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THESE
POUR LE DOCTORAT
La Faculté n'entend donner aucune approba-
tion ni improbation aux opinions émises dans
les théges ; ces opinions doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.
t-c >i
UNIVEHSITÉ DE PARIS — FACULTÉ DE DROIT
LE
CONTRAT COLLECTIF
•DE TRAVAIL
THÈSE POUR LE DOCTORAT
L ACTE PUBLIC SUR LES MATIERES CI-APRES
Sei'a soutenu te Jeudi 19 Décembre 1901, a 9 heures
PAR
Bartliélemy RAYNAUD
MCEXCIK ÈS-LETTRES
AVOCAT A LA COUR d'aPPRL
Président : M. Raoul JAY.
^ ^ ( MM. DESCHAMPS. )
Suffragants : \ \ professeurs
i SOUCHON, < ' '
PARIS 1^ I
LIURAIHIK NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
ARTHUR ROUSSEAU
ÉDITEUR
14, rue Soufflot, et rue Touiller, 13
1901
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Belgique. — Loi sur les Chambres professionnelles. Travaux par-
lementaires. — Loi sur le Contrat de travail. Travaux parlemen-
taires.
L\TRODUCTION
Gliaquu époque comporte Je nouveaux problèmes ; cha-
que siècle fait naître de nouvelles relations sociales qui
ne doivent laisser indifférents aucun de ceux qui les cons-
tatent : la solidarité seule de tous les membres du corps
social, par laquelle chacun subit le fait de tous comme tous
se ressentent du fait de chacun, devrait suffire, à défaut
de charité ou d'amour du prochain, à attirer l'attention
sur ces graves problèmes. Mais ce sont l'économiste et le
juriste qui observent avec un intérêt croissant ces cas
nouveaux qui viennent dans la sphère de leurs études.
Or il est parmi ces relations sociales nouvelles, parmi
ces cas récents, un problème particulièrement attachant,
non seulement par son originalité et par ses difficultés
techniques, mais surtout par son extrême importance pra-
tique, par ses conséquences susceptibles de modifier pro-
fondément le régime du travail, je veux parler des rela-
tions entre patrons et ouvriers groupés à l'occasion du
contrat de travail, du contrat collectif.
Sans doute aucun article du Code, aucune loi nouvelle,
du moins en France, ne réglemente ces relations juridi-
ques et ne les fait passer, par la cristallisation des textes,
de Tétat de relations sociales indéterminées dans la série
de nos types juridiques connus. Mais le contrat collectif a
pris depuis une vingtaine d'années une extension consi-
XII INTRODUCTION
tlérahle : dans bien des usines, dans bien des fabriques,
dans bien des métiers, au lieu de l'ouvrier isolé louant indi-
viduellement son travail, il s'agit d'accords syndicaux, de
sentences arbitrales, de tarifs adoptés de part et d'autre
par les patrons et les ouvriers : en un mot, à côté de l'an-
cienne forme du contrat de travail individuel, où le patron
seul embaucliait l'ouvrier isolé, est apparue une forme nou-
velle, l'accord entre des collectivités à propos du travail.
Quelle est cette nouvelle forme, quel est ce nouveau
droit avant la lettre? Le contrat collectif répond-il à un
idéal de justice sociale supérieur? Convient-il de le réglo-
menler et pour cela est-il possible d'en faire la THÉoRiE ?
Ne présente-t-il pas un terrain suffisamment large pour
réunir comme partisans tous les amis sincères de l'ou-
vrier? Ne serait-il pas un remède aux lacunes du vieil in-
dividualisme et aux insuffisances de l'Ecole libérale, sans
nous jeter dans un Etatisme toujours grandissant? Est-il
un rêve ou la réalité bienfaisante de demain que nous
devons appeler de tous nos vœux ?
Le but de cette étude serait de rechercher simplement
et de bonne foi quelque essai de solution à toutes ces
questions qui nous envahissent en présence de ce nou-
veau venu
Certes la tâche est des plus complexes et des plus ar-
dues : la matière n'existe que d'hier et son indéniable ac-
tualité en rend l'étude difficile et dangereuse : quelles
que soient nos préférences ou nos espoirs, le plus sage est
encore de tenter et de vouloir résolument faire œuvre scien-
tifique, sur ie solide terrain des faits : seuls, ils peuvent
permettre d'asseoir utilement quelques hypothèses ou quel-
ques théories, quelques projets ou quelques désirs. Le
reste est livré aux disputes humaines.
LNTRODUCTION XIII
Les fclaiier et les orienter un peu sur ce sujet ^^ravc
(lu contrat collectif, marquer les points acquis, indiquer
les étapes qui restent à parcourir vers la justice toujours
poursuivie, jamais étreinte, sera toute notre ambition ;
n'être pas tout à fait inutile dans cette armée des cher-
cheurs, toute notre satisfaction.
NOTIONS PRELIMINAIRES
11 in>poiU' avant tout de donner une idée nelle aulanl
(jue possible de l'objet de ce travail et d'en préciser ri-
ji^oureuseinent les limites. Or du contrat collectif, nous
n'avons encore ni définition économique, ni définition ju-
ridi(jue, il nous faut donc procéder à une analyse som-
maire de la notion du contrat collectif au double point de
vue économique et juridique.
Au premier de ces deux points de vue, la notion du con-
trat collectif ne laisse pas que d'être très large : il est
pour ainsi dire le but nécessaire et ordinaire de tout le
mouvement syndical moderne : que cherchent en effet les
associations professionnelles, sinon à améliorer les condi-
tions du travail de leurs membres (augmentation de sa-
laires ; réduction conventionnelle de la journée de travail ;
etc., etc.)? Or ces conditions de travail sont communes à
plusieurs ouvriers et le syndicat qui les impose ou les ob-
tient, travaille pour une collectivité. De plus, ces condi-
tions, puisqu'elles sont des conditions du travail, doivent
être acceptées expressément ou tacitement par le patron :
de là au sens large de l'application du mot contrat collec-
tif. Ainsi au point de vue économique il faut entendre
par là tout arrangement relatif aux conditions du tra-
vail concernant plusieurs ouvriers. On saisit alors l'im-
mense domaine du contrat collectif ainsi entendu : depuis
RAYNACD 1
À NOTIONS PRELIMINAIRES
Je règ-lement d'atelier porté à la connaissance des ouvriers
de l'union jusqu'à l'accord signé entre représentants des
syndicats patronaux et des syndicats ouvriers, — depuis
le tarif décrété par le syndicat et appliqué tacitement par
le patron à chaque ouvrier jusqu'au procès-verbal de con-
ciliation ou d'arbitrag^e qui termine un conflit ou une
grève, ce sont toujours des conditions de travail commu-
nes obtenues par divers moyens, mais finalement acceptées
par patrons et ouvriers (1). De ce point de vue, la question
du contrat collectif est en relation des plus étroites avec
la question syndicale elle-même; la diffusion et l'applica-
tion du contrat collectif dépendent essentiellement de la
force syndicale, de la puissance de résistance et de lutte
spéciale à chacune des parties.
Le point de vue juridique permet de préciser et de don-
ner du contrat collectif une seconde définition, en prenant
le mot cette lois dans son sens étroit. En ce sens le con-
trat collectif est un contrat de droit commun, soumis
aux règles ordinaires des contrats, portant sur les condi-
tions du travail et passé entre un patron ou un groupe-
ment professionnel de patinons d'une part, aides ouvriers
réunis en syndicat ou en tout autre groupement passager
d'autre part, avec ce caractère particuher que les condi-
tions stipulées profitent le plus orduiairement à des col-
lections d'individus. La précision apportée par la notion
(1) 11 ne faut pas confondre ces arrangements relatifs aux conditions
du travail, avec les diverses formes de conventions portant sur le tra-
vail lui-même (marchandage, travail par équipes, etc.), oi'i l'objet
essentiel de la convention est l'exécution même du travail au point
de vue technique. Le marchandage, par exemple, ne rentre pas dans
notre étude, parce que les ouvriers embauchés par le tâcheron ne trai-
tent pas avec le patron.
NOTIONS PRELIMINAIRES d
juridique est précisément l'idée de convention, de contrat
au sens légal du mot ; de ce point de vue la notion du
contrat collectif à rigoureusement parler n'embrasse plus
que l'accord, le plus souvent écrit, signé solennellement
par les représentants des patrons et les représentants des
ouvriers.
Il n'y a aucune raison de choisir entre ces deux notions
juridique et économique, pour accepter l'une en repous-
sant l'autre : elles sont au fond semblables et marquent
simplement deux aspects de la question qu'il nous faudra
envisager successivement.
II. — Notre sujet ainsi précisé, il est nécessaire de jus-
tifier quelque peu les termes vagues sans doute au premier
abord par lesquels nous l'avons défini : contrat collectif de
travail et par abréviation, contrai collectif.
L'ambiguité de ce langage tient sans doute à ce que dé-
jà pour le contrat individuel de travail, la terminologie ju-
ridique est loin d'être parfaite; il est certain que, comme
le remarquent scientifiquement les jurisconsultes (1),
l'expression « contrat de travail » est inexacte juridique-
ment et qu'il faudrait dire louage de travail ; mais écono-
miquement et dans le langage ordinaire, l'expression con-
trat de travail est parfaitement claire et tend à se géné-
raliser.
De la même manière pour le cas qui nous occupe, au
point de vue juridique l'expression « contrat collectif de
travail » est loin d^être parfaite et serait même tout à fait
fausse à prendre les mots dans leur sens rigoureux (2). Mais
(1) Voir par ex. Planiol, II, p. 567, D» Civil.
(2) Voir chap. Esquisse d'une théorie juridique.
4 NOTIONS PRELIMINAIRES
au point de vue économique, l'expression traduit parfaite-
ment l'idée ; si donc juridiquement il fallait dire, comme
l'indique, M. Planiol, la « forme collective du contrat », on
peut cependant maintenir pour la commodité du lang'ag'e,
l'expression plus simple et plus évocatrice de contrat col-
lectif de travail.
Nous demanderons même la permission d'aller plus
loin — et en nous plaçant résolument sur le terrain de
l'Économie politique et de la Législation Industrielle —
nous appellerons « contrat collectif» tout court notre con-
trat collectif de travail, suivant en cela l'usage qui tend à
s'établir (1). Il y a sans doute d'autres contrats collectifs
anciens : concordats en matière de faillite, formation des
associations syndicales de propriétaires (L. 2o juin 1865
et L. 22 déc. 1888) ou nouveaux, spécialement les nom-
breux contrats passés par les syndicats agricoles dans
l'intérêt de leurs membres — dont nous ne prétendons
nier ni l'existence, ni l'importance : mais au point de vue
spécial qui est celui de cette étude, il est possible, nous
semble-t-il, de sous-entendre les mots « de travail » pour
abréger.
D'ailleurs, en adoptant cette terminologie, nous ne
ferons qu'imiter l'usage anglais qui a désigné par « Col-
lective Bargaining » notre contrat collectif. Le mot
employé pour la première fois dans « The coopérative
movement in Great Britain (Londres 1891) (2), page 217,
est aujourd'hui devenu courant dans la littérature anglaise,
grâce aux livres de Béatrice et de Sidney Webb. Il s'op-
(1) M. Jay à son cours et divers articles récents.
(2) l^ar Béatrice Potier (Mrs Sidney Webb) .
.NOTIONS PRKLIMINAIHF.S
pose alors à « individual Bargaining », c'est-à-dire au
contrat individuel passé entre le patron isolé et l'ouvrier
isolé (4).
Nous dirons donc contrat collectif (2), quitte à apporter
dans la partie juridique une précision plus grande et une
exactitude plus rigoureusement scientifique.
III. — Et maintenant quel est le plan qu'il conviendra
de suivre dans cette étude ?
Les considérations qui précèdent nous ont fait nettement
apercevoir le double point de vue sous lequel peut être
envisagé le contrat collectif: bien qu'intimement liés et
réagissant l'un sur l'autre, les deux problèmes économi-
que et juridique doivent être séparés pour faciliter l'expo-
sition du sujet, quitte à faire dans chaque partie certains
emprunts nécessaires, pour plus d'exactitude et de clarté :
les réalités sociales sont infiniment complexes et résistent
quelque peu à l'analyse scientifique.
Dans une première partie — qui sera intitulée Le Pro-
blème Economique — il nous faudra successivement recher-
cher les origines du contrat collectif : nous nous placerons
Avant le contrat collectif {ch. I), nous essayerons de pré-
(1) Les mots « individual Bargaining », dit encore S. Webb, sont
employés incidemment en 1854 par C. Morrison dans son Essay on
Relations beticeen Labour and Capital ; ils désignent alors le prin-
cipe commercial suivant lequel le travailleur essaye de vendre son
travail aussi cher que possible et le patron de l'acquérir aussi bon
marché que possible (p. 9). Le contrat collectif est venu atténuer
grandement ce tète h tète inégal .
(2) Tout récemment d'ailleurs, après le moment où ces pages ont
été écrites et avant qu'elles aient été publiées, nous trouvons plusieurs
exemples de l'emploi des mots contrat collectif au sens indiqué. —
Cf.: Colson, Cours cTéconomie politique 1901, p. 3tî7, vol. I : H. Tni-
chy. Berue d'Éc. Po/.. juillet 1901, p. 803,
b NOTIONS PRELlMINAraES
ciscr les conditions d'existence du contrat et d'expliquer
les motifs de son absence avant 1789.
L' Historique jusqu'en 1884 (chap. II) nous permet-
tra dans une courte et difficile revue des principaux faits
en France, de marquer aussi rigoureusement que possible
les étapes et les essais de contrat collectif jusqu'à ce que
la loi de 1884 vienne donner un nouvel essor à sa diffu-
sion.
Ensuite — et là sans doule sera la partie la plus déli-
cate de notre tâche, — il nous faudra étudier les faits
actuels en France (chap. III) ; nous tâcherons, autant
qu'une information incomplète et dispersée nous le per-
mettra, de donner une idée de l'état actuel du contrat
collectif en France dans les principaux métiers.
Les deux chapitres suivants sont consacrés à la même
étude à l'élrang-er, en faisant une place spéciale à VAîigle-
terre (chap. IV) qui l'emporte de beaucoup en importance
à ce point de vue sur les autres pays (chap. V).
Un projet de contrat collectif i?ite?matio?ial (chaip. VI)
complétera cette étude des faits.
Enfin et pour clore cette première partie, nous essaye-
rons de préciser quelque peu la théorie économique du
contrat collectif (chap. VII).
La deuxième partie oii sera plus spécialement envisagé
— le Problème juridique — pour être plus courte n'en
sera pas moins importante.
Une première recherche s'impose à qui veut bien saisir
le problème, c'est l'étude de la jurisprudence française
sur le contrat collectif (chap. I) ; nous y verrons, au
milieu de beaucoup de décisions en sens divergents et
contraires, les premiers éléments d'une interprétation
juridique conforme à la réalité.
NOTIONS PRHLIMINAIRES 7
Nous en continuerons la recherche dans une étude di-
recte, qui aura pour hut V Esquisse d'une théorie juri-
dique (chap. II et III).
Enfin, dans un cliapitrc IV intitulé Projets et Réfor-
mes nous étudierons la mise en œuvre pour le passé et
pour l'avenir des principes précédemment dégagées : nous
lâcherons de préciser comment la réglementation légale
pourrait concourir à l'efficacité et à la diffusion du con-
trat collectif.
Après cette double étude, une brève conclusion sur
Y Avenir du cofitrat collectif, nous fera jeter un coup
d'œil d'ensemble sur le chemin parcouru et nous permet-
tra peut-être de dégager quelques considérations pra-
tiques.
PREMIÈRE PARTIE
LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE
CHAPITRE PREMIER
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF
Un fait indéniable apparaît dès l'abord : le contrat col-
lectif est une nouveauté dans l'ordre économique et cette
question n'a pour ainsi dire pas d'Iiistoire. Ce n'est en
effet que dans le courant du siècle dernier, et même pen-
dant sa seconde moitié qu'on assiste à un prodigieux dé-
veloppement de cette nouvelle forme de contrat : dans les
époques antérieures le contrat collectif était inconnu. Notre
effort doit donc ici porter sur la reclierche des causes qui
expliquent cette absence. Il nous faut montrer que les con-
ditions nécessaires à sa naissance et à son développe-
ment n'étaient pas encore réalisées.
Or pour que le contrat collectif soit possible, il faut que
ses deux termes soient possibles : qu'il y ait contrat au
sens large du mot, c'est-à-dire accord de volontés et que
ce contrat traite des intérêts de plusieurs travailleurs.
D'une manière générale, en 1791, le contrat collectif est
à la fois inutile et impossible :
Inutile d'abord. Il est clair que le contrat collectif dont
le rôle principal est de maintenir un certain taux de sa-
laires est superllu en un temps où la réglementation légale
pourvoit à ce rôle et où la concurrence n'agit pas pleine-
ment. La réglementation légale ou professionnelle, la lirai-
12 PRKMIKRE PARTIR. CHAPITRE PREMIER
tation des prix, la fixation da nombre d'ouvriers par mé-
tier restreint les limites dans lesquelles peut varier le sa-
laire. Adam Smith résume parfaitement à cet égard l'ab-
sence de concurrence illimitée : « Les privilèges exclusifs
des corporations, les statuts d'apprentissage et toutes les
lois qui dans les branches d'industrie particulière, res-
treignent la concurrence à un plus petit nombre de per-
sonnes qu'il n'y en aurait sans ces entraves, ont la même
tendance, que les monopoles, quoique à un moindre degré.
Ce sont des espèces de monopoles, étendus sur plus de
monde, et ils peuvent souvenl pendant des siècles et dans
des professions entièî^es, tenir le prix de marché de quel-
ques marchandises particulières au-dessus du prix naturel,
et maintenir quelque peu au-dessus du taux naturel tant
les salaires du travail que les profits des capitaux qu'on y
emploie (1). » Ainsi le besoin du contrat collectif ne se
faisait guère sentir; son rôle était tenu par des équiva-
lents.
En second lieu le contrat collectif avant 1789 était sinon
tout à fait impossible, au moins peu en harmonie avec le
régime de l'industrie et du travail se résumant dans les cor-
porations.
Bien que plusieurs points de détails sur l'histoire des
corporations soient encore controversés et que l'avenir des
découvertes puisse nous réserver plus d'une surprise, on
peut cependant affirmer avec M. Marc Sauzet, que le con-
trat collectif n'existait guère à côté du monopole des mé-
tiers. Sans doute en théorie le monopole des métiers n'eût
pas été incompatible avec des tarifs convenus par les
(1) Richesse des nations, Liv. I, chap. VII, 1. 1, p. 76.
AVAM I.K CONTHAT COLLKCTIF 13
roprésenlauts des corporations en présence, portant sur les
prix de la main-d'œuvre et les diverses conditions du tra-
vail. Maîtres et valets auraient pu — et nous verrons qu'ils
s'y essaient dès 1791 — passer des contrats collectifs,
mais qui dit contrat, dit égalité de situation, dit consente-
ment de part et d'autre. Or rien n'est moins dans le génie
pour ainsi dire de l'Ancien Régime où en matière du tra-
vail les deux idées de Patronat et de Police Royale sem-
blent résumer tout le système (1).
« Le contrat de travail théoriquement n'existait pas :
l'égalité inconnue était remplacée par la hiérarchie ; quant
au monopole acheté par les maîtres, il ne devait profiter
qu'à eux (2) à moins que l'intérêt des compagnons se
trouvât d'accord avec celui des maîtres pour en faire béné-
ficier les premiers, par exemple à l'encontre des ouvriers
inférieurs. »
Aussi bien, puisque le contrat de travail relève plus en-
core de la police que du droit civil, le contrat collectif se
trouve en quelque sorte masqué, (et il en sera ainsi au
point de vue juridique jusqu'en 1864), parle point de vue
pénal. Dans les idées comme dans les faits, le contrat col-
lectif est ignoré avant 1789. Il ne faudrait pas chercher
dans Pothier ou dans les autres civilistes de l'époque une
analyse du contrat de travail individuel ni une hypothèse
du contrat collectif « pour eux, comme dit M. Sauzet(3),
le droit et ses interprètes n'avaient rien ou presque
(i) « Essai historique sur la législaliou iDduslrielle de la France »,
Revue d'Economie Poli tique, 1892, p. 359.
(2) Ceci n'est pleinement vrai que pour la dernière époque des cor-
porations.
(3) Loc. cit., p. 401.
14 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
rien à voir dans de tels rapports : un traité juridique
n'en devait dire rien ou presque rien. » Le contrat col-
lectif était donc inconnu dans le régime corporatif propre-
ment dit; dans les usines et fabri(jues nées en dehors de
ce ré^'una, le travail était matière de police plus encore
que de libre convention (1). Enfin le conipagnonnag-e qui,
de toutes les institutions de l'ancien régime était certes la
plus propice à la naissance du contrat collectif, ne fut pas
pour lui à raison des circonstances de fait un terrain favo-
rable.
Il est certain cependant que l'ancienne organisation du
compagnonnage, étendue à 27 professions en 1791, eût
théoriquement rendu possible la formation du contrat col-
lectif : ce sont des ouvriers associés offrant leur travail
successivement à un grand nombre de patrons et particu-
lièrement intéressés à obtenir une certaine fixité de salaires.
De plus ils ont la pratique de la mise en interdit contre
le maître qui diminue le salaire de l'ouvrier, ce qui est
un excellent moyen, pour assurer l'exécution du con-
trat collectif. Mais en fait, l'organisation compagnonique
renfermait à cet égard deux vices secrets:
En premier lieu la durée relativement courte pendant
laquelle le compagnon retrait membre actif avant de pas-
ser à l'honorariat et la perspective pour chacun de s'éta-
blir à son compte dans quelque localité.
En second lieu les multiples divisions entre les trois
rites de compagnonnage, les enfants du Père Soubise, les
enfants de Maître Jacques et les enfants de Salomon
(1) Le récent livre de M. Germain Martin, Les associations ouvriè-
res au XVIII^ siècle, en est une nouvelle preuve des plus intéres-
santes.
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF 15
étaient loin de s'entendre pour agir sur les conditions de
travail et leur rivalité les rendit parfaitement incapables
de tenter une action sérieuse au point de vue du contrat
collectif.
Cependant il est probable que l'histoire mal connue du
compagnonnage nous révélerait les plus anciennes tentati-
ves de contrat collectif: en effet, dans le bâtiment par
exemple le patron n'engageait que par l'intermédiaire de
Tassociation et il est probable que celle-ci obtenait en fait
des prix uniformes. Mais le compagnonnage était l'excep-
tion et ce résultat l'exception dans l'exception. Aussi pour
le plus grand nombre des métiers et des ouvriers le con-
trat collectif n'existait pas.
Un premier travail était donc nécessaire : il fallait dé-
gager l'idée de liberté du travail et arriver au domaine du
contrat : ce fut l'œuvre de la Révolution.
Avant 1791 (1), nulle place pour la libre discussion
entre maîtres et ouvriers. Les compagnons ne font pas
partie de la maîtrise. S'agit-il d'établir ou de modifier les
conditions du travail, ils ne sont pas consultés, ils ne dé-
libèrent pas avec les maîtres. « Parler>alors de contrat de
travail est théoriquement un anachronisme. D'abord, parce
qu'à un tel contrat, la matière même, l'objet fait défaut :
le droit de travailler n'est pas dans le commerce- Ensuite
parce que si en fait, malgré le principe du monopole,
maîtres et ouvriers entrent en pourparlers, ils se heuteront
à chaque pas à des mesures réglementaires, à des ta-
rifs (2). »
(1) Eu négligeant la toute première époque des corporations où, au
contraire, il y eut peut-être bien quelque discussion.
(2) Marc Sauzet, loc. cit, p. 368. — Il y eût cependant quelques
16 PHKMIÈHK PAIVnii. CHAPITRK PREMIEU
C'est aux Physiocrales qu'il faut attribuer l'orig^i no et le
développement de cette idée de contrat. Leur influence
jointe à la réaction contre les corporations amena la cé-
lèbre loi de mars 1791 qui proclamait la liberté du tra-
vail. C'est donc la possibilité du contrat de travail qui, par
là même, se trouve établie et en môme temps, le contrat
collectif semble au moins à ne voir que les idées de l'épo-
que, encore plus difficile et encore plus éloigné. Ce (ju'on
veut, en effet, pour correspondre à l'idée des Physiocrales,
au droit individuel et à Tégalilé des droits devenus le fon-
dement de la constitution sociale, c'est le confrat libre
entre deux volontés équipollcntes, entre deux individus,
entre deux êtres de raison, le patron d'une part, l'ouviier
de l'autre : il faut que les deux j)iirties débattent libre-
ment les conditions de leur collaboration, tous deux agis-
sant sous l'action de la concurrence, seuls à seuls, en un
régime « de tète à tète forcé ». Il est clair dès lors que
toute entente, soit entre les compagnons, soit entre les pa-
trons, doit être absolument écartée. La loi de juin 1791
n'y manque pas. Cette entente viendrait en effet rompre
l'équilibre idéal, l'égalité de situation entre le patron et
l'ouvrier qui, dans les idées physiocratiques et révolution-
naires, correspondaient à la stricte réalité. « Le but de
cette entente ne pourrait être que d'exercer une pression
sur la volonté du patron et sur celle du compagnon pour
le déterminer à subir des conditions de salaire, majoré ou
avili, qu'ils n'eussejit pas consenties dans une convention
conclue à deux (1). »
accords sur les diverses conditions du travail, mais ceux-ci n'avaient
qu'un caractère accessoire .
(1) Marc Sauzet, id., loc. cit.
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF 17
Les témoignages sur ce point sont indéniables (1), sans
compter que la logique même de l'idée de liberté du tra-
vail, telle qu'elle apparut à ses premiers partisans, con-
duit à ce résultat comme nous venons de le voir.
Mais telle est la force d'une idée que sa réalisation rompt
parfois les entraves théoriques que la sagesse des pen-
seurs lui veut poser.
L'histoire même des faits entre la l""" loi de la Consti-
tuante des 2-17 mars 1791 abolissant la corporation et la
2« loi des 14-17 juin 1791, prohibant les associations pro-
fessionnelles et les coalitions, marque bien qu'il était dans
la logique du système et dans le génie de lépoque de
redouter toute action collective comme empiétement sur
la liberté du travail. Cest là une période des plus intéres-
santes pour l'histoire du contrat collectif : car on y saisit
résumée en quelques traits et comme en abrégé la longue
lutte qui se déroulera au cours de tout le XIX'' siècle en-
tre les besoins de la classe ouvrière et 1 idée de liberté du
travail identifiée à celle de contrat individuel : et cepen-
dant le contrat collectif fait son apparition (2).
Aussitôt après l'abolition des corporations, une série de
coalitions se forment, qui, toutes, tendent plus ou moins
à obtenir de meilleures conditions de travail.
Les charpentiers qui venaient de former 1' « Union fra-
ternelle des ouvriers en l'art de la charpente » demandent
^l) Cf. la liltéraliire de l'époque liévoliitiounaire.
Hœderer, Séance de la Consliluaule, IG fév. 1791, .\rch. parlem.,
XXIÎI, p. 219.
(2) La période est assez confuse et les documents nialheureuseiiienl
incomplets.
BATNACD S
18 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
aux patrons de s'entendre avec eux « afin d'établir des
règlements qui assurassent aux uns et aux autres un gain
proportionnel (1) ». Mais les patrons trouvant sans doute
les prétentions des ouvriers exagérées, refusèrent et re-
poussèrent cette tentative de contrat collectif. Alors les
ouvriers charpentiers arrêtent de leur côté le salaire
qu'ils considèrent comme indispensable et s'adressent à
la municipalité de Paris. Malgré leurs instances réitérées,
le corps municipal se déclare impuissant à remédier à la
situation. Après un avis du 29 avril 1791, la municipalité
de Paris avait rendu un arrêté en date du 4 mai décla-
rant « nuls, inconstitutionnels et non obligatoires les arrê-
tés pris par des ouvriers de différentes professions pour
s'interdire respectivement etpour interdire à tous autres
ouvriers le droit de travailler à d'autres prix que ceux fixés
par les dits arrêtés.
On déclare de plus « que le prix du travail doit être fixé
de gré à gré entre eux et ceux qui les emploient, et que
les forces et les talents des individus étant nécessai-
rement dissemblables, les ouvriers et ceux qui les em-
ploient ne peuvent être assujettis à aucune taxe ni con-
trainte. (Séance du 4 mai, procès-verbaux de la Com-
mune (2). »
Il semble bien que c'est la fixation par autorité, plus
encore que le contrat collectif, qui est ici écartée par le
corps municipal. Cependant, l'idée de la diversité indivi-
duelle des talents et des forces mise en lumière dans cet
arrêté, ainsi que la prohibition des règlements et arrêtés
(1) Levasseur, Histoire des classes ouvrières api'ês 1789, l. I,
p. 138.
(2) Bûchez et Roux, Histoire parlementaire, t. X, p. 102.
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF 19
lixaiit les conditions du travail masquaient ici encore le
contrat collectif : mais il apparaît déjà.
Ainsi en dépit de cet arrêté du 2 mai 1791, la pensée du
corps municipal de Paris, qui était au fond très favorable
au contrat collectif passé do gré à gré, transparaît dans
ces procès-verbaux des séances relevés par Bûchez et
Roux :
Séance du o mai. « Des ouvriers du pont de Louis XVI
se disant députés de la part do 500 hommes composant
l'atelier, ont été introduits. Ils ont demandé en leur nom
et au notn de tout l'atelier une augmentation dans le prix
de leurs journées qu'ils voudraient faire porter à 36 sous
au lieu de 30. M. le maire a répondu, au nom du corps
municipal dans les termes des principes de son arrêté
d'hier. M. le maire a observé que ces sortes de conven-
tions devraient être faites de gré à gré ; que les ouvriers
du pont Louis XVI seraient coupables s'ils persistaient
dans leur coalition ; qu'ils devaient retourner à leur ou-
vrage, rentrer dans l'ordre et mériter ainsi l'appui de la
municipalité (1). »
Quelques jours après, la Commune de Paris fait plus,
elle passe elle-même un véritable contrat collectif avec
une partie de ses ouvriers : c'est donc bien la meilleure
preuve qu'au fond elle l'admettait parfaitement. Nous li-
sons en effet toujours dans les procès-verbaux relevés
par Bûchez et Roux :
Séance du 23 : « Sur le rapport d'une pétition des tail-
leurs de pierres, employés aux réparations des quais, ports
et trottoirs de la capitale, le corps municipal, considérant
(1) Bûchez et Roux.
20 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
que le travail confié aux tailleurs de pierres dont cet ate-
lier est composé, est utile et tourne au profit de la com-
mune ; considérant encore que ces ouvriers sont obligés
de se fournir des instruments et autres ustensiles néces-
saires à leurs ouvrages, arrête qu'à compter du lundi
23 mai, les tailleurs de pierre employés aux réparations
des quais, ports et trottoirs de la capitale, seront payés de
leur salaire sur le pied de 42 sous par jour, au lieu de
36 qu'ils ont reçus jusqu'à présent (1). »
Ainsi le contrat collectif était pratiquement possible;
mais il trouve un double obstacle dans la défense aux ou-
vriers de prendre des arrêtés pour y parvenir, et dans le
rejet absolu de toute intervention des pouvoirs publics res-
semblant à un arbitrage. C'est bien d'ailleurs ce que nous
trouvons presque explicitement renfermé dans un article
de journal signé Prudhomme, paru dans \q^ Révolutions de
Paris (2).
L'auteur rappelle le conflit des maîtres et des charpen-
tiers : la pétition des ouvriers, après les tentatives de con-
trat collectif, demandant que la municipalité consultât le
mémoire des maîtres : « Il y a ici une erreur de droit qu'il
est essentiel de relever. La municipalité n'a pas le pouvoir
d'exiger des ci-devant maîtres qu'ils produisent leurs
mémoires : et à moins qu'ils ne consentent à s arranger'
à V amiable avec les ouvriers, par la médiation de M. le
Maire, ni lui ni personne n'a le droit de fixer les salaires
de ces derniers contre le gré de ceux qui doivent les payer.
Ceci se réduit au principe simple qu'entre celui qui tra-
(1) Id. Bûchez et Roux, toc. cit.
(2) Révolutions de Paris, no XCVl.
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF 21
vaille et celui qui fait travailler, il est tyrannique et absurde
qu'un tiers puisse, contre le gré d'un des contractants,
donner sa volonté pour convention.
Il y a plus : nous avons dans des documents authenti-
ques le texte de véritables contrats collectifs de cette épo-
que particulièrement intéressants de la période révolution-
naire : mars-juin 1791.
Voici d'abord le texte de l'engagement imprimé que les
garçons maréchaux ferrants, mécontents de leurs salaires
prétendaient faire signer des maîtres maréchaux ferrants
et que quelques-uns, malgré la résistance du plus grand
nombre, vraisemblablement signèrent :
« Je certifie de donner à tous les garçons maréchaux qui
travailleront chez moi, la somme de 1 livre 16 sols par jour,
à condition qu'ils conmienceront la journée à cinq heures
du matin jusqu'à sept heures du soir.
« Fait à Paris, ce. . . . 1791 (1). »
Nous possédons même dans un document intitulé :
« Précis pour les maréchaux de Paris, remis à la munici-
palité le 4 juin 1791 », une véritable et très curieuse dis-
cussion d'un projet de contrat collectif : les prétentions
des deux parties exposées en regard les unes des autres
ressemblent à un véritable débat moderne précédant un
contrat collectif.
Voici ce document dans ses parties essentielles (2) :
H)Archiv. nation., AD. D. IV. .51 .
(2) Document publié par M^ M. Sauzel, art. cité. — Le document
(Archiv. nation., AD. XI. 85) est véritablement la discussion fort
curieuse d'un contrat collectif où les prétentions des deux parties sont
publiées sous forme de pétition.
22
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Précis pour les maréchaux de Paris, remis à la municipalité
le 4 Juin 1791
Observation des Maréchaux sur
le mémoire des Garçons.
L'état des garçons maréchaux
ne peut être comparé à celui des
charpentiers, des couvreurs, et
d'une foule d'autres, non seule-
ment pénibles et fatigants, mais
même dangereux pour la santé.
S'il ne peut être interrompu sans
causer un préjudice sensible à la
société, les garçons ont donc pro-
voqué ce préj udice et se sont rendus
coupables en abandonnant leur
ouvrage et en forçant à l'abandon-
ner ceux d'entre eux que la bonne
volonté, l'amour du travail et de
l'ordre, ou le besoin, avaient fuit
rester dans les boutiques. Cette
conduite de leur part fera bien
apprécier le civisme dont ils se
parent quelques lignes plus bas.
Nous verrons dans un moment
si ce qu'ils disent qu'ils sont les •
plus mal payés et que leur sort
n'a point été amélioré est fondé.
Mémoire présentépar les garçons
Maréchaux- ferrants à M. le
Maire et à. MM. les Officiers
mimicipauœ.
1° Les garçons maréchaux de
la ville de Paris vous exposent
que, de tous les arts et métiers,
leur état est le plus pénible, le
plus fatigant et le plus dangereux ;
il est aussi le plus utile et telle-
ment lié au service public qu'il ne
pourrait être interrompu un ins-
tant, sans causer un préjudice
sensible à la société ; cependant
c'est en même temps l'état où les
ouvriers sont le plus mal payés,
le seul où leur sort n'ait point été
amélioré, malgré l'augmentation
progressive des comestibles et des
choses nécessaires à la vie et à
l'entretien.
8o Us reconnaissent dans cet 8o Ils vous demandent, Mes-
article qu'il y a parmi eux des sieurs, de porter le prix des jour-
ouvriers qui valent mieux que nées à 40 sous, ou au moins à
d'autres et qui se font payer plus 36 sous; cette faible augmentation
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF
23
cher. Cet aveu dclruil nécessaire-
ment la fixation positive qu'ils
veulent rétablir ; et s'il y a des
garçons maréchaux en étal de
gagner 50 sous par jour, il j en a
aussi qu: sont hors d'état d'en
gagner 30, attendu les risques
plus ou moins onéreux que court
le propriétaire dont les che-
vaux peuvent être estropiés par
l'ignorance de l'ouvrier et le ma-
réchal qui les a à l'entretien. Ils
ne peuvent donc légitimement exi-
ger de la part de leurs maîtres que
ce qu'ils sont en état de gagner.
ne leur sera sûrement pas contes-
tée par les maîtres, puisque plu-
sieurs d'entre eux ont été assez
équitables pour l'accorder de leur
propre mouvement et ils offrent
même 4 livres de plus par mois
aux ouvriers les plus distingués.
Puis vient la discussion sur la durée du travail. En
voici le résumé :
Les garçons denrïandent des journées commençant à
5 heures été et hiver au lieu de 4. Les journées seront
encore de 13 heures, ce qui est déjà beaucoup pour un
travail aussi pénible.
On travaille sans repos.
Les patrons répondent qu'en fait on commence à
5 heures.
Il n'y aurait pas 13 heures, mais 12, avec les 2 heures
pour les temps de repas et de repos, sans compter tout
le temps passé à boire avec les cochers, etc..
La garde du dimanche est peu fatigante, et a lieu le
matin seulement dans quelques boutiques.
Et la discussion se poursuit ainsi sur 11 points, discus-
sion de détail, taux du salaire, durée du travail, etc.
Et les maréchaux concluent en repoussant le contrat
collectif.
24 PRKMIÈRE PARTIK. CHAPITRE PREMIER
Il résulte de ces observations :
30 Que le prix de leurs journées ne peut être irrévocablement fixé ;
mais qu'il doit l'être, comme dans la plupart des autres corps de mé-
tiers, en raison de leur talent, et que par conséquent il doit se trai-
ter de gré à gré avec les maîtres, l'arrivant ne devant pas nécessai-
rement savoir aussi bien travailler et gagner autant que le garçon
qui a plusieurs années de service dans les boutiques de Paris.
4° Enfin, que leur demande est injuste, vexatoire, qu'elle ne peut
être accordée qu'à ceux qui seraient en état de la remplir ; que la re-
connaissance qu'ils ont fait imprimer, qu'ils exigent qu'on leur signe,
et qu'ils se sont engagés par serment à faire exécuter, môme de force,
est une véritable inquisition, qui doit être proscrite dans un moment
de liberté générale (1).
Enfin les fabricants de chapeaux de la commune de Pa-
ris n'attendirent pas que le conflit fut poussé aussi loin :
ils accordèrent spontanément un tarif à leurs ouvriers,
dont nous possédons le texte sous forme d'une affiche (2) :
Les fabricants de chapeaux de la commune de Paris
{Texte d'une affiche sans date, vers 1790.)
\
Considérant que les ouvriers et ouvrières ci-dessous désignés, ayant
fait des demandes d'augmentation, tellement exorbitantes, aux fabri-
cants chapelliers, que ces derniers ont cru, par une sage prévoyance,
qu'ils devaient aller au devant des grands maux. Bien convaincus qu'il
serait trop tard d'y pourvoir, quand ils seraient venus, ils ont en consé-
quence, par un tarif tout à la fois fondé sur la justice, l'humanité, la
conservation de leur état en France, assuré une uniformité de prix
dans toutes les maisons, et redressé ceux des objets qui avaient incon-
sidérément été portés à un prix déraisonnable, et remis en vigueur.
(1) Suivent -149 noms.
(2) Archiv. Nat., AD. XL 65. — Le document est sans date, mais
est assurément de notre époque, c'est-à-dire de 1794 .
AVANT LK CONTRAT COLLECTIF 25
pour la conservation de la réputation que s'était acquise la Fabrique
de la chapellerie, les diverses inains-d'œuvresqui depuis peu d'années,
avaient été supprimées à son détriment. Les considérations qui ont
porté les fabricants à faire le présent entr'eux, sont les suivantes :
Savoir :
Suit alors la considération de chaque phase du métier :
Éharbeuses, ai'racheicses, coupeuses, rardeurs, fouleurs, teintu-
riers, apprêteurs, approprieurs, éjareuses, garnisseuses, etc..
Avec considération sur les motifs et le montant de la variation
de salaire (le plus souvent à la pièce).
« Les manufacturiers ne pourront occuper aucuu ouvrier ou ouvrière,
sans qu'il ne soit muni d'un certificat du fabricant de chez qui il sort. »
Ainsi le contrat collectif fait bien son apparition dès
1791. Mais il ne réussit pas partout et le moyen que les
ouvriers prennent pour y parvenir, moyen indispensable
d'ailleurs, va faire échouer le tout. Les coalitions se
multiplient devant les résistances du maître : « C'est la
coalition générale de 80,000 ouvriers dans la capitale ;
c'est la réunion d'une masse immense d'hommes qui croient
devoir être divisés d'intérêts et de principes avec le reste
de leurs concitoyens. Les serruriers, les cordonniers, les
menuisiers commencent déjà à suivre les traces des char-
pentiers et des maréchaux ; les autres n'attendent que la
réussite des premiers pour suivre les mêmes erre-
ments (1). » On prend peur en face de ce mouvement : les
pétitions des patrons se multiplient à l'Assemblée Consti-
tuante « pour être soustraits à l'espèce de tyrannie que les
ouvriers exercent contre eux (2) ».
La Constituante s'effraye, et sur le rapport de Cha-
(4) Pétition des maréchaux-ferrants au comité de Constitution. Ar-
chiv. Nat., AD. D. IV. 5t.
(2) Id.
26 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
pelier, vote la fameuse loi du 14 juin 1791 : l'ère du con-
trat collectif à peine ouverte est aussitôt fermée. Il nous
reste à conclure cette partie de notre historique en recher-
chant dans le rapport de Chapelier et dans le texte même
de la loi, la confirmation de nos conclusions précédentes :
L'opposition latente, dans le domaine des faits entre la
liberté du travail et le contrat collectif, va se manifester
pleinement dans le domaine légal : sans doute le contrat
collectif n'est pas directement condamné comme tel et par
là l'avenir est réservé ; mais la loi Chapelier accumule
comme à plaisir les difficultés devant lui et le voit d'un très
mauvais œil : Le rapport si souvent cité de Chapelier ne
laissé aucun doute à cet égard :
... Je viens au nom de voire comité de constitution'vous déférer une
contravention aux principes constitutionnels qui suppriment les cor-
porations, contravention de laquelle naissent de grands dangers pour
l'ordre public : plusieurs personnes ont cherché à recréer les corpora-
tions anéanties, en formant des assemblées d'arts et métiers, dans les-
quelles il a été nommé des présidents, des secrétaires, des syndics et
autres officiers. Le but des ces assemblées, qui se propagent dans le
royaume et qui ont déjà établi entre elles des correspondances, est
de forcer les etiti^epi^eneurs des travaux, les ci-devants maîtres, à
augmenter le prix de la journée de travail, d'empêcher les ouvriers,
et les particuliers qui les occupent dans leurs atelie7's, de faire entî'e
eux des conventions à Vayniable, de leur faire signer sur des regis-
tres l'obligation de se soumettre aux taux de la journée de travail fixé
par ces assemblées et autres règlements qu'elles se permettent de faire.
On emploie même la violence pour faire exécuter ces règlements ; on
force les ouvriers de quitter leurs boutiques, lors même qu'ils sont con-
tents du salaire qu'ils reçoivent. On veut dépeupler les ateliers, et déjà
plusieurs ateliers se sont soulevés et différents désordres ont été
commis (1).
(1) Séance du mardi 44 juin 1191, .Moniteur Universel, 1791, p. 688.
AVANT I.E CONTRAT COLLECTIF 27
... Il n'y n plus de corporation dans l'Etal ; il n y a plus que l'intért'-t
parliculier de chaque individuel l'inlérèl général...
Il faut donc remonter au principe, que c'est aux conventions
libres, d'individu à individu, à fixer la journée pour chaque ouvrier ;
c'est ensuite à l'ouvrier à maintenir la convention qu'il a faite arec
celui qui l'occupe.
Ici Chapelier emploie évidemment des termes absolus
qui feraient croire que la loi de 1791 a eu directement
pour but de proiiiber le contrat collectif. Mais l'expres-
sion dépasse ici, croyons-nous, la pensée de l'auteur, et
ce n'est que pour mieu.x; proliiber la coalition, le tarif
unilatéral des salaires, que Chapelier recourt aux conven-
tions d'individu à individu, qui pour lui étaient mieux la
réalisation concrète — la seule, croyait-il — de la liberté
du travail.
L'examen attentif des divers articles de la loi justifie
notre interprétation, quelque peu subtile : si la Consti-
tuante avait voulu prohiber directement le contrat collec-
tif, il eût été bien simple de le dire expressément, d'au-
tant plus que les exemples récents de conventions amiables
attiraient certainement à cette époque l'attention du légis-
lateur. Il eût bien soin de ne pas les viser.
Le projet de décret a pour objet de prévenir tant les coalitions que
formeraient les ouvriers pour faire augmenter le prix de la journée
de travail, que celles que formeraient les entrepreneurs pour la faire
diminuer (1).
(i) Voir le texte complet de la loi Chapelier (Duvergier, Lois et dé-
a'efs, t. III, p. 2o.) — En voici l'essentiel :
Article Premier. — Rappelle interdiction des corporations et dé-
fend de les rétablir.
Art. â. — Les citoyens de même état ou profession, entrepreneurs,
ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d'un art
28 PREMIÈRE PARTIR. CHAPITRE PREMIER
Donc pour nous, ce n'est pas directement lo contrat
collectif qui est visé par la loi Chapelier, mais seulement
la coalition : le contrat collectif amiable, quoique diffici-
lement réalisable.^ reste toujours possible.
quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nom-
mer ni président, ni secrétaire, ni syndics, tenir des registres, prendre
des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs préten-
dus intérêts communs.
Art. 3. — Interdiction aux corps administratifs ou municipaux de
recevoir aucune pétition.
Art. 4. — Si contre les principes de la liberté et de la Constitution,
des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, pre-
naient des délibérations, faisaient entre eux des conventions tendant à
refuser de concert ou à n'accorder qu'à un prix déterminé le secours
de leur indusirie ou de leurs travaux, les dites délibérations et con-
ventions, accompagnées ou non de serment, sont déclarées inconstitu-
tionnelles et attentatoires à la liberté et à la déclaration des Droits de
l'homme et de nul effet ; les auteurs, chefs et instigateurs qui les auront
provoquées, rédigées ou présidées, seront cités devant le tribunal de
police, à la requête du procureur de la commune et condamnés
à 500 livres d'amende et suspendus pendant un an de l'exercice de
tous leurs droits de citoyens actifs et de l'entrée dans les assemblées.
Et le reste de la loi montre bien que c'est la liberté des non syndi-
qués que l'on veut protéger :
[/article 5 défend aux corps administratifs et municipaux d'em-
ployer des ouvriers ayant signé pareilles conventions.
L'article 6 édicté 1,000 livres d'amende et 3 mois de prison contre
les auteurs, instigateurs et signataires d'actes ou écrits contenant
quelque menace contre les entrepreneurs, artisans, ouvriers ou jour-
naliers étrangers qui viendraient travailler dans le lieu ou contre ceux
qui se contentent d'un salaire inférieur.
L'article 7 prévoit le cas où la liberté individuelle des entrepreneurs
et ouvriers serait attaquée par des menaces ou des violences de la
part de ces coalitions, et ordonne que les auteurs de ces violences
soient poursuivis comme perturbateurs du repos public.
L'article 8 défend dans le même esprit les attroupements attenta-
toires à la liberté.
AVANT LE CONTRAT COLLECTIF 29
Ainsi et pour la première fois était posé le redoutable
problème qui devait domiiifr tout le XIX* siècle: le conflit
entre l'intérêt individuel invoquant la liberté du travail et
l'intérêt professionnel exigeant le contrat collectif.
Sans doute, comme on l'a vu, la liberté du travail porte
en elle aussi bien le contrat collectif que le contrat indivi-
duel : le mouvement ouvrier pendant les mois qui séparent
mars et juin 1791 l'a bien montré. Mais les conceptions doc-
trinales renforcées par les nécessités de la pratique sont
les plus fortes : bien que le contrat collectif en théorie ne
soit pas contraire au régime nouveau, celui-ci est masqué
par le mode ordinaire suivant lequel il se conclut : la
coalition. Celle-ci est prohibée ainsi que l'association pro-
fessionnelle par la loi Chapelier.
Je sais bien que ce point de vue quelque peu nouveau
soulève de sérieuses objections : formulons d'abord la
thèse :
A. — Dans la loi Chapelier, ce n'est pas le contrat col-
lectif en lui-même, l'accord entre un ou plusieurs patrons
avec plusieurs ouvriers qui est prohibé.
B. — Ce qui est directement visé par le texte de l'ar-
ticle 4, ce sont les délibérations et conventions que des
citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers,
pourraient faire entre eux, tendant à refuser de concert ou
n'accorder quà un prix déterminé le secours de leur in-
dustrie ou de leurs travaux. C'est la déclaration unilaté-
rale collective de ne point travailler ou de ne travailler
(juà un certain prix qui est seule visée.
Sans doute, au point de vue pratique, cela revient
(4) Ce mot est des plus significatifs.
30 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
presque exactement au môme, parce qu'il est bien clair
que dans la majorité des cas le contrat collectif suppose
une offre portant sur certaines conditions de travail, im-
plique une association professionnelle permanente ou pro-
visoire.
Mais au point de vue des idées et de la théorie du
contrat collectif, il est de la première importance de cons-
tater cette sorte de floraison soudaine du contrat collectif
de mars à juin 1791 : elle montre que Vidée de liberté du
travail, si elle n'avait pas été faussée, tendait à se idéali-
ser spontanément par le contrat collectif {i).
C'est là une constatation de fait des plus heureuses qui
indique de la manière la plus nette l'orientation vers
laquelle au milieu d'hésitations, de reculs et d'incerti-
tudes, le mouvement ouvrier contemporain a dû et doit
encore marcher.
Quoi qu'il en soit, le contrat collectif est théoriquement
né : il en faut maintenant suivre l'histoire au milieu de
difficultés multiples.
(1) Le contrat collectif peut donc lui aussi se réclamer du grand
mouvemeat de 1789 — ce qui n'est peut-être pas pour lui, avec les
idées actuelles, une de ses moindres chances de succès.
CHAPITRE II
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE
JUSQU'EN 1884
Il s'agit maintenant, dans ce chapitre, de suivre rapide-
ment l'histoire en France du contrat collectif. Jamais his-
toire ne fut plus compliquée et plus incohérente : il en est
ainsi pour deux raisons très simples mais capitales.
a) D'abord ce modo de fixation des conditions du tra-
vail relève uniquement à l'époque considérée de l'initia-
tive privée; l'association professionnelle librement formée
n'étant pas officiellement autorisée, son type subit des
variations constantes (1).
b) En second lieu, le contrat collectif n'est nullement
un régime légal, officiellement reconnu. De là encore une
nouvelle cause d'incertitude et de vanité, l'unité du type
juridique ne couvre pas encore les formes économiques
naissantes (2).
Quoi qu'il en soit de ces difficultés et de celles qui ré-
(1) Ajoutons à cela que l'histoire du mouvement syndical lui-même
en France n'est pas encore complètement terminée et que celle du
contrat collectif qui n'en est qu'un ctiapitre doit être forcément in-
complète comme celle histoire elle-même.
(2) Celte cause de difficulté subsiste d'ailleurs pour l'étude des fails
actuels.
h
32 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
sultent de la nature même du contrat collectif, nous tâche-
rons de marquer, autant que les généralisations toujours
défectueuses sont possibles, les principaux caractères au
point de vue de notre étude, des tentatives de contrat col-
lectif ainsi que des obstacles à son développement. Une
idée domine toute cette période : le contrat collectif tend
sans cesse à triompher, avec des périodes de progrès et
de recul, des obstacles qui l'entravent : sous l'empire des
nécessités économiques, il domine tout le mouvement syn-
dical et t(!nd à se créer un régime de fait jusqu'à ce que
la loi de 1884 lui donne un premier régime de droit.
Le contrat collectif se fait lentement sa place dans le
régime industriel moderne et s'enrichit successivement de
tous les éléments nécessaires à son existence : c'est la lente
croissance d'une plante bien chétive, soumise à toutes les
intempéries de la saison, mais la force intime et vivante
de l'idée qu'il réalise triomphe bientôt des difficultés,
comme la sève d'avril assure l'épanouissement de la plante
plus complet et plus brillant, à mesure que les conditions
de soleil et d'humidité se réalisent mieux.
Les obstacles même qu'il fallait vaincre nous donneront
la division toute naturelle de cet historique en deux pé-
riodes :
En effet, pour passer le contrat, pour établir l'accord
professionnel, il faut sous une forme ou sous une autre
une représentation ouvrière : ce qui implique la double li-
berté de coalition et d'association professionnelle : elles
datent, la première de 1864, la seconde de 1884.
De là deux périodes bien distinctes :
1° De 1791 à 1864, le contrat collectif est plutôt un
idéal qu'une réalité : le régime de grande industrie qui se
développe alors contribue puissamment à mieux montrer
IIISTORigiE DU CONTRAT COLLECTIF EN FBANCE 33
la nécessité de Gxer d'une manière uniforme pour tous les
travailleurs les conditions du travail.
2" De 1864 à 1884, une fois la liberté de coalition pro-
clamée, les tentatives de contrat collectif et les succès
même se font plus fréquents : l'exemple de l'Angleterre
commence déjà à se faire sentir ; le contrat collectif, quoi-
que rare, se réalise déjà ici et là, et c'est pour le dévelop-
per qu'est votée la loi de 1884 (1):
I !«'. — Premiers période (1790-1864).
A. — A travers les faits.
Après 1791, la proclamation de la liberté du travail,
jointe à la prohibition de toute association professionnelle
aboutit en fait à la prédominance du contrat de travail in-
dividuel.
A ce moment tout concourait à amener ce résultat.
L'idée du contrat collectif qui était apparue un instant en
1791, est à nouveau masquée ; les idées révolutionnaires
sur l'égalité permettaient de poursuivre par le contrat in-
dividuel la justice idéale : les hommes, en effet, sont na-
turellement égaux : les différences viennent de l'éducation,
de la législation et du gouvernement. Donc, les entraves
une fois écartées, l'éducation assurée, chacun aura assez
(i) 11 faudrait ici poursuivre l'élude du contrai collectif dans ctiaque
métier, mais c'est là une étude bien difflcile en l'état actuel de l'his-
toire économique, qui dépasserait de beaucoup les limites étroites de
cet historique : on ne peut donc ici que prendre certains contrats col-
lectifs en eux-mêmes et comme types pour ainsi dire.
aAtKAEO 3
34 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
de discernement pour atteindre le revenu net le plus
élevé : et pendant toute cette période jusqu'aux environs de
1848, c'est le triomphe de la liberté au pire sens du mot,
c'est le tète à tète forcé du patron et do l'ouvrier.
Le développement de la grande industrie (1) la concur-
rence furieuse pour la conquête et la conservation du
marché international, l'introduction des machines, qui au
premier moment produisent un excès énorme de bras sans
travail, tout dans cette période convient à empirer la si-
tuation de l'ouvrier et à faire donner au contrat individuel,
en môme temps que sa productivité industrielle maxima,
ses plus funestes résultats au point de vue social.
Aucune mesure législative ne vient remédier à la situa-
tion : la loi du 22 germinal an XI et le Code pénal punis-
sent les coalitions et par là tout espoir de relèvement sem-
ble perdu pour l'ouvrier.
La situation au point de vue législatif (2) est tout en-
tière dominée par la loi de juin 1791, malgré quelques
tentatives sous le Premier Empire et la Restauration pour
rétablir les Corporations.
Quelques associations professionnelles patronales et
ouvrières (3) se développent alors et vivent sous un régime
de fait : mais dans celte première période, saut peut-
(1) Cf. Villermé, 1840, Tableau de Vétat physique et moral des
ouvriers emploi/és dans l'industrie de la laine et du coton.
(2) Il serait difficile de voir dans l'article 1-4 de la loi du 22 germi-
nal an XI une allusion directe au contrat collectif : « Les conventions
faites de bonne foi entre les ouvriers et ceux qui les emploient seront
exécutées ». D'ailleurs fussent-elles légales, ces conventions étaient
presque pratiquement impossibles.
(3) Cf. Lexis, -1879. Gewer/ivereine und Unternehmerverbœnde in
Frankreich.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 33
être après 1860, le mouvement n'a pas une bien grande
importance : en tout cas l'action des Chambres syndicales
existantes n'aboutit pas au contrat collectif : les Chambres
syndicales patronales sont surtout préoccupées des intérêts
conunerciaux de leurs membres : elles sont composées de
petits patrons travaillant le plus souventeux-mùnies, quisont
donjinés par le souci des débouchés commerciaux. La dis-
cussion des conditions du travail, comme toutes les autres
questions sociales et ouvrières reste au second plan.
Quant aux Chambres syndicales ouvrières, nous les
verrons plus hardies : malgré les formes sous lesquelles
elles doivent masquer leur existence (société de secours
mutuels, société de crédit mutuel) quelques-unes s'es-
sayent à faire accepter aux patrons le contrat collectif :
mais en général elles échouent sans doute parce que leur
forme juridique imparfaite et leur force professionnelle
restreinte ne sont pas des garanties suffisantes pour les
patrons qui, d'ailleurs, conservent les idées d'autorité les
plus absolues.
Après avoir ainsi caractérisé au point de vue des résul-
tats cette période, il nous faut suivre en détail quelques
essais de contrat collectif : nous en saisirons mieux tout
à la fois les grandes difficultés et l'impérieuse nécessité ;
malgré un régime spécial qui lui est directement con-
traire, malgré l'absence d'organisations professionnelles
vraiment fortes, nous pouvons relever déjà quelques ten-
tatives intéressantes de contrat collectif.
Le compagnonnage nous fournit un premier et très réel
exemple de contrat collectif : en 1833, à Paris, après une
grève des charpentiers, une convention solennellement
acceptée par les ouvriers compagnons fixe les conditions
du travail : les charpentiers demandent une augmentation
36 tUKMlKllK tARTlE. CHAPITRK II
de 0 fr. 10 par heure : le contrat est conclu pour 10 ans (1).
Cette convention semble avoir duré plus de 10 ans. Ce
n'est en effet qu'en 1845 que 3 compagnons charpentiers
demandent, le 17 mai 1845, à la Chambre syndicale, au
nom de tous les charpentiers du département de la Seine,
qu'à l'avenir le minimum de la journée de travail établi à
4 francs par la convention de 1833 soit porté à 5 francs ;
ils réclament en même temps l'abolition du marchandage
ou travail à la tâche.
Les maîtres charpentiers cette fois répondent par un
refus : la grève est déclarée le 9 juin : une coalition pa-
tronale se forme : les patrons s'engagent mutuellement à
maintenir ou établir dans leurs chantiers le travail à la
tâche.
La lutte continue avec violence : la Chambre syndicale
refuse une entente générale. Mais bientôt quelques entre-
preneurs cèdent les premiers et acceptent les nouvelles con-
ditions : les ouvriers mettent en interdit les chantiers ré-
fractaires : bientôt 230 patrons sur 300 acceptent.
Cependant la résistance continue ; l'administration de
la Guerre met à la disposition des patrons, des militaires et
des poursuites sont engagées contre les grévistes ; Berryer
plaide (2). Malgré son éloquence les articles 414 et 415 du
Code pénal sont appliqués en première instance et en
appel : cette fois, le contrat collectif avait échoué.
(1) Registre de la Chambre syndicale, séance des 25 et 20 sept.
1833.
(2) Berryer, Plaidoyei^s, III, p. 240. — Toute cette plaidoierie est
un document des plus intéressants sur le contrat collectif : « C'est
quelque chose de dérisoire que de venir dire aux ouvriers de toutes
professions : Vous discuterez individuellement votre salaire, traitez
avec chacun des maîtres, est-ce avec des individus qu'ils ont af-
HISTUKivU. Kl «OMRAT t:oi,l>:(;TIK KN Hl WOl 37
Cet exemple du contrat collectif réussissant en 1833,
échouant en 1845, nous semble particulièrement typique :
il résume fort bien l'état de fait et de droit qui rég^nait
alors : le contrat collectif est-il par hasard établi pacifi-
quement entre les deux parties sans agitation, il est possible
et on le respecte ; provoque-t-îl des résistances et des coa-
litions, des mises en interdit, on a vite fait de recourir
aux articles du Code pénal et de condamner les ouvriers.
Il semble d'ailleurs que ce soit dans cette période de
1830 à 1848 que l'on rencontre les plus nombreuses tenta-
tives de contrat collectif.
A Lyon la qu.estion des tarifs du tissage amena précisé-
ment une sérieuse émeute : l'emploi de ces procédés vio-
lents se termina d'ailleurs par un échec pour les ou-
vriers.
En février 1831 (1), l'élaboration d'un tarif des prix de
façon est demandée par les ouvriers : les 8 et 10 octobre,
deux assemblées de tisseurs choisissent deux chefs d'ate-
lier par quartier pour former une commission chargée no-
tamment de recueillir des renseignements préparatoires à
ce tarif. Les ouvriers d'ailleurs s'adressent au préfet qui
répond qu'il convoquera prochainement les tisseurs en vue
d'une discussion contradictoire pour fixer les bases du ta-
rif. Le principe du tarif est d'ailleurs en môme temps
adopté par le Conseil de prud'hommes et la Chambre de
commerce.
faire? elc... Cf. tout Je morceau où l'orateur montre combien la
situation a cliangé depuis 179t .
(1) Déjà avaient été en vigueur plusieurs tarifs, 1789, 1811,1817,
mais pour leur établissement les ouvriers n'avaient pas été directement
représentés. — Cf. Office du travail, -\ssociations professionnelles,
II. p. 247 et suiv.
38 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II
La réunion annoncée eut lieu le 21 octobre sous la pré-
sidence du préfet, assisté des maires de Lyon et des com-
munes suburbaines, des membres de la Cbambre de com-
merce et des membres du Conseil de. prud'hommes; mais
les délégués des fabricants déclarèrent aussitôt qu'ils n'a-
vaient pour traiter avec les ouvriers aucun mandat ; le
préfet répondit que les tarifs antérieurs avait été consentis
par un bien moins grand nombre de fabricants: sur quoi
les délégués ouvriers dirent qu'ils ne voulaient traiter
qu'avec des délégués des fabricants régulièrement auto-
risés et ayant leurs pouvoirs.
La nomination de ces délégués eut lieu le 24 octobre : le
2S à 11 heures du matin se tint une réunion sous la pré-
sidence du préfet où les deux commissions délibérèrent
pendant 4 heures, le tarif fut enfin signé partons les mem-
bres présents et déclaré exécutoire à partir du 1^'' no-
vembre.
Mais le tarif ne fut appliqué que par quelques fabricants ;
le plus grand nombre d'entre eux adressa une pétition à
la Chambre des Députés pour réclamer contrôle tarif signé
sous la pression de la rue et par les délégués élus seule-
ment par un cinquième des fabricants. Après quoi les fa-
bricants récalcitrants refusèrent de donner du travail aux
conditions du tarif; c'est ce qui produisit les célèbres
émeutes des 21, 22 et 23 novembre, les tisseurs de la Croix
Rousse sont maîtres de Lyon pendant dix jours et ce n'est
que le 3 décembre que l'armée conduite par le duc d'Or-
léans et le maréchal Soult reprend la ville : Le 7 décembre
suivant, le maréchal Soult rapportait le tarif signé le
25 octobre ; le contrat collectif une fois de plus n'était
apparu que comme un idéal.
C'est parmi les typographes que nous trouvons pour
HISTOniQlF. nu CONTRAT COLLECTU KN FIÎA.NCi; 39
l'époque la forint' la plus perfcclionnée de contrat collec-
tif (l).
Un premier essai de tarit a lieu en 1833 : mais le premier
tarif établi par contrat collectif ne date que de 1843 (2) :
la Société typographique, association professionnelle d'ou-
vrit rs (jui s était formée en 1839 sous l'aspect d'une So-
ciété de secours mutuels avait nettement pour but l'élabo-
ration d un tarif de main-d'a:'uvre. Aussi lorsqu'en 1842
les patrons rédigèrent un tarif unilatéral, les ouvriers
émirent la prétention d'y participer : les patrons ac-
ceptent. En mai 1842 est nommée une commission mixte :
(1) Office du travail, Associations professionnelles ouvrières, I,
p. 709.
(2) Office du travail. Associations professionnelles ouvrières, t. I.
p. 709.
I^e préambule de ce tarif est des plus intéressants :
Préambile nr tarif de 1843.
« Jusqu'à présent, dans l'imprimerie comme dans la plupart des
autres professions, aucune base, aucune règle certaine ne présidait à la
fixation des salaires ; tout à cet égard reposait sur des traditions dont
rien ne garantissait l'authenticité, et que la mémoire plus ou moins fl-
dèle, plus ou moins désintéressée de l'une ou l'autre des parties contrac-
tantes reproduisait d'une manière souvent bien différente, quelquefois
diamétralement opposée. Aussi combien de discussions, de luttes,
s'élevaient entre le maître et l'ouvrier et n'avaient d'autre cause que
l'absence d'un taux équitablement établi, auquel on aurait pu se
reporter pour résoudre des difficultés, futiles d'abord, mais devenues
insolubles, parce que chacun prétendait avoir raison !
« Et de ces luttes, qui les constituaient en état permanent d'hosti-
lité, naissaient la défiance entre le maître et l'ouvrier, le trouble
dans les relations, et bien souvent l'anarchie dans les ateliers.
« ... La première de ces mesures devait être évidemment l'établisse-
ment d'un taux uniforme des prix de main-d'œuvre . »
40 PRKMIÈRK PARTIR. CHAPITRK II
le tarif est arrêté le 10 juillet 1843 et mis en vigueur le
15 septembre (1).
Il devait être revisé de la même manière par une confé-
rence entre patrons et ouvriers tous les cinq ans. (art. 40
et 41 du tarif).
De plus, la Commission qui avait élaboré le tarif
adopta le vœu très intéressant suivant : « La conférence
mixte, avant de se séparer, exprime le vœu qu'il soit
formé une Commission dite d'exécution. Cette commis-
sion connaîtrait de toutes les contestations qui pourraient
s'élever à l'occasion, soit des dispositions contenues dans
le tarif, soit de tous les cas imprévus qui se rattacheraient
aux principes dudit tarif ».
C'était là une conception très juste du mécanisme du
contrat collectif, qui ne peut évidemment statuer sur tous
les cas possibles. La commission prévue ne fut jamais
formée sous ce nom : néanmoins l'idée devait rester et se
réaliser par la suite.
(1) Voici quelques-unes des dispositions les plus importantes de ce
premier tarif :
Prix du mille dn des corps les plus emploj^és (8 au 12) :
Manuscrit 55 centimes.
Impression 50 centimes.
Correction jusqu'à raison de 50 centimes Theure. Journée de cons-
cience, 10 heures de travail effectif, prix établi de gré à gré. Cepen-
dant dans l'esprit des commissaires, le prix des heures de corrections
50 centimes impliquait et consacrait celui des heures de travail à la
journée.
Gratifications (obligatoires) : 25 centimes par heure pour le travail
de nuit, des dimanches et des fêtes légales ; 1 franc par nuit pour le
travail des journaux paraissant le matin et 1 fr. 50 pour la journée
du dimanche et des fêtes employée au travail des journaux du jour.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF KN FRANCK 41
En 1848, à récliéance marquée pour la révision du tarif,
la Commission se réunit le 10 mars, mais étant donné les
cvénemenls elle s'ajourne aussitôt au l*"" juillet, puis pro-
roge de 2 ans le tarif alors en vigueur.
En 1850, le 30 décembre, la revision du tarif élaborée
par une commission mixte est arrêtée : elle contenait comme
dispositions relatives aux salaires peu de changements (1),
mais elle créait avec les plus grands détails l'organisme
prévu en 1843 pour l'exécution du contrat collectif et son
mode de révision.
Le tarif était établi à partir du la mars 1851 et devait
avoir cours jusqu'à ce qu'il fut procédé à sa révision (art. 46)
la mise en vigueur était retardée pour permettre le fonc-
tionnement de la nouvelle Commission.
11 faut étudier avec quelques détails cet organisme
complet ainsi créé spontanément pour le contrat collectif.
Les dispositions nouvelles concernaient :
a) La création de la commission arbitrale permanente.
b) La procédure de révision.
a) Commission arbitrale permanente. — Cette Com-
mission, composée en nombre égal de patrons et d'ouvriers
devait connaître de toutes les contestations qui pourraient
lui être soumises à l'occasion, soit des dispositions conte-
nues dans le tarif, soit de tous les cas non prévus se ratta-
chant à son principe: elle entrerait en fonctions aussitôt
la mise en exécution du présent tarif (art. 46, 1").
(1) Gratification des heures de nuit (23 centimes) accordée à partir
de 8 heures du soir jusqu'à 8 heures du malin si le travail de uuit se
prolongail jusque là.
30 ceiiliines l'heure pour l'ouvrier commandé pour uu travail extra-
ordiDairc et obligé d'attendre soit après la copie, soit après la distri-
bution.
42 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II
Elle devait se composer de 12 membres (1) (6 patrons
et 6 ouvriers), votant en commun mais à nombre égal de
patrons et d'ouvriers (art. 46, 2°).
Enfin elle devait être renouvelée chaque année par moitié ;
les membres sortants ne pouvant être réélus qu'après un an
révolu. Les élections doivent avoir lieu du 15 février au
10 mars.
C'était là à la fois un tribunal pour résoudre les conflits
déjà nés et une commission pour l'application du tarif
existant.
b) La procédure de révision. — Le nouveau contrat collec-
tif établissant dans ses plus grands détails cette procédure.
Conditio7is. — Le présent tarif pourra être révisé cinq
ans après sa mise à exécution, si la commission arbitrale
est d'accord sur la nécessité de sa révision (art. 48).
Ainsi deux conditions étaient nécessaires :
1"^ Un délai de cinq ans.
2'' L'approbation de la révision par la Commission arbi-
trale : on exigeait d'ailleurs pour que cette approbation fut
définitive « deux votes affîrmatifs faits à un mois d'inter-
valle et à la majorité absolue de tous les membres réunis
de la Commission votant par sections (art. 48, 2") ».
Mode de révisioti. — La révision ainsi déclarée néces-
saire devait être faite par une conférence mixte composée
de 14 membres titulaires et de 4 suppléants, 9 patrons et
9 ouvriers (article 48, 3'').
Voici la procédure à suivre pour l'élection de cette con-
férence mixte :
Article 49. — 1" Les Commissaires patrons sont nommés
(1) Le mode de nomination est le même que pour les conférences
mixtes (voir ci-dessous).
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 43
en Assemblée générale des imprimeurs de Paris. Le
procès-verbal de celle éleclion sera produit par le doN'en
d'âge lors de la vérilicalion des pouvoirs.
2" La nomination des Commissaires ouvriers se fera de
la manière suivante et par les soins des membres ouvriers
faisant partie de la Commission arbitrale : dans cbaque
imprimerie les compositeurs désigneront un candidat
parmi eux toutes les fois que leur nombre ne dépassera
pas lu; de 16 à 30, ils en désigneront 2 ; de 31 à 45, 3 et
ainsi de suite. Les nominations se feront à la majorité
absolue des suffrages. Une liste générale, formée de tous
les noms des candidats, sera envoyée dans les différentes
imprimeries de Paris. Cbaque ouvrier choisira 9 noms sur
cette liste. Dépouillement fait de ces voles, en présence du
candidat élu dans chaque imprimerie, lesquels constitueront
un bureau, les 9 candidats qui auront réuni le plus de voix
seront proclamés commissaires ouvriers de la conférence
mixte pour la révision du tarif. Les procès-verbaux de ces
doubles élections, consignés parle président elle secrétaire
du bureau seront remis au doyen d'âge, qui devra se mettre
en rapport avec le doyen d'âge des commissaires patrons
et déposer les procès-verbaux lors de la vériflcation des
pouvoirs.
Ainsi on le voit, tout était pré^u dans les moindres dé-
tails, et grâce à ce mécanisme électoral, la Commission
pouvait se croire autorisée à parler au nom de tout le
métier.
D'ailleurs, le nouveau contrat collectif stipulait encore
que pour être adoptée par la Commission mixte, toute mo-
dification ou adjonction au tarif devait réunir les voix de
la majorité des membres patrons et de la majorité des
membres ouvriers.
44 PRKMIÈRE PARTIK. CHAPITRE 11
Il y avait là un réel et très remarquable effort pour cons-
truire un contrat collectif efficace : enfin, une dernière
disposition marquait plus que tout autre quelle conception
exacte du contrat collectif avaient les typographes de
1850 : l'article 50 disposait formellement :
« Tout règ-lement particulier portant décision ou inter-
prétation relative au tarif est nul et non avenu. »
C'était la contre partie nécessaire des dispositions pré-
cédentes : on savait combien il est nécessaire pour être
efficace que le contrat collectif soit généralement et uni-
formément observé.
En fait, la première commission arbitrale élue en 1851,
fonctionnajusqu'aul2 juin 1854 ; mais à cotte date, les pa-
trons, trouvant qu'elle faisaitdouble emploi avec les Conseils
des prud'hommes récemment institués, refusent de pro-
céder à l'élection des nouveaux membres. Les membres
anciens restèrent en fonctions et la Commission arbitrale
continua ses opérations : mais en 1858, sur un nouveau
refus des patrons, elle disparut complètement.
Quoiqu'il en soit, il y a là une tentative et plus qu'une
tentative, une réalisation très intéressante du contrat col-
lectif au milieu de ce siècle.
Voilà donc le contrat collectif pénétrant dans un métier
en dépit des difficultés, réusissant à s'y maintenir pendant
plus (le 10 ans et se créant un organisme approprié.
— On pourrait encore citer dans cette même période,
surtout aux alentours de l'année 1848, un assez grand
nombre de contrats collectifs (1).
(1) Convention entre les délégués des ouvriers scieurs de pierres et
la Chambre des entrepreneurs de maçonnerie.
Convention entre les maîtres et ouvriers plombiers zingueurs.
HlSTOHIyL'K DU CONTHAT COLLKCTIF KN KIIA.NCK 45
Eli somme, et sauf les difficultés spéciales à chaque
métier, le contrat collectif était alors le but direct de toute
organisation professionnelle sérieuse ; parfois il réussit et
souvent il aboutit à un écbec, soit par manque de force de
la part des ouvriers, soit par refus catégorique des patrons,
soit surtout par suite du régime légal sur les coalitions
frappées par le Code pénal.
Là est en effet l'obstacle le plus sérieux que rencontre
notre contrat : les ouvriers ne peuvent en effet vaincre les
résistances patronales sous peine de tomber sous le coup
de poursuites pénales, comme les charpentiers en 1833.
Convention entre les débardeurs et les marchands de bois de la rive
gauche (par arbitrage).
Règlement entre les entrepreneurs et les cochers.
Convention entre les maîtres et ouvriers paveurs, contenant un mi-
nimum de salaire.
Contrat collectif pour ouvriers des papiers peints.
Contrat collectif dans la maison Cail .
Pour tous ces contrats, Cf. Office du Travail, Conciliation et Arbi-
trage, p. 577 et suiv...
Comme type de ces contrats de l'époque, voici l'un des plus intéres-
sants, celui des Paveurs, qui stipule un minimum de salaires.
(Extrait du Moniteur du 2 .avril 1848).
Convention entre les maîtres et ouvriers paveurs
Entre les délégués des maîtres et ouvriers paveurs réunis au Luxem-
bourg, le ipf avril 1848, sous la présidence du Secrétaire générai de la
commission de gouvernement pour les travailleurs, a été convenu ce
qui suit, à la satisfaction de toutes les parties.
A dater du l'"'" avril 1848, le prix des salaires sera fixé comme suit :
Pour les compagnons de relevé à bout, 4 fr. 30 au minimum ; pour
les compagnons de repiquage, 3 fr. 75 au minimum ; pour les garçons
paveurs. 2 fr. 5() au minimum.
Approuvé par toutes les parties intéressées.
Noble, Seringui.n, Francastel, Jaboux.
46 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II
B. — Les idées.
Cet obstacle est sur le point d'être emporté en 1849 (1)
à l'Assemblée Nationale par la proposition Doutre et Be-
noist abrogeant les articles 414, 415, 416 du Code pénal :
cette proposition n'aboutit qu'à une niodification de détail
de ces mêmes articles ; mais le débat à l'Assemblée Natio-
nale est des plus intéressants et des plus sig-nifîcatifs (1) :
il y faut recbercher brièvement le progrès qu'avait ac-
compli les idées pendant ce demi-siècle.
