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Full text of "Le comte de Paris"

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COMTE    DE    PARIS 


MnNr.RlONFJJR   l.E   COMTE  DE  PARIS, 


PerrinftC'Kdi. 


ImpCh.Cliartlon. 


LE 


COMTE  DE  PARIS 


LE  MARQUIS  DE   FLERS 

OUVRAGE    ORNÉ 

DE     HUIT     PORTRAITS      ET     D  '  U  N     FAC-SIMILE     D  '  A  U  T  0  G  R  A  P  H  E 


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PARIS 

LIBRAIRIE     ACADÉMIQUE     DIDIER 

PERRIN  ET  C'%   LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,    QUAI  DES   GRANDS-AUGCSTINS,   35 

1888 

Tous  droits  réservés 


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SEP  16  1574      jj 


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AVANT-PROPOS 

Plus  les  années  passent,  et  plus  la  France  dé- 
choit du  rang  auquel  elle  a  droit  en  Europe,  et 
marche  vers  la  ruine.  Quand  s'arrêtera-t-elle  sur 
la  pente  qui  la  conduit  à  sa  perte?  Nous  avons 
confiance  dans  sa  prompte  délivrance,  et  la 
conviction  que  son  avenir  est  personnifié  dans 
M^*"  le  comte  de  Paris.  De  ce  double  sentiment, 
est  né  ce  livre. 

Jusqu'à  présent,  on  a  publié  quelques  bro- 
chures, mais  on  n'a  pas  écrit  un  livre,  où  se 
trouvent  réunis  tous  les  documents  néces- 
saires, pour  connaître,  en  détail,  la  vie  déjà  si 
bien  remplie  de  M^""  le  comte  de  Paris.  On  ne 
sait  peut-être  pas  assez  à  quel  sincère  patrio- 
tisme M^''  le  comte  de  Paris  a  obéi  dans 
toute  sa  conduite,  aussi  bien  en  exil,  qu'aux 
heures  trop  courtes  où  il  a  vécu  en  France. 
Inattentif  comme  l'est  notre  pays,  il  n'a  peut- 
être  pas  non  plus  assez  remarqué  ce  qu'il  y  a  de 
pénétrant,  de  net,  [de  précis,' dans  l'intelligence 


VIII  AVANT-PROPOS 

de  ce  Prince,  ni  aussi  la  fermeté  de  sa  volonté 
et  la  droiture  de  son  caractère  qui  (on  Ta  dit 
avec  raison)  «  est  parfois  plus  habile  que  Fha- 
bileté  elle-même  ». 

Il  nous  a  donc  paru  utile  de  raconter  sa  vie  aux 
Tuileries,  en  Angleterre,  en  Amérique,  à  Eu  ou 
à  Paris,  de  le  montrer  toujours  et  partout,  suivant 
son  unique  pensée  :  la  France!...  L'heure  nous 
a  paru  propice  pour  publier  ces  pages.  A  dé- 
faut d'autres  mérites,  ce  livre  aara  celui  d'une 
rigoureuse  exactitude.  Notre  rôle  s'est  borné 
à  enregistrer  des  documents  vrais,  et  nous 
avons  conscience  de  l'avoir  rempli    fidèlement. 

Quelques  censeurs  à  l'esprit  chagrin  ou  pré- 
venu, plutôt  mal  renseignés,  nous  reprocheront, 
peut-être,  d'avoir  trop  cédé  à  un  respectueux 
attachement.  Nous  ne  nous  en  défendrons  cer- 
tainement pas;  nous  ne  saurions  être  touché 
par  une  semblable  critique,  convaincu  que  nous 
sommes  resté  en  décade  la  vérité  et  de  la  jus- 
tice. Nous  en  appelons,  au  reste,  au  jugement  de 
tous  ceux  qui  ont  l'honneur  de  connaître  ce 
Prince.  Appartenant  à  une  famille  dévouée 
depuis  le  siècle  dernier  à  la  maison  d'Orléans 
admis  à  l'honneur  d'approcher  souvent   M"'    le 


AVANT-PROPOS  IX 

comte  de  Paris,  il  est  naturel  que  nous  ne 
soyons  pas  insensible  aux  grandes  et  solides 
qualités  qui  distinguent  celui  qui  sera  Phi- 
lippe Vil. 

Nous  nous  proposons,  non  d'imposer,  mais 
de  faire  partager  nos  sentiments  au  lecteur;  et 
cela  par  l'exposé  sincère  de  faits  incontestables 
dont  il  saura  lui-même  dégager  l'enseignement. 
Jadis  le  peuple  s'écriait  :  «  Ah!  si  le  Roi  le  sa- 
vait ! . . .  »  Aujourd'hui  nous  disons  :  «  Ah  !  si  le 

peuple  le  connaissait!  » 

Mais  le  peuple  ouvrira  bientôt  les  yeux.  Il  se 
rappellera  ces  Rois,  dont  l'histoire  s'est  con- 
fondue pendant  neuf  siècles  avec  sa  propre  his- 
toire, toujours  liés  à  sa  bonne  comme  à  sa  mau- 
vaise fortune  :  il  se  souviendra  que  la  Providence 
garde  toujours  dans  ses  mains  l'avenir,  pour  le 
distribuer  aux  Rois  et  aux  peuples,  tantôt  en 
châtiments,  tantôt  en  récompenses,  selon  leurs 
fautes  ou  leurs  mérites.  Il  faut  donc  lui  montrer 
où  est  le  salut,  sans  relâche  et  sans  décourage- 
ment, jusqu'au  jour  tant  désiré,  où  la  France, 
se  souvenant  qu'elle  est  maîtresse  de  ses  desti- 
nées ,  rejettera  un  gouvernement  oppresseur. 
Nous  avons  confiance  dans  son  bon  sens,  qui,  un 


X  AVANT-PROPOS 

peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard,  reconnaîtra  quel 
prestige  et  quelle  situation  elle  retrouverait  en 
Europe,  en  replaçant  à  sa  tête  le  petit-fils  du  roi 
Louis-Philippe,  le  chef  de  la  maison  de  France, 
qui  seul,  en  lui  rendant  l'ordre  et  la  liberté,  fera 
la  pacification  religieuse  et  mettra  fin  à  la  dis- 
sension des  partis. 

Dans  l'humble  mesure  de  nos  forces,  nous 
aurons  rempli  la  tâche  que  nous  nous  sommes 
imposée,  si  nous  avons  ^^fait  pénétrer  chez  le 
lecteur  notre  ardente  conviction.  Un  écrivain 
désintéressé  de  nos  luttes  a  dit  :  «  La  race  royale 
de  France  a  présenté  ce  miracle  constant  de 
toujours  produire  le  juste  Roi  pour  le  juste  mo- 
ment... ))  Bientôt  ce  moment  viendra,  et  la 
France  se  souviendra  alors  de  la  parole  de  M  "^  le 
comte  de  Paris  :  «  A  l'heure  décisive,  je  serai 
pi'ét  ! . . .  » 

Paris,  octobre  1887. 


LE,. 

COMTE    DE    PARIS 


CHAPITRE    P'- 

1838-1858 

Mariage    de  S.   A.   R.    le    duc    d'Orléans,    prince    royal,    avec 
S.  A.   R.   la    princesse    Hélène    de    Mecklembourg-Schwcrin 
(30  mai  1837).  —  Fêtes  à  cette  occasion.  — Le  Palais  de  Ver- 
sailles. —  Naissance  de  S.  A.  R.   le  comte  de  Paris  (24  août 
1838).  —  Son  enfance.  —  Lettres  de  M™«  la  duchesse  d'Or- 
léans. —  La  vie  de  famille  au  Palais  des  Tuileries.  —  Nais- 
sance de  M.  le  duc  de  Chartres  (9  novembre  1840).  —  Baptême 
de  M.  le  comte  de  Paris  (2  mai  1841).  —  La    mort  de    Ms--  le 
duc  d'Orléans  (  13  juillet  1842).  —  Anecdotes  sur  le  duc  d'Or- 
léans,   d'après    Alexandre    Dumas.  —  L'éducation   de  M.   le 
comté  de  Paris  et  de  son  frère  le  duc  de  Chartres.  —  Lettres 
de  M'"«  la    duchesse    d'Orléans    sur    les  jeunes    princes.  — 
Accident  au  Tréport  (1844).    —   La    révolution  du  24  Février 
1848.  —  M°i<=  la  duchesse  d'Orléans  à   la  Chambre  des  dépu- 
tés.  —    Son    départ   de  France   avec  les  jeunes   princes.  — 
Ses  paroles  à  Lille  —  Au  château  d'Eisenach.  —  Voyage  en 
Ano-leterre   (1849).    —   La   loi   d'exil   du  26  mai  1848.  —  La 
première   communion  de  M.  le  comte  de  Paris,  racontée  par 
M-^Ma  duchesse  d'Orléans  (20  juillet  1850).  —  Mort  du  roi 
Louis-Philippe    (26  août  1850),    et    de    la  reine  des  Belges 
(10    octobre    1850).    —  Union  de   la    famille    royale.  —  Les 
jeunes   princes   au  pont  de   Kehl.    -    Le  comte   de  Paris  et 
le    duc   de   Chartres  parcourent  les   champs   de   bataille   de 
l'Europe.    —    Voyages    d'instruction.    —    Protestation    des 
princes  contre  les  décrets  du  22  janvier  1852  qui  les  dépouil- 

l 


C  ^MARIAGE    DU    DUC    D  ORLEANS 

lent  de  leurs  biens.  —  Voyage  en  Angleterre  (1853).  —  Acci- 
dent de  M"e  la  duchesse  d'Orléans  en  Suisse  (1853).  —  Les 
princes  pendant  la  guerre  de  Crimée  (1854-1855).  —  Mort 
de  S.  A.  R.  M™«  la  duchesse  d'Orléans  en  Angleterre  (18 
mai  1858). 

Le  15  avril  1837,  le  comle  Mole  était  charge  par 
le  roi  Louis-Philippe  de  constituer  un  cabinet.  Le 
surlendemain  de  la  formation  de  son  ministère, 
le  nouveau  président  du  Conseil  annonçait  aux 
Chambres  le  mariage  du  prince  royal,  le  duc  d'Or- 
léans, avec  S.  A.  R.  la  princesse  Hélène  de  Meck- 
lembourg-Schwerin.  Le  comte  Bresson  avait  heu- 
reusement mené  les  négociations ,  malgré  les 
obstacles  de  toutes  sortes  que  certaines  cours 
avaient  élevés  pour  empêcher  cette  union.  Le 
duc  de  Broglie  avait  été  envoyé  en  ambassade 
extraordinaire  pour  conduire  la  princesse  en 
France. 

Le  l5  mai,  la  princesse  Hélène  quittait  Ludwigs- 
lust,  pour  venir  trouver  son  royal  fiancé  :  elle  était 
accompagnée  de  la  grande-duchesse  de  JMecklem- 
bourg-Scliwerin,  sa  seconde  mère,  femme  d'un 
esprit  supérieur,  qui  avait  pour  elle  une  mater- 
nelle tendresse  etqui  s'était  consacréeàson éduca- 
tion, après  la  mort  du  grand-duc  de  Mecklcm- 
bourg-Schwerin. 

Le  22  mai,  elle  rencontrait,  àFulde,  Tambassade 
d'honneur  conduite  par  le  duc  de  Broglie; 
son  voyage  en  France  fut  pour  elle  un  triomplie. 


MARIAGE    DU    DUC    D  ORLEANS  3 

Le  29  mai,  à  cinq  heures  du  soir,  elle  arrivait  au 
palais  de  Fontainebleau,  où  le  roi  Louis-Philippe, 
la  reine  Marie-Amélie,  les  princes  et  les  princesses 
l'attendaient.  Le  duc  d'Orléans  la  reçut  au  bas  de 
l'escalier  et  la  conduisit  au  roi;  comme  elle  se 
baissait  pour  lui  baiser  la  main,  celui-ci  l'attira 
vivement  et  l'embrassa  avec  effusion.  Dans  cette 
première  entrevue  avec  la  famille  royale,  la  sim- 
plicité et  la  grâce  de  ses  manières,  affectueuses 
avec  dignité  et  modestie,  lui  conquirent  tous  les 
suffrages. 

Le  lendemain,  30  mai,  le  mariage  civil  fut  célé- 
bré par  le  baron  Pasquier,  que  le  roi  venait  de  faire 
chancelier  de  France.  La  bénédiction  nuptiale  fut 
ensuite  donnée  selon  le  rite  catholique,  dans  la 
chapelle  de  Henri  II,  par  M^'''  Gallard,  évoque  de 
Meaux,  et  selon  le  rite  luthérien,  pour  la  prin- 
cesse, dans  la  salle  de  Louis-Philippe,  par  M.  Cu- 
vier,  pasteur  protestant  de  l'Eglise  luthérienne. 
Depuis  deux  siècles,  de  grandes  fêtes  à  propos  de 
mariages  royaux  avaient  eu  lieu  au  palais  de  Fon- 
tainebleau :  César,  duc  de  Vendôme,  y  épousait 
Gabrielle  de  Lorraine;  Louis  XIV  y  amenait  sa 
jeune  femme,  Marie-Thérèse,  après  son  mariage 
à  Saint-Jean-de-Luz;  le  roi  d'Espagne,  Charles  II, 
qui  légua,  en  1700,  ses  royaumes  à  Philippe  V, 
petit-fils  de  Louis  XIV,  y  épousait,  par  procuration, 
Marie-Louise  d'Orléans,  nièce  de  Louis  XIV  ; 
Louis  XV  y  célébrait  son  mariage   avec  la  bonne 


4  FÊTES  AU  PALAIS  DE  VERSAILLES 

et  vertueuse  Marie  Leczinska  ;  enfin,  Louis  XYIIl 
y  venait  recevoir  la  duchesse  de  Berry. 

Les  fêtes  qui  suivirent  le  mariage  furent  magni- 
fiques ;  le  duc  d'Orléans  était  si  aimé,  si  populaire, 
que  l'allégresse  était  générale.  Le  prince  royal,  à 
l'occasion  de  cette  union,  consacra  cinq  cent  mille 
francs  à  des  actes  de  bienfaisance  et  à  des  distri- 
butions de  secours  aux  pauvres.  Parmi  les  fêtes 
qui  eurent  lieu  pendant  quinze  jours,  il  faut  citer 
l'inauguration  des  galeries  du  palais  de  Versailles 
dont  on  devait  la  restauration  à  l'initiative  du  roi 
Louis-Philippe.  La  révolution,  en  1793,  avait  enlevé 
du  palais  et  dispersé  tous  les  meubles  et  objets 
précieux.  Napoléon  V  et  Louis  XVIII  avaient  re- 
culé devant  les  dépenses  d'une  restauration;  aussi 
l'herbe  poussait  dans  les  cours,  et  certaines  parties 
étaient  dans  un  délabrement  complet.  En  1833,  le 
roi,  qui  dirigeait  et  surveillait  lui-même  les  tra- 
vaux, activa  et  encouragea  les  ouvriers  et  les 
artistes,  peintres  et  statuaires.  Enfin,  le  10  juin 
1837,  quinze  cents  invités,  l'élite  de  la  France,  ve- 
naient, à  l'occasion  du  mariage  du  duc  d'Orléans, 
recevoir  une  hospitalité  royale  dans  ce  palais, 
dont  la  restauration  complète,  à  la  fin  du  règne  de 
Louis-Philippe,  coûta  la  somme  de  23,494,000  l'v. 
Cette  intelligente  et  magnifique  restauration  du 
palais  de  Louis  XIV  restera  comme  un  des 
plus  nobles  souvenirs  du  règne  du  grand- père 
de  M.   le  comte  de  Paris.  Les  représenlanis  des 


MADAME    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS  5 

anciennes  familles  comme  les  membres  de  la 
société  nouvelle  étaient  réunis  à  Versailles,  «  car 
la  royauté  moderne  ouvre  sa  cour  au  mérite 
comme  à  la  naissance,  à  ceux  qui  se  sont  élevés 
par  leurs  œuvres  personnelles  aussi  bien  qu'aux 
représentants  de  la  vieille  France,  héritiers  de  ses 
grands  noms  et  de  ses  grands  souvenirs!  Elle 
aime  à  s'entourer  de  tous  ceux  qui  font  honneur 
à  la  patrie  ». 

Le  duc  d'Orléans  s'intéressait  d'une  manière 
toute  particulière  aux  beaux-arts,  aux  sciences  et 
à  la  littérature  française.  A  l'occasion  de  son  ma- 
riage il  demanda  au  roi  son  père,  comme  cadeau 
de  noces,  le  droit  de  disposer  de  quatre  croix  de 
la  Légion  d'honneur  :  une  de  Commandeur  pour 
le  savant  Arago,  une  d'Officier  pour  Victor  Hugo, 
et  deux  croix  de  Chevaliers,  l'une  pour  l'historien 
Augustin  Thierry,  l'autre  pour  le  grand  et  déjà 
célèbre  romancier,  Alexandre  Dumas. 

Les  cinq  années  qui  suivirent  le  mariage  de 
Madame  la  duchesse  d'Orléans  furent  les  plus 
heureuses  de  sa  trop  courte  vie.  Les  hommages 
qui  lui  étaient  rendus  s'adressaient,  non  seule- 
ment au  rang  élevé  qu'elle  occupait,  mais  à  ses 
éminenles  qualités,  que  Ton  appréciait  chaque 
jour  davantage.  Elle  prenait  un  intérêt  très  grand 
à  tout  ce  qui  regardait  la  France.  Le  mouvement 
littéraire  aussi  bien  que  les  événements  politiques 
l'occupaient,  et  elle   aimait  à  s'associer   à  l'intel- 


b  LOUIS    XVIII    ET    LE    DUC    D  ORLEANS 

ligent  accueil  que  le  duc  crOrléaiis  faisait  aux 
artistes,  aux  écrivains  et  aux  esprits  les  plus  dis- 
tingués de  Tépoque.  Elle  possédait  les  qualités 
qui  sont  le  plus  indispensables  à  une  princesse  : 
une  extrême  aflabilité  et  un  tact  parfait.  Le  prince 
royal  aimait  tendrement  cette  princesse  aux  traits 
si  fins,  et  dont  toute  la  personne  avait  un  charme 
inexprimable. 

Le  duc  d'Orléans,  né  à  Palerme  en  1810, 
avait  vingt-sept  ans  lorsqu'il  avait  épousé 
la  princesse  Hélène.  A  la  seconde  Restauration, 
en  1815,  présenté  par  son  père  à  Louis  XVIII,  le 
roi,  admirant  ce  bel  enfant,  s'écria  :  «  ^'oilà  un 
beau  garçon  ;  que  ferons-nous  de  lui? —  Il  faut 
faire  de  moi  un  soldat,  répondit  avec  vivacité  le 
petit  duc  de  Chartres.  —  Mais  Monsieur  le  militaire, 
que  feriez-vous  d'un  grand  sabx'e  qui  serait  plus 
grand  que  vous  ?  —  Je  le  tiendrai  à  deux  mains 
jusqu'à  ce  que  je  sois  plus  grand  que  lui  !...  »  Cette 
repartie  amusa  beaucoup  le  roi. 

A  neuf  ans  il  entrait  au  collège  Henri  IV,  se  sou- 
mettant gaiement  à  la  discipline,  et  partageant 
avec  ses  camarades  récompenses  et  punitions. 
Après  avoir  passé  brillamment  son  examen  à 
l'Ecole  polytechnique,  il  était  en  1830  colonel  du 
l"""  régiment  de  hussards.  En  1832,  au  siège  d'An- 
vers, il  comnumdail  une  division  de  l'armée  fran- 
çaise, el  trois  ans  après  il  j)ailagcail  avec  l'armée  les 
l'aligu(>s  el  les  dangers  d'une  campagne  en  Algérie. 


NAISSANCE    DE    M''^'"    LE    COMTE    DE    PARIS  7 

Le  24  août  1838,  Son  Altesse  Royale  Madame  la 
duchesse  d'Orléans  mettait  au  monde  un  fils  au- 
quel le  roi  Louis-Philippe  donna  le  titre  de  Comte 
de  Paris.  C'était  le  titre  qu'avaient  porté  les  pre- 
miers de  sa  race  :  Robert-le-Fort,  et  son  fils  le  comte 
Eudes  qui  défendit  vaillamment  Paris  contre  les 
Normands  en  885  :  personne  ne  l'avait  pris  de- 
puis. 

Il  était  environ  trois  heures  de  l'après-midi 
lorsque  M.  le  comte  Mole,  président  du  Conseil  des 
ministres,  sortit  de  la  chambre  de  Madame  la  du- 
chesse d'Orléans  en  s'écriant  :  «  Nous  avons  un 
prince!  »  Ces  mots  sont  accueillis  par  les  cris  ré- 
pétés de  :  Vive  le  Roi!...  Cent  et  un  coups  de 
canon  annoncent  à  la  population  parisienne  la 
naissance  d'un  prince.  Le  jour  même,  l'archevêque 
de  Paris  ondoj'ait  le  jeune  prince  dans  la  chapelle 
du  palais,  et  les  diplomates  accrédités  à  Paris  se 
rendaient  aux  Tuileries  pour  adresser  leurs  féli- 
citations au  roi. 

A  peine  connu  dans  Paris,  l'accouchement  de 
la  duchesse  d'Orléans  faisait  déjà  un  heureux  :  il 
était  trois  heures  et  demie;  un  soldat,  le  pauvre 
Biscarat,  Auvergnat  de  naissance,  traduit  devant 
le  conseil  de  guerre  de  Paris  pour  insoumission 
dans  le  service,  allait  être  condamné.  Son  avocat, 
qui  savait  que  depuis  le  matin,  huit  heures,  la  du- 
chesse d'Orléans  était  sur  le  point  d'accoucher, 
s'étendait  le  plus  longuement  possible  et  épuisait 


O  LE    DL'C    D  ORLEANS    A    NEUILLY 

les  artifices  oratoires...  Tout  à  coup,  retentit  le 
vingt-deuxième  coup  de  canon  qui  annonçait  à 
Paris  et  à  la  France  la  naissance  d'un  prince  : 
«  Messieurs,  s'écrie-t-il,  ma  plaidoirie  est  termi- 
née; le  vingt-deuxième  coup  de  canon  est  le  meil- 
leur argument  de  la  défense...  la  nation  entière 
est  trop  heureuse  aujourd'hui  pour  que  vous 
laissiez  attrister  un  si  beau  jour  »...  Et  il  s'assit. 
On  va  aux  voix,  et  le  conseil  de  guerre  acquitte  le 
pauvre  soldat,  qui,  ravi,  ne  peut  s'empêcher  de 
crier  :  «  Vive  le  Roi  !  « 

La  joie  que  la  naissance  de  ce  jeune  prince 
causait  à  la  famille  royale  fut  partagée  par  la 
France  entière. 

La  vie  s'écoulait  pour  la  duchesse  d'Orléans  heu- 
reuse et  tranquille.  En  hiver,  le  dimanche,  le  duc 
d'Orléans  accompagnait  la  reina  à  la  grand'mcsse 
à  Saint-Roch  :  il  accomplissait  très  régulièrement 
ce  devoir  de  piété  filiale.  Le  prince  royal  habitait 
souvent,  l'été,  le  petit  château  de  Villiers,  dans  le 
parc  de  Neuilly,  où  résidaient  le  roi,  la  reine  et 
les  jeunes  princes.  Les  belles  et  chaudes  soirées 
étaient  consacrées  à  des  promenades  sur  Feau, 
souvent  jusqu'à  Saint-Gloud  :  les  jeunes  princes, 
le  duc  d'Aumale  et  le  duc  de  Montpensier  s'amu- 
saient à  faire  des  feux  d'artifice,  et  quand  le  roi 
remarquait  que  les  pelouses  et  les  fleurs  étaient 
saccagées,  on  lui  répondait  que  c'était  pour  faire 
j)laisir  à  leur  sœur  Hélène,  et  le  roi  acceptait  Fox- 


TRAIT    DE    BONTE    DU    ROI    LOUIS-PHILIPPE  U 

cuse  en  souriant,  car  il  chérissait  sa  belle-fille.  La 
duchesse  d'Orléans  aimait  passionnément  son  mari, 
qui  s'occupait  d'elle  comme  l'époux  le  plus  atten- 
tif, surveillant  sa  santé,  s'intéressant  à  sa  toilette,  et 
allant  lui-même  chercher  dans  le  jardin  de  Villiers 
ses  fleurs  de  prédilection...  La  princesse  était 
d'une  modestie  rare;  quand  on  vantait  son  éru- 
dition, elle  répondait  :  «  Oui,  je  suis  une  savante, 
qui  ne  comprend  pas  même  les  rudiments  de  la 
science,  le  grec  et  le  latin  »...  Très  charitable,  elle 
étendait  tellement  ses  libéralités,  que  souvent  elle 
avait  de  véritables  embarras  d'argent. 

Le  bonheur  de  la  famille  royale  était  à  son  apo- 
gée et  le  roi  Louis-Philippe  jouissait  alors  d'une 
grande  popularité.  Sa  simplicité  plaisait  au  peuple. 
Il  saignait  un  postillon  tombé  de  cheval;  car,  a  dit 
Victor  Hugo  :  «  Il  n'allait  pas  plus  sans  sa  lancette 
qu'Henri  III  sans  sonpoignard;  aussi  les  royalistes 
raillaient-ils  ce  roi  ridicule,  le  premier  qui  ait  versé 
le  sang  pour  guérir!»  Le  roi  s'arrêtait  souvent 
devant  le  berceau  de  M.  le  comte  de  Paris  endormi, 
et  quand  l'enfant,  se  réveillant,  tendait  ses  petits 
bras  à  son  aïeul,  dont  il  comprenait  la  tendresse, 
c'était  une  joie  sans  pareille  pour  le  souverain... 
En  1839,  le  duc  d'Orléans  partit  pour  l'Afrique, 
où  son  devoir  l'appelait.  Ce  fut  une  vive  émotion 
pour  la  duchesse,  mais  elle  ne  songea  pas  un 
instant  à  le  retenir  :  elle  vécut  un  peu  plus  dans 
a   retraite,  pendant  l'absence  du  prince  royal,  le 


10        PREMIÈRE    ÉDUCATION    DE    M?""    LE    COMTE    DE   PARIS 

roi  l'y  avait  autorisée.  La  reine  Marie-Amélie  et 
les  princesses  venaient  souvent  la  trouver  auprès 
(lu  berceau  de  son  fils,  car  elle  le  quittait 
le  moins  possible.  Par  la  fermeté  de  ses  prin- 
cipes, par  sa  piété,  elle  gagnait  chaque  jour  dans 
l'estime  publique.  Le  roi  et  la  reine  avaient  la  plus 
grande  confiance  en  elle;  c'est  elle  qui  composait 
les  premières  et  courtes  prières  de  ses  enfants. 
Pendant  que  le  dimanche  la  duchesse  d'Orléans  se 
rendait  au  temple  luthérien,  la  reine  Marie-Amélie 
conduisait  le  jeune  comte  de  Paris  à  la  messe,  et  à 
son  retour  il  lisait  et  apprenait  par  cœur  les  prières 
enfantines  écrites  pour  lui  par  sa  mère. 

L'àme  des  enfants,  écrivait-elle,  s'ouvre  phis  facile- 
ment lorsque  nous  sommes  seuls  avec  eux.  Je  tâche  d'être, 
autant  que  possible,  seule  avec  mon  fils.  Aujourd'liui  je  l'ai 
ramené  de  Neuilly  :  il  s'endormit  dans  mes  bras;  je  le 
couchai  sur  son  lit,  je  lui  rendis  mille  petits  soins.  Vous 
eussiez  dû  voir  comme  il  était  caressant  et  tendre  !  Oh  !  que 
hi  mère  bourgeoise  est  heureuse  ! 

Quand  le  duc  d'Orléans  fut  de  retour  d'Afrique, 
la  princesse  retrouva  les  joies  de  la  famille  qu'elle 
laisait   passer    avant    tout.    Elle    écrit  alors   (juin 

1840j  : 

....    Voilà  mon    protecteur,    mon    ami,    ma  vie,  rentré 

<laiis  mon  petit  intérieur Son  absence  me  semble  avoir 

été  un  long  rêve.  C'était  une  belle  journée  (jue  celle  d'Iiier; 
je  iH'  imis  la  comparer  qu'à  celle  de  la    naissance  de  Paris. 


NAISSANCE    DU    DUC    DE    CHARTRES  11 

Mon  cœur  était  plein  de  reconnaissance  et  palpitait  de 
joie.  11  vint  des  visites,  puis  on  nous  laissa  seuls  quelques 
instants.  Le  petit  était  enfermé  dans  ma  chambre  à  coucher. 
La  porte  s'entr'ouvrit  ;  il  entra  un  peu  intimidé  ;  cependant 
il  donna  la  main  à  son  père,  qui  le  trouva  grandi.  La  fa- 
mille partit,  et  nous  dînâmes  en  tête-à-tête.  Le  petit  trot- 
tait autour  de  nous,  chantant,  riant,  et  ravissant  le  cœur  de 
son  père,  qui  ne  voulait  pas  en  faire  semblant.  Ce  fut  une 
bonne  chère  soirée  de  causerie  intime.. . 

Le  soir,  clic  quittait  parfois  la  table  à  thé  de 
la  reine,  et  se  retirait  dans  la  chambre  du  petit 
comte  de  Paris,  dont  le  babil  enfantin  l'amusait, 
jusqu'à  ce  qu'elle  l'eût  endormi  par  quel- 
que ballade.  Alors,  dans  le  salon  voisin,  elle 
écrivait  à  ses  amis  et  à  ses  parents  d'Allemagne, 
ou  bien  elle  se  mettait  au  piano  et  jouait  des  sym- 
phonies de  Beethoven  dont  elle  admirait  beaucoup 
le  génie. 

Le  9  novembre  1840,  Madame  la  duchesse  d'Or- 
léans eut  un  second  fds,  Robert,  duc  de  Chartres. 
Peu  de  temps  auparavant,  dans  sa  sollicitude  à  soi- 
gner M.  le  comte  de  Paris  atteint  delà  rougeole,  elle 
avait  gagné  la  même  maladie,  qui  avait  été  bénigne 
pour  le  jeune  prince,  mais  qui  avait  un  moment 
fort  inquiété  la  famille  royale  pour  la  princesse. 

Un  événement  vint  troubler  cette  vie  si  calme  : 
un  attentai  eut  lieu  contre  la  vie  du  roi.  La  du- 
chesse d'Orléans  écrit  à  cette  occasion  : 

La  Providence  nous  a  encore   protégés   d'une  ma- 


12  ATTENTATS    CONTRE    LE    ROI    LOUIS-PHILIPPE 

nière  bien  visible.  Le  roi,  la  reine,  ma  tante  et  tons  cenx 
qui  les  accompagnaient  ont  été  épargnés,  et  l'on  a  vu  pour 
la  huitième  fois  que  toutes  ces  tentatives  infernales  contre 
une  vie  aussi  précieuse  devaient  être  déjouées...  Le  senti- 
ment de  la  bonté  de  Dieu  a  dominé,  au  premier  moment, 
l'horreur  qu'un  pareil  crime  doit  inspirer.  Sa  grâce  rem- 
plissait mon  âme.  Je  ne  pouvais  assez  bénir  celui  qui  nous 
avait  préservés  d'un  si  affreux  malheur.  Nous  nous  som- 
mes tout  de  suite  mis  en  route  pour  Saint-Gloud,  alin  de 
nous  réunir  à  la  famille.  C'est  là  surtout  que  j'ai  senti,, en 
revoyant  le  roi,  en  l'embrassant  du  fond  de  mon  cœur, 
combien  Dieu  avait  été  bon  de  nous  le  conserver.  Nous 
avons  assisté  à  un  Te  Dciim  dans  la  chapelle  du  château, 
auquel  je  me  suis  associée  de  cœur,  comme  vous  le  conce- 
vez  

Une  autre  fois,  à  la  nouvelle  d'un  semblable  évé- 
nement, elle  entra  toute  troublé^  clans  la  chambre 
où  le  comte  de  Paris  prenait  une  leçon...  (c  Mets-loi 
à  genoux,  dit-elle,  et  remercie  Dieu  avec  moi!  »... 

Le  dimanche  2  mai  1841,  à  onze  heures,  eut  lieu 
le  baptême  de  S.  A.  R.  le  comte  de  Paris.  Une  salve 
d'artillerie  annonçait  rairivéc  à  Notre-Dame  du 
roi  Louis-Philippe  et  de  toute  la  famille  royale 
pour  assister  à  cette  cérémonie.  Le  roi  avait  auprès 
de  lui  :  le  roi  des  Belges,  le  duc  Alexandre  de 
Wurtemberg,  le  duc  d'Orléans,  le  prince  de  Join- 
ville  et  le  duc  de  ISIontpensier. 

Les  fonts  baptismaux  étaient  placés  entre  l'autel 
et  un  dais  en  velours  cramoisi  et  or  sous  lequel 


BAPTÊME    DE    M^''    LE    COMTE    DE    PARIS  13 

était  la  famille  royale.  Au  bas  de  ce  dais  étaient 
étendus  de  riches  tapis  desGobclins.  Des  trophées 
de  drapeaux  tricolores  rappelaient  les  treize  lé- 
gions de  la  garde  nationale,  et  chaque  pilier  de 
l'église  était  orné  d'un  écusson  de  laurier  doré, 
au  chiffre  et  aux  armoiries  de  M.  le  comte  de 
Paris. 

Sur  toutes  ces  décorations  se  reflétait  la  lu- 
mière de  milliers  de  bougies,  s'étendant  sur  deux 
rangs,  depuis  la  porte  principale  de  la  cathédrale 
jusqu'au  maître-autel.  Le  portail  où  l'archevêque 
de  Paris  et  les  évêques  assistants  reçurent  le 
cortège  royal  était  décoré  dans  le  style  du  trei- 
zième siècle. 

Tous  les  regards  se  portaient  sur  Madame  la 
duchesse  d'Orléans,  tenant  par  la  main  son  fils 
aîné,  M.  le  comte  de  Paris.  L'enfant  habillé  de 
blanc,  à  la  mine  éveillée,  intelligente,  laissait  voir 
une  légère  émotion  sur  ses  traits.  Les  ministres, 
le  corps  diplomatique,  les  maréchaux  de  France, 
la  Chambre  des  pairs,  la  Chambre  des  députés, 
tous  les  corps  de  l'Etat  étaient  représentés  à  Notre- 
Dame.  Entouré  d'un  nombreux  clergé,  de  plu- 
sieurs évêques,  l'archevêque  de  Paris  entonna  le 
Veni  Creator.  Puis  eut  lieu  la  cérémonie  du  bap- 
tême. Le  roi  était  le  parrain,  et  la  reine  la  marraine. 

L'archevêque  et  le  clergé  reconduisirent  pro- 
cessionnellement  le  roi  jusqu'au  portail,  et  à  une 
heure,  au  milieu  des  acclamations  de  la  foule,  le 


14  l'êpée  de  m^''  le  comte  de  paris 

roi,  M.  le  comte  de  Paris  et  les  princes  regagnèrent 
les  Tuileries. 

Le  jour  même,  le  comte  de  Rambuteau,  préfet  de 
la  Seine,  présentait  le  conseil  municipal  de  Paris 
au  jeune  prince,  et  exprimait  au  roi  les  sentiments 
de  joie  d'une  population  fidèle  et  dévouée.  11 
remit  ensuite  au  comte  de  Paris  l'épée  qui  lui  était 
offerte  par  la  ville  de  Paris  i. 

«  Voici,  dit-il,  l'enfant  qui  sera  le  roi  de  nos 
enfants  ! 

«  Cette  ville,  dont  Votre  Majesté  a  voulu  qu'il 
portât  le  nom,  désire  qu'il  conserve  un  souvenir  du 
bonheur  causé  par  sa  naissance  et  par  le  choix  de 
ce  nom.  Elle  lui  offre  celte  épée.  Sire.  C'est  la  Cité 
qui  la  lui  donne  pour  le  service  du  pays!  Quand 
l'âge  sera  venu  pour  lui  de  la  ceindre,  il  ne  man- 
quera pas  d'exemples  pour  l'uscjge  qu'il  en  devra 
faire.  Il  peut  remonter  haut  dans  sa  race,  mais  il 
n'aura  pas  à  chercher  loin  ses  modèles.  Il  lui  sera 
facile  d'être  juste  et  fort.  Heureux  enfant,  dont 
la  carrière  aura  été  aplanie  par  tant  de  sagesse,  et 
qui  trouvera  si  près  de  lui  de  puissants  et  nobles 
enseignements! 

«  Sire,  daignez  permellre  au  coin  le  de  Paris 
d'accepter  l'épée  de  la  ville  de  Paris;  et  que  ce 
souvenir  soit  à  jamais  un  gage  d'union  entre  le 
prince  et  la  Cité.  » 

1.  Voir  à  l'appeiidico  la  description  de  l'épée  offerte  à  ]\I.  le 
comte  de  Paris. 


M^''    LE    COMTE    DE    PARIS    ET    LE    PREFET    DE    LA    SEINE    15 

Le  roi,  en  acceptant  au  nom  du  jeune  prince 
cette  épée  que  présentait  le  Conseil  municipal, 
acheva  ainsi  sa  réponse  : 

«  Fasse  le  ciel  que  mon  petit-fils  ne  soit  pas 
appelé  à  en  faire  usage;  mais,  si  jamais  il  doit  la 
tirer  du  fourreau,  ce  ne  sera  qu'à  bonnes  ensei- 
gnes, et  pour  défendre  Thonneur  de  la  France 
et  l'indépendance  nationale  ;  mais,  j'ai  lieu  d'es- 
pérer, et  c'est  à  quoi  je  travaille,  que  le  règne  de 
mon  petit-fils  ne  sera  pas  troublé  par  la  guerre, 
et  qu'il  recueillera  une  gloire  plus  douce,  celle 
d'assurer  le  repos  et  la  prospérité  de  la  France!  » 

Le  roi  prenant  le  jeune  comte  de  Paris  par  la 
main  (il  avait  à  peine  trois  ans)  lui  dit  :  «  Donne  la 
main  au  préfet  de  la  Seine  en  signe  que  tu  la 
donnes  à  toute  la  ville  de  Paris.  »  Le  prince  s'a- 
vança vers  le  comte  de  Rambuteau,  et  les  cris  de 
«  Vive  le  Roi!  «  éclatèrent  avec  force  parmi  les 
conseillers  municipaux. 

Le  duc  d'Orléans  remit  à  l'archevêque  10,000  fr. 
pour  être  distribués  aux  parents  des  enfants  pau- 
vres de  Paris  qui,  pendant  trois  jours,  les  2,  3  et 
4  mai,  seraient  présentés  sur  les  fonts  baptismaux 
dans  les  difterentes  paroisses  de  Paris.  11  offrit  au 
prélat  une  mitre  d'un  grand  prix,  et  le  roi  envoya 
à  l'archevêque  une  croix  et  un  anneau  pastoral  en 
brillants. 

Le  soir,    un   feu    d'artifice  fut  tiré  sur  le   ponf 


16  LA   MORT    DU    DUC   d'oRLÉANS 

de  la  Concorde,  et  la  fête  se  continua  toute  la 
soirée,  dans  les  Champs-Elysées  et  le  long  des 
boulevards  brillamment  illuminés. 

Madame  la  duchesse  d'Orléans  parle  ainsi  de  la 
journée  du  2  mai  1841  : 

Rien  de  plus  beau  que  la  fête  d'hier.  Rien  de  plus 

touchant,  de  plus  })ur  que  mon  petit  ange  présenté  à  l'au- 
tel. Rien  de  plus  profondément  ému  que  mon  pauvre  cœur 
de  mère  en  ce  moment.  Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  mais  je 
croyais  voir  dans  tous  les  yeux  des  assistants  un  regard 
de  tendre  affection  pour  cet  enfant. 

Mais  les  jours  de  bonheur  étaient  finis  :  M.  le 
comte  de  Paris  avait  à  peine  quatre  ans  quand  une 
de  ces  catastrophes,  par  lesquelles  Dieu  éprouve 
un  peuple,  lui  enleva  son  père. 

Le  13  juillet  1842,  le  duc  d'Orléans  allait  partir 
pour  inspecter  des  régiments  au  camp  de  Saint- 
Omer.  Il  voulut  aller  à  Neuilly  faire  ses  adieux  au 
roi  Louis-Philippe,  son  père,  et  à  la  reine  Marie- 
Amélie,  sa  mère.  Il  quitta  le  palais  des  Tuileries 
vers  onze  heures.  Dès  le  départ,  les  chevaux 
avaient  été  maîtrisés  avec  peine  par  le  postillon. 
Mais  laissons  la  parole  à  jM.  Jules  Janin,  (pii  dans 
un  petit  volume,  consacré  à  raconter  la  vie  du 
llls  aine  du  roi  Louis-Philippe,  nous  donne  le 
touchant  et  intéressant  récit  de  la  (;atastroplie  : 

((  Par  une  de  ces  fatalités  cruelles,  dont  on  ne 
se  souvient  qu'après  Taccident,  l'écuyer  de  M.  le 


LA    MORT    DU    DUC    d'oRLÉANS  17 

duc  d'Orléans  s'était  plaint,  le  malin  même,  de 
son  porteur,  disant  qu'il  ne  répondait  pas  de  la 
vie  du  prince  ;  mais  on  n'avait  répondu  à  ces 
plaintes  qu'en  lui  demandant  s'il  avait  peur.  Ce 
sont  là,  du  reste,  de  ces  plaintes  après  coup, 
auxquelles  on  ne  s'attache  que  pour  expliquer 
toutes  les  misères  inexplicables  ;  toujours  est-il 
que  les  chevaux  allèrent  leur  pas  ordinaire  jus- 
qu'à la  barrière  de  l'Etoile.  Plusieurs  personnes 
reconnurent  le  prince  et  le  saluèrent;  il  était  seul, 
et  dans  les  plus  belles  apparences  de  la  santé  et 
de  la  force.  Jamais,  en  effet,  il  ne  s'était  senti 
mieux  portant  et  plus  heureux,  et  il  le  disait, 
le  matin  môme,  dans  cet  orgueil  innocent  de 
l'homme,  qui  sent  en  lui-même  la  force  et  l'éner- 
gie d'une  vie  de  trente  ans.  Tout  d'un  coup  cepen- 
dant les  chevaux  s'animent,  ils  prennent  le  galop, 
ils  s'emportent  :  la  porte  Maillot  a  été  bientôt 
dépassée,  et  comme  ils  se  précipitaient  ardem- 
ment, dans  l'avenue  qui  conduit  au  château  de 
Yilliers,  qui  est  une  des  dépendances  de  Neuilly, 
soudain  ils  se  sentent  arrêtés  et  poussés  dans  le 
chemin  à  côté.  A  ce  moment,  nul  ne  peut  dire  ce 
qui  arriva,  si  le  prince,  dans  la  crainte  d'être  brisé 
sur  les  fortifications,  a  sauté  de  sa  voiture,  ou  bien 
si  quelque  choc  plus  violent  l'a  précipité  malgré 
lui;  mais  enhn,  quelle  qu'en  ait  été  la  cause,  le 
choc  a  été  mortel,  le  prince  a  été  brisé  sur  les 
pavés Pas  un  mot,  pas  un  cri,  pas  un  geste. 


18  LA   MORT   DU    DUC    D'ORLÉANS 

rien,  sinon  le  cadavre  d'un  jeune  homme  de 
trente-deux  ans,  que  ramassent  des  maçons  qui 
passent.  «  Quel  dommage,  se  disaient-ils,  un  si 
«  beau  jeune  homme  !  )>  Un  gendarme  leur  annonça 
que  c'était  en  effet  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans  qui 
venait  de  mourir,  et  courut  au  château  de  Ncuilly 
pour  y  faire  connaître  l'aflVeux  accident. 

«  Tel  est  l'admirable  bon  sens  des  hommes  du 
peuple  de  France,  qu'ils  ont  mieux  aimé  trans- 
porter le  prince  royal  dans  une  humble  boutique 
habitée  par  un  Français  que  de  le  porter  dans  la 
maison  hospitalière  de  lord  Seymour.  «  Il  n'est 
((  pas  juste,  disait  un  de  ces  hommes,  qu'un  prince 
«  de  France  meure  chez  un  Anglais.  » 

«  Cependant,  à  P^euilly  même,  le  roi  se  prépa- 
rait à  venir  aux  Tuileries,  il  prenait  congé  de  la 
reine,  il  espérait  arriver  assez  à  temps  à  Paris, 
pour  embrasser  son  fils  aine  encore  une  fois  avant 
son  départ  ;  tout  à  coup,  dans  cette  maison  si 
calme,  si  heureuse,  tombe  comme  la  Ibudre,  ce 
bruit,  avant-coureur  de  toutes  les  sinistres  nou- 
velles    Quelle  angoisse!   puis  enfin,  quand  le 

roi  et  la  reine  eurent  compris  ce  qu'on  voulait  leur 
dire,  que  le  prince  royal,  leur  enfant  bien-aimé, 
élait  là,  à  leur  porte,  étendu  presque  mort  (on 
disait  presque  mort,  par  pitié  pour  eux!),  les  voilà 
qui  courent  au  hasard,  tête  nue,  sans  pleurer,  sans 
demander   où  ils  vont?   Ils    aiiiveiil    ainsi,    dans 


LA    MORT    DU    DUC    d'orLÉAîs'S  19 

ce  cabaret,  qu'à  peine  avaient-ils  remarqué  clans 
leurs  beaux  jours,  et  ils  se  jettent  à  genoux  au 
bord  de  ce  grabat  qui  contient  tout  leur  enfant. 
Que  ceux  qui  pourront  l'écrire  racontent  cette 
scène  de  deuil  et  de  misère;  même  ceux  qui  en 
ont  été  les  bien  tristes  témoins  ne  peuvent  et 
n'osent  pas  raconter  ces  sanglots,  ces  larmes,  ces 
silences,  ces  étonnements,  ces  prières,  ces  an- 
goisses ;  eux  aussi,  tout  comme  l'historien  qui  veut 
se  mettre  par  la  pensée  au  niveau  de  pareilles 
douleurs,  ils  n'ont  rien  vu,  ils  n'ont  rien  appris, 
ils  ne  savent  lien  :  ne  leur  demandez  rien,  ils  ne 
sauraient  que  vous  répondre;  mais  le  plus  étonné 
de  tous  ceux-là,  ce  devait  être  le  propriétaire  de 
celte  masure.  Quand  il  a  vu  arriver  chez  lui  tous 
ces  fantômes  de  roi  et  de  reine  qui  pleurent  sans 
vouloir  être  consolés;  quand  il  a  entendu  retentir, 
sous  son  plafond  enfumé,  tous  les  grands  noms 
de  cette  monarchie  aux  abois,  cet  homme-là  a  dû 
se  dire  tout  bas  à  lui-même  :  «  Pourquoi  donc  tous 
«  ces  gens-là  prennent-ils  ma  cabane  pour  le  chà- 
<(  teau  de  Neuilly?...  ))  Ce  n'était  pas  le  château  de 
Neuilly,  cette  cabane,  c'était  désormais  une  cha- 
pelle funèbre;  cette  cabane  était  devenue  un 
tombeau,  ce  grabat  s'était  changé  en  autel. 

«  A  chaque  instant  accouraient  à  ce  lit  de  mort 
les  membres  épars  de  la  famille  royale,  M"""  Adé- 
laïde, M""'  la  princesse  Clémentine,  M.  le  duc  de 
Montpensier  qui  revenait  de  Yincennes,  M.  le  duc 


20  LA    MORT    DU    DUC    d'ORLÉANS 

d'Aumale  qui  arrivait  de  Gourbevoic.  Quand  cette 
nouvelle  fut  apportée  à  M.  le  duc  d'Aumale,  il 
était  à  la  salle  d'armes,  un  ileuret  à  la  main;  cette 
nouvelle  sembla  l'abattre  un  instant,  à  force  de 
surprise  et  de  douleur;  mais  bientôt,  prenant  sa 
course  à  tout  hasard,  le  jeune  prince  se  précipite 
sur  le  chemin  qui  mène  à  Neuilly.  Un  cabriolet  de 
place  venait  de  Paris,  le  cheval  était  fatigué,  le 
cocher  refusait  de  revenir  sur  ses  pas  :  «  Va,  dit  le 
«  prince,  songe  que  tu  mènes  un  frère  vers  son 
((  frère  qui  se  meurt  !  »  Disant  ces  mots,  il  prend 
les  rênes,  le  cocher  bat  son  cheval,  ils  arrivent 
ainsi  près  de  la  maison  mortuaire;  mais  à  cet 
instant  le  cheval  s'abat,  le  cabriolet  se  brise,  le 
prince  tombe  à  trois  pas  de  là,  sur  les  pavés  ;  il 
se  relève  et  prend  sa  course  jusqu'au  lit  du  duc 
d'Orléans:  «Mon  frère!  mon  frère!...  Oh!  Join- 
((  ville,  que  vas-tu  dire?  Oh!  Nemours,  où  es-tu  !  » 
Aux  cris  déchirants  de  ce  jeune  homme,  les  as- 
sistants répondaient  seulement  par  leurs  san- 
glots. 

«  M.  le  duc  d'Orléans  n'avait  reconnu  per- 
sonne, pas  même  sa  mère;  le  reste  de  cette  vie 
puissante  et  énergique  qui  était  en  lui  lullait  pé- 
niblement contre  la  mort  :  lutte  horrible,  achar- 
née, incroyable.  De  cette  tête  brisée,  la  pensée  ne 
voulait  pas  sortir;  de  ce  corps  déchiré,  la  vie  ne 
voulait  pas  s'enfuir.  Un  râle  profond  et  sonore 
sorlait  de  celle   poitrine  haletante;  sur   ses  deux 


LA    MORT    DU    DUC    d'oRLÉANS  21 

mains  encore  agissantes ,  la  reine  et  les  prin- 
cesses versaient  des  larmes  avec  des  prières  si 
ferventes  !  Le  roi  s'était  relevé,  il  était  debout,  et, la 
main  sur  la  lête  de  son  enfant,  il  le  bénissait  du 
fond  de  l'àme!  Cependant,  tout  en  désespérant  de 
la  science,  les  médecins  ne  se  ralentissaient  pas  ; 
le  docteur  Vincent  Duval  le  premier,  homme  ha- 
bile, dévoué,  plein  de  science  et  d'énergie  ;  après 
lui,  le  chirurgien  du  prince,  son  ami,  on  peut  le 
dire,  le  docteur  Pasquier,  ébloui  et  confondu,  lui 
aussi,  de  tant  de  misères  inattendues.  Soins  inu- 
tiles, prières  que  le  ciel  n'exauça  pas,  dernière  et 
impuissante  torture  infligée  à  ce  cadavre.  Quand 
le  roi  vit  qu'il  n'y  avait  plus  d'espoir,  il  envoya 
chercher  la  duchesse  de  Nemours  que ,  dans  sa 
prévoyance  paternelle,  il  avait  tenue  éloignée  de 
ce  fatal  spectacle  ;  en  mémo  temps  était  arrivé  le 
clergé  de  Neuilly,  et  la  reine,  qui  n'espérait  plus 
qu'en  Dieu  ,  invoquant  la  sainte  Rosalie  de  Pa- 
lerme,  sa  patronne,  tourna  un  dernier  regard  d'es- 
pérance vers  les  consolations  de  là-haut.  L'agonie 
dura  quatre  heures.  Enfin,  le  ciel  eut  pitié,  non 
pas  de  ceux  qui  pleuraient,  mais  du  jeune  homme 
étendu  sur  ce  lit  de  mort;  le  prince  royal  rendit  à 
Dieu  son  àme  honnête  et  pure  :  les  convulsions 
s'arrêtèrent,  le  râle  cessa,  il  était  mort.  Dans  une 
pièce  voisine  le  roi  entraîna  la  reine  ;  là  s'étaient 
réunis  les  maréchaux  de  France  et  les  ministres; 
personne  ne  parla    à  personne,  le   plus  profond 


Z'Z  LA    MORT    DU    DUC    D  ORLEANS 

silence    pouvait  seul  contenir  tant  de  douleurs... 

«  Sur  un  brancard  fut  placé  le  corps  du  prince 
expiré;  des  sous-officiers  du  17"  régiment  d'infan- 
terie légère  furent  chargés  de  transporter  ce  pré- 
cieux fardeau  dans  la  (diapelle  de  Neuilly.  Par  un 
singulier  et  triste  concours,  c'était  avec  les  soldats 
du  25%  les  mêmes  soldats  des  Portes-de-Fcr,  des 
hauteurs  de  Mouzaïa,  les  mêmes  qui  avaient  offert 
à  leur  jeune  général  la  palme  triomphale  des  Bi- 
bans.  Pleurez,  soldats,  pleurez  votre  jeune  capi- 
taine !  pleurez  le  chef  qui  vous  aimait,  pleurez  ce 
hardi  courage  qui  vous  conduisait  à  la  victoire  par 
ses  vives  et  impétueuses  saillies!  Mais  que  dira 
l'armée  d'Afrique  quand  cette  nouvelle  funeste  va 
retentir  d'Alger  à  Constantine  :  «  Le  duc  d'Orléans 
est  mort?  y> 

«  Un  manteau  blanc  avait  été  jeté  sur  le  corps 
du  prince,  comme  on  fait  pour  un  général,  mort  à 
l'armée.  Le  roi  et  la  reine,  Madame  la  princesse 
Adélaïde,  ^Ladame  la  duchesse  de  Nemours,  Ma- 
dame la  princesse  Clémentine,  M.  le  duc  d'Au- 
male,  j\L  le  duc  de  Montpcnsier,  suivaient  à  pied 
le  cortège  funèbre;  venaient  ensuite  M.  le  maré- 
chal Soull,  les  ministres,  M.  le  maréchal  Gérard, 
les  officiers  généraux,  les  officiers  du  roi  et  des 
])iinces,  et  puis  la  foule  silencieuse,  coniristée, 
pleurante.  A  voir  passer  de  loin  cette  immense 
douleur,  ce  père,  cette  mère,  ces  frères,  tout  ce 
monde  l'oyal,  f[ui  parcourt  d'un  j)as  lent  et  déses- 


LA    MORT    DU    DUC    d'orLÉANS  23 

péré  ravenue  de  Sablonville,  on  se  serait  demandé 
si  ce  n'était  pas  là  une  de  ces  visions  que  nous 
montre  Dante  dans  son  poème?  Ainsi,  on  entra 
dans  le  parc  de  Neuilly,  déjà  la  chapelle  était  ou- 
verte; heureuse  chapelle!  jusqu'à  ce  jour  elle 
n'avait  retenti  que  d'actions  de  grâces  et  de 
dpuces  prières  !  La  princesse  Marie  elle-même, 
quand  elle  mourut,  n'avait  pas  reposé  sur  ces 
dalles;  c'était  le  sanctuaire  heureux  de  la  famille; 
mais  aujourd'hui  la  chapelle  est  pleine  de  deuil, 
elle  s'étonne  du  cadavre  placé  là,  le  premier-né 
de  la  maison.   » 

A  neuf  heures  du  soir.  Madame  la  duchesse 
de  Nemours  et  Madame  la  princesse  Clémentine 
partaient  pour  Plombières,  chargées  de  porter 
l'affreuse  nouvelle  à  Madame  la  duchesse  d'Or- 
léans. Le  14  juillet,  à  six  heures  du  soir,  on  avait 
voulu  préparer  la  princesse  à  ce  malheur,  en  lui 
disant  que  le  prince  royal  était  gravement  malade. 
A  huit  heures  elle  quittait  Plombières,  à  minuit 
elle  élait  à  Epinal  ;  à  une  heure  du  matin.  Madame 
de  Montesquieu  ,  sa  dame  d'honneur ,  trem- 
blait qu'une  démonstration  publique  n'instrui- 
sit la  princesse  de  son  malheur;  lorsque  le  cour- 
rier annonça  une  voiture  venant  de  Paris  :  «  Ou- 
vrez, ouvrez  vite,  s'écria  Madame  la  duchesse 
d'Orléans...  A  ce  moment  elle  vit  s'avancer  le 
docteur  Chomel,  médecin  de  la  famille  royale.  Il 


24   RETOUR  A  NEUILLY  DE  LA  DUCHESSE  D  ORLEANS 

ne  put  lui  cacher  la  vérité L'infortunée  prin- 
cesse resta  près  d'une  heure  sur  la  grande  route 
dans  l'obscurité,  sanglotant,  tandis  que  les  assis- 
tants s'efforçaient  inutilement  de  contenir  leur 
propre  douleur. 

A  quatre  heures  du  niali?i,  le  15  juillet,  Madame 
la  duchesse  de  Nemours  et  Madame  la  princesse 
Clémentine  la  rejoignirent.  Elles  se  jetèrent, 
sans  parler,  dans  ses  bras  et  prirent  place  en 
pleurant  à  ses  côtés.  Après  deux  nuits  cruelles, 
on  arriva  à  Neuilly,  le  16  à  neuf  heures  du 
matin.  M.  le  comte  de  Paris  et  M.  le  duc  de 
Chartres  y  étaient  depuis  la  veille,  venant  du  châ- 
teau d'Eu Quand  Madame  la  duchesse  d'Or- 
léans parut  au  milieu  de  la  famille  royale,  Témo- 
tion  fut  telle  que  personne  n'eut  la  force  de  lui 
raconter  les  circonstances  du  fatal  accident  :  il  y  a 
des  afflictions  si  profondes  que  la  parole  est  im- 
puissante à  les  exprimer!  Le  roi,  la  reine,  s'ache- 
minèrent vers  la  chapelle  où  était  déposé  le  corps 
du  prince  royal...  Madame  la  duchesse  d'Orléans 
tenant  par  la  main  ses  deux  enfants  s'agenouilla, 
pria  avec  ferveur,  puis  elle  se  rendit  dans  ses 
appartements  pour  revêtir  les  habits  de  veuve 
qu'elle  ne  devait  plus  quitter  jusqu'à  sa  mort.  La 
mort  de  M.  le  duc  d'Orléans  remplit  d'une  immense 
douleur  les  dernières  années  du  roi,  qui  avait  vu 
passer  sur  sa  tcle  tant  de  périls  de  toutes  sortes, 
et  ([iii  ne  Cul  jamais  sensible   ([u'à  ccvix   que  cou- 


OBSÈQUES  DU  DUC  d'oRLÊANS  25 

riirenl  ses  enfants.  «  Encore  si  c'était  moi  !  » 
disait-il  en  tenant  clans  ses  bras  le  corps  défaillant 
de  son  fils.  Cette  journée  du  13  juillet  ne  laissa  pas 
de  traces  moins  profondes  dans  ràmc  de  la  l'eine 
Marie-Amélie,  dont  le  premier  cri  fut  pour  son 
pays  !  «  Quel  affreux  malheur  pour  la  France  !  » 
Oui  le  malheur  était  grand,  et  le  pays  devait  le 
ressentir  profondément. 

On  put  voir,  surtout  pendant  les  obsèques, 
combien  le  prince  royal  était  aimé  dans  toutes  les 
classes  de  la  société.  Les  soldats  avaient  les  lar- 
mes aux  yeux,  en  voyant  étendu  sans  vie  le  corps 
de  leur  brave  général  du  siège  d'Anvers  et  de 
l'armée  d'Afrique,  et  comprenaient  que  la  mort 
leur  enlevait  non  seulement  un  chef  aussi  habile 
que  valeureux,   mais  un  protecteur  et  un  ami. 

C'étaient  le  2''  et  le  17"  léger,  qui  arrivaient 
d'Afrique,  et  qui  en  1839  et  1840  avaient  passé  avec 
le  prince  les  Portes-de-Fer,  enlevé  le  col  de  Mou- 
zaïa.  Ils  Pavaient  vu  au  milieu  d'eux  braver  les 
balles  des  Arabes,  et  ils  baissaient  tristement  la  tôte 
en  lui  présentant  les  armes  pour  la  dernière  fois. 

Le  peuple  qui  se  pressait  aux  portes  de  Notre- 
Dame  rappelait  qu'en  mars  1832,  lorsque  le 
choléra  sévissait  à  Paris,  le  prince  royal  ne  voulut 
pas  seulement  contribuer  de  sa  bourse  au  sou- 
lagement de  tant  d'infortunes,  mais  qu'il  paya  de 
sa  personne,  allant  visiter  rHôtel-Dicu  au  moment 
où  le  fléau  était  dans  toute  sa  force. 


26  OBSÈQUES  DU  DUC  d'oRLÉANS 

La  douleur  était  universelle  ;  on  ne  rencontrait 
dans  Paris  que  des  gens  vêtus  de  noir.  Toutes  les 
têtes,  dit  un  témoin  oculaire,  se  découvraient  sur 
le  passage  du  char  funèbre.  Des  femmes  du  peu- 
ple pleuraient,  des  ouvriers  même  portaient  le 
deuil.  Pas  un  cri,  pas  le  plus  léger  désordre  n'était 
venu  troubler  dans  une  si  grande  foule  l'unani- 
mité de  cette  touchante  manifestation  •. 

«  C'est  une  chose  remarquable,  écrivait  un 
étranger  qui  se  trouvait  en  France  à  cette  époque, 
que  dans  ce  pays,  oii  la  révolution  n'a  pas  encore 
cessé  de  fermenter,  l'amour  d'un  prince  ait  pu 
jeter  de  si  profondes  racines.  »  Puis  il  raconte 
qu'au  moment  où  Ton  ajourna  les  fêtes  de  Juillet, 
et  où  l'on  démonta  sur  la  place  de  la  Concorde  les 
grands  échafaudages  qui  devaient  servir  aux  illu- 
minations, il  vit  les  ouvriers,  assis  sur  les  poutres 
et  les  planches  renversées,  déplorant  la  mort  du 
duc  d'Orléans,  et  entendit  l'un  d'eux  dire  :  «  Louis- 
Philippe  peut  maintenant  se  promener  dans  Paris, 
on  ne  tirera  pas  sur  lui.  » 

«  Dans  le  rang  le  plus  humble  de  la  société,  le 
prince  royal,  a-t-on  dit  avec  justesse ~,  eût  été  un 
homme  remarquable;  pour  de  telles  organisations, 
il  n'y  a  pas  de  conditions  médiocres;  l'unanimité 
et  la  vivacité  des  regrets  qu'inspira  sa  mort  aux 
hommes  de  toutes  les  opinions,  de  tous  les  senti- 

1.  Fils  de  roi,  brocliiii-o,  à  la  librairie  du  Moniteur  universel. 

2.  M.  V.  l'iond. 


uxA^'I^^TÉ  des  kegrets  27 

ments,  de  tous  les  partis,  ne  forment-ils  pas  le  plus 
harmonieux  concert  d'éloges  qu'on  puisse  décer- 
ner? La  plus  éloquente  des  oraisons  funèbres  est 
celle  qui  est  ainsi  prononcée  par  cette  voix  du 
peuple  qu'on  peut  appeler  la  voix  de  Dieu  lui- 
même. 

{(  Dans  la  vie  de  M.  le  duc  d'Orléans,  consacrée 
à  l'accomplissement  de  tous  les  devoirs,  la  politi- 
que proprement  dite  a  tenu  peu  de  place.  Sans 
affecter  l'opposition  banale  des  héritiers  présomp- 
tifs, on  entendit  le  duc  d'Orléans  dire  :  «  Mon  père 
«  a  sa  mission,  moi  j'aurai  la  mienne.  »  A  la 
Chambre  des  pairs,  il  prit  quelquefois  la  parole 
avec  convenance  et  dignité,  le  plus  souvent  pour 
des  faits  personnels,  et  il  considérait  aussi  comme 
telles,  les  attaques  contre  la  révolution  de  Juillet 
et  les  institutions  qu'elle  avait  fondées.  Il  n'inter- 
venait dans  les  luttes  de  partis,  que  dans  un  intérêt 
de  clémence  et  d'humanité,  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  d'être  en  butte  aux  vils  outrages  de  quelques 
pamphlétaires. 

Il  faisait  le  plus  noble  usage  de  sa  dotation 
princière,  si  amèrement  critiquée.  Il  en  em- 
ployait une  partie  à  des  actes  de  bienfaisance 
qu'on  est  tenté  de  regarder  chez  les  princes  comme 
une  nécessité  de  position,  mais  qui  se  distinguaient 
par  la  forme  heureuse  qu'il  savait  leur  donner. 
L'autre  partie  était  consacrée  au  patronage  intel- 
ligent de  tous  les  talents,  parmi  lesquels  il  aimait 


28  STATUES  DU  DUC  d'oRLÉANS 

à  choisir  les  plus  jeunes  et  les  plus  contestés. 
Parmi  les  artistes  contemporains,  il  en  est  peu,  de 
même  que  parmi  les  hommes  de  lettres ,  qui 
n'aient  été  les  obliges  ou  les  amis  du  duc  d'Or- 
léans. Les  fêtes  élégantes  du  pavillon  Marsan, 
par  le  mouvement  qu'elles  imprimaient  aux  arts 
et  à  l'industrie,  les  courses  du  Champ  de  Mars  et 
de  Chantilly,  par  Tinfluence  qu'elles  exerçaient 
sur  l'amélioration  de  la  race  des  chevaux,  témoi- 
gnaient que  le  prince  royal  se  proposait  un  but 
d'utilité  jusque  dans  ses  plaisirs.  » 

«  Quelques  semaines  après  ce  lamentable  évé- 
nement, dit  M.  Trognon,  le  gouvernement  décida 
que  deux  statues  seraient  élevées  au  duc  d'Or- 
léans, l'une  àParis,  l'autre  à  Alger.  On  fut  quelque 
temps  incertain  sur  l'endroit  où  serait  placée  celle 
qui  devait  perpétuer  le  souvenir  du  prince  dans 
la  capitale.  Il  arriva  qu'un  jour  cette  question  se 
débattit  devant  la  reine.  On  lui  demanda  son  avis. 
Avec  cette  réserve  qui  lui  était  habituelle,  elle 
répondit  :  «  Dieu  sait  toute  mon  estime  pour  les 
«  qualités  de  mon  pauvre  fils,  mais  je  ne  trouve 
«  pas  vraiment  qu'il  ait  eu  le  temps  de  rendre  à 
<f  la  France  d'assez  grands  services  pour  ((u'on 
<■(  lui  élève  une  statue  à  Paris.  A  Alger,  bien;  car 
«  il  a  rendu  là  de  véritables  services  sur  les  champs 
«  de  bataille.  «  N'est-il  pas  admirable  que  l'amour 
maternel,  passionné  comme  il  l'était  chez  elle,  lui 
laissât  toute   cette    lijjcrté  ,    cette   impariialilé   de 


DISCOURS    DE    VICTOR    HUGO    AU    ROI  29 

jugement  sur  le  fils  qu'elle  pleurait  ?  Mort  comme 
vivant,  elle  ne  voulait  point  pour  lui  de  la  flat- 
terie. » 

Le  grand  poète,  Victor  Hugo,  en  présentant 
au  roi  Louis-Philippe  P'"  une  adresse  de  Tlnstitut 
de  France,  s'exprima  ainsi  sur  M.  le  duc  d'Or- 
léans : 

Sire, 

L'Institut  de  France  dépose  au  pied  du  trône  l'expres- 
sion de  sa  profonde  douleur. 

Votre  royal  fds  est  mort.  C'est  une  perte  pour  la  France 
et  pour  l'Europe  ;  c'est  un  vide  parmi  les  intelligences. 

La  nation  pleure  le  prince;  l'armée  pleure  le  soldat; 
l'Institut  regrette  le  penseur. 

Le  duc  d'Orléans  avait  compris  en  effet  que  dans  le 
siècle  laborieux  et  mémorable  où  nous  sommes,  être  l'hé- 
ritier du  trône  de  France,  ce  n'est  pas  seulement  occuper 
une  haute  position,  c'est  aussi  exercer  une  grande  fonc- 
tion  

Ame  haute,  calme,  sereine,  ferme  et  douce,  noble  intelli- 
gence, au  niveau  de  tous  les  talents  ;  fds  d'Henri  IV  par  le 
sang,  par  la  bravoure,  par  l'aménité  cordiale  et  charmante 
de  sa  personne  ;  fils  de  la  Révolution  par  le  respect  de  tout 
droit,  et  l'amour  de  toute  liberté;  entraîné  vers  la  gloire 
militaire  par  l'instinct  de  sa  race;  ramené  vers  les  travaux 
de  la  [)aix  par  les  besoins  de  son  esprit;  capable  et  avide 
de  grandes  choses;  populaire  au  dedans,  national  au 
dehors,  rien  ne  lui  a  manqué,  excepté  le  temps  ;  et  l'on 
peut  dire  que  tous  les  germes  d'un  grand  roi  se  manifes- 
taient déjà  dans  ce  prince,  mort  si  jeune,  hélas!  qui  aimait 


30  ANECDOTES    SUR    LE    DUC    d'oRLÉAXS 

les  arts  comme  François  P'',  les  lettres  comme  Louis  XIV, 
la  patrie  connue  vous-même. 

Alexandre  Damas,  Fécrivain  populaire,  le  bril- 
lant romancier,  se  trouvait  à  Florence  quand  il 
apprit  brusquement  la  mort  du  duc  d'Orléans.  Son 
émouvant  récit  donne  une  juste  idée  de  l'impres- 
sion douloureuse  produite  dans  toutes  les  classes 
de  la  société,  par  la  mort  du  Prince  royal. 

«  Nous  ordonnâmes  au  cocher  de  nous  conduire 
aux  Caséines.  Les  Caséines  sont,  à  six  heures, 
en  été,  le  rendez-vous  de  tout  Florence.  Les 
attachés  de  l'ambassade  française  s'y  trouveraient 
sans  aucun  doule.  Nous  apprendrions  certaine- 
ment là  quelque  chose  d'officiel.  Effectivement, 
là,  tout  nous  fut  confirmé.  La  Gazette  de  Gènes 
rapportait  la  nouvelle  telle  que  le  télégraphe  l'avait 
donnée,  sans  commentaires,  sans  explications, 
mais  à  sa  colonne  officielle;  il  n'y  avait  donc  plus  de 
doute  à  avoir,  il  n'y  avait  plus  d'espoir  à  conserver. 

«  La  sensation  était  profonde.  Tel  est  le  jiou- 
voir  étrange  de  popularité,  que  cet  amour  caché, 
plein  de  tendresse  et  d'espérance,  que  la  France 
portait  au  prince  royal,  avec  lequel  elle  l'accom- 
pagnait dans  ses  voyages  pacifiques  en  Europe, 
dans  ses  campagnes  guerrières  en  Afrique,  avec 
lecpiel  enlin  elle  l'accueillait  à  son  retour,  s'était 
épandu  au    dehors,    avait  gagné   Féti-anger,  et  ce 


LETTRE    d'aLEXAÎsDRE    DUMAS    A    LA    REINE  31 

jour-là,  peut-être,  se  manifestait  à  la  fois  en  Alle- 
magne, en  Italie,  en  Angleterre  et  en  Espagne, 
par  une  sympathie  universelle.  On  eût  dit  que  le 
pauvre  prince  qui  venait  de  mourir  était  non  seu- 
lement l'espoir  de  la  France,  mais  encore  le  messie 
du  monde.  Maintenant,  tout  était  fini.  Les  regards 
([ui  le  suivaient  avec  l'anxiété  de  l'attente  étaient 
tous  fixés  sur  un  cercueil.  Le  monde  avait  quel- 
quefois porté  le  deuil  du  passé;  cette  fois  il  portait 
le  deuil  de  l'avenir.  Je  laissais  les  promeneurs 
s'épuiser  en  conjectures.  Que  me  faisaient  les 
détails  ?  la  catastrophe  était  vraie  ! 

((  Je  rentrai  chez  moi,  et  je  retrouvai  sur  mon 
bureau  cette  lettre  à  la  reine  qui  ne  devait  partir 
que  par  le  courrier  de  l'ambassade,  c'est-à-dire  le 
lendemain  19  :  cette  lettre  où  je  lui  disais  qu'elle 
était  heureuse  entre  toutes  les  mères. 

«  Un  instant  j'hésitais  à  jeter  un  malheur  étran- 
ger et  secondaire*  au  milieu  d'un  malheur  de 
famille,  profond,  suprême,  irréparable;  mais  je 
connaissais  la  Reine  :  une  bonne  œuvre  à  lui  pro- 
poser était  une  consolation  à  lui  offrir.  Seulement, 
au  lieu  de  lui  adresser  la  lettre  à  elle,  j'adressai  la 
lettre  à  M.  le  duc  d'Aumale. 

«  Ce  que  je  lui  écrivis,  je  n'en  sais  rien  :  ce 
sont  de  ces  pages  dont  on  ne  garde  pas  copie  ;  de 
ces  pages  dans  lesquelles  le  cœur  déborde  et  que 

1    Une  demande  de  secours  pour  de  pauvres  pêcheurs. 


32         PORTRAIT    DU    DUC    d'oRLÉANS    PAR    ALEX.    DUMAS 

les  yeux  trempent  de  larmes.  C'est  que,  après  le 
prince  royal ,  M^'"  le  duc  d'Aumale  était  celui  des 
(|iiatre  princes  que  je  connaissais  le  plus.  Je  lui 
avais  été  présenté  aux  courses  de  Chantilly  par 
le    prince    royal   lui-même. 

Le  prince  royal  avait  une  profonde  tendresse  et 
une  haute  estime  pour  le  duc  d'Aumale.  C'était  sous 
son  commandement  que  le  jeune  colonel  avait  fait 
son  apprentissage  de  guerre,  et,  quand  il 
avait,  au  col  de  Mouzaïa,  reçu  le  baptême  de  feu, 
c'était  lui  qui  lui  avait  servi  de  parrain. 

«  Un  jour,  dans  une  de  ces  longues  causeries 
où  nous  parlions  de  toutes  choses,  et  où,  las 
d'être  prince,  il  redevenait  homme  avec  moi,  le 
duc  d'Orléans  m'avait  raconté  une  de  ces  anecdo- 
tes de  cour  auxquelles  la  narration  écrite  ôte  tout 
son  charme  ;  puis  le  prince  rucontait  admiraljle- 
mentbien;  il  avait  l'éloquence  de  la  conversation, 
si  cela  se  peut  dire,  au  plus  haut  degré.  Enfin,  il 
savait  s'interrompre  pour  écouter,  chose  si  rare 
chez  tous  les  hommes,  qu'elle  devient  merveilleuse 
chez  un  prince.  Il  y  avait  dans  la  voix  du  duc  d'Or- 
léans, dans  son  sourire,  dans  son  regard,  un 
charme  magnétique  qui  fascinait.  Je  n'ai  jamais 
trouvé  chez  personne,  même  chez  la  femme  la  plus 
séduisante,  rien  qui  se  rapprochât  de  ce  regard, 
de  ce  sourire,  et  de  cette  voix.  Dans  quelcpie  dis- 
position d'esj)iil  (|uY)n  eût  a])()r(h''  le  prince,  il 
élail  iinpossiljle  de  le  quitter  sans  être  entièrement 


LE    DUC    d'aUMALE    EN    AFRIQUE  33 

subjugué  par  lui.  Était-ce  son  esprit?  était-ce  son 
cœur  qui  vous  séduisait  ?  C'étaient  son  cœur  et 
son  esprit  ;  car  son  esprit,  presque  toujours,  était 
dans  son  cœur. 

«  Or,  voici  ce  qu'il  me  racontait  un  jour  : 

((  C'était  sur  les  bords  de  la  Cliifta,  la  veille  du 
jour  fixé  pour  le  passage  du  col  de  Mouzaïa.  Il  y 
avait  un  engagement  acharné  entre  nous  et  les 
Arabes.  Le  prince  royal  avait  envoyé  successive- 
ment plusieurs  aides  de  camp  porter  des  ordres  ; 
un  nouvel  ordre  devenait  urgent,  par  cela  même 
que  le  combat  devenait  plus  terrible;  ilse  retourna 
vers  son  état-major  et  demanda  quel  était  celui 
dont  le  tour  était  venu  de  marcher. 

((  —  Moi,  répondit  le  duc  d'Aumale  en  s'avan- 
çant. 

«  Le  prince  jeta  un  coup  d'œil  sur  le  champ  de 
bataille  ;  il  vit  à  quel  danger  il  allait  exposer  son 
frère.  A  cette  époque,  qu'on  se  le  rappelle,  le  duc 
d'Aumale  avait  dix-huit  ans  à  peine.  Homme  par 
le  cœur,  c'était  encore  un  enfant  par  l'âge. 

«  —  Tu  te  trompes,  d'Aumale,  ce  n'est  pas  à  toi, 
dit  le  duc  d'Orléans. 

((  Le  duc  d'Aumale  sourit  :  il  avait  compris  l'in- 
tention de  son  frère. 

«  —  Où  faut-il  aller  et  que  faut-il  dire  ?  répon- 
dit le  jeune  prince  en  rassemblant  les  rônes  de  son 
cheval. 

a   Le  duc  d'Orléans  poussa  un  soupir  ;    mais  il 

3 


34  UN    COMBAT    EN    AFRIQUE 

sentit  qu'on  ne  marchandait  pas  avec  l'honneur, 
et  que  celui  des  princes  est  plus  précieux  encore 
à  ménager  que  celui  des  autres  hommes.  Il  tendit 
la  main  à  son  frère,  la  lui  serra  fortement,  et  lui 
donna   l'ordre   qu'il   attendait. 

c(  Le  duc  d'Aumale  partit  au  galop,  s'enfonça 
dans  la  fumée  et  disparut  au  milieu  de  la  bataille. 
Le  duc  d'Orléans  l'avait  suivi  des  yeux  tant  que 
ses  yeux  avaient  pu  le  suivre,  puis  il  était  resté 
le  regard  fixé  sur  l'endroit  où  il  avait  cessé  de  le 
voir. 

«  Au  bout  d'un  instant,  un  cheval  sans  cavalier 
reparut.  Le  duc  d'Orléans  se  sentit  frémir  des 
pieds  à  la  tête.  Ce  cheval  était  du  même  poil  que 
celui  du  duc  d'Aumale.  Une  idée  terrible  lui  tra- 
versa l'esprit  ;  c'est  que  son  frère  était  tué,  et  tué 
en  portant  un  ordre  donné  prr  lui  !  Il  se  cram- 
ponna à  sa  selle,  tandis  que  deux  grosses  larmes 
jaillissaient  de  ses  yeux  et  roulaient  sur  ses  joues. 

«  —  Monseigneur,  dit  une  voix  à  son  oreille,  il 
a  une  chabraque  rouge  ! 

((  Le  duc  d'Orléans  respira  à  pleine  poitrine. 
Le  cheval  du  duc  d'Aumale  avait  une  chabraque 
bleue.  Il  se  retourna  et  jeta  ses  bras  autour  du 
cou  de  celui  qui  l'avait  si  bien  compris.  Le  duc 
d'Orléans  me  le  nomma  alors.  J'ai  oublié  son  nom. 
C'était  un  de  ses  aides  de  camp,  ou  Bertin  de 
Vaux,  ou  Chabaud-Lalour ,  ou  d'Elchingen.  Dix 
minutes  après,  le  duc  d'Aumale,  sain  et  sauf,  après 


UN    COMBAT    EN    AFRIQUE  35 

s'être  acquitté  de  son  message  avec  le  courage  et 
le  calme  cFun  vieux  soldat,  était  de  retour  près  de 
son  frère. 

((  Je  vous  l'ai  dit,  toute  cette  petite  histoire  est 
bien  pâle,  écrite  par  moi  ;  racontée  par  le  prince 
lui-même,  avec  sa  voix  tremblante,  avec  ses  yeux 
mal  essuyés,  c'était  une  chose  adorable. 

«  Oh!  s'il  m'avait  été  permis  d'écrire  cette  vie  si 
courte  et  cependant  si  remplie  ;  de  raconter  pres- 
que un  à  un,  comme  depuis  quatorze  ans  je  les 
avais  vus  passer  devant  moi,  ces  jours  tantôt  som- 
bres, tantôt  sereins,  tantôt  éclatants;  si  de  cette 
existence  privée  j'avais  eu  le  droit  de  faire  une 
existence  publique,  on  se  serait  agenouillé  devant 
ce  cœur  comme  devant  un  tabernacle.  Il  y  avait  en 
lui  trop  de  choses  venant  de  Dieu;  ses  vertus 
appauvrissaient  le  ciel.  Dieu  l'a  repris  avec  ses 
vertus,  et  maintenant  c'est  la  terre  qui  est  veuve. 
Il  sentait  comme  Henri  lY,  il  voyait  comme 
Louis  XIV. 

«  Aussi,  en  môme  temps  qu'au  duc  d'Aumale, 
j'écrivais  à  la  reine,  non  pas.  Dieu  merci!  pour 
tenter  de  la  consoler!  la  Bible  elle-même  avoue 
qu'il  n'y  a  pas  de  consolation  pour  une  mère  qui 
perd  son  enfant.  Rachel  ne  voulut  pas  être  con- 
solée, parce  que  ses  enfants  n'étaient  plus.  Et 
iioluit  consolari,  quia  non  siint.  Ma  lettre  avait 
quatre  lignes,  je  crois;  voici  ce  que  je  lui  disais  : 

«  Pleurez,    pleurez.   Madame  ;   toute  la   France 


36  ALEXANDRE    DUMAS    CHEZ    LE    DUC    d'oRLÉANS 

«  pleure  avec  vous.  Pour  moi,  j'ai  éprouve  deux 
«  grandes  douleurs  dans  ma  vie  :  Tune,  le  jour 
«  où  j'ai  perdu  ma  mère;  l'autre,  le  jour  oîi  vous 
«  avez  perdu  votre  fils.   » 

«  Puis,  à  la  princesse  royale,  à  la  duchesse  d'Or- 
léans, à  cette  double  veuve  d'un  mari  et  d'un  trône, 
je  n'écrivis  rien,  je  crois;  je  me  contentai  d'en- 
voyer cette  prière  pour  son  fils  : 

«  O  mon  père!  qui  êtes  au  cieux,  faites-moi  tel 
«  que  vous  étiez  sur  la  terre  ;  et  je  ne  demande 
«  pas  autre  chose  à  Dieu  pour  ma  gloire  à  moi,  et 
«   pour  le  bonheur  de  la  France.   » 

((  Un  mot  sur  le  royal  enfant  et  sur  cette  auguste 
veuve. 

(c  Le  2  janvier  1841,  j'étais  allé  faire  ma  visite 
de  bonne  année  au  prince  royal.  Après  quelques 
instants  de  causerie  :  —  Gonna'ssez-vous  le  comte 
de    Paris?  me  demanda  t-il. 

«  —  Oui,  Monseigneur,  répondis-je,  j'ai  eu 
l'honneur  de  voir  Son  Altesse  déjà  deux  fois. 
Et  je  rappelai  au  prince  dans  quelles  circons- 
tances. 

((  —  N'imporle,  me  dit-il,  je  vais  l'aller  cher- 
cher pour  que  vous  lui  fassiez  vos  compliments. 

«  11  sortit  et  rentra  un  instant  après,  tenant  l'en- 
fant par  la  main;  puis,  s'approchant  avec  cette 
gravité  qui  était  un  des  charmes  de  sa  plaisanterie 
intime  :  —  Donnez  la  matu  à  monsieur,  lui  dil-il, 
c'est  un  ami  à  papa,  et  j)apa  n'en  a  pas  trop. 


ALEXANDRE    DUMAS    CHEZ    LE    DUC    d'oRLÉANS  37 

a  —  Vous  VOUS  trompez,  Monseigneur,  lui  dis- 
je  :  tout  au  contraire  des  autres  princes  royaux, 
Votre  Altesse  a  des  amis  et  pas  de  parti. 

«  Le  duc  d'Orléans  sourit,  et,  sur  un  signe  de 
son  père,  le  comte  de  Paris  me  donna  sa  petite 
main,  que  je  baisai.  «  —  Que  souhaitez-vous  à 
mon  fils  ?  me  dit  alors  le  prince. 

«  —  D'être  roi  le  plus  tard  possible,  Monsei- 
gneur. 

«  —  Vous  avez  raison,  c'est  un  vilain  métier. 

«  —  Ce  n'est  point  pour  cela.  Monseigneur,  re- 
pris-je;  mais  c'est  qu'il  ne  peut  être  roi  qu'à  la 
mort  de  Votre  Altesse. 

«  —  Oh!  je  puis  mourir  maintenant,  dit-il  avec 
cette  expression  de  mélancolie  qui  revenait  si  sou- 
vent sur  son  visage  et  dans  sa  voix.  Avec  la  mère 
qu'il  a,  il  sera  élevé  comme  si  j'y  étais. 

«  Puis,  étendant  la  main  vers  la  chambre  de  la 
duchesse,  comme  s'il  eût  pu  deviner  à  travers  la 
muraille  la  place  où  elle  était  : 

«  —  C'est  un  quine  que  j'ai  gagné  à  la  loterie, 
me  dit-il. 

«  Le  fait  est  qu'il  était  impossible,  je  crois, 
d'avoir  à  la  fois  plus  de  respect,  de  tendresse,  de 
vénération  et  de  confiance  que  le  duc  d'Orléans 
n'en  avait  pour  la  duchesse.  C'est  qu'il  avait 
retrouvé  en  elle  une  partie  des  hautes  qualités 
qu'il  avait  lui-même.  Quand  il  parlait  d'elle,  et  il 
en  parlait  souvent,   son  bonheur  intime  débordait 


38  LE  DUC  d'orléans  jugé  par  m.  guizot 

de  son  cœur,  comme  l'eau  déborde  d'un  vase  trop 
])lein.  » 

M.  Guizot  qui  en  1842  était  ministre  écrivait 

«  Samedi  le  cercueil  du  duc  d'Orléans  quittera 
Neuilly  pour  Xotre-Dame.  Dans  quelques  jours, 
quand  nous  aurons  accompli  nos  tristes  cérémo- 
nies funèbres,  tout  reprendra  son  cours  régulier. 
Il  ne  restera  que  ce  qui  doit  rester  bien  longtemps: 
dans  la  famille  royale,  une  immense  douleur  ; 
devant  nous  tous,  un  vide  immense,  et  le  fardeau 
qu'il  nous  impose.  » 

a  C'est  qu'il  avait,  pendant  sa  vie  si  courte,  a  dit 
un  biographe,  parlé  à  l'àme  de  la  nation,  à  ses 
sentiments  élevés,  à  ses  aspirations  généreuses, 
et  c'est  l'honneur  de  la  nature  humaine,  qu'elle 
garde,  môme  dans  ses  défaillances,  la  mémoire  de 
ceux  qui  ont  fait  naitre  en  elle  de  nobles  émotions. 
On  sentait  que  ce  prince  était  supérieur  à  sa 
destinée,  et  que  le  temps  seul  lui  avait  manqué 
pour  accomplir  de  grandes  choses.  S'il  avait  vécu, 
deux  révolutions  nous  auraient  été  épargnées; 
nous  n'aurions  vu  ni  les  journées  de  Juin  1848, 
ni  la  Commune  de  1871,  ni  les  désastres  d'une 
guerre  témérairement  entreprise,  et  follement 
conduite.  Que  de  malheurs  évités!  que  de 
pages  douloureuses  supprimées  de  noire  his- 
toire! 

«  Le  peu])lc  avait  raison  de  se  découvrir  triste- 


LE    TESTAMENT    DU    DUC    d'oRLÉANS  39 

ment  devant  ce  cercueil  :  c'était  la  fortune  de  la 
France,  qui  passait  ',   » 

Le  duc  d'Orléans  laissa  un  testament  admira- 
ble ,  où  il  entrevoit  avec  un  coup  d'œil  vrai- 
ment prophétique  les  révolutions  qui  déchireront 
un  jour  la  France.  Il  s'exprimait  ainsi  : 

C'est  une  grande  et  difficile  tâche  que  de  préparer  le 
comte  de  Paris  à  la  destinée  qui  l'attend  ;  car  personne  ne 
peut  savoir  dès  à  présent  ce  que  sera  cet  enfant,  lorsqu'il 
s'agira  de  reconstituer  sur  de  nouvelles  bases  une  société 
qui  ne  repose  aujourd'hui  que  sur  des  débris  mutilés  et 
mal  assortis  de  ses  organisations  précédentes.  Mais,  que  le 
comte  de  Paris  soit  un  de  ces  instruments  brisés  avant 
qu'ils  n'aient  servi,  ou  qu'il  devienne  l'un  des  ouvriers  de 
cette  régénération  sociale,  qu'on  n'entrevoit  encore  qu'à 
travers  de  grands  obstacles,  et  peut-être  des  flots  de  sang  ; 
qu'il  soit  roi  ou  qu'il  demeure  [défenseur  inconnu  et  obscur 
d'une  cause  à  laquelle  nous  appartenons  tous,  il  f^mt  qu'il 
soit,  avant  tout,  un  homme  de  son  temps  et  de  la  nation  ; 
qu'il  soit  catholique  et  serviteur  passionné,  exclusif,  de  la 
France  et  de  la  Révolution. 

Je  suis  certain  que,  tout  en  restant  personnellement 
fidèle  à  ses  convictions  religieuses,  Hélène  élèvera  scru- 
puleusement nos  enfants  dans  la  religion  de  leur  père, 
dans  cette  religion  qui  fut  de  tous  les  temps  celle  que  la 
France  a  professée  et  défendue,  et  dont  le  principe  est  si 
parfaitement  d'accord  avec  les  idées  sociales  nouvelles,  au 
triomphe  desquelles  mon  fils  doit  se  consacrer. 

1.  Fils  de  roi,  brochure,  à  la  librairie  du  Moniteur  universel. 


40  LE    TESTAMENT    DU    DUC    d'oRLÉAXS 

Un  peu  plus  loin,  en  parlant  de  M.  le  comte  de 
Paris,   il  ajoute  : 

En  lui  icg-iiant  la  défense  d'un  pays  et  d'un  principe  me- 
nacé, je  dois  lui  léguer  en  même  temps  la  foi  dans  leur  bon 
droit  et  leur  trioni[)lie  final.  Que  ces  pensées  et  ce  dévoue- 
ment, morts  en  moi  sans  avoir  été  appliqués,  germent 
dans  le  cœur  de  mon  fils  ;  que,  dans  son  affection  pour  la 
France,  il  sache  toujours  être  son  complice  et  jamais  son 
gardien  ;  qu'il  ne  pense  h  ses  ai  eux  que  pour  sentir  com- 
bien la  grandeur  de  la  race  ajoute  encore  à  l'étendue  de 
ces  devoirs  ;  qu'il  n'apprenne  qu'il  est  de  la  première  fa- 
mille du  monde  que  pour  être  lier  et  digne  de  tenir  un 
jour  dans  ses  mains  les  destinées  de  la  cause  la  plus  belle 
qui,  depuis  le  christianisme,  ait  été  plaidée  devant  le  genre 
humain  ;  qu'il  soit  l'apotre  de  cette  cause,  et  au  besoin  son 
martyr. 

L'esprit  de  parti,  prompt  à  tout  dénigrer,  n'a 
pas  compris  que  lorsque  le  duc  d'Orléans  re- 
commandait à  son  fils  aîné  d'être  le  «  ser- 
vilcur  exclusif  et  passionné  de  la  Révolution  »,  il 
entendait  lui  dire  de  rester  imbu  de  ces  idées 
modernes,  dont  le  mouvement  national  de  1789  a 
fait  la  base  des  monarchies  dans  presque  toute 
l'bAirope.  Prétendre  que  le  duc  d'Orléans  donnait 
ainsi  une  approbation  publique  à  1793,  cette  san- 
glante é])()que  de  notre  histoire,  c'est  méconnaître 
ce  prince,  si  sagement  libéral  :  l'historien  imparlial 
jugera  ainsi  ce  document,  digne  en  tous  points  de 
celui  c(ui  l'écrivit. 


MS''  le    comte    de    paris    au    musée    de    VERSAILLES       41 

Le  roi  Louis-Philippe  avait  senti  s'accroître 
sa  tendresse  pour  son  petit-fils  depuis  la  catas- 
trophe du  13  juillet  1842.  11  aimait  à  visiter,  en 
compagnie  du  jeune  prince,  le  palais  de  Versailles 
qui,  depuis  peu  d'années,  avait  été  entièrement 
restauré  sous  sa  haute  direction. 

«  Quel  enseignement,  en  effet,  a  dit  avec  raison 
un  biographe,  qu'une  visite  au  musée  de  Ver- 
sailles, lorsque  le  roi  Louis-Philippe  conduisait 
par  la  main,  dans  les  longues  galeries,  ce  prince 
royal  de  huit  ans ,  et ,  après  lui  avoir  montré 
Henri  IV  à  Ivry  et  Louis  XIV  dans  les  lignes 
devant  Valenciennes,  l'arrêtait  avec  complaisance 
dans  la  salle  oîi  Horace  Vernet  venait  de  peindre 
en  traits  immortels  les  campagnes  de  la  jeune  ar- 
mée et  rhéroïsme  de  ses  chefs.  Cet  officier  debout 
dans  la  tranchée  d'Anvers  et  devant  la  brèche  de 
Gonstantine,  c'est  le  duc  de  Nemours.  Cet  amiral 
à  son  banc  de  quart  sous  le  feu  des  batteries  de 
Tanger,  c'est  le  prince  de  Joinville.  Ce  général  de 
Aingt-trois  ans  qui  se  jette  avec  une  poignée  de 
cavaliers  sur  la  smala  d'Abd-el-Kader,  aussi  peu- 
plée qu'une  grande  ville  et  défendue  par  cinq 
mille  réguliers,  c'est  le  duc  d'Aumale.  Et  le  vieux 
roi  —  le  roi  de  la  paix  —  qui  voulait  faire  de  son 
petit*fils  un  prince  patriote  et  non  un  prince  belli- 
queux, voyant  les  yeux  de  l'enfant  briller  devant 
ces  tableaux  de  batailles,  s'empressait  de  lui  dire  : 
«  Souviens-loi  que  c'est  la  France  qu'il  faut  aimer 


42        ÉDUCATION  DE  M^'"'  LE  COMTE  DE  PABIS 

((  par-dessus  tout;  il  faut  l'aimer  plus  que  la 
«  gloire.  » 

«  Le  prince  est  devenu  depuis  lors  l'aîné  de  la 
famille,  le  chef  de  la  maison  royale.  Il  est  digne 
de  la  France,  digne  du  nom  qu'il  porte,  si  grand 
que  soit  ce  nom;  digne  des  destinées  qui  l'atlcn- 
dent,  si  hautes  qu'elles  puissent  être*.  » 

Le  roi  Louis-Philippe  avait  cherché  avec  un 
grand  soin,  parmi  les  professeurs  les  plus  émi- 
nents  de  l'Université,  celui  auquel  il  confierait 
l'éducation  de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  M.  le 
duc  de  Chartres,  après  la  mort  de  leur  père.  Le 
roi  choisit,  en  1843,  comme  professeur  des  jeunes 
princes,  le  savant  M.  Adolphe  Régnier,  qui  devint 
plus  tard  membre  de  l'Institut  et  mourut,  âgé 
de  quatre-vingts  ans  (à  la  fin  d'octobre  1884), 
bibliothécaire  du  château  de  Fontainebleau. 

M.  Régnier  donna  à  M.  le  comte  de  Paris  et  à 
M.  le  duc  de  Chartres  une  éducation  solide. 
Secondé  par  l'aptitude  merveilleuse  de  ses 
élèves,  il  réussit  complètement  dans  la  tâche  déli- 
cate que  lui  avait  confiée  le  roi  d'élever  un  prince 
qui  pouvait  être  appelé  à  gouverner  la  France. 

^jine  l^^  duchesse  d'Orléans  s'exprimait  ainsi  sur 
M.  Régnier  : 

Entre  des  milliers  d'hommes,  je  n'en  aurais  trouve 
aucun  qui  sût  diriger  mon  petit  Paris  avec  plus  de  sagesse 

1.  Fils  de  RoL  brochure,  à  la  librairie  du  Mo/iitcur  utiiversel. 


LETTRES    DE    M""*^    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS  43 

et  d'affection.   Le  petit   marche,   au  reste,  très  bien;  son 
cœur,   son  esprit,   sa   santé,  se  développent  d'une  manière 

réjouissante Quoique  pâle  et  maigre,  Robert  n'est  plus 

malade,  mais  il  est  plein  de  vivacités  et  de  malices. 

Pendant  une  partie  de  l'été  de  1843,  M"'"  de  Bon- 
tems  qui  avait  élevé  M™"  la  duchesse  d'Orléans, 
vint  passer  quelque  temps  auprès  d'elle,  soit  à 
Neuilly,  soit  au  château  d'Eu  où  l'air  de  la  mer 
fortifiait  les  jeunes  princes.  C'est  à  cette  époque 
qu'elle  écrivait  les  lettres  suivantes,  qui  montrent 
bien  le  caractère  de  M.  le  comte  de  Paris  enfant  : 

10  jiiia. 

Les  rapports  entre  M.  Régnier  et  le  petit  sont  excel- 
lents. Vous  seriez  réjouie  de  voir  avec  quelle  douceur,  et 
pourtant  avec  quelle  fermeté,  il  sait  prendre  l'enfant.  Paris 
le  chérit,  et  n'ose  lui  désobéir  comme  à  moi  et  à  M""^  H. 
J'attends  vraiment  d'excellents  résultats  de  ces  nouveaux 
rapports.  Quant  à  Robert,  il  est  très  malheureux  d'être 
séparé  de  son  frère.  Il  le  demande  à  tout  moment,  car  il  ne 
le  voit  que  peu,  et  il  l'aime  fort.  Il  a  plus  que  Paris  le 
besoin  d'être  avec  d'autres  enfants;  il  s'ennuie  quand  il 
joue  seul.  Paris  se  suffit  à  lui-même,  mais  il  est  pourtant 
heureux  de  pouvoir  jouer  deux  heures  par  jour  avec 
Robert 

18  juin. 

Chaque  matin,  Paris  lit  avec  M.  Régnier  le  Roblnson,  qui 
prête  à  beaucoup  d'entretiens  instructifs.  Je  lui  donne 
auparavant  une  petite  leçon  d'histoire  sacrée  qui  com- 
mence par  une  prière.  Je  ne  puis  dire  qu'il  soit  très  atten- 
tif, mais  il  aime  cependant  beaucoup  ces  récits. 


44  LETTRES    DE    M"'"    LA    UUCHESSE    b'oRLÉANS 

Lors  du  premier  anniversaire  de  la  mort  du  duc 
d'Orléans  en  1843,  M'""  la  duchesse  d'Orléans  écri- 
vait la  lettre  suivante  à  M.  le  comte  de  Paris  : 

Je  ne  suis  j)oint  auprès  de  toi,  mon  cher  enfaut,  mais  je 
jiense  à  toi,  et  je  te  demande  d'être  bien  sage  aujourd'hui. 
Tu  sais  que  ce  jour  est  bien  triste  pour  moi,  et  pour  nous 
tous;  tu  sais  que  nous  sommes  tous  à  Dreux,  et  que  nous 
prions  Dieu  j)our  papa.  Prie-le  aussi  de  hii  donner  hi  féli- 
cite éternelle,  et  de  nous  réunir  tous,  à  lui,  au  ciel. 

Quand  tu  seras  plus  grand,  tu  viendras  avec  nous  à 
Dreux;  tu  sais  aussi  ([u'en  grandissant,  qu'en  devenant 
bien  sage,  tu  sauras  de  belles  et  touchantes  histoires  de 
papa,  qui  te  donneront  toujours  plus  le  désir  de  lui  ressem- 
bler. 

Adieu,   mon   cher  Paris;   embrasse  bébé  de  ma  part,  et 

pense 

à  TA  Mère. 

Le  13  juillet  1843. 

Trois  mois  plus  tard  elle  s'ex])rimail  ainsi  à  pro- 
pos d'une  visite  du  jeune  prince  à  Versailles  oîi 
les  premiers  peintres  de  l'époque  reproduisaient 
les  grandes  scènes  historiques  de  l'histoire  de 
France  : 

15  oclobre  18'i3. 

Je  vais  maintenant  aussi,  de  temps  en  temps,  à  Versailles 
avec  Paris,  pour  lui  montrer  les  tableaux  historiques  et 
graver  ainsi  de  bonne  heure  dans  sa  mémoire  l'histoire  do 
la  pairie.  Cela  lui  plaît  fort;  il  s'intéresse  à  tout,  et  ne  voit 
rien  superliciellement. 


ACCIDENT    AU    TREPORT  45 

M""^  la  duchesse  d'Orléans  raconte  ainsi  le  pre- 
mier jour  de  l'an,  en  1844  : 

IPr  janvier  1844. 

Nous  avons,  comme  autrefois,  terminé  l'année  chez  le 
roi,  sous  le  sapin  illuminé.  Les  enfants  ont  eu  une  grande 
joie  de  leurs  cadeaux;  Paris  surtout,  à  la  vue  d'un  petit 
cabinet  de  j)hysiciue  et  d'autres  objets  de  son  goût.  Je  le 
renvoyai  bientôt  adirés,  parce  qu'il  était  tard  ;  arrivé  dans 
sa  chambre,  il  prit  tranquillement  un  livre,  s'assit  et  se 
mit  à  lire  sans  aucune  apparence  de  distraction  ni  de  surex- 
citation. Ses  joujoux  arrivèrent;  il  n'y  jeta  pas  un  coup 
d'œil,  et  dit  qu'il  voulait  d'abord  terminer  son  histoire. 
Cela  m'a  plu;  c'est  une  bonne  dis[)Osition. 

Un  accident  qui  faillit  coûter  la  vie  au  roi  et  à  la 
famille  royale  presque  tout  entière  eut  lieu,  à  l'au- 
tomne de  1844,  à  Eu.  Le  roi,  accompagné  de  la  reine, 
de  la  duchesse  d'Orléans,  de  M.  le  comte  de  Paris, 
du  duc  de  Chartres,  du  prince  de  Joinville,  du  duc 
d'Aumale  et  des  jeunes  princesses,  était  allé,  en 
char  à  bancs,  visiter  une  batterie  d'artillerie,  près 
du  Tréport.  Le  roi  avait  fait  tirer  un  coup  de 
canon  au  jeune  comte  de  Paris,  alors  âgé  de  six  ans 
et  qui  avait  bravement  mis  le  feu  à  la  pièce.  Pour 
revenir,  il  fallait  traverser  un  pont,  sur  une  écluse, 
dont  les  garde-fous  étaient  à  peine  visibles.  La 
reine  et  la  duchesse  d'Orléans  voulaient  des- 
cendre ;  le  roi  s'y  refuse.  Au  môme  moment,  un 
coup  de  canon  retentit;  les  chevaux  prennent 
peur,    trois    tombent    à    l'eau.    Heureusement    le 


46  LETTRES    DE    M"'"    L.V    DUCHESSE    d'oRLÉAXS 

postillon  des  timoniers  parvient  à  retenir  les 
chevaux  avec  un  rare  sang-froid  au  moment  où  ils 
allaient  franchir  le  parapet.  Le  roi  et  la  famille 
royale  étaient  sauvés  ! 

Rien  ne  peut  mieux  fiùre  connaître  l'enfance  de 
M.  le  comte  de  Paris  que  les  lettres  de  sa  mère, 
M"""  la  duchesse  d'Orléans.  Peu  de  temps  avant 
cet  accident  du  Tréport,  elle  visitait  l'exposition 
de  l'industrie  et  s'exprimait  ainsi  : 

24  juin   1844. 

Je  mesure  le  temps  sur  le  développement  des  enfants; 
ils  grandissent,  Paris  surtout.  C'est  vraiment  un  aimable 
garçon,  grand,  rosé,  dégagé,  et  surtout  très  studieux  et 
brave;  il  a  nn  bon  cœur,  de  la  franchise,  et  avant  tout  un 
zèle  très  soutenu.  Il  a  été  deux  fois  avec  moi  à  l'Exposi- 
tion'; vous  pouvez  penser  quelle  résolution  pour  moi.  Je 
ne  l'aurais  jamais  fait  si  l'on  n'avait  pas  tant  parlé  de  la 
renfermerle  dans  laquelle  on  retient  le  petit.  Il  a  eu  un 
énorme  succès;  les  gens  l'étouffaient  presque  de  joie;  et 
quant  à  lui,  il  n'a  été  ni  sot,  ni  timide,  mais  naturel,  et  à 
son  affaire,  c'est-à-dire  |)lcin  d'intérêt  j^our  ses  chères 
machines,  qui  sont  toujours  sa  ])assion.  Par  bouheiu-,  la 
louange  et  l'admiration  ne  le  disposent  jias  du  tout  à  la 
vanité;  il  n'y  prend  pas  garde.  Le  petit  Robert,  qui  exami- 
nait plus  les  gens  que  les  machines,  était  en  revanche  très 
heureux  que  les  gens  le  regardassent  aussi.  Il  n'a  que  sail- 
lies, bonne  humeur  et  vivacités;  parfois  je  ne  sais  comment 
faire  cesser  ses  petites  impertinences;  il  est  trop  amusant; 

1.  L'ICxposiliun  s'ohïvail  alors  au  carré  ^hu-it,niy,  où  iiil  cons- 
Iruil  plus  liird,  en  1855,   le  Palais  de  i'iiuluslric. 


POPULARITÉ    DE    M""^    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS  47 

mais   iiialgTe   son  bon  cœur,  qui  prévient  en  sa  faveur,  il 
faut  pourtant  être  sévère  avec  lui 

5  juillet  1844. 

Paris  et  Robert  ont  ensemble  leurs  petits  entretiens, 
dans  lesquels  le  caractère  de  cliacun  se  produit  au  grand 
jour  :  l'un,  plein  de  raison  et  de  profondeur;  l'autre,  d'in- 
telligence et  de  vivacité. 

En  1845,  la  princesse  raconte  avec  quelle  joie 
elle  voit  se  développer  les  progrès  des  deux 
enfants;  M.  le  comte  de  Paris  n'avait  pas  encore  sept 
ans  qu'en  revenant  de  l'ouverture  des  Chambres, 
il  voulait  donner  à  son  professeur  une  analyse  du 
discours  du  roi  qu'il  avait  écouté  avec  une  grande 
attention. 

Pendant  les  années  1846  et  1847,  le  roi  Louis- 
Philippe  s'occupa  beaucoup  de  l'éducation  de 
M.  le  comte  de  Paris  et  de  son  frère,  ainsi  que 
M"""  la  duchesse  d'Orléans,  dont  Tintelligente 
sollicitude  faisait  l'admiration  de  tous.  On  peut 
dire  que  rarement  princesse  a  joui  en  France 
d'une  aussi  grande  popularité  dans  toutes  les 
classes  de  la  nation,  sans  distinction  de  partis  : 
elle  en  recevait  la  preuve  à  tout  instant.  Elever 
ses  fils  comme  leur  père  l'aurait  fait  lui-môme, 
tel  était  son  but;  aussi  donnait-elle  les  soins 
les  plus  minutieux  à  leur  santé,  à  leurs  études  et 
même  à  leurs  jeux  :  on  a  pu  dire  avec  raison  que 
«  les  circonstances  ont  servi  seulement  à  manifes- 


LA   REVOLUTION    DE    FEVRIER 


ter  ses  grandes  qualités  ;  toujours  ce  même  mé- 
lange de  délicatesse  féminine  dans  les  sentiments, 
de  fermeté  dans  l'action,  d'exquise  sensibilité  et 
de  force  sur  elle-même  qu'elle  a  montrées  en  toute 
occasion.  » 

M.  le  comte  de  Paris  n'avait  pas  encore  dix  ans 
le  24  février  1848.  A  onze  heures  du  malin,  le  roi 
étant  parti  des  Tuileries,  la  cour  du  palais  avait 
été  évacuée  parles  troupes,  le  peuple  insurgé  était 
maitre  de  la  place,  la  fusillade  redoublait.  Quand 
M™*^  la  duchesse  d'Orléans  vit  que  le  palais  des 
Tuileries  allait  être  envahi,  elle  prit  par  la  main 
ses  deux  enfants,  traversa  les  longues  galeries 
qui  la  séparaient  de  son  appartement,  et,  s'arrêtant 
dans  le  salon  sous  le  portrait  du  duc  d'Orléans, 
s'écria  :  «  C'est  ici  qu'il  faut  mourir!...  »  Elle  fait 
ouvrir  toutes  les  portes  de  ses  appartements  comme 
pour  une  réception  ;  les  balles  seules  entraient... 
Deux  députés  viennent  la  presser  de  se  rendre  à 
la  Chambre.  Elle  y  consent,  et  parvient,  non  sans 
peine,  au  Palais-Bourl^on. 

M.  le  duc  de  Nemours,  dont  le  courage  et  le 
sang-froid  ne  se  démentirent  pas  un  moment,  était 
auprès  de  sa  belle-sœur,  prêt  à  mouiir  pour  elle 
et  pour  son  neveu  M.  le  comte  de  Paris.  Le  général 
Bedeau,  qui  montia  ce  joui-là  la  plus  complète 
incapacité,  ne  sut  pas  défendre  les  abords  de  la 
(Miainbie;  la  salle  des  séances  fut  envaliie,  des 
coups  de  feu  éclatèrcul.  M.  de  Laiiiai'tine,  ce  génie 


LE    DISCOURS    DE    M.    DE    LAMARTINE  49 

poétique  qui,  selon  une  heureuse  expression, 
changea  volontiers  l'histoire  en  roman  et  la  poli- 
tiqne  en  méditations,  avait  commencé  un  discours 
en  faveur  de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  la  réo-cnce 
de  M"''  la  duchesse  d'Orléans;  ce  fut  en  fiiveur  de 
la  Répuhlique  qu'il  le  termina,  pour  la  République 
à  laquelle  ni  lui  ni  ses  amis  ne  songeaient  deux 
heures  auparavant.  Il  faut  relire  aujourd'hui  cet 
incroyable  amphigouri  pour  comprendre  ce  que 
l'imprévu  peut  donner  de  force  à  la  prose  la  plus 
vulgaire.  C'est  parce  qu'il  n'était  qu'un  poète  que 
M.  de  Lamartine  a  pu  succéder  au  roi  Louis-Phi- 
lippe, et  M.  Guvillier-Fleury  a  eu  bien  raison  de 
dire  que  tout  autre  y  aurait  laissé  son  renom,  peut- 
être  sa  vie  :  M.  de  Lamartine  n'y  engageait  rien  que 

des  phrases 

La  duchesse  d'Orléans ,  obligée  de  quitter  le 
Palais-Bourbon  et  séparée  un  moment  de  son 
jeune  fils  le  duc  de  Chartres,  sauvé  par  le  baron 
de  l'Espéei,  se  réfugia  à  l'hôtel  des  Invalides. 
M"''  la  duchesse  d'Orléans  y  resta  deux  jours,  pen- 
dant que  des  amis  fidèles  essayaient  d'organiser  la 
résistance.  Le  maréchal  Molitor,  malade,  n'était 
pas  en  état  de  commander  !  «  Qu'on  donne  les 
ordres  en  mon  nom,  «dit  la  princesse  sans  hésiter. 
On  lui  représente  que  les  Invalides  sont  isolés  de 
tout  secours  :  «  N'importe,  s'écrie-t-elle;  ce  lieu  est 

1.  Père  du  préfet  de  Saint-Etienne  assassiné  en  1871. 

4 


50        m""^  la  duchesse  d'orléans  aux  invalides 

])on  pour  y  inouiii-,  si  nous  n'avons  pas  de  lende- 
main ;  pour  y  rester,  si  nous  pouvons  nous  y 
défendre...  M.  le  duc  de  Nemours,  réfugié  chez 
M.  Biesta  (le  futur  directeur  du  Comptoir  d'Es- 
compte de  Paris),  ne  quitta  Paris  cjue  quand  il  lui 
fut  démontré  que  la  garde  nationale,  désorgani- 
sée, ne  marcherait  pas  contre  l'émeute.  On  pres- 
sait M""'  la  duchesse  d'Orléans  de  fuir.  Elle  re- 
poussa toutes  les  instances,  inspirée  par  le 
sentiment  de  ses  devoirs,  et  sachant  bien  qu'elle 
défendait  la  cause  même  de  la  monarchie  et  la 
souveraineté  nationale  violentée  par  l'insurrec- 
tion :  «  Tant  qu'il  y  aura,  disait-elle,  une  seule 
personne,  une  seule,  qui  soit  d'avis  de  rester,  je 
resterai.  Je  liens  à  la  vie  de  mon  fils  plus  qu'à  sa 
couronne  ;  mais  si  sa  mort  est  nécessaire  à  la 
France,  il  faut  qu'un  roi,  même  un  roi  de  neuf  ans, 
sache  mourir!  »  Elle  refusa  de  changer  de  vête- 
ments :  «  Si  je  dois  être  arrêtée,  je  veux  être  arrêtée 
en  princesse.  »  Le  jeune  prince,  se  serrant  contre 
sa  mère,  répétait  :  «  Je  ne  veux  pas  sortir  de 
France,  je  ne  veux  pas  quitter  mon  pays!...  » 
L'absence  devait  durer  vingt-trois  ans! 


Il  fallut  })artir.  Paris,  conquis  par  l'émcule,  ne 
s'appartenait  plus.  M""'  la  duchesse  d'Orléans  se 
rendit  d'abord  à  la  maison  de  campagne  du 
vicomte  Léon  de  Montesquiou  à  Bligny,  près  d'Or- 
say. Le  26,  on  lui  ramenait  M.  le  duc  de  Chartres, 
allcinl  de  la  grippe,  (|ui  heureusement  n'eut   au- 


M™^    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS    A    LILLE  51 

Cime  suite.  Le  marquis  de  Mornay  et  M.  Régnier 
accompagnaient  la  princesse   et  ses  enfants. 

La  pluie  avait  chassé  les  passants  et  empêcha 
que  la  princesse  fût  reconnue  à  Versailles.  Elle  se 
rendit  à  Lille  par  Saint-Germain,  Pontoise,  Beau- 
vais,  passa  la  nuit  suivante  à  Amiens,  et  le  28 
prit  le  chemin  de  fer  à  Lille.  Il  fallait  y  attendre 
quatre  heures  le  train  pour  la  Belgique.  La 
voiture  avait  été  placée  sur  un  truc.  La  princesse 
se  fît  apporter  les  journaux  qui  relataient  ce  qui  se 
passait  à  Paris.  Avec  cette  intelligence  sujjérieure 
qui  la  distinguait,  la  duchesse  d'Orléans  eut,  comme 
dans  un  éclair,  la  perception  nette,  vraie,  de  la  situa- 
tion à  Paris.  Elle  vit  la  garde  nationale  stupéfaite, 
mécontente  de  la  proclamation  de  la  République,  le 
boutiquier  comme  Touvrier  ahuris  par  le  spectacle 
ridicule  qu'offrait  déjà  ce  gouvernement  républi- 
cain, qu'un  souille  populaire  devait  bientôt  renver- 
ser... Aussi,  dit-elle  à  ses  amis  :  «  La  France  ne 
veut  pas  de  la  République.  Le  24  Février  a  été  une 
surprise,  il  m'appartient  à  moi,  la  mère  du  prince 
royal,  en  sauvant  le  pays,  en  proie  à  une  bande  de 
factieux,  de  conserver  la  couronne  à  mon  fils.  Le 
général  Négrier  commande  ici  la  garnison.  Je  me 
fierai  à  son  honneur  de  soldat,  et  je  vais  immédia- 
tement avec  mes  deux  fils  me  rendre  à  la  citadelle. 
De  là,  je  ferai  un  appel  au  pays  :  la  veuve  du  duc 
d'Orléans  sera  entendue,  j'en  ai  la  confiance  abso- 
lue ! » 


52  ÉNERGIE    DE    M"'"    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS 

Pendant  cette  scène,  M.  le  comte  de  Paris,  déjà 
grave  et  sérieux,  écoutait,  non  comme  un  enfant 
de  dix  ans,  mais  comme  un  homme  :  «  Ne  quittons 
pas  Lille,  »  disait-il  à  sa  mère,  «  allons  au  milieu 
d'un  régiment  ;  je  suis  sur  que  les  soldats 
m'accueilleront  comme  un  de  leurs  enfants  de 
troupe! »  Mais  on  se  jette  aux  pieds  de  la  prin- 
cesse, on  la  supplie  de  renoncera  son  dessein.  On 
lui  rappelle  la  fuite  de  Louis  XVI  à  Varennes,  on 
évoque  les  souvenirs  de  la  Terreur,  on  lui  parle 
de  son  fils,  Pliéritier  du  trône,  dépôt  sacré  qu'elle 
devait,  avant  tout,  préserver,  et  quand  on  lui  fait 
entrevoir  une  prison  du  Temple,  avec  un  autre 
Simon  peut-être,  la  duchesse  d'Orléans  frémit, 
mais  bientôt  elle  se  redresse,  et  avec  un  mâle 
courage:  «  Qu'importe!  Dieu  nous  protégera, 
allons  ù  la  citadelle » 

On  invoque  la  responsabilité  qu'on  a  assumée  de 
la  sauver,  on  refuse  nettement  de  la  suivre.  Deux 
heures  après,  le  train  partait,  et  la  duchesse 
d'Orléans  quittait  Lille  sans  avoir  vu  le  général 
Négrier... 

La  France,  en  ententlani  la  voix  de  celte  femme 
héroïque,  aurait-elle  secoué  la  torpeur  qui  lui 
faisait  accepter  un  gouvernement  qu'elle  subis- 
sait, mais  dont  la  grande  majorité  des  Français  ne 
voulait  pas?  Dieu  seul  le  sait. 

Les  émeutiers,  pendant  la  journée  du  24  février, 
avaient    pillé  et  saccagé  le  palais  des  Tuileries, 


DÉPART    DE    FRANCE  53 

mais  avaient  donné  une  preuve  frappante,  et  de  la 
grande  sympathie  dont  jouissait  M""  la  duchesse 
d'Orléans,  et  du  souvenir  vivant  laissé  dans  le 
peuple  par  M.  le  duc  d'Orléans.  Les  appartements 
de  la  duchesse  d'Orléans  avaient  été  scrupuleuse- 
ment respectés  an  pavillon  Marsan.  Sa  femme  de 
chambre  y  pénétra  quelques  jours  après,  et,  avec 
l'aide  de  quelques  amis  fidèles,  rapporta  à  M™''  la 
duchesse  d'Orléans  ce  qui  lui  appartenait.  La  prin- 
cesse put  conserver  ainsi  intacts  son  mobilier,  les 
portraits,  tableaux  et  autres  souvenirs  qui  étaient 
pour  elle  du  plus  grand  prix  en  lui  rappelant  des 
jours  plus  heureux. 

En  traversant  la  frontière,  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  fondit  en  larmes  ;  M.  de  Mornay  ne 
pouvait  retenir  les  siennes  :  «  Nos  larmes  sont 
bien  différentes,  lui  dit-elle,  vous  pleurez  de  joie 
de  nous  avoir  sauvés,  et  moi  je  pleure  de  douleur 
de  quitter  la  France,  cette  France  sur  qui  j'aj:)- 
pelle  toutes  les  bénédictions  du  ciel  !  En  quelque 
lieu  que  je  meure,  qu'elle  sache  bien  que  les  der- 
niers battements  de  mon  cœur  seront  pour  elle...  » 

«  Quand  la  pensée  me  vient,  que  je  pourrais  ne 
jamais  revoir  la  France,  disait-elle  bien  des  an- 
nées plus  tard,  je  sens  que  mon  cœur  éclate.  » 

La  princesse  qui  avait  grand  besoin  de  repos 
s'arrêta  une  nuit  à  Yerviers ,  et  le  lendemain 
1"  mars,  à  Cologne.  Après  quelques  semaines 
passées  à    Ems,    Madame  la    duchesse  d'Orléans 


04  LA    LOI    D  EXIL 

se  rendit  au  château  cVEisenach,  propriété  de  son 
oncle  le  grand  duc  de  Saxe-Weimar.  L'été  suivant 
(1849),  elle  quitta  rAllemagne  pour  conduire  ses 
fils  au  roi  Louis-Philippe  et  à  la  reine  qui  ne  les 
avaient  pas  revus  depuis  la  révolution. 

Ce  fut  une  grande  joie  au  château  de  Claremonl 
de  voir  arriver  les  jeunes  princes.  On  remarqua  le 
changement  qu'un  an  d'exil  avait  déjà  produit 
chez  M.  le  comte  de  Paris.  Les  soins  intelligents 
et.  éclairés  de  la  duchesse  d'Orléans  avaient  mviri 
l'esprit  de  son  fils  aîné,  et  le  roi  le  constata  avec 
satisfaction. 

Une  vive  douleur  avait  atteint  tout  d'abord  les 
illustres  exilés.  Dans  leur  excessive  loyauté  les 
princes  n'avaient  pu  supposer  un  instant  que  la 
République  les  condamnerait  au  bannissement. 
Ils  venaient  cependant  de  donner  à  la  France  une 
grande  preuve  de  désintéressement  et  d'abnéga- 
tion patriotique,  en  quittant  l'Algérie  le  3  mars 
1848  sans  essayer  de  rentrer  en  France  à  la  télé 
de  l'armée  qu'ils  commandaienl,  pour  y  réialjlir  la 
monarchie.  Ils  furent  vile  et  cruellement  détrom- 
pés. La  loi  du  2G  mai  1848  les  bannit  du  territoire 
français. 

Les  personnes  qui  composaient  jadis  la  maison 
de  Madame  la  duchesse  d'Orléans  avaient  suivi  la 
princesse  en  exil,  pour  la  plupart,  et  la  servirent 
coiniiic  autrefois  au  [)alais  des  Tuileries.  La  mar- 
quise de  Vins,    leclrice   de   la  |)rincesse,  et  M.  de 


LA    MAISON    DE    M"^    LA    DUCHESSE    D  ORLÉAIVS  55 

Boismilon,  ancien  précepteur  du  duc  d'Orléans, 
l'aidaient  de  leurs  conseils  pour  l'éducation  de  ses 
fils.  La  duchesse  d'Orléans  avait  fait  venir  à  Eise- 
nach  la  femme  et  les  deux  fils  de  M.  Régnier,  qui 
furent  les  émules  et  les  compagnons  des  jeunes 
princes.  M.  Etienne  Allaire  secondait  M.  Régnier, 
et  plus  tard  lui  succéda.  D'anciennes  amies  de  la 
princesse,  telles  que  la  comtesse  d'IIautpoul,  la 
comtesse  Anatole  de  Montesquiou ,  la  marquise 
de  Chanaleilles,  venaient  chaque  année  passer 
quelques  mois  auprès  d'elle.  Plus  tard,  en  1853,  la 
marquise  de  Beauvoir  vint  à  Eisenach  avec  son 
mari  et  son  fils,  et  resta  presque  constamment 
auprès  de  la  princesse  jusqu'à  sa  mort. 

Au  mois  d'avril  1850,  la  duchesse  d'Orléans  fit 
voir  à  ses  fils  Nuremberg,  cette  ville  qui  avait  été 
si  chère  à  son  enfance.  Elle  leur  montra  les 
églises,  les  belles  fontaines,  la  maison  d'Albert 
Diirer,  comme  aussi  les  fabriques  et  les  usines. 
De  là  elle  se  rendit  à  Wurzbourg,  Francfort,  et 
descendit  le  Rhin  pour  aller  en  Angleterre,  où  M.  le 
comte  de  Paris  devait  faire  sa  première  commu- 
nion. 

Le  premier  événement  important  dans  l'exil 
fut  la  première  communion  de  M.  le  comte  de 
Paris.  «  Madame  la  duchesse  d'Orléans  avait  très 
sagement  compris  combien  il  importait  que  le 
grand  acte  qui  initie  l'enfance  à  la  vie  catholique 
s'accomplit  pour  son  fils  aine  avec  la   publicité  la 


56      PREMIÈRE    COMMUNION    DE    M"""    LE    COMTE    DE    PARIS 

plus  solennelle.  C'était  en  outre  un  rendez-vous 
tout  naturel  à  donner  aux  nomlireux  amis,  qui  ne 
cherchaient  que  l'occasion  d'apporter  le  témoi- 
gnage de  leur  dévouement  à  la  famille  royale  dans 
son  exil.  11  avait  donc  été  réglé  que  la  cérémonie 
aurait  lieu  à  Londres,  dans  la  chapelle  française, 
avec  toute  la  pompe  religieuse  que  comportaient 
le  lieu  et  les  circonstances.  On  ne  s'était  pas 
trompé  en  comptant  sur  un  nombre  considérable 
de  Français  pour  assister  à  cette  auguste  et  tou- 
chante solennité.  Il  faut  bien  le  dire,  le  vieux  roi, 
plus  que  son  petit-fils,  contribua  à  Témotion  uni- 
verselle. 11  avait  voulu,  ce  jour-là,  rajeunir  et,  en 
quelque  sorte,  égayer  son  costume  ordinaire, 
mais  il  n'y  eut  personne  qui  ne  fût  tristement 
frappé  du  contraste  de  ce  vêtement,  avec  le  visage 
et  la  démarche  de  celui  qui  le  portait.  » 

Madame  la  duchesse  d'Orléans  raconte  ainsi 
elle-même  cette  touchante  cérémonie  ; 

A  huit  lieures,  le  20  juillet  1850,  nous  allâmes  avec  le  roi 
et  la  reine,  suivis  de  toute  la  famille  et  des  amis  fidèles  et 
nombreux  (jui  y  étaient  venus,  à  la  petite  chapelle  française 
de  Londres.  Paris  fut  place  au  pied  de  l'autel,  entre  le  roi 
et  moi,  devant  un  jn-ie-Dicu  surmonte  d'un  cierge  allumé. 
Il  portait  au  bras  gauche  une  écharpe  blanche,  emblème  de 
hi  pureté.  Avant  la  messe,  l'abbé  Guelle  lui  adressa  une 
l)elle  et  touchante  exhortation;  puis  la  messe  fut  dite  par 
l'évêque  de  Londres,  le  docteur  Wiseman,  un  prêtre  très 
honoré  par  le  clergé  français.  Avant  le  moment  de  la  corn- 


PREMIERE    COMMUNION    DE    M^"^   LE    COMTE    DE    PARIS       5/ 

iBunion,  l'évêque  lui  dit  également  quelques  paroles  fort 
belles,  puis  l'abbé  Guelle  conduisit  ce  cher  enfant  vers 
l'autel.  Il  se  mit  à  genoux,  et  reçut  le  corps  de  son  Dieu 
avec  un  resj^ect  et  un  recueillement  qui  étaient  édifiants. 
En  revenant  à  son  prie-Dieu,  il  jiassa  près  du  roi  qui  leva 
la  main  pour  le  bénir.  Puis  ce  cher  enfant  se  tourna  ins- 
tinctivement vers  moi,  et  me  regarda  d'un  regard  que  je 
n'oublierai  jamais  et  que  rien  ne  saurait  rendre.  L'évêque 
lui  adressa  encore  une  fois  la  parole  ;  puis  la  messe  finit, 
et  nous  quittâmes  la  chapelle,  le  cœur  profondément  ému. 
Le  maintien  de  Paris  fut  surprenant  pour  son  âge;  la  can- 
deur et  la  dignité  régnaient  dans  tout  son  être;  aussi  tout 
le  monde  en  fut  pénétré,  non  seulement  le  roi  qui  lui  dit 
que  c'était  l'une  des  plus  belles  journées  de  sa  vie,  non 
seulement  la  reine  et  mes  frères  qui  étaient  profondément 
émus,  mais  les  étrangers,  des  indifférents,  des  curieux, 
tous  étaient  frappés  de  cet  enfant  si  pur,  si  pieux,  si  grave 
et  si  simple.  Tout  le  monde  pleurait  de  sympathie  et  d'at- 
tendrissement. 

Le  pauvre  Robert  a  été  i)énétré  pendant  cette  cérémonie. 
A  deux  heures,  nous  nous  retrouvions  tous  à  la  chapelle, 
excepté  le  roi,  dont  la  santé  exige  de  grands  ménagements. 
L'évêque  revint  encore.  On  chanta  les  vêpres  ;  l'abbé 
Guelle  fit  un  discours  touchant;  puis  Paris,  au  pied  de 
l'autel,  lut  à  haute  voix,  de  l'accent  le  plus  ferme,  le  renou- 
vellement des  vœux  du  baptême.  Enfin  nous  rentrâmes,  le 
cœur  rempli  d'actions  de  grâces  envers  ce  Dieu  qui  aime 
et  bénit  les  enfants. 

«  Qui  aurait  pu,  dit  un  témoin  oculaire,  contem- 
pler sans  émotion  cette  mère,  dont  les  yeux  voilés 


58  MORT    DU    ROI    LOUIS-PHILIPPE 

de  larmes  s'arrêtaient  sur  son  fils,  comme  si  elle 
eût  voulu  l'envelopper  d'un  regard  d'amour,  pen- 
dant qu'il  était  là  à  genoux,  et  que  tous  ses  traits 
avaient  une  expression  d'humilité  et  de  dévotion? 
L'émotion  des  assistants  n'était  môme  pas  étouffée 
par  les  sons  de  l'orgue.  La  nourrice  du  prince 
était  venue  de  France  tout  exprès,  ainsi  que  d'an- 
ciens serviteurs  ^.  » 

Les  paroles  que  M^"'  Wiseman ,  alors  vicaire 
apostolique  à  Londres,  prononça  avaient  ému  le 
roi  Louis-Philippe,  qui  conserva  de  toute  la  céré- 
monie une  grave  et  profonde  impression.  Le  roi 
retourna  le  lendemain  à  Claremont 

«  La  reine  ne  se  faisait  plus  d'illusion  sur  l'élat 
du  roi.  A  l'âge  où  il  était,  elle  ne  croyait  pas  que 
la  médecine  pût  rien  contre  le  dépérissement  qui 
s'opérait  en  lui  chaque  jour,  et  le  docteur  Gueneau 
de  Mussy  la  connaissait  trop  bien  pour  l'amuser 
par  une  trompeuse  espérance.  Elle  priait,  elle 
pleurait  devant  Dieu;  son  cœur  saignait  à  l'idée  de 
ce  lien  de  quarante  ans,  si  fort  et  si  doux,  qui  allait 
se  rompre;  et  si  elle  ne  se  fût  pas  jugée  indigne 
d'un  miracle,  elle  l'eût  demandé  au  Ciel  pour  la 
conservation  de  son  mari- » 

Mais  elle  eut  la  consolation  qu'elle  avait  si  sou- 
vent demandée  à  Dieu  :  le  roi  mourut  en  chrétien, 
le  2G  août  1850.  Avant  d'expiré i',  il  avait  reçu  l'ex- 

1.  Madame  la  diicliesse  d'Orlra/is,  pat-  M'"<=  la   mai-cjiiise  d'il. 

2,  Ti'og-noii,    Vie  de  Marie-.imrlic. 


