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9^ ANNÉE, Nol. l«r Janvier 1906,
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOJRE
Sommaire :
Portrait : Guillaume LiEKEU (1870-1894)
Lettres inédites de GUILLAUME LEKEU
(écrites de 1889 a 1893)
La Religion de Beethoven
ET LA MissA SoLEi-viNis D-- FRITZ VOLBftCH-
{suite)
Des Études de Composition
musicale a. bertelin.
A l'Opéra :
La Ronde des Saisons . . VICTOR DEBAY.
Notes biographiques sur
Guillaume LEKEU. . . P, DE S.
Les Grands Concerts
(JEAN 0'
■'" (PAUL L
UOiNE.
LOCARO
La Quinzaine Musicale ( Société Philharmo-
nique, Concerts Le Rey, Soirées d'Art, Société
Bach, Scbola, Hautes Etudes sociales.
Le mouvement musical en Province
Il I iiii III if^
et à V Etranger :
Lettre de Vienne J. SAUE8WEIN.
Correspondances de : Bordeaux, Bruxelles,
Leipzig, Vervjers.
Concerts Divers.
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Echos et Nouvelles.
Nouveautés Musicales.
Administration et Rédactiou :
29. F^UE TRONCHET, PARIS {Ô')
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Burcau;c ouverts
de 10 b. à midi et de ^ h. à 6 h.
I.c, Directeur et le Secrétaire de la
Rè^iiuctiôn reçoivent les Mardi, Jeudi
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Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musical
(le 1" ET LE 15 I>E CHAQUE MOIS)
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Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, (16^)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8*).
(TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Aguettant — Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D'" Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — René Doire ~ F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars — E. Giovanna — Orner Guiraud —
F, Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauervsrein — A. Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka —
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D' Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoz, etc ..
Z(.e Courrier Musical est cd veute :
A PARIS: -sp, rue Tronchet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Auber,
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, ^, Faubourg Saint- Honoré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre- Français.
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Deuxième Suite
Allegro Moderato^ Sarabande variée^ Scherzo, Rhapsodie auvergnate.
Mazurka sentimentale. ^/ f /^ / a -^ » r^
Berceuse. i^Ol^0^yL^<6
Chant du Voyageur. {^^/Uvw^— €^ ^
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Première Suite ^ ^^^ hSjhIS'
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Six caprices de virtuosité.
Edition SCHOTT frères (Bruxelles)
Premier Concerto en sol mineur.
Polonaise en sol majeur.
Edition LEDUC, 3, rue de Grammont, Paris
Jola. Aragonaise.
Rêverie.
Serenata Espanola.
L'abeille.
Fileuse.
Edition HAMELLE, 22, B^ Malesherbes, Paris
CEuvres a'u^llDerto B^^GM:]Va:-A.]NriSr :
Aria en si mineur. y
Chant du Printemps
Toccata de Ch. Widor. ) ^ -^ a a- -d u^
[ Transcrits par A. Bacnmann.
Papillon de Fauré. )
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destinées à initier la Jeunesse à la musique moderne, ont été, dans ce but, écrites pour
petites mains par les auteurs suivants: J. Albeniz, M. AtauiER, Ch. Bordes, G. Bret,
P. DE Bréville. R. de Castéra, p. Coindreau, a. Dupuis, h. Estienne, J. Gay, a. Groz,
V. d'Indy, m. Labey, L. Pineau, A. Roussel, L. Saint-Req.uier, G. Samazeuilh, Bl. Selva,
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Numéro spécial consacré à CES Alt FKA\Cli, (publié en novembreo 194, à
l'occasion de l'inauguration du Monument de C. Franck), avec articles,
de MM. Vincent d'Indy, P. Dukas, Ch. Bordes, Camille Mauclair, A.
CoQUARD, V. Debay, Jean d'Udine, etc.. Autographes musicaux de
C. Franck, portraits du Maître, etc. Prix: 75 centimes.
Ces ouvrages seront adressés FRANCO contre l'envoi de leur prix en mandat-poste.
SOCIETE PHILHARMONIQUE DE PARIS
SALLK DES CONCEPTS : S, rue d'Jklîîènes
Admmistration'. 32^ rue Louis-le-Grand [Pavillon de Hanovre)
Mardi 16 Janvier 1906, à 9 h. très précises dit soir
SIXIÈME CONCERT
M' Mark Hanjbourg
M' Fritz Kreisler
^^7^:^ PROGRAMME ^^^^^
\ I. Sonate en la majeur Mozart (i 756-1791)
Mrs Fritz KREISLER et Mark HAMBOURG.
2. a Pastorale Scarlatti.
h Capriccio id.
c Prélude et Fugue en ré majeur J--S. Bach
CTranscnption D'ALBERT)
M. Mark HAMBOURG
3. Allemande, Courante et Double de la Sonate
en si mineur, pour violon seul Bach (1685- 1750)
Mr Fritz KREISLER
4. a Ballade Grieg
^ Etude en sol bémol Chopin
I c Etude en fa mineur d°
< d Valse en ré bémol d»
\ e Polonaise en 6"/ majeur d"
Mr Mark HAMBOURG
5. a Prélude en mi majeur Bach (i 685-1 750)
b Chanson Louis XIII Louis Couperin (i 721-1789)
c Humoresque Dvorak
d Prélude et Allegro en mi mineur Pugnani (1727-1803J \
Mr Fritz KREISLER
6. Fantaisie en ut majeur, pour violon et piano. . . Schubert 17 97-1828)
Mrs Fritz KREISLER et Mark HAMBOURG
PIAKO GAYEAU
PRIX DES PLACES :
PARQUET : Fauteailî (i" série) : 10 fr. — Fauteuils (2° série) : 7 fr. — Galeries C"' rang), 5 fr. —
Autres Rangs, 4 fr. — Entrée, 5 fr.
Billets à l'avance ; A la SALLE DES CONCERTS, 8, rue d'Athènes ; chez MM. DURAND et Fils, Éditeurs,
4, place de la Madeleine et chez M. CRUS, Editeur, place Saint-Augustin.
Administration de Concerts h. DANDELOT, S3, Rue d'Amsterdam
Salle ERARD; 15, fm© un i^j
SONATES Piano et Violon
TROIS SÉANCES
PAR
€ESARE ©AI^EOTTI
I^aCîEK €AFET
Mercredi 10, Mardi 16 et Vendredi 26 Janvier, à 9 heures précises du soir \
PRIX DES PLACES:
DAD CI^^4P^^^^^''^^^^^''^ ^^^ TROIS SÉANCES : Fauteuil réservé ; SO francs.
PAR SEANCE : Fauteuil réservé : 20 fr. — Fauteuil de parquet : lO fr. — Première Galerie
(i*^-- rang) : 8 fr. (2= rang) S fr. — Deuxième Galerie : 3 fr.
Billets chez : MM. DURAND et Fils, 4, place de la Madeleine et à l'Administration de Concerts A. DANDELOT,
83, rue d'Amsterdam. Télép. 115-25.
Monsieur Cesare GALEOTTI Monsieur Lucien CAPET
67, boulevard Haussmann c,, rue du Bois (AsnièresL
PREMIÈRE SEANCE (Mercredi 10 janvier)
SONATE ut mineur, op. 30 n" 2 Beethoven
SONATE 50/ majeur, op. 78 Brahms
SONATE ré mineur, op. 121 Schumann
DEUXIÈME SEANCE (Mardi 16 janvier)
SONATE 50/ majeur, op. 96 Beethoven
SONATE la majeur. César Franck
SONATE ré mineur op. 75 Saint-Saens
TROISIEME SEANCE (Vendredi 26 janvier)
SONATE sol mineur, op. 8 Camille Chevillard
SONATE la mineur, op. 13.. Gabriel Fauré
SONATE ut mineur, op. 45 Grieg
SOGl£T£ J. S. BAGK
Salle de l'Uriion, 14, rue de Trévise
Administration : 9 bis, rue Mechain
Le Mercredi 17 Janvier 1906^ à 9 ï)eures
CONCERT avec 50LI, OKCHESTKE ^t CHOEURS
( iROISlèmS D£ LA 5*éRl£^ )
AVEC LE CONCOURS DE
Geopg \A?a LT E 'R
Ténor solo de la Singakadémie et de la Société BACH, de Berlin
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AU PROGRAMME : Première audition de
La Cat)tat : NUN KOMM. DERHEIDENttEILAND
LE COiXCERTO en LA MIXEUR, pour piano, flûte et violon.
LA CAIVTATE « SEIV \RMER MEUSt H " pour ténor solo.
PRIX DES PLACES :
Parquet d^'' série) 6 fr. Fauteuils de balcon, 5 fr. Parquet (2' .série) 4 fr.
Par série de 4 billets utilisables en i ou plusieurs fois, 18, 15, 18 fr.
9*^ ANNEE. N° i. :" i" JANVIER 1906
E Courrier Musical
SOMMAIRE : Portrait : Guillaume Lekeu (1870- 1894). — Lettres inédites de
Guillaume Lekeu (écrites de 1889 à 1893). — La Religion de Beethoven et la Missa
solemnis (suite) (D"" Fritz Volbach). — Des Études de composition musicale
(A. Bertelin). — A l'Opéra : La Ronde des Saisons (Victor Debay). — Notes bio-
graphiques sur Guillaume Lekeu (P. de S.). — Les Grands Concerts (Jean d'Udine,
Paul Locard). — La Q.uinzaine Musicale {Société Philharmonique, Concerts Le Rev,
Soirées d'Art. Société Bach, Hautes Etudes sociales. — Le mouvement musical en pro-
vince et à l'étranger : Lettre de Vienne. Correspondances de : Bordeaux, Bruxelles,
Leipzig, Verviers. — Concerts annoncés. — Echos et Nouvelles. — Bibliographie,
Nouveautés musicales.
A nos dévoués Collaborateurs, à nos Amis et à nos Lecteurs.,
nous offrons nos meilleurs souhaits de nouvel an.
Le Courrier Musical entre aujourd'hui dans sa neuvième année
d'existence. Nous ferons tous nos efforts, au cours de l'année nou-
velle, pour développer, comme par le passé, notre revue, en publiant
un nombre toujours croissant d'études et d'articles de critique et
d'histoire musicales, de monographies et de portraits de musiciens,
en tenant nos lecteurs au courant de la vie musicale en France et à
l'Etranger, en donnant une importance de plus en plus grande au
bulletin bibliographique., qui leur signalera la publication de tous
les ouvrages de valeur traitant des choses de la musique, ainsi que
des nouveautés musicales.
Nous demandons à nos lecteurs de nous aider à faire mieux
encore, en nous amenant, par leur propagande personnelle — qui est
la plus efficace — de nouveaux adhérents. Nous enverrons volontiers
un numéro spécimen à toutes les personnes qu'ils nous signaleront
comme susceptibles de s'intéresser au Courrier Musical.
A partir d'aujourd'hui l*""" janvier 1906, le prix du numéro, composé
de 34, 36, ou même 40 pages de texte et illustrations, est porté à
75 CENTIMES.
Le prix de l'abonnement, néanmoins, n'est pas modifié et reste fixé
à 1 2 francs pour la France.
— 7^2 —
Lettres inédites de Guillaume Lekeu
Nous commençons aujourd'hui, avec l'agrément de la famille de Guillaume Lekeu, la
publication d'une série de Lettres inédites du regretté compositeur. Mieux que ne saurait le
faire tout essai biographique, elles permettront à ceux qu'a profondément émiis sa musique
si vibrante et si sincère, de connaître son âme ardente et généreuse, d'admirer ses belles
qualités de cœur et d'esprit.
Sa carrière de musicien, — hélas! si courte, — se trouve retracée dans ces lettres, oit
l'on verra esquissés bien des projets dont la mort ne permit pas la réalisation. Nous suivrons
autant que possible, pour leur publication, l'ordre chronologique.
I. — Lettres écrites à ses parents, au cours d'un voyage en Allemagne
(en compagnie de MM. T. de "WyzeiTva et Guéry) en 1889
(il avait 19 ans).
Munich, le i" août 1889.
J'ai vu avant hier, à l'Opéra de Munich, un immense chef-d'œuvre : le Hollandais
volant, de Wagner. C'est tout simplement prodigieux ! Et quelle exécution ! Oui,
l'Allemagne est un pays tout ce qu'il y a plus de extraordinaire.
Et la Pinacothèque ! Si le « Bibelot » (i ) pouvait voir les pâles vierges de Schaffner
l'Adoration des Mages de Bonto, les œuvres d'un vieux maître anonyme, auteur de la
Passion d'Elbersfeld, les Tryptiques sacrés des vieux de Cologne, les Memling, et la
Lucrèce du père Cranach ! Sans parler des deux immenses salles pleines de Rubens
exclusivement, d'où l'on sort absolument fou. D'ailleurs, je n'ai encore vu que les six
ou sept premières salles et il y en a vingt ou vingt-cinq : je te dis que l'Allemagne est
un pays prodigieux.
Mais l'étonnant, c'est la beauté du Vaisseau Fantôme — (c'est le nom français du
Fliegender Hollaender) . — Car Wagner a écrit cette œuvre à Paris, il avait tout au
plus vingt-cinq ans, c'est une œuvre de jeunesse tout à fait, et c'est admirable : il n'y
a pas encore l'emploi étonnant du leitmotiv qui apparaît dans Tristan, mais chaque
mélodie est superbe de vie, de passion, et toujours conforme au caractère du person-
nage qui la chante. C'est une œuvre forte et admirable, qui procède sans intermédiaire
aucun de Fidelio.
Que sera-ce donc à Bayreuth ?...
Je me sauve vers les Primitifs de la Pinacothèque ancienne. Mais je tiens à te dire
que Mijnchen est la meilleure et la plus drôle des villes : partout des édifices grecs,
des temples, des portiques, et au milieu de tout cela de grandes brasseries avec des
entrées de cave, et de bonnes petites maisons allemandes. 11 est vrai aussi que la ville
est pleine et entourée de jardins splendides, d'une fraîcheur et d'un calme exquis.
Lundi, nous avons vu défiler un admirable cortège de sociétés de gymnastique
qui avaient concouru la veille : des bannières, des drapeaux, et surtout des hommes
superbes. A citer les corporations d'étudiants et leurs insignes ; on se croyait au
moyen âge...
Je t'embrasse ferme.
(i) Surnom donné à un de ses amis.
— 723 -
Bayreuth, 6 août 89.
Mardi soir.
Ma bien chère petite Maman.
Aujourd'hui, était jour de repos : hier, Tristan, demain les Meister singer...
Au lieu d'aller chez Mme Wagner, je suis allé dans la chambre de Jean, qui a un
piano, essayer quelques fugues du Clavecin bien tempéré, et j'ai constaté, non sans
une certaine joie, que je ne savais presque plus jouer du piano...
...Cependant les meilleures gens du monde sont tous les membres de la famille
qui nous loue une chambre, à W... et à moi ; ils sont d'une prévenance, d'une atten-
tion délicieuses et tout aussi incroyables. La jeune fille qui s'occupe surtout de nous a
remis àW... une petite montre qu'on lui a donnée au jour de l'an, lui disant qu'elle
regrettait qu'il n'y eût ni pendule ni horloge dans la chambre, mais que cette montre
mise sur la commode tiendrait lieu de ces objets et qu'elle marchait très bien. (Elle
avance d'une bonne demi-heure par jour.) ...Pour moi, comme ami deW..., je suis
aussi bien soigné ; j'ai la clef de la maison, chaque matin on m'apporte du café et un
pot de lait avec deux œufs à la coque ; en guise de pain, ce sont de petits gâteaux déli-
cieux, et chaque fois que l'on me voit, ce sont des « Guten Tag » infinis ! Ce sont de
bien braves gens vraiment (dont je ne sais pas encore le nom d'ailleurs), et je me pro-
mets bien, si j'ai le bonheur de revenir encore ici, de ne plus aller vivre ailleurs. Et
puis, quel rêve réalisé ! Entendre les jeux scéniques en vivant en pleine campagne,
dans un pays merveilleux de douceur et de beauté !
... J'ai été présenté à l'unique élève de Vincent d'Indy, M. Albéric Magnard. Il ne
m'a pas produit bien bonne impression. Je n'y ai vu ni un musicien, ni un artiste, du
moins dans tout ce que je lui ai entendu dire, et c'est, il me semble, avant tout, un
esprit très fin, très parisien et boulevardier, qualité prodigieuse peut-être, mais qui ne
sert de rien à qui veut s'occuper de choses sérieuses. D'ailleurs, il est probable que je
lui ai fait encore une bien plus triste impression. Je crois que je suis peu sociable :
c'est dégoûtant !
Quant à d'Indy lui-même, que je comptais bien voir ici, avec ma veine habituelle
à son égard, je suis arrivé le lendemain de son départ pour Paris.
M. Jules Massenet est venu, lui aussi, mais il est aussitôt reparti.
De lui un mot délicieux, mais qu'il fera bien de ne pas répéter, car sa réputation
de chef des wagnériens en France (??!!) pourrait en souffrir. L'anecdote est de Ma-
gnard qui la tient de d'Indy. Massenet, sortant tout troublé du premier acte de Parsi-
fal rencontre d'Indy : « Mon cher (avec un grand air d'onction artistique), c'est admi-
rable et cette fin est tout à fait comme celle du premier acte de la Norma ! »
Alors d'Indy, froidement: « Parfaitement, cher Monsieur, et j'en suis d'autant
plus frappé que je ne connais nullement la musique de Bellini. »
Ce fragment de causerie me remplit de joie, car les deux caractères, quand on y
songe, s'y révèlent avec une netteté extraordinaire
Allons, encore une fois, je vous embrasse tous trois.
Bayreuth, le 12 août 1889.
Mes bien chers Parents,
..... Quand maman sera-t-elle à Verviers? Pour moi, j'y arriverai certainement
dimanche matin.
Voici ce qui arrive : aujourd'hui lundi commence à Francfort une exécution en-
— 724 —
tière de la Tétralogie. J'aurais vivement désiré entendre l'ensemble de ce monument
extraordinaire ; mais il n'y faut pas songer. Je préfère entendre ici une seconde fois
Tristan et Y solde et les Meistersinger. Mais mercredi, après la IValkyrie, ily a à Franc-
fort jour de repos, &i Siegfried tt la Gœtterdaemmerung ne seront donnés que jeudi et
vendredi, peut-être même vendredi et samedi. Dans tous les cas j'y serai, car nous
quitterons Bayreuth mercredi à 1 1 heures, sitôt après les Meistersinger...
Faut-il vous dire que mon voyage est toujours aussi beau, aussi surprenant que
jamais !
Je suis allé passer trois jours à Nuremberg : une ville extraordinaire, bien en-
tendu ; mais pas tout à fait ce que je m'imaginais. Que Marcel n'aille pas croire que
chaque rue et chaque maison soient comme le merveilleux décor du deuxième acte
des Maîtres. Les maisons, quoique avec une allure ancienne, ont toutes été restaurées,
les unes dans ce siècle, les autres au xviii«.
Mais ce qu'on a gardé, ce sont les vues d'ensemble, étonnantes d'originalité, les
petites rues contournées et enchevêtrées, les amoncellements de toits pointus, au loin
dominés par le vieux château-fort et les tours des fortifications, les ponts couverts de
maisons sur la Pegnitz ; mais dans tout cela, trop de gens se promènent et courent
pour leurs affaires. Puis une ignoble synagogue laisse voir de partout les boules qui la
surmontent. J'ai vu une vieille maison entièrement belle : celle d'Albrecht Durer ;
moins intéressante est celle d'Hans Sachs.
En revanche, ce qui a dépassé toutes mes espérances, ce sont les églises, puis le
musée. Il est impossible de ne pas devenir profondément religieux devant des chefs-
d'œuvre tels que l'église de Saint-Laurent, ou ce divin bijou mystique : Sainte-Marie,
et les douloureux bas-reliefs de Saint-Sebald. Puis, dans chacune de ces maisons di-
vines, des tableaux de Primitifs, toujours aussi beaux : tel entre cent, un Wohigemuth
à l'église Saint-Laurent.
Je suis allé aussi à Sroabach, un tout petit village à trois quarts d'heure de Nu-
remberg, où resplendit une miraculeuse église, avec, à l'intérieur, d'étonnants Albert
Durer, des Wohigemuth, et des statues en bois stupéfiantes d'expression, de reli-
gion, qu'a créées un bienheureux artiste de Nuremberg.
Tout cela, c'est beau, beau comme le monde, et je ne puis que le répéter encore
du Musée germanique de Nuremberg où scintillent les Cranach, Wohigemuth, Culm-
bach, Durer, Zeitblau, Bouts, Altdorfer, etc., puis les vieux maîtres de Cologne. —
Et surtout, dans ce musée, la joie, pour la première fois éprouvée, de n'avoir à re-
garder que des œuvres de ces bons et doux génies, sans regretter les peintres plus
modernes qui sont dans les autres salles. Marcel me comprendra. Ici, pas un Rubens,
un VanDyck, un Rembrandt, rien...
... Ici, à Bayreuth, rien de saillant. J'ai entendu hier, pour la seconde et dernière
fois, Parsifal. Aujourd'hui, à 4 heures, Tristan, demain les Maîtres.
Je ne regrette que l'absence de mon vieuxBibelot, de mon seul ami avant Wyzewa ;
il comprendrait que Wagner ne peut être compris (absolument pas), au piano ; et qu'en-
tendre ou plutôt voir un de ses drames est entrer dans un monde tout nouveau dont
je n'avais jusqu'ici nulle idée. On pleure presque tout le temps ; Parsifal m'a fait de-
venir passionnément religieux, et je me sens des envies étouffantes d'aller à la messe
(car c'est la seule chose que rappelle cette rêverie surhumaine !) — Et dire que ce
soir je vais encore entendre Tristan ! — Puis les Meistersinger !...
— 725 --
II. - Lettres à M. Kéfer, directeur de l'Bcole de musique de Verviers
(écrites pendant son séjour à Paris, 1889-1890)
Paris, 19 novembre 1889.
Cher Monsieur,
Je ne lis jamais les journaux de Paris, et encore moins ceux de Verviers. Je le
regrette aujourd'hui, car j'ai trouvé, par un purhasard, dans un numéro de l'L^n/onLî&e-
ralc, déjà vieux d'un mois, un entrefilet m'apprenant le succès que vous venez de rem-
porter avec une symphonie.
Mes humbles félicitations vous paraîtront peut-être de la moutarde après souper,
et pourtant, Monsieur, je vous prie de les accepter et de croire à leur entière sincérité.
Mon oncle vient de m'écrire tout récemment pour me dire avec quelle bonté bienveil-
lante vous lui aviez parlé de moi. Je ne sais vraiment comment vous remercier de
cette nouvelle marque d'affection, et je me sens aussi impuissant à vous témoigner
toute ma reconnaissance pour la demande d'un travail musical que vous m'adressez
par l'entremise de mon oncle. Je voudrais dès maintenant me rendre à votre
désir, mais je ne le puis vraiment encore. Voyez plutôt, cher monsieur ce qui
m'arrive.
Depuis le mois de mai de cette année, je travaille à une étude scénique à trois
personnages (j'en omets trois autres, mais sans importance pour le sens de l'ouvrage) :
étude d'après la charmante comédie d'Alfred de Musset : Barberine. Ma partition aura
deux actes ; j'espère, dans un ou deux mois (mettons au i^'" janvier), avoir terminé le
premier acte. Terminé, mais pas entièrement. J'écris sur trois, quatre, cinq ou même
huit ou dix portées, en multipliant les indications instrumentales, mais la partition
d'orchestre n'est même pas commencée, encore moins l'arrangement pour piano,
dont la seule pensée me fait dresser les cheveux sur la tête. Vous voyez que j'ai
encore au moins une année de travail, et sérieuse, avant d'arriver au bout de mon
petit drame.
Jusqu'à présent je n'ai pas lieu de me plaindre de moi-même, et je vous avouerai
en toute franchise que je crois avoir assez bien réalisé mes intentions sans m'illusion-
ner cependant sur la valeur de ce premier ouvrage, car je sens bien que le Maître de
Bayreuth pèse de tout son formidable poids sur ma pensée ; mais enfin je n'ai cherché
qu'à le suivre fidèlement, à être simple et exact dans la déclamation, à être expressif
et musical dans l'orchestration, en outre, à être scénique. Mais voici qu'aujourd'hui
un de mes amis, acteur de l'Odéon, m'a affirmé que jamais Mme Lardin, sœur de
Musset, ne permettrait l'exécution de l'œuvre (si, par hasard, l'occasion se présentait
de la monter à la scène), ni l'exécution de quelques fragments dans un concert. Elle
refuse, paraît-il, absulument toute autorisation aux demandes (nombreuses) d'adapta-
tions musicales des drames et comédies de son frère. Me voilà bien ennuyé, et pour-
tant je veux finir ce que j'ai entrepris, certain d'avance de ne jamais avoir le plaisir
de voir la réalisation absolue de ce que je rêve. Mais je pourrai toujours, lorsqu'un
orchestre voudra s'y prêter, faire exécuter à mon gré, et sans aucun contrôle de Mme
Lardin, les parties purement symphoniques de l'ouvrage. Je ne vois guère que deux
fragments propres au concert, et encore le premier perdra, je crois, beaucoup, loin de
la scène : un fragment de la deuxième scène du premier acte et le prélude du deuxième
acte.
Mon premier acte n'aura pas de prélude ; j'ai cru devoir ainsi faire, car le person-
nage principal n'apparaît qu'au deuxième acte.
Le Prélude est donc reporté avant cette rentrée au deuxième acte : il doit dé-
peindre la douceur de Barberine, sa bonté honnête, son amour et son dévouement
— 'J26 —
pour son mari. C'est un bien beau programme, mais... je n'en ai pas encore écrit une
note. Sans doute (puisque les quatre cinquièmes du premier acte sont terminés) j'ai
plusieurs motifs qui constitueront la base de ce morceau symphonique.
Mais il m'en faut encore deux ou trois autres, inutiles au premier acte, et que j'ai
d'avance réservés au deuxième exclusivement ; il me restera alors à ordonner tous ces
thèmes en un morceau d'orchestre bien continu.
Je me propose de ne mettre la main à ce Prélude que quand je verrai le deuxième
acte sur le point d'être terminé. Lorsqu'il sera achevé, je le montrerai à mon maître
Franck, et aussitôt après je me ferai un réel plaisir de vous en adresser la partition.
Mais vous voyez que ce n'est pas pour demain. J'ai aussi en tête une introduction à la
Coupe et les lèvres, mais presque à l'état de projet.
Excusez-moi, monsieur, de vous adresser une lettre si fastidieusement longue,
mais cela a été pour moi une si vive joie de vous connaître et de voir surtout qu'en
tout point (musical cela s'entend, pour le reste nous n'avons rien effleuré), vos opi-
nions répondaient absolument à mes admirations et à mes haines, — que je laisse
maintenant ma plume courir, sans songer que toute mon histoire vous ennuie peut-
être et mortellement. Encore une fois pardon.
Franck, de son côté, travaille aussi beaucoup : il aura bientôt terminé la troi-
sième partie d'un Quatuor à cordes qu'il m'a promis de me faire connaître avant de le
confier à la gravure. Il est enchanté de son éditeur Hamelle qui va faire paraître la
partition d'orchestre de sa Symphonie, et, en outre, il est content de mes devoirs de
contrepoint. Je vais avoir fini le contrepoint à trois parties, j'en suis à la cinquième
espèce. Ce n'est pas bien amusant, mais je sens que cela donne à l'écriture musicale
une aisance incroyable et je m'y applique sérieusement.
G. LEKEU,
[A suivre). 83, rue d'Assas.
LA RELIGION DE BEETHOVEN
et Sa c( IVlissa SoleroQis » ^'^
{Suite et fin)
Beethoven avait déjà écrit une messe (celle en Ut majeur^ à la demande du prince
Esterhazy. Cette œuvre du maître est fort intéressante, et mérite d'être prise en con-
sidération bien plus sérieusement qu'elle ne l'est, cependant, on ne saurait la juger par
comparaison avec la colossale Missa Solemnis. Mais certaines de ses pages ofi'rent des
idées d'une profondeur et d'une noblesse aussi hautes; je rappellerai, à titre d'exem-
ple, le saisissant Qui tollis peccata mundt.
Bien des années après avoir composé cette œuvre, Beethoven en feuilletait un jour
la partition. Lorsqu'il parvint à cet endroit, raconte Schindler : « Les larmes lui tom-
bèrent des yeux », et il dut interrompre sa lecture ; profondément ému par le texte
ineffablement beau de la liturgie, il murmura : « Oui, c'est bien ce que j'ai ressenti
lorsque j'écrivis ceci ».
L'une et l'autre de ces messes ont été écrites spécialement pour être incorporées
dans le service divin ; elles remplissent toutes deux les conditions que leur destination
liturgique imposait.
(i) Nous emprutitons, avec l'agrément de l'auteur, ce chapitre au bel ouvrage sur Beethoven, du
docteur Fritz Volbach, qui vient de paraître chez l'éditeur Kirschaim, à Munich et Mayence,
~ 727 —
Il fallait que la Mùsa Solemnis fut de proportions beaucoup plus considérables que
la messe en Ui, et ce même pour des motifs tout matériels : elle était destinée à un
office pontifical, c'est-à-dire un office où l'église catholique déploie ses suprêmes ma-
gnificences, et où chaque partie du service dure un temps beaucoup plus long. Si l'on
tient compte de ce fait, on ne reprochera guère plus à l'œuvre de Beethoven d'être inu-
tilisable à l'église ; ou du moins cette critique ne subsistera plus qu'en ce qui concerne
des parties isolées de cette œuvre.
A ce que je sais, le Kyrie et le Gloria au moins de la Missa Solemnis étaient autre-
fois exécutés très fréquemment aux offices pontificaux qui se célébraient à la cathédrale
de Cologne. Ceux qui contestent à la messe de Beethoven sa destination liturgique ne
tiennent pas assez compte du fait que c'est là priver l'œuvre de toute sa raison d'être,
lui enlever le terrain nourricier qui seul en peut recevoir les racines. Et alors la Missa
Solemnis ne serait plus comparable qu'à un bel arbre de Noël, dont la beauté s'épuise
en peu de jours. Quiconque veut construire pour l'éternité doit avant tout veiller à ce
que les fondements de son édifice soient solidement établis.
Ce qui donne encore à l'œuvre un caractère tout particulièrement ecclésiastique,
ce sont les rappels qu'on y trouve de mélodies liturgiques, et notamment de chants
grégoriens, — comme par exemple à Y Et incarnatus est ', mais les thèmes religieux
allemands, que Beethoven, au temps de sa jeunesse, entendait presque journellement
à Bonn, et qu'il avait même accompagnés à l'orgue, ces vieux thèmes y sont également
rappelés de temps en temps. Chaque fois que j'ai écouté l'œuvre, chaque fois que je
l'ai dirigée moi-même, il y a bien des pages — par exemple, Y Homo factus est, — qui
m'ont évoqué le ressouvenir des sonorités si souvent étendues au temps de ma pro-
pre jeunesse, dans mon pays natal.
Au temps où Beethoven était absorbé par les travaux préparatoires de la compo-
sition de sa Missa Solemnis, pendant l'été de 1818, il avait noté, sur son journal, ces
paroles : « Pour écrire de véritable musique liturgique, étudier les anciens chorals des
moines, etc., et voir aussi, et les césures dans les meilleures traductions et la pro-
sodie correcte des vieux psaumes chrétiens-catholiques, et surtout les chants (i).
Une autre question se présente tout naturellement : cette œuvre de haute sub-
jectivité est-elle conforme à cette conception de musique religieuse que l'Eglise a sou-
vent affirmée, et qu'elle s'attache à établir, aujourd'hui, avec une force nouvelle ? De
même, la musique instrumentale est-elle véritablement à sa place dans une église ? A
l'époque actuelle, on y interdit presque absolument cette musique, pour n'y permet-
tre que le chant a capella, avec, au plus l'accompagnement de l'orgue. Richard Wa-
gner s'est notoirement déclaré en faveur de l'adoption exclusive du chant a capella.
Beethoven lui-même, en envoyant à Zelter la partition de sa messe, lui écrit, le 25
mars 1823 : « qu'il est préférable de reconnaître, dans le style a capella, le seul véri-
table style d'église ».
Aujourd'hui on voit, dans les œuvres de Palestrina, les suprêmes modèles de la
vraie musique liturgique, et à mon avis cette opinion est absolument juste. Toutefois,
il y aurait un fort grand danger dans le fait de se complaire uniquement à imiter le
style de ce grand maître, et de croire que là seulement est la vérité. Beethoven déjà
avait reconnu ce danger, et le proclame nettement.
Je suis persuadé qu'en cette matière, un progrès est possible ; il peut se créer une
musique d'église qui soit conforme à l'essence de notre art actuel, c'est-à-dire, une
musique d'église moderne qui viendrait remplacer celle qui est conçue en quelque
(i) La phrase allemande est un simple mémento, très confus, cjui est ici traduit mot pour mot (Note
du traducteur).
-7^8
sorte par arrière-pensée, et réalisée selon des principes vieillis. Lorsque Palestrina écri-
vait ses chefs-d'œuvres, ceux-ci étaient inspirés par le génie même de l'époque : ils
étaient donc modernes. Je ne connais qu'une seule composition où s'affirment des ten-
dances novatrices, sans que pourtant il y soit contredit aux tendances essentielles de
l'Eglise : la SMissa choralis de Franz Liszt. On peut, si l'on veut, estimer que le pro-
blème n'est pas, dans cette messe, intégralement résolu ; on peut apprécier comme on
voudra la valeur de l'œuvre même : mais il reste vrai qu'elle donne l'impulsion,
qu'elle montre le chemin par où peut s'accomplir le progrès. Mais revenons à la messe
de Beethoven.
Nous avons défini celle-ci, une œuvre liturgique, destinée au service divin. Et
c'est bien ce qu'elle est, eu égard aux tendances de son époque, où la messe instru-
mentale était considérée comme l'expression de la plus haute solennité. Mais il ne faut
pas conclure qu'elle ne doive jamais être exécutée hors l'église, en manière d'oratorio.
D'ailleurs, Beethoven lui-même le spécifie dans une lettre à Gœthe en date du 8 fé-
vrier 1823.
L'œuvre se distingue, à plusieurs points de vue, de toutes les autres messes com-
posées à la même époque : d'abord, par une très haute puissance expressive. Puis par
l'ampleur de lignes, par l'unité de l'ensemble comme de chaque partie envisagée isolé-
ment. Beethoven s'est abstenu de séparer, comme le firent souvent les musiciens de
cette époque, le Gloria et le Credo en plusieurs numéros. 11 les traite comme un bloc,
et sait admirablement en réunir, par des moyens purements musicaux, toutes les pen-
sées et toutes les images en une immense et puissante vue d'ensemble. 11 donne à cha"
cune des parties une architecture digne d'être comparée, pour la vigoureuse logique
du développement et pour la progression intensément consciente, à celle de ses pages
symphoniques.
La première partie, le Kyrie Eleison avec le mouvement médian, le Christe Elei-
son, affirme d'emblée le caractère fondamental de l'œuvre, « solennelle sublimité » qui
s'accompagne d'un suprême éclat, comme il convient pour une grand'messe. L'indica-
tion placée en tête de la musique : Avec recueillement, montre qu'il faut comprendre
cette page comme une prière pleine d'élévation. Le Christe Eleison, le premier, contient
véritablement une supplication, un appel à la miséricorde. Et là nous voyons le maître
harcelé par le destin, isolé dans sa surdité, le cœur alourdi d'un germe de mort, lever
ardemment les yeux au ciel, et implorer : « Du fond de l'abîme, je clame vers toi.
Seigneur ; Seigneur, daigne écouter ma voix. » C'est là le caractère du Christe, et
la suite du Kyrie, en dépit de toute l'atmosphère de solennité, en reste toujours em-
preinte.
Suit le Gloria in excelsis Deo. Une joie tumultueuse parcourt toute cette partie, et
quelquefois à peine s'interrompt pour laisser apparaître de plus graves images. Le mo-
tif principal, plein d'élan et presque sauvage, devient un très significatif élément grâce
auquel sont obtenues et l'unité de l'ensemble, et la merveilleuse distribution des pé-
riodes. Ce motif revient, toujours plein de joie, dans le Laudamus te, dans le Glorifica-
nms te, dans le Domine Deus, à la première et unique entrée des trombones du pater
omnipotens, et enfin s'exalte, de plus en plus dans la péroraison. De magnifiques épi-
sodes viennent, entre ces diverses parties, faire contraste. L'image de la paix, au
verset et in terra pax; le mystérieux Adoramus te ; le Gratias agimus avec toute la ten-
dresse de ses lignes mélodiques et le charme captivant des sonorités ; le fier Domine
fili unigeniti avec le qui tollis peccatamundi si saisissant, si rempli de sainte émotion;
et, avant le dernier retour du thème, après le Ouoniam soins tu sanctus, la grandiose
{\ig\XQf\nd\e,ingloria Deipatris, Amen, oùYoxï croit percevoir, comme pour un 7^
Deum de victoire, les clameurs abondantes des cloches.
— 7^9 —
Le Credo, avec ses divisions nombreuses et ses plirases dogmatiques, offre la ma-
tière la moins propice à la composition musicale, car il comporte malaisément une
construction bien homogène. Mais ici encore Beethoven a trouvé le fil rouge qui le
guide, et l'a trouvé dans le motif originel du Credo même, ce motif qui comme un pi-
lier central supporte puissamment l'édifice tout entier. Je me bornerai à mentionner ici
quelques-unes des beautés qui sont particulièrement frappantes. D'abord, je voudrais
signaler les tableaux qui sont relatifs à l'Incarnation du Christ ; la caractéristique des-
cription du descendit de cœlis ; Y Et tncarnatus est profondément émouvant en sa lumi-
neuse simplicité, avec son très antique thème auquel, subitement, vient s'associer un
doux et mystérieux papillotement, tout pareil à l'éternelle musique des astres. Ici la
tonalité générale pourrait être définie par ce vers du poète : « Le séraphin n'ose par-
ler, l'infini tressaille. » Après, comme un appel d'allégresse, le et homo factus est. Puis
une autre scène : la Crucifixion, le drame de l'histoire universelle. La terre frémit.
Des chocs de marteaux annoncent le meurtre commis sur le Rédempteur des hommes.
Il semble que la nature se soulève, et au milieu de ce tumulte, s'élève la plainte émou-
vante des violons. Puis après que tout s'est apaisé, le silence de mort qui accompagne
les paroles et sepuUus est. Mais Christ est vainqueur de la mort : Et resurrexit. La mu-
sique illumine ce moment d'un splendide éclat. C'est le jeune soleil du matin, c'est
l'aube de Pâques !
L'effet deVacapella, avec les puissants accords à la basse, qui est presque dans le
style de Palestrina, et de toute la joie de Vet ascendit, jailli vers le ciel, est ici absolu-
ment écrasant. Mais c'est un véritable coup de tonnerre qui ébranle le monde, lors-
qu'au milieu de cette joie retentissent les trombones du jugement : jiidicare vives et
niortuos. Cependant, le juste ne doit pas craindre la venue de Celui qui jugera l'uni-
vers : avec une joyeuse confiance, il regarde ce Juge, et à ses côtés s'envole vers les
régions bienheureuses de l'éternelle paix.
Voilà ce que contient cette musique supra-terrestre pleine de mystère, qui plane
si haut au-dessus de notre monde, cette musique que nous offre la fugue terminale : et
vitam venturi sœcuH, Amen.
Les trois premières parties du Sanctus se répartissent entre les solistes. La cou-
leur générale de ce morceau est grave et élevée; on commence à y prendre cons-
cience du mystère qui bientôt va s'accomplir à l'autel. Les sonorités des altos, des
violoncelles et des contrebasses (sans violons) s'entrecoupent d'accords très doux aux
trombones, et tout cela produit une atmosphère particulièrement solennelle.
C'est seulement au moment du Pleni sunt Cceii que les violons et le reste de l'or-
chestre interviennent en une joyeuse animation, qui s'accroît encore à YHosanna, acti-
vée au plus haut degré par l'emploi de moyens dynamiques remarquablement
incisifs.
Je souligne encore le fait que tout le morceau est jusqu'ici tout entier confié aux
quatre solistes. La raison de cette particularité n'est point connue, et on ne la peut
découvrir nulle part. L'instrumentation, très chargée, du Pleni et du Hosanna semble
indiquer l'intervention des chœurs, mais cependant la partition d'après laquelle
l'œuvre a été gravée chez Schott à Mayence, et qui porte une multitude de correc-
tions de la main même de Beethoven, montre sans doute possible que le maître voulut
ici les solistes et rien de plus.
Un silence sacré tombe maintenant sur la foule des fidèles en prières, pendant
qu'à l'autel s'accomplit le plus saint des mystères, celui de la Transsubstantiation.
Notre âme croit voir le Maître de l'univers descendre, entouré de ses légions d'anges.
Et soudain, le silence sacré devient sonore, et semblable à la mystérieuse musique des
légions célestes. A ces sonorités, le monde qui nous entoure disparaît pour nous, des
— 730 —
espaces infinis et lumineux s'ouvrent, nous voyons le sublime prodige, nous recon-
naissons le Rédempteur, qui ouvre ses bras tout grands et nous appelle : « Venez tous
à moi, vous dont l'âme est lasse et lourde de peines ». Mais des hauteurs, une voix
descend vers nous, comme sortant des lèvres des anges : Benedictus qui venit in no-
mine Domini. Un solo de violon — puis retentit, montant de la terre en manière
d'écho, une presque muette prière : Benedictus qui venit.
Et transportés de sainte extase, nous nous agenouillons, en priant, anéantis par
la douceur de la béatitude.
La fin est formée par VAgnus Dei qui est un chant de plainte, grave et solennel.
Dans le choeur interviennent d'abord les seules voix des hommes ; puis s'y associent
les altos au timbre chaleureux. La musique y évoque le Sauveur courbé sur le far-
deau de tous les péchés de la terre ; l'humanité l'a reconnu, et comme écrasée elle
clame : « Pitié, Seigneur, accordez-nous la paix », la paix que nous ne pouvons pas
trouver dans le monde! Prière pour la paix intérieure et pour la paix au dehors, a mis
en épigraphe Beethoven. Lorsque s'est achevée l'intime prière pour la paix intérieure,
la paix de l'âme, on entend soudain, au loin, de sourds roulements de tambour et des
fanfares guerrières. Au dessus du frémissant trémolo des cordes, une voix s'élève, et
prie avec angoisse pour la paix. Les signaux se rapprochent ; la supplication devient
plus intense, comme un cri de détresse retentit l'appel du chœur : « Miséricorde ! »
La Furie guerrière ne se laisse point détourner ; elle approche, précédant la
Mort moissonneuse. Mais l'humanité a rassemblé toutes ses forces grâce à la prière ;
elle veut résister même au Ciel. La voix des hommes couvre les bruits belliqueux.
Une furieuse page d'orchestre. Puis, dans la détresse suprême, un cri strident, inter-
rompu par les bruyantes trompettes, annonciatrices de la victoire.
Le Seigneur n'a point oublié les siens ! Le tumulte de la guerre s'est tu ; douce-
ment, les roulements des tambours et les appels des cors se font entendre, très au
loin. Voici que point l'aurore du jour prochain. Un arc-en-ciel étale ses mille couleurs
en signe de paix, le ciel s'entr'ouvre, et des voix ravies répètent Dona nohis pacem. Les
chants s'arrêtent, sans conclusion bien caractérisée, comme s'ils se résolvaient en
musiques éternelles, en mélodies des sphères, purifiés de tout ce qui est terrestre, dans
la lumière éternelle.
D-- Fritz VOLBACH.
(Traduit de l'Allemand par M.-D. Calvocoressi).
Des Etudes de Composition musicale
Ce qu*elles sont, ce qu'elles devraient être
Depuis le mois d'octobre dernier, sous l'impulsion du nouveau Directeur, les
réformes sont à l'ordre du jour au Conservatoire. 'Quelques règlements vieillis ont été
abrogés, d'autres d'une incontestable utilité, remis en vigueur, le plus grand nombre
enfin modifiés en vue de les rendre plus adéquats aux exigences actuelles ; mais ces
remaniements, pour la plupart, sont partiels : n'y aurait-il pas lieu de reviser complè-
tement certains programmes d'études pour les rendre plus conformes à l'orientation
de la musique moderne ?
Cette question se pose principalement en ce qui concerne la composition musicale,
qu'il s'agisse des classes élémentaires {classes d'harmonie) aussi bien que des classes de
composition. Examinons comment sont enseignées actuellement ces différentes ma-
tières.