La principale question qui domine toute cette discussion
est assurément celle de l'inégalité entre patrons et ouvriers
dans le contrat de travail : les uns frappés de cette inéga-
lité préconisent le contrat collectif et la liberté de coalition ;
les autres s'en tiennent à la vieille idée de concurrence
absolument illimitée, mais cette idée perd du terrain. 11
faut reprendre brièvement l'exposé de ces deux thèses:
Dans la première opinion on repousse l'assimilation du
travail aune marchandise et on perce à jour la prétendue
égalité entre patrons et ouvriers dans le contrat individuel
de travail : par là on en vient à poser la nécessité du con-
trat collectif:
« Aussi quand on réfléchit sérieusement à la position
respective des patrons et des ouvriers, l'on est bien vite
convaincu que la nécessité est une loi suprême, à laquelle
(1) Dans celle longue discussion {Moniteur- des 7 et 12 octobre et des
il, 20, 27 et 28 novembre 1849) nous négligeons de parti pris tout ce
qui concerne spécialement le droit de coalition : nous n'envisagerons
que ce qui touche immédiatement le contrat collectif.
HISTORIOLE UU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 47
louvrier no poiil pas » liapper, «a femme^ ses enfantssonl
dans son cintr (jiii luttent en faveur du maître.
« I/nuviicr (jui II une famille, et tous en ont une, ne
peut lullor avec avantag-e contre le capitaliste qui dispose
du travail, des instruments de travail, et par conséquent
de la vie même ; // np le peut quen s'unissant à d'autres
ayant des mtérf-ts conformes aux siens (1). »
Un autre orateur de la même opinion (2) décrit tout au
long le contrat collectif.
« Le débat ne deviendra égal entre le chef d'industrie
et l'ouvrier que lorsque l'universalité de ses ouvriers, ou
du moins la très grande majorité d'entre eux, se présen-
tera devant lui et lui dira: Ce n'est pas un seul ouvrier,
ce ne sont pas trois ou quatre de vos ouvriers qui se pré-
senlont devant vous, c'est la masse, c'est l'universalité ou
la très grande majorité d'entre eux. Nous nous sommes
entendus, nous nous sommes concertés et nous venons dé-
battre avec vous les conditions du salaire : Nous trouvons
ce salaire trop bas et nous vous demandons de l'élever (3).
Peut-être avons-nous raison, peut-être avons-nous tort ;
mais enfin, pour faire valoir nos arguments d'une manière
suffisante, nous nous présentons devant vous, et comme
mesure extrême, comme ressource dernière, qui sera plu-
tôt nuisible à nous-mêmes, qu'à vous, nous faisons valoir
l'abandon à l'atelier en masse. »
(1) Discours de M. Benoist du Rhône, séance du 11 octobre 1849.
(Moniteur du 12). — M. Doulre parle dans le même sens et décrit la
coalition paciûque.
(i) M. Morin, même séance.
(.î) Baslial dans une autre séance [Moniteur 1849, oct .-décembre,
p. ^710) se rallie à la même opinion et se déclare partisan de la li-
berté de coalition avec répression dans l'abus.
48 PHEMIÈRE PARTIK. — CIIAPITHE H
On montre que barrer Ja voie au contrai, collectif, c'est
un pas fait dans la voie du socialisme (1;.
On entrevoit même la nécessité d'une règ-lernentalion Ju
contrat collectif ; lors de la péroraison d'un orateur, qui
parlait sur l'égalité désirable dans le contrat de travail, un
interrupteur, une voix, dit le Moniteur, de s'écrier : « Il
faut l'organiser. »
Mais ce n'était là qu'une propliéti(; qui n'est pas encore
réalisée : la tlièse du contrat collectif ainsi formée trou-
vait alors de très puissants contradicteurs.
L'opinion adverse, par l'organe de M. de Vatimesnil,
rapporteur de la loi, formule d'abord l'opposition déjà étu-
diée entre le contrat collectif pacifique qui est licite et le
contrat collectif obtenu par coalition qui est prohibé : la
distinction dont nous avons vu déjà la grande portée pra-
tique est subtile et vaut qu'on s'y arrête : car elle montre
qu'on revenait déjà dans cette opinion, à l'insu môme de
ceux qui la soutenaient, à la toute première conception
de la liberté du travail, telle qu'elle s'était posée de mars
à juin 1791 et où le contrat collectif était parfaitement
licite :
Pour M. de Vatimesnil donc, le contrat collectif sera pos-
sible : « l'honorable M. Morin vous a dit : « Les ouvriers
ne pourront pas se réunir, venir chez leurs patrons et dé-
battre honorablement (c'est l'expression dont il s'est servi)
débattre honorablement avec lui leurs salaires. »
Pardonnez-moi, ils le pourront parfaitement. Ils le
pourront, soit en venant tous, soit en nommant des com-
missions pour traiter avec leurs patrons. Pas de diffi-
(1) En ce sens, nolauiinenl : Disc, de M. Saiiile-Beiive (2e leclure),
16 nov. 1849, Moniteur du 17.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 49
cultes quant à cela. Le délit aux termes du Code, ne com-
mence que quand il y a tentative ou commencement d'exé-
cution de coalition, cest-à-dire, lorsque après avoir débattu
les conditions, on dit : mais, après tout, comme vous ne
pouvez pas nous donner tout ce que nous vous demandons
(malgré lespril de conciliation que les patrons, dans leur
propre intérêt apportent toujours dans ces sortes d'affaires),
comme vous ne nous donnez pas tout ce que nous deman-
dons, nous allons nous retirer, et nous allons, par notre
intluence.... déterminer tous les autres ouvriers des autres
ateliers à se mettre en chômage. »
C'était en somme le contrat collectif dépourvu de l'ins-
trument qui permet de le conclure (1), la grève, mais c'était
le contrat collectif.
A cùié (le ce premier aveu de toute importance, c'est
(1) On ne manque pas de répondre à M. de Valimesnil (M. Boysset,
iii. III' M anoe), ijiie maintenir le délit de coalition, c'est obliger les
ouvriers à toujours céder dans le contrat collectif. L'orateur montre
éioquemment comment le délit de coalition reûd actuellement tout
contrat collectif impossible :
« Dès qu'il y a désertion de l'atelier, il y a par ce fait seul délit de
coalition : il y a délit et alors les tribunaux arrivent : alors la justice
sévit : alors les ouvriers sont jetés en prison et il y a réglementation
nécessaire, fatale, logique du salaire, parce seul fait que les ouvriers
ne peuvent pas récJamer au-delà de ce qui leur était assigné par l'en-
trepreneur. Or je vous le demande, où est la liberté, où est la con-
trainte? De quel cùlé l'intimidation? De quel lùté le privilège? De
quel coté est la contrainte exercée dans ce contrat, qui, comme tous
les contrats civils, devrait se débattre librement entre les parties? Je
le demande, est-ce du côté du maître qui est protégé par la législation
draconienne en matière de coalition ? Est-ce du côté du maitre qui
sait qu'à sa moindre plainte les parquets vont agir et emprisonner
les ouvriers ? Est-<«' du côté du maitre qui sait bien qu'en définitive,
après que leui-s ressources seront épuisées, les ouvriers seront obligés
raynâu'd 4
50 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
toujours l'ancienne idée de la liberté individuelle qui est
reprise, il ne faut pas entraver la concurrence qui doit
seule rég-ler la fixation des prix et des salaires : la coali-
tion pour les partisans de cette opinion empêche le libre
débat du salaire : c'est ici le point de vue des non-coali-
sés et de la liberté de l'industrie qui est mis en lumière.
L'argument est précisé par M. Rouber.
« Le premier principe, c'est celui-ci : L'industrie est régie
par une loi économique. La valeur ou la chose à vendre, le
taux du salaire, sont réglés nécessairement, inévitablement
par le rapport qui existe entre l'offre et la demande. Le
rapport varie suivant les accidents de la concurrence inté-
rieure ou extérieure : mais une intervention frauduleuse
destinée à altérer cette loi constitue une immoralité, et
comme cette immoralité cause un préjudice à l'ordre social,
elle s'élève à la hauteur d'un délit. »
On aperçoit nettement les deux points de vue entre
lesquels oscille perpétuellement cette discussion : voit-
on dans le contrat collectif le libre accord entre patrons et
ouvriers : de ce point de vue théorique, il apparait licite et
désirable ; voit-on au contraire, et c'est le point de vue qui
finit par prédominer, dans le contrat collectif, la coalition,
l'accord s'imposant à tous, la limitation de la concurrence :
il est dangereux et à éviter.
En somme pendant toute cette discussion, tout le monde
est au fond d'accord sur la possibilité du contrat collectif
et c'est pour le mieux assurer que plusieurs amendements
très intéressants sont déposés.
de céder, de s'agenouiller devant lui et de rentrer dans l'atelier aux
conditions qu'il lui plaira de leur imposer ? » (Vives approbations à
l'exlrême-gauche, rumeurs sur d'autres bancs.)
HISTORIQrE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 51
L'un, de M. Valette, ne punissant que la coalition injuste
et abusive, permet ainsi l'entente entre patrons et ou-
vriers (1).
L'autre, de MM. Faure et Boysset, déférant toute coalition
d'ouvriers ou de patrons au Conseil des prudhonimes, ten-
dait pareillement au contrat collectif : « Nous préten-
dons que c'est l'atelier qui se pose en face du capital :
nous prétendons que c'est un débat libre, logique, naturel,
loyal, et que par conséquent, portant sur la détermination
du salaire, il doit se porter devant le tribunal compétent,
le tribunal des prudliommes (2). »
Enfin et surtout un amendement très intéressant de
M. Wolowski admettait la coalition dans le môme atelier
et réprimait celle qui portait sur plusieurs ateliers : le
contrat collectif pour une fabrique ou un établissement
déterminé eût été essentiellement libre. Dans ce système
l'auteur expliquait que tant que l'unité fabricante n'a devant
elle que l'unité ouvrière, c'est-à-dire que les ouvriers réu-
nis dans le môme atelier débattent le taux du salaire avec
le fabricant, la loi ne pouvait pas intervenir car il n'y
avait ni contrainte ni violence, mais il était nécessaire de
prohiber tout concert entre plusieurs ateliers, entre plu-
sieurs patrons ou plusieurs ouvriers d'ateliers différents :
l'intérêt général et la liberté sont ici engagés (3).
Ces trois amendements longuement discutés étaient tous
(1) Kepoussé par 360 voix contre 245.
(2) Repoussé par 404 contre 166.
(3) Repoussé également. C'était là un système illogique, comme le
montra un député M. Loyer : le problème est le même pour un atelier
ou plusieurs : il y a également pression de volonté par ceux qui sont
contents du salaire actuel . Mais ce système ingénieux montre combien
on cherchait à aboutir par tous les moyens.
82 PHKMIÈRE PARtIE. CHAPITRE II
trois directement inspirés par l'idée de promouvoir le con -
Irat collectif, mais à cette époque la crainte de la coalition
l'emporta sur la nécessité du contrat collectif : il fallait
attendre jusqu'en 1864 pour obtenir la liberté de coa-
lition.
Ce sont ces mêmes idées que reprendra Berryer en 1862
en un superbe passage qui est bien une apologie du con-
trat collectif (1).
On invoque la liberté des transactions, la loi de 1791...
« Savez-vous ce qu'il en reste? je vais vous le dire ; il en
reste l'oppression de ceux qui ont le plus besoin de pro-
tection. Je ne suis certainement pas un agitateur, je suis
essentiellement conservateur, et cest pour cela même que
je repousse les traités de gré à gré entre le maître et l'ou-
vrier : le traité degré à gré, c est le marché de la faim',
c'est la faim laissée à la discrétion delà spéculation indus-
trielle ! L'ouvrier qui a faim accepte un salaire insuffi-
sant; mais, à son tour, si le patron a besoin de lui, il
use de son droit de chômage pour se faire payer. C'est là.
Messieurs, une calamité sous la figure du respect des droits
de chacun ; c'est un de ces mensonges de phraséologie qui
ont fait verser tant de sang et causé tant de malheurs dans
mon pays. Et puis l'ouvrier, quand le salaire est insuffi-
sant, ne reste pas à l'atelier, il s'en va — Ce qui est la
vérité, Messieurs, ce que les ouvrières ont demandé, ce
quil faut maintenir en f amélior-ant , c'est le principe
du tarif uniforme. »
De cette discussion le contrat collectif sortait grandi ;
il était vraiment pour beaucoup l'idéal au point de vue de
la justice et de l'utilité sociale et ce n'est pas de la faute
(1) Berryer, Plaidoirie, 1862.
mSTiiRlOlK DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 53
de ses partisans si dès cette époque un système légal plus
favorai)lo n'a pas permis de l'étendre en pratique.
C. — Le mouvement de 1864.
Malgré cela, la force intime du contrat collectif pour
ainsi dire était si grande qu'un nouveau mouvement ne
tarde pas à se produire : il estdominé par l'abolition en 1864
des articles 414 et 415 du Code pénal sur les coalitions.
Le mouvement en faveur du contrat collectif reçoit une
nouvelle force de l'exemple anglais.
Les délégations ouvrières qui avaient été envoyées à
l'Exposition universelle de Londres en 1862 furent frappées
du mouvement d'organisation professionnelle en Angle-
terre et en rapportèrent une notion très précise de la fixa-
lion collective des conditions du travail: l'idée du contrat
collectif est très nette, notamment dans le rapport des délé-
gués du bronze, ciseleurs, tourneurs et monteurs (1); ils
voudraient qu'à l'égal du capital et pour traiter avec lui,
le travail ail la faculté de combiner son action et de refu-
ser son concours quand les conditions du contrat devien-
nent injustes.
« Comme cela est généralement compris, dit expressé-
ment ce rapport (2), ce centre corporatif, qu'il se nomme
Commission professionnelle ou autrement, ce centre des-
tiné comme les Conseils de prud'hommes à un rôle amia-
ble, serait élu par les ouvriers ainsi que cela se pratique
déjà pour ces mêmes conseils dans les professions libé-
(1) Rapport des délégués du bronze, ciseleurs, etc., à l'Exposition
universelle de Londres de 1862, publié en 1863.
(2) Id., p. 59.
84 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
raies ; de concert avec un autre analogue élu de môme par
les patrons, ces deux conseils auraient ensemble mission
de déterminer, sous condition de sanction par l'autorité
centrale, les bases pour la fixation des prix de main-d'œu-
vre, pour les conditions du contrat d'apprentissage, les
règlements d'atelier, etc.... »
Le contrat collectif est ainsi mieux mis en lumière ; le
mouvement d'idées a sa répercussion dans les faits. Sa
manifestation se continue donc avec les mêmes difficultés,
il faut en mentionner les principales phases.
C'est encore parmi les typographes que se trouve la
tentative la plus intéressante de contrat collectif : on sait
qu'en 1830, une nouvelle convention avait fixé comme
mode de révision l'élaboration du nouveau tarif par une
commission mixte de patrons et d'ouvriers.
En 1838, les patrons abolissent de leur propre autorité
cette commission; jusqu'en 1860, les ouvriers mal orga-
nisés ne réclament pas ; mais à cette date ils forment une
société de secours mutuels (1) qui est autorisée par décret.
Le président, Eugène Gauthier, aussitôt nommé, cherche
à obtenir la révision du tarif : pour cela, des démarches
sont faites auprès du Conseil des prudhommes, auprès du
président de la Chambre des imprimeurs : une pétition
adressée aux patrons et couverte de 3,000 signatures ré-
clame une élévation de salaire (2).
(1) On sait que c'était la forme sous laquelle se cachaient alors les
associations professionnelles.
(2) Voici le texte de celle pétition : Berryer, Plaidoyers, t. 4,
p. 216.
Pétition be mm. les compositeurs de paris
En 1848, alors que toutes les professions manifestèrent un désir
d'augmentation de salaire, qui, pour beaucoup d'entre elles, fut sa-
mSTOBIQUE DL' CONTRAT COLLKCTIK KN FRANCE 55
Les patrons se décident à répondre six mois après : ils
font savoir, nu nom de la Chambre des maîtres-imprimeurs,
lisfail il celle époque, la lypographie ouvrière, loin de profiter des
embarras el de l'agitalion du moment, demeurait calme et ne faisait
pas une démarche dans ce sens, s'en tenant au tarif qu'elle avait re-
connu et qui lui semblait, autant que possible, répondre à ses besoins
• d'alors. Bien plus, afin d'éviter tout reproche de pression et voulant
rester dans les justes limites de ses droits, elle reculait la révision de
ce tarif, indiquée cependant pour cette même année 1848.
Mais depuis 1843, la situation s'est complètement transformée, une
révolution économique s'est opérée, le prix des choses les plus néces-
saires à la vie a presque doublé, celui des loyers a dépassé encore cette
proportion. Cette situation n'est pas le résultat d'un fait passager ou
accidentel : c'est une situation anormale, permanente. Cela est si vrai,
que dans un grand nombre d'industries, le salaire des ouvriers a dû
être augmenté.
Seuls, jusqu'à ce jour, les typographes sont restés en dehors du
mouvement, et cependant pour eux comme pour nous, la nécessité
d'un changement est devenue évidente. Le tarif de 184.3 a été ré-
visé, il est vrai, en 1850 : mais cela n'apporte, vous le savez, Mes-
sieurs, aucune augmentation dans les prix de la main-d'œuvre.
L'article 49 du tarif révisé en 1830 donne à la commission arbitrale
permanente le droit de prendre l'initiative d'une nouvelle révision. La
commission arbitrale, vrai tribunal de famille, ayant cessé de fonc-
tionner, c'est à tous les maîtres imprimeurs en général el à la Cham-
bre syndicale en particulier, que les soussignés s'adressent par la
présente pour demander celte révision.
Bien convaincus que vous accueillerez favorablement cette juste ré-
clamation, nous vous prions, Messieurs, de provoquer une assemblée
de tous les maîtres imprimeurs de Paris, dans le but d'arriver à la
constitution d'une conférence mixte, section des patrons, el donner
connaissance de votre adhésion aux anciens membres de la commission
arbitrale, qui s'occuperont de faire nommer la section des ouvriers.
Nous sommes. Messieurs, en attendant votre décision, en comptant
sur voire sollicitude bienveillante et éclairée el par dessus tout sur
votre amour de la justice,
Vos dévoués serviteurs ^
il mai 18(31. (Suivent 2,022 signatures).
56 prp;mikre partir. — cnAPrrnK ii
qu'ils consentent à la révision du tarif et qu'ils nommeront
les membres patrons de la commission arbitrale dont ils
acceptent le rétablissement.
Ces commissaires pour les patrons se joignent aux 9
commissaires nommés par les 2,953 ouvriers.
Des conférences sont successivement tenues : il semble que
les délégués ouvriers aient assez mal rempli leur mandat :
car, au lieu de formuler leurs demandes, ils s'adressent
sans cesse à ceux qui les ont nommés et ceux-ci, ne pou-
vant juger de ce qui est possible ou non, font des de-
mandes que les patrons trouvent exagérées : les patrons
refusent les conditions proposées.
La grève s'en suit, les patrons introduisent des femmes
dans leurs ateliers pour faire pression sur les ouvriers.
Pour remédier à cette crise, Gauthier veut recourir à
l'administration publique pour tenter un arbitrage : il pro-
pose en présence des défiances réciproques, que les patrons
élisent deux négociateurs chez les ouvriers et que les
ouvriers en choisissent deux chez les patrons; aux quatre
élus se joindraient le président de la Chambre des impri-
meurs et le président de la société typographique : tous
six devraient délibérer sommairement devant une commis-
sion administrative.
C'est là un très curieux système d'élaboration du con-
trat collectif qui montre combien on voulait, par tous les
moyens, arriver à la conclusion de ce contrat.
Les patrons refusèrent l'emploi d'un pareil arbitrage :
alors les ouvriers demandent l'intervention du ministre
du Commerce qui répond que- c'est aux parties intéressées
qu'il appartient de débattre et de fixer de gré à gré les
clauses de leur accord : cela dérive de la nature des choses !
Quelques maisons, dans le courant de juin, augmentent
HISTORIQUE DU CoMUM Cnl.l.KCTIF KN FH VNCK ;» i
le tarif, mais la plupart font un nouveau refus sur l'en-*
semble des propositions des ouvriers : par une délibéra-
tion du 18 juin, la Chambre syndicale accorde une aug-
mentation de 0 fr. 05 du mille pour les ouvrages nouveaux,
alors que les ouvrages en cours d'exécution continueront
d'être payés sur les bases du tarif de 1850. Quelques ou-
vriers sont poursuivis par le ministère public et condam-
nés pour délit de coalition malgré léloquence de Ber-
ryer.
Ainsi cet exemple remarquable nous montre les efforts
qui sont tentés pour arriver, par tous les moyens, au
contrat collectif : il y a toujours la perspective du délit de
coalition, néanmoins l'idée du contrat collectif dans l'impri-
merie est définitivement assise.
A la même époque les lit hographesi (1) s'inspirant de
l'exemple anglais font successivent adopter par la plupart
des imprimeurs un tarif de 380 articles se rapportant à
toutes les spécialités de leur profession, avec un taux de
salaires minimum.
Enfin tout ce mouvement aboutit à l'abrogation des
articles 414 et 415 et à la proclamation de la liberté de
coalition.
C'est toujours la nécessité du contrat collectif qui domine
la discussion et la réforme : il y a notamment un très
curieux système proposé par la commission (M. E. OUivier
rapporteur) comme préservatif contre les grèves.
C'est une tentative pour favoriser par la conciliation obli-
gatoire la fréquente conclusion du contrat collectif.
Le projet se résumait en un article unique :
« Seront punis d'une amende de 16 à 200 francs et de
(1) Cf. Office du travail, Ass. prof., I, p. 641.
88 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
la privation des droits politiques pendant un an au moins
et six ans au plus, tous ouvriers ou entrepreneurs d'ou-
vrages qui, par suite d'un plan concerté, auraient cessé ou
fait cesser le travail, sans avoir eu préalablement recours à
une tentative de conciliation. La tentative de conciliation
aura lieu devant les personnes désignées d'un commun
accord par les parties ; à défaut d'accord devant le Conseil
de prudliommes ; lorsqu'il n'existera pas de Conseil de
prudhommes, devant une Commission mixte composée en
nombre égal de patrons et d'ouvriers et formée par le
Président du tribunal de commerce. »
Si la tentative écliouait, procès-verbal devrait être dressé
faisant mention sommaire que les parties n'avaient pu
s'accorder.
Mais le gouvernement et les commissaires du gouver-
nement repoussèrent ce projet comme tentative de conci-
liation obligatoire : il fut en cela inspiré par la crainte que
le Tribunal des salaires ne fut contenu en germe dans la
tentative de conciliation. La Commission n'insiste pas et
une fois de plus le contrat collectif latent dans la pensée
de tous ne parut pas dans la loi.
Seule la suppression du délit de coalition le favorisait
indirectement puisqu'elle rendait à sa conclusion l'arme la
plus puissante : la menace de la grève.
Seulement, et par là même, le contrat collectif qui, pour
les rares occasions oii il était jusqu'ici apparu, était inter-
venu en pleine paix, allait maintenant — le plus souvent —
n'être plus que le traité qui termine la guerre ; jusqu'ici il
était convention diplomatique, maintenant il sera en outre,
et surtout, amnistie de deux belligérants.
HISTORIQUE DU CONTIIAT COLLECTIF K.N FRANCE 59
I II. — Dkixikme période ri864-i884).
Avec l'année 1864 et la loi du 25 mai qui proclanre la
liberté de coalition connnence la seconde phase que nous
avons disting-uée dans noire étude : le contrat collectif n'a
plus devant lui qu'un seul obstacle législatif, l'article 291
du Code pénal et l'absence de liberté d'association profes-
sionnelle. Mais la très large tolérance administrative, dont
jouissent depuis 1868 les Associations tant patronales
qu'ouvrières, fait pour ainsi dire oublier ce dernier et réel
empêchement : le contrat collectif pénètre de plus en plus
en France ; l'exemple de l'Angleterre et la propre expé-
rience des ouvriers eux-mêmes sont les causes immédiates
de ce mouvement qu'il est malheureusement bien difficile
de retracer: il est presque tout entier en tentatives, dont
quelques-unes réussissent mais dont le plus grand nombre
échoue ; il nous faut brièvement résumer cette période en
mdiquant ce quil y a d'essentiel dans le mouvement des
idées, puis dans le domaine des faits.
A. — Le progrès des idées.
Le progrès des idées sur le contrat collectif peut se
grouper autour de trois mouvements principaux très nette-
ment distincts.
C'est d'abord le courant d'idées développé par la fré-
quentation des ouvriers aux diverses Expositions univer-
selles et notamment à celle de 1867, parmi lesquelles se
dégage très nettement l'idéal du contrat collectif.
6U PRRMIÈRE PAHTIK. CHAPITRE II
C'est ensuite l'influence au moins théorique de l'Interna-
tionale dans sa première période.
C'est enfin la série des congrès patronaux et ouvriers oiî
se précise jusqu'en un projet législatif le désir du contrat
collectif.
I. — On a vu ci-dessus que déjà en 1867 les délégations
ouvrières qui avaient visité l'Exposition de Londres
avaient dans leurs vœux réclamé expressément le contrat
collectif. Les délégations à l'Exposition universelle de Pa-
ris en 1867 ne sont ni moins précises, ni moins expresses
dans la rédaction de leurs desiderata : rien n'est plus in-
téressant, au point de vue du progrès des idées sur le con-
trat collectif que la lecture des rapports des divers corps
de métiers (1): c'est ainsi que dans ces « cahiers» les
mécaniciens (2), les menuisiers, carrossiers, les typogra-
phes font une hypothèse hien nette du contrat collectif:
c'est ce même idéal qui domine les doléances de tous les
métiers : sans pouvoir entrer ici dans le détail de ces rap-
ports, il suffit de mentionner comment M. Devinck, pré-
sident de la Commission d'encouragement pour les études
des ouvriers à l'Exposition universelle, résumait dans
son Rapport à l'Empereur les vœux des ouvriers sur ce
point :
« Le premier de ces vœux est celui qui concerne la for-
mation des Chamhres syndicales.
« Les délégations ouvrières déclarent que la création
des syndicats serait un moyen d'éviter la grève
Dans leur pensée lorsqu'une difficulté s'élèverait, il fau-
drait procéder par voie de conciliation, et la Chambre
(1; Exposition de 1867, Rapport des délégations ouvrières, t. II.
(2) Loc. cit., p. d46.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE (il
syndicale de la profession se nieltrail en rapport avec celle
des patrons (1). »
El M. Devinck, appréciant la réforme, explique que la
demande lui paraît fondée : une Chambre syndicale est
bien mieux autorisée pour parler au nom de tous et traiter
des conditions offertes à la main-d'œuvre que quelques gré-
vistes « désignés précipitamment au moment de l'efferves-
cence, se concertant en secret et n'encourant aucune res-
ponsabilité morale ». Mais le rapporteur maintient formel-
lement le droit au contrat individuel pour les non-syndi-
qués: « c'est une voie facultative à ouvrir et non pas une
obligation à imposer. Chacun doit être libre de contracter
directement, avec la faculté d'entrer dans une Chambre
syndicale ou de rester en dehors de toutes réunions »
De la même façon dans le rapport à l'Empereur de M. de
Forcade, ministre de l'Agriculture, du Commerce et des
Travaux Publics, qui n'est que l'examen par l'administra-
tion du lapport précédent, la question du contrat collectif
est très nellement aperçue, mais elle se résoudra par le
régime de la liberté ou plutôt de la tolérance administra-
tive :
« L'expérience amèiiera-l-elle à reconnaître les avan-
tages des Chambres syndicales mixtes qui réuniraient
romme dans les conseils de prudhommes, les patrons et
les ouvriers, de manière à faciliter enire eux lentente et
la conciliation sur les questions qui peuvent les diviser?
« Cette question a été discutée dans la réunion des délé-
gués ; mais les opinions se sont partagées et je considère
que sur ce point l'administration doit laisser aux intéres-
sés eux-mêmes une entière liberté d'appréciation. »
(1) Rapport présenté à l Empereur, t. 1, p. 6.
62 PREMIÈRK PARTIE. CHAPITRE II
Ainsi (1) liberté de fait pour les Chambres syndicales
chargées de passer le contrat collectif, attitude passive de
l'administration en face des Ciiambres syndicales mixtes,
déclarations fort nettes pour le maintien et la sauvegarde
de la liberté individuelle en face des Chambres syndicales,
tels sont les trois principaux aspects de la question au
point de vue théorique.
II. — L'Internationale (2) en second lieu ne fut pas sans
avoir quelque influence au moins lointaine sur le contrat
collectif : elle agit un peu à la manière d'un rêve mais
donna en diverses circonstances la preuve par le fait de
la nécessité de l'organisation collective du travail : c'est
ainsi pour ne citer qu'un fait, qu'en 1867 l'Union des
ouvriers en bronze de Paris déclare une grève à Paris
à propos d'une question de salaires : les patrons répon-
dent par un lock-out général qui met 5,000 hommes sur le
pavé : 3 délégués vont à Londres réclamer l'appui de
l'Internationale : on n'envoya que de maigres secours ;
mais effrayés par l'influence d'autant plus redoutable
qu'elle était plus mal connue de l'Internationale, les pa-
trons cédèrent.
D'ailleurs dans les divers congrès (3) de l'Internationale,
dans cette première phase (4), « les principes de l'Unio-
nisme, c'est-à-dire le relèvement du salaire par la coali-
(4) C'est ce même rapport qui promet la tolérance administrative
pour la formation des Chambres syndicales.
(2) Cf. Lavelaye, Grandeur et décadence de 1 Internationale, Rev.
des Deux-Mondes, 15 mars 1881 .
(3) Lausanne, 1867 ; Bruxelles, 1869.
(4) On sait qu'après 1869, l'Internationale se transforma et prit
pour but l'abolition du salariat par la transformation radicale de
l'ordre social.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 63
tien et la grève (1) » avaient trioniplié. Cet élément fut
malheureusement annihilé par des rivalités personnelles
au sein du Conseil général. Mais c'était en somme, par les
faits et par les discussions, l'illustration de cette idée qu'en
présence de l'organisation universelle des ouvriers, qu'en
face de la solidarité ouvrière, se manifestant par des
caisses de prévoyance devenues à l'occasion caisses de
résistance, les patrons convaincus d'avance qu'ils succom-
beront, céderont avant même qu'il y ait lieu d'avoir re-
cours à la grève. C'était, après les longues difficultés qui
avaient précédé en France l'abolition du droit de coalition,
la démonstration éclatante, la conviction inébranlable
que la coalition ouvrière, que l'association professionnelle
organisée l'emporterait certainement : c'était le contrat
collectif, suite nécessaire de la paix armée.
III- — Le progrès des idées se manifeste encore d'une
troisième manière dans la série des congrès patronaux ou
ouvriers qui précisent encore l'idéal du contrat collectif
au point de vue de sa réalisation pratique.
C'est d'abord la Société des ingénieurs civils, composée
des chefs des plus grandes industries françaises qui re-
connaît et proclame la nécessité du contrat collectif :
la déclaration est des plus curieuses et vaut qu'on s'y
arrête un instant :
Le rapport de la commission (2) commence par procla-
(1) Discours d'Eccarius, disciple de Marx, au Congrès de Genève
(1873).
(2) Composée de MM. Deligny, Forquenot, Gibon, Grant, Marché,
Périsse et Normand, le directeur des ateliers de construction mari-
time du Havre.
64 première: partie. — chapitre h
mer le droit pour le travailleur de louer ou vendre son
travail a prix DÉBArru entre lui et ses acheteurs : après quoi
elle reconnaît à l'unanimité le droit des ouvriers de s'en-
tendre et de se concerter pour discuter le prix et les con-
ditions de leur travail.
« Il serait inexact de prétendre que ce droit de s'en-
tendre serait contradictoire avec le principe de la liberté
de travail : il en est au contraire la conséquence et la con-
firmation : il en est l'exercice collectif. »
La déclaration pour être parfaitement exacte en sa brève
formule n'en est pas moins singulièrement significative
dans la bouche des patrons : la commission a d'ailleurs
parfaitement aperçu le point délicat et la justification du
contrat collectif. Le rapport continue :
« Vue de la fonction désintéressée que nous occupons,
il parait évident que pour les ouvriers de la grande indus-
trie, la collectivité seule garantit la vraie liberté du tra-
vail, basée sur la liberté de discussion des prix. Le pa-
tron de mille ouvriers possède par rapport à chacun
d'eux pris isolément une force, une autorité qui est dans
le rapport de mille à un. I! n'y a pas équilibre : il peut y
avoir oppression. Si au contraire les mille ouvriers peu-
vent discuter collectivement, l'équilibre est rétabli. Au
lieu de conditions et de prix imposés, il y a conventions
librement acceptées : au lieu d'antagonisme, il y a harmo-
nie et la vraie condition naturelle du concours mutuel du
capital et du travail se trouve réalisée au mieux des in-
térêts réciproques. »
On ne saurait mieux dire et plus d'un patron devrait
méditer cette admirable page. La commission d'ailleurs
concluait à la création d'une chambre de conciliation an-
nisTomouE DU contrat cullectif en fhance (iîJ
nuelle iioriiim'c par clia(|ue corps d'état et composée de
patrons t't d'ouvriers en nombre égal (1).
C'était bien le contrat collectif avec un organe spécial
pour sa réalisation pratique.
Les congrès ouvriers de Paris (1876) et de Lyon (1878)
ne sont pas moins affirmatifs en faveur du contrat collec-
tif : ce n'est plus ici le principe du contrat collectif qui est
discuté, c'est seulement sa mise en œuvre et sa reconnais-
sance légale.
C'est d'abord autour du projet Lockroy que se produi-
sent les premières discussions au congrès ouvrier tenu à
Paris les 2-10 octobre 1876 (2).
L'article 4 de ce projet donnait force de contrat aux
conventions entre syndicats de la môme industrie stipulées
pour une durée maxima de 5 ans, à l'égard de tous
les membres des sociétés contractantes, pour la durée sti-
pulée.
Cette disposition est violemment attaquée : le citoyen
Bonnay, de la Cbambre syndicale des ouvriers mécani-
ciens, la critique vivement (3) : avec linsuffisance de l'or-
ganisation syndicale et la mobilité du personnel, l'engage-
ment pour 0 ans est une impossibilité. D'ailleurs par le
seul fait du progrès industriel et économique les conven-
tions aujourd'bui acceptables cesseraient bien vite de l'être
et le contrat loin d'être favorable aux ouvriers, leur serait
à cbarge. Enlin l'assimilation de ces conventions aux con-
(1) Le président eût été nommé par la commission elle-même : eu
cas de partage le président du conseil des prud'hommes ou à son dé-
faut le juge de paix du canton était président de droit.
(2) Séance des congrès ouvriers de France, session de 1876. Paris,
Sandoz et Fiesctibactier 1877.
(3) Voir toc. cit.. p. 122.
HATNAUD 5
66 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II
trats entraîne tout un système de sanctions sans compter
la formation des Commissions mixtes remplaçant la juri-
diction des prudhommes. Par tous ces arguments l'au-
teur conclut au rejet par le Congrès du projet de loi pro-
posé.
Par contre le citoyen Daniel, dans son contre-projet,
maintenait la possibilité du contrat collectif en supprimant
toutefois la durée maximum de 5 ans (1).
En On de compte, la deuxième commission du Congrès
à laquelle tous ces vœux ont été renvoyés fait voter le
9 octobre i876 sur le rapport du citoyen Cliauvet (2) l'a-
brogation des articles 291-294 du Code pénal et, la liberté
ainsi proclamée, le retrait pur et simple du projet de loi
déposé à l'Assemblée réglementant les Chambres syndi-
cales.
Mais le contrat collectif reste dans la préoccupation des
ouvriers : les arguments du citoyen Bonnay n'ont pas con-
vaincu tout le monde : en 1877, 62 syndicats ouvriers de
Paris préparent le texte d'un projet de loi sur les Chambres
syndicales professionnelles et l'idée du contrat collectif
obligatoire pour tous les membres de ces Chambres y est
reprise (3). Enfin le congrès de Lyon en 1878 vote la
résolution suivante :
(1) Art. 6 : Les Chambres syndicales d'une même industrie compo-
sées l'une de patrons, l'autre d'ouvriers pourront conclure entre elles
des conventions ayant pour objet de régler les rapports profession-
neles des membres d'une Chambre syndicale avec ceux de l'autre. —
Ces conventions auront force de contrat et engageront tous les mem-
bres des sociétés contractantes pour la durée stipulée.
(2) Loc. cit., p. 543.
(3) Art. i : Les syndicats d'une même industrie auront le droit
de DISCUTER ET détabur par conventions amiables les tarifs de
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 67
« Lorsqu'une convention aura été passée entre une
Cliambre syndicale ouvrière et une Chambre syndicale
patronale, portant sur une augmentation de salaires ou
autres améliorations, les Conseils de prudhommes seront
mis en demeure d'appliquer les dites conventions à leur
époque fixée (1). »
Ainsi les Congrès ouvriers se prononcèrent très nette-
ment en faveur du contrat collectif et en faveur de sa re-
connaissance légale.
Tel est trop brièvement esquissé le mouvement des
idées de 1864 à 1884 : examinons maintenant rapidement
ce qui a été accompli dans le domaine des faits.
B. — Les faits.
Cet important progrès des idées, la liberté de coalition
proclamée, la tolérance administrative à l'égard des asso-
ciations professionnelles malgré quelques retours offensifs,
l'imitation de l'Angleterre, toutes ces causes contribuèrent
à multiplier les tentatives de contrat collectif.
Sans doute la question du contrat collectif au point de
vue pratique reste dominée par l'absence de situation lé-
gale des syndicats patronaux ou ouvriers : le mécanisme
juridique nécessaire à sa portée pratique n'existe toujours
pas et ne peut même pas se former. Néanmoins dans plus
main-d'œuvre, les heures de journée réglementaire et les contrats
d'apprentissage ; à cet effet, il sera formé par les intéressés des
conseils d'arbitrage composés en nombre égal de patrons et d'ou-
vriers.
Ces conventions auront force de contrat et engageront tous les mem-
bres des sociétés contractantes pour la durée stipulée.
(1) Séance des Congrès ouvriers de France, 2» session, Ljon, 1878.
()B PREMIÈRE Partie. — chapitre ii
d'une profession, spécialement chez les typographes, les
tisseurs, les mécaniciens et les ouvriers du hâtiment (1),
les essais de contrat collectif se poursuivent.
Mais sa portée et son succès varient grandement suivant
les métiers et même dans chaque métier.
C'est ainsi par exemple que les tisseurs de Roubaix
peuvent bien obtenir des patrons le 18 mars 1867 un ac-
cord fixant certains points minima (discussion par le Con-
seil des Prud'hommes du règlement relatif aux amendes,
droit de travailler sur un ou deux métiers) (2), mais sont
impuissants à traiter avec ces mêmes patrons pour les
questions plus importantes d'augmentation de salaires.
Les tisseurs de Lyon, au contraire, arrivaient en 1869,
au tarif conventionnel qu'ils n'avaient pu faire reconnaître
en 1831 ; un tarif apportant une augmentation moyenne
de 20 0/0 est établi pour chaque article par des commis-
sions nommées dans des réunions corporatives (3).
Ce sont encore les typographes qui dans cette période
nous fournissent les plus importants exeniples de contrats
collectifs : mais ici encore se retrouve le caractère incertain
et hasardeux de ces contrats.
En 1867 a lieu une nouvelle révision du tarif des impri-
meurs (4) : la Commission de 1862 fait procéder à l'élec-
tion d'une nouvelle commission pour le tarif : des difficul-
tés sérieuses ont lieu à propos de la nouvelle forme du tra-
vail qui tend à s'introduire dans le métier, la commandite.
(4) Cf. Office du travail, Associations professionnelles, passm. . .
(2) Office du travail, Associations professionnelles ouvrières, t. 7,
II, p. 381.
(3) Id., T. II, p. 269.
(4) Cf. Office du travail, Associations professionnelles ouvrières,
t. II, p. 735.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCK 69
Malgré deux votes contradictoires des ouvriers, dont le
second avait donné une majorité de 1,007 voix contre 694,
contre la coinmandilo, la coinniission ouvrière participant à
la conférence mixte réunie le 4 janvier 1868, veut prendre
le travail en commandite comme base de la révision du
tarif : les patrons repoussent cette innovation : les négo-
ciations sont rompues mais bientôt de nouvelles élections
faites par les soins de la Société typographique envoient
à la conférence une commission ouvrière composée de
partisans de la commandite facultative : la conférence se
réunit de nouveau et élabore un tarif applicable le 30 no-
vembre 1868 (1).
Ce tarif est accepté presque sans résistance. Quelques
maisons s'y refusent mais au bout de 8 jours elles finis-
sent par céder.
Il faut noter ici que la Société typographique qui vivait
sous la forme de Société de secours mutuels avait créé en
1865 une caisse spéciale de résistance, qui contribua sans
doute à aplanir les difficultés. Mais la Société, étant donné
le régime légal, est obligée de cacher les dépenses qu'elle
fait pour le maintien du tarif et les inscrit sous divers
chefs.
Après 1871 la Société typographique avait été fort éprou-
vée par la guerre : une commission spéciale est nommée
au sein du syndicat pour étudier la révision du tarif : en
1875-76 encore une fois la commandite obligaloire est
insérée dans le projet présenté à la Chambre des Maîtres im-
primeurs, qui la repousse. — La commission ouvrière
I
(1) Augmentation moyenne de 30 centimes par jour. — Travail à la
journée : 6 francs pour 10 heures ; heures de correction : 60 centimes
l'heure ; gratifications augmentées.
70 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
rend compte de son mandat le 15 janvier 1877 : un nou-
veau vote se produit contre la commandite obligatoire, et la
nouvelle commission, formée de partisans de la comman-
dite obligatoire, élabore un nouveau projet.
Le 5 décembre 1877 la conférence se réunit : les patrons
opposent un contre projet le 13 février 1878 : on se met
d'accord sur quelques points : augmentation de 10 centimes
par mille pour la réimpression, et 8 centimes pour le ma-
nuscrit : mais la discussion continue sur le prix de l'heure,
les ouvriers demandaient 70 centimes soit 10 centimes
d'augmeûtation, les patrons n'offraient que 65 centimes :
les négociations sont rompues.
Les délégués recourent aux ouvriers : un vote des ate-
liers par 2,064 suffrages sur 2,277 votants leur donne
raison : la grève est déclarée le 21 mars.
Les ouvriers rencontrent quelques appuis : 33 éditeurs
les soutiennent ; 15 imprimeurs s'engagent à n'accepter
chez eux aucun ouvrier compositeur sortant d'imprimeries
qui repoussent le tarif de l'association ouvrière : mais 21
autres signent une déclaration portant que le tarif de la
Chambre patronale serait appliqué à partir du 1" avril.
Le Syndicat épuise ses ressources et bientôt les ouvriers,
malgré de nombreuses mises à l'index, sont obligés de re-
prendre le travail aux conditions des patrons. Le contrat
collectif avait ainsi disparu et en 1898 (1) les relations
n'avaient pas encore été reprises entre les 7 Chambres
syndicales de l'imprimerie typographique de Paris.
Quoi qu'il en sort de ce déplorable échec, qui est très
symptomatique de notre période, le contrat collectif avait
eu de remarquables effets au point de vue des salaires : en
(1) En fait on appliquait le tarif patronal de 1878.
HISTORIQUE DU CONTRAT COLLECTIF EN FRANCE 71
35 ans l'augmentation avait été de 30 00: voici l'aug-
incntalion indiquée par le tableau de l'office du travail (1) :
Prix de l'heure : 1843 0^50.
— 4848 0 50.
— 4862 0 55.
— 4868 0 60.
— 4878, 0 65.
Le contrat collectif avait ainsi fait ses preuves dans le
métier de l'imprimerie.
Enfin le spécimen à la fois le plus curieux et le plus
complet du contrat collectif nous est fourni par l'Union de
la fabrique de rubans de Saint-Etienne : nous y trouvons
précisé rigoureusement et réalisé dans les faits ce qui était
alors l'idéal commun de beaucoup d'ouvriers : à ce titre
il en faut mentionner les traits les plus caractéristiques (2) :
Les statuts de l'Union constituée le 10 mai 1875 indi-
quent que le tarif minimum et maximum des façons, appli-
cable dès ce jour, a pour but « d'assurer aux ouvriers des
prix plus rémunérateurs, dans les mortes saisons, d'atténuer
les fluctuations de façons » ; on entrevoit même l'applica-
tion d'autres mesures d'intérêt général qui pourraient être
proposées dans la suite. C'est en somme le principe de
l'accord sur les conditions du travail posé dans toute son
étendue : voici l'économie de ce contrat :
Article 4. — Le maximum des façons est fixé à une
augmentation de 50 0 0 sur les prix du tarif minimum
(annexé aux statuts).
Article 5. — Toute contravention au tarif sera punie
d'une amende d'un quart du prix de façon porté au tarif.
(1) Id. p. 772.
(2) Id. t. H, p. 351 et suiv.
72 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE H
payé par, le fabricant, et d'un quart, payé par l'ouvrier,
au profit de la Chambre syndicale.
D'ailleurs les parties au contrat avaient un remarquable
souci de la liberté individuelle : on déclarait expressément
que les signataires auraient droit de travailler pour ceux
qui n'auraient pas adiiéré à l'Union, pourvu qne ce fût aux
conditions du tarif. On repoussait l'interdiction de travail
contre un fabricant ou un passementier. Le Syndicat mixte,
composé de 6 fabricants et de 6 ouvriers devait faire res-
pecter la convention.
Au début les grands fabricants et la généralité des chefs
d'atelier adhérèrent au tarif, si bien quà la fin de 1875 il
fonctionnait à la satisfaction générale, englobant presque
tous les métiers.
Au début de 1876, une amende de 3 francs est infligée
par l'Union à un ouvrier qui avait enfreint les conditions
du tarif. Il paye sans réclamer. Peu de temps après, un
fabricant, M. Henry, signataire de la convention se voit
réclamer la même somme : il refuse de payer et porte la
question devant le Tribunal de Saint-Etienne qui le déboute
de sa demande (1).
Ce jugement amena la dissolution de l'Union et le tarif
de 1873 n'avait été appliqué qu'un an. Une fois de plus
l'imperfection du régime légal avait été funeste et avait
ruiné les efforts des ouvriers.
Ainsi tentatives nombreuses, difficultés de succès pour
passer le contrat collectif à cause de l'instabilité de l'asso-
ciation professionnelle et, si malgré tout celui-ci est conclu,
risque constant d'en voir refuser l'exécution en justice :
Telle est la situation jusqu'à la loi du 2i mars 1884.
(1) Voir le jugement ci-dessous.
HISTORIQU. 1)1 CONTRAT COLLECTIF KN KliAM K 73
Toutefois ilo co long et frajjmentaire historique une
conclusion se dég^ag^e : le contrat collectif est une institu-
tion (l'une vitalit»' nin U(juable, d'une utilité pratique ex-
cepfioniK'Ile, puisque, maljrré les obstacles accumulés
devant lui, il subsiste, {Jrag^ne du terrain, s'enracine et se
développe. C'est là sans doute un symptôme des plus heu-
reux et qui fait aug^urer d'un brillant avenir. Malheureu-
sement aujourd'hui encore, comme nous le verrons, le con-
trat collectif se ressent toujours un peu de ses origines,
comme ces parvenus qui n'ont gravi qu'au prix de mille
diflicuitcs 1. s . ehelons de la vie sociale. Au lieu d'appa-
raître connue une institution de tout repos, aussi normale
en somme que le contrat de société ou tout autre contrat
civil, il porte la trace des obstacles qu'il lui a fallu sur-
monter : sa croissance a été en quelque sorte gênée par
ces circonstances extérieures ; il n'a pas encore acquis cette
force secrète des institutions développées d'une manière
autonome qui s'imposent en législateur si bien que celui-
ci n'a qu'à enregistrer les résultats acquis : le conflit entre
la liberté individuelle et la solidarité ouvrière qui domine
toute cette histoire n'est pas encore tranché : sans doute
après 1884 on ne sacrifiera plus l'un des termes du dilemme
à l'autre. On les posera tous deux dans le domaine des faits
et le développement du contrat collectif depuis 1884 ne
sera que la série d'essais empiriques pour concilier sur le
terrain pratique les deux contradictoires: peut-être le con-
trat collectif contient-il précisément la formule de cette
conciliation si longtemps cherchée !
CHAPITRE m
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE
La loi de 1884 par l'impulsion qu'elle donna au mouve-
ment syndical vint apporter au contrat collectif un puis-
sant appoint : désormais l'association professionnelle
pourra en toute sécurité traiter des conditions du travail.
Mais un double obstacle de fait, non plus de droit, vient
ralentir le développement de notre contrat :
D'une part la persistance des anciens errements dans
l'esprit de beaucoup de patrons et d'ouvriers : pour beau-
coup le syndicat est la machine de grève, hier encore
prohibée, traquée, poursuivie; aujourd'hui reconnue, léga-
lisée, triomphante : pour beaucoup elle conserve le même
caractère: Plus d'un patron continue à y voir l'ennemi
dont il se refuse à connaître l'existence, au lieu d'y voir
une collectivité professionnelle avec laquelle on peut trai-
ter. Plus d'un ouvrier persiste à chercher dans le syndicat
le fauteur de coalitions et de grèves et ne sait pas y voir
le défenseur pacifique des intérêts du travail.
D'autre part beaucoup de syndicats en France désertent
le terrain professionnel pour occuper le terrain politique :
ce n'était bien évidemment pas avec de pareils syndicats
que les patrons pouvaient être tentés de traiter.
Pour ces deux raisons capitales, contrairement à ce
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 75
qu'on aurait pu attendre, le contrat collectif n'a eu depuis
1884 en France qu'un développement fort irrégulier et très
accidenté.
Aussi l'étude en est-elle particulièrement difficile : le
contrat collectif le plus souvent apparaît ici ou là,
dans un temps très bref : ce sont de timides essais qui se
ressentent bien évidemment de l'état d'esprit des parties.
Nous serons donc obligés, après avoir brièvement signalé
les métiers où notre contrat se rencontre le plus fréquem-
ment, de borner notre examen à deux exemples particu-
lièrement typiques.
I l". — Quelques aperçus sur le développement actuel do
CONTRAT COLLECTIF.
Pour les raisons indiquées ci-dessus, le relevé exact
des contrats collectifs actuellement existants en France est
des plus difficiles (1).
Dans bien des métiers, des comités mixtes ont été ac-
cidentellement formés, surtout quand il existait des Cliam-
bres syndicales, tant du côté des patrons que des ouvriers.
Le plus difficile est de vaincre la résistance des patrons
qui hésitent toujours à entrer en négociations et l'esprit
trop souvent violent et révolutionnaire des ouvriers qui
voient surtout dans la lutte professionnelle le début de la
(1) Les deux volumes publiés par l'Office du travail sur les associa-
lions professionnelles ouvrières sont à peu près, avec le Bulletin de
rofûce du travail, le seul moyen de documentation qui existe sur la
question.
76 PRKMIÈRK PARTIE. CHAPITRE III
grande lulte des classes qui doit amener la révolution so-
ciale. Aussi parfois, est-ce par l'arbitrag-e que le contrat
collectif pénètre dans un métier : mais il est alors beau-
coup plus difficile de s'entendre sur un confit déjà né et
existant, que de l'empêcher d'éclater par un accord spon-
tané.
Mentionnons à titre d'exemples quelques contrats collec-
tifs dans les diverses industries :
C'est ainsi qu'un tarif existe depuis le 20 octobre 1890,
dans l'industrie tulliste de Calais, établi par des délégués
des patrons et de l'union ouvrière, qui s'est substitué aux
tarifs unilatéraux établis par les uns ou les autres : depuis
cette date plusieurs inventions sont intervenues à propos
des conditions du travail entre patrons et ouvriers (1).
De même dans le bâtiment, il y a plusieurs exemples de
tarifs.
Une tarif très complet, élaboré par des commissions
arbitrales mixtes existe depuis 1891, dans la blanchisse-
rie.
De même encore on peut signaler des tarifs intéressants
établis dans l'industrie du gaz (2) (1899), dans la cordon-
nerie (Lyon, 1896), pour les compagnies de voitures, pour
les ouvriers tanneurs (Tarbes, 1894) (3), les bûcherons
du Cher (1892), etc., etc..
Une place spéciale doit être faite dans cette trop rapide
revue aux contrats collectifs établis par les syndicats mix-
(1) Cf. De Seilhac, La grève des tidlistes de Calais. — Circulaire
du Musée social.
(2) Accord entre la Compagnie parisienne d'éclairage et de chauf-
fage par le gaz et le bureau du syndicat, statistique des grèves. 1899.
(3) Bulletin de V Office du travail, 1894, p. 335.
I.KS FAITS ACTL'KLS EN FRANCE 77
tes {{). C t'sl aiiihi t|u Du peut liU'r h? 1res reiiiai'(|uulii(' ex-
emple des contrais collectirs établis par l'Union corpora-
tive de la Fabrique lyonnaise dans l'industrie du tissage
lyonnais. Un article 26 des statuts de ce syndicat mixte
composé d'un syndical patronal et d'une corporation d'em
ployés porte expressément :
« Toutes conventions de tarifs pour les façons établies
d un commun accord entre la Commission des fabricants
et celle des syndicats ouvriers, devront être respectées par
tous les membres de la corporation. »
Il est tout naturel que le contrat collectif soit le fruit du
syndicat mixte quand il réussit, mais on sait combien de
difficultés il rencontre : peut-être le contai collectif est-il
précisément destinée réaliser l'idéal du syndical mixte par
accords des syndicats parallèles.
Mais en somme, il y a peu d'exemples de contrats col-
lectifs aussi développés qu'en Angleterre et le plus souvent
ces contrats ne contiennent que quelques clauses, d'ail-
leurs parfaitement diverses, prix de façon pour une spé-
cialité, heures de travail ou parfois minimum de salaires :
mais le mouvement manque d'unité : il est le résultat des
circonstances (2).
Aussi est-il préférable de borner notre étude à deux
exemples de contrats collectifs dans deux industries parti-
culièrement intéressantes, les mines et la typograpliie.
La méthode monographique nous donnera mieux qu'au-
(l)Cf. A. Boissard, Le syndicat mixte, thèse, Aix, 189G.
(2) Nous aurions voulu faire un relevé complet et une classiOcalioa
des contrais colleclifs existant en France, mais ce travail était véri-
tablement impossible en l'état actuel des choses : il Taudrail pour cela
de sérieuses monographies de métier faites à ce point de vue.
■
78 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III
cune autre une idée de développement du contrat collectif
en France et des difficultés qu'il y rencontre.
I II. — Le contrat collectif dans l'industrie minière.
Avant d'étudier d'une manière spéciale le contrat collec-
tif dans les mines du Pas-de-Calais, oii il est plus parti-
culièrement développé, il faut brièvement marquer l'état
de son développement dans nos autres grands centres
liouillers.
Ce qui caractérise le contrat collectif dans nos deux
autres grands bassins houillers, la Loire et Carmaux, c'est
qu'il s'y est récemment introduit à la suite d'arbitrages
demeurés célèbres :
Bassin de la Loire. — A la suite de premières reven-
dications restées sans résultat et remontant au 17 octobre
1898, la Fédération des Chambres syndicales des ouvriers
mineurs du département de la Loire, profitant de la situa-
tion exceptionnelle de l'industrie du charbon, formulait
dans une lettre aux directeurs des Compagnies minières
de la Loire en date du 21 décembre 1899, les revendica-
tions des mineurs (1.) :
1° Reconnaissance par les Compagnies minières du
Comité fédéral ;
2*' Fixation d'un minimum de salaires :
3" Réduction de la journée de travail.
L'accord n'ayant pu s'établir, malgré les concessions
accordées par les Compagnies, une grève s'en suivit ter-
(1) Bulletin de V Office du travail, 1900, p. 15.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 71)
ininoo par un arbitrage de M. Jaurès pour les mineurs et
de M. Gruner pour les Compagnies.
Une double décision arbitrale des 4 et 6 janvier 1900
intervint sur la questions de la remonte et sur la question
des salaires (1).
Cette décision arbitrale fut ratiûée à l'unanimité par les
ouvriers.
La convention devait durer sans aucune modification
jusqu'au 30 juin 1901. A cette date, et sur un préavis de
trois mois donné à M. le Préfet de la Loire par l'une ou
l'autre des deux parties, une procédure arbitrale, semblable
à celle (|ui met lin au présent conflit, devait déterminer si
les conditions de l'industrie permettent le maintien intégral
ou partiel de cette augmentation.
Ainsi c'est la procédure d'arbitrage qui paraît dominer
dans ce bassin pour l'introduction du contrat collectif.
Catvnaux. — C'est également le principe de l'arbitrage
qui semble prévaloir: en 1892, lors de la première grève
de Carmaux, devant l'insuccès de la Commission arbi-
trale (2), ce fut la Commission des tiers arbitres qui par-
vint seule à tranclier la question de salaire (3).
Pour terminer avec les mines autres que celle du Pas-
de-Calais, il faut encore citer l'échelle mobile de salai-
res (4) établie en mars 1896 à la suite d'une grève dans
les mines de Saint-Laur (Deux-Sèvres) (o). « Les ouvriers.
(1) Relèvement général de 90/0.
(2) Composée de MM. Albert Gigot, Baron Reille et tlumblot pour la
Compagnie et de MM. Calvignac, Rondel et Jaurès pour les ouvriers.
(3) A. Gibon, La grève de Carmauœ : les ouvriers acceptent la sen-
tence arbitrale le 21 mars 1892.
(4) La seule existant actuellement en France.
(5) Bulletin de VOffice du travail 1899, p. 1084.
80 PREMIÈHK PARTIK. CHAPITRE 111
dit la Convention, recevront à titre d'augmentation de sa-
laire et au fur et à mesure que les cours des charbons
augmenteront, la moitié de cette augmentation, suivant
une échelle mobile donCle minimum sera le cours actuel.»
En somme, si de plus en plus dans l'industrie minière
semble s'introduire le principe de la fixation collective des
conditions du travail, ce n'est encore que par le moyen
de l'arbitrage.
11 faut arriver aux mines du Pas-tlc-Calais pour trouver
de remarquables exemples de contrat collectif, établi di-
rectement par accord entre les délégués des patrons et les
délégués des ouvriers.
Mines du Pas-de-Calais. — L'usage du contrat collec-
tif dans les mines du Pas-de-Calais (l) remonte déjà à une
dizaine d'années : en décembre 1891, à la suite d'une
grève, une première convention, dite « Convention d'Ar-
ras » fut signée entre le comité des Houillères représen-
tant la plupart des Compagnies des deux départements du
Nord et du Pas-de-Calais et le syndicat des ouvriers mi-
neurs.
Il est curieux de remarquer comment dans ces circons-
tances le contrat collectif direct se substitua à l'arbitrage:
les mineurs faisaient diverses réclamations : répartition
plus équitable des salaires, salaire moyen de o fr. oO par
jour primes non comprises, journée de huit heures, etc.,
ils avaient nommé le 22 novembre o délégués pour soute-
nir leurs revendications : à la suite de l'extension prise
par la grève, le ministre avait désigné cinq arbitres du
conflit : ce sont alors les ouvriers eux-mêmes qui les ré-
cusèrent et déclarèrent que les représentants directs des
(1) Statistique des grèves, 1898, p. 319.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 81
coilipagnies avaient seuls qualité pour trancher le difié-
rend.
Les compagnies acceptèrent cette proposition de contrat
collectif : cinq représentants des compagnies adhérentes
au comité des houillères (1) se réunirent aux cinq délégués
des ouvriers en un comité de conciliation, qui siégea les
27 et 29 novembre et arrêta le texte de la Convention
d'Arras. Celle-ci porte surtout sur le taux des salaires,
déclarant qu'il y avait lieu de prendre pour base des sa-
laires de tous les ouvriers du fond, les salaires de la pé-
riode de 12 mois qui a précédé la grève de 1889, en y
ajoutant les deux primes de 10 0 0 qui ont été accordées
depuis et qui seraient maintenues intégralement (2).
La Convention d'Arras fut très heureusement accueillie
dans le métier.
Mais en 1892 se produit une baisse dans les prix de
vente, qui entraîne une dimiimtion de production : les sa-
laires s'en ressentent : on accuse les Compagnies de violer
l'engagement. Après une série de grèves partielles inutiles,
le 10 septembre 1893, le Syndicat ouvrier sounjet au di-
recteur de chaque Compagnie une demande d'augmenta-
tion de 10 0 0 (le salaire moyen eût été ainsi porté à 7 fr. 15
par jour) : les Compagnies refusent.
Une grève générale de 48 jours s'en suit : le 6 novembre
les ouvriers reprennent le travail sans avoir rien obtenu.
Le Syndicat est profondément atteint : il perd de l'in-
fluence et son organisation est diminuée.
(1) La Compagnie de Lens accéda peu de temps après à la conven-
tion .
(2) Soit en fait 4 fr. 80 -f 20 0/0 = o fr. 76 pour les mineurs à
la veine.
BATNACO 6
82 PREMIÈRE PARTIE. •^- CHAPITRE III
Cependant en 1895 avec une nouvelle prospérité de
l'industrie du charbon, il se reconstitue : mais la Cliainbre
syndicale des houillères du Pas-de-Calais et du Nord refuse
de le reconnaître.
A la suite du Congrès de mineurs tenu à Lens au début
de 1898, une lettre est adressée au président de la Chani-
bre syndicale des houillères (1).
A la suite de cette lettre, une commission mixte est réu-
nie à Arras le 20 septembre 1898 et après trois heures de
discussion adopte la convention suivante, qui est la deu-
xième convention d'Arras ;
Le 20 septembre 1898, à 2 heures d/2 de l'après midi, les délégués
(i) En voici le texte fort remarquable par le ton pacifique et con-
ciliateur, qui diffère vivement du ton des mineurs dans les autres bas-
sins houillers.
Lens, le 28 août 1898.
Monsieur le Président,
Les délégués des ouvriers mineurs des départements du Nord et du
Pas-de-Calais, réunis à Lens le dimanche 28 août, pour examiner la
réclamation de leurs mandants, ont résolu de vous demander de vou-
loir bien soumeltl'e à la bienveillance des membres de la Chambre des
houillères les réclamations sui Fautes :
io Baisse des loyers et application des prix eu vigueur avant la grève
de 1893 ;
2o Augmentation de 10 00 sur tous les salaires;
3° Répartition plus équitable des salaires.
Dans l'espoir que vous voudrez bien accueillir favorablement leurs
requêtes, les délégués des mineurs vous prient, Monsieur le Président,
de croire à leur sentiment respectueux.
Pour la délégation :
Le Président,
Basly,
Députe du Pas-de-Calais.
P. S. — Une délégation se tiendra à la disposition de Ja Chambre
des houillères, qui pourra l'appeler si elle le juge nécessaire.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 83
des ouvriers el des compagDies houilllèrcs se sont réunis en l'hôlel de
l'Univers, à Arras.
Etaient présents pour les ouvriers : MM. Basiy, Lamendin, Evrard,
Cadot, Caron, Evin, Moché, etc. (14 membres).
Les compagnies houillères étaient représentées par MM. Reumaux,
Lavaurs, etc. (8 membres).
M. le député BasIy préside la séance : il expose les réclamations
ouvrières telles qu'elles ont été formulées dans la lettre qu'il a adressée
au président de la Chambre des houillères à l'issue du congrès de
Lens.
Il développe chacun des 3 points objets de la dite lettre :
l» Baisse des loyers et application des prix en vigueur avant la grève
de 1893 :
2« Augmentation de 10 0/0 sur les salaires actuels ;
3» Répartition plus équitable des salaires.
Après discussion entre les délégués de chaque partie, les bases sui-
vantes ont été arrêtées :
lo Baisse des loyers.
Les compagnies consentent à appliquer, dès le ler octobre, une ré-
duction d'environ 3o 0/0 sur le taux des loyers qui ont été majorés
depuis 1893 :
2o A ugmentation des salaires.
Relativement à l'augmentation des salaires, les délégués des compa-
gnies ont exposé que, s"il est vrai qu'on enregistre actuellement une
certaine hausse sur le cours des charbons, elle n'affecte qu'une infime
partie de la production, et que, partant, cette hausse n'exerce qu'une
influence très minime sur les prix moyens de vente ; que c'est seule-
ment au renouvellement des marchés, c'est-à-dire vers fin mars pro-
chain, que son application bénéficiera aux Compagnies.
Qu'il est donc prématuré d'accorder dès maintenant une augmen-
tation de salaire. Mais il est convenu entre les parties que les bases
de la convention dArras de 1891, qui, pau- suite de la hausse dès
charbons, n'avait pas pu être maintenue dans certaines Compagnies,
seraient appliquées intégralement dès maintenant, bien que le prix
moyen de vente actuel soit encore inférieur à celui pratiqué à cette
époque.
84- PREMlÈHE PARTIE. CHAPITRE 111
DécIaratioD de la compagnie de Bruay : A ce sujet la Compagnie de
Bruay fait la déclaration suivante ;
« La Compagnie des mines de Bruay, ayant modifié le mode de
calcul des salaires journaliers, désire éviter tout malentendu et toutes
fausses interprétations, en déclarant qu'elle s'engage à accorder à ses
ouvriers les salaires les plus élevés du Pas-de-Calais, soit pour les mi-
neurs à la veine environ 4 fr. 80, prime de 20 0/0 non comprise, ou
5 fr. 76, prime comprise. »
Il est convenu en outre qu'une réunion des mêmes délégués aura
lieu dans la première quinzaine d'avril pour examiner d'un commun
accord si, comme on l'espère, la situation commerciale justifie une
majoration des salaires et en fixer le taux.
3o Répartition des salaires.
Enfin sur le troisième point (réparation plus équitable des salaires)
les délégués des Compagnies font la déclaration suivante :
u Les Compagnies veilleront à ce que les variations de salaire, dé-
pendant du hasard des veines et de tout autre élément que la force et
l'habileté de l'ouvrier, soient aussi faibles que possible; ils promettent
que toutes instructions utiles seront données aux porions et chefs-po-
rions pour que les ouvriers n'aient à se plaindre d'aucune injustice
dans la répartition du travail et du salaire et qu'il y soit tenu la
main.
« Ils ajoutent que l'ouvrier qui aurait à se plaindre a toujours sont
recours ouvert auprès des ingénieurs et directeurs, qui ne refuseront
pas de l'entendre et d'examiner sa réclamation. »
La Compagnie d'Anzin. Le délégué Caron, représentant les mineurs
d'Anzin, déclare que dans une entrevue qu'il a eue hier avec M. le Di-
recteur de la Compagnie d'Anzin, celui-ci lui a promis que sa Compa-
gnie, en ce qui concerne la question des salaires, se rangeait à la dé-
cision de la réunion des délégués et que le prix des loyers serait ra-
mené au taux de 1893, c'est-à-dire par exemple de 8 fr 50 à 6 fr. 50.
(Suivent les signatures.)
La convention fut ensuite soumise à la ratification des
ouvriers, dans une réunion des délégués de sections du
syndicat tenu à Lens le 27 septembre.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 85
Après une discussion assez vive, et sur l'énergique in-
tervention de M. Basly (jui démontra les avantages relatifs
de la convention et surtout fit observer que la reconnais-
sance du syndicat par les compagnies était un résultat
des plus heureux, la Convention du 20 septembre fut ac-
ceptée à une assez forte majorité par Tordre du jour sui-
vant :
« Les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais réunis en
Congrès le 25 septembre à Lens, après avoir entendu les
explications données par le citoyen Basly sur les revendi-
cations des mineurs exposées devant les représentants des
houillères du Nord et du Pas-de-Calais, le 20 septembre à
Arras ;
« Remercient le Comité des liouillères d'avoir bien
voulu entendre l'exposé des revendications des mineurs
par la voie de leurs arbitres désignés par leur syndicat;
ils espèrent qu'il tiendra la main aux engagements déjà
pris dans l'assemblée du 20 septembre à Arras, qui éma-
nent de la conciliation et qui ne peuvent avoir d'effets
utiles, dans l'intérêt de l'ordre et de la paix sociale, qu'au-
tant que le syndicat pourra être respecté. »
La grève avait été ainsi évitée et le principe du contrat
collectif affermi et définitivement reconnu.
Malgré les efforts d'une minorité, mécontente qui aurait
voulu placer le syndicat réorganisé sous l'égide du parti
collectiviste, le syndicat maintint la convention : une
grève partielle, fomentée par les mécontents, éclata pour
les mineurs de la Compagnie de Liévin, d'Ostricourt et de
l'Escarpelle.
Sur les instances du syndicat, les Compagnies déclarè-
rent qu'elles étaient parfaitement disposées à se confor-
mer à la Convention d'Arras relativement à la moyenne
86 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III
de salaire : le syndicat put ainsi enrayer la grève et le
travail fut repris partout.
Ces bons rapports continuèrent : peu avant l'époque
fixée par la Compagnie, comme étant celle du renouvelle-
ment des marchés (fin mars 1899) et en prévision de la
réunion des mêmes délégués dans la première quinzaine
d'avril telle qu'elle avait été prévue par la Convention du
2i septembre 1898, un nouveau congrès de mineurs
se réunit à Lens en février 1898 : la question des sa-
laires y est traitée : une proposition très étudiée au
Conseil d'administration du syndicat est soumise à l'as-
semblée, avec de sages conseils, par M. Basly : les bases
de la future discussion sont votées à l'unanimité. Le Con-
grès renouvelle les mandats de la délégation qui a déjà
discuté avec les patrons en 1898.
C'est ainsi que se tient le 14 avril 1899, à Arras, une
nouvelle réunion des délégués des ouvriers et des repré-
sentants des Compagnies houillères : après une discus-
sion qui a duré plus de cinq heures, très calme et très
courtoise, le texte de la nouvelle Convention est arrêté et
signé par les représentants : en voici l'essentiel (1) :
« Les Compagnies, tenant compte des arguments de la
délégation ouvrière et voulant donner une preuve de leur
désir de voir les ouvriers profiter d'une période de pros-
périté, comptant du reste, ainsi que le déclare la déléga-
tion ouvrière, que l'augmentation qu'elles accorderont ne
viendra en aucune façon porter atteinte à l'effet utile et
que l'ouvrier ne se contentera pas de gagner autant en
travaillant moins, mais continuera à travailler autant
(1) Le procès-verbal complet de la réunion rend bien compte des
concessions faites de part et d'autre.
LES FAITS ACTUFXS EN FRANCE 87
pour gagner davantage, proposent à la délégation ouvrière
une majoration de 5 0/0 do la prime actuelle de 20 0/0 et
offrent de la porter à 25 0/0.
« Il est bien entendu que cette augmentation de 5 0/0
cessera de plein droit quand la situation commerciale se
modifiera en baisse.
« Par contre les délégués des Compagnies s'engagent,
comme dans la Convention d'Arras de 1891, à maintenir
le plus longtemps possible, la prime de 20 0/0
« Après une longue discussion et une suspension de
séance, l'entente s'est enfin établie et il a été convenu que
la prime de 20 0/0 actuellement payée dans le-Pas-de-
Calais, sera portée à 25 0/0 à partir du 16 courant pour
toutes les catégories des ouvriers du fond. En ce qui con-
cerne les compagnies du bassin du Nord qui ne payent
pas l'augmentation ancienne sous forme de primo, il est
convenu que dorénavant elles payeraient sous forme de
prime les 5 0/0 d'augmentation de ce jour sur les salaires
actuels. »
Le congrès ouvrier réuni à Lens le 23 avril, pour ra-
tifier la convention nouvelle, décide de demander une
nouvelle réunion de la conférence : la discussion continue
par lettres.
Dans une lettre adressée par M. Basly au président du
Comité des houillères, le syndicat s'offrait à prouver que
les documents statistiques sur lesquels les Compagnies s'é-
taient appuyées pour ne pas donner plus de 5 0/0 d'aug-
mentation, n'étaient nullement d'accord avec la statistique
officielle de l'industrie minérale et les rapports des ingé-
nieurs du corps des mines.
Une longue réponse du président du Comité des houil-
lères répondit point par point et déclara inutile une nou-
I
88 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE III
velle réunion de la conférence mixte : une discussion des
plus minutieuses s'engagea ainsi sur les prix de vente, les
salaires moyens de l'ouvrier du fond, la production par
ouvrier et les salaires à la tonne. Il faut lire ces docu-
ments pour bien juger de toute la valeur du contrat col-
lectif.
Une nouvelle réunion du congrès est tenue en septem-
bre 1899 : après de fort longues discussions (1), considé-
rant que la moyenne de production par ouvrier en 1898,
est de beaucoup supérieure à celle de 1891, pour un salaire
inférieur à celui de 1891, l'assemblée vote à l'unanimité
un ordre du jour demandant aux délégués des bouillères
une nouvelle entrevue.
Les Compagnies houillères acceptèrent la proposition
des mineurs.
Une nouvelle conférence se réunit toujours à Arras le
25 octobre : après une longue discussion très vive mais
très courtoise, une nouvelle convention est arrêtée : une
augmentation de salaire est accordée pour toutes les caté-
gories d'ouvriers du fond, portant à 30 0/0 la prime qui
était alors de 2S 0/0 (2).
Cette augmentation partira du l^"" avril 1900 et sera im-
muable jusqu'au l^'' avril 1901, et se prolongera éventuel-
lement au delà de cette date.
Enfin, le 31 octobre 1900, une nouvelle conférence vient
fixer la prime à 40 0/0 (3).
(1)11 faut mentionner notamment le rejet, par l'intervention de
MM. Basly et Lamendin, d'un vœu, mettant les compagnies en de-
meure de répondre dans les 8 jours : l'usage des contrats collectifs
tend ainsi à écarter la grève par la nécessité même des choses.
(2) Ce qui porte le salaire type de 4 fr. 80 à 6 fr. 23.
(3) Ce qui porte le salaire type de 4 fr. 80 à 6 fr. 72.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 89
MaliTit' rt' ninanjuahlo dex clopittiiicnl du contrat collec-
tif, uiio (lilliculté de .l<lail> ■^uh-^i-t.' (jiii est d'une extrême
importance et qui pourrait, si elle n'était pas heureuse-
ment résolue, faire perdre tout le terrain gag^né (1) : il
s'agit, en effet du contnMe des salaires par les syndicats
et de la communication des documents servant de base à
l'établissement du contrat collectif : on conçoit que dans
la conclusion du contrat collectif les ouvriers aient le plus
grand intérêt à ètir tx.ictement renseignés sur les salaires
actuels qui serviront de base aux salaires futurs. Or dans
les Conventions d Arras précitées les discussions sont
faites sur la base des chiffres communiqués par les Com-
pagnies : or les ouvriers ne sont pas sans éprouver quel-
ques doutes sur la réalité de ces chiffres. L'un d'eux (2)
expose ainsi les reproches qu'il adresse aux Compagnies.
«Elles indiquent visiblement, dit-il, comme salaires nor-
maux gagnés par journée ordinaire de travail, des salaires
obtenus en y faisant entrer le prix payé au mineur pour
les longues coupes, les heures supplémentaires, et surtout
pour les postes fournis le samedi soir selon l'habitude cou-
rante du bassin. De là des moyennes considérables qui
seraient sensiblement réduites, si on tenait compte à part
des travaux supplémentaires. D'autre part on nous com-
munique des salaires bruts obtenus sans tenir compte du
fait que nous devons rembourser la poudre et les outils,
et de ce fait encore les moyennes sont enflées artificielle-
ment. »
Les ouvriers s'efforcent bien de corriger ces renseigne
(1) C'est pourquoi il faut insister quelque peu sur cette question.
(2) M. (loniaux au Congrès internatiooa] des mineurs de l^ondres
(1901). '
90 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE III
ments en s'informant indirectement : ils consultent les
fiches individuelles de paye : mais tout n'y est pas indiqué,
paraît-il, notamment les heures de descente et de remon-
tée, ni le nombre des journées faites ; de plus il est bien
difficile au syndicat de les centraliser toutes. Aussi récla-
ment-ils que les exploitants remettent aux syndicats des
mineurs un carnet des salaires payés, en indiquant les
descentes et les heures de travail de l'entrée à la sortie
des puits en tenant compte des longues coupes, des faux
frais, etc.