UNION    DE    LA.    FAMILLE    ROYALE  59 

trèine-oiiclion  des  mains  de  l'abbé  Guelle,  eu  roi 
digne  de  son  nom  et  de  sa  race. 

Quelques  semaines  après,  le  10  octobre,  un 
coup  non  moins  douloureux,  et  peut-être  plus 
inattendu  encore,  venait  atteindre  la  famille  royale. 
La  sainte  reine  des  Belges,  la  princesse  Louise 
d'Orléans,  fille  aînée  du  roi  Louis-Philippe,  mou- 
rait à  Ostende,  pleurée  par  les  siens  et  par  la  Bel- 
gique entière,  qui  conserve  encore  le  souvenir 
de  ses  vertus. 

L'union  la  plus  entière  avait  toujours  existé  dans 
la  famille  royale.  «  Après  la  mort  du  roi,  les  amis 
de  la  maison  d'Orléans  demandèrent  qu'en  vue  de 
toute  éventualité,  la  question  de  régence  reçût  une 
solution  immédiate  qui,  à  un  moment  donné,  put 
réunir  tous  les  esprits  et  ne  leur  laisser  nulle 
incertitude.  M"""  la  duchesse  d'Orléans  se  prononça 
de  la  façon  la  plus  positive  contre  la  possibilité  de 
prendre  elle-même  la  régence,  et  de  crainte  que 
ses  raisons,  très  vivement  et  très  nettement  don- 
nées, ne  laissassent  pas  une  impression  assez 
durable  dans  l'esprit  de  ceux  à  qui  elle  parlait, 
elle  voulut  les  mettre  par  écrit  et  passa  plusieurs 
heures  à  dicter  un  mémoire  où  elle  explique  tous 
les  motifs  qui  la  rendaient  impropre,  selon  elle,  à 
la  régence  (la  religion  était  l'un  des  points  indi- 
qués). Elle  conclut  en  disant  que  c'était  à  la  reine 
qu'on  devait  la  confier.  Ce  mémoire  existe  et 
témoigne  une  fois  de  plus  de  son  respect  pour  la 


60  LES   JEUNES    PRINCES    A    KEHL 

reine,  comme  de  la  façon  élevée  dont  elle  envisa- 
geait toutes  choses*.  » 

Rien  ne  pouvait  faire  oublier  aux  jeunes  princes 
la  patrie,  ce  cher  pays  de  France! 

Un  peu  avant  cette  époque  (1850),  on  pouvait 
voir  souvent  sur  le  pont  de  Kehl,  qui  rattache 
l'Alsace  au  pays  badois,  une  dame  en  deuil  con- 
duisant par  la  main  deux  jeunes  enfants.  Elle  fai- 
sait là  sa  promenade  quotidienne,  et  les  soldats  du 
poste  badois  comme  ceux  du  poste  français  la 
croyaient,  les  uns  une  habitante  de  Kehl,  les  autres 
une  habitante  de  Strasbourg. 

Les  deux  petits  garçons  couraient  devant  elle. 
Arrivés  à  la  tête  du  pont,  au  bureau  français,  ils 
retournaient  en  arrière  en  jouant.  Mais  il  arrivait 
parfois  qu'en  approchant  de  la  rive  française  les 
enfants,  au  lieu  de  rebrousser  chemin,  empiétaient 
sur  le  territoire  de  la  France;  puis,  armés  d'une 
petite  pelle,  ils  creusaient  un  trou  dans  le  sol, 
emplissaient  leur  seau,  et  reportaient  triomphale- 
ment à  leur  mère  cette  terre  française.  Si  on  les 
eût  suivis,  on  les  eût  vus  verser  le  contenu  du 
petit  seau  dans  une  caisse  spéciale,  qui  s'em- 
plissait peu  à  peu  et  qu'on  gardait  comme  un 
trésor. 

La  dame  en  deuil  était  une  princesse  exilée, 
M'""  la  duchesse  d'Orléans.  Les  deux  travailleurs 

1.  .yfadamc  la  duc/tcsse  d'Orléans,   par  M"""  la  iiiarquiso  d'il. 


TERRE    DE    FRAXCE !  61 

étaient  ses  fils,  M.  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de 
Chartres.  Quand  la  caisse  fut  pleine,  les  petits 
terrassiers  devinrent  horticulteurs.  L'idée  leur 
vint  dV  semer  une  graine  apportée  de  France.  Et 
tous  les  jours  ils  soignèrent,  émondèrent,  arro- 
sèrent soigneusement  leur  «  plantation  ».  Quand 
ils  voyaient  leur  mère  considérer  de  loin,  les 
larmes  aux  yeux,  la  rive  alsacienne,  ils  cher- 
chaient à  consoler  sa  douleur  en  lui  montrant 
l'espérance,  symbolisée  dans  la  petite  graine. 

«  Si  elle  pousse,  ce  sera  d'un  heureux  présage,  » 
disaient-ils.  Et  chaque  matin,  on  interrogeait 
anxieusement  la  caisse,  on  guettait  la  pousse. 

Mais  les  hasards  de  l'exil  éloignèrent  un  jour 
la  mère  et  les  enfants.  La  graine  demeura  en  terre 
française  sur  la  rive  allemande  du  Rhin. 

Les  années  se  passèrent.  Les  enfants  devinrent 
soldats  et  se  battirent  bravement ,  sous  leurs  noms 
en  Amérique,  sous  des  noms  d'emprunt  pour  la 
défense  de  la  patrie  envahie.  L'épée  avait  rem- 
placé la  petite  pelle  de  bois. 

Un  jour,  me  dit-on,  comme  l'un  des  princes, 
M.  le  comte  de  Paris,  passait  à  Kehl,  il  voulut 
visiter  l'ancienne  demeure  de  sa  mère.  L'hôte 
qui  eut  l'honneur  de  le  recevoir  lui  dit  : 

«  Croyez-vous  aux  présages.  Monseigneur?  » 

Le  prince  sourit. 

«  Moi,  j'y  crois,  continua  l'hôte.  Monseigneur 
se  rappelle-l-il  la  graine  qu'il  a  semée?  Monsei- 


62       ÉDUCATION    MILITAIRE    DE    M^''    LE    COMTE    DE    PARIS 

gncur  disait  alors  que  les  dcslinécs  de  cette  petite 
graine  présageaient  les  siennes. 

—  Oui,  je  me  souviens,  dit  le  prince. 

—  EIi  bien!  la  graine  a  germe.  Elle  est  devenue 
un  petit  arbre...  et  cet  arbre  a  donné  des  fleurs, 
précisément  l'année  même  où  Votre  Altesse  a  pu 
rentrer  en  France. 

—  Et  maintenant?  interrogea  le  prince. 

—  Maintenant,  Monseigneur  va  voir  le  nouveau 
présage.  » 

Et  il  conduisit  le  prince  dans  le  jardin.  Le  petit 
arbre  présentait  son  premier  fruit. 

«  Il  sera  bientôt  mûr,  Monseigneur,  croyez  au 
présage » 

]M""'  la  duchesse  d'Orléans  avait  tenu  à  entourer 
ses  fils,  dans  cet  exil  douloureux,  de  tous  ceux 
qui  pouvaient  le  mieux  les  rattacher  à  la  patrie 
dont  ils  étaient  séparés.  C'étaient  le  général  ïrczel, 
ancien  ministre  de  la  guerre,  le  colonel  de  Mont- 
guyon,  ancien  aide  de  camp  du  duc  d'Orléans,  le 
général  Drolanvaux,  vieil  olUcier  de  Tarmée 
d'Afrique, le  colonel  Ulirich,  le  capitaine  Moihain, 
qui  envoya  sa  démission  au  ministre  de  la  guerre 
poui'  servir  M.  le  comte  de  Paris  dans  son  long 
exil,  et  ((ui  chaque  jour  encore  maintenant  lui  ap- 
porte le  concours  éclairé  d'un  dévouement  abso- 
lu; enfin  le  marquis  de  Beauvoir  (père  de  M.  de 
lieauvoir,  actuellement  aupiès  de  M.  le  comte 
de  Paris).  Ancien  diplomate,  gendre  du  marcjuis 


VOYAGES    DE    VACANCES  03 

de  Riimigny,  M.  de  Beauvoir  était  un  des  plus  sûrs 
amis  de  M""'  la  duchesse  d'Orléans.  D'un  esprit 
élevé,  il  consacra  sa  vie,  pendant  tout  l'exil,  à  la 
princesse  et  à  ses  augustes  fils,  et  jusqu'à  son  der- 
nier jour  (1870)  leur  donna  les  preuves  du  plus 
complet  et  du  plus  ardent  dévouement. 

Les  vacances  étaient  employées  à  des  voyages 
d'instruction,  autant  que  de  plaisir.  On  parcourait 
les  ports,  les  grandes  cités  industrielles  ou  com- 
merçantes de  l'Angleterre;  on  entrait  dans  les 
ateliers,  on  descendait  dans  les  mines.  M.  le  comte 
de  Paris  demandait  sur  toutes  choses  des  explica- 
tions, que  son  esprit  attentif  et  sérieux  saisissait 
vite,  et  que  sa  mémoire  gardait  fidèlement. 

Plus  tard,  les  princes,  accompagnés  d'un  des  gé- 
néraux les  plus  braves  de  l'armée  d'Afrique, 
visitaient  les  champs  de  bataille  de  l'Europe. 
Parfois  le  duc  d'Aumalc  se  joignait  à  ses  neveux, 
et  leur  enseignait,  aux  lieux  mêmes  où  de  grandes 
actions  de  guerre  s'étaient  accomplies,  l'histoire 
militaire  de  la  France  que  personne  ne  sait  et  ne 
raconte  mieux  que  lui. 

Ils  virent  ainsi  Nordlingen  et  Fribourg,  où  le 
grand  Gondé,  ayant  Turenne  pour  lieutenant,  avait 
remporté  ses  plus  belles  victoires;  Nerwinde  et 
Fleurus,  qui  ont  vu  passer  les  armées  de  Louis  XIV 
et  les  soldats  de  la  Pvépublique  ;  les  plaines  du 
Palatinat  et  de  la  Bavière,  illustrées  par  les  belles 
campagnes   de    Jourdan    et    de    Moreau.   Ce    que 


64  M'^""  LE  COMTE  DE  PARIS  ET  M.  LE  DUC  DE  CHARTRES 

les  exilés  cherchaient  surtout  dans  ces  voyages, 
c'était  le  souvenir  de  la  patrie.  Repoussés  de 
ses  frontières,  et  ne  pouvant  vivre  de  sa  vie,  ils 
se  réfugiaient  dans  son  passé  et  dans  la  légende 
immortelle  de  son  héroïsme  et  de  sa  grandeur. 

M.  le  comte  de  Paris  avait  alors  quatorze  ans. 
Grand,   élancé,   gracieux   dans  ses  mouvements, 
posé  dans  sa  tenue,  ingénieux  dans  ses  réflexions, 
d'un   jugement    sain,    il    menait    une    existence 
digne   de  son   nom  et  telle  qu'il  convenait  à  un 
jeune  homme  de  son  âge.  Il  aimait,  avec  son  pro- 
fesseur,   à   gravir    les    montagnes    des     environs 
d'Eisenach,  à  cueillir  et  faire   sécher  des  fleurs, 
qu'on  envoyait    ensuite   à   Paris,    pour  les   faire 
classer  par  son  professeur  de  botanique,  M.  Ger- 
main.   Le    duc  de  Chartres,  plus  jeune   de   deux 
ans,   était  d'une  extrême  vivacité.   Il  se  dévelop- 
pait  heureusement,   tant  au   point  de  vue    de    la 
volonté    qu'à    celui    de   l'intelligence.    Ses    traits 
étaient    fins,    Tœil    bleu   et   spirituel.    Tous  deux 
témoignaient  à  leur  mère  une  affection  véritable- 
ment touchante,    et  qui   était  pour  elle  un  grand 
adoucissement  à  l'exil.  Si  dans  l'éducation  de  M.  le 
comte  de  Paris,  la  duchesse  d'Orléans  avait  tou- 
jours devant  les  yeux  le  trône  de  France,  où  il 
pourrait  monter  un  jour,  elle  sentait  aussi  certains 
avantages  de  l'exil  pour  le  jeune  prince;  plus  rap- 
proché de  la  vie  réelle,  il  a])prenait  mieux  à  la  con- 
naître en   voyant  de  plus  près  des  personnes  de 


LES    DÉCRETS    DU    22   JANVIER    1852  65 

toutes  les  classes.  Jamais  princesse,  jamais  mère 
ne  sut  mieux  élever  un  prince,  qui  pouvait  être 
appelé  à  de  hautes  destinées. 

Après  avoir  protesté  contre  les  décrets  du 
22  janvier  1852,  qui  les  dépouillaient  de  leur  for- 
tune, et  avoir  vainement  essayé  de  faire  annuler 
par  les  tribunaux  les  iniques  décrets  de  Louis- 
Napoléon  Bonaparte,  les  princes  se  serrèrent  de 
plus  près,  pour  ainsi  dire,  autour  de  leur  mère, 
comme  autour  du  centre  de  leur  existence.  Ses 
vertus  et  ses  malheurs  lui  mettaient  au  front  une 
auréole  qui  rayonnait  sur  eux  avec  un  éclat  supé- 
rieur à  celui  de  la  couronne  qu'elle  avait  perdue. 

Les  décrets  du  22  janvier  avaient  trouvé  Ma- 
dame la  duchesse  d'Orléans  fort  indifférente  en 
ce  qui  la  concernait  elle-même,  et  elle  écrivait  à 
ce  sujet,  peu  de  jours  avant  leur  publication  : 

Quant  à  ce  qui  nous  touche,  vous  savez  que  nous 

sommes,  Dieu  merci!  au-dessus  de  toute  atteinte.  On  a  fait 
bien  pis  en  humiliant  notre  pays  et  en  persécutant  nos 
amis.  La  communauté  de  sacrilices  faits  à  notre  chère  cause 
sei'ait  donc  fort  aisée  à  accepter,  si  elle  ne  nous  enlevait 
pas  la  plus  grande  consolation  du  moment.  Tant  que  le 
décret  n'aura  pas  paru,  je  vous  prie  d'user  largement  des 
pouvoirs  que  je  voiis  ai  donnés;  je  ne  saurais  renoncer 
tout  à  fait  à  la  seule  joie  qui  nous  reste  dans  le  malheur. 

Au  printemps  de  1853,  Madame  la  duchesse 
d'Orléans,  qui  avait  passé  Thiver  dans  le  Devon- 
shirc,  amena    ses   deux    fils  à    Claremont,    pour 

5 


G6  ACCIDENT    EN    SUISSE 

préparer  sous  les  yeux  de  la  reine,  M.  le  comte 
de  Paris,  au  sacrement  de  confirmation  qu'il  de- 
vait recevoir  des  mains  de  M.  le  cardinal  Wise- 
man,  et  jNI.  le  duc  de  Chartres,  à  sa  première  com- 
munion. Un  grand  nombre  d'amis  venus  de 
France  apportèrent  par  leur  présence  une  douce 
consolation  aux  nobles  exilés. 

Cette  année  1853  ne  fut  pas  exempte  d'inquié- 
tudes pour  la  famille  royale.  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  fit  en  Suisse  une  chute  de  voiture  qui, 
un  moment,  mit  sa  vie  en  danger,  et  la  reine,  qui 
avait  quitté  l'Angleterre  pour  accourir  auprès 
d'elle,  fut  elle-même  très  malade  à  Genève. 

Ce  terrible  accident  arriva  à  Madame  la  duchesse 
d'Orléans,  au  mois  d'octobre  18j3.  Elle  venait  de 
quitter  Genève  et  Lausanne,  se  rendant  à  Fribourg. 
Le  temps  avait  été  détestable  les  jours  précédents, 
et  le  sol  était  détrempé  par  la  pluie  qui  ne  cessait 
de  tomber.  Le  fils  du  maître  de  poste,  à  Genève, 
avait  réclamé  l'honneur  de  conduire  Son  Altesse 
Royale,  dans  une  voiture,  espèce  de  Stage  anglais, 
attelée  de  cinq  chevaux.  Dans  cette  voiture  se 
trouvaient  Madame  la  duchesse  d'Orléans,  M""^  de 
Vins,  sa  dame  d'honneur,  M.  le  comte  de  Paris  et 
le  duc  de  Chartres.  Les  domestiques  étaient  der- 
rière. Une  seconde  voiture  suivait  avec  le  comte 
de  Montguyon,  et  M.  Allaire,  chargé  a  cette  épo- 
que de  l'éducation  des  princes. 

Non   loin   du  village  d'Oron,   un   des  chevaxu, 


ACCIDENT    EN    SUISSE  07 

attelés  à  la  voiture  de  Madame  la  duchesse  d'Or- 
léans, se  met  à  faire  des  écarts.  On  crie  au  cocher 
de  maintenir  ses  chevaux,  et  un  vieux  domestique 
de  confiance  de  la  duchesse  d'Orléans,  Conrad, 
monte  auprès  de  lui,  pour  l'aider  à  les  conduire. 
Tout  à  coup,  et  malgré  les  efforts  du  cocher,  la  voi- 
ture s'approche  du  torrent  qui  bordaitla  route,  s'af- 
faisse lentement  et  tombe,  d'une  hauteur  de 
sept  pieds  environ.  Déjà  l'eau  envahit  la  voiture. 
]\/[mc  jg  Vins,  tombée  sur  la  princesse,  l'écrase  de 
son  poids...  M.  de  Montguyon  et  M.  Allaire  se 
précipitent,  et  le  sauvetage  est  rapidement  opéré, 
pendant  qu'un  cri  poussé  par  M.  le  comte  de  Paris 
dominait  tous  les  autres  :  «Sauvez  ma  mère!  ne  vous 
occupez  pas  de  moi!...  »  Enfin,  les  augustes  voya- 
geurs sont  retirés  de  la  voiture,  mais  Madame  la 
duchesse  d'Orléans  a  la  clavicule  brisée,  et  souffre 
horriblement.  On  la  transporte  au  village  d'Oron, 
où  un  habile  médecin,  le  docteur  Pellis,  lui  pro- 
digue ses  soins.  La  princesse,  entourée  de  ses  deux 
fils,  qui  se  multiplient  pour  soulager  ses  souf- 
frances, se  crut  un  moment  perdue;  elle  s'apprê- 
tait à  mourir  avec  un  courage  et  une  résignation 
admirables,  quand  Dieu  la  rendit  à  l'affection  des 
siens  et  de  ses  fils,  pour  lesquels  sa  direction,  ses 
conseils,  étaient  si  précieux. 

M.  le  comte  de  Paris,  dont  le  général  Trézel, 
ancien  ministre  de  la  guerre,  avait  fait  l'éducation 
militaire,  suivit  avec  une   patriotique  anxiété  les 


68  LES    PRINCES    PENDANT    LA.    GUERRE    DE    CRIMEE 

phases  de  la  guerre  de  Grimée  (1854-1855).  Beau- 
coup d'amis  du  prince  étaient  tombés  sur  ces 
champs  de  bataille.  Au  château  d'Eisenach  on 
faisait  de  la  charpie  pour"  l'armée  française.  L'at- 
tachement des  princes  pour  la  France  était  tel 
qu'ils  ne  pouvaient  en  détacher  leurs  pensées. 
M.  le  comte  de  Paris  suivit  avec  un  ardent  inté- 
rêt chaque  scène  de  ce  drame  militaire,  et  avec  un 
œil  d'envie  cette  armée  française  dont  il  ne  lui 
était  pas  permis  de  partager  les  dangers  et  la 
gloire.  Il  connaissait  toutes  les  fortifications  de 
Sébastopol,  et  les  positions  respectives  des  armées, 
comme  s'il  eût  tout  vu  de  ses  propres  yeux.  La 
sympathie  des  jeunes  princes  pour  les  souffrances 
qui  étaient  la  suite  de  celte  guerre  se  montra  en 
toute  occasion,  et  jusque  dans  les  moindres 
détails.  Le  fils  du  valet  de  chambre  de  M.  le  comte 
de  Paris  était  mort  devant  Sébastopol,  et  on  avait 
trouvé  dans  sa  poche  un  louis  d'or,  qui  avait  été 
renvoyé  à  ses  parents  avec  ses  habits.  La  duchesse 
d'Orléans  fit  mettre  un  anneau  à  cette  pièce,  pour 
que  la  mère  de  ce  jeune  homme  la  portât  en  sou- 
venir de  son  fils,  et  elle  allait  souvent  voir  cette 
pauvre  femme  accablée  par  la  douleur,  et  à  qui  les 
visites  de  la  princesse  et  de  ses  fils  apportaient 
quelque  consolation. 

Pendant  l'été  de  l'année  1856,  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  se  rendit  avec  ses  fils  aux  eaux  de 
Soden,  non  loin  de   Francfort.   Les  médecins  ne 


VOYAGE    EN    ITALIE  69 

trouvant  pas  sa  santé  améliorée,  l'engagèrent  à 
passer  l'hiver  en  Italie.  A  la  fin  de  septembre,  la 
princesse  quitta  l'Allemagne,  et  au  mois  d'octobre 
visita  les  lacs  de  Côme,  de  Lugano,  Majeur,  les 
iles  Borromées,  où  elle  fut  reçue  par  le  comte 
Giberto  Borromeo,  qui,  avec  empressement ,  fit 
visiter  aux  jeunes  princes  son  superbe  palais  de 
risola-Bella  et  ses  magnifiques  terrasses.  Après 
avoir  admiré  à  Milan  et  à  Gènes  les  richesses  artis- 
tiques de  ces  deux  villes,  M.  le  comte  de  Paris  et 
M.  le  duc  de  Chartres,  laissant  leur  mère  dans  une 
villa  près  de  Sestri,  allèrent  chasser  pendant  quel- 
ques jours  en  Sardaigne. 

L'hiver  se  passa  bien  pour  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  et,  en  mai  1857,  après  avoir  reçu  à  Turin 
l'accueil  le  plus  empressé,  du  roi  et  de  la  famille 
royale,  elle  se  rendit  avec  ses  fils  à  Eisenach,  où 
elle  séjourna  (pour  la  dernière  fois  !)  quelques 
semaines  :  l'âge  avancé  de  la  reine  Marie-Amélie 
lui  faisait  un  devoir  d'être  plus  habituellement 
auprès  de  Sa  Majesté,  et  elle  alla  en  Angleterre,  où 
elle  occupa  dans  le  bourg  de  Richemond  une  mai- 
son de  campagne,  propriété  du  marquis  de  Lands- 
downe.  En  une  heure  elle  était  à  Claremont  qu'ha- 
bitait la  reine,  en  une  demi-heure  à  Twickenham, 
chez  le  duc  d'Aumale. 

L'été  de  1857  fut  un  des  plus  agréables  pour  la 
famille  royale  depuis  1848.  Madame  la  duchesse 
d'Oi  léans  le  sentait  avec  joie  : 


70  LETTRE    DE   M"«    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS 

Je  sens  un  bonheur  inexprimable,  écrivait-elle,  en 
voyant  mes  lils  se  développer  selon  mon  cœur,  en  les 
voyant  se  fortifier  dans  le  bien,  en  voyant  leurs  jeunes 
âmes  dévelop])er  lUie  tendresse  presque  fraternelle,  même 
paternelle  pour  moi,  j^renant  soin  de  leur  mère  comme  si 
elle  était  confiée  à  leur  sollicitude;  et  sous  ce  rapport,  ma 
mauvaise  santé  me  rend  un  grand  service.  L'âge  de  mon 
fils  aîné  est  selon  moi  le  plus  charmant  de  la  vie  d'un 
houîme;  il  a  toute  la  candeur  de  la  première  jeunesse, 
toute  la  droiture  de  principes  non  encore  froissés,  toute  la 
fraîcheur  des  impressions;  et  il  y  joint  cependant  une  fer- 
meté toujours  croissante,  la  réflexion  qui  supplée  à  l'ex- 
périence, et  le  désir  d'avancer,  de  se  perfectionner  tou- 
jours. Robert  commence  aussi,  (juoique  plus  jeune,  à 
mêler  la  maturité  à  la  pureté  enfantine;  et  sa  nature  vive, 
véhémente  parfois,  est  modérée  par  la  sagesse  qui  s'accroît 
de  jour  on  jour.  Vous  me  direz  :  Vous  vous  aveuglez  sur 
vos  fils.  Je  vous  assure  que  non;  ee  n'est  pas  être  aveugle 
que  de  reconnaître  les  bénédictions  que  Dieu  nous  accorde 
au  milieu  des  souffrances.  Je  serai  toujours  fort  exigeante, 
et  je  désire  qu'ils  atteignent  un  but  fort  élevé. 

Madame  la  duchesse  d'Orléans  éprouvait  une  joie 
bien  légitime  de  voir  si  bien  réussir  l'œuvre  ù 
laquelle  elle  avait  dévoué  sa  vie. 

Je  ne  peux  exprimer  le  changement  qui  s'est  fait  à 

l'égard  de  Paris,  disait-elle  ;  ce  n'est  plus  moi  qui  le  pro- 
tège, je  me  sens  i)rotégée  par  lui;  j'almfj  à  lui  voir  une 
conscience  séparée  de  la  mienne.  Quand  il  n'est  j)as  du 
même  avis  que  moi,  j'en  ai  presque  de  la  joie.  J'ose  le  dire, 
j'ai  pour  lui  du  respect 


LA    VIE    EN    ANGLETERRE  71 

L'auteur  du  livre  Madame  la  duchesse  d'Orléans 
ajoute  avec  raison  :  «  Elle  n'était  pas  seule  à  penser 
ainsi,  et  cette  déférence  qu'obtient  à  tout  âge  une 
nature  droite,  profonde  et  sérieuse,  se  mêlait  déjà 
à  l'affection  si  paternelle  que  le  jeune  prince  inspi- 
rait à  ses  oncles.  L'intimité  complète  des  deux  frères 
rassurait  sur  leur  avenir,  quel  qu'il  dût  être.   » 

Le  24  août  1857,  toute  la  famille  royale  se  trouva 
réunie  en  Angleterre,  et  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  donna  une  fête  à  toute  la  jeunesse 
rassemblée  autour  de  la  reine,  pour  fêter  le  dix- 
neuvième  anniversaire  de  la  naissance  du  comte 
de  Paris.  Madame  la  duchesse  de  Nemours  était 
seule  en  proie  à  une  profonde  mélancolie.  Elle 
avait  en  quelque  sorte  le  pressentiment  du  mal- 
heur qui  la  menaçait.  Le  10  novembre  1857,  elle 
mourait  subitement  après  avoir  mis  au  monde  la 
princesse  Blanche. 

Un  voile  de  deuil   était  encore  une  fois  étendu 

•sur  Claremont.  L'hiver  y  fut  triste,  et  le  mois  de 

mai  1858  trouva  la  reine  souffrante  et  alitée,  quand 

une  catastrophe  que  rien  ne  faisait  prévoir  vint 

frapper  de  nouveau  la  famille  royale. 

Quelques  amis  de  France  étaient  venus  en  An- 
gleterre; parmi  eux  se  trouvait  le  comte  de  Mon- 
talembert.  L'illustre  écrivain  fut  reçu  parMadame  la 
duchesse  d'Orléans  dans  les  premiers  jours  de  mai. 
Il  sortit  ému,  ravi,  et  il  communiquait  avec  expan- 
sion  son   enthousiasme  pour  la  princesse  quand 


72  MORT    DE    M""''    LA    DUCHESSE    d'orLÉANS 

tout  à  coup  on  apprit  que  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  était  tombée  malade.  La  visite  du  comte 
de  Montalembert  fui  la  dernière  qu'elle  reçut. 

Madame  la  duchesse  d'Orléans  se  mit  au  lit  le 
11  mai,  et  de  fréquentes  syncopes  attestèrent 
bientôt  l'épuisement  de  sa  nature  défaillante. 
Le  17,  la  princesse  eut  des  étouffements  qui  je- 
tèrent une  vive  inquiétude  autour  d'elle.  Le  18 
au  malin,  quelques  minutes  après  avoir  dit  d'une 
voix  faible  qu'elle  voulait  dormir,  le  docteur 
Guéneau  de  Mussy  et  la  marquise  de  Beauvoir 
entrèrent  dans  sa  chambre  et  n'y  trouvèrent  plus 
que  le  silence  et  l'immobilité  de  la  mort. 

On  a  pu  dire  avec  raison  que  la  mort  de  Madame 
la  duchesse  d'Orléans  laissa  ses  enfants  incon- 
solés, et  ((  le  souvenir  de  cette  vertueuse  prin- 
cesse a  toujours  été,  depuis,  comme  une  lu- 
mière éclairant  leur  vie,  et  à  la  lueur  de  laquelle 
ils  n'ont  jamais  cessé  de  se  guider  ». 

Ce  fut  une  grande  épreuve  pour  ces  jeunes 
princes,  qui  restaient  orphelins.  La  reine  sentit  le 
surcroît  des  devoirs  maternels  qui  lui  incom- 
baient, et  M.  le  comte  de  Paris,  comme  M.  le  duc 
de  Chartres,  retrouvèrent  chez  leur  aïeule  la  ten- 
dresse et  les  soins  d'une  seconde  mère. 

Les  obsèques  de  Madame  la  duchesse  d'Orléans 
curent  lieu  à  Weybridge,  et  beaucoup  de  Français 
vinrent  en  Angleterre  rendre  les  derniers  dcvoii's 
à  celle  princesse  accomplie. 


CHAPITRE    II 

1858-1870 

Voy.Tge  en  Orient  de  M.  le  comte  de  Paris.  —  Il  visite  Jérusa- 
lem et  la  Syrie  (1860).  —  Publication  en  Angleterre  du  récit 
de  son  voyage.  —  Campagne  d'Amérique  (  1861-1862).  —  M.  le 
comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres  à  l'état-major  du 
général  Mac  Clellan.  —  Siège  et  prise  de  Yorktown 
(4     avril-4    mai).    —    Bataille    de     ^Yilliamsburg    (5    mai). 

—  Bataille  de  Fair-Oaks  (31  mai-le''  juin  1862).  —  La 
retraite  des  sept  jours  vers  le  James  River.  —  Bataille 
de    Malvern-Hill.    —    Bataille     de    Gain's    Mill     (27    juin). 

—  Rapports  tendus  entre  le  gouvernement  américain 
et  le  gouvernement  impérial  français.  —  Démission  de  M.  le 
comte  de  Paris  et  de  M.  le  duc  de  Chartres.  —  Retour  en 
Europe  (juillet  1862).  —  Une  lettre  de  M.  le  prince  de  Join- 
ville  sur  les  derniers  combats  des  jeunes  princes  en  Améri- 
que (fort  Monroe,  l""»"  juillet  1862).  — L'opinion  du  général 
Mac  Clellan  sur  les  princes  pendant  la  guerre  d'Amérique. 
Travaux  littéraires  de  INLle  comte  de  Paris  en  exil  :  Damas  et 
le  Liban  (1861),  à  Londres,  ciiez  JefFs  ;  Une  Semaine  de  Noël 
dans  le  Lancashire  [Revue  des  Deux  Mondes,  à  Paris,  numéro 
du  1'^''  février  1863,  signé  X.  Raymond);  L'Allemagne  nou- 
velle [Revue  des  Deux  Mondes  du  l^''  août  1867);  L'Eglise 
d'Etat  et  l'Eglise  libre  d'Irlande  (Revue  des  Deux  Mondes  du 
15  mai  1868).  —  M.  le  comte  de  Paris  étudie  à  Manchester 
et  dans  plusieurs  villes  d'Angleterre  les  questions  ouvrières. 
Son  livre  :  Les  Associations  ouvrières  en  Angleterre  (Trade's 
Unions,  1869).  —  Publication,  par  M.  le  comte  de  Paris  et 
M.  le  duc  de  Chartres,  des  Campagnes  d'Afrique  du  duc 
d'Orléans.  —  L'Esprit  de  con([uête  en  1870  [Courrier  de  la 
Gironde  des  25,  26,  27,  28  et  29  décembre  1870). 

Mariage  de   I\L  le  comte  de  Paris  avec  la  princesse  Isabelle  de 


74  VOYAGE    EN    ALLEMAGNE 

Montpensior  (30  mai  1864).  —  Fêtes  ù  cette  occasion.  — 
Naissance  de  S.  A.  R.  madame  la  princesse  Amélie  (28  sep- 
tembre 1865).  —  Mort  de  la  reine  Marie-Amélie  (24  mars 
1866).  — Voyage  de  M.  le  comte  de  Paris  en  Espagne  (1867). 

—  Le  prince  se  fixe  à  York-House.  —  Naissance  de  S.  A.  R. 
le  duc  d'Orléans  (6  février  1869).  —  Lettre  des  princes 
d'Orléans  au  président  de  la  Chambre  des  députés  (19  juin 
1870),  —  La  pétition  des  princes  est  repoussée.  —  Lettre 
de  M.  le  comte  de  Paris  au  comte  de  Kératry  (4  juillet  1870). 

—  Lettre  de  M.  le  comte  de  Paris  (20  août  1870)  au  général 
comte  Uumas.  —  Les  princes  d'Orléans  pendant  la  guerre.  — 
Lettre  de  M.  le  comte  de  Paris  au  général  baron  de  Chabaud- 
Latour  (17  janvier  1871). 

L'éducation  de  M.  le  comte  de  Paris  se  continua, 
tantôt  en  Angleterre,  tantôt  à  travers  l'Allemagne 
qu'il  parcourut  toute  entière  et  avec  un  rare  esprit 
d'observation.  11  dsita  aussi  avec  fruit  tous  les 
petits  Etats  de  la  Confédération  germanique.  Puis 
il  retourna  en  Angleterre,  où  pendant  un  an  il 
étudia  la  chimie  avec  passion  dans  le  laboratoire 
du  professeur  Hoffmann,  à  TEcole  des  Mines  de 
Londres.  En  peu  de  temps,  il  devint  un  des  élèves 
les  plus  distingués  du  savant  professeur.  Il  était 
parvenu  ainsi  à  l'âge  de  vingt  ans,  lorsqu'il  eut  la 
douleur  de  perdre  sa  mère,  Madame  la  duchesse 
d'Orléans  (18  mai  1858). 

Il  songea  alors  à  suivre  son  frère  à  TEcole  mili- 
taire de  Turin;  mais  sa  situation  de  chef  de  la  Mai- 
son d'Orléans  aurait  pu  embarrasser  le  roi  Victor- 
Emmanuel  (qui  allait  devenir  le  beau -père  du 
prince  Napoléon),  arrêter  peut-être  même  la  cai'- 


VOYAGE    EN    ORIENT  75 

rièrc  militaire  de  son  frère.  M.  le  comte  de  Paris 
renonça  à  cette  idée;  le  sacrifice  lui  parut  surtout 
pénible  pendant  la  guerre  d'Italie,  lorsque  le  duc 
de  Chartres  eut  la  joie  de  combattre  à  côté  de  l'ar- 
mée française. 

M.  le  comte  de  Paris  demeura  quelques  mois  en 
Italie,  et  l'année  suivante  entreprit  avec  son 
frère  et  quelques  amis  un  voyage  en  Orient,  visi- 
tant la  Grèce,  Constantinople,  Jérusalem,  le  mont 
Sinaï.  La  caravane  était  composée  des  deux  jeunes 
princes,  du  marquis  de  Beauvoir  (père  du  marquis 
actuel),  du  comte  Louis  de  Ségur,  de  M.  Roger  de 
Scitivaux,  du  capitaine  Morliain  et  du  docteur 
Leclère.  Le  27  novembre  1859,  on  s'embarqua  à 
Trieste  pour  Alexandrie,  où  la  plus  grande  et  la  plus 
généreuse  hospitalité  fut  offerte  par  Saïd-Pacha  aux 
petits-fils  du  roi  Louis-Philippe,  auquel  la  famille 
de  Méhémet-Ali  doit  l'hérédité  de  son  trône. 

En  traversant  les  eaux  de  la  Grèce,  tout  impré- 
gné encore  en  quelque  sorte  de  ses  souvenirs  clas- 
siques, M,  le  comte  de  Paris  avait  éprouvé  une 
réelle  émotion  à  la  vue  de  ces  ruines,  de  ces  mon- 
tagnes et  de  ces  plaines  qu'avait  chantées  Homère. 
Il  avait  adressé  alors  à  son  vieux  professeur, 
M.  Régnier,  la  charmante  lettre  suivante  qui  montre 
bien  son  enthousiasme  : 

Golfo  de  Patras,  le  30  novembre  1859. 

Je  ne  puis,  mon  cher  Monsieur  Régnier,  passer  devant 
le  royaume  du  vieil  Ulysse  sans  vous  en  donner  des  nou- 


76  LETTRE    DE    M"""    LE    COMTE    DE    PARIS 

velles.  Vous  voyez  que  je  vais  au  delà  de  mes  promesses; 
mais  nous  avons  si  souvent  paixouru  avec  le  héros  d'Ho- 
mère cet  archipel  qui  s'étend  aujourd'hui,  réellement, 
devant  moi,  qu'il  me  semhle  être  pour  moi  un  pays  de  con- 
naissance; et  si  je  venais  à  rencontrer  la  déesse  aux  yeux 
bleus,  elle  ne  pourrait  pas,  du  moins,  m'adresser  le  même 
reproche  qu'à  son  protégé  : 

El  ôri  Tr.vSe  t£  yacav  aveipsai. 

Nous  débouchons  du  canal  de  Céphalonie  dans  le  golfe 
de  Patras;  à  quelques  centaines  de  mètres,  à  notre  gauche, 
se  dressent  les  pentes  abruptes  d'Ithaque;  quelques  arêtes 
irrégulières  réunies  par  des  isthmes  forment  cette  île,  à 
qui  le  surnom  d'alyîêoxo;  convient  parfaitement;  il  serait 
impossible,  je  crois,  d'y  trouver  un  pouce  de  terre  de 
niveau,  et,  comme  dit  Homère,  aucune  île  ne  se  prête 
moins  qu'elle  à  l'élève  des  chevaux.  Partout  des  rochers 
gris,  parsemés  de  taches  rougeâtres  ;  çà  et  là,  de  rares  oli- 
viers au  pâle  feuillage;  nulle  forêt,  nulle  verdure  :  tel  est  le 
rocher  qu'a  célébré  le  chantre  divin. 

Malgré  son  aspect  désolé,  nous  l'avons  salué  avec  plai- 
sir :  que  ne  peuvent  de  grands  souvenirs  pour  animer  les 
plus  tristes  plages!  Ici,  peut-être,  Ulysse  endormi  fut 
déposé  par  les  Phéaciens  ;  là,  peut-être,  se  dressait  la 
demeure  qu'il  inonda  du  sang  des  prétendants.  Et  si  rien 
ne  rappelle  à  nos  yeux  ces  souvenirs  dont  notre  esprit  est 
plein,  du  moins  aucun  contraste  ne  les  blesse  et  n'entrave 
le  cours  de  notre  imagination.  Si  nous  n'apercevons  nulle 
part  le  berger  Eumée,  appuyé  sur  son  long  bâton,  nous 
pouvons  cependant  parLoul  nous  atlciulrc  à  le  rencontrer. 


LETTRE  DE  M^'''  LE  COMTE  DE  PARIS  77 

Aucune  civilisation  nouvelle  n'est  venue  effacer  les  traces 
de  ces  mœurs  primitives. 

Aussi,  n'est-ce  pas  un  riant  paysage  que  nous  pouvons 
chercher  ici.  Le  caractère  de  celui-ci  et  ses  belles  propor- 
tions s'adaptent  parfaitement  aux  grandes  scènes  qu'il  nous 
rappelle.  La  mer  profonde  et  tranquille,  découpée  en  mille 
canaux,  enveloppe  des  îles,  des  rochers,  des  caps,  dont  les 
formes  hardies  et  les  couleurs  brûlées  contrastent  avec  son 
bleu  d'azur.  Malgré  sa  pureté  et  sa  transparence,  le  ciel  a 
cette  teinte  douce  et  harmonieuse  qui  inspira  le  génie  des 
Grecs.  La  vaste  nappe  d'eau  que  l'on  appelle  le  golfe  de 
Patras  est  fermée,  à  droite,  par  les  montagnes  brumeuses 
de  Céphalonie  (àîei  S'ojjLépoi;  sy^zi)  que  prolonge  au  loin  le 
profil  indistinct  de  celles  de  Zante;  à  gauche,  le  continent 
grec,  où  s'ouvre  une  large  brèche,  le  golfe  de  Corinthe  : 
c'est  par  là  qu'on  va  à  Athènes!  Au  delà,  nous  apercevons 
les  pics  élevés  du  Péloponèse  ;  ils  sont  séparés  de  la  mer 
par  une  plage  large  et  basse  :  c'est  l'Elide;  nous  y  cher- 
chons le  fleuve  Alphée,  nous  y  plaçons  déjà  les  jeux  Olym- 
piens. 

^Lais  le  soleil  va  bientôt  descendre  dans  les  bras  de 
Téthys,  pour  nous  servir  des  expressions  consacrées  ;  et 
avec  lui  nous  dirons  adieu  aux  côtes  de  Grèce.  Que  d'im- 
l)ressions  durables  cependant  l'on  peut  recueillir  en  quel- 
ques heures!  et  les  souvenirs  qu'elle  a  réveillés  ne  s'éva- 
nouiront certainement  pas  aussi  rapidement  que  cette  bril- 
lante apparition. 

Une  autre  fois,  je  vous  parlerai  de  l'Egypte  ;  comme  je 
mettrai  cette  lettre  à  la  poste  à  Alexandrie,  elle  vous  annon- 
cera que  nous  y  sommes  arrivés  en  bonne  santé. 

Tout  à  vous  ! 

Louis-Philippe  d'Ouléans. 


78  JÉRUSALEM,    D.IERASH,    PALMYRE 

Après  un  séjour  de  quatre  mois  en  Egypte,  les 
voyageurs  se  rendirent  à  Jérusalem  pour  y  assister 
aux  cérémonies  de  la  semaine  sainte;  de  là  ils  allè- 
rent visiter  les  ruines  de  Djerash,  de  Palmyre,  le 
très  curieux  couvent  du  mont  Sinaï,  le  mont  Horeb 
où  Moïse  reçut  la  parole  de  Dieu  pendant  que  les 
Israélites  étaient  campés  au  pied  de  la  montagne, 
et,  après  avoir  examiné  les  travaux  du  canal  de 
Suez,  ils  revinrent  par  Gonstantinople,  en  Europe. 

Un  des  voyageurs,  M.  Louis  de  Ségur,  publia 
dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  \  le  récit  de  la 
partie  du  voyage  consacrée  aux  ruines  de  Djerash, 
à  Palmyre  et  au  mont  Sinaï.  J'y  renvoie  le  lecteur 
qui  lira  avec  grand  plaisir  une  narration  fidèle  et 
très  intéressante  de  cette  partie  du  voyage  de  M.  le 
comte  de  Paris  et  de  M.  le  duc  de  Chartres,  mais 
on  remarquera  qu'en  1861  la  liberté  était  telle  en 
France,  que  la  Revue  des  Deux  Mondes  osa'il  timi- 
dement désigner  les  deux  princes  sans  imprimer 
jamais  ni  le  nom  de  M.  le  comte  de  Paris,  ni  celui 
de  M.  le  duc  de  Chartres  !... 

M.  de  Ségur  raconte  ainsi  leur  visite  aucouvcnl 
du  mont  Sinaï,  construit  du  cinquième  au  sixième 
siècle  par  Justinien,  qui  y  avait  élevé  une  cita- 
delle, ce  qui  donna,  par  la  suite,  une  certaine 
imporlancc  à  ce  monastère  : 

1.  U/ie  Cara^'anc  française  en  Syrie  au  pii/itr/)ii>s  de  1860,  par 
le  coiiile  Louis  de  Ségur.  Revue  des  Deux  Mondes  des  1''  mai  cl 
1"  octobre  18G1. 


COUVENT    DU    MONT    SINAÏ  79 

«  .  .  .  .  Ali  sortir  de  la  Ijibliolhèque,  nous 
nous  trouvâmes  au  milieu  de  Tentassement  des 
bâtiments  du  monastère.  On  s'étonne  d'y  voir 
une  mosquée;  elle  fut  bâtie  au  temps  de  Sélim;  ce 
subterfuge  sauva  le  couvent  de  l'invasion  musul- 
mane :  à  l'aspect  du  croissant  les  hordes  s'arrê- 
tèrent. En  souvenir  de  cet  événement  on  ne  le  dé- 
truit pas.  «  Toujours,  nous  dirent  les  Pères,  la  pro- 
((  tection  de  Dieu  s'est  étendue  sur  le  couvent 
«  malgré  les  persécutions  et  le  martyre  de  près 
«  de  sept  mille  cénobites;  jamais  les  richesses  ne 
«  furent  pillées,  jamais  l'église  ni  le  sanctuaire 
«  du  buisson  ardent,  de  Moïse  ,  ne  furent  vio- 
«  lés.  )) 

c(  Aujourd'hui  les  religieux  n'ont  rien  à  craindre. 
Un  revenu  de  3  millions  de  piastres  en  Roumélie, 
de  grandes  terres  en  Egypte,  les  présents  des  sou- 
verains de  religion  grecque,  les  rendent  riches  et 
puissants,  et  toute  la.péninsule  leur  appartient,  au 
moins  nominalement.  Cette  possession  date  de 
Mahomet.  Le  prophète  n'avait  pas  encore  soumis 
l'Arabie  à  sa  croyance  et  à  ses  lois,  lorsqu'il  vint 
à  la  montagne  de  Moïse  pour  vénérer  la  mémoire 
de  ce  patriarche.  Il  y  reçut  des  moines  un  accueil 
hospitalier,  et  leur  témoigna  sa  reconnaissance. 
«  Si  vous  devenez  puissant,  dirent-ils,  que  nous 
«  donnerez-vous?  »  Mahomet  noircit  sa  main,  et 
frappa  de  son  empreinte  une  peau  de  gazelle  en 
s'écriant  :  «  Je  vous  donne  tout  ce  que  vous  de- 


80  LÉGENDE    DE    MAHOMET    AU    SINAÏ 

«  manderez  dans  celte  peau.  »  L'imposition  de  la 
main  tenait  lieu  de  signature.  Les  religieux  tra- 
cèrent sur  le  blanc-seing  ces  mots  :  «  la  péninsule 
«  du  Sinaï.  »  Ce  singulier  titre  de  propriété  est  à 
Constantinople,  et,  exemple  unique  dans  les  cou- 
vents chrétiens,  le  souvenir  du  prophète  est  resté 
cher  aux  moines. 

«  11  y  a,  au  Sinaï,  vingt-quatre  pères  et  près  de 
soixante-dix  frères  servants,  sans  compter  un  mil- 
lier de  serfs  musulmans,  vivant  à  la  manière  des 
Arabes  dans  la  montai>-ne.  Ces  serfs  sont  d'orio-ine 
chrétienne;  ils  descendent  de  familles  valaques 
et  égyptiennes  envoyées  par  l'empereur  Juslinien 
pour  servir  le  monastère.   » 

M.  de  Ségur  raconte  ensuite  que  le  moine  qui 
les  guidait  leur  montra  la  rocha  que  Moïse  frappa 
de  sa  verge  :  «  Voyez  ces  bouches  béantes  dans  la 
pierre  :  par  là  l'eau  s'échappait.  Elle  ne  coule 
plus,  nos  péchés  en  sont  la  cause...)) 

«  Pour  avoir  quelques  notions  sur  l'histoire  de 
la  péninsule  du  Sinaï,  il  faut  comparer  les  travaux 
de  l'antiquilé  et  ceux  des  savants  modernes.  L'é- 
clat de  l'Exode  relègue  dans  l'ombre  les  temps 
iintérieurs  et  postérieurs  à  cet  épisode  de  la  13ible. 
11  paraît  cependant  qu'avant  la  venue  des  Hébreux, 
le  Sinaï  était  vénéré,  et  nommé  la  montagne  de 
Dieu  par  les  Amaléciles.  On  attribuait  à  ces  som- 
bres rochers  les  honneurs  de  la  présence  divine; 


AVANT-PROPOS    DE    «    DAMAS   ET    LE   LIBAN    »  81 

on  n'osait  les  gravir,  les  nomades  même,  selon 
l'historien  Josèphe,  évitaient  les  pâturages  des 
vallées  qu'ils  dominaient...  » 

M.  le  comte  de  Paris  et  M.  le  duc  de  Chartres, 
en  parcourant  la  Syrie,  avaient  été  singulièrement 
frappés  des  souvenirs  et  des  sympathies  que  le 
nom  de  la  France  éveillait  alors  dans  ces  contrées. 
M.  le  comte  de  Paris  consigna  le  résultat  de  ses 
observations  dans  un  volume  intitulé  :  Damas  et  le 
Liban,  qui  parut  à  Londres,  chez  JefTs,  en  1861^. 

Le  hasard  seul,  dit  l'auteur  dans  son  avant-pro- 
pos (mai  1861),  Pavait  amené  en  Orient. 

Ne  pouvant  apprendre  autrement  à  connaître  son  pays, 
auquel  il  est  tout  dévoué,  il  allait  chercher  jusqu'au  fond  de 
l'Orient  tout  ce  qui  pouvait  lui  rappeler  les  antiques  gloires 
de  la  France,  lui  faire  apprécier  son  influence  actuelle,  et 
pressentir  sur  quelle  base  elle  doit  appuyer  sa  politique 
future.  Grâce  à  son  nom  et  aux  souvenirs  de  sa  famille,  il  a 
pu  être  reçu  par  les  populations  chrétiennes  de  manière  à 
connaître  toute  l'étendue  de  la  sympathie  qu'elles  portent  à 
hi  France  et  de  la  confiance  qu'elles  placent  dans  son  appui. 

En  racontant  son  voyage,  M.  le  comte  de  Paris 
s'exprime  ainsi   : 

Le  contraste  avec  la  civilisation  euro- 
péenne qui  commence  à  envahir  Damas  rend  encore  plus 
frappant  l'affaiblissement  de  la  société  musulmane. 

1.  Se  trouve  à  Paris  chez  Sautoii,  libraire. 


a^  LES    LAZARISTES    EN   SYRIE 

Un  singulier  hasard  a  résumé  pour  nous  ce  contraste 
dans  la  personne  de  deux  hommes  qui  représentent  bien 
l'esprit  de  ces  deux  sociétés  aujourd'hui  en  présence.  Un 
matin,  nous  visitions  la  maison  des  Lazaristes,  et  le  soir 
même  nous  recevions  la  visite  du  Grand  Uléma. 

Les  Lazaristes  ont  fondé  à  Damas  une  véritable  colonie, 
et  le  Père  Leroy,  qui  en  est  l'âme,  nous  en  fait  les  hon- 
neurs avec  cette  satisfixction  simple  et  modeste  que  les 
hommes  énergiques  éprouvent  lorsqu'ils  ont  accompli  une 
œuvre  difficile.  Il  a  consacré  sa  vie  entière,  toutes  ses  fa- 
cultés, au  succès  des  missions  françaises  d'Egypte  et  de 
Syrie,  à  la  tête  desquelles  il  se  trouve  aujourd'hui;  et,  dans 
un  pays  saus  ressources,  il  a  su  faire  tous  les  métiers, 
comme  un  vrai  soldat  français,  suppléant  lui  seul  aux  né- 
cessités diverses  de  son  entreprise.  Il  y  a  longtemps  déjà, 
un  pacha  lui  refusait  la  permission  de  bâtir  une  église  ; 
loin  de  se  décourager,  il  amassait  aussitôt  des  planches 
dans  sa  maison,  les  faisait  préparer  secrètement,  et,  dans 
une  nuit,  dressait  au  milieu  de  sa  cour  la  petite  chapelle 
en  bois  qui  sert  encore  à  la  communauté.  Aujourd'hui,  il  en 
construit  une  plus  grande  et  plus  solide  ;  il  est  devenu  ar- 
chitecte, maçon  et  tailleur  de  j)ierres,  et  déjà  le  cintre  de 
sa  nouvelle  porte  d'entrée  excite  l'admiration  des  Damas- 
quins,  les  plus  mauvais  constructeurs  du  monde.  Persé- 
vérant dans  les  grandes  choses  comme  dans  les  })etites,  il  a 
fini  par  réunir  ici  toutes  les  institutions  de  rOccident  que 
l'on  peut  regarder  comme  les  plus  utiles  à  riiumaiiité,  et 
dont  l'Orient  est  aussi  ignorant  que  <les  ressources  usuelles 
de  la  vie  européenne,  tandis  que  quelques  prêtres  de  la 
mission  de  Damas  tiennent  une  école  de  près  de  trois  cents 
élèves,    et   loni-  donnciil  une  éducation   bien  supéi'icure  au 


LES    SŒURS    DE    SAINT-VINCENT    DE    PAUL  F3 

niveau  général  de  l'instruction  dans  le  pays,  tandis  qu'ils 
parcourent  les  villages  catholiques  pour  y  prêcher  et  y  ré- 
pandre nos  lumières,  et  qu'ils  suppléent,  en  un  mot,  par- 
tout à  l'ignorance  du  clergé  indigène;  les  sœurs  de  Saint- 
Vincent  de  Paul  se  sont  établies  auprès  d'eux  pour  établir 
une  œuvre  tout  aussi  grande,  et  partagent  leur  temps  entre 
l'éducation  des  filles  et  le  soin  des  malades.  Est-il  besoin 
de  dire  la  popularité  qu'elles  se  sont  acquise  en  quelques 
années?  Le  dispensaire,  où  elles  assistent  le  médecin  sani- 
taire français,  ne  peut  plus  suffire  aux  milliers  de  malades 
de  toutes  les  classes  qui  viennent  s'y  faire  soigner;  et  leurs 
écoles  comptent  près  de  deux  cents  élèves,  dont  la  vive 
intelligence  leur  doit  de  ne  pas  rester  inculte  et  qu'elles 
aiment  à  faire  briller  aux  yeux  de  leurs  compatriotes.  Nous 
en  avons  eu  la  preuve  dans  le  proverbe  français  qu'elles 
leur  ont  fait  réciter  devant  nous;  petite  scène  à  laquelle 
leurs  brillants  costumes  et  leur  accent  encore  un  peu  orien- 
tal donnaient  un  caractère  tout  particulier. 

J'ai  quitté  le  Père  Leroy  tout  étonné  d'avoir  enlin  ren- 
contré en  Syrie  quelque  chose  qui  fût  en  progrès,  admi- 
rant ce  qu'une  volonté  tenace  et  intelligente  peut  faire 
avec  les  plus  modiques  ressources,  et  tout  pénétré  de  la 
puissance  de  notre  civilisation  qui  trouve  de  tels  hommes 
pour  se  dévouer  à  sa  cause.  J'étais  fier  de  voir  le  nom 
français  si  bien  porté,  et  heureux  d'avoir  retrouvé  au 
milieu  des  sociétés  dégradées  de  l'Orient  cette  belle  insti- 
tution des  Sœurs  de  Charité,  qui  rappelle  l'un  des  plus 
grands  bienfaits  que  l'humanité  doive  au  christianisme,  la 
réhabilitation  de  la  femme. 

Mais  un  spectacle  bien  différent  nous  attendait  à  notre 
retour  au  camj).    A    peine   y   sommes-nous    rentrés  qu'on 


84  VISITE    DU    GRAND    ULEMA    AUX    PRINCES 

nous  annonce  l'arrivée  d'Abdallah  El  Ilalebi,  le  Grand 
Uléma. 

Comment  celui  qui  est  chargé  d'expliquer  les  paroles 
du  Prophète  à  la  population  fanatique  de  la  Ville  Sainte 
venait-il  rendre  visite  à  des  infidèles  ?  C'est  ce  que  nous 
ne  pouvions  comprendre.  Pour  résoudre  ce  problème, 
nous  couimençons  par  faire  asseoir  Abdallah  sous  notre 
tente.  Véritable  Oriental,  il  est  à  la  fois  salement  et  riche- 
ment habillé  :  tandis  que  ses  pieds  nus  sont  chaussés 
de  mauvaises  babouches,  il  porte  plusieurs  robes  brodées 
des  couleurs  les  plus  vives.  Je  ne  j)uis  comparer  son  vaste 
turban,  enveloppé  d'une  pièce  de  brocart  d'or  serrée  sur 
les  tempes,  qu'à  une  citrouille  dans  laquelle  il  aurait  en- 
foncé la  tête  jusqu'aux  oreilles.  Chaque  fois  qu'il  prononce 
le  nom  d'Allah,  par  respect  il  enlève  des  deux  mains  tout 
cet  attirail,  et  découvre  un  crâne  rasé  et  pointu,  digne  de 
Ho-urer  chez  un  plirénologue,  et  les  jirières  inintelligibles 
dont  il  coupe  son  discours  lui  donnant  un  air  insj)iré  aux 
yeux  des  dévots  musulmans. 

Une  heure  se  passe,  la  conversation  est  tombée,  mais  le 
saint  homme  ne  fait  pas  mine  de  s'en  aller. 

«  Je  vous  ennuie  bien,  j'ai  eu  tort,  nous  dit-il,  de  venir, 
de  temps  à  autre  ;  »  à  quoi  nous  répondons,  avec  la  pompe 
et  la  véracité  orientales,  que  nous  sonniies  enchantés  de 
l)asser  la  journée  avec  lui.  «  Moi,  pauvre  serviteur  de 
Dieu,  rcprcnd-il,  je  ne  sors  jamais  de  chez  moi,  mais 
d'autres  m'ont  engagé  à  venir  vous  voir.  Savcz-vous  pour- 
(pioi  l'on  m'a  dit  de  venir?  »  Ht  nous,  ne  comprenant 
rien  encore  à  ce  manège,  de  protester  que  nous  ne  le  sa- 
vons pas,  mais  que  le  plaisir  de  le  voir  nous  sufht  bien. 
«  Mais  (pie  dlrai-je  aux  personnes  qui   m'ont  conseillé  de 


MARONITES    ET    DRUSES  85 

venir?  Les  fils  de  roi  m'ont  donné  de  la  limonade,  ils 
m'ont  donné  la  pipe  et  le  café.  INIais  que  pourrai-je  mon- 
trer comme  preuve  de  leur  bon  vouloir?  que  rapporte- 
rai-je  de  ma  visite?  Je  suis  allé  une  fois  chez  un  milord, 
et  il  m'a  donné  cette  belle  robe.  Oh  !  quel  bon  milord  !..  » 
Nous  y  sommes  donc  enfin,  et  tout  maintenant  s'explique 
aisément  :  sachant  notre  désir  de  voir  la  grande  mosquée, 
il  avait  trouvé  plus  prudent  de  venir  recueillir  d'avance 
le  batclnch  que  cette  visite  devait  lui  valoir.  Inutile  de 
dire   que   nous  le    renvoyons  satisfait 

En  arrivant  à  Tripoli,  M.  le  comlc  de  Paris  et  le 
duc  de  Chartres  avaient  appris  que  la  guerre  et  les 
massacres  ensanglantaient  toute  la  Syrie.  Tandis 
que  les  princes  voyageaient  dans  le  désert  de  Pal- 
myre,  n'entendant  parler  que  de  l'antique  querelle 
des  Bédouins  de  PEuphrate  et  de  POronte,  le  feu 
de  la  guerre  civile  éclatait  de  toutes  parts.  Ils  ga- 
gnèrent Beyrouth  néanmoins,  par  terre,  en  tra- 
versant une  partie  des  montagnes  du  Liban  habi- 
tées par  les  Maronites.  Le  prince  fait  dans  son  livre 
une  description  des  plus  intéressantes  de  la  vie 
des  Maronites,  de  leurs  mœurs,  et  montre  le  rôle 
que  ce  peuple,  dont  toutes  les  sympathies  sont 
pour  l'Européen,  et  surtout  lé  Français,  pourrait 
jouer  un  jour.  M.  le  comte  de  Paris  retrace  ensuite 
l'inqualifiable  apathie  et  souvent  la  connivence 
des  autorités  turques  avec  les  Druses  lors  du  mas- 
sacre des  chrétiens  de  Syrie.  11  termine  en  signa- 
lant la  grande  lâche  de  l'Europe,  et  principalement 


86  RETOUR   EN   EUROPE 

de  la  France,  pour  assurer  à  la  Syrie  la  paix  et  la 
sécurité. 

Nous  ne  saurions  trop  engager  ceux  de  nos  lec- 
teurs qui  voudraient  avoir  un  aperçu  de  la  Syrie 
au  moment  des  massacres  de  1860,  à  lire  ces 
pages  écrites  avec  la  verve  et  l'entrain  d'un  jeune 
prince  de  vingt-deux  ans.  On  y  trouve  un  esprit 
avide  de  tout  voir,  de  tout  connaître,  et  qui  laisse 
percer  volontiers  sa  joie  lorsque  la  sympathie  des 
populations  de  ces  lointaines  contrées  se  mani- 
feste envers  la  France. 

De  retour  en  Europe,  c'est  à  Vienne  que  les 
princes  quittèrent  presque  tous  les  amis  qui  les 
avaient  accompagnés  dans  ce  long  et  intéressant 
voyage  de  dix  mois,  qui  n'avait  pas  été  sans  émo- 
tions, car  aux  ruines  de  Palmyre  les  soins  assidus 
et  dévoués  du  docteur  Leclère  avaient  préservé 
la  vie  de  M.  le  comte  de  Paris,  un  moment  en  dan- 
ger, presque  sans  secours  et  sans  médicaments  au 
milieu  du  désert...  «  Pour  les  princes,  hélas!  dit 
M.  de  Ségur,  aux  jours  de  voyage  allaient  succé- 
der les  jours  d'exil  !...  »  pour  leurs  amis  en  France, 
de  nouvelles  persécutions. 

Après  leur  voyagé  en  Orient,  les  jeunes  princes 
s'étaient  donc  rendus  en  Amérique  avec  leur 
oncle  le  prince  de  Joinville.  Le  30  août  1861,  ils 
s'étaient  embarqués  pour  New-York.  Les  Etats- 
Unis  étaient  alors  dans  tout  le  l'eu  de  la  guerre 
de  sécession. 


DÉPART    POUR    l'aMÈRIQUE  87 

Une  lutte   terriJDle   avait  éclaté    en    Amérique, 
après  l'élection  d'Abraham  Lincoln  à  la  présidence 
des    États-Unis  (9    novembre    1860).    Un    certain 
nombre  d'États  des  provinces  du  Sud  demandèrent 
à  se  retirer  de  la  Confédération.  La  majorité  étant 
assurée  à  ceux  qui  voulaient  l'abolition  de  l'escla- 
vage, et  sur  le  refus  du  président  et  de  la  législa- 
ture réunie  à  Washington,  de  les  laisser  accom- 
plir leur  séparation,  ils  attaquèrent  le  fort  Summer. 
Lincoln  répondit  à  cette  déclarai  ion  de  guerre  par 
un  premier  appel  de  75,000  hommes  de  milices, 
par  le  blocus  des  ports  de  la  Caroline  du  Nord  et 
de  la  Virginie  (27  avril  1861),  enfin  le  4  mai  par  un 
nouvel   appel  de  42,000  volontaires,  22,000  régu- 
liers et  18,000  marins.  Toutefois  on  ne  tarda  pas  à 
reconnaître  que  ces  forces  seraient  bien  insuffi- 
santes pour  venir  à  bout  des  rebelles,  et,  par  un 
message  du  5  juillet  1861,   le  président  Lincoln 
demanda  au  Congrès  de  Washington,  réuni  dans 
une  session  extraordinaire,  qu'on  résistât  énergi- 
quement   aux  prétentions  des  États    du   Sud,    et 
qu'on  mit  sur  pied  une  armée  de400, 000  hommes. 
Le  10  du  même  mois,  le  Congrès  vota  la  mise  sur 
pied  d'une  armée  de  500,000  hommes,  ainsi  qu'un 
emprunt  de  500  millions  de  dollars,  pour  soutenir 
la  lutte  contre  les  Élals  séparatistes. 

Le  commandement  des  troupes  unionistes  au- 
tour de  la  capitale  fédérée  fut  confié  au  général 
Mac  Clellan,  dont  l'armée  prit  le  nom  d'armée  du 


88  LES   JEUNES    PRINCES    AUX   ETATS-UNIS 

Potomac.  La  guerre  commença  pour  les  fédéraux 
par  une  suite  de  revers,  et,  le  16  août,  le  prési- 
dent Lincoln  publiait  une  proclamation  par  la- 
quelle il  déclarait  les  habitants  de  la  Géorgie,  de 
la  Caroline  du  Sud,  de  la  Virginie,  à  l'exception 
de  la  partie  située  à  l'ouest  des  Aléghanys,  de  la 
Caroline  du  Nord,  du  Tennessee,  de  l'Alabama, 
de  la  Louisiane,  du  Texas,  de  l'Arkansas,  du  Mis- 
sissipi  et  de  la  Floride,  en  état  d'insurrection 
contre  les  Etats-Unis  ;  il  interdisait  toute  relation 
de  commerce  avec  eux,  et  ordonnait  la  confisca- 
tion de  toutes  les  marchandises  et  effets  qui  passe- 
raient de  l'un  de  ces  Etats  dans  les  autres  parties 
de  l'Union.  C'est  à  ce  moment  critique  que  les  deux 
jeunes  princes  d'Orléans  mirent  leur  épée  au  ser- 
vice des  États-Unis. 

En  venant  en  Amérique,  M.  le  comte  de  Paris  et  le 
duc  de  Chartres  ne  comptaient  y  rester  que  quel- 
ques mois;  mais  ces  jeunes  princes,  remplis  d'ar- 
deur et  de  courage,  brûlaient  du  désir  de  prendre 
part  à  cette  guerre.  Pour  M.  le  comte  de  Paris  sur- 
tout, l'occasion  était  séduisante.  Il  reo^rettait  vive- 
ment  de  n'avoir  pu,  comme  son  frère,  faire  la  cam- 
pagne d'Italie.  Il  trouvait  en  Amérique  une  occasion 
d'apprendre  le  métier  des  armes,  en  même  temps 
c'était  une  grande  joie  pour  les  deux  frères  (|ue 
de  servir  ensemble  dans  l'armée  fédérale. 

«  Leur  démarche,  a  dit  un  biographe,  élaitinspi- 
rée  surtout  par  le  désir  de  ne  pas  laisser  échapper 


M'""  LE    COMTE    DE    PARIS    AIDE    DE    CAMP    DE   MAC  CLELLAN  89 

une  occasion  d'aller  au  feu  ;  mais  comme  elle 
était  en  même  temps  une  marque  de  sympathie 
pour  la  grande  République  américaine,  elle  ne 
pouvait  être  que  bien  accueillie  par  le  président 
Lincoln  et  par  le  secrétaire  d'Etat,  M.  Seward. 
L'entrée  des  deux  princes  dans  l'armée  améri- 
caine fut  rendue  facile  par  M.  Seward,  qui  eut  soin 
de  leur  dire  qu'aucun  serment  ne  leur  serait  de- 
mandé, et  qu'ils  seraient  toujours  -libres  de  re- 
tourner en  Europe  quand  ils  le  voudraient.  Ceci 
élait  fort  important  :  les  complications  de  la 
politique  pouvaient  amener  telle  situation  dans 
laquelle  les  intérêts  de  la  République  américaine 
seraient  ou  paraîtraient  en  opposition  avec  ceux  de 
la  France.  Dans  cette  éventualité  les  deux  princes 
n'auraient  pu  rester  sous  le  drapeau  fédéral.  » 

Le  28  septembre  1861,  ils  entrèrent  l'un  et  l'autre 
dans  les  troupes  fédérales  comme  capitaines 
d'état-major,  et  aides  de  camp  du  général  Mac 
Glellan,  commandant  en  chef  Tarmée  du  Potomac. 
Lorsque  le  l"'"  novembre  ce  général  remplaça  le 
général  Scott  dans  le  commandement  en  chef  de 
l'armée  des  Etats-Unis,  ils  restèrent  auprès  de 
lui  pendant  qu'il  s'occupait  de  l'organisation  de 
ses  forces  et  exerçait  ses  troupes  par  de  fréquen- 
tes manœuvres.  M.  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de 
Chartres  étudièrent  le  grand  art  de  la  guerre  sous 
ce  général  qui  avait  la  réputation  d'être  un  des 
militaires  les  plus  instruits  de  l'Amérique. 


00  SIÈGE    ET    PRISE    DE    YORKTOAVN 

Les  premières  opérations  militaires  du  nouveau 
généralissime  ne  commencèrent  qu'en  avril  1862, 
par  le  débarquement  de  l'armée  du  Potomac  au 
fort  de  Monroë,  dans  la  péninsule  de  la  Virginie, 
en  vue  de  l'attaque  de  Richmond,  la  capitale 
ennemie  ;  Yorktown,  jadis  célèbre  par  la  capitu- 
lation de  Gornwallis,  fut  la  première  place 
attaquée,  et  l'ouverture  de  la  tranchée  y  eut 
lieu  le  4  avril.  Les  communications  de  la  place 
avec  l'intérieur  étaient  assurées  par  des  retran- 
chements établis  sur  la  péninsule  qui  la  sépa- 
rait de  la  terre  ferme,  et  qu'on  ne  put  empor- 
ter pour  asseoir  l'investissement  complet.  Il  fallut 
se  borner  à  l'attaque  régulière  de  l'un  des  fronts, 
et  le  siège  auquel  M.  le  comte  de  Paris  prit  une  part 
active  dura  un  mois'.  Le  4  mai,  la  garnison  éva- 
cuait la  place  et  rejoignait  l'armée  confédérée,  qui, 
dès  le  6,  était  attaquée,  battue  près  de  Williiuns- 
burg  après  un  combat  acharné ,  et  poursuivie 
vigoureusement  par  la  cavalerie  du  général  Sto- 
neman,  auprès  duquel  le  prince  avait  été  détaché. 
Le  général  Mac  Glellan  entrait  le  même  jour  en 
vainqueur  dans  Williamsburg  et  arrivait  quinze 
jours  après  devant  Richmond. 

AL  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres  avaient 
pris  part  le  31  nuii  et  le  l"""  juin  à  la  sanglante 
bataille  de    Fair-Oaks    et    aux    principales    opé- 

1.  Voir  Appendice  IV  :  LeLLie  de  Mb'"-  le  comte  de  l'aris  siir 
le  rôle  de  l'arLillerie  au  siège  de  Yorklowii  (18G2). 


BATAILLES    DE    FAIR-OAKS    ET    DE    GAIn"'s    MILL  91 

râlions  qui  marquèrent  pendant  ce  dernier  mois 
la  campagne  de  Mac  Clellan  contre  Rich- 
mond,  particulièrement  à  la  grande  bataille  de 
Gain's  Mill  le  27  juin,  où  l'aile  droite  de  Mac 
Clellan  fut  écrasée  par  le  général  Lee,  après  avoir 
soutenu  une  lutte  obstinée  et  éprouvé  des  pertes 
considérables. 

A  cette  bataille,  le  régiment  au  milieu  duquel 
se  trouvait  M.  le  comte  de  Paris  était  décimé  par 
la  mitraille,  qui  pleuvait  de  tous  côtés.  Les  sol- 
dats du  Nord  pliaient  et  commençaient  une  retraite 
qui,  quelques  minutes  plus  tard,  allait  se  trans- 
former en  déroute.  Avec  un  calme  et  un  sang-froid 
digne  de  sa  race,  M.  le  comte  de  Paris  rallie  ses 
hommes,  leur  parle,  relève  leur  courage,  et  fina- 
lement les  ramène  au  feu  :  cette  fermeté,  cette 
mâle  assurance  devant  le  danger,  avait  causé  la 
plus  vive  impression  à  l'état-major  du  général 
Mac  Clellan,  qui  suivait  avec  anxiété  les  péripé- 
ties de  la  lutte. 

Un  peu  plus  tard,  dans  des  combats  épisodi- 
ques  dont  on  ne  parla  même  pas  dans  les  jour- 
naux, M.  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres 
durent  se  jeter  le  sabre  à  la  main  dans  la  mêlée, 
et  les  régiments  au  milieu  desquels  ils  étaient 
purent,  par  des  charges  heureuses,  maintenir 
leurs  positions. 

Les  travaux  d'investissement  de  Richmond 
n'étaient  pas  terminés  vers  la  droite,  lorsque   le 


92  RETRAITE  DES  SEPT  JOURS 

15  juin  les  confédérés,  ayant  concentré  toutes  leurs 
forces  sous  les  ordres  du  général  Lee,  entrepri- 
rent une  attaque  tournante  qui  avait  pour  but  de 
cerner  les  troupes  fédérales.  Afin  d'éviter  ce 
danger,  le  général  Mac  Clellan  résolut  de  battre 
en  retraite  vers  le  James  River.  Cette  retraite  ne 
pouvait  être  effectuée  que  par  une  longue  marche 
de  flanc  en  face  d'un  ennemi  que  les  avantages  de 
sa  position  rendaient  plus  fort.  C'est  ce  qu'on 
appelle  dans  l'histoire  de  la  guerre  de  sécession 
les  sept  journées  de  Richmond,  parce  que  cette 
magnifique  et  habile  retraite,  commencée  le 
25  juin,  ne  se  termina  que  le  P'"  juillet  par  la 
bataille  de  Malvern-Hill ,  après  laquelle  les 
Unionistes,  commandés  par  Mac  Clellan,  prirent 
position  à  Harrison's  Landing,  sur  le  James 
River. 

Pendant  toute  cette  campagne  et  surtout  pendant 
la  retraite  de  Chickahominy  jusqu'au  James  River, 
les  deux  jeunes  princes  d'Orléans  se  firent  remar- 
quer par  leur  courage  et  par  leur  intelligence 
des  choses  de  la  guerre.  C'est  ce  que  constate 
une  correspondance  adressée  de  New- York  au 
Times^  et  répétée  par  V Indépendance  belge'-. 

((  Traversant  au  galop  le  pont  d'Albemarle  jeté 
sur  le  Chickahominy,  dit  le  correspondant  du 
journal  anglais,  je  gagnai  le  sommet  des  collines 

1.  Numéro  du  22  juillet  1862. 

2.  Numéro  du  24  juillet  1862. 


M'""  LE  COMTE  DE  PARIS  AU  COMBAT  93 

qui  lui  font  face.  Au-dessous  de  moi,  et  au  fond 
de  la  vallée,  j'aperçus  la  ligne  de  bataille,  forte  de 
35,000 hommes,  et  qui  s'étendait  sur  un  mille  et  demi 
de  longueur.  11  me  fut  facile  de  me  rendre  compte 
de  tous  les  mouvements  du  corps  d'armée,  et  de 
distinguer  aussi  ceux  des  officiers  qui  m'étaient 
particulièrement  connus,  entre  autres  le  jeune 
comte  de  Paris,  et  son  frère  le  duc  de  Chartres. 
Un  chapeau  de  forme  particulière,  semblable  à 
celui  que  portait  jadis  un  de  ses  ancêtres,  Henri  JV, 
faisait  reconnaître  le  comte  de  Paris.  Pendant 
toute  la  durée  de  l'action,  ces  jeunes  princes  firent 
preuve  d'un  courage  admirable  qui  ne  se  dé- 
mentit pas  dans  les  eflorts  surhumains  faits  ensuite 
par  eux  pour  conjurer  le  désordre  de  la  retraite. 
Le  comte  de  Paris  était  attaché  à  l'état-major  du 
général  Porter.  Pendant  plus  de  quatre  heures, 
il  demeura  exposé  au  feule  plus  meurtrier,  et  c'est 
un  vrai  miracle  qu'il  n'ait  pas  été  atteint.  Le  duc 
de  Chartres  avait  marché  aux  premières  lignes 
avec  une  division  que  Mac  Clellan  avait  envoyée 
pourrenfort  dans  l'après-midi,  et  prit  la  plus  grande 
part  à   l'action. 

«  La  fermeté  que  déployèrent  ces  jeunes  prin- 
ces au  moment  le  plus  critique  de  la  bataille, 
lorsque  la  retraite  commença  à  devenir  presque 
une  déroute,  excita  l'admiration  de  l'armée  entière 
et  leur  valut  de  la  part  du  général  en  chef  des 
félicitations    publiques.    Il  est   heureux  que  leur 


94  RETOUR    EN   EUROPE 

retour  en  Europe,  rendu  nécessaire  par  des  rai- 
sons toutes  particulières,  n'eût  pas  eu  lieu  avant 
cette  bataille,  car,  à  1  heure  d'un  très  grand  dan- 
ger, ils  ont  pu  rendre  d'immenses  services  à  la 
cause  qu'ils  avaient  embrassée.   » 

Les  raisons  particulières  dont  parle  ici  le  cor- 
respondant du  Times  étaient  d'un  grand  poids  aux 
yeux  des  deux  jeunes  princes  d'Orléans.  Depuis 
le  mois  d'avril  1862,  les  rapports  étaient  très 
tendus  entre  le  gouvernement  de  Washington  et 
le  gouvernement  français  qui  entreprenait  cette 
fatale  expédition  du  Mexique,  où  le  sang  et  l'argent 
de  la  France  devaient  être  si  inutilement  gaspillés. 
L'expédition  du  Mexique  était  considérée  de  très 
mauvais  œil  par  le  gouvernement  américain,  et  une 
rupture  semblait  imminente  entre  la  France  et  les 
Etats-Unis.  La  situation  des  princes  dans  l'armée 
fédérale  eût  semblé  trop  équivoque,  et  leur  sen- 
timent national  eût  été  vivement  froissé. 

M.  le  comte  de  Paris,  qui  déclare  que  de  toute  sa 
vie  d'exil  le  temps  le  plus  heureux  qu'il  ait  connu 
est  celui  qu'il  passa  comme  capitaine  d'état-major 
dans  l'armée  du  général  Mac  Clellan,  se  vit  donc 
forcé,  ainsi  que  son  frère,  le  duc  de  Chartres,  de 
quitter leservicedcs  Etals-Unis  ("ijuillct  1862).  Leur 
démission  fut  acceptée  à  regret  par  le  général  en 
chef,  ainsi  que  parle  président  Lincoln;  et  ils  s'em- 
barquèrent pour  IKuropc  en  laissant  parmi  leurs 
compagnons   d'armes    une  réputation  de   capacité 


LETTRE    DE    M.    LE    PRINCE    DE    JOINVILLE  95 

et  d'intrépidité  militaires  dont  les  historiens  de 
cette  guerre  se  sont  tous  fait  Técho. 

A  la  suite  de  ces  échecs  des  Américains  du 
Nord,  personne  en  France  ne  doutait  alors  du 
succès  final  pour  les  Américains  du  Sud.  M.  le 
comte  de  Paris  avait  une  opinion  toute  contraire. 
Avec  la  pénétration  de  son  grand  esprit  politique, 
il  croyait  tout  à  fait  au  triomphe  définitif  des 
armées  de  l'Union  sur  celles  de  la  Sécession. 
Nous  avons  sous  les  yeux  plusieurs  lettres  du 
prince  à  cette  époque,  dont  pas  une  ne  varie  à  ce 
sujet,  et  qui  montrent  bien  avec  quelle  sûreté  de 
coup  d'œil  il  avait  jugé  la  situation  aux  Etats- 
Unis. 

Nous  sommes  certain  qu'on  lira  avec  intérêt 
la  lettre  suivante  de  M.  le  prince  de  Joinville  à 
son  frère  le  duc  d'Aumale,  sur  les  derniers  com- 
bats auxquels  avaient  pris  part  leurs  neveux  M.  le 
comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres,  qu'il  avait 
accompagnés  pendant  toute  la  guerre  d'Amérique. 

Voici  comment  s'exprimait  le  prince  de  Join- 
ville : 

Fort  Monroë,   1er  juillet  1802. 

La  journée  d'hier  restera  fortement  gravée  dans  mes 
souvenirs  :  d'abord  à  cause  des  scènes  émouvantes  dont 
j'ai  été  témoin,  et  ensuite  à  cause  du  danger  auquel  nos 
deux  neveux  ont  échappé  par  miracle.  Pendant  quatre 
heures,    Paris,   et  pendant  deux  heures,   Piobert,  ont  été 


96  LETTRE   DE   M.    LE    PRINCE   DE    JOINVILLE 

sans  discontinuer  sous  le  feu  de  mousqueterie  et  d'artille- 
rie le  plus  violent.  Leur  conduite  y  a  été,  comme  de  raison, 
excellente.  Ils  ont  été  des  plus  actifs  et  des  plus  utiles,  et 
enfin,  au  moment  de  la  crise,  ils  ont  montré  une  fermeté 
([ui  a  fait  l'admiration  de  tous,  et  leur  a  valu  des  remercie- 
ments publics.  Mais  venons  au  récit. 

Nous  savions  donc  les  forces  de  Porter  situées  sur  la 
rive  gauche  du  Ghickahominy,  attaquée  depuis  le  matin. 
L'action  s'est  engagée  vers  une  heure.  Paris  a  été  envoyé 
de  suite,  et  est  resté  aux  ordres  du  général  Porter.  L'af- 
faire devenant  de  plus  en  plus  chaude,  les  ballons  faisant 
rapport  que  de  grands  renforts  étaient  envoyés  de  Rich- 
mond,  et  tout  étant  comparativement  tranquille  sur  la  rive 
droite,  le  général  a  donné  l'ordre  à  cinq  brigades  d'aller 
rejoindre  Porter.  Robert  a  été  envoyé  en  ce  moment,  et 
nos  deux  neveux  se  trouvant  tous  les  deux  dans  le  pétrin, 
je  m'y  suis  envoyé  moi-même,  pour  tâcher  de  voir  ce  qui 
adviendrait  d'eux.  J'ai  passé  au  galop  le  pont  de  Ghicka- 
hominy, et  montant  sur  les  collines  en  face,  j'ai  trouvé  nos 
troupes  dans  un  pays  ondulé,  composé  de  grands  champs 
et  de  bois,  sur  une  ligne  de  bataille  d'un  mille  et  demi. 

De  là  j'ai  traversé  une  batterie  où  il  faisait  assez  chaud, 
et  j'ai  rejoint  mes  neveux  qui  étaient  à  la  première  ligne 
avec  le  général  Porter.  Lui  et  eux  ne  s'apercevaient  pas 
que  les  balles  pleuvaient  comme  grêle  autour  d'eux.  Après 
un  moment  de  conversation,  des  ordres  à  donner  ont 
envoyé  les  neveux  dans  toutes  les  directions;  nous  nous 
sommes  séparés,  et  je  suis  allé  sur  une  colline  en  arrière, 
d'où  j'ai  eu  une  vue  assez  généi-ale  du  champ  de  bataille, 
et  d'où  je  jjouvais  suivre  les  mouvements  des  neveux,  de 
Paris  surtout,  visible  par  uu  chapeau  caractéristique. 


LETTRE    DE    M.    LE    PRINCE    DE    JOINVILLE  07 

J'étais  là,  admirant  la  grandeur  du  spectacle;  nous 
avions  environ  35,000  hommes  engagés,  une  nombreuse 
artillerie  dans  la  vallée,  notre  cavalerie  en  réserve,  des 
lanciers  aux  fanions  flottants  ;  tout  cela  au  milieu  d'un  pays 
très  pittoresque,  aux  derniers  rayons  d'un  soleil  couchant, 
couleur  de  sang,  lorsque  précisément  à  l'endroit  où  se 
trouvait  Porter  la  fusillade  prend  une  intensité  inusitée; 
on  excite  par  des  hourras  nos  réserves,  et  on  les  fait  entrer 
les  unes  après  les  autres  dans  les  bois.  La  fusillade  devient 
de  ])lus  en  plus  violente,  et  s'étend  sur  notre  gauche.  Plus 
de  doute,  l'ennemi  tente  de  ce  côté  un  dernier  effort.  Nos 
réserves  sont  engagées,  nous  n'avons  plus  personne  sous 
la  main.  Le  jour  s'en  va  rapidement  :  si  nous  tenons  encore 
une  heure,  nous  avons  bataille  gagnée^  car  partout  ail- 
leurs nous  avons  repoussé  l'ennemi,  et  les  efforts  de  Jack- 
son, Lee,  Witt  et  Longstreet,  dont  nous  avons  les  troupes 
devant  nous,  seront  inutiles  ;  mais  les  nôtres  sont  fatiguées, 
elles  se  battent  depuis  le  matin;  elles  n'ont  presque  plus 
de  cartouches. 

L'ennemi  amène  des  réserves  que  depuis  midi  il  a  amas- 
sées. Ces  troupes  fraîches  se  jettent  en  bon  ordre  sur 
notre  gauche  qui  s'ébranle,  prend  la  fuite,  et  passant  à 
travers  notre  artillerie,  entraîne  dans  son  désordre  des 
troupes  de  notre  centre.  L'ennemi  s'avance  rapidement. 
Les  états-majors,  nos  deux  neveux  en  tête,  mettent  le 
sabre  à  la  main,  et  se  jettent  dans  la  mêlée  pour  arrêter  les 
fuyards.  On  prend  les  drapeaux  qu'on  plante  en  terre,  et 
autour  desquels  les  plus  braves  se  rallient  par  petits  grou- 
pes. La  fusillade  et  la  canonnade  sont  telles,  que  la  grêle 
des  projectiles  qui  frappe  le  sol  y  soulève  une  poussière 
permanente.  A  ce  moment,  le  général  Gook  fait  une  charge 

7 


98  LETTRE    DE    M.    LE    PRINCE    DE    JOINVJLI.E 

de  cavalerie,  mais  elle  ne  réussit  })as,  et  ses  cavaliers,  à 
leur  retour,  ne  font  qu'augmenter  le  désordre.  Je  fais  de 
vaius  efforts  avec  tous  ceux  qui  se  sentaient  un  j)eu  de 
cœur  pour  arrêter  la  panique. 

J'ai  rejoint  quelques  officiers  qui  s'efforçaient  de  retenir 
l'artillerie,  et  nous  sommes  parvenus  à  l'arrêter  en  lui  bar- 
rant absolument  le  passage  et  en  saisissant  les  chevaux  par 
la  bride.  Deux  ou  trois  pièces  sont  mises  en  batterie  sur  le 
versant  d'une  colline.  Avec  elles,  aux  dernières  lueurs  du 
jour,  nous  avons  travaillé  l'ennemi.  A  ce  moment  est  arri- 
vée la  brigade  irlandaise  de  Magher,  qui  a  poussé  quel- 
ques cris  sauvages  en  se  mettant  en  bataille,  et  l'ennemi 
s'est  arrêté.  A  ce  moment  aussi  j'ai  été  rejoint  par  mes 
neveux,  qui,  chacun  de  leur  côté,  et  agissant  sous  leur 
seule  inspiration,  en  gens  de  cœur  et  d'intelligence,  avaient 
fait  ce  qu'ils  avaient  pu  })0ur  arrêter  le  désastre,  Dieu  soit 
loué!  sans  accident.  No*is  nous  sommes  secoué  les  mains 
cordialement.  Chacun  a  eu  ses  aventures.  Robert,  envoyé 
pour  porter  un  ordre  et  revenant,  a  échappé  à  un  régiment 
ennemi,  croyant  que  c'était  un  des  nôtres.  Il  n'a  été 
détrompé  que  par  la  décharge  du  régiment  sur  lui. 

Paris  a  dirigé  jusqu'au  dernier  moment  le  feu  d'une 
batterie  d'artillerie.  Nos  pertes  sont  très  considérables. 
La  brigade  Sykes  a  perdu  la  moitié  de  son  elfectif,  mais 
l'ennemi  dut  être  abîmé  de  midi  à  six  heures  ;  tous  ses 
elfoi'ts  ont  échoué,  et  en  lin  de  comj)te,  si  une  panicjue  dé- 
plorable nous  a  (ait  perdre  un  demi-mille  de  terrain  avec 
les  canons  et  les  blessés  que  nous  avons  laissés  depuis, 
c'est  le  seul  avantage  qu'il  ait  obtenu.  Deux  régiments,  une 
brigade  fraîche  arrivant  à  proj)os,  eussent  tout  changé  en 
brillant  succès,  mais  c'est  la  chance  de  la  guerre  ! 


LETTRE    DE    M.    LK    PRINCE    DE    JOINVILLE  99 

Je  ne  me  réjouis  que  d'une  chose,  c'est  que  nous  ayons 
retardé  un  départ  obligé  pour  ne  pas  abandonner  l'armée 
dans  sa  situation  critique,  et  que  les  neveux  s'y  soient 
conduits  comme  ils  l'ont  fait. 

Après  la  bataille  du  27  juin,  la  concentration  des  forces 
des  confédérés  était  devenue  évidente.  Il  fallait  se  décider 
à  faire  retraite.  On  se  décida  à  passer  le  White-Oak-Swam, 
derrière  lequel  on  ferait  une  halte  pendant  que  les  bagages 
fileraient  sur  James-River,  où  on  établirait  une  nouvelle 
base  d'opération  sous  la  protection  des  canonnières. 

Cinq  ou  six  mille  voitures  furent  engagées  sur  une  seule 
route,  entre  le  York-River  et  le  James-River.  Le  30  au 
matin,  tout  était  au  delà  du  White-Oak-Swam.  Nous  avons 
quitté  New-Savage-Station,  le  29  au  matin,  par  un  brouil- 
lard épais,  suivi  cette  route  encombrée,  avec  une  masse 
énorme  de  blessés.  Nous  avons  passé  leWhite-Oak-Swamp, 
espèce  de  marécage  boisé.  Mais  quand  nous  arrivons,  la 
tête  de  la  colonne  seule  a  passé,  et  nous  entendons  de  la 
mousqueterie  en  avant  ;  nous  y  courons  et  je  rencontre  K... 
qui  me  dit  que  nous  avons  repoussé  la  cavalerie  ennemie 
qui  voulait  gêner  notre  marche. 

Bientôt  nous  entendons  une  vive  canonnade  à  l'arrière- 
garde.  C'est  l'ennemi  qui  attaque  Sumraer,  qui  n'avait  pas 
quitté  ses  positions  ;  à  la  nuit  nous  campons,  et  au  jîoint 
du  jour,  j'apprends  que  tous  nos  wagons  et  toutes  nos 
troupes  ont  passé  le  White-Oak-Swamp.  Le  lendemain, 
on  se  dirige  par  une  chaleur  accablante  vers  le  James- 
River.  Le  général  en  chef  confère  avec  le  commandant  des 
canonnières,  qui  repart  au  galop  avec  les  neveux.  On  en- 
tend bientôt  le  canon  de  l'ennemi  qui  attaque  Smith  (c'est 
lui  qui  tient  le  White-Oak-Swamp).  Une  autre  attaque  se 


100  LETTRE    DE    M.    LE    PRINCE    DE    .TOINVILLE 

fait  sur  le  centre  de  notre  ligne.  Ces  attaques  mettent  les 
convois  dans  une  sorte  de  déroute.  Le  général  retourne 
avec  nous  aux  canonnières  pour  conférer  avec  le  capitaine 
Rodgers. 

Nous  nous  embarcpuuues  sur  le  Galena.  Pendant  que 
nous  y  sommes,  on  fait  rapport  qu'une  grande  masse  d'en- 
nemis se  dirige  vers  la  position  qu'occupe  Porter.  Par 
suite  nous  remontons  la  rivière  pour  apporter  le  poids  de 
nos  boulets  de  100  dans  la  balance.  Nous  ouvrons  un  feu 
violent. 

Le  lieutenant  est  au  haut  du  mât,  avec  un  officier  du 
Signal-Corps,  qui  télégraphie  avec  les  hommes,  aux  si- 
gnaux de  Porter,  placés  en  haut  d'une  maison  pour  diriger 
notre  feu.  Je  grimpe  aussi  là-haut,  malgré  mes  grandes 
bottes  et  mes  éperons.  Dans  le  feu  de  l'affaire,  on  oublie 
de  gouverner,  et  le  Galena  s'échoue,  chose  désagréable, 
car  dès  que  le  cas  se  présente,  l'ennemi  remplit  le  voisi- 
nage de  tireurs.  Nous  nous  décrochons  enfin,  et  le  feu  de 
Porter  diminue.  On  en  conclut  que  l'ennemi  est  repoussé,  et 
il  y  a  fraternisation  de  jaquettes  bleues,  à  laquelle  je  prends 
part. 

Le  général  retourne  à  son  quartier  général,  nous  nous 
séparons  de  lui,  et  nous  nous  rendons  au  fort  Monroé,  sur 
une  canonnière,  IcJacob-Brll,  qui  allait  porter  des  dépêches. 

Fr.  d'Orléans. 

Tous  les  journaux  d'Europe  raconlèrcnt  la  bril- 
lante conduite  des  princes  d'Orléans,  pendant 
cette  campagne  d'Amérique.  Mais  le  gouverne- 
ment impérial  arrêta  impiloyablcment  à   la  fion- 


PERSÉCUTIONS    EN    FRANCE  101 

lière  ceux  qui  faisaient  la  moindre  allusion 
aux  exilés.  Une  feuille  anglaise  ayant  critiqué  le 
départ  d'Amérique  des  princes,  l'article  fut  répété 
avec  empressement  à  Paris  par  les  feuilles  bona- 
partistes. V Indépendance  belge  avait  publié  la 
très  intéressante  lettre  du  prince  de  Joinville  à 
son  frère  le  duc  d'Aumale,  que  nous  venons  de 
citer.  Non  seulement  le  journal  fut  arrêté  à  la 
frontière,  mais  le  gouvernement  impérial  fit  pour- 
suivre et  condamner  à  200  francs  d'amende 
M.  Viallet,  l'imprimeur,  pour  avoir  livré,  sans 
autorisation  et  dépôt  préalable  au  ministère  de 
l'intérieur,  cent  exemplaires  de  cette  lettre  du 
prince  de  Joinville,  que  M.  Bocher,  mandataire 
des  princes  d'Orléans,  comptait  donner  aux  amis 
de  la  famille  royale. 

Mais  il  ne  s'en  tint  pas  là.  Après  avoir  tout 
d'abord  interdit  la  parole  aux  exilés  et  à  leurs 
défenseurs,  il  fit  insinuer  par  certains  journaux  à 
sa  solde,  que  les  princes  d'Orléans  avaient  «  dé- 
serté la  cause  des  Etats-Unis,  le  jour  où  elle  avait 
cessé  d'être  victorieuse  ».  Ces  journaux,  et  ceux 
qui  les  inspiraient  auraient  dû  avoir  la  bonne  foi 
de  dire  la  vérité,  surtout  en  parlant  d'exilés  aux- 
quels le  silence  était  imposé,  car  quel  est  le  jour- 
nal, à  Paris,  qui  aurait  osé  insérer  une  lettre  d'un 
prince  d'Orléans  ? 

Les  princes  d'Orléans  avaient  fait  leurs  adieux 
au    général    Mac   Clellan,    et    devaient  partir  le 


102  LA    PRESSE    AMÉRICAINE    ET    LES    PRINCES 

24  juin;  leurs  préparatifs  étaient  terminés 
lorsqu'ayant  appris  qu'une  rencontre  était  im- 
minente, ils  restèrent,  et  prirent  part  à  toutes  les 
opérations  de  l'armée  fédérale  jusqu'à  la  fin  de  la 
lutte,  d'une  façon  si  distinguée  qu'ils  furent  pu- 
bliquement félicités  par  leurs  chefs.  Toute  la 
presse  américaine,  entre  autres  le  New-York  Tri- 
bune^ un  des  organes  les  plus  importants  des 
Etats-Unis,  en  retraçant  les  derniers  combats  aux- 
quels prirent  part  M.  le  comte  de  Paris  et  M.  le 
duc  de  Chartres,  fit  le  plus  grand  éloge  des  prin- 
ces, de  leur  hardiesse  et  des  importants  services 
qu'ils  avaient  rendus  en  ralliant  et  reformant  les 
bataillons  fédéraux  qui  pliaient,  accablés  par  le 
nombre  toujours  croissant  de  leurs  adversaires. 

Ce  silence  rigoureux  imposé  à  la  presse  fran- 
çaise sur  le  nom  des  princes  d'Orléans  montre  à 
quel  point  le  gouvernement  bonapartiste  redou- 
tait le  souvenir  de  ces  noms  si  populaires. 

Nous  trouvons  dans  le  troisième  volume  d'un 
ouvrage  dont  le  succès  a  été  considérable  -.Voyage 
autour  du  Monde,  du  comte  de  Beauvoir  :  Pé- 
kin, Yeddo,  San  Francisco  ,  la  preuve  des  bons 
souvenirs  des  compagnons  d'armes  des  jeunes 
princes. 

M.  de  Beauvoir  s'exprime  ainsi  : 

18  juin   18f.7. 

Le  général  Mac  Dowell,  qui  a  le  coiiiinandonicnt  de  toute 
la  côte  du  Paeilique,  est  venu  voir  !p  duc   de  Penthièvre; 


LE    GÉNÉRAL    MAC    DOWELL    ET    LES    PRINCES  103 

c'est  un  ancien  compagnon  d'armes  du  comte  de  Paris  et 
du  duc  de  Chartres;  et  nous  étions  tous  émus  en  l'enten- 
dant parler  de  ses  souvenirs  de  batailles  et  de  son  dévoue- 
ment pour  les  princes.  «  Ah  !  votre  père  et  vos  cousins, 
disait-il,  sont  si  sincèrement  aimés  par  tous  les  Américains, 
que  nous  voulons  venir  vous  dire  toute  notre  reconnais- 
sance et  notre  attachement  pour  votre  famille.  L'Améri- 
cain n'a  pas  les  formes  du  langage,  mais  il  a  le  cœur  haut 
placé,  et  il  n'en  est  pas  un  qui  ne  veuille  se  souvenir  de  ce 
que  les  vôtres  ont  fait  pour  nous.  Quand  on  nous  mépri- 
sait en  Europe,  quand  on  disait  que  nous  allions  «  to  the 
devil  »  (au  diable),  quand  toutes  les  nations  nous  cri- 
blaient d'injures,  nous,  les  démocrates,  des  princes  de 
race  royale  sont  venus  franchement  donner  leur  sang  pour 
notre  cause,  combattre  en  simples  capitaines  dans  nos 
rangs,  pour  la  liberté.  Dites-leur  bien  que  nous  leur  en 
serons  éternellement  reconnaissants,  car  nous  les  avons 
vus  pendant  onze  mois  les  premiers  au  feu,  les  plus  infati- 
gables, les  plus  avides  des  corvées  du  service  militaire,  et 
es  meilleurs  camarades  comme  les  plus  braves* » 

Il  sera  certainement  intéressant  pour  le  lecteur 
de  connaître  aussi  l'appréciation  du  commandant 
en  chef  de  l'armée  américaine,  le  général  Mac 
Clellan,  sur  les  jeunes  princes  d'Orléans  pendant 
cette  guerre. 

1.  Voir,  pour  les  détails  de  la  campagne  d'Amérique  des 
princes,  le  très  curieux  et  intéressant  article  publié  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes  du  15  octobre  1862,  Campagne  du 
Potoniac,  par  M.  le  prince  de  Joinville  (signé  Trognon,  dans  la 

Revue). 


104  LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PRINCES 

Une  revue  américaine,  le  Centiiry  Magazine, 
publia  au  commencement  de  1884  un  long  arlicle 
du  général  Mac  Clcllan. 

Le  général  Mac  Clellan  était,  on  le  sait,  un  des 
plus  distingués  parmi  les  généraux  que  la  grande 
guerre  de  la  sécession  a  mis  en  lumière.  Nous  re- 
grettons de  ne  pouvoir  reproduire  dans  son  entier 
le  jugement  de  ce  militaire  éminent  sur  des 
princes  qui  sont  eux-mêmes  des  soldats  aussi  vail- 
lants que  capables.  Nous  nous  bornerons  à  déta- 
cher des  pages  du  général  Mac  Clellan  le  por- 
trait de  M.  le  comte  de  Paris,  tout  en  laissant  dans 
Tombre  les  parties  de  la  vie  du  prince  déjà  con- 
nues du  public  français.  Après  un  récit  des  évé- 
nements qui  avaient  conduit  les  princes  d'Orléans 
en  Angleterre,  le  général  Mac  Clellan  apprécie 
de  la  manière  suivante  l'éducation  qui  fut  donnée 
à  Claremont  à  M.  le  comte  de  Paris  : 

«  C'était  un  des  plus  agréables  tableaux  de  la 
vie  de  famille  quon  puisse  imaginer  que  l'exis- 
tence qu'on  menait  à  Claremont  pendant  les  der- 
nières années  de  la  vie  de  la  reine  Amélie.  Ses 
enfants  se  réunissaient  autour  d'elle,  et,  si  pas- 
sionnés qu'ils  fussent  pour  les  voyages,  ils  reve- 
naient toujours  auprès  d'elle.  Eloignés  de  la 
patrie,  qu'ils  aimaient  tant,  ils  semblaient  trouver 
une  compensation  dans  les  tendres  soins  et  l'af- 
fection qu'ils  prodiguaient  à  cette  femme  distin- 
guée, qui,  tout  en  gardant  sa  dignité  de  reine,  ne 


LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PBINCES  105 

laissait  jamais  oublier  à  ceux  qui  l'entouraient 
qu'elle  était  en  même  temps  une  femme  affec- 
tueuse et  des  plus  dignes  d'affection.  Sous  la 
direction  de  leur  mère  et  de  leurs  oncles,  assistés 
des  professeurs  les  plus  capables,  les  deux  en- 
fants de  la  duchesse  d'Orléans  passèrent  là  leur 
enfance  et  reçurent  une  éducation  dans  laquelle 
on  ne  perdait  jamais  de  vue  la  position  que  leur 
famille  avait  occupée  et  la  possibilité  de  leur 
retour  en  France  avec  les  responsabilités  du  pou- 
voir. Leur  corps  et  leur  intelligence  furent  égale- 
ment l'objet  d'une  éducation  des  plus  fortes. 

«  Les  différences  de  caractère  entre  les  deux 
frères  se  manifestèrent  de  bonne  heure  :  l'aîné, 
calme,  réfléchi  et  maître  de  lui-même;  le  plus 
jeune,  impétueux  et  plein  de  feu;  l'un  montrant 
peu  à  peu  les  qualités  d'un  homme  politique  et 
d'un  chef  d'Etat;  l'autre,  celles  d'un  soldat  :  tous 
deux  pleins  de  capacités,  chacun  dans  son  sens. 

«  Ceux  qui  les  ont  vus  sur  le  champ  de  bataille 
ont  remarqué  ces  différences  de  caractère.  Un  de 
leurs  camarades  pendant  notre  guerre  représente 
le  comte  de  Paris  comme  «  un  gentleman,  au  sens 
«  du  mot  tel  que  nous  l'entendons,  imbu  du  vrai 
«  sentiment  du  devoir,  pour  qui  la  devise  :  No- 
te blesse  oblige,  était  une  chose  sérieuse  et  non 
«   un  vain  mot.   » 

«  A  la  bataille  de  Gaine's  Mill,  où  je  l'ai  vu  au 
feu,  il  s'est  conduit  en  homme  parfaitement  maître 


106  LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PRINCES 

de  lui-même,  et  a  montré  un  courage  si  plein  de 
simplicité  que  je  me  rappelle  avoir  été  fortement 
impressionné  par  son  altitude.  C'était  celle  d'un 
homme  sérieux,  vaillant  et  religieux,  dans  un  mo- 
ment d'épreuve.  Le  jeune  duc  de  Chartres  était 
alors  un  sabreur  impétueux,  cherchant  le  danger 
pour  l'amour  du  danger,  et  jamais  aussi  heureux 
que  lorsqu'il  était  au  feu. 

«  Au  mois  d'août  1861,  les  deux  frères,  accom- 
pagnés du  prince  de  Joinville,  partirent  pour 
New^-York.  Ils  arrivèrent  à  Washington  vers  la  fin 
de  septembre,  et  les  jeunes  princes  reçurent  aus- 
sitôt du  président  l'autorisation  d'entrer  dans  l'ar- 
mée comme  aides  de  camp,  avec  dispense  de  prê- 
ter le  serment  de  fidélité,  et  sans  toucher  de 
solde  ;  il  était  entendu,  en  outre,  qu'il  leur  serait 
permis  de  quitter  le  service  si  des  événements  de 
famille  ou  des  événements  politiques  leur  en  fai- 
saient une  nécessité.  Ils  figuraient  sur  les  regis- 
tres de  l'armée  sous  les  noms  de  Louis-Philippe 
d'Orléans  et  Robert  d'Orléans,  aides  de  camp 
supplémentaires  dans  l'armée  régulière,  avec  le 
rang  de  capitaine,  et  étaient  attachés  à  l'état-ma- 
jor  du  major  général,  commandant  l'armée  du 
Potomac.  Le  prince  de  Joinville  n'accepta  aucun 
rang  et  se  borna  à  accompagner  le  quartier  géné- 
ral, sur  Tinvitation  du  général  commandant  en 
chef,  en  amateur  et  comme  ami. 

«  La  position  de  ces  jeunes  gens  ne  laissait  pas 


LE  GÉNÉRAL  MAC  CLELLAN  ET  LES  PRINCES     107 

que  d'être  enlourée  de  difficultés.  Dans  leur  situa 
tion  de  princes  susceptibles  d'être  à  chaque  ins- 
tant appelés  à  prendre  leur  rang  dans  le  gouver- 
nement d'une  grande  nation,  et  servant  néan- 
moins dans  l'armée  d'une  république  dont  la 
cause  n'était  pas  vue  d'un  œil  très  amical  par  le 
gouvernement  qui  dirigeait  alors  leur  propre 
pays,  ils  avaient  beaucoup  de  contradictions  à 
concilier,  beaucoup  d'obstacles  à  surmonter.  Atta- 
chés par  des  liens  de  famille  à  tant  de  familles 
royales  d'Europe,  toujours  accueillis  par  elles 
comme  des  personnages  de  rang  royal,  l'aîné 
considéré  en  France  par  beaucoup  de  personnes 
comme  le  légitime  héritier  du  trône,  ils  ne  pou- 
vaient jamais  perdre  de  vue  la  dignité  de  leur  posi- 
tion, tandis  qu'il  leur  fallait  en  môme  temps  rem- 
plir leurs  fonctions  dans  un  rang  subordonné  et 
gagner  la  confiance  et  l'amitié  de  leurs  nouveaux 
camarades,  qui  devaient  forcément  les  juger 
d'après  leurs  qualités  et  leurs  capacités  person- 
nelles, et  non  d'après  la  position  sociale  qu'ils 
occupaient  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique.  Ils  s'ac- 
quittèrent de  cette  tâche  avec  un  succès  complet; 
car  ils  gagnèrent  entièrement  la  confiance,  le  res- 
pect et  la  considération  de  leur  général  et  de  leurs 
camarades.  Du  jour  où  ils  entrèrent  au  service, 
ils  eurent  à  remplir  exactement  les  mêmes  devoirs 
que  leurs  camarades  dans  l'état-major  personnel 
de  leur  général. 


108  LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PRINCES 

«  Soit  dans  le  service  monotone  des  bureaux 
ou  dans  l'analyse  intelligente  des  rapports  relatifs 
au  nombre  et  à  la  position  des  ennemis,  ou  bien 
dans  les  travaux  d'organisation  de  l'armée  de  Po- 
tomac;  soit  qu'il  fallût  suivre  leur  général  dans 
de  longues  et  pénibles  courses  à  travers  les  camps 
très  étendus  qui  entouraient  Washington  ou 
d'une  colonne  à  l'autre ,  en  campagne  ;  qu'ils 
eussent  à  porter  des  ordres  jour  et  nuit,  sous 
l'orage  et  la  pluie,  ou  à  remplir  leurs  fonctions 
dans  de  grandes  batailles,  ils  ne  le  cédaient  à  per- 
sonne pour  l'entrain,  le  tact,  le  courage  et  l'intel- 
ligence qu'ils  apportaient  dans  l'accomplissement 
de  leur  tâche.  Loin  de  témoigner  aucun  désir 
d'éviter  les  services  ennuyeux,  fatigants  ou  dan- 
gereux, ils  les  recherchaient  toujours;  ils  n'é- 
taient jamais  aussi  heureux  que  lorsqu'un  service 
de  ce  genre  leur  était  confié,  et  ne  manquaient 
jamais  d'y  déployer  les  grandes  qualités  d'une 
race  de  soldats. 

«  Leur  conduite  était  caractérisée  par  un  amour 
inné  de  la  vie  de  soldat,  par  un  désir  ardent  de  se 
perfectionner  dans  la  profession  des  armes  par  la 
pratique  réelle  de  la  guerre  sur  unegrande  échelle 
et  par  un  dévouement  absolu  au  service.  En  outre 
de  cela,  ils  étaient  avec  nous  de  tète  et  de  cœur  à 
l'heure  de  nos  épreuves,  et  je  crois  qu'après  leur 
propre  patrie  le  pays  qu'ils  aiment  le  plus  est  le 
nôlre,  celui  [)our  lequel  ils  ont  si  généreusement 


LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PRINCES  1.09 

et  si  souvent  exposé  leur  vie  sur  les  champs   de 
bataille. 

«  Peu  de  temps  après  le  commencement  de  la 
campagne  de  la  péninsule,  les  princes  furent  for- 
tement pressés  par  leurs  amis  de  France  de  reve- 
nir   immédiatement     en    Angleterre,     tant  pour 
recevoir  les  nombreux  membres  de  leur  parti  qui 
devaient  visiter  l'exposition  de  1862,    que   parce 
que    l'expédition     du    Mexique    avait    fortement 
tendu  les  relations  entre  notre  pays  et  la  France. 
Ils  tinrent  absolument  à  rester  avec  l'armée  jus- 
qu'à la  fin  de  la  bataille  des  sept  jours,  et  ne  se 
décidèrent  à  partir  que  lorsqu'ils  furent  convain- 
cus qu'il  élait  improbable  qu'on  reprit  les  opéra- 
tions contre  Richmond. 

«  Dans  une  lettre  jointe  au  document  qui  conte- 
nait sa  démission,  le  comte  de  Paris  écrivait  : 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  remettre  ci-inclus  ma  démission 
dans  la  forme  que  vous  m'avez  indiquée.  Vous  savez  quels 
motifs  impérieux  nous  rappellent  en  Euro[)e,  mon  frère  et 
moi.  C'est  avec  une  profonde  émotion  que  nous  nous  sépa- 
rons d'une  armée  dont  nous  avons  si  longtemps  partagé  le 
sort,  et  dans  les  rangs  de  laquelle  nous  avons  rencontré  un 
accueil  si  cordial.  Nous  sommes  heureux  d'avoir  pu  du 
moins  retarder  assez  notre  départ  pour  assister  avec  vous 
aux  grands  événements  de  ces  derniers  jours 

«  Depuis  leur  retour  en  Europe  jusqu'à  l'époque 
de  la  guerre  entre  la  France  et  l'Allemagne,  les 


liO  LE    GÉNÉRAL    MAC    CLELLAN    ET    LES    PRINCES 

jeunes  princes  s'occupèrent  de  voyages  et  de  tra- 
vaux littéraires.  Peu  de  temps  après  la  fin  de  notre 
guerre  civile,  le  comte  de  Paris  entreprit  la  tâche 
difficile  d'écrire  une  histoire  détaillée  de  cette 
lutte  remarquable.  Il  apporta  à  cette  œuvre  une 
somme  de  talent  littéraire,  d'impartialité,  de  juge- 
ment sûr  et  de  travail  patient  qui  Tont  placé,  dans 
l'opinion  de  beaucoup  de  juges  compétents,  au 
premier  rang  des  historiens  de  la  guerre  civile. 

«  11  n'a  épargné  ni  travail  ni  dépenses  pour  re- 
cueillir les  données  nécessaires.  L'arrangement 
des  matériaux,  les  opinions  exprimées,  la  compo- 
sition littéraire,  sont  entièrement  de  lui,  et  l'ou- 
vrage est,  dans  le  sens  le  plus  absolu  du  mot,  son 
œuvre  et  non  celle  d'un  autre  mise  sous  son  nom. 
Le  premier  volume  a  été  publié  en  1874  ;  le  sixième, 
qui  a  paru  cette  année,  comprend  Gettysburg  et 
Mine-Run.  Tout  en  préparant  cet  ouvrage  impor- 
tant, il  s'engageait  dans  d'autres  travaux  littéraires 
d'un  caractère  entièrement  différent. 

«  A  son  retour  d'Amérique,  il  trouva  la  «  disette 
«  de  coton  »  dans  son  plein,  et  il  alla  à  Manchester 
étudier  soigneusement  le  vaste  système  organisé 
pour  venir  en  aide  à  la  population  souffrante  du 
Lancashire. 

«  Dans  le  but  de  donner  les  renseignements  né- 
cessaires pour  organiser  un  système  analogue  en 
France,  il  écrivit  un  ailiclc  inlilulé  :  Une  semaine 
de  Noël  dans  le  Lancashire.   (domine  le  gouverne- 


LE    C4ÉXÉRAL    MAC    CLELLAX    ET    LES    PRINCES  111 

ment  impérial  ne  permettait  de  publier  en  France 
aucun  article  sous  le  nom  d'un  prince  d'Orléans, 
l'article  parut  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du 
j^er  février  1863  sous  la  signature  d'Eugène  For- 
cade. 

«  Son  intérêt  ayant  été  éveillé  par  cette  étude 
préliminaire  sur  l'état  des  classes  laborieuses,  il 
poursuivit  ce  sujet  avec  beaucoup  d'ardeur,  et  pu- 
blia en  1869  un  ouvrage  étendu  sur  les  Trade's 
Unions  en  Angleterre.  Ce  livre  obtint  un  grand 
succès,  et  il  est  remarc{uable  par  le  grand  nombre 
et  la  précision  des  renseignements  qu'il  contient, 
par  la  sagesse  de  ses  conclusions,  son  impartialité, 
son  libéralisme  et  l'élévation  des  sentiments. 

((  Le  chapitre  final  sur  l'avenir  des  Trade's 
Unions  et  la  liberté  politique  est  en  réalité  un  ré- 
sumé des  idées  de  l'écrivain  sur  une  des  plus  im- 
portantes fonctions  du  gouvernement. 

«  Il  se  fait  l'avocat  de  la  liberté  politique  la  plus 
étendue,  de  l'entière  liberté  de  la  presse  et  du 
droit  absolu  de  former  des  associations,  de  se  réu- 
nir et  de  discuter  au  grand  jour  toutes  les  ques- 
tions politiques,  sociales  et  économiques,  comme 
étant  le  meilleur  et  l'unique  moyen  de  prévenir 
ces  explosions  de  violence  populaire  qui,  favori- 
sées par  la  répression  et  la  tendance  naturelle  à 
chercher  un  refuge  dans  les  sociétés  secrètes,  ont 
si  souvent  eu  en  Europe  des  résultats  funestes.  Il 
croit  que  ce  n'est  que  par  la  liberté  de  discussion 


112  LE    GÉXÉRAL    :MAG    Cr,ELLAN    ET    LES    PRINCES 

qu'on  peut  rectifier  les  opinions  extrêmes  et  arri- 
ver à  des  conclusions  sérieuses  et  solides.  Ce 
chapitre,  et  aussi  l'ouvrage  tout  entier,  récompen- 
sera largement  du  temps  qu'ils  consacreront  à  le 
lire  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  cette  grande 
question  du  présent  et  de  l'avenir,  les  relations 
du  capital  et  du  travail.  Dans  ce  livre  il  soutient 
aussi  la  thèse  qu'il  serait  bon  d'appliquer,  partout 
où  cela  est  possible,  le  système  de  la  participation 
aux  bénéfices.  » 

Le  général  Mac  Clellan  énumère  ensuite  les 
travaux  publiés  par  M.  le  comte  de  Paris  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes.  Toutes  ces  publications 
sont  faites  pour  donner  une  haute  idée  du  talent 
littéraire  du  prince  et  de  la  portée  de  son  esprit'. 

De  retour  en  Europe,  M.  le  comte  de  Paris,  comme 
délassement  à  l'activité  et  aux  fatigues  du  soldat, 
se  donna  tout  entier  à  ces  travaux  sérieux  de  l'es- 
prit auxquels  Pavaient  préparé  les  fortes  études 
de  son  adolescence.  Il  fit  paraître  plusieurs  publi- 
cations importantes  dont  les  sujets  divers  attestent 
une  généralité  de  connaissances  et  une  profondeur 
de  vues  qu'on  rencontre  rarement  chez  les  hommes 
d'un  âge  mûr,  en  même  temps  qu'elles  témoignent 

1.  \u' United  Service  Magazine  de  New- York,  ayant  demandé 
à  M.  le  comte  de  Paris  quelques  pages  sur  le  général  Mac 
Clellan  qui  venait  de  mourir,  le  prince  lui  adressa  un  opus- 
cule des  plus  intéressants,  que  publia  la  licvue  militaire  suisse 
et  ['Avenir  militaire,  à  Paris,  dans  ses  numéros  des  13,  17, 
20,  24  et  27  mai  1887. 


M^'"  LE  COMTE  DE  PARIS  ET  LES  QUESTIONS  OUVRIÈRES   113 

de  l'intention  vraiment  philanthropique  de  l'écri- 
vain et  du  penseur,  La  seide  nomenclature  de  ses 
ouvrages  (qui,  pour  la  plupart,  dans  La  France  im- 
périale, durent  paraître  sous  d'autres  noms  que  le 
sien,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  vu)  suffirait  pour  attester 
chez  le  prince  les  souples  facultés  d'un  esprit  for- 
tifié et  agrandi  par  une  instruction  aussi  solide  que 
variée.  Quelques-uns  de  ces  travaux  d'histoire,  de 
philosophie  et  de  politique,  à  l'époque  de  leur 
publication,  produisirent  en  France  une  sensation 
marquée;  malgré  le  pseudonyme  adopté  et  parfois 
changé,  le  nom  de  l'écrivain  circula  dans  les 
salons  et  même  dans  les  journaux. 

C'était  à  la  fin  de  1862,  le  prince  revenu  d'Amé- 
rique au  mois  de  juillet,  après  avoir  bravement 
pris  part  à  cette  grande  guerre,  qui  se  termina  par 
l'affranchissement  de  quatre  millions  d'esclaves, 
voulut  étudier  par  lui-môme,  et  dans  les  plus  petits 
détails,  les  questions  ouvrières.  Il  visita  les  dis- 
tricts du  nord  de  l'Angleterre  et  principalement 
le  comté  de  Lancastre  qui  traversait  alors  une  crise 
très  pénible.  La  guerre  d'Amérique  avait  inter- 
rompu la  production  du  coton  dans  l'Amérique  du 
Nord,  et  par  contre-coup  les  filatures  anglaises 
avaient  dû  se  fermer.  La  misère  était  extrême  ;  près 
de  500,000  individus,  hommes,  femmes,  enfants, 
étaient  sans  ouvrage,  et  de  là  sans  ressources. 
L'Angleterre  s'était  émue,  des  comités  se  formaient 
de  tous  côtés,  pour  venir  en  aide  aux  malheureux 

8 


114      M^'"'  LE  COMTE  DE  PARIS  A  MANCHESTER 

ouvriers.  C'est  à  étudier  cette  organisation  de  la 
charité  que  M.  le  comte  de  Paris  consacra  la  se- 
maine de  Noël  en  1862.  La  Recrue  des  Deujc  Mondes^ 
du  l*^'' février  1863,  publiait  un  très  intéressant  tra- 
vail que  le  prince  terminait  par  ces  lignes  : 

Un  des  plus  beaux  progrès  de  notre  siècle  est  d'avoir 
élevé  la  charité  au  rang  d'un  devoir  social  et  d'un   droit 

politique Pour  se  rendre  un  compte  précis  et  complet 

du  phénomène  de  misère  et  de  charité  qui  se  produit  en 
ce  moment  en  Angleterre,  il  faut  aller  en  quelque  sorte  de 
la  charité  à  la  misère. 

Puis  il  décrivait  la  distribution  des  secours  à 
l'Hôtel  de  Ville  de  Manchester,  où  les  hommes  les 
plus  riches,  et  ayant  la  situation  la  plus  élevée, 
venaient  passer  plusieurs  heures,  chaque  jour, 
dans  une  petite  salle  basse,  obscure,  éclairée  au 
gaz  en  plein  jour,  pour  distribuer  les  secours  aux 
malheureux. 

Après  s'être  bien  rendu  compte  de  la  manière 
dont  fonctionnait  ce  comité,  le  prince  allait  visiter 
les  magasins  où  étaient  classés  les  dons  en  nature, 
puis  il  assistait  aux  distributions  de  vivres  et  aux 
repas  servis  aux  enfants  dans  les  écoles. 

On  sait  qu'en  Angleterre  le  jour  de  Noël  est  le 
grand  jour  de  fête.  Les  comités  de  secours  avaient 
voulu  célébrer  la  fête  avec  «  la  grande  famille  des 
])auvrcs  ».  La  plus  importante  salle  de  la  mairie 
de  la  grande  ville  industrielle  de  Blackburn  reçut 


UNE  FÊTE  DE  NOËL  EN  ANGLETERRE         115 

pendant  plusieurs  jours,  successivement,  tous  les 
pauvres  de  la  ville.  Chaque  prêtre  ou  ministre 
devait  amener  son  école. 

A  midi    et   demi,    dit  M.   le  comte  de  Paris,  la  ville,  si 
morne  tout  à  l'heure,  prenait  un  air  de   fête  inusité.   Les 
écoles  sortaient,  précédées  des  ministres  en  robe,  et  quel- 
quefois  aussi   de  tambours;    toutes   sortes    de    bannières 
ornaient  la  procession.  Il  y  a  trente  ans,  de  pareilles  dé- 
monstrations  dans  un   moment  de  crise  comme    celui-ci 
auraient  infailliblement  amené  des  troubles;  mais   depuis 
lors,  les  esprits  ont  fait  bien  des  progrès!  Les  bannières  ne 
portent  d'autre  inscription    que    God   sape   the   qiicen,  et 
chacun  ne  songe   qu'à  oublier  un  moment  des  souffrances 
dont  personne  n'est  coupable.   En  suivant  la  procession, 
j'entrai  dans   la  salle  qui   se  remplissait  rapidement;  les 
ouvriers  prenaient  place  en  rangs,  devant  de  longues  tables 
serrées  les  unes  contre  les  autres.  Une  estrade  était  dres- 
sée pour  les  visiteurs,  mais  les  ministres  avaient  leur  table 
dressée  au  milieu  de  celles  des  ouvriers,  dont  ils  tenaient 
à  partager  le  dîner.    Après  une  espèce   d'hymne,   chantée 
debout,  par  tous  les  ouvriers,  le  dîner  commence  joyeuse- 
ment et  se  continue  bruyamment.  En  ayant   pris   ma  part, 
je  puis  certifier  qu'il  était  fort  bon.  Et  quand  je  quittai  la 
salle,  pressé  par  l'heure  du  chemin   de  fer,  je  rencontrai 
encore  une    longue  file  de  roast-beefs   fumants  qui  mon- 
taient l'escalier  de  l'IIAtel  de  Ville.  Il  n'y  avait  pas  besoin 
de  souhaiter  bon  appétit  à  ces  braves  gens,  qui  terminaient 
dans  lajoie  une  année  si  fertile  en  souffrances!    Et  quelque 
menaçantes  que  soient  les  perspectives  de  l'année  nouvelle, 
la  satisfaction  peinte  sur   tous   ces  honnêtes   visages    me 


116       OUVRAGES  DE  M^'  LE  COMTE  DE  PARIS 

donnait  bon  espoir  pour  l'avenir.  Je  n'y  voyais  pas  seule- 
ment le  signe  d'une  grande  crise,  victorieusement  traversée, 
grâce  à  la  charité  spontanée  de  tous  les  rangs  delà  société, 
mais  surtout  le  gage  d'une  union  })lus  intime  entre  les 
classes  propriétaires  et  les  classes  ouvrières  ;  union  fondée 
sur  une  confiance  et  une  estime  réciproques,  et  sur  la  saine 
connaissance  des  intérêts  communs,  qui  les  rendent  soli- 
daires; garantie  la  plus  sûre  de  l'ordre  public  chez  les 
peuples  libres,  et  base  nécessaire  de  toute  liberté  dans  nos 
sociétés  modernes. 

M.  le  comte  de  Paris  aurait  pu  passer  cette 
semaine  de  Noël  dans  l'opulente  demeure  de 
quelque  grand  personnage  anglais  qui  l'aurait 
accueilli  avec  le  plus  vif  empressement.  11  avait 
préféré  consacrer  son  temps  à  cette  étude  de  la 
misère  pour  voir  de  près  comment  on  peut 
la  secourir  et  la  soulager. 

Deux  écrits  de  M.  le  comte  de  Paris,  Une  Semaine 
dans  le  Lancashire  (1"  février  1863)  et  V Allemagne 
nouvelle  [i''^  août  1867),  coup  d'œil  prophétique  en 
quelque  sorte  sur  les  développements  de  la 
puissance  militaire  de  la  Prusse  et  la  constitution 
de  l'Allemagne  après  Sadowa,  parurent  dans  la 
Bévue  des  Deux  Mondes,  sous  la  signature 
d'Eugène  Forcade. 

L'article  du  prince  sur  l'Allemagne  nouvelle  n'a 
plus  qu'un  intérêt  rétrospectif,  cependant  il  est 
intéressant  de  voir  M.  le  comte  de  Paris  montrer 
l'Allemagne,  après  être  devenue  la  première  puis- 


OUVRAGES  DE  M°''  LE  COMTE  DE  PARIS       117 

sance  militaire  d'Europe,  chercher  à  devenir  une 
puissance  militaire  et  coloniale. 

Sous  la  signature  de  M.  X.  Raymond  paraissait 
aussi,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  le  15  mai 
1868,  un  article  qui  fut  fort  remarqué  :  L'Église 
d'Etat  et  l'Église  libre  en  Irlande. 

M.  le  comte  de  Paris,  en  étudiant  à  Manchester 
les  questions  ouvrières,  }  fit  la  connaissance  d'un 
vieillard,  ancien  ouvrier,  M.  Mandley,  un  de  ces 
réformateurs  honnêtes,  hélas  !  trop  rares  en  France, 
un  de  ces  hommes  qui  demandent  à  la  raison,  et 
non  à  la  violence,  l'amélioration  du  sort  des 
ouvriers.  C'est  à  la  suite  de  cette  excursion  que 
M.  le  comte  de  Paris  écrivit  son  livre  sur  les 
Associations  ouvrières  en  Angleterre  (Traders 
unions).  L'ouvrage  publié  en  1869,  d'abord  sans 
nom  d'auteur,  obtint  un  très  réel  succès.  On 
remarqua  l'exactitude  des  informations,  les  idées 
élevées  et  libérales  d'un  auteur  bien  pénétré  de 
son  sujet. 

En  homme  qui  a  conservé  dans  le  cœur  le  sou- 
venir de  la  première  éducation  de  son  enfance, 
M.  le  comte  de  Paris  termine  son  livre  des  Asso- 
ciations ouvrières  en  Angleterre^  par  ces  lignes 
qui  témoignent  d'un  esprit  vraiment  libéral  : 

En  inoatrant  l'influence  de  la  liberté  politique  sur  les 
questions  sociales  en  Angleterre,  croyons-nous  avoir  cité 

1.  Paris,  Gernier-Baillière,  1869. 


118       OUVRAGES  DE  M^""  LE  COMTE  DE  PARIS 

un  exemple  encourageant  pour  ceux  qui  se  préoccupent  de 
l'avenir  de  ces  mêmes  questions  en  France.  Faudrait-il  né- 
gliger un  pareil  enseignement,  sous  prétexte  que  les  carac- 
tères particuliers  de  la  Constitution  britannique  ne  nous 
permettent  pas  de  profiter  des  expériences  faites  sous  son 
égide  ?  Nous  ne  le  cro3ons  pas,  car  ce  serait  exagérer  l'im- 
portance des  rouages  anciens  et  compliqués  qui  la  com- 
posent. En  effet,  malgré  tous  les  artifices  de  rédaction,  les 
constitutions  n'obéissent  jamais  qu'à  un  seul  moteur  ;  celle 
où  se  balanceraient  des  pouvoirs  réellement  indépendants 
serait  brisée  par  leur  choc,  comme  une  machine  soumise 
à  des  forces  contraires.  Ce  n'est  pas  telle  ou  telle  pièce, 
inconnue  ailleurs,  qui  a  soutenu  la  Constitution  anglaise  au 
milieu  de  toutes  les  transformations  politiques  et  sociales 
de  notre  siècle  :  c'est  ce  moteur  destiné  à  exercer  dans  tous 
les  pays  libres  la  même  autorité  souveraine,  et  qui  s'ap- 
pelle l'opinion  publique.  Quelque  diverses  que  soient 
dans  tous  ces  pays  les  institutions  j)ar  lesquelles  agit  la 
puissance  de  l'opinion,  elles  peuvei^.t  toujours  se  comparer 
aux  traductions  en  langages  variés  d'une  seule  et  même 
pensée.  Comment  serions-nous  condamnés,  nous  seuls,  à 
n'avoir  pas  un  langage  à  nous  pour  la  rendre? 

Pas  plus  que  d'autres,  nous  ne  sommes  exclus  de  cette 
liberté  politique  à  laquelle  ont  droit  toute  race  et  toute  con- 
trée. Le  remède  (jue  la  liberté  [)oliti(iue  apporte  aux  dan- 
gers soulevés  par  les  questions  sociales  est  également  effi- 
cace chez  tous  les  peuples  qui  le  savent  applitpier  ;  et  il 
n'est  plus  maintenant  une  seule  nation  jalouse  de  conser- 
ver son  rang  dans  le  monde,  qui  i)uisse  traiter  celle  liberté, 
attribut  suprême  de  l'homme  civilisé,  comme  un  simple 
objet  de  luxe  dont  on  se  pare  un  jour,  et  que  le  lendemain 
on  dédaigne  inq)un(Muent. 


OUVRAGES  DE  M^'''  LE  COMTE  DE  PARIS        119 

«  De  telles  opinions,  dit  avec  justesse,  M.  Vic- 
torien Jusserand,  dans  un  curieux  et  intéressant 
travail*,  trouvent  plus  d'écho  dans  le  cœur  d'un 
peuple  que  les  apologies  illustrées  et  intéressées 
de  la  vie  de  ces  conquérants  qui  n'ont  pas  fait  faire 
un  pas  à  l'humanité,  qui  torturaient,  massacraient 
les  otages  et  qui  furent  les  bourreaux  de  Vercin- 
gétorix.  De  telles  existences  ainsi  employées  dans 
l'exil  n'ont  certes  rien  à  envier  à  d'autres  desti- 
nées, qui  se  sont  accomplies  en  même  temps  dans 
la  patrie!  Et  pendant  ces  vingt-trois  années  de  la 
jeunesse  de  ces  fils  et  petit-fils  du  roi  Louis-Phi- 
lippe, ajoute  M.  Jusserand,  pas  une  démarche, 
pas  un  mot  ne  sont  venus,  je  ne  dis  pas  repro- 
cher, mais  même  rappeler  à  la  France  que  ces 
princes  en  avaient  été  éloignés  «  sans  avoir  violé 
«aucune  loi,  sans  avoir  mérité  leur  sort  par  aucune 
«  faute,  et  après  l'avoir  fidèlement  servie  ». 