— 731 —
Quiconque veut devenir élève dans une classe d'harmonie, doit, après s'être fait
agréer comme auditeur libre par le professeur, suivre les cours de cette classe et étu-
dier, non pas comme on serait tenté de le croire, la science des accords, mais les lois
qui régissent les rapports des accords entre eux. Il doit travailler seul et presque sans
guide, le professeur n'étant pas tenu de corriger ses essais ; s'il n'est pas assez fortuné
ou si un camarade plus érudit ne l'aide de ses conseils il risque fort de prendre en
dégoût ces études arides que les explications d'un maître éclairé parviennent rarement
à rendre attrayantes. Si pourtant il a le courage de persévérer et de s'assimiler toutes
les règles que les harmonistes érigèrent en lois, il peut, à la suite d'un examen, être
admis au titre officiel et recevoir les conseils du professeur. Quel genre de travaux lui
seront alors imposés ? Des réalisations de hasses et chants donnés plus ou moins étendus
ou complexes qui lui serviront à acquérir (pour employer un mot d'argot) le plus de
« patte » possible et se mettre en bonne forme pour obtenir un premier prix au con-
cours. Ces exercices il pourra les pratiquer pendant un temps plus ou moins long (cinq
ans au maximum) selon les chances qu'il aura de deviner les énigmes à lui proposées
sous le nom de hasses et chants donnés. N'est-ce pas ainsi qu'il convient de dénommer
ces textes où s'accumulent à plaisir les modulations lointaines, souvent enharmoni-
ques, sortes de rébus plus ou moins musicaux et nullement vocaux, comme ils de-
vraient l'être, car l'élève est tenu d'écrire pour quatre voix : soprano, alto, ténor et
basse, dans les clefs qui correspondent à la tessiture de chacune d'elles. Mais comment
arriverait-il à écrire vocalement puisqu'il doit toujours considérer une seule des quatre
parties (chant ou basse) comme partie principale, les autres n'étant qu'un accompa-
gnement plus ou moins orné de la partie donnée? Vocal et mélodique sont synonymes,
aucun remplissage ne peut mériter le qualificatif de vocal. C'est là une contradiction
qu'il faut signaler, il est impossible d'y remédier avec le plan d'études actuel.
De nombreux inconvénients résultent de cette méthode de travail : voici les deux
principaux :
Un esprit peu enclin aux recherches s'assimilera nombre de formules ; il les re-
trouvera sous sa plume le jour où il s'essaiera à composer ; ses œuvres paraîtront ba-
nales, plates et dénuées de personnahté.
Si, au contraire, l'élève possède un esprit curieux, il se laissera aller, afin de
rendre son travail plus attrayant, à combiner des enchaînements d'accords bizarres ou
illogiques, il abusera du chromatique, des modulations rapides aux tons éloignés : ses
réalisations deviendront antitonales, souvent même antimusicales, résultat diamétra-
lement opposé au but poursuivi. Les complications harmoniques excessives que
présentent nombre d'œuvres modernes sont la conséquence directe de ces exercices
inutiles.
Suivons maintenant l'apprenti compositeur dans la classe de contrepoint et
fugue (i); de nombreuses désillusions l'y attendent. Il lui faut faire table rase des
connaissances acquises jusqu'alors, à l'exception de quelques règles fondamentales
concernant les accords parfaits, la tonalité et les modulations. Soumis à des lois bien
plus sévères, il doit s'astreindre à n'écrire au début qu'à deux parties, son seul objec-
tif étant la marche W/oJ^^mc de ces parties. Ce n'est qu'après de nombreux exercices
de ce genre qu'il peut aborder des études moins arides quoique d'un style également
rigoureux. Le stage comme auditeur est obligatoire mais sa durée est moins longue
(i) C'était la dénomination que portaient jusqu'au mois d'octobre dernier les classes dites communé-
ment : classes de composition.
— 732 -
que dans les classes d'harmonie, il est rare qu'il dépasse un an. L'élève ayant alors
pratiqué les espèces de contrepoint les plus variées s'exerce successivement à écrire des
fugues à deux, trois et quatre parties. Mais là encore le côté grammatical l'emporte de
beaucoup sur le côté rhétorique. Le plan de la fugue tel qu'on le pratique au Conser-
vatoire, est, à quelques détails près, emprunté aux Maîtres italiens du xvii^ siècle : le
thème est composé, le contre sujet obligatoire, les transformations tonales et modales
du sujet et de la réponse sont arrêtées d'avance, c'est donc uniquement dans les épi-
sodes destinés à relier les différents aspects du thème que l'élève peut composer, in-
venter, le reste n'étant guère qu'un travail d'harmonisation. Ces règles strictes para-
lysent toute initiative et tendent à ne faire de la fugue qu'un exercice de virtuosité.
Les chances plus ou moins grandes d'un concours apportent une sanction à ce genre
d'études et voici un jeune homme sacré compositeur parce qu'il manie correctement,
quelquefois avec élégance, l'écriture contrapontale à quatre parties ! !
II est inutile cette fois d'insister sur l'inconvénient d'un pareil procédé. Est-il be-
soin de dire que lorsqu'il s'agit de fugue tant vocale qu'instrumentale, c'est à J.-S.
Bach et non plus haut qu'il faut remonter, n'est-ce pas lui qui a synthétisé et amené à
la perfection absolue tous les essais tentés dan? le même genre par ses prédécesseurs
italiens et allemands ?
Signalons seulement deux graves défauts, conséquences des études actuelles :
I*» L'obligatoire transformation modale du sujet qui peut entraîner à des réalisa-
tions antimusicales (i).
2° L'obligation de la strette qui devient absurde quand le sujet ne se prête à au-
cune combinaison canonique.
Cet exposé succinct du programme des classes d'harmonie et de composition
montre les inconvénients qui résultent de la méthode actuelle d'enseignement. Il
faut donc élaborer un règlement d'études échappant aux critiques ci-dessus énon-
cées.
On a souvent adressé aux Conservatoires le reproche de n'avoir jamais aidé à
l'éclosion des génies ; c'est une mauvaise querelle qu'on cherche à ces établissements :
leur but n'est pas uniquement de faire éclore des talents, mais ils doivent surtout for-
mer ce qu'on pourrait définir d'excellents traducteurs de la pensée des maîtres : vir-
tuoses, professeurs, chefs d'orchestre, etc. (2).
Pour cela il est nécessaire de donner à ceux-ci, en outre des principes indispen-
sables à la branche spéciale qu'ils étudient, une sorte de culture générale leur per-
mettant d'être les interprètes ^(i^/« des œuvres qui leur sont confiées; c'est dans
l'étude plus ou moins approfondie de la composition qu'ils puiseront les connaissances
indispensables pour acquérir cette qualité.
Voici l'énoncé d'un projet qui répondrait assez bien à ce but :
. Etude théorique et pratique
des accords.
I. Création de classes d'harmonie et de contrepoint. \ 2. Etude du contrepoint de deux
à huit parties.
. Harmonisation de chorals.
(i) Certains sujets ne se prêtent nullement au changement démode à cause de leur configuration mé-
lodique et vice versa.
(2) Les critiques musicaux gagneraient beaucoup à fréquenter les classes de composition ; une con-
naissance même superficielle de la technique donnerait plus d'autorité à leurs jugements.
— 73? —
(Ces exercices n'ayant qu'un but : initier l'élève à toutes les ressources de la po-
lyphonie vocale.)
/ I. Fugue à deux, trois et quatre
i parties.
„ ^ . ,. j , , c i j -i- ■ -• Variations sur des thèmes de
II. Création de classes de fugue et de composition. < h r-l
' 5. Etude théorique et pratique
\ de la forme symphonique.
Quelques éclaircissements sont nécessaires pour bien faire comprendre la seconde
partie de ce programme, notamment en ce qui concerne la fugue. Il serait facile de
choisir dans l'œuvre de Bach cinq ou six des fugues les plus parfaites, le plan et la con-
duite générale de ces morceaux serviraient de guide à l'élève qui, devenu maître de sa
plume grâce aux exercices de contrepoint, jouirait d'une certaine liberté. Il aurait le
choix entre le style vocal (avec texte obligé) et le style instrumental, les conseils du
professeur le maintiendraient dans la bonne voie. La composition du Choral varié
développerait encore son esprit d'invention en lui laissant une latitude plus
grande, il arriverait insensiblement à l'étude de la forme symphonique ayant
pratiqué les différents genres de composition, depuis les plus sévères jusqu'aux plus
libres.
* *
Ce plan d'études, d'ailleurs, n'a nullement la prétention d'être inédit, ni même
original.
Depuis longtemps l'enseignement de l'harmonie et du contrepoint est mené de
front en Allemagne ; M. Vincent d'Indy, dans l'appendice du premier volume de son
Cours de composition musicale, préconise la plupart des exercices indiqués plus haut.
Pourtant, ce qui devrait faire adopter ces idées sans conteste par tous les musiciens, à
quelqu'école qu'ils appartiennent, c'est que la paternité en revient à J. -S. Bach lui-même
qui ne pratiqua jamais d'autre méthode d'enseignement (i).
Bach ne faisait pas étudier en premier lieu le contrepoint simple à ses élèves, il
leur faisait de suite harmoniser le Choral à quatre parties, mais, pour lui, toute leçon
d'harmonie était également une leçon de contrepoint. Ses idées sur la réalisation de la
Basse chiffrée nous sont parvenues de différents côtés : le Clavierhûchlein d'Anna Magda-
lena Bacli (1735) contient quelques explications sommaires à ce sujet, mais c'est sur-
tout dans un cours complet sur la même matière (dont fit prendre copie en 1738 un
certain Johann Peter), que nous pouvons trouver les renseignements les plus intéres-
sants. Le texte que nous possédons doit être, à quelque détail près, celui que Bach
dicta à ses élèves. Il expose d'abord quelques définitions concernant l'accord parfait
puis, formule la règle fondamentale de toute bonne réalisation : « Il faut toujours
faire marcher les mains par mouvement contraire afin d'éviter les suites de quintes et
d'octaves. »
Bach obligeait également ses élèves à réaliser par écrit des basses chiffrées de So-
nates étrangères. Quand il les jugeait suffisamment exercés il leur faisait commencer
l'étude de la fugue. Pour lui, chaque partie représentait une personne en train de par-
ler ; il défendait de l'interrompre ou de la faire taire avant qu'elle eût exprimé tout ce
qu'elle avait à dire, mais il interdisait aussi tout bavardage inutile. La personnalité de
chaque partie étant respectée il permettait toutes les libertés, tolérait toutes les audaces
pourvu qu'il y eût du raisonnement et des idées. Toutefois, à ses yeux, ces exercices
(i) Les renseignements qui suivent sont tous empruntés au remarquable livre de M. A. Schweitzer :
Bach, le musicien poète.
— 734 —
ne représentaient qu'un premier apprentissage ; un seul moyen lui paraissait bon pour
progresser dans l'art de la composition, c'est celui qu'il avait pratiqué lui-même:
l'étude des chefs-d'œuvre.
Ces quelques citations suffiront sans doute à montrer les nombreux points de
contact existant entre notre plan d'étude et la méthode d'enseignement de Bach.
Pourtant, dans le programme de classes de composition, il faut tenir compte de cer-
tains éléments dont le Cantor de Leipzig n'avait pas à se préoccuper puisqu'il nous ont
été transmis par ses successeurs ; l'un d'entre eux a une importance capitale : La
forme symphonique.
Que la paternité doive en être attribuée à Ph. Emm. Bach ou à Jos. Haydn, peu
importe ici, l'essentiel est de considérer son rôle dans l'histoire de la musique depuis
le xviii® siècle jusqu'à nos jours ; c'est à elle que nous devons les manifestations les
plus hautes de l'Art, et il est absolument indispensable que tout musicien, quelles que
soient ses tendances, l'étudié à fond.
La musique a une grande analogie avec l'architecture, les œuvres fortes et pro-
fondes ont. pour caractéristique un plan bien établi et une grande pureté de lignes ;
ces qualités, si difficiles à acquérir ne s'obtiennent que par une étude réfléchie et
approfondie de \di forme ; une connaissance complète de celle-ci, acquise par la prati-
que, permet seule au compositeur de créer des œuvres solides, bien construites, quel-
que soit le genre qu'il aborde. Les exemples d'ailleurs ne manquent pas, qui prouvent
l'absolue nécessité de cette étude. Tous les maîtres classiques et romantiques ne se
sont-ils pas formés à cette école, depuis Mozart, Schubert, Weber jusqu'à Schumann,
Wagner et Brahms ? Cela n'a pourtant empêché quelques-uns d'entre eux d'écrire les
ouvrages de théâtre les plus remarquables que nous aient légués les siècles précé-
dents ; témoin Don Juan, le Freischût:(, Parsifal.
Il reste à rechercher pourquoi les études de composition proprement dite ont été
laissées jusqu'ici en dehors de tout programme d'enseignement. Cela tient, sans
doute en grande partie à la vogue exclusive dont a joui, en France, la musique
dramatique depuis la Révolution jusqu'aux dernières années du dix-neuvième siècle.
Mais sans s'arrêter à des considérations historiques il faut envisager ce qui actuelle-
ment empêche la forme symphonique d'occuper dans les études la place à laquelle elle
a droit.
La question est assez délicate puisqu'il faut, pour expliquer cette anomalie,
s'attaquer à une institution d'Etat dont l'Académie des Beaux-Arts garde jalousement
les règlements sans vouloir les modifier : il s'agit du Prix de Rome.
Procurer à des jeunes gens sans fortune les ressources matérielles nécessaires à
leur entretien, leur permettre, par cela même, de travailleren toute tranquillité, est une
idée excellente : elle aurait d'excellents résultats si elle n'était mise en pratique de
détestable façon.
Qu'arrive-t-il, en effet, quand un jeune musicien entre dans une classe de compo-
sition ?
Il est uniquement Iiypnotisé par le concours de Rome, sorte de miroir à alouettes
qui exerce sur lui une attraction irrésistible. En vain son maître essaie-t-il de lui dé-
montrer qu'avant d'être prix de Rome il faut tâcher d'apprendreà fond son métier, (i)
(i) De 1892 à 1896 dans une des classes de composition dont l'effectif était d'une vingtaine d'élèves
deux seulement d'entre eux soumirent des essais de musique symphonique à la critique du professeur ;
l'un une Ouverture, l'autre un Quatuor à cordes et une Symphonie.
— 755 —
il n'écoute pas ses conseils ; son but unique est d'arriver à écrire une fugue suffisante
et un choeur passable qui lui permettent d'aborder le second degré du concours. Avec
un peu de protection il y arrive sans trop de peine, brosse une cantate qu'il orchestre
tant bien que mal, (i) s'il a la chance de la faire bien interpréter et de charmer par
quelques élégantes banalités les oreilles d'un jury en grande partie incompétent, il
part l'année suivante à Rome lesté de quatre mille francs de rente !
Mais c'est ici que commence le côté vraiment comique de l'histoire. Parmi les
obligations qu'impose l'Institut à ses lauréats, en échange de l'aide pécunier qu'elle
leur offre, figure celle d'écrire un trio et un quatuor à cordes ; voici notre musicien bien
embarrassé pour se tirer de ce mauvais pas ! Il cherche à deviner chez les Maîtres clas-
siques les secrets de cette forme symphonique dont il ignore jusqu'aux principes élé-
mentaires, mais comme il manque d'un guide éclairé, autant que d'expérience per-
sonnelle il envoie quelqu'œuvre bâtarde mal équilibrée, qui lui attire les foudres de
l'aréopage chargé de la juger.
II serait pourtant bien facile de réformer les règlements du concours de façon à
n'envoyer à Rome que des jeunes gens en pleine possession de leur métier; ceux-là
seuls peuvent travailler avec fruit et profiter des avantages vraiment exceptionnels
qu'on leur offre.
Formons, en terminant, le souhait qu'une prompte et complète refonte des règle-
ments permette de tirer de cette institution, indubitablement utile, tous les bénéfices
qu'elle est susceptible de donner.
Albert BERTELIN.
TlCmÉMIE NTITIÛNULE IDE MVSIQVE
La Ronde des Saisons
Ballet légendaire en trois actes.— Musique de Henri BUSSER
Aimez-vous les ballets? C'est oui ou c'est non, comme pour Venise. J'ose avouer
qu'ils me plaisent assez, mais à la condition de ne pas durer trop longtemps. Au bout
d'une heure les jambes ne me disent plus rien. Pour compléter mon aveu je vous con-
fesserai que je ne supporte les ballets qu'à l'Opéra. Car si l'on n'y chante pas toujours
bien, témoin l'autre soir où un beau ténor fut justement sifflé, on y danse à mer-
veille. Il y a là tout un bataillon de charmantes femmes qui, vouées dès leur plus
jeune âge à l'étude de l'entrechat, connaissent jusqu'au bout de l'ongle de leur pied
léger les ressources périlleuses de leur art. Je n'ai pas encore vu tomber une dan-
seuse, tout au moins sur la scène, et Dieu sait si, plus que d'autres, elles sont expo-
sées aux chutes. On le regrette presque, elles se relèveraient si joliment.
C'était donc fête ce mardi 19 décembre à l'Opéra où pour la répétition générale
de la Ronde des Saisons les rats du chant avaient laissé la place entièrement libre aux
rats de la danse. La scène leur appartenait. Ils avaient tous les honneurs du pro-
gramme. L'Académie nationale de musique et de danse prend ces soirs-là un petit air
gaillard qui prépare bien les invités de la maison au gracieux spectacle qu'on leur
offre. Plus de partitions sous le bras des critiques grincheux, mais des lorgnettes
dans toutes les mains. On vient là pour se rincer Parfaitement. Et il y a de quoi.
(i) Ceci ne veut pas dire naturellement que ious les prix de Rome ont obtenu cette récompense sans
en être dignes, mais les exceptions, même nombreuses, ne confirment-elles pas la règle ?
— 736 —
Après une ouverture qui n'a pas d'importance pour l'abonné dont le cœur palpite,
parce que, pour la première fois depuis son passage des quadrilles aux premiers sujets,
la petite Zaza Pirouette, à qui il ne veut que du bien, va débuter dans une trop courte
variation, le rideau se lève, et les voici toutes qui s'avancent en bel ordre, solidement
campées sur les pieds en dehors, d'un coup de main faisant bouffer le tulle de leur
jupe un peu froissée par la descente en tourbillon des escaliers des loges. Un courant
de sympathie s'établit aussitôt entre la scène et la salle. Par dessus la rampe de jolis
yeux cherchent la mèche conquérante ou le crâne d'un ami tout heureux de cette at-
tention. Ce que ces demoiselles ont de belles relations ! Un petit signe de tête ; on
s'est reconnu. Et elles dansent, ou plutôt elles s'envolent au rythme d'une musique
entraînante. Entre les lèvres de corail brille la nacre des dents, les yeux pétillent de
joie et de malice, les bras s'arrondissent en de gracieux mouvements, les corsages on-
dulent avec souplesse, et les jambes nerveuses ont des battements d'ailes. Tour à tour
elles dansent, sourient et bavardent, et souvent cumulent ces trois aimables occupa-
tions. Quand tout s'agite, la langue peut-elle demeurer au repos? Et l'on a de l'esprit
dans le monde des pointes.
N'attendez pas de moi que je vous fasse le récit de la Ronde des Saisons. Un bal-
let, cela se laisse voir, mais non raconter. Le scénario de MM. Ch. Lomon etj. Hansen
nous développe l'aventure tragique d'Oriel, un joli petit lutin du sexe faible, qui
s'éprend d'amour pour un mortel et en meurt, eomme l'avait prédit une sorcière du
sexe fort. (On a bien fait de donner ce rôle à un vilain homme, aucune danseuse n'aurait
jamais pu s'enlaidir et se vieillir assez pour cet emploi). Le libretto, coulé dans le
moule classique de ce genre de divertissement, fournit au musicien les plus gracieuses
occasions de dépenser son imagination lyrique appuyée sur des rythmes heureux, au
peintre décorateur de brosser un tableau dans lequel les saisons se succèdent avec
leurs effets connus et toujours nouveaux, au costumier d'habiller légèrement de jolies
femmes chargées de figurer les fleurs, les oiseaux et les insectes chers à la féerie. Nous
avons bien remarqué certaines hirondelles dont le bleu ne pouvait venir que de Prusse,
tant il choqua nos yeux de France. Mais ce n'est qu'une petite tache dans un en-
semble très harmonieux de couleurs qui se termine par une exposition de blanc et noir
avec le vol final, tout à fait réussi, des corbeaux agitant leurs ailes funèbres sous la
neige qui tombe.
M. Henri Busser nous excusera de ne pouvoir aujourd'hui parler utilement de sa
partition. Je la reçois à l'instant et la nécessité où je suis, à cause des fêtes, d'envoyer
tout de suite ma copie, ne me permet pas d'entreprendre, sans une lecture préalable,
l'analyse qu'elle mérite. L'autre soir j'ai entendu sa musique à travers ma lorgnette
devant laquelle passaient trop de jolies choses. Cependant je ne veux pas envoyer cet
article un peu fantaisiste, sans dire que j'en ai rapporté une excellente impression, sur-
tout du premier acte si plein de mouvement, de gaieté, de trouvailles rythmiques
qu'animait de son pas, de son geste, de son sourire, de son vol presque la délicieuse
Carlotta Zambelli, lutin et femme, et si différente dans ses deux incarnations. Je ne
puis nommer toutes les jolies personnes, à la tête desquelles marchaient Mlles Louise
Mante et Mathilde Salle, qui contribuèrent au succès de cette œuvre. Il me faudrait ici
copier la liste du personnel de la danse. Je me ferai un plaisir, dans notre prochain
numéro, de m'occuper de la musique qui permit aux saisons de mener leur ronde et de
tourner avec succès. Compositeur et interprètes furent acclamés. jVictor DEBAY.
Nous publierons dans notre prochain numéro le compte rendu des Pêcheurs de Saint-
Jean et de la Coupe Enchantée à l'Opéra - Comique , et la fin de l'article sur les
Trente-deux Sonates de Beethoven et les Concerts-Risler.
— 737 —
LES Gi^arxii^s eoncEi^îTS
Concerts Colonne et Lamoureux
La plus grande curiosité de ces derniers dimanches a été, le 17 décembre, la
direction de l'orchestre Lamoureux par M. Safonoff, « chef d'orchestre de la Société
impériale et Directeur du Conservatoire de Moscou », Nous eussions aimé qu'il nous
fît entendre des œuvres plus foncièrement russes que laiSérénadede Mozart, le Concerto
de violon de Beethoven, dont la partie de solo fut tenue par Mlle Luboschitz, le Roméo
et Juliette de Tschaïkowsky, ou même la Symphonie en ut mineur de Glazounow. Génial
enfant, élève de Rimsky et disciple des « cinq », Glazounovi^ au début de sa brillante
carrière fut leur digne émule. Depuis longtemps il est perdu pour la musique russe,
et a versé dans les roublardises impersonnelles des écoles occidentales. La Symphonie
en ut mineur (la sixième qu'il ait écrite, et peut-être cette production énorme est-elle le
secret de sa décadence !) ne rappelle en rien le style si original, la forme nationale,
les inspirations mauresques ou slaves d'Antar ou des symphonies de Borodine, Et
même en faisant crédit à cette œuvre de toute couleur locale, on ne saurait lui accor-
der une admiration bien grande. Elle est divisée en quatre parties : un premier mou-
vement quelconque, de lyrisme conventionnel et d'écriture touffue, assez schuman-
nesque, un thème avec des variations beaucoup trop longues, mais offrant, par en-
droits, quelques-uns de ces jeux de flûte spleenétique où se complurent les amis de
Balakirew, un intermezzo qui, baptisé du nom de mazurka paraîtrait peu digne d'un
grand ouvrage d'orchestre, et un finale dont l'un des thèmes, en forme de marche
triomphale, trahit cette singulière propension des Russes à fabriquer de grandes ma-
chines clinquantes avec des matériaux de réelle valeur intrinsèque. L'or et les pierres
précieuses, chez ce peuple incompréhensible, servent à faire des mosaïques horribles,
des chapes barbares ou des cartes de France d'un goût déconcertant. Parfois cette sau*
vagerie même ajoute à leur saveur un piment singulier : le finale de la Symphonie en si
mineur de Borodine, ou les « délices de la Puissance » dans Antar en offrent de sédui-
sants exemples. Mais quand la vulgarité de l'expression ne se sauve point par sa bizar-
rerie même, tout le charme s'évapore et ce n'est vraiment pas la peine d'agencer sa-
vamment de beaux thèmes, pour n'arriver à débiter que des lieux communs d'assez
mauvais goût...
Si la Symphonie de Glazounow n'est pas remarquable, on n'en saurait dire au-
tant de la manière dont M. Safonoff la dirige. La caractéristique de ce chef est de con-
duire l'orchestre sans bâton. Les mains vides, j'allais écrire nues de toute baguette,
il triture librement, avec une aisance incroyable la pâte symphonique. Il l'étiré, la
fouette, la mélange, la divise et la bouscule suivant les inspirations d'une mimique non
point excessive, mais extraordinairement variée. Au lieu de frapper les « ictus », il les
arrache, au lieu de marquer les nuances, il les sème, au lieu d'indiquer ses intentions
au quatuor, il l'en asperge, au lieu de faire un signe de départ à ses cuivres, il les ha-
rangue d'un geste menaçant ou désespéré. C'est assurément un excellent musicien.
Son système est-il le meilleur ? Tout d'abord, devant l'apparente efficacité d'un contact
si direct entre le chef et sa bande, on est tenté de s'emballer et de proclamer que ce
Christophe Colomb a découvert l'Amérique des cappelmeisters. A la réflexion l'on ne
tarde point à en rabattre. La baguette paralyse assurément un peu le directeur, mais
elle l'assagit, elle diminue sa souplesse mais allège les mouvements, elle morcelé un
peu la phrase mélodique, mais elle garantit la précision des rythmes. C'est une grande
fille, un peu bourgeoise, raisonnable, rieuse et mutine, qui tempère de son bon scr.s
- 7^8 -
l'égarement des iitiagînations nébuleuses. Elle a de l'esprit. Elle a des muscles aussi,
fait courageusement le gros ouvrage et je crois que bien longtemps encore elle restera
la bonne ménagère de l'orchestre, qui tient la maison nette, sait mater les emporte-
ïnents du maître, dans l'emballement des finales, égrène gentiment les perles du rire,
quand scintille le soleil matinal des scherzos, et sait même rêver avec assez de mélan-
colie, aux heures poétiques de l'andante.
Et puis je ne vois pas un orchestre de second ordre , même un bon or-
chestre, par exemple celui du théâtre dans nos grandes villes de province, devant ce
chef aux mouvement cabalistiques, qui hèle les bassons, félicite un hautbois, gour-
mande les cors, agite des phalanges imprécatrices devant la mollesse des violoncelles
et finalement bat comme un enragé d'un tambour imaginaire, pour réveiller l'énergie
de toute sa troupe, mais oublie, plus souvent qu'il ne siérait, de battre prosaïquement
la mesure. Ah ! le beau désarroi auquel nous assisterions !
Le précédent dimanche, M. Chevillard nous avait donné une fort belle séance,
dont le clou, un vieux clou qui demeure admirable, fut le Concerto de Haendel pour
deux violons, violoncelle et instruments à cordes joué d'une façon merveilleuse et
remplaçant un Concerto de violon de Sinding annoncé au programme.
A cette même matinée l'on nous fit entendre, remarquablement chantées par
Mme Marie Mayrand, deux mélodies nouvelles. }e ne tiens pas à rappeler le nom de
leur auteur, car je ne saurais dire rien que de fâcheux de ces poèmes aussi informes,
confus, agressifs et prétentieux musicalement que poétiquement. Beaucoup de critiques
ont admiré cette déclamation cherchée, pénible, monotone, torturée, conséquence nor-
male et fâcheuse du debussysme triomphant. Si c'est là ce qu'on appelle de la musique
et de l'agrément pour l'oreille, il faut croire que j'ai les oreilles de Midas, mais je ne
sais plus ce que c'est que de la cacophonie. Pas un endroit saillant, pas de commence-
ment, pas de fin ; une perpétuelle décomposition de la couleur à l'orchestre, un poin-
tillisme sec et systématique, un constant souci de n'avoir pas l'air inspiré, une peur du
banal qui va jusqu'à la phobie ! Avec toutes ces belles qualités, qui font pâmer les lit-
térateurs musicographes ou picturographes, et tous les bons snobs qui leur emboîtent
le pas, on arrive à construire des œuvres tellement impersonnelles que l'on pourrait,
sans que le public s'en doute, changer de morceau toutes les vingt mesures, ou coudre
bout à bout des fragments de toiles diverses, tous les dix centimètres.
Le concert se terminait par les Impressions d'Italie de Gustave Charpentier, jouées
sans conviction. Ah ! que cela me réjouit désormais, cette bonne musique honnête et
vigoureuse, dont je méconnus jadis la fougueuse éloquence un peu triviale, le lyrisme
populaire et débordant !... C'est qu'alors je débarquais de ma province, légèrement
retardataire, imbu d'un vieux fond de laforguisme et de mallarmisme, que je secouai
bientôt dans la capitale, où je revins au sentiment de l'art intelligible et sincère. Et ce
m'est une douce joie, mêlée, je l'avoue, d'un peu d'ironie, de voir tant de parisiens, —
si parisiens I — verser à leur tour dans un étrange provincialisme, en gobant, comme
une suprême élégance, toutes les beautés absconses qui envahissent maintenant la
musique, en retard de cinq ou six lustres sur sa sœur aînée la littérature. On se moque
du départemental qui en est encore à tremper un lys symbolique dans les bocks de
quelque brasserie d'esthètes et l'on prend, aux guichets de la rue Blanche ou du
Châtelet, un bon billet pour le Kamtchatka musical. C'est tout de même rigolo !
Aux Concerts-Colonne, on nous offrit, comme primeur, un certain Conte d'Avril
de M. Widor, que la symphonie de Glazounow, inscrite pour la même heure au
programme des Concerts-Lamoureux m'empêcha d'ouïr, et huit jours auparavant un
certain Toggenburg, poème de M. Charles Lefebvre, d'après la ballade de Schiller. M.
— 739 —
Carbelli chanta d'une manière assez terne ce Toggenburg, habilement écrit, mais pensé
sans grande émotion, pittoresque ni nouveauté.
Et tout le reste fut Beethoven, ou peu s'en faut, avec un bis enthousiaste pour le
délicieux chœur de jeunes filles du Roi Etienne.
Jean d'UDlNE.
P. -S. — Je parlerai dans ma prochaine chronique de l'admirable Requiem de Fauré,
que M. Colonne a mis dans nos petits sabots de Noël. Ça c'est un beau cadeau à faire
à une grande personne ! et je ne puis résister au désir d'exprimer tout de suite l'émo-
tion que m'a causée cette œuvre magnifique.
Concerts du Conservatoire
C'est le 17 décembre — mois voué aux coups d'Etat — vers trois heures de
relevée, que M. Debussy fit son entrée au Conservatoire entre Haydn et M. Saint-
Saëns d'une part, Liszt et Bach d'autre part. Peut-être était-ce la véritable manière de
ne point passer inaperçu et même de risquer le scandale ; peut-être aussi était-ce la
seule de franchir la porte basse et défiante qui protège la décrépitude de quelques dou-
zaines d'abonnés finissants. N'allez pas m'accuser, je vous prie, de m'exprimer ici avec
cette témérité et cette impertinence qui sont la rançon d'une jeunesse insouciante, et
que je regrette. Non certes ! Mais, à mon humble avis, il est profondément navrant
de. penser qu'une œuvre à laquelle il a été donné depuis près de dix ans, une si large
hospitalité dans les grands concerts et que la foule, la misérable foule, accueille sans
étonnement, fut astreinte à je ne sais quelles exigences sanitaires de par la tyrannie
d'une ignorance privilégiée. Je n'ai point le loisir de scruter ici la mentalité de ce
public très spécial dont le Conservatoire est si vivement incommodé et où il se trouve
des barbares pour bisser « ironiquement » la Symphonie sur un thème montagnard do
M. d'indy et pour siffloter, avec une pitoyable maladresse, V Après-midi d'un Faune
Aussi bien cette étude s'accompagnerait-elle d'un certain écœurement. Mais il est né-
cessaire de dégonfler la solennelle boursouflure de tant de bonshommes décoratifs,
insensibles à autre chose qu'au menuet égrillard ou à la gavotte calamistrée, dédai-
gneux de toute musique qui n'a point d'ancêtres et jaloux de tout ce qui est libre,
jeune, capricieux et vagabond.
A la vérité, je me suis demandé quelquefois comment ces cerveaux réfractaires à
l'éclat d'une GwendoUne par exemple, pénétraient la dense et massive polyphonie d'un
Allegro de Bach, comment les velours et les peluches de ces âmes élégantes ne s'égra-
tignaient pas en passant aux fausses relations et aux rudesses inciviles du vieqx cantor.
C'est qu'ils apportent dans l'éloge ou le dénigrement la même incompétence et la
même mauvaise foi. Car je comprends fort bien qu'on puisse ne pas aimer la musique
de M. Debussy, qu'on la juge néfaste, inapte à évoluer, condamnée à la répétition des
mêmes formules et délicieusement recluse à perpétuité dans la grotte de Pelléas. Mais
alors même on ne siffle pas, et si l'on se dépite ou si l'on se querelle un peu, soudain
voilà qu'aux sons d'une flûte étrangement modulante, l'instinct, le vieil instinct, nous
reprend et que, méprisant les larges routes où l'accord parfait promène sa corpulence,
nous nous glissons sous bois parmi le jeu des rayons et des ombres et le bruissement
lumineux des feuilles, dans les parfums, les clartés, les murmures de tous les êtres et
de toutes les choses, à travers les détours égarés de cette mélodie, les glissades déce-
vantes de ces dissonances qui jamais ne se posent, l'ivresse ardente de toute la
nature dont se grisent follement les Faunes puérils !
Hélas il faut n'avoir jamais senti, aimé, respiré cette joie innocente pour ne pas
— 74^ —
s'abandonner à M. Debussy, abandon cruel il est vrai lorsque brusquement on vient se
heurter contre un Psaume de Liszt, admirable mais malencontreux. Certes j'admets
l'éclectisme d'un programme mais non pas sans un certain art de la transition.
Car naïvement je m'imagine que lorsqu'on écoute de la musique, c'est avec tout
son cœur, que l'on se donne à elle, qu'on la laisse vibrer profondément en soi,
dans une émotion intense qui se prolonge et qui survit au dernier accord. Et alors
peut-on sans une souffrance véritable entendre avec le sang-froid d'une saine dialectique
un concerto de M. Saint-Saëns puis se mêler, sous le chaud soleil du monde adoles-
cent, au troupeau velu des capripèdes et se retrouver tout à coup prosterné au fond
de la cathédrale où Liszt déroule le cortège pompeux de ses versets. Je me sens, pour
ma part, incapable de subir de pareilles épreuves et sans doute je ne suis pas le seul
car l'Après-midi d'un Faune eut des partisans dont je voudrais pouvoir publier ici les
noms. Pourquoi dès lors sacrifier la bonne cause au respect un peu enfantin de quel-
ques momies ébréchées ? Pourquoi un orchestre incomparable se laisse-t-il ainsi tenir
en lisière ? Pourquoi ces ménagements, ces vaines terreurs ? Que l'on garde certaines
traditions, que l'on «conserve »; assurément je suis le premier à le souhaiter, mais il
faut que l'on renouvelle aussi audacieusement. Qu'arrivera-t-il ? Les traînards tombe-
ront en route. — Soit ! Ils seront remplacés par des centaines de recrues enthousiastes.
Qu'on aère donc le Conservatoire ! Qu'on en rende l'accès plus facile aux bonnes vo-
lontés en peine sUr le seuil ! iMoins de despotisme et de monopoles et l'on aura resti-
tué à la musique le meilleur peut-être de ses forces comme à M. Marty la paix du
cœur que méritent sa fermeté et sa vaillance. Il reste vraiment trop de Bastilles à
prendre.
*
Je reviens sur YAprès-Midi que vous savez pour dire seulement avec quelle sou-
plesse et quelle subtilité l'orchestre de la Société l'exécuta ? Est-il besoin de le louer
pour la 5ym^&omee« m/ d'Haydn, pour l'impérissable 5îtî7^ en ré de Bach et pour le
Psaume XIII de Liszt inspiré, grandiloquent, magnifique, où les chœurs, eux aussi,
excellèrent. Quant au concerto de M. Saint-Saëns, composition harmonieuse et pure,
il eut en M. Boucherit un interprète d'élite, à la virtuosité aisée et agile, où la correc-
tion s'allie au charme le plus délicat. M. Boucherit a pu ajouter un brillant succès de
plus à tous ceux dont sa jeunesse s'enorgueillit déjà.
11 me reste à peine quelques lignes pour les envois de Rome de M. Malherbe et
Levadé, que l'Institut faisait exécuter jeudi. M. Malherbe qui s'adonne à la musique
picturale et dont le Jugement de Paris fit quelque bruit nous offrait l'Amour sacré et
V Amour profane d'après le Titien, déjà entendu aux Concerts Chevillard et dont il fut
je crois traité dans ces colonnes. Je ne veux pas en quelques mots rechercher ce que
le système de M. Malherbe peut avoir de vrai ou de faux. J'observerai seulement que,
s'il fait violence à la musique, c'est, comme disait un de mes anciens maîtres en Sor-
bonne, pour l'idéaliser. Le procédé est singulier mais il peut réussir et il me suffit que
M. Malherbe se soit manifesté, principalement dans ses Illusions perdues, comme un
musicien qui sent profondément, dont l'imagination est riche et colorée et qui manie
l'orchestre avec une curieuse habileté pour que je l'absolve et l'admire. M. Levadé,
auteur applaudi des Hérétiques, dont on nous offrait un Psaume conçu dans un res-
pect, très respectable, des traditions et quelques ravissantes mélodies, fleurant bon
l'hellénisme, où Mme Raunay fut exquise, M. Levadé, dis-je, n'est pas un compliqué.
11 pense et il écrit avec une simplicité qui a son charme et son imagination s'épanche
— 741 —
naturellement et sans effort, encore qu'il lui soit loisible, dès qu'il le voudra, d'attein-
dre beaucoup plus haut que la distinction. 11 a reçu l'accueil le plus sympathique et
nous serons heureux de le retrouver dans des œuvres plus importantes, plus caracté-
ristiques encore et que nous espérons prochaines.
Paul LOCARD.
LA QUINZAINE MUSICALE
Société Philharmonique
Au quatrième concert se firent entendre Mme Jeanne Diot, M. le docteur Wullner
et M. Arthur Rubinstein, ce dernier remplaçant le pianiste Joseph Slivinski annoncé
au programme primitif. Mme Jeanne Diot, joua la Sonate i en ré majeur d'Arcangelo
Corelli et le Prélude et Fugue en sol mineur pour violon seul de J.-S. Bach. Malgré
mon admiration pour l'œuvre du Grand Sébastien, mes prédilections ne vont pas à ces
pièces pour violon solo où le talent de l'artiste n'arrive jamais à faire oublier les diffi-
cultés de l'exécution. En les écoutant je pense trop à une étude, plus ardue qu'agréable.
Mon attention s'égare dans la broussaille des arpèges et des doubles cordes. Je dois dire
que la virtuosité de la charmante violoniste s'en est tirée à son très grand honneur.
Mais combien plus j'ai pris de plaisir pendant la sonate de Corelli, une perle que Mme
Jeanne Diot a mis si splendidement en valeur par l'ampleur de son style, la souplesse
de ses mouvements, l'agilité d'un doigté nerveux, la force et l'émotion d'une belle so-
norité qui reste toujours solide sans avoir recours aux grâces faciles qui gâtent trop
souvent le jeu des violonistes femmes. Le public a pensé comme moi en rappelant cha-
leureusement l'excellente artiste.
M. Arthur Rubinsten porte un nom bien lourd pour ses jeunes épaules, A cause de
lui peut-être se croit-on en droit d'exiger davantage de ce jeune pianiste. Mais
j'estime tout de même que si le Grand Antoine l'avait entendu, il aurait conseillé au
petit Arthur de travailler encore et de méditer beaucoup avant de s'attaquer à la Toc-
cata et fugue (transcription Tauzig) de Bach et à la Polonaise en la bémol majeur de
Chopin où, dans cette dernière œuvre surtout, les deux mains de l'artiste ne se concer-
taient pas pour frapper ensemble les accords. Une certaine fantaisie convient à l'exécu-
tion du Chopin, mais un peu de clarté ne lui messied pas. M. Arthur Rubinstein fut
plus heureux dans les deux Etudes Posthumes de Chopin, dans lesquelles il fit preuve
de sentiment poétique.
Me voici tout à fait embarrassé pour vous parler du docteur Wullner qui chanta du
Schubert, du Mendelssohn, du Schumann, du Brahms, du Wolf et du Strauss. Les
Allemands présents à ce concert lui firent un tel triomphe, que je n'ose pas apporter ici
mon humble opinion. Catulle Mendès aurait-il raison lorsqu'il prétend que l'art est
essentiellement national et n'a toute sa portée que dans son pays d'origine ? Je croyais
comprendre et aimer les grands musiciens dont M. Wullner chanta les œuvres. Serait-
ce n'y rien entendre que de rire, lorsque c'est M. Wullner qui les interprète,
puisque tout un public se pâmait à cette audition, et que j'estime ce public aussi sincère
que moi dans son appréciation opposée à la mienne. Qui avait raison de lui ou de moi
qui n'ai pas pu prendre au sérieux les terribles grimaces de ce grand diable aux allures
de fantôme, chantant d'une voix caverneuse et gutturale, la bouche tordue et les yeux
blancs ? Il ne nous épargne aucune lettre des syllabes qu'il enlaidit à force de précision,
et il a les mêmes accents tragiques pour le petit chapeau rose du Jardinier de Wolf que
pour la chanson haletante du Tailleur de pierre de Strauss, deux très curieuses mélo-
dies. Hoffmann aurait apprécié l'art tragico-macabre du Docteur Wullner. 11 n'en au-
rait peut-être pas fait le chanteur de ses rêves, mais à coup sûr il aurait su nous le
peindre de façon à nous donner le cauchemar. Pour bien prouver que j'ai tort de parler
ainsi, je le répèle : M. Wullner a remporté un véritable triomphe.
Victor Debay.
— 742 —
Le Concert du ig décembre présentait un très vif intérêt tant par la composition du
programme que par son exécution. MM. Hayot, André, Denayer et Salmon ont inter-
prêté avec une précision et un ensemble parfaits le Quatuor en sol majeur (op. 77 n' i)
de Haydn, donnant toute la valeur à cette œuvre délicieuse, toute de clarté lumineuse,
de charme discret et d'heureuse simplicité. Très bonne exécution également du Quatuor
en ut de Beethoven (op. 5g n° 3). Ce quatuor composé à la même époque que la sonate 57
révèle par moment une qualité d'inspiration assez voisine de celle de VAppasionnata.
Beethoven, le dédiant à l'ambassadeur de Russie à Vienne, y introduisit des thèmes po-
pulaires russes qui sont d'un fort bel effet. Les alternatives de gaieté exubérante, de
mélancolie inquiète, de sentiment d'espoir où la volonté s'efforce de triompher d'un
cœur douloureux, puis finalement les affirmations triomphantes de la joie, tout cela fut
rendu avec un soin très scrupuleux, et le gros succès que la salle entière fit au Quatuor
de Paris fut on ne peut plus légitime.
M. Ernesto Consolo nous a fait entendre la Fantaisie en fa mineur de Chopin. Il,
faut savoir gré à ce pianiste de ne pas abuser des faciles effets auxquels bien peu ont le
courage de résister, surtout quand il s'agit des pièces de Chopin. Il ne sacrifie ni aux
mouvements arbitraires ni aux rubato maniéré et précieux. Son style est simple et dis-
cret, son jeu expressif et sobre, son interprétation très personnelle et fidèle à la fois.
Deux lieders de Brahms Immer Leiser et O Liebliche Wangen^ le Proven\alisches
Lied de Schumann et la Vague et la Cloche de Duparc ont valu de nombreux applau-
dissements à M. Clarck. Le brillant chanteur a révélé une fois de plus les qualités de
sa voix souple et chaude en même temps qu'un goût très sûr et une grande intelligence
musicale.