Il y a là une grave et difficile question ; elle a été heu-
reusement résolue, paraît-il, dans certaines mines du
Durham où les feuilles de salaires et toute la comptabilité
des mines est soumise au président du comité mixte fixant
les salaires : toute défiance a disparu.
Il faut toute une éducation de la part des ouvriers qui
ne semble pas théoriquement impossible. C'est probable-
ment à force de patience et de finesse, en se rendant
compte eux-mêmes exactement des salaires efifectivement
payés, par la discipline qu'ils s'imposeront, qu'ils arrive-
ront à tourner cet obstacle : pour le moment cette con-
naissance exacte des éléments de la discussion est une des
difficultés du contrat collectif.
Ainsi on le voit par la longue analyse que nous avons
donnée de ces conventions successives, le contrat colleclif
semble définitivement entré dans les mœurs des mineurs
des mines du Pas de Calais. Les discussions les plus appro
fondies et les plus sérieuses ont permis de poursuivre,
grâce à l'habileté de MM. Basly et Lamendin, la discussion
des salaires. Il y a là un exemple des plus typiques et qui
méritait d'être soigneusement relevé.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 91
I m. — Le contrat collectif dans la typographie.
L'industrie typographique est une de celles oij le contrat
collectif est le plus répandu sous le nom de tarif. Malgré
une puissante organisation qui rend beaucoup de services
pour la conclusion de nos contrats, les typographes sont
encore loin d'être arrivés à un régime uniforme du travail
pour toute la France ; jusque dans le succès même se re-
trouvent les caractères que nous avons relevés comme
particuliers au développement actuel du contrat collectif
en France : incertitude et manque de fixité. Marquons à ce
point de vue brièvement les faits les plus significatifs.
Dès 1881, à la suite de l'échec de la grève de 1878 et en
vertu d'anciennes traditions déjà manifestées par quelques
tentatives, les typographes, pour constituer une organisa-
tion ouvrière plus forte, créèrent la « Fédération typogra-
phique Française du livre et des industries similaires »,
comprenant toutes les sociétés et chambres syndicales
ouvrières existantes ; elle devint bientôt au Congrès de
Paris (1888) la Fédération Française des travailleurs du
Livre.
Un de ses buts principaux est directement le contrat
collectif du travail : la première rédaction portait parmi
les objets de la Fédération :
« Etablir un tarif aussi uniforme que possible pour toute
la France afin d'éviter l'émigration du travail d'une ville
dans une autre, émigration produite par les énormes dif-
férences des tarifs existants. » (Art. 3, | 3.)
Le Congrès de Paris vint demander l'établissement d'un
tarif type, mais en réservant une différence de tant 0/0
92 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE III
pour chaque section, différence basée sur le prix de revient
des objets de première nécessité.
Si bien qu'aujourd'hui l'article 3, | 3 porte :
« d'Établir un tarif type pour la France, en laissant aux
sections, d'accord avec le Comité central, le soin d'établir
le prix de base sur la moyenne des salaires de la section,
afin d'éviter l'émigration du travail d'une ville à une autre,
émigration produite par les énormes différences des tarifs
existants. »
Et de fait depuis vingt-cinq* ans cette participation active
à l'élaboration des contrats collectifs a été la préoccupation
constante du Comité central delà Fédération : les délégués
de ce comité se rendent dans chaque ville et donnent
d'utiles conseils : on ne saurait relever ces très nombreuses
interventions (1). Parfois le Comité central peut faire aug-
menter les salaires (2), le plus souvent, son effort a dû se
borner à les maintenir, ce qui est un véritable succès, étant
donné l'état difficile du métier, surtout en ces dernières
années (3).
(1) Cf. Office du Travail, op. c'iL, p. 833. Voici an exemple de l'in-
lervention du Comité central :
1898. Bourg, 12-13 août. — Demande d'unification des salaires.
Intervention d'un délégué de la Fédération du Livre : les trois princi-
paux patrons de la ville avaient signé le tarif qui leur fut soumis par
le Syndical des typographes. Les 2 autres l'ont également signé après
1 jour de grève : les grévistes ont reçu 3 fr. 30 centimes par jour de
la Fédération du Livre.
Des insertions de ce genre sont très fréquentes dans le Bulletin de
V Office du Travail.
(2) Environ dans 23 villes.
(3) La dépression actuelle est due à la concurrence des petits patrons
qui emploient des femmes et des apprentis à des prix dérisoires ainsi
qu'à diverses autres causes économiques (prix du papier augmenté,
nouvelles charges d'impôts, etc.).
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 93
Iiuli(juons rapidement comment ces résultats ont été ob-
tenus: c'est assurément par une très forte et très impé-
rieuse centralisation.
L'étude détaillée des statuts sur ce point montrerait que
les pouvoirs du Comité central (1), en cas de grève, n'ont
fait que croître : c'est ainsi que dans le texte de 1881
pour les cas urgents le Comité de section pouvait décla-
rer seul la mise-bas, pour avertir ensuite immédiatement
le Comité central : aujourd'hui, les cas de grèves légi-
times sont limitativement énumérés et pour tous les cas
non prévus, c'est le Comité central qui décide.
Pendant longtemps même et par prudence, une clause
spéciale des statuts décidait que la Fédération ne soutien-
drait que les grèves faites pour le maintien des droits ac-
quis : cette clause a disparu, bien que dans ces derniers
temps, vu l'état du métier, le Comité central semble avoir
repris implicitement cette politique.
Cela lui est des plus faciles, car, d'après l'article 16, le
Comité de section, sans l'autorisation duquel, en cas de
conflit, les ouvriers ne doivent jamais quitter l'atelier, doit
avant d'appliquer ses décisions, les soumettre au Comité
central en lui fournissant les documents précis qui ont dé-
cidé de son attitude.
D'ailleurs, la grève, dans aucun cas, ne doit être auto-
risée avant d'avoir épuisé tous les moyens de conciliation
(art. 17).
Grâce à ces sages dispositions et surtout à l'habileté des
hommes remarquables, pour le moins égaux aux leaders
(i) Le Comité, primilivement nommé par la section centrale, est
imiirrl'Hiiî ûIii
aujourd'hui élu
94 PREMIÈRK PARTIE. CHAPITRE III
des Trade-Unions anglaises, de notables progrès ont été
accomplis (1) ;
Les derniers sont la création d'un organisme spécial
pour le contrat collectif et quelques essais de réglementa-
tion contractuelle sur des points spéciaux s'étendant à tout
le métier.
En 1893, les deux Congrès ouvrier (Marseille) et pa-
tronal (Marseille), acceptent le principe d'une Commission
mixte :
Celle-ci fonctionne heureusement depuis 1895;
Elle a arrêté un règlement d'apprentissage ;
Elle va discuter incessamment un projet de tarif général
pour le travail à la machine : sur ce point l'accord sera
fort difficile à établir, car deux avant-projets, l'un pa-
tronal, l'autre ouvrier ont été publiés et les prétentions
diffèrent sur bien des points (2).
Enfin la diffusion du contrat collectif va probablement
augmenter encore avec la création de commissions locales
d'arbitrage : celles-ci seront nommées par les patrons et
les ouvriers français de la corporation quelle que soit
leur spécialité, âgés de vingt et un an au moins, ayant
six mois de résidence dans la localité et qui auront dé-
claré se soumettre au règlement élaboré par la Commis-
sion mixte centrale.
Des articles spéciaux prévoient l'application de ces nou-
(1) Plus réels qu'apparents, car il y a eu plutôt maintien des con-
ditions du travail que progrès : mais vu l'état du métier c'est un suc-
cès : sans celte organisation puissante, c'eut été la débâcle pour les
ouvriers.
(2) Les patrons demandent dix heures de travail à la machine, les
ouvriers huit heures.
LES FAITS ACTUELS EN FRANCE 95
veaux contrats : nolaniment le travail ne doit pas être sus-
pendu et s'il y a nouveau tarif, « les travaux en cours se-
ront achevés aux conditions auxquelles ils ont été com-
mencés et les modifications à apporter au tarif des publi-
cations périodiques ne pourront avoir lieu qu'au bout de
six mois, à partir du jour de la sentence arbitrale (1) ».
En somme, il y a avec ce cas de contrat collectif dans
l'imprimerie un exemple de ce que peut donner l'initiative
privée : il y a eu sans doute de très heureux résultats,
mais, bien que la Fédération soit des plus fortes (2), il
subsiste une multitude de petites imprimeries où l'ex-
ploitation des apprentis et l'emploi des femmes créent une
fissure certaine pour l'application des meilleures conditions
du travail stipulées par contrat collectif.
Néanmoins le double développement du contrat collectif
que nous avons étudié dans les mines et dans l'imprimerie
est bien une preuve que celui-ci est arrivé aussi loin que
le pouvait mener l'initiative privée avec le régime de la
loi de 1884 : malgré tout, son passé pèse en quelque sorte
toujours sur le contrat collectif : on le conteste, on l'évite,
on l'accepte comme pis aller; les souvenirs du droit pénal
planent encore sur la question et le droit civil ne s'im-
plante que bien lentement. Peut-être à cet égard doit-on
au contrat collectif quelque compensation juridique?
(1) Sur tous ces points Cf. 8^ Congrès national de la Fédération
Française des Tracailieurs du Livre, Paris 1900.
(2) Au 1er janvier 1900, elle comptait 144 Chambres syndicales et
10,403 membres {Annuaire des Synd. prof., 1900, p. 495).
CHAPlTliE IV
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE
Parmi tous les pays étrangers, il faut faire une place
spéciale à l'Angleterre où le contrat collectif est particu-
lièrement répandu.
Il nous faut tout d'abord tâcher de justifier cette asser-
tion et donner une idée de la diffusion du contrat collectif
en Angleterre.
I !*■■. — Tablkal de la diffusion du contrat collectif dans
LES DIVERS MÉTIERS.
Nous n'avons malheureusement pas de statistique directe
nous permettant d'évaluer avec quelque précision l'impor-
tance du contrat collectif.
Mais diverses considérations peuvent nous permettre de
nous rendre compte de cette diffusion :
C'est d'abord le témoignage formel des auteurs si com-
pétents des ouvrages sur les Trade-Unions :
B. et S. Webb expliquent que le contrat collectif dé-
passe de beaucoup le Trade-Unionisme dans le champ in-
dustriel : « notre impression est que dans tous les métiers
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 97
tjualiHés (skillcd trades) où les hommes tFavaillent de con-
cert dans les locaux du patron, 90 0/0 des ouvriers trou-
vent, soit le taux de leurs salaires, soit les heures de tra-
vail et souvent bien d'autres détails, fixés par un contrat
collectif au(juel ils n'ont pas pris part, mais dans lequel
leurs intérêts ont été soutenus par les représentants de
leur classe (1). »
C'est ensuite un document très intéressant (2) publié en
novembre 1900 par la Labour Gazette sur les méthodes
de solution des conflits.
Or il résulte de ce tableau :
1" Que le contrat collectif est de tous les modes de solu-
tion des conflits de beaucoup le plua fréquent : 78 0/0 des
conflits nés en 1899 — dernière année pour laquelle nous
ayons des statistiques comparatives — furent terminés par
un contrat collectif : soit près des 4/5 (3).
2'^ Que dans les quatre années considérées, cette même
proportion de contrats collectifs a passé de 68 0/0 en
1896 à 78 0/0 en 1899, soit une augmentation apparente
de 10 0/0 en 4 ans et une augmentation vraie plus
grande encore, puisque le nombre total des conflits a
diminué.
3<» Que cette augmentation vraie du nombre des contrats
collectifs peut facilement être évaluée, en supposant une
diminution proportionnelle des conflits et des contrats de
(1) Industrial Democracy, vol. 11, chap. : The method of collec-
tive Bargaining.
(2) Voir la traduction de ce document page 98.
(3) La proportion d'ouvriers qui virent le conflit qui les affectait
terminé par un contrat collectif en 1899 est de plus de 80 (T/0 du
total.
RATNACD 7
98
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE IV
Ex : TwELFTH Annual report on Strikes anu Logk OL'TS.
Methods of Seulement of Disputes.
Dans le lablêau suivant, les conflits élevés en 1898, 1897, 1898 et
1899 sont classés d'après les différentes méthodes qui les ont termi-
nés :
MODE
u'ABnASCEMRXT
e =
S ?
0 :
19
896
NOMBRE
d'ourriers
a 2
s g
897
NOMBRE
(l'ouTrJprs
1
3 c
s g
o
898
1
NOMBRE
(l'ouTrim
SS c
S c
5 ?
z £.
16
22
899
NOMBRE
d'ouvriers
Par arbitrage
10.276
14
9.756
13
3.350
3.319
Par conciliation ou mé-
diation
30
633
10 472
27
9.544
30
16.167
8.386
Par arrangement di-
rect ou négociation
entre les parties ou
leurs représentants
136.307
624
76
187.048
495
71
206.926
562
156.743
Par reprise d'ouvrage
aux conditions de«
patrons sans négocia-
tion ....
114
30.587
15.207
17.590
22
88
7.054
Par remplacement d'ou-
vriers
107
7.250
103
7
4.307
96
6
711
9.616
3.980
Par cessation de travail .
19
3.159
1.673
— -
3
6
719
95
Prolonges ou non réso-
lus
4
926
139
11
2.732
258
648
Totaux
198.190
864
230.267
253.367
180.217
La plupart des conflits de Tannée furent, comme on pouvait s'y
attendre, terminés par arrangement direct ou négociation entre les
parties en cause.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 99
1896 à 1899. Cette diminution proportionnelle eût amené
en 1899 un chiffre de contrats collectifs de 491
926
tandis que ce chiffre s'est élevé en réalité à 562: d'où une
augmentation du chiffre des contrats collectifs de 71
(362 — 491 =71). La progression vraie des contrats col-
71
lectifs est donc de -— - soit lo 0/0.
491
On voit donc par là la place énorme que le contrat col-
lectif joue dans la vie industrielle et économique de l'An-
gleterre contemporaine et on saisit aisément tout le terrain
gagné en ces quatre dernières années par notre mode de
solution des conflits.
Il faut maintenant passer en revue rapidement les
divers métiers en indiquant pour chacun l'empire du
contrat collectif (1).
1. — Industries du bâtiment (2).
C'est peut-être dans le hàtiment que le contrat collectif
est le plus anciennement connu.
Les statuts du Conseil d'arbitrage et de conciliation
pour l'industrie du bâtiment à Wolverhampton (3) votés
(4) Pour toute celle partie, la source officielle la plus imporlanle est
la Labour Gazette, journal du Labour Deparlmenl Anglais.
(2) Pour ce qui concerne le bAliinent, on peut consuller la collec-
tion du Building Trades Xew, journal mensuel publié par le Buil-
ding Trades Fédération à Londres.
(3) Voir le lexle de ces slaluls, Office du Travail, Conciliation et
Arbitrage, p. 178.
100 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
le 31 mars 1866 sont en réalité sur bien des points un con-
trat collectif au plein sens du mot.
C'est ainsi que l'article 5 établit le mode de computa-
tion (à l'heure) pour le travail et les règles de paiement
pour les salaires ; l'article 6 fixe la durée du travail ; l'ar-
ticle 7 détermine le prix du trav^ail en dehors des heures
réglementaires. Enfin il y a plus : des articles 11 et 12,
l'un prévoit la durée possible du contrat qui se renouvel-
lera d'année en année, sauf préavis, ou demande de modi-
fication, l'autre en assure la publicité (1).
Sans suivre ici toute l'histoire de ce contrat dans ces
métiers du bâtiment, il faut signaler au moins, à titre do-
cumentaire, les principales conventions intervenues :
(1) Art. 5. — Le travail est compté et payé à l'heure, d'après les
règles suivantes : la catégorie d'ouvriers qui jusqu'à présent a été
payée 5 pence 3 l'heure sera payée 6 pence l'heure et les autres caté-
gories d'ouvriers en proportion : mais les ouvriers qui travaillent sur
des bâtisses à découvert recevront un demi penny supplémentaire par
heure, pendant les 6 semaines qui précèdent et les 6 semaines qui
suivent le jour de Noël. Toutefois, si l'ouvrier occupé sur des bâtis-
ses à découvert a le choix de faire sa journée pleine en travaillant
à l'atelier, il recevra le salaire ordinaire seulement, l'intention des
patrons comme des ouvriers étant que les ouvriers de la même caté-
gorie puissent gagner le même salaire hebdomadaire.
Art. dl. — Les présents statuts entreront en vigueur le 44 mai pro-
chain et resteront en vigueur pendant une année. Si l'une des parties
réclame une modification à la fin de cette période, elle en donnera
avis à l'autre partie au mois de janvier. Si pareil avis n'est pas donné,
les statuts resteront en vigueur jusqu'au ter mai de l'année suivante
et ainsi de suite, d'année en année, jusqu'à ce qu'une des parties donne
avis à l'autre, au mois de janvier, qu'une modification est demandée
pour le ter niai suivant.
Art. t2. — Les présents statuts seront imprimés et affichés dans un
endroit apparent de l'atelier de tous les entrepreneurs de bâtiments
de Wolverhampton.
LE CONTRAT COLLRCTIF KN ANGLETERRE \0{
Un contrat signé en 1892 entre l'Association centrale des
masters builders de Londres et des délégués des unions de
maçons de briques, charpentiers et menuisiers, tailleurs
de pierre, plâtriers, peintres, forgerons, ajusteurs et ma-
nœuvres (1).
Ce premier contrat ayant été dénoncé n'est plus obli-
gatoire après le i" mars 1895 : après un régime de fait
aux mêmes conditions, devant des demandes d'augmenta-
tion de salaires et sous la menace de grèves, de nombreux
contrats collectifs sont conclus :
Le 30 avril 1896, entre l'Union des maçons de briques et
l'Association centrale (2).
Le 6 mai, entre la même association et l'Union des plâ-
tritîrs de Londres.
Enfin, en dehors même de Londres, plusieurs contrats
collectifs sont fréquemment passés dans les diverses indus-
tries du bâtiment : voici à titre d'exemple et dans son inté-
gralité le contrat collectif du 17 juin 1895, passé entre
l'association des patrons et l'association d'ouvriers du dis-
trict de Manchester et de Salford :
{{) Texte en anglais, Labour Gazette, nov. 1894, p. 336 et 337. —
Traduction française, de Rousiers, Le Trade-Unionisme en Angle-
terre, p. 63.
Une mention spéciale des contrais collectifs est faite, dans la La-
bour Gazette, depuis février 1896 : une rubrique spéciale donne le
compte rendu des plus importants contrats collectifs entre les repré-
sentants des patrons et des ouvriers, où la médiation des tiers ne
s'est pas produite.
Cf. Dans le Report on changes in rates of icages and /tours of
labour, 1899, une liste de tous les contrats collectifs existants dans le
Royaume uni, p. ±*0.
(2) Texte Labour Gazette, mai 1896, p. 443.
102 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
Co^T^AT de t7'avail délibéi'é et ar7'êté conjointement paj- l'associa-
tion des patrons et l'association des ouvriers du district de Man-
chester et de Salford, exécutoij^e à partir du 17 juin 1895 :
I. — Salaires. — Le taux du salaire est de 90 centimes l'heure.
II. — Heures de tj^avail. — Le temps de travail pour les ouvriers
travaillant tant au dedans qu'au dehors, sera réglé comme suit : du
1er mars (ou du 29 février, suivant le cas) au 31 octobre inclusive-
ment, on travaillera le lundi, de 7 heures du matin à 5 1/2 du soir,
avec un arrêt d'une demi-heure pour le déjeuner, et un arrêt d'une
demi-heure pour le dîner.
Les mardi, mercredi, jeudi, vendredi, on travaillera de 6 h. 1/2 du
matin à 5 heures du soir, avec les mêmes arrêts.
Le samedi, on travaillera de 6 h. 1/2 du matin à midi, avec un
arrêt d'une demi-heure pour le déjeûner : soit un total de 52 heures
par semaine.
Du 1er novembre au 28 février inclusivement, le travail commencera
de 7 heures du matin et cessera à 5 heures dn soir, pendant les cinq
premiers jours de la semaine, et durera le samedi de 7 heures du ma-
tin à midi avec les arrêts déjà indiqués, soit 47 heures par semaine.
m. — Heures des repas. — Les heures des repas seront ainsi fixées :
déjeuner de 8 heures à 8 h. 1/2 ; diner de midi à une heure. L'em-
ployeur devra, dans tous les cas, procurer de l'eau chaude aux ouvriers
pour leurs repas.
IV. — Heures pour commencer l'ouvrage. — Tout ouvrier qui ne
commencera pas son travail à l'heure fixée le malin, sera autorisé à
le commencer à 7 heures, 8 h. 1/2 et 1 heure en été, à 7 h. 1/2, 8 h. 1/2
et 1 heure en hiver, pourvu qu'il fasse sa déclaration lui-même au
contre-maître ou surveillant.
V. — Heures supplémentaires. — Les heures supplémentaires
seront comptées à partir du temps fixé par ce règlement pour quitter
le chantier. Elles seront payées un quart en sus pour les deux pre-
mières heures, moitié en sus de 7 h. 1/2 à minuit et le double de
minuit au commencement de la journée suivante. On comptera dou-
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 103
ble aussi tout le travail exécuté entre 4 heures du soir le samedi et
7 heures du matin le lundi, ainsi que le jour de Noël. On comptera moi-
tié en sus pour le travail exécuté le samedi de midi à 4 heures du soir.
VI. — Travaux éloignés. — Tous les ouvriers travaillant dans un
rayon d'un mille autour de Saint-Ann's Square commenceront leur
journée à l'heure fixée par l'article 2. Tous ceux employés au-delà de
cette distance auront droit de se faire payer comme temps de travail
le temps employé pour se rendre au chantier, à raison de 20 minutes
par mille au plus, à partir des limites sus-indiquées. On les indemni-
sera aussi pour le temps employé à changer de chantiers pour le môme
employeur.
VII. — Travail à la campagne. — Clause 4 : Les ouvriers qui vont
travailler à la campagne quitteront leur résidence par le train ou
autre moyen de transport le plus rapproché de l'heure d'ouverture et
reviendront le samedi par le train le plus rapproché de l'heure de
clôture ; s'ils ne sont pas payés sur le chantier, ils devront l'être au
bureau du patron à midi. Ceux qui travaillent à plus de 3 milles
des limites et à moins des io milles de la ville recevront 3 schillings
(3 fr. 75) par semaine comme indemnité de logement, plus le prix de
leur voyage chaque semaine ; ceux qui travaillent à plus de 15 milles
de la ville et à moins de 30, recevront 3 schillings par semaine pour
logement, 2 schillings de surpaie pour le dimanche, et le prix de leur
voyage une fois par quinzaine ; mêmes conditions pour les chantiers
situés entre 30 et 50 milles, sauf que le prix du voyage ne sera donné
à l'ouvrier qu'une fois par mois. Au-delà de 50 milles, les autres con-
ditions restent les mêmes, les dépenses du voyage feront l'objet d'un
contrat spécial .
Clause 2 : On ne tiendra compte en aucun cas des billets hebdoma-
daires d'ouvriers délivrés par les Compagnies de chemins de fer ou de
tramways. Dans tous les cas où les salaires de la ville où les ouvriers
sont demandés seraient plus élevés que ceux du district de Manches-
ter, ces salaires seront exigibles : au contraire, les plAtriers de .Man-
chester recevront le salaire de leur district partout où les salaires
en usage seraient moindres.
(Suit une énumération des rues de chaque faubourg où passent les
limites indiquées plus haut).
104 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
VIII. — Moment de la paie. — Là où les hommes sont payés sur le
chantier ils travailleront le samedi jusqu'à midi ; sinon ils doivent
être au bureau à l'heure de la clôture des chantiers. En tout cas le
temps de déplacement sera compté à 3 milles par heure ; le patron
commencera à payer à midi, ou bien il indemnisera les ouvriers pour
le temps qu'il les fait attendre.
IX. — Contre-maîtres. — Tout plâtrier chargé d'un chantier rece-
vra au minimum un demi-penny (0,05) par heure en plus du salaire
courant, quelque soit le nombre d'ouvriers qu'il ait sous sa surveil-
lance ; il ne sera pas autorisé à payer les salaires, à moins que le
compte de chaque ouvrier ne soit établi d'avance sur des feuilles por-
tant l'entête imprimé du patron. Seuls les plâtriers occuperont cette
situation de contre-maîtres.
X. — Travail de plâti'ier. — Aucune autre personne qu'un plâ-
trier ne sera autorisée à exécuter une partie quelconque du travail de
plâtrerie. Ce travail comprendra le battage ou tout procédé destiné à
le remplacer, la mise en place des moulures d'ornements (qui doivent
être faites également par des plâtriers membres du syndical) les tra-
vaux de ciment, la préparation des surfaces destinées au pavage en
bois, le carrelage, les revêtements de muraille en faïence. On ne s'op-
posera pas à laisser exécuter par des cimentiers les pavages et les
marches .
XI. — Notification de 7'envoi. — Tout patron désirant congé-
dier un ouvrier doit le prévenir une demi-heure avant la fin de la
journée, faute de quoi il lui paiera une demi-heure en sus. Quand
un ouvrier a reçu son congé, le patron doit lui payer immédiate-
ment le salaire dû où lui compter le temps pendant lequel il le fait
attendre .
XII. — Apprentis. — Les enfants entrant dans le métier ne doi-
vent pas avoir plus de 16 ans et seront liés à leur palron par un con-
trat authentique d'apprentissage. On stipulera dans ce contrat la
faculté pour l'apprenti d'assister aux cours techniques du mélier.
Aucun patron n'aura plus de 3 apprentis à la fois, excepté dans la
dernière année du plus âgé où il pourra en prendre un quatrième, la
préférence étant donnée au fils d'un plâtrier syndiqué.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRK 105
XIII , — Matériaux. — Dans tous les cas, les entrepreneurs devront
fournir les matériaux ; le fait d'acheter ces matériaux directement ou
indirectement de celui au compte duquel on bâtit, sauf le sable, sera
considéré comme exclusif de la qualité d'entrepreneur. Le syndicat
peut exiger la preuve de l'achat des matériaux, s'il le juge à propos.
XIV. — Demande de modification . — Toute demande de modifi-
cation, venant, soit des patrons, soit des ouvriers, doit être adressée six
mois à l'avance par écrit, au secrétaire de l'association des ouvriers
ou des patrons. Il sera loisible à celte association d'abréger ce délai de
six mois.
Suit la détermination des frontières du district où celte convention
est exécutoire.
Signé au nom de l'Association des Signé au nom de r.^ssocialion des
Patrons : Ouvriers :
James Fergussox, président. Thomas Leck, président.
Thos BoLLAND. John Kexgswooo.
Richard Higsox and son. Richard Piluxx.
John Potter Ke.vworthy. William-H. .\.\derton.
HoRSFiEi.D and sou. Charles-Mac Larex.
Daniel Dooley. Edwin Ixgle.
John Cantrill, secrétaire. M. Deller, secrétaire. (1)
Comme on peut le voir, c'est là un contrat collectif des
plus complets.
On peut signaler de même un contrat collectif du 7 fé-
vrier 1898, entre les patrons ardoisiers et tuiliers de Lei-
cester et la branche de Leicesterdes Amalgamaled Slaters
and tilers of England, ardoisiers et tuiliers réunis d'An-
gleterre (2).
(1) Traduction de Rousiers. Ex. circulaire Musée social, 1, série A,
p. 74.
(2) Cf. Report du Standard pièce rates of tcag es, 1900, p. 1.
i06 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV
En résumé le contrat collectif est très répandu dans
l'industrie du bâtiment : il tend môme à devenir en quel-
que sorte, sous l'action des administrations publiques et
des municipalités qui en imposent les clauses aux entre-
preneurs môme non contractants (1), la coutume du mé-
tier.
II. — Industrie des Mines.
Le contrat collectif est aussi fort répandu dans l'indus-
trie minière : ces contrats sont passés soit par la Miners'
Fédération of Great Britain qui comprend la plupart des
mineurs anglais, soit par la Miners National Union qui
unit les ouvriers du Durham et du Northumberland: par-
fois aussi c'est une Union locale qui passe un contrat avec
un patron isolé (2).
En somme la liste de prix uniforme nationale n'est pas
encore faite pour les mineurs : il n'y a pas de tarif univer-
sellement reconnu applicable à un district tout entier (3),
(1) Voir à ce sujet, De Rousiers, op. cit., p. 71.
(2) Cf. De Rousiers, Minute of Agreement between the Right Ho-
nourable the Earl of Rosslyn and the Fife and Kinross Miners'
Association, p. 217.
(3) Voir le texte de quelques-uns de ces contrats, R. of. Tr. L. Dép.
Report on standard pièce rates, 1900, p. 3-!7.
Le dernier contrat collectif passé le 16 janvier 1900 par la Mi-
ners' Fédération donne bien à cet égard une impression exacte de
l'aspect du contrat collectif dans le métier : la Fédération se contente
de fixer les limites entre lesquelles oscillera le salaire fixé par les co-
mités de district : en voici le texte :
lo Considérant que les parties sont d'accord pour proroger les pou-
voirs du Comité, à dater du 1er janvier 1901 (date de l'expiratioD du
précédent accord) pour une nouvelle période de trois années, avec
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 107
à cause do la grande variété des circonstances de l'extrac-
tion du charbon.
Aussi en général quand par conlrat collectif on établit
pour tout le n)élier ou pour une région seulement des aug-
mentations ou des réductions de salaires, on la base non sur
un taux uniformément reconnu, mais sur les taux en usage
dans chaque houillère.
Deux particularités sont à signaler :
D'une part dans le Northumberland et le Durham on a
poussé plus loin Tunification du contrat collectif par l'éta-
blissement de moyennes de comté {coimiy averages) qui
servent d'indication dans la confection des listes de salaires :
une liste imprimée applicable à une mine seulement est
le même minimum de salaires et en portant le maximum à un
taux supérieur de 60 0/0 au taux des salaires de base (de 1888),
le taux actuel des salaires des ouvriers du fond sera augmen-
té, à partir du premier jour de travail de janvier, d'une somme
égale à 5 0/0 du salaire de base, cette augmentation devant être
payée le premier jour de paie consécutif à la signature du présent
accord ;
2o Pour une nouvelle période à dater du 1er janvier 1901, le taux
des salaires ne pourra être inférieur à un salaire dépassant de 30 0/0
le salaire de base (1888), ni supérieur à un salaire dépassant de 60 0/0
ce salaire de base ;
3o Pendant celte période de trois années (1er janvier 1901-1904) le
taux des salaires des mineurs du fond sera fixé par le Comité de con-
ciliation dans les limites indiquées ci-dessus ;
4o Le comité de conciliation restera en fonctions, avec la même
composition et la même procédure, du !«' janvier 1901 au 1er janvier
1904;
11 a été en outre décidé à l'unanimité de recommander aux exploi-
tants (sans aller jusqu'à les y obliger) d'étendre l'augmentation de
5 0, 0 aux ouvriers de la surface occupés sur le carreau de la mine et
dans les criblages ».
108 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
alors élaborée par un mécanisme de comités mixtes qu'on
étudiera plus loin.
D'autre part dans certains cas le contrat collectif est
établi sous forme d'échelle mobile. (Galles du Sud).
Dans quelques autres industries extractives il y a pareil-
lement de nombreux contrats collectifs : le principe de
l'échelle mobile y domine; le salaire suit les variations du
prix de vente du produit, ainsi le prix d'extraction d'une
tonne de pierre à chaux est payé aux carriers d'après le
prix du saumon de fer.
m. — Industries métallurgiques (1).
Les hauts-fournaux présentent de nombreux exemples
de contrats collectifs : ici encore la base « standard » est
un certain prix de vente du saumon de fer : ce taux de
salaires varie avec ces prix de vente ; les contrats sont
établis par districts.
En général les ouvriers du fer et de l'acier sont régis
parle contrat collectif qui se présente le plus souvent sous
l'aspect d'échelle mobile.
La construction des navires est encore une industrie
où le contrat collectif est très répandu : les listes de prix
sont encore purement locales et il n'existe pas de listes de
salaires uniformes ; cela tient à la variété des diverses opé-
rations du travail, aussi en général le contrat collectif est-
il local et même particulier à un seul établissement (2).
(1) Cf. Id. Report, p. 21-86.
(2) Bien qu'il y ail une certaine ressemblance entre ces diverses
listes.
LK CONTRAT COLLKCTIt K.N A.NGLETERHK i09
IV. — Industries textiles.
Le contrat collectif existe depuis longtemps déjà dans
la filature du coton : les listes de Bolton et d'Oldham sont
les deux principales qui règlent les salaires ; celles-ci ont
graduellement remplacé les listes locales. De même dans
le tissage du colon, on est arrivé à une liste uniforme ; c'est
un véritable volume.
Dans l'industrie de la laine le contrat collectif est beau-
coup moins répandu et l'unification est loin d'être pous-
sée aussi loin.
Industries du vêtement. — L'introduction de la machine
dans la confection de la chaussure et du vêtement propre-
ment dit a profondément transformé ces industries qui
ont passé du type du métier à celui de la grande industrie :
avec la division du travail et la spécialisation des tâches,
le contrat collectif a gagné ces métiers ; des listes de prix
ont été confectionnées. .
Imprimerie. — Ici encore le contrat collectif n'a pas
gagné toutes les spécialités du métier, cependant il faut
signaler lintroduction d'un tarif pour le travail à la ma-
chine à imprimer qui est un des véritables succès du contrat
collectif.
Signalons enfin pour terminer cette trop longue liste
quelques essais importants de contrats collectifs dans les
industries d'alimentation (boulangers) de transport (con-
ducteurs de cabs de Londres) du verre et des docks : dans
cette dernière industrie d'ailleurs le contrat collectif a
beaucoup de peine à pénétrer.
Que faut-il conclure de cette rapide revue et que peut-
on retenir de cette étude des faits ?
110 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
Deux opinions nous semblent tout d'abord à écarter :
— le contrat collectif n'est pas coextensif dans son déve-
loppement à celui des Trade-Unions : c'est ainsi par exemple
pour n'en citer qu'un, que les villes s'eng-ag-ent souvent à
s'astreindre aux mômes règ-les que les entrepreneurs au cas
où elles emploient directement des ouvriers, c'est-à-dire à
observer le contrat collectif en usage dans le métier (1).
— le contrat collectif n'est pas coextensif à la grande
industrie (2), l'exemple de contrats collectifs, très répan-
dus dans l'industrie du bâtiment, est un argument irréfu-
table contre cette thèse.
Mais alors comment s'expliquer ce développement : au-
tant qu'on peut retrouver quelques régularités sous la
souplesse et la richesse de la vie, on peut, semble-t-il, le
voir dominé par trois idées :
a) Le contrat collectif a une tendance à se développer
dans tous les métiers où la concurrence joue à plein et est
la plus âpre et la plus rude ;
b) Le contrat collectif ne pénètre véritablement un mé-
tier que s'il rencontre une puissante organisation profes-
sionnelle, ou tout au moins s'il trouve une solidarité ou-
vrière active ;
c) Enfin il y a dans chaque métier certaines difficultés
techniques à l'établissement du nouveau régime et ces dif-
ficultés ne sont pas sans influence sur les progrès du con-
trat collectif.
(1) Ainsi pour le conseil de Comté de Londres : Cf. Ann. Report.
London County Council, 1892-1893, p. 102.
(2) C'est le point de vue contraire que soutient M. de Rousiers :
Cf. Le Trade Unionisme en Angleterre, chap. I, La nécessite du
groupement syndical .
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 111
à) Le contrat collectif, c'est là la première idée qui do-
mino son développement de l'autre côté du détroit, a une
tendance à se faire jour dans tous les métiers où la con-
currence joue à plein et est la plus âpre et la plus rude;
C'est ainsi que, toutes choses égales d'ailleurs, nous le
voyons plus répandu dans les métiers où les ouvriers sont
le plus nombreux, dans ceux où la machine vient dimi-
nuer la main-d'œuvre, dans ceux où le genre même de
travail permet la mobilité de l'ouvrier.
Parallèllement on constate que le contrat collectif s'est
développé dans des métiers où le salaire, par le fait de la
concurrence, était tombé extrêmement bas.
b) En second lieu, le contrat collectif — et c'est là une
remarque d'une portée générale — ne pénètre véritable-
ment le métier que s'il rencontre une puissante organisa-
tion professionnelle.
L'absence de contrats collectifs dans les métiers où sévit
encore le Sweating System en est la preuve manifeste.
L'échec partiel du contrat collectif dans le métier des
dockers en est une nouvelle confirmation.
Il est certain et sur ce point l'accord est à peu près una-
nime que les unions bien organisées sont actuellement
nécessaires pour la conclusion et le respect du contrat col-
lectif.
C'est ainsi que l'esquisse que nous avons donnée du
développement du contrat collectif correspond presque
point par point au tableau suivant qui donne la répartition
des unions entre les grands groupes d'industrie (1).
(1) Extrait du deruier rapport officiel sur les syndicats anglais
(18 décembre 1900), qui donne la situation au 31 décembre 1899.
112 PREMIÈRE PARTIE.
Industries.
Bâliment
Mines et carrières
Métallurgie : constructions mari li-
mes
Textiles
Vêtement
Typographes
CHAPITRE
IV
Noniliro
(les [JnioBs
des Membres.
0/0 ou total.
i'Mi
251.005
14
60
424.783
24
27-2
331.245
19
242
220.098
12
47
68.309
4
53
56 471
3
Au total 1,292 unions groupant 1,802,518 membres
représentent l'armée syndicale de l'Angleterre, pour la plus
grande partie favorable au contrat collectif.
c) Enfin, et c'est là la S"*® idée qui nous paraît dominer le
développement du contrat collectif en Angleterre dans les
divers métiers — il y a des difficultés tecliniques spéciales
à chaque métier qui influent.
L'essentiel d'une liste de taux des salaires est que cette
liste exprime le montant de la rémunération que doit rece-
voir un grand nombre d'ouvriers engagés dans le mé-
tier (1). Or le travail à la pièce est directement contraire à
cette exigence : parfois dans certains métiers la grande va-
riété des tâches de chaque ouvrier rend bien difficile, sinon
impossible, la confection des listes de salaires : c'est ainsi
par exemple que dans le métier de la mécanique, on n'a
pas constaté de tentative pour y établir une liste uniforme
applicable à toutes les usines mécaniques de chaque loca-
(1) Sur ce point Ch. Report ou Standard pièce rates ofwages and
sliding scales in the United Kingdom. 1900. Board of Trade (L. D.).
Préface.
I.K COMHAT COLLKCTIF KN A.NGLKTERBK H3
lilé (i). II en est de même dans l'ameublement, la coutel-
IcM'ie et (|uel(|uos autrt's métiers à métaux moins importants.
Par contre la diversité des articles produits n'est pas un
obstacle du nième genre à la confection du contrat collec-
tif : c'est seulement une difficulté sérieuse qu'on arrive à
vaincre comme le prouvent les exemples des listes de sa-
laires dans les industries de la bonneterie et de la chaus-
sure. Ici en effet les articles produits sont uniformes, ne
varient pas d'un établissement à l'autre ; on fixe un mo-
dèle (pattern) en fonction duquel sont établis les divers
tarifs du travail aux pièces.
On pourrait alors se demander si certains métiers seront,
en vertu de ces considérations techniques, indéfiniment
rebelles à l'introduction du contrat collectif.
L'exemple Anglais ne semble pas autoriser l'affirmative:
c'est ainsi que dans deux industries, la filature du coton et
les mines, on est arrivé à tourner la difficulté indiquée par
l'introduction du « county average » moyenne de comté :
on entend par là d'une manière générale un certain salaire
convenu rémunérant un travail de moyenne efficacité.
Ainsi dans les mines, quoique le prix de la tonne payé aux
fendeurs varie presque indéfiniment de houillère à houil-
lère et même de veine à veine dans le même puits, suivant
la nature du charbon et les conditions de l'exploitation, les
taux de tonnage par tout le comté sont ainsi fixés que cha-
que mineur puisse obtenir un certain salaire convenu, qui
est précisément la moyenne du comté, counlij average.
Il y a là une série de difficultés spéciales des plus inté-
ressantes qui forment pour ainsi dire la partie technique du
(1) C'est alors tout au plus le contrat collectif particulier à une usine,
la liste d'usine, qui est possible .
RAYNAUD 8
il4 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV
problème : malheureusement les difficultés de traduction
de l'anglais technique des tarifs spéciaux ne nous ont pas
permis d'insister autant que nous l'aurions voulu, sur cet
aspect de la question.
Après avoir ainsi, par une vue quelque peu rapide,
aperçu le domaine fort vaste du contrat collectif en Angle-
terre, il nous faut étudier une triple question :
Quel organisme s'est-il créé ?
Quels résultats économiques et sociaux a-t-il donnés (1) ?
Et enfin quelles sont les causes de cet extraordinaire
développement?
I II. — Organisme du contrat collectif.
Il nous faut maintenant étudier de près et d'une ma-
nière abstraite en quelque sorte, en prenant les exemples
comme des mécanismes types, l'organisme du contrat
collectif.
Rien n'est plus souple et plus divers, plus délicat et plus
complexe que cet organisme du contrat collectif ; pour
s'en rendre compte, il suffit de se rappeler que le contrat
collectif étant l'idéal de l'organisation professionnelle,
celle-ci cherchera sans cesse à le réaliser, de là une infi-
nité d'espèces et de variétés. Une étude descriptive de tous
ces procédés serait donc des plus intéressantes mais aussi
par trop dispersée.
(1) Voyez déjà en ce sens : Schwiediand : un pi-ojet de loi français
sur les soi-disant Conseils de conciliation. {Revue if Economie politi-
que, 1896, p. 324).
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 115
D'autre part, on ne saurait instituer un examen compa-
ratif de ces divers organismes pour discuter quel est le
meilleur d'une manière absolue : c'est ce que font dans un
remarquable chapitre sur la méthode du contrat collectif,
Béatrice et Sidney Webb : à leur sens, il faut soigneuse-
ment séparer la formation d'un contrat collectif et son
application : ce sont là deux tâches nettement distinctes
qui exigent des qualités bien différentes et qui doivent être
confiées à deux organismes séparés ; à cet égard la perfec-
tion leur parait être atteinte dans l'industrie du coton du
Lancashire (1) : l'application d'un contrat collectif exis-
tant y est réservée à des experts professionnels, nommés
respectivement par les patrons et par la Trade Union (2) ;
la conclusion ou la révision est confiée à un Comité
mixte, composé d'un certain nombre de représentants de
chaque parti.
Ce point de vue ne nous semble pas exempt de critiques.
D'abord il est douteux, étant donné le mécanisme même du
contrat collectif, qu'on puisse ainsi toujours et dans tous
les cas séparer aussi rigoureusement la formation et l'appli-
cation du contrat : c'est là évidemment une tendance heu-
reuse, mais bien souvent la nature des choses s'y oppose:
c'est ainsi que dans les métiers où le contrat collectif ne
peut guère porter que sur la fixation d'une moyenne (3),
on ne saurait dire que l'application de cette clause soit
distincte de la formation du contrat : il v a là si l'on veut
{{} Cf. Webb, Indus trial Democracy. Method of collective
Jiargainitig .
(2) Cesl pour le recrutement de ces agents que la Trade Union a
établi un véritable système de concours.
(3) Ëa raison de la diversité des opérations techniques.
116 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
la base du contrat pour tous les ouvriers, mais son appli-
cation même sera la formation du contrat pour chacun
d'entre eux. C'est ainsi que parfois certaines modifications
au contrat, qui sont au fond des modifications de tarif de
salaires, se présentent sous l'aspect d'une modification
dans les conditions d'application du contrat, ce qui relève
bien de la science des experts professionnels. Enfin, et
c'est là à notre point de vue l'objection fondamentale — on
ne saurait déclarer d'une manière uniforme tel ou tel type
d'org^anisme meilleur qu'un autre ; tout dépend des con-
ditions techniques du métier et des positions respectives
de l'Association professionnelle patronale et ouvrière.
Comment alors étudier cet organisme, si nous ne pou-
vons entreprendre ni l'étude descriptive, ni l'étude com-
parative des institutions existantes : le plus simple et le
seul mode d'études permis nous semble être alors l'étude
analytique.
En présence du contrat collectif tel qu'il fonctionne en
Angleterre, on ne peut que poser des correspondances idéa-
les et théoriques, indiquer d'une manière abstraite ce
qu'exige le contrat collectif idéal et marquer de quelle
manière ces exigences ont tendance à se réaliser dans la
pratique.
. Or à ce point de vue, la réalisation du contrat (1) col-
lectif implique un double mécanisme, un mécanisme éco-
nomique et un mécanisme professionnel et technique.
Cela résulte de la nature même du travail industriel :
(1) Nous laissons absolument de côté dans cette partie les condi-
tions nécessaires pour que le contrat collectif s'introduise dans un
métier (voir plus loin : causes de développement) ; nous l'étudions en
lui-même dans son élaboration intime, une fois le principe accepté.
LE CONTRAT COLLKCTIP EN ANGLETERRE 117
celui-ci est une certaine tâche professionnelle accomplie
dans des conditions déterminées contre une certaine rému-
nération en argent. Or d'une part, fixer un niveau de sa-
laires ou le modifier, déterminer le nombre d'apprentis,
fixer la durée de la journée de travail et le nombre des
heures supplémentaires, etc.. autant de questions écono-
miques ; d'autre part, établir la manière de calculer la
tâche correspondante au salaire fixé, aménager l'atelier
pour assurer le respect des conditions de durée du travail,
etc..,., sont autant de questions techniques profession-
nelles.
Tels sont les deux pôles, opposés qui dominent toute la
question ; il est certain que tout ce qui touche au côté
technique, professionnel, pousse à la spécialisation de l'or-
ganisme du contrat collectif; et que d'autre part tout ce
qui se rattache à la fixation du taux du salaire et à la vie
économique de l'usine tend à rester le privilège et l'apa-
nage personnel des intéressés.
Le problème du contrat collectif consiste précisément
à poursuivre cette idéale proportion du salaire au travail,
qui réalisera à la fois la justice et.le « standard of life ».
Ainsi pour tout ce qui concerne le mode de fixation du
travail à accomplir, pour tout le mécanisme technique, il
y a tendance des parties à s'en remettre à autrui.
Au contraire pour tout ce qui touche à la fixation du
taux du salaire, la tendance est de retenir cette attribution
fondamentale.
Précisons ces idées par une double étude : d'une part,
l'étude de l'objet de plus en plus large du contrat collectif;
D'autre part, l'étude des modifications possibles au con-
trat collectif et de leurs modes de réalisation.
Au premier de ces deux points de vue, on peut dire que
118 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV
la spécialisation de l'organisme du contrat collectif n'appa-
raît que fort tard et d'une manière exceptionnelle : ce con-
trat collectif est normalement conclu par le président et
le secrétaire de la Trade-Union, représentant des ou-
vriers (1).
Une première ébauche de spécialisation a lieu par la
création de Comités permanents, ainsi les comités de dis-
trict de l'Amalg-amated society of Engineers (mécaniciens) :
ils sont ordinairement formés d'ouvriers délégués par leurs
camarades qui travaillent en temps ordinaire au métier et
ne prennent que temporairement leur qualité de négocia-
teurs (2).
Un deuxième degré dans la spécialisation de cet orga-
nisme consiste dans la création à' agents spéciaux^ salariés
par la Trade-Union. Cette évolution est aujourd'hui accom-
plie dans les Unions les plus puissantes (3) : aussi le plus
grand nombre des contrats collectifs est-il passé par des
organes appropriés, divers suivant les industries mais tous
spécialisés dans cette fonction. Or l'évolution s'est précisé-
ment faite sous l'empire des difficultés très sérieuses que
créait l'élaboration d'un tarif de salaires aux pièces : la
fonction professionnelle a ici créé son organe.
Mais malgré cette spécialisation l'aspect économique du
(1) Soit de la branche locale, soit de la société nationale (Ex. : Uni-
ted Society of Plumbers).
(2) L'inconvénient est le peu de compétence énonomique de ces dé-
légués : cela n'a pas grande importance quand le contrat ne porte que
sur une augmenlatalion ou une diminution d'un tant pour cent que
les ouvriers raliflenl.
(3) C'est le cas dans les industries du coton, du charbon, du fer,
de la chaussure, de la cordonnerie, de la bonneterie et de la passe-
menterie, etc.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE H9
problt'Tiio n'a pu être écarté et a fini par remporter : l'es-
sentiel (lu mécanisme consiste toujours en des délégués
des patrons et des ouvriers, des ambassadeurs qui ont
mission de conclure le traité (1). L'établissement de ses
clauses relève essentiellement de la volonté personnelle
des parties (2).
Les contrats collectifs établissant une échelle mobile et
les Alliances sont deux nouvelles preuves de ces oscilla-
tions entre deux tendances opposées.
Dans l'échelle mobile (3), en subordonnant les taux de
salaires aux prix de vente, les parties essayent précisé-
ment de supprimer la partie économique du problème.
Mais elles ne lardent pas à se rendre compte que ce n'est
là qu'un leurre et une illusion. La défaveur relative qui a
atteint récemment l'échelle mobile en Angleterre où elle
est plutôt en recul, tient précisément à ce que dans
ce système, l'aspect économique du problème est sacrifié
à son côté technique: le patron consentant seul le prix de
vente est ainsi seul maître du salaire et les échelles ne
donnent pas assez fidèlement les conditions du marché.
(1) Ceux-ci se réunissent ordinairement en comités mixtes (chaus-
sures, mines, etc..)
(2) C'est pourquoi l'arbitrage réussit mieux pour un conflit né et
actuel, pour une interprétation de tarifs existants que pour l'élabora-
tion de tarifs nouveaux. Nous pouvons ainsi préciser les rapports de
l'arbitrage et du contrat collectif : on peut dire d'une manière géné-
rale que l'arbitrage est une source de contrats collectifs : pour tout ce
qui concerne le mécanisme professionnel, l'arbitrage est possible et
fonctionne heureusement : mais la nécessité de réserver aux parties
seules toute la part économique du contrat pose une limite variable
mais certaine à l'action possible de l'arbitrage.
(3) Cf. sur l'échelle mobile en général : L'échelle mobile de salaires
en Angleterre, M. Munro {Revue d'Econ. polit., avril 1891).
120 PREMIÈRK PARTIR. — CHAPITRE IV
Un nouveau perfectionnement au point de vue de l'or-
ganisme que nous étudions est apporté parles alliances(l):
l'accord est ici poussé beaucoup plus loin, puisque non
seulement les parties (association patronale et association
ouvrière) se mettent d'accord sur le taux des salaires mais
encore déterminent ensemble les prix de vente d'oij dé-
pend le taux des salaires.
Un ing-énieux système de primes fixées par accord entre
patrons et ouvriers permet d'assurer en présence d'une
augmentation de profit une augmentation proportionnelle
des salaires : les deux parties retrouvent ici en quelque sorte
leur autonomie économique (jui était profondément atteinte
par l'échelle mobile. L'organisme ainsi perfectionné qui
s'est établi depuis 1890 dans diverses sections de l'indus-
trie de Birmingham (staple industry) semble marquer le
point culminant de l'évolution du mécanisme du contrat
collectif à cet égard (2) : c'est à ce point de vue une des
plus heureuses solutions de l'opposition indiquée.
(1) Nous n'envisageons ici que le contrat collectif de travail dans
les alliances : la question est beaucoup plus large : sur les alliances en
général Cf : Smith The new Ti'ades combination movement, 4895 ;
W. S. Davis, article sur les alliances dans le Birminghatn and
District Trades Journal, juiUet 1896.
(2) Les termes de l'alliance entre l'association Bedstead and Fen-
der mount 7nanufactu7'e7's {îahvicani de bois de lit et de montures de
garde-feu) et les ouvriers de l'union ouvrière sont typiques de tous ces
contrats : « L'objet de l'alliance sera l'amélioration des prix de
vente et la réglementation des salaires sur la base des prix de vente...
pour assurer ainsi de meilleurs profils aux fabricants et de meilleurs
salaires aux travailleurs. » Pour assurer ce résultat, les pati'ons elles
ouvriers s'engagent à s'unir contre tout fabricant qui vend au-dessous
du prix convenu ou essaye de réduire les salaires. Cette entente com-
prend un engagement de la part des fabricants de ne pas employer
d'autres ouvriers que ceux de l'association (au-dessus de 21 ans) sauf
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE \2{
Ainsi, à ce premier point de vue, il apparaît que dans
la création de l'organisme du contrat collectif, Taspect
technique du problème pousse à la spécialisation, alors que
l'aspect économique tend à réserver aux parties la décision
suprême. Cette sorte de contradiction interne n'est pas
une des moindres difficultés du contrat collectif.
Elle apparait de la même façon et explique de la même
manière la diversité des modes de révision des contrats
collectifs.
Dans le grand nombre des modifîcations possibles, on
peut, sembie-t-il, distinguer :
a) Les modilioalions apportées au point de vue tech-
nique :
b) Les modifications faites exclusivement au point de
vue économique (1).
En effet, un contrat collectif pas plus qu'un contrat indi-
viduel, ne peut prétendre subsister toujours; il doit s'adap-
ter aux conditions générales de l'industrie : or précisément,
pour réaliser cette adaptation, deux procédés sont pos-
sibles :
On peut ajouter ou faire des modifications aux tarifs
portés sur la liste.
par conventions spéciales avec l'association des ouvriers et de la part
des ouvriers de ne travailler que pour les fabricants qui vendent leurs
produits aux prix tels qu'ils sont déterminés de temps en temps par
un Bureau de Salaires (Wages Bureau) formé par un nombre égal de
patrons et d'ouvriers. « Le boni payé aux membres de l'association
ouvrière sera augmenté de 5 0,0 pour chaque augmentation de 10 0/0
sur les prix de vente actuels. »
(l) 11 est bien entendu que dans les deux cas la modification de
salaires aura une conséquence économique ; ce qui permet d'établir
ici la distinction, c'est la manière de réaliser cette modification.
122 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV
On peut seulement convenir de l'addition ou de la dimi-
nution d'un tant 0/0 aux tarifs primitifs.
Le motif de la modification est bien différent dans les
deux cas : « Dans le premier, les deux parties au contrat
de salaire l'acceptent sans mettre en question le niveau
général des salaires sur lequel la liste est basée ; une partie
où l'auti'e affirme que celle-ci demande à être revisée sur
certains points, soit parce que le tarif omet de fixer le prix
pour une tâche particulière, soit parce qu'on trouve que
certaines fixations spécifiées dans la liste ne correspondent
pas exactement à sa base générale ;
« Dans le second cas, la correspondance entre la hausse
et les divers prix de la liste n'étant pas discutée, les patrons
et les ouvriers peuvent désirer que les taux soient mo-
difiés pour obtenir une augmentation générale ou une di-
minution de salaires (1). »
Etudions avec quelques détails ces deux types de modi-
fications possibles, que nous appellerons pour abréger la
modification technique, et la modification économique .
A. — Modifications techniques.
Ces modifications interviennent :
Uahord au cas où le tarif en vigueur omet de men-
tionner le prix pour une tâche donnée. — C'est une cir-
constance qui se présente fréquemment dans l'industrie
de la chaussure: dans celte industrie le tarif des prix à la
pièce à payer pour la mise à la forme et le finissage de
chaque genre de chaussures est fixé par rapport à un type
(l)Lab. Department. Report of 1900. Construction et détails des
tarifs établis par contrats collectifs.
LE CONTRAT f.OLLECTIP EN ANGLETERRE 123
moyen {une chaussure type) adopté par le Bureau de con-
ciliation et d'arbitrage (1): une nouvelle sorte de chaus-
sures est-elle introduite par un fabricant, un spécimen en
sera porté au Bureau, qui le rapproche du type moyen et
(ixe le tarif auquel le nouveau modèle sera mis en forme
et fini ; dans cette fixation, le Bureau se réfère au type le
plus ressemblant au nouvel article.
Ensuite au cas où les conditions du travail ont changé
depuis la confection du tarif.
Ainsi dans les mines du Northumberland il y a lieu de
procéder souvent à des réajustements de tarifs: il se trouve
que les njineurs tout en travaillant avec une adresse
moyenne ne sont plus capables, en raison des circonstan-
ces techni(jues de l'extraction, de se faire le gain hebdo-
madaire égal à la somme adoptée dans le contrat collectif
comme « moyenne du comté». Ils demanderont alors au
Comité mixte que pour les rendre capables de se faire de
nouveau le salaire moyen, le taux payé pour l'extraction
du charbon soit élevé en proportion. Le Comité, s'il trouve
les faits suffisamment établis, élèvera alors le taux de
tonnage en conséquence (2).
Dans les deux cas, on le voit, c'est une question techni-
(1) Voir par exemple l'analyse des procès-verbaux du London
machinesetcn Board (tasters and Finishers). Report on Stn'kes and
Lock-outs, 1898, p. 92.
(2) Il se trouve précisément que celte révision dans les mines du
Northumberland est confiée à un Comité mixte et non à des experts
professionnels : c'est là au dire de S. Webb, une machine trop encom-
brante qui implique des lenteurs et des complications : ceci s'explique
à notre avis précisément parce qu'on n'a pas tenu compte de la diffé-
rence entre la partie professionnelle et la partie économique du con-
trat.
124 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
que, professionnelle qui est discutée : il y a plutôt applica-
tion au sens large du taux de salaires convenus que modi-
fication à ce taux de salaire : aussi dans ces deux cas et
dans les cas analogues, ce sont des comités mixtes ou des
bureaux de conciliation et d'arbitrage qui interviennent.
Patrons et ouvriers peuvent ici sans inconvénients cons-
tituer au contrat collectif un organisme spécialisé.
B. — Modifications économiques.
Il en est tout autrement au cas de modifications écono-
miques;\\ç\ il s'agit avant tout d'une modification (augmen-
tation ou diminution) dans le taux des salaires ou bien
d'une diminution dans le temps de travail.
Deux cas sont alors à distinguer :
La révision est conventionnelle ou automatique.
A. — Révision conventionnelle : Le plus souvent le
contrat collectif existant prévoit le mode de révision :
dans la plupart des industries, la révision s'effectue par
des négociations faites dans des conférences entre patrons
et ouvriers se rencontrant quand l'occasion l'exige.
Il est intéressant de voir une de ces conférences mo-
mentanées à l'œuvre. L'assemblée historique qui siégea
toute la nuit, termina le grand conflit de 1893 et conclut
le contrat adopté dans le métier, a été vivement décrite
par un des agents de la Trade-Union (1) qui y prit part.
Les patrons avaient demandé une réduction de 10 0/0,
tandis que les ouvriers préconisaient qu'il serait meilleur
de réduire le nombre des heures de travail par semaine.
(1) Hoio matters were arrangea. Cotton Factory Times, 31 mars
1893.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 425
L'arrêt de rindustrie n'avait pas duré moins de 20 semai-
nes, chaque fabrique dans toute l'industrie étant fermée.
Les sentiments des deux partis étaient très montés, mais
après de fréquentes négociations elles commentaires inces-
sants des journaux, les points à résoudre avaient été res-
treints et les deux partis sentirent le besoin de mettre fin au
confit. Pour échapper à la foule des journalistes, le lieu de
rassend)lée fut tenu secret et fixé pour 3 heures dans un
hôtel du pays auquel tous les partis se rendirent ensemble
par le même train.
Du coté des patrons étaient M. A.-E. Rayner (ici les
noms).
M. Rayner est nonmié président à l'unanimité. Les deux
partis avaient préparé et fait imprimer une série de propo-
sitions que les patrons avaient réunies côte à côte sur la
même feuille ; il n y avait pas grande différence entre ces
propositions.
La clause ayant trait à la réduction étant la première
dans leurs feuilles, les patrons en avaient laissé le montant
en blanc, tandis que les ouvriers avaient mis 2 1/2 0/0.
Les patrons voulaient renvoyer la discussion sur ce point
à la fin de la réunion, mais sentant, qu'à moins d'un ac-
cord sur ce point, tout le temps dépensé à discuter d'autres
clauses serait perdu, les ouvriers insistèrent pour qu'il
fut discuté en premier lieu. Les patrons alors se retirèrent
et après une absence de quelque temps rentrèrent et offri-
rent d'accepter une réduction de 3 0/0.
Les ouvriers alors se retirèrent à leur tour et, après une
absence prolongée, acceptèrent une réduction de 7 pence
la livre 2,916 0 0. Puis suspension pour le thé. La discus-
sion fut reprise sur le même sujet ; elle fut menée par le
126 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV
moyen de dépulations d'une section à l'autre, on trouva ce
moyen plus rapide que celui de longs discours en assem-
blée générale qui n'aboutissaient ordinairement à rien. On
s'arrêta enfin à sept pence ; quelques clauses de moindre
importance furent discutées. La discussion suivante por-
tait sur l'arrangement des intervalles de temps entre les-
quels les salaires ne pourraient être discutés ; elle dura
jusqu'à 10 heures: chacun alors étant fatigué et anxieux
désirait rentrer chez lui, mais comme il semblait y avoir
chance de se mettre définitivement d'accord, on considéra
qu'il ne fallait pas courir le risque de rendre la réunion
inutile en se séparant. Un ajournement d'une demi-heure
fut conclu pour donner aux membres exténués la faculté
de se rafraîchir. Le thé, une cigarette et un tour de pro-
menade remirent chacun et quand l'affaire fut résumée
cela alla sur des roulettes.
Les patrons parlèrent peu sur leur clause, que les unions
d'ouvriers devaient travailler en paix avec les ouvriers
non unis, et sur cette autre clause affirmant que dans tout
projet de changement du taux des salaires, l'état du
métier pour les trois années à prévoir, devait entrer en
compte.
Quand cela fut fini, les clauses restantes, affirmant le
désir commun des patrons et des ouvriers de travailler pour
favoriser les intérêts généraux du métier, furent bientôt
expédiées. Il était presque 4 heures du matin, lorsque les
membres exténués se précipitèrent pour prendre un léger
changement d'air, tandis que la convention était élaborée
avec un grand nombre de papiers (relatant les points parti-
culiers) mis en forme. A ce moment, un petit incident fut
causé par l'arrivée en voiture d'un journaliste de Manches-
LE CO.NTRAT COLLECTIF EN -ViNGLETERRE 127
1er qui, après avoir baltu tout le sud-est du Lancashire,
afin de découvrir le lieu de l'asseuddce, le trouvait enfin.
Six lignes de reportage ayant récompensé cette expédition,
il repartit s'en prendre à son journal. Aolieures juste, après
14 heures de séance, les documents étant prêts, les signatu-
res requises données, après quelques remarques élogieuses
et pleines de cœur du président, auquel il fut adressé un
vote de remerciements, la séance fut levée. (Traduit de
S. Webb, Ind. Democracy).
Ainsi, dans l'industrie du coton (filature et tissage),
les contrats collectifs sont conclus par des conférences
entre patrons et ouvriers. Il y a alors débat entre les
représentants appointés de tout le corps des patrons, ac-
compagnés de leurs agents et avocats, et le comité central
exécutif de V Amalgamaled Society coton spinners répré-
sentant toutes les unions de districts.
Ainsi de même dans la chaudronnerie où TUnited So-
ciety of Boiler-makers, passe le contrat avec les représen-
tants des patrons.
Parfois, au lieu de convoquer extraordinairement ces
assemblées, les contrats collectifs établissent des comités
mixtes (joint committees), corps permanents composés
de représentants choisis par les unions patronales et ou-
vrières, chargés de procéder à ces revisions de tarifs se
traduisant par des augmentations ou diminutions de tant 0/0
sur la moyenne de comté.
C'est le cas dans les mines du Durham, où a été créé
en 1895, un bureau de conciliation (1), se composant de
8 représentants choisis par l'association des propriétaires
(1) Cf. Report on Strikes and Lock ouïs, 1895, p. 150 ;' Labour
Gazette, qov. 1899, vol. VU, p. 328.
128 PRËMlÈRh: PARTIR. CHAPITRE IV
de mines et de 8 représentants choisis par les unions de
mineurs avec recours possible à un ari)itre.
C'est de même ce qui existe dans la fédération des dis-
tricts d'Angleterre et d'Ecosse : Lancashire, Yorskshire,
the Midlands, Bristol and Nortli Wales, Nortliumberland,
Soutii Straffordshire et East Worcestershire, plus tous les
districts d'Ecosse : le Board ot" conciliation est ici formé de
13 représentants de chaque côté, avec un président ayant
voix prépondérante.
Ainsi que les conférences se réunissent lorsqu'il y a
lieu ou que ces Gonn'tés permanenls soient au préalable
constitués, ce qui caractérise ces révisions et modifica-
tions économiques, c'est la nécessité où se trouvent les
patrons et les ouvriers de retenir ce consentement final
qui doit les obliger et modifier leur situation écono-
mique.
B. — Rédisiotis automatiques. — Pi'écisément pour
éviter la réunion fréquente de ces grandes conférences oij
tout l'avenir du métier pour ainsi dire est mis en jeu par
la question de guerre ou de paix, certaines industries ont
préféré assurer, par le contrat collectif, la révision auto-
matique des tarifs : c'est le cas des contrats collectifs éta-
blissant une échelle mobile.
Les salaires varient alors automatiquement et suivant
le prix de vente de certains produits :
Ainsi dans les mines de la Nouvelle-Galles du Sud c'est
le prix de vente du charbon extrait qui sert de régulateur
aux salaires.
Dans l'industrie des hauts fourneaux (1), l'échelle mo-
bile est basée sur le prix de vente du saumoa de fer.
(1) Districts de Cleveland, Cuhiberland et North Lancashire.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 120
Dans celle des travailleurs du fer et de l'acier (4), elle
est basée sur le prix de vente de rails d'un type déter-
miné.
Pour les pudleurs du nord de l'Angleterre, le salaire
suit exactement les variations du prix de vente du fer
fini.
Par ces diverses combinaisons, on a cherché à éviter
les modifications contractuelles trop fréquentes qui ris-
quent toujours d'échouer.
Mais ce système n'est pas sans soulever en Angleterre
même d'assez sérieuses critiques : elles se ramènent toutes
ou à peu près à ceci ; c'est que, par cet automatisme, ni
les patrons, ni les ouvriers ne sont plus maîtres de la
situation économique.
Ainsi et pour conclure sur le mécanisme du contrat
collectif, sa constitution et son organisation sont en quel-
que sorte dominées par deux points de vue opposés : la
nécessité dun organisme spécialisé, professionnel, pour
tout ce qui concerne la partie technique du contrat et la
nécessité non moins impérieuse de réserver aux parties,
comme dans tout contrat, le droit de donner le consente-
ment définitif, pour tout ce qui concerne la partie écono-
mique du contrat.
Oscillant sans cesse entre ces deux pôles, le méca-
nisme du contrat collectif s'élabore lentement comme on
l'a vu : cette difficulté technique du problème est loin
d'ailleurs d'être entièrement résolue.
Après cette double étude du domaine et de l'organisme
du contrat collectif, un troisième problème se pose : Quels
(1) Dislricls d'Ëslon, Barrow ; Nouvelle-Galles du Sud et Mon-
moutshire.
BATNAUD 9
130 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
ont été on Angleterre les résultats du contrat collectif? les
faits peuvent ici nous servir : il faut à tout prix les exa-
miner en détails.
I III. — Résultats du contrat coLLEcriF.
Le contrat collectif est une forme très souple dans la-
quelle on peut faire rentrer bien des clauses; on les peut
répartir en trois séries :
1° Les clauses relatives aux salaires et au temps de
travail, qui sont les clauses j)î^incipales ;
2° Les clauses secojidaires, relatives à divers points
moins importants du contrat de travail.
3" Les clauses abusives qui tendent à la limitation et à
la fermeture du métier.
1. — Clauses principales relatives aux salaires
et au temps de travail (1).
Il est certain que les clauses concernant les salaires
constituent toujours le point le plus important du contrat
collectif: entreprendre ici l'étude détaillée de cette clause
serait manifestement impossible.
Voici seulement à titre d'exemple, un spécimen de l'ac-
tion du contrat collectif sur le salaire dans une industrie
donnée.
Depuis l'adoption de la liste des fileurs de Bolton en
(1) Jusqu'en 1871 c'élaieiil les deux seuls objets pour lesquels la
coalition fut licite.
LB COiNTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE l3l
1858 les fluctuation
S ont été les
suivantes dans les listes
de prix :
1 lifts
dn MdifiraliHS.
■«■lut 4i thaiffMit.
liaintiM —
1838
Tarif adopté
Tarif (lisl)
1860
+ 3
+ 3
1861
— 5
Tarif
1866
+ 5
+ 3
1867
— 3
Tarif
1869
— 3
— 3
1871
+ 5
Tarif
1872
+ 3
+ 3
1874
— 3
Tarif
1873
+ 3
+ 3
1877
— 3
Tarif
1879
— 10
— 10
1880
+ 3
— 5
1885
— 5
— 10
1888
+ 3
— 5
1890
+ 3
Tarif
1900
+ 3
+ 5
On voit d'après ce tableau (1) et les variations de la liste
de prix qui afiFecte aujourd'hui 21,000 ouvriers à Bolton,
Chorley, Manchester, Reddish, Leigh et Fainworth, que
les listes de prix ont varié autour du tarif primitif {fuii
list priées) : on ne peut d'ailleurs en déduire aucune con-
séquence bien précise sur les salaires, il faudrait pour cela
étudier en détail les prix de la liste de 1858 et comparer,
en raison de la productivité du travail croissant, la tâche
journalière de chaque ouvrier.
(i) Labour Gazette, février 1900, p. 39.
13^
iPREMiERE PARTIE. CHAPITRE iV
C'est donc, on le voit par cet exemple, un travail qui
dépasse de beaucoup les limites de celte étude que celui
qui consisterait à étudier ces variations en détail : le pré-
sent exemple avait seulement pour but de faire compren-
dre l'importance capitale de cette clause concernant les
salaires.
Deux observations s'imposent cependant : Le plus sou-
vent, pour ne pas dire toujours, le contrat collectif établit
un taux de salaire minimum, directement parfois comme
dans le cas de la moyenne de comté, indirectement le
plus souvent par la fixation d'un tarif aux pièces : lorsque
ce salaire est fixé au temps, on a tout de suite un mini-
mum de salaires ; lorsqu'au contraire il est fixé aux piè-
ces, on ne fait que s'en rapprocher.
Il serait fort intéressant d'évaluer avec quelque rigueur
l'action du contrat collectif sur les salaires en Angleterre
pendant la fin du XIX" siècle : c'est là malheureusement
un travail qu'il est impossible de mener à bien, tant à
cause de l'incertitude et des lacunes des statistiques, que
des causes complexes qui agissent sur ces salaires.
De la même manière, les clauses relatives au temps,
soit pour la journée normale, soit pour les heures supplé-
mentaires de travail, ont aussi une importance capitale: à
cet égard, le contrat collectif a eu encore pour résultat une
notable diminution du temps de travail.
Il est certain qu'une des causes qui a môme empêché le
contrat collectif de produire sur ce point des résultats beau-
coup plus considérables est la connexité de toutes les opé-
rations industrielles : la fabrique à ce point de vue est
assujettie par la nature des choses à une règle commune:
c'est ainsi par exemple que dans les mines de Northum-
berland et Durham le travail de 8 heures pour tous est re-
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 133
poussé par certains mineurs du fond, parce que, le temps de
travail ainsi réduit pour les boys, ils verraient le leur en-
core plus réduit et subiraient une trop notable diminution
de salaires.
Mais — et c'est là au point de vue du temps de travail,
comme au point de vue des salaires — l'admirable résul-
tat du contrat collectif : il établit des conditions minima :
sans doute, et ce serait radicalement impossible, on ne
tient pas compte des désirs variables, des capacités et des
besoins des différents ouvriers mais la règle uniforme
obligatoire au lieu d'être établie unilatéralement par le
patron est consentie par les deux parties : les ouvriers
agissant collectivement, le temps de travail est établi en
raison des seules circonstances professionnelles et l'ex-
ploitation capitaliste (1) est par là supprimée.
JI. — Clauses secondaires relatives à divers points du contrat
de travail.
A. — Durée de rengagement. — A cet égard le contrat
collectif a eu un double résultat :
Il a abrégé cette durée et il Ta uniformisée pour tous les
ouvriers du métier englobés dans le contrat.
Il est clair d'abord que pour l'introduction même du
contrat collectif dans chaque métier, la politique des
Trade-Unions (2) devait inscrire dans son programme la
réduction de la durée des engagements : la défense des
travailleurs individuels ne devenait vraiment possible que
(1) Nous entendons par là l'introduction des considérations extra
professionnelles dans le contrat de travail.
(2) Voyez Sidnev Webb, Indmtrinl Democracy, II, p. 431.
134 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
de celte manière. Mais une fois le principe admis, Ja durée
de validité du contrat collectif dont la moyenne est habi-
tuellement d'un an, avec délai de préavis, devait ainsi
atteindre de nouveau une certaine importance : parle mé-
canisme même qu'il met en jeu, le contrat collectif ne peut
être passé trop fréquemment (1) ; on a vu cependant que
certaines révisions (les modifications techniques) interve-
naient parfois plus fréquemment sans en modifier les
bases fondamentales.
L'uniformité de la durée de l'engagement pour tous
était dans la logique même du système : cependant il sub-
siste à cet égard quelques exceptions.
B. — Hygiène et sécurité. — Il est certain qu'à ce
point de vue le contrat collectif a eu également de notables
résultats : parfois certaines clauses spéciales sont insé-
rées.
Ici encore l'effet propre du contrat est d'établir des con-
ditions minima : ces règles d'hygiène et de sécurité par la
nécessité même des choses doivent être communes à
tous ; elles seront alors établies par les représentants de
tous (2).
A cet égard sans doute l'éducation des ouvriers est loin
d'être achevée ; et plus d'un manque encore de ces no-
tions élémentaires d'hygiène et de sécurité: mais il est
certain que du jour où ils le voudraient et en compren-
(1) Ainsi par exemple dans l'accord conclu le 24 mars d893 entre la
South Lancashire Fédération et l'union ouvrière un article prévoit
qu'un an devra s'écouler entre chaque augmentation ou diminution
de salaires (De Rousiers, op. cit., p. 325).
(2) Nous touchons par là à la délicate question des Règlements
d'atelier : ils mériteraient à ce titre une étude spéciale pour voir la
part de contrat collectif qu'ils ont admise aujourd'hui.
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 135
draiont l'importance, il y aurait là matière à des clauses
nombreuses du contrat collectif ; il faudrait pour cela que
les ouvriers comprissent mieux encore qu'une usine où
les ouvriers sont trop nombreux, que des bâtiments mal
ventilés, que des émanations putrides, un machinisme
imparfait, leur sont aussi funestes qu'une journée de travail
trop prolongée.
C. — Introduction de nouvelles machines dans le
métier. — 11 est incontestable que l'introduction de nou-
velles machines (1) changent le plus souvent les conditions
auxquels les ouvriers ont été engagés et modifient les ha-
bitudes du travail; à cet égard une clause sur les consé-
quences de cette introduction de nouvelles machines est
logiquement matière du contrat collectif: ici sans doute le
contrat collectif n'a pas donné toute sa mesure, la persis-
tance de certains préjugés rend ses progrès sur ce point
plus lents qu'ailleurs : cependant on peut citer quelques
exemples remarquables :
En 1875 la Glass Bot t le Makers' Society du Yorkshire
(société de fabricants de bouteilles) refusa de travailler
avec un nouveau fourneau à gaz, parce que, disaient-ils, il
impliquait un système de 3 équipes.
Parfois au contraire l'introduction d'un nouveau pro-
cédé est indirectement imposée ; c'est ainsi que cette même
société de fabricants de bouteilles de verre de Yorkshire —
en présence d'un nouveau système de « pot setting » (pose
de pots) qui était plus rapide et plus sûre que l'ancienne, exi-
gea des fabricants qui gardaient le vieux système un salaire
(1) Sans doute c'est le patron seul qui doit décider s'il les introduira
ou non, mais une fois la résolution prise, les ouvriers peuvent et doi-
vent intervenir.
136 PKEMIKRR PARTIR. CHAPITRE IV
de 2 sh. par ouvrier pour chaque opérations, alors que le
salaire était seulement de 6 d. pour le nouveau) (1).
D. — Malfaçons et garantie contre cessation inop-
portune de travail. — Le contrat collectif permet d'ap-
porter une précision plus grande dans la détermination
des tâches ainsi que dans la fixation des amendes des
malfaçons.
