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LE
COMTE DE PARIS
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ImpCh.Cliartlon.
LE
COMTE DE PARIS
LE MARQUIS DE FLERS
OUVRAGE ORNÉ
DE HUIT PORTRAITS ET D ' U N FAC-SIMILE D ' A U T 0 G R A P H E
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PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER
PERRIN ET C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES GRANDS-AUGCSTINS, 35
1888
Tous droits réservés
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SEP 16 1574 jj
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AVANT-PROPOS
Plus les années passent, et plus la France dé-
choit du rang auquel elle a droit en Europe, et
marche vers la ruine. Quand s'arrêtera-t-elle sur
la pente qui la conduit à sa perte? Nous avons
confiance dans sa prompte délivrance, et la
conviction que son avenir est personnifié dans
M^*" le comte de Paris. De ce double sentiment,
est né ce livre.
Jusqu'à présent, on a publié quelques bro-
chures, mais on n'a pas écrit un livre, où se
trouvent réunis tous les documents néces-
saires, pour connaître, en détail, la vie déjà si
bien remplie de M^"" le comte de Paris. On ne
sait peut-être pas assez à quel sincère patrio-
tisme M^'' le comte de Paris a obéi dans
toute sa conduite, aussi bien en exil, qu'aux
heures trop courtes où il a vécu en France.
Inattentif comme l'est notre pays, il n'a peut-
être pas non plus assez remarqué ce qu'il y a de
pénétrant, de net, [de précis,' dans l'intelligence
VIII AVANT-PROPOS
de ce Prince, ni aussi la fermeté de sa volonté
et la droiture de son caractère qui (on Ta dit
avec raison) « est parfois plus habile que Fha-
bileté elle-même ».
Il nous a donc paru utile de raconter sa vie aux
Tuileries, en Angleterre, en Amérique, à Eu ou
à Paris, de le montrer toujours et partout, suivant
son unique pensée : la France!... L'heure nous
a paru propice pour publier ces pages. A dé-
faut d'autres mérites, ce livre aara celui d'une
rigoureuse exactitude. Notre rôle s'est borné
à enregistrer des documents vrais, et nous
avons conscience de l'avoir rempli fidèlement.
Quelques censeurs à l'esprit chagrin ou pré-
venu, plutôt mal renseignés, nous reprocheront,
peut-être, d'avoir trop cédé à un respectueux
attachement. Nous ne nous en défendrons cer-
tainement pas; nous ne saurions être touché
par une semblable critique, convaincu que nous
sommes resté en décade la vérité et de la jus-
tice. Nous en appelons, au reste, au jugement de
tous ceux qui ont l'honneur de connaître ce
Prince. Appartenant à une famille dévouée
depuis le siècle dernier à la maison d'Orléans
admis à l'honneur d'approcher souvent M"' le
AVANT-PROPOS IX
comte de Paris, il est naturel que nous ne
soyons pas insensible aux grandes et solides
qualités qui distinguent celui qui sera Phi-
lippe Vil.
Nous nous proposons, non d'imposer, mais
de faire partager nos sentiments au lecteur; et
cela par l'exposé sincère de faits incontestables
dont il saura lui-même dégager l'enseignement.
Jadis le peuple s'écriait : « Ah! si le Roi le sa-
vait ! . . . » Aujourd'hui nous disons : « Ah ! si le
peuple le connaissait! »
Mais le peuple ouvrira bientôt les yeux. Il se
rappellera ces Rois, dont l'histoire s'est con-
fondue pendant neuf siècles avec sa propre his-
toire, toujours liés à sa bonne comme à sa mau-
vaise fortune : il se souviendra que la Providence
garde toujours dans ses mains l'avenir, pour le
distribuer aux Rois et aux peuples, tantôt en
châtiments, tantôt en récompenses, selon leurs
fautes ou leurs mérites. Il faut donc lui montrer
où est le salut, sans relâche et sans décourage-
ment, jusqu'au jour tant désiré, où la France,
se souvenant qu'elle est maîtresse de ses desti-
nées , rejettera un gouvernement oppresseur.
Nous avons confiance dans son bon sens, qui, un
X AVANT-PROPOS
peu plus tôt, un peu plus tard, reconnaîtra quel
prestige et quelle situation elle retrouverait en
Europe, en replaçant à sa tête le petit-fils du roi
Louis-Philippe, le chef de la maison de France,
qui seul, en lui rendant l'ordre et la liberté, fera
la pacification religieuse et mettra fin à la dis-
sension des partis.
Dans l'humble mesure de nos forces, nous
aurons rempli la tâche que nous nous sommes
imposée, si nous avons ^^fait pénétrer chez le
lecteur notre ardente conviction. Un écrivain
désintéressé de nos luttes a dit : « La race royale
de France a présenté ce miracle constant de
toujours produire le juste Roi pour le juste mo-
ment... )) Bientôt ce moment viendra, et la
France se souviendra alors de la parole de M "^ le
comte de Paris : « A l'heure décisive, je serai
pi'ét ! . . . »
Paris, octobre 1887.
LE,.
COMTE DE PARIS
CHAPITRE P'-
1838-1858
Mariage de S. A. R. le duc d'Orléans, prince royal, avec
S. A. R. la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwcrin
(30 mai 1837). — Fêtes à cette occasion. — Le Palais de Ver-
sailles. — Naissance de S. A. R. le comte de Paris (24 août
1838). — Son enfance. — Lettres de M™« la duchesse d'Or-
léans. — La vie de famille au Palais des Tuileries. — Nais-
sance de M. le duc de Chartres (9 novembre 1840). — Baptême
de M. le comte de Paris (2 mai 1841). — La mort de Ms-- le
duc d'Orléans ( 13 juillet 1842). — Anecdotes sur le duc d'Or-
léans, d'après Alexandre Dumas. — L'éducation de M. le
comté de Paris et de son frère le duc de Chartres. — Lettres
de M'"« la duchesse d'Orléans sur les jeunes princes. —
Accident au Tréport (1844). — La révolution du 24 Février
1848. — M°i<= la duchesse d'Orléans à la Chambre des dépu-
tés. — Son départ de France avec les jeunes princes. —
Ses paroles à Lille — Au château d'Eisenach. — Voyage en
Ano-leterre (1849). — La loi d'exil du 26 mai 1848. — La
première communion de M. le comte de Paris, racontée par
M-^Ma duchesse d'Orléans (20 juillet 1850). — Mort du roi
Louis-Philippe (26 août 1850), et de la reine des Belges
(10 octobre 1850). — Union de la famille royale. — Les
jeunes princes au pont de Kehl. - Le comte de Paris et
le duc de Chartres parcourent les champs de bataille de
l'Europe. — Voyages d'instruction. — Protestation des
princes contre les décrets du 22 janvier 1852 qui les dépouil-
l
C ^MARIAGE DU DUC D ORLEANS
lent de leurs biens. — Voyage en Angleterre (1853). — Acci-
dent de M"e la duchesse d'Orléans en Suisse (1853). — Les
princes pendant la guerre de Crimée (1854-1855). — Mort
de S. A. R. M™« la duchesse d'Orléans en Angleterre (18
mai 1858).
Le 15 avril 1837, le comle Mole était charge par
le roi Louis-Philippe de constituer un cabinet. Le
surlendemain de la formation de son ministère,
le nouveau président du Conseil annonçait aux
Chambres le mariage du prince royal, le duc d'Or-
léans, avec S. A. R. la princesse Hélène de Meck-
lembourg-Schwerin. Le comte Bresson avait heu-
reusement mené les négociations , malgré les
obstacles de toutes sortes que certaines cours
avaient élevés pour empêcher cette union. Le
duc de Broglie avait été envoyé en ambassade
extraordinaire pour conduire la princesse en
France.
Le l5 mai, la princesse Hélène quittait Ludwigs-
lust, pour venir trouver son royal fiancé : elle était
accompagnée de la grande-duchesse de JMecklem-
bourg-Scliwerin, sa seconde mère, femme d'un
esprit supérieur, qui avait pour elle une mater-
nelle tendresse etqui s'était consacréeàson éduca-
tion, après la mort du grand-duc de Mecklcm-
bourg-Schwerin.
Le 22 mai, elle rencontrait, àFulde, Tambassade
d'honneur conduite par le duc de Broglie;
son voyage en France fut pour elle un triomplie.
MARIAGE DU DUC D ORLEANS 3
Le 29 mai, à cinq heures du soir, elle arrivait au
palais de Fontainebleau, où le roi Louis-Philippe,
la reine Marie-Amélie, les princes et les princesses
l'attendaient. Le duc d'Orléans la reçut au bas de
l'escalier et la conduisit au roi; comme elle se
baissait pour lui baiser la main, celui-ci l'attira
vivement et l'embrassa avec effusion. Dans cette
première entrevue avec la famille royale, la sim-
plicité et la grâce de ses manières, affectueuses
avec dignité et modestie, lui conquirent tous les
suffrages.
Le lendemain, 30 mai, le mariage civil fut célé-
bré par le baron Pasquier, que le roi venait de faire
chancelier de France. La bénédiction nuptiale fut
ensuite donnée selon le rite catholique, dans la
chapelle de Henri II, par M^''' Gallard, évoque de
Meaux, et selon le rite luthérien, pour la prin-
cesse, dans la salle de Louis-Philippe, par M. Cu-
vier, pasteur protestant de l'Eglise luthérienne.
Depuis deux siècles, de grandes fêtes à propos de
mariages royaux avaient eu lieu au palais de Fon-
tainebleau : César, duc de Vendôme, y épousait
Gabrielle de Lorraine; Louis XIV y amenait sa
jeune femme, Marie-Thérèse, après son mariage
à Saint-Jean-de-Luz; le roi d'Espagne, Charles II,
qui légua, en 1700, ses royaumes à Philippe V,
petit-fils de Louis XIV, y épousait, par procuration,
Marie-Louise d'Orléans, nièce de Louis XIV ;
Louis XV y célébrait son mariage avec la bonne
4 FÊTES AU PALAIS DE VERSAILLES
et vertueuse Marie Leczinska ; enfin, Louis XYIIl
y venait recevoir la duchesse de Berry.
Les fêtes qui suivirent le mariage furent magni-
fiques ; le duc d'Orléans était si aimé, si populaire,
que l'allégresse était générale. Le prince royal, à
l'occasion de cette union, consacra cinq cent mille
francs à des actes de bienfaisance et à des distri-
butions de secours aux pauvres. Parmi les fêtes
qui eurent lieu pendant quinze jours, il faut citer
l'inauguration des galeries du palais de Versailles
dont on devait la restauration à l'initiative du roi
Louis-Philippe. La révolution, en 1793, avait enlevé
du palais et dispersé tous les meubles et objets
précieux. Napoléon V et Louis XVIII avaient re-
culé devant les dépenses d'une restauration; aussi
l'herbe poussait dans les cours, et certaines parties
étaient dans un délabrement complet. En 1833, le
roi, qui dirigeait et surveillait lui-même les tra-
vaux, activa et encouragea les ouvriers et les
artistes, peintres et statuaires. Enfin, le 10 juin
1837, quinze cents invités, l'élite de la France, ve-
naient, à l'occasion du mariage du duc d'Orléans,
recevoir une hospitalité royale dans ce palais,
dont la restauration complète, à la fin du règne de
Louis-Philippe, coûta la somme de 23,494,000 l'v.
Cette intelligente et magnifique restauration du
palais de Louis XIV restera comme un des
plus nobles souvenirs du règne du grand- père
de M. le comte de Paris. Les représenlanis des
MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS 5
anciennes familles comme les membres de la
société nouvelle étaient réunis à Versailles, « car
la royauté moderne ouvre sa cour au mérite
comme à la naissance, à ceux qui se sont élevés
par leurs œuvres personnelles aussi bien qu'aux
représentants de la vieille France, héritiers de ses
grands noms et de ses grands souvenirs! Elle
aime à s'entourer de tous ceux qui font honneur
à la patrie ».
Le duc d'Orléans s'intéressait d'une manière
toute particulière aux beaux-arts, aux sciences et
à la littérature française. A l'occasion de son ma-
riage il demanda au roi son père, comme cadeau
de noces, le droit de disposer de quatre croix de
la Légion d'honneur : une de Commandeur pour
le savant Arago, une d'Officier pour Victor Hugo,
et deux croix de Chevaliers, l'une pour l'historien
Augustin Thierry, l'autre pour le grand et déjà
célèbre romancier, Alexandre Dumas.
Les cinq années qui suivirent le mariage de
Madame la duchesse d'Orléans furent les plus
heureuses de sa trop courte vie. Les hommages
qui lui étaient rendus s'adressaient, non seule-
ment au rang élevé qu'elle occupait, mais à ses
éminenles qualités, que Ton appréciait chaque
jour davantage. Elle prenait un intérêt très grand
à tout ce qui regardait la France. Le mouvement
littéraire aussi bien que les événements politiques
l'occupaient, et elle aimait à s'associer à l'intel-
b LOUIS XVIII ET LE DUC D ORLEANS
ligent accueil que le duc crOrléaiis faisait aux
artistes, aux écrivains et aux esprits les plus dis-
tingués de Tépoque. Elle possédait les qualités
qui sont le plus indispensables à une princesse :
une extrême aflabilité et un tact parfait. Le prince
royal aimait tendrement cette princesse aux traits
si fins, et dont toute la personne avait un charme
inexprimable.
Le duc d'Orléans, né à Palerme en 1810,
avait vingt-sept ans lorsqu'il avait épousé
la princesse Hélène. A la seconde Restauration,
en 1815, présenté par son père à Louis XVIII, le
roi, admirant ce bel enfant, s'écria : « ^'oilà un
beau garçon ; que ferons-nous de lui? — Il faut
faire de moi un soldat, répondit avec vivacité le
petit duc de Chartres. — Mais Monsieur le militaire,
que feriez-vous d'un grand sabx'e qui serait plus
grand que vous ? — Je le tiendrai à deux mains
jusqu'à ce que je sois plus grand que lui !... » Cette
repartie amusa beaucoup le roi.
A neuf ans il entrait au collège Henri IV, se sou-
mettant gaiement à la discipline, et partageant
avec ses camarades récompenses et punitions.
Après avoir passé brillamment son examen à
l'Ecole polytechnique, il était en 1830 colonel du
l""" régiment de hussards. En 1832, au siège d'An-
vers, il comnumdail une division de l'armée fran-
çaise, el trois ans après il j)ailagcail avec l'armée les
l'aligu(>s el les dangers d'une campagne en Algérie.
NAISSANCE DE M''^'" LE COMTE DE PARIS 7
Le 24 août 1838, Son Altesse Royale Madame la
duchesse d'Orléans mettait au monde un fils au-
quel le roi Louis-Philippe donna le titre de Comte
de Paris. C'était le titre qu'avaient porté les pre-
miers de sa race : Robert-le-Fort, et son fils le comte
Eudes qui défendit vaillamment Paris contre les
Normands en 885 : personne ne l'avait pris de-
puis.
Il était environ trois heures de l'après-midi
lorsque M. le comte Mole, président du Conseil des
ministres, sortit de la chambre de Madame la du-
chesse d'Orléans en s'écriant : « Nous avons un
prince! » Ces mots sont accueillis par les cris ré-
pétés de : Vive le Roi!... Cent et un coups de
canon annoncent à la population parisienne la
naissance d'un prince. Le jour même, l'archevêque
de Paris ondoj'ait le jeune prince dans la chapelle
du palais, et les diplomates accrédités à Paris se
rendaient aux Tuileries pour adresser leurs féli-
citations au roi.
A peine connu dans Paris, l'accouchement de
la duchesse d'Orléans faisait déjà un heureux : il
était trois heures et demie; un soldat, le pauvre
Biscarat, Auvergnat de naissance, traduit devant
le conseil de guerre de Paris pour insoumission
dans le service, allait être condamné. Son avocat,
qui savait que depuis le matin, huit heures, la du-
chesse d'Orléans était sur le point d'accoucher,
s'étendait le plus longuement possible et épuisait
O LE DL'C D ORLEANS A NEUILLY
les artifices oratoires... Tout à coup, retentit le
vingt-deuxième coup de canon qui annonçait à
Paris et à la France la naissance d'un prince :
« Messieurs, s'écrie-t-il, ma plaidoirie est termi-
née; le vingt-deuxième coup de canon est le meil-
leur argument de la défense... la nation entière
est trop heureuse aujourd'hui pour que vous
laissiez attrister un si beau jour »... Et il s'assit.
On va aux voix, et le conseil de guerre acquitte le
pauvre soldat, qui, ravi, ne peut s'empêcher de
crier : « Vive le Roi ! «
La joie que la naissance de ce jeune prince
causait à la famille royale fut partagée par la
France entière.
La vie s'écoulait pour la duchesse d'Orléans heu-
reuse et tranquille. En hiver, le dimanche, le duc
d'Orléans accompagnait la reina à la grand'mcsse
à Saint-Roch : il accomplissait très régulièrement
ce devoir de piété filiale. Le prince royal habitait
souvent, l'été, le petit château de Villiers, dans le
parc de Neuilly, où résidaient le roi, la reine et
les jeunes princes. Les belles et chaudes soirées
étaient consacrées à des promenades sur Feau,
souvent jusqu'à Saint-Gloud : les jeunes princes,
le duc d'Aumale et le duc de Montpensier s'amu-
saient à faire des feux d'artifice, et quand le roi
remarquait que les pelouses et les fleurs étaient
saccagées, on lui répondait que c'était pour faire
j)laisir à leur sœur Hélène, et le roi acceptait Fox-
TRAIT DE BONTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE U
cuse en souriant, car il chérissait sa belle-fille. La
duchesse d'Orléans aimait passionnément son mari,
qui s'occupait d'elle comme l'époux le plus atten-
tif, surveillant sa santé, s'intéressant à sa toilette, et
allant lui-même chercher dans le jardin de Villiers
ses fleurs de prédilection... La princesse était
d'une modestie rare; quand on vantait son éru-
dition, elle répondait : « Oui, je suis une savante,
qui ne comprend pas même les rudiments de la
science, le grec et le latin »... Très charitable, elle
étendait tellement ses libéralités, que souvent elle
avait de véritables embarras d'argent.
Le bonheur de la famille royale était à son apo-
gée et le roi Louis-Philippe jouissait alors d'une
grande popularité. Sa simplicité plaisait au peuple.
Il saignait un postillon tombé de cheval; car, a dit
Victor Hugo : « Il n'allait pas plus sans sa lancette
qu'Henri III sans sonpoignard; aussi les royalistes
raillaient-ils ce roi ridicule, le premier qui ait versé
le sang pour guérir!» Le roi s'arrêtait souvent
devant le berceau de M. le comte de Paris endormi,
et quand l'enfant, se réveillant, tendait ses petits
bras à son aïeul, dont il comprenait la tendresse,
c'était une joie sans pareille pour le souverain...
En 1839, le duc d'Orléans partit pour l'Afrique,
où son devoir l'appelait. Ce fut une vive émotion
pour la duchesse, mais elle ne songea pas un
instant à le retenir : elle vécut un peu plus dans
a retraite, pendant l'absence du prince royal, le
10 PREMIÈRE ÉDUCATION DE M?"" LE COMTE DE PARIS
roi l'y avait autorisée. La reine Marie-Amélie et
les princesses venaient souvent la trouver auprès
(lu berceau de son fils, car elle le quittait
le moins possible. Par la fermeté de ses prin-
cipes, par sa piété, elle gagnait chaque jour dans
l'estime publique. Le roi et la reine avaient la plus
grande confiance en elle; c'est elle qui composait
les premières et courtes prières de ses enfants.
Pendant que le dimanche la duchesse d'Orléans se
rendait au temple luthérien, la reine Marie-Amélie
conduisait le jeune comte de Paris à la messe, et à
son retour il lisait et apprenait par cœur les prières
enfantines écrites pour lui par sa mère.
L'àme des enfants, écrivait-elle, s'ouvre phis facile-
ment lorsque nous sommes seuls avec eux. Je tâche d'être,
autant que possible, seule avec mon fils. Aujourd'liui je l'ai
ramené de Neuilly : il s'endormit dans mes bras; je le
couchai sur son lit, je lui rendis mille petits soins. Vous
eussiez dû voir comme il était caressant et tendre ! Oh ! que
hi mère bourgeoise est heureuse !
Quand le duc d'Orléans fut de retour d'Afrique,
la princesse retrouva les joies de la famille qu'elle
laisait passer avant tout. Elle écrit alors (juin
1840j :
.... Voilà mon protecteur, mon ami, ma vie, rentré
<laiis mon petit intérieur Son absence me semble avoir
été un long rêve. C'était une belle journée (jue celle d'Iiier;
je iH' imis la comparer qu'à celle de la naissance de Paris.
NAISSANCE DU DUC DE CHARTRES 11
Mon cœur était plein de reconnaissance et palpitait de
joie. 11 vint des visites, puis on nous laissa seuls quelques
instants. Le petit était enfermé dans ma chambre à coucher.
La porte s'entr'ouvrit ; il entra un peu intimidé ; cependant
il donna la main à son père, qui le trouva grandi. La fa-
mille partit, et nous dînâmes en tête-à-tête. Le petit trot-
tait autour de nous, chantant, riant, et ravissant le cœur de
son père, qui ne voulait pas en faire semblant. Ce fut une
bonne chère soirée de causerie intime.. .
Le soir, clic quittait parfois la table à thé de
la reine, et se retirait dans la chambre du petit
comte de Paris, dont le babil enfantin l'amusait,
jusqu'à ce qu'elle l'eût endormi par quel-
que ballade. Alors, dans le salon voisin, elle
écrivait à ses amis et à ses parents d'Allemagne,
ou bien elle se mettait au piano et jouait des sym-
phonies de Beethoven dont elle admirait beaucoup
le génie.
Le 9 novembre 1840, Madame la duchesse d'Or-
léans eut un second fds, Robert, duc de Chartres.
Peu de temps auparavant, dans sa sollicitude à soi-
gner M. le comte de Paris atteint delà rougeole, elle
avait gagné la même maladie, qui avait été bénigne
pour le jeune prince, mais qui avait un moment
fort inquiété la famille royale pour la princesse.
Un événement vint troubler cette vie si calme :
un attentai eut lieu contre la vie du roi. La du-
chesse d'Orléans écrit à cette occasion :
La Providence nous a encore protégés d'une ma-
12 ATTENTATS CONTRE LE ROI LOUIS-PHILIPPE
nière bien visible. Le roi, la reine, ma tante et tons cenx
qui les accompagnaient ont été épargnés, et l'on a vu pour
la huitième fois que toutes ces tentatives infernales contre
une vie aussi précieuse devaient être déjouées... Le senti-
ment de la bonté de Dieu a dominé, au premier moment,
l'horreur qu'un pareil crime doit inspirer. Sa grâce rem-
plissait mon âme. Je ne pouvais assez bénir celui qui nous
avait préservés d'un si affreux malheur. Nous nous som-
mes tout de suite mis en route pour Saint-Gloud, alin de
nous réunir à la famille. C'est là surtout que j'ai senti,, en
revoyant le roi, en l'embrassant du fond de mon cœur,
combien Dieu avait été bon de nous le conserver. Nous
avons assisté à un Te Dciim dans la chapelle du château,
auquel je me suis associée de cœur, comme vous le conce-
vez
Une autre fois, à la nouvelle d'un semblable évé-
nement, elle entra toute troublé^ clans la chambre
où le comte de Paris prenait une leçon... (c Mets-loi
à genoux, dit-elle, et remercie Dieu avec moi! »...
Le dimanche 2 mai 1841, à onze heures, eut lieu
le baptême de S. A. R. le comte de Paris. Une salve
d'artillerie annonçait rairivéc à Notre-Dame du
roi Louis-Philippe et de toute la famille royale
pour assister à cette cérémonie. Le roi avait auprès
de lui : le roi des Belges, le duc Alexandre de
Wurtemberg, le duc d'Orléans, le prince de Join-
ville et le duc de ISIontpensier.
Les fonts baptismaux étaient placés entre l'autel
et un dais en velours cramoisi et or sous lequel
BAPTÊME DE M^'' LE COMTE DE PARIS 13
était la famille royale. Au bas de ce dais étaient
étendus de riches tapis desGobclins. Des trophées
de drapeaux tricolores rappelaient les treize lé-
gions de la garde nationale, et chaque pilier de
l'église était orné d'un écusson de laurier doré,
au chiffre et aux armoiries de M. le comte de
Paris.
Sur toutes ces décorations se reflétait la lu-
mière de milliers de bougies, s'étendant sur deux
rangs, depuis la porte principale de la cathédrale
jusqu'au maître-autel. Le portail où l'archevêque
de Paris et les évêques assistants reçurent le
cortège royal était décoré dans le style du trei-
zième siècle.
Tous les regards se portaient sur Madame la
duchesse d'Orléans, tenant par la main son fils
aîné, M. le comte de Paris. L'enfant habillé de
blanc, à la mine éveillée, intelligente, laissait voir
une légère émotion sur ses traits. Les ministres,
le corps diplomatique, les maréchaux de France,
la Chambre des pairs, la Chambre des députés,
tous les corps de l'Etat étaient représentés à Notre-
Dame. Entouré d'un nombreux clergé, de plu-
sieurs évêques, l'archevêque de Paris entonna le
Veni Creator. Puis eut lieu la cérémonie du bap-
tême. Le roi était le parrain, et la reine la marraine.
L'archevêque et le clergé reconduisirent pro-
cessionnellement le roi jusqu'au portail, et à une
heure, au milieu des acclamations de la foule, le
14 l'êpée de m^'' le comte de paris
roi, M. le comte de Paris et les princes regagnèrent
les Tuileries.
Le jour même, le comte de Rambuteau, préfet de
la Seine, présentait le conseil municipal de Paris
au jeune prince, et exprimait au roi les sentiments
de joie d'une population fidèle et dévouée. 11
remit ensuite au comte de Paris l'épée qui lui était
offerte par la ville de Paris i.
« Voici, dit-il, l'enfant qui sera le roi de nos
enfants !
« Cette ville, dont Votre Majesté a voulu qu'il
portât le nom, désire qu'il conserve un souvenir du
bonheur causé par sa naissance et par le choix de
ce nom. Elle lui offre celte épée. Sire. C'est la Cité
qui la lui donne pour le service du pays! Quand
l'âge sera venu pour lui de la ceindre, il ne man-
quera pas d'exemples pour l'uscjge qu'il en devra
faire. Il peut remonter haut dans sa race, mais il
n'aura pas à chercher loin ses modèles. Il lui sera
facile d'être juste et fort. Heureux enfant, dont
la carrière aura été aplanie par tant de sagesse, et
qui trouvera si près de lui de puissants et nobles
enseignements!
« Sire, daignez permellre au coin le de Paris
d'accepter l'épée de la ville de Paris; et que ce
souvenir soit à jamais un gage d'union entre le
prince et la Cité. »
1. Voir à l'appeiidico la description de l'épée offerte à ]\I. le
comte de Paris.
M^'' LE COMTE DE PARIS ET LE PREFET DE LA SEINE 15
Le roi, en acceptant au nom du jeune prince
cette épée que présentait le Conseil municipal,
acheva ainsi sa réponse :
« Fasse le ciel que mon petit-fils ne soit pas
appelé à en faire usage; mais, si jamais il doit la
tirer du fourreau, ce ne sera qu'à bonnes ensei-
gnes, et pour défendre Thonneur de la France
et l'indépendance nationale ; mais, j'ai lieu d'es-
pérer, et c'est à quoi je travaille, que le règne de
mon petit-fils ne sera pas troublé par la guerre,
et qu'il recueillera une gloire plus douce, celle
d'assurer le repos et la prospérité de la France! »
Le roi prenant le jeune comte de Paris par la
main (il avait à peine trois ans) lui dit : « Donne la
main au préfet de la Seine en signe que tu la
donnes à toute la ville de Paris. » Le prince s'a-
vança vers le comte de Rambuteau, et les cris de
« Vive le Roi! « éclatèrent avec force parmi les
conseillers municipaux.
Le duc d'Orléans remit à l'archevêque 10,000 fr.
pour être distribués aux parents des enfants pau-
vres de Paris qui, pendant trois jours, les 2, 3 et
4 mai, seraient présentés sur les fonts baptismaux
dans les difterentes paroisses de Paris. 11 offrit au
prélat une mitre d'un grand prix, et le roi envoya
à l'archevêque une croix et un anneau pastoral en
brillants.
Le soir, un feu d'artifice fut tiré sur le ponf
16 LA MORT DU DUC d'oRLÉANS
de la Concorde, et la fête se continua toute la
soirée, dans les Champs-Elysées et le long des
boulevards brillamment illuminés.
Madame la duchesse d'Orléans parle ainsi de la
journée du 2 mai 1841 :
Rien de plus beau que la fête d'hier. Rien de plus
touchant, de plus })ur que mon petit ange présenté à l'au-
tel. Rien de plus profondément ému que mon pauvre cœur
de mère en ce moment. Je ne sais si je me trompe, mais je
croyais voir dans tous les yeux des assistants un regard
de tendre affection pour cet enfant.
Mais les jours de bonheur étaient finis : M. le
comte de Paris avait à peine quatre ans quand une
de ces catastrophes, par lesquelles Dieu éprouve
un peuple, lui enleva son père.
Le 13 juillet 1842, le duc d'Orléans allait partir
pour inspecter des régiments au camp de Saint-
Omer. Il voulut aller à Neuilly faire ses adieux au
roi Louis-Philippe, son père, et à la reine Marie-
Amélie, sa mère. Il quitta le palais des Tuileries
vers onze heures. Dès le départ, les chevaux
avaient été maîtrisés avec peine par le postillon.
Mais laissons la parole à jM. Jules Janin, (pii dans
un petit volume, consacré à raconter la vie du
llls aine du roi Louis-Philippe, nous donne le
touchant et intéressant récit de la (;atastroplie :
(( Par une de ces fatalités cruelles, dont on ne
se souvient qu'après Taccident, l'écuyer de M. le
LA MORT DU DUC d'oRLÉANS 17
duc d'Orléans s'était plaint, le malin même, de
son porteur, disant qu'il ne répondait pas de la
vie du prince ; mais on n'avait répondu à ces
plaintes qu'en lui demandant s'il avait peur. Ce
sont là, du reste, de ces plaintes après coup,
auxquelles on ne s'attache que pour expliquer
toutes les misères inexplicables ; toujours est-il
que les chevaux allèrent leur pas ordinaire jus-
qu'à la barrière de l'Etoile. Plusieurs personnes
reconnurent le prince et le saluèrent; il était seul,
et dans les plus belles apparences de la santé et
de la force. Jamais, en effet, il ne s'était senti
mieux portant et plus heureux, et il le disait,
le matin môme, dans cet orgueil innocent de
l'homme, qui sent en lui-même la force et l'éner-
gie d'une vie de trente ans. Tout d'un coup cepen-
dant les chevaux s'animent, ils prennent le galop,
ils s'emportent : la porte Maillot a été bientôt
dépassée, et comme ils se précipitaient ardem-
ment, dans l'avenue qui conduit au château de
Yilliers, qui est une des dépendances de Neuilly,
soudain ils se sentent arrêtés et poussés dans le
chemin à côté. A ce moment, nul ne peut dire ce
qui arriva, si le prince, dans la crainte d'être brisé
sur les fortifications, a sauté de sa voiture, ou bien
si quelque choc plus violent l'a précipité malgré
lui; mais enhn, quelle qu'en ait été la cause, le
choc a été mortel, le prince a été brisé sur les
pavés Pas un mot, pas un cri, pas un geste.
18 LA MORT DU DUC D'ORLÉANS
rien, sinon le cadavre d'un jeune homme de
trente-deux ans, que ramassent des maçons qui
passent. « Quel dommage, se disaient-ils, un si
« beau jeune homme ! )> Un gendarme leur annonça
que c'était en effet S. A. R. le duc d'Orléans qui
venait de mourir, et courut au château de Ncuilly
pour y faire connaître l'aflVeux accident.
« Tel est l'admirable bon sens des hommes du
peuple de France, qu'ils ont mieux aimé trans-
porter le prince royal dans une humble boutique
habitée par un Français que de le porter dans la
maison hospitalière de lord Seymour. « Il n'est
(( pas juste, disait un de ces hommes, qu'un prince
« de France meure chez un Anglais. »
« Cependant, à P^euilly même, le roi se prépa-
rait à venir aux Tuileries, il prenait congé de la
reine, il espérait arriver assez à temps à Paris,
pour embrasser son fils aine encore une fois avant
son départ ; tout à coup, dans cette maison si
calme, si heureuse, tombe comme la Ibudre, ce
bruit, avant-coureur de toutes les sinistres nou-
velles Quelle angoisse! puis enfin, quand le
roi et la reine eurent compris ce qu'on voulait leur
dire, que le prince royal, leur enfant bien-aimé,
élait là, à leur porte, étendu presque mort (on
disait presque mort, par pitié pour eux!), les voilà
qui courent au hasard, tête nue, sans pleurer, sans
demander où ils vont? Ils aiiiveiil ainsi, dans
LA MORT DU DUC d'orLÉAîs'S 19
ce cabaret, qu'à peine avaient-ils remarqué clans
leurs beaux jours, et ils se jettent à genoux au
bord de ce grabat qui contient tout leur enfant.
Que ceux qui pourront l'écrire racontent cette
scène de deuil et de misère; même ceux qui en
ont été les bien tristes témoins ne peuvent et
n'osent pas raconter ces sanglots, ces larmes, ces
silences, ces étonnements, ces prières, ces an-
goisses ; eux aussi, tout comme l'historien qui veut
se mettre par la pensée au niveau de pareilles
douleurs, ils n'ont rien vu, ils n'ont rien appris,
ils ne savent lien : ne leur demandez rien, ils ne
sauraient que vous répondre; mais le plus étonné
de tous ceux-là, ce devait être le propriétaire de
celte masure. Quand il a vu arriver chez lui tous
ces fantômes de roi et de reine qui pleurent sans
vouloir être consolés; quand il a entendu retentir,
sous son plafond enfumé, tous les grands noms
de cette monarchie aux abois, cet homme-là a dû
se dire tout bas à lui-même : « Pourquoi donc tous
« ces gens-là prennent-ils ma cabane pour le chà-
<( teau de Neuilly?... )) Ce n'était pas le château de
Neuilly, cette cabane, c'était désormais une cha-
pelle funèbre; cette cabane était devenue un
tombeau, ce grabat s'était changé en autel.
« A chaque instant accouraient à ce lit de mort
les membres épars de la famille royale, M""" Adé-
laïde, M""' la princesse Clémentine, M. le duc de
Montpensier qui revenait de Yincennes, M. le duc
20 LA MORT DU DUC d'ORLÉANS
d'Aumale qui arrivait de Gourbevoic. Quand cette
nouvelle fut apportée à M. le duc d'Aumale, il
était à la salle d'armes, un ileuret à la main; cette
nouvelle sembla l'abattre un instant, à force de
surprise et de douleur; mais bientôt, prenant sa
course à tout hasard, le jeune prince se précipite
sur le chemin qui mène à Neuilly. Un cabriolet de
place venait de Paris, le cheval était fatigué, le
cocher refusait de revenir sur ses pas : « Va, dit le
« prince, songe que tu mènes un frère vers son
(( frère qui se meurt ! » Disant ces mots, il prend
les rênes, le cocher bat son cheval, ils arrivent
ainsi près de la maison mortuaire; mais à cet
instant le cheval s'abat, le cabriolet se brise, le
prince tombe à trois pas de là, sur les pavés ; il
se relève et prend sa course jusqu'au lit du duc
d'Orléans: «Mon frère! mon frère!... Oh! Join-
(( ville, que vas-tu dire? Oh! Nemours, où es-tu ! »
Aux cris déchirants de ce jeune homme, les as-
sistants répondaient seulement par leurs san-
glots.
« M. le duc d'Orléans n'avait reconnu per-
sonne, pas même sa mère; le reste de cette vie
puissante et énergique qui était en lui lullait pé-
niblement contre la mort : lutte horrible, achar-
née, incroyable. De cette tête brisée, la pensée ne
voulait pas sortir; de ce corps déchiré, la vie ne
voulait pas s'enfuir. Un râle profond et sonore
sorlait de celle poitrine haletante; sur ses deux
LA MORT DU DUC d'oRLÉANS 21
mains encore agissantes , la reine et les prin-
cesses versaient des larmes avec des prières si
ferventes ! Le roi s'était relevé, il était debout, et, la
main sur la lête de son enfant, il le bénissait du
fond de l'àme! Cependant, tout en désespérant de
la science, les médecins ne se ralentissaient pas ;
le docteur Vincent Duval le premier, homme ha-
bile, dévoué, plein de science et d'énergie ; après
lui, le chirurgien du prince, son ami, on peut le
dire, le docteur Pasquier, ébloui et confondu, lui
aussi, de tant de misères inattendues. Soins inu-
tiles, prières que le ciel n'exauça pas, dernière et
impuissante torture infligée à ce cadavre. Quand
le roi vit qu'il n'y avait plus d'espoir, il envoya
chercher la duchesse de Nemours que , dans sa
prévoyance paternelle, il avait tenue éloignée de
ce fatal spectacle ; en mémo temps était arrivé le
clergé de Neuilly, et la reine, qui n'espérait plus
qu'en Dieu , invoquant la sainte Rosalie de Pa-
lerme, sa patronne, tourna un dernier regard d'es-
pérance vers les consolations de là-haut. L'agonie
dura quatre heures. Enfin, le ciel eut pitié, non
pas de ceux qui pleuraient, mais du jeune homme
étendu sur ce lit de mort; le prince royal rendit à
Dieu son àme honnête et pure : les convulsions
s'arrêtèrent, le râle cessa, il était mort. Dans une
pièce voisine le roi entraîna la reine ; là s'étaient
réunis les maréchaux de France et les ministres;
personne ne parla à personne, le plus profond
Z'Z LA MORT DU DUC D ORLEANS
silence pouvait seul contenir tant de douleurs...
« Sur un brancard fut placé le corps du prince
expiré; des sous-officiers du 17" régiment d'infan-
terie légère furent chargés de transporter ce pré-
cieux fardeau dans la (diapelle de Neuilly. Par un
singulier et triste concours, c'était avec les soldats
du 25% les mêmes soldats des Portes-de-Fcr, des
hauteurs de Mouzaïa, les mêmes qui avaient offert
à leur jeune général la palme triomphale des Bi-
bans. Pleurez, soldats, pleurez votre jeune capi-
taine ! pleurez le chef qui vous aimait, pleurez ce
hardi courage qui vous conduisait à la victoire par
ses vives et impétueuses saillies! Mais que dira
l'armée d'Afrique quand cette nouvelle funeste va
retentir d'Alger à Constantine : « Le duc d'Orléans
est mort? y>
« Un manteau blanc avait été jeté sur le corps
du prince, comme on fait pour un général, mort à
l'armée. Le roi et la reine, Madame la princesse
Adélaïde, ^Ladame la duchesse de Nemours, Ma-
dame la princesse Clémentine, M. le duc d'Au-
male, j\L le duc de Montpcnsier, suivaient à pied
le cortège funèbre; venaient ensuite M. le maré-
chal Soull, les ministres, M. le maréchal Gérard,
les officiers généraux, les officiers du roi et des
])iinces, et puis la foule silencieuse, coniristée,
pleurante. A voir passer de loin cette immense
douleur, ce père, cette mère, ces frères, tout ce
monde l'oyal, f[ui parcourt d'un j)as lent et déses-
LA MORT DU DUC d'orLÉANS 23
péré ravenue de Sablonville, on se serait demandé
si ce n'était pas là une de ces visions que nous
montre Dante dans son poème? Ainsi, on entra
dans le parc de Neuilly, déjà la chapelle était ou-
verte; heureuse chapelle! jusqu'à ce jour elle
n'avait retenti que d'actions de grâces et de
dpuces prières ! La princesse Marie elle-même,
quand elle mourut, n'avait pas reposé sur ces
dalles; c'était le sanctuaire heureux de la famille;
mais aujourd'hui la chapelle est pleine de deuil,
elle s'étonne du cadavre placé là, le premier-né
de la maison. »
A neuf heures du soir. Madame la duchesse
de Nemours et Madame la princesse Clémentine
partaient pour Plombières, chargées de porter
l'affreuse nouvelle à Madame la duchesse d'Or-
léans. Le 14 juillet, à six heures du soir, on avait
voulu préparer la princesse à ce malheur, en lui
disant que le prince royal était gravement malade.
A huit heures elle quittait Plombières, à minuit
elle élait à Epinal ; à une heure du matin. Madame
de Montesquieu , sa dame d'honneur , trem-
blait qu'une démonstration publique n'instrui-
sit la princesse de son malheur; lorsque le cour-
rier annonça une voiture venant de Paris : « Ou-
vrez, ouvrez vite, s'écria Madame la duchesse
d'Orléans... A ce moment elle vit s'avancer le
docteur Chomel, médecin de la famille royale. Il
24 RETOUR A NEUILLY DE LA DUCHESSE D ORLEANS
ne put lui cacher la vérité L'infortunée prin-
cesse resta près d'une heure sur la grande route
dans l'obscurité, sanglotant, tandis que les assis-
tants s'efforçaient inutilement de contenir leur
propre douleur.
A quatre heures du niali?i, le 15 juillet, Madame
la duchesse de Nemours et Madame la princesse
Clémentine la rejoignirent. Elles se jetèrent,
sans parler, dans ses bras et prirent place en
pleurant à ses côtés. Après deux nuits cruelles,
on arriva à Neuilly, le 16 à neuf heures du
matin. M. le comte de Paris et M. le duc de
Chartres y étaient depuis la veille, venant du châ-
teau d'Eu Quand Madame la duchesse d'Or-
léans parut au milieu de la famille royale, Témo-
tion fut telle que personne n'eut la force de lui
raconter les circonstances du fatal accident : il y a
des afflictions si profondes que la parole est im-
puissante à les exprimer! Le roi, la reine, s'ache-
minèrent vers la chapelle où était déposé le corps
du prince royal... Madame la duchesse d'Orléans
tenant par la main ses deux enfants s'agenouilla,
pria avec ferveur, puis elle se rendit dans ses
appartements pour revêtir les habits de veuve
qu'elle ne devait plus quitter jusqu'à sa mort. La
mort de M. le duc d'Orléans remplit d'une immense
douleur les dernières années du roi, qui avait vu
passer sur sa tcle tant de périls de toutes sortes,
et ([iii ne Cul jamais sensible ([u'à ccvix que cou-
OBSÈQUES DU DUC d'oRLÊANS 25
riirenl ses enfants. « Encore si c'était moi ! »
disait-il en tenant clans ses bras le corps défaillant
de son fils. Cette journée du 13 juillet ne laissa pas
de traces moins profondes dans ràmc de la l'eine
Marie-Amélie, dont le premier cri fut pour son
pays ! « Quel affreux malheur pour la France ! »
Oui le malheur était grand, et le pays devait le
ressentir profondément.
On put voir, surtout pendant les obsèques,
combien le prince royal était aimé dans toutes les
classes de la société. Les soldats avaient les lar-
mes aux yeux, en voyant étendu sans vie le corps
de leur brave général du siège d'Anvers et de
l'armée d'Afrique, et comprenaient que la mort
leur enlevait non seulement un chef aussi habile
que valeureux, mais un protecteur et un ami.
C'étaient le 2'' et le 17" léger, qui arrivaient
d'Afrique, et qui en 1839 et 1840 avaient passé avec
le prince les Portes-de-Fer, enlevé le col de Mou-
zaïa. Ils Pavaient vu au milieu d'eux braver les
balles des Arabes, et ils baissaient tristement la tôte
en lui présentant les armes pour la dernière fois.
Le peuple qui se pressait aux portes de Notre-
Dame rappelait qu'en mars 1832, lorsque le
choléra sévissait à Paris, le prince royal ne voulut
pas seulement contribuer de sa bourse au sou-
lagement de tant d'infortunes, mais qu'il paya de
sa personne, allant visiter rHôtel-Dicu au moment
où le fléau était dans toute sa force.
26 OBSÈQUES DU DUC d'oRLÉANS
La douleur était universelle ; on ne rencontrait
dans Paris que des gens vêtus de noir. Toutes les
têtes, dit un témoin oculaire, se découvraient sur
le passage du char funèbre. Des femmes du peu-
ple pleuraient, des ouvriers même portaient le
deuil. Pas un cri, pas le plus léger désordre n'était
venu troubler dans une si grande foule l'unani-
mité de cette touchante manifestation •.
« C'est une chose remarquable, écrivait un
étranger qui se trouvait en France à cette époque,
que dans ce pays, oii la révolution n'a pas encore
cessé de fermenter, l'amour d'un prince ait pu
jeter de si profondes racines. » Puis il raconte
qu'au moment où Ton ajourna les fêtes de Juillet,
et où l'on démonta sur la place de la Concorde les
grands échafaudages qui devaient servir aux illu-
minations, il vit les ouvriers, assis sur les poutres
et les planches renversées, déplorant la mort du
duc d'Orléans, et entendit l'un d'eux dire : « Louis-
Philippe peut maintenant se promener dans Paris,
on ne tirera pas sur lui. »
« Dans le rang le plus humble de la société, le
prince royal, a-t-on dit avec justesse ~, eût été un
homme remarquable; pour de telles organisations,
il n'y a pas de conditions médiocres; l'unanimité
et la vivacité des regrets qu'inspira sa mort aux
hommes de toutes les opinions, de tous les senti-
1. Fils de roi, brocliiii-o, à la librairie du Moniteur universel.
2. M. V. l'iond.
uxA^'I^^TÉ des kegrets 27
ments, de tous les partis, ne forment-ils pas le plus
harmonieux concert d'éloges qu'on puisse décer-
ner? La plus éloquente des oraisons funèbres est
celle qui est ainsi prononcée par cette voix du
peuple qu'on peut appeler la voix de Dieu lui-
même.
{( Dans la vie de M. le duc d'Orléans, consacrée
à l'accomplissement de tous les devoirs, la politi-
que proprement dite a tenu peu de place. Sans
affecter l'opposition banale des héritiers présomp-
tifs, on entendit le duc d'Orléans dire : « Mon père
« a sa mission, moi j'aurai la mienne. » A la
Chambre des pairs, il prit quelquefois la parole
avec convenance et dignité, le plus souvent pour
des faits personnels, et il considérait aussi comme
telles, les attaques contre la révolution de Juillet
et les institutions qu'elle avait fondées. Il n'inter-
venait dans les luttes de partis, que dans un intérêt
de clémence et d'humanité, ce qui ne l'empêcha
pas d'être en butte aux vils outrages de quelques
pamphlétaires.
Il faisait le plus noble usage de sa dotation
princière, si amèrement critiquée. Il en em-
ployait une partie à des actes de bienfaisance
qu'on est tenté de regarder chez les princes comme
une nécessité de position, mais qui se distinguaient
par la forme heureuse qu'il savait leur donner.
L'autre partie était consacrée au patronage intel-
ligent de tous les talents, parmi lesquels il aimait
28 STATUES DU DUC d'oRLÉANS
à choisir les plus jeunes et les plus contestés.
Parmi les artistes contemporains, il en est peu, de
même que parmi les hommes de lettres , qui
n'aient été les obliges ou les amis du duc d'Or-
léans. Les fêtes élégantes du pavillon Marsan,
par le mouvement qu'elles imprimaient aux arts
et à l'industrie, les courses du Champ de Mars et
de Chantilly, par Tinfluence qu'elles exerçaient
sur l'amélioration de la race des chevaux, témoi-
gnaient que le prince royal se proposait un but
d'utilité jusque dans ses plaisirs. »
« Quelques semaines après ce lamentable évé-
nement, dit M. Trognon, le gouvernement décida
que deux statues seraient élevées au duc d'Or-
léans, l'une àParis, l'autre à Alger. On fut quelque
temps incertain sur l'endroit où serait placée celle
qui devait perpétuer le souvenir du prince dans
la capitale. Il arriva qu'un jour cette question se
débattit devant la reine. On lui demanda son avis.
Avec cette réserve qui lui était habituelle, elle
répondit : « Dieu sait toute mon estime pour les
« qualités de mon pauvre fils, mais je ne trouve
« pas vraiment qu'il ait eu le temps de rendre à
<f la France d'assez grands services pour ((u'on
<■( lui élève une statue à Paris. A Alger, bien; car
« il a rendu là de véritables services sur les champs
« de bataille. « N'est-il pas admirable que l'amour
maternel, passionné comme il l'était chez elle, lui
laissât toute cette lijjcrté , cette impariialilé de
DISCOURS DE VICTOR HUGO AU ROI 29
jugement sur le fils qu'elle pleurait ? Mort comme
vivant, elle ne voulait point pour lui de la flat-
terie. »
Le grand poète, Victor Hugo, en présentant
au roi Louis-Philippe P'" une adresse de Tlnstitut
de France, s'exprima ainsi sur M. le duc d'Or-
léans :
Sire,
L'Institut de France dépose au pied du trône l'expres-
sion de sa profonde douleur.
Votre royal fds est mort. C'est une perte pour la France
et pour l'Europe ; c'est un vide parmi les intelligences.
La nation pleure le prince; l'armée pleure le soldat;
l'Institut regrette le penseur.
Le duc d'Orléans avait compris en effet que dans le
siècle laborieux et mémorable où nous sommes, être l'hé-
ritier du trône de France, ce n'est pas seulement occuper
une haute position, c'est aussi exercer une grande fonc-
tion
Ame haute, calme, sereine, ferme et douce, noble intelli-
gence, au niveau de tous les talents ; fds d'Henri IV par le
sang, par la bravoure, par l'aménité cordiale et charmante
de sa personne ; fils de la Révolution par le respect de tout
droit, et l'amour de toute liberté; entraîné vers la gloire
militaire par l'instinct de sa race; ramené vers les travaux
de la [)aix par les besoins de son esprit; capable et avide
de grandes choses; populaire au dedans, national au
dehors, rien ne lui a manqué, excepté le temps ; et l'on
peut dire que tous les germes d'un grand roi se manifes-
taient déjà dans ce prince, mort si jeune, hélas! qui aimait
30 ANECDOTES SUR LE DUC d'oRLÉAXS
les arts comme François P'', les lettres comme Louis XIV,
la patrie connue vous-même.
Alexandre Damas, Fécrivain populaire, le bril-
lant romancier, se trouvait à Florence quand il
apprit brusquement la mort du duc d'Orléans. Son
émouvant récit donne une juste idée de l'impres-
sion douloureuse produite dans toutes les classes
de la société, par la mort du Prince royal.
« Nous ordonnâmes au cocher de nous conduire
aux Caséines. Les Caséines sont, à six heures,
en été, le rendez-vous de tout Florence. Les
attachés de l'ambassade française s'y trouveraient
sans aucun doule. Nous apprendrions certaine-
ment là quelque chose d'officiel. Effectivement,
là, tout nous fut confirmé. La Gazette de Gènes
rapportait la nouvelle telle que le télégraphe l'avait
donnée, sans commentaires, sans explications,
mais à sa colonne officielle; il n'y avait donc plus de
doute à avoir, il n'y avait plus d'espoir à conserver.
« La sensation était profonde. Tel est le jiou-
voir étrange de popularité, que cet amour caché,
plein de tendresse et d'espérance, que la France
portait au prince royal, avec lequel elle l'accom-
pagnait dans ses voyages pacifiques en Europe,
dans ses campagnes guerrières en Afrique, avec
lecpiel enlin elle l'accueillait à son retour, s'était
épandu au dehors, avait gagné Féti-anger, et ce
LETTRE d'aLEXAÎsDRE DUMAS A LA REINE 31
jour-là, peut-être, se manifestait à la fois en Alle-
magne, en Italie, en Angleterre et en Espagne,
par une sympathie universelle. On eût dit que le
pauvre prince qui venait de mourir était non seu-
lement l'espoir de la France, mais encore le messie
du monde. Maintenant, tout était fini. Les regards
([ui le suivaient avec l'anxiété de l'attente étaient
tous fixés sur un cercueil. Le monde avait quel-
quefois porté le deuil du passé; cette fois il portait
le deuil de l'avenir. Je laissais les promeneurs
s'épuiser en conjectures. Que me faisaient les
détails ? la catastrophe était vraie !
(( Je rentrai chez moi, et je retrouvai sur mon
bureau cette lettre à la reine qui ne devait partir
que par le courrier de l'ambassade, c'est-à-dire le
lendemain 19 : cette lettre où je lui disais qu'elle
était heureuse entre toutes les mères.
« Un instant j'hésitais à jeter un malheur étran-
ger et secondaire* au milieu d'un malheur de
famille, profond, suprême, irréparable; mais je
connaissais la Reine : une bonne œuvre à lui pro-
poser était une consolation à lui offrir. Seulement,
au lieu de lui adresser la lettre à elle, j'adressai la
lettre à M. le duc d'Aumale.
« Ce que je lui écrivis, je n'en sais rien : ce
sont de ces pages dont on ne garde pas copie ; de
ces pages dans lesquelles le cœur déborde et que
1 Une demande de secours pour de pauvres pêcheurs.
32 PORTRAIT DU DUC d'oRLÉANS PAR ALEX. DUMAS
les yeux trempent de larmes. C'est que, après le
prince royal , M^'" le duc d'Aumale était celui des
(|iiatre princes que je connaissais le plus. Je lui
avais été présenté aux courses de Chantilly par
le prince royal lui-même.
Le prince royal avait une profonde tendresse et
une haute estime pour le duc d'Aumale. C'était sous
son commandement que le jeune colonel avait fait
son apprentissage de guerre, et, quand il
avait, au col de Mouzaïa, reçu le baptême de feu,
c'était lui qui lui avait servi de parrain.
« Un jour, dans une de ces longues causeries
où nous parlions de toutes choses, et où, las
d'être prince, il redevenait homme avec moi, le
duc d'Orléans m'avait raconté une de ces anecdo-
tes de cour auxquelles la narration écrite ôte tout
son charme ; puis le prince rucontait admiraljle-
mentbien; il avait l'éloquence de la conversation,
si cela se peut dire, au plus haut degré. Enfin, il
savait s'interrompre pour écouter, chose si rare
chez tous les hommes, qu'elle devient merveilleuse
chez un prince. Il y avait dans la voix du duc d'Or-
léans, dans son sourire, dans son regard, un
charme magnétique qui fascinait. Je n'ai jamais
trouvé chez personne, même chez la femme la plus
séduisante, rien qui se rapprochât de ce regard,
de ce sourire, et de cette voix. Dans quelcpie dis-
position d'esj)iil (|uY)n eût a])()r(h'' le prince, il
élail iinpossiljle de le quitter sans être entièrement
LE DUC d'aUMALE EN AFRIQUE 33
subjugué par lui. Était-ce son esprit? était-ce son
cœur qui vous séduisait ? C'étaient son cœur et
son esprit ; car son esprit, presque toujours, était
dans son cœur.
« Or, voici ce qu'il me racontait un jour :
(( C'était sur les bords de la Cliifta, la veille du
jour fixé pour le passage du col de Mouzaïa. Il y
avait un engagement acharné entre nous et les
Arabes. Le prince royal avait envoyé successive-
ment plusieurs aides de camp porter des ordres ;
un nouvel ordre devenait urgent, par cela même
que le combat devenait plus terrible; ilse retourna
vers son état-major et demanda quel était celui
dont le tour était venu de marcher.
(( — Moi, répondit le duc d'Aumale en s'avan-
çant.
« Le prince jeta un coup d'œil sur le champ de
bataille ; il vit à quel danger il allait exposer son
frère. A cette époque, qu'on se le rappelle, le duc
d'Aumale avait dix-huit ans à peine. Homme par
le cœur, c'était encore un enfant par l'âge.
« — Tu te trompes, d'Aumale, ce n'est pas à toi,
dit le duc d'Orléans.
(( Le duc d'Aumale sourit : il avait compris l'in-
tention de son frère.
« — Où faut-il aller et que faut-il dire ? répon-
dit le jeune prince en rassemblant les rônes de son
cheval.
a Le duc d'Orléans poussa un soupir ; mais il
3
34 UN COMBAT EN AFRIQUE
sentit qu'on ne marchandait pas avec l'honneur,
et que celui des princes est plus précieux encore
à ménager que celui des autres hommes. Il tendit
la main à son frère, la lui serra fortement, et lui
donna l'ordre qu'il attendait.
c( Le duc d'Aumale partit au galop, s'enfonça
dans la fumée et disparut au milieu de la bataille.
Le duc d'Orléans l'avait suivi des yeux tant que
ses yeux avaient pu le suivre, puis il était resté
le regard fixé sur l'endroit où il avait cessé de le
voir.
« Au bout d'un instant, un cheval sans cavalier
reparut. Le duc d'Orléans se sentit frémir des
pieds à la tête. Ce cheval était du même poil que
celui du duc d'Aumale. Une idée terrible lui tra-
versa l'esprit ; c'est que son frère était tué, et tué
en portant un ordre donné prr lui ! Il se cram-
ponna à sa selle, tandis que deux grosses larmes
jaillissaient de ses yeux et roulaient sur ses joues.
« — Monseigneur, dit une voix à son oreille, il
a une chabraque rouge !
(( Le duc d'Orléans respira à pleine poitrine.
Le cheval du duc d'Aumale avait une chabraque
bleue. Il se retourna et jeta ses bras autour du
cou de celui qui l'avait si bien compris. Le duc
d'Orléans me le nomma alors. J'ai oublié son nom.
C'était un de ses aides de camp, ou Bertin de
Vaux, ou Chabaud-Lalour , ou d'Elchingen. Dix
minutes après, le duc d'Aumale, sain et sauf, après
UN COMBAT EN AFRIQUE 35
s'être acquitté de son message avec le courage et
le calme cFun vieux soldat, était de retour près de
son frère.
(( Je vous l'ai dit, toute cette petite histoire est
bien pâle, écrite par moi ; racontée par le prince
lui-même, avec sa voix tremblante, avec ses yeux
mal essuyés, c'était une chose adorable.
« Oh! s'il m'avait été permis d'écrire cette vie si
courte et cependant si remplie ; de raconter pres-
que un à un, comme depuis quatorze ans je les
avais vus passer devant moi, ces jours tantôt som-
bres, tantôt sereins, tantôt éclatants; si de cette
existence privée j'avais eu le droit de faire une
existence publique, on se serait agenouillé devant
ce cœur comme devant un tabernacle. Il y avait en
lui trop de choses venant de Dieu; ses vertus
appauvrissaient le ciel. Dieu l'a repris avec ses
vertus, et maintenant c'est la terre qui est veuve.
Il sentait comme Henri lY, il voyait comme
Louis XIV.
« Aussi, en môme temps qu'au duc d'Aumale,
j'écrivais à la reine, non pas. Dieu merci! pour
tenter de la consoler! la Bible elle-même avoue
qu'il n'y a pas de consolation pour une mère qui
perd son enfant. Rachel ne voulut pas être con-
solée, parce que ses enfants n'étaient plus. Et
iioluit consolari, quia non siint. Ma lettre avait
quatre lignes, je crois; voici ce que je lui disais :
« Pleurez, pleurez. Madame ; toute la France
36 ALEXANDRE DUMAS CHEZ LE DUC d'oRLÉANS
« pleure avec vous. Pour moi, j'ai éprouve deux
« grandes douleurs dans ma vie : Tune, le jour
« où j'ai perdu ma mère; l'autre, le jour oîi vous
« avez perdu votre fils. »
« Puis, à la princesse royale, à la duchesse d'Or-
léans, à cette double veuve d'un mari et d'un trône,
je n'écrivis rien, je crois; je me contentai d'en-
voyer cette prière pour son fils :
« O mon père! qui êtes au cieux, faites-moi tel
« que vous étiez sur la terre ; et je ne demande
« pas autre chose à Dieu pour ma gloire à moi, et
« pour le bonheur de la France. »
(( Un mot sur le royal enfant et sur cette auguste
veuve.
(c Le 2 janvier 1841, j'étais allé faire ma visite
de bonne année au prince royal. Après quelques
instants de causerie : — Gonna'ssez-vous le comte
de Paris? me demanda t-il.
« — Oui, Monseigneur, répondis-je, j'ai eu
l'honneur de voir Son Altesse déjà deux fois.
Et je rappelai au prince dans quelles circons-
tances.
(( — N'imporle, me dit-il, je vais l'aller cher-
cher pour que vous lui fassiez vos compliments.
« 11 sortit et rentra un instant après, tenant l'en-
fant par la main; puis, s'approchant avec cette
gravité qui était un des charmes de sa plaisanterie
intime : — Donnez la matu à monsieur, lui dil-il,
c'est un ami à papa, et j)apa n'en a pas trop.
ALEXANDRE DUMAS CHEZ LE DUC d'oRLÉANS 37
a — Vous VOUS trompez, Monseigneur, lui dis-
je : tout au contraire des autres princes royaux,
Votre Altesse a des amis et pas de parti.
« Le duc d'Orléans sourit, et, sur un signe de
son père, le comte de Paris me donna sa petite
main, que je baisai. « — Que souhaitez-vous à
mon fils ? me dit alors le prince.
« — D'être roi le plus tard possible, Monsei-
gneur.
« — Vous avez raison, c'est un vilain métier.
« — Ce n'est point pour cela. Monseigneur, re-
pris-je; mais c'est qu'il ne peut être roi qu'à la
mort de Votre Altesse.
« — Oh! je puis mourir maintenant, dit-il avec
cette expression de mélancolie qui revenait si sou-
vent sur son visage et dans sa voix. Avec la mère
qu'il a, il sera élevé comme si j'y étais.
« Puis, étendant la main vers la chambre de la
duchesse, comme s'il eût pu deviner à travers la
muraille la place où elle était :
« — C'est un quine que j'ai gagné à la loterie,
me dit-il.
« Le fait est qu'il était impossible, je crois,
d'avoir à la fois plus de respect, de tendresse, de
vénération et de confiance que le duc d'Orléans
n'en avait pour la duchesse. C'est qu'il avait
retrouvé en elle une partie des hautes qualités
qu'il avait lui-même. Quand il parlait d'elle, et il
en parlait souvent, son bonheur intime débordait
38 LE DUC d'orléans jugé par m. guizot
de son cœur, comme l'eau déborde d'un vase trop
])lein. »
M. Guizot qui en 1842 était ministre écrivait
« Samedi le cercueil du duc d'Orléans quittera
Neuilly pour Xotre-Dame. Dans quelques jours,
quand nous aurons accompli nos tristes cérémo-
nies funèbres, tout reprendra son cours régulier.
Il ne restera que ce qui doit rester bien longtemps:
dans la famille royale, une immense douleur ;
devant nous tous, un vide immense, et le fardeau
qu'il nous impose. »
a C'est qu'il avait, pendant sa vie si courte, a dit
un biographe, parlé à l'àme de la nation, à ses
sentiments élevés, à ses aspirations généreuses,
et c'est l'honneur de la nature humaine, qu'elle
garde, môme dans ses défaillances, la mémoire de
ceux qui ont fait naitre en elle de nobles émotions.
On sentait que ce prince était supérieur à sa
destinée, et que le temps seul lui avait manqué
pour accomplir de grandes choses. S'il avait vécu,
deux révolutions nous auraient été épargnées;
nous n'aurions vu ni les journées de Juin 1848,
ni la Commune de 1871, ni les désastres d'une
guerre témérairement entreprise, et follement
conduite. Que de malheurs évités! que de
pages douloureuses supprimées de noire his-
toire!
« Le peu])lc avait raison de se découvrir triste-
LE TESTAMENT DU DUC d'oRLÉANS 39
ment devant ce cercueil : c'était la fortune de la
France, qui passait ', »
Le duc d'Orléans laissa un testament admira-
ble , où il entrevoit avec un coup d'œil vrai-
ment prophétique les révolutions qui déchireront
un jour la France. Il s'exprimait ainsi :
C'est une grande et difficile tâche que de préparer le
comte de Paris à la destinée qui l'attend ; car personne ne
peut savoir dès à présent ce que sera cet enfant, lorsqu'il
s'agira de reconstituer sur de nouvelles bases une société
qui ne repose aujourd'hui que sur des débris mutilés et
mal assortis de ses organisations précédentes. Mais, que le
comte de Paris soit un de ces instruments brisés avant
qu'ils n'aient servi, ou qu'il devienne l'un des ouvriers de
cette régénération sociale, qu'on n'entrevoit encore qu'à
travers de grands obstacles, et peut-être des flots de sang ;
qu'il soit roi ou qu'il demeure [défenseur inconnu et obscur
d'une cause à laquelle nous appartenons tous, il f^mt qu'il
soit, avant tout, un homme de son temps et de la nation ;
qu'il soit catholique et serviteur passionné, exclusif, de la
France et de la Révolution.
Je suis certain que, tout en restant personnellement
fidèle à ses convictions religieuses, Hélène élèvera scru-
puleusement nos enfants dans la religion de leur père,
dans cette religion qui fut de tous les temps celle que la
France a professée et défendue, et dont le principe est si
parfaitement d'accord avec les idées sociales nouvelles, au
triomphe desquelles mon fils doit se consacrer.
1. Fils de roi, brochure, à la librairie du Moniteur universel.
40 LE TESTAMENT DU DUC d'oRLÉAXS
Un peu plus loin, en parlant de M. le comte de
Paris, il ajoute :
En lui icg-iiant la défense d'un pays et d'un principe me-
nacé, je dois lui léguer en même temps la foi dans leur bon
droit et leur trioni[)lie final. Que ces pensées et ce dévoue-
ment, morts en moi sans avoir été appliqués, germent
dans le cœur de mon fils ; que, dans son affection pour la
France, il sache toujours être son complice et jamais son
gardien ; qu'il ne pense h ses ai eux que pour sentir com-
bien la grandeur de la race ajoute encore à l'étendue de
ces devoirs ; qu'il n'apprenne qu'il est de la première fa-
mille du monde que pour être lier et digne de tenir un
jour dans ses mains les destinées de la cause la plus belle
qui, depuis le christianisme, ait été plaidée devant le genre
humain ; qu'il soit l'apotre de cette cause, et au besoin son
martyr.
L'esprit de parti, prompt à tout dénigrer, n'a
pas compris que lorsque le duc d'Orléans re-
commandait à son fils aîné d'être le « ser-
vilcur exclusif et passionné de la Révolution », il
entendait lui dire de rester imbu de ces idées
modernes, dont le mouvement national de 1789 a
fait la base des monarchies dans presque toute
l'bAirope. Prétendre que le duc d'Orléans donnait
ainsi une approbation publique à 1793, cette san-
glante é])()que de notre histoire, c'est méconnaître
ce prince, si sagement libéral : l'historien imparlial
jugera ainsi ce document, digne en tous points de
celui c(ui l'écrivit.
MS'' le comte de paris au musée de VERSAILLES 41
Le roi Louis-Philippe avait senti s'accroître
sa tendresse pour son petit-fils depuis la catas-
trophe du 13 juillet 1842. 11 aimait à visiter, en
compagnie du jeune prince, le palais de Versailles
qui, depuis peu d'années, avait été entièrement
restauré sous sa haute direction.
« Quel enseignement, en effet, a dit avec raison
un biographe, qu'une visite au musée de Ver-
sailles, lorsque le roi Louis-Philippe conduisait
par la main, dans les longues galeries, ce prince
royal de huit ans , et , après lui avoir montré
Henri IV à Ivry et Louis XIV dans les lignes
devant Valenciennes, l'arrêtait avec complaisance
dans la salle oîi Horace Vernet venait de peindre
en traits immortels les campagnes de la jeune ar-
mée et rhéroïsme de ses chefs. Cet officier debout
dans la tranchée d'Anvers et devant la brèche de
Gonstantine, c'est le duc de Nemours. Cet amiral
à son banc de quart sous le feu des batteries de
Tanger, c'est le prince de Joinville. Ce général de
Aingt-trois ans qui se jette avec une poignée de
cavaliers sur la smala d'Abd-el-Kader, aussi peu-
plée qu'une grande ville et défendue par cinq
mille réguliers, c'est le duc d'Aumale. Et le vieux
roi — le roi de la paix — qui voulait faire de son
petit*fils un prince patriote et non un prince belli-
queux, voyant les yeux de l'enfant briller devant
ces tableaux de batailles, s'empressait de lui dire :
« Souviens-loi que c'est la France qu'il faut aimer
42 ÉDUCATION DE M^'"' LE COMTE DE PABIS
(( par-dessus tout; il faut l'aimer plus que la
« gloire. »
« Le prince est devenu depuis lors l'aîné de la
famille, le chef de la maison royale. Il est digne
de la France, digne du nom qu'il porte, si grand
que soit ce nom; digne des destinées qui l'atlcn-
dent, si hautes qu'elles puissent être*. »
Le roi Louis-Philippe avait cherché avec un
grand soin, parmi les professeurs les plus émi-
nents de l'Université, celui auquel il confierait
l'éducation de M. le comte de Paris et de M. le
duc de Chartres, après la mort de leur père. Le
roi choisit, en 1843, comme professeur des jeunes
princes, le savant M. Adolphe Régnier, qui devint
plus tard membre de l'Institut et mourut, âgé
de quatre-vingts ans (à la fin d'octobre 1884),
bibliothécaire du château de Fontainebleau.
M. Régnier donna à M. le comte de Paris et à
M. le duc de Chartres une éducation solide.
Secondé par l'aptitude merveilleuse de ses
élèves, il réussit complètement dans la tâche déli-
cate que lui avait confiée le roi d'élever un prince
qui pouvait être appelé à gouverner la France.
^jine l^^ duchesse d'Orléans s'exprimait ainsi sur
M. Régnier :
Entre des milliers d'hommes, je n'en aurais trouve
aucun qui sût diriger mon petit Paris avec plus de sagesse
1. Fils de RoL brochure, à la librairie du Mo/iitcur utiiversel.
LETTRES DE M""*^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS 43
et d'affection. Le petit marche, au reste, très bien; son
cœur, son esprit, sa santé, se développent d'une manière
réjouissante Quoique pâle et maigre, Robert n'est plus
malade, mais il est plein de vivacités et de malices.
Pendant une partie de l'été de 1843, M"'" de Bon-
tems qui avait élevé M™" la duchesse d'Orléans,
vint passer quelque temps auprès d'elle, soit à
Neuilly, soit au château d'Eu où l'air de la mer
fortifiait les jeunes princes. C'est à cette époque
qu'elle écrivait les lettres suivantes, qui montrent
bien le caractère de M. le comte de Paris enfant :
10 jiiia.
Les rapports entre M. Régnier et le petit sont excel-
lents. Vous seriez réjouie de voir avec quelle douceur, et
pourtant avec quelle fermeté, il sait prendre l'enfant. Paris
le chérit, et n'ose lui désobéir comme à moi et à M""^ H.
J'attends vraiment d'excellents résultats de ces nouveaux
rapports. Quant à Robert, il est très malheureux d'être
séparé de son frère. Il le demande à tout moment, car il ne
le voit que peu, et il l'aime fort. Il a plus que Paris le
besoin d'être avec d'autres enfants; il s'ennuie quand il
joue seul. Paris se suffit à lui-même, mais il est pourtant
heureux de pouvoir jouer deux heures par jour avec
Robert
18 juin.
Chaque matin, Paris lit avec M. Régnier le Roblnson, qui
prête à beaucoup d'entretiens instructifs. Je lui donne
auparavant une petite leçon d'histoire sacrée qui com-
mence par une prière. Je ne puis dire qu'il soit très atten-
tif, mais il aime cependant beaucoup ces récits.
44 LETTRES DE M"'" LA UUCHESSE b'oRLÉANS
Lors du premier anniversaire de la mort du duc
d'Orléans en 1843, M'"" la duchesse d'Orléans écri-
vait la lettre suivante à M. le comte de Paris :
Je ne suis j)oint auprès de toi, mon cher enfaut, mais je
jiense à toi, et je te demande d'être bien sage aujourd'hui.
Tu sais que ce jour est bien triste pour moi, et pour nous
tous; tu sais que nous sommes tous à Dreux, et que nous
prions Dieu j)our papa. Prie-le aussi de hii donner hi féli-
cite éternelle, et de nous réunir tous, à lui, au ciel.
Quand tu seras plus grand, tu viendras avec nous à
Dreux; tu sais aussi ([u'en grandissant, qu'en devenant
bien sage, tu sauras de belles et touchantes histoires de
papa, qui te donneront toujours plus le désir de lui ressem-
bler.
Adieu, mon cher Paris; embrasse bébé de ma part, et
pense
à TA Mère.
Le 13 juillet 1843.
Trois mois plus tard elle s'ex])rimail ainsi à pro-
pos d'une visite du jeune prince à Versailles oîi
les premiers peintres de l'époque reproduisaient
les grandes scènes historiques de l'histoire de
France :
15 oclobre 18'i3.
Je vais maintenant aussi, de temps en temps, à Versailles
avec Paris, pour lui montrer les tableaux historiques et
graver ainsi de bonne heure dans sa mémoire l'histoire do
la pairie. Cela lui plaît fort; il s'intéresse à tout, et ne voit
rien superliciellement.
ACCIDENT AU TREPORT 45
M""^ la duchesse d'Orléans raconte ainsi le pre-
mier jour de l'an, en 1844 :
IPr janvier 1844.
Nous avons, comme autrefois, terminé l'année chez le
roi, sous le sapin illuminé. Les enfants ont eu une grande
joie de leurs cadeaux; Paris surtout, à la vue d'un petit
cabinet de j)hysiciue et d'autres objets de son goût. Je le
renvoyai bientôt adirés, parce qu'il était tard ; arrivé dans
sa chambre, il prit tranquillement un livre, s'assit et se
mit à lire sans aucune apparence de distraction ni de surex-
citation. Ses joujoux arrivèrent; il n'y jeta pas un coup
d'œil, et dit qu'il voulait d'abord terminer son histoire.
Cela m'a plu; c'est une bonne dis[)Osition.
Un accident qui faillit coûter la vie au roi et à la
famille royale presque tout entière eut lieu, à l'au-
tomne de 1844, à Eu. Le roi, accompagné de la reine,
de la duchesse d'Orléans, de M. le comte de Paris,
du duc de Chartres, du prince de Joinville, du duc
d'Aumale et des jeunes princesses, était allé, en
char à bancs, visiter une batterie d'artillerie, près
du Tréport. Le roi avait fait tirer un coup de
canon au jeune comte de Paris, alors âgé de six ans
et qui avait bravement mis le feu à la pièce. Pour
revenir, il fallait traverser un pont, sur une écluse,
dont les garde-fous étaient à peine visibles. La
reine et la duchesse d'Orléans voulaient des-
cendre ; le roi s'y refuse. Au môme moment, un
coup de canon retentit; les chevaux prennent
peur, trois tombent à l'eau. Heureusement le
46 LETTRES DE M"'" L.V DUCHESSE d'oRLÉAXS
postillon des timoniers parvient à retenir les
chevaux avec un rare sang-froid au moment où ils
allaient franchir le parapet. Le roi et la famille
royale étaient sauvés !
Rien ne peut mieux fiùre connaître l'enfance de
M. le comte de Paris que les lettres de sa mère,
M""" la duchesse d'Orléans. Peu de temps avant
cet accident du Tréport, elle visitait l'exposition
de l'industrie et s'exprimait ainsi :
24 juin 1844.
Je mesure le temps sur le développement des enfants;
ils grandissent, Paris surtout. C'est vraiment un aimable
garçon, grand, rosé, dégagé, et surtout très studieux et
brave; il a nn bon cœur, de la franchise, et avant tout un
zèle très soutenu. Il a été deux fois avec moi à l'Exposi-
tion'; vous pouvez penser quelle résolution pour moi. Je
ne l'aurais jamais fait si l'on n'avait pas tant parlé de la
renfermerle dans laquelle on retient le petit. Il a eu un
énorme succès; les gens l'étouffaient presque de joie; et
quant à lui, il n'a été ni sot, ni timide, mais naturel, et à
son affaire, c'est-à-dire |)lcin d'intérêt j^our ses chères
machines, qui sont toujours sa ])assion. Par bouheiu-, la
louange et l'admiration ne le disposent jias du tout à la
vanité; il n'y prend pas garde. Le petit Robert, qui exami-
nait plus les gens que les machines, était en revanche très
heureux que les gens le regardassent aussi. Il n'a que sail-
lies, bonne humeur et vivacités; parfois je ne sais comment
faire cesser ses petites impertinences; il est trop amusant;
1. L'ICxposiliun s'ohïvail alors au carré ^hu-it,niy, où iiil cons-
Iruil plus liird, en 1855, le Palais de i'iiuluslric.
POPULARITÉ DE M""^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS 47
mais iiialgTe son bon cœur, qui prévient en sa faveur, il
faut pourtant être sévère avec lui
5 juillet 1844.
Paris et Robert ont ensemble leurs petits entretiens,
dans lesquels le caractère de cliacun se produit au grand
jour : l'un, plein de raison et de profondeur; l'autre, d'in-
telligence et de vivacité.
En 1845, la princesse raconte avec quelle joie
elle voit se développer les progrès des deux
enfants; M. le comte de Paris n'avait pas encore sept
ans qu'en revenant de l'ouverture des Chambres,
il voulait donner à son professeur une analyse du
discours du roi qu'il avait écouté avec une grande
attention.
Pendant les années 1846 et 1847, le roi Louis-
Philippe s'occupa beaucoup de l'éducation de
M. le comte de Paris et de son frère, ainsi que
M""" la duchesse d'Orléans, dont Tintelligente
sollicitude faisait l'admiration de tous. On peut
dire que rarement princesse a joui en France
d'une aussi grande popularité dans toutes les
classes de la nation, sans distinction de partis :
elle en recevait la preuve à tout instant. Elever
ses fils comme leur père l'aurait fait lui-môme,
tel était son but; aussi donnait-elle les soins
les plus minutieux à leur santé, à leurs études et
même à leurs jeux : on a pu dire avec raison que
« les circonstances ont servi seulement à manifes-
LA REVOLUTION DE FEVRIER
ter ses grandes qualités ; toujours ce même mé-
lange de délicatesse féminine dans les sentiments,
de fermeté dans l'action, d'exquise sensibilité et
de force sur elle-même qu'elle a montrées en toute
occasion. »
M. le comte de Paris n'avait pas encore dix ans
le 24 février 1848. A onze heures du malin, le roi
étant parti des Tuileries, la cour du palais avait
été évacuée parles troupes, le peuple insurgé était
maitre de la place, la fusillade redoublait. Quand
M™*^ la duchesse d'Orléans vit que le palais des
Tuileries allait être envahi, elle prit par la main
ses deux enfants, traversa les longues galeries
qui la séparaient de son appartement, et, s'arrêtant
dans le salon sous le portrait du duc d'Orléans,
s'écria : « C'est ici qu'il faut mourir!... » Elle fait
ouvrir toutes les portes de ses appartements comme
pour une réception ; les balles seules entraient...
Deux députés viennent la presser de se rendre à
la Chambre. Elle y consent, et parvient, non sans
peine, au Palais-Bourl^on.
M. le duc de Nemours, dont le courage et le
sang-froid ne se démentirent pas un moment, était
auprès de sa belle-sœur, prêt à mouiir pour elle
et pour son neveu M. le comte de Paris. Le général
Bedeau, qui montia ce joui-là la plus complète
incapacité, ne sut pas défendre les abords de la
(Miainbie; la salle des séances fut envaliie, des
coups de feu éclatèrcul. M. de Laiiiai'tine, ce génie
LE DISCOURS DE M. DE LAMARTINE 49
poétique qui, selon une heureuse expression,
changea volontiers l'histoire en roman et la poli-
tiqne en méditations, avait commencé un discours
en faveur de M. le comte de Paris et de la réo-cnce
de M"'' la duchesse d'Orléans; ce fut en fiiveur de
la Répuhlique qu'il le termina, pour la République
à laquelle ni lui ni ses amis ne songeaient deux
heures auparavant. Il faut relire aujourd'hui cet
incroyable amphigouri pour comprendre ce que
l'imprévu peut donner de force à la prose la plus
vulgaire. C'est parce qu'il n'était qu'un poète que
M. de Lamartine a pu succéder au roi Louis-Phi-
lippe, et M. Guvillier-Fleury a eu bien raison de
dire que tout autre y aurait laissé son renom, peut-
être sa vie : M. de Lamartine n'y engageait rien que
des phrases
La duchesse d'Orléans , obligée de quitter le
Palais-Bourbon et séparée un moment de son
jeune fils le duc de Chartres, sauvé par le baron
de l'Espéei, se réfugia à l'hôtel des Invalides.
M"'' la duchesse d'Orléans y resta deux jours, pen-
dant que des amis fidèles essayaient d'organiser la
résistance. Le maréchal Molitor, malade, n'était
pas en état de commander ! « Qu'on donne les
ordres en mon nom, «dit la princesse sans hésiter.
On lui représente que les Invalides sont isolés de
tout secours : « N'importe, s'écrie-t-elle; ce lieu est
1. Père du préfet de Saint-Etienne assassiné en 1871.
4
50 m""^ la duchesse d'orléans aux invalides
])on pour y inouiii-, si nous n'avons pas de lende-
main ; pour y rester, si nous pouvons nous y
défendre... M. le duc de Nemours, réfugié chez
M. Biesta (le futur directeur du Comptoir d'Es-
compte de Paris), ne quitta Paris cjue quand il lui
fut démontré que la garde nationale, désorgani-
sée, ne marcherait pas contre l'émeute. On pres-
sait M""' la duchesse d'Orléans de fuir. Elle re-
poussa toutes les instances, inspirée par le
sentiment de ses devoirs, et sachant bien qu'elle
défendait la cause même de la monarchie et la
souveraineté nationale violentée par l'insurrec-
tion : « Tant qu'il y aura, disait-elle, une seule
personne, une seule, qui soit d'avis de rester, je
resterai. Je liens à la vie de mon fils plus qu'à sa
couronne ; mais si sa mort est nécessaire à la
France, il faut qu'un roi, même un roi de neuf ans,
sache mourir! » Elle refusa de changer de vête-
ments : « Si je dois être arrêtée, je veux être arrêtée
en princesse. » Le jeune prince, se serrant contre
sa mère, répétait : « Je ne veux pas sortir de
France, je ne veux pas quitter mon pays!... »
L'absence devait durer vingt-trois ans!
Il fallut })artir. Paris, conquis par l'émcule, ne
s'appartenait plus. M""' la duchesse d'Orléans se
rendit d'abord à la maison de campagne du
vicomte Léon de Montesquiou à Bligny, près d'Or-
say. Le 26, on lui ramenait M. le duc de Chartres,
allcinl de la grippe, (|ui heureusement n'eut au-
M™^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS A LILLE 51
Cime suite. Le marquis de Mornay et M. Régnier
accompagnaient la princesse et ses enfants.
La pluie avait chassé les passants et empêcha
que la princesse fût reconnue à Versailles. Elle se
rendit à Lille par Saint-Germain, Pontoise, Beau-
vais, passa la nuit suivante à Amiens, et le 28
prit le chemin de fer à Lille. Il fallait y attendre
quatre heures le train pour la Belgique. La
voiture avait été placée sur un truc. La princesse
se fît apporter les journaux qui relataient ce qui se
passait à Paris. Avec cette intelligence sujjérieure
qui la distinguait, la duchesse d'Orléans eut, comme
dans un éclair, la perception nette, vraie, de la situa-
tion à Paris. Elle vit la garde nationale stupéfaite,
mécontente de la proclamation de la République, le
boutiquier comme Touvrier ahuris par le spectacle
ridicule qu'offrait déjà ce gouvernement républi-
cain, qu'un souille populaire devait bientôt renver-
ser... Aussi, dit-elle à ses amis : « La France ne
veut pas de la République. Le 24 Février a été une
surprise, il m'appartient à moi, la mère du prince
royal, en sauvant le pays, en proie à une bande de
factieux, de conserver la couronne à mon fils. Le
général Négrier commande ici la garnison. Je me
fierai à son honneur de soldat, et je vais immédia-
tement avec mes deux fils me rendre à la citadelle.
De là, je ferai un appel au pays : la veuve du duc
d'Orléans sera entendue, j'en ai la confiance abso-
lue ! »
52 ÉNERGIE DE M"'" LA DUCHESSE d'oRLÉANS
Pendant cette scène, M. le comte de Paris, déjà
grave et sérieux, écoutait, non comme un enfant
de dix ans, mais comme un homme : « Ne quittons
pas Lille, » disait-il à sa mère, « allons au milieu
d'un régiment ; je suis sur que les soldats
m'accueilleront comme un de leurs enfants de
troupe! » Mais on se jette aux pieds de la prin-
cesse, on la supplie de renoncera son dessein. On
lui rappelle la fuite de Louis XVI à Varennes, on
évoque les souvenirs de la Terreur, on lui parle
de son fils, Pliéritier du trône, dépôt sacré qu'elle
devait, avant tout, préserver, et quand on lui fait
entrevoir une prison du Temple, avec un autre
Simon peut-être, la duchesse d'Orléans frémit,
mais bientôt elle se redresse, et avec un mâle
courage: « Qu'importe! Dieu nous protégera,
allons ù la citadelle »
On invoque la responsabilité qu'on a assumée de
la sauver, on refuse nettement de la suivre. Deux
heures après, le train partait, et la duchesse
d'Orléans quittait Lille sans avoir vu le général
Négrier...
La France, en ententlani la voix de celte femme
héroïque, aurait-elle secoué la torpeur qui lui
faisait accepter un gouvernement qu'elle subis-
sait, mais dont la grande majorité des Français ne
voulait pas? Dieu seul le sait.
Les émeutiers, pendant la journée du 24 février,
avaient pillé et saccagé le palais des Tuileries,
DÉPART DE FRANCE 53
mais avaient donné une preuve frappante, et de la
grande sympathie dont jouissait M"" la duchesse
d'Orléans, et du souvenir vivant laissé dans le
peuple par M. le duc d'Orléans. Les appartements
de la duchesse d'Orléans avaient été scrupuleuse-
ment respectés an pavillon Marsan. Sa femme de
chambre y pénétra quelques jours après, et, avec
l'aide de quelques amis fidèles, rapporta à M™'' la
duchesse d'Orléans ce qui lui appartenait. La prin-
cesse put conserver ainsi intacts son mobilier, les
portraits, tableaux et autres souvenirs qui étaient
pour elle du plus grand prix en lui rappelant des
jours plus heureux.
En traversant la frontière, Madame la duchesse
d'Orléans fondit en larmes ; M. de Mornay ne
pouvait retenir les siennes : « Nos larmes sont
bien différentes, lui dit-elle, vous pleurez de joie
de nous avoir sauvés, et moi je pleure de douleur
de quitter la France, cette France sur qui j'aj:)-
pelle toutes les bénédictions du ciel ! En quelque
lieu que je meure, qu'elle sache bien que les der-
niers battements de mon cœur seront pour elle... »
« Quand la pensée me vient, que je pourrais ne
jamais revoir la France, disait-elle bien des an-
nées plus tard, je sens que mon cœur éclate. »
La princesse qui avait grand besoin de repos
s'arrêta une nuit à Yerviers , et le lendemain
1" mars, à Cologne. Après quelques semaines
passées à Ems, Madame la duchesse d'Orléans
04 LA LOI D EXIL
se rendit au château cVEisenach, propriété de son
oncle le grand duc de Saxe-Weimar. L'été suivant
(1849), elle quitta rAllemagne pour conduire ses
fils au roi Louis-Philippe et à la reine qui ne les
avaient pas revus depuis la révolution.
Ce fut une grande joie au château de Claremonl
de voir arriver les jeunes princes. On remarqua le
changement qu'un an d'exil avait déjà produit
chez M. le comte de Paris. Les soins intelligents
et. éclairés de la duchesse d'Orléans avaient mviri
l'esprit de son fils aîné, et le roi le constata avec
satisfaction.
Une vive douleur avait atteint tout d'abord les
illustres exilés. Dans leur excessive loyauté les
princes n'avaient pu supposer un instant que la
République les condamnerait au bannissement.
Ils venaient cependant de donner à la France une
grande preuve de désintéressement et d'abnéga-
tion patriotique, en quittant l'Algérie le 3 mars
1848 sans essayer de rentrer en France à la télé
de l'armée qu'ils commandaienl, pour y réialjlir la
monarchie. Ils furent vile et cruellement détrom-
pés. La loi du 2G mai 1848 les bannit du territoire
français.
Les personnes qui composaient jadis la maison
de Madame la duchesse d'Orléans avaient suivi la
princesse en exil, pour la plupart, et la servirent
coiniiic autrefois au [)alais des Tuileries. La mar-
quise de Vins, leclrice de la |)rincesse, et M. de
LA MAISON DE M"^ LA DUCHESSE D ORLÉAIVS 55
Boismilon, ancien précepteur du duc d'Orléans,
l'aidaient de leurs conseils pour l'éducation de ses
fils. La duchesse d'Orléans avait fait venir à Eise-
nach la femme et les deux fils de M. Régnier, qui
furent les émules et les compagnons des jeunes
princes. M. Etienne Allaire secondait M. Régnier,
et plus tard lui succéda. D'anciennes amies de la
princesse, telles que la comtesse d'IIautpoul, la
comtesse Anatole de Montesquiou , la marquise
de Chanaleilles, venaient chaque année passer
quelques mois auprès d'elle. Plus tard, en 1853, la
marquise de Beauvoir vint à Eisenach avec son
mari et son fils, et resta presque constamment
auprès de la princesse jusqu'à sa mort.
Au mois d'avril 1850, la duchesse d'Orléans fit
voir à ses fils Nuremberg, cette ville qui avait été
si chère à son enfance. Elle leur montra les
églises, les belles fontaines, la maison d'Albert
Diirer, comme aussi les fabriques et les usines.
De là elle se rendit à Wurzbourg, Francfort, et
descendit le Rhin pour aller en Angleterre, où M. le
comte de Paris devait faire sa première commu-
nion.
Le premier événement important dans l'exil
fut la première communion de M. le comte de
Paris. « Madame la duchesse d'Orléans avait très
sagement compris combien il importait que le
grand acte qui initie l'enfance à la vie catholique
s'accomplit pour son fils aine avec la publicité la
56 PREMIÈRE COMMUNION DE M""" LE COMTE DE PARIS
plus solennelle. C'était en outre un rendez-vous
tout naturel à donner aux nomlireux amis, qui ne
cherchaient que l'occasion d'apporter le témoi-
gnage de leur dévouement à la famille royale dans
son exil. 11 avait donc été réglé que la cérémonie
aurait lieu à Londres, dans la chapelle française,
avec toute la pompe religieuse que comportaient
le lieu et les circonstances. On ne s'était pas
trompé en comptant sur un nombre considérable
de Français pour assister à cette auguste et tou-
chante solennité. Il faut bien le dire, le vieux roi,
plus que son petit-fils, contribua à Témotion uni-
verselle. 11 avait voulu, ce jour-là, rajeunir et, en
quelque sorte, égayer son costume ordinaire,
mais il n'y eut personne qui ne fût tristement
frappé du contraste de ce vêtement, avec le visage
et la démarche de celui qui le portait. »
Madame la duchesse d'Orléans raconte ainsi
elle-même cette touchante cérémonie ;
A huit lieures, le 20 juillet 1850, nous allâmes avec le roi
et la reine, suivis de toute la famille et des amis fidèles et
nombreux (jui y étaient venus, à la petite chapelle française
de Londres. Paris fut place au pied de l'autel, entre le roi
et moi, devant un jn-ie-Dicu surmonte d'un cierge allumé.
Il portait au bras gauche une écharpe blanche, emblème de
hi pureté. Avant la messe, l'abbé Guelle lui adressa une
l)elle et touchante exhortation; puis la messe fut dite par
l'évêque de Londres, le docteur Wiseman, un prêtre très
honoré par le clergé français. Avant le moment de la corn-
PREMIERE COMMUNION DE M^"^ LE COMTE DE PARIS 5/
iBunion, l'évêque lui dit également quelques paroles fort
belles, puis l'abbé Guelle conduisit ce cher enfant vers
l'autel. Il se mit à genoux, et reçut le corps de son Dieu
avec un resj^ect et un recueillement qui étaient édifiants.
En revenant à son prie-Dieu, il jiassa près du roi qui leva
la main pour le bénir. Puis ce cher enfant se tourna ins-
tinctivement vers moi, et me regarda d'un regard que je
n'oublierai jamais et que rien ne saurait rendre. L'évêque
lui adressa encore une fois la parole ; puis la messe finit,
et nous quittâmes la chapelle, le cœur profondément ému.
Le maintien de Paris fut surprenant pour son âge; la can-
deur et la dignité régnaient dans tout son être; aussi tout
le monde en fut pénétré, non seulement le roi qui lui dit
que c'était l'une des plus belles journées de sa vie, non
seulement la reine et mes frères qui étaient profondément
émus, mais les étrangers, des indifférents, des curieux,
tous étaient frappés de cet enfant si pur, si pieux, si grave
et si simple. Tout le monde pleurait de sympathie et d'at-
tendrissement.
Le pauvre Robert a été i)énétré pendant cette cérémonie.
A deux heures, nous nous retrouvions tous à la chapelle,
excepté le roi, dont la santé exige de grands ménagements.
L'évêque revint encore. On chanta les vêpres ; l'abbé
Guelle fit un discours touchant; puis Paris, au pied de
l'autel, lut à haute voix, de l'accent le plus ferme, le renou-
vellement des vœux du baptême. Enfin nous rentrâmes, le
cœur rempli d'actions de grâces envers ce Dieu qui aime
et bénit les enfants.
« Qui aurait pu, dit un témoin oculaire, contem-
pler sans émotion cette mère, dont les yeux voilés
58 MORT DU ROI LOUIS-PHILIPPE
de larmes s'arrêtaient sur son fils, comme si elle
eût voulu l'envelopper d'un regard d'amour, pen-
dant qu'il était là à genoux, et que tous ses traits
avaient une expression d'humilité et de dévotion?
L'émotion des assistants n'était môme pas étouffée
par les sons de l'orgue. La nourrice du prince
était venue de France tout exprès, ainsi que d'an-
ciens serviteurs ^. »
Les paroles que M^"' Wiseman , alors vicaire
apostolique à Londres, prononça avaient ému le
roi Louis-Philippe, qui conserva de toute la céré-
monie une grave et profonde impression. Le roi
retourna le lendemain à Claremont
« La reine ne se faisait plus d'illusion sur l'élat
du roi. A l'âge où il était, elle ne croyait pas que
la médecine pût rien contre le dépérissement qui
s'opérait en lui chaque jour, et le docteur Gueneau
de Mussy la connaissait trop bien pour l'amuser
par une trompeuse espérance. Elle priait, elle
pleurait devant Dieu; son cœur saignait à l'idée de
ce lien de quarante ans, si fort et si doux, qui allait
se rompre; et si elle ne se fût pas jugée indigne
d'un miracle, elle l'eût demandé au Ciel pour la
conservation de son mari- »
Mais elle eut la consolation qu'elle avait si sou-
vent demandée à Dieu : le roi mourut en chrétien,
le 2G août 1850. Avant d'expiré i', il avait reçu l'ex-
1. Madame la diicliesse d'Orlra/is, pat- M'"<= la mai-cjiiise d'il.
2, Ti'og-noii, Vie de Marie-.imrlic.
UNION DE LA. FAMILLE ROYALE 59
trèine-oiiclion des mains de l'abbé Guelle, eu roi
digne de son nom et de sa race.
Quelques semaines après, le 10 octobre, un
coup non moins douloureux, et peut-être plus
inattendu encore, venait atteindre la famille royale.
La sainte reine des Belges, la princesse Louise
d'Orléans, fille aînée du roi Louis-Philippe, mou-
rait à Ostende, pleurée par les siens et par la Bel-
gique entière, qui conserve encore le souvenir
de ses vertus.