La soirée s'est terminée par l'audition du Qui^itette de Brahms pour piano et cor-
des. La perfection technique du maître ne se montre pas dans cette œuvre, ainsi qu'elle
le fait dans tant d'autres, comme se suffisant à elle-même et ne réussissant pas à mas-
quer quelque sécheresse d'idée. Le premier et le troisième mouvement — l'allegro et le
scherzo — témoignent d'une spontanéité d'inspiration et d'un enthousiasme chaleureux
que l'on chercherait vainement dans d'autres pages, M. Ernesto Consolo et le quatuor
Hayot en ont donné une exécution de tous points excellente.
Edouard Schneider.
Concert Le Rey
10 décembre, — M. Le Rey compose des programmes dont l'éclectisme semble par-
fois compromettre l'unité. C'est ainsi que Weber et Franck voisinent avec Léoncavallo,
ce qui est d'un efifet vraiment étrange et déconcertant. — Après l'ouverture de Frei-
chût^ et la Chacone et Rigodon de Monsigny, nous avons entendu le Prélude du Dé-
luge de Saint-Saëns, dont M. Cantarelle a joué la partie de violon solo avec une jolie
mais froide sonorité. Puis M. Dubois a chanté aussi généreusem.ent qu'ils le permet-
taient deux poèmes pour chant et orchestre de Mlle Marthe Grunbach, la Neige et
Poème de Mai \ les vers d'Armand Silvestre sont un peu vides, et c'est sans doute la
raison pour laquelle l'auteur n'a pu éviter une monotone banalité. M. Llorca a exécuté
sèchement, sans vigueur'et sans couleur le Quatrième concerto pour piano et orchestre de
Rubinstein. Mais il faut tenir compte à M. Le Rey de la très louable intention qui lui a
fait inscrire au programme l'admirable Sympkonie de Franck ; toutefois, l'exécution
n'est pas encore au point ; elle manque généralement de relief. La phrase musicale n'est
pas dessinée avec une suffisante netteté, et l'attaque manque de décision, témoin celle
du cor anglais dans l'allégretto. — Pourquoi placer cette symphonie à la fin du concert
et après un air de Paillasse remarquable par sa sensibilité factice et vulgaire ? De trop
nombreux auditeurs qui avaient frénétiquement applaudi la musique de Paillasse se
sont esquivés dès les premières mesures de la symphonie ; spectacle significatif et pé-
nible en vérité...
17 décembre. — Nouvelle audition de la Symphonie de Franck. Le programme était
en partie consacré à la musique de M. Henry Eymieu au sujet de laquelle il est difficile
- ^45 -
de s'exprimer à la fois franchement et favorablement. Des pièces que nous avons enr
tendues, Chanson, Prière et Epilogue dit Dieu Vert, Chanson Bulgare, nous ne sau-
rions conserver qu'une impression pâle de choses convenues et compassées. Mlle Eléonore
Blanc a chanté avec son art achevé et son habituelle sûreté de voix VAir du deuxième
acte de Tannhauser. La Sonate en ut mineur de Grieg a été exécutée avec un juste goût,
surtout dans le deuxième mouvement, et avec une énergie un peu excessive par Mlle
Bernard-Verel. Cette jeune pianiste a ensuite révélé de bonnes qualités de précision et
de correction dans le Concerto en ut mineur de Saint-Saëns. Elle ne pouvait faire mieux
par la faute de cette œuvre ingrate et froide. L'Introduction du troisième acte de Lohen-
grin terminait le concert.
Edouard Schneider.
Les Soirées d'Art
Aux deux dernières séances, le dixième, le onzième et le douzième quatuors de
Beethoven furent exécutés par M. Gapet et les artistes qui l'entourent toujours avec la
même perfection, et aussi dans un sentiment point assez large. Je serais mal venu de
reprocher à M. Maurice Dumesnil, qui figura au concert du 12 décembre, son récent
prix de piano au Conservatoire, mais dans la Sonate Clair de lune de Beethoven
et dans le Scherzo en si bémol de Chopin, il nous fit, par son jeu froid, un
peu l'impression d'un bon élève dont la personnalité ne s'est pas encore complètement
dégagée. M. Debussy l'avait chargé de révéler au public son Hommage à Rameau
auquel d'autres œuvres de l'auteur de Pelléas me semblent préférables.
Le succès de ce concert revient surtout à Mme Mellot-Joubert et au quatuor vocal
Battaille. Mme Mellot-Joubert s'est montrée, qu'on me pardonne la banalité de l'épi-
thète, merveilleuse dans son interprétation des Joies et douleurs, d'Arthur Coquard, si
sincèrement émues, si délicatement passionnées. Et le quatuor Battaille dont les progrès
ont été si rapides sembla bien près de la perfection en exécutant : la Prière de Beetho-
ven, Paix du Ciel de Bach, Brunetta, écho délicieux du xviii* siècle et enfin ce
Printemps vainqueur de Léo Sachs, que le public bissa avec un enthousiasme bien com-
préhensible.
Sans ce même quatuor Battaille, la dernière Soirée d'art eut été passablement terne.
Mmes AstrucDoria et Olivier, MM. Drouville et L.-Ch. Battaille (leurs noms méritent
d'être cités), nous redonnèrent la Prière de Beethoven et Brunetta et firent entendre le
Madrigal de M. Gabriel Fauré, le Soleil couchant de Bach, à la poésie large et gran-
diose et la Chanson galante de M. Léon Moreau, d'une mélancolie prenante. Mlle Long,
excellente pianiste, figurait au programme ainsi que Mlle Doerken qui chanta diverses
mélodies de Haendel, de Lotti, de M. Saint-Quentin et de Chabrier.
Gabriel Rouchès.
Société J.-S. Bach
La seule critique que nous ayons à faire au sujet du dernier concert, c'est au public
qu'elle s'adresse. Il était vraiment trop peu nombreux. La séance d'orgue et de musique
de chambre qui a eu liej le samedi 23 Décembre méritait une toute autre affluence, car
elle offrait un très grand intérêt. M. Guilmant a exécuté les Fantasia et Fugue en ut
mineur, le Choral « Schmûcke dich, o liebe Seele )) et les Prélude et Fugue en ut majeur.
M. Motte-Lacroix a joué le premier livre du Clavecin bien tetnpéré ainsi que la sixième
Sonate avec M. Gaubert, admirable flûtiste et le Trio en sol majeur avec MM. Gaubert et
Daniel Herrman. Grâce à tous ces artistes, et en particulier à M. Guilmant, l'âme du
vieux maître allemand a chanté en nous, claire et sonore, durant deux heures d'une
rare jouissance esthétique.
G. RoUCHSQ.
— y-i* —
CONCERTS DIVERS
Mlle Flora Joutard. — C'est avant tout la puissance, la franchise des attaques que
Ton remarque dans le jeu de Mlle Joutard. Puis peu à peu on s'aperçoit que le charme
mérite aussi d'y être mentionné. Mais c'est surtout le style très noble et l'impression
très naturelle que nous avons appréciés dans la Sonate iio de Beethoven, que Mlle Jou-
tard interprétera mieux à mesure qu'elle s'éloignera davantage de l'époque de tâtonne-
ment par laquelle doivent passer tous les virtuoses, même ceux appelés à devenir en
peu de temps de grands artistes. L'intensité romantique de Liszt et la fantaisie senti-
mentale de Chopin lui deviendront également plus familières ; dans une Suite et un
Scherzo de sa composition, tout à fait réussis, elle fit montre d'une virtuosité beaucoup
plus délicate ; reconnaissons avec plaisir que ce concert, au cours duquel Mlle Marie
Lasne chanta frèlement quelques mélodies allemandes de Mlle F. Joutard, nous permit
d'espérer qu'un talent déjà cultivé, allait prendre sa place parmi les plus grands.
Mme Roger-Miclos. — Qui déclarerait, aujourd'hui, sans rougir, qu'il n'a jamais
entendu Mme Roger-Miclos ? Et qui oserait prétendre que son talent n'est pas char-
mant, fait d'une grâce très simple et très pure, exempte de maniérisme, assouplie sous
' l'égide puissante d'une étincelante virtuosité. Enumérer le programme qui a valu l'autre
vendredi un si vif succès à cette excellente artiste, nous entraînerait à enumérer et à
épuiser les qualificatifs, combien fâcheux en général, qui constituent la garde-robe de
la gloire. Et puis nous nous répéterions pour la N"° fois ! Disons seulement que
dans Schumann, dans Chopin et dans Fauré, Mme Roger-Miclos évoque aussi parfai-
tement que possible l'image distinguée, délicate, enjouée et sentimentale — très poéti-
quement sentimentale — de ces séduisants maîtres de l'Expression musicale.
A côté d'elle le Quatuor vocal Battaille, dont les progrès, depuis un an, sont
extraordinaires, a chante idéalement (je n'aime pourtant pas employer ce mot) diffé-
rentes pages de Bach. Beethoven, Knorr et Fauré, sans compter des fragments exquis
d'auteurs inconnus des xvii° et xviii° siècles. Il nous semble difficile de dépasser le degré
de perfection auquel sont parvenus Mme Astruc-Doria, Mlle E. Grégoire, MM, Drou-
ville et Battaille, dont les succès ne sauraient être que croissants, maintenant qu'ils sont
entrés dans l'ère de la célébrité.
Concerts Lefort. — Toujours suivis par un public aimable, assez facile à contenter,
mais au fond très connaisseur, les Concerts Lefort nous offrent des programmes
variés, trop variés peut-être, qui réunissent tout ce que la Musique compte de noms
célèbres; de moins célèbres, de pas célèbres. Pour aujourd'hui nous nous cantonnerons
dans les « célèbres » avec M. Diémer, l'auteur de la Fauvette^ de la Source et du Poète
(de quoi faire une fable de la... fontaine) M. Debussy dont la volage Mary Garnier mur-
mure V Ariette oubliée, M. Fugère qui rajeunit délicieusement les Vieilles de chez nous,
de Levadé. Le Quatuor Lefort (MM. Lefort, G. Catherine, van Waefolghem et Loeb)sont
corrects et consciencieux dans les Quatuors en tit majeur de Mozart et en ré mineur de
Schubert. R.
Les anciennes matinées Danbé. — Placées sous la direction artistique de M. Lui-
gini, les anciennes matinées Danbé, continuent à attirer, par leurs beaux programmes,
les auditoires les plus élégants et les plus compacts. Quïl nous suffise de citer quel-
ques-uns des interprètes des deux premières séances : Mme Carré, MM. Fugère, A.
Georges, F. Lemaire, Mmes Raunay et Lucy Vauthrin, le Quatuor Soudant,
de Bruyne, Migard et Bedetti, etc.
Mlle Germaine Tassart, — Le concert donné le 22 décembre par Mlle Germaine
Tassart a été couronné de succès. Bien que la pleine possession de ses moyens lui ait
fait un peu défaut au début, Mlle Tassart n'a pas tardé à redevenir maîtresse d'elle-
même ; elle nous a fait entendre successivement le Concerto op. 16 de Grieg, dans le-
quel elle ne fut pas toujours bien secondée par l'orchestre ; une Gavotte variée de Hîen-
— 745 —
del interprétée dans un pur et joli style classique; une Tarentelle de Moszkowsky. et la
Fantaisie Hongroise pour piano et orchestre de Liszt dont elle surmonta les multiples
difficultés avec une grande sûreté de moyens et une énergie qui paraît être sa qualité
dominante.
M. Lucien Berton chanta avec succès le Soldat de Schumann, un air de le Reine
F/amme//<2 de Xavier Leroux et VAndaloitse de Bourgault-Ducoudray ; et l'orchestre,
sous la conduite de i\L Lucien Wurmser exécuta l'ouverture des iVoces ie Fz'o-aro et
Deux Danses Hongroises de Brahms dans un mouvement excellent quoique avec un
cei"taîn flottement dans l'ensemble.
L'Union Instrumentale. — Je suis heureux de présenter aux lecteurs du Courrier.
VlJm'oti Instrumentale, une jeune société. Elle existe depuis quatre ans et elle a surtout
pris son essor depuis le mois de mai dernier. Le but poursuivi par les organisateurs :
Mme Durey-Sohy, MM. Tanron, Blanchet, Henry Landowski, est de réunir des amateurs
afin de former un orchestre et d'exécuter le plus de musique classique. Leurs efforts
méritent vraiment d'être couronnés de succès.
U Union Instrumentale s'est fait entendre au Trocadéro, au Cercle du Luxembourg
et dans nombre de réunions privées. Pour le printemps, elle nous promet une manifes-
tation des plus intéressantes à la salle Mors.
Le dimanche lo décembre, elle exécutait, au Cercle du Luxembourg, la Messe eu ut
wî/neHr de Schumann d'une façon plus que satisfaisante. Mlle Charlotte Durey-Sohy
tenait l'orgue. Mmes Landowski-Messner (mezzo), Planés (contralto); MM. Drouville
(ténor), Ananian (basse) formaient un remarquable quatuor. A l'offertoire, Mme Durey-
Sohy fit apprécier son talent et sa voix. En un mot, nous avons pu constater vers
quel idéal d'art tendait V Union Instrumentale. Nous souhaitons de la voir persé-
vérer. G. ROUCHÈS.
P. -S. — ]J Union Instrumentale ne désire pas former un cercle étroit et restreint.
Elle veut au contraire s'élargir et elle fait appel à tous les amateurs sérieux. (Café du
Départ). Pour tous renseignements s'adresser au secrétaire général, M. A. Blanchet, 2,
place du Théâtre-Français.
Fondation J -S. Bach. — Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble des
séances que M. C. Bouvet se propose de nous offrir cette saison comme suite digne des
précédentes. Notons tout de suite la remarquable exécution de la Sonate en sol ma-
jeur de Bach, par MM. Bouvet et Jemain.
Mlle Edna Hoff. — Mlle Edna Hoff concilie deux choses qui jusqu'alors n'avaient
pas été remarquées souvent ; une voix fraîche et un timbre chaud. Dans des mélodies
de Gounod, Verdi et Schésinger, elle nous a véritablement charmés. M. Ch. Fœrster,
M. et Mme Gustav Wagner, qui lui prêtaient leur concours, ont contribué au succès
de cet intéressant concert.
MM. Dumesnil, Mendels et Bedetti sont tous trois fort joliment doués, mais doués
de quoi ? de natures totalement différentes qui ne nous laissent pas croire à une entente
très prochaine entre ces trois excellentsvirtuoses, surtout dans l'exécution d'oeuvres aussi
ad H bitum, si j'ose m'exprimer ainsi, que Je troisième trio de Lalo et surtout celui en
ré mineur de Schuman. Par contre nous avons assez aimé l'intéressante traduction de
la Sona/e de Franck par MM. Mendels et Dumesnil.
Le quatuor Luquin. — A ce concert le quatuor Luquin (MM. Luquin, Dumont,
Roelens et Richet) et M. G. de Launay se surpassèrent dans le quintette de Franck
qui fut de beaucoup la partie la plus intéressante parce que la mieux mise en valeur de
la soirée.
Mlle J. d'Herbécourt. — Audition uniquement consacrée à Franck (Sonate), d'Indy
(Poème des Montagnes), et Lekeu (Sonate) ; interprétation sincère et noble, sinon émou-
vante, par Mlle d'Herbécourt, dont la pureté du jeu n'a d'égale que celle de M. Parent,
et par M. Parent dont le style sobre n'a d'égal que celui de Mlle d'Herbécourt.
— 74<5 —
Mme Max-Soîilier. — Concert composé avec le soucî de plaire, mais cependant
sans la moindre concession. D'ailleurs Mme Max-Soulier du temps où elle prêchait la
bonne parole à « la Fronde )) aurait-elle admis que l'on put chercher à satisfaire les exi-
gences du public? Comme critique elle a donc fait ses preuves ; comme interprèt.e elle
vient de les faire en chantant avec goût, justesse et sans s'astreindre aucune école en
cours, différentes pages de Bach, Beethoven, Fauré, Pierné, X. Leroux, etc. M. David
Blitz pourrait exécuter la Sonate op. 2^ (n° 2) de Beethoven avec plus d'assurçince, son
solide talent lui en donne le droit. A. L.
Société de Musique nouvelle. — Le Jeudi 21 décembre a eu lieu le premier concert
de la Société de Musique nouvelle., qui a émigré cette année à la Grande Salle Erard,
où les voix puissantes de Mlle Eléonore Blanc et de M. Chanoine-Davranches ont pu
plus facilement se développer dans toute leur ampleur.
Mlle Blanc a été acclamée après les Mélodies bretonnes de M. Bourgault-Ducoudray,
accompagnée par l'auteur et M. Chanoine-Davranches très applaudi dans les Chan-
sons créoles de P. Carolus-Duran. Les distingués compositeurs Mlle Hélène Fleury et
G. Grovlez, le violoniste Eug. Borrel, Mlle de Mirmont, etc.. ont interprété les œuvres
de MM. Falkenberg, Destanay, Eymieu, B. Moreau et Péron.
Le RiOMYement musical en pwiîice et à l'étranger
Nous publierons le i ^ janvier l'article de notre correspondant sur la première de
Salomé, de Richard Strauss, à l'Opéra de Dresde, cet article nous parvenant au mo77ient
de la mise en pages.
LETTRE DE VIENNE
Si je voulais donner une idée de tout ce qui se passe dans une quinzaine de la
vie musicale à Vienne, je me trouverais à peu près aussi embarrassé qu'un critique
parisien qui voudrait renseigner des lecteurs étrangers sur tous les événements musi-
caux d'une quinzaine de Paris. Mais d'un autre côté, si j'essaye de faire un choix dans
cette abondance d'œuvres et de virtuoses que j'ai entendus et d'en dégager le peu qui
par une réelle nouveauté est susceptible de vous intéresser, le champ est singulière-
ment plus restreint. Et d'abord les concerts de virtuoses sont tous taillés sur le même
patron : le Bach, généralement arrangé par Liszt ou Tausig ouvre solennellement la
marche, le Beethoven forme le plat de consistance et l'inévitable Liszt ou Chopin sert
de bouquet final, sans parler d'autres productions plus locales, d'un niveau que l'on
n'admettrait pas dans un concert parisien. Bien entendu les maîtres du violon et du
piano défilent tous au cours de la saison viennoise, mais ceux-là vous les entendrez ou
vous les avez déjà entendus ; inutile donc de vous en parler.
Heureusement il y a à Vienne une compensation , je veux dire d'admirables
orchestres qui parviennent à une unité de sonorités et d'intentions incomparables ; un
autre jour je vous entretiendrai de l'Opéra ; pour aujourd'hui je voudrais vous faire
connaître le Wiener-Concert-Verein, dirigé depuis sa fondation par Ferdinand Lowe.
Imaginez dans une salle d'acoustique excellente, contenant 2.000 places, un orchestre de
100 musiciens qui, devant un public d'abonnés, exécute naturellement toutes les grandes
œuvres classiques, mais aussi toutes les nouveautés intéressantes ; j'y ai assisté derniè-
rement à un concert composé exclusivement de nouveautés sous la direction des auteurs
mêmes ; là le maigre et sautillant Hans Pfitzner nous fit entendre une Ballade pour
orchestre et voix de basse, les Lutins familiers., où l'orchestration infiniment pitto-
resque, l'écriture hardie et le mépris de la voix décèlent la main qui a signé la Rose
von Liebesgarten.
— 747 —
Ensuite avec Fair solennel et satisfait d'un maître d'hôtel content de son menu, on
vit s'avancer Siegfried Wagner qui nous servit une lamentable valse et une ouverture
tirée de son opéra Herzog Wildfang. ainsi qu'une déplorable pantomime extraite de
Bruder Lustig. Heureusement une Suite pour orchestre d'un jeune compositeur hon-
grois Bêla Bartoh dissipa cette fâcheuse impression par la richesse juvénile de ses mo-
tifs et la couleur sauvage de ses rythmes.
Quelques jours après, c'était Ernst de Dohnanyi qui nous exécutait son concerto
pour piano et orchestre ; c'est un grand artiste et une grande œuvre et je ne crois pas
qu'à cette forme de concerto notre ami Jean d'Udine lui-même pût trouver à redire ;
l'union de l'orchestre et du piano est intime, le soliste n'apparaît parmi les autres voix
que comme une voix plus humaine et plus expressive; on n'y trouve point le défaut des
concertos habituels où l'orchestre pris en masse s'oppose à l'instrumentiste, chaque ins-
trument garde bien son individualité et le piano par reflet n'en acquiert que plus d'au-
torité. Dohuanyi est un virtuose dans la plus haute acception du mot et je souhaite
que d'ici peu vous ayez la joie de l'entendre.
L'interprétation de Mozart et de Beethoven est naturellement parfaite ; c'est à
Vienne qu'il faut entendre les symphonies de Mozart sous la direction de Lowe. La
précision des rythmes généralement exagérée jusqu'à l'outrance par les orchestres vien-
nois devient ici une qualité éminente, les moindres dessins de contre-basse ressortent
en pleine lumière, les bois n'ont pas à vrai dire le charme pastoral des nôtres, mais les
cuivres sonnent avec la plénitude moelleuse des orgues. Le sentiment musical est plus
développé que le goût et la curiosité, toutes les nouveautés allemandes sont accueillies
mais les écoles russes et françaises contemporaines sont peu connues ; il y a quelques
jours devant un auditoire de musiciens, aidé de deux excellentes artistes, la comtesse
Morsztyn et Mlle Stephie Brunner, j'ai fait entendre quelques œuvres de Debussy ac-
compagnées de commentaires explicatifs ; j'ai eu l'impression qu'elles n'étaient pas
comprises; jusqu'ici il n'y a pas eu entre Vienne et Paris l'échange qui devrait exister
entre deux capitales de la musique ; avec le temps une compréhension mutuelle pourra
se faire jour. Jules Sauerwein.
BORDEAUX. — Le programme du 2" concert de la Société Sainte-Cécile compre-
nait la symphonie en ré de Brahms, qui fut présentée avec une grande clarté, mais
qui enthousiasma aussi peu que possible. Décidément, avec la meilleure volonté du
monde, il nous est impossible de « vibrer )) à l'audition de cette musique d'un senti-
mentalisme si spécial et si « contenu )) !
Le beau Concerto de Lalo, pour violoncelle, fut joué avec aisance et avec une belle
sonorité par M. Liégeois, à qui l'on a fait un grand succès, surtout après l'exécution
d'un Nocturne de Chopin, transcrit pour violoncelle (!) et avec accompagnement de
harpe (!!). Le Few cé/esfe n'ajoute rien à la gloire de M. Saint-Saëns, célébrée par M.
Baumann ; Nuit d'été de G. Marty est un poème symphonique fort réussi, où l'on ren-
contre quelques jolies idées musicales présentées avec art et dont l'orchestration est
parfaite.
Signalons la reprise des séances si artistiques de M. Lespine qui consacre cette an-
née six concerts à la musique allemande, de Bach à R. Strauss. Programmes un peu
trop chargés. Le premier concert était consacré à Bach, Haendel et Haydn : c'était un
copieux menu ! On a entendu le 2° Concerto de Bach pour trompette, violon, flûte,
hautbois et orchestre à cordes, où M. Sicottly se distingua. M. Lespine interpréta re-
marquablement la Chacone. R. S.
*
• *
Une fremière au Grand-Théâtre. — Le 5 janvier prochain, afin de fêter congrû-
ment la jeunesse de l'an neuf, le Grand Théâtre de Bordeaux va donner l'œuvre d'un
jeune : U Anniversaire ^ drame musical en un acte, pour les paroles, de MM. Ferval et
Harold, pour la musique, de M. Adalbert Mercier, dont le prénom seul est germanique,
car son talent est très latin.
- 748 -
M. Mercier est un vrai jeune. On médit qu'il est encore dans la vingtaine. Pour les
débuts au théâtre d'un musicien, c'est à peine l'adolescence.
On décentralise beaucoup par le temps qui court. A Paris, il faut attendre. Trop de
talents sollicitent trop peu de directeurs. La Province ouvre ses bras aux éphèbes impa-
tients : ils y volent, ils n'ont point tort. M. iMercier goûtera d'autant mieux l'utile joie
d'entendre vivre et chanter son drame qu'il a tous ses cheveux encore et l'âme toute
fraîche.
Drame très bref, vibrant de passion italienne.
Nous sommes en Lombardie, chez le fermier Matteo, le jour des Morts. Des cloches
pleurent dans le crépuscule. Et Matteo pleure aussi son bonheur défunt. Stella, sa
jeune femme qu'il adorait, est morte. A la douleur de l'amour brisé s'ajoute encore,
dans son âme inconsolable, la torture de la fureur jalouse : Stella est morte adultère,
confessant sa faute à Matteo. sans toutefois lui nommer le coupable, que la haine de
l'époux outragé s'acharne depuis à découvrir. Il soupçonne que Séverina, la vieille
servante dévouée, connaît le nom du séducteur. Mais ni les prières, ni les m.enaces
du Maître n'arracheront à la pauvre femme une révélation... qui serait la mort de son
propre fils. Car Sandro, son cher Sandro, c'est justement le coupable. Son angoisse
maternelle, quand Matteo l'a quittée, s'exhale en plaintes haletantes, un instant
calmées par une gaie chanson d'avril et de virginal amour qui s'éveille au lointain
de la plaine. C'est la voix de Lucia, amie d'eniance de Sandro. La voix approche ;
et voici la jeune fille, apportant des branchages et des fleurs dont elle pare,
en ce jour des Morts, un petit autel surmonté d'une statuette de la Madone.
Dans un tintement de sonnailles arrive aussi Sandro, avec les muletiers ses com-
pagnons. Il est triste, abattu ; un remords l'obsède, que le sourire de Lucia ne parvient
pas à dissiper; et quand le chœur des muletiers et des paysans, à genoux devant l'autel,
murmure la Prière des Morts, quand la voix douloureuse de Matteo, revenu, évoque la
mémoire de Stella, un sanglot, qu'il n'a pu retenir, révèle tragiquement le nom du cou-
pable à la vengeance qui le guettait. De quel droit Sandro pleure-t-il donc la femme de
Matteo? Bref colloque entre les deux hommes. Ils sortent... et Matteo revient seul, son
couteau sanglant à la main. Lucia s'est évanouie ; et tandis que, sur un signe du Justi-
cier, le De Profundis recommence, l'atroce douleur de la mère, au dehors, hurle, éper-
due, sur le cadavre de son enfant.
On souhaiterait peut-être, dans ce livret d'ailleurs pathétique et théâtral, des
images et des vers de qualité plus choisie. Mais que l'intrigue en soit fort simple, c'est
tant mieux. La complexité du livret, n'est-ce pas le plus souvent la mort de la partition ?
Trop de faits — comme trop de paroles — embarrassent et morcèlent le développement
lyrique, détournent la musique de son rôle qui n'est point de s'asservir, même au théâ-
tre, à l'enchaînement particulier des événements, mais d'en extraire le sens humain et
l'émotion profonde (i).
Des situations et des sentiments que les contrastes du scénario lui présentaient, le
musicien a su tirer un fort bon parti. C'est d'abord, au début de l'acte, dans la tris-
tesse du jour tombant, la polyphonie de l'orchestre associant au chant douloureux de
Matteo l'éparse compassion de la nature. C'est aussi l'andante où le violon solo, expo-
sant le motif de la disparue, souligne le récit de sa mort et de son aveu suprême. C'est
encore, sous le récitatif dramatique de Séverina, la détresse de la mère haletant aux
terreurs du quatuor entrecoupé : scène d'angoisse quasi physique, traversée comme
d'un rayon de mai par cette jolie villanelle de Lucia qui ferait songer, peut-être, à la
manière de Bizet. Les deux chœurs seront applaudis tous deux : le chœur des muletiers,
tumultueux, pittoresque, et la Prière des morts, d'une religieuse solennité. Le thème
de ce second chœur sert plus loin au développement de la scène funèbre où Matteo prie
pour la mémoire de Stella. 11 reparaît enfin au dénouement, dont il devient le sombre
(i) Voir sur cette question quelques pages de l'étude si curieuse et pénétrante d'Albert Bazaillas :
De la signification métaphysique de la musique, d'après Schopenhauer, p . 48 sqq ( F . Alcan, édi-
teur).
— 749 —
commentaire, s'apeurant en quelque sorte de l'efifroi même du (drame jusqu'au moment
où l'orchestre, dans toute l'intensité de sa force, reprend la phrase déchirante — et
finale — qui caractérise l'amour maternel.
En somme, de la verve et de l'entrain, de la vigueur dans l'accent dramatique, à
l'occasion un charme juvénile de mélancolie et de fraîcheur, l'heureux souci de conser-
ver au chant une ligne d'un relief scéniquement mélodique, un orchestre coloré qui ne
se réclame d'aucune école, où l'action se reflète avec justesse, où s'approfondit l'analyse
des sentiments, n'est-ce point un lot assez coquet de qualités personnelles et, déjà,
d'expérience acquise ? Car M. Mercier est un travailleur. Elève, au Conservatoire, de
Xavier Leroux pour l'harmonie, de Gabriel Fauré pour les mystères du contrepoint et
de la fugue, il a dès maintenant, quoiqu'imberbe, un gentil bagage d'œuvres diverses.
Il a donné le vol à de nombreuses mélodies qui ont chanté dans les concerts, notam-
ment, l'an dernier, aux Matinées Danbé, Il a composé, pour le Théâtre de l'OEuvre, la
musique de scène du Roi Candaule. d'André Gide, et du Maître de Palmyrc. de Wil-
brandt, avec, dans cette dernière pièce, d'assez importantes parties chantées. Musique de
scène, encore, pour le Jésus à Béthanie que le Théâtre des Mathurins a joué plusieurs
années de suite pendant la semaine sainte, une Etude Symphonique, à la salle Humbert
de Romans. Critique, il a donné aux journaux et revues plusieurs articles, deux entre
autres, récents, sur César Franck et sur les lieder de R. Strauss.
Souhaitons donc à M. Adalbert Mercier, pour ses étrennes, l'encouragement, qu'il
mérite, d'un bon succès. Interprété par le talent de Mlles Ranflaur (Séverina) et Clouzet
(Lucia), de M. Lorrain (Sandro), et par AL Fournets, dont l'art éprouvé, tant de fois
applaudi à l'Opéra, de chanteur et de comédien excellera dans le rôle de Matteo,
V Anniversaire a de plus cette chance précieuse, puisqu'on le Joue à Bordeaux, que son
destin soit remis aux soins dévoués, au goût très sûr de M. Frédéric Boyer, aussi par-
fait directeur et metteur en scène qu'il est parfait artiste.
Maurice Lena.
BRUXELLES. — Concerts Ysaye. — S'ils cherchent un guide dans les ap-
préciations des journaux, les compositeurs doivent être souvent embarrassés. L'au-
teur de la symphonie qui ouvrait le troisième concert Ysaye a pu lire, le lende-
main de l'audition, dans un des journaux du matin : « La symphonie de M. Louis
Mortelmans a le mérite essentiel d'être écrite avec clarté ». — et le m^me jour, dans un
journal du soir : « Ces œuvres (la symphonie précitée et le poème symphonique de M.
Joseph Jongen). ne sont pas parfaites ; il leur manque de la clarté, de la précision, de
l'ensemble, etc. ». L'heure du tirage — diurne ou nocturne — des journaux influerait-
elle sur le jugement des critiques ?
Quoi qu'il en soit, le public a paru partager l'opinion la plus matinale, si l'on en
juge par l'accueil sympathique qu'il à fait à la Symphonie homérique^ dont il a acclamé
l'auteur. — Homérique ? Le programme l'affirme. Le wagnérisme suraigu dont est pé-
nétrée cette partition (son excuse, c'est d'avoir été écrite il y a douze ans, à une époque
où Bayreuth obsédait les musiciens) s'accorde mal avec l'évocation de l'Iliade et de l'O-
dyssée. Les quatre mouvements dont elle se compose semblent célébrer plutôt le jeune
Siegfried, le chaste Parsifal, les Filles-fleurs et leurs jardins de volupté. La symphonie
n'en est pas moins, au vœu de son auteur, « homérique ». Gageons que c'est un trait
de modestie. Sept villes de la Grèce se disputaient, dit-on, l'honneur d'avoir donné
naissance au poète. L'impersonnalité de son œuvre, l'incertitude des sources multiples
dont elle est issue (car Manon s'y mêle polyphoniquement à des réminiscences de la té-
tralogie) ont sans doute déterminé M. Mortelmans à l'assimiler au classique symbole
des origines conjecturales... En quoi II aurait fait preuve d'esprit. Homérique, héroïque
ou chimérique, la symphonie est d'ailleurs une œuvre honorable. A défaut d'originalité,
elle décèle une main habile à manier l'orchestre et à en faire chanter les cent
voix.
Chez M. Joseph Jongen il y a, outre une parfaite connaissance du métier, un tem-
— 750 —
pérament musical réel. Diverses pages symphoniques, plusieurs œuvres de musique
de chambre ont mis en vedette ce nom liégeois à désinence flamande (la voilà peut-être
réalisée, l'âme belge dont il fut tant question ces temps derniers !). Son nouveau poème
symphonique Lalla Roukh. inspiré de Thomas Moore, s'inscrit parmi ses meilleures
partitions d'orchestre. Classiquement construite sur deux thèmes précédés d'une intro-
duction destinée à situer l'action (et d'un orientalisme dépouillé de l'exotisme de paco-
tillle propagé par les expositions universelles), l'œuvre se développe logiquement, avec
une gi-adation d'effets parallèles au crescendo pathétique du poème. On sait que les
deux héros, tels Tristant et Yseult, s'aiment au cours de la traversée qui doit amener à
l'époux la princesse lointaine. Mais au lieu d'un roi Marke, celle-ci trouve sur le trône
l'amant qu'un subterfuge lui avait fait prendre pour un messager de son futur maître.
La musique dont M. Jongen a commenté ce récit légendaire a de la vie, de la cha-
leur et de l'éclat. Elle est riche et sonore, abondante et expressive. L'auteur y affirme
une personnalité libérée de souvenirs, sinon d'influences : celles-ci apparentent l'œu-
vre à certaines compositions de M. d'Indy, spécialement à Sctugefleurie avec laquelle
elle présente des analogies d'écriture.
Les Divei-tissements russes de M. Henri Rabaud, qui clôturaient le programme,
n'offrent qu'un intérêt pittoresque, — de ce pittoresque un peu superficiel mis à la mode
par les recherches moins folkloriques. Instrumentés avec goût, ils n'en forment pas
moins un numéro de concert chatoyant et animé.
A l'attrait de ces trois auditions nouvelles, M. Eugène Ysaye avait ajouté le charme
caressant du violon de Jacques Thibaud. Celui-ci joua avec la pureté, le sentiment et le
style admirables qu'on lui connaît le Concerto en si mineur de Saint-Saëns. Et le
triomphe devint du délire quand M. Eugène Ysaye, passant à l'improviste le bâton di-
rectorial à M. Gustave Huberti, interpréta avec M. Thibaud, pour remplacer la Cha~
conne annoncée, le Concerto pour deux violons de J.-S. Bach. Rien ne peut donner une
idée de la beauté émouvante de cette exécution. La salle entière, transportée, ovationna
frénétiquement les deux virtuoses et ne se lassa de les rappeler sur l'estrade que
pour écouter et applaudir, encore et toujours, M. Jacques Thibaud, revenu seul, cette
fois, et qui ajouta gracieusement au programme la Habanera de Saint-Saëns, merveil-
leusement jouée. Octave Maus.
Concerts Populaires. — Au deuxième concert populaire, M. Sylvain Dupuis nous
a donné dans la même séance, les esquisses de Gilson et de Debussy sur la Mer. Il faut
avouer que le public bruxellois, ému par la mer flamande et si dramatique de Gilson, a
été profondément déconcerté par l'art étrange de Debussy, bien que l'interprétation en
ait été excellente.
Au programme figuraient encore deux œuvres nouvelles : Paris la Nicit, de F. Dé-
lius, et Morgane, d'Auguste Dupont, œuvres intéressantes, mais sans grande impor-
tance.
La virtuose, Mlle Stefi Geyer, fut très applaudie, bien qu'elle ne jouât que des
œuvres sans intérêt musical. F.
♦ *
Concerts divers, — Mentionnons, parmi les derniers concerts intéressants, celui de
la Société des instruments à vent., de Paris qui nous a fait entendre le Quintette de Mo-
zart, un délicieux Trio de Haendel, une sonate pour flûte et clavecin de Bach, des œu-
vres de Gounod et E. Bernard. On a admiré la merveilleuse sonorité et la superbe vii--
tuosité de ces excellents artistes.
M. Emile Bosquet et Mme C. Kleeberg ont donné des récitals de piano très suivis.
A la Société des Ingénieurs., M. Engel et Mlle Bathori ont chanté avec l'art que l'on
sait des mélodies de Charpentier, R. Strohl et joué la Princesse jaune., de Saint-
Saëns, œuvrette charmante et qui gagnerait à être plus connue.
MM. Bosquet et Chaumont continuent avec succès l'historique de la Sonate piano
et violon. G.
— 751 —
A la Monnaie. — Chérubin est le succès du jour. On travaille d'autre part à la
Damnation de Faust (adaptation scénique de R. Gunsbourg). Armide continue toujours
à faire salle pleine.
iEIPZîO. — Fin Novembre. — Le mois de novembre nous a apporté comme œu-
vres modernes, au Gewandhaus, la Symphonie pathétique de Tschaïkowsky, der
À Tanz in der Dorfschenkl de Liszt, et les Variations d'Elgar : cette dernière œuvre
consiste en une série de « portraits musicaux » à l'aide desquels Elgar a voulu dé-
peindre ses amis : il semble qu'il y ait assez bien réussi.
Le nouveau Concerto pour piano d'Hugo Kann reçut un accueil sympathique. Mlle
Vera Maurina l'interpréta dans un sentiment exact et fit preuve d'une brillante tech-
nique. Comme solistes, citons encore M. Wollgandt qui exécuta d'une façon suffisante
le Concerto de violon de Brahms et Mmes Johanna Kiss et Antonia Dolorès.
Les Concerts Philharmoniques de Hans Winderstein nous donnèrent la Symphonie
de Man/red, de Tchaïkowsky et le Cygne de Tuonela de Sibélius. Comme nouveauté,
die Champagner-Oiiverture de W. von Baussnern. Mlle Mùnchhoff chanta avec succès.
Richard Burmeister exécuta brillamment le Concerto pathétique de Liszt, et Ad. Reb*^
ner nous présenta fort bien le Concerto de violon de Dvorak.
Le Riedelverein a donné une audition assez bonne du Messie de Hasndel. —
F. Thieriot nous a fait connaître de ses œuvres : elles n'ont éveillé qu'un intérêt rela-
tif.— De même M. Jenner, de Marburg a donné un concert consacré à ses compositions :
la Sonate pour violoncelle et piano a prouvé immédiatement son manque absolu d'ima-
gination.
Les séances de musique de chambre du Gewandhaus ont offert un réel intérêt,
avec des quatuors de Beethoven, VOctette de Schubert, le Quatuor avec piano de Dvo-
rak. MM. Friedberg et Hegner jouèrent avec grand succès les cinq sonates pour violon-
celle et piano. — Max Reger remporta, à son concert, un véritable triomphe avec un
lieder et ses Variations sur des thèmes de Bach et de Beethoven.
M. M. Oberdœrfer interpréta parfaitement des mélodies de Wilhelm Berger : ce
dernier joua sa belle Sonate et plusieurs pièces pour piano.
Citons encore les Récitals de piano de Max Pauer et de Mlle Anny Eisele.
E. Segniïz.
VERVIERS. — Rares se ont les manifestations artistiques en notre bonne
ville : depuis le concert Vreuls dont nous avons parlé et qui marqua le début de
la saison et en dehors des soirées des cercles privés, c'est le néant. On ne parle
point jusqu'à présent de la reprise annuelle des Nouveaux Concerts, et nous ne pou-
vons plus guère considérer comme une solennité d'art le Concert annuel de notre Ecole
de musique qui fut autrefois le prétexte de maintes auditions mémorables où l'on
applaudissait des lauréats remarquables et des œuvres belles et fortes et dont on a fait
cette année une assez vulgaire « représentation dramatique ». Décidément le niveau
artistique baisse et notre Ecole délaisse ses belles et nobles visées : déjà l'an dernier on
avait vu se glisser, aux concerts dont nous n'avons pu parler ici des (( monologues »
entre les svmphonies de Beethoven et les pages wagnériennes. Cette année c'est com-
plet et on bannit totalement la musique pure, jadis si adorée. Que les temps sont chan-
gés ! Il est vrai qu'il s'agissait de présenter, après deux années d'incubation, les résul-
tats des classes de diction et de déclamation lyrique, nouvellement installées à l'Ecole !
Nous avions parlé jadis ailleurs de cette innovation que nous trouvions, non sans rai-
son, plutôt inutile et même nuisible à l'Art et aux élèves eux-mêmes : notre avis n'est
point modifié, d'autant plus qu'on a tout fait pour enlever un caractère sérieux à ces
cours tout en les favorisant à tout propos. Contrairement à la coutume justifiée d'exi-
ger une distinction de chant pour suivre ces cours, on les a peuplés en les rendant obli-
— 752 —
gatoires à tous les élèves des classes de chant et en y admettant même des élèves qui ne
suivirent jamais un cours de chant.
Aujourd'hui ces heureuses classes accaparent tout le programme, et quel programme !
Point de ces œuvres classiques qui sont cependant toujours, si on n'en abuse, la base de
l'enseignement et qui par leur caractère auraient été mieux de mise dans un concert
d'Ecole. Non ! ce sont des scènes du Maître de Chapelle, des scènes de Faust (dont a
expurgé le rôle de Siebel qui n'a point trouvé d'amateur parmi nos pudiques jeunes
filles) et une saynète plutôt médiocre de MM. Aderer et Ephraïm niSoô !))... Ce que fut
l'exécution ?... une exécution, plus ou moins passable, d'amateurs, comme en fournissent
chaque jour les multiples sociétés d'amateurs qui sévissent ici pour le plus grand dam
de l'Art et des solennités artistiques, comme en donnent les collégiens au jour de la
distribution de prix... Mais des qualités dramatiques, des connaissances « techniques ))
du théâtre, armant les élèves pour le but réel des cours, « la scène )), peu ou prou !... Et
si ce n'est que pour améliorer des « amateurs » qu'avions-nous bien besoin de ces
classes dispendieuses qui font tourner la tête à bien des cervelles ? Nous n'irons pas
jusqu'à détailler ces exécutions ni à émettre nos justes critiques sur les malheureux
élèves fourvoyés dans cette galère : d'aucuns ont du talent peut-être, des ressources vo-
cales, d'autres, par contre, ignorent tout du chant (nous ne dirons pas de la scène, pour
cela ils sont à peu près tous au même point), d'autres enfin ont été inconsidérément en-
gagés dans des rôles trop lourds pour leur organe. Nous ne citerons donc personne,
sauf peut-être M. Simon qui chanta excellemment le Maître de Chapelle, et dans la
classe de diction Mlle Delfortrie qui nous a surpris et M. Moulan qui n')^ a du reste rien
appris.
Grand succès du reste pour ce concert qui avait attiré une foule inaccoutumée et
très prodigue de ses bravos : cette fois, croyez-nous, ce n'est pas le public qui eut raison
— il a un tas de motifs spéciaux et il applaudissait des « amateurs )) sans rien y cher-
cher d'autre. — Mais pour nous l'expérience est faite et bien faite et la conclusion facile
à en tirer.
Ajoutons que l'orchestre accompagna lourdement, sous le bâton de M. Kefer lui-
même et joua avec conviction une intéressante page symphonique de notre concitoyen
Gaillard, l'ouverture de l'opéra wallon Li May d'amour.
Nous parlerons prochainement de la soirée de musique de chambre organisée par
M. Alph. Voncken.
J. D.
L'abondance des matières nous oblige à renvoyer à notre prochain numéro l'Ecole
des Hautes Etudes sociales, ainsi que les correspondances de : Angers, Le Havre.,
Montpellier., Marseille. Nancy. Nice., Rouen, et divers échos.
Concerts Tlnvoijcés
Salle Pleyel
janvier 1906
1 1 M. Riccardo Prati, pianiste
13 MHz Carcassonne, id.
Salle Erard
ô La Société nationale.
10 MM. Galeotti et Capet (Voir le progiamme
sur notre encartage).
1 1 Mme Brêma.
12 M. Decq.
13 M. Barat.
15 M. J. Hoffmann.
16 MM. Galeotti et Capet. (Voir le programme su^
notre encartage).
Châtelet
10 Tlie London Symphony Orchestra, à 2 h. 1/2.
12 id. id. id.
Salle des Agriculteurs
1 1 Les Soirées d'Art.