A  la  fin  de  1870,  le  Courrier  de  la  Gironde  publiait 
des  articles  de  M.  le  comte  de  Paris  :  V Esprit  de 
conquête  e/i  1870,  qui  montraient  chez  leur  auteur 
des  idées  sagement  libérales.  Enlisant  ces  lignes  il 
était  impossible  de  ne  pas  remarquer  que  le  prince 
avait  beaucoup  lu,  beaucoup  vu,  et  savait  apprécier 
pour  une  nation  les  bienfaits  d'un  gouvernement 
libre .  Ce  fut  la  dernière  des  publications  faites 
par  le  prince  pendantles longues  heures  de  l'exil. 

1.  Le  salut  est  là,  page  27,  par  M.  Victoria  Jusserand,  maire 
de  Montpensier  (Puy-de-Dôme). 


120  MARIAGE    DE    M^""    LE    COMTE    DE    PARIS 

En  1863,  M.  le  duc  de  Chartres  prenait  pour 
femme  sa  cousine  la  princesse  Françoise  de  Join- 
ville,  et  on  parlait  tout  bas  déjà  du  mariage  de 
son  frère.  Il  eut  lieu  l'année  suivante. 

Le  30  mai  1864,  M.  le  comte  de  Paris  épousait 
sa  cousine  la  princesse  Isabelle,  fille  aînée  du  duc 
de  Montpensier,  née  à  Séville  le  21  septembre  1848. 
La  bénédiction  nuptiale  fut  donnée  aux  jeunes 
époux  dans  la  chapelle  catholique  de  Kingston, 
petite  ville  du  comté  de  Surrey  (Angleterre)  \ 

Les  jours  qui  précédèrent  le  30  mai  furent 
consacrés  à  de  brillantes  réceptions,  d'abord  chez 
la  reine  Marie-Amélie,  au  palais  de  Glaremont, 
puis  à  Twickcnham,    chez   M.  le    duc    d'Aumale. 

1.  Voici  dans  quels  termes,  au  moins  singuliers,  le  gouver- 
nement impéi'ial  publia  et  fit  afficher  à  la  porte  de  la  mairie  du 
premier  arrondissement,  à  Paris,  en  avril  1864,  les  bans  pour 
le  mariage  du  petit-fils  du  roi  Louis-Pliilippe  : 

«  Louis-Philippe-Albert  d'Orléans,  comte  de  Paiùs,  sans  pro- 
fession,  demeurant  avec  son  aïeule  paternelle,  Marie-Amélie  de 
Boui'bon,  veuve  de  Louis-Philippe  d'Orléans,  comte  de  Neuilly, 
au  palais  de  Glaremont,  comté  de  Surrey  (Angleterre),  et  dont 
le  dernier  domicile  en  France  était  au  palais  des  Tuileries,  pre- 
mier arrondissement,  fila  majeur  de  Ferdinand-Philippe-Louis- 
Charles-llenri  d'Orléans,  duc  d'Orléans,  et  de  Iléiène-Louise- 
Elisabeth  de  Mecklembourg-Sclnverin,  son  épouse,  tous  deux 
décédés; 

«  Et  Marie-Isabelle-Françoise  d'Orléans,  inlante  d'Espagne, 
sans  profession,  demeurant  avec  ses  père  et  mère,  au  palais  de 
San-Telmo,  à  Séville  (Espagne),  fille  mineure  de  Anloine- 
Marie-Philippe-Louis  d'Orléans,  duc  de  IMontj)ensier,  et  de 
Marie-Louise-Ferdinande  de  Bourbon,  inlaiiLe  d'Espagne,  son 
épouse.  » 


MARIAGE    DE    M^""    LE    COMTE    DE    PARIS  121 

Reaucoup  de  Français  avaient  passé  le  détroit,  et 
chaque  jour  on  voyait  augmenter  le  nomljre  de 
ceux  qui,  sans  vouloir  donner  à  cette  démarche 
un  caractère  politique,  étaient  venus  apporter  à 
d'augustes  exilés  l'hommage  d'une  respectueuse 
sympathie.  Pour  enlever  à  ces  réceptions  ce  qu'el- 
les pouvaient  avoir  de  trop  sérieux,  Madame  la 
duchesse  d'Aumale  eut  l'idée  de  les  transformer 
en  petits  bals,  à  la  grande  joie  des  jeunes  princes- 
ses et  de  tous  les  assistants.  Parmi  les  princesses, 
on  remarquait  particulièrement  les  deux  jeunes 
infantes,  sœurs  de  la  future  comtesse  de  Paris, 
dont  la  beauté  fine  et  distinguée  attirait  tous  les 
regards.  La  gracieuse  princesse  Marguerite  de 
Nemours  et  la  belle  princesse  Amélie  de  Cobourg, 
fille  de  la  princesse  Clémentine,  étaient  également 
fort  admirées.  Ces  soirées  dansantes  à  Orléans- 
House  donnèrent  une  grande  animation  à  ces 
réceptions,  dont  les  honneurs  étaient  faits  avec 
une  affabilité  parfaite  par  M.  le  duc  et  M"*"  la  du- 
chesse d'Aumale. 

Nous  voici  maintenant  au  30  mai.  Depuis  une 
semaine  il  règne  au  palais  de  Claremont  une  acti- 
vité qui  ne  lui  est  pas  habituelle;  le  palais  semble 
devenu  comme  par  enchantement  le  siège  d'une 
colonie  française,  qui  a  envahi  les  villages  et  les 
bourgs  voisins:  Esher, Kingston,  Twickenham.  Le 
parc  est  sillonné  de  Français  appartenant  à  toutes 
les  provinces  de  la  France,  car  on  y  entend  parler 


122  MARIAGE    DE    M'^''    LE    COMTE    DE    PARIS 

la  langue  de  noire  pays  avec  tous  les  accents  pos- 
sibles :  parisien,  provençal,  flamand,  lorrain,  etc. 

Le  parc  de  Glaremont  est  adossé  au  village 
d'Esher  ;  toute  la  population  de  ce  village  et  des 
hameaux  voisins  est  sur  pied,  dans  ses  plus  beaux 
habits  de  fête  ;  grands  et  petits  tressent  des  guir- 
landes de  fleurs,  mettent  la  dernière  main  à  des 
arcs  de  verdure,  décorent  les  fenêtres  de  drapeaux 
aux  couleurs  françaises. 

En  suivantla  Tamise,  d'Esher  on  arrive  à  Kings- 
ton (la  ville  du  Roi),  qui  n'a  conservé  de  ses 
splendeurs  antiques  que  le  siège  en  pierre  sur 
lequel  on  couronnait  les  rois  au  temps  de  Thep- 
tarchie.  Sur  tout  le  parcours,  hommes,  femmes, 
enfants,  sont  parés  de  rubans  tricolores.  Aux 
portes  de  cette  petite  ville,  se  presse  une  foule 
immense  qui  se  dirige  vers  la  chapelle  catholique 
perdue  dans  de  magnifiques  ombrages  auprès  du 
fleuve,  en  cet  endroit,  pur  comme  du  cristal.  C'est 
dans  ce  temple  modeste  que  va  être  célébré  le 
mariaofe  de  M.  le  comte  de  Paris. 

Il  est  dix  heures,  la  cérémonie  ne  commence 
que  dans  une  demi-heure,  et  cependant  l'église 
est  pleine.  Il  en  est  de  même  de  la  grande  lente 
élevée  à  la  droite  du  porche,  pour  suppléer, 
autant  que  possible,  au  manque  de  places.  Le 
chemin,  à  droite  et  à  gauche,  est  occupé  sur  une 
grande  étendue  par  ceux  qui  n'ont  pu  être  admis 
ni  dans  la  chapelle  ni  dans  la  lente. 


MARIAGE    DE    M^''    LE    COMTE    DE    PARIS  123 

Parmi  l'assistance  on  remarque  presque  tous 
les  membres  du  corps  diplomatique,  l'élite  de  la 
société  britannique  et  un  grande  nombre  de 
notabilités  françaises. 

A  dix  heures  et  demie,  une  immense  acclama- 
tion se  fait  entendre  au  dehors.  Après  un  moment 
d'attente,  on  voit  apparaître,  appuyée  sur  le  bras 
du  jeune  prince,  la  reine  à  l'aspect  vénérable  et 
qui  s'avance  lentement  vers  l'église.  Chacun  se 
lève  et  salue  profondément  cette  femme  aux  traits 
marqués  par  la  douleur,  la  reine  Marie-Amélie. 
C'est  avec  une  vive  émotion  et  avec  un  religieux 
respect  que  l'on  regardait  l'auguste  veuve  du  roi 
Louis  -  Philippe.  Le  jeune  prince,  attentif  à  la 
soutenir,  répondait  avec  une  tranquille  dignité 
aux  salutations  de  ceux  qui  se  trouvaient  sur  son 
passage.  Presque  sur  ses  pas  arriva  la  princesse 
Isabelle  ;  sa  démarche  était  d'une  dignité  simple, 
et  sa  beauté  avait  un  charme  inexprimable.  Les 
deux  fiancés  prirent  place  devant  leurs  illustres 
parents,  et  avant  de  commencer  la  messe,  le  doc- 
teur Grant,  évéque  catholique  de  Southwark,  qui 
s'était  rendu  sous  le  porche  pour  recevoir  la 
famille  royale,  revint  à  l'autel,  et  adressa  une 
courte  et  touchante  allocution  aux  jeunes  mariés. 
La  messe  fut  célébrée  au  milieu  du  plus  profond 
recueillement.  En  quittant  la  chapelle,  la  reine 
Marie-Amélie,  appuyée  sur  le  comte  d'Eu,  fut 
saluée  par  des  acclamations  enthousiastes. 


124  MARIAGE    DE    M"''    LE    COMTE    DE    PARIS 

Madame  la  comtesse  de  Paris,  donnant  le  bras  à 
son  mari,  vit  s'avancer  vers  elle  un  groupe  déjeunes 
personnes,  filles  des  principaux  négociants  fran- 
çais de  Londres,  qui  lui  offrirent  un  bouquet 
accompagné  d'une  adresse  contenant  leurs  félici- 
tations et  leurs  vœux.  Madame  la  comtesse  de 
Paris  remercia  la  jeune  fille  qui  avait  parlé  au 
nom  de  ses  compagnes  et  l'embrassa  au  front, 
tandis  que  M.  le  comte  de  Paris  lui  disait  quel- 
ques mots  affectueux. 

Le  retour  à  Claremont  se  fit  à  travers  une  foule 
de  spectateurs  venus  des  villages  voisins  pour 
saluer  les  mariés  à  leur  passage.  Des  arcs  de 
triomphe  ornés  de  couronnes  de  fleurs  et  d'écus- 
sons  fleurdelisés,  pavoises  de  drapeaux  tricolores, 
avaient  été  dressés  de  distance  en  distance.  L'en- 
trée des  augustes  mariés  dans  le  parc  de  Claremont 
fut  saluée  par  une  salve  d'artillerie  et  par  les 
fanfares  d'une  musique  de  volontaires. 

Une  députation  du  village  d'Esher  s'avança  au 
devant  du  jeune  prince,  et  un  paysan  prononça, 
au  nom  de  ses  camarades,  un  court  discours.  M.  le 
comte  de  Paris  lui  répondit  en  les  remerciant 
lous  de  leurs  témoignages  de  sympathie,  qui 
étaient  pour  lui  et  sa  famille  une  grande  conso- 
lation pendant  les  épreuves  de  l'exil. 

On  annonça  l'arrivée  du  prince  cl  de  la  princesse 
de  Galles  ainsi  que  de  la  famille  royale  d'Angle- 
terre.  Alors   on  passa   dans   la  salle  du    ban(|iiel 


MARIAGE    DE    M"''    LE    COMTE    DE    PARIS  125 

servi  sous  une  tente,  ou  plutôt  sous  un  magnifique 
pavillon  de  140  pieds  de  long.  Une  douce  émotion 
s'empara  des  invités,  lorsque  la  reine  se  leva,  en- 
tourée d'amis  dévoués,  embrassant  d'un  coup  d'œil 
les  visages  aimés  de  ses  fils  et  petits-fils,  dont  les 
uns  étaient  déjà  des  hommes,  tandis  que  les  plus 
jeunes,  dans  l'heureuse  insouciance  de  leur  âge, 
se  pressaient  autour  d'elle  ;  au  milieu  d'un  pro- 
fond silence  et  d'une  respectueuse  attention,  elle 
but  à  la  santé  et  au  bonheur  de  M.  le  comte 
et  de  Madame  la  comtesse  de  Paris.  Ce  toast 
fut  accueilli  avec  enthousiasme,  et  suivi  des 
cris    de    :    Vive   la    Reine  ! 

A  huit  heures  commença  le  bal  chez  M.  le  duc 
de  Chartres.  Il  fut  interrompu  à  onze  heures 
par  un  souper  splendide,  dressé  sous  une  tente 
disposée  de  façon  à  recevoir  deux  cent  cinquante 
convives,  qui  trouvèrent  place  autour  d'une  table 
magnifiquement  servie.  A  minuit,  on  retournait 
dans  la  salle  de  bal,  et  les  danses  recommen- 
cèrent. Cette  salle,  qui  n'était  autre  qu'une  tente 
semblable  à  celle  du  souper,  ornée  de  fleurs  et 
de  drapeaux  tricolores,  remplie  d'une  foule  dont 
les  riches  toilettes  luttaient  d'élégance,  offrait  un 
coup  d'œil  vraiment  éblouissant.  Le  cotillon,  con- 
duit avec  beaucoup  d'entrain  par  M.  le  duc  de 
Chartres  dansant  avec  M"''  d'Harcourt  (aujourd'hui 
la  comtesse  dllaussonville),  se  prolongea  jus- 
qu'à deux  heures  du  matin.  Telle  fut  cette  fête  du 


126  NAISSANCE    DU    DUC    D  ORLEANS 

30  mai  1864,  rayon  de  joie  au  milieu  des  tris- 
tesses et  des  amertumes  de  l'exil. 

De  tristes  jours  approchaient  pour  la  famille 
royale.  La  sainte  reine  Marie -Amélie  s'éteignit 
doucement  le  24  mars  1866  au  palais  de  Glaremont, 
après  c|uatre-vingt-trois  années  d'une  existence 
où  les  jours  de  douleur  pieusement  supportés 
avaient  tenu  une  si  grande  place. 

Six  mois  auparavant,  la  reine  avait  eu  la  joie  de 
voir  naitre  son  arrière  petite-fille,  le  28  septembre 
1865,  M™"  la  princesse  Amélie. 

Quelques  semaines  après  cette  journée  de  deuil 
du  24  mars,  un  grand  malheur  allait  accabler  le 
duc  d'Aumale  :  son  fils  aîné,  le  prince  de  Gondé, 
mourait  à  Sidney  (Australie),  frappé  par  une  fièvre 
typhoïde  (24  mai  1866). 

Trois  années  s'écoulèrent,  pendant  lesquelles 
M.  le  comte  de  Paris  fit  quelques  courts  voyages 
sur  le  continent,  Mais  il  revenait  fréquemment  en 
Angleterre  où  il  s'occupait  de  travaux  littéraires 
qui  étaient  pour  lui  une  précieuse  ressource  dans 
son  exil.  Une  grande  joie  pour  M.  le  comte  de 
Paris  et  tous  les  Français  restés  fidèlement  atta- 
chés à  la  famille  royale  fut  la  naissance  du  duc 
d'Orléans.  Le  6  février  1869,  Madame  la  comtesse 
de  Paris  donnait  le  jour  à  un  fils. 

En  1867,  M.  le  comte  de  Paris  fit  un  troisième 
voyage  en  Espagne,  afin  de  ne  pas  séparer  trop 


RÉSIDENCE    FIXÉE    A    TAVICKENHAM  127 

longtemps  Madame  la  comtesse  de  Paris  de  ses 
parents.  Jusque-là  il  n'avait  pas  encore  de  résidence 
fixe.  Il  se  décida  pour  York-House,  à  quelques  pas 
deTwickenham,  près  de  ses  oncles  le  duc  d'Aumale 
et  le  prince  de  Joinville.  Il  se  livra,  dans  cette 
calme  retraite ,  à  l'étude  des  questions  écono- 
miques qui  l'obligeaient  de  temps  en  temps  à  faire 
des  voyages  dans  l'intérieur  de  l'Angleterre  ou  en 
Allemagne. 

Un  nouveau  malheur  devait  frapper  la  famille 
royale  sur  la  terre  d'exil  :  Madame  la  duchesse 
d'Aumale  succombait,  le  6  décembre  1869,  à  la 
maladie  dont  elle  souffrait  depuis  longtemps. 

L'année  1870,  qui  commençait  à  peine,  laissa  un 
instant  espérer  aux  princes  que  leur  exil  allait 
cesser. 

M.  le  comte  de  Paris  se  joignit  à  ses  oncles 
pour  réclamer  du  Corps  législatif,  en  juin  1870, 
la  restitution  de  ses  droits  de  citoyen  français.  La 
pétition  fut  repoussée.  Peu  après,  la  France  était 
précipitée  par  la  volonté  d'un  seul  homme  dans 
la  guerre  contre  la  Prusse  :  nous  raconterons 
ailleurs  quelle  fut  la  conduite  des  princes  pen- 
dant l'invasion. 

Les  princes  d'Orléans,  dont  la  conscience  était 
pure  de  tout  attentat  contre  les  lois  de  leur  pays, 
crurent  devoir  adresser  la  lettre  suivante  au 
Corps  législatif  : 


128  LETTRE    DES    PRINCES    AU    CORPS    LÉGISLATIF 

Messieurs  les  Députés, 

Vous  êtes  saisis  de  la  demande  d'abroger  les  mesures 
d'exception  qui  nous  frappent.  En  présence  de  cette  pro- 
position, nous  ne  devons  pas  garder  le  silence.  Dès  1848, 
sous  le  gouvernement  de  la  République,  nous  avons  pro- 
testé contre  la  loi  qui  nous  exile,  loi  de  défiance  que  rien 
ne  justifiait  alors.  Rien  ne  l'a  justifié  depuis,  et  nous  venons 
renouveler  nos  protestations  devant  les  représentants  du 
pays. 

Ce  n'est  pas  une  grâce  que  nous  réclamons,  c'est  notre 
droit,  le  droit  qui  appartient  à  tous  les  Français,  et  dont 
nous  sommes  seuls  dépouillés  ! 

C'est  notre  pays  que  nous  redemandons,  notre  pays  que 
nous  aimons,  que  notre  famille  a  toujours  loyalement 
servi,  notre  paj^s  dont  aucune  de  nos  traditions  ne  nous 
sépare,  et  dont  le  seul  nom  fait  toujours  battre  nos 
cœurs;  car,  pour  les  exilés,  rien  ne  remplace  la  patrie 
absente. 

Louis-Philippe   d'Orléans  ,    comte    de  Paius  ; 
François  d'Orléans,    prince  de   Joinville; 
Henri  d'Orléans,  duc  d'Aumale  ; 
Robert  d'Orléans,  duc  de  Chartres. 

Twickenham,   1!)  juin   1870. 

Le  comte  de  Kératry,  au  début  de  Li  séance 
du  2  juillet,  avait  adjuré  le  ministre  de  la  justice, 
M.  Emile  OUivicr,  de  déclarer  s'il  y  avait  dans 
les  archives  de  son  ministère  une  seule  pièce, 
prouvant  que  les  princes  eussent  jamais  conspiré 
ou  essayé  de  conspirerMepuis  1848. 


LETTRE    A    M.    DE    KÉRATRY  129 

Le  ministre  avait  répondu  que  le  gouvernement 
n'avait  absolument  rien  à  dire. 

La  majorité  bonapartiste  vota  l'ordre  du  jour 
qui  repoussait  la  pétition  des  princes  d'Orléans 
par  173  voix  contre  31. 

A  la  suite  de  ce  vote,  M.  le  comte  de  Paris  écri- 
vit la  lettre  suivante  à  M.  de  Kératry,  qu'il  n'avait 
jamais  vu. 

Twickenham,  le  4  juillet  1870. 

Monsieur, 

Puisque  les  portes  de  la  France  demeurent  encore  fer- 
mées pour  nous,  c'est  de  plus  loin  qu'il  faut  vous  exprimer 
l'émotion  avec  laquelle  j'ai  lu  vos  paroles  à  la  séance  du 
samedi. 

Vous  avez  agi  en  honnête  homme,  en  député  fidèle  à  son 
pays,  en  demandant  s'il  existait  une  seule  preuve  qui  pût 
justifier  la  peine  qui  nous  frappe. 

Vous  avez  fait  éclater  la  vérité  et  montré  d'un  seul  mot 
tout  ce  qu'il  y  a  d'odieux  et  de  contraire  aux  principes  mo- 
dernes de  légalité  et  de  souveraineté  nationale,  dans  ces 
mesures  qui  condamnent  toute  une  famille  de  citoyens  à 
cette  situation  privilégiée ,  comme  on  l'a  dit  avec  une  cruelle 
ironie,  de  l'exil. 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  remercier,  de  la  manière 
dont  il  nous  a  défendu,  un  membre  de  cette  jeune  généra- 
tion qui  a  foi  dans  l'avenir  libéral  de  la  France,  et  qui, 
regardant  en  avant  plutôt  qu'en  arrière,  ne  cherche  dans 
les  souvenirs  du  passé  que  des  enseignements  et  non  des 
motifs  de  rancune  ou  de  division.  Aucune  barrière  ne  sau- 
rait nous  séparer  d'elle,  car  nous  partageons  son   ardent 

9 


130  LA   DÉCLARATION    DE    GUERRE 

dévouement  pour  les  arrêts  de  la  volonté  nationale,  seul  e 
souverain  arbitre  des  destinées  de  la  France, 

La  décision  qui  écarte  notre  demande  nous  aurait  péné- 
trés d'une  immense  douleur  si  nous  avions  dû  la  considérer 
comme  définitive,  car  notre  intention  n'était  pas  d'exciter 
un  stérile  débat;  mais  nous  croyons  qu'en  posant  la  ques- 
tion des  lois  d'exil  devant  la  Chambre  et  la  France,  nous 
avons  hâté  le  jour  où  ces  lois  tomberont  sous  la  réprobation 
publique. 

Vous  avez  plaidé  la  cause  du  droit,  du  droit  commun 
pour  tous,  car  le  droit  à  l'exil  ne  peut  pas  subsister  en 
présence  du  suffrage  universel  et  de  la  souveraineté  qui  lui 
appartient.  Le  sentiment  public  s'est  prononcé  de  telle 
sorte  que  la  décision  prise  par  la  Chambre,  pour  se  con- 
former à  une  puissante  volonté,  ne  pourra,  j'en  suis  sûr, 
être  longtemps  maintenue. 

Je  termine.  Monsieur,  en  vous  adressant  encore  les  re- 
merciements de  ceux  qui  vous  ont  vu  combattre  de  loin  et 
qui  n'ont  pu  se  mêler  à  la  lutte. 

Croyez,  je  vous  i)rie,  aux  sentiments  bien  sincères  de 

votre  affectionné, 

Louis-Philippe  d'Orléans 

Mais  les  événements  se  précipilcnl:  la  guerre 
est  déclarée,  l'armée  française  est  battue.  Les 
princes  avaient  demandé  à  servir  dans  Tannée  à  la 
nouvelle  de  nos  désastres,  ce  qui  leur  avait  été 
refusé  par  le  gouvernement  impérial  d'abord,  par 
le  gouvernement  provisoire  républicain   ensuite. 

Nous  raconterons  en  détail,  dans  un  volume 
dont  la  publication  suivra  de  près  ce  livre,  Fadmi- 


LETTRE    AU    GENERAL    COMTE    DUMAS  131 

rable  conduite  du  duc  de  Chartres  qui,  plus  heu- 
reux que  son  oncle  le  prince  de  Joinville,  fit  la 
campagne  de  France  sous  le  nom  de  Robert  le 
Fort. 

A  ce  moment,  M.  le  comte  de  Paris  écrit  cette 
lettre  au  général  comte  Dumas  : 

Twickenham,  20  août  1870. 

Que  d'événements  depuis  treize  jours  !  Quels  coups  pour 
tous  les  cœurs  français  !  Vous  devez  comprendre  tout  ce 
que  nous  souffrons  devant  ce  désastre  national,  dont, 
pour  aggraver  nos  souffrances,  nous  sommes  condamnés 
à  être  les  spectateurs  inactifs.  Le  refus  opposé  à  la  de- 
mande de  mes  oncles  et  de  mon  frère  est,  à  ce  point  de 
vue,  un  coup  bien  cruel.  C'est  ce  refus  qui  m'a  empêché 
de  faire  remettre  une  lettre  analogue  aux  leurs  qui  étaient 
arrivées  à  Paris  un  peu  après  celle-ci.  Et  dire  que  les 
Prussiens  vont  peut-être  assiéger  Paris,  et  que  sur  ces 
fortifications,  dernier  boulevard  de  la  France,  élevé  il  y 
a  trente  ans  par  le  roi  Louis-Philippe  et  le  duc  d'Orléans, 
il  n'y  aura  pas  un  d'Orléans  pour  se  mêler  aux  défenseurs 
de  la  patrie!  Et  ce  qu'il  y  a  peut-être  de  plus  dur,  c'est 
que,  dans  notre  insistance  désintéressée,  on  ne  verrait 
peut-être  que  les  calculs  d'une  ambition  inquiète.  Mais  ne 
songeons  pas  à  nous,  ne  songeons  qu'à  cette  admirable 
armée  qui  soutient  l'honneur  de  la  France,  et  à  tous  les 
nouveaux  combattants  qui,  devant  Paris,  sauveront  notre 
pays  de  la  dernière  des  humiliations. 

Tout  à  vous, 

Louis-pHiLippE  d'Orléans. 


132   LETTRE  AU  GÉNÉRAL  B°°  DE  CHABAUD-LATOUR 

Les  désastres  s'accumulent;  l'armée  française, 
accablée  par  le  nombre,  est  écrasée,  malgré  des 
prodiges  d'héroïsme.  Les  princes  d'Orléans  de- 
mandent vainement  au  gouvernement  français  le 
droit  de  défendre  leur  pays  envahi  par  l'ennemi. 

Le  gouvernement  de  la  Défense  nationale,  ou- 
blieux de  son  devoir  non  moins  que  de  son  titre, 
refuse  leurs  valeureux  services. 

M.  le  comte  de  Paris  ne  peut  voir  sans  une  pro- 
fonde douleur  l'ennemi  arriver  sous  les  murs  de 
Paris.  11  se  souvient  que  c'est  sa  ville  natale,  et 
que  ces  murailles  derrière  lesquelles  s'abritait  la 
France  même,  c'était  le  roi  Louis-Philippe,  son 
grand-père,  qui  les  avait  élevées. 

11  voulut  donc  faire  un  effort  suprême  pour  flé- 
chir le  gouvernement  de  la  Défense  nationale.  Il 
adressa  au  général  de  Chabaud-Latour  une  lettre 
dans  laquelle  il  sollicitait  l'honneur  de  s'associer 
aux  défenseurs  de  Paris.  Il  offrait  de  reprendre  le 
chemin  de  Pexil  aussitôt  que  le  dernier  coup  de 
fusil  aurait  été  tiré. 

Le  général  Trochu,  à  qui  cette  lettre  fut  portée 
par  le  général  de  Chabaud-Latour,  y  répondit  par 
un  nouveau  refus. 

Voici  le  texte  de  la  lettre  où  M.  le  comte  de 
Paris  exprima  au  général  de  Chabaud-Latour  la 
tristesse  patriotique  qu'il  ressentait  dans  l'inaction 
à  laquelle  ce  mauvais  vouloir  du  gouvernement 
de  la  Défense  nationale  le  réduisait  si  cruellement: 


LETTRE    AU    GÉNÉRAL    B°°    DE    CHABAUD-LATOUR         133 

17  janvier  1871. 

Vous  devez  bien  sentir  ce  que  je  souffre,  en  me  voyant 
condamné  à  rester  spectateur  inactifde  la  lutte  héroïque  de 
mes  compatriotes.  J'avoue  que  de  telles  prévisions  n'étaient 
jamais  entrées  dans  mon  esprit;  que  je  n'aurais  pas  ci'u 
celui  qui  m'eût  prédit  que,  l'Empire  renversé,  la  Répu- 
blique établie  et  l'étranger  assiégeant  notre  capitale,  je  ne 
trouverais  pas  une  place  quelconque  parmi  les  défenseurs 
de  la  cause  nationale.  Il  me  semblait  que  les  traditions  de 
toute  ma  famille,  que  le  souvenir  de  mon  père,  —  qui  était 
exclusivement  Français,  et  l'était  bien  avant  de  songer  à 
aucun  intérêt  dynastique, — me  donnaient  le  droit  de  récla- 
mer l'honneur  de  combattre  dans  l'armée  française,  le  tes- 
tament de  mon  père  à  la  main...  et  que  personne  n'aurait 
pu  défendre  à  un  d'Orléans  de  prendre  un  poste  sur  ces 
fortifications  de  Paris,  qui  sont  l'œuvre  de  son  grand-père, 
du  soldat  de  Jemmapes 

A  défaut  de  Paris,  nous  aurions  tons  voulu  trouver  notice 
place  de  citoyens  dans  les  armées  de  province.  Il  semblait 
que  rien  ne  dût  s'opposer  à  la  réalisation  de  ce  désir  bien 
désintéressé.  En  effet,  lorsque  mes  oncles  et  mon  frère 
sont  allés  le  6  septembre  à  Paris,  on  n'allégua  pour  refu- 
ser leurs  services  que  la  crainte  de  voir  leurs  noms,  au 
lendemain  de  la  révolution,  servir,  dans  la  capitale,  de  pré- 
texte à  la  guerre  civile.  Cette  raison,  bien  faible  en  elle- 
même,  ne  pouvait  être  alléguée  pour  nous  empêcher  de 
servir  dans  les  armées  de  province,  et,  si  notre  présence 
en  France  avait  eu  quelque  retentissement,  le  seul  résultat 
eût  été  de  rallier  à  la  République,  loyalement  acceptée  et 
servie  par  nous,  ces  libéraux  que  le  nom  de  la  Ré])ublique 


134   LETTRE  AU  GÉNÉRAL  B°"  DE  CHABAUD-LATOUR 

effraye,  mais  que  notre  proj)re  adhésion  eût  réconciliés 
avec  cette  forme  de  gouvernement. 

hd  délégation  de  Tours-Bordeaux  n'a  pas  cru  pouvoir 
revenir  sur  la  décision  prise  par  le  gouvernement  tout  en- 
tier, ne  comprenant  pas  combien  la  situation  était  chan- 
gée, ou  plutôt  cédant  à  la  crainte  de  s'aliéner  les  fanatiques 
qui  abusent  du  nom  de  la  République  et  prétendent  tou- 
jours imposer  leurs  fantaisies  et  leurs  passions  aux  répu- 
blicains libéraux  et  modérés. 

Dans  ces  circonstances,  je  me  suis  adressé  directement 
au  général  Trochu,  lui  demandant  de  vouloir  bien,  en  sa 
qualité  de  président  du  gouvernement  de  la  Défense  na- 
tionale, faire  cesser  l'interdit  qui  m'empêche,  jusqu'à  pré- 
sent, de  porter  les  armes  pour  la  France.  Je  n'ai  pas  encore 
sa  réponse.  Si  elle  était  favorable,  je  serais  prêt  à  servir 
sous  un  nom  d'emprunt,  de  manière  à  ménager  les  suscep- 
tibilités les  plus  extrêmes.  Tout  ce  que  je  demande,  c'est 
une  recommandation  d'un  ministre  du  gouvernement,  [)er- 
mettant  à  M.  X...  de  se  présenter  à  telle  armée  active  qui 
lui  sera  désignée  pour  y  obtenir  l'emploi  qu'il  pourra.  Le 
gouvernement  ou  son  président  saurait  seul  que  M.  X..., 
c'est  moi,  car  je  ne  veux  pas  tenter  de  m'insinuer  dans 
l'armée  française  à  son  insu 

11  me  semble  que  vous  devez  comprendre  combien  l'inac- 
tion me  ronge  en  ce  moment,  et  je  tenais  à  vous  prouver 
que  je  faisais  tout  ce  qu'il  m'est  matériellement  possible 
de  faire  pour  en  sortir 

Quand  on  a  achevé  le  récit  de  ccl  exil  supporté 
avec  tant  de  courage  cl  un  patriotisme  si  constant, 
on     ne      peut     que     répéter     avec     M.     Hervé  : 


ÉLOGE  DE  LA  FAMILLE  ROYALE  135 

«  Quelle  plus  belle  famille  royale  la  France  pour- 
rait-elle trouver,  pour  réparer  ses  ruines,  panser 
ses  plaies,  la  relever  à  ses  propres  yeux  et  à  ceux 
de  l'Europe? » 


CHAPITRE    III 

1871-1873 

Abrogation  des  lois  d'exil  (juin  1871).  —  Naissance  de  S.  A.  R. 
M™8  la  princesse  Hélène  (8  juin  1871).  —  Rentrée  des  princes 
en  France.  —  Le  manifeste  de  Chambord(5  juillet  1871). — 
Les  princes  d'Orléans  dans  l'armée  française.  —  Projet  de 
loi  présenté  par  le  gouvernement  pour  la  restitution  des 
biens  des  jirinces.  —  La  vérité  sur  cette  loi.  —  Générosité 
des  princes  envers  la  France,  à  laquelle  ils  abandonnent  la 
moitié  de  leur  fortune.  —  M.  le  comte  de  Paris  s'installe  à 
Paris,  faubourg  Saint-Honoré,  chez  son  oncle  le  duc  d'Au- 
male.  —  Réceptions  de  M.  le  comte  de  Paris.  —  Sa  vie  à 
Paris.  —  Excursions  de  M.  le  comte  de  Paris  en  France.  — 
Yisite  à  Bourges,  aux  mines  de  la  Grand'Combe,  d'Anzin,  en 
Touraine,  etc.  —  Première  visite  du  prince  à  Eu  et  aux 
usines  Packam.  —  Excursions  en  Bretagne,  en  Normandie, à 
Aix.  —  Publication  par  M.  le  comte  de  Paris  de  son  ouvrage  : 
La  situation  des  ouvriers  en  Angleterre  (mars  1873). — Voyage 
de  M.  le  comte  de  Paris  en  Afrique  (mai  1873).  —  Chute  de 
^L  Thiers  et  présidence  du  maréchal  de  I\Ltc  Mahon. 

RL  le  comte  de  Paris  se  rend  à  Vienne  (lin  juillet  1873).  — 
L'entrevue  de  Frohsdorf  du  5  août  1873.  —  Fusion  des  deux 
branches  de  la  maison  de  Bourbon.  —  La  fusion  souhaitée 
par  le  roi  Louis-Philippe,  et  annoncée  par  M.  Guizot  en 
1850.  —  Les  princes  d'Orléans  chez  AL  le  comte  de  Chani- 
bord  (septembre-octobre  1873).  —  Grande  émotion  dans 
toute  la  France.  —  Manœuvres  des  républicains  pour  lutter 
contre  le  courant  royaliste.  —  M.  le  comte  de  Paris  jugé 
par  M.  le  comte  de  Chambord.  —  M.  le  comte  de  Chambord 
et  les  députés  royalistes.  —  Anecdotes  :  M.  le  comte  de 
Chambord  on  Bavière.  Mot  du  prince  Napoléon  sur  la  restau- 


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t      41 


LES    PRINCES    DÉPUTÉS  137 

ration  de  la  monarchie.  — La  lettre  de  M.  le  comte  de  Cham- 
bord  du  27  octobre  1873.  —  Echec  certain  de  la  loipour  le  ré- 
tablissement de  la  monarchie.  —  M.  le  comte  de  Chambord 
à  Versailles  (novembre  1873).  —  Prorogation  des  pouvoirs 
du  maréchal  de  Mac  Mahon.  —  Mort  du  prince  Ferdinand, 
frère  de  Madame  la  comtesse  de  Paris  (décembre  1873). 


La  guerre  est  finie,  la  paix  est  faite,  les  événe- 
ments se  précipitent,  et  à  la  douleur  de  la  défaite 
vont  venir  se  joindre  les  tristesses  d'une  épou- 
vantable guerre  civile.  La  seule  consolation  que 
l'on  éprouve,  au  milieu  de  tous  ces  malheurs,  est 
de  se  dire  que  l'honneur  est  resté  sauf,  grâce  à 
l'immortelle  résistance  de  Paris  et  aux  héroïques 
efforts  de  la  province  et  de  fillustre  général 
Ghanzy, 

Les  départements  de  la  Haute-Marne,  de  la 
Manche  et  de  l'Oise  avaient  envoyé  à  l'As- 
semblée nationale  le  prince  de  Joinville  et  le  duc 
d'Aumale.  Le  pays  s'était  souvenu  de  ces  princes  si 
sincères  patriotes. 

Le  prince  de  Joinville,  affable,  enjoué,  même 
à  son  bord,  autant  que  décidé  ou  réfléchi  suivant 
les  circonstances,  toujours  soucieux  du  bien- 
être  matériel  et  moral  des  équipages,  avide 
de  les  employer  à  de  grandes  actions,  était  resté 
très  populaire  dans  la  marine,  et  la  nation  elle- 
même  n'avait  oublié  ni  son  nom,  ni  celui  de 
son  frère,  le  duc  d'Aumale,  le  héros  de  la  Smalah, 
le    général    intrépide,     savant     organisateur   de 


138  ABROGATION    DES    LOIS    d'eXIL 

l'armée  et  excellent  gouverneur  de  IWlgérie  où 
son  souvenir  était  resté  si  vivant 

La  chute  du  gouvernement  impérial,  et  l'abro- 
gation des  lois  de  bannissement  et  d'exil  votée 
par  l'Assemblée  nationale  le  8  juin  1871,  rame- 
nèrent M.  le  comte  de  Paris  sur  le  sol  français. 

11  y  rentra,  décidé  à  la  fusion  entre  les  deux 
branches  de  la  maison  de  Bourbon.  En  mars  1871, 
à  Dreux,  ses  oncles  le  duc  d'Aumale  et  le  prince 
de  Joinville  avaient  déclaré  aux  députés  légiti- 
mistes les  plus  influents,  qu'il  n'existait  aucun 
prétendant  dans  la  famille  d'Orléans,  et  que 
si  la  France  souhaitait  la  restauration  de  la 
monarchie,  le  comte  de  Ghambord  ne  trouverait 
aucun  compétiteur  au  trône  chez  les  princes  de 
leur  maison.  Cette  entrevue  de  Dreux  avait  décidé 
la  droite  à  voter,  sans  hésiter,  malgré  M.  Thiers, 
l'abrogation  des  lois  d'exil. 

Le  prince  de  Joinville  et  le  duc  d'Aumale  des- 
cendirent à  Versailles,  rue  de  Satory,  48,  chez  un 
de  leurs  fidèles  serviteurs,  député  du  Calvados, 
M.  Bochcr. 

M.  le  duc  de  Chartres,  M.  le  duc  de  Nemours, 
M.  le  duc  d'Alençon  et  M.  le  duc  de  Penthièvre 
arrivaient  à  Paris  quelques  jours  plus  tard,  rue  de 
Castiglione,  à  Thotel  de  Londres,  où  leur  première 
visite  fut  pour  le  vieil  ami  du  roi,  l'historien  im- 
partial et  consciencieux  de  la  monarchie  de  Juillet, 
le  comte  de  Montalivet. 


M^'"'  LE  COMTE  DE  PARIS  EN  FRANCE         J39 

M.  le  comte  de  Paris  était  retenu  à  Twickenham 
auprès  de  Madame  la  comtesse  de  Paris,  qui,  le  12 
juin,  donnait  le  jour  à  une  fille,  son  troisième  enfant, 
la  princesse  Hélène.  Au  mois  de  juillet,  il  arriva  à 
Paris,  et  après  être  resté  plusieurs  jours  chez  le 
comte  de  Ségur,  il  alla  demeurer  quelques  mois 
chez  le  gendre  de  M.  de  Montalivet,  M.  G.  de  Vil- 
leneuve, dans  son  bel  hôtel  de  l'avenue  de  Messine. 

La  Commission  des  grades,  présidée  par  le 
général  Changarnier,  avait,  à  l'unanimité,  proposé 
au  gouvernement  de  maintenir  dans  les  rangs  de 
l'armée  M.  le  duc  de  Chartres,  avec  le  grade  de 
chef  d'escadron  qu'il  avait  si  bien  gagné.  Il 
en  fut  ainsi,  et  à  la  fin  d'août  M.  le  duc  de  Chartres 
partait  pour  rejoindre  le  3"  chasseurs  d'Afrique, 
qui  était  alors  dans  la  province  de  Constantine, 
se  préparant  à  faire  une  rude  campagne  qui  dura 
tout  l'hiver. 

M.  le  duc  de  Chartres  venait  d'être  nommé  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur,  en  récompense  de 
sa  belle  conduite  pendant  la  campagne  de  France. 

Peu  de  temps  avant  son  départ  pour  l'Afrique, 
en  août  1871,  il  avait  été  question  qu'il  accom- 
pagnât son  frère  M.  le  comte  de  Paris  dans  une 
visite  à  M.  le  comte  de  Chambord.  Les  princes 
avaient  toujours  dit  bien  haut  que  le  rétablis- 
sement de  la  monarchie  en  France  ne  pourrait 
avoir  lieu  que  par  l'union  de  lous  les  partisans  de 
la  monarchie.    Mais  au  moment   où   M.  le  comte 


140  LE   MANIFESTE   DU    5   JUILLET    1871 

de  Paris  et  M.  le  duc  de  Chartres  allaient  partir 
pour  Chambord,  leur  cousin  envoya  à  Paris  une 
note  ainsi  conçue  : 

Le  comte  de  Chambord  a  été  heureux  d'apprendre  les 
bonnes  dispositions  de  ses  cousins  ;  il  recevra  à  Chambord 
avec  le  plus  grand  plaisir  la  visite  du  comte  de  Paris.  Tou- 
tefois il  croit  devoir  le  prévenir  qu'il  compte  dater  de 
Chambord  un  document  oii  seront  résolues  des  questions 
réservées  jusqu'à  ce  jour,  puis  il  partira  pour  la  Belgique 
et  se  rendra  à  Bruges. 

Avec  cette  parfaite  loyauté  qu'il  a  toujours 
montrée,  le  comte  de  Chambord  ne  voulait  pas 
qu'on  put  le  soupçonner  d'avoir  attendu  la  visite 
des  princes  d'Orléans  pour  publier  son  manifeste, 
et  en  quelque  sorte  leur  avoir  tendu  un  piège. 

C'est  alors  que  parut  le  fameux  manifeste  du 
5  juillet  1871. 

Les  princes  d'Orléans  ne  se  rendirent  pas  chez 
M.  le  comte  de  Chambord,  mais  M.  le  comte  de 
Paris,  en  lui  faisant  exprimer  ses  regrets  de  ne  pas 
aller  le  voir  en  ce  moment,  lui  fit  dire  qu'il  ne 
renonçait  nullement  à  l'espoir  d'aller  lui  faire 
une  visite,  qui  n'était  que  reculée. 

Le  chef  de  la  maison  de  Bourbon  apprécia  cette 
démarche,  au  moment  oîi,  foulant  pour  la  première 
fois,  le  sol  français  depuis  quarante  et  un  ans,  il 
allait  accomplir  un  acte  aussi  grave  (jue  la  publi- 
cation d'un  pareil  manifeste. 


LES   JEUNES    PRINCES    DANS    l'aRMÉE   FRANÇAISE        141 

«  Concilier  les  drapeaux,  après  avoir  con- 
cilié les  causes  et  les  personnes,  était-il  donc 
impossible?  Le  plus  fort  était  fait;  n'avoir  pu  faire 
le  moins  semble  une  dérision  de  la  desti- 
née '.  » 

La  fin  de  1871  se  passa  heureusement  pour  les 
princes  d'Orléans.  M.  le  duc  de  Chartres  avait 
réalisé  le  vœu  de  toute  sa  vie  :  il  servait  dans 
l'armée  française.  M.  le  duc  d'Alençon  et  ^L  le 
duc  de  Penthièvre  faisaient  aussi  partie  de  l'ar- 
mée, le  premier,  dans  le  12"  régiment  d'artillerie, 
le  second  comme  lieutenant  de  vaisseau  à  bord 
de  VOcéaii,  qui  passa  l'hiver  à  faire  une  croi- 
sière dans  la  Méditerranée.  M.  le  duc  de  Guise 
(dernier  enfant  de  M.  le  duc  d'Aumale),  âgé  de 
dix-huit  ans  à  peine,  suivait  depuis  le  mois  d'oc- 
tobre 1871  les  cours  du  lycée  Condorcet,  pour 
se   préparer  à   l'Ecole  polytechnique. 

Ce  fut  à  cette  époque,  que  la  question  de  la 
restitution  des  biens,  dont  la  famille  d'Orléans 
avait  été  si  odieusement  dépouillée  en  1852,  fut 
portée  à  la  Chambre.  L'exécuteur  testamentaire 
du  roi  Louis-Philippe,  l'ami  des  princes,  le  comte 
de  Montalivet,  écrivit  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes  -  un  récit  des  plus  curieux  et  des  plus  inté- 
ressants, oîi  il  racontait  la  confiscation  de  cette 
fortune  par  Louis-Napoléon    en   1852.   Le  succès 

1.  Hi'tiri  de  France,    par  H.  de  Pêne,  p.  378. 

2.  Revue  des  Deux  Mondes,  l*""  décembre  1872. 


142  RESTITUTION   DES    BIENS    DES    PRINCES 

de  cette  brochure  fut  très  grand  et  prépara  l'As- 
semblée nationale  à  cette  œuvre  de  justice  et  de 
réparation. 

Mais  ce  que  l'on  ignore  et  ce  qu'il  est  bon  de 
rappeler,  c'est  la  générosité  des  princes  d'Or- 
léans. «  En  vain,  dit  M.  de  Montalivet,  les  avo- 
cats intéressés  du  césarisme,  unis  aux  derniers 
représentants  de  haines  invétérées  qui  se  meurent, 
cherchent  à  égarer  les  esprits,  par  d'étranges 
exagérations,  et  à  entourer  d'obstacles  une  solu- 
tion qui  touche  à  la  fois  aux  droits  des  victimes 
de  la  spoliation,  à  la  sécurité  des  acheteurs  des 
biens  indûment  vendus,  et  aux  finances  de  l'Etat, 
débiteur  de  sommes  considérables.  Que  les  hom- 
mes de  bonne  foi  se  rassurent,  l'équité  corrigera 
tout  ce  que  le  droit  strict  aurait  de  trop  rigoureux. 
Les  princes  dépouillés  n'ont  jamais  élevé  la  voix 
qu'au  nom  du  droit  et  de  la  piété  filiale.  Dès  le 
premier  jour,  devançant  toutes  les  préoccupations, 
ils  se  sont  expliqués  formellement  à  cet  égard, 
sans  y  avoir  été  provoqués.  Ils  demandent  que  la 
sécurité  des  acheteurs  soit  entièrement  garantie 
par  la  loi,  et  en  moine  temj)s  ils  déclarent  qu'au 
moment  où  ils  rentreront  dans  la  possession  des 
débris  de  leur  fortune,  ils  seront  prêts  à  ne  point 
se  prévaloir  contre  l'Etat  de  la  créance  en  argent 
j)rovenant  du  fait  des  décrets  do  confiscation.  Ils 
})articiperonl  de  la  sorte,  dans  la  mesure  que 
ré([uité  aura    suggérée  à  l'Assemblée  nationale. 


GÉNÉROSITÉ  DES  PRINCES  ENVERS  LA  FRANCE    143 

aux  sacrifices  que  les  malheurs  de  la  patrie  doi- 
vent imposer  à  tout  bon  citoyen. 

«  Ainsi  se  trouvera  clos  ce  compte  du  passé, 
qu'on  ne  se  rappellera  que  pour  flétrir  l'acte  anti- 
social qui  en  est  l'origine,  pour  honorer  les  deux 
gouvernements  de  la  République  qui,  à  vingt-trois 
ans  de  distance,  se  seront  entendus  pour  mainte- 
nir avec  fermeté  le  droit  sacré  de  la  propriété.  » 

En  même  temps  que  l'Assemblée  accomplissait 
cet  acte  de  justice,  de  rouvrir  les  portes  de  la 
France  aux  princes  d'Orléans,  elle  se  trouvait  for- 
cément amenée  à  traiter  une  grave  question.  Le 
22  janvier  1852,  Louis-Napoléon  Bonaparte  avait 
arbitrairement  confisqué  la  fortune  privée  des 
princes  d'Orléans,  respectée  par  la  République 
de  1848.  L'État,  moins  scrupuleux  en  1852,  s'em- 
para de  terres,  de  bois,  d'actions,  appartenant 
à  titre  purement  privé  à  la  famille  d'Orléans , 
estimés  par  le  ministre  des  finances  80  millions. 
La  moitié  de  ces  biens  avait  été  vendue,  l'Etat  admi- 
nistrait l'autre  moitié  et  par  conséquent  touchait 
les  revenus  de  cette  fortune.  Les  ministres  de  la 
République  demandèrent  spontanément  à  l'Assem- 
blée de  rendre  aux  princes  ce  qui  restait  de  leur 
fortune,  les  princes  d'Orléans  offrant  avec  un 
désintéressement  et  une  abnégation  très  grands 
de  renoncer  à  revendiquer  leurs  droits  sur  les 
biens  déjà  vendus.  C'était  donc  la  moitié  àQ  leur 
fortune  qu'ils  donnaient  ta  la  France. 


144  LA   VÉRITÉ    SUR    LA    QUESTION   DES    BIENS 

Cette  loi  de  1872  a-t-elle  imposé  un  sacrifice 
quelconque  à  l'Etat?  Non.  Elle  a  fait  rentrer  les 
princes  en  possession  de  biens  que  l'Etat  détenait, 
sans  que  le  trésor  public  ait  eu  à  donner  pour 
cela  un  centime. 

Leurs  ennemis  ont  fort  exploité  cette  restitution 
et  n'ont  pas  manqué  de  critiquer  les  princes 
d'Orléans. 

En  somme,  la  fortune  totale  de  tous  les  mem- 
bres de  la  famille  royale  pouvait  être  évaluée  lors 
de  la  confiscation  en  1852  à  80  millions  en  chiffres 
ronds.  Le  gouvernement  de  l'Empire  en  réalisa  la 
moitié,  soit  quarante  ///illlons,  qui  entrèrent  dans 
les  coffres  de  l'État,  sans  aucun  droit,  et  en  viola- 
tion de  toutes  les  lois. 

Le  gouvernement  alors  aurait  bien  voulu  vendre 
tous  les  biens  des  princes  et  réaliser  80  millions, 
mais  il  n'avait  pas  trouvé  d'acquéreurs  pour  ces 
biens  mal  acquis.  La  conscience  publique  est  hon- 
nête en  France.  Aussi  en  1871,  lorsque  les  princes 
rentrèrent  dans  leur  patrie,  l'Etat,  nous  le  répé- 
tons, administrait  et  touchait  les  revenus  de  ce  qui 
restait  de  leur  fortune.  Que  firent  les  princes  d'Or- 
léans? Simplement,  spontanément,  ils  abandon- 
nèrent à  l'Étal,  non  seulement  la  créance  de  40  mil- 
lions sur  leurs  biens  vendus,  mais  encore  décla- 
rèrent ne  vouloir  formuler  aucune  réclamation 
sur  les  revenus  de  ces  80  millions,  si  injuste- 
ment louches  par  TEtat  depuis  plus  de  vingt  ans. 


DISCOURS    DE    M.    BOCHER  145 

La  France  a  souffert,  dirent-ils,  le  pays  est 
accablé  de  charges  produites  par  cette  néfaste 
guerre  avec  l'Allemagne,  nous  en  supporterons 
notre  part.  Nous  ne  voulons  pas  que  les  acqué- 
reurs de  nos  biens  puissent  jamais  être  inquiétés  : 
nous  abandonnons  à  la  France  ces  40  millions. 
L'Assemblée  reconnut  ce  généreux  sacrifice,  et  les 
ministres  des  finances  et  de  la  justice  ne  firent 
que  demander  la  restitution  à  leurs  légitimes 
propriétaires  des  biens  non  vendus  encore.  Les 
princes  rentrèrent  dans  40  millions  environ  qui 
furent  partagés  en  seize  parts. 

M.  Bocher,  député  du  Calvados,  ancien  préfet  de 
Gaen  en  1848,  qui  consacra,  depuis  cette  époque, 
sa  vie  entière  à  défendre  la  mémoire  du  roi 
Louis-Philippe,  et  la  cause  de  ses  fils  et  petits-fils, 
avec  un  dévouement  que  ni  les  persécutions  du 
second  Empire,  ni  les  fatigues  ne  lassèrent  jamais, 
prononça  deux  admirables  discours,  dans  les 
séances  des  23  et  24  novembre  1872. 

Orateur  de  premier  ordre,  respecté  et  consi- 
déré, même  par  ses  adversaires  politiques,  M.  Bo- 
cher est  l'honneur  de  la  tribune  française.  Au- 
jourd'hui sénateur  du  Calvados,  ses  conseils  sont 
toujours  très  appréciés  par  M.  le  comte  de  Paris, 
et  sa  modestie  est  aussi  grande  que  son  talent. 
Doué  des  qualités  qui  font  les  hommes  d'Etat,  il 
ne  voulut  jamais  accepter  un  portefeuille  que  lui 
offrit,  à  plusieurs  reprises,  le  maréchal   de   Mac 

10 


146  LE    CHATEAU    d'aMBOISE 

Mahoii.  Certain  d'être  élu,  sans  concurrent,  à 
l'Académie  française,  où  sa  place  était  marquée, 
M.  Bocher,  malgré  de  pressantes  instances,  refusa 

de  se  présenter En  deux  mots,  c'est  un  grand 

caractère,  et  un  homme  politique  éminent. 

Voilà  toute  la  vérité  sur  cette  question  des 
biens  des  princes  d'Orléans.  Aussi  sommes- 
nous  certain  que  le  lecteur  impartial  dira 
avec  nous  :  Qui  est-ce  qui  reçoit  quelque  chose  ? 
sont-ce  les  princes  ?  est-ce  la  France  ?  Avant  de 
jeter  la  pierre  aux  princes  d'Orléans,  que  ceux 
qui  les  critiquent  commencent  par  les  imiter,  et 
fassent  cadeau  à  la  France  de  la  moitié  de  leur 
fortune  ! 

Dans  le  partage  que  les  princes  firent  de  ces 
biens,  M.  le  comte  de  Paris  eut  le  château  et  le 
domaine  d'Eu  ainsi  que  le  château  historique 
d'Amboise.  De  grands  travaux  étaient  nécessaires 
pour  le  château  d'Amboise.  Les  restaurations 
furent  habilement  dirigées  par  Viollet-le-Duc.  La 
plus  grosse  tour  fut  reconstruite  entièrement. 
Tous  les  ans,  M.  le  comte  de  Paris  venait  passer 
quelques  heures  à  Amboise,  examinant  tout  par 
lui-même.  Il  consacrait  chaque  année  une  somme 
considérable  à  ce  château  d'Amboise,  aux  sou- 
venirs historiques  des  Valois,  et  jusqu'en  1886  il 
s'assura  par  lui-même  que  ses  ordres  élaienl 
fidèlement  exécutés. 

C'est  au  château  d'Eu  que  M.  le  comte  de  Paris 


LE    CHATEAU    d'eU  147 

habitait  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année. 
La  principale  façade  du  château  est  du  côté  de  la 
ville  d'Eu,  en  face  de  l'église  qui  contient  encore 
les  tombes  des  comtes  d'Eu  aux  treizième  et  quator- 
zième siècles.  L'autre  façade  donne  sur  des  jardins 
et  des  prairies,  au  delà  desquels  la  vue  embrasse 
le  Tréport  et  la  mer.  A  gauche  du  château  se 
trouve  un  massif  de  vieux  et  magnifiques  arbres, 
formant  un  rond-point,  planté,  dit-on,  par  le  duc 
François  de  Guise,  qui  construisit  le  château.  Ce 
fut  ce  célèbre  guerrier  qui  défendit  avec  succès 
Metz  contre  Charles-Quint,  et  reprit  Calais  aux 
Anglais.  La  grande  Mademoiselle,  petite-fille 
de  Henri  IV,  devint  la  propriétaire  de  cette  belle 
demeure  qu'elle  légua  au  comte  de  Toulouse.  C'est 
de  ce  chef  qu'Eu  devint  la  propriété  de  la  maison 
d'Orléans.  Le  roi  Louis-Philippe  s'y  plaisait  beau- 
coup. Il  y  reçut  la  reine  d'Angleterre,  qui  en  parle 
avec  admiration  dans  ses  Mémoires.  M.  le  comte 
de  Paris,  aidé  des  conseils  de  Madame  la  comtesse 
de  Paris,  dont  le  goût  est  sûr  et  délicat,  rendit  à 
ce  beau  domaine  sa  splendeur  passée,  et  en  fit  sa 
principale  résidence. 

A  la  fin  de  l'année  1871,  M,  le  duc  d'Aumale 
reçut  la  récompense  des  importants  travaux  litté- 
raires auxquels  il  avait  consacré  les  loisirs  forcés 
de  l'exil.  Il  fut  nommé,  à  la  presque  unanimité 
des  voix,  et  sans  concurrent,  membre  de  l'Aca- 
démie française,  le  30  décembre  1871,  au  fauteuil 


148     M^'''  LE    COMTE    DE    PARIS    CHEZ    LE    DUC    DAUMALE 

laissé  vacant  par  la  mort  du  comte  de  Monta- 
lembert. 

Peu  de  temps  après,  une  joie  tout  intime  était 
réservée  aux  princes  d'Orléans,  M.  le  duc  de  Ne- 
mours, entouré  de  ses  frères  et  de  la  famille 
royale,  à  l'exception  des  ducs  de  Chartres  et  de 
Penthièvre,  retenus  par  leur  service,  mariait  sa 
fille  aînée,  la  princesse  Marguerite,  au  prince 
Czartoryski.  Le  mariage  eut  lieu  au  château  de 
Chantilly,  le  15  janvier  1872,  et  la  bénédiction 
nuptiale  fut  donnée  par  M^*"  Dupanloup,  évoque 
d'Orléans. 

Les  princes  passèrent  le  reste  de  l'hiver  de  1 872  à 
Paris.  M.  le  duc  d'Aumale  avait  acheté,  rue  du 
Faubourg-Saint-Honoré,  129,  l'hôtel  Fould,  et  il 
avait  donné  tout  le  premier  étage  de  cette  habi- 
tation à  son  neveu,  M.  le  comte  de  Paris.  Pendant 
trois  mois  le  duc  d'Aumale  reçut  le  dimanche 
soir,  et  ses  réceptions  très  recherchées  montrèrent 
aux  Français  qui  n'étaient  pas  allés  à  Twickcn- 
ham,  combien  M.  le  duc  d'Aumale  savait  accueillir 
avec  affabilité  tous  ceux  qui  lui  étaient  présentés. 

M.  le  comte  de  Paris  ouvrit  aussi  ses  salons 
faubourg  Saint-IIonoré.  Comme  son  père,  le  duc 
d'Orléans,  il  est  mince,  élancé  et  a  l'air  réfléchi. 
Les  yeux  ont  une  grande  expression  de  bonté  et  de 
douceur;  la  parole,  |)arfois  un  peu  lente,  indique 
quecclui  qui  parle  ne  livre  pas  volontiers  un  mot  à 
l'aventure.  L'accueil  est  bienveillant  et  très  sym- 


PORTRAIT  DE  M"''  LE  COMTE  DE  PARIS        149 

patlîique  à  ceux  qui  le  voient  pour  la  première 
fois.  M.  le  comte  de  Paris  a  l'extrême  amabilité 
de  sa  mère,  la  duchesse  d'Orléans,  la  princesse 
qui  de  toute  la  famille  royale  savait  le  mieux  dire 
à  chacun  un  mot  gracieux. 

M.  le  comte  de  Paris  a  le  don  de  plaire;  k  quel- 
que classe  de  la  société  qu'on  appartienne,  plus 
on  le  voit,  plus  on  se  sent  attiré  vers  lui,  plus  on 
l'aime.  Tous  ceux  qui  ont  Phonneur  de  Papprocher 
déclarent  que  c'est  un  esprit  supérieur.  Il  a  une 
grande  instruction,  et  quand  il  veut  travailler  sur 
une  question  quelconque,  il  cherche,  il  étudie,  et  ne 
recule  devantaucune  recherche,  aucun  voyage  pour 
apprendre  à  connaître  ce  qu'il  veut  savoir.  D'une 
grande  modération  de  langage,  il  a  le  tact,  le  sens 
politique  d'un  fin  diplomate.  M.  le  comte  de  Paris 
possède  une  autre  qualité  bien  précieuse  pour  un 
prince  :  il  sait  écouter  les  avis  opposés  aux  siens, 
et  cherche  toujours  à  s'éclairer  et  à  connaître  la 
vérité.  Il  est  à  la  fois  ferme  et  résolu  :  il  sait 
prendre  une  décision  sans  hésitation,  et  sans 
faiblesse  comme  sans  entêtement,  il  fait  exécuter 
ce  qu'il  veut.  Grande  qualité  pour  un  prince 
appelé  lin  jour  à  régner  !...  On  a  dit  de  lui  avec 
raison  : 

(c  Comme  tous  les  tempéraments  mesurés  qui 
peu  à  peu  acquièrent  de  la  force  et,  butinant  pour 
ainsi  dire  chaque  jour,  augmentent  leur  patri- 
moine intellectuel  et  s'assimilent  pour  jamais  les 


150       PORTRAIT  DE  M^"^  LE  COMTE  DE  PARIS 

choses  qu'ils  ont  étudiées  elles  connaissances  que 
la  pralique  leur  a  acquises,  M.  le  comte  de  Paris  a 
fondé  peu  à  peu  son  autoi'ité  personnelle.  11  n\a 
pas  atteint  ce  but  tout  d'un  coup,  par  ces  éclats 
brillants  qui  percent  comme  des  rayons,  mais  par 
la  persuasion  lente  et  par  d'incessantes  manifes- 
tations. On  a  constaté  de  jour  en  jour  avec  plus 
de  certitude  la  force  de  son  jugement,  la  sûreté 
de  son  coup  d'oeil  et  la  portée  de  son  intelligence. 
Le  fils  aîné  du  duc  d'Orléans  compte  donc  par  lui- 
même,  et  toujours  poussé  par  un  insatiable  besoin 
de  voir  et  de  savoir,  il  comptera  certainement 
chaque  jour  de  plus  en  plus'.  » 

M.  Edouard  Hervé  traçait  le  portrait  de  M.  le 
comte  de  Paris  en  1872.  Après  avoir  parlé  des 
princes,  il  ajoutait  alors  : 

«  La  situation  de  M.  le  comte  de  Paris  est  plus  déli- 
cate, et  son  rôle  est  plus  difficile.  La  Providence, 
heureusement,  en  le  plaçant  au  milieu  de  tant  de 
dangers,  lui  a  donné  ce  qu'il  faut  pour  les  éviter  : 
un  jugement  infaillible,  un  inébranlable  sang- 
froid,  et  enfin,  cette  droiture  de  caractère  qui  est 
parfois  plus  habile  que  l'habileté  elle-même.  La 
France  l'ignore,  et  peut-être  l'ignorera-t-elle  tou- 
jours, mais  depuis  longtemps,  elle  n'a  pas  eu  un 
politique  aussi  précoce  et  aussi  complet.  C'est 
l'espiitmédilalifct  profond  de  Guillaume  d'Orange, 

1.  Cliarles  Yriailc,  /as  Primes  d'Orléans. 


PORTRAIT  DE  M^"'  LE  COMTE  DE  PARIS        151 

avec  la  bonne  grâce  et  le  charme  qui  manquaient 
au  mélancolique  fondateur  de  la  monarchie  cons- 
titutionnelle en  Angleterre.  » 

Tous  ceux  qui  connaissent  le  chef  de  la  maison 
de  France  reconnaîtront  avec  nous  la  justesse  de 
ces  appréciations.  Nous  avons  entendu  un  diplo- 
mate, représentant  une  des  grandes  puissances  de 
l'Europe  auprès  du  gouvernement  français,  appli- 
quer à  M.  le  comte  de  Paris  le  mot  de  Metternich 
sur  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de  Nemours  après 
leur  voyage  à  Vienne,  en  1836  :  «  M.  le  comte  de 
Paris,  disait  cet  homme  d'Etat,  était,  je  l'avoue  en 
toute  franchise,  complètement  inconnu  de  moi  et 
de  mes  collègues  à  Paris  ;  mais  aujourd'hui  nous 
le  connaissons  et  l'apprécions  tous,  car  c'est  un 
jeune  homme  comme  on  n'en  voit  guère,  et  un 
prince  comme  on  n'en  voit  pas.  » 

M.  le  comte  de  Paris  aime  le  monde,  sans 
doute,  mais  rien  ne  lui  est  plus  agréable  que 
la  vie  simple  de  la  famille  auprès  de  Madame 
la  comtesse  de  Paris,  entouré  de  ses  filles, 
les  princesses  Hélène,  Isabelle  et  Louise,  du 
jeune  duc  d'Orléans,  qui  rappelle  les  traits 
de  Louis  XIV,  et  enfin  de  son  dernier  enfant 
le  prince  Ferdinand.  A  ce  portrait  du  nouveau 
chef  de  la  maison  de  France,  j'ajouterai  les  lignes 
écrites  par  un  ami  sans  doute,  mais  un  ami  ({ui  a 
porté  un  sur  jugement  sur  l'homme  comme  sur  le 
prince. 


152       PORTRAIT  DE  M'"'  LE  COMTE  DE  PARIS 

«  M.  le  comte  de  Paris  est  de  haute  taille.  La 
tournure  est  élégante  et  jeune;  l'allure,  vive  et 
décidée  ;  le  front,  large  et  découvert.  Les  yeux  — 
très  bleus  —  brillent  d'intelligence  et  de  bonté. 
Il  y  a  un  portrait  de  lui  peint  par  Winterhalter  en 
1845,  portrait  que  la  gravure  a  reproduit.  Le  petit 
prince  est  debout,  tenant  à  la  main  un  grand  cha- 
peau dont  il  laisse  traîner  à  terre  les  plumes 
blanches.  Ce  qui  frappe  dans  ce  portrait,  ce  sont 
les  yeux  —  encore  ressemblants  aujourd'hui.  Le 
visage  mâle  et  sérieux  de  l'homme  a  gardé  le  re- 
gard honnête  et  souriant  de  l'enfant. 

«  Fidèle  aux  souvenirs  de  sa  jeunesse,  M.  le  comte 
de  Paris  vit  au  milieu  des  portraits  de  famille,  des 
tableaux  qui  reproduisent  les  principaux  épisodes 
des  campagnes  de  son  père  et  de  ses  oncles  en 
Algérie.  Deux  miniatures,  représentant  le  duc  et 
la  duchesse  d'Orléans,  sont  constamment  devant 
ses  yeux,  sur  sa  table  de  travail.  Non  moins  fidèle 
à  ses  amitiés,  il  n'a  perdu  de  vue  aucun  de  ceux 
qui,  pendant  les  lourdes  années  de  l'exil,  venaient 
le  trouver  en  Angleterre.  Il  n'en  est  pas  un  seul 
qui,  dans  une  heure  de  joie  ou  de  tristesse,  n'ait 
reçu  quelque  marque  d'intérêt,  quelque  attention 
délicate  et  touchante  de  ce  cœur  qui  n'oublie 
jamais. 

«  Si  le  prince,  sur  les  champs  de  bataille  de  la 
guerre  d'Amérique,  a  fait  preuve  d'une  intrépi- 
dité que  rien  n'étonne,   il  montra  à  Vienne  autant 


PORTRAIT  DE  M^'"'  LE  COMTE  DE  PARIS        153 

de  tact  que  de  décision  au  milieu  des  incidents 
qui  ont  suivi  la  mort  de  M.  le  comte  de  Cham- 
bord.  Esprit  d'une  haute  portée,  tout  à  la  fois 
très  énergique  et  très  réfléchi,  il  ne  néglige 
rien  pour  se  renseigner  et  s'éclairer  avant  de 
s'arrêter  à  un  parti.  Sa  résolution,  une  fois  for- 
mée, est  inébranlable.  Il  ne  sera  influencé  ni  do- 
miné par  personne.  Il  écoute  avec  une  égale  at- 
tention l'avis  des  personnages  les  plus  considé- 
rables et  Topinion  de  ses  plus  humbles  amis, 
puis  il  prend  sa  détermination  avec  un  sens  droit 
et  juste,  et  une  remarquable  liberté  de  jugement. 
Dès  qu'il  entrevoit  un  devoir  à  remplir,  il  y  court 
ainsi  qu'il  courait  à  la  charge  dans  les  plaines  de 
la  Virginie.  On  peut  dire  de  lui  comme  de  son 
aïeul  Henri  IV  qu'il  est  «  le  dernier  dans  le  con- 
«  seil  et  le  premier  dans  l'action  ». 

((  Tel  est  ce  prince,  qui  aurait  été  remarqué  et 
se  serait  mis  hors  de  pair,  dans  quelque  condition 
que  le  sort  l'eut  placé.  Tel  l'ont  fait  aussi  les  évé- 
nements au  milieu  desquels  il  a  vécu,  le  sang 
qui  coule  dans  ses  veines,  les  exemples  de  ceux 
qui  ont  entouré  son  berceau,  formé  et  guidé  sa 
jeunesse,  et  dont  les  noms  sont  une  de  nos  gloires 
nationales. 

«Descendant  de  ces  rois  qui,  à  la  pointe  de  leur 
épée,  ont  fait  la  France,  et  qui  avaient  attachéàleur 
couronne  ces  deux  perles  sans  prix,  l'Alsace  et  la 
Lorraine,  que  d'autres  ont  perdues,  il  sait  que  les 


154  MADAME    LA    COMTESSE   DE    PARTS 

princes  de  sa  race  n'ont  cherché  leur  illiisl ration 
que  dans  la  grandeur  du  pays,  et  c'est  en  épelant 
l'histoire  de  sa  famille  qu'il  a  appris  le  dévouement 
à  la  patrie.  » 

Madame  la  comtesse  de  Paris,  dont  les  traits 
rappellent  le  type  des  Bourbons,  est  une  grande  et 
belle  princesse,  blonde  et  d'une  taille  élégante. 
Soit  dans  son  salon,  soit  dans  celui  de  M.  le  duc 
d'Aumale,  dont  elle  fit  leshonneurs  à  sa  rentrée  en 
France  avec  sa  tante,  M'""  la  princesse  Clémentine 
de  Saxe-Cobourg  et  Gotha,  cette  princesse  dont 
la  vie  s'écoula  loin  de  sa  pairie,  mais  dont  le  cœur 
est  toujours  resté  français'.  Madame  la  comtesse 
de  Paris  reçoit  avec  une  grâce  parfaite,  et  a  en 
même  temps  un  grand  air  qui  indique  qu'elle  est 
bien  la  fille  de  nos  rois.  Montant  admirablement 
à  cheval,  elle  se  plaisait  à  suivre  les  chasses  de 
Chantilly.  Comme  son  mari,  elle  aime  la  France  avec 

1.  Une  certaine  presse  publia  une  absurde  calomnie  contre  le 
mari  de  M™^  la  princesse  Clémenline,  M.  le  duc  de  Saxe- 
Cobourg  ot  Gotiia,  son  fils,  cl  son  neveu  le  prince  Philippe  de 
Wurtemberg.  Certains  journalistes  ont  eu  l'impudence  d'écrire, 
sachant  parfaitement  que  ce  qu'ils  disaient  était  faux,  que  ces 
princes  avaient  aervi  dans  l'armée  prussienne  et  combattu  les 
Français  dans  la  dernière  guerre.  Non  seulement  le  fait  est 
erroné,  mais,  en  1866,  M.  le  duc  de  Saxe-Cobourg  et  Gotha  et 
son  fils  se  trouvaient  à  la  bataille  de  Sadowa,  contre  l'armée 
prussienne,  dans  l'armée  autrichienne.  Quant  au  prince  Philijipe 
de  \N'urleml)crg,  il  s'efforça  pendant  ce  toriùble  hiver  de  1870- 
1871  d'adoucir  les  souffrances  des  malheureux  soldats  français 
pi-isonniers  dans    des    casemates   lmiiii<les. 


MADAME    LA    COMTESSE    DE    PARIS  155 

passion.  A  Twickenhain,  comme  aujourd'hui  en 
Angleterre,  elle  s'entourait  de  tout  ce  qui  pou- 
vait rappeler  son  pays.  Excellente  musicienne, 
ayant  une  voix  superbe,  elle  aime  à  jouer  et  à 
chanter  dans  l'intimité  les  mélodies  de  Gounod,  son 
auteur  de  prédilection.  Par  sa  mise  à  la  fois  simple 
et  de  bon  goût,  elle  montre  qu'il  n'est  pas  besoin 
pour  paraître  belle  de  ce  luxe  exagéré  qui  régnait 
sous  le  second  Empire. 

Nous  tenons  à  dire  un  mot  sur  les  prétendues 
divisions  qui  auraient  existé  entre  M.  le  comte 
de  Paris  et  son  oncle,  M.  le  duc  d'Aumale.  Ja- 
mais elles  n'ont  eu  lieu  un  seul  jour^  et  ce 
bruit  ridicule,  que  M.  le  duc  d'Aumale  avait  ses 
partisans  comme  M.  le  comte  de  Paris  les  siens,  a 
été  inventé  par  les  adversaires  des  princes  d'Or- 
léans, qui  cherchent  vainement  à  persuader  au 
pays  qu'il  y  a  plusieurs  partis  d'Orléans.  Les  répu- 
blicains ne  peuvent  se  consoler  de  voir  la  famille 
royale  aussi  unie,  et  la  France  disposée  tous  les 
jours  davantage  à  trouver  en  elle  sa  suprême  res- 
source contre  «  ces  deux  grands  ennemis  de 
l'ordre  et  de  la  dignité  humaine  (a  dit,  si  juste- 
ment, M.  de  Montalivet),  qui  se  tiennent,  s'allient 
souvent,  et  se  succèdent  toujours  :  le  césarisme  et 
la  démao^offie  ». 

Un  grand  malheur  allait  frapper  la  famille  royale. 
Le  seul  fils  qui  fut  resté  au  duc  d'Aumale,  celui 
qui,  depuis  la  mort  du  prince  de  Gondé,  consolait 


156  MORT    DU    DUC   DE    GUISE 

sa  tristesse  et  peuplait  son  isolement,  selon  l'ex- 
pression de  M.  Edouard  Hervé,  le  duc  de  Guise 
mourut  le  25  juillet  1872,  après  cinq  ou  six  jours 
de  maladie,  emporté  par  une  fièvre  scarlatine, 
contre  laquelle  les  secours  de  l'habile  et  dévoué 
docteur  Guéneau  de  Mussy  furent  impuissants. 
Il  allait  passer,  à  la  Sorbonne,  son  examen  de 
bachelier  es  sciences  ;  pendant  sa  maladie,  il  ne 
parlait  que  de  cet  examen  que  son  état  l'empê- 
chait de  subir,  et  il  se  désolait  de  ne  pas  se  trou- 
ver, au  jour  fixé,  à  ce  qu'il  appelait  son  poste 
d'honneur. 

La  marche  du  mal  fut  si  rapide,  qu'une  partie  de 
sa  famille  ne  put  revenir  à  temps  pour  être  auprès 
de  lui  à  ses  derniers  moments.  M.  le  comte  de  Paris 
cependant,  qui  avait  pour  lui  une  profonde  affec- 
tion, était  arrivé  quelques  heures  avant  le  fatal 
événement.  Les  secours  de  la  religion  lui  furent 
donnés  par  Fabbé  Guelle,  qui  avait  déjà  rendu  ce 
douloureux  office  à  un  grand  nombre  de  membres 
de  la  famille  d'Orléans.  Le  jeune  prince  mourut 
avec  un  grand  courage ,  conservant  sa  connais- 
sance presque  jusqu'à  la  dernière  minute,  moins 
ému  que  ceux  qui  l'entouraient,  et  surtout  que 
son  malheureux  père. 

La  mort,  si  prompte,  si  imprévue,  du  duc  de 
Guise  avait  surpris  M.  le  comte  de  Paris,  occupé 
à  parcourir  la  France  depuis  le  commencement 
du  printemps. 


EXCURSIONS    EN    FRANCE  157 

Le  prince  avait  utilement  occupé  ses  loisirs.  Au 
mois  d'avril  il  s'était  rendu  à  Bourges  pour  visiter 
les  établissements  militaires.  Pendant  les  mois  de 
mai  et  juin,  il  avait  étudié  en  France  la  question 
ouvrière,  qu'il  ne  lui  avait  été  permis  jusqu'alors 
d'étudier  de  près  qu'en  Angleterre. 

Déjà,  au  mois  d'avril  1872,  il  était  allé  à  Paris, 
dans  les  usines  de  Belleville  et  de  la  Villette,  s'en- 
quérir de  la  condition  des  ouvriers,  de  leur  sa- 
laire, de  leur  bien-être,  prenant  de  nombreuses 
notes;  presque  toujours  reconnu  à  la  fin  de  la 
visite,  il  avait  été  accueilli  partout  avec  respect,  et 
dans  ces  quartiers  de  Paris,  considérés  comme 
animés  d'un  très  mauvais  esprit,  jamais  aucun  cri, 
aucune  parole  blessante  pour  ses  oreilles  ne  fut 
prononcée  devant  lui. 

M.  le  comte  de  Paris  visita  dans  le  département 
du  Gard,  Nimes,  Bessèges,  Alais,  et  surtout  les 
mines  de  houille  de  la  Grand'Combe,  qui  l'inté- 
ressèrent particulièrement. 

La  compagnie  des  mines  de  la  Grand'  Combe, 
sous  l'influence  intelligente  de  MM.  de  Roths- 
child, fournit  un  exemple  frappant  du  bien  que 
l'on  peut  faire  aux  ouvriers,  qui  savent  reconnaître 
les  soins  dont  ils  sont  entourés  :  caisse  de  retraite 
pour  la  vieillesse,  pensions  aux  veuves,  secours 
aux  enfants.  L'administrateur- directeur  et  l'ingé- 
nieur en  chef  expliquèrent  à  M.  le  comte  de  Paris 
à  quel  point  était  bon  l'esprit  de  la  population,  et 


158  EXCURSIONS    EN   FRANCE 

lui  firent  remarquer  que  presque  toujours  dans  les 
élections,  sur  3,000  votants  environ,  le  candidat 
conservateur,  quelle  que  fût  son  opinion  politique, 
avait  près  de  2,400  voix. 

M.  le  comte  de  Paris  se  rendit  ensuite  aux  usines 
de  Fourchambault,  près  de  Nevers,  et  de  là  alla 
voir  M.   le  comte   de    Montalivet  dans  son   beau 
château  de  Lagrange,  non  loin  de  Sancerre.  Après 
quelques  jours    de  repos,  il  parcourut,    dans  le 
Nord,  les  mines  d'Anzin,  qui  fixèrent  vivement  son 
attention,  et  dont  M.  Casimir  Périer  et  le  général 
de  Chabaud- Latour  lui  firent  les  honneurs.  Peu 
après,  accompagné  de   M.   le  duc   de  îiroglie,   il 
partit  pour  Saint-Gobain,  cette  importante  manu- 
focture   de  glaces  que   l'Europe   admire  et   nous 
envie.  La  Touraine  eut  aussi  sa  visite.  Dans  ces 
excursions,  il  conservait  toujours  l'incognito,  dé- 
sirant tout  voir,  tout  connaître,  s'instruire  en  un 
mot,  mais  ne  recherchant  nullement  les  brillantes 
réceptions.  A  la  fin  de  juin  1872 ,   l'auteur  de  ce 
livre  avait  l'honneur  de  faire  visiter  les  châteaux 
de  Blois,  Chaumont,  Chenonccaux,  Chinon,  à  M.  le 
comte  de  Paris,  à  Madame  la  comtesse  de  Paris  et  à 
M.    le   duc  de    Montpensier,  salués   partout  avec 
respect   dès  que   leur  incognito  était  découvert. 
Désireux    de    se    reposer    de    ces    excursions, 
M.  le  comte  de  Paris  alla  avec  Madame  la  comtesse 
de  Paris  et  ses  enfants  passer  quelque   temps  au 
bord  de  la  mer,   en   Bretagne,  à  Dinard,  d'où  il 


PREMIÈRE   VISITE    DU    PRINCE    A    EU  159 

devait  être  rappelé  par  la  fin  prématurée  de  l'in- 
fortuné duc  de  Guise. 

Peu  après  il  arriva  à  Eu.  C'était  sa  première 
excursion  à  Eu  depuis  son  retour  de  l'exil.  Après 
avoir  fait  avec  M.  Estancelin  une  promenade  à 
cheval  aux  environs  de  la  ville  d'Eu,  M.  le  comte 
de  Paris  se  rendit  à  l'église,  qu'il  visita  en  détail, 
admirant  la  beauté  de  la  vieille  abbatiale.  Puis  il 
descendit,  accompagné  par  le  curé,  dans  l'église 
souterraine,  où  sont  les  tombeaux  des  comtes 
d'Eu.  Le  prince  se  rendit  ensuite  aux  usines 
Packam.  Tous  les  ouvriers,  attendant  M.  le  comte 
de  Paris,  étaient  rangés  dans  la  cour.  Un  bou- 
quet lui  fut  offert  en  leur  nom  par  la  fille  du 
gérant,  M.  Marc.  Un  des  contremaîtres,  M.  Des- 
jardins, lut  ensuite  à  M.  le  comte  de  Paris,  au 
nom  des  ouvriers  de  la  ville  d'Eu,  l'adresse 
suivante  : 

Monseigneur, 

Autrefois,  tout  enfant  encore,  Votre  Altesse  Royale  se 
plaisait  à  visiter  ces  vastes  usines  fondées  par  le  roi  Louis- 
Philippe,  irrécusables  monuments  de  la  haute  sollicitude 
de  votre  auguste  aïeul  pour  la  classe  ouvrière,  pour  l'agri- 
culture et  pour  l'industrie. 

Depuis  plus  de  quarante  années,  ces  usines  servent  en 
effet  à  manufacturer  les  produits  de  la  contrée  au  milieu 
de  laquelle  elles  sont  situées,  en  même  temps  qu'elles  pro- 
curent, avec  le  travail,  les  ressources  nécessaires  pour 
élever  nos  familles. 


160  PREMIÈRE    VISITE   BU    PRINCE   A   EU 

Fidèle  aux  sages  et  fécondes  traditions  du  fondateur  de 
ces  usines,  Votre  Altesse  Royale,  en  les  visitant  aujour- 
d'hui, témoigne  de  la  même  bienveillante  sollicitude  pour 
les  véritables  intérêts  du  })ays  ;  nous  vous  en  remercions 
pour  notre  part.  Monseigneur,  avec  d'autant  plus  d'effusion 
et  de  reconnaissance  que  nous  connaissons,  par  vos  ou- 
vrais, les  études  sérieuses  que  vous  avez  faites  sur  la 
classe  ouvrière  et  sur  les  moyens  d'améliorer  son  sort. 
Aussi  c'est  du  fond  de  notre  cœur,  où  il  est  resté  trop 
longtemps  contenu,  que  nous  poussons  ce  cri  :  Vive  le 
comte  de  Paris  ! 

Le  prince  répondit  que  pendant  son  long  exil 
les  souvenirs  affectueux  qui  lui  étaient  transmis 
de  la  part  des  habitants  d'Eu,  au  milieu  desquels 
il  était  heureux  de  se  retrouver,  avaient  été  une 
consolation  pour  lui.  Ses  paroles  furent  chaleu- 
reusement acclamées. 

M.  le  comte  de  Paris  se  rendit  ensuite  dans  l'éta- 
blissement de  M.  Fluttre,  qui  venait  de  recevoir 
une  médaille  de  l'Association  normande  pour  la 
perfection  de  son  travail.  Là,  comme  aux  usines 
Packam,  il  reçut  des  ouvriers  cl  de  la  foule,  qui 
se  pressait  sur  son  passage,  l'accueil  le  plus  em- 
pressé. De  là  M.  Eslancelin  accompagna  le  prince 
à  la  verrerie  de  la  Grande-Yalléc,  dans  la  foret 
d'Eu. 

M.  le  comte  de  Paris,  après  son  excursion  en 
Normandie,  partit  pour  Aix-les-Bains,  où  il  alla 
rejoindre    M.    le   duc    d'.Aumale.    M.   le  comte  de 


«  LA    SITUATION    DES    OUVRIERS    EN    ANGLETERRE    »      i<31 

Paris  tenait  ainsi  à  adoucir  la  solitude  de  son 
oncle,  si  malheureux  depuis  la  mort  du  duc  de 
Guise. 

Avant  de  revenir  à  Paris,  M.  le  comte  et  Madame 
la  comtesse  de  Paris ,  après  s'être  rendus  chez 
M.  Casimir  Périer,  dans  l'Isère,  s'arrêtaient  quel- 
ques jours  au  château  de  la  Grave,  près  de  Li- 
bourne,  chez  M.  le  duc  Decazes,  puis  h  Bordeaux, 
où  ils  étaient  accueillis  avec  le  plus  vif  empresse- 
ment. C'est  ainsi  que  s'écoula  la  première  année 
du  retour  en  France  de  M.  le  comte  de  Paris. 

Au  mois  de  mars  1873,  M.  le  comte  de  Paris 
publia  en  un  volume  le  travail  sur  la  Situation  des 
Ouvriers  en  Angleterre^  qu'il  venait  d'adresser  à  la 
commission  d'enquête  sur  les  classes  ouvrières 
instituée  par  l'Assemblée  nationale.  En  lisant  ce 
livre,  qui  obtint  un  brillant  succès,  on  sent  qu'en 
étudiant  la  situation  des  ouvriers  en  Angleterre, 
le  prince  pense  sans  cesse  à  la  situation  des 
ouvriers  en  France.  Dans  cet  exil  où  tout  et 
tous  lui  parlaient  de  cette  patrie  dont  il  avait  été 
banni  si  jeune,  le  but  unique  de  toutes  ses  études 
était  de  se  rendre  capable,  à  quelque  position  que 
la  Providence  l'appelât,  de  faire  du  bien  à  son 
pays. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  trois  parties  princi- 
pales :  le  salaire,  l'association,  la  protection;  c'est- 
à-dire  la  vie  matérielle,  la  vie  morale  et  la  vie 
sociale   de  l'ouvrier.    On  a  pu,  dans  une  certaine 

11 


162  \"OYAGE    KX    Al'RIoi-'K 

presse,  critiquer  systémaliquemeiit  ce  livre  et 
refuser  d'y  voir  Texposé  réel  et  sincère  de  la  vie 
de  l'ouvrier  anglais.  On  a  voulu  oublier  que 
M.  le  comte  de  Paris  ne  nous  propose  pas,  et  avec 
raison,  pour  la  France  tout  ce  qu'il  loue  en  Angle- 
terre; toujours  est-il  que  tout  esprit  impartial 
lira  ce  volume  avec  intérêt  et  profit. 

Pour  nous  servir  des  éloquentes  expressions 
par  lesquelles,  en  terminant  son  livre,  M.  le  comte 
de  Paris  dépeint  l'Angleterre,  nous  ne  désespé- 
rons pas  de  voir  un  jour  la  France, 

forte  de  ses  institutions,  respectant  le  passé,  scrutant 

le  présent,  aller  virilement  au-devant  des  problèmes  de 
l'avenir.  Dans  ces  questions  graves  et  délicates,  elle  don- 
nera l'exemple  d'une  politique  vraiment  réformatrice,  c'est- 
à-dire  ni  révolutionnaire  ni  routinière,  qui  cherche  à  aug- 
menter avec  la  liberté  la  responsabilité  de  l'individu,  qui 
efiace  autant  que  possible  de  ses  codes  les  mesures  préven- 
tives, en  même  qu'elle  apprend  au  plus  humble  citoyen 
que  le  respect  religieux  de  la  loi  par  tous  est  la  seule 
garantie  de  la  liberté  de  chacun. 

Dans  les  premiers  jours  de  nuii  1873,  M.  lecomte 
de  Paris,  désireux  de  connaître  cette  terre  d'Afri- 
que, illustrée  jadis  par  son  père  et  ses  oncles, 
accompagna  M.  le  duc  de  Chartres  qui  allait 
rejoindre  son  régiment  à  Gonslantine.  Le  prince 
parcourut  rapidement  les  principales  villes  de 
notre  colonie.  11  visila  successivement  Bône, 
Gonstanline,  Blidah,  Oran  et  Alger,  accueilli  par- 


VISITK    AU    MARÉCHAL    DE    MAC    MAHON  163 

tout  avec  sympathie,  siirlout  par  les  autorités  mili' 
taire s. 

Les  graves  événemenls  qui  se  préparaient  à  la 
suite  des  élections  du  27  avril  et  du  11  mai  1873 
hâtèrent  le  retour  en  France  de  M.  le  comte  de 
Paris.  L'Assemblée  nationale,  dontles  vacances  se 
terminaient  le  19  mai,  reprit  ses  séances  ce  môme 
jour  à  Versailles.  Le  20,  M.  le  comte  de  Paris 
arrivait  à  Chantilly.  Gomme  toute  la  France,  les 
princes  d'Orléans  accueillirent  avec  satisfaction  le 
nouveau  gouvernement  du  24  mai. 

Quelques  jours  après  que  le  glorieux  vaincu  de 
Reichshoffen,  le  maréchal  de  Mac  Mahon,eut  cons- 
titué un  ministère  résolu  à  une  politique  éncrgi- 
quement  conservatrice,  M.  le  comte  de  Paris  se 
rendit  à  Versailles,  chez  M.  le  président  de  la 
République.  Le  maréchal  était  absent  ;  mais  le 
lendemain,  dimanche  l*""  juin,  il  alla  à  Paris  pour 
rendre  au  prince  sa  visite.  Reçu  immédiatement, 
le  maréchal  de  Mac  Mahon  s'entretint  avec  M.  le 
comte  de  Paris,  lui  parlant  de  l'Afrique,  où  il  avait 
fait  ses  premières  armes,  et  du  discours  que  venait 
de  prononcer, à  Langres,  M.  le  prince  de  Joinville. 

Peu  de  jours  après  la  revue  du  12  juillet  1873  pas- 
sée en  l'honneur  du  shah  de  Perse,  l'Assemblée 
nationale  se  séparait  et  s'ajournait  au  5  novembre. 

Ce  fut  alors,  à  la  fin  de  juillet,  que  M.  le  comte 
de  Paris  réunit  chez  lui  ses  oncles  et  son  frère 
le  duc  de  Chartres,    pour  leur  faire  part  de  son 


104  M  "^    LE    COMTE    DE    PARIS    A    VIENNE 

intention  d'aller  à  Vienne,  voir  M.  le  comte 
de  Chambord.  Tous  l'approuvèrent.  Depuis  deux 
ans,  M.  le  comte  de  Paris  attendait  avec  impa- 
tience le  moment  où  il  pourrait  faire  cette  visite. 
«  Comme  on  l'a  dit  avec  justesse,  le  trait  dis- 
tinctif  du  caractère  de  M.  le  comte  de  Paris,  c'est 
un  patriotique  désintéressement.  L'acte  poli- 
tique du  5  août  en  est  la  preuve.  L'entrevue  de 
Frohsdorfa  pu  causer,  en  France  et  en  Europe, 
une  vive  surprise.  Elle  n'a  étonné  aucun  de  ceux 
qui  ont  l'honneur  de  connaître  M.  le  comte  de 
Paris.  Cette  démarche,  libre  et  volontaire,  il  l'a 
faite  comme  la  chose  la  plus  simple  et  la  plus 
naturelle,  en  vue  de  reconstituer  en  France  l'unité 
de  la  grande  cause  royaliste;  sans  cette  unité,  au- 
cune possibilité,  aucune  espérance  de  relier  en  un 
faisceau  les  forces  éparses  du  parti  conservateur. 
Là  où  était  la  nécessité,  le  prince  s'est  dit  que  là 
était  le  devoir,  et  il  n'a  pas  hésité.  » 

Ce  qu'il  avait  résolu  de  faire,  il  l'a  fait  à  l'heure 
qu'il  s'était  choisie  avec  l'à-propos  et  le  tact  d'un 
sage  et  profond  politique.  Ceux  qui  le  persécu- 
taient (le  mot  est  juste)  pour  qu'il  avançât  son 
voyage  à  Frohsdorf ,  ne  songeaient  point  que , 
l'accomplir  avant  le  24  mai,  c'eut  été  s'exposer  à 
en  compromettre  à  tout  jamais  les  résultats  au- 
jourd'hui acquis.  Au  pouvoir  alors,  dominant  la 
situation  et  les  partis,  M.  Thiers  avec  sa  merveil- 
leuse  et  nuisible  habileté,  n'eût  pas  manqué  de 


M"'"   LE    COMTE    DE    PARIS   A   VIENNE  165 

ruiner,  au  profit  de  l'idée  républicaine,  l'union 
monarchique  en  la  dénonçant,  et  au  besoin, 
en  la  châtiant  comme  un  complot.  La  lettre  de 
M.  Thiers  au  maire  de  Nancy,  le  29  septembre, 
montra  que  M.  le  comte  de  Paris  avait  vu  juste. 
On  accusait  partout  depuis  deux  ans  les  princes 
d'Orléans  d'être  les  seuls  obstacles  au  rétablisse- 
ment de  la  monarchie.  Rien  n'était  plus  injuste. 
Mais  cette  idée  faisait  de  tels  progrès  dans  le 
public,  qu'elle  entrait  dans  l'esprit  des  hommes 
les  plus  modérés. 

Selon  la  parole  célèbre  :  «  En  révolution  il  est 
plus  difficile  de  connaître  son  devoir  que  de  le 
faire,  »  M.  le  comte  de  Paris  avait  compris  quel  acte 
important  pour  la  France  il  allait  accomplir,  et  il 
n'hésita  pas. 

La  nuit  du  24  mai  avait  heureusement  donné  le 
pouvoir  au  maréchal  de  Mac  Mahon.  Mais  la  France 
subissait  encore  l'occupation  étrangère,  l'Assem- 
blée était  réunie,  et  la  visite  de  M.  le  comte  de  Paris 
au  chef  de  la  maison  de  Bourbon  aurait  pu  créer  de 
sérieux  embarras  au  ministère  nouveau.  On  aurait 
pu  aussi  reprocher  aux  princes  de  préparer  le 
retour  de  la  monarchie  sous  la  protection  des 
baïonnettes  prussiennes  ;  il  fallait  attendre  encore. 

Les  députés  en  vacances,  le  moment  était  pro- 
pice. M.  le  comte  de  Paris  alla  installer  Madame 
la  comtesse  de  Paris  et  ses  enfants  à  Villers-sur- 
Mer,  près  de  Trouville,  puis  il  partit  pour  la  Suisse, 


166  M^'    LE    COMTE    DE    PARIS    A    VIENNE 

avec  son  oncle,  le  jîiince  de  Joinville.  Il  préférait 
éviter  le  bruit  qu'aurait  causé  sa  visite,  et  dési- 
rait surtout  que  M.  le  comte  de  Chambord  n'en 
fût  informé  qu'après  son  arrivée  à  Vienne. 
En  Suisse,  il  fut  reconnu  par  un  ami  du  prince 
Louis  Bonaparte,  qui  alla  immédiatement  dire 
au  fils  de  Napoléon  III  qu'il  venait  de  rencon- 
trer M.  le  comte  de  Paris.  M.  Thiers  fit  insérer 
le  départ  du  comte  de  Paris  pour  Vienne,  dans 
le  National.  Cette  nouvelle  avait  été  annoncée  si 
souvent  depuis  deux  ans,  que  personne  n'y  attacha 
la  moindre  attention.  On  n'y  ajouta  foi  que  lorsque 
toute  la  presse  publia  des  dépêches  de  Vienne, 
annonçant  l'arrivée  du  prince,  dans  cette  ville, 
le  samedi  soir  2  août. 

Le  lendemain  3,  M.  le  comte  de  Paris  envoya 
une  dépêche  à  M.  le  comte  de  Chambord,  lui  de- 
mandant quel  jour  et  en  quel  lieu  il  voudrait  bien 
le  recevoir.  Le  comte  de  Chambord  sortait  de  la 
messe,  lorsque  cette  dépêche  lui  fut  remise,  en 
présence  de  madame  la  comtesse  de  Chambord, 
de  M.  le  comte  de  Vanssay  et  de  M.  le  comte 
de  Blacas.  On  nous  a  assuré  que  l'augusle  chef 
de  la  maison  de  Bourbon  lut  avec  émotion  la 
dépêche,  et  que  son  visage  respirait  à  la  ibis  la 
joie  et  la  surprise. 

M.  le  comte  de  Chambord  télégraphia  immédia- 
tement à  M.  le  comte  de  Paris  que  le  lendemain, 
danslajournée,  il  reccvraitla  réponse  qu'il  désirait. 


M'""  LE  COMTE  DE  CHAMBORD  ET  M'"'  LE  COMTE  DE  PARIS    167 

Le  4,  M.  le  comte  de  Vanssay  se  rendait  à  Vienne, 
et  à  une  note  qu'il  remit  au  nom  de  M.  le  comte 
de  Ghambord  à  M.  le  comte  de  Paris,  celui-ci 
'répondit  immédiatement,  de  sa  main,  ce  qui  suit  : 

Vienne,  4  août  1873. 

M.  le  comte  de  Paris  pense  comme  M.  le  comte  de 
Chambord  qu'il  faut  que  la  visite  projetée  ne  donne  lieu  à 
aucune  interprétation  erronée. 

Il  est  prêt,  en  abordant  M.  le  comte  de  Chambord,  à  lui 
déclarer  que  son  intention  n'est  pas  seulement  de  saluer  le 
chef  de  la  maison  de  Bourbon,  mais  bien  de  reconnaître  le 
principe  dont  M.  le  comte  de  Ghambord  est  le  représentant. 

Il  souhaite  que  la  France  cherche  son  salut  dans  le 
retour  à  ce  principe,  et  il  vient  auprès  de  M.  le  comte  de 
Chambord  pour  lui  donner  l'assurance  qu'il  ne  rencontrera 
aucun  compétiteur  parmi  les  membres  de  sa  famille. 

M.  le  comte  de  Paris  pria  seulement  M.  de  Vans- 
say de  vouloir  bien  faire  part  à  M.  le  comte  de 
Chambord  de  l'intention  où  étaient  ses  oncles  et 
lui-même  de  servir  dans  l'armée  française. 

A  cette  loyale  déclaration,  M.  le  comte  de  Gham- 
bord répondit  cette  phrase  significative  :  «...  Je 
trouve  très  naturel  le  désir  de  mes  cousins  de 
rester  dans  l'armée,  tant  que  la  France  est  en 
République,  je  ne  le  comprendrais  pas  si  c'était 
sous  une  monarchie,  autre  que  la  monarchie 
légitime  » 

Le  mardi  5  aoiit,  à  neuf  heures  du  matin,  M.  le 


168  ENTREVUE    DE    FROIISDORF 

comte  de  Paris  arrivait  au  château  de  Frolisdorf, 
situé  à  une  heure  de  Vienne,  en  chemin  de  fer. 
Introduit  dans  le  salon  où  le  comte  de  Ghambord 
l'attendait.  M.  le  comte  de  Paris,  après  avoir  serré 
la  main  que  lui  tendait  son  cousin,  s'exprima  ainsi  : 
((  Mon  cousin,  en  saluant  aujourd'hui  le  chef  de 
notre  maison,  en  mon  nom,  comme  au  nom  de 
[ouïe  ma  famille,  je  viens  reconnaître  en  môme 
temps  le  principe  monarchique  dont  vous  êtes 
le  seul  représentant  en  France.  Le  jour  où  notre 
pays  comprendra  que  son  salut  est  dans  la  res- 
tauration de  la  monarchie,  soyez  persuadé  que 
vous  ne  trouverez  de  compétiteur  au  trône,  ni  en 
moi,  ni  en  aucun  membre  de  ma  famille.  »  A  ces 
paroles,  le  comte  de  Ghambord,  fort  ému,  se  leva, 
et  les  deux  princes  s'embrassèrent.  Leur  conver- 
sation continua  sur  le  ton  de  lu  plus  grande  cor- 
dialité. M.  le  comte  de  Paris  s'entretint  surtout  de 
la  France,  de  l'état  des  esprits,  et,  sans  parler  spé- 
cialement du  drapeau  tricolore,  laissa  comprendre 
à  son  cousin  que  l'Assemblée  nationale,  par  l'or- 
gane de  ses  représentants,  aurait  à  régler  bientôt 
avec  lui,  espérait-il,  les  moyens  de  rétablir  la  mo- 
narchie. A  la  fin  de  leur  conversation,  M.  le  comte 

de  Ghambord  lui  dit  ces  mots  :   « Groyez  que 

je  (rouve  tout  naturel  que  vous  conserviez  les 
opinions  politiques  dans  lesquelles  vous  avez 
élé  élevé;  l'héritier  du  liône  peut  avoir  ses 
idées,  comme  le  Roi  les  siennes » 


ENTREVUE  DE  FROHSDORF  169 

Il  présenta  ensuite  M ,  le  comte  de  Paris  à  Madame 
la  comtesse  de  Chambord  qui  lui  fit  le  plus  aima- 
ble accueil.  M.  le  comte  de  Paris  resta  plusieurs 
heures  à  Frohsdorf,  après  le  déjeuner.  Il  repartit 
pour  Vienne  vers  quatre  heures,  car  le  soir  il 
devait  diner  chez  l'empereur  d'Autriche,  et  se 
rendre  avec  lui  à  l'Opéra  à  une  représentation  de 
gala  en  l'honneur  du  Shah   de  Perse. 

Telle  fut  cette  première  entrevue  entre  le  petit- 
fils  du  roi  Louis-Philippe  P'"  et  le  petit-fils  du  roi 
Charles  X.  Les  journaux  républicains  pous- 
sèrent des  cris  de  rage  et  insultèrent  à  l'envi  les 
princes  d'Orléans  et  le  comte  de  Chambord. 
On  voit  combien  cette  réconciliation  des  deux 
branches  de  la  maison  de  Bourbon  avait  été 
spontanée,  loyale  et  franche.  On  remarquera  le 
noble  langage  du  comte  de  Chambord,  comprenant 
et  appréciant  l'abnégation  et  le  désintéressement 
de  M.  le  comte  de  Paris.  Aussi  ne  nous  arrête- 
rons-nous pas  plus  longtemps  aux  commentaires 
des  ennemis  des  princes,  furieux  et  dépités 
de  voir  leurs  espérances  ajournées  indéfiniment 
par  l'union  des  deux  branches  de  la  maison  de 
Bourbon. 

Mais  il  faut  le  reconnaître  !  Le  parti  républicain 
eut  alors  une  singulière  prétention.  Il  poursuivit 
avec  acharnement  le  dessein  d'établir,  pièces  en 
main,  àla  lumière  de  l'histoire,  que  l'union  du  parti 
monarchique,  et  le  parfait  accord  qui  régnait  entre 


170  LA    FUSION 

les  légitimistes  et  les  orléanistes,  constituaient 
une  atteinte  aux  droits,  une  infraction  aux  devoirs 
des  uns  et  des  autres;  et,  pour  préciser,  que  ce  qui 
se  passa  le  5  août  .1873  était  une  injure  à  la  mé- 
moire du  comte  de  Chambord  et  du  roi  Louis- 
Philippe.  Des  chefs  de  l'opportunisme  ont  osé 
dire  :  «  M.  le  comte  de  Paris,  en  acceptant 
l'héritage  politique  de  M.  le  comte  de 
Chambord,  a  trahi  la  mémoire  et  les  enseigne- 
ments de  sa  famille.  Les  légitimistes,  en  recon- 
naissant, comme  ils  l'ont  fait,  M.  le  comte  de 
Paris  pour  le  chef  indiscutable  de  la  maison  de 
France ,  ont  brisé  la  tradition  de  leur  parti  et 
manqué  de  respect  à  M.  le  comte  de  Chambord.  » 
On  remplirait  des  volumes  avec  les  articles  dans 
lesquels  ce  double  thème  a  été  développé  à  sa- 
tiété. 

Eh  bien!  un  témoin  surgit  qui  détruit  ces 
erreurs,  et  ce  témoin,  nous  ne  pensons  pas 
que  les  républicains  récusent  ni  son  auto- 
rité ni  sa  compétence.  Il  s'agit,  en  effet,  de 
l'homme  d'Etat  le  plus  considérable  de  la  monar- 
chie de  Juillet.  Grand  orateur,  grand  historien, 
écrivain  de  premier  ordre  :  nous  avons  nommé 
M.  Guizot.  Sa  fille.  M"'  de  Witt,  a  recueilli  pieu- 
sement quelques-unes  des  lettres  de  M.  Guizot  à 
sa  famille  et  à  ses  amis  ;  elles  forment  un  seul 
volume,  mais  le  volume  est  de  choix.  On  y  re- 
trouve, ("ommc  en  un  fragment  de    iniroii-  brisé, 


LE    ROI    LOUIS-PHILIPPE    ET    LA    FUSION  171 

les  meilleures  qualités  de  ce  puissant  esprit,  ses 
vues  larges  et  profondes  sur  les  hommes  et  sur 
les  choses  de  son  temps,  dans  un  style  merveil- 
leusement adapté  aux  généralisations,  et  habile 
à  exprimer  la  vérité  tout  entière  en  deux  phrases, 
en  de  courts  fragments,  pour  la  plupart  impro- 
visés. 

Or,  il  résulte  des  lettres  de  M.  Guizot,  qu'après 
la  révolution  de  1848,  dans  l'intervalle  qui  s'é- 
coula entre  l'avènement  du  prince  Louis-Napoléon 
à  la  présidence  de  la  République  et  le  coup  d'Etat 
du  2  décembre  1851,  les  partisans  de  la  monarchie 
traditionnelle  et  les  serviteurs  de  la  royauté  de 
Juillet  étaient  unanimes  sur  la  nécessité  et  Tur- 
gence  d'une  réconciliation  sincère  et  d'une  fusion 
définitive  entre  toutes  les  forces  monarchiques  de 
ce  pays.  Non  seulement  M.  Guizot,  pour  sa  part, 
était  entré  dans  ces  idées  sans  aucune  espèce  de 
réserve,  mais  sa  correspondance  nous  révèle  que 
le  roi  Louis-Philippe  les  favorisait  de  tout  son 
pouvoir,  les  appuyait  de  toute  son  autorité.  Le  roi 
disait  à  M.  Guizot,  en  juillet  1850  : 

«  Mon  petit-fils  ne  peut  régner  au  môme  titre  et 
aux  mêmes  conditions  que  moi,  qui  ai  fini  par 
échouer.  Il  ne  peut  être  que  roi  légitime,  soit  par 
la  mort,  soit  par  l'abdication  de  M.  le  duc  de 
Bordeaux,  soit  à  son  tour.  Mais  je  n'ai,  quant  à 
présent,  ni  résolution  à  prendre,  ni  démarche  à 
faire.    Je  n'ai   qu'à  attendre.    C'est  un  grand  mal 


1/2  LE    ROI    LOUIS-PHILIPPE    ET    LA   FUSION 

que  la  désunion  de  la  maison  de  Bourbon  :  je 
n'y  ajouterai  pas  le  scandale  de  la  désunion  de 
la  maison  d'Orléans.  Il  faut  que  tous  les  miens 
soient  de  mon  avis.  Tous  mes  fils  en  sont.  Mais 
ce  n'est  pas  tout.  Il  faut  du  temps  :  il  me  faut 
du   temps  ^  » 

Toutefois  ni  le  roi  Louis-Philippe  ni  M.  Guizot 
n'estimèrent  que  ce  fût  assez,  dans  les  circons- 
tances où  se  trouvait  alors  le  pays,  de  former  des 
vœux  platoniques  en  faveur  de  la  fusion.  Avec  les 
conseils,  avec  les  encouragements  du  premier,  le 
second  se  mit  en  mesure  de  faire  parvenir  à  M.  le 
comte  de  Chambord  l'expression  des  idées  qui 
avaient  cours  à  Claremont,  et  de  préparer  le 
terrain  à  une  solution  qui,  dès  cette  époque,  était 
chère  aux  meilleurs  esprits.  M.  Guizot  rédigea 
donc  à  la  fin  de  Tannée  1850  une  note  développée 
sur  les  conditions  dans  lesquelles  pouvait  s'ac- 
complir la  réconciliation  des  partis  monarchiques. 

Cette  note  est  une  des  pages  les  plus  judicieu- 
ses et  les  plus  élevées  qui  soient  sorties  de  la 
plume  de  M.  Guizot.  Après  avoir  défini  ce  qui  doit 
appartenir  en  propre  aux  légitimistes  et  aux 
orléanistes  dans  l'exercice  du  gouvernement  royal, 
fauteur  posait  ainsi  ses  conclusions  : 

«  En  1830,  une  grande,  une  très  grande  partie 
de  la  nation  s'est  sentie  attaquée  et  mise  en  péril 

1.  M.  Gui/.ot  à  M.  de  Baraiile,  9  juillet  1850. 


UNE    NOTE    DE    M.    GUIZOT  173 

dans  ses  droits,  dans  ses  intérêts,  dans  son  hon- 
neur. Elle  a  fait  ou  approuvé,  contre  le  droit  mo- 
narchique, une  révolution.  A  lort  ou  à  raison,  elle 
n'a  pas  cru  pouvoir  défendre  par  un  autre  moyen 
ses  intérêts,  son  honneur,  ses  droits.  La  révolu- 
tion faite,  le  pays  et  son  gouvernement  nouveau 
se  sont  efforcés  de  l'arrêter,  de  la  régler,  d'en  faire 
sortir,  sous  un  prince  de  la  maison  de  Bourbon, 
une  monarchie  constitutionnelle.  Cette  monarchie 
a  duré  dix-huit  ans.  Pendant  dix-huit  ans,  elle  a 
maintenu  l'ordre  légal  en  France  et  la  paix  en 
Europe.  Pendant  dix-huit  ans,  la  France  a  vécu 
libre  et  prospère.  Nul  autre  gouvernement,  de- 
puis soixante  ans,  n'a  duré  davantage  et  n'a  plus 
sincèrement  et  plus  libéralement  gouverné.  En 
1848,  ce  gouvernement  a  été  soudainement  ren- 
versé. Sans  regarder  plus  avant,  sans  rechercher 
les  causes  secondaires  de  sa  chute,  on  est  en 
droit  de  dire  qu'il  ne  possédait  pas  toutes  les  con- 
ditions vitales  de  la  durée. 

«  Ce  sont  là  deux  grands  faits  qui  planent 
maintenant  sur  tous  les  partis,  et  qui,  pour  M.  le 
comte  de  Chambord  et  pour  la  France,  doivent 
présider  à  toute  politique.  On  peut  dire  que  Dieu 
a  parlé.  La  France  doit  reconnaître  que  le  respect 
du  droit  monarchique  et  l'union  des  partis  monar- 
chiques sont  indispensables  à  la  monarchie.  M.  le 
comte  de  Chambord  doit  reconnaître  que  la  mo- 
narchie de  1830  a  été  nationale  et  légale,  et  qu'elle 


174  UNE    NOTE    DE    M.    C4UIZ0T 

a  sauvé  la  France  de  l'anarchie.  Par  cette  altitude 
simultanée,  ni  M.  le  comte  de  Ghambord  ni  la 
France  n'abandonnent  leur  dignité  et  leur  droit. 
Ils  se  rapprochent  sans  se  renier.  Ils  rendent 
ensemble  hommage  à  la  vérité  et  à  la  néces- 
sité'. » 

La  note  de  M.  Guizot  avait  été  mise  sous  les 
yeux  de  M.  le  comte  de  Ghambord  par  l'intermé- 
diaire de  M.  le  duc  de  Noailles.  Le  prince  l'exa- 
mina avec  l'attenlion  qui  lui  était  due,  et  y  répon 
dit,  comme  on  sait,  par  une  des  plus  magnifiques 
lettres  de  sa  correspondance.  M.  le  comte  de 
Ghambord,  après  avoir  rendu  hommage  à  la  supé- 
riorité d'esprit,  à  la  haute  capacité  el  à  la  longue 
expérience  de  M.  Guizot,  ajoutait  :  «  Je  les  ai  lues 
(ces  pages)  avec  d'autant  plus  d'intérêt  et  de 
satisfaction  que,  sur  la  plupart  des  points  et 
à  quelques  différences  près,  je  partage  les  pensées 
et  les  vues  qu'elles  expriment.  » 

G'est  donc  le  programme  tracé  par  M.  Guizot 
d'une  main  si  magistrale  en  1850  qui  s'est  exé- 
cuté en  1873.  Libre  au  parti  républicain  de  traiter 
de  haut  l'évolution  si  patriotique  et  si  nationale 
que  les  conservateurs  accomplirent,  mais  ce  que 
nous  contestons  à  nos  adversaires,  c'est  de  pouvoir 
prétendre  qu'elle  a  eu  lieu  en  opposition  avec 
les  traditions  respectives  des  deux  partis  monar- 

1,  Lettres  fie  M.    Guizot.  Note  sur  la  fusion,  novonibre  1850, 
elle/.  IliuheUe. 


m""'  le  comte  de  chambord  chez  m^''  le  comte  de  rAHI.S  175 

chiques.  En  réalité,  leur  union,  désormais  indis- 
soluble, est  au  même  degré  l'œuvre  du  roi  Louis- 
Philippe  et  de  M.  le  comte  de  Chambord. 

Le  5  août  1873,  M.  le  comte  de  Chambord  reçut 
aussi  là  visite  de  M.  le  prince  de  Joinville,  qui  lui 
exprima  des  sentiments  en  parfait  accord  avec  ceux 
de  son  neveu.  Le  lendemain,  M.  le  comte  de  Cham- 
bord rendait,  à  Vienne,  à  M.  le  comte  de  Paris,  la 
visite  qui  lui  avait  été  faite.  Dans  cette  seconde 
entrevue,  le  comte  de  Chambord  parla  beaucoup  à 
M.  le  comte  de  Paris  de  ses  enfants,  et  lui  demanda 
leurs  photographies.  Pour  le  chef  de  la  maison  de 
Bourbon,  en  effet,  la  fusion  des  deux  branches  de 
sa  famille  ne  consistait  pas  seulement  à  oublier 
des  deux  côtés  la  politique  passée,  mais  aussi  à 
retrouver  toutes  les  joies  de  la  famille,  dont  il 
avait  été  sevré  depuis  tant  d'années.  Une  fatale 
désunion  l'avait  empêché  de  connaître,  même  de 
vue,  ceux  qui  étaient  comme  lui  du  sang  de  Bourbon. 

Un  journal  a  dit  à  propos  de  l'entrevue  de 
Frohsdorf : 

«  C'est  alors  que  par  l'initiative  généreuse  et 
hardie  de  M.  le  comte  de  Paris,  le  chef  de  la  maison 
de  Bourbon  voit  arriver  chez  lui  des  hommes  qui 
témoignèrent  une  émotion  que  peuvent  seuls 
éprouver  des  gens  de  cœur.  Autour  d'eux  des  fem- 
mes, des  enfants  de  tous  âges,  de  brillants  officiers 
comme  le  duc  de  Chartres,  de  ravissantes  jeunes 
filles  comme  la  princesse  Blanche  de  Nemours,  se 


176  M-'""    LE    COMTE    DE    PARIS    A   VILLERS-SUR  MER 

tiennent  dans  une  respectueuse  et  afFectueuse  atti- 
tude. Les  mains  se  tendent,  les  yeux  s'emplissent 
de  larmes,  et  l'homme  qui  semblait  destiné  à  pas- 
ser sa  vie  près  d'un  foyer  désert  reçoit  dans  ses 
bras  toute  une  famille,  des  frères,  des  sœurs,  et 
jusqu'à  des  bébés  comme  le  petit  duc  d'Orléans, 
qui  grimpent  sur  ses  genoux  et  commencent  à 
Taimer,  en  même  temps  qu'à  le  connaître.  Une 
seule  idée  reste  au  fond  de  tous  ces  cœurs  :  le  re- 
gret du  temps  perdu  dans  l'isolement,  le  désir  de 
le  réparer. 

«  Quant  au  prince  vers  qui  on  est  venu,  cette 
jeunesse  lui  rend  sa  jeunesse,  son  cœur  a  trouvé 
à  qui  parler,  il  possède  enfin  une  famille,  et  les 
basses  jalousies  ou  les  haines  aveugles  auront  beau 
s'agiter  au  dehors,  elles  ne  désuniront  pas  ce  qui 
a  été  si  bien  cimenté.  Qu'on  le  comprenne  bien  :  la 
réunion  des  deux  branches  de  Li  maison  de  Bour- 
bon fut  d'autant  plus  solide  qu'il  s'agissait  pour 
elles  non  seulement  de  rapprocher  leurs  familles, 
mais  encore  de  sauver  la  France  qui  sans  la  mo- 
narchie ne  tarderait  pas  à  périr.  » 

M.  le  comte  de  Paris  revint  à  Paris  au  milieu 
d'août.  Il  ne  fit  qu'y  passer,  et  rejoignit  sa  famille 
à  Villers-sur-Mer.  La  visite  du  5  août  avait  eu  un 
immense  retentissement  en  France.  Partout  on 
approuvait  M.  le  comte  de  Paris  qui,  dès  son  retour 
à  Villers  le  18  août,  écrivait  à  un  ami  : 


I^TTRE    DE    M^'""    LE    COMTE    DE    PARIS  177 

Je  vous  remercie  d'avoir  si  bien  compris  et  apprécié  ma 
récente  démarche  au])rès  de  M.  le  comte  de  Chaïubord.  J'ai 
été  inspiré  par  une  pensée  d'union.  J'ai  voulu  écarter  tout 
ce  qui  pouvait  faire  obstacle  à  cette  union  des  conserva- 
teurs, fondée  sur  des  intérêts  communs,  et  sur  un  respect 
des  opinions  de  chacun,  partout  où  il  peut  y  avoir  diver- 
gence. Cette  union  peut  seule  nous  sauver  des  ennemis  so- 
ciaux. 

Toute  la  presse  conservatrice  saluait  avec  joie 
la  réconciliation  de  la  famille  royale,  et  l'histoire 
enregistrait  avec  une  admiration,  mêlée  d'étonne- 
ment,  le  plus  grand  acte  de  la  vie  politique  de  M.  le 
comte  de  Paris.  Cet  acte  déliait  sans  effort  le  nœud 
inextricable  d'un  malentendu  de  quarante  années; 
le  pays  tout  entier,  témoin  ému  de  la  patriotique  ab- 
négation de  M.  le  comte  de  Paris,  s'écriait  avec  joie: 
«  La  France  est  sauvée,  la  monarchie  est  faite  !  » 

La  presse  étrangère,  môme  la  plus  hostile,  ne 
pouvait  s'empêcher  de  s'écrier  comme  le  Times: 

«  Peut-on  concevoir  rien  de  plus  étrange  ?  Par 
suite  d'événements,  auxquels  il  n'a  pris  aucune 
part,  le  comte  de  Ghambordpeut,  pour  la  première 
fois  depuis  quarante-trois  ans,  voir  en  perspective 
son  arrivée  prochaine  et  légale  au  trône  de 
France.  Pour  la  première  fois,  depuis  la  mort  de 
Louis  XVI,  voici  un  prince  français,  appelé  au 
trône  par  sa  naissance,  qui  succédera  à  la  dignité 
de  ses  ancêtres,  sans  avoir  sollicité  cette  succes- 
sion, et  sans  avoir  eu   recours,  pour    l'oblenir,  à 

12 


178  UN   ARTICLE   DU    «  TIMES  » 

l'intrigue  ou  à  la  violence.  Voici  également  (fait 
étrange  !)  un  prince  qui  renonce  à  sa  compétition 
au  pouvoir,  et  qui,  du  plus  formidable  des  préten- 
dants, devient  le  plus  loyal  des  sujets.  En  outre, 
tout  cela  arrive  au  moment  le  plus  inattendu,  alors 
que  les  plus  ardents  partisans  de  la  fusion  avaient 
perdu  tout  espoir  de  succès.  Le  seul  obstacle,  en 
vérité,  qui  semble  se  trouver  sur  la  voie  de  la  res- 
tauration de  la  monarchie  française  est  le  prince 
lui-même,  qui  depuis  quarante  ans  a  déclaré  sans 
cesse  que  la  monarchie  est  le  seul  salut  du  pays. 
Tout  cela  est  incroyable,  et  cependant  cela  est.  » 

Dans  toutes  les  classes  de  la  société  on  avait  la 
plus  grande  confiance  dans  les  intentions  du  comte 
de  Ghambord.  Quelques  personnes  auraient  désiré 
que  l'on  hàtàt  la  convocation  de  l'Assemblée.  On 
attribuait  à  un  haut  personnage  la  réponse  sui- 
vante à  ce  sujet  : 

«  Nous  ne  voulons  pas  replâtrer  une  monarchie  ; 
nous  voulons  l'établir  sur  une  base  solide.  Quel- 
ques mois  de  plus  ou  de  moins  n'ont  d'importance 
ni  pour  le  pays  ni  })our  le  comte  de  Ghambord; 
l'un  et  l'autre  pourront  réfléchir  :  la  France  sur  ce 
qu'elle  se  doit  k  elle-même,  et  le  prince  sur  ce 
qu'il  lui  doit » 

Geux  qui,  jusqu'alors,  avaient  été  les  plus  scep- 
tiques, commençaient  à  croire  à  la  restauration 
de  la  monarchie,  et  on  citait  cette  parole  d'un  de 
nos  plus  spirituels  conseillers   d'État   :   «   M.    le 


CALOMNIES    RÉPUBLICAINES  179 

comte  de  Chambord  n'a  jamais  eu  la  couronne  si 
près  de  sa  main,  jamais  il  n'a  été  aussi  sûr  de  s'en- 
lever toute  chance  future,  s'il  laisse  échapper  l'oc- 
casion actuelle.  Cette  situation  nouvelle  peut  agir 
sur  lui,  et,  comme  il  est  homme  de  devoir,  l'éclai- 
rer sur  ses  devoirs  envers  la  France  et  envers  la 
royale  maison  dont  il  est  redevenu  le  chef.  Il  y  a 
des  prodigues  qui  se  ruinent  jusqu'au  bout,  il  y  en 
a  qui  se  rangent  quand  ils  ont  un  enfant.» 

Les  républicains,  remis  de  leur  premier  trouble, 
ne  perdirent  pas  leur  temps.  Pendant  les  mois  de 
septembre  et  d'octobre  ils  parcoururent  les  cam- 
pagnes répétant  toutes  les  absurdités  sur  l'ancien 
régime,  la  dime,les  billets  de  confession,  etc.,  etc. 
Dans  certains  villages,  les  paysans  demandaient 
s'il  était  vrai  que  les  curés  allaient  remplacer  les 
maires,  dans  d'autres  ils  se  hâtaient  de  vendre 
leurs  denrées  pour  éviter  la  dijue  qui  allait  être 
rétablie  par  Henri  V  !  Avec  une  perfide  habileté, 
les  républicains  exploitaient  cette  crédulité,  et  les 
pèlerinages  leur  servaient  de  prétexte  pour  dire 
que  le  clergé  agitait  le  pays  par  des  manifestations 
politiques. 

Pendant  que  les  républicains  répandaient  leurs 
calomnies  contre  les  royalistes,  le  gouvernement 
s'appliquait  à  conserver  la  plus  stricte  neutralité. 
L'attitude  des  ministres  était  irréprochable,  et 
cela  était  d'autant  plus  méritoire  que  plusieurs 
étaient  ouvertement  royalistes. 


180  UNE    LETTRE    DE    M^''    LE    COMTE    DE    CHAMBORD 

On  était  arrivé  au  20  septembre.  Beaucoup  de 
Français  s'étaient  rendus  à  Frohsdorf,  et  avaient 
été  parfaitement  accueillis  par  le  comte  de  Cham- 
bord.  L'un  d'eux,  ancien  député  orléaniste,  M.  le 
vicomte  D.,  oncle  d'un  député  du  centre  gauche, 
nous  racontait  qu'il  n'avait  pu  s'empêcher  de  dire 
au  chef  de  la  maison  de  Bourbon  combien  il  était 
heureux  que  la  Providence  eût  donné  à  l'héritier 
du  trône,  M.  le  comte  de  Paris,  toutes  les  qualités 
qui  le  distinguent 

{(   Certainement,     répliqua    le     comte    de 

Chambord,  j'ai  été  bien  heureux  d'apprécier, 
comme  il  le  mérite,  M.  le  comte  de  Paris  :  c'est 
une  nature  droite,  honnête,  et  son  intelligence, 
son  esprit,  m'ont  paru,  comme  à  vous,  tout  à  fait 
remarquables » 

En  quittant  le  vicomte  D.,  le  prince  lui  serra 

la  main  en  lui  disant  :  «  A  bientôt,  au  revoir,  en 
France.  » 

La  veillede  cette  visite  (19  septembre),  M.  le  comte 
de  Chambord  avait  écrit  la  lettre  suivante  à  M.  le 
vicomte  de  Rodez-Bénavent,  député  de  l'Hérault  : 

Froshdorf,   19  septembi-o   1873. 

Le  sentiment  qu'on  éprouve,  mon  cher  vicomte,  en  lisant 
les  détails  que  vous  me  donnez  sur  la  propagande  révolu- 
tionnaire dans  votre  province,  est  un  senlinicnt  de  tris- 
tesse; on  ne  saurait  descendre  |)lus  bas  pour  trouver  des 
armes  contre  nous,  et  rien  n'est  moins  digne  de  l'esprit 
français. 


UNE  LETTRE  DE  M'"'  LE  COMTE  DE  CHAMi;ORD    iSl 

En  être  réduit,  en  1873,  à  évoquer  le  fantôme  de  la  dîme, 
des  droits  féodaux,  de  l'intolérance  religieuse,  de  la  [)er- 
sécution  contre  nos  frères  séparés;  que  vous  dirai-je  en- 
core ?  de  la  guerre  follement  entreprise  dans  des  conditions 
impossibles,  du  gouvernement  des  prêtres,  de  la  prédo- 
minance des  classes  privilégiées  !  Vous  avouerez  qu'on  ne 
peut  pas  répondre  sérieusement  à  des  choses  si  peu  sé- 
rieuses. A  quels  mensonges  la  mauvaise  foi  n'a-t-elle  pas 
recours  lorsqu'il  s'agit  d'exploiter  la  crédulité  publique? 
Je  sais  bien  qu'il  n'est  pas  toujours  facile,  en  face  de  ces 
indignes  manœuvres,  de  conserver  son  sang-froid  ;  mais 
comj)tez  sur  le  bon  sens  de  vos  intelligentes  populations 
pour  faire  justice  de  pareilles  sottises.  Appliquez-vous  sur- 
tout à  faire  appel  à  tous  les  honnêtes  gens  sur  le  terrain  de 
la  reconstitution  sociale.  Vous  savez  que  je  ne  suis  point 
un  parti,  et  que  je  ne  veux  pas  revenir  pour  régner  par  un 
parti  :  j'ai  besoin  du  concours  de  tous,  et  tous  ont  besoin 
de  moi.  Quant  à  la  réconciliation  si  loyalement  accomplie 
dans  la  maison  de  France,  dites  à  ceux  qui  cherchent  à 
dénaturer  ce  grand  acte,  que  tout  ce  qui  a  été  fait  le  5  août 
a  été  bien  fait  dans  l'unique  but  de  rendre  à  la  France  son 
rang,  et  dans  les  plus  chers  intérêts  de  sa  prospérité,  de 
sa  gloire  et  de  sa  grandeur. 

Comptez,  mon  cher  Rodez,  sur  toute  ma  gratitude  et 
ma  constante  affection . 

Henri. 

Cette  lettre  réfutait  admirablement  les  men- 
songes de  la  propagande  révolutionnaire,  mais  ne 
donnait  pas  encore  la  satisfaction  si  attendue 
quant  à  la  constitution  et  au  drapeau.  Car  le  prince 


182  ANECDOTE    SUR    M^'"'  LE    COMTE    DE    CHAMBORD 

ne  tranchait  aucune  question,  et  laissait  ainsi  l'es- 
pérance aux  partisans  de  la  fusion. 

Voici  une  curieuse  anecdote  qui  nous  fut  ra- 
contée, à  celte  époque,  par  un  des  amis  les 
plus  intimes  de  M.  le  comte  de  Chambord,  atta- 
ché vingt  ans  à  sa  personne,  et  qui  fut  conseiller 
d'Etat  sous  la  présidence  du  maréchal  de  Mac 
Mahon  : 

Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  le  comte  de  Cham- 
bord se  trouvait  à  Munich,  et  assistait  à  un  grand 
bal  donné  par  le  roi  de  Bavière.  La  soirée  était 
des  plus  brillantes;  diplomates  ou  grands  sei- 
gneurs, presque  tous  portaient  un  costume  mili- 
taire. Le  roi  de  Bavière  en  causant  avec  le  comte 
de  Chambord  lui  demanda  pourquoi  il  ne  lui  avait 
jamais  vu  porter  un  costume  militaire. 

«  Vous  allez  le  comprendra  d'un  mot,  Sire, 
répondit  le  prince  :  un  uniforme  m'entraînerait  à 
mettre  une  cocarde,  et  ce  serait  préjuger  la  ques- 
tion qui  ne  peut  être  résolue  que  lorsque  je  serai 
en  France.  » 

Je  m'abstiens  de  tout  commentaire,  et  ferai  re- 
marquer seulement  la  sagesse  de  cette  réponse 
d'un  prince  qui  prévoyait  la  possibilité  pour  lui 
d'accepter  le  drapeau  tricolore. 

Beaucoup  de  députés  se  rendirent  à  Frohsdorf. 
M.  de  Sugny,  député  de  la  Loire,  et  M.  Mervcil- 
leux-f)uvignaux,  député  de  la  Vienne,  n'hésitèrent 
pas  à  exposer  au  prince  la  situation  telle  qu'elle 


M.  CHESNELONCt  a  salzbourg         183 

ressortait  des  réunions  tenues  à  Versailles,  tout 
en  déclarant  qu'ils  n'avaient  pas  mission  de  lui 
poser  un  ultimatum. 