L'union la plus entière avait toujours existé dans
la famille royale. « Après la mort du roi, les amis
de la maison d'Orléans demandèrent qu'en vue de
toute éventualité, la question de régence reçût une
solution immédiate qui, à un moment donné, put
réunir tous les esprits et ne leur laisser nulle
incertitude. M""" la duchesse d'Orléans se prononça
de la façon la plus positive contre la possibilité de
prendre elle-même la régence, et de crainte que
ses raisons, très vivement et très nettement don-
nées, ne laissassent pas une impression assez
durable dans l'esprit de ceux à qui elle parlait,
elle voulut les mettre par écrit et passa plusieurs
heures à dicter un mémoire où elle explique tous
les motifs qui la rendaient impropre, selon elle, à
la régence (la religion était l'un des points indi-
qués). Elle conclut en disant que c'était à la reine
qu'on devait la confier. Ce mémoire existe et
témoigne une fois de plus de son respect pour la
60 LES JEUNES PRINCES A KEHL
reine, comme de la façon élevée dont elle envisa-
geait toutes choses*. »
Rien ne pouvait faire oublier aux jeunes princes
la patrie, ce cher pays de France!
Un peu avant cette époque (1850), on pouvait
voir souvent sur le pont de Kehl, qui rattache
l'Alsace au pays badois, une dame en deuil con-
duisant par la main deux jeunes enfants. Elle fai-
sait là sa promenade quotidienne, et les soldats du
poste badois comme ceux du poste français la
croyaient, les uns une habitante de Kehl, les autres
une habitante de Strasbourg.
Les deux petits garçons couraient devant elle.
Arrivés à la tête du pont, au bureau français, ils
retournaient en arrière en jouant. Mais il arrivait
parfois qu'en approchant de la rive française les
enfants, au lieu de rebrousser chemin, empiétaient
sur le territoire de la France; puis, armés d'une
petite pelle, ils creusaient un trou dans le sol,
emplissaient leur seau, et reportaient triomphale-
ment à leur mère cette terre française. Si on les
eût suivis, on les eût vus verser le contenu du
petit seau dans une caisse spéciale, qui s'em-
plissait peu à peu et qu'on gardait comme un
trésor.
La dame en deuil était une princesse exilée,
M'"" la duchesse d'Orléans. Les deux travailleurs
1. .yfadamc la duc/tcsse d'Orléans, par M""" la iiiarquiso d'il.
TERRE DE FRAXCE ! 61
étaient ses fils, M. le comte de Paris et le duc de
Chartres. Quand la caisse fut pleine, les petits
terrassiers devinrent horticulteurs. L'idée leur
vint dV semer une graine apportée de France. Et
tous les jours ils soignèrent, émondèrent, arro-
sèrent soigneusement leur « plantation ». Quand
ils voyaient leur mère considérer de loin, les
larmes aux yeux, la rive alsacienne, ils cher-
chaient à consoler sa douleur en lui montrant
l'espérance, symbolisée dans la petite graine.
« Si elle pousse, ce sera d'un heureux présage, »
disaient-ils. Et chaque matin, on interrogeait
anxieusement la caisse, on guettait la pousse.
Mais les hasards de l'exil éloignèrent un jour
la mère et les enfants. La graine demeura en terre
française sur la rive allemande du Rhin.
Les années se passèrent. Les enfants devinrent
soldats et se battirent bravement , sous leurs noms
en Amérique, sous des noms d'emprunt pour la
défense de la patrie envahie. L'épée avait rem-
placé la petite pelle de bois.
Un jour, me dit-on, comme l'un des princes,
M. le comte de Paris, passait à Kehl, il voulut
visiter l'ancienne demeure de sa mère. L'hôte
qui eut l'honneur de le recevoir lui dit :
« Croyez-vous aux présages. Monseigneur? »
Le prince sourit.
« Moi, j'y crois, continua l'hôte. Monseigneur
se rappelle-l-il la graine qu'il a semée? Monsei-
62 ÉDUCATION MILITAIRE DE M^'' LE COMTE DE PARIS
gncur disait alors que les dcslinécs de cette petite
graine présageaient les siennes.
— Oui, je me souviens, dit le prince.
— EIi bien! la graine a germe. Elle est devenue
un petit arbre... et cet arbre a donné des fleurs,
précisément l'année même où Votre Altesse a pu
rentrer en France.
— Et maintenant? interrogea le prince.
— Maintenant, Monseigneur va voir le nouveau
présage. »
Et il conduisit le prince dans le jardin. Le petit
arbre présentait son premier fruit.
« Il sera bientôt mûr, Monseigneur, croyez au
présage »
]M""' la duchesse d'Orléans avait tenu à entourer
ses fils, dans cet exil douloureux, de tous ceux
qui pouvaient le mieux les rattacher à la patrie
dont ils étaient séparés. C'étaient le général ïrczel,
ancien ministre de la guerre, le colonel de Mont-
guyon, ancien aide de camp du duc d'Orléans, le
général Drolanvaux, vieil olUcier de Tarmée
d'Afrique, le colonel Ulirich, le capitaine Moihain,
qui envoya sa démission au ministre de la guerre
poui' servir M. le comte de Paris dans son long
exil, et ((ui chaque jour encore maintenant lui ap-
porte le concours éclairé d'un dévouement abso-
lu; enfin le marquis de Beauvoir (père de M. de
lieauvoir, actuellement aupiès de M. le comte
de Paris). Ancien diplomate, gendre du marcjuis
VOYAGES DE VACANCES 03
de Riimigny, M. de Beauvoir était un des plus sûrs
amis de M""' la duchesse d'Orléans. D'un esprit
élevé, il consacra sa vie, pendant tout l'exil, à la
princesse et à ses augustes fils, et jusqu'à son der-
nier jour (1870) leur donna les preuves du plus
complet et du plus ardent dévouement.
Les vacances étaient employées à des voyages
d'instruction, autant que de plaisir. On parcourait
les ports, les grandes cités industrielles ou com-
merçantes de l'Angleterre; on entrait dans les
ateliers, on descendait dans les mines. M. le comte
de Paris demandait sur toutes choses des explica-
tions, que son esprit attentif et sérieux saisissait
vite, et que sa mémoire gardait fidèlement.
Plus tard, les princes, accompagnés d'un des gé-
néraux les plus braves de l'armée d'Afrique,
visitaient les champs de bataille de l'Europe.
Parfois le duc d'Aumalc se joignait à ses neveux,
et leur enseignait, aux lieux mêmes où de grandes
actions de guerre s'étaient accomplies, l'histoire
militaire de la France que personne ne sait et ne
raconte mieux que lui.
Ils virent ainsi Nordlingen et Fribourg, où le
grand Gondé, ayant Turenne pour lieutenant, avait
remporté ses plus belles victoires; Nerwinde et
Fleurus, qui ont vu passer les armées de Louis XIV
et les soldats de la Pvépublique ; les plaines du
Palatinat et de la Bavière, illustrées par les belles
campagnes de Jourdan et de Moreau. Ce que
64 M'^"" LE COMTE DE PARIS ET M. LE DUC DE CHARTRES
les exilés cherchaient surtout dans ces voyages,
c'était le souvenir de la patrie. Repoussés de
ses frontières, et ne pouvant vivre de sa vie, ils
se réfugiaient dans son passé et dans la légende
immortelle de son héroïsme et de sa grandeur.
M. le comte de Paris avait alors quatorze ans.
Grand, élancé, gracieux dans ses mouvements,
posé dans sa tenue, ingénieux dans ses réflexions,
d'un jugement sain, il menait une existence
digne de son nom et telle qu'il convenait à un
jeune homme de son âge. Il aimait, avec son pro-
fesseur, à gravir les montagnes des environs
d'Eisenach, à cueillir et faire sécher des fleurs,
qu'on envoyait ensuite à Paris, pour les faire
classer par son professeur de botanique, M. Ger-
main. Le duc de Chartres, plus jeune de deux
ans, était d'une extrême vivacité. Il se dévelop-
pait heureusement, tant au point de vue de la
volonté qu'à celui de l'intelligence. Ses traits
étaient fins, Tœil bleu et spirituel. Tous deux
témoignaient à leur mère une affection véritable-
ment touchante, et qui était pour elle un grand
adoucissement à l'exil. Si dans l'éducation de M. le
comte de Paris, la duchesse d'Orléans avait tou-
jours devant les yeux le trône de France, où il
pourrait monter un jour, elle sentait aussi certains
avantages de l'exil pour le jeune prince; plus rap-
proché de la vie réelle, il a])prenait mieux à la con-
naître en voyant de plus près des personnes de
LES DÉCRETS DU 22 JANVIER 1852 65
toutes les classes. Jamais princesse, jamais mère
ne sut mieux élever un prince, qui pouvait être
appelé à de hautes destinées.
Après avoir protesté contre les décrets du
22 janvier 1852, qui les dépouillaient de leur for-
tune, et avoir vainement essayé de faire annuler
par les tribunaux les iniques décrets de Louis-
Napoléon Bonaparte, les princes se serrèrent de
plus près, pour ainsi dire, autour de leur mère,
comme autour du centre de leur existence. Ses
vertus et ses malheurs lui mettaient au front une
auréole qui rayonnait sur eux avec un éclat supé-
rieur à celui de la couronne qu'elle avait perdue.
Les décrets du 22 janvier avaient trouvé Ma-
dame la duchesse d'Orléans fort indifférente en
ce qui la concernait elle-même, et elle écrivait à
ce sujet, peu de jours avant leur publication :
Quant à ce qui nous touche, vous savez que nous
sommes, Dieu merci! au-dessus de toute atteinte. On a fait
bien pis en humiliant notre pays et en persécutant nos
amis. La communauté de sacrilices faits à notre chère cause
sei'ait donc fort aisée à accepter, si elle ne nous enlevait
pas la plus grande consolation du moment. Tant que le
décret n'aura pas paru, je vous prie d'user largement des
pouvoirs que je voiis ai donnés; je ne saurais renoncer
tout à fait à la seule joie qui nous reste dans le malheur.
Au printemps de 1853, Madame la duchesse
d'Orléans, qui avait passé Thiver dans le Devon-
shirc, amena ses deux fils à Claremont, pour
5
G6 ACCIDENT EN SUISSE
préparer sous les yeux de la reine, M. le comte
de Paris, au sacrement de confirmation qu'il de-
vait recevoir des mains de M. le cardinal Wise-
man, et jNI. le duc de Chartres, à sa première com-
munion. Un grand nombre d'amis venus de
France apportèrent par leur présence une douce
consolation aux nobles exilés.
Cette année 1853 ne fut pas exempte d'inquié-
tudes pour la famille royale. Madame la duchesse
d'Orléans fit en Suisse une chute de voiture qui,
un moment, mit sa vie en danger, et la reine, qui
avait quitté l'Angleterre pour accourir auprès
d'elle, fut elle-même très malade à Genève.
Ce terrible accident arriva à Madame la duchesse
d'Orléans, au mois d'octobre 18j3. Elle venait de
quitter Genève et Lausanne, se rendant à Fribourg.
Le temps avait été détestable les jours précédents,
et le sol était détrempé par la pluie qui ne cessait
de tomber. Le fils du maître de poste, à Genève,
avait réclamé l'honneur de conduire Son Altesse
Royale, dans une voiture, espèce de Stage anglais,
attelée de cinq chevaux. Dans cette voiture se
trouvaient Madame la duchesse d'Orléans, M""^ de
Vins, sa dame d'honneur, M. le comte de Paris et
le duc de Chartres. Les domestiques étaient der-
rière. Une seconde voiture suivait avec le comte
de Montguyon, et M. Allaire, chargé a cette épo-
que de l'éducation des princes.
Non loin du village d'Oron, un des chevaxu,
ACCIDENT EN SUISSE 07
attelés à la voiture de Madame la duchesse d'Or-
léans, se met à faire des écarts. On crie au cocher
de maintenir ses chevaux, et un vieux domestique
de confiance de la duchesse d'Orléans, Conrad,
monte auprès de lui, pour l'aider à les conduire.
Tout à coup, et malgré les efforts du cocher, la voi-
ture s'approche du torrent qui bordaitla route, s'af-
faisse lentement et tombe, d'une hauteur de
sept pieds environ. Déjà l'eau envahit la voiture.
]\/[mc jg Vins, tombée sur la princesse, l'écrase de
son poids... M. de Montguyon et M. Allaire se
précipitent, et le sauvetage est rapidement opéré,
pendant qu'un cri poussé par M. le comte de Paris
dominait tous les autres : «Sauvez ma mère! ne vous
occupez pas de moi!... » Enfin, les augustes voya-
geurs sont retirés de la voiture, mais Madame la
duchesse d'Orléans a la clavicule brisée, et souffre
horriblement. On la transporte au village d'Oron,
où un habile médecin, le docteur Pellis, lui pro-
digue ses soins. La princesse, entourée de ses deux
fils, qui se multiplient pour soulager ses souf-
frances, se crut un moment perdue; elle s'apprê-
tait à mourir avec un courage et une résignation
admirables, quand Dieu la rendit à l'affection des
siens et de ses fils, pour lesquels sa direction, ses
conseils, étaient si précieux.
M. le comte de Paris, dont le général Trézel,
ancien ministre de la guerre, avait fait l'éducation
militaire, suivit avec une patriotique anxiété les
68 LES PRINCES PENDANT LA. GUERRE DE CRIMEE
phases de la guerre de Grimée (1854-1855). Beau-
coup d'amis du prince étaient tombés sur ces
champs de bataille. Au château d'Eisenach on
faisait de la charpie pour" l'armée française. L'at-
tachement des princes pour la France était tel
qu'ils ne pouvaient en détacher leurs pensées.
M. le comte de Paris suivit avec un ardent inté-
rêt chaque scène de ce drame militaire, et avec un
œil d'envie cette armée française dont il ne lui
était pas permis de partager les dangers et la
gloire. Il connaissait toutes les fortifications de
Sébastopol, et les positions respectives des armées,
comme s'il eût tout vu de ses propres yeux. La
sympathie des jeunes princes pour les souffrances
qui étaient la suite de celte guerre se montra en
toute occasion, et jusque dans les moindres
détails. Le fils du valet de chambre de M. le comte
de Paris était mort devant Sébastopol, et on avait
trouvé dans sa poche un louis d'or, qui avait été
renvoyé à ses parents avec ses habits. La duchesse
d'Orléans fit mettre un anneau à cette pièce, pour
que la mère de ce jeune homme la portât en sou-
venir de son fils, et elle allait souvent voir cette
pauvre femme accablée par la douleur, et à qui les
visites de la princesse et de ses fils apportaient
quelque consolation.
Pendant l'été de l'année 1856, Madame la duchesse
d'Orléans se rendit avec ses fils aux eaux de
Soden, non loin de Francfort. Les médecins ne
VOYAGE EN ITALIE 69
trouvant pas sa santé améliorée, l'engagèrent à
passer l'hiver en Italie. A la fin de septembre, la
princesse quitta l'Allemagne, et au mois d'octobre
visita les lacs de Côme, de Lugano, Majeur, les
iles Borromées, où elle fut reçue par le comte
Giberto Borromeo, qui, avec empressement , fit
visiter aux jeunes princes son superbe palais de
risola-Bella et ses magnifiques terrasses. Après
avoir admiré à Milan et à Gènes les richesses artis-
tiques de ces deux villes, M. le comte de Paris et
M. le duc de Chartres, laissant leur mère dans une
villa près de Sestri, allèrent chasser pendant quel-
ques jours en Sardaigne.
L'hiver se passa bien pour Madame la duchesse
d'Orléans et, en mai 1857, après avoir reçu à Turin
l'accueil le plus empressé, du roi et de la famille
royale, elle se rendit avec ses fils à Eisenach, où
elle séjourna (pour la dernière fois !) quelques
semaines : l'âge avancé de la reine Marie-Amélie
lui faisait un devoir d'être plus habituellement
auprès de Sa Majesté, et elle alla en Angleterre, où
elle occupa dans le bourg de Richemond une mai-
son de campagne, propriété du marquis de Lands-
downe. En une heure elle était à Claremont qu'ha-
bitait la reine, en une demi-heure à Twickenham,
chez le duc d'Aumale.
L'été de 1857 fut un des plus agréables pour la
famille royale depuis 1848. Madame la duchesse
d'Oi léans le sentait avec joie :
70 LETTRE DE M"« LA DUCHESSE d'oRLÉANS
Je sens un bonheur inexprimable, écrivait-elle, en
voyant mes lils se développer selon mon cœur, en les
voyant se fortifier dans le bien, en voyant leurs jeunes
âmes dévelop])er lUie tendresse presque fraternelle, même
paternelle pour moi, j^renant soin de leur mère comme si
elle était confiée à leur sollicitude; et sous ce rapport, ma
mauvaise santé me rend un grand service. L'âge de mon
fils aîné est selon moi le plus charmant de la vie d'un
houîme; il a toute la candeur de la première jeunesse,
toute la droiture de principes non encore froissés, toute la
fraîcheur des impressions; et il y joint cependant une fer-
meté toujours croissante, la réflexion qui supplée à l'ex-
périence, et le désir d'avancer, de se perfectionner tou-
jours. Robert commence aussi, (juoique plus jeune, à
mêler la maturité à la pureté enfantine; et sa nature vive,
véhémente parfois, est modérée par la sagesse qui s'accroît
de jour on jour. Vous me direz : Vous vous aveuglez sur
vos fils. Je vous assure que non; ee n'est pas être aveugle
que de reconnaître les bénédictions que Dieu nous accorde
au milieu des souffrances. Je serai toujours fort exigeante,
et je désire qu'ils atteignent un but fort élevé.
Madame la duchesse d'Orléans éprouvait une joie
bien légitime de voir si bien réussir l'œuvre ù
laquelle elle avait dévoué sa vie.
Je ne peux exprimer le changement qui s'est fait à
l'égard de Paris, disait-elle ; ce n'est plus moi qui le pro-
tège, je me sens i)rotégée par lui; j'almfj à lui voir une
conscience séparée de la mienne. Quand il n'est j)as du
même avis que moi, j'en ai presque de la joie. J'ose le dire,
j'ai pour lui du respect
LA VIE EN ANGLETERRE 71
L'auteur du livre Madame la duchesse d'Orléans
ajoute avec raison : « Elle n'était pas seule à penser
ainsi, et cette déférence qu'obtient à tout âge une
nature droite, profonde et sérieuse, se mêlait déjà
à l'affection si paternelle que le jeune prince inspi-
rait à ses oncles. L'intimité complète des deux frères
rassurait sur leur avenir, quel qu'il dût être. »
Le 24 août 1857, toute la famille royale se trouva
réunie en Angleterre, et Madame la duchesse
d'Orléans donna une fête à toute la jeunesse
rassemblée autour de la reine, pour fêter le dix-
neuvième anniversaire de la naissance du comte
de Paris. Madame la duchesse de Nemours était
seule en proie à une profonde mélancolie. Elle
avait en quelque sorte le pressentiment du mal-
heur qui la menaçait. Le 10 novembre 1857, elle
mourait subitement après avoir mis au monde la
princesse Blanche.
Un voile de deuil était encore une fois étendu
•sur Claremont. L'hiver y fut triste, et le mois de
mai 1858 trouva la reine souffrante et alitée, quand
une catastrophe que rien ne faisait prévoir vint
frapper de nouveau la famille royale.
Quelques amis de France étaient venus en An-
gleterre; parmi eux se trouvait le comte de Mon-
talembert. L'illustre écrivain fut reçu parMadame la
duchesse d'Orléans dans les premiers jours de mai.
Il sortit ému, ravi, et il communiquait avec expan-
sion son enthousiasme pour la princesse quand
72 MORT DE M""'' LA DUCHESSE d'orLÉANS
tout à coup on apprit que Madame la duchesse
d'Orléans était tombée malade. La visite du comte
de Montalembert fui la dernière qu'elle reçut.
Madame la duchesse d'Orléans se mit au lit le
11 mai, et de fréquentes syncopes attestèrent
bientôt l'épuisement de sa nature défaillante.
Le 17, la princesse eut des étouffements qui je-
tèrent une vive inquiétude autour d'elle. Le 18
au malin, quelques minutes après avoir dit d'une
voix faible qu'elle voulait dormir, le docteur
Guéneau de Mussy et la marquise de Beauvoir
entrèrent dans sa chambre et n'y trouvèrent plus
que le silence et l'immobilité de la mort.
On a pu dire avec raison que la mort de Madame
la duchesse d'Orléans laissa ses enfants incon-
solés, et (( le souvenir de cette vertueuse prin-
cesse a toujours été, depuis, comme une lu-
mière éclairant leur vie, et à la lueur de laquelle
ils n'ont jamais cessé de se guider ».
Ce fut une grande épreuve pour ces jeunes
princes, qui restaient orphelins. La reine sentit le
surcroît des devoirs maternels qui lui incom-
baient, et M. le comte de Paris, comme M. le duc
de Chartres, retrouvèrent chez leur aïeule la ten-
dresse et les soins d'une seconde mère.
Les obsèques de Madame la duchesse d'Orléans
curent lieu à Weybridge, et beaucoup de Français
vinrent en Angleterre rendre les derniers dcvoii's
à celle princesse accomplie.
CHAPITRE II
1858-1870
Voy.Tge en Orient de M. le comte de Paris. — Il visite Jérusa-
lem et la Syrie (1860). — Publication en Angleterre du récit
de son voyage. — Campagne d'Amérique ( 1861-1862). — M. le
comte de Paris et le duc de Chartres à l'état-major du
général Mac Clellan. — Siège et prise de Yorktown
(4 avril-4 mai). — Bataille de ^Yilliamsburg (5 mai).
— Bataille de Fair-Oaks (31 mai-le'' juin 1862). — La
retraite des sept jours vers le James River. — Bataille
de Malvern-Hill. — Bataille de Gain's Mill (27 juin).
— Rapports tendus entre le gouvernement américain
et le gouvernement impérial français. — Démission de M. le
comte de Paris et de M. le duc de Chartres. — Retour en
Europe (juillet 1862). — Une lettre de M. le prince de Join-
ville sur les derniers combats des jeunes princes en Améri-
que (fort Monroe, l""»" juillet 1862). — L'opinion du général
Mac Clellan sur les princes pendant la guerre d'Amérique.
Travaux littéraires de INLle comte de Paris en exil : Damas et
le Liban (1861), à Londres, ciiez JefFs ; Une Semaine de Noël
dans le Lancashire [Revue des Deux Mondes, à Paris, numéro
du 1'^'' février 1863, signé X. Raymond); L'Allemagne nou-
velle [Revue des Deux Mondes du l^'' août 1867); L'Eglise
d'Etat et l'Eglise libre d'Irlande (Revue des Deux Mondes du
15 mai 1868). — M. le comte de Paris étudie à Manchester
et dans plusieurs villes d'Angleterre les questions ouvrières.
Son livre : Les Associations ouvrières en Angleterre (Trade's
Unions, 1869). — Publication, par M. le comte de Paris et
M. le duc de Chartres, des Campagnes d'Afrique du duc
d'Orléans. — L'Esprit de con([uête en 1870 [Courrier de la
Gironde des 25, 26, 27, 28 et 29 décembre 1870).
Mariage de I\L le comte de Paris avec la princesse Isabelle de
74 VOYAGE EN ALLEMAGNE
Montpensior (30 mai 1864). — Fêtes ù cette occasion. —
Naissance de S. A. R. madame la princesse Amélie (28 sep-
tembre 1865). — Mort de la reine Marie-Amélie (24 mars
1866). — Voyage de M. le comte de Paris en Espagne (1867).
— Le prince se fixe à York-House. — Naissance de S. A. R.
le duc d'Orléans (6 février 1869). — Lettre des princes
d'Orléans au président de la Chambre des députés (19 juin
1870), — La pétition des princes est repoussée. — Lettre
de M. le comte de Paris au comte de Kératry (4 juillet 1870).
— Lettre de M. le comte de Paris (20 août 1870) au général
comte Uumas. — Les princes d'Orléans pendant la guerre. —
Lettre de M. le comte de Paris au général baron de Chabaud-
Latour (17 janvier 1871).
L'éducation de M. le comte de Paris se continua,
tantôt en Angleterre, tantôt à travers l'Allemagne
qu'il parcourut toute entière et avec un rare esprit
d'observation. 11 dsita aussi avec fruit tous les
petits Etats de la Confédération germanique. Puis
il retourna en Angleterre, où pendant un an il
étudia la chimie avec passion dans le laboratoire
du professeur Hoffmann, à TEcole des Mines de
Londres. En peu de temps, il devint un des élèves
les plus distingués du savant professeur. Il était
parvenu ainsi à l'âge de vingt ans, lorsqu'il eut la
douleur de perdre sa mère, Madame la duchesse
d'Orléans (18 mai 1858).
Il songea alors à suivre son frère à TEcole mili-
taire de Turin; mais sa situation de chef de la Mai-
son d'Orléans aurait pu embarrasser le roi Victor-
Emmanuel (qui allait devenir le beau -père du
prince Napoléon), arrêter peut-être même la cai'-
VOYAGE EN ORIENT 75
rièrc militaire de son frère. M. le comte de Paris
renonça à cette idée; le sacrifice lui parut surtout
pénible pendant la guerre d'Italie, lorsque le duc
de Chartres eut la joie de combattre à côté de l'ar-
mée française.
M. le comte de Paris demeura quelques mois en
Italie, et l'année suivante entreprit avec son
frère et quelques amis un voyage en Orient, visi-
tant la Grèce, Constantinople, Jérusalem, le mont
Sinaï. La caravane était composée des deux jeunes
princes, du marquis de Beauvoir (père du marquis
actuel), du comte Louis de Ségur, de M. Roger de
Scitivaux, du capitaine Morliain et du docteur
Leclère. Le 27 novembre 1859, on s'embarqua à
Trieste pour Alexandrie, où la plus grande et la plus
généreuse hospitalité fut offerte par Saïd-Pacha aux
petits-fils du roi Louis-Philippe, auquel la famille
de Méhémet-Ali doit l'hérédité de son trône.
En traversant les eaux de la Grèce, tout impré-
gné encore en quelque sorte de ses souvenirs clas-
siques, M, le comte de Paris avait éprouvé une
réelle émotion à la vue de ces ruines, de ces mon-
tagnes et de ces plaines qu'avait chantées Homère.
Il avait adressé alors à son vieux professeur,
M. Régnier, la charmante lettre suivante qui montre
bien son enthousiasme :
Golfo de Patras, le 30 novembre 1859.
Je ne puis, mon cher Monsieur Régnier, passer devant
le royaume du vieil Ulysse sans vous en donner des nou-
76 LETTRE DE M""" LE COMTE DE PARIS
velles. Vous voyez que je vais au delà de mes promesses;
mais nous avons si souvent paixouru avec le héros d'Ho-
mère cet archipel qui s'étend aujourd'hui, réellement,
devant moi, qu'il me semhle être pour moi un pays de con-
naissance; et si je venais à rencontrer la déesse aux yeux
bleus, elle ne pourrait pas, du moins, m'adresser le même
reproche qu'à son protégé :
El ôri Tr.vSe t£ yacav aveipsai.
Nous débouchons du canal de Céphalonie dans le golfe
de Patras; à quelques centaines de mètres, à notre gauche,
se dressent les pentes abruptes d'Ithaque; quelques arêtes
irrégulières réunies par des isthmes forment cette île, à
qui le surnom d'alyîêoxo; convient parfaitement; il serait
impossible, je crois, d'y trouver un pouce de terre de
niveau, et, comme dit Homère, aucune île ne se prête
moins qu'elle à l'élève des chevaux. Partout des rochers
gris, parsemés de taches rougeâtres ; çà et là, de rares oli-
viers au pâle feuillage; nulle forêt, nulle verdure : tel est le
rocher qu'a célébré le chantre divin.
Malgré son aspect désolé, nous l'avons salué avec plai-
sir : que ne peuvent de grands souvenirs pour animer les
plus tristes plages! Ici, peut-être, Ulysse endormi fut
déposé par les Phéaciens ; là, peut-être, se dressait la
demeure qu'il inonda du sang des prétendants. Et si rien
ne rappelle à nos yeux ces souvenirs dont notre esprit est
plein, du moins aucun contraste ne les blesse et n'entrave
le cours de notre imagination. Si nous n'apercevons nulle
part le berger Eumée, appuyé sur son long bâton, nous
pouvons cependant parLoul nous atlciulrc à le rencontrer.
LETTRE DE M^''' LE COMTE DE PARIS 77
Aucune civilisation nouvelle n'est venue effacer les traces
de ces mœurs primitives.
Aussi, n'est-ce pas un riant paysage que nous pouvons
chercher ici. Le caractère de celui-ci et ses belles propor-
tions s'adaptent parfaitement aux grandes scènes qu'il nous
rappelle. La mer profonde et tranquille, découpée en mille
canaux, enveloppe des îles, des rochers, des caps, dont les
formes hardies et les couleurs brûlées contrastent avec son
bleu d'azur. Malgré sa pureté et sa transparence, le ciel a
cette teinte douce et harmonieuse qui inspira le génie des
Grecs. La vaste nappe d'eau que l'on appelle le golfe de
Patras est fermée, à droite, par les montagnes brumeuses
de Céphalonie (àîei S'ojjLépoi; sy^zi) que prolonge au loin le
profil indistinct de celles de Zante; à gauche, le continent
grec, où s'ouvre une large brèche, le golfe de Corinthe :
c'est par là qu'on va à Athènes! Au delà, nous apercevons
les pics élevés du Péloponèse ; ils sont séparés de la mer
par une plage large et basse : c'est l'Elide; nous y cher-
chons le fleuve Alphée, nous y plaçons déjà les jeux Olym-
piens.
^Lais le soleil va bientôt descendre dans les bras de
Téthys, pour nous servir des expressions consacrées ; et
avec lui nous dirons adieu aux côtes de Grèce. Que d'im-
l)ressions durables cependant l'on peut recueillir en quel-
ques heures! et les souvenirs qu'elle a réveillés ne s'éva-
nouiront certainement pas aussi rapidement que cette bril-
lante apparition.
Une autre fois, je vous parlerai de l'Egypte ; comme je
mettrai cette lettre à la poste à Alexandrie, elle vous annon-
cera que nous y sommes arrivés en bonne santé.
Tout à vous !
Louis-Philippe d'Ouléans.
78 JÉRUSALEM, D.IERASH, PALMYRE
Après un séjour de quatre mois en Egypte, les
voyageurs se rendirent à Jérusalem pour y assister
aux cérémonies de la semaine sainte; de là ils allè-
rent visiter les ruines de Djerash, de Palmyre, le
très curieux couvent du mont Sinaï, le mont Horeb
où Moïse reçut la parole de Dieu pendant que les
Israélites étaient campés au pied de la montagne,
et, après avoir examiné les travaux du canal de
Suez, ils revinrent par Gonstantinople, en Europe.
Un des voyageurs, M. Louis de Ségur, publia
dans la Revue des Deux Mondes \ le récit de la
partie du voyage consacrée aux ruines de Djerash,
à Palmyre et au mont Sinaï. J'y renvoie le lecteur
qui lira avec grand plaisir une narration fidèle et
très intéressante de cette partie du voyage de M. le
comte de Paris et de M. le duc de Chartres, mais
on remarquera qu'en 1861 la liberté était telle en
France, que la Revue des Deux Mondes osa'il timi-
dement désigner les deux princes sans imprimer
jamais ni le nom de M. le comte de Paris, ni celui
de M. le duc de Chartres !...
M. de Ségur raconte ainsi leur visite aucouvcnl
du mont Sinaï, construit du cinquième au sixième
siècle par Justinien, qui y avait élevé une cita-
delle, ce qui donna, par la suite, une certaine
imporlancc à ce monastère :
1. U/ie Cara^'anc française en Syrie au pii/itr/)ii>s de 1860, par
le coiiile Louis de Ségur. Revue des Deux Mondes des 1'' mai cl
1" octobre 18G1.
COUVENT DU MONT SINAÏ 79
« . . . . Ali sortir de la Ijibliolhèque, nous
nous trouvâmes au milieu de Tentassement des
bâtiments du monastère. On s'étonne d'y voir
une mosquée; elle fut bâtie au temps de Sélim; ce
subterfuge sauva le couvent de l'invasion musul-
mane : à l'aspect du croissant les hordes s'arrê-
tèrent. En souvenir de cet événement on ne le dé-
truit pas. « Toujours, nous dirent les Pères, la pro-
(( tection de Dieu s'est étendue sur le couvent
« malgré les persécutions et le martyre de près
« de sept mille cénobites; jamais les richesses ne
« furent pillées, jamais l'église ni le sanctuaire
« du buisson ardent, de Moïse , ne furent vio-
« lés. ))
c( Aujourd'hui les religieux n'ont rien à craindre.
Un revenu de 3 millions de piastres en Roumélie,
de grandes terres en Egypte, les présents des sou-
verains de religion grecque, les rendent riches et
puissants, et toute la.péninsule leur appartient, au
moins nominalement. Cette possession date de
Mahomet. Le prophète n'avait pas encore soumis
l'Arabie à sa croyance et à ses lois, lorsqu'il vint
à la montagne de Moïse pour vénérer la mémoire
de ce patriarche. Il y reçut des moines un accueil
hospitalier, et leur témoigna sa reconnaissance.
« Si vous devenez puissant, dirent-ils, que nous
« donnerez-vous? » Mahomet noircit sa main, et
frappa de son empreinte une peau de gazelle en
s'écriant : « Je vous donne tout ce que vous de-
80 LÉGENDE DE MAHOMET AU SINAÏ
« manderez dans celte peau. » L'imposition de la
main tenait lieu de signature. Les religieux tra-
cèrent sur le blanc-seing ces mots : « la péninsule
« du Sinaï. » Ce singulier titre de propriété est à
Constantinople, et, exemple unique dans les cou-
vents chrétiens, le souvenir du prophète est resté
cher aux moines.
« 11 y a, au Sinaï, vingt-quatre pères et près de
soixante-dix frères servants, sans compter un mil-
lier de serfs musulmans, vivant à la manière des
Arabes dans la montai>-ne. Ces serfs sont d'orio-ine
chrétienne; ils descendent de familles valaques
et égyptiennes envoyées par l'empereur Juslinien
pour servir le monastère. »
M. de Ségur raconte ensuite que le moine qui
les guidait leur montra la rocha que Moïse frappa
de sa verge : « Voyez ces bouches béantes dans la
pierre : par là l'eau s'échappait. Elle ne coule
plus, nos péchés en sont la cause...))
« Pour avoir quelques notions sur l'histoire de
la péninsule du Sinaï, il faut comparer les travaux
de l'antiquilé et ceux des savants modernes. L'é-
clat de l'Exode relègue dans l'ombre les temps
iintérieurs et postérieurs à cet épisode de la 13ible.
11 paraît cependant qu'avant la venue des Hébreux,
le Sinaï était vénéré, et nommé la montagne de
Dieu par les Amaléciles. On attribuait à ces som-
bres rochers les honneurs de la présence divine;
AVANT-PROPOS DE « DAMAS ET LE LIBAN » 81
on n'osait les gravir, les nomades même, selon
l'historien Josèphe, évitaient les pâturages des
vallées qu'ils dominaient... »
M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres,
en parcourant la Syrie, avaient été singulièrement
frappés des souvenirs et des sympathies que le
nom de la France éveillait alors dans ces contrées.
M. le comte de Paris consigna le résultat de ses
observations dans un volume intitulé : Damas et le
Liban, qui parut à Londres, chez JefTs, en 1861^.
Le hasard seul, dit l'auteur dans son avant-pro-
pos (mai 1861), Pavait amené en Orient.
Ne pouvant apprendre autrement à connaître son pays,
auquel il est tout dévoué, il allait chercher jusqu'au fond de
l'Orient tout ce qui pouvait lui rappeler les antiques gloires
de la France, lui faire apprécier son influence actuelle, et
pressentir sur quelle base elle doit appuyer sa politique
future. Grâce à son nom et aux souvenirs de sa famille, il a
pu être reçu par les populations chrétiennes de manière à
connaître toute l'étendue de la sympathie qu'elles portent à
hi France et de la confiance qu'elles placent dans son appui.
En racontant son voyage, M. le comte de Paris
s'exprime ainsi :
Le contraste avec la civilisation euro-
péenne qui commence à envahir Damas rend encore plus
frappant l'affaiblissement de la société musulmane.
1. Se trouve à Paris chez Sautoii, libraire.
a^ LES LAZARISTES EN SYRIE
Un singulier hasard a résumé pour nous ce contraste
dans la personne de deux hommes qui représentent bien
l'esprit de ces deux sociétés aujourd'hui en présence. Un
matin, nous visitions la maison des Lazaristes, et le soir
même nous recevions la visite du Grand Uléma.
Les Lazaristes ont fondé à Damas une véritable colonie,
et le Père Leroy, qui en est l'âme, nous en fait les hon-
neurs avec cette satisfixction simple et modeste que les
hommes énergiques éprouvent lorsqu'ils ont accompli une
œuvre difficile. Il a consacré sa vie entière, toutes ses fa-
cultés, au succès des missions françaises d'Egypte et de
Syrie, à la tête desquelles il se trouve aujourd'hui; et, dans
un pays saus ressources, il a su faire tous les métiers,
comme un vrai soldat français, suppléant lui seul aux né-
cessités diverses de son entreprise. Il y a longtemps déjà,
un pacha lui refusait la permission de bâtir une église ;
loin de se décourager, il amassait aussitôt des planches
dans sa maison, les faisait préparer secrètement, et, dans
une nuit, dressait au milieu de sa cour la petite chapelle
en bois qui sert encore à la communauté. Aujourd'hui, il en
construit une plus grande et plus solide ; il est devenu ar-
chitecte, maçon et tailleur de j)ierres, et déjà le cintre de
sa nouvelle porte d'entrée excite l'admiration des Damas-
quins, les plus mauvais constructeurs du monde. Persé-
vérant dans les grandes choses comme dans les })etites, il a
fini par réunir ici toutes les institutions de rOccident que
l'on peut regarder comme les plus utiles à riiumaiiité, et
dont l'Orient est aussi ignorant que <les ressources usuelles
de la vie européenne, tandis que quelques prêtres de la
mission de Damas tiennent une école de près de trois cents
élèves, et loni- donnciil une éducation bien supéi'icure au
LES SŒURS DE SAINT-VINCENT DE PAUL F3
niveau général de l'instruction dans le pays, tandis qu'ils
parcourent les villages catholiques pour y prêcher et y ré-
pandre nos lumières, et qu'ils suppléent, en un mot, par-
tout à l'ignorance du clergé indigène; les sœurs de Saint-
Vincent de Paul se sont établies auprès d'eux pour établir
une œuvre tout aussi grande, et partagent leur temps entre
l'éducation des filles et le soin des malades. Est-il besoin
de dire la popularité qu'elles se sont acquise en quelques
années? Le dispensaire, où elles assistent le médecin sani-
taire français, ne peut plus suffire aux milliers de malades
de toutes les classes qui viennent s'y faire soigner; et leurs
écoles comptent près de deux cents élèves, dont la vive
intelligence leur doit de ne pas rester inculte et qu'elles
aiment à faire briller aux yeux de leurs compatriotes. Nous
en avons eu la preuve dans le proverbe français qu'elles
leur ont fait réciter devant nous; petite scène à laquelle
leurs brillants costumes et leur accent encore un peu orien-
tal donnaient un caractère tout particulier.
J'ai quitté le Père Leroy tout étonné d'avoir enlin ren-
contré en Syrie quelque chose qui fût en progrès, admi-
rant ce qu'une volonté tenace et intelligente peut faire
avec les plus modiques ressources, et tout pénétré de la
puissance de notre civilisation qui trouve de tels hommes
pour se dévouer à sa cause. J'étais fier de voir le nom
français si bien porté, et heureux d'avoir retrouvé au
milieu des sociétés dégradées de l'Orient cette belle insti-
tution des Sœurs de Charité, qui rappelle l'un des plus
grands bienfaits que l'humanité doive au christianisme, la
réhabilitation de la femme.
Mais un spectacle bien différent nous attendait à notre
retour au camj). A peine y sommes-nous rentrés qu'on
84 VISITE DU GRAND ULEMA AUX PRINCES
nous annonce l'arrivée d'Abdallah El Ilalebi, le Grand
Uléma.
Comment celui qui est chargé d'expliquer les paroles
du Prophète à la population fanatique de la Ville Sainte
venait-il rendre visite à des infidèles ? C'est ce que nous
ne pouvions comprendre. Pour résoudre ce problème,
nous couimençons par faire asseoir Abdallah sous notre
tente. Véritable Oriental, il est à la fois salement et riche-
ment habillé : tandis que ses pieds nus sont chaussés
de mauvaises babouches, il porte plusieurs robes brodées
des couleurs les plus vives. Je ne j)uis comparer son vaste
turban, enveloppé d'une pièce de brocart d'or serrée sur
les tempes, qu'à une citrouille dans laquelle il aurait en-
foncé la tête jusqu'aux oreilles. Chaque fois qu'il prononce
le nom d'Allah, par respect il enlève des deux mains tout
cet attirail, et découvre un crâne rasé et pointu, digne de
Ho-urer chez un plirénologue, et les jirières inintelligibles
dont il coupe son discours lui donnant un air insj)iré aux
yeux des dévots musulmans.
Une heure se passe, la conversation est tombée, mais le
saint homme ne fait pas mine de s'en aller.
« Je vous ennuie bien, j'ai eu tort, nous dit-il, de venir,
de temps à autre ; » à quoi nous répondons, avec la pompe
et la véracité orientales, que nous sonniies enchantés de
l)asser la journée avec lui. « Moi, pauvre serviteur de
Dieu, rcprcnd-il, je ne sors jamais de chez moi, mais
d'autres m'ont engagé à venir vous voir. Savcz-vous pour-
(pioi l'on m'a dit de venir? » Ht nous, ne comprenant
rien encore à ce manège, de protester que nous ne le sa-
vons pas, mais que le plaisir de le voir nous sufht bien.
« Mais (pie dlrai-je aux personnes qui m'ont conseillé de
MARONITES ET DRUSES 85
venir? Les fils de roi m'ont donné de la limonade, ils
m'ont donné la pipe et le café. INIais que pourrai-je mon-
trer comme preuve de leur bon vouloir? que rapporte-
rai-je de ma visite? Je suis allé une fois chez un milord,
et il m'a donné cette belle robe. Oh ! quel bon milord !.. »
Nous y sommes donc enfin, et tout maintenant s'explique
aisément : sachant notre désir de voir la grande mosquée,
il avait trouvé plus prudent de venir recueillir d'avance
le batclnch que cette visite devait lui valoir. Inutile de
dire que nous le renvoyons satisfait
En arrivant à Tripoli, M. le comlc de Paris et le
duc de Chartres avaient appris que la guerre et les
massacres ensanglantaient toute la Syrie. Tandis
que les princes voyageaient dans le désert de Pal-
myre, n'entendant parler que de l'antique querelle
des Bédouins de PEuphrate et de POronte, le feu
de la guerre civile éclatait de toutes parts. Ils ga-
gnèrent Beyrouth néanmoins, par terre, en tra-
versant une partie des montagnes du Liban habi-
tées par les Maronites. Le prince fait dans son livre
une description des plus intéressantes de la vie
des Maronites, de leurs mœurs, et montre le rôle
que ce peuple, dont toutes les sympathies sont
pour l'Européen, et surtout lé Français, pourrait
jouer un jour. M. le comte de Paris retrace ensuite
l'inqualifiable apathie et souvent la connivence
des autorités turques avec les Druses lors du mas-
sacre des chrétiens de Syrie. 11 termine en signa-
lant la grande lâche de l'Europe, et principalement
86 RETOUR EN EUROPE
de la France, pour assurer à la Syrie la paix et la
sécurité.
Nous ne saurions trop engager ceux de nos lec-
teurs qui voudraient avoir un aperçu de la Syrie
au moment des massacres de 1860, à lire ces
pages écrites avec la verve et l'entrain d'un jeune
prince de vingt-deux ans. On y trouve un esprit
avide de tout voir, de tout connaître, et qui laisse
percer volontiers sa joie lorsque la sympathie des
populations de ces lointaines contrées se mani-
feste envers la France.
De retour en Europe, c'est à Vienne que les
princes quittèrent presque tous les amis qui les
avaient accompagnés dans ce long et intéressant
voyage de dix mois, qui n'avait pas été sans émo-
tions, car aux ruines de Palmyre les soins assidus
et dévoués du docteur Leclère avaient préservé
la vie de M. le comte de Paris, un moment en dan-
ger, presque sans secours et sans médicaments au
milieu du désert... « Pour les princes, hélas! dit
M. de Ségur, aux jours de voyage allaient succé-
der les jours d'exil !... » pour leurs amis en France,
de nouvelles persécutions.
Après leur voyagé en Orient, les jeunes princes
s'étaient donc rendus en Amérique avec leur
oncle le prince de Joinville. Le 30 août 1861, ils
s'étaient embarqués pour New-York. Les Etats-
Unis étaient alors dans tout le l'eu de la guerre
de sécession.
DÉPART POUR l'aMÈRIQUE 87
Une lutte terriJDle avait éclaté en Amérique,
après l'élection d'Abraham Lincoln à la présidence
des États-Unis (9 novembre 1860). Un certain
nombre d'États des provinces du Sud demandèrent
à se retirer de la Confédération. La majorité étant
assurée à ceux qui voulaient l'abolition de l'escla-
vage, et sur le refus du président et de la législa-
ture réunie à Washington, de les laisser accom-
plir leur séparation, ils attaquèrent le fort Summer.
Lincoln répondit à cette déclarai ion de guerre par
un premier appel de 75,000 hommes de milices,
par le blocus des ports de la Caroline du Nord et
de la Virginie (27 avril 1861), enfin le 4 mai par un
nouvel appel de 42,000 volontaires, 22,000 régu-
liers et 18,000 marins. Toutefois on ne tarda pas à
reconnaître que ces forces seraient bien insuffi-
santes pour venir à bout des rebelles, et, par un
message du 5 juillet 1861, le président Lincoln
demanda au Congrès de Washington, réuni dans
une session extraordinaire, qu'on résistât énergi-
quement aux prétentions des États du Sud, et
qu'on mit sur pied une armée de400, 000 hommes.
Le 10 du même mois, le Congrès vota la mise sur
pied d'une armée de 500,000 hommes, ainsi qu'un
emprunt de 500 millions de dollars, pour soutenir
la lutte contre les Élals séparatistes.
Le commandement des troupes unionistes au-
tour de la capitale fédérée fut confié au général
Mac Clellan, dont l'armée prit le nom d'armée du
88 LES JEUNES PRINCES AUX ETATS-UNIS
Potomac. La guerre commença pour les fédéraux
par une suite de revers, et, le 16 août, le prési-
dent Lincoln publiait une proclamation par la-
quelle il déclarait les habitants de la Géorgie, de
la Caroline du Sud, de la Virginie, à l'exception
de la partie située à l'ouest des Aléghanys, de la
Caroline du Nord, du Tennessee, de l'Alabama,
de la Louisiane, du Texas, de l'Arkansas, du Mis-
sissipi et de la Floride, en état d'insurrection
contre les Etats-Unis ; il interdisait toute relation
de commerce avec eux, et ordonnait la confisca-
tion de toutes les marchandises et effets qui passe-
raient de l'un de ces Etats dans les autres parties
de l'Union. C'est à ce moment critique que les deux
jeunes princes d'Orléans mirent leur épée au ser-
vice des États-Unis.
En venant en Amérique, M. le comte de Paris et le
duc de Chartres ne comptaient y rester que quel-
ques mois; mais ces jeunes princes, remplis d'ar-
deur et de courage, brûlaient du désir de prendre
part à cette guerre. Pour M. le comte de Paris sur-
tout, l'occasion était séduisante. Il reo^rettait vive-
ment de n'avoir pu, comme son frère, faire la cam-
pagne d'Italie. Il trouvait en Amérique une occasion
d'apprendre le métier des armes, en même temps
c'était une grande joie pour les deux frères (|ue
de servir ensemble dans l'armée fédérale.
« Leur démarche, a dit un biographe, élaitinspi-
rée surtout par le désir de ne pas laisser échapper
M'"" LE COMTE DE PARIS AIDE DE CAMP DE MAC CLELLAN 89
une occasion d'aller au feu ; mais comme elle
était en même temps une marque de sympathie
pour la grande République américaine, elle ne
pouvait être que bien accueillie par le président
Lincoln et par le secrétaire d'Etat, M. Seward.
L'entrée des deux princes dans l'armée améri-
caine fut rendue facile par M. Seward, qui eut soin
de leur dire qu'aucun serment ne leur serait de-
mandé, et qu'ils seraient toujours -libres de re-
tourner en Europe quand ils le voudraient. Ceci
élait fort important : les complications de la
politique pouvaient amener telle situation dans
laquelle les intérêts de la République américaine
seraient ou paraîtraient en opposition avec ceux de
la France. Dans cette éventualité les deux princes
n'auraient pu rester sous le drapeau fédéral. »
Le 28 septembre 1861, ils entrèrent l'un et l'autre
dans les troupes fédérales comme capitaines
d'état-major, et aides de camp du général Mac
Glellan, commandant en chef Tarmée du Potomac.
Lorsque le l"'" novembre ce général remplaça le
général Scott dans le commandement en chef de
l'armée des Etats-Unis, ils restèrent auprès de
lui pendant qu'il s'occupait de l'organisation de
ses forces et exerçait ses troupes par de fréquen-
tes manœuvres. M. le comte de Paris et le duc de
Chartres étudièrent le grand art de la guerre sous
ce général qui avait la réputation d'être un des
militaires les plus instruits de l'Amérique.
00 SIÈGE ET PRISE DE YORKTOAVN
Les premières opérations militaires du nouveau
généralissime ne commencèrent qu'en avril 1862,
par le débarquement de l'armée du Potomac au
fort de Monroë, dans la péninsule de la Virginie,
en vue de l'attaque de Richmond, la capitale
ennemie ; Yorktown, jadis célèbre par la capitu-
lation de Gornwallis, fut la première place
attaquée, et l'ouverture de la tranchée y eut
lieu le 4 avril. Les communications de la place
avec l'intérieur étaient assurées par des retran-
chements établis sur la péninsule qui la sépa-
rait de la terre ferme, et qu'on ne put empor-
ter pour asseoir l'investissement complet. Il fallut
se borner à l'attaque régulière de l'un des fronts,
et le siège auquel M. le comte de Paris prit une part
active dura un mois'. Le 4 mai, la garnison éva-
cuait la place et rejoignait l'armée confédérée, qui,
dès le 6, était attaquée, battue près de Williiuns-
burg après un combat acharné , et poursuivie
vigoureusement par la cavalerie du général Sto-
neman, auprès duquel le prince avait été détaché.
Le général Mac Glellan entrait le même jour en
vainqueur dans Williamsburg et arrivait quinze
jours après devant Richmond.
AL le comte de Paris et le duc de Chartres avaient
pris part le 31 nuii et le l""" juin à la sanglante
bataille de Fair-Oaks et aux principales opé-
1. Voir Appendice IV : LeLLie de Mb'"- le comte de l'aris siir
le rôle de l'arLillerie au siège de Yorklowii (18G2).
BATAILLES DE FAIR-OAKS ET DE GAIn"'s MILL 91
râlions qui marquèrent pendant ce dernier mois
la campagne de Mac Clellan contre Rich-
mond, particulièrement à la grande bataille de
Gain's Mill le 27 juin, où l'aile droite de Mac
Clellan fut écrasée par le général Lee, après avoir
soutenu une lutte obstinée et éprouvé des pertes
considérables.
A cette bataille, le régiment au milieu duquel
se trouvait M. le comte de Paris était décimé par
la mitraille, qui pleuvait de tous côtés. Les sol-
dats du Nord pliaient et commençaient une retraite
qui, quelques minutes plus tard, allait se trans-
former en déroute. Avec un calme et un sang-froid
digne de sa race, M. le comte de Paris rallie ses
hommes, leur parle, relève leur courage, et fina-
lement les ramène au feu : cette fermeté, cette
mâle assurance devant le danger, avait causé la
plus vive impression à l'état-major du général
Mac Clellan, qui suivait avec anxiété les péripé-
ties de la lutte.
Un peu plus tard, dans des combats épisodi-
ques dont on ne parla même pas dans les jour-
naux, M. le comte de Paris et le duc de Chartres
durent se jeter le sabre à la main dans la mêlée,
et les régiments au milieu desquels ils étaient
purent, par des charges heureuses, maintenir
leurs positions.
Les travaux d'investissement de Richmond
n'étaient pas terminés vers la droite, lorsque le
92 RETRAITE DES SEPT JOURS
15 juin les confédérés, ayant concentré toutes leurs
forces sous les ordres du général Lee, entrepri-
rent une attaque tournante qui avait pour but de
cerner les troupes fédérales. Afin d'éviter ce
danger, le général Mac Clellan résolut de battre
en retraite vers le James River. Cette retraite ne
pouvait être effectuée que par une longue marche
de flanc en face d'un ennemi que les avantages de
sa position rendaient plus fort. C'est ce qu'on
appelle dans l'histoire de la guerre de sécession
les sept journées de Richmond, parce que cette
magnifique et habile retraite, commencée le
25 juin, ne se termina que le P'" juillet par la
bataille de Malvern-Hill , après laquelle les
Unionistes, commandés par Mac Clellan, prirent
position à Harrison's Landing, sur le James
River.
Pendant toute cette campagne et surtout pendant
la retraite de Chickahominy jusqu'au James River,
les deux jeunes princes d'Orléans se firent remar-
quer par leur courage et par leur intelligence
des choses de la guerre. C'est ce que constate
une correspondance adressée de New- York au
Times^ et répétée par V Indépendance belge'-.
(( Traversant au galop le pont d'Albemarle jeté
sur le Chickahominy, dit le correspondant du
journal anglais, je gagnai le sommet des collines
1. Numéro du 22 juillet 1862.
2. Numéro du 24 juillet 1862.
M'"" LE COMTE DE PARIS AU COMBAT 93
qui lui font face. Au-dessous de moi, et au fond
de la vallée, j'aperçus la ligne de bataille, forte de
35,000 hommes, et qui s'étendait sur un mille et demi
de longueur. 11 me fut facile de me rendre compte
de tous les mouvements du corps d'armée, et de
distinguer aussi ceux des officiers qui m'étaient
particulièrement connus, entre autres le jeune
comte de Paris, et son frère le duc de Chartres.
Un chapeau de forme particulière, semblable à
celui que portait jadis un de ses ancêtres, Henri JV,
faisait reconnaître le comte de Paris. Pendant
toute la durée de l'action, ces jeunes princes firent
preuve d'un courage admirable qui ne se dé-
mentit pas dans les eflorts surhumains faits ensuite
par eux pour conjurer le désordre de la retraite.
Le comte de Paris était attaché à l'état-major du
général Porter. Pendant plus de quatre heures,
il demeura exposé au feule plus meurtrier, et c'est
un vrai miracle qu'il n'ait pas été atteint. Le duc
de Chartres avait marché aux premières lignes
avec une division que Mac Clellan avait envoyée
pourrenfort dans l'après-midi, et prit la plus grande
part à l'action.
« La fermeté que déployèrent ces jeunes prin-
ces au moment le plus critique de la bataille,
lorsque la retraite commença à devenir presque
une déroute, excita l'admiration de l'armée entière
et leur valut de la part du général en chef des
félicitations publiques. Il est heureux que leur
94 RETOUR EN EUROPE
retour en Europe, rendu nécessaire par des rai-
sons toutes particulières, n'eût pas eu lieu avant
cette bataille, car, à 1 heure d'un très grand dan-
ger, ils ont pu rendre d'immenses services à la
cause qu'ils avaient embrassée. »
Les raisons particulières dont parle ici le cor-
respondant du Times étaient d'un grand poids aux
yeux des deux jeunes princes d'Orléans. Depuis
le mois d'avril 1862, les rapports étaient très
tendus entre le gouvernement de Washington et
le gouvernement français qui entreprenait cette
fatale expédition du Mexique, où le sang et l'argent
de la France devaient être si inutilement gaspillés.
L'expédition du Mexique était considérée de très
mauvais œil par le gouvernement américain, et une
rupture semblait imminente entre la France et les
Etats-Unis. La situation des princes dans l'armée
fédérale eût semblé trop équivoque, et leur sen-
timent national eût été vivement froissé.
M. le comte de Paris, qui déclare que de toute sa
vie d'exil le temps le plus heureux qu'il ait connu
est celui qu'il passa comme capitaine d'état-major
dans l'armée du général Mac Clellan, se vit donc
forcé, ainsi que son frère, le duc de Chartres, de
quitter leservicedcs Etals-Unis ("ijuillct 1862). Leur
démission fut acceptée à regret par le général en
chef, ainsi que parle président Lincoln; et ils s'em-
barquèrent pour IKuropc en laissant parmi leurs
compagnons d'armes une réputation de capacité
LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE 95
et d'intrépidité militaires dont les historiens de
cette guerre se sont tous fait Técho.
A la suite de ces échecs des Américains du
Nord, personne en France ne doutait alors du
succès final pour les Américains du Sud. M. le
comte de Paris avait une opinion toute contraire.
Avec la pénétration de son grand esprit politique,
il croyait tout à fait au triomphe définitif des
armées de l'Union sur celles de la Sécession.
Nous avons sous les yeux plusieurs lettres du
prince à cette époque, dont pas une ne varie à ce
sujet, et qui montrent bien avec quelle sûreté de
coup d'œil il avait jugé la situation aux Etats-
Unis.
Nous sommes certain qu'on lira avec intérêt
la lettre suivante de M. le prince de Joinville à
son frère le duc d'Aumale, sur les derniers com-
bats auxquels avaient pris part leurs neveux M. le
comte de Paris et le duc de Chartres, qu'il avait
accompagnés pendant toute la guerre d'Amérique.
Voici comment s'exprimait le prince de Join-
ville :
Fort Monroë, 1er juillet 1802.
La journée d'hier restera fortement gravée dans mes
souvenirs : d'abord à cause des scènes émouvantes dont
j'ai été témoin, et ensuite à cause du danger auquel nos
deux neveux ont échappé par miracle. Pendant quatre
heures, Paris, et pendant deux heures, Piobert, ont été
96 LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE
sans discontinuer sous le feu de mousqueterie et d'artille-
rie le plus violent. Leur conduite y a été, comme de raison,
excellente. Ils ont été des plus actifs et des plus utiles, et
enfin, au moment de la crise, ils ont montré une fermeté
([ui a fait l'admiration de tous, et leur a valu des remercie-
ments publics. Mais venons au récit.
Nous savions donc les forces de Porter situées sur la
rive gauche du Ghickahominy, attaquée depuis le matin.
L'action s'est engagée vers une heure. Paris a été envoyé
de suite, et est resté aux ordres du général Porter. L'af-
faire devenant de plus en plus chaude, les ballons faisant
rapport que de grands renforts étaient envoyés de Rich-
mond, et tout étant comparativement tranquille sur la rive
droite, le général a donné l'ordre à cinq brigades d'aller
rejoindre Porter. Robert a été envoyé en ce moment, et
nos deux neveux se trouvant tous les deux dans le pétrin,
je m'y suis envoyé moi-même, pour tâcher de voir ce qui
adviendrait d'eux. J'ai passé au galop le pont de Ghicka-
hominy, et montant sur les collines en face, j'ai trouvé nos
troupes dans un pays ondulé, composé de grands champs
et de bois, sur une ligne de bataille d'un mille et demi.
De là j'ai traversé une batterie où il faisait assez chaud,
et j'ai rejoint mes neveux qui étaient à la première ligne
avec le général Porter. Lui et eux ne s'apercevaient pas
que les balles pleuvaient comme grêle autour d'eux. Après
un moment de conversation, des ordres à donner ont
envoyé les neveux dans toutes les directions; nous nous
sommes séparés, et je suis allé sur une colline en arrière,
d'où j'ai eu une vue assez généi-ale du champ de bataille,
et d'où je jjouvais suivre les mouvements des neveux, de
Paris surtout, visible par uu chapeau caractéristique.
LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE 07
J'étais là, admirant la grandeur du spectacle; nous
avions environ 35,000 hommes engagés, une nombreuse
artillerie dans la vallée, notre cavalerie en réserve, des
lanciers aux fanions flottants ; tout cela au milieu d'un pays
très pittoresque, aux derniers rayons d'un soleil couchant,
couleur de sang, lorsque précisément à l'endroit où se
trouvait Porter la fusillade prend une intensité inusitée;
on excite par des hourras nos réserves, et on les fait entrer
les unes après les autres dans les bois. La fusillade devient
de ])lus en plus violente, et s'étend sur notre gauche. Plus
de doute, l'ennemi tente de ce côté un dernier effort. Nos
réserves sont engagées, nous n'avons plus personne sous
la main. Le jour s'en va rapidement : si nous tenons encore
une heure, nous avons bataille gagnée^ car partout ail-
leurs nous avons repoussé l'ennemi, et les efforts de Jack-
son, Lee, Witt et Longstreet, dont nous avons les troupes
devant nous, seront inutiles ; mais les nôtres sont fatiguées,
elles se battent depuis le matin; elles n'ont presque plus
de cartouches.
L'ennemi amène des réserves que depuis midi il a amas-
sées. Ces troupes fraîches se jettent en bon ordre sur
notre gauche qui s'ébranle, prend la fuite, et passant à
travers notre artillerie, entraîne dans son désordre des
troupes de notre centre. L'ennemi s'avance rapidement.
Les états-majors, nos deux neveux en tête, mettent le
sabre à la main, et se jettent dans la mêlée pour arrêter les
fuyards. On prend les drapeaux qu'on plante en terre, et
autour desquels les plus braves se rallient par petits grou-
pes. La fusillade et la canonnade sont telles, que la grêle
des projectiles qui frappe le sol y soulève une poussière
permanente. A ce moment, le général Gook fait une charge
7
98 LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVJLI.E
de cavalerie, mais elle ne réussit })as, et ses cavaliers, à
leur retour, ne font qu'augmenter le désordre. Je fais de
vaius efforts avec tous ceux qui se sentaient un j)eu de
cœur pour arrêter la panique.
J'ai rejoint quelques officiers qui s'efforçaient de retenir
l'artillerie, et nous sommes parvenus à l'arrêter en lui bar-
rant absolument le passage et en saisissant les chevaux par
la bride. Deux ou trois pièces sont mises en batterie sur le
versant d'une colline. Avec elles, aux dernières lueurs du
jour, nous avons travaillé l'ennemi. A ce moment est arri-
vée la brigade irlandaise de Magher, qui a poussé quel-
ques cris sauvages en se mettant en bataille, et l'ennemi
s'est arrêté. A ce moment aussi j'ai été rejoint par mes
neveux, qui, chacun de leur côté, et agissant sous leur
seule inspiration, en gens de cœur et d'intelligence, avaient
fait ce qu'ils avaient pu })0ur arrêter le désastre, Dieu soit
loué! sans accident. No*is nous sommes secoué les mains
cordialement. Chacun a eu ses aventures. Robert, envoyé
pour porter un ordre et revenant, a échappé à un régiment
ennemi, croyant que c'était un des nôtres. Il n'a été
détrompé que par la décharge du régiment sur lui.
Paris a dirigé jusqu'au dernier moment le feu d'une
batterie d'artillerie. Nos pertes sont très considérables.
La brigade Sykes a perdu la moitié de son elfectif, mais
l'ennemi dut être abîmé de midi à six heures ; tous ses
elfoi'ts ont échoué, et en lin de comj)te, si une panicjue dé-
plorable nous a (ait perdre un demi-mille de terrain avec
les canons et les blessés que nous avons laissés depuis,
c'est le seul avantage qu'il ait obtenu. Deux régiments, une
brigade fraîche arrivant à proj)os, eussent tout changé en
brillant succès, mais c'est la chance de la guerre !
LETTRE DE M. LK PRINCE DE JOINVILLE 99
Je ne me réjouis que d'une chose, c'est que nous ayons
retardé un départ obligé pour ne pas abandonner l'armée
dans sa situation critique, et que les neveux s'y soient
conduits comme ils l'ont fait.
Après la bataille du 27 juin, la concentration des forces
des confédérés était devenue évidente. Il fallait se décider
à faire retraite. On se décida à passer le White-Oak-Swam,
derrière lequel on ferait une halte pendant que les bagages
fileraient sur James-River, où on établirait une nouvelle
base d'opération sous la protection des canonnières.
Cinq ou six mille voitures furent engagées sur une seule
route, entre le York-River et le James-River. Le 30 au
matin, tout était au delà du White-Oak-Swam. Nous avons
quitté New-Savage-Station, le 29 au matin, par un brouil-
lard épais, suivi cette route encombrée, avec une masse
énorme de blessés. Nous avons passé leWhite-Oak-Swamp,
espèce de marécage boisé. Mais quand nous arrivons, la
tête de la colonne seule a passé, et nous entendons de la
mousqueterie en avant ; nous y courons et je rencontre K...
qui me dit que nous avons repoussé la cavalerie ennemie
qui voulait gêner notre marche.
Bientôt nous entendons une vive canonnade à l'arrière-
garde. C'est l'ennemi qui attaque Sumraer, qui n'avait pas
quitté ses positions ; à la nuit nous campons, et au jîoint
du jour, j'apprends que tous nos wagons et toutes nos
troupes ont passé le White-Oak-Swamp. Le lendemain,
on se dirige par une chaleur accablante vers le James-
River. Le général en chef confère avec le commandant des
canonnières, qui repart au galop avec les neveux. On en-
tend bientôt le canon de l'ennemi qui attaque Smith (c'est
lui qui tient le White-Oak-Swamp). Une autre attaque se
100 LETTRE DE M. LE PRINCE DE .TOINVILLE
fait sur le centre de notre ligne. Ces attaques mettent les
convois dans une sorte de déroute. Le général retourne
avec nous aux canonnières pour conférer avec le capitaine
Rodgers.
Nous nous embarcpuuues sur le Galena. Pendant que
nous y sommes, on fait rapport qu'une grande masse d'en-
nemis se dirige vers la position qu'occupe Porter. Par
suite nous remontons la rivière pour apporter le poids de
nos boulets de 100 dans la balance. Nous ouvrons un feu
violent.
Le lieutenant est au haut du mât, avec un officier du
Signal-Corps, qui télégraphie avec les hommes, aux si-
gnaux de Porter, placés en haut d'une maison pour diriger
notre feu. Je grimpe aussi là-haut, malgré mes grandes
bottes et mes éperons. Dans le feu de l'affaire, on oublie
de gouverner, et le Galena s'échoue, chose désagréable,
car dès que le cas se présente, l'ennemi remplit le voisi-
nage de tireurs. Nous nous décrochons enfin, et le feu de
Porter diminue. On en conclut que l'ennemi est repoussé, et
il y a fraternisation de jaquettes bleues, à laquelle je prends
part.
Le général retourne à son quartier général, nous nous
séparons de lui, et nous nous rendons au fort Monroé, sur
une canonnière, IcJacob-Brll, qui allait porter des dépêches.
Fr. d'Orléans.
Tous les journaux d'Europe raconlèrcnt la bril-
lante conduite des princes d'Orléans, pendant
cette campagne d'Amérique. Mais le gouverne-
ment impérial arrêta impiloyablcment à la fion-
PERSÉCUTIONS EN FRANCE 101
lière ceux qui faisaient la moindre allusion
aux exilés. Une feuille anglaise ayant critiqué le
départ d'Amérique des princes, l'article fut répété
avec empressement à Paris par les feuilles bona-
partistes. V Indépendance belge avait publié la
très intéressante lettre du prince de Joinville à
son frère le duc d'Aumale, que nous venons de
citer. Non seulement le journal fut arrêté à la
frontière, mais le gouvernement impérial fit pour-
suivre et condamner à 200 francs d'amende
M. Viallet, l'imprimeur, pour avoir livré, sans
autorisation et dépôt préalable au ministère de
l'intérieur, cent exemplaires de cette lettre du
prince de Joinville, que M. Bocher, mandataire
des princes d'Orléans, comptait donner aux amis
de la famille royale.
Mais il ne s'en tint pas là. Après avoir tout
d'abord interdit la parole aux exilés et à leurs
défenseurs, il fit insinuer par certains journaux à
sa solde, que les princes d'Orléans avaient « dé-
serté la cause des Etats-Unis, le jour où elle avait
cessé d'être victorieuse ». Ces journaux, et ceux
qui les inspiraient auraient dû avoir la bonne foi
de dire la vérité, surtout en parlant d'exilés aux-
quels le silence était imposé, car quel est le jour-
nal, à Paris, qui aurait osé insérer une lettre d'un
prince d'Orléans ?
Les princes d'Orléans avaient fait leurs adieux
au général Mac Clellan, et devaient partir le
102 LA PRESSE AMÉRICAINE ET LES PRINCES
24 juin; leurs préparatifs étaient terminés
lorsqu'ayant appris qu'une rencontre était im-
minente, ils restèrent, et prirent part à toutes les
opérations de l'armée fédérale jusqu'à la fin de la
lutte, d'une façon si distinguée qu'ils furent pu-
bliquement félicités par leurs chefs. Toute la
presse américaine, entre autres le New-York Tri-
bune^ un des organes les plus importants des
Etats-Unis, en retraçant les derniers combats aux-
quels prirent part M. le comte de Paris et M. le
duc de Chartres, fit le plus grand éloge des prin-
ces, de leur hardiesse et des importants services
qu'ils avaient rendus en ralliant et reformant les
bataillons fédéraux qui pliaient, accablés par le
nombre toujours croissant de leurs adversaires.
Ce silence rigoureux imposé à la presse fran-
çaise sur le nom des princes d'Orléans montre à
quel point le gouvernement bonapartiste redou-
tait le souvenir de ces noms si populaires.
Nous trouvons dans le troisième volume d'un
ouvrage dont le succès a été considérable -.Voyage
autour du Monde, du comte de Beauvoir : Pé-
kin, Yeddo, San Francisco , la preuve des bons
souvenirs des compagnons d'armes des jeunes
princes.
M. de Beauvoir s'exprime ainsi :
18 juin 18f.7.
Le général Mac Dowell, qui a le coiiiinandonicnt de toute
la côte du Paeilique, est venu voir !p duc de Penthièvre;
LE GÉNÉRAL MAC DOWELL ET LES PRINCES 103
c'est un ancien compagnon d'armes du comte de Paris et
du duc de Chartres; et nous étions tous émus en l'enten-
dant parler de ses souvenirs de batailles et de son dévoue-
ment pour les princes. « Ah ! votre père et vos cousins,
disait-il, sont si sincèrement aimés par tous les Américains,
que nous voulons venir vous dire toute notre reconnais-
sance et notre attachement pour votre famille. L'Améri-
cain n'a pas les formes du langage, mais il a le cœur haut
placé, et il n'en est pas un qui ne veuille se souvenir de ce
que les vôtres ont fait pour nous. Quand on nous mépri-
sait en Europe, quand on disait que nous allions « to the
devil » (au diable), quand toutes les nations nous cri-
blaient d'injures, nous, les démocrates, des princes de
race royale sont venus franchement donner leur sang pour
notre cause, combattre en simples capitaines dans nos
rangs, pour la liberté. Dites-leur bien que nous leur en
serons éternellement reconnaissants, car nous les avons
vus pendant onze mois les premiers au feu, les plus infati-
gables, les plus avides des corvées du service militaire, et
es meilleurs camarades comme les plus braves* »
Il sera certainement intéressant pour le lecteur
de connaître aussi l'appréciation du commandant
en chef de l'armée américaine, le général Mac
Clellan, sur les jeunes princes d'Orléans pendant
cette guerre.
1. Voir, pour les détails de la campagne d'Amérique des
princes, le très curieux et intéressant article publié dans la
Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1862, Campagne du
Potoniac, par M. le prince de Joinville (signé Trognon, dans la
Revue).
104 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES
Une revue américaine, le Centiiry Magazine,
publia au commencement de 1884 un long arlicle
du général Mac Clcllan.
Le général Mac Clellan était, on le sait, un des
plus distingués parmi les généraux que la grande
guerre de la sécession a mis en lumière. Nous re-
grettons de ne pouvoir reproduire dans son entier
le jugement de ce militaire éminent sur des
princes qui sont eux-mêmes des soldats aussi vail-
lants que capables. Nous nous bornerons à déta-
cher des pages du général Mac Clellan le por-
trait de M. le comte de Paris, tout en laissant dans
Tombre les parties de la vie du prince déjà con-
nues du public français. Après un récit des évé-
nements qui avaient conduit les princes d'Orléans
en Angleterre, le général Mac Clellan apprécie
de la manière suivante l'éducation qui fut donnée
à Claremont à M. le comte de Paris :
« C'était un des plus agréables tableaux de la
vie de famille quon puisse imaginer que l'exis-
tence qu'on menait à Claremont pendant les der-
nières années de la vie de la reine Amélie. Ses
enfants se réunissaient autour d'elle, et, si pas-
sionnés qu'ils fussent pour les voyages, ils reve-
naient toujours auprès d'elle. Eloignés de la
patrie, qu'ils aimaient tant, ils semblaient trouver
une compensation dans les tendres soins et l'af-
fection qu'ils prodiguaient à cette femme distin-
guée, qui, tout en gardant sa dignité de reine, ne
LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PBINCES 105
laissait jamais oublier à ceux qui l'entouraient
qu'elle était en même temps une femme affec-
tueuse et des plus dignes d'affection. Sous la
direction de leur mère et de leurs oncles, assistés
des professeurs les plus capables, les deux en-
fants de la duchesse d'Orléans passèrent là leur
enfance et reçurent une éducation dans laquelle
on ne perdait jamais de vue la position que leur
famille avait occupée et la possibilité de leur
retour en France avec les responsabilités du pou-
voir. Leur corps et leur intelligence furent égale-
ment l'objet d'une éducation des plus fortes.
« Les différences de caractère entre les deux
frères se manifestèrent de bonne heure : l'aîné,
calme, réfléchi et maître de lui-même; le plus
jeune, impétueux et plein de feu; l'un montrant
peu à peu les qualités d'un homme politique et
d'un chef d'Etat; l'autre, celles d'un soldat : tous
deux pleins de capacités, chacun dans son sens.
« Ceux qui les ont vus sur le champ de bataille
ont remarqué ces différences de caractère. Un de
leurs camarades pendant notre guerre représente
le comte de Paris comme « un gentleman, au sens
« du mot tel que nous l'entendons, imbu du vrai
« sentiment du devoir, pour qui la devise : No-
te blesse oblige, était une chose sérieuse et non
« un vain mot. »
« A la bataille de Gaine's Mill, où je l'ai vu au
feu, il s'est conduit en homme parfaitement maître
106 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES
de lui-même, et a montré un courage si plein de
simplicité que je me rappelle avoir été fortement
impressionné par son altitude. C'était celle d'un
homme sérieux, vaillant et religieux, dans un mo-
ment d'épreuve. Le jeune duc de Chartres était
alors un sabreur impétueux, cherchant le danger
pour l'amour du danger, et jamais aussi heureux
que lorsqu'il était au feu.
« Au mois d'août 1861, les deux frères, accom-
pagnés du prince de Joinville, partirent pour
New^-York. Ils arrivèrent à Washington vers la fin
de septembre, et les jeunes princes reçurent aus-
sitôt du président l'autorisation d'entrer dans l'ar-
mée comme aides de camp, avec dispense de prê-
ter le serment de fidélité, et sans toucher de
solde ; il était entendu, en outre, qu'il leur serait
permis de quitter le service si des événements de
famille ou des événements politiques leur en fai-
saient une nécessité. Ils figuraient sur les regis-
tres de l'armée sous les noms de Louis-Philippe
d'Orléans et Robert d'Orléans, aides de camp
supplémentaires dans l'armée régulière, avec le
rang de capitaine, et étaient attachés à l'état-ma-
jor du major général, commandant l'armée du
Potomac. Le prince de Joinville n'accepta aucun
rang et se borna à accompagner le quartier géné-
ral, sur Tinvitation du général commandant en
chef, en amateur et comme ami.
« La position de ces jeunes gens ne laissait pas
LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES 107
que d'être enlourée de difficultés. Dans leur situa
tion de princes susceptibles d'être à chaque ins-
tant appelés à prendre leur rang dans le gouver-
nement d'une grande nation, et servant néan-
moins dans l'armée d'une république dont la
cause n'était pas vue d'un œil très amical par le
gouvernement qui dirigeait alors leur propre
pays, ils avaient beaucoup de contradictions à
concilier, beaucoup d'obstacles à surmonter. Atta-
chés par des liens de famille à tant de familles
royales d'Europe, toujours accueillis par elles
comme des personnages de rang royal, l'aîné
considéré en France par beaucoup de personnes
comme le légitime héritier du trône, ils ne pou-
vaient jamais perdre de vue la dignité de leur posi-
tion, tandis qu'il leur fallait en môme temps rem-
plir leurs fonctions dans un rang subordonné et
gagner la confiance et l'amitié de leurs nouveaux
camarades, qui devaient forcément les juger
d'après leurs qualités et leurs capacités person-
nelles, et non d'après la position sociale qu'ils
occupaient de l'autre côté de l'Atlantique. Ils s'ac-
quittèrent de cette tâche avec un succès complet;
car ils gagnèrent entièrement la confiance, le res-
pect et la considération de leur général et de leurs
camarades. Du jour où ils entrèrent au service,
ils eurent à remplir exactement les mêmes devoirs
que leurs camarades dans l'état-major personnel
de leur général.
108 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES
« Soit dans le service monotone des bureaux
ou dans l'analyse intelligente des rapports relatifs
au nombre et à la position des ennemis, ou bien
dans les travaux d'organisation de l'armée de Po-
tomac; soit qu'il fallût suivre leur général dans
de longues et pénibles courses à travers les camps
très étendus qui entouraient Washington ou
d'une colonne à l'autre , en campagne ; qu'ils
eussent à porter des ordres jour et nuit, sous
l'orage et la pluie, ou à remplir leurs fonctions
dans de grandes batailles, ils ne le cédaient à per-
sonne pour l'entrain, le tact, le courage et l'intel-
ligence qu'ils apportaient dans l'accomplissement
de leur tâche. Loin de témoigner aucun désir
d'éviter les services ennuyeux, fatigants ou dan-
gereux, ils les recherchaient toujours; ils n'é-
taient jamais aussi heureux que lorsqu'un service
de ce genre leur était confié, et ne manquaient
jamais d'y déployer les grandes qualités d'une
race de soldats.
« Leur conduite était caractérisée par un amour
inné de la vie de soldat, par un désir ardent de se
perfectionner dans la profession des armes par la
pratique réelle de la guerre sur unegrande échelle
et par un dévouement absolu au service. En outre
de cela, ils étaient avec nous de tète et de cœur à
l'heure de nos épreuves, et je crois qu'après leur
propre patrie le pays qu'ils aiment le plus est le
nôlre, celui [)our lequel ils ont si généreusement
LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES 1.09
et si souvent exposé leur vie sur les champs de
bataille.
« Peu de temps après le commencement de la
campagne de la péninsule, les princes furent for-
tement pressés par leurs amis de France de reve-
nir immédiatement en Angleterre, tant pour
recevoir les nombreux membres de leur parti qui
devaient visiter l'exposition de 1862, que parce
que l'expédition du Mexique avait fortement
tendu les relations entre notre pays et la France.
Ils tinrent absolument à rester avec l'armée jus-
qu'à la fin de la bataille des sept jours, et ne se
décidèrent à partir que lorsqu'ils furent convain-
cus qu'il élait improbable qu'on reprit les opéra-
tions contre Richmond.
« Dans une lettre jointe au document qui conte-
nait sa démission, le comte de Paris écrivait :
« J'ai l'honneur de vous remettre ci-inclus ma démission
dans la forme que vous m'avez indiquée. Vous savez quels
motifs impérieux nous rappellent en Euro[)e, mon frère et
moi. C'est avec une profonde émotion que nous nous sépa-
rons d'une armée dont nous avons si longtemps partagé le
sort, et dans les rangs de laquelle nous avons rencontré un
accueil si cordial. Nous sommes heureux d'avoir pu du
moins retarder assez notre départ pour assister avec vous
aux grands événements de ces derniers jours
« Depuis leur retour en Europe jusqu'à l'époque
de la guerre entre la France et l'Allemagne, les
liO LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES
jeunes princes s'occupèrent de voyages et de tra-
vaux littéraires. Peu de temps après la fin de notre
guerre civile, le comte de Paris entreprit la tâche
difficile d'écrire une histoire détaillée de cette
lutte remarquable. Il apporta à cette œuvre une
somme de talent littéraire, d'impartialité, de juge-
ment sûr et de travail patient qui Tont placé, dans
l'opinion de beaucoup de juges compétents, au
premier rang des historiens de la guerre civile.
« 11 n'a épargné ni travail ni dépenses pour re-
cueillir les données nécessaires. L'arrangement
des matériaux, les opinions exprimées, la compo-
sition littéraire, sont entièrement de lui, et l'ou-
vrage est, dans le sens le plus absolu du mot, son
œuvre et non celle d'un autre mise sous son nom.
Le premier volume a été publié en 1874 ; le sixième,
qui a paru cette année, comprend Gettysburg et
Mine-Run. Tout en préparant cet ouvrage impor-
tant, il s'engageait dans d'autres travaux littéraires
d'un caractère entièrement différent.
« A son retour d'Amérique, il trouva la « disette
« de coton » dans son plein, et il alla à Manchester
étudier soigneusement le vaste système organisé
pour venir en aide à la population souffrante du
Lancashire.
« Dans le but de donner les renseignements né-
cessaires pour organiser un système analogue en
France, il écrivit un ailiclc inlilulé : Une semaine
de Noël dans le Lancashire. (domine le gouverne-
LE C4ÉXÉRAL MAC CLELLAX ET LES PRINCES 111
ment impérial ne permettait de publier en France
aucun article sous le nom d'un prince d'Orléans,
l'article parut dans la Revue des Deux Mondes du
j^er février 1863 sous la signature d'Eugène For-
cade.
« Son intérêt ayant été éveillé par cette étude
préliminaire sur l'état des classes laborieuses, il
poursuivit ce sujet avec beaucoup d'ardeur, et pu-
blia en 1869 un ouvrage étendu sur les Trade's
Unions en Angleterre. Ce livre obtint un grand
succès, et il est remarc{uable par le grand nombre
et la précision des renseignements qu'il contient,
par la sagesse de ses conclusions, son impartialité,
son libéralisme et l'élévation des sentiments.
(( Le chapitre final sur l'avenir des Trade's
Unions et la liberté politique est en réalité un ré-
sumé des idées de l'écrivain sur une des plus im-
portantes fonctions du gouvernement.
« Il se fait l'avocat de la liberté politique la plus
étendue, de l'entière liberté de la presse et du
droit absolu de former des associations, de se réu-
nir et de discuter au grand jour toutes les ques-
tions politiques, sociales et économiques, comme
étant le meilleur et l'unique moyen de prévenir
ces explosions de violence populaire qui, favori-
sées par la répression et la tendance naturelle à
chercher un refuge dans les sociétés secrètes, ont
si souvent eu en Europe des résultats funestes. Il
croit que ce n'est que par la liberté de discussion
112 LE GÉXÉRAL :MAG Cr,ELLAN ET LES PRINCES
qu'on peut rectifier les opinions extrêmes et arri-
ver à des conclusions sérieuses et solides. Ce
chapitre, et aussi l'ouvrage tout entier, récompen-
sera largement du temps qu'ils consacreront à le
lire tous ceux qui s'intéressent à cette grande
question du présent et de l'avenir, les relations
du capital et du travail. Dans ce livre il soutient
aussi la thèse qu'il serait bon d'appliquer, partout
où cela est possible, le système de la participation
aux bénéfices. »
Le général Mac Clellan énumère ensuite les
travaux publiés par M. le comte de Paris dans la
Revue des Deux Mondes. Toutes ces publications
sont faites pour donner une haute idée du talent
littéraire du prince et de la portée de son esprit'.
De retour en Europe, M. le comte de Paris, comme
délassement à l'activité et aux fatigues du soldat,
se donna tout entier à ces travaux sérieux de l'es-
prit auxquels Pavaient préparé les fortes études
de son adolescence. Il fit paraître plusieurs publi-
cations importantes dont les sujets divers attestent
une généralité de connaissances et une profondeur
de vues qu'on rencontre rarement chez les hommes
d'un âge mûr, en même temps qu'elles témoignent
1. \u' United Service Magazine de New- York, ayant demandé
à M. le comte de Paris quelques pages sur le général Mac
Clellan qui venait de mourir, le prince lui adressa un opus-
cule des plus intéressants, que publia la licvue militaire suisse
et ['Avenir militaire, à Paris, dans ses numéros des 13, 17,
20, 24 et 27 mai 1887.
M^'" LE COMTE DE PARIS ET LES QUESTIONS OUVRIÈRES 113
de l'intention vraiment philanthropique de l'écri-
vain et du penseur, La seide nomenclature de ses
ouvrages (qui, pour la plupart, dans La France im-
périale, durent paraître sous d'autres noms que le
sien, ainsi qu'on l'a déjà vu) suffirait pour attester
chez le prince les souples facultés d'un esprit for-
tifié et agrandi par une instruction aussi solide que
variée. Quelques-uns de ces travaux d'histoire, de
philosophie et de politique, à l'époque de leur
publication, produisirent en France une sensation
marquée; malgré le pseudonyme adopté et parfois
changé, le nom de l'écrivain circula dans les
salons et même dans les journaux.
C'était à la fin de 1862, le prince revenu d'Amé-
rique au mois de juillet, après avoir bravement
pris part à cette grande guerre, qui se termina par
l'affranchissement de quatre millions d'esclaves,
voulut étudier par lui-môme, et dans les plus petits
détails, les questions ouvrières. Il visita les dis-
tricts du nord de l'Angleterre et principalement
le comté de Lancastre qui traversait alors une crise
très pénible. La guerre d'Amérique avait inter-
rompu la production du coton dans l'Amérique du
Nord, et par contre-coup les filatures anglaises
avaient dû se fermer. La misère était extrême ; près
de 500,000 individus, hommes, femmes, enfants,
étaient sans ouvrage, et de là sans ressources.
L'Angleterre s'était émue, des comités se formaient
de tous côtés, pour venir en aide aux malheureux
8
114 M^'"' LE COMTE DE PARIS A MANCHESTER
ouvriers. C'est à étudier cette organisation de la
charité que M. le comte de Paris consacra la se-
maine de Noël en 1862. La Recrue des Deujc Mondes^
du l*^'' février 1863, publiait un très intéressant tra-
vail que le prince terminait par ces lignes :
Un des plus beaux progrès de notre siècle est d'avoir
élevé la charité au rang d'un devoir social et d'un droit
politique Pour se rendre un compte précis et complet
du phénomène de misère et de charité qui se produit en
ce moment en Angleterre, il faut aller en quelque sorte de
la charité à la misère.
Puis il décrivait la distribution des secours à
l'Hôtel de Ville de Manchester, où les hommes les
plus riches, et ayant la situation la plus élevée,
venaient passer plusieurs heures, chaque jour,
dans une petite salle basse, obscure, éclairée au
gaz en plein jour, pour distribuer les secours aux
malheureux.
Après s'être bien rendu compte de la manière
dont fonctionnait ce comité, le prince allait visiter
les magasins où étaient classés les dons en nature,
puis il assistait aux distributions de vivres et aux
repas servis aux enfants dans les écoles.
On sait qu'en Angleterre le jour de Noël est le
grand jour de fête. Les comités de secours avaient
voulu célébrer la fête avec « la grande famille des
])auvrcs ». La plus importante salle de la mairie
de la grande ville industrielle de Blackburn reçut
UNE FÊTE DE NOËL EN ANGLETERRE 115
pendant plusieurs jours, successivement, tous les
pauvres de la ville. Chaque prêtre ou ministre
devait amener son école.
A midi et demi, dit M. le comte de Paris, la ville, si
morne tout à l'heure, prenait un air de fête inusité. Les
écoles sortaient, précédées des ministres en robe, et quel-
quefois aussi de tambours; toutes sortes de bannières
ornaient la procession. Il y a trente ans, de pareilles dé-
monstrations dans un moment de crise comme celui-ci
auraient infailliblement amené des troubles; mais depuis
lors, les esprits ont fait bien des progrès! Les bannières ne
portent d'autre inscription que God sape the qiicen, et
chacun ne songe qu'à oublier un moment des souffrances
dont personne n'est coupable. En suivant la procession,
j'entrai dans la salle qui se remplissait rapidement; les
ouvriers prenaient place en rangs, devant de longues tables
serrées les unes contre les autres. Une estrade était dres-
sée pour les visiteurs, mais les ministres avaient leur table
dressée au milieu de celles des ouvriers, dont ils tenaient
à partager le dîner. Après une espèce d'hymne, chantée
debout, par tous les ouvriers, le dîner commence joyeuse-
ment et se continue bruyamment. En ayant pris ma part,
je puis certifier qu'il était fort bon. Et quand je quittai la
salle, pressé par l'heure du chemin de fer, je rencontrai
encore une longue file de roast-beefs fumants qui mon-
taient l'escalier de l'IIAtel de Ville. Il n'y avait pas besoin
de souhaiter bon appétit à ces braves gens, qui terminaient
dans lajoie une année si fertile en souffrances! Et quelque
menaçantes que soient les perspectives de l'année nouvelle,
la satisfaction peinte sur tous ces honnêtes visages me
116 OUVRAGES DE M^' LE COMTE DE PARIS
donnait bon espoir pour l'avenir. Je n'y voyais pas seule-
ment le signe d'une grande crise, victorieusement traversée,
grâce à la charité spontanée de tous les rangs delà société,
mais surtout le gage d'une union })lus intime entre les
classes propriétaires et les classes ouvrières ; union fondée
sur une confiance et une estime réciproques, et sur la saine
connaissance des intérêts communs, qui les rendent soli-
daires; garantie la plus sûre de l'ordre public chez les
peuples libres, et base nécessaire de toute liberté dans nos
sociétés modernes.
M. le comte de Paris aurait pu passer cette
semaine de Noël dans l'opulente demeure de
quelque grand personnage anglais qui l'aurait
accueilli avec le plus vif empressement. 11 avait
préféré consacrer son temps à cette étude de la
misère pour voir de près comment on peut
la secourir et la soulager.
Deux écrits de M. le comte de Paris, Une Semaine
dans le Lancashire (1" février 1863) et V Allemagne
nouvelle [i''^ août 1867), coup d'œil prophétique en
quelque sorte sur les développements de la
puissance militaire de la Prusse et la constitution
de l'Allemagne après Sadowa, parurent dans la
Bévue des Deux Mondes, sous la signature
d'Eugène Forcade.
L'article du prince sur l'Allemagne nouvelle n'a
plus qu'un intérêt rétrospectif, cependant il est
intéressant de voir M. le comte de Paris montrer
l'Allemagne, après être devenue la première puis-
OUVRAGES DE M°'' LE COMTE DE PARIS 117
sance militaire d'Europe, chercher à devenir une
puissance militaire et coloniale.
Sous la signature de M. X. Raymond paraissait
aussi, dans la Revue des Deux-Mondes, le 15 mai
1868, un article qui fut fort remarqué : L'Église
d'Etat et l'Église libre en Irlande.
M. le comte de Paris, en étudiant à Manchester
les questions ouvrières, } fit la connaissance d'un
vieillard, ancien ouvrier, M. Mandley, un de ces
réformateurs honnêtes, hélas ! trop rares en France,
un de ces hommes qui demandent à la raison, et
non à la violence, l'amélioration du sort des
ouvriers. C'est à la suite de cette excursion que
M. le comte de Paris écrivit son livre sur les
Associations ouvrières en Angleterre (Traders
unions). L'ouvrage publié en 1869, d'abord sans
nom d'auteur, obtint un très réel succès. On
remarqua l'exactitude des informations, les idées
élevées et libérales d'un auteur bien pénétré de
son sujet.
En homme qui a conservé dans le cœur le sou-
venir de la première éducation de son enfance,
M. le comte de Paris termine son livre des Asso-
ciations ouvrières en Angleterre^ par ces lignes
qui témoignent d'un esprit vraiment libéral :
En inoatrant l'influence de la liberté politique sur les
questions sociales en Angleterre, croyons-nous avoir cité
1. Paris, Gernier-Baillière, 1869.
118 OUVRAGES DE M^"" LE COMTE DE PARIS
un exemple encourageant pour ceux qui se préoccupent de
l'avenir de ces mêmes questions en France. Faudrait-il né-
gliger un pareil enseignement, sous prétexte que les carac-
tères particuliers de la Constitution britannique ne nous
permettent pas de profiter des expériences faites sous son
égide ? Nous ne le cro3ons pas, car ce serait exagérer l'im-
portance des rouages anciens et compliqués qui la com-
posent. En effet, malgré tous les artifices de rédaction, les
constitutions n'obéissent jamais qu'à un seul moteur ; celle
où se balanceraient des pouvoirs réellement indépendants
serait brisée par leur choc, comme une machine soumise
à des forces contraires. Ce n'est pas telle ou telle pièce,
inconnue ailleurs, qui a soutenu la Constitution anglaise au
milieu de toutes les transformations politiques et sociales
de notre siècle : c'est ce moteur destiné à exercer dans tous
les pays libres la même autorité souveraine, et qui s'ap-
pelle l'opinion publique. Quelque diverses que soient
dans tous ces pays les institutions j)ar lesquelles agit la
puissance de l'opinion, elles peuvei^.t toujours se comparer
aux traductions en langages variés d'une seule et même
pensée. Comment serions-nous condamnés, nous seuls, à
n'avoir pas un langage à nous pour la rendre?
Pas plus que d'autres, nous ne sommes exclus de cette
liberté politique à laquelle ont droit toute race et toute con-
trée. Le remède (jue la liberté [)oliti(iue apporte aux dan-
gers soulevés par les questions sociales est également effi-
cace chez tous les peuples qui le savent applitpier ; et il
n'est plus maintenant une seule nation jalouse de conser-
ver son rang dans le monde, qui i)uisse traiter celle liberté,
attribut suprême de l'homme civilisé, comme un simple
objet de luxe dont on se pare un jour, et que le lendemain
on dédaigne inq)un(Muent.
OUVRAGES DE M^''' LE COMTE DE PARIS 119
« De telles opinions, dit avec justesse, M. Vic-
torien Jusserand, dans un curieux et intéressant
travail*, trouvent plus d'écho dans le cœur d'un
peuple que les apologies illustrées et intéressées
de la vie de ces conquérants qui n'ont pas fait faire
un pas à l'humanité, qui torturaient, massacraient
les otages et qui furent les bourreaux de Vercin-
gétorix. De telles existences ainsi employées dans
l'exil n'ont certes rien à envier à d'autres desti-
nées, qui se sont accomplies en même temps dans
la patrie! Et pendant ces vingt-trois années de la
jeunesse de ces fils et petit-fils du roi Louis-Phi-
lippe, ajoute M. Jusserand, pas une démarche,
pas un mot ne sont venus, je ne dis pas repro-
cher, mais même rappeler à la France que ces
princes en avaient été éloignés « sans avoir violé
«aucune loi, sans avoir mérité leur sort par aucune
« faute, et après l'avoir fidèlement servie ».
A la fin de 1870, le Courrier de la Gironde publiait
des articles de M. le comte de Paris : V Esprit de
conquête e/i 1870, qui montraient chez leur auteur
des idées sagement libérales. Enlisant ces lignes il
était impossible de ne pas remarquer que le prince
avait beaucoup lu, beaucoup vu, et savait apprécier
pour une nation les bienfaits d'un gouvernement
libre . Ce fut la dernière des publications faites
par le prince pendantles longues heures de l'exil.
