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Full text of "Le contrat collectif de travail, thèse pour le doctorat"

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THESE 

POUR  LE  DOCTORAT 


La  Faculté  n'entend  donner  aucune  approba- 
tion ni  improbation  aux  opinions  émises  dans 
les  théges  ;  ces  opinions  doivent  être  considérées 
comme  propres  à  leurs  auteurs. 


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UNIVEHSITÉ  DE  PARIS  —  FACULTÉ  DE  DROIT 

LE 

CONTRAT  COLLECTIF 

•DE  TRAVAIL 


THÈSE     POUR     LE     DOCTORAT 


L  ACTE  PUBLIC  SUR  LES  MATIERES  CI-APRES 

Sei'a  soutenu  te  Jeudi  19  Décembre  1901,  a  9  heures 

PAR 

Bartliélemy   RAYNAUD 

MCEXCIK   ÈS-LETTRES 
AVOCAT   A    LA    COUR   d'aPPRL 


Président  :    M.  Raoul  JAY. 

^   ^  (     MM.  DESCHAMPS.    ) 

Suffragants  :     \  \     professeurs 

i  SOUCHON,         <     '     ' 

PARIS  1^   I 

LIURAIHIK   NOUVELLE   DE    DROIT   ET   DE   JURISPRUDENCE 
ARTHUR     ROUSSEAU 

ÉDITEUR 

14,  rue  Soufflot,  et  rue  Touiller,  13 
1901 


BIBLIOGRAPHIE 


SOURCES   GENERALES. 
Recueil  de  Dalloz. 

—      de  Sirey. 
Revue  des  Sociétés. 
Revue  pratique  de  droit  industriel. 

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The  Economies  Journal. 

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et  en  France.  1840. 

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—  Le  socialisme  sans  doctrines:  Australie  et  Nouvelle  Zélande. 
1901. 

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—  Le  Trade-Unionisme  en  Angleterre.  1896. 

E.  de  Vandervelde.  —  Enquêtes  sur  les  associations  pi^fesnon- 
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rique du  Nord.  1899. 

Villermé.  —  Tableau  de  Vindustrie.  1840. 

RECUEIL  DE   TEXTES    LÉGISL.ATIFS.    STATISTIQUES    ET  PUBLICATIONS 

OFFICIELLES. 

Bulletin  de  l'Office  du  Travail. 


VI  BIBLIOGRAPHIE 

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The  Labour  Gazette.  Londres. 
Bulletin  of  the department  of  Labour .  Washington. 
Journal  of  the  department  of  Labour.  Wellington. 
Office  du  travail.  —  De  la  conciliation  et  de  Varbiti'age.  1  vol. 
d893. 

—  Les  associations  professionnelles  ouvtières.t  vol.  parus:  ieryol. 
1899,  2e  vol.  1901. 

—  Statistique  des  grèves  et  des  t^ecours  à  la  conciliation  et  à  l'ar- 
bitrage dep.  1890. 

Annuaire  des  syndicats  professionnels. 

Office  du  travail.  —  Législation  ouvrière  et  sociale  en  Austi^alie 

et  en  Nouvelle  Zélande.  1901. 
Commission  anglaise  du  travail.  —  Firth  and  Final  Report.  1896. 
The  Labour  Laws  of  New  Zealand,  compiled  by  dii^ection  of  the 

hon.  W.  P.  Reewes.  1894. 


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des, 13  janvier  1899. 

—  Le  travail,  le  nombre  et  l'Etat,  15  mars  1901. 

Ant.  Bertram.  —  Le  mouvement  ouvrier  en  Australasie .  Quelques 
expériences  de  conciliation  par  l'État  en  Australasie.  Revue  d'Eco- 
nomie politique,  1897. 

Carlo  Betocchi. —  Contralto  di  lavaro  neW  economia  e  ?ieldiretto. 
Napoli,  1897. 

G.  Blondel.  —  Communication  sur  le  Code  civil  allemand  et  les  ou- 
vriers. Bulletin  de  la  Société  de  Législation  comparée.  Janvier 
et  mars  1901. 

Bodeux.  —  Etudes  sur  le  contrat  de  travail.  1896. 

M.  Bouge.  —  Les  conditions  du  travail  et  le  collectivisme.  1896. 

Lujo  Brentano. —  La  question  ouvrière,  trad.  Caubert,  1885. 

Briquet. —  La  Législation  Belge  des  Unions  professionnelles.  1900. 

P.  Bureau.  —  Le  contrat  de  travail  :  Le  rôle  des  syndicats  profes- 
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1895. 

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(trad.  f.  de  M.  H.  ^diVTBHx). Circulaire  Musée  5oc/a/, septembre  1901, 

no  9. 

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Bûchez  et  Roux.  —  Histoire  Parlementaire  de  la  Révolution 
Française.  18.3i-1838. 

Conseil  Supérieur  du  Travail.  —  3^  session  1895. 

Congrès  International  d'Anvers  :  Législation  douanière  et  Régle- 
mentation du  travail.  1898. 

Germain  Martin.  —  Les  associations  ouvrières  au  XVIII^  siècle. 
1901. 

Rapport  des  délégations  ouvrières  à  r Exposition  de  1862. 

DOCUMENTS  PARLEMENTAIBES. 

FRANCE  : 

Projet  Lockroy  sur  les  Chambres  Syndicales  déposé  le  4  juillet  1876. 
Officiel  187G,  p.  4845,  publié  id.  annexe  n"  270,  p.  5600.  Rapport 
de  M.  Martin  Feuillée.  —  Id.  p.  8068. 

Projet  Mesureur  sur  la  création  de  Conseils  du  Travail  déposé  le  14 
décembre  1891.  Officiel  1891,  Ch.  in  extenso,  p.  2661,  publié  Docu- 
ments Parlementaires  1891.  Annexe  n»  1799,  p.  2937. 

Repris  le  20  janvier  1894.  Officiel  1894.  Ch.  in  extenso,  p.  46  ;  publié 
Doc.  Parlem.  1894..\nnexe  n»  276,  p.  65  (Renvoyé  à  la  Commission 
du  travail .  ) 

Proposition  R.  Goblet  sur  le  contrat  de  louage  d'ouvrages,  déposé  le 
26  novembre  1895.  Officiel  1895.  Ch.  in  extenso,  p.  2529,  publiée 
Doc.  Parlem.  1895.  .\nnexe  n»  1627,  p.  1511,  renvoyé  à  la  Com- 
mission du  travail. 


X  BIBLIOGRAPHIE 

Rapport  Ch.  Ferry  sur  diverses  propositions  de  lois  concernant  le 
travail.  Doc.  Parlem.  d896.  Chambre,  Annexe  n»  4862,  p.  317. 

Proposition  du  Gouvernement  (MM.  Waldeck-Rousseau  et  Millerand), 
sur  le  règlement  amiable  des  différends  relatifs  aux  conditions  du 
travail,  déposé  le  15  novembre  1900,  publié  Ch.  Doc.  Parlem.  1900. 
Session  extraord.,p.  58.  Annexe  n»  1937. 

ÉTRANGER  : 

Belgique.  —  Loi  sur  les  Chambres  professionnelles.  Travaux  par- 
lementaires. —  Loi  sur  le  Contrat  de  travail.  Travaux  parlemen- 
taires. 


L\TRODUCTION 


Gliaquu  époque  comporte  Je  nouveaux  problèmes  ;  cha- 
que siècle  fait  naître  de  nouvelles  relations  sociales  qui 
ne  doivent  laisser  indifférents  aucun  de  ceux  qui  les  cons- 
tatent :  la  solidarité  seule  de  tous  les  membres  du  corps 
social,  par  laquelle  chacun  subit  le  fait  de  tous  comme  tous 
se  ressentent  du  fait  de  chacun,  devrait  suffire,  à  défaut 
de  charité  ou  d'amour  du  prochain,  à  attirer  l'attention 
sur  ces  graves  problèmes.  Mais  ce  sont  l'économiste  et  le 
juriste  qui  observent  avec  un  intérêt  croissant  ces  cas 
nouveaux  qui  viennent  dans  la  sphère  de  leurs  études. 

Or  il  est  parmi  ces  relations  sociales  nouvelles,  parmi 
ces  cas  récents,  un  problème  particulièrement  attachant, 
non  seulement  par  son  originalité  et  par  ses  difficultés 
techniques,  mais  surtout  par  son  extrême  importance  pra- 
tique, par  ses  conséquences  susceptibles  de  modifier  pro- 
fondément le  régime  du  travail,  je  veux  parler  des  rela- 
tions entre  patrons  et  ouvriers  groupés  à  l'occasion  du 
contrat  de  travail,  du  contrat  collectif. 

Sans  doute  aucun  article  du  Code,  aucune  loi  nouvelle, 
du  moins  en  France,  ne  réglemente  ces  relations  juridi- 
ques et  ne  les  fait  passer,  par  la  cristallisation  des  textes, 
de  Tétat  de  relations  sociales  indéterminées  dans  la  série 
de  nos  types  juridiques  connus.  Mais  le  contrat  collectif  a 
pris  depuis  une  vingtaine  d'années  une  extension  consi- 


XII  INTRODUCTION 

tlérahle  :  dans  bien  des  usines,  dans  bien  des  fabriques, 
dans  bien  des  métiers,  au  lieu  de  l'ouvrier  isolé  louant  indi- 
viduellement son  travail,  il  s'agit  d'accords  syndicaux,  de 
sentences  arbitrales,  de  tarifs  adoptés  de  part  et  d'autre 
par  les  patrons  et  les  ouvriers  :  en  un  mot,  à  côté  de  l'an- 
cienne forme  du  contrat  de  travail  individuel,  où  le  patron 
seul  embaucliait  l'ouvrier  isolé,  est  apparue  une  forme  nou- 
velle, l'accord  entre  des  collectivités  à  propos  du  travail. 

Quelle  est  cette  nouvelle  forme,  quel  est  ce  nouveau 
droit  avant  la  lettre?  Le  contrat  collectif  répond-il  à  un 
idéal  de  justice  sociale  supérieur?  Convient-il  de  le  réglo- 
menler  et  pour  cela  est-il  possible  d'en  faire  la  THÉoRiE  ? 
Ne  présente-t-il  pas  un  terrain  suffisamment  large  pour 
réunir  comme  partisans  tous  les  amis  sincères  de  l'ou- 
vrier? Ne  serait-il  pas  un  remède  aux  lacunes  du  vieil  in- 
dividualisme et  aux  insuffisances  de  l'Ecole  libérale,  sans 
nous  jeter  dans  un  Etatisme  toujours  grandissant?  Est-il 
un  rêve  ou  la  réalité  bienfaisante  de  demain  que  nous 
devons  appeler  de  tous  nos  vœux  ? 

Le  but  de  cette  étude  serait  de  rechercher  simplement 
et  de  bonne  foi  quelque  essai  de  solution  à  toutes  ces 
questions  qui  nous  envahissent  en  présence  de  ce  nou- 
veau venu 

Certes  la  tâche  est  des  plus  complexes  et  des  plus  ar- 
dues :  la  matière  n'existe  que  d'hier  et  son  indéniable  ac- 
tualité en  rend  l'étude  difficile  et  dangereuse  :  quelles 
que  soient  nos  préférences  ou  nos  espoirs,  le  plus  sage  est 
encore  de  tenter  et  de  vouloir  résolument  faire  œuvre  scien- 
tifique, sur  ie  solide  terrain  des  faits  :  seuls,  ils  peuvent 
permettre  d'asseoir  utilement  quelques  hypothèses  ou  quel- 
ques théories,  quelques  projets  ou  quelques  désirs.  Le 
reste  est  livré  aux  disputes  humaines. 


LNTRODUCTION  XIII 

Les  fclaiier  et  les  orienter  un  peu  sur  ce  sujet  ^^ravc 
(lu  contrat  collectif,  marquer  les  points  acquis,  indiquer 
les  étapes  qui  restent  à  parcourir  vers  la  justice  toujours 
poursuivie,  jamais  étreinte,  sera  toute  notre  ambition  ; 
n'être  pas  tout  à  fait  inutile  dans  cette  armée  des  cher- 
cheurs, toute  notre  satisfaction. 


NOTIONS   PRELIMINAIRES 


11  in>poiU'  avant  tout  de  donner  une  idée  nelle  aulanl 
(jue  possible  de  l'objet  de  ce  travail  et  d'en  préciser  ri- 
ji^oureuseinent  les  limites.  Or  du  contrat  collectif,  nous 
n'avons  encore  ni  définition  économique,  ni  définition  ju- 
ridi(jue,  il  nous  faut  donc  procéder  à  une  analyse  som- 
maire de  la  notion  du  contrat  collectif  au  double  point  de 
vue  économique  et  juridique. 

Au  premier  de  ces  deux  points  de  vue,  la  notion  du  con- 
trat collectif  ne  laisse  pas  que  d'être  très  large  :  il  est 
pour  ainsi  dire  le  but  nécessaire  et  ordinaire  de  tout  le 
mouvement  syndical  moderne  :  que  cherchent  en  effet  les 
associations  professionnelles,  sinon  à  améliorer  les  condi- 
tions du  travail  de  leurs  membres  (augmentation  de  sa- 
laires ;  réduction  conventionnelle  de  la  journée  de  travail  ; 
etc.,  etc.)?  Or  ces  conditions  de  travail  sont  communes  à 
plusieurs  ouvriers  et  le  syndicat  qui  les  impose  ou  les  ob- 
tient, travaille  pour  une  collectivité.  De  plus,  ces  condi- 
tions, puisqu'elles  sont  des  conditions  du  travail,  doivent 
être  acceptées  expressément  ou  tacitement  par  le  patron  : 
de  là  au  sens  large  de  l'application  du  mot  contrat  collec- 
tif. Ainsi  au  point  de  vue  économique  il  faut  entendre 
par  là  tout  arrangement  relatif  aux  conditions  du  tra- 
vail concernant  plusieurs  ouvriers.  On  saisit  alors  l'im- 
mense domaine  du  contrat  collectif  ainsi  entendu  :  depuis 

RAYNACD  1 


À  NOTIONS    PRELIMINAIRES 

Je  règ-lement  d'atelier  porté  à  la  connaissance  des  ouvriers 
de  l'union  jusqu'à  l'accord  signé  entre  représentants  des 
syndicats  patronaux  et  des  syndicats  ouvriers,  —  depuis 
le  tarif  décrété  par  le  syndicat  et  appliqué  tacitement  par 
le  patron  à  chaque  ouvrier  jusqu'au  procès-verbal  de  con- 
ciliation ou  d'arbitrag^e  qui  termine  un  conflit  ou  une 
grève,  ce  sont  toujours  des  conditions  de  travail  commu- 
nes obtenues  par  divers  moyens,  mais  finalement  acceptées 
par  patrons  et  ouvriers  (1).  De  ce  point  de  vue,  la  question 
du  contrat  collectif  est  en  relation  des  plus  étroites  avec 
la  question  syndicale  elle-même;  la  diffusion  et  l'applica- 
tion du  contrat  collectif  dépendent  essentiellement  de  la 
force  syndicale,  de  la  puissance  de  résistance  et  de  lutte 
spéciale  à  chacune  des  parties. 

Le  point  de  vue  juridique  permet  de  préciser  et  de  don- 
ner du  contrat  collectif  une  seconde  définition,  en  prenant 
le  mot  cette  lois  dans  son  sens  étroit.  En  ce  sens  le  con- 
trat collectif  est  un  contrat  de  droit  commun,  soumis 
aux  règles  ordinaires  des  contrats,  portant  sur  les  condi- 
tions du  travail  et  passé  entre  un  patron  ou  un  groupe- 
ment professionnel  de  patinons  d'une  part,  aides  ouvriers 
réunis  en  syndicat  ou  en  tout  autre  groupement  passager 
d'autre  part,  avec  ce  caractère  particuher  que  les  condi- 
tions stipulées  profitent  le  plus  orduiairement  à  des  col- 
lections d'individus.  La  précision  apportée  par  la  notion 


(1)  11  ne  faut  pas  confondre  ces  arrangements  relatifs  aux  conditions 
du  travail,  avec  les  diverses  formes  de  conventions  portant  sur  le  tra- 
vail lui-même  (marchandage,  travail  par  équipes,  etc.),  oi'i  l'objet 
essentiel  de  la  convention  est  l'exécution  même  du  travail  au  point 
de  vue  technique.  Le  marchandage,  par  exemple,  ne  rentre  pas  dans 
notre  étude,  parce  que  les  ouvriers  embauchés  par  le  tâcheron  ne  trai- 
tent pas  avec  le  patron. 


NOTIONS  PRELIMINAIRES  d 

juridique  est  précisément  l'idée  de  convention,  de  contrat 
au  sens  légal  du  mot  ;  de  ce  point  de  vue  la  notion  du 
contrat  collectif  à  rigoureusement  parler  n'embrasse  plus 
que  l'accord,  le  plus  souvent  écrit,  signé  solennellement 
par  les  représentants  des  patrons  et  les  représentants  des 
ouvriers. 

Il  n'y  a  aucune  raison  de  choisir  entre  ces  deux  notions 
juridique  et  économique,  pour  accepter  l'une  en  repous- 
sant l'autre  :  elles  sont  au  fond  semblables  et  marquent 
simplement  deux  aspects  de  la  question  qu'il  nous  faudra 
envisager  successivement. 

II.  —  Notre  sujet  ainsi  précisé,  il  est  nécessaire  de  jus- 
tifier quelque  peu  les  termes  vagues  sans  doute  au  premier 
abord  par  lesquels  nous  l'avons  défini  :  contrat  collectif  de 
travail  et  par  abréviation,  contrai  collectif. 

L'ambiguité  de  ce  langage  tient  sans  doute  à  ce  que  dé- 
jà pour  le  contrat  individuel  de  travail,  la  terminologie  ju- 
ridique est  loin  d'être  parfaite;  il  est  certain  que,  comme 
le  remarquent  scientifiquement  les  jurisconsultes  (1), 
l'expression  «  contrat  de  travail  »  est  inexacte  juridique- 
ment et  qu'il  faudrait  dire  louage  de  travail  ;  mais  écono- 
miquement et  dans  le  langage  ordinaire,  l'expression  con- 
trat de  travail  est  parfaitement  claire  et  tend  à  se  géné- 
raliser. 

De  la  même  manière  pour  le  cas  qui  nous  occupe,  au 
point  de  vue  juridique  l'expression  «  contrat  collectif  de 
travail  »  est  loin  d^être  parfaite  et  serait  même  tout  à  fait 
fausse  à  prendre  les  mots  dans  leur  sens  rigoureux  (2).  Mais 


(1)  Voir  par  ex.  Planiol,  II,  p.  567,  D»  Civil. 

(2)  Voir  chap.  Esquisse  d'une  théorie  juridique. 


4  NOTIONS    PRELIMINAIRES 

au  point  de  vue  économique,  l'expression  traduit  parfaite- 
ment l'idée  ;  si  donc  juridiquement  il  fallait  dire,  comme 
l'indique,  M.  Planiol,  la  «  forme  collective  du  contrat  »,  on 
peut  cependant  maintenir  pour  la  commodité  du  lang'ag'e, 
l'expression  plus  simple  et  plus  évocatrice  de  contrat  col- 
lectif de  travail. 

Nous  demanderons  même  la  permission  d'aller  plus 
loin  —  et  en  nous  plaçant  résolument  sur  le  terrain  de 
l'Économie  politique  et  de  la  Législation  Industrielle  — 
nous  appellerons  «  contrat  collectif»  tout  court  notre  con- 
trat collectif  de  travail,  suivant  en  cela  l'usage  qui  tend  à 
s'établir  (1).  Il  y  a  sans  doute  d'autres  contrats  collectifs 
anciens  :  concordats  en  matière  de  faillite,  formation  des 
associations  syndicales  de  propriétaires  (L.  2o  juin  1865 
et  L.  22  déc.  1888)  ou  nouveaux,  spécialement  les  nom- 
breux contrats  passés  par  les  syndicats  agricoles  dans 
l'intérêt  de  leurs  membres  —  dont  nous  ne  prétendons 
nier  ni  l'existence,  ni  l'importance  :  mais  au  point  de  vue 
spécial  qui  est  celui  de  cette  étude,  il  est  possible,  nous 
semble-t-il,  de  sous-entendre  les  mots  «  de  travail  »  pour 
abréger. 

D'ailleurs,  en  adoptant  cette  terminologie,  nous  ne 
ferons  qu'imiter  l'usage  anglais  qui  a  désigné  par  «  Col- 
lective Bargaining  »  notre  contrat  collectif.  Le  mot 
employé  pour  la  première  fois  dans  «  The  coopérative 
movement  in  Great  Britain  (Londres  1891)  (2),  page  217, 
est  aujourd'hui  devenu  courant  dans  la  littérature  anglaise, 
grâce  aux  livres  de  Béatrice  et  de  Sidney  Webb.  Il  s'op- 


(1)  M.  Jay  à  son  cours  et  divers  articles  récents. 

(2)  l^ar  Béatrice  Potier  (Mrs  Sidney  Webb) . 


.NOTIONS    PRKLIMINAIHF.S 


pose  alors  à  «  individual  Bargaining  »,  c'est-à-dire  au 
contrat  individuel  passé  entre  le  patron  isolé  et  l'ouvrier 
isolé  (4). 

Nous  dirons  donc  contrat  collectif  (2),  quitte  à  apporter 
dans  la  partie  juridique  une  précision  plus  grande  et  une 
exactitude  plus  rigoureusement  scientifique. 

III.  —  Et  maintenant  quel  est  le  plan  qu'il  conviendra 
de  suivre  dans  cette  étude  ? 

Les  considérations  qui  précèdent  nous  ont  fait  nettement 
apercevoir  le  double  point  de  vue  sous  lequel  peut  être 
envisagé  le  contrat  collectif:  bien  qu'intimement  liés  et 
réagissant  l'un  sur  l'autre,  les  deux  problèmes  économi- 
que et  juridique  doivent  être  séparés  pour  faciliter  l'expo- 
sition du  sujet,  quitte  à  faire  dans  chaque  partie  certains 
emprunts  nécessaires,  pour  plus  d'exactitude  et  de  clarté  : 
les  réalités  sociales  sont  infiniment  complexes  et  résistent 
quelque  peu  à  l'analyse  scientifique. 

Dans  une  première  partie  —  qui  sera  intitulée  Le  Pro- 
blème Economique  —  il  nous  faudra  successivement  recher- 
cher les  origines  du  contrat  collectif  :  nous  nous  placerons 
Avant  le  contrat  collectif  {ch.  I),  nous  essayerons  de  pré- 


(1)  Les  mots  «  individual  Bargaining  »,  dit  encore  S.  Webb,  sont 
employés  incidemment  en  1854  par  C.  Morrison  dans  son  Essay  on 
Relations  beticeen  Labour  and  Capital  ;  ils  désignent  alors  le  prin- 
cipe commercial  suivant  lequel  le  travailleur  essaye  de  vendre  son 
travail  aussi  cher  que  possible  et  le  patron  de  l'acquérir  aussi  bon 
marché  que  possible  (p.  9).  Le  contrat  collectif  est  venu  atténuer 
grandement  ce  tète  h  tète  inégal . 

(2)  Tout  récemment  d'ailleurs,  après  le  moment  où  ces  pages  ont 
été  écrites  et  avant  qu'elles  aient  été  publiées,  nous  trouvons  plusieurs 
exemples  de  l'emploi  des  mots  contrat  collectif  au  sens  indiqué.  — 
Cf.:  Colson,  Cours cTéconomie politique  1901,  p.  3tî7,  vol.  I  :  H.  Tni- 
chy.  Berue  d'Éc.  Po/..  juillet  1901,  p.  803, 


b  NOTIONS   PRELlMINAraES 

ciscr  les  conditions  d'existence  du  contrat  et  d'expliquer 
les  motifs  de  son  absence  avant  1789. 

L' Historique  jusqu'en  1884  (chap.  II)  nous  permet- 
tra dans  une  courte  et  difficile  revue  des  principaux  faits 
en  France,  de  marquer  aussi  rigoureusement  que  possible 
les  étapes  et  les  essais  de  contrat  collectif  jusqu'à  ce  que 
la  loi  de  1884  vienne  donner  un  nouvel  essor  à  sa  diffu- 
sion. 

Ensuite  —  et  là  sans  doule  sera  la  partie  la  plus  déli- 
cate de  notre  tâche,  —  il  nous  faudra  étudier  les  faits 
actuels  en  France  (chap.  III)  ;  nous  tâcherons,  autant 
qu'une  information  incomplète  et  dispersée  nous  le  per- 
mettra, de  donner  une  idée  de  l'état  actuel  du  contrat 
collectif  en  France  dans  les  principaux  métiers. 

Les  deux  chapitres  suivants  sont  consacrés  à  la  même 
étude  à  l'élrang-er,  en  faisant  une  place  spéciale  à  VAîigle- 
terre  (chap.  IV)  qui  l'emporte  de  beaucoup  en  importance 
à  ce  point  de  vue  sur  les  autres  pays  (chap.  V). 

Un  projet  de  contrat  collectif  i?ite?matio?ial  (chaip.  VI) 
complétera  cette  étude  des  faits. 

Enfin  et  pour  clore  cette  première  partie,  nous  essaye- 
rons de  préciser  quelque  peu  la  théorie  économique  du 
contrat  collectif  (chap.  VII). 

La  deuxième  partie  oii  sera  plus  spécialement  envisagé 
—  le  Problème  juridique  —  pour  être  plus  courte  n'en 
sera  pas  moins  importante. 

Une  première  recherche  s'impose  à  qui  veut  bien  saisir 
le  problème,  c'est  l'étude  de  la  jurisprudence  française 
sur  le  contrat  collectif  (chap.  I)  ;  nous  y  verrons,  au 
milieu  de  beaucoup  de  décisions  en  sens  divergents  et 
contraires,  les  premiers  éléments  d'une  interprétation 
juridique  conforme  à  la  réalité. 


NOTIONS   PRHLIMINAIRES  7 

Nous  en  continuerons  la  recherche  dans  une  étude  di- 
recte, qui  aura  pour  hut  V Esquisse  d'une  théorie  juri- 
dique (chap.  II  et  III). 

Enfin,  dans  un  cliapitrc  IV  intitulé  Projets  et  Réfor- 
mes nous  étudierons  la  mise  en  œuvre  pour  le  passé  et 
pour  l'avenir  des  principes  précédemment  dégagées  :  nous 
lâcherons  de  préciser  comment  la  réglementation  légale 
pourrait  concourir  à  l'efficacité  et  à  la  diffusion  du  con- 
trat collectif. 

Après  cette  double  étude,  une  brève  conclusion  sur 
Y  Avenir  du  cofitrat  collectif,  nous  fera  jeter  un  coup 
d'œil  d'ensemble  sur  le  chemin  parcouru  et  nous  permet- 
tra peut-être  de  dégager  quelques  considérations  pra- 
tiques. 


PREMIÈRE  PARTIE 


LE  PROBLÈME  ÉCONOMIQUE 


CHAPITRE   PREMIER 

AVANT  LE  CONTRAT  COLLECTIF 


Un  fait  indéniable  apparaît  dès  l'abord  :  le  contrat  col- 
lectif est  une  nouveauté  dans  l'ordre  économique  et  cette 
question  n'a  pour  ainsi  dire  pas  d'Iiistoire.  Ce  n'est  en 
effet  que  dans  le  courant  du  siècle  dernier,  et  même  pen- 
dant sa  seconde  moitié  qu'on  assiste  à  un  prodigieux  dé- 
veloppement de  cette  nouvelle  forme  de  contrat  :  dans  les 
époques  antérieures  le  contrat  collectif  était  inconnu.  Notre 
effort  doit  donc  ici  porter  sur  la  reclierche  des  causes  qui 
expliquent  cette  absence.  Il  nous  faut  montrer  que  les  con- 
ditions nécessaires  à  sa  naissance  et  à  son  développe- 
ment n'étaient  pas  encore  réalisées. 

Or  pour  que  le  contrat  collectif  soit  possible,  il  faut  que 
ses  deux  termes  soient  possibles  :  qu'il  y  ait  contrat  au 
sens  large  du  mot,  c'est-à-dire  accord  de  volontés  et  que 
ce  contrat  traite  des  intérêts  de  plusieurs  travailleurs. 

D'une  manière  générale,  en  1791,  le  contrat  collectif  est 
à  la  fois  inutile  et  impossible  : 

Inutile  d'abord.  Il  est  clair  que  le  contrat  collectif  dont 
le  rôle  principal  est  de  maintenir  un  certain  taux  de  sa- 
laires est  superllu  en  un  temps  où  la  réglementation  légale 
pourvoit  à  ce  rôle  et  où  la  concurrence  n'agit  pas  pleine- 
ment. La  réglementation  légale  ou  professionnelle,  la  lirai- 


12  PRKMIKRE    PARTIR.    CHAPITRE    PREMIER 

tation  des  prix,  la  fixation  da  nombre  d'ouvriers  par  mé- 
tier restreint  les  limites  dans  lesquelles  peut  varier  le  sa- 
laire. Adam  Smith  résume  parfaitement  à  cet  égard  l'ab- 
sence de  concurrence  illimitée  :  «  Les  privilèges  exclusifs 
des  corporations,  les  statuts  d'apprentissage  et  toutes  les 
lois  qui  dans  les  branches  d'industrie  particulière,  res- 
treignent la  concurrence  à  un  plus  petit  nombre  de  per- 
sonnes qu'il  n'y  en  aurait  sans  ces  entraves,  ont  la  même 
tendance,  que  les  monopoles,  quoique  à  un  moindre  degré. 
Ce  sont  des  espèces  de  monopoles,  étendus  sur  plus  de 
monde,  et  ils  peuvent  souvenl  pendant  des  siècles  et  dans 
des  professions  entièî^es,  tenir  le  prix  de  marché  de  quel- 
ques marchandises  particulières  au-dessus  du  prix  naturel, 
et  maintenir  quelque  peu  au-dessus  du  taux  naturel  tant 
les  salaires  du  travail  que  les  profits  des  capitaux  qu'on  y 
emploie  (1).  »  Ainsi  le  besoin  du  contrat  collectif  ne  se 
faisait  guère  sentir;  son  rôle  était  tenu  par  des  équiva- 
lents. 

En  second  lieu  le  contrat  collectif  avant  1789  était  sinon 
tout  à  fait  impossible,  au  moins  peu  en  harmonie  avec  le 
régime  de  l'industrie  et  du  travail  se  résumant  dans  les  cor- 
porations. 

Bien  que  plusieurs  points  de  détails  sur  l'histoire  des 
corporations  soient  encore  controversés  et  que  l'avenir  des 
découvertes  puisse  nous  réserver  plus  d'une  surprise,  on 
peut  cependant  affirmer  avec  M.  Marc  Sauzet,  que  le  con- 
trat collectif  n'existait  guère  à  côté  du  monopole  des  mé- 
tiers. Sans  doute  en  théorie  le  monopole  des  métiers  n'eût 
pas  été  incompatible  avec   des   tarifs   convenus   par   les 


(1)  Richesse  des  nations,  Liv.  I,  chap.  VII,  1. 1,  p.  76. 


AVAM     I.K    CONTHAT    COLLKCTIF  13 

roprésenlauts  des  corporations  en  présence,  portant  sur  les 
prix  de  la  main-d'œuvre  et  les  diverses  conditions  du  tra- 
vail. Maîtres  et  valets  auraient  pu  —  et  nous  verrons  qu'ils 
s'y  essaient  dès  1791  —  passer  des  contrats  collectifs, 
mais  qui  dit  contrat,  dit  égalité  de  situation,  dit  consente- 
ment de  part  et  d'autre.  Or  rien  n'est  moins  dans  le  génie 
pour  ainsi  dire  de  l'Ancien  Régime  où  en  matière  du  tra- 
vail les  deux  idées  de  Patronat  et  de  Police  Royale  sem- 
blent résumer  tout  le  système  (1). 

«  Le  contrat  de  travail  théoriquement  n'existait  pas  : 
l'égalité  inconnue  était  remplacée  par  la  hiérarchie  ;  quant 
au  monopole  acheté  par  les  maîtres,  il  ne  devait  profiter 
qu'à  eux  (2)  à  moins  que  l'intérêt  des  compagnons  se 
trouvât  d'accord  avec  celui  des  maîtres  pour  en  faire  béné- 
ficier les  premiers,  par  exemple  à  l'encontre  des  ouvriers 
inférieurs.  » 

Aussi  bien,  puisque  le  contrat  de  travail  relève  plus  en- 
core de  la  police  que  du  droit  civil,  le  contrat  collectif  se 
trouve  en  quelque  sorte  masqué,  (et  il  en  sera  ainsi  au 
point  de  vue  juridique  jusqu'en  1864),  parle  point  de  vue 
pénal.  Dans  les  idées  comme  dans  les  faits,  le  contrat  col- 
lectif est  ignoré  avant  1789.  Il  ne  faudrait  pas  chercher 
dans  Pothier  ou  dans  les  autres  civilistes  de  l'époque  une 
analyse  du  contrat  de  travail  individuel  ni  une  hypothèse 
du  contrat  collectif  «  pour  eux,  comme  dit  M.  Sauzet(3), 
le    droit    et  ses    interprètes   n'avaient    rien    ou    presque 


(i)  «  Essai  historique  sur  la  législaliou  iDduslrielle  de  la  France  », 
Revue  d'Economie  Poli  tique,  1892,  p.  359. 

(2)  Ceci  n'est  pleinement  vrai  que  pour  la  dernière  époque  des  cor- 
porations. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  401. 


14  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

rien  à  voir  dans  de  tels  rapports  :  un  traité  juridique 
n'en  devait  dire  rien  ou  presque  rien.  »  Le  contrat  col- 
lectif était  donc  inconnu  dans  le  régime  corporatif  propre- 
ment dit;  dans  les  usines  et  fabri(jues  nées  en  dehors  de 
ce  ré^'una,  le  travail  était  matière  de  police  plus  encore 
que  de  libre  convention  (1).  Enfin  le  conipagnonnag-e  qui, 
de  toutes  les  institutions  de  l'ancien  régime  était  certes  la 
plus  propice  à  la  naissance  du  contrat  collectif,  ne  fut  pas 
pour  lui  à  raison  des  circonstances  de  fait  un  terrain  favo- 
rable. 

Il  est  certain  cependant  que  l'ancienne  organisation  du 
compagnonnage,  étendue  à  27  professions  en  1791,  eût 
théoriquement  rendu  possible  la  formation  du  contrat  col- 
lectif :  ce  sont  des  ouvriers  associés  offrant  leur  travail 
successivement  à  un  grand  nombre  de  patrons  et  particu- 
lièrement intéressés  à  obtenir  une  certaine  fixité  de  salaires. 
De  plus  ils  ont  la  pratique  de  la  mise  en  interdit  contre 
le  maître  qui  diminue  le  salaire  de  l'ouvrier,  ce  qui  est 
un  excellent  moyen,  pour  assurer  l'exécution  du  con- 
trat collectif.  Mais  en  fait,  l'organisation  compagnonique 
renfermait  à  cet  égard  deux  vices  secrets: 

En  premier  lieu  la  durée  relativement  courte  pendant 
laquelle  le  compagnon  retrait  membre  actif  avant  de  pas- 
ser à  l'honorariat  et  la  perspective  pour  chacun  de  s'éta- 
blir à  son  compte  dans  quelque  localité. 

En  second  lieu  les  multiples  divisions  entre  les  trois 
rites  de  compagnonnage,  les  enfants  du  Père  Soubise,  les 
enfants  de  Maître   Jacques   et    les  enfants   de    Salomon 


(1)  Le  récent  livre  de  M.  Germain  Martin,  Les  associations  ouvriè- 
res au  XVIII^  siècle,  en  est  une  nouvelle  preuve  des  plus  intéres- 
santes. 


AVANT   LE   CONTRAT   COLLECTIF  15 

étaient  loin  de  s'entendre  pour  agir  sur  les  conditions  de 
travail  et  leur  rivalité  les  rendit  parfaitement  incapables 
de  tenter  une  action  sérieuse  au  point  de  vue  du  contrat 
collectif. 

Cependant  il  est  probable  que  l'histoire  mal  connue  du 
compagnonnage  nous  révélerait  les  plus  anciennes  tentati- 
ves de  contrat  collectif:  en  effet,  dans  le  bâtiment  par 
exemple  le  patron  n'engageait  que  par  l'intermédiaire  de 
Tassociation  et  il  est  probable  que  celle-ci  obtenait  en  fait 
des  prix  uniformes.  Mais  le  compagnonnage  était  l'excep- 
tion et  ce  résultat  l'exception  dans  l'exception.  Aussi  pour 
le  plus  grand  nombre  des  métiers  et  des  ouvriers  le  con- 
trat collectif  n'existait  pas. 

Un  premier  travail  était  donc  nécessaire  :  il  fallait  dé- 
gager l'idée  de  liberté  du  travail  et  arriver  au  domaine  du 
contrat  :  ce  fut  l'œuvre  de  la  Révolution. 

Avant  1791  (1),  nulle  place  pour  la  libre  discussion 
entre  maîtres  et  ouvriers.  Les  compagnons  ne  font  pas 
partie  de  la  maîtrise.  S'agit-il  d'établir  ou  de  modifier  les 
conditions  du  travail,  ils  ne  sont  pas  consultés,  ils  ne  dé- 
libèrent pas  avec  les  maîtres.  «  Parler>alors  de  contrat  de 
travail  est  théoriquement  un  anachronisme.  D'abord,  parce 
qu'à  un  tel  contrat,  la  matière  même,  l'objet  fait  défaut  : 
le  droit  de  travailler  n'est  pas  dans  le  commerce-  Ensuite 
parce  que  si  en  fait,  malgré  le  principe  du  monopole, 
maîtres  et  ouvriers  entrent  en  pourparlers,  ils  se  heuteront 
à  chaque  pas  à  des  mesures  réglementaires,  à  des  ta- 
rifs (2).  » 


(1)  Eu  négligeant  la  toute  première  époque  des  corporations  où,  au 
contraire,  il  y  eut  peut-être  bien  quelque  discussion. 

(2)  Marc  Sauzet,  loc.  cit,  p.  368.  —  Il  y  eût  cependant  quelques 


16  PHKMIÈHK    PAIVnii.    CHAPITRK    PREMIEU 

C'est  aux  Physiocrales  qu'il  faut  attribuer  l'orig^i no  et  le 
développement  de  cette  idée  de  contrat.  Leur  influence 
jointe  à  la  réaction  contre  les  corporations  amena  la  cé- 
lèbre loi  de  mars  1791  qui  proclamait  la  liberté  du  tra- 
vail. C'est  donc  la  possibilité  du  contrat  de  travail  qui,  par 
là  même,  se  trouve  établie  et  en  môme  temps,  le  contrat 
collectif  semble  au  moins  à  ne  voir  que  les  idées  de  l'épo- 
que, encore  plus  difficile  et  encore  plus  éloigné.  Ce  (ju'on 
veut,  en  effet,  pour  correspondre  à  l'idée  des  Physiocrales, 
au  droit  individuel  et  à  Tégalilé  des  droits  devenus  le  fon- 
dement de  la  constitution  sociale,  c'est  le  confrat  libre 
entre  deux  volontés  équipollcntes,  entre  deux  individus, 
entre  deux  êtres  de  raison,  le  patron  d'une  part,  l'ouviier 
de  l'autre  :  il  faut  que  les  deux  j)iirties  débattent  libre- 
ment les  conditions  de  leur  collaboration,  tous  deux  agis- 
sant sous  l'action  de  la  concurrence,  seuls  à  seuls,  en  un 
régime  «  de  tète  à  tète  forcé  ».  Il  est  clair  dès  lors  que 
toute  entente,  soit  entre  les  compagnons,  soit  entre  les  pa- 
trons, doit  être  absolument  écartée.  La  loi  de  juin  1791 
n'y  manque  pas.  Cette  entente  viendrait  en  effet  rompre 
l'équilibre  idéal,  l'égalité  de  situation  entre  le  patron  et 
l'ouvrier  qui,  dans  les  idées  physiocratiques  et  révolution- 
naires, correspondaient  à  la  stricte  réalité.  «  Le  but  de 
cette  entente  ne  pourrait  être  que  d'exercer  une  pression 
sur  la  volonté  du  patron  et  sur  celle  du  compagnon  pour 
le  déterminer  à  subir  des  conditions  de  salaire,  majoré  ou 
avili,  qu'ils  n'eussejit  pas  consenties  dans  une  convention 
conclue  à  deux  (1).  » 


accords  sur  les  diverses  conditions  du  travail,  mais   ceux-ci  n'avaient 
qu'un  caractère  accessoire . 
(1)  Marc  Sauzet,  id.,  loc.  cit. 


AVANT    LE   CONTRAT   COLLECTIF  17 

Les  témoignages  sur  ce  point  sont  indéniables  (1),  sans 
compter  que  la  logique  même  de  l'idée  de  liberté  du  tra- 
vail, telle  qu'elle  apparut  à  ses  premiers  partisans,  con- 
duit à  ce  résultat  comme  nous  venons  de  le  voir. 

Mais  telle  est  la  force  d'une  idée  que  sa  réalisation  rompt 
parfois  les  entraves  théoriques  que  la  sagesse  des  pen- 
seurs lui  veut  poser. 

L'histoire  même  des  faits  entre  la  l"""  loi  de  la  Consti- 
tuante des  2-17  mars  1791  abolissant  la  corporation  et  la 
2«  loi  des  14-17  juin  1791,  prohibant  les  associations  pro- 
fessionnelles et  les  coalitions,  marque  bien  qu'il  était  dans 
la  logique  du  système  et  dans  le  génie  de  lépoque  de 
redouter  toute  action  collective  comme  empiétement  sur 
la  liberté  du  travail.  Cest  là  une  période  des  plus  intéres- 
santes pour  l'histoire  du  contrat  collectif  :  car  on  y  saisit 
résumée  en  quelques  traits  et  comme  en  abrégé  la  longue 
lutte  qui  se  déroulera  au  cours  de  tout  le  XIX''  siècle  en- 
tre les  besoins  de  la  classe  ouvrière  et  1  idée  de  liberté  du 
travail  identifiée  à  celle  de  contrat  individuel  :  et  cepen- 
dant le  contrat  collectif  fait  son  apparition  (2). 

Aussitôt  après  l'abolition  des  corporations,  une  série  de 
coalitions  se  forment,  qui,  toutes,  tendent  plus  ou  moins 
à  obtenir  de  meilleures  conditions  de  travail. 

Les  charpentiers  qui  venaient  de  former  1'  «  Union  fra- 
ternelle des  ouvriers  en  l'art  de  la  charpente  »  demandent 


^l)  Cf.  la  liltéraliire  de  l'époque  liévoliitiounaire. 

Hœderer,  Séance  de  la  Consliluaule,  IG  fév.  1791,  .\rch.  parlem., 
XXIÎI,  p.  219. 

(2)  La  période  est  assez  confuse  et  les  documents  nialheureuseiiienl 
incomplets. 

BATNACD  S 


18  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

aux  patrons  de  s'entendre  avec  eux  «  afin  d'établir  des 
règlements  qui  assurassent  aux  uns  et  aux  autres  un  gain 
proportionnel  (1)  ».  Mais  les  patrons  trouvant  sans  doute 
les  prétentions  des  ouvriers  exagérées,  refusèrent  et  re- 
poussèrent cette  tentative  de  contrat  collectif.  Alors  les 
ouvriers  charpentiers  arrêtent  de  leur  côté  le  salaire 
qu'ils  considèrent  comme  indispensable  et  s'adressent  à 
la  municipalité  de  Paris.  Malgré  leurs  instances  réitérées, 
le  corps  municipal  se  déclare  impuissant  à  remédier  à  la 
situation.  Après  un  avis  du  29  avril  1791,  la  municipalité 
de  Paris  avait  rendu  un  arrêté  en  date  du  4  mai  décla- 
rant «  nuls,  inconstitutionnels  et  non  obligatoires  les  arrê- 
tés pris  par  des  ouvriers  de  différentes  professions  pour 
s'interdire  respectivement  etpour  interdire  à  tous  autres 
ouvriers  le  droit  de  travailler  à  d'autres  prix  que  ceux  fixés 
par  les  dits  arrêtés. 

On  déclare  de  plus  «  que  le  prix  du  travail  doit  être  fixé 
de  gré  à  gré  entre  eux  et  ceux  qui  les  emploient,  et  que 
les  forces  et  les  talents  des  individus  étant  nécessai- 
rement dissemblables,  les  ouvriers  et  ceux  qui  les  em- 
ploient ne  peuvent  être  assujettis  à  aucune  taxe  ni  con- 
trainte. (Séance  du  4  mai,  procès-verbaux  de  la  Com- 
mune (2).  » 

Il  semble  bien  que  c'est  la  fixation  par  autorité,  plus 
encore  que  le  contrat  collectif,  qui  est  ici  écartée  par  le 
corps  municipal.  Cependant,  l'idée  de  la  diversité  indivi- 
duelle des  talents  et  des  forces  mise  en  lumière  dans  cet 
arrêté,  ainsi  que  la  prohibition   des   règlements  et  arrêtés 


(1)  Levasseur,   Histoire  des  classes  ouvrières   api'ês  1789,  l.  I, 
p.   138. 

(2)  Bûchez  et  Roux,  Histoire  parlementaire,  t.  X,  p.  102. 


AVANT    LE   CONTRAT   COLLECTIF  19 

lixaiit  les  conditions  du  travail  masquaient  ici  encore  le 
contrat  collectif  :  mais  il  apparaît  déjà. 

Ainsi  en  dépit  de  cet  arrêté  du  2  mai  1791,  la  pensée  du 
corps  municipal  de  Paris,  qui  était  au  fond  très  favorable 
au  contrat  collectif  passé  do  gré  à  gré,  transparaît  dans 
ces  procès-verbaux  des  séances  relevés  par  Bûchez  et 
Roux  : 

Séance  du  o  mai.  «  Des  ouvriers  du  pont  de  Louis  XVI 
se  disant  députés  de  la  part  do  500  hommes  composant 
l'atelier,  ont  été  introduits.  Ils  ont  demandé  en  leur  nom 
et  au  notn  de  tout  l'atelier  une  augmentation  dans  le  prix 
de  leurs  journées  qu'ils  voudraient  faire  porter  à  36  sous 
au  lieu  de  30.  M.  le  maire  a  répondu,  au  nom  du  corps 
municipal  dans  les  termes  des  principes  de  son  arrêté 
d'hier.  M.  le  maire  a  observé  que  ces  sortes  de  conven- 
tions devraient  être  faites  de  gré  à  gré  ;  que  les  ouvriers 
du  pont  Louis  XVI  seraient  coupables  s'ils  persistaient 
dans  leur  coalition  ;  qu'ils  devaient  retourner  à  leur  ou- 
vrage, rentrer  dans  l'ordre  et  mériter  ainsi  l'appui  de  la 
municipalité  (1).  » 

Quelques  jours  après,  la  Commune  de  Paris  fait  plus, 
elle  passe  elle-même  un  véritable  contrat  collectif  avec 
une  partie  de  ses  ouvriers  :  c'est  donc  bien  la  meilleure 
preuve  qu'au  fond  elle  l'admettait  parfaitement.  Nous  li- 
sons en  effet  toujours  dans  les  procès-verbaux  relevés 
par  Bûchez  et  Roux  : 

Séance  du  23  :  «  Sur  le  rapport  d'une  pétition  des  tail- 
leurs de  pierres,  employés  aux  réparations  des  quais,  ports 
et  trottoirs  de  la  capitale,  le  corps  municipal,  considérant 


(1)  Bûchez  et  Roux. 


20  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

que  le  travail  confié  aux  tailleurs  de  pierres  dont  cet  ate- 
lier est  composé,  est  utile  et  tourne  au  profit  de  la  com- 
mune ;  considérant  encore  que  ces  ouvriers  sont  obligés 
de  se  fournir  des  instruments  et  autres  ustensiles  néces- 
saires à  leurs  ouvrages,  arrête  qu'à  compter  du  lundi 
23  mai,  les  tailleurs  de  pierre  employés  aux  réparations 
des  quais,  ports  et  trottoirs  de  la  capitale,  seront  payés  de 
leur  salaire  sur  le  pied  de  42  sous  par  jour,  au  lieu  de 
36  qu'ils  ont  reçus  jusqu'à  présent  (1).  » 

Ainsi  le  contrat  collectif  était  pratiquement  possible; 
mais  il  trouve  un  double  obstacle  dans  la  défense  aux  ou- 
vriers de  prendre  des  arrêtés  pour  y  parvenir,  et  dans  le 
rejet  absolu  de  toute  intervention  des  pouvoirs  publics  res- 
semblant à  un  arbitrage.  C'est  bien  d'ailleurs  ce  que  nous 
trouvons  presque  explicitement  renfermé  dans  un  article 
de  journal  signé  Prudhomme,  paru  dans  \q^ Révolutions  de 
Paris  (2). 

L'auteur  rappelle  le  conflit  des  maîtres  et  des  charpen- 
tiers :  la  pétition  des  ouvriers,  après  les  tentatives  de  con- 
trat collectif,  demandant  que  la  municipalité  consultât  le 
mémoire  des  maîtres  :  «  Il  y  a  ici  une  erreur  de  droit  qu'il 
est  essentiel  de  relever.  La  municipalité  n'a  pas  le  pouvoir 
d'exiger  des  ci-devant  maîtres  qu'ils  produisent  leurs 
mémoires  :  et  à  moins  qu'ils  ne  consentent  à  s  arranger' 
à  V amiable  avec  les  ouvriers,  par  la  médiation  de  M.  le 
Maire,  ni  lui  ni  personne  n'a  le  droit  de  fixer  les  salaires 
de  ces  derniers  contre  le  gré  de  ceux  qui  doivent  les  payer. 
Ceci  se  réduit  au  principe   simple  qu'entre  celui  qui  tra- 


(1)  Id.  Bûchez  et  Roux,  toc.  cit. 

(2)  Révolutions  de  Paris,  no  XCVl. 


AVANT    LE    CONTRAT    COLLECTIF  21 

vaille  et  celui  qui  fait  travailler,  il  est  tyrannique  et  absurde 
qu'un  tiers  puisse,  contre  le  gré  d'un  des  contractants, 
donner  sa  volonté  pour  convention. 

Il  y  a  plus  :  nous  avons  dans  des  documents  authenti- 
ques le  texte  de  véritables  contrats  collectifs  de  cette  épo- 
que particulièrement  intéressants  de  la  période  révolution- 
naire :  mars-juin  1791. 

Voici  d'abord  le  texte  de  l'engagement  imprimé  que  les 
garçons  maréchaux  ferrants,  mécontents  de  leurs  salaires 
prétendaient  faire  signer  des  maîtres  maréchaux  ferrants 
et  que  quelques-uns,  malgré  la  résistance  du  plus  grand 
nombre,  vraisemblablement  signèrent  : 

«  Je  certifie  de  donner  à  tous  les  garçons  maréchaux  qui 
travailleront  chez  moi,  la  somme  de  1  livre  16  sols  par  jour, 
à  condition  qu'ils  conmienceront  la  journée  à  cinq  heures 
du  matin  jusqu'à  sept  heures  du  soir. 

«  Fait  à  Paris,  ce.     .     .     .         1791  (1).  » 

Nous  possédons  même  dans  un  document  intitulé  : 
«  Précis  pour  les  maréchaux  de  Paris,  remis  à  la  munici- 
palité le  4  juin  1791  »,  une  véritable  et  très  curieuse  dis- 
cussion d'un  projet  de  contrat  collectif  :  les  prétentions 
des  deux  parties  exposées  en  regard  les  unes  des  autres 
ressemblent  à  un  véritable  débat  moderne  précédant  un 
contrat  collectif. 

Voici  ce  document  dans  ses  parties  essentielles  (2)  : 


H)Archiv.  nation.,  AD.  D.  IV.  .51 . 

(2)  Document  publié  par  M^  M.  Sauzel,  art.  cité.  —  Le  document 
(Archiv.  nation.,  AD.  XI.  85)  est  véritablement  la  discussion  fort 
curieuse  d'un  contrat  collectif  où  les  prétentions  des  deux  parties  sont 
publiées  sous  forme  de  pétition. 


22 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  PREMIER 


Précis  pour  les  maréchaux  de  Paris,  remis  à  la  municipalité 
le  4  Juin  1791 


Observation  des  Maréchaux  sur 
le  mémoire  des  Garçons. 


L'état  des  garçons  maréchaux 
ne  peut  être  comparé  à  celui  des 
charpentiers,  des  couvreurs,  et 
d'une  foule  d'autres,  non  seule- 
ment pénibles  et  fatigants,  mais 
même  dangereux  pour  la  santé. 

S'il  ne  peut  être  interrompu  sans 
causer  un  préjudice  sensible  à  la 
société,  les  garçons  ont  donc  pro- 
voqué ce  préj  udice  et  se  sont  rendus 
coupables  en  abandonnant  leur 
ouvrage  et  en  forçant  à  l'abandon- 
ner ceux  d'entre  eux  que  la  bonne 
volonté,  l'amour  du  travail  et  de 
l'ordre,  ou  le  besoin,  avaient  fuit 
rester  dans  les  boutiques.  Cette 
conduite  de  leur  part  fera  bien 
apprécier  le  civisme  dont  ils  se 
parent  quelques  lignes  plus  bas. 

Nous  verrons  dans  un  moment 
si  ce  qu'ils  disent  qu'ils  sont  les  • 
plus  mal  payés  et  que  leur  sort 
n'a  point  été  amélioré  est  fondé. 


Mémoire présentépar  les  garçons 
Maréchaux- ferrants  à  M.  le 
Maire  et  à.  MM.  les  Officiers 
mimicipauœ. 

1°  Les  garçons  maréchaux  de 
la  ville  de  Paris  vous  exposent 
que,  de  tous  les  arts  et  métiers, 
leur  état  est  le  plus  pénible,  le 
plus  fatigant  et  le  plus  dangereux  ; 
il  est  aussi  le  plus  utile  et  telle- 
ment lié  au  service  public  qu'il  ne 
pourrait  être  interrompu  un  ins- 
tant, sans  causer  un  préjudice 
sensible  à  la  société  ;  cependant 
c'est  en  même  temps  l'état  où  les 
ouvriers  sont  le  plus  mal  payés, 
le  seul  où  leur  sort  n'ait  point  été 
amélioré,  malgré  l'augmentation 
progressive  des  comestibles  et  des 
choses  nécessaires  à  la  vie  et  à 
l'entretien. 


8o  Us  reconnaissent  dans  cet  8o  Ils  vous  demandent,  Mes- 
article  qu'il  y  a  parmi  eux  des  sieurs,  de  porter  le  prix  des  jour- 
ouvriers  qui  valent  mieux  que  nées  à  40  sous,  ou  au  moins  à 
d'autres  et  qui  se  font  payer  plus  36  sous;  cette  faible  augmentation 


AVANT  LE  CONTRAT  COLLECTIF 


23 


cher.  Cet  aveu  dclruil  nécessaire- 
ment la  fixation  positive  qu'ils 
veulent  rétablir  ;  et  s'il  y  a  des 
garçons  maréchaux  en  étal  de 
gagner  50  sous  par  jour,  il  j  en  a 
aussi  qu:  sont  hors  d'état  d'en 
gagner  30,  attendu  les  risques 
plus  ou  moins  onéreux  que  court 
le  propriétaire  dont  les  che- 
vaux peuvent  être  estropiés  par 
l'ignorance  de  l'ouvrier  et  le  ma- 
réchal qui  les  a  à  l'entretien.  Ils 
ne  peuvent  donc  légitimement  exi- 
ger de  la  part  de  leurs  maîtres  que 
ce  qu'ils  sont  en  état  de  gagner. 


ne  leur  sera  sûrement  pas  contes- 
tée par  les  maîtres,  puisque  plu- 
sieurs d'entre  eux  ont  été  assez 
équitables  pour  l'accorder  de  leur 
propre  mouvement  et  ils  offrent 
même  4  livres  de  plus  par  mois 
aux  ouvriers  les  plus  distingués. 


Puis  vient  la  discussion  sur  la  durée  du  travail.  En 
voici  le  résumé  : 

Les  garçons  denrïandent  des  journées  commençant  à 
5  heures  été  et  hiver  au  lieu  de  4.  Les  journées  seront 
encore  de  13  heures,  ce  qui  est  déjà  beaucoup  pour  un 
travail  aussi  pénible. 

On  travaille  sans  repos. 

Les  patrons  répondent  qu'en  fait  on  commence  à 
5  heures. 

Il  n'y  aurait  pas  13  heures,  mais  12,  avec  les  2  heures 
pour  les  temps  de  repas  et  de  repos,  sans  compter  tout 
le  temps  passé  à  boire  avec  les  cochers,  etc.. 

La  garde  du  dimanche  est  peu  fatigante,  et  a  lieu  le 
matin  seulement  dans  quelques  boutiques. 

Et  la  discussion  se  poursuit  ainsi  sur  11  points,  discus- 
sion de  détail,  taux  du  salaire,  durée  du  travail,  etc. 

Et  les  maréchaux  concluent  en  repoussant  le  contrat 
collectif. 


24  PRKMIÈRE    PARTIK.    CHAPITRE    PREMIER 

Il  résulte  de  ces  observations  : 

30  Que  le  prix  de  leurs  journées  ne  peut  être  irrévocablement  fixé  ; 
mais  qu'il  doit  l'être,  comme  dans  la  plupart  des  autres  corps  de  mé- 
tiers, en  raison  de  leur  talent,  et  que  par  conséquent  il  doit  se  trai- 
ter de  gré  à  gré  avec  les  maîtres,  l'arrivant  ne  devant  pas  nécessai- 
rement savoir  aussi  bien  travailler  et  gagner  autant  que  le  garçon 
qui  a  plusieurs  années  de  service  dans  les  boutiques  de  Paris. 

4°  Enfin,  que  leur  demande  est  injuste,  vexatoire,  qu'elle  ne  peut 
être  accordée  qu'à  ceux  qui  seraient  en  état  de  la  remplir  ;  que  la  re- 
connaissance qu'ils  ont  fait  imprimer,  qu'ils  exigent  qu'on  leur  signe, 
et  qu'ils  se  sont  engagés  par  serment  à  faire  exécuter,  môme  de  force, 
est  une  véritable  inquisition,  qui  doit  être  proscrite  dans  un  moment 
de  liberté  générale  (1). 

Enfin  les  fabricants  de  chapeaux  de  la  commune  de  Pa- 
ris n'attendirent  pas  que  le  conflit  fut  poussé  aussi  loin  : 
ils  accordèrent  spontanément  un  tarif  à  leurs  ouvriers, 
dont  nous  possédons  le  texte  sous  forme  d'une  affiche  (2)  : 

Les  fabricants  de  chapeaux  de  la  commune  de  Paris 

{Texte  d'une  affiche  sans  date,  vers  1790.) 

\ 

Considérant  que  les  ouvriers  et  ouvrières  ci-dessous  désignés,  ayant 
fait  des  demandes  d'augmentation,  tellement  exorbitantes,  aux  fabri- 
cants chapelliers,  que  ces  derniers  ont  cru,  par  une  sage  prévoyance, 
qu'ils  devaient  aller  au  devant  des  grands  maux.  Bien  convaincus  qu'il 
serait  trop  tard  d'y  pourvoir,  quand  ils  seraient  venus,  ils  ont  en  consé- 
quence, par  un  tarif  tout  à  la  fois  fondé  sur  la  justice,  l'humanité,  la 
conservation  de  leur  état  en  France,  assuré  une  uniformité  de  prix 
dans  toutes  les  maisons,  et  redressé  ceux  des  objets  qui  avaient  incon- 
sidérément été  portés  à  un  prix  déraisonnable,  et  remis  en  vigueur. 


(1)  Suivent  -149  noms. 

(2)  Archiv.  Nat.,  AD.  XL  65.  —  Le  document  est  sans  date,  mais 
est  assurément  de  notre  époque,  c'est-à-dire  de  1794 . 


AVANT   LK   CONTRAT   COLLECTIF  25 

pour  la  conservation  de  la  réputation  que  s'était  acquise  la  Fabrique 
de  la  chapellerie,  les  diverses  inains-d'œuvresqui  depuis  peu  d'années, 
avaient  été  supprimées  à  son  détriment.  Les  considérations  qui  ont 
porté  les  fabricants  à  faire  le  présent  entr'eux,  sont  les  suivantes  : 
Savoir  : 

Suit  alors  la  considération  de  chaque  phase  du  métier  : 

Éharbeuses,  ai'racheicses,  coupeuses,  rardeurs,  fouleurs,  teintu- 
riers, apprêteurs,  approprieurs,  éjareuses,  garnisseuses,  etc.. 

Avec  considération  sur  les  motifs  et  le  montant  de  la  variation 
de  salaire  (le  plus  souvent  à  la  pièce). 

«  Les  manufacturiers  ne  pourront  occuper  aucuu  ouvrier  ou  ouvrière, 
sans  qu'il  ne  soit  muni  d'un  certificat  du  fabricant  de  chez  qui  il  sort.  » 

Ainsi  le  contrat  collectif  fait  bien  son  apparition  dès 
1791.  Mais  il  ne  réussit  pas  partout  et  le  moyen  que  les 
ouvriers  prennent  pour  y  parvenir,  moyen  indispensable 
d'ailleurs,  va  faire  échouer  le  tout.  Les  coalitions  se 
multiplient  devant  les  résistances  du  maître  :  «  C'est  la 
coalition  générale  de  80,000  ouvriers  dans  la  capitale  ; 
c'est  la  réunion  d'une  masse  immense  d'hommes  qui  croient 
devoir  être  divisés  d'intérêts  et  de  principes  avec  le  reste 
de  leurs  concitoyens.  Les  serruriers,  les  cordonniers,  les 
menuisiers  commencent  déjà  à  suivre  les  traces  des  char- 
pentiers et  des  maréchaux  ;  les  autres  n'attendent  que  la 
réussite  des  premiers  pour  suivre  les  mêmes  erre- 
ments (1).  »  On  prend  peur  en  face  de  ce  mouvement  :  les 
pétitions  des  patrons  se  multiplient  à  l'Assemblée  Consti- 
tuante «  pour  être  soustraits  à  l'espèce  de  tyrannie  que  les 
ouvriers  exercent  contre  eux  (2)  ». 

La  Constituante    s'effraye,  et  sur  le  rapport  de   Cha- 


(4)  Pétition  des  maréchaux-ferrants  au  comité  de  Constitution.  Ar- 
chiv.  Nat.,  AD.  D.  IV.  5t. 
(2)  Id. 


26  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

pelier,  vote  la  fameuse  loi  du  14  juin  1791  :  l'ère  du  con- 
trat collectif  à  peine  ouverte  est  aussitôt  fermée.  Il  nous 
reste  à  conclure  cette  partie  de  notre  historique  en  recher- 
chant dans  le  rapport  de  Chapelier  et  dans  le  texte  même 
de  la  loi,  la  confirmation  de  nos  conclusions  précédentes  : 
L'opposition  latente,  dans  le  domaine  des  faits  entre  la 
liberté  du  travail  et  le  contrat  collectif,  va  se  manifester 
pleinement  dans  le  domaine  légal  :  sans  doute  le  contrat 
collectif  n'est  pas  directement  condamné  comme  tel  et  par 
là  l'avenir  est  réservé  ;  mais  la  loi  Chapelier  accumule 
comme  à  plaisir  les  difficultés  devant  lui  et  le  voit  d'un  très 
mauvais  œil  :  Le  rapport  si  souvent  cité  de  Chapelier  ne 
laissé  aucun  doute  à  cet  égard  : 

...  Je  viens  au  nom  de  voire  comité  de  constitution'vous  déférer  une 
contravention  aux  principes  constitutionnels  qui  suppriment  les  cor- 
porations, contravention  de  laquelle  naissent  de  grands  dangers  pour 
l'ordre  public  :  plusieurs  personnes  ont  cherché  à  recréer  les  corpora- 
tions anéanties,  en  formant  des  assemblées  d'arts  et  métiers,  dans  les- 
quelles il  a  été  nommé  des  présidents,  des  secrétaires,  des  syndics  et 
autres  officiers.  Le  but  des  ces  assemblées,  qui  se  propagent  dans  le 
royaume  et  qui  ont  déjà  établi  entre  elles  des  correspondances,  est 
de  forcer  les  etiti^epi^eneurs  des  travaux,  les  ci-devants  maîtres,  à 
augmenter  le  prix  de  la  journée  de  travail,  d'empêcher  les  ouvriers, 
et  les  particuliers  qui  les  occupent  dans  leurs  atelie7's,  de  faire  entî'e 
eux  des  conventions  à  Vayniable,  de  leur  faire  signer  sur  des  regis- 
tres l'obligation  de  se  soumettre  aux  taux  de  la  journée  de  travail  fixé 
par  ces  assemblées  et  autres  règlements  qu'elles  se  permettent  de  faire. 
On  emploie  même  la  violence  pour  faire  exécuter  ces  règlements  ;  on 
force  les  ouvriers  de  quitter  leurs  boutiques,  lors  même  qu'ils  sont  con- 
tents du  salaire  qu'ils  reçoivent.  On  veut  dépeupler  les  ateliers,  et  déjà 
plusieurs  ateliers  se  sont  soulevés  et  différents  désordres  ont  été 
commis  (1). 


(1)  Séance  du  mardi  44  juin  1191,  .Moniteur  Universel,  1791,  p.  688. 


AVANT    I.E    CONTRAT    COLLECTIF  27 

...  Il  n'y  n  plus  de  corporation  dans  l'Etal  ;  il  n  y  a  plus  que  l'intért'-t 
parliculier  de  chaque  individuel  l'inlérèl  général... 

Il  faut  donc  remonter  au  principe,  que  c'est  aux  conventions 
libres,  d'individu  à  individu,  à  fixer  la  journée  pour  chaque  ouvrier  ; 
c'est  ensuite  à  l'ouvrier  à  maintenir  la  convention  qu'il  a  faite  arec 
celui  qui  l'occupe. 

Ici  Chapelier  emploie  évidemment  des  termes  absolus 
qui  feraient  croire  que  la  loi  de  1791  a  eu  directement 
pour  but  de  proiiiber  le  contrat  collectif.  Mais  l'expres- 
sion dépasse  ici,  croyons-nous,  la  pensée  de  l'auteur,  et 
ce  n'est  que  pour  mieu.x;  proliiber  la  coalition,  le  tarif 
unilatéral  des  salaires,  que  Chapelier  recourt  aux  conven- 
tions d'individu  à  individu,  qui  pour  lui  étaient  mieux  la 
réalisation  concrète  —  la  seule,  croyait-il  —  de  la  liberté 
du  travail. 

L'examen  attentif  des  divers  articles  de  la  loi  justifie 
notre  interprétation,  quelque  peu  subtile  :  si  la  Consti- 
tuante avait  voulu  prohiber  directement  le  contrat  collec- 
tif, il  eût  été  bien  simple  de  le  dire  expressément,  d'au- 
tant plus  que  les  exemples  récents  de  conventions  amiables 
attiraient  certainement  à  cette  époque  l'attention  du  légis- 
lateur. Il  eût  bien  soin  de  ne  pas  les  viser. 

Le  projet  de  décret  a  pour  objet  de  prévenir  tant  les  coalitions  que 
formeraient  les  ouvriers  pour  faire  augmenter  le  prix  de  la  journée 
de  travail,  que  celles  que  formeraient  les  entrepreneurs  pour  la  faire 
diminuer  (1). 


(i)  Voir  le  texte  complet  de  la  loi  Chapelier  (Duvergier,  Lois  et  dé- 
a'efs,  t.  III,  p.  2o.)  —  En  voici  l'essentiel  : 

Article  Premier.  —  Rappelle  interdiction  des  corporations  et  dé- 
fend de  les  rétablir. 

Art.  â.  —  Les  citoyens  de  même  état  ou  profession,  entrepreneurs, 
ceux  qui  ont  boutique  ouverte,  les  ouvriers  et  compagnons  d'un  art 


28  PREMIÈRE    PARTIR.    CHAPITRE   PREMIER 

Donc  pour  nous,  ce  n'est  pas  directement  lo  contrat 
collectif  qui  est  visé  par  la  loi  Chapelier,  mais  seulement 
la  coalition  :  le  contrat  collectif  amiable,  quoique  diffici- 
lement réalisable.^  reste  toujours  possible. 


quelconque,  ne  pourront,  lorsqu'ils  se  trouveront  ensemble,  se  nom- 
mer ni  président,  ni  secrétaire,  ni  syndics,  tenir  des  registres,  prendre 
des  arrêtés  ou  délibérations,  former  des  règlements  sur  leurs  préten- 
dus intérêts  communs. 

Art.  3.  —  Interdiction  aux  corps  administratifs  ou  municipaux  de 
recevoir  aucune  pétition. 

Art.  4.  —  Si  contre  les  principes  de  la  liberté  et  de  la  Constitution, 
des  citoyens  attachés  aux  mêmes  professions,  arts  et  métiers,  pre- 
naient des  délibérations,  faisaient  entre  eux  des  conventions  tendant  à 
refuser  de  concert  ou  à  n'accorder  qu'à  un  prix  déterminé  le  secours 
de  leur  indusirie  ou  de  leurs  travaux,  les  dites  délibérations  et  con- 
ventions, accompagnées  ou  non  de  serment,  sont  déclarées  inconstitu- 
tionnelles et  attentatoires  à  la  liberté  et  à  la  déclaration  des  Droits  de 
l'homme  et  de  nul  effet  ;  les  auteurs,  chefs  et  instigateurs  qui  les  auront 
provoquées,  rédigées  ou  présidées,  seront  cités  devant  le  tribunal  de 
police,  à  la  requête  du  procureur  de  la  commune  et  condamnés 
à  500  livres  d'amende  et  suspendus  pendant  un  an  de  l'exercice  de 
tous  leurs  droits  de  citoyens  actifs  et  de  l'entrée  dans  les  assemblées. 

Et  le  reste  de  la  loi  montre  bien  que  c'est  la  liberté  des  non  syndi- 
qués que  l'on  veut  protéger  : 

[/article  5  défend  aux  corps  administratifs  et  municipaux  d'em- 
ployer des  ouvriers  ayant  signé  pareilles  conventions. 

L'article  6  édicté  1,000  livres  d'amende  et  3  mois  de  prison  contre 
les  auteurs,  instigateurs  et  signataires  d'actes  ou  écrits  contenant 
quelque  menace  contre  les  entrepreneurs,  artisans,  ouvriers  ou  jour- 
naliers étrangers  qui  viendraient  travailler  dans  le  lieu  ou  contre  ceux 
qui  se  contentent  d'un  salaire  inférieur. 

L'article  7  prévoit  le  cas  où  la  liberté  individuelle  des  entrepreneurs 
et  ouvriers  serait  attaquée  par  des  menaces  ou  des  violences  de  la 
part  de  ces  coalitions,  et  ordonne  que  les  auteurs  de  ces  violences 
soient  poursuivis  comme  perturbateurs  du  repos  public. 

L'article  8  défend  dans  le  même  esprit  les  attroupements  attenta- 
toires à  la  liberté. 


AVANT    LE   CONTRAT   COLLECTIF  29 

Ainsi  et  pour  la  première  fois  était  posé  le  redoutable 
problème  qui  devait  domiiifr  tout  le  XIX* siècle:  le  conflit 
entre  l'intérêt  individuel  invoquant  la  liberté  du  travail  et 
l'intérêt  professionnel  exigeant  le  contrat  collectif. 

Sans  doute,  comme  on  l'a  vu,  la  liberté  du  travail  porte 
en  elle  aussi  bien  le  contrat  collectif  que  le  contrat  indivi- 
duel :  le  mouvement  ouvrier  pendant  les  mois  qui  séparent 
mars  et  juin  1791  l'a  bien  montré.  Mais  les  conceptions  doc- 
trinales renforcées  par  les  nécessités  de  la  pratique  sont 
les  plus  fortes  :  bien  que  le  contrat  collectif  en  théorie  ne 
soit  pas  contraire  au  régime  nouveau,  celui-ci  est  masqué 
par  le  mode  ordinaire  suivant  lequel  il  se  conclut  :  la 
coalition.  Celle-ci  est  prohibée  ainsi  que  l'association  pro- 
fessionnelle par  la  loi  Chapelier. 

Je  sais  bien  que  ce  point  de  vue  quelque  peu  nouveau 
soulève  de  sérieuses  objections  :  formulons  d'abord  la 
thèse  : 

A.  —  Dans  la  loi  Chapelier,  ce  n'est  pas  le  contrat  col- 
lectif en  lui-même,  l'accord  entre  un  ou  plusieurs  patrons 
avec  plusieurs  ouvriers  qui  est  prohibé. 

B.  —  Ce  qui  est  directement  visé  par  le  texte  de  l'ar- 
ticle 4,  ce  sont  les  délibérations  et  conventions  que  des 
citoyens  attachés  aux  mêmes  professions,  arts  et  métiers, 
pourraient  faire  entre  eux,  tendant  à  refuser  de  concert  ou 
n'accorder  quà  un  prix  déterminé  le  secours  de  leur  in- 
dustrie ou  de  leurs  travaux.  C'est  la  déclaration  unilaté- 
rale collective  de  ne  point  travailler  ou  de  ne  travailler 
(juà  un  certain  prix  qui  est  seule  visée. 

Sans  doute,    au   point   de  vue    pratique,   cela    revient 


(4)  Ce  mot  est  des  plus  significatifs. 


30  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  PREMIER 

presque  exactement  au  môme,  parce  qu'il  est  bien  clair 
que  dans  la  majorité  des  cas  le  contrat  collectif  suppose 
une  offre  portant  sur  certaines  conditions  de  travail,  im- 
plique une  association  professionnelle  permanente  ou  pro- 
visoire. 

Mais  au  point  de  vue  des  idées  et  de  la  théorie  du 
contrat  collectif,  il  est  de  la  première  importance  de  cons- 
tater cette  sorte  de  floraison  soudaine  du  contrat  collectif 
de  mars  à  juin  1791  :  elle  montre  que  Vidée  de  liberté  du 
travail,  si  elle  n'avait  pas  été  faussée,  tendait  à  se  idéali- 
ser spontanément  par  le  contrat  collectif  {i). 

C'est  là  une  constatation  de  fait  des  plus  heureuses  qui 
indique  de  la  manière  la  plus  nette  l'orientation  vers 
laquelle  au  milieu  d'hésitations,  de  reculs  et  d'incerti- 
tudes, le  mouvement  ouvrier  contemporain  a  dû  et  doit 
encore  marcher. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  contrat  collectif  est  théoriquement 
né  :  il  en  faut  maintenant  suivre  l'histoire  au  milieu  de 
difficultés  multiples. 


(1)  Le  contrat  collectif  peut  donc  lui  aussi  se  réclamer  du  grand 
mouvemeat  de  1789  —  ce  qui  n'est  peut-être  pas  pour  lui,  avec  les 
idées  actuelles,  une  de  ses  moindres  chances  de  succès. 


CHAPITRE  II 

HISTORIQUE  DU  CONTRAT  COLLECTIF  EN  FRANCE 
JUSQU'EN  1884 


Il  s'agit  maintenant,  dans  ce  chapitre,  de  suivre  rapide- 
ment l'histoire  en  France  du  contrat  collectif.  Jamais  his- 
toire ne  fut  plus  compliquée  et  plus  incohérente  :  il  en  est 
ainsi  pour  deux  raisons  très  simples  mais  capitales. 

a)  D'abord  ce  modo  de  fixation  des  conditions  du  tra- 
vail relève  uniquement  à  l'époque  considérée  de  l'initia- 
tive privée;  l'association  professionnelle  librement  formée 
n'étant  pas  officiellement  autorisée,  son  type  subit  des 
variations  constantes  (1). 

b)  En  second  lieu,  le  contrat  collectif  n'est  nullement 
un  régime  légal,  officiellement  reconnu.  De  là  encore  une 
nouvelle  cause  d'incertitude  et  de  vanité,  l'unité  du  type 
juridique  ne  couvre  pas  encore  les  formes  économiques 
naissantes  (2). 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  difficultés  et  de  celles  qui  ré- 


(1)  Ajoutons  à  cela  que  l'histoire  du  mouvement  syndical  lui-même 
en  France  n'est  pas  encore  complètement  terminée  et  que  celle  du 
contrat  collectif  qui  n'en  est  qu'un  ctiapitre  doit  être  forcément  in- 
complète comme  celle  histoire  elle-même. 

(2)  Celte  cause  de  difficulté  subsiste  d'ailleurs  pour  l'étude  des  fails 
actuels. 


h 


32  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

sultent  de  la  nature  même  du  contrat  collectif,  nous  tâche- 
rons de  marquer,  autant  que  les  généralisations  toujours 
défectueuses  sont  possibles,  les  principaux  caractères  au 
point  de  vue  de  notre  étude,  des  tentatives  de  contrat  col- 
lectif ainsi  que  des  obstacles  à  son  développement.  Une 
idée  domine  toute  cette  période  :  le  contrat  collectif  tend 
sans  cesse  à  triompher,  avec  des  périodes  de  progrès  et 
de  recul,  des  obstacles  qui  l'entravent  :  sous  l'empire  des 
nécessités  économiques,  il  domine  tout  le  mouvement  syn- 
dical et  t(!nd  à  se  créer  un  régime  de  fait  jusqu'à  ce  que 
la  loi  de  1884  lui  donne  un  premier  régime  de  droit. 

Le  contrat  collectif  se  fait  lentement  sa  place  dans  le 
régime  industriel  moderne  et  s'enrichit  successivement  de 
tous  les  éléments  nécessaires  à  son  existence  :  c'est  la  lente 
croissance  d'une  plante  bien  chétive,  soumise  à  toutes  les 
intempéries  de  la  saison,  mais  la  force  intime  et  vivante 
de  l'idée  qu'il  réalise  triomphe  bientôt  des  difficultés, 
comme  la  sève  d'avril  assure  l'épanouissement  de  la  plante 
plus  complet  et  plus  brillant,  à  mesure  que  les  conditions 
de  soleil  et  d'humidité  se  réalisent  mieux. 

Les  obstacles  même  qu'il  fallait  vaincre  nous  donneront 
la  division  toute  naturelle  de  cet  historique  en  deux  pé- 
riodes : 

En  effet,  pour  passer  le  contrat,  pour  établir  l'accord 
professionnel,  il  faut  sous  une  forme  ou  sous  une  autre 
une  représentation  ouvrière  :  ce  qui  implique  la  double  li- 
berté de  coalition  et  d'association  professionnelle  :  elles 
datent,  la  première  de  1864,  la  seconde  de  1884. 

De  là  deux  périodes  bien  distinctes  : 

1°  De  1791  à  1864,  le  contrat  collectif  est  plutôt  un 
idéal  qu'une  réalité  :  le  régime  de  grande  industrie  qui  se 
développe  alors  contribue  puissamment  à  mieux  montrer 


IIISTORigiE   DU   CONTRAT   COLLECTIF   EN   FBANCE  33 

la  nécessité  de  Gxer  d'une  manière  uniforme  pour  tous  les 
travailleurs  les  conditions  du  travail. 

2"  De  1864  à  1884,  une  fois  la  liberté  de  coalition  pro- 
clamée, les  tentatives  de  contrat  collectif  et  les  succès 
même  se  font  plus  fréquents  :  l'exemple  de  l'Angleterre 
commence  déjà  à  se  faire  sentir  ;  le  contrat  collectif,  quoi- 
que rare,  se  réalise  déjà  ici  et  là,  et  c'est  pour  le  dévelop- 
per qu'est  votée  la  loi  de  1884  (1): 


I  !«'.  —  Premiers  période  (1790-1864). 

A.  —  A  travers  les  faits. 

Après  1791,  la  proclamation  de  la  liberté  du  travail, 
jointe  à  la  prohibition  de  toute  association  professionnelle 
aboutit  en  fait  à  la  prédominance  du  contrat  de  travail  in- 
dividuel. 

A  ce  moment  tout  concourait  à  amener  ce  résultat. 
L'idée  du  contrat  collectif  qui  était  apparue  un  instant  en 
1791,  est  à  nouveau  masquée  ;  les  idées  révolutionnaires 
sur  l'égalité  permettaient  de  poursuivre  par  le  contrat  in- 
dividuel la  justice  idéale  :  les  hommes,  en  effet,  sont  na- 
turellement égaux  :  les  différences  viennent  de  l'éducation, 
de  la  législation  et  du  gouvernement.  Donc,  les  entraves 
une  fois  écartées,  l'éducation  assurée,  chacun  aura  assez 


(i)  11  faudrait  ici  poursuivre  l'élude  du  contrai  collectif  dans  ctiaque 
métier,  mais  c'est  là  une  étude  bien  difflcile  en  l'état  actuel  de  l'his- 
toire économique,  qui  dépasserait  de  beaucoup  les  limites  étroites  de 
cet  historique  :  on  ne  peut  donc  ici  que  prendre  certains  contrats  col- 
lectifs en  eux-mêmes  et  comme  types  pour  ainsi  dire. 

aAtKAEO  3 


34  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    II 

de  discernement  pour  atteindre  le  revenu  net  le  plus 
élevé  :  et  pendant  toute  cette  période  jusqu'aux  environs  de 
1848,  c'est  le  triomphe  de  la  liberté  au  pire  sens  du  mot, 
c'est  le  tète  à  tète  forcé  du  patron  et  do  l'ouvrier. 

Le  développement  de  la  grande  industrie  (1)  la  concur- 
rence furieuse  pour  la  conquête  et  la  conservation  du 
marché  international,  l'introduction  des  machines,  qui  au 
premier  moment  produisent  un  excès  énorme  de  bras  sans 
travail,  tout  dans  cette  période  convient  à  empirer  la  si- 
tuation de  l'ouvrier  et  à  faire  donner  au  contrat  individuel, 
en  môme  temps  que  sa  productivité  industrielle  maxima, 
ses  plus  funestes  résultats  au  point  de  vue  social. 

Aucune  mesure  législative  ne  vient  remédier  à  la  situa- 
tion :  la  loi  du  22  germinal  an  XI  et  le  Code  pénal  punis- 
sent les  coalitions  et  par  là  tout  espoir  de  relèvement  sem- 
ble perdu  pour  l'ouvrier. 

La  situation  au  point  de  vue  législatif  (2)  est  tout  en- 
tière dominée  par  la  loi  de  juin  1791,  malgré  quelques 
tentatives  sous  le  Premier  Empire  et  la  Restauration  pour 
rétablir  les  Corporations. 

Quelques  associations  professionnelles  patronales  et 
ouvrières (3)  se  développent  alors  et  vivent  sous  un  régime 
de    fait  :    mais    dans  celte  première   période,  saut  peut- 


(1)  Cf.  Villermé,  1840,  Tableau  de  Vétat  physique  et  moral  des 
ouvriers  emploi/és  dans  l'industrie  de  la  laine  et  du  coton. 

(2)  Il  serait  difficile  de  voir  dans  l'article  1-4  de  la  loi  du  22  germi- 
nal an  XI  une  allusion  directe  au  contrat  collectif  :  «  Les  conventions 
faites  de  bonne  foi  entre  les  ouvriers  et  ceux  qui  les  emploient  seront 
exécutées  ».  D'ailleurs  fussent-elles  légales,  ces  conventions  étaient 
presque  pratiquement  impossibles. 

(3)  Cf.  Lexis,  -1879.  Gewer/ivereine  und  Unternehmerverbœnde  in 
Frankreich. 


HISTORIQUE    DU    CONTRAT   COLLECTIF   EN   FRANCE  33 

être  après  1860,  le  mouvement  n'a  pas  une  bien  grande 
importance  :  en  tout  cas  l'action  des  Chambres  syndicales 
existantes  n'aboutit  pas  au  contrat  collectif  :  les  Chambres 
syndicales  patronales  sont  surtout  préoccupées  des  intérêts 
conunerciaux  de  leurs  membres  :  elles  sont  composées  de 
petits  patrons  travaillant  le  plus  souventeux-mùnies,  quisont 
donjinés  par  le  souci  des  débouchés  commerciaux.  La  dis- 
cussion des  conditions  du  travail,  comme  toutes  les  autres 
questions  sociales  et  ouvrières  reste  au  second  plan. 

Quant  aux  Chambres  syndicales  ouvrières,  nous  les 
verrons  plus  hardies  :  malgré  les  formes  sous  lesquelles 
elles  doivent  masquer  leur  existence  (société  de  secours 
mutuels,  société  de  crédit  mutuel)  quelques-unes  s'es- 
sayent à  faire  accepter  aux  patrons  le  contrat  collectif  : 
mais  en  général  elles  échouent  sans  doute  parce  que  leur 
forme  juridique  imparfaite  et  leur  force  professionnelle 
restreinte  ne  sont  pas  des  garanties  suffisantes  pour  les 
patrons  qui,  d'ailleurs,  conservent  les  idées  d'autorité  les 
plus  absolues. 

Après  avoir  ainsi  caractérisé  au  point  de  vue  des  résul- 
tats cette  période,  il  nous  faut  suivre  en  détail  quelques 
essais  de  contrat  collectif  :  nous  en  saisirons  mieux  tout 
à  la  fois  les  grandes  difficultés  et  l'impérieuse  nécessité  ; 
malgré  un  régime  spécial  qui  lui  est  directement  con- 
traire, malgré  l'absence  d'organisations  professionnelles 
vraiment  fortes,  nous  pouvons  relever  déjà  quelques  ten- 
tatives intéressantes  de  contrat  collectif. 

Le  compagnonnage  nous  fournit  un  premier  et  très  réel 
exemple  de  contrat  collectif  :  en  1833,  à  Paris,  après  une 
grève  des  charpentiers,  une  convention  solennellement 
acceptée  par  les  ouvriers  compagnons  fixe  les  conditions 
du  travail  :  les  charpentiers  demandent  une  augmentation 


36  tUKMlKllK    tARTlE.    CHAPITRK    II 

de  0  fr.  10  par  heure  :  le  contrat  est  conclu  pour  10  ans  (1). 

Cette  convention  semble  avoir  duré  plus  de  10  ans.  Ce 
n'est  en  effet  qu'en  1845  que  3  compagnons  charpentiers 
demandent,  le  17  mai  1845,  à  la  Chambre  syndicale,  au 
nom  de  tous  les  charpentiers  du  département  de  la  Seine, 
qu'à  l'avenir  le  minimum  de  la  journée  de  travail  établi  à 
4  francs  par  la  convention  de  1833  soit  porté  à  5  francs  ; 
ils  réclament  en  même  temps  l'abolition  du  marchandage 
ou  travail  à  la  tâche. 

Les  maîtres  charpentiers  cette  fois  répondent  par  un 
refus  :  la  grève  est  déclarée  le  9  juin  :  une  coalition  pa- 
tronale se  forme  :  les  patrons  s'engagent  mutuellement  à 
maintenir  ou  établir  dans  leurs  chantiers  le  travail  à  la 
tâche. 

La  lutte  continue  avec  violence  :  la  Chambre  syndicale 
refuse  une  entente  générale.  Mais  bientôt  quelques  entre- 
preneurs cèdent  les  premiers  et  acceptent  les  nouvelles  con- 
ditions :  les  ouvriers  mettent  en  interdit  les  chantiers  ré- 
fractaires  :  bientôt  230  patrons  sur  300  acceptent. 

Cependant  la  résistance  continue  ;  l'administration  de 
la  Guerre  met  à  la  disposition  des  patrons,  des  militaires  et 
des  poursuites  sont  engagées  contre  les  grévistes  ;  Berryer 
plaide  (2).  Malgré  son  éloquence  les  articles  414  et  415  du 
Code  pénal  sont  appliqués  en  première  instance  et  en 
appel  :  cette  fois,  le  contrat  collectif  avait  échoué. 


(1)  Registre  de  la  Chambre  syndicale,  séance  des  25  et  20  sept. 
1833. 

(2)  Berryer,  Plaidoyei^s,  III,  p.  240.  —  Toute  cette  plaidoierie  est 
un  document  des  plus  intéressants  sur  le  contrat  collectif  :  «  C'est 
quelque  chose  de  dérisoire  que  de  venir  dire  aux  ouvriers  de  toutes 
professions  :  Vous  discuterez  individuellement  votre  salaire,  traitez 
avec  chacun  des  maîtres,  est-ce  avec    des   individus  qu'ils  ont   af- 


HISTUKivU.    Kl     «OMRAT    t:oi,l>:(;TIK    KN     Hl WOl  37 

Cet  exemple  du  contrat  collectif  réussissant  en  1833, 
échouant  en  1845,  nous  semble  particulièrement  typique  : 
il  résume  fort  bien  l'état  de  fait  et  de  droit  qui  rég^nait 
alors  :  le  contrat  collectif  est-il  par  hasard  établi  pacifi- 
quement entre  les  deux  parties  sans  agitation,  il  est  possible 
et  on  le  respecte  ;  provoque-t-îl  des  résistances  et  des  coa- 
litions, des  mises  en  interdit,  on  a  vite  fait  de  recourir 
aux  articles  du  Code  pénal  et  de  condamner  les  ouvriers. 

Il  semble  d'ailleurs  que  ce  soit  dans  cette  période  de 
1830  à  1848  que  l'on  rencontre  les  plus  nombreuses  tenta- 
tives de  contrat  collectif. 

A  Lyon  la  qu.estion  des  tarifs  du  tissage  amena  précisé- 
ment une  sérieuse  émeute  :  l'emploi  de  ces  procédés  vio- 
lents se  termina  d'ailleurs  par  un  échec  pour  les  ou- 
vriers. 

En  février  1831  (1),  l'élaboration  d'un  tarif  des  prix  de 
façon  est  demandée  par  les  ouvriers  :  les  8  et  10  octobre, 
deux  assemblées  de  tisseurs  choisissent  deux  chefs  d'ate- 
lier par  quartier  pour  former  une  commission  chargée  no- 
tamment de  recueillir  des  renseignements  préparatoires  à 
ce  tarif.  Les  ouvriers  d'ailleurs  s'adressent  au  préfet  qui 
répond  qu'il  convoquera  prochainement  les  tisseurs  en  vue 
d'une  discussion  contradictoire  pour  fixer  les  bases  du  ta- 
rif. Le  principe  du  tarif  est  d'ailleurs  en  môme  temps 
adopté  par  le  Conseil  de  prud'hommes  et  la  Chambre  de 
commerce. 


faire?  elc...  Cf.   tout  Je  morceau  où  l'orateur  montre  combien   la 
situation  a  cliangé  depuis  179t . 

(1)  Déjà  avaient  été  en  vigueur  plusieurs  tarifs,  1789,  1811,1817, 
mais  pour  leur  établissement  les  ouvriers  n'avaient  pas  été  directement 
représentés.  —  Cf.  Office  du  travail,  -\ssociations  professionnelles, 
II.  p.  247  et  suiv. 


38  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   II 

La  réunion  annoncée  eut  lieu  le  21  octobre  sous  la  pré- 
sidence du  préfet,  assisté  des  maires  de  Lyon  et  des  com- 
munes suburbaines,  des  membres  de  la  Cbambre  de  com- 
merce et  des  membres  du  Conseil  de.  prud'hommes;  mais 
les  délégués  des  fabricants  déclarèrent  aussitôt  qu'ils  n'a- 
vaient pour  traiter  avec  les  ouvriers  aucun  mandat  ;  le 
préfet  répondit  que  les  tarifs  antérieurs  avait  été  consentis 
par  un  bien  moins  grand  nombre  de  fabricants:  sur  quoi 
les  délégués  ouvriers  dirent  qu'ils  ne  voulaient  traiter 
qu'avec  des  délégués  des  fabricants  régulièrement  auto- 
risés et  ayant  leurs  pouvoirs. 

La  nomination  de  ces  délégués  eut  lieu  le  24  octobre  :  le 
2S  à  11  heures  du  matin  se  tint  une  réunion  sous  la  pré- 
sidence du  préfet  où  les  deux  commissions  délibérèrent 
pendant  4  heures,  le  tarif  fut  enfin  signé  partons  les  mem- 
bres présents  et  déclaré  exécutoire  à  partir  du  1^''  no- 
vembre. 

Mais  le  tarif  ne  fut  appliqué  que  par  quelques  fabricants  ; 
le  plus  grand  nombre  d'entre  eux  adressa  une  pétition  à 
la  Chambre  des  Députés  pour  réclamer  contrôle  tarif  signé 
sous  la  pression  de  la  rue  et  par  les  délégués  élus  seule- 
ment par  un  cinquième  des  fabricants.  Après  quoi  les  fa- 
bricants récalcitrants  refusèrent  de  donner  du  travail  aux 
conditions  du  tarif;  c'est  ce  qui  produisit  les  célèbres 
émeutes  des  21,  22  et  23  novembre,  les  tisseurs  de  la  Croix 
Rousse  sont  maîtres  de  Lyon  pendant  dix  jours  et  ce  n'est 
que  le  3  décembre  que  l'armée  conduite  par  le  duc  d'Or- 
léans et  le  maréchal  Soult  reprend  la  ville  :  Le  7  décembre 
suivant,  le  maréchal  Soult  rapportait  le  tarif  signé  le 
25  octobre  ;  le  contrat  collectif  une  fois  de  plus  n'était 
apparu  que  comme  un  idéal. 

C'est  parmi  les  typographes  que  nous  trouvons  pour 


HISTOniQlF.    nu    CONTRAT    COLLECTU     KN    FIÎA.NCi;  39 

l'époque  la  forint'  la  plus  perfcclionnée  de  contrat  collec- 
tif (l). 

Un  premier  essai  de  tarit  a  lieu  en  1833  :  mais  le  premier 
tarif  établi  par  contrat  collectif  ne  date  que  de  1843  (2)  : 
la  Société  typographique,  association  professionnelle  d'ou- 
vrit  rs  (jui  s  était  formée  en  1839  sous  l'aspect  d'une  So- 
ciété de  secours  mutuels  avait  nettement  pour  but  l'élabo- 
ration d  un  tarif  de  main-d'a:'uvre.  Aussi  lorsqu'en  1842 
les  patrons  rédigèrent  un  tarif  unilatéral,  les  ouvriers 
émirent  la  prétention  d'y  participer  :  les  patrons  ac- 
ceptent. En  mai  1842  est  nommée  une  commission  mixte  : 


(1)  Office  du  travail,  Associations  professionnelles  ouvrières,  I, 
p.  709. 

(2)  Office  du  travail.  Associations  professionnelles  ouvrières,  t.  I. 
p.  709. 

I^e  préambule  de  ce  tarif  est  des  plus  intéressants  : 

Préambile  nr  tarif  de  1843. 

«  Jusqu'à  présent,  dans  l'imprimerie  comme  dans  la  plupart  des 
autres  professions,  aucune  base,  aucune  règle  certaine  ne  présidait  à  la 
fixation  des  salaires  ;  tout  à  cet  égard  reposait  sur  des  traditions  dont 
rien  ne  garantissait  l'authenticité,  et  que  la  mémoire  plus  ou  moins  fl- 
dèle,  plus  ou  moins  désintéressée  de  l'une  ou  l'autre  des  parties  contrac- 
tantes reproduisait  d'une  manière  souvent  bien  différente,  quelquefois 
diamétralement  opposée.  Aussi  combien  de  discussions,  de  luttes, 
s'élevaient  entre  le  maître  et  l'ouvrier  et  n'avaient  d'autre  cause  que 
l'absence  d'un  taux  équitablement  établi,  auquel  on  aurait  pu  se 
reporter  pour  résoudre  des  difficultés,  futiles  d'abord,  mais  devenues 
insolubles,  parce  que  chacun  prétendait  avoir  raison  ! 

«  Et  de  ces  luttes,  qui  les  constituaient  en  état  permanent  d'hosti- 
lité, naissaient  la  défiance  entre  le  maître  et  l'ouvrier,  le  trouble 
dans  les  relations,  et  bien  souvent  l'anarchie  dans  les  ateliers. 

«  ...  La  première  de  ces  mesures  devait  être  évidemment  l'établisse- 
ment d'un  taux  uniforme  des  prix  de  main-d'œuvre .  » 


40  PRKMIÈRK    PARTIR.    CHAPITRK    II 

le  tarif  est  arrêté  le  10  juillet  1843  et  mis  en  vigueur  le 
15  septembre  (1). 

Il  devait  être  revisé  de  la  même  manière  par  une  confé- 
rence entre  patrons  et  ouvriers  tous  les  cinq  ans.  (art.  40 
et  41  du  tarif). 

De  plus,  la  Commission  qui  avait  élaboré  le  tarif 
adopta  le  vœu  très  intéressant  suivant  :  «  La  conférence 
mixte,  avant  de  se  séparer,  exprime  le  vœu  qu'il  soit 
formé  une  Commission  dite  d'exécution.  Cette  commis- 
sion connaîtrait  de  toutes  les  contestations  qui  pourraient 
s'élever  à  l'occasion,  soit  des  dispositions  contenues  dans 
le  tarif,  soit  de  tous  les  cas  imprévus  qui  se  rattacheraient 
aux  principes  dudit  tarif  ». 

C'était  là  une  conception  très  juste  du  mécanisme  du 
contrat  collectif,  qui  ne  peut  évidemment  statuer  sur  tous 
les  cas  possibles.  La  commission  prévue  ne  fut  jamais 
formée  sous  ce  nom  :  néanmoins  l'idée  devait  rester  et  se 
réaliser  par  la  suite. 


(1)  Voici  quelques-unes  des  dispositions  les  plus  importantes  de  ce 
premier  tarif  : 

Prix  du  mille  dn  des  corps  les  plus  emploj^és  (8  au  12)  : 

Manuscrit  55  centimes. 

Impression  50  centimes. 

Correction  jusqu'à  raison  de  50  centimes  Theure.  Journée  de  cons- 
cience, 10  heures  de  travail  effectif,  prix  établi  de  gré  à  gré.  Cepen- 
dant dans  l'esprit  des  commissaires,  le  prix  des  heures  de  corrections 
50  centimes  impliquait  et  consacrait  celui  des  heures  de  travail  à  la 
journée. 

Gratifications  (obligatoires)  :  25  centimes  par  heure  pour  le  travail 
de  nuit,  des  dimanches  et  des  fêtes  légales  ;  1  franc  par  nuit  pour  le 
travail  des  journaux  paraissant  le  matin  et  1  fr.  50  pour  la  journée 
du  dimanche  et  des  fêtes  employée  au  travail  des  journaux  du  jour. 


HISTORIQUE    DU    CONTRAT    COLLECTIF    KN    FRANCK  41 

En  1848,  à  récliéance  marquée  pour  la  révision  du  tarif, 
la  Commission  se  réunit  le  10  mars,  mais  étant  donné  les 
cvénemenls  elle  s'ajourne  aussitôt  au  l*""  juillet,  puis  pro- 
roge de  2  ans  le  tarif  alors  en  vigueur. 

En  1850,  le  30  décembre,  la  revision  du  tarif  élaborée 
par  une  commission  mixte  est  arrêtée  :  elle  contenait  comme 
dispositions  relatives  aux  salaires  peu  de  changements (1), 
mais  elle  créait  avec  les  plus  grands  détails  l'organisme 
prévu  en  1843  pour  l'exécution  du  contrat  collectif  et  son 
mode  de  révision. 

Le  tarif  était  établi  à  partir  du  la  mars  1851  et  devait 
avoir  cours  jusqu'à  ce  qu'il  fut  procédé  à  sa  révision  (art.  46) 
la  mise  en  vigueur  était  retardée  pour  permettre  le  fonc- 
tionnement de  la  nouvelle  Commission. 

11  faut  étudier  avec  quelques  détails  cet  organisme 
complet  ainsi  créé  spontanément  pour  le  contrat  collectif. 

Les  dispositions  nouvelles  concernaient  : 

a)  La  création  de  la  commission  arbitrale  permanente. 

b)  La  procédure  de  révision. 

a)  Commission  arbitrale  permanente.  —  Cette  Com- 
mission, composée  en  nombre  égal  de  patrons  et  d'ouvriers 
devait  connaître  de  toutes  les  contestations  qui  pourraient 
lui  être  soumises  à  l'occasion,  soit  des  dispositions  conte- 
nues dans  le  tarif,  soit  de  tous  les  cas  non  prévus  se  ratta- 
chant à  son  principe:  elle  entrerait  en  fonctions  aussitôt 
la  mise  en  exécution  du  présent  tarif  (art.  46,  1"). 


(1)  Gratification  des  heures  de  nuit  (23  centimes)  accordée  à  partir 
de  8  heures  du  soir  jusqu'à  8  heures  du  malin  si  le  travail  de  uuit  se 
prolongail  jusque  là. 

30  ceiiliines  l'heure  pour  l'ouvrier  commandé  pour  uu  travail  extra- 
ordiDairc  et  obligé  d'attendre  soit  après  la  copie,  soit  après  la  distri- 
bution. 


42  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   II 

Elle  devait  se  composer  de  12  membres  (1)  (6  patrons 
et  6  ouvriers),  votant  en  commun  mais  à  nombre  égal  de 
patrons  et  d'ouvriers  (art.  46,  2°). 

Enfin  elle  devait  être  renouvelée  chaque  année  par  moitié  ; 
les  membres  sortants  ne  pouvant  être  réélus  qu'après  un  an 
révolu.  Les  élections  doivent  avoir  lieu  du  15  février  au 
10  mars. 

C'était  là  à  la  fois  un  tribunal  pour  résoudre  les  conflits 
déjà  nés  et  une  commission  pour  l'application  du  tarif 
existant. 

b)  La  procédure  de  révision. —  Le  nouveau  contrat  collec- 
tif établissant  dans  ses  plus  grands  détails  cette  procédure. 

Conditio7is.  —  Le  présent  tarif  pourra  être  révisé  cinq 
ans  après  sa  mise  à  exécution,  si  la  commission  arbitrale 
est  d'accord  sur  la  nécessité  de  sa  révision  (art.  48). 

Ainsi  deux  conditions  étaient  nécessaires  : 

1"^  Un  délai  de  cinq  ans. 

2''  L'approbation  de  la  révision  par  la  Commission  arbi- 
trale :  on  exigeait  d'ailleurs  pour  que  cette  approbation  fut 
définitive  «  deux  votes  affîrmatifs  faits  à  un  mois  d'inter- 
valle et  à  la  majorité  absolue  de  tous  les  membres  réunis 
de  la  Commission  votant  par  sections  (art.  48,  2")  ». 

Mode  de  révisioti.  —  La  révision  ainsi  déclarée  néces- 
saire devait  être  faite  par  une  conférence  mixte  composée 
de  14  membres  titulaires  et  de  4  suppléants,  9  patrons  et 
9  ouvriers  (article  48,  3''). 

Voici  la  procédure  à  suivre  pour  l'élection  de  cette  con- 
férence mixte  : 

Article  49.  —  1"  Les  Commissaires  patrons  sont  nommés 


(1)  Le  mode  de  nomination  est  le  même  que  pour  les  conférences 
mixtes  (voir  ci-dessous). 


HISTORIQUE   DU   CONTRAT   COLLECTIF    EN    FRANCE  43 

en  Assemblée  générale  des  imprimeurs  de  Paris.  Le 
procès-verbal  de  celle  éleclion  sera  produit  par  le  doN'en 
d'âge  lors  de  la  vérilicalion  des  pouvoirs. 

2"  La  nomination  des  Commissaires  ouvriers  se  fera  de 
la  manière  suivante  et  par  les  soins  des  membres  ouvriers 
faisant  partie  de  la  Commission  arbitrale  :  dans  cbaque 
imprimerie  les  compositeurs  désigneront  un  candidat 
parmi  eux  toutes  les  fois  que  leur  nombre  ne  dépassera 
pas  lu;  de  16  à  30,  ils  en  désigneront  2  ;  de  31  à  45,  3  et 
ainsi  de  suite.  Les  nominations  se  feront  à  la  majorité 
absolue  des  suffrages.  Une  liste  générale,  formée  de  tous 
les  noms  des  candidats,  sera  envoyée  dans  les  différentes 
imprimeries  de  Paris.  Cbaque  ouvrier  choisira  9  noms  sur 
cette  liste.  Dépouillement  fait  de  ces  voles,  en  présence  du 
candidat  élu  dans  chaque  imprimerie,  lesquels  constitueront 
un  bureau,  les  9  candidats  qui  auront  réuni  le  plus  de  voix 
seront  proclamés  commissaires  ouvriers  de  la  conférence 
mixte  pour  la  révision  du  tarif.  Les  procès-verbaux  de  ces 
doubles  élections,  consignés  parle  président  elle  secrétaire 
du  bureau  seront  remis  au  doyen  d'âge,  qui  devra  se  mettre 
en  rapport  avec  le  doyen  d'âge  des  commissaires  patrons 
et  déposer  les  procès-verbaux  lors  de  la  vériflcation  des 
pouvoirs. 

Ainsi  on  le  voit,  tout  était  pré^u  dans  les  moindres  dé- 
tails, et  grâce  à  ce  mécanisme  électoral,  la  Commission 
pouvait  se  croire  autorisée  à  parler  au  nom  de  tout  le 
métier. 

D'ailleurs,  le  nouveau  contrat  collectif  stipulait  encore 
que  pour  être  adoptée  par  la  Commission  mixte,  toute  mo- 
dification ou  adjonction  au  tarif  devait  réunir  les  voix  de 
la  majorité  des  membres  patrons  et  de  la  majorité  des 
membres  ouvriers. 


44  PRKMIÈRE    PARTIK.    CHAPITRE    11 

Il  y  avait  là  un  réel  et  très  remarquable  effort  pour  cons- 
truire un  contrat  collectif  efficace  :  enfin,  une  dernière 
disposition  marquait  plus  que  tout  autre  quelle  conception 
exacte  du  contrat  collectif  avaient  les  typographes  de 
1850  :  l'article  50  disposait  formellement  : 

«  Tout  règ-lement  particulier  portant  décision  ou  inter- 
prétation relative  au  tarif  est  nul  et  non  avenu.  » 

C'était  la  contre  partie  nécessaire  des  dispositions  pré- 
cédentes :  on  savait  combien  il  est  nécessaire  pour  être 
efficace  que  le  contrat  collectif  soit  généralement  et  uni- 
formément observé. 