C'est ainsi que la Society ol Boilermakers and Shipbuil-
ders (ouvriers travaillant à la fabrication des chaudières et
aux constructions navales), rembourse souvent aux pa-
trons des indemnités importantes, qu'elle recouvre d'ail-
leurs contre ses ouvriers, pour dommages causés par l'inex-
périence, la négligence et l'inconduite des unionistes (2).
De même dans l'industrie de la chaussure, un forfait de
1,000 livres sterlings est déposé par chaque partie pour la
loyale exécution des termes de l'accord : sur cette somme
Lord James, arbitre dans un conflit, a donné récemment
un accompte de 300 livres sterlings à l'association patro-
nale pour non-exécution des règles par des ouvriers de
Londres (3).
E. — Apprentissage. — Ekifin, et c'est la dernière
clause dont nous voulions faire ici une mention spéciale,
le contrat collectif contient fréquemment des clauses rela-
tive à l'apprentissage (4). En ce cas on fixe l'âge de l'en-
(1) Cf. Annuel Reports of Ihe Yorkshire Glass Boltle Makers'So-
ciety for 1875.
(2) Cf. de Bousiers, op. cit., p. 240.
(3) M. Pherson, Conciliation and Arbitration in Greal Brilain dans
le Bulletin ofdep. of Labour, mai 1900, p. 542.
(4) Parfois aussi ces conditions de l'apprentissage font l'objet d'un
contrat spécial : ex. : traité de d893 sur la question de l'apprentissage
entre les patrons et la société des constructeurs de navires.
LE COiNTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 137
trée en apprentissage (avant 18 ans par exemple), la du-
rée de l'apprentissage, la proportion — et c'est là un point
auquel on attache une grande importance de l'aulre côté
du détroit — entre le nombre d'apprentis que chaque
maison peut faire pour un nombre donné d'ouvriers.
Dans le bâtiment surtout, il y a à cet égard de fréquen-
tes conventions (1).
Dans l'industrie de la chaussure de même.
De là à exiger l'apprentissage pour l'entrée dans le mé
tier, il n'y a qu'un pas et c'est ainsi que nous sommes
naturellement conduits à étudier les clauses que nous avons
qualifiées d'abusives.
m. — Clauses abusives tendant à la limitation et à la
fermeture du métier.
Au point de vue de l'apprentissage d'abord, on rencon-
tre parfois la condition d'apprentissage exigée pour entrer
dans le métier; parfois aussi, une clause du contrat col-
lectif défend aux ouvriers de prendre leurs fils comme ap-
prentis.
Parfois c'est la profession elle-même qui est réglemen-
tée par le contrat collectif :
C'est ainsi par exemple qu'un article 10 du règlement
de travail délibéré et arrêté conjointement par l'Associa-
tion des patrons et l'Association des ouvriers plâtriers du
District de Manchester et de Salford (17 juin 1895) porte (2) :
Aucune autre personne qu'un plâtrier ne sera autorisé à
exécuter une partie quelconque du travail de plàtrerie : le
(1) Belfast, 1891. — Manchester, 1895.
(2) Cf. de Rousiers, op. cit., p. 09.
138 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
travail comprendra le lattage ou tel procédé destiné à le
remplacer, la mise en place des moulures d'ornements, les
travaux de ciment, la préparation des surfaces destinées au
pavage en bois, le carrelage, les revêtements de muraille en
faïence. On ne s'opposera pas à laisser exécuter par des
cimentiers les pavages et les marches (1).
Parfois aussi dans certains métiers comme les plombiers,
vanniers, etc., il est fréquent de trouver une clause mise
à la demande des patrons qui défend et punit le travail
fait directement pour le consommateur ou pour une classe
de patrons qui pourraient devenir les rivaux en clientèle
de ceux qui sont entrés dans le contrat collectif.
Il est clair que pareilles clauses tendraient à nous rame-
ner rapidement vers le régime corporatif avec toutes ses
restrictions : d'ailleurs la règle : Res inter alios acta aliis
neque nocet neque prodest^ ainsi que l'application de l'idée
d'ordre public suffisent bien à montrer que ce sont là des
abus qui ne sont nullement dans la logique du contrat col-
lectif ; tout au contraire il les repousse et ne saurait les
admettre. La valeur propre du contrat collectif est précisé-
ment d'être une conciliation entre l'intérêt professionnel et
la liberté individuelle : il ne faudrait à aucun prix qu'il
perdit cette vertu précieuse en admettant des clauses qu'il
suffirait d'ailleurs de déclarer contraires à la liberté de l'in-
dustrie.
Ainsi le contrat collectif en Angleterre est parvenu à
(1) II ne faut pas confondre avec ce type de clauses les contrats con-
clus entre deux unions : ex. : traité en 1891 entre les branches locales
de la Société des Boilermakers et les mécaniciens à Cardiff — qui n'ont
pas le même caractère de contrainte à l'égard de l'individu. Webb. H.,
p. 520,
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 139
des résultais remarquables : nous n'avons pu que synthétiser
les faits : une étude de détails approfondie permettrait de
saisir bien mieux, en se plaçant au point do vue de chaque
profession, toute la portée de cette nouvelle forme écono-
mique : le trop rapide abrégé de ces merveilleuses consé-
quences suffit cependant à nous faire mieux apprécier toute
la richesse intime, toute la valeur sociale do notre contrat
collectif.
Et maintenant, pour terminer rapidement cette étude
des faits anglais, une double question capitale se pose
comme conclusion : Quelles sont les causes de cette re-
marquable diffusion ?
I lY. — Conclusion : Cause du développement anglais du
CONTRAT C0U.ECTIF.
En présence de cet admirable développement, une solu-
tion toute simple paraît s'imposer : le développement du
contrat collectif est dû en Angleterre au mouvement Trade-
unioniste.
II est certain — et sur ce point tous les auteurs sont
unanimes (1) que la Trade Union présente au point de
vue du contrat collectif les plus notables avantages : elle
permet d'arriver par la caisse de résistance à imposer le
principe du contrat collectif ; elle permet en second lieu
de rétendre progressivement à tout un district .et par le
(1) Cf. de Rousiers, p. H. — Sidney Webb, Ind. Democracy, t. II,
p. 179.
140 PREMIÈRK PARTIE. CHAPITRE IV
système des Fédérations d'Union à tout le pays ; enfin et
surtout elle en assure l'application.
Il y a plus — et c'est là un point de vue qu'on ne sau-
rait trop mettre en relief : bien mieux qu'un comité éphé-
mère, sans surface, sans autorité vis-à-vis du patron, sans
crédit auprès des ouvriers, elle peut substituer au régime
des conflits et des grèves le régime mille fois préférable
de la paix armée, c'est-à-dire des contrats collectifs con-
clus pacifiquement (1).
Et tous ces heureux résultats s'expliquent d'un mot :
la Trade Union est la représentation permanente des inté-
rêts des ouvriers.
Mais faut-il attribuer ce mouvement pour totalité au
Trade-Unionisme ?
Ce serait là assurément une erreur : on pourrait dire
que des sections entières de la classe ouvrière composées
de non unionistes ont leur taux de salaires habituellement
fixés par contrat collectif : mais ce ne serait pas une preuve.
Il y a mieux : ainsi les grèves du bâtiment de Londres en
1859 et des mécaniciens de Newcastle en 1872 furent con-
duites par des comités élus dans divers meetings auxquels
prenaient part tous les membres du métier et qui deve-
naient ainsi des associations professionnelles d'occasion :
ces comités sont, au témoignage de B. et S. Webb (2), arri-
vés à conclure dans le bâtiment et la mécanique des con-
trats au nom de tout un district : ainsi contrats collectifs
(1) Cf. de Rousiers, p. 36. — L'auteur montre combien la valeur in-
dividuelle des officiers du Trade Union, leur bon sens pratique, la bonne
organisation de l'Union, la responsabilité acceptée, etc., sont favorables
à la conclusion du contrat par l'Union.
(2) Industrial Democracy, melhod of collect. Bargaining.
LB CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERHE 141
LMi dehors du Trade-Unionisme, telle est la première cause
qui doit nous faire repousser une affirmation trop absolue.
Contrats colleclifs en second lieu se développant à la
fois et rayonnant au-delà du Trade-Unionisme dans l'espace
et dans le temps : bien souvent les clauses du contrat
collectif régissent non seulement les unionistes, mais
mais encore par diffusion tous les ouvriers d'un métier :
le contrat collectif devient la coutume du métier : dans
les métiers du bâtiment par exemple, les juges de la Cour
de justice appliquent les règles du travail (working rules)
établies par contrat collectif comme ayant été tacitement
acceptées, si aucune stipulation contraire n'a été faite sur
les points fixés par ces règles.
De la même manière le contrat collectif rayonne au-delà
du Trade-Unionisme dans le temps : c'est-à-dire que par-
fois des taux de salaires établis par contrat collectif, au-
trefois courants, aujourd'hui tombés en désuétude, servent
aux patrons isolés comme moyenne pour la détermination
des salaires de leur établissement : les salaires varient
alors de maison à maison dans le même district, mais sont
tous calculés par diverses modifications (discounts) aux
anciens tarifs (1).
Ainsi les Trade-Unions sont une des principales causes
de la diffusion du contrat collectif, mais ce n'est pas la
seule.
Il faut ici mentionner l'expérience patronale et l'expé-
rience ouvrière : patrons comme ouvriers se sont rendus
compte des avantages considérables que présentait pour
les uns comme pour les autres le système du contrat col-
1) Report : Standard pièce rates, 1894, p. XVI.
142 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
lectif et l'ont substitué de propos délibéré au système du
contrat individuel.
C'est ainsi que d'une parties patrons acceptent certaines
listes publiées de la seule autorité des unions ouvrières :
liste de prix pour le travail de l'étain dans les travaux de
l'Etat ; liste en vigueur dans l'industrie de la vannerie ;
listes de salaires pour la fabrication du verre de bouteille
à Londres, tandis que d'autre part les ouvriers acceptent
certaines listes publiées de la seule autorité des patrons :
liste des filateurs de coton à Burnley, des tisseurs de laine
à Huddersfield, des coupeurs de velours à Congleton (1).
Dans les deux cas, il y a contrat collectif tacite (2).
Enfin comme dernière cause de développement on ne
saurait oublier le caractère strictement professionnel (3)
des conflits entre patrons et ouvriers; il est certain que
(1) Cf. Report on Standard pièce rates of wages, 1900, p. XV.
(2) A cet égard l'arbitrage et ses heureux effets ont puissamment con-
tribué à donner aux patrons comme aux ouvriers le sens des avan-
tages qu'ils trouvaient à éviter les conflits ; mais en même temps
peut-on dire l'arbitrage portait sa limite en lui-même : il est certain
qu'on ne peut s'en référer à un arbitre si expert et si consommé qu'il
soit pour toute la partie purement économique du contrat ; mais les
comités et bureaux d'arbitrage assurent la transition jusqu'aux comi-
tés mixtes et aux conférences entre patrons et ouvriers chargés d'éla-
borer le contrat . En somme par rapport au contrat collectif, l'arbi-
trage a surtout une valeur éducative ; il est en quelque sorte son pré-
curseur ; mais, l'exemple de l'Angleterre semble permettre de le pré-
voir, le contrat collectif est destiné à expulser l'arbitrage d'une partie
de son domaine et de plus en plus l'accord sur les conditions du tra-
vail traité par des patrons intelligents et des ouvriers éduqués doit se
faire directement par le consentement des parties.
(3) Au moins jusqu'à ces cinq ou six dernières années : maintenant
le socialisme semble impliqué plus ou moins nettement dans la plu-
part des grèves,
LE CONTRAT COLLECTIF EN ANGLETERRE 143
rorientation toute pratique de l'ouvrier anglais, précisée
encore par l'éducation qu'il recevait des Unions, l'a mer-
veilleusement préparé à cet opportunisme pratique qui
consiste à obtenir dans chaque conflit tout ce qu'on peut
obtenir; les questions de politique et dans une moindre
mesure les questions de personnes étant écartées, il est cer-
tain que les intérêts communs des deux parties à l'accord
par contrat collectif n'en apparaissaient que plus nets et
plus impérieux.
Sans doute, vu de loin, le mouvement se dessine avec
une majesté et une richesse imposantes :
Cependant pareil spectacle ne doit pas faire oublier la
lente élaboration et les lents progrès par lesquels cet admi-
rable résultat a été atteint ; si ces beaux résultats donnent
confiance, le souvenir des difficultés vaincues et l'histoire
de ce développement sont bien faits pour conserver Tespé-
rauce.
CHAPITRE V
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PAYS
ÉTRANGERS
AMÉRIQUE
Parmi ces pays il faut mettre en première Jig-ne les États-
Unis d'Amérique : après l'Angleterre, c'est en effet chez
eux que le contrat collectif se trouve le plus développé (1),
Il existe principalement dans l'industrie du fer et l'in-
dustrie minière, ainsi que dans quelques autres métiers.
C'est dans la métallurgie que le contrat collectif s'in-
troduisit tout d'abord : c'est le 13 février 1865 après une
période chaotique d'augmentations et de réductions suc-
cessives de salaires, que fut signé le premier contrat col-
lectif par une conférence de patrons et d'ouvriers : après
de nombreuses réunions cette conférence avait abouti à
une échelle mobile de salaires basée sur le prix du fer (2) :
le contrat devait rester en vigueur tant qu'il n'aurait pas
(1) On peut consulter plus spécialement : L. Vigoureux, La concen-
tration des forces ouvrières dans l'Amérique du Nord, Paris 1899.
Finance, Les Syndicats ouv?ners aux États-Unis.
(2) Cf. Industrial arbitration and conciliation, by William
Franklin Willoughby, Monographs of American social économies,
vel. X.
I.K CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PAYS ÉTRA.NGERS 145
été dénoncé 90 jours à Tavanee par une des parties en
cause.
Mais bientôt le prix du fer tombe sur le marché : une
augmentation de salaires est obtenue des manufacturiers
bientôt suivie d'un renvoi en masse des ouvriers pudleurs
de décembre 1860 à mai 1867.
En 1867 une nouvelle échelle mobile est établie par con-
trat collectif : le délai de préavis est réduit à 30 jours et
des formantes sont prévues pour la conclusion d'un nou-
veau contrat. Celui-ci dure 7 ans : le 7 novembre 1874, il
est dénoncé par les manufacturiers : des conférences sont
établies sans résultat : la grève est déclarée et un arbi-
trage vient y mettre fin en constituant une nouvelle échelle
mobile qui est dénoncée eu 1875. Peu après une nouvelle
échelle est établie par contrat (l**^ juin) : jusqu'en 1880 des
contrats sont ainsi signés annuellement. A cette époque
les diverses classes de travailleurs du fer s'unissent pour
former l'Amalgamated association of iron, steel and tin
workers of the United states et c'est cette organisation
qui s'abouche maintenant avec les patrons et arrête l'échelle
de salaires.
En 1886 les patrons ont eux aussi constitué une fédéra-
tion et on a alors une convention collective entre le Comité
nommé par l'Association des manufacturiers et le Comité
nommé par l'Association amalgamée : elle établit une
échelle de salaires valable pour tous les établissements
affiliés, portant sur toutes les spécialités de la métallur-
gie.
Ce régime unitaire cessa à la suite de la grève de 1892
due au refus des Unions locales d'accepter un abaisse-
ment de salaires motivé par des perfectionnements tech*
niques.
RATXACD 10
146 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
Depuis, l'Associalion amalgamée a réglé les conditions
du travail chaque année; mais au lieu d'un contrat collectif
unique, il y a eu une série de contrats passés avec les
divers établissements métallurgiques.
L'élaboration de ces contrats (1) implique tout un méca-
nisme des plus intéressants: ce sont de véritables codes
du travail d'une longueur remarquable : c'est ainsi par
exemple que les dix contrats passés en 1896 par Y Illinois
Steel Co, qui occupe environ 10,000 ouvriers, avec l'Asso-
ciation amalgamée, couvrent 32 pages in-12 de texte très
serré. Le renouvellement de ces contrats a lieu tous les
ans au mois de juin : il comprend plusieurs phases qu'il
est utile de distinguer :
a) Elaboration des modifications à proposer.
b) Ratification de ces modifications par la Convention re-
présentant tout le métier.
c) Accord avec les patrons.
A. — Élaboration des modifications à proposer.
Avec un régime de contrat collectif aussi unifié, cela
devient une nécessité de consulter soigneusement les di-
vers intéressés qui observent d'autant mieux le contrat
qu'ils auront pris part à son élaboration : aussi chaque
année, les différentes unions locales (loges) qui souhaitent
qu'on apporte certaines modifications aux conditions du
travail existantes, doivent les discuter à leur première réu-
nion du mois de mars; ce projet de modifications ainsi dis-
cuté et voté est transmis à la Loge nationale, qui fait im-
primer un état général des modifications proposées et en
(1) Vigouroux, op. cit., p. 272.
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PAYS ÉTRANGERS 147
envoie une copie à chaque loge. Celle-ci discute de nouveau
et donne des instructions précises aux délégués qu'elle en-
voie à la convention annuelle, qui se lient au mois de
mai.
De la même façon la Loge nationale centralise les ren-
seignenjeutssur la force de résistance probable des patrons.
(( Deux semaines avant la convention, le correspondant
de chaque loge doit envoyer, sous peine d'amende, à la
Loge nationale, des renseignements très détaillés sur la si-
tuation des différents établissements métallurgiques, le mon-
tant des travaux effectués pendant l'année écoulée, les sen-
timents des hommes à l'égard des salaires à établir, l'éten-
due et la nature des stocks existants, bref toutes les infor-
mations susceptibles de permettre aux comités des salaires
et à la convention d'arriver à bien se rendre compte de
la question des salaires (1). »
B . — Ratiâcation des modifications proposées par la con-
vention.
Ainsi tout est préparé : les délégués se réunissent munis
à la fois des instructions de leurs loges et des renseigne-
ments sur ce qu'il est possible d'obtenir : la convention
examine les modifications proposées. Il faut une majorité
des 2/3 des délégués pour les ratifier.
Après cela, le président de la Convention désigne lui-
même un certain nombre de délégués chargés de conférer
avec les manufacturiers (2).
(1) Vigouroux, op. cit., p. 273.
(2) II est curieux de voir que celle nomiûalion se fait au cboix et
non à l'élection : mais ceci est (le peu d'imporlauce : car ils ont, un
mandat quasi impératif.
148 PRKMIÈKE PARTIE. CHAPITRE V
C. — Accord avec les patrons.
L'originalité de cet accord est précisément qu'il est signé
pendant la cessation du travail : le 30 juin en effet, à
minuit au plus tard, le travail s'arrête partout dans tous
les établissements qui sont sous la dépendance de l'Asso-
ciation amalgamée. C'est là un usage annuel : les patrons
en profitent pour effectuer certaines réparations : le lende-
main, l^*" juillet, les différents Comités nommés par les
Syndicats de manufacturiers s'abouchent avec les délégués
de la Convention : le travail ne reprend que lorsqu'un
télégramme du président, annonçant la signature de tous
les contrats, est arrivé dans la Loge locale.
En un mot, ce qui caractérise ce mécanisme, c'est avant
tout \ unification du contrat collectif pour tous les ou-
vriers d'un métier : il est certain que cette menace de
grève pacifique doit être d'un grand appoint dans les con-
férences entre patrons et ouvriers.
L'unification vient même tout récemment d'être poussée
plus loin et en 1900 dans la métallurgie, on est revenu au
Régime du contrat collectif national, unique pour tout le
métier.
Des documents récents (1) nous permettent d'insister sur
ce dernier et très réel progrès du contrat collectif en Amé-
rique, qui est ainsi officiellement organisé dans une des
industries les plus importantes.
L'Association Internationale (2) des ouvriers mécani-
(1) Circulaire, Musée Social, 1 mai 1901 ; Willoughby, Um^bitrage
et la conciliation auœ Etats-Unis, p. 303.
(2) En Amérique, l'épithète internationale signifie surtout que l'As-
I.K CONTRAT COLLECTIF DANS LKS AUTRES PATS ÉTRANGERS 449
ciens, s'étant beaucoup développée et profitant de la situa-
tion prospère de l'industrie, rédigea une déclaration por-
tant sur plusieurs points qui devaient être acceptées des
patrons :
1° Reconnaissance de l'Union des mécaniciens e! emploi
exclusif des membres de l'Union ;
2*^ Augmentation de salaires portés au taux minimum
de 28 cents par heure ;
3" Journée de 9 heures ;
40 Les heures supplémentaires comptées la moitié en
sus, et le travail du dimanche et des jours de fête compté
pour un temps double ;
5*' Limitation du nombre des apprentis, conformément
au règlement de l'Union des mécaniciens, c'est-à-dire
1 apprenti par atelier ou 1 apprenti par 3 mécaniciens.
Les ouvriers en présentant ces revendications avaient
fixé le l*"" mars 1900, délai après lequel ils devaient recou-
rir à la force. Les patrons n'ayant pas cédé, la grève fut
déclarée et s'étendit rapidement.
Les patrons constituèrent alors V Associât ion des fabri-
cants de machines de Chicago.
Après plusieurs conférences qui n'aboutirent pas (1),
vers le 17 mars, une conférence régulière fut tenue à Chi-
cago, entre le bureau de ï Association nationale de f in-
dustrie métallurgique (2) et celui de \ Association inter-
nationale des ouvriers mécaniciens : après plusieurs séan-
sociation comprend des ouvriers de plusieurs Étals Unis. Il y a cepen-
dant aussi des Unions du Canada dans l'Association.
(1) Voir le délai!, Willoughby, loc. cil., p. 304 et 305.
(2) A laquelle IWssocialion des fabricants de machines de Chicago
avait pris l'initiative de soumettre le conflit.
150 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
ces, le 31 mars, fut signé un arrangement important connu
sous le nom de « Convention de Chicago » (1). Les gré-
A^istes la ratifièrent.
Cette convention reconnaît d'abord que l'Association na-
tionale de l'industrie métallurgique d'une part, et l'Asso-
ciation internationale des ouvriers mécaniciens d'autre
part, représentent en fait tous leurs membres « avec auto-
rité et pouvoirs suffisants pour agir en leur nom ».
Puis elle pose le principe de l'utilité incontestable du
contrat collectif :
« Considérant que l'expérience déjà faite par l'Associa-
tion nationale de l'industrie métallurgique et par l'Asso-
ciation internationale des ouvriers mécaniciens, légitime
l'opinion que des arrangements réciproques conduisant à
une meilleure harmonie des rapports entre patrons et ou-
vriers, seront avantageux à tous ; »
En conséquence, elle adopte le principe de l'arbitrage
national en le recommandant à tous et établit une com-
mission d'arbitrage (2), composée des présidents des deux
unions ou de leurs représentants, et de deux autres délé-
gués de chacune des associations, désignés par leurs pré-
sidents respectifs. La sentence arbitrale sera définitive et
en attendant qu'elle soit rendue, il n'y aura pas cessation
du travail par le fait d'une des parties en conflit.
Une lettre ouverte des patrons et le commentaire de la
convention donné en édictorial dans l'organe officiel de
{{) Le texte en est rapporté par Willoughby ; loc. cit., p. 306.
(2) Le mot arbitrage n'a pas ici son sens ordinaire : la question
n'est pas soumise à un tiers, mais aux organisations nationales res-
pectives : c'est au fond le principe du contrat collectif solennellement
proclamé.
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PAYS ÉTRANGERS 151
rAssocialion des mécaniciens insistèrent sur l'extrçme im-
portance (le cet accord (1).
Le conseil mixte prévu par la Convention de Chicago
se réunit le 10 mai et par une série de résolutions succes-
sives rég-la la plupart des points en discussion concernant
les conditions du travail ; quelques-uns méritent d'être
relevés :
C'est ainsi que le conseil laisse aux patrons le droit
d'employer des ouvriers appartenant ou non à l'union,
fixe les taux des heures supplémentaires, détermine le
nombre des apprentis, etc..
Il est vrai que malgré ces nombreuses clauses, une grève
vient encore d'éclater tout récemment dans l'industrie des
mécaniciens : mais il paraît que cette grève a éclaté sur
un point que ne prévoyait pas le contrat collectif de 1900 :
elle ne prouve donc rien contre lui, mais seulement qu'il
est à compléter.
Comme le disait le journal de l'association. « Il y au-
ra bien quelques frottements — la perfection n'existe
nulle part — mais ils seront réduits au minimum... Il
faudra quelque temps pour que les choses marchent ré-
gulièrement : car des deux côtés l'éducation est néces-
saire. Les patrons arrogants ont besoin de s'élever à la
constatation de ce fait que leurs employés ont des droits
aussi bien qu'eux-mêmes ; tandis que les ouvriers qui
font les fiers parce qu'ils sont membres de l'association
internationale des ouvriers mécaniciens ont besoin d'être
tirés de leur ignorance, »
Quoi qu'il en soit, le principe du contrat collectif natio-
(l) Voir ces curieux documents : Willoughbj, loc. cit.
152 première: partie. — chapitrr v
Utile a été de nouveau appliqué dans une des plus impor-
tantes industries américaines.
L'histoire du contrat collectif dans les mines présente-
rait à peu près les mêmes phases : le premier remonte au
mois d'avril 1869 et était conclu également pour une du-
rée d'un an : le contrat collectif actuel, passé entre les
travailleurs unis de la mine et les directeurs de mines, com-
porte un minimum de salaires, un maximum de 8 heures
de travail par jour et l'abolition des magasms de vente
tenus par les compagnies. A la suite d'une grève très éten-
due en 1899, les mineurs unis ont obtenu un contrat col-
lectif national. Chaque année une convention est conclue
entre les exploitants de charbon et les mineurs unis pour
une durée de douze mois à partir du 1*"" avril. Il est même
remarquable que c'est seulement en vertu d'un assenti-
ment commun et non en vertu d'une convention durable
que les patrons se sont rencontrés tous les ans depuis 1897
pour passer le contrat collectif (IJ.
On peut signaler encore des contrats collectifs impor-
tants dans divers métiers :
Dans l'imprimerie, on est également arrivé à un contrat
collectif national, passé entre V Association Améincaine
des Directeurs de Journaux et V Union internationale
typographique (2). Après une série de contrats collectifs
locaux où les Associations patronales s'entendaient avec
les unions d'ouvriers imprimeurs, l'année 1900 a vu ap-
(1) Willoughby, loc. cit., p. 318. — Cependant, grâce à l'inilialive
de l'association des Houillères de l'Illinois, la représentation patronale
commence à s'organiser. De curieuses déclarations de celte associa-
tion sont d'ailleurs très nettement en faveur du contrat collectif.
(2) Willoughby, loc. cit., p. 311.
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES* PAYS ÉTRANGERS 153
paraître le contrat collectif national. Et chose curieuse,
l'initiative de ce nouveau progrès a été prise par les pa-
trons. Une toute récente convention d'arbitrage entre ces
Unions cherche à assurer l'exécution de ce contrat col-
lectif (1). L'article l*"" porte :
A compter du 1901 et jusqu'au 1902, tout
directeur, membre de l'Association américaine des direc-
teurs de journaux, qui emploie des ouvriers syndiqués
dans un ou plusieurs services, en vertu d'un contrat ou de
contrats verbaux ou écrits formés avec une union locale
de typographie ou d'autres ouvriers affiliés à l'union inter-
nationale typographique, devra, en ce qui concerne ce
contrat ou ces contrats, être protégé par l'Union interna-
tionale typographique contre tous départs, grèves, boycot-
tages ou toute autre forme d'action concertée en vue de
troubler le paisible fonctionnement du service ou des ser-
vices dans lesquels le travail s'exécute à la suite de con-
ventions conclues avec une ou plusieurs unions.
Ledit directeur conviendra avec l'Union internationale
typographique, que toutes difficultés qui pourraient s'élever
en vertu de ce contrat ou de ces contrats verbaux ou
écrits, entre lui et ses employés syndiqués dans le service
ou les services susdits, seront réglés par voie d'arbitrage,
dans le cas où elles ne pourraient l'être par la conci-
liation.
Dans les deux cas conciliation ou arbitrage (2) le travail
sera continué dans les bureaux du directeur en cause
(1) I/accord est accepté des patrons et actuellement soumis à la
ratification des ouvriers.
(2) Pour les détails voir le texte de la convention rapporté VVillou-
ghby, loc. cit., p. 314.
154 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
(art. 4) et si l'une des parties au conflit refuse d'exécuter
la sentence arbitrale, les deux Unions s'eng-ag-ent à lui
retirer toute aide et tout appui: les actes du patron ou
de l'ouvrier réfractaire seront publiquement désavoués,
(art. 11).
C'est, on le voit, le contrat collectif poursuivant l'abo-
lition de la grève.
D'autres contrats moins complets existent encore dans
la cordonnerie, la cristallerie, la verrerie, la fonderie (1),
la chapellerie, la filature du coton, le tissage, les tram-
ways, les chemins de fer, la confection, labrasserie, etc..
L'exemple de l'Amérique nous permet donc de mettre
en relief un type spécial de contrat collectif : le contrat
collectif national poussant le plus loin possible l'unifica-
tion des clauses (2) : il y a à cela évidemment de très
grands avantages (cohésion plus grande de toutes les for-
ces ouvrières) mais aussi de très sérieux inconvénients :
un manque réel de souplesse et une tendance des associa-
tions professionnelles à pousser trop loin leur interven-
vention : la dernière grande grève américaine, celle du
bâtiment à Chicago en 1900, mit fort bien en relief ces
inconvénients (3).
La très grande centralisation dans les différents métiers
(1) Un mouvement très analogue à celui des mécaniciens commence
à se dessiner dans les autres Unions de l'industrie métallurgique pour
arriver au contrat collectif national.
(2) On^^sait qu'en Angleterre, le contrat collectif national quand il
existe n'établit que certaines bases très générales, sur lesquelles vien-
nent se greffer à la fois le contrat local (de district) et le contrat par-
ticulier à une usine.
(3) Cf. The Chicago Building Trades conflict of 1900, by. J. E. Geor-
ge dans The Quaterly journal of économies, may 1901.
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PAYS ÉTRANGERS i 55
du bâtiment avait permis dans la conclusion des derniers
contrats collectifs d'introduire certaines règles par trop
exclusives de la lil)€rlé : c'est ainsi que les plombiers, les
poseurs de briques, les maçons de pierre, les cliarpen-
tiers (1) étaient arrivés à fermer le métier aux non unio-
nistes : et continuant dans la même voie, le Building Tra-
des Council (2), avait introduit dans les nouveaux con-
trats la limitation du travail à la tâche par jour, des res-
trictions à l'usage du machinisme, etc..
Malgré ces prétentions excessives, dans une conférence
entre patrons et ouvriers, on s'était fait des concessions ré-
ciproques : le 29 décembre 1899 avait été signé le « Mad-
den Agreement » ainsi nommé du nom de M. Martin
P. Madden, président de la Western Stone Company à
Chicago : sans toucher aux questions de salaires et d'heu-
res de travail, qui paraissent bien être le vrai domaine du
contrat collectif, cet accord enregistrait les réclamations
(1) Voici la clause à laquelle nous faisons allusion au texte : elle
concerne les ajusteurs de machine à vapeur, mais était la même pour
les métiers indiqués :
The Journeymen Steatn Fitiers'Protective Association ne per-
mettra à aucun de ses membres de travailler pour une maison, per-
sonne, ou Compagnie qui ne soit pas membre de \ti Chicago Master
Steam Fitters Association en situation régulière et les membres de
la C. M. S. F. Association n'employeront aucun ajusteur qui ne soit
en bons termes (in good standing) avec la dite Journeymen Protec-
tive association. Les dits ouvriers ajusteurs ne travailleront pour per-
sonne en aucun cas. pour moins que le taux régulier de salaire con-
venu.
(2) Il représentait, par des délégués, toute l'industrie du bâtiment :
son but était surtout d'examiner les changements généraux dans les
accords existants entre patrons et ouvriers et d'aider les unions à faire
des contrats plus avantageux avec les employeurs.
156 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
faites par les patrons contre les interventions abusives
des Loges et mentionnait certaines concessions faites aux
unions (demi-journée de repos le samedi, système d'arbi-
trage établi, etc.).
L'association patronale ratifia cet accord : mais les ou-
vriers poussés par le Building Trades Council refusèrent
de s'y soumettre et une grande grève s'en suivit (1). Les
patrons brisèrent le Building Trades Council : le contrat
collectif national est ainsi momentanément supprimé dans
le bâtiment : les patrons permettent les contrats particu-
liers des établissements faisant partie du Building con-
tractors Council avec les unions locales, mais à une dou-
ble condition que ces contrats respectent les règles éta-
blies par la conférence du 24 avril 1900 (mêmes règles
que ci-dessus) et que l'union locale cesse de s'affilier au
Building Trades Council ou à toute autre organisation
semblable pendant la durée du contrat ; et de fait, plu-
sieurs contrats collectifs nouveaux sont intervenus dans les
divers métiers aux anciens taux de salaires (2).
Nous avons insisté quelque peu sur cet exemple, parce
qu'il permet de mettre en lumière quel est à notre sens le do-
maine du contrat collectif : salaires et heures de travail (3).
— Sans doute on peut concevoir et chercher à réaliser un
accord sur d'autres conditions du travail : mais ici il faut
être très prudent : l'ancienne idée du métier fermé est un
(1) Voir tous les détails dans l'article cité.
(2) Ce résultat a été obtenu surtout parce que la grève de 1900 a
coïncidé avec une dépression du métier : mais avec la prospérité des
affaires une nouvelle organisation centrale sera probablement tentée.
(3) Encore convient-il surtout de fixer des conditions minima en
assurant une certaine variété.
LK CONTRAT COLLKCTIF DANS LES AUTRBS PAYS ÉTKANGERS 157
écueil quil faul à tout prix éviter. L'exemple de l'Amérique
est (les plus si{^ni(icatifs à cet égard.
BELGIQUE
Le contrat collectif nest pas très répandu en Belgique (1) :
il se rattache à deux institutions fort différentes :
Les Conseils de l'industrie et du travail.
Les Unions Professionnelles.
Les Conseils de l'industrie et du travail ne sont qu'im-
parfaitement préparés à jouer un rôle dans les contlils du
travail : leur fonction essentielle n'est pas là : « c'est d'être
un petit parlement industriel qui s'occupe des intérêts
communs aux patrons et ouvriers d'après un programme
tracé par l'autorité gouvernementale et à titre consultatif
seulement (2). » Les statistiques de l'Office du travail Belge
le reconnaissent elles-mêmes : les interventions sont plu-
tôt rares (3) : Ce n'est que d'une manière extraordinaire
que le Conseil du travail aboutit à conclure le contrat col-
lectif : signalons toutefois quelques interventions impor-
tantes :
Ainsi l'union Cokrill de Seraing près de Liège qui compte
près de 12,000 ouvriers est aujourd'hui régie par le contrat
collectif grâce au Conseil du travail.
De même diverses industries s'enrichissent parfois du
(1) Au moins à en juger d'après ce qu'une enquête fort diflicile et fort
iniDarfaile nous a permis de savoir.
(2) iMorisseaux : Conseils de lïndustrie et du travail.
(3) 1898 : pour 121 conflits signalés, 6 tentatives d'intervention des
Conseils .
158 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE V
contrat collectif ici ou là grâce au Conseil de l'industrie et
du travail local, qui sert d'intermédiaire pour terminer
un conflit et susciter un accord entre les parties : ainsi à
Gand dans l'industrie du meuble (1), à Grammont dans
l'industrie des allumettes (2), à Bruges dans le bâtiment (3),
etc..
Ce sont surtout les Unions Professionnelles qui comme
les syndicats en France, pourraient êtres appelés à passer
les contrats collectifs : mais sur ce point les renseigne-
ments font totalement défaut.
Enfin l'initiative privée suscite elle môme quelques ac-
cords, par exemple dans l'imprimerie (4) et dans le bâti-
ment, qui tendent à se multiplier.
En somme en Belgique le contrat collectif n'a pas encore
fait de bien rapides progrès.
PATS-BAS
Aux Pays-Bas le développement du contrat collectif, au-
tant qu'on en peut juger par une information de seconde
main (5) est intimement lié à celui des Chambres de tra-
vail ; celles-ci se répandirent depuis 1891 d'une manière
remarquable par les efTorts de l'initiative privée dans les
(1) Revue du travail (Belge), fév. 1897, p. 126.
(2) Revue du travail (Belge), avril 1897, p. 321.
(3) Revue du travail (Belge), juin 1897, p. 504.
(4) Tarif fort ancien (1845) accepté par 50 imprimeries d'accord
avec l'Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes
de Bruxelles.
(5) H. W. E.SiTMyQ, Pays-Bas, Sixième groupe (Economie sociale)
publié à l'occasion de l'Exposition de 1900.
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AUTRES PATS ÉTRANGERS 159
principales villes: La Haye 1891, Amsterdam 1893, Leyde
et Dordrecht 1894. Elles sont composées de patrons et
d'ouvriers presque toujours en nombre égal.
Ces Chambres proposent en quelque sorte un contrat
collectif, type qui est ensuite adopté par les divers établis-
sements. C'est ainsi que :
La Chambre de La Haye a proposé un tableau de salai-
res dont l'adoption a gagné du terrain.
De même les Chambres d'Amsterdam et de Dordrecht
ont établi des tableaux de salaires.
Enfin la Chambre de Leyde par le même système est
parvenue à limiter la durée de la journée du travail à onze
heures.
Comme on le voit, il n'y a pas le libre débat, la discus-
sion entre patrons et ouvriers ; le contrat collectif prend
ici l'aspect d'une coutume du métier, qui se rapproche
plus d'une réglementation de droit public que d'un contrat
de droit privé (1).
ALLEMAGNE
Le contrat collectif est également assez peu répandu en
Allemagne; on peut de cette rareté indiquer deux causes
principales :
a) D'une part les associations professionnelles ne sont
pas encore reconnues par la loi ; on est encore dans la pé-
riode qui correspond en France à celle qui a précédé la
loi de 1884 (2).
(1) Aujourd'hui une loi réglementant ces Chambres de travail est
intervenue, voir plus loin.
(2) On peut indiquer aussi que les idées d'autorité du patron et d'ab-
160 PTEMIÈRË PARTIE. CHAPITRE V
b) D'autre part l'inlluence prépondérante de la Sociale-dé-
mocratie a détourné les ouvriers du véritable terrain pro-
fessionnel en les grisant de grands mots, en leur tournant
la tête avec la lutte des classes et en leur faisant conce-
voir des espérances électorales insensées.
Ce n'est donc que par accident pour ainsi dire et d'une
manière exceptionnelle que l'on rencontre le contrat col-
lectif (1).
Sans doute il intervient parfois à la suite d'un arbitrage :
la loi du 29 juillet 1890 donne formellement aux tribunaux
industriels le droit de fonctionner comme comités de con-
ciliation et d'arbitrage en cas de conflits sur les conditions
de la continuation ou de la reprise du travail.
Parfois aussi il est adopté par l'initiative des patrons
eux-mêmes ; c'est ainsi que la fabrique de jalousies
de M. H. Freese à Berlin (2) nous fournit un remarquable
exemple de contrat collectif; dans cet établissement les
conditions du travail sont établies par un Conseil de con-
ciliation (3), véritable représentation des ouvriers ; il se
compose de 15 membres dont 4 à la nomination des direc-
teurs et 11 élus par les ouvriers; le Conseil élabore un
règlement de travail, « les tarifs de salaire (à la tâche)
sont établis dans chaque atelier pour une période fixe de
deux ans, toujours de commun accord. Les parties con-
tractantes n'y peuvent rien changer ; si dans les six semai-
nes qui précèdent la fin de la période fixée, aucune pro-
solue maîtrise du patron sur son établissement sont peut-être en Al-
lemagne plus fortes qu'ailleurs.
(1) Autant du moins qu'une information défectueuse nous permet
de l'avancer.
(2) Article de^M. Dubois, Réforme sociale, 16 octobre 1892.
(3) Créé en 1884, réorganisé en 1890.
LK CONTHAT COLLECTIF DANS LKS ALTHIiïi PAYS ÉinANUliHS 161
position de clmiigement n'est acceptée, les tarifs continuent
à rester eu vigueur pour une nouvelle période bien-
nale (1) ».
Le principal exemple du contrat collectif nous est fourni
par la typographie :
C est en 1873, à la suite d une grève provenant du re-
fus des patrons d'accepter le tarif proposé par la Fédéra-
tion des typographes, qu'un premier contrat collectif est
conclu dans ce métier : après de longues négociations, le
l*''" mai 1873, une convention de tarifs est conclue entre pa-
trons et ouvriers qui resta en vigueur malgré quelques
grèves pendant 18 ans.
Mais en 1891, les ouvriers demandent d'importantes
modifications à ce tarif, notamment la journée de 9 heu-
res : les patrons refusent. A la suite d'une grève de
12,000 ouvriers, la résistance syndicale est vaincue, et il
faut renoncer même à l'ancien tarif.
Cependant, en 1896, la Fédération, fortement éprouvée
par sa défaite de 1891, avait repris des torces : elle obtient
sans lutte et pacifiquement une nouvelle convention (2) de
tarifs liant les parties pour cinq ans.
C'est d'ailleurs la question de la durée de ces contrats
collectifs qui paraît au premier plan des préoccupations
allemandes : à cet égard, les récentes discussions du
3*' congrès des syndicats allemands (3) tenu à Francfort-
(1) Id. Dubois, art. cité.
(2) Cette convention contenait une réduction de travail d'une demi-
heure par jour et une augmentation de salaire de 50 pfennigs (62 cen-
times o) par semaine.
(3) Miltiaud, « Le 3« Congrès des Syndicats allemands », Revue so-
cialiste, juin et juillet 1899.
RAVNACD M
162 PREMIÈRE PARTIi:. CHAPITRE V
sur-le-Mein, du 8 au 13 mai 1809, donnent bien la phy-
sionomie exacte de l'état de la question dans ce pays.
La question des conventions de tarifs en général, fut
portée devant ce congrès à la suite d'un conflit important
qui avait eu lieu à Leipzig à l'occasion de ces contrats col-
lectifs (1).
Au Congres, la discussion s'engagea très vive entre par-
tisans et adversaires des contrats collectifs :
A. — Pour les uns :
1" Il est un obstacle, à moins qu'il ne soit stipulé pour
une durée très courte, à la conquête de meilleurs salai-
res ; car il empêche la grève en cas de prospérité écono-
mique.
2° Il est douteux que les patrons l'observent rigoureu-
sement.
3° Il efface la distinction entre ouvriers organisés et
ouvriers non or":anisés.
(1) A Leipzig, le cartel (groupement local des représentants de syn-
dicats) avait admis les délégués du syndicat dissident des typographes
et n'avait pas admis les délégués du groupe local adhérent à la Fédé-
ration, qui avait passé la convention :
Voici le texte de l'ordre du jour du cartel de Leipzig :
« Vu que la convention des tarifs entre patrons et ouvriers nuit aux
intérêts et au développement ultérieur de l'organisation des ouvriers,
le syndicat qui représente ce point de vue doit être considéré comme
ne s'étant pas placé au point de vue du mouvement ouvrier moderne.
Et comme le cartel de Leipzig se place sur le terrain du mouvement
ouvrier moderne, il ne pourra admettre que les délégués du syndicat
qui répondent aux conditions indiquées ;
« Le cartel décide : Les délégués des typographes qui sont partisans
de la convention de tarifs, et qui sont par suite placés au point de vue
des membres Hirsch-Dunker, ne seront pas admis, parce que ces ten-
dances ne sont pas en accord avec celles du cartel. >>
LE CONTRAT COLLECTIF DANS LES AITRES PAYS ÉTRANGERS 103
4° Enfin, et là était surtout l'argument le plus impor-
tant, il obscurcit, par les rapprochements qu'il opère entre
patrons et ouvriers, la conscience des classes et supprime
l'aptitude des ouvriers à la lutte des classes (i).
B. — Pour les autres au contraire (2), le contrat col-
lectif a les effets les plus heureux et doit être propagé :
ils répondent à leurs adversaires par les arguments sui-
vants :
1° Sans doute le contrat collectif empêche de profiler
d'une situation économique plus favorable, mais par contre
il permet de jouir des tarifs obtenus même au cas de situa-
tion économique mauvaise ; d'ailleurs il suffit d'en abréger
la durée pour remédier partiellement à l'inconvénient in-
diqué.
2*» En fait les patrons dans la typographie ont respecté
et veillé au respect de la convention ; et en ce sens ils si-
gnalaient un appel du patron aux ouvriers pour les ex-
horter à n'accepter nulle part du travail à un prix inférieur
au tarif.
3*^ Enfin le contrat collectif est précisément le résultat
de la lutte ; il accorde une trêve et permet aux forces ou-
vrières de se refaire pendant qu'il est en vigueur.
D'ailleurs, remarquait-on encore avec une profonde jus-
tesse, la lutte ne vaut pas pour la lutte elle-même mais pour
les résultats qu'elle permet d'obtenir; à cet égard chaque
(1) Un partisan de celle opinion s'exprime ainsi : L'éducation pour
la luUe syndicale est assurément pour nous ce qui doit tout primer.
Eti bien ! si la Fédération des typographes devait aujourd'hui engager
une lutte syndicale sérieuse, les combattants ne lui feraient-ils pas
défaut ? »
(2) Le rapporteur de la question qui était le Président de la Fédé-
ration des typographes était nettement en ce second sens.
1<)4 PHKMIKRK PAllTIK. CHAPITHK V
profession est indépeiidunte etdoit jug'er au mieux de ses
intérêts (1).
Après une longue discussion, le Congrès composé de
représentants des syndicats de presque toute l'Allemagne,
adopte l'ordre du jour suivant soumis par le Président de
la Fédération des typog-raphes, à l'unanimité moins quatre
voix.
« Les conventions de tarifs qui règlent pour un temps
déterminé, les conditions de salaire et de travail, devront
être considérées comme une preuve que les patrons recon-
naissent l'égalité de droits des ouvriers dans la fixation
des conditions du travail, et ces conventions doivent être
respectées dans les industries où se trouvent une organi-
sation forte des patrons comme des ouvriers, une organi-
sation pouvant garantir l'accomplissement d'un engagement
pris. Les durées et l'étendue de ces conventions ne peuvent
être fixées d'une manière uniforme et dépendent des par-
ticularités des diverses professions. »
Ainsi a été tranchée — ou plutôt ne l'a pas été en prin-
(1) La déclaration suivante d'un ouvrier partisan du contrat col-
lectif montre bien l'aspect de trêve qu'il a dans l'espril des Allemands :
« Il nous est impossible d'accomplir comme syndiqués notre devoir
le plus sérieux elle plus important: élever les salaires, diminuer le
temps de travail, si nous ne tentons pas d'établir des conventions avec
les patrons C'est un fait connu de chacun que les patrons font des
concessions lorsqu'ils ont besoin d'ouvriers ; mais l'essentiel pour nous,
ouvriers syndiqués, ce n'est pas seulement d'obtenir quelque chose
dans un moment favorable ; c'est de songer, tandis que les circons-
tances sont favorables, à assurer pour les temps mauvais le maintien
de ce qui a été conquis, de manière à pouvoir partir de là, lorsqu'une
nouvelle période de prospérité se fera jour, pour essayer d'aller
plus loin Il nous est absolument nécessaire d'établir des conven-
tions avec les patrons, si nous voulons aller toujours de l'avant. »
I.K CONTRAT COLLKCTIF DANS LES AUTRKS PAYS KTKAMJKUS 165
ripe — la (juoslion de la durée de ces contrais colleclifs,
qui était au premier plan dans les préoccupations Alle-
mandes.
Ce qui caractérise donc les rares contrats collectifs qui
existent en AUemugrie, c'est d'une manière générale qu'ils
apparaissent comme des étapes dans la route ascension-
nelle suivie par la Sociale-Démocratie.
Il est probable que les récentes discussions au sein du
parti socialiste Allemand et les déclarations de Bernstein
auront apporté un appui nouveau au contrat collectif; mais
il est non moins certain que ce caractère provisoire main-
tenu au contrat collectif, qui établit ainsi un bulletin de vic-
toire et qui n'assure pas comme en Angleterre des condi-
tions minima de travail, est peu fait pour en assurer la
diffusion.
Il serait encore intéressant d'étudier au point de vue
du contrat collectif la Suisse et la Russie : niais les ren-
seignements nous manquent sur ces deux pays, où le con-
trat collectif se présente sous un jour tout particulier :
En Suisse les rares exemples de contrat collectif que
nous avons pu trouver concernent l'apprentissage et la
limitation des ateliers, accessoirement le salaire (1).
Il apparait dans des essais de reconstitution sous le ré-
gime de liberté individuelle des anciennes corporations
fermées et à ce titre ne rentre pas dans le type écono-
mique que nous avons voulu étudier ici.
En Russie, avec les artels (2), la question se présente
sous un aspect également spécial : à proprement parler il
(1) L'indiislrie tiorlogère du Jura Bernois et du Jura NeiiTchAlelois :
Réforme Sociale, le octol)rc i900.
(2) Lehr, Éléments de Droit civil Russe, loin. II, p. 344.
166 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE V
n'y a pas contrat collectif au sens d'accord entre patrons
et ouvriers : l'artel est une association d'ouvriers qui,
après entente, se chargent en commun de service, tra-
vaux ou métiers excédant les forces d'un homme seul.
(Code com., art. 89.)
La répartition des salaires se fait proportionnellement
entre tous les membres sur le gain commun : ils sem-
blent d'ailleurs être fixés par contrats individuels : « les
membres travaillent pour le salaire fixé d'un commun ac-
cord avec ceux qui les emploient. » Ainsi il n'y a pas
contrat collectif pour deux raisons :
a) Vis-à-vis de l'employeur, c'est l'artel qui est respon-
sable de l'exécution de l'ouvrage ;
b) Le salaire est fixé par conventions individuelles.
Aussi bien négligeons-nous ces deux pays, Suisse et
Russie et terminerons-nous ici notre revue des contrats
collectifs dans les divers pays étrangers.
En somme et pour conclure, en dehors de l'Angleterre,
le seul pays vraiment intpressant au point de vue du con-
trat collectif est l'Amérique (Etats-Unis) : ailleurs il n'y a
que des ébauches, parfois des plus intéressantes comme
celles qui existent en Allemagne, parce qu'elles mettent
mieux en lumière un des aspects de notre problème.
CHAPITRE VI
UN PROJET DE CONTRAT COLLECTIF INTERNATIONAL
Bien que le développement du contrat collectif soit au-
jourd'hui très inégal dans les divers pays, il n'est pas im-
possible de prévoir, dans un temps plus ou moins éloigné,
qu'il franchira les frontières et dans une mesure difficile à
déterminer, pourra devenir international.
La récente tentative des mineurs est intéressante à étu-
dier à ce point de vue.
Le projet soumis au congrès international des mineurs
a pour auteur M-. Em. Lewy, financier Belge : il doit sa
naissance à une double idée : d'une part l'intérêt person-
nel de son auteur, alors actionnaire dans un charbonnage
Belge qui était au-dessous de ses affaires, et d'autre part
l'idée d'action internationale sur les conditions du travail
mise en relief par la série des congrès internationaux de
mineurs.
Le projet de M. Lewy (1) reposait sur cette idée fonda-
mentale : le principe est que le salaire de l'ouvrier varie
suivant que le prix de vente est plus ou moins élevé. Or
(1) Le texte en est donné par le Comité central des Houillères de
France. Circulaire no 1000 (1894). Annexes au Congrès de Berlin.
108 PREMlÈlth: l'AIVriK. — CHAPITRE VI
on constate dans l'industrie des mines, que le prix de vente
descend parfois très bas, trop bas, par suite d'un excès
de production : il se forme alors des stocks considérables.
La surproduction qui est ainsi habituelle nuit bien plus à
l'ouvrier qu'au patron : le patron n'éprouve qu'une simple
diminution ou peut être une privation de bénéfice, alors
que l'ouvrier, lui, subit une perle réelle par la réduction de
son salaire : aussi l'idée de M. Lewy est-elle d'empêcher
par une réglementation de la production que le prix de
vente ne puisse être invoqué par le patron pour justifier
une diminution de salaires (i) : les salaires régleront alors
le prix de vente.
Tel était le principe : voici maintenant sa mise en œuvre :
a) Gomme moyen pratique de réaliser la réglementation
internationale de la production, M. Lewy voulait réduire
partout le travail à 4 joutas par semaine — la jour-
née étant à 8 heures descente et remonte comprise — mais
l'ouvrier recevait cinq jours de salaires pour quatre jours
de travail.
Cette journée extra représentait une indemnité provi-
soire due à l'ouvrier — représentant l'augmentation de
profils que le système allait assurer aux patrons : si con-
trairement aux prévisions quatre jours était trop pour la
production, on réduirait à trois jours et on paierait le sa-
laire de quatre avec une indemnité qui serait fournie en
partie par les patrons des charbonnages et en partie par le
(i) Comme on le voit, ce n'est pas direclemenl un accord interna-
tional sur les salaires, mais la réglementation de la production y pré-
pare : d'ailleurs dans les détails du projet, le temps de travail, quatre
jours par semaine, est uniformément fixé par accord international
pour tous les pays.
UN PROJI<rr DE CONTRAT COI.I.ECTIP INTERNATIONAL 1(}9
fonds commun dont disposera le Comité international de
production.
Cette mesure pour M. Lewy devait avoir trois effets im-
médiats :
Restreindre la production en conservant à l'ouvrier son
salaire intact ;
Ecouler les stocks existants ;
Faire monter le prix du charbon à sa juste valeur.
L'auteur ajoutait «l'ailleurs à son projet une augmenta-
tion de salaires, variable suivant les pays et l'établisse-
ment de la participation aux bénéfices (25 0 0) (1).
b) Ce premier résultat obtenu, pour l'assurer dans l'ave-
nir, M. Lewy créait le Comité international de produc-
tion, dont il fixait rigoureusement la composition, le fonc-
tionnement et la mission.
Composition. — Dans le projet primitif, ce Comité de-
vrait être composé pour 3/4 de délégués des ouvriers, et
pour 1/4 de délégués des patrons : puis dans le projet
modifié à la suite d'observations des mineurs anglai.s, le
Comité aurait été formé :
Pour 1 3 de délégués ouvriers ;
Pour 1 '3 de délégués patrons, représentant du capital,
et à lexclusion des directeurs et autres employés sala-
riés ;
Pour le dernier 13 enfin d'hommes ayant des qualifica-
tions spéciales et possédant une expérience commerciale,
financière, administrative, qui pourraient être désignés par
les délégués mineurs faisant partie du Comité provisoire.
(1) On ne voil pas 1res bien commcnl cela se rattachait logique-
ment au système : c'élail pluiôl Taniorce destinée à faire udojiler le
reste.
170 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VI
La proportion des délégués pour chaque pays restait à
fixer par le Comité international des mineurs : M. Lewy
ne choisissait pas entre les deux systèmes : nombre de dé-
légués égal pour tous les pays ou nombre proportionnel
à l'importance de la production dans chaque pays.
MissioJi. — Le Comité international serait chargé de
surveiller et de régler la production suivant les besoins de
la consommation : il la fixait d'après les fluctuations des
prix sur le marché et les renseignements transmis par les
comités locaux de chaque pays (1).
Fonctionnement . — Le Comité serait un véritable mi-
nistère international des mines.
Les frais et dépenses qu'il comporte seraient assurés par
un prélèvement do 10 centimes par tonne, sur chaque
tonne de charbon extraite. Avec une extraction prévue de
300 millions de tonnes, cela donnerait 30 millions. L'excé-
dent de ce prélèvement, tous frais payés, serait versé au
fond commun du Comité.
Cette caisse serait alors une véritable caisse de résis-
tance (2) : « elle soutiendra les ouvriers qui, avec l'appro-
bation du Comité, seront obligés de se mettre en grève,
pour la défense de leurs droits. »
On constituerait ainsi une caisse analogue à la caisse
centrale des grandes unions anglaises, qui servirait à ob-
tenir les conditions du travail approuvées par ce Comité.
Le projet de M. Lewy fut favorablement accueilli par
(1) M. Lewy précise ici divers pouvoirs donnés au comité pour au-
torisations exceptionnelles d'augmenter la production : ceci ne nous
intéresse pas directement.
(2) Cette caisse est une seconde preuve que ce projet est bien au fond
un projet de contrat collectif international.
UN PROJET DE CONTRAT COLLECTIF LYTERNATIONAL 171
la Fédération des mineurs Belges : pour une fois le pro-
verbe « Nul n'est prophète en son pays », était trouvé en
défaut. Publié en Angleterre, le projet y reçut aussi un
accueil sympathique de la Fédération des mineurs de
Grande-Bretagne.
Enfin M. Lewy porta son système devant le Congrès in-
ternational des mineurs : déposé pour la première fois au
Congrès de Bruxelles (1893), le projet fut repris mais pour
la forme seulement à Berlin (1894), son auteur ayant été
expulsé par le gouvernement allemand. La véritable dis-
cussion n'eut lieu qu'au Congrès de Paris (1895).
Dans la pensée de M. Lewy c'était le congrès internatio-
nal qui devait faire aboutir le système : aussi avait-il pris
diverses mesures de détail. Un comité provisoire devait,
si le congrès adoptait le principe, rédiger le programme
définitif ; le soumettre, — en tant que de besoin à la rati-
fication des mineurs dans les divers pays ; — le notifier
aux patrons par voie directe ou par voie d'annonces, en
stipulant un délai pour leur adhésion formelle qui devra
être donnée en des formules que le comité mettrait à leur
disposition ; et faire procéder à l'élection de délégués des-
tinés à représenter les mineurs dans le comité internatio-
nal de production (1).
C'était bien l'idée du contrat, imposé il est vrai au besoin
par une coalition universelle, qui persistait et qui était
mise en œuvre.
Une proposition de M. Lamendin faite au nom du groupe
français tendait à l'adoption du projet de M. Lewy.
(i) Le Comité devait de plus avoir le droit de convoquer au besoin
un nouveau congrès international pour vaincre les résistances.
172 PREMlKRh: PARTIK. CHAPITRE VI
M. Dufuisseaux (belge) dans un rapport favorable indi-
quait que c'était bien là le véritable moyen d'arriver à un
minimum de salaires.
Après une intéressante discussion (1) qui porta plus sur
les difficultés de réalisation du système (2) que sur l'idée
môme du contrat collectif, malgré une défense énergique
du projet par M. Basly, délégué français, la proposition
présentée par les Anglais et les Allemands tondant au ren-
voi du projet au comité international du congrès des mi-
neurs fut votée par 756,000 voix (Anglais et Allemands)
contre 212,000 voix (Français et Belges).
Au fond co qui fit repousser le projet, au moins incons-
ciemment, c'est la différence de situation économique (3)
des pays différents auxquels appartenaient les délégués :
il est certain que les délégués anglais pouvaient légitime-
ment éprouver (juelques appréhensions, puisque leurs ca-
marades mineurs gagnent plus que les mineurs du conti-
nent, précisément à cause de la situation commerciale
exceptionnellement favorable de l'Angleterre au point de
vue du charbon.
M. Lewy en tout cas ne se décourage pas : il continue
la défense de son projet (4).
(1) Voir comité des Houillères de France, circulaire 1170.
(2) Le projet est [»eu pratique en l'élal actuel ; il est susceptible de
créer des divisions entre ouvriers; il comporte une alliance avec les
capitalistes qu'on repousse ; il y a lieu de craindre la concurrence des
pays neufs, etc., etc.
(3) Cf. Leroy-Beaulieu, « Le congrès international des mineurs et
les projets de réglementation de la production du charbon », Econo-
miste Français, 8 juin 1895.
(4) La réglemenlalion de la production du charbon au congrès in-
ternational des mineurs de l^aris, par M. Lewy, brochure ; Paris 1876.
L.\ PUOJKI" 1)K CO.MKAl COIJ.ECIIF INTERNATIONAL 173
Mais malj^ré tous ses etforls. les Congrès interiialionaux
(le mineurs qui suivirent (Aix-la-CIiapelle 1896 et Londres
1897) ne se prononcèrent pas : au Congrès de Londres, on
e\pli(jua l'inaction du Comité international auquel le pro-
jet avait été renvoyé — par le silence des Français-Belges
qui n'avaient pas repris le système ni au Congrès précé-
dent de 1896 ni aux séances du Comité. Aussi bien des
questions nationales, concurrence des mines Anglaises aux
mines Françaises et Belges, apparaissaient chaque jour
davantage; c'était aux pays surproducteurs à prendre l'ini-
tiative d'une réglementation de la production : en France
au contraire M. Basly venait de déposer un projet de loi
pour élever les droits sur le charbon.
Ainsi une fois de plus la question économique générale
primait les eCforts d'accord international (l),et c'est là, sem-
ble-t-il, la conclusion qui ressort de l'étude de ces projets.
De même que sur le terrain national le contrat collectif
réussit d'autant mieux que l'industrie est plus prospère et
le métier plus florissant — de même sur le terrain inter-
national, si jamais le contrat collectif doit faire un jour
son apparition dans le domaine des réalités, ce ne sera
que lorsque l'industrie sera assurée pour tous au point de
vue économique : mais cette condition est ici fort difficile
à réaliser; car il ne suffit plus d'une productivité exception-
nelle, il faut encore arriver à une harmonie des divers
intérêts économiques des nations, ce qui ne laisse pas d'être
fort difficile.
(1) Il est aussi quesliou de salaire iniDiiuiiin dans les divers Congrès
inlernalionaux de mineurs: mais les Anglais sont à peu près les seuls
partisans de sou élablissemenl par ronlrat collectif et à ce point de
vue ils n'ont pas précisé grand chose.
174 . PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VI
Il est vrai que l'accord international entre ouvriers —
et le Congrès ainsi que le projet Lewy avaient de ceci un
sentiment extrêmement juste — est sans doute le plus fa-
cile à réaliser : mais qu'on le veuille ou non, les intérêts
économiques nationaux viennent bien vite limiter le champ
d'application de cet accord.
Aussi bien le contrat collectif international n'est-il pas
encore une réalité !
CHAPITRE VU
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF
Les chapitres précédents nous ont permis d'étudier lon-
guement et par observation le contrat collectif: il en faut
maintenant esquisser la théorie.
Sur ce point notre tâche sera double :
a) Il nous faudra, en premier lieu, avant de construire,
préparer notre terrain, c'est-à-dire examiner comment
cette nouvelle forme de contrat de travail se concilie avec
les théories économiques sur le travail et le salaire ; ce
n'est d'ailleurs qu'après s'être fait jour et s'être solidement
établi dans le domaine des faits que le contrat collectif est
parvenu par la suite à se faire reconnaître droit de cité
parmi les doctrines.
Longtemps en effet le Trade-Unionisme et le contrat col-
lectif furent ignorés de la science : les Economistes négli-
geaient ces questions. « Entre 1824 et 1869 en pratique toute
la critique et toute la dénonciation du Trade-Unionisme
prirent la forme d'homélies sur la futilité du marché col-
lectif et la nocivité des grèves (1). » Cela s'est même conti-
(1) Sidney Webb.
176 PHKMIKRK PAItTIK. CIIAPITHK Ml
nué jusqu'à ces dix dernières aimées. Depuis celle dale les
remarquables travaux de B.elS. Webb ont préparé la voie
à un mouvement doctrinal très important. Donc comment le
contrat collectif se concilie-t-il avec les diverses lois na-
turelles des salaires successivement fornmlées par l'Eco-
nomie Politique ? (| I).
b) En second lieu il nous faudia tenter d'une manière
positive la théorie économique du contrat collectif, c'est-
à-dire suivi'e le mécanisme par lequel le contrat collectif
agit efficacement sur le salaire et les condilions du travail
(|II). Enfin et pour conclure nous examinerons rapidement
les principales objections faites du pointde vue économique
contre notre contrat (| III).
I I*"". — Lk contrat collectif kt lks luis naturellks
DU salaire.
Notre problème est ici le suivant : Comment admettre,
si le salaire est invariablement fixé par des lois naturelles,
que le contrat collectif prétende agir sur celui-ci ? Les di-
verses lois naturelles énoncées sont-elles rigoureuses au
point de rendre le contrat collectif inefficace ou celui-ci se
concilie-t-il au contraire avec elles ?
Examinons successivement les diverses lois naturelles
qui ont été formulées en Economie politique comme lois
du salaire. — Mais avant de suivre en détail ces diverses
lois, il faut dire un mot du postulat fondamental sur le-
quel reposent toutes ces lois, de la loi de l'ofire et de la
demande ou théorie du travail-marchandise.
LA TlIKtHUK KCONOJIiyi'K OU «;«>.\TIIAT COLI.KCTIF 177
On comuiitsur ce poiiil losllièsesde l'Ecole classique (1) :
le travail est une marchandise comme une autre, soumise
à la loi de l'offre et de la demande : le salaire ou prix du
travail s'établit d'après l'état du marché : beaucoup d'en-
trepreneurs cherchenl-ilsdns ouvriers : les prix monteront ;
beaucoup d'ouvriers au contraire attendent-ils des places :
les salaires baisseront par le jeu de la concurrence. Ou
encore comme le dit Cobden : « Les salaires haussent toutes
les fois que deux patrons courent après un ouvrier ; ils
baissent toutes les fois que deux ouvriers courent après un
patron. »
Il est clair que cette doctrine avec l'indétermination très
vague qui la caractérise est parfaitement conciliable en
théorie avec le contrat collectif : celui-ci ne fait ea somme
si l'on veut que grouper un certain nombre d'offres et y
adapter un certain nombre de demandes.
Mais historiquement cette théorie n'a pas abouti et ne
pouvait aboutir au contrat collectif ; telle qu'elle est appa-
rue, elle impliquait comme postulat ou comme corollaire
(1) Cf. Dunover, Liberté du travail, t. Il, liv. IV, ehap. X, p. 449_
Le régime de liberté du travail individuel est plus avantageux.
M La liberté est le régime le plus favorable à l'équitable distribution
des fruits du travail. Et en effet n'est-il pas sensible que moins elle
tolère de monopoles et moins elle permet à certaines classes d'abuser
de l'avantage que le monopole leur donnait sur d'autres ? que plus elle
laisse le champ de travail libre, et plus elle permet à chacun de choisir
sa condition et de n'accepter que celle où ces services lui paraîtront
suffisamment rémunérée ? N'est-il pas sensible, en un mot, que l'effet
d'un régime réel de liberté et de concurrence est de nous placer tous
dans une situation où non seulement rien ne gène l'action de nos fa-
cultés, mais où rien ue trouble la spontanéité de nos transactions, où
chacun peut tirer de ses forces et de ses ressources tout ce que légiti-
mement elles peuvent donner ? »
BATNAUD M
178 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VU
la théorie du travail-marchandise. Les théoriciens de
l'école classique comparent volontiers le contrat de tra-
vail à une vente et dans cette vente, le patron et l'ouvrier
doivent être mis face à face comme dans les transactions
ordinaires : il y a là deux intérêts égaux en présence et
l'équilibre résultera de la libre discussion. La consé-
quence toute naturelle de cette théorie — tout au moins
telle qu'elle fut historiquement dégagée — est que le
contrat de travail doit être essentiellement un accord
individuel comme la vente : toute intervention d'état, toute
coalition, toute association viendrait rompre l'égalité pré-
tendue qui existe entre le maître et l'ouvrier, comme
entre le vendeur et l'acheteur de toute autre marchan-
dise : la loi de l'otire et de la demande ne joueraient plus
à plein.
Sans doute la loi de l'offre et de la demande implique
bien que la marchandise-travail puisse être vendue en
gros aussi bien qu'au délail. Les économistes classiques
ont parfaitement admis le marchandage ; et M. Yves
Guyot avec l'organisation commerciale du travail est par-
faitement dans la tradition libérale. Le contrat collectif
par là encore semblait très possible et très légitime.
Mais cette conséquence théorique est en fait masquée
par la nécessité, pour conserver la liberté, de laisser tou-
jours en face l'un de l'autre un acheteur et un vendeur.
Le patron achète bien, si l'on veut, du travail en gros,
c'est-à-dire la force de travail de plusieurs ouvriers réu-
nis, mais il l'achète d'un individu ou d'une société qui se
trouve face à face avec lui, individu contre individu :
c'est toujours au fond le contrat individuel : Dans cette
vente en gros, on ne stipulera pas des conditions de tra-
vail : Ce sera au sous-entrepreneur à s'en arranger. Vis-
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 179
à-vis du patron, il est seul responsable. La loi de l'offre
et de la demande et la théorie du travail marchandise le
veulent de la sorte.
Ainsi pour cette première formule il est permis de con-
clure d'une part qu'elle admet très bien le contrat collectif,
mais d'autre part qu'elle ne saurait y conduire : la vente
en gros du travail est possible : mais l'aspect collectif du
contrat est ici une pure apparence : il n'y a que des uni-
lés additionnées et pas de considération d'intérêt profes-
sionnel : aussi rien ne permet de conclure qu'il faut établir
1er contrat collectif. A notre avis ce n'est pas la source doc-
trinale d'où dérive le contrat collectif et M. Floquet a
tort, en voulant le promouv^oir, de le rattacher aux théo-
ries de l'école libérale sur le travail marchandise: Jusqu à
ce jour dit-il (1), la marchandise qu'on appelle le travail a
été vendue en détail, parcelle par parcelle, par des isolés ;
maintenant il faut, au moyen de l'association, établir le
commerce en gros, collectif, de cette marchandise qu'on
appelle le travail humain.
Il y a là une jolie métaphore peut-être, mais certes pas
un raisonnement scientiûque : de la théorie du travail
marchandise, on ne saurait tirer aucune obligation. Pour-
quoi faut-il? Au nom de quel principe? Le contrat collec-
tif repose, comme nous le verrons, sur une base plus pro-
fonde que seule une analyse complète du travail humain
permet de trouver.
Quoiqu'il en soit — et c'est ici notre seule conclusion,
— la théorie de l'offre et de la demande est indifférente au
contrat collectif.
(1) Disc, à laCh. des Députés, 21 mai 1881
180 phkmiktk pautii:. — chapituk mi
D'ailleurs, les économisles ont depuis longtemps jugé
celle formule insuffisante et ont cherché à préciser d'une
manière plus nette les lois naturelles du salaire, qu'il
nous faut maintenant passer en revue.
A. — Loi du fonds des salaires.
Le contrai collectif ne trouve-t-il pas un obstacle insur-
montable (1) dans la première loi que l'on a cru trouver
pour les salaires, la loi du fonds des salaires?
Si nous prenons l'exposé de cette loi chez Stuart Mill —
non sans doute qu'il en soit le premier auteur — mais
parce qu'il en donne un exposé complet, voici comment
pour lui les choses se passent :
« Le taux des salaires dépend principalement des rap-
ports de l'offre et de la demande de travail ; ou, connne on
le dit souv«;nt, du rapport qui existe entre la population et
le capital (2).
Les salaires, non seulement dépendent des rapports qui
existent entre le capital et la population, mais sous l'em-
pire de la concurrence, ils ne peuvent être affectés par
(1) Cette loi, comme la suivante, eut un effet direct et incontestable
à une époque sur notre question : en Angleterre notamment, il fut de
mode de ISW) à 1870, au nom des lois naturelles de l'Economie poli-
tique, de repousser les coalitions d'ouvriers : celles-ci, disait-on, étaient
dans l'impossibilité d'augmenter les salaires des uns autrement qu'au
détriment des autres : la fraternité ouvrière s'opposait soi-disant à
toute tentative de ce genre.
(2) Ici Miil explique ce qu'il faut entendre par population et par ca-
pital dans l'énoncé de sa loi : par population il entend « les personnes
qui travaillent au prix d'un salaire » et par capital la somme des ca
pilaux affectés au paiement des salaires.
LA THÉOHIK KCONOMIQUK DU CONTRAT COl.LWniK ISl
aucune autre cause. Le taux ujoyen des salaires ne peut
s'élever que par un accroissement du capital affecté aux sa-
laires ou par une réduction du nombre de ceux qui sont
en concurrence pour offrir leur travail ; ils ne peuvent
baisser que par une diminution du capital destiné à payer
le travail ou par une auginentalioii du nombre des travail-
leurs à payer (1) ».
Vains seraient donc, si telle est la loi des salaires, les
efforts des ouvriers réunis à propos du contrat collectif :
ils n'agissent ni sur l'un ni sur l'autre des termes du
rapport et par suite ne sauraient modifier le taux des
salaires.
A cette célèbre tiiéorie, on a adressé plusieurs critiques
des plus sérieuses.
D'abord ce n'est pas le taux moyen des salaires quil
nous importe de connaître, mais le taux des divers salai-
res payés dans les diverses entreprises : et par là déjà le
contrat collectif tout entier pourrait passer.
De plus, le montant du fonds de roulement du tra-
vail et le nombre des travailleurs salariés sont des quan-
tités parfaitement indéterminées, variables et inappré-
ciables.
Enfin, bien que leur rapport puisse régler le taux des
salaires, il est tout aussi exact de dire que ces quantités
elles-mêmes dépendent de ce taux : en effet, suivant le
taux des salaires, le nombre des travailleurs salariés aug-
mentera ou diminuera par diminution ou augmentation des
autres classes, en même temps que le montant du fonds
de roulement affecté aux salaires augmentera ou dimi-
(1) St. Mil), Principes d' Economie politique, t. II, chap. XI, % i".
182 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VII
nuera d'une manière semblable suivant la diminution ou
l'augmentation des autres fractions du capital circulant et
même du capital fixe.
Aussi la théorie est-elle depuis fort longtemps abandon-
née et St. Mill lui-même écrivait, quelques années après
ses Priîicipes cV Economie politique :
« La doctrine qu'ont enseignée tous ou presque tous les
économistes, et moi-même tout le premier, d'après laquelle
il ne serait pas possible d'élever le taux des salaires par
des combinaisons entre les travailleurs, ou qui limiterait
l'action de ces combinaisons à l'obtention plus hâtive d'une
hausse que la concurrence aurait produite sans cela, cette
doctrine ne repose sur aucune base scientifique et doit être
rejetée (1). »
Le contrat collectif ne rencontre donc pas ici, d'affirma-
tion doctrinale gênante : entre le minimum de salaires et
le maximum de profits, le contrat collectif peut utilement
fixer le salaire de l'ouvrier.
B. — Loi du salaire naturel ou nécessaire.
La loi du salaire naturel ou nécessaire serait-elle plus
sérieuse et formerait-elle un obstacle invincible au contrat
collectif ?
Mais d'abord, où faut-il prendre la formule de cette loi,
chez Turgot, chez Ricardo ou chez Lassalle : les modifica-
tions successives qu'on peut relever dans la formation de
cette théorie sont déjà une première preuve de la difficulté
(1) Article : « L'Unionisme ouvrier », Fortnightly Review., mai et
juin 1859.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 183
qui existe d'enserrer la réalité économique en une formule
aussi simpliste.
Turgot(l) ébauche la formule de la loi : « Le simple ou-
vrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien qu'au-
tant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine. Il la vend
plus ou moins cher : mais ce prix plus ou moins haut ne
dépend pas de lui seul : il résulte de l'accord qu'il fait avec
celui qui paye son travail. Celui-ci le paye le moins cher
qu'il peut; comme il a le choix entre un grand nombre
d'ouvriers, il préfère celui qui travaille au meilleur mar-
ché. Les ouvriers sont donc obligés de baisser le prix à
l'envi les uns des autres. En tout genre de travail^ il doit
arriver et il arrive en effet que le salaire de l'ouvrier
se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa
subsistance. »
C'est on le voit, par ce texte complet, l'application puro
et simple du principe de moindre action à la détermina-
tion des salaires. Aucun principe de population, au-
cune idée même du coût de production du travail nette-
ment dégagée ne donnent ici de force contraignante à la
formule et il est clair que si les ouvriers voulaient s'en-
tendre, pour qu'aucun d'eux n'accepte de travailler au-
dessous d'un certain taux, le contrat collectif serait possi-
ble et la formule de Turgot cesserait de s'appliquer.
Avec Ricardo (2) la théorie se précise par l'application
au salaire du coût de production, sans arriver cepen-
dant à une rigueur bien mathématique : après avoir rap-
(1) Sur la foiTnation et la distribution des richesses, œuvres de
Turgot, éd. Daire, p. 13.
(2) Principes d'économie politique, « Des salaires », chap. V, p. 60.
