque le courrier de lord Elgin arriva à Lon- 
dres avec le résultat de la conversation que M. de Mercy avait eue 
avec lui au sujet des démarches à faire pour la sûreté de la famille 
royale , lord Gran ville écrivit à MM. de Stadion et de Castelcicala 
pour leur demander de faire la démarche officielle. Il avait aussi 
écrit à M. del Campo, ambassadeur d'Espagne, mais il était à sa 
campagne. If envoya ordre en même temps à lord Oakland, ambas- 
sadeur à la Haye, de demander à la Hollande une déclaration et 
d'engager le ministre de l'empereur à faire de son côté une démarche 
officielle pour le même objet. Celui-ci, qui est un jeune homme, le 
comte Louis Staremberg, hésita, et ce ne fut que lorsqu'il lui eut dit 
que tout était déjà convenu avec le grand pensionnaire qu'il s'y dé- 
cida. L'Angleterre est très-bien disposée à présent ; elle sent le dan- 
ger qu'il y a pour tous les pays , si on ne parvient à étouffer le mal 
français. 

Octobre. Le P^ Lundi. — Plusieurs lettres arrivées des émigré» 
et du vicomte de Caraman du 24, à sa femme, mandent que Dumouriez 
est dans un poste inattaquable, que le temps est affreux, que les 
années manquent de tout. On démolit les maisons pour se chauffer» 
Il a fallu prendre le grain dans les granges. Ce qui se fait prouve 
qu'il y a peu d'ordre, qu'une grande partie a été perdue et des 
villages entiers consumés, ce qui fait gçand tort aux moissons. Ce 
pays n'offre plus que le spectacle de la dévastation et d'un désert. 
Le tableau qu'en fait le vicomte de Caraman et de la misère des ha- 
bitants est affreux ; il raconte avoir vu, dans un village tout en feu^ 
un vieillard avec sa femme assis devant leur maison toute en feu^ 
contemplant dans un morne silence' la destruction de tout ce qu'ils 
possédaient ; leur chien était couché près d'eux, poussant des hurle- 
ments affreux. — La lettre de Yauban à sa femme fait un tableau 
affreux de la misère des émigrés ; ils sont depuis dix jours à bivouac^ 
sans tentes, sans équipages, affligés de la dyssenterie, sans secours 
et sans moyens de la soulager ; manquant absolument de vivres : il 
avait mangé sa dernière livre de pain et ne savait plus où en trouver» 



40 LE COMTE DE FER8EN 

Ces deux lettres ont Tair de douter du succès de l'entreprise et di- 
sent : Dieu seul mit comment cela finira. Le vicomte parle d'une 
canonnade qui a duré quatre heures par cent pièces de canon de part 
et d'autre ; l'artillerie française dans les retranchements était servie 
à merveille et a tué beaucoup de monde. 

Les lettres de Paris du 27 arrivèrent ; c'était le commandant de 
Valenciennes qui les avait arrêtées. Elles ne parlent pas de la position 
de Dumouriez , mais le journal du soir dit que le duc d'Orléans a 
déposé à la Convention une lettre de Heyman qui propose, de la part 
du roi de Prusse, un accommodement ; on a décidé qu'on n'y enten- 
drait que lorsque les armées auraient évacué le territoire français. 
Si cela est vrai, c'est une grande gaucherie qui a été faite ; ce n'est 
ni de cette manière ni avec le duc d'Orléans qu'il faut négocier. 

Le 2. Mardi. — Un courrier autrichien, officier, parti le 28 au soir 
de l'armée, dit que la suspension avait duré quatre jours ; qu'au bout 
de ce temps Dumouriez n'avait pas parlé de capituler ; qu'on igno- 
rait quel parti prendrait le duc de Brunswick ; que la position de 
Dumouriez est inattaquable, que les vivres sont très-difficiles; qu'à 
son départ, l'ordre était donné de renvoyer tous les équipages, et 
qu'on croyait que le duc attaquerait de tous les côtés en même temps ; 
qu'il avait en effet entendu une forte canonnade le 30. — Le baron 
de Reck paraît fort inquiet ; il croit qu'on fera un mouvement sur 
Beims et que l'armée est très-mal et ne peut plus tenir dans sa 
position. Il fut de mon avis qu'on a eu tort d'accorder la suspension, 
et que Dumouriez en a profité pour se retrancher. — On apprend 
par la Hollande que le Grand-Seigneur a refusé de recevoir Simon- 
ville et ordonné de le chasser de ses États, en disant qu'il ne veut 
pas d'envoyé régicide. 

Le 3. Mercredi. — Lettre du baron de Breteuil du 28 mande, du 25 
au soir, qu'il attendait à tout moment des nouvelles de la capitulation. 
Bressac mande que Heyman a été dîner avec Dumouriez, Kellerman, 
etc., etc., qu'il a dit qu'ils étaient dans une telle disette de vivres 
qu'il était impossible qu'ils ne capitulassent pas. Cela confirme la 
nouvelle de Paris de la lettre de Heyman au duc'd'Orléans, et je 
crains que le duc de Brunswick ne se soit laissé aller à négocier et à 
accorder pour cet effet la suspension ; ce serait une terrible faute , 
mais malheureusement il n'y a personne près de lui pour le bien 
guider dans cette partie, et il aurait eu tort de ne pas suivre son 



ET LA COUR DE FRANCE. 41 

premier plan de battre et puis de négocier. Le duc de Levis mande 
que tout le pays est contre eux ; que les paysans massacrent tout ce 
qui s'écarte, que des déserteurs leur ont dit que Dumouriez man- 
quait absolument de vivres. L'avant-garde des Français est aux 
Islettes dans un poste très-fort. — Le prince de Hohenlohe avec les 
Autrichiens est devant eux. Le reste des rebelles est posté à Valmy 
et retranché sur des hauteurs très-fortes. Le général Clairfait, qui 
fait Tavant-garde, est à la vue des retranchements. Hohenlohe 
(Prussien) est avec l'avant-garde prussienne sur la route de Châlons. 
On bombarde Lille, le feu prend sans cesse dans la ville, cependant 
elle ne capitule point. On m'assure que lundi ou mardi le duc (1) 
veut lever le siège, parce qu'il n'a ni assez de monde ni assez de mu- 
nitions. Cela serait affreux! pourquoi n'ont-ils pas attaqué Valen- 
ciennes? 

Le 4. Jeudi. — Le soir, à minuit, courrier de lord Elgin apporta la 
nouvelle que le P*" octobre l'armée prussienne et autrichienne s'était 
retirée sur Grand-Pré et, on disait, de là à Verdun. C'est un officier ; 
il dit que l'armée est abîmée par les fatigues , le manque de tout 
et les maladies ; que, ne voyant arriver aucun de leurs convois, la peur 
d'être entouré commençait à se répandre ; que les Français faisaient 
bonne contenance ; qu'ils ne cessaient de faire des batteries ; qu'on 
avait tiré beaucoup sur eux sans qu'ils eussent répondu ni cessé de 
travailler ; que les sentinelles s'étaient moquées des Prussiens lors- 
qu'ils sont partis. Que les habitants sont détestables , qu'ils n'amè- 
nent rien au camp, qu'ils tirent sur tout ce qui se présente et qu'ils 
ne donnent rien, même en payant, aux voyageurs. Le courrier a été 
obligé de suivre l'armée jusqu'à Grand-Pré, de peur d'être enlevé. 
Il accuse le duc de Brunswick de timidité et dit qu'il aurait pu, 
le 23, attaquer et enlever Dumouriez. On a en Angleterre la même 
opinion du caractère du duc de Brunswick, et on dit qu'il aime à 
négocier. 

Le 6. Vendredi. — Reçu une lettre du baron de Breteuil. H mande 
à sa fille que le duc de Brunswick veut faire le siège de Thionville et 
Metz. Cette retraite est horrible par ses suites, et tout me semble fini 
pour cette aimée , à moins que l'armée ne soit encore en état d'agir 



(1) Albert. 



42 LE COMTE DE FERSEN 

et qu'on puisse suivre un autre plan, ce dont je doute. Il faudra voir 
le duc de Choiseul, arrivé ; il est parfait pour le roi et la reine. 

Le 6. Samedi. — Lord Elgin croit être sûr que c'est le cabinet de 
Vienne qui a influé sur la retraite du duc de Brunswick et sur le 
parti de prendre des quartiers d'hiver ; qu'il l'a toujours désiré , et 
qu'il veut dégoûter le roi de Prusse de l'entreprise et l'engager à 
l'abandonner pour laisser l'empereur seul le maître. Ce ne sont pas 
les dispositions personnelles de l'empereur, mais bien de son cabinet. 
Il faudra voir l'objet de la mission de Spielman, et, si le projet d'un 
congrès à Verdun se réalise, quel sera son objet. ^ 

Le 7. Dimanche. — Je fus chez le comte de Metternich. Madame 
médit que les Français de Landau, commandés par Custine, étaient 
en possession de Spire ; qu'ils avaient défait un corps de 2,000 Mayen- 
çais et 300 Autrichiens; qu'ils emmenaient tout ce qu'ils pouvaient 
des magasins et brûlaient le reste ; que Mayence était menacée, que 
tout le monde qu'on avait fait avertir, tous les Français de partir, que 
les bourgeois avaient signifié au commandant que , s'il n'ouvrait les 
portes aux Français, ils l'y forceraient ; que le landgrave de Darm- 
stadt devait s'y porter avec 4,000 hommes, mais qu'il craignait 
pour sa propre tranquillité ; que les émigrés étaient cause de cela, car 
en quittant Thionville ils avaient forcé d'y envoyer le comte d'Er- 
bach, et que les magasins s'étaient trouvés dégarnis ; que Heidelberg, 
où les Autrichiens avaient des magasins encore plus considérables y 
était menacé et qu'il y avait tout à craindre des mauvaises disposi- 
tions de l'électeur de Bavière, qui recevait les Français partout ; qu'il 
avait laissé les blessés et les malades des Autrichiens six heures à la 
porte de Mannheim. Elle ajouta que c'était le moment d'envoyer 
on Bavière 50,000 hommes pour le châtier, s'emparer de l'Electorat, 
le joindre à la maison d'Autriche, et qu'on pourrait donner au roi de 
Prusse Berghen et Juliers qu'il désirait. Cela me prouve qu'il en est 
question, et c'est sans doute l'objet de l'arrivée de Spielman ; celui de 
réunir l'Alsace, la Lorraine et les Pays-Bas français aux autrichiens 
et de donner le tout à un archiduc pourrait bien aussi exister. 

Le \\. Jeudi. — Le duc de Choiseul parti. Il m'avait donné des 
détails sur ce qui s'est passé à Paris et à l'affaire de Varennes. Par 
ce qu'il me dit de Paris, il parait qu'après l'affaire du 20 juin, les 
constitutionnels avaient prévu leur chute et l'impossibilité de lutter 
contre les jacobins, et qu'ils avaient résolu de faire sortir le roi de 



ET LA COUR DE FRANCE. 43 

Paris de gré oa de force, en rassemblant et faisant filer les troupes 
sur la route, et mener le roi à Compiègne. Lafayette et Luckner avaient 
préparé l'esprit de leurs armées et firent faire des adresses. Dans le 
temps Lafayette vint à Paris essayer son influence , mais, quoique la 
garde nationale le reçût très-bien , il ne put jamais en rassembler 
400 pour aller chasser et mettre le feu aux jacobins. Le roi ré- 
pugnait à cette idée de départ et la reine encore plus, quoiqu'elle eût 
dit au duc de Choiseul et autres qu'elle n'avait aucun avis , et que 
c'était au roi à se décider. Lafayette partit pour maintenir son armée 
dans les mêmes dispositions et toujours dans l'espoir de faire partir 
le roi pour Compiègne. Arriva la fédération ; il y avait un parti pour 
Pétion, un autre pour Lafayette. Luckner était resté à Paris, et, 
comme c'était une bête, les constitutionnels ne le quittaient pas, pour 
l'empêcher de tomber entre les mains des jacobins. Le ministère 

était bon ministre de la guerre ne voulut jamais faire partir 

les gardes suisses. Tous intriguaient, et les jacobins déjouaient sans 
cesse leurs intrigues. Les individus qui devaient composer l'armée 
sous Paris étaient arrivés et y restaient sans aucun ordre , sans au- 
cune discipline. Lafayette imagina de faire faire une revue et de 
profiter de ce rassemblement pour tomber sur les jacobins. Tout 
était arrangé pour cela. Pétion, qui s'en douta, fit défendre la revue. 
Luckner fut au comité militaire et fut retourné par eux. Il dit et fit 
cent bêtises, compromit Lafayette, etc., etc. Enfin les jacobins firent 
la scène du 10 août, et tout fut perdu. Cet événement avait été prévu. 
Tout le monde avait pressé le roi de partir, il ne le voulut pas. — 
M. de Sainte-Croix s'est bien conduit ; il a prédit tout ce qui est 
arrivé. H lut la veille un mémoire où tout était détaillé, et où il y 
avait des éclaircissements sur leurs projets ; il y en eut un qu'il ne 
lut pas, c'était celui d'enfermer la reine dans une cage de fer et de 
l'exposer ainsi à la vue du peuple. La cage était même déjà faite. 
Deux jours avant, les ministres voulaient que le roi partît avec des 
relais pour Compiègne. Il aurait monté en voiture le matin, en se 
promenant au Pont tournant, aurait passé le pont à Poissy, qu'on au- 
rait rompu; les gardes suisses, 6 à 700 gentilshommes à pied ou à 
cheval, auraient couvert la marche, et, pour ôter à cette démarche l'air 
de faite, il aurait écrit, en montant en voiture, à huit heures du matin, 
un billet pour dire qu'en vertu de la constitution, il allait à Compiè- 
gne. Mais le roi se refusa à tout. Dans la journée du 9 on fut instruit 



44 LE COMTE DE FERSEN 

des mouvements ; les rassemblements augmentaient vers le soir ; on 
doubla la garde du Château, elle était bonne : tous les Suisses, au 
nombre de mille, y étaient. M. Mandat, commandant général de la 
garde nationale, y était; M. Kœderer s'y rendit. 250 à 300 gentils- 
hommes étaieut dans le Château; personne ne se coucha. Il arrivait 
sans cesse des rapports. M. Mandat obtint de la municipalité l'ordre 
de repousser la forcer par la force. A minuit arriva M. Pétion ; il fiit 
très-mal reçu par la garde nationale , on mit sa voiture dans un coin 
de la cour et ils résolurent de le garder pour lui faire donner des 
ordres de défense. Il assura le roi que tout se calmerait. En descen- 
dant, il aperçut des dispositions de la garde et ne fit rien pour sortir, 
mais il se promena dans les cours et dans le jardin jusqu'à trois heures 
du matin, pour voir les forts et les faibles , et causait avec Eœderer, 
qui, sous l'apparence de dévouement, trahissait le roi. La municipalité, 
inquiète de ne pas voir revenir Pétion, témoigna à l'Assemblée ses 
craintes qu'il ne fût arrêté au Château. Il fut mandé à la barre pour 
rendre compte du fait et nia qu'il eût été empêché de sortir. Il partit 
et envoya tout de suite des renforts au Château de tout ce qu'il y 
avait de plus mauvais , gardes nationales et piques. Ils furent mêlés 
avec ceux des cours, mais prirent poste principalement dans le jardin 
le long des terrasses. Les Suisses bordaient les escaliers ; il y en 
avait dans toutes les cours avec des gardes nationales. 

A trois heures du matin, on entendait de temps en temps un coup de 
fusil ; un canonnier en lâcha même un dans la cour royale , sous pré- 
texte de maladresse, mais il y alieu de croire que c'étaient des signaux. 
A six heures le roi alla faire la visite des postes du jardin et des cours. 
Il fiit insulté dans le jardin et courut même des risques ; il fut cou- 
ché en joue , menacé des piques et serré de près par deux hommes 
avec des pistolets. Un garde national , qui avait accompagné le roi , 
revint tout pâle et tremblant. A sept heures M. Mandat reçut ordre de 
venir à la municipalité, sous prétexte de concerter les moyens de 
défense, mais en efi'et pour retirer l'ordre de repousser la force par 
la force et pour désorganiser la garde nationale en lui enlevant son 
commandant. Mandat n'obéit pas ; on lui envoya un second ordre : 
Eœderer lui conseilla d'obéir. Il fut massacré en y arrivant. Dès lors 
personne ne commandait plus. On organisa les gentilshonmies ; M. de 
Viomesnil, maréchal Mailly, Pont-Labbé et d'Ervilly commandaient. 
Les gardes nationales en prirent ombrage. Le roi et la reine leur 



ET LA COUR DE FRANCE. 46 

parlèrent avec bonté et force, ils furent convaincus, s'unirent avec les 
gentilshommes et furent placés avec eux dans les appartements. On 
avait déjà parlé au roi de se rendre à l'Assemblée. Les ministres 
l'avaient averti que c'était le projet. Tous et surtout M. de Sainte- 
Croix l'en dissuadaient, il y était déterminé et la reine dit au baron de 
Viomesnil et à M. de Clermont-Gallerand : Si tous me voyez aller 
à t Assemblée j je vous permets de me clouer à ce mur. 

A huit heures arriva M. Rœderer à la tête du département. Il de- 
manda à parler seul au roi, il passa avec lui , la reine et les ministres 
dans son cabinet. M. Roederer lui demanda d'aller à l'Assemblée , 
comme le seul parti à prendre. La reine s'y opposa fortement. M. Rœ- 
derer lui demanda alors si elle se chargeait de la responsabilité des 
événements, du massacre qu'il pourrait j avoir, de celui du roi, de 
ses enfants et de tous les gentilshommes? que plus de 20,000 hommes 
marchaient contre le Château, etc., etc. La reine ne dit plus rien, et 
le roi se décida à aller. M. Rœderer demanda qu'il y allât seul avec 
sa famille, de crainte qu'il ne fût exposé si on le voyait avec tant de 
monde. Il ordonna donc à tout le monde de rester et sortit par les 
appartements, le grand escalier, la grille du milieu et le jardin, en 
montant l'escalier de la terrasse vis-à-vis l'Assemblée. Il y eut foule ; 
on criait : Point de femmes ! et mille sottises. Le département fut 
obligé de pérorer, et on laissa passer. Il n'y avait avec le roi que la 
reine, les enfants, madame de Tourzel , madame Elisabeth, M. de 
Brige. En traversant les appartements, les gentilshommes et les 
gardes nationales pleuraient et voulaient l'arrêter ; il les consolait en 
disant qu'il allait revenir. Dès qu'il fut parti le découragement se mit 
parmi tout le monde ; une demi-heure après le Château fut attaqué ; 
les canonniers ouvrirent la porte royale ; la canaille entra, mais une 
décharge des Suisses et gardes nationales la balaya. Ils s'emparèrent 
de deux canons et empêchèrent la canaille de revenir. Pendant ce 
temps tout ce qui était dans le Château de gardes nationales et gen- 
tilshommes se sauva cpmme il put, et les Suisses, enveloppés de 
toutes parts, furent tous pris ou massacrés. 

Par les détails que le duc de Choiseul me donna, je vis clairement 
qu'il avait eu raison de quitter le poste du pont du Sommevesle avec 
son détachement, car les campagnes étaient en mouvement à cause 
de quelques villages de M". d'Elbœuf qui avaient refusé de payer ; on 
devait les y contraindre par la force, et ils avaient cru que les hus- 



-. i_ 



46 LE COMTE DE FERSEN 

sards étaient destinés à cela. Le tocsin avait sonné et les paysans 
s'étaient rassemblés. Beaucoup venaient voir les hussards ; l'inquié- 
tude commençait même à gagner à Châlons. Ils eurent raison de ne 
pas repasser par Sainte-Menehould, où ils avaient déjà été mal reçus. 
Malgré tout cela et le retard de cinq heures que le roi eut de Paris à 
Châlons et son étourderie de parler et de se faire voir à Sainte-Me- 
nehould; où le maître de poste le reconnut , le roi aurait passé Va- 
rennes, si les hussards avaient été à cheval hors de la ville , et si le 
roi eût trouvé un homme pour lui dire où était le relai, car tout était 
tranquille dans la ville^ et le maître de poste entra dans la ville 
pendant que le roi était arrêté pour demander où était le relai ; mais 
les hussards étaient dans les écuries ou en ville à boire, les chevaux 
n'étaient pas sellés et le jeune Bouille était couché. Il fut éveillé 
par le palefrenier du duc de Choiseul, qui lui dit qu'il y avait du 
mouvement, qu'une voiture était arrêtée et qu'on disait que c'était 
le roi. Il alla seller son cheval , et quand le duc de Choiseul arriva 
avec son détachement, une demi-heure après que le roi fut arrêté, il 
ne trouva aux casernes que les chevaux non sellés et les gardes d'é- 
curies ; pas un officier et pas un hussard. Il en rassembla le plus 
qu'il put : les officiers municipaux vinrent lui signifier de se rendre 
à la municipalité ; pour toute réponse il fit marcher son détachement 
et se porta devant la maison où était le roi. Il y avait alors 3 à 400 
personnes, mal armées. Il monta, et trouva tout le monde dans la 
même chambre. Les trois gardes du corps dormant, le chapeau sur 
la tête. Monsieur Sauce promettait au roi de partir au jour, car les 
chemins étaient trop mauvais. Pendant ce temps il faisait venir du 
monde, le tocsin sonnait dans les villages , etc., etc. Le roi parla au 
peuple à merveille , leur disant qu'il ne voulait pas les quitter, qu'il 
s'était éloigné de Paris où il n'était pas libre , qu'il venait au milieu 
d'eux, que tous pouvaient le suivre, qu'il irait avec eux. Cela les 
calmait, mais Sauce sous main faisait répandre que, s'ils laissaient 
aller le roi, ils seraient tous massacrés. On prouva au roi qu'avec les 
hussards il pourrait passer, que M. de Bouille était sûrement en mar- 
che, qu'ils le rencontreraient ; mais le conseil était difficile à suivre, 
car tous devaient s'en aller à cheval, et on ne pouvait répondre des 
coups de fusil. Le roi préféra de rester et attendre M. de BouiUé , 
car on ne parlait pas de le faire retourner à Paris. Des gens de Verdun 
voulaient que le roi y vîût, disant qu'il y serait bien. On parla & 



ET LA COUR DE FRANCE. 47 

Sauce, on lui démoutra le mérite qu'il aurait d'avoir sauvé le roi, et, 
de l'autre côté, qu'il ne pouvait échapper à la vengeance , car M. de 
Bouille ne manquerait pas d'arriver avec une armée. Sauce parut 
ébranlé, et la municipalité aussi. C'est dans ces entrefaites qu'arri- 
vèrent les deux aides de camp de Lafayette, Ramœuf (1) et Bâillon, 
avec le décret de l'Assemblée. Alors tout changea de face, et il fut 
résolu de ramener le roi ; il parla seul à Bâillon, pour l'engager à ne 
pas presser son départ ; celui-ci le promit , mais au contraire il excita 
le peuple, en disant qu'il n'y avait pas un moment à perdre, que, 
si Bouille arrivait après le départ, il ne ferait rien à la ville, etc., etc. 
Le roi, sous mille prétextes de maladie ou fatigue, voulait retarder ; 
le peuple criait qu'il partît, qu'il fellait le mettre en voiture de force, 
etc., etc., et à huit heures du matin on T emmena sans qu'on eût entendu 
parler de Bouille. Il paraît que la faute est P la nonchalance ou 
ignorance du jeune Bouille à Varennes ; 2° que le père, au lieu d'être 
au centre de l'expédition, était à un bout, dans la crainte apparem- 
ment que cela ne manquât, et pour pouvoir se sauver; 3' le retard de 
cinq heures sur la route de Châlons, et 4** l'imprudence du roi de se 
faire voir & Sainte-Menehould. 

Le 13. Samedi. — Lettre du baron (2) à sa fille, qui mande 
qu'il revient ; je lui expédiai à midi un courrier pour l'engager à res- 
ter et attendre M. de Mercy. A une heure j'appris qu'il était décidé 
qu'on évacuerait Verdun et qu'on se retirerait hors de France. 

Dumouriez campé devant Verdun , les Prussiens de l'autre côté de 
la Meuse, Clairfait marche sur Stenay, suivi de près par les rebelles. 
— Présenté le baron d'Hamilton chez Metternich ; il paraissait fort 
triste de cette nouvelle , mais l'armée est hors d'état d'agir, il n'y a 
pas d'autre parti à prendre. M. de Metternich, à la nouvelle de la 
marche rétrograde, n'en avait pas été surpris et avait eu l'air de l'a- 
voir attendue et conseillée. — Les propos de l'archiduchesse mar- 
quent le désir du gouvernement ici de dégoûter l'empereur des affaires 
de France , en lui présentant la perte de ce pays comme certaine. On 
veut aussi exciter la jalousie des deux souverains pour les dégoûter 
tous deux. Le comte de Mercy dit toujours que toute l'Europe est 
perdue, si on ne prend des mesures vigoureuses et si toutes les puis- 



(1) Dans les joumanz de ce temps, cet aide de camp est appelé Robœuf, 

(2) De BieteuiU 



48 LE COMTE DE FERSEN 

sancesne s'en mêlent; qu'il ne faut plus négocier, mais se battre. 
Comme il change souvent de langage, on n'ose y croire. — Le duc 
de Levis revenu de l'armée de Clairfait; il a fait sa campagne avec les 
chasseurs. Il paraît que c'est Clairfait qui a empêché de se battre le 
20. La disposition du prince de Hohenlohe (Autrichien ) à la gauche , 
était devant les Islettes, poste très-fort, où était Dumouriez lui-même. 
Le duc de Brunswick était devant le reste de l'armée rebelle, com- 
mandée par Kellermann ; elle était postée sur une hauteur, mais sans 
batteries. A la droite devait être Clairfait. L'attaque devait commen- 
cer le 20, à une heure après midi : celle du prince de Hohenlohe était 
fausse, celle du duc de Brunswick la vraie, et Clairfait devait pren- 
dre les rebelles en flanc. Il était posté à Grand-Pré. Le duc lui en- 
voya ordre de se mettre en marche le 19, à minuit, pour arriver der- 
rière les Prussiens et à la faveur de la canonnade et de la fumée se 
porter sur le flanc, sans être vu des rebelles. Mais Clairfait, au*lieu 
de marcher à minuit, ne marcha qu'à cinq heures du matin et n'arriva 
qu'à six heures du soir, lorsque la canonnade finit. On ne conçoit pas la 
raison, car son camp fut détendu à minuit et les troupes restèrent 
sous les armes jusqu'à cinq heures par une pluie et un froid terribles. 
— Le 22 il aurait encore été possible d'attaquer les rebelles, ils 
avaient pris une position en arrière ; les armées étaient en présence, 
tout le monde s'y attendait. Le soldat, qui avait déjà manqué de pain 
et qui mangeait des pommes de terre à moitié cuites , témoignait la 
plus grande ardeur et demandait à attaquer en disant i II y à là 
du pain à prendre , lorsque tout à coup il y eut ordre de camper et 
de ne plus tirer. La suspension d'armes commença et tout fut perdu ; 
on voyait les rebelles construire leurs batteries, mais on disait : 
Cest pour occuper les soldats; c'est indiscipline j on ne peut pas les 
en empêclierj etc., etc. 

Le 14. Dimanche. — Lord Elgin me dit qu'on disait à l'armée 
qu'il y avait une amnistie pour les émigrés , qu'on avait demandé sur 
cela plusieurs choses à Dumouriez, qui avait répondu qu'il n'était pas 
autorisé à prononcer là-dessus. Lord Elgin craignait qu'on ne voulût 
trop négocier ; je le crains aussi, et que c'est ce qui a tout perdu. A 
sa retraite plusieurs émigrés ont déchiré leurs uniformes de rage, 
ont pris des habits de paysans et sont rentrés en France. La con- 
duite du duc de Brunswick est bien extraordinaire, et je ne suis pas 
entièrement rassuré sur les bonnes intentions de l'Angleterre. Il y a 



ET LA COUR DE FRANCE. 49 

ea de Londres une correspondance bien suivie avec le duc. Le temps 
BOUS éclaircira tout cela. Plusieurs personnes croient que c'est l'An- 
gleterre qui Fa poussé à négocier et à ne pas se battre , pour avoir six 
mois de retard et arranger en France un gouvernement qui lui con- 
vienne , qu'on établira l'année prochaine à main armée. D'après tout 
ce qu'on me dit de la disposition du ministère et de l'intérêt qu'ils 
ont de réprimer le danger de l'exemple^ j'ai de la peine à j croire. 

Le 18. Jeudi. — Lettre du baron de Breteuil. Quantité d'émigrés 
qui arrivent M. de Puisigneux, les trois Durfort, etc., etc., de re- 
tour. Tous s'accordent à dire qu'il était aisé d'attaquer Dumouriez, 
mais que le duc de Brunswick ne l'a pas voulu ; que les Autrichiens 
l'ont demandé ; que tous les généraux prussiens étaient du même avis. 
Cette conduite est fort extraordinaire. Les soupçons sur la correspon- 
dance avec l'Angleterre s'accréditent ; on soupçonne lord Elgin d'être 
un homme profondément faux. Un propos du baron de B.eck, qui dit 
qu'il serait fort heureux que l'Angleterre se bornât à rester neutre, 
les accrédite encore. Le temps seul peut développer tout cela. On dit 
que le pays où les armées ont passé est un désert horrible ; tout est 
brûlé ou pillé, les chemins sont jonchés de chevaux et de soldats 
tués ou morts , surtout de Verdun à Longwy. Plusieurs émigrés se 
sont cassé la tête de désespoir. — Beuterswœrd dit que les troupes 
prussiennes déjà arrivées à Luxembourg y sont sans tentes, sans 
équipages , on bivouaque sur les glaces ; que cela a l'air d'une dé- 
route complète. Les rues sont comblées de monde, de voitures et 
de fuyards de France ; tout le monde est mécontent du duc de Bruns- 
wick. 

Le 22. Lundi. — Les lettres de France , en retard depuis le 2 , 

arrivées. Les dernières gazettes sont du 18. La famille royale est réu- 
nie, et le procès du roi est différé de quatre mois. Lors de la sépara- 
tion, le roi avait été mis dans la grosse tour du milieu, et la chambre 
était grillée et éclairée par le haut. Le maréchal ferrant de M. de Ni- 
colal, garde national, avait été témoin de la séparation qui a été, dit- 
il, affreuse. La reine et les autres ont aussi été séparés plusieurs jours. 
Le roi de Prusse veut que le duc de Brunsvick ait le commande- 
ment de l'armée de l'empire, mais l'empire veut qu'il entre alors à 
son service et qu'il soit à ses ordres. On mande que le comte d'Ar- 
tois a été fort content du baron de Breteuil, et qu'il dit qu'il lui a 
donné de fort bons conseils. 

T. II. 4 



60 , LE COMTE DE FERSEN 

Le 25. Jeudi. — Nouvelle de la prise de Mayence par Custine avec 
30,000 rebelles; après trente heures de bombardement elle a capitulé : 
les troupes sont sorties avec armes et bagages. On dit que les Fran- 
çais marchent sur Francfort. Longwy est rendu par capitulation, on 
y rétablit les magasins et l'artillerie qui y ont été pris. Le baron (1) 
ajoute : Cette étonnante conduite jette un grand blâme mr le duc 
de Brunswick j c'est un homme dans la boue. Sa lettre est du 21. 

Le 29. Lundi. — La Convention nationale a donné un décret qui 
condamne tous les émigrés, même ceux qui rentreraient, à la mort, 
et le maître de poste à Calais a envoyé une barque à Douvres aver- 
tir qu'il y avait ordre de les massacrer en arrivant. 

Novembre. Le V^. Jeudi. — Il paraît que le duc de Brunswick est 
«n homme au-despous de sa besogne, qui a été effrayé de trouver 
m peu de résistance, tandis qu'il n'en attendait aucune; qui a voulu 
négocier, et qui a été trompé par Dumouriez qui a profité de ce temps 
pour se retrancher. Le prince de Nassau, ayant demandé à parler à 
.... officier général , il vint avec sa suite aux uvant-postes et les deux 

généraux se parlèrent à une distance. Le Français parla d'un 

ten très-po»itif ; s'étant avancé ensuite tout près du prince de Nas- 
sau, comme si son cheval malgré lui le portait en avant, il lui dit 
tout bas : Mordieu / agissez donc, nous attendons demain un convoi 
de Châlons, si vous pouvez k prendre nous sommes perdus ; puis, en se 
retirant : Monsieur^ si vous n'aviez pas autre chose à me dire y il ne 
valait pas la peine de me faire demxmder. Le prince de Nassau en 
rendit compte ; on hésita, et on arriva une heure trop tard pour enle- 
ver le convoi. — Le 20 , pendant la canonnade et au moment quel'arr 
mée prussienne marcha cent cinquante pas en bataille pour attaquer, 
il y avait déjà du mouvement dans les Français pour se retirer ; au 
bout d'une heure une partie des rebelles, ennuyés de la canonnade, se 
mettait en colonne sans ordre pour aller de même attaquer les Prus- 
siens, on ne put jamais faire monter à cheval la cavalerie , ils don- 
naient pendant ce temps de l'avoine à leurs chevaux : et le duc de 
Brunswick citait cela au maréchal de Castries comme une preuve de 
leur bonté et combien ils étaient redoutables. Un aide de camp de 
M. de Valence, envoyé pour un échange, demanda à voir le comte 



(J ) De Broteuil, 



ET LA COUR DE FRANCE. 51 

d'Artois, en disant que c'était pour lui faire savoir que le roi se portait 
bien, que sa situation intéressait autant dans leur armée que dans celle 
des émigrés, et que, si on avait attaqué le 20, toute la cavalerie et 
une grande partie de Tinfanterie passait; car, ajouta-t-il, il j 
avait alors beaucoup de gens égarés. Un autre gueux, envoyé à Ver- 
dun, dit au duc de Brunswick qu'ils ne s'étaient jamais flattés de 
résister à un aussi grand général et à d'aussi bonnes troupes ; que 
la famille royale était fort contente, qu'on ferait leur procès, qu'on 
les jugerait, mais que le peuple leur ferait grâce, et qu'on leur don» 
nerait un traitement pour vivre où ils voudraient 

Le roi de Prusse a été au désespoir, mais il a assuré le baron (1) 
qu'il n'y avait rien de perdu , qu'on allait réclamer toutes les puis- 
sances d'y prendre part, qu'on ferait tous les préparatifs pour com- 
mencer avec plus de vigueur au printemps. Le duc de Brunswick dit 
au baron que, si ce n'était une lâcheté, il se casserait la tête ; il sou- 
tenait qu'il était impossible de les attaquer. Presque tous les géné- 
raux prussiens contraires à cette expédition , surtout Kalkreuth. La 
Corbière, commandant à Verdun, disait avant le 20 que, si le duc de 
Brunswick ne se retirait au plus tôt, il perdrait le roi, ses fils et toute 
l'armée prussienne , et qu'on serait fort de sauver les deux tiers. 

Talon, qui est à Londres, a écrit au baron une lettre où il offre 
ses services, en disant qu'il peut être titile, mais fort utile au roi, 
et qu'il consent à parler, si on lui envoie un homme qu'il connaît 
et dont il soit sûr. On lui a écrit de venir sous un autre nom, qu'il 
sera en sûreté chez le baron et très-inconnu. Le roi de Prusse veut 
donner 25,000 francs aux princes pour leurs personnes par mois, 
et que l'empereur en donne autant. Il veut proposer à l'Espagne, 
Naples et la Russie de partager cette dépense et celle pour les 
émigrés 

Le 7. Mercredi. — Le baron de Breteuil vint chez moi me dire 
que les Autrichiens avaient été battus devant Mons par 80,000 Fran- 
çais avec 150 pièces de canon, que la retraite était décidée, que le 
gouverneur allait partir et l'archiduchesse, pour se retirer à Rure- 
monde, et que Mettemich lui avait conseillé de s'en aller ; que leurs 
troupes avaient beaucoup souffert, et le baron me dit qu'il par- 



Ci) De Breteuil. 



52 LE COMTE DE FERSEN 

tait pour Earemonde dans trois heures. A neuf heures la nouvelle fut 
publique^ et la consternation et la peur générale. On aurait cru que 
les Français étaient aux portes de la ville , on ne voyait que des gens 
courant pour chercher les moyens de s'en aller. Tous ces malheu- 
reux émigrés sans argent , sans ressources, étaient au désespoir ; on 
ne trouvait pas un seul fiacre , tous étaient retenus pour aller à An- 
vers ou ailleurs, et toute la journée on ne voyait que des partants 
et des équipages arriver de l'armée. Depuis deux jours il y avait or- 
dre de ne pas donner de chevaux de poste sans permission ; tout cela 
alarmait. Je fus dire la nouvelle à Crawford et les engager à faire 
leurs paquets. Je fis faire les miens , et nous nous arrangeâmes pour 
aller ensemble et Simolin par Anvers à Bréda. Je fus chez Mercy 
lui demander si on avait eu soin des diamants de Joséphine (?). U 
eut le front de me dire qu'il ne gavait pas qu'il y en eût , qu'il avait 
bien reçu une boîte , mais qu'il en avait remis la clef à l'archidu- 
ehesse à son arrivée, tandis que c'était moi qui lui avais écrit la 
lettre dans le temps et envoyé la boîte. Je tâchai de lui donner du 
eourage en lui prouvant que rien n'était perdu , qu'il fallait rassem- 
bler toutes les forces éparses dans le pays, prendre une bonne posi- 
tion entre Mons et Bruxelles , y attendre les Français et les attaquer. 
Par ce moyen on les éloignait de chez eux et de leurs moyens, et on 
ks battrait &cilement II me dit qu'il en avait déjà souvent écrit, 
qu'il allait le faire encore, mais qu'avec un homme comme le duc Al- 
bert il n'y avait rien à espérer, et il ne fallait songer qu'à s'en al* 
1er, car probablement les Français seraient à Bruxelles dans huit 
jours, ou peut-être demain. On avait déjà fait partir les archives, et 
dans la matinée on vida toutes les caisses. L'effroi , l'étonnement et 
la crainte étaient peints sur tous les visages. Je rencontrai Mal- 
deghem, il me dit qu'on s'était battu beaucoup, que les Autrichiens 
avaient attaqué plusieurs fois et avaient été repoussés, qu'ils avaient 
beaucoup perdu. Toute la route de Mons était couverte d'équipages 
et de chariots de blessés; toutes les places aussi, excepté la place 
Koyale. Nous devions dîner chez l'ambassadeur de Naples, il nous fit 
déprier. Il partait sans cesse des équipages et des voitures de la cour. 
Nous avions fixé notre départ au lendemain, mais M. de Mercy, qui 
vint le soir chez M"*" de Sullivan et qu'elle consulta , nous conseilla 
de ne pas nous presser, que nous avions encore trois ou quatre jours , 
qu'il n'allait pas à Buremonde, qui était un endroit vilain et mal* 



ET LA COUR DE FRANCE. dS 

sain, mais qa^il s'établissait àDusseldorf, et nous pria d'y venir. Le 
soir, nous nons décidâmes à y aller et à différer notre départ. 

Le 8. Jeudi. — Milord Elgin reçut de M. de Metternich l'aver- 
tissement que le gouvernement partait pour Ruremonde et l'invitar 
tion de s'y rendre ; j'écrivis au comte de Mercy pour savoir s'il ne 
serait pas plus prudent de partir au plus tôt : il nous assura le soir 
que rien ne pressait et que nous avions encore deux ou trois jours ; mais 
quand il fot parti, la Marck vint nous dire que l'archiducliesse était 
déjà partie , que Métternicli partait dans la nuit et Mercy avec lui, 
que le gouvernement était presque tout parti, que le conseil de Bra- 
bant était dissous , qu'on allait ouvrir toutes les prisons , qu'il n'y 
avait plus de gouvernement, qu'il allait partir à minuit et qu'il nous 
conseillait d'en faire autant, car probablement les troupes qui avaient 
été placées le long du chemin pour protéger le départ se retireraient, 
peut-être môme la garnison de Bruxelles, dans la nuit, et que, l'armée 
allant peut-être sur Namur, nous nous trouverions dans l'embarras» 
Crawford voulait partir dans la nuit ; je tâchai de les rassurer, d'at- 
tendre au lendemain, en pestant contre M. de Mercy et son égoïsme 
de ne pas avertir des gens avec qui il vivait journellement et de les 
exposer. Milord Elgin venait sans cesse nous conter qu'il y avait des 
complots dans la ville, mais que l'éclat était différé, et mille bêtises 
de ce genre , car tout était tranquille. H fut décidé que nous parti- 
rions le lendemain. Le chevalier Durfort, qui était parti pour Anvers, 
revint le soir comme beaucoup d'autres , car la canaille pillait les 
voitures. Le duc de Bourbon arriva le soir avec son corps de 3,000 émi- 
grés à la Cambre ; il avait quitté la position devant Namur lorsque 
le conmiandant de Charleroi lui eut mandé qu'il avait eu ordre d'é- 
vacuer la place ; n'en ayant, lui, reçu aucun et n'ayant pu obtenir de 
passeports à Bruxelles pour deux courriers qu'il avait envoyés en cher- 
cher chez le duc Albert, il était arrivé ; on ordonna de leur donner 
des vivres et des logements dans les villages : c'était une raison de 
plus pour rester la nuit. 

Le 9. Vendredi. — Simolin, qui s'était chargé des chevaux de 
louage, n'en avait pu trouver ; j'en achetai quatre pour notre fourgon 
et j'en trouvai huit pour les voitures, j'avais les miens. Ils payèrent 
22 louis d'or quatre chevaux jusqu'à Maëstrich. — Un soldat sué- 
dois du régiment de Bender vint m'avertir le matin à six heures que 
la garnison avait ordre de faire ses équipages au plus vite et de 



Si LE COMTE DE FERSEN 

sortir par la porte de LouYain ; cela m'effraya un moment y mais après 
plusieurs questions [j'appris que] Tordre n'était que pour les équi- 
pages d'être prêts. — La nouvelle de l'insurrection d'Anvers fut pu- 
blique ; je craignis le danger de l'exemple^ et déjà on disait qu'une 
voiture que milord Elgin envoyait à Anvers, et qui fiit versée dans 
le canal par la maladresse du conducteur, j avait été jetée par 
des capons ; ils aidèrent au contraire à la relever, et tout était calme 
dans le bas de la ville. Au moment où nous étions prêts à partir on 
commençait à dire que l'insurrection s'était manifestée à Liège et 
sur toute la route, qu'on pillait et tuait tout le monde. Charbonnier, 
valet de chambre de Crawford et démocrate puant, nous le dit ; son 
hôtesse le croyait et nous conjurait de ne pas partir. Cela fit hésiter 
Crawford ; on était tenté de rester, on me conjurait de me déguiser 
et de partir seul ou avec Simolin. Je n'eus pas de peine à leur prou- 
ver l'absurdité de tous ces bruits : nous aurions déjà vu beaucoup de 
revenants, si cela avait été ; les équipages de la cour partaient encore 
à tout moment, enfin le corps du duc de Bourbon, qui avait marché 
dans la nuit sur Louvain ; l'ordre aux équipages de la garnison de 
sortir par cette porte , enfin le ridicule de rester lorsque tout était 
prêt et attelé, et la, possibilité de retourner au premier avis certain 
que nous aurions. Il fut décidé qu'on monterait en voiture. On vou- 
lut m'engager à brûler le portefeuille qui contenait les papiers de la 
reine, mais je n'en fis rien, je le plaçai avec les miens dans la voi- 
ture de Simolin ; j'avais résolu la veille de les remettre à lord Elgin 
pour être envoyés en Angleterre, mais l'insurrection d'Anvers me fit 
changer d'avis, ou plutôt M°*® de Sullivan ne les lui fit pas donner 
dans la nuit , lorsqu'il les envoya chercher par son courrier. — Enfin 
à midi nous partîmes : Simolin et moi dans sa voiture , nos valets de 
chambre dans la mienne, les deux femmes et Crawford dans une 
autre, les femmes de chambre dans une troisième, un fourgon et 
deux cabriolets et mes chevaux de selle. Crawford resta avec milord 
Elgin, qui devait nous suivre ; je montai à cheval, et, malgré tout ce 
que j'avais dit, je n'étais pas à l'abri des craintes d'un mouvement 
soit dans Bruxelles, soit sur la route ; mais tout ftit tranquille, et tout 
le monde avait l'air consterné et craintif. Nous trouvâmes tout le 
long du chemin des troupes et des voitures , je m'informai aux bar- 
rières, aux diligences et aux postillons de retour. Tous m'assurèrent 
de la tranquillité à Liège et sur la route ; mais un spectacle déchi- 



ET LA CODR DE FRANCE. 65 

rant , c^étaît celui de ces malheareux émigrés ; des jeunes gens et 
des vieillards du corps de Bourbon étaient restés en arrière, pou- 
vant à peine se traîner avec leur fusil et leur sac ; d'autres voya- 
geurs & pied et en charrettes , portant le peu qu'ils avaient pu em- 
porter. Il y avait même des femmes comme il faut, avec leurs femmes 
de chambre ou sans elles, allant à pied, les unes portant leur enfant 
sur le bras, d'autres un petit paquet. J'aurais voulu avoir en ce mo- 
ment cent voitures pour recueillir tous ces malheureux ; cela f^Lisait 
horreur et pitié. Je rencontrai un ofl&cierd'uhlans, avec son équipage; 
il me dit qu'il venait de Mons , qu'il en était parti la veille au ma- 
tin comme les Français y entraient, qu'il avait même entendu les cris 
Vive la nation! que les Autrichiens tenaient alors encore le faubourg, 
que l'armée était postée entre Braine-le-Comte et Castiau, que le duc 
Albert avec le quartier général était à Hall, que les troupes avaient 
fait des prodiges de valeur, qu'ils n'étaient que 15,000 contre 80,000 
avec 150 pièces de canon, dont trente de 24 et 36, qu'on les avait 
attaqués sans les reconnaître, qu'on n'avait su qu'ils avaient du gros 
canon que lorsqu'on eut vu en un moment les redoutes rasées , que 
leurs troupes manœuvraient fort bien, qu'il y avait beaucoup d'Al- 
lemands, car ils ont crié aux Autrichiens : Vous n'avez pa^ affaire 
à des Français, mais à des Allemands qui savent se battre ^ — Que 
les régiments de Bender et de Cobourg dragons sont presque anéan- 
tis : ce dernier a chargé six fois, et il n'y a presque pas un officier 
qui ne soit tué ou blessé; qu'ils ont abandonné toute Tartillerie dans 
les redoutes, que les munitions ont manqué aux Autrichiens, qu'on 
en faisait venir en poste de Braine-le-Comte, tandis que les Fran- 
çais faisaient un feu terrible. Cet oflScier paraissait blâmer beaucoup 
les opérations du duc Albert ; il me disait que tous les officiers avaient 
été d'avis de porter toutes les forces aux avant-postes et d'attaquer 
les Français dès qu'ils paraîtraient. Le duc ne le voulut pas, sous 
prétexte de les laisser reposer à Mons. Ce fut en vain qu'on lui repré- 
senta que, le temps étant beau , ils se reposeraient aussi bien aux 
avant-postes. U vantait beaucoup Beaulieu ; il dit que les Autrichiens 
ont perdu 3,000 , les Français 4 à 5,000. Quand je fus assuré que la 
route était sûre et tranquille, je montai en voiture avec ces deux 
dames ; nous traversâmes Louvain, où il y avait beaucoup d'équipages 
et de monde dans les rues, mais tout y était tranquille. Nous nous 
rafraîchîmes hors de la ville. 



66 LE COMTE DE FERSEN 

Le 10. Samedi. — A neuf heures, nous partîmes ; tout le monde al- 
lait à Tongres et Maëstrich. Je proposai de passer par Liège, qui était 
fort tranquille ; on ne voulut pas. Nous arrivâmes à Tongres et, comme 
j'avais envoyé devant, nous fûmes logés par le magistrat chez un 
d'eux fort hien. Je couchai à terre avec Simolin sur la paille. Nous 
ne fûmes guère plus gais que la veille et nous trouvâmes la même 
quantité de voitures : c'était une procession. 

Le 11. Dimanche. — Nous partîmes à dix heures, et nous rencon- 
trâmes en route le comte de Metternich ; il nous dit qu'il était parti 
de Bruxelles la nuit du jeudi au vendredi ; que M. de Mercy n'était 
pas prêt et était resté ; que la ville était fort hien et lui avait envoyé 
une députation pour le prier de rester, qu'il n'avait rien à craindre 
et que tous le garderaient ; que tout le monde semblait craindre l'ar- 
rivée des Français. Il nous invita de venir à Huremonde, qu'à Mons 
ils n'avaient que 15,000 hommes. Il fut de mon avis quand je lui dis 
que le duc aurait dû rassembler toutes les forces , prendre une posi- 
tion entre Mons et Bruxelles et y attaquer les Français à leur arri- 
vée. Je lui dis qu'il en était encore temps. Il me dit qu'il en avait 
déjà écrit plusieurs lettres et que le duc Albert rassemblait en ce mo- 
ment toutes ses forces. A une heure nous arrivâmes à Maëstrich ; 
pas de logement à trouver ; nous descendîmes pour dîner chez un 
traiteur, il donna deux chambres ; Simolin et moi fûmes logés à côté, 
tous les deux dans une chambre basse. Je fus voir le baron (1); je 
le trouvai à table avec vingt personnes toutes connues et de sa société. 
Tout le monde y était, et depuis deux jours il était arrivé plus de 
9,000 âmes ; plusieurs avaient couché dans la rue. Le prince de 
Hesse, qui est frère du landgrave et gouverneur, avait 'envoyé de- 
mander des ordres relativement à cette grande affluence de monde 
qui était embarrassante. 

Le 14. Mercredi. — Dîné chez le prince de Hesse avec M"® de 
Brionne, Breteuil, prince Camille de Rohan, Dangevilliers, arche- 
vêque de Reims, etc., etc. Brionne nous dit que la princesse de 
Yaudemont a été fort maltraitée à Anvers, tirée par les che- 
veux, etc., etc., pillée; on dit qu'elle avait commencé par donner de 
l'argent à la canaille, qui en voulut encore plus ; qu'alors ses gens 



(1) De Breteuil. 



ET LA COUR DE FRANCE. 57 

ont tiré le sabre pour les chasser^ et alors le train a commencé. M*"^ de 
Marsan a été obligée de s'enfuir déguisée. L'insurrection a été apai- 
sée dans la journée du 9 par la garnison de concert avec les bour- 
geois. La réponse des états généraux était arrivée. Les Français ne 
sont point renvoyés y mais le prince de Hesse témoigna à table le dé- 
sir que, pour leur propre bien et pour la sûreté de la place, ils se ré- 
pandent davantage et ne^restentpas tous en ville. Comme nous nous 
étions décidés à partir le lendemain pour Aix-la-Chapelle, j'envoyai 
un homme à la Yaupallière pour prendre des logements. La peur 
prit au gouvernement des Pays-Bas de s'établir à Ruremonde, de 
crainte d'y être enlevé, et le comte de Metternich alla à Dusseldorf , 
le reste resta à Maëstrich. Le duc Albert quitta l'armée qui était 
campée sur les hauteurs de Louvain, il vint joindre l'archiduchesse ; 
l'archiduc Charles et tous partirent pour Bonne. Le duc prétexta 
une maladie. Clairfait et Beaulieu refusèrent le commandement, et ce 
ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il put les décider à accepter. Il 
avait déjà voulu quitter à Hall, mais le baron de Seckendorf l'en em- 
pêcha et lui dit des choses fort dures et très-fortes. 

Le 15. Jeudi Comme l'archiduchesse n'allait pas à iSiremonde, 

lord Elgin prit son parti et retourna à Londres. Son valet de cham- 
bre était arrivé le matin et lui dit que le 14 , à trois heures du matin, 
les Français avaient pris possession de Bruxelles ; que le 13 les 
Français, au nombre de 15,000 hommes et 43 pièces de canon, se 
présentèrent & la porte d'Anderleck; la garnison, au nombre de 3,000, 
commandée par le général Diesback, sortit et les repoussa au pont 
qui est sur la chaussée. Ils envoyèrent alors un parlementaire qui 
refusa de traiter avec le général , et demanda à voir les magistrats ; 
il fut introduit & l'hôtel de ville, et la capitulation fut signée. Les 
Autrichiens se retirèrent sur le parc, où ils restèrent jusqu'au 14, à 
trois heures du matin, qu'ils sortirent par la porte de- Louvain. Ce 
valet de chambre disait que tout était fort tranquille en ville, que 
les Autrichiens étaient fort mécontents du duc Albert, qu'ils en 
parlaient tout haut, qu'ils avaient peur d'être tournés et enveloppés. 

Le 17. Samedi. — Point de lettres de Bruxelles. Les papiers di- 
saient qu'on y a établi aux jésuites le club jacobin ; c'est l'abbé d'Es- 
pagnac qui préside. A Mons, Dumouriez a établi un gouvernement 
semblable à celui de France, le peuple y est souverain ; à Bruxelles 
ce sera sans doute de même, l'arbre de la liberté est érigé, on a 



58 LE COMTE DE FERSEN 

fait danser les capucins, etc., etc., mais il n'y a eu ni désordre ni 
pillage. 

Le 25. Dimanche. — Les princes français arrivèrent le soir. Les 
ducs d'Aremberg et d'Ursel sont nommés de la nouvelle assemblée 
à Bruxelles ; on ne sait encore s'ils accepteront. 

Le26* Lundi. — Les princes doivent partir à huit heures du matin. 
J'y fus ; ils avaient été arrêtés par un homme du pays de Limbourg à 
qui il était dû 80,000 livres pour fournitures de troupes. Tout le 
monde leur avait conseillé de ne pas passer ici, à cause de cela; mais 
le comte d'Artois, pour voir M. de Polastron qui y est, l'avait désiré, 
et l'évêque d'Arras avait obtenu du bourgmestre l'assurance qu'il 
n'arriverait rien; mais il y a ici, depuis les troubles, deux autorités : 
celle des magistrats de la ville sur la ville et celle du grand-majeur, 
établie par l'électeur palatin, qui fût appelé pour faire cesser les 
troubles et qui a la grande main sur les étrangers. Ces deux pou- 
voirs sont sans cesse en dispute, et le créancier s'était adressé au 
grand-majeur pour faire opposition au départ des princes. Ils étaient 
fort embarrassés d'autant qu'ils n'avaient pas un sol pour payer et 
pas un pour s'en aller individuellement, ayant laissé tout leur argent 
dans la voiture. L'évêque d'Arras fut consulter le bourgmestre : il 
convoqua ses trois échevins ; les princes donnèrent au comte français 
d'Escars un pouvoir pour comparaître. Enfin, sous prétexte d'ordres 
donnés aux princes d'aller à Dusseldorf, où le créancier pourrait en- 
core se pourvoir, l'opposition fut levée à une heure et ils partirent, 
quoique la position f&t on ne peut plus fâcheuse ; on voyait sur tous 
les visages l'empreinte de la légèreté française, cela faisait peine. 
Leur position est affreuse, sans ressources, obligés d'éviter tous les 
endroits libres, où ils peuvent être arrêtés ; ils vont s'établir dans le 
comté de la Marck. 

DÉCEMBRE. Le 3. Lundi. — Le comte de Mercy nous dit que Clairfait 
ne se retirait que faute de vivres, sans cela il aurait pu tenir, qu'il 
tiendrait encore quelque temps à Henri-la^Chapelle et qu'ensuite il 
passerait le Rhin à Cologne. Il dit que le duc Albert a tout perdu, 
qu'il voulait absolument retourner à l'armée et qu'on a eu mille peines 
à l'en empêcher ; qu'il ne commanderait qu'en Autriche : on met 
toute l'armée sur pied de guerre ;qu'à son entrevue, près de Luxem- 
bourg, avec le duc de Brunswick, qu'il ne vit qu'une fois, il ne lui 
avait pas parlé du tout de sa campagne, qu'il n'y «avait été question 



ET LA COUR DE FRANCE. 59 

que dn retour du prince de Hohenlohe et du comte d'Erback pour 
occuper le pays de Luxembourg , sur quoi le comte de Mercy avait 
insisté positivement en disant qu'il fallait concentrer toutes leurs 
forces pour la défense des Pays-Bas , car les Français porteraient 
toutes leurs forces contre eux, et les Pays-Bas seront peut-être perdus. 
Le duc fut très-poli et humble, et dit : Oman Dieu! mais dans ce cas 
nous volerions à votre secours. Il avait déjà consenti à cette demande, 
mais le comte de Mercy lui fit une autre demande, et Clairfait aussi : 
c'était de laisser 5 à 6,000 hommes entre Luxembourg et Trêves pour 
couvrir l'empire de ce côté et protéger Luxembourg. Il fit mille diffi- 
cultés et se quittèrent sans rien décider. — Le roi de Prusse assure 
le comte de Mercy de sa ferme résolution de suivre cette affaire et 
que l'empereur trouverait toujours en lui un allié fidèle et loyal qui 
remplirait religieusement tous ses engagements. — Clairfait n'a au- 
cune relation ni aucun concert avec Beaulieu et Hohenlohe ; au mo- 
ment du départ du duc Albert il n'y en avait pas, et depuis il n'a 
pu y en avoir. Cha<;un agit pour soi. Beaulieu communique avec Ho- 
henlohe et a sa retraite assurée sur lui : il a 16,000 hommes, Clairfait 
aussi. 

Le 13. Jeudi. — En sortantàdeux heures, j'appris que toute l'armée 
autrichienne passait, qu'elle s'était toute retirée d'Aix-la-Chapelle et 
qu'elle campait à Stetrick; à quatre heures tout avait déjà passé et nous 
n'avions plus rien entre nous et les Français. Les portes de la ville 
étaient fermées et on ne laissait passer personne, lord Kerry ne put 
pas même entrer. Nous étions fort embarrassés sur quel parti prendre. 
Le soir nous craignions que les Français ne suivissent de près les 
Autrichiens ; il y avait des inconvénients pour Simolin et moi de 
nous trouver avec les Français. La route de Furth n'était pas sûre, car 
les généraux nous disaient que les Français étaient avancés de Rure- 
monde à deux heures de la ville, et le général Dalvick, qui venaitd'ar- 
river pour commander en ville , nous l'assurait. La Marck avait une 
peur de chien, il voyait déjà les Français et il était décidé à partir 
le même soir. Je ne voulais pas abandonner les dames. Enfin Simolin 
et moi nous nous décidâmes à partir le soir, et Crawford le lendemain 
matin, par la route de Cologne. A dix heures nous partîmes , à une 
heure après minuit nous arrivâmes à Bergheim. En passant l'armée 
autrichienne, tout le monde était couché dansi les bois ; il n'y avait pas 
seulement une sentinelle. A trois heures nous repartîmes, car nous n'y 



60 LE COMTE DE FERSEN 

trouvâmes pas de places, et à six heures nous arrivâmes à Kœnigs- 
dorff ; la nuit fut froide et noire, il neigea le matin et tout était blanc. 
Nous restâmes dans un mauvais cabaret sans coucher. 

Le 14. Vendredi. — Pluie et vent. La Marck et moi allâmes à un 
quart de lieue, à un couvent de bénédictines, chercher du logement 
pour les dames. Toutes les religieuses étaient parties de peur, il n'en 
restait qu'une, la marquise de Coppens, qui nous offrit toute la mai- 
son ; il y avait déjà des soldats , mais la maison était démeublée. 
Nous redescendîmes à l'auberge ; Simolin partit pour Cologne et nous 
remontâmes au couvent. On venait de demander du logement pour 
le baron de Pinzenstein, général d'artillerie. Nous gardâmes le réfec- 
toire pour les dames et nous* les fîmes avertir à Bergheim. Il y avait 
au couvent le major de Ruremonde, M. Petit, avec sa femme, qui fut 
très-obligeante et nous aida & rassembler ce qu'il fallait. Nous fîmes 
un dîner détestable avec la religieuse. Pendant le dîner arriva le 
général d'artillerie ; il entra chez lui ; ensuite entrèrent trois oflSciers 
des uhlans, dont un était le comte de Schafgotsche de Vienne. A quatre 
heures M°® Petit partit et emmena avec elle sa cousine la religieuse. 
La Marck et moi restâmes seuls dans le réfectoire, je fus très-triste : 
l'idée d'une maison toute abandonnée et démeublée, l'incertitude si 
elles arriveraient, si Crawford n'avait pas changé de plan, tout cela 
m'attristait. Enfin à sept heures on vint m'avertir qu'elles arrivaient, et 
un quart d'heure après elles y étaient ; elles couchèrent dans le ré- 
fectoire, nous dans les voitures. 

Le 16. Samedi, — A onze heures nous partîmes ; à trois heures nous 
étions à Cologne. Je logeai avec Simolin à la cour de Cologne , les 
dames sur le Domhof. Lettre de Paris que M. Blaire m'envoya, qui 
me fit de la peine. 

Le 17. Lundi, — Nous partîmes à dix heures et arrivâmes à deux 
heures à Opluden ; nous y fûmes mal logés. 

Le 18. Mardi. — Nous partîmes à onze heures et nous n'arrivâmes 
à Dusseldorf qu'à six heures du soir. 

Le 23. Dimanche, — Causé avec le baron de Breteuil. Le roi de 
Prusse lui a dit qu'il connaissait tous les propos démocrates qui se 
tenaient dans son armée et contre lui ; qu'on en tenait de pareils 
dans les antichambres de son oncle qui n'y faisait pas attention, et 
que lui en faisait de même. Il a renvoyé le général Corbière, celui qui 
commandait à Verdun, pour des propos. Il a fait mettre en prison et 



ET LA COUR DE FBANCE. 61 

renvoyé pour la même raison le général de l'artillerie. Bischoffswerder 
voulait depuis longtemps le faire retourner à Berlin ; il le bourrait 
toutes les fois, et ne veut y retourner qu'après avoir chassé les Fran- 
çais de l'autre côté du Rhin. 

1793. Janvier. Le 2 Mercredi. — Le roi a été à la barre le 26. De 
a Sèze lu sa justification, qui est forte de choses. Le roi a ajouté avec 
sensibilité que ce qui le touchait le plus était d'être accusé d'avoir 
voulu répandre le sang de son peuple, lui qui depuis son règne 
n'avait cherché que leur bonheur. Le roi s'est retiré, et on a ajourné 
la discussion à tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit décidée. 

Le 12. Samedi. — M. Murrai passé pour aller joindre le roi de 
Prusse et rester avec lui. Il dit que Pitl ^st bien décidé à se déclarer ; 
qu'on travaille à sauver la famille royale, qu'on veut gagner Du- 
mouriez, car il s'est donné avec Danton, Sainte-Foix, Bobespierre et 
Marat au parti d'Orléans. Ils veulent exterminer la famille royale et 
placer celle d'Orléans, et, s'ils ne peuvent placer le père, du moins 
le fils. Boland et Le Brun sont contraires à cela. 

Le 27. Dimanche. — Reçu le soir, à dix heures et demie, de l'arche- 
vêque de Tours les tristes détails de la mort du roi. Quoique j'y fusse 
préparé, la certitude d'un si affreux attentat renouvela toutes mes 
douleurs. Les souvenirs les plus déchirants se présentaient à mon 
imagination. J'expédiai le soir une estafette au régent (1), pour l'en 
instruire, et cette expédition me coûta beaucoup. 

Le 30. Mercredi. — Testament de Louis XVI superbe. Nicolaï s'of- 
fre pour défenseur de la reine, il mande la mort de la petite Madame; 
il a écrit à la reine pour s'offrir et a envoyé sa lettre au président de 
la Convention. 

Le Zl. Jeudi. — Les lettres ne parlent pas du procès de la reine ; 
elle était encore au Temple. La Marck propose à Mercy de faire une 
démarche très-simple et uniquement pour réclamer sa tante. Combattu 
cette idée. La démarche n'est point utile et ne peut la sauver, car 
rien ne fait sur ces scélérats, mais elle peut être nuisible en faisant 
agiter la question de son procès et en le précipitant peut-être, pour éviter, 
comme on a dit à la réclamation de l'Espagne en faveur du roi, que 
d'autres puissances ne fassent des démarches pareilles ; il faudrait 



(1) Prince-régent de Suède pendant la minorité du roi Gostaye IV Adolphe. 



62 LE COMTE DE FERSEN 

mieux coDnaître la disposition des esprits à Paris pour décider po- 
sitivement là-dessns. Mais une démarche qui ne peut être utile ne 
me paraît pas devoir être faite, si on peut croire qu'elle pût être nui- 
sible. Crawfordy Simolin, la Marck et moi consultâmes ensemble 
toute la soirée là-dessus. 

FÉVRIER. Le P^ Vendredi. — Pelun est à Londres en relation avec 
Stadion et le ministère. Il avait proposé de gagner l'évêque d'Autun 
et par lui Dnmouriez qui ont des relations de voleries et d'agiotage, 
et Pelun a fait donner à Tévêque d'Autun par son banquier pour 
l'agiotage un homme nommé Jaubert, dévoué à lui, qui est allé 
résider auprès de Dnmouriez pour fidre les affaires d'argent. Il vou- 
lait qu'on convînt avec Dnmouriez de laisser prendre les d'Orléans , 
qu'on aurait gardés comme otages pour le roi. Saint-Foix, Talon, 
Danton, Espagnàc, Dnmouriez, tout cela est de la cKque d'Orléans. 
Le 3; Dimanche* — On a mandé à M. Quidor, qui est ici, qu'on vou- 
lait déclarer le Dauphin bâtard, raser la reine et l'enfermer à la 
Salpêtrière. On n'ose y penser à force d'horreur, mais tout est possi- 
ble. Le jeune Bouille a dit que le prince de Gralles avait eu un plan 
avec le duc de Choiseul et d'autres pour enlever le roi. Cela me fit 
naître l'idée pour ce qui reste de la famille , mais il n'y a que des 
Anglais qui le puissent, et j'y vois encore mille difficultés. Cependant 
je m'attache à cette idée. 

La déclaration de Monsieur pour la régence était arrivée ; l'arche- 
vêque de Tours me la porta le soir. Elle est bien écrite ; mais il 
n'aurait dû prendre ce titre que vu les circonstances , au lieu de spé- 
cifier jusqu'à la majorité, et aurait pu passer sous silence tous les 
engagements. Cette pièce sera imprimée ici et à Cologne ; les im- 
primeurs ne l'ont pas osé; 'on a essayé à Francfort. Le cardinal de 
Montmorency, qui est chargé de la notifier aux Français, voulait les as- 
sembler tous dans une cour, et la leur lire ; on lui a représenté que, 
les Français n'étant pas ici de droit mais de fait, puisque il y a ordre 
de les renvoyer, cela serait imprudent. Il voulait aussi faire prêter 
un serment; tous les évêques s'y sont opposés; jamais, même au 
sacre, on n'en prête individuellement ; 'tout Français naît sujet. Il y 
a déjà des partis entre les Français. Les uns approuvent la régence 
de Monsieur, d'autres rappellent les droits de la reine, et il est fort à 
craindre que cette division d*opinion n'ait des suites un jour. Les 
princes vont faire mille bêtises déjà. On dit qu'ils vont désigner un 



1 



ET LA COUR DE FRANCE. 63 

chancelier, mais à la mort de Maupeon; Barentin Ta été par lettres du 
feu roi 9 et Barentin réclamera. 

Le 6. Mercredi. — La mort du roi n'a pas fait grand effet sur les 
émigrés ; ils se consolent avec la régence de Monsieur. Quelques-uns 
ont même été au spectacle et au concert. 

Ije 13, Mercredi, — Nouvelles de Cologne que la France a déclaré 
la guerre le V^ février à l'Angleterre et à la Hollande ; qu'elle va faire 
un manifeste et appel aux peuples. Décrété 800 millions d'assignats, 
20 millions pour acheter des grains à l'étranger ; qu'on ira chercher 
des bois en Corse pour construire sur-le-champ des vaisseaux à Tou- 
lon. Protection spéciale pour tous les Anglais et leurs biens. Si cela 
n'était sérieux, cela ne serait que risible. 

Le 16. Vendredi. — Des lettres de Paris à la Haye mandent que 
la reine est fort maigrie et changée, mais se porte bien ; que le Dau- 
phin est charmant, que ses gardes ne le quittent que pleurant. Kalk- 
reulh a dit que le secrétaire de M. Pache, arrivé avec lui à Mayence, 
et plus enragé que tout ce qui a jamais été vu, a dit que le duc 
d'Orléans avait demandé à être bourreau pour exécuter le roi, qu'il 
avait dit que, si on le chassait de France, il demandait à être plutôt 
guillotiné, car il ne serait reçu dans aucun pays. 

Le 21. Jettdi. — Dumouriez demande une entrevue avec lord 
Aukland; après eu avoir reçu l'agrément de la cour, milord consent, 
fixe le jour et le lieu. C'est alors qu'arrive la déclaration de guerre, 
dont Dumouriez a été fort choqué et qui lui a fait écrire cette lettre 
remplie de fiel à la Convention. Je suis fâché que l'entrevue n'ait 
pas eu lieu, car je crois qu'elle avait bien plus en vue les affaires 
particulières de Dumouriez que celles de la république, et qu'on l'au- 
rait peut-être engagé à rendre un grand service en livrant l'armée et 
les enfants d'Orléans et terminant ainsi la guerre dans les Pays-Bas. 
Trois aubergistes. Grenier, Boyer et ont été exportés d'An- 
gleterre; on a trouvé que depuis longtemps ils étaient en correspon- 
dance avec le duc d'Orléans et qu'il soutenait même leurs hôtels pour 
que les étrangers y fussent bien et à un prix raisonnable. 

Le 26. Mardi, — Des nouvelles de Breteuil du 17 mandent qu'on 
y sait que la reine et sa famille se portent bien. On dit que Du- 
mouriez a dit, en partant de Paris, que dans six semaines il y revien- 
drait et y trouverait un roi, apparemment le duc d'Orléans, dont on 
veut faire un consul avec un pouvoir illimité. 



64 LE COMTE DE FERSEN 

Mars. Le P'. Lundi. — Le duc de Brunsvick a toujours une grande 
influence et cela fait craindre peu d'activité de ce côté. Il ne veut 
pas changer sa manière de faire la guerre. Le roi est très-entrepre- 
nant, ardent et désireux de faire, mais trop faible contre les raisonne- 
ments du duc ; on espère pouvoir l'engager à appeler Mollendorf et 
qu'alors le duc quittera, ou que du moins le roi aura alors la force 
pour agir selon ses dispositions. Le plan actuel est de fitire passer 
le Rhin au vieux Wurmser avec les Autrichiens à Oppenheim , de 
tomber sur Spire et Worms, chasser les Français de devant Manheim, 
où ils ont des batteries, et, lorsque la communication avec liandau sera 
ainsi coupée, d'attaquer Mayence de tous les côtés. Le roi de Prusse 
aura 50,000 hommes de ses troupes, 6,000 Saxons, 10,000 de Hesse- 
Gassel et 6,000 de Darmstadt ; en tout 72,000 hommes. Toute la 
cavalerie prussienne est remontée et l'armée est dans le plus bel état 
possible. En Hollande il y aura aux ordres du duc de York 50,000 
hommes, c'est-à-dire 7,000 Anglais, 12,000 Hanovriens, 6,000 Hessoig 
à la solde d'Angleterre, et 25,000 hommes, que les Hollandais met- 
tront en campagne, sans compter les garnisons. Cette armée ne sera 
prête qu'au commencement d'avril ; il n'y a à présent que 2,000 An- 
glais et les garnisons des places. Le prince de. Cobourg n'a en tout 
avec Beaulieu que 55,000 hommes, dont il a détaché 5,000 hommes 

pour renforcer le prince Ferdinand, qui n'a que. hommes. Les 

Hanovriens ne sont pas encore arrivés, par uue méprise : l'ordre était 
arrivé d'envoyer le contingent de 4,000 hommes et de compléter les 
régiments désignés en tirant des autres, tout de suite. Après vint 
l'ordre de fikire marcher 12,000 hommes : alors la régence fit faire 
halte au contingent déjà en marche et fit revenir les soldats qui 
avaient été tirés des autres régiments ; c'était une erreur. Des ordres 
sont partis pour hâter leur arrivée. 

Le 7. Jeudi. — Nicolaï mande de Paris, du 26, qu'une section a 
délibéré sur le Temple et a dit que Louis Oapet était né pour être 
un mauvais sujet, qu'il fallait en faire un bon , et l'enlever à deux 
femmes incorrigibles. On parle de pétitions pour juger la reine. Il 
paraît sûr que le parti d'Orléans travaille fort ; on croit même qu'ils 
profitent des mouvements au sujet de la misère et du manque, ou 
qu'ils les excitent, pour prouver la nécessité d'un souverain et faire 
nommer le duc d'Orléans. 

Le 10. Dimanche. — Le baron de Breteuil arriva le soir. Il était 



ET LÀ COUR DE FRANCE. 65 

fort content personnellement de Pitt et des ministres anglais , mais 
pas content pour les affaires. H dit que Pitt est un pauvre homme 
pour toutes les affaires extérieures, qu'il n'entend pas du tout, et 
couvre sa médiocrité par le silence ; qu'il entend parfaitement celles 
du dedans, et surtout l'intrigue pour conserver sa place et sa popula- 
rité. H croit que les ministres ne travaillent qu'à la ruine totale de 
la France et ne sont pas fort intéressés à la conservation de la famille 
royale. Les constitutionnels ont proposé au baron (1) d'obtenir un 
décret pour faire exporter la reine et sa famille et demandent pour 
cela six millions payables lorsque la famille sera sur terre étrangère. 
Le baron en parla à Pitt, pour obtenir les six millions, qui y trouva 
des difficultés telles que celle de traiter avec ces gens-là, et qu'ils s'en 
vanteraient; il promit cependant d'en parler au roi. Quelque temps 
après, un nommé Toustaing, premier aide de camp et homme de con- 
fiance de Dumouriez , qui avait été obligé de se sauver à cause d'un 
décret de prise decorps sur l'affaire de Tulon et Sainte-Foix, ot^il 
était compromis , vint voir le baron et lui fit pour Dumouriez lés 
propositions ci-jointes, qu'il écrivit de sa propre main chez le baron, 
qui les porta à Pitt. Il y fit la même objection que pour les six mil- 
lions et promit de même d'y penser. Le baron partit trois semaines 
après, isans avoir reçu de réponse. Il lui écrivit la veille un billet sur 
ces objets sans réponse ; ce ne fut qu'en arrivant ici qu'il trouva la 
lettre de M. Pitt, avec le papier de Toustaing qu'il lui renvoyait. 
Cette conduite est extraordinaire ; le baron l'attribue au peu d'envie 
qu'ils ont pour le rétablissement de la France et la conservation de 
la famille royale. Il se confirme dans ses soupçons par un traité qui 
a été signé par des députés des îles françaises et le ministère anglais, 
pour prendre les îles sous sa protection, où il est dit dans un article 
que l'Angleterre ne gardera les îles qu'autant qu'il y aurait sur le 
trône de France une autre famille que celle des Bourbons. Le baron 
a représenté aux députés, qui lui en ont parlé, combien cet article 
était mauvais et pouvait refroidir sur le sort et la conservation de la 
reine et du jeune roi ; il croit aussi que cela est; moi, je ne le crois 
pas, car ils sont même sans cela les maîtres de tout faire et de tout 
garder. C'est plutôt méfiance en ce que promettent les Français et 
crainte de leur légèreté. 

(1) De Breteua. 

T. II. 6 



66 LE COMTE DE FERSEN 

Le 20. Mercredù — D'après mon conseil, le baron (1) s'était décidé 
à envoyer le vicomte de Caraman à Wesel, pour communiquer avec 
le comte de Mercy sur les propositions de Dumouriez et le refus de 
l'Angleterre. Il fut aussi étonné de l'un qu'il approuva l'autre ; il 
saisit l'affaire avec chaleur, dit qu'il en écrirait à Vienne , appuierait 
la chose, et qu'on donnerait jusqu'à 3 ou 4 millions ; mais que, vu les 
circonstances qui étaient changées, il fallait demander que Dumouriez 
se laissât prendre avec les deux fils du duc d'Orléans et qu'il livrât 
une ou deux grandes places ; qu'on lui donnerait de l'argent, amnistie 
pour lui et ceux qu'il indiquerait et l'assurance de quelque grande 
place au service du roi. Il fut & merveille sur les affaires de France : 
il dit qu'il fallait rétablir la royauté, la monarchie, les trois ordres, 
sans cela la France serait un ver rongeur qui inquiéterait sans cesse 
toute l'Europe. On suppose que d'avoir été déclaré citoyen français 
et d'avoir tout perdu lui a donné ces bonnes dispositions. Il ne sait 
pas encore où sera le congrès. 

Les Français, en abandonnant le siège de Wilhelmstadt et les 
bords de Mordyck, y ont laissé cent et quelques pièces de canon qu'ils 
ont enclouées, et ont brûlé leurs batteries. 

Les dons patriotiques vont & merveille à Vienne : trois petits vil- 
lages qui font commerce en quincailleries ont donné 200,000 florins. 
Les députés sont venus demander à l'empereur à qui il fallait remet- 
tre leur don : il leur a répondu que c'était à lui; ils l'ont prié d'at- 
tendre et ont été chercher cette somme, qu'ils ont jetée en or à ses 
pieds. Les mêmes ont présenté à l'impératrice, qui est grosse, une 
pièce de toile pour ses couches ; l'impératrice les a remerciés. Ils lui 
ont dit qu'ils lui en donneraient davantage, si elle en avait besoin , 
que cela se faisait chez eux, et ils l'ont priée d'examiner la toile. En 
l'ouvrant elle a trouvé entre les bandes pour 80,000 florins en billets 
de banque. 

Le 30. Samedi. — Dumouriez a été fort bien partout, et tous ceux 
qui ont eu affaire à lui en sont fort contents. Il a écrit une lettre en 
date du 12 mars et qui se trouve dans la gazette de Bruxelles, qui 
est la dernière qui a été imprim,ée ; cette lettre est très-forte contre 
l'Assemblée , et Dumouriez paraît par là vouloir rompre avec l'As- 



(1) De Breteuil. 



ET LA COUR DE FRANCE. 67 

semblée. On n'en a pas fait rapport à la Convention , du moins cela 
n'est dans aucun papier de Paris. Il paraît certain que Dumouriez a 
fait des propositions au prince de Cobourg ; MM. Marck et Fischer 
ont été à son camp et sont restés longtemps avec lui ; à leur retour 
Fischer est parti sur-le-champ pour Vienne. — On dit que les trou- 
pes de ligne ne veulent plus se battre et qu'elles font des propositions 
pour passer. 

Le 31, Dimanche, — Reçu une lettre de la duchesse de Polignac qui 
me mande qu'elle a reçu des nouvelles de la reine par un médecin ; 
c'est sûrement la Gaze. 

Avril. Le 5. Vendredi, — Un exprès envoyé par le vicomte de 
Caraman au baron de Breteuil a apporté l'arrangement fait par Du- 
mouriez avec le prince de Cobourg. J'en envoyai une estafette en por- 
ter la nouvelle en Suède. La joie fut très- vive. J'en eus d'autant plus, 
que je ne craignais plus rien pour la reine. Je demandai à Taube (1) 
de me dire si je devais me régler encore selon les instructions que 
j'avais, au cas que le roi (2) fût en liberté, ou bien en attendre d'au- 
tres, et dans ce cas de me les faire envoyer au plus tôt, car ceci 
pouvait aller très-vite. Comme il connaît mieux la position, je croyais 
qu'il valait mieux laisser cela à sa décision que de rien demander. — 
Le soir le maréchal de Broghe reçut la nouvelle que Dumouriez 
marchait seul sur Paris avec 50,000 hommes qui avaient tous la co- 
carde blanche, et que le prince de Cobourg restait sur la frontière, 
tout prêt à l'appuyer, si cela était nécessaire. 

Le 7. Dimanche, — Je proposai au baron (3) d'envoyer quelqu'un 
qui pût voir la reine au moment de sa délivrance, pour l'instruire de 
sa position et lui donner des conseils sur ce qu'elle aurait à faire en 
opposition avec ceux que M. de Mercy ne manquerait pas de lui 
envoyer par écrit. Il goûta mon idée, et l'évéque de Pamiers devait 
.partir le lendemain; il devait se rapprocher de l'armée française et 
tâcher par Sainte-Foix de voir Dumouriez. 

Le 8. Lundi, — J'étais occupé & écrire le matin à la reine la note 
ci-jointe, lorsque l'évéque de Pamiers entra chez moi et me dit que 
l'armée de Dumouriez s'était révoltée contre lui, qu'il était passé 



(1) Ministre des affaires étrangères en Suède. 

(2) Louis XVII. 

(3) De Breteuil. 



68 LE COMTE DE FERSEN 

à Mons avec tout son état-major, presque tous les officiers du génie 
et d'artillerie et beaucoup de troupes de ligne, et que le reste le sui- 
vait : c'était Dampierre qui avait débauché les gardes nationales ; que 
Dumouriez, lorsqu'il s'était aperçu qu'on tramait quelque chose, avait 
voulu livrer l'artillerie et la caisse, mais qu'il en avait été empêché 
et n'avait pu que se sauver tout seul ; qu'il avait même été fusillé 
par un de ses détachements. Dans le premier moment cette nouvelle 
me frappa ; mes craintes pour la reine renaquirent, car sans cela la 
nouvelle aurait été bonne : leur armée était désorganisée, et Du- 
mouriez, qui aurait été une puissance ayant 50,000 hommes à ses 
ordres, n'était plus rien. La consternation parmi les Français était 
aussi grande que leur joie l'avait été : ils croyaient tout perdu. 

Le \0. Mercredi. — Je vis chez moi le soir M. de limon, qui était 
revenu de Vienne. H n'est pas vrai qu'il en ait été renvoyé, comme l'on 
avait dit; il y a été au contraire très-bien reçu et bien traité, on lui 
a même parlé d'affaires. Il me rendit compte de ses conversations, 
et me lut un mémoire qu'on lui avait demandé sur les opérations de 
la campagne. 

Je fus très-content du tout. H leur a dit franchement la vérité. 
Son plan était d'avoir deux armées : une faible du côté de Cologne 
et la principale devait percer par Luxembourg, marcher sur les places 
frontières et forcer ainsi les Français à se retirer ou les couper et 
détruire leur armée ; il insistait sur beaucoup d'artillerie. Son plan 
était bien fait, bien raisonné, la partie des subsistances était bien 
feite et il l'avait bien discutée. Cependant celui de Jarry vaut mieux. 
H prétend que c'est ce mémoire qui a décidé la marche des troupes et 
de l'artillerie. H mit dans tout cela l'importance qui ne le quitte 
jamais. 

Le maréchal de Castries passa pour aller & Bruxelles. H venait 
et disait qu'il allait pour des affaires pécuniaires, mais c'était sans 
doute pour se rapprocher des événements et de Dumouriez et traiter 
de la régence. Limon , qui avait vu Monsieur, assurait que, d'après ce 
qu'il lui avait dit, il avait lieu de croire que Monsieur la résignerait 
à la reine dès qu'elle serait en liberté. 

Un M. de la Jarre, qui avait souvent été envoyé en courrier par 
les princes, et qui passa, assura au baron (1) que c'était l'intention 



(1) De BreteuU. 



ET LA COUR DE FRANCE. 69 

de Monsieur. J'en parlai à Limon, qui était de cet avis et ne l'avait 
pas caché à Vienne au duc de Polignac, lequel ne paraissait pas penser 
de même, et à Hamm aux entours de Monsieur. Je dis à Limon 
combien il serait important d'avoir quoiqu'un qui pût engager Mon- 
sieur à écrire et envoyer une lettre qui pourrait être remise à la 
reine au moment de sa délivrance, ou du moins que Monsieur fît cette 
démarche dans le moment même où il en aurait la nouvelle ; mais 
que, s'il ne le faisait de ^on propre mouvement et sans consulter per- 
sonne, il en serait détourné par son conseil, et que cette renoncia- 
tion était importante pour éviter les intrigues du dedans et empêcher 
la désunion parmi les puissances. Limon sentit mon raisonnement et 
m'offrit d'être cet homme et d'engager Monsieur à cette démarche, 
s'il pouvait être le premier & lui porter la nouvelle de la délivrance 
de la reine, afin d'empêcher que l'affaire ne fût délibérée au con- 
seil et qu'on ne fît des démarches vis-à-vis des puissances. Le ba- 
ron (1) l'approuva, et nous convînmes de tâcher par Metternich qu'il 
en serait le premier instruit. Il me dit que le maréchal de Castries 
avait à Hamm l'existence d'un premier ministre. Il y avait eu à An- 
vers une conférence de tous les généraux et les ministres des puis- 
sances coalisées ; on en ignorait le résultat. 

Le 11. Mercredi. — Dumouriez arriva à deux heures ; je fus le voir 
avec Simolin à la poste. Nous perçâmes une foule de monde et le 
trouvâmes dans une salle basse, les fenêtres étaient assiégées de 
monde. Il était seul avec trois aides de camp. Il reconnut Simolin ; 
je me nommai , il me fit un compliment, disant qu'il aurait dû me 
reconnaître à ma belle figure. Je le remerciai des politesses qu'il 
avait faites à Berlin ; il me répondit que, s'il n'avait pu en faire 
toujours, ce n'avait pas été sa faute mais celle des circonstances. Je 
lui dis que j'étais bien aise de le voir ici; il me répondit qu'il en 
avait depuis longtemps le projet. Il nous dit que Sainte-Foix n'avait 
rien à craindre, que la peur était à Paria et qu'on n'oserait, rien lui 
faire. Je lui dis : Expliquez-moi ^ monsieur, ce qui vient de se passer 
pour M. le duc d'Orléans. — Jenepuis vausen donner aucune explication, 
monsieur le comte, car je n'ai jamais eu de relations avec monsieur le 
duc d Orléans, que j'ai toujours méprisé et que j'ai regardé comme un 



(1) De Breteuil. 



70 LE COMTE DE FERSEN 

scélérat Je sais cependant qu'an Va beaucoup dit; mais, comme ce bruit 
est la seule tache dont on puisse noircir mja conduite, je vais donner une 
procla/nation qui prouvera que je n'ai jamais eu de rapports avec lui. 
Je lui demandai des détails bwx les circonstances de sa fuite. Il me 
les donna telles qu'elles sont dans sa proclamation, et ajouta que 
son aide de camp Batiste, qui était là, avait eu un cheval tué sous lui* 
Il me dit beaucoup de bien du duc de Chartres, qui, disait-il, ne 
ressemblait en rien à son père. Il m'assura que Biron et Custine se 
conduiraient bien, qu'il se rapprochait de Mayence pour avoir des in- 
telligences avec lui; qu'il irait peut-être à Vienne, qu'il avait un 
projet en tête. Il se plaignit de la lenteur des Autrichiens, qu'il 
fallait plus d'activité contre ces gens-là et qu'on en viendrait facile- 
ment à bout; qu'il n'y avait plus d'armée, que toutes les troupes 
de ligne passeraient dès qu'elles pourraient; qu'ils avaient placé les 
gardes nationales en première ligne, l'infanterie de ligne en seconde, 
et la cavalerie, dont ils se méfient encore plus, à quatorze lieues en 
arrière. Il se plaignit beaucoup de Dampierre, qui l'avait trahie et en 
qui il avait eu confiance, étant, disait-il, un homme de qualité et fait 
pour bien penser; que son projet était de s'emparer et livrer Lille, 
Condé, Valenciennes et Maubeuge avec les commissaires qui y 
étaient pour servir d'otages ; que ce projet avait manqué par l'im- 
bécillité de ceux qu'il en avait chargés ; qu'on avait déjà proposé de 
changer les quatre commissaires arrêtés contre la famille royale; 
que son opinion avait été qu'il fallait tout accorder pour avoir la 
famille royale et qu'il ne fallait ensuite rien tenir à ces gueux-là ; 
que, même en reconnaissant la république, on pouvait ensuite 
continuer la guerre et voir qui serait plus fort, d'elle ou des puis- 
sances; qu'on avait envoyé un courrier à Vienne pour cela. En 
tout, je trouvai en lui un vrai Français : vain, confiant et étourdi, 
ayant de l'esprit et peu de jugement. Tout son plan a manqué par 
un excès de confiance dans ses forces et son influence sur l'armée. 
Il n'avait pas assez préparé la chose. Je le trouvai fort inquiet 
et ému au moindre bruit que faisait la foule qui était à la porte 
et aux fenêtres ; il avait l'air de craindre quelque mésaventure. 
Son laquais vint se plaindre d'avoir été insulté par un émigré, 
il le renvoya et nous dit : Si ces messieurs poussent la chose trop 
loin j je leur montrerai que je sais encore me faire respecter, — Son 
laquais avait tort : il avait dit que son maître était toujours bon 



ET LA COUR DE FRANCE. 71 

patriote. Les émigrés étaient fort irrités et plusieurs voulaient l'as- 
sommer. Je le quittai dans la crainte que quelques têtes chaudes 
ne fissent une scène. 

En montant en voiture, il fut insulté de paroles. — Il me dit , 
pour justifier les différentes proclamations qu'il avait faites, qu'il 
fallait parler à ces gens-là leur langage, et qu'on ne passait pas de 
l'état d'anarchie où ils étaient au despotisme sans passer par diffé- 
rentes gradations. Une voiture, cassée nous avait obligés de passer la 
journée à Aix-la-Chapelle. 

Le 20. Samedi. — Il y a eu des propositions pour échanger la 
famille royale contre les quatre commissaires pris par Dumoariez,mais 
on demande de plus une suspension d'armes illimitée et la reconnais- 
sance de la république. Le prince de Cobourg a fait demander une 
explication sur l'énoncé vague d'une suspension illimitée, et que la 
famille royale ftit emmenée aux frontières, que les commissaires le 
seraient aussi et qu'alors on traiterait. On attend la réponse à ces 
propositions. Metternich a dit à Facius, consul de Russie, qu'il espé- 
rait que bientôt la famille royale serait ici. 

Le 28. Dbnanche. — L'archiduc fit son entrée (1), il était dans 
un phaéton arrangé en char, traîné par plus de trois cents per- 
sonnes ; un amour était sur le siège. Il fut reçu avec des démonstra- 
tions véritables d'amour. Il y eut cercle; tous les appartements 
étaient dévastés,, et dans le salon toutes les glaces et les tables 
d'un côté étaient brisées , la cheminée aussi ; les tapisseries enle- 
vées. A la comédie, on lui fit un joli compliment. Il y eut illumi- 
nation, bal et souper à la maison du roi sur la grande place ; c'est 
une maison indigne. Ce qu'il y avait de vraiment remarquable c'est 
Tordre et la tranquillité qui régnaient dans la foule du monde qu'il 
y avait partout. 

Mai. Le 3. Jeudi. — Le comte de Mercy a eu ordre de venir joindre 
le prince de Cobourg pour diriger sa conduite politique, qu'on craint 
depuis sa proclamation du 5 avril. C'est sur la nouvelle de la défec- 
tion de Dumouriez et la persuasion où l'on était que les affaires 
iraient plus vite, qu'on avait donné ordre au comte de Mercy de ne 
plus aller à Londres, et lli conduite du prince de Cobourg a fait 
confirmer cet ordre. La déclaration dont Dumouriez nous avait parlé 

— — . . 1 — - - ■ ■ - - ■- - ^^-^^^— ^— 

(1) A Bruxelles. 



72 LE COMTE DE FERSEN 

à Aîx4a^Chapelle contre le duc d'Orléans parut ; elle est plate et ne 
prouve rien. 

Le 3. Vendredi. — Crawford revint de Tournay; il avait été té- 
moin delà petite affaire que les Anglais avaient eue le 1*'. Il dit que 
les Français se sont battus atec une valeur extraordinaire; qu*ils 
avancent bien, que leurs canonniers tiraient quoiqu'ils fussent en- 
tourés par les dragons autrichiens ; qu'un canonnier eut un poing 
coupé par un dragon dans le moment qu'il allait mettre la grappe 
de raisin dans le canon. Il a vu les prisonniers : l'officier était très- 
insolent et répondit mal au duc d'York, qui dit tout ; il paraît que 
ces messieurs n'ont pas encore la tonte de leurs crimes. Les dra- 
gons autrichiens et les habitants étaient fâchés de ce qu'on avait fait 
des prisonniers et, disaient-ils, ils nous Tnasscvcrent quand ils nous 
prennent, pourquoi les ménager ? Le duc d'York pense que le roi et la 
monarchie devaient être rétablis en entier, et la reine régente, qu'on 
le lui doit pour son caractère et tout ce qu'elle a souffert. Les An- 
glais sont 6 à 7,000 hommes ; ils ont deux escadrons autrichiens 
avec eux, jusqu'à ce que leur cavalerie soit arrivée. Les Hollandais 
sont 10,000 hommes. 

Le \\. Samedi. — Le comte de Mercy a été fort content de mylord 
Auckland à la Haye. Ils sont convenus d'agir franchement, autant 
que le pourront deux hommes qui ne le sont point naturellement ; 
mais ils ont été d'accord que la régence devait appartenir & la reine, 
qu'il fallait, à tel prix que ce fût, écraser la république et les nou- 
veaux principes, et qu'ils travailleraient tous les deux à engager 
leurs cours à redoubler d'efforts. Les royalistes augmentent tous les 
jours et Gaston a des succès. Il paraît certain que Nantes est pris. 
Ce Gaston était major d'infanterie et lieutenant-colonel constitu- 
tionnel; il voulut émigrer et fut refusé à Coblence; Darzon de même. 
La conduite imbécile des princes leur a toujours fait refuser à tort 
égal les gens utiles et accepter les inutiles. 

i^ 14. Mardi. — Les papiers de Paris du 7 et 8 rendent compte 
de la nouvelle que M. de Limon avait reçue la veille. Il est dit que 
les commissaires ont rendu compte des succès des rebelles et demandé 
des secours prompts, mais ils n'entrent dans aucun détail. Il paraît 
que l'Angleterre a envoyé à Gaston des secours en armes et muni- 
tions. Il faudrait aussi un peu d'argent et 4 à 5,000 hommes, qui gar- 
deraient un port quelconque et pourraient donner un coup de collier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 73 

Ce léger secours ferait grand effet et assurerait ses succès par l'o- 
pinion, car s'il a un revers , la moitié de son monde l'abandonnera, 
et s'il est soutepu, il ira à Paris et fera, lui seul, la contre-révolu- 
tion, même avant que les armées alliées soient entrées en France ; 
mais il ne faut pas souffrir que des émigrés en corps ou individuelle- 
ment y aillent ; l'envie et la jalousie gâteraient tout. 

Le 20. Lundi. — M. de Mercy a dit à Crawford qu'il irait une fois 
par semaine voir le prince de Cobourg ; qu'il avait les pleins pouvoirs 
les plus étendus pour les affaires de France, qu'il était décidé d'agir 
avec la plus grande confiance vis-à-vis de l'Angleterre et à les ins- 
truire de tout. Que quant aux négociations, il pense qu'il n'en faut 
entamer aucune avec les Français et n'écouter aucune proposition, 
car elles ne mènent à rien, et il est décidé à ne recevoir personne, 
à moins qu'il n'en vienne chargés de conmiissions ostensibles et pu- 
bliques. Il croit qu'il ne faut employer absolument que la force, et 
qu'il faut secourir Gaston et même lui envoyer quelques troupes, 
mais pas d'émigrés. 

H pria Crawford de bien dire cela. Il soupçonne toujours les in- 
tentions de l'impératrice et qu'elle n'a voulu et ne veut encore 
que bien engager l'empereur et les autres à ne rien faire. Il est vrai 
qu'elle a clairement prouvé que son affaire principale était la Pologne , 
car, celle-là finie, elle donne 12,000 hommes, Mercy croit qu'elle 
n'a reconnu la régence de Monsieur que dans l'espoir d'embarrasser 
les autres puissances. M. le comte d'Artois s'est embarqué à Réval 
pour Londres ; son arrivée ne fera pas plaisir. Je ne serais pas étonné 
que l'impératrice lui ait confié le commandement des 12,000 hommes 
et qu'il voudra les mener en France , se joindre à Gaston ; l'Angle- 
terre ne le permettra pas. Monsieur a fait dire en Angleterre qu'il 
n'avait pris le titre de régent que parce qu'il croyait que cela était 
avantageux pour donner aux Français un point de ralliement, mais 
qu'il était décidé & remettre la régence à la reine et qu'il n'était pas 
du tout offensé du refus des puissances de le reconnaître. 

Le 22. Mercredi. — La Caze a été au Temple : il a trouvé la reine 
très-peu changée. M™* Elisabeth tellement méconnaissable qu'il ne 
l'a reconnue que lorsque la reine l'a nommée ma scmr ; elle était 
dans la chambre, en bonnet de nuit, vêtue d'un habit d'indienne très- 
commune. La petite Madame^ avait tout le corps couvert d'ulcères 
et était menacée d'une dissolution de sang. Sa jeunesse et beaucoup 



74 LE COMTE DE FERSEN 

de soins pourront la tirer d'affaire. On mandait de Paris que le jeune 
roi avait été malade et que la Commune avait refusé le médecin que 
la reine avait demandé, sous prétexte qu'il était aristocrate, et en 
avait envoyé un à sa façon. — On disait Angers pris par Gaston, et 
que le chevalier de Coigny et M. de Choisy étaient à la tête de ces 
différentes colonnes. Je ne serais pas éloigné de croire à une coali- 
tion entre l'empereur, l'Angleterre et la France, quand les affaires 
seront rétablies, contre la Russie et la Prusse, dont on paraît mé- 
content à cause de l'affaire de Pologne et de leur peu d'activité. 

Juin. Le 11. Mardi. — Le comte Diedrikstein mande de l'armée 
que le siège de Valenciennes devait commencer le soir ; que par des 
gazettes de France on apprenait que Gaston avait eu un nouveau 
succès, qu'il était devant Niort, où il y avait quatre commissaires de 
la Convention ; qu'à Lyon il y avait eu un combat et que les jaco- 
bins avaient eu le dessous ; qu'en Auvergne le chevalier de Bolat 
était à la tête d'un parti royaliste, qu'il avait proclamé le roi ; qu'il 
s'emparait des villes au nom du roi et tuait tous les jacobins et les 
volontaires nationaux. 

Le 16. Lundi. — La reine se baigne ; Louis XVII a une rup- 
ture, la Commune lui a envoyé un médecin. 

Le 22. Samedi. — Dumouriez est arrivé, le 17 à Londres, sous le 
nom d'un marchand. Dès qu'on a su son arrivée, une foule s'est ras- 
semblée devant sa maison et a crié A la lanterne! Il a été obligé 
de déloger, a eu ordre du gouvernement de partir. C'est aussi sûre- 
ment le gouvernement qui a fait crier A la lanterne. Pelun a écrit 
& la Marck que le ministère anglais a fait écrire à Gaston par le 
baron de Giliers, qui intrigue à Londres, pour lui demander quel 
était le genre de secours qu'il pouvait désirer. 

Le 28. Vendredi. — Mercy dit que la reine a été très-malade, 
qu'elle va bien à présent et qu'elle a été extrêmement soignée dans 
sa maladie. 

Juillet. Le V\ Lundi. — H paraît certain que c'est M. de Mercy qui 
a envoyé Damouriez en Angleterre, et qu'il était convenu avec lui 
qu'il engagerait le gouvernement anglais à l'envoyer en Bretagne 
joindre Gaston avec les émigrés qui sont à Leuze , car il a dit 
à M™* Sullivan qu'il avait conseillé à Dumouriez d'aller à Lon- 
dres et qu'il avait eu un projet sur lui ; qu'on ne pouvait pas 
souffrir Damouriez ici , mais que les Anglais auraient bien dû lui 



ET LA COUR DE FRANCE. 76 

donner nn asile ou le transporter à ponr en être débarrassés. 

Le baron Ta poussé vivement sur les projets relativement à la 
constitution, il n'a jamais voulu s'expliquer; il paraît que Vienne* a 
déjà négocié avec la Suisse, mais qu'ils n'ont pas réussi, et c'est pour 
cela qu'il est venu chercher des éclaircissements et des moyens chez 
le baron. Il a tout dit à M. de Mercy, mais il l'a averti qu'il n'aurait 
des troupes suisses qu'en les payant, et que pour faciliter l'affaire 
il fallait prendre les Suisses qui avaient été au service de France, 
avec la promesse de les rendre à la France quand le roi serait 
libre, et qu'alors le roi paierait tous les frais qui auraient été faits 
pour les Suisses. M. de Mercy eut l'air de goûter cette idée. Le 
baron croit qu'en traitant avec les Suisses , Vienne a le double projet 
de les ôter à la France , du moins pendant les six premiers mois , 
et d'avoir ensuite l'air de les lui donner, et c'est ce qu'il voudrait 
éviter. 

Le 3. Mercredi. — M. de Mercy a presque avoué au baron (1) qu'il 
y aura un congrès ou plutôt de simples conférences pour régler les 
opérations de la campagne ultérieure, car il n'y a encore aucun plan 
de fait. La rapidité des succès depuis le mois de mars a empêché, 
disait-il, d'en faire. Le baron lui dit : Mais si, par un Iiasard possible, 
le roi et la reine étaient libres, gusferiez-vous? les reeevriez-vous ? » 

Après y avoir un peu réfléchi, le comte de Mercy lui répondit : 
Mais (fest un thème. Il lui soutint ensuite que si on proposait de 
les livrer hors du royaume, il faudrait pour leur sûreté le refuser. Le 
baron croit que c'est pour ne pas avoir une puissance avec laquelle 
il faudrait traiter et ne pas être gênés dans les arrangements qu'ils 
ont l'intention de faire, mais ils ne le seraient guère même par la 
présence du roi de France. 

Le 7. Dimanche. — Je reçus une lettre de Deux-Ponts, du 2 juillet. 
Elle est très-curieuse et prouve bien la faiblesse de ce bon roi de 
Prusse ; il est dans une mauvaise position par ses entours. M. de Mercy 
est assuré que le baron de Giliers a été chargé d'écrire à Gaston. Il 
paraît que les princes avaient indiqué un honmie que le gouverne- 
ment anglais pourrait charger d'instructions pour Gaston, et que, cet 
homme en ayant en effet reçu pour les porter, les princes les ont 



(1) De Bretenil. 



76 LE COMTE DE FERSEN 

changées et en ont substitué d'autres à la place, qu'on a trouvées sur 
cet homme, qui avait été soupçonné et arrêté ; le gouvernement an- 
glais en est fort irrité. On dit aussi que les princes ont intrigué au^ 
près de Gaston pour qu'il reconnaisse la régence de Monsieur, ce qu'il 
ne fera pas; ceux des Français émigrés ou autres qui le voudraient 
sont en fort petit nombre, et, si la famille royale au Temple périt, la 
, France sera divisée entre ceux qui auront quelque puissance pour 
s'en emparer, car tout le monde est d'accord pour la régence de la 
reine. Crawford me mande qu'en Angleterre il n'y a qu'une voix là- 
dessus, et que l'on est décidé à soutenir fortement Gaston. 

Le 10. Mercredi. — Une femme venue de Paris dit qu'on com- 
mence à être bien pour la famille royale, que la reine se promène et 
qu'on Tapplaudit quand on peut la voir, qu'on ciie môme Vive le 
Dauphin! 

Le 12. Vendredi. — Mauvaises nouvelles de France : Gaston re- 
poussé devant Nantes, son armée battue; Saumur repris sans résis- 
tance. Le Dauphin séparé de la reine par la ... ^ . et mis dans une 
autre chambre du Temple ; cela me paraît fort mauvais : quelle peine 
affreuse pour la reine ; malheureuse princesse ! 

Le 13. Samedi. — Les mauvaises nouvelles confirmées, la sépara- 
tion du roi et de la reine est inconcevable ; une seule chose console 
et donne un peu d'espoir, c'est qu'il semble qu'on parle un peu plus 
respectueusement de la famille royale. Des lettres de Paris disent 
qu'il est question de transporter la famille royale à Saint-Cloud, et 
que Wimpffen est à neuf lieues de Paris ; mais cela est apocryphe. 

Le 20. Samedi. — Goguelat, qui était venu passer quelques jours 
ici, partit. Je lui donnai un cheval. Il me dit qu'il était fort mécon- 
tent des airs que le duc de Choiseul se donnait sur le roi et la reine, 
que la reine en avait toujours été fort ennuyée et ne lui avait jamais 
donné ni les bagues ni le portrait dont il se vante. 

Le25. Jeudi, — Nouvelle de la prise de Mayence le matin, à onze 
heures ; elle fut rendue le 22 matin, par capitulation. Lord Elgin 
arrivé la veille; les détails qu'il donne des opérations du duc de 
Brunswick font horreur : il a adopté une défensive désastreuse et mal 
choisie. L'affaire du 18 devant Landau a été très-sérieuse ; les Fran- 
çais, avec 60,000 hommes, ont attaqué Wurmser qui n'en avait que 
25,000. Les avant-postes ont soutenu tout le choc, et se sont battus 
comme des lions , surtout les Serviens et les Croates ; mais ils ont 



ET LA COUR DE FRANCE. 77 

été obligés de se replier, les Français ayant percé avec une colonne 
par les montagnes et les bois qui couvraient la droite, et qu'on avait 
cru impassables. Les Français sont restés maîtres du terrain qu'oc- 
cupaient les avant-postes autrichiens , et coupaient la communication 
avec Kaiserslautern, où est le duc de Brunswick avec son armée. Les 

émigrés se sont fort distingués ; ils occupaient le village de et 

ont repoussé deux fois les Français. Le duc de Brunswick a eu si 
peur, qu'avant l'attaque il a rappelé à lui deux bataillons prussiens 
qui étaient avec Wurmser. Il avait déjà fait partir les bagages, et 
lord Elgin est persuadé que sans la reddition de Mayence il se se- 
rait retiré, aurait peut-être repassé le Rhin et nous aurait donné le 
second tome de la dernière campagne. 

Wurmser est très-mécontent des opérations militaires. H voudrait 
agir et ne cesse de le demander, mais en vain. Ses troupes sont rem- 
plies d'ardeur, et servent à merveille ; on les emploie toujours aux 
avant^postes. 

Le 21. Samedi. — D'après la lettre de Crawford du 16 nous nous 
décidâmes, le baron de Breteuil et moi, de lui envoyer le chevalier 
de Vaugiraud, capitaine de vaisseau, qui était major de l'escadre 
de M. de Grasse, et qui peut remplir la mission qu'on désire auprès 
de Gaston. Il vint me voir, et je le trouvai très-raisonnable et pas 
Français. 

Le 31. Mercredi. — Je partis avec Eeutersvaerd à cinq heures du 
matin et arrivai à Raismes à quatre heures. Je m'étais arrêté une heure 
à Condé pour m'habiller et manger un morceau. Condé, n'a pas souf- 
fert du tout ; l'inondation est très-considérable , beaucoup de bour- 
geois, qui étaient mauvais et qui avaient servi , ont été arrêtés et 
emmenés. Les autres sont contents de retrouver la tranquillité. Trois 
bataillons sont destinés pour y être en garnison ; ils campent hors 
de la ville et n'y entreront qu'en deux jours à cause des casernes 
qui ne sont pas encore nettoyées. Je ne pus me défendre d'un senti- 
ment triste en voyant cette ville occupée par les Autrichiens. Le 
démembrement de la France m'affecta, je ne puis m'y faire. Les en- 
virons de Condé ne sont pas extrêmement dévastés, excepté le vil- 
lage du Cocq, dont toutes les maisons sont ou brûlées ou démolies ; 
en approchant de Baismes on voit plus de dévastation, et tout près 
du village les maisons sont absolument ruinées. Le baron de Bar- 
tenstein, homme de quarante-cinq à cinquante ans, intendant de l'ar- 



8 LE COMTE DE FERSEN 

mée, était logé à Raismes dans le château. Il donnait un grand dîner 
à l'archiduc et au prince de Cobourg. Le comte de Mercy, que j'avais 
prévenu de mon arrivée, y était aussi. Je rencontrai, en me prome- 
nant, le prince de Lambesc et le général Clairfait, et, quand tous 
furent partis le comte de Mercy vint me prendre et me présenta k 
M. et M"® de Bartenstein. Je soupai avec exix et la duchesse 
d'Aremberg mère, qui était arrivée en même temps que moi; elle 
était accompagnée du comte de Crokenbourg. Notre souper fut assez 
gai. Le baron de Bartenstein est assez aimable, sa femme est sèche 
et pincée, et M. de Crokenbourg est un brise-raison assez drôle à 
rencontrer. 

Août. Le P'. Jeudi. — Je partis de Baismes à six heures. J'y avais 
mes chevaux de selle. Je fus à Aubry, où était l'archiduc; je l'ac- 
compagnai chez le prince de Cobourg ; & Hérin, M. de Wahrendorff 
me présenta à lui. Je le trouvai prévenant, peu parlant et froid ; il a 
l'air d'un homme de cinquante ans. Nous partîmes à sept heures , la 
suite était très-nombreuse. Nous passâmes l'inondation à Fri sur une 
des digues qui ont été faites ; c'est un ouvrage superbe et d'une grande 
solidité. Il y en a trois de ces digues, nous ne pûmes voir les deux 

^ autres. Je causai beaucoup en route avec le prince de Hohenlohe ; il 
me parut très-persuadé de la nécessité de toujours attaquer, n'im- 
porte dans quel nombre ils sont. Il me pada longtemps de sa cam- 
pagne de Champagne, où il a contenu lui seul l'armée française et 
sauvé la prussienne. Il me dit que ce fut lui qui conseilla d'évacuer 
Verdun, à cause de l'état où étaient les Prussiens ; qu'il dit au duc 
de Brunswick : Si vous voulez vous battre, il le faut faire d abord, et 

je suis tout prêt; si voies ne voulez pa^, il faut abandonner Verdun. 

A huit heures, nous arrivâmes à la Briguette; les troupes an- 
glaises , autrichiennes , hanovriennes étaient arrivées et se formaient 
pour la haie où devaient passer les Français. C'était un spectacle 
unique que ce rassemblement des plus belles troupes de l'Europe, et 
c'était une réunion rare. Les troupes anglaises avaient le poste le 
plus près de la ville. La formation fut assez longue, et il me parut 
que cela n'avait pas été très-bien ordonné. A neuf heures, au moment 
où la garnison devait sortir, on vint avertir le duc d'York que les 
commissaires prétendaient sortir à la tête de la garnison. Le duc 
d'York leur fit dire qu'il n'en connaissait point, que s'ils voulaient 
sortir il fallait qu'ils fussent en uniforme, ou avec la canaille qui 



ET LA COUR DE FRANCE. 79 

suivait, et qu'il n'y avait pas de place pour eux. Le maréchal de 
Cobourg fut de son avis, mais le comte de Mercy me parut n'en pas 
être. Cependant le duc d'York insista et envoya M. de Saint-Léger le 
leur dire. On aurait désiré que le peuple de Valenciennes les eût ar- 
rêtés, et on avait donné pour cela toutes sortes de facilités ; on avait 
même dit la veille que cela était , mais on s'était trompé. 

A neuf heures on annonça l'arrivée de la garnison ; elle fut pré- 
cédée par une troupe de canaille de toutes espèces, femmes, en- 
fants, etc., etc. Les troupes avec leurs chariots découverts défilèrent 
jusqu'à une heure et demie ; elles mirent bas les armes dans un grand 
carré; leur contenance était très-simple, ni insolente, ni abattue; 
ils avaient l'air de miliciens, point de tenue, point d'uniformité, 
très-déguenillés, même les troupes de ligne ; il n'y en avait que deux 
détachements de Dillon et Royal-Comtois. Tout le reste était gardes 
nationales, les uns en casques, d'autres en chapeaux, d'autres en 
bonnets de grenadier ; on ne distinguait les officiers qu'aux épau- 
lettes ; cela faisait un contraste frappant avec les troupes qui bor- 
daient la haie, et on était au désespoir de penser que c'était avec 
telles gens qu'elles avaient & se battre. Les soldats le disaient eux- 
mêmes. Ce qu'il y avait de mieux était l'artillerie : c'étaient de beaux 
hommes , bien ^ habillés, mais mal tenus. J'estimai entre 5 et 
6,000 hommes le nombre de ceux qui défilèrent. Les voitures étaient 
chargées d'effets et de malades et blessés. Je ne remarquai aucun 
chagrin ; en posant les armes plusieurs disaient môme : Tant mieux j 
wild qui est Jim. Beaucoup de femmes suivaient sur des chariots et 
des voitures. 

En deux heures nous entrâmes en ville. Faute d'ordre, la foule fut 
très-grande sur les ponts et dans les portes. La municipalité vint à 
la porte, avec un drapeau aux armes de l'empire, remettre les clefs 
au duc d'York. On cria Vive le roi! vive V empereur ! vivent les Anglais/ 
etc., etc.; il y en eut pour tout le monde, mais surtout pour le prince 
de Lambesc; j'étais à côté de lui, on le reconnut et on le fêta par- 
tout. Nous parcourûmes toute la ville et vîmes partout les effets du 
bombardement : il n'y avait pas de maison qui ne fût endommagée ; 
tous les carreaux de vitres étaient cassés , mais le quartier de Saint- 
Gery et celui entre la porte de Mons , de Cardon et Toumay étaient 
entièrement détruits. Les rues aboutissantes aux vieilles casernes fai- 
saient horreur à voir ; ce n'étaient que des monceaux de décombres ; la 



80 LE COMTE DE FERSEN 

porte de Mons. était toute écrasée et comblée et les remparts abîmés. 
On y pouvait à peine passer. La citadelle n'avait pas souffert Les 
soldats avaient campé sur les remparts entre la porte Toumay et la 
citadelle, et je suis persuadé que, si on avait établi plus tôt des bat- 
teries de ce côté, la viUe se serait rendue plus tôt. J'eus du plaisir à 
revoir la citadelle, et le vieux chevalier d'Éole qu'on y avait laissé, 
mais qui n'y commandait pas. Les habitants témoignaient une joie 
véritable, ils ne sentaient en ce moment* que le bonheur de vivre et 
celui d'être délivrés de cette horde de soldats indisciplinés ; les mé- 
contents se cachaient. A trois heures et demie nous arrivâmes à 
Étreux, chez le duc d'York ; nous y dînâmes. En partant d'Étreux je 
m'égarai et fus jusqu'à Jalain ; cela me fit arriver si tard à Valen- 
ciennes que je n'eus que le temps de traverser la ville. J'arrivai à 
Raismes très-fatigué, et mon cheval aussi , à huit heures du soir. 

Le 2. Vendredi. — Je sortis à six heures du matin et fus à Hérin, 
chez le prince de Cobourg. Jamais je n'ai vu d'homme plus tran- 
quille et qui ait l'air moins* occupé ; il a partout l'air d'un simple 
spectateur, et en le voyant on doit le croire ou fort au-dessus de sa 
besogne ou s'en reposant sur d'autres, et c'est aussi ce qu'il fait. 
Il a le mérite de se laisser guider ; c'en est un quand le choix est 
bon; autrefois c'était Mack qui faisait tout. Depuis son départ le 
prince de Cobourg s'est livré au prince de Hohenlohe, et il ne pou- 
vait mieux choisir. La contenance du prince de Cobourg est très- 
simple et sa conversation très-embarrassée. L'archiduc arriva à sept 
heures et nous partîmes pour le Te Deum , qui se chantait à l'armée 
d'observation. Elle est commandée par le général Clairfait et campée 
sur deux lignes sur les hauteurs devant Denain : la première ligne 
coupe la chaussée de Cambrai ; la seconde y appuie la gauche. Les 
deux lignes étaient en bataille, et je n'ai rien vu de plus beau que la 
première, composée de 12 bataillons, presque tous grenadiers, et d'une 
cavalerie superbe. Les hussards de l'empereur, de 3,600 chevaux, qui 
étaient arrivés de Koschim depuis huit jours, avaient l'air de sortir 
de leurs quartiers, et toutes les autres troupes avaient l'air de sortir 
de leurs garnisons, même celles du siège, que j'avais vues le veille, 
surtout les Autrichiens. Les Anglais et les Hanovriens n'avaient pas 
la même apparence de fraîcheur. L'armée d'observation était de 
35,000 Autrichiens. Le Te Deum fut chanté en avant des deux lignes, 
dans une tente ; il y eut trois décharges de canon et d'un feu rou- 



k 

» 

<: 



ET LA COUR DE FRANCE. 81 

lant qui ressemblait au tonnerre et qui était extrêmement imposant. 

Le Te Deum fini, je rentrai à Valenciennes par la porte de Tournay, 
car celle de Notre-Dame était fermée. Je parcom'us les rues ; les 
désastres de cette malheureuse ville faisaient horreur. J'éprouvai un 
sentiment de tristesse en voyant la place Verte, la maison du comte 
d'Esterhazy et l'église Saint-Nicolas entièrement détruites; la maison 
du chevalier de Baincourt dans la rue de Mons Tétait aussi. 

Je regrettai de ne pas avoir le temps de parcourir à mon aise toute 
la ville ; mais j'étais pressé pour retourner & Hérin dîner chez le 
prince de Cobourg. Tous les généraux y étaient et ce rassemblement 
de militaires de différentes nations formait un spectacle assez rare. 
Le dîner fut dans l'église; il était très-mUitaire, mais très-bon. Nous 
reçûmes la nouvelle que le général Wurmser a repoussé les Français 
le 27 jusqu'à Wissembourg; ils se sont peu battus. Le duc d'York 
avait aussi reçu la confirmation des succès de Gaston ; le 18 il a pris 
aux républicains quinze à dix-huit pièces de canon. Le comte de Mercy 
me dit que l'armée ne tarderait pas à se mettre en mouvement, mais 
que le plan n'était pas encore arrêté; ce que le prince de Hohenlohe 
m'avait dit la veille me l'avait déjà fait penser. 