16 Société i-'hilharmonique (Voir le programme sur
notre encartage).
Ambigu
10 Société des Anciennes matinées Danbé, 4 h. 1/2.
Salle .^olian
5 Le Quatuor Parent.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
F PI A N C E
A l'Opéra. — La reprise de Tristan et Ysolde avec M. Van Dyck a évoqué le sou-
venir des meilleures représentations de cette œuvre qui serait depuis longtemps entrée
dans les phases de l'agonie, si M. Alvarez avait continué à en interpréter la moindre
mesure, à plus forte raison un rôle aussi énorme que celui de Tristan.
— Le début de Mlle Chenal dans Sioitrd a quelque peu déçu ceux qui partageaient
l'opinion enthousiaste de notre confrère Catulle Mendès, au moment des concours du
Conservatoire. Nous préférons attendre pour nous prononcer plus définitivement.
— Le mois prochain, on reprendra les Maîtres chanteurs de Nuremberg, avec une
distribution en grande partie nouvelle. Le rôle d'Eva sera chanté par Mlle Lindsay et
celui de Magdeleine par Mme Caro-Lucas.
M. Delmas conservera son rôle de Hans Sachs, de même que MM. Chambon et
Barret reprendront les rôles qu'ils ont déjà chantés. Le ténor Muratore abordera pour la
première fois le rôle de Walter et M. Nuibo celui de David.
A rOféra-Comique. — La rentrée de Mlle Marié de l'Isle a été accueillie par les
plus vibrantes ovations. Que sera celle de Mlle Garden dans Aphrodyte ! Du délire
alors ! A ce propos, savez-vous comment l'on appelle Mme Carré — (O Sparklet, ne ron-
chonnez pas !) : Garden-Party. N'est-ce pas charmant et... rosse en même temps?
D'ailleurs à notre époque l'un ne va jamais sans l'autre.
Société J. -S. Bach. — Le prochain concert avec orchestre aura lieu le mercredi 17
janvier (répétition publique le mardi 16) avec le concours du célèbre ténor allemand
Geoag Walter. Voir le programme sur notre encartage intérieur.
La réouverture des matinées musicales Maxime Thomas a eu lieu avec le concours
de M. Bourgault- Ducoudray.
Parmi les oeuvres du maître particulièrement goûtées et même bissées, nous cite-
rons : le magnifique Duo de Thamara ; les Citants de la Bretagne ; la deuxième Gavotte
et le Passe pied pour piano; les Chœurs d'Aimées, pleins de charme, d'originalité et
d'entrain ; le ravissant Quintette pour flûte et instruments à cordes ; le chœur. Hymne
à la Patrie, dont une mélodie grandiose et une harmonie puissante soulignent et enca-^
drent les immortels vers de Victor Hugo, etc.
Les interprètes de toutes ce belles œuvres étaient Mme Gallet, la remarquable
cantatrice mondaine. Mlle Alice Deville, le réputé contralto des Concerts Colonne ;
Mme Bleuzet, une pianiste de talent supérieur; Mlle Horon, une aimable et talentueuse
violoniste ; Mme Balia et M. Lubet, des Concerts Lamoureux ; MM. Gomé, L'Hom-
meau et de Passillé, instrurnentlstes impeccables complétaient la série des vrais artistes
dont avait su s'entourer le vaillant organisateur de ces éclectiques concerts, le violon-
celliste émérite Maxime Thomas.
Une nombreuse et élégante assistance applaudit le 8 décembre, dans les salons de
Mme Postel-Vinay, Mlle Gagniet, de la Schola Cantorum, dans des œuvres de Monsi-
gny et Haendel, le Quintette de Brahms, joué par Mlle M. Jacquard, MM. Tracol, Etche-
copar et Gauthier, un Trio de Saint-Saëns, joué par Mme Monnier, MM. Tracol et
Gauthier, et surtout la Sonate de Franck que Mlle Boutet de Monvel et M. Sechiari
exécutèrent avec une chaleur et une émotion admirables.
Nous apprenons que le Quatuor vocal français, composé de Mlle Mary Pironnay,
soprano, Mme Marthe Philip, contralto, M. Délit, ténor, M. Gébelin, basse, et fondé
par M. Paul Landormy, professeur d'histoire de la musique à l'Ecole des Hautes Etudes
sociales, a donné le 15, le 17 et le ig décembre à Venise et à Milan quatre auditions
— 754 —
consacrées à Y école française ancienne et moderne. Nous relevons au programme les
noms de nos plus notables contemporains : Fauré, Vincent d'Indy, Chausson, Duparc,
Massenet, Debussy, Paul Locard, celui d'un grand compositeur depuis longtemps déjà
disparu : Castillon, sans parler des ancêtres Jeannequin, Costeley, Charpentier, Ra-
meau.
Voilà un excellent essai de propagande artistique tout au bénéfice de l'art fran-
çais.
Après d'excellentes représentations de Werther ., Carmen et Cavalleria., dans dififé-
rentes villes où son succès fut considérable, Mlle Cécile Thévenet nous est revenue plus
en voix et en beauté que jamais. Dans la charmante opérette d'Offenbach, les Bri-
gands, qu'elle a accepté de jouer, bien que sa jolie nature d'artiste la porte vers les
systèmes d'un art plus élevé, la brillante cantatrice a remporté un triomphe, bien mé-
rité d'ailleurs.
M. Ernesto Consolo qui a remporté un si brillant succès, l'autre mardi, à la Société
Philharmonique, et le mois dernier à Zurich, Fribourg, Montreux et Genève, vient
d'exprimer à MM. Gaveau toute la satisfaction qu'il éprouve à jouer leurs pianos, qui,
écrit-il, « ne laissent rien à désirer au point de vue de la qualité, du son et du méca-
nisme )). Voilà, en vérité, une jolie manifestation du sentiment de reconnaissance.
Aussi bien en Hollande qu'à Hambourg et à Dresde, le violoniste A. Bachmann a
été accueilli par les plus chaleureuses ovations surtout après le Concerto de Lalo qu'il a
joué partout durant cette importante tournée.
M. Alexandre Georges, termine en ce moment l'importante musique de scène, avec
choeurs et soli, d'une pièce en cinq tableaux, En Perdition.àe M. Edouard Bureau-Gué-
roult.
La Croisade des Enfants de M. G. Pierné vient de remporter deux nouveaux et
énormes succès à Bruxelles et à Rotterdam. Sous la direction de M. Huberti, dans la
première de ces villes, et de M. Georg. Rijken, dans la seconde, ces auditions, compre-
nant jusqu'à 500 exécutants, ont été parfaites en tous points.
César Franck vient d'être fêté solennellement, le 24 décembre, à Angers, 011 l'on a
donné un Festival Franck avec la Symphonie en ré et Rédemption (Mme Auguez de
Montalant, M. Béguin), — et à Lyon, où la Société des Concerts de Lvon vient de faire
entendre Rédemption sous la direction de Witkowsky (soliste : Mlle de la jRou-
vière),
M. Charles Tournemire, présenté en Hollande par M. Daniel de Lange, l'éminent
directeur du Conservatoire d'Amsterdam, vient de diriger deux brillantes auditions de
son œuvre, le Sang de la Sirène. A Leyde, le 8 décembre, et à la Haye, le 12 décembre,
avec le concours du merveilleux orchestre royal de la Haye, et des splendides chœurs de
la Toonkunst de Leyde, les solistes, tous remarquables : Mmes Madier de Montjau, D.
Brunings, Jacoba Dhont. MM. Martien Smits et Jos. M. Orelio, surent faire valoir les
récits de l'œuvre. La critique hollandaise a été extrêmement élogieuse.
A ces deux séances de Leyde et de la Haye, M. Daniel de Lange a dirigé en très grand
mucicien deux chœurs admirables de R. Strauss à 16 parties réelles, chantés à la per-
fection par la célèbre société La Toonkunst de Leyde. Le concert commençait par l'ou-
verture à'Egmont, de Beethoven, admirablement rendue par l'orchestre royal de la
Haye.
Nos compositeurs et artistes français en Amérique. — On sait que M. Vin-
cent d'Indy vient de faire un séjour de trois semaines en Amérique où il a dirigé l'or-
chestre de la Boston Symphony et tait connaître des œuvres de musique française mo-
derne. Notre correspondant de New-York nous parlera bientôt de ces concerts.
M. Tiersot, engagé pour une série de conférences par l'Alliance française aux Etats-
Unis, a donné les trois premières les 14, 16 et 23 novembre à Boston et a déjà débuté à
— 755 —
New- York. Il parle exclusivement de la musique française et en particulier de nos
« vieilles chansons )).
Mme Emma Calvé fait une tournée de concerts (la première de sa vie!) Elle a
comme accompagnateur l'excellent pianiste Decreus, et a demandé également le con-
cours du flûtiste Fleury pour la « flûte olligato )) de certains de ses morceaux.
Pugno est en Amérique pour tout Thiver : il n'a pas de tournée organisée, et
habite New- York, d'où il rayonne dans toutes les autres villes. Il a débuté à New-York
à la Russian Symphony avec le deuxième Concerto de Rachmaninoff, jouera à la New-
York Symphony la Symphonie de V. d'Indy sur un air montagnard et les Variations
symphoniques de Franck, et a déjà donné plusieurs récitals ; à New- York il a joué sur-
tout des œuvres de compositeurs anciens (Couperin, Rameau, Bach, etc.), à Boston, des
oeuvres modernes (Schumann, Franck, Fauré, d'Indy).
M. George Barrère, l'éminent flûtiste, est également à New-York où il est engagé
comme flûte-solo au New-York Symphony Orchestra et à V Institute of musical Art,
dirigé par Frank Damrosch, nouvellement fondé, où certains de nos compatriotes sont
également professeurs : Giraudet, Stojowski, Leroy, Ménard, etc..,. M. Barrère a l'in-
tention de créer là-bas une Société d'instruments à vent et de jouer les œuvres des
« jeunes )) qu'il a déjà fait entendre à Paris.
Harold Bauer a débuté avec grand succès à Boston.
La New-York Symphony a à sa tête un chef très actif, M. 'Walter Damrosch, qui a
fait connaître V Après-midi d'u7i Faune, Schéhérazade, Namouna, Y Apprenti sorcier,
des œuvres de Franck, d'Indy, etc.
La Musique Française à l'Etranger. — Les Béatitudes, de G. Franck, ont été
données au concert du 7 décembre, au Gewandhaus de Leipzig pour la première fois.
Solistes : Mlles Gerhardt, F. Schaefer, Léa Stadgger ; MM. Georges A. Walter, A. Diet-
zel, F. Rapp.
U Après-midi d'un faune, de Debussy, vient d'être exécuté aux Concerts philhar-
moniques de Hambourg (direction M. Fiedler). Le public à été désorienté : a Fur das
grosse Publikum war Debussy auch hier Caviar », dit le correspondant de la Neue
Zeitschrift. Il est vrai que ce même public se réjouissait entièrement, quelques minutes
après, à l'audition du Scherzo de Sgambati !
La musique de Berlioz figure un peu sur les programmes de toutes les sociétés mu-
sicales importantes d'Allemagne.
Dans un genre... spécial, Eugénie Buffet fait florès à Berlin, à Hanovre, etc., avec
ses Chansons des rues si « parisiennes », n'est-ce pas ?...
A Genève, Marteau et J. Baume font entendre la Sonate de G. Samazeuilh. — A
Zurich, on révèle la Sonate de d'Indy.
Werther, de Massenet, vient d'être représenté pour la première fois à Leipzig le 16
décembre. Du même auteur, le Jongleur de Notre-Dame a été brillamment monté, à
l'Opéra-Comique de Berlin. — La Cabrera de G. Dupont est à l'étude.
La Saison d'Opéra à Monte-Carlo : Elle s'annonce particulièrement brillante. M.
Raoul Gunsbourg a voulu faire, cette année, encore mieux que les années précédentes.
Voici le beau programme élaboré par lui : La saison s'ouvrira avec Tannhœuser, inter-
prété par Van Dyck, Renaud, Mmes Farrar, Lindsay ; puis ce seront : le Roi de Lahore,
de Massenet, avec Mme Farrar, Renaud, Rousselière, Ananian, Mlle Zambelli et Mata-
Hari.
Le « clou » de la saison sera la première de Y Ancêtre, l'œuvre nouvelle du maître
C. Saint-Saëns, qui sera créée par Mmes Litvinne, Farrar, Charbonnel, MM. Rousse-
lière, Renaud, Lequien. Ajoutons à ce programme la reprise de Dow Proco^zo, œuvre de
jeunesse de Bizet, celle de Samson et Dalila, la création de Mlle de Belle-Isle, l'œuvre
nouvelle de Spiro Samara, enfin le Don Carlos, de Verdi, le Mefisto/ele de Boïto, et le
Démon, de Rubinstein, si rarement entendu.
Monte-Carlo. — C'est avec une œuvre délicieuse de M. Justin Clérice, Mimosa,
que M. Coudert a inauguré la série des représentations de ballets. La musique en est
originale, chatoyante, bien rythmée pour la danse.
L'exéçiition, grâce k l'habile maîtrg de ballet, M. SaRçço, et grâce à la pléiade d'ar-
— 756 —
listes dont se compose la troupe chorégraphique de Monte-Carlo, fut d'une absolue per-
fection, en même temps que d'un grand luxe.
L'étoîle, Mlle Charles, de l'Opéra, est une admirable danseuse, du plus pur style,
et elle mime avec un art délicieux : son succès fut triomphal.
Autour d'elle, toute une gerbe de premières danseuses : Mlle Fabris, fine et gra-
cieuse; Mlle Charbonnel, travesti sculptural; Mlles Ly Simons, Cavini, Bertrand,
Legrand, chacune digne du titre d'étoile, forment un groupe merveilleux, qui suffirait
déjà à établir la haute renommée du Ballet de Monte-Carlo.
Signalons la magnificence des décors de M. Visconti, et la richesse éblouissante
des costumes.
M. Désiré Thibault dirigeait l'orchestre.
— Au quatrième concert classique, M. Léon Jehin a fait une très large place aux
jeunes musiciens : il a donné, tout d'abord, une longue symphonie, les Quatre saisons.
de M. Henry K. Hadley, un jeune compositeur américain. Cette œuvre prouve une
réelle maîtrise. M. Hadley possède au plus haut degré la science de développement et
de l'orchestration. Le succès en fut éclatant.
Puis, les Paoes d'orchestre de M. Georges de Seynes ont profondément charmé
l'auditoire. Les trois pièces qui forment cette « suite symphonique. Près du Ronet.
Heure d'automne et Idylle aux champs, d'une inspiration bien personnelle, d'une fac-
ture où la délicatesse confine à la virtuosité, sont trois purs bijoux d'une ciselure extrê-
mement fine.
M. Vuillermoz a remporté un vif succès dans la Romance pour cor et orchestre
de Saint-vSaëns : sa puissance de son et sa pureté de style lui ont valu d'unanimes ap-
plaudissements.
— La nouvelle soirée chorégraphique fut triomphale pour le ballet de Monte-
Carlo.
Au programme, la Mariska et P-uppenfée.
La Ma7-7"sAï7., de M.Jean Lorrain, musique deM.Marici,fut un des clous du printemps
dernier, lors de sa création à Monte-Carlo. Depuis, la Marislca a fait son tour de
France, et a trouvé à Paris la définitive consécration.
On a revu, avec infiniment de plaisir, cette oeuvre étrange, poétique et si vivante.
C'est la superbe créatrice, Trouhanowa, tant acclamée partout, qui faisait sa rentrée
dans ce rôle où elle est admirable : ses danses caractéristiques, sa mimique expressive,
lui ont fait retrouver tout son succès de la création.
Venait ensuite Piippenfée (la Fée des Poupées), le célèbre ballet applaudi dans
toute l'Europe. Sa musique, fort jolie, et que tous les orchestres ont popularisée, prend
une vie nouvelle aux feux de la rampe, tandis qu'évoluent, en un tourbillon féerique les
premières danseuses, dignes d'être étoiles, les coryphées, les quadrilles, la figuration,
dans un mouvement admirablement réglé par M. Saracco, et dans un éblouissant bario-
lage de costumes.
Les premières danseuses, Mlles Fabris, Charbonnel, Bertrand, Cavini, Legrand.
Ly Symons, ont rivalisé de talent pour composer une interprétation d'éclat excep-
tionnel.
Les décors de M. Visconti, les costumes de .M. Le Maire, ont brillamment collaboré
pour l'enchantement des yeux.
M. Désiré Thibault conduisait l'orchestre.
Nantes. — Il vient de se former à Nantes, sous le patronage de MIVl.. Fauré, d'Indy
et Romain Rolland, une société musicale, dite Association des Concerts historiques de
Nantes. Elle est fondée et sera dirigée par M. de Lacerda, professeur à la Schola Can-
torum. et donne cette saison deux concerts, le 2g décembre et à la fin de février. Nous
en rendrons compte.
D'autre part on annonce la fondation d'une Société des Concerts de Nantes, qui or-
ganisera deux concerts annuels. Cette société est administrée par des représentants des
deux sexes, l'aimable et le laid. La présidente est Mme Liébeaux ; le président, M. Gus-
tave Baillergeau. La présidence d'honneur a été offerte à M. Bourgault-Ducoudray.
Voilà d'intéressantes tentatives artistiques sur lesquelles on ne saurait fonder trop
d'espoir.
— 757 —
Lille. — Au Deuxième concert populaire Mme Riss-Arbeau^ planiste de talent
sobre et consciencieux, a remarquablement exécuté le Concerto en mi de Chopin. L'or-
chestre, assez flottant, a exécuté tant bien que mal V Héroïque^ la Jota de Glinka et de la
musique d'E. Ratez.
— hc quatuor Rieu donne des séances très intéressantes : il vient de jouer le qua-
tuor de Svendsen et de faire entendre la belle Sonate de G. Fauré.
— Colonne et son orchestre ont donné ici deux concerts : grand succès pour les
excellents artistes et pour le remarquable chef d'orchestre.
Le Havre. — Le cours d'histoire de la musique professé par M. Woollett est de
plus en plus suivi et apprécié. Toutes les formes musicales, depuis les origines les plus
éloignées, y sont étudiées avec soin et accompagnées d'auditions du plus haut intérêt.
Voilà un bel exemple à suivre pour nos villes de province bien mal partagées sous le
rapport de l'érudition musicale !
Relms. — Concerts éclectiques. — Le quatrième concert de cette société marquera
parmi les plus beaux de la saison.
M. H. Dallier, le distingué organiste de la Madeleine, était venu très amicalement
prêter son gracieux concours aux artistes rémois. Aussi les amateurs étaient-ils venus
nombreux rendre un juste hommage au beau talent de notre concitoyen qui fut très fêté
et très acclamé. Ses diverses compositions firent une délicieuse impression sur le
public.
Mlle Dallier interprétait les jolies mélodies de son frère qu'elle a fort gracieusement
dites. Cette aimable artiste a été très justement applaudie.
MM. Vaysman et Aubert furent aussi les dignes interprètes de M. Dallier et mé-
ritent des félicitations toutes spéciales.
L'orchestre, pour terminer, nous donna une splendide exécution de l'ouverture du
Vaisseau fantôme de Wagner.
— Salle Degermann. — La Société internationale des concerts de musique ancienne,
classique et moderne, donnait mercredi soir un superbe concert. Les noms des artistes
annoncés étaient un sûr garant de réussite.
Mlle H. Sirbain possède une voix de mezzo-soprano d'un timbre exquis et d'une
étendue exceptionnelle.
Mlle Sandrini. étoile de l'Opéra, a fait revivre les danses anciennes en costume de
l'époque. Gracieuse à souhait, Mlle Sandrini a traduit avec finesse et intelligence l'ex-
pression musicale des célèbres auteurs Hcendel et Gluck.
M. G. Rabani est un des bons violonistes actuels ; il se distingue par son jeu clas-
sique, sa brillante sonorité et son grand sentiment artistique. Nous avons fort goûté son
style bien correct, surtout dans la. Sonate de César Franck. M. Ricardo Vinès, pianiste,
a obtenu un véritable triomphe, car ce très remarquable virtuose atteint la perfection et
son mécanisme lui permet d'aborder avec une aisance absolue les plus grandes diffi-
cultés.
Nous informons nos abonnés que Emile Mennesson, Éditeur de musique à Reims,
leur enverra gratuitement, sur leur demande, accompagnée de o fr.15 ,rAgenda-memento
Sainte-Cécile qu'il vient de publier pour 1906.
Arras. — Au dernier concert de la Société Philharmonique, M. Georges Dantu a vé-
ritablement captivé l'auditoire en chantant, avec sa voix si franche et si enveloppante,
des fragments de la Walkyrie et d'Hérodiade et de jolies mélodies de A. Dubois.
Niort. — La Société Philharmonique donnait lundi, 11 décembre, son premier con-
cert. Mlle Van Gelder, cantatrice de l'Opéra-Comique et le violoncelliste P. Destombes,
professeur au Conservatoire d'Athènes, encadrés par l'orchestre ordinaire de la société,
composaient la partie principale du programme.
En toute sincérité je dois avouer que l'orchestre, malgré ses 25 violons, et les nom-
breuses rangées de cuivres et de bois ne s'est pas montré à la hauteur de sa tâche.
Les instruments à vent ont détonné franchement dans l'ouverture de Patrie de Bi-
zp' ' ■ 1 les imiter dans l'hymne à Sainte-Cécile
re de Saint-Saëns l'excellent violon solo M.
. est vu absolument submergé par le flot de ses
.e pas que de temps à autre des passages et effets
.er les défauts signalés plus haut et j'applaudis de tout
. Conte, chef de cet orchestre trop nourri... d'amateurs.
c une voix peu sympathique surtout dans l'intonation a
Oi grâce à la science consommée de sa diction ,un excellent accueil.
Api l'Jil de Leroux, un air d'Hippolyte et Aricie de Rameau, un air
de la o strophes de Muguette, elle a dû bisser // Neige de Bemberg, d'une
interpr^ .ueux réussie.
Pieri .estombes a été incontestablement le roi de la soirée. De la Sonate d'Haen-
del, en passant par VElégie de Fauré, La Romance de l'Etoile de Wagner, jusqu'au
Concerto et la Tarentelle de Popper, il a fait preuve, dans ces divers morceaux, de
grandes qualités et d'une maîtrise incontestable. Son expression est d'une rare distinc-
tion, son style et sa technique sont impeccables. Chaque morceau a valu à ce véritable
artiste des ovations méritées.
M. Jean Déré a tenu à la satisfaction générale le rôle obscur et difficile d'accompa-
gnateur.
P. -S. J'ai entendu parler d'une tournée en France pour février du grand violoniste
P. de Sarasate.
Peut être pourrait-on... Waft.
Dresde. — La Salomé àe Richard Strauss (d'après 0. Wilde), si impatiemment at-
tendue du monde musical allemand, vient enfin d'être donnée à l'Opéra : tous les
journaux musicaux sont enthousiastes à son égard.
— Au dernier concert de la Chapelle Royale, sous la direction de E. Schuch, on a
donné comme nouveauté V Humoreske de K. de Kaskel, qui a obtenu ici le même brillant
succès qu'à Munich.
Munich. — C'est décidément M. Hermann Bahr qui est nommé régisseur en chef
des Théâtres Royaux, en remplacement de M. von Possart. A ce propos reproduisons la
note que l'Intendance des théâtres de la cour vient de communiquer au sujet de l'en-
tente entre Bayreuth et Munich :
Le festival d'été aura lieu en igo6. Du 2 au 12 août, six œuvres de Mozart seront
représentées au Residenz-Théater. Du 13 août au 7 septembre, seize représentations
d'œuvres de Richard Wagner auront lieu au Prinz-Regenten-Theater. Les Maîtres-
Chanteurs de Nuremberg seront joués cinq fois, Tannhauser trois fois et Y Anneau de
Niebelung deux fois.
— Sous la direction de Max Reger, vient d'être donnée une audition de la
musique de Prométhée de Liszt. — Aux concerts Kaim, Schneevoigt fit entendre la
Finlandia, de Sibélius et le Poème tragique, de Walther Lampe ; à l'Académie,
Mottl dirigea, comme nouveautés, la Vie est un rêve, symphonie de F. Klose et VHu-
moresque, de K. de Kaskel,
— Festivals de içoô. — Les oeuvres suivantes de Richard Wagner seront repré-
sentées du 13 août au 7 septembre 1906 au Prinzregententhéâtre à Munich : cinq fois
les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, trois fois Tannhauser et deux fois l'Anneau du
Niebelung. Au théâtre de larésidence on donnera six représentations des œuvres de Mo-
zart du 2 au 12 août.
Pour prospectus détaillés qui paraîtront au commencement de janvier et pour bil-
lets d'entrée s'adresser à l'Agence Générale, bureau des voyages Schenker et C°, Munich,
16 Promenadeplatz.
Londres. — On nous annonce le grand succès remporté à Queen's Hall et à la salle
iEolian par le pianiste Richard Buhlig ; son interprétation des œuvres de Bach, de
Brahms et de Beethoven, fut excellente à tous points de vue ; mais il nous parut surtout
remarquable dans des œuvres de Chopin, qu'il joua avec une émotion sincère et distin-
guée, un charme exquis, et aussi avec une belle puissance. Le public lui fit une magni-
fique ovation.
— 759 —
BIBLIOGRAPHIE
"Weltgeschichte in Karakterbildern. — Die Zeit des Klassizismus •
BEETHOVEN, von FRITZ VOLBACH.
Mûnchen, Kirchheim, iços, gr.in-8 de ii8 p. hnpr. à 2 colonnes, avec 6y fig.
dans le texte et 4 pi. en /ac-sùnile.
Dans une collection d'environ quarante volumes signés d'autant de « spécialistes »
et destinés à former une « Histoire universelle », racontée en « portraits caractéristi-
ques », cette nouvelle vie de Beethoven représente « l'époque du classicisme », ce qui,
au premier abord, n'est pas sans nous étonner quelque peu. C'est que nous ne nous en-
tendons pas sur les mots. Ou bien nous appelons « classiques » des œuvres ou des au-
teurs qui se meuvent en de certaines formes très claires, très nobles et très régulières :
et alors le « classicisme » se personnifie, en France, dans le « grand siècle » et pour les
irrespectueux, dans la perruque de Boileau ; ou bien nous appliquons cette épithète à
tout ce qui, pour avoir de quelque manière atteint la perfection, mérite d'être « regardé
comme un modèle » et, ajoute Littré, « par extension : fait autorité ». Sous le premier
point de vue, l'histoire de la littérature allemande désigne comme classique, ainsi que
l'expose M. le D"' Volbach, l'époque où s'affranchit la pensée nationale, et où Gœthe
Schiller, Lessing, Kant, Winckelmann, s'inspirant soit des auteurs antiques, soit de
Shakespeare (l'antipode de notre classicisme français), furent les créateurs d'une poésie,
d'une philosophie, d'un théâtre allemands. En musique, M. le D"- Volbach définit
comme point culminant de la période classique le moment où « la forme reçut un con-
tenu », c'est-à-dire celui où les formes musicales constituées par le travail de plusieurs
siècles, perfectionnées et « arrondies » par Mozart, atteignirent « l'idéal le plus élevé »
avec Beethoven, qui (( exprima en elles son âme grande et magnifique ».
_ « L'esprit de contradiction » qui réside en tout critique nous souffle bien à l'oreille
qu'il y a là un gros grain d'injustice à l'égard des prédécesseurs de Beethoven, et
qu'avant lui, chez Mozart, chez Bach (( le musicien-poète », chez Schûtz, chez beaucoup
d'autres plus vieux, beaucoup plus vieux, la « forme » avait déjà reçu un « contenu ».
Et sans doute, il n'est pas entré dans la pensée du D"^ Volbach de le contester, pas plus
qu'il n'a songé à enfermer Beethoven, — le génie même de la liberté dans la rnusique —
dans les limites d'école ou do doctrine, plus ou moins étroitement définies, que l'on
associe d'ordinaire à l'idée du (( classicisme ».
C'est, au contraire, par une grande largeur de vues, en même temps que par le ton
chaleureux de l'exposition, que se distingue le livre de M. le D' Volbach. Ecrivant dans
un but de « vulgarisation », l'auteur a réduit au strict nécessaire les détails biographi-
ques, s'est abstenu de toute note en bas de page, et a limité la Hste finale des « sources »
à un très petit nombre de titres exclusivement choisis dans la littérature allemande (le
livre capital de sir George Grove sur les Symphonies de Beethoven n'y est pas men-
tionné). C'est, avec raison, à l'étude des œuvres de Beethoven , et de son âme « grande
et magnifique », que l'auteur s'est attaché de préférence.
Grâce à la traduction qui leur a été offerte du fragment relatif à « la religion de
Beethoven et la Mïssa solemnis », les lecteurs de cette revue ont déjà pu se rendre
compte par eux-mêmes de la méthode de M. le D' Volbach : à ceux qui connaissent la
langue allemande, il est donc à peine besoin de recommander la lecture de l'ouvrage
tout entier, qu'achèvent de rendre attrayant une soixantaine d'illustrations et d'intéres-
sants fac-similé d'autographes.
M. Brenet.
Les Maîtres de la Musique : PALESTRINA, par Michel Brenet
fPélix Alcan, Editeur, Paris)
La librairie Alcan a commencé de faire paraître, sous la direction de notre distingué
confrère M. Jean Chantavoine, une série de volumes consacrés aux maîtres de la mu-
sique ancienne et moderne, qui comblera, dans l'histoire de notre art, une regrettable
lacune et dont les auteurs ont été élus avec un tact rare et un sentiment très vif de ce
que doit être la critique musicale à notre époque. Comme on l'indiquait ici-même, la
musique a cessé d'être une matière commode à de creuses et sonores dissertations; ellç
— 760 —
a conquis sa juste place dans les programmes d'enseignement et elle attire à elle des sa-
vants qui ne dédaignent pas d'appliquer à son étude les méthodes les plus rigoureuses
de la critique littéraire. Le Palesirinct de M. Michel Brenet, qui ouvre l'ère de cette
publication, justifie les plus favorables augures. M. Brenet que son érudition patiente,
sa vaste culture et sa sensibilité délicate prédestinent à de pareilles tâches, a su tout à
la fois, avec un art aussi personnel que discret, faire revivre la lointaine et noble figure
du « prince des musiciens », caractériser en un ensemble de formules définitives son
œuvre immense et divers et élucider avec une étonnante sûreté d'intuition ou de dialec-
tique quelques redoutables problèmes d'exégèse. Rarement la science unit ainsi la cer-
titude à la simplicité.
De la multitude des faits et des observations, M. Brenet excelle à dégager l'idée
générale sans nulle indulgence pour le paradoxe. Il recrée autour de Palestrina l'atmos-
phère lumineux de l'histoire, il le suit pas à pas dans sa vie en épargnant les détails oi-
seux , les dates superflues ; il détermine les influences auxquelles il a obéi, rectifie en
passant l'erreur comme touchant la prétendue réforme de la musique religieuse dont
r-*alestrina serait l'auteur, souligne d'un trait précis et sans complaisance suspecte, cer-
taines particularités de son caractère, retrace les destinées posthumes de tant de chefs-
d'œuvre oubliés pendant près de deux cents ans, principalement en France et si magni-
fiquement ressuscites de nos jours ; il analyse enfin avec une précision, un bonheur d'ex-
pression sur lesquels on ne saurait trop insister le stj'le palestrinien si différent dans
les messes et les motets ainsi que dans les madrigaux ou les nécessités de l'expression
du sentiment individuel entraînent peu à peu, ainsi que le remarque ingénieusement
l'auteur, la substitution de la mélodie accompagnée à la polyphonie impersonnelle et
collective de la musique religieuse.
On lira avec un intérêt spécial tout ce qui touche au Motu proprio. à l'œuvre du
Concile de Trente, aux origines des thèmes employés par Palestrina qui, n'en déplaise
à Fetis, à Gounod ou à Taine, ne rassembla jamais, pas plus que ses contemporains,
dans un accouplement sacrilège, les textes sacrés et les textes profanes, voire licencieux,
dont les chansons populaires, traitées liturgiquement, étaient primitivement ornées.
L'amateur qui ne sait rien de cette période musicale (et malgré les beaux travaux
de M. Bordes et de M. Expert, il y en a encore) trouvera dans le livre de M. Brenet des
notions élémentaires distribuées avec une telle adresse qu'elles n'offusqueront pas ou ne
feront pas sourire les adeptes de la confrérie. J'ai dit ce que l'auteur a réservé à ceux-ci
et je ne parle pas de la terrifiante bibliographie qui termine l'ouvrage et ajoute à la salu-
brité d'une lecture d'où l'on sort à la fois plus instruit et plus humble.
Paul LOGARD.
Paris als Musikstadt par ROMAIN ROLLAND (Collection die Musik, publiée
SOUS la direction de RICHARD STRAUSS. - Berlin).
Nouveautés musicales
M. Paul Locard vient de faire paraître chez Hamelle, une Pièce symphoniqtie pour
orgue, d'une facture solide et d'une écriture très soignée. La ligne mélodique, toujours
distinguée et très pure, reflète peut-être par instants le souvenir de Franck, et ce n'est
certes pas un reproche que nous lui adressons.
Tous les organistes voudront connaître cette œuvre de très réelle valeur.
Du même auteur, paraît chez Démets, un délicieux chœur, à quatre voix mixtes,
Hiver^ (sur une poésie d'Albert Samain), d'une charmante inspiration, déjà entendu
dans plusieurs concerts.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
l
9^ ANNÉE. No'J. 15 Janvier 1906,
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE
Portraits : MOZART, enfant (à l'âge de onze ans.)
Portrait de MOZART par son beau-frère, l'acteur Lange
Mozart : L'Œuvre et
le génie CAWILLE BELLAIGUE.
Mozart .■ Silhouette. IDEM.
Mozart et le Cata-
logue DE ses Œu-
vres CHARLES WALHERBE.
A PROPOS DE LA FLUTE
ENCHANTEE
Sur LES 32 Sonates de
Beethoven (fin).,. PAUL LOCARD.
Les Premières :
Les Pêcheurs de la Saint-
Jean
La Coupe enchantée, à
rOpéra-Comique . . VICTOR DEBAY.
HENRY GAUTHIER-VILLARS
Les Grands Concerts : ( j^^^ ^,^3,^^
Colonne, Lamoureux, \
Conservatoire. f INTÉRIM.
La Quinzaine Musicale (Concerts Le Rey,
Nationale, Schola Cantorum, Soirées d'Art,
Quatuor Parent, Hautes études sociales).
Le mouvement m.tisical en Province
et à V Etranger :
Salomé de Richard
Strauss, à l'Opéra
de Dresde L. PONNELLE.
Correspondances de : Angers, Montpellier,
Nancy, Nice, Rouen, Toulouse, Verviers.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles.
Bibliographie, Nouveautés Musicales.
« '«■ »
Administration et Rédaction
Le Directeur et le Secrétaire de la
29, RUE TRONCHET, PARIS (8«) ^^^^'^t'^" reçoivent les Mardi, Jeudi
— . ——«-____««« et Samedi, de 10 heures à midi.
TÉLÉPHOIVE 252.95
Sureau;; ouverts .
de 10 h. à midi et de ^ h. à 6 h.
Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musical
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
[ Paris et Départements 12 francs l'an
ABONNEMENTS ^
( bTRANGER . 15 » ))
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, (16^)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8^).
(TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Aguettant — Camille Bellaigue — F, Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D"" Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — RenéDoire — F. Drogoul —
Eva — Emm, Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars — E. Giovanna — Omer Guiraud —
F. Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauerwein — A. Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwrenka
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D»^ Fritz Volbach — E. VuilJ
lermoz, etc ..
lie Courrier Musical est ea irecte :
A PARIS: ^9> rue Tronchet.
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Cour, à BRUXELLES
MM. BREITKOPF d MORTEL, 54, Malboreugh-Streeî,
LONDON-W.
W. A. MOZART : A l'âge de onze ans
D'après le tableau de Dominique van der Smissen (peint en 1766)
W. A. MOZART
Peint par son beau-frère, l'acteur Lange
Ces deux photographies appartiennent à la Société du Mo:{arteum de
Salzbourg, dont l'Administration a bien voulu nous les communiquer. Nous
lui adressons ici nos plus sincères remerciements.
9" ANNEE. N" 2. 1 5 JANVIER 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE : Portrait : Mozart, enfant (à l'âge de onze ans). — Portrait de
Mozart par son beau-frère, l'acteur Lange. — Mozart: L'œuvre et le génie (Camille
Bellaigue). — Mozart : Silhouette (Camille Bellaigue). — Mozart et le catalogue
de ses œuvres (Charles Malherbe). — A propos de la flûte enchantée (Henry Gau-
thier-Villars). — Sur les 32 Sonates de Beethoven (fin) (Paul Locard). — Les
Premières : Les Pécheurs de la Saint-Jean, la Coupe Enchantée à l'Opéra-Comique
(V. Debay). — Les Grands Concerts, Colonne, Lamoureux, Conservatoire (Jean d'U-
DiNE, Intérim), — La Quinzaine Musicale: Concerts Le Rey, Nationale, Schola Canto-
rum, Soirées d'Art, Quatuor Parent, Hautes études sociales. — Le mouvement musical
en province et à l'étranger : Salomé, de Richard Strauss, à l'Opéra de Dresde
(L. Ponnelle). — Correspondances de : Angers, Montpellier, Nancy, Nice, Rouen,
Toulouse, Verviers. — Concerts annoncés. — Échos et Nouvelles. — Bibliographie,
Nouveautés musicales.
Par suite d'une erreur dans la pagination, les quarante pages
de texte du numéro du i" janvier ont été numérotées de 721 à 760,
alors qu'elles auraient dû Vêtre de 1 à 40. Nous prions nos
lecteurs de vouloir bien rétablir eux-mêmes la pagination exacte.
Nous publierons, avec le numéro du i" février, la table des
matières de Vannée jpo^.
Dans quelques jours (le 27 janvier) sera célébré le 150'" anniver-
saire de la naissance de Mozart (Salsburg 1756). Nous sommes heureux
de pouvoir offrir aujourd'hui à nos lecteurs la primeur de pages
encore inédites de M. Camille Bellaigue, d'articles originaux de
MM. Charles Malherbe et Henry Gauthier- Villars sur l'immortel
musicien.
MOZART
L'CEUVRE ET LE aÉNIE<i)
Aussi bien que dans l'ordre delà forme, dans celui du sentiment ou de
l'éthos, l'œuvre de Mozart est un concert.
Le génie de Mozart est à la fois idéal et familier, supérieur et prochain,
sans que jamais un choc, ou même un froissement, résulte de cette rencontre.
Il arrive au sublime tantôt par la grandeur, tantôt — plus souvent même —
par la grâce. Et je ne sais que les Grecs, et Raphaël après eux, qui sachent y
(t) Nous publions, avec l'agrément de M. Camille Bellaigue, ce fragment de l'ouvrage de l'éminent
écrivain sur Mo:^art, qui paraîtra très prochainement chez l'éditeur Laurens. Nous adressons à M. Laurens
nos remerciements d'avoir bien voulu autoriser cette publication.
— 42 —
atteindre par ce dernier chemin. Regardez le Parthénon ou VÉcole d'Athènes :
écoutez, non pas un chant de Mozart, mais dix, mais vingt, que nous pour-
rions citer : le f^oi che sapete et tel air de ténor de V Enlèvement au Sérail, le trio
de la fenêtre de Don Juan, ou le second motif de la « romance » du concerto en
ré, pour le piano; vous éprouverez que le charme vous touche aussi profondé-
ment que la force, que certains sourires attendrissent Jusqu'aux larmes et qu'il
y a pour la beauté plus d'une manière d'être infinie et divine.
Plénum gratice et veritatis. L'alliance de ces deux mots sied à Mozart et le dé-
finit tout entier. Les vérités les plus hautes ou les plus profondes, il les
exprime avec grâce. Il a le secret de tout dire, même le terrible, sans enfler la
voix, et peu de moyens lui suffisent. Que la lettre, en la matière, est donc peu
de chose en son œuvre, auprès de l'esprit! Il ne faut, ponr ]0\itv Don Juan, qu'un
orchestre de vingt-cinq musiciens. Celui de notre Opéra ne fait que grossir et
dénaturer le chef-d'œuvre. Que dirons-nous du ballet, de cette postiche et de
cette bosse, qui, pour être aussi brillante que celle des polichinelles que le ballet
met en branle, n'en demeure pas moins une bosse, autrement dit une difformi-
té. Cet intermède a tous les inconvénients- et toutes les impertinences. Il désor-
ganise et désiquilibre le finale; il en fausse les proportions et le sens. Afin
d'assortir, ou d'égaler la musique à la chorégraphie et à la mise en scène, on
a fait du Viva la libertal de ce salut cordial et familier, je ne sais quel mélodra-
matique et formidable appel à la liberté. « Que de bruit, disait l'autre, pour une
omelette au lard ! o On pourrait presque le redire, puisqu'il s'agit ici de faire
plus : d'un repas sur l'herbe offert par un seigneur à une noce de paysans.
Mozart est la nature même. On pourrait dire de lui, continuant de le cher-
cher et de le trouver dans un texte sacré, a qu'il a habité parmi nous ». Si grand
qu'il soit, il reste ce que nous sommes à quelques personnages qui nous
dépassent (Sarastro, la Reine de la Nuit, en maint endroit Don Juan). Combien, et
beaucoup plus nombreux, n'en a-t-il pas mêlés de plus modestes, plus humains,
qui nous ressemblent, qui vivent de notre vie moyenne et meurt de notre
commune morti Qui décidera, par exemple, si la fin du commandeur est plus
admirable de noblesse et de pathétique, ou de simplicité. Pour honorer un
vieillard, un inconnu, qui ne fait que paraître et mourir, il n'y avait point à
déployer les magnificences funèbres qui font du convoi de Siegfried, héros de
toute une épopée, un deuil presque divin. L'épée de Don Juan et l'épée de
Hagen ont assurément tranché d'inégales destinées. Mozart ne consacre qu'un
trio de quelques lignes, un épilogue instrumental de quelques mesures à la
médiocrité, j'allais dire à la banalité d'une mort obscure. Mais ce peu de mesures,
ce peu de notes, qui perlent goutte à goutte, comme du sang ou comme des
pleurs, sont d'une telle beauté, si large et si profonde, que ce n'est pas une
mort, mais la mort même, dont elles expriment l'horreur.
Quoi de plus simple encore, et d'obtenu à moins de frais, que la couleur
fantastique ! Viendras-tu souper? — Oui. De quels éclats d'orchestre, de quelles har-
monies extravagantes un musicien moderne aurait-il souligné l'acceptation
d'outre-tombe I Mozart la glisse en passant dans la trame souple et courante du
duo, et, pour l'en distinguer, l'en détacher cependant, froide et sentant le
sépulcre, il suffit d'une note de cor dont nous parlions tout à l'heure et d'une
modulation que nos écoliers peut-être mépriseraient. Il en est de l'œuvre
entière de Mozart comme du duo du Cimetière. La plus haute beauté n'y a ja-
mais rien d'ambitieux, encore moins d'affecté; rien qui nous étonne et nous
effarouche, rien qui nous tienne à distance et nous défende d'approcher. Sur les
- 43 -
choses graves, et mêmes saintes, Mozart a porté des mains aussi pures, maïs aussi
libres, que celles d'un enfant. Non seulement dans un opéra, mais dans un
rôle, dans un air, partout il a, comme en se jouant, mêlé le pathétique avec
le comique parfois, toujours avec le naturel. C'est le secret des grands idéalis-
tes, celui du musicien de Don Juan aussi bien que du peintre de VHéliodore et de
la Messe deBolsène, de réserver ainsi jusque dans les pages grandioses, un asile et
comme un coin familier à la vie intime, à la plus modeste, à la plus humble réalité.
•
¥ *
Mozart contente pleinement l'esprit et la raison. Les plus savants parmi
les savants n'en savent pas plus que lui, car il sait tout. Son talent est égal à
son génie. Bizet disait volontiers, en parlant de la musique : « Il faut toujours
que cela soit fait ». Rien n'est mieux « fait » que la musique de Mozart, que
VAveverum ouït Trio des Masques, \q qmnleix^ay te piano qïï sol mineur ou la
Flûte enchantée. Enfin, il suffit de comparer au premier finale des Noces de Figaro
le finale du 5arWér J^ 5m7/^, pour décider aussitôt, de Mozart et de Rossini,
lequel est le grand compositeur, l'architecte des sons.