« Le prix naturel est celui qui fournit aux ouvriers en général les
184 PREMIKIIK PAiniK. CHAPITKE VII
pelé q«e le travail comme toute marchandise a un prix
naturel et un prix courant, Ricardo pose la loi : « Quel-
que grande que puisse être la déviation du prix courant
relativement au prix naturel du travail, il tend ainsi
que toutes les denrées, à sefi rapprocher. »
C'est alors la double oscillation en sens inverse qui tend
sans cesse à ramener le taux du salaire courant au taux
du salaire naturel :
« C'est lorsque le prix courant du travail s'élève au-
dessus de son prix naturel que le sort de l'ouvrier est
réellement prospère et heureux, qu'il peut se procurer en
plus grande quantité tout ce qui est utile ou agréable à la
vie, et par conséquent élever et maintenir une famille ro-
buste et nombreuse...
Quand le prix courant du travail est au-dessous de son
prix naturel, le sort des ouvriers est déplorable la pau-
vreté ne leur permettant pas de se procurer les objets que
l'habitude leur a rendus absolument nécessaires. Ce n'est
que lorsqu'à force de privations, le nombre des ouvriers
se trouve réduit, ou que la demande de bras s'accroît, que'
le prix courant du travail remonte de nouveau à son prix
naturel. »
Ce prix naturel n'est d'ailleurs pas pour Ricardo une
quantité fixe et constante (1) : il varie avec les temps et
les pays et dépend des mœurs et des habitudes du peuple.
moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement
ni diminalion.
« Le prix courant du travail est le prix que reçoit réellement l'ou-
vrier d'après les rapports de l'offre et de la demande, le travail élant
cher quand les bras sont rares et à bon marché quand ils abondent. »
(1) Cf. loc. cit., p. 62.
I,\ THKORIK Kr.ONOMIQUR DU CONTRAT COLI.KCTIF 185
Par là donc la rigueur de la loi naturelle nous échappe
encore : celle-ci se présente fuyante et souple.
Cependant l'introduction du coût de production et du
principe de population font pressentir la rigueur que
Lassalle devait donner à cette loi du salaire nécessaire.
« Le salaire moven est réduit à ce qui est indispensable
à l'entretien de la vie, à ce qui, chez un peuple, est habituel-
lement nécessaire à la conservation et à la reproduction
de l'espèce (1). » C'est ainsi que Lassalle fornnule la loi du
salaire nécessaire, qu'il a appelée loi d'airain ; il reprend
ainsi la théorie de Ricardo, en lui enlevant toute souplesse
et en lui donnant une plus grande rigueur.
Si la loi d'airain est exacte, le contrat collectif tentera
vainement d'élever le niveau du salaire : il ne pourra lutter
contre cette force naturelle qui tend à ramener le prix
courant du travail au taux de son prix naturel : il y aura
forcément des fissures dans la muraille artificielle que tend
à construire le contrat collectif et l'ouvrier isolé qui tra-
vaille à des conditions inférieures à celle du contrat est
une nécessité inéluctable que l'on ne saurait éviter.
A cette doctrine pessimiste, aujourd'hui, si universelle-
ment abandonnée, on peut répondre d'une double ma-
nière : d'abord, en fait, il est incontestable que dans maint
pays le contrat collectif, la fixation collective du salaire et
des conditions du travail, en dépit de cette prétendue loi,
a amélioré la situation de l'ouvrier syndiqué d'une très
notable manière. Sans doute, on peut répliquer que cette
amélioration provient moins du contrat collectif que de
(1) Lassalle, Lettre ouverte au Comité central chargé de convo-
quer un congrès ouvrier allemand général à Leipzig, 1er mai 1863.
186 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII
l'élévation du Standard of life, de l'ensemble des besoins
de l'ouvrier qui se sont développés et qui seuls eussent
amené la hausse de salaire. Mais la réponse ne porte pas,
car on devrait en ce cas trouver pour une même ville et un
même métier, dans des conditions ég-ales d'ailleurs, un taux
de salaire uniforme fixé par la loi d'airain : or, en fait, il
n'en est pas ainsi. L'inégalité des taux de salaires dans ces
circonstances infirme donc la réplique et l'on peut mainte-
nir que le contrat collectif a sûrement agi sur le salaire
des syndiqués. Mais il y a plus : il a eu incontestablement
un effet des plus heureux sur la situation même des non-
syndiqués (1). C'est donc que là non plus, la prétendue loi
ne s'applique pas : la nécessité des blacklegs et des dissi-
dents s'évanouit, et la riche souplesse du contrat collectif
remplace heureusement la rigidité sévère et cruelle de la
loi.
En second lieu, de l'aveu même de certains auteurs de
l'école classique, la loi d'airain n'a au point de vue doctri-
nal qu'une valeur approchée et nullement contraignante (2).
Elle s'appliquerait peut-être et serait exactement vérifiée
en l'absence de toute organisation syndicale et de tout
contrat collectif, tout de môme que la pesanteur ferait
tomber à terre les ballons sans la résistance de l'air. Mais
il y a précisément en face de la loi d'airain et pour lutter
contre elle le contrat collectif : c'est lui qui empêche com-
me nous le verrons en détail plus loin, que le salaire ne
(d) Sur ce point, Cf. les démonstrations déflnitives deB.etS. Webb,
Histoire du Trade Uniojiisme ; Industrial Democracy .
(2) Ajoutez que la demande du travail suit l'augmentation de la
population ouvrière, parce que celle-ci est consommatrice en même
temps que productrice.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 487
se réduise à ce qui est strictement nécessaire à l'entretien
de la vie de l'ouvrier et de sa famille, c'est lui qui s'oppose
au marché de la faim (1).
Donc le contrat collectif qui exprime un des îispecls de
la marche des salaires n'est pas plus inconciliable avec la
loi d'airain qui en exprime un autre, que la pesanteur
n'est incompatible avec la résistance de l'air : ce sont
deux forces anlag^onistes, deux aspects également vrais
de la réalité qui ne se contredisent nullement.
C. — Loi de la productivité du travail.
On a enfin proposé plus récemment (2) une théorie qui
n'est pas plus rigoureuse que les précédentes et qu'on a
appelée la théorie de la productivité du travail. « Le sa-
laire du travailleur finit toujours par coïncider avec le
produit de son travail, déduction faite de la rente des
impôts et de l'intérêt (3). » En d'autres termes le salaire
est directement propoj^tionnel à la productivité du tra-
vail.
Cette loi, fut-elle exacte, ne serait pas davantage con-
traignante : on peut très bien admettre que le contrat
collectif agit indirectement sur la productivité et par ce
détour sur le salaire. *
(1) Aussi bien aujourd'hui, dans le désarroi général des théories du
salaire, la plupart des auteurs contemporains qui essaient quelque
théorie du salaire fout-ils entrer en ligne de compte l'action de l'asso-
ciation professionnelle, l'action du contrat collectif. — Cf. Levasseur,
« Les causes régulatrices du salaires », Revue d'E. P., p. 229.
(2) Cf. Beauregard, Essai sur la théorie du salaire ; Chevalier,
Les salaires au XlX'f siècle ; Villev, La question des salaires.
(3) Stanley Jevons.
188 PRKMIKUE PARTIK. CHAPITRE VII
Mais la loi elle-même est contestée : elle ne tient pas
compte de l'offre et de la demande qui viennent contreba-
lancer l'action de la productivité.
En somme et pour conclure sur ce point le contrat col-
lectif est à côté de cette loi de l'économie politique sur le
salaire, comme celle-ci est à côté de la réalité. Son action
réelle sur le salaire est parfaitement compatible avec celle
de cette loi : celle-ci n'est pas « exhaustive de la réalité »
le contrat collectif pénètre plus avant qu'elle et en ce sens
il la complète.
Ainsi les lois naturelles du salaire — dans la très faible
mesure oii on peut les croire exactes — ne sont nullement
un obstacle au contrat collectif. Il y a de cette absence
d'opposition une raison bien simple: les lois naturelles de
l'Economie politique sont comme nous l'avons vu, incom-
plètes et fragmentaires : cela tient surtout à ce qu'elles ne
sont que l'application pure et simple des lois générales de
l'Economie Politique au travail et au salaire : elles ne tien-
nent pas compte de ce qu'il y a spécial, de particulier, de
spécifiquement distinct dans la question des rapports entre
ouvriers et patrons : Ricardo, James Mill, St-Mill, Mac
Cullocb (1) ne connaissent pas de classe ouvrière, dans le
sens propre du mot et moins encore les diverses «îlasses
d'ouvriers, les circonstances qui les font agir. Ils ne con-
naissent pas non plus les patrons. Ils n'ont pas analysé ce
qu'il y a de proprement industriel dans le problème : ils
n'ont pas pénétré au fond de la question des rapports du
patron et de l'ouvrier.
Une réaction est venue et aujourd'hui grâce à une série
(1) Cf. Lujo Brenlano, « Une leçon sur l'Economie Politique classi-
que », Revue d'E. P., 1889, p. 4.
I..V TIIÉOHIE KOONOMlQUIi DU CUISmAI" CIH.I.KCI IK 189
(lauleurs {{) de tli\ erses Ecoles, celte analyse est poussée
beaucoup plus loin: Brenlano résume adtniraljleiiicnt les
résultats de toutes ces éludes dont nous ne pouvons suivre
ici le développement historique. Il ruine définitivement la
lliéorie du travail marchandise, l'application des idées ordi-
naires au travail et au salaire: il faut insisl<'r sur celle réfu-
tation qui domine toute la théorie éconoini(|ue du contrat
collectif.
L'éminenl professeur (2) ne nie pas, si l'on veut en la
forme, que le travail ne soit une marchandise (3), « certes
on ne peut pas dire que le travail n'est pas une marchan-
dise parce (juen j^énéral il est acheté et vendu, et que par
conséquent 1 ouvrier est vendeur de marchandise». — Mais
c'est une marchandise spéciale et à ce titre elle veut être
traitée différennnent : » Mais on ne peut non plus nier que
le travail considéré comme marchandise et l'ouvrier conmie
vendeur n'offrent des particularités telles que le travail doit
être distingué de toute autre marchandise. »
Et pour Brentano les différences peuvent se ramener à
trois principales qu'il développe longuement et que nous
résumons ici :
a) Le travail c'est f exploitation de la force vive ; c'est
l'HoMME lui-même appliquant à produire des valeurs éco-
nomiques son corps, son intelligence, son cœur: aussi
dans la vente du travail, la chose dont on vend la mise en
valeur est la personne même du vendeur \ là est assuré-
(1) lirenlano, M"" Kelleler. Toniolo, S. el IJ. Webb, elc, elr...
(2) La (juestion ouvrière, Irad. f., Léon Caiiberl, p. 48.
(3) C'est là une indication de pure forme, car il est une marchan-
dise lellemenl spéciale qu'à vrai dire il n'en est plus une au sens ordi-
naire du mol.
190 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VII
ment une première différence capitale avec les ventes ordi-
naires ;
b) En second lieu, « tandis que le propriétaire, qui vend
toute autre espèce de marchandise, peut vivre de la mise
en valeur et de la vente d'autres marchandises, l'ouvrier,
qui en général, n'a que sa force de travail, est contraint
pout^ assurer son existence de vendre continuellement .
Dès lors il en résulte une infériorité indéniahle pour l'ou-
vrier au point de vue de l'offre.
De là sans doute comme conséquences accessoires les
salaires dérisoires et les conditions du travail déplorables
qu'accepte l'ouvrier dans le contrat du travail individuel.
c) Enfin la vente du travail entraîne « une domination
de l'acheleur sur la personne du vendeur de travail » : l'a-
cheteur de travail acquiert par son achat domination sur
la force vive de l'ouvrier et par suite sur l'homme tout
entier, sur ses jouissances mêmes, sur toute son existence,
physique, intellectuelle, morale et sociale.
Ainsi marchandise spéciale qui est la personne humaine,
marchandise vendue continuellement, marchandise entraî-
nant domination absolue sur la personne même de l'ou-
vrier, telles sont les trois différences qui séparent le tra-
vail de toutes les autres marchandises et qui par la même
postulent et exigent que la vente en soit réglée tout autre-
ment que les ventes ordinaires (1).
(1) Cf. Léon Xlli, Encyclique Rerum yiovariun. — Ayant rappelé
le caractère de personnalité et de nécessité du travail, le Pape ajoute :
« Que le patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conventions
qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notamment sur le chiffre du
salaire, au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice natu-
relle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas
être insuffisant à faire subsister l'ouvrier libre et honnête. «
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 191
La spécialité des rapports entre patrons et ouvriers ainsi
dégagée complète ainsi l'insuffisance des théories classi-
ques ; ce point de départ rappelé, il est possible de tenter
la théorie économique du contrat collectif.
Toutes ces idées que l'on pourrait résumer d'un mot par
la dignité du travail et de l'ouvrier sont aujourd'hui
courantes (1). Elles tranchent nettement avec la conception
classique et traditionnelle du travail et dominent de toute
leur hauteur la théorie du contrat collectif.
I II. — Essai de théorie économique du contrat collectif.
La partie critique ainsi achevée, le terrain est dégagé
et la théorie économique du contrat collectif, quoique fort
délicate, n'est cependant pas impossible à établir.
Comme principe le contrat collectif remédie à l'inégalité
des parties dans le contrat du travail (A) tout en conservant
les avantages de la liberté industrielle (c). Tels sont les
deux points qu'il est nécessaire d'étudier successivement.
Mais cette position suppose elle-même un postulat sur
lequel il est indispensable de revenir :
Il y a inégalité dans le contrat de travail entre les par-
ties (a).
Reprenons brièvement cette dernière proposition en en
montrant les origines tiistoriques :
(1) Les diverses Ecoles sociales, notamment l'Ecole catholique, ont
grandement contribué à leur diffusion.
192 PUKMlKltH: PAHTIK. CHAPlTIii; Mi
A. — Il y a inégalité entre les parties dans le contrat de travail
individuel.
Déjà Adam Smith (1) en une plirase célèbre avait pres-
senti cette inégalité en écrivant : « A la longue, il se peut
que le maître ait autant besoin de l'ouvrier (jue celui-ci a
besoin du maître : mais le besoin du premier n'est pas si
pressant. » Cependant Adam Smith n'en tire aucune con-
clusion relativement au contrat de travail et n'apporte
cette remarque incidente que connue supplément à Tiné-
galité des parties au point de vue de ' la coalition sur
laquelle il insiste longuement dans son chapitre des sa-
laires.
Puis l'analyse se poursuit avec Sismondi (2), (|ui le
premier bat en brèche les théories classiques sur le tra-
vail. Sans doute le spectacle qu'il avait sous les yeux —
le développement formidable de la grande industrie — lui
(1) Richesse des nations. \À\\ I, chap. 8, p. 81.
(2) On lui trouverait bien quelques précurseurs, ainsi Necker :
« D'où vient la misère du peuple dans tous les pays et quelle en
sera la source éternelle ?
« C'est le pouvoir qu'ont les propriétaires de ne donner en échange
d'un travail qui leur est agréable que le plus petit salaire possible,
c'est-à-dire celui qui représente le plus étroit nécessaire.
« Or ce pouvoir entre les mains des propriétaires est fondé sur leur
très petit nombre en comparaison de celui des hommes sans propriété,
sur la grande concurrence de ces derniers et principalement sur la
prodigieuse inégalité qu'il y a entre les hommes qui vendent leur tra-
vail pour vivre aujourd'hui et ceux qui l'achètent pour augmenter sim-
plement leur luxe ou leurs commodités; les uns sont pressés par
Vinstant, les autres ne le sont point \ les uns donneront toujours la
loi, les autres seront toujours contraints de la recevoir. » {Sur la lé-
gislation et le commei'ce du grain, p. 270, Ed. Giiillaumin.)
LA TlitOHIK KCONOMiyLK DU CONTHAT «lOLI.KCTIF 193
inspira une conceplion [)lus exaclo des rapports du patron
et de l'ouvrior dans le contrat de travail : l'opposition, le
ronflit lui apparaissent trt>s nettement entre l'ouvrier et
l'entrepreneur coopérant à la même production.
Voici d'abord pourquoi Tenlrepreneur cherchera à obte-
nir les conditions les plus avantageuses pour lui, />ar con-
séfjuent les plus défavorables à F ouvrier : « Le capitaliste
calcule, s'il ne pourrait point trouver sur les ouvriers pro-
ducteurs le profit que ne lui offrent point les consomma-
teurs (1). »
Dans la discussion, la lutte est inégale, car d'une part
l'ouvrier a besoin de son travail pour vivre, et d'autre
part la concurrence respective des ouvriers entre eux vient
encore abaisser le niveau des conditions obtenues. Sis-
mondi l'explique très nettement en des phrases qui lais-
sent bien loin la prétendue égalité de situation au dire
des écouonjistes de l'école classique : faisant 1 histoire de
ces rapports, il écrit :
« Lorsque l'ouvrier traitait avec un chef d'atelier, de
l'échange de son travail, contre sa subsistance, sa condi-
tion est toujours désavantageuse ; car il avait bien plus
besoin de subsistance et bien plus d'impossibilité de s'en
procurer par lui-même, que le chef d'atelier n'avait besoin
de travail : il demandait de la subsistance pour vivre,
le chef demandait du travail pour gagner (2). »
Ailleurs encore Sismondi exprime très nettement cette
inégalité :
« Obligés de lutter pour leur subsistance avec ceux qui
{{) Nouveaujc principes (f économie politique, 18iî), 11, p. .3ë9.
(2) Id., I, p. 91.
RAYNALD 43
194 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE Vil
les emploient, ils ne sont pas leurs égaux en forces. Les
maîtres et les ouvriers sont, il est vrai, réciproquement
nécessaires les uns aux autres ; mais cette nécessité presse
chaque jour l'ouvrier, elle donne du répit au fabricant ;
le premier doit travailler pour vivre, le second peut
attendre et vivre encore sans faire travailler (1). »
On voit ici exprimée pour la première fois et forte-
ment traduite cette inég^alité dans le contrat de travail qui
devait faire naître tant de discussions en des temps plus
récents.
Sismondi ajoute d'ailleurs que cette situation malheu-
reuse et défavorable de l'ouvrier est encore augmentée par
l'opposition que la concurrence établit entre les intérêts
des ouvriers : la population ouvrière augmentant dans
l'organisation moderne, « le nombre de ceux qui deman-
dent du travail, étant toujours plus grand, ils ont dû être
toujours plus empressés d'accepter le travail quelconque
qu'on leur offrait, de se soumettre aux conditions qu'on
leur imposait (2) ».
D'ailleurs, Sismondi ne croit pas à l'efficacité de l'asso-
ciation professionnelle, bien qu'il demande le droit de
coalition : pour lui les remèdes à la situation indiquée
doivent être l'intervention d'Etat et la garantie profession-
nelle (3).
Peu après Sismondi, l'inégalité des parties est manifes-
tement proclamée par Buret (4), et cette fois l'auteur va
(1) Nouveaux principes d'économie politique, I, p. 377.
(2) Id., p. 92.
(3) Voir Aflalion, Sismonde de Sismondi, p. 152 et suiv.
(4) Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en
France, 2 vol., Paris, 1840, t. I, p. 47 et suiv.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAL COLLECTIF 195
diroclement jus(ju"au remède, le contrat collectif : nous
trouvons ainsi dans la doctrine, dès 1840, une esquisse
très sérieuse des idées qui depuis (levaient prendre une si
grande extension : le morceau est curieux et vaut d'être
cité :
Pour remédier aux abus du contrat individuel et limiter
la concurrence, Buret propose le système suivant :
f( Le forme du gouvernement de l'industrie devrait être
la forme représentative. Chaque industrie aurait, comme
les anciennes corporations, ses magistrats élus par les maî-
tres et par les ouvriers, qui composeraient pour chaque
métier une Chambre syndicale, ou plutôt un Conseil de
famille, dans le sein duquel se décideraient les affaires de
la profession ; le Conseil de famille de chaque métier ar-
rêterait à certaines époques le taux des salaires, sanc-
tionrterait les contrats d'engagement des ouvriers et gar-
derait en dépôt les livrets. Chaque homme du métier aurait
droit d'assister aux séances du Conseil et c'est devant lui
que se feraient les engagemenis des ouvriers. Un entre-
preneur de travail ne pourrait renvoyer aucun de ses ou-
vriers sans en prévenir une quinzaine d'avance le Conseil
et de même l'ouvrier avant de quitter son atelier serait
tenu de remplir la même formalité, etc.. »
Au-dessus, un syndicat cantonal, formé de la réunion
de délégués des syndicats communaux serait, sous la pré-
sidence du juge de paix, un Conseil des prud'hommes,
chargé de juger les affaires industrielles et tout ce qui
concerne les rapports des maîtres et ouvriers dans l'étendue
du canton. Au-dessus, Conseil départemental et Conseil
national (Conseil suprême de la production nationale), pour
réunir et faire connaître la production nationale et les be-
soins des divers marchés.
196 PRKMIÈUIÏ PARTIK. CHAPITIIK VU
Il faut insister quelque peu sur cette inégalité du pa-
tron et de l'ouvrier dans le contrat du travail individuel,
puisque c'est sur elle que repose la nécessité même du
contrat collectif.
Certes sur ce point les témoignages discordants ne man-
quent pas et les deux opinions opposées ont leurs parti-
sans irréductibles.
Nous avons déjà vu les arguments de ceux qui soutien-
nent que l'égalité existe dans le contrat de travail indivi-
duel. Il nous faut, avant d'exposer en détail la théorie op-
posée, retrouver dans l'école classique même la lente infil-
tration de l'idée contraire : sans doute l'inégalité aperçue
ne fait pas modifier les positions doctrinales dès l'abord.
Basliat et M. de Molinari ne vont pas jusqu'au contrat col-
lectif : cependant M. Leroy-Beaulieu l'admet aujourd'hui.
Ce sont là de précieux aveux, qu'il nous faut recueillir.
Basliat{i) rencontre l'objection sous sa forme ordinaire:
il y a inégalité parce que le capital peut attendre et que le
travail ne le peut pas, si bien que le capitaliste fixe létaux
du salaire.
Mais pour lui ce n'est là qu'un raisonnement superficiel:
« sans doute, dit-il en propres termes, en s'en tenant à la
superficie des choses, celui qui s'est créé des approvision-
nements et qui à raison de sa prévoyance peut attendre,
a l'avantage du marché. A ne considérer qu'une transac-
tion isolée, celui qui dit : Do lit facias n'est pas aussi
pressé d'arriver à une conclusion que celui qui répond :
Facio ut des^ car quand on peut dire do, on possède et
quand on possède, on peut attendre. »
(1) Harmonies économiques, p. 483.
I..\ THKORIR KCONtiMIQUIÎ l»0 COiNTHAT COI.LKCriK 197
Mais la théorie de la valeur de Basliat qui ideiililie le
service et le produit, lui sert à rétablir l'égalité.
(. Si Tune des parties dit do, au lieu de facio, c'est
(ju'elle a eu la prévoyance d'exécuter le /"«ao par anticipa-
tion. Au fond c'est le service de part et d'autre qui mesure
la valeur. » Et Basliat expli<jue (jue le patron est pressé lui
aussi de conclure le nmrché de travail, parce que tout re-
tard est une perte pour le travail antérieur. Et il constate
qu on fait on ne voit pas les manufacturiers suspendre le
travail « unicjuement pour déprécier le salaire, en pre-
nant les ouvriers par la fannine ».
Sans doule, niais personne n'a dit que le but direct du
patron soit de déprécier le salaire (i). Là n'est point la
question. La réponse de Bastiat ne porte pas, quand il
oppose les deux attentes : « Si, pour le travail actuel tout
retard est une souffrance, pour le travail antérieur il est
une perte. » Ou plutôt elle se retourne contre lui dans les
termes mêmes : car il y a une sing^ulière différence entre
la souffrance, qui atteint le travail dans sa force vive, dans
l'homme, dans l'ouvrier et dans sa famille, et la perte qui
ne porte que sur du travail mort, matérialisé; que le travail
soit interrompu, les actionnaires ou l'entrepreneur ne
mourront pas de faim pour cela — landis que les ouvriers
sont directement et inmiédiatemenl atteints.
Ainsi la réponse de Bastiat à l'objection d'inégalité est
loin d'être topique et il semble qu'il en ait lui-même le
sentiment, car il continue son développement: « sans nier
(1) On a vu cèpe adanl certaios patrons dans certaines grèves, ju-
geant les propositions des ouvriers quant aux salaires inacceptables,
préférer subir des pertes sur leur en pital et leur matériel plutôt que
de céder.
198 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VII
ici que la position du capitaliste à l'égard de l'ouvrier ne
soit favorable sous ce rapport ».... De son aveu même, i)
existe une inégalité réelle de fait entre le patron et l'ou-
vrier dans le contrat de travail.
M. de Molinari n'est pas moins affimatif: pour lui aussi
l'idéale égalité de physiocrates et des premiers économistes
classiques n'est plus qu'un souvenir.
« Le salaire du travail ne représente la part équitable
de l'ouvrier dans la production que dans cette même si-
tuation d'équilibre de l'offre et de la demande des bras.
Lorsque ce travail est plus demandé par les ouvriers
qu'offert par les entrepreneurs, on voit quelquefois les
salaires descendre au-dessous de toute limite raisonnable.
Pressés de gagner de quoi subsister, les travailleurs sura-
bondants offrent leurs services à vil prix et font baisser
successivement les salaires généraux jusqu'à l'équivalent
d'un minimum de subsistances (1). »
Ainsi, quoique l'auteur obvie à la situation par un
remède différent, il ne nie pas l'inégalité de fait dans le
contrat de travail.
Quels sont maintenant, si nous essayons de les réunir
en un solide faisceau, les arguments de cette inégalité réelle
entre l'ouvrier et le patron dans le contrat de travail (2).
Une remarque préalable s'impose :
Ce serait bien mal comprendre cette inégalité que delà voir
(1) De Molinari, « De l'organisation de la liberté industrielle »,
4846, Etudes économomiqnes, p. 46. — Pour lui le remède est ail-
leurs, dans l'organisation de la publicité du travail et de la mobilisation
rationnelle et peu coûteuse du travailleur.
Cf. De Molinari. La guerre civile du capital et du travail. Journal
des Econom. 4899, septembre, p. 324.
(2) Le plus souvent, on émet sur ce point plutôt d'énergiques décla-
I..\ THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 199
en (juelquo sorte en bloc et non dans le détail : sans doute
le patron est idéalement libre de ne pas engager d'ouvrier,
comme l'ouvrier est idéalement libre de ne pas accepter tel
patron : l'idéal consentement, le nutum, c'est-à-dire le oui
final est pareil de part et d'autre, mais c'est précisément
dans l'établissement de toutes les conditions du travail, de
toutes les clauses du contrat que l'inégalité réside et paraît
incontestable (1).
D'abord le plus souvent avec les conditions modernes
de la grande industrie toute discussion des conditions du
travail entre le patron et l'ouvrier est impossible : dans la
majorité des cas, les conditions auxquelles l'ouvrier à em-
baucber travaillera, sont fixées unilatéralement par le pa-
tron : c'est à prendre ou à laisser (2) : C'est d'ailleurs une
nécessité inéluctable que le régime collectif uniforme du
travail : tout établissement industriel, pour peu qu'il ait
rations que de solides raisons. Les formules d'ailleurs méritent d'être
relevées :
Ce contrat met en présence un « sac d'argent et un estomac ». Disc,
de M. Furnémont. Ch. des Représentants Belges, 24 fév. 1899, Annales
Parlementaires, p. 697.
« Si c'est l'ouvrier qui s'engage, trop souvent c'est sa faim qui ac-
cepte. » Id., Carton de Wiart, 8 mai 1899, Annales Parlent., t. 777).
« Le taux fixé pour le salaire n'est pas fixé par un libre débat : il
n'est pas le résultat de la liberté : il est le résultat de la nécessité :
voilà le mal! » (Ch. Gide, Conférences sur le contrat de travail.)
(1) Cf. dans les contrats rescindés pour cause de lésion ; il y a sans
doute deux volontés égales en présence, mais la loi déclare ces contrats
rescindables précisément parce que dans l'établissement des conditions
du contrat, l'inégalité était trop forte.
(2) Parfois ce n'est pas au patron lui-même ou à son représentant
immédiatiat que l'ouvrier aura à faire : il sera embauché par un con-
tremaître ou un ouvrier subalterne.
200 PKKMlÈKIi: PARTIK. CHAPITRK Vil
quelque importance, ne saurait admettre l'infinie variété de
contrats au point de vue du salaire, du temps de travail,
etc., qui s'adapteraient aux exigences mdividuelles : il
est clair par exemple que le fonctionnement du moteur
mécanique fixe d'une manière uniforme pour tous la durée
de la journée de travail. De môme il ne peut y avoir des
tarifs individuels de salaire : la division du travail est d'or-
dinaire poussée trop loin : trop d'ouvriers collaborent à la
confection d'un même produit, pour qu'on puisse prati-
quement retrouver dans le long- et compliqué processus
de production la part de chacun. Ainsi le plus souvent la
discussion individuelle des conditions du travail est une pure
apparence : « et alors la discussion sera collective ou ne
sera pas (1). »
Mais admettons qu'un patron accepte, dans la mesure
où elle est possible, la discussion individuelle des condi-
tions du travail et précisons l'inég-alité sur ce cas idéal.
Il y a inégalité pour ainsi dire à chaque phrase de l'éla-
boration du contrat :
Inégalité dans les propositions ;
Inégalité dans la discussion ;
Inégalité dans la conclusion.
Inégalité dans les propositions d'abord. — Il est cer-
tain qu'en vertu de ses connaissances conmierciales et
économiques le patron a, sur l'état actuel du marché, sur
les taux courants de salaires, sur les chances de hausse
et de baisse du prix de la main-d'œuvre des données
beaucoup plus étendues et plus précises que celles que
possède l'ouvrier. De toute manière le patron saura éta-
(1) M. Jay à son cours.
I,A IUKORIK KCONOMiyUE UU CONTHAT COLLKCTIF 204
blir iiiu' olFre Je salaire aussi conforme que possible à
sou iiilérèt. Sait-il par exemple que beaucoup d'ouvriers
sont sans travail, que le chômage règne dans la profession,
il en proliféra tout naturellement pour surbaisser le taux
de salaire et établir des conditions de travail tout particu-
lièrement avantageuses pour lui. Est-il au contraire en
présence dun manque de bras, d'une rarelé de main-
d'œuvre, il calculera au plus juste les conditions suffisantes
pour retenir l'ouvrier qu'il veut embaucher et fera les pre-
mières oiï'res assez bas pour se laisser une marge suffi-
sante par laquelle il semblera faire des concessions : Dans
les deux cas, l'ignorance économique de l'ouvrier isolé le
rend incapable d'apprécier sérieusement les conditions du
contrat.
Inégalité dans la discussion. — Les mêmes raisonne-
ments que ci-dessus pourraient ici se reproduire trait pour
Irait. De plus, le patron, grand industriel, a acquis, parla
direction de l'usine, par le contact avec un grand nombre
d'ouvriers, une expérience profonde, une science étendue
des hommes et des choses : il se passe ici quelque chose
d'analogue à la discussion commerciale, où le commerçant
en gros, le spéculateur, l'homme d'afifaires abuse sans dif-
ficulté du client trop simple qui ignore les habiletés et les
roueries d'une subtile discussion.
Enfin, à supposer même que l'ouvrier soit assez intelli-
gent et assez fin pour tenir tète au patron dans cette dis-
cussion, celui-ci aura beau jeu de lui représenter que tous
ses camarades travaillent à telles ou telles conditions et
qu'on ne saurait même pour un ouvrier de capacité pro-
fessionnelle extraordinaire, déranger tout le règlement de
l'usine et bouleverser les conditions usuelles du travail.
Inégalité enfin dans la conclusion du contrat. — L'ou-
202 PREMIÈRE PARTIK. CHAPITRE VII
vrier le plus souvent a besoin de son salaire pour vivre :
c'est après un chômage prolongé quelquefois que celte dis-
cussion intervient et à l'argument final du patron : c'est à
prendre ou à laisser, le plus souvent il prend et accepte.
Le patron au contraire, peut attendre : à défaut de ce-
lui-ci, ce sera un autre.
L'un, en ne concluant pas, manque à manger pour lui
et sa famille; l'autre, en ne concluant pas, manque seule-
ment à gagner. La nécessité presse celui-ci, alors que l'op-
portunité dirige celui-là.
Ajoutez enfin que les patrons étant bien moins nombreux
que les ouvriers arrivent bien plus facilement, par une de
ces coalitions secrètes insaisissables, à s'entendre pour
fixer d'un commun accord les conditions du travail, alors
que cette entente aujourd'hui possible entre les ouvriers
est plus difficile et en tous cas perd de sa force par la pu-
blicité qu'elle acquiert.
Enfin, et là est la suprême inégalité, le patron n'en-
gage que son argent, des responsabilités pécuniaires ;
l'ouvrier lui engage sa personne tout entière. En effet,
comme la force de travail que l'ouvrier loue est absolu-
ment inséparable de sa personne, c'est cette personne
même qui se trouve mise à la disposition du patron : ce-
lui-ci, en établissant les conditions du travail, agira à la
fois sur la vie physique, intellectuelle, morale et sociale
de l'ouvrier :
Sur sa vie physique : Car l'aménagement de la fabrique,
la disposition des ateliers au point de vue de la salubrité
et de l'hygiène auront une grande influence sur la santé
do l'ouvrier ;
Sur sa vie intellectuelle : Bien souvent, par la force mê-
me des choses, l'ouvrier pour lequel la spécialisation du
LA TIIKORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECHP 203
travail aura été poussée trop loin, perdra de sa vigueur
inlellecluelle et sa valeur professionnelle sera diminuée.
Sur sa vie morale : Ici encore le contrat de travail a
Taction la plus directe et la plus efficace : le milieu moral
qui est si actif sur la moralité de l'individu sera créé par
l'usine et en louant son travail, l'ouvrier aliène pour une
part le droit de déterminer lui-même l'atmosphère morale
où il veut vivre.
Sur sa vie sociale enfin : Car le travail chez le patron
entraîne la fixation dans un quartier donné, dans une ville
donnée, avec des conditions de cherté de la vie qui s'im-
posent à l'ouvrier.
A tous ces égards, la personne de l'ouvrier est directe-
ment intéressée dans le contrat de travail (1). La personne
humaine parachève donc ici l'opposition entre le patron et
l'ouvrier : l'un apportant le salaire, l'autre engageant in-
directement toute sa personne, il importe que l'ouvrier
puisse ne l'engager qu'à hon escient : or ceci est impos-
sible avec le contrat individuel (2).
Si les démonstrations précédentes n'étaient pas encore
suffisantes, il y a de l'inégalité dans le contrat individuel
de travail une preuve indéniable et irréfutable :
C'est l'ensemble des dispositions législatives prises dans
tous les pays pour défendre le Truck-syslem (3).
(1) On justifîe souvent par ce motif de la protection de la personne
humaine les diverses interventions législatives de l'Etat dans le régime
du travail.
(2) Dans tout ce développement, nous n'entendons pas rendre le
patron responsable de l'inégalité existante : le plus souvent il en pro-
flte, sans même le vouloir, toujours poussé par les impérieuses né-
cessités de la concurrence industrielle.
(.3) Voyez par exemple : Angleterre, acts des 15 octobre 1831 et
204 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE VII
Il est certain que la législation des divers pays, Angle-
terre, France, Belgique, Suisse, Autriche, Allemagne
n'aurait pas songé, dans des mesures diverses il est vrai,
mais d'une manière unanime, à combattre ces paiements
faits en marcliandises si funestes à l'ouvrier, si celui-ci
avait été réellement capable de s'en défendre de sa propre
autorité. Les faits sur ce point sont nombreux et péremp-
toires : môme malgré les dispositions législatives l'inéga-
lité subsiste parfois sur cette clause spéciale : mode de
paiement du salaire — au point que les abus du truck-
systèrne n'ont pas encore partout disparu (1).
Enfin et do la mèine manière, la plupart des lois dites
ouvrières sont dans leur ensemble tout au moins une
preuve indirecte mais certaine de l'inégalité dans le contrat
de travail individuel.
Notre postulat ainsi établi, il faut continuer et esquis-
ser la théorie positive du contrat collectif, en posant suc-
cessivement les deux points indi(jués.
h) Suppression de l'inégalité.
c) Liberté individuelle conservée.
B. — Suppression de l'inégalité dans le contrat de travail.
— Et d'abord le contrat collectif supprime l'inégalité ac-
tuellement existante dans le contrat de travail : il obtient
ce remarquable résultat en agissant sur la concurrence.
46 septembre 1887 ; France, loi du 12 janvier 1895, arl. 4; Belgique,
loi du 16 août 1887, art. 3 ; Suisse, loi fédérale de 1897, etc., etc..
(1) Cf. Article de M. Cavois, Revue critique de j uris prudence, i9,M,
« De la réglemenlalion législative des salaires ».
LA THÉUItlK KCOiNOMlQUK DU CONTHAT CULLKCTIF 205
On dit souvent que le contrat collectif a pour principal
effet de limiter la concurrence. Ce n'est que partiellement
exact. Kntend-on par là (|ue le contrat colleclif agit sur le
nombre des offres, à la manière de l'ancienne corporation
qui fermait le métier et n'acceptait comme travailleurs que
les ouvriers ayant une sorte de brevet professionnel. En
ce sens, le contrat collectif ne limite pas la concurren-
ce (1), car il ne ferme à personne l'accès du métier : un
ouvrier veut-il entrer chez tel patron : il le pourra pourvu
qu'il accepte les conditions du travail établies (2) et
l'exemple de 1 Angleterre oii le contrat collectif fait sentir
son influence dans tout le métier même parmi les non-syn-
diqués en est bien la meilleure preuve.
Veut-on dire au contraire en écrivant que le contrat col-
lectif limite la concurrence, qu'il agit efficacement sur les
conditions du travail, pour limiter la marge oiî celles-ci
peuvent jouer : rien n'est alors plus exact et c'est précisé-
ment là son effet propre; il établit en effet des conditions
minima de travail, où les particularités personnelles à
chaque ouvrier ne sont plus prises en considération; en
ce sens, il serait plus exact de dire que le contrat collectif
déplace la concurrence : au lieu de la laisser s'exercer à
plein, s'exagérer, porter sur des conditions extrinsèques
au travail, il la ramène sur son vrai terrain, le terrain
professionnel.
{{) En théorie au moins, car en fait quelques Trade-Cnions an-
glaises sont revenues aux anciens errements de la corporation ten-
dant à fermer le métier : mais ce n'est pas là une conséquence néces-
saire du contrat collectif.
(2) Actuellement le procédé le plus pratique sera de commencer
par entrer dans le syndicat.
â06
PREMIERE PARTIE. CHAPITRE VII
Voyons celte action avec quelques détails et pour cela
opposons une fois de plus le contrat individuel au contrat
collectif.
Dans le contrat individuel, un patron employant plu-
sieurs centaines d'ouvriers, veut embaucher un travailleur.
Comment procèdera-t-il ?
Dans l'accord qui s'établira (1) le salaire et les condi-
tions du travail se trouvent établies en raison de circons-
tances non professionnelles ; l'ouvrier est pressé {)ar la
faim, l'ouvrier est chargé de famille, l'ouvrier tient à ne pas
quitter une rég-ion déterminée, autant de circonstances qui
assurément n'ont rien de professionnel, autant de motifs
qui permettront un abaissement exagéré du salaire. A côté
décela, que l'ouvrier ait une valeur professionnelle particu-
lière, que le nombre des bras diminue dans le métier, que
le travail du patron soit urg'ent, autant de circonstances
— professionnelles celles-là — qui restent au second
plan.
Tout autre sera le domaine de la concurrence dans le
contrat collectif: celui-ci aura précisément pour elfet de
supprimer l'action de ces circonstances extra profession-
nelles: que l'ouvrier soit malheureux et ait un urgent be-
soin de travailler pour vivre, qu'il soit ou non attaché au
pays qu'il habite, peu importe; les conditions générales du
travail ne sont établies par libre débat qu'en raison des
cu^constances professionnelles : état du métier, urgence
du travail, prospérité de la maison, périodes d'activité ou
de morte saison, etc., etc. Et une fois ces bases du tarif
posées, dans la fixation du salaire individuel, toute la capa-
(1) Voir l'analyse de l'inégalité, ci-dessus, p. 498.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 207
cité professionnelle de l'ouvrier reprendra sa valeur: le tarif
est un minimum au-dessus duquel les aptitudes individuel-
les peuvent élever le salaire.
En d'autres termes, et comme l'indique fort bien Sidney
Webb (1), « le résultat du procédé du contrat collectif dif-
fère de la série individuelle des contrats avec les ouvriers
isolés, en ce que les exigences particulières de chacun
ne sont plus prises en considération » : le contremaî-
tre aurait pu donner dans un contrat individuel un prix
quelconque à un ouvrier poussé par la nécessité, préférant
encore travailler ou ayant une force et une résistance ex-
ceptionnelles. L'homme mourant de faim obtient ainsi le
même salaire que l'ouvrier qui peut subsister sans son
gain journalier.
Cet effet est le même que le contrat collectif porte sur
un seul établissement, ou bien qu'il comprenne tous les
établissements dune région, ou même dune nation, en un
mot que le contrat collectif soit particulier {h. une usine),
local ou national (2).
Son seul effet est toujours de déplacer la concurrence :
il lui soustrait les exigences personnelles pour la concen-
trer sur le domaine professionnel. Qu'il s'agisse du pa-
tron le plus aisé ou de l'entrepreneur à la veille de la ban-
queroute (3), de la maison qui regorge de commandes, ou
(1) Industrial Democracy , The melhod of collective Bargaining,
vol. II, part. II, chapitre 2, p. 173.
(2) V^oyez id. Sidney Webb.
(3) L'introduction du contrat collectif international s'explique aussi
par celle même idée : déplacer la concurrence et la ramener sur un
terrain plus étroitement professionnel : par exemple une limitation de
la production empêcherait certaines mines de créer des surproduc-
tions factices pour réaliser par ces spéculations des bénéfices qu'elles
devraient tirer des progrès de l'exploitation du charbon .
208 PUEMIÈHE PARTIK. — CHAPITUE VU
de celle qui a peu de pratiques, qu'il s'agisse d'établisse-
ments particulièrement bien situés au point de vue des
transports ou au contraire éloignés des déboucbés com-
merciaux, tous sont sur le même pied. Par contre, toutes
les différenciations professionnelles jouent à plein pour
rétablissement du salaire vrai et la fixation du prix de re-
vient : « l'ouvrier supérieur conserve sa liberté pour exi-
ger un salaire supérieur pour un ouvrage spécial, tan<lis
que le patron d'une habileté plus grande aux afTaires, ou
de connaissances techniques supérieures, la maison à ma-
chinisme perfectionné conserve tous ses avantages sur ses
concurrents. » La concurrence dans tous les cas est re-
portée sur son vrai et unique terrain — le seul légitime
— le terrain professionnel (1).
C . — Liberté industrielle conservée.
S'il en est réellement ainsi, il est aisé de démontrer —
et c'est le second point c|u'il nous faut établir — (jue le
contrat collectif conserre fous les avantages de la liberté
industrielle.
C'est là un point de capitale importance : con)me le dit
fort bieuM. Sauzet (2), il ne faudrait pas aujourd'hui, pour
(1) On donne parfois comme analogie, afin de mieux faire compren-
dre l'aclion du contrat collectif, le cas de l'adjudication : l'as-
similation est exacte. 11 est certain que l'adjudication avec cahier des
charges ne supprime pas la concurrence : elle la déplace seulement.
De la même façon, le contrat collectif établit en quelque sorte le cahier
des charges du travail : les intérêts sacrés de la personne humaine
valent bien, ce semble, les intérêts pratiques d'avoir de bons maté-
riaux ou de solides constructions !
(2) Essai historique de législation industrielle, Reçue d'E. /*., 1892,
p. 924.
I.V riIKOHte KCONUMigiK 1)1 CONTRAT COLLKLTIF 209
ivparer une erreur, pour doter la grande industrie de sa
niacliine juridique indispensable, le contrat collectif, fonc-
tionnant à côté du contrat individuel, sacrifier la liberté
du travail, au nom d'on ne sait quelle théorie des corps
spontanés. »
Mais par sa nature même le contrat collectif n'est pas
contraire à la véritable liberté du travail : mieux que cela,
il l'assure : c'est ainsi que le contrat collectif respecte la
liberté du travail entendue en un premier sens comme le
droit de choisir le genre de métier qu'on préfère : de mê-
me il assure, comme on l'a vu, la possibilité delà rémuné-
ration équitable de chaque ouvrier suivant sa valeur pro-
fessionnelle, c est-à-dire la liberté de travail entendue en
un second sens, comme le droit de fournir telle ou telle
somme de travail (1).
De plus le contrat collectif garde les conséquences heu-
reuses de la liberté du travail au point de vue de la con-
currence : il conserve cette concurrence en tant quelle
cherche à assurer 1 équilibre entre la production et la con-
sommation et même il facilite cette adaptation en reliant
parfois par le principe de l'échelle mobile ou par des
adaptations successives, la consommation d'hier à la pro-
duction de demain.
De même il n'empêche pas la baisse des prix sous l'action
de la concurrence, mais fait porter cette baisse autant que
possible, sur les éléments du coût de production autres que
(1) Ce n'est que le droit de travailler au rabais, c'est-à-dire à un
prix de misère pour l'ouvrier, qui est supprimé ; en ce sens la liberté
du travail c'est la liberté de mourir de faim : celle-là est certainement
anéantie : mais qui la regrettera ?
RAVXAUD 14
210 PHEMlÈRIi PAKTIE. CHAPITRE VU
le salaire (1) : bien mieux, il accentue celle baisse de prix:
caries bauls salaires, toutes choses ég"ales d'ailleurs, tendent
à assurer de nouveaux débouchés aux produits : ce qui
est tout avantage pour l'industriel.
Ainsi de la liberté du travail, le contrat collectif conserve,
sembie-t-il, tous les avantages et supprime le plus grave
inconvénient, l'inégalité des parties au contrat.
Peut-être malgré tout, en fait certaines objections se pro-
duiront-elles encore, comme elle se sont déjà produites, au
nom même de la liberté? mais on a confondu à cet égard
les abus possibles de la liberté avec cette liberté même (2) :
Il n'y a pas encore une fois, il ne doit pas y avoir de li-
berté d'exploitation, c'est-à-dire de possibilité de faire inter-
venir, pour fixer les conditions du travail, des circonstances
non professionnelles : En dépit de ces objections provenant
de la persistance d'un point de vue de fait qui a duré près
d'un siècle, le contrat collectif concilie la liberté du travail
et l'association professionnelle.
La théorie économique du contrat collectif apparaît ain-
si comme une synthèse et une conciliation, un essai de
solution du conflit qui a duré tout le siècle dernier entre
l'individu et la collectivité sur le terrain professionnel.
(1) Parfois aussi sur le salaire lui même, comme le montrent cer-
tains exemples anglais.
(2) Tout de même que la liberté de réunion n'est pas supprimée
parce qu'elle est réglementée et que les dispositions légales en assu-
rent le normal exercice.
I.A THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 21 1
I III. — Les objections au contrat collectif.
Les ohjeclions au contrat collectif tel que nous venons
de l'analyser sont nombreuses : noire théorie économique
serait incomplète, si nous ne faisions ici une place à leur
examen et à leur réfutation.
On peut ranger ces objections sous quatre chefs princi-
paux :
a) Pour les uns, comme M. Leroy-Beaulieu, le contrat
collectif ne serait pas indispensable au régime moderne (le
l'industrie : la théorie que nous avons exprimée de l'iné-
galité dans le contrat de travail et sur laquelle il repose
serait inexacte, parce que l'évolution naturelle amènerait
dans certaines professions des résultats identiques.
6) Pour d'autres le contrat collectif a le grave inconvé-
nient d'être tyramiique pour l'ouvrier et c'est un grief que
les vrais amis de la liberté ne sauraient lui pardonner ;
c) Le contrat collectif empiète sur les droits du patron
comme chef d'industrie et viole son indépendance.
d) Pour d'autres enfin c'est le consoînmateur qu'il faut
avant tout protéger, en empêchant la généralisation de cette
forme de contrat éminemment nuisible à ses intérêts.
Reprenons sucessivement ces quatre objections :
A. — Le contrat collectif est le véritable remède à l'inégalité
dans le contrat de travail.
Les partisans de cette première opinion reconnaissent
sans doute les heureux effets du contrat collectif sur les
salaires, mais pour ceux-ci, ce ne serait là en quelque sorte
212 tRKMIKHE PAHTlh:. CHAHTHE VII
qu'un accident et le même résultat peut être obtenu par
l'évolution naturelle, comme le prouve l'exemple des do-
mestiques et des ouvriers agricoles.
Voici comment le principal représentant de cette opinion,
M. Leroy-Beaulieu (1), formule l'objection.
Après avoir reconnu l'utilité et les heureux effets de
l'organisation ouvrière, et rappelé les opinions ci-dessus
énoncées du professeur Brentano sur le contrat de travail,
M. Leroy-Beaulieu écrit :
« M. Brentano exagère toutefois singulièrement quand
il soutient que, faute d'organisation, les travailleurs sont
livrés pieds et poings liés aux caprices des capitalistes :
nondjre de faits constants et connus prouvent qu'il n'en
est pas ainsi. »
L'éminent auteur développe ensuite sa pensée en pre-
nant un double exemple :
Celui des domestiques tant de maisoti que de ferme :
bien qu'inorganisés, leur salaire a haussé depuis le dé-
but du siècle presque sans interruption : « C'est la con-
currence des employeurs entre eux qui fait la hausse des
salaires. On aime mieux payer par an vingt ou trente
francs de plus que de se passer de travailleurs, ou mettre
les vingt ou trente francs au-delà de ce qui est usuel afin
d'avoir ce que l'on veut en travailleurs de choix, et de
proclie en proche, par ce marchandage individuel il peut
arriver qu'une très large catégorie de salaires prenne un
notable essor, sans aucune organisation positive des travail-
leurs. » '
Et de la même façon l'auteur cite l'exemple des ou-
(1) Traité théorique et pratique (T Economie politique, II, p. 371.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUK DU CONTOAT COIXECTIF 213
vriors as^ricolcs, dont les salaires haussent et ont haussé,
bien qu'ils travaillent isolément.
On voit donc l'objection ; nous n'en avons dissimulé ni
la force, ni la portée : elle est des plus sérieuses et son
exactitude emporterait toute la théorie précédemment es-
quissée : elle vaut donc la peine qu'on s'y arrête quelque
peu.
D'abord nous sommes d'accord avec M. Leroy-Beaulieu
sur les faits, sur lesquels il s'appuie, bien qu'on puisse
apporter quelques réserves sur raug^menlafion de salaires
des journaliers aj^ricoles surtout dans ces dernières an-
nées.
Mais il faut tout d'abord remarquer (jue les partisans
du contrat collectif n'ont jamais soutenu et n'ont jamais
songé à soutenir que la forme du contrat qu'ils préccmi-
saient fût Tunique cause d'augmentation des salaires :
ce qu'il faudrait pouvoir établir — et cette preuve néga-
tive sera toujours impossible à fournir — c'est que si les
domestiques ou les ouvriers agricoles avaient été organi-
sés, leur salaire n'eût pas augmenté bien davantage.
De plus — et c'est la réponse péremploire à l'objection
qui nous est faite — les faits apportés, les exemples cités
ne prouvent rien contre le contrat collectif, parce que l'i-
négalité fondamentale à laquelle il vient précisément remé-
dier, n'existe pas dans les exemples cités : nous sommes
en quelque sorte en dehors de son domaine.
En effet, dans le contrat de travail normal et ordinaire,
le salaire convenu doit nourrir le travailleur en retour du
travail (juil fournit pendant un temps donné : le contrat
collectif a précisément pour but d'éviter la réduction au
minimum des conditions du travail : abaissement de
salaire, prolongation du temps de travail, autrement dit
214 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII
d'empêcher le rabais de la faim. Or précisément dans
les deux exemples cités, travail des domestiques, travail
des ouvriers agricoles (1) d'ordinaire une partie du salaire
est payée en nature (le maitre nourrit ses domestiques,
le fermier ses valets de ferme) ; le temps de travail
n'est pas à déterminer, puisque c'est pour toute la durée
du jour et de la nuit que le domestique ou le salarié agri-
cole se met à la disposition du patron : aussi le rabais de
faim ne se produit pas : quels que soient les gages conve-
nus, le domestique est assuré de sa nourriture, s'attend à
être employé tout le temps, sauf à discuter quotidienne-
ment la part de besogne qu'il fera : aussi la réduction des
conditions au minimum tant au point de vue du salaire
qu'au point de vue de la journée de travail, que le contrat
collectif empêche d'ordinaire, se trouve en quelque sorte
éhminée ici d'elle même par les circonstances mêmes du
contrat.
Loin d'être une objection décisive contre notre thèse,
l'objection se retourne au contraire contre ses auteurs et
devient un argument de plus en notre faveur.
D'ailleurs, dès que ces conditions du contrat disparais-
(1) Il résulte des tableaux de l'enquête agricole de 1892 (p. 381 et
385) que l'on peut évaluer le nombre des domestiques de ferme à
1.832.174 contre un nombre de journaliers de 621.431, (abstraction
faite des 588.950 journaliers qui sont à la fois exploitants d'un petit
bien et salariés et dont la situation au point de vue du contrat de sa-
laire se rapproche plutôt de celle des ouvriers nourris). C'est donc les
3/4 environ des ouvriers agricoles qui sont touchés par le raisonne-
ment fait au texte.
Pour le dernier quart, il est certain que les moyennes dérisoires des
salaires des ouvriers non nourris (voir enquête p. 405) ne prouvent
que trop l'inégalité persistante entre le maitre et l'ouvrier au point
de vue de la fixation du taux de salaires.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DD CONTRAT COLLECTIF 216
sent, dès que la nourriture n'est pas assurée de toute façon
quel que soit le salaire convenu, dès que le salarie ou le
domestique n'est plus à la disposition du maître, mais
travaille au temps, l'inégalité reparaît et la nécessité du
contrat collectif se fait de nouveau sentir.
Ainsi cette première objection de l'inutilité du contrat
collectif provient au fond d'un malentendu : l'exemple des
domestiques et ouvriers agricoles dont usent et abusent
certains partisans du statu quo n'infirme en rien la tbèse ;
du groupe do faits concernant les travailleurs dont la
nourriture est de toute façon assurée et le temps de tra-
vail indéterminé, il n'y a rien à conclure, sinon une confir-
mation de la règle par l'exception qu'ils impliquent; pour
l'autre groupe de faits concernant les travailleurs dont
le salaire normal doit assurer la vie quotidienne et qui
travaillent au temps, il n'y a là qu'une situation très ana-
logue à la situation industrielle normale et la nécessité du
contrat collectif est tout aussi pressante, bien que sa réa-
lisation pratique soit peut-être plus délicate.
B. — Le contrat collectif en principe au moins et par lui-
même n'est pas lyrannique pour l'ouvrier.
L'objection envisage à la fois la tyrannie économique et
la tyrannie morale.
C'est ainsi qu'un économiste Américain, M. Laughlin (1)
estime que les syndicats par le marché collectif du travail
faussent le taux naturel du salaire pour deux raisons :
par la pression qu'ils exercent sur le marché pour faire
(1) Eléments of Political Economy .
216 PREMIKHE PARTIR. ('HAPITaK VII
hausser le salaire de leurs membres, en même temps
que par une dépression corrélative du salaire des non
syndiqués auxquels leur exclusivisme ferme des débou-
chés.
A celte double allég-alion, il est facile de répondre d'une
manière générale qu'elle suppose un taux naturel du salaire
fixé par le jeu des lois économiques : or on a vu qu'on
n'était rien moins que fixé sur la rigueur de ces lois et
que l'action syndicale peut comme toute autre cause con-
courir à la fixation de ce salaire naturel. D'ailleurs la
tyrannie pour le syndiqué nous semble une chimère, at-
tendu que le plus souvent il accepte lui-môme les condi-
tions du marché collectif du travail ; quant au non svndiqué
la dépression du salaire dont on parle n'est rien moins
qu'exacte : il semble bien plutôt que dans les métiers oii
des associations professionnelles existent, leur influence
heureuse sur les conditions du travail se fait à la fois
sentir sur les syndiqués et sur les non syndiqués.
— L'aspect de l'objection qui concerne la tyrannie mo-
rale de l'ouvrier par le syndicat, a été mis en relief par
M. Hubert Valleroux qui s'est fait le champion et le dé-
fenseur des non syndiqués (1) :
« Le mouvement interventionniste est dirigé aujourd'hui
en ce sens : mettre le contrat du travail à la merci des
syndicats ouvriers. Ces associations qui montrent un si
fâcheux esprit tout oppressif, tout opposé au bon accord
des ouvriers et des patrons, auraient tout pouvoir pour
fixer les conditions du contrat qui doit lier patrons et ou-
vriers, et les fixer d'une manière souveraine, pour obliger
(1) Hubert Valleronx, Le contient de travail, préface."
LA THKORIK ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 2! 7
les contractants. » El i'éminent autour redoute d'autant
plus ce mouvement qu'il se produit insensiblement, non
par dispositions expresses, mais par mesures particulières
et de détail.
Alors « ce serait la majorité dominant dans les questions
économiques comme elle domine déjà dans la politique et
ne laissant plus aucun refuge à lindépendance des parti-
culiers (1) » ! Voilà bien rindividualisme dans toute sa
beauté.
Nous avons leim à reproduire longuement cette objec-
tion très fréquente aujourd'hui et très séduisante même
pour de généreux amis de l'ouvrier, très épris d'indépen-
danci' et d'individualisme.
II faut remarquer tout d'abord que celte objection porte
beaucoup plus loin que le contrat colJectif : elle atteint
lorganisalion ouvrière lout entière et le mouvement syn-
dical dans son ensemble : « avoir tout pouvoir pour fixer
les conditions du contrat qui doit lier patrons et ouvriers
d'une manière souveraine », cela peut évidemment s'enten-
dre de deux façons ; soit d'une fixation unilatérale, d'auto-
rité, par laquelle le syndicat imposerait un règlement qu'il
aurait seul établi comme une sorte de loi professionnelle
— et celte hypothèse ne saurait rentrer dans la notion du
contrat collectif, même entendu au sens le plus large qu'on
voudra — car celui-ci suppose au moins à un moment
quelconque un accord des volontés patronale et ouvrière;
soit d'une fixation bilatérale, dune convention entre les
parties, dont le n)é('anisme reste à discuter, mais qui com-
(1) l^'aiileiir ajoute : Voilà le danger; c'est ce penchant très puis-
sant, très fort qu'il faut comballre sans relActie. Le comballrcosl mou
objet el mon étude.
218 PREMIÈRE PRATIE. — CHAPITRE VII
porte essentiellement l'accord du patron et des organisations
ouvrières. C'est à ce deuxième point de vue seulement qu'on
peut examiner l'objection qui comme on le voit ne porto
pas sur le principe, puisque l'accord des volontés est néces-
sairement exigé à un moment quelconque, mais sur la
mise en œuvre du contrat collectif.
Or ici il devient très difficile de discuter; il faudrait
prendre pour base un des nombreux systèmes de contrat
collectif exposé et voir jusqu'à quel point il contrarie la
liberté individuelle.
En droit on l'a vu: celle-ci est presque toujours sauve-
gardée, même dans les projets les plus interventionnistes.
En fait sans doute il y aura, comme il y a déjà, certaines
pressions des majorités, certaines atteintes â l'indépendance
des particuliers ! Mais il faut remarquer qu'il reste toujours
à ces derniers le recours possible aux tribunaux : les abus
signalés avec tant d'insistance par M. Hubert- Valleroux,
les faits de pression des Syndicats à l'égard des non syn-
diqués ont tous eu une conclusion judiciaire et le non syn^
diqué a eu plus d'une fois gain de cause. Il y a donc la
garantie supérieure des Tribunaux qui nous est une pre-
mière sûreté.
D'ailleurs et à tout prendre, si la cité future ne pouvait
s'élever qu'au prix de quelques sacrifices, si le contrat
collectif de l'avenir ne peut se répandre qu'en heurtant
certaines « indépendances des particuliers » dont on ne
saurait attendre éternellement la conversion syndicale —
ce serait un malheur, mais ce serait une nécessité. Sans
doute ce régime causerait infiniment moins de maux que le
régime actuel ; et les maux provisoires que souffriraient
les non syndiqués finiraient par les attirer eux aussi, en
présence des améliorations des conditions du travail, dans
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 219
le mouvement syndical : on l'a bien vu par l'exemple de
l'Angleterre.
Et enGn, puisqu'on parle de tyrannie, il faut s'enten-
dre : rève-t-on toujours d'une liberté de droit, qui ne se-
rait que l'élimination de toute contrainte, la soustraction
à toute règle commune, comme le voulaient Quesnay et
Turgot : nous dirons que ce n'est là qu'une liberté néga-
tive, qui en dépit des apparences laisse subsister la pire
des contraintes, la contrainte de la misère, de la faim, du
tète à tète forcé avec le patron, maître du salaire.
S'agit-il au contraire de la liberté de fait, c'est-à-dire
comme la définissait déjà Saint-Simon, d'un certain pouvoir
d'expansion vis-à-vis delà nature et de la société humaine,
qui a pour mesure l'ensemble des conditions matérielles,
intellectuelles et morales du développement de l'individu.
C'est la liberté positive : avec elle la prétendue tyrannie
ne saurait exister ou si elle survit comme une antique
chimère, les réalités de demain en auront vite fait bon mar-
ché.
Le contrat collectif en principe et par lui-même n'est
pas tyrannique pour l'ouvrier : sa diffusion, en faisant
régner la vraie liberté, fera disparaître toutes ces craintes.
C. — Le contrat collectif n'est pas contraire à l'indépendance
raisonnable du patron comme chef d'industrie.
On dit souvent, et les patrons répètent eux-mêmes, pour
repousser le contrat collectif. « Mais le chef d'industrie
n"esl-il pas le maître chez lui et comment admettre qu'il
se dépouille ainsi d'attributions qui sont la prérogative es-
sentielle et nécessaire de l'autorité ? »
Sans doute, on ne saurait le nier, l'ingérence syndi-
220 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE Vil
cale dépasse parfois les bornes : la grève des mécaniciens
unis de Londres, en 1898 (1), a justement été provoquée
par la prétention des Trade Unions d'intervenir dans l'ad-
ministration des établissements industriels et d'en faire
modifier les règles d'administration technique : par
exemple les Trade Unions voulaient forcer les industriels
à employer des mécaniciens gagnant des salaires élevés
pour la manœuvre de machines qui pouvaient être servies
par de jeunes ouvriers uuskilled ; imposer aux industriels
de faire manœuvrer une machine par un homme, au lieu
de laisser un homme servir 2 ou 3 machines simultané-
ment, etc., etc. (2).
Mais en ce cas, l'exemple du contrat collectif qui ter-
mine cette grève le prouve parfaitement, les patrons savent
se défendre et le contrat collectif reconnaît bientôt la liberté
des patrons dans la direction de leurs établissements (3).
(1) Cf. .\lberl Gigot, La grève des mécaniciens unis, Correspondant
du 10 mars 1898.
(2) Times du 29 septembre 1897.
(3) Voici le texte fondamental de l'accord terminant cette longue
grève :
« Les patrons fédérés, tout en se défendant de porter atteinte h
l'aclion légilime des Trade Unions, n'admettront aucune immixtion
dans la gestion de leurs affaires, et ils se réservent le droit d'intro-
duire dans n'importe quelle usine atfiliée à la Fédération, suivant la
décision de l'induslriel intéressé, toutes les conditions de travail aux-
quelles des membres des Trade Unions adhérant au présent accord
auraient souscrit, avant le commencement du conflit; toutefois, dans
le cas où une Trade union voudrait soulever une question quelconque
ayant trait à ces condilions, le secrétaire de l'association locale des in-
dustriels fédérés pourrait provoquer une conférence pour l'examiner.
« Rien dans ce qui précède ne pourra s'appliquer aux heures norma-
les de travail, aux augmentations et réductions normales des salaires,
ni au taux de rémunération. »
LA THKUHIK ÉCUNUMIQUE UV CONTRAT COLi.KCTIF '221
Mais le contrat colloctif ne saurait normaleiiK'iitau moins,
aller aussi loin : on peut, avec Sidney-Webb (1), ranger
sous trois chefs principaux les mesures qui concernent
Tadministration de l'industrie :
1*^ Le produit à exécuter, l'objet ou le service qu'il s'agit
d'offrir au public ;
2° Le mode de production, le clioix des matières pre-
mières, des métiiodes de fabrication, des agents humains ;
S*» Les couditions de remploi de ces agents humains :
Conditions sanitaires, air, lumière, chaleur, risques d'acci-
dents, intensité, rapidité et durée du travail, et salaires.
Ce sont précisément ces mesures de la troisième classe
qui sont le domaine propre du contrat collectif; celles de
la première classe sont du ressort exclusif du patron ;
quant à celles de la deuxième classe pour le choix, elles
appartiennent très certainement au patron, mais par le reten-
tissement qu'elles peuvent avoir sur celles de la troisième,
son indépendance n'est pas absolue. N'est-ce pas d ailleurs
très légitime et peut-on bien encore parler de Tindépeu-
dance du patron, quand celui-ci rencontre dans ses actes
la personne morale de l'ouvrier ?
1). — Le contrat collectif n'est pas nuisible au
consommateur.
Ënlin, une dernière objection d'une portée théorique
moindre, mais d'une grande importance pratique, consiste
à représenter le contrat collectif comme dangereux pour
le consommateur.
(1) « La guerre induslrielle en Angleterre », Rev. de Paris, 1896.
222 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE Vlî
M. Lecour-Grandinaison écrivait (1) : « On peut craindre,
depuis la formation des joint Committees (comités mixtes),
dans lesquels les délégués des patrons et des ouvriers des
grandes industries anglaises s'entendent pour régler prati-
quement la production et établir les tarifs, qu'il se forme
entre eux des conditions onéreuses pour le consomma-
teur. » Et l'auteur cite l'exemple de l'industrie houillère
où, d'après lui, l'établissement de l'échelle mobile a pour
effet une sorte de concert pour empêcher la formation des
stocks et produire une hausse factice.
Les Alliances de M. Smith ont donné lieu à des craintes
encore plus vives : industriels et ouvriers s'entendraient
et auraient un égal intérêt pour empêcher la vente des
produits au-dessous du taux déclaré par l'Alliance : le con-
sommateur serait à leur merci.
On voit ainsi en quelque sorte les deux degrés de l'ob-
jection :
Tant que le contrat collectif n'est pas universalisé et ne
touche pas la profession toute entière, la concurrence entre
plusieurs établissements reste possible, et sous l'action de
cette concurrence, l'élévation de prix qu'entraînerait l'élé-
vation de salaire ou l'améhoration des conditions du travail
peut être compensée et est compensée d'ordinaire par une
augmentation de la productivité du travail ou une diminu-
tion des frais généraux de la production.
Au cas fort improbable — mais que certains exemples
peuvent faire légitimement prévoir — où un contrat col-
lectif unique régirait tout le métier, où l'Alliance sur le
(1) Préface de sa traduction du livre d'Howell : Le passé et l'avenir
des Trade Unions, p. XXI.
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU CONTRAT COLLECTIF 223
type de M. Smilh régnerait dans la profession, il est certain
que le consommateur serait beaucoup plus exposé.
Cependant, on peut remarquer que les intérêts communs
des patrons et des ouvriers portant sur la prospérité du
métier, sur son existence même, les inviteraient à ne pas
porter le prix des produits à un taux qui découragerait le
consommateur. D'ailleurs, il est probable qu'à défaut de la
sagesse, l'intérêt contradictoire des patrons et des ouvriers
à profiter de la bausse factice l'empêcherait de se prolon-
ger par trop longtemps.
Enfin, et à supposer même la fixation de prix de mono-
pole, la liberté de l'industrie subsiste entière : et avec de
grandes difficultés pratiques, un nouvel établissement
pourrait se créer.
Peut-être enfin — à la limite — faudrait-il poser l'éta
blissement de prix maxima par l'autorité publique, à
moins que les rapports respectifs entre les divers métiers
ne suffisent à empêcher celte hausse exagérée : ce qui n'au-
rait rien d'impossible.
Ainsi le contrat collectif tel que nous l'avons esquissé
au point de vue économique, subsiste tout entier.
DELXIKMK l'AHTlE
LE PROBLÈME JURIDIQUE
Cette seconde partie de notre étude est faite au point de
vue juridiqjie: le problème est celui-ci : Comment et dans
quelle mesure sanctionner par la loi les relations juridiques
nées du contrat collectif'.'
Nous étudierons successivement lœuvre de la jurispru-
dence française (chap. I"), les solutions doctrinales inter
|)rétalives (chap. II, le contrat collectif d'aujourd'hui) et
constructives (chap. III, le contrat collectif de demain).
Enfin un dernier chapitre (IV) intitulé : Projets et Réformes,
nous montrera ce qui a déjà été fait en ce sens.
RAVNAUD 15
CHAPITRE PREMIER
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT
COLLECTIF
Le contrat collectif, on l'a vu, s'est développé en de-
hors de tout texte légal précis qui en fût la reconnaissance
formelle. C'est surtout la force respective des deux parties
en présence, patrons et ouvriers, qui on assure à la fois
la conclusion et l'exécution. Cependant il n'est pas inu-
tile de relever les rares circonstances où les tribunaux ont
dû 86 prononcer, pour examiner comment ils ont pris
parti sur cette difficile question en l'absence de textes
positifs et rig-oureux.
Il est clair d'abord que jusqu'en 1864, année qui marque
l'abolition de la législation antérieure sur les coalitions,
le contrat collectif est inconnu devant les tribunaux civils ;
il n'en est question que devant les tribunaux de répres-
sion, comme le prouve l'arrêt de cassation suivant, le seul
que nous voulions ici relever, parce qu'il donne fort bien
idée de l'état de la question.
Dans cette affaire, il y avait eu un contrat collectif signé
entre les ouvriers et leur patron : à la demande des ou-
vriers plusieurs fabricants avaient cédé et la journée de
travail fut ramenée aux conditions précédemment établies
en 1853 : quelques fabricants n'avaient pas voulu consen-
I..\ JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 227
tir le nouvel accord et plusieurs do leurs ouvriers se
concertèrent pour cesser simultanément le travail, après
un congé régulièrement donné six semaines d'avance.
C'est dans ces conditions qu'intervint un arrêt de cassa-
tion du 24 février 1859 (1).
« Le fait de la part des ouvriers d'une ou plusieurs fa-
briques de quitter à la fois et par suite d'un concert, les
ateliers, même après avoir donné les avertissements pré-
vus par les règlements, en réclamant des modifications
aux conditions actuelles de leur travail, constitue la coali-
tion réprimée parle deuxième paragraphe de l'article 414
du Code pénal modifié par la loi du 27 novembre 1849,
alors même que cette réclamation parait être légitime. »
« Attendu, dit la Cour, qu'il y a contrainte ou pression
sur les patrons, toutes les fois que les ouvriers d'une ou
plusieurs fabriques, agissant par suite d'un concert, quit-
tent à la fois les ateliers, même après avoir donné les
avertissements prévus parles règlements...
« Qu'il importe peu que les causes de cette réclamation
puissent paraître en elles-même légitimes ; que la loi en
eflet, exclusivement préoccupée de protéger la liberté de
l'industrie, a prévu la coalition indépendamment de ces
motifs, et par cela seul que les ouvriers qui se sont con-
certés agissent collectivement avec le but, en suspendant
ou en tentant do suspendre le travail des ateliers, do for-
cer les patrons d'en modifier les conditions. »
Au fond c'est la condamnation sans phrase au point de
vue pénal du contrat collectif : il est clair en effet que
celui-ci suppose essentiellement une entente collective
entre les ouvriers, pouvant aboutir au besoin à la cessa-
(1) S. 59, 1, 630.
â^8
DKUXIKMK PARTIK. CHAPITRK PItKMIKH
tioii concertée de travail : dès lors ne peut-on pas dire
qu'avant la loi de 1864 qui ne punit plus que la coalition
injuste et abusive, des ouvriers qui auraient réclamé en
justice l'exécution d'un contrat collectif, risquaient de se
faire condamner pour le délit de coalition : puisque dans tous
les cas on peut retrouver les éléments que la Cour de cas-
sation déclare constitutifs du délit : l'entente collective et au
besoin la tentative de suspendre le travail dans les ateliers.
Après 1864, avec la liberté de coalition, la situation
chang-e et le contrat collectif entre pour ainsi dire dans le
domaine des tribunaux civils.
Cependant l'idée de liberté industrielle obsède encore les
esprits et les tribunaux n'échappent pas à cette manière de
voir : c'est ainsi que nous pouvons relever une décision
isolée, rendue le 29 juin 1876 (1) par le tribunal civil de
Saint-Etienne à l'occassion d'un véritable contrat collectif.
L'union de la fabrique de rubans de Saint-Etienne (2) avait
établi un tarif et convenu de frapper dune amende les
contrevenants patrons ou ouvriers. Un fabricant ayant
refusé de payer est poursuivi et le tribunal le déboute des
fins de la poursuite (3).
« Attendu que de cet ensemble de stipulations, il résulte
que l'ouvrier n'est plus libre de discuter ses salaires et le
patron ses prix ; qu'entre eux se place un syndicat qui ne
connaît que la volonté de la majorité des membres de l'as-
sociation, qui en publie les résolutions et qui la fait exé-
(1) Office du travail, « Associations professionnelles ouvrières »,
t. II, p. 352.
(2) Voir historique, p. 71.
(3) Trib. civil de Sainl-Etienne. — Jugement du 29 juin 1876. — Of-
fice du Travail, Ass. prof, ouvr., t. II, p. 352.
I.A JrRISPRIDKNCK FRANr.AlSK SIR I.K CONTRAT COU.KCTIF 22f>
cuter ; que les ouvriers el les patrons de l'union sléphanoise
ne sont pas seulement liés les uns vis-à-vis des autres mais
encore vis-à-vis des tiers ; qu'ils ne peuvent traiter qu'en
se conformant aux tarifs votés par le plus grand nombre
et dans des conditions de maximum et de minimum qu'il
serait impossible de prévoir et qui sont susceptibles de
de varier à l'infini ; qu'ainsi leur liberté individuelle est
aliénée au profit de la majorité, s'ils n'en font pas partie,
et qu'une telle condition, qu'elle soit à terme ou indéfinie,
est absolument nulle parce qu'elle est contraire aux règles
de l'ordre public. »
Ainsi le contrat collectif apparait alors comme contraire
à la liberté industrielle et à l'ordre public : le syndicat, qui
n'était en réalité que l'émanation de la volonté des parties,
apparait ici comme un intermédiaire interposé entre le pa-
tron et l'ouvrier gênant leur liberté. Mais cette bizarre dé-
cision reste isolée et jusqu'en 1884 les espèces soumises aux
tribunaux sont rares, pour ne pas dire totalement absentes.
En elTet une nouvelle difficulté subsiste encore : c'est
l'absence de liberté d'association professionnelle ; il est
clair que le contrat collectif suppose un syndicat, une as-
sociation de métier plus ou moins fortement constituée et
celles-ci sont frappées par l'article 291 du Code pénal jus-
qu'en 1884 ; aussi ne faut-il pas s'attendre à trouver un
monument de jurisprudence sauf le jugement cité ci-des-
sus, relatif à notre sujet avant cette date.
Avec la loi du 21 mars 1884, une double question se
pose devant la jurisprudence : les syndicats ont-ils qualité
pour passer un contrat collectif? les syndicats ont-ils une
action et de quelle mesure, pour en poursuivre l'exécution
en justice?
La question ne se pose pas d une manière spéciale à
230 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
notre matière tout d'abord ; par malheur pourrait-on dire,
la jurisprudence sur les syndicats s'établit en dehors de
notre espèce : cela est fâcheux, car lorsque la question
même du contrat collectif se posera en termes précis, il
y aura tout un ensemble d'arrêts et de jugements, d'anté-
cédents, qui seront des plus funestes à la solution favo-
rable, que la jurisprudence parviendra enfin à esquisser.
Il nous faut donc dire quelques mots de cette juris-
prudence générale sur les syndicats en tant qu'elle aura
chance d'influencer la jurisprudence spéciale en notre ma-
tière.