En  fait,  la  première  commission  arbitrale  élue  en  1851, 
fonctionnajusqu'aul2  juin  1854  ;  mais  à  cotte  date,  les  pa- 
trons, trouvant  qu'elle  faisaitdouble  emploi  avec  les  Conseils 
des  prud'hommes  récemment  institués,  refusent  de  pro- 
céder à  l'élection  des  nouveaux  membres.  Les  membres 
anciens  restèrent  en  fonctions  et  la  Commission  arbitrale 
continua  ses  opérations  :  mais  en  1858,  sur  un  nouveau 
refus  des  patrons,  elle  disparut  complètement. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  y  a  là  une  tentative  et  plus  qu'une 
tentative,  une  réalisation  très  intéressante  du  contrat  col- 
lectif au  milieu  de  ce  siècle. 

Voilà  donc  le  contrat  collectif  pénétrant  dans  un  métier 
en  dépit  des  difficultés,  réusissant  à  s'y  maintenir  pendant 
plus  (le  10  ans  et  se  créant  un  organisme  approprié. 

—  On  pourrait  encore  citer  dans  cette  même  période, 
surtout  aux  alentours  de  l'année  1848,  un  assez  grand 
nombre  de  contrats  collectifs  (1). 


(1)  Convention  entre  les  délégués  des  ouvriers  scieurs  de  pierres  et 
la  Chambre  des  entrepreneurs  de  maçonnerie. 

Convention  entre  les  maîtres  et  ouvriers  plombiers  zingueurs. 


HlSTOHIyL'K    DU    CONTHAT    COLLKCTIF    KN    KIIA.NCK  45 

Eli  somme,  et  sauf  les  difficultés  spéciales  à  chaque 
métier,  le  contrat  collectif  était  alors  le  but  direct  de  toute 
organisation  professionnelle  sérieuse  ;  parfois  il  réussit  et 
souvent  il  aboutit  à  un  écbec,  soit  par  manque  de  force  de 
la  part  des  ouvriers,  soit  par  refus  catégorique  des  patrons, 
soit  surtout  par  suite  du  régime  légal  sur  les  coalitions 
frappées  par  le  Code  pénal. 

Là  est  en  effet  l'obstacle  le  plus  sérieux  que  rencontre 
notre  contrat  :  les  ouvriers  ne  peuvent  en  effet  vaincre  les 
résistances  patronales  sous  peine  de  tomber  sous  le  coup 
de  poursuites  pénales,  comme  les  charpentiers  en  1833. 


Convention  entre  les  débardeurs  et  les  marchands  de  bois  de  la  rive 
gauche  (par  arbitrage). 

Règlement  entre  les  entrepreneurs  et  les  cochers. 

Convention  entre  les  maîtres  et  ouvriers  paveurs,  contenant  un  mi- 
nimum de  salaire. 

Contrat  collectif  pour  ouvriers  des  papiers  peints. 

Contrat  collectif  dans  la  maison  Cail . 

Pour  tous  ces  contrats,  Cf.  Office  du  Travail,  Conciliation  et  Arbi- 
trage, p.  577  et  suiv... 

Comme  type  de  ces  contrats  de  l'époque,  voici  l'un  des  plus  intéres- 
sants, celui  des  Paveurs,  qui  stipule  un  minimum  de  salaires. 

(Extrait  du  Moniteur  du  2  .avril  1848). 
Convention  entre  les  maîtres  et  ouvriers  paveurs 

Entre  les  délégués  des  maîtres  et  ouvriers  paveurs  réunis  au  Luxem- 
bourg, le  ipf  avril  1848,  sous  la  présidence  du  Secrétaire  générai  de  la 
commission  de  gouvernement  pour  les  travailleurs,  a  été  convenu  ce 
qui  suit,  à  la  satisfaction  de  toutes  les  parties. 

A  dater  du  l'"'"  avril  1848,  le  prix  des  salaires  sera  fixé  comme  suit  : 

Pour  les  compagnons  de  relevé  à  bout,  4  fr.  30  au  minimum  ;  pour 
les  compagnons  de  repiquage,  3  fr.  75  au  minimum  ;  pour  les  garçons 
paveurs.  2  fr.  5()  au  minimum. 

Approuvé  par  toutes  les  parties  intéressées. 

Noble,  Seringui.n,  Francastel,  Jaboux. 


46  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   II 


B.  —  Les  idées. 

Cet  obstacle  est  sur  le  point  d'être  emporté  en  1849  (1) 
à  l'Assemblée  Nationale  par  la  proposition  Doutre  et  Be- 
noist  abrogeant  les  articles  414,  415,  416  du  Code  pénal  : 
cette  proposition  n'aboutit  qu'à  une  niodification  de  détail 
de  ces  mêmes  articles  ;  mais  le  débat  à  l'Assemblée  Natio- 
nale est  des  plus  intéressants  et  des  plus  sig-nifîcatifs  (1)  : 
il  y  faut  recbercher  brièvement  le  progrès  qu'avait  ac- 
compli les  idées  pendant  ce  demi-siècle. 

La  principale  question  qui  domine  toute  cette  discussion 
est  assurément  celle  de  l'inégalité  entre  patrons  et  ouvriers 
dans  le  contrat  de  travail  :  les  uns  frappés  de  cette  inéga- 
lité préconisent  le  contrat  collectif  et  la  liberté  de  coalition  ; 
les  autres  s'en  tiennent  à  la  vieille  idée  de  concurrence 
absolument  illimitée,  mais  cette  idée  perd  du  terrain.  11 
faut  reprendre  brièvement  l'exposé  de  ces  deux  thèses: 

Dans  la  première  opinion  on  repousse  l'assimilation  du 
travail  aune  marchandise  et  on  perce  à  jour  la  prétendue 
égalité  entre  patrons  et  ouvriers  dans  le  contrat  individuel 
de  travail  :  par  là  on  en  vient  à  poser  la  nécessité  du  con- 
trat collectif: 

«  Aussi  quand  on  réfléchit  sérieusement  à  la  position 
respective  des  patrons  et  des  ouvriers,  l'on  est  bien  vite 
convaincu  que  la  nécessité  est  une  loi  suprême,  à  laquelle 


(1)  Dans  celle  longue  discussion  {Moniteur-  des  7  et  12  octobre  et  des 
il,  20,  27  et  28  novembre  1849)  nous  négligeons  de  parti  pris  tout  ce 
qui  concerne  spécialement  le  droit  de  coalition  :  nous  n'envisagerons 
que  ce  qui  touche  immédiatement  le  contrat  collectif. 


HISTORIOLE    UU    CONTRAT   COLLECTIF   EN   FRANCE  47 

louvrier  no  poiil  pas  »  liapper,  «a  femme^  ses  enfantssonl 
dans  son  cintr  (jiii  luttent  en  faveur  du  maître. 

«  I/nuviicr  (jui  II  une  famille,  et  tous  en  ont  une,  ne 
peut  lullor  avec  avantag-e  contre  le  capitaliste  qui  dispose 
du  travail,  des  instruments  de  travail,  et  par  conséquent 
de  la  vie  même  ;  //  np  le  peut  quen  s'unissant  à  d'autres 
ayant  des  mtérf-ts  conformes  aux  siens  (1).  » 

Un  autre  orateur  de  la  même  opinion  (2)  décrit  tout  au 
long  le  contrat  collectif. 

«  Le  débat  ne  deviendra  égal  entre  le  chef  d'industrie 
et  l'ouvrier  que  lorsque  l'universalité  de  ses  ouvriers,  ou 
du  moins  la  très  grande  majorité  d'entre  eux,  se  présen- 
tera devant  lui  et  lui  dira:  Ce  n'est  pas  un  seul  ouvrier, 
ce  ne  sont  pas  trois  ou  quatre  de  vos  ouvriers  qui  se  pré- 
senlont  devant  vous,  c'est  la  masse,  c'est  l'universalité  ou 
la  très  grande  majorité  d'entre  eux.  Nous  nous  sommes 
entendus,  nous  nous  sommes  concertés  et  nous  venons  dé- 
battre avec  vous  les  conditions  du  salaire  :  Nous  trouvons 
ce  salaire  trop  bas  et  nous  vous  demandons  de  l'élever  (3). 
Peut-être  avons-nous  raison,  peut-être  avons-nous  tort  ; 
mais  enfin,  pour  faire  valoir  nos  arguments  d'une  manière 
suffisante,  nous  nous  présentons  devant  vous,  et  comme 
mesure  extrême,  comme  ressource  dernière,  qui  sera  plu- 
tôt nuisible  à  nous-mêmes,  qu'à  vous,  nous  faisons  valoir 
l'abandon  à  l'atelier  en  masse.  » 


(1)  Discours  de  M.  Benoist  du  Rhône,  séance  du  11  octobre  1849. 
(Moniteur  du  12). —  M.  Doulre  parle  dans  le  même  sens  et  décrit  la 
coalition  paciûque. 

(i)  M.  Morin,  même  séance. 

(.î)  Baslial  dans  une  autre  séance  [Moniteur  1849,  oct .-décembre, 
p.  ^710)  se  rallie  à  la  même  opinion  et  se  déclare  partisan  de  la  li- 
berté de  coalition  avec  répression  dans  l'abus. 


48  PHEMIÈRE    PARTIK.    —    CIIAPITHE    H 

On  montre  que  barrer  Ja  voie  au  contrai,  collectif,  c'est 
un  pas  fait  dans  la  voie  du  socialisme  (1;. 

On  entrevoit  même  la  nécessité  d'une  règ-lernentalion  Ju 
contrat  collectif  ;  lors  de  la  péroraison  d'un  orateur,  qui 
parlait  sur  l'égalité  désirable  dans  le  contrat  de  travail,  un 
interrupteur,  une  voix,  dit  le  Moniteur,  de  s'écrier  :  «  Il 
faut  l'organiser.  » 

Mais  ce  n'était  là  qu'une  propliéti(;  qui  n'est  pas  encore 
réalisée  :  la  tlièse  du  contrat  collectif  ainsi  formée  trou- 
vait alors  de  très  puissants  contradicteurs. 

L'opinion  adverse,  par  l'organe  de  M.  de  Vatimesnil, 
rapporteur  de  la  loi,  formule  d'abord  l'opposition  déjà  étu- 
diée entre  le  contrat  collectif  pacifique  qui  est  licite  et  le 
contrat  collectif  obtenu  par  coalition  qui  est  prohibé  :  la 
distinction  dont  nous  avons  vu  déjà  la  grande  portée  pra- 
tique est  subtile  et  vaut  qu'on  s'y  arrête  :  car  elle  montre 
qu'on  revenait  déjà  dans  cette  opinion,  à  l'insu  môme  de 
ceux  qui  la  soutenaient,  à  la  toute  première  conception 
de  la  liberté  du  travail,  telle  qu'elle  s'était  posée  de  mars 
à  juin  1791  et  où  le  contrat  collectif  était  parfaitement 
licite  : 

Pour  M.  de  Vatimesnil  donc,  le  contrat  collectif  sera  pos- 
sible :  «  l'honorable  M.  Morin  vous  a  dit  :  «  Les  ouvriers 
ne  pourront  pas  se  réunir,  venir  chez  leurs  patrons  et  dé- 
battre honorablement  (c'est  l'expression  dont  il  s'est  servi) 
débattre  honorablement  avec  lui  leurs  salaires.  » 

Pardonnez-moi,  ils  le  pourront  parfaitement.  Ils  le 
pourront,  soit  en  venant  tous,  soit  en  nommant  des  com- 
missions pour   traiter   avec  leurs   patrons.    Pas  de   diffi- 


(1)  En  ce  sens,  nolauiinenl  :  Disc,  de  M.  Saiiile-Beiive  (2e  leclure), 
16  nov.  1849,  Moniteur  du  17. 


HISTORIQUE    DU    CONTRAT    COLLECTIF    EN    FRANCE  49 

cultes  quant  à  cela.  Le  délit  aux  termes  du  Code,  ne  com- 
mence que  quand  il  y  a  tentative  ou  commencement  d'exé- 
cution de  coalition,  cest-à-dire,  lorsque  après  avoir  débattu 
les  conditions,  on  dit  :  mais,  après  tout,  comme  vous  ne 
pouvez  pas  nous  donner  tout  ce  que  nous  vous  demandons 
(malgré  lespril  de  conciliation  que  les  patrons,  dans  leur 
propre  intérêt  apportent  toujours  dans  ces  sortes  d'affaires), 
comme  vous  ne  nous  donnez  pas  tout  ce  que  nous  deman- 
dons, nous  allons  nous  retirer,  et  nous  allons,  par  notre 
intluence....  déterminer  tous  les  autres  ouvriers  des  autres 
ateliers  à  se  mettre  en  chômage.  » 

C'était  en  somme  le  contrat  collectif  dépourvu  de  l'ins- 
trument qui  permet  de  le  conclure  (1),  la  grève,  mais  c'était 
le  contrat  collectif. 

A  cùié  (le  ce  premier  aveu   de  toute    importance,   c'est 


(1)  On  ne  manque  pas  de  répondre  à  M.  de  Valimesnil  (M.  Boysset, 
iii.  III'  M  anoe),  ijiie  maintenir  le  délit  de  coalition,  c'est  obliger  les 
ouvriers  à  toujours  céder  dans  le  contrat  collectif.  L'orateur  montre 
éioquemment  comment  le  délit  de  coalition  reûd  actuellement  tout 
contrat  collectif  impossible  : 

«  Dès  qu'il  y  a  désertion  de  l'atelier,  il  y  a  par  ce  fait  seul  délit  de 
coalition  :  il  y  a  délit  et  alors  les  tribunaux  arrivent  :  alors  la  justice 
sévit  :  alors  les  ouvriers  sont  jetés  en  prison  et  il  y  a  réglementation 
nécessaire,  fatale,  logique  du  salaire,  parce  seul  fait  que  les  ouvriers 
ne  peuvent  pas  récJamer  au-delà  de  ce  qui  leur  était  assigné  par  l'en- 
trepreneur. Or  je  vous  le  demande,  où  est  la  liberté,  où  est  la  con- 
trainte? De  quel  cùlé  l'intimidation?  De  quel  lùté  le  privilège?  De 
quel  coté  est  la  contrainte  exercée  dans  ce  contrat,  qui,  comme  tous 
les  contrats  civils,  devrait  se  débattre  librement  entre  les  parties?  Je 
le  demande,  est-ce  du  côté  du  maître  qui  est  protégé  par  la  législation 
draconienne  en  matière  de  coalition  ?  Est-ce  du  côté  du  maitre  qui 
sait  qu'à  sa  moindre  plainte  les  parquets  vont  agir  et  emprisonner 
les  ouvriers  ?  Est-<«'  du  côté  du  maitre  qui  sait  bien  qu'en  définitive, 
après  que  leui-s  ressources  seront  épuisées,  les  ouvriers  seront  obligés 
raynâu'd  4 


50  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

toujours  l'ancienne  idée  de  la  liberté  individuelle  qui  est 
reprise,  il  ne  faut  pas  entraver  la  concurrence  qui  doit 
seule  rég-ler  la  fixation  des  prix  et  des  salaires  :  la  coali- 
tion pour  les  partisans  de  cette  opinion  empêche  le  libre 
débat  du  salaire  :  c'est  ici  le  point  de  vue  des  non-coali- 
sés et  de  la  liberté  de  l'industrie  qui  est  mis  en  lumière. 

L'argument  est  précisé  par  M.  Rouber. 

«  Le  premier  principe,  c'est  celui-ci  :  L'industrie  est  régie 
par  une  loi  économique.  La  valeur  ou  la  chose  à  vendre,  le 
taux  du  salaire,  sont  réglés  nécessairement,  inévitablement 
par  le  rapport  qui  existe  entre  l'offre  et  la  demande.  Le 
rapport  varie  suivant  les  accidents  de  la  concurrence  inté- 
rieure ou  extérieure  :  mais  une  intervention  frauduleuse 
destinée  à  altérer  cette  loi  constitue  une  immoralité,  et 
comme  cette  immoralité  cause  un  préjudice  à  l'ordre  social, 
elle  s'élève  à  la  hauteur  d'un  délit.  » 

On  aperçoit  nettement  les  deux  points  de  vue  entre 
lesquels  oscille  perpétuellement  cette  discussion  :  voit- 
on  dans  le  contrat  collectif  le  libre  accord  entre  patrons  et 
ouvriers  :  de  ce  point  de  vue  théorique,  il  apparait  licite  et 
désirable  ;  voit-on  au  contraire,  et  c'est  le  point  de  vue  qui 
finit  par  prédominer,  dans  le  contrat  collectif,  la  coalition, 
l'accord  s'imposant  à  tous,  la  limitation  de  la  concurrence  : 
il  est  dangereux  et  à  éviter. 

En  somme  pendant  toute  cette  discussion,  tout  le  monde 
est  au  fond  d'accord  sur  la  possibilité  du  contrat  collectif 
et  c'est  pour  le  mieux  assurer  que  plusieurs  amendements 
très  intéressants  sont  déposés. 


de  céder,  de  s'agenouiller  devant  lui  et  de  rentrer  dans  l'atelier  aux 
conditions  qu'il  lui  plaira  de  leur  imposer  ?  »  (Vives  approbations  à 
l'exlrême-gauche,  rumeurs  sur  d'autres  bancs.) 


HISTORIQrE   DU   CONTRAT   COLLECTIF    EN   FRANCE  51 

L'un,  de  M.  Valette,  ne  punissant  que  la  coalition  injuste 
et  abusive,  permet  ainsi  l'entente  entre  patrons  et  ou- 
vriers (1). 

L'autre,  de  MM.  Faure  et  Boysset,  déférant  toute  coalition 
d'ouvriers  ou  de  patrons  au  Conseil  des  prudhonimes,  ten- 
dait pareillement  au  contrat  collectif  :  «  Nous  préten- 
dons que  c'est  l'atelier  qui  se  pose  en  face  du  capital  : 
nous  prétendons  que  c'est  un  débat  libre,  logique,  naturel, 
loyal,  et  que  par  conséquent,  portant  sur  la  détermination 
du  salaire,  il  doit  se  porter  devant  le  tribunal  compétent, 
le  tribunal  des  prudliommes  (2).  » 

Enfin  et  surtout  un  amendement  très  intéressant  de 
M.  Wolowski  admettait  la  coalition  dans  le  môme  atelier 
et  réprimait  celle  qui  portait  sur  plusieurs  ateliers  :  le 
contrat  collectif  pour  une  fabrique  ou  un  établissement 
déterminé  eût  été  essentiellement  libre.  Dans  ce  système 
l'auteur  expliquait  que  tant  que  l'unité  fabricante  n'a  devant 
elle  que  l'unité  ouvrière,  c'est-à-dire  que  les  ouvriers  réu- 
nis dans  le  môme  atelier  débattent  le  taux  du  salaire  avec 
le  fabricant,  la  loi  ne  pouvait  pas  intervenir  car  il  n'y 
avait  ni  contrainte  ni  violence,  mais  il  était  nécessaire  de 
prohiber  tout  concert  entre  plusieurs  ateliers,  entre  plu- 
sieurs patrons  ou  plusieurs  ouvriers  d'ateliers  différents  : 
l'intérêt  général  et  la  liberté  sont  ici  engagés  (3). 

Ces  trois  amendements  longuement  discutés  étaient  tous 


(1)  Kepoussé  par  360  voix  contre  245. 

(2)  Repoussé  par  404  contre  166. 

(3)  Repoussé  également.  C'était  là  un  système  illogique,  comme  le 
montra  un  député  M.  Loyer  :  le  problème  est  le  même  pour  un  atelier 
ou  plusieurs  :  il  y  a  également  pression  de  volonté  par  ceux  qui  sont 
contents  du  salaire  actuel .  Mais  ce  système  ingénieux  montre  combien 
on  cherchait  à  aboutir  par  tous  les  moyens. 


82  PHKMIÈRE    PARtIE.    CHAPITRE    II 

trois  directement  inspirés  par  l'idée  de  promouvoir  le  con  - 
Irat  collectif,  mais  à  cette  époque  la  crainte  de  la  coalition 
l'emporta  sur  la  nécessité  du  contrat  collectif  :  il  fallait 
attendre  jusqu'en  1864  pour  obtenir  la  liberté  de  coa- 
lition. 

Ce  sont  ces  mêmes  idées  que  reprendra  Berryer  en  1862 
en  un  superbe  passage  qui  est  bien  une  apologie  du  con- 
trat collectif  (1). 

On  invoque  la  liberté  des  transactions,  la  loi  de  1791... 
«  Savez-vous  ce  qu'il  en  reste?  je  vais  vous  le  dire  ;  il  en 
reste  l'oppression  de  ceux  qui  ont  le  plus  besoin  de  pro- 
tection. Je  ne  suis  certainement  pas  un  agitateur,  je  suis 
essentiellement  conservateur,  et  cest  pour  cela  même  que 
je  repousse  les  traités  de  gré  à  gré  entre  le  maître  et  l'ou- 
vrier :  le  traité  degré  à  gré,  c  est  le  marché  de  la  faim', 
c'est  la  faim  laissée  à  la  discrétion  delà  spéculation  indus- 
trielle !  L'ouvrier  qui  a  faim  accepte  un  salaire  insuffi- 
sant; mais,  à  son  tour,  si  le  patron  a  besoin  de  lui,  il 
use  de  son  droit  de  chômage  pour  se  faire  payer.  C'est  là. 
Messieurs,  une  calamité  sous  la  figure  du  respect  des  droits 
de  chacun  ;  c'est  un  de  ces  mensonges  de  phraséologie  qui 
ont  fait  verser  tant  de  sang  et  causé  tant  de  malheurs  dans 
mon  pays.  Et  puis  l'ouvrier,  quand  le  salaire  est  insuffi- 
sant, ne  reste  pas  à  l'atelier,  il  s'en  va —  Ce  qui  est  la 
vérité,  Messieurs,  ce  que  les  ouvrières  ont  demandé,  ce 
quil  faut  maintenir  en  f amélior-ant ,  c'est  le  principe 
du  tarif  uniforme.  » 

De  cette  discussion  le  contrat  collectif  sortait  grandi  ; 
il  était  vraiment  pour  beaucoup  l'idéal  au  point  de  vue  de 
la  justice  et  de  l'utilité  sociale  et  ce  n'est  pas  de  la  faute 


(1)  Berryer,  Plaidoirie,  1862. 


mSTiiRlOlK    DU    CONTRAT    COLLECTIF    EN    FRANCE  53 

de  ses  partisans  si  dès  cette  époque  un  système  légal  plus 
favorai)lo  n'a  pas  permis  de  l'étendre  en  pratique. 

C.  —  Le  mouvement  de  1864. 

Malgré  cela,  la  force  intime  du  contrat  collectif  pour 
ainsi  dire  était  si  grande  qu'un  nouveau  mouvement  ne 
tarde  pas  à  se  produire  :  il  estdominé  par  l'abolition  en  1864 
des  articles  414  et  415  du  Code  pénal  sur  les  coalitions. 

Le  mouvement  en  faveur  du  contrat  collectif  reçoit  une 
nouvelle  force  de  l'exemple  anglais. 

Les  délégations  ouvrières  qui  avaient  été  envoyées  à 
l'Exposition  universelle  de  Londres  en  1862  furent  frappées 
du  mouvement  d'organisation  professionnelle  en  Angle- 
terre et  en  rapportèrent  une  notion  très  précise  de  la  fixa- 
lion  collective  des  conditions  du  travail:  l'idée  du  contrat 
collectif  est  très  nette,  notamment  dans  le  rapport  des  délé- 
gués du  bronze,  ciseleurs,  tourneurs  et  monteurs  (1);  ils 
voudraient  qu'à  l'égal  du  capital  et  pour  traiter  avec  lui, 
le  travail  ail  la  faculté  de  combiner  son  action  et  de  refu- 
ser son  concours  quand  les  conditions  du  contrat  devien- 
nent injustes. 

«  Comme  cela  est  généralement  compris,  dit  expressé- 
ment ce  rapport  (2),  ce  centre  corporatif,  qu'il  se  nomme 
Commission  professionnelle  ou  autrement,  ce  centre  des- 
tiné comme  les  Conseils  de  prud'hommes  à  un  rôle  amia- 
ble, serait  élu  par  les  ouvriers  ainsi  que  cela  se  pratique 
déjà   pour  ces  mêmes  conseils  dans  les  professions  libé- 


(1)  Rapport  des  délégués  du  bronze,   ciseleurs,  etc.,  à  l'Exposition 
universelle  de  Londres  de  1862,  publié  en  1863. 

(2)  Id.,  p.  59. 


84  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

raies  ;  de  concert  avec  un  autre  analogue  élu  de  môme  par 
les  patrons,  ces  deux  conseils  auraient  ensemble  mission 
de  déterminer,  sous  condition  de  sanction  par  l'autorité 
centrale,  les  bases  pour  la  fixation  des  prix  de  main-d'œu- 
vre, pour  les  conditions  du  contrat  d'apprentissage,  les 
règlements  d'atelier,  etc....  » 

Le  contrat  collectif  est  ainsi  mieux  mis  en  lumière  ;  le 
mouvement  d'idées  a  sa  répercussion  dans  les  faits.  Sa 
manifestation  se  continue  donc  avec  les  mêmes  difficultés, 
il  faut  en  mentionner  les  principales  phases. 

C'est  encore  parmi  les  typographes  que  se  trouve  la 
tentative  la  plus  intéressante  de  contrat  collectif  :  on  sait 
qu'en  1830,  une  nouvelle  convention  avait  fixé  comme 
mode  de  révision  l'élaboration  du  nouveau  tarif  par  une 
commission  mixte  de  patrons  et  d'ouvriers. 

En  1838,  les  patrons  abolissent  de  leur  propre  autorité 
cette  commission;  jusqu'en  1860,  les  ouvriers  mal  orga- 
nisés ne  réclament  pas  ;  mais  à  cette  date  ils  forment  une 
société  de  secours  mutuels  (1)  qui  est  autorisée  par  décret. 
Le  président,  Eugène  Gauthier,  aussitôt  nommé,  cherche 
à  obtenir  la  révision  du  tarif  :  pour  cela,  des  démarches 
sont  faites  auprès  du  Conseil  des  prudhommes,  auprès  du 
président  de  la  Chambre  des  imprimeurs  :  une  pétition 
adressée  aux  patrons  et  couverte  de  3,000  signatures  ré- 
clame une  élévation  de  salaire  (2). 


(1)  On  sait  que  c'était  la  forme  sous  laquelle  se  cachaient  alors  les 
associations  professionnelles. 

(2)  Voici   le  texte  de  celle  pétition  :    Berryer,  Plaidoyers,  t.  4, 
p.  216. 

Pétition  be  mm.  les  compositeurs  de  paris 

En  1848,  alors  que   toutes  les  professions  manifestèrent  un   désir 
d'augmentation  de  salaire,  qui,  pour  beaucoup  d'entre  elles,  fut  sa- 


mSTOBIQUE   DL'    CONTRAT    COLLKCTIK    KN    FRANCE  55 

Les  patrons  se  décident  à  répondre  six  mois  après  :  ils 
font  savoir,  nu  nom  de  la  Chambre  des  maîtres-imprimeurs, 


lisfail  il  celle  époque,  la  lypographie  ouvrière,  loin  de  profiter  des 
embarras  el  de  l'agitalion  du  moment,  demeurait  calme  et  ne  faisait 
pas  une  démarche  dans  ce  sens,  s'en  tenant  au  tarif  qu'elle  avait  re- 
connu et  qui  lui  semblait,  autant  que  possible,  répondre  à  ses  besoins 
•  d'alors.  Bien  plus,  afin  d'éviter  tout  reproche  de  pression  et  voulant 
rester  dans  les  justes  limites  de  ses  droits,  elle  reculait  la  révision  de 
ce  tarif,  indiquée  cependant  pour  cette  même  année  1848. 

Mais  depuis  1843,  la  situation  s'est  complètement  transformée,  une 
révolution  économique  s'est  opérée,  le  prix  des  choses  les  plus  néces- 
saires à  la  vie  a  presque  doublé,  celui  des  loyers  a  dépassé  encore  cette 
proportion.  Cette  situation  n'est  pas  le  résultat  d'un  fait  passager  ou 
accidentel  :  c'est  une  situation  anormale,  permanente.  Cela  est  si  vrai, 
que  dans  un  grand  nombre  d'industries,  le  salaire  des  ouvriers  a  dû 
être  augmenté. 

Seuls,  jusqu'à  ce  jour,  les  typographes  sont  restés  en  dehors  du 
mouvement,  et  cependant  pour  eux  comme  pour  nous,  la  nécessité 
d'un  changement  est  devenue  évidente.  Le  tarif  de  184.3  a  été  ré- 
visé, il  est  vrai,  en  1850  :  mais  cela  n'apporte,  vous  le  savez,  Mes- 
sieurs, aucune  augmentation  dans  les  prix  de  la  main-d'œuvre. 

L'article  49  du  tarif  révisé  en  1830  donne  à  la  commission  arbitrale 
permanente  le  droit  de  prendre  l'initiative  d'une  nouvelle  révision.  La 
commission  arbitrale,  vrai  tribunal  de  famille,  ayant  cessé  de  fonc- 
tionner, c'est  à  tous  les  maîtres  imprimeurs  en  général  el  à  la  Cham- 
bre syndicale  en  particulier,  que  les  soussignés  s'adressent  par  la 
présente  pour  demander  celte  révision. 

Bien  convaincus  que  vous  accueillerez  favorablement  cette  juste  ré- 
clamation, nous  vous  prions,  Messieurs,  de  provoquer  une  assemblée 
de  tous  les  maîtres  imprimeurs  de  Paris,  dans  le  but  d'arriver  à  la 
constitution  d'une  conférence  mixte,  section  des  patrons,  el  donner 
connaissance  de  votre  adhésion  aux  anciens  membres  de  la  commission 
arbitrale,  qui  s'occuperont  de  faire  nommer  la  section  des  ouvriers. 

Nous  sommes.  Messieurs,  en  attendant  votre  décision,  en  comptant 

sur  voire  sollicitude  bienveillante  et  éclairée  el   par  dessus   tout  sur 

votre  amour  de  la  justice, 

Vos  dévoués  serviteurs      ^ 

il  mai  18(31.  (Suivent  2,022  signatures). 


56  prp;mikre  partir.  —  cnAPrrnK  ii 

qu'ils  consentent  à  la  révision  du  tarif  et  qu'ils  nommeront 
les  membres  patrons  de  la  commission  arbitrale  dont  ils 
acceptent  le  rétablissement. 

Ces  commissaires  pour  les  patrons  se  joignent  aux  9 
commissaires  nommés  par  les  2,953  ouvriers. 

Des  conférences  sont  successivement  tenues  :  il  semble  que 
les  délégués  ouvriers  aient  assez  mal  rempli  leur  mandat  : 
car,  au  lieu  de  formuler  leurs  demandes,  ils  s'adressent 
sans  cesse  à  ceux  qui  les  ont  nommés  et  ceux-ci,  ne  pou- 
vant juger  de  ce  qui  est  possible  ou  non,  font  des  de- 
mandes que  les  patrons  trouvent  exagérées  :  les  patrons 
refusent  les  conditions  proposées. 

La  grève  s'en  suit,  les  patrons  introduisent  des  femmes 
dans  leurs   ateliers  pour  faire   pression  sur  les  ouvriers. 

Pour  remédier  à  cette  crise,  Gauthier  veut  recourir  à 
l'administration  publique  pour  tenter  un  arbitrage  :  il  pro- 
pose en  présence  des  défiances  réciproques,  que  les  patrons 
élisent  deux  négociateurs  chez  les  ouvriers  et  que  les 
ouvriers  en  choisissent  deux  chez  les  patrons;  aux  quatre 
élus  se  joindraient  le  président  de  la  Chambre  des  impri- 
meurs et  le  président  de  la  société  typographique  :  tous 
six  devraient  délibérer  sommairement  devant  une  commis- 
sion administrative. 

C'est  là  un  très  curieux  système  d'élaboration  du  con- 
trat collectif  qui  montre  combien  on  voulait,  par  tous  les 
moyens,  arriver  à  la  conclusion  de  ce  contrat. 

Les  patrons  refusèrent  l'emploi  d'un  pareil  arbitrage  : 
alors  les  ouvriers  demandent  l'intervention  du  ministre 
du  Commerce  qui  répond  que- c'est  aux  parties  intéressées 
qu'il  appartient  de  débattre  et  de  fixer  de  gré  à  gré  les 
clauses  de  leur  accord  :  cela  dérive  de  la  nature  des  choses  ! 

Quelques  maisons,  dans  le  courant  de  juin,  augmentent 


HISTORIQUE    DU    CoMUM     Cnl.l.KCTIF    KN    FH  VNCK  ;»  i 

le  tarif,  mais  la  plupart  font  un  nouveau  refus  sur  l'en-* 
semble  des  propositions  des  ouvriers  :  par  une  délibéra- 
tion du  18  juin,  la  Chambre  syndicale  accorde  une  aug- 
mentation de  0  fr.  05  du  mille  pour  les  ouvrages  nouveaux, 
alors  que  les  ouvrages  en  cours  d'exécution  continueront 
d'être  payés  sur  les  bases  du  tarif  de  1850.  Quelques  ou- 
vriers sont  poursuivis  par  le  ministère  public  et  condam- 
nés pour  délit  de  coalition  malgré  léloquence  de  Ber- 
ryer. 

Ainsi  cet  exemple  remarquable  nous  montre  les  efforts 
qui  sont  tentés  pour  arriver,  par  tous  les  moyens,  au 
contrat  collectif  :  il  y  a  toujours  la  perspective  du  délit  de 
coalition,  néanmoins  l'idée  du  contrat  collectif  dans  l'impri- 
merie est  définitivement  assise. 

A  la  même  époque  les  lit hographesi  (1)  s'inspirant  de 
l'exemple  anglais  font  successivent  adopter  par  la  plupart 
des  imprimeurs  un  tarif  de  380  articles  se  rapportant  à 
toutes  les  spécialités  de  leur  profession,  avec  un  taux  de 
salaires  minimum. 

Enfin  tout  ce  mouvement  aboutit  à  l'abrogation  des 
articles  414  et  415  et  à  la  proclamation  de  la  liberté  de 
coalition. 

C'est  toujours  la  nécessité  du  contrat  collectif  qui  domine 
la  discussion  et  la  réforme  :  il  y  a  notamment  un  très 
curieux  système  proposé  par  la  commission  (M.  E.  OUivier 
rapporteur)  comme  préservatif  contre  les  grèves. 

C'est  une  tentative  pour  favoriser  par  la  conciliation  obli- 
gatoire la  fréquente  conclusion  du  contrat  collectif. 

Le  projet  se  résumait  en  un  article  unique  : 

«  Seront  punis  d'une  amende  de  16  à  200  francs  et  de 


(1)  Cf.  Office  du  travail,  Ass.  prof.,  I,  p.  641. 


88  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

la  privation  des  droits  politiques  pendant  un  an  au  moins 
et  six  ans  au  plus,  tous  ouvriers  ou  entrepreneurs  d'ou- 
vrages qui,  par  suite  d'un  plan  concerté,  auraient  cessé  ou 
fait  cesser  le  travail,  sans  avoir  eu  préalablement  recours  à 
une  tentative  de  conciliation.  La  tentative  de  conciliation 
aura  lieu  devant  les  personnes  désignées  d'un  commun 
accord  par  les  parties  ;  à  défaut  d'accord  devant  le  Conseil 
de  prudliommes  ;  lorsqu'il  n'existera  pas  de  Conseil  de 
prudhommes,  devant  une  Commission  mixte  composée  en 
nombre  égal  de  patrons  et  d'ouvriers  et  formée  par  le 
Président  du  tribunal  de  commerce.  » 

Si  la  tentative  écliouait,  procès-verbal  devrait  être  dressé 
faisant  mention  sommaire  que  les  parties  n'avaient  pu 
s'accorder. 

Mais  le  gouvernement  et  les  commissaires  du  gouver- 
nement repoussèrent  ce  projet  comme  tentative  de  conci- 
liation obligatoire  :  il  fut  en  cela  inspiré  par  la  crainte  que 
le  Tribunal  des  salaires  ne  fut  contenu  en  germe  dans  la 
tentative  de  conciliation.  La  Commission  n'insiste  pas  et 
une  fois  de  plus  le  contrat  collectif  latent  dans  la  pensée 
de  tous  ne  parut  pas  dans  la  loi. 

Seule  la  suppression  du  délit  de  coalition  le  favorisait 
indirectement  puisqu'elle  rendait  à  sa  conclusion  l'arme  la 
plus  puissante  :  la  menace  de  la  grève. 

Seulement,  et  par  là  même,  le  contrat  collectif  qui,  pour 
les  rares  occasions  oii  il  était  jusqu'ici  apparu,  était  inter- 
venu en  pleine  paix,  allait  maintenant  —  le  plus  souvent  — 
n'être  plus  que  le  traité  qui  termine  la  guerre  ;  jusqu'ici  il 
était  convention  diplomatique,  maintenant  il  sera  en  outre, 
et  surtout,  amnistie  de  deux  belligérants. 


HISTORIQUE   DU   CONTIIAT   COLLECTIF   K.N    FRANCE  59 


I  II.  —  Dkixikme  période  ri864-i884). 

Avec  l'année  1864  et  la  loi  du  25  mai  qui  proclanre  la 
liberté  de  coalition  connnence  la  seconde  phase  que  nous 
avons  disting-uée  dans  noire  étude  :  le  contrat  collectif  n'a 
plus  devant  lui  qu'un  seul  obstacle  législatif,  l'article  291 
du  Code  pénal  et  l'absence  de  liberté  d'association  profes- 
sionnelle. Mais  la  très  large  tolérance  administrative,  dont 
jouissent  depuis  1868  les  Associations  tant  patronales 
qu'ouvrières,  fait  pour  ainsi  dire  oublier  ce  dernier  et  réel 
empêchement  :  le  contrat  collectif  pénètre  de  plus  en  plus 
en  France  ;  l'exemple  de  l'Angleterre  et  la  propre  expé- 
rience des  ouvriers  eux-mêmes  sont  les  causes  immédiates 
de  ce  mouvement  qu'il  est  malheureusement  bien  difficile 
de  retracer:  il  est  presque  tout  entier  en  tentatives,  dont 
quelques-unes  réussissent  mais  dont  le  plus  grand  nombre 
échoue  ;  il  nous  faut  brièvement  résumer  cette  période  en 
mdiquant  ce  quil  y  a  d'essentiel  dans  le  mouvement  des 
idées,  puis  dans  le  domaine  des  faits. 

A.  —  Le  progrès  des  idées. 

Le  progrès  des  idées  sur  le  contrat  collectif  peut  se 
grouper  autour  de  trois  mouvements  principaux  très  nette- 
ment distincts. 

C'est  d'abord  le  courant  d'idées  développé  par  la  fré- 
quentation des  ouvriers  aux  diverses  Expositions  univer- 
selles et  notamment  à  celle  de  1867,  parmi  lesquelles  se 
dégage  très  nettement  l'idéal  du  contrat  collectif. 


6U  PRRMIÈRE    PAHTIK.    CHAPITRE    II 

C'est  ensuite  l'influence  au  moins  théorique  de  l'Interna- 
tionale dans  sa  première  période. 

C'est  enfin  la  série  des  congrès  patronaux  et  ouvriers  oiî 
se  précise  jusqu'en  un  projet  législatif  le  désir  du  contrat 
collectif. 

I.  —  On  a  vu  ci-dessus  que  déjà  en  1867  les  délégations 
ouvrières  qui  avaient  visité  l'Exposition  de  Londres 
avaient  dans  leurs  vœux  réclamé  expressément  le  contrat 
collectif.  Les  délégations  à  l'Exposition  universelle  de  Pa- 
ris en  1867  ne  sont  ni  moins  précises,  ni  moins  expresses 
dans  la  rédaction  de  leurs  desiderata  :  rien  n'est  plus  in- 
téressant, au  point  de  vue  du  progrès  des  idées  sur  le  con- 
trat collectif  que  la  lecture  des  rapports  des  divers  corps 
de  métiers  (1):  c'est  ainsi  que  dans  ces  «  cahiers»  les 
mécaniciens  (2),  les  menuisiers,  carrossiers,  les  typogra- 
phes font  une  hypothèse  hien  nette  du  contrat  collectif: 
c'est  ce  même  idéal  qui  domine  les  doléances  de  tous  les 
métiers  :  sans  pouvoir  entrer  ici  dans  le  détail  de  ces  rap- 
ports, il  suffit  de  mentionner  comment  M.  Devinck,  pré- 
sident de  la  Commission  d'encouragement  pour  les  études 
des  ouvriers  à  l'Exposition  universelle,  résumait  dans 
son  Rapport  à  l'Empereur  les  vœux  des  ouvriers  sur  ce 
point  : 

«  Le  premier  de  ces  vœux  est  celui  qui  concerne  la  for- 
mation des  Chamhres  syndicales. 

«  Les  délégations  ouvrières  déclarent  que  la  création 
des  syndicats  serait  un  moyen  d'éviter  la  grève 

Dans  leur  pensée  lorsqu'une  difficulté  s'élèverait,  il  fau- 
drait   procéder  par    voie  de  conciliation,  et  la  Chambre 


(1;  Exposition  de  1867,  Rapport  des  délégations  ouvrières,  t.  II. 
(2)  Loc.  cit.,  p.  d46. 


HISTORIQUE    DU    CONTRAT    COLLECTIF    EN    FRANCE  (il 

syndicale  de  la  profession  se  nieltrail  en  rapport  avec  celle 
des  patrons  (1).  » 

El  M.  Devinck,  appréciant  la  réforme,  explique  que  la 
demande  lui  paraît  fondée  :  une  Chambre  syndicale  est 
bien  mieux  autorisée  pour  parler  au  nom  de  tous  et  traiter 
des  conditions  offertes  à  la  main-d'œuvre  que  quelques  gré- 
vistes «  désignés  précipitamment  au  moment  de  l'efferves- 
cence, se  concertant  en  secret  et  n'encourant  aucune  res- 
ponsabilité morale  ».  Mais  le  rapporteur  maintient  formel- 
lement le  droit  au  contrat  individuel  pour  les  non-syndi- 
qués: «  c'est  une  voie  facultative  à  ouvrir  et  non  pas  une 
obligation  à  imposer.  Chacun  doit  être  libre  de  contracter 
directement,  avec  la  faculté  d'entrer  dans  une  Chambre 
syndicale  ou  de  rester  en  dehors  de  toutes  réunions » 

De  la  même  façon  dans  le  rapport  à  l'Empereur  de  M.  de 
Forcade,  ministre  de  l'Agriculture,  du  Commerce  et  des 
Travaux  Publics,  qui  n'est  que  l'examen  par  l'administra- 
tion du  lapport  précédent,  la  question  du  contrat  collectif 
est  très  nellement  aperçue,  mais  elle  se  résoudra  par  le 
régime  de  la  liberté  ou  plutôt  de  la  tolérance  administra- 
tive : 

«  L'expérience  amèiiera-l-elle  à  reconnaître  les  avan- 
tages des  Chambres  syndicales  mixtes  qui  réuniraient 
romme  dans  les  conseils  de  prudhommes,  les  patrons  et 
les  ouvriers,  de  manière  à  faciliter  enire  eux  lentente  et 
la  conciliation  sur  les  questions  qui   peuvent  les  diviser? 

«  Cette  question  a  été  discutée  dans  la  réunion  des  délé- 
gués ;  mais  les  opinions  se  sont  partagées  et  je  considère 
que  sur  ce  point  l'administration  doit  laisser  aux  intéres- 
sés eux-mêmes  une  entière  liberté  d'appréciation.  » 


(1)  Rapport  présenté  à  l Empereur,  t.  1,  p.  6. 


62  PREMIÈRK   PARTIE.    CHAPITRE    II 

Ainsi  (1)  liberté  de  fait  pour  les  Chambres  syndicales 
chargées  de  passer  le  contrat  collectif,  attitude  passive  de 
l'administration  en  face  des  Ciiambres  syndicales  mixtes, 
déclarations  fort  nettes  pour  le  maintien  et  la  sauvegarde 
de  la  liberté  individuelle  en  face  des  Chambres  syndicales, 
tels  sont  les  trois  principaux  aspects  de  la  question  au 
point  de  vue  théorique. 

II.  —  L'Internationale  (2)  en  second  lieu  ne  fut  pas  sans 
avoir  quelque  influence  au  moins  lointaine  sur  le  contrat 
collectif  :  elle  agit  un  peu  à  la  manière  d'un  rêve  mais 
donna  en  diverses  circonstances  la  preuve  par  le  fait  de 
la  nécessité  de  l'organisation  collective  du  travail  :  c'est 
ainsi  pour  ne  citer  qu'un  fait,  qu'en  1867  l'Union  des 
ouvriers  en  bronze  de  Paris  déclare  une  grève  à  Paris 
à  propos  d'une  question  de  salaires  :  les  patrons  répon- 
dent par  un  lock-out  général  qui  met  5,000  hommes  sur  le 
pavé  :  3  délégués  vont  à  Londres  réclamer  l'appui  de 
l'Internationale  :  on  n'envoya  que  de  maigres  secours  ; 
mais  effrayés  par  l'influence  d'autant  plus  redoutable 
qu'elle  était  plus  mal  connue  de  l'Internationale,  les  pa- 
trons cédèrent. 

D'ailleurs  dans  les  divers  congrès  (3)  de  l'Internationale, 
dans  cette  première  phase  (4),  «  les  principes  de  l'Unio- 
nisme,  c'est-à-dire  le  relèvement  du  salaire  par  la   coali- 


(4)  C'est  ce  même  rapport  qui  promet  la  tolérance  administrative 
pour  la  formation  des  Chambres  syndicales. 

(2)  Cf.  Lavelaye,  Grandeur  et  décadence  de  1  Internationale,  Rev. 
des  Deux-Mondes,  15  mars  1881 . 

(3)  Lausanne,  1867  ;  Bruxelles,  1869. 

(4)  On  sait  qu'après  1869,  l'Internationale  se  transforma  et  prit 
pour  but  l'abolition  du  salariat  par  la  transformation  radicale  de 
l'ordre  social. 


HISTORIQUE   DU   CONTRAT   COLLECTIF   EN   FRANCE  63 

tien  et  la  grève  (1)  »  avaient  trioniplié.  Cet  élément  fut 
malheureusement  annihilé  par  des  rivalités  personnelles 
au  sein  du  Conseil  général.  Mais  c'était  en  somme,  par  les 
faits  et  par  les  discussions,  l'illustration  de  cette  idée  qu'en 
présence  de  l'organisation  universelle  des  ouvriers,  qu'en 
face  de  la  solidarité  ouvrière,  se  manifestant  par  des 
caisses  de  prévoyance  devenues  à  l'occasion  caisses  de 
résistance,  les  patrons  convaincus  d'avance  qu'ils  succom- 
beront, céderont  avant  même  qu'il  y  ait  lieu  d'avoir  re- 
cours à  la  grève.  C'était,  après  les  longues  difficultés  qui 
avaient  précédé  en  France  l'abolition  du  droit  de  coalition, 
la  démonstration  éclatante,  la  conviction  inébranlable 
que  la  coalition  ouvrière,  que  l'association  professionnelle 
organisée  l'emporterait  certainement  :  c'était  le  contrat 
collectif,  suite  nécessaire  de  la  paix  armée. 

III-  —  Le  progrès  des  idées  se  manifeste  encore  d'une 
troisième  manière  dans  la  série  des  congrès  patronaux  ou 
ouvriers  qui  précisent  encore  l'idéal  du  contrat  collectif 
au  point  de  vue  de  sa  réalisation  pratique. 

C'est  d'abord  la  Société  des  ingénieurs  civils,  composée 
des  chefs  des  plus  grandes  industries  françaises  qui  re- 
connaît et  proclame  la  nécessité  du  contrat  collectif  : 
la  déclaration  est  des  plus  curieuses  et  vaut  qu'on  s'y 
arrête  un  instant  : 

Le  rapport  de  la  commission  (2)  commence  par  procla- 


(1)  Discours  d'Eccarius,  disciple  de  Marx,  au  Congrès  de  Genève 
(1873). 

(2)  Composée  de  MM.  Deligny,  Forquenot,  Gibon,  Grant,  Marché, 
Périsse  et  Normand,  le  directeur  des  ateliers  de  construction  mari- 
time du  Havre. 


64  première:  partie.  —  chapitre  h 

mer  le  droit  pour  le  travailleur  de  louer  ou  vendre  son 
travail  a  prix  DÉBArru  entre  lui  et  ses  acheteurs  :  après  quoi 
elle  reconnaît  à  l'unanimité  le  droit  des  ouvriers  de  s'en- 
tendre et  de  se  concerter  pour  discuter  le  prix  et  les  con- 
ditions de  leur  travail. 

«  Il  serait  inexact  de  prétendre  que  ce  droit  de  s'en- 
tendre serait  contradictoire  avec  le  principe  de  la  liberté 
de  travail  :  il  en  est  au  contraire  la  conséquence  et  la  con- 
firmation :  il  en  est  l'exercice  collectif.  » 

La  déclaration  pour  être  parfaitement  exacte  en  sa  brève 
formule  n'en  est  pas  moins  singulièrement  significative 
dans  la  bouche  des  patrons  :  la  commission  a  d'ailleurs 
parfaitement  aperçu  le  point  délicat  et  la  justification  du 
contrat  collectif.  Le  rapport  continue  : 

«  Vue  de  la  fonction  désintéressée  que  nous  occupons, 
il  parait  évident  que  pour  les  ouvriers  de  la  grande  indus- 
trie, la  collectivité  seule  garantit  la  vraie  liberté  du  tra- 
vail, basée  sur  la  liberté  de  discussion  des  prix.  Le  pa- 
tron de  mille  ouvriers  possède  par  rapport  à  chacun 
d'eux  pris  isolément  une  force,  une  autorité  qui  est  dans 
le  rapport  de  mille  à  un.  I!  n'y  a  pas  équilibre  :  il  peut  y 
avoir  oppression.  Si  au  contraire  les  mille  ouvriers  peu- 
vent discuter  collectivement,  l'équilibre  est  rétabli.  Au 
lieu  de  conditions  et  de  prix  imposés,  il  y  a  conventions 
librement  acceptées  :  au  lieu  d'antagonisme,  il  y  a  harmo- 
nie et  la  vraie  condition  naturelle  du  concours  mutuel  du 
capital  et  du  travail  se  trouve  réalisée  au  mieux  des  in- 
térêts réciproques.  » 

On  ne  saurait  mieux  dire  et  plus  d'un  patron  devrait 
méditer  cette  admirable  page.  La  commission  d'ailleurs 
concluait  à  la  création  d'une  chambre  de  conciliation  an- 


nisTomouE  DU  contrat  cullectif  en  fhance  (iîJ 

nuelle  iioriiim'c  par  clia(|ue  corps  d'état  et  composée  de 
patrons  t't  d'ouvriers  en  nombre  égal  (1). 

C'était  bien  le  contrat  collectif  avec  un  organe  spécial 
pour  sa  réalisation  pratique. 

Les  congrès  ouvriers  de  Paris  (1876)  et  de  Lyon  (1878) 
ne  sont  pas  moins  affirmatifs  en  faveur  du  contrat  collec- 
tif :  ce  n'est  plus  ici  le  principe  du  contrat  collectif  qui  est 
discuté,  c'est  seulement  sa  mise  en  œuvre  et  sa  reconnais- 
sance légale. 

C'est  d'abord  autour  du  projet  Lockroy  que  se  produi- 
sent les  premières  discussions  au  congrès  ouvrier  tenu  à 
Paris  les  2-10  octobre  1876  (2). 

L'article  4  de  ce  projet  donnait  force  de  contrat  aux 
conventions  entre  syndicats  de  la  môme  industrie  stipulées 
pour  une  durée  maxima  de  5  ans,  à  l'égard  de  tous 
les  membres  des  sociétés  contractantes,  pour  la  durée  sti- 
pulée. 

Cette  disposition  est  violemment  attaquée  :  le  citoyen 
Bonnay,  de  la  Cbambre  syndicale  des  ouvriers  mécani- 
ciens, la  critique  vivement  (3)  :  avec  linsuffisance  de  l'or- 
ganisation syndicale  et  la  mobilité  du  personnel,  l'engage- 
ment pour  0  ans  est  une  impossibilité.  D'ailleurs  par  le 
seul  fait  du  progrès  industriel  et  économique  les  conven- 
tions aujourd'bui  acceptables  cesseraient  bien  vite  de  l'être 
et  le  contrat  loin  d'être  favorable  aux  ouvriers,  leur  serait 
à  cbarge.  Enlin  l'assimilation  de  ces  conventions  aux  con- 


(1)  Le  président  eût  été  nommé  par  la  commission  elle-même  :  eu 
cas  de  partage  le  président  du  conseil  des  prud'hommes  ou  à  son  dé- 
faut le  juge  de  paix  du  canton  était  président  de  droit. 

(2)  Séance  des  congrès  ouvriers  de  France,  session  de  1876.  Paris, 
Sandoz  et  Fiesctibactier  1877. 

(3)  Voir  toc.  cit..  p.   122. 

HATNAUD  5 


66  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   II 

trats  entraîne  tout  un  système  de  sanctions  sans  compter 
la  formation  des  Commissions  mixtes  remplaçant  la  juri- 
diction des  prudhommes.  Par  tous  ces  arguments  l'au- 
teur conclut  au  rejet  par  le  Congrès  du  projet  de  loi  pro- 
posé. 

Par  contre  le  citoyen  Daniel,  dans  son  contre-projet, 
maintenait  la  possibilité  du  contrat  collectif  en  supprimant 
toutefois  la  durée  maximum  de  5  ans  (1). 

En  On  de  compte,  la  deuxième  commission  du  Congrès 
à  laquelle  tous  ces  vœux  ont  été  renvoyés  fait  voter  le 
9  octobre  i876  sur  le  rapport  du  citoyen  Cliauvet  (2)  l'a- 
brogation des  articles  291-294  du  Code  pénal  et,  la  liberté 
ainsi  proclamée,  le  retrait  pur  et  simple  du  projet  de  loi 
déposé  à  l'Assemblée  réglementant  les  Chambres  syndi- 
cales. 

Mais  le  contrat  collectif  reste  dans  la  préoccupation  des 
ouvriers  :  les  arguments  du  citoyen  Bonnay  n'ont  pas  con- 
vaincu tout  le  monde  :  en  1877,  62  syndicats  ouvriers  de 
Paris  préparent  le  texte  d'un  projet  de  loi  sur  les  Chambres 
syndicales  professionnelles  et  l'idée  du  contrat  collectif 
obligatoire  pour  tous  les  membres  de  ces  Chambres  y  est 
reprise  (3).  Enfin  le  congrès  de  Lyon  en  1878  vote  la 
résolution  suivante  : 


(1)  Art.  6  :  Les  Chambres  syndicales  d'une  même  industrie  compo- 
sées l'une  de  patrons,  l'autre  d'ouvriers  pourront  conclure  entre  elles 
des  conventions  ayant  pour  objet  de  régler  les  rapports  profession- 
neles  des  membres  d'une  Chambre  syndicale  avec  ceux  de  l'autre.  — 
Ces  conventions  auront  force  de  contrat  et  engageront  tous  les  mem- 
bres des  sociétés  contractantes  pour  la  durée  stipulée. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  543. 

(3)  Art.  i  :  Les  syndicats  d'une  même  industrie auront  le  droit 

de  DISCUTER   ET    détabur    par   conventions  amiables    les  tarifs  de 


HISTORIQUE   DU   CONTRAT    COLLECTIF    EN   FRANCE  67 

«  Lorsqu'une  convention  aura  été  passée  entre  une 
Cliambre  syndicale  ouvrière  et  une  Chambre  syndicale 
patronale,  portant  sur  une  augmentation  de  salaires  ou 
autres  améliorations,  les  Conseils  de  prudhommes  seront 
mis  en  demeure  d'appliquer  les  dites  conventions  à  leur 
époque  fixée  (1).  » 

Ainsi  les  Congrès  ouvriers  se  prononcèrent  très  nette- 
ment en  faveur  du  contrat  collectif  et  en  faveur  de  sa  re- 
connaissance légale. 

Tel  est  trop  brièvement  esquissé  le  mouvement  des 
idées  de  1864  à  1884  :  examinons  maintenant  rapidement 
ce  qui  a  été  accompli  dans  le  domaine  des  faits. 

B.  —  Les  faits. 

Cet  important  progrès  des  idées,  la  liberté  de  coalition 
proclamée,  la  tolérance  administrative  à  l'égard  des  asso- 
ciations professionnelles  malgré  quelques  retours  offensifs, 
l'imitation  de  l'Angleterre,  toutes  ces  causes  contribuèrent 
à  multiplier  les  tentatives  de  contrat  collectif. 

Sans  doute  la  question  du  contrat  collectif  au  point  de 
vue  pratique  reste  dominée  par  l'absence  de  situation  lé- 
gale des  syndicats  patronaux  ou  ouvriers  :  le  mécanisme 
juridique  nécessaire  à  sa  portée  pratique  n'existe  toujours 
pas  et  ne  peut  même  pas  se  former.  Néanmoins  dans  plus 


main-d'œuvre,  les  heures  de  journée  réglementaire  et  les  contrats 
d'apprentissage  ;  à  cet  effet,  il  sera  formé  par  les  intéressés  des 
conseils  d'arbitrage  composés  en  nombre  égal  de  patrons  et  d'ou- 
vriers. 

Ces  conventions  auront  force  de  contrat  et  engageront  tous  les  mem- 
bres des  sociétés  contractantes  pour  la  durée  stipulée. 

(1)  Séance  des  Congrès  ouvriers  de  France,  2»  session,  Ljon,  1878. 


()B  PREMIÈRE  Partie.  —  chapitre  ii 

d'une  profession,  spécialement  chez  les  typographes,  les 
tisseurs,  les  mécaniciens  et  les  ouvriers  du  hâtiment  (1), 
les  essais  de  contrat  collectif  se  poursuivent. 

Mais  sa  portée  et  son  succès  varient  grandement  suivant 
les  métiers  et  même  dans  chaque  métier. 

C'est  ainsi  par  exemple  que  les  tisseurs  de  Roubaix 
peuvent  bien  obtenir  des  patrons  le  18  mars  1867  un  ac- 
cord fixant  certains  points  minima  (discussion  par  le  Con- 
seil des  Prud'hommes  du  règlement  relatif  aux  amendes, 
droit  de  travailler  sur  un  ou  deux  métiers)  (2),  mais  sont 
impuissants  à  traiter  avec  ces  mêmes  patrons  pour  les 
questions  plus  importantes  d'augmentation  de  salaires. 

Les  tisseurs  de  Lyon,  au  contraire,  arrivaient  en  1869, 
au  tarif  conventionnel  qu'ils  n'avaient  pu  faire  reconnaître 
en  1831  ;  un  tarif  apportant  une  augmentation  moyenne 
de  20  0/0  est  établi  pour  chaque  article  par  des  commis- 
sions nommées  dans  des  réunions  corporatives  (3). 

Ce  sont  encore  les  typographes  qui  dans  cette  période 
nous  fournissent  les  plus  importants  exeniples  de  contrats 
collectifs  :  mais  ici  encore  se  retrouve  le  caractère  incertain 
et  hasardeux  de  ces  contrats. 

En  1867  a  lieu  une  nouvelle  révision  du  tarif  des  impri- 
meurs (4)  :  la  Commission  de  1862  fait  procéder  à  l'élec- 
tion d'une  nouvelle  commission  pour  le  tarif  :  des  difficul- 
tés sérieuses  ont  lieu  à  propos  de  la  nouvelle  forme  du  tra- 
vail qui  tend  à  s'introduire  dans  le  métier,  la  commandite. 


(4)  Cf.  Office  du  travail,  Associations  professionnelles,  passm. . . 

(2)  Office  du  travail,  Associations  professionnelles  ouvrières,  t.  7, 
II,  p.  381. 

(3)  Id.,  T.  II,  p.  269. 

(4)  Cf.  Office  du  travail,  Associations  professionnelles  ouvrières, 
t.  II,  p.  735. 


HISTORIQUE    DU    CONTRAT   COLLECTIF    EN    FRANCK  69 

Malgré  deux  votes  contradictoires  des  ouvriers,  dont  le 
second  avait  donné  une  majorité  de  1,007  voix  contre  694, 
contre  la  coinmandilo,  la  coinniission  ouvrière  participant  à 
la  conférence  mixte  réunie  le  4  janvier  1868,  veut  prendre 
le  travail  en  commandite  comme  base  de  la  révision  du 
tarif  :  les  patrons  repoussent  cette  innovation  :  les  négo- 
ciations sont  rompues  mais  bientôt  de  nouvelles  élections 
faites  par  les  soins  de  la  Société  typographique  envoient 
à  la  conférence  une  commission  ouvrière  composée  de 
partisans  de  la  commandite  facultative  :  la  conférence  se 
réunit  de  nouveau  et  élabore  un  tarif  applicable  le  30  no- 
vembre 1868  (1). 

Ce  tarif  est  accepté  presque  sans  résistance.  Quelques 
maisons  s'y  refusent  mais  au  bout  de  8  jours  elles  finis- 
sent par  céder. 

Il  faut  noter  ici  que  la  Société  typographique  qui  vivait 
sous  la  forme  de  Société  de  secours  mutuels  avait  créé  en 
1865  une  caisse  spéciale  de  résistance,  qui  contribua  sans 
doute  à  aplanir  les  difficultés.  Mais  la  Société,  étant  donné 
le  régime  légal,  est  obligée  de  cacher  les  dépenses  qu'elle 
fait  pour  le  maintien  du  tarif  et  les  inscrit  sous  divers 
chefs. 

Après  1871  la  Société  typographique  avait  été  fort  éprou- 
vée par  la  guerre  :  une  commission  spéciale  est  nommée 
au  sein  du  syndicat  pour  étudier  la  révision  du  tarif  :  en 
1875-76  encore  une  fois  la  commandite  obligaloire  est 
insérée  dans  le  projet  présenté  à  la  Chambre  des  Maîtres  im- 
primeurs,  qui  la  repousse.  —  La  commission  ouvrière 


I 


(1)  Augmentation  moyenne  de  30  centimes  par  jour.  —  Travail  à  la 
journée  :  6  francs  pour  10  heures  ;  heures  de  correction  :  60  centimes 
l'heure  ;  gratifications  augmentées. 


70  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   II 

rend  compte  de  son  mandat  le  15  janvier  1877  :  un  nou- 
veau vote  se  produit  contre  la  commandite  obligatoire,  et  la 
nouvelle  commission,  formée  de  partisans  de  la  comman- 
dite obligatoire,  élabore  un  nouveau  projet. 

Le  5  décembre  1877  la  conférence  se  réunit  :  les  patrons 
opposent  un  contre  projet  le  13  février  1878  :  on  se  met 
d'accord  sur  quelques  points  :  augmentation  de  10  centimes 
par  mille  pour  la  réimpression,  et  8  centimes  pour  le  ma- 
nuscrit :  mais  la  discussion  continue  sur  le  prix  de  l'heure, 
les  ouvriers  demandaient  70  centimes  soit  10  centimes 
d'augmeûtation,  les  patrons  n'offraient  que  65  centimes  : 
les  négociations  sont  rompues. 

Les  délégués  recourent  aux  ouvriers  :  un  vote  des  ate- 
liers par  2,064  suffrages  sur  2,277  votants  leur  donne 
raison  :  la  grève  est  déclarée  le  21  mars. 

Les  ouvriers  rencontrent  quelques  appuis  :  33  éditeurs 
les  soutiennent  ;  15  imprimeurs  s'engagent  à  n'accepter 
chez  eux  aucun  ouvrier  compositeur  sortant  d'imprimeries 
qui  repoussent  le  tarif  de  l'association  ouvrière  :  mais  21 
autres  signent  une  déclaration  portant  que  le  tarif  de  la 
Chambre  patronale  serait  appliqué  à  partir  du  1"  avril. 

Le  Syndicat  épuise  ses  ressources  et  bientôt  les  ouvriers, 
malgré  de  nombreuses  mises  à  l'index,  sont  obligés  de  re- 
prendre le  travail  aux  conditions  des  patrons.  Le  contrat 
collectif  avait  ainsi  disparu  et  en  1898  (1)  les  relations 
n'avaient  pas  encore  été  reprises  entre  les  7  Chambres 
syndicales  de  l'imprimerie  typographique  de  Paris. 

Quoi  qu'il  en  sort  de  ce  déplorable  échec,  qui  est  très 
symptomatique  de  notre  période,  le  contrat  collectif  avait 
eu  de  remarquables  effets  au  point  de  vue  des  salaires  :  en 


(1)  En  fait  on  appliquait  le  tarif  patronal  de  1878. 


HISTORIQUE   DU    CONTRAT    COLLECTIF    EN    FRANCE  71 

35  ans  l'augmentation  avait  été  de  30  00:  voici  l'aug- 
incntalion  indiquée  par  le  tableau  de  l'office  du  travail  (1)  : 

Prix  de  l'heure  :  1843 0^50. 

—  4848 0  50. 

—  4862 0  55. 

—  4868 0  60. 

—  4878, 0  65. 

Le  contrat  collectif  avait  ainsi  fait  ses  preuves  dans  le 
métier  de  l'imprimerie. 

Enfin  le  spécimen  à  la  fois  le  plus  curieux  et  le  plus 
complet  du  contrat  collectif  nous  est  fourni  par  l'Union  de 
la  fabrique  de  rubans  de  Saint-Etienne  :  nous  y  trouvons 
précisé  rigoureusement  et  réalisé  dans  les  faits  ce  qui  était 
alors  l'idéal  commun  de  beaucoup  d'ouvriers  :  à  ce  titre 
il  en  faut  mentionner  les  traits  les  plus  caractéristiques  (2)  : 

Les  statuts  de  l'Union  constituée  le  10  mai  1875  indi- 
quent que  le  tarif  minimum  et  maximum  des  façons,  appli- 
cable dès  ce  jour,  a  pour  but  «  d'assurer  aux  ouvriers  des 
prix  plus  rémunérateurs,  dans  les  mortes  saisons,  d'atténuer 
les  fluctuations  de  façons  »  ;  on  entrevoit  même  l'applica- 
tion d'autres  mesures  d'intérêt  général  qui  pourraient  être 
proposées  dans  la  suite.  C'est  en  somme  le  principe  de 
l'accord  sur  les  conditions  du  travail  posé  dans  toute  son 
étendue  :  voici  l'économie  de  ce  contrat  : 

Article  4.  —  Le  maximum  des  façons  est  fixé  à  une 
augmentation  de  50  0  0  sur  les  prix  du  tarif  minimum 
(annexé  aux  statuts). 

Article  5.  —  Toute  contravention  au  tarif  sera  punie 
d'une  amende  d'un  quart  du  prix  de  façon  porté  au  tarif. 


(1)  Id.  p.  772. 

(2)  Id.  t.  H,  p.  351  et  suiv. 


72  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    H 

payé  par, le  fabricant,   et  d'un  quart,  payé  par  l'ouvrier, 
au  profit  de  la  Chambre  syndicale. 

D'ailleurs  les  parties  au  contrat  avaient  un  remarquable 
souci  de  la  liberté  individuelle  :  on  déclarait  expressément 
que  les  signataires  auraient  droit  de  travailler  pour  ceux 
qui  n'auraient  pas  adiiéré  à  l'Union,  pourvu  qne  ce  fût  aux 
conditions  du  tarif.  On  repoussait  l'interdiction  de  travail 
contre  un  fabricant  ou  un  passementier.  Le  Syndicat  mixte, 
composé  de  6  fabricants  et  de  6  ouvriers  devait  faire  res- 
pecter la  convention. 

Au  début  les  grands  fabricants  et  la  généralité  des  chefs 
d'atelier  adhérèrent  au  tarif,  si  bien  quà  la  fin  de  1875  il 
fonctionnait  à  la  satisfaction  générale,  englobant  presque 
tous  les  métiers. 

Au  début  de  1876,  une  amende  de  3  francs  est  infligée 
par  l'Union  à  un  ouvrier  qui  avait  enfreint  les  conditions 
du  tarif.  Il  paye  sans  réclamer.  Peu  de  temps  après,  un 
fabricant,  M.  Henry,  signataire  de  la  convention  se  voit 
réclamer  la  même  somme  :  il  refuse  de  payer  et  porte  la 
question  devant  le  Tribunal  de  Saint-Etienne  qui  le  déboute 
de  sa  demande  (1). 

Ce  jugement  amena  la  dissolution  de  l'Union  et  le  tarif 
de  1873  n'avait  été  appliqué  qu'un  an.  Une  fois  de  plus 
l'imperfection  du  régime  légal  avait  été  funeste  et  avait 
ruiné  les  efforts  des  ouvriers. 

Ainsi  tentatives  nombreuses,  difficultés  de  succès  pour 
passer  le  contrat  collectif  à  cause  de  l'instabilité  de  l'asso- 
ciation professionnelle  et,  si  malgré  tout  celui-ci  est  conclu, 
risque  constant  d'en  voir  refuser  l'exécution  en  justice  : 
Telle  est  la  situation  jusqu'à  la  loi  du  2i  mars  1884. 


(1)  Voir  le  jugement  ci-dessous. 


HISTORIQU.    1)1     CONTRAT    COLLECTIF    KN    KliAM  K  73 

Toutefois  ilo  co  long  et  frajjmentaire  historique  une 
conclusion  se  dég^ag^e  :  le  contrat  collectif  est  une  institu- 
tion (l'une  vitalit»'  nin  U(juable,  d'une  utilité  pratique  ex- 
cepfioniK'Ile,  puisque,  maljrré  les  obstacles  accumulés 
devant  lui,  il  subsiste,  {Jrag^ne  du  terrain,  s'enracine  et  se 
développe.  C'est  là  sans  doute  un  symptôme  des  plus  heu- 
reux et  qui  fait  aug^urer  d'un  brillant  avenir.  Malheureu- 
sement aujourd'hui  encore,  comme  nous  le  verrons,  le  con- 
trat collectif  se  ressent  toujours  un  peu  de  ses  origines, 
comme  ces  parvenus  qui  n'ont  gravi  qu'au  prix  de  mille 
diflicuitcs  1.  s  .  ehelons  de  la  vie  sociale.  Au  lieu  d'appa- 
raître connue  une  institution  de  tout  repos,  aussi  normale 
en  somme  que  le  contrat  de  société  ou  tout  autre  contrat 
civil,  il  porte  la  trace  des  obstacles  qu'il  lui  a  fallu  sur- 
monter :  sa  croissance  a  été  en  quelque  sorte  gênée  par 
ces  circonstances  extérieures  ;  il  n'a  pas  encore  acquis  cette 
force  secrète  des  institutions  développées  d'une  manière 
autonome  qui  s'imposent  en  législateur  si  bien  que  celui- 
ci  n'a  qu'à  enregistrer  les  résultats  acquis  :  le  conflit  entre 
la  liberté  individuelle  et  la  solidarité  ouvrière  qui  domine 
toute  cette  histoire  n'est  pas  encore  tranché  :  sans  doute 
après  1884  on  ne  sacrifiera  plus  l'un  des  termes  du  dilemme 
à  l'autre.  On  les  posera  tous  deux  dans  le  domaine  des  faits 
et  le  développement  du  contrat  collectif  depuis  1884  ne 
sera  que  la  série  d'essais  empiriques  pour  concilier  sur  le 
terrain  pratique  les  deux  contradictoires:  peut-être  le  con- 
trat collectif  contient-il  précisément  la  formule  de  cette 
conciliation  si  longtemps  cherchée  ! 


CHAPITRE  m 

LES  FAITS  ACTUELS  EN  FRANCE 


La  loi  de  1884  par  l'impulsion  qu'elle  donna  au  mouve- 
ment syndical  vint  apporter  au  contrat  collectif  un  puis- 
sant appoint  :  désormais  l'association  professionnelle 
pourra  en  toute  sécurité  traiter  des  conditions  du  travail. 

Mais  un  double  obstacle  de  fait,  non  plus  de  droit,  vient 
ralentir  le  développement  de  notre  contrat  : 

D'une  part  la  persistance  des  anciens  errements  dans 
l'esprit  de  beaucoup  de  patrons  et  d'ouvriers  :  pour  beau- 
coup le  syndicat  est  la  machine  de  grève,  hier  encore 
prohibée, traquée,  poursuivie;  aujourd'hui  reconnue,  léga- 
lisée, triomphante  :  pour  beaucoup  elle  conserve  le  même 
caractère:  Plus  d'un  patron  continue  à  y  voir  l'ennemi 
dont  il  se  refuse  à  connaître  l'existence,  au  lieu  d'y  voir 
une  collectivité  professionnelle  avec  laquelle  on  peut  trai- 
ter. Plus  d'un  ouvrier  persiste  à  chercher  dans  le  syndicat 
le  fauteur  de  coalitions  et  de  grèves  et  ne  sait  pas  y  voir 
le  défenseur  pacifique  des  intérêts  du  travail. 

D'autre  part  beaucoup  de  syndicats  en  France  désertent 
le  terrain  professionnel  pour  occuper  le  terrain  politique  : 
ce  n'était  bien  évidemment  pas  avec  de  pareils  syndicats 
que  les  patrons  pouvaient  être  tentés  de  traiter. 

Pour  ces    deux   raisons  capitales,    contrairement  à  ce 


LES    FAITS    ACTUELS    EN    FRANCE  75 

qu'on  aurait  pu  attendre,  le  contrat  collectif  n'a  eu  depuis 
1884  en  France  qu'un  développement  fort  irrégulier  et  très 
accidenté. 

Aussi  l'étude  en  est-elle  particulièrement  difficile  :  le 
contrat  collectif  le  plus  souvent  apparaît  ici  ou  là, 
dans  un  temps  très  bref  :  ce  sont  de  timides  essais  qui  se 
ressentent  bien  évidemment  de  l'état  d'esprit  des  parties. 
Nous  serons  donc  obligés,  après  avoir  brièvement  signalé 
les  métiers  où  notre  contrat  se  rencontre  le  plus  fréquem- 
ment, de  borner  notre  examen  à  deux  exemples  particu- 
lièrement typiques. 


I  l".  —  Quelques  aperçus  sur  le  développement  actuel  do 

CONTRAT  COLLECTIF. 


Pour  les  raisons  indiquées  ci-dessus,  le  relevé  exact 
des  contrats  collectifs  actuellement  existants  en  France  est 
des  plus  difficiles  (1). 

Dans  bien  des  métiers,  des  comités  mixtes  ont  été  ac- 
cidentellement formés,  surtout  quand  il  existait  des  Cliam- 
bres  syndicales,  tant  du  côté  des  patrons  que  des  ouvriers. 
Le  plus  difficile  est  de  vaincre  la  résistance  des  patrons 
qui  hésitent  toujours  à  entrer  en  négociations  et  l'esprit 
trop  souvent  violent  et  révolutionnaire  des  ouvriers  qui 
voient  surtout  dans  la  lutte  professionnelle  le  début  de  la 


(1)  Les  deux  volumes  publiés  par  l'Office  du  travail  sur  les  associa- 
lions  professionnelles  ouvrières  sont  à  peu  près,  avec  le  Bulletin  de 
rofûce  du  travail,  le  seul  moyen  de  documentation  qui  existe  sur  la 
question. 


76  PRKMIÈRK    PARTIE.    CHAPITRE    III 

grande  lulte  des  classes  qui  doit  amener  la  révolution  so- 
ciale. Aussi  parfois,  est-ce  par  l'arbitrag-e  que  le  contrat 
collectif  pénètre  dans  un  métier  :  mais  il  est  alors  beau- 
coup plus  difficile  de  s'entendre  sur  un  confit  déjà  né  et 
existant,  que  de  l'empêcher  d'éclater  par  un  accord  spon- 
tané. 

Mentionnons  à  titre  d'exemples  quelques  contrats  collec- 
tifs dans  les  diverses  industries  : 

C'est  ainsi  qu'un  tarif  existe  depuis  le  20  octobre  1890, 
dans  l'industrie  tulliste  de  Calais,  établi  par  des  délégués 
des  patrons  et  de  l'union  ouvrière,  qui  s'est  substitué  aux 
tarifs  unilatéraux  établis  par  les  uns  ou  les  autres  :  depuis 
cette  date  plusieurs  inventions  sont  intervenues  à  propos 
des  conditions  du  travail  entre  patrons  et  ouvriers  (1). 

De  même  dans  le  bâtiment,  il  y  a  plusieurs  exemples  de 
tarifs. 

Une  tarif  très  complet,  élaboré  par  des  commissions 
arbitrales  mixtes  existe  depuis  1891,  dans  la  blanchisse- 
rie. 

De  même  encore  on  peut  signaler  des  tarifs  intéressants 
établis  dans  l'industrie  du  gaz  (2)  (1899),  dans  la  cordon- 
nerie (Lyon,  1896),  pour  les  compagnies  de  voitures,  pour 
les  ouvriers  tanneurs  (Tarbes,  1894)  (3),  les  bûcherons 
du  Cher  (1892),  etc.,  etc.. 

Une  place  spéciale  doit  être  faite  dans  cette  trop  rapide 
revue  aux  contrats  collectifs  établis  par  les  syndicats  mix- 


(1)  Cf.  De  Seilhac,  La  grève  des  tidlistes  de  Calais.  —  Circulaire 
du  Musée  social. 

(2)  Accord  entre  la  Compagnie  parisienne  d'éclairage  et  de  chauf- 
fage par  le  gaz  et  le  bureau  du  syndicat,  statistique  des  grèves.  1899. 

(3)  Bulletin  de  V Office  du  travail,  1894,  p.  335. 


I.KS    FAITS    ACTL'KLS    EN    FRANCE  77 

tes  {{).  C  t'sl  aiiihi  t|u  Du  peut  liU'r  h?  1res  reiiiai'(|uulii('  ex- 
emple des  contrais  collectirs  établis  par  l'Union  corpora- 
tive de  la  Fabrique  lyonnaise  dans  l'industrie  du  tissage 
lyonnais.  Un  article  26  des  statuts  de  ce  syndicat  mixte 
composé  d'un  syndical  patronal  et  d'une  corporation  d'em 
ployés  porte  expressément  : 

«  Toutes  conventions  de  tarifs  pour  les  façons  établies 
d  un  commun  accord  entre  la  Commission  des  fabricants 
et  celle  des  syndicats  ouvriers,  devront  être  respectées  par 
tous  les  membres  de  la  corporation.  » 

Il  est  tout  naturel  que  le  contrat  collectif  soit  le  fruit  du 
syndicat  mixte  quand  il  réussit,  mais  on  sait  combien  de 
difficultés  il  rencontre  :  peut-être  le  contai  collectif  est-il 
précisément  destinée  réaliser  l'idéal  du  syndical  mixte  par 
accords  des  syndicats  parallèles. 

Mais  en  somme,  il  y  a  peu  d'exemples  de  contrats  col- 
lectifs aussi  développés  qu'en  Angleterre  et  le  plus  souvent 
ces  contrats  ne  contiennent  que  quelques  clauses,  d'ail- 
leurs parfaitement  diverses,  prix  de  façon  pour  une  spé- 
cialité, heures  de  travail  ou  parfois  minimum  de  salaires  : 
mais  le  mouvement  manque  d'unité  :  il  est  le  résultat  des 
circonstances  (2). 

Aussi  est-il  préférable  de  borner  notre  étude  à  deux 
exemples  de  contrats  collectifs  dans  deux  industries  parti- 
culièrement intéressantes,  les  mines  et  la  typograpliie. 

La  méthode  monographique  nous  donnera  mieux  qu'au- 


(l)Cf.  A.  Boissard,  Le  syndicat  mixte,  thèse,  Aix,  189G. 

(2)  Nous  aurions  voulu  faire  un  relevé  complet  et  une  classiOcalioa 
des  contrais  colleclifs  existant  en  France,  mais  ce  travail  était  véri- 
tablement impossible  en  l'état  actuel  des  choses  :  il  Taudrail  pour  cela 
de  sérieuses  monographies  de  métier  faites  à  ce  point  de  vue. 


■ 


78  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE   III 

cune  autre  une  idée  de  développement  du  contrat  collectif 
en  France  et  des  difficultés  qu'il  y  rencontre. 


I  II.  —  Le  contrat  collectif  dans  l'industrie  minière. 

Avant  d'étudier  d'une  manière  spéciale  le  contrat  collec- 
tif dans  les  mines  du  Pas-de-Calais,  oii  il  est  plus  parti- 
culièrement développé,  il  faut  brièvement  marquer  l'état 
de  son  développement  dans  nos  autres  grands  centres 
liouillers. 

Ce  qui  caractérise  le  contrat  collectif  dans  nos  deux 
autres  grands  bassins  houillers,  la  Loire  et  Carmaux,  c'est 
qu'il  s'y  est  récemment  introduit  à  la  suite  d'arbitrages 
demeurés  célèbres  : 

Bassin  de  la  Loire.  —  A  la  suite  de  premières  reven- 
dications restées  sans  résultat  et  remontant  au  17  octobre 
1898,  la  Fédération  des  Chambres  syndicales  des  ouvriers 
mineurs  du  département  de  la  Loire,  profitant  de  la  situa- 
tion exceptionnelle  de  l'industrie  du  charbon,  formulait 
dans  une  lettre  aux  directeurs  des  Compagnies  minières 
de  la  Loire  en  date  du  21  décembre  1899,  les  revendica- 
tions des  mineurs  (1.)  : 

1°  Reconnaissance  par  les  Compagnies  minières  du 
Comité  fédéral  ; 

2*'  Fixation  d'un  minimum  de  salaires  : 

3"  Réduction  de  la  journée  de  travail. 

L'accord  n'ayant  pu  s'établir,  malgré  les  concessions 
accordées  par  les  Compagnies,  une  grève  s'en  suivit  ter- 


(1)  Bulletin  de  V Office  du  travail,  1900,  p.  15. 


LES   FAITS    ACTUELS  EN    FRANCE  71) 

ininoo  par  un  arbitrage  de  M.  Jaurès  pour  les  mineurs  et 
de  M.  Gruner  pour  les  Compagnies. 

Une  double  décision  arbitrale  des  4  et  6  janvier  1900 
intervint  sur  la  questions  de  la  remonte  et  sur  la  question 
des  salaires  (1). 

Cette  décision  arbitrale  fut  ratiûée  à  l'unanimité  par  les 
ouvriers. 

La  convention  devait  durer  sans  aucune  modification 
jusqu'au  30  juin  1901.  A  cette  date,  et  sur  un  préavis  de 
trois  mois  donné  à  M.  le  Préfet  de  la  Loire  par  l'une  ou 
l'autre  des  deux  parties,  une  procédure  arbitrale,  semblable 
à  celle  (|ui  met  lin  au  présent  conflit,  devait  déterminer  si 
les  conditions  de  l'industrie  permettent  le  maintien  intégral 
ou  partiel  de  cette  augmentation. 

Ainsi  c'est  la  procédure  d'arbitrage  qui  paraît  dominer 
dans  ce  bassin  pour  l'introduction  du  contrat  collectif. 

Catvnaux.  —  C'est  également  le  principe  de  l'arbitrage 
qui  semble  prévaloir:  en  1892,  lors  de  la  première  grève 
de  Carmaux,  devant  l'insuccès  de  la  Commission  arbi- 
trale (2),  ce  fut  la  Commission  des  tiers  arbitres  qui  par- 
vint seule  à  tranclier  la  question  de  salaire  (3). 

Pour  terminer  avec  les  mines  autres  que  celle  du  Pas- 
de-Calais,  il  faut  encore  citer  l'échelle  mobile  de  salai- 
res (4)  établie  en  mars  1896  à  la  suite  d'une  grève  dans 
les  mines  de  Saint-Laur  (Deux-Sèvres)  (o).  «  Les  ouvriers. 


(1)  Relèvement  général  de  90/0. 

(2)  Composée  de  MM.  Albert  Gigot,  Baron  Reille  et  tlumblot  pour  la 
Compagnie  et  de  MM.  Calvignac,  Rondel  et  Jaurès  pour  les  ouvriers. 

(3)  A.  Gibon,  La  grève  de  Carmauœ  :  les  ouvriers  acceptent  la  sen- 
tence arbitrale  le  21  mars  1892. 

(4)  La  seule  existant  actuellement  en  France. 

(5)  Bulletin  de  VOffice  du  travail  1899,  p.  1084. 


80  PREMIÈHK    PARTIK.    CHAPITRE    111 

dit  la  Convention,  recevront  à  titre  d'augmentation  de  sa- 
laire et  au  fur  et  à  mesure  que  les  cours  des  charbons 
augmenteront,  la  moitié  de  cette  augmentation,  suivant 
une  échelle  mobile  donCle  minimum  sera  le  cours  actuel.» 

En  somme,  si  de  plus  en  plus  dans  l'industrie  minière 
semble  s'introduire  le  principe  de  la  fixation  collective  des 
conditions  du  travail,  ce  n'est  encore  que  par  le  moyen 
de  l'arbitrage. 

11  faut  arriver  aux  mines  du  Pas-tlc-Calais  pour  trouver 
de  remarquables  exemples  de  contrat  collectif,  établi  di- 
rectement par  accord  entre  les  délégués  des  patrons  et  les 
délégués  des  ouvriers. 

Mines  du  Pas-de-Calais.  —  L'usage  du  contrat  collec- 
tif dans  les  mines  du  Pas-de-Calais  (l)  remonte  déjà  à  une 
dizaine  d'années  :  en  décembre  1891,  à  la  suite  d'une 
grève,  une  première  convention,  dite  «  Convention  d'Ar- 
ras  »  fut  signée  entre  le  comité  des  Houillères  représen- 
tant la  plupart  des  Compagnies  des  deux  départements  du 
Nord  et  du  Pas-de-Calais  et  le  syndicat  des  ouvriers  mi- 
neurs. 

Il  est  curieux  de  remarquer  comment  dans  ces  circons- 
tances le  contrat  collectif  direct  se  substitua  à  l'arbitrage: 
les  mineurs  faisaient  diverses  réclamations  :  répartition 
plus  équitable  des  salaires,  salaire  moyen  de  o  fr.  oO  par 
jour  primes  non  comprises,  journée  de  huit  heures,  etc., 
ils  avaient  nommé  le  22  novembre  o  délégués  pour  soute- 
nir leurs  revendications  :  à  la  suite  de  l'extension  prise 
par  la  grève,  le  ministre  avait  désigné  cinq  arbitres  du 
conflit  :  ce  sont  alors  les  ouvriers  eux-mêmes  qui  les  ré- 
cusèrent   et  déclarèrent  que  les  représentants  directs  des 


(1)  Statistique  des  grèves,  1898,  p.  319. 


LES  FAITS    ACTUELS   EN    FRANCE  81 

coilipagnies  avaient  seuls  qualité  pour  trancher  le  difié- 
rend. 

Les  compagnies  acceptèrent  cette  proposition  de  contrat 
collectif  :  cinq  représentants  des  compagnies  adhérentes 
au  comité  des  houillères  (1)  se  réunirent  aux  cinq  délégués 
des  ouvriers  en  un  comité  de  conciliation,  qui  siégea  les 
27  et  29  novembre  et  arrêta  le  texte  de  la  Convention 
d'Arras.  Celle-ci  porte  surtout  sur  le  taux  des  salaires, 
déclarant  qu'il  y  avait  lieu  de  prendre  pour  base  des  sa- 
laires de  tous  les  ouvriers  du  fond,  les  salaires  de  la  pé- 
riode de  12  mois  qui  a  précédé  la  grève  de  1889,  en  y 
ajoutant  les  deux  primes  de  10  0  0  qui  ont  été  accordées 
depuis  et  qui  seraient  maintenues  intégralement  (2). 

La  Convention  d'Arras  fut  très  heureusement  accueillie 
dans  le  métier. 

Mais  en  1892  se  produit  une  baisse  dans  les  prix  de 
vente,  qui  entraîne  une  dimiimtion  de  production  :  les  sa- 
laires s'en  ressentent  :  on  accuse  les  Compagnies  de  violer 
l'engagement.  Après  une  série  de  grèves  partielles  inutiles, 
le  10  septembre  1893,  le  Syndicat  ouvrier  sounjet  au  di- 
recteur de  chaque  Compagnie  une  demande  d'augmenta- 
tion de  10  0  0  (le  salaire  moyen  eût  été  ainsi  porté  à  7  fr.  15 
par  jour)  :  les  Compagnies  refusent. 

Une  grève  générale  de  48  jours  s'en  suit  :  le  6  novembre 
les  ouvriers  reprennent  le  travail  sans  avoir  rien  obtenu. 
Le  Syndicat  est  profondément  atteint  :  il  perd  de  l'in- 
fluence et  son  organisation  est  diminuée. 


(1)  La  Compagnie  de  Lens  accéda  peu  de  temps  après  à  la  conven- 
tion . 

(2)  Soit  en  fait  4  fr.  80  -f  20  0/0  =  o  fr.  76  pour  les  mineurs  à 
la  veine. 

BATNACO  6 


82  PREMIÈRE    PARTIE.    •^-    CHAPITRE    III 

Cependant  en  1895  avec  une  nouvelle  prospérité  de 
l'industrie  du  charbon,  il  se  reconstitue  :  mais  la  Cliainbre 
syndicale  des  houillères  du  Pas-de-Calais  et  du  Nord  refuse 
de  le  reconnaître. 

A  la  suite  du  Congrès  de  mineurs  tenu  à  Lens  au  début 
de  1898,  une  lettre  est  adressée  au  président  de  la  Chani- 
bre  syndicale  des  houillères  (1). 

A  la  suite  de  cette  lettre,  une  commission  mixte  est  réu- 
nie à  Arras  le  20  septembre  1898  et  après  trois  heures  de 
discussion  adopte  la  convention  suivante,  qui  est  la  deu- 
xième convention  d'Arras  ; 

Le  20  septembre  1898,  à  2  heures  d/2  de  l'après  midi,  les  délégués 


(i)  En  voici  le  texte  fort  remarquable  par  le  ton  pacifique  et  con- 
ciliateur, qui  diffère  vivement  du  ton  des  mineurs  dans  les  autres  bas- 
sins houillers. 

Lens,  le  28  août  1898. 
Monsieur  le  Président, 

Les  délégués  des  ouvriers  mineurs  des  départements  du  Nord  et  du 
Pas-de-Calais,  réunis  à  Lens  le  dimanche  28  août,  pour  examiner  la 
réclamation  de  leurs  mandants,  ont  résolu  de  vous  demander  de  vou- 
loir bien  soumeltl'e  à  la  bienveillance  des  membres  de  la  Chambre  des 
houillères  les  réclamations  sui  Fautes  : 

io  Baisse  des  loyers  et  application  des  prix  eu  vigueur  avant  la  grève 
de  1893  ; 

2o  Augmentation  de  10  00  sur  tous  les  salaires; 

3°  Répartition  plus  équitable  des  salaires. 

Dans  l'espoir  que  vous  voudrez  bien  accueillir  favorablement  leurs 

requêtes,  les  délégués  des  mineurs  vous  prient,  Monsieur  le  Président, 

de  croire  à  leur  sentiment  respectueux. 

Pour  la  délégation  : 

Le  Président, 
Basly, 
Députe  du  Pas-de-Calais. 

P.  S.  —  Une  délégation  se  tiendra  à  la  disposition  de  Ja  Chambre 
des  houillères,  qui  pourra  l'appeler  si  elle  le  juge  nécessaire. 


LES   FAITS    ACTUELS   EN   FRANCE  83 

des  ouvriers  el  des  compagDies  houilllèrcs  se  sont  réunis  en  l'hôlel  de 
l'Univers,  à  Arras. 

Etaient  présents  pour  les  ouvriers  :  MM.  Basiy,  Lamendin,  Evrard, 
Cadot,  Caron,  Evin,  Moché,  etc.  (14  membres). 

Les  compagnies  houillères  étaient  représentées  par  MM.  Reumaux, 
Lavaurs,  etc.  (8  membres). 

M.  le  député  BasIy  préside  la  séance  :  il  expose  les  réclamations 
ouvrières  telles  qu'elles  ont  été  formulées  dans  la  lettre  qu'il  a  adressée 
au  président  de  la  Chambre  des  houillères  à  l'issue  du  congrès  de 
Lens. 

Il  développe  chacun  des  3  points  objets  de  la  dite  lettre  : 

l»  Baisse  des  loyers  et  application  des  prix  en  vigueur  avant  la  grève 
de  1893  : 

2«  Augmentation  de  10  0/0  sur  les  salaires  actuels  ; 

3»  Répartition  plus  équitable  des  salaires. 

Après  discussion  entre  les  délégués  de  chaque  partie,  les  bases  sui- 
vantes ont  été  arrêtées  : 

lo  Baisse  des  loyers. 

Les  compagnies  consentent  à  appliquer,  dès  le  ler  octobre,  une  ré- 
duction d'environ  3o  0/0  sur  le  taux  des  loyers  qui  ont  été  majorés 

depuis  1893  : 

2o  A  ugmentation  des  salaires. 

Relativement  à  l'augmentation  des  salaires,  les  délégués  des  compa- 
gnies ont  exposé  que,  s"il  est  vrai  qu'on  enregistre  actuellement  une 
certaine  hausse  sur  le  cours  des  charbons,  elle  n'affecte  qu'une  infime 
partie  de  la  production,  et  que,  partant,  cette  hausse  n'exerce  qu'une 
influence  très  minime  sur  les  prix  moyens  de  vente  ;  que  c'est  seule- 
ment au  renouvellement  des  marchés,  c'est-à-dire  vers  fin  mars  pro- 
chain, que  son  application  bénéficiera  aux  Compagnies. 

Qu'il  est  donc  prématuré  d'accorder  dès  maintenant  une  augmen- 
tation de  salaire.  Mais  il  est  convenu  entre  les  parties  que  les  bases 
de  la  convention  dArras  de  1891,  qui,  pau-  suite  de  la  hausse  dès 
charbons,  n'avait  pas  pu  être  maintenue  dans  certaines  Compagnies, 
seraient  appliquées  intégralement  dès  maintenant,  bien  que  le  prix 
moyen  de  vente  actuel  soit  encore  inférieur  à  celui  pratiqué  à  cette 
époque. 


84-  PREMlÈHE   PARTIE.    CHAPITRE    111 

DécIaratioD  de  la  compagnie  de  Bruay  :  A  ce  sujet  la  Compagnie  de 
Bruay  fait  la  déclaration  suivante  ; 

«  La  Compagnie  des  mines  de  Bruay,  ayant  modifié  le  mode  de 
calcul  des  salaires  journaliers,  désire  éviter  tout  malentendu  et  toutes 
fausses  interprétations,  en  déclarant  qu'elle  s'engage  à  accorder  à  ses 
ouvriers  les  salaires  les  plus  élevés  du  Pas-de-Calais,  soit  pour  les  mi- 
neurs à  la  veine  environ  4  fr.  80,  prime  de  20  0/0  non  comprise,  ou 
5  fr.  76,  prime  comprise.  » 

Il  est  convenu  en  outre  qu'une  réunion  des  mêmes  délégués  aura 
lieu  dans  la  première  quinzaine  d'avril  pour  examiner  d'un  commun 
accord  si,  comme  on  l'espère,  la  situation  commerciale  justifie  une 
majoration  des  salaires  et  en  fixer  le  taux. 

3o  Répartition  des  salaires. 

Enfin  sur  le  troisième  point  (réparation  plus  équitable  des  salaires) 
les  délégués  des  Compagnies  font  la  déclaration  suivante  : 

u  Les  Compagnies  veilleront  à  ce  que  les  variations  de  salaire,  dé- 
pendant du  hasard  des  veines  et  de  tout  autre  élément  que  la  force  et 
l'habileté  de  l'ouvrier,  soient  aussi  faibles  que  possible;  ils  promettent 
que  toutes  instructions  utiles  seront  données  aux  porions  et  chefs-po- 
rions  pour  que  les  ouvriers  n'aient  à  se  plaindre  d'aucune  injustice 
dans  la  répartition  du  travail  et  du  salaire  et  qu'il  y  soit  tenu  la 
main. 

«  Ils  ajoutent  que  l'ouvrier  qui  aurait  à  se  plaindre  a  toujours  sont 
recours  ouvert  auprès  des  ingénieurs  et  directeurs,  qui  ne  refuseront 
pas  de  l'entendre  et  d'examiner  sa  réclamation.  » 

La  Compagnie  d'Anzin.  Le  délégué  Caron,  représentant  les  mineurs 
d'Anzin,  déclare  que  dans  une  entrevue  qu'il  a  eue  hier  avec  M.  le  Di- 
recteur de  la  Compagnie  d'Anzin,  celui-ci  lui  a  promis  que  sa  Compa- 
gnie, en  ce  qui  concerne  la  question  des  salaires,  se  rangeait  à  la  dé- 
cision de  la  réunion  des  délégués  et  que  le  prix  des  loyers  serait  ra- 
mené au  taux  de  1893,  c'est-à-dire  par  exemple  de  8  fr   50  à  6  fr.  50. 

(Suivent  les  signatures.) 

La  convention  fut  ensuite  soumise  à  la  ratification  des 
ouvriers,  dans  une  réunion  des  délégués  de  sections  du 
syndicat  tenu  à  Lens  le  27  septembre. 


LES   FAITS    ACTUELS    EN    FRANCE  85 

Après  une  discussion  assez  vive,  et  sur  l'énergique  in- 
tervention de  M.  Basly  (jui  démontra  les  avantages  relatifs 
de  la  convention  et  surtout  fit  observer  que  la  reconnais- 
sance du  syndicat  par  les  compagnies  était  un  résultat 
des  plus  heureux,  la  Convention  du  20  septembre  fut  ac- 
ceptée à  une  assez  forte  majorité  par  Tordre  du  jour  sui- 
vant : 

«  Les  mineurs  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  réunis  en 
Congrès  le  25  septembre  à  Lens,  après  avoir  entendu  les 
explications  données  par  le  citoyen  Basly  sur  les  revendi- 
cations des  mineurs  exposées  devant  les  représentants  des 
houillères  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais,  le  20  septembre  à 
Arras  ; 

«  Remercient  le  Comité  des  liouillères  d'avoir  bien 
voulu  entendre  l'exposé  des  revendications  des  mineurs 
par  la  voie  de  leurs  arbitres  désignés  par  leur  syndicat; 
ils  espèrent  qu'il  tiendra  la  main  aux  engagements  déjà 
pris  dans  l'assemblée  du  20  septembre  à  Arras,  qui  éma- 
nent de  la  conciliation  et  qui  ne  peuvent  avoir  d'effets 
utiles,  dans  l'intérêt  de  l'ordre  et  de  la  paix  sociale,  qu'au- 
tant que  le  syndicat  pourra  être  respecté.  » 

La  grève  avait  été  ainsi  évitée  et  le  principe  du  contrat 
collectif  affermi  et  définitivement  reconnu. 

Malgré  les  efforts  d'une  minorité,  mécontente  qui  aurait 
voulu  placer  le  syndicat  réorganisé  sous  l'égide  du  parti 
collectiviste,  le  syndicat  maintint  la  convention  :  une 
grève  partielle,  fomentée  par  les  mécontents,  éclata  pour 
les  mineurs  de  la  Compagnie  de  Liévin,  d'Ostricourt  et  de 
l'Escarpelle. 

Sur  les  instances  du  syndicat,  les  Compagnies  déclarè- 
rent qu'elles  étaient  parfaitement  disposées  à  se  confor- 
mer à  la  Convention   d'Arras  relativement  à  la  moyenne 


86  PREMIÈRE    PARTIE.    —   CHAPITRE   III 

de  salaire  :  le  syndicat  put  ainsi  enrayer  la  grève  et  le 
travail  fut  repris  partout. 

Ces  bons  rapports  continuèrent  :  peu  avant  l'époque 
fixée  par  la  Compagnie,  comme  étant  celle  du  renouvelle- 
ment des  marchés  (fin  mars  1899)  et  en  prévision  de  la 
réunion  des  mêmes  délégués  dans  la  première  quinzaine 
d'avril  telle  qu'elle  avait  été  prévue  par  la  Convention  du 
2i  septembre  1898,  un  nouveau  congrès  de  mineurs 
se  réunit  à  Lens  en  février  1898  :  la  question  des  sa- 
laires y  est  traitée  :  une  proposition  très  étudiée  au 
Conseil  d'administration  du  syndicat  est  soumise  à  l'as- 
semblée, avec  de  sages  conseils,  par  M.  Basly  :  les  bases 
de  la  future  discussion  sont  votées  à  l'unanimité.  Le  Con- 
grès renouvelle  les  mandats  de  la  délégation  qui  a  déjà 
discuté  avec  les  patrons  en  1898. 

C'est  ainsi  que  se  tient  le  14  avril  1899,  à  Arras,  une 
nouvelle  réunion  des  délégués  des  ouvriers  et  des  repré- 
sentants des  Compagnies  houillères  :  après  une  discus- 
sion qui  a  duré  plus  de  cinq  heures,  très  calme  et  très 
courtoise,  le  texte  de  la  nouvelle  Convention  est  arrêté  et 
signé  par  les  représentants  :  en  voici  l'essentiel  (1)  : 

«  Les  Compagnies,  tenant  compte  des  arguments  de  la 
délégation  ouvrière  et  voulant  donner  une  preuve  de  leur 
désir  de  voir  les  ouvriers  profiter  d'une  période  de  pros- 
périté, comptant  du  reste,  ainsi  que  le  déclare  la  déléga- 
tion ouvrière,  que  l'augmentation  qu'elles  accorderont  ne 
viendra  en  aucune  façon  porter  atteinte  à  l'effet  utile  et 
que  l'ouvrier  ne  se  contentera  pas  de  gagner  autant  en 
travaillant   moins,   mais    continuera    à   travailler   autant 


(1)  Le  procès-verbal  complet  de  la  réunion  rend  bien    compte  des 
concessions  faites  de  part  et  d'autre. 


LES   FAITS   ACTUFXS   EN   FRANCE  87 

pour  gagner  davantage,  proposent  à  la  délégation  ouvrière 
une  majoration  de  5  0/0  do  la  prime  actuelle  de  20  0/0  et 
offrent  de  la  porter  à  25  0/0. 

«  Il  est  bien  entendu  que  cette  augmentation  de  5  0/0 
cessera  de  plein  droit  quand  la  situation  commerciale  se 
modifiera  en  baisse. 

«  Par  contre  les  délégués  des  Compagnies  s'engagent, 
comme  dans  la  Convention  d'Arras  de  1891,  à  maintenir 
le  plus  longtemps  possible,  la  prime  de  20  0/0 

«  Après  une  longue  discussion  et  une  suspension  de 
séance,  l'entente  s'est  enfin  établie  et  il  a  été  convenu  que 
la  prime  de  20  0/0  actuellement  payée  dans  le-Pas-de- 
Calais,  sera  portée  à  25  0/0  à  partir  du  16  courant  pour 
toutes  les  catégories  des  ouvriers  du  fond.  En  ce  qui  con- 
cerne les  compagnies  du  bassin  du  Nord  qui  ne  payent 
pas  l'augmentation  ancienne  sous  forme  de  primo,  il  est 
convenu  que  dorénavant  elles  payeraient  sous  forme  de 
prime  les  5  0/0  d'augmentation  de  ce  jour  sur  les  salaires 
actuels.  » 

Le  congrès  ouvrier  réuni  à  Lens  le  23  avril,  pour  ra- 
tifier la  convention  nouvelle,  décide  de  demander  une 
nouvelle  réunion  de  la  conférence  :  la  discussion  continue 
par  lettres. 

Dans  une  lettre  adressée  par  M.  Basly  au  président  du 
Comité  des  houillères,  le  syndicat  s'offrait  à  prouver  que 
les  documents  statistiques  sur  lesquels  les  Compagnies  s'é- 
taient appuyées  pour  ne  pas  donner  plus  de  5  0/0  d'aug- 
mentation, n'étaient  nullement  d'accord  avec  la  statistique 
officielle  de  l'industrie  minérale  et  les  rapports  des  ingé- 
nieurs du  corps  des  mines. 

Une  longue  réponse  du  président  du  Comité  des  houil- 
lères répondit  point  par  point  et  déclara  inutile  une  nou- 


I 


88  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    III 

velle  réunion  de  la  conférence  mixte  :  une  discussion  des 
plus  minutieuses  s'engagea  ainsi  sur  les  prix  de  vente,  les 
salaires  moyens  de  l'ouvrier  du  fond,  la  production  par 
ouvrier  et  les  salaires  à  la  tonne.  Il  faut  lire  ces  docu- 
ments pour  bien  juger  de  toute  la  valeur  du  contrat  col- 
lectif. 

Une  nouvelle  réunion  du  congrès  est  tenue  en  septem- 
bre 1899  :  après  de  fort  longues  discussions  (1),  considé- 
rant que  la  moyenne  de  production  par  ouvrier  en  1898, 
est  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de  1891,  pour  un  salaire 
inférieur  à  celui  de  1891,  l'assemblée  vote  à  l'unanimité 
un  ordre  du  jour  demandant  aux  délégués  des  bouillères 
une  nouvelle  entrevue. 

Les  Compagnies  houillères  acceptèrent  la  proposition 
des  mineurs. 

Une  nouvelle  conférence  se  réunit  toujours  à  Arras  le 
25  octobre  :  après  une  longue  discussion  très  vive  mais 
très  courtoise,  une  nouvelle  convention  est  arrêtée  :  une 
augmentation  de  salaire  est  accordée  pour  toutes  les  caté- 
gories d'ouvriers  du  fond,  portant  à  30  0/0  la  prime  qui 
était  alors  de  2S  0/0  (2). 

Cette  augmentation  partira  du  l^""  avril  1900  et  sera  im- 
muable jusqu'au  l^''  avril  1901,  et  se  prolongera  éventuel- 
lement au  delà  de  cette  date. 

Enfin,  le  31  octobre  1900,  une  nouvelle  conférence  vient 
fixer  la  prime  à  40  0/0  (3). 