1. Le salut est là, page 27, par M. Victoria Jusserand, maire
de Montpensier (Puy-de-Dôme).
120 MARIAGE DE M^"" LE COMTE DE PARIS
En 1863, M. le duc de Chartres prenait pour
femme sa cousine la princesse Françoise de Join-
ville, et on parlait tout bas déjà du mariage de
son frère. Il eut lieu l'année suivante.
Le 30 mai 1864, M. le comte de Paris épousait
sa cousine la princesse Isabelle, fille aînée du duc
de Montpensier, née à Séville le 21 septembre 1848.
La bénédiction nuptiale fut donnée aux jeunes
époux dans la chapelle catholique de Kingston,
petite ville du comté de Surrey (Angleterre) \
Les jours qui précédèrent le 30 mai furent
consacrés à de brillantes réceptions, d'abord chez
la reine Marie-Amélie, au palais de Glaremont,
puis à Twickcnham, chez M. le duc d'Aumale.
1. Voici dans quels termes, au moins singuliers, le gouver-
nement impéi'ial publia et fit afficher à la porte de la mairie du
premier arrondissement, à Paris, en avril 1864, les bans pour
le mariage du petit-fils du roi Louis-Pliilippe :
« Louis-Philippe-Albert d'Orléans, comte de Paiùs, sans pro-
fession, demeurant avec son aïeule paternelle, Marie-Amélie de
Boui'bon, veuve de Louis-Philippe d'Orléans, comte de Neuilly,
au palais de Glaremont, comté de Surrey (Angleterre), et dont
le dernier domicile en France était au palais des Tuileries, pre-
mier arrondissement, fila majeur de Ferdinand-Philippe-Louis-
Charles-llenri d'Orléans, duc d'Orléans, et de Iléiène-Louise-
Elisabeth de Mecklembourg-Sclnverin, son épouse, tous deux
décédés;
« Et Marie-Isabelle-Françoise d'Orléans, inlante d'Espagne,
sans profession, demeurant avec ses père et mère, au palais de
San-Telmo, à Séville (Espagne), fille mineure de Anloine-
Marie-Philippe-Louis d'Orléans, duc de IMontj)ensier, et de
Marie-Louise-Ferdinande de Bourbon, inlaiiLe d'Espagne, son
épouse. »
MARIAGE DE M^"" LE COMTE DE PARIS 121
Reaucoup de Français avaient passé le détroit, et
chaque jour on voyait augmenter le nomljre de
ceux qui, sans vouloir donner à cette démarche
un caractère politique, étaient venus apporter à
d'augustes exilés l'hommage d'une respectueuse
sympathie. Pour enlever à ces réceptions ce qu'el-
les pouvaient avoir de trop sérieux, Madame la
duchesse d'Aumale eut l'idée de les transformer
en petits bals, à la grande joie des jeunes princes-
ses et de tous les assistants. Parmi les princesses,
on remarquait particulièrement les deux jeunes
infantes, sœurs de la future comtesse de Paris,
dont la beauté fine et distinguée attirait tous les
regards. La gracieuse princesse Marguerite de
Nemours et la belle princesse Amélie de Cobourg,
fille de la princesse Clémentine, étaient également
fort admirées. Ces soirées dansantes à Orléans-
House donnèrent une grande animation à ces
réceptions, dont les honneurs étaient faits avec
une affabilité parfaite par M. le duc et M"*" la du-
chesse d'Aumale.
Nous voici maintenant au 30 mai. Depuis une
semaine il règne au palais de Claremont une acti-
vité qui ne lui est pas habituelle; le palais semble
devenu comme par enchantement le siège d'une
colonie française, qui a envahi les villages et les
bourgs voisins: Esher, Kingston, Twickenham. Le
parc est sillonné de Français appartenant à toutes
les provinces de la France, car on y entend parler
122 MARIAGE DE M'^'' LE COMTE DE PARIS
la langue de noire pays avec tous les accents pos-
sibles : parisien, provençal, flamand, lorrain, etc.
Le parc de Glaremont est adossé au village
d'Esher ; toute la population de ce village et des
hameaux voisins est sur pied, dans ses plus beaux
habits de fête ; grands et petits tressent des guir-
landes de fleurs, mettent la dernière main à des
arcs de verdure, décorent les fenêtres de drapeaux
aux couleurs françaises.
En suivantla Tamise, d'Esher on arrive à Kings-
ton (la ville du Roi), qui n'a conservé de ses
splendeurs antiques que le siège en pierre sur
lequel on couronnait les rois au temps de Thep-
tarchie. Sur tout le parcours, hommes, femmes,
enfants, sont parés de rubans tricolores. Aux
portes de cette petite ville, se presse une foule
immense qui se dirige vers la chapelle catholique
perdue dans de magnifiques ombrages auprès du
fleuve, en cet endroit, pur comme du cristal. C'est
dans ce temple modeste que va être célébré le
mariaofe de M. le comte de Paris.
Il est dix heures, la cérémonie ne commence
que dans une demi-heure, et cependant l'église
est pleine. Il en est de même de la grande lente
élevée à la droite du porche, pour suppléer,
autant que possible, au manque de places. Le
chemin, à droite et à gauche, est occupé sur une
grande étendue par ceux qui n'ont pu être admis
ni dans la chapelle ni dans la lente.
MARIAGE DE M^'' LE COMTE DE PARIS 123
Parmi l'assistance on remarque presque tous
les membres du corps diplomatique, l'élite de la
société britannique et un grande nombre de
notabilités françaises.
A dix heures et demie, une immense acclama-
tion se fait entendre au dehors. Après un moment
d'attente, on voit apparaître, appuyée sur le bras
du jeune prince, la reine à l'aspect vénérable et
qui s'avance lentement vers l'église. Chacun se
lève et salue profondément cette femme aux traits
marqués par la douleur, la reine Marie-Amélie.
C'est avec une vive émotion et avec un religieux
respect que l'on regardait l'auguste veuve du roi
Louis - Philippe. Le jeune prince, attentif à la
soutenir, répondait avec une tranquille dignité
aux salutations de ceux qui se trouvaient sur son
passage. Presque sur ses pas arriva la princesse
Isabelle ; sa démarche était d'une dignité simple,
et sa beauté avait un charme inexprimable. Les
deux fiancés prirent place devant leurs illustres
parents, et avant de commencer la messe, le doc-
teur Grant, évéque catholique de Southwark, qui
s'était rendu sous le porche pour recevoir la
famille royale, revint à l'autel, et adressa une
courte et touchante allocution aux jeunes mariés.
La messe fut célébrée au milieu du plus profond
recueillement. En quittant la chapelle, la reine
Marie-Amélie, appuyée sur le comte d'Eu, fut
saluée par des acclamations enthousiastes.
124 MARIAGE DE M"'' LE COMTE DE PARIS
Madame la comtesse de Paris, donnant le bras à
son mari, vit s'avancer vers elle un groupe déjeunes
personnes, filles des principaux négociants fran-
çais de Londres, qui lui offrirent un bouquet
accompagné d'une adresse contenant leurs félici-
tations et leurs vœux. Madame la comtesse de
Paris remercia la jeune fille qui avait parlé au
nom de ses compagnes et l'embrassa au front,
tandis que M. le comte de Paris lui disait quel-
ques mots affectueux.
Le retour à Claremont se fit à travers une foule
de spectateurs venus des villages voisins pour
saluer les mariés à leur passage. Des arcs de
triomphe ornés de couronnes de fleurs et d'écus-
sons fleurdelisés, pavoises de drapeaux tricolores,
avaient été dressés de distance en distance. L'en-
trée des augustes mariés dans le parc de Claremont
fut saluée par une salve d'artillerie et par les
fanfares d'une musique de volontaires.
Une députation du village d'Esher s'avança au
devant du jeune prince, et un paysan prononça,
au nom de ses camarades, un court discours. M. le
comte de Paris lui répondit en les remerciant
lous de leurs témoignages de sympathie, qui
étaient pour lui et sa famille une grande conso-
lation pendant les épreuves de l'exil.
On annonça l'arrivée du prince cl de la princesse
de Galles ainsi que de la famille royale d'Angle-
terre. Alors on passa dans la salle du ban(|iiel
MARIAGE DE M"'' LE COMTE DE PARIS 125
servi sous une tente, ou plutôt sous un magnifique
pavillon de 140 pieds de long. Une douce émotion
s'empara des invités, lorsque la reine se leva, en-
tourée d'amis dévoués, embrassant d'un coup d'œil
les visages aimés de ses fils et petits-fils, dont les
uns étaient déjà des hommes, tandis que les plus
jeunes, dans l'heureuse insouciance de leur âge,
se pressaient autour d'elle ; au milieu d'un pro-
fond silence et d'une respectueuse attention, elle
but à la santé et au bonheur de M. le comte
et de Madame la comtesse de Paris. Ce toast
fut accueilli avec enthousiasme, et suivi des
cris de : Vive la Reine !
A huit heures commença le bal chez M. le duc
de Chartres. Il fut interrompu à onze heures
par un souper splendide, dressé sous une tente
disposée de façon à recevoir deux cent cinquante
convives, qui trouvèrent place autour d'une table
magnifiquement servie. A minuit, on retournait
dans la salle de bal, et les danses recommen-
cèrent. Cette salle, qui n'était autre qu'une tente
semblable à celle du souper, ornée de fleurs et
de drapeaux tricolores, remplie d'une foule dont
les riches toilettes luttaient d'élégance, offrait un
coup d'œil vraiment éblouissant. Le cotillon, con-
duit avec beaucoup d'entrain par M. le duc de
Chartres dansant avec M"'' d'Harcourt (aujourd'hui
la comtesse dllaussonville), se prolongea jus-
qu'à deux heures du matin. Telle fut cette fête du
126 NAISSANCE DU DUC D ORLEANS
30 mai 1864, rayon de joie au milieu des tris-
tesses et des amertumes de l'exil.
De tristes jours approchaient pour la famille
royale. La sainte reine Marie -Amélie s'éteignit
doucement le 24 mars 1866 au palais de Glaremont,
après c|uatre-vingt-trois années d'une existence
où les jours de douleur pieusement supportés
avaient tenu une si grande place.
Six mois auparavant, la reine avait eu la joie de
voir naitre son arrière petite-fille, le 28 septembre
1865, M™" la princesse Amélie.
Quelques semaines après cette journée de deuil
du 24 mars, un grand malheur allait accabler le
duc d'Aumale : son fils aîné, le prince de Gondé,
mourait à Sidney (Australie), frappé par une fièvre
typhoïde (24 mai 1866).
Trois années s'écoulèrent, pendant lesquelles
M. le comte de Paris fit quelques courts voyages
sur le continent, Mais il revenait fréquemment en
Angleterre où il s'occupait de travaux littéraires
qui étaient pour lui une précieuse ressource dans
son exil. Une grande joie pour M. le comte de
Paris et tous les Français restés fidèlement atta-
chés à la famille royale fut la naissance du duc
d'Orléans. Le 6 février 1869, Madame la comtesse
de Paris donnait le jour à un fils.
En 1867, M. le comte de Paris fit un troisième
voyage en Espagne, afin de ne pas séparer trop
RÉSIDENCE FIXÉE A TAVICKENHAM 127
longtemps Madame la comtesse de Paris de ses
parents. Jusque-là il n'avait pas encore de résidence
fixe. Il se décida pour York-House, à quelques pas
deTwickenham, près de ses oncles le duc d'Aumale
et le prince de Joinville. Il se livra, dans cette
calme retraite , à l'étude des questions écono-
miques qui l'obligeaient de temps en temps à faire
des voyages dans l'intérieur de l'Angleterre ou en
Allemagne.
Un nouveau malheur devait frapper la famille
royale sur la terre d'exil : Madame la duchesse
d'Aumale succombait, le 6 décembre 1869, à la
maladie dont elle souffrait depuis longtemps.
L'année 1870, qui commençait à peine, laissa un
instant espérer aux princes que leur exil allait
cesser.
M. le comte de Paris se joignit à ses oncles
pour réclamer du Corps législatif, en juin 1870,
la restitution de ses droits de citoyen français. La
pétition fut repoussée. Peu après, la France était
précipitée par la volonté d'un seul homme dans
la guerre contre la Prusse : nous raconterons
ailleurs quelle fut la conduite des princes pen-
dant l'invasion.
Les princes d'Orléans, dont la conscience était
pure de tout attentat contre les lois de leur pays,
crurent devoir adresser la lettre suivante au
Corps législatif :
128 LETTRE DES PRINCES AU CORPS LÉGISLATIF
Messieurs les Députés,
Vous êtes saisis de la demande d'abroger les mesures
d'exception qui nous frappent. En présence de cette pro-
position, nous ne devons pas garder le silence. Dès 1848,
sous le gouvernement de la République, nous avons pro-
testé contre la loi qui nous exile, loi de défiance que rien
ne justifiait alors. Rien ne l'a justifié depuis, et nous venons
renouveler nos protestations devant les représentants du
pays.
Ce n'est pas une grâce que nous réclamons, c'est notre
droit, le droit qui appartient à tous les Français, et dont
nous sommes seuls dépouillés !
C'est notre pays que nous redemandons, notre pays que
nous aimons, que notre famille a toujours loyalement
servi, notre paj^s dont aucune de nos traditions ne nous
sépare, et dont le seul nom fait toujours battre nos
cœurs; car, pour les exilés, rien ne remplace la patrie
absente.
Louis-Philippe d'Orléans , comte de Paius ;
François d'Orléans, prince de Joinville;
Henri d'Orléans, duc d'Aumale ;
Robert d'Orléans, duc de Chartres.
Twickenham, 1!) juin 1870.
Le comte de Kératry, au début de Li séance
du 2 juillet, avait adjuré le ministre de la justice,
M. Emile OUivicr, de déclarer s'il y avait dans
les archives de son ministère une seule pièce,
prouvant que les princes eussent jamais conspiré
ou essayé de conspirerMepuis 1848.
LETTRE A M. DE KÉRATRY 129
Le ministre avait répondu que le gouvernement
n'avait absolument rien à dire.
La majorité bonapartiste vota l'ordre du jour
qui repoussait la pétition des princes d'Orléans
par 173 voix contre 31.
A la suite de ce vote, M. le comte de Paris écri-
vit la lettre suivante à M. de Kératry, qu'il n'avait
jamais vu.
Twickenham, le 4 juillet 1870.
Monsieur,
Puisque les portes de la France demeurent encore fer-
mées pour nous, c'est de plus loin qu'il faut vous exprimer
l'émotion avec laquelle j'ai lu vos paroles à la séance du
samedi.
Vous avez agi en honnête homme, en député fidèle à son
pays, en demandant s'il existait une seule preuve qui pût
justifier la peine qui nous frappe.
Vous avez fait éclater la vérité et montré d'un seul mot
tout ce qu'il y a d'odieux et de contraire aux principes mo-
dernes de légalité et de souveraineté nationale, dans ces
mesures qui condamnent toute une famille de citoyens à
cette situation privilégiée , comme on l'a dit avec une cruelle
ironie, de l'exil.
Je suis heureux de pouvoir remercier, de la manière
dont il nous a défendu, un membre de cette jeune généra-
tion qui a foi dans l'avenir libéral de la France, et qui,
regardant en avant plutôt qu'en arrière, ne cherche dans
les souvenirs du passé que des enseignements et non des
motifs de rancune ou de division. Aucune barrière ne sau-
rait nous séparer d'elle, car nous partageons son ardent
9
130 LA DÉCLARATION DE GUERRE
dévouement pour les arrêts de la volonté nationale, seul e
souverain arbitre des destinées de la France,
La décision qui écarte notre demande nous aurait péné-
trés d'une immense douleur si nous avions dû la considérer
comme définitive, car notre intention n'était pas d'exciter
un stérile débat; mais nous croyons qu'en posant la ques-
tion des lois d'exil devant la Chambre et la France, nous
avons hâté le jour où ces lois tomberont sous la réprobation
publique.
Vous avez plaidé la cause du droit, du droit commun
pour tous, car le droit à l'exil ne peut pas subsister en
présence du suffrage universel et de la souveraineté qui lui
appartient. Le sentiment public s'est prononcé de telle
sorte que la décision prise par la Chambre, pour se con-
former à une puissante volonté, ne pourra, j'en suis sûr,
être longtemps maintenue.
Je termine. Monsieur, en vous adressant encore les re-
merciements de ceux qui vous ont vu combattre de loin et
qui n'ont pu se mêler à la lutte.
Croyez, je vous i)rie, aux sentiments bien sincères de
votre affectionné,
Louis-Philippe d'Orléans
Mais les événements se précipilcnl: la guerre
est déclarée, l'armée française est battue. Les
princes avaient demandé à servir dans Tannée à la
nouvelle de nos désastres, ce qui leur avait été
refusé par le gouvernement impérial d'abord, par
le gouvernement provisoire républicain ensuite.
Nous raconterons en détail, dans un volume
dont la publication suivra de près ce livre, Fadmi-
LETTRE AU GENERAL COMTE DUMAS 131
rable conduite du duc de Chartres qui, plus heu-
reux que son oncle le prince de Joinville, fit la
campagne de France sous le nom de Robert le
Fort.
A ce moment, M. le comte de Paris écrit cette
lettre au général comte Dumas :
Twickenham, 20 août 1870.
Que d'événements depuis treize jours ! Quels coups pour
tous les cœurs français ! Vous devez comprendre tout ce
que nous souffrons devant ce désastre national, dont,
pour aggraver nos souffrances, nous sommes condamnés
à être les spectateurs inactifs. Le refus opposé à la de-
mande de mes oncles et de mon frère est, à ce point de
vue, un coup bien cruel. C'est ce refus qui m'a empêché
de faire remettre une lettre analogue aux leurs qui étaient
arrivées à Paris un peu après celle-ci. Et dire que les
Prussiens vont peut-être assiéger Paris, et que sur ces
fortifications, dernier boulevard de la France, élevé il y
a trente ans par le roi Louis-Philippe et le duc d'Orléans,
il n'y aura pas un d'Orléans pour se mêler aux défenseurs
de la patrie! Et ce qu'il y a peut-être de plus dur, c'est
que, dans notre insistance désintéressée, on ne verrait
peut-être que les calculs d'une ambition inquiète. Mais ne
songeons pas à nous, ne songeons qu'à cette admirable
armée qui soutient l'honneur de la France, et à tous les
nouveaux combattants qui, devant Paris, sauveront notre
pays de la dernière des humiliations.
Tout à vous,
Louis-pHiLippE d'Orléans.
132 LETTRE AU GÉNÉRAL B°° DE CHABAUD-LATOUR
Les désastres s'accumulent; l'armée française,
accablée par le nombre, est écrasée, malgré des
prodiges d'héroïsme. Les princes d'Orléans de-
mandent vainement au gouvernement français le
droit de défendre leur pays envahi par l'ennemi.
Le gouvernement de la Défense nationale, ou-
blieux de son devoir non moins que de son titre,
refuse leurs valeureux services.
M. le comte de Paris ne peut voir sans une pro-
fonde douleur l'ennemi arriver sous les murs de
Paris. 11 se souvient que c'est sa ville natale, et
que ces murailles derrière lesquelles s'abritait la
France même, c'était le roi Louis-Philippe, son
grand-père, qui les avait élevées.
11 voulut donc faire un effort suprême pour flé-
chir le gouvernement de la Défense nationale. Il
adressa au général de Chabaud-Latour une lettre
dans laquelle il sollicitait l'honneur de s'associer
aux défenseurs de Paris. Il offrait de reprendre le
chemin de Pexil aussitôt que le dernier coup de
fusil aurait été tiré.
Le général Trochu, à qui cette lettre fut portée
par le général de Chabaud-Latour, y répondit par
un nouveau refus.
Voici le texte de la lettre où M. le comte de
Paris exprima au général de Chabaud-Latour la
tristesse patriotique qu'il ressentait dans l'inaction
à laquelle ce mauvais vouloir du gouvernement
de la Défense nationale le réduisait si cruellement:
LETTRE AU GÉNÉRAL B°° DE CHABAUD-LATOUR 133
17 janvier 1871.
Vous devez bien sentir ce que je souffre, en me voyant
condamné à rester spectateur inactifde la lutte héroïque de
mes compatriotes. J'avoue que de telles prévisions n'étaient
jamais entrées dans mon esprit; que je n'aurais pas ci'u
celui qui m'eût prédit que, l'Empire renversé, la Répu-
blique établie et l'étranger assiégeant notre capitale, je ne
trouverais pas une place quelconque parmi les défenseurs
de la cause nationale. Il me semblait que les traditions de
toute ma famille, que le souvenir de mon père, — qui était
exclusivement Français, et l'était bien avant de songer à
aucun intérêt dynastique, — me donnaient le droit de récla-
mer l'honneur de combattre dans l'armée française, le tes-
tament de mon père à la main... et que personne n'aurait
pu défendre à un d'Orléans de prendre un poste sur ces
fortifications de Paris, qui sont l'œuvre de son grand-père,
du soldat de Jemmapes
A défaut de Paris, nous aurions tons voulu trouver notice
place de citoyens dans les armées de province. Il semblait
que rien ne dût s'opposer à la réalisation de ce désir bien
désintéressé. En effet, lorsque mes oncles et mon frère
sont allés le 6 septembre à Paris, on n'allégua pour refu-
ser leurs services que la crainte de voir leurs noms, au
lendemain de la révolution, servir, dans la capitale, de pré-
texte à la guerre civile. Cette raison, bien faible en elle-
même, ne pouvait être alléguée pour nous empêcher de
servir dans les armées de province, et, si notre présence
en France avait eu quelque retentissement, le seul résultat
eût été de rallier à la République, loyalement acceptée et
servie par nous, ces libéraux que le nom de la Ré])ublique
134 LETTRE AU GÉNÉRAL B°" DE CHABAUD-LATOUR
effraye, mais que notre proj)re adhésion eût réconciliés
avec cette forme de gouvernement.
hd délégation de Tours-Bordeaux n'a pas cru pouvoir
revenir sur la décision prise par le gouvernement tout en-
tier, ne comprenant pas combien la situation était chan-
gée, ou plutôt cédant à la crainte de s'aliéner les fanatiques
qui abusent du nom de la République et prétendent tou-
jours imposer leurs fantaisies et leurs passions aux répu-
blicains libéraux et modérés.
Dans ces circonstances, je me suis adressé directement
au général Trochu, lui demandant de vouloir bien, en sa
qualité de président du gouvernement de la Défense na-
tionale, faire cesser l'interdit qui m'empêche, jusqu'à pré-
sent, de porter les armes pour la France. Je n'ai pas encore
sa réponse. Si elle était favorable, je serais prêt à servir
sous un nom d'emprunt, de manière à ménager les suscep-
tibilités les plus extrêmes. Tout ce que je demande, c'est
une recommandation d'un ministre du gouvernement, [)er-
mettant à M. X... de se présenter à telle armée active qui
lui sera désignée pour y obtenir l'emploi qu'il pourra. Le
gouvernement ou son président saurait seul que M. X...,
c'est moi, car je ne veux pas tenter de m'insinuer dans
l'armée française à son insu
11 me semble que vous devez comprendre combien l'inac-
tion me ronge en ce moment, et je tenais à vous prouver
que je faisais tout ce qu'il m'est matériellement possible
de faire pour en sortir
Quand on a achevé le récit de ccl exil supporté
avec tant de courage cl un patriotisme si constant,
on ne peut que répéter avec M. Hervé :
ÉLOGE DE LA FAMILLE ROYALE 135
« Quelle plus belle famille royale la France pour-
rait-elle trouver, pour réparer ses ruines, panser
ses plaies, la relever à ses propres yeux et à ceux
de l'Europe? »
CHAPITRE III
1871-1873
Abrogation des lois d'exil (juin 1871). — Naissance de S. A. R.
M™8 la princesse Hélène (8 juin 1871). — Rentrée des princes
en France. — Le manifeste de Chambord(5 juillet 1871). —
Les princes d'Orléans dans l'armée française. — Projet de
loi présenté par le gouvernement pour la restitution des
biens des jirinces. — La vérité sur cette loi. — Générosité
des princes envers la France, à laquelle ils abandonnent la
moitié de leur fortune. — M. le comte de Paris s'installe à
Paris, faubourg Saint-Honoré, chez son oncle le duc d'Au-
male. — Réceptions de M. le comte de Paris. — Sa vie à
Paris. — Excursions de M. le comte de Paris en France. —
Yisite à Bourges, aux mines de la Grand'Combe, d'Anzin, en
Touraine, etc. — Première visite du prince à Eu et aux
usines Packam. — Excursions en Bretagne, en Normandie, à
Aix. — Publication par M. le comte de Paris de son ouvrage :
La situation des ouvriers en Angleterre (mars 1873). — Voyage
de M. le comte de Paris en Afrique (mai 1873). — Chute de
^L Thiers et présidence du maréchal de I\Ltc Mahon.
RL le comte de Paris se rend à Vienne (lin juillet 1873). —
L'entrevue de Frohsdorf du 5 août 1873. — Fusion des deux
branches de la maison de Bourbon. — La fusion souhaitée
par le roi Louis-Philippe, et annoncée par M. Guizot en
1850. — Les princes d'Orléans chez AL le comte de Chani-
bord (septembre-octobre 1873). — Grande émotion dans
toute la France. — Manœuvres des républicains pour lutter
contre le courant royaliste. — M. le comte de Paris jugé
par M. le comte de Chambord. — M. le comte de Chambord
et les députés royalistes. — Anecdotes : M. le comte de
Chambord on Bavière. Mot du prince Napoléon sur la restau-
?c:*^
^-^
^ ^ ^..
t 41
LES PRINCES DÉPUTÉS 137
ration de la monarchie. — La lettre de M. le comte de Cham-
bord du 27 octobre 1873. — Echec certain de la loipour le ré-
tablissement de la monarchie. — M. le comte de Chambord
à Versailles (novembre 1873). — Prorogation des pouvoirs
du maréchal de Mac Mahon. — Mort du prince Ferdinand,
frère de Madame la comtesse de Paris (décembre 1873).
La guerre est finie, la paix est faite, les événe-
ments se précipitent, et à la douleur de la défaite
vont venir se joindre les tristesses d'une épou-
vantable guerre civile. La seule consolation que
l'on éprouve, au milieu de tous ces malheurs, est
de se dire que l'honneur est resté sauf, grâce à
l'immortelle résistance de Paris et aux héroïques
efforts de la province et de fillustre général
Ghanzy,
Les départements de la Haute-Marne, de la
Manche et de l'Oise avaient envoyé à l'As-
semblée nationale le prince de Joinville et le duc
d'Aumale. Le pays s'était souvenu de ces princes si
sincères patriotes.
Le prince de Joinville, affable, enjoué, même
à son bord, autant que décidé ou réfléchi suivant
les circonstances, toujours soucieux du bien-
être matériel et moral des équipages, avide
de les employer à de grandes actions, était resté
très populaire dans la marine, et la nation elle-
même n'avait oublié ni son nom, ni celui de
son frère, le duc d'Aumale, le héros de la Smalah,
le général intrépide, savant organisateur de
138 ABROGATION DES LOIS d'eXIL
l'armée et excellent gouverneur de IWlgérie où
son souvenir était resté si vivant
La chute du gouvernement impérial, et l'abro-
gation des lois de bannissement et d'exil votée
par l'Assemblée nationale le 8 juin 1871, rame-
nèrent M. le comte de Paris sur le sol français.
11 y rentra, décidé à la fusion entre les deux
branches de la maison de Bourbon. En mars 1871,
à Dreux, ses oncles le duc d'Aumale et le prince
de Joinville avaient déclaré aux députés légiti-
mistes les plus influents, qu'il n'existait aucun
prétendant dans la famille d'Orléans, et que
si la France souhaitait la restauration de la
monarchie, le comte de Ghambord ne trouverait
aucun compétiteur au trône chez les princes de
leur maison. Cette entrevue de Dreux avait décidé
la droite à voter, sans hésiter, malgré M. Thiers,
l'abrogation des lois d'exil.
Le prince de Joinville et le duc d'Aumale des-
cendirent à Versailles, rue de Satory, 48, chez un
de leurs fidèles serviteurs, député du Calvados,
M. Bochcr.
M. le duc de Chartres, M. le duc de Nemours,
M. le duc d'Alençon et M. le duc de Penthièvre
arrivaient à Paris quelques jours plus tard, rue de
Castiglione, à Thotel de Londres, où leur première
visite fut pour le vieil ami du roi, l'historien im-
partial et consciencieux de la monarchie de Juillet,
le comte de Montalivet.
M^'"' LE COMTE DE PARIS EN FRANCE J39
M. le comte de Paris était retenu à Twickenham
auprès de Madame la comtesse de Paris, qui, le 12
juin, donnait le jour à une fille, son troisième enfant,
la princesse Hélène. Au mois de juillet, il arriva à
Paris, et après être resté plusieurs jours chez le
comte de Ségur, il alla demeurer quelques mois
chez le gendre de M. de Montalivet, M. G. de Vil-
leneuve, dans son bel hôtel de l'avenue de Messine.
La Commission des grades, présidée par le
général Changarnier, avait, à l'unanimité, proposé
au gouvernement de maintenir dans les rangs de
l'armée M. le duc de Chartres, avec le grade de
chef d'escadron qu'il avait si bien gagné. Il
en fut ainsi, et à la fin d'août M. le duc de Chartres
partait pour rejoindre le 3" chasseurs d'Afrique,
qui était alors dans la province de Constantine,
se préparant à faire une rude campagne qui dura
tout l'hiver.
M. le duc de Chartres venait d'être nommé che-
valier de la Légion d'honneur, en récompense de
sa belle conduite pendant la campagne de France.
Peu de temps avant son départ pour l'Afrique,
en août 1871, il avait été question qu'il accom-
pagnât son frère M. le comte de Paris dans une
visite à M. le comte de Chambord. Les princes
avaient toujours dit bien haut que le rétablis-
sement de la monarchie en France ne pourrait
avoir lieu que par l'union de lous les partisans de
la monarchie. Mais au moment où M. le comte
140 LE MANIFESTE DU 5 JUILLET 1871
de Paris et M. le duc de Chartres allaient partir
pour Chambord, leur cousin envoya à Paris une
note ainsi conçue :
Le comte de Chambord a été heureux d'apprendre les
bonnes dispositions de ses cousins ; il recevra à Chambord
avec le plus grand plaisir la visite du comte de Paris. Tou-
tefois il croit devoir le prévenir qu'il compte dater de
Chambord un document oii seront résolues des questions
réservées jusqu'à ce jour, puis il partira pour la Belgique
et se rendra à Bruges.
Avec cette parfaite loyauté qu'il a toujours
montrée, le comte de Chambord ne voulait pas
qu'on put le soupçonner d'avoir attendu la visite
des princes d'Orléans pour publier son manifeste,
et en quelque sorte leur avoir tendu un piège.
C'est alors que parut le fameux manifeste du
5 juillet 1871.
Les princes d'Orléans ne se rendirent pas chez
M. le comte de Chambord, mais M. le comte de
Paris, en lui faisant exprimer ses regrets de ne pas
aller le voir en ce moment, lui fit dire qu'il ne
renonçait nullement à l'espoir d'aller lui faire
une visite, qui n'était que reculée.
Le chef de la maison de Bourbon apprécia cette
démarche, au moment oîi, foulant pour la première
fois, le sol français depuis quarante et un ans, il
allait accomplir un acte aussi grave (jue la publi-
cation d'un pareil manifeste.
LES JEUNES PRINCES DANS l'aRMÉE FRANÇAISE 141
« Concilier les drapeaux, après avoir con-
cilié les causes et les personnes, était-il donc
impossible? Le plus fort était fait; n'avoir pu faire
le moins semble une dérision de la desti-
née '. »
La fin de 1871 se passa heureusement pour les
princes d'Orléans. M. le duc de Chartres avait
réalisé le vœu de toute sa vie : il servait dans
l'armée française. M. le duc d'Alençon et ^L le
duc de Penthièvre faisaient aussi partie de l'ar-
mée, le premier, dans le 12" régiment d'artillerie,
le second comme lieutenant de vaisseau à bord
de VOcéaii, qui passa l'hiver à faire une croi-
sière dans la Méditerranée. M. le duc de Guise
(dernier enfant de M. le duc d'Aumale), âgé de
dix-huit ans à peine, suivait depuis le mois d'oc-
tobre 1871 les cours du lycée Condorcet, pour
se préparer à l'Ecole polytechnique.
Ce fut à cette époque, que la question de la
restitution des biens, dont la famille d'Orléans
avait été si odieusement dépouillée en 1852, fut
portée à la Chambre. L'exécuteur testamentaire
du roi Louis-Philippe, l'ami des princes, le comte
de Montalivet, écrivit dans la Revue des Deux
Mondes - un récit des plus curieux et des plus inté-
ressants, oîi il racontait la confiscation de cette
fortune par Louis-Napoléon en 1852. Le succès
1. Hi'tiri de France, par H. de Pêne, p. 378.
2. Revue des Deux Mondes, l*"" décembre 1872.
142 RESTITUTION DES BIENS DES PRINCES
de cette brochure fut très grand et prépara l'As-
semblée nationale à cette œuvre de justice et de
réparation.
Mais ce que l'on ignore et ce qu'il est bon de
rappeler, c'est la générosité des princes d'Or-
léans. « En vain, dit M. de Montalivet, les avo-
cats intéressés du césarisme, unis aux derniers
représentants de haines invétérées qui se meurent,
cherchent à égarer les esprits, par d'étranges
exagérations, et à entourer d'obstacles une solu-
tion qui touche à la fois aux droits des victimes
de la spoliation, à la sécurité des acheteurs des
biens indûment vendus, et aux finances de l'Etat,
débiteur de sommes considérables. Que les hom-
mes de bonne foi se rassurent, l'équité corrigera
tout ce que le droit strict aurait de trop rigoureux.
Les princes dépouillés n'ont jamais élevé la voix
qu'au nom du droit et de la piété filiale. Dès le
premier jour, devançant toutes les préoccupations,
ils se sont expliqués formellement à cet égard,
sans y avoir été provoqués. Ils demandent que la
sécurité des acheteurs soit entièrement garantie
par la loi, et en moine temj)s ils déclarent qu'au
moment où ils rentreront dans la possession des
débris de leur fortune, ils seront prêts à ne point
se prévaloir contre l'Etat de la créance en argent
j)rovenant du fait des décrets do confiscation. Ils
})articiperonl de la sorte, dans la mesure que
ré([uité aura suggérée à l'Assemblée nationale.
GÉNÉROSITÉ DES PRINCES ENVERS LA FRANCE 143
aux sacrifices que les malheurs de la patrie doi-
vent imposer à tout bon citoyen.
« Ainsi se trouvera clos ce compte du passé,
qu'on ne se rappellera que pour flétrir l'acte anti-
social qui en est l'origine, pour honorer les deux
gouvernements de la République qui, à vingt-trois
ans de distance, se seront entendus pour mainte-
nir avec fermeté le droit sacré de la propriété. »
En même temps que l'Assemblée accomplissait
cet acte de justice, de rouvrir les portes de la
France aux princes d'Orléans, elle se trouvait for-
cément amenée à traiter une grave question. Le
22 janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte avait
arbitrairement confisqué la fortune privée des
princes d'Orléans, respectée par la République
de 1848. L'État, moins scrupuleux en 1852, s'em-
para de terres, de bois, d'actions, appartenant
à titre purement privé à la famille d'Orléans ,
estimés par le ministre des finances 80 millions.
La moitié de ces biens avait été vendue, l'Etat admi-
nistrait l'autre moitié et par conséquent touchait
les revenus de cette fortune. Les ministres de la
République demandèrent spontanément à l'Assem-
blée de rendre aux princes ce qui restait de leur
fortune, les princes d'Orléans offrant avec un
désintéressement et une abnégation très grands
de renoncer à revendiquer leurs droits sur les
biens déjà vendus. C'était donc la moitié àQ leur
fortune qu'ils donnaient ta la France.
144 LA VÉRITÉ SUR LA QUESTION DES BIENS
Cette loi de 1872 a-t-elle imposé un sacrifice
quelconque à l'Etat? Non. Elle a fait rentrer les
princes en possession de biens que l'Etat détenait,
sans que le trésor public ait eu à donner pour
cela un centime.
Leurs ennemis ont fort exploité cette restitution
et n'ont pas manqué de critiquer les princes
d'Orléans.
En somme, la fortune totale de tous les mem-
bres de la famille royale pouvait être évaluée lors
de la confiscation en 1852 à 80 millions en chiffres
ronds. Le gouvernement de l'Empire en réalisa la
moitié, soit quarante ///illlons, qui entrèrent dans
les coffres de l'État, sans aucun droit, et en viola-
tion de toutes les lois.
Le gouvernement alors aurait bien voulu vendre
tous les biens des princes et réaliser 80 millions,
mais il n'avait pas trouvé d'acquéreurs pour ces
biens mal acquis. La conscience publique est hon-
nête en France. Aussi en 1871, lorsque les princes
rentrèrent dans leur patrie, l'Etat, nous le répé-
tons, administrait et touchait les revenus de ce qui
restait de leur fortune. Que firent les princes d'Or-
léans? Simplement, spontanément, ils abandon-
nèrent à l'Étal, non seulement la créance de 40 mil-
lions sur leurs biens vendus, mais encore décla-
rèrent ne vouloir formuler aucune réclamation
sur les revenus de ces 80 millions, si injuste-
ment louches par TEtat depuis plus de vingt ans.
DISCOURS DE M. BOCHER 145
La France a souffert, dirent-ils, le pays est
accablé de charges produites par cette néfaste
guerre avec l'Allemagne, nous en supporterons
notre part. Nous ne voulons pas que les acqué-
reurs de nos biens puissent jamais être inquiétés :
nous abandonnons à la France ces 40 millions.
L'Assemblée reconnut ce généreux sacrifice, et les
ministres des finances et de la justice ne firent
que demander la restitution à leurs légitimes
propriétaires des biens non vendus encore. Les
princes rentrèrent dans 40 millions environ qui
furent partagés en seize parts.
M. Bocher, député du Calvados, ancien préfet de
Gaen en 1848, qui consacra, depuis cette époque,
sa vie entière à défendre la mémoire du roi
Louis-Philippe, et la cause de ses fils et petits-fils,
avec un dévouement que ni les persécutions du
second Empire, ni les fatigues ne lassèrent jamais,
prononça deux admirables discours, dans les
séances des 23 et 24 novembre 1872.
Orateur de premier ordre, respecté et consi-
déré, même par ses adversaires politiques, M. Bo-
cher est l'honneur de la tribune française. Au-
jourd'hui sénateur du Calvados, ses conseils sont
toujours très appréciés par M. le comte de Paris,
et sa modestie est aussi grande que son talent.
Doué des qualités qui font les hommes d'Etat, il
ne voulut jamais accepter un portefeuille que lui
offrit, à plusieurs reprises, le maréchal de Mac
10
146 LE CHATEAU d'aMBOISE
Mahoii. Certain d'être élu, sans concurrent, à
l'Académie française, où sa place était marquée,
M. Bocher, malgré de pressantes instances, refusa
de se présenter En deux mots, c'est un grand
caractère, et un homme politique éminent.
Voilà toute la vérité sur cette question des
biens des princes d'Orléans. Aussi sommes-
nous certain que le lecteur impartial dira
avec nous : Qui est-ce qui reçoit quelque chose ?
sont-ce les princes ? est-ce la France ? Avant de
jeter la pierre aux princes d'Orléans, que ceux
qui les critiquent commencent par les imiter, et
fassent cadeau à la France de la moitié de leur
fortune !
Dans le partage que les princes firent de ces
biens, M. le comte de Paris eut le château et le
domaine d'Eu ainsi que le château historique
d'Amboise. De grands travaux étaient nécessaires
pour le château d'Amboise. Les restaurations
furent habilement dirigées par Viollet-le-Duc. La
plus grosse tour fut reconstruite entièrement.
Tous les ans, M. le comte de Paris venait passer
quelques heures à Amboise, examinant tout par
lui-même. Il consacrait chaque année une somme
considérable à ce château d'Amboise, aux sou-
venirs historiques des Valois, et jusqu'en 1886 il
s'assura par lui-même que ses ordres élaienl
fidèlement exécutés.
C'est au château d'Eu que M. le comte de Paris
LE CHATEAU d'eU 147
habitait pendant la plus grande partie de l'année.
La principale façade du château est du côté de la
ville d'Eu, en face de l'église qui contient encore
les tombes des comtes d'Eu aux treizième et quator-
zième siècles. L'autre façade donne sur des jardins
et des prairies, au delà desquels la vue embrasse
le Tréport et la mer. A gauche du château se
trouve un massif de vieux et magnifiques arbres,
formant un rond-point, planté, dit-on, par le duc
François de Guise, qui construisit le château. Ce
fut ce célèbre guerrier qui défendit avec succès
Metz contre Charles-Quint, et reprit Calais aux
Anglais. La grande Mademoiselle, petite-fille
de Henri IV, devint la propriétaire de cette belle
demeure qu'elle légua au comte de Toulouse. C'est
de ce chef qu'Eu devint la propriété de la maison
d'Orléans. Le roi Louis-Philippe s'y plaisait beau-
coup. Il y reçut la reine d'Angleterre, qui en parle
avec admiration dans ses Mémoires. M. le comte
de Paris, aidé des conseils de Madame la comtesse
de Paris, dont le goût est sûr et délicat, rendit à
ce beau domaine sa splendeur passée, et en fit sa
principale résidence.
A la fin de l'année 1871, M, le duc d'Aumale
reçut la récompense des importants travaux litté-
raires auxquels il avait consacré les loisirs forcés
de l'exil. Il fut nommé, à la presque unanimité
des voix, et sans concurrent, membre de l'Aca-
démie française, le 30 décembre 1871, au fauteuil
148 M^''' LE COMTE DE PARIS CHEZ LE DUC DAUMALE
laissé vacant par la mort du comte de Monta-
lembert.
Peu de temps après, une joie tout intime était
réservée aux princes d'Orléans, M. le duc de Ne-
mours, entouré de ses frères et de la famille
royale, à l'exception des ducs de Chartres et de
Penthièvre, retenus par leur service, mariait sa
fille aînée, la princesse Marguerite, au prince
Czartoryski. Le mariage eut lieu au château de
Chantilly, le 15 janvier 1872, et la bénédiction
nuptiale fut donnée par M^*" Dupanloup, évoque
d'Orléans.
Les princes passèrent le reste de l'hiver de 1 872 à
Paris. M. le duc d'Aumale avait acheté, rue du
Faubourg-Saint-Honoré, 129, l'hôtel Fould, et il
avait donné tout le premier étage de cette habi-
tation à son neveu, M. le comte de Paris. Pendant
trois mois le duc d'Aumale reçut le dimanche
soir, et ses réceptions très recherchées montrèrent
aux Français qui n'étaient pas allés à Twickcn-
ham, combien M. le duc d'Aumale savait accueillir
avec affabilité tous ceux qui lui étaient présentés.
M. le comte de Paris ouvrit aussi ses salons
faubourg Saint-IIonoré. Comme son père, le duc
d'Orléans, il est mince, élancé et a l'air réfléchi.
Les yeux ont une grande expression de bonté et de
douceur; la parole, |)arfois un peu lente, indique
quecclui qui parle ne livre pas volontiers un mot à
l'aventure. L'accueil est bienveillant et très sym-
PORTRAIT DE M"'' LE COMTE DE PARIS 149
patlîique à ceux qui le voient pour la première
fois. M. le comte de Paris a l'extrême amabilité
de sa mère, la duchesse d'Orléans, la princesse
qui de toute la famille royale savait le mieux dire
à chacun un mot gracieux.
M. le comte de Paris a le don de plaire; k quel-
que classe de la société qu'on appartienne, plus
on le voit, plus on se sent attiré vers lui, plus on
l'aime. Tous ceux qui ont Phonneur de Papprocher
déclarent que c'est un esprit supérieur. Il a une
grande instruction, et quand il veut travailler sur
une question quelconque, il cherche, il étudie, et ne
recule devantaucune recherche, aucun voyage pour
apprendre à connaître ce qu'il veut savoir. D'une
grande modération de langage, il a le tact, le sens
politique d'un fin diplomate. M. le comte de Paris
possède une autre qualité bien précieuse pour un
prince : il sait écouter les avis opposés aux siens,
et cherche toujours à s'éclairer et à connaître la
vérité. Il est à la fois ferme et résolu : il sait
prendre une décision sans hésitation, et sans
faiblesse comme sans entêtement, il fait exécuter
ce qu'il veut. Grande qualité pour un prince
appelé lin jour à régner !... On a dit de lui avec
raison :
(c Comme tous les tempéraments mesurés qui
peu à peu acquièrent de la force et, butinant pour
ainsi dire chaque jour, augmentent leur patri-
moine intellectuel et s'assimilent pour jamais les
150 PORTRAIT DE M^"^ LE COMTE DE PARIS
choses qu'ils ont étudiées elles connaissances que
la pralique leur a acquises, M. le comte de Paris a
fondé peu à peu son autoi'ité personnelle. 11 n\a
pas atteint ce but tout d'un coup, par ces éclats
brillants qui percent comme des rayons, mais par
la persuasion lente et par d'incessantes manifes-
tations. On a constaté de jour en jour avec plus
de certitude la force de son jugement, la sûreté
de son coup d'oeil et la portée de son intelligence.
Le fils aîné du duc d'Orléans compte donc par lui-
même, et toujours poussé par un insatiable besoin
de voir et de savoir, il comptera certainement
chaque jour de plus en plus'. »
M. Edouard Hervé traçait le portrait de M. le
comte de Paris en 1872. Après avoir parlé des
princes, il ajoutait alors :
« La situation de M. le comte de Paris est plus déli-
cate, et son rôle est plus difficile. La Providence,
heureusement, en le plaçant au milieu de tant de
dangers, lui a donné ce qu'il faut pour les éviter :
un jugement infaillible, un inébranlable sang-
froid, et enfin, cette droiture de caractère qui est
parfois plus habile que l'habileté elle-même. La
France l'ignore, et peut-être l'ignorera-t-elle tou-
jours, mais depuis longtemps, elle n'a pas eu un
politique aussi précoce et aussi complet. C'est
l'espiitmédilalifct profond de Guillaume d'Orange,
1. Cliarles Yriailc, /as Primes d'Orléans.
PORTRAIT DE M^"' LE COMTE DE PARIS 151
avec la bonne grâce et le charme qui manquaient
au mélancolique fondateur de la monarchie cons-
titutionnelle en Angleterre. »
Tous ceux qui connaissent le chef de la maison
de France reconnaîtront avec nous la justesse de
ces appréciations. Nous avons entendu un diplo-
mate, représentant une des grandes puissances de
l'Europe auprès du gouvernement français, appli-
quer à M. le comte de Paris le mot de Metternich
sur le duc d'Orléans et le duc de Nemours après
leur voyage à Vienne, en 1836 : « M. le comte de
Paris, disait cet homme d'Etat, était, je l'avoue en
toute franchise, complètement inconnu de moi et
de mes collègues à Paris ; mais aujourd'hui nous
le connaissons et l'apprécions tous, car c'est un
jeune homme comme on n'en voit guère, et un
prince comme on n'en voit pas. »
M. le comte de Paris aime le monde, sans
doute, mais rien ne lui est plus agréable que
la vie simple de la famille auprès de Madame
la comtesse de Paris, entouré de ses filles,
les princesses Hélène, Isabelle et Louise, du
jeune duc d'Orléans, qui rappelle les traits
de Louis XIV, et enfin de son dernier enfant
le prince Ferdinand. A ce portrait du nouveau
chef de la maison de France, j'ajouterai les lignes
écrites par un ami sans doute, mais un ami ({ui a
porté un sur jugement sur l'homme comme sur le
prince.
152 PORTRAIT DE M'"' LE COMTE DE PARIS
« M. le comte de Paris est de haute taille. La
tournure est élégante et jeune; l'allure, vive et
décidée ; le front, large et découvert. Les yeux —
très bleus — brillent d'intelligence et de bonté.
Il y a un portrait de lui peint par Winterhalter en
1845, portrait que la gravure a reproduit. Le petit
prince est debout, tenant à la main un grand cha-
peau dont il laisse traîner à terre les plumes
blanches. Ce qui frappe dans ce portrait, ce sont
les yeux — encore ressemblants aujourd'hui. Le
visage mâle et sérieux de l'homme a gardé le re-
gard honnête et souriant de l'enfant.
« Fidèle aux souvenirs de sa jeunesse, M. le comte
de Paris vit au milieu des portraits de famille, des
tableaux qui reproduisent les principaux épisodes
des campagnes de son père et de ses oncles en
Algérie. Deux miniatures, représentant le duc et
la duchesse d'Orléans, sont constamment devant
ses yeux, sur sa table de travail. Non moins fidèle
à ses amitiés, il n'a perdu de vue aucun de ceux
qui, pendant les lourdes années de l'exil, venaient
le trouver en Angleterre. Il n'en est pas un seul
qui, dans une heure de joie ou de tristesse, n'ait
reçu quelque marque d'intérêt, quelque attention
délicate et touchante de ce cœur qui n'oublie
jamais.
« Si le prince, sur les champs de bataille de la
guerre d'Amérique, a fait preuve d'une intrépi-
dité que rien n'étonne, il montra à Vienne autant
PORTRAIT DE M^'"' LE COMTE DE PARIS 153
de tact que de décision au milieu des incidents
qui ont suivi la mort de M. le comte de Cham-
bord. Esprit d'une haute portée, tout à la fois
très énergique et très réfléchi, il ne néglige
rien pour se renseigner et s'éclairer avant de
s'arrêter à un parti. Sa résolution, une fois for-
mée, est inébranlable. Il ne sera influencé ni do-
miné par personne. Il écoute avec une égale at-
tention l'avis des personnages les plus considé-
rables et Topinion de ses plus humbles amis,
puis il prend sa détermination avec un sens droit
et juste, et une remarquable liberté de jugement.
Dès qu'il entrevoit un devoir à remplir, il y court
ainsi qu'il courait à la charge dans les plaines de
la Virginie. On peut dire de lui comme de son
aïeul Henri IV qu'il est « le dernier dans le con-
« seil et le premier dans l'action ».
(( Tel est ce prince, qui aurait été remarqué et
se serait mis hors de pair, dans quelque condition
que le sort l'eut placé. Tel l'ont fait aussi les évé-
nements au milieu desquels il a vécu, le sang
qui coule dans ses veines, les exemples de ceux
qui ont entouré son berceau, formé et guidé sa
jeunesse, et dont les noms sont une de nos gloires
nationales.
«Descendant de ces rois qui, à la pointe de leur
épée, ont fait la France, et qui avaient attachéàleur
couronne ces deux perles sans prix, l'Alsace et la
Lorraine, que d'autres ont perdues, il sait que les
154 MADAME LA COMTESSE DE PARTS
princes de sa race n'ont cherché leur illiisl ration
que dans la grandeur du pays, et c'est en épelant
l'histoire de sa famille qu'il a appris le dévouement
à la patrie. »
Madame la comtesse de Paris, dont les traits
rappellent le type des Bourbons, est une grande et
belle princesse, blonde et d'une taille élégante.
Soit dans son salon, soit dans celui de M. le duc
d'Aumale, dont elle fit leshonneurs à sa rentrée en
France avec sa tante, M'"" la princesse Clémentine
de Saxe-Cobourg et Gotha, cette princesse dont
la vie s'écoula loin de sa pairie, mais dont le cœur
est toujours resté français'. Madame la comtesse
de Paris reçoit avec une grâce parfaite, et a en
même temps un grand air qui indique qu'elle est
bien la fille de nos rois. Montant admirablement
à cheval, elle se plaisait à suivre les chasses de
Chantilly. Comme son mari, elle aime la France avec
1. Une certaine presse publia une absurde calomnie contre le
mari de M™^ la princesse Clémenline, M. le duc de Saxe-
Cobourg ot Gotiia, son fils, cl son neveu le prince Philippe de
Wurtemberg. Certains journalistes ont eu l'impudence d'écrire,
sachant parfaitement que ce qu'ils disaient était faux, que ces
princes avaient aervi dans l'armée prussienne et combattu les
Français dans la dernière guerre. Non seulement le fait est
erroné, mais, en 1866, M. le duc de Saxe-Cobourg et Gotha et
son fils se trouvaient à la bataille de Sadowa, contre l'armée
prussienne, dans l'armée autrichienne. Quant au prince Philijipe
de \N'urleml)crg, il s'efforça pendant ce toriùble hiver de 1870-
1871 d'adoucir les souffrances des malheureux soldats français
pi-isonniers dans des casemates lmiiii<les.
MADAME LA COMTESSE DE PARIS 155
passion. A Twickenhain, comme aujourd'hui en
Angleterre, elle s'entourait de tout ce qui pou-
vait rappeler son pays. Excellente musicienne,
ayant une voix superbe, elle aime à jouer et à
chanter dans l'intimité les mélodies de Gounod, son
auteur de prédilection. Par sa mise à la fois simple
et de bon goût, elle montre qu'il n'est pas besoin
pour paraître belle de ce luxe exagéré qui régnait
sous le second Empire.
Nous tenons à dire un mot sur les prétendues
divisions qui auraient existé entre M. le comte
de Paris et son oncle, M. le duc d'Aumale. Ja-
mais elles n'ont eu lieu un seul jour^ et ce
bruit ridicule, que M. le duc d'Aumale avait ses
partisans comme M. le comte de Paris les siens, a
été inventé par les adversaires des princes d'Or-
léans, qui cherchent vainement à persuader au
pays qu'il y a plusieurs partis d'Orléans. Les répu-
blicains ne peuvent se consoler de voir la famille
royale aussi unie, et la France disposée tous les
jours davantage à trouver en elle sa suprême res-
source contre « ces deux grands ennemis de
l'ordre et de la dignité humaine (a dit, si juste-
ment, M. de Montalivet), qui se tiennent, s'allient
souvent, et se succèdent toujours : le césarisme et
la démao^offie ».
Un grand malheur allait frapper la famille royale.
Le seul fils qui fut resté au duc d'Aumale, celui
qui, depuis la mort du prince de Gondé, consolait
156 MORT DU DUC DE GUISE
sa tristesse et peuplait son isolement, selon l'ex-
pression de M. Edouard Hervé, le duc de Guise
mourut le 25 juillet 1872, après cinq ou six jours
de maladie, emporté par une fièvre scarlatine,
contre laquelle les secours de l'habile et dévoué
docteur Guéneau de Mussy furent impuissants.
Il allait passer, à la Sorbonne, son examen de
bachelier es sciences ; pendant sa maladie, il ne
parlait que de cet examen que son état l'empê-
chait de subir, et il se désolait de ne pas se trou-
ver, au jour fixé, à ce qu'il appelait son poste
d'honneur.
La marche du mal fut si rapide, qu'une partie de
sa famille ne put revenir à temps pour être auprès
de lui à ses derniers moments. M. le comte de Paris
cependant, qui avait pour lui une profonde affec-
tion, était arrivé quelques heures avant le fatal
événement. Les secours de la religion lui furent
donnés par Fabbé Guelle, qui avait déjà rendu ce
douloureux office à un grand nombre de membres
de la famille d'Orléans. Le jeune prince mourut
avec un grand courage , conservant sa connais-
sance presque jusqu'à la dernière minute, moins
ému que ceux qui l'entouraient, et surtout que
son malheureux père.
La mort, si prompte, si imprévue, du duc de
Guise avait surpris M. le comte de Paris, occupé
à parcourir la France depuis le commencement
du printemps.
EXCURSIONS EN FRANCE 157
Le prince avait utilement occupé ses loisirs. Au
mois d'avril il s'était rendu à Bourges pour visiter
les établissements militaires. Pendant les mois de
mai et juin, il avait étudié en France la question
ouvrière, qu'il ne lui avait été permis jusqu'alors
d'étudier de près qu'en Angleterre.
Déjà, au mois d'avril 1872, il était allé à Paris,
dans les usines de Belleville et de la Villette, s'en-
quérir de la condition des ouvriers, de leur sa-
laire, de leur bien-être, prenant de nombreuses
notes; presque toujours reconnu à la fin de la
visite, il avait été accueilli partout avec respect, et
dans ces quartiers de Paris, considérés comme
animés d'un très mauvais esprit, jamais aucun cri,
aucune parole blessante pour ses oreilles ne fut
prononcée devant lui.
M. le comte de Paris visita dans le département
du Gard, Nimes, Bessèges, Alais, et surtout les
mines de houille de la Grand'Combe, qui l'inté-
ressèrent particulièrement.
La compagnie des mines de la Grand' Combe,
sous l'influence intelligente de MM. de Roths-
child, fournit un exemple frappant du bien que
l'on peut faire aux ouvriers, qui savent reconnaître
les soins dont ils sont entourés : caisse de retraite
pour la vieillesse, pensions aux veuves, secours
aux enfants. L'administrateur- directeur et l'ingé-
nieur en chef expliquèrent à M. le comte de Paris
à quel point était bon l'esprit de la population, et
158 EXCURSIONS EN FRANCE
lui firent remarquer que presque toujours dans les
élections, sur 3,000 votants environ, le candidat
conservateur, quelle que fût son opinion politique,
avait près de 2,400 voix.
M. le comte de Paris se rendit ensuite aux usines
de Fourchambault, près de Nevers, et de là alla
voir M. le comte de Montalivet dans son beau
château de Lagrange, non loin de Sancerre. Après
quelques jours de repos, il parcourut, dans le
Nord, les mines d'Anzin, qui fixèrent vivement son
attention, et dont M. Casimir Périer et le général
de Chabaud- Latour lui firent les honneurs. Peu
après, accompagné de M. le duc de îiroglie, il
partit pour Saint-Gobain, cette importante manu-
focture de glaces que l'Europe admire et nous
envie. La Touraine eut aussi sa visite. Dans ces
excursions, il conservait toujours l'incognito, dé-
sirant tout voir, tout connaître, s'instruire en un
mot, mais ne recherchant nullement les brillantes
réceptions. A la fin de juin 1872 , l'auteur de ce
livre avait l'honneur de faire visiter les châteaux
de Blois, Chaumont, Chenonccaux, Chinon, à M. le
comte de Paris, à Madame la comtesse de Paris et à
M. le duc de Montpensier, salués partout avec
respect dès que leur incognito était découvert.
Désireux de se reposer de ces excursions,
M. le comte de Paris alla avec Madame la comtesse
de Paris et ses enfants passer quelque temps au
bord de la mer, en Bretagne, à Dinard, d'où il
PREMIÈRE VISITE DU PRINCE A EU 159
devait être rappelé par la fin prématurée de l'in-
fortuné duc de Guise.
Peu après il arriva à Eu. C'était sa première
excursion à Eu depuis son retour de l'exil. Après
avoir fait avec M. Estancelin une promenade à
cheval aux environs de la ville d'Eu, M. le comte
de Paris se rendit à l'église, qu'il visita en détail,
admirant la beauté de la vieille abbatiale. Puis il
descendit, accompagné par le curé, dans l'église
souterraine, où sont les tombeaux des comtes
d'Eu. Le prince se rendit ensuite aux usines
Packam. Tous les ouvriers, attendant M. le comte
de Paris, étaient rangés dans la cour. Un bou-
quet lui fut offert en leur nom par la fille du
gérant, M. Marc. Un des contremaîtres, M. Des-
jardins, lut ensuite à M. le comte de Paris, au
nom des ouvriers de la ville d'Eu, l'adresse
suivante :
Monseigneur,
Autrefois, tout enfant encore, Votre Altesse Royale se
plaisait à visiter ces vastes usines fondées par le roi Louis-
Philippe, irrécusables monuments de la haute sollicitude
de votre auguste aïeul pour la classe ouvrière, pour l'agri-
culture et pour l'industrie.
Depuis plus de quarante années, ces usines servent en
effet à manufacturer les produits de la contrée au milieu
de laquelle elles sont situées, en même temps qu'elles pro-
curent, avec le travail, les ressources nécessaires pour
élever nos familles.
160 PREMIÈRE VISITE BU PRINCE A EU
Fidèle aux sages et fécondes traditions du fondateur de
ces usines, Votre Altesse Royale, en les visitant aujour-
d'hui, témoigne de la même bienveillante sollicitude pour
les véritables intérêts du })ays ; nous vous en remercions
pour notre part. Monseigneur, avec d'autant plus d'effusion
et de reconnaissance que nous connaissons, par vos ou-
vrais, les études sérieuses que vous avez faites sur la
classe ouvrière et sur les moyens d'améliorer son sort.
Aussi c'est du fond de notre cœur, où il est resté trop
longtemps contenu, que nous poussons ce cri : Vive le
comte de Paris !
Le prince répondit que pendant son long exil
les souvenirs affectueux qui lui étaient transmis
de la part des habitants d'Eu, au milieu desquels
il était heureux de se retrouver, avaient été une
consolation pour lui. Ses paroles furent chaleu-
reusement acclamées.
M. le comte de Paris se rendit ensuite dans l'éta-
blissement de M. Fluttre, qui venait de recevoir
une médaille de l'Association normande pour la
perfection de son travail. Là, comme aux usines
Packam, il reçut des ouvriers cl de la foule, qui
se pressait sur son passage, l'accueil le plus em-
pressé. De là M. Eslancelin accompagna le prince
à la verrerie de la Grande-Yalléc, dans la foret
d'Eu.
M. le comte de Paris, après son excursion en
Normandie, partit pour Aix-les-Bains, où il alla
rejoindre M. le duc d'.Aumale. M. le comte de
« LA SITUATION DES OUVRIERS EN ANGLETERRE » i<31
Paris tenait ainsi à adoucir la solitude de son
oncle, si malheureux depuis la mort du duc de
Guise.
Avant de revenir à Paris, M. le comte et Madame
la comtesse de Paris , après s'être rendus chez
M. Casimir Périer, dans l'Isère, s'arrêtaient quel-
ques jours au château de la Grave, près de Li-
bourne, chez M. le duc Decazes, puis h Bordeaux,
où ils étaient accueillis avec le plus vif empresse-
ment. C'est ainsi que s'écoula la première année
du retour en France de M. le comte de Paris.
Au mois de mars 1873, M. le comte de Paris
publia en un volume le travail sur la Situation des
Ouvriers en Angleterre^ qu'il venait d'adresser à la
commission d'enquête sur les classes ouvrières
instituée par l'Assemblée nationale. En lisant ce
livre, qui obtint un brillant succès, on sent qu'en
étudiant la situation des ouvriers en Angleterre,
le prince pense sans cesse à la situation des
ouvriers en France. Dans cet exil où tout et
tous lui parlaient de cette patrie dont il avait été
banni si jeune, le but unique de toutes ses études
était de se rendre capable, à quelque position que
la Providence l'appelât, de faire du bien à son
pays.
Cet ouvrage est divisé en trois parties princi-
pales : le salaire, l'association, la protection; c'est-
à-dire la vie matérielle, la vie morale et la vie
sociale de l'ouvrier. On a pu, dans une certaine
11
162 \"OYAGE KX Al'RIoi-'K
presse, critiquer systémaliquemeiit ce livre et
refuser d'y voir Texposé réel et sincère de la vie
de l'ouvrier anglais. On a voulu oublier que
M. le comte de Paris ne nous propose pas, et avec
raison, pour la France tout ce qu'il loue en Angle-
terre; toujours est-il que tout esprit impartial
lira ce volume avec intérêt et profit.
Pour nous servir des éloquentes expressions
par lesquelles, en terminant son livre, M. le comte
de Paris dépeint l'Angleterre, nous ne désespé-
rons pas de voir un jour la France,
forte de ses institutions, respectant le passé, scrutant
le présent, aller virilement au-devant des problèmes de
l'avenir. Dans ces questions graves et délicates, elle don-
nera l'exemple d'une politique vraiment réformatrice, c'est-
à-dire ni révolutionnaire ni routinière, qui cherche à aug-
menter avec la liberté la responsabilité de l'individu, qui
efiace autant que possible de ses codes les mesures préven-
tives, en même qu'elle apprend au plus humble citoyen
que le respect religieux de la loi par tous est la seule
garantie de la liberté de chacun.
Dans les premiers jours de nuii 1873, M. lecomte
de Paris, désireux de connaître cette terre d'Afri-
que, illustrée jadis par son père et ses oncles,
accompagna M. le duc de Chartres qui allait
rejoindre son régiment à Gonslantine. Le prince
parcourut rapidement les principales villes de
notre colonie. 11 visila successivement Bône,
Gonstanline, Blidah, Oran et Alger, accueilli par-
VISITK AU MARÉCHAL DE MAC MAHON 163
tout avec sympathie, siirlout par les autorités mili'
taire s.
Les graves événemenls qui se préparaient à la
suite des élections du 27 avril et du 11 mai 1873
hâtèrent le retour en France de M. le comte de
Paris. L'Assemblée nationale, dontles vacances se
terminaient le 19 mai, reprit ses séances ce môme
jour à Versailles. Le 20, M. le comte de Paris
arrivait à Chantilly. Gomme toute la France, les
princes d'Orléans accueillirent avec satisfaction le
nouveau gouvernement du 24 mai.
Quelques jours après que le glorieux vaincu de
Reichshoffen, le maréchal de Mac Mahon,eut cons-
titué un ministère résolu à une politique éncrgi-
quement conservatrice, M. le comte de Paris se
rendit à Versailles, chez M. le président de la
République. Le maréchal était absent ; mais le
lendemain, dimanche l*"" juin, il alla à Paris pour
rendre au prince sa visite. Reçu immédiatement,
le maréchal de Mac Mahon s'entretint avec M. le
comte de Paris, lui parlant de l'Afrique, où il avait
fait ses premières armes, et du discours que venait
de prononcer, à Langres, M. le prince de Joinville.
Peu de jours après la revue du 12 juillet 1873 pas-
sée en l'honneur du shah de Perse, l'Assemblée
nationale se séparait et s'ajournait au 5 novembre.
Ce fut alors, à la fin de juillet, que M. le comte
de Paris réunit chez lui ses oncles et son frère
le duc de Chartres, pour leur faire part de son
104 M "^ LE COMTE DE PARIS A VIENNE
intention d'aller à Vienne, voir M. le comte
de Chambord. Tous l'approuvèrent. Depuis deux
ans, M. le comte de Paris attendait avec impa-
tience le moment où il pourrait faire cette visite.
« Comme on l'a dit avec justesse, le trait dis-
tinctif du caractère de M. le comte de Paris, c'est
un patriotique désintéressement. L'acte poli-
tique du 5 août en est la preuve. L'entrevue de
Frohsdorfa pu causer, en France et en Europe,
une vive surprise. Elle n'a étonné aucun de ceux
qui ont l'honneur de connaître M. le comte de
Paris. Cette démarche, libre et volontaire, il l'a
faite comme la chose la plus simple et la plus
naturelle, en vue de reconstituer en France l'unité
de la grande cause royaliste; sans cette unité, au-
cune possibilité, aucune espérance de relier en un
faisceau les forces éparses du parti conservateur.
Là où était la nécessité, le prince s'est dit que là
était le devoir, et il n'a pas hésité. »
Ce qu'il avait résolu de faire, il l'a fait à l'heure
qu'il s'était choisie avec l'à-propos et le tact d'un
sage et profond politique. Ceux qui le persécu-
taient (le mot est juste) pour qu'il avançât son
voyage à Frohsdorf , ne songeaient point que ,
l'accomplir avant le 24 mai, c'eut été s'exposer à
en compromettre à tout jamais les résultats au-
jourd'hui acquis. Au pouvoir alors, dominant la
situation et les partis, M. Thiers avec sa merveil-
leuse et nuisible habileté, n'eût pas manqué de
M"'" LE COMTE DE PARIS A VIENNE 165
ruiner, au profit de l'idée républicaine, l'union
monarchique en la dénonçant, et au besoin,
en la châtiant comme un complot. La lettre de
M. Thiers au maire de Nancy, le 29 septembre,
montra que M. le comte de Paris avait vu juste.
On accusait partout depuis deux ans les princes
d'Orléans d'être les seuls obstacles au rétablisse-
ment de la monarchie. Rien n'était plus injuste.
Mais cette idée faisait de tels progrès dans le
public, qu'elle entrait dans l'esprit des hommes
les plus modérés.
Selon la parole célèbre : « En révolution il est
plus difficile de connaître son devoir que de le
faire, » M. le comte de Paris avait compris quel acte
important pour la France il allait accomplir, et il
n'hésita pas.
La nuit du 24 mai avait heureusement donné le
pouvoir au maréchal de Mac Mahon. Mais la France
subissait encore l'occupation étrangère, l'Assem-
blée était réunie, et la visite de M. le comte de Paris
au chef de la maison de Bourbon aurait pu créer de
sérieux embarras au ministère nouveau. On aurait
pu aussi reprocher aux princes de préparer le
retour de la monarchie sous la protection des
baïonnettes prussiennes ; il fallait attendre encore.
Les députés en vacances, le moment était pro-
pice. M. le comte de Paris alla installer Madame
la comtesse de Paris et ses enfants à Villers-sur-
Mer, près de Trouville, puis il partit pour la Suisse,
166 M^' LE COMTE DE PARIS A VIENNE
avec son oncle, le jîiince de Joinville. Il préférait
éviter le bruit qu'aurait causé sa visite, et dési-
rait surtout que M. le comte de Chambord n'en
fût informé qu'après son arrivée à Vienne.
En Suisse, il fut reconnu par un ami du prince
Louis Bonaparte, qui alla immédiatement dire
au fils de Napoléon III qu'il venait de rencon-
trer M. le comte de Paris. M. Thiers fit insérer
le départ du comte de Paris pour Vienne, dans
le National. Cette nouvelle avait été annoncée si
souvent depuis deux ans, que personne n'y attacha
la moindre attention. On n'y ajouta foi que lorsque
toute la presse publia des dépêches de Vienne,
annonçant l'arrivée du prince, dans cette ville,
le samedi soir 2 août.
Le lendemain 3, M. le comte de Paris envoya
une dépêche à M. le comte de Chambord, lui de-
mandant quel jour et en quel lieu il voudrait bien
le recevoir. Le comte de Chambord sortait de la
messe, lorsque cette dépêche lui fut remise, en
présence de madame la comtesse de Chambord,
de M. le comte de Vanssay et de M. le comte
de Blacas. On nous a assuré que l'augusle chef
de la maison de Bourbon lut avec émotion la
dépêche, et que son visage respirait à la ibis la
joie et la surprise.
M. le comte de Chambord télégraphia immédia-
tement à M. le comte de Paris que le lendemain,
danslajournée, il reccvraitla réponse qu'il désirait.
M'"" LE COMTE DE CHAMBORD ET M'"' LE COMTE DE PARIS 167
Le 4, M. le comte de Vanssay se rendait à Vienne,
et à une note qu'il remit au nom de M. le comte
de Ghambord à M. le comte de Paris, celui-ci
'répondit immédiatement, de sa main, ce qui suit :
Vienne, 4 août 1873.
M. le comte de Paris pense comme M. le comte de
Chambord qu'il faut que la visite projetée ne donne lieu à
aucune interprétation erronée.
Il est prêt, en abordant M. le comte de Chambord, à lui
déclarer que son intention n'est pas seulement de saluer le
chef de la maison de Bourbon, mais bien de reconnaître le
principe dont M. le comte de Ghambord est le représentant.
Il souhaite que la France cherche son salut dans le
retour à ce principe, et il vient auprès de M. le comte de
Chambord pour lui donner l'assurance qu'il ne rencontrera
aucun compétiteur parmi les membres de sa famille.
M. le comte de Paris pria seulement M. de Vans-
say de vouloir bien faire part à M. le comte de
Chambord de l'intention où étaient ses oncles et
lui-même de servir dans l'armée française.
A cette loyale déclaration, M. le comte de Gham-
bord répondit cette phrase significative : «... Je
trouve très naturel le désir de mes cousins de
rester dans l'armée, tant que la France est en
République, je ne le comprendrais pas si c'était
sous une monarchie, autre que la monarchie
légitime »
Le mardi 5 aoiit, à neuf heures du matin, M. le
168 ENTREVUE DE FROIISDORF
comte de Paris arrivait au château de Frolisdorf,
situé à une heure de Vienne, en chemin de fer.
Introduit dans le salon où le comte de Ghambord
l'attendait. M. le comte de Paris, après avoir serré
la main que lui tendait son cousin, s'exprima ainsi :
(( Mon cousin, en saluant aujourd'hui le chef de
notre maison, en mon nom, comme au nom de
[ouïe ma famille, je viens reconnaître en môme
temps le principe monarchique dont vous êtes
le seul représentant en France. Le jour où notre
pays comprendra que son salut est dans la res-
tauration de la monarchie, soyez persuadé que
vous ne trouverez de compétiteur au trône, ni en
moi, ni en aucun membre de ma famille. » A ces
paroles, le comte de Ghambord, fort ému, se leva,
et les deux princes s'embrassèrent. Leur conver-
sation continua sur le ton de lu plus grande cor-
dialité. M. le comte de Paris s'entretint surtout de
la France, de l'état des esprits, et, sans parler spé-
cialement du drapeau tricolore, laissa comprendre
à son cousin que l'Assemblée nationale, par l'or-
gane de ses représentants, aurait à régler bientôt
avec lui, espérait-il, les moyens de rétablir la mo-
narchie. A la fin de leur conversation, M. le comte
de Ghambord lui dit ces mots : « Groyez que
je (rouve tout naturel que vous conserviez les
opinions politiques dans lesquelles vous avez
élé élevé; l'héritier du liône peut avoir ses
idées, comme le Roi les siennes »
ENTREVUE DE FROHSDORF 169
Il présenta ensuite M , le comte de Paris à Madame
la comtesse de Chambord qui lui fit le plus aima-
ble accueil. M. le comte de Paris resta plusieurs
heures à Frohsdorf, après le déjeuner. Il repartit
pour Vienne vers quatre heures, car le soir il
devait diner chez l'empereur d'Autriche, et se
rendre avec lui à l'Opéra à une représentation de
gala en l'honneur du Shah de Perse.
Telle fut cette première entrevue entre le petit-
fils du roi Louis-Philippe P'" et le petit-fils du roi
Charles X. Les journaux républicains pous-
sèrent des cris de rage et insultèrent à l'envi les
princes d'Orléans et le comte de Chambord.
On voit combien cette réconciliation des deux
branches de la maison de Bourbon avait été
spontanée, loyale et franche. On remarquera le
noble langage du comte de Chambord, comprenant
et appréciant l'abnégation et le désintéressement
de M. le comte de Paris. Aussi ne nous arrête-
rons-nous pas plus longtemps aux commentaires
des ennemis des princes, furieux et dépités
de voir leurs espérances ajournées indéfiniment
par l'union des deux branches de la maison de
Bourbon.
Mais il faut le reconnaître ! Le parti républicain
eut alors une singulière prétention. Il poursuivit
avec acharnement le dessein d'établir, pièces en
main, àla lumière de l'histoire, que l'union du parti
monarchique, et le parfait accord qui régnait entre
170 LA FUSION
les légitimistes et les orléanistes, constituaient
une atteinte aux droits, une infraction aux devoirs
des uns et des autres; et, pour préciser, que ce qui
se passa le 5 août .1873 était une injure à la mé-
moire du comte de Chambord et du roi Louis-
Philippe. Des chefs de l'opportunisme ont osé
dire : « M. le comte de Paris, en acceptant
l'héritage politique de M. le comte de
Chambord, a trahi la mémoire et les enseigne-
ments de sa famille. Les légitimistes, en recon-
naissant, comme ils l'ont fait, M. le comte de
Paris pour le chef indiscutable de la maison de
France , ont brisé la tradition de leur parti et
manqué de respect à M. le comte de Chambord. »
On remplirait des volumes avec les articles dans
lesquels ce double thème a été développé à sa-
tiété.
Eh bien! un témoin surgit qui détruit ces
erreurs, et ce témoin, nous ne pensons pas
que les républicains récusent ni son auto-
rité ni sa compétence. Il s'agit, en effet, de
l'homme d'Etat le plus considérable de la monar-
chie de Juillet. Grand orateur, grand historien,
écrivain de premier ordre : nous avons nommé
M. Guizot. Sa fille. M"' de Witt, a recueilli pieu-
sement quelques-unes des lettres de M. Guizot à
sa famille et à ses amis ; elles forment un seul
volume, mais le volume est de choix. On y re-
trouve, ("ommc en un fragment de iniroii- brisé,
LE ROI LOUIS-PHILIPPE ET LA FUSION 171
les meilleures qualités de ce puissant esprit, ses
vues larges et profondes sur les hommes et sur
les choses de son temps, dans un style merveil-
leusement adapté aux généralisations, et habile
à exprimer la vérité tout entière en deux phrases,
en de courts fragments, pour la plupart impro-
visés.
Or, il résulte des lettres de M. Guizot, qu'après
la révolution de 1848, dans l'intervalle qui s'é-
coula entre l'avènement du prince Louis-Napoléon
à la présidence de la République et le coup d'Etat
du 2 décembre 1851, les partisans de la monarchie
traditionnelle et les serviteurs de la royauté de
Juillet étaient unanimes sur la nécessité et Tur-
gence d'une réconciliation sincère et d'une fusion
définitive entre toutes les forces monarchiques de
ce pays. Non seulement M. Guizot, pour sa part,
était entré dans ces idées sans aucune espèce de
réserve, mais sa correspondance nous révèle que
le roi Louis-Philippe les favorisait de tout son
pouvoir, les appuyait de toute son autorité. Le roi
disait à M. Guizot, en juillet 1850 :
« Mon petit-fils ne peut régner au môme titre et
aux mêmes conditions que moi, qui ai fini par
échouer. Il ne peut être que roi légitime, soit par
la mort, soit par l'abdication de M. le duc de
Bordeaux, soit à son tour. Mais je n'ai, quant à
présent, ni résolution à prendre, ni démarche à
faire. Je n'ai qu'à attendre. C'est un grand mal
1/2 LE ROI LOUIS-PHILIPPE ET LA FUSION
que la désunion de la maison de Bourbon : je
n'y ajouterai pas le scandale de la désunion de
la maison d'Orléans. Il faut que tous les miens
soient de mon avis. Tous mes fils en sont. Mais
ce n'est pas tout. Il faut du temps : il me faut
du temps ^ »
Toutefois ni le roi Louis-Philippe ni M. Guizot
n'estimèrent que ce fût assez, dans les circons-
tances où se trouvait alors le pays, de former des
vœux platoniques en faveur de la fusion. Avec les
conseils, avec les encouragements du premier, le
second se mit en mesure de faire parvenir à M. le
comte de Chambord l'expression des idées qui
avaient cours à Claremont, et de préparer le
terrain à une solution qui, dès cette époque, était
chère aux meilleurs esprits. M. Guizot rédigea
donc à la fin de Tannée 1850 une note développée
sur les conditions dans lesquelles pouvait s'ac-
complir la réconciliation des partis monarchiques.
Cette note est une des pages les plus judicieu-
ses et les plus élevées qui soient sorties de la
plume de M. Guizot. Après avoir défini ce qui doit
appartenir en propre aux légitimistes et aux
orléanistes dans l'exercice du gouvernement royal,
fauteur posait ainsi ses conclusions :
« En 1830, une grande, une très grande partie
de la nation s'est sentie attaquée et mise en péril
1. M. Gui/.ot à M. de Baraiile, 9 juillet 1850.
UNE NOTE DE M. GUIZOT 173
dans ses droits, dans ses intérêts, dans son hon-
neur. Elle a fait ou approuvé, contre le droit mo-
narchique, une révolution. A lort ou à raison, elle
n'a pas cru pouvoir défendre par un autre moyen
ses intérêts, son honneur, ses droits. La révolu-
tion faite, le pays et son gouvernement nouveau
se sont efforcés de l'arrêter, de la régler, d'en faire
sortir, sous un prince de la maison de Bourbon,
une monarchie constitutionnelle. Cette monarchie
a duré dix-huit ans. Pendant dix-huit ans, elle a
maintenu l'ordre légal en France et la paix en
Europe. Pendant dix-huit ans, la France a vécu
libre et prospère. Nul autre gouvernement, de-
puis soixante ans, n'a duré davantage et n'a plus
sincèrement et plus libéralement gouverné. En
1848, ce gouvernement a été soudainement ren-
versé. Sans regarder plus avant, sans rechercher
les causes secondaires de sa chute, on est en
droit de dire qu'il ne possédait pas toutes les con-
ditions vitales de la durée.
« Ce sont là deux grands faits qui planent
maintenant sur tous les partis, et qui, pour M. le
comte de Chambord et pour la France, doivent
présider à toute politique. On peut dire que Dieu
a parlé. La France doit reconnaître que le respect
du droit monarchique et l'union des partis monar-
chiques sont indispensables à la monarchie. M. le
comte de Chambord doit reconnaître que la mo-
narchie de 1830 a été nationale et légale, et qu'elle
174 UNE NOTE DE M. C4UIZ0T
a sauvé la France de l'anarchie. Par cette altitude
simultanée, ni M. le comte de Ghambord ni la
France n'abandonnent leur dignité et leur droit.
Ils se rapprochent sans se renier. Ils rendent
ensemble hommage à la vérité et à la néces-
sité'. »
La note de M. Guizot avait été mise sous les
yeux de M. le comte de Ghambord par l'intermé-
diaire de M. le duc de Noailles. Le prince l'exa-
mina avec l'attenlion qui lui était due, et y répon
dit, comme on sait, par une des plus magnifiques
lettres de sa correspondance. M. le comte de
Ghambord, après avoir rendu hommage à la supé-
riorité d'esprit, à la haute capacité el à la longue
expérience de M. Guizot, ajoutait : « Je les ai lues
(ces pages) avec d'autant plus d'intérêt et de
satisfaction que, sur la plupart des points et
à quelques différences près, je partage les pensées
et les vues qu'elles expriment. »
G'est donc le programme tracé par M. Guizot
d'une main si magistrale en 1850 qui s'est exé-
cuté en 1873. Libre au parti républicain de traiter
de haut l'évolution si patriotique et si nationale
que les conservateurs accomplirent, mais ce que
nous contestons à nos adversaires, c'est de pouvoir
prétendre qu'elle a eu lieu en opposition avec
les traditions respectives des deux partis monar-
1, Lettres fie M. Guizot. Note sur la fusion, novonibre 1850,
elle/. IliuheUe.
m""' le comte de chambord chez m^'' le comte de rAHI.S 175
chiques. En réalité, leur union, désormais indis-
soluble, est au même degré l'œuvre du roi Louis-
Philippe et de M. le comte de Chambord.
Le 5 août 1873, M. le comte de Chambord reçut
aussi là visite de M. le prince de Joinville, qui lui
exprima des sentiments en parfait accord avec ceux
de son neveu. Le lendemain, M. le comte de Cham-
bord rendait, à Vienne, à M. le comte de Paris, la
visite qui lui avait été faite. Dans cette seconde
entrevue, le comte de Chambord parla beaucoup à
M. le comte de Paris de ses enfants, et lui demanda
leurs photographies. Pour le chef de la maison de
Bourbon, en effet, la fusion des deux branches de
sa famille ne consistait pas seulement à oublier
des deux côtés la politique passée, mais aussi à
retrouver toutes les joies de la famille, dont il
avait été sevré depuis tant d'années. Une fatale
désunion l'avait empêché de connaître, même de
vue, ceux qui étaient comme lui du sang de Bourbon.
Un journal a dit à propos de l'entrevue de
Frohsdorf :
« C'est alors que par l'initiative généreuse et
hardie de M. le comte de Paris, le chef de la maison
de Bourbon voit arriver chez lui des hommes qui
témoignèrent une émotion que peuvent seuls
éprouver des gens de cœur. Autour d'eux des fem-
mes, des enfants de tous âges, de brillants officiers
comme le duc de Chartres, de ravissantes jeunes
filles comme la princesse Blanche de Nemours, se
176 M-'"" LE COMTE DE PARIS A VILLERS-SUR MER
tiennent dans une respectueuse et afFectueuse atti-
tude. Les mains se tendent, les yeux s'emplissent
de larmes, et l'homme qui semblait destiné à pas-
ser sa vie près d'un foyer désert reçoit dans ses
bras toute une famille, des frères, des sœurs, et
jusqu'à des bébés comme le petit duc d'Orléans,
qui grimpent sur ses genoux et commencent à
Taimer, en même temps qu'à le connaître. Une
seule idée reste au fond de tous ces cœurs : le re-
gret du temps perdu dans l'isolement, le désir de
le réparer.
« Quant au prince vers qui on est venu, cette
jeunesse lui rend sa jeunesse, son cœur a trouvé
à qui parler, il possède enfin une famille, et les
basses jalousies ou les haines aveugles auront beau
s'agiter au dehors, elles ne désuniront pas ce qui
a été si bien cimenté. Qu'on le comprenne bien : la
réunion des deux branches de Li maison de Bour-
bon fut d'autant plus solide qu'il s'agissait pour
elles non seulement de rapprocher leurs familles,
mais encore de sauver la France qui sans la mo-
narchie ne tarderait pas à périr. »
M. le comte de Paris revint à Paris au milieu
d'août. Il ne fit qu'y passer, et rejoignit sa famille
à Villers-sur-Mer. La visite du 5 août avait eu un
immense retentissement en France. Partout on
approuvait M. le comte de Paris qui, dès son retour
à Villers le 18 août, écrivait à un ami :
I^TTRE DE M^'"" LE COMTE DE PARIS 177
Je vous remercie d'avoir si bien compris et apprécié ma
récente démarche au])rès de M. le comte de Chaïubord. J'ai
été inspiré par une pensée d'union. J'ai voulu écarter tout
ce qui pouvait faire obstacle à cette union des conserva-
teurs, fondée sur des intérêts communs, et sur un respect
des opinions de chacun, partout où il peut y avoir diver-
gence. Cette union peut seule nous sauver des ennemis so-
ciaux.
Toute la presse conservatrice saluait avec joie
la réconciliation de la famille royale, et l'histoire
enregistrait avec une admiration, mêlée d'étonne-
ment, le plus grand acte de la vie politique de M. le
comte de Paris. Cet acte déliait sans effort le nœud
inextricable d'un malentendu de quarante années;
le pays tout entier, témoin ému de la patriotique ab-
négation de M. le comte de Paris, s'écriait avec joie:
« La France est sauvée, la monarchie est faite ! »
La presse étrangère, môme la plus hostile, ne
pouvait s'empêcher de s'écrier comme le Times:
« Peut-on concevoir rien de plus étrange ? Par
suite d'événements, auxquels il n'a pris aucune
part, le comte de Ghambordpeut, pour la première
fois depuis quarante-trois ans, voir en perspective
son arrivée prochaine et légale au trône de
France. Pour la première fois, depuis la mort de
Louis XVI, voici un prince français, appelé au
trône par sa naissance, qui succédera à la dignité
de ses ancêtres, sans avoir sollicité cette succes-
sion, et sans avoir eu recours, pour l'oblenir, à
12
178 UN ARTICLE DU « TIMES »
l'intrigue ou à la violence. Voici également (fait
étrange !) un prince qui renonce à sa compétition
au pouvoir, et qui, du plus formidable des préten-
dants, devient le plus loyal des sujets. En outre,
tout cela arrive au moment le plus inattendu, alors
que les plus ardents partisans de la fusion avaient
perdu tout espoir de succès. Le seul obstacle, en
vérité, qui semble se trouver sur la voie de la res-
tauration de la monarchie française est le prince
lui-même, qui depuis quarante ans a déclaré sans
cesse que la monarchie est le seul salut du pays.
Tout cela est incroyable, et cependant cela est. »
Dans toutes les classes de la société on avait la
plus grande confiance dans les intentions du comte
de Ghambord. Quelques personnes auraient désiré
que l'on hàtàt la convocation de l'Assemblée. On
attribuait à un haut personnage la réponse sui-
vante à ce sujet :
« Nous ne voulons pas replâtrer une monarchie ;
nous voulons l'établir sur une base solide. Quel-
ques mois de plus ou de moins n'ont d'importance
ni pour le pays ni })our le comte de Ghambord;
l'un et l'autre pourront réfléchir : la France sur ce
qu'elle se doit k elle-même, et le prince sur ce
qu'il lui doit »
Geux qui, jusqu'alors, avaient été les plus scep-
tiques, commençaient à croire à la restauration
de la monarchie, et on citait cette parole d'un de
nos plus spirituels conseillers d'État : « M. le
CALOMNIES RÉPUBLICAINES 179
comte de Chambord n'a jamais eu la couronne si
près de sa main, jamais il n'a été aussi sûr de s'en-
lever toute chance future, s'il laisse échapper l'oc-
casion actuelle. Cette situation nouvelle peut agir
sur lui, et, comme il est homme de devoir, l'éclai-
rer sur ses devoirs envers la France et envers la
royale maison dont il est redevenu le chef. Il y a
des prodigues qui se ruinent jusqu'au bout, il y en
a qui se rangent quand ils ont un enfant.»
Les républicains, remis de leur premier trouble,
ne perdirent pas leur temps. Pendant les mois de
septembre et d'octobre ils parcoururent les cam-
pagnes répétant toutes les absurdités sur l'ancien
régime, la dime,les billets de confession, etc., etc.
Dans certains villages, les paysans demandaient
s'il était vrai que les curés allaient remplacer les
maires, dans d'autres ils se hâtaient de vendre
leurs denrées pour éviter la dijue qui allait être
rétablie par Henri V ! Avec une perfide habileté,
les républicains exploitaient cette crédulité, et les
pèlerinages leur servaient de prétexte pour dire
que le clergé agitait le pays par des manifestations
politiques.
Pendant que les républicains répandaient leurs
calomnies contre les royalistes, le gouvernement
s'appliquait à conserver la plus stricte neutralité.
L'attitude des ministres était irréprochable, et
cela était d'autant plus méritoire que plusieurs
étaient ouvertement royalistes.
180 UNE LETTRE DE M^'' LE COMTE DE CHAMBORD
On était arrivé au 20 septembre. Beaucoup de
Français s'étaient rendus à Frohsdorf, et avaient
été parfaitement accueillis par le comte de Cham-
bord. L'un d'eux, ancien député orléaniste, M. le
vicomte D., oncle d'un député du centre gauche,
nous racontait qu'il n'avait pu s'empêcher de dire
au chef de la maison de Bourbon combien il était
heureux que la Providence eût donné à l'héritier
du trône, M. le comte de Paris, toutes les qualités
qui le distinguent
{( Certainement, répliqua le comte de
Chambord, j'ai été bien heureux d'apprécier,
comme il le mérite, M. le comte de Paris : c'est
une nature droite, honnête, et son intelligence,
son esprit, m'ont paru, comme à vous, tout à fait
remarquables »
En quittant le vicomte D., le prince lui serra
la main en lui disant : « A bientôt, au revoir, en
France. »
La veillede cette visite (19 septembre), M. le comte
de Chambord avait écrit la lettre suivante à M. le
vicomte de Rodez-Bénavent, député de l'Hérault :
Froshdorf, 19 septembi-o 1873.
Le sentiment qu'on éprouve, mon cher vicomte, en lisant
les détails que vous me donnez sur la propagande révolu-
tionnaire dans votre province, est un senlinicnt de tris-
tesse; on ne saurait descendre |)lus bas pour trouver des
armes contre nous, et rien n'est moins digne de l'esprit
français.
UNE LETTRE DE M'"' LE COMTE DE CHAMi;ORD iSl
En être réduit, en 1873, à évoquer le fantôme de la dîme,
des droits féodaux, de l'intolérance religieuse, de la [)er-
sécution contre nos frères séparés; que vous dirai-je en-
core ? de la guerre follement entreprise dans des conditions
impossibles, du gouvernement des prêtres, de la prédo-
minance des classes privilégiées ! Vous avouerez qu'on ne
peut pas répondre sérieusement à des choses si peu sé-
rieuses. A quels mensonges la mauvaise foi n'a-t-elle pas
recours lorsqu'il s'agit d'exploiter la crédulité publique?
Je sais bien qu'il n'est pas toujours facile, en face de ces
indignes manœuvres, de conserver son sang-froid ; mais
comj)tez sur le bon sens de vos intelligentes populations
pour faire justice de pareilles sottises. Appliquez-vous sur-
tout à faire appel à tous les honnêtes gens sur le terrain de
la reconstitution sociale. Vous savez que je ne suis point
un parti, et que je ne veux pas revenir pour régner par un
parti : j'ai besoin du concours de tous, et tous ont besoin
de moi. Quant à la réconciliation si loyalement accomplie
dans la maison de France, dites à ceux qui cherchent à
dénaturer ce grand acte, que tout ce qui a été fait le 5 août
a été bien fait dans l'unique but de rendre à la France son
rang, et dans les plus chers intérêts de sa prospérité, de
sa gloire et de sa grandeur.
Comptez, mon cher Rodez, sur toute ma gratitude et
ma constante affection .
Henri.
Cette lettre réfutait admirablement les men-
songes de la propagande révolutionnaire, mais ne
donnait pas encore la satisfaction si attendue
quant à la constitution et au drapeau. Car le prince
182 ANECDOTE SUR M^'"' LE COMTE DE CHAMBORD
ne tranchait aucune question, et laissait ainsi l'es-
pérance aux partisans de la fusion.
Voici une curieuse anecdote qui nous fut ra-
contée, à celte époque, par un des amis les
plus intimes de M. le comte de Chambord, atta-
ché vingt ans à sa personne, et qui fut conseiller
d'Etat sous la présidence du maréchal de Mac
Mahon :
Il y a une vingtaine d'années, le comte de Cham-
bord se trouvait à Munich, et assistait à un grand
bal donné par le roi de Bavière. La soirée était
des plus brillantes; diplomates ou grands sei-
gneurs, presque tous portaient un costume mili-
taire. Le roi de Bavière en causant avec le comte
de Chambord lui demanda pourquoi il ne lui avait
jamais vu porter un costume militaire.
« Vous allez le comprendra d'un mot, Sire,
répondit le prince : un uniforme m'entraînerait à
mettre une cocarde, et ce serait préjuger la ques-
tion qui ne peut être résolue que lorsque je serai
en France. »
Je m'abstiens de tout commentaire, et ferai re-
marquer seulement la sagesse de cette réponse
d'un prince qui prévoyait la possibilité pour lui
d'accepter le drapeau tricolore.
Beaucoup de députés se rendirent à Frohsdorf.
M. de Sugny, député de la Loire, et M. Mervcil-
leux-f)uvignaux, député de la Vienne, n'hésitèrent
pas à exposer au prince la situation telle qu'elle
M. CHESNELONCt a salzbourg 183
ressortait des réunions tenues à Versailles, tout
en déclarant qu'ils n'avaient pas mission de lui
poser un ultimatum.
Après une importante réunion de la droite, le
25 septembre, il fut décidé que M. Combler par-
tirait pour Frohsdorf, Ce député s'y rendit et
constata que les hésitations de M. le comte de
Chambord sur le drapeau tricolore duraient tou-
jours. M. Combler se sencontra à Frohsdorf avec
M. le duc de Chartres. Ce prince, retenu par son
devoir de chef d'escadron au 9° chasseurs, avait
profité d'un congé pour aller saluer le chef de la
maison de Bourbon, auprès duquel il se trouva le
29 septembre, jour anniversaire de sa naissance.
A cette occasion, M. le comte de Paris avait
adressé un télégramme à M. le comte de Cham-
bord, contenant ses félicitations, et en avait reçu
une dépêche des plus cordiales.
M. Chesnelong, député, se rendit, au nom de la
droite, à Salzbourg, le 12 octobre, et il vit longue-
ment le prince. Sa mission paraissait avoir réussi,
et à son retour, la joie la plus vive était mani-
festée par les feuilles conservatrices.
Cependant, à mesure que l'heure décisive ap-
prochait, l'anxiété était plus grande dans le parti
royaliste, surtout en présence du silence gardé
par M. le comte de Chambord.