C'est ainsi que basée sur les articles 3 et 6 de la loi de
1884, la jurisprudence reconnaît tout à la fois la person-
nalité civile et le droit d'ester en justice des syndicats (1) :
dans quelle mesure, c'est ce que seule une étude des déci-
(1) C'est ainsi, par exemple, que si nous consultons une consulta-
lion produite, en 1887, devant la Cour d"Aix, un des documents les
plus précieux et les plus intéressants au point de vue du sens où de-
vait se flxer la jurisprudence, puisqu'il émane de M. Waldeck-Rous-
seau lui-même, l'auteur de la loi de 1884, nous trouvons, au point de
vue de la double question posée, droit de passer le contrat collectif,
droit d'ester en justice pour en réclamer l'exécution, une certaine
obscurité et une notable incertitude, qui s'expliquent puisqu'en l'af-
faire il ne s'agissait pas de contrat collectif, mais d'une Chambre
syndicale de négociants en tissus agissant au nom de ses membres
contre un tiers en concurrence déloyale.
Dans cette consultation, l'auteur fait la théorie générale de la per-
sonnalité civile des syndicats et pose de même les principes généraux
de leur action en justice : mais il ne mentionne pas au nombre des
attributions des syndicats le droit de passer des contrats collectifs,
sans doute parce que la chose va de soi. Il y a plus : il insiste si bien
sur la différence entre l'intérêt du syndicat pour lequel il a une action
et l'intérêt individuel de ses membres pour lesquels il est impuissant,
que lorsqu'il s'agira de l'action en exécution du contrat collectif la
I.\ JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 231
siens particulières, trop longue à entreprendre ici, pourrait
permettre de préciser.
On en peut toutefois marquer les résultats principaux;
les espèces pour lesquelles la question se pose furent tout
d'abord celles où les intérêts inhérents à la puissance mo-
rale syndicale apparaissaient nettement ; action pour obte-
nir le paiement des cotisations, actions de voisinage ou do
mur mitoyen, en un mot actions relatives à la défense de
la propriété mobilière ou immobilière du syndicat ; ainsi
insensiblement on arriva à préciser les conditions de cette
action en justice, en les déterminant d'après ces cas, qui
étaient pour la plupart des actions où la personnalité juri-
dique du syndicat était enjeu.
En face de ces décisions, un certain nombre d'autres
refusaient aux Syndicats l'action au cas où les intérêts
individuels des membres étaient seuls en jeu.
Ainsi entre l'intérêt de la personnalité juridique et l'in-
térêt particulier de chacun des membres, disparaissait l'in-
térêt professionnel, pour la défense duquel les Syndicats
ont légitimement le droit d'intervenir. Quand la question
du droit d'ester en justice à propos du contrat collectif se
posera, on y verra surtout une question d'intérêt individuel.
II est probable que si la jurisprudence avait été appelée à
dégager d'abord la nature de l'intérêt professionnel, l'évo-
lution de la jurisprudence eût été tout autre.
Quoiqu'il en soit, c'est dans cet état et avec cet aspect
général de la que^ion qu'en 1890, la question du contrat
jurisprudence sera tentée de la ranger dans la deuxième catégorie.
Consultalion produite devant la Cour d'Aix par M. Waldeck-
Rousseau. — Recueil périodique de procédure cicile : Rousseau et
Laisney 1887, p. 49 et suiv.
232 DEUXIÈMK PARTIK. CHAPITRK; PKKMIEIl
collectif se pose pour la première fois, à notre connais-
sance, devant les tribunaux : (affaire de Chauffailies).
Voici les circonstances dans lequelles furent rendues ces
décisions importantes :
Par une convention en date du 14 septembre i889, la
Chambre syndicale des ouvriers tisseurs et similaires de
Chauffailies avait obtenu des patrons que les ouvriers et
ouvrières syndiqués recevraient un salaire déterminé et
ne fourniraient qu'Hun certain nombre d'heures de travail.
Le texte rapporté dans les considérants de l'arrêt de Cas-
sation était le suivant :
MM. Yiallar, Guéneau et Chartron accordent aux ou-
vriers de leur usine :
1° Onze heures de travail par jour et la sortie du sa-
medi à 4 heures ;
2" Deux centimes d'augmention sur tous les articles qui
se font au tissage mécanique, et trois centimes sur cer-
tains articles plus délicats tels que Rég'ence, etc.. ;
3°, 4° et 5° Diverses autres augmentations...
Les patrons avaient violé ces engagements vis-à-vis de
certaines ouvrières : le syndicat poursuit les patrons en
exécution de la convention et demande 3,000 francs de
dommages-intérêts.
Le tribunal de commerce de Charolles en l""" instance
donne gain de cause au syndicat (1).
Les patrons défendeurs invoquaient dans leurs conclu-
sions un double moyen de droit ; d'abord la règle fameuse :
Nul en France ne plaide par procureur, puis prétendaient
que les demandeurs n'étaient pas habilités pour représenter
le Syndicat.
(1) 18 février 1890, Revue des Sociétés, 1890, p. 318.
LA JimiSPRLDENCR FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 233
« Considérant qu'étant établi, que le syndicat est une
jxTsoiHie morale qui peut ester en justice, il convient de
reclierclier si l'objet de l'instance introduite rentre dans
la catég^orie d'actes en vue desquels la formation des syn-
dicats a été autorisée ;
Que pour ce faire, il est nécessaire de rechercher les
motifs pour lesquels la loi a autorisé la formation des syn-
dicats ;
Considérant qu'il est évident que la loi du 21 mars 1884
a voulu permettre aux ouvriers de se grouper dans un
but précis: l'étude et la défense des intérêts généraux et
écojnomiques de la profession ;
Que d'ailleurs les motifs, la raison d'être des syndicats
et l'étendue de leurs attributions sont clairement indi-
quées par la législation antérieure et par les débats par-
lementaires ;
Considérant, en effet, que la loi du 14 juin 1791 édicté
en ces termes la prohibition des associations ouvrières :
que si, contre les principes de liberté de la constitution,
les citoyens attachés aux mêmes professions, arts et mé-
tiers, établissent entre eux un accord sur le prix de leurs
travaux, leurs délibérations sont déclarées inconstitution-
nelles, etc ;
Que dans cette entente des associations ouvrières sur le
prix de leurs travaux, la loi de 1791 voyait, non pas une
question qui se référait à l'intérêt privé et personnel de
chacun des ouvriers isolément, mais qu'elle voyait certai-
nement là une question d'intérêt social, d'intérêt général
et commun, puisqu'elle considérait les associations ou-
vrières comme un danger contre lequel elle croyait défen-
dre la constitution ;
Considérant que cette idée est encore plus nettement et
234 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
plus énergiquement exprimée dans les discussions au Sé-
nat; que M. Tolain s'exprime ainsi dans son rapport :
L'homme isolé n'est plus maître de débattre en toute li-
berté la condition de sa fabrication et le chiffre de son sa-
laire; aussi les uns et les autres (patrons et ouvriers) sont-
ils invinciblement entraînés à se concerter, à s'unir pour
la défense des intérêts communs ; du reste on n'a jamais
pu empêcher, on n'empêchera jamais des hommes exposés
aux mêmes dangers comme aux mêmes besoins, ayant
même intérêt, de chercher à s'entendre, à s'unir pour s'ai-
der, se protéger, se défendre contre les risques de toute
nature inhérents à la profession qu'ils exercent. »
Puis l'exposé des motifs cite encore divers passages de
M. Marcel Barthe (rapport au Sénat) pour conclure enfin :
(( Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la fixa-
tion du taux des salaires et la réglementation des heures
de travail rentrent dans la catégorie des intérêts généraux
que le syndicat professionnel a mission d'étudier et de dé-
fendre ; »
Ainsi la démonstration de la légitimité du droit pour
les syndicats de passer des contrats collectifs est ici large-
ment faite, elle ne sera d'ailleurs pas attaquée par les Jxrri-
diclions d'appel et de cassation ;
Quant au second moyen (incapacité des administrateurs)
le tribunal répond :
« Considérant d'ailleurs que les défendeurs, en traitant
avec les demandeurs ont reconnu la qualité du Comité
d'Administration et de Direction de la dite Chambre syn-
dicale; qu'il y aurait dès lors une singulière contra-
diction à reconnaître au syndicat qualité pour la conven-
tion du 14 septembre 1889 en traitant avec lui et de lui
refuser le moyen de la faire respecter. »
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 235
Chose curieuse, cet argument de droit ne sera pas di-
rectement refuté en appel pas plus que le point précédent :
c'est par une autre appréciation des faits que la Cour de
Dijon et la Cour de cassation infirmeront ce jug^ement de
première instance.
LaCour de Dijon dans un arrêt rendu le 23 juillet 1890(1),
vint en effet réformer la décision du tribunal de Cliarolles :
« Considérant, étant admis que les intimés ont qualité
pour représenter en justice le syndicat au nom duquels ils
déclarent se présenter, que si par son article 6, la loi du 21
mars 1884 reconnaît aux syndicats professionnels le droit
d'ester en justice c'est à la double condition :
l*' Que les syndicats aient tout d'abord été constitués en
vue d'un intérêt général de la profession ;
2*> Que les actions exercées par le .syndicat aient pour
objet elles-mêmes la défense des intérêts inhérents à leur
personnalité juridique et non la défense des droits indi-
viduels de leurs adhérents (2).
Considérant que s'il est incontestable que la fixation
du taux des salaires et la réglementation des heures
de travail rentrent dans la catégorie des intérêts géné-
raux pour la sauvegarde desquels un syndicat profes-
sionnel d'ouvriers peut se constituer, que si par suite
les membres de la Chambre syndicale de Chauffailles ont
pu intervenir pour faire, au nom des ouvrières syndiquées,
la convention du 14 septembre 1889, il est certain toute-
(1) D. 1893, 1, 241.
(2) Ce sont là les dispositifs d'un précédent arrêt de cassation,
qui sont pour ainsi dire les règles générales de l'aclion en justice des
syndicats : la Cour en fait application à notre affaire ; mais celle ana-
lyse juridique faite d'un autre point de vue, empêchera de voir qu'en
dépit des apparences, il y a là plus qu'un intérêt individuel.
236 DKUXIÈMK PARTIE. CHAPITRE PREMIER
fois que le syndicat ne peut en son nom, exercer les droits
et actions, qui à la suite d'une prétendue exécution de
cette convention, appartiennent individuellement et per-
sonnellement à une partie de ses adhérents ;
Que bien évidemment le syndicat, envisagé comme per-
sonne morale et en tant que syndicat, n'a point souffert
de préjudice à raison des faits reprochés aux appelants.
Que celles-là seulement parmi les ouvrières syndiquées
vis-à-vis desquelles les engagements pris par les patrons
n'ont pas été remplis, ont le droit de se plaindre et de
réclamer des dommages-intérêts qui bien évidemment ne
sauraient entrer dans la caisse du syndicat.
Que cela est si vrai que les demandeurs l'ont implicite-
ment reconnu dans leur exploit introductif d'instance en
indiquant les griefs d'un certain nombre d'ouvrières pour
justifier leur demande en dommages-intérêts.
Qu'il s'agit donc bien au procès d'une demande tendant
à la défense des intérêts des droits individuels d'un cer-
tain nombre de membres du syndicat et que, par suite du
principe ci-dessus rappelé comme aussi en vertu de la
règle : nul en France ne plaide par procureur, le syndi-
cat n'est pas recevable à ester en justice à l'occasion
de cette demande, laquelle ne peut être formée qu'au nom
de ceux ou celles ayant seuls qualité pour l'intenter. »
Ainsi la Cour de Dijon, sans nier le droit pour les syn-
dicats de passer des contrats collectifs, refuse ici l'action
au syndicat parce que celui-ci ne justifie pas d'un intérêt
inhérent à sa personnalité juridique, comme le veut la
jurisprudence antérieure. C'est là, croyons-nous, le point
faible de la thèse (1) : d'ailleurs les circonstances ne sem-
(1) Voir plus loin, p. 248.
LA JURISPRIDENCK FRANljAISK SLK LK CONTRAT COLI.KCTIK 237
hiaieiit guère favorables pour iiiellro en relief riiitérèl
général du syndicat : en fait les ouvrières ne suivaient plus
ici leur syndicat: quelques-unes d'entre elles avaient apporté
de leur propre mouvement une modification aux accords
intervenus sur un point spécial : au lieu dexécuter rigou-
reusement la Convention, suivant laquelle les ateliers
devaient être fermés, le samedi à 4 heures, certaines,
payées à la làclie, préféraient prolonger leur séjour à l'usine
une heure de plus le samedi pour nettoyer leur métier afin
d augmenter le rendement du travail par semaine. Le syn-
dicat, malgré leur volonté, avait demandé des donnnages-
-intérèts et subsidiairement nomination d'experts pour
prendre communication des livres du patron. Il est certain
que le récit de ces faits et l'aspect du procès durent faire
mauvaise impression sur les juges : les syndicats ont déjà
peine à triompher quand ils sont d'accord avec leurs mem-
bres : la difficulté redouble quand il y a désaccord et qu on
entrevoit au loin la tyrannie syndicale.
D'ailleurs le syndicat ne se tient pas pour battu et se
pourvoit en cassation contre l'arrêt de Dijon, invoquant
comme moyen unique, la violation de l'article 6 de la loi
du 21 mars 1884.
L'arrêt de cassation du l*"*^ février 1893, Chambre civile (1),
confirme, en le renforçant pour ainsi dire, l'arrêt de Dijon :
« Attendu, dit l'arrêt, qu'on lit au bas de cet engagement
(la convention précitée) la mention suivante : « Accepte
par les soussignés, membres de la Chambre syndicale de
Chauffailles, au nom des ouvriers. »
Attendu que les administrateurs de ce syndicat, lequel
est régulièrement constitué conformément aux prescrip-
(i) Pand. franc., 1894, p. 1 ; D. 1893, 1, 241,
238 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
lions de la loi du 21 mars 1884, prétendant qu'ils ont été
parties principales à la convention, soutiennent qu'ils ont
le droit de former, au nom et au profit exclusif du syndi-
cat, une action en dommages-intérêts pour réparation des
infractions qu'ils imputent aux défendeurs ; que c'est bien
en effet une condamnation de 3,000 francs de dommages-
intérêts envers le syndicat qu'ils réclament par l'exploit
introductif d'instance :
Attendu que l'arrêt dénoncé, tout en reconnaissant que
la fixation du taux des salaires et la réglementation des
heures de travail rentrent dans la catégorie des intérêts
généraux dont la défense appartient aux syndicats profes-
sionnels, déclare que celui de Chauffailles na été, dans
Vespèce^ qu'un simple intermédiaire, entre les proprié-
taires do l'usine et leurs ouvrières auxquelles seules diver-
ses concessions étaient faites; que le syndicat n'a aucune-
ment souffert des manquements reprochés aux patrons, et
que seules aussi, les ouvrièves, en nombre très restreint
au préjudice desquelles ces manquements ont pu être com-
mis en ont éprouvé un dommage purement personnel. »
Ainsi c'est bien la thèse de la Cour de Dijon (le syndi-
cat n'a pas l'action personnelle qui appartient aux mem-
bres personnellement), renforcée par cette considération
de fait que le syndicat n'a pas été partie au contrat : ceci
posé, il est clair que l'idée que la stipulation de salaires
déterminés, ou la fixation de durée de travail pouvaient in-
téresser directement le syndicat, ne pouvait même pas ef-
fleurer l'esprit des juges: aussi bien l'arrêt continue :
a Que de ces circonstances et du texte même de la Con-
vention, le dit arrêt a conclu que si MM. Viallar, Guéneau
et Chartron étaient réellement engagés envers leurs ou-
vrières, et si ces dernières pouvaient puiser dans la Con-
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 239
vention, le cas échéant, le principe d'une action indivi-
duelle en dommages-intérêts, le syndicat qui n'est inter-
venu que pour accepter en leur nom les ofifres qui leur
étaient faites, n'avait pas été, de son propre chef, partie
au contrat et n'avait par conséquent aucun droit pour en
revendiquer*les eirefs ;
Attendu qu'en déclarant dans cet état des faits, l'action
du syndicat non recevable, l'arrêté attaqué n'a point violé
Tarticle de la loi invoqué par ce pourvoi.
Par ces motifs, rejette. »
Ainsi la Cour de cassation dans cet arrêt, le seul qui
existe en notre matière, n'a pas prétendu donner la théorie
juridique du contrat collectif. La question, pourrait-on, dire
est réservée, les circonstances de la cause ont été interpré-
tées de telle façon qu'il n'y a là que les applications du
droit commun en matière de mandat : reste à savoir si le
contrat collectif est véritablement un mandat.
En tout cas deux principes sont à retenir : le syndicat
a qualité pour passer un contrat collectif.
Le syndicat aurait qualité pour intenter une action à
l'occasion de ce contrat, pourvu qu'il ne s'agisse pas de
défense des intérêts des droits individuels, mais véritable-
ment de la défense d'intérêts inhérents à la personnalité
juridique des syndicats eux-mêmes.
C'est ce que fera apparaître le curieux jugement du
Tribunal de commerce de la Seine du 4 février 1892.
Un conflit éclata en mai 1891 entre la Compagnie des
omnibus et son personnel au sujet de la durée du travail
quotidien fourni par les employés. La clause du contrat
collectif qui donnait lieu à des difficultés était la suivante :
« La durée de la journée de travail est fixée en principe
à 12 heures depuis la sortie du dépôt jusqu'à la rentrée
240 DEUXIÈME PAlVriE. CHAl'lTHE PItEMlEK
au dépôt, non compris le temps des deux repas fixé à
1 h. 1/2.
« Ce nouveau service fonctionnera à partir du 18 juin
au plus tard. »
La Compag-nie n'observant pas rigoureusement cette
clause, le Syndicat l'attaque pour oblig-er à exécuter le
contrat et demande 30,000 francs de dommages intérêts :
à ces prétentions le Tribunal de la Seine, par un jugement
en date du 4 février 1892 (1), répond par les considérants
suivants ;
Le début du jugement appelle la clause ci-dessus citée,
puis interprétant la volonté des parties, conclut :
« Attendu que c'est bien 12 heures juste l'intention des
parties :
« Attendu que dans ces circonstances il y a lieu de rap-
peler la Compagnie des omnibus à l'observance du con-
trat, en disant que dans un délai et sous une contrainte à
impartir, elle sera tenue de ne faire travailler ses employés
que 12 heures par jour, depuis la sortie du dépôt jusqu'à
la rentrée au dépôt, non compris le temps des repas fixé
à 1 h. 1/2. »
Ainsi le Syndicat a bien qualité pour demander et obte-
nir l'exécution du conirat par lui passé, au moins pour
l'avenir ; car pour le passé, voici les motifs qui ont en-
traîné le Tribunal à déclarer la demande du Syndical irrece-
vable :
« Sur les 50,000 francs de dommages intérêts réclamés :
Attendu que la Chambre syndicale fait plaider que, par
suite du refus de la Compagnie d'observer les conventions
(1) Revue du Di^oit Industriel, 1893, p. 72.
LA JL'ItlSPHLUENCi!: VilANCAISii SUlt LK CUNTKAT CULLKCTIF 241
du 26 mai elle a éprouvé un |)iéjuilice matériel dont elle
serait fondée à demander réparation ;
Attendu en ce qui touche le préjudice niorai, que le
rappel de la Compag^nie des omnibus au respect de ses en-
gaj^emenls et la condamnation de celle-ci aux dépens sont
la seule réparation à laquelle la Chambre syndicale puisse
prétendre ;
Attendu en ce qui touche le préjudice matériel que la
demande de la Chambre syndicale n'est pas recevable ;
Qu'en effet, tout syndicat professionnel, organisé con-
formément à la loi du 21 mars 1884, entre personnes exer-
rant la môme profession, doit avoir pour objet la défense
d intérêts généraux communs à 1 universalité des membres
qui la composent ; qu'il forme une personne civile, avant
ses droits et sa capacité essenliellement distincts de ceux
qui appartiennent individuellement à chacun de ses mem-
bres ; qu'il peut ester en justice, mais seulement pour la
défense des intérèls comnmns et collectifs en vue des(|uels
il a été créé ; doii il suit qu'il n'est recevable que dans les
instances où le jugement à intervenir est de nature à inté
resser l'association et non l'un ou plusieurs des membres
du syndicat à l'exclusion des autres ;
Et attendu que le préjudice dont la réparation est de-
mandée a pour base le paiement des heures supplémen-
taires que la Compagnie des onmibus aurait fait faire à un
certain nombre de ses employés;
Que ce préjudice, en admettant qu'il fût justifié, ne sau-
rait être réparé qu'à l'égard de ceux auxquels il a été causé ;
Qu'il s'agit là, non d'intérêts conununs à l'universalilé
des mendires du syndicat, mais bien des droits individuels
pour la poursuite desquels; la Chambre syndicale n'a pas
qualité pour ester en justice ;
RATNAUD 16
242 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Qu'on conséquence il écliet de déclarer ce chef de de-
mande non recevable et mal fondée. »
Ainsi entraîné en deux sens opposés par la considéra
tion d'une part que le syndicat pour l'avenir peut deman-
der l'exécution du contrat, mais n'a pas droit à des dom-
mages-intérêts pour le passé, le tribunal arrive au curieux
dispositif suivant :
« Par ces motifs :
Dit que dans le mois de la signification du présent juge-
ment, la Compagnie générale des omnibus sera tenue de
ne faire travailler ses employés que 12 heures par jour,
depuis la sortie du dépôt jusqu'à la rentrée au dépôt, non
compris le temps des 2 repas fixé à i heure et demie, si-
non et faute de ce faire dans ledit délai et celui-ci passé,
le condamne dès à présent à payer à la demanderesse la
somme de 100 francs par jour de retard pendant 1 n)ois,
après lequel délai il sera fait droit ;
Déclare la Chambre syndicale des employés non rece-
vable, môme d'office et mal fondée en sa demande en dom-
mages-intérêts: l'en déboute,
Condamne la Compagnie générale des omnibus aux dé-
pens. »
Nous avons tenu à donner presque i?i extenso ce juge-
ment du Tribunal de commerce de Paris, parce qu'il nous
semble susceptible de marquer un point de départ nou-
veau pour la jurisprudence.
D'abord le droit d'action en justice pour l'exécution du
contrat collectif est ici, comme précédemment, formelle-
ment reconnu au syndicat. Mais, et c'est ici l'originalité
même du jugement, tout en rappelant la théorie générale:
Pas d'intérêt syndical, pas d'action — le jugement met en
lumière /e préjudice moral éprouvé par le syndicat et
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 243
suflisant à fonder son action : sans doute, comnnc le dit
un des considérants, « en ce qui touclie ce préjudice, le rap-
pel de la Compagnie des omnibus au respect de ses enga-
gements et la condamnation de celle-ci aux dépens, sont
la seule réparation à laquelle la Chambre syndicale puisse
prétendre ». C'est peu sans doute, et c'est affaire d'appré-
ciation. Mais enfin le principe nouveau est posé : en cas
d'inexécution du contrat collectif, il y a pour le syndicat
un préjudice moral, résultant bien de ce que cette inexé-
cution tend à montrer le syndicat incapable de faire res-
pecter les engagements pris et de défendre les intérêts
professionnels dont il a assumé la garde.
Il est clair d'ailleurs que ce principe une fois admis, on
ne voit guère pourquoi l'appliquer à l'avenir seulement,
c'est-à-dire à l'exécution du contrat collectif après le pro-
noncé du jugement et non au passé : cela est au contraire
un grand principe de procédure d'après lequel dans toute
affaire on doit se placer pour apprécier les faits au jour de
la demande. L'intérêt syndical est parfaitement apparu
aux juges quant à l'exécution de la convention à l'avenir:
cet intérêt est assez puissant pour motiver la condamna-
tion de la Compagnie générale des omnibus à uneastreinte
de 400 francs par jour de retard pendant un niois : mais
pour le passé, cet intérêt, quoique soupçonné, puisque la
Compagnie en réparation du préjudice moral est condam-
née aux dépens, était en quelque sorte masqué et le sera
longtemps encore peut-être dans des cas analogues par l'in-
térêt individuel, né de l'inexécution du contrat de travail
pour chaque intéressé : sans doute cet intérêt existe et peut
donner lieu à l'action individuelle née du contrat, mais à
côté de lui existe de la même manière que pour l'avenir
l'intérêt du syndicat de faire respecter le contrat collectif.
^44
DliUXlEMIi: PAHTIE. — CHAPITHK PHKMlKlt
C'est donc là une décision judiciaire des plus inléressunles
dont il faudra se souvenir au chapitre suivant lorsqu'il
s'agira d'esquisser la théorie juridique du contrat col-
lectif.
Mais ce jugement du tribunal de commerce de Paris est
loin d'avoir établi d'une manière définitive la jurispru-
dence française en matière de contrat collectif. Celle-ci
est toujours dominée par l'arrêt de cassation de 1892 cité
plus haut. On trouve quelques décisions qui en sont visi-
blement inspirées et en face d'elles, par la force des choses,
quelques autres qui admettent la possibilité de l'action en
justice : aussi y a-t-il quelque incohérence, qui tient, nous
l'avons dit et nous le répétons, à ce que cette jurispru-
dence est dominée tout entière par la théorie générale de
l'action en justice des syndicats et par la difficulté de met-
tre en lumière dans chaque affaire l'intérêt du syndicat à
côlé de l'intérêt individuel qui le masque.
C'est ainsi que, contrôla possibilité de l'action en justice,
nous trouvons une première série de décisions dont voi-
ci les plus importantes :
On fait échec de toute manière à l'action en justice des
syndicats à l'occasion du contrat collectif : tantôt c'est un
conseil de prud'hommes saisi de l'exécution d'une conven-
tion antérieure à la création du syndicat — ce qui est par-
faitement impossible (1) — qui éprouve le besoin de dé-
clarer que môme pour un contrat collectif passé par le syn-
dicat l'action en justice serait impossible et toujours par
le même sophisme : il y a un intérêt individuel et pas d'in-
térêt svndical :
(1) Voir plus loin, p. 'ibb.
I.V JL'RJSPRUDENCE FRANÇAISE SUR LK CONTRAT COLLECTIF 245
« AUentlu enfin qu'en matière de syndicats profession-
nels il est de principe et de jurisprudence que le droit
d'agir en justice (|ui leur est reconnu par l'article 6 de la
loi du 2i mars 1884, ne peut être exercé que quand il
s agit de la défense des intérêts inhérents à la personna-
lité juridique, et non quand il s'agit, comme dans l'espèce,
de la défense des droits individuels de leurs adhé-
rents (1). »
Tantôt c'est la théorie du mandat mise en vogue par la
décision de la Cour de cassation, qui reparaît et qui per-
met de dénier toute action au syndicat.
Le tribunal de commerce de Nantes par jugement en
date du 13 avril 1897 (2) a décidé que « le président d'un
« syndicat ouvrier qui a, comme tel, passe avec un patron
« du métier une convention relative aux conditions dans
« lesquelles doit s'exercer la profession, n'a pas d'action
« en justice pour réclamer au nom du syndicat l'exécu-
« tion de cette convention, s'il résulte des faits de la cause
« qu'il n'a agi en passant cette convention que comme
« mandataire d'une partie seulement des syndiqués (dans
« l'espèce les ouvriers du patron avec lequel il a traité) ».
11 doit être alors considéré, non pas comme le repré-
sentant du syndicat, mais comme le mandataire de cer-
tains ouvriers, et il doit alors prouver que « ceux qui lui
donnent mandat de poursuivre en justice l'exécution du
contrat sont bien ceux qui lui avaient donné mandat de
le faire ».
Ici le contrat collectif en date du 10 juillet 1896, avait
été passé entre Bahuaud, agissant en qualité de président
(1) Justice de paix de Saint-Nazaire, i5 mars 189i.
(2) Rev. des Sociétés, 1898, p. 131.
246 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
de la Chambre syndicale des ouvriers boîtiers-ferblantiers
de Nantes et Barau et Lemauff, 2 patrons. Il stipulait
pour un délai d'un an (1" juillet 1896, 1«^ juillet 1897),
que le patron ne pouvait faire qu'un apprenti par 15 ou-
vriers : or celui-ci avait fait 11 apprentis pour 33 ouvriers.
Le système du tribunal fut des plus simples : sans exa-
miner la question du fond, qui était ici comme toujours la
capacité pour le syndicat de passer le contrat et d'en pour-
suivre l'exécution, le tribunal par un moyen de forme,
repousse l'action du président du syndicat, en le déclarant
mandataire non du syndicat tout entier, mais d'un groupe
seulement, les ouvriers de la maison Barau et Lemauff:
ce qui semble bien étrange. Une fois ce point admis, il
n'a pas de peine, puisque les noms des ouvriers de cet
établissement ont changé, à déclarer que l'identité des
mandataires n'est pas et ne saurait être établie :
« Attendu que dans ces conditions, permettre à un
groupe d'ouvriers qui peut être désigné sous le môme
nom, tout en étant composé successivement d'individus
différents, de faire un traité en temps quelconque et de
réclamer au môme titre l'exécution de ce traité, sans éta-
blir que ce groupe est dans les deux cas composé des mê-
mes personnes et que ces mêmes personnes sont toutes d'ac-
cord, constituerait une atteinte grave à la liberté indivi-
duelle et à la liberté du travail. »
Il est clair que ce n'est là qu'un faux-fuyant difficile-
ment soutenable en droit, au strict point de vue juridique:
du moment que le syndicat a le droit d'ester en justice,
on ne saurait exiger une procuration de tous les syndi-
qués, pas plus que dans une compagnie anonyme on ne
songerait à demander au président ou au secrétaire géné-
ral un mandat de tous les actionnaires. D'ailleurs en fait
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 247
les patrons n'avaient demandé aucune justification de
mandat pour passer avec le président du syndicat le con-
trat collectif. Ici donc, une fois de plus, une théorie juri-
dique quelque peu douteuse, toujours inspirée de l'idée
d'intérêts particuliers à quelques membres, avait refusé
l'action au syndicat.
Enfin on est bien heureux de trouver une exception d'un
autre genre, une irrégularité déforme dans la constitution
du syndicat pour échapper au jugement sur le fond :
c'est ainsi que dans une poursuite intentée par le syndicat
des ouvriers marbriers d'Alger, le tribunal de commerce
de cette ville fut heureux de ne pas juger au fond sur
l'exécution de la convention résultant de la signature
d'un bordereau en date du 7 juin, par laquelle les signa-
taires, dont le patron poursuivi, s'engageaient à employer
de préférence des ouvriers syndiqués et de répondre par
un jugement du 30 novembre 1898 (1): Que pour avoir le
droit d'ester en justice, un syndicat devait être régulière-
ment constitué : or celui dont il s'agissait n'avait pas rem-
pli les formalités de la loi du 21 mars 1884 (art. 4) qui
exige le dépôt des noms des membres du bureau à chaque
renouvellement et la qualité de Français chez ces mêmes
membres.
— Par contre d'autres décisions en sens diamétralement
opposé vont beaucoup plus loin dans l'autre sens et peu-
vent servir vraiment dès maintenant, à compléter le ju-
gement du tribunal de commerce de Paris (1892), à pré-
parer la véritable théorie du contrat colleclif : nous rele-
vons en ce sens une décision des conseils de Prud'hom-
(1) JRev. des Sociétés, 1899, p. 311.
248 DEUXnCMR PAHTIK. CHAPITHK PRH:iMli<:R
mes de la Seine 13 avril 1895 (1) ainsi qu'un jugement du
tribunal civil de Cholet (jugeant commercialement en date
du 12 février 1897) (2).
Ce dernier jugement marque une nouvelle étape dans
la lente et laborieuse édification de la jurisprudence sur le
contrat collectif. Il met merveilleusement en lumière l'in-;
térèt syndical dont nous parlions plus haut et mérite à ce
titre une étude toute particulière :
Dans cette affaire, les syndicats des ouvriers tisserands
de Cliolet avaient passé avec les patrons un contrat collectif
établissant un tarif de prix : l'un deux, AUereau frères, ne
l'applique pas : les syndicats poursuivent et le tribunal
n'hésite pas à leur donner gain de cause, après avoir mis
en lumière l'intérêt collectif.
... « Attendu qu'il n'est pas contestable, ainsi qu'AUe-
lereau le reconnaît d'ailleurs lui-même, que la réglemen-
tation du tarif des salaires rentre dans la catégorie des
questions générales que les syndicats sont autorisés à
traiter et qu'il importe de retenir que l'uniformité d'un
tarif des prix de façon est précisément l'objet principal en
vue duquel les diverses sociétés demanderesses se sont
constituées ; »
C'est précisément l'importance de l'uniformité du tarif
qui va faire mieux apparaître l'intérêt syndical.
« Attendu que ce règlement dispose que les patrons ne
consentent à y souscrire qu'à la condition qu'il sera signé
et appliqué par tous les fabricants de toiles et mouchoirs
de la région et que si la non-application du tarif par plu-
(1) Rev. prat. du droit industriel, 1895, p. 205. Voir chap. suivant.
(2) Rev. des Sociétés, 1897, p. 303.
I.V JL'IUSPRl'DKNCK FRAISr.AISK SUR LK CONTRAT COLLECTIF 249
sieurs fabricants venait à être constatée, les signataires
pourraient se considérer comme dégagés, après en avoir
informé un mois à l'avance, soit la commission d'arbi-
trage, soit les chanjhres syndicales ouvrières, soit le con-
seil des Prud'hommes ; (ju'en présence d'une pareille dis-
position, il serait diflicile de soutenir que les ouvriers d"AI-
lereau sont les seuls qui puissent être atteints par les in-
fractions relevées contre lui : (|ue sans doute ils profite-
ront personnellement de l'action introduite par les syndi-
dicals, mais que c'est là une conséquence indirecte de la
demande, non son vérilahle objet ; que la question est plus
haute et qu'il s'agit de savoir si toute l'économie du tarif
pourra être impunément compromise parle fait d'un seul,
au risque de tout remettre en question et de faire renaî-
tre, entre patrons et ouvriers, toutes les difficultés, que le
présent règlement, accepté par Allereau, a eu justement
pour objet de résoudre ;
Voilà bien mis en lumière l'intérêt syndical, la paix in-
dustrielle, les bonnes relations entre patrons et ouvriers,
que les syndicats ont procurées et qu'ils défendent. Et le ju-
gement conclut en repoussant enfin, — d'une manière défi-
nitive, nous voudrions l'espérer, — l'ancien sophisme ap-
puyé sur la fameuse règle « nul ne plaide par procureur » :
« Attendu (jue le défendeur invoquerait vainement dans
la cause la maxime : « Nul en France ne plaide par procu-
reur. » Que les Chambres syndicales plaident pour elles-
mêmes, non pour autrui, pour r intérêt professionnel
qu elles ont mission de défendre et à raisoti duquel elles
ont stipulé : que peu importe que le préjudice soit ou ne
soit pas encore elfectivement réalisé; qu il est de principe
qu'un dommage éventuel suffit dès que la menace est
sérieuse et le péril imminent. »
250 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
¥A dans l'espèce le Tribunal condamne le défendeur à
aug-menter de 8 0/0 le prix de façon des tissages mé-
caniques, sous une contrainte de 50 francs par jour de
retard.
Voici donc enfin le principe merveilleusement dégagé:
dans l'action en l'exécution du contrat collectif, le Syndi-
cat plaide pour lui-même non pour autrui, pour l'intérêt
professionnel qu'il a mission de défendre et à raison duquel
il a stipulé.
Une décision toute récente (1) admet l'existence de cet
intérêt professionnel du Syndicat, avant même que le con-
trat collectif n'ait été signé, et y trouve une base suffisante
pour condamner à des dommages-intérêts envers le Syn-
dicat le membre qui par le contrat individuel avait empê-
ché la formation du contrat collectif.
Voici sommairement résumés les faits de cette remar-
quable affaire: il s'agit d'un syndicat professionnel de
médecins, mais la portée de la décision dépasse beaucoup
la solution d'espèce à propos de laquelle elle est inter-
venue :
Un syndicat de médecins, faisant suite à une association
de fait, s'était formé à Bourgoin dans le but d'obtenir des
Compagnies d'assurances contre les accidents un tarif à
forfait pour le règlement des soins à donner aux blessés.
Le Syndicat prétendait obtenir un minimum de 15 francs
par accident, alors que les Compagnies refusaient ce prix :
pour les forcer à conclure le contrat collectifs le Syn-
dicat notifie aux Compagnies le 17 juin 1900 une résolu-
(4) Tribunal civil de Bourgoin (Isère). Due à La bienveillante com-
munication de Me Gatineau, avocat au barreau de Paris, et défenseur
des intérêts du Syndicat. — Gaz. des Trib., 48 juillet 4901.
LA JLRISPRUOENCK FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 251
tien du 2 juin signée de tous les membres syndiques por-
tant que :
1*> Les médecins membres du Syndicat, ne prendraient
ciucun engagement individuel et que les accords ou con-
trats qui aur.iienl pu intervenir entre un ou plusieurs
membres du Syndicat et une ou plusieurs Compagnies
seraient immédiatement dénoncés, quelles que soient les
conditions de ces accords ou contrats ;
2*^ Que faction syndicatç serait substituée à faction
personnelle pour toutes les conventions à venir ; que les
compagnies seraient invitées à traiter directement avec
le syndicat sur les bases fixées par la lettre circulaire
du 21 octobre 1899 et ce, dans le délai d'un mois, et que
l'accord à intervenir entre les compagnies et le syndicat
devait être pris directement entre les directions générales
de ces compagnies et la cbambre syndicale ;
3" Qu'il n'y aurait ni monopole ni profit de tel ou tel
médecin, ni conditions privilégiées pour tel ou tel compa-
gnie ; que les membres du syndicat devraient cesser tout
rapport avec les compagnies qui se refuseraient à traiter
avec le syndicat dans le délai indiqué et qu'ils donneraient
en ce cas leurs soins aux ouvriers blessés sous la seule res-
ponsabilité des patrons, en ce qui concernait leurs hono-
raires ;
i'^ Que les membres du syndicat qui seraient en butte à
des manœuvres par intimidation, promesses, menaces,
marchandage ou sollicitation de concurrence de la part des
compagnies, tendant à troubler l'ordre entre les syndiqués
seraient tenus d'en aviser sans relard la chambre syndicale.
C'était on le voit la poursuite du contrat collectif par la
suppression volontaire de tout contrat individuel à laquelle
s'engageaient tous les syndiqués.
2S2 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
L'un d'eux nommé Chaix avait consenti à soigner, pour
le compte des compagnies, les victimes d'accidents du tra-
vail, au taux de 10 francs par blessé. On prononce son
exclusion. Il est en outre poursuivi en dommages intérêts
par le syndicat représenté par son président et son secré-
taire :
Le tribunal rappelle le droit pour les chambres syndi-
cales de poursuivre le contrat collectif et le devoir pour
les syndiqués de se conformer aux règles du syndicat.
« Attendu, en droit, que les organisations syndicales,
en tant qu'elles ont pour objet la défense des intérêts pro
fessionnels, sont non seulement autorisées, mais encou-
ragées par noire législation ; que les statuts et les délibé-
rations régulièrement prises font la loi des parties et obli-
gent tous les membres, au même titre que toute autre
convention valable ; que sans doute, il est toujours permis
à tout syndiqué de se retirer des liens du syndicat, mais
que tant quil fait partie de l'association, il est tenu de se
conformer à la loi et de respecter les obligations qu'elle lui
impose ; que V observation stricte de ce devoir est surtout
nécessaire dans une organisation qui exige une entente
absolue pour permettrp à l'effort commun de produire
son effet utile : que dès lors toute infraction peut, quand
il en est résulte un préjudice, donner ouverture, au profit
du syndicat, personnalité civile, à une action en domma-
ges-intérêts par application, soit des articles 1142 et sui-
vents du code civil, sort de l'article 1282, le cas échéant.
Puis après une longue discussion des faits où il établit
que la résistance des compagnies au contrat collectif, la
perte de clientèle pour les autres syndiqués sont la résul-
tante des conditions avantageuses faites par Chaix aux
compagnies, le tribunal résume ainsi sa démonstration :
LA Jt'HlSPRL'DKNCK FRANÇAIS^: Stil LE CDNTRAT CULLI^CTIP 253
« Atteiulu que les iigissenieitts de Ciiaix ont ciiusé un
préjudice certain ; que les Compagnies trouvant auprès de
lui la possibilité de faire soigner leurs blessés à des condi-
tions plus avantageuses que celles du syndicat ont natu-
rellenient refusé de traiter avec celui-ci, alors qu'au début
elles ne paraissaient pas avoir adopté une altitude rendant
toute entente impossible ; qu'ainsi les membres du syndi-
cat restés fidèles à leurs engagements, se sont trouvés
privés, non seulement de la majoration que comportait
leur tarif, mais encore de la clientèle qu'ils auraient pu
conserver, au moins momentanément, si Cliaix avait ob-
servé, comme eux, ses obligations ; que le tribunal trouve
dans la cause des éléments suffisants pour lixer les dom-
mages-intérêts, en tenant compte de la possibilité de l'em-
ploi, par les Compagnies, d'un médecin non syndiqué ; »
Par ces motifs, le tribunal « dit que Chaix a contrevenu
aux engagements pris par lui le 2 juin 1900 envers le
syndicat médical de Bourgoin en restant en rapports pro-
fessionnels avec les compagnies d'assurances et en consen-
tant à donner à leurs blessés des soins moyennant un
tarif inférieur à celui proposé par le syndicat, dit qu'il a
causé aux demandeurs es qualités un préjudice dont il
doit réparation : le condamne par suite, à leur payer, avec
intérêts de droit, la somme de 200 francs, ordonne à titre
de suppléments de dommages l'insertion du présent sans
les noms des parties, aux frais de Chaix, dans 24 journaux
médicaux désignés, sans que le coût de chaque insertion
puisse dépasser 100 francs; »
Ainsi, par cette remarquable décision de jurisprudence
s'établit en quelque sorte la théorie de Voff're du coniraf
collectif.
Malheureusement ce ne sont là que des décisions de
2S4 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
simples tribunaux et l'arrêt de Cassation plane toujours
sur l'avenir : on peut évidemment souhaiter que le lim-
pide et clairvoyant jugement du tribunal de commerce de
Paris appuyé par le jugement bien plus récent du tribu-
nal de Bourgoin fasse jurisprudence. Néanmoins, il ne
faudrait pas se faire d'illusion et se contenter à si bon
compte : l'incertitude des décisions que nous avons rele-
vées, les difficultés multiples accumulées devant cette vé-
rité exigent maintenant une nouvelle étude : il faut partir
de ce principe dégagé avec tant de peine par la jurispru-
dence pour en étudier la portée et les conséquences : il
faut, de ce nouveau point de vue, reprendre tout l'ensemble
de la question et risquer du point de vue doctrinal une
esquisse d'une théorie juridique du contrat collectif (1).
II
Mais auparavant une nouvelle étude s'impose : les faits
devancent la théorie et les décisions judiciaires d'espèces
et de détail anticipent sur les questions de principe et de
doctrine.
Diverses questions de la plus grande importance, ont
(1) Dans cetle revue de jurisprudence, nous n'avons examiné que
la question de principe : Droit de passer le contrat, droit d'en poursui-
vre l'exécution • il nous faut maintenant parcourir les quelque rares
décisions sur les points de détails qui ne peuvent se bien comprendre
qu'une fois le principe admis. Cet ordre nous a été imposé en quelque
sorte par l'incoliérence de la jurisprudence qui manque totalement
d'unité. L'existence de ces décisions est d'ailleurs une nouvelle preuve
de l'impérieuse nécessité et de la remarquable vitalité juridique du
contrat collectif, puisqu'il a su en quelque sorte faire reconnaître
quelques-unes de ses règles essentielles, sans être d'ailleurs univer-
sellement admis en principe.
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SIR LE CONTRAT COLLECTIF 255
été ainsi tranchées par les tribunaux, avant même que la
jurisprudence sur la question de principe ait été liien af-
fermie, dans un sens favorable au contrat collectif. On
peut grouper les décisions déjà nombreuses sous les deux
chefs suivants :
A. — Conditions du contrat.
B. — Moyens de faire respecter le contrat.
A. — Conditions du contrat.
Il est certain tout d'abord que les unions de syndicats,
en l'état actuel des textes (J) ne peuvent demander en
justice Texécution dun contrat collectif — ni même en
toute rigueur conclure ce contrat collectif : c'est ce qu'a
implicitement reconnu le tribunal de Cholet jugeant com-
mercialement « en déclarant que le fait par certains syn-
dicats professionnels de former une Union ainsi que la loi
le leur permet n enlève pas à ces syndicats la faculté d'a-
gir en justice, chacun en son nom personnel (2) ».
Il est non moins certain que le syndicat ne peut ester
en justice que pour la défense du contrat qu'il a lui-
même passé : c'est ainsi que le Tribunal de justice de
paix de Saint-Nazaire a déclaré que les syndicats profes-
sionnels ne peuvent agir en justice pour leurs membres à
raison dune convention passée avec le patron par ces
membres antérieurement à la création du syndicat. (Syn-
dicat des ouvriers déchargeurs-charbonniers de Saint-Na-
zaire (3).
(1) Cf. art. 5, Loi du 21 mars 1884.
(2) Cholet, 12 fév. 1897, Revue des Sociétés, 1897, p. 303.
(3) Justice dé Paix, 15 mars 1894.
256 UËUXlÈMIi PAKTIK. CHAl'ITKK PltKMIKtt
Enfin dans un arrêt intéressant, qui montre eoinl)ien les
règles du contrat individuel de travail pourraient s'appli-
quer au contrat collectif, le Tribunal de commerce deTarau,
par jugement en date du 30 décembre 1890 (l) a décla-
ré que la grève générale ne saurait èlre considérée comme
un cas de force majeure pouvant entraîner la résiliation
de plein droit des contrats entre patrons et ouvriers et les
dispenser notamment les uns et les autres de la formalité
du congé d'usage. Dans cette affaire l'obligation de hui-
taine reposait sur un règlement déposé au Conseil des
Prud'hommes et affiché dans les ateliers où il fait la loi
conventionnelle des parties, conformément à l'article 1134
du Code civil. « Attendu, dit le Tribunal, que la législa-
tion nouvelle (loi de 1884) n'a pas donné aux ouvriers le
droit de violer les conventions librement formées entre
eux et leur patron ; que les délais qui devait être autre-
fois respectés par l'individu doivent l'être aujourd'hui par
la collectivité et que si l'on peut déclarer la grève géné-
rale, elle ne peut produire ses effets qu'après l'expiration
des délais fixés, soit par les usages locaux, soit par les
contrats. »
On saisit aisément toute l'importance de cette décision,
restée malheureusement isolée : il est clair que toutes les
règles de droit comnmn communément appliquées par les
tribunaux au contrat de louage individuel gagneraient à
s'appliquer également au contrat collectif et que dans
l'état actuel des textes — sauf à examiner au point de
vue des réformes si quelques-unes ne seraient pas à écai-
(1) Joaraal des Prud'hommes, 1891, p. 61. — Nous avons relevé
cette décision, bien qu'elle ne semble pas s'appliquer directement à
notre sujet, comme très intéressante et pleine d'avenir.
LA JLKISPRIDE-NCK FRANiJAlStî SUR LE COMTHAT COLLECTIF 257
ter — elles doivent s'appliquer en noire matière. Au point
de vue de la paix sociale et de la solution amiable des
conflits entre patrons et ouvriers, le respect do cette règle
serait un grand progrès (1).
Mentionnons en dernier lieu une curieuse décision du
Tribunal des Prud'bonnnes de Marseille (2), qui nous sem-
ble plus que contestable au point de vue des principes ac-
tuels du droit, mais qui indique bien, comme nous le di-
sions ci-dessus, que si jamais une réglementation législa-
tive était faite en notre matière, on en arriverait sans
doute à modifier sur plus d'un point les règles actuelles
du contrat individuel : le jugement annule ici le traité
passé entre un syndicat ouvrier et un patron par ce motif
que la convention était faite pour une durée illimitée :
« Attendu que cette convention par son caractère d'indéter-
mination dans la durée et l'absence de flexibilité aux cir-
constances et aux fluctuations de l'avenir, serait surtout
dans un moment de crise industrielle ou commerciale aussi
nuisible aux intérêts des patrons qu'à ceux des ouvriers
eux-mêmes ;
« Attendu dès lors que cette convention constitue une
atteinte grave au principe delà liberté du travail, du com-
merce et de l'industrie, qu'à ce titre elle est nulle aux ter-
mes des articles 1131 et 1133 du Code civil. »
Il semblait qu'il eût suffi dans cette affaire de déclarer
que la convention était un engagement à durée indétermi-
née et comme telle de lui appliquer l'article 1780 inodifié
par la loi du 27 décembre 1890 ; le contrat collectif fait
(1) Il parait qu'en Belgique, les tribunaux sont tout disposés à la
faire observer et par là évitent bien souvent nombre de grèves.
(2j 28 mars 1893, /. des Prud'hommes, 1893.
• BATKACD 17
258 DEUXIÈME PAiniK. CHAPITRE PREMIER
sans détermination de durée peut cesser par la volonté
d'une des parties. Mais le Tribunal des Prud'hommes a
aperçu ici un des dangers que pourraient présenter en ef-
fet de tels engagements : c'est une idée courante dans le
monde ouvrier que ces engagements collectifs à durée in-
déterminée peuvent être dangereux comme ne suivant pas
les fluctuations du marché du travail. Cela tient aussi sans
doute à l'attitude incertaine des tribunaux : cependant
les principes semblent incontestables, et il est nécessaire
d'affirmer que même dans ce cas l'ouvrier qui a accepté
le contrat peut toujours cesser le travail, quitte à appliquer
dans ses détails l'article 1780.
Il n'y a d'ailleurs dans toutes ces décisions isolées rela-
tives aux conditions du contrat, rien de bien nouveau ni
de bien exceptionnel : la théorie reste toute entière à
faire (1) et s'élaborera sans doute d'elle-même à mesure
que le contrat collectif plus répandu sera plus souvent
porté à la barre des tribunaux judiciaires.
B. — Moyens de faire respecter le contrat.
Les décisions judiciaires sur ce point sont plus intéres-
santes.
L'idée pratique qui a inspiré les tribunaux, qui avaient
admis l'existence et la validité du contrat collectif ainsi que
la légitimité de l'action en justice du syndicat, était la
suivante : ce contrat doit à tout prix être respecté et il est
dans les attributions du syndicat d'assurer ce respect,
soit par une mise à l'index contre un patron récalcitrant.
(1) Voir pour les principes de celte conslruclion juridique, le chapi-
tre suivant.
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LE CONTRAT COLLECTIF 2o9
soit par une exclusion de l'ouvrier conlrevenanl ; enlin,
une décision va mèrno jusqu'à annuler tout contrat indi-
viduel fait par un syndiqué à l' encontre d'un contrat col-
lectif encore en vigueur.
C'est ainsi que le tribunal civil de Lyon, le 16 décem-
bre 1896 (1), a décidé :
(( Ne commet pas une faute au sens de l'article 1382 du
Code civil, le syndicat professionnel ouvrier, qui, sans
intention méchante, pour la défense d'un tarif, c'est-à-dire
pour la défense d'un intérêt professionnel notifie à certains
patrons son intention de les mettre à l'index, s'ils conti-
nuent à faire travailler en dessous du tarif. »
Sans doute dans l'espèce le tarif n'était pas un tarif
conventionnel, mais un tarif unilatéral si l'on peut dire,
en ce sens qu'il n'avait pas été approuvé du patron mis en
cause. Mais les considérants du tribunal s'appliquent — à
fortiori — en cas de contrat collectif (2).
Attendu, dit le jugement, que cette noliiication faite
sans menaces caractérisées, sans violences, sans persécu-
tion, sans intention méchante et pour la défense xi'un in-
térêt professionnel ne constitue pas une faute au sens de
l'article 1382; que les deux syndicats des maîtres passe-
mentiers et des ouvriers n'ont fait qu'user du droit que
leur conférait la loi du 21 mars 1884; qu'en effet les mem-
bres de ces syndicats pouvant individuellement, sans com-
mettre une faute, faire connaître à certains fabricants
qu'ils ne travailleraient plus pour eux, si ceux-ci conti-
nuaient à faire travailler X (au-dessous du tarif), ils ont
pu légitimement faire ensemble, après s'être coalisés
(i) Revue pratique de D. industriel, 1897, p. 150.
(2) Voir en ce seus note M. Crouzel, liev. de D. ind., Joe. cil.
260 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
ce que chacun d'eux pouvait faire individuellement. »
Il semble bien qu'on ne puisse qu'approuver cette
jurisprudence ; il est clair qu'au sens large la mise à l'in-
dex est un des moyens de défense donnée au syndicat
pour la défense des intérêts professionnels, qui s'applique
parfaitement au cas de contrat collectif, comme à tous
autres (1).
— A l'égard de l'ouvrier qui enfreint le contrat collectif,
les tribunaux sont également arrivés à munir le syndicat
de l'efficace moyen de l'exclusion possible du syndicat:
c'est ce qu'ont décidé deux jugements analogues, l'un du
Tribunal civil du Havre, 26 octobre 1894 (2), l'autre du
Tribunal de Toulouse 23 décembre 1897 (3). Dans la pre-
mière de ces deux affaires, un ouvrier du syndicat des
ouvriers charbonniers du Havre avait travaillé au rabais, à
des prix inférieures à ceux fixés par l'accord entre syndi-
qués et patrons ; dans la seconde un des syndiqués avait
(1) Il paraît résulter d'un arrêt de cassation du 22 juin 1892, (D. P.
92, 1, 449), dans l'affaire Joost contre le syndicat de Jallieu, que le
syndicat aurait à sa disposition la mise en interdit pour la défense
d'un contrat collectif.
L'arrêt dispose en effet :
« Que si, depuis l'abrogation de l'art. 416 C. P., les menaces de
grève adressées sans violences ni manœuvres frauduleuses par un
syndicat à un patron à la suite d'un concert entre ses membres, sont
licites quand elles ont pour objet la défense des intérêts professionnels
elles ne le sont pas lorsqu'elles ont pour but d'imposer au patron, le
renvoi d'un ouvrier, parce qu'il s'est retiré de l'association et qu'il
refuse d'y rentrer. »
Sans doute ce n'est là qu'une disposition des considérants, et la
question traitée au texte n'a pas été directement tranchée par la
Cour suprême.
(2) Journal des Prudhommes, 1895, p. 43.
(3) Loi du 16 janvier 1898.
LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE SUR LR CONTRAT COLLECTIF 261
refusé de signer le contrat collectif, après avoir accepté
les engagements du syndicat, et en avait violé les clauses:
dans les deux cas le syndiqué avait été exclu ; dans les deux
cas les tribunaux déclarent V exclusion licite et déboutent
l'ouvrier de sa demande des dommages-intérêts.
Enfin une dernière décision, du Conseil des Prudhom-
mes il est vrai, marque le point extrême où les tribunaux
se sont cru permis d'aller pour faire respecter le contrat
collectif : nous la reproduisons tout entière dans ses par-
ties essentielles (i):
Lorsqu'il est intervenu, entre un syndicat patronal et un
syndicat ouvrier de la même industrie, un traité portant
établissement d'un tarif, pour une certaine période, la
convention individuelle conclue ultérieurement, pendant
la période fixée, entre un patron et un ouvrier, membres
l'un et l'autre, des syndicats qui ont traité, et fixant des
tarifs inférieurs à ceux du traité, ne saurait avoir aucun
effet, alors surtout qu'il a été stipulé dans le traité que
tout nouveau contrat collectif ou individuel était nul.
Ainsi jugé par la décision qui suit :
Lépine c. Tripault :
Le bureau général : attendu qu'il est établi par traité
passé entre les cliambres syndicales des parqueteries,
patronale et ouvrière et dont le sieur Tripault était l'un
des signataires comme représentant de la chambre syndi-
cale des entrepreneurs, et a été stipulé la clause suivante :
Le tarif de 1891 devant avoir force de loi pendant
cinq ans, tout nouveau contrat individuel ou collectif sera
donc considéré comme nul : c'est-à-dire qu'aucun des en-
(1) Conseil des Prudhommes de la Seine, 13 avril 1895, Rev. prat.
de D. ind., iSdb, p. 205.
262 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Irepreneurs faisant partie du syndicat ne pourra arguer
d'une convention nouvelle quand bien môme elle serait
revêtue de la signatures des parties contractantes ;
Attendu que Tripault et Lépine ouvrier syndiqué sont
liés par ce contrat et n'avaient pas le droit de se sous-
traire à la clause susvisée et de faire une nouvelle conven-
tion individuelle ayant pour base des prix inférieurs à
ceux du tarif de 1891, puisqu'il était déclaré dans le traité
que tout nouveau contrat individuel ou collectif serait nul ;
Que dès lors la convention faite entre Tripault et Lé-
pine ne peut avoir d'effet et il y a lieu d'établir le compte
suivant le tarif de 1891.
C'est là sans doute une décision rigoureuse, mais qu'il
est indispensable de généraliser, si l'on veut donner quel-
que efficacité au contrat collectif : dans l'espèce citée, la
décision semble ne pouvoir pas être critiquée, puisque
l'impossibilité de tout nouveau contrat était une des clau-
ses du contrat collectif et comme telle l'expression de la
volonté des parties, qui fait leur loi. Mais il sera rare en
pratique que les chambres syndicales patronales ou ou-
vrières soient d'accord pour faire insérer cette clause :
aussi une réglementation nouvelle du contrat collectif de-
vrait-elle peut-être en faire une des règles nouvelles. C'est
d'autant plus facile qu'il n'y a à cela actuellement aucun
inconvénient avec la possibilité toujours ouverte de se re-
tirer du syndicat et par là de se soustraire au contrat col-
lectif. Ce sont là de graves questions que nous ren-
voyons à la théorie juridique du contrat collectif, à la-
quelle nous arrivons maintenant.
CHAPITRE II
LE CONTRAT COLLECTIF D'AUJOURD'HUL — ESQUISSE
DUNE THÉORIE JURIDIQUE
Le contrat collectif est économiquement avantageux : il
est à répandre. La jurisprudence française l'admet et a
fini par en reconnaître le véritable principe ; il est à déve-
lopper. En présence de cet état des faits, quelle est la cons-
truction juridique qui peut le mieux s'adapter à cette
nouvelle forme de relations sociales pour lui faire pro-
duire tous ses effets? C'est là un problème qu'on peut
poser à un double point de vue:
a) A prendre les textes et le Droit Français dans leur
état actuel, quels sont les principes féconds qui peuvent
permettre le développement du contrat collectif? c'est là
un point de vue analogue à celui du Droit prétorien à
Rome.
6) Ou bien au contraire, tout en tirant le meilleur parti
possible de ce qu'on a, convient-il de souhaiter une régle-
mentation nouvelle du contrat collectif? c'est alors une
question de législation qui se pose (1).
(i) Dans lune ou l'autre solution, la théorie adoptée doit permettre
de conserver les solutions acquises de la jurisprudence précédemment
relevées.
264 DiîUXIKME PARTIR. CHAPITRK II
Ainsi le contrat collectif d'aujourd'hui,
Le contrat collectif de demain,
Telles seront les deux parties de notre esquisse de la
théorie juridique.
Dans l'état actuel du Droit français, le contrat collectif
n'est régi par aucun texte spécial : il est régi par les prin-
cipes g-énéraux du Droit en matière d'obligations et par la
loi de 1884.
Etudions successivement les règ-les de notre contrat qui
se déduisent des principes du droit commun et celles qui
résultent de la loi de 1884 sur les Syndicats professionnels.
A. — Règles du Droit commun applicables au contrat
collectif.
Nous ne relèverons ici, après avoir posé la règle géné-
rale que les principes généraux du Droit sont en principe
applicables au contrat collectif, qu'un certain nombre de
points qui nous paraissent particulièrement intéressants :
la jurisprudence n'a pas encore été appelée à les dég-ager
et l'élaboration doctrinale doit y suppléer.
Parmi les vices du consentement, le dol et la violence
présentent seuls quelques particularités intéressantes.
Dol : La théorie du dol en matière de contrat collectif
est des plus délicates à préciser: on sait que « le dol est
toute tromperie commise dans la conclusion des actes ju-
ridiques (1) ». Pour que le dol entraîne l'annulation du
contrat, il faut et il suffit qu'il ait été commis par l'une des
parties contre l'autre (art. 1116 Code civ.) et que le dol
1) Planiol, Droit civil, II, p. 330.
LE CONTRAT COLLECTIF d'aUJOURd'hUI 265
ait été la cause déterminante du contrat. Or, au cas de con-
trat collectif, il arrive le plus souvent que l'accord est
conclu entre les deux parties sur la communication de do-
cuments portant sur le taux des salaires et les prix de
vente, dont rexactitudc importe au plus haut point à cha-
que partie pour l'exacte appréciation de sa situation éco-
nomique: les tarifs de salaires et les prix de vente sont
les éléments principaux sur lesquels les parties se basent
pour déterminer les nouveaux tarifs et d'une manière plus
générale les nouvelles conditions de travail insérées au
contrat. Il y aurait dol si l'une des parties communiquait
à l'autre des documents inexacts ou incomplets.
Quelques considérations de fait rendront plus sensible
cetle difficulté, qui ne pourra d'ailleurs être tranchée que
par espèce devant les tribunaux.
Ainsi on a vu (i) que les mineurs du Pas-de-Calais se
plaignaient que les Compagnies avec lesquelles ils trai-
taient, ne leur comnmniquaient que des chiffres de salaires
très douteux, en ce sens que les Compagnies communi-
quent des chiffres de salaire apparent, et non de salaire
vrai en omettant de faire figurer certaines réductions ou
certaines augmentations spéciales : les ouvriers n'ont pas
ainsi les éléments pour calculer eux-mêmes la v^aleur
exacte du salaire net par journée de travail normale et
c'est cependant ce salaire (|ui sert de base au contrat col-
lectif. Peut-être y aurait-il lieu de rechercher s'il n'y au-
rait pas là dol de la part des Compagnies à l'égard des
ouvriers, au cas oij ceux-ci établiraient qu'en fait, ils n'a-
vaient pu arriver à l'évaluation exacte de ce salaire net.
Violence. — Il importerait au plus haut point d'arriver
(1) Première Partie, chap. III, p. 89,
266 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
à une théorie rig-oureuse de la violence au cas de contrat
collectif. Si d'une part on reconnaît aux masses le droit
de traiter des conditions du travail par l'intermédiaire de
leurs représentants, il est indispensable corrélativement de
prendre de sérieuses précautions contre les excès auxquels
ces mêmes masses en un jour de grève ou d'excitation
révolutionnaire peuvent se livrer.
C'est ainsi que si la menace de grève est licite et ne
saurait être assimilée à un cas de violence, les menaces,
voies de fait, menaces de mort, d'incendie, et d'une ma-
nière g-ônérale la violence telle que l'entend le Code, c'est-
à-dire la crainte d'un mal considérable et présent, doit être
vigoureusement relevée comme vice du consentement ren-
dant le contrat annulable.
C'est ainsi qu'à la dernière grève de Marseille, les pa-
trons prétendaient que l'affiche rouge ne tenait pas lieu de
contrat comme ayant été extorquée par violence.
Enfin un dernier point nous semble intéressant à rele-
ver dans cette revue rapide des principes généraux des
obligations appliquées au contrat collectif : c'est celui qui
concerne l'objet même de ce contrat.
Il serait à souhaiter que les règles des contrats sur
l'objet, notamment au point de vue du caractère illicite do
cet oiîjel, fussent vigoureusement appliquées un contrat
collectif.
Ainsi sont nulles toutes les clauses contraires à l'ordre
public, aux lois ouvrières existantes, etc.. Il est même
probable, comme l'a montré le récent exemple de la grève
des tullistes de Calais, que l'usage même du contrat col-
lectif rendrait bien vite superflues certaines exigences par
trop rigoureuses des lois ouvrières actuelles, mais ce ne
peut être qu'à la condition stricte de s'y confirmer étroite-
LE CONTRAT COLLEXTIF d'aUJOORD'hUI 267
ment jusqu'à ce qu'un texte législatif soit venu les abro-
ger.
B. — Règles résultant de la loi de 1884.
Ici une première question se pose dès l'abord :
Qui peut passer le contrat collectif ?
Les syndicats professionnels d'abord, tels qu'ils sont
constitués par la loi du 21 mars 1884. C'est là un point
qui ne semble pas pouvoir faire de doute en doctrine (i).
Celte interprétation est d'ailleurs parfaitement confor-
me à l'esprit de la loi de 1884 et aux travaux prépara-
toires :
C'est ainsi que nous en avons une première preuve irré-
futable dans l'incident suivant : lors de la discussion du
projet en première lecture, au moment du vote de l'article
3 qui réglait l'objet des syndicats professionnels (2) un
amendement fut proposé par M. Berholon tendant à ajou-
ter à l'article 3, « et le droit pour leurs membres de se
concerter entre eux pour débattre et fixer la tiausse et la
(1) Sur le droit des syndicats de passer le contrat collectif : Cf. Brv,
Cours élémentaire de législ. industrielle, p. 261 et 269; Constant,
Les syndicats prof, et le contrat de louage de services (France jud.,
1891, p. 282 et suiv.); André et Guibourg, Le code ouvrier, p. 319 et
3i2 ; H . Valleroux, Le contrat de travail, p. 204 ; Fabreguettes, Le
contrat de travail, p. Ki, noie.
Cf. Glotin, Étude historique, juridique et économique sur les syn-
dicats professionnels, p. 240; Pic, Traité élémentaire de législation
industrielle, p. 142 ; H. Valleroux, Revue des sociétés, {2:^2, 1, p. 172,
note. D, J. G., siipp' ; verbo. travail, p. 203.
(2) L'art. 3 était alors ainsi rédigé : «Les syndicats professionnels
ont pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, indus-
triels et commerciaux, communs à tous leurs membres et des intérêts
généraux de leurs professions et métiers. »
268 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
baisse des salaires ». Sur une observation du président de
la Cbambre, qui croyait que cela allait de soi, le rappor-
teur de la loi, M. Allain-Targé, fut de cet avis. « Evidem-
ment cela va de soi », et l'amendement fut retiré par son
autour (1).
D'ailleurs l'étude des discussions (2) montre qu'à plu-
sieurs reprises ce droit pour les syndicats de passer les con-
trat collectif fut nettement admis comme conséquence im-
médiate de l'existence môme des syndicats. C'est ainsi,
pour ne relever ici que des passages caractéristiques, que
M. Floquet voyait dans le contrat collectif le but même
des syndicats :
« M. Floquet. — Mais, Messieurs, que veulent donc faire
les associations syndicales? Quel est le but de ces associa-
tions ouvrières, sinon de vendre la plus précieuse des mar-
cbandises, le travail bumain et de le vendre aux meilleures
conditions ? Oui ! le but est de tirer un lucre, un profit à
répartir entre les membres du syndicat.
Messieurs, je lisais ces jours ci une pensée que je demande
la permission de vous soumettre. On disait avec raison :
« Jusqu'à ce jour, la marchandise qu'on appelle le travail
a été vendue en détail parcelle par parcelle, par des hom-
mes isolés ; maintenant il faut, au moyen de l'association,
établir le commerce en gros, collectif de celte niarchan-
dise qu'on appelle le travail humain. Des- sociétés veulent
se fonder pour ce trafic, ce commerce, et elles ont pour
(1) Séance du 17 mai 1881. Ch. des députés, Journ. of. 1881, p. 928.
(2) Premier rapport de M. Tolain au Sénat, 1-4 déc. 1883, Jouim.
offi., janvier 1884, p. 117, ann. n» il2. — Second rapport de M.
Barltie. au Sénat, 28 juillet 1882, Journ. offi., juillet 1882, p. 476,
annexe n» 413.
LE CONTRAT COLLECTIF u' AUJOURD'HUI 269
but de faire gagner un sou ou deux sous ou dix sous de
plus par jour à des milliers de travailleurs. » Eli bien, je
dis que le commerce, que l'entreprise, que la spéculation
(jui veulent atteindre ce but sont aussi respectables — je
ne dis pas plus — que les entrepreneurs, que les socié-
tés, que les spéculations constituées en vue de procurer
des bénéfices, des profits, des dividendes, à des associés,
à des actionnaires. (Très bien ! très bien ! et applaudisse-
ments à gauche) (1).
De même M. Waldeck Rousseau, au Sénat, à propos de
la discussion sur l'abrogation de l'article 416 du Code pé-
nal proposée dans la loi et de l'amendement de M. Barthe
combattant cette abrogation, esquisse le rôle pacifique des
syndicats professionnels, par le contrat collectif.
« Quand, au lieu d'avoir non pus l'organisation du tra-
vail, mais le travail tel que nous l'avons à l'heure actuelle
abandonné à tous les souffles, à toutes les influences,
n'ayant pas, je parle des travailleurs honnêtes, une orga-
nisation rationnelle, quand au lieu de cela, vous aurez
permis sans laisser planer aucune menace sur eux, les
syndicats professionnels, vous trouverez dans leur forma-
tion, dans leur fonctionnement, ce que j'appelais tout à
l'heure les seuls éléments de conciliation et d'apaisement
compatibles avec la liberté. »
Et pour mieux asseoir sa démonstration, M. Waldeck-
Rousseau fait lui-même l'hypothèse d'un contrat collectif.
« Pensez-vous, Messieurs, qu'un industriel par exemple,
qui occupe 2,000 ouvriers verra ces ouvriers syndiqués,
c'est-à-dire, une organisation réfléchie, ayant des manda-
taires, et par là même des intermédiaires, venir lui dire :
(1) Débals pari., 22 mai 1881. Officiel, 1881, p. 967.
270 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITIIE II
« Nous allons nous mettre en grève, nous condamner au
chômage, si vous ne nous accordez pas une certaine axig-
menlation^ alors qu'il peut répondre : « Yoilà quelles sont
les conditions du marché, voilà quelles sont les conditions
de la production et de la concurrence ; voilà mon prix de
revient ; me demander une pareille augmentation, c'est me
condamner à la ruine et empêcher le travail.
Messieurs, supposer cela, c'est se demander si les syn-
dicats professionnels auront l'instinct de la conservation,
si après la série d'expériences qui ont été faites, ayant pu
s'éclairer sur ce qu'est le marché économique, ayant pu
prendre à l'égard de leurs patrons d'autres idées que des
idées de défiance, et étant quelque peu entrés dans l'examen
et la connaissance de leurs affaires, ce qui sera un bien
pour tout le monde, ils iront directement contre ce qui est
leur instinct élémentaire (1). »
Ainsi incontestablement d'après la doctrine et d'après
les travaux préparatoires, les syndicats ont le droit de pas-
ser le contrat collectif : on peut même dire que c'est là au
fond leur but primordial.
Parfois même et en présence des difficultés de tout genre
étudiées ci-dessus de faire prévaloir légalement leurs vo-
lontés, les Syndicats ont recours à des moyens détournés,
à des expédients pratiques détestables, qui disparaîtraient,
il faut l'espérer, le jour où le moyen de faire prévaloir
le contrat collectif leur serait légalement reconnu.
C'est ainsi que bien souvent l'élection au Conseil des
Prudhommes est un moyen détourné d'assurer le respect
d'un contrat collectif, plus souvent encore d'imposer aux
(1) Disc, au Sénat, 29 janv. 1884, Journ. Offi. Sénat 1884, déb.
pari. p. 191, Col. 3.
LE CONTRAT COLLECTIF d' AUJOURD'HUI 271
patrons un tarif syndical que ceux-ci n'auraient pas accepté.
Oa cite l'exemple d'ouvriers obtenant l'application du tarif
syndical (1) alors même que le patron apporte un engag^e-
nienl tout contraire. Pour tâcher de couper court à ces
abus, le Conseil d'Etat par un arrêt du 18 décembre 1891 (2)
a cassé des élections de prudhommes ouvriers du bâtiment
comme entachées de nullité précisément à cause de cet
engagement préalable pris par les élus de faire application
en tout état de cause d'un tarif syndical.
« Considérant, dit l'arrêt, que dans leurs proclamations
aux électeurs, les sieurs candidats élus, ont pris l'en-
gagement de statuer sur les difîérends qui leur seraient
soumis dans un sens toujours favorable aux ouvriers et
notamment de leur accorder dans tous les cas les prix fixés
par un tarif minimum de salaires sans avoir égard aux
conventions des parties; que l'exécution de ces engage-
ments a été garantie au moyen de démissions signées à
l'avance et remises aux mains d'un comité de vigilance. »
Depuis les candidats n'affichent plus aussi cyniquement
leurs intentions; mais le mandat impératif est difficile à
saisir et il est probable que de tels abus se poursuivent.
Donc en reconnaissant aux Syndicats le droit de passer
le contrat collectif, nous n'entendons parler ici que des
moyens licites et nous excluons formellement ces procédés
incorrects, où il faut voir sans doute une preuve des inten-
tions syndicales, mais qu'on ne saurait trop condamner.
En dehors des syndicats professionnels, faut-il recon-
naître le droit de passer le contrat collectif aux autres
(1) Cf. Hubert Valleroux, Economiste Français, 25 août 1900,
p 257.
(2) D. 93, 3, 31.
272 DEUXIÈME PARTIE. CUAPITHE 11
groupements professionnels d'occasion : coalitions momen-
tanées, commissions mixtes, délégations ouvrières n'éiiia-
nant pas du syndicat ?
La question est délicate et une ardeur exagérée pour pro-
mouvoir le contrat collectif inciterait sans nul doute à la
trancher par l'affirmative : quand on voit les désastres pro-
duits par la guerre industrielle, on n'a tout d'abord qu'une
idée, arriver au traité de paix, au contrat collectif par
tous les moyens possibles ; mais ce n'est pas le tout de faire
la paix : il faut que les deux parties l'acceptent et se confor-
ment aux clauses du traité. Or rien ne serait plus dangereux
à ce point de vue que de faire passer le contrat collectif
par des représentations ouvrières peu authentiques, impro-
visées au hasard des circonstances et n'ayant pas une auto-
rité assez grande pour en maintenir le respect. Mais c'est
là une considération économique qui ne modifie pas le
point de vue juridique.
Sans doute actuellement rien ne s'oppose à ce que les
ouvriers donnent mandat à quelques-uns des membres de
ces groupements professionnels d'occasion de décider avec
les patrons des conditions du travail : c'est là un cas spé-
cial et le plus simple est d'affirmer que par la théorie de la
représentation, chaque ouvrier mandant est censé avoir
stipulé telle condition du travail : juridiquement il naît une
série de contrats individuels : à proprement parler il n'y a
pas de contrat collectif car cette délégation n'a certainement
pas la personnalité civile. Il nous faut retenir ce point : car
cette solution qui nous semble incontestable au point de
vue juridique ne devra pas être oubliée, quand il s'agira
de choisir entre les deux systèmes possibles, contrat collec-
tif de droit privé, contrat collectif de droit public.
Une fois admis que seuls à proprement parler les syndi-
LK CONTRAT COLLECTIF d'aI'JOIJRd'hUI 273
cals peuvent passer le contrat collectif de travail, il faut se
demander quelle est la nature de ce contrat.
Sur ce point quatre opinions juridiques sont en présence :
pour les uns, lorsque le contrat collectif est passé par le
syndicat, il y a mandat, pour les autres il y a gestion d'af-
faire, pour d'aulres c'est une forme nouvelle tenant à la
fois du mandat et de la j^estion d'affaire, pour d'autres en-
fin stipulation pour autrui. Examinons successivement ces
quatre opinions :
A. — Le contrat collectif est-il passé en vertu d'un mandat ?
II semble en effet au premier abord que ce soit là la
forme la plus simple susceptible d'expliquer l'opération
complexe qu'est la signature d'un contrat collectif. Dans le
mandat, la personne du mandataire par les effets de la
représentation juridique, disparait derrière celle du mandant
et en effet n'est-ce pas le résultat à obtenir : les conditions
du travail, l'engagement pris par le syndicat mandataire
doivent s'appliquer aux ouvriers : ceux-ci sont les vérita-
bles intéressés aux nouvelles conditions du travail (1).
Cependant on peut objecter qu'aux termes de l'article
1984 du Code civil, le mandat suppose toujours une procu-
ration du mandant au mandataire et 1 adhésion préalable du
mandant à l'acte de son mandataire. Or en fait rien de pa-
reil : Tous les ouvriers ne donnent pas individuellement
mandat au bureau du syndicat ou aux délégués choisis de
passer le contrat collectif.
De plus le mandat est de sa nature toujours révocable :
(4) C'est l'opiDion de M. Bergeron, Du droit des syndicats d'ester
en justice. Thèse, Paris, 4898, p. 104.