(1)11  faut  mentionner  notamment  le  rejet,  par  l'intervention  de 
MM.  Basly  et  Lamendin,  d'un  vœu,  mettant  les  compagnies  en  de- 
meure de  répondre  dans  les  8  jours  :  l'usage  des  contrats  collectifs 
tend  ainsi  à  écarter  la  grève  par  la  nécessité  même  des  choses. 

(2)  Ce  qui  porte  le  salaire  type  de  4  fr.  80  à  6  fr.  23. 

(3)  Ce  qui  porte  le  salaire  type  de  4  fr.  80  à  6  fr.  72. 


LES   FAITS    ACTUELS    EN    FRANCE  89 

MaliTit'  rt'  ninanjuahlo  dex  clopittiiicnl  du  contrat  collec- 
tif, uiio  (lilliculté  de  .l<lail>  ■^uh-^i-t.'  (jiii  est  d'une  extrême 
importance  et  qui  pourrait,  si  elle  n'était  pas  heureuse- 
ment résolue,  faire  perdre  tout  le  terrain  gag^né  (1)  :  il 
s'agit,  en  effet  du  contnMe  des  salaires  par  les  syndicats 
et  de  la  communication  des  documents  servant  de  base  à 
l'établissement  du  contrat  collectif  :  on  conçoit  que  dans 
la  conclusion  du  contrat  collectif  les  ouvriers  aient  le  plus 
grand  intérêt  à  ètir  tx.ictement  renseignés  sur  les  salaires 
actuels  qui  serviront  de  base  aux  salaires  futurs.  Or  dans 
les  Conventions  d  Arras  précitées  les  discussions  sont 
faites  sur  la  base  des  chiffres  communiqués  par  les  Com- 
pagnies :  or  les  ouvriers  ne  sont  pas  sans  éprouver  quel- 
ques doutes  sur  la  réalité  de  ces  chiffres.  L'un  d'eux  (2) 
expose  ainsi  les  reproches  qu'il  adresse  aux  Compagnies. 
«Elles  indiquent  visiblement,  dit-il,  comme  salaires  nor- 
maux gagnés  par  journée  ordinaire  de  travail,  des  salaires 
obtenus  en  y  faisant  entrer  le  prix  payé  au  mineur  pour 
les  longues  coupes,  les  heures  supplémentaires,  et  surtout 
pour  les  postes  fournis  le  samedi  soir  selon  l'habitude  cou- 
rante du  bassin.  De  là  des  moyennes  considérables  qui 
seraient  sensiblement  réduites,  si  on  tenait  compte  à  part 
des  travaux  supplémentaires.  D'autre  part  on  nous  com- 
munique des  salaires  bruts  obtenus  sans  tenir  compte  du 
fait  que  nous  devons  rembourser  la  poudre  et  les  outils, 
et  de  ce  fait  encore  les  moyennes  sont  enflées  artificielle- 
ment. » 

Les  ouvriers  s'efforcent  bien  de  corriger  ces  renseigne 


(1)  C'est  pourquoi  il  faut  insister  quelque  peu  sur  cette  question. 

(2)  M.  (loniaux  au  Congrès  internatiooa]  des  mineurs  de  l^ondres 
(1901).  ' 


90  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    III 

ments  en  s'informant  indirectement  :  ils  consultent  les 
fiches  individuelles  de  paye  :  mais  tout  n'y  est  pas  indiqué, 
paraît-il,  notamment  les  heures  de  descente  et  de  remon- 
tée, ni  le  nombre  des  journées  faites  ;  de  plus  il  est  bien 
difficile  au  syndicat  de  les  centraliser  toutes.  Aussi  récla- 
ment-ils que  les  exploitants  remettent  aux  syndicats  des 
mineurs  un  carnet  des  salaires  payés,  en  indiquant  les 
descentes  et  les  heures  de  travail  de  l'entrée  à  la  sortie 
des  puits  en  tenant  compte  des  longues  coupes,  des  faux 
frais,  etc. 

Il  y  a  là  une  grave  et  difficile  question  ;  elle  a  été  heu- 
reusement résolue,  paraît-il,  dans  certaines  mines  du 
Durham  où  les  feuilles  de  salaires  et  toute  la  comptabilité 
des  mines  est  soumise  au  président  du  comité  mixte  fixant 
les  salaires  :  toute  défiance  a  disparu. 

Il  faut  toute  une  éducation  de  la  part  des  ouvriers  qui 
ne  semble  pas  théoriquement  impossible.  C'est  probable- 
ment à  force  de  patience  et  de  finesse,  en  se  rendant 
compte  eux-mêmes  exactement  des  salaires  efifectivement 
payés,  par  la  discipline  qu'ils  s'imposeront,  qu'ils  arrive- 
ront à  tourner  cet  obstacle  :  pour  le  moment  cette  con- 
naissance exacte  des  éléments  de  la  discussion  est  une  des 
difficultés  du  contrat  collectif. 

Ainsi  on  le  voit  par  la  longue  analyse  que  nous  avons 
donnée  de  ces  conventions  successives,  le  contrat  colleclif 
semble  définitivement  entré  dans  les  mœurs  des  mineurs 
des  mines  du  Pas  de  Calais.  Les  discussions  les  plus  appro 
fondies  et  les  plus  sérieuses  ont  permis  de  poursuivre, 
grâce  à  l'habileté  de  MM.  Basly  et  Lamendin,  la  discussion 
des  salaires.  Il  y  a  là  un  exemple  des  plus  typiques  et  qui 
méritait  d'être  soigneusement  relevé. 


LES   FAITS   ACTUELS    EN   FRANCE  91 


I  m.  —  Le  contrat  collectif  dans  la  typographie. 

L'industrie  typographique  est  une  de  celles  oij  le  contrat 
collectif  est  le  plus  répandu  sous  le  nom  de  tarif.  Malgré 
une  puissante  organisation  qui  rend  beaucoup  de  services 
pour  la  conclusion  de  nos  contrats,  les  typographes  sont 
encore  loin  d'être  arrivés  à  un  régime  uniforme  du  travail 
pour  toute  la  France  ;  jusque  dans  le  succès  même  se  re- 
trouvent les  caractères  que  nous  avons  relevés  comme 
particuliers  au  développement  actuel  du  contrat  collectif 
en  France  :  incertitude  et  manque  de  fixité.  Marquons  à  ce 
point  de  vue  brièvement  les  faits  les  plus  significatifs. 

Dès  1881,  à  la  suite  de  l'échec  de  la  grève  de  1878  et  en 
vertu  d'anciennes  traditions  déjà  manifestées  par  quelques 
tentatives,  les  typographes,  pour  constituer  une  organisa- 
tion ouvrière  plus  forte,  créèrent  la  «  Fédération  typogra- 
phique Française  du  livre  et  des  industries  similaires  », 
comprenant  toutes  les  sociétés  et  chambres  syndicales 
ouvrières  existantes  ;  elle  devint  bientôt  au  Congrès  de 
Paris  (1888)  la  Fédération  Française  des  travailleurs  du 
Livre. 

Un  de  ses  buts  principaux  est  directement  le  contrat 
collectif  du  travail  :  la  première  rédaction  portait  parmi 
les  objets  de  la  Fédération  : 

«  Etablir  un  tarif  aussi  uniforme  que  possible  pour  toute 
la  France  afin  d'éviter  l'émigration  du  travail  d'une  ville 
dans  une  autre,  émigration  produite  par  les  énormes  dif- 
férences des  tarifs  existants.  »  (Art.  3,  |  3.) 

Le  Congrès  de  Paris  vint  demander  l'établissement  d'un 
tarif  type,  mais  en  réservant  une  différence  de  tant  0/0 


92  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    III 

pour  chaque  section,  différence  basée  sur  le  prix  de  revient 
des  objets  de  première  nécessité. 

Si  bien  qu'aujourd'hui  l'article  3,  |  3  porte  : 
«  d'Établir  un  tarif  type  pour  la  France,  en  laissant  aux 
sections,  d'accord  avec  le  Comité  central,  le  soin  d'établir 
le  prix  de  base  sur  la  moyenne  des  salaires  de  la  section, 
afin  d'éviter  l'émigration  du  travail  d'une  ville  à  une  autre, 
émigration  produite  par  les  énormes  différences  des  tarifs 
existants.  » 

Et  de  fait  depuis  vingt-cinq*  ans  cette  participation  active 
à  l'élaboration  des  contrats  collectifs  a  été  la  préoccupation 
constante  du  Comité  central  delà  Fédération  :  les  délégués 
de  ce  comité  se  rendent  dans  chaque  ville  et  donnent 
d'utiles  conseils  :  on  ne  saurait  relever  ces  très  nombreuses 
interventions  (1).  Parfois  le  Comité  central  peut  faire  aug- 
menter les  salaires  (2),  le  plus  souvent,  son  effort  a  dû  se 
borner  à  les  maintenir,  ce  qui  est  un  véritable  succès,  étant 
donné  l'état  difficile  du  métier,  surtout  en  ces  dernières 
années  (3). 


(1)  Cf.  Office  du  Travail,  op.  c'iL,  p.  833.  Voici  an  exemple  de  l'in- 
lervention  du  Comité  central  : 

1898.  Bourg,  12-13  août.  —  Demande  d'unification  des  salaires. 
Intervention  d'un  délégué  de  la  Fédération  du  Livre  :  les  trois  princi- 
paux patrons  de  la  ville  avaient  signé  le  tarif  qui  leur  fut  soumis  par 
le  Syndical  des  typographes.  Les  2  autres  l'ont  également  signé  après 
1  jour  de  grève  :  les  grévistes  ont  reçu  3  fr.  30  centimes  par  jour  de 
la  Fédération  du  Livre. 

Des  insertions  de  ce  genre  sont  très  fréquentes  dans  le  Bulletin  de 
V Office  du  Travail. 

(2)  Environ  dans  23  villes. 

(3)  La  dépression  actuelle  est  due  à  la  concurrence  des  petits  patrons 
qui  emploient  des  femmes  et  des  apprentis  à  des  prix  dérisoires  ainsi 
qu'à  diverses  autres  causes  économiques  (prix  du  papier  augmenté, 
nouvelles  charges  d'impôts,  etc.). 


LES   FAITS   ACTUELS   EN    FRANCE  93 

Iiuli(juons  rapidement  comment  ces  résultats  ont  été  ob- 
tenus: c'est  assurément  par  une  très  forte  et  très  impé- 
rieuse centralisation. 

L'étude  détaillée  des  statuts  sur  ce  point  montrerait  que 
les  pouvoirs  du  Comité  central  (1),  en  cas  de  grève,  n'ont 
fait  que  croître  :  c'est  ainsi  que  dans  le  texte  de  1881 
pour  les  cas  urgents  le  Comité  de  section  pouvait  décla- 
rer seul  la  mise-bas,  pour  avertir  ensuite  immédiatement 
le  Comité  central  :  aujourd'hui,  les  cas  de  grèves  légi- 
times sont  limitativement  énumérés  et  pour  tous  les  cas 
non  prévus,  c'est  le  Comité  central  qui  décide. 

Pendant  longtemps  même  et  par  prudence,  une  clause 
spéciale  des  statuts  décidait  que  la  Fédération  ne  soutien- 
drait que  les  grèves  faites  pour  le  maintien  des  droits  ac- 
quis :  cette  clause  a  disparu,  bien  que  dans  ces  derniers 
temps,  vu  l'état  du  métier,  le  Comité  central  semble  avoir 
repris  implicitement  cette  politique. 

Cela  lui  est  des  plus  faciles,  car,  d'après  l'article  16,  le 
Comité  de  section,  sans  l'autorisation  duquel,  en  cas  de 
conflit,  les  ouvriers  ne  doivent  jamais  quitter  l'atelier,  doit 
avant  d'appliquer  ses  décisions,  les  soumettre  au  Comité 
central  en  lui  fournissant  les  documents  précis  qui  ont  dé- 
cidé de  son  attitude. 

D'ailleurs,  la  grève,  dans  aucun  cas,  ne  doit  être  auto- 
risée avant  d'avoir  épuisé  tous  les  moyens  de  conciliation 
(art.  17). 

Grâce  à  ces  sages  dispositions  et  surtout  à  l'habileté  des 
hommes  remarquables,   pour  le  moins  égaux  aux  leaders 


(i)  Le  Comité,  primilivement  nommé  par  la  section  centrale,  est 

imiirrl'Hiiî    ûIii 


aujourd'hui  élu 


94  PREMIÈRK    PARTIE.    CHAPITRE    III 

des  Trade-Unions  anglaises,  de  notables  progrès  ont  été 
accomplis  (1)  ; 

Les  derniers  sont  la  création  d'un  organisme  spécial 
pour  le  contrat  collectif  et  quelques  essais  de  réglementa- 
tion contractuelle  sur  des  points  spéciaux  s'étendant  à  tout 
le  métier. 

En  1893,  les  deux  Congrès  ouvrier  (Marseille)  et  pa- 
tronal (Marseille),  acceptent  le  principe  d'une  Commission 
mixte  : 

Celle-ci  fonctionne  heureusement  depuis  1895; 

Elle  a  arrêté  un  règlement  d'apprentissage  ; 

Elle  va  discuter  incessamment  un  projet  de  tarif  général 
pour  le  travail  à  la  machine  :  sur  ce  point  l'accord  sera 
fort  difficile  à  établir,  car  deux  avant-projets,  l'un  pa- 
tronal, l'autre  ouvrier  ont  été  publiés  et  les  prétentions 
diffèrent  sur  bien  des  points  (2). 

Enfin  la  diffusion  du  contrat  collectif  va  probablement 
augmenter  encore  avec  la  création  de  commissions  locales 
d'arbitrage  :  celles-ci  seront  nommées  par  les  patrons  et 
les  ouvriers  français  de  la  corporation  quelle  que  soit 
leur  spécialité,  âgés  de  vingt  et  un  an  au  moins,  ayant 
six  mois  de  résidence  dans  la  localité  et  qui  auront  dé- 
claré se  soumettre  au  règlement  élaboré  par  la  Commis- 
sion mixte  centrale. 

Des  articles  spéciaux  prévoient  l'application  de  ces  nou- 


(1)  Plus  réels  qu'apparents,  car  il  y  a  eu  plutôt  maintien  des  con- 
ditions du  travail  que  progrès  :  mais  vu  l'état  du  métier  c'est  un  suc- 
cès :  sans  celte  organisation  puissante,  c'eut  été  la  débâcle  pour  les 
ouvriers. 

(2)  Les  patrons  demandent  dix  heures  de  travail  à  la  machine,  les 
ouvriers  huit  heures. 


LES   FAITS   ACTUELS    EN    FRANCE  95 

veaux  contrats  :  nolaniment  le  travail  ne  doit  pas  être  sus- 
pendu et  s'il  y  a  nouveau  tarif,  «  les  travaux  en  cours  se- 
ront achevés  aux  conditions  auxquelles  ils  ont  été  com- 
mencés et  les  modifications  à  apporter  au  tarif  des  publi- 
cations périodiques  ne  pourront  avoir  lieu  qu'au  bout  de 
six  mois,  à  partir  du  jour  de  la  sentence  arbitrale  (1)  ». 

En  somme,  il  y  a  avec  ce  cas  de  contrat  collectif  dans 
l'imprimerie  un  exemple  de  ce  que  peut  donner  l'initiative 
privée  :  il  y  a  eu  sans  doute  de  très  heureux  résultats, 
mais,  bien  que  la  Fédération  soit  des  plus  fortes  (2),  il 
subsiste  une  multitude  de  petites  imprimeries  où  l'ex- 
ploitation des  apprentis  et  l'emploi  des  femmes  créent  une 
fissure  certaine  pour  l'application  des  meilleures  conditions 
du  travail  stipulées  par  contrat  collectif. 

Néanmoins  le  double  développement  du  contrat  collectif 
que  nous  avons  étudié  dans  les  mines  et  dans  l'imprimerie 
est  bien  une  preuve  que  celui-ci  est  arrivé  aussi  loin  que 
le  pouvait  mener  l'initiative  privée  avec  le  régime  de  la 
loi  de  1884  :  malgré  tout,  son  passé  pèse  en  quelque  sorte 
toujours  sur  le  contrat  collectif  :  on  le  conteste,  on  l'évite, 
on  l'accepte  comme  pis  aller;  les  souvenirs  du  droit  pénal 
planent  encore  sur  la  question  et  le  droit  civil  ne  s'im- 
plante que  bien  lentement.  Peut-être  à  cet  égard  doit-on 
au  contrat  collectif  quelque  compensation  juridique? 


(1)  Sur  tous  ces  points  Cf.  8^  Congrès  national  de  la  Fédération 
Française  des  Tracailieurs  du  Livre,  Paris  1900. 

(2)  Au  1er  janvier  1900,  elle  comptait  144  Chambres  syndicales  et 
10,403  membres  {Annuaire  des  Synd.  prof.,  1900,  p.  495). 


CHAPlTliE   IV 

LE  CONTRAT  COLLECTIF  EN  ANGLETERRE 


Parmi  tous  les  pays  étrangers,  il  faut  faire  une  place 
spéciale  à  l'Angleterre  où  le  contrat  collectif  est  particu- 
lièrement répandu. 

Il  nous  faut  tout  d'abord  tâcher  de  justifier  cette  asser- 
tion et  donner  une  idée  de  la  diffusion  du  contrat  collectif 
en  Angleterre. 


I  !*■■.  —  Tablkal  de  la  diffusion  du  contrat  collectif  dans 

LES   DIVERS   MÉTIERS. 

Nous  n'avons  malheureusement  pas  de  statistique  directe 
nous  permettant  d'évaluer  avec  quelque  précision  l'impor- 
tance du  contrat  collectif. 

Mais  diverses  considérations  peuvent  nous  permettre  de 
nous  rendre  compte  de  cette  diffusion  : 

C'est  d'abord  le  témoignage  formel  des  auteurs  si  com- 
pétents des  ouvrages  sur  les  Trade-Unions  : 

B.  et  S.  Webb  expliquent  que  le  contrat  collectif  dé- 
passe de  beaucoup  le  Trade-Unionisme  dans  le  champ  in- 
dustriel :  «  notre  impression  est  que  dans  tous  les  métiers 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  97 

tjualiHés  (skillcd  trades)  où  les  hommes  tFavaillent  de  con- 
cert dans  les  locaux  du  patron,  90  0/0  des  ouvriers  trou- 
vent, soit  le  taux  de  leurs  salaires,  soit  les  heures  de  tra- 
vail et  souvent  bien  d'autres  détails,  fixés  par  un  contrat 
collectif  au(juel  ils  n'ont  pas  pris  part,  mais  dans  lequel 
leurs  intérêts  ont  été  soutenus  par  les  représentants  de 
leur  classe  (1).  » 

C'est  ensuite  un  document  très  intéressant  (2)  publié  en 
novembre  1900  par  la  Labour  Gazette  sur  les  méthodes 
de  solution  des  conflits. 

Or  il  résulte  de  ce  tableau  : 

1"  Que  le  contrat  collectif  est  de  tous  les  modes  de  solu- 
tion des  conflits  de  beaucoup  le  plua  fréquent  :  78  0/0  des 
conflits  nés  en  1899  —  dernière  année  pour  laquelle  nous 
ayons  des  statistiques  comparatives  —  furent  terminés  par 
un  contrat  collectif  :  soit  près  des  4/5  (3). 

2'^  Que  dans  les  quatre  années  considérées,  cette  même 
proportion  de  contrats  collectifs  a  passé  de  68  0/0  en 
1896  à  78  0/0  en  1899,  soit  une  augmentation  apparente 
de  10  0/0  en  4  ans  et  une  augmentation  vraie  plus 
grande  encore,  puisque  le  nombre  total  des  conflits  a 
diminué. 

3<»  Que  cette  augmentation  vraie  du  nombre  des  contrats 
collectifs  peut  facilement  être  évaluée,  en  supposant  une 
diminution  proportionnelle  des  conflits  et  des  contrats  de 


(1)  Industrial  Democracy,  vol.  11,  chap.  :  The  method  of  collec- 
tive Bargaining. 

(2)  Voir  la  traduction  de  ce  document  page  98. 

(3)  La  proportion  d'ouvriers  qui  virent  le  conflit  qui  les  affectait 
terminé  par  un  contrat  collectif  en  1899  est  de  plus  de  80  (T/0  du 
total. 

RATNACD  7 


98 


PREMIERE   PARTIE. 


CHAPITRE   IV 


Ex  :  TwELFTH  Annual  report  on  Strikes  anu  Logk  OL'TS. 

Methods  of  Seulement  of  Disputes. 

Dans  le  lablêau  suivant,  les  conflits  élevés  en  1898,  1897,  1898  et 
1899  sont  classés  d'après  les  différentes  méthodes  qui  les  ont  termi- 
nés : 


MODE 

u'ABnASCEMRXT 

e  = 
S  ? 

0  : 

19 

896 

NOMBRE 

d'ourriers 

a  2 
s  g 

897 

NOMBRE 

(l'ouTrJprs 

1 

3  c 
s  g 
o 

898 

1 

NOMBRE 

(l'ouTrim 

SS  c 
S   c 

5  ? 

z  £. 

16 
22 

899 

NOMBRE 

d'ouvriers 

Par  arbitrage 

10.276 

14 

9.756 

13 

3.350 

3.319 

Par  conciliation  ou  mé- 
diation   

30 
633 

10  472 

27 

9.544 

30 

16.167 

8.386 

Par  arrangement  di- 
rect ou  négociation 
entre  les  parties  ou 
leurs  représentants 

136.307 

624 

76 

187.048 

495 
71 

206.926 

562 

156.743 

Par  reprise  d'ouvrage 
aux    conditions    de« 
patrons  sans  négocia- 
tion     .... 

114 

30.587 

15.207 

17.590 

22 
88 

7.054 

Par  remplacement  d'ou- 
vriers  

107 

7.250 

103 

7 

4.307 

96 

6 
711 

9.616 

3.980 

Par  cessation  de  travail . 

19 

3.159 

1.673 

—  - 

3 

6 
719 

95 

Prolonges  ou  non  réso- 
lus   

4 

926 

139 

11 

2.732 

258 

648 

Totaux 

198.190 

864 

230.267 

253.367 

180.217 

La  plupart  des  conflits  de  Tannée  furent,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  terminés  par  arrangement  direct  ou  négociation  entre  les 
parties  en  cause. 


LE   CONTRAT    COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  99 

1896  à  1899.  Cette  diminution  proportionnelle  eût  amené 
en  1899  un  chiffre  de  contrats  collectifs  de  491 

926 

tandis  que  ce  chiffre  s'est  élevé  en  réalité  à  562:  d'où  une 

augmentation   du    chiffre    des    contrats    collectifs   de  71 

(362  —  491  =71).  La   progression  vraie  des  contrats  col- 

71 
lectifs  est  donc  de  -— -  soit  lo  0/0. 
491 

On  voit  donc  par  là  la  place  énorme  que  le  contrat  col- 
lectif joue  dans  la  vie  industrielle  et  économique  de  l'An- 
gleterre contemporaine  et  on  saisit  aisément  tout  le  terrain 
gagné  en  ces  quatre  dernières  années  par  notre  mode  de 
solution  des  conflits. 

Il  faut  maintenant  passer  en  revue  rapidement  les 
divers  métiers  en  indiquant  pour  chacun  l'empire  du 
contrat  collectif  (1). 


1.  —  Industries  du  bâtiment  (2). 

C'est  peut-être  dans  le  hàtiment  que  le  contrat  collectif 
est  le  plus  anciennement  connu. 

Les  statuts  du  Conseil  d'arbitrage  et  de  conciliation 
pour  l'industrie  du  bâtiment  à  Wolverhampton  (3)  votés 


(4)  Pour  toute  celle  partie,  la  source  officielle  la  plus  imporlanle  est 
la  Labour  Gazette,  journal  du  Labour  Deparlmenl  Anglais. 

(2)  Pour  ce  qui  concerne  le  bAliinent,  on  peut  consuller  la  collec- 
tion du  Building  Trades  Xew,  journal  mensuel  publié  par  le  Buil- 
ding Trades  Fédération  à  Londres. 

(3)  Voir  le  lexle  de  ces  slaluls,  Office  du  Travail,  Conciliation  et 
Arbitrage,  p.  178. 


100  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

le  31  mars  1866  sont  en  réalité  sur  bien  des  points  un  con- 
trat collectif  au  plein  sens  du  mot. 

C'est  ainsi  que  l'article  5  établit  le  mode  de  computa- 
tion  (à  l'heure)  pour  le  travail  et  les  règles  de  paiement 
pour  les  salaires  ;  l'article  6  fixe  la  durée  du  travail  ;  l'ar- 
ticle 7  détermine  le  prix  du  trav^ail  en  dehors  des  heures 
réglementaires.  Enfin  il  y  a  plus  :  des  articles  11  et  12, 
l'un  prévoit  la  durée  possible  du  contrat  qui  se  renouvel- 
lera d'année  en  année,  sauf  préavis,  ou  demande  de  modi- 
fication, l'autre  en  assure  la  publicité  (1). 

Sans  suivre  ici  toute  l'histoire  de  ce  contrat  dans  ces 
métiers  du  bâtiment,  il  faut  signaler  au  moins,  à  titre  do- 
cumentaire, les  principales  conventions  intervenues  : 


(1)  Art.  5.  —  Le  travail  est  compté  et  payé  à  l'heure,  d'après  les 
règles  suivantes  :  la  catégorie  d'ouvriers  qui  jusqu'à  présent  a  été 
payée  5  pence  3  l'heure  sera  payée  6  pence  l'heure  et  les  autres  caté- 
gories d'ouvriers  en  proportion  :  mais  les  ouvriers  qui  travaillent  sur 
des  bâtisses  à  découvert  recevront  un  demi  penny  supplémentaire  par 
heure,  pendant  les  6  semaines  qui  précèdent  et  les  6  semaines  qui 
suivent  le  jour  de  Noël.  Toutefois,  si  l'ouvrier  occupé  sur  des  bâtis- 
ses à  découvert  a  le  choix  de  faire  sa  journée  pleine  en  travaillant 
à  l'atelier,  il  recevra  le  salaire  ordinaire  seulement,  l'intention  des 
patrons  comme  des  ouvriers  étant  que  les  ouvriers  de  la  même  caté- 
gorie puissent  gagner  le  même  salaire  hebdomadaire. 

Art.  dl.  —  Les  présents  statuts  entreront  en  vigueur  le  44  mai  pro- 
chain et  resteront  en  vigueur  pendant  une  année.  Si  l'une  des  parties 
réclame  une  modification  à  la  fin  de  cette  période,  elle  en  donnera 
avis  à  l'autre  partie  au  mois  de  janvier.  Si  pareil  avis  n'est  pas  donné, 
les  statuts  resteront  en  vigueur  jusqu'au  ter  mai  de  l'année  suivante 
et  ainsi  de  suite,  d'année  en  année,  jusqu'à  ce  qu'une  des  parties  donne 
avis  à  l'autre,  au  mois  de  janvier,  qu'une  modification  est  demandée 
pour  le  ter  niai  suivant. 

Art.  t2.  —  Les  présents  statuts  seront  imprimés  et  affichés  dans  un 
endroit  apparent  de  l'atelier  de  tous  les  entrepreneurs  de  bâtiments 
de  Wolverhampton. 


LE   CONTRAT    COLLRCTIF    KN    ANGLETERRE  \0{ 

Un  contrat  signé  en  1892  entre  l'Association  centrale  des 
masters  builders  de  Londres  et  des  délégués  des  unions  de 
maçons  de  briques,  charpentiers  et  menuisiers,  tailleurs 
de  pierre,  plâtriers,  peintres,  forgerons,  ajusteurs  et  ma- 
nœuvres (1). 

Ce  premier  contrat  ayant  été  dénoncé  n'est  plus  obli- 
gatoire après  le  i"  mars  1895  :  après  un  régime  de  fait 
aux  mêmes  conditions,  devant  des  demandes  d'augmenta- 
tion de  salaires  et  sous  la  menace  de  grèves,  de  nombreux 
contrats  collectifs  sont  conclus  : 

Le  30  avril  1896,  entre  l'Union  des  maçons  de  briques  et 
l'Association  centrale  (2). 

Le  6  mai,  entre  la  même  association  et  l'Union  des  plâ- 
tritîrs  de  Londres. 

Enfin,  en  dehors  même  de  Londres,  plusieurs  contrats 
collectifs  sont  fréquemment  passés  dans  les  diverses  indus- 
tries du  bâtiment  :  voici  à  titre  d'exemple  et  dans  son  inté- 
gralité le  contrat  collectif  du  17  juin  1895,  passé  entre 
l'association  des  patrons  et  l'association  d'ouvriers  du  dis- 
trict de  Manchester  et  de  Salford  : 


{{)  Texte  en  anglais,  Labour  Gazette,  nov.  1894,  p.  336  et  337.  — 
Traduction  française,  de  Rousiers,  Le  Trade-Unionisme  en  Angle- 
terre, p.  63. 

Une  mention  spéciale  des  contrais  collectifs  est  faite,  dans  la  La- 
bour Gazette,  depuis  février  1896  :  une  rubrique  spéciale  donne  le 
compte  rendu  des  plus  importants  contrats  collectifs  entre  les  repré- 
sentants des  patrons  et  des  ouvriers,  où  la  médiation  des  tiers  ne 
s'est  pas  produite. 

Cf.  Dans  le  Report  on  changes  in  rates  of  icages  and  /tours  of 
labour,  1899,  une  liste  de  tous  les  contrats  collectifs  existants  dans  le 
Royaume  uni,  p.  ±*0. 

(2)  Texte  Labour  Gazette,  mai  1896,  p.  443. 


102  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   IV 

Co^T^AT  de  t7'avail  délibéi'é  et  ar7'êté  conjointement  paj-  l'associa- 
tion des  patrons  et  l'association  des  ouvriers  du  district  de  Man- 
chester et  de  Salford,  exécutoij^e  à  partir  du  17  juin  1895  : 

I.  —  Salaires. —  Le  taux  du  salaire  est  de  90  centimes  l'heure. 

II.  —  Heures  de  tj^avail.  —  Le  temps  de  travail  pour  les  ouvriers 
travaillant  tant  au  dedans  qu'au  dehors,  sera  réglé  comme  suit  :  du 
1er  mars  (ou  du  29  février,  suivant  le  cas)  au  31  octobre  inclusive- 
ment, on  travaillera  le  lundi,  de  7  heures  du  matin  à  5  1/2  du  soir, 
avec  un  arrêt  d'une  demi-heure  pour  le  déjeuner,  et  un  arrêt  d'une 
demi-heure  pour  le  dîner. 

Les  mardi,  mercredi,  jeudi,  vendredi,  on  travaillera  de  6  h.  1/2  du 
matin  à  5  heures  du  soir,  avec  les  mêmes  arrêts. 

Le  samedi,  on  travaillera  de  6  h.  1/2  du  matin  à  midi,  avec  un 
arrêt  d'une  demi-heure  pour  le  déjeûner  :  soit  un  total  de  52  heures 
par  semaine. 

Du  1er  novembre  au  28  février  inclusivement,  le  travail  commencera 
de  7  heures  du  matin  et  cessera  à  5  heures  dn  soir,  pendant  les  cinq 
premiers  jours  de  la  semaine,  et  durera  le  samedi  de  7  heures  du  ma- 
tin à  midi  avec  les  arrêts  déjà  indiqués,  soit  47  heures  par  semaine. 

m.  —  Heures  des  repas.  —  Les  heures  des  repas  seront  ainsi  fixées  : 
déjeuner  de  8  heures  à  8  h.  1/2  ;  diner  de  midi  à  une  heure.  L'em- 
ployeur devra,  dans  tous  les  cas,  procurer  de  l'eau  chaude  aux  ouvriers 
pour  leurs  repas. 

IV.  —  Heures  pour  commencer  l'ouvrage.  —  Tout  ouvrier  qui  ne 
commencera  pas  son  travail  à  l'heure  fixée  le  malin,  sera  autorisé  à 
le  commencer  à  7  heures,  8  h.  1/2  et  1  heure  en  été,  à  7  h.  1/2, 8  h.  1/2 
et  1  heure  en  hiver,  pourvu  qu'il  fasse  sa  déclaration  lui-même  au 
contre-maître  ou  surveillant. 

V.  —  Heures  supplémentaires.  —  Les  heures  supplémentaires 
seront  comptées  à  partir  du  temps  fixé  par  ce  règlement  pour  quitter 
le  chantier.  Elles  seront  payées  un  quart  en  sus  pour  les  deux  pre- 
mières heures,  moitié  en  sus  de  7  h.  1/2  à  minuit  et  le  double  de 
minuit  au  commencement  de  la  journée  suivante.   On  comptera  dou- 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN   ANGLETERRE  103 

ble  aussi  tout  le  travail  exécuté  entre  4  heures  du  soir  le  samedi  et 
7  heures  du  matin  le  lundi,  ainsi  que  le  jour  de  Noël.  On  comptera  moi- 
tié en  sus  pour  le  travail  exécuté  le  samedi  de  midi  à  4  heures  du  soir. 

VI.  —  Travaux  éloignés.  —  Tous  les  ouvriers  travaillant  dans  un 
rayon  d'un  mille  autour  de  Saint-Ann's  Square  commenceront  leur 
journée  à  l'heure  fixée  par  l'article  2.  Tous  ceux  employés  au-delà  de 
cette  distance  auront  droit  de  se  faire  payer  comme  temps  de  travail 
le  temps  employé  pour  se  rendre  au  chantier,  à  raison  de  20  minutes 
par  mille  au  plus,  à  partir  des  limites  sus-indiquées.  On  les  indemni- 
sera aussi  pour  le  temps  employé  à  changer  de  chantiers  pour  le  môme 
employeur. 

VII.  —  Travail  à  la  campagne.  —  Clause  4  :  Les  ouvriers  qui  vont 
travailler  à  la  campagne  quitteront  leur  résidence  par  le  train  ou 
autre  moyen  de  transport  le  plus  rapproché  de  l'heure  d'ouverture  et 
reviendront  le  samedi  par  le  train  le  plus  rapproché  de  l'heure  de 
clôture  ;  s'ils  ne  sont  pas  payés  sur  le  chantier,  ils  devront  l'être  au 
bureau  du  patron  à  midi.  Ceux  qui  travaillent  à  plus  de  3  milles 
des  limites  et  à  moins  des  io  milles  de  la  ville  recevront  3  schillings 
(3  fr.  75)  par  semaine  comme  indemnité  de  logement,  plus  le  prix  de 
leur  voyage  chaque  semaine  ;  ceux  qui  travaillent  à  plus  de  15  milles 
de  la  ville  et  à  moins  de  30,  recevront  3  schillings  par  semaine  pour 
logement,  2  schillings  de  surpaie  pour  le  dimanche,  et  le  prix  de  leur 
voyage  une  fois  par  quinzaine  ;  mêmes  conditions  pour  les  chantiers 
situés  entre  30  et  50  milles,  sauf  que  le  prix  du  voyage  ne  sera  donné 
à  l'ouvrier  qu'une  fois  par  mois.  Au-delà  de  50  milles,  les  autres  con- 
ditions restent  les  mêmes,  les  dépenses  du  voyage  feront  l'objet  d'un 
contrat  spécial . 

Clause  2  :  On  ne  tiendra  compte  en  aucun  cas  des  billets  hebdoma- 
daires d'ouvriers  délivrés  par  les  Compagnies  de  chemins  de  fer  ou  de 
tramways.  Dans  tous  les  cas  où  les  salaires  de  la  ville  où  les  ouvriers 
sont  demandés  seraient  plus  élevés  que  ceux  du  district  de  Manches- 
ter, ces  salaires  seront  exigibles  :  au  contraire,  les  plAtriers  de  .Man- 
chester recevront  le  salaire  de  leur  district  partout  où  les  salaires 
en  usage  seraient  moindres. 

(Suit  une  énumération  des  rues  de  chaque  faubourg  où  passent  les 
limites  indiquées  plus  haut). 


104  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

VIII.  —  Moment  de  la  paie.  — Là  où  les  hommes  sont  payés  sur  le 
chantier  ils  travailleront  le  samedi  jusqu'à  midi  ;  sinon  ils  doivent 
être  au  bureau  à  l'heure  de  la  clôture  des  chantiers.  En  tout  cas  le 
temps  de  déplacement  sera  compté  à  3  milles  par  heure  ;  le  patron 
commencera  à  payer  à  midi,  ou  bien  il  indemnisera  les  ouvriers  pour 
le  temps  qu'il  les  fait  attendre. 

IX.  —  Contre-maîtres.  —  Tout  plâtrier  chargé  d'un  chantier  rece- 
vra au  minimum  un  demi-penny  (0,05)  par  heure  en  plus  du  salaire 
courant,  quelque  soit  le  nombre  d'ouvriers  qu'il  ait  sous  sa  surveil- 
lance ;  il  ne  sera  pas  autorisé  à  payer  les  salaires,  à  moins  que  le 
compte  de  chaque  ouvrier  ne  soit  établi  d'avance  sur  des  feuilles  por- 
tant l'entête  imprimé  du  patron.  Seuls  les  plâtriers  occuperont  cette 
situation  de  contre-maîtres. 

X.  —  Travail  de  plâti'ier.  —  Aucune  autre  personne  qu'un  plâ- 
trier ne  sera  autorisée  à  exécuter  une  partie  quelconque  du  travail  de 
plâtrerie.  Ce  travail  comprendra  le  battage  ou  tout  procédé  destiné  à 
le  remplacer,  la  mise  en  place  des  moulures  d'ornements  (qui  doivent 
être  faites  également  par  des  plâtriers  membres  du  syndical)  les  tra- 
vaux de  ciment,  la  préparation  des  surfaces  destinées  au  pavage  en 
bois,  le  carrelage,  les  revêtements  de  muraille  en  faïence.  On  ne  s'op- 
posera pas  à  laisser  exécuter  par  des  cimentiers  les  pavages  et  les 
marches . 

XI.  —  Notification  de  7'envoi.  —  Tout  patron  désirant  congé- 
dier un  ouvrier  doit  le  prévenir  une  demi-heure  avant  la  fin  de  la 
journée,  faute  de  quoi  il  lui  paiera  une  demi-heure  en  sus.  Quand 
un  ouvrier  a  reçu  son  congé,  le  patron  doit  lui  payer  immédiate- 
ment le  salaire  dû  où  lui  compter  le  temps  pendant  lequel  il  le  fait 
attendre . 

XII.  —  Apprentis.  —  Les  enfants  entrant  dans  le  métier  ne  doi- 
vent pas  avoir  plus  de  16  ans  et  seront  liés  à  leur  palron  par  un  con- 
trat authentique  d'apprentissage.  On  stipulera  dans  ce  contrat  la 
faculté  pour  l'apprenti  d'assister  aux  cours  techniques  du  mélier. 
Aucun  patron  n'aura  plus  de  3  apprentis  à  la  fois,  excepté  dans  la 
dernière  année  du  plus  âgé  où  il  pourra  en  prendre  un  quatrième,  la 
préférence  étant  donnée  au  fils  d'un  plâtrier  syndiqué. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRK  105 

XIII ,  —  Matériaux.  —  Dans  tous  les  cas,  les  entrepreneurs  devront 
fournir  les  matériaux  ;  le  fait  d'acheter  ces  matériaux  directement  ou 
indirectement  de  celui  au  compte  duquel  on  bâtit,  sauf  le  sable,  sera 
considéré  comme  exclusif  de  la  qualité  d'entrepreneur.  Le  syndicat 
peut  exiger  la  preuve  de  l'achat  des  matériaux,  s'il  le  juge  à  propos. 

XIV.  —  Demande  de  modification .  —  Toute  demande  de  modifi- 
cation, venant,  soit  des  patrons,  soit  des  ouvriers,  doit  être  adressée  six 
mois  à  l'avance  par  écrit,  au  secrétaire  de  l'association  des  ouvriers 
ou  des  patrons.  Il  sera  loisible  à  celte  association  d'abréger  ce  délai  de 
six  mois. 

Suit  la  détermination  des  frontières  du  district  où  celte  convention 
est  exécutoire. 

Signé  au  nom  de  l'Association  des      Signé  au  nom  de  r.^ssocialion  des 
Patrons  :  Ouvriers  : 

James  Fergussox,  président.  Thomas  Leck,  président. 

Thos  BoLLAND.  John  Kexgswooo. 

Richard  Higsox  and  son.  Richard  Piluxx. 

John  Potter  Ke.vworthy.  William-H.  .\.\derton. 

HoRSFiEi.D  and  sou.  Charles-Mac  Larex. 

Daniel  Dooley.  Edwin  Ixgle. 

John  Cantrill,  secrétaire.  M.  Deller,  secrétaire.  (1) 

Comme  on  peut  le  voir,  c'est  là  un  contrat  collectif  des 
plus  complets. 

On  peut  signaler  de  même  un  contrat  collectif  du  7  fé- 
vrier 1898,  entre  les  patrons  ardoisiers  et  tuiliers  de  Lei- 
cester  et  la  branche  de  Leicesterdes  Amalgamaled Slaters 
and  tilers  of  England,  ardoisiers  et  tuiliers  réunis  d'An- 
gleterre (2). 


(1)  Traduction  de  Rousiers.  Ex.  circulaire  Musée  social,  1,  série  A, 
p.  74. 

(2)  Cf.  Report  du  Standard  pièce  rates  of  tcag es,  1900,  p.  1. 


i06  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   IV 

En  résumé  le  contrat  collectif  est  très  répandu  dans 
l'industrie  du  bâtiment  :  il  tend  môme  à  devenir  en  quel- 
que sorte,  sous  l'action  des  administrations  publiques  et 
des  municipalités  qui  en  imposent  les  clauses  aux  entre- 
preneurs môme  non  contractants  (1),  la  coutume  du  mé- 
tier. 

II.  —  Industrie  des  Mines. 

Le  contrat  collectif  est  aussi  fort  répandu  dans  l'indus- 
trie minière  :  ces  contrats  sont  passés  soit  par  la  Miners' 
Fédération  of  Great  Britain  qui  comprend  la  plupart  des 
mineurs  anglais,  soit  par  la  Miners  National  Union  qui 
unit  les  ouvriers  du  Durham  et  du  Northumberland:  par- 
fois aussi  c'est  une  Union  locale  qui  passe  un  contrat  avec 
un  patron  isolé  (2). 

En  somme  la  liste  de  prix  uniforme  nationale  n'est  pas 
encore  faite  pour  les  mineurs  :  il  n'y  a  pas  de  tarif  univer- 
sellement reconnu  applicable  à  un  district  tout  entier  (3), 


(1)  Voir  à  ce  sujet,  De  Rousiers,  op.  cit.,  p.  71. 

(2)  Cf.  De  Rousiers,  Minute  of  Agreement  between  the  Right  Ho- 
nourable  the  Earl  of  Rosslyn  and  the  Fife  and  Kinross  Miners' 
Association,  p.  217. 

(3)  Voir  le  texte  de  quelques-uns  de  ces  contrats,  R.  of.  Tr.  L.  Dép. 
Report  on  standard  pièce  rates,  1900,  p.  3-!7. 

Le  dernier  contrat  collectif  passé  le  16  janvier  1900  par  la  Mi- 
ners' Fédération  donne  bien  à  cet  égard  une  impression  exacte  de 
l'aspect  du  contrat  collectif  dans  le  métier  :  la  Fédération  se  contente 
de  fixer  les  limites  entre  lesquelles  oscillera  le  salaire  fixé  par  les  co- 
mités de  district  :  en  voici  le  texte  : 

lo  Considérant  que  les  parties  sont  d'accord  pour  proroger  les  pou- 
voirs du  Comité,  à  dater  du  1er  janvier  1901  (date  de  l'expiratioD  du 
précédent  accord)   pour  une  nouvelle  période  de  trois  années,  avec 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  107 

à  cause  do  la  grande  variété  des  circonstances  de  l'extrac- 
tion du  charbon. 

Aussi  en  général  quand  par  conlrat  collectif  on  établit 
pour  tout  le  n)élier  ou  pour  une  région  seulement  des  aug- 
mentations ou  des  réductions  de  salaires,  on  la  base  non  sur 
un  taux  uniformément  reconnu,  mais  sur  les  taux  en  usage 
dans  chaque  houillère. 

Deux  particularités  sont  à  signaler  : 

D'une  part  dans  le  Northumberland  et  le  Durham  on  a 
poussé  plus  loin  Tunification  du  contrat  collectif  par  l'éta- 
blissement de  moyennes  de  comté  {coimiy  averages)  qui 
servent  d'indication  dans  la  confection  des  listes  de  salaires  : 
une  liste  imprimée  applicable  à  une  mine  seulement  est 


le  même  minimum  de  salaires  et  en  portant  le  maximum  à  un 
taux  supérieur  de  60  0/0  au  taux  des  salaires  de  base  (de  1888), 
le  taux  actuel  des  salaires  des  ouvriers  du  fond  sera  augmen- 
té, à  partir  du  premier  jour  de  travail  de  janvier,  d'une  somme 
égale  à  5  0/0  du  salaire  de  base,  cette  augmentation  devant  être 
payée  le  premier  jour  de  paie  consécutif  à  la  signature  du  présent 
accord  ; 

2o  Pour  une  nouvelle  période  à  dater  du  1er  janvier  1901,  le  taux 
des  salaires  ne  pourra  être  inférieur  à  un  salaire  dépassant  de  30  0/0 
le  salaire  de  base  (1888),  ni  supérieur  à  un  salaire  dépassant  de  60  0/0 
ce  salaire  de  base  ; 

3o  Pendant  celte  période  de  trois  années  (1er  janvier  1901-1904)  le 
taux  des  salaires  des  mineurs  du  fond  sera  fixé  par  le  Comité  de  con- 
ciliation dans  les  limites  indiquées  ci-dessus  ; 

4o  Le  comité  de  conciliation  restera  en  fonctions,  avec  la  même 
composition  et  la  même  procédure,  du  !«' janvier  1901  au  1er  janvier 
1904; 

11  a  été  en  outre  décidé  à  l'unanimité  de  recommander  aux  exploi- 
tants (sans  aller  jusqu'à  les  y  obliger)  d'étendre  l'augmentation  de 
5  0, 0  aux  ouvriers  de  la  surface  occupés  sur  le  carreau  de  la  mine  et 
dans  les  criblages  ». 


108  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  IV 

alors  élaborée  par  un  mécanisme  de  comités  mixtes  qu'on 
étudiera  plus  loin. 

D'autre  part  dans  certains  cas  le  contrat  collectif  est 
établi  sous  forme  d'échelle  mobile.  (Galles  du  Sud). 

Dans  quelques  autres  industries  extractives  il  y  a  pareil- 
lement de  nombreux  contrats  collectifs  :  le  principe  de 
l'échelle  mobile  y  domine;  le  salaire  suit  les  variations  du 
prix  de  vente  du  produit,  ainsi  le  prix  d'extraction  d'une 
tonne  de  pierre  à  chaux  est  payé  aux  carriers  d'après  le 
prix  du  saumon  de  fer. 

m.  —  Industries  métallurgiques  (1). 

Les  hauts-fournaux  présentent  de  nombreux  exemples 
de  contrats  collectifs  :  ici  encore  la  base  «  standard  »  est 
un  certain  prix  de  vente  du  saumon  de  fer  :  ce  taux  de 
salaires  varie  avec  ces  prix  de  vente  ;  les  contrats  sont 
établis  par  districts. 

En  général  les  ouvriers  du  fer  et  de  l'acier  sont  régis 
parle  contrat  collectif  qui  se  présente  le  plus  souvent  sous 
l'aspect  d'échelle  mobile. 

La  construction  des  navires  est  encore  une  industrie 
où  le  contrat  collectif  est  très  répandu  :  les  listes  de  prix 
sont  encore  purement  locales  et  il  n'existe  pas  de  listes  de 
salaires  uniformes  ;  cela  tient  à  la  variété  des  diverses  opé- 
rations du  travail,  aussi  en  général  le  contrat  collectif  est- 
il  local  et  même  particulier  à  un  seul  établissement  (2). 


(1)  Cf.  Id.  Report,  p.  21-86. 

(2)  Bien  qu'il  y  ail  une  certaine  ressemblance  entre  ces  diverses 
listes. 


LK    CONTRAT    COLLKCTIt    K.N    A.NGLETERHK  i09 


IV.  —  Industries  textiles. 

Le  contrat  collectif  existe  depuis  longtemps  déjà  dans 
la  filature  du  coton  :  les  listes  de  Bolton  et  d'Oldham  sont 
les  deux  principales  qui  règlent  les  salaires  ;  celles-ci  ont 
graduellement  remplacé  les  listes  locales.  De  même  dans 
le  tissage  du  colon,  on  est  arrivé  à  une  liste  uniforme  ;  c'est 
un  véritable  volume. 

Dans  l'industrie  de  la  laine  le  contrat  collectif  est  beau- 
coup moins  répandu  et  l'unification  est  loin  d'être  pous- 
sée aussi  loin. 

Industries  du  vêtement. —  L'introduction  de  la  machine 
dans  la  confection  de  la  chaussure  et  du  vêtement  propre- 
ment dit  a  profondément  transformé  ces  industries  qui 
ont  passé  du  type  du  métier  à  celui  de  la  grande  industrie  : 
avec  la  division  du  travail  et  la  spécialisation  des  tâches, 
le  contrat  collectif  a  gagné  ces  métiers  ;  des  listes  de  prix 
ont  été  confectionnées.  . 

Imprimerie.  —  Ici  encore  le  contrat  collectif  n'a  pas 
gagné  toutes  les  spécialités  du  métier,  cependant  il  faut 
signaler  lintroduction  d'un  tarif  pour  le  travail  à  la  ma- 
chine à  imprimer  qui  est  un  des  véritables  succès  du  contrat 
collectif. 

Signalons  enfin  pour  terminer  cette  trop  longue  liste 
quelques  essais  importants  de  contrats  collectifs  dans  les 
industries  d'alimentation  (boulangers)  de  transport  (con- 
ducteurs de  cabs  de  Londres)  du  verre  et  des  docks  :  dans 
cette  dernière  industrie  d'ailleurs  le  contrat  collectif  a 
beaucoup  de  peine  à  pénétrer. 

Que  faut-il  conclure  de  cette  rapide  revue  et  que  peut- 
on  retenir  de  cette  étude  des  faits  ? 


110  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

Deux  opinions  nous  semblent  tout  d'abord  à  écarter  : 

—  le  contrat  collectif  n'est  pas  coextensif  dans  son  déve- 
loppement à  celui  des  Trade-Unions  :  c'est  ainsi  par  exemple 
pour  n'en  citer  qu'un,  que  les  villes  s'eng-ag-ent  souvent  à 
s'astreindre  aux  mômes  règ-les  que  les  entrepreneurs  au  cas 
où  elles  emploient  directement  des  ouvriers,  c'est-à-dire  à 
observer  le  contrat  collectif  en  usage  dans  le  métier  (1). 

—  le  contrat  collectif  n'est  pas  coextensif  à  la  grande 
industrie  (2),  l'exemple  de  contrats  collectifs,  très  répan- 
dus dans  l'industrie  du  bâtiment,  est  un  argument  irréfu- 
table contre  cette  thèse. 

Mais  alors  comment  s'expliquer  ce  développement  :  au- 
tant qu'on  peut  retrouver  quelques  régularités  sous  la 
souplesse  et  la  richesse  de  la  vie,  on  peut,  semble-t-il,  le 
voir  dominé  par  trois  idées  : 

a)  Le  contrat  collectif  a  une  tendance  à  se  développer 
dans  tous  les  métiers  où  la  concurrence  joue  à  plein  et  est 
la  plus  âpre  et  la  plus  rude  ; 

b)  Le  contrat  collectif  ne  pénètre  véritablement  un  mé- 
tier que  s'il  rencontre  une  puissante  organisation  profes- 
sionnelle, ou  tout  au  moins  s'il  trouve  une  solidarité  ou- 
vrière active  ; 

c)  Enfin  il  y  a  dans  chaque  métier  certaines  difficultés 
techniques  à  l'établissement  du  nouveau  régime  et  ces  dif- 
ficultés ne  sont  pas  sans  influence  sur  les  progrès  du  con- 
trat collectif. 


(1)  Ainsi  pour  le  conseil  de  Comté  de  Londres  :  Cf.  Ann.  Report. 
London  County  Council,  1892-1893,  p.  102. 

(2)  C'est  le  point  de  vue  contraire  que  soutient  M.  de  Rousiers  : 
Cf.  Le  Trade  Unionisme  en  Angleterre,  chap.  I,  La  nécessite  du 
groupement  syndical . 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN   ANGLETERRE  111 

à)  Le  contrat  collectif,  c'est  là  la  première  idée  qui  do- 
mino son  développement  de  l'autre  côté  du  détroit,  a  une 
tendance  à  se  faire  jour  dans  tous  les  métiers  où  la  con- 
currence joue  à  plein  et  est  la  plus  âpre  et  la  plus  rude; 

C'est  ainsi  que,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  nous  le 
voyons  plus  répandu  dans  les  métiers  où  les  ouvriers  sont 
le  plus  nombreux,  dans  ceux  où  la  machine  vient  dimi- 
nuer la  main-d'œuvre,  dans  ceux  où  le  genre  même  de 
travail  permet  la  mobilité  de  l'ouvrier. 

Parallèllement  on  constate  que  le  contrat  collectif  s'est 
développé  dans  des  métiers  où  le  salaire,  par  le  fait  de  la 
concurrence,  était  tombé  extrêmement  bas. 

b)  En  second  lieu,  le  contrat  collectif  —  et  c'est  là  une 
remarque  d'une  portée  générale  —  ne  pénètre  véritable- 
ment le  métier  que  s'il  rencontre  une  puissante  organisa- 
tion professionnelle. 

L'absence  de  contrats  collectifs  dans  les  métiers  où  sévit 
encore  le  Sweating  System  en  est  la  preuve  manifeste. 

L'échec  partiel  du  contrat  collectif  dans  le  métier  des 
dockers  en  est  une  nouvelle  confirmation. 

Il  est  certain  et  sur  ce  point  l'accord  est  à  peu  près  una- 
nime que  les  unions  bien  organisées  sont  actuellement 
nécessaires  pour  la  conclusion  et  le  respect  du  contrat  col- 
lectif. 

C'est  ainsi  que  l'esquisse  que  nous  avons  donnée  du 
développement  du  contrat  collectif  correspond  presque 
point  par  point  au  tableau  suivant  qui  donne  la  répartition 
des  unions  entre  les  grands  groupes  d'industrie  (1). 


(1)  Extrait  du  deruier  rapport  officiel  sur   les  syndicats   anglais 
(18  décembre  1900),  qui  donne  la  situation  au  31  décembre  1899. 


112  PREMIÈRE    PARTIE. 


Industries. 

Bâliment 

Mines  et  carrières 

Métallurgie  :  constructions  mari  li- 
mes   

Textiles 

Vêtement 

Typographes  


CHAPITRE 

IV 

Noniliro 

(les  [JnioBs 

des  Membres. 

0/0  ou  total. 

i'Mi 

251.005 

14 

60 

424.783 

24 

27-2 

331.245 

19 

242 

220.098 

12 

47 

68.309 

4 

53 

56  471 

3 

Au  total  1,292  unions  groupant  1,802,518  membres 
représentent  l'armée  syndicale  de  l'Angleterre,  pour  la  plus 
grande  partie  favorable  au  contrat  collectif. 

c)  Enfin,  et  c'est  là  la  S"*®  idée  qui  nous  paraît  dominer  le 
développement  du  contrat  collectif  en  Angleterre  dans  les 
divers  métiers  —  il  y  a  des  difficultés  tecliniques  spéciales 
à  chaque  métier  qui  influent. 

L'essentiel  d'une  liste  de  taux  des  salaires  est  que  cette 
liste  exprime  le  montant  de  la  rémunération  que  doit  rece- 
voir un  grand  nombre  d'ouvriers  engagés  dans  le  mé- 
tier (1).  Or  le  travail  à  la  pièce  est  directement  contraire  à 
cette  exigence  :  parfois  dans  certains  métiers  la  grande  va- 
riété des  tâches  de  chaque  ouvrier  rend  bien  difficile,  sinon 
impossible,  la  confection  des  listes  de  salaires  :  c'est  ainsi 
par  exemple  que  dans  le  métier  de  la  mécanique,  on  n'a 
pas  constaté  de  tentative  pour  y  établir  une  liste  uniforme 
applicable  à  toutes  les  usines  mécaniques  de  chaque  loca- 


(1)  Sur  ce  point  Ch.  Report  ou  Standard  pièce  rates  ofwages  and 
sliding  scales  in  the  United  Kingdom.  1900.  Board  of  Trade  (L.  D.). 
Préface. 


I.K    COMHAT    COLLKCTIF    KN    A.NGLKTERBK  H3 

lilé  (i).  II  en  est  de  même  dans  l'ameublement,  la  coutel- 
IcM'ie  et  (|uel(|uos  autrt's  métiers  à  métaux  moins  importants. 

Par  contre  la  diversité  des  articles  produits  n'est  pas  un 
obstacle  du  nième  genre  à  la  confection  du  contrat  collec- 
tif :  c'est  seulement  une  difficulté  sérieuse  qu'on  arrive  à 
vaincre  comme  le  prouvent  les  exemples  des  listes  de  sa- 
laires dans  les  industries  de  la  bonneterie  et  de  la  chaus- 
sure. Ici  en  effet  les  articles  produits  sont  uniformes,  ne 
varient  pas  d'un  établissement  à  l'autre  ;  on  fixe  un  mo- 
dèle (pattern)  en  fonction  duquel  sont  établis  les  divers 
tarifs  du  travail  aux  pièces. 

On  pourrait  alors  se  demander  si  certains  métiers  seront, 
en  vertu  de  ces  considérations  techniques,  indéfiniment 
rebelles  à  l'introduction  du  contrat  collectif. 

L'exemple  Anglais  ne  semble  pas  autoriser  l'affirmative: 
c'est  ainsi  que  dans  deux  industries,  la  filature  du  coton  et 
les  mines,  on  est  arrivé  à  tourner  la  difficulté  indiquée  par 
l'introduction  du  «  county  average  »  moyenne  de  comté  : 
on  entend  par  là  d'une  manière  générale  un  certain  salaire 
convenu  rémunérant  un  travail  de  moyenne  efficacité. 

Ainsi  dans  les  mines,  quoique  le  prix  de  la  tonne  payé  aux 
fendeurs  varie  presque  indéfiniment  de  houillère  à  houil- 
lère et  même  de  veine  à  veine  dans  le  même  puits,  suivant 
la  nature  du  charbon  et  les  conditions  de  l'exploitation,  les 
taux  de  tonnage  par  tout  le  comté  sont  ainsi  fixés  que  cha- 
que mineur  puisse  obtenir  un  certain  salaire  convenu,  qui 
est  précisément  la  moyenne  du  comté,  counlij  average. 

Il  y  a  là  une  série  de  difficultés  spéciales  des  plus  inté- 
ressantes qui  forment  pour  ainsi  dire  la  partie  technique  du 


(1)  C'est  alors  tout  au  plus  le  contrat  collectif  particulier  à  une  usine, 
la  liste  d'usine,  qui  est  possible . 

RAYNAUD  8 


il4  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   IV 

problème  :  malheureusement  les  difficultés  de  traduction 
de  l'anglais  technique  des  tarifs  spéciaux  ne  nous  ont  pas 
permis  d'insister  autant  que  nous  l'aurions  voulu,  sur  cet 
aspect  de  la  question. 

Après  avoir  ainsi,  par  une  vue  quelque  peu  rapide, 
aperçu  le  domaine  fort  vaste  du  contrat  collectif  en  Angle- 
terre, il  nous  faut  étudier  une  triple  question  : 

Quel  organisme  s'est-il  créé  ? 

Quels  résultats  économiques  et  sociaux  a-t-il  donnés  (1)  ? 

Et  enfin  quelles  sont  les  causes  de  cet  extraordinaire 
développement? 


I  II.  —  Organisme  du  contrat  collectif. 

Il  nous  faut  maintenant  étudier  de  près  et  d'une  ma- 
nière abstraite  en  quelque  sorte,  en  prenant  les  exemples 
comme  des  mécanismes  types,  l'organisme  du  contrat 
collectif. 

Rien  n'est  plus  souple  et  plus  divers,  plus  délicat  et  plus 
complexe  que  cet  organisme  du  contrat  collectif  ;  pour 
s'en  rendre  compte,  il  suffit  de  se  rappeler  que  le  contrat 
collectif  étant  l'idéal  de  l'organisation  professionnelle, 
celle-ci  cherchera  sans  cesse  à  le  réaliser,  de  là  une  infi- 
nité d'espèces  et  de  variétés.  Une  étude  descriptive  de  tous 
ces  procédés  serait  donc  des  plus  intéressantes  mais  aussi 
par  trop  dispersée. 


(1)  Voyez  déjà  en  ce  sens  :  Schwiediand  :  un  pi-ojet  de  loi  français 
sur  les  soi-disant  Conseils  de  conciliation.  {Revue  if  Economie  politi- 
que, 1896,  p.  324). 


LE  CONTRAT   COLLECTIF  EN   ANGLETERRE  115 

D'autre  part,  on  ne  saurait  instituer  un  examen  compa- 
ratif de  ces  divers  organismes  pour  discuter  quel  est  le 
meilleur  d'une  manière  absolue  :  c'est  ce  que  font  dans  un 
remarquable  chapitre  sur  la  méthode  du  contrat  collectif, 
Béatrice  et  Sidney  Webb  :  à  leur  sens,  il  faut  soigneuse- 
ment séparer  la  formation  d'un  contrat  collectif  et  son 
application  :  ce  sont  là  deux  tâches  nettement  distinctes 
qui  exigent  des  qualités  bien  différentes  et  qui  doivent  être 
confiées  à  deux  organismes  séparés  ;  à  cet  égard  la  perfec- 
tion leur  parait  être  atteinte  dans  l'industrie  du  coton  du 
Lancashire  (1)  :  l'application  d'un  contrat  collectif  exis- 
tant y  est  réservée  à  des  experts  professionnels,  nommés 
respectivement  par  les  patrons  et  par  la  Trade  Union  (2)  ; 
la  conclusion  ou  la  révision  est  confiée  à  un  Comité 
mixte,  composé  d'un  certain  nombre  de  représentants  de 
chaque  parti. 

Ce  point  de  vue  ne  nous  semble  pas  exempt  de  critiques. 
D'abord  il  est  douteux,  étant  donné  le  mécanisme  même  du 
contrat  collectif,  qu'on  puisse  ainsi  toujours  et  dans  tous 
les  cas  séparer  aussi  rigoureusement  la  formation  et  l'appli- 
cation du  contrat  :  c'est  là  évidemment  une  tendance  heu- 
reuse, mais  bien  souvent  la  nature  des  choses  s'y  oppose: 
c'est  ainsi  que  dans  les  métiers  où  le  contrat  collectif  ne 
peut  guère  porter  que  sur  la  fixation  d'une  moyenne  (3), 
on  ne  saurait  dire  que  l'application  de  cette  clause  soit 
distincte  de  la  formation  du  contrat  :  il  v  a  là  si  l'on  veut 


{{}    Cf.    Webb,    Indus  trial    Democracy.    Method    of  collective 
Jiargainitig . 

(2)  Cesl  pour   le   recrutement  de  ces  agents  que  la  Trade  Union  a 
établi  un  véritable  système  de  concours. 

(3)  Ëa  raison  de  la  diversité  des  opérations  techniques. 


116  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

la  base  du  contrat  pour  tous  les  ouvriers,  mais  son  appli- 
cation même  sera  la  formation  du  contrat  pour  chacun 
d'entre  eux.  C'est  ainsi  que  parfois  certaines  modifications 
au  contrat,  qui  sont  au  fond  des  modifications  de  tarif  de 
salaires,  se  présentent  sous  l'aspect  d'une  modification 
dans  les  conditions  d'application  du  contrat,  ce  qui  relève 
bien  de  la  science  des  experts  professionnels.  Enfin,  et 
c'est  là  à  notre  point  de  vue  l'objection  fondamentale  —  on 
ne  saurait  déclarer  d'une  manière  uniforme  tel  ou  tel  type 
d'org^anisme  meilleur  qu'un  autre  ;  tout  dépend  des  con- 
ditions techniques  du  métier  et  des  positions  respectives 
de  l'Association  professionnelle  patronale  et  ouvrière. 

Comment  alors  étudier  cet  organisme,  si  nous  ne  pou- 
vons entreprendre  ni  l'étude  descriptive,  ni  l'étude  com- 
parative des  institutions  existantes  :  le  plus  simple  et  le 
seul  mode  d'études  permis  nous  semble  être  alors  l'étude 
analytique. 

En  présence  du  contrat  collectif  tel  qu'il  fonctionne  en 
Angleterre,  on  ne  peut  que  poser  des  correspondances  idéa- 
les et  théoriques,  indiquer  d'une  manière  abstraite  ce 
qu'exige  le  contrat  collectif  idéal  et  marquer  de  quelle 
manière  ces  exigences  ont  tendance  à  se  réaliser  dans  la 
pratique. 

.  Or  à  ce  point  de  vue,  la  réalisation  du  contrat  (1)  col- 
lectif implique  un  double  mécanisme,  un  mécanisme  éco- 
nomique et  un  mécanisme  professionnel  et  technique. 

Cela  résulte  de  la  nature  même  du  travail  industriel  : 


(1)  Nous  laissons  absolument  de  côté  dans  cette  partie  les  condi- 
tions nécessaires  pour  que  le  contrat  collectif  s'introduise  dans  un 
métier  (voir  plus  loin  :  causes  de  développement)  ;  nous  l'étudions  en 
lui-même  dans  son  élaboration  intime,  une  fois  le  principe  accepté. 


LE   CONTRAT   COLLKCTIP   EN    ANGLETERRE  117 

celui-ci  est  une  certaine  tâche  professionnelle  accomplie 
dans  des  conditions  déterminées  contre  une  certaine  rému- 
nération en  argent.  Or  d'une  part,  fixer  un  niveau  de  sa- 
laires ou  le  modifier,  déterminer  le  nombre  d'apprentis, 
fixer  la  durée  de  la  journée  de  travail  et  le  nombre  des 
heures  supplémentaires,  etc..  autant  de  questions  écono- 
miques ;  d'autre  part,  établir  la  manière  de  calculer  la 
tâche  correspondante  au  salaire  fixé,  aménager  l'atelier 
pour  assurer  le  respect  des  conditions  de  durée  du  travail, 
etc..,.,  sont  autant  de  questions  techniques  profession- 
nelles. 

Tels  sont  les  deux  pôles,  opposés  qui  dominent  toute  la 
question  ;  il  est  certain  que  tout  ce  qui  touche  au  côté 
technique,  professionnel,  pousse  à  la  spécialisation  de  l'or- 
ganisme du  contrat  collectif;  et  que  d'autre  part  tout  ce 
qui  se  rattache  à  la  fixation  du  taux  du  salaire  et  à  la  vie 
économique  de  l'usine  tend  à  rester  le  privilège  et  l'apa- 
nage personnel  des  intéressés. 

Le  problème  du  contrat  collectif  consiste  précisément 
à  poursuivre  cette  idéale  proportion  du  salaire  au  travail, 
qui  réalisera  à  la  fois  la  justice  et.le  «  standard  of  life  ». 

Ainsi  pour  tout  ce  qui  concerne  le  mode  de  fixation  du 
travail  à  accomplir,  pour  tout  le  mécanisme  technique,  il 
y  a  tendance  des  parties  à  s'en  remettre  à  autrui. 

Au  contraire  pour  tout  ce  qui  touche  à  la  fixation  du 
taux  du  salaire,  la  tendance  est  de  retenir  cette  attribution 
fondamentale. 

Précisons  ces  idées  par  une  double  étude  :  d'une  part, 
l'étude  de  l'objet  de  plus  en  plus  large  du  contrat  collectif; 

D'autre  part,  l'étude  des  modifications  possibles  au  con- 
trat collectif  et  de  leurs  modes  de  réalisation. 

Au  premier  de  ces  deux  points  de  vue,  on  peut  dire  que 


118  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE   IV 

la  spécialisation  de  l'organisme  du  contrat  collectif  n'appa- 
raît que  fort  tard  et  d'une  manière  exceptionnelle  :  ce  con- 
trat collectif  est  normalement  conclu  par  le  président  et 
le  secrétaire  de  la  Trade-Union,  représentant  des  ou- 
vriers (1). 

Une  première  ébauche  de  spécialisation  a  lieu  par  la 
création  de  Comités  permanents,  ainsi  les  comités  de  dis- 
trict de  l'Amalg-amated  society  of  Engineers  (mécaniciens)  : 
ils  sont  ordinairement  formés  d'ouvriers  délégués  par  leurs 
camarades  qui  travaillent  en  temps  ordinaire  au  métier  et 
ne  prennent  que  temporairement  leur  qualité  de  négocia- 
teurs (2). 

Un  deuxième  degré  dans  la  spécialisation  de  cet  orga- 
nisme consiste  dans  la  création  à' agents  spéciaux^  salariés 
par  la  Trade-Union.  Cette  évolution  est  aujourd'hui  accom- 
plie dans  les  Unions  les  plus  puissantes  (3)  :  aussi  le  plus 
grand  nombre  des  contrats  collectifs  est-il  passé  par  des 
organes  appropriés,  divers  suivant  les  industries  mais  tous 
spécialisés  dans  cette  fonction.  Or  l'évolution  s'est  précisé- 
ment faite  sous  l'empire  des  difficultés  très  sérieuses  que 
créait  l'élaboration  d'un  tarif  de  salaires  aux  pièces  :  la 
fonction  professionnelle  a  ici  créé  son  organe. 

Mais  malgré  cette  spécialisation  l'aspect  économique  du 


(1)  Soit  de  la  branche  locale,  soit  de  la  société  nationale  (Ex.  :  Uni- 
ted Society  of  Plumbers). 

(2)  L'inconvénient  est  le  peu  de  compétence  énonomique  de  ces  dé- 
légués :  cela  n'a  pas  grande  importance  quand  le  contrat  ne  porte  que 
sur  une  augmenlatalion  ou  une  diminution  d'un  tant  pour  cent  que 
les  ouvriers  raliflenl. 

(3)  C'est  le  cas  dans  les  industries  du  coton,  du  charbon,  du  fer, 
de  la  chaussure,  de  la  cordonnerie,  de  la  bonneterie  et  de  la  passe- 
menterie, etc. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF   EN   ANGLETERRE  H9 

problt'Tiio  n'a  pu  être  écarté  et  a  fini  par  remporter  :  l'es- 
sentiel (lu  mécanisme  consiste  toujours  en  des  délégués 
des  patrons  et  des  ouvriers,  des  ambassadeurs  qui  ont 
mission  de  conclure  le  traité  (1).  L'établissement  de  ses 
clauses  relève  essentiellement  de  la  volonté  personnelle 
des  parties  (2). 

Les  contrats  collectifs  établissant  une  échelle  mobile  et 
les  Alliances  sont  deux  nouvelles  preuves  de  ces  oscilla- 
tions entre  deux  tendances  opposées. 

Dans  l'échelle  mobile  (3),  en  subordonnant  les  taux  de 
salaires  aux  prix  de  vente,  les  parties  essayent  précisé- 
ment de  supprimer  la  partie  économique  du  problème. 
Mais  elles  ne  lardent  pas  à  se  rendre  compte  que  ce  n'est 
là  qu'un  leurre  et  une  illusion.  La  défaveur  relative  qui  a 
atteint  récemment  l'échelle  mobile  en  Angleterre  où  elle 
est  plutôt  en  recul,  tient  précisément  à  ce  que  dans 
ce  système,  l'aspect  économique  du  problème  est  sacrifié 
à  son  côté  technique:  le  patron  consentant  seul  le  prix  de 
vente  est  ainsi  seul  maître  du  salaire  et  les  échelles  ne 
donnent  pas  assez  fidèlement  les  conditions  du  marché. 


(1)  Ceux-ci  se  réunissent  ordinairement  en  comités  mixtes  (chaus- 
sures, mines,  etc..) 

(2)  C'est  pourquoi  l'arbitrage  réussit  mieux  pour  un  conflit  né  et 
actuel,  pour  une  interprétation  de  tarifs  existants  que  pour  l'élabora- 
tion de  tarifs  nouveaux.  Nous  pouvons  ainsi  préciser  les  rapports  de 
l'arbitrage  et  du  contrat  collectif  :  on  peut  dire  d'une  manière  géné- 
rale que  l'arbitrage  est  une  source  de  contrats  collectifs  :  pour  tout  ce 
qui  concerne  le  mécanisme  professionnel,  l'arbitrage  est  possible  et 
fonctionne  heureusement  :  mais  la  nécessité  de  réserver  aux  parties 
seules  toute  la  part  économique  du  contrat  pose  une  limite  variable 
mais  certaine  à  l'action  possible  de  l'arbitrage. 

(3)  Cf.  sur  l'échelle  mobile  en  général  :  L'échelle  mobile  de  salaires 
en  Angleterre,  M.  Munro  {Revue  d'Econ.  polit.,  avril  1891). 


120  PREMIÈRK    PARTIR.    —    CHAPITRE    IV 

Un  nouveau  perfectionnement  au  point  de  vue  de  l'or- 
ganisme que  nous  étudions  est  apporté  parles  alliances(l): 
l'accord  est  ici  poussé  beaucoup  plus  loin,  puisque  non 
seulement  les  parties  (association  patronale  et  association 
ouvrière)  se  mettent  d'accord  sur  le  taux  des  salaires  mais 
encore  déterminent  ensemble  les  prix  de  vente  d'oij  dé- 
pend le  taux  des  salaires. 

Un  ing-énieux  système  de  primes  fixées  par  accord  entre 
patrons  et  ouvriers  permet  d'assurer  en  présence  d'une 
augmentation  de  profit  une  augmentation  proportionnelle 
des  salaires  :  les  deux  parties  retrouvent  ici  en  quelque  sorte 
leur  autonomie  économique  (jui  était  profondément  atteinte 
par  l'échelle  mobile.  L'organisme  ainsi  perfectionné  qui 
s'est  établi  depuis  1890  dans  diverses  sections  de  l'indus- 
trie de  Birmingham  (staple  industry)  semble  marquer  le 
point  culminant  de  l'évolution  du  mécanisme  du  contrat 
collectif  à  cet  égard  (2)  :  c'est  à  ce  point  de  vue  une  des 
plus  heureuses  solutions  de  l'opposition  indiquée. 


(1)  Nous  n'envisageons  ici  que  le  contrat  collectif  de  travail  dans 
les  alliances  :  la  question  est  beaucoup  plus  large  :  sur  les  alliances  en 
général  Cf  :  Smith  The  new  Ti'ades  combination  movement,  4895  ; 
W.  S.  Davis,  article  sur  les  alliances  dans  le  Birminghatn  and 
District  Trades  Journal,  juiUet  1896. 

(2)  Les  termes  de  l'alliance  entre  l'association  Bedstead  and  Fen- 
der  mount  7nanufactu7'e7's  {îahvicani  de  bois  de  lit  et  de  montures  de 
garde-feu)  et  les  ouvriers  de  l'union  ouvrière  sont  typiques  de  tous  ces 
contrats  :  «  L'objet  de  l'alliance  sera  l'amélioration  des  prix  de 
vente  et  la  réglementation  des  salaires  sur  la  base  des  prix  de  vente... 
pour  assurer  ainsi  de  meilleurs  profils  aux  fabricants  et  de  meilleurs 
salaires  aux  travailleurs.  »  Pour  assurer  ce  résultat,  les  pati'ons  elles 
ouvriers  s'engagent  à  s'unir  contre  tout  fabricant  qui  vend  au-dessous 
du  prix  convenu  ou  essaye  de  réduire  les  salaires.  Cette  entente  com- 
prend un  engagement  de  la  part  des  fabricants  de  ne  pas  employer 
d'autres  ouvriers  que  ceux  de  l'association  (au-dessus  de  21  ans)  sauf 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    EN    ANGLETERRE  \2{ 

Ainsi,  à  ce  premier  point  de  vue,  il  apparaît  que  dans 
la  création  de  l'organisme  du  contrat  collectif,  Taspect 
technique  du  problème  pousse  à  la  spécialisation,  alors  que 
l'aspect  économique  tend  à  réserver  aux  parties  la  décision 
suprême.  Cette  sorte  de  contradiction  interne  n'est  pas 
une  des  moindres  difficultés  du  contrat  collectif. 

Elle  apparait  de  la  même  façon  et  explique  de  la  même 
manière  la  diversité  des  modes  de  révision  des  contrats 
collectifs. 

Dans  le  grand  nombre  des  modifîcations  possibles,  on 
peut,  sembie-t-il,  distinguer  : 

a)  Les  modilioalions  apportées  au  point  de  vue  tech- 
nique : 

b)  Les  modifications  faites  exclusivement  au  point  de 
vue  économique  (1). 

En  effet,  un  contrat  collectif  pas  plus  qu'un  contrat  indi- 
viduel, ne  peut  prétendre  subsister  toujours;  il  doit  s'adap- 
ter aux  conditions  générales  de  l'industrie  :  or  précisément, 
pour  réaliser  cette  adaptation,  deux  procédés  sont  pos- 
sibles : 

On  peut  ajouter  ou  faire  des  modifications  aux  tarifs 
portés  sur  la  liste. 


par  conventions  spéciales  avec  l'association  des  ouvriers  et  de  la  part 
des  ouvriers  de  ne  travailler  que  pour  les  fabricants  qui  vendent  leurs 
produits  aux  prix  tels  qu'ils  sont  déterminés  de  temps  en  temps  par 
un  Bureau  de  Salaires  (Wages  Bureau)  formé  par  un  nombre  égal  de 
patrons  et  d'ouvriers.  «  Le  boni  payé  aux  membres  de  l'association 
ouvrière  sera  augmenté  de  5  0,0  pour  chaque  augmentation  de  10  0/0 
sur  les  prix  de  vente  actuels.  » 

(l)  11  est  bien  entendu  que  dans  les  deux  cas  la  modification  de 
salaires  aura  une  conséquence  économique  ;  ce  qui  permet  d'établir 
ici  la  distinction,  c'est  la  manière  de  réaliser  cette  modification. 


122  PREMIERE   PARTIE.    —   CHAPITRE   IV 

On  peut  seulement  convenir  de  l'addition  ou  de  la  dimi- 
nution d'un  tant  0/0  aux  tarifs  primitifs. 

Le  motif  de  la  modification  est  bien  différent  dans  les 
deux  cas  :  «  Dans  le  premier,  les  deux  parties  au  contrat 
de  salaire  l'acceptent  sans  mettre  en  question  le  niveau 
général  des  salaires  sur  lequel  la  liste  est  basée  ;  une  partie 
où  l'auti'e  affirme  que  celle-ci  demande  à  être  revisée  sur 
certains  points,  soit  parce  que  le  tarif  omet  de  fixer  le  prix 
pour  une  tâche  particulière,  soit  parce  qu'on  trouve  que 
certaines  fixations  spécifiées  dans  la  liste  ne  correspondent 
pas  exactement  à  sa  base  générale  ; 

«  Dans  le  second  cas,  la  correspondance  entre  la  hausse 
et  les  divers  prix  de  la  liste  n'étant  pas  discutée,  les  patrons 
et  les  ouvriers  peuvent  désirer  que  les  taux  soient  mo- 
difiés pour  obtenir  une  augmentation  générale  ou  une  di- 
minution de  salaires  (1).  » 

Etudions  avec  quelques  détails  ces  deux  types  de  modi- 
fications possibles,  que  nous  appellerons  pour  abréger  la 
modification  technique,  et  la  modification  économique . 

A.  —  Modifications  techniques. 

Ces  modifications  interviennent  : 

Uahord  au  cas  où  le  tarif  en  vigueur  omet  de  men- 
tionner le  prix  pour  une  tâche  donnée.  —  C'est  une  cir- 
constance qui  se  présente  fréquemment  dans  l'industrie 
de  la  chaussure:  dans  celte  industrie  le  tarif  des  prix  à  la 
pièce  à  payer  pour  la  mise  à  la  forme  et  le  finissage  de 
chaque  genre  de  chaussures  est  fixé  par  rapport  à  un  type 


(l)Lab.  Department.  Report  of  1900.  Construction  et  détails  des 
tarifs  établis  par  contrats  collectifs. 


LE  CONTRAT  f.OLLECTIP   EN   ANGLETERRE  123 

moyen  {une  chaussure  type)  adopté  par  le  Bureau  de  con- 
ciliation et  d'arbitrage  (1):  une  nouvelle  sorte  de  chaus- 
sures est-elle  introduite  par  un  fabricant,  un  spécimen  en 
sera  porté  au  Bureau,  qui  le  rapproche  du  type  moyen  et 
(ixe  le  tarif  auquel  le  nouveau  modèle  sera  mis  en  forme 
et  fini  ;  dans  cette  fixation,  le  Bureau  se  réfère  au  type  le 
plus  ressemblant  au  nouvel  article. 

Ensuite  au  cas  où  les  conditions  du  travail  ont  changé 
depuis  la  confection  du  tarif. 

Ainsi  dans  les  mines  du  Northumberland  il  y  a  lieu  de 
procéder  souvent  à  des  réajustements  de  tarifs:  il  se  trouve 
que  les  njineurs  tout  en  travaillant  avec  une  adresse 
moyenne  ne  sont  plus  capables,  en  raison  des  circonstan- 
ces techni(jues  de  l'extraction,  de  se  faire  le  gain  hebdo- 
madaire égal  à  la  somme  adoptée  dans  le  contrat  collectif 
comme  «  moyenne  du  comté».  Ils  demanderont  alors  au 
Comité  mixte  que  pour  les  rendre  capables  de  se  faire  de 
nouveau  le  salaire  moyen,  le  taux  payé  pour  l'extraction 
du  charbon  soit  élevé  en  proportion.  Le  Comité,  s'il  trouve 
les  faits  suffisamment  établis,  élèvera  alors  le  taux  de 
tonnage  en  conséquence  (2). 

Dans  les  deux  cas,  on  le  voit,  c'est  une  question  techni- 


(1)  Voir  par  exemple  l'analyse  des  procès-verbaux  du  London 
machinesetcn  Board  (tasters  and  Finishers).  Report  on  Stn'kes  and 
Lock-outs,  1898,  p.  92. 

(2)  Il  se  trouve  précisément  que  celte  révision  dans  les  mines  du 
Northumberland  est  confiée  à  un  Comité  mixte  et  non  à  des  experts 
professionnels  :  c'est  là  au  dire  de  S.  Webb,  une  machine  trop  encom- 
brante qui  implique  des  lenteurs  et  des  complications  :  ceci  s'explique 
à  notre  avis  précisément  parce  qu'on  n'a  pas  tenu  compte  de  la  diffé- 
rence entre  la  partie  professionnelle  et  la  partie  économique  du  con- 
trat. 


124  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

que,  professionnelle  qui  est  discutée  :  il  y  a  plutôt  applica- 
tion au  sens  large  du  taux  de  salaires  convenus  que  modi- 
fication à  ce  taux  de  salaire  :  aussi  dans  ces  deux  cas  et 
dans  les  cas  analogues,  ce  sont  des  comités  mixtes  ou  des 
bureaux  de  conciliation  et  d'arbitrage  qui  interviennent. 
Patrons  et  ouvriers  peuvent  ici  sans  inconvénients  cons- 
tituer au  contrat  collectif  un  organisme  spécialisé. 

B.  —  Modifications  économiques. 

Il  en  est  tout  autrement  au  cas  de  modifications  écono- 
miques;\\ç\  il  s'agit  avant  tout  d'une  modification  (augmen- 
tation ou  diminution)  dans  le  taux  des  salaires  ou  bien 
d'une  diminution  dans  le  temps  de  travail. 

Deux  cas  sont  alors  à  distinguer  : 

La  révision  est  conventionnelle  ou  automatique. 

A.  —  Révision  conventionnelle  :  Le  plus  souvent  le 
contrat  collectif  existant  prévoit  le  mode  de  révision  : 
dans  la  plupart  des  industries,  la  révision  s'effectue  par 
des  négociations  faites  dans  des  conférences  entre  patrons 
et  ouvriers  se  rencontrant  quand  l'occasion  l'exige. 

Il  est  intéressant  de  voir  une  de  ces  conférences  mo- 
mentanées à  l'œuvre.  L'assemblée  historique  qui  siégea 
toute  la  nuit,  termina  le  grand  conflit  de  1893  et  conclut 
le  contrat  adopté  dans  le  métier,  a  été  vivement  décrite 
par  un  des  agents  de  la  Trade-Union  (1)  qui  y  prit  part. 
Les  patrons  avaient  demandé  une  réduction  de  10  0/0, 
tandis  que  les  ouvriers  préconisaient  qu'il  serait  meilleur 
de  réduire  le  nombre  des  heures  de   travail  par  semaine. 


(1)  Hoio  matters  were  arrangea.  Cotton  Factory  Times,  31  mars 
1893. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN   ANGLETERRE  425 

L'arrêt  de  rindustrie  n'avait  pas  duré  moins  de  20  semai- 
nes, chaque  fabrique  dans  toute  l'industrie  étant  fermée. 
Les  sentiments  des  deux  partis  étaient  très  montés,  mais 
après  de  fréquentes  négociations  elles  commentaires  inces- 
sants des  journaux,  les  points  à  résoudre  avaient  été  res- 
treints et  les  deux  partis  sentirent  le  besoin  de  mettre  fin  au 
confit.  Pour  échapper  à  la  foule  des  journalistes,  le  lieu  de 
rassend)lée  fut  tenu  secret  et  fixé  pour  3  heures  dans  un 
hôtel  du  pays  auquel  tous  les  partis  se  rendirent  ensemble 
par  le  même  train. 

Du  coté  des  patrons  étaient  M.  A.-E.  Rayner  (ici  les 
noms). 

M.  Rayner  est  nonmié  président  à  l'unanimité.  Les  deux 
partis  avaient  préparé  et  fait  imprimer  une  série  de  propo- 
sitions que  les  patrons  avaient  réunies  côte  à  côte  sur  la 
même  feuille  ;  il  n  y  avait  pas  grande  différence  entre  ces 
propositions. 

La  clause  ayant  trait  à  la  réduction  étant  la  première 
dans  leurs  feuilles,  les  patrons  en  avaient  laissé  le  montant 
en  blanc,  tandis  que  les  ouvriers  avaient  mis  2  1/2  0/0. 

Les  patrons  voulaient  renvoyer  la  discussion  sur  ce  point 
à  la  fin  de  la  réunion,  mais  sentant,  qu'à  moins  d'un  ac- 
cord sur  ce  point,  tout  le  temps  dépensé  à  discuter  d'autres 
clauses  serait  perdu,  les  ouvriers  insistèrent  pour  qu'il 
fut  discuté  en  premier  lieu.  Les  patrons  alors  se  retirèrent 
et  après  une  absence  de  quelque  temps  rentrèrent  et  offri- 
rent d'accepter  une  réduction  de  3  0/0. 

Les  ouvriers  alors  se  retirèrent  à  leur  tour  et,  après  une 
absence  prolongée,  acceptèrent  une  réduction  de  7  pence 
la  livre  2,916  0  0.  Puis  suspension  pour  le  thé.  La  discus- 
sion fut  reprise  sur  le  même  sujet  ;   elle  fut  menée  par  le 


126  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE   IV 

moyen  de  dépulations  d'une  section  à  l'autre,  on  trouva  ce 
moyen  plus  rapide  que  celui  de  longs  discours  en  assem- 
blée générale  qui  n'aboutissaient  ordinairement  à  rien.  On 
s'arrêta  enfin  à  sept  pence  ;  quelques  clauses  de  moindre 
importance  furent  discutées.  La  discussion  suivante  por- 
tait sur  l'arrangement  des  intervalles  de  temps  entre  les- 
quels les  salaires  ne  pourraient  être  discutés  ;  elle  dura 
jusqu'à  10  heures:  chacun  alors  étant  fatigué  et  anxieux 
désirait  rentrer  chez  lui,  mais  comme  il  semblait  y  avoir 
chance  de  se  mettre  définitivement  d'accord,  on  considéra 
qu'il  ne  fallait  pas  courir  le  risque  de  rendre  la  réunion 
inutile  en  se  séparant.  Un  ajournement  d'une  demi-heure 
fut  conclu  pour  donner  aux  membres  exténués  la  faculté 
de  se  rafraîchir.  Le  thé,  une  cigarette  et  un  tour  de  pro- 
menade remirent  chacun  et  quand  l'affaire  fut  résumée 
cela  alla  sur  des  roulettes. 

Les  patrons  parlèrent  peu  sur  leur  clause,  que  les  unions 
d'ouvriers  devaient  travailler  en  paix  avec  les  ouvriers 
non  unis,  et  sur  cette  autre  clause  affirmant  que  dans  tout 
projet  de  changement  du  taux  des  salaires,  l'état  du 
métier  pour  les  trois  années  à  prévoir,  devait  entrer  en 
compte. 

Quand  cela  fut  fini,  les  clauses  restantes,  affirmant  le 
désir  commun  des  patrons  et  des  ouvriers  de  travailler  pour 
favoriser  les  intérêts  généraux  du  métier,  furent  bientôt 
expédiées.  Il  était  presque  4  heures  du  matin,  lorsque  les 
membres  exténués  se  précipitèrent  pour  prendre  un  léger 
changement  d'air,  tandis  que  la  convention  était  élaborée 
avec  un  grand  nombre  de  papiers  (relatant  les  points  parti- 
culiers) mis  en  forme.  A  ce  moment,  un  petit  incident  fut 
causé  par  l'arrivée  en  voiture  d'un  journaliste  de  Manches- 


LE   CO.NTRAT   COLLECTIF   EN    -ViNGLETERRE  127 

1er  qui,  après  avoir  baltu  tout  le  sud-est  du  Lancashire, 
afin  de  découvrir  le  lieu  de  l'asseuddce,  le  trouvait  enfin. 
Six  lignes  de  reportage  ayant  récompensé  cette  expédition, 
il  repartit  s'en  prendre  à  son  journal.  Aolieures  juste,  après 
14  heures  de  séance,  les  documents  étant  prêts,  les  signatu- 
res requises  données,  après  quelques  remarques  élogieuses 
et  pleines  de  cœur  du  président,  auquel  il  fut  adressé  un 
vote  de  remerciements,  la  séance  fut  levée.  (Traduit  de 
S.  Webb,  Ind.  Democracy). 

Ainsi,  dans  l'industrie  du  coton  (filature  et  tissage), 
les  contrats  collectifs  sont  conclus  par  des  conférences 
entre  patrons  et  ouvriers.  Il  y  a  alors  débat  entre  les 
représentants  appointés  de  tout  le  corps  des  patrons,  ac- 
compagnés de  leurs  agents  et  avocats,  et  le  comité  central 
exécutif  de  V Amalgamaled  Society  coton  spinners  répré- 
sentant toutes  les  unions  de  districts. 

Ainsi  de  même  dans  la  chaudronnerie  où  TUnited  So- 
ciety of  Boiler-makers,  passe  le  contrat  avec  les  représen- 
tants des  patrons. 

Parfois,  au  lieu  de  convoquer  extraordinairement  ces 
assemblées,  les  contrats  collectifs  établissent  des  comités 
mixtes  (joint  committees),  corps  permanents  composés 
de  représentants  choisis  par  les  unions  patronales  et  ou- 
vrières, chargés  de  procéder  à  ces  revisions  de  tarifs  se 
traduisant  par  des  augmentations  ou  diminutions  de  tant  0/0 
sur  la  moyenne  de  comté. 

C'est  le  cas  dans  les  mines  du  Durham,  où  a  été  créé 
en  1895,  un  bureau  de  conciliation  (1),  se  composant  de 
8  représentants  choisis  par  l'association  des  propriétaires 


(1)  Cf.  Report  on  Strikes  and  Lock  ouïs,  1895,  p.    150  ;'  Labour 
Gazette,  qov.  1899,  vol.  VU,  p.  328. 


128  PRËMlÈRh:    PARTIR.    CHAPITRE    IV 

de  mines  et  de  8  représentants  choisis  par  les  unions  de 
mineurs  avec  recours  possible  à  un  ari)itre. 

C'est  de  même  ce  qui  existe  dans  la  fédération  des  dis- 
tricts d'Angleterre  et  d'Ecosse  :  Lancashire,  Yorskshire, 
the  Midlands,  Bristol  and  Nortli  Wales,  Nortliumberland, 
Soutii  Straffordshire  et  East  Worcestershire,  plus  tous  les 
districts  d'Ecosse  :  le  Board  ot"  conciliation  est  ici  formé  de 
13  représentants  de  chaque  côté,  avec  un  président  ayant 
voix  prépondérante. 

Ainsi  que  les  conférences  se  réunissent  lorsqu'il  y  a 
lieu  ou  que  ces  Gonn'tés  permanenls  soient  au  préalable 
constitués,  ce  qui  caractérise  ces  révisions  et  modifica- 
tions économiques,  c'est  la  nécessité  où  se  trouvent  les 
patrons  et  les  ouvriers  de  retenir  ce  consentement  final 
qui  doit  les  obliger  et  modifier  leur  situation  écono- 
mique. 

B.  —  Rédisiotis  automatiques.  —  Pi'écisément  pour 
éviter  la  réunion  fréquente  de  ces  grandes  conférences  oij 
tout  l'avenir  du  métier  pour  ainsi  dire  est  mis  en  jeu  par 
la  question  de  guerre  ou  de  paix,  certaines  industries  ont 
préféré  assurer,  par  le  contrat  collectif,  la  révision  auto- 
matique des  tarifs  :  c'est  le  cas  des  contrats  collectifs  éta- 
blissant une  échelle  mobile. 

Les  salaires  varient  alors  automatiquement  et  suivant 
le  prix  de  vente  de  certains  produits  : 

Ainsi  dans  les  mines  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  c'est 
le  prix  de  vente  du  charbon  extrait  qui  sert  de  régulateur 
aux  salaires. 

Dans  l'industrie  des  hauts  fourneaux  (1),  l'échelle  mo- 
bile est  basée  sur  le  prix  de  vente  du  saumoa  de  fer. 


(1)  Districts  de  Cleveland,  Cuhiberland  et  North  Lancashire. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  120 

Dans  celle  des  travailleurs  du  fer  et  de  l'acier  (4),  elle 
est  basée  sur  le  prix  de  vente  de  rails  d'un  type  déter- 
miné. 

Pour  les  pudleurs  du  nord  de  l'Angleterre,  le  salaire 
suit  exactement  les  variations  du  prix  de  vente  du  fer 
fini. 

Par  ces  diverses  combinaisons,  on  a  cherché  à  éviter 
les  modifications  contractuelles  trop  fréquentes  qui  ris- 
quent toujours  d'échouer. 

Mais  ce  système  n'est  pas  sans  soulever  en  Angleterre 
même  d'assez  sérieuses  critiques  :  elles  se  ramènent  toutes 
ou  à  peu  près  à  ceci  ;  c'est  que,  par  cet  automatisme,  ni 
les  patrons,  ni  les  ouvriers  ne  sont  plus  maîtres  de  la 
situation  économique. 

Ainsi  et  pour  conclure  sur  le  mécanisme  du  contrat 
collectif,  sa  constitution  et  son  organisation  sont  en  quel- 
que sorte  dominées  par  deux  points  de  vue  opposés  :  la 
nécessité  dun  organisme  spécialisé,  professionnel,  pour 
tout  ce  qui  concerne  la  partie  technique  du  contrat  et  la 
nécessité  non  moins  impérieuse  de  réserver  aux  parties, 
comme  dans  tout  contrat,  le  droit  de  donner  le  consente- 
ment définitif,  pour  tout  ce  qui  concerne  la  partie  écono- 
mique du  contrat. 

Oscillant  sans  cesse  entre  ces  deux  pôles,  le  méca- 
nisme du  contrat  collectif  s'élabore  lentement  comme  on 
l'a  vu  :  cette  difficulté  technique  du  problème  est  loin 
d'ailleurs  d'être  entièrement  résolue. 

Après  cette  double  étude  du  domaine  et  de  l'organisme 
du  contrat  collectif,  un  troisième  problème  se  pose  :  Quels 


(1)  Dislricls  d'Ëslon,  Barrow  ;   Nouvelle-Galles  du   Sud  et  Mon- 
moutshire. 

BATNAUD  9 


130  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

ont  été  on  Angleterre  les  résultats  du  contrat  collectif?  les 
faits  peuvent  ici  nous  servir  :  il  faut  à  tout  prix  les  exa- 
miner en  détails. 


I  III.  —  Résultats  du  contrat  coLLEcriF. 

Le  contrat  collectif  est  une  forme  très  souple  dans  la- 
quelle on  peut  faire  rentrer  bien  des  clauses;  on  les  peut 
répartir  en  trois  séries  : 

1°  Les  clauses  relatives  aux  salaires  et  au  temps  de 
travail,  qui  sont  les  clauses  j)î^incipales  ; 

2°  Les  clauses  secojidaires,  relatives  à  divers  points 
moins  importants  du  contrat  de  travail. 

3"  Les  clauses  abusives  qui  tendent  à  la  limitation  et  à 
la  fermeture  du  métier. 


1.  —  Clauses  principales  relatives  aux  salaires 
et  au  temps  de  travail  (1). 

Il  est  certain  que  les  clauses  concernant  les  salaires 
constituent  toujours  le  point  le  plus  important  du  contrat 
collectif:  entreprendre  ici  l'étude  détaillée  de  cette  clause 
serait  manifestement  impossible. 

Voici  seulement  à  titre  d'exemple,  un  spécimen  de  l'ac- 
tion du  contrat  collectif  sur  le  salaire  dans  une  industrie 
donnée. 

Depuis   l'adoption  de  la  liste  des  fileurs  de  Bolton  en 


(1)  Jusqu'en  1871  c'élaieiil  les  deux  seuls  objets   pour  lesquels  la 
coalition  fut  licite. 


LB   COiNTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  l3l 


1858  les  fluctuation 

S  ont  été  les 

suivantes  dans  les  listes 

de  prix  : 

1 lifts 
dn  MdifiraliHS. 

■«■lut  4i  thaiffMit. 

liaintiM  — 

1838 

Tarif  adopté 

Tarif  (lisl) 

1860 

+  3 

+  3 

1861 

—  5 

Tarif 

1866 

+  5 

+  3 

1867 

—  3 

Tarif 

1869 

—  3 

—  3 

1871 

+  5 

Tarif 

1872 

+  3 

+  3 

1874 

—  3 

Tarif 

1873 

+  3 

+  3 

1877 

—  3 

Tarif 

1879 

—  10 

—  10 

1880 

+  3 

—  5 

1885 

—  5 

—  10 

1888 

+  3 

—  5 

1890 

+  3 

Tarif 

1900 

+  3 

+  5 

On  voit  d'après  ce  tableau  (1)  et  les  variations  de  la  liste 
de  prix  qui  afiFecte  aujourd'hui  21,000  ouvriers  à  Bolton, 
Chorley,  Manchester,  Reddish,  Leigh  et  Fainworth,  que 
les  listes  de  prix  ont  varié  autour  du  tarif  primitif  {fuii 
list  priées)  :  on  ne  peut  d'ailleurs  en  déduire  aucune  con- 
séquence bien  précise  sur  les  salaires,  il  faudrait  pour  cela 
étudier  en  détail  les  prix  de  la  liste  de  1858  et  comparer, 
en  raison  de  la  productivité  du  travail  croissant,  la  tâche 
journalière  de  chaque  ouvrier. 


(i)  Labour  Gazette,  février  1900,  p.  39. 


13^ 


iPREMiERE    PARTIE.    CHAPITRE    iV 


C'est  donc,  on  le  voit  par  cet  exemple,  un  travail  qui 
dépasse  de  beaucoup  les  limites  de  celte  étude  que  celui 
qui  consisterait  à  étudier  ces  variations  en  détail  :  le  pré- 
sent exemple  avait  seulement  pour  but  de  faire  compren- 
dre l'importance  capitale  de  cette  clause  concernant  les 
salaires. 

Deux  observations  s'imposent  cependant  :  Le  plus  sou- 
vent, pour  ne  pas  dire  toujours,  le  contrat  collectif  établit 
un  taux  de  salaire  minimum,  directement  parfois  comme 
dans  le  cas  de  la  moyenne  de  comté,  indirectement  le 
plus  souvent  par  la  fixation  d'un  tarif  aux  pièces  :  lorsque 
ce  salaire  est  fixé  au  temps,  on  a  tout  de  suite  un  mini- 
mum de  salaires  ;  lorsqu'au  contraire  il  est  fixé  aux  piè- 
ces, on  ne  fait  que  s'en  rapprocher. 

Il  serait  fort  intéressant  d'évaluer  avec  quelque  rigueur 
l'action  du  contrat  collectif  sur  les  salaires  en  Angleterre 
pendant  la  fin  du  XIX"  siècle  :  c'est  là  malheureusement 
un  travail  qu'il  est  impossible  de  mener  à  bien,  tant  à 
cause  de  l'incertitude  et  des  lacunes  des  statistiques,  que 
des  causes  complexes  qui  agissent  sur  ces  salaires. 

De  la  même  manière,  les  clauses  relatives  au  temps, 
soit  pour  la  journée  normale,  soit  pour  les  heures  supplé- 
mentaires de  travail,  ont  aussi  une  importance  capitale:  à 
cet  égard,  le  contrat  collectif  a  eu  encore  pour  résultat  une 
notable  diminution  du  temps  de  travail. 

Il  est  certain  qu'une  des  causes  qui  a  môme  empêché  le 
contrat  collectif  de  produire  sur  ce  point  des  résultats  beau- 
coup plus  considérables  est  la  connexité  de  toutes  les  opé- 
rations industrielles  :  la  fabrique  à  ce  point  de  vue  est 
assujettie  par  la  nature  des  choses  à  une  règle  commune: 
c'est  ainsi  par  exemple  que  dans  les  mines  de  Northum- 
berland  et  Durham  le  travail  de  8  heures  pour  tous  est  re- 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    EN   ANGLETERRE  133 

poussé  par  certains  mineurs  du  fond,  parce  que,  le  temps  de 
travail  ainsi  réduit  pour  les  boys,  ils  verraient  le  leur  en- 
core plus  réduit  et  subiraient  une  trop  notable  diminution 
de  salaires. 

Mais  —  et  c'est  là  au  point  de  vue  du  temps  de  travail, 
comme  au  point  de  vue  des  salaires  —  l'admirable  résul- 
tat du  contrat  collectif  :  il  établit  des  conditions  minima  : 
sans  doute,  et  ce  serait  radicalement  impossible,  on  ne 
tient  pas  compte  des  désirs  variables,  des  capacités  et  des 
besoins  des  différents  ouvriers  mais  la  règle  uniforme 
obligatoire  au  lieu  d'être  établie  unilatéralement  par  le 
patron  est  consentie  par  les  deux  parties  :  les  ouvriers 
agissant  collectivement,  le  temps  de  travail  est  établi  en 
raison  des  seules  circonstances  professionnelles  et  l'ex- 
ploitation capitaliste  (1)  est  par  là  supprimée. 

JI.  —  Clauses  secondaires  relatives  à  divers  points  du  contrat 

de  travail. 

A.  —  Durée  de  rengagement.  —  A  cet  égard  le  contrat 
collectif  a  eu  un  double  résultat  : 

Il  a  abrégé  cette  durée  et  il  Ta  uniformisée  pour  tous  les 
ouvriers  du  métier  englobés  dans  le  contrat. 

Il  est  clair  d'abord  que  pour  l'introduction  même  du 
contrat  collectif  dans  chaque  métier,  la  politique  des 
Trade-Unions  (2)  devait  inscrire  dans  son  programme  la 
réduction  de  la  durée  des  engagements  :  la  défense  des 
travailleurs  individuels  ne  devenait  vraiment  possible  que 


(1)  Nous  entendons  par  là  l'introduction  des  considérations  extra 
professionnelles  dans  le  contrat  de  travail. 

(2)  Voyez  Sidnev  Webb,  Indmtrinl  Democracy,  II,  p.  431. 


134  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

de  celte  manière.  Mais  une  fois  le  principe  admis,  Ja  durée 
de  validité  du  contrat  collectif  dont  la  moyenne  est  habi- 
tuellement d'un  an,  avec  délai  de  préavis,  devait  ainsi 
atteindre  de  nouveau  une  certaine  importance  :  parle  mé- 
canisme même  qu'il  met  en  jeu,  le  contrat  collectif  ne  peut 
être  passé  trop  fréquemment  (1)  ;  on  a  vu  cependant  que 
certaines  révisions  (les  modifications  techniques)  interve- 
naient parfois  plus  fréquemment  sans  en  modifier  les 
bases  fondamentales. 

L'uniformité  de  la  durée  de  l'engagement  pour  tous 
était  dans  la  logique  même  du  système  :  cependant  il  sub- 
siste à  cet  égard  quelques  exceptions. 

B.  —  Hygiène  et  sécurité.  —  Il  est  certain  qu'à  ce 
point  de  vue  le  contrat  collectif  a  eu  également  de  notables 
résultats  :  parfois  certaines  clauses  spéciales  sont  insé- 
rées. 

Ici  encore  l'effet  propre  du  contrat  est  d'établir  des  con- 
ditions minima  :  ces  règles  d'hygiène  et  de  sécurité  par  la 
nécessité  même  des  choses  doivent  être  communes  à 
tous  ;  elles  seront  alors  établies  par  les  représentants  de 
tous  (2). 

A  cet  égard  sans  doute  l'éducation  des  ouvriers  est  loin 
d'être  achevée  ;  et  plus  d'un  manque  encore  de  ces  no- 
tions élémentaires  d'hygiène  et  de  sécurité:  mais  il  est 
certain  que  du  jour  où  ils  le  voudraient  et  en  compren- 


(1)  Ainsi  par  exemple  dans  l'accord  conclu  le  24  mars  d893  entre  la 
South  Lancashire  Fédération  et  l'union  ouvrière  un  article  prévoit 
qu'un  an  devra  s'écouler  entre  chaque  augmentation  ou  diminution 
de  salaires  (De  Rousiers,  op.  cit.,  p.  325). 