La beauté pour ainsi dire intellectuelle de la musique de Mozart occupe
donc et remplit tout notre entendement. Elle ne l'excède et ne l'accable jamais.
On dirait que Mozart a le souci constant de nous tenir, ainsi qu'il se tient lui-
même, au-dessus de son œuvre, et comme il ne nous donne pas trop, de ne
pas trop nous demander. «Vous le nommez grand », s'écriait un jour Grill-
parzen « Il l'est, en effet, parce qu'il s'est limité. Ce qu'il a fait et ce qu'il s'est
interdit pèsent du même poids dans la balance de sa renommée. Parcequ'il n'a
jamais voulu plus que ne doivent vouloir les hommes, l'ordre : « Il le faut I » sort
de tout ce qu'il a créé. Il a préféré paraître plus petit qu'il n'était, plutôt que de
s'enfler jusqu'au monstreux. Le royaume de l'art est un second monde, mais
existant et réel et soumis à la mesure. »
Mozart y a soumis la sensation non moins que la pensée. Un des miracles
et non le moindre, de son génie, est de tempérer l'une par l'autre et de les
porter ensemble jusqu'à la perfection. Dans l'immense domaine des sons, il n'y
a peut-être rien de plus délicieux à l'oreille qu'une phrase de Mozart. Grillpar-
zer encore l'a dit, et fort bien : « Il t'attachait fermement à des éternelles
énigmes, ô toi, l'œil de l'âme, oreille qui sens tout. Ce qui n'entrait point par
cette porte lui paraissait un caprice de l'homme et non la parole divine, et de-
meurait banni de son cercle de lumière. »
Autant qu'à notre esprit, Mozart plaît donc à nos sens. Loin de les offenser
jamais, de leur demander le moindre sacrifice, il les charme et les ravit toujours.
Le comprendre est une joie et c'est une volupté de l'entendre. Une mélodie, ou
seulement le début d'une mélodie, comme les premières mesurent du trio de la
fenêtre dans Don Juan, celles du premier morceau de la symphonie en sol
mineur, comptent parmi les plus purs chefs-d'œuvre de la plus sensuelle beauté.
Oui, de la plus sensuelle, et pourtant les plus purs. Jamais VAmari aliquid du
poète latin ne surgit du fond du plaisir qu'ils nous causent. « La musique la
plus physique que je connaisse », disait Stendal de certaine musique de Rossini.
On le dirait peut-être mieux encore de la musique de Mozart, mais à la condi-
tion d'ajouter aussitôt qu'elle est également la plus morale, qu'en sa forme, en
sa figure, j'écrirais volontiers, en son corps divin, habite une âme divine, enfin,
qu'une phrase de Mozart est peut-être la ligne idéale où se rencontrent et
s'accordent le mieux l'ordre de la matière et celui de l'esprit.
Camille BELLAIGUE.
— 44 —
M O Z A R T ■>
En 1790, lorsque Haydn partit de Vienne pour Londres, Mozart, qui l'aimait, se
jeta dans ses bras en sanglotant : « O mon cher papa, s'écria-t-il, ce baiser sera le
dernier ! Nous ne nous reverrons plus. » Et quelques mois après, quand Haydn apprit
que Mozart était mort : « O mes amis, dit-il en pleurant à son tour, le monde retrou-
vera-t-il jamais un pareil artiste ? »
Le monde ne l'a jamais retrouvé.
Mozart, comme Pascal, eut une enfance prodigieuse. A l'âge de 5 ou 6 ans, son
père, un jour, l'ayant surpris en train d'écrire, lui demanda ce qu'il faisait. — « Un
concerto pour le clavecin », répondit le petit bonhomme. Et le père, ayant lu par-des-
sus son épaule et voyant qu'il disait vrai, se prit à pleurer d'émotion et presque d'ef-
froi. Alors, il l'emmena par toute l'Europe, et toute l'Europe applaudit aux miraculeux
essais de l'enfant sublime. II allait gracieux et souriant, avec son habit de drap lilas
brodé d'or, sa perruque frisée et sa petite épée ; il allait chantant, jouant du violon,
du piano, improvisant sonates et fugues, composant des symphonies et des opéras,
exposant aux hasards des chemins le fragile trésor de son génie.
Revenu à Salzbourg, il entra au service du prince-archevêque. 11 y subit toutes
les humiliations de la domesticité des grands, et il était déjà l'auteur à'Idoménée, qu'il
soupait encore à la table des valets.
Chassé comme l'un d'entre eux, il connut la pauvreté. L'amour l'en consola ;
l'amour conjugal, qui fut son unique amour : car Mozart vécut purement. 11 souffrit le
froid, presque la faim, les dédains et les rebuts, mendiant en vain les plus humbles
places et n'obtenant qu'après les Noces, après Don Juan, la charge à peine rétribuée de
compositeur de la chambre impériale. Sa femme, sa chère Constance, était malade et
ne vivait que par ses soins ; aux eaux de Bade, près de Vienne, où elle fut envoyée, un
humble chantre du village lui donna l'hospitalité : « Tu vois, lui écrivait alors Mozart,
sur un feuillet taché de larmes, tu vois qu'en t'écrivant j'ai beaucoup pleuré. Mais
nargue du chagrin!... Il voltige autour de ma tête une innombrable quantité de
baisers. »
Le chagrin fut le plus fort. Et pourtant, en proie à la misère, le doux maître en-
tendit chanter une dernière fois les esprits heureux ; les génies et les fées lui dictèrent
\a Flûte enchantée. La gloire venait enfin, et la fortune. Elles venaient trop tard. A
trente-cinq ans, un matin de décembre, il mourut. On l'enterra pauvrement. Sa
femme, malade, ne put le suivre, et comme la neige et le vent faisaient rage, les rares
amis qui l'avaient accompagné d'abord, ne l'accompagnèrent plus jusqu'au bout. 11
entra seul au cimetière et son corps fut déposé dans la fosse commune. Quelques jours
plus tard, sa femme vint et interrogea le fossoyeur. Il répondit qu'il ne connaissait pas
ce mort, et depuis, pour prier sur la tombe de Mozart, nul n'a su jamais où ployer les
genoux. Sa vie ne fut que souffrance, et son œuvre n'est que bonheur. Son art, qui
n'eut pas la confidence de son martyre, n'en porte ni la trace, ni le témoignage. En
dehors, au-dessus de sa misère, Mozart a rêvé l'idéale félicité. C'est de formes heu-
reuses qu'il a peuplé « où demeurent, dit Hoffmann, les enchantements célestes des
sons ». Ses mélodies vivent comme des fleurs, sans trouble ni peine ; quand elles
meurent, quand elles tombent, c'est encore en souriant, et leur chute, leur mort, n'est
(i) Extrait des Portraits et Silhouettes de Musiciens de Camille BellaiguCj grâce à l'amabilité de
J'auteur et à l'obligeance de l'éditeur Delagravc.
— 45 — ,
que la dernière et non la moins exquise de leurs grâces. Dieu fait entre les grands ar-
tistes le partage de la beauté. 11 assigne à chacun son lot dans l'âme humaine, à cha-
cun sa place dans la maison où il y a plusieurs demeures. Heureux les simples ! Heu-
reux les doux ! Heureux les purs ! Le génie de Mozart a été marqué par ces trois béati-
tudes.
Mozart est pur. Aucun mélange ne le gâte ni le corrompt. Il ressemble à cette
source dont parle Bossuet, qui jamais n'agite assez violemment la terre sur laquelle
elle passe, pour en détacher quelque partie qu'elle entraîne avec elle parmi ses eaux.
Mozart est doux. Le pauvre fou, que Georges Sand enfant voyait errer dans la
campagne et qui cherchait partout la tendresse, l'aurait trouvée enfin dans la musique
de Mozart. Tendresse heureuse, tendresse mélancolique, toute tendresse y surabonde.
Il y a dans ce trésor d'amour de la paix pour toutes les inquiétudes, de la consolation
pour toutes les souffrances.
Mozart est simple, et parce qu'il est simple, il ne se décomposera jamais ; il de-
meurera tout entier. 11 entre aussi peu de matière que possible dans son œuvre ; elle
n'est qu'esprit et âme. Pour entendre Mozart, l'oreille, n'est pas assez fine ;
les doigts sont trop lourds pour le jouer, et les mots sont impuissants à parler
de lui.
11 est mort en écrivant le Requiem, en demandant pour lui et en nous laissant à
nous le bien par excellence, le repos. Il n'a rien fait de laid, ou seulement d'obscur et
de trouble. Il n'est pas le musicien de ce que nous sommes, mais de ce que nous rê-
vons d'être, de ce que nous serons : le musicien de l'avenir, au sens éternel du mot.
Il est le dernier des génies heureux. Après lui viendra Beethoven, le sublime patient,
l'héroïque vainqueur de soi-même, exemplaire sans égal de l'humanité ; Beethoven,
beau comme la passion, comme l'orage infini et comme la douleur.
Mozart est au-dessus de l'humanité ; il est beau comme la paix, comme l'azur
infini, comme la joie. Il est le jeune homme divin.
Camille BELLAIGUE.
E-fc le ca.-ta.log^\ie dLe ses oeuivres
Tous ceux qui étudient Mozart connaissent le catalogue de ses œuvres rédigé par
Kœchel : c'est l'ensemble des compositions du maître, présentées chronologiquement,
avec une notation thématique de chaque morceau, et des renseignements relatifs aux
principales éditions, ainsi qu'aux autographes. L'auteur, Ludwig Alois Friedrich von
Kœchel, n'était pas un professionnel de la musique classique. Ne à Stein (Autriche),
le 14 janvier 1800. mort à Vienne le 3 juin 1877, il avait d'abord choisi la carrière de
l'enseignement, puis appliqué aux sujets les plus variés son goût pour l'étude ; on lui
doit notamment d'importants travaux sur la botanique et la minéralogie. Comme il
aimait la musique en général, et celle de Mozart en particulier, il s'était mis à recher-
cher tout ce qu'avait écrit son compositeur favori ; esprit méthodique, il s'adonnait
volontiers aux classifications ; ainsi, la réunion progressive des matériaux aboutit à la
rédaction d'un catalogue qui l'occupa longtemps et parut enfin à Leipzig, chez Breit-
kopf et Haertel, en 1862. Depuis cette époque, on le devine, la musicographie s'est
développée largement en tous sens et en tous pays ; grands et petits, les maîtres ont
été l'objet d'investigations minutieuses, celui de Salzbourg, autant et plus que bien
-46-
d'autres ; peu à peu les ténèbres se sont dissipées ; on a fixé certains points, jusque-là
douteux, corrigé des erreurs, réparé des oublis. Pour que le livre de Kœchel conservât
toute sa valeur et toute son utilité, il fallait le tenir à jour. Le comte Paul von Wal-
dersee s'est imposé la tâche de cette révision, et il a publié chez Breitkopf et Hsertel
une seconde édition, qui date de quelques semaines. On ne saurait trop lui rendre
hommage pour le soin et la compétence dont il a fait preuve en ce travail difficile.
L'élégance typographique ajoute encore au prix d'un volume qui se recommande ainsi
doublement par la forme et par le fond.
Pour faire comprendre l'importance d'un ouvrage de ce genre et les services
qu'il peut rendre, il convient d'en expliquer le plan, ou tout au moins la division en
deux parties.
La première, de beaucoup la plus développée, donne le thème detoutes les œuvres
terminées, en y joignant les renseignements suivants : titre exact du morceau, instru-
ments employés, nombre de mesures, date de composition, description de l'autogra-
phe, s'il existe, avec le nom du possesseur, quand on le connaît, mention des copies à
défaut de l'original, remarques relatives à l'œuvre et empruntées, la plupart du temps,
à l'ouvrage devenu classique d'Otto Jahn sur Mozart.
La seconde, sous le nom de Supplément, comprend cinq subdivisions : i" Œuvres
perdues ; 2° Œuvres incomplètes ; 3° Œuvres transformées (soit par substitution des
paroles ou changement de titre, soit par adaptation du chant aux instruments, ou
vice versa) ; 4° Œuvres douteuses ; 5° Œuvres faussement attribuées à Mozart.
Le catalogue est complété par une table des matières et ^noms cités ; plus une
liste alphabétique des airs, rangés d'après leur premier vers.
En parcourant cette suite de 921 numéros (627 dans la première partie et 294
dans la seconde) on éprouve un respect mêlé d'admiration pour le probe ouvrier qui,
pierre à pierre, a patiemment élevé l'édifice. Toutefois, sans diminuer son mérite,
il faut reconnaître que la besogne lui avait été facilitée, et même préparée, d'un côté
par la présence des autographes dont l'ensemble n'était pas encore dispersé, de l'autre
par l'existence de catalogues dont l'un émanait de Mozart lui-même. Sur ces deux
points, quelques explications ne paraîtront pas superflues.
Mozart, on le sait, était soigneux et ordonné pour sa personne, comme pour ce
qui l'entourait ; la graphologie révèle dans son écriture une certaine coquetterie qu'il
appliquait aussi bien à la notation de ses pensées musicales qu'à l'élégance de ses ha-
bits. Il inscrivait, par exemple, en tête de ses œuvres, la date et le lieu de leur com-
position, suivant en cela l'exemple que son père lui avait donné dès le plus jeune âge.
Il finit même par éprouver le besoin de mentionner ses travaux, au jour le jour, sur un
cahier spécial : sorte de registre qu'il tint avec exactitude du 9 février 1784 au 15
novembre 1791, soit vingt jours avant sa mort. Ce catalogue primitifa été publié deux
fois par l'éditeur André, à Offenbach-sur-le-Mein, en 1805 et en 1825 ; il devait servir
de base certaine à tous les travaux ultérieurs.
Au moment de son décès, Mozart possédait encore la moitié environ de ses ma-
nuscrits originaux, notamment presque toutes ses partitions d'orchestre. Pour les
œuvres de l'enfance, souvent tracées dans des albums, elles avaient été soigneuse-
ment gardées par le frère d'abord, puis par la sœur ; pour les œuvres de l'adolescence,
souvent considérées comme des études préparatoires, elles n'étaient point destinées à
la publicité et demeuraient obscurément dans les papiers de famille ; pour les œuvres
de la maturité, celles-là surtout manquaient à l'appel qui avaient été éditées,
comme les pièces pour piano et les mélodies ; les ouvrages dramatiques, symphoni-
— 47 —
ques, concertants n'avaient pas trouvé d'éditeur. Ils en trouvèrent un, lorsque le con-
seiller danois Nissen épousa la veuve de Mozart, et que tout l'héritage musical du
grand homme fut cédé, moyennant un prix minime d'ailleurs, à la maison André,
fondée à Offenbach dans les dernières années du xviiie siècle. Des milliers de pages
musicales furent alors inventoriées, classées et publiées ; quarante ans s'écoulèrent,
jusqu'au jour où Johann André s'avisa qu'une telle collection représentait un capital
dont on pouvait tirer parti. Il avait déjà cédé quelques pièces, mais il lui en restait
encore 276 qu'il mit en vente, au moyen d'un catalogue à prix marqués, portant ce
titre : « Catalogue thématique des manuscrits originaux de Mo;(art que possède le Conseiller
Andréa Offenhach-sur-le-Mein. Prix net, i florin. Offenhach-sur-le-Mein. 1841. » Cette
brochure de 77 pages, devenue assez rare, comportait un Avant-propos qui se peut
traduire ainsi :
t^ Jum^f^Sty''
Das Traumbild {la Fiston)
lied composé à Prague le 6 Novembre 1787 (N" 530 du Catalogue Kœchel)
Autographe de Mozart,
obligeamment prêté par M. Charles Malherbe pour la reproduction ci-dessus.
Pour répondre enfin aux désirs manifestés de divers côtés par les admirateurs de
IVÎozart, le possesseur des manuscrits originaux de l'immortel compositeur, inscrits au
présent catalogue, s'est décidé à les vendre. A cet effet, il a divisé ces manuscrits par
classes, et rangé chronologiquement toutes les oeuvres dans chaque classe : se servant
pour cela du catalogue thématique rédigé par Mozart, et aussi des remarques qui se
trouvent sur la plupart de ces manuscrits, voire même imprimant mot à mot ces remar-
ques, qu'elles émanent de Mozart ou de son père.
Le possesseur (Conseiller André) a fixé pour toute la collection, somme pour cha-
-48-
que œuvre en particulier un prix très modéré, mais en rapport avec la valeur d'une
chose aussi précieuse qu'un manuscrit de Mozart, prix au-dessous duquel il ne sera rien
cédé. Jusqu'au 31 décembre, celui qui fera l'offre la plus élevée pourra acquérir toute la
collection ou les manuscrits séparément. Un exemplaire imprimé des prix exigés sera remis
à tous ceux qui, par lettre affranchie, en feront la demande à la maison Johann André. —
Offenbach-sur-le-Mein, le i^"" mai 1841.
Cet appel ne fut pas entendu. Le goût des autographes musicaux était alors si
peu répandu qu'il ne vint nulle proposition, concernant l'ensemble.
Les bibliothèques publiques s'abstinrent autant que les collections privées; à peine
quelques morceaux trouvèrent-ils preneur, en Angleterre notamment, à titre de
relique ou de curiosité. En septembre 1854, la mort du chef de famille fit de la disper-
sion des pièces une nécessité ; il y avait sept enfants, six fils et une fille mariée ; il
y eut donc sept lots que l'on égalisa tant bien que mal, d'après les estimations laissées
par le père, et le tirage au sort détermina l'attribution des parts. Les héritiers négo-
cièrent alors la vente, comme ils purent, chacun pour soi. C'est ainsi que par un inter-
médiaire la partition originale de Don Giovanni fut présentée en 1855 à Mme Viardot,
qui se trouvait alors à Londres et qui l'acquit pour la somme de 180 livres, soit
4.540 francs; or, dans le catalogue d'André, elle était cotée 350 carolins, soit
8.312 fr. 50. Depuis, l'illustre cantatrice a voulu assurer à la France la possession de
ce précieux trésor ; elle en a fait don à la bibliothèque du Conservatoire de Paris : éter-
nel sujet de regrets et de rage pour l'Allemagne musicale, obligée de ne s'en prendre
qu'à elle-même et de reconnaître son indifférence, car à Berlin comme à Vienne les
offres d'achat avaient été repoussées. En 1861, la première de ces deux villes ne mon-
tra guère plus d'empressement ; on y mit en vente tout le lot de l'un des fils André ;
le libraire Stage publia un catalogue à prix marqués, comprenant 34 ouvrages com-
plets formant un total de 14.705 francs. Ces prix n'avaient rien d'exagéré ; on pouvait
encore se procurer une Symphonie autographe de 30 pages pour 200 francs; et pour-
tant, non seulement personne ne se présenta pour l'ensemble, mais quelques numéros,
tout au plus, prirent, comme en 1841, le chemin de l'Angleterre. C'est après la guerre
de 1870 que les choses changèrent de face. Sur l'indemnité payée par la France, une
somme avait été prélevée pour les musées. La bibliothèque de Berlin profita de cette
aubaine pour traiter avec ceux qui gardaient encore entre leurs mains les autographes
de Mozart ; cette fois, elle s'adjug«îa la part du lion, puisqu'elle possède, à l'heure
actuelle, presque exactement le tiers de tous ceux qui existent.
Les deux éditions du catalogue de Kœchel présentent quelques différences ; il
n'est pas sans intérêt d'en consigner ici plusieurs, au risque de donner trop de place
aux chiffres; les statistiques ont parfois leur utilité.
La première édition mentionnait 627 ouvrages complets ou soi-disant tels, 12
regardés comme perdus et 98 incomplets : en tout 737 numéros (sans parler des arran-
gements et fausses attributions).
La seconde édition semble présenter le même nombre de chiff'res, mais
en apparence seulement, car beaucoup de numéros se sont augmentés de bis
et de ter, tandis que d'autres disparaissaient, ou du moins n'étaient laissés à leur
place que pour mémoire ; on ne pouvait, en effet, remanier de fond en comble ce
numérotage primitif, sans amener la confusion, et compromettre l'utilité pratique d'un
répertoire utilisé déjà pour maints travaux.
Il est juste, au surplus, de constater que les erreurs, portant sur les ouvrages ré-
putés complets, se bornaient à dix :
— 49 —
N**^ 140. Une messe brève, dont l'attribution à Mozart, déjà douteuse, a été recon-
nue définitivement fausse.
54. Six variations pour piano, tirées d'une sonate pour piano et violon
n" 547.
226, 227, 235. Trois canons dont les véritables auteurs sont Bird, Muller et Ph.
Emmanuel Bach.
350, La trop fameuse Berceuse, dont l'honneur doit être restitué au compositeur
Flies.
206 et 362. Deux marches pour orchestre, qui font partie d' Idoménée et ne doivent
pas être comptées séparément.
342. Un Offertoire qui appartient à un autre ouvrage du même genre,
n° 177.
514. Un Rondo pour cor qui est le final du Concerto pour ce même instrument,
n°4i2.
Ces dix numéros éliminés ont été remplacés par oit^e autres qui constituent la
partie vraiment nouvelle du catalogue, savoir :
N°=9 a. Allegro pour piano (ut, C.) 1763.
9 b. Andante pour piano (sol mineur, 2/4) 1763.
25 a. Menuet pour orchestre (ut majeur), 1765.
65 a. Sept menuets pour deux violons et basse (sol, ré, la, fa, ut, sol, ré) 26 jan-
vier 1769.
89 a. Canon à cinq parties, et cinq canons énigmatiques, 1770.
154 a. Deux petites fugues pour piano ou orgue (sol, C, et ré, 3/4), 1772.
27J a. Concerto pour violon et orchestre (ré, C; sol, 3/4; ré 2/4), 16 juillet 1777.
315 a. Huit menuets pour piano (ut, sol, ré, ut, fa, ré, la, sol), 1779.
486 a. Récit et air avec orchestre Basta Vincesti, 27 février 1778.
511a. Rondo pour piano (si bémol, 6/8), date inconnue.
535 a. Trois contredanses pour orchestre (ut, sol, sol, 2/4), date inconnue.
Dans les suppléments, ont été ajoutées quatorze œuvres inachevées et six dou-
teuses,
Pour les raisons ci-dessus énoncées, la nouvelle édition a respecté certaines bi-
zarreries, dont Kcechel s'était rendu coupable, sans qu'on en comprit trop la raison ;
par exemple, il ne comptait pas comme œuvres incomplètes, certaines pièces qu'avaient
terminées des disciples ou amis du maître, tels que l'abbé Stadler, Sussmayer, Simon
Sechter et André ; d'autre part, il ne rangeait pas parmi les œuvres perdues, certains
morceaux dont on savait l'existence, mais dont on ne connaissait plus que les pre-
mières notes. Il convient de procéder autrement si l'on veut obtenir un bilan exact,
et voici le résumé très simple que l'on peut mettre sous les yeux du lecteur :
Œuvres terminées 622 ;
. - ( 754-
Œuvres non termmees. . . 132 ;
Parmi ces 754 œuvres, il en est 26 qui ne se sont pas retrouvées jusqu'à ce jour,
et 14 qui n'ont pas encore été publiées, sans parler des incomplètes (pour la plupart
inédites).
A ces renseignements j'en ajoute un qui a trait plus particulièrement aux manus-
crits et à leurs possesseurs.
Les manuscrits originaux que l'on connaît sont au nombre de 507, soit presque
exactement les deux tiers des ouvrages composés par Mozart. De toutes les Bibliothè-
ques publiques, c'est celle de Berlin qui en possède le plus grand nombre, et de beau-
coup : 215. Le Mozarteum de Salzburg vient ensuite avec 50. La Bibliothèque impé-
— 50 —
riale de Vienne et le British Muséum de Londres font encore figure très honorable ;
les bibliothèques de Paris, de Pétersbourg, de Munich, ne comptent que quelques uni-
tés ; le reste se répartit entre plusieurs collections particulières :
En Allemagne, celles du duc de Saxe-Cobourg, de Sonnleithner et des éditeurs
Peters, Cranz, André ;
En Angleterre, celles de Plowden, de Randegger, de Jules Marshall ;
En France, une seule, mais riche de 32 numéros, celle du signataire de ces lignes ,
Charles MALHERBE.
A propos de la » Flûte Enchantée
II fut un temps où les critiques musicaux se faisaient un devoir et une joie
d'écraser les compositeurs nouveaux venus sous l'accusation de wagnérisme ; Masse-
net, de longues années, encourut les invectives de ces misonéistes ; Bizet ne fut pas
épargné davantage, lui que le bon Larousse — en 1877 — accusait de « donner de
gages aux apôtres de la musique de l'Avenir en rompant avec l'harmonie... »
La plupart de ces nigauds étant morts, ce qui reste des antiwagnériens enfour-
chent un autre dada : ils opposent l'auteur de Don Juan à celui du Ring et déclarent
les malheureux « adonnés aux musiques savantes » incapables de goûter « les suaves
mélodies de Mozart ». Généralement, c'est du pavillon de M. Saint-Saëns qu'ils cou-
vrent leur marchandise...
Or, quelqu'un a dit, excellemment : «. Les belles harmonies et les belles mélodies
sont également le produit de l'inspiration... On a cherché à répandre cette idée que
l'harmonie était le produit de la réflexion, de la science, et que l'inspiration n'y était
pour rien : la vérité, c'est que les vrais musiciens trouvent les belles harmonies
comme les belles mélodies, spontanément, sans que la science ait rien à y voir. » Le
nom de ce quelqu'un ? Précisément M. Camille Saint-Saëns.
Je pourrais citer d'autres textes encore, rappeler que Wagner écrivit un jour :
« La musique n'est que mélodie », Wagner qui porta sur Mozart des jugements admi-
ratifs que les antiwagnériens caudataires de M. Saint-Saëns ne seraient même pas ca-
pables de comprendre !
Dans Beethoven et Wagner, M. Théodore de Wyzewa, bayreuthien de la première
heure, analyse avec infiniment de sagacité le charme de Mozart « le poète », comme
il l'appelle, « celui qui sait toujours exprimer ses sentiments, si intenses qu'ils soient
en beauté ».
Et mon cher ami Ernst ne sépara jamais dans son admiration Tristan et la Flûte
enchantée dont la reprise lui inspira jadis, (quand il mettait sa tête avec la mienne sous
le bonnet de l'Ouvreuse), une délicieuse étude attendrie où il souhaitait que, laissant à
cette œuvre véritablement « enchantée » son caractère féerique, on fit apparaître la
Reine des Nuits, non à la rampe, mais aux hauteurs du décor, toute scintillante sur
l'azur sombre, dans un fourmillement d'étoiles, pour que les folles vocalises de
Mozart pussent étinceler alors, comme un bouquet de lueurs stellaires, vives fulgura-
tions de quelque musicale voie lactée.
De quelle tendresse exaltée l'auteur de Y Art de Richard Wagner entourait cette
exquise merveille, qu'il aurait souhaité voir sous la forme presque familière qui fut
sienne tout d'abord, sur un théâtre de hasard, avec la misère de décors invraisem-
blables, dans son atmosphère primitive de gaieté toute viennoise — Wiener Lust —
— 51 —
gaieté sentimentale, enfantine même, où la noblesse des grandes pages religieuses
s'exalte plus puissamment !
Il disait vrai : on aimerait voir la Zauherfloeie d'autrefois, mise en scène par son
propre librettiste, ce Schikaneder échappé du « Roman Comique », mais d'un Roman
Comique plus atténué, plus fade, qui serait au premier ce que la bière est au vin. Je
voudrais qu'on ne nous épargnât ni le serpent empaillé de la scène initiale, ni les plu-
mes de perroquet de Papageno, ni aucune des platitudes du texte, préférables en leur
touchante bêtise, à toutes celles que la traduction leur substitue. L'autre soir, en
écoutant, les souvenirs me revenaient en foule d'une audition de la Flûte enchantée à
Munich, à la fois plus intelligente et plus naïve. Et je retrouvais, avec une franchise
meilleure, embaumés de leur fragrance première, ces refrains si charmants, frais bou-
tons cueillis par Mozart aux haies vives de la chanson populaire allemande, épanouis
en fleurs précieuses au tiède souffle de son génie. Der Vogelfaenger bin ich ja : c'est
moi le charmeur d'oiseaux : » Comme l'aimable mélodie s'applique bien au maître lui-
même, et comme nous comprenons qu'elle soit revenue un peu plus tard, pendant les
heures dernières — innocent adieu de la vie — sur les lèvres tremblantes du mourant.
Le sourire de Mozart... C'est peut-être la spéciale tendresse de sa musique, la ri-
chesse absolument originale qui éclate, au milieu de tant d'autres, dans le vaste trésor
de son œuvre. Ce sourire de lumière est doux et pénétrant, ému, comme trempé de
larmes claires. C'est lui qui fait d'un thème scénique insignifiant, Cosi fan tutte, une
idéale petite merveille ; c'est lui qui rayonne aux andantes des sonates, des trios et
des quatuors et dans ces lieder pieux ou tendres qui préparent ceux de Beethoven et
de Schubert. Le voici dans la deuxième partie de la Symphonie en mi bémol ; plus loin
c'est la grâce de Zerline, c'est Chérubin et c'est Suzanne... Notez en passant les trans-
formations qu'opère un génie vraiment créateur, et voyez comment Mozart sait faire
de la comédie de Beaumarchais, railleuse, aigre et puissante, un chef-d'œuvre de dou-
ceur indicible, pur et passionné tout à la fois.
C'est un prodige de ce genre que Mozart accomplit dans la Flûte. Grâce à lui, la
stupidité de la fable, compliquée des niaiseries maçonniques chères à Schikaneder (et,
il faut le reconnaître, au musicien lui-même) s'ennoblit au point de toucher au mys-
tère et d'évoquer, à notre esprit, des symboles. Les sottes aventures de Tamino et de
Pamina deviennent la périlleuse ascension des âmes, à travers les embûches de l'er-
reur, les séductions et les menaces du vice, jusqu'à la région supérieure de la vérité
et de la bonté. Et, parallèlement, comme une transposition de l'action poétique dans
le monde familier, voici les amours de Papageno et de Papagena, traversées des
mêmes obstacles, égayées de rires, de plaisanteries, de mimiques bouffonnes et sau-
vées pourtant de toute bassesse par le prestige vainqueur de la musique.
Ce sourire dont nous parlions tout à l'heure, il rayonne plus divinement que
jamais aux trios des fées, des initiés bienfaisants. Ici le charme est si intense qu'il
devient générateur d'émotion. Tout à côté, voici les accents admirables de Sarasto et
de ses prêtres, la puissance contenue des trombones, allant du pianissimo le plus voilé
à de larges sonorités vibrantes ; tantôt leur timbre soutient et colore les hymnes, aux
parvis d'Isis ; tantôt, aux ultimes épreuves que doit vaincre Tamino accompagné de
Pamina, il se prolonge en grands accords, pleins d'une autorité mystérieuse, sous la
lente mélopée de la flûte magique. Et c'est le tintement du glockenspiel, gai carillon de
cristal, ayant lui aussi sa magie. Et je rappellerai, en finissant, le libre style du discours
musical dans le dialogue de Tamino et du Sprecher, au seuil redoutable du sanctuaire...
Çà n'empêchera pas certains critiques de prétendre que les wagnériens « en
veulent » à Mozart. Mais qu'importent les critiques ?
Henry GAUTHIER-VILLARS.
— 52 —
Sur les trente=deux Sonates de Beethoven
^ propos des Cos)certs Risler
Suite (')
Si les derniers quatuors de Beethoven ont été jugés par quelques-uns de ses con-
temporains comme une mystification, on a vu, je crois, de tout temps, dans les
Sonates de la « troisième manière » une énigme dont le secret devait nous demeurer
impénétrable. Elles apparaissent à l'heure où Beethoven est emprisonné sans rémis-
sion au fond de cette surdité qu'un fanatisme cruel a dite bienheureuse ; mais, au
rebours de quelque conquérant déchu, il ne sera jamais plus grand et plus libre que
dans la captivité. Inaccessible désormais à toute chose artificielle ou éphémère et sur-
tout au commerce des hommes, que les cahiers'de conversation transforment pour lui
en une humiliation^ et en une souffrance, livré perpétuellement au tumultueux assaut
de sa pensée, il ne se mêle plus, il se brise contre les âmes les plus proches, il est à
lui-même son propre confident, son univers, il s'élance désespérément vers la vérité
lointaine, peut-être vers la chimère et il se manifeste uniquement et tout entier dans
une musique prodigieuse qui est à la fois le rêve, le verbe et l'action. N'a-t-il pas
écrit, au cours d'une de ces lettres dont la lecture est si périlleuse pour quiconque
reste rebelle à l'émotion musicale, que les notes ont, à ses yeux, une signification plus
précise que les mots et que par elles il exprime tout ?
Sans doute nous sommes encore inaptes aujourd'hui à traduire littéralement ces
pages redoutables ; du moins essayons-nous d'en scruter le sens. Où la parole finit,
dit-on quelquefois, la musique commence. Or il semble ici que ce soit la musique
elle-même qui finisse. Peut-être faudrait-il les lire plutôt que de les écouter, tant il est
à craindre que toute exécution ne les trahisse ; car jamais la pensée et l'expression ne
se livrèrent un combat aussi rude. Déjà depuis longtemps le Scher:(o a cessé d'être un
motif ornemental pour devenir l'un des éléments les plus passionnés du drame, tels le
Schei-j^o en fa mineur de l'œuvre X n° 2, le Scber:(o en mi mineur de l'œuvre XIV n "i ,
le Scher:(o en mi bémol, à deux temps, de l'œuvre XXXI n° 3. De la Sonate on ne re-
trouve plus guère que le nom ; presque rien ne demeure de ce moule où la matière de
la psychologie musicale se coulait avec une séduisante variété et une harmonieuse ai-
sance. Les plans, les développements, les modulations semblent moins obéir à des
lois inconnues et éternelles pourtant qu'à la plus fantasque des tyrannies. Les divi-
sions s'effacent, les mouvements s'entrechoquent, les idées s'étreignent et se terras-
sent dans ces tÂdagios, dans ces Allégros entrecoupés et comme inachevés, dans les
récitatifs hallucinants de la Sonate o^. 110 par exemple, ou bien elles s'élargissent jus-
qu'à l'infini comme dans la colossale Sonate op. 106 dont V Adagio défie toute mu-
sique.
Et l'on ne s'étonne plus qu'au terme de cette évolution Beethoven soit ramené
fatalement à des formes scholastiques telles que la Variation et la Fugue qui, si l'on
excepte les variations de la Sonate en la bémol op. 26, VAndante en ut de l'œuvre XIV
n° 2 et le Presto fugué de l'œuvre X n° 2, tiennent si peu de place dans ce cycle et
dont il semble au contraire que son libre génie eût dû secouer le joug avec plus
(i) Voir les numéros des i" et 15 mai 1905.
— 53 —
d'emportement que jamais. Ajoutons qu'il les bouleverse de fond en comble. Il ne faut
en effet chercher dans les trois grandes fugues des Sonates ici, io6 et i lo nulle trace
des chères réminiscences que les impressions reçues tout le long d'une jeunesse ar-
dente et studieuse font éclore à l'âge mûr et, par dessus tout, il faut reconnaître dans
ce retour moins l'effet d'un choix volontaire que celui d'une obscure détermination.
Car l'idée, l'idée obsédante qui fut chez Beethoven assez forte et assez tenace pour
consommer la ruine de la Sonate traditionnelle, cette idée tend à l'absolu et, pour
ainsi parler, elle y atteint en restaurant violemment le principe monarchique de la
fugue où elle envahit tout, où elle est partout réellement et manifestement présente,
où elle se multiplie par la magie des renversements, des marches rétrogrades, par le
redoublement simultané sous deux formes contraires d'un même thème, par l'absorp-
tion d'éléments épisodiques dénués en apparence de toute affmité avec elle et qu'elle
s'amalgame, par tout ce qu'il y a d'impératif encore dans ce style figuré, tardivement
et victorieusement ressuscité, dans l'entêtement des imitations et dans la rigueur des
développements canoniques. Et elle est aussi partout dans la Variation, dont la fugue
représente peut-être le type essentiel, et bien qu'elle reste parfois invisible on la sent
imminente, toute l'atmosphère sonore émane d'elle, la répercute et l'amplifie, parmi le
frémissement impatient des trilles et la puUulation de ces myriades de notes, dans le
chaos d'un ébranlement universel.
Il semble que l'arietta de la Sonate ///, l'une des plus formidables créations de la
variation beethovenienne, épuise toute l'énergie du rythme comme la fugue de la
Sonate io6 entraîne le piano à un trépas héroïque. On dit souvent, à la manière des
augures, que Beethoven ne sait pas écrire pour le piano. En réalité ce n'est point là
un souci qui le préoccupe. Nulle influence extérieure, consciente ou secrète, ne peut
agir sur le développement de sa pensée ou de son style ; il ne faut pas espérer qu'il
cède ; il ne s'adapte pas, il transforme et le piano est fait orchestre. Il procède exacte-
ment à l'inverse de Liszt ou de Chopin et sa violence téméraire a la même efficacité
que leur ingénieuse souplesse. Rappellerai-je les conquêtes sonores de la Sonate en ut
dièze mineur et de la Sonate en fa mineur (appassionata), ce pressentiment merveil-
leux des timbres que le piano recèle, ce don de prolonger l'accord, de créer, je le ré-
pète, une atmosphère de vibrations et d'emplir les silences même de musique ? Faut-
il insister sur tout ce qu'il y a de nouveau, de pianistique et d'orchestral à la fois dans
ces éboulis d'arpèges où risque de s'écrouler le final de la Sonate en ut dièze mineur,
dans la disposition de ces chants de basse dont l'Adagio de la Sonate io6 offre un des
exemples les plus caractéristiques, dans l'extraordinaire vibrato de ces notes syncopées
que l'Adagio de la Sonate i lo nous révèle ?
On chercherait inutilement dans la série des Sonates la trace de quelque com-
plaisance pour la virtuosité vaine. Là encore la pensée se refuse à toute concession et,
au fur et à mesure que l'on avance, les vestiges de ces formules techniques dont les
premières œuvres ne pouvaient pas être exemptes, disparaissent. Ces gammes per-
forantes, ces octaves et arpèges brisés, ces accords ambitieux et volontaires ont un
sens expressif. Bientôt la rectitude du trait classique va fléchir et, après avoir retrouvé
dans ce même final en ut dièze mineur, et coloré de la même tonalité, la gamme
rompue haletante et douloureuse de V Impromptu Posthume de Chopin, on ne sera pas
surpris de s'accrocher dans l'allégro initial de l'œuvre io6, alors que la septième di-
minuée semble avoir perdu le monopole de l'expression pathétique, à un arpège des-
cendant hérissé d'appogiatures, dont le chromatisme trébuchant revivra quelque jour
dans Tristan ou dans Parsifal.
Beethoven, nous raconte l'histoire, jouait du piano « très vite et avec une grande
force ». Son exécution était « précise, solide et dure », mais il ne recherchait que l'ex-
— 54 —
pression et était indulgent aux défaillances du mécanisme. J'ajoute qu'il n'interprétait
jamais deux fois de suite la même œuvre de la même manière. M. Risler sait tout cela
et mille autres choses encore. Depuis plusieurs années, sans négliger aucun des chefs-
d'œuvre modernes, il s'est voué à la propagation de la foi beethovénienne qui lui est
précieuse entre toutes et spécialement à la divulgation des dernières sonates. Il s'est
longuement et intimement pénétré de cette pensée et l'a faite sienne avec la sûreté
d'une intelligence éclairée et guidée par l'amour. Tout ce qui était prémédité, réflé-
chi, volontaire, est devenu spontané, naturel et comme inné, et lorsqu'il s'abandonne
à l'inspiration du dieu, l'incohérence et l'erreur sont absentes de son délire. Ainsi
que je l'écrivais, il y a déjà plusieurs années, il réalise cette union mystérieuse de
l'âme et du corps où celle-ci plane, domine, asservit l'autre, où, par je ne sais quelle
voie secrète, elle lui donne le pouvoir d'éveiller au fond du piano les voix de l'orchestre,
d'évoquer à l'aide d'un artifice inconscient tout un monde de sensations et de senti-
ments, de même que les inflexions de la voix rendent sans études, les nuances de la
pensée. Il a traduit avec rudesse, parfois avec une certaine brutalité, comme il fallait,
les révoltes de ce cœur perpétuellement inquiet et bouleversé, qu'on ne connut ja-
mais sans une passion portée au paroxysme et dont M. Romain Rolland a dit « qu'il
s'éprenait furieusement, rêvait de bonheurs aussitôt déçus et suivis de souffrances
amères ». M. Risler est allé chercher là, lui aussi, « la source de ses inspirations ». Il
a conçu les sonates de Beethoven non pas comme une peinture ou un commentaire,
mais comme un drame ; il s'est efforcé de faire surgir de cette musique tout ce que
Beethoven y a mis, ainsi qu'on le sent et qu'il l'a dit, la parole et le geste, la vie qui
se joue dans l'explosion magnifique d'un Allegro, dans l'éternelle lamentation d'un
Largo ou même parmi les menuets, dans le chuchotement étouffé des basses confi-
dentielles. Et c'est, en écrivant ces lignes, au Minuettode la Sonate en fa dédiée à
Haydn que je pense, alors que, dès le premier soir, M. Risler nous prit tour à tour
par la profondeur, la puissance ou la subtilité délicate de son interprétation. Ce Mi-
nuetto qu'on dédaignerait presque, et dont il fit le plus délicieusement tendre et en-
joué des dialogues, lui valut, avec l'Adagio en mi m'ajeur de la sonate en ut, dédiée
aussi à Haydn, une quasi ovation. Et après la désillusion que ne m'épargna guère l'un
des plus illustres de nos musiciens — je ne dis pas seulement de nos pianistes — j'ai
eu la joie d'entendre enfin jouer comme je le rêvais, sans heurt, sans fièvre, avec une
résignation infinie, l'Adagio en ut dièze mineur, plainte lente et si lourde d'une im-
mense lassitude. Je ne parlerai pas des auditions inoubliables de la Sonate avec varia-
tions en la bémol et de ce final, auquel M. Risler garda, avec une extraordinaire maî-
trise du rythme et de la sonorité, avec un art incomparable de dégrader et de décolo-
rer les timbres, sa grâce exquise, vaporeuse et comme lointaine ; auditions inoublia-
bles, dis-je, celles des Sonates en ré majeur (Pastorale), en ré mineur op. 31, en ut
majeur (Aurore), en fa mineur (Appassionata), en mi bémol (les Adieux), étapes glo-
rieuses de la route triomphale qui mène aux cinq dernières sonates.
Ce n'est pas, à mon sens, une étrange façon d'exalter M. Risler que de dire com-
ment il put nous convaincre qu'ici les œuvres dépassent l'instrument. On a trop sou-
vent parlé de la magnificence de son exécution dans les Sonates 106, uo et 1 1 1 , pour
que je m'attarde à des louanges superflues et vagues. D'ailleurs le prétexte ne me man-
quera pas pour y revenir. Je ne lui ferai pas non plus l'injure de vanter l'habileté et
la perfection de sa virtuosité, j'aime mieux dire avec quelle pudeur elle s'elfaça.
J'aime mieux dire aussi avec quelle simplicité, avec quelle sincérité, avec quel re-
cueillement M. Risler servit le maître, comme il se refusa, redoutant les applaudisse-
ments qui brisent l'idée ou rompent le charme aux bis les plus tentateurs, comment
enfin dans l'œuvre 90 il coupa court à une manifestation naissante en enchaînant les
^ 55 —
deux mouvements, par pur souci d'une plus grande vérité psychologique et d'une
opposition plus saisissante. Un seul mot caractérisera ces séances: elles furent une
révélation. Tout ce que notre délection avait découvert ou deviné était peu de chose
auprès de ce que M. Risler nous apporta, auprès de ce qu'il sut faire sourdre et jaillir
non seulement des Sonates favorites, pour ainsi dire, mais encore de celles qu'on
feuillette avec une moindre assiduité. Et si la reconnaissance d'une foule qui lui doit
les meilleures et les plus salutaires de ses émotions, quelques heures d'oubli, de rêves
chimériques et de surnaturelle confiance, est comme je le crois, toute son ambition,
il sera certes justement et exactement payé de son labeur, labeur colossal, labeur tita-
nique ainsi qu'on se plaisait à le répéter, s'il est vrai qu'il faille posséder la force éter-
nelle et paisible d'un Atlas, pour soutenir l'œuvre accablant de celui dont Wagner a dit
qu'il fut « un monde marchant dans un homme ».
Paul LOCARD.