BATNAUO 48
274 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE H
or ici on ne voit pas bien, en dehors de la sortie du syndi-
cat toujours possible, comment un syndiqué pourrait ré-
voquer le mandat donné au syndicat. H y a bien quelque
chose d'analogue au mandat, mais ce n'est pas le mandat
ordinaire.
On ne pourrait pas soutenir davantage que le mandat
au lieu d'être volontaire est légal, c'est-à-dire donné par
la loi : car quel est, entre plusieurs syndicats existants dans
le métier, celui qui est le représentant légal de la profes-
sion ? à moins de dire que chaque syndicat a le mandat
de défendre .les intérêts de ses membres, mais c'est alors
une conception qui ne cadre guère avec l'idée de droit pu-
blic de mandat légal.
Enfin au point de vue économique, cette opinion aurait
le grand inconvénient de faire totalement disparaître le
syndicat, le contrat une fois conclu. Les effets en seraient
personnels aux syndiqués ; il n'y aurait que l'action indi-
viduelle pour en exiger l'exécution.
13. — Le contrat collectif est-il une gestion d'affaires ?
Puisque les règles du mandat ne peuvent s'appliquer, il
paraît tout simple de recourir à la forme très voisine de
gestion d'affaires : le syndicat serait un véritable gérant
d'affaires agissant dans l'intérêt des syndiqués.
Mais une objection capitale s'oppose à cette opinion : la
gestion d'affaires suppose essentiellement (art. 1373, C. civ.)
la responsabilité en cas de faute du gérant : or, en fait, la
responsabilité du syndicat n'a jamais été invoquée pour
le cas 011 il n'a pas obtenu les meilleures conditions pos-
sibles de travail et on ne saurait songer à l'invoquer.
D'ailleurs quelle serait la nature de l'acte fait par man-
LB CONTRAT COLLECTIF d'aUJOURDHLI 275
dut OU par gestion d'affaires pour le compte des ouvriers.
Ce ne saurait être un acte à titre gratuit, ni d'ailleurs un
acte à titre onéreux, puisqu'on admet en fait que les ou-
vriers ne sont obligés envers le patron que lorsqu'ils ont
ratilic l'opération et accepté les conditions du contrat col-
lectif.
C. — Le contrat collectif est-il une combinaison de la
stipulation et du mandat ?
D'autres auleurg enfin {{) voudraient voir dans le contrat
une combinaison de la stipulation ^our autrui, et du man-
dat, une forme nouvelle assez mal définie d'ailleurs, spé-
cialement créée — bien inconsciemment — par le législa-
teur de 1884. Pour M. Deslandres, la forme du contrat col-
lectif serait empruntée à la stipulation pour autrui et le ré-
sultat de l'opération au mandat : il y aurait mélange des
deux. « Un mandataire (|ui reste partie au contrat qu'il
passe au profit d'autrui comme l'est celui qui a stipulé
pour un tiers, voilà la fornmle la plus précise que je
puisse trouver pour caractériser le rôle juridique du syn-
dicat. »
Il est clair qu'à une forme juridique ainsi spécialement
créée pour notre liypotlièse, M. Deslandres accorde sans
peine l'effet utile, je veux dire l'action en justice du syn-
dicat pour poursuivre l'exécution du contrat collectif. Mais
on peut faire à cette conception un double reprocbe : d'a-
bord son manque de netteté au point de vue juridique :
(i) M. Deslandres, note, Pandectes françaises, 1894, i. — Sous
cass., ler février 1893. — M. Housse, De la capacité juridique des
associatiotiê tn Droit civil françai».
âi6
DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE H
qu'est-ce que ce contrat qui est à la fois stipulation pour
autrui et mandat ? De deux choses l'une : ou le législa-
teur de 1884, en permettant implicitement au syndicat de
passer le contrat collectif n'a pas innové, et alors il faut
expliquer l'opération par les principes anciens et les rame-
ner à une convention déjà connue : ou bien on admet que.
le contrat collectif passé par les syndicats est une innova-
tion dans notre droit (1) et il en faut bâtir la théorie com-
plète et originale.
En second lieu, au point de vue économique, on ne
voit pas bien comment la théorie de M. Deslandres assure
au contrat collectif, sa véritable portée : si le syndicat a
une action, il ne l'a que comme mandataire des ouvriers :
il ne peut l'avoir comme stipulant pour autrui : car l'au-
teur repousse précisément la théorie de la stipulation
pour autrui comme inefficace faute de sanction au profit
du syndicat (2). Dès lors juridiquement c'est le mandat
tacite ou exprès donné par les ouvriers au syndicat partie
au contrat collectif qui déterminera la mesure de ses pou-
voirs : pourra-t-il insérer des conditions de salaires, de
durée du travail, de temps supplémentaires, etc., autant de
questions de fait que les tribunaux auront à résoudre. La
faculté d'extension presque indéfinie du contrat collectif,
qui peut comme en Angleterre contenir une série de clau-
ses des plus utiles à l'ouvrier se trouve ici singuhèrement
menacée et entièrement soumise à l'appréciation du juge :
le principe du contrat collectif est sans doute faiblement
sauvegardé, mais sa véritable portée, son intérêt écono-
mique et social sont gravement compromis.
{\) C'esl là à notre sons l'opinion la plus vraisemblable.
(2) Voir plus loin, p. 279, la discussion de cette opinion.
LE CONTRAT COLLECTIF d'aUJOURD'hUI 277
Ce n'est donc pas encore à cette troisième solution quil
nous est possible de nous arrêter.
n. — Le contrat collectif est-il une stipulation pour autrui ? {\)
Pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut
d'après larticle 1121 qu'elle soit la condition d'une autre
stipulation que le stipulant a faite en même temps pour
son propre compte (2). On connaît l'admirable développe-
ment donné par la jurisprudence à cet article 1121 inter-
prété non seulement dans sa lettre, mais dans son esprit :
on en est même arrivé à valider la stipulation pour autrui
lorsqu'elle est la condition d'une simp/e promesse faite par
le stipulant lui-même au promettant (voir Planiol, loc.
cit.. Il, p. 389) (3).
Or, dans le complexe rapport de droit qui s'établit en-
tre le syndicat, les ouvriers et le patron par le contrat col-
lectif, n'avons-nous pas tous les éléments de la stipulation
pour autrui, au sens large, telle qu'elle est admise par la
jurisprudence.
Il y a ici d'une part le tiers, les ouvriers, au profit des-
quels le syndicat stipule telles conditions du travail qu'il
(1) En ce sens: Lambert, De la stipulation pour autrui, thèse,
1893, § 324, p. 355. — Planiol, Droit civil, II, p. 391, 393, .394.
(2) .\rl. 1121, Code civil : — On peut pareillement stipuler au
profit d'un tiers, lorsque telle est la condition d'une stipulation que
l'oD fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre.
Celui qui a fait celle stipulation ne peut plus la révoquer, si le tiers
a déclaré vouloir en profiter.
(3) Alger, 18 fév. 1875, D. 76, 2, 61 ; arrêt Cass. Req, 17 fév. 1879,
D. 80, 1, 346 ; arrêt Cass. Req., 30 avril 1888, D. 88, 1, 291; arrêt Cass.
civ., 16 janv. 1888, D. 88, 1, 77.
278 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
peut obtenir : il }- a là de plus la condition nécessaire à la
validité de cette stipulation, la pronnesse faite par le syndi-
cat au patron, non pas de fournir les ouvriers, ou de faire
le travail, inais de faire son possible pour que le travail
soit repris ou continué aux conditions agréées.
Il y a donc là incontestablement les éléments juridiques
suffisants pour interpréter le contrat collectif en une sti-
pulation pour autrui.
Cette interprétation donne-t-elle l'action en exécution du
contrat au syndicat?
D'après la doctrine et la jurisprudence (1), à côté do
l'action du tiers contre le promettant, le stipulant a en
outre une action personnelle pour contraindre le promet-
tant à exercer sa promesse vis-à-vis du tiers, s'il y a lui-
même intérêt. « Etant personnellement intéressé à l'exé-
cution de la promesse, il a le droit d'agir contre le pro-
mettant pour l'y contraindre. »
Cet intérêt (2), nous l'avons déjà relevé avec la juris-
prudence, c'est l'intérêt professionnel réclamant que les
conditions du travail stipulées soient observées, que la paix
et la prospérité régnent dans le métier, que le rôle de dé-
fense et de sauvegarde du syndicat se trouve suffisamment
accompli. Il n'y a pas lieu, croyons-nous, d'exiger pour le
Syndicat un intérêt pécuniaire. M. Deslandres (note citée)
s'efforce de nier cet intérêt pécuniaire et nous le nions
bien volontiers avec lui. Le sort de la théorie du contrat
collectif stipulation pour autrui n'est nullement lié à ce
(1) Voir Planiol, t. II, p. 398.
(2) Qn peut ajouter d'ailleurs que le syndicat est constitué repré-
sentant et défenseur de l'intérêt professionnel par la loi elle-même
(art. 3 delaloide4884).
LE CONTRAT COLLECTIF d' AUJOURD'HUI 279
point de détail : intérêt pécuniaire ou non, comme l'a cru
le savant auteur de la note citée.
a Pourrait-il (le syndicat) invoquer un intérêt pécu-
niaire propre à l'exécution des engagements pris par le
patron ? Non. On cherchera bien à dire, que si le contrat
est exécuté, cela prouvera sa force, les services qu'il peut
rendre, que cela lui attirera des adhérents et lui vaudra
des cotisations nouvelles ; que l'exécution du contrat, ce
sont des conditions de travail plus favorables pour l'ou-
vrier, une aisance plus grande, une facilité qui lui est
donnée de verser régulièrement ses cotisations; que la
fortune syndicale est intéressée dans l'affaire. Il y a là une
grande subiilité : le bénéfice pécuniaire qu'on s'évertue à
trouver pour le syndicat résulte bien indirectement de
l'exécution du contrat au profit de ses membres. Y a-t-il
entre ces deux choses un lien assez intime pour qu'on ouvre
l'action en dommages-intérêts à la suite de ce contrat, à
raison de son inexécution et pour ce préjudice? Qui se
chargera de déterminer le dommage causé au capital syn-
dical si le patron manque à ses engagements (1)?
Et l'auteur remarque plaisamment que le syndicat qui
ne ferait pas payer de cotisations n'aurait pas d'action.
Nous y souscrivons volontiers : mais encore une fois ce
n'est pas un intérêt matériel, pécuniaire, que nous recher-
chons pour justifier l'action du syndicat ; il nous suffit
d'un intérêt moral, professionnel. En ce sens le lien est
direct : s'il n'y a pas de dommage causé au capital syndical,
il y a assurément dommage à l'influence syndicale. L'exé-
(1) Dcsiandres, noie cilce. — Nous avons tenu à rapporter ce pas*
sage tout au long, car il conlienl la seule objection faite A la théorie
que nous soutenons — objection qui ne porte pas.
280 DEUXIÈME PARTIR. CHAPITKK H
cutioii du contrat prouvera sa force, les services qu'il peut
rendre, son soin de défendre les intérêts professionnels.
L'objection de M. Deslandres se retourne donc contre
lui : le lien entre l'exécution du contrat et l'intérêt du syn-
dicat, qui était indirect et vague, s'il s'agit d'intérêt maté-
riel et pécuniaire, devient au contraire précis et immédiat,
dès que l'intérêt moral — suffisant à légitimer l'action en
justice — est en cause (1).
Enfin pour appuyer notre opinion, nous avons la bonne
fortune de trouver une théorie analogue, parfaitement
constituée pour un cas tout voisin, qui explique par la
stipulation pour autrui le contrat passé par une ville en
faveur de ses habitants avec une Compagnie.
C'est ainsi qu'il a été jugé par la Cour de Cassation
belge (2) que :
La ville qui a fait un traité avec un entrepreneur pour
l'éclairage public et privé, a qualité pour faire reconnaître
en justice les droits résultant de la dite convention (3) au
profit des habitants abonnés, lesquels de leur côté ont in-
dividuellement le droit d'exiger de l'entrepreneur l'exécu-
tion des stipulations faites à leur profit. Dans ce cas les
juges en reconnaissant ainsi la validité de la convention
tant en ce qui concerne les habitants qu'en ce qui concerne
la ville, ne font pas application de l'article 1119 du Code
(1) Une jurisprudence aujourd'hui bien établie permet de l'affirmer.
~ Cf. Req., 30 avril 1888, D. 88, \, 291 ; civ., 16 janvier 1888, D.
88, 1, 77.
(2) Cass. Belgique, 21 juillet 1888, S. 89, 4, 9.
(3) Dans cette affaire, la ville de Mons avait stipulé avec la Cie du
Gaz des clauses spéciales tendant à faire réduire le prix du gaz à Mons,
quand il y aurait autour de Mons d'autres villes ayant le gaz meilleur
marché.
LR CONTRAT COLLECTIF D* AUJOURD'HUI 281
civil à un conlrat d'utilité publique, pas plus qu'ils ne con-
treviennent à r article 1121 qui reçoit au contraire sa
juste application (1).
Et dans une savante note de Sirey (2), M. Labbé ap-
prouve très nettement cet arrêt. Il observe que le principe
de l'article 1H9 — nul ne peut acquérir un droit en stipu-
hint un avantage pour autrui — ne peut mettre ici obsta-
cle à ce que les administrateurs de la ville veillent à l'exé-
cution de toutes les clauses du traité de concession, spé-
cialement des stipulations qui intéressent les habitants. Il
y a là à son sens un intérêt vraiment municipal, qui donne
droit à l'action en justice. Il donne de celte action une
raison décisive : la ville a l'action en exécution du contrat,
même pour les clauses concernant les habitants, puisque
seule elle a l'action en résolution. En un mot, comme le
dit M. Labbé lui-même, c'est l'esprit de l'article 1121 que
nous appliquons.
Il on est de même exactement lorsqu'il s'agit du contrat
collectif : il y a là un intérêt vraiment professionnel : la
prospérité du syndicat y est attachée (3).
La théorie admise pour les villes stipulant au profit de
leurs habitants semble donc s'appliquer pleinement aux
(i) 11 y a des décisions de jurisprudence française en ce sens : Cass.,
24 janv. 1852 ; Trib. civ., Seine, 6 avril 4886; Droit, 7 août 1886 ;
Poitiers, 20 juin 1889, D. 90, 2, 159.
(2) Note Labbé. Sous Cass. Belgique, S. 89, 4, 9.
(3) L'intérêt professionnel n'a pas besoin d'être l'inlérêl de tous
les membres du syndicat sans exception, l'intérêt collectif au sens
étymologique du mot: le syndical peut contracter et ester en justice
à l'occasion du contrat pour une partie seulement des syndiqués :
c'est une conséquence directe et immédiate de la notion que nous
avons admise de l'intérêt professionnel. Cf. p. 249.
282 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
syndicats obtenant des conditions de travail avantageuses
pour leurs membres (1).
Ainsi un triple argument nous conduit à adopter cotte
fjuatrième opinion : le contrat collectif est une stipulation
pour autrui. D'abord nous avons trouvé dans l'analyse de
l'acte passé entre le syndicat et le patron tous les éléments
de la stipulation pour autrui interprétée au sens large avec
la jurisprudence moderne. En second lieu — et c'était là
l'essentiel — cette théorie explique et justifie parfaitement
l'action du syndicat en exécution du contrat. Enfin un
sérieux argument d'analogie, par rapprocliement avec les
contrats passés par les villes dans l'intérêt de leurs habi-
tants nous a permis d'abriter notre opinion à la fois sous
(I) Une autre application courante en jurisprudence de la stipula-
tion pour autrui dans une question analogue est celle des Assuraiices
collectives que le patron contracte vis-à-vis d'une Compagnie d'assu-
rances contre les accidents pouvant arriver à ses ouvriers. Sans doute
en fait la question n'apparaît pas, car pour donner à l'ouvrier une
action contre le patron avant ainsi contracté une assurance collective,
la jurisprudence exige que celui-ci se soit expressément ou tacitement
engagé (sous le régime antérieur à la loi de 1898) vis-à-vis de ses ou-
vriers : il faut qu'il ait retenu des primes sur les salaires ou porté par
affiche l'assurance à la connaissance de ses ouvriers. Néanmoins, il
ressort de plusieurs décisions que les tribunaux admettent en principe
l'application des règles de la stipulation pour autrui à l'assurance
collective.
Voyez surtout, Grenoble, 7 avril 1892, D. 93, 2, 265, et Cass. civ.,
9 janv. 1899 et Req., 15 mai 4899, D. 1900, 1, 169, et la note de
M. Poncet sous le premier arrêt.
Mais, comme au cas du contrat collectif, les tribunaux dégagent
avec peine l'intérêt du patron stipulant, lui permettant de stipuler
pour autrui : c'est cependant ici un intérêt moral très réel, analogue
à l'intérêt professionnel pour le Syndicat.
Cf. Amiens, 6 janvier 188o, et Toulouse, 9 février 1880, D, 80, 2.
61 et 171.
LR CONTRAT COLLECTIF d' AUJOURD'HUI 283
de sérieux nionumenls de jurisprudence et sous la haute
science d'un de nos plus éminents maîtres, M. Labhé (1).
Il nous faut maintenant, pour achever ce qui concerne
le contrat collectif d'aujourd'hui, déduire les principales
conséquences de cette idée que le contrat collectif est bien
une stipulation pour autrui et en poursuivre la théorie
juridique.
Si donc on interprète le contrat collectif de travail, en
l'état actuel du droit, par une stipulation pour autrui,
l'application de la théorie générale nous donne pour notre
cas particulier les résultats suivants :
La stipulation pour autrui, ce sont les conditions du
travail que le syndicat obtient du patron ou de l'associa-
tion de patrons. Cette stipulation est valable parce quelle
est la condition d'une promesse du stipulant au promet-
tant : le syndicat (stipulant) s'engage envers le patron
(promettant) à faire son possible pour que le travail soit
coutinué ou repris dans l'usine ou l'atelier et pour que le
contrat collectif soit rigoureusement observé (2).
(1) Celle solution a l'avantage de traduire pour le présent, aussi
exactement qu'il est possible la situation juridique créée par la loi de
1884 : il est bien probable que celte loi n'a pas voulu aller plus loin
inlentionnellemenf, puisqu'il y a autant de contrats collectifs et de
syndicats que l'on veut, sous le régime actuel d'association profession-
nelle. I^e point délicat est précisément que l'intérêt professionnel
idéalement embrasse tout le métier et tous les ouvriers du métier :
logiquement il faut donc arrivera un organe représentant seul lintc-
rôl professionnel et débattant les conditions du travail pour tout le
métier. Aussi n'est-ce là qu'une position doctrinale, provisoire, expli-
cative du présent, mais que l'avenir, espérons-le, remplacera par une
autre plus riche et plus logique.
(t) C"est une sorte de garantie contre le risque de grève pour un
temps donné : la partie juridique du contrat va jusque-là : mais en
284 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
Il nous faut donc étudier les effets juridiques de ce con-
trat (1) en indiquant quels en sont les bénéliciaires et à
quelles actions il donne naissance :
A. — Bénéficiaires du contrat collectif.
On sait que la théorie générale admet que le tiers bé-
néficiaire peut être soit une personne individuellement dé-
signée et actuellement vivante, soit une personne indéter-
minée (2).
Or ici les personnes individuellement désignées et ac-
tuellement vivantes ce sont les syndiqués, les membres
actuels du syndicat, ou d'une manière plus précise les
syndiqués employés dans le ou les établissements compris
dans le contrat collectif : ce peut être aussi — suivant les
les intentions du syndicat — tous les ouvriers non syndi-
qués de ces établissements.
Les personnes indéterminées ce sont les syndiqués futurs
ou les travailleurs futurs engagés dans ces mêmes établis-
sements.
Il n'y a à cela aucune difficulté : ces bénéficiaires futurs
sont, il est vrai, indéterminés, mais déterminables au jour
où la convention doit recevoir effet à leur profit (3).
fait avec l'insolvabilité habituelle du syndicat, le patron ne poursuit
pas le syndicat.
(1) Au point de vue de sa formation, il est soumis aux règles de
droit commun de tous les contrais : c'est ainsi que le patron pourrait
parfaitement invoquer un vice du consentement (dol ou violence).
(2) II y a encore les personnes futures. Mais cette hypothèse ne
s'applique pas au cas du contrat collectif qui a toujours une durée
relativement courte.
(3) Il n'y a pas de difficulté, comme on pourrait croire, au cas où
LE CONTRAT CULLECTIF d'aUJOURd'hUI 285
A ce premier point de vue donc, notre théorie présente
une remarquable souplesse et explique parfaitement com-
ment les conditions du travail obtenues par le syndicat sont
applicables à d'autres que ceux qui sont actuellement syn-
diqués.
Il faut ajouter que la ratifîcation faite par le tiers (ici
les ouvriers bénéficiaires du contrat) sera le plus souvent
tacite ; le fait d'accepter du travail dans l'établissement
patronal aux conditions fixées vaudra assurément ratifica-
tion de ces conditions : parfois aussi, comme cela a lieu
souvent en fait, le bureau du Syndicat ou les délégués qui
ont traité avec les patrons soumettent à l'acceptation
expresse des ouvriers les nouvelles conditions du travail.
B. — Actions créées par le contrat collectif stipulation
pour autrui.
On sait que la stipulation pour autrui donne naissance
à une double action : une action directe du tiers contre le
promettant ; une action du stipulant contre le promettant,
s'il a intérêt à l'exécution de la promesse.
Nous aurons ainsi l'action individuelle de chaque ou-
vrier contre le patron si celui-ci viole les conditions avan-
tageuses obtenues (1) ;
les syndiqués seuls de l'avenir sont bénéficiaires du contrat. En effet
bien que l'admission de ceux-ci dans le syndical dépende exclusivement
de la volonté du syndical slipulanl, il y a une deuxième condition
nécessaire pour qu'ils profilent des avantages du contrat, c'est qu'ils
Iravaillent dans les établissement considérés : or celte condition ne
dépend pas du seul stipulant, le syndical. Cela suffit donc pour les
rendre bénéficiaires du contrat.
(1) Le plus souvent cellç action — en paiement du salaire ou en
286 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
Et surtout, ce qui est essentiel, l'action du syndicat en
exécution du contrat collectif de travail : il y a bien en
effet ici l'intérêt demandé pour le stipulant : le' syndicat a
un intérêt professionnel à l'exécution du contrat. La me-
sure de celte action sera précisément l'intérêt syndical et
au cas d'inexécution, des dommages intérêts assureront la
réparation du préjudice causé au syndicat, en tant que
représentant des intérêts professionnels.
11 est certain qu'avec cette théorie, des dommages inté-
rêts seront dus pour toute inexécution de la convention :
il n'y a plus lieu d'appliquer la distinction d'ailleurs peu
juridique du tribunal de commerce de la Seine distinguant
entre le passé pour lequel il n'accorde rien parce que l'in-
térêt individuel a été seul lésé et l'avenir, pour lequel il
condamne à une astreinte : ici les dommages intérêts sont
dus comme pour tout contrat.
Enfin pour être complet, mentionnons — bien qu'elle ne
dérive pas directement de la stipulation pour autrui, mais
qu'elle naisse des relations entre le promettant et le stipu-
lant, l'action en exécution du patron contre le syndicat,
au cas où celui-ci n'aurait pas rempli son obligation de
garantie temporaire contre le risque de grève, c'est-à-dire
au cas où le contrat aurait été violé de la part des ouvriers.
Le patron poursuivra le syndicat, sauf le recours de
celui-ci contre l'ouvrier qui a violé le contrat (1) : Cette
exécution du contrat de travail — prendra un autre aspect : elle aura
pour objet l'exéculion du contrat de travail avec toutes les nuances
individuelles (taux de salaire fixé d'après les bases du contrat collectif,
mais se montant à un certain chiffre) : toutes ces actions ont aussi
une source dans l'engagement individuel de l'ouvrier.
(1) 11 est certain que c'est par ce côté que la théorie que nous avons
choisie semble le plus faible : on ne voit pâs bien à quoi se rattache
LE CONTRAT COLLECTIF d'aIJOUKd'hUI 287
action du patron prend sa source dans la convention entre
lui et le syndicat, qui légitime le contrat collectif et sur la-
quelle il repose tout entier.
En somme, malgré les efforts de précision juridique que
nous avons faits, on arrive bien à expliquer aussi complè-
tement que possible le contrat collectif d'aujourd'hui ; niais
est-ce bien là le dernier mot de la théorie juridique et celle
analyse fragmentaire et partielle, cette décomposition du
tout qui est le contrat collectif en de multiples éléments
n'averlit-elle pas qu'il faut chercher plus avant : l'essentiel
est d adapter pleinement la construction juridique aux
nécessités pratiques. Le contrat collectif avec sa vitalité
prodigieuse et sa force d'expansion brise les vieux cadres
et exige peut-être qu'au lieu de le rattacher aux formes
actuellement existantes on cherche pour lui quelque théorie
nouvelle plus complète, plus unifiée et plus adéquate à la
réalité sociale.
ce recours. Force serait alors d'admettre ici un mandat légal, donné
au syndicat par la loi, pour promettre le fait d'autrui (observation des
clauses du contrat). Mieux vaut peut-être ne rien préciser ici, pour
mieux préciser le point où la loi de 1884 a laissé la question : préoc-
cupée avant tout de la liberté du travail, elle n'a donné aucun moyen
juridique efficace de faire exécuter par les ouvriers les conditions ob-
tenues.
CHAPITRE m
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN. — ESQUISSE D'UNE
THÉORIE JURIDIQUE (Suite).
Une nouvelle réglementalion du contrat collectif est-elle
à désirer en France. En ce cas, dans quel sens faut-il la
désirer ?
Deux points de vue très nets partag-eront ce chapitre :
à) Quelles sont les insuffisances actuelles de la législa-
tion française et au nom de quels principes une plus large
intervention d'Etat est-elle possible ?
b) Quels ont été à ce point de vue les systèmes propo-
sés et dans quel sens serait-il désirable de souhaiter la
réforme attendue?
A . — Lacunes de la législation actuelle et motifs
d'intervention.
L'examen même des variations de la jurisprudence et
de ses incertitudes est, semble-t-il, une démonstration pé-
remptoire des lacunes de la législation Française. Dans
l'état actuel des textes, la portée pratique du contrat col-
lectif est toujours à la merci d'une interprétation juri-
dique.
Mais, à supposer que même la théorie que nous avons
LE CONTRAT COLLKCTIF OK DEMAIN 289
adoptée soit univcrsellenienl admise, il resterait des lacu-
nes énormes dans la réglementation du contrat collectif;
on verrait subsister la même incertitude, car il y aurait sans
doute tel contrat collectif à clause spéciale, où malgré l'évi-
dence un tribunal se refuserait à voir en fait une stipula-
tion pour autrui faute d'intérêt professionnel bien appa-
rent.
Ensuite, et là est le défaut fondamental, la valeur pra-
tique du contrat collectif sera toujours incertaine et pré-
caire tant que les rapports des syndiqués, du syndicat et
du patron contractant n'auront pa^été réglés juridiquement,
lixés légalement : il faut qu'après ratification par les ou-
vriers de la convention conclue par le syndicat, celle-ci
fasse la loi des parties et qu'un ouvrier — sauf le droit
toujours possible de se retirer du syndicat — ne puisse
violer impunément le contrat existant en allant travailler
chez un autre patron à des conditions différentes : il faut
en un mot résoudre législativement, pour autant que la
chose soit possible, le conflit entre la liberté du travail et
la liberté d'association ; la réglementation du contrat col-
lectif serait peut-être une solution possible de cette anti-
nomie.
Que la loi donc doive intervenir pour combler ces la-
cunes, c'est ce qui ne nous semble guère contestable : il y
en a des raisons générales et spéciales.
Une première remarque s'impose : à vrai dire le prin-
cipe d'intervention de l'Etat en matière de contrat collectif
n'est plus à discuter : c'est déjà un fait acquis. La longue
série des diverses lois sur l'Arbitrage en est une preuve
évidente : le contrat collectif repose au premier chef sur la
solidarité ouvrière : or, c'est précisément cette solidarité
BATXAUD 19
290 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE lil
qu'ont déjà reconnue les lois sur Varbitrarfe : « En effet,
comme le remarque très finement M. Sorel (1), si on se
place au point de vue strictement individualiste, il n'y a
point de concilialion à tenter, la grève a rompu tout lien
de droit entre le patron et chacun de ses ouvriers ; il n'exis-
tait que des contrats individuels avant la grève ; comment
peuvent-ils se transformer en obligations qui lieraient le
patron et un corps avec lequel il n'a jamais traité? »
Si donc on admet pour ainsi dire un quasi contrat col-
leclir, qui justifie Varbitrage, il n'y a aucune raison de
repousser, il est logique au contraire de reconnaîtie le
contrat collectif lui-même, qui ne fait ainsi qu'expliciter
ce que l'état de fait implique.
D'ailleurs les raisons directes d'intervention no man-
quent pas à coté de cette raison d'analog'ie :
Nous sommes, à n'en pas douter, dans un des cas diffi-
ciles où l'intervention dans nos idées modernes s'impose :
On tend, en efiet, à admettre qu'il y a lieu à intervention
d'État toutes les fois que le succès des efforts de l'individu
dépend du concours de tous les intéressés (2) : « La vieille
idée de Bastiat apparaît chaque jour plus incomplète et plus
fausse : qu'il suffit en tout pour obtenir le plus grand bien,
de laisser faire l'individu guidé par son intérêt personnel,
parce que chacun aspire à rendre sa condition meilleure
et tend ainsi à concourir au bien général. De plus en plus
nombreux apparaissent les exemples oiî cette concordance
de l'intérêt immédiat de l'individu et de l'intérêt collectif
{{) Sorel, « Avenir socialiste des syndicats », Humanité nouvelle,
avril-mai 1898.
(2) Voir art. de M. Bourguin, « La nouvelle réglementation de la
journée de travail », Rev. d'E. P., avril 1901, p. 343, conclusions.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMALN 291
ne suflit pas à reiulro l'indiviilu capable de satisfaire
ce double intérêt » : le cas du contrat collectif est assu-
rément parmi ces cas d'intervention légitime : en effet ici
la bonne volonté d'un ouvrier consentant à se conformer
rigoureusement à la convention conclue est mise en échpc
par la volonté d'un seul qui y résiste après l'avoir signée
et les bons effets du contrat ne peuvent se faire sentir pour
chacun, que si tous se trouvent liés (1).
Il y a de plus des raisons spéciales, tout à fait impérieu-
ses qui tiennent au contrat collectif lui-même : un double
résultat est en effet extrêmement désirable avec la législa-
tion nouvelle (2),
Il faudrait que le Syndicat put stipuler à l'occasion
pour un non syndiqué travaillant chez le patron contrac-
tant (3), sous réserve de son acceptation.
Il faudrait de la môme façon que le syndicat pût
poursuivre en dommages intérêts ce non syndique ayant
accepté les conditions du contrat et ne les ayant observées.
(1) Reste bien entendu réservée ]a question de la liberté individuelle
pour sortir du syndicat (art. 7, loi de 1884).
(2) Projet de loi portant modification à la loi du âl mars 1884,
sur les syndicats professionnels .
Arl. 10. — L'entra ve volonlaire apportée à l'exercice des droits re-
connus par la présente loi. par voie de refus d'embauchage ou de
renvoi, la mise en iyiterdit prononcée par le syndicat et dans un
but autre que d'assurer les conditions du travail fijcées par lui et
la jouissance des droits reconnus aux citoyens par les lois, constituent
un délit civil et donnent lieu à l'action en réparation du préjudice
causé. Cette action peut être exercée soit par la partie lésée, soit dans
le cas prévu au paragraphe l*»" par le syndicat.
(Déposé par M. Waldeck-Rousseau, le 14 novennbre 1899).
(3) Ce serait ià un excellent moyen pratique de développer le mou-
vement syndical.
â92 DEUXIÈMK PARTIK. CHAPITRE III
et même un ex-syndiqué, si, son départ de chez le patron
lui ayant causé un tort, le patron recourt en dommages
intérêts contre le syndicat. Celui-ci poursuivrait alors l'ou-
vrier, non pour avoir donné sa démission du syndicat,
mais pour inexécution de ses eng-agements.
Or ce double résultat ne peut évidemment être obtenu
que par une législation spéciale.
Ajoutons enfin pour être complet que la réglementation
légale du contrat collectif serait encore justifiée, comme
les dispositions du Code sur les vices du consentement,
par la nécessité très légitime de faire respecter la liberté
du contrat. L'ouvrier en ce sens est comparable au mi-
neur : il subit les conditions de travail qu'il se laisse im-
poser, parce qu'il ne peut faire autrement.
« Une forme collective tend à donner au contrat un ca-
ractère vraiment conventionnel: seul ce contrat de collec-
tivité donne définitivement la réalité au principe d'égalité
du contrat d'individu à individu. C'est ce droit public qui
fait sortir le droit civil du domaine de l'abstraction et de
l'illusion (1). »
Les motifs d'utilité sociale ne sont ni moins nombreux,
ni moins puissants que les motifs de justice : les bienfaits
du contrat collectif au pointde vue social ne sont plus à dis-
cuter (2) : Augmentation de salaires, réduction de la jour-
née de travail, améliorations au point de vue de l'hygiène
tels sont ses résultats indirects, mais le résultat le plus ap-
préciable, à côté de cette amélioration du sort de l'ouvrier.
(J) M. H. Denis, discussion à la Ch. des représentants Belge de la
loi sur le contrat de travail (séance, 8 mars 1899). Archives parle-
mentaires, p. 770.
(2) Voir nos conclusions, Avenir du contrat collectif. .
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 293
est incontestablement une diminution notable du nonibrc
des grèves.
On pourrait ajouter encore comme motif d'intervention
législative dans le contrat de travail, que ce contrat touche
au droit des personnes (1) en ce sens qu'il crée un lien
de soumission et de dépendance de l'ouvrier vis-à-vis du
patron: le contrat du travail est un contrat siii generis,
à isoler des autres contrats et à rapprocher de la théorie
des droits personnels, parce qu'il attribue toute la force du
travailleur à une seule fin et fait dépendre la personne de
l'ouvrier et de sa famille de ce contrat. Il n'y aurait d'ail-
leurs là que le développement de certaines dispositions du
Code qui reposent exactement sur la môme idée : quiconque
admet l'article 1780 : « on ne peut engager ses services
qu'à temps, ou pour une entreprise déterminée », ne sau-
rait repousser la réglementation du contrat collectif qui
repose exactement sur le même principe.
Ainsi application de la règle actuelle d'intervention
d'Etat, droit des personnes engagé dans la question, néces-
sité de faire respecter la liberté du contrat, avantages cer-
tains au point de vue de l'utilité sociale, telles sont les
quatre raisons générales au nom desquelles l'intervention
d'État s'impose en notre matière.
{{) Cf. Les-lrès intéressantes discussions du Conf/rès international
de la législation douanière et de la réglementation du travail. .\n-
vers. 12-17 septembre 1898. 2 vol. 4« Question. — M. Vaës dans son
rapport va d'ailleurs plus loin que nous et demande que la loi défi-
nisse les devoirs des patrons vis-à-vis des ouvriers et réciproquement ;
on peut préférer comme solution moins étatiste, celle où la loi amène
indirectement le respect de ces devoirs.
294 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE JII
B. — Systèmes proposés et solution préconisée.
A propos de celte intervention d'Etat dans le contrat col-
lectif, nous trouvons toutes les gammes et toutes lés
nuances possible depuis l'arbitrage obligatoire comme en
Nouvelle-Zélande et dans le canton de Genève jusqu'à
l'absence absolue de réglementation légale comme en
Angleterre : passons rapidement en revue les législations
étrangères en les classant par catégories à ce sujet.
On peut à cet égard ranger les divers pays au point de
vue de la réglementation légale du contrat collectif en trois
groupes :
I. — Pays où le contrat collectif n'a pas d'e?[istence
légale ;
II. — Pays où le contrat collectif est reconnu comme
convention privée entre les parties;
III. — Pays où le contrat collectif est spécialement ré-
glementé et possède à un degré variable une force obli-
gatoire.
I. — Pays où le contrat collectif n'a pas d'existence
légale. — Par un paradoxe des plus piquants et des plus
intéressants, c'est précisément en Angleterre, qui est la
terre natale du contrat collectif, que nous constatons cette
absence de réglementation légale.
En effet la section 4 du Trade-Union Act de 1871 (1)
dispose :
(1) L'histoire du contrat collectif au point de vue légal en Angle-
terre présente une grande analogie avec cette histoire en France :
nous ne pouvons nous y engager ici. Cf : B, et S. Webb, Industrial
LR COiNTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 295
« Rien dans cet Act ne rendra une Cour capable de re-
cevoir un action légale introduite dans le but direct de
faire augmenter ou de recouvrer des dommages pour la
rupture d'un des contrats suivants :
1** Les engagements pris par des associés de vendre ou
de ne pas vendre leurs biens, d'accepter ou de refuser
certains emplois ou certains genres de travail et ce pen-
dant la durée de la société...
Et surtout 5" les arrangements pris entre plusieurs
unions (1).
Cette disposition se ressent sans doute des ancienne»
dispositions prohibitives de la législation anglaise sur les
Trade-Unions ; mais à l'époque elle a été surtout intro-
duite dans la législation sur le désir formel des unions,
qui craignaient le contrôle des tribunaux.
D'ailleurs un mouvement d idées s est déjà dessiné en
Angleterre en faveur d'une réforme législative : une pro-
position du duc de Devonshire et de plusieurs de ses col-
Democracy ; voir nolamment vol. II, Appendice I, et aussi IV et V
rapport de la Commission Royale du travail 1894. On peut seulement
indiquer que celte histoire fut dominée d'abord par la réglementa-
tion légale du travail (jusqu'en 1814, abrogation de la législation
d'Elisabeth, il n'est pas question du contrat collectif), puis par la
prohibition des coalitions comme en France, jusqu'en 1824 ; malgré
cela quelques accords de pacifiques ont lieu comme en France entre
ouvriers et patrons. En 1825 on limite la liberté des coalitions : on
rétablit le délit de conspiracy (common law) mais on admet que les
poursuites ne pourront avoir lieu si : !<> les coalitions ont pour but
le règlement des salaires ou la durée du travail ; 2o si elles ne
visent à agir que sur lés conditions du travail des personnes qui
en font partie : le contrat collectif était dès lors légalement
permis.
(I) .\nnuaire de législation étrangère, 1871, p. 56.
296 DEUXIÈME PARTIK. CHAPITRE III
lèg'ues (1), membres de la commission du travail, faite au
nom de la minorité, avait pour objet de rendre les Trade-
Unions capables de passer des contrats collectifs lég-ale-
ment obligatoires au nom de tous leurs membres : ainsi
une fois le contrat collectif signé, les parties eussent été
responsables en dommages-intérêts sur leurs fonds pro-
fessionnels de la rupture du contrat par quelqu'un de
leurs membres et eussent été autorisées d'autre part à re-
couvrer ces dommages-intérêts payés à l'union contrac-
tante contre les individus qui auraient enfreint le trai-
té (2).
La question est importante et vaut qu'on s'y arrête :
car dans ce débat enire la majorité et la minorité de la
commission, c'est toute la question de l'opportunité de la
reconnaissance légale du contrat collectif qui est engagée.
Voici donc les arguments qu'on faisait valoir de part et
d'autre.
En faveur de la reconnaissance légale, la minorité de
la commission faisait observer qu'il y avait actuelle-
ment, dans le contrat collectif tel qu'il était passé en fait,
« action collective sans responsabilité légale collective » :
au fond les deux parties, puisque la poursuite en domma-
ges-intérêts au cas d'inexécution est impossible, n'avaient
qu'un lien moral au-dessus d'elles.
On proposait alors de donner aux Trade-Unions tant
patronales qu'ouvrières une personnalité légale plus
(1) Notamment les membres patrons de la commission suivants :
M. Thomas Ismay, propriétaire de navires, M. Georges Livesey, direc-
teur de Cie du gaz, M. William Tunstell, directeur de Cie de chemins
de fer.
(2) Firth and Final Report, p. dloet suivant.
1^ CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 297
compile qui leur permettrait d'assurer robservation
des contrats collectifs : on n'établirait pas un type de
contrat léfçal obligatoire mais on donnerait aux unions
la faculté de poursuivre au cas d'inexécution, la partie
«jui n'exécute pas, sauf le recours de celle-ci contre ses
membres.
Le projet réservait d'ailleurs la possibilité de déclarer
par stipulation expresse que tel contrat spécial entre
unions ne serait pas obligatoire légalement (1).
— La majorité de la commission, frappée de la question
de la personnalité des Trade-Unions plus encore que de la
question du contrat collectif, voyait dans ces poursuites
possibles un danger pour la richesse des Trades-Unions
et un risque pour leurs caisses de secours « Exposer les
sociétés puissantes du pays, avec leurs fonds accumulés,
atteignant parfois un quart de million de livres sterlings,
à des poursuites en dommages-intérêts par un employé,
ou par un membre mécontent, ou par un non unioniste,
pour l'action de quelque secrétaire ou délégué, serait une
grande injustice (2). Le Trade-Unionisme deviendrait im-
possible avec les honoraires, frais de justice et amendes,
même pour les ouvriers les plus aisés et qui auraient le
plus d'expérience. »
En somme la proposition échoua par l'opposition des
Trade-Unionistes qui repoussèrent la personnalité légale
(1) Le rapport indiquait en outre rélablissement de quelques condi-
tions légales : io Nécessité d'indiquer dans le contrat la durée de va-
lidité et le délai pour demander une modiûcation ; 2» L'enregistre-
ment de ces contrats pour les soumettre à l'inspection.
(2) Id., rapport cité, p. 146. Comme on le voit, c'est par des rai-
sons extrinsèques que le projet était combattu.
298 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
qu'elle impliquait, par crainte de voir les membres des
Unions traduits en justice (i).
Il est certain qu'au point de vue de la stabilité du con-
trat collectif le projet du duc Devonsbire était des plus
beureux : mais ici comme souvent, les mœurs sont plus
fortes que la loi et les fortes organisations anglaises, tant
patronales qu'ouvrières, sont la meilleure garantie d'exé-
cution du contrat collectif.
D'ailleurs tout récemment la question de la possibilité
de l'action des Trade-Unions en justice vient de prendre
un nouvel aspect. Sans doute, ce n'est pas directement le
droit pour les Trade-Unions de poursuivre en justice l'exé-
cution du contrat collectif qui a été reconnu par les tri-
bunaux ; mais une décision de principe donnée par la
Cliambre des Lords est intervenue qui pourrait fort bien
avoir cette conséquence. Voici à quelle occasion a été ren-
due cette importante décision qui fera sans doute jurispru-
dence.
A la suite d'un conflit entre la Tujf Vale Railway
Company et ses ouvriers, une action avait été intentée
par la Compagnie contre \ Amalgamât ed Society of
Railway servatits (société des employés de chemin de fer),
trade-union enregistrée. La Compagnie prétendait empê-
cher la société, ses employés, agents de surveiller ou as-
siéger {beset) les stations de la Great Western Railway
pour empêcher tout employé occupé parla Compagnie ou
(i) Sidney Webb (Industrial Democracy, 11, p. 534) remarque
très juslement que la personualilé civile complète n'était pas une
conséquence forcée du projet. On aurait pu se contenter d'une res-
ponsabilité slriclement limitée au cas de contrat collectif et même
par des pénalités fixées conventionnellement.
LE CONTRAT COLLRCTIP DE DEMAIN 299
voulant obtenir du travail, de travailler pour la Compa-
gnie et pour lui faire rompre les contrats avec cette Com-
pagnie. La Société d'employés répondit qu'elle n'était ni
une corporation, ni un individu et qu'elle ne pouvait par
suite être poursuivie. Le juge de première instance re-
fusa ce moyen de droit et accorda une injonction tempo-
raire, comme le demandait la Compagnie contre la Trade-
Union (1).
Celle-ci fît appel de celte décision et la Cour d'appel
décida que rien dans les Trade-Unions Acts ne rendait
une Trade-Union capable d'être poursuivie sous son nom
enregistré, déchirant que l'action n'était pas recevable
contre la Trade-Union. C'était le maintien de l'état de ju-
risprudence que nous avons indiqué (2).
Mais la Compagnie fit appel à la Chambre 'des Lords.
Et celle-ci vient de décider (3) qu'une Trade-Union enre-
gistrée pouvait être poursuivie, cassa le jugement de la
Cour d'appel et fit revivre celui de première instance.
Ainsi la Trade-Union, d'après la récente jurisprudence
anglaise pourrait avoir l'accès des tribunaux comme dé-
fenderesse et probablement aussi comme demanderesse. Le
dernier congrès des Trade-Unions de Swansea (1901)
semble avoir considéré celte décision comme définitive et
l'avoir implicitement acceptée : une résolution a été votée
pour lever une contribution particulière en vue des frais
nécessités par la défense à une action en justice.
Ainsi il se pourrait que l'ancien état de choses futquel-
(i) Labour Gazette, sept. 19C0, p. 264-2G5.
(2) Labour Gacette, déc. 1900, p. 3(il.
(3) Id., aoùl 1901, p. 237.
300 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
que peu ébranlé et que la proposition du duc de Devon-
shire fut réalisée par la jurisprudence. C'est une nouvelle
porte ouverte au contrat collectif et à son exécution en
justice.
II. — Pays où le contrat collectif est reconnu comme
contrat de droit privé, légalement obligatoire entre les
parties. — Le type de ces pays est assurément la Belg"ique.
Le texte qui domine toute notre matière est l'article 10- de
la loi du 31 mars 1898 sur les Unions professionnelles :
« L'Union peut ester en justice soit en demandant, soit
en défendant, pour la défense des droits individuels que
ses membres tiennent de leur qualité d'associés, sans pré-
judice au droit de ces membres d'agir directement, de se
joindre à l'action ou d'intervenir dans l'instance.
Il en est ainsi notamment des actions en exécution des
contrats conclus par l'Union pour ses membres et des ac-
tions en réparation du dommage causé par l'inexécution
de ces contrats. »
Il semble résulter d'ailleurs de débats parlementaires (1)
qu'il y a là deux actions distinctes, que l'exercice initial
de l'action par l'ouvrier ne suffît pas à destituer l'Union
de toute action, que celle-ci peut toujours intervenir.
Mais étant donné la rédaction du texte et surtout les tra-
vaux préparatoires (2), il est probable que si l'Union laisse
l'ouvrier poursuivre sans intervenir à l'instance, son ac-
tion est éteinte.
(1) Cf. Notamment la réponse à M. Van Cleempulte faite par
le rapporteur à la Cliambre des lieprésentants, M. de Sadeleer (Sé-
ance du 3 décembre 1897).
(2) Le projet du gouvernement donnait cette action aux Unions
seules. « 11 n'appartient qu'aux Unions professionnelles... »
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 301
La loi du 10 mars 1900 sur le conlrat de travail ni-ii-
globe pas dans sa définilion (arl. l*""^) le conlrat collectif :
« La présente loi régit le conlrat par lequel un ouvrier
s'engage à travailler sous l'autorité, la direction et la sur-
veillance d'un chef d'entreprise ou patron, etc. » Lors
de la discussion de cet article, malgré quelques obscUri-
rités de détail, on précisa le droit formel pour l'Union de
passer le contrat collectif et d'en demander l'exécution en
justice. Peut-être cependant l'idée un peu étroite de man-
dat pour stipuler les conditions du travail et l'idée que
cette action donnée au syndicat n'était que l'exercice des
actions individuelles arrêtèrent quelque peu le mouvement
législatif (1), mais au point de vue pratique il est certain
que le contrat collectif est reconnu en Belgique, avec quel-
ques réserves de détail nécessaires à faire (2).
Aux Pays-Bas la situation est à peu près la même. Une
loi du 2 mai 1897 sur les Chambres de travail est venue
(1) Cf. L'amendemenl de M. Denis lors de la discussion de l'art. \.
(2) La question est, eu effet, très délicate et l'interprétation de l'ar-
ticle 10 de la loi Belge du 31 mars 1898 sur les Unions profession-
nelles est difficile à préciser.
Le projet Bergerenn était beaucoup plus favorable au contrat collec-
tif : il donnait au syndicat seul l'action en exécution : par crainte de
tyrannie syndicale, la commission modifia ce projet en rétablissant le
droit des membres d'agir directement : il résulte de toutes ces modifi-
cations (p. les détails, voir Briquet: Législation belge sur les Unions
professionnelles, p. 229.) que la renonciation de l'individu ou la tran-
saction consentie par lui éteignent du même coup l'action individuelle
et l'action du syndicat. Ollc dernière, n'étant conçue que comme la
défense par le syndicat de l'intérêt individuel, disparait avec lui. C'est
là une situation fâcheuse, surtout au point de vue du contrat collec-
tif : juridiquement il n'y a plus de contrat collectif si le syndicat n'a
pas pris l'initiative de la demande en exécution et en réparation du
préjudice causé.
302 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE jll
reconnaître, indirectement il est vrai, le contrat collectif.
Les chambres sont érigées par arrêté royal, lorsque le be-
soin s'en fait sentir et qu'une composition convenable pa-
raît possible : elles sont créées pour un ou plusieurs mé-
tiers, en vue d'une ou plusieurs communes réunies (1). La
chambre est composée mi-partie de patrons et d'ouvriers :
un arrêté royal fixe le nombre de chacun d'eux.
Une de leurs fonctions est de donner des avis et de ré-
dig-er des conventions à la demande des intéressés.
Elles peuvent aussi, en cas de conflit, servir d'arbitres
entre les parties.
Les premières chambres du travail furent érigées en
1898 et elles sont plus de 60, réparties dans 26 commu-
nes. Elles n'ont pas encore publié de rapports et il est dif-
ficile de se rendre un compte exact de leur rôle au point
de vue du contrat collectif.
Néanmoins on peut ranger la Hollande parmi les pays
où le contrat collectif est légalement reconnu.
A côté de la Belgique et de la Hollande, il faut citer encore
les Etats-Unis d'Amérique 011, dans la plupart des Etats, les
contrats collectifs sont reconnus par les tribunaux : ils sont
alors des contrats civils et ne rentrent pas dans la catégo-
rie de ceux qui exposent la partie manquant à l'exécution,
à des poursuites pénales. Des dommages-intérêts peuvent
être obtenus, pourvu que l'une des parties se croie en droit
d'intenter une action pour rupture du contrat, ou s'il y a
chance de les obtenir au cas où une action serait intentée (2).
(1) Voyez Slruve : Rapport pour les Pays-Bas h l'Exposition d'Econo-
mie sociale 1900, 16© groupe.
(2) Extrait d'une réponse du Department of labor de Washington à
une enquête personnelle.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 303
ni. — Pays où le contrat collectif est spécialement
réglementé et possède à quelque degré une force obli-
gatoire. — Dans celte dernière série de pays, le contrat
collectif est non seulement reconnu, mais encore régle-
menté, si bien qu'il a dans une mesure variable une force
obligatoire qui s'impose à tous.
Ces pays sont la Nouvelle-Zélande et le canton de Genève,
en Suisse.
Le régime fort curieux de la Nouvelle-Zélande est ins-
titué par un act d'avril 1894, applicable au mois de jan-
vier 1895 : la loi porte pour litre : « Loi pour encoura-
ger la formation des associations industrielles et faciliter
la solution des conflits industriels par la conciliation et l'ar-
bitrage (1). »
L'originalité de celle loi est d'une part le recours forcé
à l'arbitrage et d'autre part la force obligatoire donnée au
jugement de la Cour centrale d'arbitrage qui vaut comme
contrat collectif.
Celle Cour centrale d'arbitrage (2) se compose de deux
délégués élus l'un par les associations de patrons, l'autre
par les syndicats ouvriers et d'un président désigné par le
gouvernement.
Les jugements sont rendus pour une durée fixée par la
Cour dont le maximum ne peut excéder 2 ans : à leur expi-
(1) De celle loi qui consUlue tout un système d'arbitrage obliga-
toire, nous n'éludions ici que ce qui concerne spécialement le contrat
collectif. Pour le reste, Cf. A. Métin, « La conciliation et l'arbitrage
en Nouvelle-Zélande », Revue d'économie politique, 1901, p. 41.
(2) Elle n'est saisie qu'après l'insuccès du Conseil local, composé de
membres élus moitié par les syndicats ouvriers, moitié par les asso-
ciations de patrons.
304 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITHE III
ration les parties peuvent les renouveler. Lo plus souvent
une sanction (2S0 fr. d'amende au maximum pour un par-
ticulier et 12,500 fr. pour une association), permet d'as-
surer l'exécution de ces sentences arbitrales, qui d'ailleurs
sont définitives et ne peuvent être soumises ni à l'appel,
ni à la cassation.
On conçoit qu'avec ce système, par une série de déci-
sions particulières, la Cour arrive à établir une sorte de
contrat collectif obligatoire pour tout le métier (1). Il faut
ajouter que la seule perspective de cette sentence arbitrale
doit faciliter de beaucoup les accords proprement dils en-
tre patrons et ouvriers.
Ainsi le contrat collectif n'est pas directement déclaré
obligatoire, mais tant parles conséquences mêmes du sys-
tème, que par la force légale donnée aux décisions arbi-
trales, on arrive à le rendre indirectement nécessaire.
Le second pays où le contrat collectif est législative-
ment réglementé est, en Suisse, la République et le canton
de Genève, oii une loi du 10 février 1900 (2) est venue
« fixer le mode (rétablissement des tarifs d'usage entre
OMvWer* e^yO«^ro?i* et régler les conflits relatifs aux con-
ditions de leurs engagements ».
Ici encore ce nest que par un détour que Ton airive au
résultat chercbé : l'article l*"" réserve la possibilité de con-
ventions spéciales : le contrat individuel reste donc théo-
riquement toujours possible : mais à défaut de ces con-
(i) Les Conseils locaux et la Cour ont d'ailleurs le droit d'élendre
une décision rendue dans un cas particulier à tous les ateliers ou
chantiers de la même profession .
(2) Voir le texte des principaux articles concernant le contrat col-
lectif : Circulaire, ]\Iusée social, mars 1901.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 305
venlioiLS spéciales, les coiuiilioiisd'engag^cmcnl des ouvriers
sont réglées par l'usage : ont force d'usage, les tarifs et
conditions générales d'engagements établis en conformité
de la présente loi.
C'est donc la réglementation du contrat collectif qui fait
Tobjel propre de la loi du 10 février 4900. Il nous faut
donc étudier avec soin le système qu'elle établit : pour
plus de clarté, on peut grouper le commentaire de celte
loi sous deux cbefs.
L'arlicle 2 du projet prévoit l'établissement de ces tarifs
et conditions générales d'engagements, soit par le commun
accord entre patrons et ouvriers intéressés, dûment cons-
taté dans les limites fixées par la présente loi ; soit par des
arbitres, soit par la Commission centrale des Prud'hom-
mes et les délégués patrons et ouvriers.
A. — Le cas de contrat proprement dit.
Le cas de contrat proprement dit est assurément le plus
original par sa réglementation : on peut grouper sous deux
idées les dispositions sur ce point :
a) Elaboration du contrat collectif.
6) Force du contrat collectif.
a) Elaboration du contrat collectif. — Seules partici-
pent à celte élaboration du contrat collectif les associations
de patrons et les associations d'ouvriers régulièrement ins-
crites au registre du commerce et dont les statuts ont été
approuvés par le Conseil d'Etat (art. 3) (1) — ou à leur
défaut, les patrons et ouvriers de la profession, régulière-
ment établis à Genève depuis plus de 3 mois.
(1) Le même article fixe les coDdilions d'approbation.
RATKACn 90
30G DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE 1I[
Ces associations convoquent par voie crafficlies trois
jours au moins à l'avance des réunions plénières de leurs
associations respectives (1). Ces assemblées nomment au
bulletin secret, des représentants en nombre égal, soit
sept patrons et sept ouvriers, à moins qu'elles ne s'enten-
dent pour en élire un cliiffre inférieur : au cas de plu-
sieurs associations similaires dans un même métier, elles
désignent cbacune un nombre de délégués proportionnel
à celui de leurs membres.
La loi fixe aussi les qualités que devront remplir les dé-
légués : seuls pourront être nommés délégués, ceux qui,
avant leur nomination ont travaillé de la profession pen-
dant dix-buit mois au moins, en une ou plusieurs pério-
des, dans le canton de Genève.
Les délégués ainsi nonnnés se réunissent et prennent
leurs décisions à la majorité des 3 4 des membres délégués
(art. S) ; ces décisions sont consignées dans un procès-
verbal en quatre exemplaires signés par les acceptants ;
un exemplaire reste entre les mains des délégués patrons,
un autre entre celles des délégués ouvriers, les deux au-
tres sont déposés, l'un au greffe des tribunaux de prud'bom-
mes et l'autre au Département du commerce et de l'indus-
trie où il est mis à la disposition des intéressés qui voudront
les consulter.
Les modifications ou les compléments à un tarif en
vigueur sont soumises à la même procédure que l'élabo-
ration d'un tarif complet (art. 16).
(1) A défaut d'associations patronales ou ouvrières, la réunion plé-
nière des intéressés est convoquée par le Conseil d'Etat sur la deman-
de écrite du cinquième des électeurs prud'hommes de la profession
inscrits au tableau, ouvriers ou patrons (art. 4).
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 307
b) Force du contrat collectif. — Les tarifs et condi-
tions ainsi établis demeurent en vigueur pour la durée
qui y sera stipulée, mais qui ne pourra toutefois excéder
5 ans et dont réchéance devra être fixée pour la fin d'une
année civile.
Il y a renouvellement tacite d'année en année s'il n'y a
pas eu dénonciation de part ou d'autre un an au moins
avant Téchéance d'un terme; la loi prévoit toutefois le cas
où par entente amiable entre délégués ouvriers et patrons
la durée du tarif et le délai de dénonciation pourront être
inférieurs à un an (art. 6).
D'ailleurs jusqu'à l'adoption d'un nouveau tarif, l'ancien
continuera à être applicable.
Les tarifs et conditions d'engagement ainsi établis s'ap-
pliquent comme tarifs d'usage, à défaut de contrat spécial :
en règle donc, ils s'imposent à tous les membres patrons
et ouvriers de la profession : il est certain en effet qu'en
réalité les patrons ne pourraient guère déroger par des
conventions particulières, bien qu'ils en aient le droit, aux
tarifs généraux ainsi établis.
D'ailleurs l'article 15 dispose que pendant la durée d'un
tarif en vigueur, aucune suspension de travail ne pourra
être décrétée ni par les patrons ni par les ouvriers dans le
but de modifier ce tarif. Des dispositions pénales (peines
de police) punissent tout appel à une suspension par-
tielle ou générale de travail en violation d'un tarif exis-
tant ou en contravention aux dispositions de la présente
loi.
B. — Etablissement du tarif par arbitrage.
Au cas où les délégués ne parviendraient pas à se met-
Ire d'accord, la loi prévoit (art. 8-12) la tentative de cou-
308 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE 111
ciliation par le Conseil d'Etat : le ou les délégués du Con-
seil d'Etat cherchent seulement à obtenir la majorité des
3/4 nécessaire pour le contrat collectif.
Au cas oij cette tentative échoue, la Commission centrale
des Prud'hommes se réunit dans les 6 jours : elle se réu-
nit aux délég-ués nommés ou au besoin les nomme d'office
et à la réunion ainsi convoquée, les membres présents sta-
tueront à la majorité et au bulletin secret sur les préten-
tions des parties.
Toutefois dans ce cas spécial d'arbitrage, les ouvriers
ne pourront déclarer le mise en vigueur d'un tarif dans
une profession où il n'en existe pas qu'après un délai mi-
nimum de six mois après leur décision, à moins que les
patrons n'acceptent d'un commun accord un délai plus
court.
Telle est, brièvement résumée, la nouvelle législation —
très complète — comme on vient de le voir, du canton de
Genève, établie parla loi du 10 février 1900 (1).
Il y a sans doute bien des imperfections que l'usage seul
permettra de corriger ; cependant de cette étude on peut
retenir quelques conclusions au point de vue doctrinal.
Il est certain que cette réglementation du contrat collec-
tif pour tout le métier aura un effet direct, bien qu'il ne
(1) La date récente de celle loi ne permet pas d'en étudier encore
la valeur pratique : une première application en est brièvement rap-
portée dans une circulaire du Musée social (1901, no 3, mars, p. 88).
II parait que dans ce long conflit entre les ouvriers employés au fer-
rage des chevaux, réclamant un salaire minimum de 10 centimes à
leurs patrons— la loi aurait mal fonctionné au point de vue de la
tentative de conciliation : mais le 6 janvier 1901. un contrat collectif
intervint entre patrons et ouvriers : la loi semble donc sur ce point
au moins avoir eu indirectement un effet utile.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 309
s'applique quà défaut de conventions spéciales, pour pro-
mouvoir les contrats collectifs spéciaux à certains établis-
sements.
Il est à remarquer ensuite que cette législation est
entrée résolument dans la voie de la force obligatoire
donnée aux décisions des majorités : ici la liberté indus-
trielle tant patronale quouvrière est réservée par la pos-
sibilité de conventions spéciales.
Pour le reste de la réglementation légale, il y aurait
lieu de retenir le mode d'élection des délégués par toutes
les assemblées plénières du métier, ce qui semble assurer
la véritable représentation professionnelle.
De toute façon, il y a là une législation des plus mo-
dernes dont la réglementation du contrat collectif que nous
cliercbons à préciser, devrait assurément s'inspirer.
Une dernière question s'impose à nous après cette revue
rapide des .systèmes législatifs : quelles seraient pour la
France les réformes les plus utiles ?
Avant de préciser nos conclusions juridiques, il importe
de lixer exactement l'idéal qui est à poursuivre.
Cette longue étude nous a permis d'établir que la valeur
sociale du contrat collectif — au point de vue de la justice,
— réside précisément d'une part en ce qu'il corrige la si-
tuation inégale des parties dans le contrat de travail et
d'autre part en ce qu'il conserve le régime de la liberté in-
dustrielle avec tous ses avantages : c'est donc la valeur
formelle (1) — et rien que cette valeur formelle, qui nous
permet de conclure.
I. — Dès lors un premier point s'impose au moins com-
(1) C'est-à-dire qui lui est donnée par sa forme même, quelles
que soient les clauses qu'il contient.
310 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
me un minimum (1), qui doit rallier, semble-t-il, l'unani-
mité des suffrages.
Il est indispensable d'assurer la reconnaissance légale
du contrat collectif en France : c'est là une première
réforme qui s'impose.
Elle consisterait à reconnaître par un texte de loi (2) le
droit des syndicats de passer le contrat collectif et surtout
le droit de ces syndicats d'ester en justice pour en assurer
l'exécution.
Il y a dans les rapports nés du contrat collectif une sé-
rie de relations juridiques nouvelles très importantes
qu'il importe au plus haut point de réglementer. Une ré-
forme législative complète devrait à cet égard comprendre
plusieurs points :
Par interprétation de la volonté des parties, la loi devrait
reconnaître :
1° Le droit du syndicat de poursuivre le patron, et réci-
proquement le droit du patron de poursuivre le syndicat,
pour violation du contrat collectif ;
2° Le droit du syndicat de se retourner contre ses
membres et d'une manière générale contre tout ouvrier
ayant accepté le contrat, pour violation de ce même contrat ;
3° La possibilité de co7iventio?is dérogatoires indivi-
duelles établissant des conditions du travail plus favora-
(1) Discussion du système : Royal commission of Labour, final
report, p. 54.
(2) Inséré par exemple dans le projet de revision de la loi du 21
mars 1884 sur les syndicats professionnels. C'est là d'ailleurs une
réforme législative de pure forme en quelque sorte, puisqu'elle ne fe-
rait que consacrer une jurisprudence déjà considérable. Elle aurait
le grand avantage de mettre fin aux incertitudes de la jurisprudence
et de donner plus de sécurité aux relations juridiques nées du contrat.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 311
bles que celles stipulées au contrat collectif : par suite la
nullité de toutes clauses du contrat individuel, stipulant
des conditions du travail inférieures à celles obtenues par
le syndicat (1) ;
4" Le droit des parties d'obtenir des dommages-intérêts
au cas d'inexécution de tout ou partie du contrat se mon-
tant à la réparation de tout le préjudice causé.
On aurait ainsi le contrat collectif facultatif: il convient
de remarquer qu'à côté du contrat collectif, entre le syn-
dicat et le patron ou l'association de patrons, subsisterait
le contrat actuel de louage de travail ; que l'ouvrier con-
serverait son action en exécution du contrat individuel
comme aujourd'bui, nettement distincte de l'action syn-
dicale.
Ce ne serait en somme que la consécration juridique
de l'état de fait actuel, qui serait ainsi transformé en état
de droit.
A ce premier projet de réformes, on peut faire sans
doute quelques objections, qui ne portent pas sur l'objet
même de la réforme, mais sur son inutilité et sur son peu
d'opportunité :
On dira sans doute et on a déjà dit : où est l'avantage
de sanctionner ainsi juridiquement les obligations nées
du contrat collectif? Le recours du patron contre le svndi-
(1) Par exemple un contrat collectif stipule un minimum de salaire
de G francs par jour et une durée du travail maximade 10 heures. Un
contrat individuel pourrait stipuler un salaire de 7 francs el une durée
de 9 h. 1 â : mais s'il contenait une clause dérogeant aux conditions
du contrat collectif (5 francs de salaire ou iO h. 12 comme temps de
travail) cette clause serait nulle.
312 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
cat sera toujours illusoire, celui-ci étant la plupart du
temps insolvable ?
L'objection porte assurément en l'état actuel des
choses :
Mais, avec le nouveau projet du gouvernement aug-
mentant la personnalité civile du syndicat, il est certain
que celui-ci, s'il comprend ses véritables intérêts, imitera
l'exemple des Trade-Unions anglaises, se constituera
un patrimoine, établira diverses caisses de résistance, de
secours et que le patron trouvera là à la fois un encoura-
gement pour traiter avec le syndicat ouvrier et une ga-
rantie en cas d'inexécution.
On ajoute encore : comment le syndicat pourra-t-il as-
surer l'exécution par les ouvriers du contrat collectif?
La jurisprudence reconnaît déjà, on l'a vu, elle nouveau
projet gouvernemental confirme expressément le droit
pour le syndicat d'employer l'arme redoutable de la mise
à l'index pour faire exécuter les conditions du travail. Il
y aura donc là un moyen très puissant et très efficace
d'assurer l'exécution stricte des conditions du contrat et
notamment l'observation de la défense de traiter à des con-
ditions plus défavorables.
La reconnaissance légale du contrat collectif ne ren-
contre donc aucune difficulté sérieuse : elle s'impose
comme une nécessité immédiate (1).
(t) On pourrait à cet égard compléler la réforme en accordant
spécialement aux Unions de syndicats, d'ester en justice pour les con-
trais collectifs qu'elles auraient passés. L'art. 5 du projet Waldeck-
Rousseau sur les syndicats les assimile d'ailleurs àcet égard aux syndi-
cats eux-mêmes.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DËMALN 31 3
II. — Mais peut-on aller plus loin?
Il est certain que si au point de vue juridique cette
première réforme est de la plus haute importance, elle
n'aurait qu une action limitée sur la diffusion du contrat
collectif (jui continuerait à dépendre exclusivement des
forces respectives des patrons et des ouvriers,
L'Etat n'a-t-il pas le droit de faire davantag^e, d'inter-
venir plus efficacement dans l'évolution économique et la
justice n'exige-t-elle pas quelque réforme plus profonde et
plus efficace ?
Si vraiment le contrat collectif renferme une dose de
justice supérieure au contrat individuel, comme nous
croyons l'avoir démontré, s'il corrige une inégalité fonda-
mentale entre patrons et ouvriers, s'il diminue l'exploi-
tation capitaliste en ramenant la concurrence sur le ter-
rain stricten»ent professionnel, n'y a-t-il pas lieu de l'im-
poser et d'arriver de quelque façon au confinât collectif
obligatoire ?
Mais ici deux voies sont ouvertes :
L'une poursuit le contrat collectif obligatoire par le
Syndicat obligatoire.
L'autre plus modeste se contente d'arriver au même
résultat indirectement en déclarant seulement la forme
collective du contrat obligatoire.
Examinons successivement ces deux solutions bien dif-
férentes :
A. — Contrat collectif obligatoire par syndicat obligatoire.
On sait comment de l'étude du contrat collectif tel
qu'il existe actuellement, on en arrive très logiquement.
314 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
croit-on, à réclamer le sj^ndicat obligatoire pour mieux
assurer le contrat collectif :
On part du contrat collectif tel qu'il existe aujour-
d'hui : on montre qu'il est du rôle essentiel du groupe-
ment syndical d'imposer aux ouvriers le respect des con-
ditions du travail, pour mieux assurer le marché collectif
du travail : on constate — et personne assurément ne
contestera le fait — que le respect des clauses du contrat
collectif est de la première importance. v< Or, par suite de
cette incidence des actes de chacun sur l'ensemble de ceux
qui exercent un métier, le fait qu'un ouvrier travaille à
des conditions différentes de celles fixées dans le contrat
collectif, à un salaire plus bas par exemple, est très grave
pour tous les ouvriers du métier : c'est là pour le con-
trat collectif une fissure qui le fera promptement disparaî-
tre (1). »
Aussi, pour éviter cette fissure (2), le seul moyen pra-
tique paraît être l'adhésion obligatoire au groupe. « C'est
la seule manière d'assurer la soumission effective de tous,
aux conditions de travail du contrat collectif ; autrement,
comment savoir ceux qui travaillent à des salaires infé-
rieurs. Surtout c'est la seule manière d'obtenir le contrat
collectif, il est nécessaire d'abord que le refus collectif de
travail, que le groupement temporaire, que la grève soit
(1) Cf : Paul Honcourl, Le Fédéralisme éconoinique, p. 178.
(2) L'auteur remarque avec Howel, New and old Trade-Unionism,
p. d44, que la principale raison des conflits avec les non-unionistes
n'est pas leur refus de faire partie de l'Union, bien que ce soit un
grief très fort. La colère des Trade-Unionisles se porte surtout sur
les hommes, qui, en cas de grève, prennent la place de ceux qui ont
cessé le travail, et que leurs camarades flétrissent des sobriquets de
black-legs et de scabs.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 315
assez considérable pour faire capituler le patron (1). »
En somme le syndicat obligatoire est le seul moyen
pratique pour M. P. Boncourt de rendre le contrat col-
lectif vraiment efficace : d'autre part le syndicat obliga-
toire entraine nécessairement le contrat collectif obliga-
toire.
Deux objections péremptoires nous forcent à écarter
ce système :
i° On ne voit pas bien d'abord, à accepter le point de
vue proposé en principe, comment le syndicat obligatoire
assurerait, aussi efficacement qu'on le dit, l'observation du
contrat collectif : pourquoi saurait-on mieux quels ouvriers
travaillent à des salaires inférieurs, parce qu'ils seraient
syndiqués? Et puis les connaît-on, quelle ressource reste-
rait-il pour les contraindre à observer le contrat; on n'au-
rait plus le moyen si puissant de l'exclusion du syndicat,
puisque celui-ci est par définition obligatoire ; il faudrait
alors inventer tout un système de pénalités cl l'on entre
ainsi dans le régime de la pire contrainte sans savoir où
Ion s'arrêtera.
Ainsi du point de vue même oii il se place, le système
du contrat collectif obligatoire par le syndicat obligatoire
nous parait très insuffisant.
2'^ Mais il y plus : le principe sur lequel il repose est
exclusivement un principe dutilitè sociale et non un prin-
cipe de justice sociale; à cet égard il ne trouve pas la base
assez solide nécessaire pour conclure à la contrainte.
Au contraire l'idée de Justice sociale contenue dans le
contrat collectif empéclie d'aller aussi loin et s'oppose au
(^) Cf : Paul UoDcourt, Le Fédéralisme économique, p. 178.
316 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
syndicat obligatoire : en effet le fondement supérieur sur
lequel repose le contrat collectif est la suppression de
l'inég-alité dans le contrat de travail, rien de plus, rien de
moins : sa supériorité propre réside tout entière en ce
qu'il ramène la concurrence sur le terrain professionnel,
mais en laissant subsister la concurrence ; or précisément
le contrat collectif obligatoire par le syndicat obligatoire
supprime cette concurrence ; il a pour but, et l'expression
de M. Paul Boncourt est assez significative — de « faire
capituler le patron ».
Ce serait alors renverser la situation actuelle et rétablir
dans la conclusion du contrat de travail, la considération
de circonstances extra-professionnelles, concernant non
plus l'ouvrier, mais le patron ; avec le contrat collectif
obligatoire au sein du syndicat obligatoire, ce seraient les
patrons les moins aisés, les plus pressés à gagner, les plus
cbargés de famille qni succomberaient devant la force im-
mense des ouvriers coalisés : la balance pencberait cette
fois en faveur de l'ouvrier.
Ainsi le fondement juridique du contrat collectif ne va
pas, et on ne saurait trop y insister — jusqu'au contrat
collectif obligatoire par le syndicat obligatoire : ai; con-
traire il porte en lui-même la réfutation de ce système.
Cette première solution écartée, nous nous trouvons
alors en face de la seconde.
B. — Forme collective du contrat déclarée obligatoire.
Ce système consisterait essentiellement à déclarer obli-
gatoire la forme collective du contrat dans les rapports
entre patrons et ouvriers à l'occasion du louage de travail.
Puisque le contrat collectif supprime par lui-môme l'iné-
LK CONTRAT CULLECTIF DE DEMAIN 317
galilé de situation existant entre les parties, on peut
très bien, on doit même concevoir qu'on généralise autant
que possible celte forme de contrat qui réalise plus de Jus-
tice sociale (1).
Voici alors à peu près le systènie pratique auquel on
aboutirait :
Le principe serait l'obligation légale de traiter des con-
ditions du travail et de passer le contrat du travail sous
forme collective : en un mot on déclarerait obligatoire non
pas tel ou tel contrat passé par un syndicat unique, mais
la forme seule collective du contrat (2) quelconque passé
par le syndicat.
Ici une double bypotlièse se présenterait en pratique :
Ou bien les patrons passeraient, comme aujourd'hui, avec
des syndicats des contrats collectifs volontaires et ces
contrats seraient parfaitement valables, quels qu'ils fus-
sent (2), puisque le consentement des parties aurait été
donné avec la garantie exigée, la forme collective du con-
trat. — Il faudrait ici exiger que le contrat soit passé avec
(1) Il y aurait là, à la rigueur, ud droit pour les ouvriers dool ils
ont déjà vaguement conscience, un droit nouveau : « le droit pour les
travailleurs de délibérer avec les patrons », te droit au contrat col-
lectif. Cf. Discours de M. Mesureur. Discussion du Conseil supérieur
du travail sur les Ctiambres du travail, 5» session.
(2) Il serait nécessaire de compléter celte réforme, ou mieux d'eu
assurer l'efflcacilé, en déclarant par une disposition législative que le
contrat collectif doit être passé par écrit. I^a complexité des clauses
ordinaires de ce contrat, le grand nombre d'intéressés, la solennité
relative de cet accord rendent déjà en fait presque général l'usage
de l'écriture comme moyen de preuve : la loi devrait aller pour ces
mêmes raisons d'utilité pratique jusqu'à poser la nécessité de l'écri-
ture. GrAce à elle seule, d'ailleurs, le contrôle et la rigoureuse obser-
vation de la nouvelle loi seraient possibles.
318 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
un syndicat régulièrement constitué et ayant fait sa décla-
ration conformément à l'article 4 de la loi du 21 mars 1884.
On pourrait môme sur ce point pour augmenter les ga-
ranties de sincérité de ce contrat collectif exiger que le
syndicat soit enregistré conmie en Angleterre.
Ou bien les patrons ne voudraient pas (résistance per-
sonnelle), ou ne pourraient pas (absence "de syndicat dans
la partie) conclure de ces contrats collectifs : alors on
prendrait le contrat collectif légal, comme établissant
les conditions de travail niininia que doivent respecter les
contrats individuels particuliers.
Le contrat collectif légal, qui serait en quelque sorle la
coutume du métier, serait établi, comme à Genève, par les
délégués patronaux et ouvriers nommés par l'assemblée
plénière du métier.
La loi devrait fixer avec une grande rigueur les condi-
tions d'élaboration de ce contrat collectif:
Actuellement participeraient à l'élection des délégués le
collège électoral qui élit le Conseil des Prud'Iiommes dans
cbaque métier (1) ;
Les qualités que devront avoir les délégués seraient
aussi rigoureusement déterminées ;
Enfin une majorité spéciale, 3 4 par exemple comme à
Genève, serait exigée pour le vote du conlval collectif légal
qui serait ensuite soumis à l'homologation du tribunal.