Les feuilles anglaises et allemandes racontaient
que les chevaux et les voitures du roi étaient
184 UN MOT DU PRINCE NAPOLÉON
achetés, les piqueurs arrêtés par M. le comte de
Damas, qui serait allé visiter les écuries du
Louvre, et, ajoutait-on même, avait pris des ren-
seignements, auprès du général Fleury, sur
d'anciens serviteurs de l'empereur qui deman-
daient à entrer dans la maison du roi. Enfin, der-
nier détail, la couturière de Madame la comtesse
de Chambord avait reçu l'ordre de suspendre
l'envoi de plusieurs robes destinées à la princesse,
qui devait incessamment arriver à Paris.
Les ennemis de la monarchie ne restaient pas
inaclifs. Un journal radical offrait au prince Napo-
léon de s'unira lui contre les royalistes. Le prince
acceptait l'alliance dans une lettre rendue pu-
blique, qu'il faisait adresser à tous les maires de
France. Alors que l'émotion des partis s'ac-
centuait chaquejour, le « César déclassé » se ren-
contra à table, chez M. Emile de Girardin, qui
défendait avec éclat dans la Presse, avec M. Ro-
bert Mitchell, la cause de la monarchie constitu-
tionnelle.
« A quelles folies, lui dit-il, ne vous con-
duiront pas vos doctrines parlementaires? Voilà
([ue, pour en assurer le triomphe, vous allez à la
monarchie. Vous voulez donc revoir les anciens
droits, le clergé tout-puissant, les billets de con-
fession ! — Oh ! .Monseigneur, comment pouvez-
vous alléguer de telles sottises. Laissez cela aux
imbéciles?... — Je vous dis, s'écria le prince, que
SUKEXCITATION DE l/oPINION PUIiLIQUE 185
VOUS prendrez des bains d'eau bénite ! — Ma foi,
répliqua M. de la Guéronnière , j'aime encore
mieux un bain d'eau bénite qu'un bain de pétrole.
— Vous avez tort. »
« Ce trait authentique n'est-il pas un éloquent
commentaire de la lettre du prince Napoléon ^ ! »
On était arrivé au 27 octobre. Toute la polé-
mique qui, depuis quelques jours, agitait Paris,
mettait le comte de Chambord dans l'obligation de
faire connaître sa pensée. L'opinion publique était
très surexcitée. On faisait courir le bruit du
départ de M. le duc de Nemours, mandé par
le prince à Salzbourg, puis celui de M. de Falloux
et de M. Lucien Brun, pour obtenir la confir-
mation du langage tenu par M. Chesnelong. Le
Figaro écrivait à l'ex-impératrice Eugénie pour la
prier d'engager ses partisans à se dégager de leur
alliance avec les radicaux et de voter le rétablis-
sement de la monarchie.
Dans tous les salons on pointait les noms des
députés sur lesquels on pouvait compter et les
noms des douteux. Nous-même nous nous sommes
livré à un calcul scrupuleusement fait, et nous
croyons être au-dessous de la vérité en affirmant
que la monarchie aurait été volée par une majorité
de 30 à 40 voix.
Le 28 octobre, le Journal officiel publia un
1. La vérité sur fessai de restauration monarchique, attribué
à M. Ernest Daudet, page 134. Dcntu, éditeur.
186 UN COMPLOT ANARCHISTE
ordre du jour à l'armée, signé du maréchal de
Mac Mahon, et recommandant à l'armée de main-
tenir la discipline qui venait d'être violée par le
général Carrcy de Bellemare. Ce général, qui com-
mandait à Périgueux, avait écrit au ministre de
la guerre qu'il ne pouvait reconnaître la souve-
raineté de l'Assemblée nationale. Le ministre de
la guerre le mit immédiatement en non-activité
par retrait d'emploi, et cet acte de vigueur causa
dans l'armée, et dans toute la France, la meilleure
impression.
En même temps, la Gazette des Tribunaux an-
nonçait qu'un complot contre la sûreté publique
venait d'être découvert à Autun. M"^ la marquise
de Mac Mahon, nièce du maréchal, vivait au châ-
teau de Sully, veuve, entourée de ses enfants,
dans un village qu'elle comblait de ses bienfaits.
Des individus, affiliés à une société secrète,
avaient projeté de l'enlever comme otage. Plu-
sieurs des conjurés prirent la fuite, d'autres furent
arrêtés, avouèrent leur crime et furent sévère-
ment condamnés. On assurait que ce plan d'enle-
ver des otages existait dans plusieurs départe-
ments.
La journée du vendredi 30 octobre commença
sous les meilleurs auspices. A la Bourse, la con-
fiance était revenue, et on ne doutait pas de l'ad-
hésion du comte de Chambord aux sages proposi-
tions de la droite. Tout à coup, vers six heures du
LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873 187
soir, V Union parut avec la lettre suivante de M. le
comte de Ghambord à M, Chesnelong :
Salzbourg, 27 octobre 1873.
J'ai conservé, Monsieur, de votre visite à Salzbourg, un
si bon souvenir, j'ai conçu pour votre noble caractère une
si profonde estime, que je n'hésite pas à ra'adresser loya-
lement à vous, comme vous êtes venu vous-même loyalement
vers moi.
Vous m'avez entretenu, pendant de longues heures, des
destinées de notre chère et bien-aimée patrie, et je sais
qu'au retour vous avez prononcé, au milieu de vos collè-
gues, des paroles qui vous vaudront mon éternelle recon-
naissance. Je vous remercie d'avoir si bien compris les
angoisses de mon âme, et de n'avoir rien caché de l'iné-
branlable fermeté de mes résolutions.
Aussi ne me suis-je point ému quand l'opinion publique,
emportée par un courant que je déplore, a prétendu que
je consentais enfin à devenir le roi légitime de la Révo-
lution. J'avais pour garant le témoignage d'un homme de
cœur, et j'étais résolu à garder le silence, tant qu'on ne
me forcerait pas à faire appel à votre loyauté.
Mais puisque, malgré vos efforts, les malentendus s'ac-
cumulent, cherchant à rendre obscure ma politique à ciel
ouvert, je dois toute la vérité à ce pays dont je puis être
méconnu, mais qui rend hommage à ma sincérité, parce
qu'il sait que je ne l'ai jamais trompé, et que je ne le trom-
perai jamais.
On me demande aujourd'hui le sacrifice de mon hon-
neur. Que puis-je répondre ? Sinon que je ne rétracte rien,
que je ne retranche rien de mes précédentes déclarations.
188 LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873
Les [jrétentions de la veille me donnent la mesure des exi-
gences du lendemain, et je ne puis consentir à inaugurer
un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse.
Il est de mode, vous le savez, d'opposer à la fermeté
d'Henri V l'Iiabileté d'Henri IV. « La violente amour que
je porte à mes sujets, disait-il souvent, me rend tout pos-
sible et honorable. »
Je prétends, sur ce point, ne lui céder en rien ; mais je
voudrais bien savoir quelle leçon se fût attirée rim])ru-
dent assez osé pour lui persuader de renier l'étendard
d'Arqués et d'Ivry.
Vous appartenez, Monsieur, à la province qui l'a vu
naître, et vous serez, comme moi, d'avis qu'il eût prompte-
ment désarmé son interlocuteur, en lui disant avec sa
verve béarnaise : Mon ami, prenez mon drapeau blanc; il
vous conduira toujours au clicmia de l'honneur et de la
victoire.
On m'accuse de ne })as tenir en assez haute estime la va-
leur de nos soldats, et cela au moment où je n'aspire qu'à
leur confier tout ce que j'ai de plus cher. On oublie donc
que l'honneur est le patrimoine commun de la maison de
Bourbon et de l'armée française, et que, sur ce terrain-li\,
on ne peut manquer de s'entendre.
Non, je ne méconnais aucune des gloires de ma patrie,
et Dieu seul, au fond de mon exil, a vu couler mes larmes
de reconnaissance toutes les (ois que, dans la bonne ou
dans la mauvaise fortune, les enfants de la France se sont
montrés dignes d'elle.
Mais nous avons ensemble une grande œuvre à accom-
plir. Je suis prêt, tout prêt à l'entreprendre (juand on le
voudra, dès demain, dès ce soir, dès ce moment. C'est
LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873 189
pourquoi je veux rester tout entier ce que je suis. Amoindri
aujourd'hui, je serais impuissant demain.
Il ne s'agit de rien moins que de reconstituer sur ses
bases naturelles une société profondément troublée, d'as-
surer avec énergie le règne de la loi, de faire renaître la
prospérité au dedans, de contracter au dehors des alliances
durables, et surtout ne pas craindre d'employer la force
au service de l'ordre et de la justice.
On parle de conditions ; m'en a-t-il posé, ce jeune prince,
dont j'ai ressenti avec tant de bonheur la loyale étreinte,
et qui, n'écoutant que son patriotisme, venait spontané-
ment à moi, m'apportant au nom de tous les siens des
assurances de paix, de dévouement et de réconciliation ?
On veut des garanties; en a-t-on demandé à ce Bayard des
temps modernes, dans cette nuit mémorable du 24 mai, où
l'on imposait à sa modestie la glorieuse mission de calmer
son pays par une de ces paroles d'honnête homme et
de soldat, qui rassurent les bons et font trembler les mé-
chants ?
Je n'ai pas, c'est vrai, porté comme lui l'épée de la
France sur vingt champs de bataille, mais j'ai conservé in-
tact, pendant quarante-trois ans, le dépôt sacré de nos tra-
ditions et de nos libertés. J'ai donc le droit de compter sur
la même confiance, et je dois inspirer la même sécurité.
Ma personne n'est rien : mon principe est tout. La
France verra la fin de ses épreuves quand elle voudra le
comprendre. Je suis le pilote nécessaire, le seul capable
de conduire le navire au port, parce que j'ai mission et au-
torité pour cela.
Vous pouvez beaucoup. Monsieur, pour dissiper les
malentendus et arrêter les défaillances à l'heure de la lutte.
190 CONSTERNATION A PARIS
Vos consolantes paroles, en quittant Salzbourg, sont sans
cesse présentes à ma pensée ; la France ne peut pas périr,
car le Christ aime encore ses Francs ; et lorsque Dieu a
résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de
la justice soit remis en des mains assez fermes pour le
porter. tt
' Henri.
« Il n'y eut jamais rien de plus beau et de plus
désespérant que cette lettre , mais ce
qui nous échappe encore à l'heure qu'il est, ce
sont les considérants de celte sentence terrible
qui éclata sur nos têtes ^ »
Reprenons notre récit :
La consternation fut grande à Paris, et les fonds
baissèrent de 2 francs à la petite Bourse du boule-
vard. Les cafés regorgeaient de monde, on s'arra-
chait les journaux. Quelques personnes disaient :
« C'est une fausse lettre, c'est encore un tour de
M. Thiers, nous ne nous y laisserons pas pren-
dre ». De la Madeleine au faubourg Poissonnière,
on se disputait les journaux aux kiosques. Hélas!
cette lettre n'était que trop exacte.
M. le comte deChambord avait chargé le marquis
de Dreux-Brézé de la remettre à M. Chesnelong,
ce qui fut fait vers midi. En même temps, M. de
Dreux-Brézé avait l'ordre d'en envoyer une copie
au journal VUnion. M. Chesnelong supplia M. de
Dreux-Brézé d'attendre un jour , il ajouta qu'il
1 . Henri de France, par M. II. de Pêne, page 398.
PROROGATION DES POUVOIRS DU MARÉCHAL 191
allait télégraphier à Frohsdorf, pour rappeler au
prince ses paroles et les réponses qu'il avait
faites ; il s'offrit môme à partir immédiatement.
Le mandataire du comte de Chambord répondit
que tout était inutile, qu'il devait exécuter des
ordres formels, et que ni télégrammes ni visites
ne changeraient rien à une détermination irrévo-
cable. M. Ghesnelong envoya une copie de sa
lettre au vice-président du conseil des ministres
et partit pour Paris.
Les ministres s'étaient réunis : tous furent una-
nimes à reconnaître que le maréchal de Mac Mahon
n'était pas atteint par l'échec de la solution mo-
narchique, et le président de la République insista
auprès de ses ministres, pour qu'ils attendissent
la convocation de l'Assemblée, avant de lui remet-
tre leurs démissions. On mit en avant, successi-
vement, la solution de la proclamation de la mo-
narchie avec M. le comte de Paris, ouïe duc d'Au-
male régent. Quant à la lieutenance générale, le
maréchal répondit qu'il ne pouvait l'accepter, car
c'eût été implicitement renier le titre de président
de la République, porté par lui depuis le 24 mai.
Il déclara qu'il ne se séparerait pas des conserva-
teurs, mais à la condition que rien ne serait changé
aux conditions existantes. La prorogation des pou-
voirs du maréchal était donc admise en principe,
et cette saofe solution devait rallier bientôt tous
les esprits raisonnables.
192 RÉUMONS DE LA DROITE
Les membres de la droite de l'Assemblée
nationale examinèrent la situation et cher-
chèrent une combinaison qui laissât intacte la
majorité monarchique et son programme.
La Régence, avec M. le comte de Paris, fut
posée en termes nets. On fit valoir qu'il fallait,
avant tout, sauver le principe monarchique
et l'on fut bientôt certain de l'adhésion de
la plus grande partie de la droite. On calcula
avec justesse, que l'on perdrait quarante ou
cinquante voix à l'extrême droite, mais qu'on
les regagnerait, et au delà, dans le centre
gauche qui n'avait aucune répugnance contre M. le
comte de Paris, dont elle appréciait tous les jours,
depuis deux ans, la haute capacité. Cette résolu-
tion de la régence fut adoptée, mais on ne fut pas
d'accord sur le nom du régent. Des légitimistes
préféraient voir l'héritier du trône conserver son
rang, et les noms de M. le duc de Nemours, du
prince de Joinville, du duc d'Aumale, furent pro-
noncés. Mais déjà certains organes de l'exlrôme
droite accusaient les princes d'intrigues orléa-
nistes, et les journaux républicains déclaraient
que M. le comte de Paris, en allant à Vienne, savait
bien d'avance que le comie de Chanl])ord ne
céderait sur au(-un point, et qu'il avait voulu le
compromettre aux yeux de son parti. Aussi, le
1"'' novembre, lorsque la réunion des tlioilos tenue
chez M. le duc de Larochcfoucaiild-Hisaccia
M. DE VILLEMESSANT A FROHSDORF 193
songea à offrir la lieiitenance générale du royaume
à M. le comte de Paris, celui-ci refusa de se prêter
à «tout ce qui, de près comme de loin, ressem-
blerait à une compétition royale, et pourrait trou-
bler l'union du parti monarchique ».
Le duc de Nemours, le prince de Joinville,
et surtout le duc d'Aumale, s'exprimèrent comme
leur neveu, et furent inébranlables, ne voulant
pas que le chef de la maison de Bourbon pût
soupçonner, une minute, la loyauté de l'entrevue
du 5 août.
Il est incontestable que M. le comte de Chambord
ne connaissait pas alors la véritable situation de la
France. Ses illusions étaient si grandes, que M. de
Villemessant reçu par lui à Vienne, le 31 octobre,
nous racontait ceci, le lendemain de son retour à
Paris: « A peine entré chez mon roi, dont j'atten-
dais l'avènement depuis quarante-trois ans, et
qui venait, selon moi, de signer son exil par sa
lettre du 27 octobre, je ne pus dire un mot, arti-
culer une phrase, je me laissai tomber sur le
fauteuil qu'il m'offrait, et je sanglotai. Le prince
étonné me serra la main avec émotion en me
disant : Calmez-vous calmez-vous, mon cher
ami, T'ieii n'est perdu!
Je dis alors au roi toute ma pensée, je lui expo-
sai la vérité, même assez vivement; je ne sais
s'il me crut, mais j'appris plus tard que mes pa-
roles lui avaient causé une douloureuse impres-
13
194 ABNÉGATION DE MS'' LE COMTE DE PARIS
sion et peut-être l'avaient déterminé à se rendre à
Versailles »
Il fallait cependant prendre une résolution, car
la gauche, voulant profiter du désarroi causé dans
les rangs des royalistes par la lettre du 27 octobre,
songeait à proclamer la République, dès l'ouver-
ture de la session. Les divers groupes de la droite
se réunirent, et il fut décidé que la majorité reste-
rait unie et compacte, pour demander la proroga-
tion des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon.M.le
général Changarnier fut chargé de déposer sur le
bureau de l'Assemblée un projet de loi dans ce
sens, et de demander l'urgence.
Telles avaient été l'entrevue du 5 août, ses con-
séquences et l'impression générale ressentie en
France. lien ressortira pour tou"^ homme impartial
deux points saillants : le premier, l'abnégation pa-
triotique de M. le comte de Paris et de tous les prin-
ces d'Orléans, s'efFaçant devant l'ainé de leur race,
laissant dénaturer une démarche si noble par
des commentaires injurieux et blessants, sans
daigner répondre, forts de la conscience du devoir
accompli, et dont la France se souviendra un jour.
Le second point, c'est la confiance de tous ceux
qui tentaient la restauration de la monarchie dans
la personnedu maréchal deMac Malion, qui restera
dans l'histoire un des plus braves et des plus hon-
nêtes serviteurs du pays. Lorsque tant d'hommes
devenus chefs d'Etat ou ministres cherchent à se
VOTE DU SEPTENNAT 195
maintenir au pouvoir, par tous les moyens,
la France diit-elle en périr, il nous aura été
donné de voir un homme prêt à se retirer si
le salut de la patrie l'avait exigé. Tous le
savaient, et personne ne songea à se demander
pendant cette crise, non seulement si le maréchal
de Mac Mahon ne chercherait pas à prolonger son
pouvoir, mais môme s'il hésiterait à l'abandonner.
La France avait confiance dans ce loyal soldat. Le
septennat du maréchal fut un bonheur pour le pays
conservateur dans une pareille crise, et ainsi que je
le disais alors à un de mes amis légitimistes qui se
lamentait de voir la monarchie échouée, quand on
remonte sain et sauf du fond de la rivière, il serait
malséant de se plaindre parce qu'on est mouillé.
Le 5 novembre, s'ouvrit la session; la proroga-
tion des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon pour
sept ans fut votée à une grande majorité. La
France accueillit avec joie la nouvelle de la victoire
du parti conservateur. La majorité s'était formée
sous le coup des dangers que courait l'ordre
public, en dehors d'une dizaine de membres de
Tcxtrême droite et de plusieurs bonapartistes, qui
s'abstinrent. On espérait que le gouvernement du
maréchal de Mac Mahon ainsi établi pour sept ans
relèverait la France au dedans et au dehors, sau-
verait Tordre social, et rendrait la sécurité et la
confiance aux honnêtes gens, aux hommes d'ordre
et de travail.
196 m"'' le comte de chambord a Versailles
Avant de terminer ce chapitre, je crois devoir
parler d'un fait qui aurait pu modifier les votes
de l'assemblée. M. le comte de Chambord, stupéfait
du résultat de sa lettre du 27 octobre (puisqu'il
avait cru en l'écrivant qu'elle ne changerait rien
aux projets des royalistes), voulut se rendre compte
par lui même de la situation de la France. Plût au
Ciel qu'il eût eu cette idée quelques semaines au-
paravant ! Il se rendit donc à Versailles dans le
plus strict incognito.
M. le comte de Chambord y arriva le 11 ou le 12,
par un train de nuit, et demeura, pendant quinze
jours environ, chez le comte Henri de Vanssay, un
de ses secrétaires, rue Saint-Louis, 25. Là, il se
tint prêt à tout événement, pendant qu'à son pro-
fond étonnement la droite de l'Assemblée natio-
nale négociait et allait voter la prorogation des
pouvoirs de M. le maréchal de Mac Mahon. 11 ne
vit personne et ne fit exception que pour quatre
députés, légitimistes ardents auxquels il reprocha
leur conduite avec une certaine vivacité. Ceux-ci
cherclicrent vainement à expliquer au prince la
situation; il leur imposa silence d'un ton qui ne
soutirait pas de réplique.
Absolument trompé sur les dispositions de l'As-
som])léc nationale, le comte de Chambord avait
cru la monarchie faite, malgré sa lettre du 27 oc-
tobre. Désabusé, il avait jugé opportun de se
rendre à Versailles, de convoquer ses amis s'il en
M?"" LE COMTE DE CHAMBORD A VERSAILLES 197
était temps encore, de leur parler en roi en leur
prescrivant de poser quand même la question de
la monarchie devant l'Assemblée. Pour cela, le
concours du maréchal de Mac Mahon et celui de son
gouvernement étaient nécessaires. Une démarche
indirecte fut faite en son nom auprès du maréchal
avec lequel, m'a-t-on assuré, il voulait avoir un
entretien. Dans les termes les plus respectueux le
maréchal déclina l'honneur de voir le comte de
Chambord, mais il fit savoir au chef de la maison
de Bourbon que, tant qu'il lui plairait de rester
en France, le gouvernement garantissait sa sûreté.
Très attristé et commençant seulement à entre-
voir la vérité, le prince songea alors à se présenter
à l'Assemblée, entouré de députés de la droite, à
demander la parole pour expliquer sa pensée tout
entière afin que tout malentendu fût dissipé...
Que serait-il advenu de cette démarche? Evidem-
ment le comte de Chambord aurait été autorisé à
parler par la grande majorité de la Chambre. Peut-
être, s'il avait dit nettement qu'il avait entendu
garder pour lui le drapeau blanc, tout en laissant
le drapeau tricolore à l'armée; peut-être si, dans
le magnifique langage qui lui était familier, il
avait trouvé des accents émus pour parler de son
pays qu'il aimait si tendrement, peut-être la mo-
narchie aurait-elle été proclamée? Mais l'infor-
tuné prince, qui avait été tellement trompé par
les renseignements de ses fidèles, n'était pas en-
198 UN ARTICLE DU « TIMES ))
core complètement éclairé, et sa mauvaise humeur
à l'égard des amis qu'il reçut le démontrait trop
bien. Autour de lui, on le sentit et on le dissuada
de cette démarche. Le prince attendit que cette
prorogation des pouvoirs du maréchal , qu'il
n'avait pu empêcher, fût votée , et il quitta la
France, emportant dans son nouvel exil une triste
déception et une grande douleur de plus.
A ces curieux détails nous ajouterons ceux que
publia une correspondance parisienne du Times.
Ils corroborent absolument ce que nous avons
toujours affirmé, c'est-à-dire que M. le comte de
Ghambord ne s'est pas douté un instant des ol)-
stacles apportés à la restauration monarchique
par la lettre du 27 octobre.
Le Times s'exprime ainsi :
« Le comte de Ghambord semble ne s'être pas
bien rendu compte, avant son voyage à Paris, de
l'effet produit par sa lettre. Après que ses amis
le lui eurent expliqué, il déclara qu'il y avait là un
malentendu à éclaircir, et il résolut de se rendre à
l'Assemblée nationale et de monter à la tribune
pour y donner des explications. On lui fit com-
prendre que ce projet était impraticable, qu'on ne
lui donnerait pas la parole, et que cette démarche
entraînerait des conséquences déplorables. A la
fin, il se rendit.
« Plus lard, dans la nuit où se termina le débat,
il était à Versailles. Son intention déclarée était de
M'' LE COMTE DE CHAMBOBD A PARIS 199
risquer un coup hasardeux et décisif, si le maré-
chal de Mac Mahon n'obtenait pas la majorité. Il
comptait, disait-il, monter à cheval, réunir autour
de lui les princes de sa maison, et se présenter
lui-même à la nation.
« Le rejet de la prorogation plaçait la France au
bout de l'abîme. Et c'était son devoir à lui, le re-
présentant d'une longue race de rois, de faire face
au danger. On lui représenta le péril. On lui dit
qu'il serait infailliblement assassiné ; « Qu'im-
« porte! répondit-il; mon principe survivra; ma
« personne importe peu, maintenant que j'ai des
« successeurs. »
Un dernier détail, rapporté par un journal con-
servateur à propos du passage du comte de Gham-
bord à Paris, où il passa quelques heures : le jour
des funérailles de l'amiral Tréhouart, près de l'es-
planade des Invalides stationnait une voiture de
place dans laquelle on aurait pu remarquer un
voyageur très attentif à la manœuvre et au défilé
des troupes. Le cocher, à qui le voyageur avait dit
de le placer de façon à bien voir, s'évertuait à
vouloir le convaincre qu'il verrait mieux s'il
regardait comme tout le monde, au lieu de se tenir
dans le fond de la voiture. Le voyageur n'écoutait
rien, mais, tout en se dissimulant de son mieux,
suivait avec une émotion visible un régiment de
cuirassiers qui passait. Quand ce fut fini, le voya-
geur donna un ordre, et la voiture partit.
200 MORT DU PRINCE FERDINAND
C'était le comte de Chambord qui venait enfin
de réaliser un de ses plus grands désirs : voir
sous les armes un régiment français
L'année 1873 se termina bien tristement : Madame
la comtesse de Paris eut la douleur de perdre son
frère, le prince Ferdinand. Le duc de Montpensier
avait mis son fils aîné au petit séminaire de la
Ghapelle-Saint-Mesmin, près d'Orléans. Atteint
d'un transport au cerveau, le jeune prince expira
dans les bras de son père désolé, qui, accouru en
toute hâte, ne put que recueillir son dernier
soupir.
CHAPITRE IV
1874-1882
EntreATie de JM. le comte de Paris avec le czar Alexandre II,
en Angleterre (1874). — Naissance du prince Charles, fils
de M. le comte de Paris. Il meurt à l'âge de six mois (7 juin
1875). — Translation à Dreux des restes du roi Louis-Phi-
lippe, de la reine Marie-Amélie, de M™^ la duchesse d'Or-
léans, de M"* la duchesse d'Aumale, de Ms"" le prince de
Condé (8 juin 1876). — M. le comte de Paris accompagne
son frère et ses oncles aux grandes manœuvres à Dreux
(1876). — Mariage de la princesse Mercedes, sœur de Ma-
dame la comtesse de Paris, avec Alphonse XII, roi d'Espagne
(23 janvier 1878). — Mort de la jeune reine (26 juin 1878).—
Lettres de M. le comte de Paris (3 et 21 mars 1878) à M. le
comte Sérurier, vice-président du comité de l'Union franco-
américaine. — Naissance à Eu de S. A R. M^^ la princesse
Isabelle, troisième fille de M. le comte de Paris (7 mai 1878).
— Naissance à Eu du prince Jacques, deuxième fils de M. le
comte de Paris (11 juillet 1880) et mort du jeune prince (22
janvier 1881). — Naissance à Cannes de S. A. R. M™" la prin-
cesse Louise, quatrième fille de M. le comte de Paris (24 fé-
vrier 1882). — Visite de M. le comte de Paris à M. Victor
de Laprade mourant (Cannes, avril 1882). — Le jeune duc
d'Orléans au collège Stanislas. — M. le comte de Paris aux
grandes manœuvres. — Voyage, incognito, à Rome, de M. le
comte de Paris. — Son entrevue avec le pape Léon XIII
(septembre 1882). — Générosités et bienfaisance de M. le
comte de Paris et de Madame la comtesse de Paris à Eu et au
Tréport. — La vie de M. le comte de Paris au château d'Eu.
Au mois de juillet 1874, M. le comte de
Paris se trouvait en Angleterre quand le czar
Alexandre II s'y rendit.
202. ENTREVUE AVEC LE CZAR ALEXANDRE 11
Alexandre II fut un des meilleurs souverains
qu'ait eus la Russie. Son règne fut avant tout
un règne de féconde et pacifique rénovation.
L'émancipation de 23 millions de serfs sera
pour le czar Alexandre II un titre éternel de
gloire devant l'humanité et devant l'histoire.
Cette réforme gigantesque ne fit couler ni une
larme ni une goutte de sang, et s'accomplit paci-
fiquement. L'œuvre de son règne fut immense,
et plus le temps marche, mieux on en apprécie
les résultats. Esprit large , caractère élevé ,
Alexandre II avait une conscience droite, et mon-
trait une inébranlable fermeté quand il s'agissait
des intérêts de son peuple et de l'honneur de
l'Empire. Son nom, dont le souvenir est encore
vivant dans toutes les chaumières russes, luira d'un
vif éclat dans les annales du dix-neuvième siècle.
Ce prince aimait la France et tout ce qui était
français : après l'échec de la restauration en 1873,
il s'était exprimé en termes élogieux sur l'acte
politique accompli par M. le comte de Paris, et il
souhaitait le connaître.
M. le comte de Paris vit le czar; nous croyons
savoir que cette entrevue très cordiale laissa la
meilleure impression au souverain russe. Peut-
être ce souvenir du prince français ne fut-il pas
étranger à l'intervention personnelle du czar l'an-
née suivante, quand, informé et sollicité à temps
par notre éminent ministre des affaires élran-
TRANSLATION DES RESTES DU ROI LOUIS-PHILIPPE 203
gères, le duc Decazes, Alexandre II s'opposa à la
nouvelle invasion de la France que méditait alors
M. de Bismarck. Le frère du czar, le grand-duc
Constantin, se rendant à Biarritz, peu après cette
entrevue traversa Paris, et invita M. le comte de
Paris à un grand diner donné à l'ambassade de
Russie. Après le repas, on remarqua qu'il eut
une longue conversation avec le petit-fils du roi
Louis-Philippe *.
Le dernier vœu du roi Louis-Philippe fut ac-
compli le 8 juin 1876. Ses restes, ceux de la reine,
de Madame la duchesse d'Orléans, de Madame la
duchesse d'Aumale, de M. le prince de Gondé et
de cinq jeunes enfants du duc d'Aumale furent
transportés de la chapelle catholique de Wey-
bridge en France. M. le comte de Perthuis, pré-
fet du Calvados, et le comte de Fiers, sous-préfet
de Dreux, avaient tenu à honneur de présider à
cette pieuse cérémonie.
En cette année 1876 , de grandes manœuvres
curent lieu en septembre, à Dreux. Elles furent
suivies par M. le comte de Paris avec le vif inté-
rêt que le prince porte à tout ce qui touche l'ar-
mée.
1. Ce fut au commencement de l'année 1875 que Madame la com-
tesse de Paris donna le jour à un fils (25 janvier 1875), qui reçut
le nom de Charles. Mais la santé du jeune prince était
si frèh;, qu'atteint de convulsions au retour d'une promenade
au Bois de Boulogne, le 7 juin, il expira malgré les soins les
plus empressés.
204 MORT DE LA REINE MERCEDES
Pendant tout le temps que dura le gouverne-
ment dit du 16 mai (1877), l'attitude des princes
d'Orléans qui s'abstinrent, plus que jamais, de
se mêler aux luttes politique du moment fut des
plus réservées.
L'année 1878 semblait commencer sous d'heu-
reux auspices. La sœur de Madame la comtesse de
Paris, la princesse Mercedes de Montpensier
épousait à Madrid, le 23 janvier, son cousin le roi
d'Espagne, Alphonse XII. Jeune et belle, adorée
de son mari et éprouvant pour lui la même ten-
dresse, la reine Mercedes pouvait avoir confiance
dans l'avenir. Dans ses impénétrables décrets, la
Providence trancha brusquement une si belle
vie. La reine expira le 26 juin, frappée par une
fièvre typhoïde. La douleur fut immense, ce fut
un deuil et une lamentation générale; les affaires
furent suspendues, les théâtres fermés : toute
l'Espagne pleura et pria. Le duc et la duchesse
de Montpensier, admirables de résignation chré-
tienne , devaient encore subir une cruelle
épreuve : un an après, en mai 1879, la dernière
sœur de Madame la comtesse de Paris, l'infante
Christine, succombait aux atteintes d'une maladie
de poitrine, dans le palais de son père, à Séville'.
1. Quelques semaines avant la maladie el la mort de la jeune
reine Mercedes, Madame la comtessedeParismcttait auuionde,
à Eu, sa troisième fille, la princesse Isabelle (7 mai 1878).
Une joie, liélas ! de courte durée marqua pour M. le comte
LA STATUE DE LA LIBERTE EN AMERIQUE 205
C'est à cette époque que M. le comte Sérurier,
vice-président du comité de l'Union franco-améri-
caine pour l'érection de la statue de « la Liberté
éclairant le Monde », ayant proposé à M. le comte
de Paris de visiter l'atelier de construction de la
statue et de prendre part à la souscription, en
reçut la lettre suivante :
de Paris le mois d'avril 1880. Madame la comtesse de Paris
donna le jour à son second fils, qui reçut le prénom de Jacques,
en souvenir d'un de ses aïeux, Jacques de Bourbon, comte de
la Marche, connétable de France, blessé grièvement à la bataille
de Crécy (1346), en arrachantle roi de France, Philippe VI, des
mains des Anglais, et surnommé « la Fleur des Chevaliers ». Le
portrait de ce héros est au château d'Eu, au haut du grand
escalier, et l'on ne peut passer sans remarquer sa martiale figure.
Le 11 juillet, le jeune prince Jacques avait été baptisé, ayant
pour marraine M""® la princesse Clémentine, et pour parrain
le prince Antoine d'Orléans, fils du duc de Montpensier, et
frère de Madame la comtesse de Paris. Ce n'étaient qu'espérances,
sourires et joies autour du berceau
Neuf mois après sa naissance, le 22 janvier, le prince Jacques
qui venait d'être sevré fut pris par des convulsions, et, malgré
les soins assidus et éclairés des médecins appelés en toute hâte,
il ne tarda pas à expirer. Il est impossible de dépeindre le déses-
poir de M. le comte de Paris et de Madame la comtessede Paris,
qui nevivent que pour leurs enfants, etauxquels leprince Charles
avait été ravi presque delà même manière. Beaucoup de Français
exprimèrent leur respectueuse et douloureuse sympathie, si
tant est qu'à pareille douleur on puisse trouver des consolations
humaines. Le 26 janvier 1881 , les princes d'Orléans conduisaient à
Dreux le cercueil du pauvre petit prince.
Madame la comtesse de Paris mettait au monde, à Cannes, le
24 février 1882, la princesse Louise, qui, baptisée à Eu, le
28 mai, eut pour parrain M. le duc de Nemours et pour mar-
raine M"'' la princesse de Joinville.
206 LETTRES AU COMTE SERURIER
Eu, 3 mars 1878.
Mon cher comte,
Je serai doublement heureux de visiter avec vous le
monument destiné à New-York et de faire en même temps
la connaissance du marquis de Rochambeau.
Vous savez combien je m'intéresse à l'union de la France
et de l'Amérique. Dans un temps où il était de mode de
dénigrer la grande république transatlantique, de renier la
politique du roi Louis XVI, j'ai voulu prouver aux répu-
blicains d'outre-mer que les sympathies pour leur nation
et leurs institutions se perpétuaient dans la maison de Bour-
bon. Je serai donc heureux de m'associer de toutes les
manières à l'œuvre dont vous me parlez, et, si je ne l'ai
pas (ait plus tôt, c'est que je n'en ai pas eu l'occasion.
Je suis établi pour plusieurs mois au chàteaud'Eu; mais
je ne manquerai pas d'aller de temps en temps à Paris, et
je me ferai un plaisir de vous avertir de ma prochaine vi-
site, pour prendre rendez-vous en ,'ue de la course que
vous me proposez.
En attendant, je vous prie de me croire votre affectionné,
Louis-Philippe d'Orléans.
Le 21 mars, après avoir visité les travaux et
témoigné au sculpteur Bartholdi Pintérêt qu'il
prenait à son œuvre. M. le comte de Paris adres-
sait sa souscription à M. le comte Sérurier dans
les termes suivants :
Eu, 21 mars 1878.
Mon cher comte.
Je vous prie de me porter comme souscripteur sur votre
liste pour la somme de cinq mille francs.
PREMIÈRE COMMUNION DU DUC d'oRLÉANS 207
Je suis heureux de pouvoir m'associer à l'œuvre natio-
nale qui doit rappeler à l'Amérique la grande date du 4
juillet 1776, et unir les deux peuples dans le même souve-
nir ; souvenir d'autant plus précieux qu'il est absolument
étranger à nos querelles actuelles.
Veuillez me croire votre affectionné,
Louis-Philippe d'Orléans.
A l'époque où M. le comte de Paris écrivait ces
deux lettres, il ne prévoyait guère qu'il serait un
jour exilé de son pays, sous ce prétexte que sa
présence constituerait un danger pour l'existence
de la République française. En témoignant de ses
sympathies pour les républicains d'Amérique, il
ne pouvait pas supposer que d'autres républicains
songeraient un jour à le proscrire.
Ses lettres n'en subsistent pas moins comme
une preuve de son libéralisme et de son attache-
ment aux traditions nationales. En les lisant, les
Américains ne se rappelleront que mieux que le
prince qui les a écrites, et qui a voulu contribuer
par sa souscription à une œuvre d'entente et de
fraternité internationales, est celui-là même qui
vint spontanément, lors de la guerre de séces-
sion, mettre son épée au service de l'Amérique,
qui luttait alors pour l'abolition de l'esclavage,
comme elle avait lutté, au siècle dernier, pour sa
liberté et pour son indépendance.
Le 16 juin 1881, une cérémonie touchante par
sa simplicité avait lieu : le jeune duc d'Orléans
208 VISITE A M. DE LAPRADE MOURANT
faisait sa première communion dans l'église Notre-
Dame d'Eu, au milieu de tous les enfants de la
paroisse.
Au mois de mars 1882, S. M. l'impératrice d'Au-
triche honora de sa présence le château de Chan-
tilly, où une brillante réception lui fut faite par
M. le duc d'Aumale et les princes d'Orléans. Une
chasse superbe eut lieu en l'honneur de l'impéra-
trice Elisabeth.
M. le comte de Paris n'avait pu y assister. Il se
trouvait alors à Cannes. Dans cette petite ville du
midi de la France se mourait le poète royaliste et
chrétien Victor de Laprade, membre de l'Acadé-
mie française. M. le comte de Paris alla plusieurs
fois le voir. M. de Laprade fut profondément tou-
ché de l'honneur que lui faisait le prince : v Vieux
bourbonnien que je suis, disait-il, il me semble
que c'est la royauté qui est venue me dire adieu,
dans la personne du petit-fils de saint Louis et de
Henri IV. »
A la dernière de ces visites, c'était pendant les va-
cances de Pâques, en avril 1882, M. lecomte de Paris
était accompagné de son fils, lejeune duc d'Orléans.
— « Je vous amène mon fils. Monsieur de La-
prade, dit le prince en entrant; il sail tout l'intérêt
que vous lui portez. » Le poète avait les larmes
aux yeux. « En ma qualité de vieillard et de
mourant permettez moi. Monseigneur, de bénir
votre fils! » Et il étendit ses mains trem-
LE DUC d'oRLÉANS AU COLLÈGE STANISLAS 209
blantes sur la tête inclinée du jeune prince.
Quelques jours plus tard, comme on parlait au-
tour de lui de l'attention délicate du prince, M. de
Laprade reprit : « Cette visite m'a fait grand
plaisir, et puis j'aime à penser, moi qui cherche le
sens caché des choses, que si Dieu me montre
ainsi cet enfant à mon lit de mort, à moi qui ai
tant aimé la France et la royauté, c'est que cet
enfant régnera. »
Au mois d'août, M. le comte de Paris se rendit à
Paris, à la distribution des prix du collège Sta-
nislas, dont les cours étaient suivis par le jeune
duc d'Orléans, qui obtint le premier prix de ver-
sion latine, dans la classe de cinquième. Le prince,
après être resté quelques mois seulement dans la
classe de quatrième, suivit son père à Cannes.
Très intelligent, esprit très ouvert, aussi adroit
qu'ardent au jeu, il se plaisait dans la compagnie
de ses camarades, dont il avait immédiatement
gagné les sympathies. Quand il revint à Paris,
accompagné de M. Laurent, professeur du col-
lège Stanislas, qui dirigeait son éducation, il prit
seulement quelques leçons particulières au col-
lège, résidant à Eu une grande partie de l'année*.
Quelques jours après la distribution des prix
du collège Stanislas, ayant appris la mort de
1. M. Laurent, ancien élève de l'Ecole normale, agrégé de
l'Université, officier d'Académie, fut pendant six ans, de 1877
à 1883, précepteur du jeune duc d'Orléans.
14
210 LETTRE A M. RIFFAUD
M. Griigy, directeur à Bordeaux du Courrier de
la Gironde, un des hommes qui dans la presse dé-
partementale avaient vaillamment servi le parti or-
léaniste pendant de longues années, M. le comte de
Paris adressa à M. Emile Riffaud, parent de
M. Crugy, la lettre suivante :
Eu, 20 août 1882.
Monsieur,
Je m'empresse de vous remercier des sentiments qui ont
inspiré votre lettre. Vous avez eu raison de compter sur
la part que je prendrais à la perte que vous venez de faire
dans la personne de M. Emile Crugy. J'avais déjà été pé-
niblement impressionné par les tristes nouvelles que notre
ami commun, AI. Méran, avocat à Bordeaux , m'avait don-
nées de sa santé. Pour lui, la mort a certainement été une
délivrance. Mais, pour ses parents et ses amis, c'est la
rupture irrévocable du dernier lien auquel on s'attachait,
même lorsque tout espoir était perdu.
C'est au moment de cette cruelle rupture qu'on se rap-
pelle toute la vie de celui qui n'est plus, ses années bril-
lantes, son courage, son dévouement passionné aux idées
qu'il avait faites siennes.
Après l'avoir vu dès mon enfance souffrir {)Our sa cause
et partager quelque temps notre exil, cela avait été une
bien grande satisfaction pour moi de le retrouver à Bor-
deaux, après que les portes de la France s'étaient rou-
vertes pour moi, et de pouvoir l'assurer que je n'avais ou-
blié ni ses longues luttes pour la cause libérale sous l'Em-
pire, ni l'hospitalité qu'il m'avait donnée dans les colonnes
de son journal, à une époque si émouvante et si doulou-
reuse de notre histoire.
VOYAGE A ROME 211
Sa belle figure, si originale, qui exprimait à la fois la sin-
cérité et la fermeté, restera toujours gravée dans ma mé-
moire. Vous pouvez compter sur l'intérêt sympathique que
je reporterai sur ceux qui, comme vous, ont hérité de ses
sentiments pour ma famille, et je saisis cette occasion pour
vous prier de me croire
Votre affectionné,
Louis-Philippe d'Orléans.
Au commencement de septembre de grandes
manœuvres eurent lieu en Seine-et-Oise à Septeuil,
Curgent, Dammartin. M. le comte de Paris, lieute-
nant-colonel de l'armée territoriale, y assista et
prit particulièrement un vif intérêt aux manœuvres
de la 5® division qui défila devant lui à Septeuil.
C'est à cette époque que M. le comte de Paris se
rendit incognito à Rome, où il fut reçu par le pape
Léon XIII, qui avait plusieurs fois et récemment
encore manifesté le regret de ne pas le connaître.
On devinera facilement pourquoi je ne cite pas
ici les termes mômes dont se servit le saint Père,
en parlant du prince. M. le comte de Paris, respec-
tueux pour la religion, est très modéré pour les
personnes, très croyant, et a dans l'esprit beau-
coup d'indulgence.
Profondément, sincèrement religieux, M. le
comte de Paris sait que « l'Eglise, comme l'Etat,
est une société parfaite en son genre, et auto-
nome ; que les dépositaires du pouvoir ne doi-
vent, à aucun degré, travailler à l'abaisser et à
212 VISITE AU PAPE LÉON XIII
l'assujettir)), que l'Eglise doit vivre dans l'État
non séparée, mais cii rapports de concorde et
d'harmonie. Comme le Pape, M. le comte de Paris
sait, enfin, que « l'usage de la liberté ne doit
pas franchir les limites posées par la loi naturelle
et par la loi de Dieu* )). Le Pape, pas plus que M. le
comte de Paris ne veut que « personne soit forcé
d'embrasser la foi catholique )) Car a la con-
trainte peut tout obtenir de l'homme, a dit saint
Augustin, cité par Léon XIII dans son encj'clique,
tout, sauf la foi »!
• •••••••• ••• • ••
Ennemis l'un et l'autre de la licence, amis de la
liberté vraie et légitime, indispensable au dix-
neuvième siècle à la société démocratique dans
laquelle nous vivons, Léon XIII et M. le comte de
Paris étaient sûrs de se comprendre dès leur pre-
mière entrevue. Ils se séparèrent très satisfaits l'un
de l'autre.
11 ne m'appartient pas de répéter ce qui m'a été
raconté de cette entrevue ; mais ce que je puis
écrire avec certitude, c'est que la hauteur de vues,
la sagesse politique de M. le comte de Paris, frap-
pèrent au plus haut degré le saint Père. Léon XIII,
ému et charmé des pieux sentiments manifestés
par le prince, affirme-t-on, s'écria, quelques jours
après sa visite : « Ce serait un grand bonlieur
1. Extraits de l'encyclique de Léon XIll Immortalc Dci.
UN BANQUET ROYALISTE 213
pour la France d'être gouvernée un jour par ce
prince !...» Du reste, dans tous les rangs de la
société, on sait rendre justice au chef de la maison
de France et aux princes de la famille royale. En oc-
tobre 1882, à un banquet royaliste, à Lyon, les toasts
suivants étaient portés par M. de la Rochetaillée :
Messieurs, permettez-moi, après avoir salué le roi, de
porter un toast à son auguste famille :
A Son Altesse royale Monseigneur le comte de Paris,
qui a passé sa jeunesse dans l'exil, étudiant les constitu-
tions des peuples, l'art de la guerre et toutes les grandes
questions sociales. A la santé de ce jeune prince que l'in-
telligence, le travail et le cœur rendent digne de marcher
le premier dans la maison de France, à la suite de Monsei-
gneur le comte de Chambord ;
A Monseigneur le duc de Nemours, ce portrait vivant
d'Henri IV, ce brillant officier dont la cavalerie française
conserve le souvenir et les traditions ;
A la santé du prince de Joinville, de cet amiral de
France qui, s'étant vu refuser par les hommes de la Dé-
fense nationale le droit de combattre pour son pays en
simple volontaire, suivit l'armée de la Loire sous le nom
d'un officier étranger. Nous le voyons le jour de la bataille
d'Orléans, dans une batterie de la marine; personne ne le
connaît, mais instinctivement officiers et soldats, tous lui
obéissent. Il est heureux, en retardant la marche de l'en-
nemi et en protégeant la retraite de l'armée française,
d'apporter l'obscurité de sa bravoure dans la ville de
J eanne d'Arc ;
A Monseigneur le duc d'Aumale, qui manie la plume
214 M'"" LE COMTE DE PARIS AU CHATEAU d'eU
comme l'épée. A la santé de ce général, dans lequel l'ar-
mée a reconnu un chef;
A Monseigneur le duc de Chartres, qui, à l'encontre du
mauvais vouloir des hommes du Quatre Septembre, a com-
battu dans les rangs de l'armée française, rappelant par
sa vaillance les légendes des temps chevaleresques de Ro-
bert le Fort, dont il s'est montré digne de porter le nom ;
A Monseigneur le duc d'Alençon, officier remarquable
de notre artillerie ;
Au duc de Penthièvre, qui promet de déployer dans la
marine les talents de son illustre père le pxnnce de Join-
ville.
A la santé, Messieurs, de tous les princes et de toutes
les princesses de la Maison de France, ainsi nommée, parce
qu'elle est la personnification vivante de la patrie, et qu'a-
près avoir fondé, à travers les siècles, de concert avec la
nation, l'unité française, elle nous apparaît aujourd'hui, au
milieu de nos douleurs et de nos revers, comme la seule
et suprême espérance...
La Décentralisation note que ce toast fut inter-
rompu par de fréquents applaudissements.
De Rome, M, le comte de Paris était revenu à son
château d'Eu, où il passa l'automne, multipliant
ses bienfaits, à Eu, au Tréport, à Dieppe, oii il
envoya sa souscription pour une école libre qu'il
s'agissait d'établir. A la fin d'octobre, une tem-
pête causa de grands malheurs au Tréport. Sur
trente canots de poche, dix disparurent, quinze
hommes périrent presque sous les yeux de leurs
femmes et en vue de leurs propres maisons.
BIENFAIS.VNCE BE M""" LE COMTE DE PARIS 215
Jamais pareil sinistre n'avait frappé le Tréport.
M. le comte de Paris se rendit immédiatement
dans cette ville, et s'entendit avec le maire sur les
moyens de venir en aide aux familles des victimes.
Toutes les fois qu'il s'agissait de soulager une
souffrance ou une infortune, le prince et la prin-
cesse étaient là, et, non seulement avec quelques
pièces d'or, mais par de bonnes et affectueuses
paroles, relevaient le courage des malheureux.
Ce fut à la fin de 1882 que M. le comte de Paris
fit choix, pour précepteur de son fils, le duc d'Or-
léans, de M. Théodore Froment, un des membres
les plus distingués de l'Université. Professeur de
littérature latine à Bordeaux, M. Froment aban-
donna ses fonctions pour se consacrer tout entier
à l'éducation du jeune prince, dont il dirigeait de
loin les études depuis plusieurs années. En 1868,
Napoléon III^ à qui on avait signalé le mérite du
jeune professeur, lui avait fait offrir les fonctions
de précepteur du prince impérial. M. Froment
refusa. Attaché à la famille d'Orléans par les
liens d'une reconnaissance héréditaire, il ne
pouvait accepter. Ce refus n'était pas sans danger
alors, et on ne supposait guère qu'un jour M. Fro-
ment deviendrait, en France, le professeur du duc
d'Orléans. Poète couronné par l'Académie fran-
çaise en 1871, M. Froment avait publié un in-
téressant volume sur l'éloquence judiciaire en
France avant le dix-septième siècle. Ses ouvrages
216 M. FROMENT PRECEPTEUR DU DUC D ORLÉANS
attestent des sentiments élevés, qui, aux yeux de
ceux qui pensent à l'avenir de la patrie, justifient
le choix de M. le comte de Paris. L'éducation du
jeune prince, confiée à cet excellent maître, fut
achevée en 1887. M. Froment devint, à la rentrée
d'octobre 1887, directeur du collège Sainte-Barbe.
m 9
■m g -4
CHAPITRE V
1883
Discussion en 1883, à la Chambre des députés et au Sénat, de la
proposition Floquet, tendant à exiler les princes d'Orléans et
les Bonaparte. — Le Sénat rejette la loi d'exil, à cinq voix
de majorité. — Les princes privés de leurs grades dans l'ar-
mée française (février 1883). — Voyage de M. le comte de
Paris en Sicile, avec M. le duc d'Aumale : visite aux temples
de Pœstum , de Segeste, aux ruines de Sélinonte, à l'église
de Montréal près Palerme, Naples et Ponipéi (avril 1883). —
Première communion, à Eu, de S. A. P». M"^" la princesse
Hélène, deuxième fille de M. le comte de Paris.
Maladie' de M. le comte de Chambord. • — Départ pour Vienne
de M. le comte de Paris (lundi soir 2 juillet), accompagné
de M. le duc de Nemours et de M. le duc d'Alençon. — Entre-
vue des princes avec M. le comte de Cliambord (7 juillet). — •
Lettre de M. le duc de Nemours sur cette entrevue. — Légère
amélioration dans l'état de M. le comte de Chambord. —
Rentrée des princes en France. — Succès de M. le duc d'Or-
léans au collège Stanislas. — Mort de M. le comte de Cliam-
bord (24 août 1883). — Départ des princes d'Orléans pour
Frohsdorf. — La cérémonie funèbre à Frohsdorf. — Notifi-
cation aux souverains, par M. le comte de Paris, de la mort
de M. le comte de Chambord. — Retour en France de M. le
comte de Paris. — Obsèques de M. le comte de Chambord à
Goritz (3 septembre 1883). — Récit exact de ce qui s'y passa.
— Unité dans le parti royaliste. — Réceptions de M. le
comte de Paris à Eu. — Publication des tomes V et VI de
l'Histoire de la guerre civile en Amérique, par M. le comte de
Paris.
Le 16 janvier 1883, à la suite de l'arrestation
illégale du prince Napoléon, qu'on ftit vite obligé
218 LE SÉNAT REJETTE UNE LOI d'eXIL
de mettre en liberté, le gouvernement était abso-
lument affolé. Le cabinet présidé par M. Duclerc
(malade), comptait parmi ses membres le général
Billot, à la guerre; M. Devès, à la justice, et
M. Fallières, à l'intérieur. M. Floquet, député,
déposa sur le bureau de la Chambre une pro-
position d'exil pour tous les membres des familles
ayant régné sur la France. L'urgence fut votée
et la discussion eut lieu dans la seconde quinzaine
de janvier. Mais M. Duclerc, président du conseil;
le général Billot, ministre de la guerre; l'amiral
Jauréguiberry, ministre de la marine, préférèrent
se retirer que de soutenir une loi d'exil qui n'é-
tait nullement motivée, et de demander l'expul-
sion de l'armée, de princes qui avaient toiijours
servi fidèlement leur pays. M. Fallières cons-
titua un nouveau cabinet et, après de nombreux
refus, finit par s'adjoindre le général Thibaudin
pour achever la honteuse besogne votée à la
Chambre par 353 voix contre 163. On n'avait pu
trouver aucun marin pour le département de la
marine !
En février, le Sénat discuta la loi d'exil, et à la
majorité de 5 voix la rejeta. C'est alors que, con-
trairemenl aux lois et usages qui régissent l'armée
française, le général Thibaudin mit par décret,
sans aucun prétexte, en non-activité par retrait
d'emploi, le général duc d'Aumalc, le colonel duc
de Chartres, le capitaine duc d'Alençon.
VOYAGE EX SICILE 219
Nous racontons ailleurs comment s'accomplit
cette iniquité.
Au commencement d'avril 1883, M. le comte de
Paris et Madame la comtesse de Paris acceptèrent
l'invitation de leur oncle, le duc d'Aumale, et se
rendirent en Sicile, dans son palais de Palerme. Le
duc d'Aumale habite le palais qu'il tient de son père,
le roi Louis-Philippe, et qui est situé en dehors des
murs, à l'extrémité de la place de l'Indépendance,
vis-à-vis de l'ancien Palais royal. C'est plutôt une
vaste maison qu'un véritable palais, car aucune
décoration architecturale ne le signale à l'exté-
rieur, et les appartements sont meublés avec une
grande simplicité.
Dès que l'on apprit à Palerme l'arrivée des
princes d'Orléans, toute l'aristocratie vint s'ins-
crire au palais, le général Palavicini en tête, suivi
de toutes les autorités militaires. Le duc d'Aumale
est très aimé en Sicile, où il a séjourné souvent,
en laissant les meilleurs souvenirs. Les jardins
qui entourent sa résidence sont superbes. En
dehors des arbres exotiques les plus rares, 80 hec-
tares, uniquement plantés de citronniers et d'oran-
gers, embaument Pair. Il y a peu de jardins aussi
beaux en Italie et même en Europe. De la terrasse
qui le domine, l'œil s'étend au loin, embrassant
le magnifique panorama qui va du mont Pelle-
grino au mont Catalfano, à droite duquel, quand
le ciel est pur, on découvre le sommet de PEtna.
220 EXCURSION A zucco
Païenne est, du reste, la ville des jardins par
excellence, et le dattier, le bananier, le cocotier,
y poussent partout; on y trouve, mieux qu'à Na-
ples, la végétation luxuriante de l'Orient.
C'est dans ce séjour enchanteur que le duc
d'Aumale reçut M. le comte de Paris et Madame
la comtesse de Paris, et leur fit visiter sa célèbre
propriété de Zucco.
Zucco, dont le vin a rendu le nom célèbre, est
situé à 43 kilomètres de Palerme, sur la ligne qui
va de cette ville à Trapani. Le trajet se fait en
deux heures, mais le voyage demande une journée
entière, par suite du très petit nombre de trains
de retour, et de l'incommodité des trains de
départ. La propriété compte 4^000 hectares et
elle fournit annuellement de 6 à 7,000 hectolitres
de vin blanc et rouge. De loin, Zucco ressemble
à une forteresse. C'est une immense ferme, com-
posée de plusieurs corps de bâtiments et flanquée
d'une tourelle à chacun des quatre angles.
Mais il n'y a pas que des vignes à Zucco, il y a
aussi 27,000 oliviers, dont la légende fait remonter
l'origine aux Sarrasins. Quelques-uns sont d'une
telle grosseur, qu'il ne faut pas moins de trois per-
sonnes se tenant par la main pour en faire le tour.
M. le comte de Paris visita cette belle propriélé
avec un vif intérêt, montrant môme une compé-
tence qui surprit plus d'une fois ceux qui l'cn-
louraient.
s. A. R. LA PRINCESSE HÉLÈNE 221
M. le comte de Paris et Madame la comtesse de
Paris, continuantleur voyage,visitèrent tour àtour
les magnifiques ruines de Segeste et de Selinonte.
Un des monuments qui excita le plus l'admiration
des augustes voyageurs fut la cathédrale de Mont-
réal, près de Palerme. Après s'être arrêtés quel-
ques jours à Naples, où les ruines de Pompéi et
de Pœstum les attiraient, le retour à Eu fut décidé,
car Madame la comtesse de Paris tenaità être auprès
de sa seconde fille, la princesse Hélène, pendant
les quelques semaines qui précédèrent sa pre-
mière communion.
Cette touchante cérémonie eut lieu à Eu, à la fin
de juin. La princesse Hélène (née le 16 juin 1871)
est très belle. 11 y a trois ans, encore enfant, elle
avait un type de fraîcheur et de grâce qui, sous
le chapeau relevé à la mode du jour, rappelait
les délicieux portraits de M"° Yigée-Lebrun. Au-
jourd'hui, l'enûint est devenue jeune fille. Par sa
bonté parfaite et son exquise affabilité, elle rap-
pelle sa sœur. Madame la duchesse de Bragance.
Sa grande distinction fait promptement reconnaître
chez cette charmante princesse qu'elle appartient
à la première race royale du monde. Lajeune prin-
cesse avait été préparée à sa première communion
dans la chapelle du château d'Eu, restaurée par le
roi Louis-Philippe et à laquelle de beaux vitraux,
tamisant la lumière, donnent l'aspect recueilli d'un
oratoire itiifime : sur les boiseries sculptées se dé-
222 PREMIÈRE COMMUNION DE LA PRINCESSE HÉLÈNE
tache l'écusson de la maison de France aux trois
fleurs de lis; quatre grandes verrières exécutées à
Sèvres, sur les dessins de Chenavard, montrent
saint Louis avec le manteau fleurdelisé, saint Phi-
lippe, sainte Victoire et sainte Adélaïde; deux
statues semblent garder l'autel : d'un côté, celle
de saint Ferdinand, en mémoire du regretté duc
d'Orléans ; de l'autre, celle de saint Laurent, patron
d'Eu. Au-dessus de l'autel, se dresse un tableau
symbolique où sainte Amélie, en prière, ofl're des
gerbes d'héliotropes, fleur favorite de la reine
Marie-Amélie. La princesse Hélène aurait pu faire
sa première communion dans ce milieu tout im-
prégné de souvenirs; mais, par une pensée élevée,
M. le comte de Paris tint en celte circonstance,
comme en plusieurs autres, à ne pas séparer ses
enfants des enfants du peuple, et à les associer,
dans une cérémonie commune, aux mômes pieuses
impressions, comme aux mêmes devoirs. C'est
donc à l'église d'Eu, et avec une égalité chrétienne
autrement sincère que celle de la devise étalée sur
nos murailles, qu'eut lieu la solennité. La jeune
princesse était confondue parmi ses compagnes,
comme il en avail élé naguère pour son frère le
duc d'Orléans; et tous les membres de la famille
royale, mêlés à la population, étaient les témoins
attendris de ce pieux speclacle. A l'élévation.
Madame la comtesse de Paris, profondément émue,
chanta un 0 Salutaris ! de cette voix harmonieuse
NOTE DE L « UNION » 223
et sympathique qu'ont souvent admirée, dans les
petites réunions de Cannes et du château d'Eu,
les amis intimes de la princesse. La princesse
Amélie quêta pour les pauvres. Cette fête de fa-
mille, avec son caractère simple et patriarcal,
laissa dans le cœur de chacun un touchant sou-
venir.
Peu de jours après, avait lieu un événement
considérable.
Le dimanche soir, 1*'" juillet, VU/iion, organe
officiel de M. le comte de Chambord, publiait la
note suivante, qui causait dans toute la France la
plus vive émotion :
Nous apprenons à l'instant, avec une inexprimable dou-
leur, par un télégramme ofliciel de Frohsdorf, que M. le
comte de Chambord, atteint d'une maladie aussi grave
qu'imprévue, est dans un état qui inspire de sérieuses in-
quiétudes à ceux qui l'entourent.
Par son ordre, nous demandons à la France d'unir ses
ardentes prières aux nôtres.
Que Dieu daigne conserver à la patrie le glorieux et le
bien-aimé héritier de nos rois !
Le marquis de Dreux-Brézé (représentant à Pa-
ris de M. le comte de Chambord) avait envoyé
cette note à tous les journaux royalistes, en même
temps qu'il avertissait M. Bocher. Celui-ci télé-
graphia la triste nouvelle à Eu.
Le lendemain matin, 2 juillet, une réunion de
DEPART POUR L AUTRICHE
famille était tenue à Paris, par les princes d'Or-
léans, sous la présidence de M. le comte de Paris.
11 était décidé que le pelit-fils du roi Louis-Phi-
lippe partirait le soir même pour Vienne. Des avis
officieux étaient envoyés à M. le comte de Paris pour
Pavcrtir que, dans les circonstances actuelles, son
voyage à Frohsdorf pourrait être considéré comme
un acte de prétendant, et suivi d'une expulsion.
« Que m'importe! répondit le prince; mon
devoir est de partir, je partirai ce soir. »
Le même soir, à la gare du chemin de fer de
l'Est, M. le comte de Paris, M. le duc de Nemours
et M. le duc d'Alençon montaient en sleeping-car,
accompagnés parle comte B. d'Harcourt et le capi-
taine Morhain. Le marquis de Beauvoir et le vicomte
de Bondy devaient les rejoindre le lendemain.
Quelques amis, le comte de Riancey et le marquis
de Fiers étaient venus saluer les princes et comp-
taient les suivre à Vienne, selon les nouvelles que
Ton recevrait de l'auguste malade. Deux dépêches
arrivées au moment du départ annonçaient une
léaère amélioration, tout en déclarant que la
situation restait très grave. Le train s'ébranle,
toutes les personnes présentes sur le quai de la
gare saluent respectueusement les princes. A
huit heures du matin, ils arrivent à Strasbourg.
Les princes descendent au buffet de la gare, dont
les propiiétaires, de braves Alsaciens, les recon-
naissent et les signalent à plusieurs de leurs
ARRIVEE A VIENNE 225
compatriotes. Tous, au moment où les princes
regagnent leur wagon, se découvrent et forment
la haie sur leur passage. Du reste, dans toutes
les gares ils sont l'objet de la plus vive et de la
plus sympathique curiosité du public. Le len-
demain, 4 juillet, les princes arrivaient à Vienne,
à six heures vingt minutes du matin.
Tant de commentaires différents ont été faits sur
les incidents qui ont marqué les deux voyages à
Vienne de M. le comte de Paris, que, dans l'inté-
rêt de la vérité, je crois utile de répéter ici deux
récits, l'un du Français^, l'autre du Moniteur uni-
versel^ que je compléterai, dans quelques passages,
par des notes personnelles dont je garantis la
parfaite exactitude.
Le 4 juillet, dès que M. le comte de Paris était
arrivé à Vienne avec M. le duc de Nemours et
M. le duc d'Alençon, il avait envoyé M. le comte
Bernard d'Harcourt au château de Frohsdorf.
M. d'Harcourt y venait prendre des nouvelles de
M. le comte de Ghambord, annoncer que les prin-
ces étaient à Vienne et offrir tous leurs vœux à
l'auguste malade ; il y venait aussi demander,
avec la plus délicate discrétion, si M. le comte de
1. Le Français était alors rédigé par un de ses meilleurs
collaborateurs, M. Auguste Boucher, dont la plume élégante et
facile rapporta avec la plus scrupuleuse exactitude ce qui se
passa dans ce premier voyage à Vienne de M. le comte de
Paris.
15
226 MALADIE DE M"'' LE COMTE DE CHAMBOIiD
Ghambord voudrait bien les recevoir, le jour où
son douloureux état le lui permettrait.
A leur tour, M. le marquis de Beauvoir et
M. le vicomte de Bondy étaient allés, le lende-
main, à Frohsdorf, sur l'ordre de M. le comte de
Paris, pour s'informer de l'état de M. le comte de
Ghambord,
Le 6, M. le baron de Raincourt, de service alors
auprès du prince, apporta à M. le comte de Paris
les compliments de M. le comte de Ghambord, au
nom duquel il le remerciait de cette démarche, ainsi
que les princes qui l'accompagnaient. M""® la com-
tesse de Ghambord leur faisait savoir par M. de
Raincourt qu'elle serait heureuse de les recevoir,
sans assurer, toutefois, qu'ils pourraient voir M. le
comte de Ghambord. M. de Raincourt pensait
même exactement interprétei le sentiment de
M'"" la comtesse de Ghambord en disant qu'elle
jugeait nécessaire d'ajourner Tentrevue du malade
et des princes. Que cette entrevue fut immédiate,
selon leur respectueux et affectueux désir, ou
qu'il fallût la retarder, il n'en était pas moins
certain que le devoir qui avait amené les princes
à Vienne leur commandait de se rendre à Frohs-
dorf, surtout maintenant que M""*" la comtesse de
Ghambord leur annonçait qu'elle pourrait elle-
même les recevoir, tout accablée de fatigue et de
tristesse qu'elle était depuis quelques jours.
Un ami, qui connaissait bien l'âme généreuse
LES PRINCES VONT A FROHSDORF 227
de M. le comte de Ghambord, disait à l'un des
princes, quelques minutes avant qu'ils prissent le
chemin de Frohsdorf : « Aussitôt que Monsei-
gneur saura que vous êtes sous son toit, il n'est
pas de souffrance que sa volonté ne domine ; il
vous appellera à son chevet... » Cet ami ne se
trompait pas.
Dans la matinée du 7, M. le comte de Paris,
M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon par-
tirent avec MM. Bernard d'Harcourt, Emmanuel
Bocher, de Beauvoir et de Bondy. A la gare de
Vienne, ils trouvèrent M. le comte de Blacas, son
neveu M. le duc de Blacas, M. de Charette et
MM. de Ghampeaux et du Puget. Les princes
prièrent M, de Blacas et M. de Gharette de
monter dans leur wagon. Les voitures de M. le
comte de Ghambord les attendaient à la gare de
Wiener-Neustadt. Elles les conduisirent au châ-
teau, sous un soleil brûlant, à travers un tourbil-
lon de poussière. Devant la porte du château, les
secrétaires de M. le comte de Ghambord et toutes
les personnes qui composaient son entourage
étaient assemblés et rendirent aux princes les hon-
neurs traditionnels.
Dans la matinée, le docteur Mayr, de nouveau
consulte, avait déclaré que M. le comte de Gham-
bord ne pouvait pas, sans un grave danger, rece-
voir ses cousins. 11 avait donc été décidé que les
princes ne verraient pas le malade.
228 JOIE DE m"' le comte be chambord
Cependant, M. le comte de Chambord, à peine
averti que ses cousins étaient en route, avait ma-
nifesté très vivement l'intention de les admettre
auprès de lui. En vain lui avait-on objecté Tavis
si net du docteur Mayr. (c Peu importe ! Je le
veux...», avait-il répondu avec un accent vibrant.
Et, devant celte ferme volonté qui ne comptait
pour rien le mal, le péril, peut-être même le sa-
crifice de la vie, on s'était incliné. Les princes
d'Orléans faisaient noblement leur devoir; M. le
comte de Chambord faisait le sien héroïquement ;
le chrétien, l'homme et le prince avaient parlé
aussi haut l'un que l'autre dans ce mot non moins
doux qu'énergique sur ses lèvres : « Je le veux. »
Après avoir été accueillis par M™° la comtesse
de Chambord, les princes, au bout de dix minutes,
furent introduits dans la chambre où M. le comte
de Chambord reposait si péniblement.
La scène était certes grande. Dans cette cham-
Ijre où la mort avait semblé un instant prête à
frapper le chef de la maison de France, le dernier
petit-fils de Louis XIV, si loin des Tuileries, si
loin de la ])atrie, les princes d'Orléans étaient là,
seuls en face de M. le comte de Chambord, brisé
par la souffrance, et représentant avec lui toute la
famille royale des Bourbons dans un entretien qui
pouvait être le dernier. Ce n'était plus la France
qui réunissait M. le comte de Chambord et M. le
comte de Paris, comme lors du ;"> août 1873 ; c'était,
ENTRETIEN AVEC M^''' LE COMTE DE PARIS 229
après dix ans, Dieu lui-même avec ses décrets
mystérieux...
Mais cette scène, déjà si belle en elle-même,
M. le comte de Chambord la rehaussait encore de
toute la grandeur de ses sentiments.
A la vue de M. le comte de Paris, M. le comte
de Chambord se soulève sur son séant ; il l'appelle
à lui ; d'un mouvement tout paternel, il le prend
dans ses bras et, en pleurant, il le tient longtemps
sur sa poitrine. Puis il embrasse cordialement
M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon. Il
saisit ensuite la main de M, le comte de Paris ; il
le force à s'asseoir à son chevet en lui faisant, de
toute la vigueur qui lui reste, une sorte de violence
affectueuse. Il cause alors avec chacun des princes,
et la conversation dure un quart d'heure. M. le
comte de Chambord semble avoir oublié son mal ;
son cœur est plus fort que la souffrance. Il affirme
même en souriant qu'il se sent mieux. Avec une
tendresse touchante, avec une abnégation absolue
de lui-même, avec une vivacité et une lucidité d'es-
prit extraordinaires, il les entretient de tout ce qui
les intéresse personnellement : il n'y avait rien
qu'il ne sût et qu'il n'eût l'aimable soin de leur
remémorer ou de leur demander. Au moment où
les princes, qui craignaient de le fatiguer en pro-
longeant cette visite, allaient se retirer, M. le
comte de Chambord, encore une fois, embrassa
avec effusion M. le comte de Paris, et sa main
230 CONSULTATION DES MÉDECINS
eut de la peine à se détacher de celle qu'elle
serrait.
En rentrant au salon où leurs amis les atten-
daient, les princes avaient tous trois des larmes
dans les yeux, et c'est d'une voix altérée par l'émo-
tion qu'ils leur racontèrent cette douloureuse
entrevue.
En sortant, encore tout ému, de la chambre de
M. le comte de Ghambord, M. le comte de Paris
s'écria : « Ah ! on nous avait trompés sur la gravité
de l'état de Monseigneur, et nous en sommes
bien heureux ! »
M. le comte de Monti sortit alors de sa poche
la première consultation des trois médecins vien-
nois, qui déclaraient l'état du prince si alarmant,
qu'ils n'osaient pas affirmer qu'il passerait la
nuit...
M. le comte de Ghambord avait ordonné que,
pendant le déjeuner, M. le comte de Paris occupât
à table sa place môme : attention plus que cour-
toise, qui rendait bien visible et sensible sa sou-
veraine pensée. Après le déjeuner, qui fut suivi
d'une courte promenade dans le parc, les princes
présentaient à M"" la comtesse de Ghambord leurs
respects, leurs consolations, leurs souhaits, et
reprenaient la route de Vienne.
Voilà, dans loule sa simplicité comme dans
toute sa vérité, le récit qui nous a été fait de cette
louchanle entrevue. Le speclacle qui a été donné
l'union des deux princes 231
là, le 7 juillet, à la France monarchique et à l'Eu-
rope elle-même, n'a pas besoin de commentaires
pour marquer tout ce qu'il a eu de beau et de
bon. C'était l'union de la famille royale attestée de
nouveau, comme en 1873, et consacrée cette fois
avec une solennité suprême. Ce n'était pas seule-
ment M. le comte de Paris saluant le représentant
du droit dynastique dans la personne de M, le
comte de Chambord, comme dix ans auparavant ;
c'était M, le comte de Chambord, ne pensant qu'à
la France sur son lit de douleur et lui montrant la
monarchie de l'avenir dans la personne de M. le
comte de Paris, qui devait après lui représenter
ce même droit héréditaire.
Un journal a dit à ce sujet ^ :
« Personne ne put l'empêcher, malgré ses souf-
frances, de terminer sa noble carrière par le
grand acte qui est son véritable testament. Il
reçut, comme il l'entendait, sur son lit de mort,
son héritier; et ceux qui ont vu dans cette magni-
fique étreinte quelque chose comme un sacrifice
se sont singulièrement trompés.
« Non seulement, M. le comte de Chambord con-
naissait mieux que personne l'histoire et les lois
de sa patrie, mais il savait qu'il remettait entre les
mains les plus sures le dépôt sacré gardé pour
la France. Il avait dit avec joie à un ami, le soir
1. Figaro du 24 août 1887 : Un anniversaire.
232 RETOUR A EU
du 5 août 1873 : « Le comte de Paris est un bien
« honnête homme, » et il s'endormit tranquille dans
l'éternité. »
Quant à nous, en rappelant cette scène si digne
de notre vieille histoire, nous ne venons que ren-
dre à M. le comte de Ghambord l'hommage dû à
sa haute volonté, à sa courageuse sollicitude, à sa
prévoyance royale et nationale ; et avec nous toute
la France monarchique, nous en sommes sûr, mê-
lera dans cet hommage la gratitude à l'admira-
tion.
L'amélioration dans la santé de M. le comte de
Ghambord se maintenant, M. le comte de Paris
quitta Vienne le samedi soir 14 juillet, et arriva à
Paris le lendemain soir, dimanche, à 6 heures.
Le prince dîna chez M. Bocher, et dans la soirée
alla chez le marquis de Dreux-Brézé lui exprimer
sa satisfaction des meilleures nouvelles qu'il
apportait de la santé du chef de la maison de
Bourbon. Puis le 17, le prince retourna à Eu auprès
de Madame la comtesse de Paris.
L'entrevue du 7 juillet 1883 avait produit un
effet considérable en France. Elle montrait que ce
n'était plus, comme au 5 août 1873, une union de
raison, mais une union de cœur qui réunissait le
comte de Ghambord et le comte de Paris. Nous en
trouvons la preuve dans la touchante lettre sui-
vante que M. le duc de Nemours adressa de Vienne
à sa fille M'"'' la princesse Blanche :
LETTRE DE M^"" LE DUC DE NEMOURS 233
C'est Madame qui nous a ouvert la porte de l'auguste
malade.
Nous sommes restés seuls, — personne que nous trois. —
Monseigneur, en nous voyant, s'est soulevé avec énergie.
Il a étendu ses deux bras, a i)ris Paris par la tête, l'a em-
brassé avec effusion plusieurs fois ; il a placé la tête de
Paris sur son cœur, puis il m'a tendu la main et m'a dit :
a Embrassons-nous ; nous nous aimons depuis bien long-
temps. » Il a embrassé le duc d'Alençon.
Il nous a fait asseoir et nous a parlé avec sa belle voix
que vous connaissez. Il nous a demandé en détail des nou-
velles de toute la famille ; femmes, enfants, il n'a oublié
personne.
Pendant qu'il causait ainsi, il prenait la main de Paris,
la mienne. Il a répété plusieurs fois : « Je savais bien que
vous viendriez, et j'étais sûr que votre visite me ferait du
bien. Je sens que cela va mieux; car mon cœur n'est j)as
malade, et il vous aime tendrement. »
L'entrevue a duré dix-sept minutes.
C'est moi qui ai dit : « Nous craignons de nous faire
gronder ; nous nous retirons. Avec l'aide de Dieu que nous
invoquons tous, avec votre énergique constitution, vous
triompherez du mal. »
Alors, prenant la main de Paris, Monseigneur répliqua :
« Quand vous rentrerez en France, dites bien à tous
que c'est pour ma chère France qu'il faut prier et non
pour moi. Mon seul regret est de n'avoir pu la sei"vir et
mourir pour elle, comme l'a toujours désiré mon cœur.
Soyez plus heureux que moi : c'est tout ce que je désire. »
M. le comte de Chambord avait signifié sa ferme
234 AGONIE DE M^'^ LE COMTE DE CHAMBORD
volonté, non seulement en recevant M. le conile
de Paris avec une joie des plus expressives, en le
pressant sur son cœur, mais encore en refusant
de recevoir aucun autre prince, même les fds et
filles de sa sœur qu'il avait élevés et qu'il consi-
dérait comme ses propres enfants. Il avait fait taire
ses sentiments pour remplir son devoir de roi, et
bien montrer aux royalistes quel était son succes-
seur.
Mais M. le comte de Paris, en se rendant sans
hésitation à Frohsdorf, avait pu, lui aussi, envisager
la responsabilité qui [lui incomberait un jour. En
accomplissant cet acte, le prince montrait de la
netteté, de la décision, de la volonté. Ceux qui ne
le connaissaient pas commencèrent déjà à pres-
sentir en lui un chef intelligent et ferme, digne du
grand nom qu'il portait.
Pendant un mois, on put espérer, sinon le réta-
blissement complet de M. le comte de Ghambord,
au moins un long temps d'arrêt dans la maladie.
La Providence en avait décidé autrement. Le 16
août, tout espoir sembla abandonné : les forces
déclinaient rapidement; le comte de Ghambord ne
pouvait plus suppoi'ter au(uin aliment. Le 21, les
médecins, réunis en consultation, annoncèrent que
le comte de Ghambord était perdu. Le prince con-
servait toute sa lucidité, et se rendait compte de
son état. A midi, il fit ses adieux à ses neveux, à
ses nièces, et reçut les derniers sacrements. Pen-
LA MORT 235
dant quarante-huit heures, il y eut une sorte d'ac-
calmie dans le mal. Enfin le 23, à 8 heures du soir,
le professeur Drasche et le docteur Mayr durent
prévenir la famille que l'agonie commençait.
Lorsqu'il ne fut plus possible de douter de l'ap-
proche de la mort, M™*^ la comtesse de Chambord,
malgré tout son courage, sentit ses forces faiblir.
Elle faillit s'évanouir dans les bras de M™*^ la
grande-duchesse de Toscane, de la comtesse de
Bardi et de la duchesse de Madrid. Les princesses
lui prodiguèrent leurs soins aflectueux, et M"*" la
comtesse de Chambord, maîtrisant sa douleur, ne
quitta plus le lit de son époux expirant. Les prières
des agonisants furent dites deux fois dans le cou-
rant de la nuit. Le silence n'était interrompu que
par la voix de la princesse, ou par celle de M. le
comte de Chambord, prononçant encore quelques
paroles, parmi lesquelles on distinguait surtout ce
mot : « France ! » Toute la nuit se passa ainsi. Vers
7 heures, le docteur Mayr reconnut que les der-
niers moments approchaient. L'abbé Curé pro-
nonça, d'une voix grave et tremblante d'émotion :
« Montez au Ciel, fils de saint Louis I... » Le prince
poussa un léger soupir tout était fini. Il était
7 heures 27 minutes du matin
Le corps du prince, épuisé, émacié par la souf-
france, était d'une excessive maigreur. La barbe
blanche, très longue, descendait sur la poitrine,
et les traits de son visage, calme et reposé,
236 ARRIVÉE A VIENNE DE M'''' LE COMTE DE PARIS
étaient empreints d'une incomparable majesté.
La première dépêche annonçant la triste nou-
velle fut adressée à M. le comte de Paris. Tous
les princes d'Orléans firent savoir qu'ils se ren-
draient aux obsèques.
Dès le début de son voyage, M. le comte de Paris
avait été dominé par le désir de témoigner, jusque
dans les moindres détails, une profonde déférence
pour M'"^ la comtesse de Chambord. Dans les huit
jours de poignante angoisse qui précédèrent l'a-
gonie de M. le comte de Chambord, on conseilla
à M. le comte de Paris de se tenir prêt à partir aux
premières nouvelles de la mort, de façon à pou-
voir prendre de suite à Frohsdorf la direction des
funérailles. Ce conseil, le prince ne le suivit pas.
Il était avant tout préoccupé, dans sa délicatesse,
d'éviter de troubler la douleur de Tauguste veuve
dans les premiers jours de son deuil. Il souhaitait
d'ailleurs uniquement d'arriver à Frohsdorf de
façon à pouvoir contempler une dernière fois les
traits du prince avec lequel il avait eu récemment
une entrevue si touchante, avant qu'ils eussent
pour jamais disparu aux yeux des hommes.
Le comte de Chambord mourut le 24 août au
matin. Le 28, M. le comte de Paris arriva à Vienne,
après avoir télégraphié au comte de Blacas, à
Frohsdorf, pour lui demander à quelle heure il
pourrait venir le même jour s'agenouiller près du
lit funèbre.
AU CHATEAU DE FROHSDORP 237
Dans ce voyage, M. le comte de Paris était ac-
compagné de son fils le duc d'Orléans, du duc de
Nemours, du prince de Joinville et du ducd'Alen-
çon. Il avait, de plus, appelé pour le suivre à Frohs-
dorf des amis personnels , anciens compagnons
d'enfance et d'exil, qui tous avaient eu l'honneur
d'avoir été présentés, depuis 1873, au comte de
Chambord. C'étaient MM. le comte B. d'Har-
court, ancien officier de cavalerie; le marquis de
Beauvoir, ancien secrétaire d'ambassade ; le vi-
comte de Bondy et le vicomte Olivier de Bondy;
Emmanuel Bocher, ancien officier d'élat-major, et
le capitaine de chasseurs à pied Morhain, attaché
personnellement, depuis vingt-huit ans, à la per-
sonne de M. le comte de Paris.
Auprès de lui, le prince avait encore l'ancien et
très respecté conseil de sa famille, M. Edouard
Bocher, sénateur; le duc de la Trémoille ; le duc
de Fitz-James, beau-frère du général de Gha-
rette.
Le 28 août, à une heure trente minutes, les
princes quittaient Vienne, et arrivaient à trois
heures à Viener-Neustadt. Les voitures de M. le
comte de Chambord les attendaient à la gare et les
conduisirent au château de Frohsdorf. Les gen-
tilshommes de service auprès du corps firent éva-
cuer la chambre mortuaire, et le chef nouveau de
la maison de France, ayant son fils auprès de lui,
s'agenouilla pieusement devant la dépouille de
238 LA. CHAMBRE MORTUAIRE
celui qui l'avait étreint dans ses bras, avec toute
la chaleur de son cœur, en 1873 et en 1883. 11 y
eut à ce moment un long et solennel silence.
M. le comte de Paris priait, et nul doute qu'avant
de s'adresser à Celui de qui dépend le sort des
nations, il ne se fut souvenu de la dernière parole
qu'il avait entendue sortir de la bouche du des-
cendant de nos rois : « C'est pour la France qu'il
faut prier. »
Au-dessus du lit mortuaire flottait la bannière
de Patay, avec les taches encore visibles du sang
répandu par ceux qui, le 2 décembre 1870, l'a-
vaient si intrépidement portée. La Providence
avait fait que l'un de ces héros, dont le bras est
encore en écharpe, M. Cazenove de Pradines, était
de service auprès du corps. Le religieux silence
de la chambre mortuaire ne fut rompu que par les
paroles émues adressées par M. le comte de Paris
au glorieux blessé de 1870, debout lui-même au
chevet de son roi, en quelque sorte comme une
image de la France héroïque et mutilée. Le jeune
duc d'Orléans, très pâle et profondément impres-
sionné, assistait à ce spectacle émouvant.
Dans celte môme journée, INI. Bocher s'était en-
tretenu avec M. de Blacas au sujet du cérémonial
qui serait adopté pour la cérémonie de Goritz.
Plein de respect pour la douleur de M"*" la com-
tesse de Chambord, ainsi que pour rafTcclion
qu'elle portait aux neveux de son mari, M. le
POURPARLERS POUR LES OBSÈQUES 239
comte de Paris avait pensé que, dans la chapelle
du château, sous le toit de l'auguste veuve, il ne
lui convenait pas de réclamer la préséance. Quoi-
qu'il eût pu, dès la première heure, comme c'était
son droit, faire connaître ses ordres pour le règle-
ment des funérailles, il avait tenu au contraire à
donner une marque particulière de son respect
pour la douleur de Madame, en se réservant de
réclamer seulement pour la cérémonie officielle et
française de Goritz les prérogatives dues à son
titre de chef de la maison de France.
M. de Blacas, dans une lettre à M. Bocher, se
bornait à accuser la prétention du duc de Parme,
du comte de Bardi et même du duc de Madrid à
passer au premier rang, comme propres neveux
ou même tout simplement comme neveux par
alliance. Il fut convenu que, le jeudi 30, une ré-
ponse catégorique serait donnée à M. Bocher.
Est-il besoin de dire qu'avec son éloquence or-
dinaire M. Bocher, l'ami expérimenté des princes
d'Orléans développa, tant au point de vue incon-
testable de l'histoire qu'au nom du patriotisme,
les motifs qui devaient faire écarter un programme
qui ne pouvait s'appuyer sur aucun précédent, et
qui était en contradiction absolue avec l'attitude
de M. le comte de Chambord depuis 1873, aussi
bien qu'avec sa volonté présumée ?
M. le comte de Paris revint à Vienne le même
mardi soir, et le lendemain, à la première heure,
240 NOTIFICATION AUX SOUVERAINS
il expédiait à tous les souverains d'Europe le
télégramme suivant :
Sire,
J'ai la douleur de vous faire part de la perte cruelle que
la Maison de France vient d'éprouver dans la personne de
son chef, Monseigneur Henri-Charles-Ferdinand-INlarie
Dieudonné d'Artois, duc de Bordeaux, comte de Cluim-
bord, décédé à Frohsdorf, le 24 août 1883.
Je prie Votre Majesté de vouloir bien accorder dans
cette circonstance, à la Maison de France, sa haute sym-
pathie.
Philippe, comte de Paris.
Dans la même journée , tous les souverains
répondaient à cette notification. En prenant cette
initiative, M. le comte de Paris n'avait fait que
continuer, comme chef de la maison de France, ce
qu'il avait toujours fait comme chef de la maison
d'Orléans.
Aussitôt ce devoir accompli, M. le comte de
Paris faisait demander au grand chambellan de
S. M. l'empereur d'Autriche, le comte de Grenne-
ville, quel jour et à quelle heure il pourrait se
rendre chez Sa Majesté. La réponse fut donnée
presque immédiatement, et l'heure de deux heures
fut indiquée pour le surlendemain vendredi.
Dans cet intervalle, un grand nombre de Fran-
çais, amis plus spécialement fidèles et intimes
du château de Frohsdorf, arrivaient de France à
Vienne, et ne cachaient point leur stupéfaction en
DÉCISION DE M""*^ L.V COMTESSE DE CHAMBORD 241
apprenant quelles étaient les décisions qui sem-
blaient prévaloir, dans l'entourage immédiat de
M"® la comtesse de Ghambord, relativement aux
obsèques, et l'insistance avec laquelle les chefs
des branches espagnole et italienne réclamaient le
droit de conduire le deuil d'un prince aussi émi-
nemment et aussi profondément français que M, le
comte de Ghambord.
Plusieurs Français parlaient tout haut de pro-
poser à M. le comte de Paris de « prendre son
prie-Dieu à Goritz et de le placer à dix mètres
en avant de tous les autres ». Le prince fit savoir
qu'il ne pouvait consentir, par égard pour Gelui
que la France monarchique pleurait, à ce que ses
amis engageassent cette sorte de lutte avec ceux
qui lui disputaient indûment la préséance.
Les hommes politiques expérimentés espé-
raient que le langage tenu à Frohsdorf par MM. le
duc de Bisaccia, le comte Albert de Mun, le comte
Maxence de Damas, MM. Benoist d'Azy, de Ca-
rayon-Latour, triompherait de résistances qui ne
pouvaient être inspirées que par des personnes
étrangères à la France.
Un des motifs invoqués par l'entourage immé-
diat de M*, le comte de Ghambord était que l'em-
pereur d'Autriche voulait éviter que la cérémonie
prit le caractère d'une démonstration politique.
Gette assertion devait recevoir le lendemain, ven-
dredi 31, un démenti formel, éclatant.
lu
242 VISITE DE l'empereur d'Autriche
Deux heures, en eftet, avant que M. le comte de
Paris dût se rendre au palais impérial, l'empereur,
en uniforme, arrivait inopinément à la demeure de
M. le comte de Paris; il s'entretenait seul avec lui
pendant plus d'une demi-heure, se faisant présen-
ter le jeune duc d'Orléans, et lorsque le prince
français voulut le reconduire du salon au bas du
perron, l'empereur, insistant par deux fois, l'em-
pêcha de descendre une seule marche. Le duc
d'Alençon accompagna seul Sa Majesté jusqu'à la
voiture.
Puisque le nom de l'empereur d'Autriche est
mêlé à ce récit, qu'on nous permette de consacrer
quelques lignes à ce souverain.
On se souvient encore à Paris de l'excellente
impression laissée partout par l'empereur Fran-
çois-Joseph lorsqu'il vint visiter l'Exposition de
1867, L'empereur a une figure remarquablement
intelligente, l'œil est vif, l'aspect militaire. L'ex-
quise distinction de ses manières et sa grande
aftabilité frappent tous ceux qui ont l'honneur
d'être reçus par lui.
L'empereur est bien le premier gentilhomme de
son empire. Avec un tact et une abnégation admi-
rables, François-Joseph se dessaisit du pouvoir
absolu qu'il tenait de ses aïeux; il n'hésita pas à
se dépouiller de ses plus importantes préroga-
tives dans l'intérêt de la patrie; il est devenu le
LES PRINCES AU PALAIS niPERIAL 243
modèle des souverains constitutionnels, et l'afFec-
tion de ses peuples l'en a largement récompensé.
Dans cet excellent pays, le peuple n'a cessé de
conserver un attachement réel, profond, pour la
famille impériale. Les questions militaires pas-
sionnent l'empereur; il s'en occupe avec la plus
grande et la plus intelligente sollicitude, et son
règne laissera un souvenir heureux dans l'empire
d'Autriche-Hongrie. 11 sut, avec une habileté par-
faite, opérer la réconciliation avec la Hongrie, si
jalouse de ses antiques privilèges.
François-Joseph est bon, charitable, et peu de
souverains en Europe jouissent d'une aussi grande
et aussi méritée popularité.
A deuxheures, jM. le comte de Paris se rendait, à
son tour, au palais impérial, dans la voiture de
gala de son cousin, le duc de Saxe-Gobourg. Lors-
qu'il entra dans la cour, la garde sortit, présenta
les armes, pendant que les officiers saluaient de
l'épée et que l'étendard s'inclinait. A l'intérieur,
les officiers gardes du corps, autrichiens et hon-
grois, en resplendissants uniformes, faisaient la
haie. Une demi-heure plus tard, l'empereur rece-
vait le duc de Nemours, le prince de Joinville, le
duc de Chartres et le duc d'Alençon. H n'est pas
besoin de commentaires pour faire ressortir l'im-
portance de la visite faite, le premier, par l'empe-
reur d'Autriche au chef de la maison de France.
244 DECISION DE M''' LE COMTE DE PARIS
Pendant que s'échangeaient ces visites, M. Ro-
cher retournait à Frohsdorf pour savoir comment
avait été réglé définitivement l'ordre du céré-
monial à Goritz, et pour déclarer que si M. le
comte de Paris n'avait pas le premier rang, im-
médiatement après l'archiduc représentant l'em-
pereur d'Autriche, il n'irait pas à Goritz : le chef
actuel de la maison de France ne pouvant accepter
un autre rang sans méconnaître ses devoirs et ses
droits.
Le samedi l*"" septembre, M. le comte de Paris,
accompagné du duc d'Orléans, du duc de Char-
tres, du duc de Nemours, du prince de Joinville,
du duc d'Aumale et du duc d'Alençon, quittait
Vienne à sept heures vingt minutes du matin, et
arrivait à neuf heures au château de Frohsdorf.
Le roi de Naples et huit archiducs arrivaient en
môme temps. On distinguait parmi les Français :
MM. les ducs de Sabran, des Cars, de la Tré-
moïlle, de Fitz-James, de Bisaccia ; MM. de la Ro-
chejaquelein, de Damas, de Blacas, etc., etc. La
cérémonie célébrée en présence d'une pareille
assistance fut véritablement touchante, et em-
preinte tout à la fois d'un caractère de simplicité
et de grandeur.
Ici se place une scène caractéristique. Lorsque
M. le comte de Paris sortit du château pour rega-
gner sa voiture, toutes les tètes se découvrirent,
et un groupe, se détachant de la masse des assis-
DÉMARCHE DES FRANÇAIS 245
tants, s'avança vers le prince. Une vive émotion
se peignait sur tous les visages. Le duc de Bisac-
cia, le général de Charette, M. de Mun, le duc de
Filz-James, étaient en tête de ce groupe. Quand
ces messieurs furent arrivés près de M. le comte
de Paris, M. le duc de Bisaccia, faisant un pas en
avant, s'adressa au prince en ces termes :
Monseigneur,
Nous venons, le général de Charette et moi, au nom de
la France, au nom de tous les Français qui sont ici, vous
demander avec instance d'aller à Goritz, comme vous en
aviez l'intention, et d'y prendre la place qui vous est due.
En agissant ainsi. Monseigneur remplira les intentions de
Celui que nous pleurons.
En prononçant ces paroles, M. le duc de Bisac-
cia, très ému, avait la voix vibrante, le geste plein
d'expression et d'ampleur.
Le prince répondit qu'il remerciait ces mes-
sieurs de leurs nobles paroles, et qu'il les consi-
dérait comme un gage pour l'avenir.
MM. de Charette, de Mun, de Monti, appuyèrent
avec beaucoup de vivacité et d'énergie le langage
de M. le duc de Bisaccia. Tl n'est pas de spectateur
qui puisse oublier cette scène émouvante après
l'avoir contemplée. Ces messieurs cédaient à l'élan
de leurs cœurs, à un élan tout français et d'autant
plus significatif, qu'ils avaient été toute leur vie
les amis intimes, les serviteurs dévoués du prince
246 LE PRINCE RETARDE SON DEPART
défunt, qu'ils l'avaient défendu à la tribune, qu'ils
avaient été considérés comme ses soldats sur les
champs de bataille de 1870. En les entendant, on
sentait bien que ceux-là parlaient au nom du mort,
et que ce qui se préparait à Goritz n'aurait jamais
été dicté par le comte de Ghambord, s'il avait lui-
même réglé ses funérailles.
Les vœux de ces ardents patriotes, de ces loyaux
Français, ne devaient point être exaucés. Toute-
fois, par égard pour la démarche de ces mes-
sieurs, le prince, qui avait résolu de partir le
jour même pour la France, voulut bien différer
son départ jusqu'au lendemain soir.
Quelques heures plus tard, M. le comte de Bla-
cas apportait à Vienne les volontés écrites par
M™^ la comtesse de Ghambord , et de sa main
même, déclarant qu'elle « voulait que chacun fût
placé selon son degré de parenté ». C'était faire
conduire le deuil d'Henri de France par deux
princes italiens et un prince espagnol. G'était
mettre au quatrième rang le chef de la maison de
France, dont le premier acte, en cette qualité, eût
été, s'il eût accepté ce rang, d'abaisser devant des
maisons étrangères la maison royale à laquelle
la France a dû son unité et sa grandeur.
M. le comte de Paris n'hésita pas une seconde et
déclara qu'il n'irait pas à Gorilz ; il laissa voir la
douleur qu'il en éprouvait; mais c'était pour lui
un devoir de s'abstenir; ce devoir, il l'accomplit.