(2)  Nous  touchons  par  là  à  la  délicate  question  des  Règlements 
d'atelier  :  ils  mériteraient  à  ce  titre  une  étude  spéciale  pour  voir  la 
part  de  contrat  collectif  qu'ils  ont  admise  aujourd'hui. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    EN   ANGLETERRE  135 

draiont  l'importance,  il  y  aurait  là  matière  à  des  clauses 
nombreuses  du  contrat  collectif  ;  il  faudrait  pour  cela  que 
les  ouvriers  comprissent  mieux  encore  qu'une  usine  où 
les  ouvriers  sont  trop  nombreux,  que  des  bâtiments  mal 
ventilés,  que  des  émanations  putrides,  un  machinisme 
imparfait,  leur  sont  aussi  funestes  qu'une  journée  de  travail 
trop  prolongée. 

C.  —  Introduction  de  nouvelles  machines  dans  le 
métier.  —  11  est  incontestable  que  l'introduction  de  nou- 
velles machines  (1)  changent  le  plus  souvent  les  conditions 
auxquels  les  ouvriers  ont  été  engagés  et  modifient  les  ha- 
bitudes du  travail;  à  cet  égard  une  clause  sur  les  consé- 
quences de  cette  introduction  de  nouvelles  machines  est 
logiquement  matière  du  contrat  collectif:  ici  sans  doute  le 
contrat  collectif  n'a  pas  donné  toute  sa  mesure,  la  persis- 
tance de  certains  préjugés  rend  ses  progrès  sur  ce  point 
plus  lents  qu'ailleurs  :  cependant  on  peut  citer  quelques 
exemples  remarquables  : 

En  1875  la  Glass  Bot t le  Makers' Society  du  Yorkshire 
(société  de  fabricants  de  bouteilles)  refusa  de  travailler 
avec  un  nouveau  fourneau  à  gaz,  parce  que,  disaient-ils,  il 
impliquait  un  système  de  3  équipes. 

Parfois  au  contraire  l'introduction  d'un  nouveau  pro- 
cédé est  indirectement  imposée  ;  c'est  ainsi  que  cette  même 
société  de  fabricants  de  bouteilles  de  verre  de  Yorkshire  — 
en  présence  d'un  nouveau  système  de  «  pot  setting  »  (pose 
de  pots)  qui  était  plus  rapide  et  plus  sûre  que  l'ancienne,  exi- 
gea des  fabricants  qui  gardaient  le  vieux  système  un  salaire 


(1)  Sans  doute  c'est  le  patron  seul  qui  doit  décider  s'il  les  introduira 
ou  non,  mais  une  fois  la  résolution  prise,  les  ouvriers  peuvent  et  doi- 
vent intervenir. 


136  PKEMIKRR    PARTIR.    CHAPITRE    IV 

de  2  sh.  par  ouvrier  pour  chaque  opérations,  alors  que  le 
salaire  était  seulement  de  6  d.  pour  le  nouveau)  (1). 

D.  —  Malfaçons  et  garantie  contre  cessation  inop- 
portune de  travail.  —  Le  contrat  collectif  permet  d'ap- 
porter une  précision  plus  grande  dans  la  détermination 
des  tâches  ainsi  que  dans  la  fixation  des  amendes  des 
malfaçons. 

C'est  ainsi  que  la  Society  ol  Boilermakers  and  Shipbuil- 
ders  (ouvriers  travaillant  à  la  fabrication  des  chaudières  et 
aux  constructions  navales),  rembourse  souvent  aux  pa- 
trons des  indemnités  importantes,  qu'elle  recouvre  d'ail- 
leurs contre  ses  ouvriers,  pour  dommages  causés  par  l'inex- 
périence, la  négligence  et  l'inconduite  des  unionistes  (2). 

De  même  dans  l'industrie  de  la  chaussure,  un  forfait  de 
1,000  livres  sterlings  est  déposé  par  chaque  partie  pour  la 
loyale  exécution  des  termes  de  l'accord  :  sur  cette  somme 
Lord  James,  arbitre  dans  un  conflit,  a  donné  récemment 
un  accompte  de  300  livres  sterlings  à  l'association  patro- 
nale pour  non-exécution  des  règles  par  des  ouvriers  de 
Londres  (3). 

E.  —  Apprentissage.  —  Ekifin,  et  c'est  la  dernière 
clause  dont  nous  voulions  faire  ici  une  mention  spéciale, 
le  contrat  collectif  contient  fréquemment  des  clauses  rela- 
tive à  l'apprentissage  (4).  En  ce  cas  on  fixe  l'âge  de  l'en- 


(1)  Cf.  Annuel  Reports  of  Ihe  Yorkshire  Glass  Boltle  Makers'So- 
ciety  for  1875. 

(2)  Cf.  de  Bousiers,  op.  cit.,  p.  240. 

(3)  M.  Pherson,  Conciliation  and  Arbitration  in  Greal  Brilain  dans 
le  Bulletin  ofdep.  of  Labour,  mai  1900,  p.  542. 

(4)  Parfois  aussi  ces  conditions  de  l'apprentissage  font  l'objet  d'un 
contrat  spécial  :  ex.  :  traité  de  d893  sur  la  question  de  l'apprentissage 
entre  les  patrons  et  la  société  des  constructeurs  de  navires. 


LE   COiNTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  137 

trée  en  apprentissage  (avant  18  ans  par  exemple),  la  du- 
rée de  l'apprentissage,  la  proportion  —  et  c'est  là  un  point 
auquel  on  attache  une  grande  importance  de  l'aulre  côté 
du  détroit  —  entre  le  nombre  d'apprentis  que  chaque 
maison  peut  faire  pour  un  nombre  donné  d'ouvriers. 

Dans  le  bâtiment  surtout,  il  y  a  à  cet  égard  de  fréquen- 
tes conventions  (1). 

Dans  l'industrie  de  la  chaussure  de  même. 

De  là  à  exiger  l'apprentissage  pour  l'entrée  dans  le  mé 
tier,  il   n'y  a  qu'un  pas  et  c'est  ainsi   que  nous   sommes 
naturellement  conduits  à  étudier  les  clauses  que  nous  avons 
qualifiées  d'abusives. 

m.  —  Clauses  abusives  tendant  à  la  limitation  et  à  la 
fermeture  du  métier. 

Au  point  de  vue  de  l'apprentissage  d'abord,  on  rencon- 
tre parfois  la  condition  d'apprentissage  exigée  pour  entrer 
dans  le  métier;  parfois  aussi,  une  clause  du  contrat  col- 
lectif défend  aux  ouvriers  de  prendre  leurs  fils  comme  ap- 
prentis. 

Parfois  c'est  la  profession  elle-même  qui  est  réglemen- 
tée par  le  contrat  collectif  : 

C'est  ainsi  par  exemple  qu'un  article  10  du  règlement 
de  travail  délibéré  et  arrêté  conjointement  par  l'Associa- 
tion des  patrons  et  l'Association  des  ouvriers  plâtriers  du 
District  de  Manchester  et  de  Salford  (17  juin  1895)  porte  (2)  : 

Aucune  autre  personne  qu'un  plâtrier  ne  sera  autorisé  à 
exécuter  une  partie  quelconque  du  travail  de  plàtrerie  :  le 


(1)  Belfast,  1891.  —  Manchester,  1895. 

(2)  Cf.  de  Rousiers,  op.  cit.,  p.  09. 


138  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE   IV 

travail  comprendra  le  lattage  ou  tel  procédé  destiné  à  le 
remplacer,  la  mise  en  place  des  moulures  d'ornements,  les 
travaux  de  ciment,  la  préparation  des  surfaces  destinées  au 
pavage  en  bois,  le  carrelage,  les  revêtements  de  muraille  en 
faïence.  On  ne  s'opposera  pas  à  laisser  exécuter  par  des 
cimentiers  les  pavages  et  les  marches  (1). 

Parfois  aussi  dans  certains  métiers  comme  les  plombiers, 
vanniers,  etc.,  il  est  fréquent  de  trouver  une  clause  mise 
à  la  demande  des  patrons  qui  défend  et  punit  le  travail 
fait  directement  pour  le  consommateur  ou  pour  une  classe 
de  patrons  qui  pourraient  devenir  les  rivaux  en  clientèle 
de  ceux  qui  sont  entrés  dans  le  contrat  collectif. 

Il  est  clair  que  pareilles  clauses  tendraient  à  nous  rame- 
ner rapidement  vers  le  régime  corporatif  avec  toutes  ses 
restrictions  :  d'ailleurs  la  règle  :  Res  inter  alios  acta  aliis 
neque  nocet  neque  prodest^  ainsi  que  l'application  de  l'idée 
d'ordre  public  suffisent  bien  à  montrer  que  ce  sont  là  des 
abus  qui  ne  sont  nullement  dans  la  logique  du  contrat  col- 
lectif ;  tout  au  contraire  il  les  repousse  et  ne  saurait  les 
admettre.  La  valeur  propre  du  contrat  collectif  est  précisé- 
ment d'être  une  conciliation  entre  l'intérêt  professionnel  et 
la  liberté  individuelle  :  il  ne  faudrait  à  aucun  prix  qu'il 
perdit  cette  vertu  précieuse  en  admettant  des  clauses  qu'il 
suffirait  d'ailleurs  de  déclarer  contraires  à  la  liberté  de  l'in- 
dustrie. 

Ainsi  le  contrat  collectif  en  Angleterre  est  parvenu   à 


(1)  II  ne  faut  pas  confondre  avec  ce  type  de  clauses  les  contrats  con- 
clus entre  deux  unions  :  ex.  :  traité  en  1891  entre  les  branches  locales 
de  la  Société  des  Boilermakers  et  les  mécaniciens  à  Cardiff  —  qui  n'ont 
pas  le  même  caractère  de  contrainte  à  l'égard  de  l'individu.  Webb.  H., 
p.  520, 


LE   CONTRAT    COLLECTIF   EN   ANGLETERRE  139 

des  résultais  remarquables  :  nous  n'avons  pu  que  synthétiser 
les  faits  :  une  étude  de  détails  approfondie  permettrait  de 
saisir  bien  mieux,  en  se  plaçant  au  point  do  vue  de  chaque 
profession,  toute  la  portée  de  cette  nouvelle  forme  écono- 
mique :  le  trop  rapide  abrégé  de  ces  merveilleuses  consé- 
quences suffit  cependant  à  nous  faire  mieux  apprécier  toute 
la  richesse  intime,  toute  la  valeur  sociale  do  notre  contrat 
collectif. 

Et  maintenant,  pour  terminer  rapidement  cette  étude 
des  faits  anglais,  une  double  question  capitale  se  pose 
comme  conclusion  :  Quelles  sont  les  causes  de  cette  re- 
marquable  diffusion  ? 


I  lY.  —  Conclusion  :  Cause  du  développement  anglais  du 

CONTRAT  C0U.ECTIF. 

En  présence  de  cet  admirable  développement,  une  solu- 
tion toute  simple  paraît  s'imposer  :  le  développement  du 
contrat  collectif  est  dû  en  Angleterre  au  mouvement  Trade- 
unioniste. 

II  est  certain  —  et  sur  ce  point  tous  les  auteurs  sont 
unanimes  (1)  que  la  Trade  Union  présente  au  point  de 
vue  du  contrat  collectif  les  plus  notables  avantages  :  elle 
permet  d'arriver  par  la  caisse  de  résistance  à  imposer  le 
principe  du  contrat  collectif  ;  elle  permet  en  second  lieu 
de  rétendre  progressivement  à  tout  un  district  .et  par  le 


(1)  Cf.  de  Rousiers,  p.  H.  —  Sidney  Webb,  Ind.  Democracy,  t.  II, 
p.  179. 


140  PREMIÈRK    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

système  des  Fédérations  d'Union  à  tout  le  pays  ;  enfin  et 
surtout  elle  en  assure  l'application. 

Il  y  a  plus  —  et  c'est  là  un  point  de  vue  qu'on  ne  sau- 
rait trop  mettre  en  relief  :  bien  mieux  qu'un  comité  éphé- 
mère, sans  surface,  sans  autorité  vis-à-vis  du  patron,  sans 
crédit  auprès  des  ouvriers,  elle  peut  substituer  au  régime 
des  conflits  et  des  grèves  le  régime  mille  fois  préférable 
de  la  paix  armée,  c'est-à-dire  des  contrats  collectifs  con- 
clus pacifiquement  (1). 

Et  tous  ces  heureux  résultats  s'expliquent  d'un  mot  : 
la  Trade  Union  est  la  représentation  permanente  des  inté- 
rêts des  ouvriers. 

Mais  faut-il  attribuer  ce  mouvement  pour  totalité  au 
Trade-Unionisme  ? 

Ce  serait  là  assurément  une  erreur  :  on  pourrait  dire 
que  des  sections  entières  de  la  classe  ouvrière  composées 
de  non  unionistes  ont  leur  taux  de  salaires  habituellement 
fixés  par  contrat  collectif  :  mais  ce  ne  serait  pas  une  preuve. 
Il  y  a  mieux  :  ainsi  les  grèves  du  bâtiment  de  Londres  en 
1859  et  des  mécaniciens  de  Newcastle  en  1872  furent  con- 
duites par  des  comités  élus  dans  divers  meetings  auxquels 
prenaient  part  tous  les  membres  du  métier  et  qui  deve- 
naient ainsi  des  associations  professionnelles  d'occasion  : 
ces  comités  sont,  au  témoignage  de  B.  et  S.  Webb  (2),  arri- 
vés à  conclure  dans  le  bâtiment  et  la  mécanique  des  con- 
trats au  nom  de  tout  un  district  :  ainsi  contrats  collectifs 


(1)  Cf.  de  Rousiers,  p.  36. —  L'auteur  montre  combien  la  valeur  in- 
dividuelle des  officiers  du  Trade  Union,  leur  bon  sens  pratique,  la  bonne 
organisation  de  l'Union,  la  responsabilité  acceptée,  etc.,  sont  favorables 
à  la  conclusion  du  contrat  par  l'Union. 

(2)  Industrial  Democracy,  melhod  of  collect.  Bargaining. 


LB    CONTRAT    COLLECTIF    EN    ANGLETERHE  141 

LMi  dehors  du  Trade-Unionisme,  telle  est  la  première  cause 
qui  doit  nous  faire  repousser  une  affirmation  trop  absolue. 

Contrats  colleclifs  en  second  lieu  se  développant  à  la 
fois  et  rayonnant  au-delà  du  Trade-Unionisme  dans  l'espace 
et  dans  le  temps  :  bien  souvent  les  clauses  du  contrat 
collectif  régissent  non  seulement  les  unionistes,  mais 
mais  encore  par  diffusion  tous  les  ouvriers  d'un  métier  : 
le  contrat  collectif  devient  la  coutume  du  métier  :  dans 
les  métiers  du  bâtiment  par  exemple,  les  juges  de  la  Cour 
de  justice  appliquent  les  règles  du  travail  (working  rules) 
établies  par  contrat  collectif  comme  ayant  été  tacitement 
acceptées,  si  aucune  stipulation  contraire  n'a  été  faite  sur 
les  points  fixés  par  ces  règles. 

De  la  même  manière  le  contrat  collectif  rayonne  au-delà 
du  Trade-Unionisme  dans  le  temps  :  c'est-à-dire  que  par- 
fois des  taux  de  salaires  établis  par  contrat  collectif,  au- 
trefois courants,  aujourd'hui  tombés  en  désuétude,  servent 
aux  patrons  isolés  comme  moyenne  pour  la  détermination 
des  salaires  de  leur  établissement  :  les  salaires  varient 
alors  de  maison  à  maison  dans  le  même  district,  mais  sont 
tous  calculés  par  diverses  modifications  (discounts)  aux 
anciens  tarifs  (1). 

Ainsi  les  Trade-Unions  sont  une  des  principales  causes 
de  la  diffusion  du  contrat  collectif,  mais  ce  n'est  pas  la 
seule. 

Il  faut  ici  mentionner  l'expérience  patronale  et  l'expé- 
rience ouvrière  :  patrons  comme  ouvriers  se  sont  rendus 
compte  des  avantages  considérables  que  présentait  pour 
les  uns  comme  pour  les  autres  le  système  du  contrat  col- 


1)  Report  :  Standard  pièce  rates,  1894,  p.  XVI. 


142  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

lectif  et  l'ont  substitué  de  propos  délibéré  au  système  du 
contrat  individuel. 

C'est  ainsi  que  d'une  parties  patrons  acceptent  certaines 
listes  publiées  de  la  seule  autorité  des  unions  ouvrières  : 
liste  de  prix  pour  le  travail  de  l'étain  dans  les  travaux  de 
l'Etat  ;  liste  en  vigueur  dans  l'industrie  de  la  vannerie  ; 
listes  de  salaires  pour  la  fabrication  du  verre  de  bouteille 
à  Londres,  tandis  que  d'autre  part  les  ouvriers  acceptent 
certaines  listes  publiées  de  la  seule  autorité  des  patrons  : 
liste  des  filateurs  de  coton  à  Burnley,  des  tisseurs  de  laine 
à  Huddersfield,  des  coupeurs  de  velours  à  Congleton  (1). 

Dans  les  deux  cas,  il  y  a  contrat  collectif  tacite  (2). 

Enfin  comme  dernière  cause  de  développement  on  ne 
saurait  oublier  le  caractère  strictement  professionnel  (3) 
des  conflits  entre  patrons  et  ouvriers;  il  est  certain  que 


(1)  Cf.  Report  on  Standard  pièce  rates  of  wages,  1900,  p.  XV. 

(2)  A  cet  égard  l'arbitrage  et  ses  heureux  effets  ont  puissamment  con- 
tribué à  donner  aux  patrons  comme  aux  ouvriers  le  sens  des  avan- 
tages qu'ils  trouvaient  à  éviter  les  conflits  ;  mais  en  même  temps 
peut-on  dire  l'arbitrage  portait  sa  limite  en  lui-même  :  il  est  certain 
qu'on  ne  peut  s'en  référer  à  un  arbitre  si  expert  et  si  consommé  qu'il 
soit  pour  toute  la  partie  purement  économique  du  contrat  ;  mais  les 
comités  et  bureaux  d'arbitrage  assurent  la  transition  jusqu'aux  comi- 
tés mixtes  et  aux  conférences  entre  patrons  et  ouvriers  chargés  d'éla- 
borer le  contrat .  En  somme  par  rapport  au  contrat  collectif,  l'arbi- 
trage a  surtout  une  valeur  éducative  ;  il  est  en  quelque  sorte  son  pré- 
curseur ;  mais,  l'exemple  de  l'Angleterre  semble  permettre  de  le  pré- 
voir, le  contrat  collectif  est  destiné  à  expulser  l'arbitrage  d'une  partie 
de  son  domaine  et  de  plus  en  plus  l'accord  sur  les  conditions  du  tra- 
vail traité  par  des  patrons  intelligents  et  des  ouvriers  éduqués  doit  se 
faire  directement  par  le  consentement  des  parties. 

(3)  Au  moins  jusqu'à  ces  cinq  ou  six  dernières  années  :  maintenant 
le  socialisme  semble  impliqué  plus  ou  moins  nettement  dans  la  plu- 
part des  grèves, 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   EN    ANGLETERRE  143 

rorientation  toute  pratique  de  l'ouvrier  anglais,  précisée 
encore  par  l'éducation  qu'il  recevait  des  Unions,  l'a  mer- 
veilleusement préparé  à  cet  opportunisme  pratique  qui 
consiste  à  obtenir  dans  chaque  conflit  tout  ce  qu'on  peut 
obtenir;  les  questions  de  politique  et  dans  une  moindre 
mesure  les  questions  de  personnes  étant  écartées,  il  est  cer- 
tain que  les  intérêts  communs  des  deux  parties  à  l'accord 
par  contrat  collectif  n'en  apparaissaient  que  plus  nets  et 
plus  impérieux. 

Sans  doute,  vu  de  loin,  le  mouvement  se  dessine  avec 
une  majesté  et  une  richesse  imposantes  : 

Cependant  pareil  spectacle  ne  doit  pas  faire  oublier  la 
lente  élaboration  et  les  lents  progrès  par  lesquels  cet  admi- 
rable résultat  a  été  atteint  ;  si  ces  beaux  résultats  donnent 
confiance,  le  souvenir  des  difficultés  vaincues  et  l'histoire 
de  ce  développement  sont  bien  faits  pour  conserver  Tespé- 
rauce. 


CHAPITRE  V 

LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PAYS 
ÉTRANGERS 


AMÉRIQUE 

Parmi  ces  pays  il  faut  mettre  en  première  Jig-ne  les  États- 
Unis  d'Amérique  :  après  l'Angleterre,  c'est  en  effet  chez 
eux  que  le  contrat  collectif  se  trouve  le  plus  développé  (1), 

Il  existe  principalement  dans  l'industrie  du  fer  et  l'in- 
dustrie minière,  ainsi  que  dans  quelques  autres  métiers. 

C'est  dans  la  métallurgie  que  le  contrat  collectif  s'in- 
troduisit tout  d'abord  :  c'est  le  13  février  1865  après  une 
période  chaotique  d'augmentations  et  de  réductions  suc- 
cessives de  salaires,  que  fut  signé  le  premier  contrat  col- 
lectif par  une  conférence  de  patrons  et  d'ouvriers  :  après 
de  nombreuses  réunions  cette  conférence  avait  abouti  à 
une  échelle  mobile  de  salaires  basée  sur  le  prix  du  fer  (2)  : 
le  contrat  devait  rester  en  vigueur  tant  qu'il  n'aurait  pas 


(1)  On  peut  consulter  plus  spécialement  :  L.  Vigoureux,  La  concen- 
tration des  forces  ouvrières  dans  l'Amérique  du  Nord,  Paris  1899. 
Finance,  Les  Syndicats  ouv?ners  aux  États-Unis. 

(2)  Cf.  Industrial  arbitration  and  conciliation,  by  William 
Franklin  Willoughby,  Monographs  of  American  social  économies, 
vel.  X. 


I.K  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PAYS  ÉTRA.NGERS   145 

été  dénoncé  90  jours  à  Tavanee  par  une  des  parties  en 
cause. 

Mais  bientôt  le  prix  du  fer  tombe  sur  le  marché  :  une 
augmentation  de  salaires  est  obtenue  des  manufacturiers 
bientôt  suivie  d'un  renvoi  en  masse  des  ouvriers  pudleurs 
de  décembre  1860  à  mai  1867. 

En  1867  une  nouvelle  échelle  mobile  est  établie  par  con- 
trat collectif  :  le  délai  de  préavis  est  réduit  à  30  jours  et 
des  formantes  sont  prévues  pour  la  conclusion  d'un  nou- 
veau contrat.  Celui-ci  dure  7  ans  :  le  7  novembre  1874,  il 
est  dénoncé  par  les  manufacturiers  :  des  conférences  sont 
établies  sans  résultat  :  la  grève  est  déclarée  et  un  arbi- 
trage vient  y  mettre  fin  en  constituant  une  nouvelle  échelle 
mobile  qui  est  dénoncée  eu  1875.  Peu  après  une  nouvelle 
échelle  est  établie  par  contrat  (l**^  juin)  :  jusqu'en  1880  des 
contrats  sont  ainsi  signés  annuellement.  A  cette  époque 
les  diverses  classes  de  travailleurs  du  fer  s'unissent  pour 
former  l'Amalgamated  association  of  iron,  steel  and  tin 
workers  of  the  United  states  et  c'est  cette  organisation 
qui  s'abouche  maintenant  avec  les  patrons  et  arrête  l'échelle 
de  salaires. 

En  1886  les  patrons  ont  eux  aussi  constitué  une  fédéra- 
tion et  on  a  alors  une  convention  collective  entre  le  Comité 
nommé  par  l'Association  des  manufacturiers  et  le  Comité 
nommé  par  l'Association  amalgamée  :  elle  établit  une 
échelle  de  salaires  valable  pour  tous  les  établissements 
affiliés,  portant  sur  toutes  les  spécialités  de  la  métallur- 
gie. 

Ce  régime  unitaire  cessa  à  la  suite  de  la  grève  de  1892 
due  au  refus  des  Unions  locales  d'accepter  un  abaisse- 
ment de  salaires  motivé  par  des  perfectionnements  tech* 
niques. 

RATXACD  10 


146  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

Depuis,  l'Associalion  amalgamée  a  réglé  les  conditions 
du  travail  chaque  année;  mais  au  lieu  d'un  contrat  collectif 
unique,  il  y  a  eu  une  série  de  contrats  passés  avec  les 
divers  établissements  métallurgiques. 

L'élaboration  de  ces  contrats  (1)  implique  tout  un  méca- 
nisme des  plus  intéressants:  ce  sont  de  véritables  codes 
du  travail  d'une  longueur  remarquable  :  c'est  ainsi  par 
exemple  que  les  dix  contrats  passés  en  1896  par  Y  Illinois 
Steel  Co,  qui  occupe  environ  10,000  ouvriers,  avec  l'Asso- 
ciation amalgamée,  couvrent  32  pages  in-12  de  texte  très 
serré.  Le  renouvellement  de  ces  contrats  a  lieu  tous  les 
ans  au  mois  de  juin  :  il  comprend  plusieurs  phases  qu'il 
est  utile  de  distinguer  : 

a)  Elaboration  des  modifications  à  proposer. 

b)  Ratification  de  ces  modifications  par  la  Convention  re- 
présentant tout  le  métier. 

c)  Accord  avec  les  patrons. 

A.  —  Élaboration  des  modifications  à  proposer. 

Avec  un  régime  de  contrat  collectif  aussi  unifié,  cela 
devient  une  nécessité  de  consulter  soigneusement  les  di- 
vers intéressés  qui  observent  d'autant  mieux  le  contrat 
qu'ils  auront  pris  part  à  son  élaboration  :  aussi  chaque 
année,  les  différentes  unions  locales  (loges)  qui  souhaitent 
qu'on  apporte  certaines  modifications  aux  conditions  du 
travail  existantes,  doivent  les  discuter  à  leur  première  réu- 
nion du  mois  de  mars;  ce  projet  de  modifications  ainsi  dis- 
cuté et  voté  est  transmis  à  la  Loge  nationale,  qui  fait  im- 
primer un  état  général  des  modifications  proposées  et  en 


(1)  Vigouroux,  op.  cit.,  p.  272. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PAYS  ÉTRANGERS       147 

envoie  une  copie  à  chaque  loge.  Celle-ci  discute  de  nouveau 
et  donne  des  instructions  précises  aux  délégués  qu'elle  en- 
voie à  la  convention  annuelle,  qui  se  lient  au  mois  de 
mai. 

De  la  même  façon  la  Loge  nationale  centralise  les  ren- 
seignenjeutssur  la  force  de  résistance  probable  des  patrons. 
((  Deux  semaines  avant  la  convention,  le  correspondant 
de  chaque  loge  doit  envoyer,  sous  peine  d'amende,  à  la 
Loge  nationale,  des  renseignements  très  détaillés  sur  la  si- 
tuation des  différents  établissements  métallurgiques,  le  mon- 
tant des  travaux  effectués  pendant  l'année  écoulée,  les  sen- 
timents des  hommes  à  l'égard  des  salaires  à  établir,  l'éten- 
due et  la  nature  des  stocks  existants,  bref  toutes  les  infor- 
mations susceptibles  de  permettre  aux  comités  des  salaires 
et  à  la  convention  d'arriver  à  bien  se  rendre  compte  de 
la  question  des  salaires  (1).  » 


B .  —  Ratiâcation  des  modifications  proposées  par  la  con- 
vention. 

Ainsi  tout  est  préparé  :  les  délégués  se  réunissent  munis 
à  la  fois  des  instructions  de  leurs  loges  et  des  renseigne- 
ments sur  ce  qu'il  est  possible  d'obtenir  :  la  convention 
examine  les  modifications  proposées.  Il  faut  une  majorité 
des  2/3  des  délégués  pour  les  ratifier. 

Après  cela,  le  président  de  la  Convention  désigne  lui- 
même  un  certain  nombre  de  délégués  chargés  de  conférer 
avec  les  manufacturiers  (2). 


(1)  Vigouroux,  op.  cit.,  p.  273. 

(2)  II  est  curieux  de  voir  que  celle  nomiûalion  se  fait  au  cboix  et 
non  à  l'élection  :  mais  ceci  est  (le  peu  d'imporlauce  :  car  ils  ont,  un 
mandat  quasi  impératif. 


148  PRKMIÈKE  PARTIE.  CHAPITRE  V 


C.  —  Accord  avec  les  patrons. 

L'originalité  de  cet  accord  est  précisément  qu'il  est  signé 
pendant  la  cessation  du  travail  :  le  30  juin  en  effet,  à 
minuit  au  plus  tard,  le  travail  s'arrête  partout  dans  tous 
les  établissements  qui  sont  sous  la  dépendance  de  l'Asso- 
ciation amalgamée.  C'est  là  un  usage  annuel  :  les  patrons 
en  profitent  pour  effectuer  certaines  réparations  :  le  lende- 
main, l^*"  juillet,  les  différents  Comités  nommés  par  les 
Syndicats  de  manufacturiers  s'abouchent  avec  les  délégués 
de  la  Convention  :  le  travail  ne  reprend  que  lorsqu'un 
télégramme  du  président,  annonçant  la  signature  de  tous 
les  contrats,  est  arrivé  dans  la  Loge  locale. 

En  un  mot,  ce  qui  caractérise  ce  mécanisme,  c'est  avant 
tout  \ unification  du  contrat  collectif  pour  tous  les  ou- 
vriers d'un  métier  :  il  est  certain  que  cette  menace  de 
grève  pacifique  doit  être  d'un  grand  appoint  dans  les  con- 
férences entre  patrons  et  ouvriers. 

L'unification  vient  même  tout  récemment  d'être  poussée 
plus  loin  et  en  1900  dans  la  métallurgie,  on  est  revenu  au 
Régime  du  contrat  collectif  national,  unique  pour  tout  le 
métier. 

Des  documents  récents  (1)  nous  permettent  d'insister  sur 
ce  dernier  et  très  réel  progrès  du  contrat  collectif  en  Amé- 
rique, qui  est  ainsi  officiellement  organisé  dans  une  des 
industries  les  plus  importantes. 

L'Association   Internationale  (2)  des  ouvriers    mécani- 


(1)  Circulaire,  Musée  Social,  1  mai  1901  ;  Willoughby,  Um^bitrage 
et  la  conciliation  auœ  Etats-Unis,  p.  303. 

(2)  En  Amérique,  l'épithète  internationale  signifie  surtout  que  l'As- 


I.K  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LKS  AUTRES  PATS  ÉTRANGERS        449 

ciens,  s'étant  beaucoup  développée  et  profitant  de  la  situa- 
tion prospère  de  l'industrie,  rédigea  une  déclaration  por- 
tant sur  plusieurs  points  qui  devaient  être  acceptées  des 
patrons  : 

1°  Reconnaissance  de  l'Union  des  mécaniciens  e!  emploi 
exclusif  des  membres  de  l'Union  ; 

2*^  Augmentation  de  salaires  portés  au  taux  minimum 
de  28  cents  par  heure  ; 

3"  Journée  de  9  heures  ; 

40  Les  heures  supplémentaires  comptées  la  moitié  en 
sus,  et  le  travail  du  dimanche  et  des  jours  de  fête  compté 
pour  un  temps  double  ; 

5*'  Limitation  du  nombre  des  apprentis,  conformément 
au  règlement  de  l'Union  des  mécaniciens,  c'est-à-dire 
1  apprenti  par  atelier  ou  1  apprenti  par  3  mécaniciens. 

Les  ouvriers  en  présentant  ces  revendications  avaient 
fixé  le  l*""  mars  1900,  délai  après  lequel  ils  devaient  recou- 
rir à  la  force.  Les  patrons  n'ayant  pas  cédé,  la  grève  fut 
déclarée  et  s'étendit  rapidement. 

Les  patrons  constituèrent  alors  V  Associât  ion  des  fabri- 
cants de  machines  de  Chicago. 

Après  plusieurs  conférences  qui  n'aboutirent  pas  (1), 
vers  le  17  mars,  une  conférence  régulière  fut  tenue  à  Chi- 
cago, entre  le  bureau  de  ï Association  nationale  de  f  in- 
dustrie métallurgique  (2)  et  celui  de  \ Association  inter- 
nationale des  ouvriers  mécaniciens  :  après  plusieurs  séan- 


sociation  comprend  des  ouvriers  de  plusieurs  Étals  Unis.  Il  y  a  cepen- 
dant aussi  des  Unions  du  Canada  dans  l'Association. 

(1)  Voir  le  délai!,  Willoughby,  loc.  cil.,  p.  304  et  305. 

(2)  A  laquelle  IWssocialion  des  fabricants  de  machines  de  Chicago 
avait  pris  l'initiative  de  soumettre  le  conflit. 


150  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

ces,  le  31  mars,  fut  signé  un  arrangement  important  connu 
sous  le  nom  de  «  Convention  de  Chicago  »  (1).  Les  gré- 
A^istes  la  ratifièrent. 

Cette  convention  reconnaît  d'abord  que  l'Association  na- 
tionale de  l'industrie  métallurgique  d'une  part,  et  l'Asso- 
ciation internationale  des  ouvriers  mécaniciens  d'autre 
part,  représentent  en  fait  tous  leurs  membres  «  avec  auto- 
rité et  pouvoirs  suffisants  pour  agir  en  leur  nom  ». 

Puis  elle  pose  le  principe  de  l'utilité  incontestable  du 
contrat  collectif  : 

«  Considérant  que  l'expérience  déjà  faite  par  l'Associa- 
tion nationale  de  l'industrie  métallurgique  et  par  l'Asso- 
ciation internationale  des  ouvriers  mécaniciens,  légitime 
l'opinion  que  des  arrangements  réciproques  conduisant  à 
une  meilleure  harmonie  des  rapports  entre  patrons  et  ou- 
vriers, seront  avantageux  à  tous  ;  » 

En  conséquence,  elle  adopte  le  principe  de  l'arbitrage 
national  en  le  recommandant  à  tous  et  établit  une  com- 
mission d'arbitrage  (2),  composée  des  présidents  des  deux 
unions  ou  de  leurs  représentants,  et  de  deux  autres  délé- 
gués de  chacune  des  associations,  désignés  par  leurs  pré- 
sidents respectifs.  La  sentence  arbitrale  sera  définitive  et 
en  attendant  qu'elle  soit  rendue,  il  n'y  aura  pas  cessation 
du  travail  par  le  fait  d'une  des  parties  en  conflit. 

Une  lettre  ouverte  des  patrons  et  le  commentaire  de  la 
convention  donné  en  édictorial  dans  l'organe  officiel  de 


{{)  Le  texte  en  est  rapporté  par  Willoughby  ;  loc.  cit.,  p.  306. 

(2)  Le  mot  arbitrage  n'a  pas  ici  son  sens  ordinaire  :  la  question 
n'est  pas  soumise  à  un  tiers,  mais  aux  organisations  nationales  res- 
pectives :  c'est  au  fond  le  principe  du  contrat  collectif  solennellement 
proclamé. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PAYS  ÉTRANGERS       151 

rAssocialion  des  mécaniciens  insistèrent  sur  l'extrçme  im- 
portance (le  cet  accord  (1). 

Le  conseil  mixte  prévu  par  la  Convention  de  Chicago 
se  réunit  le  10  mai  et  par  une  série  de  résolutions  succes- 
sives rég-la  la  plupart  des  points  en  discussion  concernant 
les  conditions  du  travail  ;  quelques-uns  méritent  d'être 
relevés  : 

C'est  ainsi  que  le  conseil  laisse  aux  patrons  le  droit 
d'employer  des  ouvriers  appartenant  ou  non  à  l'union, 
fixe  les  taux  des  heures  supplémentaires,  détermine  le 
nombre  des  apprentis,  etc.. 

Il  est  vrai  que  malgré  ces  nombreuses  clauses,  une  grève 
vient  encore  d'éclater  tout  récemment  dans  l'industrie  des 
mécaniciens  :  mais  il  paraît  que  cette  grève  a  éclaté  sur 
un  point  que  ne  prévoyait  pas  le  contrat  collectif  de  1900  : 
elle  ne  prouve  donc  rien  contre  lui,  mais  seulement  qu'il 
est  à  compléter. 

Comme  le  disait  le  journal  de  l'association.  «  Il  y  au- 
ra bien  quelques  frottements  —  la  perfection  n'existe 
nulle  part  —  mais  ils  seront  réduits  au  minimum...  Il 
faudra  quelque  temps  pour  que  les  choses  marchent  ré- 
gulièrement :  car  des  deux  côtés  l'éducation  est  néces- 
saire. Les  patrons  arrogants  ont  besoin  de  s'élever  à  la 
constatation  de  ce  fait  que  leurs  employés  ont  des  droits 
aussi  bien  qu'eux-mêmes  ;  tandis  que  les  ouvriers  qui 
font  les  fiers  parce  qu'ils  sont  membres  de  l'association 
internationale  des  ouvriers  mécaniciens  ont  besoin  d'être 
tirés  de  leur  ignorance,  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  principe  du  contrat  collectif  natio- 


(l)  Voir  ces  curieux  documents  :  Willoughbj,  loc.  cit. 


152  première:  partie.  —  chapitrr  v 

Utile  a  été  de  nouveau  appliqué  dans  une  des  plus  impor- 
tantes industries  américaines. 

L'histoire  du  contrat  collectif  dans  les  mines  présente- 
rait à  peu  près  les  mêmes  phases  :  le  premier  remonte  au 
mois  d'avril  1869  et  était  conclu  également  pour  une  du- 
rée d'un  an  :  le  contrat  collectif  actuel,  passé  entre  les 
travailleurs  unis  de  la  mine  et  les  directeurs  de  mines,  com- 
porte un  minimum  de  salaires,  un  maximum  de  8  heures 
de  travail  par  jour  et  l'abolition  des  magasms  de  vente 
tenus  par  les  compagnies.  A  la  suite  d'une  grève  très  éten- 
due en  1899,  les  mineurs  unis  ont  obtenu  un  contrat  col- 
lectif national.  Chaque  année  une  convention  est  conclue 
entre  les  exploitants  de  charbon  et  les  mineurs  unis  pour 
une  durée  de  douze  mois  à  partir  du  1*""  avril.  Il  est  même 
remarquable  que  c'est  seulement  en  vertu  d'un  assenti- 
ment commun  et  non  en  vertu  d'une  convention  durable 
que  les  patrons  se  sont  rencontrés  tous  les  ans  depuis  1897 
pour  passer  le  contrat  collectif  (IJ. 

On  peut  signaler  encore  des  contrats  collectifs  impor- 
tants dans  divers  métiers  : 

Dans  l'imprimerie,  on  est  également  arrivé  à  un  contrat 
collectif  national,  passé  entre  V Association  Améincaine 
des  Directeurs  de  Journaux  et  V  Union  internationale 
typographique  (2).  Après  une  série  de  contrats  collectifs 
locaux  où  les  Associations  patronales  s'entendaient  avec 
les  unions  d'ouvriers  imprimeurs,  l'année  1900  a  vu  ap- 


(1)  Willoughby,  loc.  cit.,  p.  318.  —  Cependant,  grâce  à  l'inilialive 
de  l'association  des  Houillères  de  l'Illinois,  la  représentation  patronale 
commence  à  s'organiser.  De  curieuses  déclarations  de  celte  associa- 
tion sont  d'ailleurs  très  nettement  en  faveur  du  contrat  collectif. 

(2)  Willoughby,  loc.  cit.,  p.  311. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES* PAYS  ÉTRANGERS       153 

paraître  le  contrat  collectif  national.  Et  chose  curieuse, 
l'initiative  de  ce  nouveau  progrès  a  été  prise  par  les  pa- 
trons. Une  toute  récente  convention  d'arbitrage  entre  ces 
Unions  cherche  à  assurer  l'exécution  de  ce  contrat  col- 
lectif (1).  L'article  l*""  porte  : 

A  compter  du 1901  et  jusqu'au 1902,  tout 

directeur,  membre  de  l'Association  américaine  des  direc- 
teurs de  journaux,  qui  emploie  des  ouvriers  syndiqués 
dans  un  ou  plusieurs  services,  en  vertu  d'un  contrat  ou  de 
contrats  verbaux  ou  écrits  formés  avec  une  union  locale 
de  typographie  ou  d'autres  ouvriers  affiliés  à  l'union  inter- 
nationale typographique,  devra,  en  ce  qui  concerne  ce 
contrat  ou  ces  contrats,  être  protégé  par  l'Union  interna- 
tionale typographique  contre  tous  départs,  grèves,  boycot- 
tages ou  toute  autre  forme  d'action  concertée  en  vue  de 
troubler  le  paisible  fonctionnement  du  service  ou  des  ser- 
vices dans  lesquels  le  travail  s'exécute  à  la  suite  de  con- 
ventions conclues  avec  une  ou  plusieurs  unions. 

Ledit  directeur  conviendra  avec  l'Union  internationale 
typographique,  que  toutes  difficultés  qui  pourraient  s'élever 
en  vertu  de  ce  contrat  ou  de  ces  contrats  verbaux  ou 
écrits,  entre  lui  et  ses  employés  syndiqués  dans  le  service 
ou  les  services  susdits,  seront  réglés  par  voie  d'arbitrage, 
dans  le  cas  où  elles  ne  pourraient  l'être  par  la  conci- 
liation. 

Dans  les  deux  cas  conciliation  ou  arbitrage  (2)  le  travail 
sera  continué  dans  les  bureaux  du  directeur   en  cause 


(1)  I/accord  est  accepté  des  patrons  et  actuellement  soumis  à  la 
ratification  des  ouvriers. 

(2)  Pour  les  détails  voir  le  texte  de  la  convention  rapporté  VVillou- 
ghby,  loc.  cit.,  p.  314. 


154  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

(art.  4)  et  si  l'une  des  parties  au  conflit  refuse  d'exécuter 
la  sentence  arbitrale,  les  deux  Unions  s'eng-ag-ent  à  lui 
retirer  toute  aide  et  tout  appui:  les  actes  du  patron  ou 
de  l'ouvrier  réfractaire  seront  publiquement  désavoués, 
(art.  11). 

C'est,  on  le  voit,  le  contrat  collectif  poursuivant  l'abo- 
lition de  la  grève. 

D'autres  contrats  moins  complets  existent  encore  dans 
la  cordonnerie,  la  cristallerie,  la  verrerie,  la  fonderie  (1), 
la  chapellerie,  la  filature  du  coton,  le  tissage,  les  tram- 
ways, les  chemins  de  fer,  la  confection,  labrasserie,  etc.. 

L'exemple  de  l'Amérique  nous  permet  donc  de  mettre 
en  relief  un  type  spécial  de  contrat  collectif  :  le  contrat 
collectif  national  poussant  le  plus  loin  possible  l'unifica- 
tion des  clauses  (2)  :  il  y  a  à  cela  évidemment  de  très 
grands  avantages  (cohésion  plus  grande  de  toutes  les  for- 
ces ouvrières)  mais  aussi  de  très  sérieux  inconvénients  : 
un  manque  réel  de  souplesse  et  une  tendance  des  associa- 
tions professionnelles  à  pousser  trop  loin  leur  interven- 
vention  :  la  dernière  grande  grève  américaine,  celle  du 
bâtiment  à  Chicago  en  1900,  mit  fort  bien  en  relief  ces 
inconvénients  (3). 

La  très  grande  centralisation  dans  les  différents  métiers 


(1)  Un  mouvement  très  analogue  à  celui  des  mécaniciens  commence 
à  se  dessiner  dans  les  autres  Unions  de  l'industrie  métallurgique  pour 
arriver  au  contrat  collectif  national. 

(2)  On^^sait  qu'en  Angleterre,  le  contrat  collectif  national  quand  il 
existe  n'établit  que  certaines  bases  très  générales,  sur  lesquelles  vien- 
nent se  greffer  à  la  fois  le  contrat  local  (de  district)  et  le  contrat  par- 
ticulier à  une  usine. 

(3)  Cf.  The  Chicago  Building Trades  conflict  of  1900,  by.  J.  E.  Geor- 
ge dans  The  Quaterly  journal  of  économies,  may  1901. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PAYS  ÉTRANGERS       i  55 

du  bâtiment  avait  permis  dans  la  conclusion  des  derniers 
contrats  collectifs  d'introduire  certaines  règles  par  trop 
exclusives  de  la  lil)€rlé  :  c'est  ainsi  que  les  plombiers,  les 
poseurs  de  briques,  les  maçons  de  pierre,  les  cliarpen- 
tiers  (1)  étaient  arrivés  à  fermer  le  métier  aux  non  unio- 
nistes :  et  continuant  dans  la  même  voie,  le  Building  Tra- 
des  Council  (2),  avait  introduit  dans  les  nouveaux  con- 
trats la  limitation  du  travail  à  la  tâche  par  jour,  des  res- 
trictions à  l'usage  du  machinisme,  etc.. 

Malgré  ces  prétentions  excessives,  dans  une  conférence 
entre  patrons  et  ouvriers,  on  s'était  fait  des  concessions  ré- 
ciproques :  le  29  décembre  1899  avait  été  signé  le  «  Mad- 
den  Agreement  »  ainsi  nommé  du  nom  de  M.  Martin 
P.  Madden,  président  de  la  Western  Stone  Company  à 
Chicago  :  sans  toucher  aux  questions  de  salaires  et  d'heu- 
res de  travail,  qui  paraissent  bien  être  le  vrai  domaine  du 
contrat  collectif,  cet  accord  enregistrait  les  réclamations 


(1)  Voici  la  clause  à  laquelle  nous  faisons  allusion  au  texte  :  elle 
concerne  les  ajusteurs  de  machine  à  vapeur,  mais  était  la  même  pour 
les  métiers  indiqués  : 

The  Journeymen  Steatn  Fitiers'Protective  Association  ne  per- 
mettra à  aucun  de  ses  membres  de  travailler  pour  une  maison,  per- 
sonne, ou  Compagnie  qui  ne  soit  pas  membre  de  \ti  Chicago  Master 
Steam  Fitters  Association  en  situation  régulière  et  les  membres  de 
la  C.  M.  S.  F.  Association  n'employeront  aucun  ajusteur  qui  ne  soit 
en  bons  termes  (in  good  standing)  avec  la  dite  Journeymen  Protec- 
tive  association.  Les  dits  ouvriers  ajusteurs  ne  travailleront  pour  per- 
sonne en  aucun  cas.  pour  moins  que  le  taux  régulier  de  salaire  con- 
venu. 

(2)  Il  représentait,  par  des  délégués,  toute  l'industrie  du  bâtiment  : 
son  but  était  surtout  d'examiner  les  changements  généraux  dans  les 
accords  existants  entre  patrons  et  ouvriers  et  d'aider  les  unions  à  faire 
des  contrats  plus  avantageux  avec  les  employeurs. 


156  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    V 

faites  par  les  patrons  contre  les  interventions  abusives 
des  Loges  et  mentionnait  certaines  concessions  faites  aux 
unions  (demi-journée  de  repos  le  samedi,  système  d'arbi- 
trage établi,  etc.). 

L'association  patronale  ratifia  cet  accord  :  mais  les  ou- 
vriers poussés  par  le  Building  Trades  Council  refusèrent 
de  s'y  soumettre  et  une  grande  grève  s'en  suivit  (1).  Les 
patrons  brisèrent  le  Building  Trades  Council  :  le  contrat 
collectif  national  est  ainsi  momentanément  supprimé  dans 
le  bâtiment  :  les  patrons  permettent  les  contrats  particu- 
liers des  établissements  faisant  partie  du  Building  con- 
tractors  Council  avec  les  unions  locales,  mais  à  une  dou- 
ble condition  que  ces  contrats  respectent  les  règles  éta- 
blies par  la  conférence  du  24  avril  1900  (mêmes  règles 
que  ci-dessus)  et  que  l'union  locale  cesse  de  s'affilier  au 
Building  Trades  Council  ou  à  toute  autre  organisation 
semblable  pendant  la  durée  du  contrat  ;  et  de  fait,  plu- 
sieurs contrats  collectifs  nouveaux  sont  intervenus  dans  les 
divers  métiers  aux  anciens  taux  de  salaires  (2). 

Nous  avons  insisté  quelque  peu  sur  cet  exemple,  parce 
qu'il  permet  de  mettre  en  lumière  quel  est  à  notre  sens  le  do- 
maine du  contrat  collectif  :  salaires  et  heures  de  travail  (3). 
—  Sans  doute  on  peut  concevoir  et  chercher  à  réaliser  un 
accord  sur  d'autres  conditions  du  travail  :  mais  ici  il  faut 
être  très  prudent  :  l'ancienne  idée  du  métier  fermé  est  un 


(1)  Voir  tous  les  détails  dans  l'article  cité. 

(2)  Ce  résultat  a  été  obtenu  surtout  parce  que  la  grève  de  1900  a 
coïncidé  avec  une  dépression  du  métier  :  mais  avec  la  prospérité  des 
affaires  une  nouvelle  organisation  centrale  sera  probablement  tentée. 

(3)  Encore  convient-il  surtout  de  fixer  des  conditions  minima  en 
assurant  une  certaine  variété. 


LK  CONTRAT  COLLKCTIF  DANS  LES  AUTRBS  PAYS  ÉTKANGERS        157 

écueil  quil  faul  à  tout  prix  éviter.  L'exemple  de  l'Amérique 
est  (les  plus  si{^ni(icatifs  à  cet  égard. 


BELGIQUE 

Le  contrat  collectif  nest  pas  très  répandu  en  Belgique  (1)  : 
il  se  rattache  à  deux  institutions  fort  différentes  : 

Les  Conseils  de  l'industrie  et  du  travail. 

Les  Unions  Professionnelles. 

Les  Conseils  de  l'industrie  et  du  travail  ne  sont  qu'im- 
parfaitement préparés  à  jouer  un  rôle  dans  les  contlils  du 
travail  :  leur  fonction  essentielle  n'est  pas  là  :  «  c'est  d'être 
un  petit  parlement  industriel  qui  s'occupe  des  intérêts 
communs  aux  patrons  et  ouvriers  d'après  un  programme 
tracé  par  l'autorité  gouvernementale  et  à  titre  consultatif 
seulement  (2).  »  Les  statistiques  de  l'Office  du  travail  Belge 
le  reconnaissent  elles-mêmes  :  les  interventions  sont  plu- 
tôt rares  (3)  :  Ce  n'est  que  d'une  manière  extraordinaire 
que  le  Conseil  du  travail  aboutit  à  conclure  le  contrat  col- 
lectif :  signalons  toutefois  quelques  interventions  impor- 
tantes : 

Ainsi  l'union  Cokrill  de  Seraing  près  de  Liège  qui  compte 
près  de  12,000  ouvriers  est  aujourd'hui  régie  par  le  contrat 
collectif  grâce  au  Conseil  du  travail. 

De  même  diverses  industries  s'enrichissent  parfois  du 


(1)  Au  moins  à  en  juger  d'après  ce  qu'une  enquête  fort  diflicile  et  fort 
iniDarfaile  nous  a  permis  de  savoir. 

(2)  iMorisseaux  :  Conseils  de  lïndustrie  et  du  travail. 

(3)  1898  :  pour  121  conflits  signalés,  6  tentatives  d'intervention  des 
Conseils . 


158  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  V 

contrat  collectif  ici  ou  là  grâce  au  Conseil  de  l'industrie  et 
du  travail  local,  qui  sert  d'intermédiaire  pour  terminer 
un  conflit  et  susciter  un  accord  entre  les  parties  :  ainsi  à 
Gand  dans  l'industrie  du  meuble  (1),  à  Grammont  dans 
l'industrie  des  allumettes  (2),  à  Bruges  dans  le  bâtiment  (3), 
etc.. 

Ce  sont  surtout  les  Unions  Professionnelles  qui  comme 
les  syndicats  en  France,  pourraient  êtres  appelés  à  passer 
les  contrats  collectifs  :  mais  sur  ce  point  les  renseigne- 
ments font  totalement  défaut. 

Enfin  l'initiative  privée  suscite  elle  môme  quelques  ac- 
cords, par  exemple  dans  l'imprimerie  (4)  et  dans  le  bâti- 
ment, qui  tendent  à  se  multiplier. 

En  somme  en  Belgique  le  contrat  collectif  n'a  pas  encore 
fait  de  bien  rapides  progrès. 


PATS-BAS 

Aux  Pays-Bas  le  développement  du  contrat  collectif,  au- 
tant qu'on  en  peut  juger  par  une  information  de  seconde 
main  (5)  est  intimement  lié  à  celui  des  Chambres  de  tra- 
vail ;  celles-ci  se  répandirent  depuis  1891  d'une  manière 
remarquable  par  les  efTorts  de  l'initiative  privée  dans  les 


(1)  Revue  du  travail  (Belge),  fév.  1897,  p.  126. 

(2)  Revue  du  travail  (Belge),  avril  1897,  p.  321. 

(3)  Revue  du  travail  (Belge),  juin  1897,  p.  504. 

(4)  Tarif  fort  ancien  (1845)  accepté  par  50  imprimeries  d'accord 
avec  l'Association  libre  des  compositeurs  et  imprimeurs  typographes 
de  Bruxelles. 

(5)  H.  W.  E.SiTMyQ,  Pays-Bas,  Sixième  groupe  (Economie  sociale) 
publié  à  l'occasion  de  l'Exposition  de  1900. 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AUTRES  PATS  ÉTRANGERS       159 

principales  villes:  La  Haye  1891,  Amsterdam  1893,  Leyde 
et  Dordrecht  1894.  Elles  sont  composées  de  patrons  et 
d'ouvriers  presque  toujours  en  nombre  égal. 

Ces  Chambres  proposent  en  quelque  sorte  un  contrat 
collectif,  type  qui  est  ensuite  adopté  par  les  divers  établis- 
sements. C'est  ainsi  que  : 

La  Chambre  de  La  Haye  a  proposé  un  tableau  de  salai- 
res dont  l'adoption  a  gagné  du  terrain. 

De  même  les  Chambres  d'Amsterdam  et  de  Dordrecht 
ont  établi  des  tableaux  de  salaires. 

Enfin  la  Chambre  de  Leyde  par  le  même  système  est 
parvenue  à  limiter  la  durée  de  la  journée  du  travail  à  onze 
heures. 

Comme  on  le  voit,  il  n'y  a  pas  le  libre  débat,  la  discus- 
sion entre  patrons  et  ouvriers  ;  le  contrat  collectif  prend 
ici  l'aspect  d'une  coutume  du  métier,  qui  se  rapproche 
plus  d'une  réglementation  de  droit  public  que  d'un  contrat 
de  droit  privé  (1). 

ALLEMAGNE 

Le  contrat  collectif  est  également  assez  peu  répandu  en 
Allemagne;  on  peut  de  cette  rareté  indiquer  deux  causes 
principales  : 

a)  D'une  part  les  associations  professionnelles  ne  sont 
pas  encore  reconnues  par  la  loi  ;  on  est  encore  dans  la  pé- 
riode qui  correspond  en  France  à  celle  qui  a  précédé  la 
loi  de  1884  (2). 


(1)  Aujourd'hui  une  loi  réglementant  ces  Chambres  de  travail  est 
intervenue,  voir  plus  loin. 

(2)  On  peut  indiquer  aussi  que  les  idées  d'autorité  du  patron  et  d'ab- 


160  PTEMIÈRË    PARTIE.    CHAPITRE    V 

b)  D'autre  part  l'inlluence  prépondérante  de  la  Sociale-dé- 
mocratie a  détourné  les  ouvriers  du  véritable  terrain  pro- 
fessionnel en  les  grisant  de  grands  mots,  en  leur  tournant 
la  tête  avec  la  lutte  des  classes  et  en  leur  faisant  conce- 
voir des  espérances  électorales  insensées. 

Ce  n'est  donc  que  par  accident  pour  ainsi  dire  et  d'une 
manière  exceptionnelle  que  l'on  rencontre  le  contrat  col- 
lectif (1). 

Sans  doute  il  intervient  parfois  à  la  suite  d'un  arbitrage  : 
la  loi  du  29  juillet  1890  donne  formellement  aux  tribunaux 
industriels  le  droit  de  fonctionner  comme  comités  de  con- 
ciliation et  d'arbitrage  en  cas  de  conflits  sur  les  conditions 
de  la  continuation  ou  de  la  reprise  du  travail. 

Parfois  aussi  il  est  adopté  par  l'initiative  des  patrons 
eux-mêmes  ;  c'est  ainsi  que  la  fabrique  de  jalousies 
de  M.  H.  Freese  à  Berlin  (2)  nous  fournit  un  remarquable 
exemple  de  contrat  collectif;  dans  cet  établissement  les 
conditions  du  travail  sont  établies  par  un  Conseil  de  con- 
ciliation (3),  véritable  représentation  des  ouvriers  ;  il  se 
compose  de  15  membres  dont  4  à  la  nomination  des  direc- 
teurs et  11  élus  par  les  ouvriers;  le  Conseil  élabore  un 
règlement  de  travail,  «  les  tarifs  de  salaire  (à  la  tâche) 
sont  établis  dans  chaque  atelier  pour  une  période  fixe  de 
deux  ans,  toujours  de  commun  accord.  Les  parties  con- 
tractantes n'y  peuvent  rien  changer  ;  si  dans  les  six  semai- 
nes qui  précèdent  la  fin  de  la  période   fixée,   aucune  pro- 


solue  maîtrise  du  patron  sur  son  établissement  sont  peut-être  en  Al- 
lemagne plus  fortes  qu'ailleurs. 

(1)  Autant  du  moins  qu'une  information  défectueuse  nous  permet 
de  l'avancer. 

(2)  Article  de^M.  Dubois,  Réforme  sociale,  16  octobre  1892. 

(3)  Créé  en  1884,  réorganisé  en  1890. 


LK  CONTHAT  COLLECTIF  DANS  LKS  ALTHIiïi  PAYS  ÉinANUliHS        161 

position  de  clmiigement  n'est  acceptée,  les  tarifs  continuent 
à  rester  eu  vigueur  pour  une  nouvelle  période  bien- 
nale (1)  ». 

Le  principal  exemple  du  contrat  collectif  nous  est  fourni 
par  la  typographie  : 

C  est  en  1873,  à  la  suite  d  une  grève  provenant  du  re- 
fus des  patrons  d'accepter  le  tarif  proposé  par  la  Fédéra- 
tion des  typographes,  qu'un  premier  contrat  collectif  est 
conclu  dans  ce  métier  :  après  de  longues  négociations,  le 
l*''"  mai  1873,  une  convention  de  tarifs  est  conclue  entre  pa- 
trons et  ouvriers  qui  resta  en  vigueur  malgré  quelques 
grèves  pendant  18  ans. 

Mais  en  1891,  les  ouvriers  demandent  d'importantes 
modifications  à  ce  tarif,  notamment  la  journée  de  9  heu- 
res :  les  patrons  refusent.  A  la  suite  d'une  grève  de 
12,000  ouvriers,  la  résistance  syndicale  est  vaincue,  et  il 
faut  renoncer  même  à  l'ancien  tarif. 

Cependant,  en  1896,  la  Fédération,  fortement  éprouvée 
par  sa  défaite  de  1891,  avait  repris  des  torces  :  elle  obtient 
sans  lutte  et  pacifiquement  une  nouvelle  convention  (2)  de 
tarifs  liant  les  parties  pour  cinq  ans. 

C'est  d'ailleurs  la  question  de  la  durée  de  ces  contrats 
collectifs  qui  paraît  au  premier  plan  des  préoccupations 
allemandes  :  à  cet  égard,  les  récentes  discussions  du 
3*'  congrès  des  syndicats  allemands  (3)  tenu  à  Francfort- 


(1)  Id.  Dubois,  art.  cité. 

(2)  Cette  convention  contenait  une  réduction  de  travail  d'une  demi- 
heure  par  jour  et  une  augmentation  de  salaire  de  50  pfennigs  (62  cen- 
times o)  par  semaine. 

(3)  Miltiaud,  «  Le  3«  Congrès  des  Syndicats  allemands  »,  Revue  so- 
cialiste, juin  et  juillet  1899. 

RAVNACD  M 


162  PREMIÈRE    PARTIi:.    CHAPITRE    V 

sur-le-Mein,  du  8  au  13  mai  1809,  donnent  bien  la  phy- 
sionomie exacte  de  l'état  de  la  question  dans  ce  pays. 

La  question  des  conventions  de  tarifs  en  général,  fut 
portée  devant  ce  congrès  à  la  suite  d'un  conflit  important 
qui  avait  eu  lieu  à  Leipzig  à  l'occasion  de  ces  contrats  col- 
lectifs (1). 

Au  Congres,  la  discussion  s'engagea  très  vive  entre  par- 
tisans et  adversaires  des  contrats  collectifs  : 

A.  —  Pour  les  uns  : 

1"  Il  est  un  obstacle,  à  moins  qu'il  ne  soit  stipulé  pour 
une  durée  très  courte,  à  la  conquête  de  meilleurs  salai- 
res ;  car  il  empêche  la  grève  en  cas  de  prospérité  écono- 
mique. 

2°  Il  est  douteux  que  les  patrons  l'observent  rigoureu- 
sement. 

3°  Il  efface  la  distinction  entre  ouvriers  organisés  et 
ouvriers  non  or":anisés. 


(1)  A  Leipzig,  le  cartel  (groupement  local  des  représentants  de  syn- 
dicats) avait  admis  les  délégués  du  syndicat  dissident  des  typographes 
et  n'avait  pas  admis  les  délégués  du  groupe  local  adhérent  à  la  Fédé- 
ration, qui  avait  passé  la  convention  : 

Voici  le  texte  de  l'ordre  du  jour  du  cartel  de  Leipzig  : 

«  Vu  que  la  convention  des  tarifs  entre  patrons  et  ouvriers  nuit  aux 
intérêts  et  au  développement  ultérieur  de  l'organisation  des  ouvriers, 
le  syndicat  qui  représente  ce  point  de  vue  doit  être  considéré  comme 
ne  s'étant  pas  placé  au  point  de  vue  du  mouvement  ouvrier  moderne. 
Et  comme  le  cartel  de  Leipzig  se  place  sur  le  terrain  du  mouvement 
ouvrier  moderne,  il  ne  pourra  admettre  que  les  délégués  du  syndicat 
qui  répondent  aux  conditions  indiquées  ; 

«  Le  cartel  décide  :  Les  délégués  des  typographes  qui  sont  partisans 
de  la  convention  de  tarifs,  et  qui  sont  par  suite  placés  au  point  de  vue 
des  membres  Hirsch-Dunker,  ne  seront  pas  admis,  parce  que  ces  ten- 
dances ne  sont  pas  en  accord  avec  celles  du  cartel.  >> 


LE  CONTRAT  COLLECTIF  DANS  LES  AITRES  PAYS  ÉTRANGERS       103 

4°  Enfin,  et  là  était  surtout  l'argument  le  plus  impor- 
tant, il  obscurcit,  par  les  rapprochements  qu'il  opère  entre 
patrons  et  ouvriers,  la  conscience  des  classes  et  supprime 
l'aptitude  des  ouvriers  à  la  lutte  des  classes  (i). 

B.  —  Pour  les  autres  au  contraire  (2),  le  contrat  col- 
lectif a  les  effets  les  plus  heureux  et  doit  être  propagé  : 
ils  répondent  à  leurs  adversaires  par  les  arguments  sui- 
vants : 

1°  Sans  doute  le  contrat  collectif  empêche  de  profiler 
d'une  situation  économique  plus  favorable,  mais  par  contre 
il  permet  de  jouir  des  tarifs  obtenus  même  au  cas  de  situa- 
tion économique  mauvaise  ;  d'ailleurs  il  suffit  d'en  abréger 
la  durée  pour  remédier  partiellement  à  l'inconvénient  in- 
diqué. 

2*»  En  fait  les  patrons  dans  la  typographie  ont  respecté 
et  veillé  au  respect  de  la  convention  ;  et  en  ce  sens  ils  si- 
gnalaient un  appel  du  patron  aux  ouvriers  pour  les  ex- 
horter à  n'accepter  nulle  part  du  travail  à  un  prix  inférieur 
au  tarif. 

3*^  Enfin  le  contrat  collectif  est  précisément  le  résultat 
de  la  lutte  ;  il  accorde  une  trêve  et  permet  aux  forces  ou- 
vrières de  se  refaire  pendant  qu'il  est  en  vigueur. 

D'ailleurs,  remarquait-on  encore  avec  une  profonde  jus- 
tesse, la  lutte  ne  vaut  pas  pour  la  lutte  elle-même  mais  pour 
les  résultats  qu'elle  permet  d'obtenir;  à  cet  égard  chaque 


(1)  Un  partisan  de  celle  opinion  s'exprime  ainsi  :  L'éducation  pour 
la  luUe  syndicale  est  assurément  pour  nous  ce  qui  doit  tout  primer. 
Eti  bien  !  si  la  Fédération  des  typographes  devait  aujourd'hui  engager 
une  lutte  syndicale  sérieuse,  les  combattants  ne  lui  feraient-ils  pas 
défaut  ?  » 

(2)  Le  rapporteur  de  la  question  qui  était  le  Président  de  la  Fédé- 
ration des  typographes  était  nettement  en  ce  second  sens. 


1<)4  PHKMIKRK    PAllTIK.    CHAPITHK    V 

profession  est  indépeiidunte  etdoit  jug'er  au  mieux  de  ses 
intérêts  (1). 

Après  une  longue  discussion,  le  Congrès  composé  de 
représentants  des  syndicats  de  presque  toute  l'Allemagne, 
adopte  l'ordre  du  jour  suivant  soumis  par  le  Président  de 
la  Fédération  des  typog-raphes,  à  l'unanimité  moins  quatre 
voix. 

«  Les  conventions  de  tarifs  qui  règlent  pour  un  temps 
déterminé,  les  conditions  de  salaire  et  de  travail,  devront 
être  considérées  comme  une  preuve  que  les  patrons  recon- 
naissent l'égalité  de  droits  des  ouvriers  dans  la  fixation 
des  conditions  du  travail,  et  ces  conventions  doivent  être 
respectées  dans  les  industries  où  se  trouvent  une  organi- 
sation forte  des  patrons  comme  des  ouvriers,  une  organi- 
sation pouvant  garantir  l'accomplissement  d'un  engagement 
pris.  Les  durées  et  l'étendue  de  ces  conventions  ne  peuvent 
être  fixées  d'une  manière  uniforme  et  dépendent  des  par- 
ticularités des  diverses  professions.  » 

Ainsi  a  été  tranchée  —  ou  plutôt  ne  l'a  pas  été  en  prin- 


(1)  La  déclaration  suivante  d'un  ouvrier  partisan  du  contrat  col- 
lectif montre  bien  l'aspect  de  trêve  qu'il  a  dans  l'espril  des  Allemands  : 

«  Il  nous  est  impossible  d'accomplir  comme  syndiqués  notre  devoir 
le  plus  sérieux  elle  plus  important:  élever  les  salaires,  diminuer  le 
temps  de  travail,  si  nous  ne  tentons  pas  d'établir  des  conventions  avec 

les  patrons C'est  un  fait  connu  de  chacun  que  les  patrons  font  des 

concessions  lorsqu'ils  ont  besoin  d'ouvriers  ;  mais  l'essentiel  pour  nous, 
ouvriers  syndiqués,  ce  n'est  pas  seulement  d'obtenir  quelque  chose 
dans  un  moment  favorable  ;  c'est  de  songer,  tandis  que  les  circons- 
tances sont  favorables,  à  assurer  pour  les  temps  mauvais  le  maintien 
de  ce  qui  a  été  conquis,  de  manière  à  pouvoir  partir  de  là,  lorsqu'une 
nouvelle  période  de  prospérité  se  fera  jour,  pour  essayer  d'aller 
plus  loin Il  nous  est  absolument  nécessaire  d'établir  des  conven- 
tions avec  les  patrons,  si  nous  voulons  aller  toujours  de  l'avant.  » 


I.K  CONTRAT  COLLKCTIF  DANS  LES  AUTRKS  PAYS  KTKAMJKUS        165 

ripe  —  la  (juoslion  de  la  durée  de  ces  contrais  colleclifs, 
qui  était  au  premier  plan  dans  les  préoccupations  Alle- 
mandes. 

Ce  qui  caractérise  donc  les  rares  contrats  collectifs  qui 
existent  en  AUemugrie,  c'est  d'une  manière  générale  qu'ils 
apparaissent  comme  des  étapes  dans  la  route  ascension- 
nelle suivie  par  la  Sociale-Démocratie. 

Il  est  probable  que  les  récentes  discussions  au  sein  du 
parti  socialiste  Allemand  et  les  déclarations  de  Bernstein 
auront  apporté  un  appui  nouveau  au  contrat  collectif;  mais 
il  est  non  moins  certain  que  ce  caractère  provisoire  main- 
tenu au  contrat  collectif,  qui  établit  ainsi  un  bulletin  de  vic- 
toire et  qui  n'assure  pas  comme  en  Angleterre  des  condi- 
tions minima  de  travail,  est  peu  fait  pour  en  assurer  la 
diffusion. 

Il  serait  encore  intéressant  d'étudier  au  point  de  vue 
du  contrat  collectif  la  Suisse  et  la  Russie  :  niais  les  ren- 
seignements nous  manquent  sur  ces  deux  pays,  où  le  con- 
trat collectif  se  présente  sous  un  jour  tout  particulier  : 

En  Suisse  les  rares  exemples  de  contrat  collectif  que 
nous  avons  pu  trouver  concernent  l'apprentissage  et  la 
limitation  des  ateliers,  accessoirement  le  salaire  (1). 

Il  apparait  dans  des  essais  de  reconstitution  sous  le  ré- 
gime de  liberté  individuelle  des  anciennes  corporations 
fermées  et  à  ce  titre  ne  rentre  pas  dans  le  type  écono- 
mique que  nous  avons  voulu  étudier  ici. 

En  Russie,  avec  les  artels  (2),  la  question  se  présente 
sous  un  aspect  également  spécial  :  à  proprement  parler  il 


(1)  L'indiislrie  tiorlogère  du  Jura  Bernois  et  du  Jura  NeiiTchAlelois  : 
Réforme  Sociale,  le  octol)rc  i900. 

(2)  Lehr,  Éléments  de  Droit  civil  Russe,  loin.  II,  p.  344. 


166  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   V 

n'y  a  pas  contrat  collectif  au  sens  d'accord  entre  patrons 
et  ouvriers  :  l'artel  est  une  association  d'ouvriers  qui, 
après  entente,  se  chargent  en  commun  de  service,  tra- 
vaux ou  métiers  excédant  les  forces  d'un  homme  seul. 
(Code  com.,  art.  89.) 

La  répartition  des  salaires  se  fait  proportionnellement 
entre  tous  les  membres  sur  le  gain  commun  :  ils  sem- 
blent d'ailleurs  être  fixés  par  contrats  individuels  :  «  les 
membres  travaillent  pour  le  salaire  fixé  d'un  commun  ac- 
cord avec  ceux  qui  les  emploient.  »  Ainsi  il  n'y  a  pas 
contrat  collectif  pour  deux  raisons  : 

a)  Vis-à-vis  de  l'employeur,  c'est  l'artel  qui  est  respon- 
sable de  l'exécution  de  l'ouvrage  ; 

b)  Le  salaire  est  fixé  par  conventions  individuelles. 
Aussi   bien   négligeons-nous  ces  deux  pays,  Suisse  et 

Russie  et  terminerons-nous  ici  notre  revue  des  contrats 
collectifs  dans  les  divers  pays  étrangers. 

En  somme  et  pour  conclure,  en  dehors  de  l'Angleterre, 
le  seul  pays  vraiment  intpressant  au  point  de  vue  du  con- 
trat collectif  est  l'Amérique  (Etats-Unis)  :  ailleurs  il  n'y  a 
que  des  ébauches,  parfois  des  plus  intéressantes  comme 
celles  qui  existent  en  Allemagne,  parce  qu'elles  mettent 
mieux  en  lumière  un  des  aspects  de  notre  problème. 


CHAPITRE  VI 

UN  PROJET  DE  CONTRAT  COLLECTIF  INTERNATIONAL 


Bien  que  le  développement  du  contrat  collectif  soit  au- 
jourd'hui très  inégal  dans  les  divers  pays,  il  n'est  pas  im- 
possible de  prévoir,  dans  un  temps  plus  ou  moins  éloigné, 
qu'il  franchira  les  frontières  et  dans  une  mesure  difficile  à 
déterminer,  pourra  devenir  international. 

La  récente  tentative  des  mineurs  est  intéressante  à  étu- 
dier à  ce  point  de  vue. 

Le  projet  soumis  au  congrès  international  des  mineurs 
a  pour  auteur  M-.  Em.  Lewy,  financier  Belge  :  il  doit  sa 
naissance  à  une  double  idée  :  d'une  part  l'intérêt  person- 
nel de  son  auteur,  alors  actionnaire  dans  un  charbonnage 
Belge  qui  était  au-dessous  de  ses  affaires,  et  d'autre  part 
l'idée  d'action  internationale  sur  les  conditions  du  travail 
mise  en  relief  par  la  série  des  congrès  internationaux  de 
mineurs. 

Le  projet  de  M.  Lewy  (1)  reposait  sur  cette  idée  fonda- 
mentale :  le  principe  est  que  le  salaire  de  l'ouvrier  varie 
suivant  que  le  prix  de  vente  est  plus  ou  moins  élevé.  Or 


(1)  Le  texte  en  est  donné  par  le  Comité  central  des  Houillères  de 
France.  Circulaire  no  1000  (1894).  Annexes  au  Congrès  de  Berlin. 


108  PREMlÈlth:    l'AIVriK.    —    CHAPITRE   VI 

on  constate  dans  l'industrie  des  mines,  que  le  prix  de  vente 
descend  parfois  très  bas,  trop  bas,  par  suite  d'un  excès 
de  production  :  il  se  forme  alors  des  stocks  considérables. 
La  surproduction  qui  est  ainsi  habituelle  nuit  bien  plus  à 
l'ouvrier  qu'au  patron  :  le  patron  n'éprouve  qu'une  simple 
diminution  ou  peut  être  une  privation  de  bénéfice,  alors 
que  l'ouvrier,  lui,  subit  une  perle  réelle  par  la  réduction  de 
son  salaire  :  aussi  l'idée  de  M.  Lewy  est-elle  d'empêcher 
par  une  réglementation  de  la  production  que  le  prix  de 
vente  ne  puisse  être  invoqué  par  le  patron  pour  justifier 
une  diminution  de  salaires  (i)  :  les  salaires  régleront  alors 
le  prix  de  vente. 

Tel  était  le  principe  :  voici  maintenant  sa  mise  en  œuvre  : 
a)  Gomme  moyen  pratique  de  réaliser  la  réglementation 
internationale  de  la  production,  M.  Lewy  voulait  réduire 
partout  le  travail  à  4  joutas  par  semaine  —  la  jour- 
née étant  à  8  heures  descente  et  remonte  comprise —  mais 
l'ouvrier  recevait  cinq  jours  de  salaires  pour  quatre  jours 
de  travail. 

Cette  journée  extra  représentait  une  indemnité  provi- 
soire due  à  l'ouvrier  —  représentant  l'augmentation  de 
profils  que  le  système  allait  assurer  aux  patrons  :  si  con- 
trairement aux  prévisions  quatre  jours  était  trop  pour  la 
production,  on  réduirait  à  trois  jours  et  on  paierait  le  sa- 
laire de  quatre  avec  une  indemnité  qui  serait  fournie  en 
partie  par  les  patrons  des  charbonnages  et  en  partie  par  le 


(i)  Comme  on  le  voit,  ce  n'est  pas  direclemenl  un  accord  interna- 
tional sur  les  salaires,  mais  la  réglementation  de  la  production  y  pré- 
pare :  d'ailleurs  dans  les  détails  du  projet,  le  temps  de  travail,  quatre 
jours  par  semaine,  est  uniformément  fixé  par  accord  international 
pour  tous  les  pays. 


UN    PROJI<rr    DE   CONTRAT   COI.I.ECTIP    INTERNATIONAL  1(}9 

fonds  commun  dont  disposera  le  Comité  international  de 
production. 

Cette  mesure  pour  M.  Lewy  devait  avoir  trois  effets  im- 
médiats : 

Restreindre  la  production  en  conservant  à  l'ouvrier  son 
salaire  intact  ; 

Ecouler  les  stocks  existants  ; 

Faire  monter  le  prix  du  charbon  à  sa  juste  valeur. 

L'auteur  ajoutait  «l'ailleurs  à  son  projet  une  augmenta- 
tion de  salaires,  variable  suivant  les  pays  et  l'établisse- 
ment de  la  participation  aux  bénéfices  (25  0  0)  (1). 

b)  Ce  premier  résultat  obtenu,  pour  l'assurer  dans  l'ave- 
nir, M.  Lewy  créait  le  Comité  international  de  produc- 
tion, dont  il  fixait  rigoureusement  la  composition,  le  fonc- 
tionnement et  la  mission. 

Composition.  —  Dans  le  projet  primitif,  ce  Comité  de- 
vrait être  composé  pour  3/4  de  délégués  des  ouvriers,  et 
pour  1/4  de  délégués  des  patrons  :  puis  dans  le  projet 
modifié  à  la  suite  d'observations  des  mineurs  anglai.s,  le 
Comité  aurait  été  formé  : 

Pour  1  3  de  délégués  ouvriers  ; 

Pour  1  '3  de  délégués  patrons,  représentant  du  capital, 
et  à  lexclusion  des  directeurs  et  autres  employés  sala- 
riés ; 

Pour  le  dernier  13  enfin  d'hommes  ayant  des  qualifica- 
tions spéciales  et  possédant  une  expérience  commerciale, 
financière,  administrative,  qui  pourraient  être  désignés  par 
les  délégués  mineurs  faisant  partie  du  Comité  provisoire. 


(1)  On  ne  voil  pas  1res  bien  commcnl  cela  se  rattachait  logique- 
ment au  système  :  c'élail  pluiôl  Taniorce  destinée  à  faire  udojiler  le 
reste. 


170  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   VI 

La  proportion  des  délégués  pour  chaque  pays  restait  à 
fixer  par  le  Comité  international  des  mineurs  :  M.  Lewy 
ne  choisissait  pas  entre  les  deux  systèmes  :  nombre  de  dé- 
légués égal  pour  tous  les  pays  ou  nombre  proportionnel 
à  l'importance  de  la  production  dans  chaque  pays. 

MissioJi.  —  Le  Comité  international  serait  chargé  de 
surveiller  et  de  régler  la  production  suivant  les  besoins  de 
la  consommation  :  il  la  fixait  d'après  les  fluctuations  des 
prix  sur  le  marché  et  les  renseignements  transmis  par  les 
comités  locaux  de  chaque  pays  (1). 

Fonctionnement .  —  Le  Comité  serait  un  véritable  mi- 
nistère international  des  mines. 

Les  frais  et  dépenses  qu'il  comporte  seraient  assurés  par 
un  prélèvement  do  10  centimes  par  tonne,  sur  chaque 
tonne  de  charbon  extraite.  Avec  une  extraction  prévue  de 
300  millions  de  tonnes,  cela  donnerait  30  millions.  L'excé- 
dent de  ce  prélèvement,  tous  frais  payés,  serait  versé  au 
fond  commun  du  Comité. 

Cette  caisse  serait  alors  une  véritable  caisse  de  résis- 
tance (2)  :  «  elle  soutiendra  les  ouvriers  qui,  avec  l'appro- 
bation du  Comité,  seront  obligés  de  se  mettre  en  grève, 
pour  la  défense  de  leurs  droits.  » 

On  constituerait  ainsi  une  caisse  analogue  à  la  caisse 
centrale  des  grandes  unions  anglaises,  qui  servirait  à  ob- 
tenir les  conditions  du  travail  approuvées  par  ce  Comité. 

Le  projet  de  M.  Lewy  fut  favorablement  accueilli  par 


(1)  M.  Lewy  précise  ici  divers  pouvoirs  donnés  au  comité  pour  au- 
torisations exceptionnelles  d'augmenter  la  production  :  ceci  ne  nous 
intéresse  pas  directement. 

(2)  Cette  caisse  est  une  seconde  preuve  que  ce  projet  est  bien  au  fond 
un  projet  de  contrat  collectif  international. 


UN    PROJET   DE   CONTRAT   COLLECTIF   LYTERNATIONAL  171 

la  Fédération  des  mineurs  Belges  :  pour  une  fois  le  pro- 
verbe «  Nul  n'est  prophète  en  son  pays  »,  était  trouvé  en 
défaut.  Publié  en  Angleterre,  le  projet  y  reçut  aussi  un 
accueil  sympathique  de  la  Fédération  des  mineurs  de 
Grande-Bretagne. 

Enfin  M.  Lewy  porta  son  système  devant  le  Congrès  in- 
ternational des  mineurs  :  déposé  pour  la  première  fois  au 
Congrès  de  Bruxelles  (1893),  le  projet  fut  repris  mais  pour 
la  forme  seulement  à  Berlin  (1894),  son  auteur  ayant  été 
expulsé  par  le  gouvernement  allemand.  La  véritable  dis- 
cussion n'eut  lieu  qu'au  Congrès  de  Paris  (1895). 

Dans  la  pensée  de  M.  Lewy  c'était  le  congrès  internatio- 
nal qui  devait  faire  aboutir  le  système  :  aussi  avait-il  pris 
diverses  mesures  de  détail.  Un  comité  provisoire  devait, 
si  le  congrès  adoptait  le  principe,  rédiger  le  programme 
définitif  ;  le  soumettre,  —  en  tant  que  de  besoin  à  la  rati- 
fication des  mineurs  dans  les  divers  pays  ;  —  le  notifier 
aux  patrons  par  voie  directe  ou  par  voie  d'annonces,  en 
stipulant  un  délai  pour  leur  adhésion  formelle  qui  devra 
être  donnée  en  des  formules  que  le  comité  mettrait  à  leur 
disposition  ;  et  faire  procéder  à  l'élection  de  délégués  des- 
tinés à  représenter  les  mineurs  dans  le  comité  internatio- 
nal de  production  (1). 

C'était  bien  l'idée  du  contrat,  imposé  il  est  vrai  au  besoin 
par  une  coalition  universelle,  qui  persistait  et  qui  était 
mise  en  œuvre. 

Une  proposition  de  M.  Lamendin  faite  au  nom  du  groupe 
français  tendait  à  l'adoption  du  projet  de  M.  Lewy. 


(i)  Le  Comité  devait  de  plus  avoir  le  droit  de  convoquer  au  besoin 
un  nouveau  congrès  international  pour  vaincre  les  résistances. 


172  PREMlKRh:    PARTIK.    CHAPITRE    VI 

M.  Dufuisseaux  (belge)  dans  un  rapport  favorable  indi- 
quait que  c'était  bien  là  le  véritable  moyen  d'arriver  à  un 
minimum  de  salaires. 

Après  une  intéressante  discussion  (1)  qui  porta  plus  sur 
les  difficultés  de  réalisation  du  système  (2)  que  sur  l'idée 
môme  du  contrat  collectif,  malgré  une  défense  énergique 
du  projet  par  M.  Basly,  délégué  français,  la  proposition 
présentée  par  les  Anglais  et  les  Allemands  tondant  au  ren- 
voi du  projet  au  comité  international  du  congrès  des  mi- 
neurs fut  votée  par  756,000  voix  (Anglais  et  Allemands) 
contre  212,000  voix  (Français  et  Belges). 

Au  fond  co  qui  fit  repousser  le  projet,  au  moins  incons- 
ciemment, c'est  la  différence  de  situation  économique  (3) 
des  pays  différents  auxquels  appartenaient  les  délégués  : 
il  est  certain  que  les  délégués  anglais  pouvaient  légitime- 
ment éprouver  (juelques  appréhensions,  puisque  leurs  ca- 
marades mineurs  gagnent  plus  que  les  mineurs  du  conti- 
nent, précisément  à  cause  de  la  situation  commerciale 
exceptionnellement  favorable  de  l'Angleterre  au  point  de 
vue  du  charbon. 

M.  Lewy  en  tout  cas  ne  se  décourage  pas  :  il  continue 
la  défense  de  son  projet  (4). 


(1)  Voir  comité  des  Houillères  de  France,  circulaire  1170. 

(2)  Le  projet  est  [»eu  pratique  en  l'élal  actuel  ;  il  est  susceptible  de 
créer  des  divisions  entre  ouvriers;  il  comporte  une  alliance  avec  les 
capitalistes  qu'on  repousse  ;  il  y  a  lieu  de  craindre  la  concurrence  des 
pays  neufs,  etc.,  etc. 

(3)  Cf.  Leroy-Beaulieu,  «  Le  congrès  international  des  mineurs  et 
les  projets  de  réglementation  de  la  production  du  charbon  »,  Econo- 
miste Français,  8  juin  1895. 

(4)  La  réglemenlalion  de  la  production  du  charbon  au  congrès  in- 
ternational des  mineurs  de  l^aris,  par  M.  Lewy,  brochure  ;  Paris  1876. 


L.\    PUOJKI"    1)K    CO.MKAl    COIJ.ECIIF    INTERNATIONAL  173 

Mais  malj^ré  tous  ses  etforls.  les  Congrès  interiialionaux 
(le  mineurs  qui  suivirent  (Aix-la-CIiapelle  1896  et  Londres 
1897)  ne  se  prononcèrent  pas  :  au  Congrès  de  Londres,  on 
e\pli(jua  l'inaction  du  Comité  international  auquel  le  pro- 
jet avait  été  renvoyé  —  par  le  silence  des  Français-Belges 
qui  n'avaient  pas  repris  le  système  ni  au  Congrès  précé- 
dent de  1896  ni  aux  séances  du  Comité.  Aussi  bien  des 
questions  nationales,  concurrence  des  mines  Anglaises  aux 
mines  Françaises  et  Belges,  apparaissaient  chaque  jour 
davantage;  c'était  aux  pays  surproducteurs  à  prendre  l'ini- 
tiative d'une  réglementation  de  la  production  :  en  France 
au  contraire  M.  Basly  venait  de  déposer  un  projet  de  loi 
pour  élever  les  droits  sur  le  charbon. 

Ainsi  une  fois  de  plus  la  question  économique  générale 
primait  les  eCforts  d'accord  international  (l),et  c'est  là,  sem- 
ble-t-il,  la  conclusion  qui  ressort  de  l'étude  de  ces  projets. 

De  même  que  sur  le  terrain  national  le  contrat  collectif 
réussit  d'autant  mieux  que  l'industrie  est  plus  prospère  et 
le  métier  plus  florissant  —  de  même  sur  le  terrain  inter- 
national, si  jamais  le  contrat  collectif  doit  faire  un  jour 
son  apparition  dans  le  domaine  des  réalités,  ce  ne  sera 
que  lorsque  l'industrie  sera  assurée  pour  tous  au  point  de 
vue  économique  :  mais  cette  condition  est  ici  fort  difficile 
à  réaliser;  car  il  ne  suffit  plus  d'une  productivité  exception- 
nelle, il  faut  encore  arriver  à  une  harmonie  des  divers 
intérêts  économiques  des  nations,  ce  qui  ne  laisse  pas  d'être 
fort  difficile. 


(1)  Il  est  aussi  quesliou  de  salaire  iniDiiuiiin  dans  les  divers  Congrès 
inlernalionaux  de  mineurs:  mais  les  Anglais  sont  à  peu  près  les  seuls 
partisans  de  sou  élablissemenl  par  ronlrat  collectif  et  à  ce  point  de 
vue  ils  n'ont  pas  précisé  grand  chose. 


174  .  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Il  est  vrai  que  l'accord  international  entre  ouvriers  — 
et  le  Congrès  ainsi  que  le  projet  Lewy  avaient  de  ceci  un 
sentiment  extrêmement  juste  —  est  sans  doute  le  plus  fa- 
cile à  réaliser  :  mais  qu'on  le  veuille  ou  non,  les  intérêts 
économiques  nationaux  viennent  bien  vite  limiter  le  champ 
d'application  de  cet  accord. 

Aussi  bien  le  contrat  collectif  international  n'est-il  pas 
encore  une  réalité  ! 


CHAPITRE  VU 

LA  THÉORIE  ÉCONOMIQUE  DU  CONTRAT  COLLECTIF 


Les  chapitres  précédents  nous  ont  permis  d'étudier  lon- 
guement et  par  observation  le  contrat  collectif:  il  en  faut 
maintenant  esquisser  la  théorie. 

Sur  ce  point  notre  tâche  sera  double  : 

a)  Il  nous  faudra,  en  premier  lieu,  avant  de  construire, 
préparer  notre  terrain,  c'est-à-dire  examiner  comment 
cette  nouvelle  forme  de  contrat  de  travail  se  concilie  avec 
les  théories  économiques  sur  le  travail  et  le  salaire  ;  ce 
n'est  d'ailleurs  qu'après  s'être  fait  jour  et  s'être  solidement 
établi  dans  le  domaine  des  faits  que  le  contrat  collectif  est 
parvenu  par  la  suite  à  se  faire  reconnaître  droit  de  cité 
parmi  les  doctrines. 

Longtemps  en  effet  le  Trade-Unionisme  et  le  contrat  col- 
lectif furent  ignorés  de  la  science  :  les  Economistes  négli- 
geaient ces  questions.  «  Entre  1824  et  1869  en  pratique  toute 
la  critique  et  toute  la  dénonciation  du  Trade-Unionisme 
prirent  la  forme  d'homélies  sur  la  futilité  du  marché  col- 
lectif et  la  nocivité  des  grèves  (1).  »  Cela  s'est  même  conti- 


(1)  Sidney  Webb. 


176  PHKMIKRK    PAItTIK.    CIIAPITHK    Ml 

nué  jusqu'à  ces  dix  dernières  aimées.  Depuis  celle  dale  les 
remarquables  travaux  de  B.elS.  Webb  ont  préparé  la  voie 
à  un  mouvement  doctrinal  très  important.  Donc  comment  le 
contrat  collectif  se  concilie-t-il  avec  les  diverses  lois  na- 
turelles des  salaires  successivement  fornmlées  par  l'Eco- 
nomie Politique  ?  (|  I). 

b)  En  second  lieu  il  nous  faudia  tenter  d'une  manière 
positive  la  théorie  économique  du  contrat  collectif,  c'est- 
à-dire  suivi'e  le  mécanisme  par  lequel  le  contrat  collectif 
agit  efficacement  sur  le  salaire  et  les  condilions  du  travail 
(|II).  Enfin  et  pour  conclure  nous  examinerons  rapidement 
les  principales  objections  faites  du  pointde  vue  économique 
contre  notre  contrat  (|  III). 


I  I*"".  —  Lk  contrat  collectif  kt  lks  luis  naturellks 

DU  salaire. 

Notre  problème  est  ici  le  suivant  :  Comment  admettre, 
si  le  salaire  est  invariablement  fixé  par  des  lois  naturelles, 
que  le  contrat  collectif  prétende  agir  sur  celui-ci  ?  Les  di- 
verses lois  naturelles  énoncées  sont-elles  rigoureuses  au 
point  de  rendre  le  contrat  collectif  inefficace  ou  celui-ci  se 
concilie-t-il  au  contraire  avec  elles  ? 

Examinons  successivement  les  diverses  lois  naturelles 
qui  ont  été  formulées  en  Economie  politique  comme  lois 
du  salaire.  —  Mais  avant  de  suivre  en  détail  ces  diverses 
lois,  il  faut  dire  un  mot  du  postulat  fondamental  sur  le- 
quel reposent  toutes  ces  lois,  de  la  loi  de  l'ofire  et  de  la 
demande  ou  théorie  du  travail-marchandise. 


LA    TlIKtHUK    KCONOJIiyi'K    OU    «;«>.\TIIAT    COLI.KCTIF  177 

On  comuiitsur  ce  poiiil  losllièsesde  l'Ecole  classique (1)  : 
le  travail  est  une  marchandise  comme  une  autre,  soumise 
à  la  loi  de  l'offre  et  de  la  demande  :  le  salaire  ou  prix  du 
travail  s'établit  d'après  l'état  du  marché  :  beaucoup  d'en- 
trepreneurs cherchenl-ilsdns  ouvriers  :  les  prix  monteront  ; 
beaucoup  d'ouvriers  au  contraire  attendent-ils  des  places  : 
les  salaires  baisseront  par  le  jeu  de  la  concurrence.  Ou 
encore  comme  le  dit  Cobden  :  «  Les  salaires  haussent  toutes 
les  fois  que  deux  patrons  courent  après  un  ouvrier  ;  ils 
baissent  toutes  les  fois  que  deux  ouvriers  courent  après  un 
patron.  » 

Il  est  clair  que  cette  doctrine  avec  l'indétermination  très 
vague  qui  la  caractérise  est  parfaitement  conciliable  en 
théorie  avec  le  contrat  collectif  :  celui-ci  ne  fait  ea  somme 
si  l'on  veut  que  grouper  un  certain  nombre  d'offres  et  y 
adapter  un  certain  nombre  de  demandes. 

Mais  historiquement  cette  théorie  n'a  pas  abouti  et  ne 
pouvait  aboutir  au  contrat  collectif  ;  telle  qu'elle  est  appa- 
rue, elle  impliquait  comme  postulat  ou  comme  corollaire 


(1)  Cf.  Dunover,  Liberté  du  travail,  t.  Il,  liv.  IV,  ehap.  X,  p.  449_ 
Le  régime  de  liberté  du  travail  individuel  est  plus  avantageux. 
M  La  liberté  est  le  régime  le  plus  favorable  à  l'équitable  distribution 
des  fruits  du  travail.  Et  en  effet  n'est-il  pas  sensible  que  moins  elle 
tolère  de  monopoles  et  moins  elle  permet  à  certaines  classes  d'abuser 
de  l'avantage  que  le  monopole  leur  donnait  sur  d'autres  ?  que  plus  elle 
laisse  le  champ  de  travail  libre,  et  plus  elle  permet  à  chacun  de  choisir 
sa  condition  et  de  n'accepter  que  celle  où  ces  services  lui  paraîtront 
suffisamment  rémunérée  ?  N'est-il  pas  sensible,  en  un  mot,  que  l'effet 
d'un  régime  réel  de  liberté  et  de  concurrence  est  de  nous  placer  tous 
dans  une  situation  où  non  seulement  rien  ne  gène  l'action  de  nos  fa- 
cultés, mais  où  rien  ue  trouble  la  spontanéité  de  nos  transactions,  où 
chacun  peut  tirer  de  ses  forces  et  de  ses  ressources  tout  ce  que  légiti- 
mement elles  peuvent  donner  ?  » 

BATNAUD  M 


178  PREMIÈRE   PARTIE.    —    CHAPITRE    VU 

la  théorie  du  travail-marchandise.  Les  théoriciens  de 
l'école  classique  comparent  volontiers  le  contrat  de  tra- 
vail à  une  vente  et  dans  cette  vente,  le  patron  et  l'ouvrier 
doivent  être  mis  face  à  face  comme  dans  les  transactions 
ordinaires  :  il  y  a  là  deux  intérêts  égaux  en  présence  et 
l'équilibre  résultera  de  la  libre  discussion.  La  consé- 
quence toute  naturelle  de  cette  théorie  —  tout  au  moins 
telle  qu'elle  fut  historiquement  dégagée  —  est  que  le 
contrat  de  travail  doit  être  essentiellement  un  accord 
individuel  comme  la  vente  :  toute  intervention  d'état,  toute 
coalition,  toute  association  viendrait  rompre  l'égalité  pré- 
tendue qui  existe  entre  le  maître  et  l'ouvrier,  comme 
entre  le  vendeur  et  l'acheteur  de  toute  autre  marchan- 
dise :  la  loi  de  l'otire  et  de  la  demande  ne  joueraient  plus 
à  plein. 

Sans  doute  la  loi  de  l'offre  et  de  la  demande  implique 
bien  que  la  marchandise-travail  puisse  être  vendue  en 
gros  aussi  bien  qu'au  délail.  Les  économistes  classiques 
ont  parfaitement  admis  le  marchandage  ;  et  M.  Yves 
Guyot  avec  l'organisation  commerciale  du  travail  est  par- 
faitement dans  la  tradition  libérale.  Le  contrat  collectif 
par  là  encore  semblait  très  possible  et  très  légitime. 

Mais  cette  conséquence  théorique  est  en  fait  masquée 
par  la  nécessité,  pour  conserver  la  liberté,  de  laisser  tou- 
jours en  face  l'un  de  l'autre  un  acheteur  et  un  vendeur. 
Le  patron  achète  bien,  si  l'on  veut,  du  travail  en  gros, 
c'est-à-dire  la  force  de  travail  de  plusieurs  ouvriers  réu- 
nis, mais  il  l'achète  d'un  individu  ou  d'une  société  qui  se 
trouve  face  à  face  avec  lui,  individu  contre  individu  : 
c'est  toujours  au  fond  le  contrat  individuel  :  Dans  cette 
vente  en  gros,  on  ne  stipulera  pas  des  conditions  de  tra- 
vail :  Ce  sera  au  sous-entrepreneur  à  s'en  arranger.  Vis- 


LA   THÉORIE    ÉCONOMIQUE   DU   CONTRAT   COLLECTIF  179 

à-vis  du  patron,  il  est  seul  responsable.  La  loi  de  l'offre 
et  de  la  demande  et  la  théorie  du  travail  marchandise  le 
veulent  de  la  sorte. 

Ainsi  pour  cette  première  formule  il  est  permis  de  con- 
clure d'une  part  qu'elle  admet  très  bien  le  contrat  collectif, 
mais  d'autre  part  qu'elle  ne  saurait  y  conduire  :  la  vente 
en  gros  du  travail  est  possible  :  mais  l'aspect  collectif  du 
contrat  est  ici  une  pure  apparence  :  il  n'y  a  que  des  uni- 
lés  additionnées  et  pas  de  considération  d'intérêt  profes- 
sionnel :  aussi  rien  ne  permet  de  conclure  qu'il  faut  établir 
1er  contrat  collectif.  A  notre  avis  ce  n'est  pas  la  source  doc- 
trinale d'où  dérive  le  contrat  collectif  et  M.  Floquet  a 
tort,  en  voulant  le  promouv^oir,  de  le  rattacher  aux  théo- 
ries de  l'école  libérale  sur  le  travail  marchandise:  Jusqu  à 
ce  jour  dit-il  (1),  la  marchandise  qu'on  appelle  le  travail  a 
été  vendue  en  détail,  parcelle  par  parcelle,  par  des  isolés  ; 
maintenant  il  faut,  au  moyen  de  l'association,  établir  le 
commerce  en  gros,  collectif,  de  cette  marchandise  qu'on 
appelle  le  travail  humain. 

Il  y  a  là  une  jolie  métaphore  peut-être,  mais  certes  pas 
un  raisonnement  scientiûque  :  de  la  théorie  du  travail 
marchandise,  on  ne  saurait  tirer  aucune  obligation.  Pour- 
quoi faut-il?  Au  nom  de  quel  principe?  Le  contrat  collec- 
tif repose,  comme  nous  le  verrons,  sur  une  base  plus  pro- 
fonde que  seule  une  analyse  complète  du  travail  humain 
permet  de  trouver. 

Quoiqu'il  en  soit  —  et  c'est  ici  notre  seule  conclusion, 
—  la  théorie  de  l'offre  et  de  la  demande  est  indifférente  au 
contrat  collectif. 


(1)  Disc,  à  laCh.  des  Députés, 21  mai  1881 


180  phkmiktk  pautii:.  —  chapituk  mi 

D'ailleurs,  les  économisles  ont  depuis  longtemps  jugé 
celle  formule  insuffisante  et  ont  cherché  à  préciser  d'une 
manière  plus  nette  les  lois  naturelles  du  salaire,  qu'il 
nous  faut  maintenant  passer  en  revue. 

A.  —  Loi  du  fonds  des  salaires. 

Le  contrai  collectif  ne  trouve-t-il  pas  un  obstacle  insur- 
montable (1)  dans  la  première  loi  que  l'on  a  cru  trouver 
pour  les  salaires,  la  loi  du  fonds  des  salaires? 

Si  nous  prenons  l'exposé  de  cette  loi  chez  Stuart  Mill  — 
non  sans  doute  qu'il  en  soit  le  premier  auteur  —  mais 
parce  qu'il  en  donne  un  exposé  complet,  voici  comment 
pour  lui  les  choses  se  passent  : 

«  Le  taux  des  salaires  dépend  principalement  des  rap- 
ports de  l'offre  et  de  la  demande  de  travail  ;  ou,  connne  on 
le  dit  souv«;nt,  du  rapport  qui  existe  entre  la  population  et 
le  capital  (2). 

Les  salaires,  non  seulement  dépendent  des  rapports  qui 
existent  entre  le  capital  et  la  population,  mais  sous  l'em- 
pire de  la  concurrence,   ils   ne  peuvent  être  affectés  par 


(1)  Cette  loi,  comme  la  suivante,  eut  un  effet  direct  et  incontestable 
à  une  époque  sur  notre  question  :  en  Angleterre  notamment,  il  fut  de 
mode  de  ISW)  à  1870,  au  nom  des  lois  naturelles  de  l'Economie  poli- 
tique, de  repousser  les  coalitions  d'ouvriers  :  celles-ci,  disait-on,  étaient 
dans  l'impossibilité  d'augmenter  les  salaires  des  uns  autrement  qu'au 
détriment  des  autres  :  la  fraternité  ouvrière  s'opposait  soi-disant  à 
toute  tentative  de  ce  genre. 

(2)  Ici  Miil  explique  ce  qu'il  faut  entendre  par  population  et  par  ca- 
pital dans  l'énoncé  de  sa  loi  :  par  population  il  entend  «  les  personnes 
qui  travaillent  au  prix  d'un  salaire  »  et  par  capital  la  somme  des  ca 
pilaux  affectés  au  paiement  des  salaires. 


LA    THÉOHIK    KCONOMIQUK    DU    CONTRAT    COl.LWniK  ISl 

aucune  autre  cause.  Le  taux  ujoyen  des  salaires  ne  peut 
s'élever  que  par  un  accroissement  du  capital  affecté  aux  sa- 
laires ou  par  une  réduction  du  nombre  de  ceux  qui  sont 
en  concurrence  pour  offrir  leur  travail  ;  ils  ne  peuvent 
baisser  que  par  une  diminution  du  capital  destiné  à  payer 
le  travail  ou  par  une  auginentalioii  du  nombre  des  travail- 
leurs à  payer  (1)  ». 

Vains  seraient  donc,  si  telle  est  la  loi  des  salaires,  les 
efforts  des  ouvriers  réunis  à  propos  du  contrat  collectif  : 
ils  n'agissent  ni  sur  l'un  ni  sur  l'autre  des  termes  du 
rapport  et  par  suite  ne  sauraient  modifier  le  taux  des 
salaires. 

A  cette  célèbre  tiiéorie,  on  a  adressé  plusieurs  critiques 
des  plus  sérieuses. 

D'abord  ce  n'est  pas  le  taux  moyen  des  salaires  quil 
nous  importe  de  connaître,  mais  le  taux  des  divers  salai- 
res payés  dans  les  diverses  entreprises  :  et  par  là  déjà  le 
contrat  collectif  tout  entier  pourrait  passer. 

De  plus,  le  montant  du  fonds  de  roulement  du  tra- 
vail et  le  nombre  des  travailleurs  salariés  sont  des  quan- 
tités parfaitement  indéterminées,  variables  et  inappré- 
ciables. 

Enfin,  bien  que  leur  rapport  puisse  régler  le  taux  des 
salaires,  il  est  tout  aussi  exact  de  dire  que  ces  quantités 
elles-mêmes  dépendent  de  ce  taux  :  en  effet,  suivant  le 
taux  des  salaires,  le  nombre  des  travailleurs  salariés  aug- 
mentera ou  diminuera  par  diminution  ou  augmentation  des 
autres  classes,  en  même  temps  que  le  montant  du  fonds 
de  roulement  affecté   aux   salaires  augmentera  ou  dimi- 


(1)  St.  Mil),  Principes  d' Economie  politique,  t.  II,  chap.  XI,  %  i". 


182  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

nuera  d'une  manière  semblable  suivant  la  diminution  ou 
l'augmentation  des  autres  fractions  du  capital  circulant  et 
même  du  capital  fixe. 

Aussi  la  théorie  est-elle  depuis  fort  longtemps  abandon- 
née et  St.  Mill  lui-même  écrivait,  quelques  années  après 
ses  Priîicipes  cV Economie  politique  : 

«  La  doctrine  qu'ont  enseignée  tous  ou  presque  tous  les 
économistes,  et  moi-même  tout  le  premier,  d'après  laquelle 
il  ne  serait  pas  possible  d'élever  le  taux  des  salaires  par 
des  combinaisons  entre  les  travailleurs,  ou  qui  limiterait 
l'action  de  ces  combinaisons  à  l'obtention  plus  hâtive  d'une 
hausse  que  la  concurrence  aurait  produite  sans  cela,  cette 
doctrine  ne  repose  sur  aucune  base  scientifique  et  doit  être 
rejetée  (1).  » 

Le  contrat  collectif  ne  rencontre  donc  pas  ici,  d'affirma- 
tion doctrinale  gênante  :  entre  le  minimum  de  salaires  et 
le  maximum  de  profits,  le  contrat  collectif  peut  utilement 
fixer  le  salaire  de  l'ouvrier. 

B.  —  Loi  du  salaire  naturel  ou  nécessaire. 

La  loi  du  salaire  naturel  ou  nécessaire  serait-elle  plus 
sérieuse  et  formerait-elle  un  obstacle  invincible  au  contrat 
collectif  ? 

Mais  d'abord,  où  faut-il  prendre  la  formule  de  cette  loi, 
chez  Turgot,  chez  Ricardo  ou  chez  Lassalle  :  les  modifica- 
tions successives  qu'on  peut  relever  dans  la  formation  de 
cette  théorie  sont  déjà  une  première  preuve  de  la  difficulté 


(1)  Article  :  «  L'Unionisme  ouvrier  »,  Fortnightly  Review.,  mai  et 
juin  1859. 


LA   THÉORIE   ÉCONOMIQUE   DU   CONTRAT   COLLECTIF  183 

qui  existe  d'enserrer  la  réalité  économique  en  une  formule 
aussi  simpliste. 