A quatre heures et demie je retournai à Raismes ; je vis le baron de 
Bartenstein, qui me dit qu'il venait de recevoir des nouvelles de 
Chimay où on lui mandait que les troupes françaises marchaient sur 
Péronne. A six heures je partis de Kaismes. Je vis dans le village un 
détachement de chasseurs croates : ils sont habillés comme les sol- 
dats autrichiens, ils ont la culotte hongroise, sont armés de sabres, 
d'une longue pique avec un fer large et tranchant des deux côtés ; 
il y a dans le bâton un crochet qu'on hausse et baisse à volonté pour 
appuyer la carabine et tirer plus juste. Leurs carabines sont à deux 
coups et très-lourdes ; deux d'entre eux, auxquels on a le plus de con- 
fiance, ont des carabines à vent; ils ont deux crosses, chaque crosse 
porte quatre-vingts coups, les quarante premiers portent à trois cents 
pas, les quarante autres moins loin; tontes les balles sont déjà placées 
et il n'y a qu'un ressort à toucher pour la faire tomber en place. Cette 
arme est extrêmement lourde ; elle n'est pas très-bonne, elle exige un 
grand soin; mais dans des attaques de postes ou redoutes elle est 
très-utile. 

Le 3. Samedi, — Je partis à neuf heures d'Enghien et arrivai à 
une heure à Bruxelles ; j'étais bien aise de m'y retrouver. 

T. II. 6 



82 LE COMTE DE FERSEN 

Le 7. Mardi. — M. de Septeuil était arrivé. Les douze cent mille 
francs qu'il avait placés pour le roi en Angleterre ont été retirés et 
rendus au roi le 5 ou 6 août. 

Le 8. Jetidi. — M. de Ferraris était arrivé. Il ftit voirie baron (1)* 
Il parle à merveille et pense de même sur les affaires de France et la 
nécessité de hâter les opérations. La cour de Vienne a pris pour prin- 
cipe de ne se pas expliquer clairement sur le parti qu'elle veut pro- 
téger, soit les royalistes, les constitutionnels ou les républicains ; c'est 
pour les tenir tous en suspens, et n'en point avoir contre soi. Le 
baron combat cette idée et dit que de même ils n'en ont aucun pour 
eux, mais au contraire, puisque chacun craint de ne pas être soutenu ; 
il veut que Ferraris les engage & se prononcer clairement, car il est 
appelé & Vienne , et il paraît que c'est par le baron de Thugut et 
pour être ministre de la guerre. Il confirme que le plan actuel est 
de pousser en avant le plus possible et de donner la main aux mou- 
vements qui se font en France. 

Le 9. Vendredi. — M. de Mercy avait été le matin chez le baron (2), 
et avait fort bien parlé sur la nécessité de pousser les opérations 
avec vigueur et de ne pas s'en tenir au premier plan , qui était de 
s'étendre le long de la frontière, mais de marcher en avant et de 
donner la main aux mouvements de l'intérieur. Il convint que le 
baron avait eu raison lorsqu'il le demandait, et que lui, Mercy, n'a- 
vait jamais cru que ces mouvements prendraient autant de consistance. 
Il ajouta que depuis la dispersion du camp de César et la sommation 
qui a été faite à Cambray, il était d'avis qu'il fallait sur-le-champ 
l'attaquer, et ne pas retourner sur Maubeuge ; il n'y a encore rien de 
décidé & cet égard. 

Le 11. Dimanche. — Comme j'avais causé avec la Marck sur les 
moyens de sauver la reine et que nous avions trouvé qu'il n'y en 
avait que de pousser sur-le-champ un gros corps de cavalerie sur 
Paris, ce qui était d'autant plus facile qu'il n'y avait plus d'armée 
devant et que toutes les granges étaient remplies de vivres, je fus 
chez le comte de Mercy et je le trouvai de glace sur cette idée. Il y 
voyait de l'impossibilité, et le second tome de la Champagne, si on le 



(1) De Breteuil. 

(2) Id. 



ET LA COUR DE FRANCE. 83 

tentait. Il croyait la famille royale perdue sans qu'on puisse rien 
faire pour elle; il ne croyait pas que les factieux voulussent traiter, 
mais qu'ils se porteront aux derniers excès pour lier tellement toute 
la France & leurs forfaits qu'il n'y aurait plus pour les individus 
d'autre parti à prendre que celui de vaincre ou de mourir, et finit par 
me dire qu'il n'y avait rien à faire. Je le quittai et pressai La Marck 
de lui parler ; il l'engagea, en eflFet, & écrire au maréchal de Cobourg 
et me promit de me montrer la lettre le lendemain. — Je fus à la 
comédie, pour éviter tout ce qui pouvait avoir l'air d'affectation ; j'y 
trouvai tous les Français qui y sont d'ordinaire , même des femmes ; 
quelle nation, grands dieux I 

Le 12. Lundi. — La Marck vint me voir. Il me montra la lettre 
au prince de Cobourg qu'il avait fidte pour le comte de Mercy, elle 
était très-pressante et très-bien faite ; il propose de marcher sur 
Paris et prouve combien il serait impolitique de retourner à Maubeuge 
et le Quesnoy au Heu d'attaquer Cambrai ; M. de Mercy n'exige rien, 
mais ces propositions sont très-pressantes, et si le prince de Cobourg 
ne s'y rend pas, il est responsable de tous les malheurs. La Marck 
a eu de la peine à décider le comte de Mercy & cette démarche ; il 
craignait que l'Angleterre n'en fUt pas contente et ne les accusât de 
changer sans cesse de plans ; Crawford le rassura sur le désir très- 
prononcé du ministère anglais de sauver la famille. Le comte de 
Mercy le pria d'écrire en Angleterre et de détailler les raisons de ce 
nouveau plan, et il promit au comte de la Marck d'envoyer la lettre 
hier au soir par estafette. 

Le baron de Breteuil reçut une lettre de M. de Yaugiraud ; il lui 
mande que milord Aukland lui a écrit que, n'étant pas dans le mi- 
nistère , il ne pouvait rien faire pour lui que de l'adresser au sous- 
secrétaire d'État, qui lui dit qu'il fallait attendre le retour des minis- 
tres. M. Dundas, qui ne parle pas français, ne lui a fait que des com- 
pliments, et je crois qu'on ne s'en servira pas; il me paraît même 
douteux qu'ils aient envie d'avoir des relations avec Gaston. Des 
lettres du petit d'Ervilly feraient croire qu'ils ont l'envie de prendre 
ou de détruire Brest ; ils lui ont demandé et à beaucoup d'autres des 
renseignements sur ce port, et on croit que c'est à cause de ces dé- 
tails et beaucoup d'autres que les constitutionnels ont donnés, qu'ils 
sont si bien traités. M de Carency prétend savoir, par des commis avec 
lesquels il s'est lié, que la destination de la flotte de Howe n'est pas 



84 LE COMTE DE FERSEN 

de chercher celle de la république, mais de prendre Cherbourg, Saint- 
Malo et Dunkerque. — C'est par les soins de Bombelles que Se- 
monville et Noël ont été arrêtés par l'empereur sur les frontières des 
Grisons et du Milanais ; ils ont été transférés à Milan ; les femmes 
sont revenues en Suisse. Des lettres de Paris du 6 ne disent rien sur 
la reine ; une de la duchesse de Maillé à sa fille dit d'une manière 
très-enveloppée qu'elle court de grands dangers. 

Le lé. Mercredi. — Les papiers du 10 ne parlaient de la reine 
que pour détruire des faux bruits qui s'étaient répandus et assurer 
qu'elle était à la Conciergerie. Des lettres de Menin disent qu'on y 
avait eu la nouvelle que la Convention avait fait à la reine la proposi- 
tion d'écrire à l'empereur pour qu'il retire ses troupes, et qu'à ce prix 
elle et sa famille seraient mises en liberté ; mais qu'elle avait répondu 
que la même promesse faite au feu roi relativement aux troupes 
prussiennes n'avait pas garanti ses jours , et que d'ailleurs elle ne 
pouvait traiter avec des assassins. Tout cela me paraît faux. 

Le 15. Jeudi. — Le duc d'York a répondu à milord qui lui 

avait envoyé un courrier pour le prévenir de la lettre de M. de Mercy 
au prince de Cobourg, que depuis qu'il avait quitté le prince de 
Cobourg il n'en avait pas eu de nouvelles et qu'il était déjà à Orchies 
en marche pour Dunkerque , qu'il chassait devant lui tout ce qui 
se présentait, qu'il désarmait le pays, et qu'il espérait bientôt 
avoir fiui son expédition de Dunkerque. Le comte de Mercy a com- 
muniqué au baron de Breteuil la réponse du prince de Cobourg. I\ a 
cru qu'on lui demandait de marcher avec toute son armée sur Paris, 
et il trouve la chose impossible ; mais il laisse entrevoir la possibilité 
d'une expédition partielle de cavalerie : c'est ce qu'on lui demandait, 
et ce que le comte de Mercy va appuyer fortement, en lui prouvant 
que dans la pénurie d'argent où ils sont c'est un moyen d'en lever 
par contribution, soit en espèces, soit en vivres de toute espèce. 
Mercy a aussi dit au baron (1) que tout allait fort mal dans ce pays, 
qu'on y était déjà aussi révolutionnaire que jamais, et qu'il était im- 
possible que Metternich y restât encore deux mois ; il ne croyait pas 
qu'on y nommât Ferraris, qui, selon lui, n'y était pas propre, mais 
bien M. de Chotech, et sur l'observation de Breteuil qu'il avait des 



(1) De Breteuil. 



t 



ET LA œUR DE FRANCE. 85 

principes démocratiques, Mercy lui dit qu'il ne fallait que l'envoyer 
ici pour les faire bientôt changer. Il dit que Thugut avait une grande 
connaissance de la politique y et de l'esprit ; mais qu'il avait été trop 
longtemps subalterne, et qu'il était trop accoutumé & faire sa cour 
à ceux qui étaient au-dessus de lui, et par conséquent aux Colloredos 
qui ont en ce moment la confiance de l'empereur. — M. dç Mercy 
lui dit, sous le sceau du secret, que c'était le duc d'York qui se re- 
fusait à l'expédition sur Paris ; que le prince de Cobourg ne le lui 
mandait pas, mais qu'il savait qu'il avait demandé au duc d'York de 
retarder de quinze jours son expédition de Dunkerque et de rester 
avec lui, parce qu'il avait un autre projet à exécuter ; mais que le 
duc d'York avait refusé d'attendre et insisté pour marcher. Ce 
doit être une fausseté, d'après la lettre du duc d'York, et il est 
impossible que ce prince s'y soit opposé, surtout si on lui a oiOFert le 
commandement de cette expédition. Le baron (1) en est convenu et 
croit que c'est une finesse pour jeter le blâme sur lui ; en tout le 
baron a été fort content de la chaleur et de l'intérêt avec lesquels 
Mercy lui a parlé et lui a promis d'écrire. 

Le 15. JetulL — La Marck me dit que Clairfait avait écrit à Mercy 
pour lui dire qu'il avait déjà proposé, avant l'arrivée de sa lettre, la 
même opération au prince de Cobourg, qui l'avait refusée ; qu'il s'é- 
tait alors adressé au duc d'York, qui avait embrassé cette idée avec 
chaleur et avait envoyé sir James Murray en parler au prince de 
Cobourg, qui s'y était constamment refusé, et qu'alors le duc d'York 
était parti pour son expédition de Dunkerque. Comment cela s'ar- 
range-t-il avec ce que Mercy a dit au baron sur ce prince ? Serait-ce 
pour excuser le prince de Cobourg que Mercy a inventé ce petit 
mensonge ? 

Leï6. Vendredi. — La réponse du prince de Cobourg au comte de 
Mercy est pitoyable ; elle roule toujours sur l'idée d'aller avec l'armée 
à Paris, et sur l'impossibilité d'une pareille entreprise. H ne consi- 
dère dans sa lettre rien que la partie militaire et encore mécanique- 
ment, car il est clair que l'opération proposée était la meilleure de toutes 
à faire, n'y aurait-il eu que l'avantage d'enlever toutes les subsistances 
de la Picardie, les chevaux, les chariots, etc., etc., pour les avoir et 



(1) De Bretenil. 



86 LE COMTE DE FERSEN 

empêcher les antres de les prendre ; mais non , l'armée a déjà marché 

sur le Quesnoy et le quartier général de Cobourg est à ; il 

envoie 10,000 hommes du côté de Trêves, on ne sait pourquoi ; on 
croit que KnobelsdorflF y va. Cette opération latéralement rétrograde 
décide delà campagne, elle finira par la prise de quelques places, on 
n'aura gagné que deux ou trois lieues de pays, et au lieu défaire l'année 
prochaine une campagne si on avait bien opéré, on sera forcé d'en 
faire une active. Le prince de Cobourg se couvre de honte, il donne la 
mesure de son génie et de celui de son bras droit, le prince de Hohen- 
lohe^ qui n'est qu'un routinier militaire, et tout le monde regrette 
plus que jamais le départ de M. de Mack ; c'était le seul qui fût en 
état de mener la chose. 

Le 19. Lundi. — A la sollicitation de la Marck, le comte de Mercy 
s'est décidé à envoyer quelqu'un à Paris, pour savoir ce qui s'y passe 
et voir si on peut négocier, pour de l'argent et l'espoir du pardon, 
la déportation de la reine ; il a jeté les yeux sur Novère, le maître de 
ballet, qui consent à y aller, et sur M. Ribbes, un financier qui a 
toujours ménagé tous les partis pour son intérêt particulier, ayant 
toujours bien pensé. Je fus en parler au baron de Breteuil, à qui M. de 
Mercy avait communiqué le projet; je l'y trouvai assez opposé par la 
crainte que cette démarche, au lieu de calmer leur scélératesse, ne fît 
que l'augmenter, & raison de l'intérêt qu'ils verraient qu'on y prend. 
J'avais toujours été de cet avis, tant que la reine était au Temple avec 
son fils , sans être menacée ; mais à présent qu'elle l'est, qu'on l'a 
séparée de son fils , et surtout depuis le refus du prince de Cobourg 
de marcher, je crois qu'il n'y a que cette démarche à faire, et qu'elle 
ne peut présenter que des avantages sans dangers. Le baron s'y dé- 
termina , et je l'engageai à faire venir Ribbes et à lui proposer ce 
voyage. Cela lui est d'autant plus facile que c'était cet homme que 
Talon mena chez le baron à Londres, et qui devait alors être chargé 
de réaliser l'oflfre que fit Talon de faire déporter toute la famille royale 
pour six millions. Ce Ribbes s'est ensuite rapproché du baron, en lui 
disant qu'il ne se laissait employer par ces gens-là que pour lui être 
utile et au roi. — Je démontrai ensuite à la Marck, que je fus voir, 
que pour réussir il fallait isoler la reine de toute question politique, 
en faire simplement un objet d'intérêt pour la maison d'Autriche, 
leur prouver combien peu ce nouveau crime leur serait utile, et com- 
bien au contraire il appellerait la vengeance sur leurs têtes, et sur- 



ET LA COUR DE FRANCE. 87 

tout bien leur dire que rien ne pouvait plus arrêter la marche des 
puissances alliées. Il fut de mon avis et le baron aussi. Je conseillai 
de ne pas faire cette démarche sans en faire part à TAngleterre et à la 
Prusse. Le prince de Cobourg ou plutôt ses entours, ayant craint la 
responsabilité où le mettait son refus, ont voulu s'acquitter en faisan 
aussi une proposition. Le prince, en conséquence, écrit une lettre la 
plus plate au comte de Mercy, où il lui propose une proclamation où 
on menacerait des plus terribles représailles sur les commissaires et 
les prisonniers qu'ils ont. Le comte de Mercy, qui a senti cette finesse^ 
a répondu par une lettre très-bien faite par la Marck, où il lui dit 
que la démarche qu'il lui propose se trouve renfermée dans la de- 
mande qu'Q lui a déjà faite et en aurait été une conséquence ; mais 
qu'une menace isolée ne produirait que de nouveaux malheurs. — Le 
prince de Cobourg propose aussi l'offre d'échanger la reine contre les 
quatre commissaires. 

Le 21. Mercredi. — Le baron de Breteuil vit M. Ribbes : il con- 
sent à se charger de la commission ; mais comme il ne peut aller lui- 
même à Paris, il se rendra à l'extrême frontière, y fera venir son frère, 
le chargera de parler à Danton et, s'il est nécessaire, de lui demander 
un rendez-vous même près de Paris , où Eibbes se rendra. Il ne de- 
mande pas un sol pour cela ; il a même eu l'esprit, voyant que Pelem 
en était informé, et ne sachant jusqu'à quel point on peut compter 
sur lui, de lui proposer de le mettre pour quelque chose dans la 
somme qu'il faudra donner aux scélérats , ce que Pelem a accepté. 
Ce Ribbes a prêté au feu roi 600,000 livres. Il a dit au baron que 
la Marck lui avait déjà parlé , il y a quelques jours, mais qu'il avait 
refusé de se charger de rien, sans l'ordre du baron, et c'est sans 
doute d'après cela qu'on s'est décidé à lui en parler. 

Le 22. Jeudi. — Le baron de Breteuil a vu la Marck ; ils ont été 
parfaitement d'accord sur le genre de commission à donner à M. Rib- 
bes, mais ils ne l'ont pas été sur d'autres points politiques. Le baron 
a cru voir, par les réponses de la Marck , que l'empereur pourrait 
bien ne se pas contenter des Pays-Bas français , mais avoir des vues 
même sur la Picardie. Le baron a d'ailleurs une idée, qui est que 
l'Autriche devait se prononcer et faire prononcer les autres puissan- 
ces sur leurs vues relativement au gouvernement français, si c'est 
imroi, une constitution ou une république qu'ils veulent établir; il 
appuya son opinion de tout ce qu'il y a de bon à dire là-dessus, et 



88 LE COMTE DE FERSEN 

ajouta que par ce silence on éloignait encore le peuple , à qui on 
fait croire que les puissances ne veulent faire que des conquêtes, et 
qui veut rester Français et craint de passer sous la domination au- 
trichienne. La Marck ne croyait pas à ce sentiment français, et 
croyait qu'il n'y avait que le sentiment du malaise et du méconten- 
tement qui agisse sur le peuple. Il dit aussi que c'était à l'Angleterre 
à donner l'impulsion, puisqu'il était vrai que l'Autriche la recevait 
d'elle et que, l'Angleterre ne se prononçant pas, c'était qu'elle ne le 
voulait pas. Le baron réfuta cela en disant que de tout temps ce langage 
avait été tenu par la cour de Vienne, quoiqu'il n'eût jamais été vrai, 
et encore moins dans cette occasion, où le ministère anglais , à cause 
de son gouvernement, ne peut pas se prononcer le premier, mais le 
ferait après, sous prétexte de se conformer aux vœux des autres, et 
pour éviter les difficultés que ferait naître une marche différente de 
celle des autres puissances. Quant à l'idée de ne rien prononcer sur 
la royauté que la maison d'Autriche , disait La Marck , est décidée & 
rétablir, il y trouvait l'avantage de diminuer la résistance en laissant 
de l'espoir à tous. Il m'en parla, espérant que je serais peut-être de 
son avis : je ne le fus pas, et je lui dis que j'avais partagé cette opi- 
nion un moment, car c'était une affaire d'opinion, mais que, si elle 
avait pu être juste il y a six mois ou un an, elle ne l'était plus : au 
lieu de produire des partisans , cette incertitude avait inspiré à tous 
les partis une telle méfiance et une telle crainte qu'aucun ne voulait 
agir pour les puissances, dans la crainte de travailler peut-être pour 
une des deux autres. Sur les deux autres points, je fus entièrement 
de l'avis du baron : j'admis que la lassitude et le sentiment de ma- 
laise produiraient leur effet, mais qu'il serait plus lent, qu'il ne serait 
jamais que passif, et qu'on pourrait l'accélérer et le rendre actif et 
utile en éclairant et rassurant les peuples , et qu'il n'avait jamais 
d'inconvénient, puisqu'on serait toujours maître de garder ce qu'on 
voudrait par untraité définitif; mais qu'il ne devait pas être indif- 
férent & la maison d'Autriche de raccourcir la guerre de six mois. La 
Marck me parut ébranlé et ne me répondit que faiblement. 

Le 25. Dimanche. — Les gazettes de France du 20 disent que 
l'accusateur du tribunal révolutionnaire a demandé les pièces contre 
la reine , et qu'on a décrété de les lui remettre ; cela me fait frémir, 
je suis bien sûr qu'il n'y en a pas , mais on en aura fait. 

On assure que c'est le duc d'York qui a refusé de marcher en 



ET LA COUR DE FRANCE. 89 

avant vers Paris ; voici le fait. Le duc d'York était à Orchies lorsque 
le prince de Cobourg reçut la lettre de M. de Mercy. H envoya sur- 
le-champ au duc d'York, et, sans lui rien communiquer de ce projet, 
il le pria seulement de suspendre sa marche et de rester quinze jours 
à Orchies. Le duc lui répondit que, s'il lui en faisait la réquisition, il 
s'y soumettrait ; que, sans cela, il continuerait sa marche et suivrait 
le premier plan convenu. Le comte d'Artois , sur ce qu'il avait sup- 
posé ou qu'on lui avait mandé que le duc d'York allait marcher 
avec un corps vers Paris , était parti de Hamm pour aller trouver le 
duc d'York, et arriva & Dusseldorf à six heures du matin ; il entra 
en ville à pied et se rendit chez le conseiller Morberg , d'où on envoya 
au nom du conseiller chez différents Français pour savoir la vérité 
de cette nouvelle. Tous assurèrent qu'elle était fausse. Alors le comte 
d'Artois retourna avec le chevalier de Puységur à la barrière attendre 
M. de RoUet et le duc de Castries, qui étaient allés prendre des 
informations extérieures. Ils rejoignirent le prince à neuf heures, et 
tous prirent la route de Hamm, sans avoir même vu le maréchal de 
Broglie, M. de Mirau ou l'évêque d'Arras, qui en sont fort choqués.. 
Tous les Français des environs formaient déjà des plans pour rentrer 
en France : les uns en allant rejoindre Gaston, d'autres avec la flotte 
russe, d'autres enfin avec le comte d'Artois, qui, à ce qu'on dit, en 
avait déjà fait avertir plusieurs, ce qui a fort mécontenté les autres. 
C'est d'Aubiez qui mande ce détail au baron de Breteuil. Monsieur 
l'a aussi mandé à M"*" de Balbi, en ajoutant que le tout a été fait 
par l'avis du maréchal de Castries ; qu'on lui avait proposé , à lui 
Monsieur, de partir aussi, mais qu'il avait dit qu'il attendrait des 
nouvelles de son frère pour se mettre en route. 

Il y avait dans la gazette de Hambourg des détails sur le trans- 
port de la reine à la Conciergerie qui n'ont été dans aucune autre 
gazette ; ils font horreur. O'Connell, celui qui avait servi dans le ré- 
giment Royal-Suédois, qui était tant protégé par le comte d'Artois et 
les Polignac, et qui était resté ensuite dans la révolution, s'étant 
fait faire maréchal de camp hors de rang et avant tout le monde, a 
donné les détails suivants (1). 

Le 29. Jeudi, — Ribbes avait vu M. de Mercy ; il avait trouvé les 
instructions proposées par lui et dans le sens qui avait été convenu , 

(1) MaUieareofiement tous ces détails manquent dans le journal. 



90 LE COMTE DE FERSEN 

bonnes, mais il fit des difficultés sur l'argent à promettre et croyait 
que des grâces, sûreté, protection et pardon suffiraient. H se rendît 
cependant, ou en eut l'air, aux objections qui lui furent faites ; mais 
il refusa absolument de laisser faire l'ouverture et de parler au nom 
de l'empereur. Il avait la crainte flue ces scélérats n'en profitassent 
pour publier la démarche, et il craignait que, n'ayant point été con- 
certée avec les autres puissances, elles n'en prissent ombrage, et 
qu'elle n'embrouillât la coalition, qui l'était déjà assez sans la com- 
pliquer encore davantage par cette nouvelle démarche. Il voulait 
donc que M. Ribbes parlât à Danton comme de la part des spécu- 
lateurs éclairés et intéressés dans les affaires politiques de l'Europe, 
pour découvrir ce qu'on pourrait en attendre. Cela était un misé- 
rable moyen, et ce changement de M. de Mercy me surprit et m'aflfli- 
gea. La Marck lui-même, sans le dire, semblait le désapprouver. J'en 
fus d'autant plus peiné que je croyais entrevoir dans la seconde 
objection de M. de Mercy le doute jusqu'à quel point les puissances 
et même l'Autriche désireraient la liberté de la reine ; car, comme on 
devait poser pour base d'écarter toute idée politique et demander la 
reine comme simple individu , tuante de son neveu , cette demande ne 
pouvait influer sur les opérations politiques ni embrouiller la coali- 
tion. M. de Mercy avait aussi ajouté : Il/aiU qtieje le dise à regrety 
mais la reine serait sur Vêchafaud que cette dernière atrocité ne pour- 
rait plus arrêter les puissances ni changer leur marche. — Le baron 
de Breteuil fut extrêmement irrité contre M. de Mercy et devait avoir 
une conversation avec lui ; je l'exhortai à la modération, à se plier 
aux circonstances, et tâcher d'en tirer le meilleur parti possible^ en 
faisant la démarche comme il l'entendrait. 

Le 30. Vendredi. — Le baron de Breteuil avait vu M. de Mercy, 
qui, malgré tout ce que le baron lui disait, n'a pas voulu se désister de 
son idée. Le baron s'est f&ché et a dit que, de cette manière, Ribbes 
ne pouvait partir et que sa mission devenait inutile. M. de Mercy 
voulait qu'il allât sonder Danton, que pendant ce temps il en- 
verrait un courrier à Vienne demander les autorisations néces- 
saires et que, au retour de Ribbes, il aurait la réponse et pourrait 
alors traiter plus positivement. Ribbes vint chez moi très-mécontent, 
surtout, à ce qu'il me parut, de ne pas avoir l'importance d'un négo- 
ciateur chargé de pleins pouvoirs ; il s'était déjà cru un personnage 
important et regrettait de ne plus l'être. En cela je le trouvai très- 



ET LA COUR DE FRANCE. 91 

Français; je rengageai à se charger de la commission dans le sens 
que M. de Mercy le désirait , et j'y déterminai aussi le baron en lui 
disant qu'il devait autoriser Ribbes à y donner une plus grande lati- 
tude et nommant les personnes qui l'envoyaient. Le baron indiqua 
à M. de Mercy les diamants pris à Semonville et l'argent comme 
pouvant être employés à cet usage ; M. de Mercy fat du même avis 
et assura qu'on ne comptait pas le garder. Il assura aussi le baron 
de la manière la plus positive qu'il n'y avait encore rien de réglé entre 
les puissances sur les indemnités qu'elles voulaient prendre à la 
France, qu'on en avait déjà parlé, mais qu'on n'était encore convenu de 
rien. Le baron avait de la peine à le croire , mais moi je le crois, et la 
difficulté de s'entendre, jointe à la crainte de se brouiller, retarde 
sans doute cet accord si nécessaire. La Marck a dit à Ribbes, en 
parlant de Tétat de la France à venir : Quand on lui aura pris les 
provinces les jûus belles, cette puissance ne sera plus rien. Malgré 
cela, j'ai peine à croire que les vues de conquête puissent s'étendre 
plus loin qu'à celles des conquêtes de Louis XIV. M. de Bressac, 
depuis son retour en Suisse, s'était efforcé de détruire dans l'esprit 
de la reine de Naples les impressions défavorables qu'on lui avait 
données sur le feu roi, la reine et le baron de Breteuil ; il y est 
parvenu, et je vis une lettre très-bien faite qu'elle lui écrivait à ce 
sujet : elle parle avec justesse des différentes puissances de l'Europe 
et de leur conduite, qu'elle blâme ; elle représente l'empereur Léopold 
comme un homme faible , mais qui désirait sincèrement d'aider sa 
sœur et son beau-frère, qui détestait les princes et les émigrés > 
mais qui s'est trouvé entraîné à les voir en Italie et à Pillnitz ; il 
avait fait le vœu de ne pas faire de conquêtes et l'aurait tenu. Elle 
parle du jeune François comme d'un jeune homme mené par ses 
entours, et de Thugut comme d'un ministre plus économe qu'éclairé. 
Elle le prie de lui indiquer ce qu'elle pourrait faire pour sa sœur? 
qu'elle le fera, et finit par désirer que, si elle est assez heureuse 
pour être libre avec son fils , on lui conseille de ne se pas charger de 
régence, mais d'en laisser le pénible fardeau à Monsieur, et de se 
borner à être bonne mère et à faire du bien, car la régence ne lui 
ferait que des ennemis. La lettre est très-bien faite. 

Septembre. Le 3. Mardi. — Vaugiraud a écrit au baron de Breteuil. 
H est employé et va passer en Bretagne ; il est très-content de la 
manière dont M. Pitt l'a traité : il n'a pas voulu lui donner de cutter 



92 LE COMTE DE FERSEN 

da roi, pour ne pas trop paraître dans cette affaire , mais il lui donne 
un corsaire de même force. On a eu bien de la peine à en trouver ; 
aucim ne voulait s'en charger, ils trouvaient la chose trop périlleuse. 
Enfin on en a trouvé un de Jersey de 16 canons. Vaugiraud est 
chargé d'aller trouver Gaston , d'établir des relations avec lui et de 
lui offrir de la part du gouvernement anglais toute l'assistance qu'il 
pourra désirer en armes, munitions, habits et argent, dès qu'on aura 
un port ou un autre moyen sûr pour les faire passer, puisqu'on sup- 
pose que ce rassemblement a pour but le rétablissement de l'ordre 
et de la tranquillité : voilà ses expressions. J'ai été fâché de n'y pas 
trouver le roi et la monarchie, mais peut-être est-ce une faute de 
Vaugiraud. Il emmène avec lui six personnes ; d'Ervilly et le baron 
de la Rochefoucauld sont du nombre. 

Ribbes part enfin demain ; la Marck l'a engagé à demander à 
Danton un homme de sa confiance qui reviendrait ici avec lui , avec 
lequel on traiterait et auquel on donnerait toutes les sûretés néces- 
saires. Le baron de Breteuil voit dans cette demande le projet d'avoir 
un homme auprès de Danton avec lequel M. de Mercy traiterait 
ensuite à son insu. Je crois cette manière de voir trop soupçonneuse 
dans cette occasion, et je vois l'arrivée de cet homme comme un 
moyen plus sûr de traiter. Il est d'ailleurs facile, en Élisant rester 
cet homme en France près de la frontière, de conserver Ribbes 
comme intermédiaire , et cela pare à tout. 

Le \\. Mercredi, — L'abbé de Montesquieu vint me voir, il arrivait 
d'Angleterre. Il me dit que M. de Mercy doit avoir à la reine quinze 
cent mille francs que lui, l'abbé, a fait sortir. 

Le 13. Vendredi. — Les nouvelles de Paris arrivées la veille, et 
qui sont dans le petit journal de la guerre, sont très-mauvaises 
pour la reine. On y voit l'intention de commencer son procès. Ribbes 
est revenu; il a pris le parti d'écrire à Danton d'une manière inin- 
telligible pour tout autre que pour lui, et il lui a envoyé la lettre. 
Je crains qu'elle n'arrive trop tard. Quels reproches M. de Mer(y 
n'aura-t-il pas alors à se faire, lui qui a fait perdre huit jours par 
son séjour & la campagne, et quatre autres depuis son retour, par 
toutes les difficultés qu'il a faites 1 Cela fait horreur à penser. Dieu 
la conserve et me donne la satisfaction de la revoir un jour ! 

Le 26. Jeudi, — On mande de Paris que la reine avait subi un 
interrogatoire au tribunal révolutionnaire; qu'on lui a demandé si 



ET LA COUR DE FRANCE. 93 

elle était la veuve de Louis Capet ; — qu'elle a répondu : Votes savez 
que je suis la veuve de votre roi. Sur une seconde question, elle ré- 
pondit : Vous pouvez être mes bourreœux, mes assassins j mais jamais 
vous ne serez mes juges; qu'alors il lui prit une attaque de nerfs qui 
obligea de la ramener chez elle. 

OcTOBBE. Le 5. Samedi. — On avait pris Drouet, commissaire de la 
Convention à Maubeuge , qui avait essayé de s'échapper la nuit avec 
une escorte de cent dragons. Cela fait honneur à l'activité des postes 
autrichiens. On croit que c'est le maître de poste de Sainte-Menehould ; 
j'en doute, je crois que c'est son frère. Il doit être transféré ici. 

Le 6. Dimxmche. — Drouet arriva à onze heures. Je fus avec le co- 
lonel Hervey le voir dans sa prison, à Sainte-Elisabeth. C'est un 
homme de six pieds, de trente-trois ou trente-quatre ans, qui serait 
assez bien de figure, s'il n'était pas si grand scélérat. Il avait les fers 
aux pieds et à la main. Nous lui demandâmes s'il était le maître de 
poste de Sainte-Meuehould qui avait arrêté le roi à Varennes ; il nous 
dit que c'était lui qui avait été à Varennes , mais que ce n'était pas 
lui qui avait arrêté le roi. Nous lui demandâmes s'il était sorti de 
Maubeuge, de peur d'être pris. U dit que non, mais pour remplir une 
commission dont il était chargé. Il ne voulut jamais ouvrir sa redin- 
gote, pour ne pas faire voir sa chaîne, qui prenait du pied droit à la 
main gauche. La vue de cet infâme scélérat me mit en colère, et 
l'eifort que je fis pour ne lui rien dire, à cause de Tabbé de limon 
et du comte Fitz- James, qui étaient avec nous, me fit mal. 

Un autre officier, pris avec lui, a dit que la reine ne courait aucun 
danger, qu'elle était fort bien traitée , et qu'elle avait tout ce qu'elle 
voulait. Les scélérats , comme ils mentent 1 — Un Anglais , arrivé 
en Suisse, dit avoir payé 25 louis pour entrer dans la prison de la 
reine ; il y a porté une cruche d'eau. C'est dans un souterrain où il 
n'y a qu'un mauvais lit, une table et une chaise. Il a trouvé la reine 
assise, le visage appuyé et couvert de ses mains , la tête enveloppée 
de deux mouchoirs, et extrêmement mal habillée; elle ne l'a pas 
même regardé, et il ne lui a rien dit ; cela était convenu. Quel détail 
horrible I Je vais m'assurer de la vérité. 

Le 9. Mercredi. — Drouet a été hier chez le comte de Metternich, 
où il a été questionné. Il a commencé par déclarer qu'il répondrait 
à tout, mais que, s'il connaissait un côté faible de Maubeuge et qui 
pût en faciliter la prise, il ne le dirait pas. Voici le résultat de ses 



\ 



94 LE COMTE DE FERSEN 

réponses sur la reine : que sa vie ne tient à rien; que si les puissances 
ont des succès et marchent sur Paris sa mort est certaine, et même 
sans cela il n'en répond pas ; que le jeune roi n'a rien & craindre ; 
qu'il y a cependant des gens assez féroces pour vouloir l'immoler ; 
mais, si cela arrive , ce sera contre l'avis du grand nombre ; que la 
reine répondra de sa vie, à lui Drouet, qu'on ne l'échangerait cepen- 
dant pas contre lui, mais que, si on l'avait proposé dans le temps, 
on aurait donné la reine et sa famille pour les quatre commissaires 
livrés par Dumouriez, que cela était décidé ; que la reine n'était point 
maltraitée ; qu'il avait été commissaire auprès d'elle & la Concierge- 
rie ; que, lorsqu'elle y est entrée, elle n'avait pour lit qu'un misérable 
grabat ; que, l'ayant trouvée enrhumée et lui en ayant demandé la 
cause, elle avait dit que c'était l'humidité de la prison, qui était 
une chambre basse ; qu'alors il lui avait fait préparer une chambre 
haute et l'y avait installée ; qu'il lui avait fait donner du linge et tout 
ce qu'elle demanda ; qu'il lui avait fait apporter un bon lit et deux 
matelas et avait eu pour elle tous les soins et les égards possibles ; 
qu'on pouvait s'en informer, et que sans doute la reine ne se plain- 
drait pas de lui. Les raisons de sa translation et les mauvais trai- 
tements qu'on a l'air de lui faire ne sont faits que pour en imposer 
aux puissances, mais que dans le fond elle n'était pas maltraitée , 
qu'elle avait tout ce qu'elle voulait et qu'il n'était point vrai qu'on 
eût mis le jeune roi au pain noir. 

Sur l'arrestation du roi, il dit : que c'est le maître de poste de Ch^ 
Ions qui est venu lui dire; que M. de Ramœuf y était arrivé une 
heure après le roi, tellement fatigué qu'il ne pouvait continuer; 
qu'il lui avait dit que le roi et sa famille étaient dans cette voiture 
et qu'il devait aller avertir à Sainte-Menehould , de courir après et 
de les arrêter ; qu'il était parti et était arrivé trois quarts d'heure 
avant le roi à Varennes ; que, se doutant qu'il y aurait des hussards, 
il était descendu à son auberge accoutumée, où il en avait efifective- 
ment trouvé ; qu'un garde du corps était arrivé un moment après 
pour les avertir ; qu'il avait été alors avertir ses connaissances et 
avait barricadé le pont. H ne donna aucun autre détail sur l'arresta- 
tion, qui fut faite par la municipalité, et à laquelle il n'eut aucune 
part, ayant évité avec soin de se trouver devant le roi et ne lui ayant 
jamais manqué de respect. Que lui n'avait pas accompagné le roi et 
ne lui avait manqué de respect en rien ; qu'il était arrivé à Paris un 



ET LA COUR DE FRANCE. 95 

jour avant le roi. Sur la mort du roi, il dît qu'il avait voté pour^ 
parce qu'il la croyait nécessaire, comme celle de Jésus-Christ ; que 
d'ailleurs ce qui y avait décidé était qu'on l'accusait d'être la cause 
de l'entrée des armées en Champagne, puisque tout se faisait en son 
nom et pour lui. C'est un homme sans éducation, mais on croit qu'il 
écrit mieux , car il dit plusieurs fois qu'il répondrait mieux par écrit 
aux questions qu'on lui faisait. Il dit que tout ce qu'il a fait, il le 
ferait encore. Il dit que Barrère est l'homme principal, que c'est lui 
qui est chargé de toutes les choses secrètes et des commissions les 
plus dangereuses ; qu'il a du courage et de l'esprit. 

i^ 14. LundL — Il n'y avait pas un mot de vrai des nouvelles que 
le comte de Metternich nous avait dit la veille. Ce voyageur est un 
nommé Aubré, avocat de cette ville, qui fait le commerce. Il arrive 
de Paris avec des effets et n'a pas dit un mot de tout cela. C'est une 
espèce de jacobin que cet Aubré. Il a dit, au contraire, que la reine n'é- 
tait pas maltraitée, comme on l'avait dit ; que sa chambre était aussi 
bonne qu'elle pouvait être dans une prison ; que son lit était de fer 
avec des rideaux d'indienne , de bons matelas et les couvertures né- 
cessaires, le tout très-propre ; que son dîner était celui d'une bonne 
bourgeoise en convalescence ; que, lorsqu'on avait ôté le geôlier de la 
Conciergerie, on lui avait aussi ôté la femme qui la servait et qui était 
très^respectueuse avec elle ; qu'après cela la reine n'avait voulu 
personne pour la servir ; il a ajouté qu'il aurait pu sauver la reine 
pour 200,000 francs qu'on lui avait proposés, mais qu'elle l'avait re- 
fiisé. Cela fit naître au baron de Breteuil l'idée de parler à cet Au- 
bré, de lui proposer deux millions pour cela, s'il réussit. J'approu- 
vai l'idée, mais à condition qu'il nous dirait les moyens, afin d'être sûr 
qu'il ne regarde pas la délivrance de la reine comme un billet à la 
loterie et qu'il n'expose pas ses jours pour gagner les deux millions, 
sans une grande probabilité de succès. 

Le 20. Dimanc/ie. — Grandmaison vint me dire qu'Ackerman, 
un banquier, recevait une lettre de son correspondant à Paris, qui 
lui mandait que le jugement de la reine avait été prononcé la veille, 
qu'il devait être exécuté sur-le-champ, mais que des circonstances l'a- 
vaient retardé ; que le peuple, c'est-à-dire le peuple payé, commen- 
çait à murmurer, et que c'était ce matin que Marie-Antoifiette doit 
paraître à la fenêtre nationale / Quoique j'y fusse préparé et que depuis 
la translation de la Conciergerie je m'y attendisse, cette certitude 



96 LE COMTE DE FERSEN 

m'accabla ; je n'eus pas la force de rien sentir. Je sortis pour parler 
de ce malheur avec mes amis et M"® de Fitz- James et le baron deBre- 
teuil, que je ne trouvai pas ; je pleurai avec eux, surtout M"' de Fitz- 
James. La gazette du 17 en parle ; c'est le 16, à onze heures et demie, 
que ce crime exécrable a été commis, et la vengeance divine n'a point 
éclaté sur ces monstres I 

Le 21. Lundi. — Je ne pouvais penser qu'à ma perte ; il était af- 
freux de n'avoir aucun détail positif, qu'elle ait été seule dans ses 
derniers moments, sans consolation, sans personne à qui parler, à qui 
donner ses dernières volontés. Cela fait horreur. Les monstres d'en- 
fer! Non, sans la vengeance, jamais mon cœur ne sera content. 

Le 23. Mercredi. — Un nommé Eougeville, qui se disait lieute- 
nant-colonel et chevalier de Saint-Louis , ayant été attaché à la mai- 
son de Monsieur, était arrivé avec 200 louis dans sa poche et des 
imprimés fort bons, dont il a dit être l'auteur. Il dit avoir été celui 
qui a voulu sauver la reine et être chargé de sa part de dire à l'em- 
pereur que, s'il lui arrivait des papiers ou des lettres signées d'elle, 
il ait à n'y pas croire. On s'est assuré de cet homme, et il paraît que 
c'est ou un carmagnol qui a voulu simplement émigrer, ou un espion, 
car il ne peut nommer personne qui répond pour lui. — Il y eut le 
soir un office au château pour la feue reine. 

Le 26. Vendredi. — H est arrivé un courrier de Vienne portant à 
Londres le projet d'une proclamation. On l'a envoyé par un courrier 
de lord Elgin, et le courrier de Vienne doit y retourner ; d'abord l'em- 
pereur n'attendait que son retour pour partir, mais on craint que le 
rapport qu'on lui fera sur le mauvais état des opérations (kns ce 
pays et sur cette frontière ne l'empêche d'y venir ; sa présence y se- 
rait cependant bien nécessaire , car il faut une autre marche aux opé- 
rations militaires. Il est affreux de songer qu'avec des succès aussi 
brillants et aussi rapides que ceux depuis le 1'''' mars au 15 avrils et 
avec des moyens aussi grands et les meilleures troupes, on n'ait ga- 
gné pendant sept mois que deux lieues de terrain en France et 
qu'on soit maintenant sur une défensive désavantageuse , et à la veille 
de craindre une grande invasion dans le pays , dont une partie reste 
toujours exposée aux brigandages des Français. On assure que le roi 
de Prusse veut retirer ses troupes ; qu'il a dit que ses finances , que 
l'état de son pays et le bonheur de son peuple ne lui permettaient 
plus de continuer à prendre à cette affaire une part aussi active ; 



ET LA COUR DE FRANCE. 97 

qu'il laisserait son contingent de 1 2^000 hommes et qu'il espérait 
que les autres puissances de l'Europe en feront autant. Ce serait une 
trahison manifeste, mais digne de la perfidie du cabinet de Berlin 
et de la fidblesse du roi. C'est l'impératrice de Eussie qui en est la 
cause ; malgré le génie qu'on lui accorde , elle n'a pas vu en grand 
homme l'affaire de France ; elle ne l'a pas envisagée sous le point de 
vue d'un danger commun, et par conséquent d'un intérêt général ; 
elle n'a songé qu'à en tirer parti pour ses vues particulières sur la 
Pologne, auxquelles elle a associé le roi de Prusse, en ne donnant à 
la malheureuse famille de Bourbon et à la restauration de la France 
que des démonstrations , et qui tendaient plus à embrouiller les af- 
faires par l'appui direct qu'elle s'obstinait à vouloir donner aux 
princes, malgré la volonté bien énoncée du feu roi de France, et en 
opposition avec les vues des autres puissances. Sa conduite vis-à-vis 
de la feue reine a été indigne ; elle n'a jamais répondu à la lettre 
qu'elle lui écrivit au mois de novembre 1791. 

Le 26. Samedi, — Les Français ont évacué tout le pays et se sont 
retirés chez eux. Le prince de Cobourg a fait un mouvement en 
avant ; son armée est à Solesmes. Il voulait par ce mouvement obli- 
ger les Français à se retirer de la Flandre, mais leur retraite a été 
indépendante de ce mouvement. Clairfait demande à faire le siège de 
Landrecies, on doute que le maréchal y consente, et il persiste en- 
core à se tenir sur la défensive. Le prince de Hohenlohe n'a parlé 
que des quartiers d'hiver. Les intrigues à cette armée sont extrêmes ; 
tout se mène par là, et le bien du service y est sacrifié. On croit que 
le prince de Hohenlohe ne cherche par ses conseils qu'à perdre le 
prince de Cobourg, et à se faire donner ensuite le commandement de 
l'armée; il voudrait aussi écarter Clairfait, qui est son ancien, et 
qui paraît, par tout ce qu'il a proposé et ce qu'il a fait, être le meil- 
leur de tous pour cette besogne. Il a de l'intelligence , de l'activité 
et de l'audace; il serait fort bien secondé par Beaulieu, qui a déjà 
donné des preuves de son talent. En tout il faut un changement, car 
avec la manière actuelle d'opérer on finira par tout perdre , après avoir 
épuisé les plus grands moyens. Toute l'armée regrette M. Mack et dit 
des horreurs de Cobourg et de Hohenlohe. Dans le vrai, ils ont perdu 
cette campagne. Hélas 1 ce que je leur reproche le plus , c'est d'avoir 
perdu cette infortunée reine, en marchant sur Cambray etPéronne ; 
en menaçant Paris, elle était sauvée. 

T. H. 7 



* 



I 



98 LE COMTE DE FERSEN 

Dans une conversation que le baron de Breteuil a eue avec M. de 
Mercy, où il le pressait de reconnaître la régence de Monsieur, puis- 
que la reine n'était plus, cet ambassadeur lui répondit que la régence 
de la reine n'avait jamais été que douteuse, que ce n'était pas cette 
raison qui avait fait refixser de la reconnaître, mais parce qu'en la r^ 
connaissant on reconnaissait Louis XVII et qu'on l'exposerait à 
être sacrifié; qu'il y aurait à la vérité toujours un roi, puisque les 
princes étaient dehors, mais que cela ne leur était pas indifférent, et 
qu'ils ne voulaient pas que la couronne passât ainsi à une autre bran- 
che. Le baron lui cita alors la conduite des Anglais à Toulon ; il la 
désapprouva fort, en disant qu'il ne comprenait pas comment ils 
avaient pu s'y laisser aller ; il taxa le général Wurmser de vieux 
radoteur, parce qu'il suit la même marche en Alsace, au grand con- 
tentement des habitants ; il n'y eut jamais moyen de le tirer de là. 
H parla beaucoup de son attachement pour l'infortunée reine et de 
sa douleur sur son sort , mais toujours fondés sur son respect pour la 
mémoire de Marie- Thérèse, car il a toujours affecté de n'être atta- 
ché à la reine qu'à cause de sa mère, tandis qu'il aurait dû l'être par 
toutes les bontés et la confiance que cette trop malheureuse princesse 
lui avait témoignées. 

Le 27. DimaTicke, — Je dînai chez la Marck avec l'abbé de 
Montesquiou et le frère de Hack de Deux-Ponts, qui était lieutenant- 
colonel de Chamborant et qui l'est à présent dans Berchiny. Il nous 
dit des choses superbes sur la bonté, la discipHne et le courage des 
troupes autrichiennes ; il nous conta qu'à l'affaire de la forêt de Mor- 
mal 60 pionniers, après avoir épuisé toutes leurs cartouches, se jetè- 
rent dans une redoute où les grenadiers français les attaquèrent ; ils 
s'y défendirent avec leurs haches, en tuèrent une quarantaine et les 
arrêtèrent jusqu'à ce que le secours leur arrivât. Il y a mille exem- 
ples de ce genre ; cela fait mal à entendre , quand on pense que les 
généraux savent si peu combien on peut faire avec de telles gens, et 
qu'ils n'ont pas entrepris davantage. Il avait été dans les premières 
affaires de la guerre, à Bossu et à Gliseul, où Gouvion fut tué ; par 
tout ce qu'il me conta de l'état de cette armée, de la disposition des 
officiers et des troupes , et de ce qu'il avait fait pour passer avec tout 
le régiment de Chamborant qui était déjà en marche , et fiit arrêté par 
des détachements qui avaient été envoyés en avant pour cela d'après 
l'avertissement qui avait été donné par quelques officiers, je vis clai- 



ET LA COUR DE FRANCE. ^ 

rement qu'on aurait pu profiter de cet esprit, si on avait voulu, pour 
faire passer beaucoup de monde. 

Nous causâmes longuement avec Tabbé de Montesquiou sur tous 
les événements, et ils furent obligés de convenir avec moi que, depuis 
le 6 octobre 1 789 , tout ce qui est arrivé était inévitable avec une 
nation comme la française, légère, indiscrète, immenable, remplie 
de vanité et de pirétentions, et dans une position de choses et de per- 
sonnes où les amis faisaient autant de mal que les ennemis. 

Le 28. Lundi. — H paraît que la pluralité de l'armée voudrait 
Clairfait pour commandant ; il a déjà déclaré que, si on le lui offrait, 
il le refuserait; qu'il restait parce qu'il le croyait de son devoir, mais 
que sa santé ne lui permettait pas de se charger de cette besogne. 
Dans toute l'armée, on croit Fischer gagné par les jacobins fran- 
çais ; il ne serait même pas extraordinaire que Lucchesini le f&t. La 
conduite des Prussiens et leur lenteur dans cette campagne est trop 
extraordinaire; combien n'ont-ils pas traîné le siège de Mayence, et, 
depuis, combien n'ont-ils pas perdu de temps ? car l'opération combi- 
née qu'on vient de faire sur les lignes de Wissembourg pouvait se 
faire il y a longtemps. Le duc de Brunswick , pendant toute la cam- 
pagne, a toujours su, par de belles manœuvres, chasser les Français 
des positions qui pouvaient l'inquiéter, mais ce n'est que lorsqu'il 
prévoit que toutes les opérations sont finies et qu'il ne faut plus son- 
ger qu'aux quartiers d'hiver qu'il se prête à faire l'opération sur les 
lignes. Cette conduite ne prouve-t-elle pas le désir de traîner la 
guerre en longueur pour donner le temps aux Français de se former, 
ou pour affaiblir les autres puissances et profiter, pendant l'inter- 
valle, des circonstances qui pourront naître, comme ils ont fait pour 
la conquête de la Pologne, qui sera un sujet de guerre interminable, 
du moins pour la Russie ? Les souverains ne font pas assez d'atten- 
tion aux sous-ordres, qui peuvent être gagnés. Quand on arriva de- 
vant Maubeuge, le corps du génie et d'artillerie proposa de prendre la 
place, c'est-à-dire le camp retranché de Voussi le lendemain, avec 
perte de 2 à 3,000 hommes, ou bien d'y sacrifier cinq à six jours^ et 
qu'on l'aurait alors avec la plus grande facilité, en perdant peut- 
être 8 à 900 hommes. Ces deux corps assuraient du succès. Le prince 
de Cobourg a préféré d'y perdre entre 3 et 4,000 hommes, sans 
prendre la place. 

Le 2 Novembre. Samedù — M. de Mercy avait désiré qu'on écrivît: 



100 LE COMTE DE FERSEN 

sur la mort de la reine, pour échauffer les esprits ; il parut plusieurs 
petites brochures de MM. Murray, de Froissard, de Malouet, etc., etc. 
Il 7 en a d'assez bonnes, mais faibles. On en distribua même aux 
soldats dans toutes les langues. Il parut aussi une déclaration de 
l'Angleterre , où, après avoir déduit les raisons qui ont déterminé à 
la guerre, le roi promet sûreté et protection à tous ceux qui sui- 
vront l'exemple de Toulon en se déclarant pour un gcuvemeTnent mo^ 
narchiqm. Elle appelle tous les Français à coopérer avec elle, et les 
invite à se rallier à t étendard et une monarchie héréditaire, non pas 
pour décider dans ce moment de irofubUs, de calamités et de dangers 
publics sur toutes les modifications dont cette forme de gouvernement 
pourra dxvns la suite être susceptible, mais pour y rétablir l'ordre , la 
paix, etc., etc. La déclaration est assez bien faite et elle a le mérite 
d'être la première qui se prononce sur la monarchie. Cependant les 
Français n'en sont pas contents, ils ne la trouvent pas assez forte, 
n semble même que M. de Mercy n'en soit pas content , mais ce se- 
rait par la raison inverse. H a dit au baron de Breteuil qu'on n'y 
avait pas même parlé de la reine, ce qui est faux; ce qui ferait 
soupçonner qu'on n'en est pas content, c'est qu'on l'a gardée quatre 
jours sans la faire imprimer, et qu'à la fin M. Bruce , frère de milord 
Elgin, l'a reprise et l'a fait imprimer. 

Le 6. Mercredi. — Le sort de Madame Elisabeth paraît décidé, 
et ces deux malheureux enfants les voilà abandonnés à ces ini&mes 
scélérats! Madame est surtout à plaindre; elle est sensible et a 
assez de raison pour sentir toute l'horreur de sa situation ; ils sont 
capables de tout envers elle. Quant au roi, ils feront tout pour 
gâter son bon naturel et son existence sera peut-être un malheur 
pour la France, si jamais il en est roi. Quelle horreur, et comment 
la justice divine ne venge-t-elle pas de pareils attentats ? 

Le 17. Dimanche. — On dit que le fiacre qui avait mené l'infor- 
tunée reine du Temple à la Conciergerie avait été tout rempli de sang ; 
que le cocher n'avait pas su qui il menait, mais qu'il s'en était douté, 
ayant attendu fort longtemps ; qu'arrivé à la Conciergerie, on était 
resté assez longtemps sans descendre , que les hommes étaient sortis 
les premiers et la femme après ; qu'elle s'était appuyée sur son bras, 
et qu'il avait trouvé son fiacre tout rempli de sang ; mais tout cela 
n'est pas bien authentique. 

Le 18. Lundi. — Je ftis voir, le matin, M. de Rougeville. Je 



ET LA COUR DE FRANCE. 101 

trouvai un homme un peu fou, très-entiché de lui, de ce qu'il a fait, 
se donnant une grande importance , mais pensant bien et nullement 
espion. Daubiez le connaît, et il le connaît aussi. M""* de Maillé Ta 
reconnu l'autre jour de sa fenêtre dans la place pour être un M. de 
Bougeville, qui passait sa vie dans les antichambres de la reine et 
qui la suivait partout. H est ici à l'hôtel de îSaxe-Teschen , gardé 
par deux officiers qui l'accompagnent quand il sort. Voici en subs- 
tance ce qu'il m'a dit sur sa dernière aventure de la Conciergerie. Il 
connaissait madame de Tilleul , une Américaine , assez riche et bien 
pensante, et ils formèrent le projet de sauver la reine; alors il fit 
connaissance avec Fontaine , un honnête homme, marchand de bois, 
et par son moyen avec Michonis, un limonadier. Il les trouva tous 
deux très-disposés. Michonis était porté de cœur pour la reine et re- 
fusa l'argent qu'il lui offrit, mais il en donna aux deux autres admi- 
nistrateurs. Un jour il accompagna Michonis dans la prison ; la reine 
se leva et dit : Ah! <fest vous, monsieur Michonis, et en voyant M. de 
Hougeville elle fut extrêmement saisie, au point de tomber dans son 
fauteuil, ce qui surprit les gendarmes. Il lui fit signe de se rassurer, 
et lui dit de prendre les œillets où était le billet ; elle n'osa, et il les 
laissa tomber sans pouvoir lui parler. Michonis sortit pour affaires 
dans la prison, et lui aussi. La reine alors fit dire à Michonis de revenir, 
elle l'occupa avec les gendarmes et pendant ce temps elle dit à Bou- 
geville qu'il s'exposait trop ; il lui dit de prendre courage , qu'on la 
secourrait, qu'il lui apporterait de l'argent pour gagner les gendarmes. 
Elle lui dit : Si je suis faible et abattue, ceci (en mettant la main sur 
son cœur) ne V est pas. Elle lui demanda si elle serait bientôt jugée : 
il la rassura. Elle lui dit : Regardez-moi, regardez mon lit et dites à mes 
parcTUs et à mes amiSj si nxms pouvez vous sawoer, Vétat où vous m'avez 
vue. Alors ils sortirent. Le concierge et la concierge étaient gagnés. 
Le plan était que Michonis, qui avait conduit la reine du Temple à 
la Conciergerie, irait la nuit à dix heures la prendre, par ordre de 
la municipalité, comme pour la mener au Temple, et la ferait éva- 
der. Ainsi, et déchargeant le livre du concierge, afin qu'il ne lui ar- 
rivât rien, ils y allèrent effectivement; les deux gendarmes, moyen- 
nant cinquante louis, ne dirent rien, mais le dernier s'y opposa. 
Michonis lui dit qu'il avait ordre de la municipalité, mais il (1) dit 

(1) Le gendarme. 



Î02 LE COMTE DE FERSEN 

que^ si on ne ramenait Madame, il appellerait la garde. Le coup fut 
manqué, et Bougeville se sauva. 

Voici les particularités sur la reine : sa chambre était la troisième 
porte en entrant à droite, vis-ii-yis celle de Custine; elle était au 
rez-de-chaussée, la fenêtre donnait sur la cour, qui était remplie 
toute la journée de prisonniers qui regardaient par la fenêtre et 
insultaient la reine. La chambre était petite, humide et fétide, il 
n'y avait ni poêle ni cheminée ; il y avait trois lits : un pour la reine , 
l'autre , à côté du sien , pour la femme qui la servait ; le troisième 
pour les deux gendarmes qui ne sortaient jamais de la chambre, pas 
même lorsque la reine avait des besoins ou des soins naturels à se 
donner. Le lit de la reine était, comme celui des autres, de bois ; une 
paillasse , un matelas et une couverture de laine , sale et trouée, qui 
servait depuis longtemps aux prisonniers ; les draps étaient de toile 
grosse et grise comme ceux des autres, et il n'y avait pas de rideaux, 
mais un vieux paravent. La reine était vêtue d'un caraco noir ; ses 
cheveux, coupés sur le &ont et derrière, étaient tout gris ; elle était 
tellement maigrie qu'on avait de la peine à la reconnaître et si faible 
qu'à peine pouvait-elle se tenir sur ses jambes. Elle avait aux doigts 
trois anneaux, mais pas de bagues. La femme qui la servait était 
une espèce de poissarde dont elle se plaignait fort. Les gendarmes 
dirent à Michonis que Madame ne mangeait pas et que de cette 
manière elle ne pouvait pas vivre ; ils dirent que son manger était 
fort mauvais, et apportèrent un poulet maigre et presque gâté, en 
disant : Voilà un poulet doïtt Madame n'a pas mangé et qu'on lui sert 
deptds quatre jours. Les gendarmes se plaignirent de leur lit, quoi- 
qu'il fût pareil à celui de la reine. La reine couchait toujours tout 
habillée en noir, attendant à tout moment d'être massacrée ou d'être 
menée au supplice, et voulant y aller en deuil. Rougeville dit que 
Michonis en pleurait de douleur ; U lui a confirmé les pertes de sang 
que la reine faisait , et que, lorsqu'il a fallu aller au Temple cher- 
cher le caraco noir et les linges nécessaires pour la reine, il n'a pu y 
aller qu'après une délibération du conseil. Voilà les tristes détails 
qu^il me donna. 

Le 22. Vendredi. — Goguelat arrivé; je fus- bien aise de voir 
quelqu'un aussi attaché à la malheureuse princesse que je ne puis 
trop regretter. H me dit que les Autrichiens et les Anglais envoient 
des officiers dans la Vendée ; il a été consulté par le prince de Co- 



ET LA COUR DE FRANCE. 103 

bourg sur les officiers des régiments de Saxe-Berchiny et Eoyal-Al- 
lemand à y envoyer ; il en a donné la liste. Le prince lui a dît d'en 
causer ici avec le comte de Mercy. Je sens ensuite que le prince de 
Cobourg s'était décidé à cela^ à la demande de T Angleterre et sur 
l'autorisation du comte de Mercy ; qu'il y envoie en outre des ar- 
mes , du canon ^ des artilleurs et des hussards. Le duc d'York y en- 
voie aussi des offi.ciers. Les Anglais y envoient 17^000 hommes ef- 
fectifs, mais ils veulent que la chose soit secrète, et pour cela ils 
ont l'air de faire des difficultés même aux Français qu'ils sont dans 
l'intention d'y faire passer. 

Le 26. Mardi. — Les Autrichiens envoient aux royalistes 20 piè- 
ces de canon avec des canonniers et tout l'attirail (ce sont en partie 
des pièces françaises), et 700 hussards. Ils envoient en outre des ar- 
mes , des munitions et des vivres pour se joindre aux 1 7,000 Anglais 
qui y passent. Ce corps aura en tout 80 pièces de canon. Tout cela est 
déjà en marche pour s'embarquer à Ostende, et les Anglais doivent 
partir incessamment. Si les royalistes peuvent seulement se soutenir 
jusqu'au moment de leur arrivée, il n'est pas douteux qu'avec ce ren- 
fort ils n'aient de grands succès. La seule chose à craindre, c'est 
l'arrivée des émigrés et les prétentions qu'ils y apporteront; mais, 
pour prévenir l'inconvénient des tracasseries, il faut en faire un 
choix ; il faut laisser subsister et maintenir le conseil qui jusqu'à 
présent a réglé leurs opérations , avec la liberté d'y admettre qui ils 
voudront, et avoir la fermeté de renvoyer d'abord t.out esprit turbu- 
lent ou ambitieux qui pourrait ou voudrait les troubler ; il faut que 
lord Moira ait assez de fermeté pour cela. 

Le 30. Samedi. — Nous reçûmes la nouvelle que les Prussiens, 
après leur tentative manquée sur Bitsch, se sont retirés à Garlsberg 
et Hombourg, derrière Deux-Ponts ; que les Français sont entrés dans 
cette ville, où ils ont commis les plus grandes horreurs, ainsi que 
dans les environs. Les lettres de Francfort et de l'armée, qui en 
parlent, accusent le duc de Brunswick de l'avoir fait exprès, les uns 
disent par jalousie contre Wurmser, d'autres par trahison , étant ga- 
gné par la Convention. On dit que sa conduite est trop claire pour 
n'être pas soupçonnée : il fit pendant six semaines des préparatifs 
pour surprendre Bitsch et l'attaqua ensuite avec 1,500 hommes, et 
il vient d'abandonner aux Français des positions très-fortes ; il expose 
Trêves et l'empire aux incursions des Français. Ils ont déjà été dans 



104 LE COMTE DE FERSEN 

les environs de cette ville, où ils ont chassé un poste de 500 Autri- 
chiens. On travaille à présent tant qu'on peut à forcer les Prussiens 
d'avancer. L'Angleterre et l'Autriche en sont extrêmement mécon- 
tentes et voient clairement que la politique de Berlin n'a été que de 
les mettre en avant pour faire , pendant ce temps, son opération avec 
l'impératrice en Pologne , de ne faire que de faibles efforts pendant 
que l'Autriche et l'Angleterre en faisaient de considérables et d'af- 
faiblir ainsi ces deux puissances. Quelle misérable politique dans un 
moment aussi important pour tous les souverains et qui doit décider 
de leur sort ! L'impératrice a suivi la même politique, qui ne lui fidt 
pas honneur et sera une tache à sa mémoire. 

Le 4 DECEMBRE. Mercredi. — MM. de Richelieu et Olivier de Vérac 
devaient aller dans la Vendée , mais ils ont été arrêtés par le prince 
de Cobourg, qui voulait les employer à autre chose, et voici à quoi. 
Dans différents temps, des troupes de paysans de Flandre et d'Ar- 
tois, au nombre de 3 à 400, ont émigré et ont passé chez les Autri- 
chiens : c'était surtout pendant le siège de Maubeuge. Ils ont dit 
qu'ils étaient même députés par les autres pour offrir leurs secours 
aux Autrichiens, et que, si on voulait leur fournir du secours et les 
soutenir, 15 à 18,000 étaient tout prêts à se déclarer. Des prêtres 
déguisés ont été les intermédiaires. Un comte de Cunchy d'Arras, 
qui est à Tournay, fomentait tout cela, et on goûta fort cette idée 
d'une nouvelle Vendée. M. de Mercy l'approuvait, et on donne à ceux 
qui ont passé une paye, du pain et de la viande, et ils travaillent. 
On voulait incorporer le rassemblement projeté dans les troupes, 
mais M. Froissard proposa et on convint de les laisser ensemble, 
commandés par des gens de leur pays. Comme M. de Cunchy est 
un vrai Français exalté, confiant, étourdi et emporté, le prince de 
Cobourg fit choix de M. de Richelieu pour mettre à la tête, mais à 
l'insu de M, de Cunchy et prit M. de Vérac avec lui. Au commen- 
cement de novembre, six cents de ces paysans se sont retirés dans les 
bois, pour se soustraire à la réquisition. Le département, effrayé, les a 
engagés à revenir, en les assurant qu'ils seraient exempts. Déjà deux 
fois on avait pris des arrangements, et le moment pour eux de se ras- 
sembler était fixé. Toiyours les Autrichiens l'ont différé, et, d'après ce 
que M. de Richelieu vient d'apprendre ici, il croit que l'on abandonne 
cette idée, que les Autrichiens ne se soucient plus de ce rassemble- 
ment, et vient en conséquence de demander pour lui et Vérac au prince 



ET LA COUR DE FRANCE. 105 

de Cobonrg de pouvoir passer avec les autres en Bretagne. C'est de Vé- 
rac que je tiens tout cela. Si cela est la conduite des Autrichiens, elle 
est incompréhensible et ne peut s'expliquer que par leur bêtise, leur 
apathie ou la crainte qu'un rassemblement de ce genre ne puisse dé- 
ranger leurs projets de conquêtes. Dans une proposition de M. de Cun- 
chy on parle de former deux corps : l'un Royal-Artois, l'autre Boyal- 
Handre ; Cobourg répond qu'il ne peut- accepter les dénominations 
tf Royal, yi que cela n'était pas encore décidé et qu'il ne fallait pas, 
par une dénomination, choquer les idées et les préventions, et sacri- 
fier le grand objet pour une chose en elle-même aussi indifférente. 
Cela est-il convenable dans le temps où les Anglais proclament 
Louis XVII à Toulon, où ils vont soutenir les royalistes de la 
Vendée et qu'ils déclarent par une proclamation qu'ils veulent réta- 
blir le roi et la monarchie ? Mais les Autrichiens prennent possession 
ici au nom de l'empire et en Alsace au nom des alliés ; quelle inco- 
hérence de conduite, et quel manque total de plan et de suite! 

Le 16. Lundi. — Je fus à dix heures faire ma cour au duc d'York. 
C'était l'heure à laquelle il devait partir, les chevaux étaient déjà 
mis ; mais, par un effet de l'indécision anglaise, il fat alors se pro- 
mener, il traîna et barguigna et ne partit qu'à cinq heures du soir, 
quoique les chevaux fussent arrêtés sur la route et qu'il était attendu 
à Gand, où il avait fait faire à dîner. Il y va établir son quartier 
général, et ne retourne plus à Toumay, à moins d'opérations mili- 
taires. 

J'ai rencontré le prince de Ligne chez le baron de Breteuil ; il est 
très-mécontent de ne pas être employé et blâme par conséquent tout 
ce qui se fait ; en cela il peut avoir raison. H nous dit que l'empe- 
reur Joseph était extrêmement changeant : tantôt bien, tantôt mal 
pour quelqu'un , mais qu'il devenait toujours bon quand on lui te- 
nait tête. Le baron de Breteuil nous dit qu'en Champagne Spielman 
était arrivé, parce qu'on croyait être le 10 octobre à Paris, qu'il 
était revêtu de pleins pouvoirs illimités, et que c'était sur cet homme 
qu'auraient roulé les intérêts de l'Europe ; qu'il l'avait trouvé au des- 
sous du médiocre. 

Plusieurs lettres de Français embarqués avec le comte Moira 
écrivent de Guemesey, le 9 au soir, que les royalistes répondaient aux 
signaux et qu'on allait appareiller. 

LeZl. Mardi. — La Prusse fait de grandes difficultés, et veut re- 



106 LE COMTE DE FERSEN 

tirer ses troupes et ne laisser qu'un contingent, si on ne lui accorde 
un subside de 12 millions , car elle veut envisager ses acquisitions en 
Pologne comme une chose absolument étrangère à cette guerre. Elle 
a déclaré qu'elle ne voulait pas de conquêtes ; mais eUe sait bien que 
ni l'Angleterre ni l'Autriche ne peuvent lui payer 12 millions, et il 
faudra bien alors la payer en possessions dont l'Autriche fera les frais, 
par des sacrifices dans la haute Silésie, quitte à eUe à se dédom- 
mager sur la France de ce que la Prusse lui coûtera. Le roi de Prusse 
demande une réponse prompte pour avoir le temps de &ire marcher 
des troupes et de recruter celles qui sont déjà ici. On assure que le 
partage de la Oallicie autrichienne est déjà arrangé entre la Prusse 
et la Russie. On voit avec peine, par toutes ces intrigues, combien les 
souverains voient mal les affaires de France, et combien peu ils sen- 
tent le danger qui les menace tous, si ce foyer n'est étouffé. La po- 
sition des alliés n'est pas très-brillante à la fin de cette année, en 
comparaison de la manière dont elle avait commencé. H est vrai que 
l'année dernière les frontières de la France étaient intactes, que les 
Pays-Bas étaient conquis et que les armées firançaises étaient aux 
portes de Botterdam, sur le Bhin, et jusqu'à Francfort, dont ils 
étaient maîtres. Cette année les alliés sont maîtres de Condé, Yalen- 
ciennes, Quesnoy ; les Anglais sont à Guemesey, n'attendant que le 
moment de faire une descente en France pour se joindre aux roya- 
listes. En Alsace, les armées combinées sont maîtresses de tout ce pays 
jusqu'à Hagenau ; Fort-Louis est pris et Landau doit tomber. Tou- 
lon était au pouvoir des Anglais, et, s'il n'y est plus, du moins la ma- 
rine républicaine est détruite et les carmagnols chassés de la Médi- 
terranée. Les Espagnols, quoique forcés de se retirer, sont restés en 
possession de Bellegarde. Voilà la position des premiers jours de dé- 
cembre. Mais quand on envisage l'ennemi qu'on a à combattre, les 
généraux, le manque de toutes les choses nécessaires à la guerre, et 
celui des vivres qui se fait sentir en France, les trahisons, le mécon- 
tentement et les mouvements séditieux qui s'y manifestent de toutes 
parts, et le nombre et la bonté des armées alliées, on devait croire 
que les armées des plus grandes puissances de l'Europe auraient dû 
avoir des succès plus marqués ; mais ce manque de succès ne doit 
être attribué qu'au peu d'accord et aux intrigues du cabinet de Ber- 
lin, au défaut d'un plan général et à l'inactivité et l'inhabileté du 
prince de Cobourg, et surtout du prince de Hohenlohe qui, depuis le 



ET LA COUR DE FRANCE. 107 

départ de Mack^ est son factotam. La fin de Tannée est encore moins 
heureuse : les royalistes ont des revers^ Toulon est évacué, le siège 
de Landau est leyé et les armées prussiennes et autrichiennes peut^ 
être forcées de repasser le Bhin. C'est la nouvelle que nous reçûmes 
le jour de l'an. Ainsi donc, après huit mois de campagne avec les 
forces autrichiennes, prussiennes, anglaises, espagnoles, sardes, ita- 
liennes et de l'empire, le territoire français ne se trouve entamé sur 
deux points que de trois ou quatre lieues, et les quartiers d'hiver ne 
iont point établis en France, tandis qu'en suivant un bon plan, dans 
le genre de celui de Jarry, il aurait été possible de les établir sur la 
Somme. 



CXL 



DE M. DE CARISIEN, ENVOYIÊ DE S. M. LE ROI DE SUÈDE A BERLIN, 

AU COMTE DE FERSEN (1). 

A Berlin, ce 2 de janvier 1792. 

Monsieur le comte, 

Ayant reçu avant-hier par estafette la lettre très-intéressante que 
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, monsieur le comte, en date 
du 26 décembre, je n'ai pas balancé un instant à m'acquîtter de la 
commission qu'elle renferme, persuadé, comme j'ai lieu de l'être, par 
les instructions précédentes reçues du roi, que ma conduite en cette 
occasion est conforme à ses vues, et ne saurait par conséquent être 
désapprouvée par S. M. Je viens d'avoir une conversation confiden- 
tielle avec le comte de Schoulembourg, dans laquelle j'ai informé ce 
ministre des différentes notions que vous m'avez communiquées et 
surtout de l'arrivée prochaine du chevalier de Bressac avec des lettres 
de S. M. T. C. J'ai fait valoir de mon mieux les preuves non équi- 



(1) Lettre originale en chiffre, déchiffrée ; le comte de Fersen a écrit en marge : lieçu U 
11 Janv. 1792, rép, le 19. 



108 LE COMTE DE FERSEN 

voqnes qu'on allait recevoir ici de Tétat de contrainte dans lequel ce 
prince continuait de se trouver et de son désir secret de voir les au- 
tres puissances s'intéresser ouvertement en sa faveur par des me- 
sures vigoureuses et efficaces. Les réponses que j'ai reçues ont été 
tellement que j'ai pu les prévoir. On m'a témoigné beau- 
coup de surprise d'une nouvelle qui contrastait singulièrement avec 
d'autres preuves quasi irréfragables qu'on croyait avoir ici, et sur- 
tout à Vienne, que le roi de France se regardait obligé par son propre 
intérêt à soutenir de bonne foi l'ordre présent des choses dans son 
royaume, que la reine partageait cette conviction, et que l'un et 
l'autre désiraient sincèrement que les puissances étrangères voulussent 
s'abstenir de toute démarche capable d'entretenir les vues des émi- 
grants et les troubles intérieurs qui déchirent la France. Le comte de 
Schoulembourg ne me cachait pas qu'il lui restait encore des doutes 
sur la véritable façon de penser de S. M. T. C, et qu'il suspendrait 
son jugement à cet égard jusqu'à ce qu'il aurait vu les termes mêmes 
de la lettre dont M. de Bressac serait le porteur. Il observait, 
d'ailleurs, qu'on connaissait assez le caractère du roi de France pour 
savoir qu'il n'agissait pas par lui-même, et que ses résolutions pou- 
vaient varier selon les vues des différentes personnes qui s'empa- 
raient tour à tour de son esprit. Il n'en pouvait résulter que beau- 
coup d'embarras pour les cours qui s'intéressaient en faveur de ce 
prince, puisqu'on ne pouvait faire aucun fond sur sa persévérance 
dans une conduite uniforme. Ce ministre me répétait, au reste, son 
ancien raisonnement sur la nécessité qu'une politique naturelle im- 
poserait, dans tous les cas possibles, au roi de Prusse de ne point se 
mêler des affaires de France, sans que la cour de Vienne ne fdt de 
la partie. Il était absolument nécessaire, disait-il, que l'empereur 
se mît en avant, en sa qualité de parent et d'allié de la maison 
royale de France, ainsi que dans celle de chef de l'empire. Depuis 
peu il avait paru que la conduite inconsidérée tenue en dernier lieu 
par l'Assemblée nationale avait engagé l'empereur à proposer aux 
autres puissances d'arrêter la fureur des démagogues français par une 
déclaration plus prononcée ; il fallait voir auparavant quelle impres- 
sion aurait fait à Vienne les dernières nouvelles du parti pris à Pa- 
ris d'agir offensivement contre les princes qui protègent les rassem- 
blements des émigrés. M. de Schoulembourg croyait que l'exécution 
de ces menaces pourrait plus que toute autre chose entraîner la 



ET LA COUR DE FRANCE. 109 

France dans une guerre ouverte avec les autres puissances. Comme 
ce ministre a senti avec moi l'importance du secret des lettres parti- 
culières que le roi et la reine de France viennent d'écrire aux sou- 
verains ci-dessus nommés, et que nous ignorons si les princes, frè- 
res de S. M. T. G.y sont de la confidence, nous sommes convenus de 
ne parler de cette affaire ni au baron de Eolle ni aux ministres 
d'Espagne et de Russie. Lorsque M. de Bressac arrivera, il verra lui- 
même jusqu'où il voudra pousser ses confidences ; je ne lui conseil- 
lerai pas en tout cas d'en &ire au comte de Nesselrode, qui est re- 
gardé ici conmie peu discret et incapable de garder un secret 

Je suis bien aise de pouvoir vous informer, monsieur le comte, 
qu'à force de représentations nous avons enfin obtenu, il y a quelques 
jours, qu'on envoyât un courrier à Vienne pour proposer à l'empe- 
reur de déclarer, en commun avec le roi de Prusse, à la cour de 
France, que le passage des frontières allemandes par les troupes 
françaises serait regardé comme une hostilité contre l'empire ger- 
manique. Des instructions ont été envoyées en même temps au comte 
de Goltz qui l'autorisent à tenir à Paris un langage dans le même 
sens, en attendant qu'il lui soit enjoint de faire la déclaration for- 
melle, n ne fitut cependant pas se cacher que cette demande n'est 
dictée au fond que par le désir de conserver la paix, et par la crainte 
d'être compromis et d'être entraîné malgré soi dans la querelle. Le 
roi de Prusse a donné part de sa résolution à l'électeur de Trêves, 
dans une réponse à la lettre de ce prince, dont le baron de RoUe 
avait été le porteur. Je suppose cependant que dans cette même ré- 
ponse le roi aura dissuadé toute permission d'attroupement armé et 
aura conseillé à l'électeur de se borner à accorder simplement aux 
émigrés français un asile qui ne saurait être regardé que comme très- 
innocent. 

Je viens de recevoir également par estafette la dépêche du 27 

avec l'extrait des instructions dont M. de Ségur a été muni, en se 
rendant ici. Je tâcherai d'en faire l'usage que les circonstances pour- 
ront m'indiquer conmie le plus convenable aux vues du roi. Cet usage 
me paraît cependant demander de la circonspection, puisqu'en m'y 
prenant imprudemment je pourrais me faire le plus grand tort en 
même temps que je gâterais l'affaire et nuirais au but même que je 
me proposerais. En confiant aux ministres du cabinet le plan de cor- 
ruption qu'on a recommandé à M. de Ségur, je ferais une démarche 



110 LE COMTE DE FBRSBN 

très-hasardée, et d'aillears assez inutile, puisque aucun d'eux n'au- 
rait le courage de heurter de front ni le &vori ni la maîtresse du 

roi. Les comtes de et de Schoulembourg tiennent Tun et l'autre 

à leur place. Le premier est craintif, il ne demande pas mieux que la 
tranquillité, et il aime mieux laisser aller les choses que de s'opposer 
au torrent des abus. M. de Schoulembourg est à la vérité d'un carac- 
tère plus ferme, mais sa retraite précédente lui a trop pesé pour 
qu'il ne soit pas dégoûté d'une résistance qui pourrait l'éloigner de 
nouveau du ministère ; il est ambitieux à l'excès, et pour se conser- 
ver à la tète des affaires il n'y a pas de ménagement qu'il n'ait pour 
M. de Bischoffswerder ; je doute cependant qu'il puisse aimer au fond 
de son cœur un homme qui bride son crédit et blesse son amour- 
propre; mais, pour aller plus sûrement son chemin, il préfère de lou- 
voyer encore et d'attendre du temps les moyens d'écarter son rival. 
Je verrai si en ébruitant les projets de corruption de M. de Ségur, 
sans qu'on sache que cela vient de moi, je puis peut-être, par la pu- 
blicité, arrêter ceux qui seraient tentés de conclure le marché, si tant 
y est qu'il existe un frein à l'avidité. H n'est que trop certain qu'in- 
dépendamment des moyens illicites M. de Ségur trouvera ici de 
grands avantages locaux dans sa négociation , autant que l'objet de 
celle-ci n'est que d'empêcher une participation vigoureuse de cette 
cour aux affaires de France. Les généraux, la maîtresse du roi et la 
grande partie des hommes en place s'empresseront d'y contribuer, 
guidés par des impulsions différentes, mais qui tendent au même 
but. M. de Bischoffswerder paraît, à l'heure qu'il est, tout à fait 
voué à l'Autriche ; aussi longtemps que l'empereur persiste dans ses 
ménagements, il ne conseillera pas au roi de Prusse de tenir une con- 
duite différente ; il est, en général, bien plus facile d'arrêter une cour 
faible et de faire naître des entraves à ses résolutions, que de la 
pousser à une démarche vigoureuse. 

M. de Ségur n'est point encore arrivé ici, mais on l'attend au plus tôt. 

Vous aurez déjà vu, monsieur le comte, par ce que j'ai dit ci-des- 
sus, que je sens parfiaitement combien il est important que le roi et 
la reine de France ne soient pas compromis, et je me garderai assu- 
rément de faire à M, de Heymann des confidences qui pourraient être 
dangereuses, vu son caractère, sur lequel vous avez eu la bonté de 
me prévenir. 

Ds Cabisien. 



ET LA COUB DE FRANCE. 



tZ/f-'-fè ii'i- uuvnHie fl/?t,re>t. 

i^ m/^i^e**'^' /, ont /'imjff.''^' 

^t'tt fttiu^t-ju/tèl nit'i/ i////L. 

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tê.'y'i*- fioTï't- ticn/itift '7)t v-wif/io 

^m r/fiit t'ti i$.Ct ^tn et- i IHHln t- 
mliittii, ftul/j' yottTyi m/^i^ 



( 1 ) Billat Butograplie non signé. Le oomtc da Fowen a écrit en marge : iieçu It 



110 LE COMTE DE FER8BN 

J-jAn-Viainijil ^^™~^^^— '""^^■^■^^— i^^^M^M 



ET LA COUR DE FRANCE. 111 



CXII a. 

DE LA REINE MARIE-ANTOINKTTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Ce 4 janvier 1792. 

Je ne vous écris qu'un mot 

la personne qui vous porte celle-ci vous dira et fera connaître notre 
position telle qu'elle est. J'y ai entière confiance et il la mérite par 
son attachement et sa raison. Il porte un mémoire absurde, mais que 
je suis obligée d'envoyer. Il est essentiel que l'Emp. soit bien per- 
suadé qu'il n'y a pas là un mot qui soit de nous, ni de notre manière 
de voir les cboses ; mais qu'il me fasse pourtant ime réponse, comme 
s'il croyait que c'est là ma manière de voir, et que je puisse montrer ; 
car ils sont si méfiants ici qu'ils exigeront la réponse. Le porteur de 
tous ces papiers ne sait pas par qui ils me sont venus et il ne faut 
pas lui en parler. Le mémoire est bien mal fait, et on voit que les 
gueux ont peur ; mais pour notre sûreté personnelle il faut encore les 
ménager, et surtout leur inspirer confiance par notre conduite ici. On 
vous expliquera tout cela, ainsi que les raisons pourquoi souvent je 
ne peux pas vous avertir d'avance de ce qu'on va faire. Mon homme 
n'est pas encore revenu ; je voudrais pourtant bien avoir des nouvel- 
les d'où vous êtes. Que veut dire cette déclaration subite de l'Emp.? 
pourquoi ce silence profond de Vienne et même de Brux. envers 
moi? Je m'y perds, mais ce que je sais bien, c'est que, si c'est pru- 
dence ou politique qui fait qu'on ne me dit rien, on a bien tort et on 
m'expose beaucoup, puisque personne ne croira que je sois dans cette 
ignorance, et il serait pourtant nécessaire que je pus se régler mes 
propos et ma conduite d'après ce qui se passe : c'est ce que je charge 
la personne de dire à M. de Mercy. Je vais finir 



(1 ) BiUet autographe non signé. Le oomte de Fersen a écrit en marge : ReKpi le 8 jimv, 
par Gog, 



Il2 LE COMTE DE FERSEN 



CXII b. 



DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE A LA REINE d'eSPAGNE (1). 



Ce 4 janrier 1792. 



Madame ma sœur et cousine^ 



J'aurais bien désiré pouvoir écrire à Y. M. en même temps que le 
roi a écrit au roi d'Espagne, mais les moments m'ont manqué, et il 
faut être si circonspect dans toutes nos démarches, qu'il m'a fallu 
attendre une occasion sûre pour envoyer celle-ci à M. le baron de 
Breteuil, que vous savez déjà avoir toute notre confiance. Je m'a- 
dresse avec d'autant plus de plaisir à vous, Madame, pour me réu- 
nir à la lettre que le roi a écrite, que la noblesse de votre caractère, 
le double lien du saug qui vous unit à nous, ne me laisse aucun 
doute de l'intérêt que vous prenez à tout ce qui nous regarde. Veuil- 
lez donc bien entretenir le roi d'Espagne dans la bienveillance pour 
nos intérêts. La lettre qu'il a reçue du roi lui explique nos véritables 
sentiments et nous ne pouvons pas en avoir d'autres. Il est inutile 
de dire à V. M. combien le plus grand secret est nécessaire, sa pru- 
dence et notre position le font assez connaître. Quant à moi, Madame, 
je serai charmée de vous avoir obligation, et d'ajoutejp ce sentiment à 
celui d'attachement et d'amitié que j'ai voué à V. M. depuis long- 
temps et pour la vie. 

Marie-Antoinette. 



( 1 ) D'après une copie dans les papiers du comte de Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 113 



CXIII. 

DU COMTE DE FERSEN AU COMTE d'eSTBRHAZY (1). 

Bruxelles, ce 9 janvier 1792. 

Personne n'est plus convaincu que moi de la conduite indigne de 
l'empereur, on l'est de même aux Tuileries. Quant à l'union avec 
les princes, il n'y a que l'extrême indiscrétion de leur conseil qui 
empêche de leur rien confier dans une affaire où le secret est si né- 
cessaire, et il est impossible, car les princes ont accoutumé la no- 
blesse à être instruite de tout, et il y a parmi eux un grand nombre 
d'espions. La conduite du roi et toutes ses démarches sont aisément 
expliquées par la prison où il est, et la nécessité de feire tout ce 
qu'on exige de lui, tant pour sa sûreté et celle de sa famille, qui, sans 
cette marche, serait exposée à des périls certains, que pour se mé- 
nager les moyens, en gagnant ainsi la confiance, d'agir quand l'occa- 
sion s'en présentera ; mais dans un moment où il n'est encore assuré 
d'aucun secours efficace, qu'il n'y a ni plan ni réunion de puissances, 
quel point d'appui aurait-il? Mon ami, ce que vous pourriez faire de 
mieux en ce moment serait de quitter Pétersbourg le plus tôt pos- 
sible et de trouver un prétexte vis-à-vis des princes pour retourner 
à Tournai ; croyez-en ma tendre amitié pour vous. Je vous en expli- 
querai les raisons à votre passage ici, et vous verrez que je n'avais 
pas tort. Je ne puis vous en dire davantage; notre ami approuvera 
même cette marche. 



( 1 ) Lettre toute en chiffre ; copiée d'après la minute du comte de Fersen , qui a écrit en 
marge : Chyffrt, au C, â^Esterhazy, 



T. II. 8 



lu LE COMTE DE FERSEN 



CXIV. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

Bruxelles, ce 6 janyier 1792. 

Un aide de camp de M. de Janconrt a porté à Ath Tordre au 
rassemblement qui y était de se porter sur les frontières de l'élec- 
torat de Trêves. Vous sentirez aisément combien cette opération a 
d'inconvénients et combien elle est désavantageuse : l"" elle augmente 
les embarras des électeurs et vous force à une levée de boucliers 
qu'il est intéressant de retarder jusqu'au moment où il y aura quelque 
chose de préparé au dehors ; 2* c'est un moyen de moins pour com- 
promettre l'empereur, et 3*" c'est donner à l'Assemblée la &cilité de 
présenter ce départ comme l'effet des menaces du roi. Elle exigera 
peut-être des électeurs la même conduite ; ils n'auront plus la faci- 
lité de répondre qia'ils se conforment chez eux à ce qui se pratique 
dans les Pays-Bas^ et d'après la connaissance que j'ai des intentions 
de l'empereur, je ne serais pas étonné qu'il appuyât cette demande. 
Je sais qu'il est décidé à ne fournir, pour le soutien des électeurs et 
princes de l'Empire, que le contingent auquel il est obligé comme 
co-État ; il craint la guerre , il craint de se mêler de vos affaires, et, 
n'ayant plus chez lui de rassemblement, il pourrait exiger qu'il n'en 
exist&t pas chez les autres. Le baron de Breteuil a écrit au maréchal 
de Castries pour empêcher le départ des rassemblements ; j'en ai 
écrit de même au baron d'Oxenstjerna. 

La réponse du roi a l'office de l'empereur me parait un peu trop 
forte ; ne pensez-vous pas qu'il faudrait toujours se tenir en mesure 
de faire la guerre, mais reculer le moment de la commencer jusqu'à 
celui où il y aurait un concert établi, et où il y aurait une force quel- 
conque qui vous servirait d'appui ? Ne pensez-vous pas qu'il eût été 
préférable de dire que si, à l'époque fixe, l'électeur de Trêves n'a pas 



(1) Lettre probablement expédiée en chiffre. La minute de la main du comte de Fersen» 
qui a écrit en marge : 6 fanv, 1792, par It S, à la Reine, 



ET LA COUB DE FRANCE. 115 

dissipé les rassemblements, le roi attend de l'amitié de l'empereur 
qa'il interposera ses bons offices pour l'y obliger? Je crois qn'il serait 
intéressant d'accorder à l'électeur de Trêves une seconde époque, jus- 
qu'au 1^^ ou 15 février, si cela se peut; ce délai nous donnerait le 
temps de recevoir des réponses. Le roi ne pourraitril pas faire valoir 
le désir qu'il a de conserver la paix, et d'éviter une guerre toigours 
ruineuse, et surtout dans un moment où les finances exigent une aussi 
grande attention ? 



cxv. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON d'eHRENSVAERD, ENVOTlf EXTRAORDI- 

NAIRE- DE SUÈDE A MADRID (1). 

Bruxelles, ce 12 janvier 1792. 

Monsieur le baron. 

J'ai l'honneur de remercier N. N. des passeports qu'il a bien 
voulu m'envoyer, et je ferai mon profit des éclaircissements et des 
précautions que vous m'indiquez. 

Notre maître s'étant décidé à adopter l'idée d'un congrès armé, et 
devant en faire la proposition, de concert avec l'impératrice de Rus- 
sie, à toutes les cours, cette démarche, jointe à la lettre du roi de 
France, doit décider la cour d'Espagne à entrer dans les mêmes 
vues. 

Le roi de France et la reine semblent craindre qu'en cas de guerre 
ou d'attaque du côté du nord, les factieux ne prennent le prétexte du 
peu de sûreté qu'il y aurait à Paris pour la famille royale et pour 
l'Assemblée nationale, pour les amener dans l'intérieur du royaume, 
vers les provinces méridionales. On dit même, et cela paraît positif, 
que M. de Lafayette a signé avec les protestants de ces provinces 



(1 ) D'après le brouillon de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^ à 
Ehrtntvaerdy 12 janv, par la poste. 



116 LE COMTE DE FERSEN 

un traité dont on ignore la teneur. Pour déjouer ce projet, qui existe 
en effet, le roi de France désirerait que le roi d'Espagne et celui de 
Sardaigne portassent sur les frontières des forces qui leur en impo- 
sassent, et le baron de Breteuil en écrit à M. de la Vauguyon; je crois 
qu'il serait intéressant que N. N. lui en parlât, se fît montrer les de- 
mandes du baron de Breteuil et les appuyât. Je sais que le roi d'Es- 
pagne a déjà sur la frontière un cordon de troupes considérable; 
mais ne vaudrait-il pas mieux le diminuer, en former une partie en 
corps d'armée et donner des ordres à un plus grand nombre de trou- 
pes de se tenir prêtes à marcher? 

N. N. pourra rassurer le comte de Florida Blanca sur les tentar- 
tives des princes ; ils n'en feront point de partielles, et encore moins 
depuis que le roi de France s'est adressé aux cours de Stockholm et 
de Pétersbourg pour régler leur conduite d'après ce qui aurait été 
concerté avec celle de Madrid. N. N. fera de cet éclaircissement l'u- 
sage que sa prudence lui dictera, pour ne pas choquer le ministère 
espagnol. Je pense absolument comme N. N. sur le projet de s'em- 
parer de Perpignan; ces opérations, qui manquent toujours, ne font 
que répandre le découragement dans le parti du roi de France, et sa- 
crifier inutilement des gens qui, dans un grand ensemble, pourraient 
lui être fort utiles. J'espère que dorénavant les princes ne feront plus 
de pareilles folies. 

Tous les officiers autrichiens ont ordre de rejoindre leurs corps, et 
le maréchal Beoder avoue avoir reçu des ordres pour la protection 
de l'électorat de Trêves. 

Le roi de Prusse a fait demander ministériellement à l'empereur 
de s'expliquer sur le degré de protection qu'il voulait accorder aux 
électeurs et princes de l'Empire, en ajoutant que, l'Empire parais- 
sant menacé d'une attaque du côté de la France, il ne comptait pas, 
dans ce cas, rester spectateur oisif. S. M. I. a répondu qu'elle avait 
donné des ordres au maréchal Bender de secourir l'électeur de Trêves, 
au cas qu'il f&t attaqué. 

Les Pays-Bas sont toujours dans une grande fermentation. Les 
rebelles espèrent être soutenus par leurs camarades français, et le 
gouvernement autrichien prend peu de précautions pour arrêter et 
prévenir le mal. Dans l'électorat de Trêves, les états se révoltent 
contre l'électeur pour en faire chasser tous les Français, et il y a des 
groupes, dans les rues de Coblence et dans les cafés, qui parlent fort 



ET LA COUR DE FRANCE. 117 

haut. L'aveuglement des souverains, dans cette occasion, est extrême; 
ils ne veulent pas sentir le danger qui les menace tous. 



CXVI. 

DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1). 

Petit ch&teau du nouveau Haga, ce 18 jaurier 1792. 

M. le comte de Fersen. J'ai reçu votre lettre du 25. Je vous en- 
voie des extraits des lettres (2) du baron d'Ehrensvaerd, qui vous 
feront connaître que la cour de Madrid est fort éclairée sur le compte 
de l'empereur. Cependant il semble que ce prince revient sur ses dé- 
marches et prend un ton plus imposant. C'est l'effet des représenta- 
tions de l'impératrice de Russie et des miennes. La paix qui vient 
d'être signée entre la Russie et la Porte va laisser les mains libres 
à l'impératrice d'agir en faveur de la France. Elle paraît persister, 
avec une grande énergie, dans ses sentiments, et les injures des fol- 
liculaires français n'attiédiront pas ces sentiments. J'ai écrit au roi 
de Prusse pour le prévenir sur la mission du comte de Ségur et j'é- 
cris à Carisien en conséquence. Je ne manquerai pas de faire de môme 
à Pétersbourg, et j'attends le courrier que vous m'avez annoncé. Sur 
ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte de Fersen, dans sa 
sainte et digne garde , étant 

Votre très-affectionné, 

Gustave. 

Au comte de Fersen. 



(L) Lettre en chîfiEre, déchifiErée. Le comte de Fersen a écrit en marge : Hegu le 30, 
rep. le 5 fèor, 

(2) Voir les annexes ts^ 1, 2, 8 et 4, ci-après. 



118 LE COMTE DE FBRSEN 



CXVII. 



ANNEXE N« 1 



A LA LETTRE PR&îfoBNTE, ÉCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI 
DE SUèDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN. 

Dépèche de 1! envoyé de S, M. le roi de Suède à la cour de Madrid, le 
baron et Ettrensmerd, aurai Gustave III, datée le 8 décembre 1791. 

J'ai eu une conférence avec Florida Blanca dans laquelle je lui ai 
expliqué les objets du tenu des ordres de V. M. du 4 novembre. Il 
était d'accord sur tout ce que V. M. me fait l'honneur de me mander 
de l'empereur. Je lui ai insinué la marcbe à tenir pour engager l'im- 
pératrice à persister dans les sentiments qu'elle a jusqu'ici déclarés, 
et par son moyen obliger l'empereur finalement d'y concourir. Flo- 
rica Blanca était prêt à entrer dans l'union projetée pour le soutien du 
roi de France , et était parfaitement d'accord sur la garantie des pos- 
sessions françaises en Europe, de même que sur l'énoncé en faveur 
des princes d'Allemagne sur leurs droits en Alsace ; mais il y a de 
la peine à lui faire abandonner son idée de réunir le Danemark dans 
cette alliance, d'autant plus que le ministre de Bussie, plutôt pour 
dire quelque chose que muni d'aucun ordre de sa cour, avait marqué 
à Florida Blanca l'intérêt que le Danemark y fïlt compris ; et si Flo- 
rida Blanca, par M. de Coral, revient sur cette même idée, s'ap- 
puyant sur ce que le ministre de Bussie ici avait ^.vancé, je puis 
assurer en toute soumission à Y. M. que le ministre de Bussie m'a 
avoué que sa cour ne lui avait rien mandé de cet objet, et je lui ai 
observé que le Danemark , n'ayant point été compris dans le traité 
d'alliance, ni même été informé amicalement par la cour de Péters- 
bourg que cette alliance se traitait, il me paraissait que cela lui tra- 
çait sa marche ici. 

Florida Blanca voulait encore que Monsieur se déclarât régent ou 
lieutenant général du royaume ; mais ce point peut toujours, d'une 
manière ou d'autre, dans le courant de la négociation, être arrangé, 



ET LA COUR DE FRANCE. 119 

tsnrtout le consentement de Monsieur y devant préalablement con- 
courir. 

A regard du pavillon national, j^ai eu Thonneur de mander à 
y. M., dans son temps , que le roi de France avait communiqué à 
cette cour que les couleurs du pavillon français avaient été changées, 
et qu'en conséquence le roi d'Espagne avait donné ordre de recon- 
naître le nouveau dans ses ports. Florida Blanca dit que, la commu- 
nication ayant été faite au nom du roi et reconnue par S. M. Catholi- 
que, on aurait de la peine actuellement d'y revenir, d'autant plus 
que l'Espagne, peu avant, avait changé les couleurs de son pavillon, 
mais que cela n'empêcherait pas de prendre une mesure équivalente, 
quand on viendrait aux détails dans cette négociation. 

Florida Blanca me dit qu'il me livrerait pour samedi prochain, 
qui est le jour ordinaire des conférences des ministres , et hors du- 
quel il donne bien peu d'mstants au corps diplomatique, une note 
dans laquelle il expliquera ses idées, et conformément auxquelles il 
donnera ordres rapidement à M. de Gralvez de poursuivre la négocia- 
tion. 

Je ne pourrai donc, avant d'avoir vu ce papier, donner un compte 
exact à Y. M. comment Florida Blanca s'est identifié les idées que 
V. M. m'a prescrites, et selon lesquelles V. M. désire que cette né- 
gociation soit conduite. 

A l'égard de ce que V. M. me fait l'honneur de me dire sur le plan 
d'opération qu'il faudrait adopter, je dois en toute soumission préve- 
nir V. M. que l'on a ici une nouvelle que le plan de V. M. était de 
passer la chaîne des forteresses, en les laissant sur le 'flanc gauche, 
faire la descente près du Havre-de-Qrâce et marcher droit sur Paris. 
Ce plan réunit l'avantage de pouvoir d'abord dissiper les factieux, 
en les chassant de Paris , foyer de leur enthousiasme , et de ména- 
ger la France , en rendant la guerre d'aussi peu de durée que possi- 
ble, n est naturel que l'Assemblée fera tous les efforts imaginables 
pour avoir une flotte. L'Angleterre, qui ne voit point de bon œil l'ao- 
croissement de la marine des couronnes du Nord, supportera encore 
moins qu'une expédition puisse s'effectuer si près de ses côtes. Le 
ministère, qui aura dans cette occasion la nation de son côté , peut 
saisir ce moment pour se venger de la Suède et de la Bussie, tant 
è. cause de la neutralité armée comme pour détruire une marine que 
l'Angleterre doit toujours craindre et que, dans la Baltique, l'Angle- 



120 LE COMTE DE FERSEN 

terre ne peut jamais entamer. J'ose donc croire , Sire ^ qu'une attaque 
par mer devenant très-difficile , il &ut calculer être une affaire de 
durée Tentreprise de réduire la France , surtout depuis qu'il paraît que 
les enragés se sont rendus maîtres de l'Assemblée. Et si ainsi l'at- 
taque principale se détermine natureUement par terre, de quelque 
longueur que paraît le chemin, quelque difficulté qu'il y aura de for- 
mer les magasins pour le passage, Y. M. obtient de ne pas être gênée 
dans le transport des troupes suédoises et russes, que la cavalerie 
arrive en bon état et que l'Allemagne servira à recruter les armées, 
Si l'expédition va au delà d'une campagne, que Y. M. peut toujours 
avoir un corps en Poméranie sous prétexte de réserve, mais princi- 
palement pour brider les Danois, et en même temps pour renforcer 
l'armée, en cas de besoin ; et enfin que toutes les démarches que Y. M. 
fera pour obtenir le passage des troupes, près des princes en Alle- 
magne, serviront ou véritablement pour ce but, ou pour cacher l'ex- 
pédition maritime, si elle se peut effectuer. J'ose supplier Y. M., en 
toute soumission, de me rendre la justice de croire que je ne me per- 
suade pas de rien trouver, comme pouvant échapper à la haute péné- 
tration de Y. M., mais le zèle qui m'anime pour le service de Y. M., 
me fait désirer que mes idées imparfaites puissent servir à en trouvei 
de bonnes et utiles. 

On avait pensé ici à envoyer quatre régiments en Amérique, mais 
je crois que cet envoi a été remis. 



ET LA COUB DE FRANCE. 121 



CXVIIL 

# 

ANNEXE N* 2 

A LA LETTRE PR^C^DENTE, lÈCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI 
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN. 

Mémoire du ministre cTÉtat de S. M. Catkoliqtiey le comte de Florida 
Blanca^ à P envoyé de S. M. le roi de Stiède à la cour de Madrid. 

Les plans qu'on a donnés ou formés jusqu'à présent ont été éten- 
dus dans ridée d'agir de concert avec l'empereur et les souverains 
qu'il avait invités de s'unir pour le rétablissement de l'autoiité royale 
de S. M. T. C. et pour obtenir sa liberté. Mais les circonstances ayant 
varié par la manière actuelle de penser de S. M. L et de son allié^ il 
faut par conséquent que les plans changent , pour le moins dans la 
forme^ pendant que pour le fond ils sont, ou doivent être, toujours 
constants. 

D'exiger de l'Assemblée la liberté de S. M. T. C. par des offices 
ministériels, en retirant les ambassadeurs et les ministres et en inter^ 
rompant toute communication et commerce, comme il a été proposé ; 
de préparer ou former un congrès dans lequel on réglerait et garan- 
tirait le rétablissement de l'autorité royale, ne sont plus, dans l'état 
actuel des choses, des moyens à adopter, puisque le roi de France 
lui-même dit et cherche & persuader aux autres cours qu'il est libre, 
et que l'empereur de même que le roi de Prusse ont aflFecté de croire 
à cette liberté, et ont fait de quelque manière des compliments à ce 
monarque pour ce qu'ils appellent sa satisfaction, et hors de cela la 
quantité d'émigrés français et les partis formés dans les provinces de 
ce royaume contre ceux qui ont fait la révolution, ne se trouvent pas 
en état d'attendre plus longtemps, leur manquant jusqu'au néces- 
saire pour vivre ; et par conséquent cette affaire ne donne pas temps 
pour former le concert qui sera indispensable entre les puissances 
du Nord et celles du Midi, afin qu'ils pussent combiner et exécuter 
la manière de chacun pour agir et d'aplanir et expliquer les difficul- 



122 LE COMTE DE FERSEN 

tés qui peuvent exister dans de pareilles circonstances : il paraît ac- 
tuellement qu'il convient de se fixer au plan suivant : 

1* Donner des secours pécuniaires aux princes français et aux émi- 
grants pour les retenir ; pour qu'ils puissent subsister au moins le 
temps qu'ils doivent avoir pour fortifier leur parti et se préparer à 
entrer en France, sans risquer d'être insultés. 

2"" Les puissances du Nord, particulièrement la Bussie et la Suède, 
les aideront avec des troupes, autant qu'il sera possible, et les autres 
puissances avec les subsides pécuniaires, des armes et des nmnitions, 
et des autres provisions pour la guerre. 

3® Les puissances limitrophes renforceront les troupes du cordon, 
exigeant au moins sûreté de l'empereur, pour qu'ils puissent faire, 
en menaçant, une diversion, pouvant en même temps par ce moyen 
tenir en respect les mécontents des Pays-Bas. 

4* Publier des manifestes très-courts et faciles à comprendre par 
le peuple, dans lesquels on protesterait de ne rien entreprendre contre 
la nation et ses droits, seulement contre les tyrans et usurpateurs de 
l'autorité et les destructeurs de la monarchie. 

5° Assurer dans ces manifestes de l'indivisibilité du royaume de 
France, tel qu'il se trouve, et ne demander son délabrement, ni en 
le modifiant ni en substance. 

Les cours de Madrid, Turin et Naples seront sans le moindre doute 
d'accord, sur les points expliqués. Celle de Madrid ne s'avancera pas, 
pour le moment, d'offrir des secours de troupes hors celles du cordon, 
ni d'agir avec elles offensivement contre la France sur le juste et 
très-fondé soupçon qu'elle tient que, malgré la neutralité que l'An- 
gleterre a offerte, elle cherchera à rompre avec l'Espagne, sur un 
des prétextes multipliés qu'elle a et pense de se les rendre utiles 
dans les disputes non terminées dans les affaires de l'Amérique. 
Ajoutant à cela que les intentions de la nation jfrançaise pourront 
faire croire que les intentions deTEspagne sont de ne réintégrer du 

royaume ce qui l'indisposerait pour la 

bonne cause. Le roi de Sardaigne a des motifs d'agrandissement et 
même l'empereur pourra les prétexter pour se réduire à ne faire qu'une 
menace, en formant un cordon de quelque force, ou à donner quelque 
secours en argent. On sondera le roi de Prusse pour voir ce qu'il 
compte faire, et on croit qu'il ne laissera pas que d'entrer en quelque 
chose. 



ET LA COUR DE FRANCE. 123 

En suivant ce plan, il n'est pas besoin de lui donner plus d'ap- 
parence, ni de déclarer Monsieur régent, ni le roi incapable, ni autre 
chose qui puisse choquer les idées de la reine, ou celles en général 
de la nation française. H suffit, comme il vient d'être dit, de suppo- 
ser que le roi n'est point en liberté et qu'il ne s'agit que de châtier 
ceux qui troublent Ja tranquillité des empires et les usurpateurs du 
pouvoir royal. 



CXIX. 

ANNEXE N° 3 

A LA LETTRE PR^ClÊDENTE, ]ÉCRITB LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI 
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN. 

Observations de F envoyé de S. M, le roi de Suède à la cour de Madrid, 
le baron d* Ehrensoaerd, sur le mémoire précédent du comte de Florida 
Blanca, datées h 12 décembre 1791. 

Pour être en état de rendre compte au roi des intentions de la cour 
d'Espagne relativement aux mesures à prendre ci-après, en faveur 
du roi de France et du rétablissement de l'autorité royale, l'envoyé 
de Suède a eu l'honneur de demander à Son Excellence M. le comte 
de Florida Blanca, premier secrétaire d'État de S. M. C, des éclair- 
cissements sur quelques points dans le nouveau plan proposé, que 
S. E. vient de lui remettre. 

Il paraît, par le préambule, que la cour d'Espagne se fonde sur les 
réponses données par l'empereur et le roi de Prusse à la lettre du roi 
de France, et les déclarations de ce prince sur la libre acceptation de 
la constitution, pour ne plus trouver comme moyens à adopter de re- 
tirer les ambassadeurs de Paris, ni de former un congrès, ni d'inter- 
rompre les commimications conmierciales avec les Français. 

S. M. C. ayant, postérieurement à la réponse qu'a donnée l'em- 
pereur, renouvelé la déclaration de ne pouvoir reconnaître , dans les 



124 LE COMTE DE FERSEN 

communications faites par le roi d'Espagne, l'état de liberté de ce 
prince, mais s'appuyant en quelque sorte en ce moment sur les let- 
tres du roi de France , il est essentiel d'écarter toute erreur sur un 
point aussi essentiel, l'envoyé de Suède étant persuadé d'après les 
conversations qu'il a eu l'honneur d'avoir avec S. E. M. le comte de 
Florida Blanca, qui surtout n'est point revenu sur un point qui fait 
la base des démarches à faire en faveur de S. M. T. C. et de l'auto- 
rité royale. 

n est annoncé dans le nouveau plan que l'état dans lequel se trou- 
vent réduits les princes et les émigrés jusqu'à manquer des moyens 
de subsister est la cause que le temps est insuffisant pour former un 
concert entre les cours du Nord et celles du Midi ; mais que le plus 
pressé est de retenir les princes & ne point entreprendre avec la seule 
noblesse française une démarche qu'on paraît appréhender, qui serait 
l'unique ressource du courage quand toutes les autres leur auraient 
manqué, et de fournir aux princes des secours pécuniaires, jusqu'à ce 
qu'ils pourraient entrer en France avec moindre risque d'être insultés. 

S. M. Suédoise désirera certainement, pour éviter une perte de 
temps ultérieure, de pouvoir expliquer le vrai sens par rapport au 
premier paragraphe, qui ne paraît annoncer la résolution de sou- 
tenir les princes que jusqu'à ce qu'ils pourront faire leur paix avec 
l'Assemblée. Si l'intention est d'attendre jusqu'à ce que les princes 
auront un parti assez grand dans le royaume pour pouvoir se mettre 
à la tête, il paraît que, malgré la désunion qui règne, les esprits ne 
sont point encore revenus au point de sentir, aussi vivement qu'il est 
nécessaire, toute l'incohérence de la nouvelle forme de gouvernement. 
Ainsi les princes doivent attendre jusqu'à ce qu'ils soient à peu près 
lassés de l'Assemblée, et alors il y a temps à se concerter avec les 
couronnes du Nord ; ou les princes et la noblesse doivent se soumettre 
à la constitution, et alors les armées étrangères sont inutiles. 

n est essentiel de savoir si l'intention est de faire subsister les 
princes jusqu'à ce qu'ils retournent en France avec probabilité de 
sûreté personnelle, ou de les aider jusqu'à ce que le roi de France 
soit remis en liberté ou que les factieux aient perdu le pouvoir usurpé. 
Si ce sentiment est celui de S. M. C. et qu'il est à prévoir que l'As- 
semblée nationale ne se dessaisira pas de bon gré de la puissance, ni 
ne se laissera intimider par des menaces, il devient nécessaire pour que 
S. M. Suédoise puisse prendre à temps les mesures indispensables. 



ET LA COUR DE FRANCE. 125 

tant poor les troupes que pour Téquipement des vaisseaux à leur 
transport, que S. M. C. veuille donner les pleins pouvoirs à son mi- 
nistre à Stockholm d'entrer en négociation sur l'emploi de ces trou- 
peS; afin qu'elles soient prêtes à marcher aussitôt qu'il sera nécessaire. 

Le troisième point du nouveau plan est de beaucoup de conséquence , 
sachant que l'empereur fait marcher des troupes sur la frontière de 
France. L'empereur s'y déterminera probablement si l'impératrice 
appuie, comme il est à présumer, cette demande de S. M. C; et il 
sera utile qu'il soit convenu que ces troupes se rendront sur la fron- 
tière & un temps déterminé. 

Le quatrième point, dans lequel il est projeté de déclarer dans les 
manifestes Vintéffrité du royaume de France, acquerrait une plus 
grande force aux yeux des peuples, s'ils étaient instruits que les 
mêmes puissances qui se sont armées pour le rétablissement de l'au- 
torité royale auront garanti, par une convention formelle, l'intégrité 
du royaume, et que d'autres y avaient accédé. 

S. M.^C. ne croyant point utile que Monsieur prenne le titre de ré- 
gent ou lieutenant général du royaume, qui n'avait été projeté que 
pour trouver un point de réunion à des négociations transversales, 
qui consumaient inutilement le temps, il serait donc naturel que 
S. M. C, chef de la maison de Bourbon (le roi de France ne jouis- 
sant pas de sa liberté), et intéressée à la succession du trône, s'u- 
nisse avec le roi de Suède et l'impératrice de Bussie, comme les deux 
souverains qui ont ouvertement témoigné le plus grand intérêt en 
&veur du roi de France , sa famille et le rétablissement de l'auto- 
rité royale. 

Les démarches que la cour d'Espagne promet de faire près de 
l'empereur et du roi de Prusse, de même que le concours des cours 
de Naples et de] Turin et celui des cantons helvétiques , donneront à 
ces puissances réunies un poids respectable pour but qu'on se propose. 

Le baron d'Ehrensvaerd osera ajouter qu'au delà de ce que les sen- 
timents généreux inspireront, il est même de l'intérêt de l'Espagne 
de faire un vigoureux effort pour le rétablissement de l'autorité royale 
en France ; car il est très-problématique que le gouvernement dé- 
mocratique, s'il peut se consolider, et qui ne reconnaîtra point l'union 
entre la maison de Bourbon, conservera l'amitié avec l'Espagne, mais 
recherchera plutôt l'Angleterre, comme un pays plus conforme en sen- 
timents religieux et pohtiques, et si l'Espagne tient actuellement à 



126 LE COMTE DE FERSEN 

des motifs d'ancieùne haine envers TAngleterre, il n'est point im- 
possible que TAngleterre ne profite des avantages dans un temps 
fator, des divisions avec FEspagne. Si ranarchie en France, au con- 
traire, continue, et que les haines et les vengeances montent à leur 
comble, la France reproduira en grand les trahisons désastreuses 
d'Avignon, et l'Espagne sera encore forcée, comme puissance voisine, 
d'intervenir pour sauver le démembrement de la France. 

Ce n'est que dans le seul cas de la France monarchique que l'Es- 
pagne peut s'assurer de son amitié, et c'est au rétablissement de cet 
état que S. M. Suédoise a voué tous ses e£forts. 

Siffné : C.-A. Ehrensvaerd. 

ICadrid, ce 12 décembre 1791. 



cxx. 



ANNEXE N^ 4 



A LA LETTRE PR^C^DENTE, ÉCRITE LE 13 JANVIER 1792 PAR LE ROI 
DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN. 

Extrait dune dépèche de V envoyé de S. M. le roi de Suède à la cour 
de Madridj le baron d Ehrensvaerd^ au roi Gustave IIIj datée du 
12 décembre 1791. 

Les contradictions et une nullité de moyens, dont est composé le 
nouveau plan que Florida Blanca vient de me remettre et dont j'ai 
eu l'honneur de mettre sous les yeux de V. M. la traduction, feront 
juger à V. M. que le roi d'Espagne est prêt & suivre l'exemple des 
cours qui ont reconnu le nouveau gouvernement en France. Les ex- 
pressions verbales du comte de Florida Blanca sont pourtant très- 
éloignées de ce sentiment; mais pour que Y. M. puisse juger avec 
plus de certitude des dispositions de cette cour, j'ai demandé, par 
écrit, des éclaircissements, dont j'ai l'honneur de joindre en soumis- 



ET LA COUR DE FRANCE. 127 

BÎon la copie. J'ai fait mon possible pour obtenir que le ministre de 
Bnssie, dans le compte qu'il rend à l'impératrice de ce plan^ cherche 
d'en modifier l'impression défavorable; et, sur les observations que 
nous lui avons faites, Morida Blanca a prié qu'on n'attache point de 
l'importance à l'énoncé de ce plan ; mais j'ai cependant préféré obte- 
nir une expUcation par écrit. 

Le comte de Florida Blanca pria le ministre de Russie et moi, sé- 
parément, à une conférence particulière, et il nous a remis, sous le 
plus grand secret, un papier écrit en espagnol de sa main, sur une 
accession au traité d'alliance qui vient d'être conclu entre la Suède et 
laBussie ; cette note, que j'aurais l'honneur de ci-joindre, est mot pour 
mot du même contenu que celle qui a été donnée au ministre de Rus- 
sie, hors l'offre de subsides qui ne s'y trouve point. Je répondis .que 
j'étais sûr que ce projet serait agréable à V. M., et que V. M. m'a- 
vait donné ordre de lui dire que, quand ce traité serait ratifié, je re- 
cevrais des ordres sur la manière de le communiquer. 

Florida Blanca a convenu de munir M. de Coral de pleins pouvoirs 
pour traiter de l'alliance en faveur de la France, et de la marche à 
tenir tant à Pétersbourg qu'à Vienne, en conformité des ordres de 
y. M. du 4 novembre. Je lui ai également communiqué les senti- 
ments de V. M. à l'égard du Danemark, et j'espère qu'il ne revien- 
dra plus & les mettre en question. Je lui ai aussi donné h entendre de 
la manière qu'il convient en ce qui regardait M. de Galvez. 