Errata. — Je prie qu'on veuille bien lire dans mon précédent article « court et
tragique » au lieu de « correct et tragique ». On lira également dans la notice biblio-
graphique que j'ai consacrée au Palestrina de M. Michel Brenet dans le numéro du i^""
janvier : « erreur commune » et non « erreur comme ».
P. L.
Nous reprendrons dans notre prochain numéro la puMication
des Lettres inédites de Guillaume Lekeu et de /'Ecole des Ama>
teurS; de Jean d'Udine.
A L'OPÉRA-COMIQUE
Les Pêcheurs de Saint-Jean
La Coupe enchantée
J'arrive un peu tard pour parler des Pécheurs de Saint-Jean que l'Opéra-Comique
laissa si longtemps mariner dans ses cartons. Voici des années que le programme les
annonce au commencement de chaque saison, et je ne pense pas qu'ils aient gagné à
mûrir ainsi sur les rayons des placards de la direction. A quelque époque qu'on se fût
décidé à les produire au grand jour de la rampe, ils seraient toujours venus trop tard
ou trop tôt. Le drame en aurait toujours semblé quelconque, et la musique indiffé-
rente. Le poème, si poème il y a, est un de ces faits divers dont M. Henri Gain,
librettiste express, s'est fait une facile spécialité. Il doit puiser ses inspirations dans
les colonnes de quelque Petit Journal. 11 y ajoute sous prétexte de couleur locale, les
circonstances possibles et prévues au milieu desquelles peut se mouvoir l'action, dans
l'espèce il nous offre un baptême de bateau, des processions, des danses de sardi-
nières, des scènes de cabaret, une veillée de Noël avec toutes les lanternes nécessaires.
Sous prétexte de vérité il met dans la bouche des personnages un langage qui n'a
d'exact que sa platitude. Et le tour est joué. Il passe la main au musicien qui s'en tire
comme il peut.
Le drame de M. Gain n'est pas autre chose qu'une histoire de sauvetage qui mé-
-co-
nterait un prix de l'Académie, si le liéros n'était déjà récompensé par la reconnais-
sance un peu forcée de celui qu'il arracha au naufrage. Il se voit accorder la fille qu'on
lui refusait parce qu'il était pauvre. La chose est édifiante, et la vie nous fournit rare-
ment d'aussi beaux exemples, mais de là à servir de matière à un opéra en quatre
actes, il y a peut-être un peu d'excès d'admiration. Sans les trop longs détails qui
remplissent l'œuvre et dont j'ai déjà énuméré les principaux, un seul acte aurait suffi
pour développer la psychologie des [personnages à la manière dont M. Gain la com-
prend.
La partition de M. Charles Widor vaut mieux que le poème, car elle témoigne
d'un effort de travail dont celui-ci paraît exempt. On y trouve beaucoup de musique :
chansons, marches, danses, cantiques, prières, hymnes liturgiques, romances, duos,
scènes lyriques, symphonies maritimes et abondante ouverture quelque peu bruyante.
Mais l'inspiration de M. Ch. Widor, dans ses différents avatars, manifeste si peu de
personnalité, qu'en maints endroits on peut l'apparenter à des pages définitives de
maîtres précédents qu'il n'y avait pour lui nul avantage à rappeler d'aussi évidente
façon. On a prétendu que c'était de la musique d'organiste. Bach, César Franck,
Fauré et combien d'autres sont là pour protester contre un pareil jugement qui les at-
teindrait s'ils ne planaient pas au-dessus de toute étroite classification. C'est plutôt de
la musique d'excellent professeur. Toutes les bonnes recettes y sont employées qu'il
enseigne utilement aux autres. Il n'y manque que le génie particulier qui permet de
différencier la personnalité de celui-ci de la personnalité de celui-là. On n'y saurait
rien reprendre, mais on n'en désire rien garder. Et de toute cette partition qui se ré-
veille de sa somnolence pour mener un inutile vacarme pouvant parfois donner l'illu-
sion de la force, il se dégage une impression d'ennui. En beaucoup d'autres œuvres
M. Ch. Widor fut plus heureux. Le théâtre n'est vraiment pas son genre.
Mlle Friche à la belle voix sonore, M. Salignac, meilleur comédien que chanteur,
M. Vieuille artiste consciencieux ont défendu vaillamment ce drame lyrique pour le-
quel la direction a planté un unique décor maritime, plus réussi dans l'obscurité de la
tempête que sous la lumière du jour. Je dois louer les heureux groupements de la
mise en scène où se sentait la main habile de M. Albert Carré et les vagues furieuses
dont l'écume s'envole par dessus le mur du môle.
Avant le plat de résistance des Pêcheurs de Saint-Jean, M. Gabriel Pierné nous
avait présenté un délicat hors-d'œuvre dont La Fontaine, arrangé par M. Matrat, lui
avait fourni les éléments. M. Gabriel Pierné comprendra qu'à son opéra-comique je
préfère beaucoup d'autres œuvres dues à sa plume savante, telle la Croisade des enfants,
pour n'en citer qu'une. Mais il faut voir l'intention du musicien, lorsqu'il écrivit, il y
a longtemps déjà, cette œuvre presque de jeunesse, ceci n'est pas un reproche, et je
suis heureux de reconnaître qu'il a atteint avec talent le but qu'il poursuivait, et qui
était d'illustrer de musique, par des moyens légers et spirituels, l'amusante aventure de
notre grand conteur, La Coupe enchantée pourra, avec avantage pour nous, remplacer
certains opéras-comiques en un acte qu'on a peut-être trop entendus. C'est une jolie
chose où le postiche sait discrètement emprunter ce qui convient au sujet et où l'inspi-
ration subtile du maître montre le bout de son nez malin aux bons endroits. On a pris
plaisir à la comédie dont les pauvres maris font les frais, et l'on a beaucoup goûté la
musique qui souligne finement des couplets qui ne sont pas hélas de La Fontaine.
Par la voix de ses interprètes, Mmes Fairy, A. Launay et Dangès, MM. AUard, Caze-
neuve, Delvoye, Mesmacker et Gourdon, M. Gabriel Pierné a gagné sa cause. A ren-
contre des maris trop curieux, le public fut enchanté de la Coupe.
Victor DEBAY.
— 51 —
P. -S. — Je reviens de la Ronde des saisons. Une seconde audition de la partition
de M. Henri Busser a confirmé l'impression que j'en avais tout d'abord rapportée. Sans
présenter des motifs bien caractéristiques le premier acte plaît par son mouvement et
par son entrain. Certaines variations du thème populaire y sont gracieuses. Mais la ré-
pétition trop fréquente au cours de l'œuvre de ces motifs finit par gâter le plaisir qu'on
y prenait. Au tableau des saisons le renouvellement de la même situation n'a pas
permis au compositeur de ranimer un intérêt qui languit. Peut-être M. Busser a-t-il
été gêné par le scénario et par les exigences tyranniques d'un art ou plutôt d'un mé-
tier où le maîtreà danser commande au maître de musique. Dans les quelques pages de
pantomime, l'acte de la sorcière, où sa lyre ne fut pas obligée de suivre servilement
les pas qu'elle aurait dû conduire, M. Busser a montré qu'on pouvait mieux attendre
de lui. Son orchestre prit alors plus d'éclat, de couleur et d'originalité. Avec cette
courte partition M. Henri Busser a témoigné qu'il était habile à faire danser, nous
espérons une prochaine occasion où il lui sera loisible de prouver à notre émotion qu'il
sait aussi faire chanter le sentiment et la passion.
V. D.
LES Giîaiîfts eoncEiîîrs
Concerts Colonne et Lamoureux
Remontons d'abord à l'année dernière. La veille de Noël tandis que M. Chevillard
donnait, avec son habileté coutumière, un festival Wagner, où M. Van Dyck triom-
pha, m'a-t-on dit, parla maîtrise de son style et sa grande autorité, l'association des
Concerts-Colonne nous gratifiait d'une séance « spirituelle » composée d'un certain
nombre de fragments religieux ayant plus ou moins de rapports avec l'évangile du
lendemain : le morceau symphonique de Rédemption, la nuit de Noël, première partie
du Christus de Liszt, page sans grand intérêt, où les hautbois pastoraux jouent leur
rôle traditionnel, l'admirable Aria de la Suite en ré de Bach, la deuxième partie de l'En-
fance du Christ de Berlioz, et enfin le trio « tecum principium » de l'Oratorio de Noël
de Saint-Saëns. Le programme nous servait sur cette page un commentaire, que lui
consacre, dans un récent livre, certain admirateur quelque peu forcené. Je m'en vou-
drais de priver mes lecteurs des lignes suivantes qui terminent ce savoureux mor-
ceau : « ...Les trois voix entremêlent leur hymne ; en s'unissant, elles dépassent leur
première ardeur ; elles se suspendent dans une psalmodie, tandis que la harpe décrit
la parabole d'une gamme vertigineuse. Par une modulation en majeur, la splendeur
s'épure, l'extase plonge plus avant dans la source de son rayonnement et s'y perd
enfin, balbutiante, au fond d'un suprême pianissimo. » C'est beau la littérature !...
Je regrette, je l'avoue, de n'être plus d'humeur à en faire, non point pour célébrer ce
trio, tout de facture et de style conventionnel, mais pour parler du superbe Requiem
de M. Fauré, avec le lyrisme dont mon cœur débordait à son audition. Mais des phrases
seraient fort déplacées quand il s'agit de célébrer une œuvre si noble dans sa grâce,
d'un charme si austère et si religieux. Je ne voudrais pas avoir l'air de découvrir un
chef-d'œuvre connu depuis fort longtemps, que j'entendais, il est vrai pour la première
fois, avec une émotion qui fut très vive et très profonde. Mais pour venir un peu tar-
divement déposer ma palme au pied de ce magnifique ouvrage, je n'en ai pas moins
le droit, ce me semble, d'exprimer quelque étonnement sur les éloges qu'on lui
dresse d'ordinaire. On parle de piété païenne, d'esprit antique, « d'enterrement de
- 58 -
jeune duchesse », à propos de cette musique si grave, qui pousse la pudeur et la ré-
serve jusqu'à se priver du concours des violons pendant l'Introït, le Kj>rie et l'Offertoire,
Je me demande si ce n'est point là quelque cliché assez étourdiment reçu et transmis
par la critique. Sous prétexte que M. Fauré a été le premier et délicieux chantre des
nuances verlainiennes et le véritable instaurateur des subtilités debussystes, on en
conclut que sa musique religieuse doit forcément refléter les côtés un peu trop profanes
de sa délicieuse nature et l'on tient pour obligatoire de respirer des senteurs de vio-
lettes et de pétales de roses dans une musique d'où s'exhalent bien plutôt les mysti-
ques parfums de l'encens... L'esprit religieux chrétien diffère-t-il essentiellement d'ail-
leurs de l'esprit religieux païen ?
J'en doute et je ne crois pas que la musique soit un langage assez concret pour
trouver des formes très différentes, qu'il s'agisse de chanter sur le parvis du temple
d'Apollon, ou sous les voûtes d'une cathédrale. Je ne me pique pas d'érudition. Je me
suis pourtant laissé dire que certains chants chrétiens, celui du Parce Domine ! par
exemple, nous viennent en droite ligne de certains hymnes grecs et je me souviens
d'avoir entendu naguère, dans une église de province, un motet d'une grâce tellement
inquiétante, presque massenetiste, que je fus, à l'issue de la messe, demander au jeune
prêtre, fort pieux et fort bon musicien, qui dirigeait les chœurs, où il avait pris une
telle mélodie. Je n'oublierai jamais l'accent de foi profonde avec lequel il me répondit:
« Mais, mon ami, c'est un motet grégorien. Sa tendresse et sa douceur vous éton-
nent. Vous oubliez que l'église catholique n'est point l'ennemie des sentiments les plus
affectueux et les plus délicats. Elle soupire avec amour vers le bon Dieu ! » et, dans
sourire exquis, il ajouta : « Nous ne sommes point des protestants ! » Le Requiem de
M. Fauré est catholique et je trouve même que par son style, par le caractère de ses
mélodies, par son recueillement, il cadre à merveille avec le texte lithurgique qu'il
commente, où les terreurs de l'au-delà se mitigent par l'espérance triste, mais douce
et calme, d'une miséricorde infinie. Dans une religion où l'Agneau est le symbole de la
divinité en son plus profond, en son plus touchant mystère, on a le droit d'être idyl-
lique et pastoral sans friser l'hérésie, et cet Agneau, M. Fauré l'a imploré dans la page
la plus belle peut-être de sa partition, au son de cors terriblement forts et mâles. 11 a
chanté le Libéra avec des accents superbes, une progression d'effets qui exprime ad-
mirablement le cri de détresse de l'humilité chrétienne, Un rythme robuste et soutenu
accompagne la déclamation du Dies irce et devant toutes ces qualités qui requièrent des
épithètes vigoureuses, je ne songe guère au jeune Adonis, ni à l'enfant Atys ; et je ne
vois point que l'orthodoxie la plus scrupuleuse doive s'alarmer des délicates réponses
de l'orchestre aux « donaeis requiem » de la soprano, réponses mystiques et moyen-
nâgeuses à la manière des balbutiantes harmonies de Pelléas, et tenant par ce côté
archaïque à l'essence même du catholicisme.
Sans discuter plus avant ce problème, qui nécessiterait une incursion dans un
autre domaine que celui de l'art, on peut dire qu'aucune œuvre française n'est plus
pleinement, plus élégamment ni plus solennellement musicale que celle-ci. Il faut
remercier grandement M. Colonne de nous l'avoir donnée avec ardeur, avec soin, avec
conviction, ...mais aussi, hélas ! avec ces chœurs insuffisants auxquels nous sommes
condamnés à Paris, dans tous les théâtres, toutes les églises et tous les concerts...
Souhaitons du moins que la Messe de M. Fauré s'inscrive définitivement aux pro-
grammes de nos grandes sociétés symphoniques. Il serait bon de l'entendre plus sou-
vent, et, à l'heure où certains musicographes prétendent — bien à tort — faire de son
auteur une sorte de porte-drapgau du décadentisme, de rappeler ce qu'il y a, au con-
traire, dans ce génie, de sincèrement classique ; quelle force, quelle grandeur et quelle
énergie se cachent sous ses délicieux sourires !
— 59 —
Pour la Saint-Sylvestre on joua les 400 coups du Diable au Châtelet. Au Nouveau-
Théâtre, entre une audition... redemandée de la Symphonie de César Franck et des
fragments wagnériens, où l'orchestre fut admirable comme de coutume, et où
M. Frœlich chanta les Adieux de fVotan en grand artiste, mais pas toujours très juste,
deux nouveautés complétèrent le programme : Une nuit sur le Mont-Chauve, fantaisie
symphonique de Moussorgski et quatre Esquisses de Schumann, pour le piano à pédales,
orchestrées par M. Chevillard.
J'ai parlé jadis du Mont-Chauve, quand M. Winogradski le donna au Trocadéro,
pendant l'Exposition de 1900. Cet ouvrage qui rappelle les qualités pittoresques des
grands maîtres russes, ne les égale point. On n'y trouve ni le coloris chatoyant de
Shéhérazade, ni la profonde désespérance à'Antar, ni la puissance classique des
admirablessymphonies de Borodine. Elle est fort amusante cependant et se rattache au
genre de poèmes symphoniques tels que la Danse Macabre de Saint-Saëns ou que
y Apprenti sorcier de M. Dukas, sans être solidement construite comme la première,
ni hautement^comique ainsi que l'autre.
hes Esquisses àt Schumann ont plu très vivement, grâce à l'excellente instrumen-
tation dont les a dotées M. Chevillard. Les deux dernières surtout remportèrent tous
les suffrages, par la délicatesse élégante et nourrie de leur orchestration. Les gammes
légères de la clarinette, le babillage des bois mariés suivant une effusion toute schu-
mannienne aux caresses des cordes font de ces petits morceaux de charmantes pages,
que leur premier auteur eût tenues volontiers pour filles adoptives. Mais, en les accla-
mant avec chaleur, nous n'avons pas seulement témoigné de notre satisfaction artis-
tique, nous payâmes encore un tribut de reconnaissance au parfait musicien dont le
zèle, l'activité, l'ardeur simple et digne, le grand talent surtout ménagent depuis plus
de six ans, tant d'heures excellentes à ses habitués. Et nous regrettons seulement
qu'une excessive discrétion de sa part les prive du plaisir de témoigner plus souvent
à M. Chevillard, compositeur, la gratitude ressentie pour le méticuleux et brillant
chef d'orchestre des Concerts Lamoureux.
Un autre musicien que nous applaudîmes ces temps derniers avec bien de l'en-
train, c'est M. Gabriel Pierné. Contrairement aux autres chefs d'orchestre, celui-ci
abandonne quelquefois, — trop rarement à notre gré, — ses charmants travaux de
composition, pour prendre la baguette que veut bien lui prêter M. Colonne. Le 7
janvier, il dirigeait au Châtelet la Damnation de Faust. On était curieux de voir com-
ment il se tirerait d'une œuvre que le maître de la maison a faite sienne à tout jamais
en la marquant si puissamment de son génie romantique. C'était une dangereuse
gageure. S'il n'a pas gagné la partie, JVl. Pierné ne l'a pas perdue davantage, car sem-
blable au preux Roland, dont M.Anatole France nous conta jadis le « gab » téméraire,
il nous a si bien distraits par sa direction poétique, fougueuse et tendre tour à tour,
merveilleusement. musicale toujours, que nous avons oublié de faire des comparaisons,
en nous abandonnant à la parfaite jouissance de l'heure. Son succès a été très vif et très
légitime. Je ne crois pas d'ailleurs que l'on puisse graduer plus habilement la Marche
Hongroise, en ménager plus savamment, ni en mener avec plus de chaleur l'explosion
finale. On ne saurait donner une plus aérienne traduction de la Scène des Gnomes et
des Sylphes, ni mettre plus d'emportement dans la Course à l'abîme. Mais là où M.
Pierné m'a semblé particulièrement remarquable, c'est d'abord dans le duo et le trio
de la troisième partie, inférieurs assurément au point de vue musical au reste de
l'œuvre, et qu'il anima, l'autre jour, d'une vie imprévue, en leur imprimant un carac-
tère dramatique et franchement théâtral, et c'est ensuite dans le Chœur des Soldats et
des Etudiants de la quatrième partie, dont je n'avais jamais entendu accentuer avec-
une si heureuse audace le caractère volontairement trivial... Je ne puis me lancer ici
— 6o — •
dans une étude dëtaillée de cette direction. Cela m'amuserait fort, car j'ai remarqué
bien des petites choses ; mais en les exposant j'aurais l'air d'un vilain pédagogue et je
passerais pour plus malicieux que nature. Toutefois je tiens à redire, comme Tan der-
nier, quel admirable tempérament musical possède M. Pierné. Avec quelle flamme,
quelle joie communicative, quelle intuition et quel respect de la pensée des maîtres il
dirige leurs œuvres et comme il possède à un degré exceptionnel le sens delà pesanteur
rythmique ! Comme il soupèse avec sensibilité ce que l'on est convenu d'appeler les
temps forts et que l'on nommerait plus justement les temps lourds ! C'est précisément
le contraire de M. Mottl, et ce sont deux conceptions de la musique diamétralement
opposées. Je serais donc bien content si j'entendais jamais M. Pierné diriger Tristan et
Yseult et le jour où ce plaisir me serait offert, je vous promets de m'engager brave-
ment dans le sentier périlleux des comparaisons...
J'ai tant bavardé qu'il me reste à peine dix lignes pour noter qu'à la même heure
M. Chevillard donnait, lui aussi, une excellente audition du chef-d'œuvre de Berlioz.
Si j'en crois un rapport dans lequel j'ai grande confiance, les chanteurs y furent très
bons : M. LaflTitte, un peu froid peut-être, mais doué si merveilleusement au point de
vue vocal, M. Delmas excellent... et très convaincu de l'être, bien qu'assez mal à
l'aise dans la Chanson de la Puce et Mme Gaëtane Vicq, un peu écrasée dans les en-
sembles par ces chanteurs de théâtre, ;mais exquise de] grâce, d'émotion et de sim-
plicité prenante dans ses deux soli. On avait malheureusement confié le petit rôle de
Brander à un chanteur insuffisant.
J'aurais tort d'oublier les solistes du Châtelet qui, M. Daraux mis à part, furent
notoirement au-dessous de leur tâche. Un ténor qui rate la moitié de ses notes aiguës
et une mezzo qui pour tenter de se faire entendre est contrainte de changer en o la
plupart des voyelles, c'est tout de même par trop piètre pour un tel cadre et pour une
telle œuvre... Mais quelle affreuse manie ont donc tant de cantatrices de truquer ainsi
toutes les syllabes ! Mlle Pregi chante : « Autrefois un rat de Thaulov^... » et dans la
Procession de Franck, Mme Auguez nous qualifie régulièrement d'un superbe « Dieu
s'avance à travers les chats ! » que je recommande à votre malveillante attention.
Idola theatri. Jean d'UDINE.
Concerts du Conservatoire
Je regrette pour mes lecteurs qu'ils soient aujourd'hui privés de lire la chronique
si avertie et si joliment rédigée de M. Paul Locard. Je m'en console un peu en songeant
que l'indisposition de notre ami n'est pas grave. Et puis, j'ai eu tant de plaisir à écou-
ter, en son lieu et place, le bel orchestre de la Société des Concerts, à admirer l'incom-
parable direction, souple, précise, lucide, de M. Georges Marty.
Vons pensez bien que l'Ouverture de Léonore (]<l° i) a été exécutée de superbe ma-
nière ; mais je voudrais trouver d'autres expressions pour caractériser la force, la vé-
rité de l'interprétation de M. Georges Marty : ce fut un moment d'émotion intense que
nous dûmes à l'orchestre et à son chef.
La 3* symphonie de M. Magnard fut aussi jouée merveilleusement. Mais je suis
embarrassé pour vous parler explicitement de l'œuvre, pour en louer les grandes
qualités et en critiquer les quelques défauts que j'y trouve : ce n'est point là l'affaire
de l'être impersonnel qui signe Intérim. Par exemple, je puis bien vous conter que
M. Albéric Magnard, en qui tous ou à près s'accordent à reconnaître un des plus in.
téressants musiciens de notre jeune école, fut élève, il y a longtemps, de M. Théodore
Dubois. Son maître un jour lui conseilla, paternellement, de ne point s'obstiner à
vouloir écrire de la musique, chose pour laquelle, affirmait le sagace directeur, il
— 6i —
n'avait pas la moindre disposition. Et, coïncidence curieuse, M. Théodore Dubois n'a
pas quitté le Conservatoire depuis six mois, qu'on y exécute une œuvre dudit M. Ma-
gnard, et que cette œuvre, déjà applaudie à Paris et ailleurs, y obtient un unanime
et mérité succès.
Sans doute, M. Locard pourra-t-il assister au deuxième concert où elle sera jouée,
et vous en parlera-t-il dans le prochain numéro, comme du Défi de Phéhus et de Pan.
Au sujet de cette cantate, une remarque seulement : le bon Midas qui y pérore n'est-
il point l'ancêtre de Beckmesser ( que Wagner faillit appeler Hans Lick) et du « Clas-
sique » de Moussorgski ?j
Excusez-moi de ne point insister sur la comparaison : j'ai juste la place de louer,
en peu de mots, les excellents interprètes de l'œuvre de Bach : Mmes de Montalant,
Lacombe, MM. Engel, Frœhlich, Plamondon et Bouvet.
INTÉRIM.
LA QUINZAINE MUSICALE
Concerts Le Rey
L'orchestre était dirigé le 24 décembre par M.Fernand de Léry. Nous avons entendu
le Septuor de Beethoven, exécuté avec une certaine précision mais aussi avec une
excessive lenteur de mouvement. Mlle Revel chantait un air d'Œdipe à Colonne de Sac-
chini, le Noyer de Schumann et le Nil de Xaxier Leroux ; son succès fut vif et mérité :
une expression distinguée, une diction intelligente, une voix au timbre frais et pur sont
des qualités qui font de Mlle Revel une chanteuse pleine de charme et d'intérêt. Un
Prélude symphonique conduit par l'auteur M. Sporck avec une vigueur qui troubla la
douce quiétude de l'orchestre est à notre avis un peu écourté, ce qui est regrettable, car
cette composition renferme des idées personnelles et des motifs, comme ceux du haut-
bois, qui sont fort jolis. Quant à Mlle Henriette Picot, elle possède, outre une assu-
rance que l'on dirait d'un vieux maître plus qu'habile, de réelles qualités de méca-
nisme ; aussi la Tarentelle de Gottschalk lui convint-elle à souhait ; mais la Sonate
op. 2j n" I de Beethoven est quelque peu différente d'une tarentelle ; c'est ce dont Mlle
Picot ne paraît pas autrement convaincue ; de là une interprétation bien fantaisiste et
superficielle.
Le dimanche suivant M. Le Rey nous a donné deux premières auditions : une Suite
villageoise de M. Théodore Dubois aussi dénuée d'imprévu et d'originalité que possi-
ble, puis un poème symphonique de M. Paul Viardot, la Source, dont l'eau s'écoule
tantôt avec douceur tantôt avec violence entre des rives d'aspect varié et agréable ; sans
présenter un grand intérêt cette pièce témoigne d'une écriture facile. L'interprétation
du Concerto en ut mineur de Beethoven par Mlle Marcelle Weiss manque un peu de
caractère ; il faut ajouter, il est vrai, que loin d'aider à sa tâche l'orchestre la lui ren-
dait sensiblement difficile par sa tendance à ralentir le mouvement. Enfin la partie la
mieux exécutée du programme fut le troisième acte à'Iphigénie en Tauride de Gluck.
MM. Carbelly et Dubois se sont montrés l'un et l'autre très chaleureux dans le duo
passionné où s'exalte l'amitié d'Oreste et de Pylade. En revanche Mme Lina Star ne
nous a pas semblé posséder la force et le souffle nécessaires au rôle d'iphigénie.
Mieux que jamais le concert du 7 janvier nous donne l'occasion de pré-
senter quelques observations à l'orchestre des concerts Le Rey. Loin de nous
la pensée de lui être désagréable ; mais nous croirions manquer de sincérité
en ne lui signalant pas des défauts incompatibles avec l'idée que l'on se fait d'un
« grand concert ». Pourquoi ne pas essayer de surmonter la tiédeur qui fait de cet or-
chestre quelque chose comme une petite confrérie de dévots sommeillant avec béatitude
— 62 —
sous le geste onctueux et bienveillant d'un chanoine pacifique ? Pourquoi ne pas obte-
nir d'une façon régulière que les instruments jouent en mesure et avec ensemble, que
les cuivres n'éclatent pas en sonorités incorrectes et douteuses, que les cors ne déton-
nent pas sans cesse, que les mouvements ne soient pas ralentis parfois au point d'être
défigurés ? — Ces défauts apparurent en toute évidence dans VOuverture de Phèdre de
Massenet, dans celle d'Iphtgéme, de Gluck et surtout dans l'exécution de la Marche
Troyenne, de Berlioz. Ceci dit nous nous empressons de noter que l'orchestre ne mé-
rita pas ces reproches dans le Chant du soir, de Saint-Saëns : c'est la meilleure preuve
qu'il est capable de l'effort qu'on est en droit d'attendre de lui. — Une autre prière doit
être adressée à M. Le Rey : c'est de ne plus nous faire entendre de chanteuses comme
Mlle Lise d'Ajac qui fut aussi mauvaise dans l'air d'Hélène et Parts, de Gluck, que
dans celui de Samson et Dalila. Cette chanteuse semble ignorer l'art du chant et le
vacillement de sa voix est tel que le tympan de l'auditeur s'en trouve momentanément
déséquilibré.
Nous avons été heureusement dédommagés par Mme Toutain-Grun et aussi par
Mme Bureau-Berthelot et M. Dubois. Mme Toutain-Grun a interprété la Fantaisie
Hongroise pour piano et orchestre de Liszt avec un charme tout à fait délicieux. Tout
en exquise simplicité, en délicate coloration, en séduisante poésie, son jeu servi par un
très souple et très fin mécanisme a conquis naturellement la salle entière. Dans
des fragments de VArmide, de Gluck, M. Dubois remporta un légitime succès et Mme
Bureau-Berthelot fit applaudir le timbre doux et joli de sa voix délicate et pure.
Edouard Schneider.
Société Nationale
Moins de monde que d'habitude à ce concert initial de la saison, salle Erard ; et ce
fut dommage, car le programme était extrêmement intéressant. 11 comprenait des mélo-
dies populaires bretonnes, recueillies et harmonisées par M. Ladmirault et chantées par
Mlle Lasne, le premier quatuor de M. V. d'Indy, qu'exécutèrent MM. Lejeune, Cla-
veau, Drouet et de Bruyn, une sonate, piano et violon, de M, P. Le Flem, et une suite
de piano de M. Maurice Ravel, Miroirs.
M. Le Flem, qui, si je ne me trompe, présente pour la première fois une œuvre au
public parisien, débute d'une façon qui permet de fonder sur lui d'excellentes espé-
rances. Sa sonate offre de sensibles qualités, de grandes qualités même, et les défauts
qu'on pourrait, par contre, y signaler, ne sont point inquiétants pour l'avenir. Ce
sont des faiblesses de facture, et rien de plus. Mais le sentiment musical du compositeur
est incontestable.
Le thème initial de cette sonate, thème de belle allure, est — simple coïncidence
sans doute — extrêmement analogue à celui de la Symphonie inachevée de Borodine,
et cela tant par la coupe et l'harmonie que parla valeur expressive. 11 est traité de ma-
nière intéressante.
Le deuxième thème est de qualité plus médiocre, et introduit quelque inégalité dans
le développement.
Le mouvement lent est vraiment beau, expressif, et tout le temps plein d'émotion.
Le final, bâti sur un thème de ronde populaire et où reviennent les thèmes du début, est
moins personnel, moins bien venu aussi — autant qu'on le peut apprécier après une
seule audition. Mais, somme toute — le seul Andante l'atteste amplement — l'ensemble
est d'un véritable musicien dont le talent peut se développer très vite, puisque le don
primordial, et assez rare, de la pensée musicale ne lui fait point défaut.
MM. Masson et Lefeuve présentèrent fort bien l'oeuvre de M. Le Flem. J'ai goûté
surtout la belle et ample sonorité et le bon style du jeune violoniste.
Les Miroirs de M. Maurice Ravel sont peut-être ce que le jeune compositeur a écrit
de plus complet jusqu'ici, au point de vue de la technique autant qu'à celui du senti-
ment. La seule facture de ces pièces est extrêmement intéressante : je ne parle point
exclusivement de l'écriture pour l'instrument -- on sait que M. Ravel y est passé
-65-
maître — mais de l'invention et de la forme. Les Oiseaux tristes sont quelque chose
d'extrêmement neuf, une étude (au sens que donnent à ce mot les peintres)assez poussée
et d'une parfaite vérité de notation. Il en est de même de la Vallée des Cloches. Au con-
traire, Barque sur l'Océan est un véritable petit poème symphonique, très vigoureuse-
ment charpenté, et VAlborada est un scherzo, un grand scherzo indépendant à la façon
de ceux de Chopin et de Balakirew. Noctuelles est, si je ne me trompe, une sorte d'étude
(cette fois au sens pianistique) réalisée de façon très neuve aussi.
En ce qui concerne l'écriture pour le piano, il est à remarquer que tout dans ces
cinq pièces est extrêmement bien compris, et convenable à l'instrument. Des effets comme
ceux de la Vallée des Cloches, où d'un brouillard sonore, des vibrations de cloches,
graves, aiguës, lointaines, proches, se dégagent, jaillissent peu à peu, se répondent, se
superposent, se résolvent en mélodies ; dans Noctuelles, ce continuel murmure léger,
moelleux comme celui d'un quatuor d'orchestre très divisé ; toutes les somptuosités
d'écriture aussi de la jBar^we sur /'Océan,; tout cela est du véritable piano, n'ofifre rien
de forcé, de mal réalisé au point de vue des doigts.
De même, les harmonies toujours expressives et riches, où apparaissent des choses
qui semblent dures à l'œil et sont très douces à l'oreille, où chaque élément se fond en
d'ingénieuses figures; les rythmes si divers, si souples qui, suivant une phrase illustre,
« célèbrent leur orgie » surtout dans Noctuelles et dans Alborada: voilà plus qu'il
n'en faut pour attester l'exceptionnelle valeur de l'invention de M. Maurice Ravel.
Maie ce que je trouve de plus remarquable dans ces diverses pièces, c'en sont les
qualités d'émotion. Il y a dans Oiseaux tristes et dans la Vallée des Cloches une grande
profondeur de sentiment, d'un sentiment intime et dénué de toute grandiloquence.
Barque sur l'Océan est encore de belle, d'intense poésie. L' « humour », la franche et
vivante fantaisie de VAlborada méritent les plus absolus éloges.
Le public accueillit très chaudement ces cinq pièces, et fît bisser VAlborada. L'in-
terprète, d'ailleurs, en était M. Vinès, et nul ne pouvait mettre mieux en valeur les
charmantes créations de M. Maurice Ravel que cet artiste inégalé, dont j'ai eu maintes
fois à dire les louanges, et pour qui l'on voudrait, tant il s'affirme sans cesse supérieur
à lui-même, trouver sans cesse des épithètes inédites et qui soient dignes de son art si
simple et si efficace.
M.-D. Calvogoressi
Concerts de la Schola Cantorum
29 décembre. — Un beau concert à l'actif de la Schola. Ce n'est pas le premier
qu'ait entendu la haute salle de la rue Saint-Jacques, à l'austérité quasi religieuse.
Sous la direction de M. Armand Gastoué, sept pièces de chant grégorien ont été exécu-
tées ; je n'ai pas besoin de dire avec quelle justesse et quel souci du détail, les soli tenus
dans r Alléluia par Mme Jumel, dans VOmjtes de Saba par M. Gibert et dans le Diri-
gatur par Mme Gastoué.
Le cours d'ensemble vocal, professé par M. de Lacerda, interpréta « a capella ))
quatre motets : Ave Maria, de Josquin de Près ; Exultate Deo, de Palestrina ; Jesu
dulcis, de Vittoria, et un cantique de la passion. Loué sois-tu, de Schûtz.
Après un intermède populaire, un Noël flamand du xv° siècle, qui permit à Mmes
Marthe Legrand et Maurat de se faire apprécier, VActus tragicus de Bach nous fut
offert.
Je n'ai point la place nécessaire pour parler longuement de cette oeuvre surhu-
maine, le plus merveilleux acte de foi qu'ait écrit un artiste mettant tout son génie au
service de sa croyance. Je renvoie le lecteur à l'excellente analyse que M. Le Flem a
donnée dans les dernières Tablettes de la Schola. Le prélude est d'une admirable séré-
nité : c'est une sonatine dans le style de l'époque, d'une allure plutôt gracieuse, comme
d'ailleurs la majeure partie du chœur qui suit. La fin devient tragique. Elle évoque la
vanité de ce monde et sa faiblesse devant le Tout-Puissant. Le ténor (M. Cazeneuve)
exprime son angoisse : « Seigneur, rappelle-nous sans cesse» ; la basse reprend cette
-64-
idée, montrant combien « nos jours sont comptés ». Le choeur suivant est peut-être le
point culminant de la partition. Les voix graves commencent : « Telle est l'antique loi ))
puis les soprani chantent seuls ensuite, avec une infinie tendresse. Rude redevient la
prière des ténors, que reprend le chœur entier.
Après un air suppliant du contralto (Mme Legrand), la basse prononce enfin les
paroles de rédemption : « Aujourd'hui tu seras avec moi », que M. Louis Bourgeois a
dites remarquablement. Un choral et un chœur joj'eux sous forme de fugue constituent
la fin, exprimant les sentiments d'allégresse et d'apaisement qu'éprouve l'humanité
pardonnée et assurée.
Il est inutile de dire la façon dont M. d'Indy a dirigé l'orchestre et les chœurs. M.
Guilmant tenait l'orgue avec sa maîtrise habituelle et, dans les nombreux passages de
flûte, M. Blanquart s'est montré excellent.
Gabriel Rouchès.
Les Soirées d'Art
A la Soirée d'art an 28 décembre, M. Diémer a eu un très grand succès. Il ne pou-
vait en être autrement. Le programme portait : les Variations sur un thème de Bee-
thoven par Saint-Saëns (M. Georges de Lausnay tenait le second piano d'une façon re-
marquable) la Chaconne variée en sol majeur, de Haendel et la Source et le Poète, une
composition delM. Diémer, dont on a goûté la délicatesse et l'ingéniosité.
M. Louis Froehlich, avec une voix sonore au service d'un style sobre et ému, a in-
terprété, comme elles doivent l'être, les Six mélodies religieuses de Beethoven, surtout
l'admirable « chant de repentir : (( Seigneur, envers toi, je suis coupable. »
Mlle Grégoire a une voix exquise, elle chante d'une façon délicieuse. Ce sont deux
qualités dont l'exagération constitue des défauts. Accompagnée par M. Diémer, elle
nous a présenté dans V Amour et la Vie d' mie femme un Schumann inattendu, sucré et
édulcoré.
A Mme Stiévenard, qui paraissait au concert du 4 janvier, on peut reprocher un
jeu peut-être trop exempt de chaleur — on s'en est aperçu principalement durant l'exécu-
tion de V Impromptu en fa dièze majeur de Chopin, mais dont la sûreté, la précision et
l'autorité ont été très appréciées. Mme Stiévenard a remarquablement joué la Bourrée
fantasque de Chabrier et elle a partagé le succès de M. Fernand Gillet, très bon dans
la Deuxième sonate pour hautbois et piano de Haendel.
Mme Raunay s'est montrée, à son ordinaire, tout à fait supérieure, soit dans le
divin Mariage des roses composé par César Franck sur des paroles réjouissantes :
» Un seul phare est allumé
L'amour nous éclaire »
soit dans deux mélodies de M. Boussion Les paroles à l'absente. Je ne connaissais pas
l'auteur. Il m'a vivement intéressé. Sur deux poèmes de M. Aubry, d'une bonne littéra-
ture, M. Boussion a écrit une musique tout ensemble sincère et raffinée. Le sentiment
exprimé dans ces œuvres est, plutôt qu'une douleur déchirante, une mélancolie d'une
douceur triste. Mme Raunay en sut faire ressortir les nuances. Et combien aussi elle
se montra la digne interprète de Beethoven, dans A la bien aimée absente que Mme
Stiévenard accompagnait.
Au cours de ces deux séances, le treizième et le quatorzième quatuors de Beethoven
ont été exécutés par MM. Capet, Tourret, Bailly et Hasselmans. Il convient de leur
adresser les mêmes éloges que précédemment et aussi les mêmes critiques légères.
Gabriel Rouchès.
Quatuor Parent
• Le Quatuor Parent a donné le 5 janvier la première des huit séances qu'il doit con-
sacrer chaque vendredi à Beethoven. On ne saurait trop le louer de cette nouvelle entre-
prise, et s'il est vrai que l'on a rarement parlé de Beethoven avec autant d'abondance
qu'à l'heure actuelle il n'est pas moins juste de penser que la musique de chambre qui
forme une partie considérable de l'œuvre du Maître n'est généralement connue que d'une
façon extérieure et parfois toute nominale. Aussi bien les programmes du Quatuor Pa-
rent sont-ils composés d'une manière fort intelligente et vraiment instructive. On en
jugera par celui de la première séance.
Dans une causerie toute d'élégance et de clarté M. Paul Landormy nous a indiqué
dans quel esprit avaient été choisies les œuvres à exécuter. Il s'agissait d'exposer les
trois manières de Beethoven tout en montrant combien il est arbitraire de vouloir leur
assigner à chacune de trop rigoureuses limites et jusqu'à quel point elles présentent
entre elles des rapports parfois étroits. Comme exemple de la première manière,
Mlle Marthe Dron, MM. Parent et Fournier ont exécuté le Trio j>our piano et violon-
celle, op. I n" 7, dont le finale révèle déjà le caractère tragique de Beethoven, Puis nous
avons entendu le Quatuor à Cordes op. 5p, «° 2. composé en 1807, c'est-à-dire dans la
deuxième période et enfin la Sonate op. iii, datée de 1822, la dernière des sonates pour
piano. Mlle Marthe Dron s'est brillamment acquittée de l'exécution difficile de cette
œuvre. Trois lieder, ïa Parte?iza (1798) dégoût italien, Wonne der Wehmuth, d'un ac-
cent profond et passionné, Senfzer eines Ungeliebten und Gegenliebe, ou « Les soupirs
d'un amant dédaigné », écrit en 1795 et contenant déjà le motif du finale de la Neuvième
Symphonie, ont été chantés par Mlle Delka dans un joli style bien que d'une voix un
peu frêle. Quant au Quatuor Parent ne semble-t-il pas superflu d'ajouter que son succès
a été unanime ?
Edouard Schneider.
Ecole des Hautes études Sociales
L'école des Hautes études sociales rouvrait ses portes le 30 novembre avec une
savoureuse et substantielle conférence de M. A. Boschot sur Lesueur, maître de Ber-
lioz. M. Boschot qui vient d'achever, je crois, un important ouvrage de critique à la
gloire de Berlioz en avait extrait un des chapitres les plus originaux pour le fidèle pu-
blic des Hautes études sociales. Il a pensé qu'en dehors de quelques professionnels
studieux, bien peu de gens connaissent Lesueur et surtout se doutaient qu'il ait eu une
influence sur l'auteur de la Damnation. Il nous a donc retracé sa vie, ses études ; il a
surtout analysé ses écrits, quatre-vingts volumes en manuscrit, des articles inédits pour
le dictionnaire des Beaux-Arts ; rédigés vers 1824 ils témoignent de ce que l'auteur
transmet alors au jeune Berlioz. C'est la tradition gluckiste. La musique est une
expression de sentiments mais pour Lesueur la musique pure est lettre morte ; elle est
incompréhensible si elle ne s'accompagne pas d'un commentaire quelconque, texte litté-
raire, action dramatique ou programme. Le pire ennemi de la musique est à son avis le
contre-sens, et puisque la musique est imitative, le pire contre-sens est le manque
d'expression. Il s'attache à la valeur expressive des rythmes qu'il faut s'efforcer de
varier sans cesse ; il recommande le mélange des styles, l'absence de partis-pris et
Berlioz mettra à profit cette incertitude pour peindre avec plus de variété son âme bi-
garrée. La mélodie populaire n'est pas pour Lesueur ou Berlioz une source d'inspira-
tion, un germe, mais seulement un ornement extérieur, un artifice, tout comme la su-
perposition des thèmes. A tout prendre conclut M. Boschot, les écrits de Lesueur ont
sombré parce qu'ils seraient inutiles aujourd'hui. Ce qu'ils renfermaient de bon a passé
dans ceux de Berlioz pour qui Lesueur fut le seul maître possible, un maître merveil-
leux, providentiel.
M. Boschot, orateur précis, spirituel et disert, intéressa vivement ses auditeurs
qui ne lui ménagèrent pas les applaudissements, non plus qu'à Mlle Andrée Allard, à
— 66 —
MM. Cazaux, Nansen etPiffaretti, interprètes très goûtés de deux fragments des Bardes
et de l'Hymne -pour la fête de la Vieillesse.
Le 7 décembre M. Paul Landormy parlait de Brahms. II s'est attaché à montrer que
la musique n'est pas une langue universelle, que les musiques très anciennes sont des
« langues mortes )) incompréhensibles pour nous si nous ne les apprenons pas et que
plus la musique se libère des formules consacrées pour devenir l'expression immédiate
des individualités, plus il apparaît que la musique d'un pays est une langue étrangère
pour le pays voisin. Prenant ensuite Brahms pour exemple, il a recherché quelles sont
les raisons qui le rendent d'ordinaire peu sympathique aux Français. Il en a trouvé
trois principales, dans la nature de la mélodie, le caractère des rythmes, la couleur de
l'inspiration ; mais ici nous ne pouvons reproduire, même en l'abrégeant, l'analyse
technique qui, seule, pourrait mettre en valeur la thèse que M. Landormy a défendue
avec l'éclat et l'ingéniosité que l'on sait.
La conférence était coupée d'auditions diverses. Mlle Elisabeth Delhez a chanté
avec beaucoup d'intelligence, de finesse, et en musicienne, cinq lieder de Brahms : elle
fut surtout remarquable dans Feldeinsamkeitex.aa.ns Vergebliches Staendchen. Mme
Landormy-Plançon joua au piano un hilerme:{:{0 de Brahms dans un sentiment très dé-
licat, et avec un juste souci des demi-teintes. Enfin la séance se termina par la Sonate
en sol de Brahms, que Mme Landormy-Plançon et M. Parent détaillèrent avec un art
exquis, qui n'excluait pas l'émotion.