(1) Il serait souhaitable, avec un mouvement syndical plus avancé,
que les membres en associations professionnelles soient seuls électeurs
de ces délégués : mais la récente réforme des Conseils du travail a
soulevé à cet égard trop de critiques pour qu'on ne donne pas au
moins temporairement à tous le droit de venir voter, pour arriver à la
rédaction de conditions qui s'imposeront à tous.
LE CONTRAT CULLeCTlF Dli: DEMAIN 319
Le contrat du travail individuel resterait possible, mais
devrait respecter les clauses du contrat collectif légal,
conime clauses analogues aux clauses d'ordre public : ce
(jui conférerait à ces clauses du contrat collectif légal le
caractère dordre public, ce ne serait pas d'établir un mi-
nimum de salaires de tant ou une journée de travail maxi-
ma de tant, mais d'avoir été arrêtées, quelles qu'elles
soient, par la forme collective. Il faudrait aller jusqu'à dé-
clarer nulles, de nullité absolue (1), toutes clauses parti-
culières dérogeant aux clauses de la coutume du métier,
du contrat collectif légal.
Enfin pour compléter la réforme, la loi devrait s'expli-
quer nettement sur le mécanisme des deux actions syndi-
cale et individuelle en exécution du contrat collectif:
Le syndicat devrait avoir seul l'action en l'exécution des
clauses du contrat collectif. — Parallèlement à cette pre-
mière action, chaque syndiqué, chaque travailleur indivi-
duel aurait l'action individuelle pour l'exécution de son
contrat individuel superposé au contrat collectif- Ces deux
actions seraient indépendantes, sauf le cas où les condi-
tions du contrat de travail individuel seraient, malgré la
loi, inférieures à celle du contrat collectif: en ce cas non
seulement l'ouvrier n'en pourrait demander l'exécution,
mais le syndicat serait chargé au besoin d'en faire pronon-
cer la nullité.
Ainsi serait réalisée une intervention de l'Etat des plus
efficaces en vue de la diffusion du contrat collectif.
Insistons quelque peu sur ce second système que nous
adoptons pleinement, en étudiant successivement, pour
{i) Les inspecteurs du travail pourraieDl parfaitement Mre chaînés
de l'application de la loi sur ce point.
320 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITHE III
terminer, les systèmes analog-ues qui existent déjà dans le
droit actuel et les avantages qu'il présenterait.
A. — Systèmes analogues déjà existants dans la législation
actuelle.
Le principe d'une intervention légale pour corriger une
inégalité de situation entre les parties n'est nullement une
nouveauté :
C'est incontestablnient le principe (jui a inspiré la légis-
lation en matière de faillite et de liquidation judiciaire
(C. corn., art. 507 et L. 4 mars 1899, art. 15 l**).
Pourquoi la loi établit-elle un contrat collectif obligatoire
ou plus exactement la forme collective obligatoire du con-
trat, sinon précisément parce qu'il y a inégalité de situa-
tion entre le failli et les divers créanciers, et que certains,
abusant d'une situation exceptionnellement favorabie, pour-
raient obtenir de lui un paiement qui nuirait aux autres :
ici la loi adjoint à cbaque créancier traitant avec le failli
tous les autres créanciers pour rétablir l'équilibre, comme
dans notre système la loi adjoint à l'ouvrier isolé traitant
avec le patron tous les autres ouvriers pour tenir la ba-
lance égale.
Une fois que le contrat collectif s'impose, (et le traité
entre les créanciers délibérants et le débiteur failli n'est
pas autre cbose), il faut de toute nécessité fixer la majorité
qui liera la minorité : c'est ici la majorité relative des
créanciers délibérants représentant les 2/3 (autrefois les
3/4) de la totalité des créances vérifiées ou affirmées ou
admises par provision) (1).
(1) Art. 507, § 2 : « Ce traité ne s'établira que par le concours d'un
LE CONTHAT COLLECTIF DE DKMAl.N 321
Le concordai en matière de faillite et de liquidation judi-
ciaire est donc l'antécident législatif direct du contrat col-
lectif.
No pourrail-on pas trouver encore un précédent dans la
législation actuelle sur les associa fio/is sf/ndica/es (soc'iélîis
de propriétaires en vue (le l'exécution à frais commun de
travaux d'utilité collective et parfois générale) réglemen-
tées parles lois du 21 juin 1863 et du 22 décembre 1888) (1)?
Quel est ici encore le motif d'intervenir pour la loi ?
N'est-ce pas précisément parce qu'il y aurait en fait iné-
galité trop grande de situation entre un propriétaire non
partisan des travaux, et le nombre des autres voulant les
réaliser, que la loi intervient pour corriger cette inégalité en
exigeant certaines formalités légales en vue de la consti-
tution même de l'association syndicale autorisée.
L'inégalité est ainsi diminuée, par le fait qu'elle est
réglementée : la loi (2) pour la formation de l'association
nombre de créanciers formant la majorité et représentant en outre
les 3/4 de la totalité des créances vérifiées, ou affirmées, ou admises
par provision... le lout à peine de nullité. Modifié par larl. 20 de la
loi du 4 mars 1889 qui déclare applicable au cas de faillite la disposi-
tion suivante édictée pour la liquidation judiciaire :
Art. 15 lo. Le traité entre les créanciers et le débiteur ne peut s'éta-
blir que s'il est consenti par la majorité de tous les créanciers vérifiés
ou affirmés ou admis par provision, représeDtant en outre les 2/3 de
la totalité des créances vérifiées ou affirmées ou admises par provision.
Le tout à peine de nullité ».
(1) On peut citer aussi la loi du 15 déc. 1888 sur les syndicats auto-
risés pour la défense des vignes contre le phylloxéra. On sait que cette
législation distingue les associations libres qui exigent pour se former
le consentement unanime de tous les propriétaires qui en feront par-
tie et les associations autorisées qui sont constituées par des majori-
tés combinées de propriétaires et do terrains.
(2) Loi du ±2 déc. 1888, arl. o.
RATNALD 21
322 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE lli
syndicale exige une majorité Je propriétaires représentant
les 2/3 des terrains ou des 2/3 des propriétaires représen-
tant la majorité des terrains : il est probable qu'à défaut
de ces exigences légales, des majorités plus faibles auraient
violenté la volonté des récalcitrants de la minorité.
Ainsi la réglementation du contrat collectif de travail
peut se réclamer d'antécédents législatifs sérieux, l'un ab-
solument certain, l'autre très probable (1).
B. — Avantages théoriques et pratiques de la solution
juridique proposée.
L'avantage théorique de cette solution nous parait ré-
sider précisément en ce qu'elle ne dépasse pas l'idée fon-
damentale du contrat collectif de travail qui est précisément
la forme collective de ce contrat (2).
De la même manière et pour la même raison, cette so-
lution échappe à toutes les critiques contre le syndicat obli-
gatoire.
Au point do vue pratique, le système conserve la
liberté industrielle et prétend seulement diriger l'évolu-
(1) On pourrait même ajouter qu'il y a d'autres exemples où la loi
corrige d'une autre manière l'inégalité de situation qu'elle prévoit :
ainsi la donation ; on exige l'authenlieilé pour ne pas permettre au
donataire d'abuser du donateur.
(2) C'est aussi en raison de celte même idée, — la discussion col-
lective supprimant l'inégalité — que nous n'avons pas cru possible de
préciser au point de vue doctrinal — si le contrat collectif doit être
passé avec les seuls ouvriers de l'usine ou ceux de tout le métier. Peu
importe en théorie au moins : pourvu qu'il y ait discussion avec une
coUeclivilé, représentant légalement les ouvriers, la justice est satis-
faite et par la solidarité ouvrière l'œuvre des uns profile à tous les
autres.
LE CONTRAT COLLECTIF DE DEMAIN 323
lion du mouvement syndical contemporain sans l'arrêter.
II apporte, semblc-t-il, une solution pacifique à la diffi-
cile question de la liberté des non-syndiqués; ceux-ci,
comme d'ailleurs les syndiqués partie au contrat, la conser-
vent tout entière ; la seule sanction est la nullité absolue
de toutes clauses du contrat de travail individuel stipulant
des conditions plus défavorables que celles du contrat col-
lectif légal.
Enfin et d'un mot, le contrat collectif établit en quel-
que sorte le cahier des charges du travail, comme dans les
adjudications de travaux publics un cahier des charges de
l'entreprise est imposé à tous (1) : chaque établissement
pourrait avec le concours du syndicat arrêter son cahier
de charges particulières comme aujourd'hui une compagnie
peut imposer à un entrepreneur un cahier de charges;
mais à défaut de ces contrats collectifs volontaires, il y
aurait rétablissement du cahier type de chaque métier ; il
deviendrait ainsi la première source d'engagements des
parties, patrons et ouvriers, qui entreraient dans le métier.
Les contrats individuels ou les contrats collectifs locaux
ou particuliers à une usine correspondraient alors aux
bordereaux de prix.
On admet bien le principe pour assurer la conservation
et le respect d intérêts matériels ; pourquoi ne l'admet-
trait-on pas pour protéger les intérêts sacrés de la per-
sonne humaine?
(4) Les heureux effets de lintroduclion récente des conditions du
travail dans les cahiers des charges des adjudications publiques per-
mellenl sans doute de souhaiter l'extension du système. — Cf. Bazire:
Des conditions du travail imponées aitjc entrepreneurs dans les
adjudications de travaux publics, 1898.
CHAPITRE IV
LES PROJETS ET LES RÉFORMES
Jusqu'à présent, en France, nous n'avons aucun texte
législatif concernant directement le contrat collectif : ce
n'est pas que les projets aient manqué, mais tous, sauf
peut-être le projet tout récent du gouvernement sous le
règlement amiable des différends relatifs aux conditions
du travail (1), ne visaient pas directement le contrat col-
lectif (2) ; celui-ci n'était quel'accessoire d'une autre ques-
tion : aussi avait-il par là des chances en moins, puisque
dans l'incertitude des victoires parlementaires, le sort de
ces dispositions spéciales était lié à celui d'autres plus gé-
nérales. Cet aspect indirect et oblique sous lequel appa-
raissent les réformes proposées, ajoute encore d'ailleurs
à la difficulté de leur étude : il faut néanmoins signaler les
principales. Dans cette revue rapide des principaux pro
jets touchant au contrat collectif, nous ne relèverons que
les projets qui en parlent expressément; nous serons obli-
(i) Voir plus loin, p. 339.
{2} Ceci est d'ailleurs naturel et conforme à la réalité des choses : le
contrat collectif est un épanouissement, une fleur greffée sur une forle
organisation du travail, et comme tel il paraît difficile de la promou-
voir isolément ; on ne peut guère qu'en poser le principe.
LKS PROJETS KT LES RÉFORMES 32")
gés de négliger d'autres projets 1res nombreux dont le
vote aurait pu avoir une influence plus ou moins directe
sur le contrat collectif.
Le contrat collectif apparaît dans divers projets.de lois,
soit à propos de la réglementation du contrat de louage
ou dos syndicats professionnels, soit à propos de la créa-
tion et des attributions des Conseils du travail, soit enfin
avec le décret récent sur les Conseils du travail et le pro-
jet du gouvernement sur le règlement amiable des diffé-
rends collectifs.
Voyons successivement ces trois séries de projets :
A. — Le contrat collectif apparaît très nettement en
1876, dans la proposition de loi de M. Ed. Lockroy etplu-
sieurs de ses collègues, relative à la reconnaissance légale, à
Torp^anisation et au fonctionnement des Chambres svndi-
cales, patronales et ouvrières (1).
L'exposé des motifs insiste sur le rôle que peuvent et
doivent jouer les Chambres syndicales, patronales et ou-
vrières pour éviter les grèves et fixer le salaire et les con-
ditions du travail : il y a lieu de les encourager dans leur
rôle: aussi un article 4 du projet disposait expressément :
« Les syndicats d'une même industrie, composés, l'un
de patrons, l'autre d'ouvriers, pourront conclure entre
eux des conventions ayant pour objet de régler les rap-
ports professionnels des membres d'un syndicat avec ceux
de l'autre.
« Ces conventions auront force de contrats et engage-
ront tous les membres des sociétés contractantes pour la
durée stipulée.
(1) y. Officiel, 1870, p. 5600, annexe no 270.
326 DEUXIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
« Les dites conventions ne pourront èlre établies, pour
une durée maxima de 5 ans. »
Ainsi, contrat collectif légalement reconnu, liant tous
les nnenîbres des syndicats intéressés, avec une durée ma-
xima de S ans, telles était les dispositions essentielles du
projet Lockroy relativement au contrat collectif.
Le rapport de M. Martin Feuillée lu à la séance de 10
août 1876 (1), qui concluait à la prise en considération du
projet, trouvait l'article 4 une excellente mesure.
Mais le projet Lockroy ne fut jamais voté.
— D'autres dispositions concernant directement encore
le contrat collectif se trouvent dans une proposition de
loi présentée le 26 novembre 1895 par M. René Goblet,
sur le contrat de louage d'ouvrage (2). L'exposé des mo-
tifs constate le développement du mouvement syndical et
prévoit l'empire du contrat collectif. « Il est clair... que le
moment ne tardera pas où c'est avec les syndicats et non
avec les ouvriers isolément que les patrons de la grande
industrie seront appelés à traiter. Aussi ce jour là les pa-
trons et les ouvriers traiteront vraiment sur le pied d'éga-
lité et le contrat ainsi formé s'appliquera sans difficulté
à tous les ouvriers représentés par le syndicat. »
C'est directement le contrat collectif que l'auteur du pro-
jet réglemente: dans les usines, manufactures, etc., à tra-
vail permanent et dans les ateliers et manufactures de
l'Etat, aucun embauchage ne peut avoir lieu directement ou
par V intermédiaire des syîidicats sans convention écrite
(art. 1).
(1) J. Of., 1876, p. 8068, annexe no 492.
(2) /. Of., 1895, annexe no J627.
LES PROJETS ET LES RÉFORMES 327
Art. 2 : La convention déterminera la durée du contrat
de louage qui ne pourra être moindre d'une année, le sa-
laire de l'ouvrier, les conditions de paiement, et s'il y a
lieu de participation aux bénéfices de l'industrie, les som-
mes qui devront être prélevées sur les salaires, soit four-
nies par l'employeur pour constituer les caisses de secours,
d'assurances contre les accidents et de retraites.
L'article 3 exige que les règlements intérieurs de l'entre-
prise et les statuts de ces diverses caisses soient annexés
au contrat, après avoir été paraphés par les parties.
De plus, à moins de dénonciation par l'une ou l'autre
des parties, un mois au moins avant son expiration, le
contrat était prorogé de plein droit pour une durée égale
à celle primitivement fixée (art. 6).
Enfin l'article 8 établissait comme sanction pour
tout contrevenant aux dispositions des articles 1, 2 et 3
une amende de 5 à 43 francs, augmentée au cas de réci-
dive.
Ainsi par ce projet le contrat collectif serait entré au
même titre d'ailleurs que le contrat individuel, dans la légis-
lation nouvelle : mais il est clair que l'obligation même de
passer le contrat par écrit était un moyen très habile et
très sûr pour promouvoir partout le contrat collectif et
rendre ainsi les conditions du travail uniformes pour
toute la profession.
La proposition de loi Goblet renvoyée à la commission
du travail, ne vint pas en discussion.
Enfin il faut signaler dans cette première catégorie le
tout récent projet (1) de M. Basly sur le salaire minimum
[{) Chambre des Dépulés, séance du 22 octobre 1901.
328 DKUXIKRK PARTIR. CHAPITRR IV
des salaires. Quelle que soit la portée de événements et les
circonstances qui ont inspiré ce projet, nous n'en voulons
retenir que l'orj^anisation directe du contrat collectif qu'il
cherche à établir d'autorité dans une industrie donnée,
les nnines.
Dans l'exposé des motifs d'ailleurs, l'auteur du projet
indique bien que c'est le contrat collectif qu'il veut pro-
mouvoir : « La Chambre agira sagement en rendant « lé-
g'aux et obligatoires » pour la fixation du salaire minimum,
ces discussions communes, ces contrats économiques dont
le résultat pratique sera un nouvel acheminement vers le
mieux être de la classe productive — parfois si spoliée —
et en môme temps une garantie de plus contre les conflits
si regrettables et si désastreux à la fois pour les ouvriers
et pour les patrons. »
Le contrat collectif est, il est vrai, borné à l'établisse-
ment d'un salaire minimum (art. 1). « Ce salaire est fixé,
dans chaque arrondissement minéralogique, par des com-
missions mixtes composée pour un tiers par des délégués
des exploitants, et pour les deux autres tiers de représen-
tants désignés en Assemblée générale dans le sein des
Assemblées générales » (art. 2). Ce sont les préfets qui
veillent à l'exécution de la loi et sont chargés de la con-
vocation des délégués patrons et ouvriers chaque fois que
l'une des parties en formule la demande (art. 3). Enfin
deux articles établissent des sanctions pénales contre tout
chef d'exploitation, agent ou contremaître qui n'aura pas
respecté le salaire minimum ou contraint les ouvriers de
travailler à un salaire inférieur (1).
(1) Art. 4. — Tout chef d'exploitation agent ou contremaître qui
I>:S PHOJKTS KT LKS RKFORMKS 329
C'esl, on lo voit, l'applicalioii avec quelques variantes,
notanimenl le conlrat collectif volontaire, des idées préco-
nisées ci-dessus comme solution générale: on peut repro-
ciier au projet rinégalilé choquante qu'il établit entre pa-
trons et ouvriers pour l'élaboration du conlrat collectif,
les premiers étant représentés par 13 et les seconds par
2/3 des délégués. Au fond il y a là un système mixte in-
termédiaire entre le contrat collectif de droit privé et le
contrat collectif de droit public : le souci de respecter les
convenances des diverses régions minéralogiques (difliculté
(lu travail, quantité moyenne extraite, prix des aliments
des objets de première nécessité, des loyers, etc..) a sans
doute inspiré cette solution qui, si elle était votée, consti-
tuerait une curieuse expérience du contrat collectif obli-
gatoire dans une industrie où il est déjà fort en honneur,
La Chambre a voté l'urgence, ce qui ne signifie pas grand
chose, refusé la discussion immédiate et voté le renvoi
à la commission du travail.
B. — Une autre série de projets se rattache en la forme
à la création de conseils ou de chambres du travail et à la
conciliation et l'arbitrage.
C'est ainsi pour abréger que nous trouvons en 1889 un
aura contrevenu à l'article premier de la présente loi en ne respec-
tant pas le taux du salaire minimum, sera puni d'une amende de 30 à
300 francs pour chaque conlravenlion relevée par les inspecteurs
des mines, les contrôleurs ou les délégués à la sécurité des ouvriers.
Art. 5. — Tout chef d'exploitation, agent ou contremaître qui par
fraude, menace de perle d'emploi, menace de privation de travail,
refus d'embauchage, aura contraint un ou plusieurs ouvriers à tra-
vailler à un salaire inférieur au minimum légal, sera puni d'un em-
prisonnement de trois mois à trois ans et d'une amende de 300 à
5,000 fr.
330 DEUXIÈRE PARTIE. CHAPITRE IV
projet émanant de la commission de la chambre nommée
pour étudier les projets de loi sur l'arbitrage. Cette com-
mission s'était chargée d'examiner :
1° Le projet de loi sur l'arbitrage ;
2" La proposition de MM. Camille Raspail et Benjamin
Raspail tendant à rendre l'arbitrage obligatoire ;
3° Les propositions de loi de MM. Le Cour et le comte
Albert de Mun sur l'arbitrage et les conseils de conciliation
et d'arbitrage (1).
L'idée du rapporteur M. Lyonnais est bien de prononcer
le contrat collectif : il le dit d'ailleurs expressément dans
son rapport (2).
Le projet autorise et réglemente la création de Conseils
de conciliation et d'arbitrage par les syndicats profession-
nels de patrons et d'ouvriers : ces conseils sont « destinés à
prévenir et à régler les difficultés qui pourraient naître entre
patrons et ouvriers au sujet des règlements d'atelier, sa-
laires, contrats de travail, d'apprentissage, de la durée de
travail, du chômage et généralement de tout ce qui concer-
ne leurs intérêts économiques, industriels, commerciaux
et agricoles » (art. 1).
Comme on le voit, c'est le champ le plus large ouvert
au contrat collectif. L'exposé des motifs le prévoit expres-
sément.
« Le bureau spécial de conciliation a surtout jiour but
(1) Pour abréger, nous n'analyserons pas ici en détail les sylèmes de
ces divers projets : voir Documents parlementaires de la session :
nos 753^ 830, 871, 1845. Ils se résument d'ailleurs dans le projet de la
commission.
(2) Rapport Lyonnais, /. Officiel, 1888-89, Doc. Pari., p. 1275, An-
nexe no 3856.
LES PROJETS ET LES RKFORUES 331
de prévenir les difrércnds qui peuvent surgir entre patrons
et ouvriers et compromettre les intérêts des uns et des
autres. Il peut établir des rèjj^lement d'ordre intérieur, ar-
rêter les contrats d'apprentissage, prendre des engage-
ments au point de vue des salaires, etc.. En un mot il
fonctionne avant tout conflit de nature à troubler les rap-
ports des patrons et des ouvriers et cherclie à écarter les
causes de discorde. »
Voici maintenant les dispositions concernant directement
le contrat collectif : on va voir que le projet de la commis-
sion manifeste un sincère désir de concilier la liberté indi-
viduelle et l'intérêt professionnel.
L'article 4 dispose :
« Les engagements pris par le Conseil de conciliation
et d'arbitrage lient les parties dans les limites, conditions
et durée, fixées par l'accord ou les conventions.
« Une copie imprimée de l'accord ou convention devra
être remise à chaque membre composant les syndicats pro-
fessionnels contractants.
« Toutefois, tout ouvrier pourra, dans les 48 heures
après la remise du texte imprimé de l'accord ou conven-
tion, donner avis au patron qu'il ne veut pas être lié par
cet engag<;ment. Dans ce cas l'accord ou convention sera
de nul effet entre le patron et l'ouvrier. »
Ainsi la liberté individuelle est sauvegardée : il est clair
cependant qu'en fail, les auteurs des divers projets el le
rapporteur estiment que ce refus de l'ouvrier de se sou-
mettre au contrat collectif sera de plus en plus rare. C'est
en somme le même procédé de conciliation entre les deux
libertés, que celui de la loi de 1884, qui réserve à l'ou-
vrier le droit de sortir à tout instant du syndicat.
Mais l'essentiel est que le contrat collectif une fois con-
332 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE IV
clu soit respecté et que les patrons puissent le faire respec-
ter : l'article o dispose à cet égard :
« L'accord, les conventions ou les règlements faits par
le Conseil de conciliation et d'arbitrage formeront contrat
entre les parties et aurant forcer de loi devant les juridic-
tions compétentes. »
C'était donc le contrat collectif érigé en contrat légale-
ment obligatoire.
De la même façon la sentence arbitrale, s'il y a arbi-
trage, tiendra lieu de contrat :
x4rticle 15 : « Lorsque la sentence arbitrale aura fixé
les conditions de prix ou autres dans lesquelles un travail
industriel devra être effectué, si plus tard l'exécution du mê-
me tiavail donne lieu à un débat, le procès-verbal d'arbi-
ti'age fera foi des termes du contrat intervenn entre pa-
trons et ouvriers. »
Ainsi, le contrat collectif directement conclu ou résul-
tant de la sentence arbitrale est en tous cas légalement
obligatoire.
Une fois de plus le contrat collectif avait failli être in-
troduit dans notre législation par réglementation directe à
propos de l'arbitrage.
Mais la législature prit fin sans que le rapport Lyonnais
eût été discuté en séance.
De la même manière le contrat collectif transparaît dans
l'immense travail législatif qui s'est fait antour de la créa-
tion des Conseils de travail (i). Il faudrait pouvoir suivre
en détail les étapes de ce travail législatif des plus intéres-
(1) En ce sens, projet Jules Roche et Mesureur déposé à la Chambre,
le 14 décembre 1891, repris par leurs auteurs le 20 janvier 1894. J.O.,
1894, p. 65, annexe no 276.
LES PROJETS KT LES RÉFOHMI'IS 333
saiils OÙ l'idée de coiilral collectif revient sans cesse. Nous
n'en pouvons résumer que les points principaux :
La proposition Mesureur du 20 janvier 1894, prévoyait
la création de Conseils du travail créés par décret ou ins-
titués librement par les syndicats pour prévenir, conclure
ou arbitrer les différends entre patrons et ouvriers et em-
plovés : après déclaration de leur constitution sig^née des
membres et déposée à la mairie, les conseils libres pou-
vaient, comme les conseils créés par décret, bénéficier des
dispositions de l'article 21 du projet, qui concerne plus
spécialement la validité en justice des contrats collectifs
passés par les Conseils du travail.
Cet article 21 du projet était ainsi conçu :
« Lorsqu'une décision de conciliation ou d'arbitrage
aura fixé les conditions du travail, elle fera foi en justice,
à titre de conditions minima, pour le règlement des li-
tiges individuels ;
Elle fera foi également dans les instances introduites
devant les tribunaux compétents par les syndicats profes-
sionnels en vertu des droits que leur confère l'article 6 de
la loi du 21 mars 1884. »
C'était par ce dernier paragraphe « la confirmation et la
précision d'un droit conféré aux syndicats par la loi de
1884 », la reconnaissance légale par interprétation législa-
tive d'un droit déjà existant.
Mais la part originale du projet était tout entière dans
ridée que le contrat collectif sera au tnoins un minimum
dans le métier : les décisions de conciliation et darbitrage
feront foi également en justice pour les règlements des
litiges individuels : les mots : « à titre de conditions mi-
nima » laissent bien entendre qu'un contrat individuel
pourra se greffer, comme en Angleterre, sur le contrat
334 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE IV
collectif mais à condition que ce contrat stipule des condi-
tions de travail meilleures, pour un ouvrier de valeur pro-
fessionnelle plus grande.
L'auteur du projet écarte nettement la possibilité d'un
contrat individuel postérieur au contrat collectif et ne res-
pectant pas les conditions du contrat. « La disposition
qu'on a proposé d'ajouter pour sauvegarder ce qu'on ap-
pelle la liberté des contrats, dit l'exposé des motifs,
« A moins de conventions contraires >;, nous paraît inac-
ceptable, car elle est la négation môme de la décision ar-
bitrale ou du contrat de conciliation. Il est clair en elfet
que si le contrat collectif une fois conclu n'est pas respecté,
la passation de conventions individuelles viendrait bien-
tôt annuler les concessions consenties par les patrons :
le contrat resterait véritable lettre morte. »
Nous trouvons donc ici une idée fort ingénieuse pour assu-
rer le respect du contrat collectif, tout en respectant pour
une part la liberté individuelle : les clauses du contrat
collectif vaudront au moins comme conditions minima.
Peut-être y aurait-il là une mesure heureuse dont devront
s'inspirer les législateurs de demain.
Ce projet, ou plutôt un texte remanié très légère-
ment par la commission permanente du conseil supérieur
du travail, vint en discussion devant ce conseil dans sa
cinquième session, 1895 (1). La longue discussion à la-
quelle donna lieu le rapport de M. H. Dépasse nous pa-
raît comporter un double enseignement :
a) Elle dégage parfaitement l'idée nouvelle qui tend de-
(1) Voir procès-verbaux du Conseil supérieur du travail, cinquième
session, 1895, p. 12 et suiv. — « De l'organisation des chambres du
travail ».
LES PROJETS ET LES RÉFOHMES 335
puis, chaque jour davantage, à se répandre et dont nous
trouverons l'expression législative dans le projet de loi
Waldeck-Rousseau-Miilerand sur le règlement amiable
des diirérends lelalifs aux conditions du travail : pour que
le contrat collectif se développe, il est nécessaire aux yeux
de beaucoup, qu'une institution légale înette obligatoire-
ment en présence patrons et ouvriers (1).
b) Elle montre une fois de plus la situation législative
très malheureuse du contrat collectif, dont le sort est per-
pétuellement lié à quelque autre institution plus vaste qui
le compromet : c'est ainsi que, bien que les membres du
Conseil supérieur du travail fussent en grande majorité
partisans du contrat collectif, toutes les dispositions le
concernant furent emportées par le vole de principe re-
poussant la création des chambres de travail constituées
par la loi.
Dans le projet présenté par la commission permanente
du Conseil supérieur du travail, nous trouvons, à côté de
dispositions analogues à celles déjà étudiées, une idée ori-
ginale au sujet de la preuve du contrat collectif: l'article
18 porte en effet :
« Les procès-verbaux du comité de conciliation et d'ar-
bitrage constatant un accord, une convention ou un règle-
ment entre patrons et ouvriers, font foi devant les juri-
dictions compétentes des termes du contrat ou de la sentence
arbitrale intervenue. »
En reconnaissant ainsi aux procès-verbaux « la valeur
probante d'un acte authentique (2) » on facilite grande-
{{) Voir nos conclusions : Avenir du contrat collectif.
(2) M. Many au projet duquel est emprunté l'article 17.
336 DEUXIKMK PAUTIK. CHAPITHK IV
mont au cas de conflit le règlement des questions de preu-
ve entre les parties, mais surtout, et c'était là l'idée et
l'inspiration de cet article, on voudrait que « la preuve
acquit avec l'usage et la coutume un effet indirect à l'égard
des autres personnes, patrons et ouvriers appartenant à la
même profession dans la môme région ».
Dans ce but l'article 18 assurait la publicité de ces pro-
cès-verbaux et décisions arbitrales (1).
Et on espérait avec M. Finance que petit à petit ce do-
cument aurait acquis une valeur analogue à celle de la
série de prix de la ville de Paris. Il y a là, au point de vue
immédiat de la preuve et indirectement au point de vue du
rayonnement du contrat collectif, une idée intéressante
qu'il importait de signaler. Mais tant que des dérogations
conventionnelles resteraient possibles à ce tarif coutumier,
les taux de salaires du contrat collectif n'auraient guère
chance de se répandre dans le métier.
La création des Conseils du travail qui n'aboutit pas par
voie législative fut réalisée, on le sait, par le décret du
28 septembre 1900, signé par M. Millerand.
(1) Art. 18. — Les procès-verbaux el décisions inenlionnés aux
articles 9, 20 et 21 (procès-verbaux des séances de section, procès-
verbaux des comités de conciliation et d'arbitrage) sont conservés en
minute à la mairie, aux archives de la Chambre du travail qui en dé-
livre gratuitement une expédition à chacune des parties intéressées et
en adresse une au ministre du Commerce et de riiidusirie pour être
insérée au Bulletin de l'OfTice du travail
Ces procès-verbaux et décisions sont rendus publics par l'affichage
à la place réservée aux publications ofliciellcs par les mairies de cha-
cune des communes qui sont le siège du difTérend.
Un aflichage plus étendu de ces décisions pourra se faire par les
parties intéressées.
LES PRUJm'S ET LEIS Ri^ORMES 337
Ce ilôcrol nosl que le prologue du projet Je MM. Wal
deck-Rousseau et Millerand déposé à la Chambre le 15
novembre 1900.
C. — Il nous reste, pour terminer cette revue trop ra-
pide des réformes proposées, à étudier ces deux textes
pour y saisir le sens nouveau et l'orientation spéciale
(ju'on entend donner à l'introduction du contrat collectif
dans notre législation.
De ces deux réformes, il faut d'abord isoler la première
qui semble dénnitivementacquise(l). 11 est certain quedans
la pensée de son auteur, le décret du 18 septembre 1900
avait pour but indirect d'encourager les contrats collectifs
conune en fuit foi lexposé des motifs suivant:
« Les Conseils du travail, qu'institue et organise le dé-
cret. . . sont des corps composés pour moitié de représen-
tants élus des patrons, pour moitié de représentants élus
des ouvriers. Leur mission principale doit être d'éclairer
le Gouvernement et aussi les intéressés patrons et ouvriers,
sur les conditions nécessaires du travail, de faciliter par
là même les accords syndicaux et les conventions géné^
raies entre ces intéressés. »
Et après avoir rappelé la constatation « souvent faite et
devenue banale » de l'inégalité dans le contrat de travail,
l'exposé des motifs montre que « contre ces périls les ou-
vriers nont d'autre garantie que leur union, leur grou-
pement en syndicats pour l'étude et la défense de leurs
intérêts professionnels ». Et en attribuant aux Syndicats
(1) Malgré quelques projets parlemenlaires qui voudraient retourner
en arrière, il sera difficile de revenir sur l'idée qui est aujourd'hui
presque uuauimemeul acceptée.
RATNAUD 22
338
DEUXIKMK PARTIE. CHAPITRE IV
patronaux et ouvriers un rôle actif et prépondérant dans
l'élection des Conseils du travail, en développant le mou-
vement syndical, le décret encourage encore par un moyen
détourné la conclusion du contrat collectif.
D'ailleurs le texte (art. 2, 3°) leur donne formellement
pour mission :
D'établir dans chaque région pour les professions repré-
sentées dans le conseil, et autand que possible en provo-
quant des accords entre sytidicats patronaux et ouvriers,
un tableau constituant le taux normal et courant des sa-
laires, et de la durée normale et courante de la journée de
travail.
Enfin en prévision de ces accords établis soit par la
commune volonté des parties, soit à la suite d'un arbitrage
le décret (art. 31) assure l'égalité entre patrons et ou-
vriers : cet article 11 suppose en effet :
« Dans les délibérations relatives aux objets énumérés
à l'article 2 | 3 ou si en vertu des dispositions de l'article
2 I 1 elles sont appelées à intervenir comme conciliateur
ou comme arbitre dans les différents collectifs entre les
patrons et leurs ouvriers ou employés, les sections doivent
être composées effectivement d'un nombre égal de patrons
et d'ouvriers ou employés. Lorsque pour une cause quel-
conque, les uns et les autres ne sont plus en nombre égal,
le ou les «plus jeunes membres de la partie la plus nom-
breuse n'ont que voix consultative. »
Ainsi d'après le décret du 18 septembre 1900, le contrat
collectif, sans d'ailleurs être directement réglementé, est
mentionné dans un texte législatif pour la première fois :
il est ensuite grandement favorisé par la création de ces
conseils du travail.
— La manière dont ces conseils du travail dans la pen
LES PROJETS KT LKS UKFOHMKS 339
sée (lu gouvoniement doivent concourir à la lornialion du
contrat collectif est précisée par le projet de loi déposé à la
Chambre par MM. Waldeck-Uousseau et Millerand le 15
novembre 1900 sur le règlement amiable des différends rela-
tifs aux conditions du travail (1).
Sans doute ce projet a déjà rencontré de sérieuses ré-
sistances auprès des chambres de commerce, des syndicats
patronaux et ouvriers — mais il semble bien que ce sont
les dispositions du projet sur l'arbitrage et la grève obliga-
toire qui lui ont valu le plus grand nombre de critiques :
au contraire les dispositions concernant le contrat collectif
— les seules qui nous intéressent directement — ici sont
loin d'avoir soulevé les mêmes difficultés. Quoi qu'il en soit
de l'avenir de ce projet, il nous faut ici brièvement l'étu-
dier à la fois dans son esprit et ses dispositions princi-
pales.
L'idée dominante du projet, d une manière générale et
plus particulièrement au point de vue du contrat collectif,
est que les majorités en principe lient les minorités dans les
questions concernant le travail : sans doute on prend soin
de protéger la liberté individuelle avant la formation du
contrat collectif, mais une fois celui-ci formé, il vaut et
s'impose à l'égard de tous les ouvriers intéressés. Nous
retrouvons ainsi le problème important qui domine pour
ainsi dire toute cette étude : dans la formation du contrat
collectif, comment concilier l'ancien principe de la liberté
individuelle et les exigences de la solidarité ouvrière ?
Ici, par une solution interventioniste hardie, c'est la ré-
glementation légale du contrat collectif s'imposant à tous
(1) Chambres, Annexes 4900, p. oG, uo 1937.
340 DEUXIÈME PAUTIE. CHAPITRE IV
une fois qu'ils l'ont acceptée, qui est préconisée coinrrio
solution.
L'exposé des motif d'ailleurs ne dissimule nullement le
caractère nouveau et quelque peu radical de la solution
proposée : il indiqnetrès nettement comment pour la grève
et l'accord qui la termine rengagement de la majorité doit
lier la minorité.
« Les intéressés peuvent ne pas accepter le contrat ;
mais s'ils l'acceptent, il n'est pas susceptible d'être exécuté
par les uns et inexécuté par d'autres. L'engagement de
chacun a sa cause dans l'engagement pris par tous. C'est
donc comme dans toute société et toute association, la
majorité qui doit prévaloir. »
On veut ensuite — car on sent bien la nouveauté et la
hardiesse delà solution proposée — la justifier par quelque
précédent : « D'ailleurs ce n'est pas d'aujourd'hui, dit en-
core ce même exposé, que la loi des majorités a pénétré
dans le contrat de travail, et l'un des premiers effets de la
loi de 1884 a été d'en rendre l'application fréquente. Cette
application a reçu la consécration de la jurisprudence tou-
tes les fois 011 l'interdiction du travail édictée par la majo-
rité avait pour but l'amélioration des conditions du travail.
Même dans ce cas, il est unanimement reconnu que l'in-
terdiction est si légitime, qu'elle ne crée aucun principe
d'action à ceux-là même qui n'étant pas syndiqués en
ressentent cependant les effets... » Sans doute, mais dans le
cas ainsi visé, l'ouvrier restait libre en droit au moins,
sinon souvent en fait, de continuer à travailler et à tra-
vailler à telles conditions qu'il lui plaisait. Peut-être la loi
des majorités est-elle acceptable — surtout si on réserve
la liberté plus théorique que pratique de n'y pas partici-
per : mais encore faut-il reconnaître franchement que
LES PROJETS RT LES RÉFORMES 341
c'est là quelque cliose de réellement nouveau et de tout à
fait spécial : il faut l'imposer plus encore que l'excuser.
Mieux vaut dire franchement — quille à discuter les
détails — que l'idée môme du contrat collectif contient
cette solution : il y a un moment où lintérèt général doit
l'emporter sur l'intérêt particulier : est-ce dès le début,
comme le veut le projet ; n'est-ce au contraire que plus
tard quand la volonté individuelle s'est librement fondue
avec cet intérêt commun (1). En tout cas constatons, pour
terminer cet examen de l'esprit du projet, sans 1 approu-
ver pleinement d'ailleurs — que ses auteurs ont eu direc-
tement en vue de promouvoir en France le contrat collec-
tif : on peut discuter sur le choix des moyens, mais l'in-
tention doit réunir tous les hommes de bonne volonté.
« Hien n'a été tenté en France jusqu'à présent, dit formelle-
ment l'exposé des motifs, pour établir législativemenl des
rapports réguliers entre patrons et ouvriers de chaque in-
dustrie, en dehors des heures de présence à l'atelier ; et
cependant depuis que par le développement des forces mé-
caniques, l'usine s'est aggrandie et que le chef industriel
s'est éloigné de plus en plus du travailleur proprement
dit, jamais l'urgence de ces relations, la nécessité d un
contrat collectif discuté librement entre ces deux forces^
ne s'est fait plus vivement sentir. »
Peut-être les moyens sont-ils contestables : en tout cas
le projet aura eu, même s'il reste à l'état de projet, cette
incontestable utilité de poser d'une manière plus aiguë
et plus actuelle, la question de la nécessité de la réglemen-
tation légale du contrat collectif.
(I) Voir avenir du contrai collectif.
342 DEUXIÈME PARNIE. — CHAPITRE IV
Examinons rapidement le dispositif du projet quant à
cette rég-lementation, précisément au point de vue de cette
conciliation chercliée.
D'ai)ord, et la chose est formellement dite dans l'exposé
des motifs, le système tout entier du nouveau projet sup-
pose un contrat collectif initial relativement à l'arbitrage;
la loi et le nouveau régime ne s'appliqueront qu'aux éta-
blissements où un contrat conforme aura été conclu entre
patrons et ouvriers : « cette convention serait passée très
simplement, en dehors de toute période de grève, alors
que les deux parties contractantes sont portées à désirer et
à garantir la paix entre elles. » Ce contrat collectif ainsi
conclu « établirait légalement entre les ouvriers et em-
ployés de l'établissement cette association de travail que
comporte leur communauté naturelle d'intérêts et qui jus-
tifie les dispositions du projet actuel ».
L'article l*"" dispose :
« Dans tout établissement industriel ou commercial,
occupant au moins cinquante ouvriers ou employés, un
avis imprimé remis à tout ouvrier ou employé, se pré-
sentant pour être embauché, fera connaître si les contes-
tations relatives aux conditions du travail entre les pro-
priétaires de l'établissement et les ouvriers ou employés
seront ou ne seront pas soumises à l'arbitrage tel qu'il est
organisé par la présente loi.
« Dans le premier cas, l'entrée dans l'établissement cons-
titue, après un délai de trois jours, l'engagement récipro-
que de se conformer à la présente loi. Elle établit pour
tout ce qui est prévu une communauté d'intérêts entre les
ouvriers et les employés et les oblige à se soumettre à la
décision prise conformément à ces dispositions.
« L'avis prévu au paragraphe 1"'' du présent article et
LF-S PROJRTS Kl LKS HKFURMES 343
formant convention entre les parties doit être affiché dans
l'établissement par les soins des chefs d'établissement. »
D'ailleurs tout établissement, même employant moins
de cinquante employés, pourra conclure avec son person-
nel une convention de la nature de celle que formule l'ar-
ticle i" de la loi : mais celle-ci est pratiquement, et sur-
tout, une loi qui concerne la grande industrie.
Ainsi la réglementation légale du contrat collectif ne
s'impose en quelque sorte qu'à ceux qui veulent l'accepter.
Sans doute, on pense bien qu'en fait, surtout en la décla-
rant obligatoire pour les ouvriers de l'Etat, le système ne
larderait pas à s'universaliser : mais en droit au moins,
la liberté industrielle est sauvegardée par ce délai de trois
jours, accordé à l'ouvrier qui ne veut pas du système.
Peut-être convient-il de remarquer que tout en respectant
cette liberté, la loi la restreint quelque peu : car l'ouvrier
qui ne voudra pas du contrat collectif et de la force con-
traignante des décisions majoritaires, ne pourra se faire
euïbaucher dans l'établissement considéré. Mais c'est peut-
être là un de ces sacrifices nécessaires que rendr^indispen-
sable l'établissement d'un régime pratique du contrat col-
lectif. A tout prendre, la solution est peut-être encore la
meilleure, il se passerait probablement en fait, pour l'appli-
cation du système du projet, s'il était voté, ce qui s'est passé
pour l'article 7 de la loi de 1884, réservant îe droit de sor-
tir du syndicat : le principe de la liberté est sauf, et dans la
pratique, c'est en quelque sorte par la libre lutte des forces
syndicales contre les indépendants, lutte dominée par une
juste et sincère application des lois et soumise aux déci-
sions judiciaires en cas d'abus, c'est par la reconnaissance
progressive des avantages du nouveau régime de solidarité
ouvrière, que celle-ci entrera petit à petit dans les mœurs.
344 DEUXIÈME PABTIE. CHAPITRE IV
Voici maintenant les points principaux de cette régle-
mentation légale du contrat collectif.
Celui-ci pourra se produire dans deux hypothèses ;
soit librement et avant tout conflit, soit comme décision
arbitrale terminant un conflit existant. Dans la première
hypothèse, ce sont les délégués ouvriers élus (pour les dé-
tails de l'élection voir le projet) qui sont chargés de la
conclusion des accords entre le personnel ouvrier et la
direction patronale : par une série de dispositions habiles
(articles 10 et H) le projet assure les rapports fréquents
et constants des délégués ouvriers avec le patron qui doit
les recevoir personnellement ou se faire suppléer par un
agent supérieur de la direction par lui désigné : les récla-
mations du personnel relatives aux conditions du travail
doivent être transmises par les délégués oralement d'a-
bord, puis par écrit : il y aura donc chance à ce moment
que le contrat collectif soit d'abord conclu, puis remanié
par ces délégués permanents des ouvriers.
Dans la seconde hypothèse, le contrat collectif est la dé-
cision arbitrale rendue soit par les premiers arbitres libre-
ment choisis par les parties, soit par l'arbitre départiteur
nommé par les précédents, soit enfin par les sections des
conseils du travail.
A l'égard de ces sentences arbitrales, le projet dispose :
Article 23. — Les sentences arbitrales rendues par les
premiers arbitres, l'arbitre départiteur ou les sections des
Conseils du travail, consignées dans les procès-verbaux
signées par les arbitres vaudront convention entre les
parties pour une période de six mois.
L'article 24 fixe le point de départ de l'application de
ces contrats collectifs :
« Si le travail n'a pas été suspendu ou s'il a été repris
LKS PROJETS RT l-ES RÉFORMES 345
avec la sentence arbitrale, celle-ci aura un effet rétroactif.
Son application partira soit du jour de la reprise du tra-
vail dans le second cas, soit dans le premier cas du début
de la procédure. »
Enfin l'article 25 assure la conservation et la publicité
de ces sentences :
« Les sentences arbitrales sont déposées et conservées,
en minute au secrétariat du Conseil du travail, qui en
adresse une expédition au ministre du Commerce et de
rindustrie par l'intermédiaire du préfet.
« Une expédition en est délivrée gratuitement à cbacune
des parties. »
Ainsi est assurée la force légale du contrat collectif
pour tous les ouvriers de l'établissement considéré.
Mais — et c'est là le point faible du projet — quelle
sanction à l'observation des formalités de la loi en général
et à celle du contrat collectif en particulier?
Dans l'état économique actuel, comme l'indique l'ex-
posé des motifs, le projet n'a pu trouver qu'une sanction
toute morale : la perte des droits électoraux ouvriers (1).
C'est là sans doute une sanction que la pratique démon-
(1) Sanclion de lobligalion d'arbitrage obligatoire (art. 29) : En cas
d'inexécution des engagements résultant de la convention d'arbitrage
prévue à l'art. 1, les patrons ouvriers ou employés qui n'auront pas
tenu ces engagements, seront interdits, pendant trois ans, du droit
d'être électeurs ou éligibles dans les divers scrutins relatifs à la repré-
sentation du travail, savoir : la nomination des administrateurs de
syndicats, des délégués ouvriers, des délégués mineurs, des conseillers
prud'hommes, des membres des Chambres de commerce, tribunaux
de commerce, conseils du travail et des membres du conseil supérieur
du travail. En cas de récidive, l'interdiction sera de 0 ans.
La perte de ces droits électoraux sera constatée par les juges de
paix et notifiée à fin de radiation aux autorités compétentes.
346 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE IV
trera manifestement insuffisante. Mais peut être cette inef-
ficacité — si elle est à regretter au point de vue du méca-
nisme général de la loi — n'influerait-elle pas directement
sur l'observation du contrat collectif: en effet — et c'est
là l'originalité du projet au point de vue qui nous préoc-
cupe — le contrat collectif soit librement formé, soit établi
par la sentence arbitrale se substitue point par point au
contrat individuel et dès lors toutes les dispositions actuel-
lement en vigueur à propos de ce contrat individuel se-
raient à n'en pas douter applicables au nouveau régime,
au contrat collectif.
Ainsi dans le projet nouveau — et c'est par là qu'il se
sépare nettement des projets antérieurs — le contrat col-
lectif se développerait sans l'intervention du syndicat au
contrat ; c'est ce que nous pouvons ranger dans ce que
nous avons appelé le contrat collectif de droit public : c'est
ici par la force de la loi, sauf la réserve indiquée, que le
contrat collectif est substitué au contrat individuel. Il y a
là, on le voit, (|uel(jue cliose d'entièrement nouveau, un
acte d'intervention directe, qui tranche francbemcnt avec
toute l'évolution que nous avons étudiée.
Mais ce système — qui en lui même et à l'état isolé —
ne saurait soulever de bien sérieuses critiques, est intime-
ment lié au reste du projet: arbitrage et grève obligatoire.
Peut-être une fois de plus, la destinée malheureuse du
contrat collectif se retrouvera-t-elle; son introduction dans
nos lois, sa réglementation légale sera une fois encore
empêchée par les institutions coimexes sur lesquelles on
veut l'appuyer!
CONCLUSION
L'AVENIR DU CONTRAT COLLECTIF
Après celle longue élude, une dernière queslion se pose:
quel peul èlre l'avenir du conlral eolleclif ?
I. — Un premior problème domine tout ce débal : quel-
les que soient en effet les conclusions théoriques auxquel-
les on puisse arriver, elles seront vaines et sans portée pra-
tique, si écononjiquement le contrat collectif est mauvais,
c'est-à-dire moins avantageux que le conlral individuel.
Aussi bien dans une question si complexe est-il de pre-
mière injportance d'avoir en sa faveur le mobile économi-
que, de ne pas lutter en vain contre cette force irrésistible
qui entraine l'humanité vers ce qui lui est le plus avan-
tageux.
Avec une grande pénétration, dans un article récent (1)
M. de Molinari pose très nettement la queslion: au point
de vue de la production, le contrat collectif est-il aujour-
d'hui plus économique que le contrat individuel?
« Si le régime de l'engagemeiit individuel du personnel
des entreprises est plus économiqne qu'un aulre, s'il peul
faire descendre le prix de revient des produits à un niveau
(1) Journal des Economistes, « La giierre civile du capital et du
travail », 15 septembre 1899.
348 CONCLUSION
plus bas que le système de l'engagement collectif ou que
toute autre organisation que des novateurs voudraient
faire adopter ou môme imposer, il subsistera, malgré tout,
et si l'on essayait de le supprimer, il serait plus fort que
la loi. »
L'auteur remarque, et nous sommes volontiers de son
avis, que tant que les acheteurs de la marchandise travail
ont été en situation de faire la loi aux vendeurs, le contrat
individuel, par les conditions de travail très avantageuses
au point de vue de la production qu'il assurait, a été long-
temps le plus avantageux. Mais aujourd'hui ce monopole,
cette situation privilégiée sont entamés de toutes parts :
les multiples et récentes grèves qui éclatent dans tous les
métiers en sont la confirmation éclatante : les patrons,
quoi qu'ils fassent, ne sont plus en état de dominer le
marché du travail et le seront chaque jour de moins en
moins.
Le contrat collectif apparaît alors précisément comme
l'unique garantie possible contre ce risque permanent de
grèves qui affaiblit et ruine l'industrie. « Il remédie aux
dommages causés par la résistance aux grèves, l'emploi du
lock-oiit, l'afïaiblissement des travailleurs au point de vue
de leurs facultés de consommation et par suite la diminu-
tion de leur force productive. »
Déplus il est le seul moyen pratique d'assurer aux pa-
trons un bon choix de travailleurs : car le procédé de
remplacement des grévistes par des ouvriers quelconques,
s'il est parfois efficace, a aussi son retentissement déplora-
ble sur la production.
Enfin le contrat collectif supprime tous les risques de
grève industrielle : boycottage, matériel endommagé par
une grève prolongée, perte de commandes, etc., etc.
l'avenir du contrat collectif 349
En un mot, à tous ces points de vue « le système nou-
veau du contrat collectif réalise un progrès notable (1) ».
On peut même affirmer que cette supériorité, au point
de vue de la production, du contrat collectif sur le contrat
itidividuel vu chaque jour en s'affirmant davantage: quel-
(juos patrons commciicent à s'en rendre compte : un plus
grand nombre le reconnaîtra devant l'indéniable leçon de
l'expérience (2).
Donc, on peut l'affirmer sans crainte, le contrat collec-
tif est déjà et sera chaque jour davantage plus avanta-
geux économiquement que le contrat individuel.
II. — S il en est ainsi, pourrait-on espérer de la liberté
seule la diffusion en France du contrat collectif comme en
Angleterre ?
Nous ne le croyons pas pour une Inple raison :
D'une part, et la chose est de toute évidence, le développe-
ment du contrat collectif parla liberté seule est entièrement
subordonné au développement du mouvement syndical.
Or ce mouvement, malgré de réels progrès depuis 1884,
n'est pas encore extrêmement développé en France (3).
(1) DeMolinari, loc. cil.
(2) Il est cerlain d'ailleurs que celle transformation des mœurs sup-
pose loule une éducation économique. M. Liesse te remarque fort
justement: « A un système de réglementation élroile, succède le sys-
tème du contrat, la discussion libre des conditions du travail. Ce nou-
vel étal de choses exige des employeurs et des employés une éducation
économique en opposition complète avec celle qui s'était faite dans les
anciennes corporations (Liesse, Le travail, p. 413;. On pourrait ajou-
ter : en opposition complète aussi avec l'éducation qui résulte des con-
flits incessants entre le capital et le travail.
(3) 16 0 0 seulement des ouvriers seraient actuellement syndiqués.
(1901, Congrès de la Fédération ouvrière de Lyon.)
350 G0^CLUSI0N
Pour les raisons que nous avons indicjuées plus haut, il y a
comme un malentendu fondamental, l'ésultat de la longue
lutte qu'ont dû soutenir les syndicats pour se faire recon-
naître, qui persiste encore aujourd'hui entre patrons et
ouvriers. M. de Mun le remarquait très justement (().
« Le mal dans toutes les questions qui ont trait à l'or-
ganisation du travail, c'est la séparation habitu(;lle des
patrons et des ouvriers, l'état d'isolement oii ils vivent.
Quand un conllit vient à naître et qu'un arbitrage est pro-
posé, les délégués des parties intéressées s'abordent comme
des étrangers, souvent comme des ennemis. Rien ne les a
prédisposés à l'entente, à l'accord, à la concession mutuelle. »
Rien n'est plus exact : or il y a là, semble-t-il, un vice
radical que le mouvement syndical actuel porte en lui môme
et qui nous semble incui'able par la seule liberté.
D'autre part — et c'est la deuxième raison pour laquelle
nous repoussons cette solution — il ne faut pas attendre
grand chose de V Arbitrage (2) au point de vue de la dif-
fusion du contrat collectif parla liberté.
S'il a pu donner d'assez remarquables résultats en An-
gleterre, c'est qu'il existait sur le terrain strictement profes-
sionnel sans se ressentir des luttes politiques : or aujour-
d'hui dans la plupart dés cas où l'arbitrage intervient en
France, la question professionnelle se complique d'une
question politique. D'ailleurs, en dehors môme do cette rai-
(i) <irèves, arbitrage et syndicats. Réforme Sociale, 1901, 13 mai.
(2) L'échec relatif de la loi de 1892 que Ions déplorent en est une
première et indéniable preuve. Nous entendons ici par arbitrage le
fait de remettre la solution d'un conflit économique à une tierce per-
sonne, quelle qu'elle soil, dont la décision s'imposerait aux parties :
celles-ci aliènent ainsi leur souveraineté économique.
I/AVEMR DU CONTRAT COLLECTIF 351
son toute spéciale, l'arbitrage, on l'a vu (1) on peut pas
mener bien loin dans la diffusion du contrat collectif : la
détermination des conditions du travail reste avant tout
une question économique au premier chef que les parties
se refuseront toujours à livrer entièrement à la décision,
si impartiale soit-elle, d'un tiers qu'on se refuse à intro-
duire dans le métier : le perpétuel contact avec les meneurs
politiques qui interviennent dans les grèves a encore ren-
du — à juste titre d'ailleurs — les patrons plus susceptibles
sur ce point. Donc de ce chef encore il nous faut repousser
la solution par le laissez-faire.
Enlin — et c'est notre Iroisième et dernière raison —
le caractère très individualiste du patron et do l'ouvrier
français nous semble un obstacle insurmontable à la dif-
fusion lente et spontanée du contrat collectif. En effet —
l'exemple de l'Angleterre est décisif sur ce point — ce dé-
veloppement par la liberté suppose essentiellement la sou-
veraineté de fait de l'association ouvrière et môme patro-
nale dans le métier : il faut pour que le contrat collectif
s'introduise et se développe efficacement dans une indus-
trie donnée que les parties soient en état de la faire res-
pecter par tous : s'il y a un trop grand nombre de non-
syndiqués, la fissure ne tarde pas à s'agrandir et tout le
contrat collectif y passe.
Or rien n'est plus contraire à l'esprit français très in-
dividualiste que cette donnnation du syndicat, (|ue cette
tyrannie syndicale pour l'appeler par son nom ; les moyens
violents dont fait presque toujours usage en ce cas l'asso-
ciation professionnelle heurtent profondément le sentiment
de la liberté du travail et la grève perd de son efficacité
(1) Cf. p. 142 ci-dessous.
352 CONCLUSION
par la résistance, des non-syndiqués (1) (jui veulent conti-
nuer le travail.
Donc pour cette triple raison — insuffisance actuelle et
sans doute future du mouvement syndical — inefficacité de
l'arbitrage comme moyen de répandre le contrat collectif
— caractère violemment individualiste de l'ouvrier et du
patron français — nous ne croyons pas que la seule liberté
puisse assurer le développement efficace du contrat col-
lectif dans l'avenir.
Mais ce que la liberté peut faire — et très efficacement
— c'est préparer rapidement les voies à la Réforme dési-
rée. Les mœurs, comme il arrive bien souvent, doivent
sur ce point, préparer la loi. Or aujourd'hui, comme le
remarque très bien M. Keufer (2), on ne rencontre pas tou-
jours « les dispositions d'esprit, chez les patrons et chez
les ouvriers, nécessaires à l'application de la loi. Les pa-
trons refusent de discuter avec les Syndicats les questions
de travail et de salaire: ils craignent toujours d'être lésés
dans leurs intérêts en entrant en discussion avec les ou-
vriers ». Ceux-ci d'autre part emploient souvent des for-
mes déclamatoires et violentes pour présenter leurs do-
léances et ignorent les phénomènes économiques qui s'im-
posent à tous, patrons et ouvriers. Il y a là toute une atti-
tude des deux cotés qui doit changer: c'est une question
d'éducation et de pratique ; il faudrait répandre par tous
les moyens la connaissance des expériences favorables de
(1) 11 faut ajouter d'ailleurs que le plus souvent cette résistance
est pleinement justifiée par les demandes exagérées et impossibles
du Syndicat : voyez l'exemple de la récente grève de Montceau-les-
Mines.
(2) Conseil supérieur da Travail, 5e session, p. 12, « De l'orga-
nisation des Chambres de travail » .
l'avknir du contrat collectif 353
contrat collectif déjà tentées, rapprocher les esprits et les
cœurs, établir, s'il était possible, une collaboration véri-
table entre le patronat el le salarial. Sur ce point l'œuvre
de la liberté est assez belle et elle ne saurait faillir à sa
tâche : on ne doit pas attendre d'elle l'ensemble de la ré-
forme, mais elle peut beaucoup pour la préparer.
ni. — Cependant quelques-uns croient que ce dévelop-
pement serait assuré d'une manière certaine par une
orientation particulière donnée au mouvement, vers For-
ganisation commerciale du travail.
M. Yves Guyot s'est fait récemment en France le pro-
moteur de cette idée (1) : dans ce système, l'Union ou
l'association ouvrière ne se contenterait plus de stipuler
certaines conditions du travail, mais se chargerait elle-
même d'exécuter le travail : la société commerciale de
travail vendrait en gros au patron le travail de l'homme
ou plus exactement se ferait entrepreneur de travail vis-à-
vis de l'industriel avec donunages-intérèts stipulés au cas
de manquement ou du défaut d'exécution.
Ces sociétés se chargent du travail à faire dans tel ate-
lier, dans telle partie d'une mine ou d'un chantier : le prix
en est fixé à forfait pour une période déterminée ou pour
une quantité déterminée de produits.
M. Yves Guyot cite plusieurs exemples d'heureuses
expériences faites en ce sens, notamment la société à
capital variable constituée en 1881 par un groupe de
typographes pour la composition, limpression, l'expédi-
tion et la distribution des journaux officiels de la Répu-
blique française. « Et Ton exprime ensuite la série d'avau-
(1) L'organisation commerciale du travail, conférence faite à
Liège par M. YvesGuyot, Paris 1900.
bATNAUD 23
3o4 CONCLUSION
tag-es que comporlerait la création en grand nombre de
ces sociétés commerciales de travail (1). »
Mais plusieurs difficultés nous paraissent très sérieu-
ses (2) :
D'abord le système rencontrerait sans doute de très gros
obstacles pour arriver à se g-énéraliser : l'exemple des so-
ciétés coopératives de production semble bien l'indiquer.
Puis, il ne fait que déplacer le problème : le contrat in-
dividuel est modifié, mais le contrat collectif ne le rem-
place pas : car cliaque ouvrier devrait à son tour, puis-
qu'il dépend maintenant de la société commerciale qui le
paie, débattre, avec le gérant de la société par exemple,
les conditions du travail : sans doute ce gérant serait un
ouvrier lui-même. Il n'y aurait plus le profit de l'entre-
preneur, mais il serait ici remplacé par la nécessité pour
la société d'obtenir un prix favorable que tous se partage-
raient : il serait à craindre alors que les inconvénients du
contrat individuel ne se reproduisent ici, amoindris peut-
être mais encore réels : les ouvriers les mieux doués récla-
meraient sur le prix fixé la plus grosse part et on n'arri-
verait nullement pour tous à des conditions minima de tra-
vail : ce qui est le bienfait essentiel du contrat collectif.
Aussi n'avons-nous pas grande confiance dans le sys-
tème indiqué : au point de vue du contrat collectif, il
nous parait véritablement une impasse.
(1)M. de Molinari, qui le premier d'ailleurs avait exprimé le prin-
cipe de cette idée en 1842 dans l'article cité ci-dessus, p. 198, se mon-
tre favorable à l'organisation commerciale du travail et développe
lui aussi les avantages du système.
(2) Nous n'examinons ici le système qu'au point de vue spécial du
contrat collectif : dans l'ensemble, il comporte bien d'autres objec-
tions.
l'avenir du contrat collectif 355
IV. — Dès lors, il faut résolument accepter les réfor-
mes juridiques que nous avons indiquées : à les supposer
réalisées, quelles en seraient les heureuses conséquences ?
Il est certain que l'introduction de la forme collective
obligatoire du contrat ouvrirait aux réformes ouvrières et
sociales un champ immense : le contrat collectif résoudrait
sans doute bien des problèmes devant lesquels la régle-
mentation légale se trouve impuissante. 11 a en effet sur
elle les avantages les plus marqués : il présente une sou-
plesse beaucoup plus grande, une facilité de s'adapter aux
circonstances économiques remarquable et surtout une
compétence indéniable : seul il permet de tenir compte de
la diversité des industries, delà complexité et des différen-
ces de besoins de chacune : en un mot, il s'adapte par-
faitement à la solidarité spéciale à chaque métier. Aussi
peut-on, semble-t-il, beaucoup espérer encore du contrat
collectif : sans développer ici toutes les suites possibles du
contrat collectif de demain, nous insisterons sur trois
d'entre elles qui nous paraissent de la première impor-
tance :
a) Le contrat collectif permet sans danger les expérien-
ces sociales et semble aujourd'hui le document indispen-
sable qui prépare la voie aux réformes législatives : c'est
ainsi, par exemple, qu'au point de vue de la réduction de
la journée de travail, le contrat collectif peut donner la
mesure exacte que comporte l'état actuel de l'industrie :
en Angleterre, un contrat passé entre MM. Matter et Platt
dans leurs ateliers de mécanique et de construction de
machines et la Société l'Union des mécaniciens réduisait à
titre d'expérience le travail à 48 heures par semaine en
laissant le taux de salaire sans modification : à l'expiration
du contrat, on constata que le salaire avait augmenté, par
356 CONCLUSION
suite de l'augmentation de la production, de 0,4 0/0, que
le temps perdu avait été porté de 2,46 0/0 à 0,46 0/0 (1).
A cet égard, le contrat collectif est un précieux baromètre
industriel,
b) Le contrat collectif permet aussi de prévoir la solu-
tion de la difficile question du minimum de salaires: celui-
ci se trouve en quelque sorte spontanément établi par la
convention, en même temps que l'on respecte le travail
individuel qui peut gagner un salaire bien supérieur à ce
salaire minimum.
c) Enfin, et c'est là sans doute ce qui pratiquement pour-
rait concilier au contrat collectif, le plus grand nombre de
sympathies — il diminue déjà et diminuera chaque jour
davantage le nombre des grèves.
Il est clair que c'est parfois parce que les associations
ouvrières, les syndicats n'ont pas de moyen légal de faire
respecter leur volonté qu'ils usent de procédés qui sentent
plutôt la guerre que la paix : mise à l'index, lutte contre
les non syndiqués, violence et intimidation, menaces, en
un mot la grève et tout son cortège. A cet égard, l'exem-
ple de l'Angleterre est décisif : le contrat collectif agit puis-
samment sur les mœurs ouvrières et tend à constituer
cette paix armée où la guerre est un fait d'autant plus rare
qu'on en craint davantage les terribles conséquences.
Le contrat collectif a donc un fort et bel avenir devant
lui. Puisse-t-il le réaliser!
V. — Mais à la limite oii tout cela mène-t-il et qu'advien-
drait-il le jour où le contrat collectif aurait partout rem-
(1) Des expériences du même genre furent faite à l'United Alkali
Compan}', en Moravie dans un tissage. — Cf. Proposition de loi Vail-
lant, 4895, exposé des motifs.
l'avenir du contrat collectif 357
placé le contrat individuel, le jour à échéance bien loin-
laine oij tous les patrons seraient organisés et tous les
ouvriers seraient unis, le jour en un mot où le système
des Alliances Anglaises de M. Smith deviendrait universel ?
Sans doute, cette perspective n'est pas bien redoutable,
car le problème international paralysera pour longtemps
encore la formation de cette gigantesque Fédération : de
plus, bien des divergences d'intérêts économiques et pro-
fessionnels entre industries voisines et concurrentes ten-
draient à dissocier cet assemblage monstre aussitôt qu'il
serait formé. Mais surtout — et c'est là ce qui doit nous
rassurer — l'autonomie locale subsisterait, au dessous
des conditions générales fixées par l'autorité centrale : car
cette autonomie locale, on Ta vu par l'étude du contrat
collectif en Angleterre, est dans la nature des choses et
résiste aux entreprises des hommes : en somme, le contrat
collectif ainsi universalisé serait à peu près en droit in-
dustriel ce qu'est la constitution dans un pays de droit
écrit : il serait toujours le cahier des charges du travail,
et laisserait encore une place à la liberté individuelle.
Mais ces perspectives lointaines et probablement à ja-
mais irréalisables dégagent mieux encore ce qui est la va-
leur et la vertu propre du contrat collectif : le moyen de
tenir compte efficacement de la dignité sacrée de la per-
sonne du travailleur à côté de la marchandise travail. Mieux
que le patronat, mieux que les rêves collectivistes, il as-
sure la dissociation nécessaire entre le travail et la per-
sonne humaine, entre l'outil et l'homme : il soustrait la
part d'humanité qui est en l'ouvrier ù l'action déprimante
du métier et tend à la libération progressive de l'homme
qui revendique son indépendance morale. Il nous apparaît
ainsi comme le point de jonction entre l'économie politi-
358 CONCLUSION
que et l'économie sociale, le moyen pratique et pacifique
de traduire lentement dans le domaine des faits une bonne
partie des aspirations sociales les plus légitimes delà dé-
mocratie.
Vu :
Le Président de la thèse^
Raoul JAY.
Vu :
Le Doyen,
GLASSON.
Vu et permis d'imprimer :
Le Vice-Recteu?" de V Académie de Paris,
GRÉARD.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES
Pagei.
Bibliographie v
Introduction : Le Problème xi
Notions préliminaires : Analyse sommaire de la notion du con-
trat collectif : point de vue économique ; point de vue juri-
dique. — Dénomination: contrat collectif. — Plan i
PREMIÈRE PARTIE
LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE
Chapitre Premier
Avant le contrat collectif.
Avant 1789, le contrat collectif semble inutile et impossible :
à vrai dire on n'était pas dans le domaine du contrat. Cette
idée se dégage avec les Phvsiocrates H
Mouvement en faveur du contrat collectif dès la loi des
2-17 mars 1791 abolissant les corporations 17
La loi Chapelier : Le principe du contrat collectif est-il condam-
né ? 26
Non en dernière analyse : il est seulement masqué par les pro-
hibitions de l'association professionnelle 28
Chapitre II
Historique du contrat collectif en France jusqu'en 1884.
Complications de cette histoire 31
Périodes 32
360 TABLK ANALYTIQUR DKS MATlÈRKS
§ 1er. — Première période (1791-1864) Xi
A. — A travers les faits 33
Les associations professionnelles alors existantes n'arrivent pas
au contrat collectif 34
Le compagnonnage 35
Les tentatives multiples de 1830 à 1848 37
Les typographes 39
B. — Les idées : la discussion du 1849 sur le droit de coali-
tion 40
C. — Le mouvement de 1864. Encore les typographes. ....... 53
§ II. — Deuxièîne période ( 1864-1884) 59
A. — Le progrès des idées 59
Le mouvement des Expositions 60
L'Internationale 62
Les congrès patronaux et ouvriers 63
B. — Les faits : les tisseurs 67
Les imprimeurs 68
La fabrique de rubans de Saint-Etienne 71
Conclusion : Importance de ces origines difficiles 73
Chapitre III
Les faits actuels en France.
Obstacles au développement du contrat collectif 74
§ 1er. — Quelques aperçus sur ce développement actuel 75
Difficultés de cette étude : nécessité de recourir à la méthode
monographique 77
§ II. — Le contrat collectif dans l'industrie minièi'e 78
Les divers bassins houillers : Bassin de la Loire 78
Carmaux 79
Les mines du Pas-de-Calais 80
Histoire du contrat collectif dans ce bassin 81
Les conventions d'Arras 82
TABLK ANALYTIQUE HKS MATIFRKS 364
§ m . — Le contrat collectif dans la typographie 91
Les divers tarifs 92
Chapitre IV
Les faits actuels en Angleterre.
I |«'r. — Tableau de la diffusion du contrat collectif dans
les divers métiers 96
Statistique des progrès du contrat colleclif dans ce pays 98
Revue des diverses industries 99
Idées dominant ce développement HO
§ il. — Organisme du contrat collectif: Le double mécanisme
économique, professionnel et technique H4
Perfectionnements successifs. Modilications au contrat collec-
tif, toujours à ce double point de vue Ii8
Techniques 122
Kcoiiomiqiies 124
§ III . — Résultats du contrat collectif 430
Les diverses clauses 130
§ IV. — Conclusion : Causes du développement anglais du
contrat colleclif : La Trade-Union 139
L'expérience patronale et ouvrière 141
Caractère professionnel des conflits 443
Chapitre V
Les autres pays.
Amérique : Contrats collectifs dans la métallurgie. 144
L'imprimerie 152
Le contrat collectif national 1»4
Le bAtiment 155
Belgique : Double influence des Conseils de l'Industrie et du
Travail et des Unions professionnelles 157
Pays-Bas : Les Chambres de travail 158
Allemagne : Les typographes : Discussion du Congrès de Leipzig. 159
362 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Chapitre VI
Un projet de contrat collectif international.
Le projet Léwy pour réglementer la production 167
Economie du système 168
Sort de cette proposition 173
Chapitre VII
La théorie économique du contrat collectif.
§ 1er. — Le contrat collectif et les lois naturelles du sa-
laire 176
Loi de l'offre et de la demande du salaire 177
A . — Loi du fonds des salaires 180
B. — Loi du salaire nécessaire 182
C. — Loi de la productivité du travail 187
Réaction contre les idées de l'école classique sur le travail
marchandise 188
Caractères spéciaux de la marchandise travail 189
La dignité du travail et du travailleur 190
§ II. — Essai de théorie économique du contrat collectif. . . 191
A. — Il y a inégalité dans le contrat de travail individuel 192
B. — Le contrat collectif supprime cette inégalité en déplaçant
la concurrence 204
C. — 11 conserve la liberté industrielle 208
§ III . — Les objections au contrat collectif 211
A. — Le contrat collectif est le véritable remède à l'inégalité
dans le contrat de travail 211
B. — Le contrat collectif en principe au moins et par lui-
même n'est pas tv^rannique pour l'ouvrier 215
C. — 11 n'est pas contraire à l'indépendance raisonnable du
patron comme chef d'industrie 219
D. — Il n'est pas nuisible au consommateur 221
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 363
OEUXIKME PARTIE
LE PROBLÈME JURIDIQUE
Chapitre Premier
La Jurisprudence française sur le contrat collectif.
Prédominance du point de vue pénal avant 1864 226
L'évolution de la jurisprudence 228
Jurisprudence générale sur les syndicats 230
L'affaire de Chauffailles : Jugement du tribunal de CharoUes. 232
Arrêt de la Cour de Dijon 233
Arrêt de cassation 237
Le Syndicat a qualité pour passer un contrat collectif. — Con-
ditions auxquelles il peut eu demander l'exécution en justice. 239
Jugement du Tribunal de Commerce de la Seine : 4 février 1892. 240
Uésitations de la jurisprudence 244
L'intérêt professionnel suffisant à légitimer l'action du syndicat
en exécution : Cholet, 12 février 1897 248
Bourgoin, 21 juin 1901 230
Diverses solutions de détails sur les conditions du contrat 233
Sur les moyens de le faire respecter 238
Chapitre II
Le Contrat collectif d'aujourd'hui : esquisse
d'une théorie juridique.
A. — Règles de droit commun applicables au contrat collectif. 264
B. — Règles résultant de la loi de 1884 267
Nature du contrat collectif 272
A . — Théorie du mandat 273
B. — Théorie de la gestion d'affaires 274
C. — Théorie mixte : mandat et gestion d affaires combinés. . 273
D. — Théorie de la stipulation pour autrui 277
Conséquences de cette théorie 283
Bénéficiaires 284
Actions créées par le contrat ... 283
364 TABLK ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Chapitre III
Le contrat collectif de demain (Esquisse d'une théorie
juridique) (suite).
A. — Lacunes de la législation actuelle et motifs d'intervention. 288
B. — Systèmes proposés et solution préconisée : Revue de légis-
lation comparée 294
I. — Paj^s où le contrat collectif n'a pas d'existence légale :
A ngleterre 294
II. — Pays où le contrat collectif est reconnu comme contrat de
droit privé et légalement obligatoire entre les parties 300
Belgique 300
Hollande 301
Etats-Unis 302
III. — Pays où le contrat collectif est spécialement réglementé
et imposé à divers degrés 303
Nouvelle-Zélande 303
Suisse : Genève 304
Réformes à poursuivre en France 309
Idéal à poursuivre ?10
Reconnaissance légale du contrat collectif 312
Contrat collectif obligatoire 313
A . — Par le syndicat obligatoire 313
B. — Par la forme collective du contrat déclarée obligatoire . . 316
Esquisse du système proposé 317
Analogies déjà existantes dans le droit actuel en matière de
faillite 320
En matière d'associations syndicales 321
Avantages théoriques et pratiques de la solution juridique pro-
posée 322
Chapitre IV
Les Projets et les Réformes.
On ne relève ici que les projets qui visent directement le
contrat collectif 323
TABLii: ANALYTIQUE DES MATIÈRES 365
.1 . — Projets conceruant la régleinenlalion du contrat de
louage ou les syndicats professionnels 'Mi
Projet Lockroy, 1876 325
Projet Goblet, 1895 326
Projet Basly, 1901 327
B. — Projets se rattachant en la forme à la création de Con-
seils ou de Chambres du Travail 329
Projets sur l'arbitrage, 1889. 330
Proposition Mesureur, 1894 333
La discussion au Conseil supérieur du travail, 1895, sur les
Conseils du travail 334
C — Décrets du 18 septembre 1900 sur les Conseils du Tra-
vail 337
Projet du gouvernement, 15 novembre 1900, sur le règlement
amiable des différends relatifs aux conditions du travail. . . 339
Conclusion
L'avenir du contrat collectif.
I. — Le contrat collectif est déjà et devient sans cesse plus éco-
nomique que le contrat individuel 347
II. — Ou ne peut espérer de la liberté seule sa diffusion en
France 349
ni. — L'Organisation commerciale du travail, succédané du
contrat collectif, ne saurait donner les mêmes résultats 353
IV. — Avantages principaux des réformes juridiques préconisées. 355
Expérirnentation sociale 355
Minimum de salaires 356
Diminution des grèves 356
V. — Le plus lointain avenir du contrat collectif 356
Graode Imprimerie de Blois, 2, rue Haute. X 5154
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