Florida Blanca dit : On 'sait que la Suède a fait un traité d'al- 
liance avec l'impératrice, mais on en ignore les articles. Il conviendra 
d'informer l'Espagne du contenu de ce traité, et de l'inviter d'y ac- 
céder, à quoi il n'y aura pas de difficulté, du moment que ce n'est 
qu'ime alliance défensive; et en ce cas on pourrait régler les secours 
que ces puissances doivent se donner, dans le cas qu'une d'elles soit 
attaquée, et on pourra combiner, par une convention particulière 
avec la Suède, d'autres idées et des subsides, autant que le peut per- 
mettre la situation des finances de l'Espagne. Ce point pourra se 
traiter séparément, ou avec les affaires qui concernent la France, 
comme on le trouvera le mieux. 



128 LE COMTE DE FERSEN 



CXXL 

DU ROI DE PRUSSE AU BARON DE BRETEUIL, DU 14 JANVIER 1792(1). 

Monsieur le baron de Breteuil. Le courrier que vous avez adressé au 
comte de Schoulembourg vient de me faire parvenir la lettre secrète 
de S. M. T. C. du 3 décembre, et la vôtre du 3 de ce mois. Les senti- 
ments de vif intérêt pour la situation de ce monarque et de la reine, 
son épouse, que j^ai manifestés en plusieurs occasions, et dont je 
crois avoir donné des preuves non douteuses, sont invariablement 
les mêmes, et je désire beaucoup pouvoir lui être utile; c'est ce que 
je viens de lui témoigner d'une manière expressive dans la réponse 
ci-jointe, que je vous prie de lui faire parvenir avec les précautions 
que vous jugerez vous-même être nécessaires. Ma façon de penser à 
son égard me rend très-disposé à entrer dans ses vues, relativement 
à l'établissement d'un congrès armé, et je me suis empressé en 
conséquence de faire sonder & cet égard S. M. l'empereur, auquel la 
même idée a été proposée, de même qu'à l'impératrice de Russie et 
aux rois d'Espagne et de Suède. Quoique je ne puisse me dissimuler 
les lenteurs et les difficultés qu'une mesure de ce genre ne peut 
manquer d'éprouver, j'aime cependant à en prévoir des eflfets heu- 
reux pour S. M. T. C, et j'aurais même souhaité de pouvoir entrer, 
dans la lettre que je lui adresse, en quelques détails sur la manière 
de l'établir, s'il n'était essentiel d'entendre avant toute chose à ce 
sujet le sentiment des autres souverains qui doivent y concourir, et 
nommément l'empereur. 

Mais une considération que le soin de mon peuple m'a obligé de 
présenter au roi, votre maître , et de soumettre à son équité , c'est 
celle des dépenses très-considérables que le rassemblement des forces 
nécessaires pour appuyer le congrès ne peut manquer de m'occa- 
sionner, et d'un juste dédommagement à cet égard, que, malgré ma 
bonne volonté et mon désir personnel de rendre service à S. M. T. C, 



(1) D*aprè8 une copie dans les papiers du comte de Fersen, qui a écrit en marge : /îcçti 
U 23 ;a«r. par Btlzunct, 



ET LA COUR DE FRANCE. 129 

le bien de mon Etat et de mes snjets ne me permet pas de passer 
BOUS silence. 

Je verrai arec plaisir que vous youliez bien à cet égard, comme 
pour ce qni concerne le bien dn congrès et la manière de l'établir, 
vous expliquer envers mon ministère, que j'autoriserai & communi- 
quer avec vous pour tout ce qui sera relatif à cet important objet. 

L'envoi d'une personne de confiance à Berlin de votre part me 
sera très-agréable ; soyez, au reste, parfaitement sûr du secret de ma 
part et de ceux auxquels je le confierai ; j'ai donné les mêmes assu- 
rances à S. M. T. C, en lui témoignant toutefois que je ne saurais 
répondre de même des autres cours qui doivent y concourir. 

Il m'est agréable. Monsieur, de trouver une occasion aussi intéres- 
sante pour vous donner des assurances de mon estime et de la jus- 
tice que je me plais à rendre à vos lumières et à vos talents. Je suis 
très-sensible aux sentiments que vous me témoignez, et je vous prie 
de me croire sincèrement 

Votre très-affectionné, 

Frédéric-Guillaume. 

Berlin, ce 14 janvier 1792. 



CXXII. 

DU ROI DE PRUSSE A SA MAJESTÉ TRÈS-CHRÉTIENNE, DU 14 JANVIER 

1792 (1). 

MoQ^iear mon frère. Je viens de recevoir la lettre que V. M. m'a 
écrite le 3 décembre, et que le baron de Breteuil m'a fait parvenir. 
Je reconnais avec une vive sensibilité la confiance qu'elle m'y té- 
moigne , et je la prie d'être bien persuadée que M. de Moûtier n'a 
fait que lui exprimer mes véritables sentiments, en lui parlant de 
l'intérêt sincère que je prends à sa situation et & celle de la reine, 
son auguste épouse, et du désir qui m'anime de pouvoir leur être 
utile, pour amener un état de choses plus conforme à leurs vœux. 



(1) D'aprèt une copie dans les papiers dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : Reçu 
le 23janv, par Behunoe, 

T. 11. • 



130 LE COMTE DE FERSEN 

Far une suite de ces dispositions, je suis très-porté à entrer dans 
les vues de V. M. par rapport à rétablissement d'un congrès armé, 
et je vais en conséquence faire sonder incessanmient S. M. Fem- 
pereur à cet égard, avec lequel j'ai suivi jusqu'à présent un concert 
confidentiel sur les affaires de France, et auquel Y. M. me 
marque avoir fait la même proposition. Malgré les lenteurs et les 
difficultés' que l'arrangement d'un tel congrès armé éprouvera né- 
cessairement, j'aime à croire que ses effets, et l'impression qui 
en résultera, répondront à l'attente de Y. M. Mais, avec toute la 
bonne volonté dont je me sens animé pour ses intérêts, je ne sau- 
rais en même temps me refuser à la considération des dépenses très- 
considérables auxquelles cette mesure doit donner lieu , et, père de 
mon peuple , je dirai avec franchise à un roi qui a donné de si fortes 
preuves des mêmes sentiments, qu'une juste indemnisation de ces 
frais me paraît indispensable pour concilier les services que je 
souhaite de rendre à Y. M. avec mes soins pour le bonheur de l'État 
que je gouverne. 

Je me ferai, au reste, un plaisir de faire communiquer par mon mi- 
nistre, le comte Schoulembourg, avec le baron de Breteuil, que Y. M. 
honore de sa confiance, et qui le mérite à si juste titre, sur tout ce 
qui sera relatif à cet important objet ; mais je serai charmé en même 
temps de pouvoir recevoir des nouvelles directes de Y. M. aussi 
souvent qu'elle jugera pouvoir m'en donner avec sûreté ; et quant au 
secret qu'elle me demande, et dont je sens parfaitement la grande 
nécessité, je lui réponds qu'il sera religieusement et strictement 
observé par moi-même, et par ceux auxquels la chose devra être 
confiée de ma part, mais elle sentira sans peine que je ne puis de 
même répondre du secret aux autres cours qui doivent y concourir. 

Je termine cette lettre en réitérant à Y. M. les vœux ardents et 
sincères que je forme pour elle et sa famille royale, et l'assurance des 
sentiments invariables de considération et d'attachement avec les- 
quels je suis, 

Monsieur mon frère, 

de Yotre Majesté 

le bon frère, 

FR^DéRIC-GuiLLAUME. 
Berlin, le 14 janvier 1792. 



ET LA COUR DE FRANCE. 131 



CXXIII. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE m (1). 

Bruxelles, ce 16 janvier 1792. 

Sire, 

J'ai déjà eu rhonneur de mander à V. M. Tarrivée du courrier 
Signeul avec le paquet dont il a plu à V. M. de le charger pour moi. 
Je me conformerai exactement au contenu du mémoire qui doit me 
servir d'instruction et je ferai de mon mieux pour remplir les inten- 
tions de V. M. Je crois comme elle la démarche indiquée très-né- 
cessaire, et je ne doute pas que le roi de France et la reine ne s'y 
décident; elle ne pourra varier que dans la manière de l'exécuter, 
qui doit dépendre des circonstances et de la position du moment, 
qu'il m'est impossible de connaître encore au juste. 

Je suis charmé que V. M. se soit décidée pour le congrès. J'en ai 
senti comme elle tous les inconvénients, mids avec la mauvaise vo- 
lonté de l'empereur je crois ce moyen (d'ailleurs très -mauvais) le 
seul pour le forcer à agir. La lettre circulaire de ce prince , dont 
V. M. a bien voulu m'envoyer la copie , est une nouvelle preuve de 
la duplicité de sa conduite, et je ne manquerai pas d'en faire usage 
pour convaincre encore mieux le roi de France et la reine de tous ses 
torts envers eux. 

D'après la connaissance que j'ai des dispositions du roi de France 
et de la reine et de la connaissance parfaite qu'ils ont de la conduite 
de l'empereur, et dont V. M. aura déjà vu des preuves, par les lettres 
que j'ai eu l'honneur de lui envoyer, je crois préférable de remettre 
à la reine la plus longue des deux lettres de Y. M. : elle lui marque 
plus de confiance, et doit faire un meilleur effet. Je me conduirai 
pour tout le reste selon les ordres et les indications de Y. M. 

J'ai reçu une lettre de M. de Carisien dont je ne saurais assez 



(1) D'après la minnte de la maiii du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre au 
rcij 16 jano.^ avec la poste. 



132 LE COMTE DE FERSEN 

dire de bien à Y. M. ; elle est écrite avec sagesse; esprit et inteUigence, 
et il me paraît que sa condnite y est analogue. Celle que je reçois du 
baron d'Oxens^'ema est de même ; il doit avoir rendu compte de 
tout à Y. M. et doit déjàTavoir prévenue de la grande indiscrétion qui 
règne & Coblence et qui empêche de leur confier des affaires dont le 
secret seul peut assurer la réussite. H finit sa dépêche par me dire, 
en parlant de Coblence : Mais, toutes les considératioTis à part. Userait 
à désirer que, si l'empereur voulait bientôt s'occuper sérieusement de nos 
af aires j il le fit sans nous consulter et surtout ^ans nous communiquer 
ses projets; carnaus sommes plus légers, phis indiscrets et plus bavards 
que tout ce qu'il est possible de s'imaginer. 

Toutes les troupes des Pays-Bas viennent de recevoir Tordre de 
se compléter sur pied de guerre, ce qui portera les forces dans cette 
partie et l'Autriche antérieure à près de 70 & 72,000 hommes. Y. M. 
sait déjà que tous les officiers ont ordre de rejoindre. 

Un voyageur raisonnable arrivé de Paris m'assure qu'on commence 
à s'y lasser de la révolution de même que dans les provinces. Il y a 
peu de cocardes et dans plusieurs villes plus de gardes nationales. 
La grande majorité, sans désirer le retour de l'ancien ordre de choses 
en entier, veut un changement et qu'on vienne à leur secours. Us 
craignent seulement la banqueroute et les vengeances ; en les rassu- 
rant sur ces deux points la besogne ne sera pas si difficile, et avec le 
secours de Y. M. et de l'impératrice de Russie j'espère qu'elle se 
fera. 

Les ministres du roi de France ont imaginé d'envoyer en Angle- 
terre l'évêque d'Autun pour s'assurer de cette cour, et lui offrir même 
la cession de quelques possessions , si cela était nécessaire. La reine 
me le mande et me charge d'en prévenir Y. M. J'ai d^'à écrit à Lon- 
dres, à quelqu'un qui a de l'influence dans le ministère, pour avertir 
de cette démarche et en détruire les effets. 



ET LA œUR DE FRANCE. 183 



CXXIV. 

DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1). 

■ 

Stockholm, c« 17 janTier 1792. 

L'estafette de Hambourg est arrivée samedi passé au soir, et tont 
heureusement arrivé. Le roi de Suède est parfaitement content de la 
lettre de la reine de France à lui, et de celle qu'elle a écrite à l'im- 
pératrice, mais il ne l'est point autant de celle que le roi de France 
a écrite au roi d'Espagne. Le roi de Suède ne trouve pas que les 
secours et l'assistance qu'il lui demande sont assez fortement pro- 
noncés , ni que le roi ait dit au roi d'Espagne qu'il ne veut point de 
composition avec les rebelles, ni un gouvernement mixte, mais revoir 
la monarchie et le pouvoir royal dans toute sa plénitude. Le roi de 
Suède me charge de vous dire, mon ami, et vous prie de déclarer de 
sa part, que si le roi de France ne persiste pas dans ces mêmes sen- 
timents-là, tout secours étranger lui deviendra inutile, et sa puissance 
alors serait même inutile à ses amis et alliés. Le roi de Suède ap- 
prouve fort la conduite que le roi de France tient actuellement avec 
les rebelles : on ne peut pas trop les endormir; mais avec ses amis 
il ne faut jamais parler ou proposer que le rétablissement de la mo- 
narchie tout entière , et telle qu'elle était avant la révolution. Quant 
à la proposition de prendre le Danemark avec dans la ligue, c'est 
chose impossible ; depuis vingt ans que le roi de Suède règne, l'im- 
pératrice a tenté en vain de le forcer à faire une triple alliance entre 
elle, lui et le Danemark , sans pouvoir jamais y réussir. D faut ainsi 
rayer cela totalement des projets du roi et de la reine, s'ils veulent 
son appui. Entre nous, mon ami, sans les sots ménagements que la 
France a de tout temps eu pour le Danemark, contraires aux intérêts 
de la Suède, nous aurions été actuellement plus puissants, et par 
conséquent plus utiles dans ces moments à la France. Le roi de 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de.Fersen , qui a écrit en marge : 
2 Jévritr reçu; rép. le b février. 



134 LE COMTE DE FERSEN 

Suède a écrit une lettre au roi de Prusse pour le prévenir sur l'ar- 
rivée de Ségur pour qu'il le renvoie ; le roi de Suède va aussi écrire 
à l'impératrice au sujet du congrès , sur lequel le baron de Breteuil 
insiste^ au nom du roi de France et de la reine. 



cxxv. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE 8TEDINGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE 

A SAINT-PÉTERSBOURG (1). 

Bruxelles, c?19 janvier 1792. 

A l'heure qu'il est, M. de Bombelles doit être arrivé ou ne peut 
tarder, et vous serez instruit alors, mon ami, des véritables sentiments 
du roi et de la reine. Vous verrez clairement alors combien l'empereur 
était de mauvaise foi, et par la lettre de la reine l'impératrice ne 
pourra plus douter des véritables sentiments de cette princesse, et 
du mécontentement où elle est de la conduite de son frère. Elle ne 
s'en cache pas vis-à-vis de l'impératrice, et sa lettre est bien faite. 
Quant à celle de la reine de France à l'empereur, dont vous avez 
connaissance , elle a été écrite à la fin de juillet ; elle était de six 
pages et a été remise à M. de Montmorin, pour être envoyée à M. de 
Noailles, qui l'a fait tenir à l'empereur. La reine avait été forcée à 
cette démarche, et l'empereur l'a si bien senti, qu'il m'a dit lui-même 
qu'il avait reçu de la reine une lettre confidentielle, remise par M. de 
Noailles ; qu'il sentait fort bien le cas ^ju'il ^n fallait faire ; que la 
reine avait été forcée à cette démarche, et qu'il en était assuré par 
les quatre dernières lignes, où elle disait : Vous connaisses depuis 
longtemps ma façon dépenser et mes sentiments; ils n'ont point changé. 
Il ajouta qu'il entendait fort bien ce que cela voulait dire, mais qu'il 
profiterait de cette occasion pour envoyer à la reine, par la môme 



(1) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chif-' 
fre, à 8tedingl'; 19 janvier^ par la jioste. 



ET LA COUR DE FRANCE. 135 

voie, une lettre confidentielle, qu'elle pourrait montrer, et qui ferait 
un bon eflet. L'empereur a encore reçu, au mois de septembre, et 
avant l'acceptation de la constitution , une autre lettre de la reine, 
oti elle lui demande d'agir, mais d'arrêter la fougue des princes et 
de les empêcher de faire des folies. — Voilà , mon ami, toutes les 
lettres que la reine a écrites & l'empereur avant celle de la fin de 
septembre, où elle lui détaille sa position et renouvelle la demande 
d'un congrès armé, et en indique les prétextes. Dans la lettre que 
Bombelles vous porte, vous aurez vu les raisons de la conduite que 
tiennent le roi et la reine ; il fiiut bien se rappeler, dans toutes les 
occasions, qu'elle est forcée et n'a pour but que d'endormir les fac- 
tieux et se préparer les moyens d'agir. M. le chevalier de Bressac 
n'étant point arrivé, le baron de Breteuil envoie à Berlin le comte 
Caraman, l'aîné [de] celui qui a déjà fait un Voyage en Suède et 
eu Russie : tu le connais, il est estropié de la main droite. — Il n'y a 
jamais eu de projet d'évasion du roi ; c'était un faux bruit , imaginé 
par les factieux pour faire du mouvement. Ils viennent tout à l'heure 
d'employer le même moyen, et il y en a eu un peu dans Paris. Il oi'y a 
pas de projet d'abdication, et, avant de former un plan raisonnable , 
il faut être un peu éclairé sur les intentions et les secours des puis- 
sances étrangères. En atteu^dant le roi et la reine continuent de suivre 
la conduite qu'ils ont adoptée et de préparer ainsi , par la lassitude 
du désordre, les esprits à recevoir un changement, et en efi'et l'opi- 
nion change beaucoup en France, et ils conmiencent à sentir le poids 
des malheurs qui les accablent; mais cela ne suffît pas pour opérer 
un changement , il faut pour cela une force extérieure. 

Les patriotes de ce pays remuent plus fortement que jamais ; 
l'exemple de la France les encourage, et le gouvernement ne veut 
pas sentir qu'il en sera de même tant que les factieux de France 
ne seront pas détruits. Il craint de voir recommencer la révolté s'il 
donne des troupes pour agir contre la France. Quelle misérable 
politique 1 Pendant deux nuits, on a enlevé plusieurs bourgeois chez 
eux, soupçonnés d'avoir des correspondances avec les jacobins et les 
patriotes réfugiés en France. 



136 LE COMTE DE FERSEN 



CXXVI. 

DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE 111 AU COMTE DE FERSEN (1). 

Au petit cliâteaa du nourean Haga, ce 20 janvier 1792. 

Monsieur le comte de Fersen. J'ai reçu samedi dernier le paquet 
que Reutersvaerd a porté à Hambourg, Mon départ pour Gefle et les 
nombreuses occupations que Touyerture de la diète occasionne m'em- 
pêchent de vous écrire plus au long, mais la pièce ci-jointe (2) doit 
vous prouver que j'ai adopté les mesures que le roi de France sou- 
haite de moi. Je vous prie de le dire au baron de Breteuil, et quoique 
je n'espère rien d'un congrès pareil, qui servirait plutôt à brouDler 
les souverains qu'à les réunir, comme je suis convaincu que l'empe- 
reur s'y reAisera, j'ai voulu montrer au roi.de France que je me con- 
forme à ses souhaits avant la réponse de l'empereur. Si l'Assemblée 
marche de la vitesse qu'elle a commencé, ou sera bien obligé de re- 
courir & des mesures moins lentes que celles d'un congrès. Au reste, 
je persiste toujours sur la nécessité de faire partir le roi de Paris. 
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte de Fersen, dans 
sa sainte garde, étant 

Votre très-affectionné, 

Gustave. 

Au comte de Fersen. 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : Reçu le 6 février 
1792 ;rep. le 79 févr. 

(2) Voir l'annexe ci-après. 



ET LA COUR DE FRANCE. 137 



CXXVII. 



ANNEXE 



A LA LETTRE PRÉCiJdENTB, ECRITE LE 20 JANVIEB 1792 PAR LE ROI 
DE SUÈDE GUSTAVE lU AU COMTE DE FEBSEN (1). 

Apostille du 20 janvier 1792. 
Aperçu relatif à V office fait par 1^ empereur relaUvement aux affaires 

de France. 

Il paraît au premier moment que le premier but de l'empereur, 
par l'office que le prince de Kaunitz vient de faire, relativement aux 
affaires de France, est de gagner du temps, en ne s'expliquant pus 
expressément avec le roi de Prusse, puissance qui sait prendre un 
intérêt intime au sort de LL. MM. TT. CC. et en même temps se jus- 
tifiant vis-à-vis d'elle de la contradiction qui se manifeste entre la 
conduite que l'empereur semble avoir adoptée aujourd'hui et les 
principes qu'il a manifestés au mois de juillet dernier ; mais, en exa- 
minant de plus près la proposition d'une déclaration commune à 
faire, il est difficile de ne pas y reconnaître le désir d'engager la 
Suède, la Russie et l'Espagne à une démarche par laquelle on leur 
fit reconnaître ( du moins tacitement ) l'Assemblée et la liberté du 
roi de France, et par là leur ôter le droit de reprocher à l'empereur 
une sorte de défection des principes que ce prince avait d'abord ma- 
nifestés, qui semblent avoir engagé les puissances du Notd à s'avan- 
cer plus loin qu'elles ne l'auraient fait si elles eussent pu prévenir le 
changement de système de l'empereur. L'évidence de l'intention de 
la cour de Vienne d'atteindre ce but frappe encore plus lorsqu'on 
vient à examiner les démarches nécessaires pour effectuer la proposi- 
tion de l'empereur. Une pareille déclaration ne peut être destinée 
qu'à être remise à Paris; mais à qui faudrait- il la remettre? Serait-ce 
au roi? la Suède et la Russie paraîtraient donc croire que ce prince 

(1) Apostille en chiffre, déchiffrée. 



138 LE COMTE DE FERSEN 

est libre, et qu'il suit avec volonté et persuasion la marche que les 
rebelles lui prescrivent ; et dès lors de quel droit une ou plusieurs 
puissances étrangères pourraient-elles se mêler des affaires domes- 
tiques de la France, lorsque le roi et le peuple sont déjà d'accord? 
Serait-ce & l'Assemblée? les puissances du Nord sanctionneraient 
donc, pour ainsi dire, l'usurpation d'un peuple révolté, reconnaîtraient 
ses principes destructeurs de tout ordre , ngiême en ayant l'air de les 
combattre, et par là se lieraient les mains de ne secourir que par la voie 
lente et infructueuse des négociations le roi de France , les princes 
français et tant d'illustres expatriés, à qui ces puissances ont promis 
leur protection ? L'attention suivie que les Suédois et les Russes ont 
eue de ne faire aucun acte qui pût contredire leur système adopté de 
la non-liberté du roi de France serait rompue par là, et une négocia- 
tion serait établie entre eux et les rebelles dont les suites ne peuvent 
se calculer, tandis que l'empereur se réserverait tout le mérite de la 
démarche des cours envers l'Assemblée. Celles qui se sont conservées 
intactes dans leur noble conduite en perdraient tout le fruit et n'ob- 
tiendraient pas même ceux que leur complaisance pourrait leur mé- 
riter des partis dominants et leur démarche ne porterait que le ca- 
ractère de la faiblesse ou celui de la fluctuation. Il paraît également 
peu admissible de proposer aucune compensation des droits du roi 
de France, de négocier sur cet objet et d'entrer dans un détail de lé- 
gislation pour l'intérieur; la politique des ministres de l'empereur 
pourrait peut-être trouver cette mesure intéressante pour lui, en lui 
ouvrant par là un moyen d'influer directement dans les affaires de 
France ; mais, en l'envisageant avec plus d'attention, ils doivent se 
convaincre que, si ce résultat est contraire à l'intérêt simplement po- 
litique des «autres puissances de l'Europe, il n'est nullement utile à 
l'empereur en établissant un exemple que la Prusse ou l'Angleterre 
seraient un jour tentées de suivre vis-à-vis de lui, dans les affaires 
de Hongrie, de Bohême ou des Pays-Bas. Il paraît donc que le seul 
parti à tirer des propositions de l'empereur est de prendre le temps 
pour l'embarrasser par d'autres projets, mettre en avant les intérêts 
des princes de l'Empire qui se sont adressés à la Suède et à la Rus- 
sie, prendre en main les justes réclamations du saint-siége contre 
une usurpation fondée sur les principes les plus dangereux , pour 
tranquilliser le public et lui faire connaître le parti irrévocablement 
pris i)ar les cours du Nord de ne point se départir du système 



ET LA COUR DE FRANCE. 139 

qu'ils ont adopté, conforme à la justice , à l'honneur et aux vœux: 
personnels de l'empereur, et lui proposer en outre les mesures qu'on 
sait que la cour des Tuileries lui a depuis longtemps demandées, 
et exiger une détermination précise des principes de l'empereur 
qui lui servira d'engagement dont il ne peut, sans se donner un tort 
irréparable, se départir. Par là on obtiendrait le double but de mon- 
trer son adhésion aux souhaits de LL. MM. TT. CC, d'obliger l'em- 
pereur de s'expliquer définitivement et de nous conserver tout l'hon- 
neur et le mérite de la constance en lui laissant l'odieux du refus. La 
Suède méritera par là une gratitude réelle des princes allemands et 
se trouvera à môme de prendre les mesures nécessaires, d'après la 
réponse de l'empereur ; si enfin ce prince, forcé par l'ascendant que 
la grande âme et l'exemple de l'impératrice doivent avoir sur lui, se 
prête aux propositions déjà énoncées, alors il en résulte comme une 
suite nécessaire qu'il ouvrira ses portes et recevra dans ses États les 
secours que les alliés du Nord voudront fournir; que les troupes al- 
lemandes que ces puissances voudront engager en leur nom pourront 
se rassembler dans les environs d'Aix-la-Chapelle, et qu'enfin un 
système [continu] pourra être adopté et suivi, qui, en rassurant les il- 
lustres fugitifs, en imposera aux rebelles, encouragera peut-être LL. 
MM. TT. CC. à prendre des mesures qui faciliter^ent la bonne vo- 
lonté de leurs amis, et amènera insensiblement la crise désirée sans 
compromettre les princes français ni exposer les illustres émigrés à 
des démarches hasardées. Dans le cas que ces mesures fussent adop- 
tées, on a joint à ce mémoire la lettre ostensible que le roi a envoyée à 
Vienne, pour être lue en réponse à celle du prince de Kaunitz du 
25 novembre dernier, et que le baron de Nolcken remettra, dès que 
Basoumoffsky ou l'ambassadeur de Russie lui aura communiqué la 
coopération de l'impératrice dans le même sens. 



140 LE COMTE DE FER8EN 



CXXVIII. 

DU BABON DE STEDINGK, AMBASSADEUB DE SUla)E A SAINT-P^TEBSBOURQ 

AU COMTE DE FEBSEN (1). 

Baint-Pétenbonrg, ce 20 janyier 1792. 

J'ai reçu hier, mon ami, votre lettre du 29 décembre. Je l'ai en- 
voyée sur-le-champ à l'impératrice, sachant que les nouvelles que tu 
me donnes feraient grand plaisir à S. M. J'en ai fait part aussi au 
comte d'Esterhazy, qui en a été ravi, mais qui trouve avec raison 
qu'il ne peut pas rester ici, du moment que M. de Bombelles y sera 
accrédité pour les affaires du roi de France. Deux négociateurs dif- 
férents supposent deux négociations différentes aussi, ce qu'il est im- 
portant d'éviter dans le &it et dans l'opinion. Le différend qui existe 
entre le comte d'Artois et M. de Bombelles ne permet pas d'ailleurs 
une grande intimité entre lui et M. d'Esterhazy. Le départ de celui- 
ci ne peut cependant que- nuire infiniment aux affaires, puisqu'il a su 
gagner par sa loyauté et ses manières franches et honnêtes la con- 
fiance de l'impératrice au suprême degré, et qu'il est généralement 
chéri et estimé. M. de Bombelles, comme porteur de lettres et de 
pièces si intéressantes, sera très-bien venu. Comme négociateur, 
comme l'homme accrédité du roi, je doute très-fort qu'il le soit. N'é- 
tant pas encore instruit des desseins du roi de France et de la reine, 
je dois suspendre mon jugement, mais je crois voir dans le choix de 
M. de Bombelles, dont le comte d'Artois croit avoir tant à se plain- 
dre, un trait de la politique du baron de Breteuil, de sa rancune contre 
les princes et de son animosité contre Calonne. Ces deux person- 
nages font, selon moi, un tort infini aux affaires : le dernier par sa 
légèreté, et l'autre par son orgueil et par ses caprices. On les voit 
toujours là où l'on ne doit voir que les affaires du roi leur maître. Au- 
cun être sensé ne peut douter que le grand projet qui vous occupe 
ne peut réussir que par un accord parfait entre le roi de France et 



(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : 
Reçu leS/évr, Rèp. le 10 par h courrier de Simolin. 



ET LA COUR DE FRANCE. 141 

lès princes et leurs fidèles serviteurs. Si la captivité du roi l'oblige à 
dissimuler, il faut du moins qu'il ait une confiance entière, et qui 
ne soit point partagée, dans les personnes qui ont encore la liberté 
d'agir en sa faveur, et tous ses véritables amis doivent tâcher de la 
lui inspirer, si le malheur l'a bannie de son âme. Si, au lieu de cela, 
il reçoit des avis contraires les uns aux autres, si on lui fait craindre 
pour son autorité même de la part de ceux qui s'occupent à la réta- 
blir, sa tète n'est point assez bonne pour choisir le meilleur parti et 
il se laisse aller à l'inaction ou à des fausses démarches. Ces ré- 
flexions, mon ami, ne te sont point échappées, et comme tu es sûre^ 
ment de ceux qui s'intéressent le plus ail sort de la France, et que tu 
es plus instruit que moi de ce qui s'y passe, elles serviront à te 
guider. Tout ce que je puis te dire, d'après la connaissance que j'ai 
du local et des personnages, est que le comte d'Esterhazy est 
l'honmie qu'il &ut ici ; que les affaires ont singulièrement prospéré 
entre ses mains ; qu'en tout ce qu'il fait il n'agit que pour le roi de 
France et la reine; que si les princes pouvaient avoir un autre senti- 
ment, il les abandonnerait, et qu'il peut très-bien être chargé de 
leurs communs intérêts. Si la situation critique du roi exigeait qu'il 
fit semblant de prendre parti contre les princes, il doit éviter aussi 
toute apparence extérieure de liaison avec cette cour, qui s'est dé- 
darée si ouvertement pour ses frères; et je vous demande, en ce cas^ 
si un long séjour de M. de Bombelles ici, qu'on connaît être la créa- 
ture du baron de Breteuil, n'exciterait pas des soupçons, surtout de 
M. Genêt, qui est encore ici, étant fort habile dans l'art de fureter, 
et s'il ne vaut pas mieux de se servir du comte d'Esterhazy ou de 
moi, pour faire parvenir à l'impératrice ce qu'il est important qu'elle 
sache. D'après cela je ferai tous mes efforts pour retenir Esterhazy , 
et faire partir Bombelles. Tout ce que je vous dis, mon ami, est 
d'après mon réel sentiment. Je n'ai pas pu prendre encore celui de 
l'impératrice, qui, à ce que je crois, n'en diffère nullement. Si cela 
était, je vous le ferais savoir aussitôt ; mais conmie il part un cour- 
rier pour Coblence dans une heure d'ici, je m'en sers pour vous faire 
parvenir cette lettre , ne voulant pas perdre un instant pour vous dire 
ce que je pense et pour vous assurer de tout mon attachement. 
Adieu, mon bon ami, je vous embrasse de tout mon cœur. 

C. Stedingk. 

A M. le comte de Fenen, à Bruxelles, 



142 LE COMTE DE FERSEN 



CXXIX. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUEDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 22 janvier 1792. 

Sire, 

D'après la lettre que V. M. m'a fait rhonneur de m'écrire du 30 dé- 
cembre, je me suis hâté de faire parvenir à la reine les détails sur les 
dispositions de Timpératrice de Russie qui pouvaient l'intéresser et 
lui prouver la nécessité d'une conduite et d'un planfermes et suivis, 
et j'espère dans peu, et dès qu'ils le jugeront convenable, pouvoir l'ex- 
pliquer plus en détail au roi et à la reine et savoir plus positivement 
leurs résolutions. La reine de France vient d'être forcée à envoyer à 
l'empereur un mémoire (2) fait par MM. Bamave, Lameth et Du- 
port, à l'insu de l'Assemblée actuelle, qui y est fort maltraitée ; dans 
ce mémoire , qui est très-mauvais et mal fait , ils veulent effrayer 
l'empereur sur les suites d'une guerre avec la France , en lui présen- 
tant les séductions qu'on emploiera sur ses troupes et la propagation 
'des nouveaux principes d'égalité et de liberté qu'on portera dans tous 
les pays où passera l'armée française. Ils essaient ensuite de lui 
prouver, par des arguments très-faux, l'intérêt qu'il a (même pour la 
sûreté de ses provinces belges) de s'allier avec la France et d'y main- 
tenir la constitution telle qu'elle a été décrétée par l'ancienne Assem- 
blée. On voit à chaque ligne de ce mémoire combien c'est la peur 
qui l'a dicté, et que ce n'est qu'un moyen qu'ils ont tenté pour 
détacher l'empereur de la ligue générale et surtout de l'idée d'un 
congrès , démarche qu'ils semblent craindre par-dessus tout. La reine 
n'a pas cru devoir refuser d'envoyer ce mémoire et d'avoir l'air de 
l'adopter ; elle a même désiré que son frère lui fit à ce sujet une ré- 
ponse ostensible, qu'elle pût montrer aux faiseurs pour les con- 



( I) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge :' Ch^firt^ 
22 Jantner 1792. 

(2) Voir K. Feuillet de Gonchee : Louis XVI, Marie-AnUnnetU et Madame Elisabeth, V« to- 
lume, page 108. 



ET LA COUR DE FRANCE. 143 

vaincre de la prétendue bonne foi qu'elle y apportait, et j'ai l'honneur 
d'envoyer à V- M. la copie de la lettre particulière que la reine écrit 
à ce sujet à l'empereur (1) ainsi que quelques passages de celle 
qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire à ce sujet (2). En remettant 
ces différentes pièces à M. le comte de Mercy j'en prévins le baron 
de Breteuil, et dans la conversation qu'ils eurent ensemble le len- 
demain le comte de Mercy lui dit qu'il ne trouvait pas ce mémoire 
si mauvais, qu'il y avait d'assez bonnes choses et qu'il le trouvait 
assez raisonnable. Y. M. peut juger aisément de la surprise du baron 
de Breteuil et de son indignation, et, voyant qn'il ne pouvait parvenir 
à convaincre M. de Mercy, il finit par lui représenter que le roi et la 
reine, envisageant la chose sous un autre point de vue et demandant 
de l'amitié de l'empereur uae réponse analogue de leur opinion, ils 
avaient droit de l'espérer (3). Cette conversation de M. de Mercy, 
jointe à ce que M. de Semonville a dit au général Wrangel, m'a fait 
soupçonner que ce ministre avait déjà connaissance de ce mémoire et 
qu'il avait été fait de concert avec lui ; car je soupçonne depuis long- 
temps, et j'ai plusieurs indices, d'une correspondance entre lui et les 
factieux de l'ancienne Assemblée, dont ] 'empereur est instruit. Le baron 
de Breteuil a été de mon avis et le croit de même. J'ai cru nécessaire 
d'instruire V. M. de ces détails, dans la croyance où je suis que l'em- 
pereur cherchera à faire encore un mauvais usage de l'envoi de ce 
mémoire. 

La dispersion des émigrés est sans doute un malheur pour eux, 
mais je ne le crois pas de même pour la chose ; pour réussir tout doit 
marcher d'accord, et le dedans allait beaucoup plus vite que le dehors. 
En effet, quel appui le roi aurait-il eu en ce moment pour soutenir un 
grand mouvement qui se serait fait en sa faveur ? Ces mouvements, 
quels qu'ils soient , ne peuvent jamais avoir un grand effet sans le 
secours de quelque puissance étrangère , et la saison ne permet ni à 
V. M. ni à l'impératrice de fournir en ce moment ceux qu'ils sont dé- 
cidés à donner ; mais en laissant les princes à Coblence, en tenant les 



(1) Voir H. Feuillet de Conches : Louis XVI, 3îarie-AtUoinette et Madame Élûabeth, 

V« Tol., page 91. 

( 2 } Voir la lettre autographe de la reine au comte de Fersen du 4 janvier 1792, n^ CXII a, 
( 8} Ce récit est confirmé par la dépêche de K. de Mercy au prince de Kaunitz du 14 jan- 

Tier 1792, chez M. Feuillet de Conches, Louis XVI, etc., V* vol., page 92, 



144 LE CX)MT£ DE FERSBN 

émigrés dispersés dans les pays voisins, en faisant cesser pour le mo- 
ment tont rassemblement et même dénomination de corps , on en- 
dort les factieux, on se donne le temps de tout préparer, et en repre 
nant, lorsqu'il en sera temps, toutes ces dispositions hostiles et 
menaçantes, on sera sûr d'enflammer de nouveau la bile de l'Assem- 
blée et de la pousser à un éclat. 

Le gouvernement des Pays-Bas vient enfin d'ouvrir les yeux. Il a 
découvert un complot entre les patriotes du pays et ceux réfugiés à 
Lille. Ils doivent tenter, pour le 10 février, un soulèvement ; un im- 
primeur, chez qui on a trouvé la planche du manifeste qui devait être 
publié, a dénoncé les principaux auteurs, et pendant deux nuits on a 
arrêté différents bourgeois : ils sont au nombre de 15, dont deux 
femmes. La même opération a été faite au même moment dans plu- 
sieurs autres villes. On assure qu'il y en aura plusieurs de pendus, 
et qu'on a enfin reconnu l'abus d'une clémence qui tient plutôt de la 
fSsdblesse. Cet événement n'a fait aucun mouvement dans la ville, 
tout y a été calme et tranquille. 

D'après ce que me mande M. de Carisien des dispositions de la cour 
de Berlin et des intrigues qui y mènent les affaires, il me paraît dif- 
ficile de l'engager à agir indépendamment de la cour de Vienne, et 
V. M. ne pense-t-elle pas que la seule chose qu'on puisse lui demander 
serait de 'faire auprès de l'empereur des propositions fortes et pronon- 
cées et pareilles en tout à celles que feraient à ce prince V. M., l'im- 
pératrice et le roi d'Espagne ? Il me semble que la coalition de ces 
trois puissances devrait décider le roi de Prusse et ne peut manquer 
d'influer sur sa conduite et sur ses déterminations. 

J'apprends dans l'instant qu'un M. de Marbois doit aller à Vienne 
avec des propositions de la part de l'Assemblée, mais j'ignore de 
quelle nature elles sont. 

Apostille, Les raisons pour lesquelles la reine ne peut pas nous ins- 
truire à temps de ce qui va se faire sont la promptitude avec laquelle 
ks déterminations sont prises et exécutées. Celle de la sommation aux 
électeurs et de l'allée du roi à l'Assemblée fut décidée à onze heures 
du soir ; le discours fut fait dans la nuit et prononcé le lendemain. Il 
en a été de même de plusieurs autres. 



ET LA COUR DE FRANCE. 146 



CXXX. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1). 

Ce 24 janvier 1792. 

Vous verrez par la lettre du roi de Prusse que ses dispositions sont 
bonnes, mais qu'il ne veut rien faire sans l'empereur. Il ne s'agit 
donc plus que de pousser le roi de Prusse à faire à ce prince des pro- 
positions positives. — J'ai reçu une lettre d'Espagne parfaite, dont 
je vous dirai les détails. Celles de Russie le sont de même. L'impéra- 
trice dit au roi de Suède : Peut-être la reine de France elle-même sera- 
t-^lle dans la nécessité de réclamer C assistance de son frère. V. M. 
doit savoir mieux que mm s'il sera difficile de l'y porter. L'impératrice 
sera entièrement convaincue là-dessus par votre lettre. Elle dit plus 
loin : Plus la cause que nous plaidons est digne de tous nos soins et 
plus naus.dewns ne rien négliger pour la faire triompher, et nous aur 
rons, mon cher frère y auprès de nos contemporains et de la postérité, le 
mérite de ne pas nous être désistés et une si belle entreprise, sans avoir 
fait tous les efforts possibles pour surmonter les difficultés que nous 
avons rencontrées, — Mais le roi et l'impératrice insistent toujours sur 
une nouvelle fiiite, et je vous porte un mémoire là-dessus et des lettres 
du roi. Son projet est qu'elle s'exécute par mer et par des Anglais ; 
il ne devrait y en avoir que deux seuls dans la confidence. Je vous 
porterai de nouvelles preuves sur la conduite de l'empereur. On dit 
la reine de Portugal fort bien -disposée; elle a beaucoup d'argent, et 
on dit qu'elle en donnerait. Je crois qu'il serait bon de lui écrire ; cela 
la déciderait. 

M™" de Vaudemont est à Paris pour empêcher qu'on ne prenne sa 
maison, ou demander une indemnité ; mais comme elle porte en même 
temps la démission de M. de Lambesc et de Vaudemont, vous croirez 
sans doute qu'on n'est obligé à lui rien donner, non plus que de leur 



( 1 ) D'après la minute de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge : A la reine 
par Vibray et Cravjford, 

T. II. 10 



146 LE COMTE DE FERSEN 

accorder les pensions qu'ils demandent en ce moment , surtout & 
M. de Vaudemont, et si M. de Lambesc a 20 ou 30,000, c'est tout 
ce qu'il peut espérer. Vous penserez aussi qu'il ne &ut pas lui laisser 
vendre sa charge. Il est venu la proposer au baron de Breteuil pour 
son gendre, pour la somme de 300,000 livres. Il l'a refusée en disant 
qu'il croyait que le roi ne devait plus se mettre de pareilles entraves et 
ne plus tolérer les finances des places. Mais le baron demande des 
bontés du roi de donner cette place à son gendre un jour, et il m'a 
ajouté : <c II pense bien, il est trop riche pour rien demander au roi, 
et assez pour tenir un grand état. » — D'ailleurs, il est trop bête pour 
lui être jamais importun ou se mêler des affaires. Je paierai au baron 
les 22,000 qui lui sont dus, mais il faudrait encore m'autoriser à lui 
remettre 20 ou 30,000 livres, dont il rendra compte, pour les frais 
de courrier et autres qu'il est indispensable de faire. La perte sur 

l'argent est terrible; elle est de 40 pour cent, c'est-à-dire que de 

que vous avez en Hollande, vous n'en aurez véritablement que 

Je vous en rendrai un compte exact, et je prends le parti de le lever 
tout à la fois et de le déposer, de crainte qu'il n'augmente encore. 
J'éprouve la même perte sur tout celui que je tire. 

Je ferai tous mes arrangements pour arriver le 3, à six heures du 
soir. 



CXXXI. 

DIT CHEVALIER FRANC, SECRIÉTAIRE d'^TAT DU ROI DE SUÈDE, GlÊRANT 
LES AFFAIRES IÊTRANGÈRES, AU BARON DE NOLCKEN, ENVOYA EXTRA- 
ORDINAIRB DE SUÈDE A VIENNE (1). 

Stockholm, le 24 janvier 1792. 

Le comte de Ludolf m'ayant communiqué la dépèche officielle du 
vice-chancelier de cour et d'État, comte Cobenzl, relative aux af- 



(1) D^aprëa une copie, dans les papiers du comte de Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 147 

faires de France, du 25 décembre 1791, S. M. m'a ordonné de vous 
charger expressément de témoigner au ministre de S. M. L sa re- 
connaissance pour la confiance que l'empereur a témoignée au roi, 
en s'ouvrant à lui franchement sur les afiaires de France. Le roi n'a 
point caché ses sentiments et ses principes, et il a constamment per- 
sisté dans ceux qu'il a adoptés avec l'impératrice. S. M., loin de 
pouvoir admettre la liberté du roi de France , est encore plus que par 
le passé persuadée, par les raisons les plus fortes et les moins équivo- 
ques, de la contrainte qu'éprouve la volonté de S. M. Très-Chrétienne, 
des violences dont elle est environnée, et des dangers auxquels sa 
vie, autant que sa dignité, est sans cesse exposée. S. M. a des raisons 
de croire que l'empereur doit en être aujourd'hui instruit et con- 
vaincu, et c'est non-seulement dans cette persuasion, mais aussi par 
une suite de la confiance que le roi met dans les sentiments de S. M. I. 
pour le roi, son beau-frère, et de la constance des principes que 
l'empereur a annoncés cet été à toutes les puissances , que S. M. vous 
autorise, M. le baron, de vous ouvrir au ministère de S. M. Impé- 
riale sur la persévérance du roi. 

Si S. M., par l'amitié qu'elle a vouée au roi de France, et par l'in- 
térêt que les malheurs de ce prince ne pouvaient qu'inspirer, a cru 
devoir employer tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour venir 
au secours de ce prince infortuné, le roi est encore plus intéressé de 
ne pas abandonner les afiaires de France depuis que les rebelles qui 
s'intitulent l'Assemblée nationale, ne se bornant plus au bouleverse- 
ment de leur patrie , s'occupent d'étendre ce système destructeur sur 
les pays voisins, et, après avoir décrété qu'ils ne feraient jamais de 
guerre, sous une autre dénomination en font une bien plus funeste, et 
déployant les drapeaux de la liberté, qui n'est qu'anarchie, excitent 
les peuples à la révolte contre les autorités légitimes, et, sous le pré- 
texte de ramener l'ordre, s'emparent des États des autres souverains. 
Telle a été la conduite de l'Assemblée nationale, et le résultat des 
manœuvres de sa politique, en dépouillant le saint-siége d'Avignon; 
telle a été sa conduite à l'égard de l'Empire, et telles vont bientôt 
en être les suites funestes pour les États limitrophes. Prince de 
l'Empire lui-même et uni par les liens les plus forts au maintien de 
l'Empire, S. M. ne peut voir qu'avec le plus vif intérêt les malheurs 
qui le menacent, et elle attend du chef de l'Empire des démarches 
dignes de lui. Le roi vous charge expressément, monsieur, de té- 



148 LE COMTE DE FERSEN 

moigner le contentement que S. M. a éprouvé en lisant la lettre de 
l'empereur, conçue dans des termes si conformes aux sentiments de 
6. M. Impériale, et qui lui méritera la reconnaissance de tout TEm- 
pire. En France , le roi ne doute pas que si cette lettre fût arrivée 
huit jours plus tôt, elle n'eût prévenu les démarches violentes de 
l'Assemblée nationale ; mais S. M. est également persuadée que, l'im- 
pulsion aggressive étant une fois donnée, il sera impossible de faire 
reculer cette assemblée, ces sortes de corps ne réglant jamais leur 
démarche à la mesure de la raison, mais étant également conduits 
par une présomption aveugle de leur force, ou par une crainte ex- 
trême, et ne pouvant pas reculer après s'être une fois trop avancés. 
S. M. croit donc essentiel de prendre, le plus tôt possible, des me- 
sures d'union qui peuvent, par le concours des puissances les plus 
considérables, en imposer aux rebelles, ou, si cette voie n'est plus à 
espérer, convenir des mesures communes k prendre. S. M. vous or- 
donne donc de proposer à l'empereur l'assemblée d'un congrès & 
Aix-lar-Chapelle, soutenu par des forces armées, où les puissances 
qui s'intéressent par leur parenté, leur alliance et leur amitié à S. M. 
Très-Chrétienne, ou qui ont un intérêt commun à l'indépendance et au 
maintien de l'Empire, puissent traiter ensemble, par leurs ambassa- 
deurs , des mesures à prendre pour s'opposer aux attentats de tout 
genre de l'Assemblée nationale. Le roi vous permet, monsieur, de 
faire sentir au prince de Eaunitz que S. M. a des raisons de pré- 
sumer que cette mesure sera très-agréable à LL. MM. Très-Chré- 
tiennes, et que le roi croit que l'empereur ne l'ignore pas maintenant ; 
mais que le roi croit en même temps qu'il faudrait soigneusement 
éviter de compronaettre en rien le nom, la dignité et la personne du 
roi de France, et que, pour cet effet, aucun ministre venant de France 
ue doit être admis au congrès. Par une suite de cette mesure, S. M. 
propose qu'on présente comme un objet ostensible pour la négocia- 
tion : 

l^' De la manière de satisfeire le saint-siége, et de lui rendre Avi- 
gnon; 

2° Des intérêts des princes de lE'mpire, et dont l'empereur a déjà 
pris le parti, comme chef de l'Empire ; et de l'observation des traités, 
faits entre l'Empire et la France. 

Et comme les résolutions violentes de l'Assemblée nationale pour- 
raient troubler les délibérations du congrès, il est d'autant plus con- 



ET LA COUR DE FRANCE. 149 

venable de protéger ce sénat des souverains de l'Europe par Tarmée 
de l'Empire et par les forces que l'empereur, les puissances du Nord 
et le roi de Prusse jugeraient à propos d'y rassembler. Le roi vous 
prévient au reste, monsieur, que S. M. fait feire la même ouverture 
à S. M. l'impératrice et à la cour d'Espagne, et elle vous ordonne 
de la faire à l'ambassadeur de Sardaigne et à celui de Naples , ainsi 
que je vais en écrire au ministre du roi à Berlin. Si l'empereur agrée 
cette proposition, j'aurai l'honneur de vous instruire plus au long 
des objets que le roi croit qu'on doit y traiter pour que vous les trans- 
mettiez au ministère impérial. 

SiffTiéy U. G. Franc. 



CXXXII. 

DU COMTB DE FBRSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

, Bruxelles, ce 25 janvier 1792. 

Sire, 

J'ai l'honneur d'envoyer à V. M., sous les numéros 1, 2 et 3, la 
réponse du roi de Prusse au roi de France, celle de ce prince au 
baron de Breteuil (2), de même que celle du comte de Schoulembourg. 
Les copies en ont déjà été envoyées au roi de France. V. M. verra 
par ces lettres la vérité des bonnes dispositions de S. M. Prussienne, 
et une preuve de plus de la mauvaise foi de l'empereur. Une lettre 
que je reçois en même temps de M. de Carisien, qui me rend compte 
de sa conversation avec M. le comte de Schuolembourg, confirme en- 
tièrement ces bonnes nouvelles ; mais elle prouve aussi que le roi de 
Prusse se croit dans la nécessité et dans l'impossibilité de rien faire 
sans le concours de l'empereur, et Y. M. pensera sans doute que. 



(l*) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre» 
( 2} Cette lettre est imprimée chez M. Feuillet de Conchea : Louis XVI, Marie-AntaineUe 
€t Madame ÉliêaUth, rV« vol., page 296. 



150 LE COMTE DE FERSEN 

d'après cette certitude, il ne s'agit que d'engager ce prince à faire à 
S. M. Impériale des propositions fortes et prononcées, et analogues à 
celles qui lui viendront de la part de V. M., de l'impératrice de Bussie 
et du roi d'Espagne. D'après les bonnes dispositions que S. M. Ca- 
tholique manifeste et le plan qu'elle a proposé à l'impératrice de Russie, 
et que V. M. a bien voulu m'envoyer, V. M. ne croit-elle pas qu'il 
serait intéressant de demander à ce prince de faire des magasins 
d'armes et de munitions sur la frontière de France, afin de pouvoir 
en donner, lorsqu'il en sera temps, à tons les catholiques de cette 
partie du royaume dont la plupart ont été désarmés par les pro- 
testants. Cette mesure de précaution ne pourrait faire qu'un bon effet. 
Le baron de Breteuil a goûté cette idée et se propose d'en écrire à 
M. de la Vauguyon ; mais, étant présentée également par V. M., le 
succès en sera plus certain. Je vais en écrire au baron d'Ehren- 
svaerd. 

Le comte de Bomanzof n'est point venu à Bruxelles et n'a eu avec 
le baron de Breteuil aucune communication, ni verbale ni par lettres. 



CXXXIIL 

DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Gefle, ce 26 janvier 1792. 

■ 

[^En clair,'] 

Je suis arrivé dans cette ville depuis quatre jours ; demain les 
états s'assemblent au Rikssalen (2). Il paraît, à juger tant des per- 
sonnes qui sont rassemblées ici que par le nombre, que tout s'ar- 
rangera à l'amiable et tranquillement. Dieu veuille que cela soit, et 



( 1 ) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
Le 24 févr. reçu; rêp. le 26 févr. 
(2) La aalle de rassemblée des quatre ordres qui formaient alors la diète de Suède. 

(Note de P éditeur,) 



ET LA COUR DE FRANCE. 161 

que la darée de ce rassemblement ne soit pas au delà de quatre à 
cinq semaines. J'ai reçu, mon ami, vos deux lettres du 5 et du 11 
de ce mois. 



[JEn ckiffreJ] 



Le roi approuve fort que vous ayez prévenu Carisien (1) sur 
renvoi de Ségur à Berlin. Le roi de Suède a fait la même chose, 
dès qu'il en a été informé par vous, par une lettre qu'il en écrivit au 
roi de Prusse. Aussi Ségur a-t-il déjà échoué dans sa négociation à 
Berlin par l'habileté de Carisien, qui a dit au prince de Beuss, mi- 
nistre de l'empereur à Berlin, que Ségur était chargé par l'Assem- 
blée nationale de négocier un traité entre elle et le roi de Prusse, et 
le détacher de l'alliance avec l'empereur, et que Ségur était chargé 
d'offrir de l'argent, tant à la maîtresse qu'au favori, pour y parvenir. 
Le prince de Beuss a dit cela à qui a voulu l'entendre ; cela a in- 
digné tout le monde contre Ségur, même ceux qui auraient sans 
cela accepté son argent. — Nolcken de Vienne nous fait savoirque 
l'empereur fait marcher 16 bataillons pour renforcer son armée en 
Brabant et pour secourir les électeurs. Le roi de Prusse a envoyé 
ordre à M. Goltz à Paris de déclarer qu'il ne souffrira pas qu'on 
inquiète les princes d'Allemagne ni de l'Empire, et qu'il les proté- 
gera de toutes ses forces contre toute invasion. C'est le roi de Prusse 
qui force l'empereur à faire la même déclaration. Je vous préviens, 
mon ami, que l'impératrice lit toutes vos lettres, que vous écrivez à 
Stedingk ; il les lui montre par Souboff : je vous le dis afin que vous 
dirigiez votre style en conséquence. Elle est indignée contre l'empe- 
reur et sa mauvaise foi ; elle se propose de le pousser à bout, et le 
forcer de dégainer, et pour y parvenir elle fait faire des propositions 
au roi de Prusse de prendre part aux affaires de France. Le roi de 
Suède me charge de vous dire, mon ami, que si vous ne recevez 
point aussi régulièrement que de coutume des lettres de lui, cela ne 
doit pas vous inquiéter ; il vous assure qu'il n'abandonnera jamais la 
cause de son plus ancien ami et allié. Je brûle de savoir ce que 

( 1 ) L'envoyé de Suède & Berlin. 



152 LE COMTE DE FERSEN 

vous pensez de la fuite proposée ; je ne la crois pas impossible, et, 
elle faite, la bataille est gagnée pour Leurs Majestés. 

M. de Calonne veut envoyer, dit-on, son frère l'abbé auprès de 
l'impératrice , au lieu du comte d'Esterhazy ; ce serait une lourde 
balourdise. 



CXXXIV. 

DU COMTK DE FEBSEN AU BARON D'eHRENSVAERD, ENVOYlÉ EXTRAORDI- 
NAIRE DE SUÈDE A MADRID (1). 

BrnxeUes, ce 27 janyier 1792. 

Monsieur le baron. 

Dans ma dernière j'ai eu l'honneur de parler à N. N. des prépa- 
ratifs hostiles que le roi de France désirerait voir faire par les rois 
d'Espagne et de Sardaigne sur leurs frontières. Une autre mesure à 
y ajouter serait de former des magasins d'armes et de munitions 
assez & portée de ces mêmes frontières pour pouvoir en fournir, 
lorsque cela deviendrait uécessaire, aux catholiques bien intentionnés 
des provinces méridionales de France, qui ont presque tous été dé- 
sarmés par les protestants. Le roi de France désire cette mesure. Le 
baron de Breteuil en a écrit à M. de la Yauguyon, et N. N. croira 
probablement pouvoir appuyer cette demande. J'en ai écrit au roi 
notre maître, qui l'approuvera sans doute ; d'après les bons senti- 
ments que le roi d'Espagne témoigne, et le plan de conduite dont 
il a fait part & l'empereur et à l'impératrice de Bussie, je ne doute 
pas qu'il ne consente à cette mesure de précaution, à moins cepen- 
dant qu'il n'y ait des empêchements physiques. Si l'on se décide à 
former de tels dépôts, il faudrait avoir soin de les placer de manière 
à ce qu'ils fussent à l'abri d'un coup de main ou d'une incursion fran- 



(1) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge : Bctrmt 
tPEhrentvaerdj chiffre. 



ET LA COUR DE FRANCE. 153 

' çai^. Les chefs du gouvernement de ce pays-ci et M. le comte de 
Mcrcy croient la guerre avec la France inévitable. 



cxxxv. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, oe 29 janyier 1792. 

Sire, 

D'après une conversation que je viens d'avoir avec le comte de 
Mercy, ce ministre me paraît croire la guerre avec la France inévi- 
table, et je ne doute pas que l'empereur ne la voie de même. Toutes 
les lettres particulières d'Autriche et de Bohême annoncent des ordres 
donnés pour la marche des troupes ; mais les généraux employés dans 
'ce pays et le comte de Mercy n'en ont encore aucune connaissance. 
D'après tout ce qui m'est revenu, je crois le crédit de cet ambassadeur 
à la cour de Vienne fort diminué, et c'est M. de Spielman qui s'est 
emparé de toute l'influence et qui semble diriger toutes les résolu- 
tions. 

Tous les Français réfugiés à Toumay, même les femmes, viennent 
de recevoir l'ordre d'en sortir et de se retirer dans les villes de l'inté- 
rieur. On dit que c'est à cause de la proximité de la frontière, dont on 
veut les éloigner. V. M. jugera sans doute que cette mesure est au 
moins déplacée en ce moment. 

(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre, 



164 LE COMTE DE FEBSEN 



CXXXVl. 

DU BARON DE STEDINGE, AMBASSADEUR DE SUÈDE A SAINT-P^TERSBOURO, 

AU COMTE DE FERSEN (1). 

Saint' Pétenbonrg, ce ff janvier 1792. 

Le marquis de Bombelles est arrivé le 14 janvier ; il s'est adressé 
directement à Osterman, à qniil a remis ses lettres. J'ai fait parvenir 
à rimpératrice celle qu'il m'a apportée de toi. Sa Majesté m'a dit 
qu'elle voudrait ne l'avoir point lue, tant elle a été alarmée des 
dangers de la famille royale, que vous y retracez d'une manière si 
touchante. Je me suis chargé du marquis de Bombelles , et je lui 
rendrai tous les services qui dépendront de moi. Nous avons déjà eu 
plusieurs conférences ensemble avec les ministres de l'impératrice, et 
nous sommes d'accord sur l'objet principal de sa mission ; mais le 
mystère qui doit l'accompagner a empêché que l'impératrice vît M. de 
Bombelles en particulier, et qu'elle lui fît un accueil distingué en 
public. Il aura cependant une audience particulière de S. M. au pre- 
mier jour. Quant à Esterhazy, il est fort embarrassé de sa position 
ici, et fort affligé de ce que vous lui avez mandé ainsi qu'à sa femme. 
Il voudrait partir; mais comment pourrions-nous y consentir, lorsque 
ce départ ne manquerait pas de dévoiler la commission de M. de 
Bombelles, et compromettrait visiblement le roi et la reine? H faut 
qu'il reste, et qu'il devienne l'instrument de la réunion, si nécessaire, 
entre les princes et le baron de Breteuil. U a fait beaucoup de bien 
ici à la cause du roi et de la reine. Nous n'admettons point ici de 
différence entre Leurs Majestés et les princes. Les premiers étant 
captifs, on peut se conformer à leur volonté, lorsqu'elle peut se ma^ 
nifester librement ; mais on ne peut agir, ou avoir l'air d'agir qu'en 
conformité avec les princes. C'est ce qui rend si intéressant de sou- 
tenir leur parti, le seul en évidence, le seul qui présente un point de 
ralliement. Si les princes ou leurs alentours pouvaient tenter d'a- 



( 1 ) D*aprè8 la lettre originale, déchiffrée dans les papiers da comte de Fersen, qui a 
écrit en marge : 24 fèvr, rt/^ rip, le 1«' mars. 



ET LA COUR DE FRANCE. 1Ô5 

buser de leur position, qui les met à la tète da parti monarchique 
(ce qui ne nons paraît pas à craindre), les puissances qui les sou- 
tiennent sauront bien les contenir. En attendant, le projet du con- 
gprës est à peu près adopté ici, et déjà depuis deux mois on a sondé 
les cours alliées et amies sur cet objet. L'impératrice ne répondra à 
la lettre apportée par M. de Bombelles qu'après avoir consulté 
S. M. Suédoise. Pour ce qui regarde l'indiscrétion des alentours des 
princes, nous en sommes convaincus ici, et nous prenons toutes les 
précautions pour nous en garantir. Cependant ces envois de négocia- 
teurs me paraissent aussi une indiscrétion. Ici, par exemple, un simple 
courrier, qui m'eût été adressé de ta part, eût fait meilleur effet que 
l'envoi de M. de BombeUes. Adieu, mon bon ami, rappelle-moi au sou- 
venir de madame de Matignon, du baron et de celles de nos an- 
ciennes connaissances qui se trouvent dans les lieux où vous êtes. 

E. Stedinge. 



CXXXVII. 

EXTRAIT d'une LETTRE DE L'iMP^RATRICE DE RUSSIE 
AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

J'ai fait ajouter à mes représentations & la cour de Vienne un 
plan à concerter et à exécuter au printemps prochain. Je vous prie de 
m'en dire votre sentiment et si V. M. juge convenable de l'appuyer 
auprès des cours auxquelles je l'ai également fait proposer : ces cours 
sont celles d'Espagne, de Naples^ de Sardaigne et de Berlin. Il doit 
plaire à la première, puisqu'il est en partie calqué sur celui qu'elle 
avait tracé elle-même. Quant à la dernière, elle s'en est déjà expliquée 
en quelque façon ; mais si elle n'a fait aucune objection, elle a remis 



( 1 ) Cet extrait est ajouté comme apostille à la lettre en chiffre ( non déchiffrée ) du roi 
de Saëde GnBtaye m au comte de Fersen, datée de Stockholm, le 28 février 1792 ; la lettre 
de rimpératzioe doit avoir été écrite à la fin de janvier ou dans les premiers joars de 
février 1792. 



156 LE COMTE DE FERSEN 

toute décision au concert avec la cour de Vienne et à sa décision. 
Celle-ci n'a pas eu le temps encore de dire son avis, mais son am- 
bassadeur ici a annoncé que . Tempereur n'a plus de doutes sur les 
véritables intentions et les vœux secrets du roi et de la reine de 
France , et qu'il sentait la nécessité de recourir aux mesures efficaces ; 
il n'a fait suspendre les ouvertures qu'il se propose de faire aux autres 
cours favorables que jusqu'à l'arrivée du courrier qu'il attendait 
d'ici. Vous m'avez prévenu, mon cher frère, sur l'envoi du baron de 
Bombelles ; il est arrivé ici depuis quelques jours avec une lettre du 
baron de Breteuil, qui en accompagnait une de la reine (1). Le princi- 
pal objet de la lettre était de se disculper des imputations injustes 
dont on l'avait chargée et d'appuyer sur la nécessité d'assembler 
un congrès armé. Je lui ai toujours rendu justice sur le premier point- 
Quant au second, je ne le regarde comme avantageux qu'autant 
qu'il est nécessaire pour donner le branle aux mouvements de ceux 
qu'on a de la peine à déterminer, et, sous cet aspect, c'est à mon avis 
un point de la plus grande importance ; mais j'avoue que je ne trouve 
aucune bonne raison à ce que me dit la reine dans sa lettre, qu'il &ut 
mettre en avant les puissances étrangères et laisser en arrière les 
princes ses beaux-frères avec leur parti. 

Ce parti est composé de la principale noblesse, du haut clergé, 
de quantité de militaires et de tous ceux qui tiennent sincèrement à 
la religion catholique. Ce parti pourrait également servir par lui- 
même la cause du roi et faciliter les opérations étrangères, aussi 
longtemps qu'elles seraient. Ainsi le plus essentiel pour nous est de 
continuer de travailler à réunir le plus tôt les puissances, desquelles 
nous avons quelque chose à espérer, en un système fixe et déter- 
miné, et à les provoquer à des démarches réelles et conséquentes. 
Jusqu'à ce que nous sachions à quoi nous en tenir là-dessus, je ne sau- 
rais rien dire à V. M. sur ce que lui mande M. de Bouille au sujet 
des troupes allemandes qui étaient au service de la république de 
Hollande, mais il me semble qu'à tout égard cet article doit entrer 
dans le contingent de l'Espagne. Quant à l'aperçu relatif à l'office 
fait par l'empereur au sujet des affaires de France, je ne puis qu'ap- 
plaudir aux sages et saines réflexions qu'il renferme, mais je crois 



( 1 ) Voir Louis XVI, Marie- Antoinette et Madatae Élisnbethy par M. Feuillet de Conches, 
TV* voL, page 857 et page 276. 



ET LA COUR DE FRANCE. 157 

qu'il est bon de les garder pour nous jusqu'à ce que TafiFaire soit bien 
sérieusement engagée; une marche prudemment combinée est ce qui 
convient le mieux à la chose, et ne nous expose à rien. 



CXXXVIII. 



DE MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE, AU PRINCE DE KAUNITZ (1). 

Du 1" février 1792. 

Croyez, monsieur, à tout ce que le porteur de ce billet vous dira; 
il voit juste et connaît bien notre position. Je suis charmée d'avoir 
une occasion d'assurer le respectable et bon serviteur de Marie-Thérèse 
que, quelque chose qui arrive, sa fille cherchera toujours à être digne 
d'une pareille mère, et de l'estime de son ministre et ami. 

Signé, Marie-Antoinette. 



yyAAAlA. 

' DE MARIE -ANTOINETTE, REINE DE FRANCE, A L'iMPIÈRATRICE 

DE RUSSIE (2). 

Ce l»" février 1792. 

Madame ma sœur. L'intérêt dont V. M. veut bien nous fau*e 
donner l'assurance est une grande consolation dans nos peines. Comme 



( 1 ) D'après une copie que M. BimoKn a envoyée au comte de Fersen, qui y a écrit en 
marge : 9 février ^ reçu par Sitnoîin, 

(2) D'après une copie que M. Simolin a envoyée au comte de Fersen, qui y a écrit en 
marge : 9 février, reçu par Simolin, 



168 LE COMTE DE FER8EN 

nous souhaitons que rien dans notre conduite ne lui soit caché, nous 
avons désiré que M. de Simolin, son ministre, voulût bien se charger 
pour nous d'une affaire très-délicate et qui exige autant de pru- 
dence que de secret. 

Nous ne pouvons nous défendre de croire que l'empereur a été 
induit en erreur par des informations fausses, tant à l'égard de nos 
sentiments personnels qu'à l'égard du véritable état des affaires 
d'ici; nous souhaitons qu'il soit désabusé. La manière prompte et 
firanche dont M. de Simolin a accepté cette proposition de notre part 
nous a bien fait connaître en lui un fidèle serviteur de Y. M., et en 
queUes mains pourrions-nous remettre plus sûrement nos intérêts les 
plus chers que dans les vôtres, madame, et dans celles d'un de vos 
ministres, qui, avec toute la prudence et la sagesse de son esprit, a 
tout vu et a pu former, depuis le commencement de la révolution, 
un jugement impartial sur tous ses détails, et qui nous a montré per- 
sonnellement, dans toutes les occasions, intérêt et attachement? Le 
roi et moi désirons donc, madame, que vous approuviez notre idée, 
si le bien de votre service actuel admet cette course, et que V. M. 
veuille bien aussi voir dans cette démarche de notre part une preuve 
de l'entière confiance que nous avons en elle. 

V. M. a toujours excité notre admiration; aujourd'hui nous lui 
sommes attachés par des liens plus étroits et plus doox, ceux de 
l'amitié et de la reconnaissance. 

Siffné^ Marie- Antoinette. 

Ayant eu occasion de voir M. Simolin seule chez moi, j'ai cru de- 
voir l'instruire que j'ai déjà écrit une fois à V. M. J'espère qu'elle 
ne désapprouvera pas cette confidence de ma part. 



ET LA COUR DE FRANCE. 159 



CXI. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE NOLCKEN, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE 

DE SUÈDE A VIENNE (1). 

Bruxelles, ce 8 février 1792. 

Le roi et la reine de France étant enfin éclairés par la conduite 
perfide de l'empereur à leur égard, et sur son peu de bonne volonté 
active pour les secourir, qui s'est manifesté d'une manière encore plus 
positive dans le refas formel que ce prince a fait du rassemblement 
d'un congrès armé, que la reine lui avait demandé, en lui écrivant 
elle-même à ce sujet. Leurs Majestés se sont décidées à s'adresser 
directement, pour cet objet, aux différentes cours; mais N. N. sentira 
combien il est intéressant que cette démarche reste dans le plus 
profond secret. L'empereur est instruit de ces démarches, mais je 
doute qu'il le soit des lettres particulières qui ont été écrites par 
Leurs Majestés aux différents souverains, et N. N. croira comme moi 
qu'il ne sera pas nécessaire d'avoir l'air d'en être instruit. C'est le 
baron de Breteuil qui a toute la confiance du roi de France, et qui 
est chargé des négociations et des ouvertures à faire. Il a proposé 
en Espagne, en Prusse, en Suède et en Kussie le congrès armé, 
qui a été aussi demandé par les lettres particulières du roi et de la 
reine de l^rance. Toutes ces puissances y ont consenti, et l'Espagne 
est dans les meilleures dispositions possibles. Mais toutes ces cours 
sentent la nécessité défaire concourir l'empereur à cette mesure, sur- 
tout depuis que la Prusse se trouve liée par son traité avec ce prince 
à ne faire que des démarches pareilles aux siennes. La réponse de 
cette cour est très-favorable; le roi de Prusse manifeste le désir 
d'aider le roi de France de tous ses moyens , mais le comte de Schou- 
lembourg avoue que son maître ne peut agir sans l'empereur. Il 
adopte ridée d'un congrès armé et promet d'en écrire à Vienne ; 
il s'engage à taire la lettre du roi de France au roi son maître et à 



( 1) D'après le brouillon de la main du comte de Feraeni qui a écrit en marge : Chiffre, 
au baron de Nolcken, 



160 LE COMTE DE FERSBN 

ne parler qne des ouvertures faites par le baron de Breteuil au nom 
du roi de France. N. N. croira sans doute que c'est la conduite la 
plus prudente à tenir, à moins que les instructions du roi notre 
maître ne soient différentes. H a déjà dû faire passer à N. N. ses 
ordres pour appuyer la demande du congrès armé. tTai Thonneur 
d'envoyer à N. N. une gazette sur ce qui s'est passé à l'Assemblée 
nationale relativement à la guerre. Le discours de M. Brissot, qu'il 
serait bon de communiquer à l'empereur et à ses ministres, pourra 
éclairer sur les raisons qui ont forcé le roi de France à sa démarche 
vis-à-vis de ce prince. Je joins aussi quelques passages d'autres pa- 
piers qu'il serait bon de leur montrer. L'esprit de révolte dans les 
Pays-Bas est plus fort que jamais, et, si cette peste n'est bientôt étouf- 
fée en France , elle ne tardera pas à éclater ici. L'aveuglement et la 
sécurité de l'empereur à cet égard sont bien étranges. 

Je crois déjà avoir prévenu N. N. de ne pas se livrer aux Poli- 
gnac, ni aux envoyés des princes; leur terrible indiscrétion défend 
de leur rien confier. Adieu. 



CXLL 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈD'E GUSTAVE IH (1). 

Bruxelles, ce 6 férrier 1792. 

Sire, 

Par les dépêches d'Espagne que V. M. a bien voulu me faire com- 
muniquer, on voit clairement l'effet de l'incertitude de cette cour et 
des insinuations de l'empereur pour l'engager à tenir une conduite 
analogue à la sienne. Le cabinet de Madrid, toujours incertain et 
flottant, a besoin d'être conduit, mais avec sagesse et sans qu'il s'en 
aperçoive, pour ne pas choquer son orgueil. Le premier plan remis 



( 1 ) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qai a écrit en marge : Chiffre, 



ET LA COUR DE FRANCE. 161 

au ministre de Bussie et dont Y. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer 
copie dans sa dépêche du 30 décembre, était fort bon. Celui qui a en- 
suite été communiqué au baron d'Ehrensvaerd Test moins, et on voit 
dans tous les deux le désir de TEspagne de ne pas se mettre en 
avant, sous le prétexte du soupçon qu'elle pourrait vouloir rentrer 
dans ses anciens droits , mais dans le fait par la peur qu'elle a de 
l'Angleterre. C'est par une suite de ce même sentiment et d'après les 
insinuations de l'empereur qu'elle voudrait éviter le congrès en le 
présentant comme un moyen trop lent; mais, avec la mauvaise vo- 
lonté et la perfidie de l'empereur, avec le traité qui enchatne la 
bonne volonté de la Prusse et la rend dépendante de ses opérations , 
avec ) le flottement continuel de l'Espagne , quel autre moyen y a- 
t-il de parvenir à un concert et à une décision quelconque ? quel pré- 
texte donner pour la marche des troupes ? Il ne resterait alors que 
celui d'attaquer la France, et dans l'intervalle de leur arrivée on 
laisserait le temps à mille intrigues , tant extérieures qu'intérieures. 
Comment conviendrait-on des opérations à faire et des manifestes à 
donner ? — En calculant les distances géographiques , on voit aisé- 
ment le temps énorme qu'il faudrait ; et quand on connaît les disposi* 
tiens de lenteur de l'empereur et sa mauvaise volonté , on voit encore 
combien cela en ferait perdre , par la facilité qu'il aurait de retarder 
les réponses et de mettre des entraves à tout ce qu'on proposerait. 
U faut un centre, un point de réunion quelconque, et, depuis la mau- 
vaise foi reconnue de l'empereur et la faiblesse de l'Espagne, je per- 
siste à penser qu'il ne saurait y en avoir d'autres qu'un congrès, ob 
les plénipotentiaires des différentes puissances, étant en présence, 
se surveilleraient mutuellement et sauraient bientôt démêler les bon- 
nés d'avec les mauvaises intentions , plus aisément que lorsqu'elles 
sont enfermées dans le secret des cabinets. La conduite de l'empereur 
paraît nécessiter cette mesure , quelque mauvaise qu'elle soit en elle- 
même. Four la rendre utile, les plénipotentiaires ne devraient y ap- 
porter d'autres vues que le rétablissement de la monarchie française, 
en mettant de côté toutes les autres vues politiques. L'objet à traiter 
est trop intéressant pour tous ; c'est une cause si neuve qu'il faut, 
pour la gagner, des moyens tout nouveaux. lia garantie des posses- 
sions françaises semble devoir être un article des instructions à don- 
ner aux plénipotentiaires. 

Le roi et la reine de France m'ont témoigné le désir de ne faire 

T. II. 11 



162 . LE COMTE DE FERSEN 

entrer le Danemark dans la ligue qu'autant que la réunion de cette 
puissance pourrait faciliter les opérations ; mais LL. MM. n'y tien- 
nent nullement y et il n'a été fait à ce sujet aucune démarche. 

Je trouve l'idée du baron d'Ebrensvaerd, relativement à l'arrivée 
des troupes de V. M., fort bonne, dans le casob on ne serait pas as- 
suré au moins de la neutralité parfaite de l'Angleterre. V. M. pensera 
sans doute que cette certitude sera nécessaire , et si , pour l'obtenir, 
il était utile que M. Crawford y retourne, je suis sûr qu'il ne s'y re- 
fuserait pas. On pourrait le charger en même temps d'une lettre du 
roi de France au roi d'Angleterre, et il serait plus en état qu'un 
autre de donner des notions positives qui, — venant à l'appui des 
réponses qui auraient été faites aux ouvertures que le ministre de 
y. M. aurait été chargé de faire, — ne laisseraient plus aucun doute sur 
les intentions de cette puissance, à moins que Y. M. ne préfère de ne 
pas charger le baron de Nolcken de cette besogne. Si V. M. était une 
fois assurée de n'avoir rien à craindre de l'Angleterre, je crois le 
transport des troupes par mer préférable par la promptitude, l'éco- 
nomie, la diversité et la facilité des moyens d'opération qu'il pré- 
sente. Le corps de réserve en Poméranîe pourrait toujours exister et 
même être utile , et les chevaux de la cavalerie pourraient traverser 
l'Allemagne plus lestement ; un homme mènerait trois. 

Le désir de la guerre continue toujours à Paris . et c'est un désir à 
exciter. La réponse de l'empereur en décidera en partie. Je n'ai pu 
avoir aucune notion à ce sujet ; à en croire les propos de M. de Mercy, 
elle doit être ferme et peu satisfaisante pour l'Assemblée, car ce mi- 
nistre croit la guerre inévitable, et il dit l'autre jour qu'il fallait la 
faire avec vigueur et que tout fût terminé en un an ou dix-huit mois 
au plus. Je ne sais si l'on peut se flatter que le langage de l'empereur 
sera conforme à celui de son ambassadeur. 

Les derniers mouvements à Paris pour le sacre et les bruits sur le 
départ du roi n'ont pour objet que d'empêcher la nouvelle garde du 
roi d'entrer en fonction. Ce soupçon d'une nouvelle évasion a été ac- 
crédité par l'indiscrétion de beaucoup de gens bien intentionnés, mais 
Français, qui tous avaient imaginé différents moyens, même ceux 
par la mer, et qui, pour en assurer le secret, l'ont confié à tous 
leurs amis. L'Assemblée n'a pas tardé à en être instruite, et dans 
l'incertitude de la réalité de ce projet, et pour l'empêcher, s'il devait 
exister, ils ont fait le décret sur les passeports, qui livre les voyageurs 



ET LA COUR DE PRANCE. 163 

aux vexations et aux inquisitions de toutes les municipalités et de 
tous les gardes nationaux^ et remplit à merveille leur objet en ren- 
dant la sortie du roi de France impossible, sans courir le risque 
d'être reconnu et arrêté à chaque pas. J*ai l'honneur d'envoyer à 
V. M. la copie des diiSférents articles de ce décret. 

La réponse du roi à l'Assemblée sur la sommation à faire à l'Espa- 
gne est très-mauvaise , mais elle est la suite de la position où le roi 
se trouve, entouré de ministres qui le trahissent sans cesse et qui. 
sont vendus & l'Assemblée. Il aurait été préférable que le roi eût 
sanctionné simplement le décret, qui est tout & fait contraire à leur 
constitution , et qui par cela même aurait été frappé de nullité ; 
mais il n'en a pas été le maître, et on a exigé de lui cette démarche 
comme une preuve de sa liberté et un acte de la bonne foi qu' il 
apportait au maintien de cette même constitution. 



CXLIL 

DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1). 

A Qefle, ce 6 février 1792. 

Monsieur le comte de Fersen. Je vous envoie ci-joint, en forme 
d'apostille, l'extrait d'une dépêche du sieur de Carisien, qui fait 
clairement voir qu'il ne faut pas penser à faire entrer le roi de Prusse 
dans des démarches pour le rétablissement de la monarchie française, 
qu'en lui faisant espérer un dédommagement servant à agrandir 
ses possessions. J'ai écrit à Carisien de tâcher de faire tomber le choix 
du ministère prussien sur quelque établissement dans les Indes : 
outre qu'un tel engagement ne présente rien d'odieux pour le roi de 
France, on gagnerait même parla d'avoir empêché l'unité d'intérêt 
de la Prusse avec l'Autriche dans cette affaire peut-être. En atten- 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : liera le 27, rvp, 
le 29/t»n<r. 



164 LE COMTE DE FEBSEN 

dant que Carisien vous fasse part du plas ou moins de possibilité 
qu'il verra de réussite de ce projet, vous pourrez vous procurer la 
connaissance des sentiments du roi et de la reine de France relative- 
ment à une telle proposition ^ si elle avait lieu. Carisien me mande 
aussi que les n^ociations des^ princes , pour pouvoir se retirer dans 
les États prussiens 9 nesouffiriront pas de di£Sculté; mais que celle 
pour avoir de l'argent rencontrerait .beaucoup d'obstacles. Par la 
copie de ma dépêche à Bergstedt , vous verrez les ordres qu'il va 
recevoir ; je ne crois pas qu'on se porte de sitôt à cette extrémité , 
mais si elle a lieu, je vous autorise de lui donner les ordres que 
vous trouverez les plus convenables, soit de le garder auprès de 
vous , soit de le renvoyer en Angleterre pour me rendre compte de 
ce qui se passe , si vous trouvez que ses principes ou son langage 
pourraient nuire à mes intentions ici en Suède. — La diète continue 
de conserver le calme le plus parfait. A vue de pays , elle pourra 
être finie au plus tard en trois semaines. Le marquis de Bouille me 
mande qu'il m'envoie son fils ; il se plaint de l'indiscrétion qui rè- 
gne à Coblence. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le comte 
de Fersen , dans sa sainte et digne garde ; étant 

Votre très-affectionné, 
Gustave. 

A Monsieur le comte de Fersen. 

ApostUle, da 6 février 1792. 

Extrait éttme dépêche de M. Carisien d Berlin, au roi. 

Le comte de Schoulembourg, avec lequel j'eus l'occasion de m'en- 
tretenir hier sur l'intérêt que paraissaient avoir la plupart des au- 
tres puissances à s'entremettre efficacement pour tirer la France de 
ses malheurs actuels^ me dit ces propres termes qui m'ont paru 
bien remarquables : « Je vous avoue^ monsieur, et vous pouvez môme 
le mander à votre cour, que la plus grande difficulté que je vois à la 
chose sera à l'égard du pécuniaire , s'il ne s'agit que d'une guerre 
d'Empire, & laquelle on contribuerait par un double ou triple contin- 
gent ; il sera difficile de parvenir jamais au but qu'on se propose ; mon 
avis est que pour réussir il est nécessaire d'employer de grands 
moyens ; or, comme la Prusse n'a pas un intérêt assez puissant à la 



ET LA COUR DE FRANCE. ]r65 

chose pour dépenser gratuitement des sommes immenses , il fau- 
drait du moins un aveu du roi au sujet du remboursement » 

Il me semble que de l'idée d'un remboursement il n'y a pas loin 
à celle d'un dédonmiagement par la cession de provinces, et que de 
cette feçon le soupçon que j'ai osé exposer dans ma dernière très- 
humble dépêche commence déjà à se confirmer. 

[Ut in litteris.] 

Gustave. 



CXLIII. 

DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1). 

(îefle, ce 6 février 1792. 

Le roi de Suède vous aurait mandé aujourd'hui ]es conditions 
auxquelles le roi de Prusse voudra prendre part aux affaires du roi de 
France. Lui et l'empereur n'ont pour but premier que de démem- 
brer la France, et le roi de Prusse fait revivre la première propo- 
sition qu'il fit à l'empereur, pendant qu'il était encore en Italie ; 
ils veulent abuser de la détresse dans laquelle se trouvent LL. MM. 
Oe qui les terrasserait et rendrait tous leurs projets inutiles, ce se- 
rait que LL. MM. eussent le bonheur de se sauver, car, sans cela, 
ces deux princes alliés leur tireront pied ou aile. 

Un nommé la Villette y a été envoyé aussi pour les mêmes né- 
gociations ; il a été autrefois au service du roi de Prusse. Celui- 
là a été encore plus malmené que le premier, puisqu'il a reçu 
ordre de quitter tout de suite et Berlin et les États du roi de Prusse. 
On voit par là que ce prince est bien intentionné, mais il veut être 
sûr d'une indemnisation, et l'empereur la lui .promet s'il veut coo- 
pérer avec lui et exclure, s'il Je peut, les cours du Nord. Il y a 



(1) Lettre en chiffre ; déchii&ée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
27 février, reçu ; rép, le 4 mart. • 



166 LE COMTE DE FERSEN 

longtemps que Temperear aurait agi en fayeur de la France , s'il 
avait pu j parvenir. Le roi de Saède est très-informé de Tindiscré- 
tion des princes à Coblence et ne leur confie rien. J'ai oublié de vous 
dire que l'Escars est parti pour Copenhague avec Corral et va ré- 
venir après la diète. 



CXLIV. 

DU COÎfTE DE FERSEN A MARIE-ANTOINETTE (1). 

Ce 6 féTiier 1792. 

Il faut absolument vous tirer de Tétat ob vous êtes , et il n'y a 
que des moyens violents qui puissent vous en tirer Le petit ar- 
chiduc a dit à Tordre^ aux officiers^ qu'il allait en recevoir, pour que 
tout fût prêt ici pour le P'mars, que 6,000 hommes étaient déjà 
partis et que 14,000 autres allaient les suivre ; que la guerre contre 
la France paraissait sûre. M. de Mettemich a dit qu'on allait enfin 
changer de langage, qu'il n'attendait que la décision du conseil du 
Brabant, sur les personnes dernièrement arrêtées, pour remettre 
une note très-forte sur ce siqet & M. de la Gravier e. Il a ajouté 
qu'on apprendrait bientdt des nouvelles de Prusse, plus intéressantes 
que celles du suicide de M. de Ségur. Malgré cela , je ne croirai à 
rien de la part de l'empereor avant d'en voir des effets. 

On dit qu'on veut que le roi oppose son veto au décret sur les 
passeports. Ceux qui conseillent cet acte veulent ensuite le présen- 
ter comme un acte de liberté, et je crois que le roi doit sanction- 
ner. Les factieux présenteraient le refus comme une preuve qu'il 
veut s'en aller et en conserver les moyens , et comme ce décret est 
une chose vexatoire qui pèse sur le peuple surtout, à cause du pa- 
pier timbré, il faut lui en laisser sentir tout le poids. D'ailleurs, 
malgré le veto du roi, les jacobins, par leur infiuence, feront 

(1) D'apits la miniite de la main dtr comte de Fersen, qui a écrit en marge : A la reine. 



BT LA COUR DE FRANCE. 167 

vexer les voyageurs. Le veto ne sera bon à rien, et Ton sera toujours 
obligé de prendre des passeports. Le roi peut allouer, contre les 
conseils du veto^ le désir qu'il a de prouver qu'il ne veut pas 
s'en aller. 



CXLV. 

DU COMTE DE FERSEK AU BARON DE TAUBE. 

BraxeUeSj oe 14 féyrier. 

Mon cher ami. Tout est changé de nouveau, et je pars dans une 
heure pour Paris. H sera peut-être nécessaire que, pour éviter tout 
soupçon, je fasse un point vers l'Espagne. Dans tous les cas, je 
serai ici pour le 23 ou 25. 

M. de Simolin est ici; il va à Vienne, de la part de la reine, 
pour dire à l'empereur leur véritable position, leurs désirs et le pres- 
ser d'agir. Dans la conversation qu'il a eue avec eux , la reine lui 
a dit : Dites à l'empereur çt^il n'y a rien à craindre pour nous; 
la nation a besoin du roi, et que aonJUè vive, qu'il faut sauver; 
et quant à moi, je ne crains rien., Jaime mieux me soumettre à tout, 
que de vivre plus longtemps dans F état d avilissement où je suis, et 
tout me paraît préférable à F horreur de notre position* 

Mon ami, ces paroles sont significatives, et Simolin les a man- 
dées à l'impératrice. La reine lui a aussi écrit sur le voyage de Si- 
molin. Elle a écrit de même à l'empereur et au prince de Eau- 
nitz une lettre charmante pour les prier d'avoir confiance entière 
dans monsieur de Simolin. J'attends de bons effets de cette dé- 
marche. 

(1) Lettre en chiiEre, déchifErée de la main du baron de Taube. 



168 LE COMTE DE FERSEN 



CXLVL 

DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FBRSEN (1). 

Gefle, oe 16 février 1792. 

Le roi de Suède fait écrire avec la poste, aujourd'hui , à Staël un 
ordre de ne point revenir en Suède, et qui doit le trouver à Ham- 
bourg, au cas qu'il prît le parti de revenir ici, qui est contre les 
ordres du roi. Le roi est fort content des lettres du roi de Prusse, 
mais il est désespéré du mémoire que la reine (2) s'est laissé for- 
cer à écrire à l'empereur, surtout après les lettres qu'elle vient d'é- 
crire si récemment aux autres souverains. D'abord, elle ser^ dupe 
des coquins qui lui ont arraché ce mémoire, car ils la trahiront ; puis 
ils ont appris qu'elle a des moyens de correspondance qu'ils épie- 
ront , et qu'à la fin ils intercepteront. L'on peut d'ailleurs être as- 
suré que l'empereur fera mauvais usage de ce papier, malgré la 
lettre particulière que la reine lui a écrite. Le roi de Suède vient 
d'en prévenir l'impératrice avec la poste, afin qu'elle n'en soit pas 
trompée par l'empereur. Je désapprouve fort ce que vient 
là de faire la reine , car qu'est-ce qui a pu la forcer à entrer en 
négociation ou pour parler avec Barnave et consorts ? D'ailleurs, 
mon ami, celui qui entreprend de tromper trop de monde à la fois, 
ne trompe à la fin personne. La reine n'a qu'un rôle à jouer, tant 
qu'elle reste enfermée en France, qui est de ne jamais se confier 
à un Français tant qu'elle reste en France, le crût-elle même bien 
intentionné ; mais elle doit faire accroire à tout le monde et à tout 
venant qu'elle ne veut vivre que d'après la constitution dans tous 
ses points. C'est la seule manière d'endormir les rebelles. 

Je sens, mon ami , qu'il sera impossible de vouloir séparer le roi 
de France de la reine et du Dauphin ; je sens aussi la nécessité qu'ils 
restent ensemble; mais, pour Madame Elisabeth et la petite, je 



(1) Lettre en chiffre, déchifErée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 17 
mari 1792 reça; le 21 mars, rcp, 

(2) De France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 169 

ne vois pas qn^l soit nécessaire de les prendre avec, ni même de 
les prévenir du départ : toute confidence sur ce point est trop ris- 
qnable. D'ailleurs , ils ne risqueront rien à rester ; la rage des re- 
belles ne se portera jamais contre elles. Ce qui me chagrine le plus, 
c'est de voir que rien n'avance et que tout se borne à des intri- 
gues , à des négociations sans aucun résultat. Le roi n'entend par- 
ler d'aucun secours pécuniaire du côté d'Espagne^ et sans l'argent 
il est absolument impossible qu'il puisse faire marcher son armée 
ni ses vaisseaux. Un autre malheur est celui que la saison est 
très-rude cette année, de manière que nos ports ne seront proba- 
blement ouverts qu'à la fin du mois de mai. D'ailleurs l'armée de 
terre et de mer est en état complet de marcher; il ne faut que 
l'argent pour la mettre en mouvement, et pour l'achat des pro- 
visions de bouche, et pour les chevaux du train d'artillerie, et 
pour les bagages. 



CXLVII. 

DU COMTE DE FLOKIDA BLANCA, MINISTRE-PRESIDENT d'eSPAGNE, 
A M. ZINOWIEFF, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE DE RUSSIE A MADRID , DU 
20 FÉVRIER 1792 (ï). 

Les idées et les réflexions contenues dans les dépêches que 
M. de Zinowieflf a reçues de sa cour sont si conformes à la façon de 
penser du roi, qu'il ne paraît point nécessaire de s'arrêter à exa- 
miner et à prouver la solidité de leurs fondements. 

La dépêche dont l'extrait nous a été communiqué est divisée en 
trois parties : la première, où l'on propose au roi d'appuyer avec l'em- 
pereur et le roi de Prusse le plan en six articles que la cour de Russie 
a formé, et solliciter qu'il soit adopté des deux souverains , en trai- 
tant de son exécution prompte ou de celle d'un autre qui pourrait 



( 1 ) D'après une copie retrouyée parmi les papiers du baron d'EhrensTaerd, envoyé de 
Saède à Madrid, 1787-1799. 



170 LE COMTE DE FERSEN 

remplir les intentions et les désirs des puissances d'éviter par les 
moyens les plus efficaces les extrémités de la révolution de France ; 
la deuxième^ où il s'agit de faciliter au roi de Suède des subsides pé- 
cuniaires pour le mettre en état d'opérer sans délais avec les prépa- 
ratifs et les armements qu'il a tout prêts; et- la troisième^ où il est 
question de recommander et de protéger auprès des cantons suisses, 
l'acquisition de troupes pour les princes français; tout comme 
S. M. I. de Bussie le fera auprès des potentats d'Allemagne par le 
moyen de l'empereur et du roi de Prusse. 

Le roi a pris la résolution de recommander et d'appuyer, ainsi 
qu'on le propose dans la première partie, le plan en six articles dans les 
termes et avec les explications dont chacun d'eux est accompagné 
accommodées à la variation des temps et des circonstances survenues , 
et qui peuvent survenir : une telle prévoyance et précaution étant 
nécessaire pour éviter les erreurs dans lesquelles, fitute d'en avoir, 
l'on pourrait tomber. 

Pour ce qui est des subsides pécuniaires dont il s'agit dans la 
deuxième partie, les intentions et les dispositions du roi sont exprimées 
dans la réponse séparée, et le roi s'arrangera directement avec le 
roi de Suède, et avec les princes ses cousins, qu'il se propose de 
secourir autant que l'état de ses finances, les dépenses qu'il est 
et sera forcé de faire pour ses préparatifs intérieurs et pour ceux 
des frontières, et de la guerre actuelle contre le roi de Maroc, lui 
permettront. 

Enfin, S. M. appuiera aaprès des cantons suisses, ainsi qu'il est 
proposé dans la troisième partie, tout ce qui conviendra à Ja 
cause commune, en faisant passer tous les bons offices que les cir- 
constances exigeront, après qu'on les aura bien examinés, et que 
l'on sera bien assuré de la disposition qu'il y aura de maintenir et 
de remplir les conventions qui seront faites avec lesdits États. 

C'est ce que le comte de Florida Blanca a l'honneur de répondre 
à M. de Zinowieff pour qu'il en fasse part à sa cour, et qu'il 
veuille bien marquer à S. M. l'impératrice de Bussie la gratitude 
et les sentiments d'amitié dont le roi est pénétré pour cette prin- 
cesse aussi généreuse qu'incomparable. 

Aranjuez, oe 20 février 1792. 



ET LA COUR DE FRANCE. 



171 



CXLVIIL 

EXTRAIT d'une DjSpÊCHE DE LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG A 
m/zINOWIEFF, BNYOTi de RUSSIE A HADRID, COMMUNIQUÉ A LA 
COUR DE MADRID, ET LES RÉPONSES DE CETTE DERNIÈRE COUR SUR 
LES DIFFÉRENTS ARTICLES. 

(Annexe à la dépêche précédente, du ccmte de Flcrida Blanca à 
M. Zinewiejf^ du 20 février 1792.) 



1» 



l« 



Le roi fournira anx princes , consins 
de 8. M., pour leur soutien, un contin- 
gent qu'il fixera dès & présent, suivant 
que les circonstances actuelles le lui per- 
mettront ; ayant en considération que les 
idées d'armements de ces princes seront 
évanouies par une suite de la dispersion 
des émigrants et des dispositions de 
rélecteur de Trêves et autres, et de 
celles de Tempereur et du roi de Prusse, 
pour qu'ils ne se rassemblent point. 



Les puissances concertantes convien- 
draient d'un contingent en argent que 
chacune d'elles fournirait proportionnel- 
lement aux intérêts de parenté, de voisi- 
nage et des liaisons politiques qu'elles 
ont au soutien de la bonne cause. Le 
fonds qui en résulterait serait principa- 
lement destiné & l'entretien des princes 
et de leur parti , ainsi qu'à fournir aux 
frais des armements qu'ils seront dans 
le cas de faire. 



2» 



2o 



Le roi est parfaitement d'accord sur 
ce point. 



L'empereur, ayant une armée assez 
considérable dans les Pays-Bas , se con- 
tenterait de la faire répartir de manière 
qu'elle puisse contenir les Français dans 
leurs frontières de ce côté ; mais il renfor- 
cerait ses troupes dans le Brisgau, de 
même que le roi de Prusse dans ses pos- 
sessions sur le Rhin , conformément à ce 
que les princes émigrés ont proposé à 
cet égard. 



3« 



3» 



S. M. se conformera aussi à tout ce 
qui est ici proposé. 



L'Espagne et la Sardaigne garniraient 
leurs frontières d'un nombre de troupes 



172 



LE COMTE DE FERSEN 



40 



A regard du 4« point Ton sait avec 
certitude que le Roi Très-Chrétien désire 
très-sincèrement que nulle irruption ne 
soit faite. D'ailleurs, il doit être bien 
difficile de contenir les émigrants et les 
puissances limitrophes armées, dès que 
les Français révolutionnaires montre- 
ront des dispositions pour une agression 
prochaine, qu'il vaut mieux prévenir 
qu'attendre. C'est pourquoi il convient 
de se borner sur cet article àce qui est 
proposé dans la réponse au 6« point, 
où il s'agit d'un congrès armé. 



proportionné à leurs facultés et con- 
venu d'avance avec S. M. l'empereur 
et S. M. le roi de Prusse. Toutes ces me- 
sures respectives devraient être prêtes 
avec le printemps prochain, afin de ne 
pas manquer la première occasion fa- 
vorable qui se présentera, pour les dé- 
ployer convenablement. 



40 



Les troupes des puissances combinées 
n'auront pas besoin d'agir hostilement 
dès le premier moment, si cela ne leur 
convient pas ; mais elles seront postées de 
manière à pouvoir de tous côtés pro- 
téger les opérations des émigrés et de 
ceux qui se déclareront pour eux ; de ma- 
nière qu'en cas d'événements ils puissent 
avoir une retraite sûre et recevoir les se- 
cours dont ils pourraient avoir besoin , 
soit en vivres, soit en munitions de 
guerre. 



50 



L'on doit répéter sur ce point ce qui 
a été dit dans la réponse au précédent. 



5« 



Comme par plusieurs considérations, 
et entre autres pour n'avoir pas trop 
longtemps à porterie fardeau de l'entre- 
tien des émigrés, et pour ne pas laisser 
s'éteindre l'ardeur qu'ils montrent à pré- 
sent, leur activité ne doit pas être trop 
longtemps suspendue, il serait bon de 
les mettre en action aussitôt que le roi 
de Suède sera en état de paraître du 
côté dont on sera convenu, ce qui pourra 
s'effectuer sans faute dès le commence- 
ment du printemps prochain. 



Il n'y a nulle difficulté pour la tenue 
d'un congrès, que l'empereur a toujours 
désiré , quoique l'on ignore si c'est d'a- 



Comme le roi et la reine de France 
paraissent désirer le rassemblement d'un 
congrès sous prétexte des affaires d'A- 



ET LA COUR DE FRANCE. 



173 



près le souhait du roi et de la reine de 
France, et si rambassadeur & Vienne 
en a fait ou non la proposition formelle. 
Le roi fera partir, pour se trouver au 
congrès avec des instructions et des 
pouvoirs suffisants, le chevalier Onis, 
déjà désigné pour cette commission. Le 
congrès devra commencer ses sessions 
le 1^ de mai ou avant , si les plénipo- 
tentiaires se trouvaient assemblés plus 
tôt; et les délibérations devront finir 
avec la fin du mois de juin. II est de 
toute nécessité d*y assigner un terme.fixe 
improrogeable; car autrement il pour- 
rait s'en suivre les plus grands maux 
de la dilation. 



vignon et de celles des princes d'Alle- 
magne poBsessionnés en France, et que 
Tambassadeur de France, à ce que nous 
apprenons, en a fait la proposition for- 
melle & la cour de Vienne, cette mesure 
paraît excellente à adopter en ce qu'elle 
peut favoriser la marche des troupes , 
attendu que toute négociation autorise 
un certain appareil militaire , propre à 
la soutenir. Il faudrait seulement que 
l'assemblée de ce congrès fût fixée à 
un des mois de l'hiver courant ou au 
commencement du printemps, pour pou- 
voir ouvrir, dès rentrée de cette der- 
nière saison', les opérations militaires, 
si elles peuvent avoir lieu. 



Les difficultés peuvent rouler sur Tobjet, le motif ou Tapparence 
qu'il faudra donner au congrès ; sur les divers points que l'on devra 
7 traiter et arrêter ; sur la combinaison à £ûre de sa tenue avec les 
apprêts et les opérations militaires^ et sur la manière de s'entendre 
avec la France^ afin que les décisions et les arrêtés des puissances 
concourantes y aient leur effet. Ces points-ci sont plus scabreux et 
plus difficiles qu'ils ne semblent; cependant le roi dira ce qu'il y 
entend et S. M. le proposera aux cours de Vienne et de Berlin, et 
à celles de Turin et de Naples, dans la vue de savoir si elles se 
conformeront, et si les deux premières veulent passer leurs offices 
auprès des princes, potentats ou puissances, avec qui dles sont en 
relation ou ont une influence. 

L'objet que l'on doit présenter et proposer pour un congrès, c'est 
que les puissances et potentats qui auront à se plaindre de la con- 
duite et des résolutions du gouvernement actuel de France, pour des 
usurpations de biens et de droits, des infractions des traités, des vio- 
lations de territoires, des insultes ou des men ées réelles ou verbales 
contre les pouvoirs légitimes, soient invités de les exposer audit 
congrès, pour y traiter de concert des moyens d'en obtenir la répa- 
ration et la satisfaction, et d'éviter la continuation de ces maux. 
L'on doit présenter d'abord l'idée de vouloir préférer les voies pa- 
cifiques aux violentes, l'intention des souverains n'étant point d'al- 
lumer une guerre, s'il est possible d'éviter autrement les désordres 
et les offenses. 



174 LE COMTE DE FERSEN 

L'objet du congrès ainsi rendu public, il est clair quels seront 
les points que l'on y traitera d'abord, puisque les princes de l'Em- 
pire pourront réclamer les droits que les traités leur donnent ; le 
Pape, l'usurpation d'Avignon ; l'Espagne, le dépouillement et la pri- 
vation des fitcultés, des biens et des rentes faites à plusieurs 
évéques et monastères, et l'infraction des traités dans plusieurs 
articles essentiels ; le roi de Sardaigne et l'empereur, et même les 
autres puissances et républiques auront à se plaindre des sugges- 
tions et des manèges pour soulever leurs propres sujets. Les pléni- 
potentiaires doivent être munis de pouvoirs et d'instructions sur le 

m 

tout. 

Mais le point le plus essentiel dont il faudra traiter, ce sera 
d'examiner, de concerter et de décider le moyen d'assurer qu'il y ait 
en France un gouvernement avec qui l'on puisse s'entendre, capa- 
ble de faire remplir les traités quelconques, les promesses, les stipu- 
lations, paroles ou satisfactions qu'il donnera ou devra donner aux 
puissances étrangères, sans qu'elles soient exposées aux insultes et 
aux contraventions que l'on essuie continuellement contre le droit 
public de l'Europe, par l'insubordination et les caprices qui subsis- 
tent actuellement dans ce royaume-là, sans que l'on voie un pouvoir 
qui suffise pour les contenir et pour y remédier. 

Ce point-ci fournira un motif juste soit pour régler en France une 
autorité légitime, avec la force suffisante pour se faire obéir, soit 
pour laisser ce royaume-là et ses habitants hors du conmierce et 
de la communication générale des nations, soit pour déclarer 
comme finis, avec le même royaume, tous les traités^ et pour établir 
que chaque puissance étendra, restreindra, ou anéantira toutes les 
relations avec les Français, comme bon lui semblera, tout comme 
ils ont voulu le faire par leurs décrets. 

n est bon de prendre ici en considération les derniers décrets de 
l'Assemblée, celui surtout du 14 janvier qui déclare infâme et traî- 
tre tout Français ou agent du pouvoir exécutif qui prendra part di- 
l'ectement ou indirectement à un congrès dont l'objet serait ou d'ob- 
tenir la modification de la constitution , ou une médiation entre la 
nation française et ceux qu'elle nomme rebelles,* ou un arrange- 
ment avec les princes d'Allemagne qui avaient des possessions en 
Alsace. Ce décret et sa communication aux puissances étrangères, sanc- 
tionnés et accomplis par le Roi Très-Chrétien, avec déclaration qu'il 



ET LA COUB DE FRANCE. 175 

regardera comme ennemi tout prince qui voudra offenser la consti- 
tutioUy exigent toute la réflexion des souverains, et donnent occasion 
à l'idée insinuée d'examiner et de décider s'il convient de laisser 
hors de tout commerce et communication politique avec le reste de 
l'Europe une nation qui n'admet pas d'autres règles que ses propres 
délibérations, même par rapport aux droits et aux intérêts des puis- 
sances étrangères. 

C'est pourquoi il serait juste d'inviter toutes les puissances au 
congrès, et particulièrement toutes celles qui intervinrent à la paix 
de Westphalie et à celle d'Utrecht, ou qui en furent les garants ; 
pour examiner si l'on doit laisser subsister cette nouvelle manière 
d'agir contre le système reçu par les puissances de l'Europe, et 
mettre chaque nation en liberté de faire ce qu'elle voudra, malgré 
les traités. 

Il reste & combiner les opérations militaires avec la tenue du con- 
grès. Le roi est d'accord, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que toutes 
les puissanees limitrophes se préparent et approchent des frontiè- 
res des forces capables d'en imposer, de résister k quelque agres- 
sion, et de soutenir les résolutions du congrès. Il convient aussi que 
le roi de Prusse, comme allié de l'empereur, place ses troupes 
dans l'endroit indiqué, et que tous soient prêts pour s'entr'aider 
et pour agir en cas de besoin. 

Mais il est déjà difficile, s'il n'est pas impossible, que les princes 
et leurs émigrants se réunissent en corps d'armée, capable de faire 
une entrée utile en France. Leur dispersion, autorisée et promise 
par l'empereur et par les électeurs de Trêves et de Mayence, a changé 
les circonstances. Les instances du Roi Très-Chrétien pour qu'on 
s'abstienne d'une telle irruption , parvenues au roi par des voies 
très-sûres , sont un obstacle de plus pour la réunion et l'entrée des 
princes, et pour accepter d'abord la bonne volonté des troupes et 
des forces auxiliaires du roi de Suède. 

C'est pour cela qu'il semble que l'on doit concerter, dans le 
congrès même, les opérations militaires, et une garantie récipro- 
que des puissances, en cas qu'elles seraient attaquées; et l'on agira, 
en attendant, suivant que la conduite de la France l'exigera, en 
répandant des manifestes et des idées tendantes à persuader le 
peuple de cette nation-là, et même les troupes, qu'il ne s'agit pas 
de leur faire la guerre, mais de protéger leur véritable liberté, la 



176 LE COMTE DE FERSEN 

sûreté de leurs persoimes et de leurs biens , et leur bonne corres- 
pondance, leur commerce et leurs droits avec les autres nations. 

n peut convenir à cette fin de conseiller de retourner chez eux tous 
les émigrés qui n^auraient à courir ni à craindre avec fondement 
des risques imminents à leur retour ; car ils seraient peut-être d'une 
plus grande utilité à la cause commune en appuyant et en répan- 
dant lesdites idées ou maximes des puissances assemblées , dissimu- 
lant et cachant toujours que l'objet et le but soient de détruire la 
constitution. Une nation qui a reçu et nourri généralement cet en- 
thousiasme doit être attirée par des moyens indirects et obliques. 
Tant que Ton n'agira pas avec cette précaution, la violence des 
armes hors de saison ne servira qu'& réunir les peuples, et à les 
obstiner contre la force même. 

U reste enfin la façon de s'entendre avec le Boi Très-Chrétien , et 
sur ce point le Boi pense qu'en lui faisant part de l'objet du con- 
grès, dans des termes ostensibles et modérés, ainsi qu'il a été ex- 
posé dans cette réponse , on lui dise que tout comme il appartient 
aux puissances assemblées de traiter des moyens de réparer et d'éviter 
des dommages qu'elles essuient, il appartient de même audit mo- 
narque d'examiner et décider s'il lui convient d'envoyer des per- 
sonnes qui le représentent pour l'intérêt de la France. Ce der- 
nier pas ne devrait pas se &ire jusqu'à ce que le congrès serait 
assemblé, et qu'il aurait concerté quelques préliminaires, et celui 
de la garantie réciproque surtout. 



CXLIX. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DB TAUBB (1). 

BrnzelleB, oe 26 féTzier 1792. 

Je suisde retour ici, mon cher ami, depuis avant-hier à quatre heures 
du matin, et j'ai trouvé vos deux lettres du 26 janvier et 2 février. 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main dn baron de Tanbe. 



ET LA COUR DE FRANCE. 177 

Je suis parti d'ici le 11, et je suis arrivé & Paris sans aucune diffi- 
culté, le 13, à six heures du soir. J'ai vu LL. MM. le soir, et encore le 
lendemain au soir, à minuit Je suis reparti et j'ai été obligé, pour 
éviter les soupçons, d'aller jusqu'à Tours, et revenir par Fontaine- 
bleau. J'étais de retour à Paris le 19, à six heures du soir ; je n'ai point 
osé risquer d'aller au Château. J'ai écrit pour savoir si on avait des 
ordres à me donner, et je suis parti le 21, à minuit. Comme on m'avait 
prévenu qu'il y avait des difficultés pour sortir, à cause des passeports 
que les municipalités exigent, quoique le roi n'ait pas sanctionné, et 
que beaucoup de monde avait été arrêté, j'ai pris le parti de faire part 
de mon voyage au chargé d'affaires, et je me suis fait donner par 
lui un passeport de courrier et un de M. Lessart. C'est ce qui a re- 
tardé mon départ, et je suis resté caché pendant ce temps. J'ai été 
arrêté plusieurs fois, mais pas reconnu, quoiqu'on examinât fort, et 
dans un petit village de dix à douze maisons on voulait nous arrêter, 
parce qu'il n-'y avait pas le signalement sur le passeport, et ce n'est 
qu'à force de leur dire que nous étions courriers et étrangers qu'ils 
nous ont laissés passer, après y être restés près d'une heure. Mais il 
est impossible que jamais mon voyage soit connu. 

Je suis assez content de ma course , quoique je n'aie pu occasionner 
ce que le roi (1) désirait. La fuite est physiquement impossible en ce 
moment, à cause de la surveillance qui est extrême. Us sont gardés 
à vue, et on visite tous les bâtiments qui partent. Mais j'ai eu d'autres 
explications dont le roi sera content, et dont j'enverrai les détails 
par le premier courrier. 

M. de Goltz, à Paris, se conduit fort mal, et LL. MM. en sont très- 
mécontentes ; il est fort lié avec M. Péthion , et il n'exécute que très- 
faiblement les ordres qu'il reçoit de sa cour. H n'a rien fait pour le 
courrier du roi de Prusse , qui a été arrêté à Metz, et qui s'est cru 
obligé de brûler ses dépêches ; de sorte que la déclaration du roi de 
Prusse, conforme à celle de l'empereur sur les princes d'Allemagne, 
n'a pas encore été faite, et M. de Goltz ne tient pas même à Paris 
le langage qui lui est ordonné par sa ceur. 

(1) De Suède. 



T. n. 12 



178 LE COMTE DE FERSEN 



CL. 



DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Stockholm, ce 28 février 1792. 

L'impératrice n'a pas reçu aussi bien M. de Bombelles que je 
l'aurais désiré ; Esterhazy l'a trop prévenue en faveur des princes, et 
elle croit que la reine veut exclure les princes de toute participation 
à son rétablissement, et qu'en aidant les princes et les émigrés avec 
de l'argent, cela sera suffisant pour dompter les rebelles. Esterhazy 
a eu l'art de lui faire accroire cela ; l'impératrice vient cependant d'é- 
crire une lettre au roi (2), dans laquelle elle lui dit qu'il faut un 
congrès pour forcer encore davantage l'empereur à agir; die veut 
aussi avoir ce congrès armé et qu'il soit assemblé encore cet hiver. 
Dans une entrevue particuUère que Bombelles a' eue avec elle, elle a 
versé des larmes, lorsqu'il lui a conté les malheurs du roi et de la 
reine de France. Je vous préviens, mon ami, que Stedingk ne connaît 
point la correspondance particulière entre l'impératrice et notre roi, 
ni le comte de Stackelberg, qui est ici; il paraît au roi que Stedingk 
penche trop pour Esterhazy. Vous connaissez la lettre du roi de Prusse 
au roi de Suéde, elle est parfaite, et je crois ce prince de bonne foi ; 
mais l'empereur agira toujours en Florentin, et, malgré toutes les pro- 
messes et les assurances qu'il donne, il nous trompera tous, et soyez 
persuadé, mon ami, que si l'on ne fournit pas au roi de Suède, avant 
la mi-avril, deux millions d'écus de banque de Hambourg pour 
mettre sa flotte et son armée en mouvement , rien ne se fera ni ne 
sera entrepris ; car s'il n'y met le bras, le tout finira par des pro- 
messes et quelques déclarations inutiles, qui ne feront peur à per- 
sonne. 



( 1 ) Lettre en chiffre , déchiffrée de la main du comte de Fersen , qui a écrit en marge : 
23 mars reçu; rép. h 1*' arrxL 
(•2) De Suède. 



ET LA COUR DE FRANCE. 179 



CLL 



DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE HI (1). 

Bruxelles, ce 29 février 1792. 

Sire, 

Le baron de Taube doit déjà avoir eu l'honneur de mettre sous les 
yeux de V. M. les détails de mon voyage ; il sera donc inutile de les 
répéter. 

J'avais apporté au roi et à la reine plusieurs extraits des dépêches 
de V. M. qui avaient rapport à ma mission et qui pouvaient servir à 
la faire réussir et' remplir les vues de V. M, J'ai trouvé le roi et la 
reine très-touchés de l'intérêt que vous preniez , Sire, à leur sort, et 
ils m'ont chargé d'en témoigner à V. M. la plus vive reconnaissance 
et combien le souvenir leur en sera cher et précieux ; ils ont senti à 
merveille combien une nouvelle fuite donnerait d'impulsion aux 
affaires, en facilitant la bonne volonté de leurs amis, et combien 
elle aurait d'avantages pour eux ; mais, quelque utile qu'elle pût être, 
LL. MM. sont trop convaincues que la réussite en est impossible en ce 
moment pour vouloir la tenter, et, quoique j'aie employé et cherché vis- 
à-vis d'elles tous les moyens possibles, je suis forcé de convenir 
que, d'après l'inquiétude et la vigilance extrême qui règne autoiu» d'eux 
et dans le royaume, d'après l'exécution partielle du décret sur les passe- 
ports qu'on se permet même dans des villages , je crois cette faite im- 
possible. La reine surtout en sentait vivement tout l'avantage et m'a 
assuré que la mauvaise réussite de leur première tentative à cet égard 
ne les arrêterait jamais sur une seconde ; mais LL. MM., n'y voyant 
pour le moment aucune probabilité de réussir, s'y sont refusées abso- 
lument. Elles ont cependant consenti à la tenter lorsque les forces des 
différentes puissances seraient réunies sur la frontière et pourraient 
leur servir dé point d'appui ou les protéger, au cas d'un événement 
comme celui du mois de juin. Le plan que j'avais proposé à cet effet 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre. 



180 LE COMTE DE FERSEN 

était de passer toujours par les forêts de chasse, de se faire mener en- 
suite de la même manière par des contrebandiers jusqu'à la frontière ; 
de se faire rencontrer à dix ou douze lieues de la frontière par un dé- 
tachement de cinquante hommes de troupes légères d'une des armées, 
qui assurerait leur sortie, tandis que cette armée se tiendrait prête à 
avancer pour les soutenir, si besoin était. Je m'étais assuré auparavant 
de la possibilité d'une fuite de ce genre, et LL. MM. ont goûté cette 
idée et ont consenti à la suivre, si elles voyaient que dans le moment 
une telle démarche présentât de grands avantages. 

Je présentai ensuite au roi les deux manières d'opérer pour le con- 
grès qui sont contenues dans le mémoire ci-joint ; il préféra la se- 
conde, en me disant que c'était celle qui lui présentait le plus de 
chances pour se joindre au congrès. Je lui représentai cependant 
qu'il pourrait arriver que les rebelles consentissent aux demandes 
des puissances plutôt que de les voir se mêler de leur constitution, 
et avec la mauvaise foi de l'empereur la bonne volonté des puissances 
amies pourrait se trouver enchaînée , sous le prétexte qu'ayant tout 
obtenu, il ne restait plus rien à demander. Alors il me répondit : 
Mais c'est alors le cas et insister sur ma liberté, sur ma sortie de Paris 
et ma présence dans un lieu indiqua, pour y signer et ratijîer les enga^ 
gements qtie j'aurai pris avec les puissances, et si, comme je le crois, je 
ne puis V obtenir, les puissances seront alors libres dagir en ma fa- 
teur. 