Après  une  importante  réunion  de  la  droite,  le 
25  septembre,  il  fut  décidé  que  M.  Combler  par- 
tirait pour  Frohsdorf,  Ce  député  s'y  rendit  et 
constata  que  les  hésitations  de  M.  le  comte  de 
Chambord  sur  le  drapeau  tricolore  duraient  tou- 
jours. M.  Combler  se  sencontra  à  Frohsdorf  avec 
M.  le  duc  de  Chartres.  Ce  prince,  retenu  par  son 
devoir  de  chef  d'escadron  au  9°  chasseurs,  avait 
profité  d'un  congé  pour  aller  saluer  le  chef  de  la 
maison  de  Bourbon,  auprès  duquel  il  se  trouva  le 
29  septembre,  jour  anniversaire  de  sa  naissance. 

A  cette  occasion,  M.  le  comte  de  Paris  avait 
adressé  un  télégramme  à  M.  le  comte  de  Cham- 
bord, contenant  ses  félicitations,  et  en  avait  reçu 
une  dépêche  des  plus  cordiales. 

M.  Chesnelong,  député,  se  rendit,  au  nom  de  la 
droite,  à  Salzbourg,  le  12  octobre,  et  il  vit  longue- 
ment le  prince.  Sa  mission  paraissait  avoir  réussi, 
et  à  son  retour,  la  joie  la  plus  vive  était  mani- 
festée par  les  feuilles  conservatrices. 

Cependant,  à  mesure  que  l'heure  décisive  ap- 
prochait, l'anxiété  était  plus  grande  dans  le  parti 
royaliste,  surtout  en  présence  du  silence  gardé 
par  M.  le  comte  de  Chambord. 

Les  feuilles  anglaises  et  allemandes  racontaient 
que  les  chevaux    et  les  voitures    du   roi   étaient 


184  UN    MOT    DU    PRINCE    NAPOLÉON 

achetés,  les  piqueurs  arrêtés  par  M.  le  comte  de 
Damas,  qui  serait  allé  visiter  les  écuries  du 
Louvre,  et,  ajoutait-on  même,  avait  pris  des  ren- 
seignements, auprès  du  général  Fleury,  sur 
d'anciens  serviteurs  de  l'empereur  qui  deman- 
daient à  entrer  dans  la  maison  du  roi.  Enfin,  der- 
nier détail,  la  couturière  de  Madame  la  comtesse 
de  Chambord  avait  reçu  l'ordre  de  suspendre 
l'envoi  de  plusieurs  robes  destinées  à  la  princesse, 
qui  devait  incessamment  arriver  à  Paris. 

Les  ennemis  de  la  monarchie  ne  restaient  pas 
inaclifs.  Un  journal  radical  offrait  au  prince  Napo- 
léon de  s'unira  lui  contre  les  royalistes.  Le  prince 
acceptait  l'alliance  dans  une  lettre  rendue  pu- 
blique, qu'il  faisait  adresser  à  tous  les  maires  de 
France.  Alors  que  l'émotion  des  partis  s'ac- 
centuait chaquejour,  le  «  César  déclassé  »  se  ren- 
contra à  table,  chez  M.  Emile  de  Girardin,  qui 
défendait  avec  éclat  dans  la  Presse,  avec  M.  Ro- 
bert Mitchell,  la  cause  de  la  monarchie  constitu- 
tionnelle. 

«  A  quelles  folies,  lui  dit-il,  ne  vous  con- 
duiront pas  vos  doctrines  parlementaires?  Voilà 
([ue,  pour  en  assurer  le  triomphe,  vous  allez  à  la 
monarchie.  Vous  voulez  donc  revoir  les  anciens 
droits,  le  clergé  tout-puissant,  les  billets  de  con- 
fession ! —  Oh  !  .Monseigneur,  comment  pouvez- 
vous  alléguer  de  telles  sottises.  Laissez  cela  aux 
imbéciles?...  — Je  vous  dis,  s'écria  le  prince,  que 


SUKEXCITATION    DE    l/oPINION    PUIiLIQUE  185 

VOUS  prendrez  des  bains  d'eau  bénite  !  —  Ma  foi, 
répliqua  M.  de  la  Guéronnière  ,  j'aime  encore 
mieux  un  bain  d'eau  bénite  qu'un  bain  de  pétrole. 
—  Vous  avez  tort.  » 

«  Ce  trait  authentique  n'est-il  pas  un  éloquent 
commentaire  de  la  lettre  du  prince  Napoléon  ^  !  » 

On  était  arrivé  au  27  octobre.  Toute  la  polé- 
mique qui,  depuis  quelques  jours,  agitait  Paris, 
mettait  le  comte  de  Chambord  dans  l'obligation  de 
faire  connaître  sa  pensée.  L'opinion  publique  était 
très  surexcitée.  On  faisait  courir  le  bruit  du 
départ  de  M.  le  duc  de  Nemours,  mandé  par 
le  prince  à  Salzbourg,  puis  celui  de  M.  de  Falloux 
et  de  M.  Lucien  Brun,  pour  obtenir  la  confir- 
mation du  langage  tenu  par  M.  Chesnelong.  Le 
Figaro  écrivait  à  l'ex-impératrice  Eugénie  pour  la 
prier  d'engager  ses  partisans  à  se  dégager  de  leur 
alliance  avec  les  radicaux  et  de  voter  le  rétablis- 
sement de  la  monarchie. 

Dans  tous  les  salons  on  pointait  les  noms  des 
députés  sur  lesquels  on  pouvait  compter  et  les 
noms  des  douteux.  Nous-même  nous  nous  sommes 
livré  à  un  calcul  scrupuleusement  fait,  et  nous 
croyons  être  au-dessous  de  la  vérité  en  affirmant 
que  la  monarchie  aurait  été  volée  par  une  majorité 
de  30  à  40  voix. 

Le    28    octobre,  le  Journal  officiel  publia    un 

1.  La  vérité  sur  fessai  de  restauration  monarchique,  attribué 
à  M.  Ernest  Daudet,  page  134.  Dcntu,  éditeur. 


186  UN    COMPLOT   ANARCHISTE 

ordre  du  jour  à  l'armée,  signé  du  maréchal  de 
Mac  Mahon,  et  recommandant  à  l'armée  de  main- 
tenir la  discipline  qui  venait  d'être  violée  par  le 
général  Carrcy  de  Bellemare.  Ce  général,  qui  com- 
mandait à  Périgueux,  avait  écrit  au  ministre  de 
la  guerre  qu'il  ne  pouvait  reconnaître  la  souve- 
raineté de  l'Assemblée  nationale.  Le  ministre  de 
la  guerre  le  mit  immédiatement  en  non-activité 
par  retrait  d'emploi,  et  cet  acte  de  vigueur  causa 
dans  l'armée,  et  dans  toute  la  France,  la  meilleure 
impression. 

En  même  temps,  la  Gazette  des  Tribunaux  an- 
nonçait qu'un  complot  contre  la  sûreté  publique 
venait  d'être  découvert  à  Autun.  M"^  la  marquise 
de  Mac  Mahon,  nièce  du  maréchal,  vivait  au  châ- 
teau de  Sully,  veuve,  entourée  de  ses  enfants, 
dans  un  village  qu'elle  comblait  de  ses  bienfaits. 
Des  individus,  affiliés  à  une  société  secrète, 
avaient  projeté  de  l'enlever  comme  otage.  Plu- 
sieurs des  conjurés  prirent  la  fuite,  d'autres  furent 
arrêtés,  avouèrent  leur  crime  et  furent  sévère- 
ment condamnés.  On  assurait  que  ce  plan  d'enle- 
ver des  otages  existait  dans  plusieurs  départe- 
ments. 

La  journée  du  vendredi  30  octobre  commença 
sous  les  meilleurs  auspices.  A  la  Bourse,  la  con- 
fiance était  revenue,  et  on  ne  doutait  pas  de  l'ad- 
hésion du  comte  de  Chambord  aux  sages  proposi- 
tions de  la  droite.  Tout  à  coup,  vers  six  heures  du 


LA  LETTRE  DU  27  OCTOBRE  1873  187 

soir,  V Union  parut  avec  la  lettre  suivante  de  M.  le 
comte  de  Ghambord  à  M,  Chesnelong  : 

Salzbourg,  27  octobre  1873. 

J'ai  conservé,  Monsieur,  de  votre  visite  à  Salzbourg,  un 
si  bon  souvenir,  j'ai  conçu  pour  votre  noble  caractère  une 
si  profonde  estime,  que  je  n'hésite  pas  à  ra'adresser  loya- 
lement à  vous,  comme  vous  êtes  venu  vous-même  loyalement 
vers  moi. 

Vous  m'avez  entretenu,  pendant  de  longues  heures,  des 
destinées  de  notre  chère  et  bien-aimée  patrie,  et  je  sais 
qu'au  retour  vous  avez  prononcé,  au  milieu  de  vos  collè- 
gues, des  paroles  qui  vous  vaudront  mon  éternelle  recon- 
naissance. Je  vous  remercie  d'avoir  si  bien  compris  les 
angoisses  de  mon  âme,  et  de  n'avoir  rien  caché  de  l'iné- 
branlable fermeté  de  mes  résolutions. 

Aussi  ne  me  suis-je  point  ému  quand  l'opinion  publique, 
emportée  par  un  courant  que  je  déplore,  a  prétendu  que 
je  consentais  enfin  à  devenir  le  roi  légitime  de  la  Révo- 
lution. J'avais  pour  garant  le  témoignage  d'un  homme  de 
cœur,  et  j'étais  résolu  à  garder  le  silence,  tant  qu'on  ne 
me  forcerait  pas  à  faire  appel  à  votre  loyauté. 

Mais  puisque,  malgré  vos  efforts,  les  malentendus  s'ac- 
cumulent, cherchant  à  rendre  obscure  ma  politique  à  ciel 
ouvert,  je  dois  toute  la  vérité  à  ce  pays  dont  je  puis  être 
méconnu,  mais  qui  rend  hommage  à  ma  sincérité,  parce 
qu'il  sait  que  je  ne  l'ai  jamais  trompé,  et  que  je  ne  le  trom- 
perai jamais. 

On  me  demande  aujourd'hui  le  sacrifice  de  mon  hon- 
neur. Que  puis-je  répondre  ?  Sinon  que  je  ne  rétracte  rien, 
que  je  ne  retranche  rien  de  mes  précédentes  déclarations. 


188  LA  LETTRE  DU  27  OCTOBRE  1873 

Les  [jrétentions  de  la  veille  me  donnent  la  mesure  des  exi- 
gences du  lendemain,  et  je  ne  puis  consentir  à  inaugurer 
un  règne  réparateur  et  fort  par  un  acte  de  faiblesse. 

Il  est  de  mode,  vous  le  savez,  d'opposer  à  la  fermeté 
d'Henri  V  l'Iiabileté  d'Henri  IV.  «  La  violente  amour  que 
je  porte  à  mes  sujets,  disait-il  souvent,  me  rend  tout  pos- 
sible et  honorable.  » 

Je  prétends,  sur  ce  point,  ne  lui  céder  en  rien  ;  mais  je 
voudrais  bien  savoir  quelle  leçon  se  fût  attirée  rim])ru- 
dent  assez  osé  pour  lui  persuader  de  renier  l'étendard 
d'Arqués  et  d'Ivry. 

Vous  appartenez,  Monsieur,  à  la  province  qui  l'a  vu 
naître,  et  vous  serez,  comme  moi,  d'avis  qu'il  eût  prompte- 
ment  désarmé  son  interlocuteur,  en  lui  disant  avec  sa 
verve  béarnaise  :  Mon  ami,  prenez  mon  drapeau  blanc;  il 
vous  conduira  toujours  au  clicmia  de  l'honneur  et  de  la 
victoire. 

On  m'accuse  de  ne  })as  tenir  en  assez  haute  estime  la  va- 
leur de  nos  soldats,  et  cela  au  moment  où  je  n'aspire  qu'à 
leur  confier  tout  ce  que  j'ai  de  plus  cher.  On  oublie  donc 
que  l'honneur  est  le  patrimoine  commun  de  la  maison  de 
Bourbon  et  de  l'armée  française,  et  que,  sur  ce  terrain-li\, 
on  ne  peut  manquer  de  s'entendre. 

Non,  je  ne  méconnais  aucune  des  gloires  de  ma  patrie, 
et  Dieu  seul,  au  fond  de  mon  exil,  a  vu  couler  mes  larmes 
de  reconnaissance  toutes  les  (ois  que,  dans  la  bonne  ou 
dans  la  mauvaise  fortune,  les  enfants  de  la  France  se  sont 
montrés  dignes  d'elle. 

Mais  nous  avons  ensemble  une  grande  œuvre  à  accom- 
plir. Je  suis  prêt,  tout  prêt  à  l'entreprendre  (juand  on  le 
voudra,  dès  demain,    dès   ce   soir,  dès  ce    moment.    C'est 


LA  LETTRE  DU  27  OCTOBRE  1873  189 

pourquoi  je  veux  rester  tout  entier  ce  que  je  suis.  Amoindri 
aujourd'hui,  je  serais  impuissant  demain. 

Il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de  reconstituer  sur  ses 
bases  naturelles  une  société  profondément  troublée,  d'as- 
surer avec  énergie  le  règne  de  la  loi,  de  faire  renaître  la 
prospérité  au  dedans,  de  contracter  au  dehors  des  alliances 
durables,  et  surtout  ne  pas  craindre  d'employer  la  force 
au  service  de  l'ordre  et  de  la  justice. 

On  parle  de  conditions  ;  m'en  a-t-il  posé,  ce  jeune  prince, 
dont  j'ai  ressenti  avec  tant  de  bonheur  la  loyale  étreinte, 
et  qui,  n'écoutant  que  son  patriotisme,  venait  spontané- 
ment à  moi,  m'apportant  au  nom  de  tous  les  siens  des 
assurances  de  paix,  de  dévouement  et  de  réconciliation  ? 

On  veut  des  garanties;  en  a-t-on  demandé  à  ce  Bayard  des 
temps  modernes,  dans  cette  nuit  mémorable  du  24  mai,  où 
l'on  imposait  à  sa  modestie  la  glorieuse  mission  de  calmer 
son  pays  par  une  de  ces  paroles  d'honnête  homme  et 
de  soldat,  qui  rassurent  les  bons  et  font  trembler  les  mé- 
chants ? 

Je  n'ai  pas,  c'est  vrai,  porté  comme  lui  l'épée  de  la 
France  sur  vingt  champs  de  bataille,  mais  j'ai  conservé  in- 
tact, pendant  quarante-trois  ans,  le  dépôt  sacré  de  nos  tra- 
ditions et  de  nos  libertés.  J'ai  donc  le  droit  de  compter  sur 
la  même  confiance,  et  je  dois  inspirer  la  même  sécurité. 

Ma  personne  n'est  rien  :  mon  principe  est  tout.  La 
France  verra  la  fin  de  ses  épreuves  quand  elle  voudra  le 
comprendre.  Je  suis  le  pilote  nécessaire,  le  seul  capable 
de  conduire  le  navire  au  port,  parce  que  j'ai  mission  et  au- 
torité pour  cela. 

Vous  pouvez  beaucoup.  Monsieur,  pour  dissiper  les 
malentendus  et  arrêter  les  défaillances  à  l'heure  de  la  lutte. 


190  CONSTERNATION   A    PARIS 

Vos  consolantes  paroles,  en  quittant  Salzbourg,  sont  sans 

cesse  présentes  à  ma  pensée  ;  la  France  ne  peut  pas  périr, 

car  le  Christ  aime  encore  ses  Francs  ;  et  lorsque  Dieu  a 

résolu  de  sauver  un  peuple,  il  veille  à  ce  que  le  sceptre  de 

la  justice  soit  remis   en  des  mains  assez  fermes  pour  le 

porter.  tt 

'  Henri. 

«  Il  n'y  eut  jamais  rien  de  plus  beau  et  de  plus 

désespérant    que    cette    lettre ,    mais    ce 

qui  nous  échappe  encore  à  l'heure  qu'il  est,  ce 
sont  les  considérants  de  celte  sentence  terrible 
qui  éclata  sur  nos  têtes ^  » 

Reprenons  notre  récit  : 

La  consternation  fut  grande  à  Paris,  et  les  fonds 
baissèrent  de  2  francs  à  la  petite  Bourse  du  boule- 
vard. Les  cafés  regorgeaient  de  monde,  on  s'arra- 
chait les  journaux.  Quelques  personnes  disaient  : 
«  C'est  une  fausse  lettre,  c'est  encore  un  tour  de 
M.  Thiers,  nous  ne  nous  y  laisserons  pas  pren- 
dre ».  De  la  Madeleine  au  faubourg  Poissonnière, 
on  se  disputait  les  journaux  aux  kiosques.  Hélas! 
cette  lettre  n'était  que  trop  exacte. 

M.  le  comte  deChambord  avait  chargé  le  marquis 
de  Dreux-Brézé  de  la  remettre  à  M.  Chesnelong, 
ce  qui  fut  fait  vers  midi.  En  même  temps,  M.  de 
Dreux-Brézé  avait  l'ordre  d'en  envoyer  une  copie 
au  journal  VUnion.  M.  Chesnelong  supplia  M.  de 
Dreux-Brézé  d'attendre    un   jour ,  il  ajouta  qu'il 

1 .  Henri  de  France,  par  M.  II.  de  Pêne,  page  398. 


PROROGATION  DES  POUVOIRS  DU  MARÉCHAL     191 

allait  télégraphier  à  Frohsdorf,  pour  rappeler  au 
prince  ses  paroles  et  les  réponses  qu'il  avait 
faites  ;  il  s'offrit  môme  à  partir  immédiatement. 
Le  mandataire  du  comte  de  Chambord  répondit 
que  tout  était  inutile,  qu'il  devait  exécuter  des 
ordres  formels,  et  que  ni  télégrammes  ni  visites 
ne  changeraient  rien  à  une  détermination  irrévo- 
cable. M.  Ghesnelong  envoya  une  copie  de  sa 
lettre  au  vice-président  du  conseil  des  ministres 
et  partit  pour  Paris. 

Les  ministres  s'étaient  réunis  :  tous  furent  una- 
nimes à  reconnaître  que  le  maréchal  de  Mac  Mahon 
n'était  pas  atteint  par  l'échec  de  la  solution  mo- 
narchique, et  le  président  de  la  République  insista 
auprès  de  ses  ministres,  pour  qu'ils  attendissent 
la  convocation  de  l'Assemblée,  avant  de  lui  remet- 
tre leurs  démissions.  On  mit  en  avant,  successi- 
vement, la  solution  de  la  proclamation  de  la  mo- 
narchie avec  M.  le  comte  de  Paris,  ouïe  duc  d'Au- 
male  régent.  Quant  à  la  lieutenance  générale,  le 
maréchal  répondit  qu'il  ne  pouvait  l'accepter,  car 
c'eût  été  implicitement  renier  le  titre  de  président 
de  la  République,  porté  par  lui  depuis  le  24  mai. 
Il  déclara  qu'il  ne  se  séparerait  pas  des  conserva- 
teurs, mais  à  la  condition  que  rien  ne  serait  changé 
aux  conditions  existantes.  La  prorogation  des  pou- 
voirs du  maréchal  était  donc  admise  en  principe, 
et  cette  saofe  solution  devait  rallier  bientôt  tous 
les  esprits  raisonnables. 


192  RÉUMONS    DE    LA    DROITE 

Les  membres  de  la  droite  de  l'Assemblée 
nationale  examinèrent  la  situation  et  cher- 
chèrent une  combinaison  qui  laissât  intacte  la 
majorité  monarchique  et  son  programme. 

La  Régence,  avec  M.  le  comte  de  Paris,  fut 
posée  en  termes  nets.  On  fit  valoir  qu'il  fallait, 
avant  tout,  sauver  le  principe  monarchique 
et  l'on  fut  bientôt  certain  de  l'adhésion  de 
la  plus  grande  partie  de  la  droite.  On  calcula 
avec  justesse,  que  l'on  perdrait  quarante  ou 
cinquante  voix  à  l'extrême  droite,  mais  qu'on 
les  regagnerait,  et  au  delà,  dans  le  centre 
gauche  qui  n'avait  aucune  répugnance  contre  M.  le 
comte  de  Paris,  dont  elle  appréciait  tous  les  jours, 
depuis  deux  ans,  la  haute  capacité.  Cette  résolu- 
tion de  la  régence  fut  adoptée,  mais  on  ne  fut  pas 
d'accord  sur  le  nom  du  régent.  Des  légitimistes 
préféraient  voir  l'héritier  du  trône  conserver  son 
rang,  et  les  noms  de  M.  le  duc  de  Nemours,  du 
prince  de  Joinville,  du  duc  d'Aumale,  furent  pro- 
noncés. Mais  déjà  certains  organes  de  l'exlrôme 
droite  accusaient  les  princes  d'intrigues  orléa- 
nistes, et  les  journaux  républicains  déclaraient 
que  M.  le  comte  de  Paris,  en  allant  à  Vienne,  savait 
bien  d'avance  que  le  comie  de  Chanl])ord  ne 
céderait  sur  au(-un  point,  et  qu'il  avait  voulu  le 
compromettre  aux  yeux  de  son  parti.  Aussi,  le 
1"''  novembre,  lorsque  la  réunion  des  tlioilos  tenue 
chez    M.     le    duc    de     Larochcfoucaiild-Hisaccia 


M.    DE    VILLEMESSANT    A    FROHSDORF  193 

songea  à  offrir  la  lieiitenance  générale  du  royaume 
à  M.  le  comte  de  Paris,  celui-ci  refusa  de  se  prêter 
à  «tout  ce  qui,  de  près  comme  de  loin,  ressem- 
blerait à  une  compétition  royale,  et  pourrait  trou- 
bler l'union  du  parti  monarchique  ». 

Le  duc  de  Nemours,  le  prince  de  Joinville, 
et  surtout  le  duc  d'Aumale,  s'exprimèrent  comme 
leur  neveu,  et  furent  inébranlables,  ne  voulant 
pas  que  le  chef  de  la  maison  de  Bourbon  pût 
soupçonner,  une  minute,  la  loyauté  de  l'entrevue 
du  5  août. 

Il  est  incontestable  que  M.  le  comte  de  Chambord 
ne  connaissait  pas  alors  la  véritable  situation  de  la 
France.  Ses  illusions  étaient  si  grandes,  que  M.  de 
Villemessant  reçu  par  lui  à  Vienne,  le  31  octobre, 
nous  racontait  ceci,  le  lendemain  de  son  retour  à 
Paris:  «  A  peine  entré  chez  mon  roi,  dont  j'atten- 
dais l'avènement  depuis  quarante-trois  ans,  et 
qui  venait,  selon  moi,  de  signer  son  exil  par  sa 
lettre  du  27  octobre,  je  ne  pus  dire  un  mot,  arti- 
culer une  phrase,  je  me  laissai  tomber  sur  le 
fauteuil  qu'il  m'offrait,  et  je  sanglotai.  Le  prince 
étonné   me  serra  la  main  avec    émotion   en    me 

disant  :   Calmez-vous calmez-vous,  mon  cher 

ami,  T'ieii  n'est  perdu! 

Je   dis  alors  au  roi  toute  ma  pensée,  je  lui  expo- 
sai la  vérité,  même  assez  vivement; je  ne  sais 

s'il  me  crut,  mais  j'appris  plus  tard  que  mes  pa- 
roles lui  avaient  causé  une  douloureuse  impres- 

13 


194       ABNÉGATION  DE  MS''  LE  COMTE  DE  PARIS 

sion  et  peut-être  l'avaient  déterminé  à  se  rendre  à 
Versailles » 

Il  fallait  cependant  prendre  une  résolution,  car 
la  gauche,  voulant  profiter  du  désarroi  causé  dans 
les  rangs  des  royalistes  par  la  lettre  du  27  octobre, 
songeait  à  proclamer  la  République,  dès  l'ouver- 
ture de  la  session.  Les  divers  groupes  de  la  droite 
se  réunirent,  et  il  fut  décidé  que  la  majorité  reste- 
rait unie  et  compacte,  pour  demander  la  proroga- 
tion des  pouvoirs  du  maréchal  de  Mac  Mahon.M.le 
général  Changarnier  fut  chargé  de  déposer  sur  le 
bureau  de  l'Assemblée  un  projet  de  loi  dans  ce 
sens,  et  de  demander  l'urgence. 

Telles  avaient  été  l'entrevue  du  5  août,  ses  con- 
séquences et  l'impression  générale  ressentie  en 
France.  lien  ressortira  pour  tou"^  homme  impartial 
deux  points  saillants  :  le  premier,  l'abnégation  pa- 
triotique de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  tous  les  prin- 
ces d'Orléans,  s'efFaçant  devant  l'ainé  de  leur  race, 
laissant  dénaturer  une  démarche  si  noble  par 
des  commentaires  injurieux  et  blessants,  sans 
daigner  répondre,  forts  de  la  conscience  du  devoir 
accompli,  et  dont  la  France  se  souviendra  un  jour. 

Le  second  point,  c'est  la  confiance  de  tous  ceux 
qui  tentaient  la  restauration  de  la  monarchie  dans 
la  personnedu  maréchal  deMac  Malion,  qui  restera 
dans  l'histoire  un  des  plus  braves  et  des  plus  hon- 
nêtes serviteurs  du  pays.  Lorsque  tant  d'hommes 
devenus  chefs  d'Etat  ou  ministres  cherchent  à  se 


VOTE    DU    SEPTENNAT  195 

maintenir  au  pouvoir,  par  tous  les  moyens, 
la  France  diit-elle  en  périr,  il  nous  aura  été 
donné  de  voir  un  homme  prêt  à  se  retirer  si 
le  salut  de  la  patrie  l'avait  exigé.  Tous  le 
savaient,  et  personne  ne  songea  à  se  demander 
pendant  cette  crise,  non  seulement  si  le  maréchal 
de  Mac  Mahon  ne  chercherait  pas  à  prolonger  son 
pouvoir,  mais  môme  s'il  hésiterait  à  l'abandonner. 
La  France  avait  confiance  dans  ce  loyal  soldat.  Le 
septennat  du  maréchal  fut  un  bonheur  pour  le  pays 
conservateur  dans  une  pareille  crise,  et  ainsi  que  je 
le  disais  alors  à  un  de  mes  amis  légitimistes  qui  se 
lamentait  de  voir  la  monarchie  échouée,  quand  on 
remonte  sain  et  sauf  du  fond  de  la  rivière,  il  serait 
malséant  de  se  plaindre  parce  qu'on  est  mouillé. 
Le  5  novembre,  s'ouvrit  la  session;  la  proroga- 
tion des  pouvoirs  du  maréchal  de  Mac  Mahon  pour 
sept  ans  fut  votée  à  une  grande  majorité.  La 
France  accueillit  avec  joie  la  nouvelle  de  la  victoire 
du  parti  conservateur.  La  majorité  s'était  formée 
sous  le  coup  des  dangers  que  courait  l'ordre 
public,  en  dehors  d'une  dizaine  de  membres  de 
Tcxtrême  droite  et  de  plusieurs  bonapartistes,  qui 
s'abstinrent.  On  espérait  que  le  gouvernement  du 
maréchal  de  Mac  Mahon  ainsi  établi  pour  sept  ans 
relèverait  la  France  au  dedans  et  au  dehors,  sau- 
verait Tordre  social,  et  rendrait  la  sécurité  et  la 
confiance  aux  honnêtes  gens,  aux  hommes  d'ordre 
et  de  travail. 


196        m"''  le  comte  de  chambord  a  Versailles 

Avant  de  terminer  ce  chapitre,  je  crois  devoir 
parler  d'un  fait  qui  aurait  pu  modifier  les  votes 
de  l'assemblée.  M.  le  comte  de  Chambord,  stupéfait 
du  résultat  de  sa  lettre  du  27  octobre  (puisqu'il 
avait  cru  en  l'écrivant  qu'elle  ne  changerait  rien 
aux  projets  des  royalistes),  voulut  se  rendre  compte 
par  lui  même  de  la  situation  de  la  France.  Plût  au 
Ciel  qu'il  eût  eu  cette  idée  quelques  semaines  au- 
paravant !  Il  se  rendit  donc  à  Versailles  dans  le 
plus  strict  incognito. 

M.  le  comte  de  Chambord  y  arriva  le  11  ou  le  12, 
par  un  train  de  nuit,  et  demeura,  pendant  quinze 
jours  environ,  chez  le  comte  Henri  de  Vanssay,  un 
de  ses  secrétaires,  rue  Saint-Louis,  25.  Là,  il  se 
tint  prêt  à  tout  événement,  pendant  qu'à  son  pro- 
fond étonnement  la  droite  de  l'Assemblée  natio- 
nale négociait  et  allait  voter  la  prorogation  des 
pouvoirs  de  M.  le  maréchal  de  Mac  Mahon.  11  ne 
vit  personne  et  ne  fit  exception  que  pour  quatre 
députés,  légitimistes  ardents  auxquels  il  reprocha 
leur  conduite  avec  une  certaine  vivacité.  Ceux-ci 
cherclicrent  vainement  à  expliquer  au  prince  la 
situation;  il  leur  imposa  silence  d'un  ton  qui  ne 
soutirait  pas  de  réplique. 

Absolument  trompé  sur  les  dispositions  de  l'As- 
som])léc  nationale,  le  comte  de  Chambord  avait 
cru  la  monarchie  faite,  malgré  sa  lettre  du  27  oc- 
tobre. Désabusé,  il  avait  jugé  opportun  de  se 
rendre  à  Versailles,  de  convoquer  ses  amis  s'il  en 


M?""   LE    COMTE    DE    CHAMBORD    A    VERSAILLES  197 

était  temps  encore,  de  leur  parler  en  roi  en  leur 
prescrivant  de  poser  quand  même  la  question  de 
la  monarchie  devant  l'Assemblée.  Pour  cela,  le 
concours  du  maréchal  de  Mac  Mahon  et  celui  de  son 
gouvernement  étaient  nécessaires.  Une  démarche 
indirecte  fut  faite  en  son  nom  auprès  du  maréchal 
avec  lequel,  m'a-t-on  assuré,  il  voulait  avoir  un 
entretien.  Dans  les  termes  les  plus  respectueux  le 
maréchal  déclina  l'honneur  de  voir  le  comte  de 
Chambord,  mais  il  fit  savoir  au  chef  de  la  maison 
de  Bourbon  que,  tant  qu'il  lui  plairait  de  rester 
en  France,  le  gouvernement  garantissait  sa  sûreté. 
Très  attristé  et  commençant  seulement  à  entre- 
voir la  vérité,  le  prince  songea  alors  à  se  présenter 
à  l'Assemblée,  entouré  de  députés  de  la  droite,  à 
demander  la  parole  pour  expliquer  sa  pensée  tout 
entière  afin  que  tout  malentendu  fût  dissipé... 
Que  serait-il  advenu  de  cette  démarche?  Evidem- 
ment le  comte  de  Chambord  aurait  été  autorisé  à 
parler  par  la  grande  majorité  de  la  Chambre.  Peut- 
être,  s'il  avait  dit  nettement  qu'il  avait  entendu 
garder  pour  lui  le  drapeau  blanc,  tout  en  laissant 
le  drapeau  tricolore  à  l'armée;  peut-être  si,  dans 
le  magnifique  langage  qui  lui  était  familier,  il 
avait  trouvé  des  accents  émus  pour  parler  de  son 
pays  qu'il  aimait  si  tendrement,  peut-être  la  mo- 
narchie aurait-elle  été  proclamée? Mais  l'infor- 
tuné prince,  qui  avait  été  tellement  trompé  par 
les  renseignements  de  ses  fidèles,  n'était  pas  en- 


198  UN   ARTICLE    DU    «  TIMES  )) 

core  complètement  éclairé,  et  sa  mauvaise  humeur 
à  l'égard  des  amis  qu'il  reçut  le  démontrait  trop 
bien.  Autour  de  lui,  on  le  sentit  et  on  le  dissuada 
de  cette  démarche.  Le  prince  attendit  que  cette 
prorogation  des  pouvoirs  du  maréchal ,  qu'il 
n'avait  pu  empêcher,  fût  votée ,  et  il  quitta  la 
France,  emportant  dans  son  nouvel  exil  une  triste 
déception  et  une  grande  douleur  de  plus. 

A  ces  curieux  détails  nous  ajouterons  ceux  que 
publia  une  correspondance  parisienne  du  Times. 
Ils  corroborent  absolument  ce  que  nous  avons 
toujours  affirmé,  c'est-à-dire  que  M.  le  comte  de 
Ghambord  ne  s'est  pas  douté  un  instant  des  ol)- 
stacles  apportés  à  la  restauration  monarchique 
par  la  lettre  du  27  octobre. 

Le  Times  s'exprime  ainsi  : 

«  Le  comte  de  Ghambord  semble  ne  s'être  pas 
bien  rendu  compte,  avant  son  voyage  à  Paris,  de 
l'effet  produit  par  sa  lettre.  Après  que  ses  amis 
le  lui  eurent  expliqué,  il  déclara  qu'il  y  avait  là  un 
malentendu  à  éclaircir,  et  il  résolut  de  se  rendre  à 
l'Assemblée  nationale  et  de  monter  à  la  tribune 
pour  y  donner  des  explications.  On  lui  fit  com- 
prendre que  ce  projet  était  impraticable,  qu'on  ne 
lui  donnerait  pas  la  parole,  et  que  cette  démarche 
entraînerait  des  conséquences  déplorables.  A  la 
fin,  il  se  rendit. 

«  Plus  lard,  dans  la  nuit  où  se  termina  le  débat, 
il  était  à  Versailles.  Son  intention  déclarée  était  de 


M''   LE    COMTE   DE    CHAMBOBD    A   PARIS  199 

risquer  un  coup  hasardeux  et  décisif,  si  le  maré- 
chal de  Mac  Mahon  n'obtenait  pas  la  majorité.  Il 
comptait,  disait-il,  monter  à  cheval,  réunir  autour 
de  lui  les  princes  de  sa  maison,  et  se  présenter 
lui-même  à  la  nation. 

«  Le  rejet  de  la  prorogation  plaçait  la  France  au 
bout  de  l'abîme.  Et  c'était  son  devoir  à  lui,  le  re- 
présentant d'une  longue  race  de  rois,  de  faire  face 
au  danger.  On  lui  représenta  le  péril.  On  lui  dit 
qu'il  serait  infailliblement  assassiné  ;  «  Qu'im- 
«  porte!  répondit-il;  mon  principe  survivra;  ma 
«  personne  importe  peu,  maintenant  que  j'ai  des 
«  successeurs.  » 

Un  dernier  détail,  rapporté  par  un  journal  con- 
servateur à  propos  du  passage  du  comte  de  Gham- 
bord  à  Paris,  où  il  passa  quelques  heures  :  le  jour 
des  funérailles  de  l'amiral  Tréhouart,  près  de  l'es- 
planade des  Invalides  stationnait  une  voiture  de 
place  dans  laquelle  on  aurait  pu  remarquer  un 
voyageur  très  attentif  à  la  manœuvre  et  au  défilé 
des  troupes.  Le  cocher,  à  qui  le  voyageur  avait  dit 
de  le  placer  de  façon  à  bien  voir,  s'évertuait  à 
vouloir  le  convaincre  qu'il  verrait  mieux  s'il 
regardait  comme  tout  le  monde,  au  lieu  de  se  tenir 
dans  le  fond  de  la  voiture.  Le  voyageur  n'écoutait 
rien,  mais,  tout  en  se  dissimulant  de  son  mieux, 
suivait  avec  une  émotion  visible  un  régiment  de 
cuirassiers  qui  passait.  Quand  ce  fut  fini,  le  voya- 
geur donna  un  ordre,  et  la  voiture  partit. 


200  MORT   DU    PRINCE    FERDINAND 

C'était  le  comte  de  Chambord  qui  venait  enfin 
de  réaliser  un  de  ses  plus  grands  désirs  :  voir 
sous  les  armes  un  régiment  français 

L'année  1873  se  termina  bien  tristement  :  Madame 
la  comtesse  de  Paris  eut  la  douleur  de  perdre  son 
frère,  le  prince  Ferdinand.  Le  duc  de  Montpensier 
avait  mis  son  fils  aîné  au  petit  séminaire  de  la 
Ghapelle-Saint-Mesmin,  près  d'Orléans.  Atteint 
d'un  transport  au  cerveau,  le  jeune  prince  expira 
dans  les  bras  de  son  père  désolé,  qui,  accouru  en 
toute  hâte,  ne  put  que  recueillir  son  dernier 
soupir. 


CHAPITRE   IV 

1874-1882 

EntreATie  de  JM.  le  comte  de  Paris  avec  le  czar  Alexandre  II, 
en  Angleterre  (1874).  —  Naissance  du  prince  Charles,  fils 
de  M.  le  comte  de  Paris.  Il  meurt  à  l'âge  de  six  mois  (7  juin 
1875).  —  Translation  à  Dreux  des  restes  du  roi  Louis-Phi- 
lippe, de  la  reine  Marie-Amélie,  de  M™^  la  duchesse  d'Or- 
léans, de  M"*  la  duchesse  d'Aumale,  de  Ms""  le  prince  de 
Condé  (8  juin  1876).  —  M.  le  comte  de  Paris  accompagne 
son  frère  et  ses  oncles  aux  grandes  manœuvres  à  Dreux 
(1876).  —  Mariage  de  la  princesse  Mercedes,  sœur  de  Ma- 
dame la  comtesse  de  Paris,  avec  Alphonse XII,  roi  d'Espagne 
(23 janvier  1878).  —  Mort  de  la  jeune  reine  (26 juin  1878).— 
Lettres  de  M.  le  comte  de  Paris  (3  et  21  mars  1878)  à  M.  le 
comte  Sérurier,  vice-président  du  comité  de  l'Union  franco- 
américaine.  —  Naissance  à  Eu  de  S.  A  R.  M^^  la  princesse 
Isabelle,  troisième  fille  de  M.  le  comte  de  Paris  (7  mai  1878). 
—  Naissance  à  Eu  du  prince  Jacques,  deuxième  fils  de  M.  le 
comte  de  Paris  (11  juillet  1880)  et  mort  du  jeune  prince  (22 
janvier  1881).  —  Naissance  à  Cannes  de  S.  A.  R.  M™"  la  prin- 
cesse Louise,  quatrième  fille  de  M.  le  comte  de  Paris  (24  fé- 
vrier 1882).  —  Visite  de  M.  le  comte  de  Paris  à  M.  Victor 
de  Laprade  mourant  (Cannes,  avril  1882).  —  Le  jeune  duc 
d'Orléans  au  collège  Stanislas.  —  M.  le  comte  de  Paris  aux 
grandes  manœuvres.  —  Voyage,  incognito,  à  Rome,  de  M.  le 
comte  de  Paris.  —  Son  entrevue  avec  le  pape  Léon  XIII 
(septembre  1882).  —  Générosités  et  bienfaisance  de  M.  le 
comte  de  Paris  et  de  Madame  la  comtesse  de  Paris  à  Eu  et  au 
Tréport. —  La  vie  de  M.  le  comte  de  Paris  au  château  d'Eu. 

Au    mois     de    juillet   1874,    M.    le    comte   de 
Paris  se   trouvait   en   Angleterre   quand    le  czar 

Alexandre  II  s'y  rendit. 


202.      ENTREVUE  AVEC  LE  CZAR  ALEXANDRE  11 

Alexandre  II  fut  un  des  meilleurs  souverains 
qu'ait  eus  la  Russie.  Son  règne  fut  avant  tout 
un  règne  de  féconde  et  pacifique  rénovation. 
L'émancipation  de  23  millions  de  serfs  sera 
pour  le  czar  Alexandre  II  un  titre  éternel  de 
gloire  devant  l'humanité  et  devant  l'histoire. 
Cette  réforme  gigantesque  ne  fit  couler  ni  une 
larme  ni  une  goutte  de  sang,  et  s'accomplit  paci- 
fiquement. L'œuvre  de  son  règne  fut  immense, 
et  plus  le  temps  marche,  mieux  on  en  apprécie 
les  résultats.  Esprit  large ,  caractère  élevé , 
Alexandre  II  avait  une  conscience  droite,  et  mon- 
trait une  inébranlable  fermeté  quand  il  s'agissait 
des  intérêts  de  son  peuple  et  de  l'honneur  de 
l'Empire.  Son  nom,  dont  le  souvenir  est  encore 
vivant  dans  toutes  les  chaumières  russes,  luira  d'un 
vif  éclat  dans  les  annales  du  dix-neuvième  siècle. 

Ce  prince  aimait  la  France  et  tout  ce  qui  était 
français  :  après  l'échec  de  la  restauration  en  1873, 
il  s'était  exprimé  en  termes  élogieux  sur  l'acte 
politique  accompli  par  M.  le  comte  de  Paris,  et  il 
souhaitait  le  connaître. 

M.  le  comte  de  Paris  vit  le  czar;  nous  croyons 
savoir  que  cette  entrevue  très  cordiale  laissa  la 
meilleure  impression  au  souverain  russe.  Peut- 
être  ce  souvenir  du  prince  français  ne  fut-il  pas 
étranger  à  l'intervention  personnelle  du  czar  l'an- 
née suivante,  quand,  informé  et  sollicité  à  temps 
par    notre   éminent    ministre    des    affaires    élran- 


TRANSLATION    DES    RESTES    DU    ROI    LOUIS-PHILIPPE    203 

gères,  le  duc  Decazes,  Alexandre  II  s'opposa  à  la 
nouvelle  invasion  de  la  France  que  méditait  alors 
M.  de  Bismarck.  Le  frère  du  czar,  le  grand-duc 
Constantin,  se  rendant  à  Biarritz,  peu  après  cette 
entrevue  traversa  Paris,  et  invita  M.  le  comte  de 
Paris  à  un  grand  diner  donné  à  l'ambassade  de 
Russie.  Après  le  repas,  on  remarqua  qu'il  eut 
une  longue  conversation  avec  le  petit-fils  du  roi 
Louis-Philippe  *. 

Le  dernier  vœu  du  roi  Louis-Philippe  fut  ac- 
compli le  8  juin  1876.  Ses  restes,  ceux  de  la  reine, 
de  Madame  la  duchesse  d'Orléans,  de  Madame  la 
duchesse  d'Aumale,  de  M.  le  prince  de  Gondé  et 
de  cinq  jeunes  enfants  du  duc  d'Aumale  furent 
transportés  de  la  chapelle  catholique  de  Wey- 
bridge  en  France.  M.  le  comte  de  Perthuis,  pré- 
fet du  Calvados,  et  le  comte  de  Fiers,  sous-préfet 
de  Dreux,  avaient  tenu  à  honneur  de  présider  à 
cette  pieuse  cérémonie. 

En  cette  année  1876 ,  de  grandes  manœuvres 
curent  lieu  en  septembre,  à  Dreux.  Elles  furent 
suivies  par  M.  le  comte  de  Paris  avec  le  vif  inté- 
rêt que  le  prince  porte  à  tout  ce  qui  touche  l'ar- 
mée. 

1.  Ce  fut  au  commencement  de  l'année  1875  que  Madame  la  com- 
tesse de  Paris  donna  le  jour  à  un  fils  (25  janvier  1875),  qui  reçut 
le  nom  de  Charles.  Mais  la  santé  du  jeune  prince  était 
si  frèh;,  qu'atteint  de  convulsions  au  retour  d'une  promenade 
au  Bois  de  Boulogne,  le  7  juin,  il  expira  malgré  les  soins  les 
plus  empressés. 


204  MORT    DE   LA   REINE    MERCEDES 

Pendant  tout  le  temps  que  dura  le  gouverne- 
ment dit  du  16  mai  (1877),  l'attitude  des  princes 
d'Orléans  qui  s'abstinrent,  plus  que  jamais,  de 
se  mêler  aux  luttes  politique  du  moment  fut  des 
plus  réservées. 

L'année  1878  semblait  commencer  sous  d'heu- 
reux auspices.  La  sœur  de  Madame  la  comtesse  de 
Paris,  la  princesse  Mercedes  de  Montpensier 
épousait  à  Madrid,  le  23  janvier,  son  cousin  le  roi 
d'Espagne,  Alphonse  XII.  Jeune  et  belle,  adorée 
de  son  mari  et  éprouvant  pour  lui  la  même  ten- 
dresse, la  reine  Mercedes  pouvait  avoir  confiance 
dans  l'avenir.  Dans  ses  impénétrables  décrets,  la 
Providence  trancha  brusquement  une  si  belle 
vie.  La  reine  expira  le  26  juin,  frappée  par  une 
fièvre  typhoïde.  La  douleur  fut  immense,  ce  fut 
un  deuil  et  une  lamentation  générale;  les  affaires 
furent  suspendues,  les  théâtres  fermés  :  toute 
l'Espagne  pleura  et  pria.  Le  duc  et  la  duchesse 
de  Montpensier,  admirables  de  résignation  chré- 
tienne ,  devaient  encore  subir  une  cruelle 
épreuve  :  un  an  après,  en  mai  1879,  la  dernière 
sœur  de  Madame  la  comtesse  de  Paris,  l'infante 
Christine,  succombait  aux  atteintes  d'une  maladie 
de  poitrine,  dans  le  palais  de  son  père,  à  Séville'. 

1.  Quelques  semaines  avant  la  maladie  el  la  mort  de  la  jeune 
reine  Mercedes,  Madame  la  comtessedeParismcttait  auuionde, 
à  Eu,  sa  troisième  fille,  la  princesse  Isabelle  (7  mai  1878). 

Une  joie,  liélas  !   de  courte  durée  marqua  pour  M.  le  comte 


LA    STATUE    DE    LA    LIBERTE    EN    AMERIQUE  205 

C'est  à  cette  époque  que  M.  le  comte  Sérurier, 
vice-président  du  comité  de  l'Union  franco-améri- 
caine pour  l'érection  de  la  statue  de  «  la  Liberté 
éclairant  le  Monde  »,  ayant  proposé  à  M.  le  comte 
de  Paris  de  visiter  l'atelier  de  construction  de  la 
statue  et  de  prendre  part  à  la  souscription,  en 
reçut  la  lettre  suivante  : 

de  Paris  le  mois  d'avril  1880.  Madame  la  comtesse  de  Paris 
donna  le  jour  à  son  second  fils,  qui  reçut  le  prénom  de  Jacques, 
en  souvenir  d'un  de  ses  aïeux,  Jacques  de  Bourbon,  comte  de 
la  Marche,  connétable  de  France,  blessé  grièvement  à  la  bataille 
de  Crécy  (1346),  en  arrachantle  roi  de  France,  Philippe  VI,  des 
mains  des  Anglais,  et  surnommé  «  la  Fleur  des  Chevaliers  ».  Le 
portrait  de  ce  héros  est  au  château  d'Eu,  au  haut  du  grand 
escalier,  et  l'on  ne  peut  passer  sans  remarquer  sa  martiale  figure. 

Le  11  juillet,  le  jeune  prince  Jacques  avait  été  baptisé,  ayant 
pour  marraine  M""®  la  princesse  Clémentine,  et  pour  parrain 
le  prince  Antoine  d'Orléans,  fils  du  duc  de  Montpensier,  et 
frère  de  Madame  la  comtesse  de  Paris.  Ce  n'étaient  qu'espérances, 
sourires  et  joies  autour  du  berceau 

Neuf  mois  après  sa  naissance,  le  22  janvier,  le  prince  Jacques 
qui  venait  d'être  sevré  fut  pris  par  des  convulsions,  et,  malgré 
les  soins  assidus  et  éclairés  des  médecins  appelés  en  toute  hâte, 
il  ne  tarda  pas  à  expirer.  Il  est  impossible  de  dépeindre  le  déses- 
poir de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  Madame  la  comtessede  Paris, 
qui  nevivent  que  pour  leurs  enfants,  etauxquels  leprince  Charles 
avait  été  ravi  presque  delà  même  manière.  Beaucoup  de  Français 
exprimèrent  leur  respectueuse  et  douloureuse  sympathie,  si 
tant  est  qu'à  pareille  douleur  on  puisse  trouver  des  consolations 
humaines.  Le  26  janvier  1881 ,  les  princes  d'Orléans  conduisaient  à 
Dreux  le  cercueil  du  pauvre  petit  prince. 

Madame  la  comtesse  de  Paris  mettait  au  monde,  à  Cannes,  le 
24  février  1882,  la  princesse  Louise,  qui,  baptisée  à  Eu,  le 
28  mai,  eut  pour  parrain  M.  le  duc  de  Nemours  et  pour  mar- 
raine M"''  la  princesse  de  Joinville. 


206  LETTRES    AU    COMTE    SERURIER 

Eu,  3  mars  1878. 

Mon  cher  comte, 

Je  serai  doublement  heureux  de  visiter  avec  vous  le 
monument  destiné  à  New-York  et  de  faire  en  même  temps 
la  connaissance  du  marquis  de  Rochambeau. 

Vous  savez  combien  je  m'intéresse  à  l'union  de  la  France 
et  de  l'Amérique.  Dans  un  temps  où  il  était  de  mode  de 
dénigrer  la  grande  république  transatlantique,  de  renier  la 
politique  du  roi  Louis  XVI,  j'ai  voulu  prouver  aux  répu- 
blicains d'outre-mer  que  les  sympathies  pour  leur  nation 
et  leurs  institutions  se  perpétuaient  dans  la  maison  de  Bour- 
bon. Je  serai  donc  heureux  de  m'associer  de  toutes  les 
manières  à  l'œuvre  dont  vous  me  parlez,  et,  si  je  ne  l'ai 
pas  (ait  plus  tôt,  c'est  que  je  n'en  ai  pas  eu  l'occasion. 

Je  suis  établi  pour  plusieurs  mois  au  chàteaud'Eu;  mais 
je  ne  manquerai  pas  d'aller  de  temps  en  temps  à  Paris,  et 
je  me  ferai  un  plaisir  de  vous  avertir  de  ma  prochaine  vi- 
site, pour  prendre  rendez-vous  en  ,'ue  de  la  course  que 
vous  me  proposez. 

En  attendant,  je  vous  prie  de  me  croire  votre  affectionné, 

Louis-Philippe   d'Orléans. 

Le  21  mars,  après  avoir  visité  les  travaux  et 
témoigné  au  sculpteur  Bartholdi  Pintérêt  qu'il 
prenait  à  son  œuvre.  M.  le  comte  de  Paris  adres- 
sait sa  souscription  à  M.  le  comte  Sérurier  dans 
les  termes  suivants  : 

Eu,  21  mars  1878. 

Mon  cher  comte. 
Je  vous  prie  de  me  porter  comme  souscripteur  sur  votre 
liste  pour  la  somme  de  cinq  mille  francs. 


PREMIÈRE    COMMUNION    DU    DUC    d'oRLÉANS  207 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  m'associer  à  l'œuvre  natio- 
nale qui  doit  rappeler  à  l'Amérique  la  grande  date  du  4 
juillet  1776,  et  unir  les  deux  peuples  dans  le  même  souve- 
nir ;  souvenir  d'autant  plus  précieux  qu'il  est  absolument 
étranger  à  nos  querelles  actuelles. 

Veuillez  me  croire  votre  affectionné, 

Louis-Philippe  d'Orléans. 

A  l'époque  où  M.  le  comte  de  Paris  écrivait  ces 
deux  lettres,  il  ne  prévoyait  guère  qu'il  serait  un 
jour  exilé  de  son  pays,  sous  ce  prétexte  que  sa 
présence  constituerait  un  danger  pour  l'existence 
de  la  République  française.  En  témoignant  de  ses 
sympathies  pour  les  républicains  d'Amérique,  il 
ne  pouvait  pas  supposer  que  d'autres  républicains 
songeraient  un  jour  à  le  proscrire. 

Ses  lettres  n'en  subsistent  pas  moins  comme 
une  preuve  de  son  libéralisme  et  de  son  attache- 
ment aux  traditions  nationales.  En  les  lisant,  les 
Américains  ne  se  rappelleront  que  mieux  que  le 
prince  qui  les  a  écrites,  et  qui  a  voulu  contribuer 
par  sa  souscription  à  une  œuvre  d'entente  et  de 
fraternité  internationales,  est  celui-là  même  qui 
vint  spontanément,  lors  de  la  guerre  de  séces- 
sion, mettre  son  épée  au  service  de  l'Amérique, 
qui  luttait  alors  pour  l'abolition  de  l'esclavage, 
comme  elle  avait  lutté,  au  siècle  dernier,  pour  sa 
liberté  et  pour  son  indépendance. 

Le  16  juin  1881,  une  cérémonie  touchante  par 
sa  simplicité  avait  lieu  :  le  jeune  duc  d'Orléans 


208  VISITE   A   M.    DE    LAPRADE   MOURANT 

faisait  sa  première  communion  dans  l'église  Notre- 
Dame  d'Eu,  au  milieu  de  tous  les  enfants  de  la 
paroisse. 

Au  mois  de  mars  1882,  S.  M.  l'impératrice  d'Au- 
triche honora  de  sa  présence  le  château  de  Chan- 
tilly, où  une  brillante  réception  lui  fut  faite  par 
M.  le  duc  d'Aumale  et  les  princes  d'Orléans.  Une 
chasse  superbe  eut  lieu  en  l'honneur  de  l'impéra- 
trice Elisabeth. 

M.  le  comte  de  Paris  n'avait  pu  y  assister.  Il  se 
trouvait  alors  à  Cannes.  Dans  cette  petite  ville  du 
midi  de  la  France  se  mourait  le  poète  royaliste  et 
chrétien  Victor  de  Laprade,  membre  de  l'Acadé- 
mie française.  M.  le  comte  de  Paris  alla  plusieurs 
fois  le  voir.  M.  de  Laprade  fut  profondément  tou- 
ché de  l'honneur  que  lui  faisait  le  prince  :  v  Vieux 
bourbonnien  que  je  suis,  disait-il,  il  me  semble 
que  c'est  la  royauté  qui  est  venue  me  dire  adieu, 
dans  la  personne  du  petit-fils  de  saint  Louis  et  de 
Henri  IV.  » 

A  la  dernière  de  ces  visites,  c'était  pendant  les  va- 
cances de  Pâques,  en  avril  1882,  M.  lecomte  de  Paris 
était  accompagné  de  son  fils,  lejeune  duc  d'Orléans. 
—  «  Je  vous  amène  mon  fils.  Monsieur  de  La- 
prade, dit  le  prince  en  entrant;  il  sail  tout  l'intérêt 
que  vous  lui  portez.  »  Le  poète  avait  les  larmes 
aux  yeux.  «  En  ma  qualité  de  vieillard  et  de 
mourant  permettez  moi.  Monseigneur,  de  bénir 
votre  fils! »    Et    il   étendit   ses   mains   trem- 


LE    DUC   d'oRLÉANS    AU    COLLÈGE    STANISLAS  209 

blantes    sur    la    tête    inclinée    du   jeune    prince. 

Quelques  jours  plus  tard,  comme  on  parlait  au- 
tour de  lui  de  l'attention  délicate  du  prince,  M.  de 

Laprade  reprit  :  «  Cette  visite  m'a  fait  grand 

plaisir,  et  puis  j'aime  à  penser,  moi  qui  cherche  le 
sens  caché  des  choses,  que  si  Dieu  me  montre 
ainsi  cet  enfant  à  mon  lit  de  mort,  à  moi  qui  ai 
tant  aimé  la  France  et  la  royauté,  c'est  que  cet 
enfant  régnera.  » 

Au  mois  d'août,  M.  le  comte  de  Paris  se  rendit  à 
Paris,  à  la  distribution  des  prix  du  collège  Sta- 
nislas, dont  les  cours  étaient  suivis  par  le  jeune 
duc  d'Orléans,  qui  obtint  le  premier  prix  de  ver- 
sion latine,  dans  la  classe  de  cinquième.  Le  prince, 
après  être  resté  quelques  mois  seulement  dans  la 
classe  de  quatrième,  suivit  son  père  à  Cannes. 

Très  intelligent,  esprit  très  ouvert,  aussi  adroit 
qu'ardent  au  jeu,  il  se  plaisait  dans  la  compagnie 
de  ses  camarades,  dont  il  avait  immédiatement 
gagné  les  sympathies.  Quand  il  revint  à  Paris, 
accompagné  de  M.  Laurent,  professeur  du  col- 
lège Stanislas,  qui  dirigeait  son  éducation,  il  prit 
seulement  quelques  leçons  particulières  au  col- 
lège, résidant  à  Eu  une  grande  partie  de  l'année*. 

Quelques  jours  après  la  distribution  des  prix 
du    collège    Stanislas,    ayant    appris  la    mort  de 

1.  M.  Laurent,  ancien  élève  de  l'Ecole  normale,  agrégé  de 
l'Université,  officier  d'Académie,  fut  pendant  six  ans,  de  1877 
à  1883,  précepteur  du  jeune  duc  d'Orléans. 

14 


210  LETTRE    A    M.    RIFFAUD 

M.  Griigy,  directeur  à  Bordeaux  du  Courrier  de 
la  Gironde,  un  des  hommes  qui  dans  la  presse  dé- 
partementale avaient  vaillamment  servi  le  parti  or- 
léaniste pendant  de  longues  années,  M.  le  comte  de 
Paris  adressa  à  M.  Emile  Riffaud,  parent  de 
M.  Crugy,  la  lettre  suivante  : 

Eu,  20  août  1882. 

Monsieur, 

Je  m'empresse  de  vous  remercier  des  sentiments  qui  ont 
inspiré  votre  lettre.  Vous  avez  eu  raison  de  compter  sur 
la  part  que  je  prendrais  à  la  perte  que  vous  venez  de  faire 
dans  la  personne  de  M.  Emile  Crugy.  J'avais  déjà  été  pé- 
niblement impressionné  par  les  tristes  nouvelles  que  notre 
ami  commun,  AI.  Méran,  avocat  à  Bordeaux  ,  m'avait  don- 
nées de  sa  santé.  Pour  lui,  la  mort  a  certainement  été  une 
délivrance.  Mais,  pour  ses  parents  et  ses  amis,  c'est  la 
rupture  irrévocable  du  dernier  lien  auquel  on  s'attachait, 
même  lorsque  tout  espoir  était  perdu. 

C'est  au  moment  de  cette  cruelle  rupture  qu'on  se  rap- 
pelle toute  la  vie  de  celui  qui  n'est  plus,  ses  années  bril- 
lantes, son  courage,  son  dévouement  passionné  aux  idées 
qu'il  avait  faites  siennes. 

Après  l'avoir  vu  dès  mon  enfance  souffrir  {)Our  sa  cause 
et  partager  quelque  temps  notre  exil,  cela  avait  été  une 
bien  grande  satisfaction  pour  moi  de  le  retrouver  à  Bor- 
deaux, après  que  les  portes  de  la  France  s'étaient  rou- 
vertes pour  moi,  et  de  pouvoir  l'assurer  que  je  n'avais  ou- 
blié ni  ses  longues  luttes  pour  la  cause  libérale  sous  l'Em- 
pire, ni  l'hospitalité  qu'il  m'avait  donnée  dans  les  colonnes 
de  son  journal,  à  une  époque  si  émouvante  et  si  doulou- 
reuse de  notre  histoire. 


VOYAGE    A    ROME  211 

Sa  belle  figure,  si  originale,  qui  exprimait  à  la  fois  la  sin- 
cérité et  la  fermeté,  restera  toujours  gravée  dans  ma  mé- 
moire. Vous  pouvez  compter  sur  l'intérêt  sympathique  que 
je  reporterai  sur  ceux  qui,  comme  vous,  ont  hérité  de  ses 
sentiments  pour  ma  famille,  et  je  saisis  cette  occasion  pour 
vous  prier  de  me  croire 

Votre  affectionné, 

Louis-Philippe  d'Orléans. 

Au  commencement  de  septembre  de  grandes 
manœuvres  eurent  lieu  en  Seine-et-Oise  à  Septeuil, 
Curgent,  Dammartin.  M.  le  comte  de  Paris,  lieute- 
nant-colonel de  l'armée  territoriale,  y  assista  et 
prit  particulièrement  un  vif  intérêt  aux  manœuvres 
de  la  5®  division  qui  défila  devant  lui  à  Septeuil. 

C'est  à  cette  époque  que  M.  le  comte  de  Paris  se 
rendit  incognito  à  Rome,  où  il  fut  reçu  par  le  pape 
Léon  XIII,  qui  avait  plusieurs  fois  et  récemment 
encore  manifesté  le  regret  de  ne  pas  le  connaître. 

On  devinera  facilement  pourquoi  je  ne  cite  pas 
ici  les  termes  mômes  dont  se  servit  le  saint  Père, 
en  parlant  du  prince.  M.  le  comte  de  Paris,  respec- 
tueux pour  la  religion,  est  très  modéré  pour  les 
personnes,  très  croyant,  et  a  dans  l'esprit  beau- 
coup  d'indulgence. 

Profondément,  sincèrement  religieux,  M.  le 
comte  de  Paris  sait  que  «  l'Eglise,  comme  l'Etat, 
est  une  société  parfaite  en  son  genre,  et  auto- 
nome ;  que  les  dépositaires  du  pouvoir  ne  doi- 
vent, à  aucun  degré,  travailler  à  l'abaisser  et  à 


212  VISITE   AU    PAPE    LÉON   XIII 

l'assujettir)),  que  l'Eglise  doit  vivre  dans  l'État 
non  séparée,  mais  cii  rapports  de  concorde  et 
d'harmonie.  Comme  le  Pape,  M.  le  comte  de  Paris 
sait,  enfin,  que  «  l'usage  de  la  liberté  ne  doit 
pas  franchir  les  limites  posées  par  la  loi  naturelle 
et  par  la  loi  de  Dieu*  )).  Le  Pape,  pas  plus  que  M.  le 
comte  de  Paris  ne  veut  que  «  personne  soit  forcé 
d'embrasser  la  foi  catholique  )) Car  a  la  con- 
trainte peut  tout  obtenir  de  l'homme,  a  dit  saint 
Augustin,  cité  par  Léon  XIII  dans  son  encj'clique, 
tout,  sauf  la  foi  »! 

•       •••••••• •••        • •• 

Ennemis  l'un  et  l'autre  de  la  licence,  amis  de  la 
liberté  vraie  et  légitime,  indispensable  au  dix- 
neuvième  siècle  à  la  société  démocratique  dans 
laquelle  nous  vivons,  Léon  XIII  et  M.  le  comte  de 
Paris  étaient  sûrs  de  se  comprendre  dès  leur  pre- 
mière entrevue.  Ils  se  séparèrent  très  satisfaits  l'un 
de  l'autre. 

11  ne  m'appartient  pas  de  répéter  ce  qui  m'a  été 
raconté  de  cette  entrevue  ;  mais  ce  que  je  puis 
écrire  avec  certitude,  c'est  que  la  hauteur  de  vues, 
la  sagesse  politique  de  M.  le  comte  de  Paris,  frap- 
pèrent au  plus  haut  degré  le  saint  Père.  Léon  XIII, 
ému  et  charmé  des  pieux  sentiments  manifestés 
par  le  prince,  affirme-t-on,  s'écria,  quelques  jours 
après    sa  visite  :    «    Ce   serait  un  grand   bonlieur 

1.  Extraits  de  l'encyclique  de  Léon  XIll  Immortalc  Dci. 


UN   BANQUET   ROYALISTE  213 

pour  la  France  d'être  gouvernée  un  jour  par  ce 
prince  !...»  Du  reste,  dans  tous  les  rangs  de  la 
société,  on  sait  rendre  justice  au  chef  de  la  maison 
de  France  et  aux  princes  de  la  famille  royale.  En  oc- 
tobre 1882,  à  un  banquet  royaliste,  à  Lyon,  les  toasts 
suivants  étaient  portés  par  M.  de  la  Rochetaillée  : 

Messieurs,  permettez-moi,  après  avoir  salué  le  roi,  de 
porter  un  toast  à  son  auguste  famille  : 

A  Son  Altesse  royale  Monseigneur  le  comte  de  Paris, 
qui  a  passé  sa  jeunesse  dans  l'exil,  étudiant  les  constitu- 
tions des  peuples,  l'art  de  la  guerre  et  toutes  les  grandes 
questions  sociales.  A  la  santé  de  ce  jeune  prince  que  l'in- 
telligence, le  travail  et  le  cœur  rendent  digne  de  marcher 
le  premier  dans  la  maison  de  France,  à  la  suite  de  Monsei- 
gneur le  comte  de  Chambord  ; 

A  Monseigneur  le  duc  de  Nemours,  ce  portrait  vivant 
d'Henri  IV,  ce  brillant  officier  dont  la  cavalerie  française 
conserve  le  souvenir  et  les  traditions  ; 

A  la  santé  du  prince  de  Joinville,  de  cet  amiral  de 
France  qui,  s'étant  vu  refuser  par  les  hommes  de  la  Dé- 
fense nationale  le  droit  de  combattre  pour  son  pays  en 
simple  volontaire,  suivit  l'armée  de  la  Loire  sous  le  nom 
d'un  officier  étranger.  Nous  le  voyons  le  jour  de  la  bataille 
d'Orléans,  dans  une  batterie  de  la  marine;  personne  ne  le 
connaît,  mais  instinctivement  officiers  et  soldats,  tous  lui 
obéissent.  Il  est  heureux,  en  retardant  la  marche  de  l'en- 
nemi et  en  protégeant  la  retraite  de  l'armée  française, 
d'apporter  l'obscurité  de  sa  bravoure  dans  la  ville  de 
J  eanne  d'Arc  ; 

A  Monseigneur  le  duc  d'Aumale,   qui   manie   la  plume 


214     M'""  LE  COMTE  DE  PARIS  AU  CHATEAU  d'eU 

comme  l'épée.  A  la  santé  de  ce  général,  dans  lequel  l'ar- 
mée a  reconnu  un  chef; 

A  Monseigneur  le  duc  de  Chartres,  qui,  à  l'encontre  du 
mauvais  vouloir  des  hommes  du  Quatre  Septembre,  a  com- 
battu dans  les  rangs  de  l'armée  française,  rappelant  par 
sa  vaillance  les  légendes  des  temps  chevaleresques  de  Ro- 
bert le  Fort,  dont  il  s'est  montré  digne  de  porter  le  nom  ; 

A  Monseigneur  le  duc  d'Alençon,  officier  remarquable 
de  notre  artillerie  ; 

Au  duc  de  Penthièvre,  qui  promet  de  déployer  dans  la 
marine  les  talents  de  son  illustre  père  le  pxnnce  de  Join- 
ville. 

A  la  santé,  Messieurs,  de  tous  les  princes  et  de  toutes 
les  princesses  de  la  Maison  de  France,  ainsi  nommée,  parce 
qu'elle  est  la  personnification  vivante  de  la  patrie,  et  qu'a- 
près avoir  fondé,  à  travers  les  siècles,  de  concert  avec  la 
nation,  l'unité  française,  elle  nous  apparaît  aujourd'hui,  au 
milieu  de  nos  douleurs  et  de  nos  revers,  comme  la  seule 
et  suprême  espérance... 

La  Décentralisation  note  que  ce  toast  fut  inter- 
rompu par  de  fréquents  applaudissements. 

De  Rome,  M,  le  comte  de  Paris  était  revenu  à  son 
château  d'Eu,  où  il  passa  l'automne,  multipliant 
ses  bienfaits,  à  Eu,  au  Tréport,  à  Dieppe,  oii  il 
envoya  sa  souscription  pour  une  école  libre  qu'il 
s'agissait  d'établir.  A  la  fin  d'octobre,  une  tem- 
pête causa  de  grands  malheurs  au  Tréport.  Sur 
trente  canots  de  poche,  dix  disparurent,  quinze 
hommes  périrent  presque  sous  les  yeux  de  leurs 
femmes    et    en   vue    de    leurs    propres   maisons. 


BIENFAIS.VNCE    BE    M"""    LE    COMTE    DE    PARIS  215 

Jamais  pareil  sinistre  n'avait  frappé  le  Tréport. 
M.  le  comte  de  Paris  se  rendit  immédiatement 
dans  cette  ville,  et  s'entendit  avec  le  maire  sur  les 
moyens  de  venir  en  aide  aux  familles  des  victimes. 
Toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  de  soulager  une 
souffrance  ou  une  infortune,  le  prince  et  la  prin- 
cesse étaient  là,  et,  non  seulement  avec  quelques 
pièces  d'or,  mais  par  de  bonnes  et  affectueuses 
paroles,  relevaient  le  courage  des  malheureux. 

Ce  fut  à  la  fin  de  1882  que  M.  le  comte  de  Paris 
fit  choix,  pour  précepteur  de  son  fils,  le  duc  d'Or- 
léans, de  M.  Théodore  Froment,  un  des  membres 
les  plus  distingués  de  l'Université.  Professeur  de 
littérature  latine  à  Bordeaux,  M.  Froment  aban- 
donna ses  fonctions  pour  se  consacrer  tout  entier 
à  l'éducation  du  jeune  prince,  dont  il  dirigeait  de 
loin  les  études  depuis  plusieurs  années.  En  1868, 
Napoléon  III^  à  qui  on  avait  signalé  le  mérite  du 
jeune  professeur,  lui  avait  fait  offrir  les  fonctions 
de  précepteur  du  prince  impérial.  M.  Froment 
refusa.  Attaché  à  la  famille  d'Orléans  par  les 
liens  d'une  reconnaissance  héréditaire,  il  ne 
pouvait  accepter.  Ce  refus  n'était  pas  sans  danger 
alors,  et  on  ne  supposait  guère  qu'un  jour  M.  Fro- 
ment deviendrait,  en  France,  le  professeur  du  duc 
d'Orléans.  Poète  couronné  par  l'Académie  fran- 
çaise en  1871,  M.  Froment  avait  publié  un  in- 
téressant volume  sur  l'éloquence  judiciaire  en 
France  avant  le  dix-septième  siècle.  Ses  ouvrages 


216    M.  FROMENT  PRECEPTEUR  DU  DUC  D  ORLÉANS 

attestent  des  sentiments  élevés,  qui,  aux  yeux  de 
ceux  qui  pensent  à  l'avenir  de  la  patrie,  justifient 
le  choix  de  M.  le  comte  de  Paris.  L'éducation  du 
jeune  prince,  confiée  à  cet  excellent  maître,  fut 
achevée  en  1887.  M.  Froment  devint,  à  la  rentrée 
d'octobre  1887,  directeur  du  collège  Sainte-Barbe. 


m    9 
■m   g  -4 


CHAPITRE    V 

1883 

Discussion  en  1883,  à  la  Chambre  des  députés  et  au  Sénat,  de  la 
proposition  Floquet,  tendant  à  exiler  les  princes  d'Orléans  et 
les  Bonaparte.  —  Le  Sénat  rejette  la  loi  d'exil,  à  cinq  voix 
de  majorité.  —  Les  princes  privés  de  leurs  grades  dans  l'ar- 
mée française  (février  1883).  — Voyage  de  M.  le  comte  de 
Paris  en  Sicile,  avec  M.  le  duc  d'Aumale  :  visite  aux  temples 
de  Pœstum ,  de  Segeste,  aux  ruines  de  Sélinonte,  à  l'église 
de  Montréal  près  Palerme,  Naples  et  Ponipéi  (avril  1883).  — 
Première  communion,  à  Eu,  de  S.  A.  P».  M"^"  la  princesse 
Hélène,    deuxième  fille    de  M.  le  comte  de  Paris. 

Maladie' de  M.  le  comte  de  Chambord.  • —  Départ  pour  Vienne 
de  M.  le  comte  de  Paris  (lundi  soir  2  juillet),  accompagné 
de  M.  le  duc  de  Nemours  et  de  M.  le  duc  d'Alençon.  —  Entre- 
vue des  princes  avec  M.  le  comte  de  Cliambord  (7  juillet).  — • 
Lettre  de  M.  le  duc  de  Nemours  sur  cette  entrevue.  —  Légère 
amélioration  dans  l'état  de  M.  le  comte  de  Chambord.  — 
Rentrée  des  princes  en  France.  —  Succès  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans au  collège  Stanislas.  —  Mort  de  M.  le  comte  de  Cliam- 
bord (24  août  1883).  —  Départ  des  princes  d'Orléans  pour 
Frohsdorf.  —  La  cérémonie  funèbre  à  Frohsdorf.  —  Notifi- 
cation aux  souverains,  par  M.  le  comte  de  Paris,  de  la  mort 
de  M.  le  comte  de  Chambord.  —  Retour  en  France  de  M.  le 
comte  de  Paris.  —  Obsèques  de  M.  le  comte  de  Chambord  à 
Goritz  (3  septembre  1883).  —  Récit  exact  de  ce  qui  s'y  passa. 
—  Unité  dans  le  parti  royaliste.  —  Réceptions  de  M.  le 
comte  de  Paris  à  Eu.  —  Publication  des  tomes  V  et  VI  de 
l'Histoire  de  la  guerre  civile  en  Amérique,  par  M.  le  comte  de 
Paris. 

Le    16  janvier  1883,  à  la  suite  de   l'arrestation 
illégale  du  prince  Napoléon,  qu'on  ftit  vite  obligé 


218  LE    SÉNAT    REJETTE    UNE    LOI   d'eXIL 

de  mettre  en  liberté,  le  gouvernement  était  abso- 
lument affolé.  Le  cabinet  présidé  par  M.  Duclerc 
(malade),  comptait  parmi  ses  membres  le  général 
Billot,  à  la  guerre;  M.  Devès,  à  la  justice,  et 
M.  Fallières,  à  l'intérieur.  M.  Floquet,  député, 
déposa  sur  le  bureau  de  la  Chambre  une  pro- 
position d'exil  pour  tous  les  membres  des  familles 
ayant  régné  sur  la  France.  L'urgence  fut  votée 
et  la  discussion  eut  lieu  dans  la  seconde  quinzaine 
de  janvier.  Mais  M.  Duclerc,  président  du  conseil; 
le  général  Billot,  ministre  de  la  guerre;  l'amiral 
Jauréguiberry,  ministre  de  la  marine,  préférèrent 
se  retirer  que  de  soutenir  une  loi  d'exil  qui  n'é- 
tait nullement  motivée,  et  de  demander  l'expul- 
sion de  l'armée,  de  princes  qui  avaient  toiijours 
servi  fidèlement  leur  pays.  M.  Fallières  cons- 
titua un  nouveau  cabinet  et,  après  de  nombreux 
refus,  finit  par  s'adjoindre  le  général  Thibaudin 
pour  achever  la  honteuse  besogne  votée  à  la 
Chambre  par  353  voix  contre  163.  On  n'avait  pu 
trouver  aucun  marin  pour  le  département  de  la 
marine  ! 

En  février,  le  Sénat  discuta  la  loi  d'exil,  et  à  la 
majorité  de  5  voix  la  rejeta.  C'est  alors  que,  con- 
trairemenl  aux  lois  et  usages  qui  régissent  l'armée 
française,  le  général  Thibaudin  mit  par  décret, 
sans  aucun  prétexte,  en  non-activité  par  retrait 
d'emploi,  le  général  duc  d'Aumalc,  le  colonel  duc 
de  Chartres,  le  capitaine  duc  d'Alençon. 


VOYAGE    EX    SICILE  219 

Nous  racontons  ailleurs  comment  s'accomplit 
cette  iniquité. 

Au  commencement  d'avril  1883,  M.  le  comte  de 
Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  acceptèrent 
l'invitation  de  leur  oncle,  le  duc  d'Aumale,  et  se 
rendirent  en  Sicile,  dans  son  palais  de  Palerme.  Le 
duc  d'Aumale  habite  le  palais  qu'il  tient  de  son  père, 
le  roi  Louis-Philippe,  et  qui  est  situé  en  dehors  des 
murs,  à  l'extrémité  de  la  place  de  l'Indépendance, 
vis-à-vis  de  l'ancien  Palais  royal.  C'est  plutôt  une 
vaste  maison  qu'un  véritable  palais,  car  aucune 
décoration  architecturale  ne  le  signale  à  l'exté- 
rieur, et  les  appartements  sont  meublés  avec  une 
grande  simplicité. 

Dès  que  l'on  apprit  à  Palerme  l'arrivée  des 
princes  d'Orléans,  toute  l'aristocratie  vint  s'ins- 
crire au  palais,  le  général  Palavicini  en  tête,  suivi 
de  toutes  les  autorités  militaires.  Le  duc  d'Aumale 
est  très  aimé  en  Sicile,  où  il  a  séjourné  souvent, 
en  laissant  les  meilleurs  souvenirs.  Les  jardins 
qui  entourent  sa  résidence  sont  superbes.  En 
dehors  des  arbres  exotiques  les  plus  rares,  80  hec- 
tares, uniquement  plantés  de  citronniers  et  d'oran- 
gers, embaument  Pair.  Il  y  a  peu  de  jardins  aussi 
beaux  en  Italie  et  même  en  Europe.  De  la  terrasse 
qui  le  domine,  l'œil  s'étend  au  loin,  embrassant 
le  magnifique  panorama  qui  va  du  mont  Pelle- 
grino  au  mont  Catalfano,  à  droite  duquel,  quand 
le  ciel  est  pur,  on  découvre  le  sommet  de  PEtna. 


220  EXCURSION  A   zucco 

Païenne  est,  du  reste,  la  ville  des  jardins  par 
excellence,  et  le  dattier,  le  bananier,  le  cocotier, 
y  poussent  partout;  on  y  trouve,  mieux  qu'à  Na- 
ples,  la  végétation  luxuriante  de  l'Orient. 

C'est  dans  ce  séjour  enchanteur  que  le  duc 
d'Aumale  reçut  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame 
la  comtesse  de  Paris,  et  leur  fit  visiter  sa  célèbre 
propriété  de  Zucco. 

Zucco,  dont  le  vin  a  rendu  le  nom  célèbre,  est 
situé  à  43  kilomètres  de  Palerme,  sur  la  ligne  qui 
va  de  cette  ville  à  Trapani.  Le  trajet  se  fait  en 
deux  heures,  mais  le  voyage  demande  une  journée 
entière,  par  suite  du  très  petit  nombre  de  trains 
de  retour,  et  de  l'incommodité  des  trains  de 
départ.  La  propriété  compte  4^000  hectares  et 
elle  fournit  annuellement  de  6  à  7,000  hectolitres 
de  vin  blanc  et  rouge.  De  loin,  Zucco  ressemble 
à  une  forteresse.  C'est  une  immense  ferme,  com- 
posée de  plusieurs  corps  de  bâtiments  et  flanquée 
d'une  tourelle  à  chacun  des  quatre  angles. 

Mais  il  n'y  a  pas  que  des  vignes  à  Zucco,  il  y  a 
aussi  27,000  oliviers,  dont  la  légende  fait  remonter 
l'origine  aux  Sarrasins.  Quelques-uns  sont  d'une 
telle  grosseur,  qu'il  ne  faut  pas  moins  de  trois  per- 
sonnes se  tenant  par  la  main  pour  en  faire  le  tour. 

M.  le  comte  de  Paris  visita  cette  belle  propriélé 
avec  un  vif  intérêt,  montrant  môme  une  compé- 
tence qui  surprit  plus  d'une  fois  ceux  qui  l'cn- 
louraient. 


s.    A.    R.    LA    PRINCESSE    HÉLÈNE  221 

M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de 
Paris,  continuantleur  voyage,visitèrent  tour  àtour 
les  magnifiques  ruines  de  Segeste  et  de  Selinonte. 
Un  des  monuments  qui  excita  le  plus  l'admiration 
des  augustes  voyageurs  fut  la  cathédrale  de  Mont- 
réal, près  de  Palerme.  Après  s'être  arrêtés  quel- 
ques jours  à  Naples,  où  les  ruines  de  Pompéi  et 
de  Pœstum  les  attiraient,  le  retour  à  Eu  fut  décidé, 
car  Madame  la  comtesse  de  Paris tenaità  être  auprès 
de  sa  seconde  fille,  la  princesse  Hélène,  pendant 
les  quelques  semaines  qui  précédèrent  sa  pre- 
mière communion. 

Cette  touchante  cérémonie  eut  lieu  à  Eu,  à  la  fin 
de  juin.  La  princesse  Hélène  (née  le  16  juin  1871) 
est  très  belle.  11  y  a  trois  ans,  encore  enfant,  elle 
avait  un  type  de  fraîcheur  et  de  grâce  qui,  sous 
le  chapeau  relevé  à  la  mode  du  jour,  rappelait 
les  délicieux  portraits  de  M"°  Yigée-Lebrun.  Au- 
jourd'hui, l'enûint  est  devenue  jeune  fille.  Par  sa 
bonté  parfaite  et  son  exquise  affabilité,  elle  rap- 
pelle sa  sœur.  Madame  la  duchesse  de  Bragance. 
Sa  grande  distinction  fait  promptement  reconnaître 
chez  cette  charmante  princesse  qu'elle  appartient 
à  la  première  race  royale  du  monde.  Lajeune  prin- 
cesse avait  été  préparée  à  sa  première  communion 
dans  la  chapelle  du  château  d'Eu,  restaurée  par  le 
roi  Louis-Philippe  et  à  laquelle  de  beaux  vitraux, 
tamisant  la  lumière,  donnent  l'aspect  recueilli  d'un 
oratoire  itiifime  :  sur  les  boiseries  sculptées  se  dé- 


222      PREMIÈRE    COMMUNION    DE    LA    PRINCESSE    HÉLÈNE 

tache  l'écusson  de  la  maison  de  France  aux  trois 
fleurs  de  lis;  quatre  grandes  verrières  exécutées  à 
Sèvres,  sur  les  dessins  de  Chenavard,  montrent 
saint  Louis  avec  le  manteau  fleurdelisé,  saint  Phi- 
lippe, sainte  Victoire  et  sainte  Adélaïde;  deux 
statues  semblent  garder  l'autel  :  d'un  côté,  celle 
de  saint  Ferdinand,  en  mémoire  du  regretté  duc 
d'Orléans  ;  de  l'autre,  celle  de  saint  Laurent,  patron 
d'Eu.  Au-dessus  de  l'autel,  se  dresse  un  tableau 
symbolique  où  sainte  Amélie,  en  prière,  ofl're  des 
gerbes  d'héliotropes,  fleur  favorite  de  la  reine 
Marie-Amélie.  La  princesse  Hélène  aurait  pu  faire 
sa  première  communion  dans  ce  milieu  tout  im- 
prégné de  souvenirs;  mais,  par  une  pensée  élevée, 
M.  le  comte  de  Paris  tint  en  celte  circonstance, 
comme  en  plusieurs  autres,  à  ne  pas  séparer  ses 
enfants  des  enfants  du  peuple,  et  à  les  associer, 
dans  une  cérémonie  commune,  aux  mômes  pieuses 
impressions,  comme  aux  mêmes  devoirs.  C'est 
donc  à  l'église  d'Eu,  et  avec  une  égalité  chrétienne 
autrement  sincère  que  celle  de  la  devise  étalée  sur 
nos  murailles,  qu'eut  lieu  la  solennité.  La  jeune 
princesse  était  confondue  parmi  ses  compagnes, 
comme  il  en  avail  élé  naguère  pour  son  frère  le 
duc  d'Orléans;  et  tous  les  membres  de  la  famille 
royale,  mêlés  à  la  population,  étaient  les  témoins 
attendris  de  ce  pieux  speclacle.  A  l'élévation. 
Madame  la  comtesse  de  Paris,  profondément  émue, 
chanta  un  0  Salutaris  !  de  cette  voix  harmonieuse 


NOTE    DE    L     «  UNION  »  223 

et  sympathique  qu'ont  souvent  admirée,  dans  les 
petites  réunions  de  Cannes  et  du  château  d'Eu, 
les  amis  intimes  de  la  princesse.  La  princesse 
Amélie  quêta  pour  les  pauvres.  Cette  fête  de  fa- 
mille, avec  son  caractère  simple  et  patriarcal, 
laissa  dans  le  cœur  de  chacun  un  touchant  sou- 
venir. 

Peu  de  jours  après,  avait  lieu  un  événement 
considérable. 

Le  dimanche  soir,  1*'"  juillet,  VU/iion,  organe 
officiel  de  M.  le  comte  de  Chambord,  publiait  la 
note  suivante,  qui  causait  dans  toute  la  France  la 
plus  vive  émotion  : 

Nous  apprenons  à  l'instant,  avec  une  inexprimable  dou- 
leur, par  un  télégramme  ofliciel  de  Frohsdorf,  que  M.  le 
comte  de  Chambord,  atteint  d'une  maladie  aussi  grave 
qu'imprévue,  est  dans  un  état  qui  inspire  de  sérieuses  in- 
quiétudes à  ceux  qui  l'entourent. 

Par  son  ordre,  nous  demandons  à  la  France  d'unir  ses 
ardentes  prières  aux  nôtres. 

Que  Dieu  daigne  conserver  à  la  patrie  le  glorieux  et  le 
bien-aimé  héritier  de  nos  rois  ! 

Le  marquis  de  Dreux-Brézé  (représentant  à  Pa- 
ris de  M.  le  comte  de  Chambord)  avait  envoyé 
cette  note  à  tous  les  journaux  royalistes,  en  même 
temps  qu'il  avertissait  M.  Bocher.  Celui-ci  télé- 
graphia la  triste   nouvelle  à  Eu. 

Le  lendemain  matin,  2  juillet,   une  réunion  de 


DEPART    POUR   L  AUTRICHE 


famille  était  tenue  à  Paris,  par  les  princes  d'Or- 
léans, sous  la  présidence  de  M.  le  comte  de  Paris. 
11  était  décidé  que  le  pelit-fils  du  roi  Louis-Phi- 
lippe partirait  le  soir  même  pour  Vienne.  Des  avis 
officieux  étaient  envoyés  à  M.  le  comte  de  Paris  pour 
Pavcrtir  que,  dans  les  circonstances  actuelles,  son 
voyage  à  Frohsdorf  pourrait  être  considéré  comme 
un  acte  de  prétendant,  et  suivi  d'une  expulsion. 

«  Que  m'importe!  répondit  le  prince;  mon 

devoir  est  de  partir,  je  partirai  ce  soir.  » 

Le  même  soir,  à  la  gare  du  chemin  de  fer  de 
l'Est,  M.  le  comte  de  Paris,  M.  le  duc  de  Nemours 
et  M.  le  duc  d'Alençon  montaient  en  sleeping-car, 
accompagnés  parle  comte  B.  d'Harcourt  et  le  capi- 
taine Morhain.  Le  marquis  de  Beauvoir  et  le  vicomte 
de  Bondy  devaient  les  rejoindre  le  lendemain. 
Quelques  amis,  le  comte  de  Riancey  et  le  marquis 
de  Fiers  étaient  venus  saluer  les  princes  et  comp- 
taient les  suivre  à  Vienne,  selon  les  nouvelles  que 
Ton  recevrait  de  l'auguste  malade.  Deux  dépêches 
arrivées  au  moment  du  départ  annonçaient  une 
léaère  amélioration,  tout  en  déclarant  que  la 
situation  restait  très  grave.  Le  train  s'ébranle, 
toutes  les  personnes  présentes  sur  le  quai  de  la 
gare  saluent  respectueusement  les  princes.  A 
huit  heures  du  matin,  ils  arrivent  à  Strasbourg. 
Les  princes  descendent  au  buffet  de  la  gare,  dont 
les  propiiétaires,  de  braves  Alsaciens,  les  recon- 
naissent   et    les    signalent    à    plusieurs  de   leurs 


ARRIVEE    A    VIENNE  225 

compatriotes.  Tous,  au  moment  où  les  princes 
regagnent  leur  wagon,  se  découvrent  et  forment 
la  haie  sur  leur  passage.  Du  reste,  dans  toutes 
les  gares  ils  sont  l'objet  de  la  plus  vive  et  de  la 
plus  sympathique  curiosité  du  public.  Le  len- 
demain, 4  juillet,  les  princes  arrivaient  à  Vienne, 
à  six  heures  vingt  minutes  du  matin. 

Tant  de  commentaires  différents  ont  été  faits  sur 
les  incidents  qui  ont  marqué  les  deux  voyages  à 
Vienne  de  M.  le  comte  de  Paris,  que,  dans  l'inté- 
rêt de  la  vérité,  je  crois  utile  de  répéter  ici  deux 
récits,  l'un  du  Français^,  l'autre  du  Moniteur  uni- 
versel^ que  je  compléterai,  dans  quelques  passages, 
par  des  notes  personnelles  dont  je  garantis  la 
parfaite  exactitude. 

Le  4  juillet,  dès  que  M.  le  comte  de  Paris  était 
arrivé  à  Vienne  avec  M.  le  duc  de  Nemours  et 
M.  le  duc  d'Alençon,  il  avait  envoyé  M.  le  comte 
Bernard  d'Harcourt  au  château  de  Frohsdorf. 
M.  d'Harcourt  y  venait  prendre  des  nouvelles  de 
M.  le  comte  de  Ghambord,  annoncer  que  les  prin- 
ces étaient  à  Vienne  et  offrir  tous  leurs  vœux  à 
l'auguste  malade  ;  il  y  venait  aussi  demander, 
avec  la  plus  délicate  discrétion,  si  M.  le  comte  de 

1.  Le  Français  était  alors  rédigé  par  un  de  ses  meilleurs 
collaborateurs,  M.  Auguste  Boucher,  dont  la  plume  élégante  et 
facile  rapporta  avec  la  plus  scrupuleuse  exactitude  ce  qui  se 
passa  dans  ce  premier  voyage  à  Vienne  de  M.  le  comte  de 
Paris. 

15 


226  MALADIE    DE    M"''    LE    COMTE    DE    CHAMBOIiD 

Ghambord  voudrait  bien  les  recevoir,   le  jour  où 
son  douloureux  état  le  lui  permettrait. 

A  leur  tour,  M.  le  marquis  de  Beauvoir  et 
M.  le  vicomte  de  Bondy  étaient  allés,  le  lende- 
main, à  Frohsdorf,  sur  l'ordre  de  M.  le  comte  de 
Paris,  pour  s'informer  de  l'état  de  M.  le  comte  de 
Ghambord, 

Le  6,  M.  le  baron  de  Raincourt,  de  service  alors 
auprès  du  prince,  apporta  à  M.  le  comte  de  Paris 
les  compliments  de  M.  le  comte  de  Ghambord,  au 
nom  duquel  il  le  remerciait  de  cette  démarche,  ainsi 
que  les  princes  qui  l'accompagnaient.  M""®  la  com- 
tesse de  Ghambord  leur  faisait  savoir  par  M.  de 
Raincourt  qu'elle  serait  heureuse  de  les  recevoir, 
sans  assurer,  toutefois,  qu'ils  pourraient  voir  M.  le 
comte  de  Ghambord.  M.  de  Raincourt  pensait 
même  exactement  interprétei  le  sentiment  de 
M'""  la  comtesse  de  Ghambord  en  disant  qu'elle 
jugeait  nécessaire  d'ajourner  Tentrevue  du  malade 
et  des  princes.  Que  cette  entrevue  fut  immédiate, 
selon  leur  respectueux  et  affectueux  désir,  ou 
qu'il  fallût  la  retarder,  il  n'en  était  pas  moins 
certain  que  le  devoir  qui  avait  amené  les  princes 
à  Vienne  leur  commandait  de  se  rendre  à  Frohs- 
dorf, surtout  maintenant  que  M""*"  la  comtesse  de 
Ghambord  leur  annonçait  qu'elle  pourrait  elle- 
même  les  recevoir,  tout  accablée  de  fatigue  et  de 
tristesse  qu'elle  était  depuis  quelques  jours. 

Un  ami,  qui  connaissait  bien   l'âme  généreuse 


LES    PRINCES    VONT    A    FROHSDORF  227 

de  M.  le  comte  de  Ghambord,  disait  à  l'un  des 
princes,  quelques  minutes  avant  qu'ils  prissent  le 
chemin  de  Frohsdorf  :  «  Aussitôt  que  Monsei- 
gneur saura  que  vous  êtes  sous  son  toit,  il  n'est 
pas  de  souffrance  que  sa  volonté  ne  domine  ;  il 
vous  appellera  à  son  chevet...  »  Cet  ami  ne  se 
trompait  pas. 

Dans  la  matinée  du  7,  M.  le  comte  de  Paris, 
M.  le  duc  de  Nemours  et  M.  le  duc  d'Alençon  par- 
tirent avec  MM.  Bernard  d'Harcourt,  Emmanuel 
Bocher,  de  Beauvoir  et  de  Bondy.  A  la  gare  de 
Vienne,  ils  trouvèrent  M.  le  comte  de  Blacas,  son 
neveu  M.  le  duc  de  Blacas,  M.  de  Charette  et 
MM.  de  Ghampeaux  et  du  Puget.  Les  princes 
prièrent  M,  de  Blacas  et  M.  de  Gharette  de 
monter  dans  leur  wagon.  Les  voitures  de  M.  le 
comte  de  Ghambord  les  attendaient  à  la  gare  de 
Wiener-Neustadt.  Elles  les  conduisirent  au  châ- 
teau, sous  un  soleil  brûlant,  à  travers  un  tourbil- 
lon de  poussière.  Devant  la  porte  du  château,  les 
secrétaires  de  M.  le  comte  de  Ghambord  et  toutes 
les  personnes  qui  composaient  son  entourage 
étaient  assemblés  et  rendirent  aux  princes  les  hon- 
neurs traditionnels. 

Dans  la  matinée,  le  docteur  Mayr,  de  nouveau 
consulte,  avait  déclaré  que  M.  le  comte  de  Gham- 
bord ne  pouvait  pas,  sans  un  grave  danger,  rece- 
voir ses  cousins.  11  avait  donc  été  décidé  que  les 
princes  ne  verraient  pas  le  malade. 


228  JOIE  DE  m"'  le  comte  be  chambord 

Cependant,  M.  le  comte  de  Chambord,  à  peine 
averti  que  ses  cousins  étaient  en  route,  avait  ma- 
nifesté très  vivement  l'intention  de  les  admettre 
auprès  de  lui.  En  vain  lui  avait-on  objecté  Tavis 
si  net  du  docteur  Mayr.  (c  Peu  importe  !  Je  le 
veux...»,  avait-il  répondu  avec  un  accent  vibrant. 
Et,  devant  celte  ferme  volonté  qui  ne  comptait 
pour  rien  le  mal,  le  péril,  peut-être  même  le  sa- 
crifice de  la  vie,  on  s'était  incliné.  Les  princes 
d'Orléans  faisaient  noblement  leur  devoir;  M.  le 
comte  de  Chambord  faisait  le  sien  héroïquement  ; 
le  chrétien,  l'homme  et  le  prince  avaient  parlé 
aussi  haut  l'un  que  l'autre  dans  ce  mot  non  moins 
doux  qu'énergique  sur  ses  lèvres  :  «  Je  le  veux.  » 

Après  avoir  été  accueillis  par  M™°  la  comtesse 
de  Chambord,  les  princes,  au  bout  de  dix  minutes, 
furent  introduits  dans  la  chambre  où  M.  le  comte 
de  Chambord  reposait  si  péniblement. 

La  scène  était  certes  grande.  Dans  cette  cham- 
Ijre  où  la  mort  avait  semblé  un  instant  prête  à 
frapper  le  chef  de  la  maison  de  France,  le  dernier 
petit-fils  de  Louis  XIV,  si  loin  des  Tuileries,  si 
loin  de  la  ])atrie,  les  princes  d'Orléans  étaient  là, 
seuls  en  face  de  M.  le  comte  de  Chambord,  brisé 
par  la  souffrance,  et  représentant  avec  lui  toute  la 
famille  royale  des  Bourbons  dans  un  entretien  qui 
pouvait  être  le  dernier.  Ce  n'était  plus  la  France 
qui  réunissait  M.  le  comte  de  Chambord  et  M.  le 
comte  de  Paris,  comme  lors  du  ;">  août  1873  ;  c'était, 


ENTRETIEN  AVEC  M^'''  LE  COMTE  DE  PARIS      229 

après  dix  ans,  Dieu  lui-même  avec  ses  décrets 
mystérieux... 

Mais  cette  scène,  déjà  si  belle  en  elle-même, 
M.  le  comte  de  Chambord  la  rehaussait  encore  de 
toute  la  grandeur  de  ses  sentiments. 

A  la  vue  de  M.  le  comte  de  Paris,  M.  le  comte 
de  Chambord  se  soulève  sur  son  séant  ;  il  l'appelle 
à  lui  ;  d'un  mouvement  tout  paternel,  il  le  prend 
dans  ses  bras  et,  en  pleurant,  il  le  tient  longtemps 
sur  sa  poitrine.  Puis  il  embrasse  cordialement 
M.  le  duc  de  Nemours  et  M.  le  duc  d'Alençon.  Il 
saisit  ensuite  la  main  de  M,  le  comte  de  Paris  ;  il 
le  force  à  s'asseoir  à  son  chevet  en  lui  faisant,  de 
toute  la  vigueur  qui  lui  reste,  une  sorte  de  violence 
affectueuse.  Il  cause  alors  avec  chacun  des  princes, 
et  la  conversation  dure  un  quart  d'heure.  M.  le 
comte  de  Chambord  semble  avoir  oublié  son  mal  ; 
son  cœur  est  plus  fort  que  la  souffrance.  Il  affirme 
même  en  souriant  qu'il  se  sent  mieux.  Avec  une 
tendresse  touchante,  avec  une  abnégation  absolue 
de  lui-même,  avec  une  vivacité  et  une  lucidité  d'es- 
prit extraordinaires,  il  les  entretient  de  tout  ce  qui 
les  intéresse  personnellement  :  il  n'y  avait  rien 
qu'il  ne  sût  et  qu'il  n'eût  l'aimable  soin  de  leur 
remémorer  ou  de  leur  demander.  Au  moment  où 
les  princes,  qui  craignaient  de  le  fatiguer  en  pro- 
longeant cette  visite,  allaient  se  retirer,  M.  le 
comte  de  Chambord,  encore  une  fois,  embrassa 
avec  effusion  M.  le  comte  de    Paris,  et  sa  main 


230  CONSULTATION   DES    MÉDECINS 

eut   de   la  peine    à  se   détacher   de  celle  qu'elle 
serrait. 

En   rentrant  au  salon  où   leurs  amis  les  atten- 
daient, les  princes  avaient  tous  trois  des  larmes 
dans  les  yeux,  et  c'est  d'une  voix  altérée  par  l'émo- 
tion   qu'ils  leur   racontèrent    cette    douloureuse 
entrevue. 

En  sortant,  encore  tout  ému,  de  la  chambre  de 
M.  le  comte  de  Ghambord,  M.  le  comte  de  Paris 
s'écria  :  «  Ah  !  on  nous  avait  trompés  sur  la  gravité 
de  l'état  de  Monseigneur,  et  nous  en  sommes 
bien  heureux  ! » 

M.  le  comte  de  Monti  sortit  alors  de  sa  poche 
la  première  consultation  des  trois  médecins  vien- 
nois, qui  déclaraient  l'état  du  prince  si  alarmant, 
qu'ils  n'osaient  pas  affirmer  qu'il  passerait  la 
nuit... 

M.  le  comte  de  Ghambord  avait  ordonné  que, 
pendant  le  déjeuner,  M.  le  comte  de  Paris  occupât 
à  table  sa  place  môme  :  attention  plus  que  cour- 
toise, qui  rendait  bien  visible  et  sensible  sa  sou- 
veraine pensée.  Après  le  déjeuner,  qui  fut  suivi 
d'une  courte  promenade  dans  le  parc,  les  princes 
présentaient  à  M""  la  comtesse  de  Ghambord  leurs 
respects,  leurs  consolations,  leurs  souhaits,  et 
reprenaient  la  route  de  Vienne. 

Voilà,  dans  loule  sa  simplicité  comme  dans 
toute  sa  vérité,  le  récit  qui  nous  a  été  fait  de  cette 
louchanle  entrevue.  Le  speclacle   qui  a  été  donné 


l'union  des  deux  princes  231 

là,  le  7  juillet,  à  la  France  monarchique  et  à  l'Eu- 
rope elle-même,  n'a  pas  besoin  de  commentaires 
pour  marquer  tout  ce  qu'il  a  eu  de  beau  et  de 
bon.  C'était  l'union  de  la  famille  royale  attestée  de 
nouveau,  comme  en  1873,  et  consacrée  cette  fois 
avec  une  solennité  suprême.  Ce  n'était  pas  seule- 
ment M.  le  comte  de  Paris  saluant  le  représentant 
du  droit  dynastique  dans  la  personne  de  M,  le 
comte  de  Chambord,  comme  dix  ans  auparavant  ; 
c'était  M,  le  comte  de  Chambord,  ne  pensant  qu'à 
la  France  sur  son  lit  de  douleur  et  lui  montrant  la 
monarchie  de  l'avenir  dans  la  personne  de  M.  le 
comte  de  Paris,  qui  devait  après  lui  représenter 
ce  même  droit  héréditaire. 

Un  journal  a  dit  à  ce  sujet  ^  : 

«  Personne  ne  put  l'empêcher,  malgré  ses  souf- 
frances, de  terminer  sa  noble  carrière  par  le 
grand  acte  qui  est  son  véritable  testament.  Il 
reçut,  comme  il  l'entendait,  sur  son  lit  de  mort, 
son  héritier;  et  ceux  qui  ont  vu  dans  cette  magni- 
fique étreinte  quelque  chose  comme  un  sacrifice 
se  sont  singulièrement  trompés. 

«  Non  seulement,  M.  le  comte  de  Chambord  con- 
naissait mieux  que  personne  l'histoire  et  les  lois 
de  sa  patrie,  mais  il  savait  qu'il  remettait  entre  les 
mains  les  plus  sures  le  dépôt  sacré  gardé  pour 
la  France.  Il  avait  dit  avec  joie  à  un  ami,  le  soir 

1.  Figaro  du  24  août  1887  :  Un  anniversaire. 


232  RETOUR   A   EU 

du  5  août  1873  :  «  Le  comte  de  Paris  est  un  bien 
«  honnête  homme,  »  et  il  s'endormit  tranquille  dans 
l'éternité.  » 

Quant  à  nous,  en  rappelant  cette  scène  si  digne 
de  notre  vieille  histoire,  nous  ne  venons  que  ren- 
dre à  M.  le  comte  de  Ghambord  l'hommage  dû  à 
sa  haute  volonté,  à  sa  courageuse  sollicitude,  à  sa 
prévoyance  royale  et  nationale  ;  et  avec  nous  toute 
la  France  monarchique,  nous  en  sommes  sûr,  mê- 
lera dans  cet  hommage  la  gratitude  à  l'admira- 
tion. 

L'amélioration  dans  la  santé  de  M.  le  comte  de 
Ghambord  se  maintenant,  M.  le  comte  de  Paris 
quitta  Vienne  le  samedi  soir  14  juillet,  et  arriva  à 
Paris  le  lendemain  soir,  dimanche,  à  6  heures. 
Le  prince  dîna  chez  M.  Bocher,  et  dans  la  soirée 
alla  chez  le  marquis  de  Dreux-Brézé  lui  exprimer 
sa  satisfaction  des  meilleures  nouvelles  qu'il 
apportait  de  la  santé  du  chef  de  la  maison  de 
Bourbon.  Puis  le  17,  le  prince  retourna  à  Eu  auprès 
de  Madame  la  comtesse  de  Paris. 

L'entrevue  du  7  juillet  1883  avait  produit  un 
effet  considérable  en  France.  Elle  montrait  que  ce 
n'était  plus,  comme  au  5  août  1873,  une  union  de 
raison,  mais  une  union  de  cœur  qui  réunissait  le 
comte  de  Ghambord  et  le  comte  de  Paris.  Nous  en 
trouvons  la  preuve  dans  la  touchante  lettre  sui- 
vante que  M.  le  duc  de  Nemours  adressa  de  Vienne 
à  sa  fille  M'"''  la  princesse  Blanche  : 


LETTRE    DE   M^""   LE   DUC    DE   NEMOURS  233 

C'est  Madame  qui  nous  a  ouvert  la  porte  de  l'auguste 
malade. 

Nous  sommes  restés  seuls, — personne  que  nous  trois. — 
Monseigneur,  en  nous  voyant,  s'est  soulevé  avec  énergie. 
Il  a  étendu  ses  deux  bras,  a  i)ris  Paris  par  la  tête,  l'a  em- 
brassé avec  effusion  plusieurs  fois  ;  il  a  placé  la  tête  de 
Paris  sur  son  cœur,  puis  il  m'a  tendu  la  main  et  m'a  dit  : 
a  Embrassons-nous  ;  nous  nous  aimons  depuis  bien  long- 
temps. »  Il  a  embrassé  le  duc  d'Alençon. 

Il  nous  a  fait  asseoir  et  nous  a  parlé  avec  sa  belle  voix 
que  vous  connaissez.  Il  nous  a  demandé  en  détail  des  nou- 
velles de  toute  la  famille  ;  femmes,  enfants,  il  n'a  oublié 
personne. 

Pendant  qu'il  causait  ainsi,  il  prenait  la  main  de  Paris, 
la  mienne.  Il  a  répété  plusieurs  fois  :  «  Je  savais  bien  que 
vous  viendriez,  et  j'étais  sûr  que  votre  visite  me  ferait  du 
bien.  Je  sens  que  cela  va  mieux;  car  mon  cœur  n'est  j)as 
malade,  et  il  vous  aime  tendrement.  » 

L'entrevue  a  duré  dix-sept  minutes. 

C'est  moi  qui  ai  dit  :  «  Nous  craignons  de  nous  faire 
gronder  ;  nous  nous  retirons.  Avec  l'aide  de  Dieu  que  nous 
invoquons  tous,  avec  votre  énergique  constitution,  vous 
triompherez  du  mal.  » 

Alors,  prenant  la  main  de  Paris,  Monseigneur  répliqua  : 

«  Quand  vous  rentrerez  en  France,  dites  bien  à  tous 
que  c'est  pour  ma  chère  France  qu'il  faut  prier  et  non 
pour  moi.  Mon  seul  regret  est  de  n'avoir  pu  la  sei"vir  et 
mourir  pour  elle,  comme  l'a  toujours  désiré  mon  cœur. 
Soyez  plus  heureux  que  moi  :  c'est  tout  ce  que  je  désire.  » 

M.  le  comte  de  Chambord  avait  signifié  sa  ferme 


234      AGONIE  DE  M^'^  LE  COMTE  DE  CHAMBORD 

volonté,  non  seulement  en  recevant  M.  le  conile 
de  Paris  avec  une  joie  des  plus  expressives,  en  le 
pressant  sur  son  cœur,  mais  encore  en  refusant 
de  recevoir  aucun  autre  prince,  même  les  fds  et 
filles  de  sa  sœur  qu'il  avait  élevés  et  qu'il  consi- 
dérait comme  ses  propres  enfants.  Il  avait  fait  taire 
ses  sentiments  pour  remplir  son  devoir  de  roi,  et 
bien  montrer  aux  royalistes  quel  était  son  succes- 
seur. 

Mais  M.  le  comte  de  Paris,  en  se  rendant  sans 
hésitation  à  Frohsdorf,  avait  pu,  lui  aussi,  envisager 
la  responsabilité  qui  [lui  incomberait  un  jour.  En 
accomplissant  cet  acte,  le  prince  montrait  de  la 
netteté,  de  la  décision,  de  la  volonté.  Ceux  qui  ne 
le  connaissaient  pas  commencèrent  déjà  à  pres- 
sentir en  lui  un  chef  intelligent  et  ferme,  digne  du 
grand  nom  qu'il  portait. 

Pendant  un  mois,  on  put  espérer,  sinon  le  réta- 
blissement complet  de  M.  le  comte  de  Ghambord, 
au  moins  un  long  temps  d'arrêt  dans  la  maladie. 
La  Providence  en  avait  décidé  autrement.  Le  16 
août,  tout  espoir  sembla  abandonné  :  les  forces 
déclinaient  rapidement;  le  comte  de  Ghambord  ne 
pouvait  plus  suppoi'ter  au(uin  aliment.  Le  21,  les 
médecins,  réunis  en  consultation,  annoncèrent  que 
le  comte  de  Ghambord  était  perdu.  Le  prince  con- 
servait toute  sa  lucidité,  et  se  rendait  compte  de 
son  état.  A  midi,  il  fit  ses  adieux  à  ses  neveux,  à 
ses  nièces,  et  reçut  les  derniers  sacrements.  Pen- 


LA    MORT  235 

dant  quarante-huit  heures,  il  y  eut  une  sorte  d'ac- 
calmie dans  le  mal.  Enfin  le  23,  à  8  heures  du  soir, 
le  professeur  Drasche  et  le  docteur  Mayr  durent 
prévenir  la  famille  que  l'agonie  commençait. 
Lorsqu'il  ne  fut  plus  possible  de  douter  de  l'ap- 
proche de  la  mort,  M™*^  la  comtesse  de  Chambord, 
malgré  tout  son  courage,  sentit  ses  forces  faiblir. 
Elle  faillit  s'évanouir  dans  les  bras  de  M™*^  la 
grande-duchesse  de  Toscane,  de  la  comtesse  de 
Bardi  et  de  la  duchesse  de  Madrid.  Les  princesses 
lui  prodiguèrent  leurs  soins  aflectueux,  et  M"*"  la 
comtesse  de  Chambord,  maîtrisant  sa  douleur,  ne 
quitta  plus  le  lit  de  son  époux  expirant.  Les  prières 
des  agonisants  furent  dites  deux  fois  dans  le  cou- 
rant de  la  nuit.  Le  silence  n'était  interrompu  que 
par  la  voix  de  la  princesse,  ou  par  celle  de  M.  le 
comte  de  Chambord,  prononçant  encore  quelques 
paroles,  parmi  lesquelles  on  distinguait  surtout  ce 
mot  :  «  France  !  »  Toute  la  nuit  se  passa  ainsi.  Vers 
7  heures,  le  docteur  Mayr  reconnut  que  les  der- 
niers moments  approchaient.  L'abbé  Curé  pro- 
nonça, d'une  voix  grave  et  tremblante  d'émotion  : 
«  Montez  au  Ciel,  fils  de  saint  Louis  I...  »  Le  prince 

poussa  un  léger  soupir tout  était  fini.  Il  était 

7  heures  27  minutes  du  matin 

Le  corps  du  prince,  épuisé,  émacié  par  la  souf- 
france, était  d'une  excessive  maigreur.  La  barbe 
blanche,  très  longue,  descendait  sur  la  poitrine, 
et  les    traits    de    son    visage,    calme    et    reposé, 


236  ARRIVÉE  A  VIENNE  DE  M''''  LE  COMTE  DE  PARIS 

étaient    empreints    d'une    incomparable    majesté. 

La  première  dépêche  annonçant  la  triste  nou- 
velle fut  adressée  à  M.  le  comte  de  Paris.  Tous 
les  princes  d'Orléans  firent  savoir  qu'ils  se  ren- 
draient aux  obsèques. 

Dès  le  début  de  son  voyage,  M.  le  comte  de  Paris 
avait  été  dominé  par  le  désir  de  témoigner,  jusque 
dans  les  moindres  détails,  une  profonde  déférence 
pour  M'"^  la  comtesse  de  Chambord.  Dans  les  huit 
jours  de  poignante  angoisse  qui  précédèrent  l'a- 
gonie de  M.  le  comte  de  Chambord,  on  conseilla 
à  M.  le  comte  de  Paris  de  se  tenir  prêt  à  partir  aux 
premières  nouvelles  de  la  mort,  de  façon  à  pou- 
voir prendre  de  suite  à  Frohsdorf  la  direction  des 
funérailles.  Ce  conseil,  le  prince  ne  le  suivit  pas. 
Il  était  avant  tout  préoccupé,  dans  sa  délicatesse, 
d'éviter  de  troubler  la  douleur  de  Tauguste  veuve 
dans  les  premiers  jours  de  son  deuil.  Il  souhaitait 
d'ailleurs  uniquement  d'arriver  à  Frohsdorf  de 
façon  à  pouvoir  contempler  une  dernière  fois  les 
traits  du  prince  avec  lequel  il  avait  eu  récemment 
une  entrevue  si  touchante,  avant  qu'ils  eussent 
pour  jamais  disparu  aux  yeux  des  hommes. 

Le  comte  de  Chambord  mourut  le  24  août  au 
matin.  Le  28,  M.  le  comte  de  Paris  arriva  à  Vienne, 
après  avoir  télégraphié  au  comte  de  Blacas,  à 
Frohsdorf,  pour  lui  demander  à  quelle  heure  il 
pourrait  venir  le  même  jour  s'agenouiller  près  du 
lit  funèbre. 


AU  CHATEAU  DE  FROHSDORP  237 

Dans  ce  voyage,  M.  le  comte  de  Paris  était  ac- 
compagné de  son  fils  le  duc  d'Orléans,  du  duc  de 
Nemours,  du  prince  de  Joinville  et  du  ducd'Alen- 
çon.  Il  avait,  de  plus,  appelé  pour  le  suivre  à  Frohs- 
dorf  des  amis  personnels  ,  anciens  compagnons 
d'enfance  et  d'exil,  qui  tous  avaient  eu  l'honneur 
d'avoir  été  présentés,  depuis  1873,  au  comte  de 
Chambord.  C'étaient  MM.  le  comte  B.  d'Har- 
court,  ancien  officier  de  cavalerie;  le  marquis  de 
Beauvoir,  ancien  secrétaire  d'ambassade  ;  le  vi- 
comte de  Bondy  et  le  vicomte  Olivier  de  Bondy; 
Emmanuel  Bocher,  ancien  officier  d'élat-major,  et 
le  capitaine  de  chasseurs  à  pied  Morhain,  attaché 
personnellement,  depuis  vingt-huit  ans,  à  la  per- 
sonne de  M.  le  comte  de  Paris. 

Auprès  de  lui,  le  prince  avait  encore  l'ancien  et 
très  respecté  conseil  de  sa  famille,  M.  Edouard 
Bocher,  sénateur;  le  duc  de  la  Trémoille  ;  le  duc 
de  Fitz-James,  beau-frère  du  général  de  Gha- 
rette. 

Le  28  août,  à  une  heure  trente  minutes,  les 
princes  quittaient  Vienne,  et  arrivaient  à  trois 
heures  à  Viener-Neustadt.  Les  voitures  de  M.  le 
comte  de  Chambord  les  attendaient  à  la  gare  et  les 
conduisirent  au  château  de  Frohsdorf.  Les  gen- 
tilshommes de  service  auprès  du  corps  firent  éva- 
cuer la  chambre  mortuaire,  et  le  chef  nouveau  de 
la  maison  de  France,  ayant  son  fils  auprès  de  lui, 
s'agenouilla  pieusement    devant  la  dépouille   de 


238  LA.    CHAMBRE    MORTUAIRE 

celui  qui  l'avait  étreint  dans  ses  bras,  avec  toute 
la  chaleur  de  son  cœur,  en  1873  et  en  1883.  11  y 
eut  à  ce  moment  un  long  et  solennel  silence. 
M.  le  comte  de  Paris  priait,  et  nul  doute  qu'avant 
de  s'adresser  à  Celui  de  qui  dépend  le  sort  des 
nations,  il  ne  se  fut  souvenu  de  la  dernière  parole 
qu'il  avait  entendue  sortir  de  la  bouche  du  des- 
cendant de  nos  rois  :  «  C'est  pour  la  France  qu'il 
faut  prier.  » 

Au-dessus  du  lit  mortuaire  flottait  la  bannière 
de  Patay,  avec  les  taches  encore  visibles  du  sang 
répandu  par  ceux  qui,  le  2  décembre  1870,  l'a- 
vaient si  intrépidement  portée.  La  Providence 
avait  fait  que  l'un  de  ces  héros,  dont  le  bras  est 
encore  en  écharpe,  M.  Cazenove  de  Pradines,  était 
de  service  auprès  du  corps.  Le  religieux  silence 
de  la  chambre  mortuaire  ne  fut  rompu  que  par  les 
paroles  émues  adressées  par  M.  le  comte  de  Paris 
au  glorieux  blessé  de  1870,  debout  lui-même  au 
chevet  de  son  roi,  en  quelque  sorte  comme  une 
image  de  la  France  héroïque  et  mutilée.  Le  jeune 
duc  d'Orléans,  très  pâle  et  profondément  impres- 
sionné, assistait  à  ce  spectacle  émouvant. 

Dans  celte  môme  journée,  INI.  Bocher  s'était  en- 
tretenu avec  M.  de  Blacas  au  sujet  du  cérémonial 
qui  serait  adopté  pour  la  cérémonie  de  Goritz. 
Plein  de  respect  pour  la  douleur  de  M"*"  la  com- 
tesse de  Chambord,  ainsi  que  pour  rafTcclion 
qu'elle  portait    aux  neveux  de   son    mari,    M.    le 


POURPARLERS    POUR    LES    OBSÈQUES  239 

comte  de  Paris  avait  pensé  que,  dans  la  chapelle 
du  château,  sous  le  toit  de  l'auguste  veuve,  il  ne 
lui  convenait  pas  de  réclamer  la  préséance.  Quoi- 
qu'il eût  pu,  dès  la  première  heure,  comme  c'était 
son  droit,  faire  connaître  ses  ordres  pour  le  règle- 
ment des  funérailles,  il  avait  tenu  au  contraire  à 
donner  une  marque  particulière  de  son  respect 
pour  la  douleur  de  Madame,  en  se  réservant  de 
réclamer  seulement  pour  la  cérémonie  officielle  et 
française  de  Goritz  les  prérogatives  dues  à  son 
titre  de  chef  de  la  maison  de  France. 

M.  de  Blacas,  dans  une  lettre  à  M.  Bocher,  se 
bornait  à  accuser  la  prétention  du  duc  de  Parme, 
du  comte  de  Bardi  et  même  du  duc  de  Madrid  à 
passer  au  premier  rang,  comme  propres  neveux 
ou  même  tout  simplement  comme  neveux  par 
alliance.  Il  fut  convenu  que,  le  jeudi  30,  une  ré- 
ponse catégorique  serait  donnée  à  M.  Bocher. 

Est-il  besoin  de  dire  qu'avec  son  éloquence  or- 
dinaire M.  Bocher,  l'ami  expérimenté  des  princes 
d'Orléans  développa,  tant  au  point  de  vue  incon- 
testable de  l'histoire  qu'au  nom  du  patriotisme, 
les  motifs  qui  devaient  faire  écarter  un  programme 
qui  ne  pouvait  s'appuyer  sur  aucun  précédent,  et 
qui  était  en  contradiction  absolue  avec  l'attitude 
de  M.  le  comte  de  Chambord  depuis  1873,  aussi 
bien  qu'avec  sa  volonté  présumée  ? 

M.  le  comte  de  Paris  revint  à  Vienne  le  même 
mardi  soir,  et  le  lendemain,  à  la  première  heure, 


240  NOTIFICATION   AUX  SOUVERAINS 

il    expédiait   à   tous  les    souverains   d'Europe    le 
télégramme  suivant  : 

Sire, 

J'ai  la  douleur  de  vous  faire  part  de  la  perte  cruelle  que 
la  Maison  de  France  vient  d'éprouver  dans  la  personne  de 
son  chef,  Monseigneur  Henri-Charles-Ferdinand-INlarie 
Dieudonné  d'Artois,  duc  de  Bordeaux,  comte  de  Cluim- 
bord,  décédé  à  Frohsdorf,  le  24  août  1883. 

Je  prie  Votre  Majesté  de  vouloir  bien  accorder  dans 
cette  circonstance,  à  la  Maison  de  France,  sa  haute  sym- 
pathie. 

Philippe,  comte  de  Paris. 

Dans  la  même  journée ,  tous  les  souverains 
répondaient  à  cette  notification.  En  prenant  cette 
initiative,  M.  le  comte  de  Paris  n'avait  fait  que 
continuer,  comme  chef  de  la  maison  de  France,  ce 
qu'il  avait  toujours  fait  comme  chef  de  la  maison 
d'Orléans. 

Aussitôt  ce  devoir  accompli,  M.  le  comte  de 
Paris  faisait  demander  au  grand  chambellan  de 
S.  M.  l'empereur  d'Autriche,  le  comte  de  Grenne- 
ville,  quel  jour  et  à  quelle  heure  il  pourrait  se 
rendre  chez  Sa  Majesté.  La  réponse  fut  donnée 
presque  immédiatement,  et  l'heure  de  deux  heures 
fut  indiquée  pour  le  surlendemain  vendredi. 

Dans  cet  intervalle,  un  grand  nombre  de  Fran- 
çais, amis  plus  spécialement  fidèles  et  intimes 
du  château  de  Frohsdorf,  arrivaient  de  France  à 
Vienne,  et  ne  cachaient  point  leur  stupéfaction  en 


DÉCISION    DE    M""*^    L.V    COMTESSE    DE    CHAMBORD  241 

apprenant  quelles  étaient  les  décisions  qui  sem- 
blaient prévaloir,  dans  l'entourage  immédiat  de 
M"®  la  comtesse  de  Ghambord,  relativement  aux 
obsèques,  et  l'insistance  avec  laquelle  les  chefs 
des  branches  espagnole  et  italienne  réclamaient  le 
droit  de  conduire  le  deuil  d'un  prince  aussi  émi- 
nemment et  aussi  profondément  français  que  M,  le 
comte  de  Ghambord. 

Plusieurs  Français  parlaient  tout  haut  de  pro- 
poser à  M.  le  comte  de  Paris  de  «  prendre  son 
prie-Dieu  à  Goritz  et  de  le  placer  à  dix  mètres 
en  avant  de  tous  les  autres  ».  Le  prince  fit  savoir 
qu'il  ne  pouvait  consentir,  par  égard  pour  Gelui 
que  la  France  monarchique  pleurait,  à  ce  que  ses 
amis  engageassent  cette  sorte  de  lutte  avec  ceux 
qui  lui  disputaient  indûment  la  préséance. 

Les  hommes  politiques  expérimentés  espé- 
raient que  le  langage  tenu  à  Frohsdorf  par  MM.  le 
duc  de  Bisaccia,  le  comte  Albert  de  Mun,  le  comte 
Maxence  de  Damas,  MM.  Benoist  d'Azy,  de  Ca- 
rayon-Latour,  triompherait  de  résistances  qui  ne 
pouvaient  être  inspirées  que  par  des  personnes 
étrangères  à  la  France. 

Un  des  motifs  invoqués  par  l'entourage  immé- 
diat de  M*,  le  comte  de  Ghambord  était  que  l'em- 
pereur d'Autriche  voulait  éviter  que  la  cérémonie 
prit  le  caractère  d'une  démonstration  politique. 
Gette  assertion  devait  recevoir  le  lendemain,  ven- 
dredi 31,  un  démenti  formel,  éclatant. 

lu 


242  VISITE  DE  l'empereur  d'Autriche 

Deux  heures,  en  eftet,  avant  que  M.  le  comte  de 
Paris  dût  se  rendre  au  palais  impérial,  l'empereur, 
en  uniforme,  arrivait  inopinément  à  la  demeure  de 
M.  le  comte  de  Paris;  il  s'entretenait  seul  avec  lui 
pendant  plus  d'une  demi-heure,  se  faisant  présen- 
ter le  jeune  duc  d'Orléans,  et  lorsque  le  prince 
français  voulut  le  reconduire  du  salon  au  bas  du 
perron,  l'empereur,  insistant  par  deux  fois,  l'em- 
pêcha de  descendre  une  seule  marche.  Le  duc 
d'Alençon  accompagna  seul  Sa  Majesté  jusqu'à  la 
voiture. 

Puisque  le  nom  de  l'empereur  d'Autriche  est 
mêlé  à  ce  récit,  qu'on  nous  permette  de  consacrer 
quelques  lignes  à  ce  souverain. 

On  se  souvient  encore  à  Paris  de  l'excellente 
impression  laissée  partout  par  l'empereur  Fran- 
çois-Joseph lorsqu'il  vint  visiter  l'Exposition  de 
1867,  L'empereur  a  une  figure  remarquablement 
intelligente,  l'œil  est  vif,  l'aspect  militaire.  L'ex- 
quise distinction  de  ses  manières  et  sa  grande 
aftabilité  frappent  tous  ceux  qui  ont  l'honneur 
d'être  reçus  par  lui. 

L'empereur  est  bien  le  premier  gentilhomme  de 
son  empire.  Avec  un  tact  et  une  abnégation  admi- 
rables, François-Joseph  se  dessaisit  du  pouvoir 
absolu  qu'il  tenait  de  ses  aïeux;  il  n'hésita  pas  à 
se  dépouiller  de  ses  plus  importantes  préroga- 
tives  dans  l'intérêt  de  la  patrie;  il  est  devenu   le 


LES    PRINCES    AU    PALAIS    niPERIAL  243 

modèle  des  souverains  constitutionnels,  et  l'afFec- 
tion  de  ses  peuples  l'en  a  largement  récompensé. 
Dans  cet  excellent  pays,  le  peuple  n'a  cessé  de 
conserver  un  attachement  réel,  profond,  pour  la 
famille  impériale.  Les  questions  militaires  pas- 
sionnent l'empereur;  il  s'en  occupe  avec  la  plus 
grande  et  la  plus  intelligente  sollicitude,  et  son 
règne  laissera  un  souvenir  heureux  dans  l'empire 
d'Autriche-Hongrie.  11  sut,  avec  une  habileté  par- 
faite, opérer  la  réconciliation  avec  la  Hongrie,  si 
jalouse  de  ses  antiques  privilèges. 

François-Joseph  est  bon,  charitable,  et  peu  de 
souverains  en  Europe  jouissent  d'une  aussi  grande 
et  aussi  méritée  popularité. 

A  deuxheures,  jM.  le  comte  de  Paris  se  rendait,  à 
son  tour,  au  palais  impérial,  dans  la  voiture  de 
gala  de  son  cousin,  le  duc  de  Saxe-Gobourg.  Lors- 
qu'il entra  dans  la  cour,  la  garde  sortit,  présenta 
les  armes,  pendant  que  les  officiers  saluaient  de 
l'épée  et  que  l'étendard  s'inclinait.  A  l'intérieur, 
les  officiers  gardes  du  corps,  autrichiens  et  hon- 
grois, en  resplendissants  uniformes,  faisaient  la 
haie.  Une  demi-heure  plus  tard,  l'empereur  rece- 
vait le  duc  de  Nemours,  le  prince  de  Joinville,  le 
duc  de  Chartres  et  le  duc  d'Alençon.  H  n'est  pas 
besoin  de  commentaires  pour  faire  ressortir  l'im- 
portance de  la  visite  faite,  le  premier,  par  l'empe- 
reur d'Autriche  au  chef  de  la  maison  de  France. 


244  DECISION   DE   M'''    LE    COMTE    DE    PARIS 

Pendant  que  s'échangeaient  ces  visites,  M.  Ro- 
cher retournait  à  Frohsdorf  pour  savoir  comment 
avait  été  réglé  définitivement  l'ordre  du  céré- 
monial à  Goritz,  et  pour  déclarer  que  si  M.  le 
comte  de  Paris  n'avait  pas  le  premier  rang,  im- 
médiatement après  l'archiduc  représentant  l'em- 
pereur d'Autriche,  il  n'irait  pas  à  Goritz  :  le  chef 
actuel  de  la  maison  de  France  ne  pouvant  accepter 
un  autre  rang  sans  méconnaître  ses  devoirs  et  ses 
droits. 

Le  samedi  l*""  septembre,  M.  le  comte  de  Paris, 
accompagné  du  duc  d'Orléans,  du  duc  de  Char- 
tres, du  duc  de  Nemours,  du  prince  de  Joinville, 
du  duc  d'Aumale  et  du  duc  d'Alençon,  quittait 
Vienne  à  sept  heures  vingt  minutes  du  matin,  et 
arrivait  à  neuf  heures  au  château  de  Frohsdorf. 
Le  roi  de  Naples  et  huit  archiducs  arrivaient  en 
môme  temps.  On  distinguait  parmi  les  Français  : 
MM.  les  ducs  de  Sabran,  des  Cars,  de  la  Tré- 
moïlle,  de  Fitz-James,  de  Bisaccia  ;  MM.  de  la  Ro- 
chejaquelein,  de  Damas,  de  Blacas,  etc.,  etc.  La 
cérémonie  célébrée  en  présence  d'une  pareille 
assistance  fut  véritablement  touchante,  et  em- 
preinte tout  à  la  fois  d'un  caractère  de  simplicité 
et  de  grandeur. 

Ici  se  place  une  scène  caractéristique.  Lorsque 
M.  le  comte  de  Paris  sortit  du  château  pour  rega- 
gner sa  voiture,  toutes  les  tètes  se  découvrirent, 
et  un  groupe,  se  détachant  de  la  masse  des  assis- 


DÉMARCHE  DES  FRANÇAIS  245 

tants,  s'avança  vers  le  prince.  Une  vive  émotion 
se  peignait  sur  tous  les  visages.  Le  duc  de  Bisac- 
cia,  le  général  de  Charette,  M.  de  Mun,  le  duc  de 
Filz-James,  étaient  en  tête  de  ce  groupe.  Quand 
ces  messieurs  furent  arrivés  près  de  M.  le  comte 
de  Paris,  M.  le  duc  de  Bisaccia,  faisant  un  pas  en 
avant,  s'adressa  au  prince  en  ces  termes  : 

Monseigneur, 

Nous  venons,  le  général  de  Charette  et  moi,  au  nom  de 
la  France,  au  nom  de  tous  les  Français  qui  sont  ici,  vous 
demander  avec  instance  d'aller  à  Goritz,  comme  vous  en 
aviez  l'intention,  et  d'y  prendre  la  place  qui  vous  est  due. 
En  agissant  ainsi.  Monseigneur  remplira  les  intentions  de 
Celui  que  nous  pleurons. 

En  prononçant  ces  paroles,  M.  le  duc  de  Bisac- 
cia, très  ému,  avait  la  voix  vibrante,  le  geste  plein 
d'expression  et  d'ampleur. 

Le  prince  répondit  qu'il  remerciait  ces  mes- 
sieurs de  leurs  nobles  paroles,  et  qu'il  les  consi- 
dérait comme  un  gage  pour  l'avenir. 

MM.  de  Charette,  de  Mun,  de  Monti,  appuyèrent 
avec  beaucoup  de  vivacité  et  d'énergie  le  langage 
de  M.  le  duc  de  Bisaccia.  Tl  n'est  pas  de  spectateur 
qui  puisse  oublier  cette  scène  émouvante  après 
l'avoir  contemplée.  Ces  messieurs  cédaient  à  l'élan 
de  leurs  cœurs,  à  un  élan  tout  français  et  d'autant 
plus  significatif,  qu'ils  avaient  été  toute  leur  vie 
les  amis  intimes,  les  serviteurs  dévoués  du  prince 


246  LE  PRINCE  RETARDE  SON  DEPART 

défunt,  qu'ils  l'avaient  défendu  à  la  tribune,  qu'ils 
avaient  été  considérés  comme  ses  soldats  sur  les 
champs  de  bataille  de  1870.  En  les  entendant,  on 
sentait  bien  que  ceux-là  parlaient  au  nom  du  mort, 
et  que  ce  qui  se  préparait  à  Goritz  n'aurait  jamais 
été  dicté  par  le  comte  de  Ghambord,  s'il  avait  lui- 
même  réglé  ses  funérailles. 