Turgot(l)  ébauche  la  formule  de  la  loi  :  «  Le  simple  ou- 
vrier, qui  n'a  que  ses  bras  et  son  industrie,  n'a  rien  qu'au- 
tant qu'il  parvient  à  vendre  à  d'autres  sa  peine.  Il  la  vend 
plus  ou  moins  cher  :  mais  ce  prix  plus  ou  moins  haut  ne 
dépend  pas  de  lui  seul  :  il  résulte  de  l'accord  qu'il  fait  avec 
celui  qui  paye  son  travail.  Celui-ci  le  paye  le  moins  cher 
qu'il  peut;  comme  il  a  le  choix  entre  un  grand  nombre 
d'ouvriers,  il  préfère  celui  qui  travaille  au  meilleur  mar- 
ché. Les  ouvriers  sont  donc  obligés  de  baisser  le  prix  à 
l'envi  les  uns  des  autres.  En  tout  genre  de  travail^  il  doit 
arriver  et  il  arrive  en  effet  que  le  salaire  de  l'ouvrier 
se  borne  à  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  lui  procurer  sa 
subsistance.  » 

C'est  on  le  voit,  par  ce  texte  complet,  l'application  puro 
et  simple  du  principe  de  moindre  action  à  la  détermina- 
tion des  salaires.  Aucun  principe  de  population,  au- 
cune idée  même  du  coût  de  production  du  travail  nette- 
ment dégagée  ne  donnent  ici  de  force  contraignante  à  la 
formule  et  il  est  clair  que  si  les  ouvriers  voulaient  s'en- 
tendre, pour  qu'aucun  d'eux  n'accepte  de  travailler  au- 
dessous  d'un  certain  taux,  le  contrat  collectif  serait  possi- 
ble et  la  formule  de  Turgot  cesserait  de  s'appliquer. 

Avec  Ricardo  (2)  la  théorie  se  précise  par  l'application 
au  salaire  du  coût  de  production,  sans  arriver  cepen- 
dant à  une  rigueur  bien  mathématique  :  après  avoir  rap- 


(1)  Sur  la  foiTnation  et  la  distribution  des  richesses,  œuvres  de 
Turgot,  éd.  Daire,  p.  13. 

(2)  Principes  d'économie  politique,  «  Des  salaires  »,  chap.  V,  p.  60. 
«  Le  prix  naturel  est  celui  qui  fournit  aux  ouvriers  en  général  les 


184  PREMIKIIK    PAiniK.    CHAPITKE    VII 

pelé  q«e  le  travail  comme  toute  marchandise  a  un  prix 
naturel  et  un  prix  courant,  Ricardo  pose  la  loi  :  «  Quel- 
que grande  que  puisse  être  la  déviation  du  prix  courant 
relativement  au  prix  naturel  du  travail,  il  tend  ainsi 
que  toutes  les  denrées,  à  sefi  rapprocher.  » 

C'est  alors  la  double  oscillation  en  sens  inverse  qui  tend 
sans  cesse  à  ramener  le  taux  du  salaire  courant  au  taux 
du  salaire  naturel  : 

«  C'est  lorsque  le  prix  courant  du  travail  s'élève  au- 
dessus  de  son  prix  naturel  que  le  sort  de  l'ouvrier  est 
réellement  prospère  et  heureux,  qu'il  peut  se  procurer  en 
plus  grande  quantité  tout  ce  qui  est  utile  ou  agréable  à  la 
vie,  et  par  conséquent  élever  et  maintenir  une  famille  ro- 
buste et  nombreuse... 

Quand  le  prix  courant  du  travail  est  au-dessous  de  son 
prix  naturel,  le  sort  des  ouvriers  est  déplorable  la  pau- 
vreté ne  leur  permettant  pas  de  se  procurer  les  objets  que 
l'habitude  leur  a  rendus  absolument  nécessaires.  Ce  n'est 
que  lorsqu'à  force  de  privations,  le  nombre  des  ouvriers 
se  trouve  réduit,  ou  que  la  demande  de  bras  s'accroît,  que' 
le  prix  courant  du  travail  remonte  de  nouveau  à  son  prix 
naturel.  » 

Ce  prix  naturel  n'est  d'ailleurs  pas  pour  Ricardo  une 
quantité  fixe  et  constante  (1)  :  il  varie  avec  les  temps  et 
les  pays  et  dépend  des  mœurs  et  des  habitudes  du  peuple. 


moyens  de  subsister  et  de  perpétuer  leur  espèce  sans  accroissement 
ni  diminalion. 

«  Le  prix  courant  du  travail  est  le  prix  que  reçoit  réellement  l'ou- 
vrier d'après  les  rapports  de  l'offre  et  de  la  demande,  le  travail  élant 
cher  quand  les  bras  sont  rares  et  à  bon  marché  quand  ils  abondent.  » 

(1)  Cf.  loc.  cit.,  p.  62. 


I,\    THKORIK    Kr.ONOMIQUR    DU    CONTRAT   COLI.KCTIF  185 

Par  là  donc  la  rigueur  de  la  loi  naturelle  nous  échappe 
encore  :  celle-ci  se  présente  fuyante  et  souple. 

Cependant  l'introduction  du  coût  de  production  et  du 
principe  de  population  font  pressentir  la  rigueur  que 
Lassalle  devait  donner  à  cette  loi  du  salaire  nécessaire. 

«  Le  salaire  moven  est  réduit  à  ce  qui  est  indispensable 
à  l'entretien  de  la  vie,  à  ce  qui,  chez  un  peuple,  est  habituel- 
lement nécessaire  à  la  conservation  et  à  la  reproduction 
de  l'espèce  (1).  »  C'est  ainsi  que  Lassalle  fornnule  la  loi  du 
salaire  nécessaire,  qu'il  a  appelée  loi  d'airain  ;  il  reprend 
ainsi  la  théorie  de  Ricardo,  en  lui  enlevant  toute  souplesse 
et  en  lui  donnant  une  plus  grande  rigueur. 

Si  la  loi  d'airain  est  exacte,  le  contrat  collectif  tentera 
vainement  d'élever  le  niveau  du  salaire  :  il  ne  pourra  lutter 
contre  cette  force  naturelle  qui  tend  à  ramener  le  prix 
courant  du  travail  au  taux  de  son  prix  naturel  :  il  y  aura 
forcément  des  fissures  dans  la  muraille  artificielle  que  tend 
à  construire  le  contrat  collectif  et  l'ouvrier  isolé  qui  tra- 
vaille à  des  conditions  inférieures  à  celle  du  contrat  est 
une  nécessité  inéluctable  que  l'on  ne  saurait  éviter. 

A  cette  doctrine  pessimiste,  aujourd'hui,  si  universelle- 
ment abandonnée,  on  peut  répondre  d'une  double  ma- 
nière :  d'abord,  en  fait,  il  est  incontestable  que  dans  maint 
pays  le  contrat  collectif,  la  fixation  collective  du  salaire  et 
des  conditions  du  travail,  en  dépit  de  cette  prétendue  loi, 
a  amélioré  la  situation  de  l'ouvrier  syndiqué  d'une  très 
notable  manière.  Sans  doute,  on  peut  répliquer  que  cette 
amélioration  provient  moins  du  contrat  collectif  que  de 


(1)  Lassalle,  Lettre  ouverte  au  Comité  central  chargé  de  convo- 
quer un  congrès  ouvrier  allemand  général  à  Leipzig,  1er  mai  1863. 


186  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   VII 

l'élévation  du  Standard  of  life,  de  l'ensemble  des  besoins 
de  l'ouvrier  qui  se  sont  développés  et  qui  seuls  eussent 
amené  la  hausse  de  salaire.  Mais  la  réponse  ne  porte  pas, 
car  on  devrait  en  ce  cas  trouver  pour  une  même  ville  et  un 
même  métier,  dans  des  conditions  ég-ales  d'ailleurs,  un  taux 
de  salaire  uniforme  fixé  par  la  loi  d'airain  :  or,  en  fait,  il 
n'en  est  pas  ainsi.  L'inégalité  des  taux  de  salaires  dans  ces 
circonstances  infirme  donc  la  réplique  et  l'on  peut  mainte- 
nir que  le  contrat  collectif  a  sûrement  agi  sur  le  salaire 
des  syndiqués.  Mais  il  y  a  plus  :  il  a  eu  incontestablement 
un  effet  des  plus  heureux  sur  la  situation  même  des  non- 
syndiqués  (1).  C'est  donc  que  là  non  plus,  la  prétendue  loi 
ne  s'applique  pas  :  la  nécessité  des  blacklegs  et  des  dissi- 
dents s'évanouit,  et  la  riche  souplesse  du  contrat  collectif 
remplace  heureusement  la  rigidité  sévère  et  cruelle  de  la 
loi. 

En  second  lieu,  de  l'aveu  même  de  certains  auteurs  de 
l'école  classique,  la  loi  d'airain  n'a  au  point  de  vue  doctri- 
nal qu'une  valeur  approchée  et  nullement  contraignante  (2). 
Elle  s'appliquerait  peut-être  et  serait  exactement  vérifiée 
en  l'absence  de  toute  organisation  syndicale  et  de  tout 
contrat  collectif,  tout  de  môme  que  la  pesanteur  ferait 
tomber  à  terre  les  ballons  sans  la  résistance  de  l'air.  Mais 
il  y  a  précisément  en  face  de  la  loi  d'airain  et  pour  lutter 
contre  elle  le  contrat  collectif  :  c'est  lui  qui  empêche  com- 
me nous  le  verrons  en  détail  plus  loin,  que  le  salaire  ne 


(d)  Sur  ce  point,  Cf.  les  démonstrations  déflnitives  deB.etS.  Webb, 
Histoire  du  Trade  Uniojiisme  ;  Industrial  Democracy . 

(2)  Ajoutez  que  la  demande  du  travail  suit  l'augmentation  de  la 
population  ouvrière,  parce  que  celle-ci  est  consommatrice  en  même 
temps  que  productrice. 


LA   THÉORIE   ÉCONOMIQUE  DU  CONTRAT  COLLECTIF  487 

se  réduise  à  ce  qui  est  strictement  nécessaire  à  l'entretien 
de  la  vie  de  l'ouvrier  et  de  sa  famille,  c'est  lui  qui  s'oppose 
au  marché  de  la  faim  (1). 

Donc  le  contrat  collectif  qui  exprime  un  des  îispecls  de 
la  marche  des  salaires  n'est  pas  plus  inconciliable  avec  la 
loi  d'airain  qui  en  exprime  un  autre,  que  la  pesanteur 
n'est  incompatible  avec  la  résistance  de  l'air  :  ce  sont 
deux  forces  anlag^onistes,  deux  aspects  également  vrais 
de  la  réalité  qui  ne  se  contredisent  nullement. 

C.  —  Loi  de  la  productivité  du  travail. 

On  a  enfin  proposé  plus  récemment  (2)  une  théorie  qui 
n'est  pas  plus  rigoureuse  que  les  précédentes  et  qu'on  a 
appelée  la  théorie  de  la  productivité  du  travail.  «  Le  sa- 
laire du  travailleur  finit  toujours  par  coïncider  avec  le 
produit  de  son  travail,  déduction  faite  de  la  rente  des 
impôts  et  de  l'intérêt  (3).  »  En  d'autres  termes  le  salaire 
est  directement  propoj^tionnel  à  la  productivité  du  tra- 
vail. 

Cette  loi,  fut-elle  exacte,  ne  serait  pas  davantage  con- 
traignante :  on  peut  très  bien  admettre  que  le  contrat 
collectif  agit  indirectement  sur  la  productivité  et  par  ce 
détour  sur  le  salaire.  * 


(1)  Aussi  bien  aujourd'hui,  dans  le  désarroi  général  des  théories  du 
salaire,  la  plupart  des  auteurs  contemporains  qui  essaient  quelque 
théorie  du  salaire  fout-ils  entrer  en  ligne  de  compte  l'action  de  l'asso- 
ciation professionnelle,  l'action  du  contrat  collectif.  —  Cf.  Levasseur, 
«  Les  causes  régulatrices  du  salaires  »,  Revue  d'E.  P.,  p.  229. 

(2)  Cf.  Beauregard,  Essai  sur  la  théorie  du  salaire  ;  Chevalier, 
Les  salaires  au  XlX'f  siècle  ;  Villev,  La  question  des  salaires. 

(3)  Stanley  Jevons. 


188  PRKMIKUE    PARTIK.    CHAPITRE    VII 

Mais  la  loi  elle-même  est  contestée  :  elle  ne  tient  pas 
compte  de  l'offre  et  de  la  demande  qui  viennent  contreba- 
lancer l'action  de  la  productivité. 

En  somme  et  pour  conclure  sur  ce  point  le  contrat  col- 
lectif est  à  côté  de  cette  loi  de  l'économie  politique  sur  le 
salaire,  comme  celle-ci  est  à  côté  de  la  réalité.  Son  action 
réelle  sur  le  salaire  est  parfaitement  compatible  avec  celle 
de  cette  loi  :  celle-ci  n'est  pas  «  exhaustive  de  la  réalité  » 
le  contrat  collectif  pénètre  plus  avant  qu'elle  et  en  ce  sens 
il  la  complète. 

Ainsi  les  lois  naturelles  du  salaire  —  dans  la  très  faible 
mesure  oii  on  peut  les  croire  exactes  —  ne  sont  nullement 
un  obstacle  au  contrat  collectif.  Il  y  a  de  cette  absence 
d'opposition  une  raison  bien  simple:  les  lois  naturelles  de 
l'Economie  politique  sont  comme  nous  l'avons  vu,  incom- 
plètes et  fragmentaires  :  cela  tient  surtout  à  ce  qu'elles  ne 
sont  que  l'application  pure  et  simple  des  lois  générales  de 
l'Economie  Politique  au  travail  et  au  salaire  :  elles  ne  tien- 
nent pas  compte  de  ce  qu'il  y  a  spécial,  de  particulier,  de 
spécifiquement  distinct  dans  la  question  des  rapports  entre 
ouvriers  et  patrons  :  Ricardo,  James  Mill,  St-Mill,  Mac 
Cullocb  (1)  ne  connaissent  pas  de  classe  ouvrière,  dans  le 
sens  propre  du  mot  et  moins  encore  les  diverses  «îlasses 
d'ouvriers,  les  circonstances  qui  les  font  agir.  Ils  ne  con- 
naissent pas  non  plus  les  patrons.  Ils  n'ont  pas  analysé  ce 
qu'il  y  a  de  proprement  industriel  dans  le  problème  :  ils 
n'ont  pas  pénétré  au  fond  de  la  question  des  rapports  du 
patron  et  de  l'ouvrier. 

Une  réaction  est  venue  et  aujourd'hui  grâce  à  une  série 


(1)  Cf.  Lujo  Brenlano,  «  Une  leçon  sur  l'Economie  Politique  classi- 
que »,  Revue  d'E.  P.,  1889,  p.  4. 


I..V   TIIÉOHIE    KOONOMlQUIi    DU    CUISmAI"    CIH.I.KCI  IK  189 

(lauleurs  {{)  de  tli\ erses  Ecoles,  celte  analyse  est  poussée 
beaucoup  plus  loin:  Brenlano  résume  adtniraljleiiicnt  les 
résultats  de  toutes  ces  éludes  dont  nous  ne  pouvons  suivre 
ici  le  développement  historique.  Il  ruine  définitivement  la 
lliéorie  du  travail  marchandise,  l'application  des  idées  ordi- 
naires au  travail  et  au  salaire:  il  faut  insisl<'r  sur  celle  réfu- 
tation qui  domine  toute  la  théorie  éconoini(|ue  du  contrat 
collectif. 

L'éminenl  professeur  (2)  ne  nie  pas,  si  l'on  veut  en  la 
forme,  que  le  travail  ne  soit  une  marchandise  (3),  «  certes 
on  ne  peut  pas  dire  que  le  travail  n'est  pas  une  marchan- 
dise parce  (juen  j^énéral  il  est  acheté  et  vendu,  et  que  par 
conséquent  1  ouvrier  est  vendeur  de  marchandise».  —  Mais 
c'est  une  marchandise  spéciale  et  à  ce  titre  elle  veut  être 
traitée  différennnent  :  »  Mais  on  ne  peut  non  plus  nier  que 
le  travail  considéré  comme  marchandise  et  l'ouvrier  conmie 
vendeur  n'offrent  des  particularités  telles  que  le  travail  doit 
être  distingué  de  toute  autre  marchandise.  » 

Et  pour  Brentano  les  différences  peuvent  se  ramener  à 
trois  principales  qu'il  développe  longuement  et  que  nous 
résumons  ici  : 

a)  Le  travail  c'est  f  exploitation  de  la  force  vive  ;  c'est 
l'HoMME  lui-même  appliquant  à  produire  des  valeurs  éco- 
nomiques son  corps,  son  intelligence,  son  cœur:  aussi 
dans  la  vente  du  travail,  la  chose  dont  on  vend  la  mise  en 
valeur  est  la  personne  même  du  vendeur  \  là  est  assuré- 


(1)  lirenlano,  M""  Kelleler.  Toniolo,  S.  el  IJ.  Webb,  elc,  elr... 

(2)  La  (juestion  ouvrière,  Irad.  f.,  Léon  Caiiberl,  p.  48. 

(3)  C'est  là  une  indication  de  pure  forme,  car  il  est  une  marchan- 
dise lellemenl  spéciale  qu'à  vrai  dire  il  n'en  est  plus  une  au  sens  ordi- 
naire du  mol. 


190  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

ment  une  première  différence  capitale  avec  les  ventes  ordi- 
naires ; 

b)  En  second  lieu,  «  tandis  que  le  propriétaire,  qui  vend 
toute  autre  espèce  de  marchandise,  peut  vivre  de  la  mise 
en  valeur  et  de  la  vente  d'autres  marchandises,  l'ouvrier, 
qui  en  général,  n'a  que  sa  force  de  travail,  est  contraint 
pout^  assurer  son  existence  de  vendre  continuellement . 
Dès  lors  il  en  résulte  une  infériorité  indéniahle  pour  l'ou- 
vrier au  point  de  vue  de  l'offre. 

De  là  sans  doute  comme  conséquences  accessoires  les 
salaires  dérisoires  et  les  conditions  du  travail  déplorables 
qu'accepte  l'ouvrier  dans  le  contrat  du  travail  individuel. 

c)  Enfin  la  vente  du  travail  entraîne  «  une  domination 
de  l'acheleur  sur  la  personne  du  vendeur  de  travail  »  :  l'a- 
cheteur de  travail  acquiert  par  son  achat  domination  sur 
la  force  vive  de  l'ouvrier  et  par  suite  sur  l'homme  tout 
entier,  sur  ses  jouissances  mêmes,  sur  toute  son  existence, 
physique,  intellectuelle,  morale  et  sociale. 

Ainsi  marchandise  spéciale  qui  est  la  personne  humaine, 
marchandise  vendue  continuellement,  marchandise  entraî- 
nant domination  absolue  sur  la  personne  même  de  l'ou- 
vrier, telles  sont  les  trois  différences  qui  séparent  le  tra- 
vail de  toutes  les  autres  marchandises  et  qui  par  la  même 
postulent  et  exigent  que  la  vente  en  soit  réglée  tout  autre- 
ment que  les  ventes  ordinaires  (1). 


(1)  Cf.  Léon  Xlli,  Encyclique  Rerum  yiovariun.  —  Ayant  rappelé 
le  caractère  de  personnalité  et  de  nécessité  du  travail,  le  Pape  ajoute  : 
«  Que  le  patron  et  l'ouvrier  fassent  donc  tant  et  de  telles  conventions 
qu'il  leur  plaira,  qu'ils  tombent  d'accord  notamment  sur  le  chiffre  du 
salaire,  au-dessus  de  leur  libre  volonté,  il  est  une  loi  de  justice  natu- 
relle plus  élevée  et  plus  ancienne,  à  savoir  que  le  salaire  ne  doit  pas 
être  insuffisant  à  faire  subsister  l'ouvrier  libre  et  honnête.  « 


LA   THÉORIE   ÉCONOMIQUE   DU    CONTRAT   COLLECTIF  191 

La  spécialité  des  rapports  entre  patrons  et  ouvriers  ainsi 
dégagée  complète  ainsi  l'insuffisance  des  théories  classi- 
ques ;  ce  point  de  départ  rappelé,  il  est  possible  de  tenter 
la  théorie  économique  du  contrat  collectif. 

Toutes  ces  idées  que  l'on  pourrait  résumer  d'un  mot  par 
la  dignité  du  travail  et  de  l'ouvrier  sont  aujourd'hui 
courantes  (1).  Elles  tranchent  nettement  avec  la  conception 
classique  et  traditionnelle  du  travail  et  dominent  de  toute 
leur  hauteur  la  théorie  du  contrat  collectif. 


I  II.  —  Essai  de  théorie  économique  du  contrat  collectif. 

La  partie  critique  ainsi  achevée,  le  terrain  est  dégagé 
et  la  théorie  économique  du  contrat  collectif,  quoique  fort 
délicate,  n'est  cependant  pas  impossible  à  établir. 

Comme  principe  le  contrat  collectif  remédie  à  l'inégalité 
des  parties  dans  le  contrat  du  travail  (A)  tout  en  conservant 
les  avantages  de  la  liberté  industrielle  (c).  Tels  sont  les 
deux  points  qu'il  est  nécessaire  d'étudier  successivement. 

Mais  cette  position  suppose  elle-même  un  postulat  sur 
lequel  il  est  indispensable  de  revenir  : 

Il  y  a  inégalité  dans  le  contrat  de  travail  entre  les  par- 
ties (a). 

Reprenons  brièvement  cette  dernière  proposition  en  en 
montrant  les  origines  tiistoriques  : 


(1)  Les  diverses  Ecoles  sociales,  notamment  l'Ecole  catholique,  ont 
grandement  contribué  à  leur  diffusion. 


192  PUKMlKltH:    PAHTIK.    CHAPlTIii;    Mi 

A. —  Il  y  a  inégalité  entre  les  parties  dans  le  contrat  de  travail 

individuel. 

Déjà  Adam  Smith  (1)  en  une  plirase  célèbre  avait  pres- 
senti cette  inégalité  en  écrivant  :  «  A  la  longue,  il  se  peut 
que  le  maître  ait  autant  besoin  de  l'ouvrier  (jue  celui-ci  a 
besoin  du  maître  :  mais  le  besoin  du  premier  n'est  pas  si 
pressant.  »  Cependant  Adam  Smith  n'en  tire  aucune  con- 
clusion relativement  au  contrat  de  travail  et  n'apporte 
cette  remarque  incidente  que  connue  supplément  à  Tiné- 
galité  des  parties  au  point  de  vue  de  '  la  coalition  sur 
laquelle  il  insiste  longuement  dans  son  chapitre  des  sa- 
laires. 

Puis  l'analyse  se  poursuit  avec  Sismondi  (2),  (|ui  le 
premier  bat  en  brèche  les  théories  classiques  sur  le  tra- 
vail. Sans  doute  le  spectacle  qu'il  avait  sous  les  yeux  — 
le  développement  formidable  de  la  grande  industrie  —  lui 


(1)  Richesse  des  nations.  \À\\  I,  chap.  8,  p.  81. 

(2)  On  lui  trouverait  bien  quelques  précurseurs,  ainsi  Necker  : 

«  D'où  vient  la  misère  du  peuple  dans  tous  les  pays  et  quelle  en 
sera  la  source  éternelle  ? 

«  C'est  le  pouvoir  qu'ont  les  propriétaires  de  ne  donner  en  échange 
d'un  travail  qui  leur  est  agréable  que  le  plus  petit  salaire  possible, 
c'est-à-dire  celui  qui  représente  le  plus  étroit  nécessaire. 

«  Or  ce  pouvoir  entre  les  mains  des  propriétaires  est  fondé  sur  leur 
très  petit  nombre  en  comparaison  de  celui  des  hommes  sans  propriété, 
sur  la  grande  concurrence  de  ces  derniers  et  principalement  sur  la 
prodigieuse  inégalité  qu'il  y  a  entre  les  hommes  qui  vendent  leur  tra- 
vail pour  vivre  aujourd'hui  et  ceux  qui  l'achètent  pour  augmenter  sim- 
plement leur  luxe  ou  leurs  commodités;  les  uns  sont  pressés  par 
Vinstant,  les  autres  ne  le  sont  point  \  les  uns  donneront  toujours  la 
loi,  les  autres  seront  toujours  contraints  de  la  recevoir.  »  {Sur  la  lé- 
gislation et  le  commei'ce  du  grain,  p.  270,  Ed.  Giiillaumin.) 


LA    TlitOHIK    KCONOMiyLK    DU    CONTHAT    «lOLI.KCTIF  193 

inspira  une  conceplion  [)lus  exaclo  des  rapports  du  patron 
et  de  l'ouvrior  dans  le  contrat  de  travail  :  l'opposition,  le 
ronflit  lui  apparaissent  trt>s  nettement  entre  l'ouvrier  et 
l'entrepreneur  coopérant  à  la  même  production. 

Voici  d'abord  pourquoi  Tenlrepreneur  cherchera  à  obte- 
nir les  conditions  les  plus  avantageuses  pour  lui, />ar  con- 
séfjuent  les  plus  défavorables  à  F  ouvrier  :  «  Le  capitaliste 
calcule,  s'il  ne  pourrait  point  trouver  sur  les  ouvriers  pro- 
ducteurs le  profit  que  ne  lui  offrent  point  les  consomma- 
teurs (1).  » 

Dans  la  discussion,  la  lutte  est  inégale,  car  d'une  part 
l'ouvrier  a  besoin  de  son  travail  pour  vivre,  et  d'autre 
part  la  concurrence  respective  des  ouvriers  entre  eux  vient 
encore  abaisser  le  niveau  des  conditions  obtenues.  Sis- 
mondi  l'explique  très  nettement  en  des  phrases  qui  lais- 
sent bien  loin  la  prétendue  égalité  de  situation  au  dire 
des  écouonjistes  de  l'école  classique  :  faisant  1  histoire  de 
ces  rapports,  il  écrit  : 

«  Lorsque  l'ouvrier  traitait  avec  un  chef  d'atelier,  de 
l'échange  de  son  travail,  contre  sa  subsistance,  sa  condi- 
tion est  toujours  désavantageuse  ;  car  il  avait  bien  plus 
besoin  de  subsistance  et  bien  plus  d'impossibilité  de  s'en 
procurer  par  lui-même,  que  le  chef  d'atelier  n'avait  besoin 
de  travail  :  il  demandait  de  la  subsistance  pour  vivre, 
le  chef  demandait  du  travail  pour  gagner  (2).  » 

Ailleurs  encore  Sismondi  exprime  très  nettement  cette 
inégalité  : 

«  Obligés  de  lutter  pour  leur  subsistance  avec  ceux  qui 


{{)  Nouveaujc  principes  (f  économie  politique,  18iî),  11,  p.  .3ë9. 
(2)  Id.,  I,  p.  91. 

RAYNALD  43 


194  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    Vil 

les  emploient,  ils  ne  sont  pas  leurs  égaux  en  forces.  Les 
maîtres  et  les  ouvriers  sont,  il  est  vrai,  réciproquement 
nécessaires  les  uns  aux  autres  ;  mais  cette  nécessité  presse 
chaque  jour  l'ouvrier,  elle  donne  du  répit  au  fabricant  ; 
le  premier  doit  travailler  pour  vivre,  le  second  peut 
attendre  et  vivre  encore  sans  faire  travailler  (1).  » 

On  voit  ici  exprimée  pour  la  première  fois  et  forte- 
ment traduite  cette  inég^alité  dans  le  contrat  de  travail  qui 
devait  faire  naître  tant  de  discussions  en  des  temps  plus 
récents. 

Sismondi  ajoute  d'ailleurs  que  cette  situation  malheu- 
reuse et  défavorable  de  l'ouvrier  est  encore  augmentée  par 
l'opposition  que  la  concurrence  établit  entre  les  intérêts 
des  ouvriers  :  la  population  ouvrière  augmentant  dans 
l'organisation  moderne,  «  le  nombre  de  ceux  qui  deman- 
dent du  travail,  étant  toujours  plus  grand,  ils  ont  dû  être 
toujours  plus  empressés  d'accepter  le  travail  quelconque 
qu'on  leur  offrait,  de  se  soumettre  aux  conditions  qu'on 
leur  imposait  (2)  ». 

D'ailleurs,  Sismondi  ne  croit  pas  à  l'efficacité  de  l'asso- 
ciation professionnelle,  bien  qu'il  demande  le  droit  de 
coalition  :  pour  lui  les  remèdes  à  la  situation  indiquée 
doivent  être  l'intervention  d'Etat  et  la  garantie  profession- 
nelle (3). 

Peu  après  Sismondi,  l'inégalité  des  parties  est  manifes- 
tement proclamée  par  Buret  (4),  et  cette  fois  l'auteur  va 


(1)  Nouveaux  principes  d'économie  politique,  I,  p.  377. 

(2)  Id.,  p.  92. 

(3)  Voir  Aflalion,  Sismonde  de  Sismondi,  p.  152  et  suiv. 

(4)  Buret,  De  la  misère  des  classes  laborieuses  en  Angleterre  et  en 
France,  2  vol.,  Paris,  1840,  t.  I,  p.  47  et  suiv. 


LA  THÉORIE  ÉCONOMIQUE  DU  CONTRAL  COLLECTIF      195 

diroclement  jus(ju"au  remède,  le  contrat  collectif  :  nous 
trouvons  ainsi  dans  la  doctrine,  dès  1840,  une  esquisse 
très  sérieuse  des  idées  qui  depuis  (levaient  prendre  une  si 
grande  extension  :  le  morceau  est  curieux  et  vaut  d'être 
cité  : 

Pour  remédier  aux  abus  du  contrat  individuel  et  limiter 
la  concurrence,  Buret  propose  le  système  suivant  : 

f(  Le  forme  du  gouvernement  de  l'industrie  devrait  être 
la  forme  représentative.  Chaque  industrie  aurait,  comme 
les  anciennes  corporations,  ses  magistrats  élus  par  les  maî- 
tres et  par  les  ouvriers,  qui  composeraient  pour  chaque 
métier  une  Chambre  syndicale,  ou  plutôt  un  Conseil  de 
famille,  dans  le  sein  duquel  se  décideraient  les  affaires  de 
la  profession  ;  le  Conseil  de  famille  de  chaque  métier  ar- 
rêterait à  certaines  époques  le  taux  des  salaires,  sanc- 
tionrterait  les  contrats  d'engagement  des  ouvriers  et  gar- 
derait en  dépôt  les  livrets.  Chaque  homme  du  métier  aurait 
droit  d'assister  aux  séances  du  Conseil  et  c'est  devant  lui 
que  se  feraient  les  engagemenis  des  ouvriers.  Un  entre- 
preneur de  travail  ne  pourrait  renvoyer  aucun  de  ses  ou- 
vriers sans  en  prévenir  une  quinzaine  d'avance  le  Conseil 
et  de  même  l'ouvrier  avant  de  quitter  son  atelier  serait 
tenu  de  remplir  la  même  formalité,  etc..  » 

Au-dessus,  un  syndicat  cantonal,  formé  de  la  réunion 
de  délégués  des  syndicats  communaux  serait,  sous  la  pré- 
sidence du  juge  de  paix,  un  Conseil  des  prud'hommes, 
chargé  de  juger  les  affaires  industrielles  et  tout  ce  qui 
concerne  les  rapports  des  maîtres  et  ouvriers  dans  l'étendue 
du  canton.  Au-dessus,  Conseil  départemental  et  Conseil 
national  (Conseil  suprême  de  la  production  nationale),  pour 
réunir  et  faire  connaître  la  production  nationale  et  les  be- 
soins des  divers  marchés. 


196  PRKMIÈUIÏ    PARTIK.    CHAPITIIK    VU 

Il  faut  insister  quelque  peu  sur  cette  inégalité  du  pa- 
tron et  de  l'ouvrier  dans  le  contrat  du  travail  individuel, 
puisque  c'est  sur  elle  que  repose  la  nécessité  même  du 
contrat  collectif. 

Certes  sur  ce  point  les  témoignages  discordants  ne  man- 
quent pas  et  les  deux  opinions  opposées  ont  leurs  parti- 
sans irréductibles. 

Nous  avons  déjà  vu  les  arguments  de  ceux  qui  soutien- 
nent que  l'égalité  existe  dans  le  contrat  de  travail  indivi- 
duel. Il  nous  faut,  avant  d'exposer  en  détail  la  théorie  op- 
posée, retrouver  dans  l'école  classique  même  la  lente  infil- 
tration de  l'idée  contraire  :  sans  doute  l'inégalité  aperçue 
ne  fait  pas  modifier  les  positions  doctrinales  dès  l'abord. 
Basliat  et  M.  de  Molinari  ne  vont  pas  jusqu'au  contrat  col- 
lectif :  cependant  M.  Leroy-Beaulieu  l'admet  aujourd'hui. 
Ce  sont  là  de  précieux  aveux,  qu'il  nous  faut  recueillir. 

Basliat{i)  rencontre  l'objection  sous  sa  forme  ordinaire: 
il  y  a  inégalité  parce  que  le  capital  peut  attendre  et  que  le 
travail  ne  le  peut  pas,  si  bien  que  le  capitaliste  fixe  létaux 
du  salaire. 

Mais  pour  lui  ce  n'est  là  qu'un  raisonnement  superficiel: 
«  sans  doute,  dit-il  en  propres  termes,  en  s'en  tenant  à  la 
superficie  des  choses,  celui  qui  s'est  créé  des  approvision- 
nements et  qui  à  raison  de  sa  prévoyance  peut  attendre, 
a  l'avantage  du  marché.  A  ne  considérer  qu'une  transac- 
tion isolée,  celui  qui  dit  :  Do  lit  facias  n'est  pas  aussi 
pressé  d'arriver  à  une  conclusion  que  celui  qui  répond  : 
Facio  ut  des^  car  quand  on  peut  dire  do,  on  possède  et 
quand  on  possède,  on  peut  attendre.  » 


(1)  Harmonies  économiques,  p.  483. 


I..\    THKORIR    KCONtiMIQUIÎ    l»0    COiNTHAT   COI.LKCriK  197 

Mais  la  théorie  de  la  valeur  de  Basliat  qui  ideiililie  le 
service  et  le  produit,  lui  sert  à  rétablir  l'égalité. 

(.  Si  Tune  des  parties  dit  do,  au  lieu  de  facio,  c'est 
(ju'elle  a  eu  la  prévoyance  d'exécuter  le  /"«ao  par  anticipa- 
tion. Au  fond  c'est  le  service  de  part  et  d'autre  qui  mesure 
la  valeur.  »  Et  Basliat  expli<jue  (jue  le  patron  est  pressé  lui 
aussi  de  conclure  le  nmrché  de  travail,  parce  que  tout  re- 
tard est  une  perte  pour  le  travail  antérieur.  Et  il  constate 
qu  on  fait  on  ne  voit  pas  les  manufacturiers  suspendre  le 
travail  «  unicjuement  pour  déprécier  le  salaire,  en  pre- 
nant les  ouvriers  par  la  fannine  ». 

Sans  doule,  niais  personne  n'a  dit  que  le  but  direct  du 
patron  soit  de  déprécier  le  salaire  (i).  Là  n'est  point  la 
question.  La  réponse  de  Bastiat  ne  porte  pas,  quand  il 
oppose  les  deux  attentes  :  «  Si,  pour  le  travail  actuel  tout 
retard  est  une  souffrance,  pour  le  travail  antérieur  il  est 
une  perte.  »  Ou  plutôt  elle  se  retourne  contre  lui  dans  les 
termes  mêmes  :  car  il  y  a  une  sing^ulière  différence  entre 
la  souffrance,  qui  atteint  le  travail  dans  sa  force  vive,  dans 
l'homme,  dans  l'ouvrier  et  dans  sa  famille,  et  la  perte  qui 
ne  porte  que  sur  du  travail  mort,  matérialisé;  que  le  travail 
soit  interrompu,  les  actionnaires  ou  l'entrepreneur  ne 
mourront  pas  de  faim  pour  cela  —  landis  que  les  ouvriers 
sont  directement  et  inmiédiatemenl  atteints. 

Ainsi  la  réponse  de  Bastiat  à  l'objection  d'inégalité  est 
loin  d'être  topique  et  il  semble  qu'il  en  ait  lui-même  le 
sentiment,  car  il  continue  son  développement:  «  sans  nier 


(1)  On  a  vu  cèpe adanl  certaios  patrons  dans  certaines  grèves,  ju- 
geant les  propositions  des  ouvriers  quant  aux  salaires  inacceptables, 
préférer  subir  des  pertes  sur  leur  en pital  et  leur  matériel  plutôt  que 
de  céder. 


198  PREMIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE   VII 

ici  que  la  position  du  capitaliste  à  l'égard  de  l'ouvrier  ne 
soit  favorable  sous  ce  rapport  »....  De  son  aveu  même,  i) 
existe  une  inégalité  réelle  de  fait  entre  le  patron  et  l'ou- 
vrier dans  le  contrat  de  travail. 

M.  de  Molinari  n'est  pas  moins  affimatif:  pour  lui  aussi 
l'idéale  égalité  de  physiocrates  et  des  premiers  économistes 
classiques  n'est  plus  qu'un  souvenir. 

«  Le  salaire  du  travail  ne  représente  la  part  équitable 
de  l'ouvrier  dans  la  production  que  dans  cette  même  si- 
tuation d'équilibre  de  l'offre  et  de  la  demande  des  bras. 

Lorsque  ce  travail  est  plus  demandé  par  les  ouvriers 
qu'offert  par  les  entrepreneurs,  on  voit  quelquefois  les 
salaires  descendre  au-dessous  de  toute  limite  raisonnable. 
Pressés  de  gagner  de  quoi  subsister,  les  travailleurs  sura- 
bondants offrent  leurs  services  à  vil  prix  et  font  baisser 
successivement  les  salaires  généraux  jusqu'à  l'équivalent 
d'un  minimum  de  subsistances  (1).  » 

Ainsi,  quoique  l'auteur  obvie  à  la  situation  par  un 
remède  différent,  il  ne  nie  pas  l'inégalité  de  fait  dans  le 
contrat  de  travail. 

Quels  sont  maintenant,  si  nous  essayons  de  les  réunir 
en  un  solide  faisceau,  les  arguments  de  cette  inégalité  réelle 
entre  l'ouvrier  et  le  patron  dans  le  contrat  de  travail  (2). 

Une  remarque  préalable  s'impose  : 

Ce  serait  bien  mal  comprendre  cette  inégalité  que  delà  voir 


(1)  De  Molinari,  «  De  l'organisation  de  la  liberté  industrielle  », 
4846,  Etudes  économomiqnes,  p.  46.  —  Pour  lui  le  remède  est  ail- 
leurs, dans  l'organisation  de  la  publicité  du  travail  et  de  la  mobilisation 
rationnelle  et  peu  coûteuse  du  travailleur. 

Cf.  De  Molinari.  La  guerre  civile  du  capital  et  du  travail.  Journal 
des  Econom.  4899,  septembre,  p.  324. 

(2)  Le  plus  souvent,  on  émet  sur  ce  point  plutôt  d'énergiques  décla- 


I..\    THÉORIE   ÉCONOMIQUE    DU   CONTRAT   COLLECTIF  199 

en  (juelquo  sorte  en  bloc  et  non  dans  le  détail  :  sans  doute 
le  patron  est  idéalement  libre  de  ne  pas  engager  d'ouvrier, 
comme  l'ouvrier  est  idéalement  libre  de  ne  pas  accepter  tel 
patron  :  l'idéal  consentement,  le  nutum,  c'est-à-dire  le  oui 
final  est  pareil  de  part  et  d'autre,  mais  c'est  précisément 
dans  l'établissement  de  toutes  les  conditions  du  travail,  de 
toutes  les  clauses  du  contrat  que  l'inégalité  réside  et  paraît 
incontestable  (1). 

D'abord  le  plus  souvent  avec  les  conditions  modernes 
de  la  grande  industrie  toute  discussion  des  conditions  du 
travail  entre  le  patron  et  l'ouvrier  est  impossible  :  dans  la 
majorité  des  cas,  les  conditions  auxquelles  l'ouvrier  à  em- 
baucber  travaillera,  sont  fixées  unilatéralement  par  le  pa- 
tron :  c'est  à  prendre  ou  à  laisser  (2)  :  C'est  d'ailleurs  une 
nécessité  inéluctable  que  le  régime  collectif  uniforme  du 
travail  :  tout  établissement  industriel,  pour  peu  qu'il  ait 


rations  que  de  solides  raisons.  Les  formules  d'ailleurs  méritent  d'être 
relevées  : 

Ce  contrat  met  en  présence  un  «  sac  d'argent  et  un  estomac  ».  Disc, 
de  M.  Furnémont.  Ch.  des  Représentants  Belges,  24  fév.  1899,  Annales 
Parlementaires,  p.  697. 

«  Si  c'est  l'ouvrier  qui  s'engage,  trop  souvent  c'est  sa  faim  qui  ac- 
cepte. »  Id.,  Carton  de  Wiart,  8  mai  1899,  Annales  Parlent.,  t.  777). 

«  Le  taux  fixé  pour  le  salaire  n'est  pas  fixé  par  un  libre  débat  :  il 
n'est  pas  le  résultat  de  la  liberté  :  il  est  le  résultat  de  la  nécessité  : 
voilà  le  mal!  »  (Ch.  Gide,  Conférences  sur  le  contrat  de  travail.) 

(1)  Cf.  dans  les  contrats  rescindés  pour  cause  de  lésion  ;  il  y  a  sans 
doute  deux  volontés  égales  en  présence,  mais  la  loi  déclare  ces  contrats 
rescindables  précisément  parce  que  dans  l'établissement  des  conditions 
du  contrat,  l'inégalité  était  trop  forte. 

(2)  Parfois  ce  n'est  pas  au  patron  lui-même  ou  à  son  représentant 
immédiatiat  que  l'ouvrier  aura  à  faire  :  il  sera  embauché  par  un  con- 
tremaître ou  un  ouvrier  subalterne. 


200  PKKMlÈKIi:    PARTIK.    CHAPITRK    Vil 

quelque  importance,  ne  saurait  admettre  l'infinie  variété  de 
contrats  au  point  de  vue  du  salaire,  du  temps  de  travail, 
etc.,  qui  s'adapteraient  aux  exigences  mdividuelles  :  il 
est  clair  par  exemple  que  le  fonctionnement  du  moteur 
mécanique  fixe  d'une  manière  uniforme  pour  tous  la  durée 
de  la  journée  de  travail.  De  môme  il  ne  peut  y  avoir  des 
tarifs  individuels  de  salaire  :  la  division  du  travail  est  d'or- 
dinaire poussée  trop  loin  :  trop  d'ouvriers  collaborent  à  la 
confection  d'un  même  produit,  pour  qu'on  puisse  prati- 
quement retrouver  dans  le  long-  et  compliqué  processus 
de  production  la  part  de  chacun.  Ainsi  le  plus  souvent  la 
discussion  individuelle  des  conditions  du  travail  est  une  pure 
apparence  :  «  et  alors  la  discussion  sera  collective  ou  ne 
sera  pas  (1).  » 

Mais  admettons  qu'un  patron  accepte,  dans  la  mesure 
où  elle  est  possible,  la  discussion  individuelle  des  condi- 
tions du  travail  et  précisons  l'inég-alité  sur  ce  cas  idéal. 

Il  y  a  inégalité  pour  ainsi  dire  à  chaque  phrase  de  l'éla- 
boration du  contrat  : 

Inégalité  dans  les  propositions  ; 

Inégalité  dans  la  discussion  ; 

Inégalité  dans  la  conclusion. 

Inégalité  dans  les  propositions  d'abord.  —  Il  est  cer- 
tain qu'en  vertu  de  ses  connaissances  conmierciales  et 
économiques  le  patron  a,  sur  l'état  actuel  du  marché,  sur 
les  taux  courants  de  salaires,  sur  les  chances  de  hausse 
et  de  baisse  du  prix  de  la  main-d'œuvre  des  données 
beaucoup  plus  étendues  et  plus  précises  que  celles  que 
possède  l'ouvrier.  De  toute  manière  le  patron  saura  éta- 


(1)  M.  Jay  à  son  cours. 


I,A     IUKORIK    KCONOMiyUE    UU    CONTHAT    COLLKCTIF  204 

blir  iiiu'  olFre  Je  salaire  aussi  conforme  que  possible  à 
sou  iiilérèt.  Sait-il  par  exemple  que  beaucoup  d'ouvriers 
sont  sans  travail,  que  le  chômage  règne  dans  la  profession, 
il  en  proliféra  tout  naturellement  pour  surbaisser  le  taux 
de  salaire  et  établir  des  conditions  de  travail  tout  particu- 
lièrement avantageuses  pour  lui.  Est-il  au  contraire  en 
présence  dun  manque  de  bras,  d'une  rarelé  de  main- 
d'œuvre,  il  calculera  au  plus  juste  les  conditions  suffisantes 
pour  retenir  l'ouvrier  qu'il  veut  embaucher  et  fera  les  pre- 
mières oiï'res  assez  bas  pour  se  laisser  une  marge  suffi- 
sante par  laquelle  il  semblera  faire  des  concessions  :  Dans 
les  deux  cas,  l'ignorance  économique  de  l'ouvrier  isolé  le 
rend  incapable  d'apprécier  sérieusement  les  conditions  du 
contrat. 

Inégalité  dans  la  discussion.  —  Les  mêmes  raisonne- 
ments que  ci-dessus  pourraient  ici  se  reproduire  trait  pour 
Irait.  De  plus,  le  patron,  grand  industriel,  a  acquis,  parla 
direction  de  l'usine,  par  le  contact  avec  un  grand  nombre 
d'ouvriers,  une  expérience  profonde,  une  science  étendue 
des  hommes  et  des  choses  :  il  se  passe  ici  quelque  chose 
d'analogue  à  la  discussion  commerciale,  où  le  commerçant 
en  gros,  le  spéculateur,  l'homme  d'afifaires  abuse  sans  dif- 
ficulté du  client  trop  simple  qui  ignore  les  habiletés  et  les 
roueries  d'une  subtile  discussion. 

Enfin,  à  supposer  même  que  l'ouvrier  soit  assez  intelli- 
gent et  assez  fin  pour  tenir  tète  au  patron  dans  cette  dis- 
cussion, celui-ci  aura  beau  jeu  de  lui  représenter  que  tous 
ses  camarades  travaillent  à  telles  ou  telles  conditions  et 
qu'on  ne  saurait  même  pour  un  ouvrier  de  capacité  pro- 
fessionnelle extraordinaire,  déranger  tout  le  règlement  de 
l'usine  et  bouleverser  les  conditions  usuelles  du  travail. 

Inégalité  enfin  dans  la  conclusion  du  contrat.  —  L'ou- 


202  PREMIÈRE    PARTIK.    CHAPITRE   VII 

vrier  le  plus  souvent  a  besoin  de  son  salaire  pour  vivre  : 
c'est  après  un  chômage  prolongé  quelquefois  que  celte  dis- 
cussion intervient  et  à  l'argument  final  du  patron  :  c'est  à 
prendre  ou  à  laisser,  le  plus  souvent  il  prend  et  accepte. 

Le  patron  au  contraire,  peut  attendre  :  à  défaut  de  ce- 
lui-ci, ce  sera  un  autre. 

L'un,  en  ne  concluant  pas,  manque  à  manger  pour  lui 
et  sa  famille;  l'autre,  en  ne  concluant  pas,  manque  seule- 
ment à  gagner.  La  nécessité  presse  celui-ci,  alors  que  l'op- 
portunité dirige  celui-là. 

Ajoutez  enfin  que  les  patrons  étant  bien  moins  nombreux 
que  les  ouvriers  arrivent  bien  plus  facilement,  par  une  de 
ces  coalitions  secrètes  insaisissables,  à  s'entendre  pour 
fixer  d'un  commun  accord  les  conditions  du  travail,  alors 
que  cette  entente  aujourd'hui  possible  entre  les  ouvriers 
est  plus  difficile  et  en  tous  cas  perd  de  sa  force  par  la  pu- 
blicité qu'elle  acquiert. 

Enfin,  et  là  est  la  suprême  inégalité,  le  patron  n'en- 
gage que  son  argent,  des  responsabilités  pécuniaires  ; 
l'ouvrier  lui  engage  sa  personne  tout  entière.  En  effet, 
comme  la  force  de  travail  que  l'ouvrier  loue  est  absolu- 
ment inséparable  de  sa  personne,  c'est  cette  personne 
même  qui  se  trouve  mise  à  la  disposition  du  patron  :  ce- 
lui-ci, en  établissant  les  conditions  du  travail,  agira  à  la 
fois  sur  la  vie  physique,  intellectuelle,  morale  et  sociale 
de  l'ouvrier  : 

Sur  sa  vie  physique  :  Car  l'aménagement  de  la  fabrique, 
la  disposition  des  ateliers  au  point  de  vue  de  la  salubrité 
et  de  l'hygiène  auront  une  grande  influence  sur  la  santé 
do  l'ouvrier  ; 

Sur  sa  vie  intellectuelle  :  Bien  souvent,  par  la  force  mê- 
me des  choses,  l'ouvrier  pour  lequel  la  spécialisation    du 


LA   TIIKORIE   ÉCONOMIQUE   DU   CONTRAT   COLLECHP  203 

travail  aura  été  poussée  trop  loin,  perdra  de  sa  vigueur 
inlellecluelle  et  sa  valeur  professionnelle  sera  diminuée. 

Sur  sa  vie  morale  :  Ici  encore  le  contrat  de  travail  a 
Taction  la  plus  directe  et  la  plus  efficace  :  le  milieu  moral 
qui  est  si  actif  sur  la  moralité  de  l'individu  sera  créé  par 
l'usine  et  en  louant  son  travail,  l'ouvrier  aliène  pour  une 
part  le  droit  de  déterminer  lui-même  l'atmosphère  morale 
où  il  veut  vivre. 

Sur  sa  vie  sociale  enfin  :  Car  le  travail  chez  le  patron 
entraîne  la  fixation  dans  un  quartier  donné,  dans  une  ville 
donnée,  avec  des  conditions  de  cherté  de  la  vie  qui  s'im- 
posent à  l'ouvrier. 

A  tous  ces  égards,  la  personne  de  l'ouvrier  est  directe- 
ment intéressée  dans  le  contrat  de  travail  (1).  La  personne 
humaine  parachève  donc  ici  l'opposition  entre  le  patron  et 
l'ouvrier  :  l'un  apportant  le  salaire,  l'autre  engageant  in- 
directement toute  sa  personne,  il  importe  que  l'ouvrier 
puisse  ne  l'engager  qu'à  hon  escient  :  or  ceci  est  impos- 
sible avec  le  contrat  individuel  (2). 

Si  les  démonstrations  précédentes  n'étaient  pas  encore 
suffisantes,  il  y  a  de  l'inégalité  dans  le  contrat  individuel 
de  travail  une  preuve  indéniable  et  irréfutable  : 

C'est  l'ensemble  des  dispositions  législatives  prises  dans 
tous  les  pays  pour  défendre  le  Truck-syslem  (3). 


(1)  On  justifîe  souvent  par  ce  motif  de  la  protection  de  la  personne 
humaine  les  diverses  interventions  législatives  de  l'Etat  dans  le  régime 
du  travail. 

(2)  Dans  tout  ce  développement,  nous  n'entendons  pas  rendre  le 
patron  responsable  de  l'inégalité  existante  :  le  plus  souvent  il  en  pro- 
flte,  sans  même  le  vouloir,  toujours  poussé  par  les  impérieuses  né- 
cessités de  la  concurrence  industrielle. 

(.3)  Voyez  par  exemple  :  Angleterre,   acts  des  15  octobre  1831  et 


204  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

Il  est  certain  que  la  législation  des  divers  pays,  Angle- 
terre, France,  Belgique,  Suisse,  Autriche,  Allemagne 
n'aurait  pas  songé,  dans  des  mesures  diverses  il  est  vrai, 
mais  d'une  manière  unanime,  à  combattre  ces  paiements 
faits  en  marcliandises  si  funestes  à  l'ouvrier,  si  celui-ci 
avait  été  réellement  capable  de  s'en  défendre  de  sa  propre 
autorité.  Les  faits  sur  ce  point  sont  nombreux  et  péremp- 
toires  :  môme  malgré  les  dispositions  législatives  l'inéga- 
lité subsiste  parfois  sur  cette  clause  spéciale  :  mode  de 
paiement  du  salaire  —  au  point  que  les  abus  du  truck- 
systèrne  n'ont  pas  encore  partout  disparu  (1). 

Enfin  et  do  la  mèine  manière,  la  plupart  des  lois  dites 
ouvrières  sont  dans  leur  ensemble  tout  au  moins  une 
preuve  indirecte  mais  certaine  de  l'inégalité  dans  le  contrat 
de  travail  individuel. 

Notre  postulat  ainsi  établi,  il  faut  continuer  et  esquis- 
ser la  théorie  positive  du  contrat  collectif,  en  posant  suc- 
cessivement les  deux  points  indi(jués. 

h)  Suppression  de  l'inégalité. 

c)  Liberté  individuelle  conservée. 

B.  —  Suppression  de  l'inégalité  dans  le  contrat  de  travail. 

—  Et  d'abord  le  contrat  collectif  supprime  l'inégalité  ac- 
tuellement existante  dans  le  contrat  de  travail  :  il  obtient 
ce  remarquable  résultat  en  agissant   sur  la  concurrence. 


46  septembre  1887  ;  France,  loi  du  12  janvier  1895,  arl.  4;  Belgique, 
loi  du  16  août  1887,  art.  3  ;  Suisse,  loi  fédérale  de  1897,  etc.,  etc.. 

(1)  Cf.  Article  de  M.  Cavois,  Revue  critique  de  j uris prudence,  i9,M, 
«  De  la  réglemenlalion  législative  des  salaires  ». 


LA    THÉUItlK    KCOiNOMlQUK   DU    CONTHAT    CULLKCTIF  205 

On  dit  souvent  que  le  contrat  collectif  a  pour  principal 
effet  de  limiter  la  concurrence.  Ce  n'est  que  partiellement 
exact.  Kntend-on  par  là  (|ue  le  contrat  colleclif  agit  sur  le 
nombre  des  offres,  à  la  manière  de  l'ancienne  corporation 
qui  fermait  le  métier  et  n'acceptait  comme  travailleurs  que 
les  ouvriers  ayant  une  sorte  de  brevet  professionnel.  En 
ce  sens,  le  contrat  collectif  ne  limite  pas  la  concurren- 
ce (1),  car  il  ne  ferme  à  personne  l'accès  du  métier  :  un 
ouvrier  veut-il  entrer  chez  tel  patron  :  il  le  pourra  pourvu 
qu'il  accepte  les  conditions  du  travail  établies  (2)  et 
l'exemple  de  1  Angleterre  oii  le  contrat  collectif  fait  sentir 
son  influence  dans  tout  le  métier  même  parmi  les  non-syn- 
diqués en  est  bien  la  meilleure  preuve. 

Veut-on  dire  au  contraire  en  écrivant  que  le  contrat  col- 
lectif limite  la  concurrence,  qu'il  agit  efficacement  sur  les 
conditions  du  travail,  pour  limiter  la  marge  oiî  celles-ci 
peuvent  jouer  :  rien  n'est  alors  plus  exact  et  c'est  précisé- 
ment là  son  effet  propre;  il  établit  en  effet  des  conditions 
minima  de  travail,  où  les  particularités  personnelles  à 
chaque  ouvrier  ne  sont  plus  prises  en  considération;  en 
ce  sens,  il  serait  plus  exact  de  dire  que  le  contrat  collectif 
déplace  la  concurrence  :  au  lieu  de  la  laisser  s'exercer  à 
plein,  s'exagérer,  porter  sur  des  conditions  extrinsèques 
au  travail,  il  la  ramène  sur  son  vrai  terrain,  le  terrain 
professionnel. 


{{)  En  théorie  au  moins,  car  en  fait  quelques  Trade-Cnions  an- 
glaises sont  revenues  aux  anciens  errements  de  la  corporation  ten- 
dant à  fermer  le  métier  :  mais  ce  n'est  pas  là  une  conséquence  néces- 
saire du  contrat  collectif. 

(2)  Actuellement  le  procédé  le  plus  pratique  sera  de  commencer 
par  entrer  dans  le  syndicat. 


â06 


PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    VII 


Voyons  celte  action  avec  quelques  détails  et  pour  cela 
opposons  une  fois  de  plus  le  contrat  individuel  au  contrat 
collectif. 

Dans  le  contrat  individuel,  un  patron  employant  plu- 
sieurs centaines  d'ouvriers,  veut  embaucher  un  travailleur. 
Comment  procèdera-t-il  ? 

Dans  l'accord  qui  s'établira  (1)  le  salaire  et  les  condi- 
tions du  travail  se  trouvent  établies  en  raison  de  circons- 
tances non  professionnelles  ;  l'ouvrier  est  pressé  {)ar  la 
faim,  l'ouvrier  est  chargé  de  famille,  l'ouvrier  tient  à  ne  pas 
quitter  une  rég-ion  déterminée,  autant  de  circonstances  qui 
assurément  n'ont  rien  de  professionnel,  autant  de  motifs 
qui  permettront  un  abaissement  exagéré  du  salaire.  A  côté 
décela,  que  l'ouvrier  ait  une  valeur  professionnelle  particu- 
lière, que  le  nombre  des  bras  diminue  dans  le  métier,  que 
le  travail  du  patron  soit  urg'ent,  autant  de  circonstances 
—  professionnelles  celles-là  —  qui  restent  au  second 
plan. 

Tout  autre  sera  le  domaine  de  la  concurrence  dans  le 
contrat  collectif:  celui-ci  aura  précisément  pour  elfet  de 
supprimer  l'action  de  ces  circonstances  extra  profession- 
nelles: que  l'ouvrier  soit  malheureux  et  ait  un  urgent  be- 
soin de  travailler  pour  vivre,  qu'il  soit  ou  non  attaché  au 
pays  qu'il  habite,  peu  importe;  les  conditions  générales  du 
travail  ne  sont  établies  par  libre  débat  qu'en  raison  des 
cu^constances  professionnelles  :  état  du  métier,  urgence 
du  travail,  prospérité  de  la  maison,  périodes  d'activité  ou 
de  morte  saison,  etc.,  etc.  Et  une  fois  ces  bases  du  tarif 
posées,  dans  la  fixation  du  salaire  individuel,  toute  la  capa- 


(1)  Voir  l'analyse  de  l'inégalité,  ci-dessus,  p.  498. 


LA   THÉORIE   ÉCONOMIQUE    DU   CONTRAT   COLLECTIF  207 

cité  professionnelle  de  l'ouvrier  reprendra  sa  valeur:  le  tarif 
est  un  minimum  au-dessus  duquel  les  aptitudes  individuel- 
les peuvent  élever  le  salaire. 

En  d'autres  termes,  et  comme  l'indique  fort  bien  Sidney 
Webb  (1),  «  le  résultat  du  procédé  du  contrat  collectif  dif- 
fère de  la  série  individuelle  des  contrats  avec  les  ouvriers 
isolés,  en  ce  que  les  exigences  particulières  de  chacun 
ne  sont  plus  prises  en  considération  »  :  le  contremaî- 
tre aurait  pu  donner  dans  un  contrat  individuel  un  prix 
quelconque  à  un  ouvrier  poussé  par  la  nécessité,  préférant 
encore  travailler  ou  ayant  une  force  et  une  résistance  ex- 
ceptionnelles. L'homme  mourant  de  faim  obtient  ainsi  le 
même  salaire  que  l'ouvrier  qui  peut  subsister  sans  son 
gain  journalier. 

Cet  effet  est  le  même  que  le  contrat  collectif  porte  sur 
un  seul  établissement,  ou  bien  qu'il  comprenne  tous  les 
établissements  dune  région,  ou  même  dune  nation,  en  un 
mot  que  le  contrat  collectif  soit  particulier  {h.  une  usine), 
local  ou  national  (2). 

Son  seul  effet  est  toujours  de  déplacer  la  concurrence  : 
il  lui  soustrait  les  exigences  personnelles  pour  la  concen- 
trer sur  le  domaine  professionnel.  Qu'il  s'agisse  du  pa- 
tron le  plus  aisé  ou  de  l'entrepreneur  à  la  veille  de  la  ban- 
queroute (3),  de  la  maison  qui  regorge  de  commandes,  ou 


(1)  Industrial  Democracy ,  The  melhod  of  collective  Bargaining, 
vol.  II,  part.  II,  chapitre  2,  p.  173. 

(2)  V^oyez  id.  Sidney  Webb. 

(3)  L'introduction  du  contrat  collectif  international  s'explique  aussi 
par  celle  même  idée  :  déplacer  la  concurrence  et  la  ramener  sur  un 
terrain  plus  étroitement  professionnel  :  par  exemple  une  limitation  de 
la  production  empêcherait  certaines  mines  de  créer  des  surproduc- 
tions factices  pour  réaliser  par  ces  spéculations  des  bénéfices  qu'elles 
devraient  tirer  des  progrès  de  l'exploitation  du  charbon . 


208  PUEMIÈHE    PARTIK.    —    CHAPITUE    VU 

de  celle  qui  a  peu  de  pratiques,  qu'il  s'agisse  d'établisse- 
ments particulièrement  bien  situés  au  point  de  vue  des 
transports  ou  au  contraire  éloignés  des  déboucbés  com- 
merciaux, tous  sont  sur  le  même  pied.  Par  contre,  toutes 
les  différenciations  professionnelles  jouent  à  plein  pour 
rétablissement  du  salaire  vrai  et  la  fixation  du  prix  de  re- 
vient :  «  l'ouvrier  supérieur  conserve  sa  liberté  pour  exi- 
ger un  salaire  supérieur  pour  un  ouvrage  spécial,  tan<lis 
que  le  patron  d'une  habileté  plus  grande  aux  afTaires,  ou 
de  connaissances  techniques  supérieures,  la  maison  à  ma- 
chinisme perfectionné  conserve  tous  ses  avantages  sur  ses 
concurrents.  »  La  concurrence  dans  tous  les  cas  est  re- 
portée sur  son  vrai  et  unique  terrain  —  le  seul  légitime 
—  le  terrain  professionnel  (1). 

C .  —  Liberté  industrielle  conservée. 

S'il  en  est  réellement  ainsi,  il  est  aisé  de  démontrer  — 
et  c'est  le  second  point  c|u'il  nous  faut  établir  —  (jue  le 
contrat  collectif  conserre  fous  les  avantages  de  la  liberté 
industrielle. 

C'est  là  un  point  de  capitale  importance  :  con)me  le  dit 
fort  bieuM.  Sauzet  (2),  il  ne  faudrait  pas  aujourd'hui,  pour 


(1)  On  donne  parfois  comme  analogie,  afin  de  mieux  faire  compren- 
dre l'aclion  du  contrat  collectif,  le  cas  de  l'adjudication  :  l'as- 
similation est  exacte.  11  est  certain  que  l'adjudication  avec  cahier  des 
charges  ne  supprime  pas  la  concurrence  :  elle  la  déplace  seulement. 
De  la  même  façon,  le  contrat  collectif  établit  en  quelque  sorte  le  cahier 
des  charges  du  travail  :  les  intérêts  sacrés  de  la  personne  humaine 
valent  bien,  ce  semble,  les  intérêts  pratiques  d'avoir  de  bons  maté- 
riaux ou  de  solides  constructions  ! 

(2)  Essai  historique  de  législation  industrielle,  Reçue  d'E.  /*.,  1892, 
p.  924. 


I.V     riIKOHte    KCONUMigiK    1)1    CONTRAT   COLLKLTIF  209 

ivparer  une  erreur,  pour  doter  la  grande  industrie  de  sa 
niacliine  juridique  indispensable,  le  contrat  collectif,  fonc- 
tionnant à  côté  du  contrat  individuel,  sacrifier  la  liberté 
du  travail,  au  nom  d'on  ne  sait  quelle  théorie  des  corps 
spontanés.  » 

Mais  par  sa  nature  même  le  contrat  collectif  n'est  pas 
contraire  à  la  véritable  liberté  du  travail  :  mieux  que  cela, 
il  l'assure  :  c'est  ainsi  que  le  contrat  collectif  respecte  la 
liberté  du  travail  entendue  en  un  premier  sens  comme  le 
droit  de  choisir  le  genre  de  métier  qu'on  préfère  :  de  mê- 
me il  assure,  comme  on  l'a  vu,  la  possibilité  delà  rémuné- 
ration équitable  de  chaque  ouvrier  suivant  sa  valeur  pro- 
fessionnelle, c  est-à-dire  la  liberté  de  travail  entendue  en 
un  second  sens,  comme  le  droit  de  fournir  telle  ou  telle 
somme  de  travail  (1). 

De  plus  le  contrat  collectif  garde  les  conséquences  heu- 
reuses de  la  liberté  du  travail  au  point  de  vue  de  la  con- 
currence :  il  conserve  cette  concurrence  en  tant  quelle 
cherche  à  assurer  1  équilibre  entre  la  production  et  la  con- 
sommation et  même  il  facilite  cette  adaptation  en  reliant 
parfois  par  le  principe  de  l'échelle  mobile  ou  par  des 
adaptations  successives,  la  consommation  d'hier  à  la  pro- 
duction de  demain. 

De  même  il  n'empêche  pas  la  baisse  des  prix  sous  l'action 
de  la  concurrence,  mais  fait  porter  cette  baisse  autant  que 
possible,  sur  les  éléments  du  coût  de  production  autres  que 


(1)  Ce  n'est  que  le  droit  de  travailler  au  rabais,  c'est-à-dire  à  un 
prix  de  misère  pour  l'ouvrier,  qui  est  supprimé  ;  en  ce  sens  la  liberté 
du  travail  c'est  la  liberté  de  mourir  de  faim  :  celle-là  est  certainement 
anéantie  :  mais  qui  la  regrettera  ? 

RAVXAUD  14 


210  PHEMlÈRIi    PAKTIE.    CHAPITRE    VU 

le  salaire  (1)  :  bien  mieux,  il  accentue  celle  baisse  de  prix: 
caries  bauls  salaires,  toutes  choses  ég"ales  d'ailleurs,  tendent 
à  assurer  de  nouveaux  débouchés  aux  produits  :  ce  qui 
est  tout  avantage  pour  l'industriel. 

Ainsi  de  la  liberté  du  travail,  le  contrat  collectif  conserve, 
sembie-t-il,  tous  les  avantages  et  supprime  le  plus  grave 
inconvénient,  l'inégalité  des  parties  au  contrat. 

Peut-être  malgré  tout,  en  fait  certaines  objections  se  pro- 
duiront-elles encore,  comme  elle  se  sont  déjà  produites,  au 
nom  même  de  la  liberté?  mais  on  a  confondu  à  cet  égard 
les  abus  possibles  de  la  liberté  avec  cette  liberté  même  (2)  : 
Il  n'y  a  pas  encore  une  fois,  il  ne  doit  pas  y  avoir  de  li- 
berté d'exploitation,  c'est-à-dire  de  possibilité  de  faire  inter- 
venir, pour  fixer  les  conditions  du  travail,  des  circonstances 
non  professionnelles  :  En  dépit  de  ces  objections  provenant 
de  la  persistance  d'un  point  de  vue  de  fait  qui  a  duré  près 
d'un  siècle,  le  contrat  collectif  concilie  la  liberté  du  travail 
et  l'association  professionnelle. 

La  théorie  économique  du  contrat  collectif  apparaît  ain- 
si comme  une  synthèse  et  une  conciliation,  un  essai  de 
solution  du  conflit  qui  a  duré  tout  le  siècle  dernier  entre 
l'individu  et  la  collectivité  sur  le  terrain  professionnel. 


(1)  Parfois  aussi  sur  le  salaire  lui  même,  comme  le  montrent  cer- 
tains exemples  anglais. 

(2)  Tout  de  même  que  la  liberté  de  réunion  n'est  pas  supprimée 
parce  qu'elle  est  réglementée  et  que  les  dispositions  légales  en  assu- 
rent le  normal  exercice. 


I.A   THÉORIE   ÉCONOMIQUE   DU   CONTRAT   COLLECTIF  21 1 


I  III.  —  Les  objections  au  contrat  collectif. 

Les  ohjeclions  au  contrat  collectif  tel  que  nous  venons 
de  l'analyser  sont  nombreuses  :  noire  théorie  économique 
serait  incomplète,  si  nous  ne  faisions  ici  une  place  à  leur 
examen  et  à  leur  réfutation. 

On  peut  ranger  ces  objections  sous  quatre  chefs  princi- 
paux : 

a)  Pour  les  uns,  comme  M.  Leroy-Beaulieu,  le  contrat 
collectif  ne  serait  pas  indispensable  au  régime  moderne  (le 
l'industrie  :  la  théorie  que  nous  avons  exprimée  de  l'iné- 
galité dans  le  contrat  de  travail  et  sur  laquelle  il  repose 
serait  inexacte,  parce  que  l'évolution  naturelle  amènerait 
dans  certaines  professions  des  résultats  identiques. 

6)  Pour  d'autres  le  contrat  collectif  a  le  grave  inconvé- 
nient d'être  tyramiique  pour  l'ouvrier  et  c'est  un  grief  que 
les  vrais  amis  de  la  liberté  ne  sauraient  lui  pardonner  ; 

c)  Le  contrat  collectif  empiète  sur  les  droits  du  patron 
comme  chef  d'industrie  et  viole  son  indépendance. 

d)  Pour  d'autres  enfin  c'est  le  consoînmateur  qu'il  faut 
avant  tout  protéger,  en  empêchant  la  généralisation  de  cette 
forme  de  contrat  éminemment  nuisible  à  ses  intérêts. 

Reprenons  sucessivement  ces  quatre  objections  : 

A.  —  Le  contrat  collectif  est  le  véritable  remède  à  l'inégalité 
dans  le  contrat  de  travail. 

Les  partisans  de  cette  première  opinion  reconnaissent 
sans  doute  les  heureux  effets  du  contrat  collectif  sur  les 
salaires,  mais  pour  ceux-ci,  ce  ne  serait  là  en  quelque  sorte 


212  tRKMIKHE    PAHTlh:.    CHAHTHE    VII 

qu'un  accident  et  le  même  résultat  peut  être  obtenu  par 
l'évolution  naturelle,  comme  le  prouve  l'exemple  des  do- 
mestiques et  des  ouvriers  agricoles. 

Voici  comment  le  principal  représentant  de  cette  opinion, 
M.  Leroy-Beaulieu  (1),  formule  l'objection. 

Après  avoir  reconnu  l'utilité  et  les  heureux  effets  de 
l'organisation  ouvrière,  et  rappelé  les  opinions  ci-dessus 
énoncées  du  professeur  Brentano  sur  le  contrat  de  travail, 
M.  Leroy-Beaulieu  écrit  : 

«  M.  Brentano  exagère  toutefois  singulièrement  quand 
il  soutient  que,  faute  d'organisation,  les  travailleurs  sont 
livrés  pieds  et  poings  liés  aux  caprices  des  capitalistes  : 
nondjre  de  faits  constants  et  connus  prouvent  qu'il  n'en 
est  pas  ainsi.  » 

L'éminent  auteur  développe  ensuite  sa  pensée  en  pre- 
nant un  double  exemple  : 

Celui  des  domestiques  tant  de  maisoti  que  de  ferme  : 
bien  qu'inorganisés,  leur  salaire  a  haussé  depuis  le  dé- 
but du  siècle  presque  sans  interruption  :  «  C'est  la  con- 
currence des  employeurs  entre  eux  qui  fait  la  hausse  des 
salaires.  On  aime  mieux  payer  par  an  vingt  ou  trente 
francs  de  plus  que  de  se  passer  de  travailleurs,  ou  mettre 
les  vingt  ou  trente  francs  au-delà  de  ce  qui  est  usuel  afin 
d'avoir  ce  que  l'on  veut  en  travailleurs  de  choix,  et  de 
proclie  en  proche,  par  ce  marchandage  individuel  il  peut 
arriver  qu'une  très  large  catégorie  de  salaires  prenne  un 
notable  essor,  sans  aucune  organisation  positive  des  travail- 
leurs. »    ' 

Et  de  la  même  façon    l'auteur  cite  l'exemple  des  ou- 


(1)  Traité  théorique  et  pratique  (T Economie  politique,  II,  p.  371. 


LA    THÉORIE    ÉCONOMIQUK    DU   CONTOAT   COIXECTIF  213 

vriors  as^ricolcs,  dont  les  salaires  haussent  et  ont  haussé, 
bien  qu'ils  travaillent  isolément. 

On  voit  donc  l'objection  ;  nous  n'en  avons  dissimulé  ni 
la  force,  ni  la  portée  :  elle  est  des  plus  sérieuses  et  son 
exactitude  emporterait  toute  la  théorie  précédemment  es- 
quissée :  elle  vaut  donc  la  peine  qu'on  s'y  arrête  quelque 
peu. 

D'abord  nous  sommes  d'accord  avec  M.  Leroy-Beaulieu 
sur  les  faits,  sur  lesquels  il  s'appuie,  bien  qu'on  puisse 
apporter  quelques  réserves  sur  raug^menlafion  de  salaires 
des  journaliers  aj^ricoles  surtout  dans  ces  dernières  an- 
nées. 

Mais  il  faut  tout  d'abord  remarquer  (jue  les  partisans 
du  contrat  collectif  n'ont  jamais  soutenu  et  n'ont  jamais 
songé  à  soutenir  que  la  forme  du  contrat  qu'ils  préccmi- 
saient  fût  Tunique  cause  d'augmentation  des  salaires  : 
ce  qu'il  faudrait  pouvoir  établir  —  et  cette  preuve  néga- 
tive sera  toujours  impossible  à  fournir  —  c'est  que  si  les 
domestiques  ou  les  ouvriers  agricoles  avaient  été  organi- 
sés, leur  salaire  n'eût  pas  augmenté  bien  davantage. 

De  plus  —  et  c'est  la  réponse  péremploire  à  l'objection 
qui  nous  est  faite  —  les  faits  apportés,  les  exemples  cités 
ne  prouvent  rien  contre  le  contrat  collectif,  parce  que  l'i- 
négalité fondamentale  à  laquelle  il  vient  précisément  remé- 
dier, n'existe  pas  dans  les  exemples  cités  :  nous  sommes 
en  quelque  sorte  en  dehors  de  son  domaine. 

En  effet,  dans  le  contrat  de  travail  normal  et  ordinaire, 
le  salaire  convenu  doit  nourrir  le  travailleur  en  retour  du 
travail  (juil  fournit  pendant  un  temps  donné  :  le  contrat 
collectif  a  précisément  pour  but  d'éviter  la  réduction  au 
minimum  des  conditions  du  travail  :  abaissement  de 
salaire,  prolongation   du   temps  de  travail,  autrement  dit 


214  PREMIÈRE   PARTIE.    —   CHAPITRE   VII 

d'empêcher  le  rabais  de  la  faim.  Or  précisément  dans 
les  deux  exemples  cités,  travail  des  domestiques,  travail 
des  ouvriers  agricoles  (1)  d'ordinaire  une  partie  du  salaire 
est  payée  en  nature  (le  maitre  nourrit  ses  domestiques, 
le  fermier  ses  valets  de  ferme)  ;  le  temps  de  travail 
n'est  pas  à  déterminer,  puisque  c'est  pour  toute  la  durée 
du  jour  et  de  la  nuit  que  le  domestique  ou  le  salarié  agri- 
cole se  met  à  la  disposition  du  patron  :  aussi  le  rabais  de 
faim  ne  se  produit  pas  :  quels  que  soient  les  gages  conve- 
nus, le  domestique  est  assuré  de  sa  nourriture,  s'attend  à 
être  employé  tout  le  temps,  sauf  à  discuter  quotidienne- 
ment la  part  de  besogne  qu'il  fera  :  aussi  la  réduction  des 
conditions  au  minimum  tant  au  point  de  vue  du  salaire 
qu'au  point  de  vue  de  la  journée  de  travail,  que  le  contrat 
collectif  empêche  d'ordinaire,  se  trouve  en  quelque  sorte 
éhminée  ici  d'elle  même  par  les  circonstances  mêmes  du 
contrat. 

Loin  d'être  une  objection  décisive  contre  notre  thèse, 
l'objection  se  retourne  au  contraire  contre  ses  auteurs  et 
devient  un  argument  de  plus  en  notre  faveur. 

D'ailleurs,  dès  que   ces  conditions  du  contrat  disparais- 


(1)  Il  résulte  des  tableaux  de  l'enquête  agricole  de  1892  (p.  381  et 
385)  que  l'on  peut  évaluer  le  nombre  des  domestiques  de  ferme  à 
1.832.174  contre  un  nombre  de  journaliers  de  621.431,  (abstraction 
faite  des  588.950  journaliers  qui  sont  à  la  fois  exploitants  d'un  petit 
bien  et  salariés  et  dont  la  situation  au  point  de  vue  du  contrat  de  sa- 
laire se  rapproche  plutôt  de  celle  des  ouvriers  nourris).  C'est  donc  les 
3/4  environ  des  ouvriers  agricoles  qui  sont  touchés  par  le  raisonne- 
ment fait  au  texte. 

Pour  le  dernier  quart,  il  est  certain  que  les  moyennes  dérisoires  des 
salaires  des  ouvriers  non  nourris  (voir  enquête  p.  405)  ne  prouvent 
que  trop  l'inégalité  persistante  entre  le  maitre  et  l'ouvrier  au  point 
de  vue  de  la  fixation  du  taux  de  salaires. 


LA    THÉORIE   ÉCONOMIQUE   DD   CONTRAT   COLLECTIF  216 

sent,  dès  que  la  nourriture  n'est  pas  assurée  de  toute  façon 
quel  que  soit  le  salaire  convenu,  dès  que  le  salarie  ou  le 
domestique  n'est  plus  à  la  disposition  du  maître,  mais 
travaille  au  temps,  l'inégalité  reparaît  et  la  nécessité  du 
contrat  collectif  se  fait  de  nouveau  sentir. 

Ainsi  cette  première  objection  de  l'inutilité  du  contrat 
collectif  provient  au  fond  d'un  malentendu  :  l'exemple  des 
domestiques  et  ouvriers  agricoles  dont  usent  et  abusent 
certains  partisans  du  statu  quo  n'infirme  en  rien  la  tbèse  ; 
du  groupe  do  faits  concernant  les  travailleurs  dont  la 
nourriture  est  de  toute  façon  assurée  et  le  temps  de  tra- 
vail indéterminé,  il  n'y  a  rien  à  conclure,  sinon  une  confir- 
mation de  la  règle  par  l'exception  qu'ils  impliquent;  pour 
l'autre  groupe  de  faits  concernant  les  travailleurs  dont 
le  salaire  normal  doit  assurer  la  vie  quotidienne  et  qui 
travaillent  au  temps,  il  n'y  a  là  qu'une  situation  très  ana- 
logue à  la  situation  industrielle  normale  et  la  nécessité  du 
contrat  collectif  est  tout  aussi  pressante,  bien  que  sa  réa- 
lisation pratique  soit  peut-être  plus  délicate. 


B.  —  Le  contrat  collectif  en  principe  au  moins  et  par  lui- 
même  n'est  pas  lyrannique  pour  l'ouvrier. 

L'objection  envisage  à  la  fois  la  tyrannie  économique  et 
la  tyrannie  morale. 

C'est  ainsi  qu'un  économiste  Américain,  M.  Laughlin  (1) 
estime  que  les  syndicats  par  le  marché  collectif  du  travail 
faussent  le  taux  naturel  du  salaire  pour  deux  raisons  : 
par  la  pression  qu'ils  exercent  sur  le  marché  pour  faire 


(1)  Eléments  of  Political  Economy . 


216  PREMIKHE    PARTIR.    ('HAPITaK    VII 

hausser  le  salaire  de  leurs  membres,  en  même  temps 
que  par  une  dépression  corrélative  du  salaire  des  non 
syndiqués  auxquels  leur  exclusivisme  ferme  des  débou- 
chés. 

A  celte  double  allég-alion,  il  est  facile  de  répondre  d'une 
manière  générale  qu'elle  suppose  un  taux  naturel  du  salaire 
fixé  par  le  jeu  des  lois  économiques  :  or  on  a  vu  qu'on 
n'était  rien  moins  que  fixé  sur  la  rigueur  de  ces  lois  et 
que  l'action  syndicale  peut  comme  toute  autre  cause  con- 
courir à  la  fixation  de  ce  salaire  naturel.  D'ailleurs  la 
tyrannie  pour  le  syndiqué  nous  semble  une  chimère,  at- 
tendu que  le  plus  souvent  il  accepte  lui-môme  les  condi- 
tions du  marché  collectif  du  travail  ;  quant  au  non  svndiqué 
la  dépression  du  salaire  dont  on  parle  n'est  rien  moins 
qu'exacte  :  il  semble  bien  plutôt  que  dans  les  métiers  oii 
des  associations  professionnelles  existent,  leur  influence 
heureuse  sur  les  conditions  du  travail  se  fait  à  la  fois 
sentir  sur  les  syndiqués  et  sur  les  non  syndiqués. 

—  L'aspect  de  l'objection  qui  concerne  la  tyrannie  mo- 
rale de  l'ouvrier  par  le  syndicat,  a  été  mis  en  relief  par 
M.  Hubert  Valleroux  qui  s'est  fait  le  champion  et  le  dé- 
fenseur des  non  syndiqués  (1)  : 

«  Le  mouvement  interventionniste  est  dirigé  aujourd'hui 
en  ce  sens  :  mettre  le  contrat  du  travail  à  la  merci  des 
syndicats  ouvriers.  Ces  associations  qui  montrent  un  si 
fâcheux  esprit  tout  oppressif,  tout  opposé  au  bon  accord 
des  ouvriers  et  des  patrons,  auraient  tout  pouvoir  pour 
fixer  les  conditions  du  contrat  qui  doit  lier  patrons  et  ou- 
vriers, et  les  fixer  d'une  manière  souveraine,  pour  obliger 


(1)  Hubert  Valleronx,  Le  contient  de  travail,  préface." 


LA  THKORIK  ÉCONOMIQUE  DU  CONTRAT  COLLECTIF      2! 7 

les  contractants.  »  El  i'éminent  autour  redoute  d'autant 
plus  ce  mouvement  qu'il  se  produit  insensiblement,  non 
par  dispositions  expresses,  mais  par  mesures  particulières 
et  de  détail. 

Alors  «  ce  serait  la  majorité  dominant  dans  les  questions 
économiques  comme  elle  domine  déjà  dans  la  politique  et 
ne  laissant  plus  aucun  refuge  à  lindépendance  des  parti- 
culiers (1)  »  !  Voilà  bien  rindividualisme  dans  toute  sa 
beauté. 

Nous  avons  leim  à  reproduire  longuement  cette  objec- 
tion très  fréquente  aujourd'hui  et  très  séduisante  même 
pour  de  généreux  amis  de  l'ouvrier,  très  épris  d'indépen- 
danci'  et  d'individualisme. 

II  faut  remarquer  tout  d'abord  que  celte  objection  porte 
beaucoup  plus  loin  que  le  contrat  colJectif  :  elle  atteint 
lorganisalion  ouvrière  lout  entière  et  le  mouvement  syn- 
dical dans  son  ensemble  :  «  avoir  tout  pouvoir  pour  fixer 
les  conditions  du  contrat  qui  doit  lier  patrons  et  ouvriers 
d'une  manière  souveraine  »,  cela  peut  évidemment  s'enten- 
dre de  deux  façons  ;  soit  d'une  fixation  unilatérale,  d'auto- 
rité, par  laquelle  le  syndicat  imposerait  un  règlement  qu'il 
aurait  seul  établi  comme  une  sorte  de  loi  professionnelle 
—  et  celte  hypothèse  ne  saurait  rentrer  dans  la  notion  du 
contrat  collectif,  même  entendu  au  sens  le  plus  large  qu'on 
voudra  —  car  celui-ci  suppose  au  moins  à  un  moment 
quelconque  un  accord  des  volontés  patronale  et  ouvrière; 
soit  d'une  fixation  bilatérale,  dune  convention  entre  les 
parties,  dont  le  n)é('anisme  reste  à  discuter,  mais  qui  com- 


(1)  l^'aiileiir  ajoute  :  Voilà  le  danger;  c'est  ce  penchant  très  puis- 
sant, très  fort  qu'il  faut  comballre  sans  relActie.  Le  comballrcosl  mou 
objet  el  mon  étude. 


218  PREMIÈRE   PRATIE.    —   CHAPITRE   VII 

porte  essentiellement  l'accord  du  patron  et  des  organisations 
ouvrières.  C'est  à  ce  deuxième  point  de  vue  seulement  qu'on 
peut  examiner  l'objection  qui  comme  on  le  voit  ne  porto 
pas  sur  le  principe,  puisque  l'accord  des  volontés  est  néces- 
sairement exigé  à  un  moment  quelconque,  mais  sur  la 
mise  en  œuvre  du  contrat  collectif. 

Or  ici  il  devient  très  difficile  de  discuter;  il  faudrait 
prendre  pour  base  un  des  nombreux  systèmes  de  contrat 
collectif  exposé  et  voir  jusqu'à  quel  point  il  contrarie  la 
liberté  individuelle. 

En  droit  on  l'a  vu:  celle-ci  est  presque  toujours  sauve- 
gardée, même  dans  les  projets  les  plus  interventionnistes. 
En  fait  sans  doute  il  y  aura,  comme  il  y  a  déjà,  certaines 
pressions  des  majorités,  certaines  atteintes  â  l'indépendance 
des  particuliers  !  Mais  il  faut  remarquer  qu'il  reste  toujours 
à  ces  derniers  le  recours  possible  aux  tribunaux  :  les  abus 
signalés  avec  tant  d'insistance  par  M.  Hubert- Valleroux, 
les  faits  de  pression  des  Syndicats  à  l'égard  des  non  syn- 
diqués ont  tous  eu  une  conclusion  judiciaire  et  le  non  syn^ 
diqué  a  eu  plus  d'une  fois  gain  de  cause.  Il  y  a  donc  la 
garantie  supérieure  des  Tribunaux  qui  nous  est  une  pre- 
mière sûreté. 

D'ailleurs  et  à  tout  prendre,  si  la  cité  future  ne  pouvait 
s'élever  qu'au  prix  de  quelques  sacrifices,  si  le  contrat 
collectif  de  l'avenir  ne  peut  se  répandre  qu'en  heurtant 
certaines  «  indépendances  des  particuliers  »  dont  on  ne 
saurait  attendre  éternellement  la  conversion  syndicale  — 
ce  serait  un  malheur,  mais  ce  serait  une  nécessité.  Sans 
doute  ce  régime  causerait  infiniment  moins  de  maux  que  le 
régime  actuel  ;  et  les  maux  provisoires  que  souffriraient 
les  non  syndiqués  finiraient  par  les  attirer  eux  aussi,  en 
présence  des  améliorations  des  conditions  du  travail,  dans 


LA   THÉORIE   ÉCONOMIQUE   DU  CONTRAT   COLLECTIF  219 

le  mouvement  syndical  :  on  l'a  bien  vu  par  l'exemple  de 
l'Angleterre. 

Et  enGn,  puisqu'on  parle  de  tyrannie,  il  faut  s'enten- 
dre :  rève-t-on  toujours  d'une  liberté  de  droit,  qui  ne  se- 
rait que  l'élimination  de  toute  contrainte,  la  soustraction 
à  toute  règle  commune,  comme  le  voulaient  Quesnay  et 
Turgot  :  nous  dirons  que  ce  n'est  là  qu'une  liberté  néga- 
tive, qui  en  dépit  des  apparences  laisse  subsister  la  pire 
des  contraintes,  la  contrainte  de  la  misère,  de  la  faim,  du 
tète  à  tète  forcé  avec  le  patron,  maître  du  salaire. 

S'agit-il  au  contraire  de  la  liberté  de  fait,  c'est-à-dire 
comme  la  définissait  déjà  Saint-Simon,  d'un  certain  pouvoir 
d'expansion  vis-à-vis  delà  nature  et  de  la  société  humaine, 
qui  a  pour  mesure  l'ensemble  des  conditions  matérielles, 
intellectuelles  et  morales  du  développement  de  l'individu. 
C'est  la  liberté  positive  :  avec  elle  la  prétendue  tyrannie 
ne  saurait  exister  ou  si  elle  survit  comme  une  antique 
chimère,  les  réalités  de  demain  en  auront  vite  fait  bon  mar- 
ché. 

Le  contrat  collectif  en  principe  et  par  lui-même  n'est 
pas  tyrannique  pour  l'ouvrier  :  sa  diffusion,  en  faisant 
régner  la  vraie  liberté,  fera  disparaître  toutes  ces  craintes. 

C.  —  Le  contrat  collectif  n'est  pas  contraire  à  l'indépendance 
raisonnable  du  patron  comme  chef  d'industrie. 

On  dit  souvent,  et  les  patrons  répètent  eux-mêmes,  pour 
repousser  le  contrat  collectif.  «  Mais  le  chef  d'industrie 
n"esl-il  pas  le  maître  chez  lui  et  comment  admettre  qu'il 
se  dépouille  ainsi  d'attributions  qui  sont  la  prérogative  es- 
sentielle et  nécessaire  de  l'autorité  ?  » 

Sans  doute,  on  ne  saurait  le  nier,   l'ingérence  syndi- 


220  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    Vil 

cale  dépasse  parfois  les  bornes  :  la  grève  des  mécaniciens 
unis  de  Londres,  en  1898  (1),  a  justement  été  provoquée 
par  la  prétention  des  Trade  Unions  d'intervenir  dans  l'ad- 
ministration des  établissements  industriels  et  d'en  faire 
modifier  les  règles  d'administration  technique  :  par 
exemple  les  Trade  Unions  voulaient  forcer  les  industriels 
à  employer  des  mécaniciens  gagnant  des  salaires  élevés 
pour  la  manœuvre  de  machines  qui  pouvaient  être  servies 
par  de  jeunes  ouvriers  uuskilled  ;  imposer  aux  industriels 
de  faire  manœuvrer  une  machine  par  un  homme,  au  lieu 
de  laisser  un  homme  servir  2  ou  3  machines  simultané- 
ment, etc.,  etc.  (2). 

Mais  en  ce  cas,  l'exemple  du  contrat  collectif  qui  ter- 
mine cette  grève  le  prouve  parfaitement,  les  patrons  savent 
se  défendre  et  le  contrat  collectif  reconnaît  bientôt  la  liberté 
des  patrons  dans  la  direction  de  leurs  établissements   (3). 


(1)  Cf.  .\lberl  Gigot,  La  grève  des  mécaniciens  unis,  Correspondant 
du  10  mars  1898. 

(2)  Times  du  29  septembre  1897. 

(3)  Voici  le  texte  fondamental  de  l'accord  terminant  cette  longue 
grève  : 

«  Les  patrons  fédérés,  tout  en  se  défendant  de  porter  atteinte  h 
l'aclion  légilime  des  Trade  Unions,  n'admettront  aucune  immixtion 
dans  la  gestion  de  leurs  affaires,  et  ils  se  réservent  le  droit  d'intro- 
duire dans  n'importe  quelle  usine  atfiliée  à  la  Fédération,  suivant  la 
décision  de  l'induslriel  intéressé,  toutes  les  conditions  de  travail  aux- 
quelles des  membres  des  Trade  Unions  adhérant  au  présent  accord 
auraient  souscrit,  avant  le  commencement  du  conflit;  toutefois,  dans 
le  cas  où  une  Trade  union  voudrait  soulever  une  question  quelconque 
ayant  trait  à  ces  condilions,  le  secrétaire  de  l'association  locale  des  in- 
dustriels fédérés  pourrait  provoquer  une  conférence  pour  l'examiner. 

«  Rien  dans  ce  qui  précède  ne  pourra  s'appliquer  aux  heures  norma- 
les de  travail,  aux  augmentations  et  réductions  normales  des  salaires, 
ni  au  taux  de  rémunération.  » 


LA    THKUHIK    ÉCUNUMIQUE    UV  CONTRAT    COLi.KCTIF  '221 

Mais  le  contrat  colloctif  ne  saurait  normaleiiK'iitau  moins, 
aller  aussi  loin  :  on  peut,  avec  Sidney-Webb  (1),  ranger 
sous  trois  chefs  principaux  les  mesures  qui  concernent 
Tadministration  de  l'industrie  : 

1*^  Le  produit  à  exécuter,  l'objet  ou  le  service  qu'il  s'agit 
d'offrir  au  public  ; 

2°  Le  mode  de  production,  le  clioix  des  matières  pre- 
mières, des  métiiodes  de  fabrication,  des  agents  humains  ; 

S*»  Les  couditions  de  remploi  de  ces  agents  humains  : 
Conditions  sanitaires,  air,  lumière,  chaleur,  risques  d'acci- 
dents, intensité,  rapidité  et  durée  du  travail,  et  salaires. 

Ce  sont  précisément  ces  mesures  de  la  troisième  classe 
qui  sont  le  domaine  propre  du  contrat  collectif;  celles  de 
la  première  classe  sont  du  ressort  exclusif  du  patron  ; 
quant  à  celles  de  la  deuxième  classe  pour  le  choix,  elles 
appartiennent  très  certainement  au  patron,  mais  par  le  reten- 
tissement qu'elles  peuvent  avoir  sur  celles  de  la  troisième, 
son  indépendance  n'est  pas  absolue.  N'est-ce  pas  d  ailleurs 
très  légitime  et  peut-on  bien  encore  parler  de  Tindépeu- 
dance  du  patron,  quand  celui-ci  rencontre  dans  ses  actes 
la  personne  morale  de  l'ouvrier  ? 


1).   —   Le   contrat   collectif  n'est  pas  nuisible   au 
consommateur. 

Ënlin,  une  dernière  objection  d'une  portée  théorique 
moindre,  mais  d'une  grande  importance  pratique,  consiste 
à  représenter  le  contrat  collectif  comme  dangereux  pour 
le  consommateur. 


(1)  «  La  guerre  induslrielle  en  Angleterre  »,  Rev.  de  Paris,  1896. 


222  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    Vlî 

M.  Lecour-Grandinaison  écrivait  (1)  :  «  On  peut  craindre, 
depuis  la  formation  des  joint  Committees  (comités  mixtes), 
dans  lesquels  les  délégués  des  patrons  et  des  ouvriers  des 
grandes  industries  anglaises  s'entendent  pour  régler  prati- 
quement la  production  et  établir  les  tarifs,  qu'il  se  forme 
entre  eux  des  conditions  onéreuses  pour  le  consomma- 
teur. »  Et  l'auteur  cite  l'exemple  de  l'industrie  houillère 
où,  d'après  lui,  l'établissement  de  l'échelle  mobile  a  pour 
effet  une  sorte  de  concert  pour  empêcher  la  formation  des 
stocks  et  produire  une  hausse  factice. 

Les  Alliances  de  M.  Smith  ont  donné  lieu  à  des  craintes 
encore  plus  vives  :  industriels  et  ouvriers  s'entendraient 
et  auraient  un  égal  intérêt  pour  empêcher  la  vente  des 
produits  au-dessous  du  taux  déclaré  par  l'Alliance  :  le  con- 
sommateur serait  à  leur  merci. 

On  voit  ainsi  en  quelque  sorte  les  deux  degrés  de  l'ob- 
jection : 

Tant  que  le  contrat  collectif  n'est  pas  universalisé  et  ne 
touche  pas  la  profession  toute  entière,  la  concurrence  entre 
plusieurs  établissements  reste  possible,  et  sous  l'action  de 
cette  concurrence,  l'élévation  de  prix  qu'entraînerait  l'élé- 
vation de  salaire  ou  l'améhoration  des  conditions  du  travail 
peut  être  compensée  et  est  compensée  d'ordinaire  par  une 
augmentation  de  la  productivité  du  travail  ou  une  diminu- 
tion des  frais  généraux  de  la  production. 

Au  cas  fort  improbable  —  mais  que  certains  exemples 
peuvent  faire  légitimement  prévoir  —  où  un  contrat  col- 
lectif unique  régirait  tout  le  métier,  où  l'Alliance  sur  le 


(1)  Préface  de  sa  traduction  du  livre  d'Howell  :  Le  passé  et  l'avenir 
des  Trade  Unions,  p.  XXI. 


LA  THÉORIE  ÉCONOMIQUE  DU  CONTRAT  COLLECTIF      223 

type  de  M.  Smilh  régnerait  dans  la  profession,  il  est  certain 
que  le  consommateur  serait  beaucoup  plus  exposé. 

Cependant,  on  peut  remarquer  que  les  intérêts  communs 
des  patrons  et  des  ouvriers  portant  sur  la  prospérité  du 
métier,  sur  son  existence  même,  les  inviteraient  à  ne  pas 
porter  le  prix  des  produits  à  un  taux  qui  découragerait  le 
consommateur.  D'ailleurs,  il  est  probable  qu'à  défaut  de  la 
sagesse,  l'intérêt  contradictoire  des  patrons  et  des  ouvriers 
à  profiter  de  la  bausse  factice  l'empêcherait  de  se  prolon- 
ger par  trop  longtemps. 

Enfin,  et  à  supposer  même  la  fixation  de  prix  de  mono- 
pole, la  liberté  de  l'industrie  subsiste  entière  :  et  avec  de 
grandes  difficultés  pratiques,  un  nouvel  établissement 
pourrait  se  créer. 

Peut-être  enfin  —  à  la  limite  —  faudrait-il  poser  l'éta 
blissement  de   prix  maxima    par    l'autorité    publique,    à 
moins  que  les  rapports  respectifs  entre  les  divers   métiers 
ne  suffisent  à  empêcher  celte  hausse  exagérée  :  ce  qui  n'au- 
rait rien  d'impossible. 

Ainsi  le  contrat  collectif  tel  que  nous  l'avons  esquissé 
au  point  de  vue  économique,  subsiste  tout  entier. 


DELXIKMK  l'AHTlE 


LE  PROBLÈME  JURIDIQUE 


Cette  seconde  partie  de  notre  étude  est  faite  au  point  de 
vue  juridiqjie:  le  problème  est  celui-ci  :  Comment  et  dans 
quelle  mesure  sanctionner  par  la  loi  les  relations  juridiques 
nées  du  contrat  collectif'.' 

Nous  étudierons  successivement  lœuvre  de  la  jurispru- 
dence française  (chap.  I"),  les  solutions  doctrinales  inter 
|)rétalives  (chap.  II,  le  contrat  collectif  d'aujourd'hui)  et 
constructives  (chap.  III,  le  contrat  collectif  de  demain). 
Enfin  un  dernier  chapitre  (IV)  intitulé  :  Projets  et  Réformes, 
nous  montrera  ce  qui  a  déjà  été  fait  en  ce  sens. 


RAVNAUD  15 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  JURISPRUDENCE  FRANÇAISE  SUR  LE  CONTRAT 
COLLECTIF 


Le  contrat  collectif,  on  l'a  vu,  s'est  développé  en  de- 
hors de  tout  texte  légal  précis  qui  en  fût  la  reconnaissance 
formelle.  C'est  surtout  la  force  respective  des  deux  parties 
en  présence,  patrons  et  ouvriers,  qui  on  assure  à  la  fois 
la  conclusion  et  l'exécution.  Cependant  il  n'est  pas  inu- 
tile de  relever  les  rares  circonstances  où  les  tribunaux  ont 
dû  86  prononcer,  pour  examiner  comment  ils  ont  pris 
parti  sur  cette  difficile  question  en  l'absence  de  textes 
positifs  et  rig-oureux. 

Il  est  clair  d'abord  que  jusqu'en  1864,  année  qui  marque 
l'abolition  de  la  législation  antérieure  sur  les  coalitions, 
le  contrat  collectif  est  inconnu  devant  les  tribunaux  civils  ; 
il  n'en  est  question  que  devant  les  tribunaux  de  répres- 
sion, comme  le  prouve  l'arrêt  de  cassation  suivant,  le  seul 
que  nous  voulions  ici  relever,  parce  qu'il  donne  fort  bien 
idée  de  l'état  de  la  question. 

Dans  cette  affaire,  il  y  avait  eu  un  contrat  collectif  signé 
entre  les  ouvriers  et  leur  patron  :  à  la  demande  des  ou- 
vriers plusieurs  fabricants  avaient  cédé  et  la  journée  de 
travail  fut  ramenée  aux  conditions  précédemment  établies 
en  1853  :  quelques  fabricants  n'avaient  pas  voulu  consen- 


I..\    JURISPRUDENCE    FRANÇAISE    SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      227 

tir  le  nouvel  accord  et  plusieurs  do  leurs  ouvriers  se 
concertèrent  pour  cesser  simultanément  le  travail,  après 
un  congé  régulièrement  donné  six  semaines  d'avance. 
C'est  dans  ces  conditions  qu'intervint  un  arrêt  de  cassa- 
tion du  24  février  1859  (1). 

«  Le  fait  de  la  part  des  ouvriers  d'une  ou  plusieurs  fa- 
briques de  quitter  à  la  fois  et  par  suite  d'un  concert,  les 
ateliers,  même  après  avoir  donné  les  avertissements  pré- 
vus par  les  règlements,  en  réclamant  des  modifications 
aux  conditions  actuelles  de  leur  travail,  constitue  la  coali- 
tion réprimée  parle  deuxième  paragraphe  de  l'article  414 
du  Code  pénal  modifié  par  la  loi  du  27  novembre  1849, 
alors  même  que  cette  réclamation   parait  être  légitime.  » 

«  Attendu,  dit  la  Cour,  qu'il  y  a  contrainte  ou  pression 
sur  les  patrons,  toutes  les  fois  que  les  ouvriers  d'une  ou 
plusieurs  fabriques,  agissant  par  suite  d'un  concert,  quit- 
tent à  la  fois  les  ateliers,  même  après  avoir  donné  les 
avertissements  prévus  parles  règlements... 

«  Qu'il  importe  peu  que  les  causes  de  cette  réclamation 
puissent  paraître  en  elles-même  légitimes  ;  que  la  loi  en 
eflet,  exclusivement  préoccupée  de  protéger  la  liberté  de 
l'industrie,  a  prévu  la  coalition  indépendamment  de  ces 
motifs,  et  par  cela  seul  que  les  ouvriers  qui  se  sont  con- 
certés agissent  collectivement  avec  le  but,  en  suspendant 
ou  en  tentant  do  suspendre  le  travail  des  ateliers,  do  for- 
cer les  patrons  d'en  modifier  les  conditions.  » 

Au  fond  c'est  la  condamnation  sans  phrase  au  point  de 
vue  pénal  du  contrat  collectif  :  il  est  clair  en  effet  que 
celui-ci  suppose  essentiellement  une  entente  collective 
entre  les  ouvriers,  pouvant  aboutir  au  besoin  à  la  cessa- 

(1)  S.  59,  1,  630. 


â^8 


DKUXIKMK    PARTIK.    CHAPITRK    PItKMIKH 


tioii  concertée  de  travail  :  dès  lors  ne  peut-on  pas  dire 
qu'avant  la  loi  de  1864  qui  ne  punit  plus  que  la  coalition 
injuste  et  abusive,  des  ouvriers  qui  auraient  réclamé  en 
justice  l'exécution  d'un  contrat  collectif,  risquaient  de  se 
faire  condamner  pour  le  délit  de  coalition  :  puisque  dans  tous 
les  cas  on  peut  retrouver  les  éléments  que  la  Cour  de  cas- 
sation déclare  constitutifs  du  délit  :  l'entente  collective  et  au 
besoin  la  tentative  de  suspendre  le  travail  dans  les  ateliers. 

Après  1864,  avec  la  liberté  de  coalition,  la  situation 
chang-e  et  le  contrat  collectif  entre  pour  ainsi  dire  dans  le 
domaine  des  tribunaux  civils. 

Cependant  l'idée  de  liberté  industrielle  obsède  encore  les 
esprits  et  les  tribunaux  n'échappent  pas  à  cette  manière  de 
voir  :  c'est  ainsi  que  nous  pouvons  relever  une  décision 
isolée,  rendue  le  29  juin  1876  (1)  par  le  tribunal  civil  de 
Saint-Etienne  à  l'occassion  d'un  véritable  contrat  collectif. 
L'union  de  la  fabrique  de  rubans  de  Saint-Etienne  (2)  avait 
établi  un  tarif  et  convenu  de  frapper  dune  amende  les 
contrevenants  patrons  ou  ouvriers.  Un  fabricant  ayant 
refusé  de  payer  est  poursuivi  et  le  tribunal  le  déboute  des 
fins  de  la  poursuite  (3). 

«  Attendu  que  de  cet  ensemble  de  stipulations,  il  résulte 
que  l'ouvrier  n'est  plus  libre  de  discuter  ses  salaires  et  le 
patron  ses  prix  ;  qu'entre  eux  se  place  un  syndicat  qui  ne 
connaît  que  la  volonté  de  la  majorité  des  membres  de  l'as- 
sociation, qui  en  publie  les  résolutions  et  qui  la  fait  exé- 


(1)  Office  du  travail,  «  Associations  professionnelles  ouvrières  », 
t.  II,  p.  352. 

(2)  Voir  historique,  p.  71. 

(3)  Trib.  civil  de  Sainl-Etienne.  —  Jugement  du  29  juin  1876.  —  Of- 
fice du  Travail,  Ass.  prof,  ouvr.,  t.  II,  p.  352. 