Un autre objet sur lequel j'ai cru intéressant de m'éclaircir était la 
latitude que le roi voulait donner à la liberté des puissances pour 
agir, tant qu'il serait retenu à Paris par les rebelles, et le degré d'é- 
gards qu'il faudrait avoir pour sa sûreté personnelle et celle de sa fa- 
mille, s'il restait entre leurs mains. J'ai cru devoir lui présenter tous 
les dangers auxquels il pourrait être exposé; j'ai cru devoir lui pré- 
senter la possibilité qu'il fût emmené dans les Cévennes et placé par 
les rebelles & la tête d'une armée de protestants ; je lui ai présenté 
en même temps combien je croyais ces dangers affaiblis par la né- 
cessité dont sa conservation était aux factieux pour obtenir une 
meilleure capitulation, et, quant au projet des Cévennes, je pro- 
posai, dans le cas oti il se renouvelât, de le faire évanouir en faisant 
écrire par quelque personne affidée un pamphlet dégoûtant de déma- 
gogie et d'invectives contre lui et surtout contre la reine , où l'on pré- 
senterait le projet de les mener dans les Cévennes comme un moyen 



ET LA COUR DE FRANCE. 181 

imaginé par les aristocrates de les faire sortir de Paris pour les mener 
aux armées étrangères. Le roi fut de mon avis sur tous ces points, et 
il me dit que dans le cas où il ne pourrait sortir de Paris, ni par la 
fuite ni autrement, il désirait que les puissances n'eussent aucun 
égard pour ses dangers personnels ; qu'il voyait comme moi sa sû- 
reté dans l'intérêt que les rebelles avaient à sa conservation et qu'il 
emploierait tous les moyens possibles pour ne pas être emmené 
hors de Paris ; que les brochures démocratiques l'avaient déjà très- 
bien servi à cet égard, et que, s'il était nécessaire, il emploierait celui 
que je venais de lui indiquer. Le roi me parut en tout très-décidé à 
n'arrêter les puissances sur rien, et la reine me répéta ce qu'elle avait 
déjà dit à M. de Simolin et que j'ai mandé au baron de Taube. Le 
roi me répéta la même chose pour lui. La reine me parla alors d'un 
objet de réclamation de plus pour les puissances, qui est le désar- 
mement des forces considérables que la France entretient et qui sont 
inutiles si elle n'a pas de projets hostiles. Cet article, ajouta-t-elle, ne 
pourra être accordé par l'Assemblée, quand même elle le voudrait ; il 
était contenu dans le mémoire que la reine a envoyé au mois de 
septembre à l'empereur, mais M. de Mercy ne nous en a jamais parlé. 
J'ai déclaré ensuite au roi, de la part de V. M., son intention, qui 
était conforme à celle de l'impératrice de Russie , de ne point souffrir 
en France l'établissement d'un gouvernement mixte ; de ne point 
composer avec les rebelles, mais de rétablir la monarchie et l'au- 
torité royale dans toute sa plénitude. La reine a saisi cette idée avec 
chaleur, et le roi, quoiqu'il le désirât, a eu l'air de croire qu'il serait 
diflSicile de l'obtenir; mais je n'ai pas eu de peine à lui prouver 
qu'avec le moyen d'im secours étranger, et m'ayant déjà assuré qu'il 
était impossible et qu'il était bien décidé à ne pas composer avec les 
rebelles, il n'y avait rien de plus facile; il a fini par en être con- 
vaincu et m'a assuré que son intention n'était pas de composer avec 
les rebelles, dont les uns, disaît-il, ne peuvent pas faire le bien et 
les autres ne le veulent pas. Mais il m'a prié en même temps de re- 
présenter à V. M. la nécessité où sa position le mettait de traiter avec 
eux en ce moment, de s'en servir et de faire tout ce qu'on exigeait 
de lui , quelque répugnance qu'il y eût. J'ai assuré le roi que V. M. 
sentait la nécessité de cette conduite et qu'elle l'approuvait, mais 
seulement comme un moyen de gagner du temps et de les endormir. 
Le roi demande aussi à. Y. M. de ne pas être surprise de toutes les 



182 LE COMTE DE FERSEN 

démarches qu'il pourrait être forcé de faire et de n'y jamais voir que 
l'effet de son malheur et de la contrainte où il est. Tout ce qu'il me 
dit là-dessus et sur l'abandon total où il était, privé de conseils et 
éloigné des gens sur l'attachement desquels il pourrait compter et 
qui pourraient lui être utiles, me toucha jusqu'aux larmes. Il voulut 
bien à cette occasion dire des choses très-touchantes et très-flatteuses 
pour moi. La reine me parla avec une sensibilité touchante de l'amitié 
et de l'intérêt que V. M. et l'impératrice leur témoignent et en fit la 
comparaison avec la conduite de l'empereur, qui ne fiit pas à son 
avantage ; elle en fit un rapprochement avec tout ce qu'ils ont éprouvé 
d'ingratitude dans l'intérieur des gens qui leur devaient tout et d'at- 
tachement de ceux qui ne leur devaient rien. Le roi m'a chargé de 
dire à V. M. qu'il n'avait sanctionné le décret sur le séquestre des 
biens des émigrés que pour éviter qu'ils ne fussent brûlés et pillés, 
ce qui n'aurait pas manqué s'il eût refusé ; mais qu'il est décidé à 
ne pas consentir qu'on s'en empare et qu'on en dispose comme biens 
nationaux. 

En tout j'ai trouvé le roi et la reine très-décidés à supporter tout, 
plutôt que l'état où ils sont, et, d'après la conversation que j'ai eue 
avec LL. MM., je crois pouvoir vous assurer, Sire, qu'elles sentent 
fortement que toute composition avec les rebelles est inutile et impos- 
sible, et qu'il n'y a de moyen pour le rétablissement de leur auto- 
rité que la force et des secours étrangers. 

Par l'extrait de la dépêche du vicomte de Caraman au baron de 
Breteuil, que j'ai honneur d'envoyer à V. M., elle jugera comme moi 
que les conjectures très-bien fondées sur les projets du roi de Prusse, 
relativement au remboursement des frais , se trouvent heureusement 
détruites et qu'il ne songe à être indemnisé qu'en argent. Ce prince 
paraît se livrer avec un intérêt vrai au rétablissement de la monar- 
chie française. Mais V. M. verra par cette dépêche une nouvelle 
preuve de la politique sourde et astucieuse du cabinet de Vienne. 
V. M. croira sans doute que, des différentes propositions faites par 
l'empereur, celle d'un congrès à Vienne doit être étudiée. Outre que 
ce rassemblement n'aurait pas vis-à-vis des rebelles l'aspect impo- 
sant d'un congrès ad hoc dans un lieu fixé et appuyé de forces im- 
posantes prêtes à agir, la distance locale , les ménagements que des 
ministres ou des ambassadeurs qui sont à Vienne depuis trente ou 
quarante ans, et qui y ont même contracté des alliances , se croient ob- 



ET LA COUR DE FRANCE. 183 

1 igés d'avoir pour cette cour, l'espèce de dépendance où d'autres y sont 
et la marche peu franche de l'empereur, — tout cela doit occasion- 
ner des retards, et V. M. croira sans doute que ce n'est même que sous 
ce point de vue que l'empereur le désire et pour pouvoir se rendre 
maître des délibérations et , en embarrassant la question , gagner du 
temps et éviter, s'il est possible, d'agir. M. de Mercy, à qui le baron 
de Breteuil en a parlé, lui a dit : Eh bien , si on ne vent pas dun con- 
grès à Vienne^ il n'y a qu'à le placer à Madrid. Cet emplacement me 
paraîtrait préférable, quoique la distance locale fût encore plus 
grande; mais je persiste à croire qu'il serait plus utile, plus impo- 
sant et d'un effet plus assuré à Aix-la-Chapelle ou Cologne, éloigné 
des intrigues et de l'influence d'une cour et assez rapproché de L. M. 
Très-Chrétiennes pour être en peu de temps informé de leurs inten- 
tions et assuré de leur coopération. 

L'observation du vicomte de Caraman sur l'article qui regarde la 
liberté du roi rentre absolument dans l'idée du roi de France ; et, 
en effet, une telle demande aurait plus de poids lorsque toutes les 
forces seraient rassemblées et auraient imprimé* la terreur qu'elles 
doivent produire en tout. L'objet principal me paraît être l'arrivée des 
troupes de toutes les puissances et leur accord sur cet objet. Cette dé- 
marche une fois faite, elles ne pourront plus reculer, et il sera aisé 
ensuite de s'entendre avec le roi de France et d'opérer en consé- 
quence, surtout depuis qu'on est rassuré sur les vues d'agrandisse- 
ment du roi de Prusse. Le roi de France doit lui envoyer incessam- 
ment une ratification des engagements que le baron de Breteuil a 
<;ontractés en son nom et une obligation pour le remboursement en 
argent des frais de la guerre. 

Je viens de recevoir la dépêche que V. M. m'a fait l'honneur 
de m'envoyer du 6 de ce mois et je me conformerai aux ordres 
qu'elle me donne relativement au sieur Bergstedt. V. M. aura déjà 
vu par ma lettre au baron de Taube ce que je pense de lui. 

La reine vient d'écrire une lettre à la reine de Naples et à celle de 
Portugal ; on dit cette princesse bien intentionnée et disposée & four- 
nir de l'argent. Le chevalier de Bressac doit y aller, pour traiter cet 
objet. 



184 LE COMTE DE FERSEN 



CLII. 



DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III AU COMTE DE FERSEN (1). 

Stockholm, ce 2 mars 1792. 

Monsieur le comte de Fersen. J'ai reçu votre lettre du 5 février 
et je suis entièrement de votre avis sur les raisonnements qu'elle 
contient. Je crois très-utile que le roi de France écrive au roi d'An- 
gleterre, en le priant de ne point s'opposer aux efforts que feront 
les puissances pour sauver S. M. Très-Chrétienne ; cette démarche ne 
pourra que faire un excellent effet. Je persiste à regarder la fuite 
du roi de France comme absolument nécessaire , et, depuis que par 
le décret sur les passeports votre voyage, périlleux qu'il était, de- 
vient impossible, je crois que la seule mesure qui reste à prendre 
pour le roi est de se confier à des Anglais , et le sieur Crawford 
pourrait servir LL. MM. Très-Chrétiennes pour aider cette importante 
mesure. Le marquis de Bouille me mande qu'il leur a proposé le même 
chemin pour s'enfuir et qu'il n'en a pas reçu la moindre réponse; il 
faut que cette mesure soit bien bonne puisqu'elle nous est venue 
en même temps en pensée. Si le roi de France voudrait étendre sa 

(2) pour le roi d'Angleterre plus loin , il me paraît que vous 

seriez la personne la plus propre pour en être chargée , et, depuis que 
vous ne pouvez aller à Paris, votre proximité de l'Angleterre fa- 
voriserait ce projet. Dans ce cas, je vous enverrai une lettre de 
main propre pour le roi d'Angleterre, qui vous servirait de lettre de 
créance. En attendant , je ne reçois nulles nouvelles de l'Espagne. 
La saison avance, et rien ne se fait. Il faudra voir ce que la présence 
du prince de Nassau opère à Pétersbourg. Il paraît toujours que les 
dispositions y continuent & être favorables. Sur ce, je prie Dieu qu'il 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée. Le comte de Fersen a écrit en marge : 26 reçw; rqj. le 1 
avril, 

(2) Ici manque un mot. 



ET LA COUR DE FRANCE. 185 

TOUS aîty monsieur le comte de Fersen ; dans sa sainte et digne 
garde ; étant 

Votre très-affectionné, 

Gustave. 

A Monsieur le comte de Fersen, Bruxelles. 



CLIII. 

DE LA BEINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

N° 2. Ce 20 mars 1792. 

M. de Laporte ne reçoit plus de journaux depuis un mois. Je crains 
que vous ne m'ayez écrit par là, d'autant que j'ai vu dans une lettre 
de M. C. que vous l'adressez à moi pour des détails. Je n'ai rien reçu de 
vous depuis votre retour. H ne faudra plus se servir des journaux, 
il y a à croire qu'on les arrête. 

La dépêche de Vienne fait beaucoup de bruit ici ; pour moi , je ne 
la comprends pas. Je crains bien qu'il n'y ait encore de la mauvaise 
volonté, n est clair qu'il veut gagner du temps pour ne rien faire. 
M. Grog, vous a envoyé tous les papiers sur cela. Adieu. 



(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
6mar5 re^j rép, h 6. 



186 LE COMTE DE FERSEN 



CLIV. 

DU MARQUIS DE BOUILLIE AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III, 

LE 3 MARS 1792 (1). 

OBSERVATIONS SUR DIFFKRJEKTS POINTS DB DEBARQUEMENT SUR LES CÔTES DE FRANCE. 

Dunlierque et environs. 

On peut débarquer au vieux Mardik, à deux lieues dans l'ouest de 
Dunkerque ; mais on ne pourra faire mouiller à portée de ce point 
de débarquement que des transports et des frégates tirant de douze à 
quinze pieds d'eau au plus, encore ne sera-t-il prudent de l'entrepren- 
dre que dans la belle saison, et par im temps sûr et fait, ce mouillage 
étant en pleine côte et battu par tous les vents , depuis le nord-est 
jusqu'à l'ouest, en passant par le nord. On observera en même temps 
que les vents régnants dans ces parages, qui sont ceux du nord au 
nord-est, sont beaux et maniables communément aux mois de mai, 
juin et juillet, et que les bâtiments qui y seraient mouillés à cette 
époque seront bien peu exposés. 

La plage du vieux Mardik est de sable ; les chaloupes de descente 
peuvent toutes s'y échouer à la lame ; les bâtiments depuis six jus- 
qu'à dix pieds d'eau pourront protéger le débarquement avec du ca- 
non de huit livres de balle. Les transports seront mouillés hors de 
portée de canon de la côte. 

Le fort Mardik, qui est dans une demi-lieue dans l'est du vieux 
Mardik, n'est point en état de défense et ne pourrait retarder la 
marche des troupes qui iraient attaquer Dunkerque. Cette place 
est mal fortifiée et n'a qu'une simple enceinte en terre, mais dans 
quarante-huit heures on peut noyer les fossés et les glacis ; les 



(1) D'après roriginal dans les papiers du comte de Fersen. Ce mémoire est mentionné dans 
les mémoires du marquis de Bouille (^Collection des mémoires relatifs à la révolution fran" 
^aisey page 315 ), mais n'j est pas imprimé. 



ET LA COUR DE FRANCE. 187 

écluses sont en bon état. Bergues et Gravelines sont en bon état 
de défense. 

Calais et Boulogne. 

On pourra très-facilement débarquer entre Boulogne et Calais, 
près le cap Gris-Nez , à six lieues dans le sud-ouest de Calais. La 
plage est toute de sable, les frégates et même les vaisseaux de ligne 
peuve nt l'approcher à portée de canon ; on y mouille, ainsi qu'au 
vieux Mardik , en pleine côte , et on n'y a à craindre que les vents 
forcés bien rares dans la belle saison. 

Côte de Normandie entre Fécamp et le Havre de Grâce. 

L'intervalle de côte qui est entre Fécamp et le Havre joint à l'a- 
vantage d'être proche de Paris celui de donner beaucoup de facilité 
pour une descente. L'escadre et la flotte peuvent venir mouiller dans 
le nord d'Yport et d'Etretat, par les quinzes brasses fond de sable 
razard, à 3/4 de lieue de terre; quoique mouillées en pleine côte, 
elles y sont en appareillage de tous les vents et n'ont aucun risque 
& courir. 

Le débarquement se fera très-facilement à Yport et à Étretat, 
qui sont deux villages à environ une lieue de distance l'un de l'au- 
tre, situés dans deux gorges dont les abords n'offrent aucune dé- 
fense ; les chaloupes peuvent aller s'échouer à la lame, vis-à-vis de 
ces deux points, sur une plage de sable fort belle et fort unie. Les 
frégates et même les vaisseaux de ligne pourront protéger la descente 
de leur feu et faire taire, s'il est nécessaire, une mauvaise batterie 
de côte établie sur le point d'Etretat. La côte est saine dans toute 
cette partie ; il y a seulement sur le cap d' Antifer trois roches qui 
découvrent et qui sont à environ un quart de lieue au large. 

Les troupes débarquées tant à Yport qu'à Etretat ne trouvent aucun 
obstacle pour gagner les hauteurs de Sainte-Adresse, d'où on domine 
à portée de canon la ville et le port du Havre. Il semble hors de 
doute que dans cette position , avec trois ou quatre mortiers, on ré- 
duirait bien promptement la ville, si, contre toute apparence,elle fer- 
mait ses portes. 

La distance d'Etretat au Havre est de quatre lieues environ, et 
aucun fort, aucun poste retranché ne se rencontre dans l'intervalle ; 



188 LE COMTE DE FERSEN 

il n'y a, dans ce moment, dans cette ville qu'un seul bataillon du 
régiment de Salis-Suisse pour toute garnison. 

Il semble que, pour ne rien donner au hasard, l'escadre et la 
flotte devraient être mouillées aux dunes et n'en partir pour venir 
faire la descente que par un temps sûr et fait; elles en seraient 
aussi à portée que de Spithead, les vents de nord-est qui sont 
les vents régnants les conduisant vent arrière au point indiqué. La 
position de l'escadre aux dunes peut encore avoir l'efifet d'attirer 
toutes les forces sur les côtes de Flandre , qu'elle aurait l'air de me- 
nacer bien plus que celles de Normandie. Monsieur le marquis de 
Senneville, brigadier des armées navales, qui a ses terres sur cette 
côte, offre de s'y rendre pour y seconder, de concert avec monsieur 
Mistral, intendant de la marine au Havre (dont les bonnes disposi- 
tions sont connues ), l'entreprise que l'on propose, et dont le succès 
semble infaillible. Par le moyen de ces messieurs on aura à sa dis- 
position les pilotes du roi au Havre, qui se rendraient en Angleterre 
pour y attendre l'escadre. 



Brest et Bertkeaume. 

Si l'on avait pour objet de s'emparer de Brest, la rade de Ber- 
theaume est celle où il paraît le plus convenable de faire mouiller 
l'escadre et la flotte. Cette rade, quoique foraine, est d'une bonne 
tenue, elle n'est mauvaise que par les vents de sud-ouest forcés, qui 
sont fort rares dans la belle saison. Les vents de sud-est y battent 
aussi en côte, mais ils permettent d'appareiller. 

On ferait la descente sans peine dans le fond de la baie, à quatre 
lieues de Brest, sur une plage de sable. Les deux batteries établies 
sur les deux points de l'est et de l'ouest, qui ferment la baie, se- 
raient aisément réduites par le feu des vaisseaux de ligne. Les 
troupes descendues s'empareront aisément des forts du Mengand et 
du Portzic, qui, pris à revers du côté de la terre, n'offrent aucune 
défense ; la position de l'escadre à Bertheaume, jointe & la posses- 
sion de ces deux forts, ferme absolument la sortie de la rade de 
Brest. 

Le chemin qui conduit de Bertheaume à Brest est coupé de gorges 
et de collines assez escarpées, qui offrent à chaque pas des postes 



ET LA COUR DE FRANCE. 189 

naturels et faciles à défendre pied à pied ; on trouve de plus, à envi- 
ron un quart de lieue de la ville, plusieurs redoutes et ouvrages en 
terre qui en défendent les approches. 

Il y a dans ce moment à Brest au moins 8,000 hommes, tant sol- 
dats de ligne que gardes nationaux, tous dévoués au parti des plus 
forcenés révolutionnaires. Ces gardes nationaux sont pour la plupart 
d'anciens soldats, et sont plus capables de résolution que ceux qui 
portent ailleurs le même habit ; ils auraient sans doute à leur tête 
quatre officiers du génie militaire employés à Brest qui passent 
pour fort instruits et qui sont partisans de la révolution. 

Il résulte des derniers renseignements que l'on a pu se procurer 
sur l'état de la ville et du port de Brest que le désordre et l'insu- 
bordination y sont à leur comble, tant dans les nouveaux corps civils 
que militaires , et qu'il n'y reste plus d'officiers de la marine. Cinq 
des vaisseaux de ligne qui sont dans ce port sont gréés et ont leur 
artillerie à bord, les autres ont leur premier plan d'eau & bord et leurs 
bas-mâts seulement, mais tous sont sans équipages. 

Dans le temps même où tout était dans l'ordre, il eût fallu deux 
mois au moins pour lever les matelots nécessaires à un armement de 
quinze vaisseaux ; on est certain qu'il n'y a encore rien d'ordonné 
sur cet objet, et on serait en droit d'affirmer que, quand même on 
ordonnerait des levées dans cet instant, il serait impossible, par le 
désordre qui règne dans les classes , de rassembler les matelots né- 
cessaires & un armement de douze vaisseaux de ligne. 

On ose enfin assurer qu'avec une escadre de quinze vaisseaux de 
ligne, on sera maître de la mer partout où on se présentera sur les 
côtes de France. 

Bade et baie de Quiberon. 

De tous les points de débarquement, celui qui réunit le plus d'a- 
vantages, tant pour la facilité du débarquement que pour la sûreté 
des vaisseaux, est sans contredit la baie de Quiberon sur la côte 
de Bretagne ; la rade est à l'abri de tous les vents hors celui de 
sud-est, qui est le moins à craindre de tous ; on y mouille depuis 7 
jusqu'à 10 brasses fond de raze, la tenue y est très-bonne. 

lok baie est fort grande, on y trouve mouillage partout ; on pourra 
choisir celui qui sera le plus proche du point où on voudrait faire 



190 LE COMTE DE FERSEN 

le débarquement. Si on veut se rendre maître du Port-Louis et de 
Lorient, la descente devra se faire au village de Quiberon même, 
qui n'est qu'à environ quatre lieues du Port-Louis ; cette place n'est 
presque point défendue du côté de la terre : sa prise assure celle de 
Lorient, où on aurait l'avantage de trouver des magasins considé- 
rables de munitions de guerre et de bouche. 

De Lorient à Brest il y a environ trente lieues ; cet intervalle 
ne présente aucune place forte, ni môme aucun poste retranché, 
mais le pays est coupé de gorges et de collines assez escarpées. 

Si on se proposait de pénétrer dans l'intérieur de la Bretagne, 
la descente devrait se faire dans la rivière de Vannes ou dans la 
rivière d'Auray, qu'on peut remonter toutes les deux à plus de deux 
lieues dans les terres. Il n'existe aucun fort, aucune batterie sur ces 
deux rivières, et sur le rivage de la baie de Quiberon il n'y a que 
de faibles batteries de côte, que la moindre frégate réduirait aisé- 
ment, s'il était nécessaire. 

Rendu à Vannes, où les chaloupes peuvent remonter, ou esta 
24 lieues de Nantes et à 18 lieues de Rennes ; ces deux villes sont, 
après Brest, les plus importantes de la Bretagne et les seules qui 
aient des milices nationales un peu nombreuses. 

La position de l'escadre à Quiberon lui donne la facilité de tenir 
la rivière de Nantes bloquée par deux frégates qu'elle tiendrait en 
croisière entre Belle-Isle et Noirmoutier. 

La baie de Quiberon a l'avantage de donner à une escadre de 
quinze vaisseaux la facilité de s'embosser dans une position à ne pas 
craindre des forces beaucoup supérieures. Cette baie a encore l'a- 
vantage de rendre très-facile le débarquement de l'artillerie. 



Côte d'Aunis et de Poitou, 

Si on se propose de faire une descente en Aunis ou en Poitou, 
c'est dans la rade des Basques que l'escadre et la flotte doivent ve- 
nir mouiller. Cette rade est située entre l'île de Ré, l'île d'Oléron 
et l'île d'Aix, à une lieue de distance de cette dernière. On mouille 
par les 9 et 14 brasses fond de sable razard, la tenue y est excel- 
lente, et la mer ordinairement belle. Le mouillage pourrait contenir 
plus de 30 vaisseaux de ligne et de deux cents voiles. Établi dans 



ET LA COUR DE FRANCE. 191 

cette rade, on ferme l'entrée du port de la Rochelle qui n'en est 
éloignée que d'environ deux lieues. On peut très-facilement s'em- 
parer de l'île d'Aix en descendant dans le nord-est de l'fle, qui 
est absolument sans défense ; on s'empare très-facilement du fort 
en bois, qui, pris à revers du côté de la terre, n'en offre aucune : on 
est alors maître de la rade de l'île d'Aix d'où on ferme l'embou- 
chure de la Charente, d'oti il ne peut plus sortir aucun vaisseau de 
guerre. 

Il sera facile aussi de tenir bloqué le port de Bordeaux en tenant 
quelques frégates et corvettes en croisière à l'embouchure de la Ga- 
ronne, et par cette disposition le commerce de la Guienne, du Poi- 
tou^ de l'Aunis et de la Saintonge se trouve entièrement arrêté. 

De la rade des Basques on sera à portée de choisir entre trois dif- 
férents points de débarquement : le plateau d'Angoulain, à deux" 
lieues de distance de la Rochelle, est celui où la descente se fera le 
plus aisément ; on s'emparera sans peine des hauteurs de Chate- 
laillon qui dominent les marais qui sont entre Angoulain et la 
Rochelle, lieu où l'on avait placé un camp en 1759, quand on crai- 
gnit une descente des Anglais. Angoulain n'est qu'à deux petites 
lieues de la Rochelle , et les marais qui restent à traverser pour s'y 
rendre sont desséchés et coupés par un beau et très-large grand 
chemin : débarqué en ce lieu, on intercepte toute communication 
par terre entre Rochefort et la Rochelle. 

Si on veut marcher sur Rochefort d'abord , on peut descendre au 
plateau d'Yres , qui n'en est éloigné que d'environ deux lieues ; on 
s'établira facilement siu* les hauteurs de Charras , qui dominent les 
marais qu'il faut traverser pour se rendre à Rochefort. Le chemin 
qui traverse ces marais est très-beau ; il est coupé de plusieurs ca- 
naux , sur lesquels sont de fort bons ponts en pierre qui pourraient 
être défendus par l'artillerie qu'on aurait établie en arrivant sur les 
hauteurs de Charrsis : cette position intercepte également la commu- 
nication de Rochefort avec la Rochelle. 

On peut débarquer aussi sur la pointe d'Aiguillon en Poitou, qui est 
éloignée de six lieues de la rade des Basques ; mais on peut faire 
approcher les frégates et même les transports jusqu'à un petit quart 
de lieue de la pointe , on peut même les faire échouer sans danger 
sur des razes très-molles, en dedans et très-près de cette pointe, la 
mer y étant toujours unie, comme dans un étang. Le débarquement 



192 LE COMTE DE FERSEN 

se ferait en ce lieu avec tonte la sûreté et tonte la facilité possible , 
d'autant qu'il n'existe sur cette côte aucun fort, aucune batterie qui 
puisse le gêner. On gagnerait dans l'instant les hauteurs de Saint- 
Michel-en-l'Herme et la petite ville de Luçon, ouverte et sans défense, 
qui n'en est éloignée que de deux lieues. Ce pays, ainsi que le reste 
du bas Poitou, est riche en blé et en bestiaux; il présente de plus 
un grand avantage, c'est que le peuple qui l'habite est ennemi dé- 
claré de la révolution, et accueillerait comme des libérateurs ceux 
qui viendraient y rappeler l'ordre. On observe encore que ce point 
est sûrement celui vers lequel on portera le moins de défense.. On 
aurait encore l'avantage en ce lieu de débarquer très-commodément 
l'artillerie par le moyen d'un canal profond, navigable à trois .lieues 
dans les terres. 



OBSERVATIONS G^'lÈRALES. * 

Quel que soit celui des points de débarquement proposés qu'on 
choisisse, tl sera toujours nécessaire d'avoir quelques frégates de 
gros calibre. Il serait à désirer aussi d'avoir trois ou quatre chalou- 
pes canonnières portant une pièce de 18 livres de balle, et ne tirant 
que six pieds d'eau ; il serait surtout important que ces derniers bâ- 
timents soient gréés et construits de manière à manœuvrer et & gou- 
verner facilement , pour pouvoir se porter rapidement dans tous les 
points où il sera nécessaire de protéger les bateaux ou chaloupes de 
descente. 

n est à désirer que les chaloupes de débarquement ne tirent pas 
plus de trois pieds d'eau, et que chacune porte avec elle deux 
planches de quinze à dix-huit pouces de large chacune et de la plus 
grande longueur qu'il se pourra , sans pourtant encombrer ; aussitôt 
que la chaloupe s'échouera on poussera ces deux planches de l'avant , 
elles porteront d'un bout à terre et seront saisies et genopées très- 
près l'une de l'autre sur l'avant de la chaloupe par le moyen de 
deux crocs , ou de deux estropes. Cette très-simple précaution ren- 
dra bien facile et bien plus prompt le débarquement des soldats. 

Four éviter de grandes difficultés dans le débarquement de la 
grosse artillerie, il serait bien à désirer que chaque bâtiment de trans- 
port, qui en portera, ait à son bord les bois ou plançons nécessaires 



ET LA COUR DE FRANCE. 193 

« 

pour faire des radeaux de dimensions et de force êc supporter le 
poids de rartillerie qu'on voudrait leur faire porter. On peut pour 
augmenter la résistance de ces radeaux & Timmersion leur accoler 
des barriques vides et bien futaillées. 

On se borne ici & donner Tidée de ces radeaux ; les détails de la 
force et des dimensions à donner, dépendant du poids qu'ils sont 
destinés à porter^ seront partout appréciés et déterminés par les gens 
du métier. On observe seulement que pour débarquer la grosse artil- 
lerie en pleine côte , ce moyen est nécessaire à employer pour éviter 
des longueurs et des difficultés considérables. 

Bouillie. 



CLV. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE XII (1). 

Bruxelles, ce 4 mars 1792. 

Sire, 

Les nouvelles de Berlin continuent à être bonnes. M. de Bischofifewer- 
der a donné au vicomte de Caraman les assurances les plus positives 
de la bonne volonté du roi son maître pour le roi de France, et 
combien lui^ Bischoffswerder, les partageait. Il a promis de pousser 
vigoureusement la cour de Vienne ; il y a porté le plan des opéra- 
tions, &it par le duc de Brunswick, et doit proposer de conférer à ce 
prince le commandement des forces réunies. M. Bischoffswerder a 
dit que le roi de Prusse était dans Tintention de commander son 
armée en personne. D'après la déclaration du roi de Prusse de ne 
vouloir être remboursé de ses frais qu'en argent, l'empereur s'est pro- 
bablement décidé à en faire de même, car le comte de Mercy en a 
fait la demande au baron de Breteuil ; il s'est aussi plaint à lui du 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : ChifrCf par 
la poste, 

T. II. 13 



194 LE COMTE DE FERSEN 

mécoiitenteiBent que la reine témoignait sur la conduite de l'empe- 
reur et a donné à entendre qu'on m'en croyait la cause et qu'on l'avait 
découvert. Si cela est, ce ne pourrait être que par quelques-unes de 
mes lettres à V. M. qu'ils auront peut-être déchiffrées , ce que je ne 
crois guère possible, ni même pour celles que j'écris à Paris ; mais ils 
le soupçonnent sans doute d'après les démarches que le roi et la reine 
de France se sont décidés à faire directement auprès des différentes 
puissances. Le baron de Breteuil m'a averti aussi que je leur étais 
extrêmement suspect et incommode, et que souvent M. de Mercy l'en- 
gageait de ne pas me dire les choses qu'il lui confiait. Cela nie prouve 
qu'ils m'ont trouvé plus clairvoyant qu'ils ne l'ont cru. 

M. de Bombelles mande au baron de Breteuil qu'il a trouvé l'im- 
pératrice très-prévenue pour les princes et un peu contre lui , baron 
de Breteuil ; qu'elle paraît avoir des doutes sur la validité de son 
plein pouvoir, qu'elle envisage de même que celui qui a été donné à 
Monsieur après l'arrestation du roi, et qu'elle le regarde, ainsi que 
la lettre de la reine ( à laquelle elle ne paraît pas attacher tout le 
prix que mérite une confiance aussi touchante), comme arraché par 
importunité et comme une suite de l'ambition du baron de Breteuil 
et de ses intrigues contre M. de Galonné , intrigues qu'elle regarde 
comme le seul obstacle à la réunion et à la confiance intime qui se- 
raient si nécessaires entre le roi et les princes ; que, dans une conver- 
sation qu'il a eue avec l'impératrice, elle avait blâmé les projets du 
baron de Breteuil , dont l'exécution achèverait de perdre la France. 
L'impératrice avait ajouté foi aux calomniateurs du baron de Bre- 
teuil, qui lui prêtent ceux de la composition de deux chambres et de 
l'introduction d'un gouvernement mixte en France. Personne n'en 
est cependant, par caractère et par principes, plus éloigné que lui et 
ne sent plus fortement la nécessité que le roi reprenne la plénitude de 
son autorité. Enfin l'impératrice blâmait le baron sur sa correspon- 
dance avec les princes. On reconnaît dans tout cela l'effet des intri- 
gues des entours des princes, et M. de Bombelles s'est efforcé & jus- 
tifier le baron de Breteuil sur tous ces points, et, pour éclaircir encore 
mieux celui de sa correspondance avec les princes, le baron de Bre- 
teuil a pris le parti d'en envoyer la copie à l'impératrice ; mais il se- 
rait digne de l'amitié et de l'intérêt que V. M. témoigne au roi de 
France et à ses malheurs de vouloir bien de son côté éclairer aussi 
l'impératrice, en lui prouvant que ce n'est pas le manque de confiance 



ET LA COUR DE FRANCE. 195 

dans les sentiments de ses frères qui empêche le roi d'avoir en eux 
toute la confiance que son cœur et son amitié pour eux lui inspirent ; 
que l'inimitié qui peut régner entre le baron de Breteuil et M. de Ga- 
lonné n'est pas même un obstacle, maïs que le seul véritable et bien 
fondé qu'il y ait est l'indiscrétion qui règne dans leur conseil et 
dont M. d'Oxenstjerna et de Eomanzow ont déjà rendu compte ; que 
le roi apprécie fortement l'utilité dont ses frères et leur parti peu- 
vent lui être, en réunissant tous ceux qui en France voudront se dé- 
clarer pour lui , en recevant et excitant les troupes à passer et à di- 
minuer et affaiblir ainsi le parti des rebelles ; — mais que le roi per- 
siste à croire qu'ils ne doivent agir qu'avec les puissances dont l'action 
sera plus imposante et imprimera plus de terreur que celle des prin- 
ces et des émigrés , qui ne ferait qu'irriter par l'imprudence qu'ils ont 
eue de présenter dans tous leurs écrits et déclarations le désir d'une 
vengeance sans bornes. Quant au plein pouvoir du baron de Breteuil, 
il ne lui a été donné qu'après que le roi lui eût proposé de se charger 
de ses affaires et dans un temps où le baron de Breteuil n'avait au- 
cune correspondance avec le roi, et il n'a connu le plan et les vo- 
lontés du roi que par le roi lui-même. V, M. , qui est seule au fait de 
tous ces détails, peut seule rectifier là-dessus les idées de l'impéra- 
trice ; un mot de sa part fera un grand effet, et, si elle se décide à 
l'écrire, j'instruirai sur-le-champ le roi et la reine de France de cette 
nouvelle obligation qu'ils auront à V. M. Le baron de Breteuil se 
proposait d'avoir l'honneur d'en écrire à V. M., mais un accès de 
goutte assez fort, qui le retient au lit depuis trois jours, l'en empêche, 
et tout ce qu'il a pu faire a été d'accompagner l'envoi de sa cor- 
respondance avec les princes d'une lettre pour l'impératrice. 

La réponse de l'empereur à la lettre du roi est arrivée et aura 
sans doute été communiquée à V. M. Elle jugera sans doute qu'on ne 
pouvait attendre autre chose et qu'elle est très-mauvaise. S. M. Ln- 
périale y reconnaît la constitution et la sanction libre du roi de 
France, et j'ai de la peine à accorder cette réponse avec les proposi- 
tions déjà faites au roi de Prusse et qui doivent l'avoir été de même 
aux* autres cours , à moins d'établir que c'est l'archiduc d'Autriche 
qui a fait la réponse et le chef de l'Empire qui fait les propositions. 
Quelque diversité de marche et de principes qu'il y ait dans la con- 
duite indiquée dans ces propositions , Y.* M. pensera sans doute que 
l'objet principal étant celui de l'arrivée des armées sur les frontières 



196 LE COMTE DE FERSEN 

de France, il serait peut-êbe de la politique des vrais amis du roi 
de France de s'accorder sur ce point ; de mettre les troupes en mou- 
vement et de profiter du temps qu'il leur faudra pour se rendre aux 
endroits de leur destination , pour négocier sur l'emplacement d'un 
congrès, que les circonstances peuvent ensuite rendre absolument 
inutile , et sur l'article de l'énoncé de la non-liberté du roi : une fois 
les armées formées et le plan des opérations militaires convenu , les 
puissances sont engagées. Celles dont les intentions ne sont pas très- 
franches seront forcées & laisser agir les autres, selon les circons- 
tances qui ne manqueront pas de se présenter et qui seules feront 
le reste. 



CLVL 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE, 

DU 4 MARS 1792 (1). 

Bruxelles, ce 4 mars. 

Je vous envoie une note que le baron de Breteuil m'a remise. Il 
est dans un besoin très-pressant, et j'espère que vous trouverez sa de- 
mande [juste]. 

Voici ce qu'il dit : 

« Je suis obligé de revenir au besoin pressant d'argent dans le- 
« quel je me trouve pour faire face aux dépenses de tous les jours 
« des personnes employées à demeure, ou allant et venant. Je suis 
« déjà à grosses avances à cet égard , et je ne pouvais aller plus loin 
<& sans me jeter dans de sérieux embarras qui nuisaient à la fois aux 
«c affaires et à ma considération personnelle. Je demande qu'on me 
« fasse passer et mettre & ma disposition la somme de 300 m. I. 
c( pour m'ôter toute gêne dans les mesures actuelles , et dans celles 



(1) D'après la minute de la maiti du comte de Fersen écrite sur la lettre originale du 
baron de Breteuil, Le comte de Fersen a écrit en marge : i. mur» en blarir, envoyé par Gog, 



ET LA COUR DE FRANCE. 197 

(c que de nouvelles circonstaijces pourront exiger successivement. 
« Je dois d'ailleurs vous dire avec franchise et avec la confiance que 
« je dois à vos bontés que je n'ai plus les moyens de subsister sans 
« un secours du roi. Depuis trois ans que ses bienfaits et mes rentes 
« sont saisies, j'ai vécu du peu que je pouvais tirer de ma terre et de 
« la vente successive de mes meilleurs effets. Le séquestre m'ôtant le 
« produit de ma terre, et ma vaisselle épuisée, je ne puis m'empê- 
« cher, quelque peine que je m'en fasse , de devenir à charge au roi , et 
« de prier S. M. de m'accorder six mille livres par mois pour ma dé- 
« pense courante ; cela fera soixante-douze mille livres pour tannée. 
<t J'ai réduit ma dépense à cette somme, en me bornant au simple né- 
« cessaire et décent. Je ne demande ce secours au roi qu'en sup- 
(c pliant qu'il me soit permis de le rendre le jour que, rentré dans 
« mon bien, je pourrai toucher les arrérages de mon revenu saisi. » 

La demande du baron est très-juste , il est sans ressources et prêt 
& perdre tout ce qu'il a à Saint-Domingue. On pourrait lui envoyer 
150,000 livres pour les dépenses courantes et 30,000 livres pour sa 
dépense ; ce serait pour six mois. Si vous voulez faire remettre cet 
argent à Périgaud , comme à moi , en lui disant de me le faire pas- 
ser, mais il faudrait en remettre beaucoup plus , car il est nécessaire 
d'avoir cette somme en entier ; et pour le reste , si vous voulez, je 
verrai si voas pouvez le trouver à emprunter en Hollande ; il ne vous 
coûterait que 5 pour cent au lieu de 6 ou 7. Quant à celui que j'ai 
pour vous , je vous en rendrai compte dans quelques jours ; il est 
d'ailleurs insuffisant pour cette dépense, et il vaut mieux le garder, 
il pourra être bon à retrouver un jour. Voyez si vous pouvez trouver 
à Paris quelqu'un qui vous procure un emprunt de 200,000 livres, 
en Hollande ou ailleurs, mais hors du royaume, et prenez-le ; vous y 
gagnerez beaucoup, et si vous voulez me le faire remettre ici, au 
banquier monsieur Danoot fils et Cie. Je n'en donnerai au baron 
que sur votre autorisation. 

M. de Mercy s'est plaint au baron sur le mécontentement que vous 
avez témoigné de la conduite de l'empereur ; il m'en soupçonne la 
cause et a donné à entendre qu'il l'avait découverte. Je crois que ce 
n'est qu'un soupçon, car toutes mes lettres vous sont parvenues , et s'il 
avait fait paraître l'écriture il n'aurait pu les envoyer. Il est aussi im- 
possible qu'il eût pu déchiffrer mes lettres au roi , mais le baron m'a 
prévenu que je leur étais très-suspect et incommode , et que souvent 



198 LE COMTE DE FERSEX 

M. de Mercy lui recommandait de ne pas me dire ce qn'il loi con- 
fiait. D'après cela je ne doute pas qu'ils ne cherchent tous les moyens 
possibles pour me nuire auprès de vous , en inventant même des his- 
toires, quoique je doive espérer que mon zèle et mon dévouement vous 
soient trop connus pour craindre que vous y ajoutiez foi. J'ose cepen- 
dant vous demander de ne pas me les laisser ignorer, pour que je 
puisse les repousser et continuer à mériter la confiance si flatteuse 
dont vous avez Lien voulu m'honorer. 

Les nouvelles de Prusse sont toujours bonnes ; M. C... est chargé 

de vous les conunnniquer. Le roi de P veut se mettre lui-même 

à la tête de son armée. M. de Mercy est enchanté de la réponse de 
l'empereur, il s'est vanté au baron d'en avoir été l'auteur. 



CLYIL 

DU C03ITE DE FERSEX A LA REINE MARIE-.\>rrOIXETTE (1). 

N" 2. Ce 6 mars [1792]. 

J'ai reçu votre n<» 2 hier. Les détails auxquels je renvoyai M. C. 
sont contenus dans les papiers du baron qu'il vous a envoyés. Comme 
on ne se servait plus des journaux, on ne les a plus envoyés depuis 
deux mois, et on n'en enverra que quand on en aura besoin. Pré- 
venez M. de Laporte de vous les remettre quand il en recevra. 

La réponse de l'empereur est un galimatias politique, un plaidoyer 
qui ne dit rien, et c'est la seule manière favorable de l'envisager ; on 
ne peut la concilier avec ce qu'il a proposé à Berlin qu'en supposant 
qu'il se réserve, s'il est enfin forcé d'agir, de faire la distinction sub- 
tile de sa conduite comme chef de la maison d'Autriche et comme chef 
de l'Empire, et, dans ce cas, il est clair qu'il n'a voulu que gagner 
du temps pour se préserver d'une invasion et avoir celui de se mettre 



(1) D'après la minute de la miln du comte de Ferscn, qui a écrit en marge : 6 niars en 
bianCf par Gog, 



ET LA COUR DE FRANCE. 199 

en mesure. S'il est encore de mauvaise foi, ce qui est plus probable, 
sa réponse le sert à merveille. Moi, je crois Tun et l'autre ;,je crois 
qu'il veut toujours éviter d'agir, mais qu'il craint d'y être forcé par 
les autres puissances, et qu'il n'a consenti à la proposition de la 
Prasse, de porter leurs forces à 50,000 hommes chacun, que dans 
l'espoir d'exclure par là les cours du Nord , en leur représentant que 
cette force est plus que suflSsante et qu'il est inutile d'en employer 
davantage, et, s'il ne peut y parvenir, d'être tellement supérieur, 
qu'elles se trouveront subordonnées à la marche qu'il voudra indiquer 
et qu'alors il pourra créer à son gré en France un gouvernement qui 
mette ce royaume dans sa dépendance, lui ôte sa force et l'empêche 
de jamais reprendre en Europe le poids qu'il y a eu. Mais il ne sent 
pas qu'avec l'influence de l'impératrice, la bonne volonté de la Prusse 
et l'ambition du duc de Brunswick, il sera aisé de déjouer ce projet, 
et c'est alors que les princes pourront vous être utiles , car les puis- 
sances amies auront l'air de céder aux réclamations des princes , qui 
auront été dictées secrètement par vous. L'essentiel est de s'accorder 
pour faire arriver les troupes des différentes puissances sur les fron- 
tières, et j'ai mandé au roi de Suède, et en Russie et Espagne, que je 
croyais qu'il fallait tout sacrifier pour obtenir cet accord, et qu'on 
pourrait, pendant leur marche, discuter l'article de répression de 
la non-liberté du roi et de l'emplacement du congrès, dont le ras- 
semblement deviendrait alors moins important, et peut-être inutile. 

C'est d'après cette manière de voir sur les projets de l'empereur 
que j'ai conseillé au baron (1) de ne se pas presser et de bien spécifier 
dans l'engagement du remboursement des frais , que M. de Mcrcy 
lui a demandé, que ce ne serait que lorsque le roi serait rétabli dans 
la plénitude de son autorité telle qu'elle était avant la révolution. 
M. de Mercy s'est vanté d'avoir fait la réponse de l'empereur. 

Il faudrait prévenir Gog. que toutes ïes fois qu'il y aura au haut 
du chiffre le n** et un tiret, comme par exemple 49, — cela signifiera 
qu'il y a du chiffre jusqu'au premier gros point [ . ] 5 le reste ne signi- 
fiera rien et sera en blanc ; s'il y a 49, c'est-à-dire le tiret en dessous 
alors la lettre sera pour lui, le chiffre ne sera rien, à moins qu'il n'y 
ait après le n" un ou deux points. Si après un pareil n* il y avait de 
l'écriture simple, il y aurait du blanc dans les entre-lignes. Il sera 

(l; De Ereteuil. 



200 LE 6OMTE DE FERSEN 

nécessaire de le prévenir là-dessus. Quand vous m'écrirez, il vaut 
mieux que ce soit en blanc dans les entre-lignes d'un chiflfre qui ne 
signifiera rien, car on peut trouver le chiflFre ici ; il faudra alors mettre 
un tiret après ou dessous le chiffre et pas de points après, pour me 
l'indiquer. Il faudra numéroter exactement pour savoir s'il y en a de 
perdues. A Paris je suis sûr qu'on ne les ouvre pas, ils n'ont pas de 
machine montée pour cela. 



CLVIIT. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 7 mars 1792. 

Sire, 

La réponse de Vienne est arrivée à Berlin. Tous les articles ont été 
acceptés, et quant à celui qui regarde l'énoncé de la liberté du roi il 
est dit qu'on avait mal compris (2), etc. Si la cour de Vienne at- 
tache à ces expressions un sens littéral, on ne peut rien désirer de 
plus, car la liberté du roi le laisse le maître de former tel gouverne- 
ment qu'il jugera à propos ; mais je crains toujours la mauvaise foi de 
l'empereur et sa politique tortueuse, et je persiste à croire , d'après 
tout ce que dit M. de Mercy, et par autres notions que j'ai eues, que 
l'intention de l'empereur est toujours d'éviter d'agir, s'il le peut. Sa 
réponse n'est qu'un galimatias politique, un plaidoyer de sa conduite 
qui ne répond pas à la question ; ce n'est proprement qu'une réponse 
du prince de Kaunitz à M. de Noailles sur la lettre de M. de Les- 
sart, oh il ne s'adresse même qu'à M. de Lessart, et qui dans le fait 
ne dit rien, et c'est la seule manière favorable de l'envisager. Si l'em- 
pereur est de bonne foi, ce que j'ai de la peine à croire, il n'a voulu 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : CfiijTre, 

(2) Voir la dépêche du vicomte de Caramanau baron de Breteuil, du 28 février, et dont 
le comte de Fersen a inaéré un extrait , qui manque dans sa minute. 



ET LA COUR DE FRANCE. 201 

que gagner du temps pour se préserver d'une invasion et avoir celui 
de se mettre en mesure. S'il est de mauvaise foi, ce qui paraît plus 
probable, sa réponse le sert à merveille. Quant à moi, je crois l'un et 
l'autre; je crois qu'il veut toujours éviter d'agir, mais que, craignant 
d'y être enfin forcé par les autres puissances , il n'a consenti à la pro- 
position de la Prusse, de porter leurs forces à 50,000 hpmmes chacun, 
que dans l'espoir d'exclure par là les puissances du Nord, en leur 
présentant ces forces comme plus que suffisantes et qu'il serait inu- 
tile qu'elles en envoient, et, s'il ne peut les y faire consentir, d'être 
tellement supérieur qu'elles se trouvent subordonnées à la marche 
qu'il voudra indiquer ; qu'alors il pourra créer à son gré un gouver- 
nement en France qui mette ce royaume dans sa dépendance, lui 
ôte sa force, son énergie et l'empêche de reprendre en Europe le 
poids et l'influence qu'il y a toujours eus. V. M. croira sans doute 
que, si tel est le projet de l'empereur, il sera aisément déjoué par l'ac- 
tion des cours du Nord, la bonne volonté de la Prusse et de l'Es- 
pagne et l'ambition du duc de Brunsv^ick. C'est alors que les princes 
pourront être vraiment utiles, en leur faisant faire des réclamations 
concertées avec le roi de France auxquelles les puissances amies au- 
ront l'air de céder. Cest d'après cette manière d'envisager les pro- 
jets de l'empereur que j'ai conseillé au baron de Breteuil de ne se 
pas trop presser et de bien spécifier dans l'engagement qu'il prendra 
avec M. de Mercy, pour le remboursement des frais, qu'il n'aurait 
son effet que lorsque le roi serait rétabli dans la plénitude de son au- 
torité et la monarchie rétablie comme elle était avant la révolution. 
Le vicomte de Caraman croit que le plan militaire porte de réunir 
les troupes suédoises, russes, hessoises et celles de l'Empire avec les 
émigrés, et en donner le commandement aux princes. Le chevalier 
de Rolt, qui est à Berlin, mande cette nouvelle à Coblence; elle est 
déjà publique ici et même à Paris. Je doute que V. M. et l'impéra- 
trice consente à cette réunion ; la désunion et l'indiscipline qui règne 
et régnera longtemps parmi les émigrés gâterait l'armée de V. M., 
et ce serait un moyen de paralyser son action. V. M. pensera sans 
doute que son armée, jointe à celle de l'impératrice, des Hessois et 
quelques troupes d'Empire, doit former un corps séparé, et que sa po- 
sition, indiquée à cause des flottes, sera à la droite de l'armée et le 
plus près possible des côtes. 



202 LE COMTE DE FERSEN 



CLIX. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARTE- ANTOINETTE (1). 

N* 8. Ce 9 mare 1792. 

Nous avons appris, hier au soir, la mort de l'empereur. Cette nou- 
velle fait plaisir aux uns et peine à d'autres par le retard qu'ils crai- 
gnent que cet événement n'apporte dans les aflFaircs. Moi, je le crois 
plutôt un avantage pour vous. L'empereur est mort, mais Tarcliidue 
d'Autriche ne l'est pas ; sa puissance et son intérêt restent toujours 
les mêmes, et il peut faire en cette qualité tout ce qu'il aurait fait 
comme empereur, et accorder, de concert avec le roi de Prusse, la 
même protection à ses co-États que lorsqu'il était empereur. L'un et 
l'autre n'y ont d'autre droit que celui de leur influence, fondée sur 
leur puissance, et d'autres raisons que celles de l'intérêt général et 
commun. Les dispositions de l'archiduc François ont d'ailleurs tou- 
jours été favorables, et je sais qu'il a souvent blâmé la conduite 
molle, lente et indécise de son père. Il est militaire dans Fâme, il 
ressemble plus à Joseph qu'à Léopold. Cet événement doit encore 
augmenter en ce moment l'influence du roi de Prusse, auquel la cour 
de Vienne à intérêt de plaire pour conserver la dignité impériale, 
et, d'après les bonnes dispositions que ce prince vous témoigne, cette 
circonstance doit vous être très-favorable. Je crois qu'une lettre de 
vous et du roi à l'archiduc François serait très-utile en ce moment ; 
cette attention le flatterait et enflammerait son zèle pour vous. Après 
avoir partagé sa douleur sur la perte qu'il fait d'un père et vous d'un 
frère , vous pourriez lui dire qu'on ne vous a pas laissé ignorer toute 
la sensibilité et l'intérêt qu'il a témoignés sur votre sort et que vous 
espérez, d'après ces sentiments , qu'il donnera encore plus d'activité 
aux espérances que son père vous avait données ; que vous n'hésitez 
pas à lui donner les mêmes marques de confiance et à lui réitérer la 
demande de l'envoi de forces imposantes sur les frontières et de la 



(1) D'après la minute de la maiu du comte de Fereen, qui a écrit en marge : ^l la reiiw, 
en ùlanCj par Gcff. 



ET LA COUR DE FRANCE. 203 

formation d'un congrès à Aix-la^Chapelîe ou Cologne ; que vous avez 
lieu d'être assurée des bonues dispositions du roi de Prusse, qui doit 
déjà avoir fait des propositions analogues à vos désirs, et que vous 
avez depuis longtemps des preuves non équivoques de l'intérêt des 
cours de Pétersbourg, de Stockholm et de Madrid. Vous pourriez 
finir par lui faire sentir combien votre position oblige au plus grand 
secret et surtout vis-à-vis des princes, à cause de l'indiscrétion de 
leurs entours , et par demander des bontés pour le baron de Breteuil 
qui a toute, votre confiance. Cette lettre ne saurait être écrite trop 
tôt; il faudrait me l'envoyer par la diligence tout simplement à mon 
adresse dans une boîte qui contiendrait du drap pour frac, quelques 
gilets et cravates nouvelles, pour rendre la chose plus probable et 
éviter tout soupçon. 

Je n'ai pas encore reçu les papiers de Gog., les papiers que vous 
m'annoncez, ni la lettre pour la reine de Portugal ; cela serait pour- 
tant nécessaire. N'oubliez pas l'article de l'argent. Pour éviter encore 
mieux tout soupçon, il faudrait écrire en même temps une simple lettre 
de compliment à l'archiduc, que vous feriez passer par M. de Les- 
sart, où vous ajouteriez quelque chose dans le sens de ces messieurs, en 
lui rappelant en peu de mots ce que vous aviez déjà écrit* à son père, 
et combien vous espérez qu'il suivra la marche de son père et qu'il 
sera désireux de maintenir avec la France une paix également avan- 
tageuse aux deux pays. Mais il faudrait que ces deux lettres arrivas- 
sent en même temps, pour que l'archiduc ne soit pas incertain sur 
vos véritables intentions. Vous pourriez instruire M. de Mercy de 
cette démarche, pour qu'il écrive en xon séquence. Dans une conver- 
sation qu'il a eue avec le baron, il a été fort bien, et il a dit : Ce 
ne sont plus des déclarations qu'il faut, V empereur a enfin change 
de système; — puis, en se levant avec chaleur, et montrant son 
éi>ée : Cest de cela qu'il faut; V empereur y est décide et dans peu il 
y en aura. J'aurais bien voulu être témoin de cette vivacité de M. de 
Mercy, cela devait faire un contraste assez extraordinaire. 

Envoyez-moi au plus tôt ces papiers et la lettre pour l'archiduc, elle 
presse. Le baron veut envoyer à Vienne auprès de l'archiduc M. de Choi- 
seul d'Aillecourt, le député; mandez-moi ce que vous en pensez. 



204 LE COMTE DE FERSEN 



CLX. 



DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 11 mars 1792. 

Sire, 

Le courrier qui apportait la nouvelle de la mort de l'empereur est 
arrivé jeudi 8, à trois heures après midi. Elle fut publique à six heures 
et reçue avec indifférence par les uns et plutôt avec joie par les au- 
tres, excepté madame l'archiduchesse, qui lui était personnellement 
attachée. Personne ne le regrette ; la conduite molle et incertaine 
qu'on lui a fait tenir dans ce pays-ci lui avait aliéné tous les esprits. 
Il ^'y était ni craint ni aimé. Les officiers témoignent presque tout 
haut leur joie, même les soldats, et il y en eut un de ces derniers qui 
était de faction, et, ayant appris par les passants la nouvelle, dit en 
allemand \Ah! ah ! il est mort ; eh bien, vive François , le père des sol- 
dats / Les Français témoignent une joie indécente à cette occasion, 
et leurs propos sont peu mesurés pour des gens auxquels on accorde 
l'hospitalité ; mais les malheurs ne les corrigent pas. Leur joie sur la 
mort de l'empereur est cependant balancée par l'incertitude où ils 
sont sur la volonté et la possibilité qu'aura l'archiduc François d'agir 
pour eux , et par la crainte que cet événement n'apporte de grands 
retards dans les affaires. Je crois l'une et l'autre de ces appréhensions 
mal fondées. La puissance de l'archiduc est la même que celle de son 
père ; il est toujours co-État de l'Empire, et en cette qualité son inté- 
rêt ne peut varier. Ses liaisons avec la Prusse subsistent telles qu'elles 
étaient, mais l'influence de la cour de Berlin doit augmenter et, par 
les bonnes dispositions que S. M. Prussienne témoigne, cette in- 
fluence est un bonheur pour les affaires de France et doit en hâter 
le développement, et l'intérêt de la cour de Vienne doit être de 
plaire en ce moment à celle de Berlin , pour conserver la dignité im- 
périale dans sa maison. 



(1) D'après la minute de la main du comte de FerseD, qui a écrit en marge : Chiffre. 



ET LA COUR DE FRANCE. 205 

D'après toutes ces données et les notions que j'ai sur la façon de 
penser particulière de l'archiduc François , qui a souvent improuvé la 
conduite lente, molle et indécise de son père dans les affaires de 
France , je n'hésite pas à regarder la mort de Léopold comme un 
événement plutôt heureux pour le roi de France. D'ailleurs, l'homme 
de la confiance de l'archiduc François, et qui l'accompagne depuis 
longtemps en qualité d'aide de camp, est un monsieur de Lamber- 
tie, Lorrain de naissance, dont la façon de penser sur la révolution 
française a toujours été très-prononcée; et je ne doute pas que son 
opinion n'influe sur celle de l'archiduc et sur la conduite qu'il tiendra. 

Il paraît qu'avant sa mort l'empereur avait changé de système. 
Du moins, dans ime conversation que le comte de Mercy eut le jeudi 
matin avec le baron de Breteuil, il le lui assura positivement. Le ba- 
ron, improuvant la réponse qui avait été envoyée, lui parla de la 
déclaration proposée par l'empereur ; le comte de Mercy lui répondit : 
Ce ne sont plus des déclarations qïîïlfautj V empereur le sent et a enfin 
changé de système; — puis, se levant avec vivacité et portant la 
main à son épée, il ajouta : Cest de cela qu'il faut ; V empereur le sent, 
il y est décidé et dans peu il y en aura ; il ne reste plus d autre moyen 
pour sauver la France et toute P Europe. Ce langage était bon , mais 
pouvait-on compter sur les promesses de l'empereur ? 

Le seul changement que cet événement me semble devoir appor- 
ter dans la marche des affaires est celui de l'emplacement du con- 
grès à Vienne. Cette idée doit tomber et celle d'Aix-la-Chapelle ou 
Cologne doit se reproduire, ce qui ne me paraît pas un malheur. 



206 LE COMTE DE FERSEN 



CLXL 

DU BARON DE TAUBE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Stockholm, ce 16 mars 1792. 

Le roi (2) m'ordonne de vous charger de faire savoir au roi 
et à la reine de France que, dans une audience particulière que le 
nouveau ministre de Prusse eut chez le roi, S. M. lui demanda ce que 
son maître pensait surPétat actuel delà France. Ce ministre lui répon- 
dit : « La reine de France est la sœur de l'empereur ; mon maître 
craint que , la puissance étant rendue au roi de France , la reine de 
France ne favorise trop son frère. — Mais, dit le roi (2), si la France 
s'éclipse entièrement de la balance politique de l'Europe , l'Angle- 
terre prescrirait des lois à toutes les puissances. » Le ministre de 
Prusse lui assura que si son maître était assuré que la reine de 
France ne penchât pas entièrement pour l'empereur, il signerait tout 
de suite une ligue, avec tous les autres souverains, pour remettre 
le roi de France sur le trône. Le roi (2) lui dit qu'il était assuré que 
la reine de France , instruite par ce malheureux cas, n'emploierait 
son influence et son autorité qu'à la (3) ou envers ceux qui re- 
connaissaient à son époux et & ses enfants la couronne de France , 
que l'Assemblée nationale venait d'usurper. Le roi de Suède veut que 
la reine de France sache cette conversation , pour qu'elle connaisse 
les craintes de la cour de Prusse, et afin qu'elle prenne en consé- 
quence les mesures qu'elle croit lui être les plus utiles dans la con- 
joncture présente. Le roi (4) a aussi dit au ministre de Danemark 
qu'il lui conseillait de ne point recevoir dans leurs ports le pavillon de 
l'Assemblée nationale. Quant aux deux prétendants à être ambassa- 
deurs, dont vous me parlez dans votre dernière lettre, le roi (4) se 



(1) Lettre en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
Chiffre de Taubtj le 16 mars, 

(2) De Suède. 

(8) Ce mot est illisible. 
(4) De Suède. 



ET LA COUR DE FRANCE. 207 

tient à sa première décision de n'en point recevoir que du roi de 
France directement, et sans aucun changement à la forme ordinaire 
des lettres de créance usitées de tout temps entre les deux cours. Le 
roi de Suède voudrait savoir si le prince de Condé est chargé de 
quelques commissions en Allemagne , de la part du roi de France, 
ou d'écrire à notre roi, et que ce prince lèverait des troupes dans les 
Etats des électeurs ecclésiastiques. 



CLXIL 



DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

Bruxelles, ce 17 mars 1792. 

Je ne regarde pas le changement du ministère en Espagne comme 
un malheur, et le caractère connu du comte d'Aranda devrait rassu- 
rer sur ses dispositions à votre égard. Cependant on ne peut pas sa- 
voir jusqu'où son aversion pour son prédécesseur et l'envie qu'il aura 
de défaire tout ce qui a été fait par lui peut le porter. M. de la Vau- 
guyon dans sa dépêche au baron (2) regrette M. de Florida Blanca, 
sans avoir cependant de notions sur les idées de son successeur. Dans 
cette position , je crois qu'une lettre du roi au comte d'Aranda se- 
rait d'une nécessité absolue, et ferait le plus grand effet sur un 
homme haut et dont la vanité est une des premières passions ; elle 
le déciderait en faveur de vos intérêts, s'il ne l'est pas déjà, et s'il 
l'est, elle ne fera que lui donner plus de zèle et plus d'activité. Dans 
tous les cas, je crois donc très-important de l'écrire, et, si le roi s'y 
décide, je crois qu'il n'y a pas un moment à perdre, et qu'on ne 
saurait trop se hâter de l'envoyer. Le baron, à qui j'en ai parlé, le 
pense comme moi et se propose de lui écrire aussi. Dans cette lettre 



(1) D'après la mlnate de la main du comte de Ferseo, qui a écrit en marge : A la reine, 
en blanCy par Gog, 

(2) De BieteuiL 



208 LE COMTE DE FERSEN 

le roi, après avoir exprimé au comte d'Aranda combien il est charmé 
de voir que le choix du roi se soit porté sur un homme dont les qua- 
lités connues justifient autant la confiance que son maître lui té- 
moigne, lui rappellerait le temps qu'il a passé en France et com- 
bien le roi a de raisons pour compter sur son attachement, par celui 
qu'il lui a toujours connu pour la maison de Bourbon. Le roi lui expri- 
merait le désir qu'il a d'être secouru par le roi d'Espagne , et lui par- 
lerait de sa lettre au roi d'Espagne et des démarches qu'il a faites 
auprès des autres cours, dont le succès doit dépendre de l'intérêt 
que le roi d'Espagne mettra à exciter leur zèle , et qu'il espère que le 
comte d'Aranda maintiendra et raffermira le roi d'Espagne dans 
les bonnes dispositions qu'il lui a déjà témoignées , et sur lesquelles 
il aime à compter. Le roi renouvellerait la demande du congrès ou 
s'en rapporterait simplement à la lettre qu'il a déjà écrite à ce sujet 
au roi d'Espagne. Il nommerait le baron de Breteuil comme étant 
l'homme de sa confiance , et chargé de ses pleins pouvoirs , et de- ^ 
manderait pour lui la confiance du comte d'Aranda. Il lui ferait sen- 
tir la nécessité du plus grand secret, et finirait par un compliment, 
qui peut le flatter et lui prouver le cas que le roi fait de sa personne. 
Il est intéressant que cette lettre soit écrite le plus tôt possible, le ba- 
ron l'enverra par courrier. 

L'Espagne donne 4 millions au roi de Suède et un demi-million aux 
princes. Elle a envoyé un plan d'opération à l'impératrice que nous 
aurons dans peu ; elle consent au congrès , et a déjà désigné le comte 
d'Ouis pour y aller, mais ce choix sera probablement changé par le 
comte d'Aranda. 

La Prusse va toujours bien, et le comte de Schoulembourg a dit 
qu'il regardait la mort de l'empereur comme avantageuse aux affiaires 
de France, dont cela hâterait la marche. Mais la lettre que je vous ai 
demandée pour le nouveau roi est absolument nécessaire ; le baron en 
joindra une de sa part. Cette démarche est très-pressée, de même que 
celle vis-à-vis du comte d'Aranda. Lé dernier article de ma lettre à 
M. Qog. est le moyen le plus sûr, le plus simple et le plus naturel 
de me la faire passer ; mais je ne saurais trop répéter combien il 
est nécessaire qu'elle se fasse promptement. 

Je supplie de ne voir dans mes importunités et dans mes sollicita- 
tions que le bien de votre service. J'ose encore vous rappeler l'article 
de l'argent, le baron étant sans ressources de ce côté. 



^ 



ET LA COUR DE FRANCE. 209 



CLXIII. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 18 mars 1792. 

Sire, 

Je viens de recevoir la dépêche que V. M. a daigné m'envoyer du 
19 février; depuis plus d'un mois j'avais été sans nouvelles de ma 
patrie, et j'ose me flatter que V. M. rend assez de justice à mes sen- 
timents et à mou dévouement pour sa personne pour sentir combien , 
dans un moment aussi important que celui d'une diète, cette priva- 
tion a dû me tourmenter; mîais plus mon inquiétude était grande et 
plus ma joie l'a été en apprenant , par le bulletin que V. M. a dai- 
gné me faire envoyer, que la diète était non-seulement finie, mais 
que tous les objets soumis à ses délibérations avaient été réglés au 
gré de ses souhaits. Daignez recevoir. Sire, avec bonté l'expression 
de la vive satisfaction que cette nouvelle a causée au plus dévoué 
de vos serviteurs, et celle des vœux que je ne cesserai de former 
pour le bonheur et la prospérité de V. M., heureux s'il a pu y contri- 
buer par ses faibles services. 

Dès que je fus informé avec certitude de l'intention du roi de 
France de s'adresser directement à l'impératrice, j'écrivis au comte 
d'Esterhazy pour lui conseiller de quitter Pétersbourg. N'ayant aucun 
chiffre avec lui je n'aurais pu lui en dire les raisons ; d'ailleurs ce 
conseil de mon amitié m'en aurait empêché, car il n'avait pour but 
que d'éviter au comte d'Esterhazy l'embarras où devait le jeter ce 
qu'il doit à son attachement pour le roi et la reine et ce qu'il devait 
à la confiance dont les princes l'honorent. J'espérais que ma lettre 
lui arriverait assez tôt pour qu'il pût être parti avant l'arrivée de 
M. de Bombelles , et qu'étant dans une ignorance totale de la démar- 
che du roi de France , qui devait être un secret pour les princes , il 
pourrait satisfaire à la première de ses obligations sans manquer à 



(1) D*aprè8 la minute de la main du comte de Fersen j cette lettre a été expédiée en clair 
et en chiffre. 

T. II. 14 



210 LE COMTE DE FERSEN 

l'autre. Le comte d'Esterhazy ayant cru ne pouvoir quitter Péters- 
bourg sans l'aveu des princes , et M. de Bombelles étant arrivé sur 
ces entrefaites , j'ai senti qu'il était nécessaire que le comte d'Ester- 
hazy restât pour couvrir les pégociations dont M. de Bombelles était 
chargé et assurer d'autant mieux le secret de sa mission que son dé- 
part dans ce moment aurait pu compromettre, et je me suis em- 
pressé d'en écrire dans ce sens. Le baron de Breteuil , qui ignorait 
absolument le conseil que j'avais donné au comte d'Esterhazy, a fort 
désapprouvé, par des raisons que je viens de dire , son départ, et a 
désiré qu'il restât à Pétersbourg et qu'il continuât à y suivre les né- 
gociations dont les princes le chargeraient. 

Nous n'avons encore aucune nouvelle des causes du renvoi de M. 
de Florida Blanca ni de l'influence que ce changement peut avoir sur 
les dispositions de l'Espagne relativement aux affaires de France. 
J'ai lieu d'espérer que le roi de France se décidera à écrire au comte 
d'Aranda. D'après la connaissance que je puis avoir du caractère de 
ce ministre , j'ai cru cette démarche nécessaire et d'un grand effet, 
et je l'ai indiquée ; si le roi s'y décide, je la crois d'un effet assuré. 

Le baron de Nolcken aura sans doute mandé à V. M. les change- 
ments qui ont déjà été faits par le nouveau roi de Hongrie. Cette 
conduite, qui marque du caractère, doit faire présumer qu'il ne sui- 
vra pas en tout le système de son père, et c'est d'un bon augure 
pour les affaires de France. 

J'ai l'honneur d'envoyer à V. M. la copie d'un papier qui circule 
beaucoup ici, il a été répandu avec profusion dans les casernes (1). 
Jusqu'à présent il n'a fait aucun ef .et sur les soldats , qui l'ont porté 
eux-mêmes à leurs officiers. Malgré cela, le gouvernement n'est pas 
très-rassuré. Les patrouilles sont multipliées, surtout la nuit, et les 



(1) Ce papier contenait le sennent suivant : 

XL Serment des confédérés : 

« Nous confédérés troupes VaUones, Hongroises et Allemandes, réunies avec la confé- 
n dération de toutes les proTÎnoes, jurons de ylvre et de mourir fidèles à notre religion et 
« à notre constitution, de défendre les droits et les privilèges de la Nation, particuliére- 
« ment pour les ordres de l'État au péril de notre vie. Nous jurons de mourir plutôt que 
« de souffrir plus longtemps la tyrannie qui nous opprime. Nous jurons de rester réunU 
« jusqu'à la mort à la confédération et d'oublier toute haine et esprit de parti ; de nou.^ 
« joindre, dans toutes les circonstances possibles, à la confédération pour le bien-être 
n général. Nous prenons à témoin, pour ce notre serment, le ciel et la terre. » 



ET LA COUR DE FRANCE. 211 

oiBciers ne sont pas aussi sûrs qu'ils devraient l'être de la fidélité de 
leurs soldats, et si on ne prend enfin des mesures vigoureuses con- 
tre les rebelles en France , ce pays-ci est perdu pour le roi de Hon- 
grie. Voilà les effets de la faiblesse , quand on la confond avec la 
douceur. 



CLXIV. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUEDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 21 mars 1792. 

Sire, 

Je vois par la lettre du baron de Taube du 16 février dernier que 
V. M. a désapprouvé le mémoire que la reine a été forcée d'envoyer 
à l'empereur et qu'elle a peine à sentir les raisons qui ont pu enga- 
ger h une démarche aussi extraordinaire. Elle était cependant inévi- 
table, d'après la conduite que LL. MM. ont adoptée. Les gens aux- 
quels ils ont affaire sont trop rusés pour qu'il soit aisé de les .trom- 
per ; ils ne se contentent plus de demi-moyens, et, pour leur ôter la 
possibilité de calomnier les intentions du roi et pour diminuer autant 
qu'il est possible les soupçons qu'ils conservent toujours sur sa bonne 
foi , il est nécessaire d'adopter les propositions qu'ils font et de faire 
ce qu'on ferait si effectivement on était de bonne foi. Je vais tâcher 
en peu de mots de donnera V. M. une idée de la position du roi et de 
la r«ine, qui pourra la mettre à même déjuger la conduite qu'ils 
sont forcés de tenir. Y. M. aura sans doute été informée pai* son am- 
bassadeur que c'est au moment de l'arrestation du roi et de son re- 
tour à Paris que le parti républicain s'est déclaré ouvertement, et 
qu'il voulait faire adopter les mesures les plus violentes. Les au- 
teurs de la nouvelle constitution, craignant alors le renversement de 



(1) D*aprÙ8 la minute de la main du comte de Fersen ; qni a écrit en marge : Chiffre. 
Gustave m fut blessé morteUem3nt au bal misqué de T Opéra, à Stockholm, le 16 mars 
1792, et expira le 29 du même mois. 






212 LE COMTE DE FEBSEN 

leur ouvrage, firent des propositious de se coaliser avec le roi pour 
s^opposer aux entreprises des républicains ; et le roi, abandonné de 
tout le monde , ne voyant aucune démarche prononcée de la part des 
puissances , et d'après les conseils du comte de Mercy, se décida & 
se concerter avec eux et à accepter la constitution. La nouvelle as- 
semblée fut convoquée ; elle est divisée en deux partis bien pronon- 
cés et également mauvais : ce sont les constitutionnels ou partisans de 
l'ancienne assemblée, et les jacobins ou républicains. Le troisième 
parti n'existe plus. Les premiers se disent les amis du roi, c'est-à- 
dire du roi constitutionnel ; ils veulent l'ordre , mais c'est pour assu- 
rer l'établissement de leur infernale constitution, pour assurer leur 
sûreté individuelle, et se soustraire au châtiment qu'ils ont si bien 
mérité. Les seconds sont les ennemis déclarés du roi , de l'ordre et 
de tous les pouvoirs , ils veulent le renversement de la constitution , 
de la, monarchie et du roi, et ne tendent qu'à une république ou 
plutôt à une subversion totale , à la faveur de laquelle ils espèrent 
trouver dans le pillage et les désordres de tout genre un moyen de 
s'enrichir, de se sauver et d'échapper ainsi au châtiment dû à leurs 
crimes. Le roi et la reine , ayant senti tout l'avantage qu'il y avait 
pour eux à fomenter dans l'Assemblée cet esprit de parti , pour mieux 
la perdre et entraver la constitution , ont pris celui de rester liés avec 
les constitutionnels et de régler leurs actions et le choix des ministres 
d'après leur avis , bien persuadés cependant de leurs mauvaises in- 
tentions et de l'impossibilité de gouverner par cette constitution , 
mais trouvant dans cette conduite le double avantage d'empêcher la 
réunion des deux partis et d'augmenter en même temps la confusion 
et les désordres de tous genres dans le royaume , de préparer par là les 
esprits au mécontentement, et faciliter les opérations vigoureuses 
qu'elles pourraient espérer des puissances. Voilà, Sire, les raisons qui 
ont déterminé la conduite du roi et de la reine ; mais, pour parvenir 
au but que LL. MM. se proposaient, il a fallu avoir l'air de se livrer 
entièrement à la marche indiquée par les constitutionnels ; il a fallu , 
pour mieux les endormir, adopter les démarches proposées par eux, 
et, pour les empêcher de se réunir aux républicains , il a fallu avoir 
l'air d'être de bonne foi dans leur parti y d'être dans le sens de la 
constitution et décidé à la soutenir et à marcher uniquement par 
elle. C'était le seul moyen d'empêcher une réunion qui aurait exposé 
les jours du roi et aurait pu donner des possibilités d'établir une ma- 



N 



ET LA COUR DE FRANCE. 213 

nîère de constitution. Malgré cela , LL. MM. ne se sont jamais fiées 
aux rebelles , ni aux assurances d'attachement qu'ils n'ont cessé de 
leur donner. LL. MM. n'ont jamais été la dupe du véritable motif 
qui les guidait; elles ont toujours senti qu'ils ne voulaient et ne 
pouvaient jamais faire le bien, qu'il n'y avait de ressource qu'un 
secours étranger, et LL. MM. m'ont fait l'honneur de me dire qu'il 
n'y avait que l'extrême nécessité qui ait pu les déterminer à l'avi- 
lissement de traiter avec d'aussi grands scélérats , et que c'était un 
des plus grands désagréments de leur malheureuse position. M. Bar- 
nave, Duport et Alexandre Lame th, quoiqu'ils ne soient plus mem- 
bres de l'Assemblée, dirigent le parti constitutionnel et sont les in- 
termédiaires auprès du roi. Ce sont eux qui ont fait le mémoire 
adressé à l'empereur et dont l'envoi a été longtemps différé sous 
différents prétextes , dont le plus spécieux était la difficulté de le 
faire tenir, la reine ayant nié avoir aucune correspondance directe 
avec l'empereur et aucun moyeu sûr de rien faire parvenir à M. de 
Mercy. Ces messieurs ayant trouvé le moyen d'aplanir toutes ces 
difficultés, un refus ultérieur aurait été impossible et aurait mis au 
jour les véritables intentions du roi ; et la reine a espéré qu'en pré- 
venant l'empereur et les cours amies, elles ne verraient en cette dé- 
marche, si contraire à leurs vrais sentiments, qu'une nouvelle preuve 
de la contrainte où LL. MM. sont retenues et du malheur de leur po- 
sition. Le changement qui vient de s'opérer dans le ministère est en- 
core une suite de ce plan de conduite. C'est d'après l'avis des consti- 
tutionnels que M. de Narbonne avait été appelé au département de 
la guerre ; il les a bientôt abandonnés , et a intrigué contre M. Ber- 
trand , qui avait aussi été placé par eux , ainsi que M. de Lessart. 
Les jacobins ayant eu le dessus dans la séance du 9 de ce mois et 
ayant fait arrêter M. de Lessart, les constitutionnels ont déterminé le 
roi au renvoi de M. de Narbonne et à la nomination du chevalier de 
Grave , afin qu'il ne restât au conseil que M. Cahier de Gerville à la 
dévotion des jacobins. J'ignore absolument ce qui a décidé le choix 
de M. Dumouriez et la Coste ; le premier est un intrigant, très-mau- 
vais sujet, qui avait été employé autrefois par le comte de Broglie 
dans la correspondance secrète de Louis XY et qui se laissa employer 
ensuite à espionner le comte de Broglie. On les dit tous les deux ja- 
cobins ; si cela était, leur triomphe serait complet, et dans ce cas il 
est impossible de prévoir ce qui en pourra arriver. 



214 LE COMTE DE FERSEN 

Il parait; par la dernière dépêche du marquis de Bombelles, que 
la prévention de l'impératrice pour les princes a jeté de la défa- 
veur sur la démarche de la reine vis-à-vis de cette princesse et 
qu'elle n'en a pas assez senti tout le prix. Il semble même que l'im- 
pératrice suspecte les intentions du baron de Breteuil et qu'elle le 
soupçonne de vouloir affaiblir l'influence que sa conduite noble et 
généreuse doit lui donner dans cette affaire, et qu'elle prête au roi 
de France de vouloir absolument écarter ses frères. Je ne sais d'où 
peuvent naître ces idées, que la lettre seule de la reine aurait dû 
détruire. Les expressions en sont claires ; la reine y exprime toute 
sa sensibilité et celle du roi de ne pouvoir se livrer à la confiance 
qu'ils aimeraient à avoir dans leurs frères et qu'ils ùiéritent pour 
leur attachement; elle motive la nécessité de cette réserve par 
l'indiscrétion qui règne dans leur conseil et parmi ceux qui les 
entourent. Elle désire que les princes n'agissent point partiellement, 
mais que toutes leurs démarches soient réglées et concertées av/cc les 
puissances ; et, ne pouvant elle-même manifester aux princes ce 
désir, ni leur communiquer ses projets, elle demande à l'impératrice 
de les guider et de déterminer leur marche, sans qu'ils puissent se 
douter que c'est d'accord avec le roi ou à sa demande. Quelle mar- 
que de confiance plus grande et plus touchante la reine pouvait-elle 
donner à l'impératrice que cette demande d'être la tutrice de ses 
frères, et l'impératrice peut-elle conclure de là le projet de diminuer 
son influence, et d'exclure les princes de toutes les opérations, et 
peut-elle soupçonner de ce projet le ministre qui a conseillé ou ap- 
prouvé cette démarche? V. M. peut seule détruire les préventions 
de l'impératrice à cet égard, en la rassurant sur les sentiments et 
les idées du baron de Breteuil , et en lui persuadant que le roi et la 
reine sentent tout le prix de la conduite des princes, mais qu'ils ne 
la croient utile qu'autant qu'elle sera concertée avec les forces que 
les puissances voudront accorder, et que, le roi ne pouvant, à cause 
de la nécessité absolue de secret, les diriger lui-même, il attend ce 
soin de l'amitié des puissances qui lui ont témoigné le plus d'in- 
térêt, et que c'est à ce titre qu'il s'est adressé à V. M. et à l'impéra- 
trice. 

V. M. approuvera sans doute le projet envoyé au roi de Prusse 
par le comte de Goltz, et que M. de Carisien lui aura communiqué, 
de faire élire et couronner le roi de Hongrie empereur par les mi- 



ET LA COUR DE FRANCE. 215 

nistres déjà résidents à la diète. Cette mesure, que des exemples an- 
térieurs autorisent, me paraît d'un grand avantage en ce moment, 
et V. M. pensera sans doute qu'il sera intéressant de l'appuyer de 
tout son crédit. 



CLXV. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1). 

Bruxelles, ce 21 mars 1792. 

Mon cher ami. D'après le retard qu'ont éprouvé les postes je 
doute que Staël ait pu recevoir à Hambourg l'ordre du roi. J'envoie 
aujourd'hui au roi un détail de la position du roi et de la reine de 
France, par où il verra que la reine, malgré tout ce qu'elle a pu 
faire pour l'éviter, n'a pu se défendre d'envoyer à l'empereur le mé- 
moire dont vous me parlez. Je pense comme vous qu'il aurait été 
préférable que cela ne fût pas, mais cela ne se pouvait autrement. 
Il est important pour le roi et la reine de France, et pour faciliter 
les opérations, que les deux partis restent divisés; cette division 
empêche l'établissement de la constitution, et de cet empêchement 
naissent tous los désordres et le discrédit des assignats, et c'est par 
ce discrédit que la contre-révolution sera facilitée, car ce mal et 
celui de l'anarchie se font sentir aujourd'hui sur toutes les classes ; 
mais si le roi de France ne s'était lui-même donné à aucun parti, 
et qu'il ne lui eût pas opposé l'autre, ce parti, étant sans appui 
et n'ayant plus d'espoir, se réunirait à l'autre, et on parviendrait 
peut-être par cette réunion à établir une espèce de gouvernement, 
et c'est ce qu'il importe d'empêcher. La reine n'est point dupe des 
coquins avec lesquels elle est forcée de traiter; elle les connaît 
pour ce qu'ils valent, et ils en ont eux-mêmes tant de peur qu'il 
faut une grande attention pour qu'ils ne s'en aperçoivent pas, et 
jusqu'à présent cela a fort bien réussi : ils ne se doutent pas des 



(I) Lettre en chiffrei dOchiffrée de la main du baron de Taube. 



216 LE COMTE DE FERSEN 

projets du roi de France, ni de ses liaisons extérieures ; ils croient 
qu'il n'a d'autres ressources qu'eux, que son arrestation l'a telle- 
ment eflfrayé qu'il croit ne pouvoir rien que par eux, qui c'est la 
nécessité qui l'a rapproché d'eux, et que c'est cette même néces- 
sité qui fait qu'il y est de bonne foi. Ils n'ont pas appris, par 
l'envoi du mémoire, que la reine avait des moyens de le faire pas- 
ser ; elle est trop fine pour se laisser prendre ainsi ; ils ont dû croire, 
au contraire, par tout ce qu'on leur a laissé voir, par la frayeur de 
la reine sur cet envoi, qu'elle n'en avait aucun ; elle le leur a même 
déclaré, et ce sont ces messieurs qui l'ont fourni. D'ailleurs, soyez 
tranquille, mon ami, la reine a trop vécu en France et a trop 
d'expérience pour ne pas sentir comme vous la nécessité de ne se 
confier à aucun Français. Le rôle que vous voulez lui faire jouer, 
celui de faire croire à tout le monde qu'elle approuve la constitution, 
est précisément celui qu'elle a adopté; mais lorsque cette même 
constitution est attaquée dans tous ses points, et que les républi- 
cains font tous leurs efforts pour la renverser et enlever encore au 
roi le peu d'autorité qu'elle lui laisse, il est naturel et conséquent 
à ce plan de conduite que la reine, ayant l'air d'aimer cette cons- 
titution, doit faire tout ce qu'elle peut pour la maintenir, et que le 
parti constitutionnel, connaissant l'ascendant qu'elle a sur le roi, doit 
s'adresser à elle pour qu'elle emploie tous les moyens pour par- 
venir à ce but ; et la reine , pour ne pas se trahir, ne peut éviter 
de traiter avec eux, quelque pénible qu'il soit pour elle de se prêter 
à cette conduite. Si vous pouviez connaître comme moi, mon ami, 
tous les détails de ses relations, loin de la blâmer, vous seriez 
forcé d'admirer son courage, et d'avoir pitié de l'excès de ses mal- 
heurs et des efforts continuels qu'elle est obligée de faire sur elle- 
même pour supporter leur insolence et l'avilissement auquel elle 
est sans cesse exposée; ce courage est au-dessus de celui des plus 
grands dangers, et la reine le sent vivement. 

L'accident arrivé à la reine de Portugal est un malheur poux nos 
affaires. J'avais indiqué une démarche de la reine de France auprès 
de cette princesse, qui n'aurait eu pour but que d'en obtenir des 
secours pécuniaires, dont une partie aurait été donnée au roi (1). 

(1) De Suède. 



ET LA COUR DE FRANCE. 217 

La reine y avait consenti, mais l'état où est la reine de Portugal et 
la faiblesse et les intrigues d'une régence rendent cette démarche 
impossible. Le baron d'Ehrensvaerd me mande que l'Espagne donne 
an roi (1) quatre millions; cette somme ne serait suffisante que 
dans les premiers moments, et il faudra tâcher que l'on en fournisse 
davantage dans le courant des opérations ; avant tout, il sera néces- 
saire à présent de connaître les dispositions du comte d'Aranda. Le 
baron de Breteuil lui écrit pour cela, et insiste sur les promesses 
faites par la cour d'Espagne ; l'argent promis au roi est un des prin* 
cipaux articles. 



CLXVL 

DU COMTE DE FERSEN A M. DE BILDT, CHARGÉ d'aFFAIRES DE SUÈDE 

A VIENNE (2). 

Bruxelles, ce 28 mars 1792. 

Monsieur. Faites-moi le plaisir de passer chez M. de Simolin, et 
de lui dire ce qui suit ; au cas qu'il fût déjà parti, vous voudriez 
bien brûler ma lettre, ou bien la garder quelque temps, au cas 
qu'il repasse à Vienne : 

« Mon cher Simolin. J'apprends ^ans le moment que votre souve- 
raine, en approuvant votre voyage, vous envoie ordre de revenir 
fiurJe-champ à Pétersbourg, pour lui donner des détails sur la 
France. Je suis bien feché de cet ordre qui me privera du plaisir 
de vous voir ; je me faisais une fête de passer quelque temps avec 
vous , et il n'y a que l'utilité dont vous pourrez être à Pétersbourg 
qui puisse me consoler un peu. Voici, mon cher Simolin, quelques 
détails que je crois nécessaire de vous donner. Vos ennemis (car 



(1) De Suède. 

(2) D'après le brouillon de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^ 
à M, de Bildtf par un courrier de Vienne. 



218 LE COMTE DE FERSEN 

qui n'en a pas? ) ont tâché de vous faire passer pour démocrate ; 
cependant il ne paraît pas que cela ait fait aucune impression sur 
l'esprit de l'impératrice, elle doit être persuadée du contraire; ses 
dispositions nobles et généreuses sont toujours également bonnes, 
mais elle est fortement prévenue pour les princes et elle désap- 
prouve fort qu'on n'agisse pas entièrement par eux ; elle s'est 
même persuadée que l'intention du roi et de la reine était de les 
exclure tout à fait. Le roi de Suède ne partage pas ces idées de 
l'impératrice, et il sent l'impossibilité de faire des princes les acteurs 
principaux, et celle que le roi de France vpuisse se confier à eux à 
cause de leur indiscrétion. Le prince de Nassau, quoique attaché 
aux princes, est fort raisonnable; mais le comte d'Esterhazy entre- 
tient l'impératrice dans ces idées, et il doit être fort accueilli par 
elle. Il serait digne de vous, mon cher Simolin, de tâcher de recti- 
fier peu à peu les idées de l'impératrice à cet égard, de lui prouver 
les dangers et les inconvénients d'une confiance illimitée du roi 
de France dans ses frères, car ce serait le moyen que tous les pro- 
jets fussent sus à Paris, et dès lors tout serait perdu. Il faudrait 
bien lui dire que le projet du roi et de la reine n'est pas d'exclure 
les princes; qu'ils sont convaincus de leur attachement et de la 
pureté de leurs vues ; qu'ils sentent toute l'utilité dont ils sont 
pour leur cause, ainsi que la noblesse, mais que l'indiscrétion de 
leurs entours a imposé au roi la dure nécessité de ne pas se livrer, 
vis-à-vis d'eux, à toute la confiance que son cœur lui inspire; que 
les difl*érentes proclamations exagérées qu'ils ont données, et qui 
ne respirent que haine et vengeance, ont tellement effrayé et irrité 
contre eux qu'en les présentant seuls à la tête de la contre-révolu- 
tion, on éprouverait de plus grands obstacles que si les princes ne 
faisaient qu'agir de concert avec les puissances, et qu'elles fussent 
les agents principaux ; que c'est pour obvier à tous ces inconvénients, 
et donner du crédit aux négociations des princes en sa faveur, que 
le roi est décidé à faire des démarches directes auprès des différentes 
puissances, et que celle que la reine a faite auprès de l'impératrice, 
en la priant de régler et de diriger la conduite des princes, en lui 
donnant une marque touchante de la plus grande confiance, doit 
lui prouver que son intention n'est pas de les exclure, mais un moyen 
de remédier à l'indiscrétion de leurs entours et de rendre leurs 
démarches utiles au roi et au rétablissement de la monarchie. L'in- 



ET LA COUR DE FRANCE. 219 

tentîon du roi est donc d'agir avec les princes, mais non pas uni- 
quement par eux, dans la persuasion que cette marche rendrait 
l'opération plus diflScile. — On est aussi parvenu à persuader à 
l'impératrice que le baron de Breteuil voulait négocier avec l'As- 
semblée, qu'il voulait l'établissement de deux chambres, etc. Vous 
savez que son idée est le rétablissement en entier de la monarchie, 
et qu'il croit qu'elle ne peut être opérée que par la force et le se- 
cours des puissances étrangères. 

a Voilà, mon cher Simolin, ce dont j'ai cru intéressant de vous 
prévenir; j'espère que vous n'y verrez que l'intérêt de mon amitié 
pour vous, et celui d'une cause qui nous intéresse tous deux. — 
Depuis quelque temps la position du roi et de la reine a tellement 
empiré qu'ils courent les plus grands dangers, et que les secours 
des puissances étrangères deviennent plus pressants que jamais. 
Les jacobins ont absolument le dessus ; il y a eu un projet d'accuser 
la reine, de l'implîquer dans l'affaire de M. de Lessart, de la séparer 
du roi et la mettre dans un couvent, de suspendre le roi de ses 
fonctions et de nommer M. Condorcet gouverneur du Dauphin. 
Cela a été différé, mais pas abandonné. Tout le ministère est jaco- 
bin. J'en ai envoyé un détail à Stedingk, demandez à le voir. Si vous 
aviez quelques détails à me faire parvenir, vous pourriez les donner 
à M. de Bildt, qui vous porte cette lettre, et il me les ferait passer 
en chiffre. 

« Adieu, mon cher Simolin ; ne doutez jamais des sentiments que 
je vous ai voués. » 

Vous sentez, monsieur, combien il est intéressant que ce que je 
vous confie soit pour vous seul, et j'espère que vous voudrez bien 
vous charger de lo'envoyer ce que M. de Simolin pourrait avoir à 
me communiquer. 



220 LE COMTE DE FERSEN 



CLXVIL 

DE LA REINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Ce 80 mars 1792. 

J'ai reçu hier votre lettre du 27. Cette manière est bien sûre ; 
vous pourrez toujours m'écrire, soit sous cette adresse ou celle 
de M. Broune ; mais il faut mettre un n k vos lettres et à la pre- 
mière tnettez n = deux, cela sera encore plus sûr. 

Parlez à M"® Sullivan d'une manière dont elle a parlé à Jarjayes 

pour me faire tenir des boîtes de biscottes; il faudrait savoir 

le nom de la femme à laquelle ' il faut s'adresser chez elle ; mais 
prenez garde, M. C... ne sait rien de cela, il n'a même pas voulu 
qu'elle voie J. la dernière fois. 

Que veut dire la nouvelle lettre de Vienne en réponse de celle 
de M. de Lessart? Elle reparaît ici aussi mauvaise que l'autre. Pour 
ici tout le monde la trouve superbe et d'une excellente politique. 
Il est certain qu'elle nous décidera vraisemblablement à attaquer. 
On n'attend pour cela que la réponse & la lettre de M. Dumouriez. 
Je l'ai, mandé à M. de'Mercy. Le plan est d'attaquer par la Savoie 
et le pays de Liège; on espère que, n'ayant pas assez de troupes 
encore de ces deux côtés, on pourra faire quelque chose. Turin est 
averti par moi depuis trois semaines. Il est essentiel de prendre des 
précautions du côté de Liège. On envoie aux Deux-Ponts un M. de 
Naiac qui vit à Vienne avec le car. de Rohan, et M. Chauvelin 
comme ministre à Londres. 

Je suis bien tourmentée dans ce moment pour le gouverneur de 
mon fils. Nous nous sommes décidés pour M. de Fleurian, mais 
nous ne savons pas encore le moment où nous le dirons. 

M. C... vous aura parlé d'une manière pour m'écrire sans chiflre 
en italien ; n'oubliez pas de m'envoyer la liste des noms. Quand mes 
lettres auront un second n après avoir d'abord écrit, il sera du pre- 



(I) Lettre en chiffre, déchifErée de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
Chiffrt de la reine } 8 avril re^. 



ET LA COUR DE FRANCE. 221 

mîer volume de en toutes lettres ; ce sera des choses qui ne re- 
garderont plus le b. de Bret. : 

Notre position est toujours affreuse, mais pourtant moins dange- 
reuse si c'est nous qui attaquerons. Les ministres viennent de faire 
sanctionner le décret des passeports. 



CLXVIIL 



DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE GUSTAVE III (1). 

Bruxelles, ce 1«' avril 1792. 

Sire, 

La dernière dépêche que j'ai eu l'honneur d'adresser à V. M. était 
du 24 mars (2) et fut expédiée par estafette. J'avais déjà reçu 
celle que vous avez daigné m'envoyer, Sire, du 28 février, et celle 
du 2 mars vient de m'être remise. Nous n'avons point encore de 
nouvelles des dispositions du comte d'Aranda relativement aux 
affaires de France. Le baron de Breteuil lui a envoyé un courrier 
pour les connaître et le presser de fortifier et d'accélérer celles que 
le roi d'Espagne a déjà témoignées. Un des articles principaux de 
sa lettre est celui des secours pécuniaires à fournir à V. M. Il rap- 
pelle au comte d'Aranda les engagements déjà pris à cet égard 
par le roi d'Espagne et les promesses faites au ministre de V. M. 
dans sa conférence avec le comte de Florida Blanca, le 2 août 1791, 
où ce ministre promit de la part de son maître de concourir de se- 
cours pécuniaires à la concurrence de 8 à 10 millions. Il insiste 
pour qu'il soit fourni à V. M. la somme de 2 millions d'écus de 
Hambourg pour mettre sa flotte et son armée en état d'agir de 
concert avec les autres puissances. Il demande que 4 millions soient 



(1) D'après la minute de la jnain du comte de Fenen. 

(2) Cette lettre est publiée dans Touvrage de M. Feuillet de Conches : LouU XVI, 3farie' 
AnUnnOte et Madame Elisabeth, V« vol., p. 858. 



222 ' LE COMTE DE FERSEN 

« 

payés dans le courant du mois d'avril et le reste à des époques dé- 
terminées, et il prend, au nom du roi de France, l'engagement de 
rembourser au roi d'Espagne toutes les avances qui seront faites à 
V. M. J'ai prévenu le baron d'Ehrensvaerd de cette démarche afin 
qu'il puisse s'en appuyer dans celle qu'il jugera convenable de faire. 
Si l'Espagne, au lieu de fournir 'aux princes tant de millions qui 
ont été gaspillés on ne sait comment, les avait gardés ou les eût 
fournis à V. M., ils auraient servi plus utilement & la cause du roi 
de France. 

Les nouvelles de Prusse sont toujours également bonnes, et il 
paraît que le roi et le ministère prussien se livrent avec toute la 
franchise de la bonne foi; ils ont donné les assurances les plus 
positives au vicomte de Caraman et ils pressent fortement le nou- 
veau roi de Hongrie de se déclarer ouvertement. M. de Carisien aura 
sans doute rendu compte à V. M. qu'ils suivent avec chaleur le pro- 
jet de hâter l'élection de l'empereur. Nous n'aurons de nouvelles 
positives de Vienne que par le retour de la personne qui y a été 
envoyée par le roi et la reine ; mais une personne du pays, cligne 
de foi, mande que le jeune roi a dit qu'il ne donnerait point contre- 
ordre à la marche des troupes. 

Par la lettre que V, M. a daigné m'envoyer de l'impératrice, et 
dont je ne ferai aucun usage, il paraît que la trop grande partialité 
de cette princesse pour les princes subsiste toujours et que, si on 
ne parvient à la diminuer, elle pourrait embarrasser la marche des 
affaires, par la trop haute idée que l'impératrice a de leurs forces 
et de leurs moyens et que les envoyés des princes ne fortifient ^ue 
trop ; quel que soit l'état de faiblesse et de nullité où est le royaume 
de France dans ce moment, il lui reste encore assez de force et 
d'exaltation pour résister aux princes, et jamais on ne parviendra à 
réduire les rebelles que par l'action et l'accord imposant des puis- 
sances réunies. Un autre point sur lequel il serait essentiel d'éclairer 
l'impératrice^ c'est sur la latitude que S. M. donne à cette expression 
de la lettre de la reine où il est dit qu'il faut dans tous les cas 
mettre en avant les puissances étrangères, et laisser les princes et 
leur parti en arrière. L'impératrice conclut de là que l'intention est 
de les exclure de toutes les opérations , ce qui n'est ni le projet da 
roi ni de la reine. Leur idée est, en peu de mots, qu'il faut agir 
avec les princes mais non uniquement par eux, mais par les puis- 



£T LA COUR DE FRANCE. 223 

sances; que ce sont les puissances qui donneront le branle, et que 
les princes et leur parti seront alors des auxiliaires très-utiles. Cette 
manière de voir est fondée sur des raisons déjà alléguées d'indiscré- 
tion, e1 d'opposition plus forte si on les voyait à la tête de tout. 

La certitude que vous avez. Sire, sur la neutralité de l'Angleterre 
est un point capital, et bien intéressant à communiquer à l'Espagne, 
qui est sans cesse retenue par la crainte des projets de cette puis- 
sance. 

Le projet d'écrire confidentiellement au roi d'Angleterre, qui avait 
été adopté par le roi de France, vient d'être abandonné par le chan- 
gement de position où S. M. se trouve et l'impossibilité où est ce 
prince d'avoir aucune correspondance; il pourra cependant être 
repris, si les circonstances changeaient. Tout ce qui vient de se passer 
légitimerait bien la fuite du roi et de la reine, et la rend plus né- 
cessaire que jamais. Je ne cesse de m'occuper des moyens de la 
faire réussir, et de voir s'il sera possible d'y engager LL. MM. Je 
n'en désespère pas, si les troupes des diflTéreutes puissances arrivent. 
C'est un point capital, et V. M. pensera sans doute que tout doit 
être sacrifié pour l'obtenir. 

La tranquillité est un peu revenue à Paris, mais durera-t-elle ? 
c'est ce qu'il est impossible de prévoir et même d'espérer. Le roi et 
la reine ne s'en flattent pas, et LL. MM. sentent vivement tous les 
dangers auquels ils sont sans cesse exposés. Us ont déjà fait avertir 
le roi de Hongrie, du projet qu'ont les rebelles de l'attaquer, et 
M. Crawford, qui vient d'arriver, est chargé de la part de la reine de 
confirmer cette nouvelle à M. de Mercy, et d'y ajouter qu'ils font 
de très-grands préparatifs, qu'il ne faut pas mépriser. 



224 LE COMTE DE FERSEN 



CLXIX. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1). 

Ce 9 avril 1792. 

Quant à l'argent, il faudrait que M. de Septeuil donne une 
traite sur son correspondant à Londres , en faveur de MM. Danoot 
fils, soit en mon nom, ou en celui de M. Crawford. Bien n'est plus 
aisé, mais il faudrait que cela fût le plus tôt possible, et que j'en fusse 
prévenu. La somme serait de cent mille écus pour les dépenses 
courantes, et de trente-six mille francs pour six mois de dépense 
pour le baron (2) . J'ai reçu votre n" 2 ; oui, c'est un événement 
affreux, mais il faut espérer que le coup est manqué. Le roi (3) 
continue à aller bien. Je vous envoie ce petit détail que j'ai fait 
pour vous ; je Tadresse à M. Broune. Je vous écrirai demain par 
M. d'Agoult qui va à Paris. J'ai été bien triste, mais je suis un peu 
plus tranquille. 

Comme M. d'Agoult part ce soir, je ne pourrai vous écrire par 
lui. D'ailleurs, avant de connaître bien les intentions du comte d'A- 
randa, il n'y a rien d'intéressant à vous mander. Une lettre du roi 
à lui ferait un bon effet. 



(1) Lettre expédiée en chiffre. Copiée d'après la minute de la main dn comte de Fersen, 
qui a écrit en marge : A la reine, 

(2) De BreteuiL 

(3) De Suède. 



ET LA COUR DE FRANCE. 226 



CLXX. 

DU BOI DB HONGRIE A LA REINE MARIB-ANTOINBTTB (1). 

Votre homme s'esjk bien acquitté de sa commission. Comptez pour 
sûr qu'on fera tout ce qu'on pourra pour vous satisfaire^ et, si vous 
n'êtes pas servie tout de suite, c'est que plus d'un doivent y mettre 
la main. 

Vienne , ce 19 ayril 1792. 



CLXXL 

DU PRINCE DE KAUNITZ A LA REINE MABIB-ANTOINETTE (2). 

L'inviolable attachement que j'ai voué à toute la postérité de 
l'immortelle Marie-Thérèse et très-particulièrement à Y. M., depuis 
son enfance 9 ne finira qu'avec ma vie. Je prie Y. M. de ne jamais 
en douter, et, en cette considération, j'espère qu'elle voudra bien 
continuer sa bienveillance au plus ancien serviteur de sa maison. 



( 1 ) Copie de la main du comte de Fenen, qni a écrit deesiiB : Copie du billet écrit par 
le roi tT Hongrie, êw vn petit morceau de papier^ de $a main, à la reine de France, et remit à 
Gog, §an» date; <f était du 9 avril, 17 avril reçu, 

(2) Copie de la main du comte de Fersen, qui a écrit dessus : Copie du hUlet du prince 
Kaunitz à la reine, remis à Gog, Ce billet était écrit eur un petit papier par un êeerétaire. 



T. II. 15 



226 LE COMTE DE FERSEN 



CLXXIL 

DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYJÉ DU ROI LOUIS XVI A LA 
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 10 AVRIL 1792 (1). 

« 

Vous aurez été bien affecté, monsieur le baron , de la mort du roi de 
Suède ; elle doit être sentie par tous les bons Français, comme la perte 
d'un de leurs plus généreux protecteurs. Ma reconnaissance per- 
sonnelle a encore ajouté pour moi à ce pénible sentiment, et cette 
ftmeste catastrophe m'a véritablement accablé. C'est un concours 
bien bizarre de circonstances, toutes plus extraordinaires les unes 
que les autres, qui semblent vouloir mettre notre patience aux 
dernières épreuves , et je ne crois pas qu'il soit possible d'ajouter 
quelque chose à la fatalité qui nous poursuit. Cette mort a été peu 
sentie ici, où l'on n'aimait pas le roi de Suède, mais cependant le 
roi en a été véritablement touché. 

Bischoffswerder est arrivé avant-hier, 8 de ce mois , à 7 heures du 
soir ; il était parti le 4 de Vienne , et ne s'était arrêté que quelques 
heures à Prague, où il a encore vu le prince de Hohenlohe. Hier 
matin il est parti de très-bonne heure pour Potsdam, de sorte qu'il 
m'a été impossible de le voir; mais par le prince de Beuss, qui a 
passé la soirée avec lui chez sa fiUe, et par d'autres voies , dont je 
me suis assuré, voici les détails que je puis vous transmettre avec 
sûreté : 

M. Bischoffswerder a été très-content en général du roi de Hon- 
grie, dont il donne les plus grandes espérances, et il en été aussi 
plus particulièrement relativement à nos affaires. H lui a toujours 
montré autant de volonté que de caractère. Ce prince reconnaît les 
égards qu'il doit à MM. de Eaunitz et de Lascy, mais il ne les 
écoute pas aveuglément, et, relativement à ce qui nous regarde, il 
a dit à M. de Bischoffswerder qu'il fallait bien qu'il eût l'air de 
prendre leurs conseils, mais qu'il ne devait pas s'en effrayer, que son 



( 1 ) Diaprés une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fenen, qui a 
écrit en marge : 18 avril, reçu. 



ET LA COUR DE FRANCE. 227 

, parti était bien pris, et qu'il n'y avait que le prince de Hohenlohe 
avec qui il pût en parler franchement^ parce que lui seul connais- 
sait ses véritables sentiments. Eaunitz et Lascy sont ouvertement 
contre le projet ; le seul Spielman est pour nous, et il y est avec 
d'autant plus de chaleur que le parti opposé cherche à le déjouer, 
et même à le déposter, mais il est trop nécessaire pour que cela 
puisse réussir. Spielman est l'homme de confiance, d'autant plus, à 
ce qu'a dit sûrement Bischoffswerder, que le prince de Kaunitz, qui 
conserve encore des élans de génie, est cependant étonnamment baissé 
et quelquefois même radote. Le prince de Hohenlohe est tout feu 
pour la chose, et c'est d'un bon augure, puisque le roi de Hongrie 
le soutient et lui témoigne toute confiance. Bischoffswerder a ob- 
tenu la circulaire , il l'a apportée ici ; aussitôt qu'elle sera retour- 
née à Vienne , avec l'assentiment de la cour de Berlin, elle sera en- 
fin expédiée aux cours étrangères. Ce n'est pas sans peine que Bis- 
chofifewerder a pu déterminer à cette démarche. Le jour où il a pris 
congé du prince Eaunitz, il lui a dit : Votes vous embarqtiezdans une 
araire dont vous vous repentirez; vous étiez entraîne par une ardeur 
peu réfléchie ; mais enfin, puisque votes le voulez, cette ardeur vous per^ 
dra, Jai donné mon consentement à la drculaircjje Fat signée, et elle par-- 
tira, mais souvenez-vous que je vous prédis que vous vous en repentirez* 

Le roi de Hongrie a remis à Bischoffswerder une lettre pour le roi de 
Prusse, que l'on dit charmante ; il lui en a aussi donné une pour le 
duc de Brunswick , où il lui témoigne toute la confiance que, dans 
ce moment, ses talents lui donnent, et combien il augure favora- 
blement de voir la direction de cette entreprise confiée à d'aussi 
grands talents. H a même été convenu, et ceci, monsieur le baron, doit 
rester entre vous et moi, que sous quinze jours le prince de Hohen- 
lohe se rendra secrètement à Pots dam pour se concerter plus inti- 
mement avec le duc de Brunswick. Cette entrevue devait avoir lieu 
à Leipzig; mais, le roi de Prusse ayant désiré être présent, le roi 
de Hongrie y a accédé sur-le-champ, et le prince de Hohenlohe se 
rendra à Potsdam. 

Best donc encore possible, monsieur le baron, de former quelques 
nouvelles espérances ; cette idée consolante ranime tout mon courage, et 
j'en retrouve d'autant plus que j'ai tout lieu de croire que Bischoffs- 
werder a pris notre affaire très à cœur, et qu'il la poussera autant 
qu'il dépend de lui. D'un autre côté, je sais que le duc du Bruns- 



228 LE COMTE DE FERSEN 

r wick y a aperça un grand rôle à jouer, et il a dit au roi qu'il lui 

promettait de tout terminer en trois mois. 

J'écrirai à Potsdam au général Bischoffswerder pour savoir si 
je puis espérer de le voir; j'ai pour prétexte quelques personnes de 
ma connaissance qui s'y trouvent actuellement, et j'en profiterai. 

Comme la poste jusqu'ici ne m'a jamais manqué, et que les mal- 
heureuses circonstances où nous nous trouvons permettent de tout 
craindre, j'ai été bien] inquiet de n'avoir rien reçu par le dernier 
courrier, ni de Bruxelles ni de France. J'étais tout préoccupé d'idées 

\ désastreuses, lorsque le prince de Beuss est venu m'annoncer hier 

au soir l'arrivée d'un courrier, expédié par Leurs Altesse Boyales. 
Vous connaissez sûrement le motif de son envoi, et j'ai été bien con- 
trarié de ne rien recevoir de vous par lui ; je ne puis supposer 
qu'on l'ait feit partir sans vous en prévenir, et c'est ce qui m'a rendu 
plus étonnant de n'avoir rien reçu. Le prince de Beuss a été sur-le- 
champ chez M. de Schoulembourg, pour lui communiquer les soupçons 
que l'on avait d'une invasion prochaine et engager la cour de Ber- 

^ lin à prendre des résolutions qui ne laissent aucun retard , lors- 

qu'on lui communiquera les précautions que l'on prendra à Vienne. 
Le ministère a été un peu ému de cette nouvelle, et il ne croyait pas 
voir vérifier sitôt les inquiétudes que j'avais cherché à lui faire re- 
garder comme bien fondées. Tout ceci sera probablement envoyé sur- 
le-champ à Potsdam, et^ si je ne le puis plus tôt, je vous instruirai du 
résultat par le courrier que le prince de Beuss doit renvoyer à Bruxel- 
les après-demain. Je crois que pour premier moyen on fera por- 
ter en avant le landgrave de Cassel, qui demande depuis longtemps 
à être autorisé à marcher. On n'ose pas se servir des troupes de 
Wesiphalie, parce qu'elles sont presque toutes composées de déser- 
teurs français. Je ne sais encore s'il est question de se servir des 
émigrés ; mais le prince de Beuss m'a dit qu'il serait possible de 
porter les légions et autres corps organisés vers le pays de Trêves et 
entre Luxembourg et le Bhin, afin de lier par ce moyen et celui des 
troupes de Hesse le Brisgau avec Luxembourg, ce qui formerait une 
ligne de défense qui donnerait le temps d'attendre les renforts. 

Comme avec les voies actives , il sera bientôt important de faire 
parler convenablement les puissances, et qu'il est très-important 
que leur langage soit combiné avec là sûreté du roi et le] succès de 
l'effroi que répandra le développement de l'appareil militaire, j'ima- 



ET LA COUR DE FRANCE 229 

gine, monsieur le baron, que vous ne tarderez pas à m'envoyer les ba- 
ses d'après lesquelles vous désirez que j'en dirige l'expression. Jusque- 
1& je m'occuperai de presser toutes les démarches de dispositions , de 
manière à engager le plus tôt possible le premier pas ; car ce ne sera 
que lorsqu'il aura été fait que je croirai tenir quelque chose. 

Bou fait tous ses efforts pour profiter de ce moment pour obtenir 
qu'on accorde aux princes la faculté de se mettre en attitude mili- 
taire ; il me semble que je ne puis l'appuyer dans cette démarche. 
La seule chose que je sollicite vivement encore , c'est que cette au- 
torisation soit donnée en termes assez formels pour nécessiter ceux 
qui la donneront à la regarder comme un engagement de leur part 
qui lie les émigrés & leur cause et leur assure leur soutien, et c'est 
dans ce sens que je me conduirai. 

Ce mardi 10, à midi. " 

J'ai été chez M. de Schoulembourg, et, soit feinte, soit erreur, il 
a pris avec moi l'air de la plus grande tranquillité et sécurité : il m'a 
dit que tout cela n'était encore que des bruits vagues , et que rien 
ne constatait que ce fdt fondé en raison; qu'au reste c'était tout 
ce qu'il désirait, mais puisque le temps était trop court pour pren- 
dre les précautions nécessaires, il fallait attendre que cela se confir- 
mât, ce qui devait, selon lui, arriver tôt ou tard. Il se refuse toigours à 
se servir des troupes de la Westphalie, quoique le gouvernement 
des Pays-Bas le sollicite ; mais il m'a dit que les troupes hessoises 
étaient déjà rapprochées, et qu'en cas d'attaque elles se porte- 
raient où il serait nécessaire. Les princes ont positivement fait un 
traité avec le landgrave , mais il n'aura lieu qu'en cas de guerre. 
Il est fait au nom du roi de France , et on y stipule que les trou- 
pes hessoises seront conservées ensuite, pendant un certain temps, 
à la solde de la France en France ; même le roi de Prusse a donné 
son assentiment à ce traité, mais seulement en cas de guerre. C'est 
M. de Schoulembourg qui m'a donné cette explication; il m'a dit 
aussi que Custine avait été embarrassé de produire ce que son der- 
nier courrier lui avait apporté , qu'il ne l'avait pas osé communi- 
quer. Cependant M. de GoUz mandait de Paris que l'on attendait 
avec impatience le retour de ce courrier. 



230 LE COMTE DE FERSEN 



CLXXIII. 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

[NO 4. Ce 16 avrU 1792. 

M. de Maulde part pour Vienne aujourd'hui, il semble que c'est 
la dernière au roi, on veut absolument la guerre ici ; tant mieux si 
cela peut décider tout le monde , car notre position n'est plus sup- 
portable. J'ai reçu votre lettre du 9 ; il n'y avait point de numéro, 
mais je la compte pour n** deux. Je suis inquiète du retour de M. Gog ; 
je crains qu'on ne le guette ; il faut qu'il prenne bien des précau- 
tions. Adieu. 

H n'est plus sûr que g... de Maulds parte; je ne peux pas en 
dire davantage, il faut donner ma lettre. Adieu. 



CLXXIV. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (2). 

Ce 17 avril 1792. 

Vous aurez déjà reçu la triste et accablante nouvelle de la mort du 
roi (3). Vous perdez en lui un ferme appui, un bon allié, et moi un 
protecteur et un ami. Cette perte est cruelle. 

Le compte que M. de Simolin a rendu au baron (4) de sa négo- 



( 1 ) BîUet en chiffre, déchîfiEré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
De la reine; 18 avrils reçu» 

(2) Lettre expédiée en chiffre. Copiée d'après la minute de la main du comte de Ferseo. 
qui a écrit en marge : Chiffre à la reine, N^S; 19 avril 1792, daté 17. 

(8) De Suède Gustare III. 

(4) De Breteul. 



ET LA COUR DE FRANCE. 231 

ciation à Yienne ne promet rien de plus actif de cette cour que par 
le passé. H paratt que le même système y sera suivi ^ et ^ depuis la 
mort du roi de Suède ^ on ne peut être assuré de la marche que Tim- 
pératrice suivra ; mais, dans cette incertitude , le moyen le plus sûr 
est de t&cher de &ire attaquer : une démarche hostile de votre part 
est la seule chose qui puisse les décider tous. Si elle pouvait être re- 
tardée d'un mois 9 cela vaudrait mieux. Je vous expliquerai tout cela 
plus en détail par une caisse de biscottes. 

J'ai parlé à M"*" Sulliwan ; elle a dit à J (1) qu'elle laisserait des 

ordres pour que, malgré son absence, je puisse vous envoyer des pa- 
piers comme par le passé, et que vous puissiez m'en envoyer. La 
femme à qui il faut s'adresser est M"'" Toscani; elle est sûre, et, en 
lui envoyant une boîte qui contiendra quelques morceaux de drap ou 
autre chose, conmie pour M. Crawford, elle la ferait passer. Elle 
n'en a pas parlé à M. C (2), car il est tellement craintif et pru- 
dent qu'il aurait hésité , et qu'on ne ferait jamais rien. C'est à cause 
de cela qu'il n'a pas voulu qu'elle vît J...., car d'ailleurs il n%» pas de 
secrets pour elle et lui dit tout. 



CLXXV. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (3). 



Brazelles, ce 18 ayril 1792. 



[En clair,] 



Depuis l'accablante lettre du 29, je n'en ai point reçu de vous, 
mon ami ; la poste d'Allemagne a sans doute été retardée par les 
mauvais chemins. Je ne puis me consoler de la perte affreuse (4) 



(1) Jaijays? 

(2) Crawford. 

(8) Lettre antographe, déchiffrée de la main du baron de Taube. 
(4) La mort da roi de Suède GuBtare m. 



232 LE COMTE DE FERSEN 

que nous venoiiB de &.ire. Tons les jours, ma douleur se renouvelle; 
le souvenir de ses bontés, ce souvenir ne me quittera jamais, et ma 
reconnaissance ne finira qu'avec ma vie. Mon Dieu I pourquoi ne 
puis-je encore lui en offrir Thommage I Vous devez sentir le plaisir 
que j'aurais à avoir son portrait , si cela se peut. 

[En chiffre.] 

Les nouvelles que nous recevons de Vienne ne sont pas bonnes ; 
on n'y sera pas plus actif que sous le défunt, et Simolin n'y a 
lien pu occasionner. Il faudra voir ce que la personne que la 
reine y a envoyée rapportera. Cette disposition et Tincertitude sur 
celle de l'impératrice m'ont engagé à conseiller à LL. MM. de 
pousser les rebelles à attaquer; depuis la mort de notre roi, c'est la 
seule ressource qui leur reste pour décider les puissances. 