Les  vœux  de  ces  ardents  patriotes,  de  ces  loyaux 
Français,  ne  devaient  point  être  exaucés.  Toute- 
fois, par  égard  pour  la  démarche  de  ces  mes- 
sieurs, le  prince,  qui  avait  résolu  de  partir  le 
jour  même  pour  la  France,  voulut  bien  différer 
son  départ  jusqu'au  lendemain  soir. 

Quelques  heures  plus  tard,  M.  le  comte  de  Bla- 
cas  apportait  à  Vienne  les  volontés  écrites  par 
M™^  la  comtesse  de  Ghambord ,  et  de  sa  main 
même,  déclarant  qu'elle  «  voulait  que  chacun  fût 
placé  selon  son  degré  de  parenté  ».  C'était  faire 
conduire  le  deuil  d'Henri  de  France  par  deux 
princes  italiens  et  un  prince  espagnol.  G'était 
mettre  au  quatrième  rang  le  chef  de  la  maison  de 
France,  dont  le  premier  acte,  en  cette  qualité,  eût 
été,  s'il  eût  accepté  ce  rang,  d'abaisser  devant  des 
maisons  étrangères  la  maison  royale  à  laquelle 
la  France  a  dû  son  unité  et  sa  grandeur. 

M.  le  comte  de  Paris  n'hésita  pas  une  seconde  et 
déclara  qu'il  n'irait  pas  à  Gorilz  ;  il  laissa  voir  la 
douleur  qu'il  en  éprouvait;  mais  c'était  pour  lui 
un  devoir  de  s'abstenir;  ce  devoir,  il  l'accomplit. 


IMPRESSION    EN    FRANCE  247 

Il  est  à  noter  que  cette  décision  fut  prise  dans 
la  soirée  du  samedi  P"",  et  que  le  lendemain,  diman- 
che, dès  huit  heures  du  matin,  l'empereur  modi- 
fiant les  ordres  donnés  officiellement  par  lui,  au 
sujet  du  service  de  Goritz,  s'y  faisait  représenter, 
non  plus  par  son  frère,  l'archiduc  Louis-Victor, 
mais  par  son  grand-écuyer. 

Certains  organes  de  la  presse  démocratique  ont 
interprété  ce  changement  dans  les  ordres  du  sou- 
verain comme  une  concession  faite  à  une  demande 
qu'aurait  formulée  le  gouvernement  français. 
Cette  allégation  a  été  reconnue  de  tous  points 
inexacte.  A  Goritz,  les  Français  nombreux  qui 
étaient  venus  rendre  les  derniers  devoirs  à  Henri 
de  France  ressentirent  une  profonde  douleur  en 
apprenant  que  des  princes  étrangers  avaient  été 
chargés  de  conduire  le  deuil  ;  un  sentiment  natio- 
nal et  patriotique  avait  gagné  vite  tous  les  cœurs  et 
avait  fait  explosion  à  l'issue  de  la  cérémonie,  dans 
l'allocution  émouvante  de  M.  le  ducdeBisaccia. 

En  ce  qui  concerne  l'impression  produite  en 
France  par  ces  incidents,  nous  avons  été  heureux 
de  constater  que  l'attitude  si  digne  et  si  française 
de  M.  le  comte  de  Paris  avait  provoqué  un  senti- 
ment unanime  d'approbation.  La  fierté  nationale 
s'émut  en  voyant  comment  le  représentant  de  nos 
rois  savait  défendre,  à  la  fois,  la  dignité  de  sa  mai- 
son et  celle  de  la  France,  qui  s'y  trouve  indissolu- 
blement   liée.    Enfin,  M.    le    comte  de  Paris    fit 


248      LE    TESTAMENT   DE   M^"'    LE    COMTE    DE    CHAMBORD 

preuve  de  cette  résolution  qui  est  la  qualité  maî- 
tresse de  son  puissant  esprit,  et  qui  n'a  chez  lui 
tant  de  force  que  parce  qu'elle  s'unit,  par  une 
association  bien  rare,  à  la  réflexion.  Toutes  ces 
particularités  expliquent  comment  M.  le  comte  de 
Paris,  parti  pour  Frohsdorf  pour  y  remplir  un 
devoir,  y  trouva,  sans  la  chercher,  l'occasion  d'un 
grand  succès  personnel. 

Dans  son  testament,  daté  de  Frohsdorf,  le  5  juil- 
let 1883,  M.  le  comte  de  Chambord  avait  ainsi 
distribué  sa  fortune.  M.  le  duc  de  Parme,  son 
neveu,  était  légataire  universel,  avec  réserve, 
pour  la  comtesse  de  Chambord,  de  la  jouissance  ; 
le  comte  de  Bardi,  frère  du  duc  de  Parme,  avait 
un  quart  de  la  fortune  ;  leurs  sœurs,  S.  A.  I.  et  R. 
]yjme  ]jj  grande-duchesse  de  Toscane  et  M""  la  du- 
chesse de  Madrid,  héritaient  de  500,000  francs 
chacune  ;  ensuite  venait  la  liste  des  souvenirs  à  ses 
amis  intimes,  et  des  pensions  aux  gens  de  sa  maison. 

«  On  dit  qu'il  a  existé  un  autre  testament  qui 
avait,  au  contraire,  un  caractère  tout  politique,  dont 
le  prince  avait  lu  des  passages  admirables  à  deux 
ou  trois  élus  de  sa  confiance.  Qu'est  devenu  ce 
testament  ?  A-t-il  été  brûlé,  déchiré  ?  ou  bien 
M'°"  la  comtesse  de  Chambord  a-t-clle  pieusement 
conservé  ce  souvenir  qu'annulait  un  acte  posté- 
rieur i?»  C'est  une  question  que  M"'  la  comtesse 

1.  I/riiri  de  France,  par  M.  II.  de  l'ène,  p.  'l'iO. 


LES    ORSÈQUES    A    GORITZ  249 

de    Ghambord    seule    aurait  pu  résoudre.  On   ne 
le  saura  probablement  jamais. 

Après  avoir  raconté  ce  qui  eut  lieu  à  Frohsdorf, 
il  est  utile  d'exposer  ce  qui  se  passa  à  Goritz.  Je 
m'y  étais  rendu  pour  rejoindre  M.  le  comte  de  Paris, 
et  je  puis  affirmer  la  plus  scrupuleuse  exactitude 
de  mon  récit,  que  trois  des  amis  particuliers  des 
princes  qui  se  trouvèrent  en  même  temps  que  moi 
à  Goritz,  le  jour  des  obsèques,  pourraient  au  besoin 
confirmer  :  c'étaient  MM.  le  comte  de  Montai- 
gnac,  le  marquis  de  Mornay,  et  Armand  de  Mas. 

Voici  ce  que  je  trouve  dans  mes  notes  écrites  le 
jour  même  : 

J'étais  arrivé  à  Goritz  le  dimanche  matin  2  sep- 
tembre :  c'est  à  midi  qu'éclata,  comme  un  coup  de 
foudre,  la  nouvelle  que  M.  le  comte  de  Paris  n'as- 
sisterait pas  aux  obsèques.  Je  me  rendis  à  l'hô- 
tel des  Trois-Gouronnes,  où  tout  le  monde  était 
dans  une  extrême  agitation.  On  venait  de  connaître 
la  décision  de  M"®  la  comtesse  de  Ghambord,  qui 
tenait  à  ce  que  le  deuil  du  chef  de  la  maison  de 
France  fut  conduit  par  des  princes  étrangers. 

Il  n'y  eut  bientôt  qu'un  cri  :  Nous,  Français, 
nous  refusons  de  conduire  à  sa  dernière  de- 
meure le  corps  du  roi  de  France  en  suivant  des 
princes  espagnols  et  italiens.  Que  l'on  fasse  sa- 
voir à  M.  le  comte  de  Paris  l'unanimité  des  sen- 
timents qui  agitent  le  cœur  de  tous  les  Français, 


?50    DÉPÈCHE  ADRESSÉE  A  M^""  LE  COMTE  DE  PARIS 

et,  en  présence  d'une  démarche  si  spontanée,  peut- 
Hre  Monseigneur  daignera-t-il  se  rendre  à  nos 
i^œux  et  marcher  à  la  tête  des  Français? 


Une  vingtaine  de  présidents  des  anciens  comi- 
tés royalistes  se  réunissent  dans  une  chambre  de 
l'hôtel  des  Trois-Couronnes,  et  rédigent  une  dé- 
pêche. Par  qui  la  faire  signer,  se  demande-t-on  ; 
la  plupart  des  noms  sont  inconnus  du  prince  ? 
Y  a-t-il  à  Goritz  des  amis  particuliers  des  princes 
d'Orléans?  Le  baron  de  Roux-Larcy  désigne  M.  le 
marquis  de  Fiers.  On  vient  me  trouver  à  l'hôtel 
de  la  Poste,  et,  cédant  aux  instances  dont  j'étais 
l'objet,  j'expédie  en  double,  à  Vienne  et  à  Trieste 
(où  l'on  disait  que  M.  le  comte  de  Paris  se  trouvait 
pour  rentrer  en  France  par  Venise),  la  dépêche 
suivante  : 

A  Monseigneur  le  Comte  de  Pains. 

Le  bruit  court,  et  il  |)roduit  partout  une  extrême  émo- 
tion,  que  Monseigneur  ne  vient  pas  à  Goritz.  Je  suis  très 
instamment  et  très  vivement  prié,  par  un  grand  nombre 
de  présidents  de  comités  royalistes,  réunis  à  l'Hôtel  de  la 
Poste,  et  dont  j'ai  les  noms,  de  supplier  Monseigneur  de 
se  rendre  à  Goritz. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect,  de  Monseigneur, 
le  très  humble,  très  obéissant  et  très  lidèlo  serviteur, 

Le  marquis  de  Flers. 

Celte  dépêche  ne  parvenait  au  prince  que  le 
surlendemain,  cai-  il  avait  déjà  quille  Vienne,  et  il 
me  répondait  par  la  dépêche  suivante  : 


RÉPONSE    DE    MONSEIGNEUR  251 

Ginimden,   4  septembre  1883,  9  h.  30  matin. 
Marquis  de  Fiers,  Hôtel  de  la  Poste,    Gnritz. 
Je  reçois  ici   votre  dépêche,  dont  je  regrette  le  retard.; 
vous  savez  comment  le   souci  de  ma  dignité  m'a  empêché 

d'aller  à  Goritz. 

Comte  de  Paris. 

L'agitation  ne  faisait  qu'augmenter,  et  il  n'y 
avait  qu'une  voix  pour  admirer  la  fermeté,  la  di- 
gnité du  nouveau  chef  de  la  maison  de  France  : 
(c  Nous  acceptions  M.  le  comte  de  Paris,  nous 
l'acclamerons  maintenant,  »  s'écriaient  de  tous 
côtés  les  légitimistes  les  plus  ardents. 

Dans  la  soirée  du  dimanche,  beaucoup  de  roya- 
listes étaient  arrivés  à  Goritz.  Une  importante  réu- 
nion eut  lieu  à  l'hôtel  de  la  Poste,  sous  la  pré- 
sidence du  baron  de  Lareinty,  sénateur  de  la 
Loire-Inférieure,  qui  montra  en  cette  occasion  une 
intelligence,  un  esprit  de  décision  et  une  activité 
qui  rendirent  les  plus  grands  services.  Assistaient 
à  cette  réunion  :  le  vicomte  de  Kerdrel,  sénateur; 
le  prince  de  Léon,  vicomte  Blin  de  Bourbon, 
députés;  le  prince  d'Arenberg,  le  marquis  de 
Vogué,  le  comte  de  Maillé,  marquis  de  Pontevès- 
Sabran,  marquis  d'Imécourt,  baron  de  Roux-Larcy, 
M.  de  Staplande,  baron  de  Vaufreland,  baron  Jules 
de  Lareinty,  marquis  et  comte  de  Paris,  baron  de 
Rochetaillée,   Jules   Auffray^,    Remacle,   Seguin, 

1.  'SI.  Jules  Auffray  est  l'auteur  d'une  très  intéressante  bro- 
chure, Le  3  septembre  188.3  à   Goritz. 


252  RÉDACTION    D  UNE    ADRESSE    AU    PRINCE 

baron  d'Huarl,  marquis  de  Puyvert,  Fernand  An- 
diize  et  Elie  Durand,  ces  deux  derniers,  royalistes 
actifs  de  Montpellier,  qui,  après  avoir  rendu  à 
M.  le  comte  de  Chambord  les  plus  précieux  ser- 
vices dans  l'Hérault,  mettent  aujourd'hui  leur  zèle 
et  leur  ardeur  féconde  au  service  de  M.  le  comte 
de  Paris. 

Après  un  discours  très  ferme  et  très  applaudi  de 
M.  le  baron  de  Lareinty,  qui  sut  trouver  des  pa- 
roles éloquentes  et  émues  pour  exposer  la  situa- 
tion, l'adresse  suivante  fut  votée  par  acclamation: 

Les  Français  réunis  à  Goritz  pour  rendre  au  roi  un 
suprême  et  douloureux  devoir,  n'ayant  pu  exprimer  à  M.  le 
comte  de  Paris  leur  inaltérable  attachement  au  principe 
traditionnel  de  la  monarchie  française  représenté  par  sa 
personne,  le  prient  d'agréer  l'hommage  de  leur  respec- 
tueuse fidélité. 

Gomme  on  espérait  encore  l'arrivée  des  princes 
d'Orléans,  on  ajourna  au  lendemain,  deux  heures, 
la  signature  de  cette  adresse. 

Le  lundi  3  septembre  1883,  à  sept  heures  et 
demie  du  matin,  le  cercueil  contenant  le  corps  de 
M.  le  comte  de  Chambord  arrivait  en  gare  à  Goritz. 
L'émotion  était  vive,  les  larmes  dans  tous  les  yeux. 
On  attendit  à  la  gare  l'arrivée  du  prince  de  Tour- 
et-Taxis,  représentant  l'empereur  d'Autriche,  et 
qui  arriva  à  neuf  heures  :  le  cortège  se  mil  en 
marche  pour  la  cathédrale  entre   deux  haies   de 


OBSÈQUES   DE   M^'*^   LE    COMTE    DE    CHAMBORD  253 

soldats,  avec  l'immense  concours  d'une  popula- 
tion à  l'attitude  respectueuse  et  recueillie. 

Le  deuil  était  conduit  par  don  Juan  d'Espagne 
(père  du  prétendant  don  Carlos)  ;  le  duc  de  Parme, 
don  Carlos,  don  Alphonse  de  Bourbon,  son  frère  ; 
don  Jaime  (fils  de  don  Carlos);  don  Miguel  de 
Bragance,  enfin  S.  A.  I.  et  R.  l'archiduc  Ferdi- 
nand IV,  grand-duc  de  Toscane  ;  le  grand-duc 
Ferdinand  était  fils  de  Léopold  II,  cet  excellent 
souverain  qui  gouverna  avec  tant  de  sagesse  la 
Toscane,  et  dont  le  souvenir  est  resté  si  vivant  à 
Florence.  Derrière  eux,  un  groupe  d'officiers 
autrichiens  en  grande  tenue.  Le  grand-duc  de 
Toscane,  tout  en  se  rendant  aux  obsèques  de 
son  oncle,  avait  vivement  blâmé  que  la  première 
place  ne  fût  pas  donnée  à  M.  le  comte  de 
de  Paris.  Le  roi  de  Naples,  qui,  à  Frohsdorf,  le  sa- 
medi matin,  s'était  effacé  en  disant  :  «  Je  ne  pas- 
serai jamais  avant  le  roi  de  France,  »  s'était  abstenu 
de  venir  à  Goritz. 

La  messe  s'acheva  au  milieu  du  recueillement 
général,  et  la  fin  de  la  cérémonie  fut  ajournée  à 
cinq  heures  après  midi.  Enfin,  à  six  heures  et  de- 
mie, le  couvent  des  Franciscains  de  Goritz  recueil- 
lait la  dépouille  mortelle  de  l'auguste  prince,  dont 
on  a  pu  dire  que,  s'il  n'a  pas  été  roi,  nul  n'a  été 
plus  digne  de  l'être.  Le  comte  de  Chambord,  en 
effet,  sut  rendre  plus  grand  encore,  dans  l'efface- 
ment de  l'exil,  l'éclat  du  principe  de  la  monarchie 


254  LES    ROYALISTES    A    GORITZ 

traditionnelle  et  de  la  dignité  royale.  Son  incom- 
parable majesté  força  au  respect  jusqu'à  ses  adver- 
saires, et  dans  toute  la  France,  amis  ou  ennemis, 
ont  pu  dire  de  lui  :  C'était  u.n  honnête  homme! 

Pour  nous,  nous  conserverons  toujours  le  sou- 
venir de  l'accueil  qui  nous  fut  fait,  en  octobre 
1879,  par  ce  prince  spirituel,  au  caractère  si  fran- 
çais, chez  lequel  nous  étions  introduits  par  son 
neveu,  le  grand-duc  de  Toscane.  Nous  n'oublie- 
rons jamais  l'extrême  bienveillance  avec  laquelle 
M.  le  comte  de  Chambord  reçut  un  des  fidèles  du 
roi  Louis-Philippe  et  des  princes  d'Orléans,  et  la 
profonde  impression  que  nous  en  ressentîmes. 
Pourquoi  la  France  a-t-elle  été  privée  de  cette  joie 
de  le  voir  monter  sur  un  trône,  où  il  eût  été  si  vite 
aimé  de  tous  les  Français!....  Il  ne  nous  appar- 
tient pas  de  le  dire. 

Revenons  un  peu  en  arrière,  et  racontons  briè- 
vement ce  qui  se  passait  à  Goritz  aux  deux  hôtels, 
entre  la  cérémonie  du  matin,  à  l'église,  et  celle  du 
soir.  A  l'issue  de  la  messe,  le  duc  de  Larochefou- 
cauld-Bisaccia,  président  de  la  droite  royaliste  à  la 
Chambre  des  députés,  considérant  qu'il  y  avait 
urgence  à  faire  connaître  à  la  France  la  parfaite 
union  du  parti  royaliste  et  son  unanime  adhésion 
aux  droits  de  M.  le  comte  de  Paris,  envoyait  à 
Paris  le  texte  d'une  adresse  qui  alïirmait  l'iné- 
branlable fidélité  des  royalistes  au  nouveau  chef 
de  la  nuiison   de  France.  Celte  déclaration,  jetée 


LE  DUC  DE  BISACCIA  ET  LE  BARON  DE  LAREINTY         255 

immédiatement  par  tous  lesjournaux,  au  pays  dans 
l'attente,  produisit  une  excellente  impression  par- 
tout, et  démentit,  dès  la  première  heure,  les 
bruits  de  dislocation  et  de  désunion  du  parti  mo- 
narchique, que  la  presse  républicaine  s'efforçait 
de  propager  dans  l'opinion  publique. 

Si  par  l'initiative  du  duc  de  Bisaccia  l'union 
était  affirmée  au  dehors,  il  restait  à  la  consommer 
au  dedans.  Grâce  à  l'esprit  de  clairvoyance  du 
baron  de  Lareinty,  on  ne  laissa  pas  avorter  en 
regrets  stériles  des  sentiments  que  tous  parta- 
geaient. Le  baron  de  Lareinty  avait  mieux  que 
personne  qualité  pour  agir.  Sénateur  et  président 
du  conseil  général  de  la  Loire-Inférieure,  il  avait 
constitué,  dans  le  plus  grand  nombre  des  com- 
munes de  ce  département,  une  majorité  royaliste. 
Par  son  habileté,  il  était  parvenu  à  battre  en  brèche 
tous  les  préfets  républicains  et  à  contre-balancer, 
même  à  Nantes,  au  milieu  d'une  population  ou- 
vrière, accessible  à  tous  les  mensonges  révolu- 
tionnaires, l'influence  du  parti  républicain. 

Pendant  que  le  comte  de  Monli  réunissait  les 
délégués  de  six  départements  de  la  Bretagne  et 
de  la  Vendée,  qui  signaient  une  adresse  de  fidé- 
lité à  M.  le  comte  de  Paris,  trois  ou  quatre  légiti- 
mistes (qui  devaient  un  jour  faire  partie  des  quel- 
ques douzaines  d'hommes  en  France  qui  recon- 
naissent un  Espagnol  comme  prétendant  au  trône  de 
France)  firent  les  plus  grands  efforts  pour  empê- 


256  l'adresse  du  baron  de  lareinty 

cher  de  signer  l'adresse  Lareinty.  Tous  les  pré- 
textes étaient  bons!  Le  podestat  de  Goritz  s'oppo- 
sait à  toute  réunion  ;  on  insinuait  qu'il  y  avait 
inconvenance  à  signer  le  jour  même  des  obsè- 
ques!... (le  soir  môme  et  le  lendemain  les  roya- 
listes se  dispersaient).  Le  baron  de  Lareinty  parla 
haut  et  ferme,  imposa  silence  par  son  attitude 
décidée,  et  le  maître  de  l'hôtel,  circonvenu  par  les 
quatre  intransigeants,  ayant  refusé  une  salle  où 
Ton  pût  discuter  les  termes  de  l'adresse,  on  alla 
en  masse  la  signer  dans  la  chambre  du  vicomte 
Blin  de  Bourdon,  député. 

En  résumé,  le  pénible  incident  qui  avait  éloi- 
gné M.  le  comte  de  Paris  eut  un  résultat  important. 
Le  parti  royaliste  se  trouva  en  un  instant  uni, 
confondu  dans  un  même  sentiment  tout  français  : 
le  roi  de  France  doit  passer  avant  tous  ! 

Les  royalistes  présents  à  Goritz,  les  plus  vieux, 
les  plus  fidèles ,  étaient  unanimes  à  qualifier 
sévèrement  l'acte  arraché  à  la  faiblesse  dé- 
solée de  M""^  la  comtesse  de  Chambord.  Tous 
louaient  M.  le  comte  de  Paris;  le  comte  de  Bla- 
cas  lui-même  déclarait  hautement  à  quel  point 
cette  conduite  était  correcte,  digne,  et  méritait 
l'approbation.  Le  comte  de  Blacas  ,  le  comte 
René  de  Monti,  le  baron  de  Raincourt,  le  comte 
A.  de  Chevigné,  le  comte  de  Damas  d'Haulefort, 
prolestèrent  contre  l'attitude  que  certains  jour- 
naux leur  prêtaicnl,  en  écrivant  (juils  reconnais- 


LES    TROIS    ACTES    DE    M"'   LE    COMTE    DE    PARIS  257 

saient  hautement  «  les  droits  de  M.  le  comte  de 
Paris  à  la  succession  de  M.  le  comte  de  Cliam- 
bord  ».  Ces  loyaux  serviteurs  du  comte  de  Gliam- 
bord  étaient  bien  les  organes  de  tous  les  royalistes 
français,  plus  unis,  plus  serrés  que  jamais  contre 
l'ennemi  commun,  et  ils  savaient  bien  que  ces 
belles  paroles  de  M.  le  comte  de  Ghambord  :  «  le 
droit  pour  base,  l'honnêteté  pour  moyen,  la  gran- 
deur morale  pour  but,  »  resteraient  la  devise  de 
M.  le  comte  de  Paris. 

M.  le  comte  de  Paris  était  à  peu  près  inconnu 
des  légitimistes.  Trois  actes  accomplis  par  lui,  en 
juillet  et  août  1883,  montrèrent  à  tous  qu'il  était 
un  homme  de  cœur,  un  prince  ferme,  énergique, 
qui  ne  laisserait  jamais  entamer  le  patrimoine 
d'honneur  qui  appartient  au  roi  de  France: 

Le  1'^''  juillet  1883,  le  prince  apprend  la  grave 
maladie  dont  M.  le  comte  de  Ghambord  est  at- 
teint. Il  part  le  2,  s'attendant  à  ne  pas  rentrer  en 
France  et  à  rester  en  exil.  Mais  en  agissant  ainsi, 
il  accomplissait  son  devoir  sans  hésitation. 

Dieu  rappelle  à  lui,  le  24  août,  l'auguste  chef  de 
la  maison  de  Bourbon.  On  ignorait  encore  quel 
nom  porterait  désormais  celui  qui  sera  un  jour  le 
roi  de  France.  M.  le  comte  de  Paris  notifie  aux 
souverains  la  mort  de  son  cousin,  et  signe  Phi- 
lippe, comte  de  Paris. 

Enfin,  si  le  jour  des  obsèques,  à  Frohsdorf,  le 
samedi  i'^'  septembre,  il  s'efface  devant  la  douleur 

17 


258  RETOUR    AU    CHATEAU    D^EU 

de  M™*  la  comtesse  de  Chambord  et  considère 
alors  le  service  funèbre  comme  une  solennité  pri- 
vée, le  surlendemain,  il  s'abstient  de  paraître  à 
Goritz.  On  lui  refusait  la  première  place  qui  lui 
était  due,  et  il  ne  voulait  pas,  sur  le  cercueil  de 
M.  le  comte  de  Chambord,  se  prêter  à  une  manifes- 
tation des  Français  qui,  en  proie  à  une  émotion 
mêlée  de  colère,  avaient  le  dessein,  bien  arrêté, 
de  le    mettre,  quand  même,  au  premier  rang. 

Ces  trois  actes  seuls  constituaient  le  meilleur 
des  manifestes,  en  attendant  l'éloquente  protesta- 
tion du  24  juin  1886,  et  surtout  les  admirables 
et  si  complètes  «  Instructions  aux  représentants  du 
parti  monarchiste  en  France  ».  La  France  entière 
savait  maintenant  qu'elle  pouvait  compter  sur 
l'énergie  et  la  décision  d'un  prince  jeune,  intelli- 
gent, et  rompu  depuis  longtemps  aux  affaires,  à 
la  dure  école  de  l'exil. 

A  son  retour  de  Vienne,  M.  le  comte  de  Paris 
rentra  dans  son  château  d'Eu,  oii  un  grand  nombre 
d'anciennes  et  fidèles  notabilités  légitimistes  sol- 
licitèrent l'honneur  de  lui  présenter  leurs  hom- 
maoes.  Le  nouveau  chef  de  la  maison  de  France 

o 

fit  à  tous  l'accueil  le  plus  bienveillant. 

Les  présidents  de  la  Ligue  populaire  royaliste 
présentèrent  le  20  septembre,  à  Eu,  à  M.  le  comte 
de  Paris,  l'adresse  suivante,  revêtue  de  quinze 
cents  signatures  et  de  celles  des  présidents  des 
comités  royalistes  des  arrondissements  de  Paris  : 


ADRESSE    DES    COMITÉS    ROYALISTES  259 

Les  l'oyalistes  de  Paris,  membres  de  la  ligue  jiopulaire, 
réunis  aujourd'hui,  10  septembre  1883,  dans  leurs  comités 
respectifs,  remercient  M.  le  comte  de  Paris  de  son  attitude 
toute  française  aux  obsèques  de  M.  le  comte  de  Chambord, 
et,  comptant  sur  lui  pour  rendre  à  la  France  son  prestige 
perdu,  sa  liberté  violée,  sa  magistrature  désorganisée, 
déposent  à  ses  pieds  et  aux  pieds  de  Madame  l'hommage 
de  leur  respectueuse  fidélité. 

Au  milieu  d'octobre,  M.  le  comte  de  Paris  se 
rendit  au  château  de  Saiiit-Eusoge,  chez  la  mar- 
quise douairière  d'Harcourt,à  laquelle  il  avait  tenu 
à  présenter  lui-même  ses  compliments  de  condo- 
léance sur  le  deuil  qui  venait  de  la  frapper,  dans 
la  personne  du  marquis  d'Harcourt,  un  des  servi- 
teurs dévoués  des  princes  d'Orléans.  A  la  même 
époque,  le  prince  ayant  appris  qu'une  souscrip- 
tion était  ouverte  en  Bretagne,  à  Auray,  pour  éle- 
ver un  monument  à  la  mémoire  de  M.  le  comte 
de  Chambord,  souscrivit  pour  50,000  francs,  et, 
plein  de  sollicitude  pour  le  Tréport,  donna 
30,000  francs  pour  les  travaux  du  port  et  des 
jetées,  qui  devaient  coûter  plus  de  3  millions  et 
demi,  et  avaient  une  importance  capitale  pour  la 
ville. 

En  1874,  M.  le  comte  de  Paris  avait  publié  les 
premiers  volumes  de  V Histoire  de  la  guerre  civile 
en  Amérique;  au  mois  d'octobre  1883,  paraissaient 
les  cinquième  et  sixième  volumes  de  l'ouvrage, 
qui  en  aura  probablement  dix.  L'œuvre  est  consi- 


260    «  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE    CIVILE    EN    AMERIQUE  » 

dérable,  et  elle  fut  appréciée  avec  de  grands  éloges 
par  la  presse  française  et  européenne.  La  Revue 
d'Edimbourg,  notamment,  rendit  à  l'auteur  la  jus- 
tice que  mérite  ce  vaste  travail,  où  le  prince  mon- 
tre une  connaissance  de  l'art  de  la  guerre  mo- 
derne qui  lui  assure  une  place  au  premier  rang 
parmi  les  historiens  militaires  de  notre  époque. 

A  l'automne  de  1883,  M.  le  comte  de  Paris  choi- 
sit comme  secrétaire  particulier  M.  Camille  Du- 
puy,  avocat  général  à  Aix.  M.  Dupuy,  magistrat 
distingué,  encore  jeune,  avait  donné  sa  démission, 
avec  tant  d'autres  magistrats,  lors  de  l'exécution 
des  décrets  de  1880  contre  les  congrégations  reli- 
gieuses. Au  moment  où  un  Bonaparte,  dans  une 
lettre  tristement  célèbre,  approuvait  cette  illéga- 
lité criminelle,  le  choix  de  M.  le  comte  de  Paris 
était  significatif. 


OIS' 


t^-ajf^?^^'*.;^^. 


CHAPITRE   VI 

1884-1885 

Voyage  en  Espagne  de  M.  le  comte  de  Paris  (janvier  1884).  — 
Attentat  découvert  à  Lyon  contre  M.  le  comte  de  Paris  (jan- 
vier 1884).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  M™°  la  comtesse  de 
Paris  aux  obsèques  du  duc  d'Albany  à  Cannes  (2  avril  1884). 

—  M.  le  duc  de  Chartres  se  rend  à  Marseille  distribuer 
50,000  francs  aux  cholériques,  au  nom  de  M.  le  comte  de 
Paris.  —  M.  le  comte  de  Paris  et  son  grade  de  lieutenant- 
colonel  dans  l'armée  territoriale. — Visite  au  château  d'Eu  de 
LL.  AA.  RR.  le  comte  et  la  comtesse  de  Flandre  (22  juillet 
1884).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  M.  le  duc  d'Orléans  à  un 
incendie  au  Tréport  (août  1884).  —  Service  commémoratif  à 
Eu  pour  M.  le  comte  de  Chambord  (24  août  1884).  —  Une 
lettre  de  M.  le  comte  de  Paris  à  M.  le  comte  de  Laubespin, 
sur  la  mort  de  son  neveu,  le  baron  de  Lespérut.  —  Nais- 
sance à  Eu  de  S.  A,  R.  le  prince  Ferdinand,  deuxième  fils 
de  M.  le  comte  de  Paris  (9  septembre  1884).  —  Le  pape 
Léon  XIII  envoie  sa  bénédiction  au  nouveau-né  et  à  Ma- 
dame la  comtesse  de  Paris.  —  M.  le  comte  de  Paris  envoie 
10,000  francs  au  denier  de  Saint-Pierre. 

Souscription  de  M.  le  comte  de  Paris  pour  la  quête  en  faveur 
des    aumôniers    des    hôpitaux    de   Paris    (16   février    1885). 

—  Bénédiction  de  la  statue  de  Notre-Dame  du  Tréport 
(23  août  1885).  —  L'archevêque  de  Rouen  au  château 
d'Eu.  —  Mariage  au  château  d'Eu  de  S.  A.  R.  la  prin- 
cesse Marie  de  Chartres  avec  S.  A.  R.  le  prince  Walde- 
mar,  dernier  fîls  du  roi  de  Danemark  (22  octobre  1885).  — 
Le  service  pour  le  roi  d'Espagne,  Alphonse  XII,  à  l'église 
Saint-François-Xavier,    à  Paris  (6  décembre  1885).  —  M.  le 

•  comte  de  Paris  et  M"«  la  comtesse  de  Paris  parrain  et  mar- 
raine, à  Cannes,  du  dixième  enfant  de  S.  A.  R.  le  comte  de 
Caserte,  frère  de  S,  M.  le  roi  de  Naples  (20  décembre  18851. 


262  VOYAGE   EN   ESPAGNE 

LelOjanvier  1884,M.  le  comte  de  Paris  et  Madame 
la  comtesse  de  Paris  se  rendaient  en  Espagne. 
Leur  départ  avait  été  annoncé;  aussi  de  nombreux 
groupes  stationnaient-ils  à  la  gare  du  chemin  de  fer 
d'Orléans.  La  préfecture  de  police  avait  pris  des 
mesures  de  précaution  exagérées.  La  consigne 
de  ne  laisser  personne  entrer  dans  la  gare  est  ri- 
goureusement exécutée.  Le  prince  et  les  prin- 
cesses arrivent  au  quai  du  départ  par  une  entrée 
réservée  :  une  centaine  de  personnes  avaient 
réussi  cependant  à  entrer  par  le  passage  de  ser- 
vice qui  donne  accès  sur  la  voie,  et  au  moment  où 
le  train  part,  poussent  les  cris  de  :  Vive  le  roi  ! 
vive  le  comte  de  Paris  !  En  sortant  de  la  gare, 
quelques-uns  des  manifestants  crient  de  nouveau  : 
Vive  le  roi  !  les  agents  arrêtent  trois  personnes  ; 
à  neuf  heures,  la  gare  a  repris  son  aspect  habi- 
tuel. 

En  arrivant  àMadrid,  M.  lecomte  de  Paris  et  Ma- 
dame la  comtesse  de  Paris  furent  reçus  avec  la  plus 
vive  cordialité,  à  la  gare,  parle  roi  Alphonse  XII. 
Des  appartements  avaient  été  préparés  au  palais 
de  Oriente.  Les  jours  suivants,  le  prince  et  la  prin- 
cesse visitèrent  les  monuments  de  Madrid,  puis 
les  domaines  royaux  de  l'Escurial,  Aranjucz  e!  la 
Granja. 

Une  (grande  chasse  fut  orofanisce  à  la  Casa  del 
Campo.  Los  journaux  de  Madrid  se  nionlréi-cnt 
très  sympathiques   à  M.   le  comte  de  Paris,  et   sa 


LE    ROI    ALPHONSE    XII  263 

fille  aillée,  M'""  la  princesse  Amélie,  fit  raclmira- 
tion  de  tout  Madrid,  autant  par  sa  grâce  et  sa 
beauté  que  par  son  esprit.  Des  journaux,  comme 
la  Epoca,  rappelèrent  sa  ressemblance  avec  la 
reine  Mercedes,  sa  tante,  qui  avait  laissé  en  Espa- 
o-ne  une  véritable  léo-ende  de  charme  et  de 
vertu. 

L'accueil  fait  par  le  roi  Alphonse  et  l'Espagne 
fut  si  empressé,  si  cordial,  que  l'on  fut  unanime 
pour  y  reconnaître,  non  seulement  la  preuve  des 
sentiments  personnels  du  roi  pour  la  maison 
royale  de  France,  mais  encore  le  témoignage  de 
la  sympathie  que  la  nation  espagnole  et  son  chef 
conservent  pour  la  France.  Ils  la  séparent  avec 
raison  de  son  gouvernement,  qui  ne  sut  pas  em- 
pêcher les  tristes  incidents  qui  marquèrent  le 
passage  du  roi  Alphonse  à  Paris.  Le  cabinet  de  Paris 
dissimula  mal  sa  mauvaise  humeur  de  la  réception 
royale  faite  par  Alphonse  XII  à  M.  le  comte  de 
Paris  :  car  à  l'étranger,  partout  où  se  rend  le 
chef  de  la  maison  de  France,  que  ce  soit  à  Vienne 
ou  à  Madrid  ;  il  est  traité  en  roi.  C'est  à  cette  épo- 
que que  le  roi  Alphonse  XII,  voulant  donner  au 
frère  de  Madame  la  comtesse  de  Paris,  don  Antoine, 
un  témoignage  tout  particulier  d'estime  et  d'affec- 
tion, le  nomma  grand  chancelier  de  l'ordre  mili- 
taire de  Notre-Dame  de  Montesa,  dont  le  siège  est 
k  Valence. 

De  Madrid,  M.  le  comte   de  Paris  se  rendit  au 


264  SAN    LUCAR    DI    BARRAMEDA 

château  de  San  Liicar  cli  Barrameda,  auprès  de  son 
oncle  et  beau-père,  M.  le  duc  de  Montpensier. 
San  Lucar  di  Barrameda  est  une  des  plus  jolies 
villes  de  l'Andalousie  ;  elle  s'étage  sur  la  rive  gau- 
che du  Guadalquivir.  La  résidence  du  prince  est 
bâtie  à  l'une  des  extrémités  de  la  ville,  au  milieu 
d'un  parc  admirable,  où  les  palmiers  poussent  en 
pleine  terre.  Rien  de  plus  merveilleux  que  ces 
pelouses  de  pervenches,  ces  massifs  d'orangers, 
au  milieu  desquels  s'enchevêtrent  les  fleurs  les 
plus  rares,  tandis  qu'à  l'horizon,  le  Guadalquivir 
et  son  embouchure  sablonneuse  sont  encadrés  par 
d'épaisses  forets  de  pins.  Non  loin  de  là  est  la 
demeure  de  Fernand  Cortcz,  le  hardi  capitaine 
qui  conquit  le  Mexique.  Sa  maison,  avec  tous  les 
souvenirs  historiques  qui  s'y  rattachent,  fut  long- 
temps la  propriété  du  duc  de  Montpensier,  à  qui 
l'on  en  doit  une  intelligente  et  artistique  restaura- 
tion. Il  la  donna  à  sa  fille  Mercedes,  qui  la  légua 
à  son  mari,  le  roi  Alphonse  XII. 

Le  palais  du  duc  de  Montpensier,  construit  en 
partie  dans  le  goût  mauresque,  rappelle  des  mo- 
tifs de  l'Alhambra  de  Grenade,  et  de  l'Alcazar  de 
Séville.  L'intérieur  est  meublé  et  disposé  avec  le 
goût  d'un  véritable  artiste.  C'est  dans  celte  ravis- 
sante retraite,  sous  ce  climat  délicieux,  que  M.  le 
comte  de  Paris  séjourna  quelques  semaines,  pas- 
sant SCS  journées  à  la  chasse  sur  le  (juadalquivir. 
Un  bateau  à  vapeur,  appartenant  au  duc  de  Mont- 


VOYAGE    A    CANNES  265 

pensier,  servait  aux  promenades  sur  le  fleuve, 
dont  les  rives  sont  couvertes  d'oiseaux  de  mer. 
Vers  le  15  février,  M.  le  comte  de  Paris  était  de 
retour  au  château  d'Eu. 

Avant  de  quitter  l'Espagne,  le  prince  écrivit  à 
M.  Lacave-Laplagne,  sénateur  du  Gers,  pour  le 
charger  d'ofFrir  en  son  nom  ses  condoléances  à  la 
famille  du  comte  Armand  de  Gontaut,  qui  venait 
de  mourir.  La  lettre  du  prince  témoignait  de  sa 
constante  sollicitude  pour  les  intérêts  du  pays  et 
de  sa  parfaite  connaissance  des  hommes  qui, 
comme  le  comte  Armand  de  Gontaut,  ont  consacré 
leur  vie  au  service  de   la  France. 

Au  commencement  de  mars,  M.  le  comte  de  Paris 
se  rendit  avec  sa  famille  à  Cannes,  où  la  santé  de 
sa  quatrième  fille,  la  jeune  princesse  Louise,  âgée 
de  deux  ans,  donna  un  moment  quelques  inquié- 
tudes ;  elle  avait  eu  le  faux  croup.  Tout  à  coup,  le 
dimanche  matin  9  mars,  le  Figaro  et  le  Gaulois 
annoncèrent  à  leurs  lecteurs  que  la  police  venait  de 
découvrir,  à  Lyon,  un  attentat  dirigé  contre  M.  le 
comte  de  Paris.  Voici  comment  le  Nouvelliste  de 
Lyon^  feuille  connue  pour  la  sûreté  de  ses  infor- 
mations, raconta  l'événement  : 

«  Les  nihilistes  de  France,  à  l'instar  de  leurs  frè- 
res  de  Russie,  viennent  de  se  révéler  à  nouveau 
par  une  tentative  audacieuse  dont  le  retentisse- 
ment produira  un  grand  étonnement  et  excitera 
un  sentiment  général  d'indignation. 


266  ATTENTAT  DÉCOUVERT  A  LYON 

«  Cette  tentative  visait  haut  :  elle  était  dirigée 

o 

contre  le  chef  de  la  maison  de  France. 

«  C'est  M.  le  comte  de  Paris  qui  était  désigné 
cette  fois  à  la  haine  farouche  des  révolutionnaires, 
c'est  à  sa  vie  qu'on  en  voulait.  Pour  accomplir  ce 
funeste  dessein,  les  dispositions,  comme  on  va  le 
voir,  étaient  bien  prises,  et  les  conséquences  qui 
devaient  en  résulter  eussent  été  meurtrières  et  in- 
calculables : 

«  Vendredi  soir,  un  commissionnaire,  portant 
une  boite  sous  le  bras,  se  présentait  au  bureau  de 
ville  de  la  Compagnie  P.-L.-M.,  situé  rue  Constan- 
tine.  Il  était  7  heures;  à  ce  moment,  les  guichets 
sont  toujours  envahis  par  de  nombreuses  person- 
nes qui  veulent  profiter  des  trains  de  nuit  pour 
expédier  leurs  marchandises.  Le  commissionnaire 
présenta  son  colis  au  préposé  à  la  reconnaissance; 
celui-ci,  après  l'avoir  pesé,  visa  la  déclaration 
d'expédition  et  la  remit  à  l'employé  chargé  d'éta- 
blir la  taxe  de  l'envoi  qui  devait  être  effectué /;o/'^ 
payé.  Ce  dernier  perçut  la  somme  de  1  fr.  25,  prix 
du  transport,  et  le  commissionnaire  se  retira.  Un 
instant  après,  un  autre  agent,  chargé  d'enregistrer 
la  déclaration  de  l'expéditeur  sur  un  registre  ad 
hoc^  fut  frappé  de  la  manière  dont  elle  était  lil)cl- 
lée.  Ce  document  portait  en  effet,  soigneusement 
tracées  en  caractères  d'imprimerie,  les  indicalions 
suivantes  :  l^]xpédileur  :  M.  Bcvker,  nie  des  Feuil- 
lants, à  Lijon.  Destinataire  :  J/(>/M"(?/i,'//<:7//'  le  comte 


CO>rTRE    M-''    LE    COMTE    DE    PARIS  267 

de  Paris,  en  son  hôtel  de  la  rue  de  Varennes,  57,  à 
Paris.  —  Port  payé.  La  marchandise  était  ainsi 
désignée  :  Une  caisse  soierie,  quincaillerie  et  échan- 
tillons, 1  k.  600.  Signature  de  l'expéditeur  :  Bêc- 
her. La  rue  des  Feuillants  n'existe  pas  à  Lyon  ; 
il  y  a,  en  revanche,  la  petite  et  la  grand'rue  des 
Feuillants.  L'employé  consulta  V Annuaire  de  Lyon 
et  ne  trouva  pas  le  nom  de  Becker.  Il  communiqua 
les  doutes  qu'il  éprouvait  sur  la  nature  de  l'envoi 
à  son  chef  de  bureau,  qui  les  partagea  complè- 
tement ;  on  examina  la  boîte,  dont  voici  la  des- 
cription :  elle  est  en  bois  blanc  et  soigneusement 
confectionnée;  elle  a  vingt-cinq  centimètres  de  lon- 
gueur, onze  de  largeur,  cinq  de  hauteur  ;  elle  était 
enveloppée  d'un  papier  bleu  tendre,  très  fin,  atta- 
ché avec  une  ficelle  et  portant  la  suscription  ci- 
après,  écrite  par  la  môme  main  qui  avait  rédigé 
la  déclaration  d'expédition  :  Monseigneur  le  comte 
de  Paris,  en  son  hôtel  de  la  rue  de  Varennes,  57, 
Paris.  Le  chef  de  bureau,  plus  que  jamais  intrigué, 
résolut  d'ouvrir  la  boîte  mystérieuse  ;  il  retira  la 
première  enveloppe  qui  recouvrait  le  colis  et  s'a- 
perçut que  le  couvercle,  au  lieu  d'être  cloué,  se 
composait  d'une  simple  coulisse,  que  contenait 
solidement  une  double  ficelle.  Les  employés  tirè- 
rent le  couvercle  avec  de  grandes  précautions  ; 
mais  à  peine  avaient-ils  mis  à  découvert  la  moitié 
du  contenu  de  la  boîte,  qu'ils  s'arrêtèrent,  étonnés. 
Il  y  avait  de  quoi  :  une  cartouche  métallique  de 


268  ATTENTAT  DÉCOUVERT  A  LYON 

forte  dimension,  enlourée  de  projectiles  de  toute 
sorte  et  relié  à  un  appareil  invisible  par  des  fils 
de  fulmi-coton,  devait  immédiatement  faire  explo- 
sion si  le  couvercle  avait  été  entièrement  retiré. 

«  Le  mystérieux  colis  a  été  envoyé  à  l'arsenal 
de  Perrache,  et  de  là  au  parc  d'artillerie  de  la 
Mouche,  pour  y  être  ouvert.  Cette  opération  a  été 
pratiquée  avec  beaucoup  de  soin.  Il  paraîtrait  que 
l'explosion  résultant  du  seul  fait  de  l'ouverture 
de  la  boite  aurait  produit  des  ravages  considéra- 
bles. 

«  Dans  ce  pays  généreux,  qui  repousse  toutes 
les  lâchetés,  cet  attentat,  Aille  Nouvelliste  de  Lyon, 
excitera,  nous  le  répétons,  un  douloureux  étonne- 
ment  et  un  sentiment  général  d'indignation.  » 

Dans  un  numéro  suivant,  ce  journal  ajoutait  : 

«  C'est  M.  Pierre  Denis,  commis  principal  à  la 
Compagnie  Paris-Lyon-Méditerranée,  ancien  sous- 
officier  d'artillerie,  qui,  le  premier,  a  eu  de  sérieux 
soupçons  sur  le  contenu  de  la  boite.  En  prescri- 
vant à  son  subordonné  Riboulet  de  rechercher  le 
colis  qui  allait  être  dirigé  sur  la  gare  de  Perrache, 
son  intention  était  de  s'assurer  au  préalable  qu'il 
ne  contenait  rien  de  suspect.  M.  Riboulet  ne  parut 
nullement  surpris  des  doutes  exprimés  par  le  chef 
de  buicau  ;  mais  il  manifesta  quelques  a])préhen- 
sions  quand  celui-ci  lui  dit  d'ouvrir  la  mystérieuse 
cassette.   Alors   M.    Denis,   avec  de    très  grandes 


CONTRE    M'^    LE    COMTE    DE    PARIS  269 

précautions,  tira  doucement  de  sa  rainure  une 
partie  du  couvercle  et  put  juger  immédiatement 
de  son  contenu.  Il  fit  part  immédiatement  de  sa 
découverte  à  son  chef,  M.  Roch,  qui  chercha  vai- 
nement sur  VAiinuaire  le  nom  de  l'expéditeur, 
M.  Bêcher.  Plus  de  doute,  on  se  trouvait  en  pré- 
sence d'une  tentative  abominable  ayant  pour  but, 
cela  est  certain,  de  supprimer  le  chef  de  la  maison 
de  France. 

«  M.  Denis  envoya  immédiatement  prévenir 
M.  le  commissaire  de  police  Duplaquet,  qui  se 
transporta  sur  les  lieux.  On  sait  le  reste  ;  le  péril 
était  conjuré.  » 

La  police  chercha,  mais  elle  ne  trouva  rien,  et 
on  ne  connut  jamais  l'auteur  de  cette  criminelle 
tentative  :  les  assassins  auraient  d'ailleurs  manqué 
leur  but,  car  il  est  plus  que  probable  que  les  do- 
mestiques du  prince,  seuls,  auraient  été  victimes 
de  cet  odieux  complot.  M.  le  comte  de  Paris,  avec 
sa  générosité  habituelle,  envoya  une  royale  récom- 
pense aux  employés  de  la  Compagnie  qui  avaient 
déjoué  ce  complot. 

A  la  fin  de  son  séjour  à  Cannes,  M.  le  comte  de 
Paris  assista  aux  obsèques  d'un  des  frères  du 
prince  de  Galles,  le  duc  d'Albany,  mort  presque 
subitement.  Le  prince  de  Galles,  qui  s'était  rendu 
en  toute  hâte  à  Cannes,  fit  donner  au  chef  de  la 
maison  de  France  la  première  place  devant  les 
invités,  et  il  fut  traité  pendant  toute  la  cérémonie 


270       M-''  LE  DUC  DE  CHARTRES  A  MARSEILLE 

comme  tenant  un  rang  royal.  Les  journaux  minis- 
tériels laissèrent  percer  l'irritation  du  cabinet  et 
demandèrent  que  des  mesures  fussent  enfin  prises 

contre  le  comte  de  Paris! Mais  l'heure  où  le 

plus  inique  exil  devait  être  décrété  ne  devait  pas 
encore  sonner.  Le  2  avril,  M.  le  comte  de  Paris  et 
Madame  la  comtesse  de  Paris  rentraient  à  Paris  par 
le  même  train  qui  ramenait  en  Angleterre  la  dé- 
pouille mortelle  du  duc  d'Albany. 

Le  30  mai,  M,  le  comte  de  Paris  se  rendait  à 
l'église  Sainte-Glotilde,  pour  assister  aux  obsè- 
quesde  l'unde  ses  plus  anciens  etplus  fidèles  amis, 
le  comte  d'Haussonville,  de  l'Académie  française. 

Un  terrible  fléau,  le  choléra,  s'était  abattu  sur 
Marseille,  pendant  l'été  de  1884.  M.  le  comte  de 
Paris,  par  un  extrême  sentiment  de  délicatesse, 
ne  se  rendit  pas  lui-même  à  Marseille,  distribuer 
des  secours,  accompagnés  de  bonnes  paroles  qui 
vont  au  cœur  des  malades,  à  tous  les  malheureux 
qui  souffraient  et  mouraient.  On  aurait  peut-être 
vu  là  un  prétendant  allant  quêter  des  suffrages  !... 
Mais  il  envoya  son  frère,  M.  le  duc  de  Chartres, 
porter  50,000  francs  aux  cholériques  de  Marseille. 
Nous  raconterons  ailleurs,  en  détail,  cette  visite  et 
la  colère  qu'elle  souleva  chez  les  républicains  ; 
avec  une  naïveté  ridicule,  un  journal  qualifiait 
de  hriUe  (sic)  celte  excursion  du  duc  de  Chartres 
allant  porter  lai-niènie  cet  argent,  quand  «  la  poste 
est  là  pour  transporter  les  valeurs  »  ! 


M'''    LE    COMTE    DE    PARIS    LIEUTENANT-COLONEL         271 

Y  a-t-il  rien  de  plus  comique  que  cette  phrase  ? 
A  un  pareil  argument,  il  n'y  a  pas  un  mot  à  ré- 
pondre... 

Mais  les  républicains,  plus  que  jamais  préoc- 
cupés du  terrain  gagné  chaque  jour,  en  France, 
par  le  parti  royaliste,  ne  savaient  qu'imaginer 
pour  attaquer  les  princes  d'Orléans.  Un  jour,  une 
feuille  annonça  que  le  général  Gampenon,  alors 
ministre  de  la  guerre,  avait  rayé  du  nouvel  An- 
nuaire militaire  M.  le  comte  de  Paris,  où  il  fiffu- 
rait  comme  lieutenant-colonel  du  service  d'état- 
major  de  l'armée  territoriale.  Le  fait  était  faux. 
Tout  officier  de  l'armée  territoriale  rentre  dans  la 
vie  civile  dès  qu'il  a  atteint  la  limite  d'âge,  fixée  à 
quarante  ans  ;  mais  il  peut,  d'après  la  loi,  être 
maintenu  dans  son  grade,  s'il  en  fait  la  demande. 

Lors  des  décrets  du  général  Thibaudin  qui  pla- 
cèrent les  princes  d'Orléans  en  non-activité,  M.  le 
comte  de  Paris  fut  mis  à  la  suite,  c'est-à-dire  dans 
une  position  équivalente  à  celle  de  la  non-activité. 
Par  une  bizarre  anomalie,  les  officiers  de  l'armée 
active  en  position  de  non-activité  ne  figurent  pas 
à  VAnnuaire,  tandis  que  les  officiers  de  l'armée 
territoriale  placés  à  la  suite  y  figurent.  M,  le 
comte  de  Paris  resta  donc  comme  l'année  précé- 
dente en  non-activité,  et  rien  ne  fut  changé  à  sa 
position  militaire. 

Les  réceptions   continuèrent  au  château   d'Eu, 
où,  le  22  juillet,  S.  A.  R.  le  comte  de  Flandre,  frère 


UN    INCENDIE    AU    TREPORT 


du  roi  des  Belges,  accompagné  de  la  comtesse  de 
Flandre,  rendit  visite  à  son  cousin  M.  le  comte  de 
Paris.  Quelques  jours  après  son  départ,  au  com- 
mencement d'août,  un  incendie  considérable  éclata 
au  Tréport,  M.  le  comte  de  Paris,  aussitôt  averti, 
arriva  d'Eu  avec  une  pompe  à  vapeur  qui  rendit 
les  plus  grands  services.  L'incendie  s'était  déclaré 
chez  M.  Romain,  brasseur,  dans  la  ville  haute  du 
Tréport.  Vers  six  heures  et  demie  du  soir,  une 
épaisse  et  noire  fumée  avait  mis  la  ville  en  émoi. 
Quelques  instants  après,  les  flammes  avaient  en- 
vahi tous  les  bâtiments  comprenant  la  brasserie 
et  un  hangar  rempli  de  paille.  Les  premiers  se- 
cours furent  difficiles  à  organiser  :  les  pompes  du 
Tréport  et  de  Mers,  faiblement  alimentées  d'eau, 
produisaient  peu  d'effet,  et  les  maisons  voisines 
étaient  menacées,  lorsqu'arriva  la  pompe  à  vapeur 
du  château  d'Eu. 

Sous  la  direction  de  M.  le  comte  de  Paris,  accom- 
pagné de  sonfils,  leducd'Orléans,  de  M.  Emmanuel 
Bocher  et  du  marquis  de  Breteuil,  la  pompe  fut 
placée  en  batterie  sur  le  quai.  En  peu  d'instants,  les 
tuyaux,  d'une  longueur  de  200  mètres,  furent 
déroulés,  et  bientôt  les  pompiers  de  la  ville  d'Eu, 
habitués  à  Texercice  d'une  pompe  d'une  grande 
puissance,  jetèrent  des  torients  d'eau  de  mer  sur 
le  foyer  de  l'incendie,  qui  fui  rapidement  éteint. 
Le  maire  remercia  vivement  M.  le  comte  de  Paris 
de  son  concours,  qui   avait   peut-être  préservé  un 


SERVICE    ANNIVERSAIRE    DU    COMTE    DE    CHAMBORD      273 

quartier  de  la  ville  d'une  ruine  complète.  Cer- 
tains journaux  républicains,  naturellement,  trou- 
vèrent là  matière  à  raillerie.  Quand  les  princes 
d'Orléans,  coutumiers  du  fait,  vont  les  premiers  à 
un  devoir  qui  peut  être  un  péril,  ils  suivent  l'ins- 
piration de  leur  cœur  et  ce  que  leur  nom  leur 
commande  plus  impérieusement  encore  qu'aux 
autres  hommes.  En  trouvant  dans  leur  conduite 
prétexte  à  plaisanterie,  les  républicains  ne  font 
tort  qu'à  eux-mêmes. 

C'est  à  ce  moment  que  M.  le  comte  de  Paris  fit 
remettre  1 ,000  francs  à  un  comité  qui  s'était  orga- 
nisé pour  venir  en  aide  aux  victimes  d'une  grêle 
terrible  qui,  le  12  juillet,  avait  fait  de  grands  ra- 
vages dans  le  département  de  la  Seine-Inférieure  : 
des  secours  importants  furent  également  portés 
en  son  nom  à  de  pauvres  cultivateurs  atteints  par 
l'ouragan. 

La  date  anniversaire  de  la  mort  de  M.  le  comte 
de  Chambord  approchait. 

Le  prince  avait  donné  l'ordre  qu'un  service  fût, 
à  cette  occasion,  célébré  à  Paris  à  la  paroisse  de 
Saint-François-Xavier  ;  un  service  solennel  eut 
également  lieu  à  Eu  le  24  août  1884.  L'église  était 
entièrement  tendue  de  noir,  et  les  draperies  re- 
haussées d'écussons  aux  armes  de  France,  placés 
de  distance  en  distance. 

M.lecomtedeParis,  Madame  la  comtesse  de  Paris, 
malgré  son  état  de  grossesse  avancée,  occupaient 

18 


274  LETTRE    A    M.    DE    LAUBESPIN 

des  fauteuils  en  avant  du  chœur.  Derrière  eux 
avaient  pris  place  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans  et  sa 
sœur  M""  la  princesse  Amélie,  les  princesses  de 
la  famille  royale  et  toute  la  maison  de  M.  le  comte 
de  Paris.  Derrière  les  princes  une  foule  énorme 
d'habitants  de  la  ville  et  de  royalistes  des  environs 
remplissait  l'église,  qui  fut  ce  jour-là  trop 
petite. 

A  la  fin  de  ce  mois  d'août  parut  dans  les  jour- 
naux la  lettre  suivante,  que  M.  le  comte  de  Paris 
avait  adressée  à  M.  le  comte  de  Laubespin,  con- 
seiller général  de  la  Nièvre,  à  l'occasion  de  la  mort 
de  son  neveu,  le  baron  Lespérut,  ancien  secré- 
taire d'ambassade  : 

Mon  cher  Monsieur  de  Laubespin, 

M.  de  Beauvoir,  sachant  tous  les  sentiments  que  je  por- 
tais à  votre  neveu,  m'a  annoncé  sa  mort  par  le  télégraphe 
et  je  me  suis  empressé  d'exprimer  par  la  même  voie,  à  Ma- 
dame votre  sœur,  ma  profonde  svmj^athie.  Je  viens  aujour- 
d'hui A'ous  remercier  de  la  pensée  qui  a  inspiré  votre  lettre 
et  vous  dire,  mieux  ({ue  je  n'ai  pu  le  faire  dans  une  dé- 
pêche, combien  je  ressens  la  perte  de  M.  de  Lespérut.  Je 
l'ai  assez  connu  pour  pouvoir  apprécier  les  rares  qualités 
de  son  cœur  et  de  son  intelligence. 

Sa  mauvaise  santé,  qui  lui  imposait  des  é[)reuYes  si  cou- 
rageusement supportées,  lui  avait  été  l'occasion  de  se 
livrer,  plus  complètement  que  d'autres,  à  l'étude,  et  de 
donner  à  son  esprit  une  culture  exceptionnelle.  J'espérais 
qu'il  pourrait  mettre  toutes  ses  brillantes  facultés  au  ser- 


QUETE    POUR    LES    AUMOXJERS    DES    HOPITAUX  275 

vice  de   la  France   et  de  la  cause  à   laquelle   il  était,    jiar 
tradition  et  par  conviction,  si  passionnément  attaché. 

Dieu  en  a  disposé  autrement.  11  lui  a  peut-être  épargné 
bien  des  souffrances,  mais  il  nous  a  enlevé  un  ami  dont  la 
perte  sera  vivement  sentie. 

La  comtesse  de  Paris  et  moi,  nous  nous  associons  à 
l'immense  douleur  de  M'"*  de  Lespérut. 

Veuillez    être   notre    interprète  auprès  d'elle   dans   ces 
douloureuses  circonstances  et  me  croire 
Votre  bien  affectionné, 

Philippe,  comte  de  Paris. 

P. -S.  —  Je  vous  remercie  de  ce  que  vous  me  dites  à  l'oc- 
casion du  triste  anniversaire  du  13  juillet.  Je  sais  combien 
vous  avez  fidèlement  conservé  le  souvenir  de  mon  père. 
C'est  un  lien  entre  nous  que  les  années  ne  font  que  for- 
tifier ! 

Quelques  jours  après,  une  quêle  eut  lieu  dans 
toutes  les  églises  de  Paris  pour  les  aumôniers  des 
hôpitaux  de  Paris,  dont  le  traitement  avait  été 
supprimé.  M.  le  comte  de  Paris  fit  remettre  pour 
cette  quête  1,000  francs  à  S.  E.  le  cardinal  Guibert'. 

1.  Le  9  septembre  1884,  Madamela  comtesse  de  Paris  mettait  au 
monde unprinee,  qui  reçutle  nom  de  Ferdinand,  en  mémoire  de 
son  grand-père,  le  duc  d'Orléans.  Le  pape  Léon  XIII,  informé 
par  le  chef  de  la  maison  de  France  de  la  naissance  du  jeune  prince, 
envoya,  par  l'entremise  du  cardinal  Jacobini,  sa  bénédiction  au 
nouveau-né,  à  sa  mère,  àM.  le  comte  deParis  età  toute  la  famille 
royale.  A  l'occasion  de  cet  heureux  événement,  M.  le  comte  de 
Paris  fit  remettre  au  nonce  apostolique,  Mg""  di  Rende,  la 
somme  de   10,000  francs  pour   le    denier    de    Saint-Pierre.    Le 


276  UN    ARTICLE    DE    M.    DE    CASSAGNAC 

Cette  vie  simple,  cette  attitude  correcte  du  chef 
de  la  maison  de  France  et,  en  même  temps,  em- 
preinte d'un  si  réel  patriotisme,  commençait  à  être 
connue  même  des  adversaires  politiques  du  parti 
royaliste.  M.  Paul  de  Cassagnac,  député  du  Gers, 
ancien  adversaire  des  princes  d'Orléans,  mais  qui 
sait  être  impartial,  s'était  entretenu  delà  situation 
politique  en  France  avec  le  correspondant  du 
journal  anglais  le  Daily  ISews. 

Voici  le  résumé  de  sa  curieuse  conversation, 
que  toute  la  presse  répéta  (avril  1885)  :  «  Je  suis 
un  impérialiste,  chacun  le  sait  ;  mais  avant  tout  je 
suis,  dans  la  plus  large  acception  de  ce  mot,  un 
monarchiste.  Je  respecte  le  principe  monarchique, 
et  j'ai  le  plus  profond  respect  pour  le  comte  de 
Paris.  Je  dois  môme  avouer,  en  toute  sincérité,  que 
dans  la  situation  actuelle  des  choses,  c'est  lui  qui 
a  les  plus  grandes  chances  de  remplacer  la  Répu- 
blique, lorsque  celle-ci  atteindra  l'inévitable  catas- 
trophe. Son  parti  est  le  mieux  organisé,  et  il  a 
l'incomparable  avantage  d'avoir  un  chef.  Le  comte 

26  octobre  avait  lieu,  dans  la  chapelle  d'Eu,  le  baptême  du 
jeune  prince,  qui  eut  pour  parrain  S.  M.  le  roi  François  II 
de  Naples,  représenté  par  M^''  le  duc  d'Alençon,  et  S.  A.  R. 
la  comtesse  de  Girgenti,  sœur  aînée  du  roi  d'Espagne 
Alphonse  XII,  représentée  par  M"»  la  princesse  Hélène  d'Or- 
léans. Le  jeune  prince,  auquel  son  grand-père  maternel, 
S.  A.  R.  le  duc  de  Montpcnsier,  a  assuré,  dit-on,  le  domaine  de 
Randan,  est  appelé  à  porter  un  jour  le  titre  de  duc  de  Mont- 
pensier. 


FETE    RELIGIEUSE    AU    TREPORT  277 

de  Paris  est  un  homme  vraiment  supérieur,  con- 
sciencieux, laborieux,  bien  informé,  un  homme 
d'étude  et  un  homme  du  monde.  Il  connaît  la  vie 
et  les  hommes,  et  il  a  appris  tout  ce  qu'on  doit  ap- 
prendre pour  être  digne  de  gouverner.  Nous  autres 
bonapartistes,  nous  ne  sommes  pas  dans  de  si 
heureuses  conditions.  Le  prince  Jérôme  est  impos- 
sible! il  est  trop  vieux  pour  désavouer  tout  ce 
qu'il  a  dit,  pour  défaire  tout  ce  qu'il  a  fait;  nous 
ne  pouvons  rien  faire,  avec  le  pays  et  pour  le  pays, 
avec  son  nom.  C'est  un  homme  dépourvu  de  sens 

moral.  » 

Le23aoùt,  une  très  belle  fête  religieuse  était  cé- 
lébrée au  Tréportjdont  toute  la  population  vit  des 
produits  de  la  pêche,  et  a  le  culte  de  la  sainte 
Vierge.  Le  temps  avait  détruit  la  statue  de  Notre- 
Dame  duTréport,  qui  depuisdessièclesétaitplacée 
au  pied  de  la  montagne  que  surmonte  aujourd'hui 
l'église,  l'ancienne  chapelle  d'un  couvent  de  Gé- 
novéfains.  Les  pêcheurs  avaient  ouvert  entre  eux 
une  souscription  pour  remplacer  cette  statue  en 
ruine.  La  somme  réunie  ne  suffisant  pas.  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  don- 
nèrent ce  qui  manquait,  et  l'archevêque  de  Rouen 
se  rendit  au  Tréport  pour  bénir  la  statue.  Le 
matin,  à  la  grand'messe,  l'abbé  Vallet,  aumônier 
du  lycée  Henri  IV  de  Paris,  prononça  un  remar- 
quable discours  sur  la  charité,  en  présence  de 
M.  le  comte  de  Paris  placé  dans  le  banc  d'œuvre 


278  MARIAGE    DE    S.  A.  R.    LA    PRINCESSE    MARIE 

avec  M'""  les  princesses  Amélie  et  Hélène  et  M.  le 
duc  et  M"*"  la  duchesse  de  Montpensier.  Madame  la 
comtesse  de  Paris  chanta,  dans  le  chœur,  le  Sanctus 
de  Beethoven,  un  OSalutarisl  le  Crucifix.,  de  Faure, 
et  enfin  pendant  la  quête,  faite  par  M""^  la  princesse 
Amélie,  VAve  Maria.,  deGounod.  La  quête  fut  très 
abondante,  et,  à  la  sortie,  la  foule  se  pressa  et  se 
découvrit  respectueusement  sur  le  passage  des 
princes  et  des  princesses.  A  trois  heures,  une 
procession  de  plusieurs  milliers  de  personnes 
parcourut  les  quais  et  les  rues.  M^*"  Thomas,  arche- 
vêque de  Rouen,  prit  la  parole  en  plein  air  pour 
célébrer  la  patronne  des  marins  et  de  la  France,  et 
se  rendit  ensuite  au  château  d'Eu,  dont  M.  le 
comte  de  Paris  fat  heureux  de  lui  faire  les  hon- 
neurs. 

Quelques  jours  après,  M.  le  comte  de  Paris  rece- 
vait de  Rome  un  bref  du  Saint-Père.  Léon  XIII 
accordait  la  dispense  nécessaire  pour  la  célé- 
bration du  mariage  de  S.  A.  R.  le  prince  Walde- 
mar,  fils  du  roi  de  Danemark,  avec  M"""  la  princesse 
Marie,  fille  ainée  de  M**'"  le  duc  de  Chartres,  selon 
le  rite  des  mariages  mixtes,  entre  catholiques  et 
protestants. 

Ce  fut  le  22  octobre  1885  que  fut  célébrée  cette 
union  au  château  d'Eu.  La  bénédiction  nuptiale  fut 
d'abord  donnée  aux  époux  par  jM«'"  d'Iliilst,  giand 
vicaire  de  Paris,  assisté  du  doyen  d'Eu  et  de  l'abbé 
de  Beauvoir.  Le  grand-vicaire  adressa  une  éinou- 


AVEC    LE    PRINCE    WALDEMAR   DE    DANEMARK  279 

vante  allocution  sur  les  devoirs  du  mariage,  parla 
de  la  vieille  amitié  qui  existe  entre  la  France  et  le 
Danemark,  amitié  que  l'union  des  jeunes  époux 
ne  pouvait  que  cimenter.  Il  salua  la  race  royale 
dont  le  prince  Waldemar  est  un  digne  rejeton, 
race  qui  compte  aujourd'hui  en  Europe  cinq  sou- 
verains ou  souveraines.  Se  tournant  vers  les 
princes  d'Orléans,  il  rendit  hommage  à  cette 
antique  maison  de  Bourbon,  que  les  vicissitudes 
politiques  n'ont  pu  faire  déchoir  de  la  place  que 
lui  assigne  la  grandeur  de  son  passé. 

Après  la  cérémonie  catholique,  la  princesse 
Marie,  tenant  à  la  main  un  superbe  bouquet  blanc 
qui  lui  avait  été  envoyé  par  les  officiers  du  12"  ré- 
giment de  chasseurs  à  Rouen,  dont  le  duc  de 
Chartres  fut  quatre  ans  le  colonel,  traversa  la 
grande  galerie  du  rez-de-chaussée  au  bras  du 
prince  Waldemar.  Venaient  ensuite  la  reine  de 
Danemark,  le  prince  et  la  princesee  de  Galles,  le 
grand-duc  Alexis  de  Russie,  la  duchesse  de  Cum- 
berland,  les  princes  et  princesses  de  la  maison 
royale  d'Angleterre,  le  prince  Philippe  et  le  prince 
Ferdinand  de  Saxe-Cobourg  et  Gotha,  et  tous  les 
princes  de  la  maison  de  France. 

Le  pasteur  Jentzen,  chapelain  de  la  reine  de 
Danemark,  unit,  selon  le  rite  protestant,  le  fils  de 
sa  souveraine  à  la  princesse  Marie,  et  prononça 
en  langue  danoise  quelques  paroles  de  sympathie 
pour  la  France  et  pour  l'illustre  maison  d'Orléans. 


280  MORT    DU   ROI   d'eSPAGNE 

A  trois  heures,  on  servit  dans  la  galerie  des  Guises 
un  splendide  déjeuner.  A  la  table  d'honneur  s'as- 
seyait la  reine  de  Danemark,  avec  les  trente-cinq 
princes  ou  princesses  qui  avaient  assisté  au  ma- 
riage, ainsi  que  les  deux  témoins,  M.  le  duc 
Decazes  et  de  Glucksberg  (titre  danois  donné  à 
son  père)  et  le  comte  de  Moltke,  ministre  de  Dane- 
mark en  France.  Les  personnes  de  la  suite  occu- 
paient la  grande  salle  à  manger,  où  était  dressée 
une  table  en  fer  à  cheval.  Pendant  le  repas,  la 
fanfare  du  Tréport  jouait  sous  les  fenêtres  du 
château.  A  sept  heures,  le  prince  et  la  princesse 
Waldemar  partaient  pour  Chantilly.  Le  lendemain, 
M.  le  comte  de  Paris  oflVait  à  Eu  une  grande  chasse 
à  courre  à  ses  augustes  botes. 

L'hiver  se  termina  tristement.  Ce  fut  avec  une 
vive  douleur  que  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la 
comtesse  de  Paris  apprirent  la  mort  prématurée 
du  jeune  roi  d'Espagne,  Alphonse  XII,  si  brus- 
quement ravi  à  l'affection  de  tout  son  peuple.  Le 
roi  Alphonse,  prince  intelligent  et  énergique, 
était  de  ces  rois  qui  aiment  le  peuple,  s'idcntilîent 
avec  la  nation  dont  ils  sont  le  chef,  et  sont  toujours 
préoccupés  du  bien  public.  La  consternation  fut 
grande  en  Espagne,  et  toute  l'Europe  conservatrice 
etmonarchique  pleura  cejeune  souverain.  Au  com- 
mencement de  1884,  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame 
la  comtesse  de  Paris  avaient  été  accueillis  à  Madrid 
avec  une  cordialité  aff'eclueuse  qui  avait  resserré 


LA    REINE    RÉGENTE    d'eSPAGNE  281 

encore  plus  les  liens  qui  depuis  longtemps  les  unis- 
saientau  roi  Alphonse  XII.  Ce  nefut  donc  pas  seule- 
ment un  deuil  officiel,  mais  surtout  un  deuil  de  cœur 
que  portèrent  les  princes  d'Orléans  et  leurs  amis. 
En  transmettant  à  la  reine  régente  d'Espagne, 
Christine  d'Autriche,  leurs  sentiments  de  condo- 
léances, M.  le  comte  de  Paris  etMadame  la  comtesse 
de  Paris  étaient  les  interprètes  d'un  très  grand  nom- 
bre de  Français.  On  put  le  constater  à  l'affluence 
des  assistants  qui  se  rendirent,  le  4  décembre,  à 
l'église  Saint-François-Xavier,  paroisse  de  M.  le 
comte  de  Paris,  qui  y  fit  célébrer  un  service  pour 
le  repos  de  l'àme  de  S.  M.  Alphonse  XII.  L'église 
était  toute  tendue  de  noir  aux  écussons  d'Espagne. 
M.  le  comte  et  Madame  la  comtesse  de  Paris,  tous 
les  princes  d'Orléans  présents  à  Paris,  étaient  aux 
premiers  rangs  ;  une  foule  immense  avait  tenu  à 
donner  à  l'Espagne,  à  la  reine  régente,  ce  témoi- 
gnage de  douloureuse  sympathie.  L'aristocratie 
française,  la  bourgeoisie,  le  monde  des  lettres  et 
des  sciences,  comme  le  monde  politique,  étaient 
brillamment  représentés.  On  pria  pour  le  roi,  et 
aussi  pour  la  reine  régente,  grosse  alors  de  quel- 
ques mois,  afin  que  Dieu  lui  facilitât  la  redou- 
table tâche  qui  allait  lui  incomber.  Au  mois  de 
mai  suivant  lui  naissait  un  fils,  le  roi  Alphonse  XIII. 
L'habileté  de  la  reine  régente,  qui  sut  triompher 
des  obstacles  et  des  difficultés  de  la  situation  poli- 
tique,  témoigna  que,  dans  cette  grande  et  noble 


282  HIVER    A    CANNES 

maison  de  Habsbourg,  la  vertu  et  la  sagesse  poli- 
tique se  retrouvaient  chez  la  petite-fille  de  la 
grande  Marie-Thérèse.  On  l'a  dit  avec  raison  : 
«  Les  Espagnols  sont  plus  heureux  que  nous  ;  le 
principe  monarchique  est  représenté  chez  eux  de 
la  façon  la  plus  touchante  :  ils  ont  une  reine  à 
aimer,  une  femme  à  défendre.   « 

Peu  après,  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  com- 
tesse de  Paris  se  rendaient  à  Cannes,  où  dans 
leur  simple  villa  Saint-Jean  ils  passèrent  les  mois 
les  plus  rudes  de  l'hiver.  Le  samedi  19  décembre, 
M.  le  comte  de  Paris  et  sa  fille  aînée.  M™*  la  prin- 
cesse Amélie,  étaient  parrain  et  marraine  du 
dixième  enfant  de  leur  cousin  S.  A.  R.  le  comte  de 
Gaserte,  frère  du  roi  François  II  de  Naples. 

Ainsi  se  termina  cette  année  1885,  qui  devait 
précéder  de  quelques  mois  l'inique  exil  qu'une 
République,  effrayée  par  le  flot  grossissant  de  l'op- 
position conservatrice,  allait  prononcer  contre  le 
chef  de  la  maison  de  France  et  son  fils  aîné, 
S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans. 


•*_î» 


CHAPITRE    VII 

Ja>'vier-Juin  1886 

Dépêche  télégraphique  de  M.  le  comte  de  Paris  à  M.  le  comte 
de  Blois,  neveu  du  comte  de  Falloux,  sur  la  mort  de  son 
oncle  (10  janvier  1886).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de 
Bragance  à  l'Académie  française. — Le  roi  et  la  reine  de  Por- 
tugal demandent  officiellement  la  main  de  S.  A.  R.  M'"'^  la  prin- 
cesse Amélie  de  France,  à  M.  le  comte  de  Paris,  pour  S.  A.  R. 
Je  duc  de  Bragance.  —  Madame  la  comtessede  Paris  se  rend  à 
Madrid,  pour  le  mariage  de  son  frère,  le  prince  Antoine, 
avec  la  princesse  Eulalie,  sœur  d'Alphonse  XII  (février-mars 
1886).  —  Visite  de  M.  le  comte  de  Paris  au  Concours  agri- 
cole du  Palais  de  l'Industrie.  —  Départ  du  prince  pour  Can- 
nes (mars  1886). 

Dépèche  de  M.  le  comte  de  Paris  à  l'occasion  de  la  mort  de 
M™e  la  comtesse  de  Chambord  (Cannes,  25  mars  1886).  — 
Retour  à  Paris  :  l'incident  de  la  rue  Vivienne  (mai  1886).  — 
Grande  réception  de  M.  le  comte  de  Paris,  rue  de  Varenne,  à 
l'occasion  du  mariage  de  S.  A.  R.  M™®  la  jîrincesse  Amélie  (15 
mai  1886).  —  Colère  des  jouriiau.x  républicains.  —  Campagne 
pour  l'expulsion  des  princes.  —  Embarras  du  gouvernement. 

—  Adieux  de  M™"  la  princesse  Amélie  à  Eu.  —  Cadeaux 
donnés  à  la  princesse  à  Eu  et  à  Paris.  —  Départ  pour  le 
Portugal  (17  mai).  —  Acclamations  et  empressement  de  la 
foule  à  chaque  station  de  France,  d'Espagne  et  de  Portugal. 

—  Accueil  enthousiaste  fait  aux  princes  en  Espagne  et  en 
Portugal.  —  Mariage  à  Lisbonne  de  M™"  la  princesse  Amé- 
lie (22  mai  1886).  —  Les  fêtes  à  Lisbonne. 

Le  parti  royaliste  fit  une  grande  perte  an  com- 
mencement de  l'année  1886.  Le  comte  de  Falloux, 
membre  de  l'Académie  française,  ancien  ministre 


284  MORT    DU    COMTE    DE    FALLOUX 

de  l'instruction  publique,  et  auteur  de  la  célèbre 
loi  de  1850  sur  l'enseignement,  mourut  le  6  jan- 
vier. Pendant  les  obsèques,  le  neveu  de  M.  de 
Falloux,  le  comte  de  Blois,  reçut  la  dépêche 
télégraphique  suivante  de  M.  le  comte  de  Paris  : 

J'apprends  que  le  service  funèbre  pour  le  comte  de 
Falloux  sera  célébré  aujourd'luii  à  Angers.  Je  tiens  à  vous 
dire  que  je  m'associe  de  tout  cœur  aux  hommages  que  de 
nombreux  amis  vont  rendre  à  la  mémoire  de  votre  illustre 
oncle.  Personne  ne  ressent  plus  vivement  que  moi  la  perte 
de  cet  homme  d'Etat  si  éminent,  dont  le  cœur  était  si  fran- 
çais, le  jugement  si  juste,  le  conseil  si  éclairé,  le  com- 
merce si  séduisant  et  si  instructif.  Je  partage  votre  dou- 
leur et  me  joins  à  vos  prières. 

Philippe,  comte  de  Paris. 

Ce  fut,  pour  la  famille  de  M.  de  Falloux,  une 
douce  consolation  que  ce  témoignage  de  haute 
sympathie  donné  par  le  chef  de  la  maison  de 
France,  qui  quelques  jours  plus  tard  appréciait 
plus  complètement,  dans  une  lettre  adressée  à 
M.  de  Blois,  les  grandes  qualités  de  M.  de  Falloux 
et  les  services  rendus  par  lui  à  la  France. 

Vers  la  fin  de  janvier,  M.  le  comte  de  Paris  et  Ma- 
dame la  comtesse  de  Paris  se  rendirent  à  Chan- 
tilly, où  M^""  leducd'AumalerecevaitS.  A.  R.  le  duc 
de  Bragance,  prince  royal  de  Portugal.  Cette  vi- 
site du  jeune  prince  avait  surtout  pour  but  de  se 
faire  agréer  par  M.  le  comte  de  Paris  comme  pré- 


M"''  LE  COMTE  DE  PARIS  A  l' ACADÉMIE  FRANÇAISE   285 

tendant  à  la  main  de  S.  A.  R.  M""  la  princesse 
Amélie.  De  magnifiques  chasses  eurent  lieu  en 
son  honneur  à  Chantilly,  et  quelques  jours  plus 
tard  la  jeune  princesse  donnait  son  consentement 
à  cette  union. 

Le  duc  de  Bragance,  quoique  la  demande  offi- 
cielle de  la  main  de  la  princesse  n'eût  pas  encore 
été  faite  parle  roi  son  père,  vit  fréquemment  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris.  Le 
jeudi  4  février,  il  les  accompagna  à  l'Académie 
française,  qui  tenait  séance  pour  recevoir  un  de 
ses  membres,  M.  Ludovic  Halévy. 

Devant  le  public  d'élite  qui  se  pressait  sous  la 
coupole  de  l'Institut,  et  qui  applaudit  chaleureuse- 
ment le  jeune  académicien,  M.  Halévy  retraça  à 
grands  traits  la  vie  de  son  prédécesseur,  le  comte 
d'Haussonville,  le  type  le  plus  accompli  du  grand 
seigneur  lettré,  bienfaisant,  libéral  et  patriote. 
Il  rappela  ses  débuts,  dans  la  diplomatie,  sous  la 
monarchie  constitutionnelle,  «  ce  gouvernement 
quiassuraitàla  France  ces  deux  grands  biemfaits  : 

la  paix  etla  liberté »  La  vie  politique  avait  alors 

une  extraordinaire  animation,  et,  à  cette  époque,  il 
ne  déplaisait  aucunement  à  la  France  de  pouvoir 
admirer  ceux  qui  la  gouvernaient.  Les  ministres 
d'alors  n'avaient  jamais  négligé,  jamais  compro- 
mis, jamais  trahi  les  grands  intérêts  qui  leur 
étaient  confiés,  et  la  France,  très  sagement,  très 
patriotiquement    gouvernée,    avait  pu    goûter    à 


280  LE    DUC    DE    BRAGANCE    A    PARIS 

cette  époque  le  plaisir  de  vivre,  tout  en  étant  un 
grand  peuple,  aimée  et  respectée  par  l'Europe  en- 
tière   

«  Vous  êtes,  ce  me  semble,  dit  spirituellement 
M.  Halévy  à  ses  collègues,  vous  êtes  obligés, 
Messieurs,  ne  fût-ce  que  par  esprit  de  corps,  de 
penser,  avec  M.  d'Haussonville,  que  la  France  se 
trouvait  en  effet,  alors,  en  très  bonnes  mains,  car 
elle  était  entre  les  mains  de  vos  prédécesseurs.  Le 
roi  réenait   et  l'Académie  française  eouvernait.  » 

«...  De  là,  entre  la  littérature  et  la  politique, 
une  très  étroite  alliance,  qui  n'a  pas  été  sans  jeter 
quelque  éclat  sur  cette  période  de  notre  histoire, 
à  laquelle  ne  se  rattachent  que  d'heureux  et  bril- 
lants souvenirs.  Hélas!  ce  n'est  plus  de  l'Acadé- 
mie que  sortent  aujourd'hui  nos  ministres.   » 

Cette  séance  valut  un  nouveau  succès  à  M.  Ha- 
lévy, et  à  M.  Pailleron  qui  le  recevait.  La  faveur 
quiaccueillitleurs  discours,  les  applaudissements, 
auxquels  se  joignirent  ceux  de  M.  le  comte  de  Paris, 
de  Madame  la  comtesse  de  Paris  et  du  duc  de  Bra- 
gancc,  étaient  bien  justifiés,  car  ces  deux  acadé- 
miciens y  avaient  prodigué  talent  et  esprit. 

Deux  jours  après  cette  brillante  réception,  le 
samedi  6  février,  M.  le  comte  d'Andrade  Corvo, 
ministre  de  Portugal  en  France,  remettait  à  M.  le 
comte  de  Paris  des  lettres  autographes  du  roi  et 
de  la  reine  de  Portugal  demandant  oflicicllcmcnt 
la  main  de  S.  A.  R.  la  princesse   Amélie  de  France 


FIANÇAILLES  DE  LA  PRINCESSE  AMELIE  287 

pour  S.  A,  R.  le  duc  de  Bragance,  prince  royal, 
héritier  de  la  couronne  de  Portugal.  M.  le  comte 
de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  donnèrent 
immédiatement  leur  consentement.  A  deux  heures, 
le  duc  de  Bragance,  accompagné  de  ses  aides  de 
camp,  faisait  officiellement  à  la  princesse  Amélie 
sa  première  visite. 

Le  lendemain,  dimanche  7  février,  avait  lieu  rue 
de  Varennes,  chez  M.  le  comte  de  Paris,  le  diner 
des  fiançailles,  auquel  assistaient  les  princes  de  la 
maison  de  France,  le  roi  François  II  de  Naples  et 
la  légation  de  Portugal  à  Paris.  Vers  la  fin  du  re- 
pas, M.  le  comte  de  Paris  se  leva  et  porta  la  santé 
du  roi  et  de  la  reine  de  Portugal,  en  exprimant 
toute  la  satisfaction  que  lui  causait  l'union  des 
deux  maisons.  Le  duc  de  Bragance  remercia  etpor- 
ta,  à  son  tour,  la  santé  de  M.  le  comte  de  Paris  et 
de  Madame  la  comtesse  deParis.  Le  mardi  9,  le  duc 
et  la  duchesse  de  Chartres  donnaient  un  dîner  en 
son  honneur,  en  leur  hôtel  de  la  rue  Jean-Goujon. 
Le  lendemain,  le  prince  de  Portugal  partait  pour 
Eu,  où  de  grandes  chasses  allaient  avoir  lieu  en 
son  honneur. 

Tous  ceux  qui  approchèrent  le  duc  de  Bra- 
gance, pendant  son  séjour  en  France,  s'ac- 
cordent à  déclarer  que  ce  prince  n'est  pas 
seulement  ce  qu'on  appelait  jadis  un  parfait 
gentilhomme,  mais  en  même  temps  un  prince 
moderne,  comme  le  roi  son  père,  aux  idées  larges 


288  LE    DUC  DE   BRAGANCE 

et  aux  goûts  artistiques.  Il  est  né,  jour  pour  jour, 
deux  ans  avant  la  princesse  Amélie,  le  28  sep- 
tembre 1863.  Bien  fait  de  sa  personne,  la  tête 
fine,  le  duc  de  Bragance  a  l'air  ouvert,  décidé, 
intelligent  et  énergique.  Excellent  musicien, 
aquarelliste  distingué,  lettré  délicat,  ce  jeune 
prince  (qui  parle  huit  langues)  n'ignore  rien  de  ce 
qui  touche  aux  arts  et  aux  lettres  de  son  pays  et 
des  pays  voisins.  Habitué  dès  son  enfance  à  tous 
les  exercices  du  corps,  cavalier  accompli,  tireur 
émérite,  il  possède  un  tempérament  de  fer. 

Le  roi  son  père,  se  souvenant  de  ce  qui  avait 
fait  jadis  la  grandeur  de  la  maison  de  Bragance, 
a  tenu  à  en  faire  un  excellent  marin. 

La  princesseAmélie  est  née  le  28  septembre  1865. 
Par  sa  grâce,  son  tact,  son  intelligence,  elle 
rappelle  sa  grand'mère  Madame  la  duchesse 
d'Orléans,  cette  femme  exceptionnelle,  si  préma- 
turément ravie  à  l'affection  et  des  siens  et  de  tous 
ceux  qui  ont  pu  la  connaître. 

«  Ce  mariage  avec  le  duc  de  Bragance,  a  dit 
alors  M.  Hervé,  n'unit  pas  seulement  un  prince 
jeune  et  brillant,  une  princesse  accomplie  et  char- 
mante, il  rapproche  deux  familles  et  deux  nations, 
qui  ont  eu  à  plus  d'un  moment  de  leur  histoire  des 
points  de  contact C'est  un  descendant  de  Ro- 
bert le  Fort  et  de  Hugues-Gapet  c|ui  a  fondé  en 
Portugal  la  plus  ancienne  souche  royale,  et  l'on 
voit  dans  riiistoirc   que  les  Ijonncs  relations  de  la 


RÉCEPTION  DE  LA  DUCHESSE  DE  CHARTRES       289 

France  avec  le  Portugal  ont  été  moins  souvent 
troublées  qu'avec  les  autres  États  de  l'Europe... 
Le  mariage  de  l'héritier  du  roi  de  Portugal  avec 
une  princesse  française  ne  peut  que  resserrer 
ces  liens.  La  France  profite  encore  de  la  situation 
qu'a  conservée  en  Europe  l'antique  famille  de 
ses  rois,  des  alliances  qu'elle  y  contracte  et  de 
l'influence  qu'elle  y  exerce.  « 

Le  20  février,  S.  A.  R.  M'°<'  la  duchesse  de 
Chartres  donna,  en  l'honneur  du  duc  de  Bragance, 
une  brillante  réception,  à  laquelle  assistaient  M.  le 
comte  de  Paris,  Madame  la  comtesse  de  Paris  et  la 
princesse  Amélie.  Près  de  six  cents  personnes, 
appartenant  aux  différentes  classes  de  la  société, 
étaient  venues  pour  saluer  les  princes. 

Le  lendemain,  Madame  la  comtesse  deParis  par- 
tait pour  Madrid,  afin  d'y  assister  au  mariage  de  son 
frère,  le  prince  Antoine  d'Orléans  (dernier  enfant 
survivant  du  duc  de  Montpensier),  avec  la  prin- 
cesse Eulalie,  sœur  du  feu  roi  d'Espagne,  Al- 
phonse XII,  qui  avait  connu  et  approuvé  ce  pro- 
jet d'union  quelques  semaines  avant  sa  mort. 
Retardé  de  quelques  jours,  par  suite  d'une  maladie 
de  la  jeune  princesse,  le  mariage  fut  célébré,  à 
Madrid,  dans  la  chapelle  du  Palais-Royal,  le  sa- 
medi 6  mars. 

La  veille  au  soir,  vers  neuf  heures,  il  avait  été 
procédé  d'une  manière  intime  aux  fiançailles,  dont 
le  cérémonial  est  réglé  par  l'étiquette  de  la  cour 

19 


290  MARIAGE    DU    PRINCE    ANTOINE    d'orLÉANS 

d'Espagne,  mais  que  le  deuil  de  la  famille  royale 
obligeait  à  restreindre  aux  indispensables  for- 
malités. La  reine  régente  Christine  occupait  le 
trône,  ayant  auprès  d'elle  Madame  la  comtesse  de 
Paris,  la  reine  Isabelle,  le  duc  et  la  duchesse  de 
Montpensier,  le  duc  de  Chartres,  les  infants  et 
infantes  d'Espagne.  Tout  le  monde  était  en  noir  ; 
seule,  la  princesse  Eulalie  portait  sur  la  poitrine 
un  nœud  de  violettes  et  de  fleurs  d'oranger,  et 
les  dames  de  la  cour  le  ruban  rouge  d'ordonnance. 
En  sa  qualité  de  notaire  royal,  le  ministre  de  la 
justice,  M.  Alonso  Martinez,  donna  lecture  du 
contrat,  qui  fut  signé  par  toute  la  famille  royale. 

Le  lendemain  matin,  à  onze  heures,  le  cardinal 
patriarche  des  Indes  célébrait  l'union  des  jeunes 
princes.  Après  la  lecture  de  l'épitre  de  saint  Paul, 
crosse  en  main,  mitre  en  tète,  il  bénissait  les  an- 
neaux et  les  treize  pièces  de  monnaie  que  l'époux, 
suivant  l'usage  espagnol,  doit  donner  à  l'épouse  : 
c'étaient  treize  onces  d'or,  dont  huit  à  l'effigie  du 
roi  Philippe  V  et  cinq  à  celle  du  roi  Ferdinand  YI. 
Sous  l'éclatant  uniforme  de  lieutenant  des  hus- 
sards de  la  princesse,  le  prince  Antoine,  qui  por- 
tait les  insignes  de  la  Toison  d'or  et  le  grand- 
cordon  de  Charles  III,  avait  grand  air,  tandis  que 
la  princesse  Eulalie,  charmante  avec  sa  robe  blan- 
che et  ses  blonds  cheveux,  attirait  les  regards. 
A  quatre  heures,  un  tiain  spécial  emportait  vers 
Aranjuez  les  jeunes   mariés,  qui  arrivèrent    une 


MORT    DE    M™"    LA    COMTESSE    DE    CHAMBORD  291 

heure  après  dans  cette  magnifique  résidence 
royale,  que  Philippe  II  avait  fait  construire  à  huit 
lieues  de  Madrid,  dans  la  délicieuse  vallée  au  mi- 
lieu de  laquelle  le  Jarama  apporte  au  Tage  le  tribut 
de  ses  eaux.  C'est  sous  les  beaux  ombrages  de  cette 
retraite  que  le  couple  princier  abrita  les  premiers 
jours  d'une  union  attendue  depuis  longtemps. 

M.  le  comte  de  Paris,  resté  à  Paris,  se  rendait, 
accompagné  du  duc  d'Orléans  et  du  marquis  de 
Dampierre,présidentdelaSociétédes  Agriculteurs 
de  France,  au  concours  général  agricole  du  palais 
de  l'Industrie,  qu'il  visitait  en  détail  pendant  deux 
jours.  Puis  il  partait  avec  la  princesse  Amélie  et 
son  fiancé,  le  duc  de  Bragance,  pour  Cannes,  où 
Madame  la  comtesse  de  Paris  devait  le  retrouver  à 
son  retour  d'Espagne. 

C'est  à  Cannes  que  M.  le  comte  de  Paris  reçut 
la  nouvelle  de  la  mort  de  l'auguste  veuve  de  M.  le 
comte  de  Chambord.  Le  prince  répondit  immédia- 
tement par  la  dépêche  suivante  : 

Cannes,  25  mars  1886,  7  h.  32. 

Je  vous  remercie  de  votre  dépêche,  qui  m'a  vivement 
attristé.  Je  ferai  dire  samedi,  à  midi,  une  messe  à  ma 
paroisse,  à  Cannes.  Nous  prenons  le  deuil. 

Philippe,  comte  de  Paris. 

Le  prince  assista  à  cette  messe,  ainsi  que  tous 
les  membres  de  la  famille  royale  présents  à  Can- 
nes, et  prescrivit  un  deuil  de  trois  mois. 


292  l'incident  de  la  rue  vi vienne 

Le  jour  du  départ  de  M'"*  la  princesse  Amélie 
approchait.  M. le  comte  deParis  et  Madame  la  com- 
tesse de  Paris  étaient  revenus  à  Paris.  Le  mercredi 
5  mai,  ils  s'étaient  rendus  en  voiture,  à  une  heure 
et  demie,  chez  M.  Ghalot,  photographe,  18,  rue 
Vivienne.  La  voiture  ayant  été  reconnue,  un  ras- 
semblement se  forma  rue  Vivienne;  le  cocher  fit 
alors  entrer  la  voiture  dans  la  cour  de  la  maison  ; 
mais  peu  après  il  reçut  l'ordre  de  se  rendre  sur 
la  place  du  Palais-Royal,  afin  de  laisser  disperser 
la  foule. 

M.  le  comte  de  Parissortit  à  troisheures  et  demie 
de  chez  le  photographe,  donnant  le  bras  à  Madame 
la  comtesse  de  Paris.  La  foule  s'était  encore 
accrue  ;  plusieurs  personnes  se  découvrirent  ;  le 
prince  rendit  les  saluts  qui  lui  étaient  adressés, 
suivit  à  pied  la  rue  Vivienne  et  la  galerie  Mont- 
pensier  pour  entrer  chez  M.  Leroy,  bijoutier,  tou- 
jours accompagné  par  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes. Salué  avec  empressement,  le  prince,  pour 
ne  pas  provoquer  de  rassemblement,  sortit  par  la 
rue  Montpensier  et  rejoignit  sa  voiture,  place  du 
Palais-Royal,  reconnu  et  salué  sans  qu'aucun  cri 
eut  été  poussé.  Tout  se  borna  donc  à  de  nom- 
breuses marques  de  respectueuse  symj)athie  ; 
cependant  les  feuilles  républicaines,  avec  la  j)lus 
insigne  mauvaise  foi,  dénaturèrent  ce  très  simple 
incident,  et  imaginèrent  de  dire  que,  pour  échap- 
per aux   silïlets,   le  prince   avait   dû  prendre,   en 


ADIEUX    AUX    HABITANTS    d'kU  293 

toute  hâte,  un  fiacre.  Autant  de  mots,  autant 
d'erreurs;  mais  peut-on  demander  un  récit  véri- 
dique  à  l'esprit  de  parti  ? 

M.  lecomte  de  ParisetMadamelacomtessedePa- 
ris  retournèrent  à  Eu.  Les  habitants  s'empressèrent 
de  se  rendre  auprès  de  la  princesse  Amélie  pour 
lui  faire  leurs  adieux.  Les  manifestations  les  plus 
touchantes  se  produisirent  pendant  les  derniers 
jours  que  la  jeune  princesse  passa  à  Eu. 

Au  moment  du  départ  de  la  princesse,  un  maître 
tonnelier  fit  demander  l'autorisation  de  lui  pré- 
senter ses  respects.  Il  fut  admis  aussitôt  près  de 
la  famille  royale  :  «  Monseigneur,  dit-il  à  M.  le 
comte  de  Paris,  il  y  a  quarante  ans.  Madame  votre 
mère,  de  passage  à  Orléans,  fut  informée  qu'un 
pauvre  ouvrier  tonnelier  venait  d'être  légèrement 
blessé  dans  la  cour  de  la  maison  où  elle  était  des- 
cendue. Elle  voulut  le  voir,  et  lui  remit  un  double 
louis.  Cet  ouvrier,  c'était  moi  ;  le  double  louis,  le 
voici  :  J'ai  eu  bien  de  la  misère,  et  cependant  ja- 
mais je  n'ai  voulu  m'en  séparer.  En  fin  de  compte, 
il  m'a  porté  la  chance....  Je  suis  patron  aujour- 
d'hui, et  à  mon  aise.  Voulez-vous  me  permettre 
d'offrir  à  votre  fille  le  porte-bonheur  qui  me  vient 
de  sa  grand'mère  ? » 

M.  le  comte  de  Paris,  très  touché,  serra 

vigoureusement  la  main  du  brave  homme,  tandis 
que  la  jeune  princesse,  prenant  la  petite  boite  que 
le  visiteur  tendait,  lui  dit,  les  larmes  aux  yeux  : 


294  LA    SOIRÉE    DU    15    MAI 

«  Je  vous  remercie  beaucoup,  Monsieur,  c'est  un 
des  souvenirs  les  plus  chers  que  j'emporterai  de 
mes  amis  de  France.  » 

Le  samedi  15  mai,  M.  le  comte  de  Paris  ouvrait 
les  portes  de  son  hôtel  do  la  rue  de  Varennes,  57. 
Cet  hôtel  avait  été  commencé  en  1721,  sous  la 
Régence.  M.  de  Gourtonne,  architecte  du  roi, 
en  fit  le  plan  et  la  construction  pour  M.  le 
prince  de  Tingry,  plus  connu  sous  le  titre 
de  maréchal  de  Montmorency.  Deux  ans  après, 
l'hôtel,  inachevé,  fut  vendu  à  M.  de  Matignon, 
comte  de  Thorigny.  Pendant  tout  le  dix-huitième 
siècle,  l'hôtel  appartint  successivement  au  duc  de 
Valentinois,  au  prince  de  Monaco,  puis  à  un  An- 
glais, M.  Crawford. 

Après  la  Révolution,  le  prince  de  Talleyrand,alor  s 
ministre  des  affaires  étrangères,  en  fit  l'acquisition 
et  y  donna  des  fêtes.  Napoléon  I"  se  le  fit  céder  par 
son  ministre  (qui  acheta  alors  un  hôtel  rue  Saint- 
Florentin  ,  aujourd'hui  au  baron  Alphonse  de 
Rothschild),  et  c'est  ainsi  que  l'hôtel  de  la  rue  de 
Varennes  passa  dans  le  Domaine. 

A  l'époque  du  mariage  de  M.  le  duc  de  Bcrry, 
Louis  XVIII,  désirant  établir  son  neveu  au  pa- 
lais de  l'Elysée,  propriété  de  M™"  la  duchesse  de 
Bourl)on,  l'échangea  avec  cette  princesse.  Celle- 
ci  l'habita  et  y  mourut,  le  léguant  à  sa  nièce 
S.  A.  R.  M'"''  Adélaïde,  sœur  du  roi  Louis- 
Philippe,  qui,  a  son  tour,  le  laissa  à  S.  A.  R.  le 


l'hôtel  galliera  295 

duc  de  Montpensier.  En  1848,  le  général  Cavai- 
gnac,  président  de  la  République,  l'habita  jusqu'à 
l'élection  de  Louis-Napoléon  à  la  présidence. 
Enfin,  en  1853,  le  duc  de  Galliera  acquit  cet 
hôtel,  un  des  plus  grands  et  des  plus  beaux 
du  faubourg  Saint-Germain.  A  sa  mort,  il  de- 
vint la  propriété  de  M™^  la  duchesse  de  Galliera. 
Celle-ci  mit  tout  le  rez-de-chaussée  et  le  jardin, 
un  véritable  parc,  à  la  disposition  de  M.  le  comle 
de  Paris,  qui  y  descendait  chaque  fois  qu'il  se  ren- 
dait à  Paris. 

Quatre  mille  invités  environ,  de  neuf  heures  du 
soir  à  une  heure  du  matin,  se  présentèrent  à  l'hô- 
tel Galliera  pour  offrir  leurs  hommages  à  M.  le 
comte  de  Paris  et  à  M""*  la  princesse  Amélie. 
Dans  le  cœur  de  tous  ceux  qui  s'associaient  avec 
un  respectueux  empressement  à  la  joie  causée 
par  ce  mariage  à  la  famille  royale ,  il  y  avait 
un  sentiment  de  fierté  nationale,  que  seuls  sont 
incapables  de  comprendre  ceux  qui  ignorent  le 
passé  de  la  France.  La  maison  de  Bourbon,  dont 
les  destinées  furent  confondues  pendant  tant  de 
siècles  avec  celles  de  la  nation,  garde  et  gardera 
toujours  dans  le  monde  la  glorieuse  place  que 
l'histoire  lui  a  donnée.  Le  15  mai,  les  ambassa- 
deurs des  puissances  étrangères  étaient  là  pour 
en  témoigner.  C'est  le  souvenir  du  noble  pays 
que  ses  aïeux  avaient  fait  si  puissant,  si  prospère, 
que  M"^  la  princesse  Amélie  allait  faire  revivre 


296  s.  A.  R.    LA   PRINCESSE    AMELIE 

chez  un  peuple  ami.  La  France  ne  pouvait  y 
être  représentée  avec  plus  de  vertu  et  de 
distinction  souveraine.  Dans  cette  soirée  du 
15  mai,  au  moment  où  la  princesse  Amélie  allait 
quitter  le  sol  de  la  vieille  patrie  française,  tous 
se  réjouissaient  à  cette  pensée  que  c'était  la  France 
que  le  Portugal  allait  saluer  et  aimer  en  elle. 

Grâce  à  une  sage  prévoyance,  la  fête  se  passa 
dans  le  plus  grand  ordre.  L'attitude  calme  et  sym- 
pathique de  la  foule,  qui  se  pressait  aux  abords  de 
l'hôtel,  rendait  la  tâche  facile  aux  agents.  Le  mar- 
quis de  Beauvoir  était  chargé  de  présenter  les  in- 
vités à  Madame  la  comtesse  de  Paris,  auprès  de  qui 
se  tenait  la  jeune  princesse,  vêtue  d'une  robe  de 
tulle  blanc  très  simple,  et  ravissante  de  grâce 
et  de  beauté.  Madame  la  comtesse  de  Paris  accueil- 
lait tous  ceux  qui  avaient  l'horneur  de  la  saluer 
avec  la  plus  parfaite  aftabilité,  pendant  qu'un  peu 
plus  loin  M.  le  comte  de  Paris  tendait  la  main 
aux  arrivants,  trouvant  pour  chacun  un  mot  ai- 
mable ou  un  remerciement  délicat. 

Dans  les  autres  salons  se  trouvaient  S.  A.  L  le 
grand-duc  et  la  grande-duchesse  Wladimir  de 
Russie,  entourés  de  LL.  AA.  RR.  le  duc  de  Ne- 
mours, le  duc  d'Aumale,  le  prince  et  la  princesse 
de  Joinville,  le  duc  et  la  duchesse  de  Chartres,  le 
prince  et  la  princesse  Gzartoryski,  la  princesse  Blan- 
che de  Nemours,  la  princesse  Hélène,  deuxième 
fille  de  M.  le  comte  de  Paris;  la  princesse  Margue- 


CADEAUX   FAITS    A   LA    PRINCESSE  297 

rite  de  Chartres,  et  son  frère  le  prince  Henri.  On 
remarquait  beaucoup  un  jeune  homme  au  type 
bourbonnien,  à  la  figure  intelligente,  à  l'œil  vif 
et  spirituel,  M^""  le  duc  d'Orléans,  auprès  de  sa 
grande- tante  M™®  la  princesse  Clémentine  de 
Saxe-Cobourg  et  Gotha,  accompagnée  de  l'un  de 
ses  fils,  le  prince  Ferdinand.  Presque  tous  les 
membres  du  corps  diplomatique  étaient  pré- 
sents, ainsi  que  les  représentants  de  la  plus 
ancienne  noblesse  de  France,  mêlés  à  l'élite 
du  monde  des  sciences,  des  lettres,  des  arts, 
de  la  magistrature.  Par  un  sentiment  de  déli- 
catesse facile  à  comprendre,  aucun  militaire  en 
activité  de  service  n'avait  été  invité. 

Dans  une  vaste  pièce  avait  été  installé  un  buffet 
somptueusement  servi  et  décoré  de  verdure  et  de 
fleurs  à  profusion.  Mais  la  principale  attraction 
était  le  grand  salon  du  milieu,  où  l'on  avait  exposé 
les  cadeaux  faits  à  la  princesse.  On  admirait 
beaucoup  les  dentelles  du  trousseau,  sorties  de 
la  fabrique  de  MM.  Lefébure  :  M.  le  comte  de 
Paris  avait  tenu  à  ce  qu'elles  fussent  toutes  ache- 
tées en  France.  Le  chef-d'œuvre  d'orfèvrerie  de 
M.  Froment-Meurice,  la  Nef  de  la  ville  de  Paris, 
en  argent,  supportée  par  une  sirène,  magnifique 
souvenir  offert  par  une  souscription  parisienne, 
attirait  tous  les  regards  *. 

1.  Le  lecteur  sera  sans  doute  curieux  d'avoir  la  nomenclature 


298  ADRESSE   DES    CATHOLIQUES    DE    TWICKENHAM 

Vers  une  heure  du  matin,  un  souper  de  quatre- 
vingts  couverts  réunissait  les  princes  de  la  mai- 
son de  France ,  le  grand-duc  et  la  grande-du- 
chesse Wladimir  de  Russie,  le  comte  d'Azevedo, 
premier  secrétaire  de  la  légation  du  Portugal,  et 
quelques  personnes  de  la  maison  des  princes.  A  la 
fin  du  souper,  S.  A.  R.  le  duc  de  Chartres  porta  le 
toast  suivant  : 

«  Avec  la  permission  de  mon  frère,  et  comme  le 
plus  proche  parent  de  la  future  duchesse  de  Bra- 
gance,  je  porte  un  toast  à  son  bonheur,  me  faisant 
l'interprète  des  vœux  et  des  regrets  de  tous  les 
Français  ici  présents.  » 

Nul  mieux  que  celui  qui  fut  Robert  le  Fort  ne 
pouvait  être  l'interprète  de  la  France  monar- 
chique auprès  de  M"'  la  princesse  Amélie. 

Les  habitants  catholiques  de  Twickenham,  où 
est  née  M"""  la  princesse  Amélie,  avaient  fait  re- 
mettre à  M.  le  comte  de  Paris,  à  l'occasion  du  pro- 
chain mariage  de  la  ])rincesse,  une  adresse  où  ils 
lui  exprimaient  leurs  sentiments  de  joie  et  le  sou- 
venir de  respectueuse  gratitude  qu'ils  gardaient 
du  séjour  de  la  famille  royale  dans  leur  ville. 

Avant  de  partir  pour  Lisbonne,  M.  le  comie  de 
Paris  adressa  au  R.  P.  Ryan,  curé  de  la  paroisse 
catholique  de  Twickenham,  la  lettre  suivante  : 

complète  des  cadeaux,  splendides  (avec  le  nom  des  donateurs), 
offerts  à  M™"  la  princesse  Amélie.  11  trouvera  cette  liste  à  l'Ap- 
pendico. 


DÉPART    POUR   LE    PORTUGAL  299 

17  mai  1886. 

Mon  Révérend  Père, 

J'ai  reçu  l'adresse  de  félicitations  à  l'occasion  du  mariage 
de  ma  fille  Amélie  avec  le  prince  royal  de  Portugal,  signée 
par  les  membres  les  plus  éminents  de  la  communauté  ca- 
tholique de  Twickenham.  La  comtesse  de  Paris,  et  moi- 
même,  sommes  très  sensibles  à  ce  témoignage  de  sympathie 
des  habitants  de  la  ville  où  nous  avons  passé  les  six 
premières  annés  de  notre  vie  conjugale,  et  où  nos  premiers 
enfants  ont  vu  le  jour.  Notre  fille  Amélie  n'a  pas  oublié 
que,  par  naissance,  elle  est  un  enfant  de  Twickenham,  et 
elle  est  très  heureuse  du  souvenir  qui  lui  est  gardé,  en  par- 
ticulier par  nos  frères  catholiques.  Vos  vœux  de  bonheur 
et  de  prospérité  dans  sa  nouvelle  patrie  appelleront  sur 
elle,  je  l'espère,  la  bénédiction  de  Dieu.  Veuillez  trans- 
mettre nos  meilleurs  remerciements  à  tous  les  signataires 
de  l'adresse, et  croyez  moi  votre  sincère, 

Philippe,  comte  de  Paris. 

Le  lundi  17  mai,  à  six  heures  du  soir,  un  train 
spécial,  composé  de  plusieurs  wagons-salons,  par- 
tait de  la  gare  d'Orléans  pour  conduire  à  Lisbonne 
M,  le  comte  de  Paris,  Madame  la  comtesse 
de  Paris,  S.  A.  R.  la  princesse  Amélie;  son  frère, 
le  duc  d'Orléans;  sa  sœur,  la  princesse  Hélène; 
le  duc  de  Chartres  ;  le  duc  d'Aumale  ;  la  princesse 
de  Joinville,  la  princesse  Clémentine  de  Saxe- 
Cobourg  et  Gotha,  et  son  fils  le  prince  Ferdinand. 

M.  le  comte  de  Paris  était  accompagné  par  un 
de    ses    plus    anciens  serviteurs,   le   marquis   de 


300  LA    SUITE    DES    PRINCES 

Beauvoir,  A  un  dévouement,  qui  est  de  tradition 
dans  sa  famille,  ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut,  le 
marquis  de  Beauvoir  joint  une  grande  facilité  de 
travail,  et  des  qualités  qui  justifient  l'amitié  dont 
M.  le  comte  de  Paris  l'honore  depuis  son  enfance. 

Sous  la  présidence  du  maréchal  de  Mac  Mahon, 
il  était  sous-chef  du  cabinet  de  M.  le  duc  Decazes, 
ce  remarquable  ministre  des  afl'aires  étrangères, 
ce  fin  diplomate,  qui  rendit  à  la  France  de  si  émi- 
nents  services,  et  dont  le  parti  royaliste  déplore 
tous  les  jours  la  perte. 

M.  le  comte  de  Paris  apprécie,  au  plus  haut 
point,  les  services  du  marquis  de  Beauvoir,  et  sa 
rare  activité.  Son  caractère  aimable,  sympathique, 
son  aménité  ,  lui  ont  fait  de  nombreux  amis. 
Homme  d'action,  toujours  sur  la  brèche  depuis 
plus  de  vingt  ans,  il  est  un  de  ces  fidèles,  ardem- 
ment dévoués  au  Prince,  et  qui,  sans  se  lasser 
jamais,  travaillent  au  succès  d'une  cause  pour 
laquelle  il  saurait  donner  sa  vie. 

Venaient  ensuite  :  le  comte  d'Haussonville, 
le  capitaine  Morhain,  M.  Camille  Uupuy,  secré- 
taire particulier  de  Monseigneur,  le  docteur  Gué- 
neaude  Mussy;le  marquis  de  Bouille  accompagnait 
le  duc  de  Chartres;  le  vicomte  de  Chazelle,  M.  le 
duc  d'Aumale;  la  comtesse  de  Barrai  et  son  fils, 
le  comte  de  Barrai,  M'"'"  la  princesse  de  Joinvillc; 
puis  enfin  M.  Froment,  précepteur  du  duc  d'Or- 
léans; M™"   la   vicomtesse  de  Butler,  dame  d'hon- 


DE    PARIS    A    LA    FRONTIÈRE  301 

neur  de  Madame  la  comtesse  de  Paris,  et  M""  Le- 
vavasseiir,  institutrice  des  princesses.  Deux  per- 
sonnes, seulement,  invitées  par  le  prince  :  le  duc 
de  Noailles  et  le  duc  de  la  Trémoïlle.  M.  le  comte 
de  Paris  ayant  exprimé  le  désir  que  personne,  en 
dehors  de  sa  famille,  ne  vînt  à  la  gare  du  chemin 
de  fer  d'Orléans,  quelques  anciens  amis  avaient 
demandé  la  permission  de  venir  dire  adieu  à 
M"®  la  princesse  Amélie  et  furent  reçus  rue  de 
Varennes,  de  une  heure  à  trois  heures. 

A  six  heures  précises,  le  train  quittait  la  gare 
d'Orléans.  Aux  principales  villes  de  France,  où 
l'on  s'arrêtait,  de  fidèles  amis  venaient  saluer  les 
princes,  et  apporter  des  fleurs  à  la  princesse.  Sur 
toute  la  ligne,  de  Paris  à  la  frontière  espagnole, 
grande  affluence.  Cette  union  avait  fait  grand  bruit 
dans  toute  la  France,  et  le  peuple,  l'ouvrier  comme 
le  paysan,  cherchait  à  voir  M.  le  comte  de  Paris  et 
la  jeune  princesse;  les  journaux  illustrés  qui  re- 
produisaient son  portrait  étaient  achetés  en  grand 
nombre  par  la  foule.  A  Blois,  où  le  train  cependant 
ne  s'arrêtait  pas  et  ne  faisait  que  ralentir  un  peu 
sa  marche,  une  foule,  que  l'on  peut  évaluer  à  cinq 
ou  six  cents  personnes,  se  pressait  aux  barrières. 
A  Tours,  à  Poitiers,  à  Bordeaux,  même  sympa- 
thique affluence. 

Le  matin,  on  arriva  à  la  frontière  espagnole,  à 
Irun;  M.  le  comte  de  Paris  y  reçut  une  dépêche  de 
la  reine  régente  d'Espagne,  lui  apprenant  qu'elle 


302    ENTHOUSIASME  EN  ESPAGNE  ET  EN  PORTUGAL 

venait  de  mettre  au  monde  un  fils,  le  roi  Alphonse 
XIII.  Les  voyageurs  déjeunèrent  à  Miranda,  et 
dînèrent  à  Mcdina  ;  les  repas  avaient  été  com- 
mandés par  le  roi  de  Portugal.  Avant  d'arriver  à 
Salamanque  un  curieux  incident  se  produisit  :  le 
train  fut  obligé  de  s'arrêter,  plusieurs  milliers  de 
personnes  s'étaient  mis  en  travers  des  rails,  vou- 
lant absolument  saluer  et  acclamer  les  augustes 
représentants  de  la  dynastie  qui  a  donné  les  Bour- 
bons à  PEspagne.  Au  milieu  de  la  nuit,  les  étu- 
diants de  l'Université  de  Salamanque  donnèrent 
une  sérénade  à  la  princesse. 

C'est  à  neuf  heures  et  demie  du  matin  que  le  train 
fitson  entrée  dans  le  royaume  de  Portugal,  à  lagare 
de  Villar-Formoso.  Il  tombe  une  pluie  torren- 
tielle; la  foule  ne  s'en  émeut  pas,  et  les  Portugais 
considèrent,  selon  l'adage  populaire  :  noces  mouil- 
lées, noces  bénies.  Ce  temps  est  donc  de  bon 
augure.  Les  feux  d'artifice  tirés  pendant  la  nuit, 
sur  le  passage  du  train,  les  sérénades  malgré  la 
pluie,  les  cris  de  joie  des  paysans,  l'empresse- 
ment de  tous  à  venir  acclamer  les  voyageurs,  im- 
pressionnent la  princesse  Amélie,  et  lui  prouvent 
qu'avant  môme  d'être  connue,  elle  a  gagné  le 
cœur  du  peuple  portugais.  Que  sera-ce  quand  la 
princesse  aura  pu  montrer  les  qualités  morales  et 
intellectuelles  qui  font  de  la  fille  aînée  de  M.  le 
comte  de  Paris  une  des  princesses  les  plus  accom- 
plies de  notre  temps  ? 


OVATIONS    FAITES    A   LA   PRINCESSE  303 

Jadis  l'ancien  cérémonial  monarchique  prescri- 
vait qu'à  la  frontière  des  Etats  de  son  futur  époux 
la  princesse  revêtit  une  toilette  complètement  nou- 
velle, et  ne  gardât  sur  elle  aucun  vêtement  venant 
de  son  pays  natal.  Ainsi  fut-il  fait  pour  Marie- 
Thérèse  quand  elle  épousa  Louis  XIV,  pour  Marie 
Leczinska  et  Marie-Antoinette,  quand  elles  épou- 
sèrent Louis  XV  et  Louis  XVI.  Aujourd'hui,  cet 
usage  est  abandonné.  Cependant,  à  Santa-Gomba- 
Daô,  S.  A.  R.  la  princesse  Amélie  revêt  une  toilette 
nouvelle,  bleue  et  blanche,  aux  couleurs  portu- 
gaises. La  princesse  est  sur  la  terrasse  du  wagon  : 
le  train  s'arrête,  et  à  peine  a-t-elle  aperçu  le  jeune 
prince  qu'elle  saute  du  wagon,  et  sans  songer  à 
l'étiquette,  elle  embrasse,  devant  la  foule,  son 
fiancé  le  duc  de  Bragance.  Cette  simplicité,  cette 
bonne  grâce,  ravissent  les  spectateurs  ;  les  mou- 
choirs et  les  éventails  s'agitent,  ce  n'est  qu'un 
long  cri  :  Vivent  les  princes  !  Les  députations  se 
succèdent,  à  chaque  station  les  ovations  se  renou- 
vellent, même  foule,  l'enthousiasme  tient  du  délire. 
Les  gerbes  de  fleurs  s'amoncellent  :  on  joue 
Phymne  national  portugais.  A  Coimbre,  Pombal, 
Santarem,  Alhandra,  Sacavem,  le  convoi  est  ac- 
clamé. A  Pampilhosa,  trois  petites  filles  apportent 
des  fleurs  à  la  princesse,  en  efTeuillant  des  roses 
sur  son  passage.  On  les  hisse,  une  à  une,  dans  le 
wagon,  où  la  princesse  tient  à  les  remercier  toutes 
trois  en  les  baisant  au  front.   Pour  tous   ceux  qui 


304  ARRIVEE   A   LISBONNE 

l'approche-nt  elle  a  un  mot  gracieux,  A  Goïmbre, 
une  femme  du  peuple,  tenant  sur  son  épaule  un  en- 
fant, lui  disait,  pendant  que  laprincesse  regagnait 
son  wagon  :  «  Regarde  bien  notre  belle  princesse  et 
envoie-lui  des  baisers.  »  L'enfant  obéit.  Aussitôt 
la  princesse  Amélie,  quittant  le  bras  de  son  fiancé, 
s'approche  de  la  balustrade  du  chemin  de  fer, 
embrasse  sur  les  deux  joues  le  «  menino  »  portu- 
gais. Lanière  se  met  à  pleurer  de  joie  et  d'orgueil, 
etla  foule  redouble  d'enthousiasme  et  d'applaudis- 
sements. Enfin,  vers  cinq  heures  un  quart,  le  train 
entre  en  gare  de  Lisbonne  :  les  murs  sont  couverts 
de  fleurs  et  de  feuillage,  et  pavoises  des  écussons 
de  Bourbon  et  de  Bragance,  les  trois  fleurs  de  lis 
de  France  alternent  avec  les  tours  de  Bragance,  et 
le  drapeau  tricolore  français  avec  le  drapeau  blanc 
et  bleu  de  Portugal.  Le  roi  et  la  reine  de  Portu- 
gal, le  duc  d'Aoste,  frère  de  la  reine,  toute  la  cour 
et  le  corps  diplomatique,  attendent  le  convoi. 

A  peine  descendue,  la  princesse  Amélie  baise  la 
main  de  la  reine  Maria-Pia,  qui  la  serre  dans  ses 
bras.  D'aff'ectueux  compliments  sont  échangés 
entre  le  roi,  M.  le  comte  de  Paris  et  les  princes; 
les  présentations  faites,  on  quitte  la  gare.  Les 
habitants  de  Lisbonne  passent  pour  être  froids; 
mais  leur  flegme  ne  peut  tenir  devant  le  charmant 
visage  de  la  princesse  Amélie.  La  réputation  de 
grâce  et  de  beauté  de  la  princesse  l'avait  précédée 
en  Portugal,  cependant   la  réalité  dépasse  telle- 


DE   LA    GARE   AU    PALAIS  305 

ment  l'attente  des  Portugais,  qu'ils  sont,  en  dépit 
de  leurs  habitudes,  entraînés  à  des  démonstrations 
inattendues. 

Lisbonne  est  une  ville  de  250,000  habitants, 
bâtie  en  amphithéâtre  sur  plusieurs  collines,  domi- 
nant la  rive  droite  du  Tage.  Son  développement 
le  longde  la  baie,  à  l'embouchure  du  fleuve  couvre 
une  étendue  d'une  dizaine  de  kilomètres.  La  baie 
était  toute  remplie  de  navires  pavoises. 

Sur  les  deux  rives  du  Tage,  de  vastes  édifices, 
des  palais,  des  églises,  des  milliers  de  villas,  sont 
aussi  pavoises,  des  guirlandes  de  fleurs  partout, 
et  à  travers  la  verdure  et  les  roses,  un  ciel  bleu, 
et  un  soleil  d'or  baigne  le  paysage  d'une  lumière 
éclatante. 

Le  cortège  royal  quitte  la  gare,  les  voitures  vont 
au  pas,  au  milieu  d'une  foule  immense  :  le  peuple 
est  partout,  sur  les  arbres,  les  monuments,  les 
toits;  chaque  fenêtre  est  occupée,  tous  crient: 
Vive  le  roi;  vive  la  princesse!  vivent  les  princes  !... 

La  princesse  Amélie  avait  pris  place  à  côté  de 
la  reine  Maria  Pia  dans  une  calèche  découverte  à 
quatre  chevaux,  conduits  à  la  d'Aumont,  Devant 
les  deux  princesses,  se  tenaient  le  duc  de  Bra- 
gance  et  M.  le  comte  de  Paris.  Dans  une  seconde 
voiture,  également  à  quatre  chevaux,  venaient 
Madame  la  comtesse  de  Paris,  S.  A.  R.  la  princesse 
de  Joinville,  le  duc  d'Aoste,  et  le  roi  dom  Luiz. 
Un   peloton  de  cavalerie  fermait  la  marche.  Sur 

20 


306  BÉNÉDICTION   APOSTOLIQUE   AUX   FIANCÉS 

tout  le  parcours  du  cortège,  la  population  se  dé- 
couvrait avec  respect,  et  contemplait  avec  une 
vive  sympathie  la  future  princesse  royale.  De 
toutes  les  fenêtres,  on  jette  des  bouquets.  Enfin, 
à  sept  heures,  on  arrivait  au  palais  des  Necessi- 
dades ,  qui  avait  été  préparé  pour  les  princes 
d'Orléans.  De  ce  palais,  dont  les  jardins  sont  su- 
perbes, on  a,  sur  le  Tage  et  la  baie,  une  vue 
admirable. 

Les  princes  et  princesses  d'Orléans  purent  pren- 
dre alors  le  repos  nécessaire  après  un  long  et 
fatigant  voyage.  Les  Français,  témoins  des  ova- 
tions spontanées  du  peuple  espagnol  d'abord,  puis 
des  Portugais,  se  disaient  non  sans  un  certain 
orgueil,  que  l'Espagne  et  le  Portugal,  comme 
toute  l'Europe,  reconnaissent  dans  les  princes  de 
la  maison  de  Bourbon  les  représentants  les  plus 
illustres  de  la  nation  française. 

Sur  la  demande  du  roi  dom  Luiz,  l'ambassadeur 
du  Portugal  auprès  du  Saint-Siège  avait  prié  le 
Saint-Père  d'accorder  la  bénédiction  apostolique 
aux  fiancés.  Le  Souverain-Pontife  s'était  empressé 
de  déférer  à  ce  désir.  Léon  XIII  professe  une  vive 
affection  pour  les  deux  jeunes  princes:  il  connaît 
leurs  sentiments  de  piété  et  se  félicite  d'une  al- 
liance qui  est  pour  le  Portugal  un  gage  de  bon- 
heur. 

La  princesse  Amélie,  élevée  par  une  mère  pleine 
de  foi,  ne  pouvait   que  justifier  les  espérances  du 


11 

1 


AVANT    LE    MARIAGE  307 

Saint-Père.  Son  Altesse  avait  manifesté  l'intention 
de  communier  à  la  messe  de  mariage,  bien  que  la 
cérémonie  dût  se  clore  très  tard.  Elle  envisa2:eait 
avec  une  gravité  chrétienne  les  devoirs  que  sa 
nouvelle  situation  allait  lui  imposer,  et  elle  passa 
dans  une  sorte  de  retraite  les  heures  qui  la  sépa- 
raient de  la  solennité  du  lendemain.  La  princesse 
Amélie  n'a  rien  de  la  frivolité  de  ces  trop  nom- 
breuses jeunes  filles  qui  regardent  le  mariage 
comme  une  émancipation  de  la  tutelle  maternelle  : 
elle  a  l'esprit  sérieux  et  refléchi  de  son  aïeule,  la 
reine  Marie-Amélie.  Après  avoir  été  la  jeune  fille 
la  plus  docile,  elle  sera  la  femme  la  plus  attachée 
à  ses  devoirs,  et  la  princesse  royale  la  plus  digne 
de  son  rang. 

M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de 
Paris  accordèrent  très  peu  d'audiences.  Ils  vou- 
lurent réserver,  à  l'enfant  dont  ils  allaientse  sépa- 
rer, tout  le  temps  que  n'accaparaient  pas  les  exi- 
gences de  l'étiquette.  Les  Français  comme  les  Por- 
tugais s'inclinèrent  avec  respect  devant  un  désir  si 
légitime. 

Pendant  les  deux  jours  qui  précédèrent  le  ma- 
riage, les  20  et  21  mai,  il  y  eut  réception  intime  au 
palais.  Tout  ce  que  Lisbonne  compte  de  considé- 
rable dans  la  société,  l'armée,  l'administration, 
les  arts,  les  lettres,  alla  s'inscrire  au  palais  des 
Necessidades  chez  les  princes   d'Orléans. 

Le  samedi  22  mai,  il  faisait  un   temps  superbe. 


308  LE   JOUR   DU    MARIAGE 

et  comme  on  n'en  voit  que  dans  le  midi  de  l'Eu- 
rope*; un  peuple  enthousiaste  et  respectueux  se 
pressait  dans  les  rues,  avide  de  contempler  un 
splendide  cérémonial  qu'il  lui  est  donné  si  rare- 
ment d'admirer. 

Le  matin,  dès  les  premières  heures  du  jour, 
une  foule  immense  encombre  les  rues  de  Lisbonne 
par  lesquelles  doivent  passer  les  cortèges  pour 
se  rendre  à  l'église  de  Santa  Justa  et  Rufina,  où  le 
mariage  doit  être  célébré  à  une  heure  de  l'après- 
midi.  Cette  église,  connue  plutôt  sous  le  nom 
d'église  de  San  Domingo,  est  située  à  l'angle  de 
la  grande  place  du  Rocio,  où  se  trouve  la  statue  du 
roi  Pedro.  Ainsi  que  tous  les  monuments  de  Lis- 
bonne, il  a  été  construit  après  le  terrible  tremble- 
ment de  terre  de  1755,  qui  détruisit  entièrement 
la  ville.  La  tradition  rapporte  qu'il  ne  resta  de- 
bout de  l'ancien  édifice  que  l'autel  en  marbre 
blanc  et  noir  qui  subsiste  encore  aujourd'hui. 

Toutes  les  places  et  les  rues  principales  de 
Lisbonne  sont  décorées  de  mâts  garnis  d'étoffe 
rouge,  surmontés  de  la  couronne  royale  et  pavoi- 
ses de  trophées  de  drapeaux. 