I.A    JrRISPRIDKNCK    FRANr.AlSK    SIR    I.K    CONTRAT    COU.KCTIF       22f> 

cuter  ;  que  les  ouvriers  el  les  patrons  de  l'union  sléphanoise 
ne  sont  pas  seulement  liés  les  uns  vis-à-vis  des  autres  mais 
encore  vis-à-vis  des  tiers  ;  qu'ils  ne  peuvent  traiter  qu'en 
se  conformant  aux  tarifs  votés  par  le  plus  grand  nombre 
et  dans  des  conditions  de  maximum  et  de  minimum  qu'il 
serait  impossible  de  prévoir  et  qui  sont  susceptibles  de 
de  varier  à  l'infini  ;  qu'ainsi  leur  liberté  individuelle  est 
aliénée  au  profit  de  la  majorité,  s'ils  n'en  font  pas  partie, 
et  qu'une  telle  condition,  qu'elle  soit  à  terme  ou  indéfinie, 
est  absolument  nulle  parce  qu'elle  est  contraire  aux  règles 
de  l'ordre  public.  » 

Ainsi  le  contrat  collectif  apparait  alors  comme  contraire 
à  la  liberté  industrielle  et  à  l'ordre  public  :  le  syndicat,  qui 
n'était  en  réalité  que  l'émanation  de  la  volonté  des  parties, 
apparait  ici  comme  un  intermédiaire  interposé  entre  le  pa- 
tron et  l'ouvrier  gênant  leur  liberté.  Mais  cette  bizarre  dé- 
cision reste  isolée  et  jusqu'en  1884  les  espèces  soumises  aux 
tribunaux  sont  rares,  pour  ne  pas  dire  totalement  absentes. 

En  elTet  une  nouvelle  difficulté  subsiste  encore  :  c'est 
l'absence  de  liberté  d'association  professionnelle  ;  il  est 
clair  que  le  contrat  collectif  suppose  un  syndicat,  une  as- 
sociation de  métier  plus  ou  moins  fortement  constituée  et 
celles-ci  sont  frappées  par  l'article  291  du  Code  pénal  jus- 
qu'en 1884  ;  aussi  ne  faut-il  pas  s'attendre  à  trouver  un 
monument  de  jurisprudence  sauf  le  jugement  cité  ci-des- 
sus, relatif  à  notre  sujet  avant  cette  date. 

Avec  la  loi  du  21  mars  1884,  une  double  question  se 
pose  devant  la  jurisprudence  :  les  syndicats  ont-ils  qualité 
pour  passer  un  contrat  collectif?  les  syndicats  ont-ils  une 
action  et  de  quelle  mesure,  pour  en  poursuivre  l'exécution 
en  justice? 

La  question  ne  se  pose  pas  d  une  manière  spéciale  à 


230  DEUXIÈME    PARTIE.   CHAPITRE   PREMIER 

notre  matière  tout  d'abord  ;  par  malheur  pourrait-on  dire, 
la  jurisprudence  sur  les  syndicats  s'établit  en  dehors  de 
notre  espèce  :  cela  est  fâcheux,  car  lorsque  la  question 
même  du  contrat  collectif  se  posera  en  termes  précis,  il 
y  aura  tout  un  ensemble  d'arrêts  et  de  jugements,  d'anté- 
cédents, qui  seront  des  plus  funestes  à  la  solution  favo- 
rable, que  la  jurisprudence  parviendra  enfin  à  esquisser. 

Il  nous  faut  donc  dire  quelques  mots  de  cette  juris- 
prudence générale  sur  les  syndicats  en  tant  qu'elle  aura 
chance  d'influencer  la  jurisprudence  spéciale  en  notre  ma- 
tière. 

C'est  ainsi  que  basée  sur  les  articles  3  et  6  de  la  loi  de 
1884,  la  jurisprudence  reconnaît  tout  à  la  fois  la  person- 
nalité civile  et  le  droit  d'ester  en  justice  des  syndicats  (1)  : 
dans  quelle  mesure,  c'est  ce  que  seule  une  étude  des  déci- 


(1)  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  si  nous  consultons  une  consulta- 
lion  produite,  en  1887,  devant  la  Cour  d"Aix,  un  des  documents  les 
plus  précieux  et  les  plus  intéressants  au  point  de  vue  du  sens  où  de- 
vait se  flxer  la  jurisprudence,  puisqu'il  émane  de  M.  Waldeck-Rous- 
seau  lui-même,  l'auteur  de  la  loi  de  1884,  nous  trouvons,  au  point  de 
vue  de  la  double  question  posée,  droit  de  passer  le  contrat  collectif, 
droit  d'ester  en  justice  pour  en  réclamer  l'exécution,  une  certaine 
obscurité  et  une  notable  incertitude,  qui  s'expliquent  puisqu'en  l'af- 
faire il  ne  s'agissait  pas  de  contrat  collectif,  mais  d'une  Chambre 
syndicale  de  négociants  en  tissus  agissant  au  nom  de  ses  membres 
contre  un  tiers  en  concurrence  déloyale. 

Dans  cette  consultation,  l'auteur  fait  la  théorie  générale  de  la  per- 
sonnalité civile  des  syndicats  et  pose  de  même  les  principes  généraux 
de  leur  action  en  justice  :  mais  il  ne  mentionne  pas  au  nombre  des 
attributions  des  syndicats  le  droit  de  passer  des  contrats  collectifs, 
sans  doute  parce  que  la  chose  va  de  soi.  Il  y  a  plus  :  il  insiste  si  bien 
sur  la  différence  entre  l'intérêt  du  syndicat  pour  lequel  il  a  une  action 
et  l'intérêt  individuel  de  ses  membres  pour  lesquels  il  est  impuissant, 
que  lorsqu'il  s'agira  de  l'action  en  exécution  du  contrat  collectif  la 


I.\    JURISPRUDENCE  FRANÇAISE    SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      231 

siens  particulières,  trop  longue  à  entreprendre  ici,  pourrait 
permettre  de  préciser. 

On  en  peut  toutefois  marquer  les  résultats  principaux; 
les  espèces  pour  lesquelles  la  question  se  pose  furent  tout 
d'abord  celles  où  les  intérêts  inhérents  à  la  puissance  mo- 
rale syndicale  apparaissaient  nettement  ;  action  pour  obte- 
nir le  paiement  des  cotisations,  actions  de  voisinage  ou  do 
mur  mitoyen,  en  un  mot  actions  relatives  à  la  défense  de 
la  propriété  mobilière  ou  immobilière  du  syndicat  ;  ainsi 
insensiblement  on  arriva  à  préciser  les  conditions  de  cette 
action  en  justice,  en  les  déterminant  d'après  ces  cas,  qui 
étaient  pour  la  plupart  des  actions  où  la  personnalité  juri- 
dique du  syndicat  était  enjeu. 

En  face  de  ces  décisions,  un  certain  nombre  d'autres 
refusaient  aux  Syndicats  l'action  au  cas  où  les  intérêts 
individuels  des  membres  étaient  seuls  en  jeu. 

Ainsi  entre  l'intérêt  de  la  personnalité  juridique  et  l'in- 
térêt particulier  de  chacun  des  membres,  disparaissait  l'in- 
térêt professionnel,  pour  la  défense  duquel  les  Syndicats 
ont  légitimement  le  droit  d'intervenir.  Quand  la  question 
du  droit  d'ester  en  justice  à  propos  du  contrat  collectif  se 
posera,  on  y  verra  surtout  une  question  d'intérêt  individuel. 
II  est  probable  que  si  la  jurisprudence  avait  été  appelée  à 
dégager  d'abord  la  nature  de  l'intérêt  professionnel,  l'évo- 
lution de  la  jurisprudence  eût  été  tout  autre. 

Quoiqu'il  en  soit,  c'est  dans  cet  état  et  avec  cet  aspect 
général  de  la  que^ion  qu'en  1890,  la  question  du  contrat 


jurisprudence  sera  tentée  de  la  ranger  dans  la  deuxième  catégorie. 
Consultalion    produite  devant  la   Cour  d'Aix    par  M.    Waldeck- 
Rousseau.  —  Recueil  périodique  de  procédure  cicile  :  Rousseau  et 
Laisney  1887,  p.  49  et  suiv. 


232  DEUXIÈMK    PARTIK.   CHAPITRK;    PKKMIEIl 

collectif  se  pose  pour  la  première  fois,   à  notre   connais- 
sance, devant  les  tribunaux  :  (affaire  de  Chauffailies). 

Voici  les  circonstances  dans  lequelles  furent  rendues  ces 
décisions  importantes  : 

Par  une  convention  en  date  du  14  septembre  i889,  la 
Chambre  syndicale  des  ouvriers  tisseurs  et  similaires  de 
Chauffailies  avait  obtenu  des  patrons  que  les  ouvriers  et 
ouvrières  syndiqués  recevraient  un  salaire  déterminé  et 
ne  fourniraient  qu'Hun  certain  nombre  d'heures  de  travail. 
Le  texte  rapporté  dans  les  considérants  de  l'arrêt  de  Cas- 
sation était  le  suivant  : 

MM.  Yiallar,  Guéneau  et  Chartron  accordent  aux  ou- 
vriers de  leur  usine  : 

1°  Onze  heures  de  travail  par  jour  et  la  sortie  du  sa- 
medi à  4  heures  ; 

2"  Deux  centimes  d'augmention  sur  tous  les  articles  qui 
se  font  au  tissage  mécanique,  et  trois  centimes  sur  cer- 
tains articles  plus  délicats  tels  que  Rég'ence,  etc..  ; 

3°,  4°  et  5°  Diverses  autres  augmentations... 

Les  patrons  avaient  violé  ces  engagements  vis-à-vis  de 
certaines  ouvrières  :  le  syndicat  poursuit  les  patrons  en 
exécution  de  la  convention  et  demande  3,000  francs  de 
dommages-intérêts. 

Le  tribunal  de  commerce  de  Charolles  en  l"""  instance 
donne  gain  de  cause  au  syndicat  (1). 

Les  patrons  défendeurs  invoquaient  dans  leurs  conclu- 
sions un  double  moyen  de  droit  ;  d'abord  la  règle  fameuse  : 
Nul  en  France  ne  plaide  par  procureur,  puis  prétendaient 
que  les  demandeurs  n'étaient  pas  habilités  pour  représenter 
le  Syndicat. 


(1)  18  février  1890,  Revue  des  Sociétés,  1890,  p.  318. 


LA    JimiSPRLDENCR    FRANÇAISE    SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF       233 

«  Considérant  qu'étant  établi,  que  le  syndicat  est  une 
jxTsoiHie  morale  qui  peut  ester  en  justice,  il  convient  de 
reclierclier  si  l'objet  de  l'instance  introduite  rentre  dans 
la  catég^orie  d'actes  en  vue  desquels  la  formation  des  syn- 
dicats a  été  autorisée  ; 

Que  pour  ce  faire,  il  est  nécessaire  de  rechercher  les 
motifs  pour  lesquels  la  loi  a  autorisé  la  formation  des  syn- 
dicats ; 

Considérant  qu'il  est  évident  que  la  loi  du  21  mars  1884 
a  voulu  permettre  aux  ouvriers  de  se  grouper  dans  un 
but  précis:  l'étude  et  la  défense  des  intérêts  généraux  et 
écojnomiques  de  la  profession  ; 

Que  d'ailleurs  les  motifs,  la  raison  d'être  des  syndicats 
et  l'étendue  de  leurs  attributions  sont  clairement  indi- 
quées par  la  législation  antérieure  et  par  les  débats  par- 
lementaires ; 

Considérant,  en  effet,  que  la  loi  du  14  juin  1791  édicté 
en  ces  termes  la  prohibition  des  associations  ouvrières  : 
que  si,  contre  les  principes  de  liberté  de  la  constitution, 
les  citoyens  attachés  aux  mêmes  professions,  arts  et  mé- 
tiers, établissent  entre  eux  un  accord  sur  le  prix  de  leurs 
travaux,  leurs  délibérations  sont  déclarées  inconstitution- 
nelles, etc ; 

Que  dans  cette  entente  des  associations  ouvrières  sur  le 
prix  de  leurs  travaux,  la  loi  de  1791  voyait,  non  pas  une 
question  qui  se  référait  à  l'intérêt  privé  et  personnel  de 
chacun  des  ouvriers  isolément,  mais  qu'elle  voyait  certai- 
nement là  une  question  d'intérêt  social,  d'intérêt  général 
et  commun,  puisqu'elle  considérait  les  associations  ou- 
vrières comme  un  danger  contre  lequel  elle  croyait  défen- 
dre la  constitution  ; 

Considérant  que  cette  idée  est  encore  plus  nettement  et 


234  DEUXIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE   PREMIER 

plus  énergiquement  exprimée  dans  les  discussions  au  Sé- 
nat; que  M.  Tolain  s'exprime  ainsi  dans  son  rapport  : 
L'homme  isolé  n'est  plus  maître  de  débattre  en  toute  li- 
berté la  condition  de  sa  fabrication  et  le  chiffre  de  son  sa- 
laire; aussi  les  uns  et  les  autres  (patrons  et  ouvriers)  sont- 
ils  invinciblement  entraînés  à  se  concerter,  à  s'unir  pour 
la  défense  des  intérêts  communs  ;  du  reste  on  n'a  jamais 
pu  empêcher,  on  n'empêchera  jamais  des  hommes  exposés 
aux  mêmes  dangers  comme  aux  mêmes  besoins,  ayant 
même  intérêt,  de  chercher  à  s'entendre,  à  s'unir  pour  s'ai- 
der, se  protéger,  se  défendre  contre  les  risques  de  toute 
nature  inhérents  à  la  profession  qu'ils  exercent.  » 

Puis  l'exposé  des  motifs  cite  encore  divers  passages  de 
M.  Marcel  Barthe  (rapport  au  Sénat)  pour  conclure  enfin  : 

((  Considérant  qu'il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  fixa- 
tion du  taux  des  salaires  et  la  réglementation  des  heures 
de  travail  rentrent  dans  la  catégorie  des  intérêts  généraux 
que  le  syndicat  professionnel  a  mission  d'étudier  et  de  dé- 
fendre ;  » 

Ainsi  la  démonstration  de  la  légitimité  du  droit  pour 
les  syndicats  de  passer  des  contrats  collectifs  est  ici  large- 
ment faite,  elle  ne  sera  d'ailleurs  pas  attaquée  par  les  Jxrri- 
diclions  d'appel  et  de  cassation  ; 

Quant  au  second  moyen  (incapacité  des  administrateurs) 
le  tribunal  répond  : 

«  Considérant  d'ailleurs  que  les  défendeurs,  en  traitant 
avec  les  demandeurs  ont  reconnu  la  qualité  du  Comité 
d'Administration  et  de  Direction  de  la  dite  Chambre  syn- 
dicale; qu'il  y  aurait  dès  lors  une  singulière  contra- 
diction à  reconnaître  au  syndicat  qualité  pour  la  conven- 
tion du  14  septembre  1889  en  traitant  avec  lui  et  de  lui 
refuser  le  moyen  de  la  faire  respecter.  » 


LA   JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SUR    LE    CONTRAT   COLLECTIF      235 

Chose  curieuse,  cet  argument  de  droit  ne  sera  pas  di- 
rectement refuté  en  appel  pas  plus  que  le  point  précédent  : 
c'est  par  une  autre  appréciation  des  faits  que  la  Cour  de 
Dijon  et  la  Cour  de  cassation  infirmeront  ce  jug^ement  de 
première  instance. 

LaCour  de  Dijon  dans  un  arrêt  rendu  le  23  juillet  1890(1), 
vint  en  effet  réformer  la  décision  du  tribunal  de  Cliarolles  : 

«  Considérant,  étant  admis  que  les  intimés  ont  qualité 
pour  représenter  en  justice  le  syndicat  au  nom  duquels  ils 
déclarent  se  présenter,  que  si  par  son  article  6,  la  loi  du  21 
mars  1884  reconnaît  aux  syndicats  professionnels  le  droit 
d'ester  en  justice  c'est  à  la  double  condition  : 

l*'  Que  les  syndicats  aient  tout  d'abord  été  constitués  en 
vue  d'un  intérêt  général  de  la  profession  ; 

2*>  Que  les  actions  exercées  par  le  .syndicat  aient  pour 
objet  elles-mêmes  la  défense  des  intérêts  inhérents  à  leur 
personnalité  juridique  et  non  la  défense  des  droits  indi- 
viduels de  leurs  adhérents  (2). 

Considérant  que  s'il  est  incontestable  que  la  fixation 
du  taux  des  salaires  et  la  réglementation  des  heures 
de  travail  rentrent  dans  la  catégorie  des  intérêts  géné- 
raux pour  la  sauvegarde  desquels  un  syndicat  profes- 
sionnel d'ouvriers  peut  se  constituer,  que  si  par  suite 
les  membres  de  la  Chambre  syndicale  de  Chauffailles  ont 
pu  intervenir  pour  faire,  au  nom  des  ouvrières  syndiquées, 
la  convention  du  14  septembre  1889,  il  est  certain  toute- 


(1)  D.  1893,  1,  241. 

(2)  Ce  sont  là  les  dispositifs  d'un  précédent  arrêt  de  cassation, 
qui  sont  pour  ainsi  dire  les  règles  générales  de  l'aclion  en  justice  des 
syndicats  :  la  Cour  en  fait  application  à  notre  affaire  ;  mais  celle  ana- 
lyse juridique  faite  d'un  autre  point  de  vue,  empêchera  de  voir  qu'en 
dépit  des  apparences,  il  y  a  là  plus  qu'un  intérêt  individuel. 


236  DKUXIÈMK   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

fois  que  le  syndicat  ne  peut  en  son  nom,  exercer  les  droits 
et  actions,  qui  à  la  suite  d'une  prétendue  exécution  de 
cette  convention,  appartiennent  individuellement  et  per- 
sonnellement à  une  partie  de  ses  adhérents  ; 

Que  bien  évidemment  le  syndicat,  envisagé  comme  per- 
sonne morale  et  en  tant  que  syndicat,  n'a  point  souffert 
de  préjudice  à  raison  des  faits  reprochés  aux  appelants. 
Que  celles-là  seulement  parmi  les  ouvrières  syndiquées 
vis-à-vis  desquelles  les  engagements  pris  par  les  patrons 
n'ont  pas  été  remplis,  ont  le  droit  de  se  plaindre  et  de 
réclamer  des  dommages-intérêts  qui  bien  évidemment  ne 
sauraient  entrer  dans  la  caisse  du  syndicat. 

Que  cela  est  si  vrai  que  les  demandeurs  l'ont  implicite- 
ment reconnu  dans  leur  exploit  introductif  d'instance  en 
indiquant  les  griefs  d'un  certain  nombre  d'ouvrières  pour 
justifier  leur  demande  en  dommages-intérêts. 

Qu'il  s'agit  donc  bien  au  procès  d'une  demande  tendant 
à  la  défense  des  intérêts  des  droits  individuels  d'un  cer- 
tain nombre  de  membres  du  syndicat  et  que,  par  suite  du 
principe  ci-dessus  rappelé  comme  aussi  en  vertu  de  la 
règle  :  nul  en  France  ne  plaide  par  procureur,  le  syndi- 
cat n'est  pas  recevable  à  ester  en  justice  à  l'occasion 
de  cette  demande,  laquelle  ne  peut  être  formée  qu'au  nom 
de  ceux  ou  celles  ayant  seuls  qualité  pour  l'intenter.  » 

Ainsi  la  Cour  de  Dijon,  sans  nier  le  droit  pour  les  syn- 
dicats de  passer  des  contrats  collectifs,  refuse  ici  l'action 
au  syndicat  parce  que  celui-ci  ne  justifie  pas  d'un  intérêt 
inhérent  à  sa  personnalité  juridique,  comme  le  veut  la 
jurisprudence  antérieure.  C'est  là,  croyons-nous,  le  point 
faible  de  la  thèse  (1)  :   d'ailleurs  les  circonstances  ne  sem- 


(1)  Voir  plus  loin,  p.  248. 


LA    JURISPRIDENCK    FRANljAISK    SLK    LK    CONTRAT    COLI.KCTIK       237 

hiaieiit  guère  favorables  pour  iiiellro  en  relief  riiitérèl 
général  du  syndicat  :  en  fait  les  ouvrières  ne  suivaient  plus 
ici  leur  syndicat:  quelques-unes  d'entre  elles  avaient  apporté 
de  leur  propre  mouvement  une  modification  aux  accords 
intervenus  sur  un  point  spécial  :  au  lieu  dexécuter  rigou- 
reusement la  Convention,  suivant  laquelle  les  ateliers 
devaient  être  fermés,  le  samedi  à  4  heures,  certaines, 
payées  à  la  làclie,  préféraient  prolonger  leur  séjour  à  l'usine 
une  heure  de  plus  le  samedi  pour  nettoyer  leur  métier  afin 
d  augmenter  le  rendement  du  travail  par  semaine.  Le  syn- 
dicat, malgré  leur  volonté,  avait  demandé  des  donnnages- 
-intérèts  et  subsidiairement  nomination  d'experts  pour 
prendre  communication  des  livres  du  patron.  Il  est  certain 
que  le  récit  de  ces  faits  et  l'aspect  du  procès  durent  faire 
mauvaise  impression  sur  les  juges  :  les  syndicats  ont  déjà 
peine  à  triompher  quand  ils  sont  d'accord  avec  leurs  mem- 
bres :  la  difficulté  redouble  quand  il  y  a  désaccord  et  qu  on 
entrevoit  au  loin  la  tyrannie  syndicale. 

D'ailleurs  le  syndicat  ne  se  tient  pas  pour  battu  et  se 
pourvoit  en  cassation  contre  l'arrêt  de  Dijon,  invoquant 
comme  moyen  unique,  la  violation  de  l'article  6  de  la  loi 
du  21  mars  1884. 

L'arrêt  de  cassation  du  l*"*^  février  1893,  Chambre  civile  (1), 
confirme,  en  le  renforçant  pour  ainsi  dire,  l'arrêt  de  Dijon  : 

«  Attendu,  dit  l'arrêt,  qu'on  lit  au  bas  de  cet  engagement 
(la  convention  précitée)  la  mention  suivante  :  «  Accepte 
par  les  soussignés,  membres  de  la  Chambre  syndicale  de 
Chauffailles,  au  nom  des  ouvriers.  » 

Attendu  que  les  administrateurs  de  ce  syndicat,  lequel 
est  régulièrement  constitué  conformément  aux  prescrip- 


(i)  Pand.  franc.,  1894,  p.  1  ;  D.  1893,  1,  241, 


238  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

lions  de  la  loi  du  21  mars  1884,  prétendant  qu'ils  ont  été 
parties  principales  à  la  convention,  soutiennent  qu'ils  ont 
le  droit  de  former,  au  nom  et  au  profit  exclusif  du  syndi- 
cat, une  action  en  dommages-intérêts  pour  réparation  des 
infractions  qu'ils  imputent  aux  défendeurs  ;  que  c'est  bien 
en  effet  une  condamnation  de  3,000  francs  de  dommages- 
intérêts  envers  le  syndicat  qu'ils  réclament  par  l'exploit 
introductif  d'instance  : 

Attendu  que  l'arrêt  dénoncé,  tout  en  reconnaissant  que 
la  fixation  du  taux  des  salaires  et  la  réglementation  des 
heures  de  travail  rentrent  dans  la  catégorie  des  intérêts 
généraux  dont  la  défense  appartient  aux  syndicats  profes- 
sionnels, déclare  que  celui  de  Chauffailles  na  été,  dans 
Vespèce^  qu'un  simple  intermédiaire,  entre  les  proprié- 
taires do  l'usine  et  leurs  ouvrières  auxquelles  seules  diver- 
ses concessions  étaient  faites;  que  le  syndicat  n'a  aucune- 
ment souffert  des  manquements  reprochés  aux  patrons,  et 
que  seules  aussi,  les  ouvrièves,  en  nombre  très  restreint 
au  préjudice  desquelles  ces  manquements  ont  pu  être  com- 
mis en  ont  éprouvé  un  dommage  purement  personnel.  » 

Ainsi  c'est  bien  la  thèse  de  la  Cour  de  Dijon  (le  syndi- 
cat n'a  pas  l'action  personnelle  qui  appartient  aux  mem- 
bres personnellement),  renforcée  par  cette  considération 
de  fait  que  le  syndicat  n'a  pas  été  partie  au  contrat  :  ceci 
posé,  il  est  clair  que  l'idée  que  la  stipulation  de  salaires 
déterminés,  ou  la  fixation  de  durée  de  travail  pouvaient  in- 
téresser directement  le  syndicat,  ne  pouvait  même  pas  ef- 
fleurer l'esprit  des  juges:  aussi  bien  l'arrêt  continue  : 

a  Que  de  ces  circonstances  et  du  texte  même  de  la  Con- 
vention, le  dit  arrêt  a  conclu  que  si  MM.  Viallar,  Guéneau 
et  Chartron  étaient  réellement  engagés  envers  leurs  ou- 
vrières, et  si  ces  dernières  pouvaient  puiser  dans  la  Con- 


LA   JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SUR   LE   CONTRAT   COLLECTIF      239 

vention,  le  cas  échéant,  le  principe  d'une  action  indivi- 
duelle en  dommages-intérêts,  le  syndicat  qui  n'est  inter- 
venu que  pour  accepter  en  leur  nom  les  ofifres  qui  leur 
étaient  faites,  n'avait  pas  été,  de  son  propre  chef,  partie 
au  contrat  et  n'avait  par  conséquent  aucun  droit  pour  en 
revendiquer*les  eirefs  ; 

Attendu  qu'en  déclarant  dans  cet  état  des  faits,  l'action 
du  syndicat  non  recevable,  l'arrêté  attaqué  n'a  point  violé 
Tarticle  de  la  loi  invoqué  par  ce  pourvoi. 

Par  ces  motifs,  rejette.  » 

Ainsi  la  Cour  de  cassation  dans  cet  arrêt,  le  seul  qui 
existe  en  notre  matière,  n'a  pas  prétendu  donner  la  théorie 
juridique  du  contrat  collectif.  La  question,  pourrait-on,  dire 
est  réservée,  les  circonstances  de  la  cause  ont  été  interpré- 
tées de  telle  façon  qu'il  n'y  a  là  que  les  applications  du 
droit  commun  en  matière  de  mandat  :  reste  à  savoir  si  le 
contrat  collectif  est  véritablement  un  mandat. 

En  tout  cas  deux  principes  sont  à  retenir  :  le  syndicat 
a  qualité  pour  passer  un  contrat  collectif. 

Le  syndicat  aurait  qualité  pour  intenter  une  action  à 
l'occasion  de  ce  contrat,  pourvu  qu'il  ne  s'agisse  pas  de 
défense  des  intérêts  des  droits  individuels,  mais  véritable- 
ment de  la  défense  d'intérêts  inhérents  à  la  personnalité 
juridique  des  syndicats  eux-mêmes. 

C'est  ce  que  fera  apparaître  le  curieux  jugement  du 
Tribunal  de  commerce  de  la  Seine  du  4  février  1892. 

Un  conflit  éclata  en  mai  1891  entre  la  Compagnie  des 
omnibus  et  son  personnel  au  sujet  de  la  durée  du  travail 
quotidien  fourni  par  les  employés.  La  clause  du  contrat 
collectif  qui  donnait  lieu  à  des  difficultés  était  la  suivante  : 

«  La  durée  de  la  journée  de  travail  est  fixée  en  principe 
à  12  heures  depuis  la  sortie  du  dépôt  jusqu'à  la  rentrée 


240  DEUXIÈME    PAlVriE.    CHAl'lTHE    PItEMlEK 

au  dépôt,  non  compris  le  temps  des  deux  repas  fixé  à 
1  h.  1/2. 

«  Ce  nouveau  service  fonctionnera  à  partir  du  18  juin 
au  plus  tard.  » 

La  Compag-nie  n'observant  pas  rigoureusement  cette 
clause,  le  Syndicat  l'attaque  pour  oblig-er  à  exécuter  le 
contrat  et  demande  30,000  francs  de  dommages  intérêts  : 
à  ces  prétentions  le  Tribunal  de  la  Seine,  par  un  jugement 
en  date  du  4  février  1892  (1),  répond  par  les  considérants 
suivants  ; 

Le  début  du  jugement  appelle  la  clause  ci-dessus  citée, 
puis  interprétant  la  volonté  des  parties,  conclut  : 

«  Attendu  que  c'est  bien  12  heures  juste  l'intention  des 
parties  : 

«  Attendu  que  dans  ces  circonstances  il  y  a  lieu  de  rap- 
peler la  Compagnie  des  omnibus  à  l'observance  du  con- 
trat, en  disant  que  dans  un  délai  et  sous  une  contrainte  à 
impartir,  elle  sera  tenue  de  ne  faire  travailler  ses  employés 
que  12  heures  par  jour,  depuis  la  sortie  du  dépôt  jusqu'à 
la  rentrée  au  dépôt,  non  compris  le  temps  des  repas  fixé 
à  1  h.  1/2.  » 

Ainsi  le  Syndicat  a  bien  qualité  pour  demander  et  obte- 
nir l'exécution  du  conirat  par  lui  passé,  au  moins  pour 
l'avenir  ;  car  pour  le  passé,  voici  les  motifs  qui  ont  en- 
traîné le  Tribunal  à  déclarer  la  demande  du  Syndical  irrece- 
vable : 

«  Sur  les  50,000  francs  de  dommages  intérêts  réclamés  : 

Attendu  que  la  Chambre  syndicale  fait  plaider  que,  par 
suite  du  refus  de  la  Compagnie  d'observer  les  conventions 


(1)  Revue  du  Di^oit  Industriel,  1893,  p.  72. 


LA    JL'ItlSPHLUENCi!:    VilANCAISii    SUlt    LK   CUNTKAT    CULLKCTIF       241 

du  26  mai  elle  a  éprouvé  un   |)iéjuilice  matériel  dont  elle 
serait  fondée  à  demander  réparation  ; 

Attendu  en  ce  qui  touche  le  préjudice  niorai,  que  le 
rappel  de  la  Compag^nie  des  omnibus  au  respect  de  ses  en- 
gaj^emenls  et  la  condamnation  de  celle-ci  aux  dépens  sont 
la  seule  réparation  à  laquelle  la  Chambre  syndicale  puisse 
prétendre  ; 

Attendu  en  ce  qui  touche  le  préjudice  matériel  que  la 
demande  de  la  Chambre  syndicale  n'est  pas  recevable  ; 

Qu'en  effet,  tout  syndicat  professionnel,  organisé  con- 
formément à  la  loi  du  21  mars  1884,  entre  personnes  exer- 
rant la  môme  profession,  doit  avoir  pour  objet  la  défense 
d  intérêts  généraux  communs  à  1  universalité  des  membres 
qui  la  composent  ;  qu'il  forme  une  personne  civile,  avant 
ses  droits  et  sa  capacité  essenliellement  distincts  de  ceux 
qui  appartiennent  individuellement  à  chacun  de  ses  mem- 
bres ;  qu'il  peut  ester  en  justice,  mais  seulement  pour  la 
défense  des  intérèls  comnmns  et  collectifs  en  vue  des(|uels 
il  a  été  créé  ;  doii  il  suit  qu'il  n'est  recevable  que  dans  les 
instances  où  le  jugement  à  intervenir  est  de  nature  à  inté 
resser  l'association  et  non  l'un  ou  plusieurs  des  membres 
du  syndicat  à  l'exclusion  des  autres  ; 

Et  attendu  que  le  préjudice  dont  la  réparation  est  de- 
mandée a  pour  base  le  paiement  des  heures  supplémen- 
taires que  la  Compagnie  des  onmibus  aurait  fait  faire  à  un 
certain  nombre  de  ses  employés; 

Que  ce  préjudice,  en  admettant  qu'il  fût  justifié,  ne  sau- 
rait être  réparé  qu'à  l'égard  de  ceux  auxquels  il  a  été  causé  ; 

Qu'il  s'agit  là,  non  d'intérêts  conununs  à  l'universalilé 
des  mendires  du  syndicat,  mais  bien  des  droits  individuels 
pour  la  poursuite  desquels;  la  Chambre  syndicale  n'a  pas 
qualité  pour  ester  en  justice  ; 

RATNAUD  16 


242  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Qu'on  conséquence  il  écliet  de  déclarer  ce  chef  de  de- 
mande non  recevable  et  mal  fondée.  » 

Ainsi  entraîné  en  deux  sens  opposés  par  la  considéra 
tion  d'une  part  que  le  syndicat  pour  l'avenir  peut  deman- 
der l'exécution  du  contrat,  mais  n'a  pas  droit  à   des  dom- 
mages-intérêts pour  le  passé,  le  tribunal  arrive  au  curieux 
dispositif  suivant  : 

«  Par  ces  motifs  : 

Dit  que  dans  le  mois  de  la  signification  du  présent  juge- 
ment, la  Compagnie  générale  des  omnibus  sera  tenue  de 
ne  faire  travailler  ses  employés  que  12  heures  par  jour, 
depuis  la  sortie  du  dépôt  jusqu'à  la  rentrée  au  dépôt,  non 
compris  le  temps  des  2  repas  fixé  à  i  heure  et  demie,  si- 
non et  faute  de  ce  faire  dans  ledit  délai  et  celui-ci  passé, 
le  condamne  dès  à  présent  à  payer  à  la  demanderesse  la 
somme  de  100  francs  par  jour  de  retard  pendant  1  n)ois, 
après  lequel  délai  il  sera  fait  droit  ; 

Déclare  la  Chambre  syndicale  des  employés  non  rece- 
vable, môme  d'office  et  mal  fondée  en  sa  demande  en  dom- 
mages-intérêts: l'en  déboute, 

Condamne  la  Compagnie  générale  des  omnibus  aux  dé- 
pens. » 

Nous  avons  tenu  à  donner  presque  i?i  extenso  ce  juge- 
ment du  Tribunal  de  commerce  de  Paris,  parce  qu'il  nous 
semble  susceptible  de  marquer  un  point  de  départ  nou- 
veau pour  la  jurisprudence. 

D'abord  le  droit  d'action  en  justice  pour  l'exécution  du 
contrat  collectif  est  ici,  comme  précédemment,  formelle- 
ment reconnu  au  syndicat.  Mais,  et  c'est  ici  l'originalité 
même  du  jugement,  tout  en  rappelant  la  théorie  générale: 
Pas  d'intérêt  syndical,  pas  d'action  —  le  jugement  met  en 
lumière   /e  préjudice  moral  éprouvé  par   le  syndicat  et 


LA   JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      243 

suflisant  à  fonder  son  action  :  sans  doute,  comnnc  le  dit 
un  des  considérants,  «  en  ce  qui  touclie  ce  préjudice,  le  rap- 
pel de  la  Compagnie  des  omnibus  au  respect  de  ses  enga- 
gements et  la  condamnation  de  celle-ci  aux  dépens,  sont 
la  seule  réparation  à  laquelle  la  Chambre  syndicale  puisse 
prétendre  ».  C'est  peu  sans  doute,  et  c'est  affaire  d'appré- 
ciation. Mais  enfin  le  principe  nouveau  est  posé  :  en  cas 
d'inexécution  du  contrat  collectif,  il  y  a  pour  le  syndicat 
un  préjudice  moral,  résultant  bien  de  ce  que  cette  inexé- 
cution tend  à  montrer  le  syndicat  incapable  de  faire  res- 
pecter les  engagements  pris  et  de  défendre  les  intérêts 
professionnels  dont  il  a  assumé  la  garde. 

Il  est  clair  d'ailleurs  que  ce  principe  une  fois  admis,  on 
ne  voit  guère  pourquoi  l'appliquer  à  l'avenir  seulement, 
c'est-à-dire  à  l'exécution  du  contrat  collectif  après  le  pro- 
noncé du  jugement  et  non  au  passé  :  cela  est  au  contraire 
un  grand  principe  de  procédure  d'après  lequel  dans  toute 
affaire  on  doit  se  placer  pour  apprécier  les  faits  au  jour  de 
la  demande.  L'intérêt  syndical  est  parfaitement  apparu 
aux  juges  quant  à  l'exécution  de  la  convention  à  l'avenir: 
cet  intérêt  est  assez  puissant  pour  motiver  la  condamna- 
tion de  la  Compagnie  générale  des  omnibus  à  uneastreinte 
de  400  francs  par  jour  de  retard  pendant  un  niois  :  mais 
pour  le  passé,  cet  intérêt,  quoique  soupçonné,  puisque  la 
Compagnie  en  réparation  du  préjudice  moral  est  condam- 
née aux  dépens,  était  en  quelque  sorte  masqué  et  le  sera 
longtemps  encore  peut-être  dans  des  cas  analogues  par  l'in- 
térêt individuel,  né  de  l'inexécution  du  contrat  de  travail 
pour  chaque  intéressé  :  sans  doute  cet  intérêt  existe  et  peut 
donner  lieu  à  l'action  individuelle  née  du  contrat,  mais  à 
côté  de  lui  existe  de  la  même  manière  que  pour  l'avenir 
l'intérêt  du  syndicat  de  faire  respecter  le  contrat  collectif. 


^44 


DliUXlEMIi:    PAHTIE.    —    CHAPITHK    PHKMlKlt 


C'est  donc  là  une  décision  judiciaire  des  plus  inléressunles 
dont  il  faudra  se  souvenir  au  chapitre  suivant  lorsqu'il 
s'agira  d'esquisser  la  théorie  juridique  du  contrat  col- 
lectif. 

Mais  ce  jugement  du  tribunal  de  commerce  de  Paris  est 
loin  d'avoir  établi  d'une  manière  définitive  la  jurispru- 
dence française  en  matière  de  contrat  collectif.  Celle-ci 
est  toujours  dominée  par  l'arrêt  de  cassation  de  1892  cité 
plus  haut.  On  trouve  quelques  décisions  qui  en  sont  visi- 
blement inspirées  et  en  face  d'elles,  par  la  force  des  choses, 
quelques  autres  qui  admettent  la  possibilité  de  l'action  en 
justice  :  aussi  y  a-t-il  quelque  incohérence,  qui  tient,  nous 
l'avons  dit  et  nous  le  répétons,  à  ce  que  cette  jurispru- 
dence est  dominée  tout  entière  par  la  théorie  générale  de 
l'action  en  justice  des  syndicats  et  par  la  difficulté  de  met- 
tre en  lumière  dans  chaque  affaire  l'intérêt  du  syndicat  à 
côlé  de  l'intérêt  individuel  qui  le  masque. 

C'est  ainsi  que,  contrôla  possibilité  de  l'action  en  justice, 
nous  trouvons  une  première  série  de  décisions  dont  voi- 
ci les  plus  importantes  : 

On  fait  échec  de  toute  manière  à  l'action  en  justice  des 
syndicats  à  l'occasion  du  contrat  collectif  :  tantôt  c'est  un 
conseil  de  prud'hommes  saisi  de  l'exécution  d'une  conven- 
tion antérieure  à  la  création  du  syndicat  —  ce  qui  est  par- 
faitement impossible  (1)  —  qui  éprouve  le  besoin  de  dé- 
clarer que  môme  pour  un  contrat  collectif  passé  par  le  syn- 
dicat l'action  en  justice  serait  impossible  et  toujours  par 
le  même  sophisme  :  il  y  a  un  intérêt  individuel  et  pas  d'in- 
térêt svndical  : 


(1)  Voir  plus  loin,  p.  'ibb. 


I.V    JL'RJSPRUDENCE    FRANÇAISE    SUR    LK    CONTRAT    COLLECTIF       245 

«  AUentlu  enfin  qu'en  matière  de  syndicats  profession- 
nels il  est  de  principe  et  de  jurisprudence  que  le  droit 
d'agir  en  justice  (|ui  leur  est  reconnu  par  l'article  6  de  la 
loi  du  2i  mars  1884,  ne  peut  être  exercé  que  quand  il 
s  agit  de  la  défense  des  intérêts  inhérents  à  la  personna- 
lité juridique,  et  non  quand  il  s'agit,  comme  dans  l'espèce, 
de  la  défense  des  droits  individuels  de  leurs  adhé- 
rents (1).  » 

Tantôt  c'est  la  théorie  du  mandat  mise  en  vogue  par  la 
décision  de  la  Cour  de  cassation,  qui  reparaît  et  qui  per- 
met de  dénier  toute  action  au  syndicat. 

Le  tribunal  de  commerce  de  Nantes  par  jugement  en 
date  du  13  avril  1897  (2)  a  décidé  que  «  le  président  d'un 
«  syndicat  ouvrier  qui  a,  comme  tel,  passe  avec  un  patron 
«  du  métier  une  convention  relative  aux  conditions  dans 
«  lesquelles  doit  s'exercer  la  profession,  n'a  pas  d'action 
«  en  justice  pour  réclamer  au  nom  du  syndicat  l'exécu- 
«  tion  de  cette  convention,  s'il  résulte  des  faits  de  la  cause 
«  qu'il  n'a  agi  en  passant  cette  convention  que  comme 
«  mandataire  d'une  partie  seulement  des  syndiqués  (dans 
«  l'espèce  les  ouvriers  du  patron  avec  lequel  il  a  traité)  ». 

11  doit  être  alors  considéré,  non  pas  comme  le  repré- 
sentant du  syndicat,  mais  comme  le  mandataire  de  cer- 
tains ouvriers,  et  il  doit  alors  prouver  que  «  ceux  qui  lui 
donnent  mandat  de  poursuivre  en  justice  l'exécution  du 
contrat  sont  bien  ceux  qui  lui  avaient  donné  mandat  de 
le  faire  ». 

Ici  le  contrat  collectif  en  date  du  10  juillet  1896,  avait 
été  passé  entre  Bahuaud,  agissant  en  qualité  de  président 


(1)  Justice  de  paix  de  Saint-Nazaire,  i5  mars  189i. 

(2)  Rev.  des  Sociétés,  1898,  p.  131. 


246  DEUXIÈME   PARTIE.   —   CHAPITRE   PREMIER 

de  la  Chambre  syndicale  des  ouvriers  boîtiers-ferblantiers 
de  Nantes  et  Barau  et  Lemauff,  2  patrons.  Il  stipulait 
pour  un  délai  d'un  an  (1"  juillet  1896,  1«^  juillet  1897), 
que  le  patron  ne  pouvait  faire  qu'un  apprenti  par  15  ou- 
vriers :  or  celui-ci  avait  fait  11  apprentis  pour  33  ouvriers. 

Le  système  du  tribunal  fut  des  plus  simples  :  sans  exa- 
miner la  question  du  fond,  qui  était  ici  comme  toujours  la 
capacité  pour  le  syndicat  de  passer  le  contrat  et  d'en  pour- 
suivre l'exécution,  le  tribunal  par  un  moyen  de  forme, 
repousse  l'action  du  président  du  syndicat,  en  le  déclarant 
mandataire  non  du  syndicat  tout  entier,  mais  d'un  groupe 
seulement,  les  ouvriers  de  la  maison  Barau  et  Lemauff: 
ce  qui  semble  bien  étrange.  Une  fois  ce  point  admis,  il 
n'a  pas  de  peine,  puisque  les  noms  des  ouvriers  de  cet 
établissement  ont  changé,  à  déclarer  que  l'identité  des 
mandataires  n'est  pas  et  ne  saurait  être  établie  : 

«  Attendu  que  dans  ces  conditions,  permettre  à  un 
groupe  d'ouvriers  qui  peut  être  désigné  sous  le  môme 
nom,  tout  en  étant  composé  successivement  d'individus 
différents,  de  faire  un  traité  en  temps  quelconque  et  de 
réclamer  au  môme  titre  l'exécution  de  ce  traité,  sans  éta- 
blir que  ce  groupe  est  dans  les  deux  cas  composé  des  mê- 
mes personnes  et  que  ces  mêmes  personnes  sont  toutes  d'ac- 
cord, constituerait  une  atteinte  grave  à  la  liberté  indivi- 
duelle et  à  la  liberté  du  travail.  » 

Il  est  clair  que  ce  n'est  là  qu'un  faux-fuyant  difficile- 
ment soutenable  en  droit,  au  strict  point  de  vue  juridique: 
du  moment  que  le  syndicat  a  le  droit  d'ester  en  justice, 
on  ne  saurait  exiger  une  procuration  de  tous  les  syndi- 
qués, pas  plus  que  dans  une  compagnie  anonyme  on  ne 
songerait  à  demander  au  président  ou  au  secrétaire  géné- 
ral un  mandat  de  tous  les  actionnaires.  D'ailleurs  en  fait 


LA    JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SUR    LE    CONTRAT   COLLECTIF      247 

les  patrons  n'avaient  demandé  aucune  justification  de 
mandat  pour  passer  avec  le  président  du  syndicat  le  con- 
trat collectif.  Ici  donc,  une  fois  de  plus,  une  théorie  juri- 
dique quelque  peu  douteuse,  toujours  inspirée  de  l'idée 
d'intérêts  particuliers  à  quelques  membres,  avait  refusé 
l'action  au  syndicat. 

Enfin  on  est  bien  heureux  de  trouver  une  exception  d'un 
autre  genre,  une  irrégularité  déforme  dans  la  constitution 
du  syndicat  pour  échapper  au  jugement  sur  le  fond  : 
c'est  ainsi  que  dans  une  poursuite  intentée  par  le  syndicat 
des  ouvriers  marbriers  d'Alger,  le  tribunal  de  commerce 
de  cette  ville  fut  heureux  de  ne  pas  juger  au  fond  sur 
l'exécution  de  la  convention  résultant  de  la  signature 
d'un  bordereau  en  date  du  7  juin,  par  laquelle  les  signa- 
taires, dont  le  patron  poursuivi,  s'engageaient  à  employer 
de  préférence  des  ouvriers  syndiqués  et  de  répondre  par 
un  jugement  du  30  novembre  1898  (1):  Que  pour  avoir  le 
droit  d'ester  en  justice,  un  syndicat  devait  être  régulière- 
ment constitué  :  or  celui  dont  il  s'agissait  n'avait  pas  rem- 
pli les  formalités  de  la  loi  du  21  mars  1884  (art.  4)  qui 
exige  le  dépôt  des  noms  des  membres  du  bureau  à  chaque 
renouvellement  et  la  qualité  de  Français  chez  ces  mêmes 
membres. 

—  Par  contre  d'autres  décisions  en  sens  diamétralement 
opposé  vont  beaucoup  plus  loin  dans  l'autre  sens  et  peu- 
vent servir  vraiment  dès  maintenant,  à  compléter  le  ju- 
gement du  tribunal  de  commerce  de  Paris  (1892),  à  pré- 
parer la  véritable  théorie  du  contrat  colleclif  :  nous  rele- 
vons en  ce  sens  une  décision  des  conseils  de  Prud'hom- 


(1)  JRev.  des  Sociétés,  1899,  p.  311. 


248  DEUXnCMR    PAHTIK.    CHAPITHK    PRH:iMli<:R 

mes  de  la  Seine  13  avril  1895  (1)  ainsi  qu'un  jugement  du 
tribunal  civil  de  Cholet  (jugeant  commercialement  en  date 
du  12  février  1897)  (2). 

Ce  dernier  jugement  marque  une  nouvelle  étape  dans 
la  lente  et  laborieuse  édification  de  la  jurisprudence  sur  le 
contrat  collectif.  Il  met  merveilleusement  en  lumière  l'in-; 
térèt  syndical  dont  nous  parlions  plus  haut  et  mérite  à  ce 
titre  une  étude  toute  particulière  : 

Dans  cette  affaire,  les  syndicats  des  ouvriers  tisserands 
de  Cliolet  avaient  passé  avec  les  patrons  un  contrat  collectif 
établissant  un  tarif  de  prix  :  l'un  deux,  AUereau  frères,  ne 
l'applique  pas  :  les  syndicats  poursuivent  et  le  tribunal 
n'hésite  pas  à  leur  donner  gain  de  cause,  après  avoir  mis 
en  lumière  l'intérêt  collectif. 

...  «  Attendu  qu'il  n'est  pas  contestable,  ainsi  qu'AUe- 
lereau  le  reconnaît  d'ailleurs  lui-même,  que  la  réglemen- 
tation du  tarif  des  salaires  rentre  dans  la  catégorie  des 
questions  générales  que  les  syndicats  sont  autorisés  à 
traiter  et  qu'il  importe  de  retenir  que  l'uniformité  d'un 
tarif  des  prix  de  façon  est  précisément  l'objet  principal  en 
vue  duquel  les  diverses  sociétés  demanderesses  se  sont 
constituées  ;  » 

C'est  précisément  l'importance  de  l'uniformité  du  tarif 
qui  va  faire  mieux  apparaître  l'intérêt  syndical. 

«  Attendu  que  ce  règlement  dispose  que  les  patrons  ne 
consentent  à  y  souscrire  qu'à  la  condition  qu'il  sera  signé 
et  appliqué  par  tous  les  fabricants  de  toiles  et  mouchoirs 
de  la  région  et  que  si  la  non-application  du  tarif  par  plu- 


(1)  Rev.  prat.  du  droit  industriel,  1895,  p.  205.  Voir  chap.  suivant. 

(2)  Rev.  des  Sociétés,  1897,  p.  303. 


I.V    JL'IUSPRl'DKNCK    FRAISr.AISK    SUR    LK    CONTRAT    COLLECTIF       249 

sieurs  fabricants  venait  à  être  constatée,  les  signataires 
pourraient  se  considérer  comme  dégagés,  après  en  avoir 
informé  un  mois  à  l'avance,  soit  la  commission  d'arbi- 
trage, soit  les  chanjhres  syndicales  ouvrières,  soit  le  con- 
seil des  Prud'hommes  ;  (ju'en  présence  d'une  pareille  dis- 
position, il  serait  diflicile  de  soutenir  que  les  ouvriers  d"AI- 
lereau  sont  les  seuls  qui  puissent  être  atteints  par  les  in- 
fractions relevées  contre  lui  :  (|ue  sans  doute  ils  profite- 
ront personnellement  de  l'action  introduite  par  les  syndi- 
dicals,  mais  que  c'est  là  une  conséquence  indirecte  de  la 
demande,  non  son  vérilahle  objet  ;  que  la  question  est  plus 
haute  et  qu'il  s'agit  de  savoir  si  toute  l'économie  du  tarif 
pourra  être  impunément  compromise  parle  fait  d'un  seul, 
au  risque  de  tout  remettre  en  question  et  de  faire  renaî- 
tre, entre  patrons  et  ouvriers,  toutes  les  difficultés,  que  le 
présent  règlement,  accepté  par  Allereau,  a  eu  justement 
pour  objet  de  résoudre  ; 

Voilà  bien  mis  en  lumière  l'intérêt  syndical,  la  paix  in- 
dustrielle, les  bonnes  relations  entre  patrons  et  ouvriers, 
que  les  syndicats  ont  procurées  et  qu'ils  défendent.  Et  le  ju- 
gement conclut  en  repoussant  enfin, —  d'une  manière  défi- 
nitive, nous  voudrions  l'espérer,  —  l'ancien  sophisme  ap- 
puyé sur  la  fameuse  règle  «  nul  ne  plaide  par  procureur  »  : 

«  Attendu  (jue  le  défendeur  invoquerait  vainement  dans 
la  cause  la  maxime  :  «  Nul  en  France  ne  plaide  par  procu- 
reur. »  Que  les  Chambres  syndicales  plaident  pour  elles- 
mêmes,  non  pour  autrui,  pour  r intérêt  professionnel 
qu  elles  ont  mission  de  défendre  et  à  raisoti  duquel  elles 
ont  stipulé  :  que  peu  importe  que  le  préjudice  soit  ou  ne 
soit  pas  encore  elfectivement  réalisé;  qu  il  est  de  principe 
qu'un  dommage  éventuel  suffit  dès  que  la  menace  est 
sérieuse  et  le  péril  imminent.  » 


250  DEUXIÈME    PARTIE.   CHAPITRE   PREMIER 

¥A  dans  l'espèce  le  Tribunal  condamne  le  défendeur  à 
aug-menter  de  8  0/0  le  prix  de  façon  des  tissages  mé- 
caniques, sous  une  contrainte  de  50  francs  par  jour  de 
retard. 

Voici  donc  enfin  le  principe  merveilleusement  dégagé: 
dans  l'action  en  l'exécution  du  contrat  collectif,  le  Syndi- 
cat plaide  pour  lui-même  non  pour  autrui,  pour  l'intérêt 
professionnel  qu'il  a  mission  de  défendre  et  à  raison  duquel 
il  a  stipulé. 

Une  décision  toute  récente  (1)  admet  l'existence  de  cet 
intérêt  professionnel  du  Syndicat,  avant  même  que  le  con- 
trat collectif  n'ait  été  signé,  et  y  trouve  une  base  suffisante 
pour  condamner  à  des  dommages-intérêts  envers  le  Syn- 
dicat le  membre  qui  par  le  contrat  individuel  avait  empê- 
ché la  formation  du  contrat  collectif. 

Voici  sommairement  résumés  les  faits  de  cette  remar- 
quable affaire:  il  s'agit  d'un  syndicat  professionnel  de 
médecins,  mais  la  portée  de  la  décision  dépasse  beaucoup 
la  solution  d'espèce  à  propos  de  laquelle  elle  est  inter- 
venue : 

Un  syndicat  de  médecins,  faisant  suite  à  une  association 
de  fait,  s'était  formé  à  Bourgoin  dans  le  but  d'obtenir  des 
Compagnies  d'assurances  contre  les  accidents  un  tarif  à 
forfait  pour  le  règlement  des  soins  à  donner  aux  blessés. 
Le  Syndicat  prétendait  obtenir  un  minimum  de  15  francs 
par  accident,  alors  que  les  Compagnies  refusaient  ce  prix  : 
pour  les  forcer  à  conclure  le  contrat  collectifs  le  Syn- 
dicat notifie  aux  Compagnies  le  17  juin  1900  une  résolu- 


(4)  Tribunal  civil  de  Bourgoin  (Isère).  Due  à  La  bienveillante  com- 
munication de  Me  Gatineau,  avocat  au  barreau  de  Paris,  et  défenseur 
des  intérêts  du  Syndicat.  —  Gaz.  des  Trib.,  48  juillet  4901. 


LA   JLRISPRUOENCK   FRANÇAISE    SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      251 

tien  du  2  juin  signée  de  tous  les  membres  syndiques  por- 
tant que  : 

1*>  Les  médecins  membres  du  Syndicat,  ne  prendraient 
ciucun  engagement  individuel  et  que  les  accords  ou  con- 
trats qui  aur.iienl  pu  intervenir  entre  un  ou  plusieurs 
membres  du  Syndicat  et  une  ou  plusieurs  Compagnies 
seraient  immédiatement  dénoncés,  quelles  que  soient  les 
conditions  de  ces  accords  ou  contrats  ; 

2*^  Que  faction  syndicatç  serait  substituée  à  faction 
personnelle  pour  toutes  les  conventions  à  venir  ;  que  les 
compagnies  seraient  invitées  à  traiter  directement  avec 
le  syndicat  sur  les  bases  fixées  par  la  lettre  circulaire 
du  21  octobre  1899  et  ce,  dans  le  délai  d'un  mois,  et  que 
l'accord  à  intervenir  entre  les  compagnies  et  le  syndicat 
devait  être  pris  directement  entre  les  directions  générales 
de  ces  compagnies  et  la  cbambre  syndicale  ; 

3"  Qu'il  n'y  aurait  ni  monopole  ni  profit  de  tel  ou  tel 
médecin,  ni  conditions  privilégiées  pour  tel  ou  tel  compa- 
gnie ;  que  les  membres  du  syndicat  devraient  cesser  tout 
rapport  avec  les  compagnies  qui  se  refuseraient  à  traiter 
avec  le  syndicat  dans  le  délai  indiqué  et  qu'ils  donneraient 
en  ce  cas  leurs  soins  aux  ouvriers  blessés  sous  la  seule  res- 
ponsabilité des  patrons,  en  ce  qui  concernait  leurs  hono- 
raires ; 

i'^  Que  les  membres  du  syndicat  qui  seraient  en  butte  à 
des  manœuvres  par  intimidation,  promesses,  menaces, 
marchandage  ou  sollicitation  de  concurrence  de  la  part  des 
compagnies,  tendant  à  troubler  l'ordre  entre  les  syndiqués 
seraient  tenus  d'en  aviser  sans  relard  la  chambre  syndicale. 

C'était  on  le  voit  la  poursuite  du  contrat  collectif  par  la 
suppression  volontaire  de  tout  contrat  individuel  à  laquelle 
s'engageaient  tous  les  syndiqués. 


2S2  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

L'un  d'eux  nommé  Chaix  avait  consenti  à  soigner,  pour 
le  compte  des  compagnies,  les  victimes  d'accidents  du  tra- 
vail, au  taux  de  10  francs  par  blessé.  On  prononce  son 
exclusion.  Il  est  en  outre  poursuivi  en  dommages  intérêts 
par  le  syndicat  représenté  par  son  président  et  son  secré- 
taire : 

Le  tribunal  rappelle  le  droit  pour  les  chambres  syndi- 
cales de  poursuivre  le  contrat  collectif  et  le  devoir  pour 
les  syndiqués  de  se  conformer  aux  règles  du  syndicat. 

«  Attendu,  en  droit,  que  les  organisations  syndicales, 
en  tant  qu'elles  ont  pour  objet  la  défense  des  intérêts  pro 
fessionnels,  sont  non  seulement  autorisées,  mais  encou- 
ragées par  noire  législation  ;  que  les  statuts  et  les  délibé- 
rations régulièrement  prises  font  la  loi  des  parties  et  obli- 
gent tous  les  membres,  au  même  titre  que  toute  autre 
convention  valable  ;  que  sans  doute,  il  est  toujours  permis 
à  tout  syndiqué  de  se  retirer  des  liens  du  syndicat,  mais 
que  tant  quil  fait  partie  de  l'association,  il  est  tenu  de  se 
conformer  à  la  loi  et  de  respecter  les  obligations  qu'elle  lui 
impose  ;  que  V observation  stricte  de  ce  devoir  est  surtout 
nécessaire  dans  une  organisation  qui  exige  une  entente 
absolue  pour  permettrp  à  l'effort  commun  de  produire 
son  effet  utile  :  que  dès  lors  toute  infraction  peut,  quand 
il  en  est  résulte  un  préjudice,  donner  ouverture,  au  profit 
du  syndicat,  personnalité  civile,  à  une  action  en  domma- 
ges-intérêts par  application,  soit  des  articles  1142  et  sui- 
vents  du  code  civil,  sort  de  l'article  1282,  le  cas  échéant. 

Puis  après  une  longue  discussion  des  faits  où  il  établit 
que  la  résistance  des  compagnies  au  contrat  collectif,  la 
perte  de  clientèle  pour  les  autres  syndiqués  sont  la  résul- 
tante des  conditions  avantageuses  faites  par  Chaix  aux 
compagnies,  le  tribunal  résume  ainsi  sa  démonstration  : 


LA    Jt'HlSPRL'DKNCK    FRANÇAIS^:    Stil    LE   CDNTRAT   CULLI^CTIP       253 

«  Atteiulu  que  les  iigissenieitts  de  Ciiaix  ont  ciiusé  un 
préjudice  certain  ;  que  les  Compagnies  trouvant  auprès  de 
lui  la  possibilité  de  faire  soigner  leurs  blessés  à  des  condi- 
tions plus  avantageuses  que  celles  du  syndicat  ont  natu- 
rellenient  refusé  de  traiter  avec  celui-ci,  alors  qu'au  début 
elles  ne  paraissaient  pas  avoir  adopté  une  altitude  rendant 
toute  entente  impossible  ;  qu'ainsi  les  membres  du  syndi- 
cat restés  fidèles  à  leurs  engagements,  se  sont  trouvés 
privés,  non  seulement  de  la  majoration  que  comportait 
leur  tarif,  mais  encore  de  la  clientèle  qu'ils  auraient  pu 
conserver,  au  moins  momentanément,  si  Cliaix  avait  ob- 
servé, comme  eux,  ses  obligations  ;  que  le  tribunal  trouve 
dans  la  cause  des  éléments  suffisants  pour  lixer  les  dom- 
mages-intérêts, en  tenant  compte  de  la  possibilité  de  l'em- 
ploi, par  les  Compagnies,  d'un  médecin  non  syndiqué  ;  » 

Par  ces  motifs,  le  tribunal  «  dit  que  Chaix  a  contrevenu 
aux  engagements  pris  par  lui  le  2  juin  1900  envers  le 
syndicat  médical  de  Bourgoin  en  restant  en  rapports  pro- 
fessionnels avec  les  compagnies  d'assurances  et  en  consen- 
tant à  donner  à  leurs  blessés  des  soins  moyennant  un 
tarif  inférieur  à  celui  proposé  par  le  syndicat,  dit  qu'il  a 
causé  aux  demandeurs  es  qualités  un  préjudice  dont  il 
doit  réparation  :  le  condamne  par  suite,  à  leur  payer,  avec 
intérêts  de  droit,  la  somme  de  200  francs,  ordonne  à  titre 
de  suppléments  de  dommages  l'insertion  du  présent  sans 
les  noms  des  parties,  aux  frais  de  Chaix,  dans  24  journaux 
médicaux  désignés,  sans  que  le  coût  de  chaque  insertion 
puisse  dépasser  100  francs;  » 

Ainsi,  par  cette  remarquable  décision  de  jurisprudence 
s'établit  en  quelque  sorte  la  théorie  de  Voff're  du  coniraf 
collectif. 

Malheureusement  ce  ne   sont  là  que  des  décisions    de 


2S4  DEUXIÈME   PARTIE.   CHAPITRE    PREMIER 

simples  tribunaux  et  l'arrêt  de  Cassation  plane  toujours 
sur  l'avenir  :  on  peut  évidemment  souhaiter  que  le  lim- 
pide et  clairvoyant  jugement  du  tribunal  de  commerce  de 
Paris  appuyé  par  le  jugement  bien  plus  récent  du  tribu- 
nal de  Bourgoin  fasse  jurisprudence.  Néanmoins,  il  ne 
faudrait  pas  se  faire  d'illusion  et  se  contenter  à  si  bon 
compte  :  l'incertitude  des  décisions  que  nous  avons  rele- 
vées, les  difficultés  multiples  accumulées  devant  cette  vé- 
rité exigent  maintenant  une  nouvelle  étude  :  il  faut  partir 
de  ce  principe  dégagé  avec  tant  de  peine  par  la  jurispru- 
dence pour  en  étudier  la  portée  et  les  conséquences  :  il 
faut,  de  ce  nouveau  point  de  vue,  reprendre  tout  l'ensemble 
de  la  question  et  risquer  du  point  de  vue  doctrinal  une 
esquisse  d'une  théorie  juridique  du  contrat  collectif  (1). 

II 

Mais  auparavant  une  nouvelle  étude  s'impose  :  les  faits 
devancent  la  théorie  et  les  décisions  judiciaires  d'espèces 
et  de  détail  anticipent  sur  les  questions  de  principe  et  de 
doctrine. 

Diverses  questions  de  la   plus  grande  importance,  ont 


(1)  Dans  cetle  revue  de  jurisprudence,  nous  n'avons  examiné  que 
la  question  de  principe  :  Droit  de  passer  le  contrat,  droit  d'en  poursui- 
vre l'exécution  •  il  nous  faut  maintenant  parcourir  les  quelque  rares 
décisions  sur  les  points  de  détails  qui  ne  peuvent  se  bien  comprendre 
qu'une  fois  le  principe  admis.  Cet  ordre  nous  a  été  imposé  en  quelque 
sorte  par  l'incoliérence  de  la  jurisprudence  qui  manque  totalement 
d'unité.  L'existence  de  ces  décisions  est  d'ailleurs  une  nouvelle  preuve 
de  l'impérieuse  nécessité  et  de  la  remarquable  vitalité  juridique  du 
contrat  collectif,  puisqu'il  a  su  en  quelque  sorte  faire  reconnaître 
quelques-unes  de  ses  règles  essentielles,  sans  être  d'ailleurs  univer- 
sellement admis  en  principe. 


LA    JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SIR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      255 

été  ainsi  tranchées  par  les  tribunaux,  avant  même  que  la 
jurisprudence  sur  la  question  de  principe  ait  été  liien  af- 
fermie, dans  un  sens  favorable  au  contrat  collectif.  On 
peut  grouper  les  décisions  déjà  nombreuses  sous  les  deux 
chefs  suivants  : 

A.  —  Conditions  du  contrat. 

B.  —  Moyens  de  faire  respecter  le  contrat. 

A.  —  Conditions  du  contrat. 

Il  est  certain  tout  d'abord  que  les  unions  de  syndicats, 
en  l'état  actuel  des  textes  (J)  ne  peuvent  demander  en 
justice  Texécution  dun  contrat  collectif  —  ni  même  en 
toute  rigueur  conclure  ce  contrat  collectif  :  c'est  ce  qu'a 
implicitement  reconnu  le  tribunal  de  Cholet  jugeant  com- 
mercialement «  en  déclarant  que  le  fait  par  certains  syn- 
dicats professionnels  de  former  une  Union  ainsi  que  la  loi 
le  leur  permet  n  enlève  pas  à  ces  syndicats  la  faculté  d'a- 
gir en  justice,  chacun  en  son  nom  personnel  (2)  ». 

Il  est  non  moins  certain  que  le  syndicat  ne  peut  ester 
en  justice  que  pour  la  défense  du  contrat  qu'il  a  lui- 
même  passé  :  c'est  ainsi  que  le  Tribunal  de  justice  de 
paix  de  Saint-Nazaire  a  déclaré  que  les  syndicats  profes- 
sionnels ne  peuvent  agir  en  justice  pour  leurs  membres  à 
raison  dune  convention  passée  avec  le  patron  par  ces 
membres  antérieurement  à  la  création  du  syndicat.  (Syn- 
dicat des  ouvriers  déchargeurs-charbonniers  de  Saint-Na- 
zaire (3). 


(1)  Cf.  art.  5,  Loi  du  21  mars  1884. 

(2)  Cholet,  12  fév.  1897,  Revue  des  Sociétés,  1897,  p.  303. 

(3)  Justice  dé  Paix,  15  mars  1894. 


256  UËUXlÈMIi    PAKTIK.    CHAl'ITKK    PltKMIKtt 

Enfin  dans  un  arrêt  intéressant,  qui  montre  eoinl)ien  les 
règles  du  contrat  individuel  de  travail  pourraient  s'appli- 
quer au  contrat  collectif,  le  Tribunal  de  commerce  deTarau, 
par  jugement  en  date  du  30  décembre  1890  (l)  a  décla- 
ré que  la  grève  générale  ne  saurait  èlre  considérée  comme 
un  cas  de  force  majeure  pouvant  entraîner  la  résiliation 
de  plein  droit  des  contrats  entre  patrons  et  ouvriers  et  les 
dispenser  notamment  les  uns  et  les  autres  de  la  formalité 
du  congé  d'usage.  Dans  cette  affaire  l'obligation  de  hui- 
taine reposait  sur  un  règlement  déposé  au  Conseil  des 
Prud'hommes  et  affiché  dans  les  ateliers  où  il  fait  la  loi 
conventionnelle  des  parties,  conformément  à  l'article  1134 
du  Code  civil.  «  Attendu,  dit  le  Tribunal,  que  la  législa- 
tion nouvelle  (loi  de  1884)  n'a  pas  donné  aux  ouvriers  le 
droit  de  violer  les  conventions  librement  formées  entre 
eux  et  leur  patron  ;  que  les  délais  qui  devait  être  autre- 
fois respectés  par  l'individu  doivent  l'être  aujourd'hui  par 
la  collectivité  et  que  si  l'on  peut  déclarer  la  grève  géné- 
rale, elle  ne  peut  produire  ses  effets  qu'après  l'expiration 
des  délais  fixés,  soit  par  les  usages  locaux,  soit  par  les 
contrats.  » 

On  saisit  aisément  toute  l'importance  de  cette  décision, 
restée  malheureusement  isolée  :  il  est  clair  que  toutes  les 
règles  de  droit  comnmn  communément  appliquées  par  les 
tribunaux  au  contrat  de  louage  individuel  gagneraient  à 
s'appliquer  également  au  contrat  collectif  et  que  dans 
l'état  actuel  des  textes  —  sauf  à  examiner  au  point  de 
vue  des  réformes  si  quelques-unes  ne  seraient  pas  à  écai- 


(1)  Joaraal  des  Prud'hommes,  1891,  p.  61.  —  Nous  avons  relevé 
cette  décision,  bien  qu'elle  ne  semble  pas  s'appliquer  directement  à 
notre  sujet,  comme  très  intéressante  et  pleine  d'avenir. 


LA    JLKISPRIDE-NCK    FRANiJAlStî   SUR    LE    COMTHAT    COLLECTIF       257 

ter  —  elles  doivent  s'appliquer  en  noire  matière.  Au  point 
de  vue  de  la  paix  sociale  et  de  la  solution  amiable  des 
conflits  entre  patrons  et  ouvriers,  le  respect  do  cette  règle 
serait  un  grand  progrès  (1). 

Mentionnons  en  dernier  lieu  une  curieuse  décision  du 
Tribunal  des  Prud'bonnnes  de  Marseille  (2),  qui  nous  sem- 
ble plus  que  contestable  au  point  de  vue  des  principes  ac- 
tuels du  droit,  mais  qui  indique  bien,  comme  nous  le  di- 
sions ci-dessus,  que  si  jamais  une  réglementation  législa- 
tive était  faite  en  notre  matière,  on  en  arriverait  sans 
doute  à  modifier  sur  plus  d'un  point  les  règles  actuelles 
du  contrat  individuel  :  le  jugement  annule  ici  le  traité 
passé  entre  un  syndicat  ouvrier  et  un  patron  par  ce  motif 
que  la  convention  était  faite  pour  une  durée  illimitée  : 
«  Attendu  que  cette  convention  par  son  caractère  d'indéter- 
mination dans  la  durée  et  l'absence  de  flexibilité  aux  cir- 
constances et  aux  fluctuations  de  l'avenir,  serait  surtout 
dans  un  moment  de  crise  industrielle  ou  commerciale  aussi 
nuisible  aux  intérêts  des  patrons  qu'à  ceux  des  ouvriers 
eux-mêmes  ; 

«  Attendu  dès  lors  que  cette  convention  constitue  une 
atteinte  grave  au  principe  delà  liberté  du  travail,  du  com- 
merce et  de  l'industrie,  qu'à  ce  titre  elle  est  nulle  aux  ter- 
mes   des  articles  1131  et  1133  du  Code  civil.  » 

Il  semblait  qu'il  eût  suffi  dans  cette  affaire  de  déclarer 
que  la  convention  était  un  engagement  à  durée  indétermi- 
née et  comme  telle  de  lui  appliquer  l'article  1780  inodifié 
par  la  loi  du  27   décembre  1890  ;  le  contrat  collectif  fait 


(1)  Il  parait  qu'en  Belgique,  les   tribunaux  sont  tout  disposés  à  la 
faire  observer  et  par  là  évitent  bien  souvent  nombre  de  grèves. 
(2j  28  mars  1893,  /.  des  Prud'hommes,  1893. 

•        BATKACD  17 


258  DEUXIÈME    PAiniK.    CHAPITRE    PREMIER 

sans  détermination  de  durée  peut  cesser  par  la  volonté 
d'une  des  parties.  Mais  le  Tribunal  des  Prud'hommes  a 
aperçu  ici  un  des  dangers  que  pourraient  présenter  en  ef- 
fet de  tels  engagements  :  c'est  une  idée  courante  dans  le 
monde  ouvrier  que  ces  engagements  collectifs  à  durée  in- 
déterminée peuvent  être  dangereux  comme  ne  suivant  pas 
les  fluctuations  du  marché  du  travail.  Cela  tient  aussi  sans 
doute  à  l'attitude  incertaine  des  tribunaux  :  cependant 
les  principes  semblent  incontestables,  et  il  est  nécessaire 
d'affirmer  que  même  dans  ce  cas  l'ouvrier  qui  a  accepté 
le  contrat  peut  toujours  cesser  le  travail,  quitte  à  appliquer 
dans  ses  détails  l'article  1780. 

Il  n'y  a  d'ailleurs  dans  toutes  ces  décisions  isolées  rela- 
tives aux  conditions  du  contrat,  rien  de  bien  nouveau  ni 
de  bien  exceptionnel  :  la  théorie  reste  toute  entière  à 
faire  (1)  et  s'élaborera  sans  doute  d'elle-même  à  mesure 
que  le  contrat  collectif  plus  répandu  sera  plus  souvent 
porté  à  la  barre  des  tribunaux  judiciaires. 

B.  —  Moyens  de  faire  respecter  le  contrat. 

Les  décisions  judiciaires  sur  ce  point  sont  plus  intéres- 
santes. 

L'idée  pratique  qui  a  inspiré  les  tribunaux,  qui  avaient 
admis  l'existence  et  la  validité  du  contrat  collectif  ainsi  que 
la  légitimité  de  l'action  en  justice  du  syndicat,  était  la 
suivante  :  ce  contrat  doit  à  tout  prix  être  respecté  et  il  est 
dans  les  attributions  du  syndicat  d'assurer  ce  respect, 
soit  par  une  mise  à  l'index  contre  un  patron  récalcitrant. 


(1)  Voir  pour  les  principes  de  celte  conslruclion  juridique,  le  chapi- 
tre suivant. 


LA    JURISPRUDENCE   FRANÇAISE   SUR    LE   CONTRAT   COLLECTIF      2o9 

soit  par  une  exclusion  de  l'ouvrier  conlrevenanl  ;  enlin, 
une  décision  va  mèrno  jusqu'à  annuler  tout  contrat  indi- 
viduel fait  par  un  syndiqué  à  l' encontre  d'un  contrat  col- 
lectif encore  en  vigueur. 

C'est  ainsi  que  le  tribunal  civil  de  Lyon,  le  16  décem- 
bre 1896  (1),  a  décidé  : 

((  Ne  commet  pas  une  faute  au  sens  de  l'article  1382  du 
Code  civil,  le  syndicat  professionnel  ouvrier,  qui,  sans 
intention  méchante,  pour  la  défense  d'un  tarif,  c'est-à-dire 
pour  la  défense  d'un  intérêt  professionnel  notifie  à  certains 
patrons  son  intention  de  les  mettre  à  l'index,  s'ils  conti- 
nuent à  faire  travailler  en  dessous  du  tarif.  » 

Sans  doute  dans  l'espèce  le  tarif  n'était  pas  un  tarif 
conventionnel,  mais  un  tarif  unilatéral  si  l'on  peut  dire, 
en  ce  sens  qu'il  n'avait  pas  été  approuvé  du  patron  mis  en 
cause.  Mais  les  considérants  du  tribunal  s'appliquent  —  à 
fortiori  —  en  cas  de  contrat  collectif  (2). 

Attendu,  dit  le  jugement,  que  cette  noliiication  faite 
sans  menaces  caractérisées,  sans  violences,  sans  persécu- 
tion, sans  intention  méchante  et  pour  la  défense  xi'un  in- 
térêt professionnel  ne  constitue  pas  une  faute  au  sens  de 
l'article  1382;  que  les  deux  syndicats  des  maîtres  passe- 
mentiers et  des  ouvriers  n'ont  fait  qu'user  du  droit  que 
leur  conférait  la  loi  du  21  mars  1884;  qu'en  effet  les  mem- 
bres de  ces  syndicats  pouvant  individuellement,  sans  com- 
mettre une  faute,  faire  connaître  à  certains  fabricants 
qu'ils  ne  travailleraient  plus  pour  eux,  si  ceux-ci  conti- 
nuaient à  faire  travailler  X  (au-dessous  du  tarif),  ils  ont 
pu   légitimement  faire   ensemble,    après    s'être    coalisés 


(i)  Revue  pratique  de  D.  industriel,  1897,  p.  150. 

(2)  Voir  en  ce  seus  note  M.  Crouzel,  liev.  de  D.  ind.,  Joe.  cil. 


260  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

ce  que  chacun  d'eux  pouvait  faire  individuellement.  » 
Il  semble  bien  qu'on  ne  puisse  qu'approuver  cette 
jurisprudence  ;  il  est  clair  qu'au  sens  large  la  mise  à  l'in- 
dex est  un  des  moyens  de  défense  donnée  au  syndicat 
pour  la  défense  des  intérêts  professionnels,  qui  s'applique 
parfaitement  au  cas  de  contrat  collectif,  comme  à  tous 
autres  (1). 

—  A  l'égard  de  l'ouvrier  qui  enfreint  le  contrat  collectif, 
les  tribunaux  sont  également  arrivés  à  munir  le  syndicat 
de  l'efficace  moyen  de  l'exclusion  possible  du  syndicat: 
c'est  ce  qu'ont  décidé  deux  jugements  analogues,  l'un  du 
Tribunal  civil  du  Havre,  26  octobre  1894  (2),  l'autre  du 
Tribunal  de  Toulouse  23  décembre  1897  (3).  Dans  la  pre- 
mière de  ces  deux  affaires,  un  ouvrier  du  syndicat  des 
ouvriers  charbonniers  du  Havre  avait  travaillé  au  rabais,  à 
des  prix  inférieures  à  ceux  fixés  par  l'accord  entre  syndi- 
qués et  patrons  ;   dans  la  seconde  un  des  syndiqués  avait 


(1)  Il  paraît  résulter  d'un  arrêt  de  cassation  du  22  juin  1892,  (D.  P. 
92,  1,  449),  dans  l'affaire  Joost  contre  le  syndicat  de  Jallieu,  que  le 
syndicat  aurait  à  sa  disposition  la  mise  en  interdit  pour  la  défense 
d'un  contrat  collectif. 

L'arrêt  dispose  en  effet  : 

«  Que  si,  depuis  l'abrogation  de  l'art.  416  C.  P.,  les  menaces  de 
grève  adressées  sans  violences  ni  manœuvres  frauduleuses  par  un 
syndicat  à  un  patron  à  la  suite  d'un  concert  entre  ses  membres,  sont 
licites  quand  elles  ont  pour  objet  la  défense  des  intérêts  professionnels 
elles  ne  le  sont  pas  lorsqu'elles  ont  pour  but  d'imposer  au  patron,  le 
renvoi  d'un  ouvrier,  parce  qu'il  s'est  retiré  de  l'association  et  qu'il 
refuse  d'y  rentrer.  » 

Sans  doute  ce  n'est  là  qu'une  disposition  des  considérants,  et  la 
question  traitée  au  texte  n'a  pas  été  directement  tranchée  par  la 
Cour  suprême. 

(2)  Journal  des  Prudhommes,  1895,  p.  43. 

(3)  Loi  du  16  janvier  1898. 


LA    JURISPRUDENCE    FRANÇAISE    SUR    LR    CONTRAT    COLLECTIF       261 

refusé  de  signer  le  contrat  collectif,  après  avoir  accepté 
les  engagements  du  syndicat,  et  en  avait  violé  les  clauses: 
dans  les  deux  cas  le  syndiqué  avait  été  exclu  ;  dans  les  deux 
cas  les  tribunaux  déclarent  V exclusion  licite  et  déboutent 
l'ouvrier  de  sa  demande  des  dommages-intérêts. 

Enfin  une  dernière  décision,  du  Conseil  des  Prudhom- 
mes  il  est  vrai,  marque  le  point  extrême  où  les  tribunaux 
se  sont  cru  permis  d'aller  pour  faire  respecter  le  contrat 
collectif  :  nous  la  reproduisons  tout  entière  dans  ses  par- 
ties essentielles  (i): 

Lorsqu'il  est  intervenu,  entre  un  syndicat  patronal  et  un 
syndicat  ouvrier  de  la  même  industrie,  un  traité  portant 
établissement  d'un  tarif,  pour  une  certaine  période,  la 
convention  individuelle  conclue  ultérieurement,  pendant 
la  période  fixée,  entre  un  patron  et  un  ouvrier,  membres 
l'un  et  l'autre,  des  syndicats  qui  ont  traité,  et  fixant  des 
tarifs  inférieurs  à  ceux  du  traité,  ne  saurait  avoir  aucun 
effet,  alors  surtout  qu'il  a  été  stipulé  dans  le  traité  que 
tout  nouveau  contrat  collectif  ou  individuel  était  nul. 

Ainsi  jugé  par  la  décision  qui  suit  : 

Lépine  c.  Tripault  : 

Le  bureau  général  :  attendu  qu'il  est  établi  par  traité 
passé  entre  les  cliambres  syndicales  des  parqueteries, 
patronale  et  ouvrière  et  dont  le  sieur  Tripault  était  l'un 
des  signataires  comme  représentant  de  la  chambre  syndi- 
cale des  entrepreneurs,  et  a  été  stipulé  la  clause  suivante  : 

Le  tarif  de  1891  devant  avoir  force  de  loi  pendant 
cinq  ans,  tout  nouveau  contrat  individuel  ou  collectif  sera 
donc  considéré  comme  nul  :  c'est-à-dire  qu'aucun  des  en- 


(1)  Conseil  des  Prudhommes  de  la  Seine,  13  avril  1895,  Rev.  prat. 
de  D.  ind.,  iSdb,  p.  205. 


262  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Irepreneurs  faisant  partie  du  syndicat  ne  pourra  arguer 
d'une  convention  nouvelle  quand  bien  môme  elle  serait 
revêtue  de  la  signatures  des  parties  contractantes  ; 

Attendu  que  Tripault  et  Lépine  ouvrier  syndiqué  sont 
liés  par  ce  contrat  et  n'avaient  pas  le  droit  de  se  sous- 
traire à  la  clause  susvisée  et  de  faire  une  nouvelle  conven- 
tion individuelle  ayant  pour  base  des  prix  inférieurs  à 
ceux  du  tarif  de  1891,  puisqu'il  était  déclaré  dans  le  traité 
que  tout  nouveau  contrat  individuel  ou  collectif  serait  nul  ; 

Que  dès  lors  la  convention  faite  entre  Tripault  et  Lé- 
pine ne  peut  avoir  d'effet  et  il  y  a  lieu  d'établir  le  compte 
suivant  le  tarif  de  1891. 

C'est  là  sans  doute  une  décision  rigoureuse,  mais  qu'il 
est  indispensable  de  généraliser,  si  l'on  veut  donner  quel- 
que efficacité  au  contrat  collectif  :  dans  l'espèce  citée,  la 
décision  semble  ne  pouvoir  pas  être  critiquée,  puisque 
l'impossibilité  de  tout  nouveau  contrat  était  une  des  clau- 
ses du  contrat  collectif  et  comme  telle  l'expression  de  la 
volonté  des  parties,  qui  fait  leur  loi.  Mais  il  sera  rare  en 
pratique  que  les  chambres  syndicales  patronales  ou  ou- 
vrières soient  d'accord  pour  faire  insérer  cette  clause  : 
aussi  une  réglementation  nouvelle  du  contrat  collectif  de- 
vrait-elle peut-être  en  faire  une  des  règles  nouvelles.  C'est 
d'autant  plus  facile  qu'il  n'y  a  à  cela  actuellement  aucun 
inconvénient  avec  la  possibilité  toujours  ouverte  de  se  re- 
tirer du  syndicat  et  par  là  de  se  soustraire  au  contrat  col- 
lectif. Ce  sont  là  de  graves  questions  que  nous  ren- 
voyons à  la  théorie  juridique  du  contrat  collectif,  à  la- 
quelle nous  arrivons  maintenant. 


CHAPITRE   II 

LE    CONTRAT    COLLECTIF   D'AUJOURD'HUL    —    ESQUISSE 
DUNE  THÉORIE  JURIDIQUE 


Le  contrat  collectif  est  économiquement  avantageux  :  il 
est  à  répandre.  La  jurisprudence  française  l'admet  et  a 
fini  par  en  reconnaître  le  véritable  principe  ;  il  est  à  déve- 
lopper. En  présence  de  cet  état  des  faits,  quelle  est  la  cons- 
truction juridique  qui  peut  le  mieux  s'adapter  à  cette 
nouvelle  forme  de  relations  sociales  pour  lui  faire  pro- 
duire tous  ses  effets?  C'est  là  un  problème  qu'on  peut 
poser  à  un  double  point  de  vue: 

a)  A  prendre  les  textes  et  le  Droit  Français  dans  leur 
état  actuel,  quels  sont  les  principes  féconds  qui  peuvent 
permettre  le  développement  du  contrat  collectif?  c'est  là 
un  point  de  vue  analogue  à  celui  du  Droit  prétorien  à 
Rome. 

6)  Ou  bien  au  contraire,  tout  en  tirant  le  meilleur  parti 
possible  de  ce  qu'on  a,  convient-il  de  souhaiter  une  régle- 
mentation nouvelle  du  contrat  collectif?  c'est  alors  une 
question  de  législation  qui  se  pose  (1). 


(i)  Dans  lune  ou  l'autre  solution,  la  théorie  adoptée  doit  permettre 
de  conserver  les  solutions  acquises  de  la  jurisprudence  précédemment 
relevées. 


264  DiîUXIKME    PARTIR.    CHAPITRK    II 

Ainsi  le  contrat  collectif  d'aujourd'hui, 
Le  contrat  collectif  de  demain, 

Telles  seront  les  deux  parties  de  notre  esquisse  de  la 
théorie  juridique. 

Dans  l'état  actuel  du  Droit  français,  le  contrat  collectif 
n'est  régi  par  aucun  texte  spécial  :  il  est  régi  par  les  prin- 
cipes g-énéraux  du  Droit  en  matière  d'obligations  et  par  la 
loi  de  1884. 

Etudions  successivement  les  règ-les  de  notre  contrat  qui 
se  déduisent  des  principes  du  droit  commun  et  celles  qui 
résultent  de  la  loi  de  1884  sur  les  Syndicats  professionnels. 

A.   —   Règles   du    Droit  commun  applicables  au  contrat 

collectif. 

Nous  ne  relèverons  ici,  après  avoir  posé  la  règle  géné- 
rale que  les  principes  généraux  du  Droit  sont  en  principe 
applicables  au  contrat  collectif,  qu'un  certain  nombre  de 
points  qui  nous  paraissent  particulièrement  intéressants  : 
la  jurisprudence  n'a  pas  encore  été  appelée  à  les  dég-ager 
et  l'élaboration  doctrinale  doit  y  suppléer. 

Parmi  les  vices  du  consentement,  le  dol  et  la  violence 
présentent  seuls  quelques  particularités  intéressantes. 

Dol  :  La  théorie  du  dol  en  matière  de  contrat  collectif 
est  des  plus  délicates  à  préciser:  on  sait  que  «  le  dol  est 
toute  tromperie  commise  dans  la  conclusion  des  actes  ju- 
ridiques (1)  ».  Pour  que  le  dol  entraîne  l'annulation  du 
contrat,  il  faut  et  il  suffit  qu'il  ait  été  commis  par  l'une  des 
parties  contre  l'autre  (art.  1116  Code  civ.)  et  que  le  dol 


1)  Planiol,  Droit  civil,  II,  p.  330. 


LE    CONTRAT   COLLECTIF    d'aUJOURd'hUI  265 

ait  été  la  cause  déterminante  du  contrat.  Or,  au  cas  de  con- 
trat collectif,  il  arrive  le  plus  souvent  que  l'accord  est 
conclu  entre  les  deux  parties  sur  la  communication  de  do- 
cuments portant  sur  le  taux  des  salaires  et  les  prix  de 
vente,  dont  rexactitudc  importe  au  plus  haut  point  à  cha- 
que partie  pour  l'exacte  appréciation  de  sa  situation  éco- 
nomique: les  tarifs  de  salaires  et  les  prix  de  vente  sont 
les  éléments  principaux  sur  lesquels  les  parties  se  basent 
pour  déterminer  les  nouveaux  tarifs  et  d'une  manière  plus 
générale  les  nouvelles  conditions  de  travail  insérées  au 
contrat.  Il  y  aurait  dol  si  l'une  des  parties  communiquait 
à  l'autre  des  documents  inexacts  ou  incomplets. 

Quelques  considérations  de  fait  rendront  plus  sensible 
cetle  difficulté,  qui  ne  pourra  d'ailleurs  être  tranchée  que 
par  espèce  devant  les  tribunaux. 

Ainsi  on  a  vu  (i)  que  les  mineurs  du  Pas-de-Calais  se 
plaignaient  que  les  Compagnies  avec  lesquelles  ils  trai- 
taient, ne  leur  comnmniquaient  que  des  chiffres  de  salaires 
très  douteux,  en  ce  sens  que  les  Compagnies  communi- 
quent des  chiffres  de  salaire  apparent,  et  non  de  salaire 
vrai  en  omettant  de  faire  figurer  certaines  réductions  ou 
certaines  augmentations  spéciales  :  les  ouvriers  n'ont  pas 
ainsi  les  éléments  pour  calculer  eux-mêmes  la  v^aleur 
exacte  du  salaire  net  par  journée  de  travail  normale  et 
c'est  cependant  ce  salaire  (|ui  sert  de  base  au  contrat  col- 
lectif. Peut-être  y  aurait-il  lieu  de  rechercher  s'il  n'y  au- 
rait pas  là  dol  de  la  part  des  Compagnies  à  l'égard  des 
ouvriers,  au  cas  oij  ceux-ci  établiraient  qu'en  fait,  ils  n'a- 
vaient pu  arriver  à  l'évaluation  exacte  de  ce  salaire  net. 

Violence.  —  Il  importerait  au  plus  haut  point  d'arriver 


(1)  Première  Partie,  chap.  III,  p.  89, 


266  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   II 

à  une  théorie  rig-oureuse  de  la  violence  au  cas  de  contrat 
collectif.  Si  d'une  part  on  reconnaît  aux  masses  le  droit 
de  traiter  des  conditions  du  travail  par  l'intermédiaire  de 
leurs  représentants,  il  est  indispensable  corrélativement  de 
prendre  de  sérieuses  précautions  contre  les  excès  auxquels 
ces  mêmes  masses  en  un  jour  de  grève  ou  d'excitation 
révolutionnaire  peuvent  se  livrer. 

C'est  ainsi  que  si  la  menace  de  grève  est  licite  et  ne 
saurait  être  assimilée  à  un  cas  de  violence,  les  menaces, 
voies  de  fait,  menaces  de  mort,  d'incendie,  et  d'une  ma- 
nière g-ônérale  la  violence  telle  que  l'entend  le  Code,  c'est- 
à-dire  la  crainte  d'un  mal  considérable  et  présent,  doit  être 
vigoureusement  relevée  comme  vice  du  consentement  ren- 
dant le  contrat  annulable. 

C'est  ainsi  qu'à  la  dernière  grève  de  Marseille,  les  pa- 
trons prétendaient  que  l'affiche  rouge  ne  tenait  pas  lieu  de 
contrat  comme  ayant  été  extorquée  par  violence. 

Enfin  un  dernier  point  nous  semble  intéressant  à  rele- 
ver dans  cette  revue  rapide  des  principes  généraux  des 
obligations  appliquées  au  contrat  collectif  :  c'est  celui  qui 
concerne  l'objet  même  de  ce  contrat. 

Il  serait  à  souhaiter  que  les  règles  des  contrats  sur 
l'objet,  notamment  au  point  de  vue  du  caractère  illicite  do 
cet  oiîjel,  fussent  vigoureusement  appliquées  un  contrat 
collectif. 

Ainsi  sont  nulles  toutes  les  clauses  contraires  à  l'ordre 
public,  aux  lois  ouvrières  existantes,  etc..  Il  est  même 
probable,  comme  l'a  montré  le  récent  exemple  de  la  grève 
des  tullistes  de  Calais,  que  l'usage  même  du  contrat  col- 
lectif rendrait  bien  vite  superflues  certaines  exigences  par 
trop  rigoureuses  des  lois  ouvrières  actuelles,  mais  ce  ne 
peut  être  qu'à  la  condition  stricte  de  s'y  confirmer  étroite- 


LE   CONTRAT  COLLEXTIF  d'aUJOORD'hUI  267 

ment  jusqu'à  ce  qu'un  texte  législatif  soit  venu  les  abro- 
ger. 

B.  —  Règles  résultant  de  la  loi  de  1884. 

Ici  une  première  question  se  pose  dès  l'abord  : 

Qui  peut  passer  le  contrat  collectif  ? 

Les  syndicats  professionnels  d'abord,  tels  qu'ils  sont 
constitués  par  la  loi  du  21  mars  1884.  C'est  là  un  point 
qui  ne  semble  pas  pouvoir  faire  de  doute  en  doctrine  (i). 

Celte  interprétation  est  d'ailleurs  parfaitement  confor- 
me à  l'esprit  de  la  loi  de  1884  et  aux  travaux  prépara- 
toires : 

C'est  ainsi  que  nous  en  avons  une  première  preuve  irré- 
futable dans  l'incident  suivant  :  lors  de  la  discussion  du 
projet  en  première  lecture,  au  moment  du  vote  de  l'article 
3  qui  réglait  l'objet  des  syndicats  professionnels  (2)  un 
amendement  fut  proposé  par  M.  Berholon  tendant  à  ajou- 
ter à  l'article  3,  «  et  le  droit  pour  leurs  membres  de  se 
concerter  entre  eux  pour  débattre  et  fixer  la  tiausse  et  la 


(1)  Sur  le  droit  des  syndicats  de  passer  le  contrat  collectif  :  Cf.  Brv, 
Cours  élémentaire  de  législ.  industrielle,  p.  261  et  269;  Constant, 
Les  syndicats  prof,  et  le  contrat  de  louage  de  services  (France  jud., 
1891,  p.  282  et  suiv.);  André  et  Guibourg,  Le  code  ouvrier,  p.  319  et 
3i2  ;  H .  Valleroux,  Le  contrat  de  travail,  p.  204  ;  Fabreguettes,  Le 
contrat  de  travail,  p.  Ki,  noie. 

Cf.  Glotin,  Étude  historique,  juridique  et  économique  sur  les  syn- 
dicats professionnels,  p.  240;  Pic,  Traité  élémentaire  de  législation 
industrielle,  p.  142  ;  H.  Valleroux,  Revue  des  sociétés, {2:^2, 1,  p.  172, 
note.  D,  J.  G.,  siipp'  ;  verbo.  travail,  p.  203. 

(2)  L'art.  3  était  alors  ainsi  rédigé  :  «Les  syndicats  professionnels 
ont  pour  objet  l'étude  et  la  défense  des  intérêts  économiques,  indus- 
triels et  commerciaux,  communs  à  tous  leurs  membres  et  des  intérêts 
généraux  de  leurs  professions  et  métiers.  » 


268  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

baisse  des  salaires  ».  Sur  une  observation  du  président  de 
la  Cbambre,  qui  croyait  que  cela  allait  de  soi,  le  rappor- 
teur de  la  loi,  M.  Allain-Targé,  fut  de  cet  avis.  «  Evidem- 
ment cela  va  de  soi  »,  et  l'amendement  fut  retiré  par  son 
autour  (1). 

D'ailleurs  l'étude  des  discussions  (2)  montre  qu'à  plu- 
sieurs reprises  ce  droit  pour  les  syndicats  de  passer  les  con- 
trat collectif  fut  nettement  admis  comme  conséquence  im- 
médiate de  l'existence  môme  des  syndicats.  C'est  ainsi, 
pour  ne  relever  ici  que  des  passages  caractéristiques,  que 
M.  Floquet  voyait  dans  le  contrat  collectif  le  but  même 
des  syndicats  : 

«  M.  Floquet.  —  Mais,  Messieurs,  que  veulent  donc  faire 
les  associations  syndicales?  Quel  est  le  but  de  ces  associa- 
tions ouvrières,  sinon  de  vendre  la  plus  précieuse  des  mar- 
cbandises,  le  travail  bumain  et  de  le  vendre  aux  meilleures 
conditions  ?  Oui  !  le  but  est  de  tirer  un  lucre,  un  profit  à 
répartir  entre  les  membres  du  syndicat. 

Messieurs,  je  lisais  ces  jours  ci  une  pensée  que  je  demande 
la  permission  de  vous  soumettre.  On  disait  avec  raison  : 
«  Jusqu'à  ce  jour,  la  marchandise  qu'on  appelle  le  travail 
a  été  vendue  en  détail  parcelle  par  parcelle,  par  des  hom- 
mes isolés  ;  maintenant  il  faut,  au  moyen  de  l'association, 
établir  le  commerce  en  gros,  collectif  de  celte  niarchan- 
dise  qu'on  appelle  le  travail  humain.  Des-  sociétés  veulent 
se  fonder  pour  ce  trafic,  ce  commerce,  et  elles  ont  pour 


(1)  Séance  du  17  mai  1881.  Ch.  des  députés,  Journ.  of.  1881,  p.  928. 

(2)  Premier  rapport  de  M.  Tolain  au  Sénat,  1-4  déc.  1883,  Jouim. 
offi.,  janvier  1884,  p.  117,  ann.  n»  il2.  —  Second  rapport  de  M. 
Barltie.  au  Sénat,  28  juillet  1882,  Journ.  offi.,  juillet  1882,  p.  476, 
annexe   n»  413. 


LE    CONTRAT    COLLECTIF    u' AUJOURD'HUI  269 

but  de  faire  gagner  un  sou  ou  deux  sous  ou  dix  sous  de 
plus  par  jour  à  des  milliers  de  travailleurs.  »  Eli  bien,  je 
dis  que  le  commerce,  que  l'entreprise,  que  la  spéculation 
(jui  veulent  atteindre  ce  but  sont  aussi  respectables  — je 
ne  dis  pas  plus  —  que  les  entrepreneurs,  que  les  socié- 
tés, que  les  spéculations  constituées  en  vue  de  procurer 
des  bénéfices,  des  profits,  des  dividendes,  à  des  associés, 
à  des  actionnaires.  (Très  bien  !  très  bien  !  et  applaudisse- 
ments à  gauche)  (1). 

De  même  M.  Waldeck  Rousseau,  au  Sénat,  à  propos  de 
la  discussion  sur  l'abrogation  de  l'article  416  du  Code  pé- 
nal proposée  dans  la  loi  et  de  l'amendement  de  M.  Barthe 
combattant  cette  abrogation,  esquisse  le  rôle  pacifique  des 
syndicats  professionnels,  par  le  contrat  collectif. 

«  Quand,  au  lieu  d'avoir  non  pus  l'organisation  du  tra- 
vail, mais  le  travail  tel  que  nous  l'avons  à  l'heure  actuelle 
abandonné  à  tous  les  souffles,  à  toutes  les  influences, 
n'ayant  pas,  je  parle  des  travailleurs  honnêtes,  une  orga- 
nisation rationnelle,  quand  au  lieu  de  cela,  vous  aurez 
permis  sans  laisser  planer  aucune  menace  sur  eux,  les 
syndicats  professionnels,  vous  trouverez  dans  leur  forma- 
tion, dans  leur  fonctionnement,  ce  que  j'appelais  tout  à 
l'heure  les  seuls  éléments  de  conciliation  et  d'apaisement 
compatibles  avec  la  liberté.  » 

Et  pour  mieux  asseoir  sa  démonstration,  M.  Waldeck- 
Rousseau  fait  lui-même  l'hypothèse  d'un  contrat  collectif. 

«  Pensez-vous,  Messieurs,  qu'un  industriel  par  exemple, 
qui  occupe  2,000  ouvriers  verra  ces  ouvriers  syndiqués, 
c'est-à-dire,  une  organisation  réfléchie,  ayant  des  manda- 
taires, et  par  là  même  des  intermédiaires,  venir  lui  dire  : 


(1)  Débals  pari.,  22  mai  1881.  Officiel,  1881,  p.  967. 


270  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITIIE    II 

«  Nous  allons  nous  mettre  en  grève,  nous  condamner  au 
chômage,  si  vous  ne  nous  accordez  pas  une  certaine  axig- 
menlation^  alors  qu'il  peut  répondre  :  «  Yoilà  quelles  sont 
les  conditions  du  marché,  voilà  quelles  sont  les  conditions 
de  la  production  et  de  la  concurrence  ;  voilà  mon  prix  de 
revient  ;  me  demander  une  pareille  augmentation,  c'est  me 
condamner  à  la  ruine  et  empêcher  le  travail. 

Messieurs,  supposer  cela,  c'est  se  demander  si  les  syn- 
dicats professionnels  auront  l'instinct  de  la  conservation, 
si  après  la  série  d'expériences  qui  ont  été  faites,  ayant  pu 
s'éclairer  sur  ce  qu'est  le  marché  économique,  ayant  pu 
prendre  à  l'égard  de  leurs  patrons  d'autres  idées  que  des 
idées  de  défiance,  et  étant  quelque  peu  entrés  dans  l'examen 
et  la  connaissance  de  leurs  affaires,  ce  qui  sera  un  bien 
pour  tout  le  monde,  ils  iront  directement  contre  ce  qui  est 
leur  instinct  élémentaire  (1).  » 

Ainsi  incontestablement  d'après  la  doctrine  et  d'après 
les  travaux  préparatoires,  les  syndicats  ont  le  droit  de  pas- 
ser le  contrat  collectif  :  on  peut  même  dire  que  c'est  là  au 
fond  leur  but  primordial. 

Parfois  même  et  en  présence  des  difficultés  de  tout  genre 
étudiées  ci-dessus  de  faire  prévaloir  légalement  leurs  vo- 
lontés, les  Syndicats  ont  recours  à  des  moyens  détournés, 
à  des  expédients  pratiques  détestables,  qui  disparaîtraient, 
il  faut  l'espérer,  le  jour  où  le  moyen  de  faire  prévaloir 
le  contrat  collectif  leur  serait  légalement  reconnu. 

C'est  ainsi  que  bien  souvent  l'élection  au  Conseil  des 
Prudhommes  est  un  moyen  détourné  d'assurer  le  respect 
d'un  contrat  collectif,  plus  souvent  encore  d'imposer  aux 


(1)  Disc,  au  Sénat,  29  janv.  1884,  Journ.  Offi.  Sénat  1884,  déb. 
pari.  p.  191,  Col.  3. 


LE   CONTRAT    COLLECTIF   d' AUJOURD'HUI  271 

patrons  un  tarif  syndical  que  ceux-ci  n'auraient  pas  accepté. 
Oa  cite  l'exemple  d'ouvriers  obtenant  l'application  du  tarif 
syndical  (1)  alors  même  que  le  patron  apporte  un  engag^e- 
nienl  tout  contraire.  Pour  tâcher  de  couper  court  à  ces 
abus,  le  Conseil  d'Etat  par  un  arrêt  du  18  décembre  1891  (2) 
a  cassé  des  élections  de  prudhommes  ouvriers  du  bâtiment 
comme  entachées  de  nullité  précisément  à  cause  de  cet 
engagement  préalable  pris  par  les  élus  de  faire  application 
en  tout  état  de  cause  d'un  tarif  syndical. 

«  Considérant,  dit  l'arrêt,  que  dans  leurs  proclamations 
aux  électeurs,  les  sieurs candidats  élus,  ont  pris  l'en- 
gagement de  statuer  sur  les  difîérends  qui  leur  seraient 
soumis  dans  un  sens  toujours  favorable  aux  ouvriers  et 
notamment  de  leur  accorder  dans  tous  les  cas  les  prix  fixés 
par  un  tarif  minimum  de  salaires  sans  avoir  égard  aux 
conventions  des  parties;  que  l'exécution  de  ces  engage- 
ments a  été  garantie  au  moyen  de  démissions  signées  à 
l'avance  et  remises  aux  mains  d'un  comité  de  vigilance.  » 

Depuis  les  candidats  n'affichent  plus  aussi  cyniquement 
leurs  intentions;  mais  le  mandat  impératif  est  difficile  à 
saisir  et  il  est  probable  que  de  tels  abus  se  poursuivent. 

Donc  en  reconnaissant  aux  Syndicats  le  droit  de  passer 
le  contrat  collectif,  nous  n'entendons  parler  ici  que  des 
moyens  licites  et  nous  excluons  formellement  ces  procédés 
incorrects,  où  il  faut  voir  sans  doute  une  preuve  des  inten- 
tions syndicales,  mais  qu'on  ne  saurait  trop  condamner. 

En  dehors  des  syndicats  professionnels,  faut-il  recon- 
naître le  droit  de  passer  le  contrat   collectif  aux  autres 


(1)  Cf.  Hubert  Valleroux,  Economiste  Français,  25  août   1900, 
p    257. 

(2)  D.  93,  3,  31. 


272  DEUXIÈME    PARTIE.    CUAPITHE    11 

groupements  professionnels  d'occasion  :  coalitions  momen- 
tanées, commissions  mixtes,  délégations  ouvrières  n'éiiia- 
nant  pas  du  syndicat  ? 

La  question  est  délicate  et  une  ardeur  exagérée  pour  pro- 
mouvoir le  contrat  collectif  inciterait  sans  nul  doute  à  la 
trancher  par  l'affirmative  :  quand  on  voit  les  désastres  pro- 
duits par  la  guerre  industrielle,  on  n'a  tout  d'abord  qu'une 
idée,  arriver  au  traité  de  paix,  au  contrat  collectif  par 
tous  les  moyens  possibles  ;  mais  ce  n'est  pas  le  tout  de  faire 
la  paix  :  il  faut  que  les  deux  parties  l'acceptent  et  se  confor- 
ment aux  clauses  du  traité.  Or  rien  ne  serait  plus  dangereux 
à  ce  point  de  vue  que  de  faire  passer  le  contrat  collectif 
par  des  représentations  ouvrières  peu  authentiques,  impro- 
visées au  hasard  des  circonstances  et  n'ayant  pas  une  auto- 
rité assez  grande  pour  en  maintenir  le  respect.  Mais  c'est 
là  une  considération  économique  qui  ne  modifie  pas  le 
point  de  vue  juridique. 

Sans  doute  actuellement  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  les 
ouvriers  donnent  mandat  à  quelques-uns  des  membres  de 
ces  groupements  professionnels  d'occasion  de  décider  avec 
les  patrons  des  conditions  du  travail  :  c'est  là  un  cas  spé- 
cial et  le  plus  simple  est  d'affirmer  que  par  la  théorie  de  la 
représentation,  chaque  ouvrier  mandant  est  censé  avoir 
stipulé  telle  condition  du  travail  :  juridiquement  il  naît  une 
série  de  contrats  individuels  :  à  proprement  parler  il  n'y  a 
pas  de  contrat  collectif  car  cette  délégation  n'a  certainement 
pas  la  personnalité  civile.  Il  nous  faut  retenir  ce  point  :  car 
cette  solution  qui  nous  semble  incontestable  au  point  de 
vue  juridique  ne  devra  pas  être  oubliée,  quand  il  s'agira 
de  choisir  entre  les  deux  systèmes  possibles,  contrat  collec- 
tif de  droit  privé,  contrat  collectif  de  droit  public. 

Une  fois  admis  que  seuls  à  proprement  parler  les  syndi- 


LK    CONTRAT    COLLECTIF    d'aI'JOIJRd'hUI  273 

cals  peuvent  passer  le  contrat  collectif  de  travail,  il  faut  se 
demander  quelle  est  la  nature  de  ce  contrat. 