Je suis décidé, mon ami, à ne pas retourner en Suède dans ce 
moment; conmieje tiens seul le fil des affaires ^ et que toutes celles 
de LL. MM. passent par moi , je ne pourrais m'absenter sans qu'elles 
en souffrent ou même qu'elles soient tout à fait interrompues. Si on 
en avait l'idée , t&cbez de l'éloigner. Je vous enverrai copie de ma 
lettre à la reine de France. Comme je finissais ce chiffre, j'apprends 
par une voie très-sûre que les dispositions à Vienne ont changé , que 
le roi (1) est décidé à agir, que ses troupes vont marcher. Une lettre 
du comte de Caraman, de Berlin, confirme la nouvelle ; je vous enver- 
rai les détails dimanche. La circulaire pour inviter les autres puis- 
sances doit être partie. 



(1) De HongriOi plna tard l'exnpeienr François II. 



ET LA COUR DE FRANCE. 233 



CLXXVI. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REDΠMARIS-ANTOINETTE (1). 

N» 4. Ce 19 ayril 1792. 

• 

J'ai reçu hier le n^ quatre^ mais le n* trois manque. M. Gog. est 
arrivé ce matin ; il porte de bonnes nouvelles , mais elles ne seraient 
encore rien, si nous n'en avions reçu de plus positives de Berlin. H 
paraît qu'on est enfin décidé à fia.ire marcher, et le baron Thugut 
Ta dit au b... (2), sous le plus grand secret. Je vous enverrai les dé- 
tails , samedi, dans une caisse de biscottes. Envoyez mardi, à 6 heu- 
se du soir, cher M. C... (3) ; faites demander M™' Toscani, elle re- 
mettra les papiers. M. Gog. part demain matin, il passe par la 
France. 



CLXXVII. 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (4). 

N» 6. Ce 19 avril 1792. 

Ce qui suit est sous le même chiffre de même, mais vous pouvez 
le faire déchiffrer par un autre. Il faut que B... (5) dise tout cela de 
ma part à M. de Mercy , que je n'ai pas osé lui écrire directement, 
ni par le secrétaire, parce que je suis horriblement espionnée dans 
ce moment. Peut-être même ne pourrai-je plus vous écrire ; j'en cher- 



(1) Billet expédié en chiffre. Copié d'après la minute de la main dn comte de Fer^en, 
qui a écrit en marge : Chiffre, à la reine, 

(2) Baron de Bretenil. 
(8) Giawford. 

(4) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Eexien, qni a écrit en marge : Chif- 
fit , de la reine ; reçu 8 mai 1792 ; rép, le 16 mai, 

(5) Baron de Bretenil. 



234 LE COMTE DE FEBSEN 

cherai toujonrs les moyens (1) 

Le roi désire que le roi d'Angleterre sache seul que la lettre que 
M. Chanvelin porte y et qui est de sa main j n'est au moins pas son 
style. 

Adieu. Je vous ferai écrire dans deux jours dans l'enveloppe du 
Moniteur. 

Les ministres et les jacobins font déclarer au roi demain la guerre 
& la maison d'Autriche ^ sous prétexte que par ses traités de l'année 
dernière elle a manqué à celui d'alliance de cinquante-six j et qu'elle 
n'a pas répondu catégoriquement à la dernière dépèche. Les minis- 
tres espèrent que cette démarche fera peur et qu'on négociera dans 
trois semaines. Dieu veuille que cela ne soit point et qu'enfin on se 
venge de tous les outrages qu'on reçoit de ce pays-ci! Dans ce qui 
sera dit on se plaint beaucoup des procédés de la Prusse , mais on ne 
l'attaque pas. 



CLXXVm. 



DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA COUR DE 
BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 19 AVRIL 1792 (2). 

Le prince de Beuss a reçu avant-hier un courrier de Vienne qui a 
continué hier au soir sa route pour Pétersbourg. H porte, on dit , 
la circulaire si désirée, et dont nous devons l'expédition à la com- 
munication qu'a faite à Vienne celui qui y a été envoyé. 

Ce même courrier a apporté au prince de Beuss la copie de tout ce 
qui s'était passé à cet égard, même la copie du billet écrit au roi 
d'Hongrie et la réponse du roi ; il est enfin difficile de douter que ceci 
nous mène à l'exécution des projets dont on nous a si longtemps 
bercés ; mais la ^mauvaise volonté de MM. de Lascy et de Kaunitz 
a paru encore dans les détails qui ont été ici une cause d'humeur as- 
sez violente : et c^eat ce qui m'a déterminé à vous expédier une esta- 



(i) Ces deux lignée sont efiEacées. 

(2) D'après la copie que le baron de Breteoil a envoyée au comte de Feisen; dans les 
papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 235 

fette, h, poste ne devant partir que dans trais jours. Depuis le récit 
fait à Vienne par l'homme de confiance ^ soit qa'il se soit expliqué 
sur les princes avec trop de chaleur^ soit qu'on ait voulu mal inter- 
préter ce qu'il a dit, M. de Kaunitz dit dans son rapport que, le roi 
et la reine, ayant fait témoigner combien ils redovtai&nt de voir les 
princes et les émigrés mis en avant y et combien ils désiraient qi^ils ne 
fussent de rien et ne parussent pas dans V exécution du plan contre les 
factieux, la cour de Vienne proposait qu'ils fussent employés derrière 
les armées combinées , et destinés à garder les places et les maga- 
sins. La manière dont ce projet semblait être appuyé par ce qu'avait 
dit l'émissaire accrédité a paru ici contredire tout ce que j'avais 
avancé, d'après vos ordres , sur la place honorable que vous désiriez 
que je fisse assigner aux princes et à la noblesse française : on m'en a 
demandé l'explication, et je n'ai pas hésité à rejeter la dureté de 
cette disposition de la cour de Vienne sur ce que probablement on 
avait mal interprété ce que l'envoyé avait dit ; qu'il n'était ni pro- 
bable ni décent de supposer que l'intention fbt de laisser les frères du 
roi et la noblesse française employés comme gardes-magasins ; que 
sans doute on avait eu raison de redouter que, livrés à leur juste res- 
sentiment, les coupables ne fiissenc poussés aux derniers excès en 
se voyant livrés à des vengeurs si justement irrités, mais qu'il pa- 
raissait à la fois et juste et raisonnable de les comprendre dans la 
ligne de l'armée ; que là il serait facile de modérer leur impétuosité et 
et enchaîner même une ardeur trop naturelle en leur assignant un poste 
qui ne serait pOrS destiné à se montrer des premiers; que là, soumis 
aux ordres du commandant général des forces combinées, ils ne 
pourront que se soumettre à ses dispositions; mais que de leur assigner 
d'avance un poste où ils se verraient dévoués à une honteuse inac- 
tion , c'était peut-être les provoquer à quelques démarches impruden- 
tes, qu'eux-mêmes ne pourraient peut-être pas arrêter. M. de Schou- 
lembourg et le prince de Beuss ont également senti et approuvé mes 
raisons , et c'est dans le sens de ce que je viens d'avoir l'honneur de 
vous détailler que l'on répondra à Vienne , et le prince de Reuss m'a 
promis d'en écrire à Spielman et au prince de Kaunitz. 

J'avoue, monsieur le baron, que, dans le premier moment, j'ai été em 
barrasse de cette contradiction ; mais il m'a semblé que ce que vous 
me mandiez, le 13 février dernier, devait me servir de guide, et j'y 
ai vu trop clairement que votre intention n'avait jamais été de faire 



236 LE COMTE DE FEBSEN 

tenir aux princes une place qui ne f&t pas convenable à leur rang ; 
mais qu'il n'était pas non plus dans vos projets de leur laisser une a/> 
tion directe. J'ai donc cru me conformer à vos mes y en m' expliquant 
ainsi que je F ai fait et en désavouant la trop grande extension que l'on 
avait donnée à ce qui avait été dit à Vienne par celui que vous y avez enr 
voyé* Mais l'article le plus essentiel ^ et celui qui a donné ici une 
véritable humeur, c'est celui où la cour de Vienne , en conséquence 
de l'urgence du moment, propose de fidre marcher incessamment 
15,000 hommes, le reste devant suivre quand il sera prêt. Ici 
l'on soupçonne ( et l'on ne me l'a même pas caché) que toutes ces 
propositions partielles cachent l'arrière-vue du cabinet autrichien 
qui pourrait être de mettre et de maintenir les possessions autri- 
chiennes à l'abri de toute attaque , en rassemblant dans les envi- 
rons des forces imposantes , mais de traîner rassemblement complet, 
à la faveur de quelque ombre de négociation, sans se porter à aucune 
voie active envers la France , et de remplir ainsi à très-bon marché 
le but des protections pour les possessions éloignées du roi d'Hon- 
grie , laissant au temps et au désordre le soin d'amener un change- 
ment dans nos affaires, que l'on soutiendrait de loin, mais sans 
user de violence. La cour de Vienne ne prononce rien clairement sur 
cet article , mais on sait assez qu'il est le plan favori du prince Eau- 
nitz, et M. de Schoulembourg a assez démêlé tout ce qui y ten- 
dait pour m'en paraître fort agité ; quoique son avis soit fortement 
prononcé contre toutes les mesures partielles ou inactives, il a ce- 
pendant tout envoyé au roi, sans lui motiver sa façon de penser, et 
il attend ce matin sa réponse définitive. Je ne ferai point partir ma 
lettre sans vous en mander le résultat ; il est facile de le prévoir, 
parce que le roi a toujours repoussé tout ce qui tendait à l'inaction : 
primo y parce qu'il craint que la cour de Vienne lui fasse faire inuti- 
lement la dépense de mettre 50,000 hommes sur le pied de 
guerre, pour ensuite les dévouer à l'inaction , si la cour de Vienne 
traîne de son côté l'envoi de ses troupes ; secondement , parce qu'il veut 
absolument, s'il se met en marche, que ce soit pour entrer en France 
sans balancer : premièrement, pour ne pas perdre le temps et l'ar- 
gent inutilement ; secondement, pour ne pas risquer de laisser com- 
promettre ses troupes, ce qui arriverait infailliblement si elles res- 
taient dans l'inaction , et ce qu'il ne redoute pas si l'on agit. H est 
difficile de combattre d'aussi bonnes raisons, et je suis persuadé que 



ET LA COUR DE FRANCE. 237 

c'est d'après ce principe que le roi répondra , mais je crains que ce 
soit d'une manière nn peu vive^ parce que c'est^la troisième fois qu'il 
s'explique à cet égard. J'ai profité de ce moment d'humeur de M. de 
Schoulembourg pour le presser de mettre la cour de Vienne au pied 
du mur^ par une nouvelle déclaration précise de l'époque de la 
marche des troupes , et j'ai obtenu ce que j'avais désiré : il va donc 
annoncer que, puisque la cour de Vienne désire mettre au plus tôt 
en mouvement un corps de 15^000 hommes, celle de Prusse y 
accède et fera marcher 17 bataillons et 20 escadrons qui dans ce mo- 
ment-ci sont complets et les moins éloignés, et que le reste des 
50,000 hommes sera arrivé sur les frontières de France avant le 
1*' août ; mais, après une ouverture aussi positive, il demande que la 
cour de Vienne fixe également le temps précis où ses troupes se trou- 
veront réunies aux Prussiens. 

La cour de Vienne a fait demander si , dans le cas où les Pays- 
Bas seraient attaqués, les troupes prussiennes pourraient être requi- 
ses pour les défendre , en conformité des articles du traité d'alliance. 
A cette demande, qui n'était que captieuse, on a répondu avec une 
franchise qui m'a fait éprouver le plus grand plaisir. Le roi a 
déclaré que les 50,000 hommes qu'il envoyait ne devaient être 
absolument employés que contre la France ; que rien ne devait les 
distraire de ce but, et que, si l'Autriche se trouvait dans le cas de 
réclamer les articles de garantie réciproque du traité, alors S. M. 
Prussienne fournirait, en sus des 60,000 hommes , le nombre stipulé, 
et que, ceux-là , la cour de Vienne pourrait en disposer à son gré ; 
mais qu'ainsi qu'il est convenu, ils seraient à ses frais; mais que 
dans aucun cas il ne souffrirait qu'il fUt rien détourné de ce qu'il des- 
tinait à agir contre la France. 

Content des dispositions qu'on m'a montrées ici , j'ai tâché d'adou- 
cir l'opinion de M. de Schoulembourg sur l'opposition absolue qu'il 
voulait mettre à toute démarche qui pouvait même avoir l'air de ten- 
dre à un plan défensif , car il m'avait dit nettement que, si le roi 
suivait son conseil , il préférerait encore ne rien faire, plutôt que de 
se rendre à un plan qu'il ne pouvait regarder que comme désastreux. 
J'ai cherché de lui démontrer qu'il était impossible, dans tous les 
cas , que d'aussi grandes forces ne produisissent pas , par leur seule 
présence, ou la résistance ou la soumission , et qu'alors de toutes 
manières le but se trouverait rempli , et que d'ailleurs le duc de 



238 LE COMTE DE FERSEN 

Brtuiswick, étant commandant général, à moins que la cour de 
Vienne prononçât très-positivement qu'elle ne veut rien faire , une 
fois qu'ils seraient en campagne y il serait bien impossible de le te- 
nir dans rinaction ; qu'ainsi il me paraissait que ce serait une nou- 
velle marque de bonté que nous donnerait le roi de ne pas se laisser 
aller à montrer ses soupçons, bien sûr qu'une fois en mouvement 
il lui sera bien facile d'éviter d'être arrêté dans sa course. J'ai du 
moins engagé le ministre à modérer les expressions de sa réponse à 
Vienne , et il me l'a promis. Nos ennemis ne verraient qu'avec trop 
de plaisir un sujet d'aigreur s'établir entre les deux cours , et c'est 
pour les desservir que j'ai tâché d'en adoucir d'un côté tous les mo- 
tifs. J'ai pris la route opposée vis-à-vis du prince de Beuss , je ne lui 
ai pas dissimulé que l'on avait ici de l'humeur contre sa cour , et 
pour lui je l'ai plutôt augmentée que diminuée; comme il redoute 
très-fort les désagréments qui en résulteraient pour lui , il a écrit 
sur-le-champ à Vienne pour alarmer sur le mauvais effet des réso- 
lutions partielles que l'on a fait proposer ici ; il les assure qu'il n'y a 
pas de temps à perdre pour en réparer l'impression f&cheuse , en se- 
condant avec franchise la volonté très-prononcée du roi de Ftusse. 

Sans doute, monsieur le baron, tous ces points de difficultés vous par 
raîtront les derniers retranchements de la mauvaise volonté, mais 
au moins j'ai trouvé de la marge pour en détruire l'eflfet, et j'espère 
que le premier courrier nous apportera une accession complète. 

J'ai profité du courrier du prince de Eeuss pour instruire M. de 
Bombelles de ce que j'ai cru qu'il était nécessaire qu'il sût pour as- 
surer la marche ; je lui ai écrit entre lignes, et ma lettre lui sera re- 
mise sans que le courrier ni M. de Cobenzl puisse savoir de qui elle 
vient, mais le prince de Beuss la lui recommande. Il m'a paru qu'a- 
vant tout il était essentiel de faire faire le premier pas , et l'impéra- 
trice plus que personne peut le provoquer. J'engage M. de Bombel- 
les à tâcher d'obtenir d'elle qu'elle réponde à l'empereur qu'elle re- 
garde sa circulaire conmie un engagement si formel qu'elle ne pou- 
vait qu'y accéder, et que, ne doutant pas qu'aussitôt sa réponse reçue 
ses troupes et celles du roi de Prusse ne soient mises en mouvement, 
elle allait faire marcher également celles qu'elle nous destine. Ma 
déclaration dans, ce genre , jointe à la manière dont l'on presse ici , 
doit nécessairement décider les lenteurs de la cour de Vienne, et 
rompre enfin la glace. RoU écrit dans ce sens par mon courrier au 



ET LA COUR DE FRANCE. 239 

prince de Nassau , et le ministre de Russie écrit aussi directement 
à sa souveraine. Ptiissent enfin tant de moyens réunis donner quel- 
ques espérances à ceux que nous servons avec tant d'intérêt I 

P. S.j à 8 heures du soir. 

Je sors de chez M. de Schoulembourg ; il a déjà reçtt une réponse 
du roi, qui confirme ses dispositions, et demande de nouveaux dé- 
tails sur la manière dont on pourrait fixer la marche de l'avant- 
garde de 15,000 hommes, et sur les termes à demander pour les 
fidre suivre par le reste des troupes. D'après cette nouvelle demande, 
M. de Schoulembourg, sans cependant l'assurer, présume que le roi 
se déterminera à accéder à la proposition de presser la marche des 
premiers 15,000 honmies, à condition cependant que la cour de 
Vienne fixera positivement le terme du rassemblement total ; conmie 
je ne doute pas, d'après la manière dont m'a parlé M. de Schoulem- 
bourg, que son avis ne prévale, vous pouvez presque compter^ mon- 
sieur le baron, que les dispositions que je vous ai exposées dans le 
courant de cette dépêche sont effectuées. 

Mais comme le contenu de ma lettre me paraissait assez impor- 
tant pour désirer vous en savoir instruit le plus tôt possible, je fais 
partir mon estafette sans attendre la seconde réponse du roi, qui 
peut-être tardera un ou deux jours. Le cabinet prussien a expédié 
aujourd'hui un courrier à Péters bourg. La circulaire est aussi partie 
pour la Haye et pour Londres. Le courrier qui va en Russie porte 
celle qui est destinée pour la Suède. 

Le jeune Bouille est arrivé hier, venant de Suède; il dit que l'on 
espère que la régence se passera sans troubles. M. de Schoulem- 
bourg a reçu aujourd'hui la nouvelle que les cinq conjurés qui por- 
teront leur tête sur l'échafaud sont MM. de Bibbing, Anckarstroem, 
Hom, Engestrœm et Liljehom ; ils ont avoué leur crime , et donné 
même leurs dépositions par écrit ; ils y avouent que leurs caractères 
ardents, échauffés par les circonstances, ont été portés k cet hor- 
rible attentat par la lecture des ouvrages de la révolution française. 
Cet aveu est bon à répandre et donnera, j'espère, à penser. Je crains 
que les dernières pages ne soient point bien lisibles. M. de Beuss 
m'a prié de me charger de cette lettre pour M. de Metternich. 



240 LE COMTE DE FEBSEN 



CLXXIX. 

DU VICOMTE- DE CARAMAN^ BNVOrf DU ROI LOUIS XVI A LA COUB DE 
BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 21 AVRIL 1792 (1). 

Je n'ai qu'à vous confirmer, monsieur le baron, ce que j'ai eu 
l'honneur de vous mander par ma dépêche du 19. Le roi a effective- 
ment répondu comme M. de Schoulembourg me l'avait annoncé, et 
il consent aux différentes mesures qu'a proposées la cour de Vienne, 
à condition qu'elle fixera de la manière la plus précise l'époque des 
premiers mouvements et celle du rassemblement de toutes les 
forces, et il s'engage à suivre immédiatement tout ce qui sera dé- 
cidé à cet égard. Le roi a en outre demandé au roi de Hongrie de 
vouloir bien permettre au prince de Hohenlohe d^accélérer son voyage 
à Potsdam, et de s'y trouver au plus tard le 12 mai. Le duc de 
Brunswick y est appelé pour la même époque, et ces deux géné- 
raux seront logés au château pour y conférer plus librement. Mais 
il est à présumer que les premières troupes seront en marche avant 
ce temps. 

Ainsi que je vous l'ai mandé, il n'est que trop vrai que la cabale 
anti-autrichienne a t&ché de profiter de l'instant d'humeur qui a en 
lieu pour donner plus de force aux intentions cachées que l'on 
attribuait à la cour de Vienne. Le chargé d'affaires prussien à 
Vienne, M. Jacobi, dont tous les rapports, depuis le traité de Bei- 
chenbach, qui s'est fait malgré et sans lui, tendent toujours à aug- 
menter la défiance, n'a pas peu contribué dans ce moment à fortifier 
les soupçons que l'on voulait &ire concevoir. Le roi même en a été 
un instant ébranlé; mais heureusement Bischoffswerder était à 
Potsdam, il a aussitôt détourné l'orage par une franchise noble et 
hardie, et il a déclaré au roi qu'après tout ce que lui avaient dit le 
roi de Hongrie et Spielman , il devait être cru plutôt que Jacobi, à 
qui on ne fait que des ouvertures ministérielles, et qu'en consé- 
quence il répondait sur sa tête des intentions de la cour de Vienne, 



(1) D'aprèi une copie que le baron de Breteuil a euToyée au comte de Feisen; dans les 
papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 241 

suppliant le roi d'éloigner tonte idée qni pourrait alarmer sa con- 
fiance ^ et lui offrant sa vie si, dans cette occasion, la cour de Vienne 
n'était pas de bonne foi. Le favori a été puissamment secondé par 
une note de ce même Jacobi arrivée hier, et dans laquelle il rétracte 
une partie des soupçons qu'il avait cru devoir donner, et avoue que 
tout ce qu'il voit lui prouve cependant que la cour de Vienne veut 
réellement agir. Le roi a montré cette note à Bischoffswerder, aus- 
sitôt qu'il eut lu, en lui disant que ceux même qui n'étaient pas de ses 
amis venaient prouver qu'il avait raison. En conséquence, Bischoffs- 
werder est venu ici hier porter au prince Reuss de nouvelles assu- 
rances des bonnes dispositions du roi, et le tranquilliser sur ses senti- 
ments h l'égard de la cour de Vienne, dont l'alliance me paraît dans ce 
moment plus affermie que jamais, et qui résistera d'autant mieux 
aux attaques sans cesse renaissantes du parti qui voudrait l'anéantir 
pour éloigner l'étranger (M. de Bischoffswerder) qui en est l'auteur 
et le principal soutien. 

Vous approuverez sans doute, monsieur le baron, que dans cette 
occasion , j'ai servi le prince de Beuss de tout mon pouvoir, et je me 
suis concerté avec lui sur tous les moyens qui pouvaient déjouer les 
effets d'une cabale qui dans ce moment doit être regardée comme 
notre plus dangereux ennemi. 

Le prince de Beuss, expédiant aujourd'hui son courrier à Vienne, 
n'a pas le temps d'écrire, comme il l'aurait désiré, à M. de Metter- 
nich,mais il espère!, monsieur le baron, que vous voudrez bien ne pas 
lui refuser de lui communiquer ce qui peut l'intéresser et de lui dire 
que les nuages qui avaient paru un moment sont entièrement dis- 
sipés, et qu'il ne doute pas que très-incessamment il ne reste plus 
aucun obstacle à lever. 

U est arrivé ici un ministre de Hesse-Cassel. Il paraît que le land- 
grave reprend ses projets sur la dignité électorale, et je crois aussi 
qu'il est question de la négociation des troupes hessoises pour les 
princes. 



T. II. 16 



242 LE COMTE DE FERSEN 



CLXXX. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

Bruxelles, ce 24 ayril 1792. 

Je VOUS envoie une dépêche de Berlin qui est intéressante. Elle 
Yoas donnera une idée de ce qui se passe. A Tappni de cette dé- 
pêche vient la nouvelle que M. de Thngut a dit an baron que le roi 
de Hongrie avait mandé ici qu'il était las de tout ce qui se passait 
jBU France ; qu'il était décidé à 7 mettre fin et d'agir ; qu'il allait 
&ire marcher ses troupes de concert avec le roi de Prusse; que si 
les Français attaquaient, il fallait les amuser pendant six semaines 
ou deux mois, que les armées puissent arriver ; que s'ils n'attaquaient 
pas, il était de même décidé à les attaquer, et qu'il fallait égidement 
les amuser par des apparences de paix jusqu'au moment où il pour- 
rait agir. — Je ne sais par quelle raison M. de Mercy ne convient 
point de cette lettre ; il n'en a pas parlé. 

J'ai reçu hier la nouvelle de la déclaration de guerre, et j'en suis 
bien aise. C'est le meilleur et le seul parti à prendre pour décider 
enfin les puissances. L'impératrice a déclaré à Vienne son intention 
de se mêler des affaires de France d'une manière active, et qu'elle 
voulait le rétablissement de la monarchie telle qu'elle était avant 
la révolution. C'est M. de Merçy qui a dit cette nouvelle. 

Les nouvelles d'Espagne ne sont pas bonnes, et ce ne sera que 
d'après la conduite du roi de Hongrie et de Prusse qu'elle agira. Ce 
qu'elle pourrait fSûre de plus utile, et qui s'accorde assez avec ses 
projets, serait un cordon de 20,000 hommes sur la frontière, et de 
fournir des armes et des munitions aux catholiques et aux mécontenta 
des provinces méridionales. C'est ce qu'on a déjà demandé, et sur quoi 
il faut insister. 

Je n'ai pas encore des nouvelles sur ce qui me regarde, et je ne sais 
pas si je serai continué ou non. Mon père me presse de revenir et de 



(1) Copié snr la minnte de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : A h 
reine en blanc, dans une caiue de hUcoiteê. 



ET L'A COUR DE FRANCE. 243 

tout abandonner ; c^est ce que je ne ferai jamais, dussé-je être réduit 
à la misère. J'ai assez dWets pour subsister encore quelque temps 
en les vendant. Mais s'il obtient du duc (1) d'avoir la même volonté, 
je me trouverai embarrassé par la privation de mon petit revenu. 
Comme je suis dépendant d'eux par là, ils espéreront me tenir de 
cette manière, et, si le duc ne s'y prête pas, je crains que mon père ne 
veuille essayer de cette manière ; mais j'y suis décidé, rien au monde 
ne pourrait m'engager à tout abandonner en ce moment. 



CLXXXl. 

D]êpÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA 
COUR DE BERLIN, AU BARON DE RRBTEUIL, DU 24 AVRIL 1792 (2). 

Nous attendons, monsieur le baron, le retour de tous les courriers, 
ce qui nous laisse un moment dans un état de stagnation, au moins 
quant à ce qui nous occupe. Nous venons cependant de recevoir de 
Pologne l'avis d'un mouvement qui peut avoir une influence fecheuse 
sur nos affaires, si le généreux intérêt de l'impératrice pour nos mal- 
heureux souverains ne l'emporte pas sur les intérêts du voisinage. A 
la rentrée de la diète de Pologne on a rendu compte des dépêches des 
différents ministres polonais aux cours étrangères, et comme il en a 
résulté des inquiétudes très-fondées sur les dispositions des puissances 
voisines, relativement à la révolution qui s'est opérée, la diète a pris 
le parti d'investir le roi, pour un certain temps , d'une espèce de dic- 
tature, n peut disposer de toutes les forces de la république, les 
augmenter selon le besoin, en confier le commandement aux officiers 
qu'il lui plaise de nommer, même à des officiers étrangers , et^ pour 
lui faciliter les moyens d'agir avec plus de promptitude , on a remis 
à sa disposition 12 millions de florins qui se trouvaient dans le 
trésor, et on a ouvert en outre un emprunt de 30 millions de florins. 



(1) Duc de Sadennonie , régent en Suède apiès la mort da roi Giutaye UL 

(2) D'après une copie que le baron de BreteuU a envoyée an comte de Fersen; dans 
les papiers de ce dernier. 



244 LE COMTE DE FEBSEN 

qui lui seront égàleinent remis pour s'en servir à son gré. En prenant 
toutes ces mesures pour défendre leur pays y ils vont &ire aux puis- 
sances étrangères une déclaration, pour les assurer que ces dispositions 
n'ont rien d'hostile , mais qu'ils sont déterminés à employer toutes 
leurs forces et tous leurs moyens pour s'opposer & ce que l'on tente 
de renverser la constitution qu'ils se sont données. 

Ces nouvelles n'ont pas laissé que de répandre de l'inquiétude ici ; 
cependant rien n'en a encore percé. Je suppose que l'on ne prendra 
aucun parti avant que la Bussie se soit expliquée ; mais si l'impé- 
ratrice ne veut pas remettre à d'autres temps ses projets sur la Po- 
logne, et si elle veut y employer la force, je crains bien que cette 
diversion n'ait de grands inconvénients pour nous, en donnante la 
mauvaise volonté une retraite commode et sûre. J'ai cependant de 
la peine à croire qu'après une conduite aussi prononcée l'impératrice 
renonce au grand rôle qui l'attend dans cette immense entreprise, et 
je vois trop de moyens de concilier nos intérêts avec ses vues sur 
la Pologne pour ne pas me flatter qu'elle ne se détournera pas 
de la route que jusqu'ici elle a suivie d'une manière aussi franche et 
aussi intéressante pour nous. 

Ce 24, au Boir. 

Je croyais, monsieur le baron, n'avoir rien de bien intéressant à 
vous mander, mais heureusement je me suis bien trompé. L'ordre 
vient d'être donné à tous les fournisseurs de vivres, d'équipages et 
de chevaux de se tenir prêts de manière à ce que 56,000 hommes 
puissent marcher vingt jours après le second ordre. La suite du roi 
est nommée ; ses fils vont avec lui. Le prince Louis-Ferdinand de 
Prusse est attaché au régiment de Waldeck en Westphalie. Un équi- 
page de 10 batteries de canons, faisant 100 pièces, marche indépen- 
damment des pièces de campagne. On a donné l'ordre aux régiments 
désignés de donner la liste de tous les déserteurs français ou autres, 
afin de les remplacer par des gens du pays. Toutes ces dispositions 
seront publiques incessamment et feront sans doute quelques mécon- 
tents. Pour moi, j'en suis comblé de joie. Mandez-moi, je vous prie, 
monsieur le baron, en cas de mouvement, ce que vous voulez que je 
fasse. Si j'ai été dévoué dans des temps plus malheureux, vous devez 
croire que je le suis actuellement. 



ET LA COUR DE FRANCE. 245 



CLXXXIL 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1). 

Bruxelles, ce 26 avril 1792. 

Sire, 

Y. M. aura sans doute reçu par M. de Oarîsien des détails sur les 
bonnes dispositions de la cour de Berlin et sur les apparences qu'il 
y a qu'elle se décidera enfin de concert avec celle de Vienne à agir 
activement en faveur du roi de France, et la circulaire qui invite les 
autres puissances à accéder & la ligue doit déjà être arrivée. J'ai su 
aussi , par une voie très-sûre, que le roi de Hongrie avait mandé au 
gouvernement des Pays-Bas qu'il était las de tout ce qui se passe 
en France ; qu'il était décidé & y porter remède et & agir ; qu'il allait 
faire marcher les troupes de concert avec celles du roi de Prusse ; 
que si les Français attaquaient, le roi de Prusse était assuré des trou- 
pes hessoises et qu'il les ferait avancer vers les Pays-Bas, celles 
qu'il avait en Westphàlie n'étant pas assez sûres, étant composées 
des déserteurs et de beaucoup de Français ; qu'avec ce renfort il fidlait 
leur résister et les amuser pendant six semaines ou deux mois , 
temps nécessaire pour l'arrivée de ses troupes ; mais que s'ils n'atta- 
quaient pas, il était déterminé à les attaquer, et dans ce cas il &llait 
les endormir avec des apparences de paix jusqu'au moment où il serait 
prêt & agir. Les ministres ne conviennent pas de cette lettre, ou du 
moins n'en parlent pas, mais je suis informé qu'ils prennent en se- 
cret toutes les précautions et qu'ils font toutes les dispositions néces- 
saires. La déclaration de guerre que l'Assemblée nationale vient de 
décréter au roi de Hongrie, et dont je n'ai eu que le temps demander 
la nouvelle au baron de Taube dans ma dernière dépêche, doit h&ter 
le développement de cette grande affaire. Je n'ai pas encore de notions 
sur le genre de guerre que les rebelles feront, si elle sera offensive 
ou défensive; et comme on ne peut marcher d'après aucune base so- 



(1) D'après la minute de la main dn comte de Fenen, qoi a écrit en marg^ i Ch\ffre^ au 



roi. 



246 LE COMTE DE FERSEN 

lide ni raisonnable , il est absolument impossible de former même 
des coiyectures , toutes les déterminations dépendent de Fexaltation 
du moment, et les partis les plus fous sont ordinairement ceux qu'ils 
adoptent de préférence ; mais quand même ils se décideraient pour 
la guerre défensive, l'indiscipline et le désordre sont tels dans leurs 
troupes que les chefs ne seront pas les maîtres d'empêcher que 4 à 
500 hommes ne fassent des incursions à une ou deux Keues, pour 
brûler et piller, et donner par cette conduite des raisons plus que 
suffisantes pour les attaquer chez eux. 

Le courrier que j'avais envoyé en Espagne, et qui portait la lettre 
du baron de Breteuil au comte d'Arranda pour réclamer la promesse 
déjà faite par le roi d'Espagne de 10 millions pour V. M., n'est pas 
encore de retour. Dès qu'il le sera, j'aurai l'honneur d'instruire V. M. 
de la réponse qu'il apportera. 



CLXXXIII. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGE , AMBASSADS;UR 

DE SUÈDE A SAINT-PJÉTERSBOURG (1). 

Broxelles, ce 27 avril 1792. 

Je ne sais, mon ami, si vous avez reçu des nouvelles instructions 
sur la conduite à tenir ^ je n'en ai point encore, le duc (2) m'a 
seulement ordonné de continuer les négociations, et qu'il m'enver- 
rait des nouvelles lettres de créance. Le rôle que nous allons jouer 
sera moins beau et moins actif ; il sera entièrement subordonné à la 
conduite des autres puissances, et des réclamations qu'elles nous 
feront, surtout à celles de l'impératrice. Je ne doute pas que les dis- 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chifre, à 
Stedinghf par eitqfette.', 

(2) Duc de Sudermanie, plus tard le roi Charles XIII, alors régent pendant la minorité 
du roi Gustave IV Adolphe, son neveu. 



ET LA COUR DE FRANCE. 247 

positions dn duc ne soient bonnes , mais il n'est que régent ; c'est 
donc à rimpératrice seule que nous serons redevables de la part que 
nous prendrons dans les affaires de France, et c'est & l'engager à agir 
avec vigueur et à nous réclamer qu'il faut employer tous nos soins. 
Je travaillerai de mon côté à obtenir de l'Espagne, ou par quelques 
autres moyens, l'argent nécessaire à l'envoi de nos troupes. Le baron 
de Breteuil envoie une estafette à BombeUes pour l'instruire d'une 
nouvelle perfidie de la cour de Vienne, qui veut insinuer que le désir 
du roi et de la reine est d'exclure les princes de toutes les opérations, 
qu'ils soient placés derrière les armées pour servir d'arrière-garde 
ou de gardes-magasins, tandis que le baron n'a cessé d'écrire au vi- 
<;omte de Caraman qu'il fasse obtenir pour les princes et les émigrés, 
dans les armées des puissances, le rang honorable que leur naissance 
•et leur courage leur donnent le droit d'attendre. La cour de Vienne 
■a falsifié ce qui lui a été dit par un homme qui lui a été envoyé par 
le roi et la reine, pouf lui demander une explication positive sur ce 
qu'elle voulait faire pour eux. La réponse & ce srget a été satisfai- 
sante, mais ils ont mandé à Berlin, et probablement & Saint-Péters- 
bourg, que cet homme leur avait parlé aussi du désir de LL. MM. 
de voir les princes exclus de toutes les opérations ; et, dans le compte 
qu'il a rendu au baron de sa mission, il prévient le baron (1) que 
c'était leur intention , mais qu'U. avait rectifié leurs idées & ce sujet 
•et leur avait dit que le roi demandait seulement que les princes n'a- 
gissent pas seuls, mais de cpncert avec les puissances, et qu'on leur 
■assigne une place honorable et utile. Demandez & BombeUes de ma 
part qu'il vous lise cet article de la dépêche du baron (1), et tâchez 
de votre côté de détruire les mauvaises impressions qu'une idée aussi 
fausse pourrait peut-être produire sur l'esprit de l'impératrice, et qui 
n'a jamais été celle du roi ou de la reine ; mais c'est encore un nou- 
veau moyen que la cour de Vienne emploie pour traîner le temps en 
longueur, pour faire naître des difficultés et éviter encore, s'il est 
possible, d'agir. La déclaration de guerre leur en ôtera probablement 
les moyens, et si les Français sont assez bien instruits de leur posi- 
tion ici, s'ils savent qu'il n'y a aucune disposition de faite pour la 
défense du pays et pour le rassemblement des troupes qui sont encore 



(1) De Bretetdl. 



248 LE COMTE DE FERSEN 

dispersées par petits pelotons dans le pays^ ils ne tarderont pas à 
les attaquer, et^ avec la mauvaise disposition des habitants, ils auront 
des succès assurés, ils battront ou enlèveront tous ces détachements 
en détail, ils les empêcheront de se réunir, ils soulèveront le pays, qui 
y est déjà tout disposé, et pourront réduire les Autrichiens, comme 
en 1790, & la seule possession de Luxembourg et peut-être de Bruxel- 
les. Le seul espoir qui teste est celui que la peur ou Tignorance de 
la situation des Autrichiens empêche ou retarde l'attaque française, 
et que des renforts de troupes aient le temps d'arriver ; car la mol- 
lesse, l'indécision et l'inertie de ce gouvernement sont extrêmes , et 
donnent les plus justes inquiétudes. 



CLXXXIV. 

DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYlÊ DU ROI LOUIS XVI A LA 
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE 
28 AVRIL 1792 (1). 

Nos espérances semblent acquérir tous les jours plus de force et de 
valeur, monsieur le baron. Depuis ma dernière, il est encore arrivé de 
nouvelles dépêches de Vienne qui ont tellement satisfait et le ministre 
et le roi de Prusse, que M. de Schoulembourg m'a dit qu'il faudrait 
actuellement une défiance aussi indécente que ridicule pour se per- 
mettre le moindre doute sur les intentions de la cour de Vienne. Le 
roi de Hongrie remet absolument la disposition de toute l'opération 
au duc de Brunswick, il lui donne plein pouvoir à cet effet. Les pré- 
paratifs & Vienne se font avec activité, et le prince de Reuss et M. de 
Schoulembourg m'ont confié, sous le secret, que les troupes autri- 
chiennes qui se trouvent dans le Milanais avaient ordre de s'avancer 
dans les Etats du roi de Sardaigne. Le prince de Beuss croit aussi 
que dans ce moment 15,000 hommes sont en marche ou prêts à y 



(1) D'après une copie que le baron de BretenU a envoyée au comte de Feroen ; dans 
les papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 249 

entrer, pour se porter vers le Bhin. Il ne nous reste pins à attendre , 
monsieur le baron, qne la fixation du jour où ce grand mouvement 
commencera. H nous faut aussi une réponse favorable. de la Russie, 
car le ministre prussien m'a encore articulé qu'il fallait absolument 
que cette puissance agit aussi de son c6té et rassur&t sur la Pologne, 
et que c'était une condition sine qtui non. Les dernières nouvelles du 
ministre de Bussie ne laissent aucun doute sur la volonté de l'impé- 
ratrice, et j'aime à penser que d'aussi heureux symptômes ne se dé« 
mentiront pas. La Russie me semble actuellement le but vers lequel 
se dirigeront toutes les menées de l'Angleterre, et le ministre de cette 
puissance me disait encore hier qu'il était persuadé que nous ne ver- 
rions pas un Russe dans cette affaire. 

J'ai su, monsieur le baron , que l'on avait voulu faire envisager au 
roi de Prusse le langage un peu fort, relativement aux princes, de 
l'homme qui a été & Vienne comme une instruction dictée par votre 
éloignement personnel ; je me suis empressé de tout employer pour 
détruire une aussi fausse idée; j'ai protesté du contraire, et pour le 
prouver j'ai lu au ministre et au prince de Reuss l'article d'une de 
vos dépêches où vous me prescrivez de ménager aux princes et à la 
noblesse française un poste digne de leur rang et du généreux dé- 
vouement qu'ils avaient montré. Cette explication m'a paru les 
convaincre et les satisfaire, ils m'ont promis tous les deux de détruire 
les plus légères traces de cette fausse opinion, sur laquelle j'ai très- 
fortement insisté, parce que je sais que c'est vous faire connaître tel 
que vous êtes que d'éloigner toute idée de personnalité des démarches 
que votre zèle vous inspire ; il ne reste plus aigourd'hui de doute & 
cet égard. 

Les princes et la noblesse française seront donnés comme le point 
de ralliement de tous les bons Français, et l'on réunira au drapeau 
blanc tout ce qui sortira de France , soit en masse, soit individuelle- 
ment. Le plan de cette grande opération, par le peu que j'en ai pu 
découvrir, me paratt bien sagement combiné et calculé sur les résis- 
tances probables. On ne fera pas de sièges, mais on masquera les 
grandes places par le gros de l'armée, contre lequel il est & présumer 
que l'on ne hasardera pas de sortie, et un corps d'élite marchera, sans 
s'arrêter, droit à Paris. 

Voici plus précisément le détail de l'armée que l'on destine à mar- 
cher : 39 bataillons d'infanterie, grenadiers et fusiliers ; 8 bataillons 



250 LE COMTE DE FER8EN 

de chasseurs ; 10 escadrons de coirassiers ; 35 de dragons et 25 de 
hussards, 100 pontons , 10 batteries composées chacune de 9 pièces 
de 6 livres et d'un obusier ; 2 batteries de 10 mortiers, une batterie 
d'artillerie à cheval, et, en outre, une réserve de quelques grosses 
pièces. Ceci forme le grand pan, et, indépendamment^ chaque batail- 
lon a avec lui deux pièces de campagne. Tous ces corps sont choisis 
et forment l'élite de l'armée prussienne ; on en a renvoyé tous les 
Français et déserteurs suspects, et ils sont remplacés par des nationaux. 
Cette belle armée marchera sur six colonnes , les marches sont déjà 
tracées et préparées et l'on compte que le régiment le plus éloigné, 
en cinquante-cinq jours de route, y compris les séjours, sera rendu à 
son poste aux frontières de la France, et il en est qui y seront en 
vingt-huit jours. Toute la suite du roi est nommée, et on travaille de 
tous côtés aux équipages. M. de Schoulembourg est de la suite , et 
cela me fait grand plaisir, parce que les affaires en iront bien plus 
vite. fHeymann est aussi nommé, et comme l'intention du roi est 
d'avoir un officier général auprès des princes et à l'armée autrichienne, 
et que réciproquement on lui en enverra de ces deux côtés , je crois 
qu'il désilre qu'Heymann soit le général français envoyé près de lui. 
— J'ai parlé à M. de Schoulembourg du prix que j'attacherai à termi- 
ner ma mission à la suite de S. M. ; il m'a observé que le roi ne voulait 
admettre près de lui aucun étranger, pour ne pas être dans le cas de 
faire aucune exception, et que, ne pouvant être dans ce moment 
qu'étranger, il lui serait difficile de me nommer. Il m'a promis ce- 
pendant qu'il exposerait ma demande au roi, et qu'il croyait que l'on 
pourrait me donner les moyens de lui rapprocher, en venant remplir, 
lorsqu'il serait près de France, une commission quelconque, ou lui 
porter une lettre, ce qui alors lui donnerait naturellement occasion 
de me placer à sa suite. Il me semble, monsieur le baron, qu'après 
les revues, si les troupes sont en marche, il sera utile que je vienne 
prendre de nouvelles instructions pour la suite des opérations, et com- 
biner la manière de les suivre, tant auprès du roi qu'auprès du duc 
de Brunswick; aussi bien ma présence ici, après lesrevues, ne pourrait 
être que très-suspecte. Ne croyez pourtant pas, monsieur le baron, 
que je sois fatigué de ma position ; mon dévouement vous prouvera 
que mon plus grand bonheur sera de tout sacrifier à une si belle 
cause , et je vous supplie de disposer de moi sans aucun ménage- 
ment. 



ET LA COUR DE.FRANCE. 251 

n est arrivé ici un hommes envoyé par je ne sais qui^ et qni s^est 
adressé à Heymann ; cet homme est venu le sonder, pour tâcher de 
savoir ce que les puissances veulent obtenir. Il en a rendu compte & 
M. de Schoulembourg; qui Ta fort engagé à ne pas écouter de fausses 
confidences. Je crois avoir bien fait de mettre le ministre en garde 
contre toutes ces demi-négociations , et j'espère l'avoir -assez bien 
disposé & repousser tout ce qui ne pourrait tendre qu'à retarder la 
marche 9 et qui sera la dernière arme dont se serviront les factieux. 

On me semble bien déterminé ici à n'écouter aucune proposition , 
jusqu'à ce qu'on ait obtenu du positif, et je sx^is bien secondé par la 
crainte très-fondée qu'a le roi de voir corrompre ses troupes, si par 
l'inaction on les expose aux tentatives des factieux. On a renforcé la 
garnison de Maëstricht de troupes brunswickoises ; le duc y a des 
oflBciers de confiance, qu'il a envoyés jusque sur nos frontières, et qui 
l'ont rassuré sur les craintes et même la possibilité d'une invasion 
prochaine. 



CLXXXV. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1). 

Bruxelles, ce 29 avril 1792. 

Sire, 

J'ai reçu hier la dépêche qu'il a plu à V. M. de m'adresser, du 6 et 
10 avril, et je me conformerai à ses ordres en me concertant avec le 
baron d'Oxenstjema sur les recherches à faire auprès de madame de 
Vagenfeldt, relativement à l'assassinat du roi (2)] : il m'est parvenu 
depuis quelques jours, une indication du même genre, et, en combi- 
nant les deux, peut-être serons-nous assez heureux pour découvrir 
quelque chose ; j'y emploierai tous mes soins. 



(1) Diaprés la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit eu marge : Chiffre^ 
au roi, 

(2) Gustave m. 



252 LE COMTE DE FERSEN 

Je ferai passer, dès que j'en trouverai l'occasion, les lettres de V. M. 
pour le roi et la reine de France. 

Depuis la déclaration de guerre, il n'y a encore eu aucun acte d'hos- 
tilité de conunis. M. le comte de Bochambeau, qui commande 
l'armée qur cette frontière, a écrit au général Beaulieu, qui com- 
mande à Mons, une lettre par laquelle il lui demande , pour éviter de 
répandre du sang, de suspendre tous les actes d'hostilité jusqu'au 
moment où la gtierre franche conmiencera ; il a ajouté qu'il enverra 
prendre là-dessus les ordres du roL Sa lettre est datée l'an lY de la 
liberté. Le général autrichien lui a répondu qu'il j consentait , et 
qu'U prendrait là-dessus les ordres du gouvernement. Cependant , si 
l'on doit en croire le rapport de deux lieutenants-colonels de la gar- 
nison de Yalenciennes qui ont déserté, et dont l'un se dit aide de 
camp général du comte de Bochambeau, et avoir assisté, en cette 
qualité, à un conseil de guerre tenu par lui, son projet est d'attaquer 
aujourd'hui sur trois points : Tournai, Namur et Mons. Cette der- 
nière nouvelle doit être la véritable, les deux autres seront fausses. 
Si ce plan est vrai; il paraît d'une exécution extrêmement difficile 
pour des troupes aussi indisciplinées et aussi peu exercées. Il n'y a 
point de précautions prises sur la frontière, ils n'ont point de postes 
avancés, et le peu qu'ils en ont sont dans la plus grande sécurité. A 
peine y a-t-il une sentinelle, et le reste de la troupe est couché dans 
le corps de garde. Si le projet de^ Français n'est que de gagner du 
temps, n'étant pas encore tout à fait prêts, comme je le crois, il ne 
faudrait pas leur en donner ; il faudrait les étonner et les intimider 
par un coup hardi, et je crois le moment de les attaquer très-favora- 
ble ; mais je crains que la lenteur et l'inertie du gouvernement l'em- 
pêchent de profiter de ses avantages. Jusqu'au moment de la 
déclaration de guerre, il n'avait fait aucune disposition, quoiqu'il f&t 
averti depuis longtemps , et ce n'est que depuis trois jours que les 
troupes sont en mouvement et se rassemblent, et si les Français 
étaient entrés le lendemain de la déclaration, ils auraient eu des 
succès assurés ; ils auraient empêché la réunion des troupes dispersées 
dans les villages, les auraient battues en détail, auraient soulevé le 
pays et auraient pu marcher sur Bruxelles , ou du moins, s'ils n'a- 
vaient osé entrer si avant dans ce pays, auraient-ils pu y mettre 
une grande confusion et relever le courage de leurs troupes et exalter 
encore plus la tête des rebelles en France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 263 



CLXXXVI. 

DiPÊCHB DU VICOMTE DE CARAMAN, ENVOYlÈ DU ROI LOUIS XVI A LA 
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRBTEUIL, DU P' MAI 1792 (1). 

L'homme dont je vous ai parlé dans ma dernière se nomme Be- 
noît; il s'est adressé à Heymann, qui a rendu compte à M. de Schou- 
lembourg de ce qu'il lui avait dit. Le ministre n'a voulu ni le voir 
ni entrer en aucune communication avec lui ; il a seulement rédigé 
une réponse, dans laquelle il dit que ce n'est pas dans un moment 
où il n'y a en France aucune autorité légitime que l'on peut écouter 
quelques négociations ; il ajoute que le roi de Prusse est déterminé 
irrévocablement à suivre son système d'union avec le roi de Hongrie ; 
qu'ils ont été poussés à bout par les factieux , et qu'actuellement 
ils ne poseront les armes que lorsqu'ils verront en France un gou- 
vernement tel qu'il ne puisse donner aucune inquiétude aux puis- 
sances voisines, lorsqu'ils auront fait rendre au roi toute l'autorité 
qui lui appartient, et lorsqu'ils auront rétabli dans une juste posi- 
tion tous ceux dont les propriétés ont été violées. En suite de cette 
déclaration, que Heymann devait faire verbalement, M. Benoît doit 
être prié de se retirer très-incessamment. J'ai été satisfait, comme 
V0U9 le serez sans doute, du sens de cette déclaration , mais j'avoue 
que j'aurais préféré que l'on ne répondît rien du tout. Je conserve 
même encore l'espérance que cela soit ainsi; cette réponse a été 
, envoyée et soumise à la décision du roi , et je me flatte encore que 
le roi sentira combien il serait déplacé de répondre à un homme 
qui vient négocier presque le même jour où l'on déclare la guerre. 

J'ai reçu hier, monsieur le baron , votre dépêche du 23 ; vous ne 
m'y parlez pas de cette déclaration, mais je l'ai reçue par les papiers 
que l'on m'envoie, et par les lettres qu'un courrier suédois a laissées 
à Wesel , et qui ont été envoyées ici au ministre de Suède. M. de 
Goltz a écrit par ce même courrier, mais il a eu la mauvaise foi de 



(1) D'après une copie enyoyée par le baron de Breteoil an comte de Fersen ; dans les 
papiers de ce dernier. 



254 LE COMTE DE FEBSEN 

mander la proposition du roi, et de ne pas parler de la résolution de 
TAssemblée ; de sorte que M. de Schoulembonrg ne Yonlait pas j 
croire. Henrensement le prince de Beuss a reçu un oonrrier de 
Bruxelles qui lui confirme tout , et il a été aussi choqué que moi de 
la réserve de Tenvoyé prussien. M. de Schoulembonrg en a été un 
peu déconcerté^ et je crois qu'il a été âLché d^avoir laissé percer un 
instant de la confiance dans les nouvelles de M. de Gtoltz. Le prince 
de Beuss s'est joint à moi pour &ire sentir le danger de Tindécence 
d'un pareil agent, et je ne doute pas qu'il ne s'en trouve très-mal, 
et la rupture prochaine empêche seulement qu'il ne soit rappelé sur- 
le-champ. M. de Schoulemhourg a été un peu effarouché de cette 
déclaration, qu'il ne croyait pas probable, ou du moins si prochaine, 
et en général l'effet qu'elle a produit ici est fort singulier : tous 
ceux qui ne nous veulent pas du bien en ont été atterrés; ils ne s'at- 
tendaient pas à se voir forcer ainsi le dernier retranchement de la 
mauvaise volonté, et ils perdent tout prétexte de blftmer la part ac- 
tive que le roi de Prusse a voulu prendre à nos affaires. 

Le ministre de Russie m'a demandé mes papiers, pour les envoyer 
sur-le-champ par estafette à l'impératrice. U a reçu des nouvelles du 
6 avril de M. d'Esterhazy, qui lui confirme tout ce que nous pouvons 
désirer de ses sentiments pour nous et des preuves qu'elle veut nous 
en donner. On dit que le roi, pendant l'expédition, se tiendra & Bai- 
reuth, et ne marchera & l'armée que dans le cas ob la tournure des 
affaires militaires l'obligerait à y mener la réserve qui se préparera 
ici. Heymann le suit, en qualité d'officier pensionné du roi; on ne 
doute pas que d'ici à trois ou quatre jours il n'arrive un courrier 
de Vienne porteur de l'annonce des résolutions que les circonstances, 
auront fait prendre, et l'on compte tellement sur le parti de vigueur 
qu'ici une grande partie des ordres sont donnés sous main. Les mi- 
nistres de Hollande et d'Angleterre ont redoublé de conférences depuis 
la nouvelle de la guerre. Le dernier n'a pas craint d'avoir hier, chez 
la princesse Henri, un aparté très-long et très-public avec Custine ; 
mais il m'a été impossible, malgré toutes mes recherches, de péné- 
trer s'il se trame quelque chose, ou si cet intérêt n'est fondé que sur 
la neutralité ou le désir d'obtenir par lui des lumières sur ce qui se 
passe, et qu'on lui cache. 



ET LA COUR DE FRANCE. 255 



CLXXXVII. 

I 

DU BAROK DE STEDINGK^ AMBASSADEUR DE SUk)E A SAIKT-P^TERSBOURG^ 

AU COlfTE DE FERSEN (1). 

Saint-Pétenbourg, oe —^ 1792. 

Depuis le malheur afifreux qui nous est anivé, je n'ai pas eu la 
force ni le courage de vous écrire. J'ai reçu toutes vos lettres ; celle 
du 25 mars, arrivée par estafette, a précédé de plusieurs jours M. de 
Belzunce, qui m'a remis votre lettre du 15 mars. J'ai donné la pre- 
mière à lire à l'impératrice en entier, mais la seconde en extrait , 
M. de Bombelles ne voulant point que Belzunce parût ici conmie 
quelqu'un qui lui fClt adressé. L'impératrice a été fort contente de 
vos lettres et des dispositions dans lesquelles vous avez laissé le roi 
et la reine ; mais elle se méfie un peu de leur persévérance , et cela 
parce qu'il lui est impossible de se mettre dans leur position, et 
qu'elle attribue souvent à la faiblesse ce qui n'est qu'une suite de 
l'infortune et de la nécessité. Un autre préjugé, plus plausible et 
qui est fortement enraciné dans l'esprit de l'impératrice , est que le 
roi et la reine , dans l'état de captivité où ils sont , ne peuvent con- 
tribuer en rien & une contre-révolution, et servent plutôt d'instru- 
ment & la fureur des démagogues. Les princes, dans la situation 
présente des affaires , sont regardés comme les vrais représentants 
du pouvoir monarchique. Tout ce que le marquis de Bombelles avec 
beaucoup d'adresse, d'esprit et de patience a pu faire , c'est d'amal- 
gamer avec le droit que le roi conserve toujours de transiger avec 
les puissances étrangères et de revêtir de ce pouvoir qui il veut. 
Nous avons été obligés de nous retrancher derrière cet argument. 
Bombelles a mandé tout cela au baron de Breteuil , ainsi que les 
conversations qu'il a eues avec l'impératrice , dont je lui ai procuré 
une, et Nassau l'autre. Nous sommes parvenus aussi à diminuer le 



(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Ferseu. 



256 LE COMTE DE FERSEN 

préjugé contre le baron de Breteuil, et à démentir les &nsses inter- 
prétations que Ton avait données à sa conduite. Voilà la seule utilité 
qu'aura produit le voyage de Bombelles ; et quoiqu'il ait gagné 
beaucoup dans Topinion de Timpératrice j et qu'il soit vu ici avec 
plaisir même d'Esterhazy, qui a &it ses éloges aux princes, dans 
ses dernières dépêches, que j'ai vues , je crains cependant que son 
séjour n'aboutisse à rien de plus. Il m'en paratt aussi convaincu que 
je le suis moi-même, et je le crois décidé & profiter de la permission 
qu'il a reçue du baron de Breteuil de partir d'ici lorsqu'il le jugera & 
propos. Il est certain qu'une lettre que vous m'écririez, et que je 
montrerais confidenmient à l'impératrice, sans qu'elle puisse se 
douter qu'il y ait eu de l'intention, exciterait plus d'intérêt et ferait 
plus d'effet que tout ce qui aura l'air d'une négociation en sens 
contraire & l'opinion reçue ici. 

Le courrier de Vienne, si longtemps attendu, est. enfin arrivé, 
précédé d'un de Berlin. Quoique leurs dépêches ne soient pas encore 
connues tout à fait , nous en savons cependant assez pour remplir 
plusieurs feuilles. M. de Bombelles s'acquittera mieux que moi de 
cette besogne, et je lui dirai tout ce que je sais. 

L'impératrice n'est point trop contente des dépêches de Vienne, où 
la timidité et la lenteur dominent dans le conseil. La cour de Berlin, 
au contraire, a montré les meilleures dispositions et veut agir offen- 
sivement contre la France. Ces idées ne sont peut-être mises en avant 
que pour se rapprocher de cette cour, avec laquelle le roi de Prusse 
aura bientôt de grands intérêts à démêler au si]get de la Pologne ; 
mais l'impératrice en est charmée, et son intérêt pour les affaires de 
France, qui commençait un peu à se ralentir, a repris toute sa chaleur. 
Les horreurs que se permettent les jacobins, et qui menacent tous 
les souverains, y contribuent aussi sans doute. Le chargé des affaires 
de Bussie à Paris sera rappelé, mais n'en dites rien à personne. On 
prend cette précaution pour ne point l'exposer, vu qu'on a arrêté 
ici plusieurs Français plus ou moins suspects, et que de plus on vou* 
drait être débarrassé de M. de Qénet 



ET LA COUR DE FRANCE. 257 



CLXXXVIII. 

DÉPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN , ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A LA 
COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DU 6 MAI 1792 (1). 

Votre paquet expédié le 27 avril par estafette, monsieur le baron 
m*est arrivé le 3 de ce mois. J'ai sur-le-champ été communiquer à 
M. de Schoulembourg les articles les plus importants de cette dépê- 
che. Je lui ai lu en entier tout ce qui était éloge du roi de Prusse et 
de son ministre, sur la franchise de leur marche et la générosité de 
leurs intentions ; j'y ai encore ajouté de nouvelles expressions de 
reconnaissance, au nom du roi et au vôtre, sur la noble déclaration 
que l'on a faite à la cour de Vienne, relativement à l'emploi des 
forces, dans le cas de réclamation, stipulé par le traité d'alliance. Le 
ministre m'y a paru sensible. Je l'ai prié d'en rendre un fidèle té- 
moignage au roi; il me l'a. promis avec empressement : mais, pour 
s'en acquitter avec plus d'avantage , il m'a prié de lui donner l'ex- 
trait de cette partie de votre dépêche , pour la lire au roi. Je Tai 
fait en cherchant à le présenter sous la forme que je savais pouvoir 
plaire davantage. Le ministre a aussi écouté avec intérêt tous les dé- 
tails que je lui ai donnés du manège de M. de Cobenzl ; le prince 
deEeuss, qui le donne hautemeiit pour le plus faux des hommes ■ 
l'avait déjà assez prévenu à cet égard , pour qu'il fût très-disposé à 
croire tout ce que j'ai pu en dire. M. de Schoulembourg m'a encore 
demandé si, pour soulager sa mémoire et donner en même temps 
plus de force à cette explication satisfaisante, je pourrais aussi lui en 
donner l'extrait, me promettant sur sa parole de me le rendre : je 
n'ai pas cru pouvoir m'y refuser, et, en y conservant l'intégrité du ré- 
cit et des expressions, j'en ai seulement retranché tout ce qui pouvait 
avoir l'air du mécontentement de la cour de Vienne, et je n'y ai ré- 
servé que les reproches personnels à M, de Cobenzl ; il m'a paru que 
cela contribuerait plus que tout à détruire toute idée de défiance re- 



( 1 ) D'après nue copie que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fersen ■ dans les 
papiers de ce dernier. 

T. 11. 17 



t 



258 LE COMTE DE FERSEN 

lativement à ce qui peut regarder remploi des princes et de leurs 
forces, et j'espère y avoir complètement réussi; même avant l'arri- 
vée de votre dépêche, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le man- 
der. Ceci éclaircira l'intention de cette petite menée, de manière à 
rejeter tout le blâme sur celui qui le mérite, et rendra dorénavant 
plus circonspect dans la croyance qu'on accordait à ce qui venait de 
ce côté. 

Il n'est que trop sûr, monsieur le baron , que les Anglais ont en 
but de surprendre, s'il est possible, l'effet décisif que doit produire 
la réunion d'aussi grandes forces. Leur projet est de se porter pour 
médiateurs, lorsque l'on sera au moment d'entrer en action, et je 
suis très-persuadé que l'audace des jacobins ne vient que de la certi- 
tude qu'ils ont de cette marche. C'est en effet le seul moyen qui 
puisse leur faire concevoir quelque espérance de conserver quelques 
portions de leur monstrueux ouvrage. Aussi' je ne néglige rien pour 
tenir les yeux ouverts sur les dangers de ce plan, et je fais tout au 
monde pour armer contre luj la vigilance et la fermeté du cabinet 
prussien ; heureusement, il m'a été très-facile de blesser Tamour-pro- 
pre du ministre, en lui représentant sans cesse que cette ambitieuse 
nation cherchera tous les moyens d'enlever aux Prussiens , sans faire 
aucuns frais, la gloire de terminer cette grande entreprise, en la 
soumettant à leur médiation. Je lui ai représenté que si les Anglais 
parviennent à suspendre un moment l'action des forces, leur but 
est atteint , parce que bientôt la crainte de corrompre les troupes , la 
' crainte de dépenser des sommes considérables sans aucune utilité 
apparente ferait entrevoir sans regret une issue paisible à ce grand 
ouvrage , et qu'alors tous les cabinets ne partageant pas également 
l'intérêt généreux du roi de Prusse pour le roi et le royaume de 
France, on se verrait bientôt entraîné à accepter l'entremise offerte. 
J'ai trouvé sur ce sujet le ministre aussi bien disposé que possible , 
et il m'a donné l'assurance formelle qu'une fois en marche, c'était 
en vain que toutes les puissances chercheraient à ralentir l'action des 
forces du roi, à moins que des faits bien prononcés n'aient donné 
une preuve non suspecte du désir de se soumettre. Une ancienne 
liaison avec M. Elliot, ministre d'Angleterre à Dresde, qui vient de 
Londres par la Haye, et que je ne crois pas entièrement étranger à 
la chose, m'a donné quelques moyens pour m'assurer de la vérité de 
ces dispositions que je craignais depuis longtemps, et tout ce qui lui 



ET LA COUR DE FRANCE. 259 

est échappé m'a confirmé dans mon opinion. J^en ai prévenu M. de 
Schoalembourg et le prince de Beuss, et je ne perdrai pas de vue, 
tant que je serai ici, tout ce qui pourra contribuer à affermir les ré- 
solations prussiennes contre les tentatives anglaises. En général, la 
jalousie qu'inspire la puissance et la dangereuse politique de cette 
nation commence à lui créer sinon des ennemis , du moins d'actifs 
surveillants, et il me semble que la saine politique éclaire enfin sur 
sa perfide amitié, qu'elle n'accorde que lorsque les avantages lui en 
sont exclusivement réservés. 

J'ai prié M. de Schoulembourg de me donner, s'il est possible , 
des moyens de voir le duc de Brunswick ; il m'a promis qu'il s'en 
occuperait. Il n'est pas encore au fait des relations secrètes du roi et 
de ma mission ; mais rien ne lui sera plus caché, lors de l'entrevue 
du 12, et alors je pourrai chercher une occasion favorable de lui por- 
ter les assurances dont vous me chargez pour lui. Je suis bien sen- 
sible, monsieur le baron, à l'approbation que vous voulez bien don- 
ner à mon travail ; c'est pour moi une récompense dont je sais , je 
vous assure, tout le prix, et mon plus grand bonheur sera d'avoir 
pu justifier, par mes soins, la marque honorable de confiance que 
vous avez bien voulu me donner. 

Le 6 mai^ au matin. — Le prince de Beuss va faire partir pour 
Bruxelles le courrier qu'il en avait reçu, et il veut bien que j'en 
profite pour vous adresser cette dépêche. Hier au soir, une estafette 
expédiée par M. de Metternich nous a apporté la nouvelle de l'ex- 
cursion des jacobins et du mauvais succès de l'armée jacobine dans 
ses premières tentatives. M. de Schoulembourg a été si pressé d'en 
faire part au roi qu'il a demandé les pièces originales au prince de 
Beuss, pour ne pas perdre un moment, bien sûr du plaisir que cette 
nouvelle fera au roi , et il ne s'est pas trompé. Hier l'ordre , signé du 
roi a été donné pour la marche des troupes , et tout était si bien dis- 
posé que M. de Schoulembourg vient de m'assurer que ce soir il 
ne resterait plus un ordre à expédier ; il m'a montré le tableau des 
dispositions du rassemblement. Toute l'armée prussienne se portera 
entre la Moselle et le Bhin; mais, quelque diligence que l'on fasse 
aujourd'hui, il est impossible qu'avant le 8 ou le 9 juillet l'avant- 
garde, composée de 15 bataillons et 20 escadrons avec 30 pièces 
d'artillerie à cheval , soit rassemblée & Coblence ou dans les envi- 
rons. Le ministre m'a témoigné la plus grande satisfaction de ce que 



260 LE COMTE DE FERSEN 

j'étaîs passé aux Pays-Bas ; il m'a détaillé avec tout le plaisir d'un 
intérêt réel tous les avantages qui devaient en résulter pour nous. 
M. de Schoulembourg m'a remercié de la part du roi de la commu- 
nication de l'extrait de votre dépêche^ qui ne lui laisse rien à désirer ; 
il l'a aussi chargé de me témoigner ses regrets de ne pas pouvoir 
m'admettre à sa suite ; mais il l'a refusé même au duc d'York. 
Mais^ une fois en campagne^ je pourrais me rapprocher de lui avec 
une commission particulière. Quant au duc de Brunswick^ il me sera 
difficile de le voir à Fotsdam , où il ne restera que trois jours ; mais 
M. de Schoulembourg m'a promis de l'instruire de tout , et m'a con- 
seillé d'aller le voir, avant son départ pour l'armée , à Halberstadt 
ou à Brunswick, où il ira en quittant Potzdam. Alors, monsieur le 
baron, ma mission se trouvant remplie à Berlin, si vous me donnez 
les ordres nécessaires pour quitter cette ville et me rapprocher de 
vous, je pourrais passera Brunswick, qui est mon chemin naturel, 
et là je me concerterais sans gêne avec le duc , sur les moyens de 
me tenir en relation directe avec lui, dès qu'il sera en activité. Si 
vous approuvez ce projet, je vous supplie de me le mander courrier 
par courrier, afin que je prenne mes précautions pour ne pas partir 
trop brusquement d'ici, et je crois que, dans ce cas, il serait avan- 
tageux que vous m'envoyassiez une lettre que je remettrai au duc. 

Les Anglais ont été un peu étonnés de la nouvelle d'hier, et en 
général dans le public on a vu avec plaisir l'insolence justement ré- 
primée. Tous les démocrates sont fort tristes, et j'espère que Custine 
recevra bientôt un compliment de congé. 

M. de Schoulembourg désire que les princes et les émigrés soient 
placés incessamment dans une position utile et susceptible de dé- 
fense; il compte en faire un des premiers objets de discussion, lors- 
que les généraux seront réunis , et son avis est de les placer entre 
Mayence etWorms, de manière à se lier avec l'avant-garde prus- 
sienne et les forces de l'Autriche antérieure. 

Le roi a terminé ce matin la revue spéciale de la garnison de 
Berlin, il n'a pas été du tout en ville, et est retourné ce matin à 
Potsdam. 



ET LA COUR DE FRANCE. 261 



CLXXXIX. 

MEMOIRE ENVOYÉ PAR LA COUR IMPERIALE DE VIENNE AUX PUIS- 
SANCES ENNEMIES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE , POUR LES COALISER 
CONTRE LA FRANCE ; PRÉSENTÉ , PAR LES ENVOYÉS d' AUTRICHE ET 
DE PRUSSE A LA COUR DE SUÈDE, AU SECRÉTAIRE D^ÉTAT, M. DE 
FRANC, CHARGÉ DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A STOCKHOLM, DANS 
L'NE CONFÉRENCE LE 17 MAI 1792 (1). 

La proposition d'un concert actif, sur les affaires de la France, 
faite par feu l'empereur, au mois de juillet de Tannée dernière , était 
motivée : 

1® Par l'arrestation et les dangers imminents du Roi Très-Chrétien ; 
2* par le danger commun que les principes de révolte et d'anarchie 
ne se propagent et ne troublent la tranquillité des autres gouverne- 
ments de l'Europe. 

L'objet du concert proposé, limité aux considérations qui dérivent 
des résultats les plus généraux du droit des gens et de l'intérêt 
commun des puissances (2) , consistait dans une déclaration vigou- 
reuse et commune, soutenue par des moyens de force respectables et 
également communs, laissant toutefois les voies ouvertes a rétablisse^ 
ment pacifique (Tun état de choses en France qui sauve du moins la 
dignité de la couronne et les considérations essentielles de la tran- 
quillité générale (3). 

Quoique divers empêchements ne permissent point alors l'établisse- 
ment et la réalisation de ce concert, les principes en furent agréés par 
les cours invitées, et l'appréhension de leur réunion prochaine op^ra 



(1) Dépêche circulaire dn chancelier de cour et d'État, du moia de juillet 1791, communi- 
quée par les miniBtres impériaux. 

(2) D'après une copie , annexe à la lettre du marquis de Bombelles , datée de Saint-Péters- 
bourg le 8 mai 1792, au baron de Breteuil. Un pareil mémoire a été remis au secrétaire d'É- 
tat, chargé des affaires étrangères à Stockholm (M. Franc), par l'envoyé d'Autriche 
comte Ludolf et l'euToyé de Prusse à la cour de Suède, le 17 mai 1792. Un autre exem- 
plaire , envoyé par M. Franc au comte de Fersen , se trouve dans les papiers de ce der- 
nier. 

(3) Lettre adressée par feu S. M. l'empereur aux principaux souverains, au mois de 
juillet 1791. 



262 LE COMTE DE FERSEN 

l'effet que le roi de France ftlt relâché , et que son inviolabilité ainsi 
que le maintien du gouvernement monarchique dissent établis pour 
base de la nouvelle constitution portée à l'acceptation de S. M. T. C, 
le 13 septembre de la même année. 

Cet événement paraissant remédier à ce qu'il y avait de plus pres- 
sant dans les motifs du concert proposé par feu S. M. I. Elle crut 
convenable d'en proposer la suspension aux puissances; jusqu'à ce 
que l'expérience eût prononcé entre les apparences d'amende- 
ment qu'offraient la situation du roi^ et les dispositions de la nation 
et entre les indices qui inspiraient des doutes sur la solidité et la 
durée de ces apparences; d^autant plus que l'hiver^ allant sus- 
pendre pour six mois toute opération et même tout rassemblement 
de forces communes, rendait physiquement nécessaire une détermina- 
tion dont la convenance découlait des principes scrupuleux de léga- 
lité, d'impartialité et de modération qui avaient servi de règle à la 
première invitation de l'empereur. 

Il y a déjà quelque temps que la décision de la question , si la 
situation du roi et du royaume de France continuerait, ou non, cTêtre 
un objet de cause commune pour les autres puissances (1), n'est plus 
équivoque. Il n'est pas besoin de leur prouver que les dangers s'ac- 
croissent avec une rapidité qui les rendrait bientôt aussi imminents 
qu'alarmants , si elles tardaient plus longtemps à s'y opposer par 
leur réunion. 

La mort prévint, de peu de jours, une démarche formelle de feu 
S. M. I. pour les inviter à un nouveau concert de déclarations et de 
mesures communes, fondé sur les mêmes principes qui avaient con- 
cilié leurs suffrages à ses premières propositions, adaptés à l'état 
actuel des rapports internes et externes de la France. 

La prépondérance décidée du parti violent , et sa tendance mani* 
feste à renverser totalement le gouvernement monarchique , repro- 
duisent incontestablement la nécessité et le droit d'une intervention 
commune (2), pour arrêter ses violences et ses desseins. 

Quant à la conduite à laquelle ce même parti a entraîné le gou- 
vernement français vis-à-vis des puissances étrangères, jamais il ne 
leur a été fourni des moyens directs de griefs et d'inquiétudes plus 



(1) Dépêche circulaire du chancelier de cour et d'État, da 12 nov. 1791. 

(2) Ibidem. 



ET LA COUR DE FRANCE. 263 

éclatants et plas urgents que dans Je moment actuel. C'est la France 
qui menace^ qui arme, qui les provoque de toute manière ; en sorte 
que ces motifs produisent aujourd'hui Toccasion, le droit et l'objet 
principal d'une intervention armée. 

En conservant donc la priorité d'ordre à cette catégorie de motifs , 
voici brièvement les points de réclamations et d'exigence auxquels 
il semblait à feu S. M. I. que la nature des circonstances détermi- 
nait et restreignait en ce moment le but de la cause commune des 
puissances : 

P Que les armements extraordinaires et les préparatifs de guerre 
que la France vient d'entreprendre soient discontinués et dissous. 

2^ Que le gouvernement français fasse cesser, et réprime, par les 
mesures les plus énergiques et les plus suivies, les menées auda- 
cieuses et criminelles des associations et des individus, tendantes à 
propager dans d'autres pays des principes capables d'y altérer la 
tranquillité intérieure. 

3* Qu'il reconnaisse et maintienne l'obligation et la foi des traités 
publics, et qu'en conséquence il satisfasse aux griefs des princes de 
l'Empire, soit en les restituant dans la jouissance et l'exercice de 
leurs droits, soit en les dédommageant complètement par des équi- 
valents de même nature, valeur et convenance ; et que pareille jus- 
tice soit rendue au saint-siége sur ses droits & la possession et sou- 
veraineté des comtés d'Avignon et de Venaissin. 

4^» Qu'il soit adopté des moyens vigoureux et suffisants pour re- 
primer, punir, et prévenir efficacement, par la suite, toutes les entre- 
prises et tentatives d'associations ou d'individus, tendantes à ren- 
verser en France la forme et les fondements essentiels du gouverne- 
ment monarchique, ou à restreindre la liberté du roi et l'exercice de 
ses prérogatives, par des voies de fait, des empiétements arbitraires, 
et par une tolérance de troubles et d'insubordination générale, incom- 
patible avec l'établissement d'un ordre de choses régulier, calme et 

stable. 

Quant & la nature des moyens à déterminer par le concert, l'em- 
pereur était d'opinion : P qu'il serait essentiel de rassembler, dans 
les lieux, dans le temps et de la manière dont on conviendrait , des 
forces de troupes très-considérables ; afin d'être & même non-seule- 
ment de prévenir et repousser les hostilités et violences que la France 
entreprendrait au dehors, mais aussi de la forcer à satisfaire complé- 



264 LE COMTE DE FERSEN 

tement le concert des puissances sur les points de réclamation et 
d'exigence ci-dessus au cas qu'il devienne nécessaire d'y employer 
les extrêmes. 

2° Qu'une entreprise dont le but intéressait la tranquillité et l'hon- 
neur de tous les souverains et gouvernements de l'Europe, et dont le 
succès dépendait de la plus grande vigueur et promptitude, exigeait, 
par la nature d'une cause commune, une répartition équitable d'ef- 
forts et de frais, proportionnée à l'étendue des moyens de chaque 
puissance, et qui compenserait les disproportions d'éflForts nécessitées 
par la différence des rapports de situation, en dédommageant dans 
la quotité des frais les excédants d'efforts auxquels les mieux situés 
se prêteraient. 

Enfin feu S. M. I. s'était préalablement ouverte sur ce nouveau 
plan de concert à S. M. Prussienne, qui l'avait entièrement approuvé; 
et les deux souverains s'étaient déterminés à concourir à son exécu- 
tion, au cas que les principes ci-dessus fussent généralement adoptés, 
par l'emploi d'une armée de 50,000 hommes chacun, au delà des 
troupes qui se trouvent déjà dans les Pays-Bas et en Westphalie. Et 
comme, en attendant, la fermentation extrêmeet les armements hos- 
tiles de la France rendaient désirable qu'il fût mis quelque frein à 
l'audace du parti républicain prépondérant, l'empereur saisit l'occa- 
sion des dangers d'invasion, dont les États de l'électeur de Trêves 
furent menacés, pour s'expliquer vis-à-vis du ministère et de la na- 
tion française de la manière la plus franche et la plus énergique. 

Cette explication, dont l'imprimé ci-joint renferme les principales 
pièces, a été secondée, de la part de S. M. Prussienne, par des insi- 
nuations et une déclaration parfaitement analogues; et c'est aussi 
tant pour confirmer l'intention sérieuse de ces démarches mutuelles, 
que pour être mieux à même de protéger la sûreté des firontières de 
l'Allemagne, jusqu'à l'époque du concert, que LL. MM. Impériale et 
Prussienne avaient résolu d'envoyer, sans délai, dans leurs Etats de 
Souabe et de Franconie un renfort de 6,000 hommes chacun, en anti- 
cipation des susdites forces, qu'elles destinaient au soutien du nouveau 
concert. 

Le roi de Hongrie et de Bohême, pénétré des mêmes sentiments 
qui animaient feu l'empereur son père pour le bien public et la tran- 
quillité générale de l'Europe, également convaincu de l'équité et de 
la convenance des principes du nouveau plan qu'il allait proposer aux 



J 



ET LA COUR DE FRANCE. 266 

autres puissances^ s'empresse à réaliser vis-à-yis d'elles la démarche 
qui Toccupait dans les derniers jours de sa vie, dans Tespoir qu'elles 
r accueilleront ayec la même confiance qu'elles accordèrent aux ou- 
vertures précédentes de ce prince sur le même objet. 

En conséquence, S. M. Apostolique, après avoir renouvelé et con- 
firmé avec S. M. Prussienne le concert préalable et les arrangements 
éventuels ci-dessus mentionnés, a l'honneur d'inviter toutes les puis- 
sances & se réunir pour l'exécution commune du plan de concert qui 
vient d'être détaillé ; et, pour en faciliter la promptitude, autant que 
l'éloignement des distances peut le permettre, elle leur propose de 
munir leurs ministres à Vienne, ou telle personne qu'il leur plaise 
de désigner à cette fin, des pouvoirs et instructions nécessaires, à 
l'eflTet de convenir, par un engagement commun formel, tant sur les 
principes généraux de leur intervention et réclamation commune que 
sur la répartition et la réalisation des efforts et moyens, pour les 
rendre suflSsamment eflScaces. En se flattant qu'à l'un et l'autre 
égard elles trouveront dignes de leur concours les propositions que 
le présent mémoire leur transmet de sa part, dans un accord parfait 
avec les intentions de S. M. Prussienne. 



CXC. 



DÉPÊCHE DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYA DU ROI LOUIS XVI 
A LA COUR DE SAmT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL (1). 



Pétersbourg, le 8 mai 1792. 



Monsieur le baron. 



Les personnes les mieux informées ici avaient été laissées dans le 
doute sur le véritable motif du départ du dernier courrier. Nous sa- 



(1) D'après une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Feraen j dans 
les papiers de ce dernier. 



266 LE COMTE DE FEBSEN 

vons maintenant que, quoiqu'il dît porter une lettre de l'impératrice 
au roi de Hongrie, renfermant les instances dont j'ai eu l'honneur de 
vous rendre compte, l'essentiel de l'expédition était relatif aux af- 
fiiires de Pologne. Ce courrier devait laisser à Varsovie des exem- 
plaires du manifeste dont il porte la communication à Tienne. Je ne 
sais si l'on s'est bien assuré du succès que cette pièce pourrait y avoir ; 
il est plus certain qu'elle est conçue dans les termes les plus morti- 
fiants pour le roi et la partie de la nation polonaise attachée à la 
constitution du 3 mai 1791. H passe pour constant que les troupes 
russes, marchant sur trois colonnes, entreront dans ce malheureux 
royaume le V^ de mai vieux style, ce qui répond au 12 de ce mois- 
Ainsi, quand ma dépêche vous parviendra, il y aura déjà seize jours 
que les Polonais, pour avoir voulu favoriser chez eux la prérogative 
royale, seront vexés par les troupes d'une souveraine qui s'est mon- 
trée si portée à rétablir la prérogative royale en France. Il serait 
bien fâcheux que cette contradiction de principes fût mise & profit 
par le cabinet autrichien, et qu'il dît^ l'impératrice que, puisqu'il 
lui convient de modifier la constitution d'une puissance voisine d'elle, 
il faut qu'elle trouve bon que les plus près voisins de la France mo- 
difient aussi la constitution de notre patrie. On voit cette funeste 
intention à notre égard dans toutes les insinuations du mémoire en- 
voyé ici par le roi de Hongrie ; je n'ai pu me le procurer qu'hier au 
soir. Le comte de Cobenzl n'en a accordé que peu de lectures très 
à la hâte, et le ministre russe n'en a laissé prendre copie qu'au baron 
de Stedingk; celui-ci s'est fait tourmenter pendant vingt-quatre 
heures, jusqu'à ce qu'enfin je lui ai démontré que comme ambassadeur 
de Suède il était de son devoir de présenter des observations, qu'il 
m'a permis de rédiger et qui arriveront comme de lui à l'impéra- 
trice. C'est aussi d'après son autorisation que je joins ici une copie de 
ce mémoire (1), parce qu'il serait possible qu'en raison de divers 
articles fort artificieusement conçus, ojfi ne vous en eût pas donné une 
fidèle communication. Ce mémoire est pour vous, monsieur le baron, 
et pour le comte de Fersen ; nous en sommes ainsi convenus avec le 
baron Stedingk. 



(1) Voir ce mémoire, enyoyô par la cour impériale à toutes les cours participant dans 
la coalition contre la France, du 17 mai 1792 , n" CLXXXix. 



ET LA COUB DE FRANCE. 267 

Les papiers remis par moi an comte d'Ostermann sont passés en- 
suite an comte de Bezborodko. S. M. I. travaille sur les divers ma- 
tériaux qui lui sont parvenus d'ailleurs et doit, avant de prendre les 
avis de son conseil, avoir fixé ses idées par un résumé qu'elle lira à 
ses ministres. Vous jugez bien que s'ils se permettent des réflexions, 
ce ne seront que celles qu'ils jugeront devoir être agréables à leur 
souveraine. 

Le comte d'Ostermann était trës*contraire à un envoi de troupes : 
un mot que je lui ai fait dire, par le ministre^ de Naples, a changé 
ses idées ; maintenant il proposera que la Russie prenne des Suisses 
à sa solde, mais si (comme on veut le persuader) l'impératrice fait 
marcher des troupes vers la France, ce seront des Russes, au nombre 
de 18,000 et des Suédois qui compléteront un corps de 24,000 hom- 
mes. 

M. de Zoubow s'est entretenu depuis deux jours avec le prince 
de Nassau de la marche que tiendraient les troujpes ensemble ; ils 
ont devisé sur le point vers lequel ce corps se porterait. Les car- 
tes que j'ai fournies sont, sans qu'il sache qu'elles m'appartiennent, 
dans le cabinet du favori. Il a repris de l'ardeur pour nos aflGaires 
depuis qu'il pense qu'elles n'empêcheront pas ce qu'il se promet pour 
lui de l'invasion de la Pologne. 

L'ambassadeur de Hongrie et le ministre de Prusse se donnent bien 
du mouvement pour que les secours de la Russie ne soient qu'en 
argent ; mais nous avons à leur opposer : 1*^ le juste orgueil de 
l'impératrice, qui, si elle fait quelque chose, voudra que ses dra- 
peaux paraissent ; 2° l'embarras plus grand de tirer d'ici de l'argent 
que des hommes. Sans me montrer, je donne le plus qu'il m'est pos- 
sible du mouvement et de la force aux personnes qui peuvent agir. 
Je crois, monsieur le baron, bien saisir l'esprit de mes instructions 
en poussant à ce qu'une armée russe se mette en campagne et serve 
de point de ralliement à tous les Français bien intentionnés. Le plus 
fâcheux de nos maux serait, après toutes nos disgrâces, de recevoir 
des mains de l'Autriche une constitution façonnée par son incurable 
jalousie. La Russie, la Suède, les Suisses^ l'Espagne et même le Pié- 
monl» ne peuvent guère penser à s'agrandir & nos dépens, et n'ont 
pas d'intérêt à emmaillotter l'autorité royale en France ; cette vérité 
sera sentie daùs nos provinces, comme par ce qui n'est pas encore tout 
à fait gangrené dans la capitale. Alors l'opinion se manifestera quand 



268 LE COMTE DE FERSEK 

on verra qu'on a de Pappni, et la cour de Vienne sera obligée de 
carguer les voiles, lorsque le vent lui sera trop contraire. Ce langage, 
monsieur le baron , ne ressemble pas tout à fait à celui que je vous 
tenais dans ma dépêche n° 21 du 20 avril, mais j'ai appris à votre 
école que la raison recevait souvent les lois des circonstances ; alors 
que tout annonçait l'abandon de la Russie, je disais : il vaut mieux 
perdre des provinces que de recevoir une constitution ; aujourd'hui 
que (sans beaucoup y compter encore) je vois l'impératrice pencher 
à faire marcher une armée pour nous, je me permets d'espérer qu'il 
serait possible de reprendre notre ancien gouvernement et de con- 
server nos frontières intactes. Il y a une dépêche du comte de Co- 
benzl au comte d'Ostermann dont je n'ai pu encore, monsieur le bar 
ron, me procurer ni copie ni lecture, mais voici les trois articles 
essentiels sur lesquels elle roule : 

1® De ne point faire mention d'un retour vers l'ancien régime, de 
peur de rebuter de prime abord la nation, qu'on suppose être très- 
entichée de la nouvelle constitution. 

2® De ne point mettre en ligne les princes, ni la noblesse, parce 
que ce serait trop les exposer au ressentiment d'un peuple acharné 
contre les aristocrates. A cela sont jointes des réflexions très-déso- 
bligeantes sur la conduite tenue à Coblence. 

3° Une justification des motifs qui ont déterminé à ce que les 
ministres des puissances se concertassent plutôt à Vienne qu'ail- 
leurs ; ces motifs portent uniquement sur l'avantage du local, et le 
cabinet autrichien dit tant de choses sur l'impartialité de ses inten- 
tions, qu'il doit, par cela même , ajouter foi à la méfiance qu'inspire 
toigours sa tortueuse politique. 

Je le répète, monsieur le baron, plus j'ai vu qu'on s'attachait du 
côté de Vienne à ne rien faire des princes, plus il m'a paru essentiel 
de montrer que l'intention du roi était que ses frères fussent em- 
ployés honorablement, en abondant dans le vœu de l'impératrice, 
' en lui montrant qu'elle fait autant de plaisir à S. M. T. C. qu'aux 
princes, lorsqu'elle les soutient. Rien n'était plus propre à la ranimer 
pour une cause que depuis quelque temps elle voyait avec une 
indifférence née du déplaisir de ne pas primer. Aujourd'hui,* l'im- 
pératrice peut se persuader que , sans avoir une armée équivalant aux 
forces autrichiennes , elle n'en sera pas moins la puissance qui aura 
dans l'intérieur du royaume la majeure influence, et je suis loin de 



ET LA COUR DE FRANCE. 269 

craindre^ comme je vous Tai déjà mandé, que s'il 7 a mie armée 
russe, elle reçoive la loi des conseillers de Coblence. Leur insuffi- 
sance déjà connue leur fera assigner les places pour lesquels ils sont 
&its. Quant à Nosseigneurs, ils recevront de grandes marques de 
respect ; ils jouiront des hommages dus à la pureté de leurs in- 
tentions, et Texpérience leur apprendra que, quelques caresses que 
fassent les souverains aux agnats de leurs trônes , il 7 a entre les 
tètes couronnées une paternité d'intérêt, de convenance et d'égoïsme 
qui emporte toujours la balance. 

J'ai l'honneur d'être, etc., etc. 

Le marquis de Boubelles. 

Le chevalier de Belzunce, qui a copié cette dépêche, se désolait 
de ce que je ne le renvo7ais pas; mais il m'a paru impossible de ne 
pas attendre pour le charger, si cela se présente comme je le crois, 
de choses que je ne veux pas confier à la poste. Depuis trois jours on 
lui a annoncé qu'il aurait une audience particulière de l'impératrice, 
n 7 a eu de la vilenie sans doute dans le soin de Técarter d'un hon- 
neur auquel sa conduite, les circonstances et ses malheurs lui don- 
naient des droits. Le prince de Nassau s'est conduit à cet égard 
comme il se conduira toujours ; en parlant de ce prince, j'ose vous 
assurer que je connais bien peu d'hommes qui portent dans toute es- 
pèce d'affaire un caractère aussi lo7al. 



CXCI. 

DlêPÊCHE DU VICOMTE DE CARAMAN , ENVOYA DU ROI LOUIS XVI A 
LA COUR DE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE 
8 MAI 1792 (1). 

H est incro7able à quel point l'échec des patriotes français a ex- 
cité ici l'esprit militaire ; oflâciers et soldats ne partageaient pas éga- 



(1) D'après une copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fcraen j dans les 
papiers de oe dernier. 



270 LE COMTE DE FERSEN 

lement le plaisir et l'ardeur de marclier ; ils redoutaient le sort qu'ils 
avaient eu deux fois depuis trois ans y oh on les avait fait miBurcher 
inutilement en Silésie contre l'empereur, et en Prusse contre la 
Bussie ; mais aujourd'hui que, grâce au zèle impétueux des rebel- 
les, ils voient que l'action est trop engagée pour ne pas être active, 
ils montrent une joie générale et un désir extrême de se mesurer 
de valeur avec les Autrichiens. Tous les prépaoratifs se font avec la 
plus grande activité ; on voit défiler toute la journée des trains d'ar- 
tillerie, et, malgré toute cette activité, on presse cependant encore 
avec tant d'intérêt tous les mouvements, que le ministre montre 
une véritable satisfaction quand il a pu gagner un ou deux jours 
sur quelques dispositions. 

Le courrier définitif de la cour de Vienne est arrivé. Le roi de 
Hongrie annonce que 10,000 hommes doivent être arrivés dans le 
Brisgau, que 15,000 sont près d'y arriver, et que le reste va se 
mettre successivement en route de manière & ce que tout soit réuni 
avant la fin de juillet. A ces dispositions satisfaisantes la cour de 
Vienne ajoute encore la proposition de s'engager réciproquement en- 
tre les deux cours , dans le cas que l'impératrice de Bussie ne pour- 
rait ou ne voudrait pas entrer dans le plan de concert , de n'en pas 
moins continuer les opérations et de terminer entre elles deux l'en- 
treprise qu'elles ont commencée. Cette proposition doit avoir été faite 
hier oflSciellement par le prince de Beuss, et il n'en sait pas encore 
lui-même le résultat, mais on ne doute pas, ni moi, qu'elle ne soit 
acceptée ; au reste, ceci est secret. 

En général, le ton de la cour prussienne a étonnamment changé, 
et ses expressions portent toutes aujourd'hui le caractère de la plus 
ardente volonté ; on le doit , en grande partie , au ressentiment per- 
sonnel du prince Kaunitz', que les intérêts réunis de toute l'Europe 
n'auraient pas pu émouvoir, mais qui a été mis hors de lui en li- 
sant les insolences de M. Dumouriez, et à qui il veut prouver que 
sa débile main peut encore les embarrasser beaucoup. 

Les ministres d'Angleterre et de Hollande sont toujours fort dé- 
contenancés , depuis la nouvelle des hostilités. Les menées de ce der- 
nier, qui ne peut pas oublier qu'il a régné ici , ont tellement déplu, 
que je crois que le roi veut le faire rappeler. Franchement, je n'ai rien 
négligé de ce qui pouvait leur nuire, et je le devais pour détruire 
l'effet (le la guerre invisible qu'ils nous faisaient en cherchant à 



ET LA COUR DE FRANCE. 271 

arrêter ce que nos soin pouvaient obtenir. Aujourd'hui ils sont sur- 
veillés par une méfiance très-mal intentionnée pour eux, et j'espère 
qu'ils sont hors de mesure de pouvoir nous être dangereux. 

Le ministre des finances Struensée, ancien ami de Mirabeau, leur 
est dévoué, et est mécontent de tout ce que l'on fait. H a voulu faire 
des objections et présenter des calculs ; on lui a répondu de faire des 
provisions et de donner de l'argent , en supprimant ses objections. 
C'est un homme habile, mais uniquement en affaires de commerce. 
Tous ces opposants se rassemblent autour du ministre d'Hertzberg, 
protecteur déclaré du système anglais, qui le cajole encore; mais 
il est aujourd'hui sans crédit et sans moyens, et, quelque chose qui 
arrive, je crois pouvoir assurer que, de ce règue-ci, il ne reparaîtra 
pas sur l'horizon. 



CXCII. 

DÉPÊCHE DU VICOMTE DK CARAMAN , ENVOYlÊ DU ROI LOUIS XVI A LA 
GOURDE BERLIN, AU BARON DE BRETEUIL, DATÉE DE BERLIN, LE 15 
MAI 1792 (1). 

Les conférences ont été terminées hier, monsieur le baron , et à la 
plus grande satisfaction de ceux qui s'y sont trouvés. Le duc de Bruns- 
wick est parti hier pour son inspection de Magdebourg. La position 
des princes et des émigrés a été déterminée, et ils seront armés et 
placés derrière le Khin, aux environs de Philipsbourg dans l'évêché 
de Spire. On leur demande de rester parfaitement tranquilles là où 
ils sont, jusqu'au 5 d^ juillet ; c'est alors que, jusqu'au 13, on les 
fera défiler vers le côté qu'ils devront occuper. Le duc de Bruns- 
wick sera lui-même à Coblence le 5 juillet, pour présider au déblaye- 
ment des Français , et préparer la réception de l'avant-garde prus- 
sienne, qui arrivera le 9. D'après la position que l'on a assignée 
aux princes, il n'y a pas de doute que les intentions ne soient de les 



(1) D'après une copie que le baron de Bretenil a envoyée an coznte de Fersen; dans 
les papiers de ce dernier. 



272 LE COMTE DE FEBSEN 

diriger vers TAlsace ; cependant ce n'est qu'une combinaison qui 
m'est personnelle, car le duc, avec raison, n'a pas voulu que la vé- 
ritable destination fût connue , et les dispositions sont restées abso- 
lument secrètes entre ceux qui ont été présents à la conférence. J'ai 
cependant acquis quelques connaissances sur les dispositions ma- 
jeures , mais je me réserve de vous les conmiuniquer à mon retour ; 
ce que j'ai appris avec grand plaisir, c'est que le roi marchera très- 
positivement avec son armée, et il se rendra à Coblence aussitôt 
qu'elle sera réunie. M. de Schoulembourg m'a encore répété que, dès 
qu'il y sera, je pourrais m'y rendre avec une commission particulière, 
et qu'alors je le suivrai, pendant la durée de l'expédition. Le duc de 
Brunswick m'a répondu de Potsdam , et il me marque combien il 
est sensible à ce que je lui ai dit de votre part et de celle du roi. 
Il me donne rendez-vous à Magdebourg avant le 24 , ou à Halberstadt 
le 28 ; j'ai choisi le dernier endroit. 

-^ Il me paraît que la Russie ne se conduit pas avec une grande 
franchise relativement à la Pologne , il se répand du moins des bruits 
peu favorables à cet égard ; mais M. de Schoulembourg m'a fait 
entendre que, quant à nos affaires, je ne devais rien craindre, et 
que les 50,000 hommes envoyés contre la France laissaient encore 
des moyens suffisants pour s'opposer à des projets qui ne pourraient 
pas convenir. 

La cour de Vienne a communiqué ici une lettre circulaire qu'elle 
envoie à tous les princes de l'Empire, pour leur expliquer ses griefs 
contre la France, et leur annoncer que ce qu'il fait comme roi de 
Hongrie n'est que pour assurer ce qu'il fera comme empereur. H 
les engagea se joindre à lui, soit par des troupes, soit par un équi- 
valent en argent. Le roi de Prusse va appuyer cette circulaire par 
une lettre à peu près semblable. M. de Custine a reçu un courrier 
de France par lequel on fait encore quelques compliments au roi de 
Prusse en lui notifiant la déclaration de guerre au roi de Hongrie. 
Ce courrier a aussi apporté une lettre du roi de France qui prie celui 
de Prusse, en qualité de directeur du cercle de Franconie, de vou- 
loir bien y observer la neutralité, et en conséquence d'y refuser le 
passage aux troupes autrichiennes. Dans la lettre du roi, on nomme 
M. de Custine ministre plénipotentiaire, et le vieux comte de Fin- 
kenstein en a profité pour observer à M. de Custine que, comme il 
n'était pas accrédité sous ce titre, il ne pouvait pas recevoir de lui 



ET LA COUR DE FRANCE. 273 

les lettres qu'il lui apportait. En conséquence, il a été obligé défaire 
repartir le courrier avec cette observation , sans avoir pu faire usage 
de ce qu'on lui avait envoyé. Il lui est aussi arrivé un renfort de 
négociateurs, dont l'un lui est envoyé comme secrétaire de légation, 
et l'autre, qui est un marchand de vin qui en a fourni au- 
trefois au comte de Hertzberg, a été choisi comme pouvant par 
ce canal, avancer beaucoup les affaires, et il a été chargé de 
lettres de créances pour lui, en s'engageant à lui faire employer 
tout son crédit pour faire changer de résolution au roi. Le choix de 
cette nouvelle route a fort animé M. de Schoulembourg, puisqu'elle 
prouve la parfaite ignorance de tous ces agents et même du minis- 
tère ; car assurément il ne faut être ici qu'un quart d'heure pour 
savoir que M. de Hertzberg ne peut avoir aucune influence. Le 
ministre a envoyé au roi tout le paquet des ambassadeurs, et le 
roi l'a remis à M. de Schoulembourg. 

Je joins ici l'ordre de la marche des troupes avec la date de leur 
départ et de leur arrivée ; c'est en allemand , mais vous trouverez 
facilement à le faire traduire. 



CXCIIL 



DU COMTE DE FERSBN AU BARON DE TAUBE (1). 



Braxelles, ce 16 mai 1792. 



lEn clairJ] 



J'ai reçu dimanche, mon cher ami, votre lettre du 27, et je 
n'eus que le temps de vous en accuser la réception dans ma der- 
nière, et de vous dire combien j'ai été vivement touché de la nou- 
velle marque des bontés du feu roi. Oui, mon ami, notre perte 
est grande, et jamais je ne cesserai de le regretter toute ma vie. 



(1) Lettre antographe, déchifiErée de la xaain du baron de Taube. 

T. II. 18 



274 LE COMTE DE FERSEN 

[En chifreJ] 

Vos conjectures sur l'impératrice me paraissent très-bien fondées, 
et vous verrez par ma dépêche combien son intérêt aurait été né- 
cessaire pour empêcher les projets trop probables des rois de Hon- 
grie et de Prusse, dont la France serait la victime. Notre bon et 
trop malheureux maître aurait seul été en état de Tempêcher et 
d'exciter Timpératrice. J'engagerai le baron de Breteuil à négocier 
là-dessus vis-à-vis d'elle ; mais je crains que le roi de France sera 
obligé de consentir à quelque démembrement, et, si cela est d'une 
nécessité absolue pour le rétablissement de la monarchie et de son 
autorité, je crois qu'il n'y a pas à balancer. Mandez-moi, mon 
ami, ce que le duc (1) compte faire dans le cas où l'impératrice 
réclamerait les secours qui étaient convenus avec le feu roi pour 
agir contre la France, et s'il les donnerait. Je continuerai à m'oc- 
cuper de trouver de l'argent. Tout est encore tranquille ici, mais 
gare à un échec! alors tout serait en révolution. J'ai envoyé tous 
mes papiers à Coblence au baron d'Oxenstjema, afin de pouvoir 
partir plus vite si cela était nécessaire, car Bruxelles est très-mau- 
vais, et je n'y serais pas en sûreté alors. 



CXCIV. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (2). 

Bruxelles, ce 16 mai 1792. 

Sire, 

La dépêche que V. M. a daigné m'envoyer du 27 avril m'est par- 
venue. 



(1) Le dnc Charlee de Sudermamiie, régent de Suède pendant la minorité du roi 6iu- 
tare IV Adolphe. 

(2) Diaprés la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Ck^/rt 
au rot. 



ET LA COUR DE FRANCE. 275 

Ce que j'ai eu l'honneur de mander à V. M., dans ma dernière 
dépêche du 9 de ce mois , sur les intentions et négociations de l'An- 
gleterre paraît se confirmer^ à moins que l'attaque des Français sur 
les Pays-Bas ne fasse changer les résolutions^ et je crois avoir la 
certitude que le lord Elgin, qui a été à Paris et qui, à son retour 
de là en Angleterre, est venu passer ici 24 heures, sous le prétexte 
de faire sa cour à madame l'archiduchesse, était chargé de propo- 
sitions de ce genre. Ce projet pourrait encore être secondé par la 
volonté que l'impératrice paraît témoigner de s'occuper plus vive- 
ment des affaires de Pologne que de celles de France, et, si ce sys- 
tème de négociation est adopté, la monarchie et l'autorité royale 
sont perdues, et la France devient un pays nul dans la balance po- 
litique de l'Europe et pour ses alliés ; car, quel que soit le gouver- 
nement qui en sera la suite, il sera impossible à établir sans anéan- 
tir le parti qui domine et son esprit, sans rétablir l'ordre dans le 
royaume et une force publique, et ce ne sera pas par des négocia- 
tions qu'on y parviendra. H y a lieu de supposer encore qu'il entre 
dans les projets du cabinet de Vienne de se payer des secours qu'il 
accordera au roi de France par quelques échanges avec le roi de 
Prusse, dont le résultat serait la perte de l'Alsace et de la Lorraine 
pour la France, et peut-être de tous les Pays-Bas , qu'on donnerait, 
avec ceux de la maison d'Autriche , au duc des Deux- Ponts à titre 
de souveraineté en échange de la Bavière, et on céderait au roi de 
Prusse Berghen et Juliers , avec des arrondissements à sa conve- 
nance dans la Silésie. Je n'ai point la certitude que se soit là l'é- 
change que la cour de Vienne désire, ni que le roi de Prusse adopte 
une pareille idée; il y a même lieu de croire, d'après les assurances 
qu'il en a données récemment, qu'il ne consentira pas à un arran- 
gement de ce genre ; mais si tel était le projet des deux cours, elles 
trouveraient dans le peu de bonne volonté de l'Espagne, et en lais- 
sant les mains libres à l'impératrice d'agir sur la Pologne, de gran- 
des facilités pour son exécution, et ces deux puissances, étant char- 
gées seules alors du rétablissement de la monarchie française, elles 
en seraient absolument maîtres , à moins que les autres puissances 
de l'Europe ne sentent combien cet exemple serait dangereux et 
combien la conservation de la monarchie française, dans son entier, 
importe à leur sûreté et à la balance politique de l'Europe. Quel- 
que désavantageux que ftit ce lîlan au rétablissement de l'autorité 



276 LE COMTE DE FERSEN 

royale eD France, V. M. pensera sans doute qu'il est préférable pour 
le roi à la voie des négociations. 

L'esprit de révolte et de sédition existe toujours dans ce pays-ci, 
et la fermentation y est grande. Elle n'est contenue que par la 
crainte des troupes; mais si elles avaient des revers tout le pays se 
soulèverait ; dans ce cas, le projet du gouvernement est de retirer 
les troupes des frontières et de couvrir, avec les 60,000 hommes 
qu'il a , tout le pays qui est derrière Bruxelles, Namur et Mons. Je 
persiste toujours à croire que c'est le parti qu'il aurait fallu adopter 
d'abord sans courir les hasards d'y être forcé, et que cette conduite 
aurait tenu en respect non-seulement tout le pays, mais même les 
Français, qui auraient hésité, avec une armée aussi mal organisée et 
aussi indisciplinée, de venir les attaquer chez eux. 

Les troupes autrichiennes, au nombre de 30 à 35,000 hommes, 
sont campées sur la frontière à Mons et Tournai ; le reste compose 
les garnisons de Bruxelles, Namur, Luxembourg, Anvers et Malines, 
où ils ont leur parc d'artillerie. On attend à tout moment l'arrivée 
du général Luckner à Yalenciennes, et on suppose que les Français 
ne tarderont pas alors à faire une attaque sur Mons et en même 
temps sur Namur. 



cxcv. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1). 

BrnxeUes, ce 23 mai 1792. 

Sire, 

Le roi de Prusse a fait notifier officiellement au roi d'Angleterre 
la marche de 50,000 hommes sur le Rhin, et que la totalité de 
cette armée serait rassemblée le 4 août. La même notification a été 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fenen , qui a écrit en marge : Chiffre m 
roi. 



ET LA COUR DE FRANCE. 277 

faite à la diète de Ratisbonne. Les lettres du vicomte de Caraman 
de Berlin mandent que tous les préparatifs sont faits ^ que tout le 
monde; depuis le roi et le ministre jusqu'au dernier soldat ^ parta- 
gent la même ardeur. Les premiers régiments partiront le l"juin 
et les autres successivement. Les premières troupes arriveront le 
8 juillet, et les dernières le 4 août. Le roi va à l'armée avec les mi- 
nistres ; il doit S'établir à Baireuth ou Anspacli. Il paraît que cette 
armée agira sur la Moselle. Les princes ont été prévenus par le roi 
de Prusse de se tenir tranquilles et de ne tenter aucune opération, 
que le duc de Brunswick sera à Coblence le 9 juillet, et que le 13 il 
en ferait partir tous les émigrés pour les rassembler du côté de 
Philipsbourg. Les princes d'Allemagne ont été requis par les rois 
de Prusse et de Hongrie de fournir leurs contingents pour la fin de 
juillet. Le comte de Schoulembourg a assuré le vicomte de Caraman 
que, quels que soient les projets de l'impératrice sur la Pologne 
et la conduite qu'elle tiendra dans les affaires de la France, rien ne 
ralentira l'action du roi son maître, et qu'il lui restait encore assez 
de troupes pour la contrarier en Pologne. V. M. voit par là que les 
intentions actives de la cour de Berlin sont bien prononcées et je les 
crois sincères. Je ne suis pas aussi assuré de celles de la cour de 
Vienne, qui aura de la peine & se départir de son système de len- 
teur et d'indécision. H faut espérer qu'elle sera forcée par l'activité 
prussienne et l'ambition du duc de Brunswick. Malgré tout cela j'ai 
lieu de croire que le projet d'un échange et de démembrer la France 
existe toujours, surtout de la part du cabinet de Vienne, dont c'est 
l'idée favorite, et je ne crois pas assez au désintéressement prus- 
sien pour croire que ce cabinet s'y refusera. Nous avons connais- 
sance d'un plan à cet égard, naais dont je ne garantis pas la certi- 
tude ; le voici : l'Alsace serait remise à l'Empire ; la Lorraine serait 
remise au duché de Luxembourg et formerait l'apanage d'un ar- 
chiduc ; les Pays-Bas français seront remis aux Pays-Bas autri- 
chiens; les îles françaises indépendantes; la Corse donnée & l'impé- 
ratrice et Dantzig, Thom et un arrondissement en Pologne, avec 
les duchés de Berghen et Juliers, au roi de Prusse. 

H a passé ici un courrier de Londres portant aux cours de Berlin 
et de Vienne l'assurance positive de la neutralité de cette puis- 
sance, et qu'elle verrait avec plaisir ce que les autres feront pour 
le rétablissement de la monarchie française et l'autorité du roi. L'at- 



278 . LE COMTE DE FERSEN 

taque des Français et, plus que toute la crainte que M. Pitt a couru, 
des propositions faites dans le parlement, par des esprits remuants, 
pour des changements dans la représentation du peuple, lui auront 
sans doute fait changer de système, et je ne serais pas étonné que 
cette crainte le décidât même & favoriser l'action des puissances 
réunies. La manière la plus utile et la plus facile pour lui, celle qui 
présenterait le moins d'inconvénients, serait un secours pécuniaire, 
dont une partie pourrait être employée en faveur de V. M., si, comme 
je n'en doute pas, elle pense qu'il est encore de son intérêt de pren- 
dre une part active & une aussi grande et noble opération. 

Les Autrichiens avaient formé, il y a trois jours, un détachement 
pour enlever un régiment français qui devait passer dans un de 
leurs villages à portée de la frontière. Les Autrichiens ont manqué 
leur capture et à leur arrivée dans le village les paysans ont tiré 
sur eux. Le village a été abandonné au pillage, et plus de 80 pay- 
sans ont été tués» 



CXCVL 

DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR 
DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL. N° 34 (1). 

Saint-Pétenbourg, le 24 mai 1792. 

Monsieur le baron, 

» 
Le chevalier de Belzunce s'est rendu ce matin à Zarsko-Célo ; 

il doit y recevoir les paquets de l'impératrice et ceux de M. d'Es- 

terhazy, venir ensuite prendre ici les dépêches du prince de 

Nassau et se porter en droiture à Coblence, où, après avoir touché 

barre, il ira remettre à Bruxelles les lettres adressées à M. Grimm. 

Depuis m^ dépêche n* 33, il est arrivé à l'ambassadeur de Hongrie 

des ordres très-pressants pour insister sur le plus prompt secours. 

(l) D après ime copie qne le baron de Breteuîl a envoyée au comte de Fersen ; dans les 
papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 279 

L'ambassadeur de Suède, le ministre de Prusse, tiennent le même 
langage ; les ministres russes le trouvent raisonnable ; mais le fa- 
vori, qui, comme j'ai eu l'honneur devons le mander, a voulu une 
guerre qui fondât sa fortune, fait encore ce qu'il peut pour que rien 
ne distraie de l'envahissement de la Pologne ; on a saisi l'impéra- 
trice par son faible, et ce ne sera qu'avec peine qu'on la détournera 
du plan tracé dans son boudoir. Elle a vu qu'après avoir accordé la 
paix aux Turcs, après avoir dit à la Pologne : <i Je suis venue, j'ai vu, 
j'ai vaincu, 3) ilétait beau de passer de là aux frontières de France» 
Mais tout ce qui raisonne ici se permet d'observer assez haut que 
S. M. I. s'est trop mise en avant sur les affaires de France 
pour être, indépendamment des positions géographiques, si fort en 
arrière des autres puissances, lorsqu'il s'agit d'effets, et que les belles 
paroles ne suffisent plus. Le prince de Nassau ne se borne pas à être 
de l'avis des gens sensés trop précautionneux , il dit ce qu'il faut 
dire, et vient d'écrire aux princes ce qu'il était convenable de leur 
mander, et ce que je doute fort que leur agent ici leur articule aussi 
nettement. 

Ce prince, dont l'âme est aussi bien bâtie que sa taille, a eu ici là 
conduite qui pouvait le plus maintenir sa considération ; elle ne di- 
minuera pas, mais la jalousie de toute une nation envers un étran- 
ger, qui a beaucoup de rivaux et point d'émulés, est un obstacle que 
M. le prince de Nassau rencontrera toujours, lorsque de grands 
maux n'existeront pas, et que les besognes pourront être réparties 
à 'des ouvriers ordinaires. On met un sot & la tête d'une armée qui 
doit ravager la Pologne ; on donnera peut-être le commandement du 
corps qui marchera tardivement sur les bords du Bhin à quelque of- 
ficier général qui n'offusquera personne. Il n'en était pas de même 
lorsque le canon des Suédois retentissait dans les bosquets de Zarsko- 
Célo, et qu'on chargeait les voitures pour se retirer & Moscou ; alors 
tous les grands de l'empire étaient bien petits devant le prince de 
Nassau, et la souveraine mettait avec discernement une entière con- 
fiance dans l'homme valeureux dont elle avait reconnu les talents. 

Le refus fait au prince de Nassau du commandement des troupes 
destinées à marcher contre les Français rebelles a cependant , comme 
j'ai eu l'honneur de vous le mander, monsieur le baron, été ac- 
compagné de tout ce qui pouvait le rendre honnête. L'impératrice a 
dit, entre autres motifs, qu'elle avait des ménagements à garder et 



280 LE COMTE DE FERSEN 

que le commandement dans des pays si loin de la Bassie devait être 
confié à un homme de la religion russe. Depuis^ nous avons différentes 
données pour croire que cet homme, qui, quoique du rite grec, ne sera 
sûrement pas un Grec, sera aussi d'un grade inférieur à celui du 
prince de Nassau, et que ce prince alors recevra l'ordre de prendre 
la grande main, une fois que les troupes auront été conduites & leur 
première destination ; mais quand y arriveront-elles ? c'est ce qu'il 
n'est pas aisé à décider. Hier nous reprenions espoir pour l'envoi 
prochain de 7 à 8,000 hommes par mer. Aujourd'hui l'ambassa- 
deur de Hongrie croit que ce qu'il y a de mieux à obtenir, c'est qu'on 
n'attende pas la décision des affaires de Pologne, et que par la Galicie 
on fasse plutôt filer de la Moldavie les corps qui se replient et qui, en 
vertu du traité de paix, doivent évacuer cette contrée. 

Dans cette perplexité, très-grande pour les bons Français, vrai- 
semblablement très-simulée de la part des Autrichiens, j'ai cru de- 
voir renouveler mes instances pour la prompte expédition d'un corps 
quelconque de Busses, qui empêchât que la France, rendue à la 
raison, ne tombât à la merci de ses rusés voisins. Le moment de 
vous faire parler était favorable, parce que, comme je vous l'ai 
mandé, vos actions sont au meilleur taux ici. J'ai donc pensé que je 
servais bien et très-bien le roi en vous présentant comme le plus 
zélé et le plus positif appui des princes ses frères. Et il m'a pcuru 
assez piquant de parler en votre nom en faveur de Nosseigneurs, 
quand l'homme qu'ils ont ici est comme Boland enchanté dans le 
palais d'Axmide. Sérieusement parlant, je ne connaîtrais rien de plus 
ftineste que de tomber dans les mains autrichiennes , et je ne vois 
rien de mieux que de réunir à un drapeau russe tous les gens bien 
pensants, tous nos intérêts, et d'y trouver notre sauve garde. Je suis 
donc bien sûr que vous approuverez tout ce que je dis dans la lettre 
que j'ai écrite au vice-chancelier, et dont je joins ici copie (1) ; elle 
confondra vos ennemis, elle peut décider une résolution bien essen- 
tielle à obtenir, et, si mes motifs n'étaient pas approuvés aux Tuile- 
ries, j'en serais plus filché pour mon maître que pour moi. 

Nous espérons que la Suède se piquera d'honneur, et, si elle fiûsait 
un pas, on en ferait bien vite ici quelques-uns de plus. Mais, malgré 
toutes les superbes promesses, je vous le répète, monsieur le baron, 

(1) Voir l'anneze à cette lettre. 



ET LA COUR DE FRANCE. 281 

il s'en faut bien qu'on fasse jamais le quart de ce qu'on avait fait 
sonner si haut. 

Le parti qui sera définitivement pris ne peut pourtant pas tarder 
à être prononcé ; cela fait, je ne suis plus bon à rien à Pétersbourg, 
parce qu'en supposant qu'on m'y fit l'honneur de me regarder comme 
un bon conseiller, il n'est pas nécessaire que le roi paye un donneur 
d'avis dont les idées, toujours prises ad référendum, ne tourneraient 
pas au profit de S. M. 

A moins de circonstances imprévues, je n'irai pas à Moscou, parce 
que la frime de ce voyage n'est plus nécessaire. Je prendrai peut- 
être ma route par la Suède et le Danemark; j'ai des facilités de 
navigation qui me rendront ce tour moins dispendieux que si^ du 
fond de la Eussie, je regagnais la Pologne, où vraisemblablement on 
ne tardera pas à se battre. 

L'ambassadeur de Suède et d'autres gens raisonnables m'exhor- 
tent fort à voir, dans un passage rapide, les deux autres capitales du 
Nord; peut-être même cela conviendra-t-il au cabinet de Péters- 
bourg. J'aurai l'honneur de vous indiquer où je pourrai recevoir vos 
ordres ultérieurs. Si le service du roi ne vous présente aucune né- 
ce^ssité bien urgente de m' employer ailleurs, vous sentez où ma place 
est marquée depuis que les Français peuvent revendiquer, les armes 
à la main, des droits si sacrés et si odieusement foulés aux pieds. Je 
compte aller voir ma femme, embrasser mes enfants et me rendre 
dans le Brisgau à l'armée autrichienne. Là je serai près et de Frank- 
fort et de Batisbonne, où peut-être il sera nécessaire de porter des 
paroles ; là je pourrai voir ce qui se fera en Suisse, et ce qu'on 
pourrait faire de la Suisse. Vous sentez d'ailleurs que, dans les cir- 
constances survenues, la trop longue prolongation de mon séjour à 
Pétersbourg pourrait compromettre le roi, parce que je suis assez 
estimé pour qu'on ne me suppose pas occupé d'un voyage de plaisir, 
ou même d'instruction, lorsque tout gentilhomme de mon âge doit 
payer de sa personne, en présence des ennemis de la sainte patrie. 