L'aspect  général  de  l'église,  avec  les  tentures 
de  velours  et  de  soie  multicolores  dont  les  bro- 
deries d'or  étinccllcnt  sous  les  lumières  de  cen- 

1,  Nous  trouvons  les  détails  de  cette  belle  cérémonie  dans  le 
Moniteur  universel,  très  exactement  renseigné,  et  dans  une  bro- 
chure :   Voyage  en  Portugal,  par  le  comte  de  lîarral. 


l'église    SAN   DOMINGO  309 

taines  de  lustres  de  cristal,  est  des  plus  chauds  et 
des  plus  colorés.  Tout  au  fond,  on  aperçoit  l'au- 
tel avec  ses  hautes  colonnes  torses,  ses  gradins 
où  ont  pris  place  les  évêques ,  aux  costumes 
éclatants.  A  gauche,  le  dais  royal  dont  les  ten- 
tures de  velours  nacarat  fleurdelisées  d'or  sont 
relevées  sur  deux  hautes  colonnes  surmon- 
tées de  sphères  pour  rappeler  la  découverte 
des  Indes  par  les  Portugais.  A  droite,  l'estrade 
des  princes  d'Orléans,  en  velours  bleu  fleur- 
delisé d'or,  surmontée  de  la  couronne  royale. 
Entre  ces  deux  estrades,  au  centre  du  chœur, 
les  fauteuils  et  les  prie-Dieu  de  velours  bleu  où 
doivent  se  tenir  les  deux  fiancés  pendant  la  béné- 
diction nuptiale.  Une  couronne  ducale,  que  suppor- 
tent deux  anges  et  qui  par  une  touchante  allégorie 
est  décorée  des  torches  de  l'Hymen,  descend  de 
la  voûte  en  forme  de  baldaquin,  au-dessus  de  la 
tète  du  duc  de  Bragance  et  de  la  princesse  Amélie. 
A  gauche,  les  dames  de  la  cour  et  du  corps  diplo- 
matique, toutes  en  robes  décolletées  de  soie  bleu 
clair,  la  mantille  de  dentelles  blanches,  retenue 
au  chignon  par  un  haut  peigne  d'écaillé  blonde. 
Partout  étincelle  l'or  des  uniformes  :  fonction- 
naires civils  à  l'habit  brodé,  chambellans  à  la 
haute  canne  d'ivoire,  généraux  et  officiers  à  l'uni- 
forme noir  galonné  d'or  et  de  rouge,  suivant  le 
grade,  le  casque  à  la  main,  officiers  italiens  au  court 
veston  bleu  et  argent,   officiers  de  marine   espa- 


310  ARRIVÉE    DU    CORTÈGE    ROYAL 

gnols  à  l'habit  à  revers  écarlates,  officiers  de  la 
marine  italienne,  le  ruban  bleu  en  sautoir,  etc... 
Dans  l'intérieur  de  l'église,  encombré  de  verdure 
et  de  palmiers  verts,  ces  uniformes  font  un  effet 
magique. 

A  une  heure,  le  canon  tonne  au  loin.  Le  cortège 
royal  vient  de  quitter  le  palais  d'Ajuda.  Arrivent 
successivement  la  comtesse  de  Ficalho ,  dame 
d'honneur  de  la  reine  ;  l'ambassadeur  d'Espagne 
avec  les  deux  fils  du  duc  de  Fernan-Nunez,  le 
marquis  de  Valada  dans  son  superbe  carrosse  tout 
doré  et  orné  de  peintures  dans  le  genre  de  nos 
anciens  vernis  Martin  :  les  harnais  de  ces  atte- 
lages sont  couverts  d'ornements  en  acier  ciselé  ; 
les  domestiques  portent,  sans  exception,  la  perru- 
que poudrée  à  canons. 

Deux  heures  :  les  clairons  sonnent,  les  trou- 
pes laissent  tomber  la  crosse  à  terre  avec  un 
bruit  retentissant.  Le  cortège  royal  approche. 
Bientôt  apparaissent  les  flammes  blanches  et  rou- 
ges du  peloton  de  lanciers  d'avant-garde.  Toute 
cette  cavalerie,  la  crinière  noire  flottant  au  chapska 
rouge,  défile  au  grand  trot  et  va  se  placer  dans  une 
rue  voisine  de  l'église.  Vient  ensuite  une  troupe 
de  piqueurs  de  la  maison  royale  à  la  livrée  de 
Bragance,  écarlate  avec  les  galons  de  soie  multico- 
lore, frappés  de  la  grenade  de  velours  nacarat. 
Ils  vont  se  ranger  devant  réglisc,  et  saluent, 
portant  haut  leur  cravache.   Après  les  piqueurs, 


LES    ÉQUIPAGES    ROYAUX  311 

arrivent  des  cavaliers  à  l'uniforme  typique,  véri- 
table évocation  du  seizième  siècle.  Ce  sont  les  rois 
d'armes  de  Bragance.  Leur  chapeau  de  velours 
noir  de  la  Sainte-Hermandade  est  surmonté  d'un 
haut  panache  de  plumes  blanches  et  bleues,  le 
tabar  de  soie  cerise  broché  d'or  est  chargé  de 
sept  énormes  tours  d'argent  doré  et  d'un  large 
collier  d'or  aux  armes  royales.  Ils  portent  le  bas 
de  soie  noire.  Les  chevaux  ont  la  selle  du  siè- 
cle dernier,  capitonnée  de  velours  vert  et  galonnée 
d'or,  la  crinière  nattée  et  enrubannée,  et  sur  la 
têtière  un  panache  de  plumes  d'autruches. 

A  leur  suite,  arrivent  de  magnifiques  voitures 
dorées,  véritables  merveilles,  traînées  chacune 
par  dix  mules,  les  deux  premières  conduites  à  la 
d'Aumont.  Ces  lourds  carrosses  sont  surchargés 
d'ornements  dorés,  couverts  de  peintures  ;  les 
caisses  sont  suspendues  par  de  larges  courroies 
en  cuir  rouge.  Les  roues  colossales  mesurent 
deux  mètres  environ  de  diamètre. 

Ces  carrosses  sont  tous  du  dix-septième  et  du 
dix-huitième  siècle  et  ont  servi  à  dom  Joào  V,  à 
l'infant  dom  Francisco,  à  dom  José  1"%  à  dom 
Pedro  II,  à  Alphonse  VI,  etc. 

De  ces  équipages  descendent  la  comtesse  de 
Bertiandos  en  satin  bleu  et  blanc,  avec  tablier 
brodé  de  jais  blanc,  la  marquise  de  Funchal,  cama- 
reira  mor  de  la  reine;  les  officiers  d'ordonnance 
du  duc  d'Aoste,  dom  Augusto,  frère  du  roi;  en  uni- 


312  LES    PRINCES    ÉTRANGERS    A    LISBONNE 

forme  italien  le  duc  d'Aoste  ;  le  prince  Georges 
en  uniforme  de  commodore  anglais,  avec  le  grand 
cordon  du  Christ  ;  le  duc  de  Saxe-Cobourg  et  Go- 
tha, en  hussard  autrichien,  le  shako  rouge  à  haute 
aigrette,  la  pelisse  bleue  à  tresse  d'or  sur  les 
épaules.  Tous  s'arrêtent  à  l'entrée  de  l'église. 

La  musique  du  régiment  du  génie  joue  la  mar- 
che royale.  Un  énorme  carrosse  doré,  conduit  par 
huit  chevaux  gris  pommelé,  débouche  au  petit 
trot,  les  valets  de  pied  tenant  en  main  les  attelages. 
Ce  carrosse,  surmonté  de  huit  couronnes  royales 
et  orné  de  palmes  d'or,  est  appelé  carrosse  de  la 
couronne.  Il  fut  construit  par  ordre  de  dom 
Joào  V  pour  les  fêtes  du  mariage  de  son  fils,  le 
prince  dom  José,  avec  l'infante  d'Espagne  dona 
Maria  Anna. 

De  ce  carrosse  descendent  le  duc  de  Bragance 
portant  l'uniforme  de  capitaine  de  lanciers,  le  roi 
dom  Luiz  celui  de  général  de  division,  et  la  reine 
dona  Maria-Pia  dans  un  superbe  costume  copié 
sur  un  tableau  de  Rubens  :  Le  triomphe  de  Marie 
de  Médicis  ;  la  robe  est  en  velours  bleu  de  ciel, 
brodée,  dans  le  style  Louis  XllI,  ornée  de  casca- 
des de  perles  et  de  gerbes  de  diamants.  Le  manteau 
de  souveraine,  attaché  aux  épaules,  est  en  velours 
bleu  de  roi,  brodé  au  bas  de  guirlandes  pâles  se 
détachant  sur  un  fond  azur.  Un  semis  de  fleurs  de 
grenades  en  soie  blanche  remplace  seul  les  Heurs 
de  lis  de  France.  Sur  ses    beaux  cheveux  blonds 


ENTRÉE    DU    ROI    ET    DE    LA    REINE    A    L'ÉGLISE  313 

brille  un  diadème  de  dianianls  d'une  eau  et  d'une 
pureté  merveilleuses.  Les  gants,  très  longs  et  re- 
montant sur  des  bras  magnifiques,  sont  marqués 
au  chiffre  M.  P.,  et  la  couronne  royale  est  brodée 
en  couleur  sur  la  manchette  du  gant. 

A  leur  arrivée,  Leurs  Majestés  sont  reçues  par 
tous  les  grands  dignitaires  de  la  couronne  et  les 
princes  étrangers.  Après  s'être  placées  sous  un 
dais  de  soie  jaune  brodée  d'or,  que  supportent  les 
six  plus  anciens  marquis  de  la  noblesse  portu- 
gaise. Leurs  Majestés  se  dirigent  vers  le  trône 
royal,  la  camarera  mayor  portant  l'extrémité  de  la 
longue  traîne  de  la  reine.  L'orgue  joue  la  marche 
desBragance.  Le  cardinal-patriarche,  accompagné 
de  tout  son  clergé,  avec  les  parasols  de  satin,  les 
croix  d'or,  les  larges  éventails  de  plume,  reçoit 
Leurs  Majestés  et  les  conduit  à  leurs  places,  en 
marchant  au  milieu  d'une  haie  formée  par  les  ar- 
chers de  la  garde  royale,  qui  se  tiennent  immobiles 
et  la  tète  découverte,  la  hallebarde  au  port  d'armes. 

A  deux  heures  et  quart  de  nouvelles  sonneries 
retentissent.  Un  escadron  de  cavalerie,  précédé 
de  ses  batedores,  arrive  au  grand  trot  par 
la  place  Rocio.  Cette  fois  ce  sont  des  chas- 
seurs, la  crinière  noire  flottant  sur  le  casque,  la 
giberne  à  baudrier  de  cuir  blanc,  le  sabre  de 
Tolède  à  garde  d'acier,  le  mousqueton  porté  à  la 
botte.  C'est  Pavant-garde  du  cortège  des  princes 
d'Orléans. 


314  LES    PRINCES    FRANÇAIS    A   l'ÉGLISE 

Ce  cortège  est  également  composé  de  superbes 
carrosses  de  gala  de  la  couronne.  On  en  voit  des- 
cendre successivement  :1e  duc  de  la  Trémoïlle,  le 
duc  de  Noailles,  le  comte  d'IIaussonville,  le  marquis 
de  Beauvoir;  la  marquise  de  Rio-Mayor,  dame  d'hon- 
neur de  la  reine;  le  comte  de  Ficalho;dom  Alphonse, 
frère  du  ducdeBragance;  la  princesse  de  Joinville, 
en  toilette  de  jaisnoir  etde  soie  violette,  portant  le 
cordon  violet  et  blanc  de  l'ordre  espagnol  de  Marie- 
Louise  en  sautoir  ;  la  princesse  Hélène,  charmante 
de  grâce  dans  sa  robe  rose  au  corsage  garni  de 
perles,  le  cordon  rose  et  blanc  de  l'ordre  portu- 
gais d'Isabelle  en  sautoir;  le  duc  d'Aumale  et  le 
duc  de  Chartres,  tous  deux  portant  le  cordon  bleu 
foncé  de  l'ordre  militaire  portugais  de  la  Tour  et 
de  l'Epée  ;  le  duc  d'Orléans  avec  le  cordon  de  la 
Conception. 

Un  dernier  carrosse  à  pans  coupés  apparaît. 
C'est  le  carrosse  de  dom  Fernando,  qui  fut  cons- 
truit à  Rome  et  offert  par  le  pape  Clément  XI  au 
roi  dom  Joào.  La  royale  fiancée  en  descend,  elle 
est  en  toilette  de  mariée  :  robe  de  soie  blanche 
montante  et  voile  de  dentelles.  La  princesse  tient 
à  la  main  le  livre  d'heures  offert  par  les  dames  de 
la  Seine-Inférieure  ;  sur  la  reliure  en  ivoire  sont 
émaillées  les  armes  de  France  et  de  Bragancc. 

La  princesse  Amélie  estaccompagnéedesonpère 
et  de  sa  mère,  M.  le  comte  de  Paris  ayant  le 
cordon  rouge  et  vert  dos  ordres  réunis  de  Portugal. 


ENTRÉE    DE    S.  A.  R.    LA    PRINCESSE    AMELIE  315 

Madame  la  comtesse  de  Paris  porte  un  costume 
d'une  suprême  élégance  en  velours  frappé  ibis 
d'un  rose  très  doux  et  doré.  La  traîne  est  en  ve- 
lours de  Gênes.  Les  côtés  également  en  ve- 
lours d'un  dessin  plus  petit,  le  devant  ruisselant 
de  jais  blanc.  Corsage  décolleté  en  velours  ibis. 
Parure  diadème,  boucles  d'oreilles  et  rivière  en 
diamants  et  saphirs,  d'un  prix  inestimable.  En 
sautoir  le  cordon  portugais  de  l'ordre  d'Isa- 
belle. 

Après  un  instant  d'arrêt,  ce  second  cortège  se 
forme  avant  de  pénétrer  dans  l'église.  Le  duc  de 
Bragance,  présenté  par  le  grand-maître  des  céré- 
monies, et  précédé  du  capitaine  de  la  garde  royale, 
va  au-devant  de  son  auguste  fiancée. 

Celle-ci  entre  alors  dans  l'église,  au  bras  de 
son  père,  la  traîne  de  sa  robe  portée  par  M"*  Le- 
vavasseur.  Madame  la  comtesse  de  Paris  donne  le 
bras  au  prince  royal.  Les  deux  fiancés  prennent 
place  devant  leurs  prie-Dieu.  La  cérémonie  du 
mariage  commence.  Le  cardinal-patriarche  pro- 
nonce une  allocution  touchante  sur  les  devoirs 
qu'imposera  aux  nouveaux  époux  leur  haute  situa- 
tion. L'église  illuminée  de  166  lustres,  les  riches 
costumes,  les  brillants  uniformes,  offrent  un  as- 
pect magnifique.  La  plupart  des  évêques  du 
royaume  sont  venus  à  Lisbonne  et  assistent  à  la 
cérémonie  en  habits  pontificaux. 

La  bénédiction  nuptiale  est  précédée  d'une  céré- 


316  LA    CÉRÉMONIE 

monie  touchante.  M.  le  duc  de  Bragance,  sur  l'in- 
vitation du  cardinal-patriarche,  se  dirige  vers 
le  Irône  où  sont  assis  le  roi  et  la  reine  ;  il  baise 
leurs  mains,  et  s'agenouillant  il  leur  demande  de 
consentir  à  son  mariage.  M""*  la  princesse  Amélie 
à  son  tour,  très  émue,  demande  de  la  môme  ma- 
nière leur  consentement  à  M.  le  comte  de  Paris  et 
à  Madame  la  comtesse  de  Paris,  qui  l'embrassent 
avec  effusion. 

Le  cardinal-archevêque  descend  alors  les  de- 
grés de  l'autel  et,  prenant  les  anneaux  nuptiaux 
que  lui  présente,  sur  un  plat  d'or,  un  jeune  page 
en  habit  de  velours  bleu,  les  remet  aux  jeunes 
époux  et  prononce  la  formule  de  la  bénédiction. 
Pendant  que  les  témoins  signaient  l'acte  de  ma- 
riage, le  duc  et  la  duchesse  de  Bragance  allaient 
prendre  place  près  du  roi  et  do  la  reine. 

La  traîne  de  la  robe  de  la  princesse  Amélie  de 
France  n'était  plus  portée  par  M""  Levavasseur, 
mais  par  une  de  ses  dames  d'honneur.  Ce  fut, 
pour  les  Français  présents,  un  moment  de  vive 
émotion  de  voir  la  princesse  passer  à  sa  nouvelle 
famille.  Un  Te  Deum  fait  alors  retentir  les  voûtes 
de  l'église.  La  cérémonie  est  terminée. 

Le  défilé  commence.  Cette  fois,  les  deux  cor- 
tèges sont  réunis  en  un  seul.  Il  est  quatre  heures 
un  quart.  Les  cloches  sonnent  à  toute  volée.  Le 
canon  tonne  au  loin,  sur  la  place  du  Commerce. 
Les   navires  ancrés   sur  le  Tage  se  couvrent  de 


RETOUR   AU    PALAIS  317 

flammes  et  de  fumée.  En  même  temps,  d'une  es- 
trade placée  au  centre  de  la  place  du  Rocio,  éclate 
un  véritable  feu  d'artifice,  qui,  chose  curieuse 
est  tiré  en  plein  jour.  Les  fusées  s'élèvent  et  en 
éclatant  effrayent  les  chevaux  et  les  mules  des  car- 
rosses, qui  piaffent  et  qu'on  a  peine  à  maintenir. 

A  quatre  heures  et  demie,  la  marche  royale  qui 
se  faisait  entendre  dans  l'intérieur  de  l'église  est 
reprise  au  dehors  par  la  musique  militaire. 

La  nouvelle  duchesse  de  Bragance,  toute  pâlie 
par  l'émotion,  paraît  au  bras  de  son  époux.  Les 
acclamations  éclatent  de  tous  côtés.  Le  carrosse 
de  dom  Fernando  s'avance.  La  portière  ornée  de 
velours  rouge  est  ouverte.  Le  duc  de  Bragance 
monte  le  premier  afin  de  tendre  la  main  à  sa  jeune 
épouse  et  de  l'aider  à  franchir  les  trois  hautes 
marches  du  carrosse. 

Les  deux  jeunes  mariés  sont  seuls  dans  la  voi- 
ture qui  se  met  lentement  en  marche. 

Leurs  parents,  la  reine  dona  Maria,  Madame  la 
comtesse  de  Paris,  le  roi  domLuiz  etM.  le  comte  de 
Paris,  les  suivent  dans  le  carrosse  de  la  couronne, 
et  sont  acclamés  par  la  foule.  La  cavalerie  ferme 
le  défilé,  les  flammes  des  lances  flottant  au  vent, 
les  timbales  drapées  de  rouge,  battant  la  marche 
antique  des  chevaliers  portugais.  Ce  cortège,  sa- 
lué par  les  feux  d'artifice  et  les  cris  joyeux  de  la 
foule,  traverse  la  grande  place  du  Rocio,  et,  après 
avoir  suivi  la  rue  de  l'Or,  arrive  sur  la  place  du 


318  ENTHOUSIASME  DE  LA  POPULATION 

Commerce,  Bientôt  le  cortège  sort  de  Lisbonne  et 
se  dirige,  en  suivant  les  quais,  vers  le  palais  de 
Belem,  où  doivent  habiter  les  jeunes  époux. 

Partout  la  foule  se  presse  sur  le  passage  du 
cortège,  faisant  retentir  l'air  de  ses  joyeuses 
acclamations.  Dans  des  pavillons  construits  de 
distance  en  distance  des  fanfares  saluent  le  cor- 
tège par  les  sons  de  la  marche  royale.  D'une  es- 
trade élevée  quai  di  Sodré,  contre  la  statue  du 
duc  de  Terceira,  une  véritable  pluie  de  fleurs 
s'abat  sur  le  carrosse  de  la  nouvelle  duchesse  de 
Bragance.  Les  paquebots,  les  navires  de  com- 
merce, les  fragatas  (bateaux-dépêches),  sont  char- 
gés de  milliers  de  spectateurs.  La  vue  est  splen- 
dide.  Les  maisons  de  Lisbonne,  dont  les  façades 
d'azulejos  brillent  sous  les  rayons  du  soleil,  s'éta- 
gent  en  terrasses  sur  les  coUines.  On  aperçoit 
plus  loin  les  dômes  de  la  cathédrale  gothique  di 
la  Se  ou  basilique  Santa-Maria;  à  droite,  les  mu- 
railles rougeâlres  du  palais  des  Necessidades  et 
les  sombres  ombrages  du  grand  cimetière  qui  rap- 
pellent les  noirs  cyprès  des  nécropoles  de  Stam- 
boul. Toujours  salué  par  les  salves  d'artillerie,  le 
cortège  longe  le  Tage  en  traversant  les  faubourgs 
d'Alcantara  et  de  Junqueira.  De  l'autre  côté  du 
Tage  se  détachent,  sur  les  collines  verdàtres,  le 
point  blanc  du  phare  de  Cacilhas. 

A  six  heures,  le  cortège  arrive  devant  le  palais 
de  Belem.  Ce  palais,  bàli  vers  le  milieu   du  dix- 


LE    PALAIS    DE    BELEM  319 

septième  siècle,  se  compose  d'un  seul  rez-de- 
chaussée,  élevé  sur  un  sous-sol.  C'est  bien  là  la 
demeure  intime  qui  convient  à  deux  nouveaux 
mariés.  Des  terrasses  qui  s'élèvent  en  gradins  sur 
le  Tage,  on  jouit  d'une  vue  superbe.  L'œil  em- 
brasse au  loin  l'immensité  de  l'Océan,  la  tour  de 
Belem,  l'église  de  San  Jeronymo,  élevée  en  sou- 
venir de  la  découverte  des  Indes,  et  où  se  trouvent 
les  tombes  de  Vasco  de  Gama  et  du  Gamoëns. 

Le  cortège  gravit  une  montée  resserrée  entre 
deux  hautes  murailles  peintes  en  rose  et  s'arrête 
devant  la  façade  du  palais,  que  surmonte  un  toit 
à  l'italienne,  aux  tuiles  plates  et  fortement  ci- 
mentées. Les  jeunes  époux  et  leurs  augustes 
parents  pénètrent  dans  le  vestibule,  la  pièce  la 
plus  ancienne  du  palais,  construite  par  les  soins 
de  Jean  V,  et  de  là  dans  leurs  appartements  parti- 
culiers. 

La  princesse,  après  avoir  changé  de  toilette, 
alla  avec  le  duc  de  Bragance  diner  chez  son  beau- 
père,  le  roi  dom  Luiz,  au  palais  d'Ajuda.  Ce  palais 
est  situé  en  amphithéâtre  au-dessus  de  Belem.  De 
cet  endroit  on  découvre  tout  le  mouvement  de  la 
rade.  C'est  un  édifice  imposant  par  sa  masse. 

Là,  la  princesse  Amélie  reçut  les  cadeaux  de 
mariage  qui  lui  étaient  offerts  par  sa  nouvelle 
famille. 

C'étaient  : 

Un    diadème  de  diamants  offert  i)ar  S.  M.  le  roi  dom  Luiz  : 


320   CADEAUX  OFFERTS  A  LA  DUCHESSE  DE  BRAGANCE 

pièce  magnifique,  composée  de  plusieurs  rangs  de  brillants, 
et  d'où  pendent  deux  énormes  perles  ; 

Un  collier  de  diamants,  du  même  style  que  le  diadème, 
offert  par  S.  M.  la  reine  doua  Maria; 

Une  jumelle  de  théâtre,  offerte  par  S  A.  R.  le  prince 
Alphonse,  avec  deux  rangées  de  diamants  et  le  chiffre  en 
brillants  ; 

Un  magnifique  bracelet  de  brillants,  offert  par  S.  A.  R. 
le    duc  d'Aoste  ; 

Un  aigle  de  brillants,  offert  par  S.  A.  R.  le  prince  dom 
Alphonse; 

Un  collier  de  saphirs  et  de  brillants,  offert  par  LL.  MM. 
le  roi  et  la  reine  d'Italie; 

Une  bague  de  saphirs  et  brillants,  offerte  par  S.  A.  I. 
la  princesse  Clotilde  Bonaparte; 

Une  aigrette  de  diamants,  offerte  par  S.  A.  le  prince  de 
Carignan. 

Le  dîner,  qui  eut  lieu  à  hu't  heures  au  palais 
d'Ajuda,  fut  seulement  un  diner  de  famille.  Ami- 
nuit,  le  duc  et  la  duchesse  de  Bragance  pre- 
naient congé  de  leurs  parents  et  rentraient  à  leur 
palais  de  Belem,  tout  illuminé  par  les  reflets 
des  globes  électriques  installés  sur  les  bords  du 
Tage. 

Le  lendemain  23,  à  deux  heures,  le  duc  et  la  du- 
chesse de  Bragance  recevaient,  dans  leur  palais 
de  Belem,  les  grands  dignitaires  du  royaume,  les 
officiers  du  palais  et  les  hauts  fon(;lionnaires.  La 
grâce,  l'affabilité  de  M™*  la  duchesse  de  Bragance, 
produisaient  sur  lous  la   plus  vive  el  la  plus  heu- 


RÉCEPTIONS,    ET    REVUE    DE    l' ARMEE  321 

reuse  impression.  «  Bien  que  devenue  princesse 
portugaise,  dit-elle  alors,  je  n'oublierai  jamais  ma 
première  patrie  et  demeurerai  toujours  française 

par  le    cœur »  Dans  les  jardins  du  palais,  on 

jouait  l'hymne  national,  et,  le  soir,  avait  lieu  au 
théâtre  de  San  Carlos  une  grande  représentation 
de  gala.  Le  spectacle  se  composait  de  deux  actes 
de  Sémirajuis,  de  deux  actes  à'' Aida  et  d'un  ballet. 
Vers  une  heure  du  malin,  la  cour  se  retirait,  et  au 
moment  où  la  princesse  Amélie  se  levait,  elle  était 
l'objet  d'une  ovation  toute  spontanée  et  des  plus 
chaleureuses.  Tout  émue  de  ces  marques  de  sym- 
pathie de  sa  nouvelle  patrie,  la  princesse  salua 
par  deux  fois  le  public,  debout  et  criant  :  «  Vive 
le  roi  !  Vivent  les  princes  d'Orléans  !  » 

Le  24  mai,  il  y  eut  une  grande  réception  dans 
l'après-midi,  au  palais  d'Ajuda,  où  Leurs  Majes- 
tés portugaises  reçurent  les  félicitations  du  corps 
diplomatique,  et  les  hommages  des  grands  corps 
de  l'Etat,  du  Conseil  municipal  de  Lisbonne,  de 
la  Cour,  et  de  la  haute  société. 

Le  25,  le  roi  passa  une  grande  revue  des  trou- 
pes composées  des  détachements  de  toutes  armes, 
et  des  élèves  de  l'École  militaire. 

Le  roi,  suivi  d'un  brillant  état-major,  du  duc  de 
Bragance,  du  prince  Amédéc  d'Italie,  du  prince 
Georges  d'Angleterre,  passe  devant  le  front  des 
troupes  :  le  roi,  la  reine,  le  duc  et  la  duchesse  de 
Bragance,  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  com- 

21 


322  l'  «  INSTITUT   DE    LA    PRINCESSE    AMELIE  » 

tesse  de  Paris,  M.  le  duc  de  Chartres,  sont  salués  de 
nombreux  vivats  ;  après  le  défilé,  l'enthousiasme 
devient  du  délire,  de  toutes  parts  on  crie  : 
«  Vive  la  princesse  Amélie  !  »  à  toutes  les  fenêtres, 
on  agite  des  mouchoirs  et  on  applaudit  frénéti- 
quement. A  chaque  salut  de  M'"^  la  duchesse 
de  Bragance  répondent  des  acclamations  nou- 
velles. C'est  un  spectacle  inoubliable,  et  qui 
restera  dans  la  mémoire  de  la  jeune  et  gracieuse 
princesse,  qui,  en  si  peu  de  jours,  a  su  conquérir 
toutes  les  classes  de  la  société  portugaise. 

La  manifestation  fut  aussi  belle  le  soir,  où,  sur 
l'avenue  de  la  Liberté,  eut  lieu  une  fête  de  nuit, 
avec  des  illuminations  féeriques  et  un  splendide 
feu  d'artifice.  Le  soir,  comme  dans  la  journée, 
l'enthousiasme  populaire  fit  au  duc  et  à  la  du- 
chesse de  Bragance  et  aux  princes  français  les 
plus  joyeuses  ovations.  Comment  les  Portugais 
n'aimeraient-ils  pas  une  jeune  princesse  dont  la 
première  pensée  en  touchant  le  sol  de  sa  nouvelle 
patrie  avait  été  la  création  de  toute  une  série 
d'œuvres  de  bienfaisance?  Sous  son  inspiration 
s'était  organisé  un  comité  «  d'association  protec- 
trice des  intérêts  de  la  classe  ouvrière».  Huit  jours 
après  le  mariage  de  la  princesse,  on  inaugurait  le 
premier  établissement  de  charité  sous  le  nom 
à'' Institut  delà  princesse  Amélie.  Ce  constant  souci 
des  pauvres,  cette  inépuisable  charité,  dont  le 
prix  est  doublé  par   la  grâce   avec  laquelle   elle 


LE    BAL   A   LA    COUR  323 

s'exerce,  suffiraient  à  expliquer  l'enthousiasme 
inouï  de  l'accueil  fait  par  le  peuple  à  la  duchesse 
de  Bragance. 

Le  26,  après  des  courses  de  chevaux  dans  la 
journée,  avait  lieu,  le  soir,  un  grand  bal  au  palais 
d'Ajuda.  A  onze  heures  s'ouvrent  les  portes  des 
appartements  privés  de  Leurs  Majestés;  les  cham- 
bellans de  service  s'avancent,  frappant  le  plancher 
de  leur  canne  d'ivoire;  la  musique  de  l'orchestre 
joue  l'hymne  national  :  le  roi,  la  reine,  le  duc,  la 
duchesse  de  Bragance,  les  princes  et  princesses 
de  la  maison  de  France,  font  leur  entrée  au  milieu 
des  invités  qui  forment  la  haie  et  saluent  profon- 
dément sur  leur  passage.  Le  bal  commence  dans 
la  galerie  principale  donnant  sur  la  salle  du  trône; 
la  reine  Maria-Pia,  toujours  d'une  extrême  élé- 
gance, est  entourée  de  dames  aux  costumes 
éblouissants,  qui  font  de  la  cour  de  Portugal  une 
des  plus  brillantes  d'Europe.  Le  bal  se  prolongea 
jusqu'à  quatre  heures  du  matin.  A  plusieurs  re- 
prises, le  roi  quitta  la  grande  galerie  réservée  à 
ses  hôtes  princiers  et  aux  dignitaires  du  royaume, 
pour  se  mêler  à  la  foule  des  invités.  Sa  Majesté  est 
très  aimée  à  cause  de  son  affabilité,  et  les  Portugais 
lui  savent  grand  gré  de  se  laisser  ainsi  facilement 
approcher. 

Le  roi  dom  Luiz  a  quarante-neuf  ans.  Il  est 
blond,  pâle,  a  des  yeux  fort  doux.  C'est  un  roi 
sincèrement  constitutionnel.    Passionné  pour  les 


324  LE   ROI   DOM   LUIZ    I*'" 

arts,  il  joue  de  presque  tous  les  instruments,  peint 
avec  goût  et  compte  parmi  les  meilleurs  litté- 
rateurs du  Portugal.  Il  a  traduit  deux  drames  de 
Shakespeare,  Othello  et  Hamlet^  avec  autant  de 
fidélité  que  d'élégance.  Il  se  tient  au  courant  de 
tout  ce  qui  touche  à  la  littérature  dramatique  fran- 
çaise, et  est  en  correspondance  avec  un  de  nos 
premiers  auteurs  dramatiques,  Victorien  Sardou. 

Dom  Luiz  P""  règne  depuis  1861.  Il  succéda  à 
son  frère  dom  Pedro  V,  qui  avait  été  subitement 
frappé  par  la  fièvre  jaune.  Son  caractère  expansif 
formait  un  contraste  frappantavec  la  mélancolique 
figure  de  dom  Pedro.  Destiné  dès  son  enfance  à  la 
vie  de  marin,  le  roi  doit  à  son  éducation  cette  fran- 
chise d'allures  qui  séduit  la  foule. 

Pendant  que  ses  ministres  lui  cherchaient  une 
princesse  et  négociaient  avec  l'Autriche  pour  as- 
surer au  plus  vite,  par  un  mariage,  l'avenir  de  la 
monarchie,  il  fixa  son  choix  lui-môme  sur  la  prin- 
cesse Maria-Pia,  dernière  fille  du  roi  d'ilalic 
Victor-Emmanuel. 

Maria-Pia,  descendant  d'une  des  i)lus  antiques 
et  des  plus  nobles  maisons  souveraines  de 
l'Europe,  est  très  distinguée  et  charme  tous 
ceux  auxquels  elle  veut  plaire.  Avec  sa  phy- 
sionomie un  peu  impérieuse,  elle  est  très 
séduisante.  Nulle  femme  n'a  un  air  plus  royal  et 
plus  imposant.  Mère  pleine  de  sollicitude,  elle  fit 
donner  à  ses  deux  lils  une  excellente  éducation,  et 


LA   REINE   MARIA-PIA  325 

leur  inspira  les  meilleurs  et  les  plus  pieux  sen- 
timents. Un  jour  que  le  duc  de  Bragance  et  son 
frère  le  duc  d'Oporto,  encore  très  jeunes,  pre- 
naient un  bain  de  mer  sur  la  plage  de  Mexilhoeiro, 
près  de  Cascaes,  ils  perdirent  pied  tout  à  coup.  Ils 
couraient  le  danger  de  se  noyer  :  la  reine  n'hésita 
pas,  se  jeta  à  l'eau  et  eut  le  bonheur  de  sauver  ses 
deux  enfants. 

Lorsque  le  bal  touchait  à  sa  fin,  l'air  national, 
joué  par  l'orchestre,  annonça  le  départ  de  Leurs 
Majestés,  qui,  pour  se  retirer,  traversèrent  de 
nouveau  la  haie  respectueuse  des  invités. 

Les  fêtes  pour  le  mariage  de  la  duchesse  de  Bra- 
gance se  terminèrent  le  27  par  une  grande  course 
de  taureaux,  avec  feu  d'artifice  sur  le  Tage.  En 
Portugal,  ces  courses  ne  sont  pas  sanglantes 
comme  en  Espagne.  Ni  le  taureau  ni  les  hommes 
ne  courent  grand  danger  :  le  toréador  ne  tue  pas 
le  taureau,  dont  la  léte  est  garnie  de  boules  rem- 
bourrées de  ouate,  solidement  fixées  à  l'extrémité 
des  cornes;  il  se  borne  à  lui  planter  dans  la  peau 
un  certain  nombre  de  handerillas.  Si  le  taureau 
sait  se  défendre  contre  six  assauts  et  évite  ces 
handerillas,  il  est  déclaré  vainqueur.  La  Corrida 
portugaise  est  donc  exclusivement  un  exercice 
d'adresse.  Le  cirque  du  Campo  de  Santa- Anna  peut 
contenir  20,000  spectateurs  :  la  journée  fut  très  bril- 
lante, car  sans  être  sanglante  une  Co/viV/â;  passionne 
ici  les  masses  presque  autant  qu'en  Espagne. 


326  FÊTES   EN    PORTUGAL 

Le  28,  courses  de  chevaux  à  l'hippodrome  de 
Belem.  Le  soir,  spectacle  de  gala  au  Théâtre  Doua 
Maria^  et  seconde  soirée  d'illuminations  à  la  Ta- 
pada^  grand  bois  situé  près  du  palais  d'Ajuda; 
le  29,  kermesse  au  Jardin  zoologique  et  soirée 
donnée  ^av  \e  Real gymnasio  club  portugais.  Les 
provinces  voulurent  rivaliser  avec  la  capitale  : 
partout,  et  en  particulier  à  Porto,  eurent  lieu  des 
fêtes  superbes.  Le  Portugal  entier  tint  à  célébrer 
brillamment  l'union  de  l'héritier  du  trône  avec  la 
fille  aînée  du  chef  de  la  maison  de  France. 

M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse 
de  Paris,  les  princes  et  princesses  de  leur  famille, 
quittèrent  Lisbonne  le  27  mai,  et,  suivant  le  désir 
formellement  exprimé  par  M.  le  comte  de  Paris,  le 
départ  eut  lieu  sans  aucun  cérémonial. 

Au  moment  oii  le  mariage  de  M"""  la  princesse 
Amélie  se  célébrait  à  Lisbonne,  l'église  d'Eu 
voyait  accourir  toute  la  population,  qui  venait  as- 
sister à  une  messe  demandée  par  M.  le  comte 
de  Paris.  Cette  messe  fut  dite  par  M.  l'abbé  Mil- 
liard, vicaire  général  honoraire,  curé  de  Bon- 
Secours.  Toute  la  maison  de  M.  le  comte  de 
Paris,  les  serviteurs,  les  gardes,  les  employés 
du  château  en  grande  tenue,  y  assista,  ayant  à 
sa  tête  M.  Gilliot,  administrateur  du  domaine 
d'Eu. 

A  la  suite  de  celte  cérémonie,  plusieurs  amis  des 
princes  adressèrent  la  dépêche  suivante  à  la  du- 


SOUVENIRS  d'eu  ET  DU  TRÉPORT  327 

chesse  de  Bragance  en  témoignage  de  la  respec- 
tueuse affection  de  la  ville  d'Eu  : 

Interprètes  fidèles  du  sentiment  de  la  population  qui 
remplissait  tout  à  l'heure  l'église,  pour  prier  pour  le  duc 
et  la  duchesse  de  Bragance,  nous  adressons  à  Votre  Altesse 
Royale  le  respectueux  hommage  de  nos  vœux  et  de  notre 
éternel  souvenir. 

Sl^né  :    ESTANCELIN,  LeCOMTE,   BARON  DE  ChAU- 
VENET,       DE      GrOMARD,       DuMESNIL-AdELÉE, 

Varrall. 

En  réponse  à  cette  dépêche,  M.  Estancelin 
reçut  ce  télégramme  : 

Palais  de  Beletn,  3  h.  15. 

Le  duc  de  Bragance  et  moi  nous  vous  remercions  de 
votre  affectueuse  sympathie,  et  nous  vous  prions  de  vous 
faire  notre  interprète  auprès  de  tous  ceux  qui  se  sont  sou- 
venus de  moi.  Ma  pensée  est  souvent  auprès  de  ceux  que 
je  ne  saurais  jamais  ouhlier. 

Amélie,  duchesse  de  Bragance. 

La  population  maritime  du  Tréport  voulut, 
comme  celle  de  la  ville  d'Eu,  manifester  une  fois 
de  plus  son  affection  et  sa  reconnaissance  pour  les 
bienfaits  reçus  depuis  tant  d'années...  Répondant 
à  son  désir,  le  curé  du  Tréport  fit  célébrer,  dans 
son  église,  une  messe  solennelle,  le  samedi 
22  mai,  jour  du  mariage  de  la  jeune  princesse. 

A  l'occasion  duTmariage  de  la  princesse  Amélie, 
quelques    dames   du   département  des   Ardennes 


328    UNE  LETTRE  DE  LA  DUCHESSE  DE  BRAGANCE 

avaient  offert  un  éventail  à  Son  Altesse  Royale. 
Cet  éventail  n'ayant  pu  être  remis  à  la  duchesse 
de  Bragance,  avant  son  départ,  lui  fut  envoyé  par 
les  soins  de  la  légation  de  Portugal.  La  princesse 
adressa  à  M"""  la  baronne  de  Montagnac  la  lettre 
suivante  : 

Madame, 

Je  viens  vous  offrir  mes  remerciements  et  vous  j)rier 
d'être  mon  interprète  auprès  des  dames  ardennaises  qui  se 
sont  réunies  pour  me  donner  un  témoignage  de  sympa- 
thie à  l'occasion  de  mon  mariage. 

L'éventail  cpie  je  viens  de  recevoir  est  un  petit  chef- 
d'œuvre  ;  il  me  sera  un  précieux  souvenir  de  la  France  que 
j'ai  quittée  sans  l'oublier,  et  des  nombreux  amis  de  ma 
famille  qui  veulent  bien  m'accompagner  de  leur  affection 
et  de  leurs  vœux  dans  ma  nouvelle  patrie. 

Je  suis  profondément  touchée  de  la  pensée  qui  vous  a 
inspirée  ;  veuillez  le  dire  à  M™*  la  baronne  Evain,  à  M'"*  la 
baronne  de  Ladoucette  et  à  toutes  ces  dames. 

J'étais  assurée  de  la  part  que  vous  preniez  à  toutes  les 
épreuves  que  nous  venons  de  traverser,  elles  sont  dures, 
mais  il  faut  ne  regarder  que  l'avenir  avec  foi   et  conliance. 

Je  vous  prie,  Madame,  de  me  croire  toujours 
Votre  affectionnée 

Amélie,  duchesse  de  Bbagance. 

Lisbonne,   ITy  ;ioùt  188(i. 


CHAPITRE    VIII 

Juin-Décembre  1886 

Retour  de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  M™^  la  comtesse  de  Paris 
au  château  d'Eu.  —  Le  gouvernement  se  décide  à  demander 
aux  Chambres  l'expulsion  des  aînés  des  familles  ayant  régné 
sur  la  France.  —  Une  lettre  de  M.  le  comte  de  Paris  à  un 
éditeur  de  Philadelphie  à  propos  de  son  Histoire  de  la  guerre 
civile  en  Amérique  (8  juin  1886).  —  Une  conversation  avec 
M.  de  Blowitz,  correspondant  du  Times.  —  Une  lettre  de  M.  le 
comte  de  ParisàM.  Mercié,  sculpteur  (15  juin  1886).  —  Dépêche 
sympathique  d'officiers  américains  à  M.  le  comte  de  Paris  (juin 
1886).  —  Discussion  et  vote  de  la  loi  d'exil  à  la  Chambre  et 
au  Sénat.  —  Mesures  prises  par  le  gouvernement  à  Eu  et  au 
Tréport.  —  Les  dépèches  du  sous-préfet  de  Dieppe  à  la 
gendarmerie  du  Tréport.  — Dernières  réceptions  au  château 
d'Eu.  —  Grave  maladie  de  M™"  la  princesse  Louise  à 
Eu.  —  Adieux  touchants  de  la  population,  le  jeudi  matin 
24  juin  1886.  —  Départ  de  M.  le  comte  de  Paris  et  de 
S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans.  —  Immense  affluence  et  vive 
émotion  de  la  foule  à  Eu  et  au  Tréport.  —  Le  prince  s'em- 
barque à  bord  du  Victoria;  il  salue  le  dra^jcau  tricolore...  Au 
revoir  à  la  France  !  —  Arrivée  à  Douvres.  —  Madame  la  com- 
tesse de  Paris  revient,  la  nuit  même,  auprès  de  S.  A.  R.  la 
princesse  Louise.  —  Protestation  de  M.  le  comte  de  Paris, 
distribuée  le  vendredi  matin,  25  juin,  en  même  temps  dans 
toute  la  France.  —  Instructions  de  M.  le  comte  de  Paris  aux 
représentants  du  parti  monarchiste  en  France.  —  Enthou- 
siasme qu'elles  provoquent.  —  Appréciation  de  ce  docu- 
ment. —  Conclusion. 

Tandis  que  M.  le  comte  de  Paris  assistait  à  Lis- 
bonne  au    mariage  de  sa  fille  aînée,   les  républi- 


330  EMBARRAS    DU    CABINET    FRANÇAIS 

cains  à  Paris,  vérilablementépcrdus,  sommaient  le 
ministère  d'expulser  de  France  les  princes  d'Or- 
léans. 

Pourquoi  tout  ce  bruit?  Pourquoi  tout  ce  tapage? 
A  l'occasion  du  mariage  de  M"^^  la  princesse  Amé- 
lie, M.  le  comte  de  Paris  avait  reçu  chez  lui  les 
notabilités  du  parti  conservateur  et  plusieurs 
diplomates.  L'empressement  de  tous  à  accepter 
cette  invitation,  le  respect  et  les  hommages  rendus 
au  chef  de  la  maison  de  France,  exaspérèrent  les 
républicains,  et  Ton  vit  des  journaux,  comme 
le  Temps,  s'exprimer  ainsi  : 

La  réception  qui  a  eu  lieu  samedi  à  l'hôtel  Galliera  a 
été  une  véritable  revue  officielle  du  parti  royaliste.  Avec 
une  audace  et  une  inconvenance  auxquelles  M.  de  Freyci- 
net  et  ses  collègues  ne  s'attendaient  peut-être  pas,  le  comte 
de  Paris  a  invité  les  membres  du  corps  diplomatique , 
comme  osent  seuls  le  faire  les  chefs  d'Etat.  Le  prétendant, 
agissant  ouvertement  en  roi,  a  constitué  autour  de  lui  une 
véritable  cour.  Il  est  parti  pour  l'Espagne  avec  toute  une 
escorte  de  chambellans  et  de  dames  d'honneur;  le  train 
qu'il  a  pris  a  été  qualifié  de  «  royal  »,  et  de  hauts  em- 
ployés de  la  compagnie  d'Orléans  ont  cru  devoir  l'accom- 
pagner de  Paris  à  la  frontière,  honneurs  réservés  jusqu'ici 
uniquement  au  chef  de  l'Etat  ou  à  des  membres  de  familles 
étrangères  régnantes. 

La  France  aurait-elle  aujourd'hui  deux  gouvernements, 
l'un  {{ui  siège  au  palais  de  l'Elysée  et  l'autre  à  l'hôtel  Ral- 
liera? Si  la  Républi(jue  laissait  se  prolonger  cette  situa- 
tion, il  faudrait  nous  attendre  demain  à  voir  les  e:ouverne- 


COLÈRE    DES    RÉPUBLICAINS  331 

ments  étrangers  considérer  le  comte  de  Paris  comme  le 
second  souverain  de  la  France,  une  sorte  d'héritier  pré- 
somptif ayant  droit  à  tous  les  honneurs  régaliens. 

Cet  article  n'était  réellement  pas  digne  d'unjour- 
nal  sérieux.  Il  y  a  une  chose  que  ne  peuvent  com- 
prendre les  républicains,  c'est  qu'en  Europe  le  nom 
dePhilippe,  comte  de  Paris,  a  un  éclat,  un  prestige, 
que  n'aura  jamais  celui  d'un  président  de  républi- 
que. Des  républicains  naïfs  s'étonnentdevoirlesfa- 
milles  royales  del'Europe  témoigner  les  plus  grands 
égards  à  des  princes  de  la  maison  de  Bourbon  et 
rechercher  leur  alliance.  Voudraient-ils  donc  que 
nos  gouvernants  d'aujourd'hui  fassent  traités  de 
pair  par  les  Habsbourg,  les  Romanow  ou  les 
autres  maisons  royales?  Quand  la  monarchie 
sera  rétablie  dans  notre  pays,  l'isolement  de  la 
France  cessera.  Comment  un  gouvernement  con- 
servateur pourrait-il  songer  à  entamer  seulement 
des  négociations  avec  un  pays  tantôt  gouverné 
par  des  opportunistes,  tantôt  par  des  radi- 
caux? Les  républicains  ne  s'en  rendent  pas 
compte.  De  là  une  colère  mal  dissimulée  le  jour 
où  les  diplomates  étrangers  vinrent,  avec  toutes 
les  classes  delà  société  française,  rendre  un  public 
hommage  à  la  haute  personnalité  du  [chef  de  la 
maison  de  France. 

Ce  qu'il  y  eut  de  plus  étrange,  c'est  [que  l'affo- 
lement gagna  le  ministère   qui  discuta  sérieuse- 


332  UN   RÉPUBLICAIN   DE   BON   SENS 

ment  la  question  d'expulsion.  Mais  les  ministres 
étaient  embarrassés  et  différaient  d'avis  sur  la  ma- 
nière de  procéder.  Fallait-il  ne  bannir  de  France 
que  les  héritiers  de  la  monarchie  et  de  l'empire  ? 
Fallait-il  exiler  tous  les  princes?  Convenait-il  de 
se  borner  à  obtenir  des  Chambres  une  loi  et  de 
n'en  faire  usage  que  si  certaines  éventualités  ve- 
naient à  se  produire  ?  Tels  étaient  les  points  que 
discutait  le  conseil  des  ministres,  mais  sans  s'ar- 
rêter à  aucune  solution. 

M.  Henri  Maret,  dont  le  républicanisme  est  bien 
connu,  nommé  à  la  fois,  en  octobre  1885,  député 
de  Paris  et  du  Cher,  s'exprimait  dans  le  Radical 
avec  beaucoup  de  verve  et  de  causticité  : 

L'expulsion  des  princes,  dit-il,  c'est  le  Courrier  de- 
Lyon  de  la  politique.  Autrefois,  quand  on  voulait  apaiser 
les  revendications  populaires,  on  faisait  chanter  la  Afr/z-^e//- 
laise  et  l'on  courait  sus  l\  l'étranger.  Sous  le  régime  gam- 
betto-ferryste ,  on  embêtait  un  curé  ou  l'on  expulsait  un 
moine.  Et  quand  quelque  pauvre  diable  osait  se  plaindre, 
on  lui  répondait  : 

«  Comment!  vous  ne  rougissez  pas  de  faire  encore 
de  l'opposition?  En  vérité,  il  est  impossible  de  vous  satis- 
faire! Comment  pouvez-vous  douter  du  républicanisme 
d'un  gouvernement  qui,  il  n'y  a  pas  trois  jours,  remportait 
une  victoire  éclatante  sur  le  Père  Barnabe  et  mettait  en 
fuite  trois  vieilles  dévotes  armées  de  chapelets  miraculeux  ?  » 

Il  n'y  avait  rien  à  répliquer.  Le  plaignant  rentrait  dans 
sa  honte  et  se  sentait  le  plus  heureux  des  hommes. 

A  force  de  faire  résonner  cette  corde,   on  l'a  poui'tant 


UN    RAISONNEMENT    INTELLIGENT  333 

usée.  A  Loyola  ont  succédé  les  princes.  Aujourd'hui,  toutes 
les  fois  qu'on  a  fait  trop  de  sottises  et  qu'on  s'ingénie 
pour  retrouver  la  popularité  perdue,  la  question  des  prin- 
ces revient  sur  l'eau.  On  essaye  de  soulever  une  agitation. 
Et  l'on  espère  que,  le  jour  où  l'on  en  aura  mis  un  à  la 
porte  (un  seul,  car  il  faut  en  garder  pour  de  nouveaux 
besoins),  les  acclamations  remplaceront  les  sifflets;  que  le 
peuple  sera  en  proie  à  un  enthousiasme  sans  bornes;  qu'il 
ne  sentira  plus  ni  la  faim,  ni  la  soif,  et  qu'inondant  les 
rues  de  palmes  vertes,  il  criera  partout  :  «  Honneur  à  ceux 
qui  ont  sauvé  la  République  !  » 

Puis  déduisant  la  conclusion  qui  découle  natu- 
rellement de  ces  réflexions,  M.  Henri  Maret  ter- 
minait en  ces  termes  : 

Les  prétendants  sont  redoutables,  non  parce  qu'ils 
sont  sur  le  territoire,  mais  parce  que  les  Républicains 
gouvernent  mal  la  République.  Ils  ne  peuvent  revenir  que 
d'une  façon,  après  des  émeutes  réprimées  qui,  faisant 
peur  à  la  nation,  la  jetteront  dans  les  bras  du  premier 
venu.  Et  que  ce  premier  venu  soit  à  Spa  ou  aux  Bâti- 
gnolles,  ce  sera  tout  un.  Il  y  a  un  moyen  beaucoup  plus 
simple  de  préserver  la  République  :  c'est  de  la  faire 
aimer. 

Comment  les  industriels,  les  négociants,  les 
agriculteurs,  pourraient-ils  aimer  une  répu- 
blique qui  tarit  les  sources  du  commerce,  de 
l'industrie  et  de  l'agriculture  ?  Comment  pour- 
raient-ils avoir  confiance  dans  des  députés  qui  per- 
dent leur  temps   en  interpellations  oiseuses,   au 


334  HÉSITATIONS    DE    M.    DE    FREYCINET 

lieu  de  discuter  le  budget  qu'ils  bâclent,  chaque 
année,  en  quelques  semaines?  On  ne  peut  se  faire 
aimer  d'un  pays  que  par  des  actes  utiles  à  ce  pays. 
Mais  les  ministres  et  les  députés  républicains  ne 
songent  qu'à  exploiter  la  France  et  non  à  la  gou- 
verner. 

Au  milieu  de  ces  tiraillements,  le  gouvernement 
agissait  avec  de  singulières  contradictions,  qu'il 
est  bon  de  signaler. 

«  Au  mois  de  mars  1886  \  M.  de  Freycinet,  pré- 
sident du  conseil,  s'opposait  à  l'adoption  d'un  pro- 
jet qui  expulsait  du  territoire  les  membres  des 
familles  ayant  régné  sur  la  France.  Au  mois  de 
mai  suivant,  le  même  M.  de  Freycinet,  qui  décla- 
rait, quelques  semaines  auparavant,  que  rien  ne 
pouvait  justifier  une  semblable  mesure,  déposait 
un  projet  de  loi  tendant  à  interdire  aux  princes  le 
séjour  en  France,  en  alléguant  que  leur  présence 
était  devenue  un  embarras,  un  danger  pour  le 
gouvernement  de  la  République. 

«  Cependant  aucun  fait  ne  s'était  passé  qui  pût 
motiver  une  telle  contradiction.  Mais  les  passions 
révolutionnaires  de  la  majorité  s'étaient  affirmées 
de  nouveau,  cette  fois  avec  plus  de  force,  et  le  mi- 
nistère, au  lieu  de  résister,  avait  préféré  sacrifier 
les  princes  aux  basses  rancunes,  aux  haines  vio- 

1.  La  discussion  devant  les  Chambres  de  la  loi  d'exil  est  en 
grande  partie  extraite  d'une  petite  brochure  parue  alors  à  la 
Librairie  nationale,  inllUilée  :  L'Expulsion   des  Princes. 


UN    PROJET   DE   LOI   d'eXIL  335 

lentes  des  radicaux,  afin  de  sauver  son  existence 
menacée.  La  conduite  de  M.  de  Freycinet  n'a  pas 
eu  d'autre  mobile.  L'opinion  publique  ne  sera  pas 
dupe  des  subtilités  invoquées  pour  excuser  cette 
iniquité. 

«  En  votant  cette  mesure  d'exception,  les  répu- 
blicains ont  ouvert  la  porte  aux  mesures  de  vio- 
lence les  plus  arbitraires.  Ils  ont  montré  ce  que 
l'avenir  réserve  à  la  France.  En  proscrivant  les 
princes,  ils  ont  porté  la  première  atteinte  à  la  sé- 
curité des  personnes;  en  réclamant  la  confiscation 
de  leurs  biens,  comme  l'a  fait  M.  Basly,  ils  ont 
rendu  inévitables  les  revendications  les  plus  révo- 
lutionnaires contre  les  biens  et  les  fortunes  de 
tous  les  citoyens. 

«  Les  républicains,  et  le  gouvernement  qu'ils 
conduisent  à  leur  fantaisie,  se  sont  engagés  sur  la 
pente  la  plus  dangereuse.  Ils  y  glissent  avec  une 
rapidité  effrayante;  il  suffit,  pour  s'en  convaincre, 
de  voir  le  chemin  qu'ils  ont  parcouru  en  trois 
mois. 

«  Lors  de  la  première  discussion,  comme  le  rap- 
pelle M.  Déranger  dans  le  rapport  qu'il  avait  ré- 
digé au  nom  de  la  commission  sénatoriale  chargée 
d'examiner  le  projet  d'expulsion,  un  certain  nom- 
bre de  «  mesures  de  précaution  «  avaient  déjà  été 
prises  contre  les  princes  : 

«  C'est  ainsi,  a-t-il  écrit,  qu'en  1883  le  gouvernement  a 


336  CONTRADICTIONS    DU    GOUVERNEMENT 

pris  sur  lui  de  retirer  aux  membres  des  anciennes  familles 
régnantes  les  emplois  dont  ils  jouissaient  dans  l'armée; 

«  Que  le  congrès  de  1884  les  a  déclarés  inéligibles  à  la 
présidence  de  la  République  ; 

«  Que  pareille  inéligibilité  a  été  prononcée  par  des  lois 
plus  récentes  en  ce  qui  concerne  le  Sénat  et  la  Cbambre 
des  députés;  qu'enfin  l'ordre  du  jour  voté  le  4  mars  der- 
nier par  l'autre  Chambre  a  invité  la  vigilance  du  gouver- 
nement à  prendre,  le  cas  échéant,  les  mesures  que  pourrait 
nécessiter  l'intérêt  supérieur  de  la  République. 

«  Gomment  intervint  ce  dernier  vote  ? 

«  Ce  futà  la  séance  du  4 février  1886  que  MM.  Du- 
ché, Crozet-Fourneyron  et  quelques-uns  de  leurs 
collègues  de  la  Chambre  déposèrent  une  proposi- 
tion de  loin  tendant  à  l'abrogation  de  la  loi  de  1871, 
qui  avait  autorisé  les  princes  d'Orléans  à  rentrer 
en  France.  M.  Rivet,  auteur  d'une  autre  proposi- 
tion demandant  que  les  princes  fussent  expulsés 
par  décret  du  président  de  la  République,  fut 
chargé  de  présenter  un  rapport  sur  ces  deux  pro- 
positions. Il  le  déposa  le  27  février,  et  la  discussion 
s'engagea  le  4  mars. 

((  MM.  Lefèvre-Pontalis  et  Kcller  combattirent 
vaillamment  les  demandes  de  proscription  défen- 
dues à  leur  tour  par  MM.  Ballue,  Rivet,  Duché  et 
Clemenceau.  Le  président  du  conseil,  M.  de  Frey- 
cinet,  s'opposa,  au  nom  du  gouvernement,  à  l'adop- 
tion du  projet  de  loi.  11  afiirma  que  le  gouverne- 
ment était  suffisamment  armé  pour  se  défendre  si 


LANGAGE  DE  M.  DE  FREYCIXET  EN  FÉVRIER     387 

quelque  danger  surgissait,  qu'il  ne  se  laisserait 
pas  prendre  au  dépourvu. 

«  D'une  part,  il  n'admettait  pas  que  la  présence 
des  princes  en  France  fut  «  une  cause  de  trouble 
«  et  de  péril  »  ;  il  niait  même  qu'elle  put  constituer 
un  danger,  «  car,  ajoutait-il,  depuis  un  siècle 
«nous  assistons  à  cet  étrange  spectacle,  qu'au 
«  moment  où  des  changements  de  régime  se  sont 
«  produits  en  France,  les  princes  qui  en  ont  pro- 
«  fité  n'habitaient  pas  sur  le  territoire  de  la  Répu- 
«  blique.  » 

«  D'autre  part,  M.  de  Freycinet  montrait  à  la 
majorité  combien  étaient  graves  les  questions  sol- 
licitant réellement  son  attention.  Il  disait  : 

«  Nous  traversons  en  ce  moment  une  période  dont  je  ne 
dirai  pas  précisément  qu'elle  est  une  période  difficile,  mais 
qui  exige  toute  l'attention  des  pouvoirs  publics.  Nous  tra- 
versons une  période  dans  laquelle  les  événements  ont  accu- 
mulé des  difficultés  qui,  sans  être  un  danger,  méritent 
néanmoins  de  notre  part  la  vigilance  la  plus  grande  :  les 
classes  ouvrières  souffrent  autour  de  nous,  le  travail  a 
l'alenti  son  œuvre,  nous  sommes  sous  le  coup  d'une  crise 
économique,  commerciale,  qui  sévit  sur  le  monde  entier  et 
sur  certains  points  de  la  France  :  est-ce  que  vous  croyez 
que  des  mesures  d'exception  seront  de  nature  à  diminuer 
cette  crise  ? 

«  En  conséquence,  il  demanda  à  la  Chambre  de 

repousser  une  mesure  qui  n'était  en  rien  justifiée. 

«  La  proposition  Duché  fut  rejetée  par  345  voix 

22 


338  LÀ    PROPOSITION    RIVET    EN    FEVRIER 

contre  195.  La  proposition  Rivet,  qui  élablissait 
qu'en  cas  «  d'actes  ou  de  manifestations  de  leur 
«  part,  un  décret  du  président  de  la  République 
«  pourrait  enjoindre  à  tout  membre  d'une  famille 
«  ayant  régné  sur  la  France  de  sortir  du  territoire», 
fut  également  écartée  par  333  voix  contre  188. 

«  La  Chambre  adopta  seulement  par  353  voix 
contre  112  un  ordre  du  jour,  présenté  par  M.  de 
Lanessan,  conforme  aux  déclarations  du  gouverne- 
ment. Il  était  ainsi  conçu  :  «La  Chambre,  confiante 
«  dans  l'énergie  et  dans  la  vigilance  du  gouverne- 
«  ment,  et  convaincue  qu'il  prendra  contre  les 
«  membres  des  familles  ayant  régné  sur  la  France 
«  les  mesures  nécessitées  par  l'intérêt  supérieur 
«  de  la  République,  passe  à  l'ordre  du  jour. 

«  Le  gouvernement  n'eût  certainement  pas 
soneré  de  lui-môme  à  faire  mortre  de  son  «  éner- 
«  gie  »,  mais  il  fut  mis  en  demeure  par  les  radi- 
caux, au  mois  de  mai  suivant,  de  sévir  contre  les 
princes. 

«  En  mars,  on  avait  pris  pour  prétexte  de  la  pre- 
mière proposition  quelques  paroles  prononcées 
en  séance  par  un  membre  de  la  droite,  cl  dans  les- 
quelles celui-ci  témoignait  de  son  peu  de  con- 
fiance dans  la  durée  du  gouvernement  républicain. 

«  En  mai,  on  prit  pour  argument  principal  un  ar- 
ticle de  journal  qui  commentait  à  sa  façon  la  soirée 
donnée  à  l'hôtel  (jalliera  par  M.  le  comte  de  Paris 
à  l'occasion  du  mariage  de  sa   fille,   M"'®  la  prin- 


DEPOT    d''uN    projet    DE    LOI    d'eXIL  339 

cesse  Amélie  avec  le  prince  héritier  du  Portugal. 

«  L'agitation  factice  créée  autour  de  cette  récep- 
tion de  famille  avait  un  but  unique.  Il  fallait  un 
prétexte  pour  renverser  le  ministère  qui  déplai- 
sait également  aux  gauches  avancées  et  aux  oppor- 
tunistes. Se  rappelant  les  précédentes  déclarations 
de  M.  de  Freycinet,  on  pensait  qu'il  se  refuserait 
à  prendre  contre  les  princes,  sans  motif  sérieux, 
la  mesure  réclamée  de  lui,  de  lui  qui  chargeait 
notre  ambassadeur  à  Lisbonne  de  féliciter  le  roi 
de  Portugal  de  l'union  du  prince,  son  fils,  avec 
une  princesse  française. 

«  C'était  mal  le  connaître. 

«  Dès  la  rentré  des  Chambres,  le  27  mai,  le  mi- 
nistre de  la  justice  déposait,  au  nom  du  gouver- 
nement, le  projet  de  loi  suivant  : 

«  Art.  l*"".  —  Le  gouvernement  est  autorisé  à  interdire 
le  territoire  de  la  République  aux  membres  des  familles 
ayant  régné  en  France. 

«  L'interdiction  est  prononcée  par  un  arrêté  du  ministre 
de  l'intérieur  pris  en  conseil  des  ministres. 

«  Art.  2.  —  Celui  qui,  en  violation  de  l'arrêté  d'inter- 
diction, sera  trouvé  en  France,  en  Algérie  ou  dans  les 
colonies,  sera  puni  d'un  emprisonnement  de  deux  à  cinq 
ans. 

«  A  l'expiration  de  sa  peine,  il  sera  reconduit  à  la  fron- 
tière. 

«  L'urgence,  réclamée  par  le  ministre,  pour  la 
discussion   de   la    loi   d'exil,    fut    prononcée,    et 


340  NOMINATION    DES    COMMISSAIRES 

M.  Basly  proposa  aussitôt  une  seconde  proposi- 
tion tendant  «  à  faire  restituer  à  la  nation  les 
«  biens  des  familles  ayant  régné  sur  la  France  ». 
C'était  la  conséquence  naturelle  de  la  proposition 
du  gouvernement. 

«  Deux  jours  après,  la  Chambre  nommait  la 
commission  chargée  d'examiner  ces  deux  projets 
de  loi. 

«  Sur  les  onze  commissaires  élus,  cinq  étaient 
opposés  à  toute  loi  d'expulsion  :  deux  membres 
de  la  droite,  MM.  le  comte  de  Mun,  de  Jolibois,  et 
trois  républicains,  MM.  Henri  Maret,  Anatole  de 
la  Forge  et  Michou. 

«  Les  six  autres,  MM.  Madier  de  Montjau,  Ca- 
mille Pelletan,  Brousse,  Burdeau,  Tony  Révillon 
et  Desmons,  ne  se  contentaient  pas  de  l'expulsion 
facultative  et  limitée  telle  que  la  portait  le  projet 
du  gouvernement,  ils  exigeaient  l'expulsion  im- 
médiate de  tous  les  princes. 

«  Le  gouvernement,  on  le  voit,  n'avait  contenté 
personne  et  on  pouvait  être  sûr,  dès  lors,  que  sa 
proposition  ne  serait  pas  votée. 

«  Elle  ne  fut  même  pas  discutée  et,  à  la  pre- 
mière réunion  de  la  commission,  dont  M.  Madier 
de  Montjau  avait  été  nommé  président,  M.  Brousse 
déposa  un  contre-projet  transactionnel  que  com- 
pléta M.  Burdeau,  et  qui  ne  réussit  pas  cependant 
à  rallier  la  majorité. 

«  11  serait  trop  long  de  décrire  par  quelles  élran- 


l'expulsion  des  princes  limitée  341 

ges  péripéties  passa,  dans  la  commission,  le  débat 
des  diverses  propositions  qui  lui  étaient  soumises, 
les  concessions  successives  de  la  part  du  gouver- 
nement, l'opposition  persistante  de  la  part  des  ra- 
dicaux, les  atténuations,  adjonctions  de  toute  sorte, 
faites  au  texte  primitif.  Ce  fut  là  une  misérable 
comédie  jouée  entre  ceux  qui  voulaient  garder 
leur  portefeuille  et  ceux  qui  voulaient  le  leur  en- 
lever. 

«  Le  gouvernement  avait  déclaré  accepter  le 
projet  de  M.  Brousse  qui  limitait  l'expulsion  im- 
médiate aux  chefs  des  familles  ayant  régné  sur  la 
France  et  à  leurs  héritiers  directs  par  ordre  de 
primogéniture,  c'est-à-dire  à  M.  le  comte  de  Paris 
et  à  son  fils  le  duc  d'Orléans,  au  prince  Napoléon 
et  à  son  fils  le  prince  Victor  Napoléon.  Mais  les 
radicaux  résistaient  toujours.  M.  Maret,  nommé 
d'abord  rapporteur,  fut  remplacé  par  M.  Pelletan 
qui,  le  8  juin,  déposa  son  rapport.  Celui  ci  pré- 
senta, au  nom  de  la  majorité  delà  commission,  un 
contre-projet  portant  expulsion  totale  des  mem- 
bres des  familles  ayant  régné  en  France. 

«  A  cette  même  date  du  8  juin,  en  1871,  avaient 
été  abrogées  les  lois  d'exil.  Cette  seule  coïnci- 
dence de  dates  a  quelque  chose  de  douloureux. 

«  Le  10  juin,  la  discussion  s'engagea  devant  la 
Chambre.  Elle  dura  deux  jours  et  fut  marquée  par 
des  scènes  d'une  violence  inimaginable,  dans  les- 
quelles les  radicaux  firent  maintes  fois  preuve  de 


342  DÉCLARATION   BARODET 

rintolérance  la  plus  écœurante.  Les  dates  du  iO  et 
du  11  juin  1886  resteront  des  dates  historiques. 

«  Le  droit,  la  justice,  on  pourrait  dire  la  raison, 
furent  hautement  et  vaillamment  défendus  par 
M.  le  comte  de  Mun,  par  M.  Piou,  par  M  Dugué 
de  la  Fauconnerie,  par  M.  Jolibois,  et  par  quel- 
ques républicains  soucieux  de  sauvegarder  l'inté- 
grité de  leurs  principes,  MM.  Henri  Maret,  Ana- 
tole de  la  Forge,  Frédéric  Passy  et  Michou. 

«  M.  de  Freycinet,  président  du  conseil  et  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  fut  seul  à  soutenir 
le  projet  d'expulsion  limitée,  tandis  que  MM.  Ma- 
dier  de  Montjau,  Camille  Pelletan,  maintenaient 
la  nécessité  de  l'expulsion  totale. 

«  Chacun  sentait  l'importance  de  ce  débat  dont 
le  retentissement  portait  jusqu'au  cœur  du  pays. 
Les  tribunes  du  public  étaient  envahies,  assiégées 
par  une  foule  avide  d'assister  à  cette  grave  dis- 
cussion. Dans  la  Chambre,  l'émotion  était  des  plus 
vives  ;  les  députés,  nerveux,  agités,  étaient  tous  à 
leurs  bancs,  et,  de  leur  tribune,  les  membres  du 
corps  diplomatique  suivaient  attentivement  cette 
lutte  dans  laquelle  s'affirmaient  avec  tant  d'impu- 
deur les  passions  violentes  des  partis  républi- 
cains. 

«  Avant  la  fin  de  la  discussion  générale,  M.  Ba- 
rodet  lut  au  nom  de  vingt  membres  de  l'extrême 
gauche  une  déclaration  hostile  à  toute  expulsion, 
à  laquelle  se  rallia  M.  Pesson,  député  républicain 


LA.    DISCUSSION    DES    ARTICLES  343 

d'Indre-ct-Loire,  quand  M.  Michelin,  au  contraire, 
se  disait  converti  aux  mesures  d'exception. 

«  Par  310  voix  contre  233,  la  Chambre  décida  de 
passer  à  la  discussion  des  articles. 

«  M.  Camille  Pelletan  défendit  alors  le  projet 
de  la  commission  :  «  Le  territoire  de  la  Répu- 
«  blique  française  reste  et  demeure  interdit  à 
«  tous  les  membres  des  familles  ayant  régné  sur 
«  la  France.  » 

«  Dans  un  scrulin  à  la  tribune  il  fut  repoussé 
par  314  voix  contre  220. 

«  Il  ne  fut  pas  même  question  du  projet  primitif 
du  gouvernement,  M.  de  Freycinet  ayant  déclaré 
se  rallier  au  contre-projet  de  M.  Brousse  ainsi 
conçu  : 

a  Art.  l'*". Le  territoire  de  la  République  est  et  demeure 

interdit  aux  chefs  des  familles  ayant  régné  en  France  et  à 
leurs  héritiers  directs,  dans  l'ordre  de  primogéniture. 

«  Art.  2. Le  gouvernement  est  autorisé  à  interdire  le 

territoire  de  la  République  aux  autres  membres  de  ces 
familles.  L'interdiction  est  prononcée  par  un  décret  du 
Président  de  la  République,  rendu  en  conseil  des  ministres. 

„  Art.  3.  —  Celui  qui,  en  violation  de  l'interdiction, 
sera  trouvé  en  France,  en  Algérie  ou  dans  les  colonies, 
sera  puni  d'un  emprisonnement  de  deux  k  cinq  ans.  A  l'ex- 
piration de  sa  peine,  il  sera  reconduit  à  la  frontière. 

«  Art.  4.  —  Les  membres  des  familles  ayant  régné  en 
France  ne  pourront  entrer  dans  les  armées  de  terre  et  de 
mer,  ni  exercer  aucune  fonction  publique,  ni  aucun  mandat 
électif. 


344  UN   ARTICLE    DU    «  SOLEIL  » 

«  L'article  l"fut  adopté  par  315  voix  contre  232, 
et  l'article  2  fut  également  voté  par  316  voix  contre 
219. 

«  Les  articles  3  et  4  furent  ensuite  adoptés  à 
mains  levées,  ainsi  que  le  projet  dans  son  ensem- 
ble. Il  était  neuf  heures  un  quart,  quand  ce  der- 
nier vote  fut  rendu. 

«  L'iniquité  était  consommée.  » 

Le  lendemain,  les  journaux  conservateurs  flé- 
trissaient ce  vote  honteux,  et  M.  Edouard  Hervé 
disait  dans  le  Soleil  : 

La  loi  d'exil  a  été  votée  hier  par  la  Chambre  des  députés. 
Elle  a  été  votée  dans  les  conditions  que  réchiraait  le  gou- 
vernement. L'expulsion  obligatoire  frappe  le  comte  de 
Paris  et  son  fds  aîné,  le  prince  Napoléon  et  son  lils  aîné. 
L'expulsion  facultative  reste  suspendue  comme  une  menace 
sur  la  tête  des  autres  princes. 

Avant-hier,  pour  justifier  l'expulsion  totale,  M.  INIadier 
de  Montjau,  président  de  la  commission,  disait  que  les 
princes  devaient  être  exilés  uniquement  parce  cpi'ils  étaient 
princes;  il  disait  que  si  l'on  faisait  abstraction  de  leur 
qualité  de  princes,  il  n'y  avait  aucune  raison  pour  les 
frapper. 

Hier,  pour  justifier  l'expulsion  partielle,  M.  de  Freycinet, 
président  du  Conseil  des  ministres,  ne  reprochait  au  comte 
de  Paris  aucun  acte  criminel,  délictueux  ou  factieux.  Il 
disait  seulement  que  depuis  la  mort  du  prince  impérial  et 
du  comte  de  Chambord,  M.  le  comte  de  Paris  était  le  seul 
compétiteur  sérieux  de  la  République.  Il  montrait  l'op- 
jiositioa  se  groupant  autourduchef  de  la  famille  d'Orléans, 


UN   ARTICLE    DU    «  SOLEIL  »  345 

prenant  de  jour  un  jour  plus  de  force  et  plus  de  confiance. 
Il  montrait  le  pays  s'habituant  à  penser  cpi'il  y  avait  en 
face  l'un  de  l'autre  deux  gouvernements  rivaux,  le  gouver- 
nement de  la  République  et  le  gouvernement  du  comte 
de  Paris.  Il  montrait  les  ambassadeurs  eux-mêmes,  les 
représentants  des  puissances  étrangères  faisant  tour  à  tour 
visite  à  ces  deux  gouvernements.  Il  concluait  que  cette 
situation  était  intolérable  et  que  l'un  des  deux  gouver- 
nements devait  de  toute  nécessité  quitter  le  sol  de  la 
France,  pour  que  l'autre  y  pût  vivre  en  paix. 

Nous  ne  remercions  pas  M.  de  Freycinet  de  la  loi  d'exil; 
mais  nous  le  remercions  du  commentaire  dont  il  a  fait  pré- 
céder le  vote  de  cette  loi.  Jamais  un  bommage  plus  éclatant 
n'a  été  rendu  à  la  cause  que  nous  défendons. 

En  effet,  suivant  l'expression  même  de  M.  le  président 
du  Conseil,  deux  gouvernements  sont  en  présence.  L'un 
de  ces  deux  gouvernements  dispose  de  l'armée,  de  l'admi- 
nistration, de  la  police,  du  budget.  Il  nomme  aux  emplois  ; 
il  dirige  la  politique  du  pays  ;  il  met  en  mouvement  l'action 
de  la  justice.  L'autre  gouvernement,  pour  lutter  contre 
tous  ces  moyens  d'action,  n'a  que  la  force  morale.  Il  ne 
peut  que  faire  appel  à  l'opinion  par  la  presse,  les  réunions 
et  les  élections.  Ce  second  gouvernement,  cependant,  fait 
assez  de  progrès  en  trois  ans  pour  que  l'autre  gouver- 
nement, celui  qui  dispose  de  la  force  matérielle,  se  sente 
menacé  et  pour  qu'il  dise  :  «  Je  ne  peux  pas  en  tolérer 
davantage,  je  ne  peux  pas  laisser  grandir  encore  ce  pouvoir 
rival;  déjà  il  m'inquiète;  bientôt  il  me  mettrait  en  échec.  » 

La  Chambre  écoutait,  attentive,  surprise  et  comprenant 
que  quelque  chose  de  grave  se  passait.  Elle  avait  fait  trêve 
pour  un  moment  à  l'agitation  bruyante  dont  elle  ne  donne 


346  UN    ARTICLE    DU    «  SOLEIL  » 

que  trop  souvent  le  spectacle.  Au  milieu  d'un  silence  pro- 
fond, la  petite  voix  claire  de  M.  de  Freycinet  laissait 
tomber  lentement  des  paroles  dont  aucune  ne  sera  oubliée. 
Sans  le  vouloir  peut-être,  mais  sous  l'empire  d'une  nécessité 
qui  s'imposait  à  son  esprit,  il  refaisait,  dans  un  autre  lan- 
gage moins  solennel  et  moins  éloquent,  mais  non  pas 
moins  net  ni  significatif,  le  célèbre  discours  de  M.  Ber- 
ryer  déclarant  que  le  chef  de  la  plus  ancienne,  de  la  plus 
illustre  maison  qui  existe,  que  le  descendant,  l'héritier,  le 
représentant  de  ces  princes,  de  ces  soldats,  de  ces  poli- 
tiques, qui  ont  défendu,  agrandi,  amplifié  le  territoire 
national,  ne  pouvait  être  en  France  que  le  premier  de  tous 
les  Français,  le  Roi. 

Dégagée  des  incidents  qui  l'ont  traversée,  et  sur  lesquels 
nous  reviendrons,  dégagée  de  la  scène  de  tumulte  qui  l'a 
terminée,  cette  séance  mémorable  peut  donc  se  résumer  de 
la  manière  suivante  : 

Hier,  11  juin  1886,  M.  de  Saulces  de  Freycinet,  prési- 
dent du  Conseil  des  ministres  de  la  République  française, 
a  proclamé  roi  de  France  Louis-Philippe-Albert  d'Orléans, 
comte  de  Paris. 

Au  môme  moment  paraissait,  dans  le  Tl/nes, 
l'article  suivant  dans  lequel  son  correspondant, 
M.  de  Blowitz,  racontait  une  excursion  qu'il 
venait  de  faire  au  chàleau  d'I^Ai,  et  l'entrevue  qu'il 
avait  eu  l'honneur  d'avoir  avec  M.  le  comte  de 
Paris  : 

Je  reviens  d'Eu  où  j'ai  eu  l'honneur  d'être  reçu  par  le 
comte  de  Paris.  Ce  n'est  ni  la  curiosité,  ni  ma  [)rofession 


UN   ARTICLE   DU    «  TIMES  »  847 

de  journaliste  qui  m'ont  engagé  à  demander  un  entretien 
au  prince. 

Au  moment  où,  au  nom  de  la  liberté,  un  acte  de  tyrannie 
va  s'accomplir,  c'était  un  devoir  pour  moi  de  tracer  un 
portrait  de  cette  famille  princière  qui  va  partir  pour  l'exil, 
de  redresser  quelques  erreurs  qui  ont  été  propagées  et  de 
montrer  combien  sont  élevés  ces  esprits  que  vont  frapper 
l'adversité  et  la  persécution. 

Passant  la  nuit  dernière  au  Tréport,  j'ai  trouvé  cette  po- 
pulation d'honnêtes  pêcheurs,  épouvantée  de  la  menace 
d'expulsion  lancée  contre  la  famille  du  comte  de  Paris. 
Aussitôt  que  l'on  sut  que  je  venais  de  Paris  et  que  je  me 
rendais  à  Eu,  je  fus  entouré  et  questionné  sur  les  chances 
d'adoption  des  lois  d'exil.  J'opinais  pour  l'affirmative,  et  je 
vis  ces  faces hàlées  devenir  tristes,  tandis  que  les  femmes, 
aussi  rudes  que  les  hommes,  étant  accoutumées  aux  plus 
rudes  travaux,  versaient  des  larmes  sur  le  sort  de  «  cette 
belle  famille.  » 

Le  comte  de  Paris  m'avait  fait  savoir  qu'il  me  recevrait 
à  dix  heures  du  matin  ;  je  fus  reçu  par  le  comte  Othenin 
d'Haussonville,  de  service  auprès  du  prince.  Je  pénétrai 
dans  une  petite  bibliothèque  très  simple  attenant  au  cabi- 
net de  travail  du  comte  de  Paris,  qui  entra  quelques  mi- 
nutes après. 

Je  le  remerciai  d'avoir  bien  voulu  me  recevoir  et  je  lui 
expliquai  que  je  ne  venais  pas  pour  Vinterviewer,  mais  sim- 
plement pour  lui  exprimer  mes  sympathies  sincères  devant 
les  menaces  d'exil  qui  pèsent  sur  lui. 

«  Oh!  répliqua  le  prince,  je  n'ai  pas  besoin  de  vous 
recommander  le  secret  en  cette  circonstance  pas  plus  qu'en 
une  autre.  Je  n'ai  pas  à  me   cacher  de  vous   avoir  reçu  ; 


348  UN   ARTICLE    DU    «   TIMES  » 

je  ne  vous  demande   pas  non    plus  de  tenir  secret  notre 
entretien. 

«  Quand  j'appris  à  la  station  de  Talavayra  cpi'un  ])rojet  de 
loi  d'expulsion  allait  être  soumis  à  la  Chambre,  je  songeai 
non  à  moi  ou  à  ma  famille,  mais  à  mon  pays.  Je  fus  pro- 
fondément affligé  en  songeant  qu'après  cent  ans  de  conflits 
et  de  discordes,  l'ère  des  proscriptions  n'était  pas  passée 
et  qu'on  verrait  de  nouveau  des  fils  de  la  France  errer  sans 
patine  sur  le  sol  étranger. 

—  Où  avez-vous  l'intention  de  vous  rendre,  IMonsei- 
gneur,  si,  comme  on  s'y  attend,  la  Chambre  adopte  la  loi 
qui  vous  vise  personnellement,  ainsi  que  le  duc  d'Orléans. 

—  Je  n'ai  pas  encore  décidé  où  j'irai;  mais  je  penche 
pour  l'Angleterre.  Je  reçois  de  ce  pays  des  témoignages  si 
nombreux  d'une  sympathie  générale,  des  inconnus  mêmes 
m'envoient  des  lettres  si  touchantes,  qu'il  me  serait  difficile 
de  choisir  un  autre  refuge.  Je  ne  puis  pas  aller  en  Alle- 
magne, L'Autriche  m'éloignerait  trop  de  ma  chère  Finance. 
J'ai  pensé  à  la  Suisse,  mais  je  puis  y  aller  dans  la  suite, 
car  je  n'ai  pas  l'intention  de  m'établir  quelque  part  à 
demeure. 

«  Je  ne  compte  pas  acheter  une  maison  et  me  fixer  quelque 
part.  Autrefois,  pendant  mon  précédent  exil,  j'avais  une 
résidence  fixe,  mais  alors  ma  position  était  différente.  Je 
n'étais  pas  alors  le  chef  incontesté  de  la  maison  de  France 
et  je  pouvais  attendre  le  cours  des  événements  sans,  du 
reste,  négliger  aucun  de  mes  devoirs.  Je  ne  renonce  pas 
entièrement  à  l'espoir  de  retourner  dans  mon  pays,  car 
même  sous  sa  forme  actuelle  de  gouvernement,  je  ne  puis 
croire  que  cette  persécution  durera  toujours,  et  que  la 
France  ne  rouvrira  j)as  ses  j)ortes  à  tous  ses  enfants.  Pour 


UN    ARTICLE    DU    «   TIMES   »  349 

cette  raison,  je  ne  compte  m'établit-  nulle  part  en  perma- 
nence. J'irai  çà  et  là.  Nous  nous  imaginerons  que  nous 
voyageons  et  nous  changerons  de  séjour  sans  changer 
d'espérance. 

—  Est-il  vrai,  Monseigneur,  qu'un  général  vous  ait  dit  à 
la  réception  du  15  mai  :  Ce  ne  sont  pas  seulement  des 
soldats  que  vous  avez,  c'est  une  véritable  armée. 

—  On  ne  m'a  jamais  fait  une  remarque  de  ce  genre.  Il 
n'y  avait  chez  moi,  que  deux  généraux  en  retraite,  et  aucun 
des  deux  n'a  parlé  avec  moi.  On  a  fait  courir  une  quantité 
de  bruits  inexacts  sur  cette  soirée,  et  on  en  a  tiré  une  foule 
de  conclusions.  On  m'a  dit  que  le  premier  ministre  a  pris 
ombrage  de  ce  que  j'ai  invité  chez  moi  des  ambassadeurs. 
Je  ne  pouvais  cependant  notifier  cela  à  M.  de  Freycinet. 
Gela  aurait  donné  à  mes  invitations  un  caractère  politique, 
ce  qu'elles  n'avaient  pas.  Je  n'ai  pas  invité  le  corps  diplo- 
matique. J'ai  invité  à  une  soirée  de  famille  des  diplomates 
avec  qui  j'étais  en  relations  personnelles.  C'était  ainsi  que 
je  connaissais  lord  Lyons  depuis  vingt-cinq  ans  et  j'étais 
en  excellents  termes  avec  lui.  J'eusse  manqué  à  la  politesse 
otj'aurais  donné  à  mes  invitations  un  caractère  politique, 
si  j'avais  négligé  de  l'inviter,  parce  qu'il  est  ambassadeur 
d'Angleterre. 

«  On  m'a  également  reproché  certains  articles  de  jour- 
naux. Cela  prouve  seulement  combien  mes  adversaires  sont 
à  court  d'arguments.  Je  n'ai  pas  inspiré  ces  articles,  je  n'en 
ai  pas  eu  connaissance.  Si  j'avais  été  en  communication 
avec  ces  écrivains,  je  leur  aurais  dit  ce  que  j'ai  dit  à  tous 
mes  amis  :  «  Faites  qu'on  ne  dénature  pas  le  caractère  de 
«  cette  soirée;  c'est  un  père  de  famille  qui  invite  ses  amis, 
tt  Cette  réunion  n'a  pas  d'autre  but.   » 


350  UN    ARTICLE    DU    «   TIMES   « 

—  Comme  il  est  probable  que  la  Chaml)re  adoptera  une 
loi  de  bannissement  dirigée  uniquement  contre  vous  et  le 
duc  d'Orléans,  mais  permettant  aux  autres  princes  de 
rester  en  France,  pensez-vous  que  ces  derniers  vous 
suivront? 

—  En  ce  qui  concerne  mon  frère,  je  lui  ai  intimé  mon 
désir  de  le  voir  rester  en  France.  Comme  il  aura  le  droit 
de  le  faire,  je  désire  qu'il  reste  dans  ce  pays  dont  je  suis 
banni.  Je  vous  ai  déjà*dit  que  je  ne  compte  me  fixer  nulle 
part.  Je  ne  puis  lui  demander  de  me  suivre  dans  mes  péré- 
grinations et  de  considérer  comme  sa  résidence  l'endroit 
où  je  me  serais  arrêté  selon  les  circonstances  ou  mes  pré- 
férences. Ce  sera  une  consolation  pour  moi  de  le  savoir 
ici. 

«  On  a  beaucoup  parlé  du  duc  d'Aumale,  et  qiumd  il  a  su 
de  quelle  manière  il  a  été  préservé  de  se  trouver  inclus 
dans  le  décret  de  bannissement,  il  a  été  très  [)einé.  Il  est 
immédiatement  venu  me  voir,  et  il  a  fait  publier  partout  la 
nouvelle  de  son  voyage.  C'était  la  meilleure  réponse  à  faire. 
Je  vous  dirai  de  lui  ce  que  j'ai  dit  du  duc  de  Chartres.  Je 
ne  peux  lui  infliger  des  voyages  perpétuels.  Il  n'a  pas 
comme  moi  les  devoirs  de  la  situation  exceptionnelle  que 
me  crée  la  loi  ;  car  la  loi  me  donne  une  situation  si  grande 
et  si  spéciale,  que  si  je  l'avais  prise  moi-même,  on  m'en 
aurait  fait  un  crime.  En  me  séparant  du  reste  de  ma  famille, 
on  me  donne  un  rôle  plus  défini  (pie  celui  (pie  je  me  suis 
jamais  assigné,  et  si  mon  orgueil  l'emportait  sur  mon  pa- 
triotisme, je  ne  pourrais  que  m'en  réjouir.  Quant  aux 
autres  princes,  ils  ne  se  sont  jamais  occupés  de  politi(pic  et 
se  sont  contentés  de  cherchera  servir  leur  pays.  Il  est  donc 
clair  qu'on  devrait  les  laisser  tranquilles,  et  il  serait  étrange 


UN   ARTICLE    BU    «  TIMES   »  351 

que  je  me  montrasse  plus  dur  pour  eux  que  mes  adversaires 
eux-mêmes. 

—  On  a  dit,  Monseigneur,  que  vous  aviez  l'intention 
d'attendre  que  l'on  vous  expulsât  par  la  force  plutôt  que  de 
céder  à  une  simple  invitation. 

—  C'est  une  grosse  erreur  que  de  dire  cela  de  moi.  Je 
ne  connais  que  deux  moyens  d'agir  : 

«  Il  y  a  trois  siècles  un  prince,  dans  ma  position,  eût  tué 
les  personnes  qui  lui  auraient  apporté  une  pareille  invita- 
tion et  se  serait  mis  en  campagne  pour  faire  la  guerre  civile 
avec  ses  compagnons  d'armes  ;  mais  ceci  n'est  plus  en  rap- 
port avec  le  temps  ni  avec  mon  esprit. 

«  J'obéirai  à  la  loi. 

«  Je  dois  donc  cet  exemple  à  mes  amis  et  je  le  dois  aussi 
à  mes  adversaires.  Je  le  dois  enfin  à  mon  pays  où  trop  de 
gens  essayent  d'inspirer  le  mépris  de  la  loi.  Je  dois  céder 
par  obéissance  à  la  loi  qui  me  sera  signifiée. 

—  Dissimulerez-vous  le  moment  et  le  lieu  de  votre 
départ  ? 

—  Certainement  non,  à  moins  que  l'on  m'en  empêche. 

«  Je  partirai  ouvertement,  et  je  connais  assez  mes  amis 
pour  être  certain  qu'à  mon  départ  ils  observeront  l'attitude 
calme  et  silencieuse  qui  convient,  alors  qu'une  famille  amie 
part  pour  l'exil.  Je  serai  heureux  de  serrer  les  mains  qu'on 
me  tendra,  mais  je  demande  une  sympathie  discrète,  non 
des  démonstrations  bruyantes.  » 

A  ce  moment  on  annonça  que  le  déjeuner  était  servi  au 
premier  étage  oii  se  trouve  la  salle  à  manger.  Outre  le  comte 
et  la  comtesse  de  Paris,  se  trouvaient  à  table  :  le  duc 
d'Orléans,  la  princesse  Hélène,  la  princesse  Isabelle,  le 
comte  et  la  comtesse  d'Haussonville  et  leurs  filles;  le  doc- 


352  UN    ARTICLE    DU    «   TIMES   » 

teur  Guéneau  de  Mussy,  l'inséparable  et  fidèle  ami  de  la 
famille,  M.  Emmanuel  Boclier,  le  fils  du  sénateur  qui  a 
toujours  défendu  avec  tant  d'éloquence  la  cause  de  la  fa- 
mille d'Orléans,  M.  Froment,  le  précepteur  du  jeune  duc 
d'Orléans,  et  d'autres  amis  de  la  maison  dont  les  noms 
m'échappent. 

Le  jeune  duc  d'Orléans  est  âgé  de  dix-sept  ans.  Il  a 
beaucoup  grandi  pendant  ces  dernières  années.  Sa  ligure 
est  intelligente  et  pleine  de  résolution  et  de  vivacité  :  ses 
yeux  noirs  fixent  avec  beaucoup  de  franchise.  Il  a  un  ca- 
ractère résolu  et  décidé.  C'est  un  marcheur  infatigable;  il 
excelle  dans  l'escrime,  la  nage  et  l'équitation;  il  tire  remar- 
quablement. Le  prince  parle  correctement  et  couramment 
quatre  ou  cinq  langues.  Quoiqu'il  ne  témoigne  pas  un  en- 
thousiasme exagéré  pour  la  littérature,  il  a  un  'faible  pour 
Virgile  et  Horace.  Suffisamment  familiarisé  avec  la  littéra- 
ture française  contemporaine  et  l'histoire  de  ce  siècle, 
il  est  capable  de  prendre  part  aux  conversations  les  plus 
variées. 

La  princesse  Hélène  est  âgée  de  quinze  ans  et,  comme 
tous  les  enfants  du  comte  et  de  la  comtesse  de  Paris,  est 
grande  et  svelte.  Son  regard  est  charmant,  et  son  sourire 
plein  de  grâce  et  de  bonté.  Elle  a  le  teint  clair,  et  une 
blonde  chevelure  encadre  son  visage  animé. 

La  jeune  princesse  Isabelle  a  dix  ans.  C'est  une  enfant 
attrayante,  avec  un  visage  joufflu  et  les  cheveux  blonds 
coupés  courts  sur  le  front,  mais  se  répandant  en  bou- 
cles dorées  dans  le  dos.  Elle  parle  courannnent  l'anglais 
et  exerce  un  charme  indescriptible  par  ses  manières  gra- 
cieuses, ses  yeux  intelligents  et  son  aimable  sourire. 

Le  comte  de  Paris  a  encore  deux  enfants  plus  jeunes;  la 


UN   ARTICLE   DU    «  TIMES  »  353 

j3riiicesse  Louise  qui,  âgée  de  quatre  ans  seulement,  ne 
paraît  pas  à  table,  ainsi  que  le  dernier  né,  un  garçon  âgé 
de  deux  ans  que  l'on  me  dit  être  très  robuste. 

Envoyant  cette  famille  si  unie,  si  simple,  si  cordiale,  si 
paisible,  et  en  pensant  qu'au  palais  Bourbon  on  se  prépare 
à  la  chasser  de  son  pays,  l'angoisse  me  saisit  et,  comme  si 
tous  les  assistants  avaient  eu  le  même  sentiment,  il  se  fit 
un  silence  profond.  Le  comte  de  Paris,  frappé  par  la  tris- 
tesse vivante  sur  toutes  les  figures,  se  leva,  et  chacun  suivit 
son  exemple.  Nous  nous  rendîmes  dans  le  cabinet  du 
prince,  une  pièce  très  simple  ;  sur  une  table  je  remarque  un 
tableau  peint  par  la  nouvelle  duchesse  de  Bragance.  C'est 
un  bouquet  formé  d'un  bleuet,  d'une  rose  blanche  et  d'un 
œillet  rouge  :  au-dessous,  les  vers  de  Coppée  sur  les  trois 
couleurs  françaises,  écrits  de  la  main  de  la  duchesse  Amélie. 

C'est  cependant  au  nom  de  ces  trois  couleurs  que  ses 
parents  vont  être  exilés  ! 

Au  moment  de  prendre  congé,  le  jeune  duc  d'Orléans 
survint,  et  fixant  sur  moi  son  regard  pénétrant  : 

«  M.  de  Freycinet  a-t-il  un  fils  ? 

—  Non,  Monseigneur...  Vous  voulez  dire  sans  doute 
que  s'il  en  avait  eu  un,  il  n'aurait  pas  désiré  de  lui  léguer 
le  souvenir  de  la  loi  d'ostracisme  dont  il  est  l'auteur? 

—  Précisément.  « 


Peu  de  jours  avant  cette  visite  de  M.  de  Blowitz, 
M.  le  comte  de  Paris,  avec  une  imperturbable 
sérénité,  adressait  à  Philadelphie  la  lettre  suivante 
aux  traducteurs  en  anglais  de  son  Histoire  de  la 
guerre  civile  en  Amérique: 

23 


354      UNE  LETTRE  DE  M^""  LE  COMTE  DE  PARIS 

Château  d'Eu  (Seine-Inféiieure),  8  juin  1886. 

Messieurs,  les  événements  qui  s'accomplissent  en  France 
rendent  la  prolongation  de  ma  résidence  à  Eu  si  incertaine 
que  je  dois  me  tenir  prêt  à  vivre  pour  un  temps  sans  foyers. 
Si  je  suis  obligé  de  quitter  momentanément  ce  séjour,  je 
serai  privé  de  ma  bibliothèque...  En  conséquence,  je  vous 
prie  de  ne  plus  m'envoyer  de  livres  traitant  de  la  guerre 
civile,  à  moins  qu'il  ne  paraisse  quelque  chose  d'un  intérêt 
tout  à  fait  exceptionnel,  comme  par  exemple  les  Mémoires 
du  général  Grant. 

Les  événements  politiques  me  laissent  malheureusement 
peu  de  temps  à  consacrer  à  ma  bibliothèque. 

Croyez-moi  votre  bien  dévoué, 

Philippe,  comte  de  Paris. 

C'est  alors  qiis  plusieurs  officiers  américains 
qui  avaient  servi  avec  le  comte  de  Paris  et  le  duc 
de  Chartres  dans  l'état-majoi  du  général  Mac 
Clellan,  en  1861-1862,  proposèrent  au  prince  de 
chercher  un  asile  en  Amérique.  Ils  lui  envoyèrent 
de  New- York  la  dépêche  suivante,  signée  par  le 
général  Butterfield  et  plusieurs  autres  officiers  : 

Au  comte  de  Paris,  à  Paris. 

Venez  chez  nous.  Nous,  anciens  soldats,  vous  ferons  bon 
accueil.  Nous  honorons  les  services  que  vous  avez  rendus 
à  notre  république  dans  sa  plus  grande  crise.  Personne  n'est 
plus  respecté  que  vous  et  le  duc  de  Chartres  par  nos 
vétérans  qui  connaissent  vos  services  et  votre  valeur.  Une 
bienvenue  cordiale  vous  attend  ici. 


UNE   LETTRE    A   M.    MERCIÉ  355 

Le  général  Butterfield  reçut  la  réponse  sui- 
vante : 

Reçu  avec  gratitude  votre  bienveillant  télégramme. 
Dans  ces  jours  pénibles,  l'expression  de  sympathie  cor- 
diale d'anciens  camarades,  venant  de  votre  grande  répu- 
blique, est  une  consolation  et  un  encouragement. 

Malheureusement  en  ce  moment  Tx^mérique  est  trop 
loin;  mais  une  visite  à  votre  pays,  autrefois  déchiré  et 
maintenant  prospère,  comblerait  mes  meilleurs  désirs. 

Philippe,  comte  de  Paris. 

Quelques  jours  après,  le  chef  de  la  maison  de 
France  écrivit  à  M.  Mercié,  qui  avait  exposé  au 
Salon  de  cette  année  1886  un  admirable  groupe 
du  roi  Louis-Philippe  et  de  la  reine  Marie-Amélie 
destiné  au  tombeau  de  Dreux*: 

Monsieur, 

Voici  l'indication  que  je  vous  ai  promise  relativement 
aux  armes  d'Orléans,  qui  sont  caractérisées  par  l'adjonc- 
tion d'un  lambel  sur  l'écusson  au-dessus  des  trois  fleurs  de 
lis. 

Je  suis  heureux  de  trouver  cette  occasion  pour  vous 
exprimer  encore  toute  l'admiration  que  m'inspire  votre 
oeuvre  magistrale. 

Vous  avez  représenté  le  roi  honnête  homme  et  la  sainte 
reine  comme  ils  paraîtront  devant    l'histoire    impartiale. 

1.  L'Académie  des  Beaux-Arts  décerna,  le  l^"' juillet  1887,  le 
prix  biennal  de  20,000  francs  à  cette  œuvre  de  M.  Mercié.  Ce 
prix  est  destiné  à  récompenser  l'œuvre  ou  la  découverte  la  plus 
propre  à  honorer  ou  à  servir  le  pays. 


356  LE   SÉNAT    SAISI   DE    LA   LOI   d'eXIL 

Vous  avez  réalisé,  au  })oint  de  vue  de  l'art,  une  grande  et 
magnifique  conception. 

Je  vous  remercie  au  nom  de  ma  famille,  et  je  vous  prie 
de  me  croire 

Votre  affectionné, 

Philippe,  comte  de  Paris. 

La  Chambre  avait  voté  le  11  dans  la  soirée  le 
projet  Brousse  accepté  par  le  Gouvernement. 

Dès  le  lendemain  M.  Demôle,  ministre  de  la 
justice,  —  ce  titre  ne  semble-t-il  pas  une  ironie  en 
cette  circonstance,  —  saisissait  le  Sénat  de  la  pro- 
position d'expulsion,  et  la  Chambre  haute  nom- 
mait, le  mardi  suivant  15,  la  commission  qui  devait 
se  prononcer  sur  son  rejet  ou  son  adoption. 

Le  Sénat  n'avait  pas  attendu  le  dépôt  du  projet 
pour  se  préoccuper  de  la  question  ;  les  différents 
groupes  républicains  avaient  délibéré  officieuse- 
ment, et  une  majorité  assez  considérable  semblait 
acquise  au  projet  voté  par  la  Chambre. 

On  fut  donc  étonné  d'apprendre  que  les  com- 
missaires élus  par  les  bureaux  du  Sénat  étaient  en 
majorité  hostiles  au  projet  déposé  par  le  gouver- 
nement. Six  membres  se  déclaraient  hostiles  à  la 
proposition.  C'étaient  MM.  Barthélémy  Saint-Hi- 
laire,  Bérenger,  Schérer,  Dide,  de  Pressensé  et 
Robert  deMassy.  Les  trois  membres  favorables  au 
projet  étaient  MM.  Journault,  Henri  Didier  et 
Caduc;  une  soixantaine  de  sénateurs  s'étaient 
abstenus  de  prendre  part  au  vote. 


RAPPORT  BERENGER  OPPOSE  A  LA  LOI        357 

Les  explications  données  à  la  commission  par  le 
gouvernement  ne  modifièrent  pas  le  sentiment  de 
la  majorité  qui  repoussa  les  amendements  de  con- 
ciliation présentés  par  M.  Bozérian  et  par  M.  Mar- 
cel Barthe,  et  conclut  au  rejet  du  projet  adopté  au 
Palais-Bourbon. 

M.  Bérenger  fut  chargé  de  rédiger  un  rapport 
en  ce  sens.  Il  en  donna  lecture  au  Sénat  le  samedi 
19,  et  le  21  s'ouvrit  le  débat  public. 

La  discussion,  à  laquelle  les  orateurs  delà  droite 
et  du  centre  gauche  opposés  à  l'expulsion  surent 
donner  l'ampleur  que  comportait  la  cause  qu'ils 
défendaient,  dura  deux  jours  comme  à  la  Chambre. 
On  ne  saurait  trop  signaler  les  remarquables  dis- 
cours prononcés  au  nom  du  droit  et  de  la  justice 
par  M.  Jules  Simon,  par  M.  Léon  Renault,  par 
M.  Bardoux,  par  M.  Bérenger,  et  enfin  la  noble  et 
belle  protestation  de  M.  le  duc  d'Audiffret-Pasquier. 

Le  Sénat,  fait  assez  anormal,  allait  avoir  comme 
la  Chambre  à  se  prononcer  sur  une  décision  de 
sa  commission,  contraire  à  la  loi  qui  lui  était  pré- 
sentée. Mais  alors  qu'à  la  Chambre  la  commission 
aggravait  le  projet  du  Gouvernement,  au  Sénat  le 
rapporteur  concluait  au  rejet  de  toutes  les  propo- 
sitions. 

Le  seul  discours  auquel  il  faille  s'arrêter,  parmi 
ceux  prononcés  pour  réclamer  l'expulsion,  est 
celui  de  M.  de  Freycinet.  Le  président  du  conseil 
ne  parla  qu'à  la  seconde  séance. 


358  DISCOURS    DE    M.    JULES    SIMON 

Le  premier  jour,  ce  grave  et  décisif  débat  fut 
ouvert  par  un  long  discours  de  M.  Journault  qui 
adjura  le  Sénat  de  ne  pas  «  assumer  la  grave  et 
lourde  responsabilité  du  rejet  du  projet  de  loi 
réclaïné  par  le  Gouvernement  et  voté  par  la  Cham- 
bre ».  Il  se  dispensa  de  donner  aucune  autre  rai- 
son à  l'appui  de  sa  demande. 

M.  Jules  Simon  lui  succéda  à  la  tribune,  et  l'ho- 
norable orateur  du  centre  gauche  plaida  avec  cha- 
leur et  avec  un  remarquable  talent  la  cause  du  droit 
et  de  la  liberté. 

Examinant  d'abord  la  situation  des  princes,  il 
s'indigna  qu'on  leur  refusât  ce  titre  de  «  citoyens  » 
que  le  suffrage  universel  a  consacré,  puis  il  cher- 
cha pour  quels  motifs  on  s'était  résolu  à  demander 
leur  expulsion.  Il  prouva  ensuite  que  si  un  gou- 
vernement hostile  à  la  République  existe  à  côté 
d'elle,  ainsi  que  l'ont  affirmé  les  ministres,  ce 
n'est  pas  à  l'hôtel  Galliera  qu'il  se  trouvait,  mais 
bien  à  l'Hôtel  de  ville  de  Paris. 

Sans  doute,  comme  l'a  dit  M.  de  Freycinet,  la 
situation  de  M.  le  comte  de  Paris  est  plus  forte 
depuis  la  mort  du  fils  de  Napoléon  III,  depuis  celle 
de  M.  le  comte  de  Chambord,  mais  en  quoi  cela 
peut-il  déterminer  des  mesures  aussi  violentes 
que  l'expulsion  des  princes  ? 

M.  Jules  Simon,  parlant  de  l'expulsion  de  M.  le 
comte  de  Paris,  ajouta  : 


DISCOURS    DE    M.    JULES    SIMON  359 

On  peut  dire  que  sa  situation  est  plus  forte  qu'elle  ne 
l'était.  Je  comprends  cet  argument. 

Ma  réponse  est  assez  prévue  :  c'est  que,  dans  ces  con- 
ditions, le  séjour  du  prince  n'a  pas  d'importance.  Qu'il 
réside  à  Paris  ou  qu'il  réside  au  château  d'Eu,  qu'il  réside 
en  Italie  ou  à  Londres,  il  est,  de  la  même  façon,  le  succes- 
seur; partout  où  il  sera,  il  sera  le  successeur,  et  si  jamais 
—  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  et  ce  que  je  ne  souhaite  pas,  vous 
le  savez,  —  si  jamais  on  cherche  un  successeur  à  la  Répu- 
blique, on  saura  bien  le  trouver.  Vous  n'allez  pas  le  dépor- 
ter dans  des  pays  où  il  soit  impossible  à  nos  vaisseaux  ou 
à  nos  télégrammes  de  parvenir,  et,  par  conséquent,  quand 
même  son  droit  ou  sa  prétention  deviendrait  encore  plus 
considérable,  tant  qu'il  existe,  vous  ne  pouvez  pas  l'amoin- 
drir. De  telle  façon  que  les  deux  seuls  griefs  sérieux  que 
vous  ayez  sont  des  griefs  contre  lesquels  la  proscription 
ne  peut  rien. 

Vous  pourriez  les  invoquer  pour  autre  chose  ;  invoquez- 
les,  si  vous  le  voulez,  pour  avoir  peur...  (Murmures  à 
gauche)  mais  ne  les  invoquez  j^as  pour  prononcer  l'expul- 
sion, parce  qu'en  chassant  celui  que  vous  craignez  vous  ne 
le  diminuez  en  rien.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Voilà  ma  réponse,  et  je  résume  ma  discussion  de  la  façon 
suivante. 

Cette  loi  que  vous  faites,  qui  est  une  loi  d'exception  — 
et  permettez-moi  de  le  dire  sans  blesser  personne,  je  ne 
fais  pas  de  différence  entre  une  loi  d'exception  et  la  viola- 
tion de  la  loi  —  cette  loi  d'exception  que  vous  faites  contre 
les  princes,  elle  ne  vous  sert  pas,  elle  vous  nuit;  elle  ne 
leur  nuit  pas,  elle  les  sert.  (Rumeurs  à  gauche.  —  Vive 
approbation  à  droite  et  au  centre.) 


360  DISCOURS    DE   M.    JULES    SIMON 

Puis,  examinant  la  conduite  de  la  République 
depuis  quelques  années,  il  montrait  qu'elle  ne  vit 
que  de  mesures  d'exception,  et  il  concluait  sur 
ces  véhémentes  paroles  : 

Eh  bien  !  toutes  les  mesures  dont  je  viens  de  parler,  je 
répète  qu'elles  sont  le  résultat  du  même  système  de  gou- 
vernement. Cela  s'appelle  dispersion  pour  les  congréga- 
tions, désaffectation  pour  les  monuments  religieux,  laïcisa- 
tion obligatoire  pour  les  écoles,  épuration  pour  la  magis- 
trature et  pour  les  fonctionnaires,  revision  pour  le  Sénat, 
mesures  de  compression  pour  la  presse,  expulsion  pour  les 
princes. 

Tout  cela,  Messieurs,  c'est  le  même  système  de  gouver- 
nement; et  un  orateur  considérable  de  la  Chambre  des 
députés  a  résumé  tout  votre  système  avec  une  clarté  par- 
faite et  a  justement  caractérisé  toutes  les  mesures  cpie  je 
viens  d'énumérer  l'une  après  l'autre.  Il  a  dit  :  «  Chassons 
qui  nous  gêne!  »  (Très  bien!  et  applaudissements  à  droite 
et  au  centre.) 

Oui ,  voilà  le  système  de  gouvernement  :  Chassons 
qui  nous  gêne  !   Chassons  les  congrégations  si  elles  nous 

gênent (Exclamations    à    gauche.   —   Approbation    à 

droite.) 

M.  Paris.  Il  a  dit  aussi  :  «  Sus  au  Sénat!  » 

M.  Jules  Simon...  Chassons  les  prêtres  des  écoles  où  ils 
nous  gênent;  chassons  les  insignes  de  la  religion  partout 
où  ils  nous  gênent  :  chassons-les  des  tribunaux,  chassons- 
les  des  prisons,  chassons-les  des  cimetières;  chassons-les! 
chassons-les!  Chassons  ce  qui  nous  gêne,  chassons  les 
magistrats  qui  rendent  des  arrêts  et  qui  ne  veulent  pas 


DISCOURS    DE    M.    JULES    SIMON  36i 

rendre  des  services.  (Allons  donc!  à  gauche.  —  Très  bien! 
très  bien!  à  droite  et  au  centre.) 

Chassons  l'inamovibilité,  qui  est  la  sauvegarde  de  la  loi  ; 
chassons  le  Sénat,  s'il  nous  fait  obstacle  ;  chassons  les 
princes,  si  nous  craignons  qu'ils  nous  succèdent;  chas- 
sons-les !  chassons-les  !  (^Nouveaux  applaudissements  à 
droite.  —  Vives  protestations  à  gauche.) 

Eh  bien!  Messieurs,  commencez  par  les  princes;  per- 
sonne ne  saitjusqu'oii  cela  vous  conduira!  Jadis  vous  aviez 
aussi  commencé  par  les  jésuites;  rappelez-vous  où  cela 
vous  a  conduits.  Commencez  par  les  princes;  les  exilés 
que  vous  ferez  sortiront  du  territoire  ;  ils  seront  vos 
témoins,  ils  attesteront  à  la  postérité  que  la  France,  à 
l'heure  qu'il  est,  n'est  pas  maîtresse  et  sûre  d'elle-même... 
(Très  bien!  à  droite)  que  la  République  a  peur,  et  que  la 
lutte  qui  dure  depuis  cent  ans  entre  la  révolution  du  droit,^ 
qui  est  1789,  et  la  révolution  de  la  haine,  qui  est  1793, 
malgré  tant  de  sang  et  de  larmes,  n'est  pas  encore  termi- 
née. (Très  bien!  très  bien!  et  applaudissements  prolongés 
à  droite  et  au  centre.  —  L'orateur  en  descendant  de  la  tri- 
bune reçoit  les  félicitations  d'un  grand  nombre  de  ses  col- 
lègues du  centre  et  de  la  droite.) 

M.  Clamageran  parla  ensuite  en  faveur  du  projet 
voté  par  la  Chambre;  à  ses  arguments  sans  portée 
succéda  une  forte  et  concluante  riposte  de  M.  Léon 
Renault. 

M.  Léon  Renault  s'attacha  surtout  à  démontrer 
que  «  l'expulsion  proposée  était  une  dérogation 
au  droit  commun,  qu'elle  était  en  contradiction 
formelle  avec  les  principes  sur  lesquels  repose  la 


362  M.  LÉON  RENAULT,  M.  BARDOUX 

législation  pénale  de  tous  les  peuples  civilisés  ». 
Il  termina  par  cette  phrase  écrasante  :  «  On  vous 
dit,  Messieurs,  que  la  question  se  pose  entre  les 
princes  et  la  République  !  Non,  dans  la  réalité,  la 
question  se  pose  entre  la  République  et  la  Révo- 
lution. » 

Après  cet  excellent  discours,  la  séance  fut  levée, 
et  renvoyée  au  lendemain,  au  milieu  d'une  vive 
agitation. 

La  seconde  séance  de  la  discussion  sénatoriale 
fut  plus  émouvante  encore.  Le  débatfut  ouvert  par 
M.  Marcou,  un  radical  qui  se  hâta  de  se  déclarer 
«  Jacobin  »  pour  justifier  par  avance  la  brutalité  de 
ses  arguments,  pour  pouvoir  demander  à  l'aise 
V exécution  de  tous  les  princes.  C'est  de  ce  mot 
qu'il  qualifie  l'expulsion. 

M.  Bardoux  prit  ensuite  la  parole.  —  Son  dis- 
cours fut  un  des  plus  sages,  un  des  plus  beaux  de 
toute  cette  discussion.  Il  s'attacha  principalement 
à  détruire  les  théories  jacobines  du  précédent 
orateur,  et  à  montrer  au  Sénat  quelle  violation  du 
droit  il  allait  commettre,  quel  danger  il  allait  faire 
courir  à  la  République. 

Enfin  le  président  du  conseil  prit  la  parole. 
Dans  son  second  discours  on  retrouve,  exprimés 
pour  ainsi  dire  dans  les  mômes  termes  et  dans  le 
même  ordre,  les  arguments  invoqués  devant  la 
Chambre  par  M.  de  Freycinct.  Mais  il  insista  par- 
ticulièrement sur  deux  points.  Il  prétendit  démon- 


DISCOURS    DE   M.    DE   FREYCINET  363 

trer  au  Sénat  la  «  générosité  »  du  gouvernement, 
sa  force,  et  son  «  énergie  pour  le  maintien  de  l'or- 
dre ».  —  Au  lendemain  des  meurtres  de  Deca- 
zeville,  cette  assertion  sembla  étrange. 

11  s'efforça  en  outre  de  rassurer  ceux  qui  sem- 
blaient craindre  que  l'expulsion  des  Princes  ouvrît 
l'ère  des  proscriptions.  Avec  une  incroyable  assu- 
rance, le  président  du  conseil  prétendit  que  les  «me- 
nées monarchiques  s'opposaient  seules  à  l'union,  au 
calme  que  chacun  souhaite  »,  et  il  s'efforça  d'ef- 
frayer le  Sénat  sur  les  conséquences  du  rejet  du 
projet. 

C'est  toujours  là  l'argument  décisif  qu'on  em- 
ploie avec  le  Sénat,  et  cette  fois  encore  il  devait 
assurer  au  président  du  conseil  la  majorité  qu'il 
réclamait. 

Le  rapporteur,  M.  Bérenger,  monta  immédiate- 
ment à  la  tribune  et  déduisit  aussitôt  de  ce  dis- 
cours la  seule  conclusion  naturelle  qui  s'en 
dégageait,  c'est  qu'on  était  en  présence  d'une 
mesure  d'exception.  11  termina  par  ces  mots  de 
la  plus  grande  justesse  : 

«  Et  lorsque  vous  venez  dire  encore  :  je  vous 
demande  une  infraction  au  droit,  mais  c'est  pour 
une  heure,  et  nous  reviendrons  ensuite  à  la  loi,  où 
est  encore  la  difterence  avec  cette  parole  qui  est 
la  formule  de  tous  les  coups  d'Etat  :  «  Je  sors  de 
«  la  légalité  pour  rentrer  dans  le  droit  ?  » 

La  parole  fut  ensuite  donnée  à   M.  le  duc  d'Au- 


364  DISCOURS    DU  DUC    D^UDIFFRET-PASQUIER 

diffret-Pasquier.  Sa  protestation  si  digne,  si  com- 
plète, devait  avoir  et  eut  le  plus  grand  retentis- 
sement. 

M.  le  duc  d'AudifFret-Pasquier  s'alarmait  pour 
le  pays  de  le  voir  entraîné  sur  une  pente  fatale 
par  un  gouvernement  aveuglé,  et  son  discours 
renfermait  un  pressant  appel  à  la  sagesse  du 
Sénat  pour  prévenir  les  dangers  qu'il  prévoyait 
dans  l'avenir  : 

Ce  n'est  donc  pas  seulement  à  la  France  conservatrice, 
mais  à  la  France  libérale  que  j'en  appelle  de  vos  faiblesses 
et  de  vos  violences.  (Applaudissements  à  droite.) 

On  ne  s'arrête  pas,  Monsieur  le  président  du  conseil, 
dans  la  voie  où  vous  êtes  entré  et  dans  laquelle  vous  vou- 
lez entraîner  le  Sénat.  Croyez-vous  que  la  concession  que 
vous  lui  demandez,  quelque  excessive  qu'elle  soit,  satis- 
fasse le  parti  révolutionnaire.  Les  concessions  autorisent, 
encouragent  les  exigences,  les  audaces  nouvelles;  vous 
voudrez  vous  arrêter,  on  vous  dira  :  Marche,  marche 
encore!  (Très  bien!  sur  les  mêmes  bancs.) 

Il  termina  ainsi  : 

Vous  continuerez  à  persécuter  les  croyances  religieuses 
sous  prétexte  de  neutralité  (bruit  à  gauche)  ;  sous  prétexte 
d'épuration,  vous  continuerez  à  méconnaître  les  services 
rendus,  à  détruire  les  situations  honorablement  acquises; 
vous  épuiserez  nos  budgets  pour  satisfaire  les  intérêts 
électoraux  ;  vous  plierez  devant  les  exigences  toujours 
croissantes  du  conseil  municipal  de  Paris.  Vous  laisserez 
impunis  les  orateurs  de  réunions  publiques  qui  continue- 


CLOTURE   DE    LA   DISCUSSION   GÉNÉRALE  365 

ront  à  prêcher  l'incendie,  le  pillage,  à  demander  la  mort 
des  bourgeois  et  des  capitalistes  ;  enfin,  vous  proposerez 
de  nouvelles  lois  d'exception.  Toutes  ces  choses  nous  les 
avons  combattues,  nous  les  combattrons  encore,  nous  res- 
terons les  avocats  passionnés  de  la  liberté  de  conscience, 
de  l'indépendance  de  la  magistrature,  du  droit,  de  la  jus- 
tice enfin,  grandes  causes  que  le  pays  a  à  cœur  de  voir 
respecter,  parce  que  seules  elles  assurent  sa  i)rospérité,  sa 
dignité,  sa  paix.  (Vive  approbation  à  droite.)  Si  contre 
notre  espoir.  Messieurs,  vous  votez  la  loi  qu'on  vous  pro- 
pose, nous  vous  dirons  sans  découragement  comme  sans 
colère,  gardant  une  foi  imperturbable  dans  l'avenir  :  Nous 
acceptons  la  part  qui  nous  est  faite,  nous  vous  plaignons, 
mais  nous  ne  nous  plaignons  pas!  (Applaudissements  à 
droite.  —  L'orateur,  de  retour  à  son  banc,  est  félicité  par 
un  grand  nombre  de  ses  collègues.) 

La  droite  applaudit  chaleureusement  l'énergique 
orateur  dont  la  voix  vibrante  avait  si  bien  exprimé 
ce  que  pensait  chacun  de  ses  membres. 

La  clôture  de  la  discussion  générale  fut  pronon- 
cée, et  le  Sénat  décida,  par  assis  et  levé,  de  pas- 
ser à  la  discussion  des  articles  du  projet  de  loi 
voté  par  la  Chambre. 

M.  Marcel  Barthe  défendit  alors  un  contre-pro- 
jet, dans  lequel  il  demandait  le  renvoi,  devant  les 
juges  chargés  de  connaître  des  attentats  contre  la 
sûreté  de  l'État,  toutes  les  manifestations  et  provo- 
cations qui  pourraient  se  produire.  Mais  le  Sénat 
refusa  de  le  discuter,  et  M.  de  Pressensé  vint  ex- 


366  VOTE    DE    LA   LOI 

pliquer  pourquoi  ses  amis  et  lui  s'opposaient  à 
tout  projet  d'expulsion. 

Le  scrutin  allait  donc  s'ouvrir  sur  l'article  l*""  du 
projet.  On  en  connaît  le  texte. 

Après  un  long  pointage  le  président  en  fit  con- 
naître le  résultat. 

L'article  1"  était  adopté  . 

par  137  voix  contre  122. 

Au  milieu  de  l'agitation  générale  causée  par  ce 
vote  le  président  mit  successivement  aux  voix  les 
autres  articles  du  projet.  Ils  furent  tous  adoptés  à 
main  levée.  Restait  à  voter  sur  l'ensemble. 

Le  président  annonça  qu'il  avait  reçu  une  de- 
mande de  scrutin  secret  à  la  tribune.  Sur  la  de- 
mande des  gauches,  celui-ci  eut  lieu  par  appel 
nominal. 

A  huit  heures  on  connut  le  résultat  : 

Le  projet  était  voté  dans  son  ensemble 

par  141  voix  contre  107. 

La  séance  fut  aussitôt  levée  au  milieu  de  la  plus 
vive  émotion.  Cette  fois  encore  le  Sénat  avait  pac- 
tisé avec  les  auteurs  de  ces  mesures  d'exception  et 
s'était  associé  à  l'iniquité  commise  par  la  Chambre 
des  députés. 

Dès  le  lendemain  matin  du  vote  du  Sénat,  le 
23  juin,  le  Journal  officiel  promulguait  la  loi  sui- 
vante, adoptée  par  la  Chambre  des  députés  et  le 
Sénat. 


LA  LOI  d'exil  367 

Loi  relative  aux  membres  des  familles  ayant  re'gné 
en  France. 

Le  Sénat  et  la  Chambre  des  députés  ont  adopté, 

Le  Président  de  la  République  promulgue  la  loi  dont  la 
teneur  suit  : 

Article  l•'^  —  Le  territoire  de  la  République  est  et 
demeure  interdit  aux  chefs  des  familles  ayant  régné  en 
France  et  à  leurs  héritiers  directs,  dans  l'ordre  de  primo- 
géniture. 

Art.  2.  —  Le  Gouvernement  est  autorisé  à  interdire  le 
territoire  de  la  République  aux  autres  membres  de  ces 
familles.  L'interdiction  est  prononcée  par  un  décret  du 
Président  de  la  République,  rendu  en  conseil  des  minis- 
tres. 

Art.  3.  —  Celui  qui,  en  violation  de  l'interdiction,  sera 
trouvé  en  France,  en  Algérie  ou  dans  les  colonies,  sera 
puni  d'un  emprisonnement  de  deux  à  cinq  ans.  A  l'expira- 
tion de  sa  peine,  il  sera  reconduit  à  la  frontière. 

Art.  4.  —  Les  membres  des  familles  ayant  régné  en 
France  ne  pourront  entrer  en  France  dans  les  armées  de 
terre  et  de  mer,  ni  exercer  aucune  fonction  publique,  ni 
aucun  mandat  électif. 

La  présente  loi,  délibérée  et  adoptée  par  le  Sénat  et  par 
la  Chambre  des  députés,  sera  exécutée  comme  loi  de  l'Etat. 

Fait  à  Paris,  le  22  juin  1886. 

Jules  Grévy. 

Par  le  Président  de  la  République  : 

Le  garde  des  sceaux,  ministre  de  la  justice, 

Demole. 

Le  ministre  de  l'intérieur, 

Sarrien. 


368       M^'  LE  COMTE  DE  PARIS  A  TALAVEYRA 

C'est  au  moment  où  le  Gouvernement  affolé 
allait  ainsi  frapper  les  princes,  que  M.  le  comte  de 
Paris  quitta  Lisbonne  pour  revenir  en  France. 

Le  train  qui  le  ramenait  s'arrêta  à  la  gare  espa- 
gnole de  Talaveyra  de  la  Reyna.  Les  voyageurs 
devaient  y  déjeuner.  Par  un  hasard  singulier,  le 
buffet  était  tenu  par  un  Français,  ancien  sergent 
aux  chasseurs  d'Orléans.  Il  avait  fait  les  cam- 
pagnes d'Afrique,  dans  le  même  régiment  que  le 
capitaine  Morhain  qui  accompagnait  le  prince.  Cet 
ancien  militaire,  très  empressé  pour  M.  le  comte 
de  Paris,  lui  apporte  pendant  son  déjeuner  une 
dépêche.  Elle  contenait  la  nouvelle  que  le  minis- 
tère, à  Paris,  se  décidait  à  déposer  la  proposition 
d'une  loi  d'exil  contre  les  princes. 

M.  le  comte  de  Paris  la  lut  silencieusement,  an- 
nonça à  ceux  qui  l'entouraient  qu'il  allait  se  ren- 
dre directement  au  château  d'Eu,  où  il  attendrait 
le  vote  des  Chambres,  entouré  de  tous  les  siens*. 

C'est  dans  ce  château  que  depuis  plus  de  dix 
ans  M.  le  comte  de  Paris  passait  la  plus  grande 
partie  de  son  temps,  heureux  de  vivre  dans  cette 
France  qu'il  aime  passionnément.  Le  prince  avait 
retrouvé  dans  cette  demeure  de  pieux  et  glorieux 

1.  Nous  nous  sommes  servi,  pour  le  récit  qui  suit,  de  plu- 
sieurs articles  du  Soleil,  très  exactement  renseigné  (articles 
réunis  dans  une  très  intéressante  brochure  :  L'Exil).  Nous  y 
avons  ajouté  nos  observations  personnelles  et  celles  du  Fran- 
çais et  du  Moniteur  universel. 


MAL.^DIE    DE    S.  A.  R.  LA    PRINCESSE    LOUISE  369 

souvenirs.  Nous  avons  déjà  dit  qu'avec  le  concours 
d'habiles  artistes,  il  avait  rendu  au  château  d'Eu 
son  ancienne  splendeur,  encouragé  encore  dans 
cette  restauration  par  la  pensée  que  ces  travaux 
étaient  une  source  de  bien-être  pour  les  ouvriers 
de  la  petite  ville  d'Eu.  Aussi,  M.  le  comte  de 
Paris  et  sa  famille  étaient-ils  adorés  dans  cette 
contrée,  où  lui  et  les  siens  se  plaisaient  à  faire  le 
bien. 

Pendant  les  phases  diverses  que  traversa  la  pro- 
position de  la  loi  d'exil,  M.  le  comte  de  Paris  et 
Madame  la  comtesse  de  Paris  virent  leurs  préoccu- 
pations s'aggraver  par  la  maladie  d'une  de  leurs 
filles,  la  princesse  Louise,  charmante  enfant  de 
cinq  ans,  La  princesse  Louise  qui  avait  été  souf- 
frante à  diverses  reprises,  l'hiver  précédent,  fut 
tout  à  coup  atteinte  d'une  fièvre  scarlatine,  qui  se 
présenta  accompagnée  de  symptômes  alarmants. 
Pendant  plusieurs  jours,  le  docteur  Henry  Gué- 
neau  de  Mussy,  l'ami  dévoué  des  princes,  ne  cacha 
pas  les  inquiétudes  sérieuses  que  lui  causait  l'état 
de  la  princesse. 

La  poste  et  le  télégraphe  apportaient  depuis 
plusieurs  jours  les  nombreuses  marques  de  sym- 
pathie de  tous  ceux  qui,  prévoyant  trop  bien  l'issue 
de  la  discussion,  voulaient  assurer,  à  ce  moment 
même,  le  chef  de  la  maison  de  France  de  leur 
respectueux  et  inébranlable  dévouement. 

Le  duc  de  Chartres,  accompagné  de  son  fils,  le 

24 


370  M.    LAMBERT   DE    SAINTE-CROIX 

prince  Henri,  était  venu  dès  le  lundi  s'installer  au 
château,  et  le  prince  de  Joinville  ne  tardait  pas  à 
s'y  rendre. 

Alors  que  le  Sénat  accomplissait  sa  triste  beso- 
gne, le  mardi  22  juin,  M.  le  duc  d'Aumale  quittait 
Chantilly  et  venait  rejoindre  M.  le  comte  de  Paris. 
Quelques  amis  fidèles,  empressés,  arrivaient  éga- 
lement de  Paris  tenant  à  se  trouver  près  du  prince 
à  l'heure  même  où  les  nouvelles  de  la  dernière 
séance  du  Sénat  seraient  connues  au  château. 

Parmi  eux,  M.  Lambert  de  Sainte-Croix,  un 
des  amis  les  plus  fidèles  des  princes,  à  la  parole 
persuasive  autant  que  spirituelle,  et  qui  pendant 
quinze  ans  a  montré  à  la  tribune  un  talent  d'ora- 
teur des  plus  distingués,  —  M.  Lambert  de  Sainte- 
Croix  possède  les  qualités  qui  font  les  bons  mi- 
nistres :  de  l'énergie,  du  sang-froid,  et  avec  beau- 
coup de  finesse  une  grande  facilité  de  parole. 

Il  entrait  dans  la  diplomatie  en  1848,  lors- 
qu'éclata  la  catastrophe  du  24  février.  Il  renonça 
à  suivre  une  carrière  qui  promettait  d'être  bril- 
lante, et  vint  porter  au  vieux  roi  Louis-Philippe 
en  exil  l'assurance  d'un  dévouement  absolu  que 
depuis  lors  rien  n'a  jamais  affaibli.  C'est  aujour- 
d'hui un  des  conseillers  les  meilleurs  et  les  plus 
écoutés  de  M.  le  comte  de  Paris. 

Après  le  dîner  où,  en  dehors  des  membres  de  sa 
famille  et  des  personnes  appartenant  à  sa  maison, 
avaient  pris  place  quelques  amis  intimes.  M.  le 


LA   DÉPÈCHE   APPRENANT    LE   VOTE    FINAL  371 

comte  de  Paris  passa  avec  les  princes  et  princesses 
et  ses  invités,  parmi  lesquels  se  trouvaient  le 
général  de  Charette  et  M.  E.  Hervé,  dans  la 
grande  bibliothèque  qui  se  trouve  au  premier 
étage  de  l'aile  gauche  du  château.  C'est  là  que 
furent  apportées  successivement  les  nombreuses 
dépêches  qui  annonçaient  la  clôture  de  la  dis- 
cussion, la  mise  aux  voix  du  premier  article,  vote 
qui  entraînait  l'adoption  du  projet  de  loi  tout 
entier. 

Les  dépêches  au  fur  et  à  mesure  de  leur  arrivée 
au  château  étaient  remises  à  M.  le  marquis  de 
Beauvoir  qui  les  donnait  à  M.  le  comte  de  Paris. 
Le  prince  était  assis  entre  ses  oncles,  le  duc  d'Au- 
male  et  le  prince  de  Joinville,  ayant  en  face  de  lui 
son  frère,  le  duc  de  Chartres.  Ce  fut  vers  neuf 
heures  et  demie  que  parvint  la  dernière  dépêche 
apprenant  le  vote  final;  M.  le  comte  de  Paris  la  lut 
d'une  voix  profondément  émue,  puis  il  ajouta  au 
milieu  de  l'émotion  indescriptible  qui  s'était  em- 
parée de  tous  :  «  C'est  fait,  je  partirai  jeudi.  » 

Toutes  les  personnes  présentes  s'étaient  levées; 
pas  un  mot,  pas  une  parole,  tant  jl'on  était  ému 
par  la  grandeur  et  la  simplicité  de  ce  prince,' si 
injustement  et  si  cruellement  frappé. 