IMPRESSION EN FRANCE 247
Il est à noter que cette décision fut prise dans
la soirée du samedi P"", et que le lendemain, diman-
che, dès huit heures du matin, l'empereur modi-
fiant les ordres donnés officiellement par lui, au
sujet du service de Goritz, s'y faisait représenter,
non plus par son frère, l'archiduc Louis-Victor,
mais par son grand-écuyer.
Certains organes de la presse démocratique ont
interprété ce changement dans les ordres du sou-
verain comme une concession faite à une demande
qu'aurait formulée le gouvernement français.
Cette allégation a été reconnue de tous points
inexacte. A Goritz, les Français nombreux qui
étaient venus rendre les derniers devoirs à Henri
de France ressentirent une profonde douleur en
apprenant que des princes étrangers avaient été
chargés de conduire le deuil ; un sentiment natio-
nal et patriotique avait gagné vite tous les cœurs et
avait fait explosion à l'issue de la cérémonie, dans
l'allocution émouvante de M. le ducdeBisaccia.
En ce qui concerne l'impression produite en
France par ces incidents, nous avons été heureux
de constater que l'attitude si digne et si française
de M. le comte de Paris avait provoqué un senti-
ment unanime d'approbation. La fierté nationale
s'émut en voyant comment le représentant de nos
rois savait défendre, à la fois, la dignité de sa mai-
son et celle de la France, qui s'y trouve indissolu-
blement liée. Enfin, M. le comte de Paris fit
248 LE TESTAMENT DE M^"' LE COMTE DE CHAMBORD
preuve de cette résolution qui est la qualité maî-
tresse de son puissant esprit, et qui n'a chez lui
tant de force que parce qu'elle s'unit, par une
association bien rare, à la réflexion. Toutes ces
particularités expliquent comment M. le comte de
Paris, parti pour Frohsdorf pour y remplir un
devoir, y trouva, sans la chercher, l'occasion d'un
grand succès personnel.
Dans son testament, daté de Frohsdorf, le 5 juil-
let 1883, M. le comte de Chambord avait ainsi
distribué sa fortune. M. le duc de Parme, son
neveu, était légataire universel, avec réserve,
pour la comtesse de Chambord, de la jouissance ;
le comte de Bardi, frère du duc de Parme, avait
un quart de la fortune ; leurs sœurs, S. A. I. et R.
]yjme ]jj grande-duchesse de Toscane et M"" la du-
chesse de Madrid, héritaient de 500,000 francs
chacune ; ensuite venait la liste des souvenirs à ses
amis intimes, et des pensions aux gens de sa maison.
« On dit qu'il a existé un autre testament qui
avait, au contraire, un caractère tout politique, dont
le prince avait lu des passages admirables à deux
ou trois élus de sa confiance. Qu'est devenu ce
testament ? A-t-il été brûlé, déchiré ? ou bien
M'°" la comtesse de Chambord a-t-clle pieusement
conservé ce souvenir qu'annulait un acte posté-
rieur i?» C'est une question que M"' la comtesse
1. I/riiri de France, par M. II. de l'ène, p. 'l'iO.
LES ORSÈQUES A GORITZ 249
de Ghambord seule aurait pu résoudre. On ne
le saura probablement jamais.
Après avoir raconté ce qui eut lieu à Frohsdorf,
il est utile d'exposer ce qui se passa à Goritz. Je
m'y étais rendu pour rejoindre M. le comte de Paris,
et je puis affirmer la plus scrupuleuse exactitude
de mon récit, que trois des amis particuliers des
princes qui se trouvèrent en même temps que moi
à Goritz, le jour des obsèques, pourraient au besoin
confirmer : c'étaient MM. le comte de Montai-
gnac, le marquis de Mornay, et Armand de Mas.
Voici ce que je trouve dans mes notes écrites le
jour même :
J'étais arrivé à Goritz le dimanche matin 2 sep-
tembre : c'est à midi qu'éclata, comme un coup de
foudre, la nouvelle que M. le comte de Paris n'as-
sisterait pas aux obsèques. Je me rendis à l'hô-
tel des Trois-Gouronnes, où tout le monde était
dans une extrême agitation. On venait de connaître
la décision de M"® la comtesse de Ghambord, qui
tenait à ce que le deuil du chef de la maison de
France fut conduit par des princes étrangers.
Il n'y eut bientôt qu'un cri : Nous, Français,
nous refusons de conduire à sa dernière de-
meure le corps du roi de France en suivant des
princes espagnols et italiens. Que l'on fasse sa-
voir à M. le comte de Paris l'unanimité des sen-
timents qui agitent le cœur de tous les Français,
?50 DÉPÈCHE ADRESSÉE A M^"" LE COMTE DE PARIS
et, en présence d'une démarche si spontanée, peut-
Hre Monseigneur daignera-t-il se rendre à nos
i^œux et marcher à la tête des Français?
Une vingtaine de présidents des anciens comi-
tés royalistes se réunissent dans une chambre de
l'hôtel des Trois-Couronnes, et rédigent une dé-
pêche. Par qui la faire signer, se demande-t-on ;
la plupart des noms sont inconnus du prince ?
Y a-t-il à Goritz des amis particuliers des princes
d'Orléans? Le baron de Roux-Larcy désigne M. le
marquis de Fiers. On vient me trouver à l'hôtel
de la Poste, et, cédant aux instances dont j'étais
l'objet, j'expédie en double, à Vienne et à Trieste
(où l'on disait que M. le comte de Paris se trouvait
pour rentrer en France par Venise), la dépêche
suivante :
A Monseigneur le Comte de Pains.
Le bruit court, et il |)roduit partout une extrême émo-
tion, que Monseigneur ne vient pas à Goritz. Je suis très
instamment et très vivement prié, par un grand nombre
de présidents de comités royalistes, réunis à l'Hôtel de la
Poste, et dont j'ai les noms, de supplier Monseigneur de
se rendre à Goritz.
Je suis avec le plus profond respect, de Monseigneur,
le très humble, très obéissant et très lidèlo serviteur,
Le marquis de Flers.
Celte dépêche ne parvenait au prince que le
surlendemain, cai- il avait déjà quille Vienne, et il
me répondait par la dépêche suivante :
RÉPONSE DE MONSEIGNEUR 251
Ginimden, 4 septembre 1883, 9 h. 30 matin.
Marquis de Fiers, Hôtel de la Poste, Gnritz.
Je reçois ici votre dépêche, dont je regrette le retard.;
vous savez comment le souci de ma dignité m'a empêché
d'aller à Goritz.
Comte de Paris.
L'agitation ne faisait qu'augmenter, et il n'y
avait qu'une voix pour admirer la fermeté, la di-
gnité du nouveau chef de la maison de France :
(c Nous acceptions M. le comte de Paris, nous
l'acclamerons maintenant, » s'écriaient de tous
côtés les légitimistes les plus ardents.
Dans la soirée du dimanche, beaucoup de roya-
listes étaient arrivés à Goritz. Une importante réu-
nion eut lieu à l'hôtel de la Poste, sous la pré-
sidence du baron de Lareinty, sénateur de la
Loire-Inférieure, qui montra en cette occasion une
intelligence, un esprit de décision et une activité
qui rendirent les plus grands services. Assistaient
à cette réunion : le vicomte de Kerdrel, sénateur;
le prince de Léon, vicomte Blin de Bourbon,
députés; le prince d'Arenberg, le marquis de
Vogué, le comte de Maillé, marquis de Pontevès-
Sabran, marquis d'Imécourt, baron de Roux-Larcy,
M. de Staplande, baron de Vaufreland, baron Jules
de Lareinty, marquis et comte de Paris, baron de
Rochetaillée, Jules Auffray^, Remacle, Seguin,
1. 'SI. Jules Auffray est l'auteur d'une très intéressante bro-
chure, Le 3 septembre 188.3 à Goritz.
252 RÉDACTION D UNE ADRESSE AU PRINCE
baron d'Huarl, marquis de Puyvert, Fernand An-
diize et Elie Durand, ces deux derniers, royalistes
actifs de Montpellier, qui, après avoir rendu à
M. le comte de Chambord les plus précieux ser-
vices dans l'Hérault, mettent aujourd'hui leur zèle
et leur ardeur féconde au service de M. le comte
de Paris.
Après un discours très ferme et très applaudi de
M. le baron de Lareinty, qui sut trouver des pa-
roles éloquentes et émues pour exposer la situa-
tion, l'adresse suivante fut votée par acclamation:
Les Français réunis à Goritz pour rendre au roi un
suprême et douloureux devoir, n'ayant pu exprimer à M. le
comte de Paris leur inaltérable attachement au principe
traditionnel de la monarchie française représenté par sa
personne, le prient d'agréer l'hommage de leur respec-
tueuse fidélité.
Gomme on espérait encore l'arrivée des princes
d'Orléans, on ajourna au lendemain, deux heures,
la signature de cette adresse.
Le lundi 3 septembre 1883, à sept heures et
demie du matin, le cercueil contenant le corps de
M. le comte de Chambord arrivait en gare à Goritz.
L'émotion était vive, les larmes dans tous les yeux.
On attendit à la gare l'arrivée du prince de Tour-
et-Taxis, représentant l'empereur d'Autriche, et
qui arriva à neuf heures : le cortège se mil en
marche pour la cathédrale entre deux haies de
OBSÈQUES DE M^'*^ LE COMTE DE CHAMBORD 253
soldats, avec l'immense concours d'une popula-
tion à l'attitude respectueuse et recueillie.
Le deuil était conduit par don Juan d'Espagne
(père du prétendant don Carlos) ; le duc de Parme,
don Carlos, don Alphonse de Bourbon, son frère ;
don Jaime (fils de don Carlos); don Miguel de
Bragance, enfin S. A. I. et R. l'archiduc Ferdi-
nand IV, grand-duc de Toscane ; le grand-duc
Ferdinand était fils de Léopold II, cet excellent
souverain qui gouverna avec tant de sagesse la
Toscane, et dont le souvenir est resté si vivant à
Florence. Derrière eux, un groupe d'officiers
autrichiens en grande tenue. Le grand-duc de
Toscane, tout en se rendant aux obsèques de
son oncle, avait vivement blâmé que la première
place ne fût pas donnée à M. le comte de
de Paris. Le roi de Naples, qui, à Frohsdorf, le sa-
medi matin, s'était effacé en disant : « Je ne pas-
serai jamais avant le roi de France, » s'était abstenu
de venir à Goritz.
La messe s'acheva au milieu du recueillement
général, et la fin de la cérémonie fut ajournée à
cinq heures après midi. Enfin, à six heures et de-
mie, le couvent des Franciscains de Goritz recueil-
lait la dépouille mortelle de l'auguste prince, dont
on a pu dire que, s'il n'a pas été roi, nul n'a été
plus digne de l'être. Le comte de Chambord, en
effet, sut rendre plus grand encore, dans l'efface-
ment de l'exil, l'éclat du principe de la monarchie
254 LES ROYALISTES A GORITZ
traditionnelle et de la dignité royale. Son incom-
parable majesté força au respect jusqu'à ses adver-
saires, et dans toute la France, amis ou ennemis,
ont pu dire de lui : C'était u.n honnête homme!
Pour nous, nous conserverons toujours le sou-
venir de l'accueil qui nous fut fait, en octobre
1879, par ce prince spirituel, au caractère si fran-
çais, chez lequel nous étions introduits par son
neveu, le grand-duc de Toscane. Nous n'oublie-
rons jamais l'extrême bienveillance avec laquelle
M. le comte de Chambord reçut un des fidèles du
roi Louis-Philippe et des princes d'Orléans, et la
profonde impression que nous en ressentîmes.
Pourquoi la France a-t-elle été privée de cette joie
de le voir monter sur un trône, où il eût été si vite
aimé de tous les Français!.... Il ne nous appar-
tient pas de le dire.
Revenons un peu en arrière, et racontons briè-
vement ce qui se passait à Goritz aux deux hôtels,
entre la cérémonie du matin, à l'église, et celle du
soir. A l'issue de la messe, le duc de Larochefou-
cauld-Bisaccia, président de la droite royaliste à la
Chambre des députés, considérant qu'il y avait
urgence à faire connaître à la France la parfaite
union du parti royaliste et son unanime adhésion
aux droits de M. le comte de Paris, envoyait à
Paris le texte d'une adresse qui alïirmait l'iné-
branlable fidélité des royalistes au nouveau chef
de la nuiison de France. Celte déclaration, jetée
LE DUC DE BISACCIA ET LE BARON DE LAREINTY 255
immédiatement par tous lesjournaux, au pays dans
l'attente, produisit une excellente impression par-
tout, et démentit, dès la première heure, les
bruits de dislocation et de désunion du parti mo-
narchique, que la presse républicaine s'efforçait
de propager dans l'opinion publique.
Si par l'initiative du duc de Bisaccia l'union
était affirmée au dehors, il restait à la consommer
au dedans. Grâce à l'esprit de clairvoyance du
baron de Lareinty, on ne laissa pas avorter en
regrets stériles des sentiments que tous parta-
geaient. Le baron de Lareinty avait mieux que
personne qualité pour agir. Sénateur et président
du conseil général de la Loire-Inférieure, il avait
constitué, dans le plus grand nombre des com-
munes de ce département, une majorité royaliste.
Par son habileté, il était parvenu à battre en brèche
tous les préfets républicains et à contre-balancer,
même à Nantes, au milieu d'une population ou-
vrière, accessible à tous les mensonges révolu-
tionnaires, l'influence du parti républicain.
Pendant que le comte de Monli réunissait les
délégués de six départements de la Bretagne et
de la Vendée, qui signaient une adresse de fidé-
lité à M. le comte de Paris, trois ou quatre légiti-
mistes (qui devaient un jour faire partie des quel-
ques douzaines d'hommes en France qui recon-
naissent un Espagnol comme prétendant au trône de
France) firent les plus grands efforts pour empê-
256 l'adresse du baron de lareinty
cher de signer l'adresse Lareinty. Tous les pré-
textes étaient bons! Le podestat de Goritz s'oppo-
sait à toute réunion ; on insinuait qu'il y avait
inconvenance à signer le jour même des obsè-
ques!... (le soir môme et le lendemain les roya-
listes se dispersaient). Le baron de Lareinty parla
haut et ferme, imposa silence par son attitude
décidée, et le maître de l'hôtel, circonvenu par les
quatre intransigeants, ayant refusé une salle où
Ton pût discuter les termes de l'adresse, on alla
en masse la signer dans la chambre du vicomte
Blin de Bourdon, député.
En résumé, le pénible incident qui avait éloi-
gné M. le comte de Paris eut un résultat important.
Le parti royaliste se trouva en un instant uni,
confondu dans un même sentiment tout français :
le roi de France doit passer avant tous !
Les royalistes présents à Goritz, les plus vieux,
les plus fidèles , étaient unanimes à qualifier
sévèrement l'acte arraché à la faiblesse dé-
solée de M""^ la comtesse de Chambord. Tous
louaient M. le comte de Paris; le comte de Bla-
cas lui-même déclarait hautement à quel point
cette conduite était correcte, digne, et méritait
l'approbation. Le comte de Blacas , le comte
René de Monti, le baron de Raincourt, le comte
A. de Chevigné, le comte de Damas d'Haulefort,
prolestèrent contre l'attitude que certains jour-
naux leur prêtaicnl, en écrivant (juils reconnais-
LES TROIS ACTES DE M"' LE COMTE DE PARIS 257
saient hautement « les droits de M. le comte de
Paris à la succession de M. le comte de Cliam-
bord ». Ces loyaux serviteurs du comte de Gliam-
bord étaient bien les organes de tous les royalistes
français, plus unis, plus serrés que jamais contre
l'ennemi commun, et ils savaient bien que ces
belles paroles de M. le comte de Ghambord : « le
droit pour base, l'honnêteté pour moyen, la gran-
deur morale pour but, » resteraient la devise de
M. le comte de Paris.
M. le comte de Paris était à peu près inconnu
des légitimistes. Trois actes accomplis par lui, en
juillet et août 1883, montrèrent à tous qu'il était
un homme de cœur, un prince ferme, énergique,
qui ne laisserait jamais entamer le patrimoine
d'honneur qui appartient au roi de France:
Le 1'^'' juillet 1883, le prince apprend la grave
maladie dont M. le comte de Ghambord est at-
teint. Il part le 2, s'attendant à ne pas rentrer en
France et à rester en exil. Mais en agissant ainsi,
il accomplissait son devoir sans hésitation.
Dieu rappelle à lui, le 24 août, l'auguste chef de
la maison de Bourbon. On ignorait encore quel
nom porterait désormais celui qui sera un jour le
roi de France. M. le comte de Paris notifie aux
souverains la mort de son cousin, et signe Phi-
lippe, comte de Paris.
Enfin, si le jour des obsèques, à Frohsdorf, le
samedi i'^' septembre, il s'efface devant la douleur
17
258 RETOUR AU CHATEAU D^EU
de M™* la comtesse de Chambord et considère
alors le service funèbre comme une solennité pri-
vée, le surlendemain, il s'abstient de paraître à
Goritz. On lui refusait la première place qui lui
était due, et il ne voulait pas, sur le cercueil de
M. le comte de Chambord, se prêter à une manifes-
tation des Français qui, en proie à une émotion
mêlée de colère, avaient le dessein, bien arrêté,
de le mettre, quand même, au premier rang.
Ces trois actes seuls constituaient le meilleur
des manifestes, en attendant l'éloquente protesta-
tion du 24 juin 1886, et surtout les admirables
et si complètes « Instructions aux représentants du
parti monarchiste en France ». La France entière
savait maintenant qu'elle pouvait compter sur
l'énergie et la décision d'un prince jeune, intelli-
gent, et rompu depuis longtemps aux affaires, à
la dure école de l'exil.
A son retour de Vienne, M. le comte de Paris
rentra dans son château d'Eu, oii un grand nombre
d'anciennes et fidèles notabilités légitimistes sol-
licitèrent l'honneur de lui présenter leurs hom-
maoes. Le nouveau chef de la maison de France
o
fit à tous l'accueil le plus bienveillant.
Les présidents de la Ligue populaire royaliste
présentèrent le 20 septembre, à Eu, à M. le comte
de Paris, l'adresse suivante, revêtue de quinze
cents signatures et de celles des présidents des
comités royalistes des arrondissements de Paris :
ADRESSE DES COMITÉS ROYALISTES 259
Les l'oyalistes de Paris, membres de la ligue jiopulaire,
réunis aujourd'hui, 10 septembre 1883, dans leurs comités
respectifs, remercient M. le comte de Paris de son attitude
toute française aux obsèques de M. le comte de Chambord,
et, comptant sur lui pour rendre à la France son prestige
perdu, sa liberté violée, sa magistrature désorganisée,
déposent à ses pieds et aux pieds de Madame l'hommage
de leur respectueuse fidélité.
Au milieu d'octobre, M. le comte de Paris se
rendit au château de Saiiit-Eusoge, chez la mar-
quise douairière d'Harcourt,à laquelle il avait tenu
à présenter lui-même ses compliments de condo-
léance sur le deuil qui venait de la frapper, dans
la personne du marquis d'Harcourt, un des servi-
teurs dévoués des princes d'Orléans. A la même
époque, le prince ayant appris qu'une souscrip-
tion était ouverte en Bretagne, à Auray, pour éle-
ver un monument à la mémoire de M. le comte
de Chambord, souscrivit pour 50,000 francs, et,
plein de sollicitude pour le Tréport, donna
30,000 francs pour les travaux du port et des
jetées, qui devaient coûter plus de 3 millions et
demi, et avaient une importance capitale pour la
ville.
En 1874, M. le comte de Paris avait publié les
premiers volumes de V Histoire de la guerre civile
en Amérique; au mois d'octobre 1883, paraissaient
les cinquième et sixième volumes de l'ouvrage,
qui en aura probablement dix. L'œuvre est consi-
260 « HISTOIRE DE LA GUERRE CIVILE EN AMERIQUE »
dérable, et elle fut appréciée avec de grands éloges
par la presse française et européenne. La Revue
d'Edimbourg, notamment, rendit à l'auteur la jus-
tice que mérite ce vaste travail, où le prince mon-
tre une connaissance de l'art de la guerre mo-
derne qui lui assure une place au premier rang
parmi les historiens militaires de notre époque.
A l'automne de 1883, M. le comte de Paris choi-
sit comme secrétaire particulier M. Camille Du-
puy, avocat général à Aix. M. Dupuy, magistrat
distingué, encore jeune, avait donné sa démission,
avec tant d'autres magistrats, lors de l'exécution
des décrets de 1880 contre les congrégations reli-
gieuses. Au moment où un Bonaparte, dans une
lettre tristement célèbre, approuvait cette illéga-
lité criminelle, le choix de M. le comte de Paris
était significatif.
OIS'
t^-ajf^?^^'*.;^^.
CHAPITRE VI
1884-1885
Voyage en Espagne de M. le comte de Paris (janvier 1884). —
Attentat découvert à Lyon contre M. le comte de Paris (jan-
vier 1884). — M. le comte de Paris et M™° la comtesse de
Paris aux obsèques du duc d'Albany à Cannes (2 avril 1884).
— M. le duc de Chartres se rend à Marseille distribuer
50,000 francs aux cholériques, au nom de M. le comte de
Paris. — M. le comte de Paris et son grade de lieutenant-
colonel dans l'armée territoriale. — Visite au château d'Eu de
LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Flandre (22 juillet
1884). — M. le comte de Paris et M. le duc d'Orléans à un
incendie au Tréport (août 1884). — Service commémoratif à
Eu pour M. le comte de Chambord (24 août 1884). — Une
lettre de M. le comte de Paris à M. le comte de Laubespin,
sur la mort de son neveu, le baron de Lespérut. — Nais-
sance à Eu de S. A, R. le prince Ferdinand, deuxième fils
de M. le comte de Paris (9 septembre 1884). — Le pape
Léon XIII envoie sa bénédiction au nouveau-né et à Ma-
dame la comtesse de Paris. — M. le comte de Paris envoie
10,000 francs au denier de Saint-Pierre.
Souscription de M. le comte de Paris pour la quête en faveur
des aumôniers des hôpitaux de Paris (16 février 1885).
— Bénédiction de la statue de Notre-Dame du Tréport
(23 août 1885). — L'archevêque de Rouen au château
d'Eu. — Mariage au château d'Eu de S. A. R. la prin-
cesse Marie de Chartres avec S. A. R. le prince Walde-
mar, dernier fîls du roi de Danemark (22 octobre 1885). —
Le service pour le roi d'Espagne, Alphonse XII, à l'église
Saint-François-Xavier, à Paris (6 décembre 1885). — M. le
• comte de Paris et M"« la comtesse de Paris parrain et mar-
raine, à Cannes, du dixième enfant de S. A. R. le comte de
Caserte, frère de S, M. le roi de Naples (20 décembre 18851.
262 VOYAGE EN ESPAGNE
LelOjanvier 1884,M. le comte de Paris et Madame
la comtesse de Paris se rendaient en Espagne.
Leur départ avait été annoncé; aussi de nombreux
groupes stationnaient-ils à la gare du chemin de fer
d'Orléans. La préfecture de police avait pris des
mesures de précaution exagérées. La consigne
de ne laisser personne entrer dans la gare est ri-
goureusement exécutée. Le prince et les prin-
cesses arrivent au quai du départ par une entrée
réservée : une centaine de personnes avaient
réussi cependant à entrer par le passage de ser-
vice qui donne accès sur la voie, et au moment où
le train part, poussent les cris de : Vive le roi !
vive le comte de Paris ! En sortant de la gare,
quelques-uns des manifestants crient de nouveau :
Vive le roi ! les agents arrêtent trois personnes ;
à neuf heures, la gare a repris son aspect habi-
tuel.
En arrivant àMadrid, M. lecomte de Paris et Ma-
dame la comtesse de Paris furent reçus avec la plus
vive cordialité, à la gare, parle roi Alphonse XII.
Des appartements avaient été préparés au palais
de Oriente. Les jours suivants, le prince et la prin-
cesse visitèrent les monuments de Madrid, puis
les domaines royaux de l'Escurial, Aranjucz e! la
Granja.
Une (grande chasse fut orofanisce à la Casa del
Campo. Los journaux de Madrid se nionlréi-cnt
très sympathiques à M. le comte de Paris, et sa
LE ROI ALPHONSE XII 263
fille aillée, M'"" la princesse Amélie, fit raclmira-
tion de tout Madrid, autant par sa grâce et sa
beauté que par son esprit. Des journaux, comme
la Epoca, rappelèrent sa ressemblance avec la
reine Mercedes, sa tante, qui avait laissé en Espa-
o-ne une véritable léo-ende de charme et de
vertu.
L'accueil fait par le roi Alphonse et l'Espagne
fut si empressé, si cordial, que l'on fut unanime
pour y reconnaître, non seulement la preuve des
sentiments personnels du roi pour la maison
royale de France, mais encore le témoignage de
la sympathie que la nation espagnole et son chef
conservent pour la France. Ils la séparent avec
raison de son gouvernement, qui ne sut pas em-
pêcher les tristes incidents qui marquèrent le
passage du roi Alphonse à Paris. Le cabinet de Paris
dissimula mal sa mauvaise humeur de la réception
royale faite par Alphonse XII à M. le comte de
Paris : car à l'étranger, partout où se rend le
chef de la maison de France, que ce soit à Vienne
ou à Madrid ; il est traité en roi. C'est à cette épo-
que que le roi Alphonse XII, voulant donner au
frère de Madame la comtesse de Paris, don Antoine,
un témoignage tout particulier d'estime et d'affec-
tion, le nomma grand chancelier de l'ordre mili-
taire de Notre-Dame de Montesa, dont le siège est
k Valence.
De Madrid, M. le comte de Paris se rendit au
264 SAN LUCAR DI BARRAMEDA
château de San Liicar cli Barrameda, auprès de son
oncle et beau-père, M. le duc de Montpensier.
San Lucar di Barrameda est une des plus jolies
villes de l'Andalousie ; elle s'étage sur la rive gau-
che du Guadalquivir. La résidence du prince est
bâtie à l'une des extrémités de la ville, au milieu
d'un parc admirable, où les palmiers poussent en
pleine terre. Rien de plus merveilleux que ces
pelouses de pervenches, ces massifs d'orangers,
au milieu desquels s'enchevêtrent les fleurs les
plus rares, tandis qu'à l'horizon, le Guadalquivir
et son embouchure sablonneuse sont encadrés par
d'épaisses forets de pins. Non loin de là est la
demeure de Fernand Cortcz, le hardi capitaine
qui conquit le Mexique. Sa maison, avec tous les
souvenirs historiques qui s'y rattachent, fut long-
temps la propriété du duc de Montpensier, à qui
l'on en doit une intelligente et artistique restaura-
tion. Il la donna à sa fille Mercedes, qui la légua
à son mari, le roi Alphonse XII.
Le palais du duc de Montpensier, construit en
partie dans le goût mauresque, rappelle des mo-
tifs de l'Alhambra de Grenade, et de l'Alcazar de
Séville. L'intérieur est meublé et disposé avec le
goût d'un véritable artiste. C'est dans celte ravis-
sante retraite, sous ce climat délicieux, que M. le
comte de Paris séjourna quelques semaines, pas-
sant SCS journées à la chasse sur le (juadalquivir.
Un bateau à vapeur, appartenant au duc de Mont-
VOYAGE A CANNES 265
pensier, servait aux promenades sur le fleuve,
dont les rives sont couvertes d'oiseaux de mer.
Vers le 15 février, M. le comte de Paris était de
retour au château d'Eu.
Avant de quitter l'Espagne, le prince écrivit à
M. Lacave-Laplagne, sénateur du Gers, pour le
charger d'ofFrir en son nom ses condoléances à la
famille du comte Armand de Gontaut, qui venait
de mourir. La lettre du prince témoignait de sa
constante sollicitude pour les intérêts du pays et
de sa parfaite connaissance des hommes qui,
comme le comte Armand de Gontaut, ont consacré
leur vie au service de la France.
Au commencement de mars, M. le comte de Paris
se rendit avec sa famille à Cannes, où la santé de
sa quatrième fille, la jeune princesse Louise, âgée
de deux ans, donna un moment quelques inquié-
tudes ; elle avait eu le faux croup. Tout à coup, le
dimanche matin 9 mars, le Figaro et le Gaulois
annoncèrent à leurs lecteurs que la police venait de
découvrir, à Lyon, un attentat dirigé contre M. le
comte de Paris. Voici comment le Nouvelliste de
Lyon^ feuille connue pour la sûreté de ses infor-
mations, raconta l'événement :
« Les nihilistes de France, à l'instar de leurs frè-
res de Russie, viennent de se révéler à nouveau
par une tentative audacieuse dont le retentisse-
ment produira un grand étonnement et excitera
un sentiment général d'indignation.
266 ATTENTAT DÉCOUVERT A LYON
« Cette tentative visait haut : elle était dirigée
o
contre le chef de la maison de France.
« C'est M. le comte de Paris qui était désigné
cette fois à la haine farouche des révolutionnaires,
c'est à sa vie qu'on en voulait. Pour accomplir ce
funeste dessein, les dispositions, comme on va le
voir, étaient bien prises, et les conséquences qui
devaient en résulter eussent été meurtrières et in-
calculables :
« Vendredi soir, un commissionnaire, portant
une boite sous le bras, se présentait au bureau de
ville de la Compagnie P.-L.-M., situé rue Constan-
tine. Il était 7 heures; à ce moment, les guichets
sont toujours envahis par de nombreuses person-
nes qui veulent profiter des trains de nuit pour
expédier leurs marchandises. Le commissionnaire
présenta son colis au préposé à la reconnaissance;
celui-ci, après l'avoir pesé, visa la déclaration
d'expédition et la remit à l'employé chargé d'éta-
blir la taxe de l'envoi qui devait être effectué /;o/'^
payé. Ce dernier perçut la somme de 1 fr. 25, prix
du transport, et le commissionnaire se retira. Un
instant après, un autre agent, chargé d'enregistrer
la déclaration de l'expéditeur sur un registre ad
hoc^ fut frappé de la manière dont elle était lil)cl-
lée. Ce document portait en effet, soigneusement
tracées en caractères d'imprimerie, les indicalions
suivantes : l^]xpédileur : M. Bcvker, nie des Feuil-
lants, à Lijon. Destinataire : J/(>/M"(?/i,'//<:7//' le comte
CO>rTRE M-'' LE COMTE DE PARIS 267
de Paris, en son hôtel de la rue de Varennes, 57, à
Paris. — Port payé. La marchandise était ainsi
désignée : Une caisse soierie, quincaillerie et échan-
tillons, 1 k. 600. Signature de l'expéditeur : Bêc-
her. La rue des Feuillants n'existe pas à Lyon ;
il y a, en revanche, la petite et la grand'rue des
Feuillants. L'employé consulta V Annuaire de Lyon
et ne trouva pas le nom de Becker. Il communiqua
les doutes qu'il éprouvait sur la nature de l'envoi
à son chef de bureau, qui les partagea complè-
tement ; on examina la boîte, dont voici la des-
cription : elle est en bois blanc et soigneusement
confectionnée; elle a vingt-cinq centimètres de lon-
gueur, onze de largeur, cinq de hauteur ; elle était
enveloppée d'un papier bleu tendre, très fin, atta-
ché avec une ficelle et portant la suscription ci-
après, écrite par la môme main qui avait rédigé
la déclaration d'expédition : Monseigneur le comte
de Paris, en son hôtel de la rue de Varennes, 57,
Paris. Le chef de bureau, plus que jamais intrigué,
résolut d'ouvrir la boîte mystérieuse ; il retira la
première enveloppe qui recouvrait le colis et s'a-
perçut que le couvercle, au lieu d'être cloué, se
composait d'une simple coulisse, que contenait
solidement une double ficelle. Les employés tirè-
rent le couvercle avec de grandes précautions ;
mais à peine avaient-ils mis à découvert la moitié
du contenu de la boîte, qu'ils s'arrêtèrent, étonnés.
Il y avait de quoi : une cartouche métallique de
268 ATTENTAT DÉCOUVERT A LYON
forte dimension, enlourée de projectiles de toute
sorte et relié à un appareil invisible par des fils
de fulmi-coton, devait immédiatement faire explo-
sion si le couvercle avait été entièrement retiré.
« Le mystérieux colis a été envoyé à l'arsenal
de Perrache, et de là au parc d'artillerie de la
Mouche, pour y être ouvert. Cette opération a été
pratiquée avec beaucoup de soin. Il paraîtrait que
l'explosion résultant du seul fait de l'ouverture
de la boite aurait produit des ravages considéra-
bles.
« Dans ce pays généreux, qui repousse toutes
les lâchetés, cet attentat, Aille Nouvelliste de Lyon,
excitera, nous le répétons, un douloureux étonne-
ment et un sentiment général d'indignation. »
Dans un numéro suivant, ce journal ajoutait :
« C'est M. Pierre Denis, commis principal à la
Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, ancien sous-
officier d'artillerie, qui, le premier, a eu de sérieux
soupçons sur le contenu de la boite. En prescri-
vant à son subordonné Riboulet de rechercher le
colis qui allait être dirigé sur la gare de Perrache,
son intention était de s'assurer au préalable qu'il
ne contenait rien de suspect. M. Riboulet ne parut
nullement surpris des doutes exprimés par le chef
de buicau ; mais il manifesta quelques a])préhen-
sions quand celui-ci lui dit d'ouvrir la mystérieuse
cassette. Alors M. Denis, avec de très grandes
CONTRE M'^ LE COMTE DE PARIS 269
précautions, tira doucement de sa rainure une
partie du couvercle et put juger immédiatement
de son contenu. Il fit part immédiatement de sa
découverte à son chef, M. Roch, qui chercha vai-
nement sur VAiinuaire le nom de l'expéditeur,
M. Bêcher. Plus de doute, on se trouvait en pré-
sence d'une tentative abominable ayant pour but,
cela est certain, de supprimer le chef de la maison
de France.
« M. Denis envoya immédiatement prévenir
M. le commissaire de police Duplaquet, qui se
transporta sur les lieux. On sait le reste ; le péril
était conjuré. »
La police chercha, mais elle ne trouva rien, et
on ne connut jamais l'auteur de cette criminelle
tentative : les assassins auraient d'ailleurs manqué
leur but, car il est plus que probable que les do-
mestiques du prince, seuls, auraient été victimes
de cet odieux complot. M. le comte de Paris, avec
sa générosité habituelle, envoya une royale récom-
pense aux employés de la Compagnie qui avaient
déjoué ce complot.
A la fin de son séjour à Cannes, M. le comte de
Paris assista aux obsèques d'un des frères du
prince de Galles, le duc d'Albany, mort presque
subitement. Le prince de Galles, qui s'était rendu
en toute hâte à Cannes, fit donner au chef de la
maison de France la première place devant les
invités, et il fut traité pendant toute la cérémonie
270 M-'' LE DUC DE CHARTRES A MARSEILLE
comme tenant un rang royal. Les journaux minis-
tériels laissèrent percer l'irritation du cabinet et
demandèrent que des mesures fussent enfin prises
contre le comte de Paris! Mais l'heure où le
plus inique exil devait être décrété ne devait pas
encore sonner. Le 2 avril, M. le comte de Paris et
Madame la comtesse de Paris rentraient à Paris par
le même train qui ramenait en Angleterre la dé-
pouille mortelle du duc d'Albany.
Le 30 mai, M, le comte de Paris se rendait à
l'église Sainte-Glotilde, pour assister aux obsè-
quesde l'unde ses plus anciens etplus fidèles amis,
le comte d'Haussonville, de l'Académie française.
Un terrible fléau, le choléra, s'était abattu sur
Marseille, pendant l'été de 1884. M. le comte de
Paris, par un extrême sentiment de délicatesse,
ne se rendit pas lui-même à Marseille, distribuer
des secours, accompagnés de bonnes paroles qui
vont au cœur des malades, à tous les malheureux
qui souffraient et mouraient. On aurait peut-être
vu là un prétendant allant quêter des suffrages !...
Mais il envoya son frère, M. le duc de Chartres,
porter 50,000 francs aux cholériques de Marseille.
Nous raconterons ailleurs, en détail, cette visite et
la colère qu'elle souleva chez les républicains ;
avec une naïveté ridicule, un journal qualifiait
de hriUe (sic) celte excursion du duc de Chartres
allant porter lai-niènie cet argent, quand « la poste
est là pour transporter les valeurs » !
M''' LE COMTE DE PARIS LIEUTENANT-COLONEL 271
Y a-t-il rien de plus comique que cette phrase ?
A un pareil argument, il n'y a pas un mot à ré-
pondre...
Mais les républicains, plus que jamais préoc-
cupés du terrain gagné chaque jour, en France,
par le parti royaliste, ne savaient qu'imaginer
pour attaquer les princes d'Orléans. Un jour, une
feuille annonça que le général Gampenon, alors
ministre de la guerre, avait rayé du nouvel An-
nuaire militaire M. le comte de Paris, où il fiffu-
rait comme lieutenant-colonel du service d'état-
major de l'armée territoriale. Le fait était faux.
Tout officier de l'armée territoriale rentre dans la
vie civile dès qu'il a atteint la limite d'âge, fixée à
quarante ans ; mais il peut, d'après la loi, être
maintenu dans son grade, s'il en fait la demande.
Lors des décrets du général Thibaudin qui pla-
cèrent les princes d'Orléans en non-activité, M. le
comte de Paris fut mis à la suite, c'est-à-dire dans
une position équivalente à celle de la non-activité.
Par une bizarre anomalie, les officiers de l'armée
active en position de non-activité ne figurent pas
à VAnnuaire, tandis que les officiers de l'armée
territoriale placés à la suite y figurent. M, le
comte de Paris resta donc comme l'année précé-
dente en non-activité, et rien ne fut changé à sa
position militaire.
Les réceptions continuèrent au château d'Eu,
où, le 22 juillet, S. A. R. le comte de Flandre, frère
UN INCENDIE AU TREPORT
du roi des Belges, accompagné de la comtesse de
Flandre, rendit visite à son cousin M. le comte de
Paris. Quelques jours après son départ, au com-
mencement d'août, un incendie considérable éclata
au Tréport, M. le comte de Paris, aussitôt averti,
arriva d'Eu avec une pompe à vapeur qui rendit
les plus grands services. L'incendie s'était déclaré
chez M. Romain, brasseur, dans la ville haute du
Tréport. Vers six heures et demie du soir, une
épaisse et noire fumée avait mis la ville en émoi.
Quelques instants après, les flammes avaient en-
vahi tous les bâtiments comprenant la brasserie
et un hangar rempli de paille. Les premiers se-
cours furent difficiles à organiser : les pompes du
Tréport et de Mers, faiblement alimentées d'eau,
produisaient peu d'effet, et les maisons voisines
étaient menacées, lorsqu'arriva la pompe à vapeur
du château d'Eu.
Sous la direction de M. le comte de Paris, accom-
pagné de sonfils, leducd'Orléans, de M. Emmanuel
Bocher et du marquis de Breteuil, la pompe fut
placée en batterie sur le quai. En peu d'instants, les
tuyaux, d'une longueur de 200 mètres, furent
déroulés, et bientôt les pompiers de la ville d'Eu,
habitués à Texercice d'une pompe d'une grande
puissance, jetèrent des torients d'eau de mer sur
le foyer de l'incendie, qui fui rapidement éteint.
Le maire remercia vivement M. le comte de Paris
de son concours, qui avait peut-être préservé un
SERVICE ANNIVERSAIRE DU COMTE DE CHAMBORD 273
quartier de la ville d'une ruine complète. Cer-
tains journaux républicains, naturellement, trou-
vèrent là matière à raillerie. Quand les princes
d'Orléans, coutumiers du fait, vont les premiers à
un devoir qui peut être un péril, ils suivent l'ins-
piration de leur cœur et ce que leur nom leur
commande plus impérieusement encore qu'aux
autres hommes. En trouvant dans leur conduite
prétexte à plaisanterie, les républicains ne font
tort qu'à eux-mêmes.
C'est à ce moment que M. le comte de Paris fit
remettre 1 ,000 francs à un comité qui s'était orga-
nisé pour venir en aide aux victimes d'une grêle
terrible qui, le 12 juillet, avait fait de grands ra-
vages dans le département de la Seine-Inférieure :
des secours importants furent également portés
en son nom à de pauvres cultivateurs atteints par
l'ouragan.
La date anniversaire de la mort de M. le comte
de Chambord approchait.
Le prince avait donné l'ordre qu'un service fût,
à cette occasion, célébré à Paris à la paroisse de
Saint-François-Xavier ; un service solennel eut
également lieu à Eu le 24 août 1884. L'église était
entièrement tendue de noir, et les draperies re-
haussées d'écussons aux armes de France, placés
de distance en distance.
M.lecomtedeParis, Madame la comtesse de Paris,
malgré son état de grossesse avancée, occupaient
18
274 LETTRE A M. DE LAUBESPIN
des fauteuils en avant du chœur. Derrière eux
avaient pris place S. A. R. le duc d'Orléans et sa
sœur M"" la princesse Amélie, les princesses de
la famille royale et toute la maison de M. le comte
de Paris. Derrière les princes une foule énorme
d'habitants de la ville et de royalistes des environs
remplissait l'église, qui fut ce jour-là trop
petite.
A la fin de ce mois d'août parut dans les jour-
naux la lettre suivante, que M. le comte de Paris
avait adressée à M. le comte de Laubespin, con-
seiller général de la Nièvre, à l'occasion de la mort
de son neveu, le baron Lespérut, ancien secré-
taire d'ambassade :
Mon cher Monsieur de Laubespin,
M. de Beauvoir, sachant tous les sentiments que je por-
tais à votre neveu, m'a annoncé sa mort par le télégraphe
et je me suis empressé d'exprimer par la même voie, à Ma-
dame votre sœur, ma profonde svmj^athie. Je viens aujour-
d'hui A'ous remercier de la pensée qui a inspiré votre lettre
et vous dire, mieux ({ue je n'ai pu le faire dans une dé-
pêche, combien je ressens la perte de M. de Lespérut. Je
l'ai assez connu pour pouvoir apprécier les rares qualités
de son cœur et de son intelligence.
Sa mauvaise santé, qui lui imposait des é[)reuYes si cou-
rageusement supportées, lui avait été l'occasion de se
livrer, plus complètement que d'autres, à l'étude, et de
donner à son esprit une culture exceptionnelle. J'espérais
qu'il pourrait mettre toutes ses brillantes facultés au ser-
QUETE POUR LES AUMOXJERS DES HOPITAUX 275
vice de la France et de la cause à laquelle il était, jiar
tradition et par conviction, si passionnément attaché.
Dieu en a disposé autrement. 11 lui a peut-être épargné
bien des souffrances, mais il nous a enlevé un ami dont la
perte sera vivement sentie.
La comtesse de Paris et moi, nous nous associons à
l'immense douleur de M'"* de Lespérut.
Veuillez être notre interprète auprès d'elle dans ces
douloureuses circonstances et me croire
Votre bien affectionné,
Philippe, comte de Paris.
P. -S. — Je vous remercie de ce que vous me dites à l'oc-
casion du triste anniversaire du 13 juillet. Je sais combien
vous avez fidèlement conservé le souvenir de mon père.
C'est un lien entre nous que les années ne font que for-
tifier !
Quelques jours après, une quêle eut lieu dans
toutes les églises de Paris pour les aumôniers des
hôpitaux de Paris, dont le traitement avait été
supprimé. M. le comte de Paris fit remettre pour
cette quête 1,000 francs à S. E. le cardinal Guibert'.
1. Le 9 septembre 1884, Madamela comtesse de Paris mettait au
monde unprinee, qui reçutle nom de Ferdinand, en mémoire de
son grand-père, le duc d'Orléans. Le pape Léon XIII, informé
par le chef de la maison de France de la naissance du jeune prince,
envoya, par l'entremise du cardinal Jacobini, sa bénédiction au
nouveau-né, à sa mère, àM. le comte deParis età toute la famille
royale. A l'occasion de cet heureux événement, M. le comte de
Paris fit remettre au nonce apostolique, Mg"" di Rende, la
somme de 10,000 francs pour le denier de Saint-Pierre. Le
276 UN ARTICLE DE M. DE CASSAGNAC
Cette vie simple, cette attitude correcte du chef
de la maison de France et, en même temps, em-
preinte d'un si réel patriotisme, commençait à être
connue même des adversaires politiques du parti
royaliste. M. Paul de Cassagnac, député du Gers,
ancien adversaire des princes d'Orléans, mais qui
sait être impartial, s'était entretenu delà situation
politique en France avec le correspondant du
journal anglais le Daily ISews.
Voici le résumé de sa curieuse conversation,
que toute la presse répéta (avril 1885) : « Je suis
un impérialiste, chacun le sait ; mais avant tout je
suis, dans la plus large acception de ce mot, un
monarchiste. Je respecte le principe monarchique,
et j'ai le plus profond respect pour le comte de
Paris. Je dois môme avouer, en toute sincérité, que
dans la situation actuelle des choses, c'est lui qui
a les plus grandes chances de remplacer la Répu-
blique, lorsque celle-ci atteindra l'inévitable catas-
trophe. Son parti est le mieux organisé, et il a
l'incomparable avantage d'avoir un chef. Le comte
26 octobre avait lieu, dans la chapelle d'Eu, le baptême du
jeune prince, qui eut pour parrain S. M. le roi François II
de Naples, représenté par M^'' le duc d'Alençon, et S. A. R.
la comtesse de Girgenti, sœur aînée du roi d'Espagne
Alphonse XII, représentée par M"» la princesse Hélène d'Or-
léans. Le jeune prince, auquel son grand-père maternel,
S. A. R. le duc de Montpcnsier, a assuré, dit-on, le domaine de
Randan, est appelé à porter un jour le titre de duc de Mont-
pensier.
FETE RELIGIEUSE AU TREPORT 277
de Paris est un homme vraiment supérieur, con-
sciencieux, laborieux, bien informé, un homme
d'étude et un homme du monde. Il connaît la vie
et les hommes, et il a appris tout ce qu'on doit ap-
prendre pour être digne de gouverner. Nous autres
bonapartistes, nous ne sommes pas dans de si
heureuses conditions. Le prince Jérôme est impos-
sible! il est trop vieux pour désavouer tout ce
qu'il a dit, pour défaire tout ce qu'il a fait; nous
ne pouvons rien faire, avec le pays et pour le pays,
avec son nom. C'est un homme dépourvu de sens
moral. »
Le23aoùt, une très belle fête religieuse était cé-
lébrée au Tréportjdont toute la population vit des
produits de la pêche, et a le culte de la sainte
Vierge. Le temps avait détruit la statue de Notre-
Dame duTréport, qui depuisdessièclesétaitplacée
au pied de la montagne que surmonte aujourd'hui
l'église, l'ancienne chapelle d'un couvent de Gé-
novéfains. Les pêcheurs avaient ouvert entre eux
une souscription pour remplacer cette statue en
ruine. La somme réunie ne suffisant pas. M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris don-
nèrent ce qui manquait, et l'archevêque de Rouen
se rendit au Tréport pour bénir la statue. Le
matin, à la grand'messe, l'abbé Vallet, aumônier
du lycée Henri IV de Paris, prononça un remar-
quable discours sur la charité, en présence de
M. le comte de Paris placé dans le banc d'œuvre
278 MARIAGE DE S. A. R. LA PRINCESSE MARIE
avec M'"" les princesses Amélie et Hélène et M. le
duc et M"*" la duchesse de Montpensier. Madame la
comtesse de Paris chanta, dans le chœur, le Sanctus
de Beethoven, un OSalutarisl le Crucifix., de Faure,
et enfin pendant la quête, faite par M""^ la princesse
Amélie, VAve Maria., deGounod. La quête fut très
abondante, et, à la sortie, la foule se pressa et se
découvrit respectueusement sur le passage des
princes et des princesses. A trois heures, une
procession de plusieurs milliers de personnes
parcourut les quais et les rues. M^*" Thomas, arche-
vêque de Rouen, prit la parole en plein air pour
célébrer la patronne des marins et de la France, et
se rendit ensuite au château d'Eu, dont M. le
comte de Paris fat heureux de lui faire les hon-
neurs.
Quelques jours après, M. le comte de Paris rece-
vait de Rome un bref du Saint-Père. Léon XIII
accordait la dispense nécessaire pour la célé-
bration du mariage de S. A. R. le prince Walde-
mar, fils du roi de Danemark, avec M""" la princesse
Marie, fille ainée de M**'" le duc de Chartres, selon
le rite des mariages mixtes, entre catholiques et
protestants.
Ce fut le 22 octobre 1885 que fut célébrée cette
union au château d'Eu. La bénédiction nuptiale fut
d'abord donnée aux époux par jM«'" d'Iliilst, giand
vicaire de Paris, assisté du doyen d'Eu et de l'abbé
de Beauvoir. Le grand-vicaire adressa une éinou-
AVEC LE PRINCE WALDEMAR DE DANEMARK 279
vante allocution sur les devoirs du mariage, parla
de la vieille amitié qui existe entre la France et le
Danemark, amitié que l'union des jeunes époux
ne pouvait que cimenter. Il salua la race royale
dont le prince Waldemar est un digne rejeton,
race qui compte aujourd'hui en Europe cinq sou-
verains ou souveraines. Se tournant vers les
princes d'Orléans, il rendit hommage à cette
antique maison de Bourbon, que les vicissitudes
politiques n'ont pu faire déchoir de la place que
lui assigne la grandeur de son passé.
Après la cérémonie catholique, la princesse
Marie, tenant à la main un superbe bouquet blanc
qui lui avait été envoyé par les officiers du 12" ré-
giment de chasseurs à Rouen, dont le duc de
Chartres fut quatre ans le colonel, traversa la
grande galerie du rez-de-chaussée au bras du
prince Waldemar. Venaient ensuite la reine de
Danemark, le prince et la princesee de Galles, le
grand-duc Alexis de Russie, la duchesse de Cum-
berland, les princes et princesses de la maison
royale d'Angleterre, le prince Philippe et le prince
Ferdinand de Saxe-Cobourg et Gotha, et tous les
princes de la maison de France.
Le pasteur Jentzen, chapelain de la reine de
Danemark, unit, selon le rite protestant, le fils de
sa souveraine à la princesse Marie, et prononça
en langue danoise quelques paroles de sympathie
pour la France et pour l'illustre maison d'Orléans.
280 MORT DU ROI d'eSPAGNE
A trois heures, on servit dans la galerie des Guises
un splendide déjeuner. A la table d'honneur s'as-
seyait la reine de Danemark, avec les trente-cinq
princes ou princesses qui avaient assisté au ma-
riage, ainsi que les deux témoins, M. le duc
Decazes et de Glucksberg (titre danois donné à
son père) et le comte de Moltke, ministre de Dane-
mark en France. Les personnes de la suite occu-
paient la grande salle à manger, où était dressée
une table en fer à cheval. Pendant le repas, la
fanfare du Tréport jouait sous les fenêtres du
château. A sept heures, le prince et la princesse
Waldemar partaient pour Chantilly. Le lendemain,
M. le comte de Paris oflVait à Eu une grande chasse
à courre à ses augustes botes.
L'hiver se termina tristement. Ce fut avec une
vive douleur que M. le comte de Paris et Madame la
comtesse de Paris apprirent la mort prématurée
du jeune roi d'Espagne, Alphonse XII, si brus-
quement ravi à l'affection de tout son peuple. Le
roi Alphonse, prince intelligent et énergique,
était de ces rois qui aiment le peuple, s'idcntilîent
avec la nation dont ils sont le chef, et sont toujours
préoccupés du bien public. La consternation fut
grande en Espagne, et toute l'Europe conservatrice
etmonarchique pleura cejeune souverain. Au com-
mencement de 1884, M. le comte de Paris et Madame
la comtesse de Paris avaient été accueillis à Madrid
avec une cordialité aff'eclueuse qui avait resserré
LA REINE RÉGENTE d'eSPAGNE 281
encore plus les liens qui depuis longtemps les unis-
saientau roi Alphonse XII. Ce nefut donc pas seule-
ment un deuil officiel, mais surtout un deuil de cœur
que portèrent les princes d'Orléans et leurs amis.
En transmettant à la reine régente d'Espagne,
Christine d'Autriche, leurs sentiments de condo-
léances, M. le comte de Paris etMadame la comtesse
de Paris étaient les interprètes d'un très grand nom-
bre de Français. On put le constater à l'affluence
des assistants qui se rendirent, le 4 décembre, à
l'église Saint-François-Xavier, paroisse de M. le
comte de Paris, qui y fit célébrer un service pour
le repos de l'àme de S. M. Alphonse XII. L'église
était toute tendue de noir aux écussons d'Espagne.
M. le comte et Madame la comtesse de Paris, tous
les princes d'Orléans présents à Paris, étaient aux
premiers rangs ; une foule immense avait tenu à
donner à l'Espagne, à la reine régente, ce témoi-
gnage de douloureuse sympathie. L'aristocratie
française, la bourgeoisie, le monde des lettres et
des sciences, comme le monde politique, étaient
brillamment représentés. On pria pour le roi, et
aussi pour la reine régente, grosse alors de quel-
ques mois, afin que Dieu lui facilitât la redou-
table tâche qui allait lui incomber. Au mois de
mai suivant lui naissait un fils, le roi Alphonse XIII.
L'habileté de la reine régente, qui sut triompher
des obstacles et des difficultés de la situation poli-
tique, témoigna que, dans cette grande et noble
282 HIVER A CANNES
maison de Habsbourg, la vertu et la sagesse poli-
tique se retrouvaient chez la petite-fille de la
grande Marie-Thérèse. On l'a dit avec raison :
« Les Espagnols sont plus heureux que nous ; le
principe monarchique est représenté chez eux de
la façon la plus touchante : ils ont une reine à
aimer, une femme à défendre. «
Peu après, M. le comte de Paris et Madame la com-
tesse de Paris se rendaient à Cannes, où dans
leur simple villa Saint-Jean ils passèrent les mois
les plus rudes de l'hiver. Le samedi 19 décembre,
M. le comte de Paris et sa fille aînée. M™* la prin-
cesse Amélie, étaient parrain et marraine du
dixième enfant de leur cousin S. A. R. le comte de
Gaserte, frère du roi François II de Naples.
Ainsi se termina cette année 1885, qui devait
précéder de quelques mois l'inique exil qu'une
République, effrayée par le flot grossissant de l'op-
position conservatrice, allait prononcer contre le
chef de la maison de France et son fils aîné,
S. A. R. le duc d'Orléans.
•*_î»
CHAPITRE VII
Ja>'vier-Juin 1886
Dépêche télégraphique de M. le comte de Paris à M. le comte
de Blois, neveu du comte de Falloux, sur la mort de son
oncle (10 janvier 1886). — M. le comte de Paris et le duc de
Bragance à l'Académie française. — Le roi et la reine de Por-
tugal demandent officiellement la main de S. A. R. M'"'^ la prin-
cesse Amélie de France, à M. le comte de Paris, pour S. A. R.
Je duc de Bragance. — Madame la comtessede Paris se rend à
Madrid, pour le mariage de son frère, le prince Antoine,
avec la princesse Eulalie, sœur d'Alphonse XII (février-mars
1886). — Visite de M. le comte de Paris au Concours agri-
cole du Palais de l'Industrie. — Départ du prince pour Can-
nes (mars 1886).
Dépèche de M. le comte de Paris à l'occasion de la mort de
M™e la comtesse de Chambord (Cannes, 25 mars 1886). —
Retour à Paris : l'incident de la rue Vivienne (mai 1886). —
Grande réception de M. le comte de Paris, rue de Varenne, à
l'occasion du mariage de S. A. R. M™® la jîrincesse Amélie (15
mai 1886). — Colère des jouriiau.x républicains. — Campagne
pour l'expulsion des princes. — Embarras du gouvernement.
— Adieux de M™" la princesse Amélie à Eu. — Cadeaux
donnés à la princesse à Eu et à Paris. — Départ pour le
Portugal (17 mai). — Acclamations et empressement de la
foule à chaque station de France, d'Espagne et de Portugal.
— Accueil enthousiaste fait aux princes en Espagne et en
Portugal. — Mariage à Lisbonne de M™" la princesse Amé-
lie (22 mai 1886). — Les fêtes à Lisbonne.
Le parti royaliste fit une grande perte an com-
mencement de l'année 1886. Le comte de Falloux,
membre de l'Académie française, ancien ministre
284 MORT DU COMTE DE FALLOUX
de l'instruction publique, et auteur de la célèbre
loi de 1850 sur l'enseignement, mourut le 6 jan-
vier. Pendant les obsèques, le neveu de M. de
Falloux, le comte de Blois, reçut la dépêche
télégraphique suivante de M. le comte de Paris :
J'apprends que le service funèbre pour le comte de
Falloux sera célébré aujourd'luii à Angers. Je tiens à vous
dire que je m'associe de tout cœur aux hommages que de
nombreux amis vont rendre à la mémoire de votre illustre
oncle. Personne ne ressent plus vivement que moi la perte
de cet homme d'Etat si éminent, dont le cœur était si fran-
çais, le jugement si juste, le conseil si éclairé, le com-
merce si séduisant et si instructif. Je partage votre dou-
leur et me joins à vos prières.
Philippe, comte de Paris.
Ce fut, pour la famille de M. de Falloux, une
douce consolation que ce témoignage de haute
sympathie donné par le chef de la maison de
France, qui quelques jours plus tard appréciait
plus complètement, dans une lettre adressée à
M. de Blois, les grandes qualités de M. de Falloux
et les services rendus par lui à la France.
Vers la fin de janvier, M. le comte de Paris et Ma-
dame la comtesse de Paris se rendirent à Chan-
tilly, où M^"" leducd'AumalerecevaitS. A. R. le duc
de Bragance, prince royal de Portugal. Cette vi-
site du jeune prince avait surtout pour but de se
faire agréer par M. le comte de Paris comme pré-
M"'' LE COMTE DE PARIS A l' ACADÉMIE FRANÇAISE 285
tendant à la main de S. A. R. M"" la princesse
Amélie. De magnifiques chasses eurent lieu en
son honneur à Chantilly, et quelques jours plus
tard la jeune princesse donnait son consentement
à cette union.
Le duc de Bragance, quoique la demande offi-
cielle de la main de la princesse n'eût pas encore
été faite parle roi son père, vit fréquemment M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris. Le
jeudi 4 février, il les accompagna à l'Académie
française, qui tenait séance pour recevoir un de
ses membres, M. Ludovic Halévy.
Devant le public d'élite qui se pressait sous la
coupole de l'Institut, et qui applaudit chaleureuse-
ment le jeune académicien, M. Halévy retraça à
grands traits la vie de son prédécesseur, le comte
d'Haussonville, le type le plus accompli du grand
seigneur lettré, bienfaisant, libéral et patriote.
Il rappela ses débuts, dans la diplomatie, sous la
monarchie constitutionnelle, « ce gouvernement
quiassuraitàla France ces deux grands biemfaits :
la paix etla liberté » La vie politique avait alors
une extraordinaire animation, et, à cette époque, il
ne déplaisait aucunement à la France de pouvoir
admirer ceux qui la gouvernaient. Les ministres
d'alors n'avaient jamais négligé, jamais compro-
mis, jamais trahi les grands intérêts qui leur
étaient confiés, et la France, très sagement, très
patriotiquement gouvernée, avait pu goûter à
280 LE DUC DE BRAGANCE A PARIS
cette époque le plaisir de vivre, tout en étant un
grand peuple, aimée et respectée par l'Europe en-
tière
« Vous êtes, ce me semble, dit spirituellement
M. Halévy à ses collègues, vous êtes obligés,
Messieurs, ne fût-ce que par esprit de corps, de
penser, avec M. d'Haussonville, que la France se
trouvait en effet, alors, en très bonnes mains, car
elle était entre les mains de vos prédécesseurs. Le
roi réenait et l'Académie française eouvernait. »
«... De là, entre la littérature et la politique,
une très étroite alliance, qui n'a pas été sans jeter
quelque éclat sur cette période de notre histoire,
à laquelle ne se rattachent que d'heureux et bril-
lants souvenirs. Hélas! ce n'est plus de l'Acadé-
mie que sortent aujourd'hui nos ministres. »
Cette séance valut un nouveau succès à M. Ha-
lévy, et à M. Pailleron qui le recevait. La faveur
quiaccueillitleurs discours, les applaudissements,
auxquels se joignirent ceux de M. le comte de Paris,
de Madame la comtesse de Paris et du duc de Bra-
gancc, étaient bien justifiés, car ces deux acadé-
miciens y avaient prodigué talent et esprit.
Deux jours après cette brillante réception, le
samedi 6 février, M. le comte d'Andrade Corvo,
ministre de Portugal en France, remettait à M. le
comte de Paris des lettres autographes du roi et
de la reine de Portugal demandant oflicicllcmcnt
la main de S. A. R. la princesse Amélie de France
FIANÇAILLES DE LA PRINCESSE AMELIE 287
pour S. A, R. le duc de Bragance, prince royal,
héritier de la couronne de Portugal. M. le comte
de Paris et Madame la comtesse de Paris donnèrent
immédiatement leur consentement. A deux heures,
le duc de Bragance, accompagné de ses aides de
camp, faisait officiellement à la princesse Amélie
sa première visite.
Le lendemain, dimanche 7 février, avait lieu rue
de Varennes, chez M. le comte de Paris, le diner
des fiançailles, auquel assistaient les princes de la
maison de France, le roi François II de Naples et
la légation de Portugal à Paris. Vers la fin du re-
pas, M. le comte de Paris se leva et porta la santé
du roi et de la reine de Portugal, en exprimant
toute la satisfaction que lui causait l'union des
deux maisons. Le duc de Bragance remercia etpor-
ta, à son tour, la santé de M. le comte de Paris et
de Madame la comtesse deParis. Le mardi 9, le duc
et la duchesse de Chartres donnaient un dîner en
son honneur, en leur hôtel de la rue Jean-Goujon.
Le lendemain, le prince de Portugal partait pour
Eu, où de grandes chasses allaient avoir lieu en
son honneur.
Tous ceux qui approchèrent le duc de Bra-
gance, pendant son séjour en France, s'ac-
cordent à déclarer que ce prince n'est pas
seulement ce qu'on appelait jadis un parfait
gentilhomme, mais en même temps un prince
moderne, comme le roi son père, aux idées larges
288 LE DUC DE BRAGANCE
et aux goûts artistiques. Il est né, jour pour jour,
deux ans avant la princesse Amélie, le 28 sep-
tembre 1863. Bien fait de sa personne, la tête
fine, le duc de Bragance a l'air ouvert, décidé,
intelligent et énergique. Excellent musicien,
aquarelliste distingué, lettré délicat, ce jeune
prince (qui parle huit langues) n'ignore rien de ce
qui touche aux arts et aux lettres de son pays et
des pays voisins. Habitué dès son enfance à tous
les exercices du corps, cavalier accompli, tireur
émérite, il possède un tempérament de fer.
Le roi son père, se souvenant de ce qui avait
fait jadis la grandeur de la maison de Bragance,
a tenu à en faire un excellent marin.
La princesseAmélie est née le 28 septembre 1865.
Par sa grâce, son tact, son intelligence, elle
rappelle sa grand'mère Madame la duchesse
d'Orléans, cette femme exceptionnelle, si préma-
turément ravie à l'affection et des siens et de tous
ceux qui ont pu la connaître.
« Ce mariage avec le duc de Bragance, a dit
alors M. Hervé, n'unit pas seulement un prince
jeune et brillant, une princesse accomplie et char-
mante, il rapproche deux familles et deux nations,
qui ont eu à plus d'un moment de leur histoire des
points de contact C'est un descendant de Ro-
bert le Fort et de Hugues-Gapet c|ui a fondé en
Portugal la plus ancienne souche royale, et l'on
voit dans riiistoirc que les Ijonncs relations de la
RÉCEPTION DE LA DUCHESSE DE CHARTRES 289
France avec le Portugal ont été moins souvent
troublées qu'avec les autres États de l'Europe...
Le mariage de l'héritier du roi de Portugal avec
une princesse française ne peut que resserrer
ces liens. La France profite encore de la situation
qu'a conservée en Europe l'antique famille de
ses rois, des alliances qu'elle y contracte et de
l'influence qu'elle y exerce. «
Le 20 février, S. A. R. M'°<' la duchesse de
Chartres donna, en l'honneur du duc de Bragance,
une brillante réception, à laquelle assistaient M. le
comte de Paris, Madame la comtesse de Paris et la
princesse Amélie. Près de six cents personnes,
appartenant aux différentes classes de la société,
étaient venues pour saluer les princes.
Le lendemain, Madame la comtesse deParis par-
tait pour Madrid, afin d'y assister au mariage de son
frère, le prince Antoine d'Orléans (dernier enfant
survivant du duc de Montpensier), avec la prin-
cesse Eulalie, sœur du feu roi d'Espagne, Al-
phonse XII, qui avait connu et approuvé ce pro-
jet d'union quelques semaines avant sa mort.
Retardé de quelques jours, par suite d'une maladie
de la jeune princesse, le mariage fut célébré, à
Madrid, dans la chapelle du Palais-Royal, le sa-
medi 6 mars.
La veille au soir, vers neuf heures, il avait été
procédé d'une manière intime aux fiançailles, dont
le cérémonial est réglé par l'étiquette de la cour
19
290 MARIAGE DU PRINCE ANTOINE d'orLÉANS
d'Espagne, mais que le deuil de la famille royale
obligeait à restreindre aux indispensables for-
malités. La reine régente Christine occupait le
trône, ayant auprès d'elle Madame la comtesse de
Paris, la reine Isabelle, le duc et la duchesse de
Montpensier, le duc de Chartres, les infants et
infantes d'Espagne. Tout le monde était en noir ;
seule, la princesse Eulalie portait sur la poitrine
un nœud de violettes et de fleurs d'oranger, et
les dames de la cour le ruban rouge d'ordonnance.
En sa qualité de notaire royal, le ministre de la
justice, M. Alonso Martinez, donna lecture du
contrat, qui fut signé par toute la famille royale.
Le lendemain matin, à onze heures, le cardinal
patriarche des Indes célébrait l'union des jeunes
princes. Après la lecture de l'épitre de saint Paul,
crosse en main, mitre en tète, il bénissait les an-
neaux et les treize pièces de monnaie que l'époux,
suivant l'usage espagnol, doit donner à l'épouse :
c'étaient treize onces d'or, dont huit à l'effigie du
roi Philippe V et cinq à celle du roi Ferdinand YI.
Sous l'éclatant uniforme de lieutenant des hus-
sards de la princesse, le prince Antoine, qui por-
tait les insignes de la Toison d'or et le grand-
cordon de Charles III, avait grand air, tandis que
la princesse Eulalie, charmante avec sa robe blan-
che et ses blonds cheveux, attirait les regards.
A quatre heures, un tiain spécial emportait vers
Aranjuez les jeunes mariés, qui arrivèrent une
MORT DE M™" LA COMTESSE DE CHAMBORD 291
heure après dans cette magnifique résidence
royale, que Philippe II avait fait construire à huit
lieues de Madrid, dans la délicieuse vallée au mi-
lieu de laquelle le Jarama apporte au Tage le tribut
de ses eaux. C'est sous les beaux ombrages de cette
retraite que le couple princier abrita les premiers
jours d'une union attendue depuis longtemps.
M. le comte de Paris, resté à Paris, se rendait,
accompagné du duc d'Orléans et du marquis de
Dampierre,présidentdelaSociétédes Agriculteurs
de France, au concours général agricole du palais
de l'Industrie, qu'il visitait en détail pendant deux
jours. Puis il partait avec la princesse Amélie et
son fiancé, le duc de Bragance, pour Cannes, où
Madame la comtesse de Paris devait le retrouver à
son retour d'Espagne.
C'est à Cannes que M. le comte de Paris reçut
la nouvelle de la mort de l'auguste veuve de M. le
comte de Chambord. Le prince répondit immédia-
tement par la dépêche suivante :
Cannes, 25 mars 1886, 7 h. 32.
Je vous remercie de votre dépêche, qui m'a vivement
attristé. Je ferai dire samedi, à midi, une messe à ma
paroisse, à Cannes. Nous prenons le deuil.
Philippe, comte de Paris.
Le prince assista à cette messe, ainsi que tous
les membres de la famille royale présents à Can-
nes, et prescrivit un deuil de trois mois.
292 l'incident de la rue vi vienne
Le jour du départ de M'"* la princesse Amélie
approchait. M. le comte deParis et Madame la com-
tesse de Paris étaient revenus à Paris. Le mercredi
5 mai, ils s'étaient rendus en voiture, à une heure
et demie, chez M. Ghalot, photographe, 18, rue
Vivienne. La voiture ayant été reconnue, un ras-
semblement se forma rue Vivienne; le cocher fit
alors entrer la voiture dans la cour de la maison ;
mais peu après il reçut l'ordre de se rendre sur
la place du Palais-Royal, afin de laisser disperser
la foule.
M. le comte de Parissortit à troisheures et demie
de chez le photographe, donnant le bras à Madame
la comtesse de Paris. La foule s'était encore
accrue ; plusieurs personnes se découvrirent ; le
prince rendit les saluts qui lui étaient adressés,
suivit à pied la rue Vivienne et la galerie Mont-
pensier pour entrer chez M. Leroy, bijoutier, tou-
jours accompagné par un grand nombre de per-
sonnes. Salué avec empressement, le prince, pour
ne pas provoquer de rassemblement, sortit par la
rue Montpensier et rejoignit sa voiture, place du
Palais-Royal, reconnu et salué sans qu'aucun cri
eut été poussé. Tout se borna donc à de nom-
breuses marques de respectueuse symj)athie ;
cependant les feuilles républicaines, avec la j)lus
insigne mauvaise foi, dénaturèrent ce très simple
incident, et imaginèrent de dire que, pour échap-
per aux silïlets, le prince avait dû prendre, en
ADIEUX AUX HABITANTS d'kU 293
toute hâte, un fiacre. Autant de mots, autant
d'erreurs; mais peut-on demander un récit véri-
dique à l'esprit de parti ?
M. lecomte de ParisetMadamelacomtessedePa-
ris retournèrent à Eu. Les habitants s'empressèrent
de se rendre auprès de la princesse Amélie pour
lui faire leurs adieux. Les manifestations les plus
touchantes se produisirent pendant les derniers
jours que la jeune princesse passa à Eu.
Au moment du départ de la princesse, un maître
tonnelier fit demander l'autorisation de lui pré-
senter ses respects. Il fut admis aussitôt près de
la famille royale : « Monseigneur, dit-il à M. le
comte de Paris, il y a quarante ans. Madame votre
mère, de passage à Orléans, fut informée qu'un
pauvre ouvrier tonnelier venait d'être légèrement
blessé dans la cour de la maison où elle était des-
cendue. Elle voulut le voir, et lui remit un double
louis. Cet ouvrier, c'était moi ; le double louis, le
voici : J'ai eu bien de la misère, et cependant ja-
mais je n'ai voulu m'en séparer. En fin de compte,
il m'a porté la chance.... Je suis patron aujour-
d'hui, et à mon aise. Voulez-vous me permettre
d'offrir à votre fille le porte-bonheur qui me vient
de sa grand'mère ? »
M. le comte de Paris, très touché, serra
vigoureusement la main du brave homme, tandis
que la jeune princesse, prenant la petite boite que
le visiteur tendait, lui dit, les larmes aux yeux :
294 LA SOIRÉE DU 15 MAI
« Je vous remercie beaucoup, Monsieur, c'est un
des souvenirs les plus chers que j'emporterai de
mes amis de France. »
Le samedi 15 mai, M. le comte de Paris ouvrait
les portes de son hôtel do la rue de Varennes, 57.
Cet hôtel avait été commencé en 1721, sous la
Régence. M. de Gourtonne, architecte du roi,
en fit le plan et la construction pour M. le
prince de Tingry, plus connu sous le titre
de maréchal de Montmorency. Deux ans après,
l'hôtel, inachevé, fut vendu à M. de Matignon,
comte de Thorigny. Pendant tout le dix-huitième
siècle, l'hôtel appartint successivement au duc de
Valentinois, au prince de Monaco, puis à un An-
glais, M. Crawford.
Après la Révolution, le prince de Talleyrand,alor s
ministre des affaires étrangères, en fit l'acquisition
et y donna des fêtes. Napoléon I" se le fit céder par
son ministre (qui acheta alors un hôtel rue Saint-
Florentin , aujourd'hui au baron Alphonse de
Rothschild), et c'est ainsi que l'hôtel de la rue de
Varennes passa dans le Domaine.
A l'époque du mariage de M. le duc de Bcrry,
Louis XVIII, désirant établir son neveu au pa-
lais de l'Elysée, propriété de M™" la duchesse de
Bourl)on, l'échangea avec cette princesse. Celle-
ci l'habita et y mourut, le léguant à sa nièce
S. A. R. M'"'' Adélaïde, sœur du roi Louis-
Philippe, qui, a son tour, le laissa à S. A. R. le
l'hôtel galliera 295
duc de Montpensier. En 1848, le général Cavai-
gnac, président de la République, l'habita jusqu'à
l'élection de Louis-Napoléon à la présidence.
Enfin, en 1853, le duc de Galliera acquit cet
hôtel, un des plus grands et des plus beaux
du faubourg Saint-Germain. A sa mort, il de-
vint la propriété de M™^ la duchesse de Galliera.
Celle-ci mit tout le rez-de-chaussée et le jardin,
un véritable parc, à la disposition de M. le comle
de Paris, qui y descendait chaque fois qu'il se ren-
dait à Paris.
Quatre mille invités environ, de neuf heures du
soir à une heure du matin, se présentèrent à l'hô-
tel Galliera pour offrir leurs hommages à M. le
comte de Paris et à M""* la princesse Amélie.
Dans le cœur de tous ceux qui s'associaient avec
un respectueux empressement à la joie causée
par ce mariage à la famille royale , il y avait
un sentiment de fierté nationale, que seuls sont
incapables de comprendre ceux qui ignorent le
passé de la France. La maison de Bourbon, dont
les destinées furent confondues pendant tant de
siècles avec celles de la nation, garde et gardera
toujours dans le monde la glorieuse place que
l'histoire lui a donnée. Le 15 mai, les ambassa-
deurs des puissances étrangères étaient là pour
en témoigner. C'est le souvenir du noble pays
que ses aïeux avaient fait si puissant, si prospère,
que M"^ la princesse Amélie allait faire revivre
296 s. A. R. LA PRINCESSE AMELIE
chez un peuple ami. La France ne pouvait y
être représentée avec plus de vertu et de
distinction souveraine. Dans cette soirée du
15 mai, au moment où la princesse Amélie allait
quitter le sol de la vieille patrie française, tous
se réjouissaient à cette pensée que c'était la France
que le Portugal allait saluer et aimer en elle.
Grâce à une sage prévoyance, la fête se passa
dans le plus grand ordre. L'attitude calme et sym-
pathique de la foule, qui se pressait aux abords de
l'hôtel, rendait la tâche facile aux agents. Le mar-
quis de Beauvoir était chargé de présenter les in-
vités à Madame la comtesse de Paris, auprès de qui
se tenait la jeune princesse, vêtue d'une robe de
tulle blanc très simple, et ravissante de grâce
et de beauté. Madame la comtesse de Paris accueil-
lait tous ceux qui avaient l'horneur de la saluer
avec la plus parfaite aftabilité, pendant qu'un peu
plus loin M. le comte de Paris tendait la main
aux arrivants, trouvant pour chacun un mot ai-
mable ou un remerciement délicat.
Dans les autres salons se trouvaient S. A. L le
grand-duc et la grande-duchesse Wladimir de
Russie, entourés de LL. AA. RR. le duc de Ne-
mours, le duc d'Aumale, le prince et la princesse
de Joinville, le duc et la duchesse de Chartres, le
prince et la princesse Gzartoryski, la princesse Blan-
che de Nemours, la princesse Hélène, deuxième
fille de M. le comte de Paris; la princesse Margue-
CADEAUX FAITS A LA PRINCESSE 297
rite de Chartres, et son frère le prince Henri. On
remarquait beaucoup un jeune homme au type
bourbonnien, à la figure intelligente, à l'œil vif
et spirituel, M^"" le duc d'Orléans, auprès de sa
grande- tante M™® la princesse Clémentine de
Saxe-Cobourg et Gotha, accompagnée de l'un de
ses fils, le prince Ferdinand. Presque tous les
membres du corps diplomatique étaient pré-
sents, ainsi que les représentants de la plus
ancienne noblesse de France, mêlés à l'élite
du monde des sciences, des lettres, des arts,
de la magistrature. Par un sentiment de déli-
catesse facile à comprendre, aucun militaire en
activité de service n'avait été invité.
Dans une vaste pièce avait été installé un buffet
somptueusement servi et décoré de verdure et de
fleurs à profusion. Mais la principale attraction
était le grand salon du milieu, où l'on avait exposé
les cadeaux faits à la princesse. On admirait
beaucoup les dentelles du trousseau, sorties de
la fabrique de MM. Lefébure : M. le comte de
Paris avait tenu à ce qu'elles fussent toutes ache-
tées en France. Le chef-d'œuvre d'orfèvrerie de
M. Froment-Meurice, la Nef de la ville de Paris,
en argent, supportée par une sirène, magnifique
souvenir offert par une souscription parisienne,
attirait tous les regards *.
1. Le lecteur sera sans doute curieux d'avoir la nomenclature
298 ADRESSE DES CATHOLIQUES DE TWICKENHAM
Vers une heure du matin, un souper de quatre-
vingts couverts réunissait les princes de la mai-
son de France , le grand-duc et la grande-du-
chesse Wladimir de Russie, le comte d'Azevedo,
premier secrétaire de la légation du Portugal, et
quelques personnes de la maison des princes. A la
fin du souper, S. A. R. le duc de Chartres porta le
toast suivant :
« Avec la permission de mon frère, et comme le
plus proche parent de la future duchesse de Bra-
gance, je porte un toast à son bonheur, me faisant
l'interprète des vœux et des regrets de tous les
Français ici présents. »
Nul mieux que celui qui fut Robert le Fort ne
pouvait être l'interprète de la France monar-
chique auprès de M"' la princesse Amélie.
Les habitants catholiques de Twickenham, où
est née M""" la princesse Amélie, avaient fait re-
mettre à M. le comte de Paris, à l'occasion du pro-
chain mariage de la ])rincesse, une adresse où ils
lui exprimaient leurs sentiments de joie et le sou-
venir de respectueuse gratitude qu'ils gardaient
du séjour de la famille royale dans leur ville.
Avant de partir pour Lisbonne, M. le comie de
Paris adressa au R. P. Ryan, curé de la paroisse
catholique de Twickenham, la lettre suivante :
complète des cadeaux, splendides (avec le nom des donateurs),
offerts à M™" la princesse Amélie. 11 trouvera cette liste à l'Ap-
pendico.
DÉPART POUR LE PORTUGAL 299
17 mai 1886.
Mon Révérend Père,
J'ai reçu l'adresse de félicitations à l'occasion du mariage
de ma fille Amélie avec le prince royal de Portugal, signée
par les membres les plus éminents de la communauté ca-
tholique de Twickenham. La comtesse de Paris, et moi-
même, sommes très sensibles à ce témoignage de sympathie
des habitants de la ville où nous avons passé les six
premières annés de notre vie conjugale, et où nos premiers
enfants ont vu le jour. Notre fille Amélie n'a pas oublié
que, par naissance, elle est un enfant de Twickenham, et
elle est très heureuse du souvenir qui lui est gardé, en par-
ticulier par nos frères catholiques. Vos vœux de bonheur
et de prospérité dans sa nouvelle patrie appelleront sur
elle, je l'espère, la bénédiction de Dieu. Veuillez trans-
mettre nos meilleurs remerciements à tous les signataires
de l'adresse, et croyez moi votre sincère,
Philippe, comte de Paris.
Le lundi 17 mai, à six heures du soir, un train
spécial, composé de plusieurs wagons-salons, par-
tait de la gare d'Orléans pour conduire à Lisbonne
M, le comte de Paris, Madame la comtesse
de Paris, S. A. R. la princesse Amélie; son frère,
le duc d'Orléans; sa sœur, la princesse Hélène;
le duc de Chartres ; le duc d'Aumale ; la princesse
de Joinville, la princesse Clémentine de Saxe-
Cobourg et Gotha, et son fils le prince Ferdinand.
M. le comte de Paris était accompagné par un
de ses plus anciens serviteurs, le marquis de
300 LA SUITE DES PRINCES
Beauvoir, A un dévouement, qui est de tradition
dans sa famille, ainsi qu'on l'a vu plus haut, le
marquis de Beauvoir joint une grande facilité de
travail, et des qualités qui justifient l'amitié dont
M. le comte de Paris l'honore depuis son enfance.
Sous la présidence du maréchal de Mac Mahon,
il était sous-chef du cabinet de M. le duc Decazes,
ce remarquable ministre des afl'aires étrangères,
ce fin diplomate, qui rendit à la France de si émi-
nents services, et dont le parti royaliste déplore
tous les jours la perte.
M. le comte de Paris apprécie, au plus haut
point, les services du marquis de Beauvoir, et sa
rare activité. Son caractère aimable, sympathique,
son aménité , lui ont fait de nombreux amis.
Homme d'action, toujours sur la brèche depuis
plus de vingt ans, il est un de ces fidèles, ardem-
ment dévoués au Prince, et qui, sans se lasser
jamais, travaillent au succès d'une cause pour
laquelle il saurait donner sa vie.
Venaient ensuite : le comte d'Haussonville,
le capitaine Morhain, M. Camille Uupuy, secré-
taire particulier de Monseigneur, le docteur Gué-
neaude Mussy;le marquis de Bouille accompagnait
le duc de Chartres; le vicomte de Chazelle, M. le
duc d'Aumale; la comtesse de Barrai et son fils,
le comte de Barrai, M'"'" la princesse de Joinvillc;
puis enfin M. Froment, précepteur du duc d'Or-
léans; M™" la vicomtesse de Butler, dame d'hon-
DE PARIS A LA FRONTIÈRE 301
neur de Madame la comtesse de Paris, et M"" Le-
vavasseiir, institutrice des princesses. Deux per-
sonnes, seulement, invitées par le prince : le duc
de Noailles et le duc de la Trémoïlle. M. le comte
de Paris ayant exprimé le désir que personne, en
dehors de sa famille, ne vînt à la gare du chemin
de fer d'Orléans, quelques anciens amis avaient
demandé la permission de venir dire adieu à
M"® la princesse Amélie et furent reçus rue de
Varennes, de une heure à trois heures.
A six heures précises, le train quittait la gare
d'Orléans. Aux principales villes de France, où
l'on s'arrêtait, de fidèles amis venaient saluer les
princes, et apporter des fleurs à la princesse. Sur
toute la ligne, de Paris à la frontière espagnole,
grande affluence. Cette union avait fait grand bruit
dans toute la France, et le peuple, l'ouvrier comme
le paysan, cherchait à voir M. le comte de Paris et
la jeune princesse; les journaux illustrés qui re-
produisaient son portrait étaient achetés en grand
nombre par la foule. A Blois, où le train cependant
ne s'arrêtait pas et ne faisait que ralentir un peu
sa marche, une foule, que l'on peut évaluer à cinq
ou six cents personnes, se pressait aux barrières.
A Tours, à Poitiers, à Bordeaux, même sympa-
thique affluence.
Le matin, on arriva à la frontière espagnole, à
Irun; M. le comte de Paris y reçut une dépêche de
la reine régente d'Espagne, lui apprenant qu'elle
302 ENTHOUSIASME EN ESPAGNE ET EN PORTUGAL
venait de mettre au monde un fils, le roi Alphonse
XIII. Les voyageurs déjeunèrent à Miranda, et
dînèrent à Mcdina ; les repas avaient été com-
mandés par le roi de Portugal. Avant d'arriver à
Salamanque un curieux incident se produisit : le
train fut obligé de s'arrêter, plusieurs milliers de
personnes s'étaient mis en travers des rails, vou-
lant absolument saluer et acclamer les augustes
représentants de la dynastie qui a donné les Bour-
bons à PEspagne. Au milieu de la nuit, les étu-
diants de l'Université de Salamanque donnèrent
une sérénade à la princesse.
C'est à neuf heures et demie du matin que le train
fitson entrée dans le royaume de Portugal, à lagare
de Villar-Formoso. Il tombe une pluie torren-
tielle; la foule ne s'en émeut pas, et les Portugais
considèrent, selon l'adage populaire : noces mouil-
lées, noces bénies. Ce temps est donc de bon
augure. Les feux d'artifice tirés pendant la nuit,
sur le passage du train, les sérénades malgré la
pluie, les cris de joie des paysans, l'empresse-
ment de tous à venir acclamer les voyageurs, im-
pressionnent la princesse Amélie, et lui prouvent
qu'avant môme d'être connue, elle a gagné le
cœur du peuple portugais. Que sera-ce quand la
princesse aura pu montrer les qualités morales et
intellectuelles qui font de la fille aînée de M. le
comte de Paris une des princesses les plus accom-
plies de notre temps ?
OVATIONS FAITES A LA PRINCESSE 303
Jadis l'ancien cérémonial monarchique prescri-
vait qu'à la frontière des Etats de son futur époux
la princesse revêtit une toilette complètement nou-
velle, et ne gardât sur elle aucun vêtement venant
de son pays natal. Ainsi fut-il fait pour Marie-
Thérèse quand elle épousa Louis XIV, pour Marie
Leczinska et Marie-Antoinette, quand elles épou-
sèrent Louis XV et Louis XVI. Aujourd'hui, cet
usage est abandonné. Cependant, à Santa-Gomba-
Daô, S. A. R. la princesse Amélie revêt une toilette
nouvelle, bleue et blanche, aux couleurs portu-
gaises. La princesse est sur la terrasse du wagon :
le train s'arrête, et à peine a-t-elle aperçu le jeune
prince qu'elle saute du wagon, et sans songer à
l'étiquette, elle embrasse, devant la foule, son
fiancé le duc de Bragance. Cette simplicité, cette
bonne grâce, ravissent les spectateurs ; les mou-
choirs et les éventails s'agitent, ce n'est qu'un
long cri : Vivent les princes ! Les députations se
succèdent, à chaque station les ovations se renou-
vellent, même foule, l'enthousiasme tient du délire.
Les gerbes de fleurs s'amoncellent : on joue
Phymne national portugais. A Coimbre, Pombal,
Santarem, Alhandra, Sacavem, le convoi est ac-
clamé. A Pampilhosa, trois petites filles apportent
des fleurs à la princesse, en efTeuillant des roses
sur son passage. On les hisse, une à une, dans le
wagon, où la princesse tient à les remercier toutes
trois en les baisant au front. Pour tous ceux qui
304 ARRIVEE A LISBONNE
l'approche-nt elle a un mot gracieux, A Goïmbre,
une femme du peuple, tenant sur son épaule un en-
fant, lui disait, pendant que laprincesse regagnait
son wagon : « Regarde bien notre belle princesse et
envoie-lui des baisers. » L'enfant obéit. Aussitôt
la princesse Amélie, quittant le bras de son fiancé,
s'approche de la balustrade du chemin de fer,
embrasse sur les deux joues le « menino » portu-
gais. Lanière se met à pleurer de joie et d'orgueil,
etla foule redouble d'enthousiasme et d'applaudis-
sements. Enfin, vers cinq heures un quart, le train
entre en gare de Lisbonne : les murs sont couverts
de fleurs et de feuillage, et pavoises des écussons
de Bourbon et de Bragance, les trois fleurs de lis
de France alternent avec les tours de Bragance, et
le drapeau tricolore français avec le drapeau blanc
et bleu de Portugal. Le roi et la reine de Portu-
gal, le duc d'Aoste, frère de la reine, toute la cour
et le corps diplomatique, attendent le convoi.
A peine descendue, la princesse Amélie baise la
main de la reine Maria-Pia, qui la serre dans ses
bras. D'aff'ectueux compliments sont échangés
entre le roi, M. le comte de Paris et les princes;
les présentations faites, on quitte la gare. Les
habitants de Lisbonne passent pour être froids;
mais leur flegme ne peut tenir devant le charmant
visage de la princesse Amélie. La réputation de
grâce et de beauté de la princesse l'avait précédée
en Portugal, cependant la réalité dépasse telle-
DE LA GARE AU PALAIS 305
ment l'attente des Portugais, qu'ils sont, en dépit
de leurs habitudes, entraînés à des démonstrations
inattendues.
Lisbonne est une ville de 250,000 habitants,
bâtie en amphithéâtre sur plusieurs collines, domi-
nant la rive droite du Tage. Son développement
le longde la baie, à l'embouchure du fleuve couvre
une étendue d'une dizaine de kilomètres. La baie
était toute remplie de navires pavoises.
Sur les deux rives du Tage, de vastes édifices,
des palais, des églises, des milliers de villas, sont
aussi pavoises, des guirlandes de fleurs partout,
et à travers la verdure et les roses, un ciel bleu,
et un soleil d'or baigne le paysage d'une lumière
éclatante.
Le cortège royal quitte la gare, les voitures vont
au pas, au milieu d'une foule immense : le peuple
est partout, sur les arbres, les monuments, les
toits; chaque fenêtre est occupée, tous crient:
Vive le roi; vive la princesse! vivent les princes !...
La princesse Amélie avait pris place à côté de
la reine Maria Pia dans une calèche découverte à
quatre chevaux, conduits à la d'Aumont, Devant
les deux princesses, se tenaient le duc de Bra-
gance et M. le comte de Paris. Dans une seconde
voiture, également à quatre chevaux, venaient
Madame la comtesse de Paris, S. A. R. la princesse
de Joinville, le duc d'Aoste, et le roi dom Luiz.
Un peloton de cavalerie fermait la marche. Sur
20
306 BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE AUX FIANCÉS
tout le parcours du cortège, la population se dé-
couvrait avec respect, et contemplait avec une
vive sympathie la future princesse royale. De
toutes les fenêtres, on jette des bouquets. Enfin,
à sept heures, on arrivait au palais des Necessi-
dades , qui avait été préparé pour les princes
d'Orléans. De ce palais, dont les jardins sont su-
perbes, on a, sur le Tage et la baie, une vue
admirable.
Les princes et princesses d'Orléans purent pren-
dre alors le repos nécessaire après un long et
fatigant voyage. Les Français, témoins des ova-
tions spontanées du peuple espagnol d'abord, puis
des Portugais, se disaient non sans un certain
orgueil, que l'Espagne et le Portugal, comme
toute l'Europe, reconnaissent dans les princes de
la maison de Bourbon les représentants les plus
illustres de la nation française.
Sur la demande du roi dom Luiz, l'ambassadeur
du Portugal auprès du Saint-Siège avait prié le
Saint-Père d'accorder la bénédiction apostolique
aux fiancés. Le Souverain-Pontife s'était empressé
de déférer à ce désir. Léon XIII professe une vive
affection pour les deux jeunes princes: il connaît
leurs sentiments de piété et se félicite d'une al-
liance qui est pour le Portugal un gage de bon-
heur.
La princesse Amélie, élevée par une mère pleine
de foi, ne pouvait que justifier les espérances du
11
1
AVANT LE MARIAGE 307
Saint-Père. Son Altesse avait manifesté l'intention
de communier à la messe de mariage, bien que la
cérémonie dût se clore très tard. Elle envisa2:eait
avec une gravité chrétienne les devoirs que sa
nouvelle situation allait lui imposer, et elle passa
dans une sorte de retraite les heures qui la sépa-
raient de la solennité du lendemain. La princesse
Amélie n'a rien de la frivolité de ces trop nom-
breuses jeunes filles qui regardent le mariage
comme une émancipation de la tutelle maternelle :
elle a l'esprit sérieux et refléchi de son aïeule, la
reine Marie-Amélie. Après avoir été la jeune fille
la plus docile, elle sera la femme la plus attachée
à ses devoirs, et la princesse royale la plus digne
de son rang.
M. le comte de Paris et Madame la comtesse de
Paris accordèrent très peu d'audiences. Ils vou-
lurent réserver, à l'enfant dont ils allaientse sépa-
rer, tout le temps que n'accaparaient pas les exi-
gences de l'étiquette. Les Français comme les Por-
tugais s'inclinèrent avec respect devant un désir si
légitime.
Pendant les deux jours qui précédèrent le ma-
riage, les 20 et 21 mai, il y eut réception intime au
palais. Tout ce que Lisbonne compte de considé-
rable dans la société, l'armée, l'administration,
les arts, les lettres, alla s'inscrire au palais des
Necessidades chez les princes d'Orléans.
Le samedi 22 mai, il faisait un temps superbe.
308 LE JOUR DU MARIAGE
et comme on n'en voit que dans le midi de l'Eu-
rope*; un peuple enthousiaste et respectueux se
pressait dans les rues, avide de contempler un
splendide cérémonial qu'il lui est donné si rare-
ment d'admirer.
Le matin, dès les premières heures du jour,
une foule immense encombre les rues de Lisbonne
par lesquelles doivent passer les cortèges pour
se rendre à l'église de Santa Justa et Rufina, où le
mariage doit être célébré à une heure de l'après-
midi. Cette église, connue plutôt sous le nom
d'église de San Domingo, est située à l'angle de
la grande place du Rocio, où se trouve la statue du
roi Pedro. Ainsi que tous les monuments de Lis-
bonne, il a été construit après le terrible tremble-
ment de terre de 1755, qui détruisit entièrement
la ville. La tradition rapporte qu'il ne resta de-
bout de l'ancien édifice que l'autel en marbre
blanc et noir qui subsiste encore aujourd'hui.
Toutes les places et les rues principales de
Lisbonne sont décorées de mâts garnis d'étoffe
rouge, surmontés de la couronne royale et pavoi-
ses de trophées de drapeaux.
L'aspect général de l'église, avec les tentures
de velours et de soie multicolores dont les bro-
deries d'or étinccllcnt sous les lumières de cen-
1, Nous trouvons les détails de cette belle cérémonie dans le
Moniteur universel, très exactement renseigné, et dans une bro-
chure : Voyage en Portugal, par le comte de lîarral.
l'église SAN DOMINGO 309
taines de lustres de cristal, est des plus chauds et
des plus colorés. Tout au fond, on aperçoit l'au-
tel avec ses hautes colonnes torses, ses gradins
où ont pris place les évêques , aux costumes
éclatants. A gauche, le dais royal dont les ten-
tures de velours nacarat fleurdelisées d'or sont
relevées sur deux hautes colonnes surmon-
tées de sphères pour rappeler la découverte
des Indes par les Portugais. A droite, l'estrade
des princes d'Orléans, en velours bleu fleur-
delisé d'or, surmontée de la couronne royale.
Entre ces deux estrades, au centre du chœur,
les fauteuils et les prie-Dieu de velours bleu où
doivent se tenir les deux fiancés pendant la béné-
diction nuptiale. Une couronne ducale, que suppor-
tent deux anges et qui par une touchante allégorie
est décorée des torches de l'Hymen, descend de
la voûte en forme de baldaquin, au-dessus de la
tète du duc de Bragance et de la princesse Amélie.
A gauche, les dames de la cour et du corps diplo-
matique, toutes en robes décolletées de soie bleu
clair, la mantille de dentelles blanches, retenue
au chignon par un haut peigne d'écaillé blonde.
Partout étincelle l'or des uniformes : fonction-
naires civils à l'habit brodé, chambellans à la
haute canne d'ivoire, généraux et officiers à l'uni-
forme noir galonné d'or et de rouge, suivant le
grade, le casque à la main, officiers italiens au court
veston bleu et argent, officiers de marine espa-
310 ARRIVÉE DU CORTÈGE ROYAL
gnols à l'habit à revers écarlates, officiers de la
marine italienne, le ruban bleu en sautoir, etc...
Dans l'intérieur de l'église, encombré de verdure
et de palmiers verts, ces uniformes font un effet
magique.