Ce 26 maL 

J'ai VU hier soir le vice-chancelier ; il m'a d'abord serré la main, 
ce qui est pour lui un grand signe de satisfaction ; puis il m'a dit 
qu'il avait envoyé sur-le-champ ma lettre à l'impératrice et que 



282 LE COMTE DE FERSEN 

S. M. impériale^ approuvant fort votre idée sur M. de Lucknery me 
ferait seconder par son ministre à Copenhague, si j'étais disposé à 
prendre ma route par le Danemark. J'ai témoigné reconnaissance 
de cette nouvelle marque de bonté, et, vraisemblablement, je serai 
expédié peu de jours après le départ du prince de Nassau, parce que 
M. d'Esterhazy, en nous caressant chacun suivant nos positions, aura 
le plus sensible plaisir à nous voir tourner les talons. Il ne dissimule 
pas que nous voyons trop clairement la nullité de ses soins en faveur 
des princes, et l'art qu'il met à les endormir tant qu'il peut, pour 
rester ici, sans rien faire que de se ménager une faveur personnelle 
qu'il entre dans les vues de l'impératrice de lui prodiguer. Il n'est 
jamais si bien traité que dans les instants où les affaires marchent le 
moins, et l'impératrice dit alors : <ic H faut bien consoler ce pauvre 
M. d'Esterhazy, il est si à plaindre, d Alors aussi une robe de cham- 
bre, un frac le rend heureux, comme je le serais si j'avais à annoncer 
l'embarquement effectué de vingt mille Rosses. 

J'ai l'honneur d'être, avec le plus respectueux attachement. 

Monsieur le baron. 

Votre très-humble et très-obéissant serviteur. 

Le marquis de Bombelles. 

Apostille. Vous verrez, monsieur le baron, ce que je dis dans ma 
lettre d'hier au comte d'Ostermann relativement aux projets de feu 
l'Empereur pour nous laisser, sauf le changement du veto, la consti- 
tution actuelle : j'ai eu des notions certaines & cet égard. 

Je charge le chevalier de Belzunce de vous dire ce qu'il a vu, ce 
qu'il a entendu sur le soin que prend M. d'Esterhazy d'entretenir & 
Coblence l'humeur qu'il devient si difficile d'avoir contre vous. Pour 
cela, on me représente comme un pécheur converti qui a pris sur lui 
bien des choses que vous désapprouvez ; mais cette tournure sera 
déjouée par les exacts rapports du prince de Nassau, et M. d'Ester- 
hazy voit que l'impératrice vous juge trop bien en ce moment pour 
oser vous rattaquer envers elle. 



ET LA COUR DE FRANCE. 283 



CXCVII. 

DU MARQUIS DE BOMBBLLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR DE 
SAINT-PIÉTEBSBOURG, AU COMTE d'oSTERMANN , VICE-CHANCELIER DE 
RUSSIE (1). 

( Annexe à la lettre du marquis de Bomhelles au baron de Breteuil , 

du 24 mai 1792.) 

Monsieur le comte , 

Je me hâte de mettre sous les yeux de Votre Excellence une copie 
authentique du rapport que le général Beaulieu adressa le 30 avril 
an maréchal Bender.* 

L'endroit souligné^ dans lequel cette copie diffère de ce qui a été 
imprimé en lettres italiques dans le journal de Bruxelles, ne permet 
pas de douter qu'alors le gouvernement des Pays-Bas était encore 
imbu d'idées défavorables aux princes et à la noblesse, idées qui, 
j'espère, n'existent plus à Vienne. Il n'en est pas moins remar- 
quable que, dans la joie d'un éclatant succès, on ait voulu laisser 
ignorer au public les éloges donnés par M. de Beaulieu à la bonne 
conduite de 200 chevaliers français. 

En m'envoyant les pièces ci-jointes, on m'ajoute que cette réticence 
n'annonce pas une volonté bien favorable pour la cause du roi, des 
princes et de la monarchie. ^ 

Croyez, je vous en supplie, monsieur le comte, que cette cause a 
plus que jamais besoin de l'instante assistance de Catherine II. Je 
n'aime pas à forger des chimères pour les combattre ; je suis per- 
suadé que le roi de Hongrie mettra dans la conduite de nos affaires 
une marche plus digne de ce prince que celle que l'on voulait tenir 
ci-devant ; mais que n'avons-nous pas & redouter des mêmes hommes 
qui, sous le précédent règne, étaient parvenus à persuader qu'en 



(1) D*aptè8 nne copie que le baron de Bietenil a envojée an comte de Feraen ; dans les 
papiers de ce dernier. 



284 LE COMTE DE FERSEN 

obtenant an roi de France le veto absolu , il fallait laisser subsister 
tout l'ensemble de sa nouvelle constitution? J'ai Thonneur de ré- 
péter à Votre Excellence que je ne pense pas qu'on amène jamais le 
roi de Hongrie à méconnaître à ce point ce que tout souverain doit à 
l'honneur des couronnes. MaiS; au train que prennent les choses, il 
est possible qu'en peu de temps la détresse des rebelles les force à 
tenter de négocier. Tous les calculs politiques seront présentés au 
roi de Hongrie sous les apparences de ce qu'il devra au repos de ses 
sujets, à l'économie de ses finances, et à une économie plus touchante 
pour ce souverain : celle du sang humain. L'exagération des anciens 
abus facilitera l'adoption d'un arrangement quelconque, et nous cour- 
rons risque de passer de l'anarchie aux cruelles langueurs résul- 
tantes d'une constitution qui, sous le prétexte de balancer les pou- 
voirs, les rendra tous insuffisants. 

L'impératrice, monsieur le comte, l'impératrice peut seule sauver 
le trône de Louis XY I de ce nouveau genre de .calamité. Oui, le salut 
de la France tient & ce qu'indépendamment de toute autre considé- 
ration, 7 à 8,000 Russes arrivent sur les bords du Rhin, aussi vite 
qu'il sera physiquement possible de les y conduire. Ce noyau d'ar- 
mée donnera son nom à tout ce qui se réunira sous les ordres des 
princes, et quelques milliers de Russes, se rendant par Wismar à 
Coblence^ en attendant qu'il plaise à S. M. d'envoyer des renforts, 
suffiront pour composer à l'impératrice une armée qui de minute en 
minute deviendra plus puissante, tant par la multitude de Français 
qui s'y réuniront que par la confiance qui les fixera sous les bannières 
de Catherine II. 

Soit à tort, soit à raison, nous pouvons être inquiets de toute autre 
ntervention, tandis que nous n'attendons que des bienfaits de l'im- 
pératrice. Les Français, et je n'en excepte pas nos princes, obéiront 
à tout ce qu'elle prescrira, parce que l'univers sait comme pense 
S. M^ Impériale, et comme elle est invariable dans ses hautes pen- 
sées. 

C'est sur cette constance dans les plus nobles volontés que nous 
fondons nos plus grandes espérances ; non,, monsieur le comte, nous 
n'aurons pas le tourment de languir cinq à six mois jusqu'à ce que 
l'étendard russe se marie à celui de Bourbon. L'impératrice a sûre- 
ment daigné prendre en considération ce que deviendraient pendant 
cette longue attente nos princes et tous les bons Français, enchâssés 



ET LA COUR DE FRANCE. 285 

on dispersés dans des années dont on voulait même leur interdire 
Faccës ; quelle peine n'auraient-ils pas & faire valoir leurs justes ré- 
clamations, et quel tourment serait-ce pour ces braves défenseurs du 
trône que de se voir peut-être réduits à paraître ratifier des conven- 
tions funestes I 

Après avoir assuré à Votre Excellence que dans aucune circons- 
tance; et dans aucun temps, Timpératrice ne donnera au roi mon 
maître une marque plus essentielle de son amitié qu'en unissant 
des troupes russes à la noblesse française, j'ai l'ordre d'ajouter qu'il 
n'y a jamais eu de moment où les princes aient eu un plus pressant 
besoin des nouvelles marques de la générosité de S. M. Impériale. 

M. le baron de Breteuil, qui se trouve à portée des événements, 
pense que les échecs que viennent d'essuyer les rebelles feront ar- 
river aux frères du roi tout ce qui pourra déserter une cause impie, 
n me mande qu'il connaît trop bien Votre Excellence pour n'être pas 
sûr qu'elle comprendra, mieux qu'on ne peut le lui exposer, combien il 
serait important que les princes fussent & même de satisfaire aux 
premiers besoins de tout ce qui se rendra près d'eux. 

n serait également important que S. M. Impériale mît le comble 
à tout ce qu'elle a fait en faveur du trône français, en voulant bien 
déclarer à toutes les cours que, conformément à l'honneur que les 
princes ont reçu d'elle par l'envoi d'un ministre, elle marque dé- 
sormais leur place, et celle de tous leurs adhérents, immédiatement 
à côté des campements russes. 

Ma confiance dans les sentiments de Votre Excellence me rend 
moins attentif à bien des ménagements que prescrit la politique en 
s'adressant au vice-chancelier d'un grand empire. Je suis comme «et 
homme qui, n'ayant plus qu'un moment à vivre, n'a rien à dissimu- 
ler. Si cependant mon zèle paraissait indiscret, je réclamerais l'in- 
dulgence de l'amitié de Votre Excellence, et, lorsque je dis ce que j'ai 
l'ordre de dire, et ce que je pense, à un ministre que je respecte 
comme mon père, je ne crains pas qu'il m'expose à l'inconvénient 
d'aller au delà du but. 

Je suis, etc. 



286 LE COMTE DE FERSEN 



CXCVIIL 

DU COMTE DE FERSEN A LA BEINE MARIE- ANTOINETTE (1). 

N» 8. Ce 2 jmn 1792. 

La Prusse va bien, c'est la seulesur laquelle vous puissiez compter. 
Vienne a toujours le projet du démembrement et de traiter avec les 
constitutionnels. L'Espagne est mauvaise. J'espère que l'Angle- 
terre ne sera plus mauvaise. L'impératrice sacrifie vos intérêts 
pour la Pologne. Notre régent est bien pour vous, mais il ne 
peut rien, ou peu de chose. Il va chasser l'homme qui lui a été 
envoyé ; c'est pour cela qu'il rappelle son chargé d'affaires. H a en- 
gagé l'impératrice à faire* de même. Tâchez de faire continuer la 
guerre, et ne sortez pas de Paris. M'avez-vous envoyé les blancs 
seings, et à quelle adresse? M"* Tosc. (2) vous remettra mes 
lettres. 

La tête de l'armée prussienne arrive le 9 juillet. Tout y sera le 
4 août. Ils agiront sur la Moselle et la Meuse, les émigrés du côté 
de Philipsbourg, les Autrichiens sur Brisgau. Le duc de Brunswick 
vient le 5 juillet à Coblence, quand tout y sera arrivé. Le duc de 
Brunswick avancera, masquera les places fortes et avec 36,000 hommes 
d'élite marchera droit sur Paris. L'impératrice envoie 15,000 hommes, 
dont 3,000 de cavalerie. Us débarquent à Wismar et marchent par 
l'Allemagne. Elle a fait entrer le 22 [juin] 30,000 hommes en Po- 
logne. 

Le V. de C... (3) est de retour. Il porte l'assurance positive du roi 
de Prusse qu'il n'écoutera aucune négociation ni arrangement ; qu'il 
veut que le roi soit libre et maître de faire alors telle constitution 
qu'il voudra. Il désire que le roi le sache , que cette résolution de 
sa part ne changera pas , et qu'il peut y compter. H fournit l'ar- 
gent pour les troupes qui passeront. 



(1) Copiée sur la minute de la main dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : £n bknc 
à Gog, par madame Toic, 

(2) Madame Toscani, Burveillante de la maison de >C. Crawford à Paris. 

(3) Vicomte de Caraman. 



ET LA COUR DE FRANCE. 387 



CXCIX. 



DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1), 

Bruxelles , ce 8 juin 1792. 

Sire, 

Le vicomte de Caraman est de retour de Berlin ; il a vu le roi de 
Prusse et le duc de Brunswick à Magdebourg, et il a rapporté de la 
part de S. M. Prussienne l'assurance la plus positive que rien 
ne la détournera de son projet de secourir le roi de France et de 
rétablir la monarchie; qu'elle ne se laissera arrêter par aucune 
autre négociation ou proposition d'accommodement, avant que 
le roi de France ne soit en parfaite liberté, et qu'elle entend qu'il 
soit maître alors de former tel gouvernement qu'il jugera à propos. 
Le roi de Prusse a désiré qu'on fit parvenir au roi de France cette 
assurance positive de sa part. S. M. Prussienne a aussi communiqué 
au vicomte de Caraman une lettre qu'il recevait de l'impératrice, 
où cette princesse lui mande qu'elle envoie 16,000 hommes, dont 
3,000 de cavalerie, pour agir contre la France. Ces troupes débar- 
queront en Allemagne et continueront ensuite leur marche par terre. 
Le roi de Prusse s'est engagé aussi & fournir aux princes français la 
solde des troupes françaises qui passeraient de leur côté. La tête de 
l'armée prussienne arrivera le 9 juillet à Trêves, et le reste succes- 
sivement, de sorte que les 50,000 hommes seront tous réunis le 
4 août. Les Autrichiens doivent être rendus &la même époque dans le 
Brisgau. Le duc de Brunswick sera à Coblence le 5 juillet. L'armée 
prussienne agira sur la Moselle et la Meuse ; les princes, avec les 
émigrés français, du côté de Philipsbourg ; les Autrichiens, du côté 
du Brisgau. On formera des 56,000 hommes qui sont dans les 
Pays-Bas un détachement de 12 à 15,000 hommes aux ordres 
du général Clairfait, qui agira, de concert avec l'armée prussienne, 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Chiffre^ au 
Roi. 



288 LE COMTE DE FEBSEN 

sur cette frontière. Le reste, aux ordres du duc Albert, servira pour 
contenir ce pays-ci, et agir, s'il est nécessaire. Lorsque les troupes 
seront ainsi disposées, le duc de Brunswick fera avancer le tout 
pour masquer les places fortes françaises, et avec 36,000 hommes 
d'élite il compte marcher droit sur Paris, pour détruire ce foyer d'in- 
surrection et d'horreur, et délivrer le roi. Ce plan a été communiqué 
et accepté par la cour de Vienne. Malgré cela, je crois être sûr que 
le projet de ce cabinet est encore de négocier plutôt que d'agir, et qu'il 
conserve toujours celui de démembrer la France ; mais je n'ai aucune 
certitude jusqu'à quel point celui de Berlin voudra y concourir : à 
en juger des assurances du roi et de ses ministres, on devrait êtr« 
rassuré sur cette crainte, et j'espère que nous trouverons des moyens 
pour l'empêcher. Y. M. est sans doute instruite des mauvaises dis- 
positions de l'Espagne, et combien peu on peut comifter sur ses se- 
cours. Le roi de Sardaigne se dispose & agir efficacement ; il a à sadis- 
position 15,000 hommes de troupes autrichiennes , que feu l'Empe- 
reur avait fait passer dans le Milanais, pour assurer la tranquillité 
des États de ce prince. Les Suisses agiront en faveur du roi de France 
s'ils sont réclamés par quelque grande puissance, et si on leur assure 
le remboursement de leurs frais. Dans la crainte que les ordres que 
y. M. a envoyés au sieur Bergstedt ne fussent interceptés à la 
poste de Paris, qui est toute entre les mains des jacobins, je lui 
ai écrit pour l'en prévenir, et l'autoriser à pa rtir sur ma lettre , 
dans le cas où les ordres de Y. M. ne lui fussent pas parve- 
nus. Je me suis déjà occupé du soin d'exécuter ceux que Y. M. 
me donne pour trouver quelqu'un qui puisse informer Y. M. 
de ce qui se passe, et continuer à lui envoyer les feuilles tous les 
jours de courrier. J'espère y réussir, malgré la surveillance, qui est 
extrême et qui effraie tout le monde. 



ET LA COUR DE FRANCE. 289 



ce. 



DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Le 6 juin 1792. 

[En clair.] 

J'ai reçu votre lettre n** 7 ; je me suis occupée sur-le-cliamp de 
retirer vos fonds de la société Boscaris. Il n'y avait pas de temps à 
perdre , car la banqueroute a été déclarée hier et ce matin la chose 
était publique à la Bourse. On dit que les créanciers perdront 
beaucoup. — Voici l'état des dilfférents objets que j'ai entre les 
mains : • 

[En chiffre.] 

Il y a des ordres pour que V armée de Luckner attaque incessam- 
ment; il s'y oppose, mais le ministère le veut. Les troupes manjttent de 
tout et sont dans le plus grand désordre. 

[En clair.] 

Vous me manderez ce que je dois faire de ces fonds. Si j'en 
étais le maître, je les placerais avantageusement, en faisant l'acqui- 



(1) Le comte de Fereen a écrit de sa main en marge : 10 juin 1792 reçu; rép. le 11. — 
Cette lettre, ainsi qne les suivantes du 7 juin n® CCIII, du 23 juin n® CCXII, du 26 juin 
no CCXIII, du 7 juillet n* CCXXII,du 11 juiUet n» CCXXV, du 15 juillet n» CCXXVII, 
du 21 juUlet no CCXXIX, du 24 juiUet no CCXXXI et du 1" août n» CCXXXVI ne 
sont pas de la main de la reine , mais indubitablement écrites selon ses ordres , et arec 
ses données sur les événements, par un fidèle serviteur, probablement M. de Gognelat ; car 
dans une lettre du comte de Fersen à la reine du 80 juin 1792 (voir ci-après le liP CCXVII) 
il dit : Vous devriez charger Gog. de tiC écrire tout les dimanche* et les mercredis, pour me don" 
ner des détails de ce qui se passe. Sous le déguisement d'une correspondance d'affaires ces 
lettres contiennent des nouvelles très-intéressantes sur la situation de la famille royale et 
sur les événements politiques, surtout quand on connaît la source de cette correspondance. 
Le comte de Fersen y figure sous le nom de M. Rignon. Nous avons comparé la date des 
réponses avec le reg^tre des lettres expédiées par le comte de Fersen, registre encore con- 
servé dans ses papiers, ainsi qu'avec le contenu de ses réponses ici publiées, avec les dates 
et numéros écrits de la main du comte sur les lettres mentionnées, et tout donne la cer- 
titude que ces lettres appartiennent à la correspondance de la reine. 

T. II. 19 



290 LE COMTE DE FERSEN 

sition de quelques beaux domaines du clergé; c'est, quoi qu'on en 
dise , la meilleure manière de placer son argent. Vous pourrez me ré- 
pondre par la même voie que je vous écris. 

Vos amis se portent assez bien. La perte qu^ils ont faite leur donne 
beaucoup de chagrin. Je fais ce que je peux pour les consoler. Ils 
croient le rétablissement de leur fortune impossible, ou au moins 
très-éloigné. Donnez-leur, si vous le pouvez , quelque consolation à 
cet égard ; ils en ont besoin ; leur situation devient tous les jours 
plus affreuse. Adieu. Recevez leurs compliments et l'assurance de 
mon entier dévouement. 



CGI. 



NOTE CONFIDENTIELLE DU DUC DE SUDERMANIE, R:ÉGENr DE SUEDE, 
AU COMTE DE STACKELBERG , AMBASSADEUR DE RUSSIE A LA COUR DE 
STOCKHOLM, DU 5 JUIN 1792 (1). 

(Annexe à la lettre du duc régent au comte de Fersen^ du 26 juin 

1792, n« CCXV.) 

Le duc de Sudermanie a reconnu, dans la communication amicale 
que S. M. l'impératrice de Russie vient de faire parvenir au roi, 
par son ambassadeur extraordinaire le comte de Stackelberg, de ses 
intentions par rapport à la Pologne, les mai*ques les moins équivo- 
ques de la confiance intime qui, du temps de feu S. M., de 
glorieuse mémoire, a été si heureusement établie et consolidée entre 
les deux cours, et que le duc cherchera, en toute occasion, de main- 
tenir, autant par une suite des sentiments distingués dont il est pé- 
nétré pour la personne de S. M. l'impératrice que par le zèle qu'il 
mettra toujours à remplir les engagements réciproques qui , pour le 
bonheur, l'intérêt et l'utilité des deux États, subsistent entre le roi 
et S. M. Impériale, en vertu du traité d'amitié et d'union, par lequel 



(1) D'après une copie annexe à la lettre originale da duc de Sudermanie, régent de 
Suède, au comte de Fersen, du 26 juin 1792, n^ CCXV. 



ET LA COUR DE FRANCE. 291r 

LL. MM. ont resserré encore plus les liens étroits qui les unissent l'une 
à l'autre. 

Par les communications faîtes à S. M. Impériale , tant du vivant 
du feu roi que depuis , elle connaît déjà toutes les circonstaiices de 
la négociation entamée entre la Suède et l'Espagne relativement 
aux affaires de France. Il serait donc superflu de répéter ici les pro-» 
positions de feu S. M., et les réponses de la cour d'Espagne à ce sujet. 

S. M. Impériale aura sans doute remarqué que le zèle généreux 
du roi ne fut retenu dans son exécution que par l'impossibilité où 
il se trouvait de fournir de ses propres fonds aux dépenses néces- 
saires peur cet effet; qu'il s'est vu obUgé, par cette même raison , 
de demander de l'Espagne^ dès le commencement^ comme une con- 
dition indispensable (et sine qua non) y le paiement de douze 
millions de livres tournois et une lettre de crédit pour tout ce que 
les dépenses pouvaient outrepasser cette somme. Les réponses que 
le cabinet d'Espagne a données, à différentes reprises , ne laissent 
pas le moindre doute qu'il ne fût très-porté à entrer dans ces vues 
du roi. L'époque du paiement parut seul rencontrer quelques dif- 
ficultés , et S. M. Impériale sait combien ces retards ont été nui- 
sibles à la cause commune , en laissant le roi hors d'état de prendre 
d'avance toutes les mesures nécessaires. Néanmoins le roi, persuadé de 
labonne volonté de S. M. C.,avaitpris, dans le courant de l'année passée, 
plusieurs arrangements par rapport à une expédition par mer, et 
qui occasionnèrent des dépenses considérables , dont une partie de- 
vait être remboursée au commencement de l'année présente par 
une remise immédiate de quatre millions^ indépendamment de 
douze mentionnés pour l'expédition de cette année, et qui devaient 
être fournis incessamment après, pour mettre le roi en état d'agir. 
On attendait au mois d'avril les lettres d'avis pour les sommes con- 
venues , lorsque le changement arrivé dans le ministère espagnol 
arrêta tout d'un coup les effets de toutes ces promesses , et on n'a 
eu jusqu'ici ni le remboursement des dépenses faites, déjà très-con- 
sidérables , ni les fonds nécessaires pour l'expédition projetée. 

L'intention clairement manifestée de feu S. M. ayant par consé- 
quent été de n'entrer dans aucune mesure hostile et de ne faire agir 
les troupes suédoises contre la France qu'aux conditions susmen- 
tionnées d'un secours suffisant de la part de l'Espagne, le duc, en 
sa qualité de régent seulement et de tuteur du roi son neveu, pourra 



292 LE COMTE DE FERSEN 

encore moins transgresser ces principes établis par le feu roi, surtout 
dans un moment où des considérations fondées sur la situation inté- 
rieure du royaume s'y opposent. Le régent n'attend que l'accomplis- 
sement des conditions que le cabinet d'Espagne a adoptées pour 
s'occuper sérieusement de toutes les mesures nécessaires, afin de 
pouvoir alors prendre une part active dans les affaires de France, et 
le duc verrait avec plaisir le moment où il pourrait suivre à la fois 
la volonté prononcée d'un frère chéri, et plus que regretté, et son 
propre désir de concourir, pour sa part, au but salutaire de S. M. 
Impériale, d'autant plus qu'il croirait y trouver un moyen de plus 
pour manifester son empressement de conserver et de consolider 
l'amitié intime et sincère, que les deux cours se font un plaisir et 
un devoir de se témoigner réciproquement Mais le duc croirait mal 
répondre à ce qu'il doit à la mémoire d'un grand roi, s'il se permet- 
tait jamais de se départir des conditions expresses et indispensables 
sur lesquelles ce monarque a trouvé nécessaire, dans sa sagesse, d'ap- 
puyer exclusivement, pour l'intérêt de son royaume ; et S. M. Impé- 
riale, par une suite de sa magnanimité ordinaire et de ses sentiments 
connus pour un ami tendrement regretté, dont elle apprécie d'autant 
plus toutes les grandes qualités qu'elle les possède elle-même au 
plus haut degré, reprocherait sans doute au duc, s'il était capable 
d'oublier un instant des devoirs aussi sacrés pour lui, et s'il s'é- 
cartait en rien de la marche que lui a tracée à cet égard feu le 
roi son frère. Le duc n'a cependant pas perdu l'espoir de se voir en 
état de faire participer la Suède dans l'expédition contre les rebelles 
en France. Le changement dans le ministère espagnol, quelque 
peu favorable qu'il parût au commencement pour cette affaire, n'a 
occasionné jusqu'ici aucunes mesures ultérieures dont on pourrait 
conclure à un changement effectif du système politique de cette cour, 
n paraît, au contraire, que le comte d'Aranda commence à revenir 
de ses erreurs, et le baron d'Ehrensvaerd, ministre du roi à Madiîdy 
a reçu les ordres les plus positifs d'y travailler de son côté de toutes 
ses forces, et de presser le cabinet d'Espagne à remplir sans délai les 
engagements dont dépend uniquement la part active que prendra ou 
non la Suède aux affaires de France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 293 



CCII. 



DU MARQUIS DE BOMBELLES, ENVOYÉ DU ROI LOUIS XVI A LA COUR 
DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU BARON DE BRETEUIL (1). 

Saint-Pétersbonrg, ce 5 juin 1792. 

Monsieur le baron, 

Le prince de Nassau, qui devait décidément partir hier au soir, 
a été retenu jusqu'à demain, et peut-être après-demain, par l'arrivée 
d'un courrier qu'a expédié le comte de Romanzoff. Il a apporté des 
détails sur le voyage de M*' l'évoque de Pamiers à Coblence, voyage 
dont on avait eu nouvelle samedi dernier, et dont on espérait savoir 
par moi l'objet. Ce que j'en ai pu découvrir, monsieur le baron, me 
fait regretter de n'avoir pas été instruit par vous d'une démarche 
qui , fort bonne dans l'aperçu, a eu lieu trop tard. Je sais qu'elle 
n'a pas plu à l'impératrice, et nous eussions paré à cet inconvénient 
si j'avais été mis à môme de l'en prévenir et d'user des moyens que 
me donûe maintenant la connaissance de ce pays. 

J'ai dit , monsieur le baron, que j'aurais vraisemblablement de vos 
nouvelles par l'ordinaire prochain, et que si je n'en recevais pas, 
c'est que vous pouvez penser que je n'étais plus ici. 

Vous aurez vu qu'il n'était plus possible d'arrêter les affaires de 
Pologne, et j'ai lieu de présumer que le vicomte de Caraman a été 
trompé à Berlin sur le haut ton qu'on annonçait avoir été pris par 
la Prusse et l'Autriche pour empêcher l'impératrice d'aller en avant 
contre les Polonais. Rien n'annonce que les cours de Vienne et de 
Berlin soient dans ce moment tentées d'élever la voix d'une manière 
qui déplaise. 

L'ambassadeur de Hongrie est très-fraîchement traité et redouble 
de souplesse. Le ministre de Prusse , conformément à des ordres re- 
çus et réitérés , se rend le plus agréable qu'il peut. 



( 1 ) D'après tme copie que le baron de Breteuil a envoyée au comte de Fersen ; dans les 
papiers de ce dernier. 



294 LE COMTE DE FERSEN 

Un fait certain , mais tenu fort secret , sert à confirmer dans l'o- 
pinion qu'ici l'on est content de Berlin. On va donner à connaître 
(si cela n'est pas encore fait) que l'impératrice ne veut pas interve- 
nir dans le traité conclu entre les rois de Hongrie et de Prusse, mais 
que S. M. L est très-disposée à s'allier directement à S. M. Prus- 
sienne par un traité direct et séparé. Le succès de cette négocia- 
tion n'aurait rien de fâcheux pour nous , et je pense que nous avons 
intérêt à en dérober la connaissance au cabinet de Vienne. Celui-ci 
est peint des plus noires couleurs par le nouvel ambassadeur Ra- 
zoumowsky, et le ministre de Russie à Madrid ne voit pas avec des 
yeux plus indulgents la marche qui se tient en Espagne. En atten- 
dant, on va pourtant se déterminer à faire marcher, sans ultérieurs 
délais, les troupes russes qui ne doivent s'acheminer vers le Rhin 
que lorsque les affaires de Pologne seraient arrangées suivant la vo- 
lonté de l'impératrice. C'est le comte d'Ostermann qui, remué par le 
sentiment de l'équité, et par ce qu'il a vu qu'il convenait de faire, a 
emporté cette détermination, et s'est procuré l'ordre de la signifier 
dans les termes les plus précis en répondant à l'oflSce de la cour de 
Vienne. 

J'apprends, monsieur le baron, que les princes font à l'impéra- 
trice un exposé très-touchant de leur détresse ; ils doivent aussi avoir 
mis sous les yeux de S. M. I. une dépêche du duc de Polignac qui 
rend compte d'une conversation dans laquelle le vice-chancelier 
Cobenzl lui a tenu les propos les plus alarmants sur la conduite à tenir 
envers la France. Je sais de bonne part que, dans la note remise 
au Danemark par le ministre autrichien, on y parle clairement 
d'une constitution mitigée à donner aux Français. On renouvelle 
aussi de tous côtés les soupçons et les assertions calomnieuses sur le 
projet soi-disant formé par vous et envoyé à feu l'empereur Léopold, 
projet inséré dans les feuilles de M»^ l'abbé de Fontenay. J'ai pris 
la liberté de vous dire déjà combien il me paraissait instant de faire 
connaître vos principes où il est essentiel qu'ils soient appréciés. 

J'ai l'honneur d'être. 

Monsieur le baron, 

Votre très-humble et très-obéissant serviteur, 

Le marquis DE Bombelles. 



ET LA COUR DE FRANCE. 295 



CCIII. 

I)E LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Le 7 juin 1792. 

[En ckifreJ] 

Mes constit. (2) font partir un homme pour Vienne j il passera par 
Bruxelles; il faut prévenir M, de Mercy de le traiter comme s'il était 
annoncé et recommandé par la R. (3) , de né ff acier avec lui dans le sens 
du mémoire que je lui ai remis. On (4) désire qu'il (5) écrive à Vienne 
pour r annoncer j recommander qu'on lui tienne mon voyage secret et 
dire qu'on se tient au plan fait par les cours de V. (6) et de B.(7), 
mais qu'il est nécessaire de paraître entrer dam les vues des const, et 
de persuader surtout que c'est diaprés les vœux et les demandes, de ta 
R. (3) ; ces mesures sont très-nécessaires. 

Ce n'est pas F abbé Louis qui part ;je ne sais pas le nom de celui 
qui le remplace. 

Dites à M, de Mercy qu'on ne peut pas lui écrire, parce qu'on est 
trop observé, 

[En clair,"] 

Voflà la situation dé vos affaires avec Boscary et Chol, dont je 
vous ai appris la faillite dans ma dernière lettre. J'attends des nou- 
velles de la Rochelle pour vous mander où vous en êtes avec Da- 



(1) Voir la note à la lettre précédente n^* CC. Le comte de Fersen a écrit en marge : 

\hjidn reçu; réporue le 21 juin. Dans une lettre du comte de Fersen au baron de Taube 

du 20 juin la même année, le comte de Fersen répète les mêmes expressions que contient 

.cette lettre, disant : Le pauage de la lettre de la reine qui démontre clairement tes intew 

•iions est intéressant j je Vai envoyé à Stedingk^ le voici. 

(2) Les constitutionnels. 

(3) Reine. 

(4) Le roi et la reine de France. 
(6) M. de Mercy. 

(6) Vienne. 

(7) Berlin. 



296 LE COMTE DE FERSEN 

niel Gareché et Jacque Guibert; ce que je sais, c'est que leur faillite 
n'est pas très-considérable. Vous auriez mieux fait, comme je vous 
l'avais conseillé, d'acheter du bien du clergé que de placer vos fonds 
cbez des banquiers. Si vous voulez, j'emploierai de cette manière 
ceux qui vont vous rentrer dans le mois prochain. 
J'ai reçu vos n** 7 et 8. 



CCIV. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1). 



Bruxelles, ce 10 juin 1792. 



[^En clair.] 



Mon cher ami, J'ai reçu vos deux lettres du 22 et 28, et celle da 
8 mai avec le paquet dont le baron de Damas s'était chargé. 

[En chiffre.] 

La réponse faite & l'impératrice me paraît fort bonne ; on voit clai- 
rement qu'elle ne tient aux affaires de France que par amour-pro- 
pre et vanité, et que son intérêt se porte tout entier sur la Polo- 
gne : elle veut embrasser trop de choses à la fois, et elle trouvera 
plus de résistance qu'elle ne croit en Pologne. 

Bombelles mande, du 15 mai, que les 15,000 hommes qu'elle des- 
tine contre la France ne pourraient marcher au plus tôt que dans 
six semaines, car elle compte vers ce temps avoir terminé les affaires 
de Pologne ; qu'elle veut joindre nos 6,000 hommes aux siens sous 
les ordres du prince de Nassau et agir avec les émigrés français.' 
Vous voyez à combien de lenteur cela entraîne, et l'activité que le 
roi de Prusse y met dans ce moment, si elle se soutient, rendra ses 

(1) Lettre autographe, déchîffrf^e delà main du baron de Taube.. 



ET LA COUK DE FRANCE. 297 

seconrs inutiles. L'idée d'une correspondance établie par le moyen 
de Souboff est très-bonne , mais on doit y mettre un grand secret, & 
cause des ministres russes. J'ai lieu de croire qu'il entre encore dans 
les projets de la cour de Vienne de former un congrès à Vienne ou 
ailleurs, soit avant les opérations, soit pendant leur durée. Vous 
sentez, mon ami, combien cette mesure serait pernicieuse dans 
l'état des choses actuelles, et ce n'est plus la volonté du roi de 
France ; les circonstances sont changées depuis qu'il en avait fait 
la demande. Il sera donc essentiel de prévenir sur cela l'impératrice, 
et de donner des instructions en conséquence aux différents minis- 
tres, ou s'y opposer, si cette idée était produite. Ee prince de Nas- 
sau, quoique envoyé des princes, s'est conduit à merveille pour le 
roi de France et le baron de Breteuil ; il a été fort utile à M. de 
Bombelles en contenant un peu M. d'Esterhazy : c'est là la raison 
qui aura sans doute engagé Stedingk à s'appuyer de lui et à se diri- 
ger d'après ses conseils. 

[ En clair. ] 

Je m'occupe de trouver quelqu'un à Paris en état de donner des 
nouvelles bonnes et sûres , mais je crains que , sans le payer, cela 
sera impossible. Personne n'ose plus écrire, et la crainte d'être 
compromis, soupçonné et arrêté, empêche tout le monde d'écrire, 
rend la chose fort difficile , et retient beaucoup de gens qui y seraient 
très-propres. 

On attend une attaque à tout moment. Luckner est sorti de Valen- 
ciennes, et il a joint LafayetteàBavay : c'est à trois heures de Mons. 
Lafayette s'y était rendu du Givet avec 15 à 20,000 hommes, à ce 
qu'on dit. Adieu, mon meilleur ami ; croyez toujours à ma tendre 
amitié. 



298 LE COMTE DE FERSEN 



CCV. 



DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (1). 

No 9. Ce 11 juin 1792. 

Le roi de Prusse veut que vous sachiez que le chevalier de Boufflers 
retourue à Paris ; qu'il lui a demandé ses ordres, mais que, comme îl 
en a mauvaise opinion, il ne lui a rien dit, et que ce chevalier ne con- 
naît aucunement ses dispositions, et qu'ainsi vous n'ajoutiez aucune 
foi à tout ce qu'il pourrait vous dire, n'étant chargé de rien. Je croîs 
que vous ferez bien de ne pas le voir du tout. 

Mon Dieu ! que votre situation me peine; mon Ame en est vive- 
ment et douloureusement affectée. Tâchez seulement de rester à 
Paris, et on viendra à votre secours. Le roi de Prusse y est décidé, 
et vous pouvez y compter. 

L^impératrice nous a demandé 6,000 hommes, mais il nous faut 
de l'argent. Vous ne m'avez pas dit si vous m'avez envoyé les blancs 
seings, et par où et comment. 



CCVL 



DU COMTE DE ^FERSEN AU ROI DE SUÈDE (2). 



BmzeUes, le 18 juin 1792. 



Siro, 



Je reçois dans ce moment des nouvelles très-f&cheuses de Paris. 
La situation de LL. MM. devient tous les jours plus affreuse, et elles 

(1) Lettre expédiée en chiffre. Copiée snr la minute de la main du comte de Fersen, qui 
a écrit en marge : Chiffre à la reine par Gog, à madame Tosc, 

(2) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : Ckifre au 
roi. 



ET LA COUR DE FRANCE. 299 

regardent leur délivrance comme impossible, ou du moins fort 
éloignée. Les jacobins gagnent tous les jours plus d'autorité et sont 
maîtres de tout, par un prestige et une lâcheté qui font honte à la 
nation française ; car ils sont dans le fond détestés et le mécontente- 
ment contre eux est très-grand. Us ont le projet d'emmener LL. MM. 
avec eux dans l'intérieur du royaume et de s'appuyer de l'armée qu'ils 
ont eu soin de former dans le Midi, composée de celle de Marseille 
et de tous les brigands d'Avignon et des autres provinces. Ce projet, 
quelque contraire qu'il soit au véritable intérêt de la ville de Paris, 
qui le sent , pourrait bien réussir, surtout depuis le licenciement de 
la garde du roi ; car, depuis cette époque , les bourgeois et la partie 
de la garde nationale qui voudrait s'y opposer n'ont plus de chefs 
ni de point de ralliement , et ils prendront le parti qu'ils ont pris 
jusqu'à présent de gémir, de se désespérer, de crier et de laisser faire. 
Je ne vois de remède à tant d'horreurs qu'une proclamation très- 
forte et très- menaçante des puissances étrangères qui rendrait Paris 
ou toute autre ville du royaume responsable de la sûreté de la fa- 
mille royale; mais pour avoir tout son effet, il faudrait que cette 
proclamation fût appuyée de forces imposantes prêtes à agir, et les 
lenteurs de l'Empereur ont tellement retardé le rassemblement de 
ces forces qu'elles ne seront réunies que le 4 août, et je crains qu'a- 
lors il ne soit bien tard, et cependant je crois qu'il serait peu pru- 
dent de la faire avant cetteépoque. 



300 LE COMTE DE FERSEK 



CCVIL 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1). 

Bruxelles, ce 17 juin 1792. 

\_En chiffre^ 

La proposition de l'impératrice d'agir avec les princes et les 
émigrés est folle, et peut d'autant moins avoir lieu que le plan du 
roi de Prusse est de les séparer en trois corps et de les placer dans 
des endroits différents. Je suis de votre avis sur tout ce que vous me 
dites de ses projets sur la Pologne et de son peu d'intérêt pour la 
France. Cet intérêt avait été créé par notre cher et malheureux maî- 
tre, et il est mort avec lui. Les constitutionnels vont envoyer encore 
un homme à Vienne, pour négocier dans leur sens et contre les 
jacobins : c'est de l'aveu de la reine, et elle a l'air de l'appuyer et 
d'approuver tout ce qu'il dira, quoique dans le fond elle désapprouve 
tout leur système, et qu'elle sent qu'ils ne peu vent jamais être utiles, . 
et que s'ils parvenaient à écraser les jacobins, ils seraient tout aussi 
mauvais qu'eux, et que l'attachement qu'ils montrent pour la royauté 
n'est qu'un moyen pour s'emparer de l'autorité ; mais sa position 
l'oblige de ménager ce parti et d'avoir l'air de marcher avec lui, 
pour avoir un appui contre les jacobins ; sans cela il se réunirait à 
l'autre, et LL. MM. seraient encore plus mal. 

J'ai prévenu M. de Mercy, de la part de la reine , de tout cela ; 
mais , comme la première fois, la cour de Vienne pourrait peut-être 
encore l'engager à faire un mauvais usage de cet envoi il serait bon 
de prévenir là-dessus l'impératrice ; j'en écrirai à Stedingk et à Ca- 
risien, il ne m'a pas mandé la réponse du roi de Prusse à l'invitation 
de l'impératrice. 



(1) Lettre autographe, déchifiErée de la main du baron de Taube. 



ET LA COUR DE FRANCE. 301 

lEn clair.'] 

Tout le ministère vient d'être renvoyé, à Paris, excepté M. Du- 
mouriez, qui sera probablement chassé dans peu par les jacobins. On 
croit que la raison de leur renvoi est le rassemblement de 20,000 
hommes à Paris, qu'ils ont proposé et que M. Dumouriez désap- 
prouvait. Il faudra voir ce que ce changement produira. 

Le roi de Prusse donne 400,000 francs par mois aux princes pour 
la solde des troupes qui passeront ; il a proposé au roi de Hongrie 
de donner quelque chose pour l'entretien des émigrés qui sont avec 
les princes. H a aussi consenti à fournir 6 à 7,000 hommes des 
troupes de Westphalie, dans le cas où les gouv. généraux les deman- 
deraient. Avec ce secours, et les 7,000 hommes qui vont arriver du 
Brisgau, ce pays-ci n'a rien à craindre des Français. Adieu, mon 
ami. 



CCVIII. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDDsGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE 

A SAINT-PÉTERSBOUKG (1). 

Bruxelles, ce 18 juin 1792. 

Monsieur le baron. 

J'ai reçu vos lettres du P' et 25 mai. La dernière m'a été remise 
par le chevalier deBelzunce, et j'y vois avec peine que l'intérêt que 
l'impératrice semblait prendre aux affaires de France cède au désir 
qu'elle a de soumettre la Pologne. Ce désir pourra la mener plus 
loin qu'elle ne pense, et elle y rencontrera peu1>être plus de résis- 
tance qu'elle ne croit, ce qui rendra le secours qu'elle destine au roi 
de France nul ou du moins tardif et sans effet. L'affaire sera décidée 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : ChijfjTre 
au baron de Sttdingh, 



302 LE COMTE DE FERSEN 

avant cette époque par la Prusse et l'Autriche, et la France sera 
livrée aux vues intéressées de la cour de Vienne, qui, je crois, con- 
serve' toujours le projet de démembrer le royaume, à moins qu'on ne 
puisse parvenir à faire adopter & celle de Berlin une marche plus 
généreuse et plus désintéressée. Nous avons enfin obtenu du roi de 
Prusse l'assurance positive que les princes et les émigrés seraient 
compris dans le système des opérations et qu'ils y occuperaient, entre 
les armées autrichiennes et prussiennes une place honorable, et telle 
qu'ils ont droit de l'attendre par leur rang et leur généreux dévoue- 
ment. Le baron de Breteuil est fortement occupé en ce moment à 
trouver l'argent nécessaire à leur entretien. Le roi de Prusse donne 
400,000 livres par mois pour la solde des troupes qui passeront II a 
proposé au roi de Hongrie d'en donner un (1) pour payer les émigrés 
qui sont auprès des princes ; il n'y a point encore de réponse à ce 
sujet, et il est à croire qu'elle sera négative, à moins que l'exemple 
du roi de Prusse ne maîtrise la mauvaise volonté de la cour de 
Vienne. — Je viens de recevoir l'avis que les constitutionnels vont 
envoyer un homme à Vienne pour négocier dans leur sens. La reine 
a l'air vis-à-vis d'eux d'approuver cet envoi et d'appuyer ce qu'il 
dira ; mais dans le fond elle désapprouve tout leur système. Elle 
sent qu'ils ne peuvent jamais être utiles au rétablissement de l'au- 
torité et de la monarchie, et que si, dans ce moment, ils ont l'air de 
le vouloir, ce n'est que pour écraser les jacobins , et s'emparer à leur 
tour de l'autorité et tenir le roi en tutelle. La reine envisage le parti 
des constitutionnels comme tout aussi mauvais que celui des jacobins ; 
mais sa position l'oblige à le ménager et à avoir l'air de marcher 
avec eux, pour empêcher une réunion entre les deux partis et arrêter 
les tentatives des scélérats. Sans cette conduite ils n'auraient plus 
de frein, et cette désunion peut être d'un grand avantage au moment 
de l'entrée des puissances en France. La reine, en me mandant l'en- 
voi de cet ambassadeur constitutionnel, qui doit passer ici, me dit : 
Prévenez M. de Meraj de le traiter comme s'il avait été annoncé et 
rec(mmandé par moi y et qu'il traite avec lui dans leur sens; qu'il 
écrive à Vienne pour l'annoncer ; qu'on lui cache soigneusement que j'y 
ai jamuis envoyé, et qu'il est nécessaire de paraître entrer dans les vues 
des constitutionnels et de leur persuader surtout que c*est (Câpres mes 

(l)UnmilUon. 



KT LA COUR DE FRANCE. 303 

vues et mes demandes; ces mesures sont absolument nécessaires. Mon 
neveu ne saurait se méprendre sur mes véritables intentions. 

J'ai communiqué tout cela au comte de Mercj, qui m'a promis 
d'en écrire à Vienne dans le même sens ; mais comme je crains que 
la mauvaise foi de ce cabinet ne soit tentée de faire un mauvais 
usage de cette démarche vis-à-vis des autres cours, j'ai cru néces- 
saire de vous en instruire, pour que vous soyez à môme d'éclaircir là- 
dessus l'impératrice et de la mettre en garde contre les fausses in- 
sinuations que la cour de Vienne paraît être tentée de lui faire à 
ce sujet. Quand cet envoi sera ici, je vous ferai part de ce qui lui aura 
été dit par le comte de Mercy. 



CCIX. 

BULLETIN AVEC DETAILS SUR CE QUI s'eST PASSlS AUX TUILERIES 

LE 20 JUIN 1792 (1). 

A quatre heures , les Tuileries furent investies par environ 50,000 
piques ; les cris étaient : A bas monsieur Veto! madame Veto et toute 
leur séquelle! etc., etc. La garde nationale paraissait déterminée à 
garder et défendre les portes , nul commandement ne les dirigeait. 
On a dégarni la porte royale ; trois officiers municipaux ont requis 
12 grenadiers, qui y étaient restés, d'ouvrir cette porte ; les piques y 
sont entrées à flots. Le roi a vu ce débouché, annoncé par des cris 
horribles ; on a fermé les portes de son appartement, on a ouvert 
celles des deux premières pièces. La troisième^ celle des Suisses, a 
été défendue. C'est alors que les haches ont été levées. Au fracas que 
faisait le brisement de cette porte, le roi a demandé son chapeau, et 
est entré dans cette salle en commandant avec fermeté qu'on ouvrît 
les portes, et disant qu'il voulait se montrer et parler au peuple. 
Comme il disait ces paroles, la porte, déjà brisée, a été enfoncée, et 



(1) D'après Toriginal envoyé par le chargé d'affaires de Suède & Paris', S' Bergstedt, au 
comte de Fenen ; dans les papiers de ce dernier. 



304 LE COMTE DE FERSEN 

un flot de piques est entré. Quelques grenadiers fidèles et coufageux 
ont poussé le roi dans l'embrasure de la troisième croisée, en lui 
disant de se fier à eux et de n'avoir pas peur. Peur, a repris le 
roi, mettez la main sur mon cosur, et voyez s'il bat plus fort qu'à 
V ordinaire. Pendant ce propos remarquable, un piqueur, présentant 
la pointe de son arme, criait : Où^s-qu'il est, que je le tue! — M<U- 
heureux! lui dit un huissiei? de l'appartement, le voilà, ton roi , 
oseS'tu le regarder? — Les piqueurs et le flot des piques qui l'en- 
vironnait ont reculé, saisis d'une espèce de terreur. H s'est fiiit un 
moment de silence. Le roi a voulu en profiter pour parler, mais une 
inondation de piques est survenue avec de si horribles cris que Dieu 
tonnant n'eût pas été entendu. On n'entendait que des injures, des 
insultes, des reproches, des menaces. Au milieu de cet infernal spec- 
tacle, Madame Elisabeth est venue pour se jeter dans les bras du roi. 
Elle a été heureusement recueillie par les grenadiers qui gardaient 
cette porte non encore ouverte, et ils l'ont poussée derrière eux, dans 
l'embrasure de la quatrième croisée. Elle y est restée trois heures, 
ainsi que le roi dans la sienne. On leur a jeté des bonnets rouges, 
et, à la prière instante des grenadiers , le roi en a mis un sur sa 
tête. 

La reine était d'abord dans l'appartement de M. le Dauphin et 
avec lui. Aux premiers cris, elle a voulu aller au roi ; mais déjà une 
chambre intermédiaire était saisie. Elle criait : Je veux aller mourir 
aux pieds du roi. On lui a désobéi, et on l'a menée, malgré elle, 
dans la chambre du conseil ; on lui a fait un rempart de la table du 
conseil, et un monsieur Blegny est allé appeler des grenadiers qui 
gardaient une porte inutile, puisque le peuple était dans les appar- 
tements : 200 grenadiers l'ont suivi par im petit escalier ; ils ont en- 
vironné la table derrière laquelle étaient la reine et le Dauphin, et 
certes ils ont miraculeusement pris et occupé ce poste, car ils étaient 
encore dans ce mouvement que l'appartement de M. le Dauphin était 
pris, par une porte que le meneur des piques devait connaître mieux 
que d'autres, car à peine le peu de gens de service intérieur la con- 
naissaient-ils. Les deux troupes piquières sont entrées à la fois par 
les portes opposées. M. Santerre , en leur nom en quelque sorte, a 
harangué la reine. La reine, avec un courage surnaturel, l'a attiré par 
une réponse, un accent et une majesté dignes de Marie-Thérèse. On a 
observé qu'à ses paroles les piques avaient reculé. La communication 



ET LA COUR DE FRANCE. 305 

s'est rétablie de Tappartement du roi à celui de la reine , et par ce 
doublement de ces deux appartements les piques revenaient à Tesca- 
lier et plusieurs rentraient au lieu de descendre. On est parvenu , 
à Taide des grenadiers, à ramener le roi à la reine. Le peuple se re- 
froidissait, s'apitoyait, beaucoup pleuraient. Le maire Pétion les a 
harangués, félicités sur leur « brave » conduite, et d'un mot il les a 
congédiés. 

Jamais courage ne fut plus vrai, plus grand, plus digne que celui 
du roi, de la reine et de Madame Elisabeth. La reine a entendu 
plusieurs fois demander sa tête, et son visage n'en était pas altéré. 

La scène, les acteurs, les moyens, tout a changé. Cette date en 
rappelle une semblable et en annonce une autre. 



CCX. 



DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

N» 10. Brnxellei, ce 21 inin 1.792. 

Que l'on a su à Coblence l'envoi de Gog. à Vienne, le même jour 
qu'il est arrivé id, et qu'on a envoyé ce même jour une estafette à 
Pét (2) pour en avertir, c'est de là que Bomb. (3) le mande. C'est 
sûrement quelqu'un de votre intérieur qui écrit tout aux princes. 

Si d'Aranda veut avoir une correspondance directe avec vous , il 
faut l'éviter, car il est mauvais et veut négocier, et alors vous êtes 
perdus. Que notre régent pense bien , qu'il m'a envoyé des lettres 
de notification pour vous, avec ordre de vous les envoyer, sans passer 
par vos ministres, avec lesquels nous n'avons pas de communication ; 
— que je crains que l'Espagne, l'Angleterre et l'Empereur ne veulent 
négocier ; — que nous t&chons d'y parer ; — que l'Empereur a le projet 



(1) Lettre expédiée en chii&e et en blanc. Copiée sur la minute de la main dn comte 
de Fenen, qni a écrit en marge : Chiffré ttU, àla reine par M, Toic, et Gog, 

(2) Saint-Péterebonrg. 
(8) De Bombelles. 

T. II. 20 



306 LE COMTE DE FERSEN 

d'un démembrement, et que s'il ne l'obtient de vous, il traitera avec 
les constitutionnels et l'obtiendra d'eux, et vous perdriez alors en- 
core votre autorité, sans empêcher le démembrement ; — qu'il vaut 
donc mieux vous y décider, si cela est inévitable ; quelle est votre 
volonté là-dessus? Mais il 7 a peut-être un moyen de l'empêcher, 
c'est de donner au roi de Prusse un engagement par écrit pour le 
remboursement : il le désire, mais il faut la signature du roi. Il me 
reste encore un blanc seing dont je n'ai pas parlé au b... (1). Voulez 
vous que j'en fasse usage, si cela peut être utile à nous assurer de 
l'opposition du roi de Prusse à tout démembrement ? M'en avez-vous 
envoyé d'autres, et comment? Il serait bon que j'en eusse encore trois. 
Achetez deux jolis chapeaux à la charlotte de deuil, portez-les chez 
M"' Toscani et faites-lui coudre les trois papiers dans le fond, entre 
la doublure , et dites-lui de les envoyer à M. Sullivan ; elle sait com- 
ment. Le nom peut être écrit en noir, ou même, s'il le faut, en blanc. 
Dans ce cas, il faut marquer avec un crayon l'endroit où. est le nom. 
On peut même , dans les deux cas, écrire sur une feuille un mémoire 
de marchand, car on n'a besoin que de l'autre feuille. Soyez assurée 
que je ne donnerai les signatures que si cela est nécessaire et utile. 
J'ai fait votre commission à M. de Mercy, il a fort bien entendu, 
et doit déj& avoir écrit à Tienne en conséquence. Dans l'affaire ob 
Qouvion est mort, Lafayette a perdu 400 hommes, au dire des pay- 
sans ; les Autrichiens, 114 morts ou blessés. H leur est arrivé des 
renforts, et il n'y a plus rien à craindre. — J'ai prévenu en Russie 
et à Berlin de l'envoi du constitu., de crainte qu'on ne soit tenté d'en 
faire mauvais usage. 

(1) Baron de BreteuiL 



ET LA COUR DE FRANCE. 307 



GCXI. 

BULLETIN DE CE QUI s'eST PASSÉ AUX TUILERIES LE 20 JUIN 1792 (1). 

A Paris, ce 21 juin 1792. 

Nos maîtres existent, quel miracle! jamais ils n'ont vu le danger 
de plus près. Pour moi, qui n'ai pas quitté le Château, je verrai long- 
temps 16,000 hommes armés, faisant bonne contenance, se croyant 
obligés de céder à deux municipaux qui leur ordonnent, par la loi , 
d'en laisser passer 20,000 avec des piques, haches, escaladant avec 
une vitesse terrible les marches du palais. Jamais les vagues fu- 
rieuses de la mer ne m'ont semblé si dangereuses. On avait, au nom 
du roi, fait éloigner les habits noirs qui gardaient les avenues de son 
sanctuaire, tandis que ce malheureux prince les croyait à deux pas. 
Trois maréchaux de France, MM. de Beauvejiu , de Mouchy et de 
Mailli, avec cinq ou six gardes nationaux et deux ou trois gentilshom- 
mes, sont restés seuls avec le roi. Madame Elisabeth , avec le sang- 
froid d'une âme admirable , n'a pas quitté un instant son vertueux 
frère. La reine , malgré elle , a été arrachée d'auprès du roi : on le 
croyait plus sage. Monsieur le Dauphin criait, ainsi que madame sa 
sœur, voyant l'état de leur mère, et entendant enfoncer les portes, 
lorsque le roi a fait ouvrir la dernière, disant qu'il ne redoutait point 
la mort. Son courage a étonné le furieux Santerre. Un des gardes , 
qui était près du roi, m'a dit que ce monstre avait été terrassé en 
voyant la vertu si près du vice. Le roi, comme vous le lirez dans les 
journaux, n'a cédé à aucune modification sur les décrets où il avait 
apposé son veto. Il a seulement daigné répondre à cette horde non>- 
breuse que ce n'était pas le moment. Son ton fier, assuré, aux bri- 
gands, et ses réponses aux députés de l'Assemblée qui sont venus 
ensuite , ont fait l'admiration de ceux qui l'entouraient. Messieurs 
Isnard et Merlin ont parlé comme des royalistes nés et sensibles. 
^. Pétion, pour ne pas sortir de son caractère comme ces messieurs. 



(1) D'après une lettre en chiffre d'une personne témoin oculaire. La lettre a été dé< 
cMOErée par un secrétaire du comte de Fersen. 



a08 LE COMTE DE FEBSEN 

a dit à l'année de Santerre (après qu'elle avait brisé portesjfenêtres, 
serrures chez le roi^ la reine, M. le Dauphin et Madame) : Ct- 
toyens! vous vous êtes conduits avec dignité^ retoumez^vous-^n de 
mime. Ces messieurs ont fait dans le Château , sur les toits, et les 
pleins extérieurs un séjour de cinq heures. Ils voudraient y retour- 
ner aujourd'hui : l'indignation de l'Assemblée, des départements, 
même de la municipalité, doit les en empêcher. Moi, d'après ce que 
j'ai vu de mes yeux hier, je ne connais plus d'obstacle à tout ce que 
voudront faire les factieux. Toutes les autorités sont nulles , excepté 
celle de M. Pétion. On prétend que le département doit le dénoncer 
aujourd'hui, comme criminel de haute trahison, ainsi que M. de San- 
terre. — Je ne suis sorti qu'à minuit du Château; tout y était calme, 
et comme le peuple ne se désheure pas dix-neuf heures, ils étaient 
évacués. 



ccxn. 

DE LA REINE MABIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FEBSEN (1). 

Le 28 iuin 1792. 

\_En chiffreJ] 

Dumounez part demain pour Varm^ée de Luckner; il a promis d^ in- 
surger le Bradant. Saint-Hunige (?) part aussi pour remplir le même 
objet. 

[En clair.'] 

Voilà l'état des sommes que j'ai payées pour vous. Je vous enver- 
rai celui de votre recette lorsqu'elle sera achevée. 
Je crois avoir reçu toutes vos lettres. Les deux dernières sont 8 



(1) Voix la note à la lettre du 6 juin n<* CC. Ce qui était en chiffre est déchilEré de 
la main da comte de Fersen , qui a écrit en marge : Reçu It 29 ; r^. h 80. 



ET LA COUR DE FRANCE. 309 

et 9. Le n'* 9 était du 11 juin ; je n'ai pas conservé la date de Tautre. 
Votre ami est dans le plus grand danger. Sa maladie fait des pro- 
grès effrayants. Les médecins n'y connaissent plus rien. Si vous vou- 
lez le voir, dépêchez-vous. Faites part de sa malheureuse situation à 
ses parents. J'ai fini vos affaires avec lui, aussi à cet égard n'ai-je 
nulle inquiétude. Je vous donnerai de ses nouvelles assidûment. 



CCXIII. 

DE LA REINE MARI£>- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Le 26 juin 1792. 

Je viens de recevoir votre lettre n° 10; je m*empresse de vous en 
accuser la réception. Vous recevrez incessamment des détails relatifs 
aux biens du clergé dont j'ai fait acquisition pour votre compte. Je 
me bornerai aujourd'hui à vous tranquilliser sur le placement de vos 
assignats, il m'en reste peu, et dans quelques jours j'espère qu'ils se- 
ront aussi bien placés que les autres. 

Je suis &chée de ne pouvoir vous rassurer sur la situation de votre 
ami. Depuis trois jours cependant la maladie n'a pas fait de progrès ; 
mais elle n'en a pas moins des symptômes alarmants ; les plus ha- 
biles médecins en désespèrent II faut une crise prompte pour le ti- 
rer d'affaire, et elle ne s'annonce point encore ; cela nous désespère. 
Faites part de sa situation aux personnes qui ont des affaires avec 
lui, afin qu'elles prennent leurs précautions ; le temps presse. . . . 
je serai exacte à vous faire part du mieux ou du pire qu'il éprouvera. 
Envoyez exactement à la poste. Adieu. Recevez amitiés et compli- 
ments de tout ce qui vous intéresse. 

(1) Voir pour cette lettre, toute en dair et non signée, la note à la lettre du 5 juin 
n® ce. Le comte de f ersen a écrit en marge : Beçu le 30 Juin, 



310 LE COMTE DE FERSEN 



CCXIV. 

DU PRINCE CHARLES, DUC DE SUDERMANIE, ET R]£gENT PENDANT LA 
MINORITÉ DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE IV ADOLPHE, AU COMTE DE 
FERSEN (1). 



Château de Drottningholm, ce 26 juin 1792. 



Monsieur le comte, 



Le lieutenant général baron de Taubenous a communiqué la lettre 
qu'il a reçue aujourd'hui de vous, du 13 de ce mois, par laquelle 
vous témoignez le désir de savoir la conduite que vous aurez à tenir, 
dans le cas où le roi et la reine de France, par un événement heureux 
et inattendu, seraient mis en liberté ; et nous avons trouvé de la der- 
nière importance que vous vous rendiez dans ce cas, et sans le moin- 
dre délai, auprès de LL. MM. T. C, pour les assister de vos sages 
conseils et leur exprimer l'empressement de la cour de Suède de leur 
témoigner la part sincère qu'elle prend & tout ce qui regarde le sort 
de la maison royale de France. Vous pourrez donc, dans cette occar 
sion, et sans attendre de nouveaux ordres, remettre les lettres de 
créance qui vous ont déjà été envoyées. 

Vous sentez assez combien, dans cette occasion, il sera intéressant 
pour le roi de France d'appeler auprès de lui des personnes qui, sans 
précipitation, mais avec prudence et courage, puissent l'aider à fixer 
sa détermination sur le meilleur parti à prendre, selon ce que les 
circonstances exigeront, s'il ne veut pas, par imprudence ou n^li- 
gence, retomber bientôt dans la situation malheureuse où il se trouve 
à présent. Le roi de France ne doit donc voir dans la présente ins- 
truction que nous vous adressons qu'une nouvelle preuve de notre 
désir de contribuer, par tous les moyens possibles, à tout ce qui peut 
lui être utile et agréable ; et, par la connaissance que nous avons de 



(1) La lettre originale est en suédois et traduite en français ; c'est cette traduction que 
nous ayons reproduite. Toutes les deux se trourent parmi les papiers du comte de 
Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 311 

votre prudence et de votre zèle sincère, nous croyons pouvoir laisser, 
avec une confiance entière, à votre propre jugement de déterminer 
ce qu'il 7 aura de mieux à faire de notre côté dans cette occasion, 
étant persuadé que vos démarches auront tonjours pour but de con- 
tribuer à tout ce qui pourra être à l'avantage du roi et du royaume, 
et vous ne sauriez en cela éprouver d'obstacles que ceux des circons- 
tances de la part d'une cour qui, depuis des siècles, a été l'alliée de 
la Suède, et qui en a reçu des preuves multipliées d'amitié constante 
et de dévouement. 

L'intérêt général, qui dans ce moment est si étroitement lié au sort 
de la famille royale de France, puisque la tranquillité de l'Europe 
dépend peut-être de la chute ou du rétablissement de cette monarchie, 
devrait rassurer sur la crainte de voir quelques puissances sacrifier 
le but commun à des vues secrètes. Cependant on ne peut plus douter 
que les cours de Tienne et de Berlin visent au démembrement de 
la France, et que l'Angleterre, sans apercevoir le danger qu'elle 
court elle-même, désire la continuation des troubles. Vous savez as- 
sez combien ses projets sont contraires à nos intérêts. Votre objet doit 
donc être de tâcher d'éclairer LL. MM., d'un côté, sur la conduite in- 
téressée de leurs voisins, et combien elle est nuisible à la prospérité 
de la France, et, de l'autre, sur celle de sujets traîtres'ou ambitieux, 
et sur les plans insidieux des exécrables révolutionnaires qui, en in- 
voquant les droits de l'homme, ne cherchent qu'à saper les fonde- 
ments de la monarchie, à lui enlever son appui et à préparer l'exé- 
cution libre des plus grands désordres. De tous ces inconvénients, le 
premier ne peut échapper à l'attention de la cour, mais le dernier 
présente plus de difficultés à vaincre, tant par les ressorts secrets 
qu'on fait jouer que par les promesses flatteuses dont on tâche d'en- 
dormir le roi, et que son penchant naturel le porte à écouter, sans 
apercevoir les pièges secrets qu'on lui tend et les dangers qu'on lui 
prépare. C'est donc cette dernière circonstance qui doit fixer votre 
attention dans la commission intéressante et difficile dont vous êtes 
chargé et dont dépendent en si grande partie le maintien de la tran- 
quillité de l'Europe et en particulier la prospérité de la Suède. 

Nous vous recommandons gracieusement au Dieu tout-puissant, 
demeurant 

Votre très-affectionné, 
Charles. 



312 LE COMTE DE FERSEN 



ccxv. 



DU PRINCE CHARLES, DUC DE SUDBRMANIE, ET RlÉGENT PENDANT LA 
MINORITE DU ROI DE SUÈDE GUSTAVE IV ADOLPHE, AU COMTE DE 
FERSEN (1). 

Château de Drottningliolin, ce 26 juin 1792. 

Monsieur le comte, 

Par votre lettre du 3 de ce mois au premier gentilhomme de la 
chambre baron de Taube, nous avons vu avec grande satifaction une 
nouvelle preuve que Tunique but de votre zèle constant et des soins 
que vous n'avez cessé de vous donner a été d'assurer la gloire et la 
prospérité du royaume, et nous croyons vous donner un nouveau té- 
moignage de notre confiance en votre prudence si connue en vous 
envoyant, sans instructions ultérieures que celles que votre sagesse 
vous dictera, les lettres de créance que vous avez désirées pour les 
rois de Hongrie et de Prusse et pour le duc de Brunswick, pour en 
faire l'usage que vous jugerez le plus avantageux au service du roi 
et du royaume. 

Nous vous envoyons aussi pour votre instruction particulière copie 
de la note confidentielle qui a été remise au comte de Stackel- 
berg (2), en réponse à son dernier office, et celle de la lettre que nous 
écrivons aujourd'hui au baron d'Oxenstjema; ces deux pièces vous 
confirmeront encore dans l'opinion que vous aviez déjà énoncée sur 
la nécessité où nous nous trouvons de ne pouvoir guère dans les cir- 
constances présentes, autrement que par nos bons offices, prendre 
part au rétablissement de la famille royale de France. 

Persuadé de la connaissance parfaite que vous avez de toutes les 
mesures à prendre dans cette occasion, nous laissons à votre zèle ex- 



(1) La lettre originale est en snédois et traduite en français ; c'est cette traduction que 
nous ayons reproduite. Toutes les deux se trouvent parmi les papiers du comte de Fersen. 
* (2) Voir Tannexe à cette lettre, sous le n? CCI. 



ET LA COUR DE FRANCE. 313 

périmenté le soin de contribuer de cette manière à xm but qui nous 
est personnellement aussi agréable qu'il est avantageux au bien de 
l'État. 

Nous vous recommandons gracieusement au Dieu tout-puissant^ 
demeurant 

Votre très-affectionné , 

I Charles. 



CCXVI. 



DU COMTE DE FERSEN AU BABON d'eHRENSYASBD ^ ENVOYÉ DE SUÈDE 

A MADRID (1). 

BrozeUes, ce 26 juin 1792. 

Monsieur le baron, 

Je suis entièrement de votre avis sur la conduite que le roi de 
France doit tenir relativement au projet que vous supposez avec rai- 
son à M. d'Aranda de se rendre médiateur et de modifier la consti- 
tution. Il n'y a que les cours de BerKn et de Pétersbourg qui puis- 
sent s'y opposer; encore l'impératrice, depuis la mort du feu roi, 
s'est-elle un peu refroidie de l'intérêt qu'elle portait aux afiBftires de 
France, pour faire de celles de Pologne l'objet de son intérêt le plus 
vif. Cependant sa vanité la force à ne pas abandonner la cause des 
princes, qu'elle a embrassée avec tant d3 chaleur ; mais on ne peut 
pas trop compter sur celle de Vienne, et, malgré tout ce qu'elle fait, 
il 7 a lieu de croire qu'elle verrait avec plaisir s'établir une négocia- 
tion où elle espère jouer un grand rôle. J'espère qu'il n'y a aucune 
communication directe entre le roi de France et M. d'Aranda ; ce- 
pendant, comme en ce moment celle avec le roi est très-difficile et 
très-rare, je ne puis avoir aucune certitude à cet égard. 



(!) D'après la minute de la main du comte de Fenen, qni a écrit en marge : Ch^fre au 
baron ^Ehrentuaerd, 



314 LE COMTE DE FBRSBN 

De tons les souyerams qui s'intéressent au sort du roi de France, 
nal ne se conduit aussi mal que TEspagne et aussi bien que le roi de 
Prusse ; il a donné les assurances les plus positives de secours et 
qu'il ne veut entendre à aucune n^ociation ou modification de la 
constitution, mais au contraire qu'il veut avant tout la liberté du 
roi, et qu'il fasse lui-même la constitution qu'il voudra et qu'il ju- 
gera la plus avantageuse pour le bonheur de son royaume. Il donne 
400,000 livres par mois aux princes pour payer les troupes qui pas- 
seront et compte leur assigner une place honorable dans les opéra- 
tions qui auront lieu. H a écrit au roi de Hongrie pour lui proposer 
de donner une somme pour l'entretien des émigrés. Je doute que 
cette proposition soit acceptée. La mauvaise volonté de cette cour est 
trop marquée pour eux ; les émigrés ne sont pas même sou£ferts à 
leur armée comme simples spectateurs, et, au lieu d'en recevoir 7 à 
8,000 qui ont été offerts, ils ont préféré de risquer que tout le pays 
soit occupé par les rebelles finançais qui n'avaient davantage sur eux 
que le nombre. Depuis qu'il leur est arrivé des renforts, ils n'ont 
plus rien à craindre ; mais ils ont eu des moments très-critiques et an 
moment que M. de Biron marchait sur Mons, le général Beaulieu 
n'avait que 1,800 hommes et 3 canons; 1,200 hommes arrivèrent 
dans la nuit et 6 canons en poste. Même à présent, ils hésitent, faute 
de monde, à attaquer et chasser les Français de Menin et Courtray. 

Ce qu'on dit de la brouillerie du baron de Breteuil et de Galonné 
et du mécontentement du comte d'Artois est sans fondement. Il n'y 
aura jamais de confiance intime,' mais aussi rien qui puisse nuire à 
la marche des affaires, et le baron de Breteuil travaille en ce moment 
pour les princes. 

Le bruit de l'entrée d'une flotte russe dans la Méditerranée est 
sans fondement; elle n'arme pas de vaisseaux et veut même envoyer 
par terre les 15,000 hommes qu'elle destine contre la France, lorsque 
les affaires de Pologne seront arrangées. 



ET LA COUR DE FRANCE. 316 



CCXVIL 



DU COMTE DE FEBSEN A LÀ BBINE MARIE-ANTOmETTE (1). 

K» 12. Ce 80 juin 1792. 

J'ai reçu hier la lettre du 23 ; il n'y a rien à craindre tant que 
les Autrichiens ne seront pas battus. Cent mille Dumouriez ne fe- 
ront pas révolter ce pays-ci, quoiqu'il y soit très-fort disposé. 

Votre position m'inquiète sans cesse. Votre courage sera admiré, 
et la conduite ferme du roi fera un excellent effet. J'ai déjà envoyé 
partout la relation, et je vais encore envoyer la Gazette universelle j 
qui rend compte de sa conversation avec Pétion ; elle est digne de 
Louis XIV. n faudra continuer de même, et surtout tâcher de ne 
pas quitter Paris. C'est là le point capital. Alors il sera aisé de 
venir à vous, et c'est là le projet du duc de Brunswick. Il fera pré- 
céder scn entrée par un manifeste très-fort, au nom des puissances 
coalisées, qui rendront la France entière et Paris en particulier res- 
ponsables des personnes royales. Ensuite il marche droit sur Paris, 
en laissant les armées combinées sur les frontières, pour masquer 
les places et empêcher les troupes qui y sont d'agir ailleurs et de 
s'opposer à ses opérations. L'impératrice fait marcher 15,000 hom- 
mes ; notre régent a accordé les 8,000 hommes qu'elle demande. 
Us sont prêts, et marcheront dès que nous aurons de l'argent. 

Le duc de Brunswick arrive le 3 à Coblence; la V^ division prus- 
sienne y arrive le 8 ; on donne tout de suite 7,000 hommes pour ce 
pays, qui occuperont Luxemb., afin que les Autrichiens puissent 
augmenter leurs forces de celle qui y est. Ils ont fait une sottise de 
ne pas avoir attaqué Luckner à son entrée. A présent il est trop 
bien posté et retranché, et il y a apparence qu'on l'y laissera, jus- 
qu'à ce que les troupes soient arrivées. Ils ont fidt une étourderie 
de se laisser prendre 60 chefs devant Maubeuge. 

n a passé ici un M. Viette qui a dit au vicomte de Cariaman 



(1 ) D'après la minute de la main du comte de Fenen , qui a écrit en marge : A la 
r^ine, en hlanc,par Totc* 



316 LE COMTE DE FEBSEN 

qu'il était envoyé par vous à Coblence, chargé d'une commission, 
n lui a montré une lettre adressée au général Schmidth , et écrite^ 
disait-il, en blanc dans les entre-lignes. H aura sans doute fait la 
même confidence à quelques autres de ses connaissances. 

Je vous ai écrit du 25 n* 11 par Gog., le n* 10 par madame Tosc. 
du 21. Répondez-moi sur les blancs seings et sur le démembre- 
ment. 

Vous devriez charger Gog. de m'écrire tous les dimanches et les 
mercredis, pour me donner les détails de ce qui se passe. Quand il 
me dira : On dit, mais je n'en crois rien, je saurai alors que la chose 
est sûre. Toutes les lettres de ce genre arrivent. 



ccxvin. 

DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUÈDE (1). 

BraxéUee, ce 1**' juillet 1792. 

Monseigneur, 

J'ai reçu la lettre dont V. A. R. m'a honoré du 15 juin, et je 
ferai parvenir aux sieurs de Beutersvaerd et de Piper ce que Monsei- 
gneur veut bien leur faire savoir. 

Les nouvelles de Paris sont un peu plus rassurantes ; la tran- 
quillité semble un peu revenue pour le moment, mais les factieux 
ne cessent de remuer et d'exciter la populace, et malgré le calme 
apparent on attend à tout moment une nouvelle scène d'horreur, 
et V. A. R. pourra voir par les papiers qu'on lui envoie combien 
les jacobins ont levé le masque. La position du roi et de la reine 
est affreuse, et ils courent encore de grands dangers, sans qu'il 
soit possible de rien faire pour les en garantir ; car une proclama- 
tion des puissances, avant le moment où elles pourront la soutenir 



( 1 ) D'après la minute de la main da comte de Fenen, qui a écrit en marge : EnMr, 
au due. 



ET LA COUR DE FRANCE. 317 

par une masse de forces imposantes qui imprime la terreur, ne fe- 
rait qu'exposer Leurs Majestés davantage, sans les sauver. 

M. Dumouriez est parti pour l'armée du maréchal Luckner; on 
croit même qu'il en prendra le commandement et que le maréchal 
retournera à celle d'Alsace. Il a emmené avec lui M. de Saint-Huruge, 
et il a promis en partant d'insurger tous les Pays-Bas ; mais tant que 
les Autrichiens ne seront pas battus, il n'y a rien à craindre d'une 
révolte dans ce pays, quoique les habitants y soient très-disposés. 

Comme dans le nombre des gazettes qu'on envoie à V. A. R. 
j'ignore si la Gazette universelle se trouve, j'ai l'honneur d'en en- 
voyer une. Monseigneur y trouvera des détails assez intéressants 
sur la journée du 20 et la conversation du roi avec M. Pétion ; 
y. A. B. en sera sans doute contente. 



CCXIX. 

DE LA REINE MABIE-AKTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Du 3 juUlet 1792. 

J'ai reçu votre lettre du vingf^dnq n' onze; j'en 

ai été bien touchée. Notre position est affireuse, mais ne vous in- 
quiétez pas trop; je sens du courage, et j'ai en moi quelque chose 
qui me dit que nous serons hientôt heureux et sauvés. Cette seule 
idée me soutient. L'homme que j'envoie est pour M. de Mercy; je lui 
écris très-fortement pour décider qu'enfin on parle. Agissez de msr- 
nière à en imposer ici ; le moment presse et il n'y a plus moyen 
d'attendre. J'envoie les blancs seings comme vous les avez demandés. 

Adieu. Quand nous reverrons-nous tranquillement? 



(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main dn comte de Fenen, qni a écrit en marge 
Ch^re de la reine du 8 juUkt 1792; S, reçu par M, Louerez; rép. le 10 par Ltueeres, 



318 LE COMTE DE FERSEN 



ccxx. 

DE LA REINE MABIE-ANTOINSTTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

6 îaaiet 1792. 

On m'a remis votre dernière lettre écrite en blanc, après en avoir 
fait sortir l'écriture : c'est la seconde fois que cela arrive. Il faut 
prendre d'autres mesures, afin qu'on ne se trompe plus. Vous sen- 
tirez aisément l'importance de cet avertissement. 

On s'attend à une catastrophe terrible le 14 dans tous les coins 
de Paris et J particulièrement aux jacobins. On prêche le régicide, 
il 7 a des projets sinistres; mais, étant connus, il sera peut-être 
possible de les faire échouer. Les jacobins de toutes les provinces 
arrivent ici en foule ; il n'y a pas de jour qu'on n'avertisse la reine 
de se tenir sur ses gardes ; tantôt c'est un officieux, tantôt c'est un 
intrigant; on ne lui laisse pas un instant de tranquillité. 

J'ai les trois blancs seings, mais je ne sais par où vous les envoyer 
les voitures publiques ne passant plus. Indiquez-moi un moyen 
sûr autre que celui-là. 



CCXXI. 



DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (2). 

[En chiffre^ 



ne vous tourmentez pas trop sur mon compte. Croyez 



(1) Billet en chiffre, déchiffré de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : 
10re;tti rip» le 18. 

(2) Billet en chiffre et en encre sympathique, copié de la main du comte de Feraen, qoi 
a écrit en marge : Ht^ par Léonard, %juUUi 179t. 



I 
I 



\ 



ET LA COUB DE FRANCE. 319 

que le courage en impose toujours. Le parti que nous venons de 
prendre nous laissera, j'espère, le temps d'attendre, mais six se- 
maines sont encore bien longues. Je n'ose pas vous écrire davantage. 
Adieu. Hâtez , si vous pouvez , les secours qu'on nous promet pour 
notre délivrance. 

[En encre sympathique.'] 

J'existe encore, mais c'est un miracle. La journée du 20 a été 
affreuse. Ce n'est plus à moi qu'on en veut le plus, c'est & la vie 
même de mon mari, ils ne s'en cachent plus. Il a montré une fer- 
meté et une force qui en ont imposé pour le moment, mais les dan- 
gers peuvent se reproduire à tout moment. J'espère que vous re- 
cevez de nos nouvelles. Adieu. Ménagez-vous pour nous, et ne vous 
inquiétez pas sur nous. 



CCXXIL 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FEB8EN (1). 

Le 7 juillet 1792. 

[En clair.'] 

Je vous ai adressé, il y a quelques jours, l'état de vos dettes ac- 
tives. Voici le supplément que je reçois ce matin de votre ban- 
quier de Londres. 

[En chijjfre.] 

Les diférenta partis de VAss. nat. se sont réunis aujcfurdhui; 
cette réunion ne peut être sincère de la part des jacobins, ils dissimu- 
lent pour cacher un projet quelconque. Un de ceux qiCon peut leur sup^ 



(1) Voir pour cette lettre la note à la lettre du 5 jnin, n^ CC. Le comte de Fersen a 
fait le déchiffrement de sa main et écrit en marge : 23 reçu; rép, le 26. 



320 LE COMTE DE FEBSEN 

poser, (fest de faire demander par le roi une suspension d armes et 
de t engager à négocier la paix, n fcad prévenir que toute démarche 
officieUe à cet égard ne sera pas le vœu du roi; que s*il est dans la 
nécessité d'en manifester un d après les circonstances, il le fera par 
P organe de M. de BreteuiL — M. de Cranford recevra par une oc- 
casion les trois blancs seings : prévenez-le, pour qyiiloware le paquet 
avec précaution; ils sont signés en blane. 

[En clairJ] 

m 

Je pense tonjonrs que vous n'avez rien de mieux à faire que de 
placer vos fonds ici. La tranquillité s'établit et tous les partis se 
réunissent en ce moment pour faire marcher la constitution. Donnez- 
moi carte blanc he^ je suis sûre de vous faire de bonnes acquisitions 
et que vos fonds seront doublés dans deux ans. Je viens de ter- 
miner le marché de la maison que nous avons vue ensemble, rue de 
l'Université; elle me coûtera, tous frais &its, 157 mille livres. 
Adieu. Toute la famille se porte bien, vous fait mille compliments, 
et désire ardenmient vous revoir bientôt. 



CCXXIII. 

DU COMTE DE FEBSEN AU ROI DE SUÈDE (1). 

BmzelleB, ce 7 juillet 1792. 

Sire, 

J'ai l'honneur d'informer V. M. que le S*" Bergstedt est arrivé ici 
hier de Hollande ; il part demain pour se rendre & Londres. Il m'a 
dit avoir envoyé au S' de Bosenstein le résultat de l'objet de son 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : Au rot, 
c/at> et chiffre. 



ET LA COUR DE FRANCE. 321 

voyage & Amsterdam. H sera sans doute mis bous les yeux de Y. M. 

Il paraît que le voyage de M. de Lafayette & Paris n'a produit 
que peu ou point d'effet. Le combat est à mort entre les constitution- 
nels et les jacobins^ c'est-à-dire entre ceux qui ont tout à perdre et 
rien & gagner. Les constitutionnels sentent à présent la nécessité de 
la royauté 9 et combien il est nécessaire pour eux qu'elle soit res- 
pectée et revêtue d'une grande autorité ; mais ils ont oublié qu'ils ont 
eux-mêmes donné l'exemple, et qu'ils sont la première cause de son 
anéantissement et de son avilissement^ et ils ne disent pas que s'ils 
avaient le dessus^ ils suivraient encore la même marche. Les jaco- 
binSy profitant de leur supériorité, les traitent à présent comme eux- 
mêmes ont traité les soi-disant aristocrates dans l'autre Assemblée ; 
ce sont les mêmes moyens, les mêmes injustices et la même oppres- 
sion, et îl est impossible d'avoir une opinion sur l'issue de ce combat. 
En attendant, les jacobins poussent leur pointe ; tous les moyens leur 
sont bons et aucun crime ne les arrête. Malgré la foule d'adresses 
des différents départements, qui toutes sont dirigées contre eux^ ils 
feront mettre à exécution le décret pour le rassemblement des 
20,000 hommes & Paris, et déjà des détachements sont en marche 
pour s'y rendre. Je ne doute pas que tous arrivent, et au lieu de 20 
ce rassemblement sera peut-être de 30 à 40,000 hommes ou plutôt 
brigands, qui, n'étant dirigés ou contenus par aucune autorité re- 
connue, pourront avec plus de facilité servir les vues des jacobins et 
assurer leur triomphe. Dès lors, il n'y aura plus de sûreté pour le 
roi et sa famille, et s'ils n'attentent à ses jours, du moins est-il vrai- 
semblable qu'ils l'emmèneront comme otage dans l'intérieur du 
royaume. L'Espagne seule aurait pu déjouer ce projet, mais sa con- 
duite faible et honteuse pour un souverain, et surtout pour un parent, 
a &vorisé ce projet. 

Voilà, Sire, la position affreuse où les opérations des constitu- 
tionnels ont entraîné le roi ; les jacobins ont perfectionné leur ou- 
vrage. Les constitutionnels voudraient maintenant, non par amour 
pour lui, mais pour leur propre intérêt, pour s'emparer de son pou- 
voir et établir leur constitution, se rallier au roi et lui rendre, pour 
le moment, ce qu'ils lui ont ôté ; mais ils n'en ont pas la puissance. 
Les jacobins^ sont maîtres de tout, et il n'y a que la réunion des ar- 
mées étrangères qui puisse écraser une secte qui ferait bientôt 
trembler tous les rois et ébranlerait tous les trônes. 

T. IL 21 



322 LE COMTE DE FERSEN 



[En chiffre,'\ 

V. M. aura déjà été instruite de l'arrivée du duc de Brunswick ; 
il paraît décidé à agir vigoureusement. C'est aussi l'avis du roi de 
Prusse et de son ministère, et, à en croire l'assurance que S. M. Prus- 
sienne en a donnée, rien ne l'arrêtera, et l'on peut tout attendre 
d'une conduite aussi noble et d'un intérêt aussi touchant. H donne 
aux princes français et aux émigrés une position intermédiaire 
entre son armée et celle du roi d'Hongrie ; elle sera dans les envi- 
rons de Philipsbourg. 

[En clair.] 

Les Français paraissent vouloir abandonner cette frontière et se 
retirer dans les Evêchés, pour se porter ensuite où besoin sera. On 
assure que M. de Luckner a renvoyé tous les patriotes pour avoir 
été la principale cause des horreurs commises dans la retraite de 
Courtrai. M. de Luckner les accuse aussi de l'avoir trompé en lui 
assurant que, dès qu'il serait entré en Flandre, tout le pays se sou- 
lèverait et viendrait se joindre à lui. 



CCXXIV. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

Bnizelles, ce 10 juillet 1792. 

M. Lasserez et M. Léonard sont arrivés et m'ont remis vos lettres. 
Je n'ai pas besoin de vous dire qu'elles m'ont fait grand plaisir. 
Votre courage est admirable, et la fermeté de votre mari fait un 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la retne 
en hianCy par Lasserez. 



j 



ET LA COUR DE FRANCE. 323 

grand effet. Il faut conserver l'un et l'autre pour résister à toute ten- 
tative pour vous faire .sortir de Paris. Il est bien avantageux d'y 
rester. Cependant je suis entièrement de l'avis de M. de Mercy sur 
le seul cas où il fallût en sortir; mais il faut prendre bien garde 
d'être bien assuré, avant de la tenter, du courage et de la fidélité de 
ceux qui protégeraient votre sortie, car si elle manquait, vous seriez 
perdus sans ressource, et je n'y pense pas sans frémir. Ce n'est donc 
pas une tentative à faire légèrement ou sans être sûr de la réussite. Il 
ne faudrait jamais, si vous la faites, appeler Lafayette, mais les dépar- 
tements voisins. 

On hâte le plus possible les opérations ; l'arrivée de Prussiens est 
déjà un peu accélérée, et dans les premiers jours d'août on pourra 
commencer. Mais de parler fortement dans ce moment, sans être 
prêt à agir de même pour soutenir son dire, serait une mesure qui 
manquerait son effet. Elle ne serait pas aussi imposante et pourrait 
vous exposer davantage. 

D'après ce que vous me dites de l'envoi des blancs seings, j'ima- 
gine que vous avez approuvé ce que je vous mandais, et, selon les 
circonstances plus ou moins pressantes, je ferai usage, en attendant, 
de celui qui me reste. 

La conduite de l'Espagne est honteuse et blâmée dans toute l'Eu- 
rope. L'Angleterre est bien. Notre régent, par les intrigues de 
Staël, ne veut pas se mettre en avant. Je tâche de le déjouer le 
plus que je peux. Staël voit beaucoup M. Yeminac. On aura soin 
que le manifeste soit le mieux possible; nous nous en occupons. On 
y rendra la ville de Paris responsable de la sûreté du roi et de sa 
famille. 

La scène horrible du 20 a révolté toute l'Europe et a fait perdre 
beaucoup de partisans à la révolution. Luckner et Lafayette parais- 
sent abandonner cette frontière pour se rendre dans les Évêchés. Si 
les Autrichiens s'étaient conduits avec plus d'activité, ils auraient pu 
enlever le duc d'Orléans et l'armée de Luckner à Courtrai. Les prin- 
ces vont faire une assemblée de parlements et de pairs & Manheim, 
c'est une folie. Nous tâchons de l'empêcher : c'est M. de Luxem- 
bourg qui provoque tout cela. 



824 LE COMTE DE FEBSEN 



CCXXV. 

■ 

DU COMTB DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1). 

Bruxelles, ce 11 juOlet 1792. 

Bien obligé, mon cher ami, pour vos lettres du 19 et 22 et pour 
les détails que contient celle du 19; ils m'étaient nécessaires, et 
je réglerai ma conduite et mes rapports en conséquence. Cela m'af- 
flige cependant pour les suites, et je vois avec peine que le duc ne 
suit pas en tout la marche du feu roi. Il pourra, s'il n'y prend 
garde, y rencontrer de grands embarras. J'ai reçu des lettres de la 
reine, elle demande qu'on se presse à parler et à agir, car sa posi- 
tion n'est plus supportable ; malheureusement, on ne peut rien faire 
pour elle, avant que toutes les troupes soient arrivées. Sa lettre 
est remplie d'un courage surnaturel, car il est impossible de prévoir, 
et elle le sent, les dangers qu'elle courra & l'entrée des troupes 
étrangères : ce sera au commencement du mois d'août. J'ai reçu 
hier soir un courrier de Hambourg avec tout ce que vous m'annon- 
ciez ; je suis fort content du tout, et je me conduirai en consé- 
quence. Je n'ai pas encore eu le temps de déchiffrer votre lettre. 



(1) Lettre autographe, déchiffrée de la main du baron de Taube. 



ET LA COUR DE FRANCE. 326 



CCXXVI. 



DE LA REIKE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 



Le 11 jmUet 1792, n« 1. 



[En clair,'] 



Je sens bien^ mon cher Bignon^ que relativement à vos spécu- 
lations de finance vous avez un grand intérêt à être au courant 
des événements; aussi ferai-je tout ce qui dépend de moi pour ne 
rien vous laisser à désirer à cet égard. Cependant je dois vous 
prévenir que, mes relations étant fort peu étendues et le cercle 
où je vis fort étroit, je vous serai d'une faible ressource. Mais enfin, 
si je ne vous suis pas d'une utilité réelle, au moins vous prouverai- 
je zèle et bonne volonté. 

Vous avez eu sans doute connaissance du rapprochement des dif- 
férents partis de l'Assemblée, de la démarche du roi à cette assem- 
blée, de la suspension de Fétion et de Manuel par le départe- 
ment ; de quelques légers mouvements du peuple pour la réintégra- 
tion du maire dans ses fonctions, et du vœu d'une partie de l'As- 
semblée à cet égard. C'est encore aujourd'hui cet événement qui 
occupe les Parisiens; on dit que Pétion sera réintégré, parce que 
l'arrêté du département pèche par les formes,^ et que le roi ne le 
confirmera pas. D'autres disent que le roi, effrayé de la puissance 
du maire, révolté de son orgueil et convaincu de ses mauvaises inten- 
tions, confirmera l'arrêté du département ; mais je n'en crois rien (2). 
lia paix que Lamourette avait ramenée au milieu de l'Assemblée 



(1) Voir pour cette lettre la note à la lettre du 5 joiD , n° CO. Le comte de Fersen Va, 
déchiffrée et a écrit en marge : 23 reçu, rép. le 26. 

(2) Dana sa lettre à la reine, du 80 juin 1792, n<* CCiLYll, le comte de Fersen dit : « Vous 
« devriez charger Gog. de m'écrire tous les dimanches et les mercredis, pour me donner les 
t détails de ce qui se passe. Quand il me dira : On dit, maiije n^encrois rien, je saurai alors 
« que la chose est sûre. » Une preuve de plus que cette lettre appartenait à la correspon- 
dance de la reine, quoiqu'elle ne soit pas de sa main. 



326 LE COMTE DE FERSEN 

nationale n^a en que le règne d'un moment. Brissot a prononcé nn 
discours tendant à examiner la conduite du roi depuis le commen- 
cement de la révolution et à le suspendre ; tendant & déclarer la 
patrie en danger^ & rendre solidairement les ministres responsables , 
à faire déclarer qu^ils n'ont pas la confiance de la nation , & faire pro- 
noncer un décret d'accusation contre Chambon^ etc.; etc. Cet incident a 
rebrouillé tout le monde. Il s'en est suivi qu'on a mandé les six 
ministres, qu'on leur a demandé de rendre compte dans les vingt-quatre 
heures de la situation de l'intérieur de la France, des frontières et de 
l'armée : on les a tellement gourmandes pendant quatre heures, ils se 
sont tellement trouvés surchargés du poids de leur responsabilité, 
qu'hier matin ils ont tous donné leur démission, et aujourd'hui le roi 
n'a plus de ministres. On blâme généralement la lâcheté de ceux-ci, 
qui n'avaient rien à craindre en suivant la ligne de la constitution. 

On s'inquiète à l'approche de la fédération, on craint que cette 
fête religieuse et patriotique ne soit le prétexte d'une insurrection 
contre les Tuileries. Le cérémonial n'est pas encore réglé. La 
famille royale doit assister & cette cérémonie. Le nombre des fé- 
dérés qu'on attendait, surtout des provinces du Midi, est bien moins 
considérable qu'on ne l'avait pensé. Les uns sont arrêtés par la 
peur d'être envoyés sur les frontières, les autres par les travaux 
dé la campagne. Le plus grand nombre viendra des départements 
voisins, et il y a tout lieu de croire que tout se passera tranquille- 
ment. 

Le duc d'Orléans a quitté l'armée de Flandre; il est au Rinci 
depuis trois ou quatre jours. Il était si fort déconsidéré parmi les 
troupes, qu'il a été 'obligé de fuir. Je vais vous rendre un compte 
sommaire des affaires que j'ai faites pour vous depuis le P' de ce 
mois : 

[_En chiffrer^ 

Les coTist., réunis à Lafayette et Luckner^ veulent emmener le rai à 
Compiègne le lendemain de la fédération; à cet effet les deux géné- 
raux vont arriver ici. Le roi est disposé à se prêter à ce projet; ht reine 
le combat. On ignore encore quelle sera l'issue de cette grande entreprise, 
que je suis bien éloigné (f approuver, Ltickner prend l^ armée du Rhin; 
Lafayette passe à celle de Flandre, Biron et Dumx>unez à celle du centre. 



ET LA COUR DE FRANCE. 327 



[JSw clair.'] 

Votre banquier de Londres n'est pas très-exact à me faire passer 
vos fonds. Je vous engage à lui écrire deux mots. Adieu, mon cher 
Rignon, je vous embrasse de tout mon cœur. 

A Faveuir, mes lettres seront numérotées au haut de la page, 
comme l'est celle-ci. 



COXXVII. 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Le 15 jnîUet 1792, d<> 2. 

Les malintentionnés avaient donné de grandes inquiétudes pDur 
l'époque de la fédération. Ils avaient annoncé l'arrivée d'une multi- 
tude de brigands et une entreprise criminelle de leur part. Vous 
pouvez être agité des mômes craintes et je m'empresse de vous 
rassurer sur le sort de tout ce qui vous intéresse ici. M. Pétion a 
été rappelé à ses fonctions par l'Assemblée nationale et le vœu du 
peuple. 11 a la confiance générale, ce qui nous fait espérer que si 
quelqu'un, par son influence particulière, peut assurer la paix et 
s'opposer utilement aux projets des factieux, c'est ce magistrat, père du 
peuple : c'est ainsi qu'il est nooimé par les véritables patriotes. 

Le général Luckner est arrivé ici la nuit du 13 au 14. Il paraî- 
tra demain & l'Assemblée nationale. On prétend qu'il vient deman- 
der une augmentation de 50,000 hommes pour son armée. 

Paris est toujours dans une grande agitation ; on s'attend à un 
grand événement, que chaque parti veut diriger à son avantage, 
mais que je ne peux m'expliquer. Un jour détruit toat calcul , 



(1 } Voir pour cette lettre, toute en clair et non signée, la note à la lettre du 5 juin, h? CO. 
Le comte de Fersen a écrit en marge : 28 reçt, rép. le 26. 



328 LE COMTE DE FERSEN 

change absolnment les circonstances. Four vous mettre an courant 
des événements, il faudrait vous écrire deux fois par jour. 

Nous avons ici cinq ou six mille fédérés sortant presque tous du club 
des jacobins. Les uns vont rester ici^ les autres vont aller au camp 
de Soissons. On attend ces jours-ci l'armée de Marseille et celle de 
Bordeaux. Les trois régiments de ligne qui faisaient la garde de Paris, 
en vertu d'un décret de l'Afisemblée, vont partir pour la frontière 
dans deux ou trois jours. Il est grandement question de faire partir 
les gardes suisses. 

Voilà, mon cher Rignon, à peu près où en sont les choses. Je 
vous écrirai demain sur vos affaires particulières; aujourd'hui, je 
n'en ai pas le loisir. Adieu; je suis tout & vous. 

Mandez-moi si vous avez reçu les gants que je vous ai envoyés. 



CCXXVIIL 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

N» 18. BroxeUes, ce 18 JuUlet 1792. 

J'ai reçu toutes vos lettres et les trois blancs seings; mais le nom 
paraît bien faiblement, et je ne suis pas sûre qu'on en puisse faire 
usage. Si vous trouviez un bon moyen de m'en envoyer, où il fût 
écrit d'une encre plus foncée, cela serait bon. 

Les princes ont envoyé un mémoire à toutes les puissances, où 
ils établissent que le roi, d'accord avec les constitutionnels et trompé 
par leurs promesses, va négocier pour obtenir une trêve, etc., etc., 
et pour les prier de n'y point avoir égard. Ils ont envoyé ce 
mémoire au baron (2) en demandant sa réponse. Il en a été 
indigné et a nié positivement que cela ttt II en a sur-le-champ 



(1 ) Copié BUT la miniite de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : à la retnt 
en bianCfPar Toic» 
(2) De Bretenil. 



ET LA COUB DE FRANCE. 329 

écrit au comte de Schoulembourg et au duc de Brunswick, que les 
priçces avaient induit en erreur, et j'en ai écrit partout là-dessus. 
M. de Calonne, pour faire entendre que le baron était d^accord 
dans cette conduite, a dit : Vcms verrez que le baron n'y répondra 
pas. Il conseille mille sottises aux princes. M. de Lambert sert à 
merveille et t&che de les empêcher, et le duc de Brunswick les 
contient, mais cela donne beaucoup de peine. 

Le rassemblement des parlements et des pairs à Manheim n'aura 
plus lieu; tous ceux d'ici ont refusé : c'était une idée de Calonne 
mise en avant par M. de Luxembourg, le duc. Les Autrichiens 
ont voulu enlever un bataillon de gardes nationales à Orchies ; ils 
l'ont manqué et n'ont pris qu'un canon et quelques chariots dans 
la ville. D'ailleurs tout va bien à l'extérieur. Que ne puis-je être 
aussi rassurée sur l'intérieur? Nous attendons tous les jours la poste 
avec des craintes mortelles. 

J'espère que l'Angleterre refusera la médiation qui lui a été 
demandée par M. de Chauvelin. J'ai reçu de Suède de fort bonnes 
instructions. Nous n'attendons que l'argent pour faire partir nos 
troupes. La Pologne occupe l'impératrice plus que la France; j'es- 
père cependant qu'elle fera marcher. 

Le prince de Nassau, qui est venu passer un jour ici, est fort 
mécontent d'Esterhazy. Le comte d'Aranda est toujours mauvais ; 
il semble cependant revenir un peu. On travaille au manifeste. 
J'en ai fait faire un par M. de Limon, qu'il a donné à M. de Mercy, 
sans qu'il sache que c'est de moi. Il est fort bien et tel qu'on peut 
le désirer. On ne promet rien à personne, aucun parti n'est dégoûté, 
on ne s'engage à rien, et on rend Paris responsable de la sûreté du 
roi et sa famille. On dit que le 15 août les opérations commenceront. 
Envoyez six exemplaires du Cri de la douleur, il faut l'envoyer par- 
tout. J'ai écrit hier à M. Goguelat. 



330 LE COMTE DE FERSEN 



CCXXIX. 



DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

Le 21 jaillet 1792, n*" 4. 

Je VOUS adresse aujourd'huî deux brochures, deux & M™® Sullivan 
et deux à M. de Crawford. Je suis bieu aise que vous soyez content 
des gants que je vous ai envoyés ; vous le serez sans doute aussi des 
chapeaux. 

Tous les membres du département de Paris ont donné leur 
démission. Un grand nombre de députés du côté droit ne tardera 
pas à en faire autant. M. Mathieu Montmorin a donné la sienne^ 
puis est parti pour l'Angleterre. Demain on prononcera définitive- 
ment sur le sort de M. de Lafayette ; on croit généralement qu'il 
sera décrété d'accusation. 

Le roi, la reine et Madame Elisabeth ne paraissent point dans 
le jardin qu'ils n'y soient insultés, malgré la précaution qu'on a 
prise de n'y laisser entrer que les fédérés et les personnes qui ont des 
cartes de service. Celles-ci accusent les fédérés, mais il est plus pro- 
bable que c'est un abus des cartes qu'un abus de la liberté de la part 
des fédérés. Au surplus, le bruit court, et je vous préviens que je 
ne crois pas un mot de ce que je vais vous dire (2), que les jaco- 
bins ont plus que jamais le projet de sortir de Paris avec le roi 
et de gagner les provinces méridionales : pour cet effet, dit-on, ils 
font arriver des provinces de nombreux détachements de gardes 
nationales sorties de toutes les jacobiniëres ; demain il en arrive 
huit cents de Marseille. On dit que dans huit jours le rassemblement 
sera assez fort pour l'exécution de ce projet. D'autres disent que 
les jacobins de l'Assemblée attendent le manifeste des puis- 
sances étrangères pour prendre un parti. On l'attendait cette se- 



(1) Voir pour cette lettre, toute en clair et non signée, la note à la lettre du 5 job, 
n" GO. Le comte de Fersen a écrit en marge : 24 reçu; rép. le 26. 

(2) Voir la note 2 à la lettre du 1 1 juillet, n<> CCXXVI. 



ET LA COUR DE FRANCE. 331 

maine; on ignore ce qui a pu en retarder l'envoi. Si vous aviez 
connaissance de quelques articles principaux^ vous me feriez plaisir 
de m'en faire part. De mon côté, je vous tiendrai, le plus que je 
pourrai, au courant des nouvelles de ce pays-ci. Mandez-moi si 
vous avez reçu toutes mes lettres. 

Tout ce qui vous intéresse ici se porte bien. J'ai donné de vos 
nouvelles hier au soir, on les a reçues avec plaisir; on m'a chargé 
de vous le dire et de vous engager à en donner aussi souvent que 
vous le pourrez. 

Adieu, mon cher Rignon ; je vous embrasse bien tendrement. 



CCXXX. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR 
DE SUÈDE A LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG (1). 

BruxeUes, ce 28 jmUet 1792. 

Je VOUS envoie, mon ami, les deux pièces ci-jointes, à la demande 
du baron de Breteuil ; il désire qu'elles soient mises sous les yeux 
de l'impératrice. Comme S. M. Impériale aura sans doute eu 
connaissance de la note des princes, il est nécessaire qu'elle soit 
instruite aussi des réponses que le baron de Breteuil y a faites ^ 
pour ne pas donner croyance aux bruits également faux et inju- 
rieux qu'on s'efforce & répandre sur les intentions et la conduite 
du roi et sur sa prétendue intelligence avec les constitutionnels ; 
s'il est forcé à les écouter, ce n'est que dans le dessein de ne pas 
les décourager et dans la vue de les empêcher ainsi de se réunir 
aux jacobins. S. M. Impériale elle-même doit sentir combien cette 
division est favorable aux opérations pour le rétablissement de l'au- 
torité du roi. L'apostille ci-jointe, qui contient la réponse du baron 



(1) D'après la minute de la main da comte de Feneni qni a écrit en marge : chiffre 
au baron de Stedingk, 



332 LE COMTE DE FERSEN 

de Breteail, prouve assez combien la crainte des princes, exprimée 
dans leur note^ était peu fondée. Cette note fut remise au baron 
par le prince de Nassau, qui a passé un jour ici, et c'est d'après 
le désir qu'il en a témoigné au baron de Breteuil de la part des 
princes, qu'il y a fait ses réponses. Tous les articles de cette note 
n'exigeant aucune réponse, ce n'est donc, comme vous le verrez, 
qu'au troisième et quatrième que le baron répond. 

Les Autrichiens ont fait une folle expédition sur Orchies. Us ont* 
manqué le bataillon de gardes nationales qu'ils voulaient enlever; 
depuis ils se sont campés avec 18 à 20,000 hommes à Malplaquet 
et Bavay, et on croit qu'ils ont des projets sur Maubeuge ; mais 
s'ils n'ont pas les moyens nécessaires pour s'y maintenir, cette 
opération sera plus nuisible qu'utile. Si ce projet existe, il n'a été 
formé par le duc Albert que pour avoir la gloire d'avoir fait quel- 
que chose avant les' opérations des armées combinées, et balancer 
ainsi la nullité dont il sera alors, puisqu'on ne lui laisse que 25 
à 30,000 hommes pour la défense du pays, et que le reste, aux 
ordres du général Clairfayt, composé de l'élite de cette armée, doit 
se joindre à l'armée prussienne. Les Autrichiens ont désarmé une 
vingtaine de villages en France : c'est la seule chose raisonnable 
qu'ils aient faite depuis longtemps. 



CCXXXL 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 

24 juillet 1792, n» 6. 

Dans le courant de cette semaine, l'Assemblée doit décréter sa trans- 
lation à Blois et la suspension du roi. Chaque jour produit une 
scène nouvelle, mais tendant toujours à la destruction du roi et de sa 

(1) Lettre en clair et en chiffre, déchiffrée de la main du comte de Fersen, qui a écrit 
en marge : chiffre de la reine, 24t juillet. Voir ponr cette lettre la note à la lettre da 5 juin, 
n*» 00. 



ET LA COUR DE FRANCE. 333 

famiUs; des pétitionnaires ont dit, à la barre de f Assemblée^ que si an 
ne le destituait, ils le mc^ssacreraient. Bs ont eu les honneurs de la 
séance. Dites donc à M. de Mercy que les jours du roi et de la reine 
sont dans le plus grand danger; qu'un délai et un jour peut produire 
des malheurs incalculables, q%iil fa\d envoyer le manifeste sur-l^ 
champj qu'on (attend avec une extrême impatience, que nécessaire- 
ment il ralliera beaucoup de monde autour du roi et le mettra en 
sûreté; qu'autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre 
heures .\ la troupe des assassins grossit sans cesse. 

\_En clair.'] 

J'ai employé le reste des fonds, dont voilà Tétat exact, en deux 
maisons d'un assez bon produit et presque neuves. La première 
consiste en un principal corps de logis an fond de la cour, 
élevé d'un étage au-dessus du rez-de-chaussée, et un comble lam- 
brissé couvert en tuiles ; un autre corps de logis à gauche, servant 
de remise et écuries et avec une boutique sur la rue^ grenier à 
fourrage au-dessus, aussi couvert en tuiles. 

Ladite maison a son entrée par une porte cochère et xme cour 
pavée eu grès ayant puits et aisances. 

La seconde consiste en un corps de logis ayant son entrée par 
une allée et composé de deux boutiques, arrière-boutiques, escalier 
et cour derrière avec aisances et puits mitoyen au-dessus duquel est 
pratiqué un éclusoir conmiuniquant les eaux de ladite maison. Le 
tout est élevé de cinq étages carrés avec caves au-dessous, et 
chambres de domestiques lambrissées dans le comble, qui est 
couvert en tuiles. 

» 

Chaque étage est distribué en deux petits appartements . composé 
chacun de deux pièces à cheminées et une autre pièce aussi à chemi- 
née, dégageant sur l'escalier, et lieux à l'anglaise. 

Ces deux maisons peuvent être louées 9,500 livres, ainsi vous 
voyez que vos fonds ne sont pas mal placés. 

Mandez-moi si vous avez reçu les quatre numéros précédents. Il y 
a deux jours qu'on m'a remis une lettre de vous que j'ai fait passer 
à son adresse. Vous avez dû recevoir les six brochures que vous 
m'avez demandées. 



334 LE COMTE DE FERSEN 



CCXXXIL 



DE MONSIEUR DE CARISIEN, ENVOYÉ DE SUÈDE A LA COUR DE 

BERLIN, AU COMTE DE FERSEN (1). 



Berlin, ce 24 de jniUet 1792. 

[En clair.'] 

Monsieur le comte, J'ai rhonneur de vous faire mes siocères remer- 
cîments de votre lettre du 2 de ce mois, et des notions qu'elle 
renferme, tant sur les événements arrivés à Paris, que sur l'éva- 
cuation et l'incendie de Courtray. Nous sommes dans l'attente jour- 
nalière d'apprendre comment le 14 se sera passé à Paris. Après le 
discours de M. Brissot et la fermentation qui régnait dans les es- 
prits , on pouvait prévoir les démarches les plus hardies contre la 
personne du roi. Il faut espérer que la vengeance ne sera plus 
éloignée. Le roi de Prusse vient de faire publier un exposé pour 
mettre sous les yeux de l'Europe les motifs qui l'engagent à pren- 
dre les armes contre la France. Comme cette pièce sera imprimé 
dans toutes les gazettes, je me dispense de vous l'envoyer. 

[En chiffre^ 

La communication officielle qui me ftit faite dernièrement, au 
sujet de la résolution de S. M. Prussienne de prendre les armes 
contre la France, ayant donné lieu à un entretien entre le comte de 
Finkenstein et moi, sur la conduite moins active que les circons- 
tances prescrivent dans cette occasion à la Suède, j'ai cru m'a- 
percevoir toujours davantage que, malgré la démarche faite à la 
cour de Stockholm par celles de Vienne et de Berlin, pour inviter 
la Suède à se joindre au concert proposé aux puissances , l'on n'a 
même jamais désiré ici tout de bon de voir effectuer le concours 



(1) D'après la lettre 'originale en clair et en chiffre, âéchif&ée par un secx^taire du comte 
de Fereen, qui a écrit en marge : 80 reç»; rip, 2 aoùL 



^ 



ET LA COUR DE FRANCE. 336 

général dont ^ il était question d'abord. Il paraît que l'on s'est 
persuadé, dès le premier moment, que les forces réunies de l'Au- 
triche et de la Prusse seraient plus que suffisantes pour venir à 
bout de l'entreprise, et que l'on a cru que le nombre des parties 
coopérantes pourrait gêner l'exécution ainsi que les plans de dé- 
dommagement qu'on se sera formés d'avance. Quoi qu'il en soit, il 
est certaiti que, depuis la funeste catastrophe arrivée à Stockholm 
par la mort de feu le roi, on n'a plus cru possible que la Suède 
serait de la partie. L'on n'ignorait pas d'ailleurs que les arrange- 
ments faits entre feu S. M. et l'impératrice de Russie portaient 
sur un secours pécuniaire à fournir par l'Espagne, et depuis la révo- 
lution • survenue dans le ministère de la cour d'Espagne, l'on a 
prévu bientôt les changements qui en seraient la conséquence. Le 
roi de Prusse, sans s'étendre sur ces détails, me fit sentir cepen- 
dant, en termes généraux, lors de l'audience que j'eus auprès de 
lui, avant son départ, qu'il entrait parfaitement dans la position 
particulière du duc de Sudermanie, qu'il savait qu'à l'égard des 
affaires de France ce prince adhérait aux sentiments de feu le roi, 
mais qu'il trouvait également que les circonstances ne permettraient 
guère que S. A. Royale pût prendre une part active aux mesures 
auxquelles la Prusse et l'Autriche allaient se porter. Le moment 
approche maintenant où l'on pourra juger du plus ou du moins de 
succès qu'aura la grande entreprise, ainsi que des véritables vues 
des deux puissances qui s'en sont chargées ; peut-être même que 
l'entrevue qui a lieu ces jours-ci, entre l'Empereur et le roi de 
Prusse, aura déjà mis au jour ce qu'il y avait encore d'obscur sur 
les intentions secrètes de la cour de Vienne. Beaucoup de personnes 
ici pensent qu'en tout cas le roi de Prusse pourrait bien ne pas 
rester longtemps à l'armée, où sa présence ne laisserait pas de 
gêner le duc de Brunswick, auquel on a confié le commandement 
et tout ce qui y a rapport. 

[_En clair.'] 

J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute considération. 

Monsieur le comte. 
Votre très-humble et très-obéissant serviteur, 

DE Carisisn. 



336 LE COMTE DE FERSEN 



CCXXXIII. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

N"» 14. BruxeUes, ce 26 juillet 1792. 

J'ai reçu vos lettres, la dernière n° 4, et celle du 7 sans numéro. 
On a déjà averti de n'ajouter foi qu'à ce qui viendrait par le baron 
de Breteuil. Vous avez très-bien fait de ne pas vous laisser emmener 
par Lafayette et les constitutionnels. Nous n'avons cessé de presser 
sur le manifeste et sur les opérations ; elles commenceront le 2 ou 3 
août. Le manifeste est fait, et voici ce qu'en dit au baron de Breteuil 
M. de Bouille, qui l'a vu : On suit entièrement vos principes, et j'ose 
dire les nôtres j pour le manifeste et le plan général, malgré Us intrigues 
dont j'ai été témoin^ et dont j'ai ri^ étant bien sûr, diaprés ce que je 
savais, qu'elles ne prévaudraient pas. — H est à Mayence, fort bien 
traité par le duc et le roi ; le vicomte de Caraman aussi ; il a été fait 
major au service de Prusse, pour pouvoir, sans inconvénient, suivre 
le duc et le roi, mais il est traité comme ministre de France. — Nous 
avons insisté pour que le manifeste soit menaçant, surtout pour ce 
qui regarde la responsabilité sur les personnes royales , et qu'il n'y 
soit jamais question de constitution ou de gouv. — Schoulembourg a 
écrit au baron (2) que le roi (3) n'entendra à aucune négociation et 
qu'il veut la liberté du roi (4). Ils ont fait imprimer un exposé suc- 
cinct des raisons qui leur font faire la guerre, que je vous envoie, qui 
est assez bien fidt. — Voici le projet du baron pour le ministère : il 
veut qu'il soit tout dans sa main, pour éviter les contradictions; £1 
donne \à. guerre à La Gallissonnière, qui, dit-il, lui a fourni de très- 
bonnes idées, la marine à du Moutier, les sceaux à Barentin, les 
affaires étrangères à Bombelles, Paris à La Porte et \Q^fina7u:es à 



(1) Copié sur la minute de la main du comte de Ferseni qui a écrit en marge : à la 
rtine en ft/one, par Toêc, 

(2) De Breteuil. 
(8) De PnuBse. 
(4) De France. 



ET LA COUR DE FRANCE. 337 

révoque de Pamiers pour éviter les systèmes et y avoir un homme 
d'ordre et ferme, avec un conseil de finances composé de six personnes : 
la Tour, Damecaurt, un négociant, probablement Fouache du Havre ; 
je ne me rappelle pas des autres. Mandez-moi au plus tôt ce que vous 
en pensez. Il laisse la Vauguyon en Espagne et Saint-Priest en 
Russie. Nous sommes parvenus à exclure la Marck des affaires, et à 
empêcher qu'il ne fût envoyé par l'empereur, pour résider près du duc 
de Brunswick. Le roi de Prusse n'a pas voulu de M. de Mercy à la 
conférence, il lui attribue la conduite lente, molle et double de Vienne. 
Les émigrés seront séparés en trois corps pour agir avec les armées, 
mais ils ne seront pas à l'avant-garde comme ils l'avaient demandé, 
et on ne les laissera pas agir seuls ; j'ai fortement insisté là-dessus. 
Les princes restent avec le roi de Prusse ; le prince de Condé avec le 
prince Hohenlohe, l'Autrichien, et M. d'Egmont, qui commande le 
3® corps , avec le général Clairfay t. Le maréchal de Castries se vante 
d'avoir une communication directe avec le roi ; il l'a même fait sentir 
au baron. C'est d'ailleurs un pauvre esprit en affaires. 



CCXXXIV. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

Bruxelles, ce 28 juillet 1792. 

Je reçois dans ce moment la déclaration du duc de Brunswick, elle 
est fort bien; c'est celle de M. de Limon, et c'est lui qui me l'envoie : 
pour éviter tous les soupçons, je ne vous l'envoie pas, mais M. Cr. (2) 
l'envoie à l'ambassade d'Angleterre à milord Kery, il la donnera 
sûrement à M. de Lamb. (3). Voici le moment critique, et mon âme 



( 1 ) Copie de la minute de la main du comte de Fenen, qui a écrit en marge : à la 
reine en blanc, par Toec. 
(2) Crawford. 
(S) Lambesc. ^ 

T. II. 22 



338 LE COMTE DE FERSEN 

en frémit. Dieu vous conserve tous, c'est mon unique vœu. S'il était 
utile que vous vous cachiez jamais, n'hésitez pas, je vous prie, à 
prendre ce parti; cela pourrait être nécessaire, pour donner le temp 
d'arriver à vous. Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre, attenant 
à l'appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous 
pourriez vous en servir. 

C'est aujourd'hui que le duc de Brunswick se met en mouvement ; il 
lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. On croit générale- 
ment que les Autrichiens vont faire une tentative sur Maubeuge. 



CCXXXV. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE TAUBE (1). 

Bruxelles, ce 29 juillet 1792. 

[En clair.'] 

Mon cher ami, Je vous envoie la déclaration du duc de Brunswick, 
vous en serez content ; et, pour que vous l'ayez plus tôt, je vous l'a- 
dresse à Krageholm, où vous serez peut-être encore. 

[En chiffre,'] 

C'est moi qui l'ai fait faire par M. de Limon, celui qui était 
autrefois au duc d'Orléans. Vienne n'en est pas content. Jusqu'à pré- 
sent tout va bien, et la Prusse se conduit à merveille, et contiendra, 
j'espère, l'Empereur. 



( 1 ) D'après la lettre originale toute autographe , déchiffrée par le baron de Taube ; dans 
les papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 33y 



\_En clair,'] 

J'attends avec impatience des nouvelles de Paris. Voici le moment 
critique pour]eux ; Dieu les conserve ! Votre dernière était du 11 . Oui, 
mon ami, tout ce que vous me dites sur notre cher et malheureux 
[roi] est bien vrai, et m'a vivement touché; tous les jours il me 
semble que je le regrette davantage, et je ne puis jamais me consoler 
de sa perte. Je le regretterai et le pleurerai toute ma vie. Adieu ; 
aimez toujours un ami qui ne cessera de vous chérir tendrement. 