Paul LOCARD.
L'abondance des matières nous oblige à reporter au prochain numéro les CoilC6rtS
divers (Concerts Clémandh, Anciennes Matinées Danbé, Concerts des Instruments
anciens, Mme Saillard-Dietz, Mlle A. Abran, du Lied Français), ainsi que les corres-
pondances de Liège et du Havre.
Le mopemeot musical en province et à l'étranger
Théâtre Royal de Dresde
Pren)îère Repré5e!)ta.tioi7 (créatioi)) de
SALOMÉ
Drame musical en un acte de RICHARD STRAUSS
d'après le poème d'Oscar W^ilde
Rarement « première >> fut attendue du public avec plus d'impatience et de
curiosité que la Salomé de Richard Strauss. Pour une certaine partie de la presse, la
représentation en elle-même ne restait malheureusement qu'un inutile accessoire, un
élément d'appréciation superflu. Le nouveau drame musical du grand maître alle-
mand n'était-il pas jugé d'avance, condamné d'office sur un mot d'ordre parti je ne
sais d'où? Dès que le projet de Strauss, de mettre en musique la Salomê d'Oscdit
Wilde, fut connu, la critique, ou du moins une c ertaine critique, s'emparait de cette
nouvelle et commençait à faire rage. Sans rien connaître de la partition, pas la
moindre mesure, on ne craignait pas de répandre au jour le jour les insinuations les
plus perfides sur le compte de l'artiste et de son œuvre.
A s'abstenir de tous commentaires sur un drame musical dont la réalisation leur
était étrangère jusque dans le moindre de ses détails, la dignité professionnelle des
gens du métier en eût-elle donc été diminuée? Qu'importe ! On sortit de l'arsenal tout
le vieux stock des armes qu'on avait jadis dirigées contre Wagner : immoralité du
sujet, interdit jeté par la censure, musique injouable, grève des musiciens de l'orches-
tre, dés3rtion des chanteurs. Et Salomé, bien avant de connaître les feux de la
rampe dut subir les plus rudes assauts. On batailla autour d'elle comme jadis autour
de Tannbailser, de Tristan, — mais cette fois la cabale ne devait pas avoir le dernier
mot.
A la veille de la première à Dresde, l'effervescence redouble. Les attaques se
multiplient, surtout du côté des partisans de la «. moralitaet ». La fureur de ces der-
niers ne connaît pas de bornes. Elle s'exhale en des brochures indignées où l'on
maudit Strauss comme un esprit frappé de perversion. Le plus violent de ces opuscules,
Salomé an den Deutschen Hofbûhnen, dont l'auteur se cache sous le voile d'un pseudo-
nyme ad hoc, H. Ernstmann (l'homme sérieux ! !) décèle un état d'àme lamentable-
ment troublé par le fanatisme. Dis -moi ce que tu composes, s'écrie l'homme sérieux,
et je te dirai qui tu es (sic) ; et il ne prend pas moins de quarante pages pour éreinter
apriorile drame musical de Strauss. On a pincé toutes les cordes sensibles, celles qui,
chez nos voisins, vibrent le plus fortement, pour les détourner d'un tel spectacle où la
Bible est profanée, travestie, la royauté bafouée en la personne d'Hérode, veule, in-
quiet et titubant sous l'empire de l'ivresse. Mais le public, au soir de la première et
des représentations suivantes, — le bon public que l'on s'évertuait à circonvenir, a
pris sa revanche sur les professeurs de morale, les pasteurs, et les affiliés des cours !
C'est avec un enthousiasme indescriptible, voisin du délire, qu'il accueillit la magni-
fique création de Richard Strauss. Des tonnerres d'applaudissements emplissaient la
salle, bondée de spectateurs jusqu'aux derniers hémicycles, tandis que les bravos, les
cris d'admiration, les 5/raM55 .' 5/mM55 .' partaient de toutes les poitrines. Après les
émotions dominatrices de cette musique troublante et passionnée jusqu'à vous ébran-
ler les nerfs, quel soulagement de pouvoir crier à tue-tête, de trépigner comme un
forcené ! Le compositeur, ses interprètes, le chef d'orchestre, le régisseur furent l'objet
d'interminables ovations. On les rappela plus de trente fois. La presse musicale du
monde tout entier s'était fait représenter. On était accouru d'Amérique, d'Angleterre,
d'Italie, d'Autriche. 11 y avait huit Français. On remarquait aussi la présence de Hans
Sommer, Max Schillings, les réputés compositeurs allemands, et celle de Robert Ross,
l'ami d'Oscar Wilde. L'Allemagne réunissait là tout son contingent d'intendants
royaux, de directeurs de théâtre, de kapellmeister, de chanteurs. Strauss fut acclamé
par une élite internationale, — couvert d'applaudissements par tout ce que son pays
compte de notabilités artistiques.
Quant à cette fraction de la critique, à laquelle je faisais allusion plus haut
et qui s'était rendue â Dresde dans un esprit ouvertement hostile, elle en fut pour ses
diatribes. On avait décrété depuis longtemps, en petit comité (et ce n'était un
secret pour personne), que Strauss n'était pas un dramaturge, — qu'il ne pouvait pas
être un dramaturge. On savait par de vagues indications que Salomé se tournait vers
une orientation nouvelle du drame musical allemand. Il ne s'agissait rien moins que
de faire obstacle, de propos délibéré, à cette audacieuse tentative et de renvoyer le
compositeur à ses poèmes symphoniques. Mais les instigateurs de cette campagne»
adeptes de la sainte routine, champion de toutes les réactions, avaient compté sans le
génie d'un Strauss, sans la beauté tragique et les séductions enivrantes d'un drame
— 68 —
musical merveilleusement scénique, très fortement conçu. Les plus farouches d'entre
eux n'échappèrent pas à l'empire du maître. Force leur fut, pour ne point faillir à la
consigne, pour dénigrer, de se rabattre sur le livret, d'invoquer à nouveau l'immora-
lité de la pièce, d'en flétrir la perversité et d'agiter à leur tour la vieille question delà
morale dans l'Art.
Il y aura désormais dans les annales de l'histoire de la musique un « cas Salomé»,
intimement lié au chapitre de la critique arriérée.
Le sujet, quel est-il ? Nous le connaissons tous par le comte de Flaubert, Héro-
dias, dont le poème d'Oscar Wilde n'est que la dramatisation puissante. Inutile de
l'analyser en détail. Ce n'est point la Salomé des Léonard de Vinci, des Tintoret, des
Ghirlandgo, des Rubens, des Albert Durer, la juive au charme languissant que
Wilde nous représente, c'est la Salomé de Gustave Moreau, la fille de Sodome et de
Babylone, vouée à toutes les corruptions, à tous les vices, l'animal impudique et su-
perbe qui inspira le Cantique des Cantiques. Nous touchons au paroxysme de l'éro-
tisme, à toutes les contradictions de la folie. C'est la tragédie du mal, du mal le plus
dévorant de tous, la sensualité et la luxure, en conflit avec le bien représenté sous les
traits austères et calmes du Prophète Jochanaan. De l'antithèse des deux forces oppo-
sées jaillit tout l'intérêt du drame, et voilà ce qui, chez le musicien, provoqua la
« Stimenung ». Une fois de plus le génie du poète des sons a bondi par dessus la réa-
lité, par dessus l'exotisme du sujet pour saisir la vérité en elle-même et tracer de
l'amour charnel le plus violemment exaspéré en des harmonies brûlées d'une passion
ardente et féroce, le tableau le plus coloré, le plus chaud, le plus vibrant, le plus émou-
vant que musicien ait peut-être jamais brossé. Les orgies dyonisiaques de Vénusberg,
l'implacable amour de Tristan et Ysolde, sont dépassés par cette frénésie de volupté.
Toute la fureur, toute la folie de la chair et du sang se rue à l'orchestre et aux voix. Nul
soupçon de langueur ou de morbidesse orientale ne vient effleurer cette musique
écrite en traits de feu. Des mélodies enivrantes montent en boufi'ées capiteuses des
sables ardents de l'orchestre. Elles s'élancent comme lâchées au travers d'une sym-
phonie en délire. On dirait des résonnances d'une nature inconnue et sauvage; des
palpitations étranges.
Rien de plus nouveau pour l'oreille. Rien de plus empoignant pour l'imagination.
Pourtant, Strauss ne se pique pas de couleur locale. Loin de lui la pensée de se livrer
à des reconstitutions archéologiques, de se perdre dans la recherche des eff'ets pitto-
resques et décoratifs et des sonorités rares. La note exotique n'a pas d'écho dans
Salomé, si ce n'est dans la danse où l'on en perçoit le tintement éloigné. Strauss s'im-
pose à l'émotion des spectateurs par le choc furieux et tumultueux de la passion, —
par la fougue, par l'emportement et la rapidité vertigineuse de ses combinaisons
sonores.
Ni prélude, ni entr'actes. L'action se déroule logiquement, impétueusement, en
l'espace d'une heure et demie, dans un décor baigné par la lumière argentée de la
lune. La musique s'adapte étroitement au poème d'Oscar Wilde. Elle le suit pas à pas.
Strauss a brisé toutes les formules passagères ou factices. Salomé marque le point de
départ d'une proche évolution de la musique dramatique en Allemagne. Cette nou-
velle manière à laquelle nous a si bien préparés Pclléas et Mélisandc, le maître alle-
mand la reprend pour son propre compte et l'implante au-delà du Rhin. Il apporte à
l'œuvre entreprise par Claude Debussy la contribution de son prodigieux talent poly-
phonique et de son inépuisable inspiration. Car, en écrivant Salomé, son dessein était
moins de marcher sur les traces de Wagner, de suivre les sentiers battus et rebattus
par ses successeurs que de s'inspirer des tendances de notre école française moderne.
Il vous confie, d'ailleurs, non sans une certaine coquetterie, pour peu que vous ne
■m
— 6g —
soyez pas allemands, qu'il a composé sa musique sur le mot à mot du texte français.
Les paroles allemandes restent une traduction d'après coup. Voilà certes qui n'est pas
banal, mais la particularité la plus curieuse de Salomé, la nouveauté, réside dans
l'écriture toute originale du style vocal.
Strauss n'a point traité les voix à l'allemande. Sa mélodie se réclame manifeste-
ment de notre déclamation lyrique, — tout d'abord par la courbe prononcée de la
ligne sonore qui se développe à l'aise et aussi par la valeur, par l'autorité, par l'ac-
cent que prend ici la voix. Le chant se déploie en toute liberté mélodique, témoin les
plaintes délicieuses du soupirant Narraboth, les phrases d'une amplitude si magnifique
dans la bouche du Prophète, les élans passionnés de Salomé ; ses accès délirants de
volupté à la vue de Jochanaan, toute cette scène finale, longue de 236 mesures, où la
sensualité de son amour s'exaspère au baiser de la tête de Baptiste, et j'en passe, les
supplications d'Hérode, toutes pleines des convoitises allumées par l'ivresse, etc., etc.
Chez Wagner, la parole humaine s'avouait le plus souvent incapable d'exprimer les
mouvements de l'âme et en confiait le soin à l'orchestre. Chez Strauss, elle reprend
tous ses droits. Elle se jette à toute volée dans le gouffre de l'orchestre. Elle y allume
à tous les coins une flamme qui circule, bondit et rebondit. Qu'elle soit emportée sur
les sommets ou plongée aux abîmes, la voix émerge toujours et s'étend souveraine-
ment, au-dessus même du tumulte de toutes les forces déchaînées. Rien ne l'arrête,
rien ne l'essoulïle.
Quel orchestre cependant I 120 musiciens, 16 premiers violons, autant de se-
conds violons. Les bois sont au nombre de 19, parmi lesquels le fameux Hcckelphone.
Le groupe des cuivres compte 15 instruments. Harpes en plus, orgue, harmonium,
deux paires de timbales, glockenspiel, triangles, tambourins, etc. Rien n'y manque.
Dans le maniement de ce formidable organisme sonore, Strauss déploie une incompa-
rable virtuosité. Par le mélange des sonorités, l'élaboration et la combinaison des mo-
tifs, la psychologie des timbres, l'entrelacement audacieux d'un prestigieux contre-
point, par toutes les ressources d'une polyphonie grandiose, unique, colossale, 5fl-
Zome se place au premier rang des compositions du célèbre « Tonkunstler ». C'est
peut-être le point culminant de toute la production lyrique depuis Richard Wagner.
C'est la floraison musicale d'une imagination, d'un génie tout rempli de l'éternelle
jeunesse. Rarement l'inspiration de Strauss se montra si luxuriante, si étincelante. Il
faut remonter jusqu'à Guntram^ à Zarathustra pour retrouver cette vigueur, cet élan,
cette fougue dévorante, cette prodigalité d'invention.
Je n'insiste pas autrement sur l'éclat de l'instrum.entation. Le nom seul de Strauss
en dit assez dès qu'on aborde le domaine de la polyphonie. Ce qui, en dernière ana-
lyse, donne à Solomé une portée exceptionnelle c'est la prépondérance de l'élément
vocal dans une œuvre où la symphonie atteint en même temps sa plus haute expres-
sion.
Au point de vue de l'interprétation et de la mise en scène, l'intendant général, le
comte de Seebach a monté la pièce avec le faste coutumier du théâtre de Dresde. Sous
la direction de l'éminent kapellmeister von Schuch l'orchestre s'est vaillamment dé-
pensé. Il a fait des miracles. Il n'est pas conduit d'ailleurs, mais électrisé, tant Schuch
y met de vigueur, de souplesse et d'entrain. Et que de science, que de talent, que
d'autorité ne faut-il pas pour équilibrer des forces aussi complexes.
Mme Wittich prête au rôle de Salomé son soprano souple et puissant. Elle incarne
superbement l'héroïne du drame avec une intensité d'expression inouïe. On ne peut
rêver d'un art plus accompli, d'une voix plus délicieusement timbrée. Elle obtint un
succès personnel très vif. La voix si prenante de Perron sonne merveilleusement, pro-
phétiquement, j'allais dire, dans le rôle de Jochanaan. Quant à Bunian, il a fait d'Hé-
— 70 —
rode une création de tout premier ordre. Il a été simplement merveilleux. Voilà un
ténor intelligent, un maître dans l'art de composer son personnage. Sa voix est ma-
gnifique d'étendue, de souplesse et de force.
Les rôles de second plan sont fort bien tenus par Mmes von Chavanne (Hero-
dias), Eibenschiitz (le page) et par MM. Jaeger (Narraboth),'Wachter (le cappadocien).
Je m'en voudrais de passer sous silence MM. Rudiger, Saville Grosch, Erl, Rains qui
rendirent de façon remarquable, avec la plus grande sûreté, l'épisode fugué de la dis-
pute des Juifs.
Le décor signé Rieck, peintre de la Cour, évoquait toute la poésie des nuits de
l'Orient. La mise en scène était réglée avec beaucoup de goût par M. Wirk qu'on
avait spécialement mandé de Munich.
L. PONNELLE.
ANGERS. — Troisième concert populaire. (541") 25 novembre. — Le public ange-
vin, malgré sa méfiance coutumière, devant les œuvres des jeunes, dont la réputa-
tion n'est pas encore consacrée en province,, a bien accueilli la Fantaisie sur deux
noëls wallons, de M. Jongen. Cette belle œuvre remarquablement architecturée autour
de deux thèmes populaires essentiels, est toute revêtue de religiosité orgueilleuse. Elle
suit une ligne de pensée profonde que nul élan inattendu, nul essor immodéré ou exces-
sif ne fait dévier. Elle est amenée vers son dénouement à travers les ressources d'une
savante instrumentation, avec une mesure et une réflexion qui dénotent une admirable
cérébralité musicale et se tient souvent entre l'angélisme un peu monotone d'un Franck
et la passion latente d'un Lekeu.
Mlle Marguerite Long a enchanté le public du troisième concert et provoqué des
enthousiasmes bien mérités par son talent de pianiste impeccable et pourtant poétique.
Elle a joué le Concerto de Liszt en le disciplinant hautainement, sans en réduire toute-
fois la fantaisie, sans en atténuer la couleur ni le romantisme de bon aloi. Sa technique
est à la fois ferme et délicate, forte et séduisante. Elle trouve les sonorités émouvantes
et atteint l'extrême grâce et l'extrême légèreté dans les traits. De plus elle a répandu
à travers les Variations en ut mineur de Beethoven un noble élan d'âme, un sentiment
haut et pur, éloignant classiquement les exagérations de sensiblerie coutumières aux
virtuoses.
La Symphonie en ut mineur de Haydn, VOuverture de Faust de Wagner et la
Marche Héroïque de Saint-Saëns, étaient également inscrites au programme,
— Quatrième concert populaire, 10 décembre. — Le quatrième concert débutait
par une exécution parfaite de la Symphonie Italienne de Mendelsshon, L'orchestre y a
répandu les coloris, la vivacité et la sentimentalité qui conviennent et en a fait ressortir
avec une souveraine maîtrise, les contrastes et les effets.
Titania, suite symphonique de M. Georges Hiie, (dirigée par l'auteur), inspire con-
fiance tout de suite, grâce aux belles sonorités nourries et vibrantes sur lesquelles elle
s'ouvre et derrière lesquelles on sent palpiter la lointaine légende. La couleur musicale
du début pourrait se comparer, sans qu'il y ait pastiche, à celle qui tremble autour du
Vénusberg dans Tannhœuser. Tout le long de son œuvre M. Hue joue magistralement
de la totalité des ressources orchestrales et des heureuses plénitudes sonores. Son habi-
leté est extrême. Je note un délicat dessin de flûte retombantsur des gouttelettes de vio-
loncelle, quelques fluctuations montantes bien Shakespeariennes dans la trame symphoni-
que, des moments où la féerie légère se déploie comme un voile diapré et des harmonies
bien soutenues à l'arrière-plan de deux ou trois essors mélodiques. La fin du Prélude
est peut-être un peu flou et de temps en temps on voudrait un rythme plus catégori-
que s'imposant. Mais ces imprécisions mêmes sont d'accord avec le sujet merveilleux et
légendaire choisi par M. Hue.
M. A. Hekking nous apportait le Concerto en la mineur pour violoncelle, de Saint-
Saëns. Sa virtuosité riche et robuste, sa superbe éloquence sonore y ont trouvé l'occa-
— 71 —
sion de se révéler triomphalement. Il rendit le solo de violoncelle le plus dominateur du
monde, sans trop l'isoler de l'ensemble ; il en déroula chaleureusement la ligne et son
grand talent a embelli VAve Maria de Max Bruch, qui est une chose médiocre en soi,
mais où les qualités particulières de M. Hekking, longueur, abondance et ferveur des
résonnances, s'imposèrent victorieusement. Rappelé par le public M. André Hekking
joua VAria de Bach, où l'on pourrait peut-être si l'on voulait absolument formuler
une critique, lui reprocher de n'avoir pas mis assez d'intériorité discrète et
profonde.
La Danse des Sylphes et le Menuet des Follets empruntés à la Damnation de
Faust (Berlioz) se sont envolés de l'orchestre avec une grâce souple et mille frivolités
pompeuses,
L'Ouverture de Léonore (Beethoven), est une des œuvres que l'orchestre possède
le mieux. Elle plane toujours en pleine lumière et en pleine beauté, et bien que termi-
nant le concert, elle a forcé l'attention silencieuse et continue du public.
— Premier Concert extraordinaire. — Festival Franck. — Le Festival Franck eut
lieu le 24 décembre devant une salle comble. Cent-soixante choristes avaient pris place
sur l'estrade et il faut admirer la somme d'efforts donnée par les organisateurs du fes-
tival pour mettre au point le difficile poème-symphonie de Rédemption. Les choristes et
l'orchestre ont fait preuve de tant de talent et de bonne volonté que le public fut sou-
levé d'un enthousiasme inaccoutumé. L'angélisme de l'œuvre fut délicieusement rendu
et synthétisé dans les quelques motifs chantés par les voix d'ange qui semblaient choir
d'un ciel indulgent et proche. Les parties symphoniques d'orchestre ont vibré d'une
superbe éloquence. Les chœurs d'ensemble et le chœur d'hommes ont été chantés avec
une précision et une ferveur qui faisaient le plus grand honneur aux exécutants et à
leurs répétiteurs habituels. Mme Auguez de Montalant a interprété la partie vocale de
V Archange en très grande artiste, en cantatrice habile et sûre. Son école de diction est
parfaite, sa voix pleine et égale, son autorité magistrale. Elle a été à la fois hautaine et
évangélique donnant ainsi superbement la double note psychologique de l'œuvre. Mme
Béguin s'est acquittée de son rôle de récitant à la satisfaction générale.
Le concert débutait par une bonne exécution de la Symphonie en ré mineur de
Franck, qui avait déjà été entendue plusieurs fois à Angers et marque l'apogée de puissance
musicale du maître belge, le sommet de son ascension spirituelle et le suprême élan de
son noble et touchant idéalisme.
EvA.
MONTPELLIER. — La Schola récemment fondée par M. Charles Bordes et
qui semble promise aux meilleures destinées, a été honorée, dernièrement, de la
présence de Mme Roger-Miclos-Bataille et de M. Alexandre Guilmant.
L'impératrice du piano, pour parler comme les sujets de M. Roosevelt, perfectionne
avec adresse et courage un talent un peu court, son jeu demeure empreint d'une sédui-
sante féminité, ses doigts toujours de fée font sourdre harmonieusement de l'ivoire les
timbres de Couperin et de Schumann, elle semble descendue d'une toile d'H,enner pour
faire surgir du noir cercueil sonore le fantôme de la Grâce, sœur cadette de la Beauté.
M. Guilmant, qui, l'après-midi, en un admirable récital d'orgue, avait interprété
des pages de Bach, de Nicolaï de Grigny, de Frescobaldi, de Buxtehude, a interprété
sur le piano pédalier un choix d'œuvres intéressantes et a improvisé sur des thèmes
donnés. Cette belle soirée d'art nous a valu d'entendre, en même temps que le premier
des organistes d'aujourd'hui, M. Georges Borne qui s'est joué des difficultés pianlsti-
ques accumulées dans la curieuse et originale Fantaisie rythmique de M. Ch. Bordes,
et M. Henri Rohart, qui a traduit, avec une intense expression et dans un style délicat,
des mélodies de Chausson, de Fauré et de Bordes.
Notre scène lyrique, qui se prépare à remplacer l'obsédante barcarolle de Guillaume
Tell par le chant des bateliers du Volga et à « méridionaliser » résolument son réper-
— 72 —
toire en nous offrant nombre de partitions alla Sonzogno, nous a fait entendre Mlle
Simone d Arnaud dans Manon, Mireille et Rigoletto. L'estimée diva a été accueillie
avec sympathie.
— Mlle Blanche Selva a donné, le 22 décembre, dans les salons de la Schola
dirigée par M. Charles Bordes, un récital de piano qui a mis pleinement en lu-
mière la fidélité, la vigueur et la netteté de son interprétation des grands écrivains.
Elle a obtenu un succès du meilleur aloi en traduisant, avec une maîtrise dont je sais
peu d'exemples, la Fantaisie chrornatique et Fugue de Bach, la Sonate op. iii de
Beethoven, le Prélude, Aria et Final de Franck, le Poème des Montagnes de d'Indy, En
Languedoc de Déodat de Séverac et VIslamey de Balakirew. Nous devons louer la di-
versité et la carrure de son style, la probité de son jeu adéquat à la pensée des musi-
ciens, sa ferme volonté d'art pur. Mme Selva nous a fait vivre une heure inoubliable
pendant laquelle nous avons entendu de la beauté.
Raoul Davray.
'AIVCY. — Le nom de M. A. Geloso figurait sur le programme du troisième con-
cert, au-dessous du Concerto en la majeur de Saint-Saëns et de V Adagio et Ga-
votte de J.-S. Bach. Malheureusement un accident survenu à l'un des siens empê-
cha le sympathique violoniste de se rendre à Nancy, et ses deux numéros où il devait
paraître furent remplacés par l'intermède symphonique de Rédemption et par V Adagio
de M. Guy Ropartz. La symphonie de Rédemption fut jouée avec l'ampleur, la tendresse
et l'éclat qui conviennent à cette musique divine. Quant à V Adagio, grave et passionné,
il fut l'occasion d'un beau succès pour M. René Polain qui sut tirer de son alto les ac-
cents les plus pathétiques.
Pour débuter, la trilogie de Walleiistein, qui restera, je crois, l'une des plus belles
œuvres de M. Vincent d'Indy et de toute la musique française moderne. Que préférer
du truculent tableau du camp, de l'idylle tragique de la deuxième partie, où le thème
jeune et viril de Max s'allie à la grâce mélancolique de celui de Thécla, ou de la Mort
qu'illuminent de clartés mystérieuses les accords sidéraux et qu'enveloppe une inquié-
tante atmosphère de fatalité ? Je ne connais rien de plus impressionnant que la des-
cente des instruments à cordes qui, après le fracas de la catastrophe et la formidable
puissance du Chant fatal, s'éteint doucement en un long pianissimo. C'est la sérénité
des choses, la nature impassible, reprenant leurs droits après les bouleversements des
drames humains.
Le programme comprenait encore la Symphonie en ré mineur de Schumann, qui
fut exécutée avec une aisance brillante et la Danse macabre dans laquelle M. A. Heck,
violon solo, fit admirer une pureté de son tout à fait remarquable.
Au quatrième concert de l'Abonnement, trois numéros seulement : La troisième
Symphonie de M. A. Magnard, le Concerto en ut mineur de Beethoven et, pour la se-
conde fois, la trilogie de Wallenstein.
La Troisième symphonie de M. Magnard est une belle œuvre, au plan très clas-
sique et dont les quatre mouvements intitulés Ouverture, Danses, Pastorale, Final, ont
chacun une couleur bien particulière, quoique leur réunion forme un ensemble d'une
parfaite unité. La première partie, d'où se dégage une impression d'austérité et de calme,
débute par un majestueux choral qui se retrouve dans la conclusion. Entre temps, plu-
sieurs idées mélodiques donnent lieu à d'ingénieux développements.
Les Danses, aux rythmes populaires, s'interrompent pour laisser la clarinette, puis
les violons, se passer un chant d'une belle ligne simple et d'une couleur agreste. Tel,
dans les anciennes symphonies, le Scherzo, encadrant entre deux reprises d'allure vive
la douceur tendre du Trio. Mais, ici, les redites, au lieu d'être identiques, varient de
tonalités d'orchestration.
Pastorale, c'est le chant d'un pâtre interprété par le hautbois et qui, par sa mélan-
colie paisible, évoque la sérénité d'un beau soir. 11 est interrompu par un épisode
sombre et farouche, dessiné par les basses et signifiant sans doute la menace d'un dan-
— 7? —
ger, d'un malheur. Puis tout se calme ; le chant pastoral s'élève de nouveau et le mor-
ceau s'achève dans la sérénité du début.
Le Fina-l, animé, brillant, coloré de fanfares de trompettes et de cors, avec des rap-
pels du choral de la première partie, termine dans la joie cette belle et intéressante sym-
phonie.
Mlle Geneviève Dehelly a fait preuve, dans le Conce7-to en ut mineur de Beethoven,
d'un talent délicat, ennemi des gros effets. Son jeu est fin, très perlé, mais il manque
de puissance. Je suis sûr qu'aux derniers rangs des auditeurs, la partie de piano devait
à peine se faire entendre.
La trilogie de Wallenstein a été jouée avec une verve, une sûreté, un éclat, qui ont
valu à M. Ropartz et à son orchestre une véritable ovation.
X.
|^"J ÎCE. — Représentation de Siberia, poème d'Illica (traduction Milliet), musique de
a^ Giordano.
...1 L'opéra de Nice vient de représenter avec éclat et devant un public enthou-
siaste la belle œuvre du compositeur italien Giordano, qui s'afiBrme cette fois d'une
façon définitive comme un musicien de théâtre en pleine possession de son métier et de
son talent. Quoique le premier acte soit assez médiocre et composé avec des formules
musicales ayant déjà servi, les deux actes suivants ont emporté le succès par l'accent,
la couleur et l'inspiration chaleureuse qui les animent.
M. Saugey, directeur de l'Opéra, a donné tous ses soins à monter dignement cette
œuvre intéressante, interprétée pour la première fois en français : les décors signés Gon-
tessa sont superbes, notamment la plaine neigeuse du deuxième acte ; les costumes sont
également de la plus grande exactitude.
L'interprétation est fort bonne dans son ensemble : le ténor Zocchi a vaillamment
chanté le rôle du déporté Vassili. Mlle Mazarin, servie par une voix généreuse et sans
faiblesses a fait une ardente Stephana ; M. Séveilhac, baryton, joint à un organe chaud
et vibrant un vrai talent dé comédien. A côté de ces protagonistes il sérail injuste d'ou-
blier Mlle Dereyne, une agréable Vikona et Mlle Romanitza, fort touchante : puis encore
MM. La Taste, de bonne tenue en Walitzin, Saldon (prince Alexis), etc. Les chœurs
ont fait preuve d'une homogénéité inaccoutumée, et l'orchestre sous la baguette de M,
Dobbelaer a droit à des éloges.
Le nom de Giordano a été acclamé et son œuvre est incontestablement l'une de
celles qui font le plus honneur à l'école italienne moderne.
Alfred Mortier.
I OUErV. — Le Théâtre-des-Arts continue brillamment son ascension vers le néant i
Les représentations d'Arnica^ bien que défendues énergiquement par quelques ar-
tistes de valeur, ont été navrantes au point de vue artistique ! Peut-on trouver en
effet une œuvre plus plate, plus écœurante ({n Arnica} Quant à la reprise de la Reine
Fiammeite,]eme demandece qui serait arrivé au cours de cette mémorable soiréesiMme
Ghassang n'avait été là pour supporter tout le poids de l'œuvre et de l'interprétation. Le
succès de Mme Ghassang a été considérable, et les acclamations dont elle a été l'objet
témoignaient de la reconnaissance que le public lui devait, d'aider à maintenir la vieille
réputation — aujourd'hui bien chancelante — du Théâtre-des-Arts. Enfin comment
se fait-il qu'un directeur de théâtre, qui devrait être un homme éclairé, digne des plus
hautes responsabilités artistiques, commette des erreurs qui paraissent d'autant plus
lourdes qu'il les commet généralement avec une prétention et une fatuité n'ayant
d'égale que son insuffisance d'éducation artistique ? G'est ainsi que M. Gamoin vient
d'interrompre, après trois ou quatre représentations, la carrière de V Etranger, alors que
de tous côtés le désir était trè« vif de réentendre cette œuvre. Après de nombreuses
demandes, il consacra enfin une soirée à l'action musicale de M. d'indy, mais c'était
trop tard ; le temps, c'est-à-dire l'oubli, avait fait son œuvre. R. D.
— 74
Concerts. — En première ligne, nous devons noter la magnifique séance donnée au
Cirque par Marcel Dupré, premier prix de piano du Conservatoire, par M. et Mme
Albert Dupré, Mme Raunay et par « l'Accord Parfait ».
Marcel Dupré fut un des artistes les plus précoces de notre ville : à huit ans, il
donna sa première séance d'orgue à l'Exposition de 1896 ; à douze ans, il était orga-
niste à l'église Saint- Vivien ; à quinze ans il exécutait un oratorio remarquable, le Songe
de Jacob., de sa composition; à seize ans, il entrait au Conservatoire, dans la classe du
maître Diémer : il y obtenait un premier accessit à la fin de la première année et le
premier prix de piano, à la deuxième. Il est aujourd'hui âgé de dix-neuf ans.
Au concert du Cirque, un public nombreux a pu applaudir la virtuosité, le méca-
nisme extraordinaire de ce jeune musicien dans la Ballade en fa de Chopin, la Valse
de concert de Diémer, dans la Toccata de Saint-Saëns, la Toccatina de Lack, la
Dixième Rapsodie de Liszt, et VOuverture des Maîtres Chanteurs:, nous avons pris part
de tout cœur à l'enthousiasme des auditeurs. Ce qui fait que nous lui devons tout par-
ticulièrement notre reconnaissance, c'est qu'il a associé, pour ainsi dire, la célébration
des compositeurs de génie à son très légitime succès ; nous dirions presque qu'il s'est
même un peu sacrifié; on comprend la valeur de cet éloge, quand on pense à la vanité
d'une foule d'acrobates-ès-instruments à cordes ou autres, qui semblent croire que leur
gymnastique est l'art unique et que les compositeurs n'ont pas d'autre raison d'être que
de les faire valoir. Ce mauvais goût est une de nos plaies modernes.
Quand nous aurons dit que Marcel Dupré s'est fait le traducteur de la pensée de
Bach dans le Concerto en ut fnineur à deux pianos et orchestre, de l'inspiration de
Beethoven dans la Fantaisie pour piano, chœurs et orchestre, et du génie de Wagner ;
quand nous ajouterons aux morceaux déjà cités le reste du programme, c'est-à-dire le
premier chœur de la Cantate de Noël (J.-S. Bach) ; les Enfants de Bohême de Schu-
mann ; la Marche du Tannhceuser, on se rendra compte que les organisateurs de ce
beau concert ont été inspirés avant tout par un réel souci d'art. Mme Raunay a eu un
grand succès dans ses mélodies. Quelle admirable artiste !
Séances d'orgue à St-Godard. — A noter deux très intéressantes séances d'orgue
consacrées par M. Haelling, l'une aux œuvres de Bach, l'autre à diverses compositions
d'organistes des xvi, xvii et xviii' siècles. Le respect des maîtres qu'il interprète et des
nuances indiquées, l'absence de gros effets, l'honnêteté artistique sont, avec son talent
aujourd'hui incontestable, les qualités essentielles de M. Haelling qui, nous l'espérons,
continuera la série de ses belles auditions.
Maridort.
TOULOUSE. — Les concerts battent leur plein dans notre ville : c'est d'abord la
Société des Concerts du Conservatoire qui, dans sa dernière audition nous faisait
entendre la Symphonie héroïque de Beethoven ; Phaéton de Saint-Saëns, plus
une sélection de M. Rabaud sur des Chansons russes ; voilà pour la partie purement
symphonique. Comme solistes : Mme Auguez de Montalant interprétant les Rêves, de
Wagner, puis M. Cornélis Liégeois, remportent un beau succès daus le premier Con-
certo pour violoncelle, de Saint-Saëns. Je n'ai pas à décrire de nouveau ce que sont les
exécutions de la Société des Concerts du Conservatoire., car je ne veux pas tomber dans
des redites : 11 me suffira de constater le fini, dans le rendu de la Symhonie héroïque —
surtout dans le Scherzo — et de complimenter M. Crocé-Spinelli, pour le succès tou-
jours croissant de son entreprise artistique. Quelques jours plus tard, Mlle Blanche
Selva et Mlle de la Rouvière donnaient une audition dans la salle de l'Athénée. Ce n'est
pas aux lecteurs du Courrier Musical qu'il faut découvrir le talent de ces deux artistes
de tout premier ordre ; mais n'ayant jamais entendu Mlle Blanche Selva il me sera per-
mis de dire que rarement, dans ma carrière de critique, je vis une femme sachant La
— 75 —
Musique comme celle-là. Sans doute son mécanisme est merveilleux, mais, ce qui l'est
davantage, c'est la compréhension des œuvres diverses, qu'elle interprète non seulement
en musicienne, mais encore en harmoniste.
Dans la salle Rouget, la Société de musique de chambre a repris le cours de ses
séances annuelles. Au programme du premier concert se trouvaient : le neuvième Qua-
tuor à cordes de Beethoven, fort bien joué par MM. Jeanson, Ménetchet, Pujol et Bala-
resque, puis le Quintette de Schubert, la Trinité avec Mme Tourraton- Vannier comme
pianiste — on connaît depuis longtemps le talent de cette artiste — qui s'était fait ap-
plaudir auparavant dans une verveuse interprétation d'un Nocturne de Listz.
Au Théâtre du Capitule le succès du Jongleur de Notre-Daine prend de très vastes
proportions ; le délicieux ouvrage de Massenet est Joué deux fois par semaine devant des
salles combles.
Orner Guiraud.
VERVIERS» — Pour la deuxième fois, M. Alphonse Voncken, l'un de nos plus
distingués professeurs de musique, organisait une séance de musique de cham-
bre. L'an dernier déjà il en avait ouvert la série par un intéressant programme
qu'il exécutait en compagnie d'une remarquable artiste, Mlle Marie Joliet ; cette année,
le menu n'était ni moins intéressant ni moins attractif
Il comportait d'abord une page de César Franck, son admirable Sonate pour piano
et violon, d'une intensité d'émotion si poignante et d'une si grande pureté de lignes;
un Duo de concert pour deux violons, de Léonard, œuvre assez peu intéressante sinon
au point de vue des difficultés techniques à surmonter ; le grand trio en si bémol de
Beethoven peur piano, clarinette et violoncelle, et enfin deux parties du très intéres-
sant Quintette avec piano (op. 44) de Schumann qui porte bien l'empreinte du sombre
et inquiet compositeur.
M. Alph. Voncken tenait avec sa maîtrise habituelle la partie de violon dans la
Sonate de Franck, très bien secondé par une pianiste amateur de tout premier mérite,
Mme B. L., élève du virtuose vervietois M. Jean Sauvage ; l'habileté technique du ré-
puté violoniste qu'est A. Voncken se fit aussi brillamment jour dans le Concerto de
Léonard et dansle Quintette de Schumann ; délaissant l'archet dans le Tr^o de Beethoven
il s'y révéla clarinettiste non moins expert, et artiste aussi consciencieux.
Mme B. L. participa avec autant de succès au trio de Beethoven et au quintette de
Schumann, se montrant artiste délicate, soucieuse de rendre la pensée intime des au-
teurs ; M. J. Lejeune, le jeune violoncelliste dont nous avons déjà signalé le talent,
interpréta avec âme, les admirables phrases du trio et contribua à la très correcte inter-
prétation du quintette. Enfin, M. Bonjean au violon et M. L. Voncken à l'alto complé-
tèrent consciencieusement ce groupe musical auquel nous devons l'une de nos trop
rares soirées musicales.
Quelques jours plus tard, le Cercle musical d'amateurs offrait à ses membres son
deuxième concert où on a pu applaudir — fortune rare ! — le réputé quatuor Schoerg.
MM. Franz Schoerg, Hans Daucher, Paul Méry et notre concitoyen Jacques Gaillard,
forment un vrai quatuor, et c'est tout dire ; tant sont admirables leur compréhension et
leur homogénéité. Au programme un Quatuor en la mineur de Glazounow, une ro-
mance de W. Wres et une Danse hongroise de Brahms, toutes deux pour violon, et
enfin le Quatuor en fa majeur (op. 135) de Beethoven ; l'interprétation en fut admirable
et nous regrettons de ne pouvoir y insister.
Mme Méry-Merek prêtait le concours de sa jolie voix et de son talent remarquable
qui excelle surtout à « interpréter )) les compositeurs et à en faire pénétrer l'intimité
expressive : son succès fut très grand dans le Lied de Franck et dans les Cloches du
soir surtout.
J. D.
-76
Concerts Tînvovcés
Salles Pleyel
Janvier Grande Salle
17 Quator Laval-Clément.
18 Trio R. Epstein.
19 M. Pomposi (Voir le programme sur notre en-
cartage).
20 L» Société nationale de Musique (1" séance).
21 M. Philippe Courras (Elèves).
22 M. Joseph Debroux (i" séance).
23 Mme Avice.
24 M. et Mme J. Salmon.
25 La Société des compositeurs de Musique (i"
séance).
26 M. Hemmersbach.
26 Mme Cam. Chevillard (Elèves i" séance).
29 M. Paul Viardot.
30 Mlle Renée Lénars
31 M. Joseph Boulnois. (Voir le programme sur
notre encartage).
Salle des Quatuors
17 Quatuor Calliat(2* séance').
20 Mlle d'Albas- et M. J. Dumas (2"' séance).
21 M. Paul Hérard (Elèves).
Salle Erard
M. Bosquet (Voir le programme sur notre
encartage).
18 Mlle Guy.
19 M. J. Hoffmann.
20 M. R. Havas.
21 Matinée des élèves de Mlle Légrénay.
22 Mme Copreaux.
25 La Tarentelle.
17
25
26
27
29
16
25
50
16
24
'7
'9
26
Mlle Y. Péan.
Mejora Galeotti et Capet.
M. Bomveno van der Boijen.
Mlle Gellée.
M. D. Lederer.
M. Gabrilowitsch.
Salle des Agriculteurs
Société Philharmonique (MM. Mark Hambourg
et Kreisslerj.
Les Soirées d'Art.
M. Hegedûs (Voir le programme sur notre en-
cartage).
Société Philharmonique ( Mme Boyé-Jensen,
Rotterdamsche-Trio).
Les Soirées d'Art.
Société Philharmonique ( M. Plamondon. Le
Quatuor de Paris).
Schola Cantorum
Mlle B. Selva (œuvres de Bach).
MM. Lejeune, De Bruyn, Mlle Selva (Trios
modernes).
Mlle B. Selva (œuvres de Bach).
Salle de l'Union
Société J -S. Bach (Soli, Orchestre et chœurs).
Salle ^olian
Le Qiiatuor Parent,
id.
Ambigu
Ancienne Société des matinées Danbé, 4 h. J\2.
id. id.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A l'Opéra. — M. Duiardin-Beaumetz vient de prolonger d'une année la durée du
privilège de M. Gailhard comme directeur de l'Opéra. D'autre part, nous apprenons
de source autorisée que la personnalité artistique dont les frères Isola se sont assuré la
collaboration en vue de leur candidature à l'Opéra, est M. Gunsbourg, et que cette can-
didature Isola-Gunsbourg aurait beaucoup de chances d'être agréée.
A l'Opéra-Comique. — A propos de la Coupe enchantée, de M. Gabriel Pierné, il
n'est peut-être pas inutile de rappeler que Ferdinand Poise, avait traité musicalement
le même sujet. M. Carvalho, l'ancien directeur de l'Opéra-Comique, avait reçu le ma-
nuscrit de la partition et se préparait à monter l'œuvre, comme il avait fait pour la
Surprise de fAmour, Joli Gilles et VAtîiour médecin., quand survint l'incendie du
théâtre. La partition de Poise fut brûlée avec le reste, et on n'en parla plus.
— M. Albert Carré a mis à l'étude V Aphrodite., de M. Camille Erlanger.
C'est Mlle Mary Garden qui créera le rôle d'Aphrodite et M. Léon Beyle celui du
ténor.
Voici la distribution des autres rôles : Timon. Allard ; Philodème, Devriès ; le
grand-prêtre, Guillamat; le geôlier, Huberdeau ; Colidcs, Ghasne ; Myrto, Mathieu-
— 77 —
Lutz ; Phodis, Demellier ; Bacchis, Vallandri ; Chlmaîris, Brohly ; Seso, Brozla ; Try-
phéra, Guionie ; Monsarion, Henriquez ; Philotis, Gonzalès ; Corinna, Mirai ; Sélevé,
Velder ; Héliope, Costès ; Hermione, Comès ; Crobyté, Borga ; Diocède, Vuilefroy ;
Joessa, Duchêne ; Théano (danseuse), Badet.
On s'occupe également du Clos, la partition nouvelle du jeune compositeur M.
Charles Silver, et dont Mlle Marie Thiéry doit créer le rôle principal.
Le livret du Clos a été écrit par M. Michel Carré d'après le roman du Clos-Pom-
mier, d'Amédée Achard.
Entre temps, l'Opéra-Comique donnera une série de représentations du Fidelio de
Beethoven.
La Société J.-S. Bach donnera le mercredi 24 janvier prochain, à la salle de l'Union
(14, rue de Trévise), un concert d'orgue et de musique de chambre, avec le concours de
Mme Rey-Gaufrès, de MM. Krauss, Tournemire et du remarquable violoncelliste Pablo
Casais. Au programme : SwîVe pour violoncelle seul, Sonate piano et violon, œuvres
pour orgue et pour piano.
Mlle Blanche Selva commencera demain mardi, 16 janvier, à la Schola Cantorum ,
une série de six séances consacrées à J.-S. Bach, dont les suivantes auront lieu les 30
janvier, 13 et 26 février, 13 et 27 mars, à 9 heures du soir.
Notre collaborateur M.-D. Calvocoressi fera le 31 janvier à 8 h. 1/2 du soir, à la
Coopération des idées, 157, faubourg Saint-Antoine, une conférence sur les origines de
la musique de clavier.