A une heure, le canon tonne au loin. Le cortège
royal vient de quitter le palais d'Ajuda. Arrivent
successivement la comtesse de Ficalho , dame
d'honneur de la reine ; l'ambassadeur d'Espagne
avec les deux fils du duc de Fernan-Nunez, le
marquis de Valada dans son superbe carrosse tout
doré et orné de peintures dans le genre de nos
anciens vernis Martin : les harnais de ces atte-
lages sont couverts d'ornements en acier ciselé ;
les domestiques portent, sans exception, la perru-
que poudrée à canons.
Deux heures : les clairons sonnent, les trou-
pes laissent tomber la crosse à terre avec un
bruit retentissant. Le cortège royal approche.
Bientôt apparaissent les flammes blanches et rou-
ges du peloton de lanciers d'avant-garde. Toute
cette cavalerie, la crinière noire flottant au chapska
rouge, défile au grand trot et va se placer dans une
rue voisine de l'église. Vient ensuite une troupe
de piqueurs de la maison royale à la livrée de
Bragance, écarlate avec les galons de soie multico-
lore, frappés de la grenade de velours nacarat.
Ils vont se ranger devant réglisc, et saluent,
portant haut leur cravache. Après les piqueurs,
LES ÉQUIPAGES ROYAUX 311
arrivent des cavaliers à l'uniforme typique, véri-
table évocation du seizième siècle. Ce sont les rois
d'armes de Bragance. Leur chapeau de velours
noir de la Sainte-Hermandade est surmonté d'un
haut panache de plumes blanches et bleues, le
tabar de soie cerise broché d'or est chargé de
sept énormes tours d'argent doré et d'un large
collier d'or aux armes royales. Ils portent le bas
de soie noire. Les chevaux ont la selle du siè-
cle dernier, capitonnée de velours vert et galonnée
d'or, la crinière nattée et enrubannée, et sur la
têtière un panache de plumes d'autruches.
A leur suite, arrivent de magnifiques voitures
dorées, véritables merveilles, traînées chacune
par dix mules, les deux premières conduites à la
d'Aumont. Ces lourds carrosses sont surchargés
d'ornements dorés, couverts de peintures ; les
caisses sont suspendues par de larges courroies
en cuir rouge. Les roues colossales mesurent
deux mètres environ de diamètre.
Ces carrosses sont tous du dix-septième et du
dix-huitième siècle et ont servi à dom Joào V, à
l'infant dom Francisco, à dom José 1"% à dom
Pedro II, à Alphonse VI, etc.
De ces équipages descendent la comtesse de
Bertiandos en satin bleu et blanc, avec tablier
brodé de jais blanc, la marquise de Funchal, cama-
reira mor de la reine; les officiers d'ordonnance
du duc d'Aoste, dom Augusto, frère du roi; en uni-
312 LES PRINCES ÉTRANGERS A LISBONNE
forme italien le duc d'Aoste ; le prince Georges
en uniforme de commodore anglais, avec le grand
cordon du Christ ; le duc de Saxe-Cobourg et Go-
tha, en hussard autrichien, le shako rouge à haute
aigrette, la pelisse bleue à tresse d'or sur les
épaules. Tous s'arrêtent à l'entrée de l'église.
La musique du régiment du génie joue la mar-
che royale. Un énorme carrosse doré, conduit par
huit chevaux gris pommelé, débouche au petit
trot, les valets de pied tenant en main les attelages.
Ce carrosse, surmonté de huit couronnes royales
et orné de palmes d'or, est appelé carrosse de la
couronne. Il fut construit par ordre de dom
Joào V pour les fêtes du mariage de son fils, le
prince dom José, avec l'infante d'Espagne dona
Maria Anna.
De ce carrosse descendent le duc de Bragance
portant l'uniforme de capitaine de lanciers, le roi
dom Luiz celui de général de division, et la reine
dona Maria-Pia dans un superbe costume copié
sur un tableau de Rubens : Le triomphe de Marie
de Médicis ; la robe est en velours bleu de ciel,
brodée, dans le style Louis XllI, ornée de casca-
des de perles et de gerbes de diamants. Le manteau
de souveraine, attaché aux épaules, est en velours
bleu de roi, brodé au bas de guirlandes pâles se
détachant sur un fond azur. Un semis de fleurs de
grenades en soie blanche remplace seul les Heurs
de lis de France. Sur ses beaux cheveux blonds
ENTRÉE DU ROI ET DE LA REINE A L'ÉGLISE 313
brille un diadème de dianianls d'une eau et d'une
pureté merveilleuses. Les gants, très longs et re-
montant sur des bras magnifiques, sont marqués
au chiffre M. P., et la couronne royale est brodée
en couleur sur la manchette du gant.
A leur arrivée, Leurs Majestés sont reçues par
tous les grands dignitaires de la couronne et les
princes étrangers. Après s'être placées sous un
dais de soie jaune brodée d'or, que supportent les
six plus anciens marquis de la noblesse portu-
gaise. Leurs Majestés se dirigent vers le trône
royal, la camarera mayor portant l'extrémité de la
longue traîne de la reine. L'orgue joue la marche
desBragance. Le cardinal-patriarche, accompagné
de tout son clergé, avec les parasols de satin, les
croix d'or, les larges éventails de plume, reçoit
Leurs Majestés et les conduit à leurs places, en
marchant au milieu d'une haie formée par les ar-
chers de la garde royale, qui se tiennent immobiles
et la tète découverte, la hallebarde au port d'armes.
A deux heures et quart de nouvelles sonneries
retentissent. Un escadron de cavalerie, précédé
de ses batedores, arrive au grand trot par
la place Rocio. Cette fois ce sont des chas-
seurs, la crinière noire flottant sur le casque, la
giberne à baudrier de cuir blanc, le sabre de
Tolède à garde d'acier, le mousqueton porté à la
botte. C'est Pavant-garde du cortège des princes
d'Orléans.
314 LES PRINCES FRANÇAIS A l'ÉGLISE
Ce cortège est également composé de superbes
carrosses de gala de la couronne. On en voit des-
cendre successivement :1e duc de la Trémoïlle, le
duc de Noailles, le comte d'IIaussonville, le marquis
de Beauvoir; la marquise de Rio-Mayor, dame d'hon-
neur de la reine; le comte de Ficalho;dom Alphonse,
frère du ducdeBragance; la princesse de Joinville,
en toilette de jaisnoir etde soie violette, portant le
cordon violet et blanc de l'ordre espagnol de Marie-
Louise en sautoir ; la princesse Hélène, charmante
de grâce dans sa robe rose au corsage garni de
perles, le cordon rose et blanc de l'ordre portu-
gais d'Isabelle en sautoir; le duc d'Aumale et le
duc de Chartres, tous deux portant le cordon bleu
foncé de l'ordre militaire portugais de la Tour et
de l'Epée ; le duc d'Orléans avec le cordon de la
Conception.
Un dernier carrosse à pans coupés apparaît.
C'est le carrosse de dom Fernando, qui fut cons-
truit à Rome et offert par le pape Clément XI au
roi dom Joào. La royale fiancée en descend, elle
est en toilette de mariée : robe de soie blanche
montante et voile de dentelles. La princesse tient
à la main le livre d'heures offert par les dames de
la Seine-Inférieure ; sur la reliure en ivoire sont
émaillées les armes de France et de Bragancc.
La princesse Amélie estaccompagnéedesonpère
et de sa mère, M. le comte de Paris ayant le
cordon rouge et vert dos ordres réunis de Portugal.
ENTRÉE DE S. A. R. LA PRINCESSE AMELIE 315
Madame la comtesse de Paris porte un costume
d'une suprême élégance en velours frappé ibis
d'un rose très doux et doré. La traîne est en ve-
lours de Gênes. Les côtés également en ve-
lours d'un dessin plus petit, le devant ruisselant
de jais blanc. Corsage décolleté en velours ibis.
Parure diadème, boucles d'oreilles et rivière en
diamants et saphirs, d'un prix inestimable. En
sautoir le cordon portugais de l'ordre d'Isa-
belle.
Après un instant d'arrêt, ce second cortège se
forme avant de pénétrer dans l'église. Le duc de
Bragance, présenté par le grand-maître des céré-
monies, et précédé du capitaine de la garde royale,
va au-devant de son auguste fiancée.
Celle-ci entre alors dans l'église, au bras de
son père, la traîne de sa robe portée par M"* Le-
vavasseur. Madame la comtesse de Paris donne le
bras au prince royal. Les deux fiancés prennent
place devant leurs prie-Dieu. La cérémonie du
mariage commence. Le cardinal-patriarche pro-
nonce une allocution touchante sur les devoirs
qu'imposera aux nouveaux époux leur haute situa-
tion. L'église illuminée de 166 lustres, les riches
costumes, les brillants uniformes, offrent un as-
pect magnifique. La plupart des évêques du
royaume sont venus à Lisbonne et assistent à la
cérémonie en habits pontificaux.
La bénédiction nuptiale est précédée d'une céré-
316 LA CÉRÉMONIE
monie touchante. M. le duc de Bragance, sur l'in-
vitation du cardinal-patriarche, se dirige vers
le Irône où sont assis le roi et la reine ; il baise
leurs mains, et s'agenouillant il leur demande de
consentir à son mariage. M""* la princesse Amélie
à son tour, très émue, demande de la môme ma-
nière leur consentement à M. le comte de Paris et
à Madame la comtesse de Paris, qui l'embrassent
avec effusion.
Le cardinal-archevêque descend alors les de-
grés de l'autel et, prenant les anneaux nuptiaux
que lui présente, sur un plat d'or, un jeune page
en habit de velours bleu, les remet aux jeunes
époux et prononce la formule de la bénédiction.
Pendant que les témoins signaient l'acte de ma-
riage, le duc et la duchesse de Bragance allaient
prendre place près du roi et do la reine.
La traîne de la robe de la princesse Amélie de
France n'était plus portée par M"" Levavasseur,
mais par une de ses dames d'honneur. Ce fut,
pour les Français présents, un moment de vive
émotion de voir la princesse passer à sa nouvelle
famille. Un Te Deum fait alors retentir les voûtes
de l'église. La cérémonie est terminée.
Le défilé commence. Cette fois, les deux cor-
tèges sont réunis en un seul. Il est quatre heures
un quart. Les cloches sonnent à toute volée. Le
canon tonne au loin, sur la place du Commerce.
Les navires ancrés sur le Tage se couvrent de
RETOUR AU PALAIS 317
flammes et de fumée. En même temps, d'une es-
trade placée au centre de la place du Rocio, éclate
un véritable feu d'artifice, qui, chose curieuse
est tiré en plein jour. Les fusées s'élèvent et en
éclatant effrayent les chevaux et les mules des car-
rosses, qui piaffent et qu'on a peine à maintenir.
A quatre heures et demie, la marche royale qui
se faisait entendre dans l'intérieur de l'église est
reprise au dehors par la musique militaire.
La nouvelle duchesse de Bragance, toute pâlie
par l'émotion, paraît au bras de son époux. Les
acclamations éclatent de tous côtés. Le carrosse
de dom Fernando s'avance. La portière ornée de
velours rouge est ouverte. Le duc de Bragance
monte le premier afin de tendre la main à sa jeune
épouse et de l'aider à franchir les trois hautes
marches du carrosse.
Les deux jeunes mariés sont seuls dans la voi-
ture qui se met lentement en marche.
Leurs parents, la reine dona Maria, Madame la
comtesse de Paris, le roi domLuiz etM. le comte de
Paris, les suivent dans le carrosse de la couronne,
et sont acclamés par la foule. La cavalerie ferme
le défilé, les flammes des lances flottant au vent,
les timbales drapées de rouge, battant la marche
antique des chevaliers portugais. Ce cortège, sa-
lué par les feux d'artifice et les cris joyeux de la
foule, traverse la grande place du Rocio, et, après
avoir suivi la rue de l'Or, arrive sur la place du
318 ENTHOUSIASME DE LA POPULATION
Commerce, Bientôt le cortège sort de Lisbonne et
se dirige, en suivant les quais, vers le palais de
Belem, où doivent habiter les jeunes époux.
Partout la foule se presse sur le passage du
cortège, faisant retentir l'air de ses joyeuses
acclamations. Dans des pavillons construits de
distance en distance des fanfares saluent le cor-
tège par les sons de la marche royale. D'une es-
trade élevée quai di Sodré, contre la statue du
duc de Terceira, une véritable pluie de fleurs
s'abat sur le carrosse de la nouvelle duchesse de
Bragance. Les paquebots, les navires de com-
merce, les fragatas (bateaux-dépêches), sont char-
gés de milliers de spectateurs. La vue est splen-
dide. Les maisons de Lisbonne, dont les façades
d'azulejos brillent sous les rayons du soleil, s'éta-
gent en terrasses sur les coUines. On aperçoit
plus loin les dômes de la cathédrale gothique di
la Se ou basilique Santa-Maria; à droite, les mu-
railles rougeâlres du palais des Necessidades et
les sombres ombrages du grand cimetière qui rap-
pellent les noirs cyprès des nécropoles de Stam-
boul. Toujours salué par les salves d'artillerie, le
cortège longe le Tage en traversant les faubourgs
d'Alcantara et de Junqueira. De l'autre côté du
Tage se détachent, sur les collines verdàtres, le
point blanc du phare de Cacilhas.
A six heures, le cortège arrive devant le palais
de Belem. Ce palais, bàli vers le milieu du dix-
LE PALAIS DE BELEM 319
septième siècle, se compose d'un seul rez-de-
chaussée, élevé sur un sous-sol. C'est bien là la
demeure intime qui convient à deux nouveaux
mariés. Des terrasses qui s'élèvent en gradins sur
le Tage, on jouit d'une vue superbe. L'œil em-
brasse au loin l'immensité de l'Océan, la tour de
Belem, l'église de San Jeronymo, élevée en sou-
venir de la découverte des Indes, et où se trouvent
les tombes de Vasco de Gama et du Gamoëns.
Le cortège gravit une montée resserrée entre
deux hautes murailles peintes en rose et s'arrête
devant la façade du palais, que surmonte un toit
à l'italienne, aux tuiles plates et fortement ci-
mentées. Les jeunes époux et leurs augustes
parents pénètrent dans le vestibule, la pièce la
plus ancienne du palais, construite par les soins
de Jean V, et de là dans leurs appartements parti-
culiers.
La princesse, après avoir changé de toilette,
alla avec le duc de Bragance diner chez son beau-
père, le roi dom Luiz, au palais d'Ajuda. Ce palais
est situé en amphithéâtre au-dessus de Belem. De
cet endroit on découvre tout le mouvement de la
rade. C'est un édifice imposant par sa masse.
Là, la princesse Amélie reçut les cadeaux de
mariage qui lui étaient offerts par sa nouvelle
famille.
C'étaient :
Un diadème de diamants offert i)ar S. M. le roi dom Luiz :
320 CADEAUX OFFERTS A LA DUCHESSE DE BRAGANCE
pièce magnifique, composée de plusieurs rangs de brillants,
et d'où pendent deux énormes perles ;
Un collier de diamants, du même style que le diadème,
offert par S. M. la reine doua Maria;
Une jumelle de théâtre, offerte par S A. R. le prince
Alphonse, avec deux rangées de diamants et le chiffre en
brillants ;
Un magnifique bracelet de brillants, offert par S. A. R.
le duc d'Aoste ;
Un aigle de brillants, offert par S. A. R. le prince dom
Alphonse;
Un collier de saphirs et de brillants, offert par LL. MM.
le roi et la reine d'Italie;
Une bague de saphirs et brillants, offerte par S. A. I.
la princesse Clotilde Bonaparte;
Une aigrette de diamants, offerte par S. A. le prince de
Carignan.
Le dîner, qui eut lieu à hu't heures au palais
d'Ajuda, fut seulement un diner de famille. Ami-
nuit, le duc et la duchesse de Bragance pre-
naient congé de leurs parents et rentraient à leur
palais de Belem, tout illuminé par les reflets
des globes électriques installés sur les bords du
Tage.
Le lendemain 23, à deux heures, le duc et la du-
chesse de Bragance recevaient, dans leur palais
de Belem, les grands dignitaires du royaume, les
officiers du palais et les hauts fon(;lionnaires. La
grâce, l'affabilité de M™* la duchesse de Bragance,
produisaient sur lous la plus vive el la plus heu-
RÉCEPTIONS, ET REVUE DE l' ARMEE 321
reuse impression. « Bien que devenue princesse
portugaise, dit-elle alors, je n'oublierai jamais ma
première patrie et demeurerai toujours française
par le cœur » Dans les jardins du palais, on
jouait l'hymne national, et, le soir, avait lieu au
théâtre de San Carlos une grande représentation
de gala. Le spectacle se composait de deux actes
de Sémirajuis, de deux actes à'' Aida et d'un ballet.
Vers une heure du malin, la cour se retirait, et au
moment où la princesse Amélie se levait, elle était
l'objet d'une ovation toute spontanée et des plus
chaleureuses. Tout émue de ces marques de sym-
pathie de sa nouvelle patrie, la princesse salua
par deux fois le public, debout et criant : « Vive
le roi ! Vivent les princes d'Orléans ! »
Le 24 mai, il y eut une grande réception dans
l'après-midi, au palais d'Ajuda, où Leurs Majes-
tés portugaises reçurent les félicitations du corps
diplomatique, et les hommages des grands corps
de l'Etat, du Conseil municipal de Lisbonne, de
la Cour, et de la haute société.
Le 25, le roi passa une grande revue des trou-
pes composées des détachements de toutes armes,
et des élèves de l'École militaire.
Le roi, suivi d'un brillant état-major, du duc de
Bragance, du prince Amédéc d'Italie, du prince
Georges d'Angleterre, passe devant le front des
troupes : le roi, la reine, le duc et la duchesse de
Bragance, M. le comte de Paris et Madame la com-
21
322 l' « INSTITUT DE LA PRINCESSE AMELIE »
tesse de Paris, M. le duc de Chartres, sont salués de
nombreux vivats ; après le défilé, l'enthousiasme
devient du délire, de toutes parts on crie :
« Vive la princesse Amélie ! » à toutes les fenêtres,
on agite des mouchoirs et on applaudit frénéti-
quement. A chaque salut de M'"^ la duchesse
de Bragance répondent des acclamations nou-
velles. C'est un spectacle inoubliable, et qui
restera dans la mémoire de la jeune et gracieuse
princesse, qui, en si peu de jours, a su conquérir
toutes les classes de la société portugaise.
La manifestation fut aussi belle le soir, où, sur
l'avenue de la Liberté, eut lieu une fête de nuit,
avec des illuminations féeriques et un splendide
feu d'artifice. Le soir, comme dans la journée,
l'enthousiasme populaire fit au duc et à la du-
chesse de Bragance et aux princes français les
plus joyeuses ovations. Comment les Portugais
n'aimeraient-ils pas une jeune princesse dont la
première pensée en touchant le sol de sa nouvelle
patrie avait été la création de toute une série
d'œuvres de bienfaisance? Sous son inspiration
s'était organisé un comité « d'association protec-
trice des intérêts de la classe ouvrière». Huit jours
après le mariage de la princesse, on inaugurait le
premier établissement de charité sous le nom
à'' Institut delà princesse Amélie. Ce constant souci
des pauvres, cette inépuisable charité, dont le
prix est doublé par la grâce avec laquelle elle
LE BAL A LA COUR 323
s'exerce, suffiraient à expliquer l'enthousiasme
inouï de l'accueil fait par le peuple à la duchesse
de Bragance.
Le 26, après des courses de chevaux dans la
journée, avait lieu, le soir, un grand bal au palais
d'Ajuda. A onze heures s'ouvrent les portes des
appartements privés de Leurs Majestés; les cham-
bellans de service s'avancent, frappant le plancher
de leur canne d'ivoire; la musique de l'orchestre
joue l'hymne national : le roi, la reine, le duc, la
duchesse de Bragance, les princes et princesses
de la maison de France, font leur entrée au milieu
des invités qui forment la haie et saluent profon-
dément sur leur passage. Le bal commence dans
la galerie principale donnant sur la salle du trône;
la reine Maria-Pia, toujours d'une extrême élé-
gance, est entourée de dames aux costumes
éblouissants, qui font de la cour de Portugal une
des plus brillantes d'Europe. Le bal se prolongea
jusqu'à quatre heures du matin. A plusieurs re-
prises, le roi quitta la grande galerie réservée à
ses hôtes princiers et aux dignitaires du royaume,
pour se mêler à la foule des invités. Sa Majesté est
très aimée à cause de son affabilité, et les Portugais
lui savent grand gré de se laisser ainsi facilement
approcher.
Le roi dom Luiz a quarante-neuf ans. Il est
blond, pâle, a des yeux fort doux. C'est un roi
sincèrement constitutionnel. Passionné pour les
324 LE ROI DOM LUIZ I*'"
arts, il joue de presque tous les instruments, peint
avec goût et compte parmi les meilleurs litté-
rateurs du Portugal. Il a traduit deux drames de
Shakespeare, Othello et Hamlet^ avec autant de
fidélité que d'élégance. Il se tient au courant de
tout ce qui touche à la littérature dramatique fran-
çaise, et est en correspondance avec un de nos
premiers auteurs dramatiques, Victorien Sardou.
Dom Luiz P"" règne depuis 1861. Il succéda à
son frère dom Pedro V, qui avait été subitement
frappé par la fièvre jaune. Son caractère expansif
formait un contraste frappantavec la mélancolique
figure de dom Pedro. Destiné dès son enfance à la
vie de marin, le roi doit à son éducation cette fran-
chise d'allures qui séduit la foule.
Pendant que ses ministres lui cherchaient une
princesse et négociaient avec l'Autriche pour as-
surer au plus vite, par un mariage, l'avenir de la
monarchie, il fixa son choix lui-môme sur la prin-
cesse Maria-Pia, dernière fille du roi d'ilalic
Victor-Emmanuel.
Maria-Pia, descendant d'une des i)lus antiques
et des plus nobles maisons souveraines de
l'Europe, est très distinguée et charme tous
ceux auxquels elle veut plaire. Avec sa phy-
sionomie un peu impérieuse, elle est très
séduisante. Nulle femme n'a un air plus royal et
plus imposant. Mère pleine de sollicitude, elle fit
donner à ses deux lils une excellente éducation, et
LA REINE MARIA-PIA 325
leur inspira les meilleurs et les plus pieux sen-
timents. Un jour que le duc de Bragance et son
frère le duc d'Oporto, encore très jeunes, pre-
naient un bain de mer sur la plage de Mexilhoeiro,
près de Cascaes, ils perdirent pied tout à coup. Ils
couraient le danger de se noyer : la reine n'hésita
pas, se jeta à l'eau et eut le bonheur de sauver ses
deux enfants.
Lorsque le bal touchait à sa fin, l'air national,
joué par l'orchestre, annonça le départ de Leurs
Majestés, qui, pour se retirer, traversèrent de
nouveau la haie respectueuse des invités.
Les fêtes pour le mariage de la duchesse de Bra-
gance se terminèrent le 27 par une grande course
de taureaux, avec feu d'artifice sur le Tage. En
Portugal, ces courses ne sont pas sanglantes
comme en Espagne. Ni le taureau ni les hommes
ne courent grand danger : le toréador ne tue pas
le taureau, dont la léte est garnie de boules rem-
bourrées de ouate, solidement fixées à l'extrémité
des cornes; il se borne à lui planter dans la peau
un certain nombre de handerillas. Si le taureau
sait se défendre contre six assauts et évite ces
handerillas, il est déclaré vainqueur. La Corrida
portugaise est donc exclusivement un exercice
d'adresse. Le cirque du Campo de Santa- Anna peut
contenir 20,000 spectateurs : la journée fut très bril-
lante, car sans être sanglante une Co/viV/â; passionne
ici les masses presque autant qu'en Espagne.
326 FÊTES EN PORTUGAL
Le 28, courses de chevaux à l'hippodrome de
Belem. Le soir, spectacle de gala au Théâtre Doua
Maria^ et seconde soirée d'illuminations à la Ta-
pada^ grand bois situé près du palais d'Ajuda;
le 29, kermesse au Jardin zoologique et soirée
donnée ^av \e Real gymnasio club portugais. Les
provinces voulurent rivaliser avec la capitale :
partout, et en particulier à Porto, eurent lieu des
fêtes superbes. Le Portugal entier tint à célébrer
brillamment l'union de l'héritier du trône avec la
fille aînée du chef de la maison de France.
M. le comte de Paris et Madame la comtesse
de Paris, les princes et princesses de leur famille,
quittèrent Lisbonne le 27 mai, et, suivant le désir
formellement exprimé par M. le comte de Paris, le
départ eut lieu sans aucun cérémonial.
Au moment oii le mariage de M""" la princesse
Amélie se célébrait à Lisbonne, l'église d'Eu
voyait accourir toute la population, qui venait as-
sister à une messe demandée par M. le comte
de Paris. Cette messe fut dite par M. l'abbé Mil-
liard, vicaire général honoraire, curé de Bon-
Secours. Toute la maison de M. le comte de
Paris, les serviteurs, les gardes, les employés
du château en grande tenue, y assista, ayant à
sa tête M. Gilliot, administrateur du domaine
d'Eu.
A la suite de celte cérémonie, plusieurs amis des
princes adressèrent la dépêche suivante à la du-
SOUVENIRS d'eu ET DU TRÉPORT 327
chesse de Bragance en témoignage de la respec-
tueuse affection de la ville d'Eu :
Interprètes fidèles du sentiment de la population qui
remplissait tout à l'heure l'église, pour prier pour le duc
et la duchesse de Bragance, nous adressons à Votre Altesse
Royale le respectueux hommage de nos vœux et de notre
éternel souvenir.
Sl^né : ESTANCELIN, LeCOMTE, BARON DE ChAU-
VENET, DE GrOMARD, DuMESNIL-AdELÉE,
Varrall.
En réponse à cette dépêche, M. Estancelin
reçut ce télégramme :
Palais de Beletn, 3 h. 15.
Le duc de Bragance et moi nous vous remercions de
votre affectueuse sympathie, et nous vous prions de vous
faire notre interprète auprès de tous ceux qui se sont sou-
venus de moi. Ma pensée est souvent auprès de ceux que
je ne saurais jamais ouhlier.
Amélie, duchesse de Bragance.
La population maritime du Tréport voulut,
comme celle de la ville d'Eu, manifester une fois
de plus son affection et sa reconnaissance pour les
bienfaits reçus depuis tant d'années... Répondant
à son désir, le curé du Tréport fit célébrer, dans
son église, une messe solennelle, le samedi
22 mai, jour du mariage de la jeune princesse.
A l'occasion duTmariage de la princesse Amélie,
quelques dames du département des Ardennes
328 UNE LETTRE DE LA DUCHESSE DE BRAGANCE
avaient offert un éventail à Son Altesse Royale.
Cet éventail n'ayant pu être remis à la duchesse
de Bragance, avant son départ, lui fut envoyé par
les soins de la légation de Portugal. La princesse
adressa à M""" la baronne de Montagnac la lettre
suivante :
Madame,
Je viens vous offrir mes remerciements et vous j)rier
d'être mon interprète auprès des dames ardennaises qui se
sont réunies pour me donner un témoignage de sympa-
thie à l'occasion de mon mariage.
L'éventail cpie je viens de recevoir est un petit chef-
d'œuvre ; il me sera un précieux souvenir de la France que
j'ai quittée sans l'oublier, et des nombreux amis de ma
famille qui veulent bien m'accompagner de leur affection
et de leurs vœux dans ma nouvelle patrie.
Je suis profondément touchée de la pensée qui vous a
inspirée ; veuillez le dire à M™* la baronne Evain, à M'"* la
baronne de Ladoucette et à toutes ces dames.
J'étais assurée de la part que vous preniez à toutes les
épreuves que nous venons de traverser, elles sont dures,
mais il faut ne regarder que l'avenir avec foi et conliance.
Je vous prie, Madame, de me croire toujours
Votre affectionnée
Amélie, duchesse de Bbagance.
Lisbonne, ITy ;ioùt 188(i.
CHAPITRE VIII
Juin-Décembre 1886
Retour de M. le comte de Paris et de M™^ la comtesse de Paris
au château d'Eu. — Le gouvernement se décide à demander
aux Chambres l'expulsion des aînés des familles ayant régné
sur la France. — Une lettre de M. le comte de Paris à un
éditeur de Philadelphie à propos de son Histoire de la guerre
civile en Amérique (8 juin 1886). — Une conversation avec
M. de Blowitz, correspondant du Times. — Une lettre de M. le
comte de ParisàM. Mercié, sculpteur (15 juin 1886). — Dépêche
sympathique d'officiers américains à M. le comte de Paris (juin
1886). — Discussion et vote de la loi d'exil à la Chambre et
au Sénat. — Mesures prises par le gouvernement à Eu et au
Tréport. — Les dépèches du sous-préfet de Dieppe à la
gendarmerie du Tréport. — Dernières réceptions au château
d'Eu. — Grave maladie de M™" la princesse Louise à
Eu. — Adieux touchants de la population, le jeudi matin
24 juin 1886. — Départ de M. le comte de Paris et de
S. A. R. le duc d'Orléans. — Immense affluence et vive
émotion de la foule à Eu et au Tréport. — Le prince s'em-
barque à bord du Victoria; il salue le dra^jcau tricolore... Au
revoir à la France ! — Arrivée à Douvres. — Madame la com-
tesse de Paris revient, la nuit même, auprès de S. A. R. la
princesse Louise. — Protestation de M. le comte de Paris,
distribuée le vendredi matin, 25 juin, en même temps dans
toute la France. — Instructions de M. le comte de Paris aux
représentants du parti monarchiste en France. — Enthou-
siasme qu'elles provoquent. — Appréciation de ce docu-
ment. — Conclusion.
Tandis que M. le comte de Paris assistait à Lis-
bonne au mariage de sa fille aînée, les républi-
330 EMBARRAS DU CABINET FRANÇAIS
cains à Paris, vérilablementépcrdus, sommaient le
ministère d'expulser de France les princes d'Or-
léans.
Pourquoi tout ce bruit? Pourquoi tout ce tapage?
A l'occasion du mariage de M"^^ la princesse Amé-
lie, M. le comte de Paris avait reçu chez lui les
notabilités du parti conservateur et plusieurs
diplomates. L'empressement de tous à accepter
cette invitation, le respect et les hommages rendus
au chef de la maison de France, exaspérèrent les
républicains, et Ton vit des journaux, comme
le Temps, s'exprimer ainsi :
La réception qui a eu lieu samedi à l'hôtel Galliera a
été une véritable revue officielle du parti royaliste. Avec
une audace et une inconvenance auxquelles M. de Freyci-
net et ses collègues ne s'attendaient peut-être pas, le comte
de Paris a invité les membres du corps diplomatique ,
comme osent seuls le faire les chefs d'Etat. Le prétendant,
agissant ouvertement en roi, a constitué autour de lui une
véritable cour. Il est parti pour l'Espagne avec toute une
escorte de chambellans et de dames d'honneur; le train
qu'il a pris a été qualifié de « royal », et de hauts em-
ployés de la compagnie d'Orléans ont cru devoir l'accom-
pagner de Paris à la frontière, honneurs réservés jusqu'ici
uniquement au chef de l'Etat ou à des membres de familles
étrangères régnantes.
La France aurait-elle aujourd'hui deux gouvernements,
l'un {{ui siège au palais de l'Elysée et l'autre à l'hôtel Ral-
liera? Si la Républi(jue laissait se prolonger cette situa-
tion, il faudrait nous attendre demain à voir les e:ouverne-
COLÈRE DES RÉPUBLICAINS 331
ments étrangers considérer le comte de Paris comme le
second souverain de la France, une sorte d'héritier pré-
somptif ayant droit à tous les honneurs régaliens.
Cet article n'était réellement pas digne d'unjour-
nal sérieux. Il y a une chose que ne peuvent com-
prendre les républicains, c'est qu'en Europe le nom
dePhilippe, comte de Paris, a un éclat, un prestige,
que n'aura jamais celui d'un président de républi-
que. Des républicains naïfs s'étonnentdevoirlesfa-
milles royales del'Europe témoigner les plus grands
égards à des princes de la maison de Bourbon et
rechercher leur alliance. Voudraient-ils donc que
nos gouvernants d'aujourd'hui fassent traités de
pair par les Habsbourg, les Romanow ou les
autres maisons royales? Quand la monarchie
sera rétablie dans notre pays, l'isolement de la
France cessera. Comment un gouvernement con-
servateur pourrait-il songer à entamer seulement
des négociations avec un pays tantôt gouverné
par des opportunistes, tantôt par des radi-
caux? Les républicains ne s'en rendent pas
compte. De là une colère mal dissimulée le jour
où les diplomates étrangers vinrent, avec toutes
les classes delà société française, rendre un public
hommage à la haute personnalité du [chef de la
maison de France.
Ce qu'il y eut de plus étrange, c'est [que l'affo-
lement gagna le ministère qui discuta sérieuse-
332 UN RÉPUBLICAIN DE BON SENS
ment la question d'expulsion. Mais les ministres
étaient embarrassés et différaient d'avis sur la ma-
nière de procéder. Fallait-il ne bannir de France
que les héritiers de la monarchie et de l'empire ?
Fallait-il exiler tous les princes? Convenait-il de
se borner à obtenir des Chambres une loi et de
n'en faire usage que si certaines éventualités ve-
naient à se produire ? Tels étaient les points que
discutait le conseil des ministres, mais sans s'ar-
rêter à aucune solution.
M. Henri Maret, dont le républicanisme est bien
connu, nommé à la fois, en octobre 1885, député
de Paris et du Cher, s'exprimait dans le Radical
avec beaucoup de verve et de causticité :
L'expulsion des princes, dit-il, c'est le Courrier de-
Lyon de la politique. Autrefois, quand on voulait apaiser
les revendications populaires, on faisait chanter la Afr/z-^e//-
laise et l'on courait sus l\ l'étranger. Sous le régime gam-
betto-ferryste , on embêtait un curé ou l'on expulsait un
moine. Et quand quelque pauvre diable osait se plaindre,
on lui répondait :
« Comment! vous ne rougissez pas de faire encore
de l'opposition? En vérité, il est impossible de vous satis-
faire! Comment pouvez-vous douter du républicanisme
d'un gouvernement qui, il n'y a pas trois jours, remportait
une victoire éclatante sur le Père Barnabe et mettait en
fuite trois vieilles dévotes armées de chapelets miraculeux ? »
Il n'y avait rien à répliquer. Le plaignant rentrait dans
sa honte et se sentait le plus heureux des hommes.
A force de faire résonner cette corde, on l'a poui'tant
UN RAISONNEMENT INTELLIGENT 333
usée. A Loyola ont succédé les princes. Aujourd'hui, toutes
les fois qu'on a fait trop de sottises et qu'on s'ingénie
pour retrouver la popularité perdue, la question des prin-
ces revient sur l'eau. On essaye de soulever une agitation.
Et l'on espère que, le jour où l'on en aura mis un à la
porte (un seul, car il faut en garder pour de nouveaux
besoins), les acclamations remplaceront les sifflets; que le
peuple sera en proie à un enthousiasme sans bornes; qu'il
ne sentira plus ni la faim, ni la soif, et qu'inondant les
rues de palmes vertes, il criera partout : « Honneur à ceux
qui ont sauvé la République ! »
Puis déduisant la conclusion qui découle natu-
rellement de ces réflexions, M. Henri Maret ter-
minait en ces termes :
Les prétendants sont redoutables, non parce qu'ils
sont sur le territoire, mais parce que les Républicains
gouvernent mal la République. Ils ne peuvent revenir que
d'une façon, après des émeutes réprimées qui, faisant
peur à la nation, la jetteront dans les bras du premier
venu. Et que ce premier venu soit à Spa ou aux Bâti-
gnolles, ce sera tout un. Il y a un moyen beaucoup plus
simple de préserver la République : c'est de la faire
aimer.
Comment les industriels, les négociants, les
agriculteurs, pourraient-ils aimer une répu-
blique qui tarit les sources du commerce, de
l'industrie et de l'agriculture ? Comment pour-
raient-ils avoir confiance dans des députés qui per-
dent leur temps en interpellations oiseuses, au
334 HÉSITATIONS DE M. DE FREYCINET
lieu de discuter le budget qu'ils bâclent, chaque
année, en quelques semaines? On ne peut se faire
aimer d'un pays que par des actes utiles à ce pays.
Mais les ministres et les députés républicains ne
songent qu'à exploiter la France et non à la gou-
verner.
Au milieu de ces tiraillements, le gouvernement
agissait avec de singulières contradictions, qu'il
est bon de signaler.
« Au mois de mars 1886 \ M. de Freycinet, pré-
sident du conseil, s'opposait à l'adoption d'un pro-
jet qui expulsait du territoire les membres des
familles ayant régné sur la France. Au mois de
mai suivant, le même M. de Freycinet, qui décla-
rait, quelques semaines auparavant, que rien ne
pouvait justifier une semblable mesure, déposait
un projet de loi tendant à interdire aux princes le
séjour en France, en alléguant que leur présence
était devenue un embarras, un danger pour le
gouvernement de la République.
« Cependant aucun fait ne s'était passé qui pût
motiver une telle contradiction. Mais les passions
révolutionnaires de la majorité s'étaient affirmées
de nouveau, cette fois avec plus de force, et le mi-
nistère, au lieu de résister, avait préféré sacrifier
les princes aux basses rancunes, aux haines vio-
1. La discussion devant les Chambres de la loi d'exil est en
grande partie extraite d'une petite brochure parue alors à la
Librairie nationale, inllUilée : L'Expulsion des Princes.
UN PROJET DE LOI d'eXIL 335
lentes des radicaux, afin de sauver son existence
menacée. La conduite de M. de Freycinet n'a pas
eu d'autre mobile. L'opinion publique ne sera pas
dupe des subtilités invoquées pour excuser cette
iniquité.
« En votant cette mesure d'exception, les répu-
blicains ont ouvert la porte aux mesures de vio-
lence les plus arbitraires. Ils ont montré ce que
l'avenir réserve à la France. En proscrivant les
princes, ils ont porté la première atteinte à la sé-
curité des personnes; en réclamant la confiscation
de leurs biens, comme l'a fait M. Basly, ils ont
rendu inévitables les revendications les plus révo-
lutionnaires contre les biens et les fortunes de
tous les citoyens.
« Les républicains, et le gouvernement qu'ils
conduisent à leur fantaisie, se sont engagés sur la
pente la plus dangereuse. Ils y glissent avec une
rapidité effrayante; il suffit, pour s'en convaincre,
de voir le chemin qu'ils ont parcouru en trois
mois.
« Lors de la première discussion, comme le rap-
pelle M. Déranger dans le rapport qu'il avait ré-
digé au nom de la commission sénatoriale chargée
d'examiner le projet d'expulsion, un certain nom-
bre de « mesures de précaution « avaient déjà été
prises contre les princes :
« C'est ainsi, a-t-il écrit, qu'en 1883 le gouvernement a
336 CONTRADICTIONS DU GOUVERNEMENT
pris sur lui de retirer aux membres des anciennes familles
régnantes les emplois dont ils jouissaient dans l'armée;
« Que le congrès de 1884 les a déclarés inéligibles à la
présidence de la République ;
« Que pareille inéligibilité a été prononcée par des lois
plus récentes en ce qui concerne le Sénat et la Cbambre
des députés; qu'enfin l'ordre du jour voté le 4 mars der-
nier par l'autre Chambre a invité la vigilance du gouver-
nement à prendre, le cas échéant, les mesures que pourrait
nécessiter l'intérêt supérieur de la République.
« Gomment intervint ce dernier vote ?
« Ce futà la séance du 4 février 1886 que MM. Du-
ché, Crozet-Fourneyron et quelques-uns de leurs
collègues de la Chambre déposèrent une proposi-
tion de loin tendant à l'abrogation de la loi de 1871,
qui avait autorisé les princes d'Orléans à rentrer
en France. M. Rivet, auteur d'une autre proposi-
tion demandant que les princes fussent expulsés
par décret du président de la République, fut
chargé de présenter un rapport sur ces deux pro-
positions. Il le déposa le 27 février, et la discussion
s'engagea le 4 mars.
(( MM. Lefèvre-Pontalis et Kcller combattirent
vaillamment les demandes de proscription défen-
dues à leur tour par MM. Ballue, Rivet, Duché et
Clemenceau. Le président du conseil, M. de Frey-
cinet, s'opposa, au nom du gouvernement, à l'adop-
tion du projet de loi. 11 afiirma que le gouverne-
ment était suffisamment armé pour se défendre si
LANGAGE DE M. DE FREYCIXET EN FÉVRIER 387
quelque danger surgissait, qu'il ne se laisserait
pas prendre au dépourvu.
« D'une part, il n'admettait pas que la présence
des princes en France fut « une cause de trouble
« et de péril » ; il niait même qu'elle put constituer
un danger, « car, ajoutait-il, depuis un siècle
«nous assistons à cet étrange spectacle, qu'au
« moment où des changements de régime se sont
« produits en France, les princes qui en ont pro-
« fité n'habitaient pas sur le territoire de la Répu-
« blique. »
« D'autre part, M. de Freycinet montrait à la
majorité combien étaient graves les questions sol-
licitant réellement son attention. Il disait :
« Nous traversons en ce moment une période dont je ne
dirai pas précisément qu'elle est une période difficile, mais
qui exige toute l'attention des pouvoirs publics. Nous tra-
versons une période dans laquelle les événements ont accu-
mulé des difficultés qui, sans être un danger, méritent
néanmoins de notre part la vigilance la plus grande : les
classes ouvrières souffrent autour de nous, le travail a
l'alenti son œuvre, nous sommes sous le coup d'une crise
économique, commerciale, qui sévit sur le monde entier et
sur certains points de la France : est-ce que vous croyez
que des mesures d'exception seront de nature à diminuer
cette crise ?
« En conséquence, il demanda à la Chambre de
repousser une mesure qui n'était en rien justifiée.
« La proposition Duché fut rejetée par 345 voix
22
338 LÀ PROPOSITION RIVET EN FEVRIER
contre 195. La proposition Rivet, qui élablissait
qu'en cas « d'actes ou de manifestations de leur
« part, un décret du président de la République
« pourrait enjoindre à tout membre d'une famille
« ayant régné sur la France de sortir du territoire»,
fut également écartée par 333 voix contre 188.
« La Chambre adopta seulement par 353 voix
contre 112 un ordre du jour, présenté par M. de
Lanessan, conforme aux déclarations du gouverne-
ment. Il était ainsi conçu : «La Chambre, confiante
« dans l'énergie et dans la vigilance du gouverne-
« ment, et convaincue qu'il prendra contre les
« membres des familles ayant régné sur la France
« les mesures nécessitées par l'intérêt supérieur
« de la République, passe à l'ordre du jour.
« Le gouvernement n'eût certainement pas
soneré de lui-môme à faire mortre de son « éner-
« gie », mais il fut mis en demeure par les radi-
caux, au mois de mai suivant, de sévir contre les
princes.
« En mars, on avait pris pour prétexte de la pre-
mière proposition quelques paroles prononcées
en séance par un membre de la droite, cl dans les-
quelles celui-ci témoignait de son peu de con-
fiance dans la durée du gouvernement républicain.
« En mai, on prit pour argument principal un ar-
ticle de journal qui commentait à sa façon la soirée
donnée à l'hôtel (jalliera par M. le comte de Paris
à l'occasion du mariage de sa fille, M"'® la prin-
DEPOT d''uN projet DE LOI d'eXIL 339
cesse Amélie avec le prince héritier du Portugal.
« L'agitation factice créée autour de cette récep-
tion de famille avait un but unique. Il fallait un
prétexte pour renverser le ministère qui déplai-
sait également aux gauches avancées et aux oppor-
tunistes. Se rappelant les précédentes déclarations
de M. de Freycinet, on pensait qu'il se refuserait
à prendre contre les princes, sans motif sérieux,
la mesure réclamée de lui, de lui qui chargeait
notre ambassadeur à Lisbonne de féliciter le roi
de Portugal de l'union du prince, son fils, avec
une princesse française.
« C'était mal le connaître.
« Dès la rentré des Chambres, le 27 mai, le mi-
nistre de la justice déposait, au nom du gouver-
nement, le projet de loi suivant :
« Art. l*"". — Le gouvernement est autorisé à interdire
le territoire de la République aux membres des familles
ayant régné en France.
« L'interdiction est prononcée par un arrêté du ministre
de l'intérieur pris en conseil des ministres.
« Art. 2. — Celui qui, en violation de l'arrêté d'inter-
diction, sera trouvé en France, en Algérie ou dans les
colonies, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq
ans.
« A l'expiration de sa peine, il sera reconduit à la fron-
tière.
« L'urgence, réclamée par le ministre, pour la
discussion de la loi d'exil, fut prononcée, et
340 NOMINATION DES COMMISSAIRES
M. Basly proposa aussitôt une seconde proposi-
tion tendant « à faire restituer à la nation les
« biens des familles ayant régné sur la France ».
C'était la conséquence naturelle de la proposition
du gouvernement.
« Deux jours après, la Chambre nommait la
commission chargée d'examiner ces deux projets
de loi.
« Sur les onze commissaires élus, cinq étaient
opposés à toute loi d'expulsion : deux membres
de la droite, MM. le comte de Mun, de Jolibois, et
trois républicains, MM. Henri Maret, Anatole de
la Forge et Michou.
« Les six autres, MM. Madier de Montjau, Ca-
mille Pelletan, Brousse, Burdeau, Tony Révillon
et Desmons, ne se contentaient pas de l'expulsion
facultative et limitée telle que la portait le projet
du gouvernement, ils exigeaient l'expulsion im-
médiate de tous les princes.
« Le gouvernement, on le voit, n'avait contenté
personne et on pouvait être sûr, dès lors, que sa
proposition ne serait pas votée.
« Elle ne fut même pas discutée et, à la pre-
mière réunion de la commission, dont M. Madier
de Montjau avait été nommé président, M. Brousse
déposa un contre-projet transactionnel que com-
pléta M. Burdeau, et qui ne réussit pas cependant
à rallier la majorité.
« 11 serait trop long de décrire par quelles élran-
l'expulsion des princes limitée 341
ges péripéties passa, dans la commission, le débat
des diverses propositions qui lui étaient soumises,
les concessions successives de la part du gouver-
nement, l'opposition persistante de la part des ra-
dicaux, les atténuations, adjonctions de toute sorte,
faites au texte primitif. Ce fut là une misérable
comédie jouée entre ceux qui voulaient garder
leur portefeuille et ceux qui voulaient le leur en-
lever.
« Le gouvernement avait déclaré accepter le
projet de M. Brousse qui limitait l'expulsion im-
médiate aux chefs des familles ayant régné sur la
France et à leurs héritiers directs par ordre de
primogéniture, c'est-à-dire à M. le comte de Paris
et à son fils le duc d'Orléans, au prince Napoléon
et à son fils le prince Victor Napoléon. Mais les
radicaux résistaient toujours. M. Maret, nommé
d'abord rapporteur, fut remplacé par M. Pelletan
qui, le 8 juin, déposa son rapport. Celui ci pré-
senta, au nom de la majorité delà commission, un
contre-projet portant expulsion totale des mem-
bres des familles ayant régné en France.
« A cette même date du 8 juin, en 1871, avaient
été abrogées les lois d'exil. Cette seule coïnci-
dence de dates a quelque chose de douloureux.
« Le 10 juin, la discussion s'engagea devant la
Chambre. Elle dura deux jours et fut marquée par
des scènes d'une violence inimaginable, dans les-
quelles les radicaux firent maintes fois preuve de
342 DÉCLARATION BARODET
rintolérance la plus écœurante. Les dates du iO et
du 11 juin 1886 resteront des dates historiques.
« Le droit, la justice, on pourrait dire la raison,
furent hautement et vaillamment défendus par
M. le comte de Mun, par M. Piou, par M Dugué
de la Fauconnerie, par M. Jolibois, et par quel-
ques républicains soucieux de sauvegarder l'inté-
grité de leurs principes, MM. Henri Maret, Ana-
tole de la Forge, Frédéric Passy et Michou.
« M. de Freycinet, président du conseil et mi-
nistre des affaires étrangères, fut seul à soutenir
le projet d'expulsion limitée, tandis que MM. Ma-
dier de Montjau, Camille Pelletan, maintenaient
la nécessité de l'expulsion totale.
« Chacun sentait l'importance de ce débat dont
le retentissement portait jusqu'au cœur du pays.
Les tribunes du public étaient envahies, assiégées
par une foule avide d'assister à cette grave dis-
cussion. Dans la Chambre, l'émotion était des plus
vives ; les députés, nerveux, agités, étaient tous à
leurs bancs, et, de leur tribune, les membres du
corps diplomatique suivaient attentivement cette
lutte dans laquelle s'affirmaient avec tant d'impu-
deur les passions violentes des partis républi-
cains.
« Avant la fin de la discussion générale, M. Ba-
rodet lut au nom de vingt membres de l'extrême
gauche une déclaration hostile à toute expulsion,
à laquelle se rallia M. Pesson, député républicain
LA. DISCUSSION DES ARTICLES 343
d'Indre-ct-Loire, quand M. Michelin, au contraire,
se disait converti aux mesures d'exception.
« Par 310 voix contre 233, la Chambre décida de
passer à la discussion des articles.
« M. Camille Pelletan défendit alors le projet
de la commission : « Le territoire de la Répu-
« blique française reste et demeure interdit à
« tous les membres des familles ayant régné sur
« la France. »
« Dans un scrulin à la tribune il fut repoussé
par 314 voix contre 220.
« Il ne fut pas même question du projet primitif
du gouvernement, M. de Freycinet ayant déclaré
se rallier au contre-projet de M. Brousse ainsi
conçu :
a Art. l'*". Le territoire de la République est et demeure
interdit aux chefs des familles ayant régné en France et à
leurs héritiers directs, dans l'ordre de primogéniture.
« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à interdire le
territoire de la République aux autres membres de ces
familles. L'interdiction est prononcée par un décret du
Président de la République, rendu en conseil des ministres.
„ Art. 3. — Celui qui, en violation de l'interdiction,
sera trouvé en France, en Algérie ou dans les colonies,
sera puni d'un emprisonnement de deux k cinq ans. A l'ex-
piration de sa peine, il sera reconduit à la frontière.
« Art. 4. — Les membres des familles ayant régné en
France ne pourront entrer dans les armées de terre et de
mer, ni exercer aucune fonction publique, ni aucun mandat
électif.
344 UN ARTICLE DU « SOLEIL »
« L'article l"fut adopté par 315 voix contre 232,
et l'article 2 fut également voté par 316 voix contre
219.
« Les articles 3 et 4 furent ensuite adoptés à
mains levées, ainsi que le projet dans son ensem-
ble. Il était neuf heures un quart, quand ce der-
nier vote fut rendu.
« L'iniquité était consommée. »
Le lendemain, les journaux conservateurs flé-
trissaient ce vote honteux, et M. Edouard Hervé
disait dans le Soleil :
La loi d'exil a été votée hier par la Chambre des députés.
Elle a été votée dans les conditions que réchiraait le gou-
vernement. L'expulsion obligatoire frappe le comte de
Paris et son fds aîné, le prince Napoléon et son lils aîné.
L'expulsion facultative reste suspendue comme une menace
sur la tête des autres princes.
Avant-hier, pour justifier l'expulsion totale, M. INIadier
de Montjau, président de la commission, disait que les
princes devaient être exilés uniquement parce cpi'ils étaient
princes; il disait que si l'on faisait abstraction de leur
qualité de princes, il n'y avait aucune raison pour les
frapper.
Hier, pour justifier l'expulsion partielle, M. de Freycinet,
président du Conseil des ministres, ne reprochait au comte
de Paris aucun acte criminel, délictueux ou factieux. Il
disait seulement que depuis la mort du prince impérial et
du comte de Chambord, M. le comte de Paris était le seul
compétiteur sérieux de la République. Il montrait l'op-
jiositioa se groupant autourduchef de la famille d'Orléans,
UN ARTICLE DU « SOLEIL » 345
prenant de jour un jour plus de force et plus de confiance.
Il montrait le pays s'habituant à penser cpi'il y avait en
face l'un de l'autre deux gouvernements rivaux, le gouver-
nement de la République et le gouvernement du comte
de Paris. Il montrait les ambassadeurs eux-mêmes, les
représentants des puissances étrangères faisant tour à tour
visite à ces deux gouvernements. Il concluait que cette
situation était intolérable et que l'un des deux gouver-
nements devait de toute nécessité quitter le sol de la
France, pour que l'autre y pût vivre en paix.
Nous ne remercions pas M. de Freycinet de la loi d'exil;
mais nous le remercions du commentaire dont il a fait pré-
céder le vote de cette loi. Jamais un bommage plus éclatant
n'a été rendu à la cause que nous défendons.
En effet, suivant l'expression même de M. le président
du Conseil, deux gouvernements sont en présence. L'un
de ces deux gouvernements dispose de l'armée, de l'admi-
nistration, de la police, du budget. Il nomme aux emplois ;
il dirige la politique du pays ; il met en mouvement l'action
de la justice. L'autre gouvernement, pour lutter contre
tous ces moyens d'action, n'a que la force morale. Il ne
peut que faire appel à l'opinion par la presse, les réunions
et les élections. Ce second gouvernement, cependant, fait
assez de progrès en trois ans pour que l'autre gouver-
nement, celui qui dispose de la force matérielle, se sente
menacé et pour qu'il dise : « Je ne peux pas en tolérer
davantage, je ne peux pas laisser grandir encore ce pouvoir
rival; déjà il m'inquiète; bientôt il me mettrait en échec. »
La Chambre écoutait, attentive, surprise et comprenant
que quelque chose de grave se passait. Elle avait fait trêve
pour un moment à l'agitation bruyante dont elle ne donne
346 UN ARTICLE DU « SOLEIL »
que trop souvent le spectacle. Au milieu d'un silence pro-
fond, la petite voix claire de M. de Freycinet laissait
tomber lentement des paroles dont aucune ne sera oubliée.
Sans le vouloir peut-être, mais sous l'empire d'une nécessité
qui s'imposait à son esprit, il refaisait, dans un autre lan-
gage moins solennel et moins éloquent, mais non pas
moins net ni significatif, le célèbre discours de M. Ber-
ryer déclarant que le chef de la plus ancienne, de la plus
illustre maison qui existe, que le descendant, l'héritier, le
représentant de ces princes, de ces soldats, de ces poli-
tiques, qui ont défendu, agrandi, amplifié le territoire
national, ne pouvait être en France que le premier de tous
les Français, le Roi.
Dégagée des incidents qui l'ont traversée, et sur lesquels
nous reviendrons, dégagée de la scène de tumulte qui l'a
terminée, cette séance mémorable peut donc se résumer de
la manière suivante :
Hier, 11 juin 1886, M. de Saulces de Freycinet, prési-
dent du Conseil des ministres de la République française,
a proclamé roi de France Louis-Philippe-Albert d'Orléans,
comte de Paris.
Au môme moment paraissait, dans le Tl/nes,
l'article suivant dans lequel son correspondant,
M. de Blowitz, racontait une excursion qu'il
venait de faire au chàleau d'I^Ai, et l'entrevue qu'il
avait eu l'honneur d'avoir avec M. le comte de
Paris :
Je reviens d'Eu où j'ai eu l'honneur d'être reçu par le
comte de Paris. Ce n'est ni la curiosité, ni ma [)rofession
UN ARTICLE DU « TIMES » 847
de journaliste qui m'ont engagé à demander un entretien
au prince.
Au moment où, au nom de la liberté, un acte de tyrannie
va s'accomplir, c'était un devoir pour moi de tracer un
portrait de cette famille princière qui va partir pour l'exil,
de redresser quelques erreurs qui ont été propagées et de
montrer combien sont élevés ces esprits que vont frapper
l'adversité et la persécution.
Passant la nuit dernière au Tréport, j'ai trouvé cette po-
pulation d'honnêtes pêcheurs, épouvantée de la menace
d'expulsion lancée contre la famille du comte de Paris.
Aussitôt que l'on sut que je venais de Paris et que je me
rendais à Eu, je fus entouré et questionné sur les chances
d'adoption des lois d'exil. J'opinais pour l'affirmative, et je
vis ces faces hàlées devenir tristes, tandis que les femmes,
aussi rudes que les hommes, étant accoutumées aux plus
rudes travaux, versaient des larmes sur le sort de « cette
belle famille. »
Le comte de Paris m'avait fait savoir qu'il me recevrait
à dix heures du matin ; je fus reçu par le comte Othenin
d'Haussonville, de service auprès du prince. Je pénétrai
dans une petite bibliothèque très simple attenant au cabi-
net de travail du comte de Paris, qui entra quelques mi-
nutes après.
Je le remerciai d'avoir bien voulu me recevoir et je lui
expliquai que je ne venais pas pour Vinterviewer, mais sim-
plement pour lui exprimer mes sympathies sincères devant
les menaces d'exil qui pèsent sur lui.
« Oh! répliqua le prince, je n'ai pas besoin de vous
recommander le secret en cette circonstance pas plus qu'en
une autre. Je n'ai pas à me cacher de vous avoir reçu ;
348 UN ARTICLE DU « TIMES »
je ne vous demande pas non plus de tenir secret notre
entretien.
« Quand j'appris à la station de Talavayra cpi'un ])rojet de
loi d'expulsion allait être soumis à la Chambre, je songeai
non à moi ou à ma famille, mais à mon pays. Je fus pro-
fondément affligé en songeant qu'après cent ans de conflits
et de discordes, l'ère des proscriptions n'était pas passée
et qu'on verrait de nouveau des fils de la France errer sans
patine sur le sol étranger.
— Où avez-vous l'intention de vous rendre, IMonsei-
gneur, si, comme on s'y attend, la Chambre adopte la loi
qui vous vise personnellement, ainsi que le duc d'Orléans.
— Je n'ai pas encore décidé où j'irai; mais je penche
pour l'Angleterre. Je reçois de ce pays des témoignages si
nombreux d'une sympathie générale, des inconnus mêmes
m'envoient des lettres si touchantes, qu'il me serait difficile
de choisir un autre refuge. Je ne puis pas aller en Alle-
magne, L'Autriche m'éloignerait trop de ma chère Finance.
J'ai pensé à la Suisse, mais je puis y aller dans la suite,
car je n'ai pas l'intention de m'établir quelque part à
demeure.
« Je ne compte pas acheter une maison et me fixer quelque
part. Autrefois, pendant mon précédent exil, j'avais une
résidence fixe, mais alors ma position était différente. Je
n'étais pas alors le chef incontesté de la maison de France
et je pouvais attendre le cours des événements sans, du
reste, négliger aucun de mes devoirs. Je ne renonce pas
entièrement à l'espoir de retourner dans mon pays, car
même sous sa forme actuelle de gouvernement, je ne puis
croire que cette persécution durera toujours, et que la
France ne rouvrira j)as ses j)ortes à tous ses enfants. Pour
UN ARTICLE DU « TIMES » 349
cette raison, je ne compte m'établit- nulle part en perma-
nence. J'irai çà et là. Nous nous imaginerons que nous
voyageons et nous changerons de séjour sans changer
d'espérance.
— Est-il vrai, Monseigneur, qu'un général vous ait dit à
la réception du 15 mai : Ce ne sont pas seulement des
soldats que vous avez, c'est une véritable armée.
— On ne m'a jamais fait une remarque de ce genre. Il
n'y avait chez moi, que deux généraux en retraite, et aucun
des deux n'a parlé avec moi. On a fait courir une quantité
de bruits inexacts sur cette soirée, et on en a tiré une foule
de conclusions. On m'a dit que le premier ministre a pris
ombrage de ce que j'ai invité chez moi des ambassadeurs.
Je ne pouvais cependant notifier cela à M. de Freycinet.
Gela aurait donné à mes invitations un caractère politique,
ce qu'elles n'avaient pas. Je n'ai pas invité le corps diplo-
matique. J'ai invité à une soirée de famille des diplomates
avec qui j'étais en relations personnelles. C'était ainsi que
je connaissais lord Lyons depuis vingt-cinq ans et j'étais
en excellents termes avec lui. J'eusse manqué à la politesse
otj'aurais donné à mes invitations un caractère politique,
si j'avais négligé de l'inviter, parce qu'il est ambassadeur
d'Angleterre.
« On m'a également reproché certains articles de jour-
naux. Cela prouve seulement combien mes adversaires sont
à court d'arguments. Je n'ai pas inspiré ces articles, je n'en
ai pas eu connaissance. Si j'avais été en communication
avec ces écrivains, je leur aurais dit ce que j'ai dit à tous
mes amis : « Faites qu'on ne dénature pas le caractère de
« cette soirée; c'est un père de famille qui invite ses amis,
tt Cette réunion n'a pas d'autre but. »
350 UN ARTICLE DU « TIMES «
— Comme il est probable que la Chaml)re adoptera une
loi de bannissement dirigée uniquement contre vous et le
duc d'Orléans, mais permettant aux autres princes de
rester en France, pensez-vous que ces derniers vous
suivront?
— En ce qui concerne mon frère, je lui ai intimé mon
désir de le voir rester en France. Comme il aura le droit
de le faire, je désire qu'il reste dans ce pays dont je suis
banni. Je vous ai déjà*dit que je ne compte me fixer nulle
part. Je ne puis lui demander de me suivre dans mes péré-
grinations et de considérer comme sa résidence l'endroit
où je me serais arrêté selon les circonstances ou mes pré-
férences. Ce sera une consolation pour moi de le savoir
ici.
« On a beaucoup parlé du duc d'Aumale, et qiumd il a su
de quelle manière il a été préservé de se trouver inclus
dans le décret de bannissement, il a été très [)einé. Il est
immédiatement venu me voir, et il a fait publier partout la
nouvelle de son voyage. C'était la meilleure réponse à faire.
Je vous dirai de lui ce que j'ai dit du duc de Chartres. Je
ne peux lui infliger des voyages perpétuels. Il n'a pas
comme moi les devoirs de la situation exceptionnelle que
me crée la loi ; car la loi me donne une situation si grande
et si spéciale, que si je l'avais prise moi-même, on m'en
aurait fait un crime. En me séparant du reste de ma famille,
on me donne un rôle plus défini (pie celui (pie je me suis
jamais assigné, et si mon orgueil l'emportait sur mon pa-
triotisme, je ne pourrais que m'en réjouir. Quant aux
autres princes, ils ne se sont jamais occupés de politi(pic et
se sont contentés de cherchera servir leur pays. Il est donc
clair qu'on devrait les laisser tranquilles, et il serait étrange
UN ARTICLE BU « TIMES » 351
que je me montrasse plus dur pour eux que mes adversaires
eux-mêmes.
— On a dit, Monseigneur, que vous aviez l'intention
d'attendre que l'on vous expulsât par la force plutôt que de
céder à une simple invitation.
— C'est une grosse erreur que de dire cela de moi. Je
ne connais que deux moyens d'agir :
« Il y a trois siècles un prince, dans ma position, eût tué
les personnes qui lui auraient apporté une pareille invita-
tion et se serait mis en campagne pour faire la guerre civile
avec ses compagnons d'armes ; mais ceci n'est plus en rap-
port avec le temps ni avec mon esprit.
« J'obéirai à la loi.
« Je dois donc cet exemple à mes amis et je le dois aussi
à mes adversaires. Je le dois enfin à mon pays où trop de
gens essayent d'inspirer le mépris de la loi. Je dois céder
par obéissance à la loi qui me sera signifiée.
— Dissimulerez-vous le moment et le lieu de votre
départ ?
— Certainement non, à moins que l'on m'en empêche.
« Je partirai ouvertement, et je connais assez mes amis
pour être certain qu'à mon départ ils observeront l'attitude
calme et silencieuse qui convient, alors qu'une famille amie
part pour l'exil. Je serai heureux de serrer les mains qu'on
me tendra, mais je demande une sympathie discrète, non
des démonstrations bruyantes. »
A ce moment on annonça que le déjeuner était servi au
premier étage oii se trouve la salle à manger. Outre le comte
et la comtesse de Paris, se trouvaient à table : le duc
d'Orléans, la princesse Hélène, la princesse Isabelle, le
comte et la comtesse d'Haussonville et leurs filles; le doc-
352 UN ARTICLE DU « TIMES »
teur Guéneau de Mussy, l'inséparable et fidèle ami de la
famille, M. Emmanuel Boclier, le fils du sénateur qui a
toujours défendu avec tant d'éloquence la cause de la fa-
mille d'Orléans, M. Froment, le précepteur du jeune duc
d'Orléans, et d'autres amis de la maison dont les noms
m'échappent.
Le jeune duc d'Orléans est âgé de dix-sept ans. Il a
beaucoup grandi pendant ces dernières années. Sa ligure
est intelligente et pleine de résolution et de vivacité : ses
yeux noirs fixent avec beaucoup de franchise. Il a un ca-
ractère résolu et décidé. C'est un marcheur infatigable; il
excelle dans l'escrime, la nage et l'équitation; il tire remar-
quablement. Le prince parle correctement et couramment
quatre ou cinq langues. Quoiqu'il ne témoigne pas un en-
thousiasme exagéré pour la littérature, il a un 'faible pour
Virgile et Horace. Suffisamment familiarisé avec la littéra-
ture française contemporaine et l'histoire de ce siècle,
il est capable de prendre part aux conversations les plus
variées.
La princesse Hélène est âgée de quinze ans et, comme
tous les enfants du comte et de la comtesse de Paris, est
grande et svelte. Son regard est charmant, et son sourire
plein de grâce et de bonté. Elle a le teint clair, et une
blonde chevelure encadre son visage animé.
La jeune princesse Isabelle a dix ans. C'est une enfant
attrayante, avec un visage joufflu et les cheveux blonds
coupés courts sur le front, mais se répandant en bou-
cles dorées dans le dos. Elle parle courannnent l'anglais
et exerce un charme indescriptible par ses manières gra-
cieuses, ses yeux intelligents et son aimable sourire.
Le comte de Paris a encore deux enfants plus jeunes; la
UN ARTICLE DU « TIMES » 353
j3riiicesse Louise qui, âgée de quatre ans seulement, ne
paraît pas à table, ainsi que le dernier né, un garçon âgé
de deux ans que l'on me dit être très robuste.
Envoyant cette famille si unie, si simple, si cordiale, si
paisible, et en pensant qu'au palais Bourbon on se prépare
à la chasser de son pays, l'angoisse me saisit et, comme si
tous les assistants avaient eu le même sentiment, il se fit
un silence profond. Le comte de Paris, frappé par la tris-
tesse vivante sur toutes les figures, se leva, et chacun suivit
son exemple. Nous nous rendîmes dans le cabinet du
prince, une pièce très simple ; sur une table je remarque un
tableau peint par la nouvelle duchesse de Bragance. C'est
un bouquet formé d'un bleuet, d'une rose blanche et d'un
œillet rouge : au-dessous, les vers de Coppée sur les trois
couleurs françaises, écrits de la main de la duchesse Amélie.
C'est cependant au nom de ces trois couleurs que ses
parents vont être exilés !
Au moment de prendre congé, le jeune duc d'Orléans
survint, et fixant sur moi son regard pénétrant :
« M. de Freycinet a-t-il un fils ?
— Non, Monseigneur... Vous voulez dire sans doute
que s'il en avait eu un, il n'aurait pas désiré de lui léguer
le souvenir de la loi d'ostracisme dont il est l'auteur?
— Précisément. «
Peu de jours avant cette visite de M. de Blowitz,
M. le comte de Paris, avec une imperturbable
sérénité, adressait à Philadelphie la lettre suivante
aux traducteurs en anglais de son Histoire de la
guerre civile en Amérique:
23
354 UNE LETTRE DE M^"" LE COMTE DE PARIS
Château d'Eu (Seine-Inféiieure), 8 juin 1886.
Messieurs, les événements qui s'accomplissent en France
rendent la prolongation de ma résidence à Eu si incertaine
que je dois me tenir prêt à vivre pour un temps sans foyers.
Si je suis obligé de quitter momentanément ce séjour, je
serai privé de ma bibliothèque... En conséquence, je vous
prie de ne plus m'envoyer de livres traitant de la guerre
civile, à moins qu'il ne paraisse quelque chose d'un intérêt
tout à fait exceptionnel, comme par exemple les Mémoires
du général Grant.
Les événements politiques me laissent malheureusement
peu de temps à consacrer à ma bibliothèque.
Croyez-moi votre bien dévoué,
Philippe, comte de Paris.
C'est alors qiis plusieurs officiers américains
qui avaient servi avec le comte de Paris et le duc
de Chartres dans l'état-majoi du général Mac
Clellan, en 1861-1862, proposèrent au prince de
chercher un asile en Amérique. Ils lui envoyèrent
de New- York la dépêche suivante, signée par le
général Butterfield et plusieurs autres officiers :
Au comte de Paris, à Paris.
Venez chez nous. Nous, anciens soldats, vous ferons bon
accueil. Nous honorons les services que vous avez rendus
à notre république dans sa plus grande crise. Personne n'est
plus respecté que vous et le duc de Chartres par nos
vétérans qui connaissent vos services et votre valeur. Une
bienvenue cordiale vous attend ici.
UNE LETTRE A M. MERCIÉ 355
Le général Butterfield reçut la réponse sui-
vante :
Reçu avec gratitude votre bienveillant télégramme.
Dans ces jours pénibles, l'expression de sympathie cor-
diale d'anciens camarades, venant de votre grande répu-
blique, est une consolation et un encouragement.
Malheureusement en ce moment Tx^mérique est trop
loin; mais une visite à votre pays, autrefois déchiré et
maintenant prospère, comblerait mes meilleurs désirs.
Philippe, comte de Paris.
Quelques jours après, le chef de la maison de
France écrivit à M. Mercié, qui avait exposé au
Salon de cette année 1886 un admirable groupe
du roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie
destiné au tombeau de Dreux*:
Monsieur,
Voici l'indication que je vous ai promise relativement
aux armes d'Orléans, qui sont caractérisées par l'adjonc-
tion d'un lambel sur l'écusson au-dessus des trois fleurs de
lis.
Je suis heureux de trouver cette occasion pour vous
exprimer encore toute l'admiration que m'inspire votre
oeuvre magistrale.
Vous avez représenté le roi honnête homme et la sainte
reine comme ils paraîtront devant l'histoire impartiale.
1. L'Académie des Beaux-Arts décerna, le l^"' juillet 1887, le
prix biennal de 20,000 francs à cette œuvre de M. Mercié. Ce
prix est destiné à récompenser l'œuvre ou la découverte la plus
propre à honorer ou à servir le pays.
356 LE SÉNAT SAISI DE LA LOI d'eXIL
Vous avez réalisé, au })oint de vue de l'art, une grande et
magnifique conception.
Je vous remercie au nom de ma famille, et je vous prie
de me croire
Votre affectionné,
Philippe, comte de Paris.
La Chambre avait voté le 11 dans la soirée le
projet Brousse accepté par le Gouvernement.
Dès le lendemain M. Demôle, ministre de la
justice, — ce titre ne semble-t-il pas une ironie en
cette circonstance, — saisissait le Sénat de la pro-
position d'expulsion, et la Chambre haute nom-
mait, le mardi suivant 15, la commission qui devait
se prononcer sur son rejet ou son adoption.
Le Sénat n'avait pas attendu le dépôt du projet
pour se préoccuper de la question ; les différents
groupes républicains avaient délibéré officieuse-
ment, et une majorité assez considérable semblait
acquise au projet voté par la Chambre.
On fut donc étonné d'apprendre que les com-
missaires élus par les bureaux du Sénat étaient en
majorité hostiles au projet déposé par le gouver-
nement. Six membres se déclaraient hostiles à la
proposition. C'étaient MM. Barthélémy Saint-Hi-
laire, Bérenger, Schérer, Dide, de Pressensé et
Robert deMassy. Les trois membres favorables au
projet étaient MM. Journault, Henri Didier et
Caduc; une soixantaine de sénateurs s'étaient
abstenus de prendre part au vote.
RAPPORT BERENGER OPPOSE A LA LOI 357
Les explications données à la commission par le
gouvernement ne modifièrent pas le sentiment de
la majorité qui repoussa les amendements de con-
ciliation présentés par M. Bozérian et par M. Mar-
cel Barthe, et conclut au rejet du projet adopté au
Palais-Bourbon.
M. Bérenger fut chargé de rédiger un rapport
en ce sens. Il en donna lecture au Sénat le samedi
19, et le 21 s'ouvrit le débat public.
La discussion, à laquelle les orateurs delà droite
et du centre gauche opposés à l'expulsion surent
donner l'ampleur que comportait la cause qu'ils
défendaient, dura deux jours comme à la Chambre.
On ne saurait trop signaler les remarquables dis-
cours prononcés au nom du droit et de la justice
par M. Jules Simon, par M. Léon Renault, par
M. Bardoux, par M. Bérenger, et enfin la noble et
belle protestation de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.
Le Sénat, fait assez anormal, allait avoir comme
la Chambre à se prononcer sur une décision de
sa commission, contraire à la loi qui lui était pré-
sentée. Mais alors qu'à la Chambre la commission
aggravait le projet du Gouvernement, au Sénat le
rapporteur concluait au rejet de toutes les propo-
sitions.
Le seul discours auquel il faille s'arrêter, parmi
ceux prononcés pour réclamer l'expulsion, est
celui de M. de Freycinet. Le président du conseil
ne parla qu'à la seconde séance.
358 DISCOURS DE M. JULES SIMON
Le premier jour, ce grave et décisif débat fut
ouvert par un long discours de M. Journault qui
adjura le Sénat de ne pas « assumer la grave et
lourde responsabilité du rejet du projet de loi
réclaïné par le Gouvernement et voté par la Cham-
bre ». Il se dispensa de donner aucune autre rai-
son à l'appui de sa demande.
M. Jules Simon lui succéda à la tribune, et l'ho-
norable orateur du centre gauche plaida avec cha-
leur et avec un remarquable talent la cause du droit
et de la liberté.
Examinant d'abord la situation des princes, il
s'indigna qu'on leur refusât ce titre de « citoyens »
que le suffrage universel a consacré, puis il cher-
cha pour quels motifs on s'était résolu à demander
leur expulsion. Il prouva ensuite que si un gou-
vernement hostile à la République existe à côté
d'elle, ainsi que l'ont affirmé les ministres, ce
n'est pas à l'hôtel Galliera qu'il se trouvait, mais
bien à l'Hôtel de ville de Paris.
Sans doute, comme l'a dit M. de Freycinet, la
situation de M. le comte de Paris est plus forte
depuis la mort du fils de Napoléon III, depuis celle
de M. le comte de Chambord, mais en quoi cela
peut-il déterminer des mesures aussi violentes
que l'expulsion des princes ?
M. Jules Simon, parlant de l'expulsion de M. le
comte de Paris, ajouta :
DISCOURS DE M. JULES SIMON 359
On peut dire que sa situation est plus forte qu'elle ne
l'était. Je comprends cet argument.
Ma réponse est assez prévue : c'est que, dans ces con-
ditions, le séjour du prince n'a pas d'importance. Qu'il
réside à Paris ou qu'il réside au château d'Eu, qu'il réside
en Italie ou à Londres, il est, de la même façon, le succes-
seur; partout où il sera, il sera le successeur, et si jamais
— ce qu'à Dieu ne plaise et ce que je ne souhaite pas, vous
le savez, — si jamais on cherche un successeur à la Répu-
blique, on saura bien le trouver. Vous n'allez pas le dépor-
ter dans des pays où il soit impossible à nos vaisseaux ou
à nos télégrammes de parvenir, et, par conséquent, quand
même son droit ou sa prétention deviendrait encore plus
considérable, tant qu'il existe, vous ne pouvez pas l'amoin-
drir. De telle façon que les deux seuls griefs sérieux que
vous ayez sont des griefs contre lesquels la proscription
ne peut rien.
Vous pourriez les invoquer pour autre chose ; invoquez-
les, si vous le voulez, pour avoir peur... (Murmures à
gauche) mais ne les invoquez j^as pour prononcer l'expul-
sion, parce qu'en chassant celui que vous craignez vous ne
le diminuez en rien. (Très bien! très bien! à droite.)
Voilà ma réponse, et je résume ma discussion de la façon
suivante.
Cette loi que vous faites, qui est une loi d'exception —
et permettez-moi de le dire sans blesser personne, je ne
fais pas de différence entre une loi d'exception et la viola-
tion de la loi — cette loi d'exception que vous faites contre
les princes, elle ne vous sert pas, elle vous nuit; elle ne
leur nuit pas, elle les sert. (Rumeurs à gauche. — Vive
approbation à droite et au centre.)
360 DISCOURS DE M. JULES SIMON
Puis, examinant la conduite de la République
depuis quelques années, il montrait qu'elle ne vit
que de mesures d'exception, et il concluait sur
ces véhémentes paroles :
Eh bien ! toutes les mesures dont je viens de parler, je
répète qu'elles sont le résultat du même système de gou-
vernement. Cela s'appelle dispersion pour les congréga-
tions, désaffectation pour les monuments religieux, laïcisa-
tion obligatoire pour les écoles, épuration pour la magis-
trature et pour les fonctionnaires, revision pour le Sénat,
mesures de compression pour la presse, expulsion pour les
princes.
Tout cela, Messieurs, c'est le même système de gouver-
nement; et un orateur considérable de la Chambre des
députés a résumé tout votre système avec une clarté par-
faite et a justement caractérisé toutes les mesures cpie je
viens d'énumérer l'une après l'autre. Il a dit : « Chassons
qui nous gêne! » (Très bien! et applaudissements à droite
et au centre.)
Oui , voilà le système de gouvernement : Chassons
qui nous gêne ! Chassons les congrégations si elles nous
gênent (Exclamations à gauche. — Approbation à
droite.)
M. Paris. Il a dit aussi : « Sus au Sénat! »
M. Jules Simon... Chassons les prêtres des écoles où ils
nous gênent; chassons les insignes de la religion partout
où ils nous gênent : chassons-les des tribunaux, chassons-
les des prisons, chassons-les des cimetières; chassons-les!
chassons-les! Chassons ce qui nous gêne, chassons les
magistrats qui rendent des arrêts et qui ne veulent pas
DISCOURS DE M. JULES SIMON 36i
rendre des services. (Allons donc! à gauche. — Très bien!
très bien! à droite et au centre.)
Chassons l'inamovibilité, qui est la sauvegarde de la loi ;
chassons le Sénat, s'il nous fait obstacle ; chassons les
princes, si nous craignons qu'ils nous succèdent; chas-
sons-les ! chassons-les ! (^Nouveaux applaudissements à
droite. — Vives protestations à gauche.)
Eh bien! Messieurs, commencez par les princes; per-
sonne ne saitjusqu'oii cela vous conduira! Jadis vous aviez
aussi commencé par les jésuites; rappelez-vous où cela
vous a conduits. Commencez par les princes; les exilés
que vous ferez sortiront du territoire ; ils seront vos
témoins, ils attesteront à la postérité que la France, à
l'heure qu'il est, n'est pas maîtresse et sûre d'elle-même...
(Très bien! à droite) que la République a peur, et que la
lutte qui dure depuis cent ans entre la révolution du droit,^
qui est 1789, et la révolution de la haine, qui est 1793,
malgré tant de sang et de larmes, n'est pas encore termi-
née. (Très bien! très bien! et applaudissements prolongés
à droite et au centre. — L'orateur en descendant de la tri-
bune reçoit les félicitations d'un grand nombre de ses col-
lègues du centre et de la droite.)
M. Clamageran parla ensuite en faveur du projet
voté par la Chambre; à ses arguments sans portée
succéda une forte et concluante riposte de M. Léon
Renault.
M. Léon Renault s'attacha surtout à démontrer
que « l'expulsion proposée était une dérogation
au droit commun, qu'elle était en contradiction
formelle avec les principes sur lesquels repose la
362 M. LÉON RENAULT, M. BARDOUX
législation pénale de tous les peuples civilisés ».
Il termina par cette phrase écrasante : « On vous
dit, Messieurs, que la question se pose entre les
princes et la République ! Non, dans la réalité, la
question se pose entre la République et la Révo-
lution. »
Après cet excellent discours, la séance fut levée,
et renvoyée au lendemain, au milieu d'une vive
agitation.
La seconde séance de la discussion sénatoriale
fut plus émouvante encore. Le débatfut ouvert par
M. Marcou, un radical qui se hâta de se déclarer
« Jacobin » pour justifier par avance la brutalité de
ses arguments, pour pouvoir demander à l'aise
V exécution de tous les princes. C'est de ce mot
qu'il qualifie l'expulsion.
M. Bardoux prit ensuite la parole. — Son dis-
cours fut un des plus sages, un des plus beaux de
toute cette discussion. Il s'attacha principalement
à détruire les théories jacobines du précédent
orateur, et à montrer au Sénat quelle violation du
droit il allait commettre, quel danger il allait faire
courir à la République.
Enfin le président du conseil prit la parole.
Dans son second discours on retrouve, exprimés
pour ainsi dire dans les mômes termes et dans le
même ordre, les arguments invoqués devant la
Chambre par M. de Freycinct. Mais il insista par-
ticulièrement sur deux points. Il prétendit démon-
DISCOURS DE M. DE FREYCINET 363
trer au Sénat la « générosité » du gouvernement,
sa force, et son « énergie pour le maintien de l'or-
dre ». — Au lendemain des meurtres de Deca-
zeville, cette assertion sembla étrange.
11 s'efforça en outre de rassurer ceux qui sem-
blaient craindre que l'expulsion des Princes ouvrît
l'ère des proscriptions. Avec une incroyable assu-
rance, le président du conseil prétendit que les «me-
nées monarchiques s'opposaient seules à l'union, au
calme que chacun souhaite », et il s'efforça d'ef-
frayer le Sénat sur les conséquences du rejet du
projet.
C'est toujours là l'argument décisif qu'on em-
ploie avec le Sénat, et cette fois encore il devait
assurer au président du conseil la majorité qu'il
réclamait.
Le rapporteur, M. Bérenger, monta immédiate-
ment à la tribune et déduisit aussitôt de ce dis-
cours la seule conclusion naturelle qui s'en
dégageait, c'est qu'on était en présence d'une
mesure d'exception. 11 termina par ces mots de
la plus grande justesse :
« Et lorsque vous venez dire encore : je vous
demande une infraction au droit, mais c'est pour
une heure, et nous reviendrons ensuite à la loi, où
est encore la difterence avec cette parole qui est
la formule de tous les coups d'Etat : « Je sors de
« la légalité pour rentrer dans le droit ? »
La parole fut ensuite donnée à M. le duc d'Au-
364 DISCOURS DU DUC D^UDIFFRET-PASQUIER
diffret-Pasquier. Sa protestation si digne, si com-
plète, devait avoir et eut le plus grand retentis-
sement.
M. le duc d'AudifFret-Pasquier s'alarmait pour
le pays de le voir entraîné sur une pente fatale
par un gouvernement aveuglé, et son discours
renfermait un pressant appel à la sagesse du
Sénat pour prévenir les dangers qu'il prévoyait
dans l'avenir :
Ce n'est donc pas seulement à la France conservatrice,
mais à la France libérale que j'en appelle de vos faiblesses
et de vos violences. (Applaudissements à droite.)
On ne s'arrête pas, Monsieur le président du conseil,
dans la voie où vous êtes entré et dans laquelle vous vou-
lez entraîner le Sénat. Croyez-vous que la concession que
vous lui demandez, quelque excessive qu'elle soit, satis-
fasse le parti révolutionnaire. Les concessions autorisent,
encouragent les exigences, les audaces nouvelles; vous
voudrez vous arrêter, on vous dira : Marche, marche
encore! (Très bien! sur les mêmes bancs.)
Il termina ainsi :
Vous continuerez à persécuter les croyances religieuses
sous prétexte de neutralité (bruit à gauche) ; sous prétexte
d'épuration, vous continuerez à méconnaître les services
rendus, à détruire les situations honorablement acquises;
vous épuiserez nos budgets pour satisfaire les intérêts
électoraux ; vous plierez devant les exigences toujours
croissantes du conseil municipal de Paris. Vous laisserez
impunis les orateurs de réunions publiques qui continue-
CLOTURE DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE 365
ront à prêcher l'incendie, le pillage, à demander la mort
des bourgeois et des capitalistes ; enfin, vous proposerez
de nouvelles lois d'exception. Toutes ces choses nous les
avons combattues, nous les combattrons encore, nous res-
terons les avocats passionnés de la liberté de conscience,
de l'indépendance de la magistrature, du droit, de la jus-
tice enfin, grandes causes que le pays a à cœur de voir
respecter, parce que seules elles assurent sa i)rospérité, sa
dignité, sa paix. (Vive approbation à droite.) Si contre
notre espoir. Messieurs, vous votez la loi qu'on vous pro-
pose, nous vous dirons sans découragement comme sans
colère, gardant une foi imperturbable dans l'avenir : Nous
acceptons la part qui nous est faite, nous vous plaignons,
mais nous ne nous plaignons pas! (Applaudissements à
droite. — L'orateur, de retour à son banc, est félicité par
un grand nombre de ses collègues.)
La droite applaudit chaleureusement l'énergique
orateur dont la voix vibrante avait si bien exprimé
ce que pensait chacun de ses membres.
La clôture de la discussion générale fut pronon-
cée, et le Sénat décida, par assis et levé, de pas-
ser à la discussion des articles du projet de loi
voté par la Chambre.
M. Marcel Barthe défendit alors un contre-pro-
jet, dans lequel il demandait le renvoi, devant les
juges chargés de connaître des attentats contre la
sûreté de l'État, toutes les manifestations et provo-
cations qui pourraient se produire. Mais le Sénat
refusa de le discuter, et M. de Pressensé vint ex-
366 VOTE DE LA LOI
pliquer pourquoi ses amis et lui s'opposaient à
tout projet d'expulsion.
Le scrutin allait donc s'ouvrir sur l'article l*"" du
projet. On en connaît le texte.
Après un long pointage le président en fit con-
naître le résultat.
L'article 1" était adopté .
par 137 voix contre 122.
Au milieu de l'agitation générale causée par ce
vote le président mit successivement aux voix les
autres articles du projet. Ils furent tous adoptés à
main levée. Restait à voter sur l'ensemble.
Le président annonça qu'il avait reçu une de-
mande de scrutin secret à la tribune. Sur la de-
mande des gauches, celui-ci eut lieu par appel
nominal.
A huit heures on connut le résultat :
Le projet était voté dans son ensemble
par 141 voix contre 107.
La séance fut aussitôt levée au milieu de la plus
vive émotion. Cette fois encore le Sénat avait pac-
tisé avec les auteurs de ces mesures d'exception et
s'était associé à l'iniquité commise par la Chambre
des députés.
Dès le lendemain matin du vote du Sénat, le
23 juin, le Journal officiel promulguait la loi sui-
vante, adoptée par la Chambre des députés et le
Sénat.
LA LOI d'exil 367
Loi relative aux membres des familles ayant re'gné
en France.
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la
teneur suit :
Article l•'^ — Le territoire de la République est et
demeure interdit aux chefs des familles ayant régné en
France et à leurs héritiers directs, dans l'ordre de primo-
géniture.
Art. 2. — Le Gouvernement est autorisé à interdire le
territoire de la République aux autres membres de ces
familles. L'interdiction est prononcée par un décret du
Président de la République, rendu en conseil des minis-
tres.
Art. 3. — Celui qui, en violation de l'interdiction, sera
trouvé en France, en Algérie ou dans les colonies, sera
puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans. A l'expira-
tion de sa peine, il sera reconduit à la frontière.
Art. 4. — Les membres des familles ayant régné en
France ne pourront entrer en France dans les armées de
terre et de mer, ni exercer aucune fonction publique, ni
aucun mandat électif.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par
la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris, le 22 juin 1886.
Jules Grévy.
Par le Président de la République :
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Demole.
Le ministre de l'intérieur,
Sarrien.
368 M^' LE COMTE DE PARIS A TALAVEYRA
C'est au moment où le Gouvernement affolé
allait ainsi frapper les princes, que M. le comte de
Paris quitta Lisbonne pour revenir en France.
Le train qui le ramenait s'arrêta à la gare espa-
gnole de Talaveyra de la Reyna. Les voyageurs
devaient y déjeuner. Par un hasard singulier, le
buffet était tenu par un Français, ancien sergent
aux chasseurs d'Orléans. Il avait fait les cam-
pagnes d'Afrique, dans le même régiment que le
capitaine Morhain qui accompagnait le prince. Cet
ancien militaire, très empressé pour M. le comte
de Paris, lui apporte pendant son déjeuner une
dépêche. Elle contenait la nouvelle que le minis-
tère, à Paris, se décidait à déposer la proposition
d'une loi d'exil contre les princes.
M. le comte de Paris la lut silencieusement, an-
nonça à ceux qui l'entouraient qu'il allait se ren-
dre directement au château d'Eu, où il attendrait
le vote des Chambres, entouré de tous les siens*.
C'est dans ce château que depuis plus de dix
ans M. le comte de Paris passait la plus grande
partie de son temps, heureux de vivre dans cette
France qu'il aime passionnément. Le prince avait
retrouvé dans cette demeure de pieux et glorieux
1. Nous nous sommes servi, pour le récit qui suit, de plu-
sieurs articles du Soleil, très exactement renseigné (articles
réunis dans une très intéressante brochure : L'Exil). Nous y
avons ajouté nos observations personnelles et celles du Fran-
çais et du Moniteur universel.
MAL.^DIE DE S. A. R. LA PRINCESSE LOUISE 369
souvenirs. Nous avons déjà dit qu'avec le concours
d'habiles artistes, il avait rendu au château d'Eu
son ancienne splendeur, encouragé encore dans
cette restauration par la pensée que ces travaux
étaient une source de bien-être pour les ouvriers
de la petite ville d'Eu. Aussi, M. le comte de
Paris et sa famille étaient-ils adorés dans cette
contrée, où lui et les siens se plaisaient à faire le
bien.
Pendant les phases diverses que traversa la pro-
position de la loi d'exil, M. le comte de Paris et
Madame la comtesse de Paris virent leurs préoccu-
pations s'aggraver par la maladie d'une de leurs
filles, la princesse Louise, charmante enfant de
cinq ans, La princesse Louise qui avait été souf-
frante à diverses reprises, l'hiver précédent, fut
tout à coup atteinte d'une fièvre scarlatine, qui se
présenta accompagnée de symptômes alarmants.
Pendant plusieurs jours, le docteur Henry Gué-
neau de Mussy, l'ami dévoué des princes, ne cacha
pas les inquiétudes sérieuses que lui causait l'état
de la princesse.
La poste et le télégraphe apportaient depuis
plusieurs jours les nombreuses marques de sym-
pathie de tous ceux qui, prévoyant trop bien l'issue
de la discussion, voulaient assurer, à ce moment
même, le chef de la maison de France de leur
respectueux et inébranlable dévouement.
Le duc de Chartres, accompagné de son fils, le
24
370 M. LAMBERT DE SAINTE-CROIX
prince Henri, était venu dès le lundi s'installer au
château, et le prince de Joinville ne tardait pas à
s'y rendre.
Alors que le Sénat accomplissait sa triste beso-
gne, le mardi 22 juin, M. le duc d'Aumale quittait
Chantilly et venait rejoindre M. le comte de Paris.
Quelques amis fidèles, empressés, arrivaient éga-
lement de Paris tenant à se trouver près du prince
à l'heure même où les nouvelles de la dernière
séance du Sénat seraient connues au château.
Parmi eux, M. Lambert de Sainte-Croix, un
des amis les plus fidèles des princes, à la parole
persuasive autant que spirituelle, et qui pendant
quinze ans a montré à la tribune un talent d'ora-
teur des plus distingués, — M. Lambert de Sainte-
Croix possède les qualités qui font les bons mi-
nistres : de l'énergie, du sang-froid, et avec beau-
coup de finesse une grande facilité de parole.
Il entrait dans la diplomatie en 1848, lors-
qu'éclata la catastrophe du 24 février. Il renonça
à suivre une carrière qui promettait d'être bril-
lante, et vint porter au vieux roi Louis-Philippe
en exil l'assurance d'un dévouement absolu que
depuis lors rien n'a jamais affaibli. C'est aujour-
d'hui un des conseillers les meilleurs et les plus
écoutés de M. le comte de Paris.
Après le dîner où, en dehors des membres de sa
famille et des personnes appartenant à sa maison,
avaient pris place quelques amis intimes. M. le
LA DÉPÈCHE APPRENANT LE VOTE FINAL 371
comte de Paris passa avec les princes et princesses
et ses invités, parmi lesquels se trouvaient le
général de Charette et M. E. Hervé, dans la
grande bibliothèque qui se trouve au premier
étage de l'aile gauche du château. C'est là que
furent apportées successivement les nombreuses
dépêches qui annonçaient la clôture de la dis-
cussion, la mise aux voix du premier article, vote
qui entraînait l'adoption du projet de loi tout
entier.
Les dépêches au fur et à mesure de leur arrivée
au château étaient remises à M. le marquis de
Beauvoir qui les donnait à M. le comte de Paris.
Le prince était assis entre ses oncles, le duc d'Au-
male et le prince de Joinville, ayant en face de lui
son frère, le duc de Chartres. Ce fut vers neuf
heures et demie que parvint la dernière dépêche
apprenant le vote final; M. le comte de Paris la lut
d'une voix profondément émue, puis il ajouta au
milieu de l'émotion indescriptible qui s'était em-
parée de tous : « C'est fait, je partirai jeudi. »
Toutes les personnes présentes s'étaient levées;
pas un mot, pas une parole, tant jl'on était ému
par la grandeur et la simplicité de ce prince,' si
injustement et si cruellement frappé.
Le silence se prolongea pendant quinze mor-
telles minutes. Tout le monde était debout. Les
femmes essayaient d'étouffer leurs sanglots. Le
silence fut rompu par le duc d'Aumale, qui de sa
372 M^"" LE COMTE DE PARIS ET LE DUC D AUMALE
voix claire, voilée pourtant par la tristesse, dit
gravement : « Messieurs, notre histoire a connu
bien des crimes, elle a enregistré bien des lâche-
tés, mais jamais aucune comparable à celle qui
vient d'être commise ! »
M. le comte de Paris se tourna vers lui : « Mon
oncle, dit-il, je vous remercie hautement d'être
venu auprès de moi dans cette heure d'épreuve,
quand je suis frappé avec autant de cruauté que
d'injustice.
— Tu sais bien, répondit affectueusement le
duc d'Aumale, quoi que l'on puisse dire, que je
serai toujours près de toi et avec toi. »
Il se fit un nouveau silence. Puis M. Lam-
bert de Sainte-Croix ajouta quelques mots sur
« ceux qui, après avoir voté cette loi, pourront
dormir tranquillement cette nuit ! — En tout cas,
reprit le général de Gharette, j'ai foi dans la Provi-
dence et j'attends avec une confiance absolue
l'heure du réveil ! »
A ce moment, Madame la comtesse de Paris
entra. On voyait qu'elle avait pleuré. Mais son
courage s'était vite raffermi, sa voix était ferme :
« Allons ! dit-elle, c'est fini ! reprenons notre vie
errante ! Quand plaira-t-il à Dieu d'y mettre un
terme ! » Puis, ?;c tournant vers son fils : « Mon
cher enfant, lui dit-elle, va te reposer. Tâche de
conserver tes forces, et apprends à regarder le
malheur en face ! »
ÉNERGIE DE MABAME LA COMTESSE DE PARIS 373
Tous les assistants s'approchèrent alors de la
famille royale, et sans échanger un mot de banale
consolation, les yeux remplis de larmes, s'incli-
nèrent devant les princes, baisèrent la main de la
princesse, et sortirent, laissant seuls les quatre
princes et Madame la comtesse de Paris.