CCXXXVI. 



DE LA REINE MARIE- ANTOINETTE AU COMTE DE FERSEN (1). 



Le 1« août 1792, n<» 7. 



lEn clair,'] 



J'ai reçu votre n* 14 du 26 juillet avec l'imprimé qui y était joint. 
J'ai terminé aussitôt l'affaire dont vous m'entretenez ; il ne s'agit 
plus que de m'envoyer les fonds nécessaires pour l'acquit de mes 
engagements, et je crois qu'il faut faire en sorte de les envoyer en 
numéraire, parce qu'il y a beaucoup à gagner à l'échange en assignats. 

Je n'ai pas encore trouvé à louer vos maisons. Les troubles de Paris 
font fuir tous les gens qui pourraient les habiter. L'assassinat de 
M. Desprémenil, l'arrivée d'une grande quantité d'étrangers très- 
suspects et la crainte du pillage de Paris sont les principales causes 
de l'émigration. Les personnes qui ne sortent point de France se 
retirent à Rouen et dans les environs. L'événement du 30 a augmenté 
les inquiétudes, irrité partie de la garde nationale et découragé l'autre. 



( 1 ) Yoir pour cette lettre la note à la lettre du 5 juin, n? CC. Le comte de Fersen a 
écrit en marge : 6 août reçu, rép. 7 août. 



340 LE COMTE DE FERSEN 

On s'attend à une catastrophe prochaine ; l'émigration redouble. Les 
gens faibles avec des intentions pures , ceux qui n'ont qu'un courage 
incertain et de la probité se cachent ; les malintentionnés seuls se 
montrent avec audace. Il faut une crise pour faire sortir la capitale 
de l'état de contraction où elle se trouve ; chacun la désire, chacun la 
veut dans le sens de ses opinions, mais personne n'ose en calculer 
les effets dans la crainte de trouver un résultat en faveur des scélérats. 
Quoi qu'il arrive, le roi et les honnêtes gens ne laisseront porter 
aucune atteinte è. la constitution, et, si elle est renversée, ils périront 
avec elle. 

Vos amis se portent bien, ils vous font mille compliments et dési- 
rent ardemment vous voir bientôt. 

P. S. Le ballot que j'ai mis pour vous à la diligence porte le 
n** 141 (1), et chaque pièce d'étoffe les lettres ci-après. 



\_En chiffre,'] 



Il y a du blanc. 



\^En encre sympathiqite,'] 



La vie du roi est évidemment menacée depuis longtemps, ainsi que 
celle de la reine. L'arrivée et environ 600 Marseillais et d'une quantité 
(Vautres députés de tous les clubs des jacobins augmente bien nos inquiet 
tudes, malheureusement trop fondées. On prend des précautions de toutes 
espèces pour la sûreté de LL. MM., mais les assassins rôdent conti^ 
nuellem>ent autour du Château; on excite le peuple; dans une partie de 
la garde nationale il y a mauvaise volonté, et dans l'autre Jaiblesse et 
lâcheté. La résistance qu'on peut opposer aux entreprises des scélérats 
n'est que dans quelques personnes décidées à faire un rempart de leurs 
corps à la famille royale^ et dans le régiment des Gardes-Suisses. L' af- 
faire qui a eu lieu le 30^ à la suite dun dîner aux Champs-Elysées, 
entre 180 grenadiers d^ élite de la garde nationale et des fédérés mar- 
seillais, a démontré clairement la lâcJieté de la garde nationale et le 
peu de fond qu'il faut faire sur cette troupe, qui ne peut réellement en 

^^^-^^^^— ■ ■ ■ 1 1 ■ - ■ ■ ■ — ■_ — ■ — — — . — ^ ^ ^ 

(1) Ce nombre indique la clef da chiffre ci-après. 



ET LA COUR DE FRANCE. 341 

imposer que par sa masse. Les 180 grenadiers ont pris la fuite; il y 
en a deux ou trois de tués et une vingtaine de blessés. Les Marseillais 
font la police du Palais-Royal et du jardin des Tuileries, que V Assem- 
blée nationale a fait ouvrir. Au milieu de tant de dangers j il est difficile de 
s'occuper du choix des ministres. Si on obtient un moment de tranquillité, 
je vous mxmderai ce qu'on pense de ceux que vous proposez. Pour le 
Tooment il faut songer à éviter les poignards et à déjouer les conspira- 
teurs qui fourmillent autour du trône prêt à disparaître. Depuis long- 
temps les factieux Tie prennent plus la peine de cacher le projet et anéantir 
la famille royale. Dans les deux dernières assemblées noctumeSy on ne 
différait que sur les mxyyens à employer. Vous avez pu juger par une 
précédente lettre combien il est intéressant de gagner vingt-quatre heures; 
je neferai que vous le répéter aujourdhui, en ajoutant que si on n^ arrive 
pas, il n'y a que la Providence qui puisse sauver le roi et sa famille. 



CCXXXVII. 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (1). 

No 16. Braxelles, ce 3 août 1792. 

J'ai reçu le n° 5. Vous avez déjà le manifeste, et vous devez en 
être content. M. de Limon, qui Ta fait, a du mérite; il a été traité à 
merveille par le roi de Prusse, l'Empereur et leurs ministres, même 
par les princes. Le comte d'Artois lui a parlé à merveille sur l'inten- 
tion où il était d'obéir aveuglément au roi et aux ministres qu'il 
choisirait. Il lui a dit que Galonné le quittait, qu'il lui avait fait sentir 
qu'il était impossible de l'employer à rien , puisque le roi de Prusse 
et l'Empereur avaient déclaré ne pas vouloir traiter avec lui, et que 
leurs ministres n'avaient pas même voulu le voir. Galonné va en Italie. 
Le duc de Brunswick vient de donner une déclaration additionnelle 



( 1} Copie de la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la reine 
en UanCj par Tok, 



342 LE COMTE DE FERSEN 

très-forte, où il somme toutes les villes et villages de s'opposer au 
passage du roi, de la reine et de la famille, si les factieux tentaient 
de les amener, et les rend responsables du manque d'obéissance. 
— Il vous faudra de l'argent dans le premier moment. Combien en 
avez-vous â Londres? Arrangez-vous pour qu'il soit disponible d'un 
moment à l'autre, lorsqu'il sera certain que vous êtes libre. Consentez- 
vous qu'on mette en gage vos diamants? Croyez que si cela n'est pas 
nécessaire, cela ne sera pas, et je l'empêcherai. Il faudrait emporter 
les diamants de la couronne. Le baron (1) me dit que la Balue est 
un honnête homme qui lui est entièrement dévoué, et, qu'en le flat- 
tant un peu et lui parlant du baron , il donnerait un ou deux millions. 
Voyez si vous pouvez ou osez lui faire parler. Je m'occupe à vous 
3n trouver en Angleterre, et peut-être de la poche du roi. Répondez- 
moi au plus tôt. Quand les armées seront en France, j'irai voir pour 
un jour le roi de Prusse et le duc de Brunswick ; le baron aussi. Parmi 
toutes mes peines, j'ai encore eu celle de perdre mes deux chiens ; ils 
ont été empoisonnés le même matin, et sont morts à la fois. Cette 
perte m'a été très-sensible, ils m'étaient précieux. 

Si le duc de Brunswick arrive à Paris, il faudra le loger au Châ- 
teau, cela vaudra mieux que partout ailleurs. Si vous pouviez trouver 
un moyen sûr de sortir de Paris , prenez ce parti ; mandez-moi si vous 
le voulez , et nous en trouverons peut-être ; cela serait essentiel. 



CCXXXVIIL 

DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (2). 

N° 17. Bruxelles, ce 7 août 1792. 

J'ai reçu votre n° 7, le n° 6 manque. Mon inquiétude est extrême, 
et le peu de fond qu il y a à faire sur la garde nationale, même la 



( 1 ) De Breteail. 

( 2 ) Minute de la main du comte de Feraen, qui a écrit en marge : à la reine en Wanc, 
par Totc, 



ET LA COUR DE FRANCE. 343 

partie bien intentionnée, me désespère. J'ai toujonrs été convaincu 
qu'on ne pouvait pas plus compter sur eux que sur les gens bien 
intentionnés de Paris, qui craignent de se mettre en avant, de peur 
d'avoir une égratignure, et qui se bornent à faire des vœux, tandis 
que les scélérats agissent. Je les ai toujours vus de même, et cette 
certitude m'a toujours fait trembler. Nous pressons le plus que nous 
pouvons les opérations, et la volonté prussienne est parfaite ; celle 
de l'Empereur personnellement l'est aussi, mais il n'est pas aussi bien 
secondé par son ministère. Mercy a perdu près de lui presque toute 
çon influence, l'archiduchesse aussi, et M. de Metternich, qui revient 
de Frankfort et qui pense bien, a des pleins pouvoirs. On croit d'a- 
près cela qu'elle partira. La Marck a été écarté de tout par le roi de 
Prusse, comme tenant à M. de Mercy. L'armée prussienne est arrivée 
le 6 à Trêves ; elle s'y arrête quelques jours pour avoir du pain et des 
fourrages. Cela retarde un peu sa marche, mais le 15 ou le 16 le duc 
de Brunswick entre en France, avec toutes ses forces. Je tremble pour 
ce ihoment, et je ne cesse de faire des vœux ; que ne puis-je faire da- 
vantage ! 

On a fait une grande faute de ne pas envoyer la déclaration d'une 
manière officielle. Personne n'y avait pensé ; j'en ai fait sur-le-champ 
l'observation et indiqué une manière. J'espère qu'on l'aura adoptée et 
que cela est fait. 

Simolin est de retour. Il a dit que les 18,000 Busses doivent partir 
de Varsovie, et qu'il les croit déjà en marche. Il dit que Vaudreuil a 
fait tout ce qu'il a pu à Vienne pour noircir le baron (1) et Bombel- 
les, et qu'il y avait réussi, de même que Calonne a réussi à Péters- 
bourg ; que l'impératrice était très-prévenue contre eux et pour les 
princes ; qu'il l'a un peu ramenée. — C'est le duc de Bourbon qui 
commande à la place de M. d'Egmont, mais les émigrés sont telle- 
ment dépourvus de tout qu'il n'y en aura peut-être qu'un quart qui 
pourra suivre les opérations. Le duc de Brunswick en est déjà très-fa- 
tigué. Les princes veulent absolument faire un manifeste. Nous tâchons 
de l'empêcher, mais je ne sais si nous y parviendrons. 

(1) DeBreteuU. 



344 LE COMTE DE FERSEN 



CCXXXIX. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR DE SU&DE 

A SAINT-PETERSBOURG (1). 

Bruxelles, ce 9 août 1792. 

Les dangers imminents auxquels le roi et la reine de France sont 
exposés, et la certitude que nous avons du projet des factieux d'at- 
tenter à leurs jours , ou du moins de les emmener dans la partie 
méridionale de la France, après avoir fait prononcer la déchéance 
du trône, — nous ont engagé à tenter encore un moyen de les sauver, 
s'il est possible ; et le baron de Breteuil a envoyé ce matin Tévêque 
de Pamiers à Londres , avec des lettres pour M. Pitt et lord Gren- 
ville, où il demande à Tamitié du roi d'Angleterre, et à l'intérêt que 
la situation de LL. MM. T. C. doit inspirer à toute âme sensible, de 
vouloir signifier à M. de Chauvelin et faire déclarer, par son ambas- 
sadeur à Paris, que, quoique S. M. Britannique soit décidée de ne 
pas se départir du système de neutralité qu'elle a adopté , elle ne 
souffrira aucun attentat contre les personnes de LL. MM. T. C. et 
de leur famille, et que, dans le cas où les factieux voudraient atten- 
ter à leurs jours, elle se réunirait aux puissances coalisées pour en 
tirer une vengeance éclatante. 



(1) Minute autographe de la Hiaizi du comte de Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 345 



CCXL. 

I 

DU COMTE DE FBRSEN A LA REINE MARIE- ANTOINETTE (i). 

No 18. Bruxelles, oe 10 août 1792. 

J'ai engagé le baron (2) à faire une démarche auprès de M. Pitt 
pour engager le roi d'Angleterre à déclarer qu'il vengera d'une ma- 
nière éclatante tout attentat contre vos personnes. L'évêque y est allé 
pour cela. Les dangers que vous courez m'ont fait adopter cette 
mesure^ peut-être inutile; mais pour un objet aussi intéressant, il faut 
tout tenter. L'idée est de M"* SuU : le baron y était contraire, la 
regardant comme inutile; mais il l'a adoptée ensuite, quand je la lui 
ai bien détaillée. M. Crawford était prêt à y aller, mais nous avons 
trouvé ensuite que, comme compatriote, il rencontrerait peut-être des 
obstacles, et que l'évêque ferait plus d'eflfet. Mon projet était d'y 
aller, mais quand on m'a représenté que je pourrais être plus utile, 
j'ai abandonné ce projet qui satisfaisait bien mon cœur. Mon inquié- 
tude pour vous est extrême ; je n'ai pas un moment de tranquillité, et 
je n'ai de consolation que de voir mes inquiétudes vivement partagées 
par M. C. (3), qui n'est occupé que de vous et des moyens de vous 
servir. 

C'est toujours le 15 que le duc de Brunswick entre. Le prince Ho- 
henlohe a eu des succès. On le croit devant Landau, et on croit que 
la place se donnera à lui. Le duc Albert est entré en France avec 
toutes ses forces; on croit qu'il a des projets sur Coudé ou Maubeuge. 
Je regrette bien que vous ne soyez pas sortis de Paris. 



( 1 ) Minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : à la reine en blanc, 
par TVwc. 

(2) DeBreteniL 
( 3; Crawford. 



346 LE COMTE DE FERSEN 



CCXLL 

■ 

BULLETIN SUR CE QUI s'eST PASSÉ LE 10 AOUT 1792 A PARIS, A LA 

PRISE DES TUILERIES (1). 

Le 11 août 1792. 

Le roi et la famille royale sont en sûreté pour le moment. Personne 
ne le croyait hier; on l'espère aujourd'hui. Pour le moment, le roi 
€st déchu de toutes ses fonctions. L'Assemblée l'a pris avec la famille 
royale soiis sa protection. Vous verrez les détails dans les papiers. 

Aucune parole ne peut rendre l'horreur de la journée d'hier. Tout 
Paris entendait tirer sur le Château sans savoir que la famille royale 
était à l'Assemblée. On évalue le massacre des Suisses par le peuple à 
700 et la populace tuée par le feu des Suisses à 600, dont 200 Mar- 
seillais, qui ont tout fait avec les fédérés. 

Comme l'événement des Tuileries est arrivé au moment où on 
pendait les malheureux aux Feuillants, dès qu'on entendit le canon, 
on quitta pour s'y porter ; il y en avait encore dix-neuf qui avaient été 
pendus, c'est-à-dire mutilés, car on ne leur coupait la tête qu'après les 
avoir fait mourir sous le bâton. Personne ne sait encore qui ils sont; 
mais certainement tous gens distingués. Cette nuit, on a mené à l'Ab- 
baye les oflSciers suisses qui restaient à Courbevoie. Tous ceux qu'il 
y en avait dans Paris ont péri, et en ce moment, supposant qu'il 
peut y en avoir dans les souterrains du Château, on les remplit d'eau. 
Passé 7 heures du soir, on aurait cru qu'il y avait une réjouissance 
publique ; on entend partout chanter, les cabarets étaient pleins. 

On dit que M. Pétion s'était fait consigner chez lui par les sans- 
culottes ; on le dit, mais je ne puis le croire. H est constant qu'il n'a 
paru que lorsque tout était fini. On frémit de l'idée que la famille 
royale aille au Luxembourg. 



( 1 ) En chifEre, du S' Bergstedt, chargé dea affaires de Suède 4 Paris; déchiffrée par un 
secrétaire du comte de Fersen, qui a écrit eu marge : 14 <ioùt 179 2, reçu. 



ET LA COUR DE FRANCE. 347 



CCXLII. 

DE M. DE NICOLAY AU BARON DE BRETEUIL (1). 

Paris, ce 11 août 1792. 

Vous aurez assez de détails de tout ce qui s*est passé hier. Tocsin 
et générale sonné et battue partout. M. Pétion dans le Château à 11 
heures, envoyé chercher par l'Assemblée à minuit passé. Précautions 
prises dans les Tuileries très-bonnes jusqu'à 5 heures, alors arrivée 
de diverses troupes; à 5 heures et demie, descente du roi pour voir 
les postes, même celui du pont Tournant. De retour au Château, les 
assiégeants arrivent par le guichet, se mettent en bataille dans le 
Carrousel ; ils avaient dix pièces de canon qu'ils braquèrent devant les 
différentes portes, et restèrent tranquilles pendant longtemps. A 
8 heures , le roi et toute la famille royale demandés par décret de 
l'Assemblée, ils s'y rendent sous forte escorte, ce qui dégarnit d'au- 
tant le Château. Le maréchal de Mailly y commandait, M. de Bouf- 
flers (?) ; point d'ordres donnés et beaucoup de désordre. Les fédérés en 
assez grand nombre, pendant que la famille royale gagnait l'Assemblée, 
entrèrent sur la terrasse des Feuillants, braquèrent deux pièces de 
canon contre le Château, il y en avait six sur la terrasse. Aucun ordre 
donné. Les canonniers réciproques finissent par se joindre et s'assurer 
les uns des autres. Le roi allait monter sur la terrasse pour entrer à 
l'Assemblée ; il passe dans ce moment un détachement de piques et 
trois têtes au bout, je les ai vues. Le roi, entré à l'Assemblée, la porte 
du Château fut jetée à bas ; on fit relever ceux qui la gardaient, on en 
encombrait d'autant le Château: Les fédérés encore dans la cour se 
mirent en bataille de droite et de gauche, s'emparent du canon, de- 
mandent les Suisses ; les fédérés tirèrent les premiers ; alors un moment 
de fusillade très-vive des fenêtres du Château. Les fédérés se sauvèrent 
au Carrousel. Deux compagnies suisses descendirent jusqu'à la grande 
porte, reprirent le canon, mais nul ordre donné pour les soutenir. 



( î) D'après une lettre déchifErée que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fersen, 
•qui a écrit en marge : 14 aoât 1792, reçu. 



; 



348 LE COMTE DE FERSEN 

Beaucoup de personnes se sont retirées. Comme les Suisses n'ont pas 
été soutenus, la garde nationale, qui était avec eux, doit avoir assez 
souffert. Le nombre des morts doit être considérable ; il s'est commis 
des horreurs partout. M. de Clermont-Tonnerre , ancien député, était 
parti le matin ; ramené au district de la Croix-Bouge, il a été massacré 
à la porte de l'Abbaye- aux-Bois. — Le roi a été suspendu ; la liste 
civile en séquestre ; le ministère n'ayant point la confiance nationale, 
il est tout nommé au scrutin. Une commission aéra aussi nommée 
pour juger S. M. Toute la famille royale a dû coucher aux Feuillants, 
et sera gardée pour servir d'otage à tout événement. 

On a brûlé tous les établissements qui avaient été faits pour la 
garde au Château, qui lui-même a été criblé de coups de canon. 



CCXLIIL 

DE M. DE SAINTE- FOIX AU BARON DE BRETEUIL (1). 

Paris, ce 11 août 1792. 

La journée d'hier a fourni presque tous les résultats que je vous ai 
annoncés, au milieu du tumulte par lequel elle a été commencée. Le 
Château n'a point été incendié, ce ne sont que les baraques et petits 
bâtiments accessoires que le mauvais goût et de faux besoins avaient 
élevés entre les cours et le Carrousel. Les appartements ont été pillés, 
surtout celui de la reine ; on a un peu plus respecté celui du roi. 
Beaucoup d'effets précieux ont été rapportés à la visite dans l'Assem- 
blée, et notamment une caisse couverte en velours, dans laquelle était 
une figure de saint ou de sainte en argent, qui servait sans doute & 
la dévotion de la reine. Les caves ont été enfoncées et plus de dix 
mille bouteilles de vin, dont j'ai vu les débris dans la cour, ont telle- 
ment enivré le peuple que je me suis pressé de terminer une enquête 



( 1 ) D'après une copie que le barou de Breteuil a envoyée au comte de Fenen ; dans les 
papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 349 

assez imprudemment entreprise, au milieu de deux mille ivrognes, 
ayant des armes nues qu'ils maniaient très-maladroitement. Je crois 
qu'il reste aujourd'hui bien peu de Suisses ; ce qui n'est pas clair, 
c'est de savoir qui d'eux ou de la populace a conmiencé à tirer. Le roi 
n'est point déchu, mais seulement suspendu, comme l'année dernière, 
et l'Assemblée a fait sur-le-champ rentrer dans le ministère les Cla- 
vière, Roland et Servan. H en faut encore trois qu'où prendra dans 
le même sens. La famille royale a été conduite au Luxembourg, et 
nous allons avoir cette Convention nationale dont j'avais l'idée, mais 
que j'aurais voulu convoquée par le roi et sur d'autres principes qu'elle 
ne sera probablement, c'est-à-dire que j'aurais voulu qu'elle ne fût 
composée que de propriétaires. On abat les statues des places publi- 
ques, ce qui est ime vraie barbarie. 

Danton, ministre de la justice, dit-on, et Le Brun, un des commis 
des affaires étrangères, ministre. 

Tous les 800 gardes suisses sont massacrés. 



CCXLIV. 

DU COMTE DE FERSBN AU ROI DE SUÈDE (1). 

Bruxelles, ce 12 août 1792. 

Sire, 

Les dangers imminents auxquels le roi et la reine de France sont 
exposés, et la certitude du projet des factieux d'attenter à leurs jours, 
par tous les moyens possibles, ou de les emmener dans la partie méri- 
dionale de la France, s'ils peuvent faire prononcer la déchéance du 
trône, ont engagé le baron de Breteuil à tenter encore un moyen de 
les sauver, s'il est possible. H a envoyé pour cet effet l'évêque de 
Pamiers en Angleterre avec des lettres pour M. Pitt et lord Grenville, 



(1) D'apite la minute de la main du comte de Feraen, qui a écrit en marge : chiffre, 



au rm. 



350 LE COMTE DE FERSEN 

dans lesquelles il demande à l'amitié du roi d'Angleterre, et à l'in- 
térêt que la situation de LL. MM. T. C. doit inspirer à toute ftme 
sensible, de vouloir signifier à M. de Chauvelin et faire déclarer, par 
son ambassadeur à Paris, que, quoique S. M. Britannique soit décidée 
à ne pas se départir du système de neutralité qu'elle a adopté pour 
les affaires de France, elle ne souffrira aucun attentat contre les 
personnes du roi, de la reine ou de la famille royale, et que, dans le 
cas où les factieux voudraient attenter à leurs jours, à leur sûreté ou 
à leur liberté, elle se réunirait aux puissances coalisées pour en tirer 
une vengeance éclatante. 

Dès que l'évêque de Pamiers sera de retour, j'aurai l'honneur d'ins- 
truire V. M. du succès de cette démarche. 



CCXLV. 

DÉPÊCHE DE M. PITT, CHANCELIER DE l'ÉCHIQUIER DE LA GRANDE- 
BRETAGNE, A l'ambassadeur de s. m. LE ROI DE LA GRANDE- 
BRETAGNE A PARIS (1). 

Whitehall, ce 17 août 1792. 

Milord , 

Pendant l'absence de lord GrenvUle, j'ai reçu et mis sous les yeux 
du roi la dépêche de V. E. n° 40 par Merley. S. M. apprend, avec la 
plus profonde sollicitude, jusqu'à quel point les excès ont été portés 
à Paris, et les conséquences déplorables qui en put été la suite, et qui 
affectent doublement S. M. tant par le sentiment invariable que 
S. M. éprouve pour les personnes de LL. MM. T. C. et l'intérêt qu'elle 
prend à leur bonheur, que par les vœux qu'elle forme pour la tran- 
quillité et la prospérité d'un royaume avec lequel elle est en amitié. 



(1) D'après une traduction française de la main du comte de Fersen, d'après une copie 
en anglais envoyée an baron de Breteuil, de la part du cabinet de Londres, et reçue par 
l'évêque de Pamiers, le 21 août 1792. 



ET LA COUR DE FRANCE. 351 

Dans les circonstances présentes, comme il paraît que le pouvoir 
exécutif a été ôté à sa S. M. T. C, les lettres de créance par lesquelles 
V. E. a été accréditée jusqu'à présent ne sont plus valables, et S. M. 
juge convenable, par cette raison de même que conforme aux principes 
de neutralité que S. M. a observés jusqu'à présent, que vous ne 
restiez plus à Paris. C'est donc le bon plaisir de S. M. que vous quit- 
tiez Paris , et que vous reveniez en Angleterre aussitôt que vous le 
pourrez, après vous être procuré les passeports nécessaires. 

Dans toutes les conversations que vous pourriez avoir, avant votre 
départ, vous aurez soin de tenir un langage conforme aux sentiments 
ci-dessus énoncés, et vous chercherez particulièrement toutes les occa- 
sions d'exprimer que, quoique S. M. entende adhérer strictement aux 
principes de neutralité pour tout ce qui regarde l'établissement du 
gouvernement intérieur de la France, elle ne regarde pas comme une 
déviation de ces principes de manifester, par tous les moyens qui 
sont en son pouvoir, sa sollicitude pour la situation personnelle de 
LL. MM. T. C. et de leur famille, et l'espoir sérieux qu'ils seront au 
moins à l'abri de tous les actes de violence, ce qui ne pourrait man- 
quer de produire dans tous les pays (Je l'Europe un sentiment uni- 
versel d'indignation. 



CCXLVI. 

DU COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1). 

Bruxelles, ce 22 août 1792. 

Sire, 

L'évêque de Pamiers, dont j'ai eu l'honneur de mander à V. M. le 
voyage à Londres, dans ma dépêche du 12, est de retour depuis hier. 
La demande dont il était chargé et les derniers événements qui ont 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : chiffrty 
au rai de Stiède, 



352 LE COMTE DE FER8EN 

eu lieu à Paris ont décidé le roi d'Angleterre au rappel de son ambas- 
sadeur ; mais l'évêque de Pamiers n'a jamais pu obtenir la déclaration 
formelle qu'il sollicitait, on s'est borné à ordonner à l'ambassadeur 
de témoigner dans ses conversations le tendre intérêt que le roi 
d'Angleterre prend au bonheur de LL. MM. T. C, et que, quoique 
elle entende adhérer strictement aux principes de neutralité pour 
tout ce qui regarde l'établissement du gouvernement intérieur de la 
France, elle ne regarde pas comme une déviation de ces principes de 
manifester, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, sa sollicitude 
pour la situation personnelle de LL. MM. T. C. et de leur fianille, et 
l'espoir sérieux qu'elles seront au moins à l'abri de tous actes de 
violence, qui ne pourraient manquer de produire dans tous les pays 
de l'Europe im sentiment universel d'indignation. L'ambassadeur 
reçoit ordre de partir sur-le-champ. La crainte de se trouver com- 
promis et de s'écarter du système de neutralité adopté a empêché le 
roi d'Angleterre et son ministère de se prononcer plus fortement. 



CCXLVIL 



DU VICOMTE DE CARAMAN AU BARON DE BRETEUIL (1). 

An camp deyant Longwj, oe 28 (août) an soir ( 1792 ). 

Monsieur le baron. 

Votre courrier m'est arrivé ce matin , mais ce n'est qu'assez tard 
qu'il a pu me rejoindre, parce que je m'étais rendu à l'année de 
M. jde Clairfayt pendant le siège de Longwy . Je m'empresse de vous 
le renvoyer, parce que je sais combien il vous sera utile, et seconde- 
ment j'ai bien de l'empressement de vous dire combien je suis heureux 
de la résolution que vous avez prise de venir ici. J'ai été en rendre 



(1) D'apxës la lettre originale que le baron de Breteuil a envoyée an comte de Fenen; 
dans les papiers de ce dernier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 353 

compte aussitôt à M*' le duc de Brunswick qui m'a témoigné, d'une 
manière bien obligeante, le plaisir qu'il aurait à vous voir arriver. 
Je ne lui ai rien caché de votre opinion sur la régence, etc. ; il m'a paru 
beaucoup moins séduit de cette idée, depuis que la prise de Longwy 
et la soumission rapide de tout le pays lui apprennent qu'il peut tout 
espérer pour le succès de ses armes, sans penser à ces mesures étran- 
gères. Je ne vous parle pas de l'opinion de M. de Schoulembourg, 
elle est toujours la même, et quant à la régence, etc., et quant au 
désir et à l'utilité qu'il trouve à vous voir arriver; vous pouvez être 
sûr de ses sentiments, d'autant plus que vous avez toujours été d'ac- 
cord d'idées, avant même de vous les être communiquées. Le roi, 
chez qui je me suis rendu sur-le-champ, m'a reçu avec toute l'obli- 
geance et la bonté dont il est susceptible, c'est dire qu'il est impossible 
d'y mettre plus de moyens de séduire et d'attacher celui qui a l'avan- 
tage de l'approcher. Il m'a chargé de vous dire combien il était 
satisfait de la résolution que vous avez prise, et combien il espérait 
en retirer d'utilité, en vous consultant sur tout ce qui intéresserait le 
royaume. S. M. a même ajouté une phrase touchante, en me disant 
qu'elle aimait encore dans cette démarche à montrer toute son amitié 
sincère et son profond intérêt 'pour le roi de France, et qu'elle croyait 
que ce serait pour lui un motif de satisfaction et de consolation en 
voyant auprès de lui le ministre à qui il avait donné de si grandes 
marques de sa confiance. J'ai pris texte d'un sentiment aussi touchant 
pour assurer le roi que tout votre désir était de lui prouver que vous 
étiez digne de cette marque de sa bienveillance, et ensuite j'ai fran- 
chement rompu la glace sur toutes les insinuations malignes dont on 
l'avait entouré. Je lui ai dit qu'elles m'avaient péniblement affecté, 
et pour la chose aussi bien que pour vous et pour moi, et j'en ai tiré 
parti pour parler avec assez de franchise au roi de vos sentiments 
réels, pour que je crois* ne lui avoir laissé aucun doute à cet égard. J'ai 
parlé d'abondance et de confiance à S. M., qui a paru m'écouter avec 
intérêt, et je l'ai suppliée, sans m'expliquer davantage, de peser nos 
sentiments avec nos intérêts, sans même parler de la reconnaissance, 
et de voir ensuite si un fidèle serviteur du roi de France pourrait se 
permettre de penser à marcher dans une route qui ne le conduirait 
pas à témoigner à la Prusse et notre attachement et notre intérêt. 
Il m'a remercié de la franchise de mon explication, en me donnant 
toutes les assurances possibles qu'à cet égard on n'altérerait jamais 
T. II. 23 



354 LE COMTE DE FERSEN 

sa confiance et qu'il comptait sur nous. Nous avons ensuite parlé de 
la régence, etc. ; je lui ai avoué naturellement qu'il me paraissait que 
votre opinion sur cet objet était 4emeurée négative, et, comme il m'a 
dit que les princes devaient venir demain chez lui, je l'ai supplié de 
vouloir bien, sans entrer en explication, se retrancher sur ce qu'il 
n'avait pas encore reçu de réponse de la cour de Vienne, et il me l'a 
promis. Je n'ai pas voulu aller au delà, ni me charger de le convaincre ; 
il me suffisait que rien ne se fît avant votre arrivée , et il m'a dit 
qu'alors il verrait avec vous, si ce projet ne pouvait décidément pas 
convenir, ce qu'il serait possible de faire pour assurer l'ordre et établir 
un gouvernement provisoire, jusqu'au moment où le roi pourra faire 
connaître ses intentions. J'ai seulement supplié S. M. de vouloir bien 
vous voir avant tout, et de permettre aussi que la première entrevue 
entre les princes et vous soit en sa présence, et il m'en a donné l'as- 
surance. Le roi m'a paru très-satisfait de ses premiers succès, et ils 
lui donnent les plus grandes espérances pour l'avenir. 

Je lui ai parlé des prisonniers, Lafayette et autres, et j'ai obtenu 
ce que vous m'aviez chargé de demander, et le roi a, je crois, écrit 
lui-même pour les demander à Luxembourg et ensuite les enfermer 
dans le château de l'électeur de Trêves. Il est également entré dans 
mes vues sur la nécessité de faire agir M*' le duc de Saxe (1), et il 
doit également lui écrire pour le prier instamment de faire quelques 
mouvements. J'ai aussi engagé le prince de Reuss à répondre au gou- 
vernement des Pays-Bas qu'il avait pris sur lui de déclarer au roi 
de Prusse que les intentions de sa cour seraient conformes au désir 
de S. M. Prussienne sur le transport des prisonniers et qu'il en avait 
répondu. Le général Clairfeyt avait envoyé un officier en courrier à 
Rochefort, où ces messieurs ont été arrêtés, pour les amener sur-le- 
champ à Luxembourg; mais ils étaient déjà partis pour Namur. 

Longwy s'est rendu hier au soir. 11 y a eu quelque difficulté 
pour la capitulation, mais une porte a été occupée le soir par un 
bataillon hongrois, ce qui décide la chose. Je crois que la garni- 
son sortira avec les honneurs de la guerre. Les troupes de ligne 
seront gardées prisonnières, et les gardes nationales seront ren- 
voyées avec déclaration bien précise que, si l'un d'eux est repris 



( 1 } Saze-Teschcn. 



ET LA COUR DE FRANCE. 355 

€n nnifonne ou les armes à la mam, il sera pendu sans ancnne 
rémission. Cette décision m'a paru réonir le double avantage de 
ne pas nous ruiner en dépense de prisonniers, et de renvoyer dans 
rintérieur du pays autant de courriers qui annonceront les forces 
imposantes des troupes alliées, qui publieront la louange du roi et 
du duc, et qui répandront l'avantage que l'on trouvera à se rendre 
lorsqu'ils se présenteront. Il a été convenu que les magasins de vivres 
et munitions seront partagés également entre les deux puissan- 
ces, et que l'on dressera inventaire des objets nécessaires à l'en- 
tretien et à la défense de la place, qui seront remis au commandant 
de la place, ainsi que l'inventaire des pièces de canon et objets 
appartenant à la place, qui seront conservés pour être remis au roi 
de France. 

En général, monsieur le baron, toutes les circonstances semblent 
se réunir pour accélérer notre ouvrage. Les campagnes des environs 
«e présentent comme on peut le désirer; les maires abondent pour 
faire les soumissions les plus respectueuses; le désarmement se 
fait volontairement et d'avance dans beaucoup d'endroits, et dans 
d'autres le maire les rassemble au premier ordre. Tous ces gens 
sont reçus avec une bonté extrême par le duc, qui se donne lui- 
même la peine de les encourager et de les prêcher; il leur donne 
des sauvegardes et cherche à leur inspirer la confiance par tous 
les moyens possibles. L'entrée des troupes en France a été mar- 
quée par des excès bien condamnables, mais qui ont été réprimés 
aussitôt par des punitions très-sévères. Le pillage a été affreux, 
mais le roi a cassé et renvoyé le colonel du régiment qui s'y était 
le plus livré, et deux pilleurs ont été pendus ; le roi, de plus, a 
ordonné que les colonels payeraient dorénavant les indemnités des 
pillés, et lui-même a donné 100 ducats au village le plus mal- 
traité, et des bons de reconnaissance pour les bestiaux qui auront 
4té volés ou qui seront fournis, et ces bons pourront servir conmie 
argent pour payer les impositions. C'est avec de tels moyens que le 
roi a rassuré la confiance et rétabli l'ordre si nécessaire dans la 
marche de ses troupes, qu'il veut faire regarder comme une protec- 
tion et nullement comme un fléau. Les Autrichiens ont aussi 
pillé de leur côté d'une manière horrible, mais la justice n'a été 
ni si exacte ni si sévère, et les indemnités ont été nulles. J'ai 
supplié le duc de vouloir bien donner ses ordres pour que les 



356 LE COMTE DE FERSEN 

mêmes principes soient suivis également à l'autre armée^ et il me 
Ta promis. 

Nous restons encore dans ce camp-ci jusqu'au 27. On cuit du 
pain, et on veut prendre ici tous les moyens d'ensemble avec le 
prince de Hohenlohe et M. de Clairfayt. Le 27, nous marcherons 
droit sur Verdun, sans nous arrêter. M. de Clairfayt ira à Mont- 
médy, et le prince de Hohenlohe marchera sur Thionville. Les 
princes traverseront une partie de Luxembourg et entreront par 
Bouillon. Telles sont les dispositions du moment. On a quelques 
espérances sur Luckner, qui a renvoyé de son camp les gardes 
nationales et n'y a conservé que les troupes de ligne dont l'esprit 
actuel paraît vouloir se laisser entraîner à une faible résistance. 
L'armée de Lafayette, dénuée de chefs et étonnée de la désertion 
de ceux que l'on a arrêtés, ne sait plus où donner de la tête. Si 
le roi n'était pas dans une situation aussi affreuse, que d'espérance 
n'aurions-nous pas ! 

Je me rendrai le 28 à Luxembourg, monsieur le baron, et je 
vous y attendrai. Je prendrai les ordres du roi avant de partir, et 
je crois que son désir est que vous le suiviez le plus près possible ; 
à mesure que son armée avancera, vous serez logé dans les petites 
villes les plus proches, parce qu'il veut vous épargner les fatigues 
et les incommodités inséparables d'un camp, mais vous avoir à 
portée de vous voir souvent. 

Adieu , monsieur le baron ; permettez-moi de vous parler de tout 
le plaisir que j'aurai à vous revoir et à partager avec vous les 
suites de cette grande entreprise, qui semble se développer d'une 
manière plus heureuse que je n'osais l'espérer. Faites, je vous en 
supplie, tout ce qui vous sera possible pour ne pas perdre un moment 

J'ai l'honneur d'être, avec le plus respecteux attachement, mon- 
sieur le baron, 

Votre très-humble et très-obéissant serviteur, 

Le V*® DE Caramàk. 



ET LA COUR DE FRANCE. 357 



CCXLVIII. 

DU COMTE DE FERSEN A M. DE SILFVERSPABRE, EMPLOYA AU MINIS- 
TÈRS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A STOCKHOLM (1). 

Ce 29 aoftt 1792. 

Paris est tonjoors dans le même état. La terreur, la constematioii 
et le crime j régnent. Il ne se passe pas de jour qu'on n'arrête et 
qu'on n'exécute quelqu'un. M. de la Porte, l'intendant de la liste 
civile, a été décapité le 24, pour avoir, disait-on, employé l'argent 
de la liste civile à soudoyer des écrivains contre-révolutionnaires. 
C'était un fort honnête homme, dont le seul crime était d'être 
attaché à son maître, et qui ne s'est jamais mêlé de rien. Bamave 
et Ch. Lameth sont arrêtés, et j'espère qu'ils seront exécutés ; 
personne ne l'aura plus mérité. On cherche M. du Port partout ; on 
cherche aussi la duchesse de Luynes. H est impossible d'avoir des 
nouvelles positives de la famille royale ; personne ne peut les voir. 
On assure cependant qu'ils se portent tous bien. Il passe très-peu 
de lettres, [et d'ailleurs personne n'oqp écrire, de peur d'être soup- 
çonné et arrêté. ï)e gazettes, il n'y en a plus que celles que la 
faction dominante fait faire, et vous savez combien peu on peut 
compter sur leur véracité; encore les reçoit-on difficilement. A 
Yalenciennes, on a abattu la statue de Louis XY et déchiré son 
portrait qui était à l'hôtel de ville. C'est à Grenoble que Bamave 
a été arrêté. Les commissaires de l'Assemblée, arrêtés à Sedan, 
ont été relâchés. Enfin tel est l'effet de la peur, et telle est la 
lâcheté des Français, que cette faction exécrable, qui est en hor- 
reur partout, qui a partout la majorité contre elle, a cependant 
partout l'avantage et gouverne en despote. ^ 

On ne sait rien à Paris de l'entrée des armées en «France ; à Ya- 
lenciennes même, on ignorait encore avant-hier la prise de Longwy. 
On cache tout au peuple ; on l'endort à force de mensonges et 



( 1 ) D'aprèft la minute du comte de Fenen , qui a écrit de Ba propre main : en clair, à 
Silfvertparrt, 



358 LE COMTE DE FEBSEN 

d'impostures ; mais gare le réveil, il sera terrible pour les scélérats î 
Il est impossible de se former une idée raisonnable de leur plan : 
veulent-ils ou ne veulenWls pas conserver la famille royale? La 
raison devrait rassurer sur leurs jours, mais peut-on espérer que 
des fous ou des forcenés écouteront sa voix? 

Les armées devaient marcheif le 27 ou le 28; celle du duc de 
Brunswick devait se porter sur Verdun, eelle de Clairfayt sur 
Montmédy, et celle de Hohenlohe sur Thionville. II paraît que le 
duc de Brunswick ne veut pas avancer avant la réduction de ces 
trois places. Il n'aura ensuite aucun obstacle jusqu'à Paris ; tout 
le pays se soumet volontairement, sans aucune opposition, et le 
désarmement se fait de même. 

M. de Lafayette et ses camarades sont à Nivelles ; en attend 
le retour d'un courrier de Vienne et ce qui aura été convenu entre 
le roi de Prusse et l'Empereur, pour savoir s'ils seront conduits à 
Anvers ou dans un ch&teau dans l'électorat de Trêves. Beaucoup 
de gens se sont étonnés de ce [qu'ils sont si bien traités ; peut-être 
aurait-il été juste de les traiter avec plus de rigueur. 

Adieu, monsieur, recevez l'assurance des sentiments que je vous ai 
voués depuis longtemps. 



CCXLIX. 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE BRETEUIL (1). 

Ce 8 Eeptembre 1792. 

Monsieur le baron. 

Voilà de mauvaises nouvelles de Paris, monsieur le baron, et 
quoique ma raison me dise sans cesse d'être tranquille sur leurs 
vies et qu'il est de l'intérêt des scélérats de les conserver, cepen- 



( 1 ) D'aprôt une copie parmi les papiers du comte de Fersen , qui a écrit de ea propre 
main en marge ; copie de ma lettre au baron de Breteuil, par le baron de Bats, 



ET LA COUR. DE FRANCE. 359 

dant je n'ose me livrer tout entier à cet espoir^ et la séparation 
du roi et de la reine me fait tout craindre ; je me perds en coujec- 
tures, elles me paraissent toutes également fondées^ et je finis tou- 
jours par me dire qu'il est impossible de raisonner avec des fous. 
Les opinions sur ce qui a déterminé 'à ouvrir les barrières de Paris 
et à laisser sortir sans passeports sont différentes ; celle qui paraît 
la plus générale est que les scélérats ont voulu se ménager par là 
un moyen de se sauver, et que nous les verrons un beau jour 
abandonner Paris à Tanarcliie la plus complète. H serait bien inté- 
ressant alors qu'il se montrât un homme qui pût se créer une 
autorité et qui n'en fît usage que pour sauver le roi et sa famille, 
et lui rendre celle qu'il a perdue. Parmi les gens qui lui sont 
dévoués pu les aristocrates qui sont à Paris, je n'en vois aucun 
qui ait la force, l'énergie et le courage, et en même temps assez 
de confiance et d'influence sur la canaille, pour réussir à jouer ce 
rôle; mais j'en vois un parmi les constitutionnels, qui réunit ces 
qualités et qui a de plus l'avantage d'être connu de la canaille 
et de l'avoir menée longtemps : c'est M. Acloque, autrefois brasseur 
du faubourg Saint-Marceau. Cet homme, quoique démocrate, s'est 
dans tous les temps bien montré pour le roi ; il a même rendu 
des services. Il a assez d'esprit pour sentir tout ce qu'il a à répa- 
rer ; il a des vengeances particulières à exercer ; il a été opprimé ; 
il sent que son parti est anéanti pour jamais ; il veut écraser celui 
des jacobins. L'entrée des armées étrangères lui défend de jouer un 
grand rôle ; tout doit donc le déterminer à se déclarer pour le roi, 
et je ne doute pas, si la peur chasse l'Assemblée, qu'il ne le fît. 
C'est d'ailleurs un homme qui pourra vous être fort utile, monsieur 
le baron, dans la suite, pour la recherche des coupables d'une 
classe plus obscure. Ne pensez-vous pas , monsieur le baron, qu'un 
homme de cette espèce, auquel le roi a des obligations, serait bon 
à employer comme prévôt des marchands, ou dans une autre grande 
place de la ville? Sa nomination aurait encore l'avantage de faire 
un bon effet parmi le peuple, et de vous donner un homme entière- 
ment à votre dévotion. 

M"** de Matignon m*a parlé hier d'un mémoire que M. de 
Bombelles doit vous envoyer sur la nécessité de faire paraître une 
espèce de proclamation, pour prouver à la ville de Paris la néces- 
sité non-seulement de se détacher des factieux et des scélérats. 



360 LE COMTE PE FERSEN 

mais même d'agir contre eux, et qu'ils ne peuvent échapper à la 
juste vengeance du duc de Brunswick en se bornant à se renfermer 
dans leurs maisons, pour ne pas prendre part aux horreurs qui se 
commettent. Je crois l'idée juste et utile, maïs le moyen de lui 
procurer son effet insuffisant ; car vous savez, comme moi, combien 
on cache au peuple tous ces écrits, et l'art qu'on a, lorsqu'ils per- 
cent, de les dénaturer, de les falsifier et d'en détruire l'effet. Je 
croirais donc qu'une fois arrivé à Châlons, il vaudrait bien mieux 
chercher, par tous les moyens possibles, la possibilité d'entrer en 
pourparlers et en négociations avec les factieux, et tout sacrifier 
pour assurer l'existence du roi et de sa famille, et procurer sa 
liberté ; ralentir même, s'il le fallait, sous différents prétextes, la 
marche des troupes, et tout promettre, quitte à trouver ensuite des 
prétextes pour ne tenir que ce qu'on voudrait. 

Voilà, monsieur le baron, mon idée. Vous jugerez bien mieux que 
moi jusqu'à quel point elle pourra être admissible ou utile. Je crois 
aussi qu'on ne saurait trop éclairer et rassurer le peuple par des écrits 
simples, courts et clairs, et qu'il serait bon de les multiplier. Ne 
pensez-vous pas que M. de Limon serait bon pour cette besogne et qu'il 
pourrait être utile de le faire venir ? 11 vous est attaché, il a de l'esprit, 
il connaît bien le royaume et les formes ; il a de l'ambition, et, comme 
il attend tout de vous, il vous sera dévoué, et son esprit d'intrigue 
ne peut pas être à craindre. Si vous y trouviez quelque utilité et que 
vous vous décidiez à lui écrire, je lui parlerais aussi de mon côté pour 
l'y décider. 

Ce 6 septembre 1792. 

Ma lettre a été commencée le 3. M"* de Matignon m'avait dit qu'il 
partirait ce jour-là un courrier. Celle-ci vous sera portée, monsieur, le 
baron, par le baron de Batz ; permettez au respect et à l'attachement le 
plus'sincère et le plus inviolable une prière , c'est de ne pas avoir l'air 
de donner trop de confiance au baron de Batz, et de n'en parler que 
comme d'un homme dont vous appréciez le mérite à sa juste valeur, 
mais dont vous vous servez en ce moment à cause de ses liaisons 
banquières, pour savoir des détails qui peuvent être utiles. Vous savez 
comme moi, monsieur le baron, que la réputation du baron n'est pas 
des meilleures . qu'il est regardé par beaucoup de gens comme un che- 
valier d'industrie, et vos ennemis ne manqueraient pas de dire que 



ET LA COUR DE FRANCE. 361 

VOUS ne mettez de coûfiance et que yons ne vous entourez que de 
gens de cette espèce. Pardon ^ monsieur le baron , de vous faire cette 
observation, mais j'aime à. me flatter que vous n'y verrez qu'une preu- 
ve de mon sincère attachement , et de mon désir d'assurer les succès 
que mon cœur vous souhaite. Le baron de Batz ne pourrait-il pas 
vous servir à entamer une négociation avec les factieux? Permettez- 
moi de vous rappeler encore la nécessité de détruire les clubs jaco- 
bins et d'arrêter et renvoyer sur les derrières les chefs et les plus 
zélés partisans de cette secte ; il ne faut pas se flatter de les rame- 
ner par la douceur, il faut les exterminer, et voilà le moment. Des 
gens de cette espèce ne pourront supporter l'inaction, et, après avoir 
joué un rôle, ils ne consentiront jamais à rentrer paisiblement dans 
la classe d'où ils étaient sortis. 

Je suis f&ché qu'on ait pris le parti de renvoyer en France tous 
les prisonniers ; il aurait été bon de garder du moins les officiers ; ce 
sont autant de factieux que vous cachez parmi le peuple et qui ne feront 
que prêcher la révolte . H y avait à Longwy un monsieur d'Ervillé, 
autrefois officier dans mon régiment, qui est un homme affreux, et 
qu'on ne ramènera jamais. Les exemples de sévérité sont bien néces- 
saires et en même temps des écrits pour instruire , rassurer et éclairer 
le peuple ; mais la sévérité est indispensable , et l'exemple de ce qui 
se passe à Paris est une preuve qu'on ne peut mener le peuple qu'a- 
vec une verge de fer. Les trois quarts de la ville sont révoltés de la 
tyrannie des jacobins, mais ils n'ont pas le courage de s'y opposer. 
C'est ce qu'il est bien essentiel de prouver au duc de Brunswick. 

Les derniers événements sont affreux, mais ils me donnent de 
grandes espérances sur la sûreté du roi et de la reine. H paraît que 
Pétion et Robespierre sont brouillés, et que le premier n'a imaginé la 
visite dans toutes les maisons de Paris que pour faire arrêtera la fois 
tous les gens qu'il craignait, et les faire ensuite massacrer par un 
mouvement populaire, pour éviter l'odieux de les juger et dans la 
crainte qu'une grande partie du nouveau tribunal ne quitte , à l'exem- 
ple de leur président Robespierre, qui a donné sa démission, et qui 
paraît vouloir devenir moins scélérat. Ce Robespierre a un grand parti 
parmi les jacobins, et peut-être pourrait-on proflter de cette désu- 
nion ; mais il faudrait que cela fût avec de grandes précautions pour 
ne pas exposer encore la famille royale. 

J'espère que l'exemple de Yarennes sera déjà fait. Ma santé va 



362 LE COMTE DE FERSEN 

mieux; je me rétablis, mais doucement. Anriez-yons la bonté, mon- 
sieur le baron, de me faire avoir un passeport du duc de Brunswick, 
et de me mander ce que vous pensez du temps où je dois arriver? Dès 
que M. de Mercy sera de retour, ce qui doit être du 10 au 15, je vous 
informerai de ses projets. 



CCL. 



BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU PRINCE RlÊGENT DE SUEDE, DE 
CE QUI SE PASSE EN FRANCE, DATlÊ DE BRUXELLES LE 9 SEP- 
TEMBRE 1792 (1). 

Thionville n'est pas encore pris ; il paraît que le général de Wimp- 
fen, celui qui était membre de l'Assemblée constituante, et qui y 
commandait, était convenu avec les princes de livrer la place, dès que 
les armées combinées s'y présenteraient. Soit que cette trahison ait 
été découverte, soit que la garnison ait été mécontente de la disposi- 
tion du général Wimpfen, qui, d'accord avec la bourgeoisie, voulait 
rendre la place, ils l'ont destitué ; ils l'ont mis au cachot, et on nomme 
pour commandant un monsieur Maquer, sergent des gardes-françaises. 
On se dispose à faire le siège de la place, ce qui pourrait bien re- 
tarder la marche des armées. L'avant-garde du roi de Prusse est à 
Sainte-Ménehould ; le reste de son armée occupe Yarennes, Clermont, 
Saint-Michel et Verdun, Le général Clairfaytest toujours à Stenay; il 
n'a encore rien tenté sur Sedan, qui est très-bien disposé, et dont la 
possession donnerait tout le cours de la Meuse. 

Les dernières lettres de Paris annoncent de la tranquillité, mais 
combien durera-t-elle? On ne cesse de dire et faire des horreurs 
contre le roi et la reine ; un décret de l'Assemblée a aboli la royauté, 
et tout le monde a juré la haine des rois. Lorsqu'on força le roi et 
la reine à voir le corps sanglant de M""^ de Lamballe, M. Manuel 
leur dit : Regardez bien ; il peut y avoir une contre-révolution^ mais 
du moins vous n'en jouirez pas : voilà le sort qui vous attend. — Voici 



(1) D'après la minute parmi les papiers du comte de Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 363 

quelques détails arrivés dans des lettres particalières : un garde 
national, qui était de garde dans la chambre de la reine, lui a vu 
faire son lit, aidée de Madame Elisabeth ; qu'elles avaient demandé si 
elles ne pourraient pas avoir quelqu'un pour faire leur garde-robe et 
vider les pots de chambre , et qu'on leur avait répondu que des ci- 
toyens libres n'étaient pas faits pour servir des tyrans. M'' le Dauphin 
laissa tomber de l'eau d'un verre qu'il tenait, la reine prit un linge 
et l'essuya ; l'officier de garde, qui était là assis, sans se remuer, lui 
dit : Voua croyez peut-être qxie ce serait à moi à faire cela, mais sachez 
que je suis V officier et un peuple libre, qui ne sert que la liberté, et non pas 
les tyrans. — Lorsqu'on leur porte à dîner, l'officier municipal, qui y 
assiste, coupe tout, jusqu'aux petits pâtés, pour voir s'il n'y a pas 
de lettres. On ne leur laisse pas manger même des raisins sans les 
mettre contre le jour et regarder chaque grappe. La reine pleura 
beaucoup lorsqu'on emmena M"*^ de Lamballe , qui voulait à genoux 
baiser la main de la reine. On l'arracha , en lui disant que c'était bon 
pour un esclave envers des tyrans , mais que dans une nation libre 
et un peuple égal cela ne devait pas se voir. M"" de Tarente et de 
Tourzel sont sauvées , elles ont été reconduites chez elles. 

Ne pouvant réussir à me procurer encore les gazettes de Paris, je 
prends le parti d'en envoyer deux qui s'impriment ici , et qui sont 
assez exactes. 



CCLL 

DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1). 

Yerdun, le 11 septembre 1792. 

J'ai reçu vos trois lettres, mon cher comte ; je ne réponds aujour- 
d'hui qu'à la douleur de la dernière. J'en suis accablé, mais je ne 



( 1 ) Lettre autographe. Le comte de Ferscn a écrit en marge : 18 rtçu , rép. le 17 
»ept. 



364 LE COMTE DE FERSEN 

puis encore abandonner Fespoir ; mon malheur serait trop grancL 

Je vous écris par un courrier du prince de Reuss; le vôtre ne 
partira qu'après-demain ; il vous portera peut-être des nouvelles d'une 
bataille. Les armées tout entières ont marché ce matin pour cette 
grande œuvre. Si les rebelles ont l'audace d'attendre, M. le duc de 
Brunswick se porte vers Châlons ; de manière ou d'autre, il y sera 
dans cinq jours, et l'armée y fera un séjour un peu marqué comme 
ici. Le temps ne favorise pas la marche d'aujourd'hui ; la pluie a 
tombé fortement toute la nuit et continue. On laisse ici peu de 
malades, il n'y a encore eu qu'un déserteur. Je causerai plus lon- 
guement avec vous par votre courrier. 

Je suis vivement sensible à tout ce que vous me dites de la part 
de M"® de Sullivan, et je vous prie de lui dire que je mérite tout 
son souvenir par mon amitié pour elle. Kemerciez aussi beaucoup 
M. Crawford, à qui j'ai voué de vrais sentiments , et faites agréer 
mes hommages à M"*^ de Franquemont. 

Aimez-moi toujours, mon cher comte, par la raison de ma tendre 
amitié pour vous. 

Tout ce qui se passe chez vous m'afflige comme vous ; on est ici 
bien scandalisé des grâces faites par le régent. 

M. de Lafayette doit être en marche pour Wesel. 



CCLIL 

DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE BRETETTIL (1). 

Brozelles, ce 11 septembre 1792. 

Monsieur le baron , 

Ma raison ne peut calmer mes craintes sur le Temple. L'intérêt 
que nous avons à leur conservation est trop grand pour pouvoir être 



(1) D'après la minute de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : au baron 
de BrttmUj par Bombelleê, 



ET LA COUR DE FRANCE. 365 

tranquille et pour ne pas prendre tous les moyens pour l'assurer. 
J'attends avec impatience le retour de mon courrier pour savoir si 
vous avez goûté mon idée, et si le roi de Prusse Ta adoptée. Il me 
semble que ce prince doit sentir combien la conservation de la famille 
royale importe à sa politique, combien le service qu'il rend au roi 
est différent de celui qu'il rend aux princes, et combien, par consé- 
quent, doit être différente leur reconnaissance envers lui ; non-seule- 
ment il sauve la vie au roi et à sa famille, il la délivre de la capti- 
vité, il lui rend sa couronne ; mais, par sa conduite noble et géné- 
reuse, il épargne au roi la trop grande reconnaissance qu'il aurait 
été forcé d'avoir aux princes et aux émigrés , s'ils avaient été partie 
principale, et anéantit l'influence «qu'il aurait été difficile de leur re- 
fuser dans le gouvernement, et qui n'aurait servi qu'à faire nattre 
de nouveaux embarras. Le roi de Prusse doit donc tout attendre d'un 
pareil service. Mais si le roi n'était plus, et que Monsieur parvînt 
à la couronne, le roi de Prusse n'aurait, vis-à-vis le nouveau roi, 
que le mérite d'avoir sauvé la France de l'anarchie et n'aurait point 
celui d'aucun service personnel ; il aurait^ au contraire, le démérite 
d'avoir réduit Monsieur à ne jouer, dans toute cette entreprise , qu'un 
rôle secondaire, au lieu du rôle principal qu'il prétendait jouer, et 
dès lors la reconnaissance de Monsieur et ses effets seraient propor- 
tionnés à l'étendue du service qu'il aurait reçu et seraient plus bor- 
nés que celle du roi. Ce raisonnement bien développé par vous, mon- 
sieur le baron, doitfirapper S. M. Prussienne, et lui prouver combien 
il est intéressé à la conservation de la famille royale et la nécessité 
d'employer tous les moyens possibles et de tout sacrifier pour obtenir 
ce but. 

M. de Bombelles vous donnera mieux que moi toutes les nouvel- 
les ; mais ce qu'il ne pourra jamais vous dire, c'est le respect et l'at- 
tacbement inviolable que je vous ai voués. 

M"* de Sullivan me charge de vous dire mille et mille choses. 
Pauvre fenmie, elle a été hier au service pour les victimes du 
2 [septembre] ; elle y a bien pleuré et en a été malade toute la jour- 
née. M. Crawford et M"* de Franq. désirent être rappelés à votre 
souvenir. L'évêque m'a montré votre lettre du 8 ; elle m'a fait grand 
plaisir. 

D'après ce que me disent les personnes qui viennent de l'armée 
sur la mauvaise disposition du pays conquis et surtout des villes, il 



366 LE COMTE DE FERSEN 

semble qu'il ne fait que céder & la force, et dans ce cas la clémence 
me paraît extrêmement pernicieuse. C'est le moment de détruire les 
jacobins ; vous penserez sans doute qu'il ne faut pas le manquer, 
et qu'il faudrait arrêter les chefs et les principaux membres de cette 
société dans tous les endroits où l'on passe , et les renvoyer sur les 
derrières. 



CCLIIL 

DU BARON DE BRETEUIL AU COBITE DE FERSEN (1). 

Yerdon, le 12 septembre 1792. 

Je vous ai accusé, mon cher comte, la réception de vos lettres; 
j'aime aujourd'hui causer avec vous sur ce qu'elles renferment. Je 
commence par vous parler de votre santé ; je vois avec peine que 
votre accident traîne en longueur. Je vous exhorte à le soigner pa- 
tiemment, et j'espère que cette lettre vous en trouvera débarrassé. 
Je le désire d'autant plus qu'à la manière dont M. le duc de Bruns- 
vnck me paraît vouloir marcher sur Paris, il faudra bientôt vous 
mettre en chemin pour pouvoir y arriver aussitôt que lui ; la journée 
de demain, si les rebelles l'ont attendue , pourrait augmenter encore 
son ardeur et les moyens pour arriver à son but Je ne doute pas que 
M. le prince de Reuss n'en dise autant à M. de Mercy pour fixer la 
marche de ce côté. M. le duc de Brunswick ne compte s'arrêter à 
Yalmy, où il sera dans quatre jours, que le temps qu'il lui faudra pour 
renouveler et assurer les vivres de son armée, t^i vous fixez votre 
départ d'après cet aperçu, je ne crois pas qu'il faille le différer beau- 
coup pour pouvoir joindre l'armée avant qu'elle soit aux portes pari- 
siennes. Vous m'avez demandé de vous envoyer un passeport d'ici ; 
c'est chose absolument inutile, il ne vous faut qu'un passeport du baron 



(1) Lettre autographe. Le oomte de Fenen a écrit en marge : reçu le 19 par Reidertvaerd, 



ET LA COUR DE FRANCE. 367 

de Beck et un an maréchal Bînder par surabondance de précautions. 
Ainsi je ne vous en fais pas passer d'ici. Sans doute qu'ainsi que moi 
et les autres ministres étrangers vous fixerez votre séjour dans la 
ville la plus voisine du camp ; M. de Mercy apparemment sera le 
chef de file, d'après lequel vous réglerez votre marche. Votre arrivée 
me donnera grande satisfaction. Je vous préviens que vous trouverez 
des chemins affreux , et difficilement à manger jusqu'à Longwy, d'a- 
près ce que m'ont dit mes gens : ainsi munissez- vous. 

Je ne me suis pas épargné pour faire sentir & M. le duc de Bruns- 
wick la nécessité d'une grande sévérité, mais .son caractère est doux 
et ses principes du moment répugnent encore plus à la sévérité dont 
nous avons tant besoin. Le duc de Brunswick ne veut pas qu'on lui 
reproche des sévérités en France comme en Hollande ; il veut, au 
contraire, effacer le souvenir des premières par les formes actuelles. 
Ce calcul est très-âlcheux pour nous, et nous laissera trop d'embar- 
ras, si je ne parviens pas à le faire changer ; je ne puis me dissi- 
muler que ce sera chose difficile ; le duc n'a qu'un but , arriver à la 
vue de Paris, en sauver le roi ; nous lui devons trop de reconnais- 
sance, s'il le remplit, pour pouvoir lui reprocher de n'avoir pas 
veillé à tout ce qui peut ramener l'ordre. Le roi de Prusse, de son 
côté, est le meilleur des hommes, et tous les mouvements qui le por- 
tent à secourir le roi le portent aussi à une grande bonté. Cependant 
il m'a promis de donner des ordres de sévérité , et de les faire exé- 
cuter. Yarennes, par exemple, doit être ch&tié ces jours-ci, mais je ne 
croirai & l'exécution qu'autant qu'elle sera faite. Yous ne sauriez 
vous &ire d'idée à quel point la généralité et les sous-ordres sont 
contraires aux mesures qui peuvent rétablir notre antique adminis- 
tration; vous jugerez, d'après cela, combien il est difficile de mettre 
en œuvre l'autorité dont tout a besoin. Il n'y a pas un objet sur 
lequel il ne faille aller doucement, quand tout requerrait prompti- 
tude. 

Je pense avec vous qu'il &udrait des imprimés instructifs , ras- 
surants ou menaçants, suivant les cas , mais je ne vois pas possibilité 
de mettre tous ces objets entre les mains d'une volonté qui puisse et 
veuille surtout y donner le mouvement. M. le comte de Schoulem- 
bourg, avec lequel je n'ai été que trois jours, mais avec lequel je me 
serais entendu, a quitté hier matin la partie ; il est retourné à Berlin 
par raison de santé et aussi d'un peu de mécontentement. Ainsi 



368 LE COMTE DE FERSEN 

ce moyen y qui était grand, me manque dès mes premiers pas. Le 
marquis Lucchesini m'a été indiqué par le roi comme celui à qui je 
devais m'adresser, et j'en suis très-content; il a esprit et bonne vo- 
lonté , mais il n'a pas l'autorité ministérielle, comme M. le comte 
de Schoulembourg , il est de plus étranger, un Italien. Vous jugez 
d'après cela le chapitre des ménagements : aujourd'hui seulement 
quelques factieux seront arrêtés et mis en prison pour servir d'exem- 
ple à la ville ; jusqu'ici les plus méchants se montraient avec le 
front de l'assurance ; je ferai aussi chasser aujourd'hui tous les intrus 
des églises ; ils j célébraient comme si les jacobins dominaient 
encore dans la ville. Je crois comme vous qu'il ne faudrait pas être 
trop sévère sur le pillage pour conserver l'ardeur du soldat, et sur 
cela il n'y a rien à demander aux généraux, ils sont fort indulgents 
pour leurs soldats : ainsi, en le laissant, on est plus que sûr que l'avi- 
dité du soldat sera satisfaite ; au reste, il serait sans fruit de vouloir 
s'y opposer. Vous m'avez souvent entendu gémir d'avance sur ce 
malheur, mais il va plus loin que je ne croyais. Les Hessois surtout 
le portent à l'extrême ; ces six mille hommes consomment en huit 
jours ce qui en ferait vivre vingt mille, et démeublent toutes les 
maisons. 

J'ai beau réfléchir, mon cher comte , à tous les malheurs qui nous 
menacent, j'avoue qu'aucun moyen ne se présente à moi pour les pré- 
venir ou pour en empêcher l'atrocité, si elle est décidée par les scélé- 
rats. Je trouve comme vous impossible de raisonner des fous, cepen- 
dant je reviens sans cesse au désir de les aborder par des réflexions 
frappantes, et sans cesse j'en abandonne comme j'en reprends l'espoir^ 
sans être plus satisfait d'une idée*que de l'autre. Je m'attache volon- 
tiers à la pensée que la raison qui a fait rouvrir les portes de Paris , 
en laisser sortir de nouveau sans passeports sans que les misérables 
veulent pouvoir s'échapper à l'approche des armées, pourvu qu'ils 
nous remettent le roi, la reine et M*' le Dauphin, je veux bien qu'ils 
évitent la potence, ces misérables. San.s doute que cet événement de 
leur friite arrivant, il serait à souhaiter de trouver un homme, comme 
vous me dites l'être ce sieur Acloque (1), qui pût s'emparer de l'esprit 



(I) Pent-être le chef de la 2® légion de la garde nationale , Acloque, qui, le 20 
jnin 1792, saieiBsant le roi à bras-le-corps, le conjura de sa montrer au peuple. (Edmond 
et Jules de Groncourt : HitUnre de Marie-Antoinette^ Paris, 1869, page 881.) 



ET LA COUR DE FRANCE. 369 

• 

du peuple, en se créant une autorité propre à sauver le roi, la reine, 
je ne demanderais pas mieux que de m'assurer un tel homme ; mais 
comment l'attirer à nous et s'aboucher avec lui? Vous savez que je 
n'ai aucun moyen pour arriver à de semblables personnages : sans doute 
cet Acloque est à Paris ; où trouver un homme à lui députer? Si vous 
en connaissiez, si vous pouviez lui faire parler, certes il faudrait tout 
promettre et faire pour le sieur Acloque. L'idée de le nommer prévôt 
des marchands ne me répugnerait en aucune manière, s'il nous ren- 
dait le roi et voulait le servir de bonne foi. Cet homme connu , aimé 
du peuple, pourrait remplir fort utileme nt cet emploi, dans les premiers 
moments, surtout, du retour à la raison de la ville de Paris. Si vous 
pouviez trouver un homme à envoyer à Acloque, je ratifierais tout ce 
que vous lui feriez promettre. Peut-être l'abbé de Villefort se char- 
gerait-il d'aller à Paris, malgré tous les dangers ? S'il n'y était pas 
pendu, une abbaye de 17 ou 20,000 livres de rente serait la récom- 
pense. Faites-lui-en la proposition, et payez-lui grassement son 
voyage, s'il accepte la mission. 

Bombelles m'a, en efi'et, envoyé un mémoire sur l'idée d'une décla- 
ration ; je le trouvai, comme vous, aussi insuffisant que difficile à faire 
circuler assez abondanunent pour qu'elle eût son efi'et; je crois plutôt 
avec vous que tant que l'armée sera rapprochée de Paris, car Châlons 
me paraîtrait encore trop loin , il faudrait tenter la voie d'une négo- 
ciation et tout y sacrifier pour ravoir le roi, la reine, sa famille; je 
tenterais savamment ce moyen si je voyais tous ces gueux leurrés de 
près dans Paris. Sans cela, toute démarche ne frapperait que leur 
orgueil, et peut-être n'en augmenterait que la rage et la folie. Je 
n'hésiterais pas à prier le roi de Prusse de leur faire ouverture de tout 
pardon et très-hautement, s'il gagnait une bataille demain ; je prie- 
rais même S. M. d'ajouter à cette démarche authentique des promesses, 
tout bas, de grâces pour les plus importants, et par conséquent pour 
les plus coupables. J'espérais succès de ces ouvertures pacifiques et 
bienfaisantes, surtout après une victoire, et l'effroi qu'elle devait 
porter dans la capitale. Besterait à voir si les chefs de parti, après cela, 
ont un crédit prépondérant sur les scélérats qui intimident assez le 
peuple pour le gouverner. 

Nous avons envoyé deux émissaires à M. Dumouriez ; c'est le comte 
. Dumontier qui lui a écrit et qui se croyait en droit de le faire d'après 
diverses conversations qu'il avait eues avec lui à Paris. D'ailleurs, la 
T. II. 24 



370 LE COMTE DE PEBSEN 

cour de Berlin espérait que ce Dumonriez voudrait l'entendre, parce 
qu'il lui avait envoyé un émissaire à Berlin, il y a quelques mois, 
pour montrer repentir. Mais dans ce moment il n'a rien répondu aux 
lettres ; il les a seulement déchirées en très-petits morceaux devant 
le porteur, et a dit : J*y répandrai à coups de canoUy le tout fort froide- 
ment. Vous voyez qu'il ne reste rien à faire avec ce drôle, du moins 
de ce côté-ci. Mais peut-être avons-nous la ressource de l'attaquer plus 
fructueusement par la voie de Rivarol, dont je vous ai parlé, et qui 
doit aujourd'hui avoir eu réponse de sa sœur, à laquelle je l'avais 
chargé d'écrire des douces et utiles propositions, tant pour elle que 
pour Dumouriez. Cette sœur est sa maîtresse et a, suivant Kivarol, 
un crédit absolu sur Dumouriez. Au reste, j'avais dit à Kivarol de 
s'ouvrir en mon absence à l'évêque sur ce que la sœur répondrait ; 
l'évêque peut l'attaquer sur cela, s'il ne lui a encore rien dit ; ce qui 
avait été convenu entre Eivarol et moi, c'est que la sœur, qui était 
restée à Paris, se rapprocherait sur-le-champ de Dumouriez dans la 
Flandre, où il était, et que Eivarol lui donnerait rendez-vous sur la 
frontière pour bien l'endoctriner. Il assure que c'est une femme 
d'esprit ; il faudrait, si Eivarol ne parlait pas à l'évêque, qu'il lui 
demandât où en est l'affaire dont je l'avais chargé pour sa sœur, et 
alors l'évêque pourrait suivre cette affaire de concert avec vous, pen- 
dant le temps que vous avez encore à rester à Bruxelles. Ce qu'il 
faudrait aujourd'hui demander à Dumouriez, — si son armée et celle 
de Luckner, battue ou non , mais poussée par celle de M. le duc de 
Brunswick, se retirait sous les murs de Paris, — ce serait de soulever 
alors son armée en faveur du roi, et de le retirer du. Temple pour 
l'amener à l'armée prussienne et faire là la paix parisienne. Je ne 
sais point de bornes à mettre aux grâces que Dumouriez pourrait 
demander, pour lui et ses adjoints, en pareille circonstance. Voyez avec 
l'évêque si la maîtresse de Dumouriez peut arriver à ce but, et dites à 
Eivarol qu'il faut qu'elle se mette à la suite de son camp, si elle n'y est 
pas encore, et qu'il doit surtout tâcher de la voir pour lui faire sa leçon. 
Sans doute que Pétion serait bien ce qu'il y aurait de meilleur à 
gagner pour le salut du roi; mais je n'aperçois aucune route qui 
mène & cet atroce coquin. Peut-être que si M. le duc de Brunswick 
gagnait une grande bataille, cette route s'ouvrirait ; je pense qu'après 
une victoire on peut tenter toutes négociations pacifiques : elles sont 
toujours nobles en pareil cas, si elles ne sont pas utiles. 



ET LA COUR DE FRANCE, 371 

Qaant à l'idée de faire attaquer l'Angleterre par ]e roi de Prusse 
pour la porter à des démarches conciliatoires, j'en ai parlé ici après 
avoir raconté la mienne ; le ministère prussien m'a répondu qu'il 
avait fait des tentatives auprès de l'Angleterre à peu près conformes 
à la mienne ; et qu'elles n'avaient pas été accueillies plus cordiale- 
ment. J'en reviens à dire que, si le roi de Prusse gagnait la bataille 
qu'il veut donner, il serait facile de le décider à faire de nouveaux 
efforts politiques auprès de l'Angleterre, mais on m'en a montré 
l'éloignement pour le moment. 

Je ne vous dis rien sur la pensée de suspendre la marche des 
armées vers Paris, dans l'espoir de nouer une négociation avec les 
factieux pour la délivrance du roi. Cette tentative auprès des Prus- 
âiens serait sans fruit, comme je crois qu'elle serait sans succès auprès 
des rebelles, si le roi de Prusse s'y prêtait. Les Prussiens montrent 
impatience d'être à Paris, et le général d'armée, qui en est le plus 
pressé, pense avec la même impatience au moment où il pourra 
ramener son armée dans les foyers avec la gloire de son entreprise ; 
car si le roi était emmené dans le Midi, l'armée prussienne ne le 
suivrait pas ; tout ce que nous en pourrions obtenir, serait de nous 
laisser une partie à notre solde. La difficulté de faire parvenir des 
écrits faits pour éclairer le peuple en rendrait le travail assez inutile. 
Si nous possédions des provinces entières, cela aurait un objet plus 
certain ; mais nous n'avons encore qu'un territoire de grands chemins, 
extrêmement étroit. Je crois, au reste, comme vous, que Limon pouvait 
être l'ouvrier de ces écrits , et, s'il voulait se mettre à la suite poli- 
tique, je pourrais l'en occuper. Parlez-lui de mon désir à cet égard, 

et décidez-le à venir (1) après le départ. Il s'est offert à M. le 

comte de Schoulembourg pour venir écrire sous ses yeux ou sous sa 
dictée. C'est un homme bien impatient d'agir. 

Je pense contmie vous sur le baron de Batz, et vous remercie de 
votre réflexion à son égard ; vous savez que je ne le tiens près de moi 
dans ce moment que dans l'espoir d'en tirer grandes ressources pécu- 
niaires, pour les premiers pas du roi dans l'administration. L'évêque 
vous a dit son plan, et le parti que nous comptons en tirer. 

Ne m'oubliez pas auprès de M"** Sullivan et de M. Crawford et de 
M"* Franquemont. 

(1} Alot illisible. 



\ 



372 LE COMTE DE FERSEN 

Bonjour, mon cher comte ; je viens de vous écrire bien long, mais 
il me semble que ma confiance et mon amitié ne peuvent jamais vous 
en dire assez. Je vous embrasse. 

Mes amitiés à M. de Simolin. J'ai oublié de vous dire que M. le 
duc de Brunswick compte entrer au plus tard de 10 octobre à la vue 
de Paris. 

Le 16. 

Je garde encore votre courrier ; les nouvelles importantes de Tannée 
se font attendre. Hier Tannée de Clairfayt a eu une vigoureuse affaire 
de poste, de laquelle pourtant elle est sortie victorieuse. Il s'agissait 
de s'emparer d'une hauteur que les rebelles occupaient ; ils ont com- 
battu quatre heures avant de le céder, mais enfin les Autrichiens les ont 
chassés, et cette position fait, dit-on, que nos vilains sont absolument 
renfermés par M. le duc de Brunswick. L'armée de Claûrfayt a perdu 
dans cette attaque 4 ou 500 honmies, et, ce qui m'afflige sensiblement, 
le prince de Ligne y a été tué ; je l'aimais depuis son enfance, c'était 
le sujet le plus distingué de son âge parmi les Autrichiens. C'est une 
perte affreuse pour son père. La bataille que M. le duc de Bruns- 
wick (1) s'est différée; on dit que ce sera pour aujourd'hui, mais je 
n'y crois que pour demain, puisque je vois qu'il a appelé à lui la 
cavalerie française et qu'elle n'y sera que ce soir. 

Bombelles m'a remis hier matin votre lettre. Vous voyez ce que je 
réponds aux différentes idées de vos précédentes, je n'y puis rien 
ajouter : si M. le duc de Brunswick bat, nous voyons ce que la victoire 
pourra nous présenter pour tenter le Cîolot (?) par la conciliation. 
Peut-être le baron de Batz se dévouera-t-il à aller à Paris ; hier enfin, 
du moins, il m'en a montré la volonté, et je tâcherai de la soutenir 
jusqu'à l'effet. Je ne pouvais pas employer un meilleur par ses con- 
naissances locales. 

Des amitiés à vos amis. 

Le 17, 6 henres du 8oir. 

Je fais partir votre courrier avec nos nouvelles venues aujourd'hui ; 
elles ne sont pas aussi avantageuses qu'on l'avait espéré, mais elles 



(1) DcTait liTrer. 



ET LA COUR DE FRANCE. 373 

sont bonnes, comme vous le verrez par les détails que ma fille vous 
en donnera. 

Je joindrai à Chàlons aussitôt que je saurai que Tarmée l'occupe, 
quatre jours doivent remplir ce but. 

Des hommages et amitiés à M"* Sullivan, M"* Franquemont et 
M. Crawford. 

Je vous ai écrit deux mots ce matin, par M. le colonel Steger. 



CCLIV. 

DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1). 

Verdun, le 17 septembre 1792, 6 h. du matin. 

Je vois loger devant moi, mon cher comte, des Anglais qui vont 
partir pour Bruxelles. J'en profite pour vous dire que l'ennemi a pris 
fugue (?) en passant l'Aisne pour gagner Ch&lons, sans que M. le duc 
de Brunswick ait pu l'obliger en bataille ; il n'y a eu que l'aflfaire 
Clairfay t, qui, dit-on, a coûté aux Autrichiens 5 ou 600 hommes avec 
le pauvre prince de Ligne, et 2 ou 3,000 hommes aux rebelles. J'ai 
grand'peine de ce peu de choses, il eût été si nécessaire de les battre 
fortement avant la Convention nationale. 

M. le duc de Brunswick est à la suite de l'armée Luckner et 
Dumouriez, il les poussera sans doute au delà de Chftlons, où il s'arrê- 
tera pour quelques jours. Je m'y rendrai aussitôt que le quartier géné- 
ral y sera établi ; mais je m'y rendrai bien triste de n'avoir pas une 
bataille gagnée par les Prussiens. 

Je vous renverrai votre courrier, je crois, dans la journée ; je n'at- 
tends que des détails et nouvelles officielles de l'armée pour le faire 
partir. 

Le désarmement se fait mal, parce que rien de ce qui nous regarde 
ne se fait en règle. J'ai cependant fait rétablir hier l'évèque, les cha- 
noines, les moines de cette ville; il n'y reste pas un intrus. 

Bonjour, et amitiés pour vous et vos amis. 

(1) Lettre antograpbe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 21, reçu par le éd. Steger, 



374 LE COMTE DE FERSEN 



CCLV. 



BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU PRINCE RlÉOENT DE BUÈDE, SUR 
CE QUI s'est PASSé EN FRANCE; DE BRUXELLES, LE 19 SEPTEM- 
BRE 1792 (1). 

Les nouvelles de Paris mandent que le calme continue, c*est-ii- 
dire qu'il n'y a paâ de grands massacrée, mais on arrête du monde 
tous les jours. Le 14, une troupe de bandits se promenait dans les 
rues, ayant à leur tête un faux officier municipal. Us arrêtaient 
toutes les femmes, et, pour avoir leurs boucles d'oreilles, leur arra- 
chaient leurs oreilles. On battit la générale ; plusieurs de ces coquins 
ftirent arrêtés et neuf furent pendus sur-le-champ. A Lyon, on a 
massacré une quantité de nobles et de prêtres; & Besançon, on a 
mis dans les prisons tous les parents des émigrés. La famille royale 
se porte biep. Les détails sur les massacres des prisonniers d'Orléans 
font frémir. On a coupé le nez et les oreilles du duc deBrissac et Ton 
l'a laissé vingt-quatre heures dans cet état avant de le tuer. On a envoyé 
une de ses jambes à M"* du Barry. M"* la princesse de Lamballe a été 
martyrisée pendant quatre heures de la manière la plus horrible. La 
plume se refuse à ces détails ; on lui a arraché le sein avec les dents, 
et on a lui administré tous les secours possibles, pendant deux heures, 
pour la faire revenir d'un évanouissement, afin de lui &ire mieux 
sentir la mort. 

Le 14, M. de Luckner a détaché M. Damouriez, avec six mille 
hommes, pour attaquer ou inquiéter la marche du général Clairfayt. 
Il a envoyé quatre bataillons contre eux , et les Français ont été tota- 
lement battus , avec perte de presque toute leur artillerie. Nous n'a- 
vons pas encore de nouvelles de la grande attaque ; il est à croire 
que les grandes pluies qui sont tombées depuis quinze jours auront 
retardé la marche des troupes. 

L'infanterie émigrée est restée devant Thionville ; ils ont témoigné 
très-fortement leur mécontentement de ne pas avoir été commandés 

(1) D'après la minate dans les papiers du comte de Fersen. 



ET LA COUR DE FRANCE. 375 

pour suivre la cavalerie ; on est cependant parvenu à calmer ce 
mouvement 9 qui a été assez fort. 

Une estafette , arrivée dans ce moment, porte la nouvelle que les 
Français ont abandonné les gorges du Clermontois le 16. Le duc de 
Brunswick n'a pu joindre que leur arrière-garde, qui a été battue et a 
perdu presque tous ses équipages. Les Prussiens sont maîtres de 
Clermont et de Sainte-Menehould, et le duc de Brunswick se proposait 
de suivre les Français pour s'emparer de Ch&lons ou leur livrer ba- 
taille dans les plaines de Champagne. Us ont perdu 4 à 500 hommes. 
Les Prussiens et les Autrichiens n'ont eu que 50 hommes tués ou 
blessés. 

La nouvelle du départ de Pétion et de Manuel ne s'est pas con- 
firmée. 



CCLVI. 

DU COMTE DE FBRSEN AU BARON DE BRETEUIL (1). 

Bruxelles, oe 28 septembre 1792. 

Le comte de Mercy a encore assuré aujourd'hui à Simolin que 
l'impératrice n'envoyait plus de troupes, mais qu'elle donnerait de 
l'argent. C'est le comte de Cobenzl qui le lui mande. Simolin est 
convenu avec moi combien cette démarche est désavantageuse pour 
les affaires ; il en est d'autant plus surpris que l'impératrice avait 
déjà refiisé plusieurs fois cette proposition de la cour de Vienne. J'en 
écris à Stedingk pour l'empêcher^ si cela se peut. 

L'envoi des MM. Spielman, Columback et Thugut est très-positif. 
Ce dernier vient ici. M. de Mercy va à Luxembourg s'aboucher avec 
Spielman, qui doit ensuite se rendre à l'armée du roi de Prusse. 
M. de Mercy a assuré à M. de Simolin ne pas savoir du tout l'objet 
de leur mission. Hier, en parlant des affaires de France, il dit que 



(1] D'après la minate de la main da comte de Fersen, qui a écrit en marge : à 3/. le 
baron de BreteuUjpar M. de Briffe. 



376 LE COMTE DE FERSEN 

la politique n'y pouvait rien, qu'elle était inutile et qu'elle devait se 
taire ; qu'il n'y avait que le canon et la baïonnette qui pussent les 
terminer; que, si on n'exterminait les jacobins et si on ne faisait 
unes, (1), tous les pays s'en ressentiraient et seraient bouleversés. 
— Sur une demande positive des ministres de Vienne et de Naples 
à M. Pitt , l'Angleterre a déclaré que toutes les personnes qui auraient 
eu part à des violences contre le roi et sa famille ne trouveraient pas 
d'asile en Angleterre, etc., etc. ; suivent les détails, assurances d'in- 
térêt du roi d'Angleterre, et prière aux ministres étrangers de faire 
parvenir cette déclaration, puisqu'il n'y avait plus de mission à Paris, 
et que le B : avait défendu toute communication avec Chauvelin et 
l'abbé Noël. 

Ne pensez-vous pas, monsieur le baron, que si le roi sort de Paris 
et qu'il fût question de choisir un endroit pour se retirer, Valenciennes 
ttt le plus convenable? Grande ville, bien passante, peu de canaille, 
grandes ressources pour les logements et les vivres, châteaux dans 
les environs, proximité de la frontière. 

Je crois, monsieur le baron, que je serai obligé de différer encore 
mon dépai't, et j'en suis bien f&ché. J'aurais eu un vrai plaisir à vous 
aller trouver , mais j'ai reçu avant-hier une lettre de Suède en ré- 
ponse à celle où je mandais le projet du comte de Mercy de se rendre 
à l'armée , lorsqu'elle serait à 20 lieues de Paris , et que je croyais 
devoir m'y rendre à la même époque. On m'a répondu d'y aller, 
lorsque d'autres ministres étrangers s'y rendraient. D'après cela, il 
me faudra attendre cette époque. 

J'ai parlé au comte de Mercy de ses projets. Je lui ai représenté 
combien je croyais que le rassemblement des ministres étrangers à 
l'armée pourrait faire d'effet à Paris. Il a eu l'air de le sentir, mais 
il m'a dit qu'il ne pouvait rien décider avant d'avoir vu et causé 
avec M. Spielman, qui devait être à l'armée, et avec lequel il doit 
avoir une conférence à Luxembourg dont il ignore, m'a-t-U dit, l'é- 
poque et le sujet. H a dit à Simolin de même qu'il ignorait le but de 
leur mission ; que Thugut venait ici et que Spielman, après être 
venu à Luxembourg, retournait à l'armée, chargé de la correspon- 
dance avec Vienne. Il est probable que l'arrivée de Spielman empê- 
che M. de Mercy de se rendre à l'armée. Je tâcherai cependant de 

(1) Exemple. 



ET LA COUR DE FRANCE. 377 

l'y engager; en attendant, ne croyez-vous pas que vous dussiez lui 
en écrire? 

D'après ce qui m'a été dit par plusieurs personnes, et entre autres 
M. Brantzen, que Saint-Foix s'était entièrement livré au duc d'Orléans, 
et d'après la connaissance que j'ai de son caractère et de ses liaisons 
avec vous, j'ai pensé que c'était l'homme qui pourrait nous être le 
plus . utile à Paris. J'ai donc imaginé d'y envoyer le cousin de 
Léonard, qui me l'a offert, qui sera chargé de remettre un billet chez 
Saint-Foix pour le prévenir de chauffer toutes les lettres qui lui vien- 
dront de vous, de M"'' Matignon ou de l'évoque. Lorsque nous serons 
assurés que cet envoyé peut être arrivé, je lui écrirai pour lui faire les 
propositions dont vous étiez convenu avec Bivarolpour M. Dumouriez, 
et, s'il fait une réponse, je vous la ferai passer. Je crois, monsieur le ba- 
ron, qu'il serait bon que vous me fissiez passer une lettre pour Saint-Foix 
à ce sujet. Si elle arrive à temps, ce sera celle-là que nous enverrons ; si 
non, nous lui en écrirons une pour le prévenir, et j'en verrai la vôtre 
dès que je l'aurai reçue. Elle fera toujours un bon effet. Il en fitudrait 
une ostensible, sur des objets vagues, et W^^ de Matignon écrirait 
ensuite dans les entre-lignes les propositions que vous voudrez lui faire. 
Vous croirez sans doute qu'Userait important de m'envoyer le tout 
par estafette le plus tôt possible. 

S'il est vrai, comme on nous l'a dit hier, que Dumouriez ait de- 
mandé à capituler, c'est le moment de lui parler et de faire ses con- 
ditions. L'Angleterre est très-bien disposée, et la démarche qu'ont 
faite les ministres de l'Empereur et de Naples a été provoquée par lord 
Grenville, à la suite du c ompte que lord Elgin a rendu à Londres de 
sa conversation avec M. de Mercy. Ce dernier tient les meilleurs 
propos du monde , et insiste fort sur une grande sévérité, comme le 
seul moyen de sauver le roi et empêcher dans toute l'Europe le pro- 
grès du mal français. 



378 LE COMTE DE FERSEN 



CCLVII. 

DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1). 

Yerdua, le 2 octobre 1792, à 6 h. du soir. 

Je ne vous écris pas^ mon cher comte , autant que je le voudrais, 
mais votre amitié m'excuse. 

Yous savez et partagez tous les malheurs que la marche rétro- 
grade des. armées cumule sur nous y dans le moment où nous croyions 
avoir tout à espérer. Je ne vous dissimule pas que cette circonstance 
assomme autant mon âme que mon esprit; j'en suis accablé , et il me 
faut quelques jours pour me retrouver. Si j'étais un peu moins seul , 
peut-être me surmonterais-je un peu plus facilement, si surtout je 
pouvais causer avec vous ; malgré cela, je suis bien aise que vous ne 
soyez ni ne veniez pas encore au milieu de toutes nos peines, vous 
n'y auriez rien à faire qu'à vous désoler de tout ce que vous verriez 
et entendriez. Cependant on me console par les plans que je mande 
à ma fille. 

Le duc de Brunswick a fait une nouvelle déclaration, à laquelle 
il ne manque que d'avoir battu l'ennemi ; je lui avais demandé de 
différer jusque-là, mais la république prononcée a décidé à mettre au 
jour. 

On dit que l'arrivée des grands faiseurs autrichiens tient au désir 
d'un congrès ; mais s'il était dans les projets autrichiens il y a six se- 
maines, ils me paraissent impossibles à réaliser aujourd'hui. Malgré 
cela, occupez-vous de tirer ce trouble au clair; j'en écris aiyourd'hui 
franchement au comte de Mercy. 

Les princes vont arriver avec leur armée, je ne doute pas que le 
désir de la régence ne se remontre avec force ; je n'aurai plus à y 
opposer l'espoir de la prochaine délivrance du roi, et, quoique je croie 
bien qu'il n'y a rien à gagner pour la chose publique ni pour eux 
dans cette régence chimérique, puisqu'elle est et sera sans force 

(1} Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 6 oct, 1792, rép, h 8. 



ET LA COUR DE FRANCE. 379 

comme sans territoire, je ne puis plus m'élever contre, sans être taxé 
de pins d'entêtement que de raison ; je crois donc que je me tiendrai 
dans le silence et laisserai faire les puissances ; si elles àédàQutpour, 
je ne pouvais ni ne veux m'en faire un mérite ; si contre j je devais 
en être innocent, mais je ne m'attends pas à cette justice. Quoi qu'il 
en soit, si cette régence s'établit et que les puissances veuillent que 
je me place à la tête du conseil , croyez-vous que je puisse suivre 
mon vœu, qui serait de le refuser, ou que mon respect, mon atta- 
chement pour le roi exige encore] ce sacrifice de ma part? Il sera 
grand, mais je ne m'y refuserai pas, s'il le faut. Pensez bien que je 
n'aurai point la confiance du régent ni du frère, que je serai sans 
cesse tourmenté par les autres. 

Si l'armée combinée avait eu du succès, les déclarations anglaise 
et hollandaise auraient été imposantes ; vous me direz l'objet de l'ar- 
rivée subite du duc Dorset, il est sûrement de bonne foi, dévoué 
pour le roi. 

Je ne suis pas f&ché de la démarche annoncée de Saint-Evr. ; mais 
sans avoir eu le moindre avantage des armes , je ne puis croire qu'il 
puisse être utile ; je ne me presse pas de vous envoyer la lettre que 
vous désirez pour cet ouvrier, parce que nos tristes circonstances me 
paraissent devoir au moins suspendre de donner l'efifectif à cette idée; 
si vous pensez autrement, je céderai à votre opinion, et alors je vous 
ferai passer une lettre. 

Les bons propos du comte de Mercy exigent de le soigner. Faites 
que ma fille se prête un peu à le voir, à causer avec lui ; il se plaint 
à moi de ne l'avoir pas rencontrée chez elle. 

Si M. Grenville a provoqué les démarches des ministres de l'Emp. 
et de Naples, c'est en efiet d'un bon augure pour les dispositions ac- 
tuelles de l'Angleterre , et il faut suivre ce mouvement par notre ami 
Crawford, auprès du milord Elgin. 

Vous n'en aurez pas davantage de moi aujourd'hui. Je suis accablé 
par mille détails qui ne me regardent pas , tenant à notre noble armée, 
mais dont je ne puis éviter de me mêler. 

Il est bien nécessaire de pousser M. le duc Albert à faire un siège, 
s'il pouvait avoir Lille, et encore mieux Douai, à cause de tout ce 
qu'elle renferme. 

Des amitiés sans mesure à M"*^ Sullivan, et à M. Crawford et 
M"* Franquemont. 



380 LE COMTE DE FERSEN 

Jevons renonvelle; mon cher comte^ tous mes tendres sentiments ; 
vous savez comme je vous aime. 



CCLVIII. 

DU BABON DE BBETEUIL AU COMTE DE FEBSEN (1). 

Verdun, le 3 octobre 1792. 

Bien n'est plus certain^ mon cher comte^ que l'impératrice de 
Russie n'envoie point de troupes, et que le système pécuniaire que 
la cour de Vienne a préféré nous prive de cet avantage cette année. 
On peut croire qu'il en serait de même pour l'année prochaine, si 
le cabinet autrichien peut se faire également écouter ; mais on peut 
aussi se flatter que Catherine II entend assez les intérêts et la 
gloire pour entendre un autre raisonnement pendant le cours de 
l'hiver, et faire partir les troupes avec le dégel. Je ne m'épargne- 
rai pas pour échauffer le roi de Prusse à ce siget, dès qu'il sera 
rendu ici. Je vous donnerai l'avis d'en écrire à l'impératrice au 
nom du roi et de ses malheurs; j'espère qu'elle n'y sera pas insensi- 
ble. Vous pousserez votre ambassadeur à Pétersbourg & tenir le 
même langage, quand même il n'en aurait pas l'ordre du régent. 

Si le roi et la reine n'étaient pas dans la plus affreuse position, et 
s'il n'était pas à craindre que les scélérats, en voyant les armées 
combinées rétrograder devant eux, n'en prennent une audace d'atro- 
cités sans mesure, je chercherais à me consoler de la cruelle campagne 
du duc de Brunswick, en pensant qu'elle éveille sa gloire et son 
amour-propre de manière à lui faire employer l'hiver & prendre 
toutes les mesures qui peuvent ramener sa réputation, la campagne 
prochaine. Je me dirais aussi qu'on peut trouver remède à l'excès 
du mal actuel, en employant bien le temps d'ici au printemps à 
bien lier la partie entre toutes les puissances de l'Europe qui 

(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 8 reçtij r4p, h 8. 



ET LA COUB DE FRANCE. 381 

peuvent et doivent concourir à rétablir Tordre en France, pour 
s'assurer de le maintenir chez elles; j'inviterais l'Espagne à 
changer son inertie dans un système d'action, propre à mettre 
en œuvre les bons principes du roi de Sardaigne. Je me représen- 
terai de même la Suisse suivant ce mouvement avec vigueur ; car j'en 
concluerais que les espérances les mieux fondées, comme les plus cer- 
taines, doivent reporter (?) le printemps et l'été prochain ; mais 
je ne puis jouir de cet heureux aperçu ; quand je me remets sous les 
yeux l'affreuse longueur de cette époque pour les malheurs du roi 
et de la reine, je ne puis que me désoler. Cependant, il &ut bien 
commander à la douleur et à son abattement, pour ne rien négli- 
ger de tout ce qui peut être favorable à ces augustes personnes. Je 
tâche de ranimer toutes mes pensées pour me trouver en état d'en 
faire usage avec le roi de Prusse, son ministre et le généralissime, 
dès que le quartier général les aura tous fixés ici près ; je compte 
que ce sera le 8. Je me propose de les attaquer vivement pour 
que, dès cet instant, on s'occupe de former et suivre rm plan éga- 
lement politique et militaire qui embrasse tout ce qui doit concourir 
au succès ; je ferai mes efforts pour qu'il ne soit pas perdu un jour 
par le cabinet prussien et par le cabinet autrichien, pour mettre en 
mouvement tous ceux de l'Europe vers le même but. Je ne crois 
pas trouver grande difficulté pour donner cette impulsion au minis- 
tère prussien ; son intérêt le commande à ses principes, il ne doit 
penser qu'à appuyer son entreprise d'une force qui la rende imman- 
quable pour sa gloire; mais je ne puis me faire la même peinture 
des dispositions autrichiennes : je ne doute pas qu'elles ne donnent 
la préférence au système pacifique sur toutes les mesures de vi- 
gueur, la dépense de la suite de la guerre et ses incertitudes 
lui serviront de prétexte comme de moyens pour vouloir tout 
ramener à la conduite politique. Vous le pensez, j'imagine, comme 
moi, et vous en aurez peut-être déjà la certitude quand 
cette lettre vous arrivera, par ce que vous aurez pu apercevoir dans 
les discours de Thugut ; je suis bien fâché de ne pas me trouver à 
portée de causer avec lui. 

Je reçois aujourd'hui de Luxembourg la nouvelle que le com- 
mandant a signifié à tous les étrangers et étrangères de quitter 
cette ville dims un terme très-court ; je ne peux expliquer cette 
sévérité que par la résolution d'y établir le congrès dont on parle. 



382 LE COMTE DE FERSEN 

Je concevrais pourtant difficilement que les puissances voulussent 
émettre leur opinion dans les murs d'une ville de guerre. Quoi 
qu'il en soit, peu de jours sans doute nous donneront lumière sur 
tout ce qui a droit à notre sollicitude. 

Dumouriez a eu l'atrocité de faire imprimer une relation men- 
songère de ses pourparlers avec les Prussiens. Le marquis Lucche- 
sini me le mande avec grande colère. Ce ministre n'était pas près 
du roi de Prusse quand cette négociation a conunencé; il n'est 
arrivé qu'au moment où les bons aides de camp du roi étaient fort 
en train de se laisser tromper par le fourbe Dumouriez. L'orgueil 
de ce gueux doit le rendre aujourd'hui inabordable et tous ses 
compagnons également. Jamais position aussi difficile ne s'est ren- 
contrée, de quelque côté qu'on se tourne. 

Mille et mille amitiés, cher comte, pour vous de tout mon cœur, 
et pour vos amis. 



CCLIX. 



DU COMTE DE FERSEN AU BARON DE STEDIN6E, AMBASSADEUR 
DE SUÈDE A LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG (1). 

Bruxelles, ce 11 octobre 1792. 

Mon cher ami, Vous aurez sans doute appris la retraite du duc 
de Brunswick sur Verdun. Les raisons pour lesquelles il n'a pas 
attaqué les rebelles le 20, lorsqu'il les a joints, et qu'il s'est con- 
tenté de les canonner pendant cinq heure?, nous sont encore incon- 
nues. Ceux qui le connaissent beaucoup, en rendant justice à ses 
talents militaires, ne lui accordent pas l'audace, qui aurait été si 
nécessaire dans cette occasion, et lui reprochent d'avoir trop traité 
les rebelles comme des armées bien disciplinées et d'avoir perdu 
trop de temps à manœuvrer contre eux, lorsqu'il n'aurait fallu que 

(1) D'après la minute de la main du comte de FerseD, qui a écrit en marge : ch^ffré^ à 
Sttdingh, 



ET LA COUR DE FRANCE. 383 

les presser Tivement^ sans leur donner le temps de respirer^ et leur 
en imposer par cette conduite. D'autres croient qu'il s'est laissé 
amuser par des propositions de négociations^ entamées par Dumou- 
riez pour se donner le temps de prendre une position et de s'y 
fortifier. Quoi qu'il en soit, le résultat a été affreux pour la cause du 
roi de France, dont la captivité se trouve prolongée ; car quelles que 
soient les opérations possibles, cel|e sur Paris ne le sera plus qu'au 
printemps prochain, et si le mauvais état des armées, qui ont été fu- 
rieusement &tiguées par le mauvais temps et le manque de vivres, 
permet encore de les faire agir avant l'hiver, ce ne pourra être que 
pour s'emparer de quelques places et préparer les succès de la cam- 
pagne prochaine. 

L'invasion des rebelles dans les électorals vous ' surprendra sans 
doute, mon cher ami, mais vous le serez encore plus d'apprendre que les 
émigrés en sont la cause. Lors du départ des armées combinées de 
Verdun , le prince de Hohenlohe, qui était devant Thionville avec les 
émigrés, eut ordre de se porter en avant de Verdun pour couvrir 
cette place, et la cavalerie des émigrés eut celui de joindre l'armée 
prussienne. 

L'in&nterie témoigna un grand mécontentement de rester devant 
Thionville, et M. le comte d'Artois, qui était resté avec elle, mais qui 
voulait rejoindre la cavalerie, ne trouva d'autre moyen pour l'a- 
paiser et avoir celui de partir, que de lui promettre de revenir ou d'ob- 
tenir pour elle l'ordre de marcher. Il ne fit ni Tun ni l'autre. Alors 
il s'éleva de grands murmures, il y eut une insurrection générale 
parmi eux. M. le maréchal de Broglie, qui était resté avec eux, la 
légitimait, en partageant et manifestant hautement son méconten- 
tement. Tous partirent sans ordre pour joindre l'armée prussienne, et, 
pour ne pas laisser Thionville à découvert, on fut obligé d'y faire 
marcher le comte d'Erbach, qui avait été détaché de l'armée du 
comte d'Esterhazy, avec 10,000 hommes, et qui était posté devant 
Landau pour couvrir les magasins de Spire, d'Heidelberg et 
les électorats. C'est après le départ du comte d'Erbach que M. de 
* (Justine forma et exécuta le projet d'entrer en l'Empire. Vous juge- 
rez aisément de là combien le duc de BrunsiVick est mécontent de 
leur conduite, et combien ils sont plus nuisibles qu'utiles aux opé- 
rations. Le baron de Rech, ministre de Prusse ici, ne cache pas son 
mécontentement, et tout le monde le partage. 



384 LE COMTE DE FERSEN 

On nous assure que les 16^000 hommes que rimpératrîce destinait 
au secours du roi de France ont eu contre-ordre, et que cette prin- 
cesse s'est décidée à consentir au désir qui lui en avait déjà été té- 
moigné plusieurs fois^ par la cour de Vienne, de fournir, selon son 
traité^ 12,000 hommes en argent, mais que la générosité et l'intérêt 
qu'elle a toujours pris aux malheurs du roi de France l'ont décidée 
à donner aux princes la valeur des autres 4,000 hommes en argent. 
Vous sentez, mon cher ami, comme moi, la différence de ce secours, 
tant pour l'intérêt du roi de France et pour le ré tablîssement de la 
monarchie, que pour celui de l'impératrice et pour sa gloire. 
L'influence que tant de titres lui donnent en devient plus lente 
et moins directe. L'action de ses troupes eût contribué d'une ma- 
nière plus efficace à réduire les rebelles et lui aurait donné plus de 
facilité pour s'opposer aux projets des cours de Vienne et de Berlin, 
dans le cas où ils en auraient eu de contraires à ses intérêts et à ceux 
du roi de France. Far les mêmes raisons et par tout ce que je vous ai 
mandé de l'inutilité et môme des inconvénients des émigrés, vous 
penserez comme moi que l'argent qu'Us viennent d'obtenir de la gé- 
nérosité de l'impératrice est perdu pour l'utilité de la cause, et il 
est à craindre qu'il soit aussi mal employé que celui qui leur a déjà 
été donné tant de fois. Il ne faudrait jamais leur en fournir que pour 
des besoins déterminés. Tâchez, mon ami, de faire naître l'occasion 
de parler à l'impératrice de ces différents objets, surtout d'éclairer 
sa prévention en faveur des princes et des émigrés, et de modérer les 
sensations de sa grande [âme] sur leurs malheurs. Dites-lui qu'il 
faut travailler pour eux, mais non par eux, et qu'au lieu d'être par- 
tie principale, ils ne peuvent être que secondaire. En suivant une 
autre marche, on perdrait tout. Votre zèle, votre prudence et la con- 
naissance que vous avez, mon ami, des lieux et des personnes, vous 
diront mieux que moi ce qu'il j aura à faire pour une cause qui nous 
intéresse tous deux également. 



ET LA COUR DE FRANCE. 385 



CCLX. 

DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1). 

Luxembourg, le 17 octobre 1792. 

Combien je voijs remercie, mon cher comte, de m'avoir envoyé votre 
honnête compatriote dans cette ville pour me donner de vos nouvelles, 
et de tout ce qui m'intéresse ! La suite de votre amitié et les recher- 
ches me sont vivement sensibles, je ne puis vous le témoigner assez. 

Je m'étais déterminé à venir et à rester ici, quand votre courrier 
est arrivé ; mais vos justes raisonnements m'en auraient fait prendre 
la résolution , si elle avait été incertaine ; je ne sais pas si j'y serai 
fort utile à nos trop malheureuses à Paris , mais enfin je serai avec 
ceux qui peuvent s'en occuper et qui peuvent continuer à sentir la 
nécessité de ne pas rester (2) les honteux dégoûts du moment. 

J'ai vu M. Spielman, j'ai vu le baron de Thugut; je suis content, 
des dispositions que m'a montrées le premier, conmie je le suis des 
principes du second : l'un et l'autre assurent que l'Empereur ne sera 
occupé tout l'hiver que des mesures propres à assurer à la campagne 
prochaine des succès qui réparent les désastres de celle-ci. Tout ce 
qui tient au roi de Prusse proteste la même résolution ; la gloire comme 
l'intérêt de ces puissances demandent tant cette forte et invariable 
résolution qu'on doit y croire. Quand M. de Mercy sera ici, je ne doute 
pas qu'il ne l'appuie dans l'esprit de M. Spielman ; ses lettres sont 
aussi gracieuses aujourd'hui qu3 ses discours l'étaient p3u l'hiver 
dernier. 

Le roi de Prusse passera, je crois, ici le 20 ou 21 ; on dit qu'il y 
séjournera. Je le désire, pour qu'il puisse raisonner entre ses ministres 
et ceux de l'Empereur sur le plan poUtique de la campagne prochaine, 
afin de faire marcher du même pas le plan militaire de M. le duc de 
Brunswick. Je demande que ces deux grands objets soient mieux 



(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : 18, reçu par Reuttrsvatrd. 

(2) Mot miBible. 

T. II. 26 



386 LE COMTE DE FERSEN 

arrêtés que cette année , dans leurs moyens comme dans leurs vues. 
Je crois que je serai en état de vous parler sciemment de ces objets, 
et ce ne sera sans douleur. 

Je voudrais, comme vous, que M. le duc de Brunswick compte pou- 
voir faire quelque chose de guerrier pendant Thiver, mais je ne l'es- 
père pas ; son armée est fondue d'une manière inconcevable, et les 
idées s'en ressentent de même. Il dit qu'il ne veut plus commander 
les armées ; cependant je ne crois pas qu'il veuille rester sur la honte 
de la campagne , et il m'a paru écouter volontiers tout ce que j'ai 
présenté à son amour-propre pour le ramener aux seules pensées 
dignes de son courage et de sa réputation. 

Il y a dans les deux armées un grand parti contraire à tout ce qu'il 
faut faire pour que les puissances soutiennent avantageusement leur 
entreprise et ne songent qu'à la suivre, mais je crois les rois frappés 
de leur danger, s'ils n'écrasaient pas les nouveaux prédicants et leur 
dogme; je crois qu'ils l'entendent de môme, qu'ils n'en peuvent trouver 
aujourd'hui les moyens que dans le plus parfait accord, afin d'animer 
et de réunir à eux toutes les puissances également incertaines et 
faibles. Voilà ce que je prêche, et prêcherai tant que j'en trouverai 
l'occasion. Vous ne saurez vous faire idée de la haine toujours agis- 
sante entre les Autrichiens et les Prussiens, et combien peu de gens 
raisonnables dans les deux bandes à cet égard ; la liaison de ces deux 
souverains est un miracle des circonstances. 

J'apprends avec plaisir que votre santé va mieux, et j'espère qu'elle 
sera parfaite quand je vous reverrai. 

Mes amitiés à M"* Sullivan, je serai très-aise de me retrouver 
le soir dans sa société. Vous savez, mon cher comte, le prix que je 
mets à la vôtre, ma tendre amitié vous en renouvelle ses assurances. 



ET LA COUR DE FRANCE. 387 



CCLXI. 

DU BARON DE BRETEUIL A MADAME DE MATIGNON, SA FILLE (1). 

Lnxemboarg, le 22 octobre, midi [1792]. 

Je vous ai écrit en me levant aujourd'hui, chère enfant, par la 
poste ; mais M. de Mercy m'apprend qu'il va expédier un courrier à 
M"** l'archiduchesse, j'en profite pour vous dire encore un petit 
bonjour et qu'il m'est dur de ne pas vous le prononcer de vive voix. 
J'espère que le mois ne finira pas sans cette vive satisfaction pour 
moi. Je m'arrange pour partir le 25 ou 26, quand le roi de Prusse 
aura passé par cette ville. 

En rendant Longwy, on y rétablit les magasins et l'artillerie qui 
y ont été pris ; ne le dit^s pas, pour que vous ne soyez pas citée pour 
le blâme que cette étonnante conduite jette de plus sur M. le duc de 
Brunswick, c'est un homme dans la boue. M. le comte d'Artois con- 
tinue à se bien conduire, pour (2) ; je crois qu'il s'accoutumerait 

facilement à me voir le diriger; mais quoique j'en suis très-content, 
je ne m'accoutumerais pas de même à me donner ce soin : il quittera 
cette ville après-demain, et ce matin il est retourné chez le roi de 
Prusse, dont le quartier général n'est qu'à deux petites lieues d'icL 
Les quartiers d'hiver prussiens prendront depuis Trêves jusqu'ici. 
L'armée autrichienne depuis Namur jusqu'ici. 

Les électeurs de Mayence et de Trêves ont envoyé des courriers 
hier ici pour demander secours contre l'armée de M. de Custine qui, 
disent-ils, avance de nouveau avec 30,000 hommes pour occuper 
Spire. Je crois aisément à ce projet, et je crains son exécution. 

Je n'ai lu que ce matin ce que vous m'avez mandé de vos lettres 

et demande (3) pour modèle; je l'approuve fort. Nous serions 

trop dans la misère si je perdais mon habitation ; il me semble que 



(1) Lettre autographe. Le comte de Fersen a écrit en marge : du baron de BreUuiî, 
25 octobre 1792, reçu. 

(2) Mot UliBible. 

(8) Mot UliBible. ^ _ . 



388 LE COMTE DE FERSEN 

je saurais la supporter pour moi, mais pour vous, chère enfant , et 
pour Caroline, je ne résisterais pas à la douleur de vous y voir. 
Je vous embrasse. J'embrasse Tévêque. 



CCLXIL 

DU COMTE DE FERSEN AU PRINCE R^OENT DE SUÈDE (1). 

BruxeUes, ce 7 novembre 1792. 

Monseignetir, 

y. A. B. aura sans doute été aussi étonnée de la retraite inattendue 
et inconcevable du duc de Brunswick qu'elle le sera d'apprendre qu'il 
ne faut attribuer cette funeste manœuvre qu'à la petitesse de son es- 
prit, qui était au-dessous de la besogne dont il s'était chargé, et à la 
peur qui l'a saisi dans le moment où il avait le plus besoin de tout 
son courage. Voici quelques détails qui mettront Y. A. R en état 
d'en juger par elle-même. Après l'aflfaire de Grand-Pré, poste très- 
important tant par sa force que parce qu'il est la clef de la forêt 
d'Argonne et des gorges du Vermontois, où, de l'aveu même de 
M. Dumouriez, quinze cents Autrichiens ont chassé dix mille Fran- 
çais au travers d'une lieue d'abatis et de retranchements, le duc de 
Brunswick, par des manœuvres très-belles, enveloppa Dumouriez dans 
la position qu'il avait choisie, sur la côte de l'Hiron, son avant-garde 
aux Islettes, et gagna sur lui la chaussée de Châlons, où Dumouriez 
avait ses magasins. Ce fut le 20 septembre qu'il se trouva en pré- 
sence ; il fit déployer son armée en bataille, et marcha ainsi 150 pas 
en avant, en commandant une canonnade avec 70 pièces de canon. 
Tout le monde s'attendait à attaquer sur-le-champ, et il comimençait 
déjà à y avoir du flottement dans l'armée française. Le duc de 
Brunswick, apparemment dans l'espérance de la culbuter sans per- 



(1) D'après la minute de la main dn comte de Fersen, qni a écrit en marge : chiffrt au 
duCj envcyi et Aix-la-Chapelle. Apoitille lit* A. le 19 nov. 1792. 



ET LA COUR DE FRANCE. 389 

dre da mon de , et de tomber sur eux dans sa suite, fit halte et con- 
tinua pendant cinq heures sa canonnade, à laquelle les Français répon- 
dirent avec la même vigueur ; car l'artiUerie est la seule arme qui 
leur reste, et elle est très-bien servie. Cette résistance eflfraya le duc 
de Brunswick, qui, d'après tous les rapports qu'on lui avait faits, s'é- 
tait fait une idée exagérée de leur faiblesse et avait cru. qu'il n'y 
avait qu'à se montrer pour les battre, et qu'il leur en imposerait par 
sa canonnade. Il persista dans une opinion tout aussi exagérée de 
leur force qu'il en avait eu de leur faiblesse, quoiqu'on lui repré- 
sentât que, l'artillerie étant la seule arme qu'ils eussent encore, il 
fallait les empêcher de s'en servir, et quoiqu'il sût que, pendant la 
canonnade, jamais on n'avait pu faire monter à cheval la cavalerie, 
que les chevaux étaient au piquet, et qu'une grande partie de l'in- 
fanterie, ennuyée de rester tranquille, s'était mise en colonne, sans 
aucun ordre, et comptait de même aller attaquer les batteries prus- 
siennes. La canonnade finit à 6 heures du soir. Dans la nuit, Du- 
mouriez abandonna la position, et en prit une plus rapprochée de 
Sainte-Menehould, où il avait quelques magasins. Le 21 au matin,' les 
Prussiens occupèrent la position que les Français avaient quittée, 
mais il n'attaqua point, quoique, au dire de tous les officiers, il l'au- 
rait pu avec encore plus d'avantage que la veille, et que tous le lui 
demandaient. Le roi de Prusse lui-même le désirait. Le duc de Bruns- 
wick résista à tout, et ceux qui le connaissent attribuent cette ré- 
sistance à son indécision naturelle et au peu d'énergie et de courage 
de son caractère, qui est abattu par le plus léger revers, comme il 
est exalté par les succès. Mille circonstances dans le cours de cette 
campagne l'ont prouvé. La marche rapide qui avait été faite depuis 
Grand-Pré avait empêché de bien reconnaître la position et la force 
de Dumouriez ; on ne savait s'il avait 40, 60 ou 80,000 hommes. 
Pour s'en assurer, le duc de Brunswick imagina de traiter pour un 
cartel ; il fit des ouvertures en conséquence, le 22, et la manière dont 
M. de Manstein, aide de camp du roi, fut reçu, lui donna l'idée de 
traiter avec Dumouriez. Cet homme, qui a de l'esprit et de la finesse, 
jugea qu'il fallait amuser le duc de Brunswick, afin de gagner du 
temps pour se fortifier dans sa position, et faire consommer aux 
ennemis le peu de vivres qu'il pouvait y avoir dans le pays le plus 
pauvre de la France, et gêner leurs subsistances par la difficulté 
qu'il y avait de les faire venir, les chemins étant presque imprati- 



390 LE COMTE DE FEBSEN 

cables par les plaies continuelles qu'il faisait depuis six semaines. 
Le duc de Brunswick ne s'aperçut pas du piège ; Dumouriez reçut à 
merveille ses propositions, et y répondit de même ; on posa pour 
base la liberté du roi et de sa famille; on discuta l'article des 
princes et des émigrés, etc., etc. Enfin Dumouriez reçut la nouvelle 
de l'établissement de la république ; il la communiqua au roi de 
Prusse avec sa résolution de la reconnaître. Aussi il accompagna cet 
envoi du mémoire insolent au roi de Prusse que j'ai déjà eu l'hon- 
neur de faire passer à Y. A. B. Sa Majesté Prussienne en fut si cho- 
quée que dès cet instant toutes les négociations finirent, et le roi ne 
voulut plus recevoir aucun des nationaux dans son camp. Le duc 
de Brunswick s'aperçut alors, mais trop tard, qu'il avait été joué ; il 
en fut tellement affecté qu'il dit à quelqu'un que, si ce n'était lâ- 
cheté, il se casserait la tête. Il prit alors la résolution de se retirer. 
C'était le 28, et on s'accorde à dire qu'il lui aurait été difficile d'aller 
en avant, même après une victoire, qu'il aurait sans aucun doute 
remportée ; car une grande partie des troupes nationales ne voulaient 
pas se battre, au dire même des officiers nationaux venus ensuite 
pour des échanges ou autres commissions. Mais l'armée prussienne 
était hors d'état d'agir ; le manque de vivres, occasionné par la dif- 
ficulté des transports dans des chemins absolument rompus par les 
pluies continuelles qui mettaient les hommes et les chevaux dans 
la boue, jusqu'aux genoux ; le défaut de bois pour se sécher et se 
chauffer, tout cela avait mis les maladies et la mortalité parmi les 
hommes et les chevaux ; la dyssenterie régnait extrêmetnent, les che- 
vaux mouraient par vingtaines, et ces huit jours de séjour à Hans ont 
<^oûté à l'armée prussienne 6 à 7,000 hommes, tant morts que malades, 
et peut-être plus. Enfin le 29, l'armée commença sa retraite, qui se fit 
dans le meilleur ordre possible, mais avec des difficultés inouïes. Les 
canons et les chariots restaient dans la terre grasse et calcaire de la 
Champagne, et il a fallu 7 mettre jusqu'à seize et vingt chevaux 
pour les en tirer, et si Dumouriez avait eu du talent et d'autres 
troupes, il aurait pu tirer grand parti de cette retraite ; mais il n'a 
jamais osé s'approcher, et, la seule fois qu'il ait voulu tenter quelque 
chose contre le prince de Hohenlohe, deux seuls coups de canon ont 
ait fuir l'armée, et on a pris même des prisonniers. Les capitulations 
honteuses de Verdun et de Longwy sont des choses inexplicables, et 
beaucoup de gens croient que le duc de Brunswick a entièrement 



ET LA COUR DE FRANCE. 391 

'perdu la tête ; c'est, je crois, ce qu'on peut dire de mieux en sa fa- 
veur. On avait débité fortement que l'Angleterre avait influé sur sa 
conduite et avait arrêté sa marche, et on concluait cela de la quantité 
de courriers anglais quiallaient sans cesse à l'armée ; mais je crois être 
sûr, au contraire, que c'était pour avoir des nouvelles exactes de ce 
qui s'y passait, et que cet empressement était dicté par le désir du 
succès de l'opération. Tout me prouve que l'Angleterre sent la néces- 
sité et l'avantage même pour elle d'étouflfer les nouveaux principes, 
qui sans cela ne tarderaient pas à se répandre dans toute l'Europe et 
& troubler même sa tranquillité ; elle désire le rétablissement de la 
France, car cette puissance est déjà assez abaissée pour ne plus lui 
être dangereuse, et elle voit dans la destruction des nouveaux prin- 
cipes et la punition des factieux le seul moyen d'étouffer les idées de 
la réforme parlementaire, qui gagnent beaucoup. Je suis sûr que le 
vœu du roi et du ministère est favorable au rétablissement de la 
France, et milord Elgin vient de recevoir des ordres positifs de dé- 
mentir formellement les bruits qui s'étaient répandus sur les disposi- 
tions de l'Angleterre, contraires à l'expédition entreprise par l'Empe- 
reur et le roi de Prusse. 