Sur  ce  point  quatre  opinions  juridiques  sont  en  présence  : 
pour  les  uns,  lorsque  le  contrat  collectif  est  passé  par  le 
syndicat,  il  y  a  mandat,  pour  les  autres  il  y  a  gestion  d'af- 
faire, pour  d'aulres  c'est  une  forme  nouvelle  tenant  à  la 
fois  du  mandat  et  de  la  j^estion  d'affaire,  pour  d'autres  en- 
fin stipulation  pour  autrui.  Examinons  successivement  ces 
quatre  opinions  : 

A.  —  Le  contrat  collectif  est-il  passé  en  vertu  d'un  mandat  ? 

II  semble  en  effet  au  premier  abord  que  ce  soit  là  la 
forme  la  plus  simple  susceptible  d'expliquer  l'opération 
complexe  qu'est  la  signature  d'un  contrat  collectif.  Dans  le 
mandat,  la  personne  du  mandataire  par  les  effets  de  la 
représentation  juridique,  disparait  derrière  celle  du  mandant 
et  en  effet  n'est-ce  pas  le  résultat  à  obtenir  :  les  conditions 
du  travail,  l'engagement  pris  par  le  syndicat  mandataire 
doivent  s'appliquer  aux  ouvriers  :  ceux-ci  sont  les  vérita- 
bles intéressés  aux  nouvelles  conditions  du  travail  (1). 

Cependant  on  peut  objecter  qu'aux  termes  de  l'article 
1984  du  Code  civil,  le  mandat  suppose  toujours  une  procu- 
ration du  mandant  au  mandataire  et  1  adhésion  préalable  du 
mandant  à  l'acte  de  son  mandataire.  Or  en  fait  rien  de  pa- 
reil :  Tous  les  ouvriers  ne  donnent  pas  individuellement 
mandat  au  bureau  du  syndicat  ou  aux  délégués  choisis  de 
passer  le  contrat  collectif. 

De  plus  le  mandat  est  de  sa  nature  toujours  révocable  : 


(4)  C'est  l'opiDion  de  M.  Bergeron,  Du  droit  des  syndicats  d'ester 
en  justice.  Thèse,  Paris,  4898,  p.  104. 

BATNAUO  48 


274  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    H 

or  ici  on  ne  voit  pas  bien,  en  dehors  de  la  sortie  du  syndi- 
cat toujours  possible,  comment  un  syndiqué  pourrait  ré- 
voquer le  mandat  donné  au  syndicat.  H  y  a  bien  quelque 
chose  d'analogue  au  mandat,  mais  ce  n'est  pas  le  mandat 
ordinaire. 

On  ne  pourrait  pas  soutenir  davantage  que  le  mandat 
au  lieu  d'être  volontaire  est  légal,  c'est-à-dire  donné  par 
la  loi  :  car  quel  est,  entre  plusieurs  syndicats  existants  dans 
le  métier,  celui  qui  est  le  représentant  légal  de  la  profes- 
sion ?  à  moins  de  dire  que  chaque  syndicat  a  le  mandat 
de  défendre  .les  intérêts  de  ses  membres,  mais  c'est  alors 
une  conception  qui  ne  cadre  guère  avec  l'idée  de  droit  pu- 
blic de  mandat  légal. 

Enfin  au  point  de  vue  économique,  cette  opinion  aurait 
le  grand  inconvénient  de  faire  totalement  disparaître  le 
syndicat,  le  contrat  une  fois  conclu.  Les  effets  en  seraient 
personnels  aux  syndiqués  ;  il  n'y  aurait  que  l'action  indi- 
viduelle pour  en  exiger  l'exécution. 

13.  —  Le  contrat  collectif  est-il  une  gestion  d'affaires  ? 

Puisque  les  règles  du  mandat  ne  peuvent  s'appliquer,  il 
paraît  tout  simple  de  recourir  à  la  forme  très  voisine  de 
gestion  d'affaires  :  le  syndicat  serait  un  véritable  gérant 
d'affaires  agissant  dans  l'intérêt  des  syndiqués. 

Mais  une  objection  capitale  s'oppose  à  cette  opinion  :  la 
gestion  d'affaires  suppose  essentiellement  (art.  1373,  C.  civ.) 
la  responsabilité  en  cas  de  faute  du  gérant  :  or,  en  fait,  la 
responsabilité  du  syndicat  n'a  jamais  été  invoquée  pour 
le  cas  011  il  n'a  pas  obtenu  les  meilleures  conditions  pos- 
sibles de  travail  et  on  ne  saurait  songer  à  l'invoquer. 

D'ailleurs  quelle  serait  la  nature  de  l'acte  fait  par  man- 


LB   CONTRAT   COLLECTIF   d'aUJOURDHLI  275 

dut  OU  par  gestion  d'affaires  pour  le  compte  des  ouvriers. 
Ce  ne  saurait  être  un  acte  à  titre  gratuit,  ni  d'ailleurs  un 
acte  à  titre  onéreux,  puisqu'on  admet  en  fait  que  les  ou- 
vriers ne  sont  obligés  envers  le  patron  que  lorsqu'ils  ont 
ratilic  l'opération  et  accepté  les  conditions  du  contrat  col- 
lectif. 


C.  —  Le  contrat  collectif  est-il  une  combinaison  de  la 
stipulation  et  du  mandat  ? 

D'autres  auleurg  enfin  {{)  voudraient  voir  dans  le  contrat 
une  combinaison  de  la  stipulation  ^our  autrui,  et  du  man- 
dat, une  forme  nouvelle  assez  mal  définie  d'ailleurs,  spé- 
cialement créée  —  bien  inconsciemment  —  par  le  législa- 
teur de  1884.  Pour  M.  Deslandres,  la  forme  du  contrat  col- 
lectif serait  empruntée  à  la  stipulation  pour  autrui  et  le  ré- 
sultat de  l'opération  au  mandat  :  il  y  aurait  mélange  des 
deux.  «  Un  mandataire  (|ui  reste  partie  au  contrat  qu'il 
passe  au  profit  d'autrui  comme  l'est  celui  qui  a  stipulé 
pour  un  tiers,  voilà  la  fornmle  la  plus  précise  que  je 
puisse  trouver  pour  caractériser  le  rôle  juridique  du  syn- 
dicat. » 

Il  est  clair  qu'à  une  forme  juridique  ainsi  spécialement 
créée  pour  notre  liypotlièse,  M.  Deslandres  accorde  sans 
peine  l'effet  utile,  je  veux  dire  l'action  en  justice  du  syn- 
dicat pour  poursuivre  l'exécution  du  contrat  collectif.  Mais 
on  peut  faire  à  cette  conception  un  double  reprocbe  :  d'a- 
bord son  manque  de  netteté  au   point  de   vue  juridique  : 


(i)  M.  Deslandres,  note,  Pandectes  françaises,  1894,  i.  —  Sous 
cass.,  ler  février  1893.  —  M.  Housse,  De  la  capacité  juridique  des 
associatiotiê  tn  Droit  civil  françai». 


âi6 


DEUXIEME    PARTIE.    CHAPITRE    H 


qu'est-ce  que  ce  contrat  qui  est  à  la  fois  stipulation  pour 
autrui  et  mandat  ?  De  deux  choses  l'une  :  ou  le  législa- 
teur de  1884,  en  permettant  implicitement  au  syndicat  de 
passer  le  contrat  collectif  n'a  pas  innové,  et  alors  il  faut 
expliquer  l'opération  par  les  principes  anciens  et  les  rame- 
ner à  une  convention  déjà  connue  :  ou  bien  on  admet  que. 
le  contrat  collectif  passé  par  les  syndicats  est  une  innova- 
tion dans  notre  droit  (1)  et  il  en  faut  bâtir  la  théorie  com- 
plète et  originale. 

En  second  lieu,   au    point  de  vue  économique,  on  ne 
voit  pas  bien  comment  la  théorie  de  M.  Deslandres  assure 
au  contrat  collectif,  sa  véritable  portée  :  si  le  syndicat  a 
une  action,  il  ne  l'a  que  comme  mandataire  des  ouvriers  : 
il  ne  peut  l'avoir  comme  stipulant  pour  autrui  :    car  l'au- 
teur   repousse    précisément    la  théorie    de   la  stipulation 
pour  autrui  comme  inefficace  faute  de  sanction   au   profit 
du  syndicat  (2).    Dès  lors  juridiquement  c'est  le  mandat 
tacite  ou  exprès  donné  par  les  ouvriers  au  syndicat  partie 
au  contrat  collectif  qui  déterminera  la  mesure  de  ses  pou- 
voirs :   pourra-t-il   insérer  des   conditions  de  salaires,  de 
durée  du  travail,  de  temps  supplémentaires,  etc.,  autant  de 
questions  de  fait  que  les  tribunaux  auront  à  résoudre.  La 
faculté  d'extension  presque  indéfinie  du  contrat  collectif, 
qui  peut  comme  en  Angleterre  contenir  une  série  de  clau- 
ses des  plus  utiles  à  l'ouvrier  se  trouve  ici  singuhèrement 
menacée  et  entièrement  soumise  à  l'appréciation  du  juge  : 
le  principe  du  contrat  collectif  est  sans  doute    faiblement 
sauvegardé,  mais  sa  véritable  portée,   son  intérêt  écono- 
mique et  social  sont  gravement  compromis. 


{\)  C'esl  là  à  notre  sons  l'opinion  la  plus  vraisemblable. 
(2)  Voir  plus  loin,  p.  279,  la  discussion  de  cette  opinion. 


LE    CONTRAT    COLLECTIF    d'aUJOURD'hUI  277 

Ce  n'est  donc  pas  encore  à  cette  troisième  solution  quil 
nous  est  possible  de  nous  arrêter. 

n.  —  Le  contrat  collectif  est-il  une  stipulation  pour  autrui  ?  {\) 

Pour  que  la  stipulation  pour  autrui  soit  valable,  il  faut 
d'après  larticle  1121  qu'elle  soit  la  condition  d'une  autre 
stipulation  que  le  stipulant  a  faite  en  même  temps  pour 
son  propre  compte  (2).  On  connaît  l'admirable  développe- 
ment donné  par  la  jurisprudence  à  cet  article  1121  inter- 
prété non  seulement  dans  sa  lettre,  mais  dans  son  esprit  : 
on  en  est  même  arrivé  à  valider  la  stipulation  pour  autrui 
lorsqu'elle  est  la  condition  d'une  simp/e  promesse  faite  par 
le  stipulant  lui-même  au  promettant  (voir  Planiol,  loc. 
cit..  Il,  p.  389)  (3). 

Or,  dans  le  complexe  rapport  de  droit  qui  s'établit  en- 
tre le  syndicat,  les  ouvriers  et  le  patron  par  le  contrat  col- 
lectif, n'avons-nous  pas  tous  les  éléments  de  la  stipulation 
pour  autrui,  au  sens  large,  telle  qu'elle  est  admise  par  la 
jurisprudence. 

Il  y  a  ici  d'une  part  le  tiers,  les  ouvriers,  au  profit  des- 
quels le  syndicat  stipule  telles  conditions  du   travail  qu'il 


(1)  En  ce  sens:  Lambert,  De  la  stipulation  pour  autrui,  thèse, 
1893,  §  324,  p.  355.  —  Planiol,  Droit  civil,  II,  p.  391,  393,  .394. 

(2)  .\rl.  1121,  Code  civil  :  —  On  peut  pareillement  stipuler  au 
profit  d'un  tiers,  lorsque  telle  est  la  condition  d'une  stipulation  que 
l'oD  fait  pour  soi-même  ou  d'une  donation  que  l'on  fait  à  un  autre. 
Celui  qui  a  fait  celle  stipulation  ne  peut  plus  la  révoquer,  si  le  tiers 
a  déclaré  vouloir  en  profiter. 

(3)  Alger,  18  fév.  1875,  D.  76,  2,  61  ;  arrêt  Cass.  Req,  17  fév.  1879, 
D.  80, 1,  346  ;  arrêt  Cass.  Req.,  30  avril  1888,  D.  88, 1,  291;  arrêt  Cass. 
civ.,  16  janv.  1888,  D.  88, 1,  77. 


278  DEUXIÈME   PARTIE.    —   CHAPITRE    II 

peut  obtenir  :  il  }-  a  là  de  plus  la  condition  nécessaire  à  la 
validité  de  cette  stipulation,  la  pronnesse  faite  par  le  syndi- 
cat au  patron,  non  pas  de  fournir  les  ouvriers,  ou  de  faire 
le  travail,  inais  de  faire  son  possible  pour  que  le  travail 
soit  repris  ou  continué  aux  conditions  agréées. 

Il  y  a  donc  là  incontestablement  les  éléments  juridiques 
suffisants  pour  interpréter  le  contrat  collectif  en  une  sti- 
pulation pour  autrui. 

Cette  interprétation  donne-t-elle  l'action  en  exécution  du 
contrat  au  syndicat? 

D'après  la  doctrine  et  la  jurisprudence  (1),  à  côté  do 
l'action  du  tiers  contre  le  promettant,  le  stipulant  a  en 
outre  une  action  personnelle  pour  contraindre  le  promet- 
tant à  exercer  sa  promesse  vis-à-vis  du  tiers,  s'il  y  a  lui- 
même  intérêt.  «  Etant  personnellement  intéressé  à  l'exé- 
cution de  la  promesse,  il  a  le  droit  d'agir  contre  le  pro- 
mettant pour  l'y  contraindre.  » 

Cet  intérêt  (2),  nous  l'avons  déjà  relevé  avec  la  juris- 
prudence, c'est  l'intérêt  professionnel  réclamant  que  les 
conditions  du  travail  stipulées  soient  observées,  que  la  paix 
et  la  prospérité  régnent  dans  le  métier,  que  le  rôle  de  dé- 
fense et  de  sauvegarde  du  syndicat  se  trouve  suffisamment 
accompli.  Il  n'y  a  pas  lieu,  croyons-nous,  d'exiger  pour  le 
Syndicat  un  intérêt  pécuniaire.  M.  Deslandres  (note  citée) 
s'efforce  de  nier  cet  intérêt  pécuniaire  et  nous  le  nions 
bien  volontiers  avec  lui.  Le  sort  de  la  théorie  du  contrat 
collectif  stipulation  pour  autrui  n'est  nullement  lié  à  ce 


(1)  Voir  Planiol,  t.  II,  p.  398. 

(2)  Qn  peut  ajouter  d'ailleurs  que  le  syndicat  est  constitué  repré- 
sentant et  défenseur  de  l'intérêt  professionnel  par  la  loi  elle-même 
(art.  3  delaloide4884). 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    d' AUJOURD'HUI  279 

point  de  détail  :  intérêt  pécuniaire  ou  non,  comme  l'a  cru 
le  savant  auteur  de  la  note  citée. 

a  Pourrait-il  (le  syndicat)  invoquer  un  intérêt  pécu- 
niaire propre  à  l'exécution  des  engagements  pris  par  le 
patron  ?  Non.  On  cherchera  bien  à  dire,  que  si  le  contrat 
est  exécuté,  cela  prouvera  sa  force,  les  services  qu'il  peut 
rendre,  que  cela  lui  attirera  des  adhérents  et  lui  vaudra 
des  cotisations  nouvelles  ;  que  l'exécution  du  contrat,  ce 
sont  des  conditions  de  travail  plus  favorables  pour  l'ou- 
vrier, une  aisance  plus  grande,  une  facilité  qui  lui  est 
donnée  de  verser  régulièrement  ses  cotisations;  que  la 
fortune  syndicale  est  intéressée  dans  l'affaire.  Il  y  a  là  une 
grande  subiilité  :  le  bénéfice  pécuniaire  qu'on  s'évertue  à 
trouver  pour  le  syndicat  résulte  bien  indirectement  de 
l'exécution  du  contrat  au  profit  de  ses  membres.  Y  a-t-il 
entre  ces  deux  choses  un  lien  assez  intime  pour  qu'on  ouvre 
l'action  en  dommages-intérêts  à  la  suite  de  ce  contrat,  à 
raison  de  son  inexécution  et  pour  ce  préjudice?  Qui  se 
chargera  de  déterminer  le  dommage  causé  au  capital  syn- 
dical si  le  patron  manque  à  ses  engagements  (1)? 

Et  l'auteur  remarque  plaisamment  que  le  syndicat  qui 
ne  ferait  pas  payer  de  cotisations  n'aurait  pas  d'action. 

Nous  y  souscrivons  volontiers  :  mais  encore  une  fois  ce 
n'est  pas  un  intérêt  matériel,  pécuniaire,  que  nous  recher- 
chons pour  justifier  l'action  du  syndicat  ;  il  nous  suffit 
d'un  intérêt  moral,  professionnel.  En  ce  sens  le  lien  est 
direct  :  s'il  n'y  a  pas  de  dommage  causé  au  capital  syndical, 
il  y  a  assurément  dommage  à  l'influence  syndicale.  L'exé- 


(1)  Dcsiandres,  noie  cilce.  —  Nous  avons  tenu  à  rapporter  ce  pas* 
sage  tout  au  long,  car  il  conlienl  la  seule  objection  faite  A  la  théorie 
que  nous  soutenons  —  objection  qui  ne  porte  pas. 


280  DEUXIÈME    PARTIR.    CHAPITKK    H 

cutioii  du  contrat  prouvera  sa  force,  les  services  qu'il  peut 
rendre,  son    soin  de  défendre  les  intérêts  professionnels. 

L'objection  de  M.  Deslandres  se  retourne  donc  contre 
lui  :  le  lien  entre  l'exécution  du  contrat  et  l'intérêt  du  syn- 
dicat, qui  était  indirect  et  vague,  s'il  s'agit  d'intérêt  maté- 
riel et  pécuniaire,  devient  au  contraire  précis  et  immédiat, 
dès  que  l'intérêt  moral —  suffisant  à  légitimer  l'action  en 
justice  —  est  en  cause  (1). 

Enfin  pour  appuyer  notre  opinion,  nous  avons  la  bonne 
fortune  de  trouver  une  théorie  analogue,  parfaitement 
constituée  pour  un  cas  tout  voisin,  qui  explique  par  la 
stipulation  pour  autrui  le  contrat  passé  par  une  ville  en 
faveur  de  ses  habitants  avec  une  Compagnie. 

C'est  ainsi  qu'il  a  été  jugé  par  la  Cour  de  Cassation 
belge  (2)  que  : 

La  ville  qui  a  fait  un  traité  avec  un  entrepreneur  pour 
l'éclairage  public  et  privé,  a  qualité  pour  faire  reconnaître 
en  justice  les  droits  résultant  de  la  dite  convention  (3)  au 
profit  des  habitants  abonnés,  lesquels  de  leur  côté  ont  in- 
dividuellement le  droit  d'exiger  de  l'entrepreneur  l'exécu- 
tion des  stipulations  faites  à  leur  profit.  Dans  ce  cas  les 
juges  en  reconnaissant  ainsi  la  validité  de  la  convention 
tant  en  ce  qui  concerne  les  habitants  qu'en  ce  qui  concerne 
la  ville,  ne  font  pas  application  de  l'article  1119  du  Code 


(1)  Une  jurisprudence  aujourd'hui  bien  établie  permet  de  l'affirmer. 
~  Cf.  Req.,  30  avril  1888,  D.  88,  \,  291  ;  civ.,  16  janvier  1888,  D. 
88,  1,  77. 

(2)  Cass.  Belgique,  21  juillet  1888,  S.  89,  4,  9. 

(3)  Dans  cette  affaire,  la  ville  de  Mons  avait  stipulé  avec  la  Cie  du 
Gaz  des  clauses  spéciales  tendant  à  faire  réduire  le  prix  du  gaz  à  Mons, 
quand  il  y  aurait  autour  de  Mons  d'autres  villes  ayant  le  gaz  meilleur 
marché. 


LR   CONTRAT   COLLECTIF    D* AUJOURD'HUI  281 

civil  à  un  conlrat  d'utilité  publique,  pas  plus  qu'ils  ne  con- 
treviennent à  r article  1121  qui  reçoit  au  contraire  sa 
juste  application  (1). 

Et  dans  une  savante  note  de  Sirey  (2),  M.  Labbé  ap- 
prouve très  nettement  cet  arrêt.  Il  observe  que  le  principe 
de  l'article  1H9  —  nul  ne  peut  acquérir  un  droit  en  stipu- 
hint  un  avantage  pour  autrui  —  ne  peut  mettre  ici  obsta- 
cle à  ce  que  les  administrateurs  de  la  ville  veillent  à  l'exé- 
cution de  toutes  les  clauses  du  traité  de  concession,  spé- 
cialement des  stipulations  qui  intéressent  les  habitants.  Il 
y  a  là  à  son  sens  un  intérêt  vraiment  municipal,  qui  donne 
droit  à  l'action  en  justice.  Il  donne  de  celte  action  une 
raison  décisive  :  la  ville  a  l'action  en  exécution  du  contrat, 
même  pour  les  clauses  concernant  les  habitants,  puisque 
seule  elle  a  l'action  en  résolution.  En  un  mot,  comme  le 
dit  M.  Labbé  lui-même,  c'est  l'esprit  de  l'article  1121  que 
nous  appliquons. 

Il  on  est  de  même  exactement  lorsqu'il  s'agit  du  contrat 
collectif  :  il  y  a  là  un  intérêt  vraiment  professionnel  :  la 
prospérité  du  syndicat  y  est  attachée  (3). 

La  théorie  admise  pour  les  villes  stipulant  au  profit  de 
leurs  habitants  semble  donc   s'appliquer  pleinement   aux 


(i)  11  y  a  des  décisions  de  jurisprudence  française  en  ce  sens  :  Cass., 
24  janv.  1852  ;  Trib.  civ.,  Seine,  6  avril  4886;  Droit,  7  août  1886  ; 
Poitiers,  20  juin  1889,  D.  90,  2,  159. 

(2)  Note  Labbé.  Sous  Cass.  Belgique,  S.  89,  4,  9. 

(3)  L'intérêt  professionnel  n'a  pas  besoin  d'être  l'inlérêl  de  tous 
les  membres  du  syndicat  sans  exception,  l'intérêt  collectif  au  sens 
étymologique  du  mot:  le  syndical  peut  contracter  et  ester  en  justice 
à  l'occasion  du  contrat  pour  une  partie  seulement  des  syndiqués  : 
c'est  une  conséquence  directe  et  immédiate  de  la  notion  que  nous 
avons  admise  de  l'intérêt  professionnel.  Cf.  p.  249. 


282  DEUXIÈME   PARTIE.    —   CHAPITRE   II 

syndicats  obtenant  des  conditions  de  travail  avantageuses 
pour  leurs  membres  (1). 

Ainsi  un  triple  argument  nous  conduit  à  adopter  cotte 
fjuatrième  opinion  :  le  contrat  collectif  est  une  stipulation 
pour  autrui.  D'abord  nous  avons  trouvé  dans  l'analyse  de 
l'acte  passé  entre  le  syndicat  et  le  patron  tous  les  éléments 
de  la  stipulation  pour  autrui  interprétée  au  sens  large  avec 
la  jurisprudence  moderne.  En  second  lieu  —  et  c'était  là 
l'essentiel  —  cette  théorie  explique  et  justifie  parfaitement 
l'action  du  syndicat  en  exécution  du  contrat.  Enfin  un 
sérieux  argument  d'analogie,  par  rapprocliement  avec  les 
contrats  passés  par  les  villes  dans  l'intérêt  de  leurs  habi- 
tants nous  a  permis  d'abriter  notre  opinion  à  la  fois  sous 


(I)  Une  autre  application  courante  en  jurisprudence  de  la  stipula- 
tion pour  autrui  dans  une  question  analogue  est  celle  des  Assuraiices 
collectives  que  le  patron  contracte  vis-à-vis  d'une  Compagnie  d'assu- 
rances contre  les  accidents  pouvant  arriver  à  ses  ouvriers.  Sans  doute 
en  fait  la  question  n'apparaît  pas,  car  pour  donner  à  l'ouvrier  une 
action  contre  le  patron  avant  ainsi  contracté  une  assurance  collective, 
la  jurisprudence  exige  que  celui-ci  se  soit  expressément  ou  tacitement 
engagé  (sous  le  régime  antérieur  à  la  loi  de  1898)  vis-à-vis  de  ses  ou- 
vriers :  il  faut  qu'il  ait  retenu  des  primes  sur  les  salaires  ou  porté  par 
affiche  l'assurance  à  la  connaissance  de  ses  ouvriers.  Néanmoins,  il 
ressort  de  plusieurs  décisions  que  les  tribunaux  admettent  en  principe 
l'application  des  règles  de  la  stipulation  pour  autrui  à  l'assurance 
collective. 

Voyez  surtout,  Grenoble,  7  avril  1892,  D.  93,  2,  265,  et  Cass.  civ., 
9  janv.  1899  et  Req.,  15  mai  4899,  D.  1900,  1,  169,  et  la  note  de 
M.  Poncet  sous  le  premier  arrêt. 

Mais,  comme  au  cas  du  contrat  collectif,  les  tribunaux  dégagent 
avec  peine  l'intérêt  du  patron  stipulant,  lui  permettant  de  stipuler 
pour  autrui  :  c'est  cependant  ici  un  intérêt  moral  très  réel,  analogue 
à  l'intérêt  professionnel  pour  le  Syndicat. 

Cf.  Amiens,  6  janvier  188o,  et  Toulouse,  9  février  1880,  D,  80,  2. 
61  et  171. 


LR   CONTRAT   COLLECTIF   d' AUJOURD'HUI  283 

de  sérieux  nionumenls  de  jurisprudence  et  sous  la  haute 
science  d'un  de  nos  plus  éminents  maîtres,  M.  Labhé   (1). 

Il  nous  faut  maintenant,  pour  achever  ce  qui  concerne 
le  contrat  collectif  d'aujourd'hui,  déduire  les  principales 
conséquences  de  cette  idée  que  le  contrat  collectif  est  bien 
une  stipulation  pour  autrui  et  en  poursuivre  la  théorie 
juridique. 

Si  donc  on  interprète  le  contrat  collectif  de  travail,  en 
l'état  actuel  du  droit,  par  une  stipulation  pour  autrui, 
l'application  de  la  théorie  générale  nous  donne  pour  notre 
cas  particulier  les  résultats  suivants  : 

La  stipulation  pour  autrui,  ce  sont  les  conditions  du 
travail  que  le  syndicat  obtient  du  patron  ou  de  l'associa- 
tion de  patrons.  Cette  stipulation  est  valable  parce  quelle 
est  la  condition  d'une  promesse  du  stipulant  au  promet- 
tant :  le  syndicat  (stipulant)  s'engage  envers  le  patron 
(promettant)  à  faire  son  possible  pour  que  le  travail  soit 
coutinué  ou  repris  dans  l'usine  ou  l'atelier  et  pour  que  le 
contrat  collectif  soit  rigoureusement  observé  (2). 


(1)  Celle  solution  a  l'avantage  de  traduire  pour  le  présent,  aussi 
exactement  qu'il  est  possible  la  situation  juridique  créée  par  la  loi  de 
1884  :  il  est  bien  probable  que  celte  loi  n'a  pas  voulu  aller  plus  loin 
inlentionnellemenf,  puisqu'il  y  a  autant  de  contrats  collectifs  et  de 
syndicats  que  l'on  veut,  sous  le  régime  actuel  d'association  profession- 
nelle. I^e  point  délicat  est  précisément  que  l'intérêt  professionnel 
idéalement  embrasse  tout  le  métier  et  tous  les  ouvriers  du  métier  : 
logiquement  il  faut  donc  arrivera  un  organe  représentant  seul  lintc- 
rôl  professionnel  et  débattant  les  conditions  du  travail  pour  tout  le 
métier.  Aussi  n'est-ce  là  qu'une  position  doctrinale,  provisoire,  expli- 
cative du  présent,  mais  que  l'avenir,  espérons-le,  remplacera  par  une 
autre  plus  riche  et  plus  logique. 

(t)  C"est  une  sorte  de  garantie  contre  le  risque  de  grève  pour  un 
temps  donné  :  la  partie  juridique  du  contrat  va  jusque-là  :   mais   en 


284  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Il  nous  faut  donc  étudier  les  effets  juridiques  de  ce  con- 
trat (1)  en  indiquant  quels  en  sont  les  bénéliciaires  et  à 
quelles  actions  il  donne  naissance  : 

A.  —  Bénéficiaires  du  contrat  collectif. 

On  sait  que  la  théorie  générale  admet  que  le  tiers  bé- 
néficiaire peut  être  soit  une  personne  individuellement  dé- 
signée et  actuellement  vivante,  soit  une  personne  indéter- 
minée (2). 

Or  ici  les  personnes  individuellement  désignées  et  ac- 
tuellement vivantes  ce  sont  les  syndiqués,  les  membres 
actuels  du  syndicat,  ou  d'une  manière  plus  précise  les 
syndiqués  employés  dans  le  ou  les  établissements  compris 
dans  le  contrat  collectif  :  ce  peut  être  aussi  —  suivant  les 
les  intentions  du  syndicat  —  tous  les  ouvriers  non  syndi- 
qués de  ces  établissements. 

Les  personnes  indéterminées  ce  sont  les  syndiqués  futurs 
ou  les  travailleurs  futurs  engagés  dans  ces  mêmes  établis- 
sements. 

Il  n'y  a  à  cela  aucune  difficulté  :  ces  bénéficiaires  futurs 
sont,  il  est  vrai,  indéterminés,  mais  déterminables  au  jour 
où  la  convention  doit  recevoir  effet  à  leur  profit  (3). 


fait  avec  l'insolvabilité  habituelle  du  syndicat,  le   patron  ne  poursuit 
pas  le  syndicat. 

(1)  Au  point  de  vue  de  sa  formation,  il  est  soumis  aux  règles  de 
droit  commun  de  tous  les  contrais  :  c'est  ainsi  que  le  patron  pourrait 
parfaitement  invoquer  un  vice  du  consentement  (dol  ou  violence). 

(2)  II  y  a  encore  les  personnes  futures.  Mais  cette  hypothèse  ne 
s'applique  pas  au  cas  du  contrat  collectif  qui  a  toujours  une  durée 
relativement  courte. 

(3)  Il  n'y  a  pas  de  difficulté,  comme  on  pourrait  croire,  au  cas  où 


LE    CONTRAT    CULLECTIF    d'aUJOURd'hUI  285 

A  ce  premier  point  de  vue  donc,  notre  théorie  présente 
une  remarquable  souplesse  et  explique  parfaitement  com- 
ment les  conditions  du  travail  obtenues  par  le  syndicat  sont 
applicables  à  d'autres  que  ceux  qui  sont  actuellement  syn- 
diqués. 

Il  faut  ajouter  que  la  ratifîcation  faite  par  le  tiers  (ici 
les  ouvriers  bénéficiaires  du  contrat)  sera  le  plus  souvent 
tacite  ;  le  fait  d'accepter  du  travail  dans  l'établissement 
patronal  aux  conditions  fixées  vaudra  assurément  ratifica- 
tion de  ces  conditions  :  parfois  aussi,  comme  cela  a  lieu 
souvent  en  fait,  le  bureau  du  Syndicat  ou  les  délégués  qui 
ont  traité  avec  les  patrons  soumettent  à  l'acceptation 
expresse  des  ouvriers  les  nouvelles  conditions  du  travail. 

B.  —  Actions  créées  par  le  contrat  collectif  stipulation 
pour  autrui. 

On  sait  que  la  stipulation  pour  autrui  donne  naissance 
à  une  double  action  :  une  action  directe  du  tiers  contre  le 
promettant  ;  une  action  du  stipulant  contre  le  promettant, 
s'il  a  intérêt  à  l'exécution  de  la  promesse. 

Nous  aurons  ainsi  l'action  individuelle  de  chaque  ou- 
vrier contre  le  patron  si  celui-ci  viole  les  conditions  avan- 
tageuses obtenues  (1)  ; 


les  syndiqués  seuls  de  l'avenir  sont  bénéficiaires  du  contrat.  En  effet 
bien  que  l'admission  de  ceux-ci  dans  le  syndical  dépende  exclusivement 
de  la  volonté  du  syndical  slipulanl,  il  y  a  une  deuxième  condition 
nécessaire  pour  qu'ils  profilent  des  avantages  du  contrat,  c'est  qu'ils 
Iravaillent  dans  les  établissement  considérés  :  or  celte  condition  ne 
dépend  pas  du  seul  stipulant,  le  syndical.  Cela  suffit  donc  pour  les 
rendre  bénéficiaires  du  contrat. 
(1)  Le  plus  souvent  cellç  action  —  en  paiement  du  salaire  ou  en 


286  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Et  surtout,  ce  qui  est  essentiel,  l'action  du  syndicat  en 
exécution  du  contrat  collectif  de  travail  :  il  y  a  bien  en 
effet  ici  l'intérêt  demandé  pour  le  stipulant  :  le' syndicat  a 
un  intérêt  professionnel  à  l'exécution  du  contrat.  La  me- 
sure de  celte  action  sera  précisément  l'intérêt  syndical  et 
au  cas  d'inexécution,  des  dommages  intérêts  assureront  la 
réparation  du  préjudice  causé  au  syndicat,  en  tant  que 
représentant  des  intérêts  professionnels. 

11  est  certain  qu'avec  cette  théorie,  des  dommages  inté- 
rêts seront  dus  pour  toute  inexécution  de  la  convention  : 
il  n'y  a  plus  lieu  d'appliquer  la  distinction  d'ailleurs  peu 
juridique  du  tribunal  de  commerce  de  la  Seine  distinguant 
entre  le  passé  pour  lequel  il  n'accorde  rien  parce  que  l'in- 
térêt individuel  a  été  seul  lésé  et  l'avenir,  pour  lequel  il 
condamne  à  une  astreinte  :  ici  les  dommages  intérêts  sont 
dus  comme  pour  tout  contrat. 

Enfin  pour  être  complet,  mentionnons —  bien  qu'elle  ne 
dérive  pas  directement  de  la  stipulation  pour  autrui,  mais 
qu'elle  naisse  des  relations  entre  le  promettant  et  le  stipu- 
lant, l'action  en  exécution  du  patron  contre  le  syndicat, 
au  cas  où  celui-ci  n'aurait  pas  rempli  son  obligation  de 
garantie  temporaire  contre  le  risque  de  grève,  c'est-à-dire 
au  cas  où  le  contrat  aurait  été  violé  de  la  part  des  ouvriers. 

Le  patron  poursuivra  le  syndicat,  sauf  le  recours  de 
celui-ci  contre  l'ouvrier  qui  a  violé  le  contrat  (1)  :  Cette 


exécution  du  contrat  de  travail  —  prendra  un  autre  aspect  :  elle  aura 
pour  objet  l'exéculion  du  contrat  de  travail  avec  toutes  les  nuances 
individuelles  (taux  de  salaire  fixé  d'après  les  bases  du  contrat  collectif, 
mais  se  montant  à  un  certain  chiffre)  :  toutes  ces  actions  ont  aussi 
une  source  dans  l'engagement  individuel  de  l'ouvrier. 

(1)  11  est  certain  que  c'est  par  ce  côté  que  la  théorie  que  nous  avons 
choisie  semble  le  plus  faible  :  on  ne  voit  pâs  bien  à  quoi  se  rattache 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   d'aIJOUKd'hUI  287 

action  du  patron  prend  sa  source  dans  la  convention  entre 
lui  et  le  syndicat,  qui  légitime  le  contrat  collectif  et  sur  la- 
quelle il  repose  tout  entier. 

En  somme,  malgré  les  efforts  de  précision  juridique  que 
nous  avons  faits,  on  arrive  bien  à  expliquer  aussi  complè- 
tement que  possible  le  contrat  collectif  d'aujourd'hui  ;  niais 
est-ce  bien  là  le  dernier  mot  de  la  théorie  juridique  et  celle 
analyse  fragmentaire  et  partielle,  cette  décomposition  du 
tout  qui  est  le  contrat  collectif  en  de  multiples  éléments 
n'averlit-elle  pas  qu'il  faut  chercher  plus  avant  :  l'essentiel 
est  d  adapter  pleinement  la  construction  juridique  aux 
nécessités  pratiques.  Le  contrat  collectif  avec  sa  vitalité 
prodigieuse  et  sa  force  d'expansion  brise  les  vieux  cadres 
et  exige  peut-être  qu'au  lieu  de  le  rattacher  aux  formes 
actuellement  existantes  on  cherche  pour  lui  quelque  théorie 
nouvelle  plus  complète,  plus  unifiée  et  plus  adéquate  à  la 
réalité  sociale. 


ce  recours.  Force  serait  alors  d'admettre  ici  un  mandat  légal,  donné 
au  syndicat  par  la  loi,  pour  promettre  le  fait  d'autrui  (observation  des 
clauses  du  contrat).  Mieux  vaut  peut-être  ne  rien  préciser  ici,  pour 
mieux  préciser  le  point  où  la  loi  de  1884  a  laissé  la  question  :  préoc- 
cupée avant  tout  de  la  liberté  du  travail,  elle  n'a  donné  aucun  moyen 
juridique  efficace  de  faire  exécuter  par  les  ouvriers  les  conditions  ob- 
tenues. 


CHAPITRE  m 

LE  CONTRAT  COLLECTIF  DE  DEMAIN.  —  ESQUISSE  D'UNE 
THÉORIE  JURIDIQUE  (Suite). 


Une  nouvelle  réglementalion  du  contrat  collectif  est-elle 
à  désirer  en  France.  En  ce  cas,  dans  quel  sens  faut-il  la 
désirer  ? 

Deux  points  de  vue  très  nets  partag-eront  ce  chapitre  : 

à)  Quelles  sont  les  insuffisances  actuelles  de  la  législa- 
tion française  et  au  nom  de  quels  principes  une  plus  large 
intervention  d'Etat  est-elle  possible  ? 

b)  Quels  ont  été  à  ce  point  de  vue  les  systèmes  propo- 
sés et  dans  quel  sens  serait-il  désirable  de  souhaiter  la 
réforme  attendue? 


A .  —  Lacunes  de  la  législation  actuelle  et  motifs 
d'intervention. 

L'examen  même  des  variations  de  la  jurisprudence  et 
de  ses  incertitudes  est,  semble-t-il,  une  démonstration  pé- 
remptoire  des  lacunes  de  la  législation  Française.  Dans 
l'état  actuel  des  textes,  la  portée  pratique  du  contrat  col- 
lectif est  toujours  à  la  merci  d'une  interprétation  juri- 
dique. 

Mais,  à  supposer  que  même  la  théorie  que  nous  avons 


LE   CONTRAT   COLLKCTIF   OK   DEMAIN  289 

adoptée  soit  univcrsellenienl  admise,  il  resterait  des  lacu- 
nes énormes  dans  la  réglementation  du  contrat  collectif; 
on  verrait  subsister  la  même  incertitude,  car  il  y  aurait  sans 
doute  tel  contrat  collectif  à  clause  spéciale,  où  malgré  l'évi- 
dence un  tribunal  se  refuserait  à  voir  en  fait  une  stipula- 
tion pour  autrui  faute  d'intérêt  professionnel  bien  appa- 
rent. 

Ensuite,  et  là  est  le  défaut  fondamental,  la  valeur  pra- 
tique du  contrat  collectif  sera  toujours  incertaine  et  pré- 
caire tant  que  les  rapports  des  syndiqués,  du  syndicat  et 
du  patron  contractant  n'auront  pa^été  réglés  juridiquement, 
lixés  légalement  :  il  faut  qu'après  ratification  par  les  ou- 
vriers de  la  convention  conclue  par  le  syndicat,  celle-ci 
fasse  la  loi  des  parties  et  qu'un  ouvrier  —  sauf  le  droit 
toujours  possible  de  se  retirer  du  syndicat  —  ne  puisse 
violer  impunément  le  contrat  existant  en  allant  travailler 
chez  un  autre  patron  à  des  conditions  différentes  :  il  faut 
en  un  mot  résoudre  législativement,  pour  autant  que  la 
chose  soit  possible,  le  conflit  entre  la  liberté  du  travail  et 
la  liberté  d'association  ;  la  réglementation  du  contrat  col- 
lectif serait  peut-être  une  solution  possible  de  cette  anti- 
nomie. 

Que  la  loi  donc  doive  intervenir  pour  combler  ces  la- 
cunes, c'est  ce  qui  ne  nous  semble  guère  contestable  :  il  y 
en  a  des  raisons  générales  et  spéciales. 

Une  première  remarque  s'impose  :  à  vrai  dire  le  prin- 
cipe d'intervention  de  l'Etat  en  matière  de  contrat  collectif 
n'est  plus  à  discuter  :  c'est  déjà  un  fait  acquis.  La  longue 
série  des  diverses  lois  sur  l'Arbitrage  en  est  une  preuve 
évidente  :  le  contrat  collectif  repose  au  premier  chef  sur  la 
solidarité  ouvrière  :  or,  c'est  précisément   cette  solidarité 

BATXAUD  19 


290  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    lil 

qu'ont  déjà  reconnue  les  lois  sur  Varbitrarfe  :  «  En  effet, 
comme  le  remarque  très  finement  M.  Sorel  (1),  si  on  se 
place  au  point  de  vue  strictement  individualiste,  il  n'y  a 
point  de  concilialion  à  tenter,  la  grève  a  rompu  tout  lien 
de  droit  entre  le  patron  et  chacun  de  ses  ouvriers  ;  il  n'exis- 
tait que  des  contrats  individuels  avant  la  grève  ;  comment 
peuvent-ils  se  transformer  en  obligations  qui  lieraient  le 
patron  et  un  corps  avec  lequel  il  n'a  jamais  traité?  » 

Si  donc  on  admet  pour  ainsi  dire  un  quasi  contrat  col- 
leclir,  qui  justifie  Varbitrage,  il  n'y  a  aucune  raison  de 
repousser,  il  est  logique  au  contraire  de  reconnaîtie  le 
contrat  collectif  lui-même,  qui  ne  fait  ainsi  qu'expliciter 
ce  que  l'état  de  fait  implique. 

D'ailleurs  les  raisons  directes  d'intervention  no  man- 
quent pas  à  coté  de  cette  raison  d'analog'ie  : 

Nous  sommes,  à  n'en  pas  douter,  dans  un  des  cas  diffi- 
ciles où  l'intervention  dans  nos  idées  modernes  s'impose  : 
On  tend,  en  efiet,  à  admettre  qu'il  y  a  lieu  à  intervention 
d'État  toutes  les  fois  que  le  succès  des  efforts  de  l'individu 
dépend  du  concours  de  tous  les  intéressés  (2)  :  «  La  vieille 
idée  de  Bastiat  apparaît  chaque  jour  plus  incomplète  et  plus 
fausse  :  qu'il  suffit  en  tout  pour  obtenir  le  plus  grand  bien, 
de  laisser  faire  l'individu  guidé  par  son  intérêt  personnel, 
parce  que  chacun  aspire  à  rendre  sa  condition  meilleure 
et  tend  ainsi  à  concourir  au  bien  général.  De  plus  en  plus 
nombreux  apparaissent  les  exemples  oiî  cette  concordance 
de  l'intérêt  immédiat  de  l'individu  et  de  l'intérêt  collectif 


{{)  Sorel,  «  Avenir  socialiste  des  syndicats  »,  Humanité  nouvelle, 
avril-mai  1898. 

(2)  Voir  art.  de  M.  Bourguin,  «  La  nouvelle  réglementation  de  la 
journée  de  travail  »,  Rev.  d'E.  P.,  avril  1901,  p.  343,  conclusions. 


LE   CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMALN  291 

ne  suflit  pas  à  reiulro  l'indiviilu  capable  de  satisfaire 
ce  double  intérêt  »  :  le  cas  du  contrat  collectif  est  assu- 
rément parmi  ces  cas  d'intervention  légitime  :  en  effet  ici 
la  bonne  volonté  d'un  ouvrier  consentant  à  se  conformer 
rigoureusement  à  la  convention  conclue  est  mise  en  échpc 
par  la  volonté  d'un  seul  qui  y  résiste  après  l'avoir  signée 
et  les  bons  effets  du  contrat  ne  peuvent  se  faire  sentir  pour 
chacun,  que  si  tous  se  trouvent  liés  (1). 

Il  y  a  de  plus  des  raisons  spéciales,  tout  à  fait  impérieu- 
ses qui  tiennent  au  contrat  collectif  lui-même  :  un  double 
résultat  est  en  effet  extrêmement  désirable  avec  la  législa- 
tion nouvelle  (2), 

Il  faudrait  que  le  Syndicat  put  stipuler  à  l'occasion 
pour  un  non  syndiqué  travaillant  chez  le  patron  contrac- 
tant (3),  sous  réserve  de  son  acceptation. 

Il  faudrait  de  la  môme  façon  que  le  syndicat  pût 
poursuivre  en  dommages  intérêts  ce  non  syndique  ayant 
accepté  les  conditions  du  contrat  et  ne  les  ayant  observées. 


(1)  Reste  bien  entendu  réservée  ]a  question  de  la  liberté  individuelle 
pour  sortir  du  syndicat  (art.  7,  loi  de  1884). 

(2)  Projet  de  loi  portant  modification  à  la  loi  du  âl  mars  1884, 
sur  les  syndicats  professionnels . 

Arl.  10.  —  L'entra ve  volonlaire  apportée  à  l'exercice  des  droits  re- 
connus par  la  présente  loi.  par  voie  de  refus  d'embauchage  ou  de 
renvoi,  la  mise  en  iyiterdit  prononcée  par  le  syndicat  et  dans  un 
but  autre  que  d'assurer  les  conditions  du  travail  fijcées  par  lui  et 
la  jouissance  des  droits  reconnus  aux  citoyens  par  les  lois,  constituent 
un  délit  civil  et  donnent  lieu  à  l'action  en  réparation  du  préjudice 
causé.  Cette  action  peut  être  exercée  soit  par  la  partie  lésée,  soit  dans 
le  cas  prévu  au  paragraphe  l*»"  par  le  syndicat. 

(Déposé  par  M.  Waldeck-Rousseau,  le  14  novennbre  1899). 

(3)  Ce  serait  ià  un  excellent  moyen  pratique  de  développer  le  mou- 
vement syndical. 


â92  DEUXIÈMK    PARTIK.    CHAPITRE    III 

et  même  un  ex-syndiqué,  si,  son  départ  de  chez  le  patron 
lui  ayant  causé  un  tort,  le  patron  recourt  en  dommages 
intérêts  contre  le  syndicat.  Celui-ci  poursuivrait  alors  l'ou- 
vrier, non  pour  avoir  donné  sa  démission  du  syndicat, 
mais  pour  inexécution  de  ses  eng-agements. 

Or  ce  double  résultat  ne  peut  évidemment  être  obtenu 
que  par  une  législation  spéciale. 

Ajoutons  enfin  pour  être  complet  que  la  réglementation 
légale  du  contrat  collectif  serait  encore  justifiée,  comme 
les  dispositions  du  Code  sur  les  vices  du  consentement, 
par  la  nécessité  très  légitime  de  faire  respecter  la  liberté 
du  contrat.  L'ouvrier  en  ce  sens  est  comparable  au  mi- 
neur :  il  subit  les  conditions  de  travail  qu'il  se  laisse  im- 
poser, parce  qu'il  ne  peut  faire  autrement. 

«  Une  forme  collective  tend  à  donner  au  contrat  un  ca- 
ractère vraiment  conventionnel:  seul  ce  contrat  de  collec- 
tivité donne  définitivement  la  réalité  au  principe  d'égalité 
du  contrat  d'individu  à  individu.  C'est  ce  droit  public  qui 
fait  sortir  le  droit  civil  du  domaine  de  l'abstraction  et  de 
l'illusion  (1).  » 

Les  motifs  d'utilité  sociale  ne  sont  ni  moins  nombreux, 
ni  moins  puissants  que  les  motifs  de  justice  :  les  bienfaits 
du  contrat  collectif  au  pointde  vue  social  ne  sont  plus  à  dis- 
cuter (2)  :  Augmentation  de  salaires,  réduction  de  la  jour- 
née de  travail,  améliorations  au  point  de  vue  de  l'hygiène 
tels  sont  ses  résultats  indirects,  mais  le  résultat  le  plus  ap- 
préciable, à  côté  de  cette  amélioration  du  sort  de  l'ouvrier. 


(J)  M.  H.  Denis,  discussion  à  la  Ch.  des  représentants  Belge  de  la 
loi  sur  le  contrat  de  travail  (séance,  8  mars  1899).  Archives  parle- 
mentaires, p.  770. 

(2)  Voir  nos  conclusions,  Avenir  du  contrat  collectif. . 


LE   CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMAIN  293 

est  incontestablement  une  diminution  notable  du  nonibrc 
des  grèves. 

On  pourrait  ajouter  encore  comme  motif  d'intervention 
législative  dans  le  contrat  de  travail,  que  ce  contrat  touche 
au  droit  des  personnes  (1)  en  ce  sens  qu'il  crée  un  lien 
de  soumission  et  de  dépendance  de  l'ouvrier  vis-à-vis  du 
patron:  le  contrat  du  travail  est  un  contrat  siii  generis, 
à  isoler  des  autres  contrats  et  à  rapprocher  de  la  théorie 
des  droits  personnels,  parce  qu'il  attribue  toute  la  force  du 
travailleur  à  une  seule  fin  et  fait  dépendre  la  personne  de 
l'ouvrier  et  de  sa  famille  de  ce  contrat.  Il  n'y  aurait  d'ail- 
leurs là  que  le  développement  de  certaines  dispositions  du 
Code  qui  reposent  exactement  sur  la  môme  idée  :  quiconque 
admet  l'article  1780  :  «  on  ne  peut  engager  ses  services 
qu'à  temps,  ou  pour  une  entreprise  déterminée  »,  ne  sau- 
rait repousser  la  réglementation  du  contrat  collectif  qui 
repose  exactement  sur  le  même  principe. 

Ainsi  application  de  la  règle  actuelle  d'intervention 
d'Etat,  droit  des  personnes  engagé  dans  la  question,  néces- 
sité de  faire  respecter  la  liberté  du  contrat,  avantages  cer- 
tains au  point  de  vue  de  l'utilité  sociale,  telles  sont  les 
quatre  raisons  générales  au  nom  desquelles  l'intervention 
d'État  s'impose  en  notre  matière. 


{{)  Cf.  Les-lrès  intéressantes  discussions  du  Conf/rès  international 
de  la  législation  douanière  et  de  la  réglementation  du  travail.  .\n- 
vers.  12-17  septembre  1898.  2  vol.  4«  Question.  —  M.  Vaës  dans  son 
rapport  va  d'ailleurs  plus  loin  que  nous  et  demande  que  la  loi  défi- 
nisse les  devoirs  des  patrons  vis-à-vis  des  ouvriers  et  réciproquement  ; 
on  peut  préférer  comme  solution  moins  étatiste,  celle  où  la  loi  amène 
indirectement  le  respect  de  ces  devoirs. 


294  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE  JII 


B.  —  Systèmes  proposés  et  solution  préconisée. 

A  propos  de  celte  intervention  d'Etat  dans  le  contrat  col- 
lectif, nous  trouvons  toutes  les  gammes  et  toutes  lés 
nuances  possible  depuis  l'arbitrage  obligatoire  comme  en 
Nouvelle-Zélande  et  dans  le  canton  de  Genève  jusqu'à 
l'absence  absolue  de  réglementation  légale  comme  en 
Angleterre  :  passons  rapidement  en  revue  les  législations 
étrangères  en  les  classant  par  catégories  à  ce  sujet. 

On  peut  à  cet  égard  ranger  les  divers  pays  au  point  de 
vue  de  la  réglementation  légale  du  contrat  collectif  en  trois 
groupes  : 

I.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  n'a  pas  d'e?[istence 
légale  ; 

II.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  reconnu  comme 
convention  privée  entre  les  parties; 

III.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  spécialement  ré- 
glementé et  possède  à  un  degré  variable  une  force  obli- 
gatoire. 

I.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  n'a  pas  d'existence 
légale.  —  Par  un  paradoxe  des  plus  piquants  et  des  plus 
intéressants,  c'est  précisément  en  Angleterre,  qui  est  la 
terre  natale  du  contrat  collectif,  que  nous  constatons  cette 
absence  de  réglementation  légale. 

En  effet  la  section  4  du  Trade-Union  Act  de  1871  (1) 
dispose  : 


(1)  L'histoire  du  contrat  collectif  au  point  de  vue  légal  en  Angle- 
terre présente  une  grande  analogie  avec  cette  histoire  en  France  : 
nous  ne  pouvons  nous  y  engager  ici.  Cf  :  B,  et  S.   Webb,  Industrial 


LR   COiNTRAT   COLLECTIF    DE   DEMAIN  295 

«  Rien  dans  cet  Act  ne  rendra  une  Cour  capable  de  re- 
cevoir un  action  légale  introduite  dans  le  but  direct  de 
faire  augmenter  ou  de  recouvrer  des  dommages  pour  la 
rupture  d'un  des  contrats  suivants  : 

1**  Les  engagements  pris  par  des  associés  de  vendre  ou 
de  ne  pas  vendre  leurs  biens,  d'accepter  ou  de  refuser 
certains  emplois  ou  certains  genres  de  travail  et  ce  pen- 
dant la  durée  de  la  société... 

Et  surtout  5"  les  arrangements  pris  entre  plusieurs 
unions  (1). 

Cette  disposition  se  ressent  sans  doute  des  ancienne» 
dispositions  prohibitives  de  la  législation  anglaise  sur  les 
Trade-Unions  ;  mais  à  l'époque  elle  a  été  surtout  intro- 
duite dans  la  législation  sur  le  désir  formel  des  unions, 
qui  craignaient  le  contrôle  des  tribunaux. 

D'ailleurs  un  mouvement  d  idées  s  est  déjà  dessiné  en 
Angleterre  en  faveur  d'une  réforme  législative  :  une  pro- 
position du  duc  de  Devonshire  et  de  plusieurs  de  ses  col- 


Democracy  ;  voir  nolamment  vol.  II,  Appendice  I,  et  aussi  IV  et  V 
rapport  de  la  Commission  Royale  du  travail  1894.  On  peut  seulement 
indiquer  que  celte  histoire  fut  dominée  d'abord  par  la  réglementa- 
tion légale  du  travail  (jusqu'en  1814,  abrogation  de  la  législation 
d'Elisabeth,  il  n'est  pas  question  du  contrat  collectif),  puis  par  la 
prohibition  des  coalitions  comme  en  France,  jusqu'en  1824  ;  malgré 
cela  quelques  accords  de  pacifiques  ont  lieu  comme  en  France  entre 
ouvriers  et  patrons.  En  1825  on  limite  la  liberté  des  coalitions  :  on 
rétablit  le  délit  de  conspiracy  (common  law)  mais  on  admet  que  les 
poursuites  ne  pourront  avoir  lieu  si  :  !<>  les  coalitions  ont  pour  but 
le  règlement  des  salaires  ou  la  durée  du  travail  ;  2o  si  elles  ne 
visent  à  agir  que  sur  lés  conditions  du  travail  des  personnes  qui 
en  font  partie  :  le  contrat  collectif  était  dès  lors  légalement 
permis. 

(I)  .\nnuaire  de  législation  étrangère,  1871,  p.  56. 


296  DEUXIÈME    PARTIK.    CHAPITRE    III 

lèg'ues  (1),  membres  de  la  commission  du  travail,  faite  au 
nom  de  la  minorité,  avait  pour  objet  de  rendre  les  Trade- 
Unions  capables  de  passer  des  contrats  collectifs  lég-ale- 
ment  obligatoires  au  nom  de  tous  leurs  membres  :  ainsi 
une  fois  le  contrat  collectif  signé,  les  parties  eussent  été 
responsables  en  dommages-intérêts  sur  leurs  fonds  pro- 
fessionnels de  la  rupture  du  contrat  par  quelqu'un  de 
leurs  membres  et  eussent  été  autorisées  d'autre  part  à  re- 
couvrer ces  dommages-intérêts  payés  à  l'union  contrac- 
tante contre  les  individus  qui  auraient  enfreint  le  trai- 
té  (2). 

La  question  est  importante  et  vaut  qu'on  s'y  arrête  : 
car  dans  ce  débat  enire  la  majorité  et  la  minorité  de  la 
commission,  c'est  toute  la  question  de  l'opportunité  de  la 
reconnaissance  légale  du  contrat  collectif  qui  est  engagée. 

Voici  donc  les  arguments  qu'on  faisait  valoir  de  part  et 
d'autre. 

En  faveur  de  la  reconnaissance  légale,  la  minorité  de 
la  commission  faisait  observer  qu'il  y  avait  actuelle- 
ment, dans  le  contrat  collectif  tel  qu'il  était  passé  en  fait, 
«  action  collective  sans  responsabilité  légale  collective  »  : 
au  fond  les  deux  parties,  puisque  la  poursuite  en  domma- 
ges-intérêts au  cas  d'inexécution  est  impossible,  n'avaient 
qu'un  lien  moral  au-dessus  d'elles. 

On  proposait  alors  de  donner  aux  Trade-Unions  tant 
patronales    qu'ouvrières     une    personnalité    légale    plus 


(1)  Notamment  les  membres  patrons  de  la  commission  suivants  : 
M.  Thomas  Ismay,  propriétaire  de  navires,  M.  Georges  Livesey,  direc- 
teur de  Cie  du  gaz,  M.  William  Tunstell,  directeur  de  Cie  de  chemins 
de  fer. 

(2)  Firth  and  Final  Report,  p.  dloet  suivant. 


1^   CONTRAT   COLLECTIF   DE    DEMAIN  297 

compile  qui  leur  permettrait  d'assurer  robservation 
des  contrats  collectifs  :  on  n'établirait  pas  un  type  de 
contrat  léfçal  obligatoire  mais  on  donnerait  aux  unions 
la  faculté  de  poursuivre  au  cas  d'inexécution,  la  partie 
«jui  n'exécute  pas,  sauf  le  recours  de  celle-ci  contre  ses 
membres. 

Le  projet  réservait  d'ailleurs  la  possibilité  de  déclarer 
par  stipulation  expresse  que  tel  contrat  spécial  entre 
unions  ne  serait  pas  obligatoire  légalement  (1). 

—  La  majorité  de  la  commission,  frappée  de  la  question 
de  la  personnalité  des  Trade-Unions  plus  encore  que  de  la 
question  du  contrat  collectif,  voyait  dans  ces  poursuites 
possibles  un  danger  pour  la  richesse  des  Trades-Unions 
et  un  risque  pour  leurs  caisses  de  secours  «  Exposer  les 
sociétés  puissantes  du  pays,  avec  leurs  fonds  accumulés, 
atteignant  parfois  un  quart  de  million  de  livres  sterlings, 
à  des  poursuites  en  dommages-intérêts  par  un  employé, 
ou  par  un  membre  mécontent,  ou  par  un  non  unioniste, 
pour  l'action  de  quelque  secrétaire  ou  délégué,  serait  une 
grande  injustice  (2).  Le  Trade-Unionisme  deviendrait  im- 
possible avec  les  honoraires,  frais  de  justice  et  amendes, 
même  pour  les  ouvriers  les  plus  aisés  et  qui  auraient  le 
plus  d'expérience.  » 

En  somme  la  proposition  échoua  par  l'opposition  des 
Trade-Unionistes  qui  repoussèrent  la  personnalité  légale 


(1)  Le  rapport  indiquait  en  outre  rélablissement  de  quelques  condi- 
tions légales  :  io  Nécessité  d'indiquer  dans  le  contrat  la  durée  de  va- 
lidité et  le  délai  pour  demander  une  modiûcation  ;  2»  L'enregistre- 
ment de  ces  contrats  pour  les  soumettre  à  l'inspection. 

(2)  Id.,  rapport  cité,  p.  146.  Comme  on  le  voit,  c'est  par  des  rai- 
sons extrinsèques  que  le  projet  était  combattu. 


298  DEUXIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE   III 

qu'elle  impliquait,  par  crainte  de  voir  les  membres  des 
Unions  traduits  en  justice  (i). 

Il  est  certain  qu'au  point  de  vue  de  la  stabilité  du  con- 
trat collectif  le  projet  du  duc  Devonsbire  était  des  plus 
beureux  :  mais  ici  comme  souvent,  les  mœurs  sont  plus 
fortes  que  la  loi  et  les  fortes  organisations  anglaises,  tant 
patronales  qu'ouvrières,  sont  la  meilleure  garantie  d'exé- 
cution du  contrat  collectif. 

D'ailleurs  tout  récemment  la  question  de  la  possibilité 
de  l'action  des  Trade-Unions  en  justice  vient  de  prendre 
un  nouvel  aspect.  Sans  doute,  ce  n'est  pas  directement  le 
droit  pour  les  Trade-Unions  de  poursuivre  en  justice  l'exé- 
cution du  contrat  collectif  qui  a  été  reconnu  par  les  tri- 
bunaux ;  mais  une  décision  de  principe  donnée  par  la 
Cliambre  des  Lords  est  intervenue  qui  pourrait  fort  bien 
avoir  cette  conséquence.  Voici  à  quelle  occasion  a  été  ren- 
due cette  importante  décision  qui  fera  sans  doute  jurispru- 
dence. 

A  la  suite  d'un  conflit  entre  la  Tujf  Vale  Railway 
Company  et  ses  ouvriers,  une  action  avait  été  intentée 
par  la  Compagnie  contre  \ Amalgamât ed  Society  of 
Railway  servatits  (société  des  employés  de  chemin  de  fer), 
trade-union  enregistrée.  La  Compagnie  prétendait  empê- 
cher la  société,  ses  employés,  agents  de  surveiller  ou  as- 
siéger {beset)  les  stations  de  la  Great  Western  Railway 
pour  empêcher  tout  employé  occupé  parla  Compagnie  ou 


(i)  Sidney  Webb  (Industrial  Democracy,  11,  p.  534)  remarque 
très  juslement  que  la  personualilé  civile  complète  n'était  pas  une 
conséquence  forcée  du  projet.  On  aurait  pu  se  contenter  d'une  res- 
ponsabilité slriclement  limitée  au  cas  de  contrat  collectif  et  même 
par  des  pénalités  fixées  conventionnellement. 


LE   CONTRAT  COLLRCTIP  DE    DEMAIN  299 

voulant  obtenir  du  travail,  de  travailler  pour  la  Compa- 
gnie et  pour  lui  faire  rompre  les  contrats  avec  cette  Com- 
pagnie. La  Société  d'employés  répondit  qu'elle  n'était  ni 
une  corporation,  ni  un  individu  et  qu'elle  ne  pouvait  par 
suite  être  poursuivie.  Le  juge  de  première  instance  re- 
fusa ce  moyen  de  droit  et  accorda  une  injonction  tempo- 
raire, comme  le  demandait  la  Compagnie  contre  la  Trade- 
Union  (1). 

Celle-ci  fît  appel  de  celte  décision  et  la  Cour  d'appel 
décida  que  rien  dans  les  Trade-Unions  Acts  ne  rendait 
une  Trade-Union  capable  d'être  poursuivie  sous  son  nom 
enregistré,  déchirant  que  l'action  n'était  pas  recevable 
contre  la  Trade-Union.  C'était  le  maintien  de  l'état  de  ju- 
risprudence que  nous  avons  indiqué  (2). 

Mais  la  Compagnie  fit  appel  à  la  Chambre  'des  Lords. 
Et  celle-ci  vient  de  décider  (3)  qu'une  Trade-Union  enre- 
gistrée pouvait  être  poursuivie,  cassa  le  jugement  de  la 
Cour  d'appel  et  fit  revivre  celui  de  première  instance. 

Ainsi  la  Trade-Union,  d'après  la  récente  jurisprudence 
anglaise  pourrait  avoir  l'accès  des  tribunaux  comme  dé- 
fenderesse et  probablement  aussi  comme  demanderesse.  Le 
dernier  congrès  des  Trade-Unions  de  Swansea  (1901) 
semble  avoir  considéré  celte  décision  comme  définitive  et 
l'avoir  implicitement  acceptée  :  une  résolution  a  été  votée 
pour  lever  une  contribution  particulière  en  vue  des  frais 
nécessités  par  la  défense  à  une  action  en  justice. 

Ainsi  il  se  pourrait  que  l'ancien  état  de  choses  futquel- 


(i)  Labour  Gazette,  sept.  19C0,  p.  264-2G5. 

(2)  Labour  Gacette,  déc.  1900,  p.  3(il. 

(3)  Id.,  aoùl  1901,  p.  237. 


300  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

que  peu  ébranlé  et  que  la  proposition  du  duc  de  Devon- 
shire  fut  réalisée  par  la  jurisprudence.  C'est  une  nouvelle 
porte  ouverte  au  contrat  collectif  et  à  son  exécution  en 
justice. 

II.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  reconnu  comme 
contrat  de  droit  privé,  légalement  obligatoire  entre  les 
parties. —  Le  type  de  ces  pays  est  assurément  la  Belg"ique. 
Le  texte  qui  domine  toute  notre  matière  est  l'article  10- de 
la  loi  du  31  mars  1898  sur  les  Unions  professionnelles  : 

«  L'Union  peut  ester  en  justice  soit  en  demandant,  soit 
en  défendant,  pour  la  défense  des  droits  individuels  que 
ses  membres  tiennent  de  leur  qualité  d'associés,  sans  pré- 
judice au  droit  de  ces  membres  d'agir  directement,  de  se 
joindre  à  l'action  ou  d'intervenir  dans  l'instance. 

Il  en  est  ainsi  notamment  des  actions  en  exécution  des 
contrats  conclus  par  l'Union  pour  ses  membres  et  des  ac- 
tions en  réparation  du  dommage  causé  par  l'inexécution 
de  ces  contrats.  » 

Il  semble  résulter  d'ailleurs  de  débats  parlementaires  (1) 
qu'il  y  a  là  deux  actions  distinctes,  que  l'exercice  initial 
de  l'action  par  l'ouvrier  ne  suffît  pas  à  destituer  l'Union 
de  toute  action,  que  celle-ci  peut  toujours  intervenir. 
Mais  étant  donné  la  rédaction  du  texte  et  surtout  les  tra- 
vaux préparatoires  (2),  il  est  probable  que  si  l'Union  laisse 
l'ouvrier  poursuivre  sans  intervenir  à  l'instance,  son  ac- 
tion est  éteinte. 


(1)  Cf.  Notamment  la  réponse  à  M.  Van  Cleempulte  faite  par 
le  rapporteur  à  la  Cliambre  des  lieprésentants,  M.  de  Sadeleer  (Sé- 
ance du  3  décembre  1897). 

(2)  Le  projet  du  gouvernement  donnait  cette  action  aux  Unions 
seules.  «  11  n'appartient  qu'aux  Unions  professionnelles...  » 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   DE   DEMAIN  301 

La  loi  du  10  mars  1900  sur  le  conlrat  de  travail  ni-ii- 
globe  pas  dans  sa  définilion  (arl.  l*""^)  le  conlrat  collectif  : 
«  La  présente  loi  régit  le  conlrat  par  lequel  un  ouvrier 
s'engage  à  travailler  sous  l'autorité,  la  direction  et  la  sur- 
veillance d'un  chef  d'entreprise  ou  patron,  etc.  »  Lors 
de  la  discussion  de  cet  article,  malgré  quelques  obscUri- 
rités  de  détail,  on  précisa  le  droit  formel  pour  l'Union  de 
passer  le  contrat  collectif  et  d'en  demander  l'exécution  en 
justice.  Peut-être  cependant  l'idée  un  peu  étroite  de  man- 
dat pour  stipuler  les  conditions  du  travail  et  l'idée  que 
cette  action  donnée  au  syndicat  n'était  que  l'exercice  des 
actions  individuelles  arrêtèrent  quelque  peu  le  mouvement 
législatif  (1),  mais  au  point  de  vue  pratique  il  est  certain 
que  le  contrat  collectif  est  reconnu  en  Belgique,  avec  quel- 
ques réserves  de  détail  nécessaires  à  faire  (2). 

Aux  Pays-Bas  la  situation  est  à  peu  près  la  même.  Une 
loi  du  2  mai  1897  sur  les  Chambres  de  travail  est  venue 


(1)  Cf.  L'amendemenl  de  M.  Denis  lors  de  la  discussion  de  l'art.  \. 

(2)  La  question  est,  eu  effet,  très  délicate  et  l'interprétation  de  l'ar- 
ticle 10  de  la  loi  Belge  du  31  mars  1898  sur  les  Unions  profession- 
nelles est  difficile  à  préciser. 

Le  projet  Bergerenn  était  beaucoup  plus  favorable  au  contrat  collec- 
tif :  il  donnait  au  syndicat  seul  l'action  en  exécution  :  par  crainte  de 
tyrannie  syndicale,  la  commission  modifia  ce  projet  en  rétablissant  le 
droit  des  membres  d'agir  directement  :  il  résulte  de  toutes  ces  modifi- 
cations (p.  les  détails,  voir  Briquet:  Législation  belge  sur  les  Unions 
professionnelles,  p.  229.)  que  la  renonciation  de  l'individu  ou  la  tran- 
saction consentie  par  lui  éteignent  du  même  coup  l'action  individuelle 
et  l'action  du  syndicat.  Ollc  dernière,  n'étant  conçue  que  comme  la 
défense  par  le  syndicat  de  l'intérêt  individuel,  disparait  avec  lui.  C'est 
là  une  situation  fâcheuse,  surtout  au  point  de  vue  du  contrat  collec- 
tif :  juridiquement  il  n'y  a  plus  de  contrat  collectif  si  le  syndicat  n'a 
pas  pris  l'initiative  de  la  demande  en  exécution  et  en  réparation  du 
préjudice  causé. 


302  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    jll 

reconnaître,  indirectement  il  est  vrai,  le  contrat  collectif. 
Les  chambres  sont  érigées  par  arrêté  royal,  lorsque  le  be- 
soin s'en  fait  sentir  et  qu'une  composition  convenable  pa- 
raît possible  :  elles  sont  créées  pour  un  ou  plusieurs  mé- 
tiers, en  vue  d'une  ou  plusieurs  communes  réunies  (1).  La 
chambre  est  composée  mi-partie  de  patrons  et  d'ouvriers  : 
un  arrêté  royal  fixe  le  nombre  de  chacun  d'eux. 

Une  de  leurs  fonctions  est  de  donner  des  avis  et  de  ré- 
dig-er  des  conventions  à  la  demande  des  intéressés. 

Elles  peuvent  aussi,  en  cas  de  conflit,  servir  d'arbitres 
entre  les  parties. 

Les  premières  chambres  du  travail  furent  érigées  en 
1898  et  elles  sont  plus  de  60,  réparties  dans  26  commu- 
nes. Elles  n'ont  pas  encore  publié  de  rapports  et  il  est  dif- 
ficile de  se  rendre  un  compte  exact  de  leur  rôle  au  point 
de  vue  du  contrat  collectif. 

Néanmoins  on  peut  ranger  la  Hollande  parmi  les  pays 
où  le  contrat  collectif  est  légalement  reconnu. 

A  côté  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande,  il  faut  citer  encore 
les  Etats-Unis  d'Amérique  011,  dans  la  plupart  des  Etats,  les 
contrats  collectifs  sont  reconnus  par  les  tribunaux  :  ils  sont 
alors  des  contrats  civils  et  ne  rentrent  pas  dans  la  catégo- 
rie de  ceux  qui  exposent  la  partie  manquant  à  l'exécution, 
à  des  poursuites  pénales.  Des  dommages-intérêts  peuvent 
être  obtenus,  pourvu  que  l'une  des  parties  se  croie  en  droit 
d'intenter  une  action  pour  rupture  du  contrat,  ou  s'il  y  a 
chance  de  les  obtenir  au  cas  où  une  action  serait  intentée  (2). 


(1)  Voyez  Slruve  :  Rapport  pour  les  Pays-Bas  h  l'Exposition  d'Econo- 
mie sociale  1900,  16©  groupe. 

(2)  Extrait  d'une  réponse  du  Department  of  labor  de  Washington  à 
une  enquête  personnelle. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    DE    DEMAIN  303 

ni.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  spécialement 
réglementé  et  possède  à  quelque  degré  une  force  obli- 
gatoire. —  Dans  celte  dernière  série  de  pays,  le  contrat 
collectif  est  non  seulement  reconnu,  mais  encore  régle- 
menté, si  bien  qu'il  a  dans  une  mesure  variable  une  force 
obligatoire  qui  s'impose  à  tous. 

Ces  pays  sont  la  Nouvelle-Zélande  et  le  canton  de  Genève, 
en  Suisse. 

Le  régime  fort  curieux  de  la  Nouvelle-Zélande  est  ins- 
titué par  un  act  d'avril  1894,  applicable  au  mois  de  jan- 
vier 1895  :  la  loi  porte  pour  litre  :  «  Loi  pour  encoura- 
ger la  formation  des  associations  industrielles  et  faciliter 
la  solution  des  conflits  industriels  par  la  conciliation  et  l'ar- 
bitrage (1).  » 

L'originalité  de  celle  loi  est  d'une  part  le  recours  forcé 
à  l'arbitrage  et  d'autre  part  la  force  obligatoire  donnée  au 
jugement  de  la  Cour  centrale  d'arbitrage  qui  vaut  comme 
contrat  collectif. 

Celle  Cour  centrale  d'arbitrage  (2)  se  compose  de  deux 
délégués  élus  l'un  par  les  associations  de  patrons,  l'autre 
par  les  syndicats  ouvriers  et  d'un  président  désigné  par  le 
gouvernement. 

Les  jugements  sont  rendus  pour  une  durée  fixée  par  la 
Cour  dont  le  maximum  ne  peut  excéder  2  ans  :  à  leur  expi- 


(1)  De  celle  loi  qui  consUlue  tout  un  système  d'arbitrage  obliga- 
toire, nous  n'éludions  ici  que  ce  qui  concerne  spécialement  le  contrat 
collectif.  Pour  le  reste,  Cf.  A.  Métin,  «  La  conciliation  et  l'arbitrage 
en  Nouvelle-Zélande  »,  Revue  d'économie  politique,  1901,  p.  41. 

(2)  Elle  n'est  saisie  qu'après  l'insuccès  du  Conseil  local,  composé  de 
membres  élus  moitié  par  les  syndicats  ouvriers,  moitié  par  les  asso- 
ciations de  patrons. 


304  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITHE    III 

ration  les  parties  peuvent  les  renouveler.  Lo  plus  souvent 
une  sanction  (2S0  fr.  d'amende  au  maximum  pour  un  par- 
ticulier et  12,500  fr.  pour  une  association),  permet  d'as- 
surer l'exécution  de  ces  sentences  arbitrales,  qui  d'ailleurs 
sont  définitives  et  ne  peuvent  être  soumises  ni  à  l'appel, 
ni  à  la  cassation. 

On  conçoit  qu'avec  ce  système,  par  une  série  de  déci- 
sions particulières,  la  Cour  arrive  à  établir  une  sorte  de 
contrat  collectif  obligatoire  pour  tout  le  métier  (1).  Il  faut 
ajouter  que  la  seule  perspective  de  cette  sentence  arbitrale 
doit  faciliter  de  beaucoup  les  accords  proprement  dils  en- 
tre patrons  et  ouvriers. 

Ainsi  le  contrat  collectif  n'est  pas  directement  déclaré 
obligatoire,  mais  tant  parles  conséquences  mêmes  du  sys- 
tème, que  par  la  force  légale  donnée  aux  décisions  arbi- 
trales, on  arrive  à  le  rendre  indirectement  nécessaire. 

Le  second  pays  où  le  contrat  collectif  est  législative- 
ment  réglementé  est,  en  Suisse,  la  République  et  le  canton 
de  Genève,  oii  une  loi  du  10  février  1900  (2)  est  venue 
«  fixer  le  mode  (rétablissement  des  tarifs  d'usage  entre 
OMvWer*  e^yO«^ro?i*  et  régler  les  conflits  relatifs  aux  con- 
ditions de  leurs  engagements  ». 

Ici  encore  ce  nest  que  par  un  détour  que  Ton  airive  au 
résultat  chercbé  :  l'article  l*""  réserve  la  possibilité  de  con- 
ventions spéciales  :  le  contrat  individuel  reste  donc  théo- 
riquement toujours  possible  :  mais  à  défaut  de   ces  con- 


(i)  Les  Conseils  locaux  et  la  Cour  ont  d'ailleurs  le  droit  d'élendre 
une  décision  rendue  dans  un  cas  particulier  à  tous  les  ateliers  ou 
chantiers  de  la  même  profession . 

(2)  Voir  le  texte  des  principaux  articles  concernant  le  contrat  col- 
lectif :  Circulaire,  ]\Iusée  social,  mars  1901. 


LE   CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMAIN  305 

venlioiLS  spéciales,  les  coiuiilioiisd'engag^cmcnl  des  ouvriers 
sont  réglées  par  l'usage  :  ont  force  d'usage,  les  tarifs  et 
conditions  générales  d'engagements  établis  en  conformité 
de  la  présente  loi. 

C'est  donc  la  réglementation  du  contrat  collectif  qui  fait 
Tobjel  propre  de  la  loi  du  10  février  4900.  Il  nous  faut 
donc  étudier  avec  soin  le  système  qu'elle  établit  :  pour 
plus  de  clarté,  on  peut  grouper  le  commentaire  de  celte 
loi  sous  deux  cbefs. 

L'arlicle  2  du  projet  prévoit  l'établissement  de  ces  tarifs 
et  conditions  générales  d'engagements,  soit  par  le  commun 
accord  entre  patrons  et  ouvriers  intéressés,  dûment  cons- 
taté dans  les  limites  fixées  par  la  présente  loi  ;  soit  par  des 
arbitres,  soit  par  la  Commission  centrale  des  Prud'hom- 
mes et  les  délégués  patrons  et  ouvriers. 

A.  —  Le  cas  de  contrat  proprement  dit. 

Le  cas  de  contrat  proprement  dit  est  assurément  le  plus 
original  par  sa  réglementation  :  on  peut  grouper  sous  deux 
idées  les  dispositions  sur  ce  point  : 

a)  Elaboration  du  contrat  collectif. 

6)  Force  du  contrat  collectif. 

a)  Elaboration  du  contrat  collectif.  —  Seules  partici- 
pent à  celte  élaboration  du  contrat  collectif  les  associations 
de  patrons  et  les  associations  d'ouvriers  régulièrement  ins- 
crites au  registre  du  commerce  et  dont  les  statuts  ont  été 
approuvés  par  le  Conseil  d'Etat  (art.  3)  (1)  —  ou  à  leur 
défaut,  les  patrons  et  ouvriers  de  la  profession,  régulière- 
ment établis  à  Genève  depuis  plus  de  3  mois. 


(1)  Le  même  article  fixe  les  coDdilions  d'approbation. 

RATKACn  90 


30G  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    1I[ 

Ces  associations  convoquent  par  voie  crafficlies  trois 
jours  au  moins  à  l'avance  des  réunions  plénières  de  leurs 
associations  respectives  (1).  Ces  assemblées  nomment  au 
bulletin  secret,  des  représentants  en  nombre  égal,  soit 
sept  patrons  et  sept  ouvriers,  à  moins  qu'elles  ne  s'enten- 
dent pour  en  élire  un  cliiffre  inférieur  :  au  cas  de  plu- 
sieurs associations  similaires  dans  un  même  métier,  elles 
désignent  cbacune  un  nombre  de  délégués  proportionnel 
à  celui  de  leurs  membres. 

La  loi  fixe  aussi  les  qualités  que  devront  remplir  les  dé- 
légués :  seuls  pourront  être  nommés  délégués,  ceux  qui, 
avant  leur  nomination  ont  travaillé  de  la  profession  pen- 
dant dix-buit  mois  au  moins,  en  une  ou  plusieurs  pério- 
des, dans  le  canton  de  Genève. 

Les  délégués  ainsi  nonnnés  se  réunissent  et  prennent 
leurs  décisions  à  la  majorité  des  3  4  des  membres  délégués 
(art.  S)  ;  ces  décisions  sont  consignées  dans  un  procès- 
verbal  en  quatre  exemplaires  signés  par  les  acceptants  ; 
un  exemplaire  reste  entre  les  mains  des  délégués  patrons, 
un  autre  entre  celles  des  délégués  ouvriers,  les  deux  au- 
tres sont  déposés,  l'un  au  greffe  des  tribunaux  de  prud'bom- 
mes  et  l'autre  au  Département  du  commerce  et  de  l'indus- 
trie où  il  est  mis  à  la  disposition  des  intéressés  qui  voudront 
les  consulter. 

Les  modifications  ou  les  compléments  à  un  tarif  en 
vigueur  sont  soumises  à  la  même  procédure  que  l'élabo- 
ration d'un  tarif  complet  (art.  16). 


(1)  A  défaut  d'associations  patronales  ou  ouvrières,  la  réunion  plé- 
nière  des  intéressés  est  convoquée  par  le  Conseil  d'Etat  sur  la  deman- 
de écrite  du  cinquième  des  électeurs  prud'hommes  de  la  profession 
inscrits  au  tableau,  ouvriers  ou  patrons  (art.  4). 


LE   CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMAIN  307 

b)  Force  du  contrat  collectif.  —  Les  tarifs  et  condi- 
tions ainsi  établis  demeurent  en  vigueur  pour  la  durée 
qui  y  sera  stipulée,  mais  qui  ne  pourra  toutefois  excéder 
5  ans  et  dont  réchéance  devra  être  fixée  pour  la  fin  d'une 
année  civile. 

Il  y  a  renouvellement  tacite  d'année  en  année  s'il  n'y  a 
pas  eu  dénonciation  de  part  ou  d'autre  un  an  au  moins 
avant  Téchéance  d'un  terme;  la  loi  prévoit  toutefois  le  cas 
où  par  entente  amiable  entre  délégués  ouvriers  et  patrons 
la  durée  du  tarif  et  le  délai  de  dénonciation  pourront  être 
inférieurs  à  un  an  (art.  6). 

D'ailleurs  jusqu'à  l'adoption  d'un  nouveau  tarif,  l'ancien 
continuera  à  être  applicable. 

Les  tarifs  et  conditions  d'engagement  ainsi  établis  s'ap- 
pliquent comme  tarifs  d'usage,  à  défaut  de  contrat  spécial  : 
en  règle  donc,  ils  s'imposent  à  tous  les  membres  patrons 
et  ouvriers  de  la  profession  :  il  est  certain  en  effet  qu'en 
réalité  les  patrons  ne  pourraient  guère  déroger  par  des 
conventions  particulières,  bien  qu'ils  en  aient  le  droit,  aux 
tarifs  généraux  ainsi  établis. 

D'ailleurs  l'article  15  dispose  que  pendant  la  durée  d'un 
tarif  en  vigueur,  aucune  suspension  de  travail  ne  pourra 
être  décrétée  ni  par  les  patrons  ni  par  les  ouvriers  dans  le 
but  de  modifier  ce  tarif.  Des  dispositions  pénales  (peines 
de  police)  punissent  tout  appel  à  une  suspension  par- 
tielle ou  générale  de  travail  en  violation  d'un  tarif  exis- 
tant ou  en  contravention  aux  dispositions  de  la  présente 
loi. 

B.  —  Etablissement  du  tarif  par  arbitrage. 

Au  cas  où  les  délégués  ne  parviendraient  pas  à  se  met- 
Ire  d'accord,  la  loi  prévoit  (art.  8-12)  la  tentative  de  cou- 


308  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    111 

ciliation  par  le  Conseil  d'Etat  :  le  ou  les  délégués  du  Con- 
seil d'Etat  cherchent  seulement  à  obtenir  la  majorité  des 
3/4  nécessaire  pour  le  contrat  collectif. 

Au  cas  oij  cette  tentative  échoue,  la  Commission  centrale 
des  Prud'hommes  se  réunit  dans  les  6  jours  :  elle  se  réu- 
nit aux  délég-ués  nommés  ou  au  besoin  les  nomme  d'office 
et  à  la  réunion  ainsi  convoquée,  les  membres  présents  sta- 
tueront à  la  majorité  et  au  bulletin  secret  sur  les  préten- 
tions des  parties. 

Toutefois  dans  ce  cas  spécial  d'arbitrage,  les  ouvriers 
ne  pourront  déclarer  le  mise  en  vigueur  d'un  tarif  dans 
une  profession  où  il  n'en  existe  pas  qu'après  un  délai  mi- 
nimum de  six  mois  après  leur  décision,  à  moins  que  les 
patrons  n'acceptent  d'un  commun  accord  un  délai  plus 
court. 

Telle  est,  brièvement  résumée,  la  nouvelle  législation  — 
très  complète  —  comme  on  vient  de  le  voir,  du  canton  de 
Genève,  établie  parla  loi  du  10  février  1900  (1). 

Il  y  a  sans  doute  bien  des  imperfections  que  l'usage  seul 
permettra  de  corriger  ;  cependant  de  cette  étude  on  peut 
retenir  quelques  conclusions  au  point  de  vue  doctrinal. 

Il  est  certain  que  cette  réglementation  du  contrat  collec- 
tif pour  tout  le  métier  aura  un  effet  direct,  bien  qu'il  ne 


(1)  La  date  récente  de  celle  loi  ne  permet  pas  d'en  étudier  encore 
la  valeur  pratique  :  une  première  application  en  est  brièvement  rap- 
portée dans  une  circulaire  du  Musée  social  (1901,  no  3,  mars,  p.  88). 

II  parait  que  dans  ce  long  conflit  entre  les  ouvriers  employés  au  fer- 
rage des  chevaux,  réclamant  un  salaire  minimum  de  10  centimes  à 
leurs  patrons—  la  loi  aurait  mal  fonctionné  au  point  de  vue  de  la 
tentative  de  conciliation  :  mais  le  6  janvier  1901.  un  contrat  collectif 
intervint  entre  patrons  et  ouvriers  :  la  loi  semble  donc  sur  ce  point 
au  moins  avoir  eu  indirectement  un  effet  utile. 


LE    CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMAIN  309 

s'applique  quà  défaut  de  conventions  spéciales,  pour  pro- 
mouvoir les  contrats  collectifs  spéciaux  à  certains  établis- 
sements. 

Il  est  à  remarquer  ensuite  que  cette  législation  est 
entrée  résolument  dans  la  voie  de  la  force  obligatoire 
donnée  aux  décisions  des  majorités  :  ici  la  liberté  indus- 
trielle tant  patronale  quouvrière  est  réservée  par  la  pos- 
sibilité de  conventions  spéciales. 

Pour  le  reste  de  la  réglementation  légale,  il  y  aurait 
lieu  de  retenir  le  mode  d'élection  des  délégués  par  toutes 
les  assemblées  plénières  du  métier,  ce  qui  semble  assurer 
la  véritable  représentation  professionnelle. 

De  toute  façon,  il  y  a  là  une  législation  des  plus  mo- 
dernes dont  la  réglementation  du  contrat  collectif  que  nous 
cliercbons  à  préciser,  devrait  assurément  s'inspirer. 

Une  dernière  question  s'impose  à  nous  après  cette  revue 
rapide  des  .systèmes  législatifs  :  quelles  seraient  pour  la 
France  les  réformes  les  plus  utiles  ? 

Avant  de  préciser  nos  conclusions  juridiques,  il  importe 
de  lixer  exactement  l'idéal  qui  est  à  poursuivre. 

Cette  longue  étude  nous  a  permis  d'établir  que  la  valeur 
sociale  du  contrat  collectif —  au  point  de  vue  de  la  justice, 
—  réside  précisément  d'une  part  en  ce  qu'il  corrige  la  si- 
tuation inégale  des  parties  dans  le  contrat  de  travail  et 
d'autre  part  en  ce  qu'il  conserve  le  régime  de  la  liberté  in- 
dustrielle avec  tous  ses  avantages  :  c'est  donc  la  valeur 
formelle  (1)  — et  rien  que  cette  valeur  formelle,  qui  nous 
permet  de  conclure. 

I.  —  Dès  lors  un  premier  point  s'impose  au  moins  com- 


(1)  C'est-à-dire  qui  lui  est  donnée  par  sa  forme  même,   quelles 
que  soient  les  clauses  qu'il  contient. 


310  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   III 

me  un  minimum  (1),  qui  doit  rallier,  semble-t-il,  l'unani- 
mité des  suffrages. 

Il  est  indispensable  d'assurer  la  reconnaissance  légale 
du  contrat  collectif  en  France  :  c'est  là  une  première 
réforme  qui  s'impose. 

Elle  consisterait  à  reconnaître  par  un  texte  de  loi  (2)  le 
droit  des  syndicats  de  passer  le  contrat  collectif  et  surtout 
le  droit  de  ces  syndicats  d'ester  en  justice  pour  en  assurer 
l'exécution. 

Il  y  a  dans  les  rapports  nés  du  contrat  collectif  une  sé- 
rie de  relations  juridiques  nouvelles  très  importantes 
qu'il  importe  au  plus  haut  point  de  réglementer.  Une  ré- 
forme législative  complète  devrait  à  cet  égard  comprendre 
plusieurs  points  : 

Par  interprétation  de  la  volonté  des  parties,  la  loi  devrait 
reconnaître  : 

1°  Le  droit  du  syndicat  de  poursuivre  le  patron,  et  réci- 
proquement le  droit  du  patron  de  poursuivre  le  syndicat, 
pour  violation  du  contrat  collectif  ; 

2°  Le  droit  du  syndicat  de  se  retourner  contre  ses 
membres  et  d'une  manière  générale  contre  tout  ouvrier 
ayant  accepté  le  contrat,  pour  violation  de  ce  même  contrat  ; 

3°  La  possibilité  de  co7iventio?is  dérogatoires  indivi- 
duelles établissant  des  conditions  du  travail  plus  favora- 


(1)  Discussion  du  système  :  Royal  commission  of  Labour,  final 
report,  p.  54. 

(2)  Inséré  par  exemple  dans  le  projet  de  revision  de  la  loi  du  21 
mars  1884  sur  les  syndicats  professionnels.  C'est  là  d'ailleurs  une 
réforme  législative  de  pure  forme  en  quelque  sorte,  puisqu'elle  ne  fe- 
rait que  consacrer  une  jurisprudence  déjà  considérable.  Elle  aurait 
le  grand  avantage  de  mettre  fin  aux  incertitudes  de  la  jurisprudence 
et  de  donner  plus  de  sécurité  aux  relations  juridiques  nées  du  contrat. 


LE    CONTRAT    COLLECTIF    DE    DEMAIN  311 

bles  que  celles  stipulées  au  contrat  collectif  :  par  suite  la 
nullité  de  toutes  clauses  du  contrat  individuel,  stipulant 
des  conditions  du  travail  inférieures  à  celles  obtenues  par 
le  syndicat  (1)  ; 

4"  Le  droit  des  parties  d'obtenir  des  dommages-intérêts 
au  cas  d'inexécution  de  tout  ou  partie  du  contrat  se  mon- 
tant à  la  réparation  de  tout  le  préjudice  causé. 

On  aurait  ainsi  le  contrat  collectif  facultatif:  il  convient 
de  remarquer  qu'à  côté  du  contrat  collectif,  entre  le  syn- 
dicat et  le  patron  ou  l'association  de  patrons,  subsisterait 
le  contrat  actuel  de  louage  de  travail  ;  que  l'ouvrier  con- 
serverait son  action  en  exécution  du  contrat  individuel 
comme  aujourd'bui,  nettement  distincte  de  l'action  syn- 
dicale. 

Ce  ne  serait  en  somme  que  la  consécration  juridique 
de  l'état  de  fait  actuel,  qui  serait  ainsi  transformé  en  état 
de  droit. 

A  ce  premier  projet  de  réformes,  on  peut  faire  sans 
doute  quelques  objections,  qui  ne  portent  pas  sur  l'objet 
même  de  la  réforme,  mais  sur  son  inutilité  et  sur  son  peu 
d'opportunité  : 

On  dira  sans  doute  et  on  a  déjà  dit  :  où  est  l'avantage 
de  sanctionner  ainsi  juridiquement  les  obligations  nées 
du  contrat  collectif?  Le  recours  du  patron  contre  le  svndi- 


(1)  Par  exemple  un  contrat  collectif  stipule  un  minimum  de  salaire 
de  G  francs  par  jour  et  une  durée  du  travail  maximade  10  heures.  Un 
contrat  individuel  pourrait  stipuler  un  salaire  de  7  francs  el  une  durée 
de  9  h.  1  â  :  mais  s'il  contenait  une  clause  dérogeant  aux  conditions 
du  contrat  collectif  (5  francs  de  salaire  ou  iO  h.  12  comme  temps  de 
travail)  cette  clause  serait  nulle. 


312  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

cat   sera  toujours  illusoire,    celui-ci    étant  la    plupart  du 
temps  insolvable  ? 

L'objection  porte  assurément  en  l'état  actuel  des 
choses  : 

Mais,  avec  le  nouveau  projet  du  gouvernement  aug- 
mentant la  personnalité  civile  du  syndicat,  il  est  certain 
que  celui-ci,  s'il  comprend  ses  véritables  intérêts,  imitera 
l'exemple  des  Trade-Unions  anglaises,  se  constituera 
un  patrimoine,  établira  diverses  caisses  de  résistance,  de 
secours  et  que  le  patron  trouvera  là  à  la  fois  un  encoura- 
gement pour  traiter  avec  le  syndicat  ouvrier  et  une  ga- 
rantie en  cas  d'inexécution. 

On  ajoute  encore  :  comment  le  syndicat  pourra-t-il  as- 
surer l'exécution  par  les  ouvriers  du  contrat  collectif? 

La  jurisprudence  reconnaît  déjà,  on  l'a  vu,  elle  nouveau 
projet  gouvernemental  confirme  expressément  le  droit 
pour  le  syndicat  d'employer  l'arme  redoutable  de  la  mise 
à  l'index  pour  faire  exécuter  les  conditions  du  travail.  Il 
y  aura  donc  là  un  moyen  très  puissant  et  très  efficace 
d'assurer  l'exécution  stricte  des  conditions  du  contrat  et 
notamment  l'observation  de  la  défense  de  traiter  à  des  con- 
ditions plus  défavorables. 

La  reconnaissance  légale  du  contrat  collectif  ne  ren- 
contre donc  aucune  difficulté  sérieuse  :  elle  s'impose 
comme  une  nécessité  immédiate  (1). 


(t)  On  pourrait  à  cet  égard  compléler  la  réforme  en  accordant 
spécialement  aux  Unions  de  syndicats,  d'ester  en  justice  pour  les  con- 
trais collectifs  qu'elles  auraient  passés.  L'art.  5  du  projet  Waldeck- 
Rousseau  sur  les  syndicats  les  assimile  d'ailleurs  àcet  égard  aux  syndi- 
cats eux-mêmes. 


LE   CONTRAT    COLLECTIF    DE    DËMALN  31 3 

II.  —  Mais  peut-on  aller  plus  loin? 

Il  est  certain  que  si  au  point  de  vue  juridique  cette 
première  réforme  est  de  la  plus  haute  importance,  elle 
n'aurait  qu  une  action  limitée  sur  la  diffusion  du  contrat 
collectif  (jui  continuerait  à  dépendre  exclusivement  des 
forces  respectives  des  patrons  et  des  ouvriers, 

L'Etat  n'a-t-il  pas  le  droit  de  faire  davantag^e,  d'inter- 
venir plus  efficacement  dans  l'évolution  économique  et  la 
justice  n'exige-t-elle  pas  quelque  réforme  plus  profonde  et 
plus  efficace  ? 

Si  vraiment  le  contrat  collectif  renferme  une  dose  de 
justice  supérieure  au  contrat  individuel,  comme  nous 
croyons  l'avoir  démontré,  s'il  corrige  une  inégalité  fonda- 
mentale entre  patrons  et  ouvriers,  s'il  diminue  l'exploi- 
tation capitaliste  en  ramenant  la  concurrence  sur  le  ter- 
rain stricten»ent  professionnel,  n'y  a-t-il  pas  lieu  de  l'im- 
poser et  d'arriver  de  quelque  façon  au  confinât  collectif 
obligatoire  ? 

Mais  ici  deux  voies  sont  ouvertes  : 

L'une  poursuit  le  contrat  collectif  obligatoire  par  le 
Syndicat  obligatoire. 

L'autre  plus  modeste  se  contente  d'arriver  au  même 
résultat  indirectement  en  déclarant  seulement  la  forme 
collective  du  contrat  obligatoire. 

Examinons  successivement  ces  deux  solutions  bien  dif- 
férentes : 

A.  —  Contrat  collectif  obligatoire  par  syndicat  obligatoire. 

On  sait  comment  de  l'étude  du  contrat  collectif  tel 
qu'il  existe  actuellement,  on  en  arrive  très  logiquement. 


314  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

croit-on,  à  réclamer  le  sj^ndicat  obligatoire  pour  mieux 
assurer  le  contrat  collectif  : 

On  part  du  contrat  collectif  tel  qu'il  existe  aujour- 
d'hui :  on  montre  qu'il  est  du  rôle  essentiel  du  groupe- 
ment syndical  d'imposer  aux  ouvriers  le  respect  des  con- 
ditions du  travail,  pour  mieux  assurer  le  marché  collectif 
du  travail  :  on  constate  —  et  personne  assurément  ne 
contestera  le  fait  —  que  le  respect  des  clauses  du  contrat 
collectif  est  de  la  première  importance.  v<  Or,  par  suite  de 
cette  incidence  des  actes  de  chacun  sur  l'ensemble  de  ceux 
qui  exercent  un  métier,  le  fait  qu'un  ouvrier  travaille  à 
des  conditions  différentes  de  celles  fixées  dans  le  contrat 
collectif,  à  un  salaire  plus  bas  par  exemple,  est  très  grave 
pour  tous  les  ouvriers  du  métier  :  c'est  là  pour  le  con- 
trat collectif  une  fissure  qui  le  fera  promptement  disparaî- 
tre (1).  » 

Aussi,  pour  éviter  cette  fissure  (2),  le  seul  moyen  pra- 
tique paraît  être  l'adhésion  obligatoire  au  groupe.  «  C'est 
la  seule  manière  d'assurer  la  soumission  effective  de  tous, 
aux  conditions  de  travail  du  contrat  collectif  ;  autrement, 
comment  savoir  ceux  qui  travaillent  à  des  salaires  infé- 
rieurs. Surtout  c'est  la  seule  manière  d'obtenir  le  contrat 
collectif,  il  est  nécessaire  d'abord  que  le  refus  collectif  de 
travail,  que  le  groupement  temporaire,  que  la  grève  soit 


(1)  Cf  :  Paul  Honcourl,  Le  Fédéralisme  éconoinique,  p.  178. 

(2)  L'auteur  remarque  avec  Howel,  New  and  old  Trade-Unionism, 
p.  d44,  que  la  principale  raison  des  conflits  avec  les  non-unionistes 
n'est  pas  leur  refus  de  faire  partie  de  l'Union,  bien  que  ce  soit  un 
grief  très  fort.  La  colère  des  Trade-Unionisles  se  porte  surtout  sur 
les  hommes,  qui,  en  cas  de  grève,  prennent  la  place  de  ceux  qui  ont 
cessé  le  travail,  et  que  leurs  camarades  flétrissent  des  sobriquets  de 
black-legs  et  de  scabs. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF    DE    DEMAIN  315 

assez  considérable  pour  faire  capituler   le  patron  (1).  » 

En  somme  le  syndicat  obligatoire  est  le  seul  moyen 
pratique  pour  M.  P.  Boncourt  de  rendre  le  contrat  col- 
lectif vraiment  efficace  :  d'autre  part  le  syndicat  obliga- 
toire entraine  nécessairement  le  contrat  collectif  obliga- 
toire. 

Deux  objections  péremptoires  nous  forcent  à  écarter 
ce  système  : 

i°  On  ne  voit  pas  bien  d'abord,  à  accepter  le  point  de 
vue  proposé  en  principe,  comment  le  syndicat  obligatoire 
assurerait,  aussi  efficacement  qu'on  le  dit,  l'observation  du 
contrat  collectif  :  pourquoi  saurait-on  mieux  quels  ouvriers 
travaillent  à  des  salaires  inférieurs,  parce  qu'ils  seraient 
syndiqués?  Et  puis  les  connaît-on,  quelle  ressource  reste- 
rait-il pour  les  contraindre  à  observer  le  contrat;  on  n'au- 
rait plus  le  moyen  si  puissant  de  l'exclusion  du  syndicat, 
puisque  celui-ci  est  par  définition  obligatoire  ;  il  faudrait 
alors  inventer  tout  un  système  de  pénalités  cl  l'on  entre 
ainsi  dans  le  régime  de  la  pire  contrainte  sans  savoir  où 
Ion  s'arrêtera. 

Ainsi  du  point  de  vue  même  oii  il  se  place,  le  système 
du  contrat  collectif  obligatoire  par  le  syndicat  obligatoire 
nous  parait  très  insuffisant. 

2'^  Mais  il  y  plus  :  le  principe  sur  lequel  il  repose  est 
exclusivement  un  principe  dutilitè  sociale  et  non  un  prin- 
cipe de  justice  sociale;  à  cet  égard  il  ne  trouve  pas  la  base 
assez  solide  nécessaire  pour  conclure  à  la  contrainte. 

Au  contraire  l'idée  de  Justice  sociale  contenue  dans  le 
contrat  collectif  empéclie  d'aller  aussi  loin  et  s'oppose  au 


(^)  Cf  :  Paul  UoDcourt,  Le  Fédéralisme  économique,  p.  178. 


316  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

syndicat  obligatoire  :  en  effet  le  fondement  supérieur  sur 
lequel  repose  le  contrat  collectif  est  la  suppression  de 
l'inég-alité  dans  le  contrat  de  travail,  rien  de  plus,  rien  de 
moins  :  sa  supériorité  propre  réside  tout  entière  en  ce 
qu'il  ramène  la  concurrence  sur  le  terrain  professionnel, 
mais  en  laissant  subsister  la  concurrence  ;  or  précisément 
le  contrat  collectif  obligatoire  par  le  syndicat  obligatoire 
supprime  cette  concurrence  ;  il  a  pour  but,  et  l'expression 
de  M.  Paul  Boncourt  est  assez  significative  —  de  «  faire 
capituler  le  patron  ». 

Ce  serait  alors  renverser  la  situation  actuelle  et  rétablir 
dans  la  conclusion  du  contrat  de  travail,  la  considération 
de  circonstances  extra-professionnelles,  concernant  non 
plus  l'ouvrier,  mais  le  patron  ;  avec  le  contrat  collectif 
obligatoire  au  sein  du  syndicat  obligatoire,  ce  seraient  les 
patrons  les  moins  aisés,  les  plus  pressés  à  gagner,  les  plus 
cbargés  de  famille  qni  succomberaient  devant  la  force  im- 
mense des  ouvriers  coalisés  :  la  balance  pencberait  cette 
fois  en  faveur  de  l'ouvrier. 

Ainsi  le  fondement  juridique  du  contrat  collectif  ne  va 
pas,  et  on  ne  saurait  trop  y  insister  —  jusqu'au  contrat 
collectif  obligatoire  par  le  syndicat  obligatoire  :  ai;  con- 
traire il  porte  en  lui-même  la  réfutation  de  ce  système. 

Cette  première  solution  écartée,  nous  nous  trouvons 
alors  en  face  de  la  seconde. 

B.  —  Forme  collective  du  contrat  déclarée  obligatoire. 

Ce  système  consisterait  essentiellement  à  déclarer  obli- 
gatoire la  forme  collective  du  contrat  dans  les  rapports 
entre  patrons  et  ouvriers  à  l'occasion  du  louage  de  travail. 

Puisque  le  contrat  collectif  supprime  par  lui-môme  l'iné- 


LK    CONTRAT    CULLECTIF    DE    DEMAIN  317 

galilé  de  situation  existant  entre  les  parties,  on  peut 
très  bien,  on  doit  même  concevoir  qu'on  généralise  autant 
que  possible  celte  forme  de  contrat  qui  réalise  plus  de  Jus- 
tice sociale  (1). 

Voici  alors  à  peu  près  le  systènie  pratique  auquel  on 
aboutirait  : 

Le  principe  serait  l'obligation  légale  de  traiter  des  con- 
ditions du  travail  et  de  passer  le  contrat  du  travail  sous 
forme  collective  :  en  un  mot  on  déclarerait  obligatoire  non 
pas  tel  ou  tel  contrat  passé  par  un  syndicat  unique,  mais 
la  forme  seule  collective  du  contrat  (2)  quelconque  passé 
par  le  syndicat. 

Ici  une  double   bypotlièse  se  présenterait  en  pratique  : 

Ou  bien  les  patrons  passeraient,  comme  aujourd'hui,  avec 
des  syndicats  des  contrats  collectifs  volontaires  et  ces 
contrats  seraient  parfaitement  valables,  quels  qu'ils  fus- 
sent (2),  puisque  le  consentement  des  parties  aurait  été 
donné  avec  la  garantie  exigée,  la  forme  collective  du  con- 
trat. —  Il  faudrait  ici  exiger  que  le  contrat  soit  passé  avec 


(1)  Il  y  aurait  là,  à  la  rigueur,  ud  droit  pour  les  ouvriers  dool  ils 
ont  déjà  vaguement  conscience,  un  droit  nouveau  :  «  le  droit  pour  les 
travailleurs  de  délibérer  avec  les  patrons  »,  te  droit  au  contrat  col- 
lectif. Cf.  Discours  de  M.  Mesureur.  Discussion  du  Conseil  supérieur 
du  travail  sur  les  Ctiambres  du  travail,  5»  session. 

(2)  Il  serait  nécessaire  de  compléter  celte  réforme,  ou  mieux  d'eu 
assurer  l'efflcacilé,  en  déclarant  par  une  disposition  législative  que  le 
contrat  collectif  doit  être  passé  par  écrit.  I^a  complexité  des  clauses 
ordinaires  de  ce  contrat,  le  grand  nombre  d'intéressés,  la  solennité 
relative  de  cet  accord  rendent  déjà  en  fait  presque  général  l'usage 
de  l'écriture  comme  moyen  de  preuve  :  la  loi  devrait  aller  pour  ces 
mêmes  raisons  d'utilité  pratique  jusqu'à  poser  la  nécessité  de  l'écri- 
ture. GrAce  à  elle  seule,  d'ailleurs,  le  contrôle  et  la  rigoureuse  obser- 
vation de  la  nouvelle  loi  seraient  possibles. 