Au moment où le général Charette quittait le
salon, le duc d'Aumale se leva et alla à sa ren-
contre : « Général, lui dit-il, je n'ai pas toujours
partagé vos idées, et ne les partage pas encore
toutes, mais laissez-moi le plaisir de serrer encore
une fois la main d'un vaillant soldat et d'un hon-
nête homme ! » Le général, très ému, lui serra la
main et sortit. Puis, rencontrant à la porte les amis
qui l'attendaient pour partir : « Oui, dit-il, ceux
qui les persécutent ont raison de le dire : ce ne
sont pas des hommes comme les autres ! » C'est
ainsi que se termina au château d'Eu la soirée du
jour où le Sénat vota la « loi Freycinet ».
Le lendemain, Madame la comtesse de Paris, fai-
santtaireles angoisses de soncœurdemère, déclara
son intention d'accompagner M. le comte de Paris.
Elle reviendrait ensuite auprès de sa chère ma-
lade, après avoir accompli son devoir d'épouse
dévouée. Au milieu de la tristesse générale.
Madame la comtesse de Paris allait à tous, rani-
mant les courages et les espérances.
La nouvelle du vote de la loi ne tarde pas à se
répandre dans la ville. Devant la grille du château
374 GRANDE AFFLUENCE A EU
se tiennent un certain nombre d'habitants anxieux.
Bien que l'on ne pût guère se faire illusion sur
l'issue de la discussion, l'annonce du vote final
cause une sorte de stupeur. Tous ces braves gens
ne pouvaient croire que ces princes, si bons, si
généreux, allaient être frappés d'une peine aussi
cruelle que ce bannissement perpétuel, eux à qui on
ne pouvait reprocher que d'aimer trop ardemment
la France, et de désirer son relèvement glorieux.
Les Compagnies du Nord et de l'Ouest avaient
vu dès le matin leurs trains littéralement pris d'as-
saut par de nombreux voyageurs, qui venaient à
Eu, saluer, avant leur dépari pour l'exil, M. le
comte de Paris et son fils, M. le duc d'Orléans. Les
hôtels de la petite ville se trouvent bientôt
envahis, puis les maisons particulières sont mises
à contribution, tous les lits vacants sont pris,
enfin un grand nombre de personnes sont forcées
d'aller au Tréport, et jusqu'à Dieppe, chercher un
gite qui ne tarde pas à devenir fort difficile à trou-
ver dans ces deux localités.
A la porte de la grille du château se pressent,
dès midi, tous ceux qui veulent présenter au chef
de la maison de France le témoignage de leur res-
pectueux dévouement. Après avoir contourné la
pelouse qui s'étend devant le château, on pénètre
dans la salle des Chasses et, par un escalier tout
tendu de tapisseries, on arrive au premier étage,
dans la fameuse salle des Guises.
RÉCEPTION DANS LA GALERIE DES GUISES 375
Cette immense galerie, dont, les nombreuses
fenêtres s'ouvrent sur les deux façades principales
du chàleau, doit son nom aux portraits de tous les
princes de la famille de Guise qui en couvrent les
murs. En face du beau marbre représentant Jeanne
d'Arc, dû au ciseau de la princesse Marie d'Or-
léans, vers le milieu de la salle, se tiennent M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris,
ayant à leurs côtés le duc d'Orléans, la princesse
Hélène, le duc de Chartres, le prince Henri d'Or-
léans, le duc d'Aumale et le prince de Joinville.
M. le baron de Chabaud-Latour, l'un des secré-
taires du prince, et M. le marquis de Beauvoir
présentent les visiteurs; M. le comte de Paris a
pour tous une parole d'encouragement, qui va
droit au cœur.
Les députés ne devaient se réunir que le jeudi
au château ; seule la députation du Nord qui de-
vait être retenue ce jour-là à Paris, par une dis-
cussion importante, vient le mercredi présenter
l'hommage de ses respectueuses sympathies.
M. Plichon, chargé de parler au nom de ses col-
lègues, adresse un discours ému auquel le prince
répond par ces paroles : « Ayez confiance, comme
j'ai confiance, moi-même. » M. le comte de Paris,
apercevant des larmes dans les yeux de ses amis,
les console, leur dit que, si pénible que soit cette
séparation, elle aura un terme ; puis il recom-
mande une union plus ferme que jamais de tous
376 LA POPULATION VA s'iNSCRIRE AU CHATEAU
les membres du grand parti conservateur qui ne
doit jamais désespérer. Il ajoute ce mot : (f La rési-
gnation fait des saints, mais non des rois. ». . . .
Cette fermeté, cette confiance dans l'avenir,
impressionnent vivement les assistants.
Pendant près de trois heures défile devant les
princes une foule énorme venue de tous les points
de la France. Sur la place située devant la grille
du château, un grand nombre d'habitants assistent
à l'entrée et à la sortie de ces amis connus et in-
connus, qui viennent dans un même élan se ranger
aux côtés du chef de la maison de France. Les re-
gistres déposés dans la loge du concierge se cou-
vrent rapidement de signatures. Ce n'est pas sans
émotion qu'à côté des noms célèbres de nos
grandes ftimilles, on voit les paraphes de culti-
vateurs, d'ouvriers et de pêcheurs sachant à peine
écrire. Des femmes du peuple sont là regardant
tout ce mouvement, comprenant le malheur qui
les frappe, et cachant leur visage inondé de
larmes.
M. le comte de Paris, ayant décidé de quitter la
France, avait donné Tordre de noliser au Tréport
un paquebot de la ligne de Dieppe à Newliaven.
Mais depuis deux jours, un vent violent souf-
flait du large, et l'on avait craint que le vapeur ne
pût entrer au Tréport, dont le bassin est peu pro
fond. Depuis le matin, cependant, la Victoria y est
amarrée; ce bateau, sous pavillon anglais, est
LETTRES ET TÉLÉGRAMMES ADRESSÉS AU PRINCE 377
commandé par le capitaine Stubbs. Curieux rap-
prochement : M. le comte de Paris va s'embarquer
pour l'exil à l'endroit même où, quarante ans aupa-
ravant, était descendue de son yacht royal la reine
Victoria venant d'Angleterre pour rendre visite
au roi Louis-Philippe, qui l'avait reçue dans ce
même château d'Eu.
Durant toute cette journée, M. le comte de
Paris et Madame la comtesse de Paris reçoivent de
toutes les parties de la France télégrammes et
lettres, témoignages touchants de l'émotion pé-
nible de tous ceux qui, ne pouvant se rendre à Eu,
veulent du moins rendre aux exilés un suprême
hommage.
Le bruit court que le gouvernement, redoutant
une manifestation, voudrait contraindre le prince
à partir brusquement le lendemain à cinq
heures du matin. Les amis du prince, indignés,
l'engagent vivement, dans ce cas, à se rendre à
cinq heures du matin à bord de la Victoria, sous
pavillon anglais, et à y rester jusqu'à l'heure qu'il
a fixée pour son départ.
Le gouvernement a déployé toutes les res-
sources que lui fournissent la gendarmerie, la po-
lice et l'armée. Le matin, une affiche manuscrite
ainsi conçue avait été placardée au Tréport :
Mairie du Tréport.
M. le comte de Paris devant probablement effectuer son
embarquement par le port du Tréport,
378 DÉPÈCHES DU SOUS-PRÉFET A LA GENDARMERIE
Le maire du Tréport invite la poi)ulation à avoir à cette
occasion une attitude respectueuse et calme, et à n'obéir à
aucune incitation au désordre.
Le maire du Tréport,
(Signé) Papin.
(Cachet de la mairie.)
Dès mercredi, toute la gendarmerie des envi-
rons est consignée, tant au Tréport qu'à Eu; le
capitaine qui commande le détachement réuni à
Eu vient de faire une si fâcheuse chute de cheval,
devant la grille du château, qu'il s'est brisé la
jambe. M. le comte de Paris envoie un de ses
secrétaires, à deux reprises, prendre des nouvelles
du malheureux officier.
Pendant toutes les réceptions qui se succèdent,
le prince recommande à tous ceux qui assisteront
au départ de rester calmes et d'éviter de prendre
part à des manifestations qui pourraient être orga-
nisées par des agents provocateurs, dont on avait
remarqué depuis quelques jours les démarches et
les allures louches. Huit brigades de gendarmerie
avaient été envoyées au Tréport!...
Le 23 juin, le sous-préfet de Dieppe télégra-
phiait de Dieppe à 3 heures 12 minutes et invitait
le capitaine de gendarmerie du Tréport à se rendre
un compte exact des gendarmes dont il aurait
besoin le lendemain, eu égard au nombre des per-
sonnes arrivant de Paris et des campagnes voi-
sines.
LA. DERNIÈRE MESSE AU CHATEAU 379
Il lui recommandait de lui télégraphier, le jour
même, le chiffre approximatif des arrivants, les
dispositions qu'il prenait, et s'il croyait que trois
ou six brigades lui suffiraient.
Le lieutenant de gendarmerie répondit (en rem-
placement du capitaine Leclerc blessé à la suite
d'une chute de cheval) que le nombre des arri-
vants, le 23 juin, était peu considérable, qu'il
croyait savoir que certainement il augmenterait
le lendemain, et qu'il n'y avait rien à diminuer à
l'effectif des brigades.
Le vent, qui avait soufflé en tempête durant
toute la soirée de la veille, et donnait môme de
sérieuses appréhensions sur la possibilité de sortir
du port, est complètement tombé dans la nuit, et
un radieux soleil éclaire la dernière matinée que
M. le comte de Paris doit passer en France avant
son départ pour l'exil. Dès six heures du matin,
unemesse estdite danslachapelledu château. M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris y
assistaient, avec M. le duc d'Orléans, M'"'' la prin-
cesse Hélène, M. le duc de Chartres, M. le prince
Henri d'Orléans, M. le duc d'Aumale, M. le prince
de Joinville, M. le duc d'Alençon, arrivé de la
veille, et toutes les personnes faisant partie de la
maison du prince.
Les cloches retentissaient joyeusement dans le
clocher de l'église paroissiale située en face du
château; c'était, en effet, jour de fête pour l'Église,
380 ADIEUX AUX SERVITEURS
qui célébrait la Fête-Dieu et la première com-
munion des enfants de la ville. En ce moment si
tristepour eux, voulantdonner une dernièrepreuve
de sympathie à ceux qu'ils allaient quitter, M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris,
avec leurs enfants le duc d'Orléans et la princesse
Hélène, vont prier à l'église, au milieu de tous ces
braves gens recueillis. En rentrant au château,
vers neuf heures, les princes se rendent dans la
grande galerie des Chasses, où commencent alors
les adieux du personnel du château. Successi-
vement défilent tous ces loyaux serviteurs, les
garde-chasses et tous les gens de la maison. Bien
des larmes coulent, montrant quel attachement ils
ont au fond du cœur pour leurs maîtres, qu'ils ne
reverront peut-être plus.
Vers dix heures, à travers la foule qui com-
mence à affluer devant la grille, M. IsaïeLevaillant,
directeur de la Sûreté générale, se faufile dans le
château et demande à parler à M. le comte de
Paris. Le prince, prévoyant quelque communi-
cation de l'autorité, avait désigné l'un de ses secré-
taires, M. le comte d'Haussonville, pour la rece-
voir. M. Levaillant fut donc contraint de renoncer
à voir le prince, et, paraissant fort ennuyé, déclara
à M. d'Haussonville qu'il était chargé d'une mis-
sion officieuse de la part de M. de Freycinet. Le
président du conseil faisait savoir à M. le comte
de Paris qu'en raison de l'élat de santé de la
LE COMTE d'hATJSSONVILLE ET M. LEVAILLANT 381
princesse Louise, il était tout disposé à accorder
un délai de quelques jours si le prince en expri-
mait le désir.
« Je connais assez la pensée de Monseigneur,
répond M. le comte d'Haussonville, pour n'avoir
point besoin de lui faire part de cette proposition.
M^'' le comte de Paris ne demande de faveur à per-
sonne et ne saurait en accepter. U«' le comte
de Paris et M. le duc d'Orléans partiront donc
aujourd'hui à l'heure fixée.
— Nous avons pris des mesures pour le main-
tien de l'ordre, ajoute le directeur de la sûreté, et,
si vous le désirez, je me tiens complètement à
votre disposition pour faire évacuer les abords du
quai d'embarquement.
C'est affaire au gouvernement de maintenir
Tordre, répond M. le comte d'Haussonville. Si la
police croit utile de prendre des précautions, cela
ne saurait en rien regarder le prince, qui ne
demande nullement son assistance. »
A onze heures, les grilles du château sont ou-
vertes; sur plusieurs tables sont placés des re-
o-istres où viennent s'inscrire en foule, les per-
sonnes de tout rang qui se pressent pour assister
à la réception d'adieu du prince. Pour permettre à
la population de saluer ceux que l'on appelle les
bienfaiteurs du pays, l'on a décidé que cette der-
nière réception aurait lieu en plein air.
Le long de la façade du château qui regarde
382 ADIEUX A TOUS DANS LE JARDIN
leTréport et la mer, devant un magnifique parterre
à la française, ombragé d'arbres centenaires et
bordé de massifs de rosiers en fleurs, sur un vaste
perron, viennent prendre place M. le comte de Paris
et Madame la comtesse de Paris, M. le duc d'Or-
léans, la princesse Hélène, le duc de Chartres, le
prince Henri d'Orléans, le duc d'Aumale, le prince
de Joinville, le duc d'Alençon. Autour des princes
se groupent les personnes attachées à leur maison
et les amis les plus intimes.
Le défilé commence, et dure pendant près de
deux heures. Avec un calme et un ordre parfaits,
cette foule d'amis, souvent obscurs ou inconnus,
s'approche et vient apporter son tribut d'hom-
mages respectueux à ces princes qu'ils ont appris
depuis longtemps à aimer. M. le comte de Paris, Ma-
dame la comtesse de Paris, tendent la main à tous,
et il est touchant de voir ces braves gens, dont un
grand nombre en blouse, s'approcher tremblants,
les yeux remplis de larmes, et presser avec émo-
tion ces mains qui leur sont si affectueusement
données. On ne peut rappeler, malheureusement,
tous les incidents émouvants qui se produisent,
toutes les paroles qui s'échangent; c'est un spec-
tacle qui ne s'oubliera pas dans ce pays, et qui por-
tera ses fruits. La princesse Hélène, avec sa grâce
charmante, et le duc d'Orléans, dont on remarque
la bonne mine et l'allure mâle, serrent également
avec empressement toutes ces mains tendues vers
VIVE EMOTION DÈS ASSISTANTS 383
eux. On songe avec tristesse à ce jeune prince,
qui, dans un âge où l'on ne s'occupe que de jeux
ou d'études, va faire le dur apprentissage de la
vie et connaître les amertumes de l'exil.
Après cette foule respectueuse et attendrie, les
princes reçoivent les sénateurs et les députés
royalistes. M. le comte de Paris leur adresse ses
adieux, leur dit qu'il s'éloigne, contraint, forcé,
de sa chère patrie, mais qu'il ne cessera un seul
jour de travailler au bonheur et au relèvement de
la France. Ces paroles, prononcées avec feu, pro-
duisent une émotion profonde parmi tous les
représentants du pays.
M. de Baudry d'Asson, député de la Vendée, lui
exprime avec chaleur la profonde sympathie des
Vendéens.
Le moment du départ approchait, et les princes
s'apprêtaient à prendre le chemin de l'exil, quand
un grand nombre d'ouvriers, de femmes et d'en-
fants qui n'avaient pu encore être reçus, deman-
dent la faveur de les voir une dernière fois. Le
défilé, interrompu un moment, recommence donc, il
estpeut-êtreplus émouvant queles réceptions pré-
cédentes. Madame la comtesse de Paris, qui s'était
contenue jusque-là, ne peut retenir ses larmes en
serrant toutes ces mains amies et dévouées. Un
ouvrier dit en s'essuyant les yeux : « Je suis plus
heureux que ce pauvre prince, je rentrerai chez
moi ce soir. » Un grand nombre de marins du
384 DÉPART DU CHÂTEAU
Tréport étaient venus avec leurs femmes et leurs
enfants, et baisaient en pleurant les mains de
Madame la comtesse de Paris.
A deux heures, après avoir fait leurs adieux à
leurs enfants, à M. le duc d'Aumale, à M. le prince
de Joinville et à M. le duc d'Alençon, M. le comte
de Paris et Madame la comtesse de Paris quittent le
château d'Eu, accompagnés de M. le duc d'Orléans
et de M. le duc de Chartres. Le long des allées
qui mènent du château à la grille, sur la place,
ainsi que sur les marches de l'église et sur la ter-
rasse qui l'entoure, tous les habitants s'étaient
groupés, et, tête nue, attendaient le passage des
voitures, qui allaient conduire jusqu'au Tréport
les exilés et leurs compagnons.
Dans la première se trouvaient M. le comte de
Paris et Madame la comtesse de Paris, ayant devant
eux le duc d'Orléans et le duc de Chartres. Puis
venaient sept autres voitures emmenant les prin-
cipales personnes de la suite des princes, ainsi
que quelques-uns de leurs amis intimes. Les voi-
tures prennent la route du Tréport. Sur leur pas-
sage aucun cri ne se fait entendre, tant l'émotion
étreint tous ces braves gens, dont les figures
inondées de larmes expriment la douleur qu'ils
éprouvent en voyant partir les princes exilés. Les
chapeaux, les mouchoirs, s'agitent, et l'on suit des
yeux, aussi loin que l'on peut, les voitures qui
s'éloignent rapidement. Des ouvriers, abandon-
d'eu au tréport 385
liant leurs travaux des champs, accourent et crient :
« Au revoir, Monseigneur! »
La route magnifique qui mène au Tréport tra-
verse la belle propriété d'Eu, que le prince s'était
plu à embellir et avait doté de tous les perfection-
nements de l'agriculture moderne. Tous les chan-
gements opérés dans ces dernières années étaient
l'œuvre personnelle du prince, et son activité
incessante lui avait permis de surveiller tous les
détails de cette importante organisation '.
Pendant que M. le comte de Paris et sa suite se
dirigent vers le Tréport, une foule énorme se
masse depuis plusieurs heures tout autour du
bassin dans lequel chauffe le paquebot /« Victoria.
Plus de vingt mille personnes avaient pris place
sur les quais, aux fenêtres des maisons et des
hôtels, partout d'oi^i l'on pouvait voir le départ.
Le service d'ordre était fait par les brigades de
gendarmerie de la ville et des environs, par le
24* de ligne et par les douaniers. Un espace libre
avait été réservé sur le quai pour laisser passer
M. le comte de Paris et sa suite. Auprès de la pas-
serelle par laquelle il devait s'embarquer sur le
bateau, avaient pris place les sénateurs, les dépu-
tés et les représentants de la presse. Les autres
assistants entouraient le bassin comme s'ils avaient
pris place dans un immense cirque.
1. Voir appendice VI : M^'' le comte de Paris, agriculteur.
386 EMBARQUEMENT DE M''' LE COMTE DR PAIMS
A deux heures et demie, la voiture de M. le
comte de Paris, marchant en tête du cortège, ap-
paraît à l'extrémité du port, devant l'hôtel d'An-
gleterre, et traverse le pont qui conduit au quai
d'embarquement.
A ce moment, un silence solennel se fait dans
la foule. Tous les cœurs sont serrés, tous les yeux
se tournent vers l'endroit par lequel arrive le
prince. Les voitures viennent de s'arrêter en face
du bateau. M. le comte de Paris, en redingote
noire boutonnée, avec un chapeau haut de forme,
descend de voiture, s'engage sur la passerelle et
va prendre place sur le pont de la Victoria.
Au moment précis où il met le pied sur le ba-
teau, le pavillon national aux trois couleurs est
hissé au haut du grand mât, et, s'abaissant par
trois fois, salue le descendant de saint Louis et
d'Henri IV.
On avait offert à M. le comte de Paris d'arborer
un drapeau portant sur les couleurs nationales les
armes de sa maison : « Non, rien que la France,
rien que le drapeau français, » avait répondu le
prince.
A la vue du drapeau national, les acclamations
éclatent. On crie : « Vive le comte de Paris ! »
Le prince se découvre, salue d'abord le
drapeau, ensuite la foule, et crie d'une voix forte :
« Vive la France ! »
Autour de luiont prisplace :Madame la comtesse
ACCLAMATIONS DE LA FOULE 387
de Paris, le duc d'Orléans, le duc de Chartres et
son fils aîné, le prince Henri; le duc de Noailles,
le duc de la Trémoille, le marquis d'Harcourt,
le comte d'Haussonville, le marquis de Beauvoir,
M™" la vicomtesse de Butler, dame d'honneur de
Madame la comtesse de Paris; MM. le comte de la
Ferronnays, le comte Olivier de Bondy, baron de
Chabaud la Tour, Saint-Marc -Girardin, Aubry-
Vitet, marquis d'Audiffret-Pasquier, de Saporta,
Camille Dupuy, secrétaire particulier du prince;
Froment, précepteur du duc d'Orléans.
M. le comte de Paris, se souvenant du titre qu'il
porte, et de la ville où il est né, a invité spéciale-
ment M. Calla, ancien député de Paris, et MM. Ga-
mard, Cochin, Despatys et Dufaure, conseillers
municipaux de Paris, à raccompagner jusqu'en
Angleterre.
Quelques personnes, parmi lesquelles M. le
baron V.de Noirfontaine, M.deLéris, M. Barnard,
du New-York Herald, avaient, par une faveur
exceptionnelle, été autorisées à suivre les princes
jusqu'à Douvres, et complétaient le nombre des
passagers de la Victoria.
Au moment où Madame la comtesse de Paris prend
place à côté du prince, on lui présente des bou-
quets qui viennent d'arriver. C'est un envoi de
quelques amis désireux de voir les exilés empor-
ter des fleurs de France sur la terre étrangère.
La passerelle est retirée ; on lève l'ancre. Les
388 l'émotion est générale
cris de : « Vive le comte de Paris ! » redouJilent.
Ils prennent le caractère d'une immense ovation.
Le comte de Paris, dont la pâleur trahit la vive
émotion, s'écrie : Au revoir^ à bientôt.
Le bateau commence à s'éloigner lentement,
obligé de s'arrêter de temps en temps par suite de
la difficulté qu'il avait à sortir du port au moment
où la marée n'est pas encore tout à fait haute.
L'émotion est générale, et, les yeux baignés de
larmes, les assistants veulent le suivre jusqu'au
dernier moment. Ils se pressent le long du quai
et se dirigent jusqu'à l'extrémité de la jetée en
poussant les cris mille fois répétés de : « Vive la
France ! Vive le comte de Paris ! Vive le roi ! Au
revoir, à bientôt ! » Les acclamations ne s'arrêtent
que lorsque le bateau, sorti du port, a pris la haute
mer. A ce moment, le pavillon tricolore s'abaisse
trois fois pour adresser un dernier salut à la terre
de France.
Après le départ, un grand silence se fait ; tout
le monde est dans le recueillement, la foule s'é-
coule lentement; le quai, le port, si animés un ins-
tant avant, sont bientôt déserts. Un mot courait
dans toutes les bouches, exprimant l'impression
produite par cette scène, émouvante dans sa sim-
plicité. « C'est un départ royal, disait l'un, mais il
faut aussi que le retour soit royal. » « Ils ont cru,
disait un autre, en proscrivant nos princes que
c'était la fin. Non : c'est le commencement. »
VIVE LE roi! 389
Oui, le commencement d'une lutle sans relâche,
où les souvenirs de ce jour doubleront tous
les courages. Dieu ne refuse jamais les grandes
revanches à qui sait les mériter.
L'impression produite au Tréport et à Eu par le
départ de M. le comte de Paris fut profonde. L'ova-
tion avait été spontanée, un courant s'était produit
en une seconde dans la foule, qui se porta du port
jusqu'à l'extrémité de la jetée, et tandis que les
amis intimes du prince, obéissant aux avis qui
leur avaient été donnés, criaient seulement : Vive
le comte de Paris! du côté de la jetée, où se trou-
vaient principalement les pécheurs, dix mille cris
de : Vive le roi ! retentirent....
Une grande partie des barques du port n'étaient
pas sorties dans la matinée, et les marins avaient
mis les pavillons en berne. Le commissaire de la
marine ordonna d'enlever complètement ces pa-
villons. Quatre bateaux appartenant à M. Lemaire
Duponchel, armateur, ayant cependant gardé leurs
pavillons en berne, le commissaire de la marine
fit enlever lui-même ces signes de deuil ; mais, au
moment du départ de la Victoria, l'une de ces
barques, la Marie-Reine-du-Ciel suivit le bateau
qui emmenait M. le comte de Paris, et l'accom-
pagna à une certaine distance, avec son pavillon
en berne.
« Quand on vit les soldats de ligne et les gen-
darmes échelonnés le long des quais, dit un jour-
390 ANECDOTES SUR LE DÉPART DU PRINCE
liai, on pensait que cette force armée était là pour
réprimer toute protestation séditieuse. La plupart
des assistants avaient cette opinion, et cela est si
vrai, qu'une femme du port disait, au moment du
dépari : « C'est bien triste tout de même. Quand
« je pense combien le comte a été bon pour nous
« en payant l'enterrement de mon homme, et
(c l'école de mes enfants, je voudrais bien lui crier
« quelque chose aussi, mais j'ai mes enfants à éle-
« ver et je ne peux pas aller en prison ! » Et cette
femme entraînée cria : Vive le Roi !
« Il est vrai que pour d'autres, des gens vérita-
blement sincères dans leur naïveté, la présence de
la troupe n'avait pas le même but.
« Gomme on s'étonnait, devant un homme du
pays placé à côté de moi, qu'on eût fait venir des
troupes pour les laisser inactives devant la mani-
festation, le bon Tréportain dit avec sa grosse
candeur : «Mais c'est bien sur pour faire honneur
aux princes qu'il y a des soldats. »
« A côté de l'ensemble si grandiose du spec-
tacle, il y eut les incidents typiques, dont chacun
a pu être témoin. Un gendarme le malin avait dit
aux gens qui se trouvaient là : « Je vous en sup-
« plie, ne criez rien, car si vous criez : Vive le roi!
« je serai obligé de vous arrêter, et si vous criez :
« Vive la République! ça ni'em...nuiera.... »
Un bataillon d'infanterie, envoyé au Tréport
sous prétexte de proléger le départ des exilés.
LES SOLDATS PRÉSENTENT LES ARMES 391
avait été rangé en bataille, l'arme au pied, paral-
lèlement à la ligne des quais. La foule attendait,
grave et recueillie, rendant ainsi par son calme
un tel déploiement de forces complètement inu-
tile, et les officiers, attristés du rôle qu'on leur
faisait jouer, se tenaient à quelque distance de
leurs hommes. Tout à coup, au moment même où
les voitures qui amènent la famille royale arrivent
sur la place, une voix haute et claire se fait en-
tendre, prononçant distincement les trois com-
mandements :
« Garde à vous !... Portez armes !... Présentez
armes !... »
Les soldats, croyant obéir au commandement
d'un de leurs officiers, exécutent les mouvements.
Nous connaissons l'auteur de cette spirituelle plai-
santerie. Il faisait ainsi présenter les armes au
chef de la maison de France partant pour l'exil.
M. le comte de Paris et Madame la comtesse de
Paris ne peuvent détourner les yeux du rivage de
cette France dont on veut les chasser à jamais.
Ayant auprès d'eux le duc d'Orléans, le duc de
Chartres et le prince Henri, ils demeurent immo-
biles, jetant un regardsur cette foule qui agite des
mouchoirs en signe d'adieu, mais dont l'éloigne-
ment les empêche d^entendre les acclamations et les
cris. Cependant un dernier cri : Au revoivl à
bientôt l retentit auprès d'eux : c^est le pilote qui
quitte le bord, et les rameurs qui le ramènent
392 DERNIER SALUT DU DRAPEAU TRICOLORE
à terre, dans une petite chaloupe, ont voulu une
dernière fois pousser ce cri d'espérance. M. le
comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, le
cœur brisé, répondent par le même cri : A bien-
tôt ! Nous reviendrons /...
Le bateau gagne la pleine mer. De la terre, des
acclamations le suivent plus ardentes que jamais,
et alors M. le comte de Paris, dont la voix ne peut
plus s'entendre, fait faire le salut du drapeau. Au-
tour du bateau, dix ou douze barques de pêcheurs
y répondent par un salut pareil. Longtemps la
foule suit des yeux la Victoria qui s'éloigne, puis,
lentement, elle se disperse et le même mot est sur
toutes les lèvres :
« Quand on part ainsi, on revient. »
Qu'aurait-elle dit, cette foule, si elle avait
connu la magnifique protestation de M. le comte
de Paris? Quels accents, quel superbe langage !
Gomme il va faire vibrer l'àme de la patrie, en lui
montrant le jour prochain du salut. Gomme c'est
bien un fils de France qui parle à la France !
Le temps est magnifique, mais la mer est restée
houleuse, et le vapeur qui s'avance rapidement
roule assez rudement par moment. Soixante-dix
milles séparent le Tréport de Douvres, mais la
Victoria sous toute vapeur fait près de dix-sept
nœuds à l'heure, et la terre ne tarde pas à dispa-
raître à l'horizon.
M. le comte de Paris invite alors ses compa-
M. DUFEUILLE 393
gnons à descendre dans le grand salon qui se
trouve à l'arrière du vapeur et leur communique
la protestation qu^il a cru de son devoir d'adresser
au peuple français. Ses mesures sont prises pour
que ce document soit connu le lendemain dans
toute la France.
Un homme jeune et actif, M. Dufeuille, est
chargé de ce soin, et a dû, pour cela, renoncer
à se trouver au Tréport, le 24 juin. Ancien chef de
cabinet de M. Buffet, M. Dufeuilîe sut montrer
dans ses fonctions un tact parfait et un grand
sens politique. M. le comte de Paris, en l'atta-
chant à sa personne, a trouvé en lui un serviteur
fidèle et habile, au dévouement intelligent, et qui
fait aimer le prince.
Ancien rédacteur au Journal des Débats et au
Français, M. Dufeuille écrit à merveille, et élu-
cide une question dans la perfection. Il a rapide-
ment appris à connaître les hommes; d'une grande
franchise d'allures, très ouvert, très en dehors,
c'est une personnalité qu'un prince comme M. le
comte de Paris, qui veut tout savoir, tout con-
naître, apprécie à sa valeur. C'est un homme enfin,
qui, au risque de déplaire, saurait dire la vérité
au prince, s'il croyait qu'il y eût intérêt pour lui
à la connaître. Qualité précieuse, et qui est autant
à reloge du serviteur, assez franc pour tout dire,
qu'à celui du prince, au cœur assez élevé pour
vouloir tout entendre.
394 PROTESTATION DE M"' LE COMTE DE PARIS
Personne, même dans l'enloLirage intime du
prince, ne connaissait cette protestation, qui,
écoutée dans un religieux silence, produit un
effet énorme.
A la voix chaude et vibrante de M. le comte de
Paris, tous sentent renaître en leurs cœurs et le
courage et l'espérance.
Voici cette protestation :
Contraint de quitter le sol de mon pays, je proteste, au
nom du droit, contre la violence qui m'est faite.
Passionnément attaché à la patrie, que ses malheurs
m'ont rendue plus chère encore, j'y ai, jusqu'à présent,
vécu sans enfreindre ses lois. Pour m'en arracher, l'on
<;hoisit le moment où je viens d'y rentrer, heureux d'avoir
formé un lien nouveau entre la France et une nation amie.
En me proscrivant on se venge sur moi des trois mil-
lions et demi de voix qui, le 4 octobre, ont coudanmc les
fautes de la Réj)ublique, et l'on cherche à intimider ceux
qui, chaque jour, se détachent d'elle.
On poursuit en moi le principe monarcliicjue dont le
dépôt m'a été transmis j)ar celui qui l'avait si noblement
■conservé.
On veut séparer de la France le chef de la glorieuse
famille qui l'a dirigée, pendant neuf siècles, dans l'œuvre
de son unité nationale, et ([ui, associée au j)enplc dans la
bonne comme dans la mauvaise fortune, a fondé sa gran-
deur et sa [)rospérité.
On espère qu'elle a oublié le règne heureux et pacilicjue
de mon aïeul Louis-Philippe et les jours plus récents où
mon frère et mes oncles, après avoir combattu sous son
PROTESTATION DE M^"" LE COMTE DE PARIS 395
drapeau, servaient loyalement dans les rangs de sa vail-
lante armée.
Ces calculs seront trompés.
Instruite par l'exjjérience, la France ne se méprendra
ni sur la cause, ni sur les auteurs des maux dont elle
souffre. Elle reconnaîtra que la monarchie, traditionnelle
par son principe, moderne par ses institutions, peut seule
y porter remède.
Seule, cette monarchie nationale dont je suis le repré-
sentant peut réduire à l'impuissance les hommes de désor-
dre qui menacent le repos du pays, assurer la liberté poli-
tique et religieuse, relever l'autorité, refaire la fortune
publique.
Seule, elle peut donner à notre société démocratique un
gouvernement fort, ouvert à tous, supérieur aux partis, et
dont la stabilité sera pour l'Europe le gage d'une paix
dui'able.
Mon devoir est de travailler sans relâche à cette œuvre
de salut. Avec l'aide de Dieu et le concours de tous ceux
qui partagent ma foi dans l'avenir, je l'accomplirai.
La République a peur : en me frapjiant elle me désigne.
J'ai conliance dans la France. A l'heure décisive je sei'ai
prêt.
Eu, lo 24 juin 1880.
Philippe, comtk de Paris.
A sept heures un quart, malgré une mer assez
forte, la Victoria arriva en vue de Douvres et
longea la jetée. Les couleurs françaises sont aus-
sitôt hissées au haut du sémaphore pour rendre
hommage aux exilés. Les bateaux en rade arbo-
396 ALLOCUTION DU MAIRE DE DOUVRES
rcnt également le pavillon français. La Victoria
arrive bien avant l'heure annoncée; mais la foule
est néanmoins très considérable, et M. le comte
de Paris est acclamé et accueilli par trois formida-
bles hourrahs.
Le maire de Douvres et sa femme, qui tient à la
main un bouquet, s'avancent les premiers sur la
passerelle du bateau. Le maire adresse au prince
le discours de bienvenue suivant :
MONSEIGXEUR,
Gomme maire de ces anciens forts et de la ville, je m'em-
|)resse de vous offrir à vous, à Madame et à votre famille,
la plus cordiale bienvenue ; à votre arrivée à la côte
anglaise, je suis heureux de vous exi)rimer les sympathies
des habitants, dans ces circonstances douloureuses qui ont
amené votre départ et vous ont obligés à chercher un asile
dans un pays étranger.
Nous espérons que vous allez prendre la résolution de
vous fixer en Angleterre ; le séjour vous y sera fait aussi
agréable que possible dans des moments aussi rudes que
ceux que vous traversez.
Acceptez l'expression de notre profond respect.
M. le comte de Paris répond en anglais ;
Je vous suis très reconnaissant de me souhaiter la bien-
venue au moment où mon cœur vient d'être déchiré en
quittant le sol de la patrie.
Ma famille à plusieurs reprises, et moi pendant vingt
ans, nous avons éprouvé la loyauté de votre hospitalité.
J'en garde une jn-ofonde reconnaissance.
LE DRAPEAU FRANÇAIS 397
Ce qui me touche au delà de tout, c'est de voir ces dra-
peaux français que vous avez hissés à ces mâts ; ils parlent
à mon cœur comme vos chaleureuses acclamations.
Aussitôt après le maire de Douvres, M. et M"'
Alexandre Lambert de Sainte-Croix arrivèrent
sur le bateau : c'est d'eux que M. le comte de
Paris reçoit le premier salut français sur la terre
étrangère.
Les princes et leur suite se rendirent au Lord
Warden Hôtel, où ils restèrent quelques jours
avant de partir pour Tunbridge-Wells.
Alors qu'il s'apprêtait à quitter l'hôtel pour recon-
duire Madame la comtesse de Paris au bateau qui
doit la ramener en France par Calais, le prince,
entiant dans le salon qui lui était réservé, en res-
sort aussitôt, et, appelant Madame la comtesse de
Paris et le marquis d'AudifïVet-Pasquier, les invite
à le suivre dans cette pièce. Là, le prince leur
montre, sans pouvoir ajouter une parole, tellement
il est ému, un grand drapeau français qui couvrait
de ses plis aux trois couleurs un canapé placé au
milieu du salon. Ce drapeau était celui qui durant
toute la traversée avait flotté au grand mât du
vapeur, et que le capitaine Stubbs, par une atten-
tion bien touchante, était venu apporter en l'ab-
sence du prince. M. le comte de Paris saisit le
drapeau, et la voix entrecoupée de larmes s'écrie :
« Ce drapeau est tout ce qui me reste de ma chère
France, mais je l'y rapporterai! »
398 MADAME LA COMTESSE DE PARIS REJOINT
Madame la comtesse de Paris prend alors un des
bouquets qui avaient été déposés sur le bateau au
moment du départ et le place au pied du drapeau.
Madamela comtesse deParis, inquiètedela santé
de la princesse Louise, malgré le déchirement que
lui causait une séparation en un tel moment, avait
hâte de se retrouver au chevet de la chère malade.
Le soir même, encore tout émue, elle quitta Lord
Warden Hôtel avec M. le comte de Paris, suivi de
son fils le duc d'Orléans, du duc de Chartres, du
prince Henri d'Orléans et de tous ceux qui
l'avaient accompagnée.
M. le duc de Chartres rentra aussi en France,
laissant son fils le prince Henri pour quelques
jours près du jeune duc d'Orléans. M. le comte de
Paris voyait donc commencer pour lui l'exil dans
les conditions les plus pénibles, et une doulou-
reuse séparation terminait cette journée si rem-
plie déjà d'épreuves et d'émotions.
Devant le vapeur qui va tout à l'heure emporter
loin du prince Madamela comtesse deParis, le duc
de Chartres et ces amis fidèles, ceux qui vont partir
comme ceux qui restent sur la terre étrangère
comprennent mieux encore tout ce que l'exil a de
cruel.
Le matin, en France, c'étaient les adieux d'un
peuple à son roi, qui avaient consolé pour un
moment les cœurs, en les remplissant de l'enthou-
siasme ardent dont loule cette foule était animée;
LE SOIR MEME LA PRINCESSE LOUISE MALADE 399
mais le soir, en Angleterre, sur cette jetée, au
milieu d'étrangers, le déchirement de la sépara-
tion s'imposait dans toute sa rigueur.
M. le comte de Paris fait ses adieux à tous, et
trouve encore de bonnes paroles pour chacun; puis
après avoir tendrement embrassé Madame la com-
tesse de Paris, serré une dernière fois la main du
duc de Chartres, le prince remonte tristement
avec trois ou quatre de ses plus fidèles amis sur
l'estacade, au bas de laquelle est amarré le bateau
qui s'apprête à partir. Madamela comtesse de Paris
presse contre son cœur le duc d'Orléans, qui va
rejoindre son père. Le bateau s'éloigne alors, et les
Français qui retournent en France crient une der-
nière fois : « A bientôt. Monseigneur ! » Pendant
quelques instants encore on distingue, se profi-
lant sur le ciel, la haute silhouette du prince, im-
mobile , suivant aussi longtemps qu'il le peut ce
bateau où se trouvent des amis qui, plus heureux
que lui, vont bientôt revoir la France.
L'impression profonde produite en France par
le départ du prince, et son arrivée sur la terre
d'exil, avaient trouvé un écho dans toute l'Eu-
rope. Non seulement M. le comte de Paris avait
fait entendre une éloquente protestation contre
l'exil qui le frappait, mais il avait encore tracé en
quelques lignes un programme complet de gou-
vernement. Les républicains, eux-mêmes, durent
400 IMPRESSION PRODUITE PAR LA PROTESTATION
reconnaître le caractère élevé et patriotique du
langage tenu par le chef de la maison de France.
Ceux qui assistèrent à son départ du Tréport fu-
rent les témoins de l'une des grandes scènes de
notre histoire; M. de Freycinet, dans son dis-
cours, avait désigné M. le comte de Paris pour le
trône : la foule immense, qui l'a suivi jusqu'au
rivage, a fait de son exil un couronnement. Tous
les rangs de la société étaient confondus au châ-
teau d'Eu ; les plus grands noms de France comme
les plus humbles, les ouvriers, les pêcheurs, les
femmes, les enfants, étaient unis dans un même
sentiment. On a bien eu là ainsi le spectacle de la
royauté qui convient à notre société démocra-
tique.
Par son manifeste, M. le comte de Paris a mon-
tré qu'il avait à la fois le sens de la démocratie et
le sentiment de l'autorité. La France sait qu'elle a
le droit d'espérer en lui parce qu'il personnifie
son avenir ! Elle le sait, et elle non plus ne faillira
pas à son devoir.
M. le comte de Paris a le grand mérite de savoir
tout entendre. A l'occasion de sa protestation du
24 juin, il s'entretenait en Angleterre avec des
amis venus de France, quand l'un d'eux lui ma-
nifesta son étonnement d'y avoir trouvé une allu-
sion à M. le comte de Ghambord.
Le prince lui répondit par les paroles suivantes
qui nous ont été rapportées le lendemain même :
l'article du « SOLEIL » 401
Je n'ai accompli que deux actes politiques dans ma vie:
le premiei% à Frolisdorf, le 5 août 1873; le second, le
7 juillet 1883, quand M. le comte de Chambord, me pressant
sur son cœur et m'embrassant, me dit avec une émotion que
je partageais : « Vous savez quel dépôt je vous confie! »
Je n'ai pas voulu, par souci de je ne sais quelle vaine
popularité, passer sous silence le nom du chef de ma mai-
son, quand pour la première fois j'allais parler à la
France
Parmi les articles publiés par la presse, à cette
occasion, je me contenterai d'en reproduire deux :
l'un, du Soleil., de M. Edouard Hervé; l'autre du
journal anglais le Standard. M. Hervé s'exprime
ainsi dans un article intitulé : L'Héritier.
Elle est exécutée, l'odieuse mesure qui arrache du sol
de la France le premier de tous les Français. Hier, le comte
de Paris, après avoir fait arborer les couleurs nationales
au grand mât du bateau qui était venu le chercher, a tra-
versé la mer.
L'exil est commencé : il sera court.
Oui, l'exil sera court : nous en avons pour gage le mou-
vement d'opposition qui va sans cesse grandissant contre
un gouvernement violent parce qu'il est faible, et les trois
millions et demi de votes conservateurs qui, bientôt, se
changei'ont en six millions de votes monarchiques.
Nous en avons pour gage le concours de tant de bons
citoyens venus pour saluer l'exilé, àla veille, ou au moment
de son départ, et les sentiments de tous ceux qui, dans
l'impossibilité de participer matériellement à cette mani-
festation, s'y sont associés par le cœur.
26
402 l'article du « soleil «
Nous en avons pour gage, enfin, la parole virile par
laquelle le comte de Paris termine sa protestation.
Il est prêt pour l'heure décisive. Il a confiance dans la
France : elle aura confiance en lui. Elle sent déjà et chaque
jour elle sentira davantage qu'en dehors de la Monarchie
qui se personnifie en lui, elle ne trouvera pas le repos dont
elle a besoin après tant d'agitations.
Pour réconcilier les diverses fractions de la grande
famille française, séparées par de longues discordes, il
fallait être en mesure de donner à chacune d'entre elles la
satisfaction à laquelle elle tient le plus.
Il fallait représenter en même temps la monarchie an-
cienne et la monarchie nouvelle : par conséquent, il fallait
être à la fois le successeur de M. le comte de Ghambord et
le continuateur de Louis-Philippe.
Il fallait pouvoir rallier en même temps les républicains
désabusés et les impérialistes découragés ; par conséquent,
il fallait avoir à la fois le sens de la démocratie et le senti-
ment de l'autorité.
Ces conditions qui semblaient presque inconciliables, le
comte de Paris les réunit toutes. Il est donc impossible de
ne pas voir que l'avenir de la France est là.
Nos adversaires le voient comme nous. C'est pour cela
qu'ils sont irrités ; c'est pour cela qu'ils frappent, c'est
pour cela qu'ils proscrivent.
Quand un gouvernement approche de sa fin, il y a
toujours en vue un homme, une famille ou un système
politique qui se trouve désigné pour recueillir la succes-
sion.
L'héritage de la République va s'ouvrir. Or, parmi tous
ceux qui pensent, parmi tous ceux qui prévoient, il n'est
l'article du « STANDARD » 403
personne qui, en i^egarclant le chemin parcouru dej)uis
trois ans par le comte de Paris et la situation hors de
pair qu'il occupe aujourd'hui, ne se dise : l'héritier, le
voilà !
La République n'a pas seulement cessé depuis longtemps
d'être conservatrice : elle s'est mise dans l'impossibilité de
le redevenir.
Les honnêtes gens ont besoin d'être défendus. Ils savent
qu'ils seront abandonnés, à l'heure du danger, par un gou-
vernement qui ne sait jamais que capituler devant les
mauvaises passions. Ils se détournent de lui.
La France veut l'ordre. La République ne peut plus le
lui garantir. La Monarchie le lui assurera.
Voici maintenant en quels termes le Standard
souhaita la bienvenue à M. le comte de Paris :
Un hôte illustre est débarqué hier sur nos rivages ; on
lui a fait une réception dont la cordialité respectueuse a été
digne et de lui et de nous. L'Angleterre a été le refuge
d'exilés célèbres appartenant à toutes les nationalités, mais
nous osons le dire, jamais son hospitalité n'a été offerte
avec plus d'empressement à aucun exilé politique qu'elle
ne l'est à présent à l'héritier de la seconde des plus an-
ciennes couronnes d'Europe, au représentant des grandes
maisons de Bourbon, de Condé, de Valois et d'Orléans,
au prince dans les veines duquel court le sang d'une lignée
de rois. Ce brave et honorable gentleman, qui, en toute
occasion, s'est montré digne du grand nom qu'il porte, a
été chassé de son pays avec défense d'y rentrer sous peine
d'amende et d'emprisonnement. Il a dû quitter la France,
parce que la France (la France oflicielle) a peur de lui.
404 INSTRUCTIONS DE M^'^ LE COMTE DE PARIS
Tel est rhumiliant aveu qu'ont fait les ministres et les
législateurs de la République en votant la loi sur l'expulsion
des princes. L'État ne se sent pas assez fort pour assurer
sa sécurité tant que les princes n'ont pas franchi ses fron-
tières. La démocratie moderne, comme l'ancienne, doit
recourir aux moyens désespérés, à l'ostracisme, pour se
débarrasser d'un homme qu'elle croit trop puissant
Les républicains peuvent faire disparaître la royauté ;
mais ils ne peuvent faire disparaître cet intérêt que toutes
les classes en France portent à ses représentants. Ils ne
peuvent empêcher les grandes puissances de recevoir les
princes et de les traiter en égaux, alors qu'elles n'ont que
de la politesse pour la cour républicaine de l'Elysée.
Quinze mois après cet exil immérité, M. le
comte de Paris, dans un langage d'une saisis-
sante clarté, envoya ses « Instructions aux re-
présentants du parti monarchiste en France ».
Le 15 septembre 1887, au malin, toutes les villes
de France pouvaient lire le document suivant :
INSTRUCTIONS DE MONSEIGNEUR LE COMTE DE PARIS AUX
REPRÉSENTANTS DU PARTI MONARCHISTE EN FRANCE.
A de graves périls a succédé un calme apparent. L'hon-
neur en revient principalement aux monarchistes de la
Chambre. Ils ont, en effet, compris que leur rôle était
déterminé [)ar leur nombre même. S'ils n'étaient qu'une
faible minorité, ils devraient se borner à d'énergiques et
incessantes protestations. S'ils étaient la majorité, ils
auraient à prendre la responsabilité du pouvoir. Mais,
assez nombreux pour peser d'un juste poids surlesdéci-
INSTRUCTIONS DE M"' LE COMTE DE PARIS 405
sions de l'Assemblée, la direction des affaires n'est
cependant pas entre leurs mains. Ils ne doivent donc
s'occuper aujourd'hui que de défendre les intérêts conser-
vateurs et la fortune publique, sans aggraver les crises
parlementaires dont la République donne le trop fréquent
spectacle. C'est ce qu'ils ont fait avec un rare patriotisme
dans une récente et mémorable circonstance. Ils ont ainsi
bien mérité de la France conservatrice.
Mais ce calme apparent dissimule mal les périls de
l'avenir. Les considérations électorales qui dominent une
Chambre, elle-même toute-puissante, stérilisent tous les
efforts tentés pour rétablir l'ordre dans les fmances.
L'instabilité du pouvoir exécutif isole la France en Europe.
La tranquillité matérielle est à peine assurée. Partout la
faction triomphante opprime le reste des citoyens. Per-
sonne enfin n'a confiance dans le lendemain.
Cette situation impose d'autres devoirs aux monarchis-
tes dans le pays. N'étant pas liés devant la Nation comme
ils le sont dans le Parlement, par un mandat limité, ils
ont une tâche plus large à remplir. Ils doivent montrer à
la France combien la Monarchie lui est nécessaire et
combien le rétablissement en serait facile. Ils doivent la
rassurer sur les dangers imaginaires de la transition,
lui prouver que cette transition peut s'effectuer légalement.
En vain le Congrès a-t-il proclamé l'éternité de la Répu-
blique. Ce qu'un Congrès a fait, un autre peut le défaire,
et le jour où la France aura manifesté clairement sa
volonté, aucun obstacle de procédure n'empêchera la
Monarchie de renaître.
Toutefois, instruit par une triste expérience, le pays
croit peu aux transformations légales et régulières de son
406 INSTRUCTIONS DE M^'' LE COMTE DE PARIS
état politique. Son histoire, malheureusement, lui fournit
trop (le raisons de prévoir une de ces crises violentes qui
semblent avoir pris dans notre vie nationale un caractère
périodique. Si une telle crise se produit, la Monarchie
peut et doit en sortir. Mais elle ne l'aura pas provoquée.
La crise sera l'œuvre de certains républicains, soit que les
passions et les souffrances populaires, exploitées par des
ambitions criminelles, amènent des troubles civils, soit
qu'une faction politique ait recours à la force pour s'empa-
rer du pouvoir suprême. Le jour où la légalité aura été
violée, la Monarchie apparaîtra comme l'instrument néces-
saire du rétablissement de l'ordre et le gage de la con-
corde.
Mais il est bon que la France sache d'avance ce que sera
celte Monarchie. Le moment est favorable pour le lui dire,
pour l'avertir qu'elle ne marquera pas un retour en arrière.
Il faut lui montrer que le principe de la tradition histori-
que, avec sa merveilleuse souplesse, peut s'adapter aux
institutions modernes ; qu'il apportera au gouvernement
de notre société démocratique l'élément pondérateur qui
manque sous le régime républicain, et cju'il jouera dans
cette société un rôle non moins efficace que dans les vieilles
monarchies européennes qui se sont pacifiquement trans-
formées.
Si la Monarchie capétienne a constitué l'unité et déve-
loppé la puissance de la France à travers toutes les
vicissitudes de notre longue histoire, c'est qu'elle a eu
pour origine de sa grande mission un véritable pacte
national, pacte conclu aux premières heures de cette
histoire entre ceux qui représentaient alors la France
naissante et la famille dont le sort devait rester uni au
INSTRUCTIONS DE M""" LE COMTE DE PARIS 407
sien dans la mauvaise comme dans la bonne fortune. Pour
fonder après tant] de révolutions un gouvernement dont la
base soit plus ferme et plus large qu'une simple prise de
possession du pouvoir ou une délégation de la souverai-
neté du nombre, il faut faire revivre la tradition histori-
que par un accord librement consenti enlre^la Nation et la
famille dépositaire de cette tradition. Cet engagement
réciproque consacrant le droit historique et liant, comme
tous les contrats, les générations futures, peut seul garan-
tir à la fois la stabilité dont la France a besoin pour repren-
dre son rang en Europe, et la vraie liberté qui est surtout
la protection des faibles.
Ce pacte ancien sera remis en vigueur, au nom de la
France, soit par une Assemblée constituante, soit par le
vote populaire. Par cela même qu'elle est inusitée sous la
Monarchie, cette dernière forme est plus solennelle et
peut mieux convenir à un acte qui ne doit pas se renouve-
ler. Elle permet de donner, sans retards, une assise solide
à la Constitution. Un gouvernement porté par l'opinion
publique comme le sera la Monarchie le jour de son avè-
nement n'a rien à craindre de cette consultation directe
de la Nation.
* *
C'est au suffrage universel direct que doit appartenir le
choix des députés. Grâce à son origine antique et à son
établissement nouveau, la Monarchie sera assez forte pour
concilier la pratique du suffrage universel avec les garan-
ties d'ordre que lui demandera le pays dégoûté du parle-
mentarisme républicain. Le pays voudra un gouvernement
fort, parce qu'il comprend très bien que même le véritable
régime parlementaire, celui qui, sous la Monarchie, a jeté
408 INSTRUCTIONS DE M^''' LE COMTE DE PARIS
tant d'éclat de 1815 à 1848, n'est pas compatible avec une
Assemblée élue par le suffrage universel. Il faut modifier
le mécanisme pour l'adapter ii ce nouveau et puissant
moteur. Sous la République, la Chambre gouverne sans
contrôle. Sous la Monarchie, le roi gouverne avec le con-
cours des Chambres.
A côté de la Chambre des députés, une autorité égale
appartiendra au Sénat, en majeure partie électif, et qui
réunira dans son sein les représentants des grandes forces
et des grands intérêts sociaux. Entre ces deux Assem-
blées, la Royauté, ayant ses ministres pour interprètes,
pouvant s'appuyer sur l'une ou sur l'autre, sera éclairée,
guidée, mais non asservie. Il suffira d'une modification de
nos pratiques parlementaires pour maintenir cet équilibre
et prévenir toute domination exclusive de l'une ou l'autre
Chambre. Le budget, au lieu d'être voté annuellement,
sera désormais une loi ordinaire et ne pourra, par consé-
quent, être amendé que par l'accord des trois pouvoirs.
Chaque année, la loi de finances ne comprendra que les
modifications proposées par le Gouvernement au budget
antérieur. Si ces propositions sont rejetées, tous les ser-
vices ])ublics ne seront pas suspendus et les intérêts privés
compromis, comme par le refus du budget. Et, cependant,
les vrais principes constitutionnels seront scrupuleusement
respectés, car aucun nouvel impôt ne pourra être établi,
aucune dépense nouvelle ne sera décidée, sans le consente-
ment des élus de la Nation.
A ces élus reviendra également la tâche de discuter
librement toutes les questions qui intéressent le pays,
d'écouter toutes les protestations que pourra soulever
l'action gouvernementale. Si ces protestations sont légi-
INSTRUCTIONS DE M?'' 1,E COMTE DE PARIS 409
times, ils en seront les premiers interprètes et l'adhésion
de l'autre Assemblée ne leur fera pas défaut. Mais un
caprice de la Chambre des députés ne pourra plus, à l'im-
proviste, paralyser la vie publique et la politique nationale.
La Monarchie devra rétablir l'économie dans les finances,
l'ordre dans l'administration, l'indépendance dans l'exer-
cice de la justice. Elle devra relever pacifiquement notre
situation en Europe, nous faire respecter et rechercher
par nos voisins. Les Ministres qui la serviront dans cette
grande entreprise ne sauraient en poursuivre la réalisa-
tion avec persévérance s'ils ont la crainte de voir leurs
efforts interrompus par un simple accident parlementaire.
Ils se sentiront affranchis de cette crainte le jour où ils
seront responsables, non plus devant une seule Chambre
omnipotente, mais devant les trois pouvoirs investis de la
puissance législative. Ainsi, les Députés, ne pouvant plus
élever ou renverser les ministères, n'exerceront plus cette
influence abusive qui est aussi funeste pour l'Assemblée
que pour l'administration.
Les Constitutions ne valent que par l'esprit dans lequel
elles sont ap[)liquées. La France le sait bien. Il importe
donc, avant tout, de la convaincre que la Monarchie nou-
velle saura satisfaire à la fois ses besoins conservateurs et
sa passion de l'égalité.
Sous la protection du gouvernement monarchique, la
France pourra recouvrer, dans la paix et le travail, sa pros-
périté d'autrefois. Grâce à la confiance inspirée par la
solidité de ses institutions, elle aura l'autorité nécessaire
])Our traiter avec les puissances et poursuivre l'allégement
simultané des charges militaires qui ruinent la vieille
Europe au profit des autres parties du monde.
410 INSTRUCTIONS DE M^'"" LE COMTE DE PARIS
La Monarchie accordera à tous les cultes la protection
qu'un gouvernement éclairé doit aux croyances qui con-
solent l'âme humaine des misères terrestres, élèvent les
cœurs et fortifient les courages. Elle garantira au clergé le
respect qui lui est dû pour l'accomplissement de sa mis-
sion. En restituant aux communes, dans le domaine des
choses scolaires, l'indépendance qu'une législation tyran-
nique leur a ravie, elle rendra à la France la liberté de
l'éducation chrétienne. Elle assurera aux associations reli-
gieuses, comme aux autres, la liberté qui deviendra, sous
certaines conditions d'ordre public, le droit commun de
tous les Français, au lieu d'être, comme aujourd'hui, le
privilège d'un parti. Ainsi sera rétablie la paix religieuse
qu'une [)olitique intolérante a si profondément troublée.
La Monarchie mettra les traditions militaires à l'abri
des fluctuations de la politique en donnant à l'armée un
chef incontesté et immuable. La permanence du comman-
dement au sommet aura pour conséquence la solidité de la
discipline à tous les degrés de la hiérarchie.
La stabilité de son gouvernement lui permettra de s'ap-
pliquer avec suite à l'étude des problèmes que soulève la
condition de nos populations laborieuses des villes et des
campagnes, de poursuivre l'amélioration de leur sort et
d'adoucir leurs souffrances. Loin d'exciter les unes contre
les autres les différentes classes qui concourent à produire
la richesse nationale, elle s'efforcera de les réconcilier et
d'amener ainsi la pacification sociale.
Dans notre société en transformation, une courte période
de seize années a vu surgir, de|)uis le hameau jusqu'à la
capitale, ce que les républicains ont appelé « les nouvelles
couches ». Des hommes nouveaux sont arrivés en grand
INSTRUCTIONS DE M?^ LE COMTE DE PARIS 411
nombre à conquérir une part d'influence qu'ils ne possé-
daient pas encore. Ils l'auraient acquise sous tout autre
gouvernement, car ce progrès légitime de leur condition
est le fruit des bienfaits de l'instruction et de la lente
ascension qui, à travers les siècles de notre histoire, a
rapproché les différentes classes de la société. Mais ils
croient la devoir à la République. Ils continueront a en
jouir, il faut qu'ils le sachent, sous l'égide de la Monar-
chie Le maintien du suffrage universel, pour toutes les
fonctions actuellement électives, et de la nomination des
maires par les conseils municipaux dans les communes
rurales, sera leur principale garantie.
De même, les modestes serviteurs de l'Etat qui ont
cagné leur situation par leur travail ne seront pas menacés
parce qu'ils la tiennent de la République. Si, d'une part,
toutes les victimes de la persécution républicaine sont
assurées de recevoir l'ample réparation qui leur est due,
d'autre part les exploiteurs et les indignes qui avihssent
leurs fonctions auront seuls à redouter l'avènement d'un
pouvoir honnête et juste.
La Monarchie ne sera pas la revanche d'un parti vain-
queur sur un parti vaincu, le triomphe d'une classe sur
une autre classe. En élevant au-dessus de toute compéti-
tion le dépositaire du pouvoir exécutif, elle fait de lui le
gardien suprême de la loi devant laquelle tous seront égaux.
Que dès aujourd'hui tous les bons citoyens, tous les
patriotes dont le régime actuel a déçu les espérances,
compromis les intérêts, blessé la conscience, se joignent
aux ouvriers de la première heure pour préparer le salut
commun! Qu'ils secondent les efforts de celui qui sera le
Roi de tous et le premier serviteur de la France!
412 LE PROGRAMME ROYAL
Aucun commentaire n'est nécessaire en pré-
sence d'un programme aussi nettement défini :
aucune équivoque n'est possible. Le chef de la
maison de France s'adresse à tous les bons ci-
toyens, aux anciens défenseurs de la monarchie,
aux conservateurs indécis ou indifférents, comme
aux républicains déçus dans leurs espérances.
11 les convie tous au relèvement de la patrie.
Pas un homme de bonne foi ne pourra lire ces
I/istructlo/is, sans être frappé de la hauteur de
vues, de la largeur d'idées, enfin, des moyens
pratiques que M. le comte de Paris indique,
pour rallier à son gouvernement tous les Fran-
çais soucieux de voir restaurer un régime seul
capable d'assurer l'ordre public et la grandeur
nationale.
Fidèle aux glorieux souvenirs de ses aïeux, les
rois de France, depuis Hugues Gapet, Louis YI
qui affranchit les communes, saint Louis qui
donna ces Institutions justement célèbres, jus-
qu'à Louis XI, Henri IV, Louis XIV, Louis XVIII,
et enfin son aïeul Louis-Philippe P"", M. le comte
de Paris juge avec un grand sens politique
(neuf siècles juste après Hugues Gapet) quelle
est la monarchie nouvelle qui convient à la
France de 1887.
D'âge en âge, la monarchie n'a pas cessé de
se transformer comme la société, et ce fut son
excellence comme sa gloire. Le prince sait que
LE PROGRAMME ROYAL 413
la France ne supporterait , ni une monarchie
absolue, ni une monarchie licencieusement
parlementaire. Ce qu'elle veut, c'est, non un
sabre brutal, mais une main sûre, ferme, réso-
lue, qui sache tenir les rênes du pouvoir sans
faiblesse et avec autorité. Voilà pourquoi M. le
comte de Paris, avec une hardiesse qu'aucun
prétendant n'eut jamais, propose à la France
une monarchie héréditaire et constitutionnelle,
autoritaire et libérale, qui affermisse son titre
historique par un contrat national, qui ne favo-
rise aucune classe, mais s'applique à la paci-
fication sociale, qui laisse enfin à la démocratie
son expansion, tout en marquant à son action
un point fixe, pour assurer la stabilité de l'État.
D'un bout de la France à l'autre, l'impression
produite par ces Instructions a été profonde.
Les républicains ont affecté d'abord une indiffé-
rence bientôt démentie par des articles haineux,
où la colère, l'inquiétude, étaient visibles. L'un
d'eux pourtant a déclaré que c'était le document
le plus considérable qui ait paru depuis 1848.
La plupart sentent bien que le moment approche,
où la France lassée et excédée de ce régime
sans dignité, sans prévoyance et sans sécurité
qui la perd, secouera leur joug. Aussi s'eftrayenl-
ils de voir le.s défections augmenter chaque
jour parmi eux : ils avouent que la lutte se
trouve simplifiée, et qu'il ne reste plus en pré-
414 CONCLUSION
sence que deux gouvernements : la République,
appelée à devenir de jour en jour plus violente
et jacobine; et la Royauté, tutélaire des droits de
chacun, faisant respecter les lois égales pour
tous, et enfin un pouvoir fort, dans une nation libre.
A l'étranger môme, la sensation a été très
grande. Beaucoup de souverains, pleins d'estime
pour M. le comte de Paris, ne soupçonnaient
pas ses brillantes qualités de chef d'Etat, et le
prince a trouvé là en Europe un grand succès
personnel
Notre tâche est terminée. Nous avons essayé de
faire connaître l'existence, si bien remplie, de
M. le comte de Pa^ns, ce prince à qui, a-t-on dit
avec justesse, « rien n'est étranger dans notre
siècle, et qui, représentant du pkis illustre passé,
héritier de soixante rois, s'avance aux yeux de la
patrie et du monde, sous l'éclat des gloires et des
bienfaits que, depuis douze siècles, ses aïeux ont
accumulés pour la France ».
Une réflexion s'impose quand on achève la lec-
ture de cette vie si belle de M. le comte de Paris,
depuis le 24 février 1848, depuis ce jour où le
trône de son grand-père, le roi Louis-Philippe,
fut brisé par la moins justifiée des insurrections.
Il est impossible de ne pas être frappé du patrio-
tisme ardent qui, toute sa vie, a guidé I\I. le comte
de Paris. Amour de l'étude, persévérance dans le
CONCLUSION 415
travail, passion du métier des armes, telles sont
les qualités qui distinguent le chef de la maison
de France. Écrivain bien français, préoccupé des
questions sociales les plus graves, il montre tou-
jours une abnégation complète de lui-même,
comme en 1873 lorsqu'il s'efface devant M. lecomte
de Chambord. On le voit, en tout et sur tout,
guidé par un seul mobile, l'intérêt de la patrie,
qu'il aime passionnément.
Quand, après la mort de M. Thiers, disparais-
sent brusquement le fils de Napoléon II F, pure et
noble victime au cœur chevaleresque et généreux;
puis M. Gambetta, dont tous les eflorts tendaient
à devenir président d'une république autoritaire;
enfin, quand on voit M. le comte de Chambord
expirer à soixante-trois ans, après avoir conservé
intact le dépôt de la monarchie traditionnelle,
héréditaire, ne seinble-t-il pas que la Providence
tient en réserve, pour le salut du pays, ce prince
qui, par son éducation, son caractère, ses goûts,
est en pleine harmonie avec les aspirations de
notre société démocratique ?
Le petit-fils du roi Louis-Philippe sera vrai-
ment le roi de tous, « un roi à l'avènement duquel
il n'y aura ni vainqueurs ni vaincus, un roi que
pourront acclamer les ouvriers comme les patrons,
les nobles comme les bourgeois, les républicains
désabusés comme les légitimistes en deuil du
416 CONCLUSION
comte de Ghambord, et les bonapartistes du prince
impérial : la volonté nationale concourra ainsi
avec la volonté divine pour relever la monarchie,
et, par cette monarchie, la France^ ».
La France, que le noble et touchant adieu du
24 juin 1886 avait profondément remuée, a ac-
cueilli avec une vive émotion et une admiration
reconnaissante les « Instructions de M^"" le comte
de Paris aux représentants du parti monarchiste
en France », le 15 septembre, et partout on dit
maintenant : « Oui, c'est bien là le roi qu'il nous
faut ! »
La lumière se fait dans les villes comme dans
les campagnes. La République atteint le paysan
dans ses affections, en envoyant ses fils verser
inutilement leur sang au Tonkin ; elle l'atteint
dans ses intérêts, en augmentant chaque jour les
impôts; aujourd'hui aux abois, elle ne peut plus
nier le gaspillage inouï de nos finances, si pros-
pères quand le maréchal de Mac Mahon quitta le
pouvoir où les conservateurs l'avaient placé.
Le suffrage universel secouera le joug des répu-
blicains qui ruinent le pays.
On essayera de falsifier les votes, on tentera peul-
clre de recommencer un 18 fructidor en cassant les
arrêts du pays par un coup de force; cela importe
peu. Il n'y a pas d'exemple qu'un peuple violenté,
1. f.e liai de tous, brochure parue chez Dentu à la fin de 1883.
CONCLUSION 417
opprimé dans ses aspirations légitimes, ne finisse
par recouvrer ses libertés.
Alors la nation, profitant de l'expérience et des
progrès du passé, retrouvera cette liberté sage et
féconde qui a fait jadis sa force, et elle acclamera
le roi de France, qui, réparant les ruines accumu-
lées par cent ans de révolutions, rendra enfin au
pays, avec le prestige du droit monarchique héré-
ditaire, la prospérité, la grandeur et la paix.
27
APPENDICE
I. Procès-verbal de la naissance de Mg^ le comte de Paris,
d'après le Moniteur du 25 août 1838.
II. Sur la naissance de M^^ le comte de Paris, pièce de vers
par Alfred de Musset. Paris, 29 août 1838.
III. Description de l'épée offerte à Ms^ le comte de Paris parle
conseil municipal de la ville de Paris. 2 mai 1841.
IV. L'artillerie en Amérique pendant la guerre de sécession
(1862), par Ms-- le comte de Paris.
V. Liste des cadeaux ofTerts à S. A. R. Madame la princesse
Amélie de France, duchesse de Bragance, à l'occasion de
son mariage, 15 mai 1886.
YI. Ms"" le comte de Paris, agriculteur.
YII. Liste par ordre alphabétique des personnes qui se sont
rendues au château d'Eu et au Tréport pour saluer Mg' le
comte de Paris avant son embarquement, le 24 juin 1886.
I
PROCÈS-VERBAL
DE LA NAISSANCE DE S. A. R. MONSEIGNEUR LE COUTE DE PARIS
Voici ce qu'on lisait au Moniteur du 25 août 1838, à la partie
non officielle :
Paris, le 24 août.
Aujourd'hui 24 août, à deux heures cinquante minutes
après midi, S. A. R. M""® la duchesse d'Orléans est heu-
reusement accouchée d'un prince qui, d'après les ordres
du roi, a reçu le nom de Louis-Philippe- Albert d'Orléans,
comte de Paris. Le comte de Paris et son auguste mère
sont en parfaite santé.
Le matin, entre huit heures et neuf heures. Son Altesse
Royale ressentit les premières douleurs ; aussitôt des mes-
sagers ont été envoyés par M. le général baron Athalin,
aide de camp du roi, au nom de Sa Majesté, pour avertir
M. le président du conseil et tous les ministres, M. le chan-
celier de France, M. le grand référendaire de la Chambre
des pairs, M. le maréchal comte Gérard, grand chancelier
de la Légion d'honneur ; M. le maréchal comte de Lobau,
commandant en chef des gardes nationales du départe-
met de la Seine, de se rendre aux Tuileries.
A dix heures, le roi, la reine, tous les princes de la
famille royale, la grande duchesse de Meklembourg,
S. A. R. M^'' le duc Alexandre de Wurtemberg étaient
réunis au pavillon Marsan, où sont arrivés successivement
M. le comte Mole, président du conseil et tous ses collè-
gues, M. le baron Pasquier, chancelier de Finance, accom-
■j22 PROCES-VERBAL DE LA NAISSANCE
pagué de M. le duc Decazes, grand référendaire, et de
M. Gauchy, garde des archives; M. le maréchal comte de
Lobau, M. le maréchal comte Gérard, témoins désignes
par Sa Majesté.
Le roi a fait inviter à se rendre au pavillon Marsan :
M. Dupin, président de la Ciiambre des députés; M. le
comte Portails, premier président de la cour de cassation ;
M. le comte Siméon, premier président de la cour des
comptes; M. le baron Seguier, premier président de la
cour royale de Paris; M. le général comte Pajol, comman-
dant de la 1'''^ division militaire; M. le comte de Rambu-
teau et M. Delessert, préfets; M. le général Jacqueminot,
chef de l'état-major général de la garde nationale, et les
dames et officiers de la maison royale.
A deux heures, le roi a fait entrer dans la chambre de
la princesse M. le comte Mole, président du conseil des
ministres; M. le baron Pasquier, chancelier de France ;
M. le duc Decazes, grand référendait-e de la Chambre des
pairs; M. le maréchal comte Gérard, et M. le maréchal
comte de Lobau, témoins désignés.
A deux heures cinquante minutes, S. A. R. M™'' la du-
chesse d'Orléans, — qui a fait preuve du plus grand cou-
rage au milieu de ses souffrances, — a mis au monde un
prince bien portant.
Aussitôt M. le comte Mole est sorti de la chambre en
s'écriant : Nous avons un prince ! Ces mots ont été accueil-
lis par les cris répétés de : Vive le Roi !
S. A. R. le duc d'Orléans, qui, pendant tout le temps du
travail, n'avait cessé de prodiguer à la j)rincesse les soins
les plus touchants, a fait éclater une vive satisfaction ; le
roi était profondément ému ; le bonheur rayonnait sur son
DE M^"" LE COMTE DE PARIS 423
visage. Il s'est approché du lit de sa belle-fille et l'a tenue
longtemps dans ses bras.
La reine, couverte de larmes de joie, s'est précipitée
dans le salon oii étaient les autres assistants, tenant le nou-
veau-né dans ses bras, et le leur a présenté.
Une foule nombreuse, et qui s'augmentait à chaque ins-
tant, stationnait devant la cour des Tuileries, devant le
pavillon Marsan. Elle a fait éclater d'unanimes marques
de satisfaction en apprenant que le prince venait de naître.
M. le colonel Delarue, aide de camp du ministre de la
guerre, a été porter l'ordre de tirer une salve de 101 coups
de canon pour annoncer à toute la population parisienne
la venue d'un prince, gage nouveau de la perpétuité de la
monarchie constitutionnelle et de tous les biens qu'elle
assure à la France.
Après l'accouchement, quelques accidents sont surve-
nus, qui se sont promptement dissipés. Ce soir, la prin-
cesse est bien ; l'état du prince n'a pas cessé de rester
satisfaisant.
M^' l'archevêque de Paris, qui devait ondoyer l'enfant,
s'est rendu avec empressement aux Tuileries. La cérémo-
nie a eu lieu dans la chapelle des Tuileries. C'est la reine
elle-même qui portait son petit-fils.
Le roi a adressé immédiatement une lettre autographe
au corps municipal de Paris, pour lui annoncer la naissance
de S. A. R. le comte de Paris.
A cinq heures, le roi a reçu les félicitations du corps
diplomatique, qui s'était rendu à l'invitation de Sa Ma-
jesté. Le jeune prince, porté par M""' la maréchale com-
tesse de Lobau, dame d'honneur de S. A. R. M"^ la du-
chesse d'Orléans, lui a été présenté.
424 PROCÈS-VERBAL DE LA NAISSAKCK
Dans sa partie officielle, le même numéro du Moniteur uni-
versel contenait :
1° Le procès-verbal de la naissance du prince ;
2° Son acte de naissance reçu par le baron Pasquier,
chancelier de France, remplissant les fonctions d'officier
de l'état civil, avec Elie, duc Decazes, grand référendaire
de la Chambre des pairs, accompagné de Eugène-Fran-
çois Cauchy, garde des archives de la Chambre des pairs,
en présence de Très Haut, Très Puissant et Très Excel-
lent prince Louis-Philippe, premier du nom. Roi des Fran-
çais, et de Très Haute, Très Puissante, et Très Excellente
Princesse Marie- Amélie, Reine des Français ;
En présence aussi de très haute et très puissante prin-
cesse Auguste-Frédérique de Hesse-Hombourg, grande
duchesse héréditaire douairière de Mecklembourg-Schwe-
rin, belle-mère de S. A. R. M™* la duchesse d'Orléans;
En présence également de très hauts et très puissants
princes Henri - Eugène - Philippe - Louis d'Orléans, duc
d'Aumale, et Antoine-Marie-Philippe-Louis d'Orléans, duc
de Montpensier, fils de Leurs Majestés ( LL. AA. RR. le
duc de Nemours et le prince de Joinville étant absents
pour le service du Roi), de très haute et très puissante
princesse Marie-Clémentine-Caroline-Léopoldine, prin-
cesse d'Orléans, fille de Leurs Majestés ; de très haute et
très puissante princesse Eugénie-Adélaide-Louise d'Or-
léans, sœur du roi, et de très haut et très puissant prince
Frédéric-Guillaume-Alexandre, duc de Wurtemberg,
gendre de Leurs Majestés ;
Comme aussi en présence de Mathieu-Louis, comte
Mole, président du conseil des ministres ; de Félix Barthe,
garde des sceaux ; de Simon, baron Bernard, ministre au
DE M""" LE COMTE DE PARIS 425
département de la guerre ; de Claude-Marie Ducampe de
Rosamel, ministre au département de la marine et des
colonies; de Marthe-Camille Bachasson, comte de Monta-
livet, secrétaire d'Etat au département de l'intérieur; de
Nicolas-Ferdinand-Maine-Louis-Joseph Martin (du Nord),
ministre au département des travaux publics, de l'agricul-
ture et du commerce ; et de Jean-Pierre- Joseph Lacave-
Laplagne, ministre au département des finances; de Nar-
cisse-Achille de Salvandy, ministre au département de
l'instruction publique ;
En présence pareillement des témoins désignés par le
roi, à l'effet du présent acte, savoir : Maurice-Etienne
comte Gérard, maréchal de France; et George INIouton,
comte de Lobau, maréchal de France ;
Sur la déclaration à nous faite par très haut et très
puissant prince Ferdinand-Philippe-Louis-Charles- Henri
d'Orléans, duc d'Orléans, Prince royal, père du Prince
nouveau-né.
Suivent les si<(natures.
II
s UR
LA NAISSANCE DU COMTE DE PARIS
De tant de jours de deuil, de crainte et d'espérance,
De tant d'efforts perdus, de tant de maux soufferts,
En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France,
Et de tes vieux enfants l'éternelle inconstance
Laissera-t-elle un jour le calme à l'univers?
Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire?
Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas?
Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire?
Et, sinon par pitié pour ta propre mémoire,
Par fatigue du moins t'arrêteras-tu pas?
Ne te souvient-il plus de ces temps d'épouvante
Où de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin?
N'était-ce pas hier, et la source sanglante
Où Paris baptisa sa liberté naissante,
La sens-tu pas encor qui coule de ton sein?
A-t-il rassasié ta fierté vagabonde,
A-t-il pour les combats assouvi ton penchant,
Cet homme audacieux qui traversa le monde.
Pareil au laboureur qui traverse son champ,
Armé du soc de fer qui déciiire et féconde?
S'il te fallait alors des spectacles guerriers.
Est-ce assez d'avoir vu l'Europe dévastée,
De Memphis à Moscou la terre disputée,
El l'étranger deux fois assis à nos loyers,
Secouant de ses pieds la neige ensanglantée?
PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET 427
S'il te faut aujourd'hui des éléments nouveaux,
En est-ce assez pour toi d'avoir mis en lambeaux
Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie,
Religion, amour, liberté, tyrannie;
D'avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux?
En est-ce assez pour toi des vaines théories,
Sophisme monstrueux dont on nous a bercés,
Spectre républicain sorti des temps passés.
Abus de tous les droits, honteuses rêveries
D'assassins en délire ou d'enfants insensés?
En est-ce assez pour toi d'avoir en cinquante ans
Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte,
Charles X pour l'exil partir en cheveux blancs;
D'avoir imité Londre, Athènes, Rome et Sparte;
Et d'être enfin Français n'esl-il pas bientôt temps?
Si ce n'est pas assez, prends ton glaive et ta lance,
Réveille tes soldats, dresse tes échafauds;
En guerre! et que demain le siècle recommence,
Afin qu'un jour du moins le meurtre et la licence,
Repus de notre sang, nous laissent le repos !
Mais si Dieu n'a pas fait la souffrance inutile,
Si des maux d'ici-bas quelque bien peut venir.
Si l'orage apaisé rend le ciel plus tranquille,
S'il est vrai qu'en tombant sur un terrain fertile
Les larmes du passé fécondent l'avenir;
Sache donc profiter de ton expérience.
Toi qu'une jeune reine, en ses touchants adieux,
Appelait autrefois plaisant pays de France!
Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux.
Ose donc franchement bénir la Providence!
428 PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET
Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s'abat,
Que la paix t'affaiblit, que les forces s'épuisent :
Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent.
Ils te savent debout, ferme et prête au combat ;
Et ne pouvant briser ta force, ils la divisent.
Laisse-les s'agiter, ces gens à passion,
De nos vieux harangueurs modernes parodies;
Laisse-les étaler leurs froides comédies,
Et les deux bras croisés te prêcher l'action :
Leur seule vérité, c'est leur ambition.
Que t'importent des mots, des phrases ajustées?
As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin?
Es-tu libre? les lois sont-elles respectées?
Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin?
Le maître a-t-il son toit, et l'ouvrier son pain?
Si nous avons cela, le reste est peu de chose.
Il en faut plus pourtant, à travers nos remparts,
De l'univers jaloux pénètrent les regards.
Paris remplit le monde, et lorsqu'il se repose,
Pour que sa gloire veille il a besoin des arts.
Où les vit-on fleurir mieux qu'au siècle où nous sommes?
Quand vit-on au travail plus de mains s'exercer?
Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser?
On veut nier en vain les choses et les hommes :
Nous aurons à nos fils une page à laisser.
Le bruit de nos canons retentit aujourd'hui;
Que l'Europe l'écoute! elle doit le connaître.
France, au milieu de nous un enfant vient de naître,
Et si ma faible voix se fait entendre ici.
C'est devant son berceau que je te parle ainsi.
PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET 429
Son courageux aïeul est ce roi populaire
Qu'on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère,
En pilote hardi, nous montrer le chemin ;
Son père est près du trône, une épée à la main;
Tous les infortunés savent quelle est sa mère.
Ce n'est qu'un fils de plus que le Ciel t'a donné;
France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie;
Soulève doucement ta mamelle meurtrie.
Et verse en souriant, vieille mère patrie,
Une goutte de lait à l'enfant nouveau-né.
Alfred de Musset.
Paris, 29 août 1838.
II
DESCRIPTION DE L'EPEE
OFFERTE A S. A. R. MONSEIGNEUR LE C 0 M T E D E PARIS
PAR LE CONSEIL MUNICIPAL DE LA VILLE DE PARIS
EN 1838
M. Froment Meurice la décrit ainsi :
Le 24 août 1838, la ville de Paris résolut de faire pré-
sent d'une épée au prince qui venait de naître. M. le comte
de Rambuteau était alors préfet de la Seine ; les temps sont
bien changés !
Les nécessités d'une exécution difficile et recherchée
ne permirent pas cjue le don fût terminé avant le mois de
mai 1841 ; il était d'ailleurs magnifique, digne de la ville
qui l'offrait, digne du prince qui le recevait.
On avait demandé la coiii[)Osition à un statuaire illustre,
Jules Klagmann, et confié la fabrication à MM. Fossin et
Lepage ; le choix était heureux.
Jules Klagmann, dans toute la fraîcheur de son talent,
donna aux quatre principales ligures de la poignée et de
la coquille le caractère de grâce ample et souple qui est
comme le cachet spécial de ce maître ; il mit particulière-
ment l'empreinte de son style dans les figures debout, qui
portent les attributs de la Prudence et de la Force. Après
plus de quarante ans, combien est justifié le choix de ces
figures allégoriques : patiente j)rudence dans la conduite
de la vie ; force calme et résolue à l'heure des décisions.
Monsieur le comte de Paris n'est-il pas là tout entier?
l'épée de m""" le comte de paris 431
On chargea le célèbre armurier Lepage de fondre, de
forger et de sculpter l'acier de la poignée et de la garde,
de tremper et de ciseler la lame oii se déroule un délicat
bas-relief.
Klagmann n'était pas seulement statuaire; sa science
d'ornemaniste, que n'eût pas désavouée un Florentin du
seizième siècle, anima les formes simples de la poignée par
l'introduction de figurines, de petits génies, d'enfants, dont
les lignes se combinent avec celles de l'ornementation.
Rien de décousu, rien de heurté ; les détails enveloppés se
fondent dans un profil harmonieux; aucun angle ne blesse
ni les yeux ni la main ; l'arme peut être maniée sans fa-
tigue, pourvu que le bras soit robuste, et cette condition-
là, elle est remplie de reste, si l'on en croit le témoignage
de Porter et de Mac Clellan sur les batailles de Fair-Oaks
et de Gaine's Mills.
La solide construction de cette épée était un peu sévère
pour un jeune prince ; il fallait la revêtir d'un coloris
chaud; il fallait y ajouter la richesse de l'or, des émaux et
des pierreries ; nul n'était plus apte à cette tâche que le
joaillier dont le goût raffiné faisait loi à cette date. Un
esprit parisien, une rare distinction naturelle, marquaient
la place de Fossin dans le milieu où vivaient Alfred ' de
Musset et Pradier, Victor Hugo et Delacroix, Ingres et
Balzac, dans ce groupe sur lequel régnait, moins par droit
de naissance que par l'empire de la séduction, le brillant
et charmant duc d'Orléans.
Ce n'était pas la république athénienne, mais c'était
Athènes.
Fossin eut donc mission de décorer le fourreau, en tôle
rubannée, d'un réseau d'arabesques déliées où alternent
432 l'ÉPÉE de M'"" LE COMTE DE PARIS
l'or et l'émail, de repousser en or les figurines de la poi-
gnée et celles qui sont couchées sur la coquille : d'un
côté, la Ville de Paris, couronnée de tours ; de l'autre, la
Fortune propice, appuyée sur la corne d'abondance.
C'est aussi l'orfèvre qui a serti, au centre de la garde,
trois pierres précieuses de l'eau la plus pure : un sapliir,
un diamant et un rubis, pour former le drapeau tricolore
et le mettre dans la main du comte de Paris ; enfin, c'est
encore l'orfèvre qui a écrit en lettres d'or sur le noir de
l'acier, cette fière devise : Urbs dédit, patriœ prosit
Je trouve ailleurs les autres curieux détails suivants sur
cette épée :
La poignée est dédiée à la Force et à la Prudence ; elle
est en acier fondu, forgé et sculpté ; les figures et une
partie des ornements sont d'or repoussé ou incrusté. Sur
un des côtés, une figure, coiffée d'un casque dont le cimier
est un serpent, et tenant dans la main droite un miroir, re-
présentant la Prudence ■ sur le revers de cette partie de la
poignée, une figure très énergiquement campée person-
nifie la Force. Au milieu de la coquille, un enfant (le jeune
prince) repose sur le vaisseau, symbole de la ville de
Paris. De chaque côté, les regards fixés sur l'enfant, une
figure : l'une couronnée de tours, est la Ville de Paris ;
l'autre, la Fortune propice. Au-dessus, un lion couché
auprès d'un serpent qui enlace la garde. Sur le devant de
la garde, le coq gaulois, aux ailes déployées, au col gonflé,
s'apprête au combat. Il repose sur trois j)ierrcs d'une
grande beauté : un rubis, un saphir, un briUant, qui sont
le rouge, le bleu et le blanc du drapeau de la Fi-ance. Une
l'épée de m"'' le comte de paris 433
couronne de prince royal en or plein, supportée par
quatre petits génies, forme le pommeau, et la garde se ter-
mine par un dragon protégeant l'écu où les armes du
prince sont gravées et émaillées.
La lame, dédiée à la Guerre, est décorée de gravures
sur acier et d'incrustations d'or. Sous la poignée, cette
inscription en lettres d'or : Au comte de Paris, sa i'illc na~
taie, 24 août 1838 ; sur le revei's, cette devise en relief :
IJrhs dédit, Patrige prosit. La face de la lame est ornée d'un
bas-relief taUlé dans l'acier : c'est une Bellone, montée sur
un char de bataille traîné par quatre chevaux emportés que
cingle son fouet de serpents. Devant le char, deux Furies
fendent l'air, l'une porte un masque de Gorgone, l'autre
agite des flambeaux; derrière le char, des loups, des oi-
seaux de proie. Puis un lugubre cortège : un vieillard
qu'on emporte, un guerrier frappé en combattant, des
femmes, des jeunes filles, des enfants qui tombent ou fuient,
des hommes implorant la justice céleste derrière laquelle
l'Agriculture et l'Industrie s'abritent. Enfin, Minerve,
appuyée sur un cippe surmonté du coq gaulois, déchaîne
un lion et le lance sur Bellone.
Le fourreau est dédié à la Victoire et à la Paix. La bé-
lière et le bout du fourreau sont d'or, les ornements repous-
sés et semés d'arabesques en émail. Sur la partie supé-
rieure, les figures de la Victoire et de la Paix avec leurs
attributs : au-dessous de la Paix, la Science, l'Art et l'In-
dustrie ; au-dessous de la Victoire, des trophées, des lau-
riers, des clairons. Dans les rinceaux, des enfants [)Ortent
des couronnes triomphales ou des couronnes de blé, de
vigne ou d'olivier.
Le fourreau a été forgé en tôle rubannée,puis aplati; il est
28
434 l'épée de m^"" le comte de paris
sans soudure sur les côtés. Lu lame a été forgée de plu-
sieurs couches d'acier : la couche intérieure est en acier
fondu; la couche supérieure en acier plus tendre, afin
qu'une fois la trempe donnée on pût la sculpter et la graver
sans la soumettre au recuit qui altère la dureté du tran-
chant et l'élasticité de l'épée.
Ce n'est point seulement une arme de parade, c'est aussi
une épée de combat ; elle dort dans son fourreau, à portée
de la main royale, attendant le jour où le prince la pourra
tirer pour le salut et l'honneur de la France. Urbs dédit,
Patrlx prosit ! Le vœu de la Ville de Paris sera exaucé :
cette arme, donnée par elle, relèvera la patrie.
IV
L'ARTILLERIE EN AMÉRIQUE
PENDANT LA GUERRE DE SÉCESSION (1862)
A l'époque où il était interdit à tout journal français de
prononcer seulement le nom d'aucun des princes d'Or-
léans, le Journal de Genève publia à la fin du mois de
juin 1862 l'intéressante lettre suivante écrite par M^' le
comte de Paris pendant le siège de Yorktown.
3 mai 18G2.
« Nous sommes en ce moment arrêtés devant York-
town, par une longue ligne d'ouvrages élevés au milieu
des bois, et couverts par un ruisseau marécageux et impra-
ticable, qui coupe la péninsule comprise entre le York et
le James River. Une armée, à peu près égale en nombre à
la nôtre, les défend. Ces ouvrages s'appuient à Yorktown,
qui, avec Gloucester de l'autre côté du York River, est la
clef de cette rivière. C'est pour la possession de cette ma-
gnifique voie de communication que nous nous battons
aujourd'hui. Si nos transports peuvent y entrer, nous
irons presque sans coup férir jusqu'à huit ou dix lieues de
Richraond.
« Le soldat américain paraît ici à son avantage. S'il n'a
pas l'esprit militaire, l'élan, la confiance mutuelle du soldat
européen, s'il marche mal et ne peut se séparer de ses
bagages, il est brave individuellement, et est né pionnier.
La péninsule que nous occupons est couverte, presque
436 l'' ARTILLERIE EN AMERIQUE
entièrement, par la forêt vierge et coupée de ravins, de
fondrières et d'immenses marécages. Aujourd'hui, elle est
sillonnée en tous sens de routes construites dans ce
difficile terrain, qui relient entre elles toutes nos divisions
ou conduisent à nos travaux d'approche. Ceux-ci commen-
cent à prendre des proportions considérables, et la nature
du i)ays leur donne un caractère tout particulier.
c( Nous avons pu, grâce à de profonds ravins, construire
des routes parfaitement couvertes, jusqu'à douze cents
mètres de la place, et élever des batteries au milieu des
bois, dont la présence ne sera révélée à l'ennemi, que
lorsque nous abattrons le rideau d'arbres qui les masque.
J'attends avec la plus grande impatience que nos batteries
ouvrent le feu, car il y aura là, au point de vue de l'artil-
lerie, des expériences très curieuses à faire. Les canons
rayés régnent ici sans partage. Pour commencer par l'en-
nemi, je dois lui rendre la justice que les siens sont fort
justes, et qu'il les tire avec une précision extraordinaire.
Il faut dire qu'il connaît parfaitement le terrain, et que
depuis six mois il s'y exerce. Il paraît avoir une grande
variété de canons ; quelques-uns sont neufs, d'autres sont
d'anciennes pièces en fonte de 32 qu'il a rayées. Ses pro-
jectiles sont en général des obus pesant entre soixante
et quatre-vingts livres, cylindro - coniques, et se for-
çant tous par l'expansion. Les uns ont, à la base, un
anneau de plomb, d'autres, une plaque de cuivre. Cette
partie se détache, avant de nous arriver, mais elle doit
prendre les rayures, car à trois mille deux cents mèti-es le
tir de l'ennemi a une justesse remarquable. Une i)arque
chargée de bombes s'étant échouée à cette distance, tandis
qu'elle portait ses projectiles à l'une de nos batteries, au
l'artillerie en AMÉRIQUE 437
fond d'une baie, l'ennemi }- a immédiatement fait éclater
deux obus. Il emploie presque toujours la fusée à per-
cussion.
« Nos canons sont fabriqués d'après deux systèmes diffé-
rents : celui de M. Parrot et celui de M. Rodman. Le
canon Parrot est une pièce de fonte, renforcée à la culasse
par une bande de fer battu, roulée après que la pièce a été
refroidie. Il y en a de tous les calibres, depuis le 10
jusqu'à 200. Les petites pièces portent trois rayures,
les plus fortes neuf. Le projectile porte à la base un cercle
de cuivre d'environ six centimètres de large sur deux cen-
timètres d'épaisseur qui se force dans les rayures.
« Le canon Rodman est fait comme l'Armstrong en ru-
bans de fer battu, mais d'après un système de fabrication
très simple, très économique et que je crois parfaitement
sûr. Il n'y en a que de deux calibres : la pièce de campagne
ayant un diamètre de trois pouces (anglais et lançant un
boulet de huit à neuf livres; celle de siège, diamètre quatre
pouces et demi, poids du boulet trente-six livres. Le pro-
jectile porte un culot de plomb ; mais je crois qu'on lui en
substituera un autre, car on lui a trouvé le double inconvé-
nient d'avoir le centre de gravité en arrière du centre de
ligure et de remplir si bien les rayures qu'il intercepte le
vent, et ne permet pas à la fusée de s'allumer.
« Les seules pièces que nous avons essayées sont les
Parrot de siège. Les pièces de 100 n'ont pas encore été
bien réglées et leurs boulets ne prennent pas toujours les
rayures ; mais la j)ièce de 200, unique encore dans son
genre, a donné les meilleurs résultats; je les ai observés
moi-même, et les voici en quelques mots :
a On a ouvert le feu sur un « pier » où abordent les
438 l'artillerie en Amérique
petits bateaux de l'ennemi, et situé à quatre mille mètres
de notre batterie. La pièce a été brisée sous un angle de
quinze degrés avec seize livres de poudre. Des hommes
stationnés avec des signaux dans une autre direction obser-
vaient les coups. Ils n'ont jamais varié que de quelques
mètres d'élévation. La déviation à droite est très régulière,
et il suffit de deux coups pour savoir comment elle est
affectée par le vent. Les obus à percussion qu'on a tirés
d'abord n'ont pas éclaté, sans doute, parce qu'à une pa-
reille distance, ils n'arrivaient pas exactement, par la
pointe. On a alors essayé les fusées à temps, en ayant soin
d'enduire de collodion la tête du boulet, pour faciliter l'in-
flammation de la fusée. Celle-ci a fonctionné avec la plus
grande régularité et il ne reste plus du « pier » que quel-
ques poutres brisées. Les bateaux ennemis s'étant réfugiés
dans une anse de cinq mille mètres de notre batterie, on a
essayé la portée du canon sur eux, et avec une élévation
de dix-sept degrés, le premier ob'is est venu éclater au
milieu d'eux.
« Ce canon est monté sur un affût en fonte, glissant sur
un châssis qui repose sur un pivot à une extrémité, et sur
deux roulettes à l'autre. Cet affût est très léger comme les
chiffres suivants le feront voir :
Poids du canon. . . 16,420 livres anglaises.
Poids de l'affût. . . 1,947 »
Poids du châssis. . 3,035 »
« Pourtant un homme suffit pour pointer la pièce, et
cinq en tout peuvent lui faire tirer un coup toutes les cinq
minutes »
LISTE DES CADEAUX
OFFERTS A S. A. R.
MADAME LA PRINCESSE AMELIE DE FRANCE, DUCHESSE DE BRAGANCE,
A l'occasion de SON MARIAGE, LE lo MAI 1886
M^'' le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris.
— Diadème, collier, broche et pendants d'oreilles, en éme-
raudes d'une inestimable valeur. Un présent vraiment
royal.
LL. AA. RR. le duc et la duchesse de Chartres. —
Neuf perles blanches. Un éventail en éci.ille blonde, avec
un bouquet de roses, peint par la duchesse de Chartres.
S. A. R. le duc d'Aumale. — Broche en émeraudes et
diamants.