CCLXIII. 

DU COMTE DE FERSKN AU BARON DE TAUBE (1). 

m 

Aix-la-Chapelle, ce 19 norembre 1792. 

Mon cber ami. Dans quel siècle vivons-nous ! il semble que la 
Providence épuise les coups les plus funestes pour accabler cette 
famille bonne et trop infortunée, et mon âme est déchirée de mille 
manières. Vous étiez déjà au désespoir, mon ami, de la retraite du 
duc de Brunswick ; eh bien, vous le serez encore plus lorsque vous 
saurez que les Autrichiens se sont crus obligés d'abandonner les 

(1) Lettre nutog^plie. 



392 LE COMTE DE FERSEN 

P.iys-Bas, à l'approche de Dumourîez et d'un tas de bandits, de vo- 
leurs et de rebelles. Cela fait horreur à penser, surtout lorsqu'on sait 
que c'est à la faiblesse^ à l'imbécillité et au manque d'énergie du gou- 
vernement et du duc Albert, qui commandait l'armée, qu'on doit ce 
malheur ; car les troupes sont excellentes, elles ont fait des prodiges de 
valeur, mais elles ont été mal conduites. Les Vallons se sont bien battus 
et sont restés âdèles, jusqu'au moment où ils ont vu qu'on abandonnait 
Bruxelles et tout le pays ; alors seulement la majeure partie a quitté, 
mais la peur a saisi tout le monde, tous n'ont pensé qu'à se sauver et 
ont tout abandonné; ni canons ni magasins, rien n'a été emporté , 
et on a tout laissé entre les mains des Français. Le pays même n'était 
pas mauvais ; il n'y a pas eu un seul mouvement de révolte dans le 
pays, et celui très-petit à Anvers a été étouflfé par les bourgeois 
eux-mêmes; personne, si ce n'est la canaille, ne désirait les Fran- 
çais ; ils voient trop les malheurs des individus en France pour 
vouloir leur être assimilés, mais le gouvernement a fui lâchement 
et a tout abandonné, cela fait horreur. Figurez-vous , mon ami, qu'à 
Mons^ lorsque le duc de Saxe se décida enfin, mais trop tard, à at- 
taquer, ce fut le général Beaulieu, avec 6,000 hommes, qui en attaqua 
70 à 80,000 ; il les fit plier, mais le reste de l'armée autrichienne ne 
le soutint pas, et il fut obligé de rentrer dans sa position. Je ne 
suffirais pas à vous mander tous les petits faits particuliers de ce 
genre dont j'ai connaissance ; bref, le résultat de tant de sottises 
multipliées a été la retraite des Autrichiens. Ils ont pris poste à Lou- 
vftin, et on croit qu'ils veulent défendre et couvrir tout ce qui est 
derrière la Meuse. Le duc Albert a quitté le commandement; ce 
sont les généraux Clairfayt et Beaulieu qui l'ont accepté, après beau- 
coup d'instances. Les princes et les émigrés sont dans Liège, dans 
un état déplorable, sans argent, sans ressources, dans la misère la 
plus grande, et ne sachant encore si les puissances les en tireront. 
Tous ces environs sont mal disposés et n'attendent que les Français 
pour se déclarer. Les maximes françaises de liberté et d'égalité ga- 
gnent fortement dans les Électorats ; enfin, mon ami, si tous les sou- 
verains ne sentent pas assez leurs intérêts pour se liguer ensemble, 
et arrêter le mal en l'étoufiant, ils en seront tous les victimes. Il 
n'y aura plus ni rois ni noblesse, et tous les pays éprouveront les hor- 
reurs dont la France est à présent la victime, et, pour avoir une exis- 
tence et conserver de quoi vivre, il se faudra faire jacobin. 



ET LA COUR DE FRANCE. 393 

Si vous pouvez vous procurer la lecture de mes lettres au duc 
d'aujourd'hui, vous y verrez des détails sur les événements. Nous 
n'avons pas des. nouvelles détaillées de Paris ; on s'y occupe du 
procès du roi, mais il y a lieu de croire qu'il ne sera pas exécuté, 
quoique sûrement condamné. H est affreux pour moi d'écrire de 
pareilles horreurs, et je suis bien tourmenté. Je n'ai pas été à 
Bréda, à cause de l'insurrection d'Anvers ; je suis parti de Bruxel- 
les le 9, après midi, avec Simolin et Crawford. Nous avions nos 
chevaux et d'autres de louage; nous sommes arrivés avec mille 
embarras, trouvant à peine à manger et pas à coucher, à cause de 
laquantité de monde, le 11, pour dîner à Maëstricht. C'était une file 
de voitures et d'équipages le long du chemin, et jamais coup d'oeil 
n'a été plus afSigeant : ces malheureux émigrés français à pied 
et en charrettes le long du chemin, ayant à peine de quoi manger ; 
des femmes comme il faut à pied, avec leurs femmes de chambre 
ou seules, portant un petit paquet sous le bras, ou leur enfant. A 
Maëstricht, nous eûmes mille peines où trouvera nous mettre à cou- 
vert ; il y avait plus de 1 1,000 âmes, arrivées en trois jours. Nous 
restâmes quatre jours, et, le 16, nous arrivâmes ici. Nous y resterons 
encore quelques jours, et comme MM. Metternich, de Mercy et de Bre- 
teuil vont à Dusseldorf, j'y irai aussi; Simolin y vient, et j'espère que 
Crawford se décidera à s'y établir avec nous. Dans tous mes cha- 
grins, je crains d'avoir bientôt aussi des embarras particuliers d'argent ; 
tous mes effets à Paris sont vendus ou vont l'être ; j'en avais laissé chez 
un gentilhomme dans les Pays-Bas, ils seront probablement pillés 
par les Français. Je n'ai pu emporter tous ceux que j'avais à Bru- 
xelles, et j'ignore encore si je les ai ou s'ils ont été pris. Vous savez, 
mon ami, que je n'ai jamais eu im sol de traitement ; je n'en désirais 
pas, le plaisir de servir mon roi et celui de France me dédomma- 
geait amplement de tous mes sacrifices ; mais ma position se prolonge, 
et ma perspective est bien incertaine à présent ; ce déplacement est 
énormément cher, et j'ai beaucoup sacrifié d'argent en courriers, 
etc., etc., dont je ne puis être remboursé par personne. Dieu sait 
que je ne regrette rien, et, si à la fin je puis me flatter de leur 
avoir été utile, je ne regretterai rien, et je me vouerai volon- 
tiers à toutes les privations. Je vais calculer, quand je serai plus 
tranquille, ce qui me reste encore, et je verrai alors ce que j'aurai 
à faire. J'avais pris des arrangements pour me faire venir mes lettres 



394 LE COMTE DE FERSEN 

de Bruxelles, mais depuis plusieurs jours il n'en vient point ici ; 
c'est encore une privation et un malheur de plus. 



CCLXIV. 

DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUEDE (1). 

Aix-la-Chapelle, ce 19 noyembre 1792. 

Monseigneur, 

Les Autrichiens ont évacué les Pays-Bas, sans se battre, et cette 
funeste manœuvre ne doit être attribuée qu'à la faiblesse et au 
manque d'énergie du gouvernement, et à la mauvaise conduite 
militaire du duc de Saxe-Teschen, qui n'a jamais voulu suivre les 
conseils des généraux Clairfayt et Beaulieu. Ils lui avaient conseillé 
de porter toutes ses forces aux avant-postes et d'attaquer les 
Français, dès qu'ils paraîtraient et avant qu'ils n'eussent le temps 
de se former, et sans leur laisser celui de faire arriver tous leurs 
moyens et de prendre une position. Le général Beaulieu lui en 
avait donné l'exemple, lorsque, au moment de la déclaration de 
guerre, il attaqua 15,000 Français dans le même endroit (à Bossus 
devant Mons) avec 2,000 hommes et trois pièces de canon, et 
qu'il les battit; mais le duc ne suivit pas leur avis, et il laissa 
les Français prendre une position devant Mons, après avoir repoussé 
tous ses avant-postes. Alors les généraux insistèrent de nouveau 
pour que le duc rassemblât toutes ses forces ; qu'il rappelât tous 
les détachements épars dans le pays à Tournai et dans la Flandre ; 
qu'il prît une position en arrière de Mons, dans le centre du pays, 
à portée de se porter du côté où les Français se dirigeraient, d'y 
attendre les Français et de les attaquer, dès qu'ils paraîtraient. Cette 
manœuvre offrait l'avantage d'affaiblir leurs moyens en les éloi- 
gnant de chez eux, et d'agir sur l'esprit des soldats, mal comman- 



(1) D'après la minute de la main du comte de Ferseo, qui a écrit en marge : chij/re 
au duc. 



ET LA COUR DE FRANCE. 395 

dés^ sans discipline, ne sachant point manœuvrer et qui auraient 
été moins rassurés, éloignés de leurs foyers et dans un pays ennemie 
qui, quoique mauvais, n'osait pas se déclarer. Le duc de Saxe ré- 
sista à tous ces avis, et il se décida, mais trop tard, à attaquer, 
sans connaître au juste la force de son ennemi ni sa position, et il 
n'apprit que lorsqu'il vit ses redoutes rasées , qu'ils avaient des 
canons de 24 et môme de 36. Depuis cette époque, la terreur pani- 
que s'est emparée de tout le monde. L'archiduchesse et le gouver- 
nement ont fui précipitamment de Bruxelles, comme si l'ennemi 
avait été aux portes de la ville, emportant tout ce qu'ils avaient 
de plus précieux et abandonnant le reste ; et l'armée n'est restée 
en avant de Bruxelles que pour assurer cette fuite, qu'on aurait pu 
éviter en terminant plus tôt les différends avec les états de Flandre, 
dont les prétentions n'étaient pas très-injustes, car ils demandaient 
seulement le maintien de la Joyeux enJtrée qui avait été garan- 
tie au moment oti les Autrichiens ont fait la conquête du pays, en 
1790. Par cet acte, les conseillers du Brabant sont inamovibles, et 
les états demandaient que les cinq conseillers qui ont été renvoyés 
par l'Empereur, et qui sont l'objet de la discussion, fussent jugés 
et punis, s'ils étaient coupables, ou rétablis dans leurs places, s'ils 
étaient innocents. Par cette condescendance du gouvernement, tous 
les différends étaient terminés, et l'Empereur aurait trouvé dans le 
pays des soldats et de l'argent, assez pour le conserver, car les 
démocrates brabançons ne .désiraient pas de régime français, ils en 
voient de trop près les inconvénients et les malheurs pour ne le 
pas craindre ; mais l'entêtement a été extrême de part et d'autre, il 
a été funeste à la maison d'Autriche, et pourra, si on n'étouffe le 
mal, le devenir à toute l'Europe. 

Il avait été décidé que le gouvernement se transporterait à Bure- 
monde, et tous les ministres étrangers avaient été invités de s'y 
rendre ; mais la peur les a encore poursuivis à Maëstrîcht, et au lieu 
d'aller à Ruremonde, le duc Albert et l'archiduc Charles sont allés 
à Vienne, le comte de Mettemich à Dusseldorf et M"* l'archi- 
duchesse je ne sais où. Le ministre d'Angleterre est parti de Maës- 
tricht pour Londres, et celui de Hollande est retourné à la Haye. 
Il faut en avoir été témoin pour se faire une idée des fautes, de 
la faiblesse et de l'ineptie de ce gouvernement, et de la peur qui a 
saisi tout le monde. 



396 LE COMTE DE FERSEN 



CCLXV. 



BULLETIN DU COMTE DE FERSEN, AU DUC DE SUDERMANIE, 

RIÈGENT DE SUÈDE (1). 

Aix-la-Chapelle, ce 19 novembre 1792. 

Le 4 et le 5, les avant-postes des Autrichiens furent repoussés 
du Bossus et de Saint-Guilain, et se retirèrent dans la position qui 
avait été choisie devant Mous et fortifiée de quelques redoutes. Le 
duc de Saxe y porte toutes ses forces, consistant en 16 à 17,000 
hommes. Le reste était détaché à Tournay et en Flandre, car il 
aurait dû avoir 36,000 hommes en campagne, puisque les forces 
autrichiennes sont comptées sur le pied de 55,000 hommes. Le 6, le 
duc se décide à attaquer les Français ; ils étaient 70 à 80,000 hom- 
mes avec 150 pièces de canon, dont 30 de 24 et de 36. Us ont 
attelé, pour les transporter, jusqu'à 28 à 30 chevaux. Au lieu de 
commencer l'attaque avant le jour, ce ne fut qu'à 11 heures du 
matin, et l'afiaire dura jusqu'à 7 heures du soir. Le général Beau- 
lieu attaqua avec 6,000 hommes, et fit plier les Français ; mais 
n'ayant pas été soutenu, il fut obligé de se retirer dans sa position. 
Les Autrichiens, firent des prodiges de valeur, mais ils trouvèrent 
partout un rempart de bronze, et ils furent obligés de se retirer 
dans leur position. Leurs redoutes furent rasées, dans le moment, 
du feu de la grosse artillerie, et ce ne fut que dans ce moment qu'ils 
s'aperçurent que les Français avalent des pièces de 24 et de 36. Ils 
repoussèrent cependant 1 es Français, qui n'avanç.aient qu'à la feveur 
de leur artillerie, et ils se maintinrent dans leur position ; mais 
pendant la nuit ils se retirèrent, et prirent une position derrière 
Mons sur la Haine, abandonnant tous leurs canons de 12, qui 
étaient dans les redoutes, et d'autres encore, n'ayant pas assez de 
chevaux pour les traîner. Leur retraite ne fut point inquiétée, et les 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrie en marge : chiffre, 
au duc. 



ET LA COUR DE FRANCE. 397 

Français n'entrèrent à Mons que le 7, lorsque toute l'armée autri- 
chienne eut abandonné sa nouvelle position et en eut pris une 
autre à trois lieues en arrière, entre Braine-le-Comte et Castiau, et le 
quartier général revint à Hall, à trois lieues de Bruxelles. Les Au- 
trichiens perdirent 3,000 hommes ; on ignore la perte des Français. 
Depuis le 5, tous les équipages de l'armée revenaient à Bruxelles, et 
la terreur commençait à gagner ; on parlait de départ, cependant 
tout le monde était encore dans une ignorance parfaite de ce qui 
s'était passé. Les détails n'en étaient pas connus. Enfin, le 7 au 
matin, la nouvelle de la retraite des Autrichiens fut publique, et, 
d'après l'avis des chefs du gouvernement, tout le monde se décida à 
partir. Le 8, il notifia aux ministres étrangers son intention de 
quitter Bruxelles et de se transporter à Buremonde, en les invitant 
à s'y rendre aussi. M.°^^ l'archiduchesse partit incognito dans la 
soirée, et le comte de Metternich dans la nuit. Les malheureux 
émigrés français étaient partis ou partaient ; la grande affluence de 
monde qui passa à Anvers j occasionna du mouvement dans la soi- 
rée. Les voitures furent pillées et les voyageurs extrêmement mal- 
traités ; mais ce mouvement fut apaisé dans la journée du 9 par les 
troupes et les bourgeois. Dans la matinée, on avait dissous le conseil 
du Brabant, et il n'existait plus de gouvernement que celui du com- 
mandant et de la garnison, composée de 1,500 hommes des troupes 
de Wûrtzbourg et de détachements de difi'érents régiments de Vallons, 
en tout 2,000 hommes. Le 9, on ouvrit toutes les prisons, et il y eut 
quelques prisonniers portés en triomphe en criant, Vive Vandernootf 
mais tout était tranquille, et on ne voyait sur tous les visages d'au- 
tre sensation que celle de l'étonnement et de la consternation. Tout 
le monde semblait craindre l'arrivée des Français. L'émigration 
continuait ce jour-là, mais elle était moins forte, car presque tout 
le monde était déjà parti. Toute la route, jusqu'à Maëstricht, était 
couverte de détachements pour assurer la marche des équipages. 
Le pays était fort tranquille et paraissait partager les sensations 
de la ville de Bruxelles. Le 13, l'armée autrichienne marcha sur 
Louvain, où elle prit une position. La garnison de Bruxelles re- 
pousjsa les Français, qui voulurent entrer dans la ville. Ils envoyè- 
rent alors un trompette sommer la ville. Le trompette ne voulut point 
traiter avec le commandant, mais avec l'hôtel de ville. La capitu- 
lation fiit faite, et le 14, à 3 heures du matin, la garnison sortit par 



398 LE COMTE DE FERSEN 

la porte de Louvain et alla rejoindre le reste de rarmée. Nous n' 
YODS pas de détails de ce qni s'y est passé depuis^ car il n'est pas 
arrivé de lettres de Bruxelles ici ; mais on assure qu'il n'y a en* 
core eu de pillés que les magasins de l'Empereur et dix à douze 
maisons. Les Français ont pris possession de Malines et d'Anvers, 
avec tous les canons et magasins qui y étaient et que les Autri- 
chiens n'avaient pas évacués. 

Le gouvernement a abandonné le projet de s'établir & Rure- 
monde; il ne se croit pas en sûreté dans la Gueldre, et on ne 
sait où il ira. Comme il n'y a plus rien à gouverner, le gouverne- 
ment paraît superflu. Le duc de Saxe a quitté le commandement, et 
on dit même le service; c'est avec beaucoup de^ peine qu'il a pu 
engager les généraux Clairfayt et Beaulieu de s'en charger. Nous 
n'avons pas des nouvelles positives de l'armée; nous savons seu- 
lement qu'elle est restée dans sa position à Louvain. Il paraît 
que Clairfayt a le projet de se placer sur la Meuse et de couvrir 
le pays de Luxembourg, Namur et Liège. Les princes et les émi- 
grés sont & Liège; ils ignorent encore quel sera leur sort; il n'y 
a rien de décidé ni sur leur emplacement ni sur leur subsistance, 
et ils sont dans le plus affreux embarras. Le pays de Liège est en- 
core tranquille, quoique tout prêt & se soulever si les Français ap- 
prochent. Aix-la-Chapelle est dans les mêmes sentiments. 

Nous n'avons pas de nouvelles fraîches de Paris. Nous savons 
seulement qu'on s'occupe en ce moment du procès du roi. Les avis 
paraissent partagés : l'abbé Fauchet croit Sa Majesté assez punie 
par tout ce qui lui est arrivé et veut qu'on la laisse aller ; d'autres 
veulent qu'elle soit jugée et exécutée, et qu'on abolisse ensuite la 
peine de mort. Il y a lieu de croire que le projet est de juger le roi, 
de le condamner et de lui faire donner la grâce par la nation, en 
lui assignant une somme pour son entretien et celui de sa famille ; 
mais on ignore si on le gardera en prison ou si on lui laissera la 
liberté d'aller où il voudra. 



ET LA COUK DE FRANCE. 399 



CCLXVL 

DU COMTE DE DEUX-PONTS AU COMTE DE FERSEN (1). 

Deux-Ponts, ce 17 déœmbre 1792. 

Votre lettre du 3 , mon cher Fersen, m'a tiré d'inquiétude sur votre 
compte ; il était bien tourmentant de vous savoir errant^ sans pou- 
voir avoir de vos nouvelles. 

Après la désastreuse et inconcevable campagne qui a mis le comble 
aux malheurs du roi et de la reine, je suis revenu ici à la fin d'oc- 
tobre. Nous y avons été entourés d'armées françaises, elles ont même 
campé sous nos yeux. Nos paysans, malgré toutes les séductions, 
sont restés bons et honnêtes et fidèles, à l'exception d'un bailliage 
enclavé dans l'Alsace. On nous dit ici que Dumouriez a reçu un échec 
près Aix-la-Chapelle ; je persiste encore & en douter. 

De nos côtés, Beurnonville a échoué devant Trêves. Son armée a 
extrêmement diminué par la désertion des gardes nationales , qui 
aiment mieux retourner se chauffer chez eux que de camper dans 
la neige du Holtzwald, ce qui n'est pas si déraisonnable. Custine est 
rencoigné dans Mayence comme le maréchal de Belle-Isle l'était à 
Prague, et, si Dumouriez ne parvient pas au Rhin, il est difficile 
qu'il s'en tire bien. Ses gardes nationaux nous passent ici par bandes, 
se plaignant beaucoup de lui et ne voulant plus retourner dans cette 
Allemagne où on gèle et où on n'est point mûr pour la liberté. 

Ce que vous me mandez de Bruxelles se confirme de tous les côtés; 
ils veulent leur ancienne constitution, et nullement la liberté à la 
mode en France. 

Après vous avoir fait ma gazette, il faut vous dire, mon cher ami, 
que je ne puis dans ce moment vous trouver un cocher qui soit aussi 
bon que je le désire ; mais je crois dans peu pouvoir faire votre com- 
mission parfaitement bien, car les événements forcent le duc à une 
réforme considérable dans son écurie et sa chasse. Je m'emparerai 



(1] Lettre autographe en dair. Le comte de Fenen a écrit en marge : reçu 29 déc. 1792, 
rép, 29 déc. 



400 LE COMTE DE FERSEN 

pour vous du meilleur sujet. Mandez-moi en conséquence où je pourrai 
vous l'adresser, lorsque j'en aurai un. 

Il me semble, puisque vous voilà errant, que vous seriez mieux à 
Frankfort, ou aux environs, que nulle part; c'est là probablement 
que sera le centre de tout, et on y est très-certainement à l'abri des 
événements futurs. J'espère pouvoir dans peu en dire autant du pays 
que j'habite, et que je ne quitterai sûrement pas tant qu'il est exposé. 

Adieu, mon cher Fersen, comptez à jamais sur la constante amitié 
de votre ancien ami. 

Deux-Ponts. 

Je dois vous observer que les lettres du Bas-Rhin passent par 
Mayence, où on ne se refuse pas le plaisir de les ouvrir. 

Dans ce moment passe un officier d'artillerie en courrier de Paris 
à Custine, pour lui apporter l'ordre de traiter d'une suspension 
d'armes. 



CCLXVII. 

DU COMTE^DE FERSEN AU DUC DE SUDBRMANIE, RÉGENT DE SUÈDE (1). 

Dusseldorf, le 29 janvier 1793. 

Le courrier de France n'est point arrivé hier. 

Quelques lettres particulières mandent que Madame, fille du roi, est 
morte le 21 au soir, d'une attaque de nerfs occasionnée par le sai- 
sissement qu'elle a éprouvé au moment que 1& roi a été emmené du 
Temple. 

Les 12 bataUlons et 15 escadrons qui devaient passer le Rhin à 
Hesel n'ont point effectué ce passage. Seulement 1,200 hommes et 
300 hussards se sont portés en avant dans la Gueldre ; on ignore la 
raison de ce changement, mais on suppose que c'est l'augmentation 
de la garnison de Buremonde qui a été portée à 10,000 hommes. 

(1} D'après la minute de la main du comte de Fersen. 



'- I 



ET LA COUR DE FRANCE. 401 

Rien de nouveau des armées , si ce n'est des affaires d'ayant-pos- 
tes de peu d'importance. 



CCLXVIII. 



l'archevêque de tours au comte de fersen, 

DU 27 JANVIER 1793 (1). 

{Extrait des lettres de Paris.) 

Le 21, à 9 heures 1/2 du matin ^ le roi est sorti du Temple , escorté 
de 400 hommes de cavalerie et de 1,200 d'infanterie. 

Il a été conduit, au milieu du plus profond silence, par les boule- 
vards du Temple, de Saint-Martin et de Saint-Honoré, à l'échafaud, 
dressé sur la place ci-devant de Louis XV, à présent diteefe la Révo^ 
lution, entre l'emplacement où était la statue, et l'entrée des Champs- 
Elysées. 

Dans le fond de la voiture, et à la gauche du roi, était son confes- 
seur, prêtre irlandais; sur le devant, deux officiers de la gendarmerie. 

Arrivé au pied de l'échafaud, il a souffert, avec un grand sang- 
froid, qu'on lui liât les mains, et a monté avec courage. 

Il a voulu parler au peuple ; mais le bruit des tambours a étouffé 
sa voix. Cependant ceux qui étaient près de l'échafaud ont entendu 
ces paroles, prononcées d'un ton ferme : Je pardonne à mes ennemis , et 
je désire que ma m^ort fasse le salut de la France. 

Il a rendu le dernier soupir à 10 heures 3/4 ; sa tête tombée fut 
présentée au peuple. Au même moment l'air retentit des cris de Vive 
la nation ! vive la république française! 

Plusieurs volontaires ont trempé leurs piques dans son sang, d'au- 
tres leurs mouchoirs. 

Son corps et sa tête ont été portés et ensevelis à la Magdeleine. 

L'archevêque de Tours a l'honneur, pour se conformer au désir de 



(1) D'après la lettre toute autographe et originale, dans les papiers du comte de Fersen, 
«qui a écrit en marge : 27 Janvier 1793. 

T. II. 2G 



402 LE COMTE DE FERSEN 

monsieur le comte de Fersen, de lui envoyer les tristes et horribles 
détails du crime atroce qui déshonorerait à jamais le nom français, 
s'il n'était désavoué par ceux, en très-grand nombre, qui sont encore 
dignes de le porter. 

Les lettres de Paris gardent le silence le plus absolu sur la famille 

royale. 

Ce dimanche au soir. 



CCLXIX. 

DU COMTE DE FERSEN AU COMTE DE MERCY (1). 

Dusseldorf, ce 3 février 1793. 

Monsieur le comte, 

La lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire du 
31 dernier me fut remise hier au soir. 

J'ai été flatté de voir que V. E. ait approuvé mes réflexions sur la 
régence. Quant aux démarches à faire pour sauver la reine, il serait 
bien diflîcile d'oser prononcer définitivement sur une aussi impor- 
tante [affaire], et il faudrait pour cela une connaissance plus exacte 
que je ne l'ai sur la disposition actuelle des esprits; mais plus je con- 
sidère tout ce qui s'est passé, plus je me raffermis dans mon opinion 
qu'on ne peut la servir qu'en ne faisant rien pour elle. 11 est affreux 
de devoir borner son zèle à l'inactivité ; mais si cet effort est pénible, 
la jouissance sera plus grande, s'il est couronné parle succès. Une 
démarche de l'Empereur, simple et qui n'aurait pour but que de ré- 
clamer la reine , serait sans contredit conforme à la dignité de l'Em- 
pereur ; mais si cette démarche, loin d'être utile à la reine, pouvait 
lui être nuisible, ne serait-il pas plus beau, plus noble, plus généreux 
de tout sacrifier à un si grand intérêt ; et la dignité de l'Empereur ne 



(1) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : au comte 
Mercy. 



ET LA COUR DE FRANCE. 403 

serait-elle pas à couvert, si une explication secrète justifie son silence 
aux yeux des cours de l'Europe? Le but de cette démarche serait 
la sortie de la reine du royaume ; mais jamais les factieux n'y con- 
sentiraient. L'intérêt que la présence et les malheurs de cette princesse 
inspirera ou réclame , les détails qu'elle pourra donner , les moyens 
qu'elle pourra indiquer, l'esprit de vengeance dont on la suppose 
agitée, tout s'oppose à cet espoir. Eeste donc à considérer cette dé- 
marche sous le seul rapport des effets qu'elle produira : elle sera 
ou utile, ou nuisible, ou indiflférente. L'exemple du passé et le peu 
de cas qu'on a fait des réclamations de l'Espagne, qui n'ont fait que 
hâter la perte du roi, ne prouvent-ils pas assez le peu d'eflet qu'il 
faut attendre de pareilles démarches , et ne donnent- ils pas la triste 
certitude qu'il n'y en a aucune autre que celle de la force qui 
puisse changer le sort de la reine, s'il est décidé? Mais une démar- 
che .très-ostensible ne peut-elle pas éveiller une discussion sur le pro- 
cès de la reine, qui avait été décrété en même temps que celui du 
roi, mais dont il n'est pas encore question, et qu'un parti veut peut- 
être faire oublier? ne peut-elle pas servir de prétexte pour hâter le 
jugement de la reine, afin, comme il a été dit au procès du roi, d'é- 
viter de la part des autres puissances des démarches pareilles ? L'in- 
térêt que l'Empereur manifestera pour sa tante ne sera-t-il pas une 
raison pour les factieux , et un moyen dont ils se serviront pour la 
perdre , en réveillant la haine contre les Autrichiens et montrant la 
reine comme étrangère et complice des crimes qu'ils ont imputés au 
roi? En vain les raisonnements les plus justes démontrent l'impossi- 
bilité du procès par l'absence de toutes les preuves, et celle de l'as- 
sassinat par l'intérêt même des factieux ; mais nous avons vu que 
ces considérations ne les ont pas arrêtés, et ose-t-on espérer qu'ils 
seront à présent plus sages et moins atroces? 

Si une démarche de ce genre pouvait être absolument indifférente, 
alors la dignité de l'Empereur devrait l'engager à la faire ; mais 
comment peut-on la croire telle , lorsque d'un côté il paraît certain 
qu'elle est inutile, puisqu'elle ne remplira pas son objet, et que de 
l'autre on peut entrevoir la possibilité qu'elle soit nuisible , et n'est- 
ce pas alors le cas de n'en faire aucune? Un autre moyen plus effi- 
cace de servir la reine serait, selon moi, des agents intelligents de 
l'Angleterre qui gagneraient, à force d'argent et de promesses, les 
meneurs du parti d'Orléans, tels que Laclos, Santerre, Dumouriez ; 



404 LE COMTE DE FERSEN 

car il ne faudrait pas s'adresser au duc d'Orléans , il est aussi nul et 
incapable que scélérat et poltron , et ce n'est que par les autres qu'il 
faut arriver à lui. Vous êtes plus à portée que moi de savoir jusqu'à 
quel pointée moyen est possible. D'après la conduite des factieux, je 
me persuade qu'ils espèrent, en détruisant la famille royale, détruire 
aussi l'intérêt des puissances pour la monarchie , et qu'alors les vues 
des puissances, se tournant vers le démembrement du royaume, elles 
leur abandonneront un noyau où ils pourront établir leur république 
et se mettre à l'abri des châtiments qu'ils ont si bien mérités. C'est 
ce qui me fait espérer que si la conduite des puissances leur permet de 
conserver cet espoir, ils ne voudront pas se charger inutilement 
du nouveau crime d'égorger ce qui reste de cette famille infortunée. 
Mon zèle et mon attachement pour la reine m'ont seuls dicté toutes 
ces réflexions que je soumets avec confiance à l'expérience de V. E. 
Je la supplie d'agréer l'assurance de la haute considération avec la- 
quelle, etc. 



CCLXX. 

DU BARON DE BRETEUIL AU COMTE DE FERSEN (1). 

Londres, le 24 février 1798. 

Je reconnais avec vive sensibilité , mon cher comte , votre amitié 
particulière pour moi, et vos sentiments pour nous en tout ce que 
vous me dites sur ce malheur affreux et sur ce qui reste à craindre. 
Cet effroi me suit sans cesse avec la douleur profonde qui ne peut 
plus me quitter. 

J'avais pensé à tout ce que vous m'indiquez pour assurer le salut 
des augustes têtes, et j'en suis autant occupé que je le dois; je vous 
dirai sur ce grand objet, quand je serai rapproché de vous, la marche 
que j'ai tenue. 

(1) Lettre autographe. Le comte de Ferssn a écrit en marge : 28yerrwr, rrçi». 



ET LA COUft DE FRANCE. 405 

L'ÀDgleterre paraît de votre avis sur la régence dont Monsieur 
s'est revêtu : elle semble ne vouloir le reconnaître qu'après s'être 
concertée avec les autres puissances, et particulièrement l'Espagne 
et Naples. J'ai même lieu de croire que le duc d'Harcourt a été si 
persuadé de l'inutilité de ses démarches, près du ministère anglais, 
qu'il n'a fait aucun usage des lettres de notification que Monsieur 
l'avait chargé de remettre ici ; mais ne dites pas cette particularité de 
la conduite sage du duc d'Harcourt. Je pense fort avec vous sur la 
nécessité du silence relativement aux droits de la reine sur la régence ; 
ils ne sauraient péricliter, si S. M. recouvrait la liberté, aiusi que 
le roi. Il n'y a que le temps qui puisse éclairer sur le plus ou le moins 
de possibilité pour le succès de ce vœu. 

M"* de Lassence m'a chargé de mille choses pour vous. Sa douleur 
et sa conduite dans cette funeste circonstance la rendent fort inté- 
ressante. Goguelat est ici et veut passer en Allemagne. Vous savez 
que j'attends pour mon passage un bâtiment de la marine anglaise ; 
on me fait espérer que l'occasion s'en présentera incessamment, je le 
souhaite plus ardemment que je ne puis l'exprimer, j'ai besoin de me 
retrouver avec mes amis. 

Ne m'oubliez pas auprès de M™*^ Sullivan , de M. Crawford et 
de M. de Simolin; j'aurai grand plaisir à me retrouver le soir au 
milieu de votre société. 

Vos commissions seront faites. 

Je vous renouvelle , cher comte, ma vieille et tendre amitié. 

Ce que vous me dites du comte de la Marck me fait partager la 
satisfaction que vous en (1); parJoz-lui de mon amitié. 

(1) Ce mot manque parce que le papier est déchiré. 



406 LE COMTE DE FERSEN 



CCLXXI. 



DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE 

SUÈDE (1). 

Diisseldorf, ce 29 mara 1793. 

Monseigneur, 

Il paraît certain qu'il y aura un congrès de toutes les puissances 
coalisées, non pour reconnaître la république française ou traiter avec 
elle, toutes sont d'accord sur l'impossibilité ou l'inutilité de ces 
négociations, puisqu'il n'y a pas en France un pouvoir qui puisse en 
garantir l'exécution; --.-mais l'objet de ce congrès doit être de régler 
et surveiller les opérations militaires, de prononcer sur les difficultés 
ou les événements difficiles qui pourraient naître, et éviter par là 
les retards que l'envoi des courriers doit nécessairement apporter dans 
les affaires ; enfin ce congrès doit décider du sort de la France , en 
réglant les échanges et les indemnités entre les puissances, et en y 
établissant un gouvernement quelconque. Toutes les puissances ont 
senti également combien il importait à leur propre tranquillité et à 
leur sûreté de rétablir un gouvernement en France , de faire cesser 
les troubles qui déchirent ce malheureux pays, de prévenir les dangers 
de l'exemple, en punissant les excès de tous genres qui y ont été 
commis, et d'arrêter, en l'étouffant, un mal qui pourrait gagner toute 
l'Europe et la replonger dans la barbarie. Il est impossible de prévoir 
quel sera le gouvernement qu'on établira en France, mais il est juste 
de croire qu'il sera calculé sur l'intérêt qu'auront les puissances les 
plus influentes de tenir ce pays dans un état de faiblesse qui ne 
puisse leur faire ombrage, et lui défende de rivaliser avec elles ; l'in- 
fluence de celles qui ont un intérêt commun à la conservation de la 
France et à son existence dans le système politique de l'Europe peut 
seule apporter un changement à cette probabilité de conduite. Le 



(1) D'après la minute de la main du comte de Ferscn, qui a écrit en marge : chiffre, au 
duc. 



ET LA COUR DE FRANCE. 407 

projet d'un démembrement partiel de la France, pour servir d'indem- 
nité aux puissances, paraît être arrêté, mais les détails et les échanges 
qui pourront en être la suite ne me sont pas encore connus. Celui de 
la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens, auxquels on joindrait les 
Pays-Bas français, l'Alsace et la Lorraine à titre de royaume, paraît 
probable. L'Angleterre serait dédommagée par des avantages de 
€ommerce et des possessions aux Indes et aux îles ; le roi de Prusse, 
par la possession de Danzig et Thorn, et des arrondissements en 
Pologne et en Allemagne. L'Espagne et la Sardaigne obtiendront 
quelques avantages sur leurs frontières, mais il est diflSicile de pi^juger 
ceux que la Bussie peut désirer pour donner les mains à ce projet; 
cependant il n'est pas douteux qu'il existe , il n'y aurait que la diffi- 
culté d'une juste répartition qui peut le détruire. Le lieu et l'époque 
du rassemblement du congrès ne sont pas encore connus, mais on 
croit que les plénipotentiaires seront nommés incessamment, et que 
Cologne ou Aix-la-Chapelle seront le lieu de leurs séances. 

Les cantons suisses sont divisés entre eux; plusieurs veulent 
observer une stricte neutralité, les autres veulent se déclarer contre 
la France. Il n'est pas douteux que les puissances coalisées n'influent 
sur leur décision et les forcent, par leur réunion, & agir de concert 
avec elles et défendre toute communication avec la France. 

L'Angleterre paraît décidée à agir vigoureusement ; elle pousse les 
opérations avec une grande activité. Je crois être sûr qu'elle a 
demandé à la Russie d'engager le Danemark à refuser l'entrée du 
Sund aux vaisseaux français, et à cesser toute communication avec 
la France. C'est principalement de cette mesure, généralement adop- 
tée, que les puissances coalisées attendent de grands moyens pour 
réduire la nouvelle république française. On assure qu'elles sont 
même en négociation avec les puissances barbaresques pour le 
même objet. 



408 LE COMTE DE FERSEN 



CCLXXIL 

DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE A M. DE JARJAYES (mARS OU 

AVRIL 1793) (1), 

Adieu ! je crois que si vous êtes bien décidé à partir, il vaut mieux 
que ce soit promptement. Mon Dieu! que je plains votre pauvre 

femm^. T (2) vous dira l'engagement formel que je prends de 

vous la rendre, si cela m'est possible. 

Que je serais heureuse si nous pouvions être bientôt tous réunis ! 
Jamais je ne pourrai assez reconnaître tout ce que vous avez fait 
pour nous. 

Adieu! ce mot est cruel! 



CCLXXIII. 



DU COMTE DE FERSEN A LA REINE MARIE-ANTOINETTE (3). 



Ce 8 avril 1793. 

La position oti vous allez vous trouver va être très-embarrassante, 
vous aurez de grandes obligations à un gueux, qui, dans le fait, n'a 
cédé qu'à la nécessité, et n'a voulu se bien conduire que lorsqu'il voyait 
l'impossibilité de résister plus longtemps. Voilà tout son mérite 
envers vous ; mais cet homme est utile, il faut s'en servir et oublier 



(1) D'après une copie de la main de M. de Jarjajes, annexe d'une lettre que ce dernier a 
écrite au comte de Fersen, datée de Turin, le 18 février 1794; Toir ci-après, n° CCLXXXIV. 
M. de JarjayeB a écrit au-dessus de cette copie de la lettre de la reine : copie au bilUt qve 

fat rsçtf de la i2..... au moment de mon départ. Cette copie ainsi que la lettre de M. de Jar- 
jajes se trouTent dans les papiers du comte de Fersen. 

(2) Touland. 

(8) Minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : note pour la reine^ 



ET LA COUR DE FRANCE. 409 

le passé ; avoir même l'air de croire ce qu'il dira de ses bonnes inten- 
tions^ agir même franchement avec lui, pour les choses que vous 
pouvez désirer^ et le rétablissement de la monarchie dans son entier, 
et telle que vous la voulez et que les circonstances le permettent. 
Vis-à-vis de Damouriez, vous ne risquez rien ; son intérêt est en ce 
moment intimement lié au vôtre et au rétablissement de votre auto- 
rité comme régente. Il doit craindre celle de Monsieur, et l'influence 
des princes et des émigrés ; mais il faudrait tâcher de ne pas trop 
vous engager avec lui, et surtout écarter le plus possible tous les 
autres intrigants qu'il voudra placer et recommander; ses gens vous 
seront incommodes, et il sera facile de lui prouver qu'ils le seront 
même pour lui, et pourraient affaiblir les obligations que vous lui 
avez et diminuer les récompenses qu'il doit attendre, en gênant ce que 
vous seriez tentée de faire pour lui. C'est un homme vain et avide, 
il sentira la force de ce raisonnement, et votre esprit vous suggérera 
mieux que moi les choses à lui dire là-dessus. 

Votre volonté sur le rétablissement de la monarchie sera encore 
gênée par l'influence des puissances coalisées. Il n'y a plus de doute 
que le démembrement partiel du royaume ne soit décidé ; leur intérêt, 
j'en excepte la Prusse, la Russie et l'Espagne, est de donner à la 
France un gouvernement qui la tienne dans un état de faiblesse. 

M. de Mercy ne peut et ne doit vous donner des conseils que d'après 
cette base. Il faut donc vous défier un peu de ce qu'il vous dira 
là-dessus, et mettre en opposition les avis de gens sages, intéressés 
comme vous au rétablissement de la monarchie et de votre autorité ; 
de cette opposition peut naître un résultat moins défavorable pour 
vous. 

Vous ne pouvez être régente sans le chancelier et l'enregistrement 
des parlements, et il est intéressant d'insister là-dessus ; c'est même 
une raison pour faire le moins de choses possible jiisqu'à cette épo- 
que. Il vous faut un conseil de régence, il faudrait le convoquer, avant 
de rien faire. Il ne faut pas hésiter à y appeler les princes, même le 
prince de Condé ; c'est un moyen de le rendre nul. Il faut tâcher 
d'empêcher Dumouriez de vouloir en être président ou membre, et 
lui parler franchement là-dessus, s'il en témoigne le moindre désir. 
En tout, jusqu'au moment où vous serez reconnue régente, et où 
vous aurez formé votre conseil, il faut faire le moins possible et 
payer tout le monde en politesses. 



410 LE COMTE DE FERSEN 

L'évêque, avec qui j'ai beaucoup causé et à qui j'ai dit mes idées^ 
vous les expliquera mieux que je ne le pourrais par écrit. Vous serez 
contente de lui et de sa sagesse. Il vous instruira de tout, et je l'ai 
trouvé très-raisonnable et sentant la nécessité de se prêter aux cir- 
constances. S'il était nécessaire que Dumouriez fût chef du conseil 
de régence, ou même si vous y placez Monsieur, il serait bon pour 
vous d'y appeler le baron (1), si vous ne voulez pas faire de lui le 
chef de ce conseil. 

Mon zèle m'a seul dicté ces aperçus. Les circonstances peuvent 
les faire varier à l'infini, et ils ne sont bons que pour les méditer. Il 
faudrait écrire à l'Empereur, aux rois de Prusse et d'Angleterre ; ils 
ont été parfaits pour vous, surtout le roi de Prusse. Il faudrait écrire 
aussi à l'impératrice ; mais une lettre simple et digne, car je ne suis 
pas contenu de sa conduite ; elle n'a jamais répondu à votre lettre. 



CCLXXIV. 



BULLETIN DU COMTE DE FERSEN AU CHANCELIER DE SUÈDE, COMTE 

DE SPARRE (2). 

Aix-la-Chapelle| ce 16 avril 1793. 

Un homme digne de foi, parti de Paris le 11, a apporté ici la nou- 
velle que M. et M"® la duchesse d'Orléans, M. le duc de Conti, 
M"® la duchesse de Bourbon, M"® de Montesson, MM. de Sillery et 
Laclos avaient été arrêtés et menés au château d'If en Provence. 
Voici les circonstances les plus probables de cet événement. 

Il y avait & Paris trois partis : celui d'Orléans, qui visait à la dic- 
tature ou au triumvirat ; celui de Robespierre, Danton et Marat, qui 



(1) De Breteuil. 

(2) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : au ch<tn- 
ctlier. 



ET LA COUR DE FRANCE. 411 

avait les mêmes vues, mais qui voulait en exclure M. le duc d'Or- 
léans ; et celui de Pétion, qui veut & tout prix faire la paix et qui 
paraît s'entendre avec Dumouriez. Les deux premiers partis vou- 
laient la destruction de la famille royale ; le dernier veut la sauver 
et la rétablir. Le parti d'Orléans avait gagné Santerre et voulait, à 
l'aide de son influence, faire une insurrection dans le faubourg Saint- 
Antoine ; mais, au moment de l'exécution, la peur prit au duc d'Or- 
léans, et il la contremanda. Les deux autres partis se rapprochèrent 
alors, et, pour écraser le troisième, convinrent de se défaire du chef; 
mais comme ils ne pouvaient se défaire de la personne du duc d'Or- 
léans tout seul, Os ont pris le parti d'envelopper dans la même pros- 
cription toute la famille de Bourbon. On croit que M. le duc d'Or- 
léans sera massacré en chemin, car Bx)bespierre doit avoir dit qu'on 
ne ferait rien aux femmes. Les partis de Robespierre et Pétion sont 
maintenant bien prononcés et très-acharnés l'un contre l'autre. Le 
sort des prisonniers du Temple dépend de celui qui sera vainqueur : 
si c'est Pétion, ils sont sauvés; si c'est Robespierre, il y a tout à 
craindre pour leurs jours. 

jyjiie d'Orléans et M"* de Sillery ont passé hier ici, allant en 
Suisse par l'Allemagne. 

La nouvelle de la prise de Condé ne s'est pas confirmée ; un 
mouvement subit d'une partie de l'armée autrichienne vers cette 
place aura sans doute donné lieu à ce bruit. 

L'armée, aux ordres du prince Frédéric de Brunswick, est à Tour- 
nay. On croit que le prince de Cobourg attend un train d'artillerie 
de siège considérable, et qui doit arriver sous peu de jours, pour 
marcher sur Valenciennes et Condé. 



412 LE COMTE DE FERSEN 



CCLXXV. 



DU DUC DE SUDEHMANIE, RÉGENT DE SUEDE, AU COMTE DE FERSEN (1). 

Stockholm, ce 16 avril 1798. 

Monsieur le comte de Fersen. Rieu ne peut se comparer à la joie 
que j'ai ressentie à la réception de votre lettre du 6 de ce mois , que 
j'ai reçue ce matin. Il est donc arrivé ce moment désiré que le délire 
et les succès tragiques et sanguinaires de la France vont cesser, 
qu'elle sera enfin soumise à ses légitimes maîtres, et que la malheu- 
reuse famille de Bourbon, notre ancienne et véritable amie, entrera 
dans ses anciens droits ; qu'enfin rétabli sur le trône de son père, on 
verra Louis XVII, guidé par une mère tendre et respectable, recevoir 
en même temps l'hommage d'un peuple coupable mais trompé, et 
punir d'une main terrible les meurtriers de son père, ramener la 
tranquillité de l'Europe, en vengeant la royauté outragée, en écra- 
sant cette secte impie dont les principes exécrables menaçaient d'in- 
fester le monde d'un barbarisme universel. 

Je me hâte de vous envoyer ces lignes par M. de Reutersvaerd, 
qui restera près de vous autant de temps que vous en aurez besoin 
comme un homme sûr et affidé, et dont vous pouvez vous servir avec 
toute sûreté dans toutes les occasions qui se présenteront. Il vous 
dira que cette nouvelle agréable a rempli de joie la cour et la ville, 
que ce jour a été un jour de réjouissance, et que personne plus que 
moi ne participe à cette allégresse commune. Je vois arriver l'époque 
où notre ancienne amie pourra s'unir avec nous, et quel intérêt plus 
à cœur pourrais-je avoir que de cimenter les anciennes liaisons qui 
jadis unissaient la France avec la Suède, intérêt que je sens aussi 
bien que vous, mon cher comte, surtout lorsque tout paraît prouver 
qu'une puissante voisine semble vouloir profiter de notre situation 



(1) D'après la lettre toute autographe, dans les papiers du comte de Fersen, qui a écrit 
en marge ; 28 avril reçu par Heutersvaerd; rép. en clair et le 6 mai en chiffre , datée 
29 avril. 



ET LA COUR DE FRANCE. 413 

politique pour s'arroger des droits dont aucune puissance ne peut 
user yis-àr-yis d'un allié libre et indépendant. 

Je vous charge, mon cher comte, d'être l'interprète auprès du nou- 
veau roi des sentiments d'amitié et d'intérêt que le roi mon neveu, 
et toute notre famille portent à ce jeune rejeton de la famille de 
Bourbon. Vous êtes Suédois, vous aimez votre patrie, je suis votre 
ami, et j'ai des droits sur la vôtre : je ne puis guère mieux confier les 
intérêts de ma patrie qu'en vos mains, et je vous constitue ambassa- 
deur du roi près de Louis XVII. Vous jugerez vous-même mieux 
que moi le temps et le moment propice pour vous rendre à Paris, à 
votre destination ; comme étant sur les lieux, vous jugerez, après les 
événements qui se présenteront, le moment le plus convenable aux 
intérêts de votre patrie, pour faire valoir votre caractère diplomati- 
que. Comme le temps n'a pas permis de vous envoyer les lettres de 
crédit, vous ferez valoir, s'il est nécessaire, celles dont le feu roi 
vous avait chargé, celles du roi d'aujourd'hui vous seront envoyées 
incessamment. Vous jugerez vous-même d'ailleurs le moment le 
plus favorable pour l'intérêt de votre patrie de déployer votre carac- 
tère ; vous connaissez ma façon de penser, les intérêts de la Suède, 
et, guidé par l'amour de votre patrie, je suis sûr que vous devinerez 
l'instant le plus propice. 

Je suppose qu'avant l'arrivée deM.de Reutersvaerd les affaires- au- 
ront déjà pris une face heureuse et décidée. Je forme des vœux sin- 
cères pour la santé du roi et de la reine; les assurances que vous 
m'avez données sur leurs personnes me donnent quelque espoir pour 
leurs jours, et j'aime à me persuader de leur heureuse délivrance. 

Je crois devoir vous avertir, mon cher comte, que j'ai reçu une 
lettre de Monsieur, dans laquelle il me donne avis de la mort de 
Louis XVI et, en même temps, qu'il a pris le titre de régent du 
royaume. J'ai cru devoir, sans entrer en quelque détail touchant son 
titre de régent, lui faire simplement un compliment sur la perte tra- 
gique de son frère, et je n'ai en rien parlé de ce titre, dont en vérité 
j'ignore s'il en a les droits. J'ai fait cela pour ne pas me compro- 
mettre, si la régence tombait au pouvoir de la reine-mère, pour épar- 
gner des discussions fâcheuses en tout genre. Vous savez tout ce qu'il 
a existé de tracasseries et de brouilleries dans la conduite des princes 
à son égard, soit dans le temps du feu roi, comme aussi dans le 
commencement de l'année passée, lorsqu'auprès de l'impératrice il 



414 LE COMTE DE FERSEN 

eut une discussion désagréable sur le sujet de Calonne et de Bre- 
teuil à Pétersbourg. J'attends de vous des éclaircissements sur ce 
sujet, avant que je puisse prononcer sur cette affaire. 

Au reste, il est bon que vous sachiez mes raisons sur ce sujet. L'Em- 
pereur et l'Angleterre n'ont point encore reconnu Monsieur pour régent, 
et c'est surtout le premier qui m'a suggéré l'idée qu'il était possible 
qu'il 7 eût du micmac dans cette affaire. 

J*ai ordonné au grand chancelier de vous envoyer de l'argent de 
même qu'une lettre de crédit pour tirer sur le comptoir de l'État 
pour la somme de 6,000 rixdalers. Ils sont à votre disposition, 
et ils seront d'abord payés lorsque la poste d'avance vous en aver- 
tira. M. de Sparre, le grand chancelier, a reçu de même l'ordre de 
rappeler incessamment le S' Dahlman, et vous pouvez vous servir 
de Reutersvaerd comme* secrétaire, jusqu'à ce qu'un autre secrétaire de 
légation puisse être nommé, si vous en désirez un à la place de Bea- 
tersvaerd. 

Je laisse à votre pénétration, à votre attachement pour le service 
de votre patrie, à celui que vous avez pour le roi mon neveu, et 
l'amitié que je puis exiger de vous, de profiter des premiers mo- 
ments. Vous savez les dépenses que le feu roi a faites pour les af- 
faires de France, dont les frais chargent considérablement nos fi- 
nances. Tâchez de' faire valoir ces droits, pour nous indemniser sur 
ce sujet. La France, par sa nature et par son intérêt, est née notre 
alliée, elle l'a été de tout temps ; il est du plus grand intérêt de la 
Suède, autant pour sa situation politique que pour ses finances, de 
renouer cette union avec des liens étroits. Je remets cette affaire en 
vos mains; je suis persuadé de la réussite, connaissant la chaleur 
avec laquelle vous embrassez les affaires de votre patrie. Attendez 
tout de mon amitié, de la reconnaissance du roi, si vous réussissez à 
conduire cette affaire à bon port, pour nous assurer un soutien solide 
contre ceux qui voudront nous tenir dans la dépendance. Quelle 
gloire pour vous d'avoir assuré l'indépendance et la prospérité de 
votre patrie! 

Je suis avec la considération la plus parfaite et d'amitié sincère, 
monsieur le comte de Fersen , 

Votre très -affectionné, 

ClIAHLES. 



ET LA. COUR DE FRANCE. 415 



CCLXXVl. 

DÉPÊCHE DU BARON DE STEDINGK, AMBASSADEUR DE SUÈDE A LA 
COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG, AU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE 
SUÈDE (1). 

Saint* Pétersbourg, ce 26 avril 2793. 

Le plan de mettre le comte d'Artois à la tête deç mécontents en 
Bretagne est convenu entre TEspagne, l'Angleterre et la Bussie. 
L'impératrice a reçu, à la fin de la semaine dernière, le plan qui 
avait été concerté entre MM. Clairfayt et Dumouriez, d'après 
lequel ce dernier a agi, depuis le commencement de cette campagne. 
L'attaque de la Hollande, les dispositions des Français sur la Meuse 
et sur le Ruhr : tout avait été concerté depuis longtemps. Cependant, 
la cour devienne n'en avait rien communiqué ni à celle de Saint-Pé- 
tersbourg ni aux autres puissances coalisées ; ce qui était très-pru- 
dent^ a beaucoup déplu ici. Toute cette intrigue avait été conduite 
par le comte de Mercy, et MM. Cobenzl et Spielman ont été éloignés 
des affaires, pour n'avoir pas voulu y entrer. Un grief encore, que l'on 
lance contre la cour de Vienne, est qu'elle n'a pas voulu accéder au 
partage de la Pologne, se réservant apparemment un dédommage- 
ment ailleurs. Elle n'a pas non plus communiqué ici la déclaration 
que l'Espagne lui avait faite longtemps avant de la faire ici. On sup- 
pose ici un dessein à la cour de Vienne de ne pas être dupe plus 
longtemps des menées de la cour de Berlin, et de s'affranchir de la 
dépendance où elle s'était mise, aussitôt qu'elle pourra le faire avec 
sûreté. Si la reine est régente, si l'ordre renaît en France, la maison 
d'Autriche retournera vraisemblablement à l'ancien système; mais 
c'est ce que l'on voudrait éviter ici. En secourant les princes dans 
leur détriment, en leur ménageant une grande influence dans les af- 
faires, on veut s'assurer de leur appui, lorsqu'ils seront revenus en 
France. On n'aime point la reine ici ; cependant on reconnaîtrait sa 



(1) D'après une copie, envoyée comme annexe h la lettre du grand chancelier de SuOde 
au comte de Fersen, du 10 mai 1793; dans les papiers de ce dernier. 



416 LE COMTE DE FERSEN 

régence, parce que Ton ne pourrait pas faire autrement. Le comte 
d'Artois m'a assuré que si la reine avait la régence, lui et son frère 
seraient les premiers à s'en réjouir ; mais ces princes ont trop de 
griefs contre la cour de Vienne pour ne point s'opposer à son in- 
fluence en France, et l'évoque d'Arras m'a dit que l'alliance de 
l'Autriche avait été ftmeste à la France ; qu'elle avait besoin de celle 
de la Prusse et de la Russie, et que, pour cette raison, le partage de 
la Pologne et l'abaissement de la Turquie n'étaient point un mal 
pour la France. 



CCLXXVII. 

DU COMTE DE FERSEN AU DUO DE SUDERMANIE, RAGENT DE SUÈDE (1). 

Bruxelles, ce 29 ayril 1793. 

Monseigneur, 

Je ne répéterai point à V. A. R. les expressions de ma vive sen- 
sibilité et de ma reconnaissance pour les expressions flatteuses que 
renferme la lettre dont elle m'a honoré par le sieur de Reutersvaerd. 
Ces sentiments sont un hommage que je dois aux bontés de V. A. R*, 
et que mon cœur aimera toujours à lui rendre. 

Je connais trop l'âme noble, sensible et généreuse de V. A. R 
pour douter de la joie qu'elle a éprouvée à la nouvelle du 5 du 
mois dernier ; celles postérieures, que j'ai eu l'honneur de faire passer 
à Monseigneur, n'étaient pas aussi bonnes, et la fuite à laquelle Du- 
mouriez a été forcé, par la trahison d'une partie de son armée, a 
ralenti la marche des affaires, sans cependant rien changer aux 
bonnes espérances qu'on avait conçues. Les succès seront moins ra- 
pides, piais je les crois également sûrs, et Dumouriez, avec qui j'en ai 
causé assez longuement, à son passage à Aix-la-Chapelle, les regarde 



(1) D*aprës la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : parti le 
6 mai. 



ET LA COUR DE FRANCE. 417 

comme tels. Il m'a dit qu'il n'y avait plus en France ni armée, ni 
ressources, ni moyens d'aucun genre ; que la désunion et la méfiance 
régnent parmi eux et qu'ils n'ont plus aucun moyen de résistance ; 
que la république ne peut subsister ni se soutenir contre les efforts 
des puissances réunies pour l'accabler ; que tout l'édifice des consti- 
tutionnels doit crouler, et qu'il faut rétablir la monarchie et l'ancien 
régime à la place du nouveau ; que s'il a tenu, dans les proclama- 
tions, un autre langage, c'est qu'il a cru nécessaire de marcher par 
degrés au despotisme et d'observer les différentes gradations pour y 
accoutumer un peuple livré, depuis trois ans, à l'anarchie et à la 
licence la plus affreuse. Enfin, la conversation de Dumouriez m'a 
persuadé, encore plus que je ne l'étais, qu'aucun bon mouvement n'a 
dicté sa conduite, et qu'elle ne l'a été que par l'impossibilité qu'il 
avait reconnue de résister plus longtemps, et le désir qu'il avait 
de se sauver de la chute générale et de faire oublier tous ses torts par 
un grand service. Il y avait plus de trois mois qu'il pressentait cette 
nécessité et qu'il avait négocié pour cet objet. Depuis son départ, 
des négociations ont été entamées pour l'échange des prisonniers du 
Temple contre les commissaires de la Convention, détenus à Maës- 
tricht ; mais les conditions proposées par les républicains n'ont pu 
être acceptées, elles étaient trop vagues. Ils demandaient, entre 
autres, une suspension d'armes illimitée, et, comme on a craint quelque 
tromperie, on a demandé des explications plus claires , et on est dé- 
cidé, pour éviter le second tome de la campagne du duc de Bruns- 
wick en Champagne, de pousser les opérations avec vigueur et 
d'accélérer et déterminer aussi le résultat des négociations ; tout fait 
espérer qu'il sera favorable et que la malheureuse famille de Bour- 
bon sera bientôt délivrée de la captivité où elle languit depuis 
dix mois. Dès que j'en aurai la nouvelle, je ferai usage des ordres et 
instructions que V.A. R. a bien voulu me donner. La manière dont 
elle veut bien me les transmettre est une preuve trop flatteuse de 
sa confiance, pour ne pas mettre à leur exécution tout le zèle et la 
prudence qu'exigent la gloire de V. A. R. et l'intérêt de la Suède, et 
je conserverai toute ma vie la lettre flatteuse dont V. A. R. m'a ho- 
noré, comme le plus beau témoignage de ses bontés pour moi ; mais 
je répondrais mal à la confiance et à l'amitié dont elle m'honore, si 
je n'entrais dans quelques détails sur le contenu de sa lettre. 
V. A. R. a trop bien exprimé son désir et les avantages dont est 
T. II. 27 



,418 LE COMTE DE FERSEN 

pour la Suède une union étroite avec la France, redevenue monar- 
chie, pour qu'il soit nécessaire de discuter cet objet ; cette union as- 
surera notre prospérité intérieure en soulageant nos finances et notre 
existence politique, en réprimant les vues ambitieuses d'une voisine 
puissante ; mais V. A. R. pensera, sans doute, qu'en voulant une chose 
il faut aussi en vouloir les moyens, et jela'supplie de croire que si je 
lui présente mes idées, ce n'est que par le désir que j'ai de remplir ses 
vues et celui de m'en ménager les moyens. Personne n'a senti plus 
que moi combien, depuis la mort du feu roi, et par la position de 
V. A. R., nous devions diminuer la part active que feu S. M. avait 
prise aux affaires de France, et V. A. R. en sera convaincue, si elle 
daigne se rappeler le contenu de ma lettre au baron de Taube, du 
3 juin de l'année dernière, où je lui mandais : « Je crois donp que, 
depuis la mort du feu roi, le but du duc doit être, — en donnant aux 
affaires de France le degré d'intérêt actif qu'elles méritent, que notre 
propre intérêt exige, et que nous ne saurions leur refuser, — de s'oc- 
cuper principalement de notre tranquillité intérieure, et je pense que 
ces objets sont remplis, en ne fournissant que 4 à 5,000 hommes. » 
J'avais fait sentir cette vérité au baron de Breteuil, en lui prouvant 
combien, même pour l'intérêt de la France, la Suède devait conserver 
sa puissance, et ce ministre avait approuvé mes idées, et rendu justice 
à la sagesse de la note du 5 juin, remise par l'ordre de V. A. R, au 
comte de Stackelberg. Je proposai ensuite d'exciter l'amour-propre 
de l'impératrice et de flatter sa vanité sur le rôle qu'elle jouerait en 
se chargeant d'être le chef de l'expédition, pour couvrir ainsi, par 
une apparence de déférence, la diminution des secours que nous pro- 
posions. A cette lettre, V. A. R. daigna m'écrire, en date du 26 : 
Par votre lettre du 3 de ce mois au premier gentilhomme de la cham- 
bre^ le baron de Taube^ nous avons vu, avec grande satisfactiony une 
nouvelle preuve qus l'unique but de votre zèle constant et des soins que 
voies rCavez cessé de vous donner, a été d assurer la gloire et la prospé- 
rité de la patrie, — Je pensais qu'il était nécessaire de diminuer 
nos efforts, mais de conserver l'expression du même intérêt, pour avoir 
des droits plus certains à être indemnises des frais déjà faits par le feu 
roi pour cette cause ; car je n'ai jamais pensé que la révolution fran- 
çaise pût prendre aucune consistance, j'en connaissais trop la marche 
et les effets, et j'ai toujours été assuré que plus elle avancerait et 
plus les souverains sentiront combien, pour leur propre tranquillité 



ET LA COUR DE FRANCE. 419 

et celle de leurs pays, ils avaient d'intérêt à rétoufifer. Ces raisons 
deviennent encore plas fortes en ce moment, où toutes les puissances 
de l'Europe ont enfin senti cet intérêt, et se sont liguées pour culbuter 
la nouvelle constitution, la république, et rétablir le roi et la monar- 
chie ; car quelles que soient leurs vues d'échange, d'agrandissement, 
ou de politique particulière, elles sont toutes d'accord sur ce point ; 
c'est un intérêt commun qui les unit en ce moment, et leur résolution 
à cet égard est invariable. L'Angleterre, qui de toutes les puissances 
était la seule dont l'intérêt particulier pouvait faire soupçonner les 
intentions, et dont la coopération était si nécessaire et si décisive, est 
dans la coalition, et je suis assuré de sa ferme résolution de réduire 
la France par tous les moyens qui sont en son pouvoir. L'Espagne, 
la Sardaigne et le Portugal ont été décidés par elle, et les Suisses le 
seront par les réclamations des puissances réunies. Les princes d'Italie 
n'attendent que la protection d'une flotte pour contribuer, autant que 
leur position et leurs moyens le permettent, à cette grande œuvre, et 
toute l'Allemagne y est forcément engagée. Si donc le système de 
neutralité, adopté et suivi jusqu'à présent par V. A. R., a pu être 
avantageux à la Suède dans un temps où la coalition des puissances 
de l'Europe était encore incertaine et leurs résolutions douteuses, 
V. A. R. ne pense-t-elle pas qu'il pourrait l'être à présent, au moment 
où toute l'Europe se ligue contre la république française, de suivre la 
même impulsion et de céder aux désirs des puissances, dont un des 
grands moyens de réduire la France est une ligue générale, une réu- 
nion de toutes les forces et une cessation de toute relation de com- 
merce avec cette puissance, pour empêcher par là toute importation 
de vivres dans un pays qui en manque déjà? Si ce moyen est adopté, 
comme j'ai lieu de le croire, cette résolution des puissances coalisées 
n'est-elle pas incompatible avec la neutralité de quelques autres, et 
n'expose-t-elle pas à des insultes impossibles à supporter et difficiles 
à venger? De deux choses l'une : ou la France, après avoir été 
démembrée, sera livrée à elle-même et à l'anarchie qui la déchire, ou 
la monarchie sera rétablie par la ligue des puissances. Dans le pre- 
mier cas, l'état de désorganisation où est ce royaume ne permet pas 
d'entrevoir le terme où l'ordre y sera assez rétabli pour pouvoir retirer 
quelques avantages d'une alliance avec son gouvernement, quel qu'il 
soit; et ce gouvernement sera-t-il assez fort, assez puissant pour que 
cette alliance puisse devenir utile après y avoir sacrifié celle des autres 



420 LE COMTE DE FERSEN 

puissances? Dans le second cas, n'a-t-on pas vis-à-\'is de la monar- 
chie le tort d'avoir refusé de contribuer à sa restauration? et, dans 
les deux cas, ne s'est-on pas aliéné l'amitié et la bienveillance des 
puissances, qui mettront à leur alliance un prix plus fort, à raison 
du besoin qu'on en aura contre une voisine puissante? 

Voilà, monseigneur, des réflexions que m'a suggérées la connais- 
sance que j'ai de la position des affaires. Je les soumets à la sagesse 
éclairée de V. A. R. ; elle jugera mieux que moi combien elles sont 
conformes ou non aux intérêts de la Suède. Puisse V. A. R. ne voir, 
dans la communication que j'ai l'honneur de lui en faire, que mon 
zèle pour le service de ma patrie, et mon désir de mériter et de 
répondre à la confiance dont V. A. R. m'honore ! 

Rien ne peut être plus sage que la réponse que V. A. R. a faite à 
la lettre de Monsieur. Je crois être sûr qu'aucune puissance n'a Im- 
tention de reconnaître sa régence, et il y a lieu de croire qu'elle 
retombera à la reine ; c'est du moins l'avis de l'Angleterre. L'impé- 
ratrice de Russie seule s'est empressée de la reconnaître , et cette 
précipitation est fort désapprouvée. Les autres puissances ont toutes 
fait, aux différentes demandes à cet égard, des réponses évasives, por- 
tant qu'une telle reconnaissance ne pouvait être que le résultat d'un 
accord préalable entre elles, et elles sont décidées à ne point se départir 
de cette réponse, jusqu'au moment où elles pourront prononcer sur 
cette question, sans danger pour la reine et sa famille. Celles qui se 
sont trouvées forcées d'entrer dans quelques détails, vis-à-vis des 
agents de Monsieur, ont allégué l'inutilité dont était cette déclara- 
tion pour Monsieur, puisqu'il n'avait pas de pays à régir, et les dan- 
gers de prononcer sur une question qui pouvait exposer les jours de 
la famille royale, détenue au Temple ; mais aucune n'a montré le 
véritable motif, qui est celui de conserver la régence à la reine. 

Je terminerai cette dépêche, déjà assez longue, en demandant à 
V. A. R. de vouloir bien ne pas douter de mon zèle à exécuter les 
ordres qu'elle m'a donnés, et en la suppliant de peser dans sa sagesse 
jusqu'à quel point il sera nécessaire de préparer les moyens d'y 
réussir- 



ET LA COUR DE FRANCE. . 421 



CCLXXVIII. 

DU COMTE DE SPARRE, GRAND CHANCELIER DE SUÈDE, AU COMTE 

DEFERSEN (1). 

Stockholm, ce 10 mal 1793. 

Monsieur le comte, 

M. de Stedingk m'ayant mandé, par sa dépêche dn 26 avril, que 
M. le comte d'Artois allait quitter la cour de Saint-Pétersbourg le len- 
demain, pour se rendre à Rével par terre, et passer de là à Londres à 
bord d'une frégate de S. M. l'impératrice de Russie, que .l'on y tenait 
préparée pour cet effet , le duc a jugé nécessaire que je vous communi- 
que, monsieur, cette nouvelle. 

Vous jugerez, monsieur le comte, par ces notions , quelles sont les 
vues qui animent les princes, quelle est la profondeur du génie de 
leur ministre, l'évêque d'Arras, et quel est le caractère présent de la 
politique que suit le cabinet de Russie. Ce départ d'un Bourbon 
pour l'Angleterre sur une frégate russe, qui l'emmène de Pétersbourg 
s'offrir aux Anglais pour les conduire au sein de sa patrie, à l'effet 
d'y soutenir une guerre civile, des succès de laquelle il peut espérer 
le rétablissement de sa famille sur le trône, par le concours d'une 
nation de tout temps rivale de la prospérité française, est une chose 
qui doit bien heurter les idées dans ce pays-là, et y aigrir plus forte- 
ment encore les esprits contre tout ce qui est du sang des Bourbons. 
Il semble donc que la destinée de ces princes, frères du malheureux 
Louis XYI, ait voulu, dès le commencement, qu'ils ne cessassent 
point d'être bien mal conseillés. 



(1) D'après la lettre originale en chiffre, déchiffrée par un secrétaire du comte de Fer- 
sen, qui a écrit en marge : reçue le 23 mat, rép. U 9 juin. 



422 [LE COMTE DE FERSEN 



CCLXXIX. 



DU DUC DE SUDERMANIE, RÉGENT DE SUÈDE, AU COMTE DE FERSEN (1). 

Stockholm , ce 30 de mai 1793. 

Monsieur le comte de Ferseii , Le baron de Taube m'a parlé d'une 
lettre que M. de Sparre vous a écrite, du 23 ou 26 d'avril ; je ne sais 
ni la tournure ni les phrases de cette dépêche ; mais mon intention, 
dont je lui avais chargé de vous faire part, était que vous ne de- 
viez déployer votre caractère et vos lettres de créance que quand 
vous vous trouveriez auprès du roi de France à Paris, et que lorsqu'il 
se trouverait eflfectivement rétabli dans ses anciens droits, — mais 
que, conjointement avec les ambassadeurs de l'Empereur et du roi 
d'Angleterre, vous vous occupiez toujours du rétablissement de la 
monarchie française, sans cependant compromettre notre neutralité, 
et que mes intentions étaient qu'il n'y avait que la reine seule à qui 
appartenait la régence, pendant la minorité du roi. Le dénûmeut oii 
se trouvent nos finances, après la dernière guerre, m'a empêché de 
suivre mon penchant de prendre une part active, conjointement avec 
les autres puissances, aux affaires de France, et vous savez d'ailleurs, 
mon cher comte , que toutes les belles promesses que ces puissances 
firent au feu roi mon frère, de secours pécuniaires, n'ont été qu'illu- 
soires et sans efifet réel. C'est cela qui m'a fait et presque forcé d'a- 
dopter un système de neutralité et de ne donner, depuis que la 
guerre est déclarée, que des convois nécessaires pour la sûreté de 
notre commerce. C'est d'après ces principes et sur cet avis que vous 
réglerez votre conduite, jusqu'à ce que des circonstances et des évé- 
nements plus heureux me procurent l'occasion de témoigner à notre 
plus ancien alliée l'intérêt vif et tendre que je prends à son sort, 
au rétablissement et à la conservation de la famille royale. Sur 
ce, je prie Dieu, monsieur le comte de Fersen, de vous avoir dans 
sa sainte garde , étant toujours votre très-affectionné, 

Charles. 

(1) D'après la lettre toute autographe, originale, dans les papiers du comte de Feraexii 
qui a écrit en marge : />€ 11 ^miiï à b ^ h. du »oir\ reçue par estafette; rép, 2SjinH, 



ET LA COUR DE FRANCE. 423 



CCLXXX. 

DU COMTE DE FERSEN AU DUC DE SUDERMANIE, RlÈGENT DE SUÈDE (1). 

BraxelleSi ce 23 juin 1793. 

Monseigneur, 

La dépêche chiffrée du 28 mai, que V. A. K. m'a fait l'honneur de 
m'adresser, m'est parvenue, et je me conformerai aux ordres qu'elle 
renferme et qui portent d'observer seulement les événements, et d'en 
rendre compte, sans me mêler en rien des affaires, ni d'aucune né- 
gociation qui y soit relative, puisque le système de neutralité adopté 
ne permet pas de prendre aux affaires actuelles de France une part 
active. Je me conformerai aussi à l'ordre précis de ne faire aucune 
démarche, fondée sur des instructions antérieures, avant d'en avoir 
rendu compte, et d'en avoir reçu de nouveaux. J'aurai d'autant plus de 
facilité à me conformer à ces nouveaux ordres de V. A. R. que, d'a- 
près les connaissances que j'ai de la position des affaires et le peu 
d'utilité de la trahison de Dumouriez , je n'avais entamé aucune né- 
gociation, et que j'avais senti la nécessité de suspendre l'exécution 
des instructions flatteuses du 17 avril que V. A. R. a bien voulu 
m'envoyer par le S' de Reutersvaerd ; mais pour bien entendre les 
nouveaux ordres qu'elle me donne, par sa dépêche du 28 mai, et me 
mettre à même de les exécuter de la manière et dans le sens qu'elle 
désire , monseigneur me permettra de lui demander si , dans la dé- 
fense expresse de suivre les instructions anciennes , je dois aussi com- 
prendre celles de V. A. R. du 17 avril, et si je dois les regarder 
comme non avenues, et ne point déployer, dans aucun cas quelcon- 
que, le caractère de ministre, dont j'ai les lettres de créance du feu 
roi, confirmées par des nouvelles de V. A. R., avant d'avoir obtenu à 
cet égard de nouveaux ordres. 

Si V. A. R. pense que cette manière pourrait occasionner des re- 



(I) D'après la minute de la main du comte de Fersen, qui a écrit en marge : chiffre, 
au duc. 



424 LE COMTE DE FERSEN 

tards peu favorables à l'empressement qu'elle semble vouloir témoi- 
gner & la famille royale^ et que la confiance dont elle m'a honoré 
jusqu'à présent l'engage à confirmer les instructions antérieures et 
celles du 17 avril, par laquelle V. A. R. me laisse le maître déjuger , 
d après les événements le moment lepltis convenable aux intérêts de la 
Suède pour faire valoir mon caractère diplomatique, je la supplie de 
vouloir bien m'instruire si je dois borner l'exécution de ses ordres et 
ne déployer mon caractère que dans le cas seulement où la famille 
royale serait libre dans Paris , ou si la condition expresse est seule- 
ment leur liberté, sans égard au lieu, où ils seront, et si je dois rég-ler 
ma conduite dans cette occasion sur celle des ministres des antres 
cours ; car il est possible et même probable que la sortie du roi de 
Paris soit demandée comme un acte et une assurance de sa liberté, 
et qu'il fixe son séjour dans un lieu où il soit à l'abri de tons les 
dangers auxquels des événements imprévus peuvent encore l'exposer. 
Je supplie donc V. A. R. de vouloir bien me faire savoir si sa volonté 
est que je déployé mon caractère de ministre du roi partout où le 
roi de France sera libre, ou si je ne dois le faire valoir que dans le 
seul cas où il le fût dans Paris. 

V. A. R. voudra bien recevoir mes très-humbles remercîments et 
l'expression de ma reconnaissance pour la promesse flatteuse d'ac- 
complir, lorsque ,Ies circonstances le permettront, celle qu'elle a 
bien voulu me faire. Il m'est doux de pouvoir toujours compter sur 
les bontés de V. A. R., et je la supplie de ne jamais douter de mon 
désir de mériter sa confiance. 



ET LA COUR DE FRANCE. 425 



CCLXXXI. 

DU DUC DE DBUX-PONTa AU COMTE DE FBRSEN (1). 

Creuznach, ce 26 juUlet 1798. 

Vous avez sans doute, mon cher Fersen, appris la reddition de 
Mayence. J'y ai été avant-hier, j'en ai vu sortir 7,000 Français hier, 
et aujourd'hui le reste a suivi. Ils sont sortis avec leurs effets et leurs 
fusils, mais sans canons. Le roi (2), après la capitulation, a donné, 
comme une marque de son estime, deux pièces de campagne au 
commandant Doiré, qui était avec nous en Amérique. Ces deux pièces 
pourraient bien le faire guillotiner, car il retourne dans sa chère 
patrie. Je n'ai jamais rien vu ni de plus insolent ni de plus sale que 
ces sons ofliherty. Dès le premier jour, ils ont commis des excès sur 
la route, car ils ne sont escortés que par 30 cavaliers, qui n'osent 
rien leur dire ; ils en commettront sans doute jusque chez eux. 

Vous êtes peut-être étonné, mon cher ami, de me voir dater de 
Creuznach; il m'a fallu fuir, samedi dernier, de Cassel, parce que 
les Prussiens ont fui de Ramstein le même jour, devant le général 
Houchard, et certes cela n'en valait pas la peine. Il n'avait que 
15,000 hommes, et eux en avaient 12,000 à lui opposer. Je comp- 
tais sur une bataille et non sur une fuite; mais le système est tel- 
lement timide qu^avec le plus brave des rois on n'ose cependant s'é- 
tonner de rien, lorsqu'il se méfie de lui-même, et accorde sa confiance 
à des gens qui en sont indignes. 

Doiré a rendu une place qui pouvait se défendre encore trois semai- 
nes au moins, ce qui me fait penser que l'argent a ouvert les portes. 
La garnison était encore de 15 à 16,000 combattants et 2,300 valets, 
sans compter les hôpitaux, qui vont à peu près à 4,000 hommes. Us 
ont perdu à peu près 2,000 hommes pendant le siège, et les assié- 
geants, 3,000 et quelques cents. Les approvisionnements qui restent 



(1) D'après la lettre originale, tonte autographe, dans les papiers du comte de Fersen, 
qui a écrit en marge : 3 ajoùi 1798, reçu. • 

(2) De Prusse. 



426 LE COMTE DE FERSEN 

en grains, farine, vin et poudre sont immenses; ils manquaient de 
boulets de calibre et de mitrailles. 

Le prince Louis-Ferdinand s'est couvert de gloire dans l'attaque 
d'une flèche que les généraux Eœden et Crousas avaient refusé d'at- 
taquer les deux jours précédents. Cela ne doit pas vous étonner, car les 
neuf dixièmes de ces gens-là ne combattent que pour manque de pain; 
c'est ainsi que les journaliers travaillent, et il en est beaucoup qui y 
vont encore de meilleure foi. J'en gémis pour le soldat, qui , quoique 
toujours affamé et mal nourri , est plein de la plus belle valeur. 

Dès avant-hier, le roi a fait marcher des troupes à Kaiser slautern ; 
il s'y portera probablement de sa personne. Je ne doute pas que l'Al- 
lemagne va être nettoyée jusqu'à la Saar ; on assiégera et prendra 
Saarlouis dans peu de temps ; mais enfin Metz est un morceau de bien 
dure digestion pour des gens qui n'aiment pas les sièges, et qui ne 
s'en cachent même pas , et avant ce temps-là je doute que ces cou- 
pables Français soient assez humiliés, à moins que les contre-révo- 
lutionnaires ne fassent des progrès. 

Je pense qu'au moment où je vous écris le prince de Cobourg est 
maître de Valenciennes. Ainsi, à quelques petites places près, il s'est 
ouvert une grande porte pour entrer en France. Il est malheureux 
que de nos côtés nous n'ayons pas d'Autrichiens : la Lorraine irait 
au-devant de ses anciens ducs, mais elle se défendra contre les Prus- 
siens, qui, par leur conduite de l'année dernière, ont révolté même 
les poltrons. 

Je n'ai pu apprendre sans une douleur extrême la séparation du 
jeune roi d'avec notre malheureuse reine. Cette séparation redouble 
mes frayeurs ; puissiez-vous me rassurer, mon cher Fersen, sur le «ort 
de ces têtes si chères, qui ont toujours le glaive de Damoclès suspendu 
sur leur tête ! 

Je vous remercie du souvenir que vous donnez à ma mère ; elle est 
à Trarbach sur la Moselle. Mon frère est à Meissenheim, et moi je 
vais retourner à Cassel, où je vous prie de me toujours adresser vos 
lettres. Vous en recevrez bientôt une seconde de moi, dos que j'aurai 
vu les nouvelles dispositions de l'armée prussienne. Recevez, en at- 
tendant, mon cher Fersen, les assurances de ma sincère et tendre 
amitié. 

J'apprends dans ce moment, par une lettre, que la reine et le roi 
peuvent communiquer " ensemble ; que leur séparation n'est qu'une 



ET LA COUR DE FRANCE. 427 

aflfaire de forme. Puissiez-vous me confirmer cette bonne nouvellç , 
car je vous crois plus qu'aucun autre sur le sort de ces têtes si chères ! 



CCLXXXII. 

du' DUC DB DEUX-PONTS AU COMTE DE FERSEN (1). 

Ce 4 d'octobre 1793. 

La campagne de ce côté-ci, mon cher Fersen, est & peu près finie, 
et sans avoir gagné un pouce de terrain depuis la reddition de Mayence. 
Le projet du roi (2) était bon et sage ; il voulait prendre Saarlouis, 
se rendre maître de la Saar, et y hiverner. U avait fait tous les frais 
du siège, Tartillerie avait déjà remonté la Moselle jusqu'à six lieues 
de Trêves. M. de Wurmser a anéanti ce projet, par amour pour les 
lignes de Wissembourg, qu'il n'a cependant pas prises encore, mais 
où, dans difi'érentes occasions , il a perdu beaucoup de monde. Il a eu 
pour le roi les procédés les plus malhonnêtes, et tout à fait oppo- 
sés aux ordres de l'Empereur. Malgré cela, il est encore l'arbitre des 
opérations, mais au grand mécontentement de tout le monde, sans 
en excepter les Autrichiens même, et nous lui avons, à lui seul, le 
reproche à faire , qu'une partie du duché des Deux-Ponts, principauté 
de Saarbriick , électorat de Trêves, restera cet hiver au pouvoir des 
Français, et que le reste sera dévasté et aiFamé par le séjour des 
armées. Il en arrivera encore que la sûreté de la ville de Trêves 
exigera beaucoup de troupes, qui eussent été utilement employées 
ailleurs, si Saarlouis nous appartenait. 

Landau doit être bloqué cet hiver, et c'est par là que M. de 
Wurmser veut justifier son opiniâtreté sur Wissembourg ; mais ces 
lignes ne serviront pas à couvrir le blocus, c'est en arrière, et dans la 



(1) Diaprés la lettre originale, tonte antographe, dans les papiers du comte de Fersen, 
qui a écrit en marge : IS oct. 17 9S, 7'eçu, 

(2) De Prusse. 



428 LE COMTE DE FERSEN 

position que le duc de Mariborough avait en 1705, qu'il feut faire 
les dispositions. 

Les Hollandais ont été honteusement battus et Beaulieu s'est cou- 
vert de gloire, en réparant leurs sottises. Les fins de campagne, mon 
cher ami, ne sont pas brillantes ; j'espère cependant que de votre côté, 
où on a acquis l'habitude dé faire de grandes choses , on battra encore 
vigoureusement Houchard, qui m'a l'air de chercher bataille pour 
éviter la guillotine. 

J'attends , mon cher Fersen, de vos nouvelles avec impatience, et 
vous réitère le^ assurances de ma tendre et inviolable amitié. 

J'oubliais de vous dire que le roi est retourné à Berlin ; les affaires 
de la Pologne, qui ne vont pas très-bien, sont cause de ce voyage. 



CCLXXXIII. • 

DU DUC DE DEUX-FONTS AU COMTE DE FERSEN (1). 

Mannheim, oe 24 octobre 1793. 

J'étais venu ici, mon cher Fersen, pour parler au baron d'Esbeck, 
en conséquence de la lettre que vous m'aviez écrite, et aujour- 
d'hui nous recevons l'affreuse nouvelle que ces barbares, ces sangui- 
naires Français ont terminé la vie malheureuse de notre chère et res- 
pectable reine. Cette horreur, & laquelle je m'attendais cependant, 
m'accable et me révolte à un tel point que j'en suis malade au phy- 
sique comme au moral. 

Le baron d'Esbeck m'a dit avoir fait part au ministère prussien de 
ses idées relativement à la délivrance de notre auguste défunte, dès 
le moment qu'il revint en Allemagne. Les moyens qu'il proposa fu- 
rent rejetés comme impraticables ; il s'est refusé à me les détailler, 
mais il me dit que, dans le moment où je lui en parlais, cela n'était 



(1) Diaprés la lettre originale toute autographe en clair, dans les papiers du comte de 
Fersen, qui a écrit en marge : 80 oct., reçu. 



ET LA COUR DE FRANCE. 429 

plus possible, puisqu'on venait d'arrêter plusieurs personnes qui y 
étaient essentielles, et qu'on avait changé les geôliers sur lesquels 
on aurait pu compter. Il regrette beaucoup, à ce qu'il paraît, de n'a- 
voir pas été écouté dès le moment de son arrivée ; il n'y avait plus 
rien à faire lorsque je lui en parlais. Nous la regretterons toute notre 
vie, cette grande reine, aussi supérieure au malheur qu'elle l'était à son 
sexe ; sa mémoire sera aussi respectée que le peuple féroce qui Ta 
immolée à son injuste haine sera détesté et méprisé. Que feront-ils, ces 
barbares, de ces illustres et malheureux enfants ; aurons-nous aussi 
des larmes à répandre sur eux ? 

Vous saurez sûrement avec détails comment les lignes de Wis- 
sembourg ont été forcées. M. de Wurmser a poussé son avant-garde 
jusqu'à Brumpt. Les troupes autrichiennes se sont conduites partout 
avec cette valeur qui les distingue. Mais dans tous ces succès je ne 
vois rien de solide, la saison est trop avancée pour des sièges de con- 
séquence ; le blocus de Landau sera l'occupation de l'hiver, qui sera 
très-fatigant pour les troupes, puisque M. de Wurmser a rejeté le 
projet du roi de Prusse , qui était de se rendre maître de la Saar en 
prenant Saarlouis, et c'est à cette place que tenait la déliyrance totale 
de l'Allemagne. Dès que les dispositions des quartiers d'hiver seront 
faites, je vous eu instruirai. 

Je compte sur votre amitié, mon cher ami; j'ai besoin d'y penser 
souvent, pour dissiper la tristesse de mon âme déchirée. Comptez à 
jamais sur la mienne. 



430 LE COMTE DE FERSEN 



CCLXXXIV. 

DU GÉNÉRAL DE JARJAYES AU COMTE DE FERSEN (1). 

Turin, ce 18 février 1794. 

Monsieur le comte, 

Quoique je n'aie pas reçu encore votre réponse à la lettre que j'ai eu 
l'honneur de vous écrire par le courrier de M. de Trévor, je n'en 
augure pas moins qu'elle vous est fidèlement parvenue, et que vous 
avez actuellement entre les mains le billet précieux que je n'ai pas 
hésité d'y joindre, bien sûr que votre délicatesse n'hésiterait pas elle- 
même à me le renvoyer. 

La facilité que j'ai aujourd'hui de vous écrire, avec plus de liberté 
que je n'ai pu le faire alors, m'engage à vous demander vos conseils 
sur un autre billet relatif à un dépôt confié à M. de Mercy. Je lui en 
envoie une copie dans une lettre ci-incluse, que je laisse ouverte, 
afin que vous puissiez la lire avant de la cacheter pour la lui faire 
passer ensuite, par la voie que vous jugerez être la plus sûre. 

Vous y verrez, indépendamment de son objet principal, que mes 
vues (ainsi que celles de l'ami avec lequel je suis sorti de France et 
que j'avais attiré auprès de moi au dépôt général de la guerre, dont 
j'étais directeur) sont d'obtenir du service dans l'armée du prince de 
Cobourg. J'ai été reçu parfaitement par le roi de Sardaigne, et cet 
excellent prince continue de me combler de bontés ; mais tous mes 
efforts ont été vains jusqu'à présent pour lui être de quelque utilité, 
et il me paraît trop cruel d'être uniquement témoin d'un système 
d'inertie qui, sans des événements que l'on n'a pas droit d'attendre, 
conduira infailliblement le Piémont à sa perte. 

Si M. de Mercy se bornait à me mander que ses rapports ne lui 
permettent pas de s'employer pour mon ami et pour moi, et qu'il me 
devînt impossible de quitter l'Italie, quelle devrait être alors ma 



(1) D'après la lettre originale, dans les papiers du comte de Fersen, qui a C-crit en 
marge : 25 fnars 1793. 



ET LA COUR DE FRANCE. 431 

conduite relativement à la commission dont j'ai été chargé auprès de 
lui? Celle à qui j'en devais compte n'est malheureusement plus, 
il est vrai; mais son fils existe, et ce fils a des représentants; 
quel est celui auquel je devrais remettre cet écrit, que le sort de la 
guerre peut faire tomber, ainsi que mes autres papiers, entre les 
mains* du gouvernement dans lequel je me trouve? Je ne ferai rien à 
cet égard, quelle que soit la réponse de M. de Mercy, sans vous avoir 
consulté ; et quand M. le marquis de la Fare, par qui M. le baron de 
Breteuil recevra la lettre que j'ai l'honneur de vous écrire mainte- 
nant, repassera par Bruxelles, pour se rendre à Turin, vous pourrez 
lui remettre ou lui faire remettre avec confiance la réponse de M. de 
Mercy, et celle que vous voudrez bien y joindre. Je ne parle point du 
contenu de cette lettre à M. de Breteuil, et je me contente de lui dire 
que je suis entré dans quelques détails avec vous sur mon sort ; ainsi 
vous serez parfaitement le maître de ne lui communiquer que ce que 
vous jugerez convenable. J'ose croire que, si vous pouvez ajouter 
vous-même h, l'intérêt que M. de Mercy mettra h seconder le vœu de 
mon ami et le mien, vous aurez la bonté de le faire : il me semble 
même, d'après l'idée que j'ai de votre cœur, que c'est un tort de ma 
part de vous faire aucune invitation sur ce point. Je vous prierai 
seulement alors de lui observer combien, dans les démarches qu'il 
fera, le secret est essentiel & ma position ; et combien il sera nécessaire, 
— d'après la confiance et les bontés particulières dont m'honore ici 
le roi, — de ne motiver les renseignements que M. de Mercy croira 
devoir prendre sur aucune demande faite par moi. 

Vous imaginerez aisément, monsieur le comt^, que ce n'est pas 
après du service que je cours, mais après une existence quelconque, 
qui puisse me mettre à même de retirer ma malheureuse femme de 
France, et de jouir, dans la retraite, de la seule consolation qui puisse 
désormais nous convenir à -l'un et à l'autre, qui est le souvenir des 
bontés de notre grande et infortunée souveraine. Aucune pensée d'in- 
térêt ne s'est jamais mêlée à mon dévouement pour cette princesse ; 
je suis resté auprès d'elle tant que j'ai pu la servir; je suis sorti de 
France lorsque B[arnave] a été arrêté, et que, ne pouvant manquer 
alors de l'être moi-même, j'ai prévu que je serais confronté avec cet 
honmie, et qu'outre les dangers personnels que j'aurais courus, il eût 
été impossible de ne pas compromettre de plus grands intérêts. Je 
suis parti alors très-précipitamment ; je n'ai pu emporter avec moi 



432 LE COMTE DE FERSEN 

que ce qui m'était rigoureusement nécessaire pour arriver à Turin ; 
de sorte que, me trouvant dépourvu aujourd'hui de toute ressource, 
je ne peux concevoir quelque espérance de voir réaliser le seul projet 
qui me convienne qu'autant que vous déterminerez M. le comte de 
Mercy à présenter à l'Empereur la situation de mafemme etlaemîenne, 
de manière à exciter son intérêt et à engager ce souverain à nous 
donner, au lieu de l'emploi que je sollicite dans son armée, un asile 
et un secours suflEisant pour nous y faire subsister, jusqu'au moment 
où je pourrai retirer mes biens de France, ou réaliser les billets sur 
Bruxelles dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre. 

Voilà, monsieur le comte, le service auquel j'attacherais le plus de 
prix, et celui que je réclame plus particulièrement de vos bontés ; je 
joins jnème ici la copie d'un billet que j'ai reçu du Temple, au 
moment de mon départ de Paris, dans l'espoir qu'il pourra vous être 
utile pour cette négociation. Combien je serais heureux de tenir de 
vous la seule existence que je désire ! car quel attrait peut avoir pour 
moi la carrière militaire, lorsque je suis poursuivi à chaque instant 
par l'idée que les scélérats, découvrant que je sers dans les armées 
coalisées, vont égorger ma femme et mes enfants ? Au nom de l'huma- 
nité, monsieur le comte, tirez-moi d'une situation aussi cruelle. Je n'ai 
pas cru devoir entrer dans ces derniers détails avec M, le comte de 
Mercy ; je préviens seulement ce ministre que vous voudrez bien l'en- 
tretenir de mes intérêts. Si ce dernier arrangement pouvait avoir lieu, 
pour lors je laisserais suivre ici sa carrière militaire à l'ami qui est 
sorti de France avec moi ; car je compte assez sur les bontés du roi 
pour être certain qu'il lui fera le sort que je désirerai. 

Pardon, monsieur le comte, si je vous écris une lettre aussi lon- 
gue; il m'est si difficile de me procurer des occasions sûres de cau- 
ser avec vous, que je me livre peut-être trop peu discrètement à 
celle-ci. 

M. le marquis de la Fare, qui se charge de mon paquet 
pour M. le baron de Breteuil, est loin de se douter du projet 
dont je vous fais part. La faveur dont il me voit jouir ici, les ser- 
vices que j'ai été à portée de lui rendre, ne lui permettent pas d'a- 
voir la moindre idée sur ce que contiennent mes lettres. Je compte 
absolument sur son exactitude, soit à s'acquitter de ma commission 
auprès de M. le baron de Breteuil, soit pour me rapporter la 
réponse dont vous voudrez bien m'honorer. 11 doit revenir à Turin 



LE COMTE DE PER8EN ET LA COUR DE FRANCE. 433 

après avoir fait une course rapide à Londres ; je vous prie donc de 
vouloir bien, pendant qu'il sera en Angleterre, remettre votre réponse, 
et celle de M. le comte de Mercy, à M. le baron de Breteuil et 
engager ce dernier à en faire un seul paquet, auquel il joindra un 
mot de sa part, afin que M. le marquis de la Fare ne sache pas même 
que j'ai eu l'honneur de vous écrire, et qu'il croie que ma correspon- 
dance s'est bornée à M. le baron de Breteuil. 

Yousme feriez un grand plaisir, monsieur le comte, si vous vouliez 
bien m'écrire un mot seulement par la poste, aussitôt que M. de la 
Fare sera à Bruxelles, sans entrer dans aucun autre détail que de 
m'apprendre si vous avez reçu cette lettre, et celle que j'ai fait partir 
par le courrier de M. de Trevor. 

J'ai l'honneur d'être, avec un respectueux et inviolable attache- 
ment, 

Monsieur le comte, 

Votre très-humble et très-obéissant serviteur, 

Jarjates. 

P. S. Youdriez-vous bien faire mes compliments à Groguelat, lors- 
que vous lui écrivez? Comme il pourrait se faire que M. le marquis 
de la Fare f&t reparti de Bruxelles pour Turin avant que M. le 
comte de Mercy puisse me faire une réponse positive, je vous prie 
d'engager ce ministre de m'écrire alors sous le couvert de M. de 
Guerarcini, ministre de l'Empereur à Turin. 



FIN DU SECOND VOLUME. 



T. II. 2S 



TABLE DES MATIÈRES 



DU SECOND VOLUME. 



Pagei. 

GX. — Extraits dn journal dn oomte de Fersen pour les aimées 1792 et 1798 1 

CXI. — H. de CariBien, envoyé dn ici de Snède à Berlin, an comte de Fersen. Berlin, le 

2 janyier 1792 107 

CXn a. — La reine Marie- Antoinette au oomte de Fersen. 4 janvier [1792] 111 

CXII i. — La reine Marie-Antoinette à la reine d'Espagne. 4 janvier 1792 112 

CXni. — Comte de Fersen an comte d'Esterhazy. Bruxelles, le 5 janvier 1792 113 

CXIY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Bruxelles, le 6 janvier 1792. 114 
CXV. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé extraordinaire de Suède à 

Madrid. Brnxelles, le 12 janvier 1792 , 116 

CXYL — Le roi de Suède Gustave HE an comte de Fersen. Petit château de Haga, 

le 18 janvier 1792 1 17 

CXVn. — Annexe a<> 1 à la lettre précédente : Dépêche de l'envoyé de Suède & Ma- 
drid, le baron d'Ehrensvaerd, au roi de Suède. 8 décembre 1791 118 

OXYin. — Annexe n'^ 2 à la lettre précédente : Mémoire du ministre d'État de S. M. 

Catholique, le comte de Florida-Blanca, à l'envoyé de Suède à la cour de Madrid.. . 121 
CXTX. — Annexe n^* 8 & la lettre précédente : Observations de l'envoyé de Suède à 

Madrid, sur le mémoire précédent; datées le 12 décembre 1791 128 

CXX. — Annexe n® 4 & la lettre précédente : Extrait d'une dépêche de l'envoyé du 

roi de Suède à Madrid au roi Gustave m ; datée le 12 décembre 1791 126 

CXXL — Le roi de Prusse an baron de Breteuîl. Le 14 janvier 1792 • 128 

CXXn. -^ Le roi de Prusse à S. M. Très-Chrétienne. Le 14 janvier 1792 129 

CXXni. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 15 janvier 1792 181 

CXXiy. — Baron de Taube au comte de Fersen. Stockholm, le 17 janvier 1792.. ... 188 
OXXV. — Comte de Fersen au baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint- 
Pétersbourg. Bruxelles, le 19 janvier 1792 184 

CXXYI. — Le roi de Suède au comte de Fersen. Petit château de Haga, le 20 janvier 

1792 186 

OXXVn. — Annexe à Li lettre précédente : Aperçu relatif & l'office fait par l'Empereur 

relativement aux affaires de France. Le 20 janvier 1792 187 

OXXVm. — Baron de Stedingk, ambassadeur de Snède à Saint-Pétersbourg, au comte 
de Fersen. Saint-Pétersbourg, le /; janvier 1792 1^0 



436 TABLE DES MATIÈRES. 

GXXIX. — Comte de Penen an roi de Suède. Bruxelles, le 22 janvier 1792 142 

GXXX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 24 janvier 1792 145 

CXXXI. — Chevalier Franc, secrétaire d'État du roi de Suède, gérant les aflEaires étran- 
gères, au baron de Kolcken, envoyé extraordinaire de Suède à Vienne. Stockholm, 

le 24 janvier 1792 146 

CXXXII. ^ Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 26 janvier 1792 149 

ex XXIII. — Baron de Taube au comte de Fersen. Qefle, 26 janvier 1792 160 

CXXXiy. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé extraordinaire de Suède 

à Madrid. Bruxelles, 27 janvier 1792 162 

CXXXY. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, 29 janvier 1792 168 

CXXXYI. — Baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint-Pétersbourg, au comte 

de Fersen. Saint-Pétersbourg, le j| janvier 1792 164 

CXXXYII. — Extrait d'une lettre de l'impératrice de Bussie au roi de Suède. (Sans 

date.) : 166 

CXXXYIII. — La reine Marie-Antoinette au prince de Kaunitz. Le 1*' février 1792. . 167 

CXXXTX. —La leine Marie- Antoinette à l'impératrice de Russie. Le 1*' février 1792. 167 
CXL. — Comte de Fersen au baron de Nolcken, envoyé extraordinaire de Suède 4 

Vienne. Bruxelles, le S février 1792 169 

CXU. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 6 février 1792 160 

CXLII. — Le roi de Suède an comte de Fersen. Gefle, le 6 février 1792 168 

CXLin. — Baron de Taube au comte de Fersen. Gefle, le 6 février 1792 166 

CXLIV. — Comte de Fersen & la leine Marie- Antoinette. Le 6 février 1792 166 

CXLV. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 14 février 1792 167 

CXLVI. — Baron de Taube an comte de Fersen. Gefle , le 16 février 1792 168 

CXLVII. — Comte de Florida-Blanca, ministre-président d'Espagne, 4 M. Zinowie£P, 

envoyé extraordinaire de Russie & Madrid. Le 20 février 1792 169 

CXL VIII. — Extrait d'une dépêche de la cour de Saint-Pétersbourg à M. Zinowie^ 
envoyé de Russie à Madrid, communiquée à la cour de Madrid, et les réponses de 

cette dernière cour sur les différents articles « 17 

CXLIX. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 26 février 1792 176 

CL. — Baron de Taube au comte de Fersen. Stockholm, le 28 février 1792 178 

CLI. -. Comte de Fersen an roi de Suède. Bruxelles, le 29 février 1792 179 

CLII. -^ Le roi de Suède au comte de Fersen. Stockholm, le 2 mars 1792 184 

CLIII. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 2 mars 1792 186 

CLIV. — Marquis de Bouille au roi de Suède ] observations sur différents points de 

débarquement sur les côtes de France. Le S mars 1792 186 

CLV. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 4 mars 1792 108 

CLVI. — Comte de Fersen & la reine Marie- Antoinette. Le 4 mars 1792 / 196 

ÇLVII. — Du même à la même. Le 6 mars 1792 198 

CLViii. ~ Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 7 mars 1792 200 

OLIX. — Comte de Fenen & la reine Marie- Antoinette. Le 9 mars 1792 202 

CLX. — Comte de Fersen an roi de Suède. Bruxelles, le 11 mars 1792 204 

CIiXI. — Baron de Tanbe au comte de Fersen. Stockholm, le 16 mars 1792 206 

CLXn. — Comte de Fersen à ht reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 17 mars 1792. . 807 



TABLE DES MATIÈRES. 487 



CLXIII. — Comte de Fenen* an roi de Suède. Broxellee, le 18 mars 1792 209 

CLXIY. — Bu même au même. Bruxelles, le 21 mars 1792 211 

CLXY. — Oomte de Ferseu au baron de Taube. Bruxelles, le 21 mars 1792 216 

CLXYI. — Comte de Fersen à M. de Bildt, chargé d'affaires de Suède à Vienne. 

Bruxelles, le 28 mars 1792. , 217 

CUTVII. — La reine ICarie- Antoinette au comte de Fersen. Le 30 mars 1792 220 

CLXYIII. — Comte de Fersen au roi de Suède GuBtaye m. Bruxelles, le l*»' avril 

1792 221 

OLXIX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 9 avril 1792 224 

CLXX. — Le roi de Hongrie k la reine Marie- Antoinette. Vienne, 9 avril 1792 225 

CLZXL — Prince de Eaunitz à la reine Marie- Antoinette. Vienne, le 9 avril 1792. . 225 
CLXXn. — Dépêche du vicomte de Caraman, envoyé du roi Louis XVI à la cour de 

Berlin, au baron de BreteuiL Du 10 avril 1792 226 

CLXXXn. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 15 avril 1792 230 

CTiXXTV. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 17 avril 1792 230 

CLXXV. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 18 avril 1792 281 

CLXXVL — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 19 ayril 1792 233 

CLXXVII. — La reine Marie- Antoinette an comte de Fersen. Le 19 avril 1792 233 

CLXXVIII. — Vicomte de Caraman, envoyé du roi Louis XVI à la cour de Berlin, 

au baron de BreteuiL Le 19 avril 1792 234 

CLXXIX. — Du même au môme. Berlin, le 21 avril 1792 240 

CLXXX. — Comte de Fe«en à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 24 avril 1792. 242 

CLXXXI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de BreteuU. Le 24 avril 1792. 243 

CLXXXII. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 25 avril 1792 245 

CLXXXm. — Comte de Fersen au baron de Stedingk, ambassadeur de Suède à Saint- 
Pétersbourg. Bruxelles, le 27 avril 1792 246 

CLXXXrV. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Berlin, le 28 

avril 1792 248 

CLXXXV. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 29 avril 1792 251 

ÇLXXXVI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Le 1*' mai 

1792 253 

CLXXXVII. — Baron de Stedingk au comte de Fersen. Saint-Pétersbourg, le 20 

avril (!•' mai) 1792 255 

CLXXXVni. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de BreteuiL Berlin, le 

5 mai 1792 257 

CLXXXIX. — Mémoire envoyé par la cour impériale de Vienne aux puissances en- 
. nemies de la révolution française, pour les coaliser contre la France ; présenté par les 

envoyés d'Autriche et de Prusse à la cour de Suède au secrétaire d'État, M. de 

Franc, chargé des affaires étrangères à Stockholm, dans une conférence le 17 mai 

1792.. 261 

CXC. — Dépêche du marquis de Bombelles, envoyé du roi Xiouis XVI à la cour de 

SainVPétersbonrg, au baron de BreteuiL Pétersbourg, le 8 mal 1792 265 

(XSOI. — Dépêche du vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Berlin, le 8 mai 1792. 269 

CXCU. — Du même an. mêo^. Berlin, le 15 mai 1792 , 271, 



438 - TABLE DES MATIERES. 



CXCm. — Comte de Feroen aa baron de Tanbe. Bruxelles, le 16 mai 179S 273 

CXCIY. •— Comte de Fersen an roi de Suède. BruzéUeB, le 16 mai 1792 274 

CXCY. — Bu même au même. Bruxelles, le 28 mai 1792 « 276 

CZCY I. — Marquis de Bombelles au baron de Breteuil. Saint-Péterabourg, le 24 mai 

1792 278 

CXUVll. — Marquis de Bombelles au comte d'Osterman, yice-chanoelier de Bosne. 288 

CXCYIIL — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Le 2 juin 1792 286 

CXCIX. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 8 juin 1792 287 

ce. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 5 juin 1792 289 

CCI. — Note confidentielle du duc de Sudermanie, régent de Suède, au comte de Stac- 

kelberg, ambassadeur de Bussie à la cour de Stockholm. Le 5 juin 1792 290 

CCII. — Marquis de Bombelles au baron de BreteuiL Saint-Pétersbourg, le 6 juin 

1792 298 

CCIII. — La reine Marie- Antoinette au comte de Fersen. Le 7 juin 1792 29S 

CCIY. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 10 juin 1792 296 

CCY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 11 juin 1792 298 

CCYI. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 13 juin 1792 298 

CCYII. — Comte de Fersen au baron de Taube. Bruxelles, le 17 juin 1792 800 

CCYIII. — Comte de Fersen au baron de Stedingk. Bruxelles, le 18 juin 1792 301 

CCIX. — Bulletin arec détails sur ce qui s*est passé aux Tuileries le 20 juin 1792. . . 803 

CCX. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 21 juin 1792. . . 805 

CCXL— Bulletin de ce qui s'est passé aux Tuileries le 20 juiik 1792 807 

CCXII. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le 23 juin 1792 808 

CCXIIL — De la même au même. ]Cie 26 juin 1792 309 

CCXIY. — Prince Charles, duc de Sudermanie, et régent pendant la minorité du roi 

de Suède Gustaye lY Adolphe, au comte de Fersen. Château de Drottningholm, le 

26 juin 1792 310 

CCXY. — Du même au même. Château de Drottningholm, le 26 juin 1792 312 

CCXYI. — Comte de Fersen au baron d'Ehrensvaerd, envoyé de Suède à Madrid. 

Bruxelles, le 26 juin 1792 , 813 

CCXYH. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Le 30 juin 1792 816 

CCXYIII. — Comte de Fersen au duo de Sudermanie, régent de Suède. Bruxelles, le 

1*' juillet 1792 816 

CCXTX. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le 8 juillet 1792.. 817 

CCXX. — De hi même au même. Le 6 juillet 1792 818 

CCXXI. — De la même au même. (Sans date.) 818 

CCXXn. — De la même au même. Le 7 juillet 1792 819 

CCXXni. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 7 juillet 1792 820 

CCXXIY. — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. Bruxelles, le 10 juillet 

1792 822 

CCXXY. — Comte de Fersen an baron de Taube. Bruxelles, le 11 juillet 1792 824 

CCXXYI. — La reine Marie-Antoinette an comte de Fenen. Le 11 juillet 1792 826 

CCXXYIL — De hi même au même. Le 15 juillet 1792 827 

CGXXYIII. — Comte de Fersen à la reine Mane-Antoinette. Bnix«Uai| le 18 juil* 



TABLE DES MATIÈRES. 439 

let 1792. , , , . 828 

CCXXIX. — La reine Harie* Antoinette au comte de Fenen. Le 21 juillet 1792 880 

GCXXX. — Comte de Ferq^ au baron Stedingk, ambasaadenr de Suède à la cour de 

Saint-Pétenbôurg. Bruxelles, le 28 juillet 1792. . ^ 881 

OGZXXI. — La RÎBe Marie-Antoinette au comte de Fezsen. Le 24 juillet 1792. . . 882 
OC AXXTT . — V. de Oninen, enTojé de Soède à la cour de Beriin, au comte de Fer- 

een. Berlin, le 24 juillet 1792. . . ., j 334 

CC XXXJTI . — Comte de Fersen à la reine Marie-Antoinette. BmxdlaB, le 26 jidllat 

1792 386 

OCXXXIV. — Du même à la même. Bruxelles, le 28 juillet 1792 387 

CCXZXY. — Comte de Fersen au baron de Taube. [Bruxelles], le 29 juillet 1792. . « 888 

CCXXXYI. — La reine Marie-Antoinette au comte de Fersen. Le l"" août 1792 889 

CCXXXYII. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 8 août 

1792 841 

CCXXXVIII. ■— Du même à la même. Bruxelles, le 7 août 1792 842 

CCXXXIX. — Comte de Fersen au baron de Stedingk. Bruxelles, le 9 août 1792. ... 844 

CCXL. — Comte de Fersen à la reine Marie- Antoinette. Bruxelles, le 10 août 1792. 845 

CCXLI. — Bulletin sur ce qui s'est passé le 10 août à Paris, & la prise des Tuileries. 846 

CCXLII. — M. de Nicolay au baron de BreteniL Paris, le 11 août 1792 847 

CCXTiTTI. •— M. de Sainte-Foix au baron de Breteuil. Paris, le 11 août 1792 848 

CCXLIY. — Comte de Feiaen au roi de Suède. Bruxelles, le 12 août 1792 849 

CCXLY. — Dépêche de M. Pitt, chancelier de l'échiquier de la Grande-Bretagne, & 
l'ambassadeur de S. M. le roi de la Grande-Bretagne à Paris. WhitehaU, le 17 août 

1792 350 

CCXLYI. — Comte de Fersen au roi de Suède. Bruxelles, le 22 août 1792 851 

CCXL Vil. — Vicomte de Caraman au baron de Breteuil. Au camp devant Longwy, 

le 28 [août 1792] 852 

CCXLYin. — Comte de Fenen à M. de Silfrersparre, employé au ministère des af- 
faires étrangères, à Stockholm. Le 29 août 1792 857 

CCXLIX. — Comte de Fersen an baron de Breteuil. Le 8 septembre 1792 858 

CCL. — Bulletin du comte de Fersen au prince régent de Suède, de ce qui se passe en 

France. Bruxelles, le 9 septembre 1792. 862 

CCLI. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 11 septembre 1792 868 

CCLII. — Comte de Fersen au baron de Breteuil. Bruxelles, le 11 septembre 1792. . 864 

CCLm. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 12 septembre 1792. . . 866 

CCLTV. — Du même an même. Verdun, le 17 septembre 1792 878 

CCLV. — Bulletin du comte de Fersen au prince régent de Suède^ sur ce qui s'est 

passé en France. Bruxelles, le 19 septembre 1792 874 

CCLVI. — Comte de Fersen au baron de Breteuil. Bruxelles, le 28 septembre 1792. / 875 

CCLVn. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Verdun, le 2 octobre 1792 878 

CCLVni. — Du même an même. Verdun, le 8 octobre 1792 880 

CCLIX. — Comte de Fersen an baron de Stedingk. Bruxelles, le 11 octobre 1792. ... 882 

CCLX. — Baron de Breteuil au comte de Fersen. Luxembourg, le 17 octobre 1792. . 885 
CCLXI* -— BaroD de BreteujI à 9a illlc, M"*' de Mati^on. Luxembourg, le 22 octobre 



440 TABLE DES MATIÈRES. 



1792., • .,.....•.*. 887 

GOLXn. — Comte de Fersen an prince régent de Bnède. BmxelleB» le 7 novembre 

1792 888 

GCLXin. — Comte de Fersen an baron de Tanbe. Aix-la-Chapelle, le 19 novembre 

1792 891 

CCLXIY. — Comte de Fersen an prinoe régent de Suède. Aix-la-Cbapelle, le 19 no- 
vembre 1792 894 

GCLX V. — Du même an même. Aix-la-Chapelle, le 19 novembre 1792 896 

CCLXYI. — Bue de Beux- Ponts an comte de Fersen. Beux-Ponts, le 17 d^mbre 

1 79 2 899 

COLZVIL — Comte de Fersen an prince régent de Suède. Btisaeldorf , le 29 janvier 

1798 400 

CCLXYIII. — L'archevêque de Tours au comte de Fersen. Le 27 janvier 1798 401 

CCLXIX. » Comte de Fersen an comte de Mercy. Biisseldorf, le 8 février 1798 402 

CCLXX. — Baron de Breteuil an comte de Fersen. Londres, le 24 février 1793 404 

CCLXXI. —Comte de Fersen an prince régent de Suède. BUsseldorf, le 29 mars 1798. 406 

CCLXX TI. — La reine Marie- Antoinette à M. de Jarjayes. [Mars on avril 1793] ..... 408 

CCTiXXTTT. — Comte de Fersen & la reine Marie- Antoinette. Le 8 avril 1798 408 

CCLXXTV. — Comte de Fersen au chancelier de Bnède, comte de Sparre. Aix-la-Cha- 

peUe, 16 avril 1798 410 

» 

CCLXXY. — , Le prinoe régent de Suède an comte de Fersen. Stockholm, le 16 avril 
1798 412 

CCTiXXVl. — Bépêche du baron de Stedingk au prince régent de Bnède. Saint-Pé- 
tersbourg, le 26 avril 1793 415 

CCLXXYIL — Comte de Fersen an prince régent de Suède. Bruxelles, le 29 avril 
1798 416 

CCLXXYIII. — Comte de Sparre, grand chancelier de Suède, an comte de Fersen. 
Stockholm, le 10 mai 1798 421 

CGTiXXTX. — Le prince régent de Suède au comte de Fersen. Stockholm, le 80 mai 
1798 422 

OCTiXXX. — Comte de Fersen an prinoe régent de Suède. Bruxelles, le 23 juin 1798 . • 428 

OCTiXXXT. — Le duc de Beux-Ponts au comte de Fersen. Crenznach, le 26 juillet 
1798 425 

CCLXXXn. — Bu même an même. Le 4 octobre 1798 427 

CCTiXXXni, — Bu même an même. Mt^nnhelm, le 24 octobre 1798 426 

OCLXXXIY. — Le général de Jarjayes au comte de Fersen. Turin, le 18 février 
1794 .......> 480 



• 



Flir DB LA TABLB DU BBCOND VOLVICB,