318  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    III 

un  syndicat  régulièrement  constitué  et  ayant  fait  sa  décla- 
ration conformément  à  l'article  4  de  la  loi  du  21  mars  1884. 
On  pourrait  môme  sur  ce  point  pour  augmenter  les  ga- 
ranties de  sincérité  de  ce  contrat  collectif  exiger  que  le 
syndicat  soit  enregistré  conmie  en  Angleterre. 

Ou  bien  les  patrons  ne  voudraient  pas  (résistance  per- 
sonnelle), ou  ne  pourraient  pas  (absence  "de  syndicat  dans 
la  partie)  conclure  de  ces  contrats  collectifs  :  alors  on 
prendrait  le  contrat  collectif  légal,  comme  établissant 
les  conditions  de  travail  niininia  que  doivent  respecter  les 
contrats  individuels  particuliers. 

Le  contrat  collectif  légal,  qui  serait  en  quelque  sorle  la 
coutume  du  métier,  serait  établi,  comme  à  Genève,  par  les 
délégués  patronaux  et  ouvriers  nommés  par  l'assemblée 
plénière  du  métier. 

La  loi  devrait  fixer  avec  une  grande  rigueur  les  condi- 
tions d'élaboration  de  ce  contrat  collectif: 

Actuellement  participeraient  à  l'élection  des  délégués  le 
collège  électoral  qui  élit  le  Conseil  des  Prud'Iiommes  dans 
cbaque  métier  (1)  ; 

Les  qualités  que  devront  avoir  les  délégués  seraient 
aussi  rigoureusement  déterminées  ; 

Enfin  une  majorité  spéciale,  3  4  par  exemple  comme  à 
Genève,  serait  exigée  pour  le  vote  du  conlval  collectif  légal 
qui  serait  ensuite  soumis  à  l'homologation  du  tribunal. 


(1)  Il  serait  souhaitable,  avec  un  mouvement  syndical  plus  avancé, 
que  les  membres  en  associations  professionnelles  soient  seuls  électeurs 
de  ces  délégués  :  mais  la  récente  réforme  des  Conseils  du  travail  a 
soulevé  à  cet  égard  trop  de  critiques  pour  qu'on  ne  donne  pas  au 
moins  temporairement  à  tous  le  droit  de  venir  voter,  pour  arriver  à  la 
rédaction  de  conditions  qui  s'imposeront  à  tous. 


LE   CONTRAT    CULLeCTlF    Dli:   DEMAIN  319 

Le  contrat  du  travail  individuel  resterait  possible,  mais 
devrait  respecter  les  clauses  du  contrat  collectif  légal, 
conime  clauses  analogues  aux  clauses  d'ordre  public  :  ce 
(jui  conférerait  à  ces  clauses  du  contrat  collectif  légal  le 
caractère  dordre  public,  ce  ne  serait  pas  d'établir  un  mi- 
nimum de  salaires  de  tant  ou  une  journée  de  travail  maxi- 
ma  de  tant,  mais  d'avoir  été  arrêtées,  quelles  qu'elles 
soient,  par  la  forme  collective.  Il  faudrait  aller  jusqu'à  dé- 
clarer nulles,  de  nullité  absolue  (1),  toutes  clauses  parti- 
culières dérogeant  aux  clauses  de  la  coutume  du  métier, 
du  contrat  collectif  légal. 

Enfin  pour  compléter  la  réforme,  la  loi  devrait  s'expli- 
quer nettement  sur  le  mécanisme  des  deux  actions  syndi- 
cale et  individuelle  en  exécution  du  contrat  collectif: 

Le  syndicat  devrait  avoir  seul  l'action  en  l'exécution  des 
clauses  du  contrat  collectif.  —  Parallèlement  à  cette  pre- 
mière action,  chaque  syndiqué,  chaque  travailleur  indivi- 
duel aurait  l'action  individuelle  pour  l'exécution  de  son 
contrat  individuel  superposé  au  contrat  collectif-  Ces  deux 
actions  seraient  indépendantes,  sauf  le  cas  où  les  condi- 
tions du  contrat  de  travail  individuel  seraient,  malgré  la 
loi,  inférieures  à  celle  du  contrat  collectif:  en  ce  cas  non 
seulement  l'ouvrier  n'en  pourrait  demander  l'exécution, 
mais  le  syndicat  serait  chargé  au  besoin  d'en  faire  pronon- 
cer la  nullité. 

Ainsi  serait  réalisée  une  intervention  de  l'Etat  des  plus 
efficaces  en  vue  de  la  diffusion  du  contrat  collectif. 

Insistons  quelque  peu  sur  ce  second  système  que  nous 
adoptons    pleinement,   en  étudiant  successivement,    pour 


{i)  Les  inspecteurs  du  travail  pourraieDl  parfaitement  Mre  chaînés 
de  l'application  de  la  loi  sur  ce  point. 


320  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITHE    III 

terminer,  les  systèmes  analog-ues  qui  existent  déjà  dans  le 
droit  actuel  et  les  avantages  qu'il  présenterait. 


A. —  Systèmes  analogues  déjà  existants  dans  la  législation 
actuelle. 

Le  principe  d'une  intervention  légale  pour  corriger  une 
inégalité  de  situation  entre  les  parties  n'est  nullement  une 
nouveauté  : 

C'est  incontestablnient  le  principe  (jui  a  inspiré  la  légis- 
lation en  matière  de  faillite  et  de  liquidation  judiciaire 
(C.  corn.,  art.  507  et  L.  4  mars  1899,  art.  15  l**). 

Pourquoi  la  loi  établit-elle  un  contrat  collectif  obligatoire 
ou  plus  exactement  la  forme  collective  obligatoire  du  con- 
trat, sinon  précisément  parce  qu'il  y  a  inégalité  de  situa- 
tion entre  le  failli  et  les  divers  créanciers,  et  que  certains, 
abusant  d'une  situation  exceptionnellement  favorabie,  pour- 
raient obtenir  de  lui  un  paiement  qui  nuirait  aux  autres  : 
ici  la  loi  adjoint  à  cbaque  créancier  traitant  avec  le  failli 
tous  les  autres  créanciers  pour  rétablir  l'équilibre,  comme 
dans  notre  système  la  loi  adjoint  à  l'ouvrier  isolé  traitant 
avec  le  patron  tous  les  autres  ouvriers  pour  tenir  la  ba- 
lance égale. 

Une  fois  que  le  contrat  collectif  s'impose,  (et  le  traité 
entre  les  créanciers  délibérants  et  le  débiteur  failli  n'est 
pas  autre  cbose),  il  faut  de  toute  nécessité  fixer  la  majorité 
qui  liera  la  minorité  :  c'est  ici  la  majorité  relative  des 
créanciers  délibérants  représentant  les  2/3  (autrefois  les 
3/4)  de  la  totalité  des  créances  vérifiées  ou  affirmées  ou 
admises  par  provision)  (1). 


(1)  Art.  507,  §  2  :  «  Ce  traité  ne  s'établira  que  par  le  concours  d'un 


LE    CONTHAT    COLLECTIF    DE    DKMAl.N  321 

Le  concordai  en  matière  de  faillite  et  de  liquidation  judi- 
ciaire est  donc  l'antécident  législatif  direct  du  contrat  col- 
lectif. 

No  pourrail-on  pas  trouver  encore  un  précédent  dans  la 
législation  actuelle  sur  les  associa fio/is  sf/ndica/es (soc'iélîis 
de  propriétaires  en  vue  (le  l'exécution  à  frais  commun  de 
travaux  d'utilité  collective  et  parfois  générale)  réglemen- 
tées parles  lois  du  21  juin  1863  et  du  22  décembre  1888)  (1)? 
Quel  est  ici  encore  le  motif  d'intervenir  pour  la  loi  ? 

N'est-ce  pas  précisément  parce  qu'il  y  aurait  en  fait  iné- 
galité trop  grande  de  situation  entre  un  propriétaire  non 
partisan  des  travaux,  et  le  nombre  des  autres  voulant  les 
réaliser,  que  la  loi  intervient  pour  corriger  cette  inégalité  en 
exigeant  certaines  formalités  légales  en  vue  de  la  consti- 
tution même  de  l'association  syndicale  autorisée. 

L'inégalité  est  ainsi  diminuée,  par  le  fait  qu'elle  est 
réglementée  :  la  loi  (2)  pour  la  formation  de  l'association 


nombre  de  créanciers  formant  la  majorité  et  représentant  en  outre 
les  3/4  de  la  totalité  des  créances  vérifiées,  ou  affirmées,  ou  admises 
par  provision...  le  lout  à  peine  de  nullité.  Modifié  par  larl.  20  de  la 
loi  du  4  mars  1889  qui  déclare  applicable  au  cas  de  faillite  la  disposi- 
tion suivante  édictée  pour  la  liquidation  judiciaire  : 

Art.  15  lo.  Le  traité  entre  les  créanciers  et  le  débiteur  ne  peut  s'éta- 
blir que  s'il  est  consenti  par  la  majorité  de  tous  les  créanciers  vérifiés 
ou  affirmés  ou  admis  par  provision,  représeDtant  en  outre  les  2/3  de 
la  totalité  des  créances  vérifiées  ou  affirmées  ou  admises  par  provision. 
Le  tout  à  peine  de  nullité  ». 

(1)  On  peut  citer  aussi  la  loi  du  15  déc.  1888  sur  les  syndicats  auto- 
risés pour  la  défense  des  vignes  contre  le  phylloxéra.  On  sait  que  cette 
législation  distingue  les  associations  libres  qui  exigent  pour  se  former 
le  consentement  unanime  de  tous  les  propriétaires  qui  en  feront  par- 
tie et  les  associations  autorisées  qui  sont  constituées  par  des  majori- 
tés combinées  de  propriétaires  et  do  terrains. 

(2)  Loi  du  ±2  déc.  1888,  arl.  o. 

RATNALD  21 


322  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    lli 

syndicale  exige  une  majorité  Je  propriétaires  représentant 
les  2/3  des  terrains  ou  des  2/3  des  propriétaires  représen- 
tant la  majorité  des  terrains  :  il  est  probable  qu'à  défaut 
de  ces  exigences  légales,  des  majorités  plus  faibles  auraient 
violenté  la  volonté  des  récalcitrants  de  la  minorité. 

Ainsi  la  réglementation  du  contrat  collectif  de  travail 
peut  se  réclamer  d'antécédents  législatifs  sérieux,  l'un  ab- 
solument certain,  l'autre  très  probable  (1). 

B.  —  Avantages  théoriques  et  pratiques  de  la  solution 
juridique  proposée. 

L'avantage  théorique  de  cette  solution  nous  parait  ré- 
sider précisément  en  ce  qu'elle  ne  dépasse  pas  l'idée  fon- 
damentale du  contrat  collectif  de  travail  qui  est  précisément 
la  forme  collective  de  ce  contrat  (2). 

De  la  même  manière  et  pour  la  même  raison,  cette  so- 
lution échappe  à  toutes  les  critiques  contre  le  syndicat  obli- 
gatoire. 

Au  point  do  vue  pratique,  le  système  conserve  la 
liberté  industrielle  et  prétend    seulement  diriger  l'évolu- 


(1)  On  pourrait  même  ajouter  qu'il  y  a  d'autres  exemples  où  la  loi 
corrige  d'une  autre  manière  l'inégalité  de  situation  qu'elle  prévoit  : 
ainsi  la  donation  ;  on  exige  l'authenlieilé  pour  ne  pas  permettre  au 
donataire  d'abuser  du  donateur. 

(2)  C'est  aussi  en  raison  de  celte  même  idée,  —  la  discussion  col- 
lective supprimant  l'inégalité  —  que  nous  n'avons  pas  cru  possible  de 
préciser  au  point  de  vue  doctrinal  —  si  le  contrat  collectif  doit  être 
passé  avec  les  seuls  ouvriers  de  l'usine  ou  ceux  de  tout  le  métier.  Peu 
importe  en  théorie  au  moins  :  pourvu  qu'il  y  ait  discussion  avec  une 
coUeclivilé,  représentant  légalement  les  ouvriers,  la  justice  est  satis- 
faite et  par  la  solidarité  ouvrière  l'œuvre  des  uns  profile  à  tous  les 
autres. 


LE   CONTRAT   COLLECTIF   DE   DEMAIN  323 

lion  du  mouvement  syndical  contemporain  sans  l'arrêter. 

II  apporte,  semblc-t-il,  une  solution  pacifique  à  la  diffi- 
cile question  de  la  liberté  des  non-syndiqués;  ceux-ci, 
comme  d'ailleurs  les  syndiqués  partie  au  contrat,  la  conser- 
vent tout  entière  ;  la  seule  sanction  est  la  nullité  absolue 
de  toutes  clauses  du  contrat  de  travail  individuel  stipulant 
des  conditions  plus  défavorables  que  celles  du  contrat  col- 
lectif légal. 

Enfin  et  d'un  mot,  le  contrat  collectif  établit  en  quel- 
que sorte  le  cahier  des  charges  du  travail,  comme  dans  les 
adjudications  de  travaux  publics  un  cahier  des  charges  de 
l'entreprise  est  imposé  à  tous  (1)  :  chaque  établissement 
pourrait  avec  le  concours  du  syndicat  arrêter  son  cahier 
de  charges  particulières  comme  aujourd'hui  une  compagnie 
peut  imposer  à  un  entrepreneur  un  cahier  de  charges; 
mais  à  défaut  de  ces  contrats  collectifs  volontaires,  il  y 
aurait  rétablissement  du  cahier  type  de  chaque  métier  ;  il 
deviendrait  ainsi  la  première  source  d'engagements  des 
parties,  patrons  et  ouvriers,  qui  entreraient  dans  le  métier. 

Les  contrats  individuels  ou  les  contrats  collectifs  locaux 
ou  particuliers  à  une  usine  correspondraient  alors  aux 
bordereaux  de  prix. 

On  admet  bien  le  principe  pour  assurer  la  conservation 
et  le  respect  d  intérêts  matériels  ;  pourquoi  ne  l'admet- 
trait-on  pas  pour  protéger  les  intérêts  sacrés  de  la  per- 
sonne humaine? 


(4)  Les  heureux  effets  de  lintroduclion  récente  des  conditions  du 
travail  dans  les  cahiers  des  charges  des  adjudications  publiques  per- 
mellenl  sans  doute  de  souhaiter  l'extension  du  système. —  Cf.  Bazire: 
Des  conditions  du  travail  imponées  aitjc  entrepreneurs  dans  les 
adjudications  de  travaux  publics,  1898. 


CHAPITRE  IV 

LES  PROJETS  ET  LES  RÉFORMES 


Jusqu'à  présent,  en  France,  nous  n'avons  aucun  texte 
législatif  concernant  directement  le  contrat  collectif  :  ce 
n'est  pas  que  les  projets  aient  manqué,  mais  tous,  sauf 
peut-être  le  projet  tout  récent  du  gouvernement  sous  le 
règlement  amiable  des  différends  relatifs  aux  conditions 
du  travail  (1),  ne  visaient  pas  directement  le  contrat  col- 
lectif (2)  ;  celui-ci  n'était  quel'accessoire  d'une  autre  ques- 
tion :  aussi  avait-il  par  là  des  chances  en  moins,  puisque 
dans  l'incertitude  des  victoires  parlementaires,  le  sort  de 
ces  dispositions  spéciales  était  lié  à  celui  d'autres  plus  gé- 
nérales. Cet  aspect  indirect  et  oblique  sous  lequel  appa- 
raissent les  réformes  proposées,  ajoute  encore  d'ailleurs 
à  la  difficulté  de  leur  étude  :  il  faut  néanmoins  signaler  les 
principales.  Dans  cette  revue  rapide  des  principaux  pro 
jets  touchant  au  contrat  collectif,  nous  ne  relèverons  que 
les  projets  qui  en  parlent  expressément;  nous  serons  obli- 


(i)  Voir  plus  loin,  p.  339. 

{2}  Ceci  est  d'ailleurs  naturel  et  conforme  à  la  réalité  des  choses  :  le 
contrat  collectif  est  un  épanouissement,  une  fleur  greffée  sur  une  forle 
organisation  du  travail,  et  comme  tel  il  paraît  difficile  de  la  promou- 
voir isolément  ;  on  ne  peut  guère  qu'en  poser  le  principe. 


LKS  PROJETS  KT  LES  RÉFORMES  32") 

gés  de  négliger  d'autres  projets  1res  nombreux  dont  le 
vote  aurait  pu  avoir  une  influence  plus  ou  moins  directe 
sur  le  contrat  collectif. 

Le  contrat  collectif  apparaît  dans  divers  projets.de  lois, 
soit  à  propos  de  la  réglementation  du  contrat  de  louage 
ou  dos  syndicats  professionnels,  soit  à  propos  de  la  créa- 
tion et  des  attributions  des  Conseils  du  travail,  soit  enfin 
avec  le  décret  récent  sur  les  Conseils  du  travail  et  le  pro- 
jet du  gouvernement  sur  le  règlement  amiable  des  diffé- 
rends collectifs. 

Voyons  successivement  ces  trois  séries  de  projets  : 

A.  —  Le  contrat  collectif  apparaît  très  nettement  en 
1876,  dans  la  proposition  de  loi  de  M.  Ed.  Lockroy  etplu- 
sieurs  de  ses  collègues,  relative  à  la  reconnaissance  légale,  à 
Torp^anisation  et  au  fonctionnement  des  Chambres  svndi- 
cales,  patronales  et  ouvrières  (1). 

L'exposé  des  motifs  insiste  sur  le  rôle  que  peuvent  et 
doivent  jouer  les  Chambres  syndicales,  patronales  et  ou- 
vrières pour  éviter  les  grèves  et  fixer  le  salaire  et  les  con- 
ditions du  travail  :  il  y  a  lieu  de  les  encourager  dans  leur 
rôle:  aussi  un  article  4  du  projet  disposait  expressément  : 

«  Les  syndicats  d'une  même  industrie,  composés,  l'un 
de  patrons,  l'autre  d'ouvriers,  pourront  conclure  entre 
eux  des  conventions  ayant  pour  objet  de  régler  les  rap- 
ports professionnels  des  membres  d'un  syndicat  avec  ceux 
de  l'autre. 

«  Ces  conventions  auront  force  de  contrats  et  engage- 
ront tous  les  membres  des  sociétés  contractantes  pour  la 
durée  stipulée. 


(1)  y.  Officiel,  1870,  p.  5600,  annexe  no  270. 


326  DEUXIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE   IV 

«  Les  dites  conventions  ne  pourront  èlre  établies,  pour 
une  durée  maxima  de  5  ans.  » 

Ainsi,  contrat  collectif  légalement  reconnu,  liant  tous 
les  nnenîbres  des  syndicats  intéressés,  avec  une  durée  ma- 
xima de  S  ans,  telles  était  les  dispositions  essentielles  du 
projet  Lockroy  relativement  au  contrat  collectif. 

Le  rapport  de  M.  Martin  Feuillée  lu  à  la  séance  de  10 
août  1876  (1),  qui  concluait  à  la  prise  en  considération  du 
projet,  trouvait  l'article  4  une  excellente  mesure. 

Mais  le  projet  Lockroy  ne  fut  jamais  voté. 

—  D'autres  dispositions  concernant  directement  encore 
le  contrat  collectif  se  trouvent  dans  une  proposition  de 
loi  présentée  le  26  novembre  1895  par  M.  René  Goblet, 
sur  le  contrat  de  louage  d'ouvrage  (2).  L'exposé  des  mo- 
tifs constate  le  développement  du  mouvement  syndical  et 
prévoit  l'empire  du  contrat  collectif.  «  Il  est  clair...  que  le 
moment  ne  tardera  pas  où  c'est  avec  les  syndicats  et  non 
avec  les  ouvriers  isolément  que  les  patrons  de  la  grande 
industrie  seront  appelés  à  traiter.  Aussi  ce  jour  là  les  pa- 
trons et  les  ouvriers  traiteront  vraiment  sur  le  pied  d'éga- 
lité et  le  contrat  ainsi  formé  s'appliquera  sans  difficulté 
à  tous  les  ouvriers  représentés  par  le  syndicat.  » 

C'est  directement  le  contrat  collectif  que  l'auteur  du  pro- 
jet réglemente:  dans  les  usines,  manufactures,  etc.,  à  tra- 
vail permanent  et  dans  les  ateliers  et  manufactures  de 
l'Etat,  aucun  embauchage  ne  peut  avoir  lieu  directement  ou 
par  V intermédiaire  des  syîidicats  sans  convention  écrite 
(art.  1). 


(1)  J.  Of.,   1876,  p.  8068,  annexe  no  492. 

(2)  /.  Of.,  1895,  annexe  no  J627. 


LES   PROJETS    ET    LES    RÉFORMES  327 

Art.  2  :  La  convention  déterminera  la  durée  du  contrat 
de  louage  qui  ne  pourra  être  moindre  d'une  année,  le  sa- 
laire de  l'ouvrier,  les  conditions  de  paiement,  et  s'il  y  a 
lieu  de  participation  aux  bénéfices  de  l'industrie,  les  som- 
mes qui  devront  être  prélevées  sur  les  salaires,  soit  four- 
nies par  l'employeur  pour  constituer  les  caisses  de  secours, 
d'assurances  contre  les  accidents  et  de  retraites. 

L'article  3  exige  que  les  règlements  intérieurs  de  l'entre- 
prise et  les  statuts  de  ces  diverses  caisses  soient  annexés 
au  contrat,  après  avoir  été  paraphés  par  les  parties. 

De  plus,  à  moins  de  dénonciation  par  l'une  ou  l'autre 
des  parties,  un  mois  au  moins  avant  son  expiration,  le 
contrat  était  prorogé  de  plein  droit  pour  une  durée  égale 
à  celle  primitivement  fixée  (art.  6). 

Enfin  l'article  8  établissait  comme  sanction  pour 
tout  contrevenant  aux  dispositions  des  articles  1,  2  et  3 
une  amende  de  5  à  43  francs,  augmentée  au  cas  de  réci- 
dive. 

Ainsi  par  ce  projet  le  contrat  collectif  serait  entré  au 
même  titre  d'ailleurs  que  le  contrat  individuel,  dans  la  légis- 
lation nouvelle  :  mais  il  est  clair  que  l'obligation  même  de 
passer  le  contrat  par  écrit  était  un  moyen  très  habile  et 
très  sûr  pour  promouvoir  partout  le  contrat  collectif  et 
rendre  ainsi  les  conditions  du  travail  uniformes  pour 
toute  la  profession. 

La  proposition  de  loi  Goblet  renvoyée  à  la  commission 
du  travail,  ne  vint  pas  en  discussion. 

Enfin  il  faut  signaler  dans  cette  première  catégorie  le 
tout  récent  projet  (1)  de  M.  Basly  sur  le  salaire  minimum 


[{)  Chambre  des  Dépulés,  séance  du  22  octobre  1901. 


328  DKUXIKRK    PARTIR.    CHAPITRR    IV 

des  salaires.  Quelle  que  soit  la  portée  de  événements  et  les 
circonstances  qui  ont  inspiré  ce  projet,  nous  n'en  voulons 
retenir  que  l'orj^anisation  directe  du  contrat  collectif  qu'il 
cherche  à  établir  d'autorité  dans  une  industrie  donnée, 
les  nnines. 

Dans  l'exposé  des  motifs  d'ailleurs,  l'auteur  du  projet 
indique  bien  que  c'est  le  contrat  collectif  qu'il  veut  pro- 
mouvoir :  «  La  Chambre  agira  sagement  en  rendant  «  lé- 
g'aux  et  obligatoires  »  pour  la  fixation  du  salaire  minimum, 
ces  discussions  communes,  ces  contrats  économiques  dont 
le  résultat  pratique  sera  un  nouvel  acheminement  vers  le 
mieux  être  de  la  classe  productive  —  parfois  si  spoliée  — 
et  en  môme  temps  une  garantie  de  plus  contre  les  conflits 
si  regrettables  et  si  désastreux  à  la  fois  pour  les  ouvriers 
et  pour  les  patrons.  » 

Le  contrat  collectif  est,  il  est  vrai,  borné  à  l'établisse- 
ment d'un  salaire  minimum  (art.  1).  «  Ce  salaire  est  fixé, 
dans  chaque  arrondissement  minéralogique,  par  des  com- 
missions mixtes  composée  pour  un  tiers  par  des  délégués 
des  exploitants,  et  pour  les  deux  autres  tiers  de  représen- 
tants désignés  en  Assemblée  générale  dans  le  sein  des 
Assemblées  générales  »  (art.  2).  Ce  sont  les  préfets  qui 
veillent  à  l'exécution  de  la  loi  et  sont  chargés  de  la  con- 
vocation des  délégués  patrons  et  ouvriers  chaque  fois  que 
l'une  des  parties  en  formule  la  demande  (art.  3).  Enfin 
deux  articles  établissent  des  sanctions  pénales  contre  tout 
chef  d'exploitation,  agent  ou  contremaître  qui  n'aura  pas 
respecté  le  salaire  minimum  ou  contraint  les  ouvriers  de 
travailler  à  un  salaire  inférieur  (1). 


(1)  Art.  4.  —  Tout  chef  d'exploitation   agent  ou  contremaître  qui 


I>:S    PHOJKTS    KT    LKS    RKFORMKS  329 

C'esl,  on  lo  voit,  l'applicalioii  avec  quelques  variantes, 
notanimenl  le  conlrat  collectif  volontaire,  des  idées  préco- 
nisées ci-dessus  comme  solution  générale:  on  peut  repro- 
ciier  au  projet  rinégalilé  choquante  qu'il  établit  entre  pa- 
trons et  ouvriers  pour  l'élaboration  du  conlrat  collectif, 
les  premiers  étant  représentés  par  13  et  les  seconds  par 
2/3  des  délégués.  Au  fond  il  y  a  là  un  système  mixte  in- 
termédiaire entre  le  contrat  collectif  de  droit  privé  et  le 
contrat  collectif  de  droit  public  :  le  souci  de  respecter  les 
convenances  des  diverses  régions  minéralogiques  (difliculté 
(lu  travail,  quantité  moyenne  extraite,  prix  des  aliments 
des  objets  de  première  nécessité,  des  loyers,  etc..)  a  sans 
doute  inspiré  cette  solution  qui,  si  elle  était  votée,  consti- 
tuerait une  curieuse  expérience  du  contrat  collectif  obli- 
gatoire dans  une  industrie  où  il  est  déjà  fort  en  honneur, 
La  Chambre  a  voté  l'urgence,  ce  qui  ne  signifie  pas  grand 
chose,  refusé  la  discussion  immédiate  et  voté  le  renvoi 
à  la  commission  du  travail. 

B.  —  Une  autre  série  de  projets  se  rattache  en  la  forme 
à  la  création  de  conseils  ou  de  chambres  du  travail  et  à  la 
conciliation  et  l'arbitrage. 

C'est  ainsi  pour  abréger  que  nous  trouvons  en  1889  un 


aura  contrevenu  à  l'article  premier  de  la  présente  loi  en  ne  respec- 
tant pas  le  taux  du  salaire  minimum,  sera  puni  d'une  amende  de  30  à 
300  francs  pour  chaque  conlravenlion  relevée  par  les  inspecteurs 
des  mines,  les  contrôleurs  ou  les  délégués  à  la  sécurité  des  ouvriers. 

Art.  5.  —  Tout  chef  d'exploitation,  agent  ou  contremaître  qui  par 
fraude,  menace  de  perle  d'emploi,  menace  de  privation  de  travail, 
refus  d'embauchage,  aura  contraint  un  ou  plusieurs  ouvriers  à  tra- 
vailler à  un  salaire  inférieur  au  minimum  légal,  sera  puni  d'un  em- 
prisonnement de  trois  mois  à  trois  ans  et  d'une  amende  de  300  à 
5,000  fr. 


330  DEUXIÈRE   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

projet  émanant  de  la  commission  de  la  chambre  nommée 
pour  étudier  les  projets  de  loi  sur  l'arbitrage.  Cette  com- 
mission s'était  chargée  d'examiner  : 

1°  Le  projet  de  loi  sur  l'arbitrage  ; 

2"  La  proposition  de  MM.  Camille  Raspail  et  Benjamin 
Raspail  tendant  à  rendre  l'arbitrage  obligatoire  ; 

3°  Les  propositions  de  loi  de  MM.  Le  Cour  et  le  comte 
Albert  de  Mun  sur  l'arbitrage  et  les  conseils  de  conciliation 
et  d'arbitrage  (1). 

L'idée  du  rapporteur  M.  Lyonnais  est  bien  de  prononcer 
le  contrat  collectif  :  il  le  dit  d'ailleurs  expressément  dans 
son  rapport  (2). 

Le  projet  autorise  et  réglemente  la  création  de  Conseils 
de  conciliation  et  d'arbitrage  par  les  syndicats  profession- 
nels de  patrons  et  d'ouvriers  :  ces  conseils  sont  «  destinés  à 
prévenir  et  à  régler  les  difficultés  qui  pourraient  naître  entre 
patrons  et  ouvriers  au  sujet  des  règlements  d'atelier,  sa- 
laires, contrats  de  travail,  d'apprentissage,  de  la  durée  de 
travail,  du  chômage  et  généralement  de  tout  ce  qui  concer- 
ne leurs  intérêts  économiques,  industriels,  commerciaux 
et  agricoles  »  (art.  1). 

Comme  on  le  voit,  c'est  le  champ  le  plus  large  ouvert 
au  contrat  collectif.  L'exposé  des  motifs  le  prévoit  expres- 
sément. 

«  Le  bureau  spécial  de  conciliation  a  surtout  jiour  but 


(1)  Pour  abréger,  nous  n'analyserons  pas  ici  en  détail  les  sylèmes  de 
ces  divers  projets  :  voir  Documents  parlementaires  de  la  session  : 
nos  753^  830,  871,  1845.  Ils  se  résument  d'ailleurs  dans  le  projet  de  la 
commission. 

(2)  Rapport  Lyonnais,  /.  Officiel,  1888-89,  Doc.  Pari.,  p.  1275,  An- 
nexe no  3856. 


LES   PROJETS   ET    LES    RKFORUES  331 

de  prévenir  les  difrércnds  qui  peuvent  surgir  entre  patrons 
et  ouvriers  et  compromettre  les  intérêts  des  uns  et  des 
autres.  Il  peut  établir  des  rèjj^lement  d'ordre  intérieur,  ar- 
rêter les  contrats  d'apprentissage,  prendre  des  engage- 
ments au  point  de  vue  des  salaires,  etc..  En  un  mot  il 
fonctionne  avant  tout  conflit  de  nature  à  troubler  les  rap- 
ports des  patrons  et  des  ouvriers  et  cherclie  à  écarter  les 
causes  de  discorde.  » 

Voici  maintenant  les  dispositions  concernant  directement 
le  contrat  collectif  :  on  va  voir  que  le  projet  de  la  commis- 
sion manifeste  un  sincère  désir  de  concilier  la  liberté  indi- 
viduelle et  l'intérêt  professionnel. 

L'article  4  dispose  : 

«  Les  engagements  pris  par  le  Conseil  de  conciliation 
et  d'arbitrage  lient  les  parties  dans  les  limites,  conditions 
et  durée,  fixées  par  l'accord  ou  les  conventions. 

«  Une  copie  imprimée  de  l'accord  ou  convention  devra 
être  remise  à  chaque  membre  composant  les  syndicats  pro- 
fessionnels contractants. 

«  Toutefois,  tout  ouvrier  pourra,  dans  les  48  heures 
après  la  remise  du  texte  imprimé  de  l'accord  ou  conven- 
tion, donner  avis  au  patron  qu'il  ne  veut  pas  être  lié  par 
cet  engag<;ment.  Dans  ce  cas  l'accord  ou  convention  sera 
de  nul  effet  entre  le  patron  et  l'ouvrier.  » 

Ainsi  la  liberté  individuelle  est  sauvegardée  :  il  est  clair 
cependant  qu'en  fail,  les  auteurs  des  divers  projets  el  le 
rapporteur  estiment  que  ce  refus  de  l'ouvrier  de  se  sou- 
mettre au  contrat  collectif  sera  de  plus  en  plus  rare.  C'est 
en  somme  le  même  procédé  de  conciliation  entre  les  deux 
libertés,  que  celui  de  la  loi  de  1884,  qui  réserve  à  l'ou- 
vrier le  droit  de  sortir  à  tout  instant  du  syndicat. 

Mais  l'essentiel  est  que  le  contrat  collectif  une  fois  con- 


332  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

clu  soit  respecté  et  que  les  patrons  puissent  le  faire  respec- 
ter :  l'article  o  dispose  à  cet  égard  : 

«  L'accord,  les  conventions  ou  les  règlements  faits  par 
le  Conseil  de  conciliation  et  d'arbitrage  formeront  contrat 
entre  les  parties  et  aurant  forcer  de  loi  devant  les  juridic- 
tions compétentes.  » 

C'était  donc  le  contrat  collectif  érigé  en  contrat  légale- 
ment obligatoire. 

De  la  même  façon  la  sentence  arbitrale,  s'il  y  a  arbi- 
trage, tiendra  lieu  de  contrat  : 

x4rticle  15  :  «  Lorsque  la  sentence  arbitrale  aura  fixé 
les  conditions  de  prix  ou  autres  dans  lesquelles  un  travail 
industriel  devra  être  effectué,  si  plus  tard  l'exécution  du  mê- 
me tiavail  donne  lieu  à  un  débat,  le  procès-verbal  d'arbi- 
ti'age  fera  foi  des  termes  du  contrat  intervenn  entre  pa- 
trons et  ouvriers.   » 

Ainsi,  le  contrat  collectif  directement  conclu  ou  résul- 
tant de  la  sentence  arbitrale  est  en  tous  cas  légalement 
obligatoire. 

Une  fois  de  plus  le  contrat  collectif  avait  failli  être  in- 
troduit dans  notre  législation  par  réglementation  directe  à 
propos  de  l'arbitrage. 

Mais  la  législature  prit  fin  sans  que  le  rapport  Lyonnais 
eût  été  discuté  en  séance. 

De  la  même  manière  le  contrat  collectif  transparaît  dans 
l'immense  travail  législatif  qui  s'est  fait  antour  de  la  créa- 
tion des  Conseils  de  travail  (i).  Il  faudrait  pouvoir  suivre 
en  détail  les  étapes  de  ce  travail  législatif  des  plus  intéres- 


(1)  En  ce  sens,  projet  Jules  Roche  et  Mesureur  déposé  à  la  Chambre, 
le  14  décembre  1891,  repris  par  leurs  auteurs  le  20  janvier  1894.  J.O., 
1894,  p.  65,  annexe  no  276. 


LES   PROJETS    KT    LES    RÉFOHMI'IS  333 

saiils  OÙ  l'idée  de  coiilral  collectif  revient  sans  cesse.  Nous 
n'en  pouvons  résumer  que  les  points  principaux  : 

La  proposition  Mesureur  du  20  janvier  1894,  prévoyait 
la  création  de  Conseils  du  travail  créés  par  décret  ou  ins- 
titués librement  par  les  syndicats  pour  prévenir,  conclure 
ou  arbitrer  les  différends  entre  patrons  et  ouvriers  et  em- 
plovés  :  après  déclaration  de  leur  constitution  sig^née  des 
membres  et  déposée  à  la  mairie,  les  conseils  libres  pou- 
vaient, comme  les  conseils  créés  par  décret,  bénéficier  des 
dispositions  de  l'article  21  du  projet,  qui  concerne  plus 
spécialement  la  validité  en  justice  des  contrats  collectifs 
passés  par  les  Conseils  du  travail. 

Cet  article  21  du  projet  était  ainsi  conçu  : 

«  Lorsqu'une  décision  de  conciliation  ou  d'arbitrage 
aura  fixé  les  conditions  du  travail,  elle  fera  foi  en  justice, 
à  titre  de  conditions  minima,  pour  le  règlement  des  li- 
tiges individuels  ; 

Elle  fera  foi  également  dans  les  instances  introduites 
devant  les  tribunaux  compétents  par  les  syndicats  profes- 
sionnels en  vertu  des  droits  que  leur  confère  l'article  6  de 
la  loi  du  21  mars  1884.  » 

C'était  par  ce  dernier  paragraphe  «  la  confirmation  et  la 
précision  d'un  droit  conféré  aux  syndicats  par  la  loi  de 
1884  »,  la  reconnaissance  légale  par  interprétation  législa- 
tive d'un  droit  déjà  existant. 

Mais  la  part  originale  du  projet  était  tout  entière  dans 
ridée  que  le  contrat  collectif  sera  au  tnoins  un  minimum 
dans  le  métier  :  les  décisions  de  conciliation  et  darbitrage 
feront  foi  également  en  justice  pour  les  règlements  des 
litiges  individuels  :  les  mots  :  «  à  titre  de  conditions  mi- 
nima »  laissent  bien  entendre  qu'un  contrat  individuel 
pourra  se  greffer,  comme  en   Angleterre,   sur  le  contrat 


334  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

collectif  mais  à  condition  que  ce  contrat  stipule  des  condi- 
tions de  travail  meilleures,  pour  un  ouvrier  de  valeur  pro- 
fessionnelle plus  grande. 

L'auteur  du  projet  écarte  nettement  la  possibilité  d'un 
contrat  individuel  postérieur  au  contrat  collectif  et  ne  res- 
pectant pas  les  conditions  du  contrat.  «  La  disposition 
qu'on  a  proposé  d'ajouter  pour  sauvegarder  ce  qu'on  ap- 
pelle la  liberté  des  contrats,  dit  l'exposé  des  motifs, 
«  A  moins  de  conventions  contraires  >;,  nous  paraît  inac- 
ceptable, car  elle  est  la  négation  môme  de  la  décision  ar- 
bitrale ou  du  contrat  de  conciliation.  Il  est  clair  en  elfet 
que  si  le  contrat  collectif  une  fois  conclu  n'est  pas  respecté, 
la  passation  de  conventions  individuelles  viendrait  bien- 
tôt annuler  les  concessions  consenties  par  les  patrons  : 
le  contrat  resterait  véritable  lettre  morte.  » 

Nous  trouvons  donc  ici  une  idée  fort  ingénieuse  pour  assu- 
rer le  respect  du  contrat  collectif,  tout  en  respectant  pour 
une  part  la  liberté  individuelle  :  les  clauses  du  contrat 
collectif  vaudront  au  moins  comme  conditions  minima. 
Peut-être  y  aurait-il  là  une  mesure  heureuse  dont  devront 
s'inspirer  les  législateurs  de  demain. 

Ce  projet,  ou  plutôt  un  texte  remanié  très  légère- 
ment par  la  commission  permanente  du  conseil  supérieur 
du  travail,  vint  en  discussion  devant  ce  conseil  dans  sa 
cinquième  session,  1895  (1).  La  longue  discussion  à  la- 
quelle donna  lieu  le  rapport  de  M.  H.  Dépasse  nous  pa- 
raît comporter  un  double  enseignement  : 

a)  Elle  dégage  parfaitement  l'idée  nouvelle  qui  tend  de- 


(1)  Voir  procès-verbaux  du  Conseil  supérieur  du  travail,  cinquième 
session,  1895,  p.  12  et  suiv.  — «  De  l'organisation  des  chambres  du 
travail  ». 


LES   PROJETS    ET    LES    RÉFOHMES  335 

puis,  chaque  jour  davantage,  à  se  répandre  et  dont  nous 
trouverons  l'expression  législative  dans  le  projet  de  loi 
Waldeck-Rousseau-Miilerand  sur  le  règlement  amiable 
des  diirérends  lelalifs  aux  conditions  du  travail  :  pour  que 
le  contrat  collectif  se  développe,  il  est  nécessaire  aux  yeux 
de  beaucoup,  qu'une  institution  légale  înette  obligatoire- 
ment en  présence  patrons  et  ouvriers  (1). 

b)  Elle  montre  une  fois  de  plus  la  situation  législative 
très  malheureuse  du  contrat  collectif,  dont  le  sort  est  per- 
pétuellement lié  à  quelque  autre  institution  plus  vaste  qui 
le  compromet  :  c'est  ainsi  que,  bien  que  les  membres  du 
Conseil  supérieur  du  travail  fussent  en  grande  majorité 
partisans  du  contrat  collectif,  toutes  les  dispositions  le 
concernant  furent  emportées  par  le  vole  de  principe  re- 
poussant la  création  des  chambres  de  travail  constituées 
par  la  loi. 

Dans  le  projet  présenté  par  la  commission  permanente 
du  Conseil  supérieur  du  travail,  nous  trouvons,  à  côté  de 
dispositions  analogues  à  celles  déjà  étudiées,  une  idée  ori- 
ginale au  sujet  de  la  preuve  du  contrat  collectif:  l'article 
18  porte  en  effet  : 

«  Les  procès-verbaux  du  comité  de  conciliation  et  d'ar- 
bitrage constatant  un  accord,  une  convention  ou  un  règle- 
ment entre  patrons  et  ouvriers,  font  foi  devant  les  juri- 
dictions compétentes  des  termes  du  contrat  ou  de  la  sentence 
arbitrale  intervenue.  » 

En  reconnaissant  ainsi  aux  procès-verbaux  «  la  valeur 
probante  d'un  acte  authentique  (2)  »  on  facilite  grande- 


{{)  Voir  nos  conclusions  :  Avenir  du  contrat  collectif. 
(2)  M.  Many  au  projet  duquel  est  emprunté  l'article  17. 


336  DEUXIKMK    PAUTIK.    CHAPITHK    IV 

mont  au  cas  de  conflit  le  règlement  des  questions  de  preu- 
ve entre  les  parties,  mais  surtout,  et  c'était  là  l'idée  et 
l'inspiration  de  cet  article,  on  voudrait  que  «  la  preuve 
acquit  avec  l'usage  et  la  coutume  un  effet  indirect  à  l'égard 
des  autres  personnes,  patrons  et  ouvriers  appartenant  à  la 
même  profession  dans  la  môme  région  ». 

Dans  ce  but  l'article  18  assurait  la  publicité  de  ces  pro- 
cès-verbaux et  décisions  arbitrales  (1). 

Et  on  espérait  avec  M.  Finance  que  petit  à  petit  ce  do- 
cument aurait  acquis  une  valeur  analogue  à  celle  de  la 
série  de  prix  de  la  ville  de  Paris.  Il  y  a  là,  au  point  de  vue 
immédiat  de  la  preuve  et  indirectement  au  point  de  vue  du 
rayonnement  du  contrat  collectif,  une  idée  intéressante 
qu'il  importait  de  signaler.  Mais  tant  que  des  dérogations 
conventionnelles  resteraient  possibles  à  ce  tarif  coutumier, 
les  taux  de  salaires  du  contrat  collectif  n'auraient  guère 
chance  de  se  répandre  dans  le  métier. 

La  création  des  Conseils  du  travail  qui  n'aboutit  pas  par 
voie  législative  fut  réalisée,  on  le  sait,  par  le  décret  du 
28  septembre  1900,  signé  par  M.  Millerand. 


(1)  Art.  18.  —  Les  procès-verbaux  el  décisions  inenlionnés  aux 
articles  9,  20  et  21  (procès-verbaux  des  séances  de  section,  procès- 
verbaux  des  comités  de  conciliation  et  d'arbitrage)  sont  conservés  en 
minute  à  la  mairie,  aux  archives  de  la  Chambre  du  travail  qui  en  dé- 
livre gratuitement  une  expédition  à  chacune  des  parties  intéressées  et 
en  adresse  une  au  ministre  du  Commerce  et  de  riiidusirie  pour  être 
insérée  au  Bulletin  de  l'OfTice  du  travail 

Ces  procès-verbaux  et  décisions  sont  rendus  publics  par  l'affichage 
à  la  place  réservée  aux  publications  ofliciellcs  par  les  mairies  de  cha- 
cune des  communes  qui  sont  le  siège  du  difTérend. 

Un  aflichage  plus  étendu  de  ces  décisions  pourra  se  faire  par  les 
parties  intéressées. 


LES   PRUJm'S   ET    LEIS    Ri^ORMES  337 

Ce  ilôcrol  nosl  que  le  prologue  du  projet  Je  MM.  Wal 
deck-Rousseau  et  Millerand  déposé  à  la   Chambre  le  15 
novembre  1900. 

C.  —  Il  nous  reste,  pour  terminer  cette  revue  trop  ra- 
pide des  réformes  proposées,  à  étudier  ces  deux  textes 
pour  y  saisir  le  sens  nouveau  et  l'orientation  spéciale 
(ju'on  entend  donner  à  l'introduction  du  contrat  collectif 
dans  notre  législation. 

De  ces  deux  réformes,  il  faut  d'abord  isoler  la  première 
qui  semble  dénnitivementacquise(l).  11  est  certain  quedans 
la  pensée  de  son  auteur,  le  décret  du  18  septembre  1900 
avait  pour  but  indirect  d'encourager  les  contrats  collectifs 
conune  en  fuit  foi  lexposé  des  motifs  suivant: 

«  Les  Conseils  du  travail,  qu'institue  et  organise  le  dé- 
cret. .  .  sont  des  corps  composés  pour  moitié  de  représen- 
tants élus  des  patrons,  pour  moitié  de  représentants  élus 
des  ouvriers.  Leur  mission  principale  doit  être  d'éclairer 
le  Gouvernement  et  aussi  les  intéressés  patrons  et  ouvriers, 
sur  les  conditions  nécessaires  du  travail,  de  faciliter  par 
là  même  les  accords  syndicaux  et  les  conventions  géné^ 
raies  entre  ces  intéressés.  » 

Et  après  avoir  rappelé  la  constatation  «  souvent  faite  et 
devenue  banale  »  de  l'inégalité  dans  le  contrat  de  travail, 
l'exposé  des  motifs  montre  que  «  contre  ces  périls  les  ou- 
vriers nont  d'autre  garantie  que  leur  union,  leur  grou- 
pement en  syndicats  pour  l'étude  et  la  défense  de  leurs 
intérêts  professionnels  ».   Et  en  attribuant  aux  Syndicats 


(1)  Malgré  quelques  projets  parlemenlaires  qui  voudraient  retourner 
en  arrière,  il  sera  difficile  de  revenir  sur  l'idée  qui  est  aujourd'hui 
presque  uuauimemeul  acceptée. 

RATNAUD  22 


338 


DEUXIKMK    PARTIE.    CHAPITRE    IV 


patronaux  et  ouvriers  un  rôle  actif  et  prépondérant  dans 
l'élection  des  Conseils  du  travail,  en  développant  le  mou- 
vement syndical,  le  décret  encourage  encore  par  un  moyen 
détourné  la  conclusion  du  contrat  collectif. 

D'ailleurs  le  texte  (art.  2,  3°)  leur  donne  formellement 
pour  mission  : 

D'établir  dans  chaque  région  pour  les  professions  repré- 
sentées dans  le  conseil,  et  autand  que  possible  en  provo- 
quant des  accords  entre  sytidicats  patronaux  et  ouvriers, 
un  tableau  constituant  le  taux  normal  et  courant  des  sa- 
laires, et  de  la  durée  normale  et  courante  de  la  journée  de 
travail. 

Enfin  en  prévision  de  ces  accords  établis  soit  par  la 
commune  volonté  des  parties,  soit  à  la  suite  d'un  arbitrage 
le  décret  (art.  31)  assure  l'égalité  entre  patrons  et  ou- 
vriers :  cet  article  11  suppose  en  effet  : 

«  Dans  les  délibérations  relatives  aux  objets  énumérés 
à  l'article  2  |  3  ou  si  en  vertu  des  dispositions  de  l'article 
2  I  1  elles  sont  appelées  à  intervenir  comme  conciliateur 
ou  comme  arbitre  dans  les  différents  collectifs  entre  les 
patrons  et  leurs  ouvriers  ou  employés,  les  sections  doivent 
être  composées  effectivement  d'un  nombre  égal  de  patrons 
et  d'ouvriers  ou  employés.  Lorsque  pour  une  cause  quel- 
conque, les  uns  et  les  autres  ne  sont  plus  en  nombre  égal, 
le  ou  les  «plus  jeunes  membres  de  la  partie  la  plus  nom- 
breuse n'ont  que  voix  consultative.  » 

Ainsi  d'après  le  décret  du  18  septembre  1900,  le  contrat 
collectif,  sans  d'ailleurs  être  directement  réglementé,  est 
mentionné  dans  un  texte  législatif  pour  la  première  fois  : 
il  est  ensuite  grandement  favorisé  par  la  création  de  ces 
conseils  du  travail. 

—  La  manière  dont  ces  conseils  du  travail  dans  la  pen 


LES    PROJETS    KT    LKS    UKFOHMKS  339 

sée  (lu  gouvoniement  doivent  concourir  à  la  lornialion  du 
contrat  collectif  est  précisée  par  le  projet  de  loi  déposé  à  la 
Chambre  par  MM.  Waldeck-Uousseau  et  Millerand  le  15 
novembre  1900  sur  le  règlement  amiable  des  différends  rela- 
tifs aux  conditions  du  travail  (1). 

Sans  doute  ce  projet  a  déjà  rencontré  de  sérieuses  ré- 
sistances auprès  des  chambres  de  commerce,  des  syndicats 
patronaux  et  ouvriers  —  mais  il  semble  bien  que  ce  sont 
les  dispositions  du  projet  sur  l'arbitrage  et  la  grève  obliga- 
toire qui  lui  ont  valu  le  plus  grand  nombre  de  critiques  : 
au  contraire  les  dispositions  concernant  le  contrat  collectif 
—  les  seules  qui  nous  intéressent  directement  —  ici  sont 
loin  d'avoir  soulevé  les  mêmes  difficultés.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  l'avenir  de  ce  projet,  il  nous  faut  ici  brièvement  l'étu- 
dier à  la  fois  dans  son  esprit  et  ses  dispositions  princi- 
pales. 

L'idée  dominante  du  projet,  d  une  manière  générale  et 
plus  particulièrement  au  point  de  vue  du  contrat  collectif, 
est  que  les  majorités  en  principe  lient  les  minorités  dans  les 
questions  concernant  le  travail  :  sans  doute  on  prend  soin 
de  protéger  la  liberté  individuelle  avant  la  formation  du 
contrat  collectif,  mais  une  fois  celui-ci  formé,  il  vaut  et 
s'impose  à  l'égard  de  tous  les  ouvriers  intéressés.  Nous 
retrouvons  ainsi  le  problème  important  qui  domine  pour 
ainsi  dire  toute  cette  étude  :  dans  la  formation  du  contrat 
collectif,  comment  concilier  l'ancien  principe  de  la  liberté 
individuelle  et  les  exigences  de  la  solidarité  ouvrière  ? 

Ici,  par  une  solution  interventioniste  hardie,  c'est  la  ré- 
glementation légale  du  contrat  collectif  s'imposant  à  tous 


(1)  Chambres,  Annexes  4900,  p.  oG,  uo  1937. 


340  DEUXIÈME    PAUTIE.    CHAPITRE    IV 

une  fois  qu'ils  l'ont  acceptée,  qui   est  préconisée  coinrrio 
solution. 

L'exposé  des  motif  d'ailleurs  ne  dissimule  nullement  le 
caractère  nouveau  et  quelque  peu  radical  de  la  solution 
proposée  :  il  indiqnetrès  nettement  comment  pour  la  grève 
et  l'accord  qui  la  termine  rengagement  de  la  majorité  doit 
lier  la  minorité. 

«  Les  intéressés  peuvent  ne  pas  accepter  le  contrat  ; 
mais  s'ils  l'acceptent,  il  n'est  pas  susceptible  d'être  exécuté 
par  les  uns  et  inexécuté  par  d'autres.  L'engagement  de 
chacun  a  sa  cause  dans  l'engagement  pris  par  tous.  C'est 
donc  comme  dans  toute  société  et  toute  association,  la 
majorité  qui  doit  prévaloir.  » 

On  veut  ensuite  —  car  on  sent  bien  la  nouveauté  et  la 
hardiesse  delà  solution  proposée  — la  justifier  par  quelque 
précédent  :  «  D'ailleurs  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui,  dit  en- 
core ce  même  exposé,  que  la  loi  des  majorités  a  pénétré 
dans  le  contrat  de  travail,  et  l'un  des  premiers  effets  de  la 
loi  de  1884  a  été  d'en  rendre  l'application  fréquente.  Cette 
application  a  reçu  la  consécration  de  la  jurisprudence  tou- 
tes les  fois  011  l'interdiction  du  travail  édictée  par  la  majo- 
rité avait  pour  but  l'amélioration  des  conditions  du  travail. 
Même  dans  ce  cas,  il  est  unanimement  reconnu  que  l'in- 
terdiction est  si  légitime,  qu'elle  ne  crée  aucun  principe 
d'action  à  ceux-là  même  qui  n'étant  pas  syndiqués  en 
ressentent  cependant  les  effets...  »  Sans  doute,  mais  dans  le 
cas  ainsi  visé,  l'ouvrier  restait  libre  en  droit  au  moins, 
sinon  souvent  en  fait,  de  continuer  à  travailler  et  à  tra- 
vailler à  telles  conditions  qu'il  lui  plaisait.  Peut-être  la  loi 
des  majorités  est-elle  acceptable  —  surtout  si  on  réserve 
la  liberté  plus  théorique  que  pratique  de  n'y  pas  partici- 
per  :    mais    encore    faut-il  reconnaître    franchement  que 


LES    PROJETS    RT    LES    RÉFORMES  341 

c'est  là  quelque  cliose  de  réellement  nouveau  et  de  tout  à 
fait  spécial  :   il  faut  l'imposer  plus  encore  que  l'excuser. 

Mieux  vaut  dire  franchement  —  quille  à  discuter  les 
détails  —  que  l'idée  môme  du  contrat  collectif  contient 
cette  solution  :  il  y  a  un  moment  où  lintérèt  général  doit 
l'emporter  sur  l'intérêt  particulier  :  est-ce  dès  le  début, 
comme  le  veut  le  projet  ;  n'est-ce  au  contraire  que  plus 
tard  quand  la  volonté  individuelle  s'est  librement  fondue 
avec  cet  intérêt  commun  (1).  En  tout  cas  constatons,  pour 
terminer  cet  examen  de  l'esprit  du  projet,  sans  1  approu- 
ver pleinement  d'ailleurs —  que  ses  auteurs  ont  eu  direc- 
tement en  vue  de  promouvoir  en  France  le  contrat  collec- 
tif :  on  peut  discuter  sur  le  choix  des  moyens,  mais  l'in- 
tention doit  réunir  tous  les  hommes  de  bonne  volonté. 
«  Hien  n'a  été  tenté  en  France  jusqu'à  présent,  dit  formelle- 
ment l'exposé  des  motifs,  pour  établir  législativemenl  des 
rapports  réguliers  entre  patrons  et  ouvriers  de  chaque  in- 
dustrie, en  dehors  des  heures  de  présence  à  l'atelier  ;  et 
cependant  depuis  que  par  le  développement  des  forces  mé- 
caniques, l'usine  s'est  aggrandie  et  que  le  chef  industriel 
s'est  éloigné  de  plus  en  plus  du  travailleur  proprement 
dit,  jamais  l'urgence  de  ces  relations,  la  nécessité  d  un 
contrat  collectif  discuté  librement  entre  ces  deux  forces^ 
ne  s'est  fait  plus  vivement  sentir.  » 

Peut-être  les  moyens  sont-ils  contestables  :  en  tout  cas 
le  projet  aura  eu,  même  s'il  reste  à  l'état  de  projet,  cette 
incontestable  utilité  de  poser  d'une  manière  plus  aiguë 
et  plus  actuelle,  la  question  de  la  nécessité  de  la  réglemen- 
tation légale  du  contrat  collectif. 


(I)  Voir  avenir  du  contrai  collectif. 


342  DEUXIÈME    PARNIE.    —    CHAPITRE    IV 

Examinons  rapidement  le  dispositif  du  projet  quant  à 
cette  rég-lementation,  précisément  au  point  de  vue  de  cette 
conciliation  chercliée. 

D'ai)ord,  et  la  chose  est  formellement  dite  dans  l'exposé 
des  motifs,  le  système  tout  entier  du  nouveau  projet  sup- 
pose un  contrat  collectif  initial  relativement  à  l'arbitrage; 
la  loi  et  le  nouveau  régime  ne  s'appliqueront  qu'aux  éta- 
blissements où  un  contrat  conforme  aura  été  conclu  entre 
patrons  et  ouvriers  :  «  cette  convention  serait  passée  très 
simplement,  en  dehors  de  toute  période  de  grève,  alors 
que  les  deux  parties  contractantes  sont  portées  à  désirer  et 
à  garantir  la  paix  entre  elles.  »  Ce  contrat  collectif  ainsi 
conclu  «  établirait  légalement  entre  les  ouvriers  et  em- 
ployés de  l'établissement  cette  association  de  travail  que 
comporte  leur  communauté  naturelle  d'intérêts  et  qui  jus- 
tifie les  dispositions  du  projet  actuel  ». 

L'article  l*""  dispose  : 

«  Dans  tout  établissement  industriel  ou  commercial, 
occupant  au  moins  cinquante  ouvriers  ou  employés,  un 
avis  imprimé  remis  à  tout  ouvrier  ou  employé,  se  pré- 
sentant pour  être  embauché,  fera  connaître  si  les  contes- 
tations relatives  aux  conditions  du  travail  entre  les  pro- 
priétaires de  l'établissement  et  les  ouvriers  ou  employés 
seront  ou  ne  seront  pas  soumises  à  l'arbitrage  tel  qu'il  est 
organisé  par  la  présente  loi. 

«  Dans  le  premier  cas,  l'entrée  dans  l'établissement  cons- 
titue, après  un  délai  de  trois  jours,  l'engagement  récipro- 
que de  se  conformer  à  la  présente  loi.  Elle  établit  pour 
tout  ce  qui  est  prévu  une  communauté  d'intérêts  entre  les 
ouvriers  et  les  employés  et  les  oblige  à  se  soumettre  à  la 
décision  prise  conformément  à  ces  dispositions. 

«  L'avis  prévu    au   paragraphe  1"''  du  présent  article  et 


LF-S    PROJRTS    Kl     LKS    HKFURMES  343 

formant  convention  entre  les  parties  doit  être  affiché  dans 
l'établissement  par  les  soins  des  chefs  d'établissement.  » 

D'ailleurs  tout  établissement,  même  employant  moins 
de  cinquante  employés,  pourra  conclure  avec  son  person- 
nel une  convention  de  la  nature  de  celle  que  formule  l'ar- 
ticle i"  de  la  loi  :  mais  celle-ci  est  pratiquement,  et  sur- 
tout, une  loi  qui  concerne  la  grande  industrie. 

Ainsi  la  réglementation  légale  du  contrat  collectif  ne 
s'impose  en  quelque  sorte  qu'à  ceux  qui  veulent  l'accepter. 
Sans  doute,  on  pense  bien  qu'en  fait,  surtout  en  la  décla- 
rant obligatoire  pour  les  ouvriers  de  l'Etat,  le  système  ne 
larderait  pas  à  s'universaliser  :  mais  en  droit  au  moins, 
la  liberté  industrielle  est  sauvegardée  par  ce  délai  de  trois 
jours,  accordé  à  l'ouvrier  qui  ne  veut  pas  du  système. 
Peut-être  convient-il  de  remarquer  que  tout  en  respectant 
cette  liberté,  la  loi  la  restreint  quelque  peu  :  car  l'ouvrier 
qui  ne  voudra  pas  du  contrat  collectif  et  de  la  force  con- 
traignante des  décisions  majoritaires,  ne  pourra  se  faire 
euïbaucher  dans  l'établissement  considéré.  Mais  c'est  peut- 
être  là  un  de  ces  sacrifices  nécessaires  que  rendr^indispen- 
sable  l'établissement  d'un  régime  pratique  du  contrat  col- 
lectif. A  tout  prendre,  la  solution  est  peut-être  encore  la 
meilleure,  il  se  passerait  probablement  en  fait,  pour  l'appli- 
cation du  système  du  projet,  s'il  était  voté,  ce  qui  s'est  passé 
pour  l'article  7  de  la  loi  de  1884,  réservant  îe  droit  de  sor- 
tir du  syndicat  :  le  principe  de  la  liberté  est  sauf,  et  dans  la 
pratique,  c'est  en  quelque  sorte  par  la  libre  lutte  des  forces 
syndicales  contre  les  indépendants,  lutte  dominée  par  une 
juste  et  sincère  application  des  lois  et  soumise  aux  déci- 
sions judiciaires  en  cas  d'abus,  c'est  par  la  reconnaissance 
progressive  des  avantages  du  nouveau  régime  de  solidarité 
ouvrière,  que  celle-ci  entrera  petit  à  petit  dans  les  mœurs. 


344  DEUXIÈME    PABTIE.    CHAPITRE    IV 

Voici  maintenant  les  points  principaux  de  cette  régle- 
mentation légale  du  contrat  collectif. 

Celui-ci  pourra  se  produire  dans  deux  hypothèses  ; 
soit  librement  et  avant  tout  conflit,  soit  comme  décision 
arbitrale  terminant  un  conflit  existant.  Dans  la  première 
hypothèse,  ce  sont  les  délégués  ouvriers  élus  (pour  les  dé- 
tails de  l'élection  voir  le  projet)  qui  sont  chargés  de  la 
conclusion  des  accords  entre  le  personnel  ouvrier  et  la 
direction  patronale  :  par  une  série  de  dispositions  habiles 
(articles  10  et  H)  le  projet  assure  les  rapports  fréquents 
et  constants  des  délégués  ouvriers  avec  le  patron  qui  doit 
les  recevoir  personnellement  ou  se  faire  suppléer  par  un 
agent  supérieur  de  la  direction  par  lui  désigné  :  les  récla- 
mations du  personnel  relatives  aux  conditions  du  travail 
doivent  être  transmises  par  les  délégués  oralement  d'a- 
bord, puis  par  écrit  :  il  y  aura  donc  chance  à  ce  moment 
que  le  contrat  collectif  soit  d'abord  conclu,  puis  remanié 
par  ces  délégués  permanents  des  ouvriers. 

Dans  la  seconde  hypothèse,  le  contrat  collectif  est  la  dé- 
cision arbitrale  rendue  soit  par  les  premiers  arbitres  libre- 
ment choisis  par  les  parties,  soit  par  l'arbitre  départiteur 
nommé  par  les  précédents,  soit  enfin  par  les  sections  des 
conseils  du  travail. 

A  l'égard  de  ces  sentences  arbitrales,  le  projet  dispose  : 

Article  23.  —  Les  sentences  arbitrales  rendues  par  les 
premiers  arbitres,  l'arbitre  départiteur  ou  les  sections  des 
Conseils  du  travail,  consignées  dans  les  procès-verbaux 
signées  par  les  arbitres  vaudront  convention  entre  les 
parties  pour  une  période  de  six  mois. 

L'article  24  fixe  le  point  de  départ  de  l'application  de 
ces  contrats  collectifs  : 

«  Si  le  travail  n'a  pas  été  suspendu  ou  s'il  a  été  repris 


LKS   PROJETS    RT    l-ES    RÉFORMES  345 

avec  la  sentence  arbitrale,  celle-ci  aura  un  effet  rétroactif. 
Son  application  partira  soit  du  jour  de  la  reprise  du  tra- 
vail dans  le  second  cas,  soit  dans  le  premier  cas  du  début 
de  la  procédure.  » 

Enfin  l'article  25  assure  la  conservation  et  la  publicité 
de  ces  sentences  : 

«  Les  sentences  arbitrales  sont  déposées  et  conservées, 
en  minute  au  secrétariat  du  Conseil  du  travail,  qui  en 
adresse  une  expédition  au  ministre  du  Commerce  et  de 
rindustrie  par  l'intermédiaire  du  préfet. 

«  Une  expédition  en  est  délivrée  gratuitement  à  cbacune 
des  parties.  » 

Ainsi  est  assurée  la  force  légale  du  contrat  collectif 
pour  tous  les  ouvriers  de  l'établissement  considéré. 

Mais  —  et  c'est  là  le  point  faible  du  projet  —  quelle 
sanction  à  l'observation  des  formalités  de  la  loi  en  général 
et  à  celle  du  contrat  collectif  en  particulier? 

Dans  l'état  économique  actuel,  comme  l'indique  l'ex- 
posé des  motifs,  le  projet  n'a  pu  trouver  qu'une  sanction 
toute  morale  :  la  perte  des  droits  électoraux  ouvriers  (1). 
C'est  là  sans  doute  une  sanction  que  la  pratique  démon- 


(1)  Sanclion  de  lobligalion  d'arbitrage  obligatoire  (art.  29)  :  En  cas 
d'inexécution  des  engagements  résultant  de  la  convention  d'arbitrage 
prévue  à  l'art.  1,  les  patrons  ouvriers  ou  employés  qui  n'auront  pas 
tenu  ces  engagements,  seront  interdits,  pendant  trois  ans,  du  droit 
d'être  électeurs  ou  éligibles  dans  les  divers  scrutins  relatifs  à  la  repré- 
sentation du  travail,  savoir  :  la  nomination  des  administrateurs  de 
syndicats,  des  délégués  ouvriers,  des  délégués  mineurs,  des  conseillers 
prud'hommes,  des  membres  des  Chambres  de  commerce,  tribunaux 
de  commerce,  conseils  du  travail  et  des  membres  du  conseil  supérieur 
du  travail.  En  cas  de  récidive,  l'interdiction  sera  de  0  ans. 

La  perte  de  ces  droits  électoraux  sera  constatée  par  les  juges  de 
paix  et  notifiée  à  fin  de  radiation  aux  autorités  compétentes. 


346  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

trera  manifestement  insuffisante.  Mais  peut  être  cette  inef- 
ficacité —  si  elle  est  à  regretter  au  point  de  vue  du  méca- 
nisme général  de  la  loi  —  n'influerait-elle  pas  directement 
sur  l'observation  du  contrat  collectif:  en  effet  —  et  c'est 
là  l'originalité  du  projet  au  point  de  vue  qui  nous  préoc- 
cupe —  le  contrat  collectif  soit  librement  formé,  soit  établi 
par  la  sentence  arbitrale  se  substitue  point  par  point  au 
contrat  individuel  et  dès  lors  toutes  les  dispositions  actuel- 
lement en  vigueur  à  propos  de  ce  contrat  individuel  se- 
raient à  n'en  pas  douter  applicables  au  nouveau  régime, 
au  contrat  collectif. 

Ainsi  dans  le  projet  nouveau  —  et  c'est  par  là  qu'il  se 
sépare  nettement  des  projets  antérieurs  —  le  contrat  col- 
lectif se  développerait  sans  l'intervention  du  syndicat  au 
contrat  ;  c'est  ce  que  nous  pouvons  ranger  dans  ce  que 
nous  avons  appelé  le  contrat  collectif  de  droit  public  :  c'est 
ici  par  la  force  de  la  loi,  sauf  la  réserve  indiquée,  que  le 
contrat  collectif  est  substitué  au  contrat  individuel.  Il  y  a 
là,  on  le  voit,  (|uel(jue  cliose  d'entièrement  nouveau,  un 
acte  d'intervention  directe,  qui  tranche  francbemcnt  avec 
toute  l'évolution  que  nous  avons  étudiée. 

Mais  ce  système  —  qui  en  lui  même  et  à  l'état  isolé  — 
ne  saurait  soulever  de  bien  sérieuses  critiques,  est  intime- 
ment lié  au  reste  du  projet:  arbitrage  et  grève  obligatoire. 
Peut-être  une  fois  de  plus,  la  destinée  malheureuse  du 
contrat  collectif  se  retrouvera-t-elle;  son  introduction  dans 
nos  lois,  sa  réglementation  légale  sera  une  fois  encore 
empêchée  par  les  institutions  coimexes  sur  lesquelles  on 
veut  l'appuyer! 


CONCLUSION 

L'AVENIR  DU  CONTRAT  COLLECTIF 


Après  celle  longue  élude,  une  dernière  queslion  se  pose: 
quel  peul  èlre  l'avenir  du  conlral  eolleclif  ? 

I.  —  Un  premior  problème  domine  tout  ce  débal  :  quel- 
les que  soient  en  effet  les  conclusions  théoriques  auxquel- 
les on  puisse  arriver,  elles  seront  vaines  et  sans  portée  pra- 
tique, si  écononjiquement  le  contrat  collectif  est  mauvais, 
c'est-à-dire  moins  avantageux  que  le  conlral  individuel. 
Aussi  bien  dans  une  question  si  complexe  est-il  de  pre- 
mière injportance  d'avoir  en  sa  faveur  le  mobile  économi- 
que, de  ne  pas  lutter  en  vain  contre  cette  force  irrésistible 
qui  entraine  l'humanité  vers  ce  qui  lui  est  le  plus  avan- 
tageux. 

Avec  une  grande  pénétration,  dans  un  article  récent  (1) 
M.  de  Molinari  pose  très  nettement  la  queslion:  au  point 
de  vue  de  la  production,  le  contrat  collectif  est-il  aujour- 
d'hui plus  économique  que  le  contrat  individuel? 

«  Si  le  régime  de  l'engagemeiit  individuel  du  personnel 
des  entreprises  est  plus  économiqne  qu'un  aulre,  s'il  peul 
faire  descendre  le  prix  de  revient  des  produits  à  un  niveau 


(1)  Journal  des  Economistes,  «  La  giierre  civile  du  capital  et   du 
travail  »,  15  septembre  1899. 


348  CONCLUSION 

plus  bas  que  le  système  de  l'engagement  collectif  ou  que 
toute  autre  organisation  que  des  novateurs  voudraient 
faire  adopter  ou  môme  imposer,  il  subsistera,  malgré  tout, 
et  si  l'on  essayait  de  le  supprimer,  il  serait  plus  fort  que 
la  loi.   » 

L'auteur  remarque,  et  nous  sommes  volontiers  de  son 
avis,  que  tant  que  les  acheteurs  de  la  marchandise  travail 
ont  été  en  situation  de  faire  la  loi  aux  vendeurs,  le  contrat 
individuel,  par  les  conditions  de  travail  très  avantageuses 
au  point  de  vue  de  la  production  qu'il  assurait,  a  été  long- 
temps le  plus  avantageux.  Mais  aujourd'hui  ce  monopole, 
cette  situation  privilégiée  sont  entamés  de  toutes  parts  : 
les  multiples  et  récentes  grèves  qui  éclatent  dans  tous  les 
métiers  en  sont  la  confirmation  éclatante  :  les  patrons, 
quoi  qu'ils  fassent,  ne  sont  plus  en  état  de  dominer  le 
marché  du  travail  et  le  seront  chaque  jour  de  moins  en 
moins. 

Le  contrat  collectif  apparaît  alors  précisément  comme 
l'unique  garantie  possible  contre  ce  risque  permanent  de 
grèves  qui  affaiblit  et  ruine  l'industrie.  «  Il  remédie  aux 
dommages  causés  par  la  résistance  aux  grèves,  l'emploi  du 
lock-oiit,  l'afïaiblissement  des  travailleurs  au  point  de  vue 
de  leurs  facultés  de  consommation  et  par  suite  la  diminu- 
tion de  leur  force  productive.  » 

Déplus  il  est  le  seul  moyen  pratique  d'assurer  aux  pa- 
trons un  bon  choix  de  travailleurs  :  car  le  procédé  de 
remplacement  des  grévistes  par  des  ouvriers  quelconques, 
s'il  est  parfois  efficace,  a  aussi  son  retentissement  déplora- 
ble sur  la  production. 

Enfin  le  contrat  collectif  supprime  tous  les  risques  de 
grève  industrielle  :  boycottage,  matériel  endommagé  par 
une  grève  prolongée,  perte  de  commandes,  etc.,  etc. 


l'avenir  du  contrat  collectif  349 

En  un  mot,  à  tous  ces  points  de  vue  «  le  système  nou- 
veau du  contrat  collectif  réalise  un  progrès  notable  (1)  ». 

On  peut  même  affirmer  que  cette  supériorité,  au  point 
de  vue  de  la  production,  du  contrat  collectif  sur  le  contrat 
itidividuel  vu  chaque  jour  en  s'affirmant  davantage:  quel- 
(juos  patrons  commciicent  à  s'en  rendre  compte  :  un  plus 
grand  nombre  le  reconnaîtra  devant  l'indéniable  leçon  de 
l'expérience  (2). 

Donc,  on  peut  l'affirmer  sans  crainte,  le  contrat  collec- 
tif est  déjà  et  sera  chaque  jour  davantage  plus  avanta- 
geux économiquement  que  le  contrat  individuel. 

II.  —  S  il  en  est  ainsi,  pourrait-on  espérer  de  la  liberté 
seule  la  diffusion  en  France  du  contrat  collectif  comme  en 
Angleterre  ? 

Nous  ne  le  croyons  pas  pour  une  Inple  raison  : 

D'une  part,  et  la  chose  est  de  toute  évidence,  le  développe- 
ment du  contrat  collectif  parla  liberté  seule  est  entièrement 
subordonné  au  développement  du  mouvement  syndical. 

Or  ce  mouvement,  malgré  de  réels  progrès  depuis  1884, 
n'est  pas  encore  extrêmement  développé   en  France  (3). 


(1)  DeMolinari,  loc.  cil. 

(2)  Il  est  cerlain  d'ailleurs  que  celle  transformation  des  mœurs  sup- 
pose loule  une  éducation  économique.  M.  Liesse  te  remarque  fort 
justement:  «  A  un  système  de  réglementation  élroile,  succède  le  sys- 
tème du  contrat,  la  discussion  libre  des  conditions  du  travail.  Ce  nou- 
vel étal  de  choses  exige  des  employeurs  et  des  employés  une  éducation 
économique  en  opposition  complète  avec  celle  qui  s'était  faite  dans  les 
anciennes  corporations  (Liesse,  Le  travail,  p.  413;.  On  pourrait  ajou- 
ter :  en  opposition  complète  aussi  avec  l'éducation  qui  résulte  des  con- 
flits incessants  entre  le  capital  et  le  travail. 

(3)  16  0  0  seulement  des  ouvriers  seraient  actuellement  syndiqués. 
(1901,  Congrès  de  la  Fédération  ouvrière  de  Lyon.) 


350  G0^CLUSI0N 

Pour  les  raisons  que  nous  avons  indicjuées  plus  haut,  il  y  a 
comme  un  malentendu  fondamental,  l'ésultat  de  la  longue 
lutte  qu'ont  dû  soutenir  les  syndicats  pour  se  faire  recon- 
naître, qui  persiste  encore  aujourd'hui  entre  patrons  et 
ouvriers.  M.  de  Mun  le  remarquait  très  justement  ((). 

«  Le  mal  dans  toutes  les  questions  qui  ont  trait  à  l'or- 
ganisation du  travail,  c'est  la  séparation  habitu(;lle  des 
patrons  et  des  ouvriers,  l'état  d'isolement  oii  ils  vivent. 
Quand  un  conllit  vient  à  naître  et  qu'un  arbitrage  est  pro- 
posé, les  délégués  des  parties  intéressées  s'abordent  comme 
des  étrangers,  souvent  comme  des  ennemis.  Rien  ne  les  a 
prédisposés  à  l'entente,  à  l'accord,  à  la  concession  mutuelle.  » 
Rien  n'est  plus  exact  :  or  il  y  a  là,  semble-t-il,  un  vice 
radical  que  le  mouvement  syndical  actuel  porte  en  lui  môme 
et  qui  nous  semble  incui'able  par  la  seule  liberté. 

D'autre  part  —  et  c'est  la  deuxième  raison  pour  laquelle 
nous  repoussons  cette  solution  —  il  ne  faut  pas  attendre 
grand  chose  de  V Arbitrage  (2)  au  point  de  vue  de  la  dif- 
fusion du  contrat  collectif  parla  liberté. 

S'il  a  pu  donner  d'assez  remarquables  résultats  en  An- 
gleterre, c'est  qu'il  existait  sur  le  terrain  strictement  profes- 
sionnel sans  se  ressentir  des  luttes  politiques  :  or  aujour- 
d'hui dans  la  plupart  dés  cas  où  l'arbitrage  intervient  en 
France,  la  question  professionnelle  se  complique  d'une 
question  politique.  D'ailleurs,  en  dehors  môme  do  cette  rai- 


(i)  <irèves,  arbitrage  et  syndicats.  Réforme  Sociale,  1901,  13  mai. 

(2)  L'échec  relatif  de  la  loi  de  1892  que  Ions  déplorent  en  est  une 
première  et  indéniable  preuve.  Nous  entendons  ici  par  arbitrage  le 
fait  de  remettre  la  solution  d'un  conflit  économique  à  une  tierce  per- 
sonne, quelle  qu'elle  soil,  dont  la  décision  s'imposerait  aux  parties  : 
celles-ci  aliènent  ainsi  leur  souveraineté  économique. 


I/AVEMR    DU    CONTRAT    COLLECTIF  351 

son  toute  spéciale,  l'arbitrage,  on  l'a  vu  (1)  on  peut  pas 
mener  bien  loin  dans  la  diffusion  du  contrat  collectif  :  la 
détermination  des  conditions  du  travail  reste  avant  tout 
une  question  économique  au  premier  chef  que  les  parties 
se  refuseront  toujours  à  livrer  entièrement  à  la  décision, 
si  impartiale  soit-elle,  d'un  tiers  qu'on  se  refuse  à  intro- 
duire dans  le  métier  :  le  perpétuel  contact  avec  les  meneurs 
politiques  qui  interviennent  dans  les  grèves  a  encore  ren- 
du —  à  juste  titre  d'ailleurs  —  les  patrons  plus  susceptibles 
sur  ce  point.  Donc  de  ce  chef  encore  il  nous  faut  repousser 
la  solution  par  le  laissez-faire. 

Enlin  —  et  c'est  notre  Iroisième  et  dernière  raison  — 
le  caractère  très  individualiste  du  patron  et  do  l'ouvrier 
français  nous  semble  un  obstacle  insurmontable  à  la  dif- 
fusion lente  et  spontanée  du  contrat  collectif.  En  effet  — 
l'exemple  de  l'Angleterre  est  décisif  sur  ce  point  —  ce  dé- 
veloppement par  la  liberté  suppose  essentiellement  la  sou- 
veraineté de  fait  de  l'association  ouvrière  et  môme  patro- 
nale dans  le  métier  :  il  faut  pour  que  le  contrat  collectif 
s'introduise  et  se  développe  efficacement  dans  une  indus- 
trie donnée  que  les  parties  soient  en  état  de  la  faire  res- 
pecter par  tous  :  s'il  y  a  un  trop  grand  nombre  de  non- 
syndiqués,  la  fissure  ne  tarde  pas  à  s'agrandir  et  tout  le 
contrat  collectif  y  passe. 

Or  rien  n'est  plus  contraire  à  l'esprit  français  très  in- 
dividualiste que  cette  donnnation  du  syndicat,  (|ue  cette 
tyrannie  syndicale  pour  l'appeler  par  son  nom  ;  les  moyens 
violents  dont  fait  presque  toujours  usage  en  ce  cas  l'asso- 
ciation professionnelle  heurtent  profondément  le  sentiment 
de  la  liberté  du  travail   et  la  grève  perd  de   son  efficacité 


(1)  Cf.  p.  142  ci-dessous. 


352  CONCLUSION 

par  la  résistance,  des  non-syndiqués  (1)  (jui  veulent  conti- 
nuer le  travail. 

Donc  pour  cette  triple  raison  —  insuffisance  actuelle  et 
sans  doute  future  du  mouvement  syndical  — inefficacité  de 
l'arbitrage  comme  moyen  de  répandre  le  contrat  collectif 

—  caractère  violemment  individualiste  de  l'ouvrier  et  du 
patron  français  —  nous  ne  croyons  pas  que  la  seule  liberté 
puisse  assurer  le  développement  efficace  du  contrat  col- 
lectif dans  l'avenir. 

Mais  ce  que  la  liberté  peut  faire  —  et  très  efficacement 

—  c'est  préparer  rapidement  les  voies  à  la  Réforme  dési- 
rée. Les  mœurs,  comme  il  arrive  bien  souvent,  doivent 
sur  ce  point,  préparer  la  loi.  Or  aujourd'hui,  comme  le 
remarque  très  bien  M.  Keufer  (2),  on  ne  rencontre  pas  tou- 
jours «  les  dispositions  d'esprit,  chez  les  patrons  et  chez 
les  ouvriers,  nécessaires  à  l'application  de  la  loi.  Les  pa- 
trons refusent  de  discuter  avec  les  Syndicats  les  questions 
de  travail  et  de  salaire:  ils  craignent  toujours  d'être  lésés 
dans  leurs  intérêts  en  entrant  en  discussion  avec  les  ou- 
vriers ».  Ceux-ci  d'autre  part  emploient  souvent  des  for- 
mes déclamatoires  et  violentes  pour  présenter  leurs  do- 
léances et  ignorent  les  phénomènes  économiques  qui  s'im- 
posent à  tous,  patrons  et  ouvriers.  Il  y  a  là  toute  une  atti- 
tude des  deux  cotés  qui  doit  changer:  c'est  une  question 
d'éducation  et  de  pratique  ;  il  faudrait  répandre  par  tous 
les  moyens  la  connaissance  des  expériences  favorables  de 


(1)  11  faut  ajouter  d'ailleurs  que  le  plus  souvent  cette  résistance 
est  pleinement  justifiée  par  les  demandes  exagérées  et  impossibles 
du  Syndicat  :  voyez  l'exemple  de  la  récente  grève  de  Montceau-les- 
Mines. 

(2)  Conseil  supérieur  da  Travail,  5e  session,  p.  12,  «  De  l'orga- 
nisation des  Chambres  de  travail  » . 


l'avknir  du  contrat  collectif  353 

contrat  collectif  déjà  tentées,  rapprocher  les  esprits  et  les 
cœurs,  établir,  s'il  était  possible,  une  collaboration  véri- 
table entre  le  patronat  el  le  salarial.  Sur  ce  point  l'œuvre 
de  la  liberté  est  assez  belle  et  elle  ne  saurait  faillir  à  sa 
tâche  :  on  ne  doit  pas  attendre  d'elle  l'ensemble  de  la  ré- 
forme, mais  elle  peut  beaucoup  pour  la  préparer. 

ni.  —  Cependant  quelques-uns  croient  que  ce  dévelop- 
pement serait  assuré  d'une  manière  certaine  par  une 
orientation  particulière  donnée  au  mouvement,  vers  For- 
ganisation  commerciale  du  travail. 

M.  Yves  Guyot  s'est  fait  récemment  en  France  le  pro- 
moteur de  cette  idée  (1)  :  dans  ce  système,  l'Union  ou 
l'association  ouvrière  ne  se  contenterait  plus  de  stipuler 
certaines  conditions  du  travail,  mais  se  chargerait  elle- 
même  d'exécuter  le  travail  :  la  société  commerciale  de 
travail  vendrait  en  gros  au  patron  le  travail  de  l'homme 
ou  plus  exactement  se  ferait  entrepreneur  de  travail  vis-à- 
vis  de  l'industriel  avec  donunages-intérèts  stipulés  au  cas 
de  manquement  ou  du  défaut  d'exécution. 

Ces  sociétés  se  chargent  du  travail  à  faire  dans  tel  ate- 
lier, dans  telle  partie  d'une  mine  ou  d'un  chantier  :  le  prix 
en  est  fixé  à  forfait  pour  une  période  déterminée  ou  pour 
une  quantité  déterminée  de  produits. 

M.  Yves  Guyot  cite  plusieurs  exemples  d'heureuses 
expériences  faites  en  ce  sens,  notamment  la  société  à 
capital  variable  constituée  en  1881  par  un  groupe  de 
typographes  pour  la  composition,  limpression,  l'expédi- 
tion et  la  distribution  des  journaux  officiels  de  la  Répu- 
blique française.  «  Et  Ton  exprime  ensuite  la  série  d'avau- 


(1)   L'organisation  commerciale  du  travail,  conférence  faite  à 
Liège  par  M.  YvesGuyot,  Paris  1900. 

bATNAUD  23 


3o4  CONCLUSION 

tag-es  que  comporlerait  la  création  en  grand  nombre  de 
ces  sociétés  commerciales  de  travail  (1).  » 

Mais  plusieurs  difficultés  nous  paraissent  très  sérieu- 
ses (2)  : 

D'abord  le  système  rencontrerait  sans  doute  de  très  gros 
obstacles  pour  arriver  à  se  g-énéraliser  :  l'exemple  des  so- 
ciétés coopératives  de  production  semble  bien  l'indiquer. 

Puis,  il  ne  fait  que  déplacer  le  problème  :  le  contrat  in- 
dividuel est  modifié,  mais  le  contrat  collectif  ne  le  rem- 
place pas  :  car  cliaque  ouvrier  devrait  à  son  tour,  puis- 
qu'il dépend  maintenant  de  la  société  commerciale  qui  le 
paie,  débattre,  avec  le  gérant  de  la  société  par  exemple, 
les  conditions  du  travail  :  sans  doute  ce  gérant  serait  un 
ouvrier  lui-même.  Il  n'y  aurait  plus  le  profit  de  l'entre- 
preneur, mais  il  serait  ici  remplacé  par  la  nécessité  pour 
la  société  d'obtenir  un  prix  favorable  que  tous  se  partage- 
raient :  il  serait  à  craindre  alors  que  les  inconvénients  du 
contrat  individuel  ne  se  reproduisent  ici,  amoindris  peut- 
être  mais  encore  réels  :  les  ouvriers  les  mieux  doués  récla- 
meraient sur  le  prix  fixé  la  plus  grosse  part  et  on  n'arri- 
verait nullement  pour  tous  à  des  conditions  minima  de  tra- 
vail :  ce  qui  est  le  bienfait  essentiel  du  contrat  collectif. 

Aussi  n'avons-nous  pas  grande  confiance  dans  le  sys- 
tème indiqué  :  au  point  de  vue  du  contrat  collectif,  il 
nous  parait  véritablement  une  impasse. 


(1)M.  de  Molinari,  qui  le  premier  d'ailleurs  avait  exprimé  le  prin- 
cipe de  cette  idée  en  1842  dans  l'article  cité  ci-dessus,  p.  198,  se  mon- 
tre favorable  à  l'organisation  commerciale  du  travail  et  développe 
lui  aussi  les  avantages  du  système. 

(2)  Nous  n'examinons  ici  le  système  qu'au  point  de  vue  spécial  du 
contrat  collectif  :  dans  l'ensemble,  il  comporte  bien  d'autres  objec- 
tions. 


l'avenir  du  contrat  collectif  355 

IV.  —  Dès  lors,  il  faut  résolument  accepter  les  réfor- 
mes juridiques  que  nous  avons  indiquées  :  à  les  supposer 
réalisées,  quelles  en  seraient  les  heureuses  conséquences  ? 

Il  est  certain  que  l'introduction  de  la  forme  collective 
obligatoire  du  contrat  ouvrirait  aux  réformes  ouvrières  et 
sociales  un  champ  immense  :  le  contrat  collectif  résoudrait 
sans  doute  bien  des  problèmes  devant  lesquels  la  régle- 
mentation légale  se  trouve  impuissante.  11  a  en  effet  sur 
elle  les  avantages  les  plus  marqués  :  il  présente  une  sou- 
plesse beaucoup  plus  grande,  une  facilité  de  s'adapter  aux 
circonstances  économiques  remarquable  et  surtout  une 
compétence  indéniable  :  seul  il  permet  de  tenir  compte  de 
la  diversité  des  industries,  delà  complexité  et  des  différen- 
ces de  besoins  de  chacune  :  en  un  mot,  il  s'adapte  par- 
faitement à  la  solidarité  spéciale  à  chaque  métier.  Aussi 
peut-on,  semble-t-il,  beaucoup  espérer  encore  du  contrat 
collectif  :  sans  développer  ici  toutes  les  suites  possibles  du 
contrat  collectif  de  demain,  nous  insisterons  sur  trois 
d'entre  elles  qui  nous  paraissent  de  la  première  impor- 
tance : 

a)  Le  contrat  collectif  permet  sans  danger  les  expérien- 
ces sociales  et  semble  aujourd'hui  le  document  indispen- 
sable qui  prépare  la  voie  aux  réformes  législatives  :  c'est 
ainsi,  par  exemple,  qu'au  point  de  vue  de  la  réduction  de 
la  journée  de  travail,  le  contrat  collectif  peut  donner  la 
mesure  exacte  que  comporte  l'état  actuel  de  l'industrie  : 
en  Angleterre,  un  contrat  passé  entre  MM.  Matter  et  Platt 
dans  leurs  ateliers  de  mécanique  et  de  construction  de 
machines  et  la  Société  l'Union  des  mécaniciens  réduisait  à 
titre  d'expérience  le  travail  à  48  heures  par  semaine  en 
laissant  le  taux  de  salaire  sans  modification  :  à  l'expiration 
du  contrat,  on  constata  que  le  salaire  avait  augmenté,  par 


356  CONCLUSION 

suite  de  l'augmentation  de  la  production,  de  0,4  0/0,  que 
le  temps  perdu  avait  été  porté  de  2,46  0/0  à  0,46  0/0  (1). 
A  cet  égard,  le  contrat  collectif  est  un  précieux  baromètre 
industriel, 

b)  Le  contrat  collectif  permet  aussi  de  prévoir  la  solu- 
tion de  la  difficile  question  du  minimum  de  salaires:  celui- 
ci  se  trouve  en  quelque  sorte  spontanément  établi  par  la 
convention,  en  même  temps  que  l'on  respecte  le  travail 
individuel  qui  peut  gagner  un  salaire  bien  supérieur  à  ce 
salaire  minimum. 

c)  Enfin,  et  c'est  là  sans  doute  ce  qui  pratiquement  pour- 
rait concilier  au  contrat  collectif,  le  plus  grand  nombre  de 
sympathies  —  il  diminue  déjà  et  diminuera  chaque  jour 
davantage  le  nombre  des  grèves. 

Il  est  clair  que  c'est  parfois  parce  que  les  associations 
ouvrières,  les  syndicats  n'ont  pas  de  moyen  légal  de  faire 
respecter  leur  volonté  qu'ils  usent  de  procédés  qui  sentent 
plutôt  la  guerre  que  la  paix  :  mise  à  l'index,  lutte  contre 
les  non  syndiqués,  violence  et  intimidation,  menaces,  en 
un  mot  la  grève  et  tout  son  cortège.  A  cet  égard,  l'exem- 
ple de  l'Angleterre  est  décisif  :  le  contrat  collectif  agit  puis- 
samment sur  les  mœurs  ouvrières  et  tend  à  constituer 
cette  paix  armée  où  la  guerre  est  un  fait  d'autant  plus  rare 
qu'on  en  craint  davantage  les  terribles  conséquences. 

Le  contrat  collectif  a  donc  un  fort  et  bel  avenir  devant 
lui.  Puisse-t-il  le  réaliser! 

V.  — Mais  à  la  limite  oii  tout  cela  mène-t-il  et  qu'advien- 
drait-il le  jour  où  le  contrat  collectif  aurait  partout  rem- 


(1)  Des  expériences  du  même  genre  furent  faite  à  l'United  Alkali 
Compan}',  en  Moravie  dans  un  tissage.  —  Cf.  Proposition  de  loi  Vail- 
lant, 4895,  exposé  des  motifs. 


l'avenir  du  contrat  collectif  357 

placé  le  contrat  individuel,  le  jour  à  échéance  bien  loin- 
laine  oij  tous  les  patrons  seraient  organisés  et  tous  les 
ouvriers  seraient  unis,  le  jour  en  un  mot  où  le  système 
des  Alliances  Anglaises  de  M.  Smith  deviendrait  universel  ? 

Sans  doute,  cette  perspective  n'est  pas  bien  redoutable, 
car  le  problème  international  paralysera  pour  longtemps 
encore  la  formation  de  cette  gigantesque  Fédération  :  de 
plus,  bien  des  divergences  d'intérêts  économiques  et  pro- 
fessionnels entre  industries  voisines  et  concurrentes  ten- 
draient à  dissocier  cet  assemblage  monstre  aussitôt  qu'il 
serait  formé.  Mais  surtout  —  et  c'est  là  ce  qui  doit  nous 
rassurer  —  l'autonomie  locale  subsisterait,  au  dessous 
des  conditions  générales  fixées  par  l'autorité  centrale  :  car 
cette  autonomie  locale,  on  Ta  vu  par  l'étude  du  contrat 
collectif  en  Angleterre,  est  dans  la  nature  des  choses  et 
résiste  aux  entreprises  des  hommes  :  en  somme,  le  contrat 
collectif  ainsi  universalisé  serait  à  peu  près  en  droit  in- 
dustriel ce  qu'est  la  constitution  dans  un  pays  de  droit 
écrit  :  il  serait  toujours  le  cahier  des  charges  du  travail, 
et  laisserait  encore  une  place  à  la  liberté  individuelle. 

Mais  ces  perspectives  lointaines  et  probablement  à  ja- 
mais irréalisables  dégagent  mieux  encore  ce  qui  est  la  va- 
leur et  la  vertu  propre  du  contrat  collectif  :  le  moyen  de 
tenir  compte  efficacement  de  la  dignité  sacrée  de  la  per- 
sonne du  travailleur  à  côté  de  la  marchandise  travail.  Mieux 
que  le  patronat,  mieux  que  les  rêves  collectivistes,  il  as- 
sure la  dissociation  nécessaire  entre  le  travail  et  la  per- 
sonne humaine,  entre  l'outil  et  l'homme  :  il  soustrait  la 
part  d'humanité  qui  est  en  l'ouvrier  ù  l'action  déprimante 
du  métier  et  tend  à  la  libération  progressive  de  l'homme 
qui  revendique  son  indépendance  morale.  Il  nous  apparaît 
ainsi  comme  le  point  de  jonction  entre  l'économie  politi- 


358  CONCLUSION 

que  et  l'économie  sociale,  le  moyen  pratique  et  pacifique 
de  traduire  lentement  dans  le  domaine  des  faits  une  bonne 
partie  des  aspirations  sociales  les  plus  légitimes  delà  dé- 
mocratie. 


Vu  : 
Le  Président  de  la  thèse^ 

Raoul  JAY. 
Vu  : 

Le  Doyen, 
GLASSON. 

Vu  et  permis  d'imprimer  : 

Le  Vice-Recteu?"  de  V Académie  de  Paris, 

GRÉARD. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 


Pagei. 

Bibliographie v 

Introduction  :  Le  Problème xi 

Notions  préliminaires  :  Analyse  sommaire  de  la  notion  du  con- 
trat collectif  :  point  de  vue  économique  ;  point  de  vue  juri- 
dique. —  Dénomination:  contrat  collectif.  —  Plan  i 

PREMIÈRE  PARTIE 
LE  PROBLÈME  ÉCONOMIQUE 

Chapitre  Premier 
Avant  le  contrat  collectif. 

Avant  1789,  le  contrat  collectif  semble  inutile  et  impossible  : 
à  vrai  dire  on  n'était  pas  dans  le  domaine  du  contrat.  Cette 
idée  se  dégage  avec  les  Phvsiocrates H 

Mouvement    en    faveur  du   contrat   collectif    dès   la  loi   des 

2-17  mars  1791  abolissant  les  corporations 17 

La  loi  Chapelier  :  Le  principe  du  contrat  collectif  est-il  condam- 
né ? 26 

Non  en  dernière  analyse  :  il  est  seulement  masqué  par  les  pro- 
hibitions de  l'association  professionnelle 28 

Chapitre  II 
Historique  du  contrat  collectif  en  France  jusqu'en  1884. 

Complications  de  cette  histoire 31 

Périodes 32 


360  TABLK    ANALYTIQUR    DKS    MATlÈRKS 

§  1er.  —  Première  période  (1791-1864) Xi 

A.  —  A  travers  les  faits 33 

Les  associations  professionnelles  alors  existantes  n'arrivent  pas 

au  contrat  collectif 34 

Le  compagnonnage 35 

Les  tentatives  multiples  de  1830  à  1848 37 

Les  typographes 39 

B.  —  Les  idées  :  la  discussion   du   1849  sur  le  droit  de  coali- 
tion   40 

C.  —  Le  mouvement  de  1864.  Encore  les  typographes. .......  53 

§  II.  —  Deuxièîne  période  (  1864-1884)   59 

A.  —  Le  progrès  des  idées 59 

Le  mouvement  des  Expositions 60 

L'Internationale 62 

Les  congrès  patronaux  et  ouvriers 63 

B.  —  Les  faits  :  les  tisseurs 67 

Les  imprimeurs 68 

La  fabrique  de  rubans  de  Saint-Etienne 71 

Conclusion  :  Importance  de  ces  origines  difficiles 73 

Chapitre  III 
Les  faits  actuels  en  France. 

Obstacles  au  développement  du  contrat  collectif 74 

§  1er.  —  Quelques  aperçus  sur  ce  développement  actuel 75 

Difficultés  de  cette  étude  :  nécessité  de  recourir  à  la  méthode 

monographique 77 

§  II.  —  Le  contrat  collectif  dans  l'industrie  minièi'e 78 

Les  divers  bassins  houillers  :  Bassin  de  la  Loire 78 

Carmaux 79 

Les  mines  du  Pas-de-Calais 80 

Histoire  du  contrat  collectif  dans  ce  bassin 81 

Les  conventions  d'Arras 82 


TABLK    ANALYTIQUE    HKS    MATIFRKS  364 

§  m .  —  Le  contrat  collectif  dans  la  typographie 91 

Les  divers  tarifs 92 

Chapitre   IV 
Les  faits  actuels  en  Angleterre. 

I  |«'r.  —  Tableau  de  la  diffusion  du  contrat  collectif  dans 

les  divers  métiers 96 

Statistique  des  progrès  du  contrat  colleclif  dans  ce  pays 98 

Revue  des  diverses  industries 99 

Idées  dominant  ce  développement HO 

§  il.  —  Organisme  du  contrat  collectif:  Le  double  mécanisme 

économique,  professionnel  et  technique H4 

Perfectionnements  successifs.  Modilications  au  contrat  collec- 
tif, toujours  à  ce  double  point  de  vue Ii8 

Techniques 122 

Kcoiiomiqiies 124 

§  III .  —  Résultats  du  contrat  collectif 430 

Les  diverses  clauses 130 

§  IV.  —    Conclusion  :   Causes  du  développement  anglais  du 

contrat  colleclif  :  La  Trade-Union 139 

L'expérience  patronale  et  ouvrière 141 

Caractère  professionnel  des  conflits 443 

Chapitre  V 
Les  autres  pays. 

Amérique  :  Contrats  collectifs  dans  la  métallurgie. 144 

L'imprimerie 152 

Le  contrat  collectif  national 1»4 

Le  bAtiment 155 

Belgique  :  Double  influence  des  Conseils   de   l'Industrie   et  du 

Travail  et  des  Unions  professionnelles 157 

Pays-Bas  :  Les  Chambres  de  travail 158 

Allemagne  :  Les  typographes  :  Discussion  du  Congrès  de  Leipzig.  159 


362  TABLE    ANALYTIQUE   DES   MATIÈRES 

Chapitre  VI 
Un  projet  de  contrat  collectif  international. 

Le  projet  Léwy  pour  réglementer  la  production    167 

Economie  du  système 168 

Sort  de  cette  proposition 173 

Chapitre  VII 
La  théorie  économique  du  contrat  collectif. 

§  1er.  —  Le  contrat  collectif  et   les   lois  naturelles  du   sa- 
laire        176 

Loi  de  l'offre  et  de  la  demande  du  salaire 177 

A .  — Loi  du  fonds  des  salaires 180 

B.  —  Loi  du  salaire  nécessaire 182 

C.  —  Loi  de  la  productivité  du  travail 187 

Réaction  contre  les  idées  de   l'école   classique    sur  le   travail 

marchandise 188 

Caractères  spéciaux  de  la  marchandise  travail 189 

La  dignité  du  travail  et  du  travailleur 190 

§  II.  —  Essai  de  théorie  économique  du  contrat  collectif. . .       191 

A.  —  Il  y  a  inégalité  dans  le  contrat  de  travail  individuel 192 

B.  —  Le  contrat  collectif  supprime  cette  inégalité  en  déplaçant 

la  concurrence 204 

C.  —  11  conserve  la  liberté  industrielle 208 

§  III .  —  Les  objections  au  contrat  collectif 211 

A.  —  Le  contrat  collectif  est  le  véritable  remède   à  l'inégalité 
dans  le  contrat  de  travail 211 

B.  —  Le  contrat  collectif  en  principe  au  moins  et  par  lui- 
même  n'est  pas  tv^rannique  pour  l'ouvrier 215 

C.  —  11  n'est  pas  contraire  à  l'indépendance  raisonnable  du 
patron  comme  chef  d'industrie 219 

D.  —  Il  n'est  pas  nuisible  au  consommateur 221 


TABLE   ANALYTIQUE   DES   MATIÈRES  363 

OEUXIKME  PARTIE 
LE  PROBLÈME  JURIDIQUE 

Chapitre  Premier 
La  Jurisprudence  française  sur  le  contrat  collectif. 

Prédominance  du  point  de  vue  pénal  avant  1864 226 

L'évolution  de  la  jurisprudence 228 

Jurisprudence  générale  sur  les  syndicats 230 

L'affaire  de  Chauffailles  :  Jugement  du  tribunal  de  CharoUes.  232 

Arrêt  de  la  Cour  de  Dijon 233 

Arrêt  de  cassation 237 

Le  Syndicat  a  qualité  pour  passer  un  contrat  collectif.  —  Con- 
ditions auxquelles  il  peut  eu  demander  l'exécution  en  justice.  239 

Jugement  du  Tribunal  de  Commerce  de  la  Seine  :  4  février  1892.  240 

Uésitations  de  la  jurisprudence 244 

L'intérêt  professionnel  suffisant  à  légitimer  l'action  du  syndicat 

en  exécution  :  Cholet,  12  février  1897 248 

Bourgoin,  21  juin  1901 230 

Diverses  solutions  de  détails  sur  les  conditions  du  contrat 233 

Sur  les  moyens  de  le  faire  respecter 238 

Chapitre  II 

Le  Contrat  collectif  d'aujourd'hui  :  esquisse 
d'une  théorie  juridique. 

A.  —  Règles  de  droit  commun  applicables  au  contrat  collectif.  264 

B.  —  Règles  résultant  de  la  loi  de  1884 267 

Nature  du  contrat  collectif 272 

A .  —  Théorie  du  mandat 273 

B.  —  Théorie  de  la  gestion  d'affaires 274 

C.  —  Théorie  mixte  :  mandat  et  gestion  d  affaires  combinés.  .  273 

D.  —  Théorie  de  la  stipulation  pour  autrui 277 

Conséquences  de  cette  théorie 283 

Bénéficiaires 284 

Actions  créées  par  le  contrat ...  283 


364  TABLK    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 


Chapitre  III 

Le  contrat  collectif  de  demain  (Esquisse  d'une  théorie 
juridique)  (suite). 

A.  —  Lacunes  de  la  législation  actuelle  et  motifs  d'intervention.  288 

B.  —  Systèmes  proposés  et  solution  préconisée  :  Revue  de  légis- 
lation comparée 294 

I.  —  Paj^s  où  le  contrat  collectif  n'a  pas  d'existence  légale  : 

A  ngleterre 294 

II.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  reconnu  comme  contrat  de 
droit  privé  et  légalement  obligatoire  entre  les  parties 300 

Belgique 300 

Hollande 301 

Etats-Unis 302 

III.  —  Pays  où  le  contrat  collectif  est  spécialement  réglementé 

et  imposé  à  divers  degrés 303 

Nouvelle-Zélande 303 

Suisse  :  Genève 304 

Réformes  à  poursuivre  en  France 309 

Idéal  à  poursuivre ?10 

Reconnaissance  légale  du  contrat  collectif 312 

Contrat  collectif  obligatoire 313 

A .  —  Par  le  syndicat  obligatoire 313 

B.  —  Par  la  forme  collective  du  contrat  déclarée  obligatoire  . .  316 
Esquisse  du  système  proposé 317 

Analogies  déjà  existantes  dans  le  droit  actuel  en  matière  de 

faillite 320 

En  matière  d'associations  syndicales 321 

Avantages  théoriques  et  pratiques  de  la  solution  juridique  pro- 
posée  322 

Chapitre  IV 
Les  Projets  et  les  Réformes. 

On  ne  relève  ici  que  les  projets  qui    visent  directement    le 

contrat  collectif 323 


TABLii:    ANALYTIQUE    DES   MATIÈRES  365 

.1 .  —  Projets  conceruant   la  régleinenlalion   du  contrat   de 

louage  ou  les  syndicats  professionnels 'Mi 

Projet  Lockroy,  1876 325 

Projet  Goblet,  1895 326 

Projet  Basly,  1901 327 

B.  —  Projets  se  rattachant  en  la  forme  à  la  création  de  Con- 
seils ou  de  Chambres  du  Travail 329 

Projets  sur  l'arbitrage,  1889.   330 

Proposition  Mesureur,  1894 333 

La  discussion  au  Conseil  supérieur  du  travail,  1895,  sur  les 

Conseils  du  travail 334 

C   —  Décrets  du  18  septembre  1900  sur  les  Conseils  du  Tra- 
vail        337 

Projet  du  gouvernement,  15  novembre  1900,  sur  le  règlement 

amiable  des  différends  relatifs  aux  conditions  du  travail. . .       339 

Conclusion 
L'avenir  du  contrat  collectif. 

I.  —  Le  contrat  collectif  est  déjà  et  devient  sans  cesse  plus  éco- 
nomique que  le  contrat  individuel 347 

II. — Ou  ne  peut  espérer  de  la  liberté  seule   sa  diffusion  en 

France 349 

ni.  —  L'Organisation  commerciale  du  travail,  succédané  du 

contrat  collectif,  ne  saurait  donner  les  mêmes  résultats 353 

IV.  —  Avantages  principaux  des  réformes  juridiques  préconisées.  355 

Expérirnentation  sociale 355 

Minimum  de  salaires 356 

Diminution  des  grèves 356 

V.  —  Le  plus  lointain  avenir  du  contrat  collectif 356 


Graode  Imprimerie  de  Blois,  2,  rue  Haute.  X  5154 


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