Le  silence  se  prolongea  pendant  quinze  mor- 
telles minutes.  Tout  le  monde  était  debout.  Les 
femmes  essayaient  d'étouffer  leurs  sanglots.  Le 
silence  fut  rompu  par  le  duc  d'Aumale,  qui  de  sa 


372        M^""    LE    COMTE   DE    PARIS   ET   LE   DUC   D  AUMALE 

voix  claire,  voilée  pourtant  par  la  tristesse,  dit 
gravement  :  «  Messieurs,  notre  histoire  a  connu 
bien  des  crimes,  elle  a  enregistré  bien  des  lâche- 
tés, mais  jamais  aucune  comparable  à  celle  qui 
vient  d'être  commise  !  » 

M.  le  comte  de  Paris  se  tourna  vers  lui  :  «  Mon 
oncle,  dit-il,  je  vous  remercie  hautement  d'être 
venu  auprès  de  moi  dans  cette  heure  d'épreuve, 
quand  je  suis  frappé  avec  autant  de  cruauté  que 
d'injustice. 

—  Tu  sais  bien,  répondit  affectueusement  le 
duc  d'Aumale,  quoi  que  l'on  puisse  dire,  que  je 
serai  toujours  près  de  toi  et  avec  toi.  » 

Il  se  fit  un  nouveau  silence.  Puis  M.  Lam- 
bert de  Sainte-Croix  ajouta  quelques  mots  sur 
«  ceux  qui,  après  avoir  voté  cette  loi,  pourront 
dormir  tranquillement  cette  nuit  !  —  En  tout  cas, 
reprit  le  général  de  Gharette,  j'ai  foi  dans  la  Provi- 
dence et  j'attends  avec  une  confiance  absolue 
l'heure  du  réveil  !  » 

A  ce  moment,  Madame  la  comtesse  de  Paris 
entra.  On  voyait  qu'elle  avait  pleuré.  Mais  son 
courage  s'était  vite  raffermi,  sa  voix  était  ferme  : 
«  Allons  !  dit-elle,  c'est  fini  !  reprenons  notre  vie 
errante  !  Quand  plaira-t-il  à  Dieu  d'y  mettre  un 
terme  !  »  Puis,  ?;c  tournant  vers  son  fils  :  «  Mon 
cher  enfant,  lui  dit-elle,  va  te  reposer.  Tâche  de 
conserver  tes  forces,  et  apprends  à  regarder  le 
malheur  en  face  !  » 


ÉNERGIE   DE   MABAME   LA   COMTESSE   DE   PARIS  373 

Tous  les  assistants  s'approchèrent  alors  de  la 
famille  royale,  et  sans  échanger  un  mot  de  banale 
consolation,  les  yeux  remplis  de  larmes,  s'incli- 
nèrent devant  les  princes,  baisèrent  la  main  de  la 
princesse,  et  sortirent,  laissant  seuls  les  quatre 
princes  et  Madame  la  comtesse  de  Paris. 

Au  moment  où  le  général  Charette  quittait  le 
salon,  le  duc  d'Aumale  se  leva  et  alla  à  sa  ren- 
contre :  «  Général,  lui  dit-il,  je  n'ai  pas  toujours 
partagé  vos  idées,  et  ne  les  partage  pas  encore 
toutes,  mais  laissez-moi  le  plaisir  de  serrer  encore 
une  fois  la  main  d'un  vaillant  soldat  et  d'un  hon- 
nête homme  !  »  Le  général,  très  ému,  lui  serra  la 
main  et  sortit.  Puis,  rencontrant  à  la  porte  les  amis 
qui  l'attendaient  pour  partir  :  «  Oui,  dit-il,  ceux 
qui  les  persécutent  ont  raison  de  le  dire  :  ce  ne 
sont  pas  des  hommes  comme  les  autres  !  »  C'est 
ainsi  que  se  termina  au  château  d'Eu  la  soirée  du 
jour  où  le  Sénat  vota  la  «  loi  Freycinet  ». 

Le  lendemain,  Madame  la  comtesse  de  Paris,  fai- 
santtaireles angoisses  de  soncœurdemère,  déclara 
son  intention  d'accompagner  M.  le  comte  de  Paris. 
Elle  reviendrait  ensuite  auprès  de  sa  chère  ma- 
lade, après  avoir  accompli  son  devoir  d'épouse 
dévouée.  Au  milieu  de  la  tristesse  générale. 
Madame  la  comtesse  de  Paris  allait  à  tous,  rani- 
mant les  courages  et  les  espérances. 

La  nouvelle  du  vote  de  la  loi  ne  tarde  pas  à  se 
répandre  dans  la  ville.  Devant  la  grille  du  château 


374  GRANDE   AFFLUENCE    A   EU 

se  tiennent  un  certain  nombre  d'habitants  anxieux. 
Bien  que  l'on  ne  pût  guère  se  faire  illusion  sur 
l'issue  de  la  discussion,  l'annonce  du  vote  final 
cause  une  sorte  de  stupeur.  Tous  ces  braves  gens 
ne  pouvaient  croire  que  ces  princes,  si  bons,  si 
généreux,  allaient  être  frappés  d'une  peine  aussi 
cruelle  que  ce  bannissement  perpétuel,  eux  à  qui  on 
ne  pouvait  reprocher  que  d'aimer  trop  ardemment 
la  France,  et  de  désirer  son  relèvement  glorieux. 

Les  Compagnies  du  Nord  et  de  l'Ouest  avaient 
vu  dès  le  matin  leurs  trains  littéralement  pris  d'as- 
saut par  de  nombreux  voyageurs,  qui  venaient  à 
Eu,  saluer,  avant  leur  dépari  pour  l'exil,  M.  le 
comte  de  Paris  et  son  fils,  M.  le  duc  d'Orléans.  Les 
hôtels  de  la  petite  ville  se  trouvent  bientôt 
envahis,  puis  les  maisons  particulières  sont  mises 
à  contribution,  tous  les  lits  vacants  sont  pris, 
enfin  un  grand  nombre  de  personnes  sont  forcées 
d'aller  au  Tréport,  et  jusqu'à  Dieppe,  chercher  un 
gite  qui  ne  tarde  pas  à  devenir  fort  difficile  à  trou- 
ver dans  ces  deux  localités. 

A  la  porte  de  la  grille  du  château  se  pressent, 
dès  midi,  tous  ceux  qui  veulent  présenter  au  chef 
de  la  maison  de  France  le  témoignage  de  leur  res- 
pectueux dévouement.  Après  avoir  contourné  la 
pelouse  qui  s'étend  devant  le  château,  on  pénètre 
dans  la  salle  des  Chasses  et,  par  un  escalier  tout 
tendu  de  tapisseries,  on  arrive  au  premier  étage, 
dans  la  fameuse  salle  des  Guises. 


RÉCEPTION  DANS  LA  GALERIE  DES  GUISES      375 

Cette  immense  galerie,  dont,  les  nombreuses 
fenêtres  s'ouvrent  sur  les  deux  façades  principales 
du  chàleau,  doit  son  nom  aux  portraits  de  tous  les 
princes  de  la  famille  de  Guise  qui  en  couvrent  les 
murs.  En  face  du  beau  marbre  représentant  Jeanne 
d'Arc,  dû  au  ciseau  de  la  princesse  Marie  d'Or- 
léans, vers  le  milieu  de  la  salle,  se  tiennent  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris, 
ayant  à  leurs  côtés  le  duc  d'Orléans,  la  princesse 
Hélène,  le  duc  de  Chartres,  le  prince  Henri  d'Or- 
léans, le  duc  d'Aumale  et  le  prince  de  Joinville. 

M.  le  baron  de  Chabaud-Latour,  l'un  des  secré- 
taires du  prince,  et  M.  le  marquis  de  Beauvoir 
présentent  les  visiteurs;  M.  le  comte  de  Paris  a 
pour  tous  une  parole  d'encouragement,  qui  va 
droit  au  cœur. 

Les  députés  ne  devaient  se  réunir  que  le  jeudi 
au  château  ;  seule  la  députation  du  Nord  qui  de- 
vait être  retenue  ce  jour-là  à  Paris,  par  une  dis- 
cussion importante,  vient  le  mercredi  présenter 
l'hommage  de  ses  respectueuses  sympathies. 
M.  Plichon,  chargé  de  parler  au  nom  de  ses  col- 
lègues, adresse  un  discours  ému  auquel  le  prince 
répond  par  ces  paroles  :  «  Ayez  confiance,  comme 
j'ai  confiance,  moi-même.  »  M.  le  comte  de  Paris, 
apercevant  des  larmes  dans  les  yeux  de  ses  amis, 
les  console,  leur  dit  que,  si  pénible  que  soit  cette 
séparation,  elle  aura  un  terme  ;  puis  il  recom- 
mande une   union  plus  ferme  que  jamais  de  tous 


376  LA   POPULATION   VA    s'iNSCRIRE   AU    CHATEAU 

les  membres  du  grand  parti  conservateur  qui  ne 
doit  jamais  désespérer.  Il  ajoute  ce  mot  :  (f  La  rési- 
gnation fait  des  saints,  mais  non  des  rois.  ».   .   .   . 

Cette  fermeté,  cette  confiance  dans  l'avenir, 
impressionnent  vivement  les  assistants. 

Pendant  près  de  trois  heures  défile  devant  les 
princes  une  foule  énorme  venue  de  tous  les  points 
de  la  France.  Sur  la  place  située  devant  la  grille 
du  château,  un  grand  nombre  d'habitants  assistent 
à  l'entrée  et  à  la  sortie  de  ces  amis  connus  et  in- 
connus, qui  viennent  dans  un  même  élan  se  ranger 
aux  côtés  du  chef  de  la  maison  de  France.  Les  re- 
gistres déposés  dans  la  loge  du  concierge  se  cou- 
vrent rapidement  de  signatures.  Ce  n'est  pas  sans 
émotion  qu'à  côté  des  noms  célèbres  de  nos 
grandes  ftimilles,  on  voit  les  paraphes  de  culti- 
vateurs, d'ouvriers  et  de  pêcheurs  sachant  à  peine 
écrire.  Des  femmes  du  peuple  sont  là  regardant 
tout  ce  mouvement,  comprenant  le  malheur  qui 
les  frappe,  et  cachant  leur  visage  inondé  de 
larmes. 

M.  le  comte  de  Paris,  ayant  décidé  de  quitter  la 
France,  avait  donné  Tordre  de  noliser  au  Tréport 
un  paquebot  de  la  ligne  de  Dieppe  à  Newliaven. 
Mais  depuis  deux  jours,  un  vent  violent  souf- 
flait du  large,  et  l'on  avait  craint  que  le  vapeur  ne 
pût  entrer  au  Tréport,  dont  le  bassin  est  peu  pro 
fond.  Depuis  le  matin,  cependant,  la  Victoria  y  est 
amarrée;    ce   bateau,    sous  pavillon   anglais,    est 


LETTRES    ET   TÉLÉGRAMMES    ADRESSÉS   AU    PRINCE      377 

commandé  par  le  capitaine  Stubbs.  Curieux  rap- 
prochement :  M.  le  comte  de  Paris  va  s'embarquer 
pour  l'exil  à  l'endroit  même  où,  quarante  ans  aupa- 
ravant, était  descendue  de  son  yacht  royal  la  reine 
Victoria  venant  d'Angleterre  pour  rendre  visite 
au  roi  Louis-Philippe,  qui  l'avait  reçue  dans  ce 
même  château  d'Eu. 

Durant  toute  cette  journée,  M.  le  comte  de 
Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  reçoivent  de 
toutes  les  parties  de  la  France  télégrammes  et 
lettres,  témoignages  touchants  de  l'émotion  pé- 
nible de  tous  ceux  qui,  ne  pouvant  se  rendre  à  Eu, 
veulent  du  moins  rendre  aux  exilés  un  suprême 
hommage. 

Le  bruit  court  que  le  gouvernement,  redoutant 
une  manifestation,  voudrait  contraindre  le  prince 
à  partir  brusquement  le  lendemain  à  cinq 
heures  du  matin.  Les  amis  du  prince,  indignés, 
l'engagent  vivement,  dans  ce  cas,  à  se  rendre  à 
cinq  heures  du  matin  à  bord  de  la  Victoria,  sous 
pavillon  anglais,  et  à  y  rester  jusqu'à  l'heure  qu'il 
a  fixée  pour  son  départ. 

Le  gouvernement  a  déployé  toutes  les  res- 
sources que  lui  fournissent  la  gendarmerie,  la  po- 
lice et  l'armée.  Le  matin,  une  affiche  manuscrite 
ainsi  conçue  avait  été  placardée  au  Tréport  : 

Mairie  du  Tréport. 
M.  le  comte  de  Paris  devant  probablement  effectuer  son 
embarquement  par  le  port  du  Tréport, 


378       DÉPÈCHES   DU    SOUS-PRÉFET   A   LA    GENDARMERIE 

Le  maire  du  Tréport  invite  la  poi)ulation  à  avoir  à  cette 
occasion  une  attitude  respectueuse  et  calme,  et  à  n'obéir  à 
aucune  incitation  au  désordre. 

Le  maire  du  Tréport, 

(Signé)  Papin. 

(Cachet  de  la  mairie.) 

Dès  mercredi,  toute  la  gendarmerie  des  envi- 
rons est  consignée,  tant  au  Tréport  qu'à  Eu;  le 
capitaine  qui  commande  le  détachement  réuni  à 
Eu  vient  de  faire  une  si  fâcheuse  chute  de  cheval, 
devant  la  grille  du  château,  qu'il  s'est  brisé  la 
jambe.  M.  le  comte  de  Paris  envoie  un  de  ses 
secrétaires,  à  deux  reprises,  prendre  des  nouvelles 
du  malheureux  officier. 

Pendant  toutes  les  réceptions  qui  se  succèdent, 
le  prince  recommande  à  tous  ceux  qui  assisteront 
au  départ  de  rester  calmes  et  d'éviter  de  prendre 
part  à  des  manifestations  qui  pourraient  être  orga- 
nisées par  des  agents  provocateurs,  dont  on  avait 
remarqué  depuis  quelques  jours  les  démarches  et 
les  allures  louches.  Huit  brigades  de  gendarmerie 
avaient  été  envoyées  au  Tréport!... 

Le  23  juin,  le  sous-préfet  de  Dieppe  télégra- 
phiait de  Dieppe  à  3  heures  12  minutes  et  invitait 
le  capitaine  de  gendarmerie  du  Tréport  à  se  rendre 
un  compte  exact  des  gendarmes  dont  il  aurait 
besoin  le  lendemain,  eu  égard  au  nombre  des  per- 
sonnes arrivant  de  Paris  et  des  campagnes  voi- 
sines. 


LA.  DERNIÈRE  MESSE  AU  CHATEAU         379 

Il  lui  recommandait  de  lui  télégraphier,  le  jour 
même,  le  chiffre  approximatif  des  arrivants,  les 
dispositions  qu'il  prenait,  et  s'il  croyait  que  trois 
ou  six  brigades  lui  suffiraient. 

Le  lieutenant  de  gendarmerie  répondit  (en  rem- 
placement du  capitaine  Leclerc  blessé  à  la  suite 
d'une  chute  de  cheval)  que  le  nombre  des  arri- 
vants, le  23  juin,  était  peu  considérable,  qu'il 
croyait  savoir  que  certainement  il  augmenterait 
le  lendemain,  et  qu'il  n'y  avait  rien  à  diminuer  à 
l'effectif  des  brigades. 

Le  vent,  qui  avait  soufflé  en  tempête  durant 
toute  la  soirée  de  la  veille,  et  donnait  môme  de 
sérieuses  appréhensions  sur  la  possibilité  de  sortir 
du  port,  est  complètement  tombé  dans  la  nuit,  et 
un  radieux  soleil  éclaire  la  dernière  matinée  que 
M.  le  comte  de  Paris  doit  passer  en  France  avant 
son  départ  pour  l'exil.  Dès  six  heures  du  matin, 
unemesse  estdite  danslachapelledu  château.  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  y 
assistaient,  avec  M.  le  duc  d'Orléans,  M'"''  la  prin- 
cesse Hélène,  M.  le  duc  de  Chartres,  M.  le  prince 
Henri  d'Orléans,  M.  le  duc  d'Aumale,  M.  le  prince 
de  Joinville,  M.  le  duc  d'Alençon,  arrivé  de  la 
veille,  et  toutes  les  personnes  faisant  partie  de  la 
maison  du  prince. 

Les  cloches  retentissaient  joyeusement  dans  le 
clocher  de  l'église  paroissiale  située  en  face  du 
château;  c'était,  en  effet,  jour  de  fête  pour  l'Église, 


380  ADIEUX   AUX    SERVITEURS 

qui  célébrait  la  Fête-Dieu  et  la  première  com- 
munion des  enfants  de  la  ville.  En  ce  moment  si 
tristepour  eux,  voulantdonner  une  dernièrepreuve 
de  sympathie  à  ceux  qu'ils  allaient  quitter,  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris, 
avec  leurs  enfants  le  duc  d'Orléans  et  la  princesse 
Hélène,  vont  prier  à  l'église,  au  milieu  de  tous  ces 
braves  gens  recueillis.  En  rentrant  au  château, 
vers  neuf  heures,  les  princes  se  rendent  dans  la 
grande  galerie  des  Chasses,  où  commencent  alors 
les  adieux  du  personnel  du  château.  Successi- 
vement défilent  tous  ces  loyaux  serviteurs,  les 
garde-chasses  et  tous  les  gens  de  la  maison.  Bien 
des  larmes  coulent,  montrant  quel  attachement  ils 
ont  au  fond  du  cœur  pour  leurs  maîtres,  qu'ils  ne 
reverront  peut-être  plus. 

Vers  dix  heures,  à  travers  la  foule  qui  com- 
mence à  affluer  devant  la  grille,  M.  IsaïeLevaillant, 
directeur  de  la  Sûreté  générale,  se  faufile  dans  le 
château  et  demande  à  parler  à  M.  le  comte  de 
Paris.  Le  prince,  prévoyant  quelque  communi- 
cation de  l'autorité,  avait  désigné  l'un  de  ses  secré- 
taires, M.  le  comte  d'Haussonville,  pour  la  rece- 
voir. M.  Levaillant  fut  donc  contraint  de  renoncer 
à  voir  le  prince,  et,  paraissant  fort  ennuyé,  déclara 
à  M.  d'Haussonville  qu'il  était  chargé  d'une  mis- 
sion officieuse  de  la  part  de  M.  de  Freycinet.  Le 
président  du  conseil  faisait  savoir  à  M.  le  comte 
de  Paris  qu'en  raison   de  l'élat    de    santé   de  la 


LE   COMTE   d'hATJSSONVILLE   ET   M.    LEVAILLANT        381 

princesse  Louise,  il  était  tout  disposé  à  accorder 
un  délai  de  quelques  jours  si  le  prince  en  expri- 
mait le  désir. 

«  Je  connais  assez  la  pensée  de  Monseigneur, 
répond  M.  le  comte  d'Haussonville,  pour  n'avoir 
point  besoin  de  lui  faire  part  de  cette  proposition. 
M^''  le  comte  de  Paris  ne  demande  de  faveur  à  per- 
sonne et  ne  saurait  en  accepter.  U«'  le  comte 
de  Paris  et  M.  le  duc  d'Orléans  partiront  donc 
aujourd'hui  à  l'heure  fixée. 

—  Nous  avons  pris  des  mesures  pour  le  main- 
tien de  l'ordre,  ajoute  le  directeur  de  la  sûreté,  et, 
si  vous  le  désirez,  je  me  tiens  complètement  à 
votre  disposition  pour  faire  évacuer  les  abords  du 
quai  d'embarquement. 

C'est  affaire  au  gouvernement  de  maintenir 

Tordre,  répond  M.  le  comte  d'Haussonville.  Si  la 
police  croit  utile  de  prendre  des  précautions,  cela 
ne  saurait  en  rien  regarder  le  prince,  qui  ne 
demande  nullement  son  assistance.  » 

A  onze  heures,  les  grilles  du  château  sont  ou- 
vertes; sur  plusieurs  tables  sont  placés  des  re- 
o-istres  où  viennent  s'inscrire  en  foule,  les  per- 
sonnes de  tout  rang  qui  se  pressent  pour  assister 
à  la  réception  d'adieu  du  prince.  Pour  permettre  à 
la  population  de  saluer  ceux  que  l'on  appelle  les 
bienfaiteurs  du  pays,  l'on  a  décidé  que  cette  der- 
nière réception  aurait  lieu  en  plein  air. 

Le  long    de  la  façade  du  château   qui   regarde 


382  ADIEUX   A   TOUS    DANS    LE    JARDIN 

leTréport  et  la  mer,  devant  un  magnifique  parterre 
à  la  française,  ombragé  d'arbres  centenaires  et 
bordé  de  massifs  de  rosiers  en  fleurs,  sur  un  vaste 
perron,  viennent  prendre  place  M.  le  comte  de  Paris 
et  Madame  la  comtesse  de  Paris,  M.  le  duc  d'Or- 
léans, la  princesse  Hélène,  le  duc  de  Chartres,  le 
prince  Henri  d'Orléans,  le  duc  d'Aumale,  le  prince 
de  Joinville,  le  duc  d'Alençon.  Autour  des  princes 
se  groupent  les  personnes  attachées  à  leur  maison 
et  les  amis  les  plus  intimes. 

Le  défilé  commence,  et  dure  pendant  près  de 
deux  heures.  Avec  un  calme  et  un  ordre  parfaits, 
cette  foule  d'amis,  souvent  obscurs  ou  inconnus, 
s'approche  et  vient  apporter  son  tribut  d'hom- 
mages respectueux  à  ces  princes  qu'ils  ont  appris 
depuis  longtemps  à  aimer.  M.  le  comte  de  Paris,  Ma- 
dame la  comtesse  de  Paris,  tendent  la  main  à  tous, 
et  il  est  touchant  de  voir  ces  braves  gens,  dont  un 
grand  nombre  en  blouse,  s'approcher  tremblants, 
les  yeux  remplis  de  larmes,  et  presser  avec  émo- 
tion ces  mains  qui  leur  sont  si  affectueusement 
données.  On  ne  peut  rappeler,  malheureusement, 
tous  les  incidents  émouvants  qui  se  produisent, 
toutes  les  paroles  qui  s'échangent;  c'est  un  spec- 
tacle qui  ne  s'oubliera  pas  dans  ce  pays,  et  qui  por- 
tera ses  fruits.  La  princesse  Hélène,  avec  sa  grâce 
charmante,  et  le  duc  d'Orléans,  dont  on  remarque 
la  bonne  mine  et  l'allure  mâle,  serrent  également 
avec  empressement  toutes  ces  mains  tendues  vers 


VIVE   EMOTION   DÈS    ASSISTANTS  383 

eux.  On  songe  avec  tristesse  à  ce  jeune  prince, 
qui,  dans  un  âge  où  l'on  ne  s'occupe  que  de  jeux 
ou  d'études,  va  faire  le  dur  apprentissage  de  la 
vie  et  connaître  les  amertumes  de  l'exil. 

Après  cette  foule  respectueuse  et  attendrie,  les 
princes  reçoivent  les  sénateurs  et  les  députés 
royalistes.  M.  le  comte  de  Paris  leur  adresse  ses 
adieux,  leur  dit  qu'il  s'éloigne,  contraint,  forcé, 
de  sa  chère  patrie,  mais  qu'il  ne  cessera  un  seul 
jour  de  travailler  au  bonheur  et  au  relèvement  de 
la  France.  Ces  paroles,  prononcées  avec  feu,  pro- 
duisent une  émotion  profonde  parmi  tous  les 
représentants  du  pays. 

M.  de  Baudry  d'Asson,  député  de  la  Vendée,  lui 
exprime  avec  chaleur  la  profonde  sympathie  des 
Vendéens. 

Le  moment  du  départ  approchait,  et  les  princes 
s'apprêtaient  à  prendre  le  chemin  de  l'exil,  quand 
un  grand  nombre  d'ouvriers,  de  femmes  et  d'en- 
fants qui  n'avaient  pu  encore  être  reçus,  deman- 
dent la  faveur  de  les  voir  une  dernière  fois.  Le 
défilé,  interrompu  un  moment,  recommence  donc,  il 
estpeut-êtreplus  émouvant  queles  réceptions  pré- 
cédentes. Madame  la  comtesse  de  Paris,  qui  s'était 
contenue  jusque-là,  ne  peut  retenir  ses  larmes  en 
serrant  toutes  ces  mains  amies  et  dévouées.  Un 
ouvrier  dit  en  s'essuyant  les  yeux  :  «  Je  suis  plus 
heureux  que  ce  pauvre  prince,  je  rentrerai  chez 
moi  ce   soir.  »    Un  grand  nombre  de  marins    du 


384  DÉPART   DU    CHÂTEAU 

Tréport  étaient  venus  avec  leurs  femmes  et  leurs 
enfants,  et  baisaient  en  pleurant  les  mains  de 
Madame  la  comtesse  de  Paris. 

A  deux  heures,  après  avoir  fait  leurs  adieux  à 
leurs  enfants,  à  M.  le  duc  d'Aumale,  à  M.  le  prince 
de  Joinville  et  à  M.  le  duc  d'Alençon,  M.  le  comte 
de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris  quittent  le 
château  d'Eu,  accompagnés  de  M.  le  duc  d'Orléans 
et  de  M.  le  duc  de  Chartres.  Le  long  des  allées 
qui  mènent  du  château  à  la  grille,  sur  la  place, 
ainsi  que  sur  les  marches  de  l'église  et  sur  la  ter- 
rasse qui  l'entoure,  tous  les  habitants  s'étaient 
groupés,  et,  tête  nue,  attendaient  le  passage  des 
voitures,  qui  allaient  conduire  jusqu'au  Tréport 
les  exilés  et  leurs  compagnons. 

Dans  la  première  se  trouvaient  M.  le  comte  de 
Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris,  ayant  devant 
eux  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de  Chartres.  Puis 
venaient  sept  autres  voitures  emmenant  les  prin- 
cipales personnes  de  la  suite  des  princes,  ainsi 
que  quelques-uns  de  leurs  amis  intimes.  Les  voi- 
tures prennent  la  route  du  Tréport.  Sur  leur  pas- 
sage aucun  cri  ne  se  fait  entendre,  tant  l'émotion 
étreint  tous  ces  braves  gens,  dont  les  figures 
inondées  de  larmes  expriment  la  douleur  qu'ils 
éprouvent  en  voyant  partir  les  princes  exilés.  Les 
chapeaux,  les  mouchoirs,  s'agitent,  et  l'on  suit  des 
yeux,  aussi  loin  que  l'on  peut,  les  voitures  qui 
s'éloignent  rapidement.   Des  ouvriers,   abandon- 


d'eu  au  tréport  385 

liant  leurs  travaux  des  champs,  accourent  et  crient  : 
«  Au  revoir,  Monseigneur!  » 

La  route  magnifique  qui  mène  au  Tréport  tra- 
verse la  belle  propriété  d'Eu,  que  le  prince  s'était 
plu  à  embellir  et  avait  doté  de  tous  les  perfection- 
nements de  l'agriculture  moderne.  Tous  les  chan- 
gements opérés  dans  ces  dernières  années  étaient 
l'œuvre  personnelle  du  prince,  et  son  activité 
incessante  lui  avait  permis  de  surveiller  tous  les 
détails  de  cette  importante  organisation  '. 

Pendant  que  M.  le  comte  de  Paris  et  sa  suite  se 
dirigent  vers  le  Tréport,  une  foule  énorme  se 
masse  depuis  plusieurs  heures  tout  autour  du 
bassin  dans  lequel  chauffe  le  paquebot /«  Victoria. 

Plus  de  vingt  mille  personnes  avaient  pris  place 
sur  les  quais,  aux  fenêtres  des  maisons  et  des 
hôtels,  partout  d'oi^i  l'on  pouvait  voir  le  départ. 

Le  service  d'ordre  était  fait  par  les  brigades  de 
gendarmerie  de  la  ville  et  des  environs,  par  le 
24*  de  ligne  et  par  les  douaniers.  Un  espace  libre 
avait  été  réservé  sur  le  quai  pour  laisser  passer 
M.  le  comte  de  Paris  et  sa  suite.  Auprès  de  la  pas- 
serelle par  laquelle  il  devait  s'embarquer  sur  le 
bateau,  avaient  pris  place  les  sénateurs,  les  dépu- 
tés et  les  représentants  de  la  presse.  Les  autres 
assistants  entouraient  le  bassin  comme  s'ils  avaient 
pris  place  dans  un  immense  cirque. 

1.  Voir  appendice  VI  :  M^''  le  comte  de  Paris,  agriculteur. 


386  EMBARQUEMENT    DE    M'''    LE    COMTE    DR    PAIMS 

A  deux  heures  et  demie,  la  voiture  de  M.  le 
comte  de  Paris,  marchant  en  tête  du  cortège,  ap- 
paraît à  l'extrémité  du  port,  devant  l'hôtel  d'An- 
gleterre, et  traverse  le  pont  qui  conduit  au  quai 
d'embarquement. 

A  ce  moment,  un  silence  solennel  se  fait  dans 
la  foule.  Tous  les  cœurs  sont  serrés,  tous  les  yeux 
se  tournent  vers  l'endroit  par  lequel  arrive  le 
prince.  Les  voitures  viennent  de  s'arrêter  en  face 
du  bateau.  M.  le  comte  de  Paris,  en  redingote 
noire  boutonnée,  avec  un  chapeau  haut  de  forme, 
descend  de  voiture,  s'engage  sur  la  passerelle  et 
va  prendre  place  sur  le  pont  de  la  Victoria. 

Au  moment  précis  où  il  met  le  pied  sur  le  ba- 
teau, le  pavillon  national  aux  trois  couleurs  est 
hissé  au  haut  du  grand  mât,  et,  s'abaissant  par 
trois  fois,  salue  le  descendant  de  saint  Louis  et 
d'Henri  IV. 

On  avait  offert  à  M.  le  comte  de  Paris  d'arborer 
un  drapeau  portant  sur  les  couleurs  nationales  les 
armes  de  sa  maison  :  «  Non,  rien  que  la  France, 
rien  que  le  drapeau  français,  »  avait  répondu  le 
prince. 

A  la  vue  du  drapeau  national,  les  acclamations 
éclatent.  On  crie  :  «  Vive  le  comte  de  Paris  !  » 

Le  prince  se  découvre,  salue  d'abord  le 
drapeau,  ensuite  la  foule,  et  crie  d'une  voix  forte  : 
«  Vive  la  France  !  » 

Autour  de  luiont  prisplace  :Madame  la  comtesse 


ACCLAMATIONS    DE    LA    FOULE  387 

de  Paris,  le  duc  d'Orléans,  le  duc  de  Chartres  et 
son  fils  aîné,  le  prince  Henri;  le  duc  de  Noailles, 
le  duc  de  la  Trémoille,  le  marquis  d'Harcourt, 
le  comte  d'Haussonville,  le  marquis  de  Beauvoir, 
M™"  la  vicomtesse  de  Butler,  dame  d'honneur  de 
Madame  la  comtesse  de  Paris;  MM.  le  comte  de  la 
Ferronnays,  le  comte  Olivier  de  Bondy,  baron  de 
Chabaud  la  Tour,  Saint-Marc -Girardin,  Aubry- 
Vitet,  marquis  d'Audiffret-Pasquier,  de  Saporta, 
Camille  Dupuy,  secrétaire  particulier  du  prince; 
Froment,  précepteur  du  duc  d'Orléans. 

M.  le  comte  de  Paris,  se  souvenant  du  titre  qu'il 
porte,  et  de  la  ville  où  il  est  né,  a  invité  spéciale- 
ment M.  Calla,  ancien  député  de  Paris,  et  MM.  Ga- 
mard,  Cochin,  Despatys  et  Dufaure,  conseillers 
municipaux  de  Paris,  à  raccompagner  jusqu'en 
Angleterre. 

Quelques  personnes,  parmi  lesquelles  M.  le 
baron  V.de  Noirfontaine,  M.deLéris,  M.  Barnard, 
du  New-York  Herald,  avaient,  par  une  faveur 
exceptionnelle,  été  autorisées  à  suivre  les  princes 
jusqu'à  Douvres,  et  complétaient  le  nombre  des 
passagers  de  la  Victoria. 

Au  moment  où  Madame  la  comtesse  de  Paris  prend 
place  à  côté  du  prince,  on  lui  présente  des  bou- 
quets qui  viennent  d'arriver.  C'est  un  envoi  de 
quelques  amis  désireux  de  voir  les  exilés  empor- 
ter des  fleurs  de  France  sur  la  terre  étrangère. 

La  passerelle  est  retirée  ;  on  lève  l'ancre.  Les 


388  l'émotion  est  générale 

cris  de  :  «  Vive  le  comte  de  Paris  !  »  redouJilent. 
Ils  prennent  le  caractère  d'une  immense  ovation. 

Le  comte  de  Paris,  dont  la  pâleur  trahit  la  vive 
émotion,  s'écrie  :  Au  revoir^  à  bientôt. 

Le  bateau  commence  à  s'éloigner  lentement, 
obligé  de  s'arrêter  de  temps  en  temps  par  suite  de 
la  difficulté  qu'il  avait  à  sortir  du  port  au  moment 
où  la  marée  n'est  pas  encore  tout  à  fait  haute. 
L'émotion  est  générale,  et,  les  yeux  baignés  de 
larmes,  les  assistants  veulent  le  suivre  jusqu'au 
dernier  moment.  Ils  se  pressent  le  long  du  quai 
et  se  dirigent  jusqu'à  l'extrémité  de  la  jetée  en 
poussant  les  cris  mille  fois  répétés  de  :  «  Vive  la 
France  !  Vive  le  comte  de  Paris  !  Vive  le  roi  !  Au 
revoir,  à  bientôt  !  »  Les  acclamations  ne  s'arrêtent 
que  lorsque  le  bateau,  sorti  du  port,  a  pris  la  haute 
mer.  A  ce  moment,  le  pavillon  tricolore  s'abaisse 
trois  fois  pour  adresser  un  dernier  salut  à  la  terre 
de  France. 

Après  le  départ,  un  grand  silence  se  fait  ;  tout 
le  monde  est  dans  le  recueillement,  la  foule  s'é- 
coule lentement;  le  quai,  le  port,  si  animés  un  ins- 
tant avant,  sont  bientôt  déserts.  Un  mot  courait 
dans  toutes  les  bouches,  exprimant  l'impression 
produite  par  cette  scène,  émouvante  dans  sa  sim- 
plicité. «  C'est  un  départ  royal,  disait  l'un,  mais  il 
faut  aussi  que  le  retour  soit  royal.  »  «  Ils  ont  cru, 
disait  un  autre,  en  proscrivant  nos  princes  que 
c'était  la  fin.  Non  :  c'est  le  commencement.  » 


VIVE  LE  roi!  389 

Oui,  le  commencement  d'une  lutle  sans  relâche, 
où  les  souvenirs  de  ce  jour  doubleront  tous 
les  courages.  Dieu  ne  refuse  jamais  les  grandes 
revanches  à  qui  sait  les  mériter. 

L'impression  produite  au  Tréport  et  à  Eu  par  le 
départ  de  M.  le  comte  de  Paris  fut  profonde.  L'ova- 
tion avait  été  spontanée,  un  courant  s'était  produit 
en  une  seconde  dans  la  foule,  qui  se  porta  du  port 
jusqu'à  l'extrémité  de  la  jetée,  et  tandis  que  les 
amis  intimes  du  prince,  obéissant  aux  avis  qui 
leur  avaient  été  donnés,  criaient  seulement  :  Vive 
le  comte  de  Paris!  du  côté  de  la  jetée,  où  se  trou- 
vaient principalement  les  pécheurs,  dix  mille  cris 
de  :  Vive  le  roi  !  retentirent.... 

Une  grande  partie  des  barques  du  port  n'étaient 
pas  sorties  dans  la  matinée,  et  les  marins  avaient 
mis  les  pavillons  en  berne.  Le  commissaire  de  la 
marine  ordonna  d'enlever  complètement  ces  pa- 
villons. Quatre  bateaux  appartenant  à  M.  Lemaire 
Duponchel,  armateur,  ayant  cependant  gardé  leurs 
pavillons  en  berne,  le  commissaire  de  la  marine 
fit  enlever  lui-même  ces  signes  de  deuil  ;  mais,  au 
moment  du  départ  de  la  Victoria,  l'une  de  ces 
barques,  la  Marie-Reine-du-Ciel  suivit  le  bateau 
qui  emmenait  M.  le  comte  de  Paris,  et  l'accom- 
pagna à  une  certaine  distance,  avec  son  pavillon 
en  berne. 

«  Quand  on  vit  les  soldats  de  ligne  et  les  gen- 
darmes échelonnés  le  long  des  quais,  dit  un  jour- 


390  ANECDOTES    SUR   LE   DÉPART    DU    PRINCE 

liai,  on  pensait  que  cette  force  armée  était  là  pour 
réprimer  toute  protestation  séditieuse.  La  plupart 
des  assistants  avaient  cette  opinion,  et  cela  est  si 
vrai,  qu'une  femme  du  port  disait,  au  moment  du 
dépari  :  «  C'est  bien  triste  tout  de  même.  Quand 
«  je  pense  combien  le  comte  a  été  bon  pour  nous 
«  en  payant  l'enterrement  de  mon  homme,  et 
(c  l'école  de  mes  enfants,  je  voudrais  bien  lui  crier 
«  quelque  chose  aussi,  mais  j'ai  mes  enfants  à  éle- 
«  ver  et  je  ne  peux  pas  aller  en  prison  !  »  Et  cette 
femme  entraînée  cria  :  Vive  le  Roi  ! 

«  Il  est  vrai  que  pour  d'autres,  des  gens  vérita- 
blement sincères  dans  leur  naïveté,  la  présence  de 
la  troupe  n'avait  pas  le  même  but. 

«  Gomme  on  s'étonnait,  devant  un  homme  du 
pays  placé  à  côté  de  moi,  qu'on  eût  fait  venir  des 
troupes  pour  les  laisser  inactives  devant  la  mani- 
festation, le  bon  Tréportain  dit  avec  sa  grosse 
candeur  :  «Mais  c'est  bien  sur  pour  faire  honneur 
aux  princes  qu'il  y  a  des  soldats.  » 

«  A  côté  de  l'ensemble  si  grandiose  du  spec- 
tacle, il  y  eut  les  incidents  typiques,  dont  chacun 
a  pu  être  témoin.  Un  gendarme  le  malin  avait  dit 
aux  gens  qui  se  trouvaient  là  :  «  Je  vous  en  sup- 
«  plie,  ne  criez  rien,  car  si  vous  criez  :  Vive  le  roi! 
«  je  serai  obligé  de  vous  arrêter,  et  si  vous  criez  : 
«  Vive  la  République!  ça  ni'em...nuiera....  » 

Un  bataillon  d'infanterie,  envoyé  au  Tréport 
sous  prétexte   de  proléger  le  départ   des   exilés. 


LES  SOLDATS  PRÉSENTENT  LES  ARMES       391 

avait  été  rangé  en  bataille,  l'arme  au  pied,  paral- 
lèlement à  la  ligne  des  quais.  La  foule  attendait, 
grave  et  recueillie,  rendant  ainsi  par  son  calme 
un  tel  déploiement  de  forces  complètement  inu- 
tile, et  les  officiers,  attristés  du  rôle  qu'on  leur 
faisait  jouer,  se  tenaient  à  quelque  distance  de 
leurs  hommes.  Tout  à  coup,  au  moment  même  où 
les  voitures  qui  amènent  la  famille  royale  arrivent 
sur  la  place,  une  voix  haute  et  claire  se  fait  en- 
tendre, prononçant  distincement  les  trois  com- 
mandements : 

«  Garde  à  vous  !...  Portez  armes  !...  Présentez 

armes  !...  » 

Les  soldats,  croyant  obéir  au  commandement 
d'un  de  leurs  officiers,  exécutent  les  mouvements. 
Nous  connaissons  l'auteur  de  cette  spirituelle  plai- 
santerie. Il  faisait  ainsi  présenter  les  armes  au 
chef  de  la  maison  de  France  partant  pour  l'exil. 

M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de 
Paris  ne  peuvent  détourner  les  yeux  du  rivage  de 
cette  France  dont  on  veut  les  chasser  à  jamais. 
Ayant  auprès  d'eux  le  duc  d'Orléans,  le  duc  de 
Chartres  et  le  prince  Henri,  ils  demeurent  immo- 
biles, jetant  un  regardsur  cette  foule  qui  agite  des 
mouchoirs  en  signe  d'adieu,  mais  dont  l'éloigne- 
ment  les  empêche  d^entendre  les  acclamations  et  les 

cris.  Cependant  un  dernier  cri  :  Au  revoivl  à 
bientôt  l  retentit  auprès  d'eux  :  c^est  le  pilote  qui 
quitte  le  bord,   et  les   rameurs   qui  le   ramènent 


392  DERNIER    SALUT    DU    DRAPEAU    TRICOLORE 

à  terre,  dans  une  petite  chaloupe,  ont  voulu  une 
dernière  fois  pousser  ce  cri  d'espérance.  M.  le 
comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris,  le 
cœur  brisé,  répondent  par  le  même  cri  :  A  bien- 
tôt !  Nous  reviendrons  /... 

Le  bateau  gagne  la  pleine  mer.  De  la  terre,  des 
acclamations  le  suivent  plus  ardentes  que  jamais, 
et  alors  M.  le  comte  de  Paris,  dont  la  voix  ne  peut 
plus  s'entendre,  fait  faire  le  salut  du  drapeau.  Au- 
tour du  bateau,  dix  ou  douze  barques  de  pêcheurs 
y  répondent  par  un  salut  pareil.  Longtemps  la 
foule  suit  des  yeux  la  Victoria  qui  s'éloigne,  puis, 
lentement,  elle  se  disperse  et  le  même  mot  est  sur 
toutes  les  lèvres  : 

«  Quand  on  part  ainsi,  on  revient.  » 

Qu'aurait-elle  dit,  cette  foule,  si  elle  avait 
connu  la  magnifique  protestation  de  M.  le  comte 
de  Paris?  Quels  accents,  quel  superbe  langage  ! 
Gomme  il  va  faire  vibrer  l'àme  de  la  patrie,  en  lui 
montrant  le  jour  prochain  du  salut.  Gomme  c'est 
bien  un  fils  de  France  qui  parle  à  la  France  ! 

Le  temps  est  magnifique,  mais  la  mer  est  restée 
houleuse,  et  le  vapeur  qui  s'avance  rapidement 
roule  assez  rudement  par  moment.  Soixante-dix 
milles  séparent  le  Tréport  de  Douvres,  mais  la 
Victoria  sous  toute  vapeur  fait  près  de  dix-sept 
nœuds  à  l'heure,  et  la  terre  ne  tarde  pas  à  dispa- 
raître à  l'horizon. 

M.  le  comte  de  Paris  invite  alors  ses  compa- 


M.    DUFEUILLE  393 

gnons  à  descendre  dans  le  grand  salon  qui  se 
trouve  à  l'arrière  du  vapeur  et  leur  communique 
la  protestation  qu^il  a  cru  de  son  devoir  d'adresser 
au  peuple  français.  Ses  mesures  sont  prises  pour 
que  ce  document  soit  connu  le  lendemain  dans 
toute  la  France. 

Un  homme  jeune  et  actif,  M.  Dufeuille,  est 
chargé  de  ce  soin,  et  a  dû,  pour  cela,  renoncer 
à  se  trouver  au  Tréport,  le  24  juin.  Ancien  chef  de 
cabinet  de  M.  Buffet,  M.  Dufeuilîe  sut  montrer 
dans  ses  fonctions  un  tact  parfait  et  un  grand 
sens  politique.  M.  le  comte  de  Paris,  en  l'atta- 
chant à  sa  personne,  a  trouvé  en  lui  un  serviteur 
fidèle  et  habile,  au  dévouement  intelligent,  et  qui 
fait  aimer  le  prince. 

Ancien  rédacteur  au  Journal  des  Débats  et  au 
Français,  M.  Dufeuille  écrit  à  merveille,  et  élu- 
cide une  question  dans  la  perfection.  Il  a  rapide- 
ment appris  à  connaître  les  hommes;  d'une  grande 
franchise  d'allures,  très  ouvert,  très  en  dehors, 
c'est  une  personnalité  qu'un  prince  comme  M.  le 
comte  de  Paris,  qui  veut  tout  savoir,  tout  con- 
naître, apprécie  à  sa  valeur.  C'est  un  homme  enfin, 
qui,  au  risque  de  déplaire,  saurait  dire  la  vérité 
au  prince,  s'il  croyait  qu'il  y  eût  intérêt  pour  lui 
à  la  connaître.  Qualité  précieuse,  et  qui  est  autant 
à  reloge  du  serviteur,  assez  franc  pour  tout  dire, 
qu'à  celui  du  prince,  au  cœur  assez  élevé  pour 
vouloir  tout  entendre. 


394  PROTESTATION    DE    M"'   LE    COMTE    DE    PARIS 

Personne,  même  dans  l'enloLirage  intime  du 
prince,  ne  connaissait  cette  protestation,  qui, 
écoutée  dans  un  religieux  silence,  produit  un 
effet  énorme. 

A  la  voix  chaude  et  vibrante  de  M.  le  comte  de 
Paris,  tous  sentent  renaître  en  leurs  cœurs  et  le 
courage  et  l'espérance. 

Voici  cette  protestation  : 

Contraint  de  quitter  le  sol  de  mon  pays,  je  proteste,  au 
nom  du  droit,  contre  la  violence  qui  m'est  faite. 

Passionnément  attaché  à  la  patrie,  que  ses  malheurs 
m'ont  rendue  plus  chère  encore,  j'y  ai,  jusqu'à  présent, 
vécu  sans  enfreindre  ses  lois.  Pour  m'en  arracher,  l'on 
<;hoisit  le  moment  où  je  viens  d'y  rentrer,  heureux  d'avoir 
formé  un  lien  nouveau  entre  la  France  et  une  nation  amie. 

En  me  proscrivant  on  se  venge  sur  moi  des  trois  mil- 
lions et  demi  de  voix  qui,  le  4  octobre,  ont  coudanmc  les 
fautes  de  la  Réj)ublique,  et  l'on  cherche  à  intimider  ceux 
qui,  chaque  jour,  se  détachent  d'elle. 

On  poursuit  en  moi  le  principe  monarcliicjue  dont  le 
dépôt  m'a  été  transmis  j)ar  celui  qui  l'avait  si  noblement 
■conservé. 

On  veut  séparer  de  la  France  le  chef  de  la  glorieuse 
famille  qui  l'a  dirigée,  pendant  neuf  siècles,  dans  l'œuvre 
de  son  unité  nationale,  et  ([ui,  associée  au  j)enplc  dans  la 
bonne  comme  dans  la  mauvaise  fortune,  a  fondé  sa  gran- 
deur et  sa  [)rospérité. 

On  espère  qu'elle  a  oublié  le  règne  heureux  et  pacilicjue 
de  mon  aïeul  Louis-Philippe  et  les  jours  plus  récents  où 
mon   frère  et  mes  oncles,  après  avoir  combattu  sous  son 


PROTESTATION  DE  M^""  LE  COMTE  DE  PARIS     395 

drapeau,  servaient  loyalement  dans  les  rangs  de  sa  vail- 
lante armée. 

Ces  calculs  seront  trompés. 

Instruite  par  l'exjjérience,  la  France  ne  se  méprendra 
ni  sur  la  cause,  ni  sur  les  auteurs  des  maux  dont  elle 
souffre.  Elle  reconnaîtra  que  la  monarchie,  traditionnelle 
par  son  principe,  moderne  par  ses  institutions,  peut  seule 
y  porter  remède. 

Seule,  cette  monarchie  nationale  dont  je  suis  le  repré- 
sentant peut  réduire  à  l'impuissance  les  hommes  de  désor- 
dre qui  menacent  le  repos  du  pays,  assurer  la  liberté  poli- 
tique et  religieuse,  relever  l'autorité,  refaire  la  fortune 
publique. 

Seule,  elle  peut  donner  à  notre  société  démocratique  un 
gouvernement  fort,  ouvert  à  tous,  supérieur  aux  partis,  et 
dont  la  stabilité  sera  pour  l'Europe  le  gage  d'une  paix 
dui'able. 

Mon  devoir  est  de  travailler  sans  relâche  à  cette  œuvre 
de  salut.  Avec  l'aide  de  Dieu  et  le  concours  de  tous  ceux 
qui  partagent  ma  foi  dans  l'avenir,  je  l'accomplirai. 

La  République  a  peur  :  en  me  frapjiant  elle  me  désigne. 

J'ai  conliance  dans  la  France.  A  l'heure  décisive  je  sei'ai 
prêt. 

Eu,  lo  24  juin  1880. 

Philippe,  comtk  de  Paris. 

A  sept  heures  un  quart,  malgré  une  mer  assez 
forte,  la  Victoria  arriva  en  vue  de  Douvres  et 
longea  la  jetée.  Les  couleurs  françaises  sont  aus- 
sitôt hissées  au  haut  du  sémaphore  pour  rendre 
hommage  aux  exilés.  Les  bateaux  en  rade  arbo- 


396        ALLOCUTION  DU  MAIRE  DE  DOUVRES 

rcnt  également  le  pavillon  français.  La  Victoria 
arrive  bien  avant  l'heure  annoncée;  mais  la  foule 
est  néanmoins  très  considérable,  et  M.  le  comte 
de  Paris  est  acclamé  et  accueilli  par  trois  formida- 
bles hourrahs. 

Le  maire  de  Douvres  et  sa  femme,  qui  tient  à  la 
main  un  bouquet,  s'avancent  les  premiers  sur  la 
passerelle  du  bateau.  Le  maire  adresse  au  prince 
le  discours  de  bienvenue  suivant  : 

MONSEIGXEUR, 

Gomme  maire  de  ces  anciens  forts  et  de  la  ville,  je  m'em- 
|)resse  de  vous  offrir  à  vous,  à  Madame  et  à  votre  famille, 
la  plus  cordiale  bienvenue  ;  à  votre  arrivée  à  la  côte 
anglaise,  je  suis  heureux  de  vous  exi)rimer  les  sympathies 
des  habitants,  dans  ces  circonstances  douloureuses  qui  ont 
amené  votre  départ  et  vous  ont  obligés  à  chercher  un  asile 
dans  un  pays  étranger. 

Nous  espérons  que  vous  allez  prendre  la  résolution  de 
vous  fixer  en  Angleterre  ;  le  séjour  vous  y  sera  fait  aussi 
agréable  que  possible  dans  des  moments  aussi  rudes  que 
ceux  que  vous  traversez. 

Acceptez  l'expression  de  notre  profond  respect. 

M.  le  comte  de  Paris  répond  en  anglais  ; 

Je  vous  suis  très  reconnaissant  de  me  souhaiter  la  bien- 
venue au  moment  où  mon  cœur  vient  d'être  déchiré  en 
quittant  le  sol  de  la  patrie. 

Ma  famille  à  plusieurs  reprises,  et  moi  pendant  vingt 
ans,  nous  avons  éprouvé  la  loyauté  de  votre  hospitalité. 
J'en  garde  une  jn-ofonde  reconnaissance. 


LE    DRAPEAU    FRANÇAIS  397 

Ce  qui  me  touche  au  delà  de  tout,  c'est  de  voir  ces  dra- 
peaux français  que  vous  avez  hissés  à  ces  mâts  ;  ils  parlent 
à  mon  cœur  comme  vos  chaleureuses  acclamations. 

Aussitôt  après  le  maire  de  Douvres,  M.  et  M"' 
Alexandre  Lambert  de  Sainte-Croix  arrivèrent 
sur  le  bateau  :  c'est  d'eux  que  M.  le  comte  de 
Paris  reçoit  le  premier  salut  français  sur  la  terre 
étrangère. 

Les  princes  et  leur  suite  se  rendirent  au  Lord 
Warden  Hôtel,  où  ils  restèrent  quelques  jours 
avant  de  partir  pour  Tunbridge-Wells. 

Alors  qu'il  s'apprêtait  à  quitter  l'hôtel  pour  recon- 
duire Madame  la  comtesse  de  Paris  au  bateau  qui 
doit  la  ramener  en  France  par  Calais,  le  prince, 
entiant  dans  le  salon  qui  lui  était  réservé,  en  res- 
sort aussitôt,  et,  appelant  Madame  la  comtesse  de 
Paris  et  le  marquis  d'AudifïVet-Pasquier,  les  invite 
à  le  suivre  dans  cette  pièce.  Là,  le  prince   leur 
montre,  sans  pouvoir  ajouter  une  parole,  tellement 
il  est  ému,  un  grand  drapeau  français  qui  couvrait 
de  ses  plis  aux  trois  couleurs  un  canapé  placé  au 
milieu  du  salon.  Ce  drapeau  était  celui  qui  durant 
toute  la  traversée  avait  flotté  au   grand  mât  du 
vapeur,  et  que  le  capitaine  Stubbs,  par  une  atten- 
tion bien  touchante,  était  venu  apporter  en  l'ab- 
sence du  prince.  M.  le  comte  de   Paris   saisit  le 
drapeau,  et  la  voix  entrecoupée  de  larmes  s'écrie  : 
«  Ce  drapeau  est  tout  ce  qui  me  reste  de  ma  chère 
France,  mais  je  l'y  rapporterai!  » 


398  MADAME    LA    COMTESSE    DE    PARIS    REJOINT 

Madame  la  comtesse  de  Paris  prend  alors  un  des 
bouquets  qui  avaient  été  déposés  sur  le  bateau  au 
moment  du  départ  et  le  place  au  pied  du  drapeau. 

Madamela  comtesse  deParis,  inquiètedela  santé 
de  la  princesse  Louise,  malgré  le  déchirement  que 
lui  causait  une  séparation  en  un  tel  moment,  avait 
hâte  de  se  retrouver  au  chevet  de  la  chère  malade. 
Le  soir  même,  encore  tout  émue,  elle  quitta  Lord 
Warden  Hôtel  avec  M.  le  comte  de  Paris,  suivi  de 
son  fils  le  duc  d'Orléans,  du  duc  de  Chartres,  du 
prince  Henri  d'Orléans  et  de  tous  ceux  qui 
l'avaient  accompagnée. 

M.  le  duc  de  Chartres  rentra  aussi  en  France, 
laissant  son  fils  le  prince  Henri  pour  quelques 
jours  près  du  jeune  duc  d'Orléans.  M.  le  comte  de 
Paris  voyait  donc  commencer  pour  lui  l'exil  dans 
les  conditions  les  plus  pénibles,  et  une  doulou- 
reuse séparation  terminait  cette  journée  si  rem- 
plie déjà  d'épreuves  et  d'émotions. 

Devant  le  vapeur  qui  va  tout  à  l'heure  emporter 
loin  du  prince  Madamela  comtesse  deParis,  le  duc 
de  Chartres  et  ces  amis  fidèles,  ceux  qui  vont  partir 
comme  ceux  qui  restent  sur  la  terre  étrangère 
comprennent  mieux  encore  tout  ce  que  l'exil  a  de 
cruel. 

Le  matin,  en  France,  c'étaient  les  adieux  d'un 
peuple  à  son  roi,  qui  avaient  consolé  pour  un 
moment  les  cœurs,  en  les  remplissant  de  l'enthou- 
siasme ardent  dont  loule  cette  foule  était  animée; 


LE    SOIR    MEME    LA   PRINCESSE    LOUISE   MALADE         399 

mais  le  soir,  en  Angleterre,  sur  cette  jetée,  au 
milieu  d'étrangers,  le  déchirement  de  la  sépara- 
tion s'imposait  dans  toute  sa  rigueur. 

M.  le  comte  de  Paris  fait  ses  adieux  à  tous,  et 
trouve  encore  de  bonnes  paroles  pour  chacun;  puis 
après  avoir  tendrement  embrassé  Madame  la  com- 
tesse de  Paris,  serré  une  dernière  fois  la  main  du 
duc  de  Chartres,  le  prince  remonte  tristement 
avec  trois  ou  quatre  de  ses  plus  fidèles  amis  sur 
l'estacade,  au  bas  de  laquelle  est  amarré  le  bateau 
qui  s'apprête  à  partir.  Madamela  comtesse  de  Paris 
presse  contre  son  cœur  le  duc  d'Orléans,  qui  va 
rejoindre  son  père.  Le  bateau  s'éloigne  alors,  et  les 
Français  qui  retournent  en  France  crient  une  der- 
nière fois  :  «  A  bientôt.  Monseigneur  !  »  Pendant 
quelques  instants  encore  on  distingue,  se  profi- 
lant sur  le  ciel,  la  haute  silhouette  du  prince,  im- 
mobile ,  suivant  aussi  longtemps  qu'il  le  peut  ce 
bateau  où  se  trouvent  des  amis  qui,  plus  heureux 
que  lui,  vont  bientôt  revoir  la  France. 

L'impression  profonde  produite  en  France  par 
le  départ  du  prince,  et  son  arrivée  sur  la  terre 
d'exil,  avaient  trouvé  un  écho  dans  toute  l'Eu- 
rope. Non  seulement  M.  le  comte  de  Paris  avait 
fait  entendre  une  éloquente  protestation  contre 
l'exil  qui  le  frappait,  mais  il  avait  encore  tracé  en 
quelques  lignes  un  programme  complet  de  gou- 
vernement. Les  républicains,  eux-mêmes,  durent 


400  IMPRESSION    PRODUITE   PAR    LA   PROTESTATION 

reconnaître  le  caractère  élevé  et  patriotique  du 
langage  tenu  par  le  chef  de  la  maison  de  France. 
Ceux  qui  assistèrent  à  son  départ  du  Tréport  fu- 
rent les  témoins  de  l'une  des  grandes  scènes  de 
notre  histoire;  M.  de  Freycinet,  dans  son  dis- 
cours, avait  désigné  M.  le  comte  de  Paris  pour  le 
trône  :  la  foule  immense,  qui  l'a  suivi  jusqu'au 
rivage,  a  fait  de  son  exil  un  couronnement.  Tous 
les  rangs  de  la  société  étaient  confondus  au  châ- 
teau d'Eu  ;  les  plus  grands  noms  de  France  comme 
les  plus  humbles,  les  ouvriers,  les  pêcheurs,  les 
femmes,  les  enfants,  étaient  unis  dans  un  même 
sentiment.  On  a  bien  eu  là  ainsi  le  spectacle  de  la 
royauté  qui  convient  à  notre  société  démocra- 
tique. 

Par  son  manifeste,  M.  le  comte  de  Paris  a  mon- 
tré qu'il  avait  à  la  fois  le  sens  de  la  démocratie  et 
le  sentiment  de  l'autorité.  La  France  sait  qu'elle  a 
le  droit  d'espérer  en  lui  parce  qu'il  personnifie 
son  avenir  !  Elle  le  sait,  et  elle  non  plus  ne  faillira 
pas  à  son  devoir. 

M.  le  comte  de  Paris  a  le  grand  mérite  de  savoir 
tout  entendre.  A  l'occasion  de  sa  protestation  du 
24  juin,  il  s'entretenait  en  Angleterre  avec  des 
amis  venus  de  France,  quand  l'un  d'eux  lui  ma- 
nifesta son  étonnement  d'y  avoir  trouvé  une  allu- 
sion à  M.  le  comte  de  Ghambord. 

Le  prince  lui  répondit  par  les  paroles  suivantes 
qui  nous  ont  été  rapportées  le  lendemain  même  : 


l'article    du    «  SOLEIL  »  401 

Je  n'ai  accompli  que  deux  actes  politiques  dans  ma  vie: 
le  premiei%  à  Frolisdorf,  le  5  août  1873;  le  second,  le 
7  juillet  1883,  quand  M.  le  comte  de  Chambord,  me  pressant 
sur  son  cœur  et  m'embrassant,  me  dit  avec  une  émotion  que 
je  partageais  :  «  Vous  savez  quel  dépôt  je  vous  confie! » 

Je  n'ai  pas  voulu,  par  souci  de  je  ne  sais  quelle  vaine 
popularité,  passer  sous  silence  le  nom  du  chef  de  ma  mai- 
son, quand  pour  la  première  fois  j'allais  parler  à  la 
France 

Parmi  les  articles  publiés  par  la  presse,  à  cette 
occasion,  je  me  contenterai  d'en  reproduire  deux  : 
l'un,  du  Soleil.,  de  M.  Edouard  Hervé;  l'autre  du 
journal  anglais  le  Standard.  M.  Hervé  s'exprime 
ainsi  dans  un  article  intitulé  :  L'Héritier. 

Elle  est  exécutée,  l'odieuse  mesure  qui  arrache  du  sol 
de  la  France  le  premier  de  tous  les  Français.  Hier,  le  comte 
de  Paris,  après  avoir  fait  arborer  les  couleurs  nationales 
au  grand  mât  du  bateau  qui  était  venu  le  chercher,  a  tra- 
versé la  mer. 

L'exil  est  commencé  :  il  sera  court. 

Oui,  l'exil  sera  court  :  nous  en  avons  pour  gage  le  mou- 
vement d'opposition  qui  va  sans  cesse  grandissant  contre 
un  gouvernement  violent  parce  qu'il  est  faible,  et  les  trois 
millions  et  demi  de  votes  conservateurs  qui,  bientôt,  se 
changei'ont  en  six  millions  de  votes  monarchiques. 

Nous  en  avons  pour  gage  le  concours  de  tant  de  bons 
citoyens  venus  pour  saluer  l'exilé,  àla  veille,  ou  au  moment 
de  son  départ,  et  les  sentiments  de  tous  ceux  qui,  dans 
l'impossibilité  de  participer  matériellement  à  cette  mani- 
festation, s'y  sont  associés  par  le  cœur. 

26 


402  l'article  du  «  soleil  « 

Nous  en  avons  pour  gage,  enfin,  la  parole  virile  par 
laquelle  le  comte  de  Paris  termine  sa  protestation. 

Il  est  prêt  pour  l'heure  décisive.  Il  a  confiance  dans  la 
France  :  elle  aura  confiance  en  lui.  Elle  sent  déjà  et  chaque 
jour  elle  sentira  davantage  qu'en  dehors  de  la  Monarchie 
qui  se  personnifie  en  lui,  elle  ne  trouvera  pas  le  repos  dont 
elle  a  besoin  après  tant  d'agitations. 

Pour  réconcilier  les  diverses  fractions  de  la  grande 
famille  française,  séparées  par  de  longues  discordes,  il 
fallait  être  en  mesure  de  donner  à  chacune  d'entre  elles  la 
satisfaction  à  laquelle  elle  tient  le  plus. 

Il  fallait  représenter  en  même  temps  la  monarchie  an- 
cienne et  la  monarchie  nouvelle  :  par  conséquent,  il  fallait 
être  à  la  fois  le  successeur  de  M.  le  comte  de  Ghambord  et 
le  continuateur  de  Louis-Philippe. 

Il  fallait  pouvoir  rallier  en  même  temps  les  républicains 
désabusés  et  les  impérialistes  découragés  ;  par  conséquent, 
il  fallait  avoir  à  la  fois  le  sens  de  la  démocratie  et  le  senti- 
ment de  l'autorité. 

Ces  conditions  qui  semblaient  presque  inconciliables,  le 
comte  de  Paris  les  réunit  toutes.  Il  est  donc  impossible  de 
ne  pas  voir  que  l'avenir  de  la  France  est  là. 

Nos  adversaires  le  voient  comme  nous.  C'est  pour  cela 
qu'ils  sont  irrités  ;  c'est  pour  cela  qu'ils  frappent,  c'est 
pour  cela  qu'ils  proscrivent. 

Quand  un  gouvernement  approche  de  sa  fin,  il  y  a 
toujours  en  vue  un  homme,  une  famille  ou  un  système 
politique  qui  se  trouve  désigné  pour  recueillir  la  succes- 
sion. 

L'héritage  de  la  République  va  s'ouvrir.  Or,  parmi  tous 
ceux  qui  pensent,  parmi  tous  ceux   qui  prévoient,  il  n'est 


l'article    du    «   STANDARD   »  403 

personne  qui,  en  i^egarclant  le  chemin  parcouru  dej)uis 
trois  ans  par  le  comte  de  Paris  et  la  situation  hors  de 
pair  qu'il  occupe  aujourd'hui,  ne  se  dise  :  l'héritier,  le 
voilà  ! 

La  République  n'a  pas  seulement  cessé  depuis  longtemps 
d'être  conservatrice  :  elle  s'est  mise  dans  l'impossibilité  de 
le  redevenir. 

Les  honnêtes  gens  ont  besoin  d'être  défendus.  Ils  savent 
qu'ils  seront  abandonnés,  à  l'heure  du  danger,  par  un  gou- 
vernement qui  ne  sait  jamais  que  capituler  devant  les 
mauvaises  passions.  Ils  se  détournent  de  lui. 

La  France  veut  l'ordre.  La  République  ne  peut  plus  le 
lui  garantir.  La  Monarchie  le  lui  assurera. 

Voici  maintenant  en  quels  termes  le  Standard 
souhaita  la  bienvenue  à  M.  le  comte  de  Paris  : 

Un  hôte  illustre  est  débarqué  hier  sur  nos  rivages  ;  on 
lui  a  fait  une  réception  dont  la  cordialité  respectueuse  a  été 
digne  et  de  lui  et  de  nous.  L'Angleterre  a  été  le  refuge 
d'exilés  célèbres  appartenant  à  toutes  les  nationalités,  mais 
nous  osons  le  dire,  jamais  son  hospitalité  n'a  été  offerte 
avec  plus  d'empressement  à  aucun  exilé  politique  qu'elle 
ne  l'est  à  présent  à  l'héritier  de  la  seconde  des  plus  an- 
ciennes couronnes  d'Europe,  au  représentant  des  grandes 
maisons  de  Bourbon,  de  Condé,  de  Valois  et  d'Orléans, 
au  prince  dans  les  veines  duquel  court  le  sang  d'une  lignée 
de  rois.  Ce  brave  et  honorable  gentleman,  qui,  en  toute 
occasion,  s'est  montré  digne  du  grand  nom  qu'il  porte,  a 
été  chassé  de  son  pays  avec  défense  d'y  rentrer  sous  peine 
d'amende  et  d'emprisonnement.  Il  a  dû  quitter  la  France, 
parce  que  la  France  (la   France  oflicielle)  a  peur  de  lui. 


404  INSTRUCTIONS    DE    M^'^    LE    COMTE   DE   PARIS 

Tel  est  rhumiliant  aveu  qu'ont  fait  les  ministres  et  les 
législateurs  de  la  République  en  votant  la  loi  sur  l'expulsion 
des  princes.  L'État  ne  se  sent  pas  assez  fort  pour  assurer 
sa  sécurité  tant  que  les  princes  n'ont  pas  franchi  ses  fron- 
tières. La  démocratie  moderne,  comme  l'ancienne,  doit 
recourir  aux  moyens  désespérés,  à  l'ostracisme,  pour  se 

débarrasser  d'un  homme  qu'elle  croit  trop  puissant 

Les  républicains  peuvent  faire  disparaître  la  royauté  ; 
mais  ils  ne  peuvent  faire  disparaître  cet  intérêt  que  toutes 
les  classes  en  France  portent  à  ses  représentants.  Ils  ne 
peuvent  empêcher  les  grandes  puissances  de  recevoir  les 
princes  et  de  les  traiter  en  égaux,  alors  qu'elles  n'ont  que 
de  la  politesse  pour  la  cour  républicaine  de  l'Elysée. 

Quinze  mois  après  cet  exil  immérité,  M.  le 
comte  de  Paris,  dans  un  langage  d'une  saisis- 
sante clarté,  envoya  ses  «  Instructions  aux  re- 
présentants du  parti  monarchiste  en  France  ». 
Le  15  septembre  1887,  au  malin,  toutes  les  villes 
de  France  pouvaient  lire  le  document   suivant   : 

INSTRUCTIONS     DE     MONSEIGNEUR     LE     COMTE    DE    PARIS    AUX 
REPRÉSENTANTS  DU   PARTI  MONARCHISTE  EN  FRANCE. 

A  de  graves  périls  a  succédé  un  calme  apparent.  L'hon- 
neur en  revient  principalement  aux  monarchistes  de  la 
Chambre.  Ils  ont,  en  effet,  compris  que  leur  rôle  était 
déterminé  [)ar  leur  nombre  même.  S'ils  n'étaient  qu'une 
faible  minorité,  ils  devraient  se  borner  à  d'énergiques  et 
incessantes  protestations.  S'ils  étaient  la  majorité,  ils 
auraient  à  prendre  la  responsabilité  du  pouvoir.  Mais, 
assez  nombreux  pour  peser  d'un  juste  poids  surlesdéci- 


INSTRUCTIONS    DE    M"'    LE    COMTE    DE    PARIS  405 

sions  de  l'Assemblée,  la  direction  des  affaires  n'est 
cependant  pas  entre  leurs  mains.  Ils  ne  doivent  donc 
s'occuper  aujourd'hui  que  de  défendre  les  intérêts  conser- 
vateurs et  la  fortune  publique,  sans  aggraver  les  crises 
parlementaires  dont  la  République  donne  le  trop  fréquent 
spectacle.  C'est  ce  qu'ils  ont  fait  avec  un  rare  patriotisme 
dans  une  récente  et  mémorable  circonstance.  Ils  ont  ainsi 
bien  mérité  de  la  France  conservatrice. 

Mais  ce  calme  apparent  dissimule  mal  les  périls  de 
l'avenir.  Les  considérations  électorales  qui  dominent  une 
Chambre,  elle-même  toute-puissante,  stérilisent  tous  les 
efforts  tentés  pour  rétablir  l'ordre  dans  les  fmances. 
L'instabilité  du  pouvoir  exécutif  isole  la  France  en  Europe. 
La  tranquillité  matérielle  est  à  peine  assurée.  Partout  la 
faction  triomphante  opprime  le  reste  des  citoyens.  Per- 
sonne enfin  n'a  confiance  dans  le  lendemain. 

Cette  situation  impose  d'autres  devoirs  aux  monarchis- 
tes dans  le  pays.  N'étant  pas  liés  devant  la  Nation  comme 
ils  le  sont  dans  le  Parlement,  par  un  mandat  limité,  ils 
ont  une  tâche  plus  large  à  remplir.  Ils  doivent  montrer  à 
la  France  combien  la  Monarchie  lui  est  nécessaire  et 
combien  le  rétablissement  en  serait  facile.  Ils  doivent  la 
rassurer  sur  les  dangers  imaginaires  de  la  transition, 
lui  prouver  que  cette  transition  peut  s'effectuer  légalement. 
En  vain  le  Congrès  a-t-il  proclamé  l'éternité  de  la  Répu- 
blique. Ce  qu'un  Congrès  a  fait,  un  autre  peut  le  défaire, 
et  le  jour  où  la  France  aura  manifesté  clairement  sa 
volonté,  aucun  obstacle  de  procédure  n'empêchera  la 
Monarchie  de  renaître. 

Toutefois,  instruit  par  une  triste  expérience,  le  pays 
croit  peu  aux  transformations  légales  et  régulières  de  son 


406  INSTRUCTIONS    DE   M^''    LE    COMTE    DE    PARIS 

état  politique.  Son  histoire,  malheureusement,  lui  fournit 
trop  (le  raisons  de  prévoir  une  de  ces  crises  violentes  qui 
semblent  avoir  pris  dans  notre  vie  nationale  un  caractère 
périodique.  Si  une  telle  crise  se  produit,  la  Monarchie 
peut  et  doit  en  sortir.  Mais  elle  ne  l'aura  pas  provoquée. 
La  crise  sera  l'œuvre  de  certains  républicains,  soit  que  les 
passions  et  les  souffrances  populaires,  exploitées  par  des 
ambitions  criminelles,  amènent  des  troubles  civils,  soit 
qu'une  faction  politique  ait  recours  à  la  force  pour  s'empa- 
rer du  pouvoir  suprême.  Le  jour  où  la  légalité  aura  été 
violée,  la  Monarchie  apparaîtra  comme  l'instrument  néces- 
saire du  rétablissement  de  l'ordre  et  le  gage  de  la  con- 
corde. 

Mais  il  est  bon  que  la  France  sache  d'avance  ce  que  sera 
celte  Monarchie.  Le  moment  est  favorable  pour  le  lui  dire, 
pour  l'avertir  qu'elle  ne  marquera  pas  un  retour  en  arrière. 
Il  faut  lui  montrer  que  le  principe  de  la  tradition  histori- 
que, avec  sa  merveilleuse  souplesse,  peut  s'adapter  aux 
institutions  modernes  ;  qu'il  apportera  au  gouvernement 
de  notre  société  démocratique  l'élément  pondérateur  qui 
manque  sous  le  régime  républicain,  et  cju'il  jouera  dans 
cette  société  un  rôle  non  moins  efficace  que  dans  les  vieilles 
monarchies  européennes  qui  se  sont  pacifiquement  trans- 
formées. 

Si  la  Monarchie  capétienne  a  constitué  l'unité  et  déve- 
loppé la  puissance  de  la  France  à  travers  toutes  les 
vicissitudes  de  notre  longue  histoire,  c'est  qu'elle  a  eu 
pour  origine  de  sa  grande  mission  un  véritable  pacte 
national,  pacte  conclu  aux  premières  heures  de  cette 
histoire  entre  ceux  qui  représentaient  alors  la  France 
naissante   et  la  famille  dont  le  sort  devait   rester  uni  au 


INSTRUCTIONS    DE   M"""   LE    COMTE    DE    PARIS  407 

sien  dans  la  mauvaise  comme  dans  la  bonne  fortune.  Pour 
fonder  après  tant]  de  révolutions  un  gouvernement  dont  la 
base  soit  plus  ferme  et  plus  large  qu'une  simple  prise  de 
possession  du  pouvoir  ou  une  délégation  de  la  souverai- 
neté du  nombre,  il  faut  faire  revivre  la  tradition  histori- 
que par  un  accord  librement  consenti  enlre^la  Nation  et  la 
famille  dépositaire  de  cette  tradition.  Cet  engagement 
réciproque  consacrant  le  droit  historique  et  liant,  comme 
tous  les  contrats,  les  générations  futures,  peut  seul  garan- 
tir à  la  fois  la  stabilité  dont  la  France  a  besoin  pour  repren- 
dre son  rang  en  Europe,  et  la  vraie  liberté  qui  est  surtout 
la  protection  des  faibles. 

Ce  pacte  ancien  sera  remis  en  vigueur,  au  nom  de  la 
France,  soit  par  une  Assemblée  constituante,  soit  par  le 
vote  populaire.  Par  cela  même  qu'elle  est  inusitée  sous  la 
Monarchie,  cette  dernière  forme  est  plus  solennelle  et 
peut  mieux  convenir  à  un  acte  qui  ne  doit  pas  se  renouve- 
ler. Elle  permet  de  donner,  sans  retards,  une  assise  solide 
à  la  Constitution.  Un  gouvernement  porté  par  l'opinion 
publique  comme  le  sera  la  Monarchie  le  jour  de  son  avè- 
nement n'a  rien  à  craindre  de  cette    consultation  directe 

de  la  Nation. 

*  * 

C'est  au  suffrage  universel  direct  que  doit  appartenir  le 
choix  des  députés.  Grâce  à  son  origine  antique  et  à  son 
établissement  nouveau,  la  Monarchie  sera  assez  forte  pour 
concilier  la  pratique  du  suffrage  universel  avec  les  garan- 
ties d'ordre  que  lui  demandera  le  pays  dégoûté  du  parle- 
mentarisme républicain.  Le  pays  voudra  un  gouvernement 
fort,  parce  qu'il  comprend  très  bien  que  même  le  véritable 
régime  parlementaire,  celui  qui,  sous  la  Monarchie,  a  jeté 


408  INSTRUCTIONS    DE    M^'''    LE    COMTE   DE    PARIS 

tant  d'éclat  de  1815  à  1848,  n'est  pas  compatible  avec  une 
Assemblée  élue  par  le  suffrage  universel.  Il  faut  modifier 
le  mécanisme  pour  l'adapter  ii  ce  nouveau  et  puissant 
moteur.  Sous  la  République,  la  Chambre  gouverne  sans 
contrôle.  Sous  la  Monarchie,  le  roi  gouverne  avec  le  con- 
cours des  Chambres. 

A  côté  de  la  Chambre  des  députés,  une  autorité  égale 
appartiendra  au  Sénat,  en  majeure  partie  électif,  et  qui 
réunira  dans  son  sein  les  représentants  des  grandes  forces 
et  des  grands  intérêts  sociaux.  Entre  ces  deux  Assem- 
blées, la  Royauté,  ayant  ses  ministres  pour  interprètes, 
pouvant  s'appuyer  sur  l'une  ou  sur  l'autre,  sera  éclairée, 
guidée,  mais  non  asservie.  Il  suffira  d'une  modification  de 
nos  pratiques  parlementaires  pour  maintenir  cet  équilibre 
et  prévenir  toute  domination  exclusive  de  l'une  ou  l'autre 
Chambre.  Le  budget,  au  lieu  d'être  voté  annuellement, 
sera  désormais  une  loi  ordinaire  et  ne  pourra,  par  consé- 
quent, être  amendé  que  par  l'accord  des  trois  pouvoirs. 
Chaque  année,  la  loi  de  finances  ne  comprendra  que  les 
modifications  proposées  par  le  Gouvernement  au  budget 
antérieur.  Si  ces  propositions  sont  rejetées,  tous  les  ser- 
vices ])ublics  ne  seront  pas  suspendus  et  les  intérêts  privés 
compromis,  comme  par  le  refus  du  budget.  Et,  cependant, 
les  vrais  principes  constitutionnels  seront  scrupuleusement 
respectés,  car  aucun  nouvel  impôt  ne  pourra  être  établi, 
aucune  dépense  nouvelle  ne  sera  décidée,  sans  le  consente- 
ment des  élus  de  la  Nation. 

A  ces  élus  reviendra  également  la  tâche  de  discuter 
librement  toutes  les  questions  qui  intéressent  le  pays, 
d'écouter  toutes  les  protestations  que  pourra  soulever 
l'action  gouvernementale.  Si  ces   protestations  sont  légi- 


INSTRUCTIONS    DE    M?''    1,E    COMTE    DE    PARIS  409 

times,  ils  en  seront  les  premiers  interprètes  et  l'adhésion 
de  l'autre  Assemblée  ne  leur  fera  pas  défaut.  Mais  un 
caprice  de  la  Chambre  des  députés  ne  pourra  plus,  à  l'im- 
proviste,  paralyser  la  vie  publique  et  la  politique  nationale. 

La  Monarchie  devra  rétablir  l'économie  dans  les  finances, 
l'ordre  dans  l'administration,  l'indépendance  dans  l'exer- 
cice de  la  justice.  Elle  devra  relever  pacifiquement  notre 
situation  en  Europe,  nous  faire  respecter  et  rechercher 
par  nos  voisins.  Les  Ministres  qui  la  serviront  dans  cette 
grande  entreprise  ne  sauraient  en  poursuivre  la  réalisa- 
tion avec  persévérance  s'ils  ont  la  crainte  de  voir  leurs 
efforts  interrompus  par  un  simple  accident  parlementaire. 
Ils  se  sentiront  affranchis  de  cette  crainte  le  jour  où  ils 
seront  responsables,  non  plus  devant  une  seule  Chambre 
omnipotente,  mais  devant  les  trois  pouvoirs  investis  de  la 
puissance  législative.  Ainsi,  les  Députés,  ne  pouvant  plus 
élever  ou  renverser  les  ministères,  n'exerceront  plus  cette 
influence  abusive  qui  est  aussi  funeste  pour  l'Assemblée 
que  pour  l'administration. 

Les  Constitutions  ne  valent  que  par  l'esprit  dans  lequel 
elles  sont  ap[)liquées.  La  France  le  sait  bien.  Il  importe 
donc,  avant  tout,  de  la  convaincre  que  la  Monarchie  nou- 
velle saura  satisfaire  à  la  fois  ses  besoins  conservateurs  et 
sa  passion  de  l'égalité. 

Sous  la  protection  du  gouvernement  monarchique,  la 
France  pourra  recouvrer,  dans  la  paix  et  le  travail,  sa  pros- 
périté d'autrefois.  Grâce  à  la  confiance  inspirée  par  la 
solidité  de  ses  institutions,  elle  aura  l'autorité  nécessaire 
])Our  traiter  avec  les  puissances  et  poursuivre  l'allégement 
simultané  des  charges  militaires  qui  ruinent  la  vieille 
Europe  au  profit  des  autres  parties  du  monde. 


410  INSTRUCTIONS    DE   M^'""   LE    COMTE    DE    PARIS 

La  Monarchie  accordera  à  tous  les  cultes  la  protection 
qu'un  gouvernement  éclairé  doit  aux  croyances  qui  con- 
solent l'âme  humaine  des  misères  terrestres,  élèvent  les 
cœurs  et  fortifient  les  courages.  Elle  garantira  au  clergé  le 
respect  qui  lui  est  dû  pour  l'accomplissement  de  sa  mis- 
sion. En  restituant  aux  communes,  dans  le  domaine  des 
choses  scolaires,  l'indépendance  qu'une  législation  tyran- 
nique  leur  a  ravie,  elle  rendra  à  la  France  la  liberté  de 
l'éducation  chrétienne.  Elle  assurera  aux  associations  reli- 
gieuses, comme  aux  autres,  la  liberté  qui  deviendra,  sous 
certaines  conditions  d'ordre  public,  le  droit  commun  de 
tous  les  Français,  au  lieu  d'être,  comme  aujourd'hui,  le 
privilège  d'un  parti.  Ainsi  sera  rétablie  la  paix  religieuse 
qu'une  [)olitique  intolérante  a  si  profondément  troublée. 

La  Monarchie  mettra  les  traditions  militaires  à  l'abri 
des  fluctuations  de  la  politique  en  donnant  à  l'armée  un 
chef  incontesté  et  immuable.  La  permanence  du  comman- 
dement au  sommet  aura  pour  conséquence  la  solidité  de  la 
discipline  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie. 

La  stabilité  de  son  gouvernement  lui  permettra  de  s'ap- 
pliquer avec  suite  à  l'étude  des  problèmes  que  soulève  la 
condition  de  nos  populations  laborieuses  des  villes  et  des 
campagnes,  de  poursuivre  l'amélioration  de  leur  sort  et 
d'adoucir  leurs  souffrances.  Loin  d'exciter  les  unes  contre 
les  autres  les  différentes  classes  qui  concourent  à  produire 
la  richesse  nationale,  elle  s'efforcera  de  les  réconcilier  et 
d'amener  ainsi  la  pacification  sociale. 

Dans  notre  société  en  transformation,  une  courte  période 
de  seize  années  a  vu  surgir,  de|)uis  le  hameau  jusqu'à  la 
capitale,  ce  que  les  républicains  ont  appelé  «  les  nouvelles 
couches  ».  Des  hommes  nouveaux   sont  arrivés  en  grand 


INSTRUCTIONS    DE    M?^    LE    COMTE    DE    PARIS  411 

nombre  à  conquérir  une  part  d'influence  qu'ils  ne  possé- 
daient pas  encore.  Ils  l'auraient  acquise  sous  tout  autre 
gouvernement,  car  ce  progrès  légitime  de  leur  condition 
est  le  fruit  des  bienfaits  de  l'instruction  et  de  la  lente 
ascension  qui,  à  travers  les  siècles  de  notre  histoire,  a 
rapproché  les  différentes  classes  de  la  société.  Mais  ils 
croient  la  devoir  à  la  République.  Ils  continueront  a  en 
jouir,  il  faut  qu'ils  le  sachent,  sous  l'égide  de  la  Monar- 
chie Le  maintien  du  suffrage  universel,  pour  toutes  les 
fonctions  actuellement  électives,  et  de  la  nomination  des 
maires  par  les  conseils  municipaux  dans  les  communes 
rurales,  sera  leur  principale  garantie. 

De  même,  les  modestes  serviteurs  de  l'Etat  qui  ont 
cagné  leur  situation  par  leur  travail  ne  seront  pas  menacés 
parce  qu'ils  la  tiennent  de  la  République.  Si,  d'une  part, 
toutes  les  victimes  de  la  persécution  républicaine  sont 
assurées  de  recevoir  l'ample  réparation  qui  leur  est  due, 
d'autre  part  les  exploiteurs  et  les  indignes  qui  avihssent 
leurs  fonctions  auront  seuls  à  redouter  l'avènement  d'un 
pouvoir  honnête  et  juste. 

La  Monarchie  ne  sera  pas  la  revanche  d'un  parti  vain- 
queur sur  un  parti  vaincu,  le  triomphe  d'une  classe  sur 
une  autre  classe.  En  élevant  au-dessus  de  toute  compéti- 
tion le  dépositaire  du  pouvoir  exécutif,  elle  fait  de  lui  le 
gardien  suprême  de  la  loi  devant  laquelle  tous  seront  égaux. 
Que  dès  aujourd'hui  tous  les  bons  citoyens,  tous  les 
patriotes  dont  le  régime  actuel  a  déçu  les  espérances, 
compromis  les  intérêts,  blessé  la  conscience,  se  joignent 
aux  ouvriers  de  la  première  heure  pour  préparer  le  salut 
commun!  Qu'ils  secondent  les  efforts  de  celui  qui  sera  le 
Roi  de  tous  et  le  premier  serviteur  de  la  France! 


412  LE    PROGRAMME   ROYAL 

Aucun  commentaire  n'est  nécessaire  en  pré- 
sence d'un  programme  aussi  nettement  défini  : 
aucune  équivoque  n'est  possible.  Le  chef  de  la 
maison  de  France  s'adresse  à  tous  les  bons  ci- 
toyens, aux  anciens  défenseurs  de  la  monarchie, 
aux  conservateurs  indécis  ou  indifférents,  comme 
aux  républicains  déçus  dans  leurs  espérances. 
11  les  convie  tous  au  relèvement  de  la  patrie. 
Pas  un  homme  de  bonne  foi  ne  pourra  lire  ces 
I/istructlo/is,  sans  être  frappé  de  la  hauteur  de 
vues,  de  la  largeur  d'idées,  enfin,  des  moyens 
pratiques  que  M.  le  comte  de  Paris  indique, 
pour  rallier  à  son  gouvernement  tous  les  Fran- 
çais soucieux  de  voir  restaurer  un  régime  seul 
capable  d'assurer  l'ordre  public  et  la  grandeur 
nationale. 

Fidèle  aux  glorieux  souvenirs  de  ses  aïeux,  les 
rois  de  France,  depuis  Hugues  Gapet,  Louis  YI 
qui  affranchit  les  communes,  saint  Louis  qui 
donna  ces  Institutions  justement  célèbres,  jus- 
qu'à Louis  XI,  Henri  IV,  Louis  XIV,  Louis  XVIII, 
et  enfin  son  aïeul  Louis-Philippe  P"",  M.  le  comte 
de  Paris  juge  avec  un  grand  sens  politique 
(neuf  siècles  juste  après  Hugues  Gapet)  quelle 
est  la  monarchie  nouvelle  qui  convient  à  la 
France  de  1887. 

D'âge  en  âge,  la  monarchie  n'a  pas  cessé  de 
se  transformer  comme  la  société,  et  ce  fut  son 
excellence  comme  sa  gloire.   Le  prince  sait  que 


LE    PROGRAMME   ROYAL  413 

la  France  ne  supporterait ,  ni  une  monarchie 
absolue,  ni  une  monarchie  licencieusement 
parlementaire.  Ce  qu'elle  veut,  c'est,  non  un 
sabre  brutal,  mais  une  main  sûre,  ferme,  réso- 
lue, qui  sache  tenir  les  rênes  du  pouvoir  sans 
faiblesse  et  avec  autorité.  Voilà  pourquoi  M.  le 
comte  de  Paris,  avec  une  hardiesse  qu'aucun 
prétendant  n'eut  jamais,  propose  à  la  France 
une  monarchie  héréditaire  et  constitutionnelle, 
autoritaire  et  libérale,  qui  affermisse  son  titre 
historique  par  un  contrat  national,  qui  ne  favo- 
rise aucune  classe,  mais  s'applique  à  la  paci- 
fication sociale,  qui  laisse  enfin  à  la  démocratie 
son  expansion,  tout  en  marquant  à  son  action 
un  point  fixe,  pour  assurer  la  stabilité  de  l'État. 
D'un  bout  de  la  France  à  l'autre,  l'impression 
produite  par  ces  Instructions  a  été  profonde. 
Les  républicains  ont  affecté  d'abord  une  indiffé- 
rence bientôt  démentie  par  des  articles  haineux, 
où  la  colère,  l'inquiétude,  étaient  visibles.  L'un 
d'eux  pourtant  a  déclaré  que  c'était  le  document 
le  plus  considérable  qui  ait  paru  depuis  1848. 
La  plupart  sentent  bien  que  le  moment  approche, 
où  la  France  lassée  et  excédée  de  ce  régime 
sans  dignité,  sans  prévoyance  et  sans  sécurité 
qui  la  perd,  secouera  leur  joug.  Aussi  s'eftrayenl- 
ils  de  voir  le.s  défections  augmenter  chaque 
jour  parmi  eux  :  ils  avouent  que  la  lutte  se 
trouve  simplifiée,  et  qu'il  ne  reste  plus  en  pré- 


414  CONCLUSION 

sence  que  deux  gouvernements  :  la  République, 
appelée  à  devenir  de  jour  en  jour  plus  violente 
et  jacobine;  et  la  Royauté,  tutélaire  des  droits  de 
chacun,  faisant  respecter  les  lois  égales  pour 
tous,  et  enfin  un  pouvoir  fort,  dans  une  nation  libre. 
A  l'étranger  môme,  la  sensation  a  été  très 
grande.  Beaucoup  de  souverains,  pleins  d'estime 
pour  M.  le  comte  de  Paris,  ne  soupçonnaient 
pas  ses  brillantes  qualités  de  chef  d'Etat,  et  le 
prince  a  trouvé  là  en  Europe  un  grand  succès 
personnel  

Notre  tâche  est  terminée.  Nous  avons  essayé  de 
faire  connaître  l'existence,  si  bien  remplie,  de 
M.  le  comte  de  Pa^ns,  ce  prince  à  qui,  a-t-on  dit 
avec  justesse,  «  rien  n'est  étranger  dans  notre 
siècle,  et  qui,  représentant  du  pkis  illustre  passé, 
héritier  de  soixante  rois,  s'avance  aux  yeux  de  la 
patrie  et  du  monde,  sous  l'éclat  des  gloires  et  des 
bienfaits  que,  depuis  douze  siècles,  ses  aïeux  ont 
accumulés  pour  la  France  ». 

Une  réflexion  s'impose  quand  on  achève  la  lec- 
ture de  cette  vie  si  belle  de  M.  le  comte  de  Paris, 
depuis  le  24  février  1848,  depuis  ce  jour  où  le 
trône  de  son  grand-père,  le  roi  Louis-Philippe, 
fut  brisé  par  la  moins  justifiée  des  insurrections. 
Il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  du  patrio- 
tisme ardent  qui,  toute  sa  vie,  a  guidé  I\I.  le  comte 
de  Paris.  Amour  de  l'étude,  persévérance  dans  le 


CONCLUSION  415 

travail,  passion  du  métier  des  armes,  telles  sont 
les  qualités  qui  distinguent  le  chef  de  la  maison 
de  France.  Écrivain  bien  français,  préoccupé  des 
questions  sociales  les  plus  graves,  il  montre  tou- 
jours une  abnégation  complète  de  lui-même, 
comme  en  1873  lorsqu'il  s'efface  devant  M.  lecomte 
de  Chambord.  On  le  voit,  en  tout  et  sur  tout, 
guidé  par  un  seul  mobile,  l'intérêt  de  la  patrie, 
qu'il  aime  passionnément. 

Quand,  après  la  mort  de  M.  Thiers,  disparais- 
sent brusquement  le  fils  de  Napoléon  II F,  pure  et 
noble  victime  au  cœur  chevaleresque  et  généreux; 
puis  M.  Gambetta,  dont  tous  les  eflorts  tendaient 
à  devenir  président  d'une  république  autoritaire; 
enfin,  quand  on  voit  M.  le  comte  de  Chambord 
expirer  à  soixante-trois  ans,  après  avoir  conservé 
intact  le  dépôt  de  la  monarchie  traditionnelle, 
héréditaire,  ne  seinble-t-il  pas  que  la  Providence 
tient  en  réserve,  pour  le  salut  du  pays,  ce  prince 
qui,  par  son  éducation,  son  caractère,  ses  goûts, 
est  en  pleine  harmonie  avec  les  aspirations  de 
notre  société  démocratique  ? 

Le  petit-fils  du  roi  Louis-Philippe  sera  vrai- 
ment le  roi  de  tous,  «  un  roi  à  l'avènement  duquel 
il  n'y  aura  ni  vainqueurs  ni  vaincus,  un  roi  que 
pourront  acclamer  les  ouvriers  comme  les  patrons, 
les  nobles  comme  les  bourgeois,  les  républicains 
désabusés  comme    les   légitimistes    en   deuil    du 


416  CONCLUSION 

comte  de  Ghambord,  et  les  bonapartistes  du  prince 
impérial  :  la  volonté  nationale  concourra  ainsi 
avec  la  volonté  divine  pour  relever  la  monarchie, 
et,  par  cette  monarchie,  la  France^  ». 

La  France,  que  le  noble  et  touchant  adieu  du 
24  juin  1886  avait  profondément  remuée,  a  ac- 
cueilli avec  une  vive  émotion  et  une  admiration 
reconnaissante  les  «  Instructions  de  M^""  le  comte 
de  Paris  aux  représentants  du  parti  monarchiste 
en  France  »,  le  15  septembre,  et  partout  on  dit 
maintenant  :  «  Oui,  c'est  bien  là  le  roi  qu'il  nous 
faut  !  » 

La  lumière  se  fait  dans  les  villes  comme  dans 
les  campagnes.  La  République  atteint  le  paysan 
dans  ses  affections,  en  envoyant  ses  fils  verser 
inutilement  leur  sang  au  Tonkin  ;  elle  l'atteint 
dans  ses  intérêts,  en  augmentant  chaque  jour  les 
impôts;  aujourd'hui  aux  abois,  elle  ne  peut  plus 
nier  le  gaspillage  inouï  de  nos  finances,  si  pros- 
pères quand  le  maréchal  de  Mac  Mahon  quitta  le 
pouvoir  où  les  conservateurs  l'avaient  placé. 

Le  suffrage  universel  secouera  le  joug  des  répu- 
blicains qui  ruinent  le  pays. 

On  essayera  de  falsifier  les  votes,  on  tentera  peul- 
clre  de  recommencer  un  18  fructidor  en  cassant  les 
arrêts  du  pays  par  un  coup  de  force;  cela  importe 
peu.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  qu'un  peuple  violenté, 

1.  f.e  liai  de  tous,  brochure  parue  chez  Dentu  à  la  fin  de  1883. 


CONCLUSION  417 

opprimé  dans  ses  aspirations  légitimes,  ne  finisse 
par  recouvrer  ses  libertés. 

Alors  la  nation,  profitant  de  l'expérience  et  des 
progrès  du  passé,  retrouvera  cette  liberté  sage  et 
féconde  qui  a  fait  jadis  sa  force,  et  elle  acclamera 
le  roi  de  France,  qui,  réparant  les  ruines  accumu- 
lées par  cent  ans  de  révolutions,  rendra  enfin  au 
pays,  avec  le  prestige  du  droit  monarchique  héré- 
ditaire, la  prospérité,  la  grandeur  et  la  paix. 


27 


APPENDICE 


I.  Procès-verbal  de  la  naissance  de  Mg^  le  comte  de  Paris, 
d'après  le  Moniteur  du  25  août  1838. 

II.  Sur  la  naissance  de  M^^  le  comte  de  Paris,  pièce  de  vers 
par  Alfred  de  Musset.   Paris,  29  août  1838. 

III.  Description  de  l'épée  offerte  à  Ms^  le  comte  de  Paris  parle 
conseil  municipal  de  la  ville  de  Paris.  2  mai  1841. 

IV.  L'artillerie  en  Amérique  pendant  la  guerre  de  sécession 
(1862),  par  Ms--  le  comte  de  Paris. 

V.  Liste  des  cadeaux  ofTerts  à  S.  A.  R.  Madame  la  princesse 
Amélie  de  France,  duchesse  de  Bragance,  à  l'occasion  de 
son  mariage,  15  mai  1886. 

YI.  Ms""  le  comte  de  Paris,  agriculteur. 

YII.  Liste  par  ordre  alphabétique  des  personnes  qui  se  sont 
rendues  au  château  d'Eu  et  au  Tréport  pour  saluer  Mg'  le 
comte  de  Paris  avant  son  embarquement,  le  24  juin  1886. 


I 

PROCÈS-VERBAL 

DE   LA    NAISSANCE    DE   S.    A.    R.    MONSEIGNEUR    LE    COUTE    DE   PARIS 

Voici  ce  qu'on  lisait  au  Moniteur  du  25  août  1838,  à  la  partie 

non  officielle  : 

Paris,  le  24  août. 

Aujourd'hui  24  août,  à  deux  heures  cinquante  minutes 
après  midi,  S.  A.  R.  M""®  la  duchesse  d'Orléans  est  heu- 
reusement accouchée  d'un  prince  qui,  d'après  les  ordres 
du  roi,  a  reçu  le  nom  de  Louis-Philippe- Albert  d'Orléans, 
comte  de  Paris.  Le  comte  de  Paris  et  son  auguste  mère 
sont  en  parfaite  santé. 

Le  matin,  entre  huit  heures  et  neuf  heures.  Son  Altesse 
Royale  ressentit  les  premières  douleurs  ;  aussitôt  des  mes- 
sagers ont  été  envoyés  par  M.  le  général  baron  Athalin, 
aide  de  camp  du  roi,  au  nom  de  Sa  Majesté,  pour  avertir 
M.  le  président  du  conseil  et  tous  les  ministres,  M.  le  chan- 
celier de  France,  M.  le  grand  référendaire  de  la  Chambre 
des  pairs,  M.  le  maréchal  comte  Gérard,  grand  chancelier 
de  la  Légion  d'honneur  ;  M.  le  maréchal  comte  de  Lobau, 
commandant  en  chef  des  gardes  nationales  du  départe- 
met  de  la  Seine,  de  se  rendre  aux  Tuileries. 

A  dix  heures,  le  roi,  la  reine,  tous  les  princes  de  la 
famille  royale,  la  grande  duchesse  de  Meklembourg, 
S.  A.  R.  M^''  le  duc  Alexandre  de  Wurtemberg  étaient 
réunis  au  pavillon  Marsan,  où  sont  arrivés  successivement 
M.  le  comte  Mole,  président  du  conseil  et  tous  ses  collè- 
gues, M.  le  baron  Pasquier,  chancelier  de  Finance,  accom- 


■j22  PROCES-VERBAL   DE    LA   NAISSANCE 

pagué  de  M.  le  duc  Decazes,  grand  référendaire,  et  de 
M.  Gauchy,  garde  des  archives;  M.  le  maréchal  comte  de 
Lobau,  M.  le  maréchal  comte  Gérard,  témoins  désignes 
par  Sa  Majesté. 

Le  roi  a  fait  inviter  à  se  rendre  au  pavillon  Marsan  : 
M.  Dupin,  président  de  la  Ciiambre  des  députés;  M.  le 
comte  Portails,  premier  président  de  la  cour  de  cassation  ; 
M.  le  comte  Siméon,  premier  président  de  la  cour  des 
comptes;  M.  le  baron  Seguier,  premier  président  de  la 
cour  royale  de  Paris;  M.  le  général  comte  Pajol,  comman- 
dant de  la  1'''^  division  militaire;  M.  le  comte  de  Rambu- 
teau  et  M.  Delessert,  préfets;  M.  le  général  Jacqueminot, 
chef  de  l'état-major  général  de  la  garde  nationale,  et  les 
dames  et  officiers  de  la  maison  royale. 

A  deux  heures,  le  roi  a  fait  entrer  dans  la  chambre  de 
la  princesse  M.  le  comte  Mole,  président  du  conseil  des 
ministres;  M.  le  baron  Pasquier,  chancelier  de  France  ; 
M.  le  duc  Decazes,  grand  référendait-e  de  la  Chambre  des 
pairs;  M.  le  maréchal  comte  Gérard,  et  M.  le  maréchal 
comte  de  Lobau,  témoins  désignés. 

A  deux  heures  cinquante  minutes,  S.  A.  R.  M™''  la  du- 
chesse d'Orléans,  —  qui  a  fait  preuve  du  plus  grand  cou- 
rage au  milieu  de  ses  souffrances,  —  a  mis  au  monde  un 
prince  bien  portant. 

Aussitôt  M.  le  comte  Mole  est  sorti  de  la  chambre  en 
s'écriant  :  Nous  avons  un  prince  !  Ces  mots  ont  été  accueil- 
lis par  les  cris  répétés  de  :    Vive  le  Roi  ! 

S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans,  qui,  pendant  tout  le  temps  du 
travail,  n'avait  cessé  de  prodiguer  à  la  j)rincesse  les  soins 
les  plus  touchants,  a  fait  éclater  une  vive  satisfaction  ;  le 
roi  était  profondément  ému  ;  le  bonheur  rayonnait  sur  son 


DE   M^""   LE    COMTE   DE   PARIS  423 

visage.  Il  s'est  approché  du  lit  de  sa  belle-fille  et  l'a  tenue 
longtemps  dans  ses  bras. 

La  reine,  couverte  de  larmes  de  joie,  s'est  précipitée 
dans  le  salon  oii  étaient  les  autres  assistants,  tenant  le  nou- 
veau-né dans  ses  bras,  et  le  leur  a  présenté. 

Une  foule  nombreuse,  et  qui  s'augmentait  à  chaque  ins- 
tant, stationnait  devant  la  cour  des  Tuileries,  devant  le 
pavillon  Marsan.  Elle  a  fait  éclater  d'unanimes  marques 
de  satisfaction  en  apprenant  que  le  prince  venait  de  naître. 

M.  le  colonel  Delarue,  aide  de  camp  du  ministre  de  la 
guerre,  a  été  porter  l'ordre  de  tirer  une  salve  de  101  coups 
de  canon  pour  annoncer  à  toute  la  population  parisienne 
la  venue  d'un  prince,  gage  nouveau  de  la  perpétuité  de  la 
monarchie  constitutionnelle  et  de  tous  les  biens  qu'elle 
assure  à  la  France. 

Après  l'accouchement,  quelques  accidents  sont  surve- 
nus, qui  se  sont  promptement  dissipés.  Ce  soir,  la  prin- 
cesse est  bien  ;  l'état  du  prince  n'a  pas  cessé  de  rester 
satisfaisant. 

M^'  l'archevêque  de  Paris,  qui  devait  ondoyer  l'enfant, 
s'est  rendu  avec  empressement  aux  Tuileries.  La  cérémo- 
nie a  eu  lieu  dans  la  chapelle  des  Tuileries.  C'est  la  reine 
elle-même  qui  portait  son  petit-fils. 

Le  roi  a  adressé  immédiatement  une  lettre  autographe 
au  corps  municipal  de  Paris,  pour  lui  annoncer  la  naissance 
de  S.  A.  R.  le  comte  de  Paris. 

A  cinq  heures,  le  roi  a  reçu  les  félicitations  du  corps 
diplomatique,  qui  s'était  rendu  à  l'invitation  de  Sa  Ma- 
jesté. Le  jeune  prince,  porté  par  M""'  la  maréchale  com- 
tesse de  Lobau,  dame  d'honneur  de  S.  A.  R.  M"^  la  du- 
chesse d'Orléans,  lui  a  été  présenté. 


424  PROCÈS-VERBAL   DE    LA   NAISSAKCK 

Dans  sa  partie  officielle,  le  même  numéro  du  Moniteur  uni- 
versel contenait  : 

1°  Le  procès-verbal  de  la  naissance  du  prince  ; 

2°  Son  acte  de  naissance  reçu  par  le  baron  Pasquier, 
chancelier  de  France,  remplissant  les  fonctions  d'officier 
de  l'état  civil,  avec  Elie,  duc  Decazes,  grand  référendaire 
de  la  Chambre  des  pairs,  accompagné  de  Eugène-Fran- 
çois Cauchy,  garde  des  archives  de  la  Chambre  des  pairs, 
en  présence  de  Très  Haut,  Très  Puissant  et  Très  Excel- 
lent prince  Louis-Philippe,  premier  du  nom.  Roi  des  Fran- 
çais, et  de  Très  Haute,  Très  Puissante,  et  Très  Excellente 
Princesse  Marie- Amélie,  Reine  des  Français  ; 

En  présence  aussi  de  très  haute  et  très  puissante  prin- 
cesse Auguste-Frédérique  de  Hesse-Hombourg,  grande 
duchesse  héréditaire  douairière  de  Mecklembourg-Schwe- 
rin,  belle-mère  de  S.  A.  R.  M™*  la  duchesse  d'Orléans; 

En  présence  également  de  très  hauts  et  très  puissants 
princes  Henri  -  Eugène  -  Philippe  -  Louis  d'Orléans,  duc 
d'Aumale,  et  Antoine-Marie-Philippe-Louis  d'Orléans,  duc 
de  Montpensier,  fils  de  Leurs  Majestés  (  LL.  AA.  RR.  le 
duc  de  Nemours  et  le  prince  de  Joinville  étant  absents 
pour  le  service  du  Roi),  de  très  haute  et  très  puissante 
princesse  Marie-Clémentine-Caroline-Léopoldine,  prin- 
cesse d'Orléans,  fille  de  Leurs  Majestés  ;  de  très  haute  et 
très  puissante  princesse  Eugénie-Adélaide-Louise  d'Or- 
léans, sœur  du  roi,  et  de  très  haut  et  très  puissant  prince 
Frédéric-Guillaume-Alexandre,  duc  de  Wurtemberg, 
gendre  de  Leurs  Majestés  ; 

Comme  aussi  en  présence  de  Mathieu-Louis,  comte 
Mole,  président  du  conseil  des  ministres  ;  de  Félix  Barthe, 
garde  des  sceaux  ;   de  Simon,  baron  Bernard,  ministre  au 


DE   M"""   LE    COMTE   DE   PARIS  425 

département  de  la  guerre  ;  de  Claude-Marie  Ducampe  de 
Rosamel,  ministre  au  département  de  la  marine  et  des 
colonies;  de  Marthe-Camille  Bachasson,  comte  de  Monta- 
livet,  secrétaire  d'Etat  au  département  de  l'intérieur;  de 
Nicolas-Ferdinand-Maine-Louis-Joseph  Martin  (du  Nord), 
ministre  au  département  des  travaux  publics,  de  l'agricul- 
ture et  du  commerce  ;  et  de  Jean-Pierre- Joseph  Lacave- 
Laplagne,  ministre  au  département  des  finances;  de  Nar- 
cisse-Achille de  Salvandy,  ministre  au  département  de 
l'instruction  publique  ; 

En  présence  pareillement  des  témoins  désignés  par  le 
roi,  à  l'effet  du  présent  acte,  savoir  :  Maurice-Etienne 
comte  Gérard,  maréchal  de  France;  et  George  INIouton, 
comte  de  Lobau,  maréchal  de  France  ; 

Sur  la  déclaration  à  nous  faite  par  très  haut  et  très 
puissant  prince  Ferdinand-Philippe-Louis-Charles- Henri 
d'Orléans,  duc  d'Orléans,  Prince  royal,  père  du  Prince 
nouveau-né. 

Suivent  les  si<(natures. 


II 

s  UR 

LA  NAISSANCE    DU    COMTE    DE    PARIS 

De  tant  de  jours  de  deuil,  de  crainte  et  d'espérance, 
De  tant  d'efforts  perdus,  de  tant  de  maux  soufferts, 
En  es-tu  lasse  enfin,  pauvre  terre  de  France, 
Et  de  tes  vieux  enfants  l'éternelle  inconstance 
Laissera-t-elle  un  jour  le  calme  à  l'univers? 

Comprends-tu  tes  destins  et  sais-tu  ton  histoire? 
Depuis  un  demi-siècle  as-tu  compté  tes  pas? 
Est-ce  assez  de  grandeur,  de  misère  et  de  gloire? 
Et,  sinon  par  pitié  pour  ta  propre  mémoire, 
Par  fatigue  du  moins  t'arrêteras-tu  pas? 

Ne  te  souvient-il  plus  de  ces  temps  d'épouvante 
Où  de  quatre-vingt-neuf  résonna  le  tocsin? 
N'était-ce  pas  hier,  et  la  source  sanglante 
Où  Paris  baptisa  sa  liberté  naissante, 
La  sens-tu  pas  encor  qui  coule  de  ton  sein? 

A-t-il  rassasié  ta  fierté  vagabonde, 
A-t-il  pour  les  combats  assouvi  ton  penchant, 
Cet  homme  audacieux  qui  traversa  le  monde. 
Pareil  au  laboureur  qui  traverse  son  champ, 
Armé  du  soc  de  fer  qui  déciiire  et  féconde? 

S'il  te  fallait  alors  des  spectacles  guerriers. 
Est-ce  assez  d'avoir  vu  l'Europe  dévastée, 
De  Memphis  à  Moscou  la  terre  disputée, 
El  l'étranger  deux  fois  assis  à  nos  loyers, 
Secouant  de  ses  pieds  la  neige  ensanglantée? 


PIÈCE   DE    VERS    PAR   ALFRED    DE   MUSSET  427 

S'il  te  faut  aujourd'hui  des  éléments  nouveaux, 
En  est-ce  assez  pour  toi  d'avoir  mis  en  lambeaux 
Tout  ce  qui  porte  un  nom,  gloire,  philosophie, 
Religion,  amour,  liberté,  tyrannie; 
D'avoir  fouillé  partout,  jusque  dans  les  tombeaux? 

En  est-ce  assez  pour  toi  des  vaines  théories, 
Sophisme  monstrueux  dont  on  nous  a  bercés, 
Spectre  républicain  sorti  des  temps  passés. 
Abus  de  tous  les  droits,  honteuses  rêveries 
D'assassins  en  délire  ou  d'enfants  insensés? 

En  est-ce  assez  pour  toi  d'avoir  en  cinquante  ans 
Vu  tomber  Robespierre  et  passer  Bonaparte, 
Charles  X  pour  l'exil  partir  en  cheveux  blancs; 
D'avoir  imité  Londre,  Athènes,  Rome  et  Sparte; 
Et  d'être  enfin  Français  n'esl-il  pas  bientôt  temps? 

Si  ce  n'est  pas  assez,  prends  ton  glaive  et  ta  lance, 
Réveille  tes  soldats,  dresse  tes  échafauds; 
En  guerre!  et  que  demain  le  siècle  recommence, 
Afin  qu'un  jour  du  moins  le  meurtre  et  la  licence, 
Repus  de  notre  sang,  nous  laissent  le  repos  ! 

Mais  si  Dieu  n'a  pas  fait  la  souffrance  inutile, 
Si  des  maux  d'ici-bas  quelque  bien  peut  venir. 
Si  l'orage  apaisé  rend  le  ciel  plus  tranquille, 
S'il  est  vrai  qu'en  tombant  sur  un  terrain  fertile 
Les  larmes  du  passé  fécondent  l'avenir; 

Sache  donc  profiter  de  ton  expérience. 
Toi  qu'une  jeune  reine,  en  ses  touchants  adieux, 
Appelait  autrefois  plaisant  pays  de  France! 
Connais-toi  donc  toi-même,  ose  donc  être  heureux. 
Ose  donc  franchement  bénir  la  Providence! 


428  PIÈCE   DE   VERS    PAR   ALFRED    DE    MUSSET 

Laisse  dire  à  qui  veut  que  ton  grand  cœur  s'abat, 
Que  la  paix  t'affaiblit,  que  les  forces  s'épuisent  : 
Ceux  qui  le  croient  le  moins  sont  ceux  qui  te  le  disent. 
Ils  te  savent  debout,  ferme  et  prête  au  combat  ; 
Et  ne  pouvant  briser  ta  force,  ils  la  divisent. 

Laisse-les  s'agiter,  ces  gens  à  passion, 

De  nos  vieux  harangueurs  modernes  parodies; 

Laisse-les  étaler  leurs  froides  comédies, 

Et  les  deux  bras  croisés  te  prêcher  l'action  : 

Leur  seule  vérité,  c'est  leur  ambition. 

Que  t'importent  des  mots,  des  phrases  ajustées? 
As-tu  vendu  ton  blé,  ton  bétail  et  ton  vin? 
Es-tu  libre?  les  lois  sont-elles  respectées? 
Crains-tu  de  voir  ton  champ  pillé  par  le  voisin? 
Le  maître  a-t-il  son  toit,  et  l'ouvrier  son  pain? 

Si  nous  avons  cela,  le  reste  est  peu  de  chose. 
Il  en  faut  plus  pourtant,  à  travers  nos  remparts, 
De  l'univers  jaloux  pénètrent  les  regards. 
Paris  remplit  le  monde,  et  lorsqu'il  se  repose, 
Pour  que  sa  gloire  veille  il  a  besoin  des  arts. 

Où  les  vit-on  fleurir  mieux  qu'au  siècle  où  nous  sommes? 
Quand  vit-on  au  travail  plus  de  mains  s'exercer? 
Quand  fûmes-nous  jamais  plus  libres  de  penser? 
On  veut  nier  en  vain  les  choses  et  les  hommes  : 
Nous  aurons  à  nos  fils  une  page  à  laisser. 

Le  bruit  de  nos  canons  retentit  aujourd'hui; 

Que  l'Europe  l'écoute!  elle  doit  le  connaître. 

France,  au  milieu  de  nous  un  enfant  vient  de  naître, 

Et  si  ma  faible  voix  se  fait  entendre  ici. 

C'est  devant  son  berceau  que  je  te  parle  ainsi. 


PIÈCE   DE   VERS    PAR   ALFRED   DE    MUSSET  429 

Son  courageux  aïeul  est  ce  roi  populaire 

Qu'on  voit  depuis  huit  ans,  sans  crainte  et  sans  colère, 

En  pilote  hardi,  nous  montrer  le  chemin  ; 

Son  père  est  près  du  trône,  une  épée  à  la  main; 

Tous  les  infortunés  savent  quelle  est  sa  mère. 

Ce  n'est  qu'un  fils  de  plus  que  le  Ciel  t'a  donné; 
France,  ouvre-lui  tes  bras  sans  peur,  sans  flatterie; 
Soulève  doucement  ta  mamelle  meurtrie. 
Et  verse  en  souriant,  vieille  mère  patrie, 
Une  goutte  de  lait  à  l'enfant  nouveau-né. 

Alfred  de  Musset. 
Paris,  29  août  1838. 


II 


DESCRIPTION    DE    L'EPEE 

OFFERTE    A    S.    A.    R.    MONSEIGNEUR    LE    C  0  M  T  E    D  E    PARIS 

PAR    LE    CONSEIL   MUNICIPAL    DE    LA    VILLE    DE   PARIS 

EN    1838 

M.  Froment  Meurice  la  décrit  ainsi  : 

Le  24  août  1838,  la  ville  de  Paris  résolut  de  faire  pré- 
sent d'une  épée  au  prince  qui  venait  de  naître.  M.  le  comte 
de  Rambuteau  était  alors  préfet  de  la  Seine  ;  les  temps  sont 
bien  changés  ! 

Les  nécessités  d'une  exécution  difficile  et  recherchée 
ne  permirent  pas  cjue  le  don  fût  terminé  avant  le  mois  de 
mai  1841  ;  il  était  d'ailleurs  magnifique,  digne  de  la  ville 
qui  l'offrait,  digne  du  prince  qui  le  recevait. 

On  avait  demandé  la  coiii[)Osition  à  un  statuaire  illustre, 
Jules  Klagmann,  et  confié  la  fabrication  à  MM.  Fossin  et 
Lepage  ;  le  choix  était  heureux. 

Jules  Klagmann,  dans  toute  la  fraîcheur  de  son  talent, 
donna  aux  quatre  principales  ligures  de  la  poignée  et  de 
la  coquille  le  caractère  de  grâce  ample  et  souple  qui  est 
comme  le  cachet  spécial  de  ce  maître  ;  il  mit  particulière- 
ment l'empreinte  de  son  style  dans  les  figures  debout,  qui 
portent  les  attributs  de  la  Prudence  et  de  la  Force.  Après 
plus  de  quarante  ans,  combien  est  justifié  le  choix  de  ces 
figures  allégoriques  :  patiente  j)rudence  dans  la  conduite 
de  la  vie  ;  force  calme  et  résolue  à  l'heure  des  décisions. 
Monsieur  le  comte  de  Paris  n'est-il  pas  là  tout  entier? 


l'épée  de  m"""  le  comte  de  paris  431 

On  chargea  le  célèbre  armurier  Lepage  de  fondre,  de 
forger  et  de  sculpter  l'acier  de  la  poignée  et  de  la  garde, 
de  tremper  et  de  ciseler  la  lame  oii  se  déroule  un  délicat 
bas-relief. 

Klagmann  n'était  pas  seulement  statuaire;  sa  science 
d'ornemaniste,  que  n'eût  pas  désavouée  un  Florentin  du 
seizième  siècle,  anima  les  formes  simples  de  la  poignée  par 
l'introduction  de  figurines,  de  petits  génies,  d'enfants,  dont 
les  lignes  se  combinent  avec  celles  de  l'ornementation. 
Rien  de  décousu,  rien  de  heurté  ;  les  détails  enveloppés  se 
fondent  dans  un  profil  harmonieux;  aucun  angle  ne  blesse 
ni  les  yeux  ni  la  main  ;  l'arme  peut  être  maniée  sans  fa- 
tigue, pourvu  que  le  bras  soit  robuste,  et  cette  condition- 
là,  elle  est  remplie  de  reste,  si  l'on  en  croit  le  témoignage 
de  Porter  et  de  Mac  Clellan  sur  les  batailles  de  Fair-Oaks 
et  de  Gaine's  Mills. 

La  solide  construction  de  cette  épée  était  un  peu  sévère 
pour  un  jeune  prince  ;  il  fallait  la  revêtir  d'un  coloris 
chaud;  il  fallait  y  ajouter  la  richesse  de  l'or,  des  émaux  et 
des  pierreries  ;  nul  n'était  plus  apte  à  cette  tâche  que  le 
joaillier  dont  le  goût  raffiné  faisait  loi  à  cette  date.  Un 
esprit  parisien,  une  rare  distinction  naturelle,  marquaient 
la  place  de  Fossin  dans  le  milieu  où  vivaient  Alfred  '  de 
Musset  et  Pradier,  Victor  Hugo  et  Delacroix,  Ingres  et 
Balzac,  dans  ce  groupe  sur  lequel  régnait,  moins  par  droit 
de  naissance  que  par  l'empire  de  la  séduction,  le  brillant 
et  charmant  duc  d'Orléans. 

Ce  n'était  pas  la  république  athénienne,  mais  c'était 
Athènes. 

Fossin  eut  donc  mission  de  décorer  le  fourreau,  en  tôle 
rubannée,  d'un  réseau   d'arabesques   déliées  où  alternent 


432  l'ÉPÉE   de   M'""   LE    COMTE   DE    PARIS 

l'or  et  l'émail,  de  repousser  en  or  les  figurines  de  la  poi- 
gnée et  celles  qui  sont  couchées  sur  la  coquille  :  d'un 
côté,  la  Ville  de  Paris,  couronnée  de  tours  ;  de  l'autre,  la 
Fortune  propice,  appuyée  sur  la  corne  d'abondance. 

C'est  aussi  l'orfèvre  qui  a  serti,  au  centre  de  la  garde, 
trois  pierres  précieuses  de  l'eau  la  plus  pure  :  un  sapliir, 
un  diamant  et  un  rubis,  pour  former  le  drapeau  tricolore 
et  le  mettre  dans  la  main  du  comte  de  Paris  ;  enfin,  c'est 
encore  l'orfèvre  qui  a  écrit  en  lettres  d'or  sur  le  noir  de 
l'acier,  cette  fière  devise  :  Urbs  dédit,  patriœ  prosit 


Je  trouve  ailleurs  les  autres  curieux  détails  suivants  sur 
cette  épée  : 

La  poignée  est  dédiée  à  la  Force  et  à  la  Prudence  ;  elle 
est  en  acier  fondu,  forgé  et  sculpté  ;  les  figures  et  une 
partie  des  ornements  sont  d'or  repoussé  ou  incrusté.  Sur 
un  des  côtés,  une  figure,  coiffée  d'un  casque  dont  le  cimier 
est  un  serpent,  et  tenant  dans  la  main  droite  un  miroir,  re- 
présentant la  Prudence  ■  sur  le  revers  de  cette  partie  de  la 
poignée,  une  figure  très  énergiquement  campée  person- 
nifie la  Force.  Au  milieu  de  la  coquille,  un  enfant  (le  jeune 
prince)  repose  sur  le  vaisseau,  symbole  de  la  ville  de 
Paris.  De  chaque  côté,  les  regards  fixés  sur  l'enfant,  une 
figure  :  l'une  couronnée  de  tours,  est  la  Ville  de  Paris  ; 
l'autre,  la  Fortune  propice.  Au-dessus,  un  lion  couché 
auprès  d'un  serpent  qui  enlace  la  garde.  Sur  le  devant  de 
la  garde,  le  coq  gaulois,  aux  ailes  déployées,  au  col  gonflé, 
s'apprête  au  combat.  Il  repose  sur  trois  j)ierrcs  d'une 
grande  beauté  :  un  rubis,  un  saphir,  un  briUant,  qui  sont 
le  rouge,  le  bleu  et  le  blanc  du  drapeau  de  la  Fi-ance.  Une 


l'épée  de  m"''  le  comte  de  paris  433 

couronne  de  prince  royal  en  or  plein,  supportée  par 
quatre  petits  génies,  forme  le  pommeau,  et  la  garde  se  ter- 
mine par  un  dragon  protégeant  l'écu  où  les  armes  du 
prince  sont  gravées  et  émaillées. 

La  lame,  dédiée  à  la  Guerre,  est  décorée  de  gravures 
sur  acier  et  d'incrustations  d'or.  Sous  la  poignée,  cette 
inscription  en  lettres  d'or  :  Au  comte  de  Paris,  sa  i'illc  na~ 
taie,  24  août  1838  ;  sur  le  revei's,  cette  devise  en  relief  : 
IJrhs  dédit,  Patrige prosit.  La  face  de  la  lame  est  ornée  d'un 
bas-relief  taUlé  dans  l'acier  :  c'est  une  Bellone,  montée  sur 
un  char  de  bataille  traîné  par  quatre  chevaux  emportés  que 
cingle  son  fouet  de  serpents.  Devant  le  char,  deux  Furies 
fendent  l'air,  l'une  porte  un  masque  de  Gorgone,  l'autre 
agite  des  flambeaux;  derrière  le  char,  des  loups,  des  oi- 
seaux de  proie.  Puis  un  lugubre  cortège  :  un  vieillard 
qu'on  emporte,  un  guerrier  frappé  en  combattant,  des 
femmes,  des  jeunes  filles,  des  enfants  qui  tombent  ou  fuient, 
des  hommes  implorant  la  justice  céleste  derrière  laquelle 
l'Agriculture  et  l'Industrie  s'abritent.  Enfin,  Minerve, 
appuyée  sur  un  cippe  surmonté  du  coq  gaulois,  déchaîne 
un  lion  et  le  lance  sur  Bellone. 

Le  fourreau  est  dédié  à  la  Victoire  et  à  la  Paix.  La  bé- 
lière  et  le  bout  du  fourreau  sont  d'or,  les  ornements  repous- 
sés et  semés  d'arabesques  en  émail.  Sur  la  partie  supé- 
rieure, les  figures  de  la  Victoire  et  de  la  Paix  avec  leurs 
attributs  :  au-dessous  de  la  Paix,  la  Science,  l'Art  et  l'In- 
dustrie ;  au-dessous  de  la  Victoire,  des  trophées,  des  lau- 
riers, des  clairons.  Dans  les  rinceaux,  des  enfants  [)Ortent 
des  couronnes  triomphales  ou  des  couronnes  de  blé,  de 
vigne  ou  d'olivier. 

Le  fourreau  a  été  forgé  en  tôle  rubannée,puis  aplati;  il  est 

28 


434  l'épée  de  m^""  le  comte  de  paris 

sans  soudure  sur  les  côtés.  Lu  lame  a  été  forgée  de  plu- 
sieurs couches  d'acier  :  la  couche  intérieure  est  en  acier 
fondu;  la  couche  supérieure  en  acier  plus  tendre,  afin 
qu'une  fois  la  trempe  donnée  on  pût  la  sculpter  et  la  graver 
sans  la  soumettre  au  recuit  qui  altère  la  dureté  du  tran- 
chant  et  l'élasticité  de  l'épée. 

Ce  n'est  point  seulement  une  arme  de  parade,  c'est  aussi 
une  épée  de  combat  ;  elle  dort  dans  son  fourreau,  à  portée 
de  la  main  royale,  attendant  le  jour  où  le  prince  la  pourra 
tirer  pour  le  salut  et  l'honneur  de  la  France.  Urbs  dédit, 
Patrlx  prosit  !  Le  vœu  de  la  Ville  de  Paris  sera  exaucé  : 
cette  arme,  donnée  par  elle,  relèvera  la  patrie. 


IV 
L'ARTILLERIE    EN    AMÉRIQUE 

PENDANT  LA  GUERRE  DE  SÉCESSION  (1862) 

A  l'époque  où  il  était  interdit  à  tout  journal  français  de 
prononcer  seulement  le  nom  d'aucun  des  princes  d'Or- 
léans, le  Journal  de  Genève  publia  à  la  fin  du  mois  de 
juin  1862  l'intéressante  lettre  suivante  écrite  par  M^'  le 
comte  de  Paris  pendant  le  siège  de  Yorktown. 

3  mai  18G2. 

«  Nous  sommes  en  ce  moment  arrêtés  devant  York- 

town,  par  une  longue  ligne  d'ouvrages  élevés  au  milieu 
des  bois,  et  couverts  par  un  ruisseau  marécageux  et  impra- 
ticable, qui  coupe  la  péninsule  comprise  entre  le  York  et 
le  James  River.  Une  armée,  à  peu  près  égale  en  nombre  à 
la  nôtre,  les  défend.  Ces  ouvrages  s'appuient  à  Yorktown, 
qui,  avec  Gloucester  de  l'autre  côté  du  York  River,  est  la 
clef  de  cette  rivière.  C'est  pour  la  possession  de  cette  ma- 
gnifique voie  de  communication  que  nous  nous  battons 
aujourd'hui.  Si  nos  transports  peuvent  y  entrer,  nous 
irons  presque  sans  coup  férir  jusqu'à  huit  ou  dix  lieues  de 
Richraond. 

«  Le  soldat  américain  paraît  ici  à  son  avantage.  S'il  n'a 
pas  l'esprit  militaire,  l'élan,  la  confiance  mutuelle  du  soldat 
européen,  s'il  marche  mal  et  ne  peut  se  séparer  de  ses 
bagages,  il  est  brave  individuellement,  et  est  né  pionnier. 
La  péninsule  que  nous    occupons    est  couverte,  presque 


436  l'' ARTILLERIE    EN    AMERIQUE 

entièrement,  par  la  forêt  vierge  et  coupée  de  ravins,  de 
fondrières  et  d'immenses  marécages.  Aujourd'hui,  elle  est 
sillonnée  en  tous  sens  de  routes  construites  dans  ce 
difficile  terrain,  qui  relient  entre  elles  toutes  nos  divisions 
ou  conduisent  à  nos  travaux  d'approche.  Ceux-ci  commen- 
cent à  prendre  des  proportions  considérables,  et  la  nature 
du  i)ays  leur  donne  un  caractère  tout  particulier. 

c(  Nous  avons  pu,  grâce  à  de  profonds  ravins,  construire 
des  routes  parfaitement  couvertes,  jusqu'à  douze  cents 
mètres  de  la  place,  et  élever  des  batteries  au  milieu  des 
bois,  dont  la  présence  ne  sera  révélée  à  l'ennemi,  que 
lorsque  nous  abattrons  le  rideau  d'arbres  qui  les  masque. 
J'attends  avec  la  plus  grande  impatience  que  nos  batteries 
ouvrent  le  feu,  car  il  y  aura  là,  au  point  de  vue  de  l'artil- 
lerie, des  expériences  très  curieuses  à  faire.  Les  canons 
rayés  régnent  ici  sans  partage.  Pour  commencer  par  l'en- 
nemi, je  dois  lui  rendre  la  justice  que  les  siens  sont  fort 
justes,  et  qu'il  les  tire  avec  une  précision  extraordinaire. 
Il  faut  dire  qu'il  connaît  parfaitement  le  terrain,  et  que 
depuis  six  mois  il  s'y  exerce.  Il  paraît  avoir  une  grande 
variété  de  canons  ;  quelques-uns  sont  neufs,  d'autres  sont 
d'anciennes  pièces  en  fonte  de  32  qu'il  a  rayées.  Ses  pro- 
jectiles sont  en  général  des  obus  pesant  entre  soixante 
et  quatre-vingts  livres,  cylindro  -  coniques,  et  se  for- 
çant tous  par  l'expansion.  Les  uns  ont,  à  la  base,  un 
anneau  de  plomb,  d'autres,  une  plaque  de  cuivre.  Cette 
partie  se  détache,  avant  de  nous  arriver,  mais  elle  doit 
prendre  les  rayures,  car  à  trois  mille  deux  cents  mèti-es  le 
tir  de  l'ennemi  a  une  justesse  remarquable.  Une  i)arque 
chargée  de  bombes  s'étant  échouée  à  cette  distance,  tandis 
qu'elle  portait  ses  projectiles  à  l'une  de  nos  batteries,  au 


l'artillerie    en    AMÉRIQUE  437 

fond  d'une  baie,  l'ennemi  }-  a  immédiatement  fait  éclater 
deux  obus.  Il  emploie  presque  toujours  la  fusée  à  per- 
cussion. 

«  Nos  canons  sont  fabriqués  d'après  deux  systèmes  diffé- 
rents :  celui  de  M.  Parrot  et  celui  de  M.  Rodman.  Le 
canon  Parrot  est  une  pièce  de  fonte,  renforcée  à  la  culasse 
par  une  bande  de  fer  battu,  roulée  après  que  la  pièce  a  été 
refroidie.  Il  y  en  a  de  tous  les  calibres,  depuis  le  10 
jusqu'à  200.  Les  petites  pièces  portent  trois  rayures, 
les  plus  fortes  neuf.  Le  projectile  porte  à  la  base  un  cercle 
de  cuivre  d'environ  six  centimètres  de  large  sur  deux  cen- 
timètres d'épaisseur  qui  se  force  dans  les  rayures. 