LL. AA. RR. les princesses Hélène, Isabelle et Louise,
S. A. R. le duc d'Orléans et S. A. R. le prince Ferdinand.
— Six perles blanches.
S. A. R. le duc de Penthièvre. — Bague tricolore,
saphir, diamants et rubis.
S. A. R. la princesse Marguerite. — Epingle et broche,
colimaçons en œil de tigre.
LL. AA. RR. le prince et la princesse de Joinville. —
Treize perles blanches.
LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Caserte. —
Bracelet avec saphir entouré de diamants.
S. A. R. le prince Auguste de Saxe-Cobourg. —
Une petite pendule en marbre blanc et bronze doré.
440 CADEAUX OFFERTS
LL. AA. II. le grand-duc Wladimlr de Russie et la
grande-duchesse Marie Pawlowna. — Fleur de lis en dia-
mants.
S. A. R. la princesse Elisabeth de Saxe-Weimar. —
Eventail rose, monté nacre, avec chiffre en argent.
S. M. le roi d'Espagne don François d'Assise. — Col-
lier en or travaillé souple, pendants en perles.
S. M. la reine d'Espagne Isabelle II. — Croissant en
diamants.
S. A. R. la princesse Czartoryska. — Broche avec
trois gros diamants jaunes.
S. A. R. la duchesse Max-Emmanuel de Bavière. —
Coffret en cuir, avec peintures.
S. A. R. la princesse de Ilohenzollern-Sigmaringen. —
Bracelet d'or avec gros diamants et deux saphirs.
S. A. R. la princesse Clémentine de Saxe-Cobourg et
Gotha. — Cinq perles blanches.
S. A. S. le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg et Gotha.
— Pendant de cou en diamants, avec saphir cabochon.
S. A. R. l'infante Paz de Bourbon et S. A. R. le prince
Louis-Ferdinand de Bavière. — Un album de cuir tra-
vaillé, chiffre en argent.
Dons venus de la province :
Souscripteurs de Nancy. — Un j)aravcnt en vernis Mar
tin, à quatre panneaux ornés de peintures.
Les dames de la Touraine. — Grand plat aux armes de
France et de Bragance.
Souscripteurs du Berry. — Service de porcelaine, de
Vierzon.
Les dames de la Seine-Inférieure. — Eventail [)eint par
A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANGE 441
Eugène Lami, représentant une chasse au château d'Eu,
du temps de M"^ de Montpensier.
Les dames de Saône-et-Loire. — Miroir, cadre en ar-
gent ciselé.
Les dames d'Eu et du Tréport. — Grand Christ en ivoire,
cadre en ébène aux armes de France et de Portuaral.
Les royalistes du conseil général de la Loire-Inférieure.
— Les deux cœurs enlacés, avec fleur de lis au milieu,
surmontés de l'hermine bretonne, bijoux en diamants.
Les dames de Bretagne. — Une admirable statuette de
Sainte-Anne d'Auray.
Religieuses de la Providence d'Eu. — Prie-Dieu brodé,
les armes de France en losange sur velours rouge.
Jeunes filles de la ville d'Eu. — Livre d'heures en cuir
de Russie rouge. Ecrin avec armoiries.
Les employés du château. — Pendule en marbre, sur-
montée de la statue d'Henri IV enfant, de Bosio.
Orphelinat de la ville d'Eu. — Porte-bouquet en fili-
grane.
Sœurs de la salle d'asile du Tréport. — Bouquet en
coquillages.
Dons de provenances diverses :
Un paravent, monture dorée, broderie et glaces, offert
parla comtesse Pajol.
Un paravent avec oiseaux brodés, par la vicomtesse de
Giéry.
Deux jardinières en vieux Sèvres, jjar la baronne James
de Rothschild.
■ Les Pseaumes de Dom Antliolne, roy de Portugal, livre
ancien, par AL Auguste Boucher.
442 CADEAUX OFFERTS
Grand écran en tapisserie, à fleurs, monture dorée, par
la comtesse de Bondy.
Fleur de lis, en saphirs et diamants, avec aigrette, par
le duc et la duchesse de Doudeauville.
Bonbonnière, en émail, par M. William de la Rive.
Livre de piété, reliure en argent ciselé, par la marquise
de Beauvoir, douairière.
Montre ancienne, en brillants, avec châtelaine, par
M. et M"^ Aubry-Vitet.
Eventail ancien, monture en or, par la baronne N. de
Rothschild.
Montre ancienne en argent, cadre en velours, par la du-
chesse d'Uzès.
Jardinière en vieux Sèvres, par le baron et la baronne
Edmond de Rothschild.
Coussin aux armes de France, brodé au petit point, par
M"^ Laurent.
Théière et deux tasses en vieux sèvres, par le duc et la
duchesse de Bisaccia.
Vie des Saints, du comte A. de Riancey, pleine reliure,
chiffre A, par le comte de Riancey.
Jardinière en verre bleu, monture d'argent, par M. Sta-
nislas Brugnon.
Sermons choisis, 3 volumes, pleine reliure, par M"^ de
Saint-Aubin.
Cachet, monture en or ciselé, par le marquis d'Harcourt.
Bracelet avec perles, par M. et M">° Emmanuel Bocher.
Coupe en cristal gravé aux armes de France et de Bra-
gance, par la comtesse de Chambrun.
Coupe et cuiller en vieux craquelé de Chine, par la vi-
comtesse de Bondy.
A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 443
Coussins en velours rouge, brodé or et argent, par la
comtesse Odon de ^lontesquiou.
Panier à ouvrage en satin rose brodé, par M"^ Amel.
Vase en vieux sèvres, par la marquise d'Audiffret-Pas-
quier.
Broche, deux cœurs en diamants, par le comte et la
comtesse de Suzannet.
Eventail en nacre, la villa Saint-Jean et les armes de
Bragance, par M°"= et M"« du Parquet.
Aquarelle de de Penne, représentant une chasse à Chan-
tilly, le 29 janvier 1886, par M. Edouard Bocher, séna-
teur.
Introduction à la vie de\'ote, pleine reliure bleue, par
M"® Levavasseur.
Pensée en diamants, par la duchesse de Luynes.
Dragon en diamants, par M'i«^ Marie et Antoinette de
Bannelos.
Eventail de satin blanc, fleur d'épine rose, aux armes de
France et de Bragance, par M"' de Souza ;
Cofi'ret en malachite, par M. et M"» Lambert de Sainte-
Croix.
La Vierge et l'Enfant-Jésus, encadré, dans un écrin, par
le comte et la comtesse de Rochefort.
Corbeille de fleurs, par le comte et la comtesse Gra-
mont d'Aster.
Broche en diamants, dragon surmonté d'une fleur de
lis, par la comtesse d'Haussonville.
Vase en cristal surmonté d'un dragon, par M"« de Sar-
tiges.
Trois aquarelles de M. Buttura fils. Vues de Cannes, par
le docteur Buttura.
444 CADEAUX OFFERTS
Eventail, vue du Tréport et fleurs, par M"^ de Kermain-
gant.
Coffret en bronze damasquiné, par M. Banderali.
Boîte en argent, en forme de cœur, ])ar MM. C. Harris.
Coupe en argent, par The Earl et lady Coventry.
Eventail ancien, par ]M"*° de Robles.
Broche-épée avec l'inscription : In hoc signa vinces ! par
le général baron de Charette.
Histoire du Portugal, d'Auguste Bouchet, reliure
pleine, aux armes de France, par M. Bouchet, avocat.
Sachet brodé, par M''° de la Rive.
Eventail aux armes de France et de Portugal, monté en
écaille, par jM""" la baronne de Baye.
Portrait du duc d'Orléans, tableau à l'huile, encadré, par
M. Fontaine.
Ombrelle en soie blanche, monture en jonc, pomme
d'or avec chiffre A en diamants.
Vierge avec l'enfant Jésus, en vieil ivoire, par S. G.
l'archevêque de Rouen.
Aquarelle, vue du Tréport et de Mers, par M. Athalin.
Reliquaire en argent, renfermant une relique do Saint-
Laurent d'Eu, j)ar M. de Chanteloup, curé doyen d'Eu.
Lorgnette en écaille avec le chiffre A en brillants, par la
princesse de Léon.
Statue de saint Louis en bronze, par le baron Tristan
Lambert.
Sachet brodé en satin saumon, par M'"° Level.
Vue du château d'Eu, tableau à l'huile encadré, par
i\L Serrure.
Paravent brodé rose, a deux feuilles, par M™^ lîarthé-
lemv Saint-INLirc Girard in.
A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 445
La Fontaine et les fabulistes, par Saint-Marc Girardin,
de l'Académie française, par M. Barthélémy Saint-Marc
Girardin.
Flacon Louis XIV, en cristal de roche, monté en or, par
M. et M™* Guéneau de Mussy.
Une miniature d'Henri IV, par M-« veuve Alexis Moreau.
Treize volumes de Cuvillier Fleury, reliure pleine, gros
bleu, aux armes de Portugal, par M"« Tiby.
Aquarelle en forme d'éventail, le Marche au poisson au
Trep>rt, cadre doré, par M. de Grandmaison.
Coupe en cristal et bronze doré, par MM. le comte
de Chevilly et le duc de Glucksberg.
Deux flacons en cristal, monté or et argent, par
M"^ Laugel.
Bracelet en or avec trèfle à quatre feuilles en diamants,
par la marquise d'Harcourt.
Gachepot en vieux Chine, aux armes de Portugal, par
M. Morel, vice-consul de Portugal à Lyon.
Vierge en broderie, sur fond bleu, cadre bleu et or, par
la comtesse Paul de Ségur.
Petit fauteuil doré, fond bleu brodé, par la comtesse
Louis de Ségur.
Une liseuse en écaille avec la couronne royale en
brillants, par la vicomtesse de Chazelle.
Dentelles anciennes, par M-* la marquise L. de Beau-
voir
Ma jeunesse, par le comte d'Haussonville, de l'Académie
française, pleine reliure, avec A et la couronne royale, par
le comte Othenin d'Haussonville.
Deux sachets en satin blanc brodés aux armes de France
et de Portugal, par M""*^ Dupuy.
446 CADEAUX OFFERTS
Garniture de bureau en corail et argent doré, couteau à
papier, cachet, porte-plume et crayon, par M. le capitaine
Morhain.
Paire de pots à fleurs imitant l'ivoire, dessus dorés, par
le marquis et la marquise de Lasteyrie.
Coupe en vieux sèvres, fond bleu, par la baronne Na-
thaniel de Rotschild.
Eventail en écaille et plumes blanches, les armes de
Portugal en émail et diamants, par la vicomtesse de
Grefl'ulhe.
Bénitier en argent, style Louis XVI, par M. le docteur
Leclise.
Bonbonnière en argent, chiffre AO, par M. et M™* Mi-
chellet.
Feuille de vélin enluminée, vues du château, de l'église
d'Eu et du Tréport, cadre doré, par M"* Fromont.
Sachet rouge, aux armes de France et de Portugal, par
]\Ime Briggs.
Une croix en ivoire avec tête d'ange, par M"® Dudon.
Le Havre d'autrefois, pleine reliure rouge dans un écrin,
par M"" G. Gharvet, E. Dévot et A. Magnen, du Havre.
Bonbonnière or et émail, par la baronne Gustave de
Rothschild.
Petite chaise à porteurs en vernis Martin, par la du-
chesse Decazes.
Ombrelle en satin rouge recouverte de Chantilly, manche
en écaille à pomme d'or, par M™* E. André.
Broche, un dragon en diamants et perles, par la vicom-
tesse de Butler.
Coussin brodé avec pièce pour prie-Dieu, par M. Do-
quin.
A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 447
Bouquet en fruits confits, par M. J. Nègre, de Cannes.
Table en bronze avec fleurs, par la baronne Alphonse
de Rothschild.
Deux épingles, un dragon en perles et brillants, par
M"''* de Rongé.
Porte-monnaie en maroquin bleu, chiffre et monture en
or, par M. Tonnel.
Porte-cartes, en maroquin bleu, armes en argent, par
M. d'Aulnoy.
Tableau esquisse de Jadin, fait pour S. A. R. le duc
d'Orléans, prince royal, par M. Asseline.
Buvard en maroquin bleu, avec les armes de France et de
Portugal, en émail, par jNI'^* V. de Sercey.
Etui Louis XVI, or et émail, par M. Ch. Baj)st.
Porte-plume en or avec chiffre en brillants, par la com-
tesse de Glinchamp.
Reliquaire byzantin ancien, par le baron d'AIcochète.
Imitation de Je'sus-Clirist, pleine reliure, parla marquise
d'Harcourt, douairière.
Coussin en satin l'ouge, par M™® Antoine de Latour.
Modes et usages au temps de Marie-Antoinette, 2 vol.,
avec armes de France et de Portugal, par le comte de
Reiset.
Coupe en onyx supportée par un éléphant, ornée de
pierres précieuses, par M. et M"* Hervé.
Un éventail, avec cadre en vieil or, par M. Jacquet.
Le médaillon de Madame la comtesse de Paris, par M.
d'Epinay...
VI
M^' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR'
Le domaine d'Eu, sous l'Empire et de nos jours. — La l'orèt
d'Eu, les biens de la famille d'Orléans. — Les Guisards. —
Drainage et mise en culture de la vallée de la Bresle. —
Vaches cotentines et bretonnes ; moutons Shropshire ; le
comte de Paris et Ijouis XVL — Clôtures économiques. —
Ferme modèle. — Fleurs de lis et armes de France. — L'œil
du maître. — Une lettre inédite de Ms"" le comte de Paris.
Le Tréport, 25 septembre 1887.
Pendant que la France et l'Europe méditent le grand
acte politique de M. le comte de Paris, je montrerai le
prince dans ses champs, sans l'auréole de la souveraineté
future, le propriétaire agriculteur dans sa ferme, au milieu
de ses moutons.
J'ai souvent visité le domaine d'Eu. Sous l'Empire, j'ai vu
le château vide, les pelouses desséchées, les forêts livrées
aux agents de l'État, qui semblaient avoir conscience de
coopérer à une mauvaise action, d'exploiter le bien d'au-
trui. En 1873, au lendemain de la restitution des biens des
princes, le parc avait repris un air de fête, les vieux servi-
teurs, les arbres, les parterres, tout, comme dans les ro-
mans et les féeries, souriait au retour du seigneur; mais
la vallée de la Bresle, jusque sur les bords de la route du
Tréport, était toujours à l'état de marécage. Cette année,
lacanq)agne est transformée, méconnaissable. Sur les rives
1. Figaro du 26 septembre 1887.
m"'' le comte de paris agriculteur 449
de l;i Bresle, des prairies à perte de vue, des champs en
culture, des plantations d'arbres de la plus belle venue, un
vaste jardin maraîcher et fruitier.
J'ai voulu voir de près, je n'ai eu qu'un mot à dire et
toutes les portes se sont ouvertes.
Brutalement chassé de chez lui, M. le comte de Paris a
laissé l'administration du domaine aux mains d'un forestier
émérite, M. Gilliot, qui est là depuis iS73. Des gardes
sous ses ordres habitent divers ])oints de la forêt. On
compte 1,537 hectares de taillis et 3,119 hectares de fu-
taies ; en tout 4,906 hectares de chênes et de hêtres, y
com})ris le Bois-l'Abbé récemment acheté par le prince.
L'ensemble forme la forêt d'Eu. D'autres forêts très éten-
dues touchent à celle-ci et se prolongent, avec de rares
coupures, çà et là, jusqu'à la ville d'Aumale. Elles appai'-
tenaient à plusieurs membres de la famille d'Orléans, au
priace de Joinville, au roi des Belges, au duc d'Aumale.
Afin de couper court au morcellement, le prince a racheté
les parts de ses voisins.
La famille d'Orléans possédait, en outre, dans cette con-
trée, beaucoup de bois et de terres disséminés que le fisc a
vendus après les décrets de confiscation, en 1852. Il en a
été de même partout où les intermédiaires des princes
n'ont pas pu acquérir tous les biens et paralyser les dé-
crets impériaux. Ces biens, aujourd'hui passés en plusieurs
mains, n'ont pas été rendus. En 1873, les princes ont sim-
plement demandé et obtenu que le fisc cessât de les voler
en touchant leurs revenus à leur place ; ils n'ont pas ré-
clamé un denier des revenus indûment touchés par r]']lat
29
450 m""^ le comte de paris agriculteur
[)en(Iant vingt ans. C'est j)Ourqiioi, loin de jeter la pierre à
la famille d'Orléans, les personnes de bonne foi, même les
répnblicains honnêtes, au courant de l'affaire de la conds-
cation, sont d'avis qu'il serait juste de remercier les princes
d'avoir, en acceptant une restitution partielle, signé, pour
ainsi dire, au profit de la France une donation de plus de
cinquante millions. Cela sans compter le don récent de
Chantilly.
Le domaine forestier d'Eu est fort bien aménagé. Les
grands propriétaires qui affluent au Tréport pendant la
saison des bains de mer rendent hommage, en hommes
compétents, à la bonne tenue de la forêt; les élégantes de
la plage connaissent toutes, ses beaux arbres, les retraites
ombreuses où l'on trouve un j)eu de fraîcheur quand l'im-
pitoyable soleil de juillet et d'août chauffe a blanc les
galets. En plus d'un lieu de la forêt, on s'incline avec res-
pect devant les arbres plusieurs fois séculaires. Dans le
parc du château, des hêtres n'ont pas moins de trois cents
ans; on les nomme les Guisards, |)arce que c'est en cet
endroit, si l'on en croit l'inscription faite par Louis-Phi-
lippe, « que les Guises tenaient conseil au seizième
siècle ».
Dernièrement un de ces Guisards s'était affaissé sous le
poids des ans. A le voir étendu sur l'herbe, avec ses
feuilles encore vives, on eût dit un tle ces preux tombés
de cheval qui im])loraient la main d'un autre |)reux pour se
remettre en selle. JNL le comte de Paris a relevé ce vieil-
lard, il a pansé ses blessures : à la tête il a mis luic sorte
de casque qui le protège à tout jamais contre l'inlilti-ation
des pluies; il a bardé le tronc, au bas, d'une (pia(lnq)le ar-
mure de fer; et le vieux chevalier s'est repris à vivre, et
M"' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR 451
quand le vent soufflait dans les feuilles, le duc d'Orléans
grimpé sur le trapèze, en face, croyait entendre des his-
toires du temps passé.
Les cultures sont confiées à un agriculteur de profes-
sion, i\I. Véron. Je me suis promené avec lui, plusieurs
heures durant, le plan à la main.
Lorsque M. le comte de Paris rentra au château d'Eu, ce
ne fut point pour s'endormir à l'ombre de ces arbres. En
homme qui a vu de près l'agriculture anglaise, les grandes
exploitations, les élevages de haut rendement, les défri-
chements gigantesques du duc de Sutherland, le proprié-
taire du château d'Eu fut aussitôt pris de la (ièvre de
mettre la main à la terre, de défricher, d'améliorer, d'as-
sainir. Mais, si les bois abondaient, la terre agricole faisait
défaut. Par bonheur, au pied du parc, il y avait une vieille
ferme, la ferme de Sainte-Croix, appartenant à M"*^ de La-
moricière. M^"^ le comte de Paris acheta la ferme. Puis, du
haut de l'esplanade qui forme la cour et d'oîi la vue s'étend
au loin sur un splendide ])aysage, il aperçoit la vallée de la
Bresle, aux prairies basses et maigres, enchevêtrées de
roseaux.
Le prince acheta la vallée. Il promène ensuite son regard
d'un autre côté, vers le plateau qui domine les blanches
falaises du Tréport, et voit, près de ses propres bois, des
collines à peine cultivées. Le prince ne tolérera pas un tel
délaissement et, après avoir acquis la ferme et la vallée, il
s'empare des collines au poids de l'or! Le mot n'est j)as de
trop, on me croira sans peine, car pour être de chauds
partisans, des amis dévoués du comte de Paris, les braves
gens du Tréport, de la ville d'Eu, de Mers, de Crie), n'en
452 ms"" le comte de paris agriculteur
sont pas moins hommes, un j)eu Normands et un peu
Picards. Dès que le prince eut acheté dix hectares, hi
bourse des terres monta tout à coup, comme au soir d'une
bataille gagnée. L'hectare, sur la Bresle, valait bien trois
ou quatre cents francs; du jour au lendemain, on découvrit
à cette terre des vertus cachées, on la vendit niille et deux
mille francs l'hectare ; quant aux collines, sous les falaises,
des projiriétaires, qui ne s'étaient jamais douté de leur
fortune, s'y taillèrent au mètre des dots pour leurs lilles.
Deux francs le mètre, vingt mille francs l'hectare, avec la
mer là-bas, entre le Tréport et Mers, c'était pour rien. Le
prince paya de la meilleure grâce du monde et se mit à
l'œuvre.
Après avoir obtenu de l'Etat l'autorisation de rectilier le
cours de la Bresle et de réparer à ses frais le canal, son
premier soin fut de drainer cette ])laine marécageuse; tra-
vail de Romain, très dispendieux, qui a réussi au delà de
toute espérance. Ces terres d'alluvion conquises par le
drainage sont devenues fei^tiles à ce point que j'ai constaté,
cette année, un rendement en blé de GO à 65 hectolitres à
l'hectare, obtenu sans le moindre engrais. On cite un tel
résultat à titre de curiosité, et non comme un but qu'on
puisse atteindre en général, mais ce chiffre jirouve la
richesse d'un fonds que le propriétali'c a eu l'heureuse
pensée de mettre en valeur. Du reste, les cultivateurs des
environs connaissent bien les belles semences de blé et
d'avoine du domaine; d'iùi et savent que INL le comte de Paris
est heureux d'en donner gracieusement à qui en demande.
On n'est pas meilleur voisin.
Pour isoler de la terre ses récoltes de blé, d'iivoinc ou
(io loin mises en meules, le propriétaire de la ferme d"Lu a
mS"" le comte de paris agriculteur 453
emprunté aux fermiers anglais un appareil excellent, des
pieds de meule en fonte qu'on démonte et transporte à
volonté. Les barres entrecroisées de cette plate-forme à
jour sont soutenues par de larges champignons do fonte
construits de telle sorte que les rats et les mulots s'effor-
ceraient en vain de grimper jusqu'à la meule. S'il coûte à
peu près 250 francs, l'appareil dure quinze ou vingt ans et
soustrait à la dent des rongeurs, chaque anuée, au moins
pour 100 francs de grains.
En cultivant ces terres de la Bresle, le prince a rendu,
par le fait, un signalé service à la contrée. Les Tréportais
et les Eudois le bénissent tous les jours d'avoir assaini
leur [)ays, d'avoir donné du travail à toute la population.
L'année dernière encore, près de cent personnes étaient
occupées journellement au château d'Eu ; depuis l'exil, six
ou huit suffisent à la besogne, et la plupart des prairies ont
dû être louées.
* *
Pendant que de nouveaux champs s'ouvraient aux pâtu-
rages, il fallait songer à les peupler. Le propriétaire du
domaine d'Eu connaît mieux que personne les races de
bétail. Tous les ans, au concours agricole du Palais de
l'hidustrie, à Paris, on le voit aller de stalle en stalle,
accompagné du marquis de Dampiei-re, président de la
Société des agriculteurs de France, qu'il étonne par la
sagacité de ses aperçus.
Les vaches cotentines et bretonnes pures lui semblèreut
les meilleures pour le pays ; il en acheta quarante-six,
souche d'un troupeau qui devait s'accroître en jncme temps
que l'étendue des prairies. Loin de là, l'exil a forcé le
prince à les vendre ; il n'y en a plus que six en ce moment.
404 M="^ LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR
Les moutons de race Sliro})sliire furent choisis de préfé-
rence. IJurant son premier exil, le prince avait étudié sur
place les avantages de cette race dérivée des southdowns,
améliorée par sélection et maintenant lixée. C'est, par
excellence, la race des climats humides; elle est précoce et
donne une viande d'un grain serré, d'un goût parfait ; la
laine, fine, est plus épaisse et plus longue que celle des
outhdowns. M. le comte de Paris a complètement réussi,
en traitant ses moutons à l'anglaise, comme des animaux
très rustiques dont la bergerie est le principal ennemi, se
rappelant le mot du créateur des southdowns, Jonas Webb :
« le southdown est si fort qu'il résiste même à la ber-
gerie ! »
Le troupeau de la ferme d'Eu est envié de tous les pro-
priétaires placés dans les mêmes conditions de climat.
Tous veulent des brebis et des béliers de ce troupeau. La
race est acclimatée au point que les moutons élevés à Eu
seraient, au dire des éleveurs anglais, fort remarqués sur
les foires de leurs comtés d'origine, tels que Shropshire,
Staffordshire, le Herefordshire, et dans les fermes d'éle-
veurs célèbres, comme les Chesham, lesMansell, les Evans,
les Pilgrim, etc. En introduisant chez nous une race aussi
utile, le prince a suivi la tradition royale : Louis XVI en-
richit ainsi l'agriculture française quand il fit venir à ses
dé[)ens, d'Espagne à Rambouillet, son fameux troupeau de
mérinos.
Pour ces bêtes, destinées à errer au grand air, il fallait
des champs clos. Le prince avait remarqué dans les |)àtu-
rages anglais un système de clôture très solide, formé de
barres en fer, superposées à 30 centimètres environ les
unes des autres, avec des portes de distance en distance.
M^''' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR 40O
toujours ouvertes à l'homme, absolument interdites aux
animaux parqués, grâce au battant mobile que la vache ou
le mouton ferme d'autant plus qu'il s'acharne davantage à
sortir. A la ferme d'Eu, il n'y a \)a.s moins de 15 kilomètres
de ces clôtures, fabriquées d'abord en Angleterre, bientôt
imitées par un fabricant français. Elles coûtent 4 fr. 50 c.
par mètre courant, et sont assurément le dernier mot du
genre.
*
Une pareille exploitation agricole obligeait le pro[)rié-
taire à construire de nouveaux bâtiments. La vieille ferme
de Sainte-Croix fut respectée, mais bientôt on vit s'élever
des maisons pour le logement du personnel, de beaux
greniers, une grange vaste comme une église, un chalet
pour le chef des cultures au milieu des jardins qu'il a créés.
Enfin, cédant à son goût pour la conservation des souvenirs
historiques, le prince réédifia, devant la ferme, le dernier
vestige d'une antique abbaye, une petite chapelle gothique
qu'il orna de fresques et de vitraux dédiés aux patrons de
chacun de ses enfants.
De l'autre côté de la route du Tréport est l'ancienne
ferme du Bois-du-Parc , réunie maintenant à celle de
Sainte-Croix. Là, M. le comte de Paris a placé sa vacherie
modèle dessinée par VioUet-le-Duc. 11 est assurément im-
possible de mieux faire : mangeoires en fonte, conduites
d'eau, aération parfaite, larges couloirs de dégagement, le
confortable anglais ! Heureux animaux, s'ils connaissaient
leur bonheur !
Tout auprès, un chenil pour une meute de plus de cent
chiens et une écurie pour une vingtaine de chevaux, spé-
cialement affectés aux équipages du prince de Joinville qu
450 M^'' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR
aimait, entre toutes, les chasses de la forêt d'Eu. Non loin,
sur la rive du Parc, les silos où le propriéteire a pratiqué
avec succès la conservation des foins verts et mouillés, au
grand étonnement de tous les fermiers voisins, qui ne
voulaient pas croire que les vaches mangeraient avec jiré-
férence cet étrange produit de la fermentation. Le prince
les a convaincus.
Les constructions nouvelles sont disséminées en face
d'un site enchanteur. N'est-ce point là que M"' de Mont-
pensier, la fdle célèbre de Gaston d'Oi^léans, tenait sa
petite cour et avait construit son observatoire ?
Ferme, grange, vacherie, écuines, chalet, tout a un cachet
de suprême élégance, disons mieux, de royale distinction.
En ce temps de république, de démocratie mal entendue,
de sot mépris des choses passées, on a plaisir à rencontrer
la fleur de lis incrustée dans la pierre d'une ferme, le
cœur se dilate à la vue d'un garde à la livrée de France.
Pour eu revenir à nos moutons, il est évident qu'une
entreprise agricole de pareille ampleur exige l'œil du
maître. Aussi le prince avait-il l'absentéisme en horreur.
Il aimait son domaine en vrai rural et l'habitait huit mois
de l'année. Toujours levé de grand matin, il recevait à six
heures, hiver comme été, son chef de culture, j)Our les
oi'dres de la journée. Et dans le courant du jour, qui ne
l'a vu à travers ses forêts et ses champs, seul ou accom-
pagné de la princesse? Elle avait tant de joie à constater
le résultat des travaux du j)rincr, tout en ne dédaignant
pas, chemin faisant, d'arrêter au |)assage les lapiuD, les
lièvres et les bécassines qui abondent sur les bords de
l'ancien canal de Pentliièvre !
ms"" le comte de paris agriculteur 457
Telle est l'œuvre du propinétaire-agriculteur du domaine
d'Eu. Les amis delà comptabilité agricole ne me demande-
ront pas, je l'espère^ d'établir le doit et avoli^ de l'exploi-
tation, de comparer le revenu au capital. Le cultivateur
dont nous parlons n'a pas travaillé pour lui, il a voulu
donner à ses voisins un exemple, une impulsion. Rien ne
pourra être exactement imité, mais quelques-uns copieront
de leur mieux, suivant leurs talents et leurs ressources,
semblables aux peintres qu'on voit au Louvre s'efforcer de
copier Raphaël et qui finissent, à la longue, par faire un
tableau passable. On observera, on étudiera et on retiendra
beaucoup ; l'agriculture s'améliorera dans les environs, les
bonnes méthodes se répandront au loin. C'est toute l'am-
bition de celui qui veut être « le Roi de tous, le premier
serviteur de la France », par conséquent le Roi et le ser-
viteur des cultivateurs.
J'ai, sur ce point, la pensée de M'^" le comte de Paris
lui-même. Je venais de visiter Eu, ces jours-ci, cet article
était fiiit, quand j'ai reçu une lettre du prince. Ayant appris
mon désir de parcourir son domaine, il daigne, de sa propre
main, me faire l'exposé des travaux agricoles accomplis à
Eu, avec une précision qui montre que rien n'échappe à
sa pensée, à ce regard intime toujours fixé sur le sol de la
France.
« Je n'ai jamais eu l'intention, écrit le i)rince, de faire
ce qu'on appelle une exploitation agricole, parce qu'en
pareil cas pour réussir, pour que l'expérience soit con-
cluante, il faut faire des bénéfices et, pour en faire, il faut
administrer avec une économie, une rigueur, qui ne con-
viennent pas à un prince. Je me suis donc décidé tout de
suite à me borner à faire des expériences qui, coûteuses
458 M^'"' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR
pour moi, pourraient profiter à mes voisins, fermiers et
propriétaires sérieux, intelligents, laborieux, mais très
froids sur toutes les innovations. »
M"'" le comte de Paris constate les bons résultats obtenus,
puis il ajoute avec amertume :
« Cette exploitation est absolument suspendue par l'exil :
il n'en reste que la carcasse, des stalles inoccupées, des
silos vides. La seule chose qui vive encore est mon trou-
peau de moutons shropshire pur sang qui ont admirable-
ment réussi. »
L'angoisse vous saisit, en effet, lorsqu'on voit les fenê-
tres closes du château, les écuries et les étables abandon-
nées. Les élégantes constructions rurales élevées de toutes
parts sont royalement entretenues, mais un morne silence
règne dans l'ensemble ; on sent que le corps est sans âme,
que l'œil du maître et la main qui gouverne ne sont plus
là. Image de la France, de ce royal domaine si merveilleu-
sement agencé pour toutes choses, lui aussi, où l'on attend
de même le retour du chef, de l'autorité, qui remettra tout
en œuvre et relèvera la patrie.
YII
LISTE DES PERSONNES
QUI SE SO>!T RENDUES AU CHATEAU d'eU ET AU TRÉPORT
POUR SALUER M^'" LE COMTE DE PARIS
AVANT SON EMBARQUEMENT LE 24 JUIN 1886*
MM.
Ancel,
G*'m'^ d'Andigné,
Audren de Ker-
drel,
Duc d'Aiidiffret-
Pasquier,
Baragnon,
Blavier,
Bocher,
De Béjarry,
Lucien Brun,
Buffet,
Comte de Bondy,
Marquis de Carné,
Chesnelong,
Sénateurs .
Clément,
Denormandie,
Delsol,
Delbreil,
Dumon,
Général comte Es-
pivent de la Vil-
leboisnet,
Gaudineau,
Amiral Halna du
Fretay,
Halgan,
Kolb-Bernard,
Lacave-Laplagne,
B°" de Lareinty,
Lacombe,
De la Sicotière,
C"= de la Monne-
raye,
Leguay,
Leguen,
Libert,
Amiral marquis de
Montaignac,
Paris,
Pouyer-Quertier,
B'"' deRaismes,
De Piavignan,
Général Robert,
Soubigou,
Ct« de Tréveneuc,
Amiral Véron.
1. Cette liste a]été dressée d'après celles du .*?o/e«7etde la Ga-
zette de France. Elle a été revue et corrigée avec soin ; cepen-
dant si quelque erreur s'était glissée dans l'orthographe des
noms, ou si quelque omission avait eu lieu, prière d'adresser
les réclamations à l'auteur, qui ferait les corrections pour les
éditions ultérieures.
460
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
MM.
A. Adam,
Comte de IWigle,
D'Aillières,
Barascud,
Barouille,
Beaucarne-Leroux
De Baudry d' As-
son,
V^ de Belizal,
De Benoit,
Bergerot,
Bigot,
De laBiliais,
Vicomte Blin de
Bourdon,
V'e de Bonneval,
Boreau - Lajanadie
Boschez- Delangle
Botticau,
Boucher,
Bourgeois,
Mis de Breteuil,
Briet de Rainvii-
1ers,
L.delaBassetière,
Caradec,
Cazenove de Pra-
dines,
De Cliauipvallier,
Députés.
De Ghâtenay,
Caron,
Chevalier,
Chevillotte,
CibieJ,
De Clercq,
M'" de Cornulier,
Creuzé,
Deberly,
Delielis,
Delisse,
Descaure,
Destandau,
Amiral c^« de Dom-
pierred'Hornoy
Du Bodan,
M'^ d'Estourmel,
Faire,
Ms'' Freppel,
Général de Fres-
cheville.
Baron Gérard,
Godet de la Ri-
bouilleric,
Hillion,
Jonglez,
Comte de Juigné,
Keller,
De Kergariou,
De Kermenguy,
Ct« de Kersauson,
De La Bâtie,
De Laborde-No-
guez.
Vicomte de La-
bourdonnaye,
]Nr* de la Ferron-
nays.
De la Martinière,
De Lamarzelle,
Baron Paul de
Laraberterie,
Comte de Lanjui-
nais,
Larère,
De Largentaye,
La Rochefoucauld,
duc de Bisaccia;
De la Rochette,
Leblanc,
Lecointre,
Lecour,
Lefèvre-Pontalis,
Comte de Legge,
Legrand de Le-
celles,
Prince de Léon,
Le Roy,
Vicomte de Levis-
Mircpoix,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
461
Lorois,
Comte de Luppé,
Baron de Mackau,
Comte de Maillé,
C'^de Martimprey,
Martin d'Auray,
Léon Maurice,
Maynard de la
Cla3^e,
Merlet,
Cje du Mesnildot,
De Montety,
Morel,
Comte de Mun,
Pain,
Saulnier,
Marquis de Partz,
Pion,
Paulmier,
Colonel baron de
Plazanet,
Plichon,
Baron Reille,
De Rosamel,
Roussin,
De Saint-Luc,
Vicomte de Saisy,
Serph,
Sevaistre,
De Soland,
Gaston Sabonraud
Taillandier,
Comte de Terves,
Thellier de Pon-
cheville,
Trubert,
Marquis de Vau-
juas-Langan,
Conrad de Witt.
Conseillers muinclpaax de Paris.
MM.
Georges Berry,
M. et M""= Aubry-
Vitet,
Le P"^' Alexandre,
Maurice Aubry,
Comte d'Albiouse,
C. d'Aubigny,
G. d'Avenel,
Comte d'Angély,
M'* d'Aramon,
Alix,
Comte d'Antioche,
Agnellet frères.
Denys Cochin,
Despatys,
INLirquis d'Auray,
Anisson - Duper -
ron,
Fernand Anduze,
Ch. Aylies,
E. AUeaume,
Abel,
Juliette Acliard,
L. Achard,
M" d'Arneguy,
Virginie Arville,
Baron et baronne
d'Alcochette,
Dufaure,
Gamard.
M. Aubry et,
Léon Angliviel de
la Beaumelle,
Parfait Agnellet,
Julien Agnellet,
Henri d'Arbigny,
Paul Ansart,
Victor Ansart,
Fernand Auber,
Asseline,
Albert Arnal,
Baron d'Alt,
Albert,
462
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
AUiou,
Natalis Acoulon,
H. d'Arbigiiy de
Chalus,
Vicomte d'Am -
phernel ,
Auger,
Aubei'tot, conseil-
ler général;
E. d'Aubigny,
Pierre Aiibart,
Austreberte Co-
bert,
Aubilloy,
D'Aligny,
Adolphe Amat.
L. de Boutières,
C'^ Ch.de Brissac,
Commandant Bois
Vicomte de Ba-
laincourt,
Vicomte Benoist
d'Azy,
]j. Beaurain,
Marquise douai-
rière de Beau-
voir,
Marquis et mar-
quise de Beau-
voir,
R. de Brignac,
Comte de Barthé-
lémy,
Marquis de Bre-
teuil,
G. Baguenault de
Puchesse,
Barnard, du Vca-
York Herald,
Comte de Blagny,
Vicomte de Blagny
Ferdinand Beau,
Comte Adalbert de
Bagneux,
Léon Bouchet,
Simon Boubée,
G.-L. de Birac,
Henry Bompard,
Henry de Bouvir,
De Bayarddu Lys,
De Boismilon,
R. de Beauregard,
Baron G. de Bou
tran,
Lucien du Bos,
Duc de Broglie,
Prince de Broglie,
Dominique de
Barrai,
Paul Bidault,
Vicomte Frédéric
de Beaumont ,
ministre pléni-
potentiaire;
M. et M"'° Bes-
sières d'Istrie,
Baron et baronne
Augustin de La
Barre de Nan-
teuil,
M. et JM-"" Buffet,
Paul Buffet,
A. de Belina,
Vicomte de Bréon,
G. de la Bous-
sondière,
J. Bourgeois,
Marquis de Beau-
mont,
Eugène de Beau-
mont,
Henri de Beau-
mont,
M. et M"*' Auguste
Boucher,
Vicomte G. de
Beaussier,
De Beauiiiini,
Baronne de Bic-
quilly.
Boistelde Dieuval,
Comte Bruno de
Boisgelin,
L. de la BzMere,
Vicomte de Broc,
Comte de Béon,
Baron de Bonnault
Comte Maurice de
Bréda,
Comte Robert de
Bréda,
Vicomte deBondy,
yte et v»'« O. de
Bondy,
Comte de Barthé-
lémy d'Hastel,
Alfred de Borda,
Comte deBoury,
Bigot,
Edouard Bocher,
Emmanuel Bocher
C^" de Beurges,
Marquis de Belle-
mayre,
Bompard,
Barrachin,
Baron Claude de
Barante,
Bivault,
Marquis Costa de
Beauregard,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
L. Birac,
463
Henry Bro de Co-
mères.
Brun,
Broussin,
L. Bouileur,
Jules Blondel,
Bailly, agriculteur
Bellard,
Boelt,
Brion,
Jules Berquez,
Joseph Berquiez,
Bon,
Léon Bonchet,
Blanger,
Baron J. A. de
Bernon,
J. Blatham,
E. Bellanger,
Bertauld, petit em-
ployé du faub.
Saint- Antoine ,
et sa famille;
Bonnel,
V'« E. de Bonne-
val,
Eug. Bouillard,
Boullenger,
Benoît,
Bernard Boulté,
Baron Benoist,
Comte de Bastard,
ancien sous-pré-
fet de Dieppe ;
Auréline Boutry,
veuve Bordé ;
Beauvisage,
Bochot,
Blanco - Fourdi -
niée, veuve
Broussin;
Claire Brousin,
De Blangermont,
Paul de Blanger-
niont,
M'"' de B langer-
mont,
Gaston de Blan-
germont,
Baron et baronne
Borel de Bréti-
zel,
B. Baroux,
Eugène Baroux,
Emile Baguet,
René Berga,
Veuve Blouet,
Henri Borel,
M°"= Armand Bapst
Ch. Brière,
Boutté,
464
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Bouliey,
Baiidelocque,
Balancourt,
Comtesse fie Ba-
lancourt,
B o s q u i 1 1 o n de
Genlis, secré-
taire d'ambas-
sade honoraire;
Auguste Bruilly,
Octave Bruilly,
G. Brunet,
De Bellomayre,
Guillaume Blot,
Blancliet,
C'° de Bourgoing,
Henry Beguery,
A. Boinet,
E. Borain,
Bray,
E. de Beugn}-
d'Hagerue,
Berlier de Vau-
|)lane,
Gh. Burton,
])octeur Blache,
Paul Blache,
F. Baillot,
De Bons d'Hédi-
court, maire ;
Cil. Berlin, avocat;
René de Becquin-
court,
Ch. Becquel,
Henri Birrin,
G. Boisrenoult,
Léopold Bour-
doue,
Henri Bordé,
Boisse Adrian,
Bigot, ajusteur,
Antoine Beau-
champs,
Bisson de la Ro-
que,
Marquis de Biron,
A. Barré,
Boutellicr,
Stanislas Benoit,
E.de Beaurepaire,
A. Boussion, an-
cien président à
la cour d'appel
d'Orléans ;
Comte Beugnot,
V. Bortelde Dien-
val,
A. Bortel de Dien-
val,
B"" de Bonnault,
Baron Baude,
Louis Boucher,
E. Buttura,
Docteur Buttura,
Comte de Blois,
Achille Bornet,
G. Bouté, ouvrier;
V. du Bled,
Stanislas Brugnon
M'^de Belleval,
Baron Borel de
Brétizel,
Octave de Brétizel
Blanche,
Paul Baroux,
Bellenger,
Brohan,
Amédée Beau,
Ferdinand Beau,
De Boismelon,
Vicomte de Bréen,
G. de la Boussar-
dière.
Barbé,
G. Balai,
Baron du Blaisel,
Comte Fernand de
lîcaufranchet,
\ iconite Guy de
Beanfranchet,
Bachclica,
A. ]>czu('l d'Esne-
valle.
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Barbaron,
L. Boulnois,
A. Brand,
E. Braquebays,
notaire;
G. Boisvenoult,
Brunet,
Henri Blomeron ,
rédacteur en
cheideV Abeille
de la Creuse :
Blanchet, direct.
de la sucrerie
de Beauchamp ;
Comte de Brosses,
Baron de Bebr,
ancien préfet;
Bentin,
Briffard,
Comte de Bourry,
Eugène Beuve,
L'abbé Ch. Bec-
quet,
Bouché, maçon
Baromesnil,
A. -M. de Belina.
C
Le général baron
de Charette,
Vicomte de Cham-
peaux-Verneuil,
Comte CafTarelli,
Comte de Gastries,
Henry de Car-
donne,
Henry Cochin,
Comte de Chabot,
Cardon,
M. et M'"^ Calla,
Comte de Che-
villy,
Clifford Millage,
correspondant
du Daily Chro-
nicle;
Marquis et mar-
quise de Com-
piègne,
Vicomte et vicom-
tesse de Cha-
rencey,
Paul et Georges
Calmann Lévy,
César Caire,
Henry Brod de
Comères,
Docteur Caron de
la Cande,
Alf. Carteron,
A. Choupot,
465
Che-
Henri de
zelle,
Paul Coppinger,
Alf. Craraail,
Comte Gabriel de
Castries,
Adhémar de Ca-
cheleu,
Gustave de Ca-
cheleu.
Vicomte Jules de
Clercy,
Robert de Cugnon
d'Alincourt,
Comte de Chau-
mont-Quitry,
ALirquis de Cha-
ponay,
E. Ciair Guyot,
Gustave Chabret
du Rieu,
R. de Crossy,
Comte de Cha-
bannes,
Baron de Chonne,
Vicomte de Cham-
Docteur Canivet,
Abel Couturier,
Baron Cardon de
Sandrans,
30
466
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Marquis deChani-
bray,
Choppin , ancien
préfet de police;
R. Calvet-Besson,
Roque Calvet -
Besson,
Henri de Chi-
zeilles,
Caroul,
E. Cailleux,
Gédéon Chaud,
Michel Carreau,
L. Cartelot,
Baronne douai-
rière de Cha-
baud-Latour,
Baron et baronne
de Chabaud-La-
tour,
B. Charpentier,
Oscar Caffre,
Ernest Courbe,
Cresson,
H. Castonnet des
Fosses,
V"^ de Chavagnac,
Louis des Cous-
tures,
A. de Claye,
E. Ghéron,
Alfred Caron,
Carpentier,
Veuve Chantre,
^ i c o m t e s s e de
Gharancey,
Coffre,
Octavie Carreaux,
De Chambesse,
M"'^de Chambesse
E. Cottan,
E. Chivat,
Florentine Cau-
chois,
Caulle , repas-
seuse;
Regina Claquette,
JoséphineCourtel,
Christina Carette,
De Chambenez,
M"« de Chambe-
neze,
Ceniez , vétéri-
naire,
Calbaut,
Céleste Cailleux,
veuve Josepli
Chanterelle;
Comtesse de Car-
rey de Belle-
mare,
Fanny de Chabal,
Eugénie de Chabat
E. Cottau,
E. Chivot,
Maurice de Ciian-
teau.
Comte H. Cha-
pouny,
Général Chante-
clair,
Georges de Cham-
bine,
Baron de Chaune,
Hyacinthe Chauf-
fard,
Albert Choppin,
René Choppin,
Henry de Cardon-
nel,
Dubois de Clief-
debien,
C. Chachoin père,
E. Conclion,
Conchon fils,
E. Crevet,
Paul Chardin,
J. M. Capet,
Cauchois,
Cartes,
Counil-Gel,
Cannes,
Caillot,
Castelot,
Casimir Caron,
R. Chantelauze,
Ludovic de Carné,
Crégny,
Conseil Ruphin,
Comte Roger de
Chanaleilles,
Chagot,
Gaston Caullet,
Comte E. de Cha-
bat,
Crépia, huissier;
Créquillion père,
Edouard Créquil-
lion,
Coulon,
G. Cloquette,
Jos. Carré,
Gaston Chabret
du Rieu,
H. Chantrel,
M. Chantrel,
E. Cognais,
C. de la Croix de
Cocherel,
E. Corsangel,
CoUesson, ancien
adjoint au maire
du 19" arron-
dissement ;
INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT
Tony Conte, mi-
nistre plénipo-
tentiaire ;
De Chatenay,
Léon Crouy,
Louis Cartier,
A. Charpentier,
menuisier ;
Jules Cardane,
E. de Chazelle,
Guillaume Car-
rière,
A. F. Cordange
père,
R. de Croisy,
Le P. Chapotin,
Denis Couriol,
A. Cortillio,
V. Castelet,
Caillent-Lefay,
Capval,
Comte H. Aymer
de la Chevalerie
Coudaux,
Croisier,
P. Chantrel,
De Clercy,
Coquelin,
A. Canet,
Marquis de Ca-
zaux,
467
Docteur Coutan,
inspecteur des
bains au ïré-
port ;
Cuvrù,
Camier-Beaurain ,
Clare,
Albert Chauffert,
Emmanuel Cop-
pinger, ancien
conseiller de
])réfecture;
Raoul de Cler-
mont.
D
Dubois, ancien dé-
puté,
Dubois d'Angers,
Ernest Dumarest,
Depeyre,
Gabriel Depeyre,
F. Dubrulle,
Demarcy,
A. Drouard,
Desgranges,
Baron Decazes,
Vicomte Decazes,
Joseph Denais,
L. Dutailly,
468
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
P. Dareste,
Delpon de Vissée,
ancien préfet ;
Dumouriez,
P. David d'Angers
Charles Dupny,
M-"" de Denolly,
M""^ Dubois de
risle,
Daussy,
Elie Durand,
F. Duval, ancien
préfet de la
Seine ;
Duvergier de llau-
ranne,
Desbiendras,
David , agricul-
teur;
Degogeine,
A. Dumouchel,
Delabié,
L. Deligny,
E. Deligny,
Alphonse Deville,
Ernest Degrolsille
Siméon Douay,
Dupré,
Ch. Dclatlre,
Denibas,
GustaveDégardin,
Jean Delignières, I Marie Dumas,
Defond, étalier;
A. Desombre,
A. Dufrien,
E. Dufrien,
Delhomel,
Délabre,
MartheDelamolte,
Débucjuet,
Dumesnil,
EmilienneDevilly,
Léon Dufour,
Drouard,
Doudot,
Angélina Duha-
mel,
Juliette Dumont,
Marthe Derossi-
Delabarre,
Dupont,
Doublot,
De Denolly,
Charlotte Douet,
Defacque,
Paul Dentin,
Rosa Debonne,
Deviller,
Adolphinc Delor-
son.
Elise Devez,
J. Dumas,
Emile Denten,
L'abbé Dupuis,
Damoisy,
Ch. Darmet,
E. Deton,
A. Devallais,
Frédéric Dorman,
Dubuc,
A. Dupuis,
Adolphe Dubois,
avocat;
F. Dubosq,
Daregniez,
A. Deneuville,
Z. Deneuville,
Gustave Depoilly,
cafetier;
L. Dupont,
Deliegny, cultiva-
teur ;
Alfred Delcourt,
Em. Debroguelle,
Jules Dasin,
A. Duvivier,
Delesque, du.Yow-
vclliste de Rouen;
Dubloc,
Eugùiie Dupin,
Philij)pe Dupiii,
Marquis de Dion,
Damois, pharma-
cien ;
Delpuech,
Denauville,
E. Demazier,
G. Dourpoint,
Dinal,
Dumas, directeur
de l'Orphéon ;
Arthur Dajout,
Paul DaJmenesche
Louis Duhamel ,
cultivateur;
Eugène Deletoile,
Damet,
Daverne,
Defrontelle,
Dupulel,
Ernest Detti,
Docteur Debacker
Duneufgermain,
A Donchet,
E. Donchet,
Emile Dolique,
P. Delossicult,
Alfred Depoilles,
Dechesdin,
D'Aumont, ancien
conseiller géné-
ral:
INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT 469
P. Cazalisde Fon-
Dauzel,
Derbigny,
Adolphe Dubos ,
avocat;
Charles Dezan-
neau,
Paul Delassault,
Dutilloy.
E
Baron JulesEVain,
Victor Edou,
Gautier d'Embret-
ville,
Comte d'Esterno,
Baron René d'Es-
taintot,
Estancelin,
Escarbatin,
Le comte Chris-
tian d'Elva,
Errd, maçon,
Euris.
M"* la comtesse
de Franqueville
Marquis de Fiers,
Comte de Fresne,
douce,
Farmann, rédac-
teur du Stan-
dard ;
Fouchard,
Ant. Faure,
Jean de Franque-
ville,
Baron de Fou-
gères,
F. Ferari,
Marquise de la
Ferronays,
Duc de la Force,
D. de Frayssine,
Comte de Froide-
fonds de Farges,
De Fouquières,
Commandant de
Fleury,
De Frazals,
Baron et baronne
deFonscolombes
M'^^ Aline Foi^es-
tier,
E. Forestier,
C' François de la
Forest-Divonne
Antoine Faur,
Baron de Fisquet,
470
Fontaine,
A . F 1 o r i m o n ,
deuxième vi-
caire à Eu,
A. Fournier,
Blanche Fournier,
Constance Four-
nier,
Frézard,
ElconoreFrézard,
SuzanneFournier,
Froment-Meurice,
François Froment-
Meurice,
RosalieFouqueux,
Henriette Fleury,
veuve Farre ;
Adolphine Fri-
court,
Delphine Flament-
Mignot,
Blanche Fourdri-
nier,
Frédéric Fabrège,
R. de Ferry,
Marquis de Four-
nès,
Alfred Fcrnjent,
James Flandforth,
Foire,
Ernest Frété,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Hilaire Foucam
bert,
Numa Flonet, con-
seiller munici-
pal ;
Gustave Fournier,
De Fourtou,
Vicomte de Fou-
cault,
A. Fieuriot,
G. Ferney,
François Ferrari,
L. Flerle,
Franchet d'Espe-
rey,
D. Fourrier,
De Fleury,
De Frezals,
Le comte de Flavi-
J.-B. de la Flotte,
A. -R.de la Flotte,
A. des Franges,
Freyburger,
Barnabe Ferra nd,
Comte Ferrand,
Foblanc,
Léon Fautrat,
Famichon , culti-
vateur;
Louis Freyer,
François Feslé,
Edouard Flutre,
Fouchambert,
J. Féramus,
Fréchon,
Fréchois,
Farsure.
G
Albert Gillou,
Comte de Geffre
De Chabrignan,
De Gromard de
la Servière,
Ferdinand Golds-
mith,
William Guinet,
A. Gée,
Grandsa,
C. Guérard,
Arthur Gifiard,
Guilliard,
De Galtye et sa fa-
mille,
A. Gauthier,
Grossaert,
Grausert,
Le Go nid oc,
Vincent Ga[)enne,
Grandbert,
Des Granges,
D. Gaillac,
Gavelle,
Gudin, messager;
E. Grémaille,
Guignon,
Ch. Guenard,
V. Guenard,
Docteur Guigeot,
Raoul de Giro-
mard,
Comte de Gemaux,
Gaston Galempoix
Joseph Gigot,
GeorgesGuilmain,
Arthur Guilmain,
Victor Germe,
Guichard,
Docteur Gouraud,
M. et M'"'' de Guil-
lebout,
Godin,
Albert Gigot, an-
cien préfet;
Guillaume Guizot,
Gavard, ancien mi-
nistre plénipo-
tentiaire ;
G. Genevoix,
Comte de Guer-
sand,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT 471
Jeanne Groux,
M. et M"<=deGril-
leau,
H. Gally,
Paul de Girard,
Henry Gréau, an-
cien magistrat;
Edouard Grimblot
Paul de Girard,
Comtesse de Gra-
Grandsaire,
Ch. Gourdain,
A. Godquin,
Comte de Gra-
mont d'Aster,
Comte Emmanuel
deGouy d'Arcy,
Baron du Gabé,
ancien préfet;
Louis Gély,
Félix Guatelle,
P. Grandsire,
Le général et M™®
Guillemin,
Philoniène Gau-
dry,
Malvina Gourdain,
H. Gréau,
Veuve Guert,
Ed. Guérin,
E. Gris,
Fernand du Gro-
nie,
Gracié-Doublé,
De Gromard,
Gibon,
Marie Goudré,
Blanche Gran-
camp,
De Guillebon, née
de Bretazet ;
medo,
M. et M""* Manuel
de Gramedo,
G. de Gérard,
Général Guillemin
De Grilleau,
C. de Gessler,
J. Grout, ancien
député ;
Duc de Glucks-
berg,
Général comte de
Geslin,
Marquis deGalard
Comte deGalard,
V'« de Galard,
Coratede Grollier,
Godelle , ancien
député ;
M'^ de Ginestous,
V'*^ de Ginestous,
472
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
M. etM""» de Gal-
lye,
Comte Raoul de
Gontaut-Biron,
Comte Stanislasde
Gontaut-Biron,
Comte de Gironde,
Comte de Ganay.
H
Edouard Hervé,
Handfeldt,
D'Hocquélus,
I)*" Horteloup,
Baron Ch. Hù-
mann,
Oscar Havard,
E. Hauteur,
Eug. Houel,
Docteur Paul
Hélot,
Baron et baronne
Hulot,
Houdaille de Rail-
Edmond de Moue
d'IIédicourt,
Jules Hunebelle,
Georges Huillard,
Emile Hébert,
Hottinguer,
Georges Hincelin,
à Mantes;
Hardy,
G. d'Hauteserve,
Baron d'Hunols-
tein,
Paul Hinfray-Lan-
glois,
M"* Jeanne Hin-
fray,
C»" Hallez-Clapa-
rède,
Juliette Hens-
treaux,
Hecquet ,
Veuve Hénin , bou-
chère,
Hautin,
Vicomte Ernest
d'Hardivilliers ,
Hautbout,
Borthe Hollerith,
Juliette Heurte-
vent de Blangy,
Eugénie Houle,
Hesse,
Hove,
J. Handforth,
G. d'Hervilly,
Gabriel Houdant,
Philippe II a r-
douin,
Maurice Hachette,
0. Hecquet,
Hecquet- Bacquet,
E. Haudeboust,
Léon Hétroz,
Huyard,
Ch. de la Haie de
Cherville,
De la Haye-Jous-
selin.
Comte d'Harcourt,
G. des Horts,
Marquis de Huile-
court,
Félix Hautrechy,
Léopold Hautre-
chy,
Iloltz, serrurier,
Heding,
Henri Houle,
Hanon,
Hochart - Tcllier ,
épicier;
Paul Hardin,
D'Harlay,
Comte Jacques
d'Hanion,
Haii(lri(|ii(\
Aristide llay,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
473
Vicomte duHamel,
F, Le Harivel,
Hédin,
Léon Hommey,
Louis d'Hurcourt,
E. Handebourg,
Hativet,
Hetelier,
Baron de Heïmann
Emile Halboiirg,
D'Hoquelies.
.Le comte René
des Isnards,
D'Imbleval de Ro-
mesnil,
L'abbé D. Isnard,
Comte d'Ideville,
ancien préfet;
Veuve Imbes.
Janicot,
Le baron de Jou-
venel , ancien
député ;
De Jouvenel , an-
cien préfet;
Olivier de Jouven-
cel, ancien sous-
préfet;
Josepb Joubert,
Jumi lie-Evrard,
De Joantho,
ArsèneJacquepré,
Céline Julien,
A Jonteur, ancien
magistrat ;
Céline Jumel d'Im-
bleval de Ro-
mesnil,
André Joubert,
Victor Edmond
Joly,
Jumines,
Michel Jacquemin,
Nathaniel Johns-
ton et ses fils,
Emile Jullien,
A. Le Joulteux.
K
Baronne de Kin-
kelm,
M. de Kermaln-
gant,
Baron de Kains-
keiln,
0. de Kainlis,
Comte Florian de
Kergorlay,
Comte R. de Ker-
saint,
Vicomte de Kerret
Koch.
Ch. Lacroix,
Général Léris,
M. etM"'® Lambert
deSainte-Croix,
M"" Leconte de
Largentaye,
Stephen Leech,
Comte Robert du
Luart,
L'Homme - Chevin
Leclerc , cordon-
nier;
Leroux,
M. et M"* Lemar-
chand,
Comte de L'Espi-
nasse-Langeac ,
V^" de L'Espi-
nasse-Langeac,
Comte Adhémar
de Lusignan,
474 INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Léonce de La Val
leye,
Baron de Layre,
Lefébure,
Donatien Le-
vesque,
Marquis de la
Guiche,
Marquis de la
Rochejaquelein,
Vicomte de Luppé
Bai'on Le Feuvre,
Dick de Lonlay,
Baron Gustave de
Lestrange,
Baron de Léry,
Georges de Lhor-
mel,
Comte Roger de
Levaulx,
M. LeeChilde,
Marquis de Lore,
M"* Lacave - La-
plagnc,
A. Le Landais et
ses fils,
G. de l'Etoile,
De Ladoucette,
ancien député ;
La Chambre, an-
cien député ;
Ad. Lanne,
Limbourg, ancien
préfet ;
Duchesse de la
Rochefoucauld-
Bisaccia,
Legrand de Vil-
1ers, régent de
la Banque de
France ;
Georges Leroy,
A. Lhuillier,
Le Bœuf,
Lefébure,
M'»^ et M"'' La-
loue,
Abel Laboulais,
Lugarre,
Lugand,
Levratte,
Comte Laizer,
Lottin,
Louis-Philippe
Lephay,
L emaire, à Eu;
A. Lcfebvre,
M"*^ Lccomte,
Loprêtre,
Lomonier,
Adoljdiinc Lou-
vet.
Langlois,
Veuve Labarre,
M. et M'^'^Lanet,
Paul Lasnier,
Labault,
Leblanc,
E. de Ladoucette,
Leraarchand,
Lecomte,
H. Leroux,
Stéphanie Lettre,
M a r i e L e m a i r e-
Duponchel,
Lemaire - Dujion-
chel, armateur;
Lebourg,
Florine Lecomte,
Augustine Lau-
rent,
Lem arquant,
Letellier,
Adrien Léon,
Florentin Laurent
Landrieu,
Langlacé, au Tré-
port ;
M"^ Marie Le-
grand,
Hélène Laudet,
Pauline Leroux,
Léonie Létodee,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT
Latliier Bréard, R. Lavernot,
Elise Lefort, Lacoste,
Latapie, J.Lanet,
Marie Lecomle - Le Vareux,
475
Dutertre,
Augustine Landin
Baron Albert Le-
feuvre,
A. Leron,
Levasseur, horlo-
ger,
Baron de Langs-
dorff,
Lefort, boulanger,
Louis Lerin de
Bonne,
Ch. Lezanneau,
Duc de Lorge,
Marquis de Lara,
J. de Lamburcy
de Lorgne,
Docteur Le Bec ,
chirurgien de
l'hôpital Saint-
Joseph,
Ernest Levoir,
Lormier,
Henry Lorin,
Jules Labitte,
Lelong, ingénieur
Lavernot père,
Léger,
Joseph Lenfant,
Llld,
Ch. Lepoulre,
René Laperche,
Paul Le Breton,
Edmond Langlois
Baron Al. de l'É-
pine, conseiller
général de la
Somme ;
Paul La Perche,
Stanislas La Per-
che,
Alfred Leconte ,
bourrelier;
E. Lelong fils.
Comte de Lam-
bertye,
J. du Lac,
R. du Lac,
Baron de la Mar-
tinière,
Henry Labutor,
Joseph Lagarenne
Lamothe,
Emile Léger,
Lecouturier,
Ch. Lesain,
G. de Léris,
Lefort, boulanger.
Marquis de Langle
Loquet et sa fa-
mille,
Lemoult-Garnier,
M. Lambard,
V. Laignel,
Lenoble , maître
maçon,
Jonas Lefranc, ad-
joint au maire
du Tréport ;
Lameille, arma-
teur, adjoint au
maire du Tré-
port ;
Comte Roger de
La Vaulx,
Londinières,
Philippe Lereau,
J.-B. Le Duc,
Comte Charles de
Lur-Saluces,
Albert Lecomte ,
cultivateur ;
Lenout,
Jules Lhotellier,
Alfred Leroux,
476 INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT
Merlier, Comte Foulques
Juliette Merlin, de Maillé,
Veuve Maugis, Baron et baronne
Miné-Bardet, de la Motte,
Mejassou, M. et M"' Ch.
Auguste Leclerc,
épicier h Eu ;
Loench,
Comte E . Lachaud
de Guimerville,
Legranier,
Lepeytre, magis-
trat démission-
naire;
Léon Leroux, curé
de Saint-Pierre;
Et. Lelaume.
M
Marquise de Mac
Mahon,
Du May,
Baronne de la
Motte,
Z. Malot,
Gh. Marchand,
M. Marchand,
Marie Malot,
Victoire Malot,
Emma Mesnil,
Henri Maqueron,
De Montry,
M">« de Monta-
gnac,
M-^M.deMarigny,
Moinard,
Comtesse du Ma-
noir,
Augustine Mou-
chaux,
Michallet,
Mainguet,
Comtesse de Mal-
herbe,
J. Morett}^
Du Mesgril d'Ar-
rentières.
Baron de Maudel,
De Maiquein,
F. Mouchy, ou-
vrier ;
Emile Maillard,
Baron de Mathan,
De Malleville,
C'^ de Merlemont,
Comte de Maleis-
sye.
Vicomte de Mont-
réal,
Du Mesquil d'Ar-
rentière,
Moisant,
Vicomte de Mont-
fort,
ComteR.deMont-
laur,
Capitaine Mor-
hain.
De Mieules,
Comte de Mun,
Miot,
Docteur Martin,
Jean de Marigny,
Georges Marques,
Comte Wladimir
de Montesquiou
Comte Louis de
Montesquiou,
Comte de Montes-
quiou,
Vicomte de Mon-
tesquiou,
ComteG.de Mont-
germont,
Victor Massé,
Marveille de Cal-
vias.
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
477
V'e Maggiolo,
Emile Magnin,
Baron de jNIorell,
Joseph de Valence
de Minardière,
Vicomte H. de
Maupeou,
De Montaigu,
Baron de Monne-
cove,
De Milleville,
Comte Jean de
IMontebello,
Baron de Maingo-
val, ancien dé-
puté ;
Baron de Mont-
rond,
Roger de Morlain-
court,
Vicomte de Mon-
saulnin,
Baron de Mon-
treuil,
Comte de Mous-
tiers,
De Magneville,
Merveilleux - Du-
vigneaux,
Morel,
Comte de Murard,
Baron ^lartin du
Nord,
A Mallet,
J. Malot,
Eugène Marchan-
din.
De Midardière,
E. Maguin,
Adèle Maria, do-
mestique ;
A. Memplot,
M. Menpiot,
Marteaux,
Malençon,
Veuve Metel,
Mollard,
C"=H. de Mérode,
Roger de Morlain-
court,
René de Matharel-
Jayr,
Vicomte Meujol-
d'Elbenne,
A. Masson,
V. Masse,
Mouquet,
E. Magnin,
Marc Merlin,
Mute père et fils,
Maves,
Baron de Maiu-
geral, ancien dé-
puté,
Moratin,
Comte Adrien de
Mirepoix,
Emile Masquelier,
Vicomte A. deMo-
rogues,
Léon Marty,
G. Marquis Co-
hen,
De Milleville de
Nesles,
R. de Maignien-
ville,
Vicomte de Mont-
fort, conseiller
général,
Macré,
Louis Mouchy, ou-
vrier ;
Poirier Mouch}',
ouvrier ;
Mercier,
D-- J. Michellet,
Comte Pierre des
Monstiers - Me-
rinville,
A. -F. Monchaux,
Malet,
L. du May,
478
Metel,
Paul Marsan,
Irénée Malot,
A. deMontbrison,
B. de Mas,
A. de Mas,
Comte Renaud de
Moustiers,
Docteur Martin,
Edouard Marquet,
Louis Marquet,
Stéphane Marquet
Minival,
Marchandiu,
P. Marchandiu,
Milon,
René Magimel,
Baron de Monta-
lens,
Raymond Mallet,
épicier ;
Henri Moneiron,
Les ouvriers de
M. Mopain,
Mainnemare,
Jules Merlier,
Mas fils,
César Martin,
Edmond Maillard,
Albert Mignot,
INSCBIPTIONS A EU ET A.U TREPORT
N
Baron V. de Noir-
fontaine,
Comte de Nico-
lay,
Numa Flouest,
Neveux,
Baron G. de Noir-
mont,
Baron R. deNervo
Charles Nicoul-
laud,
Comte de Néver
lée,
Henri Neveu,
Julie Nevel-Mou-
quet,
Pierre M. de Ne
ronde,
Neveux,
Noguès jeune,
Noton.
A. Obel,
Odiguet,
E. Oscar,
Veuve Obry,
L. Obry,
D'Oresmieulx de
Brugnières de
S'^-Opj)ortune,
Veuve Ossart,
Angèle Ouin,
A. Ozenne,
Ch. Orvil,
M'" d'Osmond.
Ernest Petit,
P. du Perron,
Pacossin,
jyime Posière,
Commandant Phi-
lij)pod,
M. et M"« Ernest
Polack,
G. Périer,
Vicomte du Puget,
Prouvel,
Du Périer,
A. de Pruynes,
Henri Pigache,
Comte de Puyfon-
taine,
M. otM""" des Po-
mares,
Louis de Piirse-
val,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
479
Comte du Passage,
Georges Pradel,
Comte Karl de
Partz,
Colonel Ch. Per-
rot,
Comte et comtesse
Jean de Puysé-
gur,
Pougny, ancien
préfet ;
A. Pérignon,
A. Pichard,
Eug. Pichard fils,
Comte et com-
tesse Camille de
Pontivy,
Palpied , maître
d'hôtel ;
Prochard,
Papillon,
Général Pourcet ,
L. Parmentier,
Marie Pecquez,
Parny,
Clarisse Pauchet,
Eugène Pauchet,
Papin,
G. Posthmann,
Paterelle de Rom,
Désirée Petit,
Pardieu,
Pruvot,
De Pessenneville,
Pochol,
Perquier,
Veuve Pasière et
ses enfants,
Armand Preux,
0. Payant,
Comte du Plessis,
L. Prat,
Edgar de Pom-
mereau,
Gaston Philip -
peau,
Pallé, patron de
bateau ;
E. Papin,
A. Papin,
J. de Par se val,
Petit aîné, sellier;
Edelin de la Prau-
dières,
Picard,
A. Picro, maré-
chal des logis de
gendarmerie en
retraite;
Paul du Perron,
Camille Paradin,
Pavillon,
Perrot,
L. Perrot,
Maurice de Pran-
dières,anc. pro-
cureur général;
E. Panchat,
Privé,
Onésime Poussi-
ns,
J. Poyer,
Poirol, garde par-
ticulier ;
Poinsignon ,
Poyer,
Félix Pruvot de
Fretterneulle,
Pinoquet,
Vicomte du Pey-
roux,
Perrot, rédacteur
de VExpress de
Lyon ;
V'« Marc de Pully,
Marquis Guilhem
de Pothuau,
Paignel Henocque
Périmont,
Pasoalis frères,
Charles de Pire,
Aug. Paurchez.
480 INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Q EtienneRécamier, Raymond deRavi-
o-nan.
Comte et comtesse
H u m b e r t de
Quinsonas,
Comte et comtesse
de Quinsonas ,
Henri Quesnel,
Robert Quenne-
hon,
Quevauvillier,
Sophie Quenne-
hon,
Maria Quesné,
Quévol ,
Désiré Quéral.
EtienneRécamier,
Comte de Ressé-
R
Ror
Comte de
thays,
VicomteR.de Ror-
thays,
Maurice de Ran-
vière,
Baron de la Ro-
chetaillée,
Baron de Roux-
Larcy,
Emiiianuel de Ri-
card,
guier,
Rambert,
M™* Rimbert,
DeRobernierMuf-
fedy,
Comte et comtesse
de Riancey,
Ambroise Rendu,
Comte Pierre de
Rougé,
C'^ de Rambuteau,
Marquis et mar-
quise des Roys,
Jean deRavignan,
Joseph Récamier,
Baron et baronne
de Ravinel,
G. de Raimbou-
villé,
Ed. Rivault,
Alb. Le Bachelier
de la Rivière,
De Ramel,
Général baron Ro-
billot.
Baron de Rabau-
dy-Montaussin,
C" de Romanet,
Henri Ribot,
Ripert,
Comte de Ram-
bouvllle,
Léonce de la Ral-
laye,
Marquis de Rilly
d'Oyrouville,
A. Rousset,
Roulans,
RauUais,
Raudin,
Emile Richard,
Comte Guy de la
Rochefoucauld ,
Sincère Romey,
Roulier-Breton et
ses fils;
Léontine Roquery
Félicie Roussel,
Julie Roussel,
Germaine de Ro-
chefort,
A. Rocofort, con-
seiller général;
Fern. Ratisbonne,
Renault, bâton nier
des avocats, à
Versailles;
F. Ribar,
ÎXSCRIPTIOXS A EU ET AU TREPORT
481
Comte Pierre de
Rougé,
E. Robinot,
Comte Rambert,
ancien magis-
trat ;
Ch. Romain,
Patte-Romain,
Comte de Rien-
court,
Jean de Rochefort,
Louis de Roche-
fort,
Camille Reculard,
F. Rembel-Bryan,
Rapplex,
Comte de la Ro-
checantin.
Routier- Tillard
père et lils,
Comtesse de Ram-
bures,
Raymond,
Ravin,
Maurice Riquier,
Rousiot,
Paul de Raynal,
ancien substitut
De Raisraes, an-
cien magisti'at.
S
Duc de Sabran-
Pontevès,
J. de Seynes,
Princesse de Sa-
gan,
Em. de Saissel,
Sorres,
Sweeting,
Sazerac de Forges
Léonide Sazerac
de Forges,
H. Serrure,
M. et M"« de Son-
geons,
G. de Saint-Quen-
tin, ancien pré-
fet;
Gaston de Savi-
gnies.
Baron de Saint-
Preux,
Sainte-Claire De-
ville,
René Simard,
Joseph de Sam-
burey de Sor-
gue.
Vicomte Paul de
Saisy,
Comte de Suzan-
net.
Comte H. de Saint-
Georges,
Vicomte de Sapi-
naud,
Henry de Saint-
Genys,
G. de Sessler,
C. Séguin,
René Simard,
Marquis de Sers,
Comte de Sers,
Comte de Savigny
de Moncorps,
Léon Senne,
Comtesse de Saint
Lieux,
Henri Schneider,
Comte et comtesse Souchières,
de Salvandy,
E. Sénart, de l'Ins-
titut ;
Marquis de Ses-
maisons,
Sinoquet,
E. de Saisset,
Baronne Sabatier,
Comtesse deSalis,
Philomène Sempy
31
482
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Savary,
Veuve Servais,
E. de Sigueur,
Baron de Saint-
Paul,
Vicomte de Sainte-
Marie duNozet,
Ch. Sonef, avocat;
Baron Pierre Sé-
guier,
G. Sweeting fils,
Raoul Scelles,
Ch. Scelles,
M. et M™*' de Sain-
te-Opportune,
Comte et comtesse
Sérurier,
Albert Saint-Au-
bin,
Georges Stincel-
lin,
Sonier-Dupré,
Victor Serant,
Comte de Saporta,
E. Souchières,
Vicomte de Saint-
Seine,
A. Sommier,
Comte Séguin de
la Salle,
L. Suisse aîné,
E. Stalin,
Henri Sabato,
L. Salanson, con-
seiller général;
Stoup.
^'icomte de Tré-
dern,
Thomas,
Comte de Toulza,
Henri Turol,
Baron du Teil,
Baron du Teil du
Havelt,
Marquis de Tan-
lay,
A. de Taisne,
Marquis de Tracy,
Comte Terray,
Tripier, ancien
préfet;
Thureau-Dangin,
D. Triquet,
Henri Tnrot,
Baron du Til du
Havetz de Mon-
tagne,
Theron,
Tavernier,
A. Tesallais,
Amelina Touzet,
Pascaline Tro-
phardy,
A. Taillandier,
Veuve Thiéron,
Princesse de la
Tour d'Auver-
gne,
Tiby,
M"« P. Taffebaut,
Albertine Ternois
Tripart,
Troude,
Virginie Têtu -
Bonnechon,
Eugène Thomas,
des zouaves
pontificaux ;
Duc de la Torre,
N. desTournelles,
G. Tragin,
Toulon,
Toillier père,
Ternisien,
Désiré Thiébaull,
Léopold Thiébiuilt
A. de Taisne,
M.ctM'"^H. Tur-
pin,
Anatole Tourtt,
INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT
Jules Touret,
Etienne Trubert,
Thuillier Chryso-
gon,
Baron Tristan
Lambert, ancien
483
député;
Turlebeaurain,
Comte Turque -
mont,
Thires,
A. Thoracli,
Ternon, meunier,
Max Thélu.
U
Albert Uhrich.
V
Comte et comtesse
A. de Vogué,
Marquis de Varen-
nes.
Baron de Vaufre-
land,
G. de Villeneuve
et :M'"'' g. de
Villeneuve, née
de Montalivet;
Albert de Vallande
M'"® de Verton,
Albert Varalle,
Vicomte de la Vil-
larmois,
Vicomte et vicom-
tesse de Valicourt
X. de Vaugelas,
Comte Max deVa-
langlart.
Duc de Vallom-
brosa,
De Varanval,
E. de Verges,
Comte de Ville-
neuve, ancien
préfet ;
Comtesse de Ville-
neuve,
Vassard,
Joseph de la Va-
lence,
A. Versepuy,
Vicomtesse de Va-
licourt,
Viette,
Elise Vallier,
Viel,
Angelina Vaque,
Martha Vatan,
Vignoble,
Vicomte Vigier,
U'' de la Vieuville
S. de Vignières,
De Verton,
Albert Vairale,
Maurice Viossat,
Auger de Vesian,
Jules Verne,
C"' Gaston deVil-
leneuve-Guibert,
ComteA.de Ville-
neuve-Guibert,
Verel,
Abel Vaurabourg,
Vilfroy fils,
Vincent,
Vasseur,
De Villepin d'Au-
bigny,
Vacandare,
Vicomte de Vau-
logé,
Vairras,
M. etM""' Varraz,
Alp. "N^erdiec,
Louis Varnier ,
Henri Vinard, an-
cien procureur.
W
Wiallat,
484 INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT
Gornélis de Witt
Wattebled Au -
Comte Arthur de
et ses fils,
guste,
Wall,
Jules Wagnet,
Wattebled - Bec-
J.E. VandeWyn-
Watel,
quet.
ckele,
L. Watel,
Léopold Warnier,
Wanchy,
Wailly,
briquetier ;
M. et M""= R. de
H. de Witasse-
Léon Wagner,
Wendel.
Thézy,
ajusteur;
y
R. de Witasse-
GustaveWolgarue
Thézy,
Ager de Wailly,
G. Yver.
TABLE DES GRAVURES
Portrait de Msi' le comte de Paris Frontispice
Portrait de Madame la comtesse de Paris 72
Portrait de S. A. R. Philippe duc d'Orléans 136
Porti-ait de S. A. R. la princesse Hélène. 216
Poi'traits de LL. AA. RR. les princesses Isabelle, Louise, et le
prince Ferdinand 260
Portrait de S. A. R. la princesse Amélie ducliesse de Bra-
gance .... 282
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I"
1838-1858
Mariage de S. A. R. le duc d'Orléans, prince royal, avec
S. A. 11. la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin
(30 mai 1837). — Fêtes à cette occasion. — Le palais de Ver-
sailles. — Naissance de S. A, R. le comte de Paris (24 août
1838). — Son enfance. — Lettres de M^e la duchesse d'Or-
léans. — La vie de famille au palais des Tuileries. — Naissance
de M. le duc de Chartres (9 novembre 1840). — Baptême de
M. le comte de Paris (2 mai 1841). — La mort de Mk"" le duc
d'Orléans (13 juillet 1842). — Anecdotes sur le duc d'Or-
léans, d'après Alexandre Dumas. — L'éducation de M. le
comte de Paris et de son frère le duc de Chartres. — Lettres
de M'"'^ la duchesse d'Orléans sur les jeunes princes. — Acci-
dent au Tréport (1844). — La révolution du 24 Février 1848. —
M"" la duchesse d'Orléans à la Chambre des députés. — Son
départ de 'France avec les jeunes princes. — Ses paroles à
Lille. — Au château d'Eisenach. — Voyage en Angleterre.
(1849). — La loi d'exil du 26 mai 1848. — La première com-
munion de M. le comte de Paris, racontée par M™e la du-
chesse d'Orléans (20 juillet 1850). — Mort du roi Louis-
Philippe (26 août 1850) et de la reine des Belges (10 octobre
1850). — Union de la famille royale. — Les jeunes princes au
pont de Kehl. — Le comte de Paris et le duc de Chartres
parcourent les champs de bataille de l'Europe. — Voyages
d'instruction. — Protestation des princes contre les décrets du
22 janvier 1852 qui les dépouillent de leurs biens. — Voyage
en Angleterre (1853). — Accident de M">e la duchesse d'Or-
léans en Suisse (1853). — Les princes pendant la guerre de
Crimée (1854-1855). — Mort de S. A. R. M^^Ma duchesse
d'Orléans en Angleterre (18 mai 1858) 1
488 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE II
1858-1870
Voyage en Orient de M. le comte de Paris. — Il visite Jé-
rusalem et la Syrie (1860). — Publication en Angleterre du
récit de son voyage. — Campagne d'Amérit{ue (1861-1862). —
Le comte de Paris et le duc de Chartres, à l'état-major du gé-
néral Mac Clellan. — Siège et prise de Yorktown (4 avril-
4 mai). — Bataille de \Yilliamsburg (5 mai). — Bataille de Fair-
Oaks (31 mai-1*' juin 1862). — La retraite des sept jours vers
le Jamc's River. — Bataille de Malvern-llill. — Bataille de
Gain's Mill (27 juin). ■ — Rapports tendus entre le gouverne-
ment américain et le gouvernement impérial français. — Démis-
sion de M. le comte de Paris et de M. le duc de Chartres.
— Retour en Europe (juillet 1862). — Une lettre de M. le
prince de Joinville sur les derniers combats des jeunes princes
en Amérique. (Fort Monroe, 1^"' juillet 1862). — L'opinion du
général Mac Clellan sur les princes, pendant la guerre d'Amé-
rique. — Travaux littéraires de M. le comte de Paris en exil.
Damas et le Liban (1861), à Londres, chez Jeffs ; Une semaine
de Noël dans le Lancashire [Revue des Ceux Mondes, à Paris,
numéro du l^"" février 1863, signé X. Raymond); L'Allemagne
nouvelle (Revue des Deux Mondes du 1"^' août 1867); L'Eglise
d'Etat et l'Eglise libre d'Irlande (Revue des Deux Mondes du
15 mai 1868). — M. le comte de Paris étudie à Manchester
et dans plusieurs villes d'Angleterre les questions ouvrières.
Son Livre : Les associations ouvrières en Angleterre (Trade's
Unions, 1869.) — Publication par M. le comte de Paris et 1\L le
duc de Chartres des Campagnes d'Afrique du duc d'Orléans.
— Ij' Esprit de conquête en 1870. (Courrier de la Gironde des
25, 26, 27, 28 et 29 décembre 1870).
Mariage de M. le comte de Paris avec la princesse Isabelle
de Montpensier (30 mai 1864). — Fêtes à cette occasion. —
INaissance de S. A. \\. Madame la princesse Amélie (28 septem-
bre 1865). — Mort de la reine Marie-Amélie (24 mars 1866). —
Voyage de M. le comte de Paris en Espagne (1867). — Le prince
se fixe à York llousc. — Naissance de S. A. R. le duc d'Or-
«
TABLE DES MATIÈRES 489
léans (6 février 1869). — Lettre des princes d'Orléans au
président de la- Cliambre des députés ( 19 juin 1870). — La
pétition des princes est repoussée. — Lettre de M. le comte de
Paris au comte de Kératry (4 juillet 1870). — Lettre de M. le
comte de Paris ( 20 août 1870) au général comte Dumas. —
Les princes d'Orléans pendant la guerre. — Lettre de M. le
comte de Paris au général baron de Chabaud-Latour (17
janvier 1871) 73
CHAPITRE III
1871-1873
Abrogation des lois d'e.xil (8 juin 1871). — Naissance de
S. A. R. la princesse Hélène (12 juin 1871). — Rentrée des
princes en France. — Le manifeste de Chambord (5 juillet
1871). — Les princes d'Orléans dans l'armée française. — Pro-
jet de loi présenté par le gouvernement, pour la restitution
des biens des princes. — La vérité sur cette loi. — Généro-
sité des princes envers la France à laquelle ils abandonnent
la moitié de leur fortune. — M. le comte de Paris s'installe
à Pai'is, faubourg Saint-Honoré, chez son oncle, le duc d'Au-
male. — Réceptions de M. le comte de Paris. — Sa vie à
Paris. — Excursions de M. le comte de Paris en France. —
Visite à Bourges, aux mines de la Grand'Combe, d'Anzin, en
Touraine, etc. — Première visite du prince à Eu, et aux usines
Packam. — Excursions en Bretagne, en Normandie, Ji Aix.
— Publication par M. le comte de Paris de son ouvrage : La
situation des ouvriers en Angleterre (mars 1873). — Voyage de
M. le comte de Paris en Afrique (mai 1873). — Chute de M.
Thiers, et présidence du maréchal de Mac Mahon.
M. le comte de Paris se rend à Vienne (fin juillet 1873), —
L'entrevue de Frohsdorf du 5 août 1873. — Fusion des deux
branches de la maison de Bourbon. — La fusion souhaitée
par le roi Louis-Philippe, et annoncée par M. Guizot en 1850.
— Les princes d'Orléans chez M. le comte de Chambord (sep-
tembre-octobre 1873). — Grande émotion dans toute la France.
— Manœuvres des républicains pour lutter contre le courant
490 TABLE DES MATIÈRES
royaliste. — M. le comte de Paris jugé par M. le comte d
Chambord. — M. le comte de Chambord et les députés
royalistes. — Anecdotes : M. le comte de Chambord en Ba-
vière. Mot du prince Napoléon sur la restauration de la mo-
narchie. - — La Lettre de M. le comte de Chambord, du 27 oc-
tobre 1873. — Echec certain de la loi pour le rétablissement de
la monarchie. — • M. le comte de Chambord à Versailles
(novembre 1873). — Prorogation des pouvoirs du maréchal
de ^L'^c Maiion. — Mort du prince Ferdinand, frère de Madame
la comtesse de Paris (décembre 1873) 136
CHAPITRE IV
187i-1883
Entrevue de M. le comte de Paris, avec le czar Alexandre II,
en Angleterre (1874). ■ — Naissance du prince Charles, fils de
M. le comte de Paris. Il meurt à l'âge de six mois (7 juin
1375^, — Translation à Dreux des restes du roi Louis-Philippe,
de la reine Marie-Amélie, de M™° la duchesse d'Orléans, de
M""* la duchesse d'Aumale, de M6' le prince de Condé (8 juin
1876). — M. le comte de Paris accompagne son frère et ses
oncles aux grandes manœuvres à Dreux (1876). — Mariage de
la princesse Mercedes, sœur de Madame la comtesse de Paris,
avec Alphonse XII, roi d'Espagne (23 janvier 1878). — Mort
de la jeune reine (26 juin 1878). — Lettres de M. le comte
de Paris | 3 et 21 mars 1878) à M. le comte Sérurier, vice-pré-
sident du Comité de l'Union franco-américaine. — Naissance à
Eu de S. A. H. M™'' la princesse Isabelle, troisième fille de
M. le comte de Paris (7 mai 1878). — Naissance à Eu du prince
Jacques, deuxième fils de M. le comte de Paris (11 juillet
1880) et mort du jeune prince (22 janvier 1881). — Naissance
à Cannes de S. A. R. M™° la princesse Louise, quatrième fille
de M. le comte de Paris (24 février 1882). — Visite de M. le
comte de Paris à M. Victor de Laprade mourant (Cannes,
avril 18821. — Le jeune duc d'Orléans au collège Stanislas. —
M. le comte de Paris aux grandes manœuvres. — Voyage, inco-
gnito, ù Rome, de M. le comte de Paris. — Son entrevue avec
TABLE DES MATIÈRES 491
le Pape Léon XIII (septembre 1882). — Générosités et bien-
faisance de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse de
Paris, à Eu et au Tréport. — La vie de M. le comte de Paris
au château d'Eu 201
CHAPITRE V
1883
Discussion en 1883 à la Chambre des députés et au Sénat,
de la proposition Floquet, tendant à exiler les princes d'Or-
léans et les Bonapartes. — Le Sénat rejette la loi d'exil, à cinq
voix de majorité. — Les princes privés de leurs grades dans
l'armée française (février 1883). — Voyage de M. le comte de
Paris, en Sicile, avec M. le duc d'Aumale : visite aux temples
de P;cstum, de Segeste, aux ruines de Sélinonte, à l'église de
Montréal près Palerme, Naples et Pompéi (avril 1883). —
Première communion, à Eu, de S. A. R. M™° la princesse Hélène,
deuxième fille de M. le comte de Paris.
Maladie de M, le comte de Chambord. — Départ pour
Vienne de M, le comte de Paris (lundi soir, 2 juillet), accom-
pagné de M. le duc de Nemours et de M. le duc d'Alençon. —
Entrevue de-s princes avec M. le comte de Chambord (7 juillet).
— Lettre de M. le duc de Nemours sur cette entrevue. —
Légère amélioration dans l'état de M. le comte de Chambord. —
Rentrée des princes en France. — Succès de M. le duc d'Or-
léans au collège Stanislas. — Mort de M. le comte de Cham-
bord (24 août 1883). — Départ des princes d'Orléans pour
Frohsdorf. — La cérémonie funèbre à Frohsdorf. — Notifica-
tion aux souverains, par M. le comte de Paris, de la mort de
M. le comte de Chambord. — Retour en France de M. le comte
de Paris. — Obsèques de M. le comte de Chambord à Gorit/,
(3 septembre 1883). — Récit exact de ce qui s'y passa. — ■
Unité dans le parti royaliste. — Réceptions de M. le comte de
Paris à Eu. — Publication des tomes V et VI de l'Histoire de la
guerre civile en Amérique , par M. le comte de Paris. . . . 217
492 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VI
1884-1885
Voyage en Espagne de M. le comte de Paris (janvier 188i ).
— Attentat découvert à Lyon, contre M. le comte de Paris
(janvier 1884). — M. le comte de Paris et Madanie la com-
tesse de Paris, aux obsèques du duc d'Albany à Cannes (2 avril
1884). — M. le duc de Chartres se rend à Marseille distri-
buer 50,000 francs aux cholériques, au nom de M. le comte
de Paris. — M. le comte de Paris et son grade de lieutenant-
colonel dans l'armée territoriale. — Visite au château d'Eu de
LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Flandre (22 juillet
1884). — M. le comte de Paris et M. le duc d'Orléans à un
incendie au Tréport (août 1884). — Service comménioratif
à Eu pour M. le comte de Chambord (24 août 1884). — Une
lettre de INI. le comte de Paris à M. le comte de Laubespin,
sur la mort de son neveu, le baron de Lespérut. — Naissance
à Eu de S. A. R. le prince Ferdinand, deuxième fils de M, le
comte de Paris (9 septembre 1884). — Le Pape Léon XIII
envoie sa bénédiction au nouveau-né, et à Madame la com-
tesse de Paris. — M. le comte de Paris envoie 10,000 francs
au denier de Saint-Pierre.
Souscription de M. le comte de Paris pour la quête en faveur
des aumôniers des hôpitaux de Paris (16 février 1885). —
Bénédiction de la statue de Notre-Dame du Tréport (23 août
1885). — L'archevêque de Rouen au château d'Eu. — Mariage
au cliâteau d'Eu de S. A. R. la princesse Marie de Chartres,
avec S. A. R. le prince ^Yaldemar, dernier fils du roi de Dane-
mark (22 octobre 1885). — Le service pour le roi d'Espagne
Alphonse XII, à l'église Saint-François-Xavier, à Paris (6
décembre 1885). — M. le comte de Paris et Madame la com-
tesse de Paris, parrain et marraine, à Cannes, du dixième en-
fant de S. A. R. le comte de Caserte, frère de S. M. le roi de
Naples (20 décembre 1885) 261
TABLE DES MATIÈRES 493
CHAPITRE VII
Janvier-Juin 1886
Dépêche télégraphique de M. le comte de Paris, à M. le
comte de Blois, neveu du comte de Falloux, sur la mort de son
oncle (10 janvier 1886). — M. le comte de Paris et le duc de
Bragance à l'Académie française. — Le roi et la reine de Por-
tugal demandent officiellement la main de S. A. R. M™" la
princesse Amélie de France, à M. le comte de Paris, pour
S. A. R. le duc de Bragance. — Madame la comtesse de Paris se
rend à Madrid, pour le mariage de son frère, le prince Antoine,
avec la princesse Eulalie, sœur d'Alphonse XII (février-mars
1886 |. — Visite de M. le comte de Paris au Concours agricole
du Palais de l'Industrie. — Départ du Prince pour Cannes
(mars 1886).
Dépèche de M. le comte de Paris, à l'occasion de la mort de
I\I™e l;i comtesse de Chambord (Cannes, 25 mars 1886). —
Retour à Paris : l'incident de la rue Vivienne (mai 1886). —
Grande réception de M. le comte de Paris, rue de Varenne ,
à l'occasion du mariage de S. A. R. M'"^ la princesse Amélie
(15 mai 1886). — Colère des journaux républicains. — Cam-
pagne pour l'expulsion des princes. — Embarras du gouver-
nement. — Adieux de M™^ la princesse Amélie à Eu. — Ca-
deaux donnés à la princesse à Eu et à Paris. — Départ pour
le Portugal (17 mai). — Acclamations et empressement de la
foule à chaque station de France, d'Espagne et de Portugal.
— Accueil enthousiaste fait aux princes en Espagne et Portugal.
— Mariage à Lisbonne de M""" la princesse Amélie (22 mai
1886). — Les fêtes à Lisbonne 283
CHAPITRE VIII
Jlin-Décembke 1886
Retour de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse de
Paris au château d'Eu. — Le gouvernement se décide à
demander aux Chambres l'expulsion des aînés des familles
494 TABLE DES MATIÈRES
ayant régné sur la France. — Une lettre de M. le comte de
Paris à un éditeur de Philadelphie à propos de son His-
toire de la guerre civile en Amérique (8 juin 1886). — Une
conversation avec M, de Blowilz, correspondant du Times. —
Une lettre de M. le comte de Paris à M. Mei'cié, sculpteur
(15 juin 1886). — Dépèche sympathique d'officiers américains
à M. le comte de Paris (juin 1886). — Discussion et vote de
la loi d'exil à la Chambre et au Sénat. — Mesures prises par
le gouvernement à Eu et au Tréport. — Les dépêches du sous-
préfet de Dieppe à la gendarmerie du Tréport. — Dernières
réceptions au château d'Eu. — Grave maladie de M"'*' la
princesse Louise à Eu. — Adieux touchants de la population,
le jeudi matin 24 juin 1886. — Départ de M. le comte de Paris
et de S. A. 1\. le duc d'Orléans. — Immense affluence et vive
émotion de la foule, à Eu et au Tréport. — Le prince s'em-
barque à bord du Victoria ; il salue le drapeau tricolore.... Au
revoir à la France ! — Arrivée à Douvres. — ^ladame la com-
tesse de Paris revient, la nuit même, auprès de S. A. R. la
princesse Louise. — Protestation de M. le comte de Paris,
distribuée le vendredi matin, 25 juin, en même temps dans
toute la France. — Instructions de M. le comte de Paris aux
représentants du parti monarchiste en France. — Enthousiasme
qu'elles provoquent. — Appréciation de ce document. — Con-
clusion 329
APPENDICE
I. Procès-verbal de la naissance de iNIs"" le comte de Paris,
d'après le Moniteur du 25 août 1838. , 421
IL Sur la naissance de Mu' le comte de Paris. Pièce de vers
par Alfred de Musset. Paris, 29 août 1838 426
Ml. Description de l'épée offerte à Ms"" le comte de Paris,
par le (Conseil muuicij)al de la ^ille de Paris. 2 mai 18il. 'liiO
TABLE DES MATIÈRES 495
IV. L'artillerie en Amérique pendant la guerre de séces-
sion (1862), par MS' le comte de Paris i35
V. Liste des cadeaux offerts à S. A. R. Madame la princesse
Amélie de France, duchesse de Bragance, à l'occasion de son
mariage, 15 mai 1886 439
VI. Ms"" le comte de Paris agriculteur 448
VII. Liste par ordre alphabétique des personnes qui se sont
rendues au château d'Eu et au Tréport pour saluer Msr le
comte de Paris avant son embarquement, le 24 juin 1886. 459
Table des gravures 485
FIN
IMPRIMERIE D. DUMOULIN ET C'^
rue des Grands-Augustins, 5, à Paris.
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DC Fiers, Hyacinthe Camille Spiro
3^ François de Paule de La Motte
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P3F6 Le comte de Pans
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