«  Le  canon  Rodman  est  fait  comme  l'Armstrong  en  ru- 
bans de  fer  battu,  mais  d'après  un  système  de  fabrication 
très  simple,  très  économique  et  que  je  crois  parfaitement 
sûr.  Il  n'y  en  a  que  de  deux  calibres  :  la  pièce  de  campagne 
ayant  un  diamètre  de  trois  pouces  (anglais  et  lançant  un 
boulet  de  huit  à  neuf  livres;  celle  de  siège,  diamètre  quatre 
pouces  et  demi,  poids  du  boulet  trente-six  livres.  Le  pro- 
jectile porte  un  culot  de  plomb  ;  mais  je  crois  qu'on  lui  en 
substituera  un  autre,  car  on  lui  a  trouvé  le  double  inconvé- 
nient d'avoir  le  centre  de  gravité  en  arrière  du  centre  de 
ligure  et  de  remplir  si  bien  les  rayures  qu'il  intercepte  le 
vent,  et  ne  permet  pas  à  la  fusée  de  s'allumer. 

«  Les  seules  pièces  que  nous  avons  essayées  sont  les 
Parrot  de  siège.  Les  pièces  de  100  n'ont  pas  encore  été 
bien  réglées  et  leurs  boulets  ne  prennent  pas  toujours  les 
rayures  ;  mais  la  j)ièce  de  200,  unique  encore  dans  son 
genre,  a  donné  les  meilleurs  résultats;  je  les  ai  observés 
moi-même,  et  les  voici  en  quelques  mots  : 

a   On   a  ouvert  le  feu  sur  un    «  pier  »  où  abordent  les 


438  l'artillerie  en  Amérique 

petits  bateaux  de  l'ennemi,  et  situé  à  quatre  mille  mètres 
de  notre  batterie.  La  pièce  a  été  brisée  sous  un  angle  de 
quinze  degrés  avec  seize  livres  de  poudre.  Des  hommes 
stationnés  avec  des  signaux  dans  une  autre  direction  obser- 
vaient les  coups.  Ils  n'ont  jamais  varié  que  de  quelques 
mètres  d'élévation.  La  déviation  à  droite  est  très  régulière, 
et  il  suffit  de  deux  coups  pour  savoir  comment  elle  est 
affectée  par  le  vent.  Les  obus  à  percussion  qu'on  a  tirés 
d'abord  n'ont  pas  éclaté,  sans  doute,  parce  qu'à  une  pa- 
reille distance,  ils  n'arrivaient  pas  exactement,  par  la 
pointe.  On  a  alors  essayé  les  fusées  à  temps,  en  ayant  soin 
d'enduire  de  collodion  la  tête  du  boulet,  pour  faciliter  l'in- 
flammation de  la  fusée.  Celle-ci  a  fonctionné  avec  la  plus 
grande  régularité  et  il  ne  reste  plus  du  «  pier  »  que  quel- 
ques poutres  brisées.  Les  bateaux  ennemis  s'étant  réfugiés 
dans  une  anse  de  cinq  mille  mètres  de  notre  batterie,  on  a 
essayé  la  portée  du  canon  sur  eux,  et  avec  une  élévation 
de  dix-sept  degrés,  le  premier  ob'is  est  venu  éclater  au 
milieu  d'eux. 

«  Ce  canon  est  monté  sur  un  affût  en  fonte,  glissant  sur 
un  châssis  qui  repose  sur  un  pivot  à  une  extrémité,  et  sur 
deux  roulettes  à  l'autre.  Cet  affût  est  très  léger  comme  les 
chiffres  suivants  le  feront  voir  : 

Poids  du  canon.   .   .     16,420  livres  anglaises. 

Poids  de  l'affût.  .   .       1,947  » 

Poids  du  châssis.    .        3,035  » 

«  Pourtant  un  homme  suffit  pour  pointer  la  pièce,  et 
cinq  en  tout  peuvent  lui  faire  tirer  un  coup  toutes  les  cinq 
minutes » 


LISTE    DES    CADEAUX 

OFFERTS   A   S.    A.    R. 

MADAME   LA    PRINCESSE   AMELIE   DE    FRANCE,    DUCHESSE    DE    BRAGANCE, 

A   l'occasion  de   SON   MARIAGE,  LE  lo  MAI  1886 

M^''  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  comtesse  de  Paris. 

—  Diadème,  collier,  broche  et  pendants  d'oreilles,  en  éme- 
raudes  d'une  inestimable  valeur.  Un  présent  vraiment 
royal. 

LL.  AA.  RR.  le  duc  et  la  duchesse  de  Chartres.  — 
Neuf  perles  blanches.  Un  éventail  en  éci.ille  blonde,  avec 
un  bouquet  de  roses,  peint  par  la  duchesse  de  Chartres. 

S.  A.  R.  le  duc  d'Aumale.  —  Broche  en  émeraudes  et 
diamants. 

LL.  AA.  RR.  les  princesses  Hélène,  Isabelle  et  Louise, 
S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans  et  S.  A.  R.  le  prince  Ferdinand. 

—  Six  perles  blanches. 

S.  A.  R.  le  duc  de  Penthièvre.  —  Bague  tricolore, 
saphir,  diamants  et  rubis. 

S.  A.  R.  la  princesse  Marguerite.  —  Epingle  et  broche, 
colimaçons  en  œil  de  tigre. 

LL.  AA.  RR.  le  prince  et  la  princesse  de  Joinville.  — 
Treize  perles  blanches. 

LL.  AA.  RR.  le  comte  et  la  comtesse  de  Caserte.  — 
Bracelet  avec  saphir  entouré  de  diamants. 

S.  A.  R.  le  prince  Auguste  de  Saxe-Cobourg.  — 
Une  petite  pendule  en  marbre  blanc  et  bronze  doré. 


440  CADEAUX    OFFERTS 

LL.  AA.  II.  le  grand-duc  Wladimlr  de  Russie  et  la 
grande-duchesse  Marie  Pawlowna.  —  Fleur  de  lis  en  dia- 
mants. 

S.  A.  R.  la  princesse  Elisabeth  de  Saxe-Weimar.  — 
Eventail  rose,  monté    nacre,  avec  chiffre  en  argent. 

S.  M.  le  roi  d'Espagne  don  François  d'Assise.  —  Col- 
lier en   or  travaillé  souple,  pendants  en  perles. 

S.  M.  la  reine  d'Espagne  Isabelle  II.  —  Croissant  en 
diamants. 

S.  A.  R.  la  princesse  Czartoryska.  —  Broche  avec 
trois  gros  diamants  jaunes. 

S.  A.  R.  la  duchesse  Max-Emmanuel  de  Bavière.  — 
Coffret  en  cuir,  avec  peintures. 

S.  A.  R.  la  princesse  de  Ilohenzollern-Sigmaringen.  — 
Bracelet  d'or  avec  gros  diamants  et  deux  saphirs. 

S.  A.  R.  la  princesse  Clémentine  de  Saxe-Cobourg  et 
Gotha.  — Cinq  perles  blanches. 

S.  A.  S.  le  prince  Ferdinand  de  Saxe-Cobourg  et  Gotha. 
—  Pendant   de  cou  en  diamants,  avec  saphir  cabochon. 

S.  A.  R.  l'infante  Paz  de  Bourbon  et  S.  A.  R.  le  prince 
Louis-Ferdinand  de  Bavière.  —  Un  album  de  cuir  tra- 
vaillé, chiffre  en    argent. 

Dons  venus  de  la  province  : 

Souscripteurs  de  Nancy.  —  Un  j)aravcnt  en  vernis  Mar 
tin,  à  quatre  panneaux  ornés  de  peintures. 

Les  dames  de  la  Touraine.  —  Grand  plat  aux  armes  de 
France  et  de  Bragance. 

Souscripteurs  du  Berry.  —  Service  de  porcelaine,  de 
Vierzon. 

Les  dames  de  la  Seine-Inférieure.  —  Eventail  [)eint  par 


A    S.  A.  R.    LA    DUCHESSE    DE    BRAGANGE  441 

Eugène  Lami,   représentant  une  chasse  au  château   d'Eu, 
du  temps  de  M"^  de  Montpensier. 

Les  dames  de  Saône-et-Loire.  —  Miroir,  cadre  en  ar- 
gent ciselé. 

Les  dames  d'Eu  et  du  Tréport.  —  Grand  Christ  en  ivoire, 
cadre  en  ébène  aux  armes  de  France  et  de  Portuaral. 

Les  royalistes  du  conseil  général  de  la  Loire-Inférieure. 
—  Les  deux  cœurs  enlacés,  avec  fleur  de  lis  au  milieu, 
surmontés  de  l'hermine  bretonne,  bijoux  en  diamants. 

Les  dames  de  Bretagne.  —  Une  admirable  statuette  de 
Sainte-Anne  d'Auray. 

Religieuses  de  la  Providence  d'Eu.  —  Prie-Dieu  brodé, 
les  armes  de  France  en  losange  sur  velours  rouge. 

Jeunes  filles  de  la  ville  d'Eu.  —  Livre  d'heures  en  cuir 
de  Russie  rouge.  Ecrin  avec  armoiries. 

Les  employés  du  château.  —  Pendule  en  marbre,  sur- 
montée de  la  statue  d'Henri  IV  enfant,  de  Bosio. 

Orphelinat  de  la  ville  d'Eu.  —  Porte-bouquet  en  fili- 
grane. 

Sœurs  de  la  salle  d'asile  du  Tréport.  —  Bouquet  en 
coquillages. 

Dons  de  provenances  diverses  : 

Un  paravent,  monture  dorée,  broderie  et  glaces,  offert 
parla  comtesse  Pajol. 

Un  paravent  avec  oiseaux  brodés,  par  la  vicomtesse  de 
Giéry. 

Deux  jardinières  en  vieux  Sèvres,  jjar  la  baronne  James 
de  Rothschild. 

■   Les  Pseaumes    de    Dom  Antliolne,   roy  de  Portugal,  livre 
ancien,  par  AL  Auguste  Boucher. 


442  CADEAUX    OFFERTS 

Grand  écran  en  tapisserie,  à  fleurs,  monture  dorée,  par 
la  comtesse  de  Bondy. 

Fleur  de  lis,  en  saphirs  et  diamants,  avec  aigrette,  par 
le  duc  et  la  duchesse  de  Doudeauville. 

Bonbonnière,  en  émail,  par  M.  William  de  la  Rive. 

Livre  de  piété,  reliure  en  argent  ciselé,  par  la  marquise 
de  Beauvoir,  douairière. 

Montre  ancienne,  en  brillants,  avec  châtelaine,  par 
M.  et  M"^  Aubry-Vitet. 

Eventail  ancien,  monture  en  or,  par  la  baronne  N.  de 
Rothschild. 

Montre  ancienne  en  argent,  cadre  en  velours,  par  la  du- 
chesse d'Uzès. 

Jardinière  en  vieux  Sèvres,  par  le  baron  et  la  baronne 
Edmond  de  Rothschild. 

Coussin  aux  armes  de  France,  brodé  au  petit  point,  par 
M"^  Laurent. 

Théière  et  deux  tasses  en  vieux  sèvres,  par  le  duc  et  la 
duchesse  de  Bisaccia. 

Vie  des  Saints,  du  comte  A.  de  Riancey,  pleine  reliure, 
chiffre  A,  par  le  comte  de  Riancey. 

Jardinière  en  verre  bleu,  monture  d'argent,  par  M.  Sta- 
nislas Brugnon. 

Sermons  choisis,  3  volumes,  pleine  reliure,  par  M"^  de 
Saint-Aubin. 

Cachet,  monture  en  or  ciselé,  par  le  marquis  d'Harcourt. 

Bracelet  avec  perles,  par  M.  et  M">°  Emmanuel  Bocher. 

Coupe  en  cristal  gravé  aux  armes  de  France  et  de  Bra- 
gance,  par  la  comtesse  de  Chambrun. 

Coupe  et  cuiller  en  vieux  craquelé  de  Chine,  par  la  vi- 
comtesse de  Bondy. 


A    S.  A.  R.    LA   DUCHESSE    DE   BRAGANCE  443 

Coussins  en  velours  rouge,  brodé  or   et  argent,  par  la 
comtesse  Odon  de   ^lontesquiou. 

Panier  à  ouvrage  en  satin  rose  brodé,  par  M"^  Amel. 
Vase  en  vieux  sèvres,  par  la  marquise   d'Audiffret-Pas- 

quier. 

Broche,  deux  cœurs  en  diamants,  par  le  comte  et  la 
comtesse  de  Suzannet. 

Eventail  en  nacre,  la  villa  Saint-Jean  et  les  armes  de 
Bragance,  par  M°"=  et  M"«  du  Parquet. 

Aquarelle  de  de  Penne,  représentant  une  chasse  à  Chan- 
tilly, le  29  janvier  1886,  par  M.  Edouard  Bocher,  séna- 
teur. 

Introduction  à  la  vie  de\'ote,  pleine  reliure  bleue,  par 
M"®  Levavasseur. 

Pensée  en  diamants,  par  la  duchesse  de  Luynes. 
Dragon  en  diamants,  par   M'i«^  Marie  et  Antoinette  de 
Bannelos. 

Eventail  de  satin  blanc,  fleur  d'épine  rose,  aux  armes  de 
France  et  de  Bragance,  par  M"'  de  Souza  ; 

Cofi'ret  en  malachite,  par  M.  et  M"»  Lambert  de  Sainte- 
Croix. 

La  Vierge  et  l'Enfant-Jésus,  encadré,  dans  un  écrin,  par 
le  comte  et  la  comtesse  de  Rochefort. 

Corbeille  de  fleurs,  par  le  comte  et  la  comtesse  Gra- 
mont  d'Aster. 

Broche  en  diamants,  dragon  surmonté  d'une  fleur  de 
lis,  par  la  comtesse  d'Haussonville. 

Vase  en  cristal  surmonté  d'un  dragon,  par  M"«  de   Sar- 

tiges. 

Trois  aquarelles  de  M.  Buttura  fils.  Vues  de  Cannes,  par 

le  docteur  Buttura. 


444  CADEAUX    OFFERTS 

Eventail,  vue  du  Tréport  et  fleurs,  par  M"^  de  Kermain- 
gant. 

Coffret  en  bronze  damasquiné,  par  M.  Banderali. 

Boîte  en  argent,  en  forme  de  cœur,  ])ar  MM.  C.  Harris. 

Coupe  en  argent,  par  The  Earl  et  lady  Coventry. 

Eventail  ancien,  par  ]M"*°  de  Robles. 

Broche-épée  avec  l'inscription  :  In  hoc  signa  vinces !  par 
le  général  baron  de  Charette. 

Histoire  du  Portugal,  d'Auguste  Bouchet,  reliure 
pleine,  aux  armes  de  France,  par  M.  Bouchet,  avocat. 

Sachet  brodé,  par  M''°  de  la  Rive. 

Eventail  aux  armes  de  France  et  de  Portugal,  monté  en 
écaille,  par  jM"""  la  baronne  de  Baye. 

Portrait  du  duc  d'Orléans,  tableau  à  l'huile,  encadré,  par 
M.  Fontaine. 

Ombrelle  en  soie  blanche,  monture  en  jonc,  pomme 
d'or  avec  chiffre  A  en  diamants. 

Vierge  avec  l'enfant  Jésus,  en  vieil  ivoire,  par  S.  G. 
l'archevêque  de  Rouen. 

Aquarelle,  vue  du  Tréport  et  de  Mers,  par  M.  Athalin. 

Reliquaire  en  argent,  renfermant  une  relique  do  Saint- 
Laurent  d'Eu,  j)ar  M.  de  Chanteloup,  curé  doyen  d'Eu. 

Lorgnette  en  écaille  avec  le  chiffre  A  en  brillants,  par  la 
princesse  de  Léon. 

Statue  de  saint  Louis  en  bronze,  par  le  baron  Tristan 
Lambert. 

Sachet  brodé  en  satin  saumon,  par  M'"°  Level. 

Vue  du  château  d'Eu,  tableau  à  l'huile  encadré,  par 
i\L  Serrure. 

Paravent  brodé  rose,  a  deux  feuilles,  par  M™^  lîarthé- 
lemv  Saint-INLirc  Girard  in. 


A    S.  A.  R.    LA   DUCHESSE    DE   BRAGANCE  445 

La  Fontaine  et  les  fabulistes,   par  Saint-Marc  Girardin, 

de   l'Académie  française,    par  M.  Barthélémy  Saint-Marc 

Girardin. 

Flacon  Louis  XIV,  en  cristal  de  roche,  monté  en  or,  par 

M.  et  M™*  Guéneau  de  Mussy. 

Une  miniature  d'Henri  IV,  par  M-«  veuve  Alexis  Moreau. 

Treize  volumes  de  Cuvillier  Fleury,  reliure  pleine,  gros 
bleu,  aux  armes  de  Portugal,  par  M"«  Tiby. 

Aquarelle  en  forme  d'éventail,  le  Marche  au  poisson  au 
Trep>rt,  cadre  doré,  par  M.  de  Grandmaison. 

Coupe  en  cristal  et  bronze  doré,  par  MM.  le  comte 
de  Chevilly  et  le  duc  de  Glucksberg. 

Deux   flacons    en    cristal,     monté    or     et    argent,    par 

M"^  Laugel. 

Bracelet  en  or  avec  trèfle  à  quatre  feuilles  en  diamants, 

par  la  marquise  d'Harcourt. 

Gachepot  en  vieux  Chine,  aux  armes  de  Portugal,  par 
M.  Morel,  vice-consul  de  Portugal  à  Lyon. 

Vierge  en  broderie,  sur  fond  bleu,  cadre  bleu  et  or,  par 
la  comtesse  Paul  de  Ségur. 

Petit  fauteuil  doré,  fond  bleu    brodé,    par  la  comtesse 

Louis  de  Ségur. 

Une  liseuse  en  écaille  avec  la  couronne  royale  en 
brillants,  par  la  vicomtesse  de  Chazelle. 

Dentelles   anciennes,  par  M-*  la  marquise  L.  de  Beau- 


voir 


Ma  jeunesse,  par  le  comte  d'Haussonville,  de  l'Académie 
française,  pleine  reliure,  avec  A  et  la  couronne  royale,  par 
le  comte  Othenin  d'Haussonville. 

Deux  sachets  en  satin  blanc  brodés  aux  armes  de  France 
et  de  Portugal,  par  M""*^  Dupuy. 


446  CADEAUX    OFFERTS 

Garniture  de  bureau  en  corail  et  argent  doré,  couteau  à 
papier,  cachet,  porte-plume  et  crayon,  par  M.  le  capitaine 
Morhain. 

Paire  de  pots  à  fleurs  imitant  l'ivoire,  dessus  dorés,  par 
le  marquis  et  la  marquise  de  Lasteyrie. 

Coupe  en  vieux  sèvres,  fond  bleu,  par  la  baronne  Na- 
thaniel  de  Rotschild. 

Eventail  en  écaille  et  plumes  blanches,  les  armes  de 
Portugal  en  émail  et  diamants,  par  la  vicomtesse  de 
Grefl'ulhe. 

Bénitier  en  argent,  style  Louis  XVI,  par  M.  le  docteur 
Leclise. 

Bonbonnière  en  argent,  chiffre  AO,  par  M.  et  M™*  Mi- 
chellet. 

Feuille  de  vélin  enluminée,  vues  du  château,  de  l'église 
d'Eu  et  du  Tréport,  cadre  doré,  par  M"*  Fromont. 

Sachet  rouge,  aux  armes  de  France  et  de  Portugal,  par 
]\Ime  Briggs. 

Une  croix  en  ivoire  avec  tête  d'ange,  par  M"®  Dudon. 

Le  Havre  d'autrefois,  pleine  reliure  rouge  dans  un  écrin, 
par  M""  G.  Gharvet,  E.  Dévot  et  A.  Magnen,  du  Havre. 

Bonbonnière  or  et  émail,  par  la  baronne  Gustave  de 
Rothschild. 

Petite  chaise  à  porteurs  en  vernis  Martin,  par  la  du- 
chesse Decazes. 

Ombrelle  en  satin  rouge  recouverte  de  Chantilly,  manche 
en  écaille  à  pomme  d'or,  par  M™*  E.  André. 

Broche,  un  dragon  en  diamants  et  perles,  par  la  vicom- 
tesse de  Butler. 

Coussin  brodé  avec  pièce  pour  prie-Dieu,  par  M.  Do- 
quin. 


A  S.  A.  R.  LA  DUCHESSE  DE  BRAGANCE       447 

Bouquet  en  fruits  confits,  par  M.  J.  Nègre,  de  Cannes. 

Table  en  bronze  avec   fleurs,  par  la  baronne  Alphonse 
de  Rothschild. 

Deux    épingles,    un    dragon     en  perles  et  brillants,  par 
M"''*  de  Rongé. 

Porte-monnaie  en  maroquin  bleu,  chiffre  et  monture  en 
or,  par  M.  Tonnel. 

Porte-cartes,  en  maroquin  bleu,  armes  en  argent,  par 
M.  d'Aulnoy. 

Tableau  esquisse  de  Jadin,  fait  pour  S.  A.  R.  le  duc 
d'Orléans,  prince  royal,  par  M.  Asseline. 

Buvard  en  maroquin  bleu,  avec  les  armes  de  France  et  de 
Portugal,  en  émail,  par  jNI'^*  V.  de  Sercey. 

Etui  Louis  XVI,  or  et  émail,  par  M.  Ch.  Baj)st. 

Porte-plume  en  or  avec  chiffre  en  brillants,  par  la  com- 
tesse de  Glinchamp. 

Reliquaire  byzantin  ancien,  par  le  baron  d'AIcochète. 

Imitation  de  Je'sus-Clirist,  pleine  reliure,  parla  marquise 
d'Harcourt,  douairière. 

Coussin  en  satin  l'ouge,  par  M™®  Antoine  de  Latour. 

Modes  et  usages  au  temps  de  Marie-Antoinette,  2  vol., 
avec  armes  de  France  et  de  Portugal,  par  le  comte  de 
Reiset. 

Coupe  en  onyx  supportée  par  un  éléphant,  ornée  de 
pierres  précieuses,  par  M.  et  M"*  Hervé. 

Un  éventail,  avec  cadre  en  vieil  or,  par  M.  Jacquet. 

Le  médaillon  de  Madame  la  comtesse  de  Paris,  par  M. 
d'Epinay... 


VI 
M^'  LE   COMTE   DE   PARIS  AGRICULTEUR' 

Le  domaine  d'Eu,  sous  l'Empire  et  de  nos  jours.  —  La  l'orèt 
d'Eu,  les  biens  de  la  famille  d'Orléans.  —  Les  Guisards.  — 
Drainage  et  mise  en  culture  de  la  vallée  de  la  Bresle.  — 
Vaches  cotentines  et  bretonnes  ;  moutons  Shropshire  ;  le 
comte  de  Paris  et  Ijouis  XVL  —  Clôtures  économiques.  — 
Ferme  modèle.  —  Fleurs  de  lis  et  armes  de  France.  —  L'œil 
du  maître.  —  Une  lettre  inédite  de  Ms""  le  comte  de  Paris. 

Le  Tréport,  25  septembre  1887. 

Pendant  que  la  France  et  l'Europe  méditent  le  grand 
acte  politique  de  M.  le  comte  de  Paris,  je  montrerai  le 
prince  dans  ses  champs,  sans  l'auréole  de  la  souveraineté 
future,  le  propriétaire  agriculteur  dans  sa  ferme,  au  milieu 
de  ses  moutons. 

J'ai  souvent  visité  le  domaine  d'Eu.  Sous  l'Empire,  j'ai  vu 
le  château  vide,  les  pelouses  desséchées,  les  forêts  livrées 
aux  agents  de  l'État,  qui  semblaient  avoir  conscience  de 
coopérer  à  une  mauvaise  action,  d'exploiter  le  bien  d'au- 
trui.  En  1873,  au  lendemain  de  la  restitution  des  biens  des 
princes,  le  parc  avait  repris  un  air  de  fête,  les  vieux  servi- 
teurs, les  arbres,  les  parterres,  tout,  comme  dans  les  ro- 
mans et  les  féeries,  souriait  au  retour  du  seigneur;  mais 
la  vallée  de  la  Bresle,  jusque  sur  les  bords  de  la  route  du 
Tréport,  était  toujours  à  l'état  de  marécage.  Cette  année, 
lacanq)agne  est  transformée,  méconnaissable.  Sur  les  rives 

1.  Figaro  du  26  septembre  1887. 


m"''  le  comte  de  paris  agriculteur  449 

de  l;i  Bresle,  des  prairies  à  perte  de  vue,  des  champs  en 
culture,  des  plantations  d'arbres  de  la  plus  belle  venue,  un 
vaste  jardin  maraîcher  et  fruitier. 

J'ai  voulu  voir  de  près,  je  n'ai  eu  qu'un  mot  à  dire  et 
toutes  les  portes  se  sont  ouvertes. 


Brutalement  chassé  de  chez  lui,  M.  le  comte  de  Paris  a 
laissé  l'administration  du  domaine  aux  mains  d'un  forestier 
émérite,  M.  Gilliot,  qui  est  là  depuis  iS73.  Des  gardes 
sous  ses  ordres  habitent  divers  ])oints  de  la  forêt.  On 
compte  1,537  hectares  de  taillis  et  3,119  hectares  de  fu- 
taies ;  en  tout  4,906  hectares  de  chênes  et  de  hêtres,  y 
com})ris  le  Bois-l'Abbé  récemment  acheté  par  le  prince. 
L'ensemble  forme  la  forêt  d'Eu.  D'autres  forêts  très  éten- 
dues touchent  à  celle-ci  et  se  prolongent,  avec  de  rares 
coupures,  çà  et  là,  jusqu'à  la  ville  d'Aumale.  Elles  appai'- 
tenaient  à  plusieurs  membres  de  la  famille  d'Orléans,  au 
priace  de  Joinville,  au  roi  des  Belges,  au  duc  d'Aumale. 
Afin  de  couper  court  au  morcellement,  le  prince  a  racheté 
les  parts  de  ses  voisins. 

La  famille  d'Orléans  possédait,  en  outre,  dans  cette  con- 
trée, beaucoup  de  bois  et  de  terres  disséminés  que  le  fisc  a 
vendus  après  les  décrets  de  confiscation,  en  1852.  Il  en  a 
été  de  même  partout  où  les  intermédiaires  des  princes 
n'ont  pas  pu  acquérir  tous  les  biens  et  paralyser  les  dé- 
crets impériaux.  Ces  biens,  aujourd'hui  passés  en  plusieurs 
mains,  n'ont  pas  été  rendus.  En  1873,  les  princes  ont  sim- 
plement demandé  et  obtenu  que  le  fisc  cessât  de  les  voler 
en  touchant  leurs  revenus  à  leur  place  ;  ils  n'ont  pas  ré- 
clamé un  denier  des  revenus  indûment  touchés   par   r]']lat 

29 


450  m""^  le  comte  de  paris  agriculteur 

[)en(Iant  vingt  ans.  C'est  j)Ourqiioi,  loin  de  jeter  la  pierre  à 
la  famille  d'Orléans,  les  personnes  de  bonne  foi,  même  les 
répnblicains  honnêtes,  au  courant  de  l'affaire  de  la  conds- 
cation,  sont  d'avis  qu'il  serait  juste  de  remercier  les  princes 
d'avoir,  en  acceptant  une  restitution  partielle,  signé,  pour 
ainsi  dire,  au  profit  de  la  France  une  donation  de  plus  de 
cinquante  millions.  Cela  sans  compter  le  don  récent  de 
Chantilly. 

Le  domaine  forestier  d'Eu  est  fort  bien  aménagé.  Les 
grands  propriétaires  qui  affluent  au  Tréport  pendant  la 
saison  des  bains  de  mer  rendent  hommage,  en  hommes 
compétents,  à  la  bonne  tenue  de  la  forêt;  les  élégantes  de 
la  plage  connaissent  toutes,  ses  beaux  arbres,  les  retraites 
ombreuses  où  l'on  trouve  un  j)eu  de  fraîcheur  quand  l'im- 
pitoyable soleil  de  juillet  et  d'août  chauffe  a  blanc  les 
galets.  En  plus  d'un  lieu  de  la  forêt,  on  s'incline  avec  res- 
pect devant  les  arbres  plusieurs  fois  séculaires.  Dans  le 
parc  du  château,  des  hêtres  n'ont  pas  moins  de  trois  cents 
ans;  on  les  nomme  les  Guisards,  |)arce  que  c'est  en  cet 
endroit,  si  l'on  en  croit  l'inscription  faite  par  Louis-Phi- 
lippe,  «  que  les  Guises  tenaient  conseil  au  seizième 
siècle  ». 

Dernièrement  un  de  ces  Guisards  s'était  affaissé  sous  le 
poids  des  ans.  A  le  voir  étendu  sur  l'herbe,  avec  ses 
feuilles  encore  vives,  on  eût  dit  un  tle  ces  preux  tombés 
de  cheval  qui  im])loraient  la  main  d'un  autre  |)reux  pour  se 
remettre  en  selle.  JNL  le  comte  de  Paris  a  relevé  ce  vieil- 
lard, il  a  pansé  ses  blessures  :  à  la  tête  il  a  mis  luic  sorte 
de  casque  qui  le  protège  à  tout  jamais  contre  l'inlilti-ation 
des  pluies;  il  a  bardé  le  tronc,  au  bas,  d'une  (pia(lnq)le  ar- 
mure de  fer;  et  le  vieux  chevalier  s'est  repris  à  vivre,   et 


M"'  LE  COMTE  DE  PARIS  AGRICULTEUR        451 

quand  le  vent  soufflait  dans  les  feuilles,  le  duc  d'Orléans 
grimpé  sur  le  trapèze,  en  face,  croyait  entendre  des  his- 
toires du  temps  passé. 

Les  cultures  sont  confiées  à  un  agriculteur  de  profes- 
sion, i\I.  Véron.  Je  me  suis  promené  avec  lui,  plusieurs 
heures  durant,  le  plan  à  la  main. 

Lorsque  M.  le  comte  de  Paris  rentra  au  château  d'Eu,  ce 
ne  fut  point  pour  s'endormir  à  l'ombre  de  ces  arbres.  En 
homme  qui  a  vu  de  près  l'agriculture  anglaise,  les  grandes 
exploitations,  les  élevages  de  haut  rendement,  les  défri- 
chements gigantesques  du  duc  de  Sutherland,  le  proprié- 
taire du  château  d'Eu  fut  aussitôt  pris  de  la  (ièvre  de 
mettre  la  main  à  la  terre,  de  défricher,  d'améliorer,  d'as- 
sainir. Mais,  si  les  bois  abondaient,  la  terre  agricole  faisait 
défaut.  Par  bonheur,  au  pied  du  parc,  il  y  avait  une  vieille 
ferme,  la  ferme  de  Sainte-Croix,  appartenant  à  M"*^  de  La- 
moricière.  M^"^  le  comte  de  Paris  acheta  la  ferme.  Puis,  du 
haut  de  l'esplanade  qui  forme  la  cour  et  d'oîi  la  vue  s'étend 
au  loin  sur  un  splendide  ])aysage,  il  aperçoit  la  vallée  de  la 
Bresle,  aux  prairies  basses  et  maigres,  enchevêtrées  de 
roseaux. 

Le  prince  acheta  la  vallée.  Il  promène  ensuite  son  regard 
d'un  autre  côté,  vers  le  plateau  qui  domine  les  blanches 
falaises  du  Tréport,  et  voit,  près  de  ses  propres  bois,  des 
collines  à  peine  cultivées.  Le  prince  ne  tolérera  pas  un  tel 
délaissement  et,  après  avoir  acquis  la  ferme  et  la  vallée,  il 
s'empare  des  collines  au  poids  de  l'or!  Le  mot  n'est  j)as  de 
trop,  on  me  croira  sans  peine,  car  pour  être  de  chauds 
partisans,  des  amis  dévoués  du  comte  de  Paris,  les  braves 
gens  du  Tréport,  de  la  ville  d'Eu,  de  Mers,  de  Crie),  n'en 


452  ms""  le  comte  de  paris  agriculteur 

sont  pas  moins  hommes,  un  j)eu  Normands  et  un  peu 
Picards.  Dès  que  le  prince  eut  acheté  dix  hectares,  hi 
bourse  des  terres  monta  tout  à  coup,  comme  au  soir  d'une 
bataille  gagnée.  L'hectare,  sur  la  Bresle,  valait  bien  trois 
ou  quatre  cents  francs;  du  jour  au  lendemain,  on  découvrit 
à  cette  terre  des  vertus  cachées,  on  la  vendit  niille  et  deux 
mille  francs  l'hectare  ;  quant  aux  collines,  sous  les  falaises, 
des  projiriétaires,  qui  ne  s'étaient  jamais  douté  de  leur 
fortune,  s'y  taillèrent  au  mètre  des  dots  pour  leurs  lilles. 
Deux  francs  le  mètre,  vingt  mille  francs  l'hectare,  avec  la 
mer  là-bas,  entre  le  Tréport  et  Mers,  c'était  pour  rien.  Le 
prince  paya  de  la  meilleure  grâce  du  monde  et  se  mit  à 
l'œuvre. 

Après  avoir  obtenu  de  l'Etat  l'autorisation  de  rectilier  le 
cours  de  la  Bresle  et  de  réparer  à  ses  frais  le  canal,  son 
premier  soin  fut  de  drainer  cette  ])laine  marécageuse;  tra- 
vail de  Romain,  très  dispendieux,  qui  a  réussi  au  delà  de 
toute  espérance.  Ces  terres  d'alluvion  conquises  par  le 
drainage  sont  devenues  fei^tiles  à  ce  point  que  j'ai  constaté, 
cette  année,  un  rendement  en  blé  de  GO  à  65  hectolitres  à 
l'hectare,  obtenu  sans  le  moindre  engrais.  On  cite  un  tel 
résultat  à  titre  de  curiosité,  et  non  comme  un  but  qu'on 
puisse  atteindre  en  général,  mais  ce  chiffre  jirouve  la 
richesse  d'un  fonds  que  le  propriétali'c  a  eu  l'heureuse 
pensée  de  mettre  en  valeur.  Du  reste,  les  cultivateurs  des 
environs  connaissent  bien  les  belles  semences  de  blé  et 
d'avoine  du  domaine;  d'iùi  et  savent  que  INL  le  comte  de  Paris 
est  heureux  d'en  donner  gracieusement  à  qui  en  demande. 
On  n'est  pas  meilleur  voisin. 

Pour  isoler  de  la  terre  ses  récoltes  de  blé,  d'iivoinc  ou 
(io  loin  mises  en  meules,  le  propriétaire  de  la  ferme  d"Lu  a 


mS""  le  comte  de  paris  agriculteur  453 

emprunté  aux  fermiers  anglais  un  appareil  excellent,  des 
pieds  de  meule  en  fonte  qu'on  démonte  et  transporte  à 
volonté.  Les  barres  entrecroisées  de  cette  plate-forme  à 
jour  sont  soutenues  par  de  larges  champignons  do  fonte 
construits  de  telle  sorte  que  les  rats  et  les  mulots  s'effor- 
ceraient en  vain  de  grimper  jusqu'à  la  meule.  S'il  coûte  à 
peu  près  250  francs,  l'appareil  dure  quinze  ou  vingt  ans  et 
soustrait  à  la  dent  des  rongeurs,  chaque  anuée,  au  moins 
pour  100  francs  de  grains. 

En  cultivant  ces  terres  de  la  Bresle,  le  prince  a  rendu, 
par  le  fait,  un  signalé  service  à  la  contrée.  Les  Tréportais 
et  les  Eudois  le  bénissent  tous  les  jours  d'avoir  assaini 
leur  [)ays,  d'avoir  donné  du  travail  à  toute  la  population. 
L'année  dernière  encore,  près  de  cent  personnes  étaient 
occupées  journellement  au  château  d'Eu  ;  depuis  l'exil,  six 
ou  huit  suffisent  à  la  besogne,  et  la  plupart  des  prairies  ont 

dû  être  louées. 

*  * 

Pendant  que  de  nouveaux  champs  s'ouvraient  aux  pâtu- 
rages, il  fallait  songer  à  les  peupler.  Le  propriétaire  du 
domaine  d'Eu  connaît  mieux  que  personne  les  races  de 
bétail.  Tous  les  ans,  au  concours  agricole  du  Palais  de 
l'hidustrie,  à  Paris,  on  le  voit  aller  de  stalle  en  stalle, 
accompagné  du  marquis  de  Dampiei-re,  président  de  la 
Société  des  agriculteurs  de  France,  qu'il  étonne  par  la 
sagacité  de  ses  aperçus. 

Les  vaches  cotentines  et  bretonnes  pures  lui  semblèreut 
les  meilleures  pour  le  pays  ;  il  en  acheta  quarante-six, 
souche  d'un  troupeau  qui  devait  s'accroître  en  jncme  temps 
que  l'étendue  des  prairies.  Loin  de  là,  l'exil  a  forcé  le 
prince  à  les  vendre  ;  il  n'y  en  a  plus  que  six  en  ce  moment. 


404  M="^    LE    COMTE    DE    PARIS    AGRICULTEUR 

Les  moutons  de  race  Sliro})sliire  furent  choisis  de  préfé- 
rence. IJurant  son  premier  exil,  le  prince  avait  étudié  sur 
place  les  avantages  de  cette  race  dérivée  des  southdowns, 
améliorée  par  sélection  et  maintenant  lixée.  C'est,  par 
excellence,  la  race  des  climats  humides;  elle  est  précoce  et 
donne  une  viande  d'un  grain  serré,  d'un  goût  parfait  ;  la 
laine,  fine,  est  plus  épaisse  et  plus  longue  que  celle  des 
outhdowns.  M.  le  comte  de  Paris  a  complètement  réussi, 
en  traitant  ses  moutons  à  l'anglaise,  comme  des  animaux 
très  rustiques  dont  la  bergerie  est  le  principal  ennemi,  se 
rappelant  le  mot  du  créateur  des  southdowns,  Jonas  Webb  : 
«  le  southdown  est  si  fort  qu'il  résiste  même  à  la  ber- 
gerie !  » 

Le  troupeau  de  la  ferme  d'Eu  est  envié  de  tous  les  pro- 
priétaires placés  dans  les  mêmes  conditions  de  climat. 
Tous  veulent  des  brebis  et  des  béliers  de  ce  troupeau.  La 
race  est  acclimatée  au  point  que  les  moutons  élevés  à  Eu 
seraient,  au  dire  des  éleveurs  anglais,  fort  remarqués  sur 
les  foires  de  leurs  comtés  d'origine,  tels  que  Shropshire, 
Staffordshire,  le  Herefordshire,  et  dans  les  fermes  d'éle- 
veurs célèbres,  comme  les  Chesham,  lesMansell,  les  Evans, 
les  Pilgrim,  etc.  En  introduisant  chez  nous  une  race  aussi 
utile,  le  prince  a  suivi  la  tradition  royale  :  Louis  XVI  en- 
richit ainsi  l'agriculture  française  quand  il  fit  venir  à  ses 
dé[)ens,  d'Espagne  à  Rambouillet,  son  fameux  troupeau  de 
mérinos. 

Pour  ces  bêtes,  destinées  à  errer  au  grand  air,  il  fallait 
des  champs  clos.  Le  prince  avait  remarqué  dans  les  |)àtu- 
rages  anglais  un  système  de  clôture  très  solide,  formé  de 
barres  en  fer,  superposées  à  30  centimètres  environ  les 
unes  des  autres,  avec  des  portes  de  distance   en  distance. 


M^'''    LE    COMTE    DE    PARIS    AGRICULTEUR  40O 

toujours  ouvertes  à  l'homme,  absolument  interdites  aux 
animaux  parqués,  grâce  au  battant  mobile  que  la  vache  ou 
le  mouton  ferme  d'autant  plus  qu'il  s'acharne  davantage  à 
sortir.  A  la  ferme  d'Eu,  il  n'y  a  \)a.s  moins  de  15  kilomètres 
de  ces  clôtures,  fabriquées  d'abord  en  Angleterre,  bientôt 
imitées  par  un  fabricant  français.  Elles  coûtent  4  fr.  50  c. 
par  mètre  courant,  et  sont  assurément  le  dernier  mot  du 

genre. 

* 

Une  pareille  exploitation  agricole  obligeait  le  pro[)rié- 
taire  à  construire  de  nouveaux  bâtiments.  La  vieille  ferme 
de  Sainte-Croix  fut  respectée,  mais  bientôt  on  vit  s'élever 
des  maisons  pour  le  logement  du  personnel,  de  beaux 
greniers,  une  grange  vaste  comme  une  église,  un  chalet 
pour  le  chef  des  cultures  au  milieu  des  jardins  qu'il  a  créés. 
Enfin,  cédant  à  son  goût  pour  la  conservation  des  souvenirs 
historiques,  le  prince  réédifia,  devant  la  ferme,  le  dernier 
vestige  d'une  antique  abbaye,  une  petite  chapelle  gothique 
qu'il  orna  de  fresques  et  de  vitraux  dédiés  aux  patrons  de 
chacun  de  ses  enfants. 

De  l'autre  côté  de  la  route  du  Tréport  est  l'ancienne 
ferme  du  Bois-du-Parc ,  réunie  maintenant  à  celle  de 
Sainte-Croix.  Là,  M.  le  comte  de  Paris  a  placé  sa  vacherie 
modèle  dessinée  par  VioUet-le-Duc.  11  est  assurément  im- 
possible de  mieux  faire  :  mangeoires  en  fonte,  conduites 
d'eau,  aération  parfaite,  larges  couloirs  de  dégagement,  le 
confortable  anglais  !  Heureux  animaux,  s'ils  connaissaient 
leur  bonheur  ! 

Tout  auprès,  un  chenil  pour  une  meute  de  plus  de  cent 
chiens  et  une  écurie  pour  une  vingtaine  de  chevaux,  spé- 
cialement affectés  aux  équipages  du  prince  de  Joinville  qu 


450  M^''    LE    COMTE    DE    PARIS    AGRICULTEUR 

aimait,  entre  toutes,  les  chasses  de  la  forêt  d'Eu.  Non  loin, 
sur  la  rive  du  Parc,  les  silos  où  le  propriéteire  a  pratiqué 
avec  succès  la  conservation  des  foins  verts  et  mouillés,  au 
grand  étonnement  de  tous  les  fermiers  voisins,  qui  ne 
voulaient  pas  croire  que  les  vaches  mangeraient  avec  jiré- 
férence  cet  étrange  produit  de  la  fermentation.  Le  prince 
les  a  convaincus. 

Les  constructions  nouvelles  sont  disséminées  en  face 
d'un  site  enchanteur.  N'est-ce  point  là  que  M"'  de  Mont- 
pensier,  la  fdle  célèbre  de  Gaston  d'Oi^léans,  tenait  sa 
petite  cour  et  avait  construit  son  observatoire  ? 

Ferme,  grange,  vacherie,  écuines,  chalet,  tout  a  un  cachet 
de  suprême  élégance,  disons  mieux,  de  royale  distinction. 
En  ce  temps  de  république,  de  démocratie  mal  entendue, 
de  sot  mépris  des  choses  passées,  on  a  plaisir  à  rencontrer 
la  fleur  de  lis  incrustée  dans  la  pierre  d'une  ferme,  le 
cœur  se  dilate  à  la  vue  d'un  garde  à  la  livrée  de  France. 

Pour  eu  revenir  à  nos  moutons,  il  est  évident  qu'une 
entreprise  agricole  de  pareille  ampleur  exige  l'œil  du 
maître.  Aussi  le  prince  avait-il  l'absentéisme  en  horreur. 
Il  aimait  son  domaine  en  vrai  rural  et  l'habitait  huit  mois 
de  l'année.  Toujours  levé  de  grand  matin,  il  recevait  à  six 
heures,  hiver  comme  été,  son  chef  de  culture,  j)Our  les 
oi'dres  de  la  journée.  Et  dans  le  courant  du  jour,  qui  ne 
l'a  vu  à  travers  ses  forêts  et  ses  champs,  seul  ou  accom- 
pagné de  la  princesse?  Elle  avait  tant  de  joie  à  constater 
le  résultat  des  travaux  du  j)rincr,  tout  en  ne  dédaignant 
pas,  chemin  faisant,  d'arrêter  au  |)assage  les  lapiuD,  les 
lièvres  et  les  bécassines  qui  abondent  sur  les  bords  de 
l'ancien  canal  de  Pentliièvre  ! 


ms""  le  comte  de  paris  agriculteur  457 

Telle  est  l'œuvre  du  propinétaire-agriculteur  du  domaine 
d'Eu.  Les  amis  delà  comptabilité  agricole  ne  me  demande- 
ront pas,  je  l'espère^  d'établir  le  doit  et  avoli^  de  l'exploi- 
tation, de  comparer  le  revenu  au  capital.  Le  cultivateur 
dont  nous  parlons  n'a  pas  travaillé  pour  lui,  il  a  voulu 
donner  à  ses  voisins  un  exemple,  une  impulsion.  Rien  ne 
pourra  être  exactement  imité,  mais  quelques-uns  copieront 
de  leur  mieux,  suivant  leurs  talents  et  leurs  ressources, 
semblables  aux  peintres  qu'on  voit  au  Louvre  s'efforcer  de 
copier  Raphaël  et  qui  finissent,  à  la  longue,  par  faire  un 
tableau  passable.  On  observera,  on  étudiera  et  on  retiendra 
beaucoup  ;  l'agriculture  s'améliorera  dans  les  environs,  les 
bonnes  méthodes  se  répandront  au  loin.  C'est  toute  l'am- 
bition de  celui  qui  veut  être  «  le  Roi  de  tous,  le  premier 
serviteur  de  la  France  »,  par  conséquent  le  Roi  et  le  ser- 
viteur des  cultivateurs. 

J'ai,  sur  ce  point,  la  pensée  de  M'^"  le  comte  de  Paris 
lui-même.  Je  venais  de  visiter  Eu,  ces  jours-ci,  cet  article 
était  fiiit,  quand  j'ai  reçu  une  lettre  du  prince.  Ayant  appris 
mon  désir  de  parcourir  son  domaine,  il  daigne,  de  sa  propre 
main,  me  faire  l'exposé  des  travaux  agricoles  accomplis  à 
Eu,  avec  une  précision  qui  montre  que  rien  n'échappe  à 
sa  pensée,  à  ce  regard  intime  toujours  fixé  sur  le  sol  de  la 
France. 

«  Je  n'ai  jamais  eu  l'intention,  écrit  le  i)rince,  de  faire 
ce  qu'on  appelle  une  exploitation  agricole,  parce  qu'en 
pareil  cas  pour  réussir,  pour  que  l'expérience  soit  con- 
cluante, il  faut  faire  des  bénéfices  et,  pour  en  faire,  il  faut 
administrer  avec  une  économie,  une  rigueur,  qui  ne  con- 
viennent pas  à  un  prince.  Je  me  suis  donc  décidé  tout  de 
suite  à  me  borner  à  faire  des   expériences  qui,  coûteuses 


458  M^'"'    LE    COMTE    DE    PARIS    AGRICULTEUR 

pour  moi,  pourraient  profiter  à  mes  voisins,  fermiers  et 
propriétaires  sérieux,  intelligents,  laborieux,  mais  très 
froids  sur  toutes  les  innovations.  » 

M"'"  le  comte  de  Paris  constate  les  bons  résultats  obtenus, 
puis  il  ajoute  avec  amertume  : 

«  Cette  exploitation  est  absolument  suspendue  par  l'exil  : 
il  n'en  reste  que  la  carcasse,  des  stalles  inoccupées,  des 
silos  vides.  La  seule  chose  qui  vive  encore  est  mon  trou- 
peau de  moutons  shropshire  pur  sang  qui  ont  admirable- 
ment réussi.  » 

L'angoisse  vous  saisit,  en  effet,  lorsqu'on  voit  les  fenê- 
tres closes  du  château,  les  écuries  et  les  étables  abandon- 
nées. Les  élégantes  constructions  rurales  élevées  de  toutes 
parts  sont  royalement  entretenues,  mais  un  morne  silence 
règne  dans  l'ensemble  ;  on  sent  que  le  corps  est  sans  âme, 
que  l'œil  du  maître  et  la  main  qui  gouverne  ne  sont  plus 
là.  Image  de  la  France,  de  ce  royal  domaine  si  merveilleu- 
sement agencé  pour  toutes  choses,  lui  aussi,  où  l'on  attend 
de  même  le  retour  du  chef,  de  l'autorité,  qui  remettra  tout 
en  œuvre  et  relèvera  la  patrie. 


YII 


LISTE    DES   PERSONNES 

QUI    SE   SO>!T    RENDUES    AU    CHATEAU    d'eU    ET    AU    TRÉPORT 

POUR    SALUER    M^'"   LE    COMTE   DE    PARIS 

AVANT    SON   EMBARQUEMENT    LE    24   JUIN    1886* 


MM. 

Ancel, 

G*'m'^  d'Andigné, 

Audren    de    Ker- 

drel, 
Duc     d'Aiidiffret- 

Pasquier, 
Baragnon, 
Blavier, 
Bocher, 
De  Béjarry, 
Lucien  Brun, 
Buffet, 

Comte  de  Bondy, 
Marquis  de  Carné, 
Chesnelong, 


Sénateurs . 

Clément, 

Denormandie, 

Delsol, 

Delbreil, 

Dumon, 

Général  comte  Es- 

pivent  de  la  Vil- 

leboisnet, 
Gaudineau, 
Amiral   Halna    du 

Fretay, 
Halgan, 
Kolb-Bernard, 
Lacave-Laplagne, 
B°"  de  Lareinty, 
Lacombe, 


De  la  Sicotière, 
C"=  de  la  Monne- 

raye, 
Leguay, 
Leguen, 
Libert, 
Amiral  marquis  de 

Montaignac, 
Paris, 

Pouyer-Quertier, 
B'"'  deRaismes, 
De  Piavignan, 
Général  Robert, 
Soubigou, 
Ct«  de  Tréveneuc, 
Amiral  Véron. 


1.  Cette  liste  a]été  dressée  d'après  celles  du  .*?o/e«7etde  la  Ga- 
zette  de  France.  Elle  a  été  revue  et  corrigée  avec  soin  ;  cepen- 
dant si  quelque  erreur  s'était  glissée  dans  l'orthographe  des 
noms,  ou  si  quelque  omission  avait  eu  lieu,  prière  d'adresser 
les  réclamations  à  l'auteur,  qui  ferait  les  corrections  pour  les 
éditions  ultérieures. 


460 


INSCRIPTIONS    A   EU    ET    AU    TREPORT 


MM. 

A.  Adam, 

Comte  de  IWigle, 

D'Aillières, 

Barascud, 

Barouille, 

Beaucarne-Leroux 

De  Baudry  d' As- 
son, 

V^  de  Belizal, 

De  Benoit, 

Bergerot, 

Bigot, 

De  laBiliais, 

Vicomte  Blin  de 
Bourdon, 

V'e  de  Bonneval, 

Boreau  -  Lajanadie 

Boschez-  Delangle 

Botticau, 

Boucher, 

Bourgeois, 

Mis  de  Breteuil, 

Briet  de  Rainvii- 
1ers, 

L.delaBassetière, 

Caradec, 

Cazenove  de  Pra- 
dines, 

De   Cliauipvallier, 


Députés. 
De  Ghâtenay, 
Caron, 
Chevalier, 
Chevillotte, 
CibieJ, 
De  Clercq, 
M'"  de  Cornulier, 
Creuzé, 
Deberly, 
Delielis, 
Delisse, 
Descaure, 
Destandau, 
Amiral  c^«  de  Dom- 

pierred'Hornoy 
Du  Bodan, 
M'^  d'Estourmel, 
Faire, 

Ms''  Freppel, 
Général  de  Fres- 

cheville. 
Baron  Gérard, 
Godet    de    la    Ri- 

bouilleric, 
Hillion, 
Jonglez, 

Comte  de  Juigné, 
Keller, 

De  Kergariou, 
De  Kermenguy, 


Ct«  de  Kersauson, 

De  La  Bâtie, 

De   Laborde-No- 

guez. 
Vicomte    de     La- 

bourdonnaye, 
]Nr*  de  la  Ferron- 

nays. 
De  la  Martinière, 
De  Lamarzelle, 
Baron      Paul     de 

Laraberterie, 
Comte  de  Lanjui- 

nais, 
Larère, 

De  Largentaye, 
La  Rochefoucauld, 

duc  de  Bisaccia; 
De  la  Rochette, 
Leblanc, 
Lecointre, 
Lecour, 

Lefèvre-Pontalis, 
Comte  de  Legge, 
Legrand    de    Le- 

celles, 
Prince  de  Léon, 
Le  Roy, 
Vicomte  de  Levis- 

Mircpoix, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


461 


Lorois, 

Comte  de  Luppé, 
Baron  de  Mackau, 
Comte  de  Maillé, 
C'^de  Martimprey, 
Martin  d'Auray, 
Léon  Maurice, 
Maynard     de      la 

Cla3^e, 
Merlet, 

Cje  du  Mesnildot, 
De  Montety, 
Morel, 


Comte  de  Mun, 

Pain, 

Saulnier, 

Marquis  de  Partz, 

Pion, 

Paulmier, 

Colonel  baron   de 

Plazanet, 
Plichon, 
Baron  Reille, 
De  Rosamel, 
Roussin, 
De  Saint-Luc, 


Vicomte  de  Saisy, 
Serph, 
Sevaistre, 
De  Soland, 
Gaston  Sabonraud 
Taillandier, 
Comte  de  Terves, 
Thellier   de    Pon- 

cheville, 
Trubert, 
Marquis  de  Vau- 

juas-Langan, 
Conrad  de  Witt. 


Conseillers  muinclpaax  de  Paris. 


MM. 

Georges  Berry, 


M.  et  M""=  Aubry- 

Vitet, 
Le  P"^'  Alexandre, 
Maurice  Aubry, 
Comte  d'Albiouse, 
C.  d'Aubigny, 
G.  d'Avenel, 
Comte  d'Angély, 
M'*  d'Aramon, 
Alix, 

Comte  d'Antioche, 
Agnellet  frères. 


Denys  Cochin, 
Despatys, 


INLirquis  d'Auray, 
Anisson  -  Duper  - 

ron, 
Fernand  Anduze, 
Ch.  Aylies, 
E.  AUeaume, 
Abel, 

Juliette  Acliard, 
L.    Achard, 
M"  d'Arneguy, 
Virginie  Arville, 
Baron  et  baronne 

d'Alcochette, 


Dufaure, 
Gamard. 

M.  Aubry  et, 
Léon  Angliviel  de 

la  Beaumelle, 
Parfait  Agnellet, 
Julien  Agnellet, 
Henri   d'Arbigny, 
Paul  Ansart, 
Victor  Ansart, 
Fernand  Auber, 
Asseline, 
Albert  Arnal, 
Baron  d'Alt, 
Albert, 


462 


INSCRIPTIONS   A    EU   ET   AU    TREPORT 


AUiou, 

Natalis  Acoulon, 

H.  d'Arbigiiy  de 
Chalus, 

Vicomte  d'Am  - 
phernel  , 

Auger, 

Aubei'tot,  conseil- 
ler général; 

E.  d'Aubigny, 

Pierre  Aiibart, 

Austreberte  Co- 
bert, 

Aubilloy, 

D'Aligny, 

Adolphe  Amat. 


L.  de  Boutières, 
C'^  Ch.de  Brissac, 
Commandant  Bois 
Vicomte    de     Ba- 

laincourt, 
Vicomte     Benoist 

d'Azy, 
]j.  Beaurain, 
Marquise     douai- 
rière  de    Beau- 
voir, 
Marquis    et    mar- 


quise de  Beau- 
voir, 
R.  de  Brignac, 
Comte  de  Barthé- 
lémy, 
Marquis    de   Bre- 

teuil, 
G.   Baguenault  de 

Puchesse, 
Barnard,  du  Vca- 

York  Herald, 
Comte  de  Blagny, 
Vicomte  de  Blagny 
Ferdinand  Beau, 
Comte  Adalbert  de 

Bagneux, 
Léon  Bouchet, 
Simon  Boubée, 
G.-L.  de  Birac, 
Henry  Bompard, 
Henry  de  Bouvir, 
De  Bayarddu  Lys, 
De  Boismilon, 
R.  de  Beauregard, 
Baron  G.  de  Bou 

tran, 
Lucien  du  Bos, 
Duc  de  Broglie, 
Prince  de  Broglie, 
Dominique  de 

Barrai, 


Paul  Bidault, 

Vicomte  Frédéric 
de  Beaumont , 
ministre  pléni- 
potentiaire; 

M.  et  M"'°  Bes- 
sières  d'Istrie, 

Baron  et  baronne 
Augustin  de  La 
Barre  de  Nan- 
teuil, 

M.  et  JM-""  Buffet, 

Paul  Buffet, 

A.  de  Belina, 

Vicomte  de  Bréon, 

G.  de  la  Bous- 
sondière, 

J.  Bourgeois, 

Marquis  de  Beau- 
mont, 

Eugène  de  Beau- 
mont, 

Henri  de  Beau- 
mont, 

M.  et  M"*' Auguste 
Boucher, 

Vicomte  G.  de 
Beaussier, 

De  Beauiiiini, 

Baronne  de  Bic- 
quilly. 


Boistelde  Dieuval, 
Comte   Bruno    de 

Boisgelin, 
L.  de  la  BzMere, 
Vicomte  de  Broc, 
Comte  de  Béon, 
Baron  de  Bonnault 
Comte  Maurice  de 

Bréda, 
Comte   Robert  de 

Bréda, 
Vicomte  deBondy, 
yte   et  v»'«   O.  de 

Bondy, 
Comte  de  Barthé- 
lémy d'Hastel, 
Alfred   de   Borda, 
Comte  deBoury, 
Bigot, 

Edouard    Bocher, 
Emmanuel  Bocher 
C^"  de  Beurges, 
Marquis  de  Belle- 

mayre, 
Bompard, 
Barrachin, 
Baron    Claude   de 

Barante, 
Bivault, 
Marquis  Costa  de 

Beauregard, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 

L.  Birac, 


463 


Henry  Bro  de  Co- 
mères. 

Brun, 

Broussin, 

L.    Bouileur, 

Jules  Blondel, 

Bailly,  agriculteur 

Bellard, 

Boelt, 

Brion, 

Jules  Berquez, 

Joseph   Berquiez, 

Bon, 

Léon  Bonchet, 

Blanger, 

Baron  J.  A.  de 
Bernon, 

J.  Blatham, 

E.  Bellanger, 

Bertauld,  petit  em- 
ployé du  faub. 
Saint-  Antoine  , 
et  sa  famille; 

Bonnel, 

V'«  E.  de  Bonne- 
val, 

Eug.  Bouillard, 

Boullenger, 

Benoît, 

Bernard  Boulté, 


Baron  Benoist, 

Comte  de  Bastard, 
ancien  sous-pré- 
fet  de  Dieppe  ; 

Auréline  Boutry, 
veuve  Bordé  ; 

Beauvisage, 

Bochot, 

Blanco  -  Fourdi  - 
niée,  veuve 
Broussin; 

Claire  Brousin, 

De    Blangermont, 

Paul  de  Blanger- 
niont, 

M'"'  de  B langer- 
mont, 

Gaston  de  Blan- 
germont, 

Baron  et  baronne 
Borel  de  Bréti- 
zel, 

B.  Baroux, 

Eugène  Baroux, 

Emile  Baguet, 

René  Berga, 

Veuve  Blouet, 

Henri   Borel, 

M°"=  Armand  Bapst 

Ch.  Brière, 

Boutté, 


464 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


Bouliey, 

Baiidelocque, 

Balancourt, 

Comtesse  fie  Ba- 
lancourt, 

B  o  s  q  u  i  1 1  o  n  de 
Genlis,  secré- 
taire d'ambas- 
sade honoraire; 

Auguste  Bruilly, 

Octave  Bruilly, 

G.  Brunet, 

De  Bellomayre, 

Guillaume  Blot, 

Blancliet, 

C'°  de  Bourgoing, 

Henry  Beguery, 

A.  Boinet, 

E.  Borain, 

Bray, 

E.  de  Beugn}- 
d'Hagerue, 

Berlier    de    Vau- 

|)lane, 
Gh.  Burton, 
])octeur  Blache, 
Paul  Blache, 

F.  Baillot, 

De    Bons  d'Hédi- 

court,  maire  ; 
Cil.  Berlin, avocat; 


René  de  Becquin- 

court, 
Ch.  Becquel, 
Henri  Birrin, 
G.  Boisrenoult, 
Léopold        Bour- 

doue, 
Henri  Bordé, 
Boisse  Adrian, 
Bigot,  ajusteur, 
Antoine    Beau- 
champs, 
Bisson  de    la   Ro- 
que, 
Marquis  de  Biron, 
A.   Barré, 
Boutellicr, 
Stanislas  Benoit, 
E.de  Beaurepaire, 
A.  Boussion,    an- 
cien président  à 
la  cour  d'appel 
d'Orléans  ; 
Comte  Beugnot, 
V.  Bortelde  Dien- 

val, 
A.  Bortel  de  Dien- 

val, 
B""  de  Bonnault, 
Baron  Baude, 
Louis  Boucher, 


E.  Buttura, 
Docteur  Buttura, 
Comte  de  Blois, 
Achille  Bornet, 
G.  Bouté,  ouvrier; 
V.  du  Bled, 
Stanislas  Brugnon 
M'^de  Belleval, 
Baron     Borel     de 

Brétizel, 
Octave  de  Brétizel 
Blanche, 
Paul  Baroux, 
Bellenger, 
Brohan, 
Amédée  Beau, 
Ferdinand  Beau, 
De   Boismelon, 
Vicomte  de  Bréen, 
G.  de  la  Boussar- 

dière. 
Barbé, 
G.  Balai, 

Baron  du  Blaisel, 
Comte  Fernand  de 

lîcaufranchet, 
\  iconite    Guy    de 

Beanfranchet, 
Bachclica, 
A.  ]>czu('l  d'Esne- 

valle. 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


Barbaron, 

L.  Boulnois, 

A.  Brand, 

E.       Braquebays, 

notaire; 
G.  Boisvenoult, 
Brunet, 
Henri    Blomeron , 

rédacteur        en 
cheideV  Abeille 

de  la  Creuse  : 
Blanchet,    direct. 

de    la    sucrerie 

de  Beauchamp  ; 
Comte  de  Brosses, 
Baron    de     Bebr, 

ancien  préfet; 
Bentin, 
Briffard, 

Comte  de  Bourry, 
Eugène  Beuve, 
L'abbé    Ch.    Bec- 

quet, 
Bouché,  maçon 
Baromesnil, 
A. -M.   de  Belina. 

C 

Le  général   baron 
de  Charette, 


Vicomte  de  Cham- 
peaux-Verneuil, 

Comte    CafTarelli, 

Comte  de  Gastries, 

Henry  de  Car- 
donne, 

Henry  Cochin, 

Comte  de  Chabot, 

Cardon, 

M.   et  M'"^  Calla, 

Comte  de  Che- 
villy, 

Clifford  Millage, 
correspondant 
du  Daily  Chro- 
nicle; 

Marquis  et  mar- 
quise de  Com- 
piègne, 

Vicomte  et  vicom- 
tesse de  Cha- 
rencey, 

Paul  et  Georges 
Calmann  Lévy, 

César  Caire, 

Henry  Brod  de 
Comères, 

Docteur  Caron  de 
la  Cande, 

Alf.  Carteron, 

A.  Choupot, 


465 
Che- 


Henri      de 

zelle, 
Paul  Coppinger, 
Alf.  Craraail, 
Comte  Gabriel  de 

Castries, 
Adhémar    de    Ca- 

cheleu, 
Gustave     de     Ca- 

cheleu. 
Vicomte   Jules   de 

Clercy, 
Robert  de  Cugnon 

d'Alincourt, 
Comte    de    Chau- 

mont-Quitry, 
ALirquis   de   Cha- 

ponay, 
E.  Ciair  Guyot, 
Gustave     Chabret 

du  Rieu, 
R.  de  Crossy, 
Comte     de     Cha- 

bannes, 
Baron  de  Chonne, 
Vicomte  de  Cham- 

Docteur  Canivet, 
Abel  Couturier, 
Baron  Cardon  de 
Sandrans, 


30 


466 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


Marquis  deChani- 

bray, 
Choppin  ,     ancien 

préfet  de  police; 
R.  Calvet-Besson, 
Roque        Calvet  - 

Besson, 
Henri      de      Chi- 

zeilles, 
Caroul, 
E.  Cailleux, 
Gédéon  Chaud, 
Michel  Carreau, 
L.  Cartelot, 
Baronne       douai- 
rière   de    Cha- 

baud-Latour, 
Baron  et  baronne 

de  Chabaud-La- 

tour, 
B.  Charpentier, 
Oscar  Caffre, 
Ernest  Courbe, 
Cresson, 
H.  Castonnet  des 

Fosses, 
V"^  de  Chavagnac, 
Louis    des    Cous- 

tures, 
A.  de  Claye, 
E.  Ghéron, 


Alfred   Caron, 
Carpentier, 
Veuve  Chantre, 
^  i  c  o  m  t  e  s  s  e     de 

Gharancey, 
Coffre, 

Octavie  Carreaux, 
De  Chambesse, 
M"'^de  Chambesse 
E.  Cottan, 
E.  Chivat, 
Florentine      Cau- 
chois, 
Caulle ,         repas- 
seuse; 
Regina  Claquette, 
JoséphineCourtel, 
Christina  Carette, 
De  Chambenez, 
M"«   de    Chambe- 

neze, 
Ceniez  ,       vétéri- 
naire, 
Calbaut, 

Céleste  Cailleux, 
veuve  Josepli 
Chanterelle; 
Comtesse  de  Car- 
rey  de  Belle- 
mare, 
Fanny  de  Chabal, 


Eugénie  de  Chabat 

E.  Cottau, 

E.  Chivot, 

Maurice  de  Ciian- 
teau. 

Comte  H.  Cha- 
pouny, 

Général  Chante- 
clair, 

Georges  de  Cham- 
bine, 

Baron  de  Chaune, 

Hyacinthe  Chauf- 
fard, 

Albert  Choppin, 

René  Choppin, 

Henry  de  Cardon- 
nel, 

Dubois  de  Clief- 
debien, 

C.  Chachoin  père, 

E.  Conclion, 

Conchon  fils, 

E.  Crevet, 

Paul  Chardin, 

J.  M.  Capet, 

Cauchois, 

Cartes, 

Counil-Gel, 

Cannes, 

Caillot, 


Castelot, 
Casimir  Caron, 
R.  Chantelauze, 
Ludovic  de  Carné, 
Crégny, 

Conseil  Ruphin, 
Comte    Roger   de 

Chanaleilles, 
Chagot, 

Gaston  Caullet, 
Comte  E.  de  Cha- 

bat, 
Crépia,  huissier; 
Créquillion  père, 
Edouard  Créquil- 
lion, 
Coulon, 
G.  Cloquette, 
Jos.  Carré, 
Gaston       Chabret 

du  Rieu, 
H.  Chantrel, 
M.  Chantrel, 
E.  Cognais, 
C.  de  la  Croix  de 

Cocherel, 
E.  Corsangel, 
CoUesson,   ancien 
adjoint  au  maire 
du    19"    arron- 
dissement ; 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TRÉPORT 

Tony  Conte,  mi- 
nistre plénipo- 
tentiaire ; 

De  Chatenay, 

Léon  Crouy, 

Louis  Cartier, 

A.  Charpentier, 
menuisier  ; 

Jules  Cardane, 

E.  de  Chazelle, 

Guillaume       Car- 


rière, 
A.    F.     Cordange 

père, 
R.  de  Croisy, 
Le  P.  Chapotin, 
Denis  Couriol, 
A.  Cortillio, 
V.  Castelet, 
Caillent-Lefay, 
Capval, 
Comte  H.   Aymer 

de  la  Chevalerie 
Coudaux, 
Croisier, 
P.  Chantrel, 
De  Clercy, 
Coquelin, 
A.  Canet, 
Marquis     de     Ca- 

zaux, 


467 
Docteur     Coutan, 

inspecteur     des 

bains     au     ïré- 

port  ; 
Cuvrù, 

Camier-Beaurain , 
Clare, 

Albert  Chauffert, 
Emmanuel     Cop- 

pinger,    ancien 

conseiller        de 

])réfecture; 
Raoul     de     Cler- 

mont. 

D 

Dubois,  ancien  dé- 
puté, 
Dubois  d'Angers, 
Ernest  Dumarest, 
Depeyre, 
Gabriel   Depeyre, 
F.  Dubrulle, 
Demarcy, 
A.  Drouard, 
Desgranges, 
Baron      Decazes, 
Vicomte  Decazes, 
Joseph  Denais, 
L.  Dutailly, 


468 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


P.  Dareste, 

Delpon  de  Vissée, 
ancien  préfet  ; 

Dumouriez, 

P.  David  d'Angers 

Charles  Dupny, 

M-""  de  Denolly, 

M""^  Dubois  de 
risle, 

Daussy, 

Elie  Durand, 

F.  Duval,  ancien 
préfet  de  la 
Seine  ; 

Duvergier  de  llau- 
ranne, 

Desbiendras, 

David ,  agricul- 
teur; 

Degogeine, 

A.   Dumouchel, 

Delabié, 

L.  Deligny, 

E.  Deligny, 

Alphonse  Deville, 

Ernest  Degrolsille 

Siméon  Douay, 

Dupré, 

Ch.  Dclatlre, 

Denibas, 

GustaveDégardin, 


Jean   Delignières,  I  Marie  Dumas, 


Defond,  étalier; 
A.  Desombre, 
A.  Dufrien, 
E.  Dufrien, 
Delhomel, 
Délabre, 

MartheDelamolte, 
Débucjuet, 
Dumesnil, 
EmilienneDevilly, 
Léon  Dufour, 
Drouard, 
Doudot, 

Angélina      Duha- 
mel, 
Juliette  Dumont, 
Marthe     Derossi- 

Delabarre, 
Dupont, 
Doublot, 
De  Denolly, 
Charlotte  Douet, 
Defacque, 
Paul  Dentin, 
Rosa  Debonne, 
Deviller, 
Adolphinc   Delor- 

son. 
Elise  Devez, 


J.  Dumas, 
Emile  Denten, 
L'abbé  Dupuis, 
Damoisy, 
Ch.  Darmet, 

E.  Deton, 
A.  Devallais, 
Frédéric  Dorman, 
Dubuc, 

A.  Dupuis, 
Adolphe    Dubois, 
avocat; 

F.  Dubosq, 
Daregniez, 

A.  Deneuville, 

Z.  Deneuville, 

Gustave  Depoilly, 
cafetier; 

L.  Dupont, 

Deliegny,  cultiva- 
teur ; 

Alfred  Delcourt, 

Em.  Debroguelle, 

Jules  Dasin, 

A.  Duvivier, 

Delesque,  du.Yow- 
vclliste  de  Rouen; 

Dubloc, 

Eugùiie  Dupin, 

Philij)pe  Dupiii, 


Marquis  de  Dion, 
Damois,    pharma- 
cien ; 
Delpuech, 

Denauville, 

E.  Demazier, 

G.  Dourpoint, 

Dinal, 

Dumas,    directeur 
de  l'Orphéon  ; 

Arthur  Dajout, 

Paul  DaJmenesche 

Louis     Duhamel , 
cultivateur; 

Eugène  Deletoile, 

Damet, 

Daverne, 

Defrontelle, 

Dupulel, 

Ernest  Detti, 

Docteur  Debacker 

Duneufgermain, 

A  Donchet, 

E.  Donchet, 

Emile  Dolique, 

P.  Delossicult, 

Alfred    Depoilles, 

Dechesdin, 

D'Aumont,  ancien 
conseiller  géné- 
ral: 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TRÉPORT  469 

P.  Cazalisde  Fon- 


Dauzel, 
Derbigny, 
Adolphe    Dubos  , 

avocat; 
Charles      Dezan- 

neau, 
Paul  Delassault, 
Dutilloy. 

E 

Baron  JulesEVain, 

Victor  Edou, 

Gautier  d'Embret- 
ville, 

Comte  d'Esterno, 

Baron  René  d'Es- 
taintot, 

Estancelin, 

Escarbatin, 

Le  comte  Chris- 
tian d'Elva, 

Errd,  maçon, 

Euris. 


M"*    la    comtesse 

de  Franqueville 

Marquis  de  Fiers, 

Comte  de  Fresne, 


douce, 

Farmann,  rédac- 
teur du  Stan- 
dard ; 

Fouchard, 

Ant.  Faure, 

Jean  de  Franque- 
ville, 

Baron  de  Fou- 
gères, 

F.  Ferari, 

Marquise  de  la 
Ferronays, 

Duc  de  la  Force, 

D.  de  Frayssine, 
Comte  de  Froide- 
fonds  de  Farges, 

De  Fouquières, 
Commandant      de 

Fleury, 
De  Frazals, 
Baron  et  baronne 
deFonscolombes 
M'^^  Aline  Foi^es- 
tier, 

E.  Forestier, 

C'  François  de  la 
Forest-Divonne 
Antoine  Faur, 
Baron  de  Fisquet, 


470 


Fontaine, 

A .  F 1  o  r  i  m  o  n  , 
deuxième  vi- 
caire à   Eu, 

A.  Fournier, 

Blanche  Fournier, 

Constance  Four- 
nier, 

Frézard, 

ElconoreFrézard, 

SuzanneFournier, 

Froment-Meurice, 

François  Froment- 
Meurice, 

RosalieFouqueux, 

Henriette  Fleury, 
veuve  Farre  ; 

Adolphine  Fri- 
court, 

Delphine  Flament- 
Mignot, 

Blanche  Fourdri- 
nier, 

Frédéric  Fabrège, 

R.  de  Ferry, 

Marquis  de  Four- 
nès, 

Alfred  Fcrnjent, 

James  Flandforth, 

Foire, 

Ernest  Frété, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 

Hilaire      Foucam 


bert, 

Numa  Flonet,  con- 
seiller munici- 
pal ; 

Gustave  Fournier, 

De  Fourtou, 

Vicomte  de  Fou- 
cault, 

A.  Fieuriot, 

G.  Ferney, 

François  Ferrari, 

L.  Flerle, 

Franchet  d'Espe- 
rey, 

D.  Fourrier, 

De  Fleury, 

De  Frezals, 

Le  comte  de  Flavi- 

J.-B.  de  la  Flotte, 
A. -R.de  la  Flotte, 
A.  des  Franges, 
Freyburger, 
Barnabe  Ferra nd, 
Comte  Ferrand, 
Foblanc, 
Léon  Fautrat, 
Famichon ,     culti- 
vateur; 
Louis  Freyer, 


François  Feslé, 

Edouard  Flutre, 

Fouchambert, 

J.  Féramus, 

Fréchon, 

Fréchois, 

Farsure. 

G 

Albert  Gillou, 

Comte    de    Geffre 

De  Chabrignan, 

De  Gromard  de 
la  Servière, 

Ferdinand  Golds- 
mith, 

William  Guinet, 

A.  Gée, 

Grandsa, 

C.  Guérard, 

Arthur  Gifiard, 

Guilliard, 

De  Galtye  et  sa  fa- 
mille, 

A.  Gauthier, 

Grossaert, 

Grausert, 

Le  Go  nid  oc, 

Vincent  Ga[)enne, 

Grandbert, 


Des  Granges, 

D.  Gaillac, 
Gavelle, 
Gudin,  messager; 

E.  Grémaille, 
Guignon, 
Ch.  Guenard, 
V.  Guenard, 
Docteur   Guigeot, 
Raoul     de     Giro- 

mard, 
Comte  de  Gemaux, 
Gaston  Galempoix 
Joseph  Gigot, 
GeorgesGuilmain, 
Arthur   Guilmain, 
Victor  Germe, 
Guichard, 
Docteur  Gouraud, 
M.  et  M'"'' de  Guil- 

lebout, 
Godin, 

Albert  Gigot,  an- 
cien préfet; 
Guillaume  Guizot, 
Gavard,  ancien  mi- 
nistre   plénipo- 
tentiaire ; 
G.  Genevoix, 
Comte    de    Guer- 
sand, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TRÉPORT  471 

Jeanne  Groux, 
M.  et  M"<=deGril- 

leau, 
H.  Gally, 
Paul  de  Girard, 
Henry  Gréau,  an- 
cien magistrat; 
Edouard  Grimblot 
Paul  de  Girard, 
Comtesse  de  Gra- 


Grandsaire, 
Ch.  Gourdain, 
A.  Godquin, 
Comte     de     Gra- 

mont  d'Aster, 
Comte  Emmanuel 

deGouy  d'Arcy, 
Baron    du     Gabé, 

ancien  préfet; 
Louis  Gély, 
Félix  Guatelle, 
P.  Grandsire, 
Le  général  et  M™® 

Guillemin, 
Philoniène      Gau- 

dry, 
Malvina  Gourdain, 
H.  Gréau, 
Veuve  Guert, 
Ed.  Guérin, 
E.  Gris, 
Fernand   du   Gro- 

nie, 
Gracié-Doublé, 
De  Gromard, 
Gibon, 

Marie  Goudré, 
Blanche        Gran- 

camp, 
De  Guillebon,  née 

de  Bretazet  ; 


medo, 
M.  et  M""*  Manuel 

de  Gramedo, 
G.  de  Gérard, 
Général  Guillemin 
De  Grilleau, 
C.  de  Gessler, 
J.    Grout,    ancien 

député  ; 
Duc    de    Glucks- 

berg, 
Général  comte  de 

Geslin, 
Marquis  deGalard 
Comte  deGalard, 
V'«  de  Galard, 
Coratede  Grollier, 
Godelle ,       ancien 

député  ; 
M'^  de  Ginestous, 
V'*^  de  Ginestous, 


472 


INSCRIPTIONS    A   EU   ET    AU    TREPORT 


M.  etM""»  de  Gal- 

lye, 
Comte    Raoul    de 

Gontaut-Biron, 
Comte  Stanislasde 

Gontaut-Biron, 
Comte  de  Gironde, 
Comte  de  Ganay. 

H 

Edouard  Hervé, 
Handfeldt, 
D'Hocquélus, 
I)*"  Horteloup, 
Baron     Ch.     Hù- 

mann, 
Oscar  Havard, 
E.  Hauteur, 
Eug.  Houel, 
Docteur      Paul 

Hélot, 
Baron  et  baronne 

Hulot, 
Houdaille  de  Rail- 

Edmond  de  Moue 

d'IIédicourt, 
Jules  Hunebelle, 
Georges  Huillard, 
Emile  Hébert, 


Hottinguer, 

Georges  Hincelin, 
à  Mantes; 

Hardy, 

G.  d'Hauteserve, 

Baron  d'Hunols- 
tein, 

Paul  Hinfray-Lan- 
glois, 

M"*  Jeanne  Hin- 
fray, 

C»"  Hallez-Clapa- 
rède, 

Juliette  Hens- 
treaux, 

Hecquet , 

Veuve  Hénin ,  bou- 
chère, 

Hautin, 

Vicomte  Ernest 
d'Hardivilliers  , 

Hautbout, 

Borthe    Hollerith, 

Juliette  Heurte- 
vent  de  Blangy, 

Eugénie  Houle, 

Hesse, 

Hove, 

J.  Handforth, 

G.   d'Hervilly, 

Gabriel    Houdant, 


Philippe  II  a  r- 
douin, 

Maurice  Hachette, 

0.  Hecquet, 

Hecquet-  Bacquet, 

E.  Haudeboust, 

Léon  Hétroz, 

Huyard, 

Ch.  de  la  Haie  de 
Cherville, 

De  la  Haye-Jous- 
selin. 

Comte  d'Harcourt, 

G.  des  Horts, 

Marquis  de  Huile- 
court, 

Félix  Hautrechy, 

Léopold  Hautre- 
chy, 

Iloltz,  serrurier, 

Heding, 

Henri  Houle, 

Hanon, 

Hochart  -  Tcllier , 
épicier; 

Paul  Hardin, 

D'Harlay, 

Comte  Jacques 
d'Hanion, 

Haii(lri(|ii(\ 

Aristide  llay, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


473 


Vicomte  duHamel, 

F,  Le  Harivel, 

Hédin, 

Léon  Hommey, 

Louis  d'Hurcourt, 

E.  Handebourg, 

Hativet, 

Hetelier, 

Baron  de  Heïmann 

Emile  Halboiirg, 

D'Hoquelies. 


.Le  comte  René 
des  Isnards, 

D'Imbleval  de  Ro- 
mesnil, 

L'abbé  D.  Isnard, 

Comte  d'Ideville, 
ancien  préfet; 

Veuve  Imbes. 


Janicot, 

Le  baron  de  Jou- 
venel  ,  ancien 
député  ; 

De  Jouvenel  ,  an- 
cien préfet; 


Olivier  de  Jouven- 
cel,  ancien  sous- 
préfet; 
Josepb  Joubert, 
Jumi  lie-Evrard, 
De  Joantho, 
ArsèneJacquepré, 
Céline  Julien, 
A  Jonteur,  ancien 

magistrat  ; 
Céline  Jumel  d'Im- 
bleval    de    Ro- 
mesnil, 
André  Joubert, 
Victor       Edmond 

Joly, 
Jumines, 

Michel  Jacquemin, 
Nathaniel    Johns- 

ton  et  ses  fils, 
Emile  Jullien, 
A.  Le  Joulteux. 

K 

Baronne    de   Kin- 

kelm, 
M.    de    Kermaln- 

gant, 
Baron    de   Kains- 

keiln, 


0.  de  Kainlis, 
Comte  Florian  de 

Kergorlay, 
Comte  R.  de  Ker- 

saint, 
Vicomte  de  Kerret 
Koch. 


Ch.  Lacroix, 
Général  Léris, 
M.  etM"'®  Lambert 

deSainte-Croix, 
M""    Leconte     de 

Largentaye, 
Stephen  Leech, 
Comte  Robert  du 

Luart, 
L'Homme  -  Chevin 
Leclerc  ,    cordon- 
nier; 
Leroux, 
M.  et  M"*  Lemar- 

chand, 
Comte  de  L'Espi- 

nasse-Langeac , 
V^"     de     L'Espi- 

nasse-Langeac, 
Comte      Adhémar 

de  Lusignan, 


474  INSCRIPTIONS    A   EU   ET    AU    TREPORT 

Léonce  de  La  Val 


leye, 
Baron  de  Layre, 
Lefébure, 
Donatien      Le- 

vesque, 
Marquis      de     la 

Guiche, 
Marquis     de      la 

Rochejaquelein, 
Vicomte  de  Luppé 
Bai'on  Le  Feuvre, 
Dick  de  Lonlay, 
Baron  Gustave  de 

Lestrange, 
Baron  de  Léry, 
Georges  de  Lhor- 

mel, 
Comte    Roger    de 

Levaulx, 
M.  LeeChilde, 
Marquis  de  Lore, 
M"*     Lacave  -  La- 

plagnc, 
A.   Le  Landais  et 

ses  fils, 
G.  de  l'Etoile, 
De  Ladoucette, 

ancien  député  ; 
La   Chambre,    an- 
cien député  ; 


Ad.  Lanne, 
Limbourg,  ancien 

préfet  ; 
Duchesse      de    la 

Rochefoucauld- 

Bisaccia, 
Legrand   de     Vil- 

1ers,  régent  de 

la     Banque     de 

France  ; 
Georges  Leroy, 
A.  Lhuillier, 
Le  Bœuf, 
Lefébure, 
M'»^  et    M"''    La- 

loue, 
Abel  Laboulais, 
Lugarre, 
Lugand, 
Levratte, 
Comte  Laizer, 
Lottin, 
Louis-Philippe 

Lephay, 
L  emaire,  à  Eu; 
A.  Lcfebvre, 
M"*^  Lccomte, 
Loprêtre, 
Lomonier, 
Adoljdiinc      Lou- 

vet. 


Langlois, 

Veuve   Labarre, 

M.  et  M'^'^Lanet, 

Paul  Lasnier, 

Labault, 

Leblanc, 

E.  de  Ladoucette, 

Leraarchand, 

Lecomte, 

H.  Leroux, 

Stéphanie  Lettre, 

M  a  r  i  e  L  e  m  a  i  r  e- 
Duponchel, 

Lemaire  -  Dujion- 
chel,   armateur; 

Lebourg, 

Florine   Lecomte, 

Augustine  Lau- 
rent, 

Lem  arquant, 

Letellier, 

Adrien  Léon, 

Florentin  Laurent 

Landrieu, 

Langlacé,  au  Tré- 
port  ; 

M"^  Marie  Le- 
grand, 

Hélène  Laudet, 

Pauline  Leroux, 

Léonie  Létodee, 


INSCRIPTIONS    A   EU    ET    AU    TRÉPORT 

Latliier  Bréard,  R.  Lavernot, 

Elise  Lefort,  Lacoste, 

Latapie,  J.Lanet, 

Marie     Lecomle  -  Le   Vareux, 


475 


Dutertre, 
Augustine  Landin 
Baron  Albert  Le- 

feuvre, 
A.  Leron, 
Levasseur,  horlo- 
ger, 
Baron   de   Langs- 

dorff, 
Lefort,  boulanger, 
Louis     Lerin     de 

Bonne, 
Ch.  Lezanneau, 
Duc  de  Lorge, 
Marquis   de  Lara, 
J.    de    Lamburcy 

de   Lorgne, 
Docteur  Le  Bec  , 
chirurgien  de 
l'hôpital    Saint- 
Joseph, 
Ernest  Levoir, 
Lormier, 
Henry  Lorin, 
Jules  Labitte, 
Lelong,  ingénieur 
Lavernot  père, 


Léger, 

Joseph   Lenfant, 
Llld, 

Ch.  Lepoulre, 
René  Laperche, 
Paul  Le  Breton, 
Edmond  Langlois 
Baron   Al.  de  l'É- 
pine, conseiller 
général     de     la 
Somme  ; 
Paul  La  Perche, 
Stanislas   La  Per- 
che, 
Alfred      Leconte , 

bourrelier; 
E.  Lelong  fils. 
Comte     de    Lam- 

bertye, 
J.  du  Lac, 
R.  du  Lac, 
Baron  de  la  Mar- 

tinière, 
Henry  Labutor, 
Joseph  Lagarenne 
Lamothe, 
Emile  Léger, 


Lecouturier, 

Ch.  Lesain, 

G.  de  Léris, 

Lefort,  boulanger. 

Marquis  de  Langle 

Loquet  et  sa  fa- 
mille, 

Lemoult-Garnier, 

M.  Lambard, 

V.  Laignel, 

Lenoble ,  maître 
maçon, 

Jonas  Lefranc,  ad- 
joint au  maire 
du  Tréport  ; 

Lameille,  arma- 
teur, adjoint  au 
maire  du  Tré- 
port ; 

Comte  Roger  de 
La  Vaulx, 

Londinières, 

Philippe  Lereau, 

J.-B.   Le  Duc, 

Comte  Charles  de 
Lur-Saluces, 

Albert  Lecomte , 
cultivateur  ; 

Lenout, 

Jules  Lhotellier, 

Alfred   Leroux, 


476  INSCRIPTIONS    A    EU    ET   AU    TRÉPORT 

Merlier,  Comte     Foulques 

Juliette   Merlin,  de  Maillé, 

Veuve  Maugis,  Baron  et  baronne 

Miné-Bardet,  de  la  Motte, 

Mejassou,  M.     et    M"'    Ch. 


Auguste  Leclerc, 
épicier   h  Eu  ; 

Loench, 

Comte  E .  Lachaud 
de  Guimerville, 

Legranier, 

Lepeytre,  magis- 
trat démission- 
naire; 

Léon  Leroux,  curé 
de  Saint-Pierre; 

Et.  Lelaume. 

M 

Marquise    de  Mac 

Mahon, 
Du  May, 
Baronne     de      la 

Motte, 
Z.  Malot, 
Gh.  Marchand, 
M.  Marchand, 
Marie  Malot, 
Victoire  Malot, 
Emma   Mesnil, 
Henri    Maqueron, 
De  Montry, 
M">«     de     Monta- 

gnac, 
M-^M.deMarigny, 


Moinard, 

Comtesse  du  Ma- 
noir, 

Augustine  Mou- 
chaux, 

Michallet, 

Mainguet, 

Comtesse  de  Mal- 
herbe, 

J.  Morett}^ 

Du  Mesgril  d'Ar- 
rentières. 

Baron  de  Maudel, 

De  Maiquein, 

F.  Mouchy,  ou- 
vrier ; 

Emile  Maillard, 

Baron  de  Mathan, 

De  Malleville, 

C'^  de  Merlemont, 

Comte  de  Maleis- 
sye. 

Vicomte  de  Mont- 
réal, 

Du  Mesquil  d'Ar- 
rentière, 


Moisant, 

Vicomte  de  Mont- 
fort, 

ComteR.deMont- 
laur, 

Capitaine  Mor- 
hain. 

De  Mieules, 

Comte  de  Mun, 

Miot, 

Docteur  Martin, 

Jean  de  Marigny, 

Georges  Marques, 

Comte  Wladimir 
de  Montesquiou 

Comte  Louis  de 
Montesquiou, 

Comte  de  Montes- 
quiou, 

Vicomte  de  Mon- 
tesquiou, 

ComteG.de  Mont- 
germont, 

Victor  Massé, 

Marveille  de  Cal- 
vias. 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


477 


V'e  Maggiolo, 

Emile    Magnin, 

Baron  de  jNIorell, 

Joseph  de  Valence 
de  Minardière, 

Vicomte  H.  de 
Maupeou, 

De  Montaigu, 

Baron  de  Monne- 
cove, 

De  Milleville, 

Comte  Jean  de 
IMontebello, 

Baron  de  Maingo- 
val,  ancien  dé- 
puté ; 

Baron  de  Mont- 
rond, 

Roger  de  Morlain- 
court, 

Vicomte  de  Mon- 
saulnin, 

Baron  de  Mon- 
treuil, 

Comte  de  Mous- 
tiers, 

De  Magneville, 

Merveilleux  -  Du- 
vigneaux, 

Morel, 

Comte  de  Murard, 


Baron  ^lartin  du 
Nord, 

A  Mallet, 

J.  Malot, 

Eugène  Marchan- 
din. 

De  Midardière, 

E.  Maguin, 

Adèle  Maria,  do- 
mestique ; 

A.  Memplot, 

M.   Menpiot, 

Marteaux, 

Malençon, 

Veuve  Metel, 

Mollard, 

C"=H.  de  Mérode, 

Roger  de  Morlain- 
court, 

René  de  Matharel- 
Jayr, 

Vicomte  Meujol- 
d'Elbenne, 

A.  Masson, 

V.  Masse, 

Mouquet, 

E.  Magnin, 

Marc  Merlin, 

Mute  père  et  fils, 

Maves, 

Baron   de     Maiu- 


geral,  ancien  dé- 
puté, 

Moratin, 

Comte  Adrien  de 
Mirepoix, 

Emile  Masquelier, 

Vicomte  A.  deMo- 
rogues, 

Léon   Marty, 

G.  Marquis  Co- 
hen, 

De  Milleville  de 
Nesles, 

R.  de  Maignien- 
ville, 

Vicomte  de  Mont- 
fort,  conseiller 
général, 

Macré, 

Louis Mouchy,  ou- 
vrier ; 

Poirier  Mouch}', 
ouvrier  ; 

Mercier, 

D--  J.  Michellet, 

Comte  Pierre  des 
Monstiers  -  Me- 
rinville, 

A. -F.    Monchaux, 

Malet, 

L.  du  May, 


478 


Metel, 

Paul  Marsan, 

Irénée  Malot, 

A.  deMontbrison, 

B.  de  Mas, 
A.  de  Mas, 
Comte  Renaud  de 

Moustiers, 
Docteur  Martin, 
Edouard  Marquet, 
Louis  Marquet, 
Stéphane  Marquet 
Minival, 
Marchandiu, 
P.  Marchandiu, 
Milon, 

René   Magimel, 
Baron  de    Monta- 

lens, 
Raymond    Mallet, 

épicier  ; 
Henri  Moneiron, 
Les    ouvriers     de 

M.   Mopain, 
Mainnemare, 
Jules   Merlier, 
Mas  fils, 
César  Martin, 
Edmond  Maillard, 
Albert  Mignot, 


INSCBIPTIONS    A    EU    ET    A.U    TREPORT 

N 


Baron  V.  de  Noir- 
fontaine, 

Comte     de    Nico- 
lay, 

Numa  Flouest, 

Neveux, 

Baron  G.  de  Noir- 
mont, 

Baron  R.  deNervo 

Charles     Nicoul- 
laud, 

Comte  de   Néver 
lée, 

Henri  Neveu, 

Julie    Nevel-Mou- 
quet, 

Pierre  M.  de  Ne 
ronde, 

Neveux, 

Noguès  jeune, 

Noton. 


A.  Obel, 
Odiguet, 
E.  Oscar, 
Veuve  Obry, 
L.  Obry, 


D'Oresmieulx  de 
Brugnières  de 
S'^-Opj)ortune, 

Veuve  Ossart, 

Angèle  Ouin, 

A.  Ozenne, 

Ch.  Orvil, 

M'"    d'Osmond. 


Ernest   Petit, 
P.    du  Perron, 
Pacossin, 
jyime  Posière, 
Commandant  Phi- 

lij)pod, 
M.  et  M"«  Ernest 

Polack, 
G.  Périer, 
Vicomte  du  Puget, 
Prouvel, 
Du  Périer, 
A.  de  Pruynes, 
Henri  Pigache, 
Comte  de  Puyfon- 

taine, 
M.  otM"""  des  Po- 

mares, 
Louis    de    Piirse- 

val, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


479 


Comte  du  Passage, 
Georges  Pradel, 
Comte     Karl      de 

Partz, 
Colonel    Ch.  Per- 

rot, 
Comte  et  comtesse 

Jean  de  Puysé- 

gur, 
Pougny,      ancien 

préfet  ; 
A.  Pérignon, 
A.     Pichard, 
Eug.  Pichard  fils, 
Comte     et      com- 
tesse Camille  de 

Pontivy, 
Palpied  ,      maître 

d'hôtel  ; 
Prochard, 
Papillon, 
Général  Pourcet , 
L.  Parmentier, 
Marie    Pecquez, 
Parny, 

Clarisse  Pauchet, 
Eugène  Pauchet, 
Papin, 

G.    Posthmann, 
Paterelle  de  Rom, 
Désirée  Petit, 


Pardieu, 

Pruvot, 

De  Pessenneville, 

Pochol, 

Perquier, 

Veuve  Pasière  et 
ses   enfants, 

Armand   Preux, 

0.  Payant, 

Comte  du  Plessis, 

L.  Prat, 

Edgar  de  Pom- 
mereau, 

Gaston  Philip  - 
peau, 

Pallé,  patron  de 
bateau  ; 

E.  Papin, 

A.  Papin, 

J.  de  Par  se  val, 

Petit  aîné,  sellier; 

Edelin  de  la  Prau- 
dières, 

Picard, 

A.  Picro,  maré- 
chal des  logis  de 
gendarmerie  en 
retraite; 

Paul  du  Perron, 

Camille  Paradin, 

Pavillon, 


Perrot, 

L.    Perrot, 

Maurice  de  Pran- 
dières,anc. pro- 
cureur général; 

E.    Panchat, 

Privé, 

Onésime  Poussi- 
ns, 

J.     Poyer, 

Poirol,  garde  par- 
ticulier ; 

Poinsignon  , 

Poyer, 

Félix  Pruvot  de 
Fretterneulle, 

Pinoquet, 

Vicomte  du  Pey- 
roux, 

Perrot,  rédacteur 
de  VExpress  de 
Lyon  ; 

V'«  Marc  de  Pully, 

Marquis  Guilhem 
de     Pothuau, 

Paignel  Henocque 

Périmont, 

Pasoalis   frères, 

Charles  de  Pire, 

Aug.  Paurchez. 


480  INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 

Q  EtienneRécamier,     Raymond  deRavi- 

o-nan. 


Comte  et  comtesse 

H  u m b  e  r t      de 

Quinsonas, 
Comte  et  comtesse 

de  Quinsonas , 
Henri  Quesnel, 
Robert     Quenne- 

hon, 
Quevauvillier, 
Sophie      Quenne- 

hon, 
Maria  Quesné, 
Quévol , 
Désiré  Quéral. 


EtienneRécamier, 
Comte    de  Ressé- 


R 


Ror 


Comte     de 
thays, 

VicomteR.de  Ror- 
thays, 

Maurice   de   Ran- 
vière, 

Baron    de   la  Ro- 
chetaillée, 

Baron    de  Roux- 
Larcy, 

Emiiianuel  de  Ri- 
card, 


guier, 
Rambert, 
M™*   Rimbert, 
DeRobernierMuf- 

fedy, 
Comte  et  comtesse 

de  Riancey, 
Ambroise  Rendu, 
Comte  Pierre    de 

Rougé, 
C'^  de  Rambuteau, 
Marquis  et  mar- 
quise des  Roys, 
Jean  deRavignan, 
Joseph  Récamier, 
Baron  et  baronne 

de  Ravinel, 
G.    de    Raimbou- 

villé, 
Ed.  Rivault, 
Alb.  Le  Bachelier 

de   la   Rivière, 
De  Ramel, 
Général  baron  Ro- 

billot. 
Baron  de    Rabau- 

dy-Montaussin, 
C"  de  Romanet, 
Henri  Ribot, 


Ripert, 

Comte    de     Ram- 

bouvllle, 
Léonce  de  la  Ral- 

laye, 
Marquis  de  Rilly 

d'Oyrouville, 
A.  Rousset, 
Roulans, 
RauUais, 
Raudin, 

Emile    Richard, 
Comte   Guy  de   la 

Rochefoucauld  , 
Sincère  Romey, 
Roulier-Breton  et 

ses  fils; 
Léontine  Roquery 
Félicie  Roussel, 
Julie  Roussel, 
Germaine  de   Ro- 

chefort, 
A.  Rocofort,  con- 
seiller général; 
Fern.  Ratisbonne, 
Renault,  bâton  nier 

des    avocats,     à 

Versailles; 
F.  Ribar, 


ÎXSCRIPTIOXS    A    EU    ET    AU    TREPORT 


481 


Comte  Pierre  de 
Rougé, 

E.  Robinot, 
Comte     Rambert, 

ancien      magis- 
trat ; 
Ch.    Romain, 
Patte-Romain, 
Comte    de    Rien- 
court, 
Jean  de  Rochefort, 
Louis    de    Roche- 
fort, 
Camille  Reculard, 

F.  Rembel-Bryan, 
Rapplex, 
Comte  de   la  Ro- 

checantin. 

Routier-  Tillard 
père    et    lils, 

Comtesse  de  Ram- 
bures, 

Raymond, 

Ravin, 

Maurice    Riquier, 

Rousiot, 

Paul  de  Raynal, 
ancien  substitut 

De  Raisraes,  an- 
cien magisti'at. 


S 

Duc  de  Sabran- 
Pontevès, 

J.    de  Seynes, 

Princesse  de  Sa- 
gan, 

Em.  de  Saissel, 

Sorres, 

Sweeting, 

Sazerac  de  Forges 

Léonide  Sazerac 
de  Forges, 

H.  Serrure, 

M.  et  M"«  de  Son- 
geons, 

G.  de  Saint-Quen- 
tin, ancien  pré- 
fet; 

Gaston  de  Savi- 
gnies. 

Baron  de  Saint- 
Preux, 

Sainte-Claire  De- 
ville, 


René  Simard, 
Joseph    de    Sam- 

burey   de    Sor- 

gue. 
Vicomte    Paul    de 

Saisy, 
Comte  de   Suzan- 

net. 
Comte  H.  de  Saint- 
Georges, 
Vicomte  de  Sapi- 

naud, 
Henry    de    Saint- 

Genys, 
G.  de  Sessler, 
C.  Séguin, 
René    Simard, 
Marquis  de  Sers, 
Comte  de    Sers, 
Comte  de  Savigny 

de  Moncorps, 
Léon  Senne, 
Comtesse  de  Saint 

Lieux, 
Henri  Schneider, 


Comte  et  comtesse     Souchières, 


de   Salvandy, 
E.  Sénart,  de  l'Ins- 
titut ; 
Marquis   de    Ses- 
maisons, 


Sinoquet, 
E.    de    Saisset, 
Baronne  Sabatier, 
Comtesse  deSalis, 
Philomène  Sempy 

31 


482 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET   AU    TREPORT 


Savary, 

Veuve     Servais, 

E.      de     Sigueur, 

Baron    de    Saint- 
Paul, 

Vicomte  de  Sainte- 
Marie  duNozet, 

Ch.  Sonef,  avocat; 

Baron   Pierre  Sé- 
guier, 

G.    Sweeting  fils, 

Raoul  Scelles, 

Ch.  Scelles, 

M.  et  M™*'  de  Sain- 
te-Opportune, 

Comte  et  comtesse 
Sérurier, 

Albert    Saint-Au- 
bin, 

Georges     Stincel- 
lin, 

Sonier-Dupré, 

Victor  Serant, 

Comte  de  Saporta, 

E.  Souchières, 

Vicomte  de  Saint- 
Seine, 

A.  Sommier, 

Comte  Séguin   de 
la  Salle, 

L.  Suisse  aîné, 


E.  Stalin, 
Henri  Sabato, 
L.  Salanson,  con- 
seiller général; 
Stoup. 


^'icomte    de    Tré- 

dern, 
Thomas, 

Comte  de  Toulza, 
Henri  Turol, 
Baron  du  Teil, 
Baron  du  Teil  du 

Havelt, 
Marquis  de    Tan- 

lay, 
A.  de   Taisne, 
Marquis  de  Tracy, 
Comte  Terray, 
Tripier,    ancien 

préfet; 
Thureau-Dangin, 
D.    Triquet, 
Henri    Tnrot, 
Baron    du    Til  du 
Havetz  de  Mon- 
tagne, 
Theron, 
Tavernier, 


A.  Tesallais, 
Amelina  Touzet, 
Pascaline      Tro- 
phardy, 

A.  Taillandier, 

Veuve  Thiéron, 

Princesse  de  la 
Tour  d'Auver- 
gne, 

Tiby, 

M"«  P.  Taffebaut, 

Albertine  Ternois 

Tripart, 

Troude, 

Virginie  Têtu  - 
Bonnechon, 

Eugène  Thomas, 
des  zouaves 
pontificaux  ; 

Duc  de   la  Torre, 

N.  desTournelles, 

G.  Tragin, 

Toulon, 

Toillier  père, 

Ternisien, 

Désiré  Thiébaull, 

Léopold  Thiébiuilt 

A.  de  Taisne, 

M.ctM'"^H.  Tur- 
pin, 

Anatole  Tourtt, 


INSCRIPTIONS    A    EU    ET    AU    TREPORT 

Jules  Touret, 
Etienne  Trubert, 
Thuillier  Chryso- 

gon, 
Baron     Tristan 

Lambert,  ancien 


483 


député; 
Turlebeaurain, 
Comte      Turque  - 

mont, 
Thires, 
A.  Thoracli, 
Ternon,  meunier, 
Max  Thélu. 

U 

Albert  Uhrich. 
V 

Comte  et  comtesse 
A.  de  Vogué, 

Marquis  de  Varen- 
nes. 

Baron  de  Vaufre- 
land, 

G.  de  Villeneuve 
et  :M'"''  g.  de 
Villeneuve,  née 
de  Montalivet; 

Albert  de  Vallande 


M'"®    de     Verton, 
Albert   Varalle, 
Vicomte  de  la  Vil- 

larmois, 
Vicomte  et  vicom- 
tesse de  Valicourt 


X.  de  Vaugelas, 

Comte  Max  deVa- 
langlart. 

Duc  de  Vallom- 
brosa, 

De   Varanval, 

E.   de  Verges, 

Comte  de  Ville- 
neuve, ancien 
préfet  ; 

Comtesse  de  Ville- 
neuve, 

Vassard, 

Joseph  de  la  Va- 
lence, 

A.  Versepuy, 

Vicomtesse  de  Va- 
licourt, 

Viette, 

Elise  Vallier, 

Viel, 

Angelina   Vaque, 

Martha  Vatan, 

Vignoble, 

Vicomte  Vigier, 


U''  de  la  Vieuville 

S.  de  Vignières, 

De  Verton, 

Albert   Vairale, 

Maurice  Viossat, 

Auger  de  Vesian, 

Jules  Verne, 

C"'  Gaston  deVil- 
leneuve-Guibert, 

ComteA.de  Ville- 
neuve-Guibert, 

Verel, 

Abel  Vaurabourg, 

Vilfroy    fils, 

Vincent, 

Vasseur, 

De  Villepin  d'Au- 
bigny, 

Vacandare, 

Vicomte  de  Vau- 
logé, 

Vairras, 

M.  etM""'  Varraz, 

Alp.  "N^erdiec, 

Louis  Varnier  , 

Henri  Vinard,  an- 
cien procureur. 


W 


Wiallat, 


484                    INSCRIPTIONS    A   EU   ET   AU    TRÉPORT 

Gornélis  de  Witt 

Wattebled      Au  - 

Comte    Arthur  de 

et  ses   fils, 

guste, 

Wall, 

Jules   Wagnet, 

Wattebled  -  Bec- 

J.E.  VandeWyn- 

Watel, 

quet. 

ckele, 

L.  Watel, 

Léopold  Warnier, 

Wanchy, 

Wailly, 

briquetier  ; 

M.  et  M""=  R.   de 

H.    de     Witasse- 

Léon     Wagner, 

Wendel. 

Thézy, 

ajusteur; 

y 

R.    de     Witasse- 

GustaveWolgarue 

Thézy, 

Ager    de   Wailly, 

G.  Yver. 

TABLE   DES   GRAVURES 


Portrait  de  Msi'  le  comte  de  Paris Frontispice 

Portrait  de  Madame  la  comtesse  de  Paris 72 

Portrait  de  S.  A.  R.  Philippe  duc  d'Orléans 136 

Porti-ait  de  S.  A.  R.  la  princesse  Hélène. 216 

Poi'traits  de  LL.  AA.  RR.  les  princesses  Isabelle,  Louise,  et  le 
prince  Ferdinand 260 

Portrait   de    S.   A.   R.    la    princesse   Amélie   ducliesse  de  Bra- 
gance ....     282 


TABLE   DES   MATIÈRES 


CHAPITRE   I" 

1838-1858 

Mariage  de  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans,  prince  royal,  avec 
S.  A.  11.  la  princesse  Hélène  de  Mecklembourg-Schwerin 
(30  mai  1837).  —  Fêtes  à  cette  occasion.  —  Le  palais  de  Ver- 
sailles. —  Naissance  de  S.  A,  R.  le  comte  de  Paris  (24  août 
1838).  —  Son  enfance.  —  Lettres  de  M^e  la  duchesse  d'Or- 
léans. —  La  vie  de  famille  au  palais  des  Tuileries.  —  Naissance 
de  M.  le  duc  de  Chartres  (9  novembre  1840).  —  Baptême  de 
M.  le  comte  de  Paris  (2  mai  1841).  —  La  mort  de  Mk""  le  duc 
d'Orléans  (13  juillet  1842).  —  Anecdotes  sur  le  duc  d'Or- 
léans, d'après  Alexandre  Dumas.  —  L'éducation  de  M.  le 
comte  de  Paris  et  de  son  frère  le  duc  de  Chartres.  —  Lettres 
de  M'"'^  la  duchesse  d'Orléans  sur  les  jeunes  princes.  —  Acci- 
dent au  Tréport  (1844).  —  La  révolution  du  24  Février  1848.  — 
M""  la  duchesse  d'Orléans  à  la  Chambre  des  députés.  —  Son 
départ  de  'France  avec  les  jeunes  princes.  —  Ses  paroles  à 
Lille.  —  Au  château  d'Eisenach.  —  Voyage  en  Angleterre. 
(1849).  —  La  loi  d'exil  du  26  mai  1848.  —  La  première  com- 
munion de  M.  le  comte  de  Paris,  racontée  par  M™e  la  du- 
chesse d'Orléans  (20  juillet  1850).  —  Mort  du  roi  Louis- 
Philippe  (26  août  1850)  et  de  la  reine  des  Belges  (10  octobre 
1850).  —  Union  de  la  famille  royale.  — Les  jeunes  princes  au 
pont  de  Kehl.  —  Le  comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres 
parcourent  les  champs  de  bataille  de  l'Europe.  —  Voyages 
d'instruction.  —  Protestation  des  princes  contre  les  décrets  du 
22  janvier  1852  qui  les  dépouillent  de  leurs  biens.  —  Voyage 
en  Angleterre  (1853).  —  Accident  de  M">e  la  duchesse  d'Or- 
léans en  Suisse  (1853).  —  Les  princes  pendant  la  guerre  de 
Crimée  (1854-1855).  —  Mort  de  S.  A.  R.  M^^Ma  duchesse 
d'Orléans  en  Angleterre  (18  mai    1858) 1 


488  TABLE    DES    MATIÈRES 

CHAPITRE   II 

1858-1870 

Voyage  en  Orient  de  M.  le  comte  de  Paris.  —  Il  visite  Jé- 
rusalem et  la  Syrie  (1860).  —  Publication  en  Angleterre  du 
récit  de  son  voyage.  —  Campagne  d'Amérit{ue  (1861-1862). — 
Le  comte  de  Paris  et  le  duc  de  Chartres,  à  l'état-major  du  gé- 
néral Mac  Clellan.  —  Siège  et  prise  de  Yorktown  (4  avril- 
4  mai). —  Bataille  de  \Yilliamsburg  (5  mai).  —  Bataille  de  Fair- 
Oaks  (31  mai-1*'  juin  1862).  —  La  retraite  des  sept  jours  vers 
le  Jamc's  River.  —  Bataille  de  Malvern-llill.  —  Bataille  de 
Gain's  Mill  (27  juin).  ■ —  Rapports  tendus  entre  le  gouverne- 
ment américain  et  le  gouvernement  impérial  français.  — Démis- 
sion de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  M.  le  duc  de  Chartres. 
—  Retour  en  Europe  (juillet  1862).  —  Une  lettre  de  M.  le 
prince  de  Joinville  sur  les  derniers  combats  des  jeunes  princes 
en  Amérique.  (Fort  Monroe,  1^"'  juillet  1862). — L'opinion  du 
général  Mac  Clellan  sur  les  princes,  pendant  la  guerre  d'Amé- 
rique. —  Travaux  littéraires  de  M.  le  comte  de  Paris  en  exil. 
Damas  et  le  Liban  (1861),  à  Londres,  chez  Jeffs  ;  Une  semaine 
de  Noël  dans  le  Lancashire  [Revue  des  Ceux  Mondes,  à  Paris, 
numéro  du  l^""  février  1863,  signé  X.  Raymond);  L'Allemagne 
nouvelle  (Revue  des  Deux  Mondes  du  1"^'  août  1867);  L'Eglise 
d'Etat  et  l'Eglise  libre  d'Irlande  (Revue  des  Deux  Mondes  du 
15  mai  1868).  —  M.  le  comte  de  Paris  étudie  à  Manchester 
et  dans  plusieurs  villes  d'Angleterre  les  questions  ouvrières. 
Son  Livre  :  Les  associations  ouvrières  en  Angleterre  (Trade's 
Unions,  1869.)  —  Publication  par  M.  le  comte  de  Paris  et  1\L  le 
duc  de  Chartres  des  Campagnes  d'Afrique  du  duc  d'Orléans. 
—  Ij' Esprit  de  conquête  en  1870.  (Courrier  de  la  Gironde  des 
25,  26,  27,  28  et  29  décembre  1870). 

Mariage  de  M.  le  comte  de  Paris  avec  la  princesse  Isabelle 
de  Montpensier  (30  mai  1864).  —  Fêtes  à  cette  occasion.  — 
INaissance  de  S.  A.  \\.  Madame  la  princesse  Amélie  (28  septem- 
bre 1865).  —  Mort  de  la  reine  Marie-Amélie  (24  mars  1866).  — 
Voyage  de  M.  le  comte  de  Paris  en  Espagne  (1867).  —  Le  prince 
se  fixe  à  York   llousc.  —  Naissance  de  S.  A.    R.  le    duc  d'Or- 


« 

TABLE   DES    MATIÈRES  489 

léans  (6  février  1869).  —  Lettre  des  princes  d'Orléans  au 
président  de  la- Cliambre  des  députés  (  19  juin  1870).  —  La 
pétition  des  princes  est  repoussée.  —  Lettre  de  M.  le  comte  de 
Paris  au  comte  de  Kératry  (4  juillet  1870).  — Lettre  de  M.  le 
comte  de  Paris  (  20  août  1870)  au  général  comte  Dumas. — 
Les  princes  d'Orléans  pendant  la  guerre.  —  Lettre  de  M.  le 
comte  de  Paris  au  général  baron  de  Chabaud-Latour  (17 
janvier  1871) 73 

CHAPITRE   III 

1871-1873 

Abrogation  des  lois  d'e.xil  (8  juin  1871).  —  Naissance  de 
S.  A.  R.  la  princesse  Hélène  (12  juin  1871).  —  Rentrée  des 
princes  en  France.  —  Le  manifeste  de  Chambord  (5  juillet 
1871). —  Les  princes  d'Orléans  dans  l'armée  française.  — Pro- 
jet de  loi  présenté  par  le  gouvernement,  pour  la  restitution 
des  biens  des  princes.  —  La  vérité  sur  cette  loi.  —  Généro- 
sité des  princes  envers  la  France  à  laquelle  ils  abandonnent 
la  moitié  de  leur  fortune.  —  M.  le  comte  de  Paris  s'installe 
à  Pai'is,  faubourg  Saint-Honoré,  chez  son  oncle,  le  duc  d'Au- 
male.  —  Réceptions  de  M.  le  comte  de  Paris.  —  Sa  vie  à 
Paris.  —  Excursions  de  M.  le  comte  de  Paris  en  France.  — 
Visite  à  Bourges,  aux  mines  de  la  Grand'Combe,  d'Anzin,  en 
Touraine,  etc.  —  Première  visite  du  prince  à  Eu,  et  aux  usines 
Packam.  —  Excursions  en    Bretagne,    en   Normandie,  Ji  Aix. 

—  Publication  par  M.  le  comte  de  Paris  de  son  ouvrage  :  La 
situation  des  ouvriers  en  Angleterre  (mars  1873).  —  Voyage  de 
M.  le  comte  de  Paris  en  Afrique  (mai  1873).  —  Chute  de  M. 
Thiers,  et  présidence  du  maréchal  de  Mac  Mahon. 

M.  le  comte  de  Paris  se  rend  à  Vienne  (fin  juillet  1873),  — 
L'entrevue  de  Frohsdorf  du  5  août  1873.  —  Fusion  des  deux 
branches  de  la  maison  de  Bourbon.  —  La  fusion  souhaitée 
par  le  roi  Louis-Philippe,  et  annoncée  par  M.  Guizot  en   1850. 

—  Les  princes  d'Orléans  chez  M.  le  comte  de  Chambord  (sep- 
tembre-octobre 1873).  —  Grande  émotion  dans  toute  la  France. 

—  Manœuvres  des   républicains  pour  lutter    contre  le    courant 


490  TABLE    DES    MATIÈRES 

royaliste.  —  M.  le  comte  de  Paris  jugé  par  M.  le  comte  d 
Chambord.  —  M.  le  comte  de  Chambord  et  les  députés 
royalistes.  —  Anecdotes  :  M.  le  comte  de  Chambord  en  Ba- 
vière. Mot  du  prince  Napoléon  sur  la  restauration  de  la  mo- 
narchie. - —  La  Lettre  de  M.  le  comte  de  Chambord,  du  27  oc- 
tobre 1873. —  Echec  certain  de  la  loi  pour  le  rétablissement  de 
la  monarchie.  — •  M.  le  comte  de  Chambord  à  Versailles 
(novembre  1873).  —  Prorogation  des  pouvoirs  du  maréchal 
de  ^L'^c  Maiion.  —  Mort  du  prince  Ferdinand,  frère  de  Madame 
la  comtesse  de  Paris  (décembre  1873) 136 

CHAPITRE   IV 

187i-1883 

Entrevue  de  M.  le  comte  de  Paris,  avec  le  czar  Alexandre  II, 
en  Angleterre  (1874).  ■ —  Naissance  du  prince  Charles,  fils  de 
M.  le  comte  de  Paris.  Il  meurt  à  l'âge  de  six  mois  (7  juin 
1375^,  — Translation  à  Dreux  des  restes  du  roi  Louis-Philippe, 
de  la  reine  Marie-Amélie,  de  M™°  la  duchesse  d'Orléans,  de 
M""*  la  duchesse  d'Aumale,  de  M6'  le  prince  de  Condé  (8  juin 
1876).  —  M.  le  comte  de  Paris  accompagne  son  frère  et  ses 
oncles  aux  grandes  manœuvres  à  Dreux  (1876).  —  Mariage  de 
la  princesse  Mercedes,  sœur  de  Madame  la  comtesse  de  Paris, 
avec  Alphonse  XII,  roi  d'Espagne  (23  janvier  1878).  —  Mort 
de  la  jeune  reine  (26  juin  1878).  —  Lettres  de  M.  le  comte 
de  Paris  |  3  et  21  mars  1878)  à  M.  le  comte  Sérurier,  vice-pré- 
sident du  Comité  de  l'Union  franco-américaine.  —  Naissance  à 
Eu  de  S.  A.  H.  M™''  la  princesse  Isabelle,  troisième  fille  de 
M.  le  comte  de  Paris  (7  mai  1878).  — Naissance  à  Eu  du  prince 
Jacques,  deuxième  fils  de  M.  le  comte  de  Paris  (11  juillet 
1880)  et  mort  du  jeune  prince  (22  janvier  1881).  —  Naissance 
à  Cannes  de  S.  A.  R.  M™°  la  princesse  Louise,  quatrième  fille 
de  M.  le  comte  de  Paris  (24  février  1882).  —  Visite  de  M.  le 
comte  de  Paris  à  M.  Victor  de  Laprade  mourant  (Cannes, 
avril  18821.  — Le  jeune  duc  d'Orléans  au  collège  Stanislas.  — 
M.  le  comte  de  Paris  aux  grandes  manœuvres.  —  Voyage,  inco- 
gnito, ù  Rome,    de  M.  le  comte  de  Paris.  —  Son  entrevue  avec 


TABLE    DES    MATIÈRES  491 

le  Pape  Léon  XIII  (septembre  1882).  —  Générosités  et  bien- 
faisance de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  Madame  la  comtesse  de 
Paris,  à  Eu  et  au  Tréport.  —  La  vie  de  M.  le  comte  de  Paris 
au  château  d'Eu 201 


CHAPITRE   V 

1883 

Discussion  en  1883  à  la  Chambre  des  députés  et  au  Sénat, 
de  la  proposition  Floquet,  tendant  à  exiler  les  princes  d'Or- 
léans et  les  Bonapartes.  —  Le  Sénat  rejette  la  loi  d'exil,  à  cinq 
voix  de  majorité.  —  Les  princes  privés  de  leurs  grades  dans 
l'armée  française  (février  1883).  —  Voyage  de  M.  le  comte  de 
Paris,  en  Sicile,  avec  M.  le  duc  d'Aumale  :  visite  aux  temples 
de  P;cstum,  de  Segeste,  aux  ruines  de  Sélinonte,  à  l'église  de 
Montréal  près  Palerme,  Naples  et  Pompéi  (avril  1883).  — 
Première  communion,  à  Eu,  de  S.  A.  R.  M™°  la  princesse  Hélène, 
deuxième  fille  de  M.  le  comte  de  Paris. 

Maladie  de  M,  le  comte  de  Chambord.  —  Départ  pour 
Vienne  de  M,  le  comte  de  Paris  (lundi  soir,  2  juillet),  accom- 
pagné de  M.  le  duc  de  Nemours  et  de  M.  le  duc  d'Alençon.  — 
Entrevue  de-s  princes  avec  M.  le  comte  de  Chambord  (7  juillet). 
—  Lettre  de  M.  le  duc  de  Nemours  sur  cette  entrevue.  — 
Légère  amélioration  dans  l'état  de  M.  le  comte  de  Chambord.  — 
Rentrée  des  princes  en  France.  —  Succès  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans au  collège  Stanislas.  —  Mort  de  M.  le  comte  de  Cham- 
bord (24  août  1883).  —  Départ  des  princes  d'Orléans  pour 
Frohsdorf.  —  La  cérémonie  funèbre  à  Frohsdorf.  —  Notifica- 
tion aux  souverains,  par  M.  le  comte  de  Paris,  de  la  mort  de 
M.  le  comte  de  Chambord.  —  Retour  en  France  de  M.  le  comte 
de  Paris.  —  Obsèques  de  M.  le  comte  de  Chambord  à  Gorit/, 
(3  septembre  1883).  —  Récit  exact  de  ce  qui  s'y  passa.  — ■ 
Unité  dans  le  parti  royaliste.  —  Réceptions  de  M.  le  comte  de 
Paris  à  Eu.  —  Publication  des  tomes  V  et  VI  de  l'Histoire  de  la 
guerre  civile  en  Amérique ,  par  M.  le  comte  de  Paris.  .    .    .     217 


492  TABLE    DES    MATIÈRES 

CHAPITRE  VI 

1884-1885 

Voyage  en  Espagne  de  M.  le  comte  de  Paris  (janvier  188i  ). 
—  Attentat  découvert  à  Lyon,  contre  M.  le  comte  de  Paris 
(janvier  1884).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  Madanie  la  com- 
tesse de  Paris,  aux  obsèques  du  duc  d'Albany  à  Cannes  (2  avril 
1884).  —  M.  le  duc  de  Chartres  se  rend  à  Marseille  distri- 
buer 50,000  francs  aux  cholériques,  au  nom  de  M.  le  comte 
de  Paris.  —  M.  le  comte  de  Paris  et  son  grade  de  lieutenant- 
colonel  dans  l'armée  territoriale.  —  Visite  au  château  d'Eu  de 
LL.  AA.  RR.  le  comte  et  la  comtesse  de  Flandre  (22  juillet 
1884).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  M.  le  duc  d'Orléans  à  un 
incendie  au  Tréport  (août  1884).  —  Service  comménioratif 
à  Eu  pour  M.  le  comte  de  Chambord  (24  août  1884). —  Une 
lettre  de  INI.  le  comte  de  Paris  à  M.  le  comte  de  Laubespin, 
sur  la  mort  de  son  neveu,  le  baron  de  Lespérut.  —  Naissance 
à  Eu  de  S.  A.  R.  le  prince  Ferdinand,  deuxième  fils  de  M,  le 
comte  de  Paris  (9  septembre  1884). —  Le  Pape  Léon  XIII 
envoie  sa  bénédiction  au  nouveau-né,  et  à  Madame  la  com- 
tesse de  Paris.  —  M.  le  comte  de  Paris  envoie  10,000  francs 
au    denier   de  Saint-Pierre. 

Souscription  de  M.  le  comte  de  Paris  pour  la  quête  en  faveur 
des  aumôniers  des  hôpitaux  de  Paris  (16  février  1885).  — 
Bénédiction  de  la  statue  de  Notre-Dame  du  Tréport  (23  août 
1885).  —  L'archevêque  de  Rouen  au  château  d'Eu.  —  Mariage 
au  cliâteau  d'Eu  de  S.  A.  R.  la  princesse  Marie  de  Chartres, 
avec  S.  A.  R.  le  prince  ^Yaldemar,  dernier  fils  du  roi  de  Dane- 
mark (22  octobre  1885).  —  Le  service  pour  le  roi  d'Espagne 
Alphonse  XII,  à  l'église  Saint-François-Xavier,  à  Paris  (6 
décembre  1885).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  Madame  la  com- 
tesse de  Paris,  parrain  et  marraine,  à  Cannes,  du  dixième  en- 
fant de  S.  A.  R.  le  comte  de  Caserte,  frère  de  S.  M.  le  roi  de 
Naples  (20  décembre  1885) 261 


TABLE    DES    MATIÈRES  493 

CHAPITRE  VII 

Janvier-Juin  1886 

Dépêche  télégraphique  de  M.  le  comte  de  Paris,  à  M.  le 
comte  de  Blois,  neveu  du  comte  de  Falloux,  sur  la  mort  de  son 
oncle  (10  janvier  1886).  —  M.  le  comte  de  Paris  et  le  duc  de 
Bragance  à  l'Académie  française.  —  Le  roi  et  la  reine  de  Por- 
tugal demandent  officiellement  la  main  de  S.  A.  R.  M™"  la 
princesse  Amélie  de  France,  à  M.  le  comte  de  Paris,  pour 
S.  A.  R.  le  duc  de  Bragance.  —  Madame  la  comtesse  de  Paris  se 
rend  à  Madrid,  pour  le  mariage  de  son  frère,  le  prince  Antoine, 
avec  la  princesse  Eulalie,  sœur  d'Alphonse  XII  (février-mars 
1886  |.  —  Visite  de  M.  le  comte  de  Paris  au  Concours  agricole 
du  Palais  de  l'Industrie.  —  Départ  du  Prince  pour  Cannes 
(mars  1886). 

Dépèche  de  M.  le  comte  de  Paris,  à  l'occasion  de  la  mort  de 
I\I™e  l;i  comtesse  de  Chambord  (Cannes,  25  mars  1886).  — 
Retour  à  Paris  :  l'incident  de  la  rue  Vivienne  (mai  1886).  — 
Grande  réception  de  M.  le  comte  de  Paris,  rue  de  Varenne , 
à  l'occasion  du  mariage  de  S.  A.  R.  M'"^  la  princesse  Amélie 
(15  mai  1886). —  Colère  des  journaux  républicains.  —  Cam- 
pagne pour  l'expulsion  des  princes.  —  Embarras  du  gouver- 
nement. —  Adieux  de  M™^  la  princesse  Amélie  à  Eu.  —  Ca- 
deaux donnés  à  la  princesse  à  Eu  et  à  Paris.  —  Départ  pour 
le  Portugal  (17  mai).  —  Acclamations  et  empressement  de  la 
foule    à    chaque   station    de   France,    d'Espagne  et  de  Portugal. 

—  Accueil  enthousiaste  fait  aux  princes  en  Espagne  et  Portugal. 

—  Mariage  à  Lisbonne    de   M"""    la    princesse    Amélie  (22  mai 
1886).  — Les  fêtes  à  Lisbonne 283 

CHAPITRE  VIII 

Jlin-Décembke  1886 

Retour  de  M.  le  comte  de  Paris  et  de  Madame  la  comtesse  de 
Paris  au  château  d'Eu.  —  Le  gouvernement  se  décide  à 
demander    aux  Chambres    l'expulsion   des   aînés    des    familles 


494  TABLE    DES    MATIÈRES 

ayant  régné  sur  la  France.  —  Une  lettre  de  M.  le  comte  de 
Paris  à  un  éditeur  de  Philadelphie  à  propos  de  son  His- 
toire de  la  guerre  civile  en  Amérique  (8  juin  1886).  —  Une 
conversation  avec  M,  de  Blowilz,  correspondant  du  Times.  — 
Une  lettre  de  M.  le  comte  de  Paris  à  M.  Mei'cié,  sculpteur 
(15  juin  1886). —  Dépèche  sympathique  d'officiers  américains 
à  M.  le  comte  de  Paris  (juin  1886).  —  Discussion  et  vote  de 
la  loi  d'exil  à  la  Chambre  et  au  Sénat.  —  Mesures  prises  par 
le  gouvernement  à  Eu  et  au  Tréport.  —  Les  dépêches  du  sous- 
préfet  de  Dieppe  à  la  gendarmerie  du  Tréport.  —  Dernières 
réceptions  au  château  d'Eu.  —  Grave  maladie  de  M"'*'  la 
princesse  Louise  à  Eu.  —  Adieux  touchants  de  la  population, 
le  jeudi  matin  24  juin  1886.  —  Départ  de  M.  le  comte  de  Paris 
et  de  S.  A.  1\.  le  duc  d'Orléans.  —  Immense  affluence  et  vive 
émotion  de  la  foule,  à  Eu  et  au  Tréport.  —  Le  prince  s'em- 
barque à  bord  du  Victoria  ;  il  salue  le  drapeau  tricolore....  Au 
revoir  à  la  France  ! —  Arrivée  à  Douvres.  —  ^ladame  la  com- 
tesse de  Paris  revient,  la  nuit  même,  auprès  de  S.  A.  R.  la 
princesse  Louise.  —  Protestation  de  M.  le  comte  de  Paris, 
distribuée  le  vendredi  matin,  25  juin,  en  même  temps  dans 
toute  la  France.  —  Instructions  de  M.  le  comte  de  Paris  aux 
représentants  du  parti  monarchiste  en  France.  —  Enthousiasme 
qu'elles  provoquent.  —  Appréciation  de  ce  document.  —  Con- 
clusion       329 


APPENDICE 

I.    Procès-verbal  de  la  naissance  de  iNIs""   le   comte  de    Paris, 
d'après  le  Moniteur  du   25  août  1838.   , 421 

IL   Sur  la  naissance  de  Mu'  le  comte  de  Paris.    Pièce  de  vers 
par  Alfred  de  Musset.  Paris,  29  août  1838 426 

Ml.    Description  de    l'épée    offerte    à    Ms""  le  comte  de   Paris, 
par  le  (Conseil  muuicij)al   de  la  ^ille  de   Paris.  2  mai  18il.      'liiO 


TABLE    DES    MATIÈRES  495 

IV.  L'artillerie  en  Amérique  pendant  la  guerre  de  séces- 
sion (1862),  par  MS'  le  comte  de  Paris i35 

V.  Liste  des  cadeaux  offerts  à  S.  A.  R.  Madame  la  princesse 
Amélie  de  France,  duchesse  de  Bragance,  à  l'occasion  de  son 
mariage,  15  mai  1886 439 

VI.  Ms""  le  comte  de  Paris  agriculteur 448 

VII.  Liste  par  ordre  alphabétique  des  personnes  qui  se  sont 
rendues  au  château  d'Eu  et  au  Tréport  pour  saluer  Msr  le 
comte  de  Paris  avant  son  embarquement,  le  24  juin  1886.     459 


Table  des  gravures 485 


FIN 


IMPRIMERIE   D.   DUMOULIN   ET   C'^ 

rue  des  Grands-Augustins,  5,  à  Paris. 


DC 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


DC  Fiers,  Hyacinthe  Camille  Spiro 

3^  François  de  Paule  de  La  Motte 

.8  Ango 
P3F6  Le  comte  de  Pans 


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