Cette conférence sera accompagnée d'une audition par M. J.-Joachim Nin : œuvres
de Cabezon, Byrd, Frescobaldi, Kuhnau, Couperin, Bach, etc.
Les trois récitals annuels de M. Joseph Debroux sont fixés au 22 janvier, iq février
et 13 mars prochains, salle Pleyel. à g heures du soir. C'est la quinzième année que le
remarquable violoniste donne avec la conscience artistique qui n'a d'égal que son im-
mense talent, ces intéressantes auditions au cours desquelles revivent pour un moment
— combien attachant. — les vieux Maîtres français du xviii" siècle. Il y aura cette année
vingt-cinq ans que Joseph Debroux a donné son premier concert à Ruremondc (Hol-
lande).
L'Ecole de piano Lucien Wurmser, 23, rue Ballu, nous prie d'annoncer que l'audi-
tion semestrielle d'élèves, aura lieu le dimanche 4 février, à i heure, salle Pleyel. Cette
école compte maintenant comme succursales : Amiens, Beauvais. Bourges, Cherbourg,
Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille. Le Havre, Lyon, Nantes, Nevers, Oran, Poitiers,
Tours, Troyes. De plus, par suite d'une entente entre M. le professeur Gustav Hollean-
der, directeur du Conservatoire Stern à Berlin et M. Lucien Wurmser, l'Ecole de
Piano de Paris et le Conservatoire Stern de Berlin sont correspondants.
M. Georges Quévremont. l'excellent professeur au Conservatoire de Lyon, sera
examinateur à Paris à côté de M. Joseph Morpain.
Nous extrayons avec plaisir un passage du précieux certificat que l'éminent
violoniste Joseph Joachim a remis à son élève Joseph Zeligmann lorsque celui-ci a
quitté Berlin pour venir s'installer à Paris tout récemment : « Les succès qu'il a rem-
portés auprès du public, écrit Joachim, m'ont prouvé qu'il était digne de la confiance
que j'avais mise en lui... Je le recommande chaleureusement comme soliste et comme
professeur de violon... » Combien de violonistes préféreraient une pareille recomman-
dation à un premier prix de Conservatoire. Et comme ils auraient raison.
M. Massenet, qui a terminé sa partition d'Ariane, destinée à l'Opéra, travaille en
ce moment à un ouvrage qui sera donné l'hiver prochain pour la première fois à Monte-
Carlo. L'auteur du livret est M. Jules Claretie. Le sujet est emprunté à un épisode de
la Révolution.
- 7S -
Nécrologie
M. Vincent d'Indy vient d'avoir la douleur de perdre sa femme, Mme la comtesse
d'Indy, née de Geis de Pampelonne. Nous le prions de vouloir bien accepter nos respec-
tueuses condoléances et de croire à la vive part que nous prenons au malheur qui l'a
frappé. A. D.
— La célèbre cantatrice, Mme G. Krauss, est décédée la semaine dernière à Paris,
après une longue et douloureuse maladie.
Marie-Gabrielle Krauss, qui était née à Vienne, débuta à l'Opéra Impérial en 1860,
dans Guillaume Tell. Après avoir passé cinq ans dans ce théâtre, où elle obtint de
grands succès, elle joua ensuite en Italie, et ne vint à Paris qu'en 1875.
Elle interpréta successivement La. Juive, Aïda, Le Tribut de Zamora^ Henri VIII,
Patrie, Les Huguenots, etc., où ses triomphes furent chaque fois plus grands.
Depuis 1888, elle se consacrait au professorat.
— L'auteur dramatique bien connu, Edouard Blau, vient de mourir âgé de soixante-
dix ans. Il était surtout connu comme librettiste, bien qu'il ait fait jouer plusieurs pièces
sans musique, entre autres Maître Andréa à l'Odéon. Comme poète d'opéra, il a écrit,
en collaboration avec Louis Gallet, la Coupe du Roi de Thulé (musique d'Eugène Diaz),
le Chevalier Jean et Lancelot (musique de Victqrin Joncières), le Cid (musique de Mas-
senet). Edouard Blau signa également, avec M. Paul Milliet, Werther (Massenet), avec
Blum et Toché, Belle Lurette (Serpette) et seul le Roi d'Ys et la. Jacquerie (Lalo). C'est
à tort qu'on lui attribue le poème d'Esclarmonde, qui est de M. Louis de Grammont et
son homonyme et cousin Alfred Blau.
Reims. — Concerts éclectiques. — M. Vaysman, musicien aussi éclairé qu'infati-
gable, renouvelle ses manifestations artistiques avec un succès toujours croissant; la
séance de dimanche est une des plus remarquables qui nous aient été données jusqu'ici.
Aussi le public, par une ovation méritée, lui a fait comprendre combien son œuvre l'in-
téressait et quels vœux il formait pour qu'il en continuât le développement. La pre-
mière partie du concert comportait la Symphonie en ut mineur de Beethoven : nous
féliciterons chaudement les artistes qui ont interprété cette œuvre grandiose.
L'élément spirituel du concert était représenté par VOratorio de Noël de Saint-
Saëns.
Nos compliments les plus sincères à Mme Marie Petit, cantatrice de grand talent,
ainsi qu'à Mlles Sallier et Adam et à MM.Wolflf et Richard.
En terminant, remercions M. Vaysman d'avoir doté la ville de Reims d'un or-
chestre capable d'initier le public aux plus belles œuvres du grand maître.
Lyon. — Le maire de Lyon vient de désigner MM. Flon, le distingué chef d'or-
chestre et Landouzy, comme directeurs du Grand-Théâtre, qui sera administré doré-
navant en régie mixte.
Niort. — Nous avons reçu de M. Conte, chef d'orchestre de la Société Philhar-
monique de Niort, une lettre où il nous prie d'insérer quelques rectifications à l'article
publié par nous ici même le i" janvier. M. Conte nous affirme :
1° Que l'orchestre de la Société n'a que 16 violons en tout ;
2° Que les « nombreuses rangées de cuivres et de bois )) dont parlait notre cor-
respondant se réduisent à un pupitre de hautbois, un de basson, 4 cors, 2 pistons»
3 trombones ;
3° Que l'exécution de VHymne à Sainte-Cécile a été très bonne ;
4° Qu'il en a été de même de celle de la Danse Macabre.
Nous insérons bien volontiers ces rectifications : nous ajoutons que les critiques
(très légères en somme) que contenait la note de notre correspondant éventuel, ne nous
paraissent en rien devoir exciter la susceptibilité des excellents instrumentistes qui
composent la Société Philharmonique et de leur chef, estimé de tous.
M. Suter, notre correspondant habituel à Niort, nous prie de faire observer que
l'article en question n'était pas de lui, mais d'un correspondant occasionnel. Voilà qui
est fait. N. D. L. R.
— 79 —
Monte-Carlo, — Les représentations de ballet continuent à attirer le public qu'é-
merveillent la magnificence de la mise en scène et la rare perfection artistique du
« Ballet de Monte-Carlo ».
Dans l'œuvre exquise de M. Justin Clèrice, Au temps Jadis^ le succès fut triom-
phal pour l'admirable danseuse russe Mlle Trouhanowa, encadrée par une pléiade de
ballerines, parmi lesquelles les premières danseuses, Mlles Bertrand, Gavini, Charbon-
nel, Fabris, Legrand et Ly Symons ont été fort applaudies, dans leurs danses remar-
quablement réglées par M. Saracco.
L'excellent mime M. Paglieri, et la charmante divette parisienne Mlle Miriam Ma-
nuel contribuèrent brillamment à l'éclat de la soirée.
L'orchestre était dirigé par M. Désiré Thibault.
— M. Léon Jehin vient de faire entendre, aux Concerts classiques, deux œuvres de
jeunes musiciens : un Poème lyi-iqiie de M. Théodore Akimenko, élève de Rimsky-
Korsakow, et Le Pêcheur, de M. Georges de Seynes, élèves de MM. Massenet et Ga-
briel Fauré.
Le Poème lyrique de M. Akimenko plaît par ses phrases mélodiques, sa fougue
passionnée et son instrumentation sévère mais bien sonore ; c'est l'œuvre d'un artiste
sincère, inspiré 'et savant.
Le Pêcheur^ de M. Georges de Seynes, est un poème symphonique de grande ligne,
nette et pure, d'une remarquable intensité d'expression qui atteint à une réelle puis-
sance. L'orchestration en est d'une variété et d'une délicatesse des plus intéressantes,
et abonde en trouvailles de détails ingénieux.
Le succès de ces deux œuvres fut très vif.
Biarritz, — M. Gaston Coste, le distingué chef d'orchestre, vient d'être nommé
directeur artistique du Casino municipal de Biarritz.
Berlin, — Il est question de monter ici Miarka, d'Alex. Georges, M, Hàns Gregor,
directeur de l'Opéra-Comique, y paraît disposé,
— Le dimanche 7 janvier, les membres du Philarmonisches Orchester, les admi-
nistrateurs de l'agenc» Hermann WolfF, entourés de plus de 250 personnes,
tout ce que Berlin compte de notabilités artistiques et musicales, célébraient le jubilé
directorial du sympathique M, Fernow, Voilà 25 ans que l'éminent directeur préside
aux destinées de la célèbre Concert-Direction, servant avec une rare intelligence la
cause des artistes et de l'art. L, P,
Munich. — Au Théâtre de la Cour viennent d'être mises en scène, comme nou-
veautés, la Feuersnot, de Rich, Strauss (sous la direction de l'auteur), et la Cabrera, de
G. Dupont.
Aux Concerts Kaim, G, Schneevoigt a brillamment conduit la Symphonie fantas-
tique de Berlioz.
Bologne. — Voici les nouveautés qui seront données cet hiver aux Concerts Mu-
gellini (dirigés par Bruno Mugellini) : (Quintette de C. Franck; Concerto pour deux pia-
nos de Bach ; E. Bossi : Trio Sinfonico ; Sonate de violon de Rich. Strauss ; Concerto
de violon de Brahms; Finlandia de Sibélius ; Turandot de Busoni, etc.
Pétersbourg, — Les prix de la Fondation Glinka viennent d'être attribués
par MM, Rimsky-Korsakow, Glazounow et Liadow, aux compositeurs dont les noms
suivent :
M. A.-S. Arenski, pour l'introduction de son opéra Nala et Damajanti, 300 roubles;
M. J.-J. Withol, pour des variations sur un chant populaire, 300 roubles ; M. R.-M.
Glière, pour son sextuor, op. i, 500 roubles ; M. N.-A. Szokolow, pour deux chœurs
à trois voix de femmes, 400 roubles ; M. A.-N, Scriabine,pour sa deuxième symphonie,
op. 2g, 1,000 roubles; M. Serge Tanejew, pour son ouverture de l'opéra Orestie 100
roubles.
Vienne. — Mme Wanda Landowska vient d'être acclamée ici après sa délicate in-
terprétation des plus charmants chefs-d'œuvre de J,-P. Rameau, Gouperin-le-Grandj
— 8o —
Scarlatti, de Chambonnières, etc., groupés poétiquement dans un programme gé-
néral comprenant : i " Dans la Forêt ; 2" A travers les Prairies ; y' Fête du Vil-
Barcelone. — On vient de représenter au Théâtre Principal un ouvrage de M. Fe-
lipe Pedrell, l'éminent compositeur et critique, dont le Courrier Musical a longuement
parlé dans son numéro du i" février 1905. Cet ouvrage très remarquable est intitulé :
La Matinada.
Tournai. — Vif succès pour M. Boucrel, l'autre dimanche, dans l'intéressante
exécution de la Marie-Madeleine de Massenet, brillamment dirigée par M. H. de
Loose.
Monaco. — Un grand concours international de musique aura lieu à Monaco les 2,
3 et 4 juin 1906 sous le patronage de S. A. S. le Prince de Monaco et avec le concours
des sociétés musicales de Monte-Carlo et de la Principauté. Demander tous les rensei-
gnements à M. Percheron, secrétaire général.
Hanoi (Tonkin). — Une Société Philharmonique vient d'être fondée à Hanoï !
L'orchestre se compose de 37 musiciens, sous la direction de M. Cornet : ce dernier
annonce l'audition d'œuvres de Beethoven, Berlioz, Bizet, d'opéras de Massenet, Puccini,
Mascagni, etc..
Nouveautés musicales reçues
Six mélodies, de Mlle Germaine Corbin : Le Soir (Albert Samain), Chanson
roumaine (Hélène Vacaresco), Menuet (Fernand Gregh), Sérénade Vénitienne (A. de
Bigault), Madrigal (Jean Lahor), Nuit d'Eté (Paul Bourget). Empreintes d'une distinc-
tion et d'un charme confinant à une séduisante originalité, ces mélodies sont écrites avec
élégance, — non sans péril pour l'interprète qui ne les aurait pas attentivement appro-
fondies, — et dénotent une nature de musicienne infiniment délicate.
Editées chez Grus, Paris.
Sérénade pour Piano, de Joseph Jongen, dont la solide écriture et l'exquise poé-
sie confirment le talent et les pensées caressantes que de précédentes œuvres nous
avaient déjà révélés.
Editée par V« Edition Mutuelle )), Paris.
VERLAG VON RAHTER (LEIPZIG)
RiCH. Fricke : Ailes Mogtiche. Pièces pour piano.
Arthur Hinton : 4 Bagatelles pour piano.
Max Laurischkus : Esquisses pour piano.
AuGUST NoLK : Morceaux mélodiques pour piano.
L. ScHYTTE : 6 morceaux pour piano.
E. Wolf-Ferrari : Impromptus pour piano.
Paul Zilcher : Esquisses pour piano.
Ouvrages reçus
p. de Ménil : L'Ecole Contrapuntique Flamande Aux xv° et x\i' siècles
C'est la réunion en un volume des articles parus en 1904 et 1905 dans
le Courrier Musical.
Marcel Clavié : Benjamin Godard, étude biographique.
D"" Johann Branberger : Musikgeschichtliches aus Bckhmen.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thou«rs, Imprimerie Nouvelle
Salle ERARD, 15, tub un Mail
Le MERCREDI 17 JANVIER 1906, à 9 heures du soir
DONNE PAR M.
Î^pis Babinsteiiî Wieiî 19 00
<^?^::>^ PROGRAMME ^^^
1. Toccata et Fugue en /// ;7z//i6V/r, pour piano J. -S. Bach
2. Sonate eximi, Op. loq .. .. Beethoven
Prélude, Aria et Finale C. Franck
4. a Impromptu Qnfa mineur G. Fauré
h Jardins sous la pluie C.Debussy
c Rhapsodie en mi bémol , J. Brahms
d Quatre Etudes, Op. 25, la bémol, fa mineur, fa ma-
jeur, ut mineur Chopin
^
PRIX DES PLACES :
FAUTEUIL DE PARQUET : 10 FR. GALERIE : 5 FR.
Billets à l'avance ; A la SALLE ERARD ; chez MM. DURAND et Fils, Éditeurs, 4, place de la Madeleine
et à la SOCIÉTÉ MUSICALE, 32, rue Louis-le-Grand. — Tél. 277-20
SOCIÉTÉ MUSICALE (d. ASTRDG & Gie), 32, rue Louis-le-Grand (Paviiloa de Hanovre) FÂRIS
SALLE PLEYEL, 22, rue Roehechouart
Vendredi 19 Jarjvier 1906, à 9 I^eures précises (Ouvertures des Portes à 8 heures 1I2)
1
AUDITION B'QSUVRES DE
Qéè'aï ^ïanci, Vincent d'S^ndy^ êr Q, S)eêu&&^
Programme
1 Sonate, Piano et Violon C. Franck.
Mlle B. Selva et M. Pomposi.
2 Quatuor à cordes C. Debussy
MAI. Po.MPOSI, DE BrUYNE, MiGARD, SciI IDENHELM.
3 Valses pour Piano V. d'Indy.
Mlle B. Selva.
4 Quintette, Piano et instruments à cordes C. Franck,
Mlle B. Selva, MM. Pomposi, de Bruyne, Migard et Sciiidenhelm.
P»RIX DES PLACES:
Fauteuil de Grand Salon 10 fr. — Fauteuil de Petit Salon 5 //'.
On trouve des Billets chez M.M. A. DURAND et Fils, 4, Place de la Madeleine;
à la Salle PLEYEL, 22, rue Rochechouart et à l'Agence E. DEMETS, 2, rue de Louvois
SOCIÉTÉ AîUSIGEL-E (G. Est3?ac & 0'^) 33, bouleyard des Italiens - Pavillon de Hanovre
SALLE DES AGRICULTEURS, 8, rue d'Athènes
LE SAMEDI 20 JAIVVIER 1906, à 9 h. 1res précises du soir
G O ISr Cl E 3FI T
Donné par le Violoniste
I. SONATE, pour Piano et Violon, en
ré majeur, Op. 12, n"i ... BEETHOVEN
M. HEGEDUS et Mlle Lily H EN K EL.
CONCERTO en r« ;;»■«««- .... TARTINI a6''^2-1770)
M. HEGEDUS.
a ARIA BACH
b MENUET MOZART
M. HEGEDUS.
4. a ÉTUDE POSTHUME chopin
b ÉTUDE, Op. 2Ç, n" I. . .. . . id.
c FANTAISIE-IMPROMPTU ... id.
Mlle Lilv H EN K EL
Avec le Concours de Madame
Lily HENKEL, Pianiste
5. rt ADAGIO DU CONCERTO en
ré majeur R. STRAUSS
b PERPETUUM MOBILE .... NOVACEK
M. HEGEDUS.
6. SÉRÉNADE MÉLANCOLIQUE .. TSCHAIKOWSKY
M. HEGEDUS.
7. ADAGIO ET RONDO
DU CONCERTO enfadiè-emin.
M. HEGEDUS.
VIEDXTEMPS
AU riaiio d'Acrompngnemfiit : M. Eugène WAGNER
PEIX DES PLACES : Parquet : Fauteuils lire Séries 10 fr — Fauteuils (Snie Série), 5 fr. — Galerie
(Icv Rail?), 3 fr. — Autres Rar^gs, 2 fr.
Billets à l'avance : A la Salle des Concert", S, rue d'Athènes ; chez Mrs DURAND & FILS, Editeurs, 4, place de
la Madeleine et à la Société Musicale, J2, r%ie Louis-le-Grand. — Tèléph. 277.20
Administration de Osncirts L SMDELOT, i3, rue d'Amsterdam
SALLE PLEYEL
IMARTDI 23 Janvier 10OQ, à 9 lieiires du soir
GO]XrC!EÏ=iT donné par Madame B^arie -A.^V"ÏGE
PP^OGhtcAMMiE
1. a Plaisir d'Art our Martini.
b Ophélia A. Tariot.
Violon : M. Louis Duttenhofer.
Piano ; L'AUTEUR.
c Pourquoi je pleure Louis Ancel.
^ Les trois oiseaux id.
Mme Marie Avice.
2. Fantaisie. .. George Hue
M, Louis Duttenhofer.
3. a Iphigénie en Tauride
(Air du Songe) Gluck.
è Haï Lulli A, CoauARD.
Mme Marie Avice.
4. Joies et Douleurs Poëme d'amour) A. CoaL'ARD
{Poésie de Cécile Founery-Coquard).
5. a Andante L. Lalo.
è Danse Hongroise Brahms.
M. Lotus Duttenhofer.
6. a Salut, ô beau jour .... . .
{Extrait de Rube-ahl, Légende svmpb.]
b Tristesse
c Fé^ia
Mme Marie Avice.
7. a Le Désert. .
(Poésie de Leconite de l'isle)
b Arittte oubliée
(Poésie de Paul l^erlains)
c Soir de Printemps
(Poésie de A. Sainain)
Violon ; iVl. Louis Duttenhofer.
Piano : L'AUTEUR.
M. Bréniont.
8 ^ Mes yeux pleuraient en rêve..
b Dans la Forêt
c J'ai pardonné
d En fconge, dans l'ombre, je
te voi.s !
Mme Marie Avice.
George Hue.
G. PlERNÉ.
C. Erlanger.
\ Adaptations
1 musicales
l de
, A. Tariot
SCHUMANN
id.
id.
id.
Au riaiio d'Aci'omiJiigncment : M. Faul HÉRAED
PRIX DES PLACFS : Grand Salon : 10 francs. — Salon de Côté : 5 francs.
SALLE PLEYEL
MERCREDI 31 JANVIER 1906 à 9 heures du soir
CONCERT DONNE PAR
Mademoiielie JaneîGHEVALÎlîl | M. Joseph BOULNOis
^^2Z"~^^ Avec le Cf>iicours de
'e ffîapgae:?ite KE^"Eii, SolJste des Concerts Lamoureux et d'un DOUBLE PATUOR
1. a Fantaisie et Fugue (sol mineur). J.-S. Bach.
2. /) Choral Agnus Dei id.
Orgue : M.Joseph Boulitois.
2. a Le Noyer Schumann.
b Air de Judas Macchabée . . Haendel.
Mlle Marguerite Revcl.
3. Sonate, Op. 57 I fa mineur] Beethoven.-
Mlle Jane Chevalier.
4. a Pièce syrophonique J. Boulnois.
b Marche Nuptiale Aï. Guilmant.
c Scherzo de la 2""" symphonie. ... L Vierne.
urgue : M.Joseph Boulnois.
PRIX DES PLACES
5. a Les Bei ceaiix G. Fauré.
b Aurore id.
Mlle Marguerite Revel.
6. rtScheizo ■ Chopin.
b Romance (la bémol) . . G. Fauré.
cimorcmptu id.
Mlle Jane Chevalier.
7. Andante et Finale delà 1" symph. L. Vierne.
Orgue : M. Joseph Boulnois.
S Wedding Cake ... . Saint-Saens.
Mlle Jane Chevalier et le Double Quatuor.
Fauteuils (irc fc'ric) • dO fr. — Fa' teuils '2me série' fr.
BILLETS : Salli- PLEYEL et à l'A 1 minisiraiion des Concerts A. DANDELOT.
Edition RlCORDh H, Rue De Lisboooe, PARIS
Méthode complète de Violon.
I^a.r» -A.llDer»-to !Oa.oliro.a.rm.
NET : 8 Fr,
EDitiût) ASTKUC ^ C'^ 52, Rue Louis-le-Grao;)
Chanson Provençale.
Chanson Bohémienne.
Eglogue.
Zapateado (Danse Espagnole)
2' Mazurka de Concert.
Librairie FISCHBACHEK» 55. Rue De Seioe
Pour paraître prochainement :
LUTHERIE — ŒUVRES — LES VIOLONISTES
PRÉFACE DE
HENRY GAUTHIER=VILLARS
"uVlAAAAAjv^-
Eôitiûo SCHOTT F'is. M^y^ice
Concertino en ré.
Mazurka sentimentale.
NET : 3 Fr. 75.
E^itior) HAMELLE» 22, goulecard Malesberbes, PARIS
GEijLvi-es d'-A^llDerto BactLixiann
Séville.
Suite pour deux violons et piano.
Elégie.
Mazurka de Concert en mL
Pavane.
25, rue Pierre Charron
Le DIMANCHE 28 JANVIER 1906, à 3 heures précises
¥I§¥IQOE
AU PROFIT DE
L^œuure 5cs petites filles abar)Doi)r)ées et sar)s asile
Autorisée par arrêté préfectoral, subventionnée par la Ville de Paris
M. Sully-Prud'homme, Président d'Honneur.
M. le Général Février, Vice-Président.
M™" la Comtesse de Clarens, Présidente.
PROGRAMME
PREMIÈRE PARTIE
1 . Sonate
L'Auteur et M. Alberto Bachmann.
2 . a Chant des Fileuses
h Air de Liouise
Mlle iJarmières, de l'Opera-Coinique.
3 . a Arietta variée
b Polonaise .
Mme Rooer-'Miclos.
4. a La Jolie Pille de Parth (Air de l'Ivresse)
b L'heure d'azur
c Nos Deux Grenadiers.
M. Louis-Charles Battaille
5. Poésies.
Mlle Lherbav, du Tliéàlre Français.
b . a II faut aimer
b La Fiancée
c Tir de la Naïde (Armide)
Mme Pauline Smyth, de V Opéra-Comique.
7. La Streghe (Danse des Sorcières)
M. Alberto Bachmann.
8. a Le Cid
b Nativité ..... • •• ;, ,
i\/. }\L^urice Gerval, du Théâtre Sarah-Bernard.
9. Duo de la flûte enchantée.
i\///t' Nina Varney et M. Bouvet.
10 La Peur. (Pièce en i acte)
Mlle DorT^iat et MM. XXX, du Vaudeville.
TEUXIÈME PARTIE
1 . a Sur le lac
b Tarentelle ^
^L (Jhoinet, violoncelliste-solo des Concerts Colonne.
2. a Le Prophète (Air)
^ Le Barbier de Séville (Air)
Mlle jenny Passama, de l'Opéra.
3 a La Vaise . T
fc L'Épingle sur la Manche
Mme Ducellier-Mouod.
4. a La Cigale et la Fourmi (Duo du Petit Noël)
Mlles Dubois, de l'Opéra-Comique et Nina Varney.
5 . a Humoresque
b Zapateado (Danse espagnole)
AL A. Bachmann.
6 . a Romance de Joconde
b Plaisir d'amour
7. M. Dominique Bonnaud dans ses œuvres.
8. La Bourrasque (Pièce en i acte)
Mme Ducellier-Mouod et Ai. Davin, du Palais-Royal.
M. LUZZATI tiendra le Piano d'Accompagnement.
Piano PLEYEL
F. DE LA TOxMBELLE.
Abriès-Bachmann.
Charpentier.
Haydn.
Chopin.
G. BiZET.
A. Holmes.
SCHUMANN.
Louis Urgel.
H. DE CaLLIAS.
Gluck.
Paganim.
Barbey dAurévilly.
Jean Guiselin.
Duquesnel
B. Godard.
D. POPPER.
Meyerbeer.
RossiNi.
Theuriet.
Nadaud.
AUDRAN.
A. DvORRAK.
A. Bacii.mann.
A^icolo.
Martini,
Charles Pulet,
On trouve des billets au Cazar de la Charité; au Secrétariat de l'Œuvre, 9, rue Lauriston ; dans l;s agences
de Théâtres et chez MM. DURAND, GRUSS et ENOCH, Editeurs.
Affections
DU
Foie
ET DE
l'Estomac
Institut Musical de France
12, Place de la Nation, PARIS (12^) téléphone 924-70
l7arrnonisalion, Orcl^cstralion ; ^rrangcrnent de toutes œuvres pour Piarjo»
ï^arinoriie, Orcl^estre svrrîpl^orjique, etc. Gravure et Edilion
Examen et correction de toutes compositions musicales. — Conseils aux débutants et
consultations techniques
>-*-o-«-«
L'Institut Musical de France, qui compte parmi ses Collaborateurs les Professeurs et les
Compositeurs les plus éminents, tous diplômés du Conservatoire, se charge de tous les
travaux qui lui sont transmis de Paris, de la Province et de l'Etranger. Son organisation
technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
I;
9e ANNÉE. N°3. l«r Février 1906,
Directeur : Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE :
Lettres Inédites (suite) de GUILLAUWE LEKEU
L'École des Amateurs
(suite) VII JEAN D'UDINE
" L'Etoile ", fragment
Les Grands Concerts :
Colonne, Lamoureux,
Conservatoire .
)
VICTOR OEBAY.
JEAN O'UDINE.
I.
La Quinzaine Musicale (Les Concerts du
London Symphony orchestra, Société Tbilhar-
monique, Concerts Le Rey, Société Nationale,
Société J .-S . 'Bach, Les Soirées d'Art, Quatuor
Parent .
Concerts Divers : Sona-
tières et alentours D'JINN.
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Lettre de Munich E, DE STŒCKLIN
Lettre de Berlin L. POMMELLE
Correspondances de:LB Havre, Nantes, Nancy,
Francfort-sur-Mein .
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles.
( miCHEL BRENET
Bibliographie ....^ w.-o. CALVOCORESSI
Nouveautés Musicales, Ouvrages Reçus.
Table des Matières de l'année 1905
Administration et Rédautiua : Le Directeur et le Secrétaire de la
nc\ r>i Tir^ T'rk/^ivT/-'ijr-"T' -r-» a -rixo /r>.\ Rédaction reçoivent les Mardi, Jeudi
29, RUE TRONCHET, PARIS (8«) ^^ samedi, de /o heures à nudi.
TÈLKPHOIVE 252.95
Bureau;c ouverts
de lo h. à midi et de j? fc. à 6 h.
Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musica
(le !«" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
ABONNEMENTS
Paris et Départements.... 12 francs 11
( Étranger 15 » »
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, (IQ")
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8®)i
(TELEPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS
MM. Âguettant — Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Benoit
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi -^
J. Chantavoine — Camille CheviUard — D*^ Colas — M. Daubresse — VictojP
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — René Deire — F. Drogoul -^
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré -- Fledermaus — L. de Fourcaud -+
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars •— E. Giovanna — Orner Guiraud-^j
F.Hellouin — Vincent d*Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp^l
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair-^
-m
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octaviji
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. — |
J. Sauerwein — A. Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Schar-wenka -4
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D*^ Fritz Volbach — E. Vuilij
lermoz, etc ..
Le Courrier Musical est ea ireute :
A PARIS: ^9) rue Tronchet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines. j
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Àuitr,
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, 3, Faubourg Saint-Honoré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
Chez M. PUGNO, ly, Quai des Grands-^Âugustins, etc...
€N PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
DÉPOTS :
Pour l'ALLEMAGNE
Pour la BELGIQUE
Pour l'ANGLETERRE
(
MM. BR€ITKOPF d HJERTEL, à LEIPZIG
( MM. BREITKOPF & H/ERTEL, 45, rue Montagne de
l Cour, à BRUXELLES
( MM. BREITKOPF d MORTEL, 54, Malborough-Street,'
l LONDON-W.
,
9" ANNEE. N" 3. !«■• FÉVRIER 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Lettres inédites de Guillaume Lekeu (suite). — L'Ecole des Amateurs
{suite) VII (Jean d'Udine). — L'Etoile, fragment (Victor Debay). — ■ Les Grands
Concerts: Colonne, Lamoureux, Conservatoire (Jean d'Udine, L). — La Quinzaine
Musicale : Les Concerts du Lcndon Symphony Orchestra, Société Philharmonique, Con-
certs Le Rey, Société Nationale, Société J.-S. Bach, Les Soirées d'Art, Quatuor Parent.
— Concerts divers : Sonatières et les alentours (D'jinn). — Le mouvement musical en
province et à l'étranger : Lettre de Munich (E. de Stœcklin). Lettre de Berlin
(L. Ponnelle). — Correspondances de : Le Havre, Nantes, Nancy, Francfort-sur-
Mein. — Concerts annoncés. — Échos et Nouvelles. — Bibliographie (Michel Brenet,
M.-D. Calvocoressi). — Nouveautés musicales. — Ouvrages reçus. — Table des
matières de l'année 1905.
Lettres inédites de Guillaume Lekeu
(Suite) ( I )
II. - Lettres à M. Kéfer, directeur de l'Ecole de musique de Verviers
(écrites pendant son séjour à Paris en 1 889-1 890)
[Suite)
Paris, samedi 15 décembre 89.
Cher monsieur et ami,
Pardonnez-moi, je vous prie, le silence que je garde depuis votre si aimable
lettre ; mais je suis, depuis quelque temps, vraiment surchargé de besogne. Franck,
de plus en plus satisfait de mon contrepoint à 3 parties, m'a brusquement planté dans
les enchevêtrements du même contrepoint à 4 parties, alors que je comptais me promener
encore un bon mois au moins dans les sentiers (peu remplis d'ivresses) du fleuri à 5
voix.
En outre, Franck veut me précipiter le plus rapidement possible dans la fugue.
Aussi, c'est à chaque leçon le même conseil : « Cela marche sur des roulettes ; appor-
tez-moi beaucoup de travail, de façon à abattre une espèce ou un mélange d'espèces à
chaque fois. » Et, trois jours après, j'encre chez lui avec des dix, douze pages de mu-
sique !
Ne croyez pas que cela soit tout. ]e me suis amusé à recopier de la musique de
Franck : le prélude de Ruth et le morceau symphonique qui ouvre la deuxième partie
du poème Rédemption. Celui-ci est absolument un colossal chef-d'œuvre. Le connais-
sez-vous? C'est pour moi (les œuvres de Wagner mises à part bien entendu), l'œuvre
la plus pleinement géniale que puisse compter la musique religieuse depuis la Messe en
("i) Voir notre numéeo du i" janvier renfermant également une notice biograpliique sur G. Lekeu.
— 82 —
Ré du Dieu Beethoven. A ce propos, permettez-moi de vous parler encore de Franck :
je sais ainsi ne vous ennuyer nullement. C'est un arrangement à deux pianos, fait par
son élève Pierre de Bréville, que j'ai recopié. En lui reportant le morceau gravé (édité
chez Hartmann), j'en ai demandé à Franck la partition d'orchestre; et, comme je
m'étonnais qu'elle ne fût pas encore éditée, Franck me dit ces mots navrants : « Mon
ami ne comptez pas l'avoir, maintenant du moins. C'est là, pour un éditeur, une grosse
dépense! Si le m.orceau se jouait à Paris, cela lui donnerait un petit cachet (sic!).
Alors, peut-être, Hartmann consentirait à le publier, ou si, par hasard, je devenais
célèbre... Non, vraiment, n'y comptez pas. »
Cela pourrait se passer de tout commentaire. Mais vous voyez, n'est-ce pas, cet
homme étonnant, l'auteur du Quintette en fa mineur, celui dont l'âme géniale et
sereine n'est faite que de bonté, de religion et de simplicité grandiose, — disant à
soixante ans : « Si je devenais célèbre... » et parlant avec un ineffable sourire du
« petit cachet » que donnerait à son œuvre une exécution devant l'ignoble public pa-
risien I... Il est difficile de ne pas se sentir le cœur glacé et serré jusqu'à la mort,
quand on pense à ces choses, quand on pense qu' Esclarmonde est l'œuvre du jour!...
Vous savez aussi que l'Opéra a repris Lutie ! Vous devez en être bien heureux.
Pour moi, je ne m'en sens pas d'aise... En voilà assez, trop même, sur un sujet aussi
pénible. Vous me demandez bien amicalementde vous tenir au courant de toutceque je
fais. Je m'exécute avec la plus entière franchise : je travaille les Toccatas pour piano,
de Bach, et je relis sans cesse les quatuors et les trios du mage Beethoven.
Vous m'annoncez pour cet hiver des concerts admirables qui n'ont rien de com-
mun avec les abominables salmis antimusicaux que servent hebdomadairement X. Y. à
des publics appropriés. Dites-moi, je vous prie, vers quelle date vous pensez donner
îés 12*, 13^, et 14^ quatuors ? Si Vous donniez l'un d'eux avec le quintette du maître
et un trio de Beethoven, vous pourriez être assuré d'avoir pour auditeurs un de mes
amis, docteur en droit, et moi-même, tous deux archi-fous de ces divines musiques.
Nous avons décidé de faire à cette occasion le voyage de Verviers. Je vous prie bien
instamment de nous accorder cette grande joie.
J'ai lu à Franck votre bonne lettre. Elle l'a rempli de joie. Son quatuor n'est pas
entièrement terminé ; dans huit ou dix jours il espère l'avoir fini. Ce sera le digne
frère du Quintette, car Franck me l'a fait entendre au fur et à mesure qu'il le tra-
vaillait. Je vous en annoncerai la publication dès qu'elle me sera connue. Recevez,
pour la demande que vous en faites, tous les remerciements de mon maitre*
J'ai votre trio et l'ai lu. J'ai essayé, mais vainement, d'y saisir le moindre rap-
port avec la non-musique du cuistre Bazin. Peut-être l'ai-je encore trop peu lu. Je n'ai
vu tout simplement qu'une œuvre saine, franche, bellement musicale, pleine de pas-
sion, de mélancolie (dans le final, se transformant en douleur énergiquement domi-
née), en un mot, tout expressive. Vous avouerai-je que je ne puis trop admirer à mon
gré la transformation que subit, dans le discret et charmant Interme^^o, un motif mé-
lancolique qui devient un choral pleinement religieux ? J'ai retrouvé là un phénomène
psychologique par moi-même bien souvent ressenti : la rêverie partant d'une joie très
douce et très calme, devenant mélancolie et conduisant invinciblement à l'idée de
Dieu. Et vous avez indiqué cette grande vérité de la façon la plus sobre et aussi la
plus précise. Pardonnez-moi tous ces compliments. Vous me demandez de dire fran-
chement mes pensées : je vous obéis, tout simplement. Ce n'est certes pas ma faute
si votre œuvre me séduit ; vous n'avez à accuser ici que vous seuL Voilà à quoi on
s'expose en écrivant de la musique pour soi-même. On est expressif et on entre dans
le sanctuaire de l'Art. (L'expression est peut-être bien vieille, mais elle exprime toute
ma pensée, car elle est aussi éternellement jeune.)
-83-
Pour les traités de contrepoint, Franck me charge de vous dire qu'il apprend le
contrepoint sans traité, rien que par les conseils oraux ; il trouve d'ailleurs tous les
traités déplorables. Il ne connaît que très peu celui de Bazin, qui m'a paru ne pas lui
inspirer grande confiance ; c'est celui qu'on suit au Conservatoire.
Franck fait travailler le contrepoint en prenant pour thèmes des chants religieux :
Stahat Mater, Dies irœ, Jesu Redemptor, etc. Il veut que le travail brodé sur ces admi-
rables mélodies :
1° Sonne bien (soit musical, si vous préférez) ;
2° Soit expressif (surtout !)
C'est ce qu'il appelle, avec raison, introduire la viedans une étude qui^autriement
comprise, est la sécheresse suprême.
Je me vois obligé de commencer une troisième feuille pour vous dire que le con-
trepoint est bien loin de me faire oublier ce à quoi je me dois moi-même : la composi-
tion musicale. J'ai terminé aujourd'hui une fugue à quatre voix pour piano. Si vous
me le permettez, je la recopierai et vous l'adresserai. En toute franchise, je vous
avouerai qu'elle me satisfait moi-même ; je crois qu'elle forme Un tout et que chaque
mesure y dit quelque chose. Peut-être n'est-ce là que pure illusion ; si vous le désirez,
je vous mettrai à même d'en juger. — Je vous ai parlé de mon futur essai scénique :
Barherine, que j'ai dû abandonner. J'ai écrit pour ce drame tout intime un Prélude que
j'ai montré à Franck : il en a été fort content et ne m'a pas épargné les compliments
(loin de là !) Mais il m'a recommandé de ne pas écrire de suite pour l'orchestre. Je
suivrai son conseil. Néanmoins ce Prélude a son orchestration entièrement esquissée ;
il ne me reste vraiment plus qu'à en écrire la partition. De même pour une Etude
symphonique en forme de Chant de triomphale délivrance (i) qui est terminée depuis
bientôt un mois, sur quatre ou cinq portées surchargées d'indications instrumentales.
Ces deux morceaux et ma fugue, voilà mon travail depuis le mois d'octobre....*
Paris, i8 janvier 1890.
... Je pourrai plus tard répondre à la question que vous me posez dans votre
dernière lettre : Que pense Franck de la musique à programmé ? Je n'ai pas encore touché
ce sujet avec lui ; cependant, d'après sa tournure d'esprit habituelle, je me crois déjà
autorisé à vous dire que son avis sur cette question (plus facile, au fond, qu'elle n'en a
l'air), que cet avis, dis-je, est identique à celui de Beethoven sur le même sujet, avis
que ce génie extraordinaire a exposé avec son habituelle concision au haut de la pre-
mière page du manuscrit de la Symphonie pastorale : « Peinture de sentiments et non
de sensations. » (Cf. l'article publié par mon ami T. de Wyzewa dans la livraison du
15 septembre 1889 de la Revue des Deux Mondes, article intitulé : « Beethoven », mais
qui n'étudie que la jeunesse du divin Maître, de 1770 à 1780, je crois ; c'est, à mon
avis, la meilleure étude, surtout la plus musicalement intelligente qui ait paru (en fran-
çais) sur ce sujet.)
Pour ne pas quitter Beethoven, quand espérez-vous pouvoir donner l'op. 130 ou
131, ou tout autre des Quatuors Suprêmes, avec le Quintette de César Faanck?
Vous m'avez promis une audition de ces œuvres aimées ; je vous rappelle votre pro-
messe.
(i) Première étude symphonique, exécutée pour la première fois le 15 avril 1890, au Concet-t dé l'Ecole
de musique de Verviers, sous la direction de M. Kéfer, à lui dédiée.
-84-
Vous recevrez par ce courrier un manuscrit qui vous paraîtra sans aucun doute
d'une longueur déraisonnable. Excusez-moi et pour sa longueur et pour la liberté que
j'ai prise de vous dédier ma première œuvre orchestrale ; mais j'ai cru que cette dédi-
cace vous revenait de droit, pour toute la bonté que vous m'avez déjà témoignée, et
aussi parce que cette Etude Symphonique est, de tout ce que j'ai barbouillé jusqu'ici,
la seule chose dont je sois réellement content. Depuis le mois de novembre j'y tra-
vaille. Pour la dernière partie (5 ou 6 dernières pages de la partition), je l'ai bien recom-
mencée six ou sept fois, et n'ai gardé en dernier lieu que la version qui m'a paru la
plus précise et la plus concise.
Je vous prierai donc simplement de lire, dès que vous en aurez le temps, cet
essai pour orchestre et de me dire sincèrement ce que vous en pensez. Vous remar-
querez que dans la première moitié, je fais changer de ton à mes trompettes, pour les
garder en fa. C'est une faute, je le sais, j'aurais dû les écrire en fa d'un bout à l'autre ;
cela serait facile à corriger, mais je crois qu'à l'exécution, cela ne créera aucune diffi-
culté nouvelle.
Je m'arrête ; je ne vous tiendrai que trop longtemps par mon envoi musical ;
si je vous fatiguais par une de ces lettres de quinze pages dont je garde le déplorable
secret, vous m'en voudriez éternellement, et éternellement j'en demeurerais inconso-
lable.
Votre ami, G. LEKEU.
Paris i^'' février 1890.
... Je ne puis que souscrire aveuglément à tout ce que vous me dites touchant
Vincent d'Indy. Je viens de passer un mois à être malade, et cela m'a empêché d'aller
à la Société Nationale où Franck doit me présenter au jeune maitre, au si parfait mu-
sicien que vous comprenez si pleinement, et je vous avoue que des bouffées d'orgueil
me montent au cerveau quand je me prends à songer au bonheur qui m'est échu de
travailler sous la direction du génie qui a si parfaitement développé les extraordinaires
qualités de Vincent d'Indy.
Je sors à l'instant de chez mon admirable maître, qui, pendant une demi-heure,
m'a bombardé de compliments sur les quatre premières pages (tout ce que j'ai écrit
depuis un mois !) d'un trio pour piano, violon et violoncelle. — Mais passons. J'ai
donc causé avec lui : sa symphonie vient de paraître chez Hamelle en grande par-
tition d'orchestre. Pour le Quatuor, on ne l'aura pas avant mai ou juin prochain : il
ne sera joué à la Nationale qu'en avril.
J'ai parlé du beau concert que vous prépariez, et il en a eu, vous le pouvez aisé-
ment croire, la joie la plus vive. Je lui ai enfin demandé son opinion sur la Musique
à programme et voici franchement sa réponse :
« Que la musique soit descriptive, c'est-à-dire s'attarde à éveiller l'idée d'une
donnée matérielle, ou qu'elle se borne simplement à traduire un état purement interne
et exclusivement psychologique, peu importe ! Il faut seulement que l'œuvre soit mu-
sicale et avant tout émotionnelle. »
Je ne sais ce que vous penserez de cette opinion, parfaitement raisonnable d'ail-
leurs ; mais, pour vous donner franchement mon avis, il m'a paru que le maître
Franck n'avait pas souvent, ni sûrement réfléchi à ce problème qui, pour moi, mal
résolu, a égaré Berlioz, et qui, pourtant, ne me parait pas dune difficulté insur-
montable.
Quoiqu'il en soit, je préférerai toujours la moindre page du Qiiintette, du premier
Trio, de la Symphonie, du quatuor de Franck, à ses Djinns, encore que l'expression y
-85 -
soit, en bien des endroits, merveilleusement musicale. — Jene sais si vous serez satis-
fait de ces renseignements, mais je me suis borné à être un consciencieux et fidèle
rapporteur de la parole de mon maître.
Et maintenant, cher Monsieur, puisqu'il me faut vous parler de moi, je vous
prierai, bien sincèrement de me dire si vous croyez que l'œuvre que je vous ai dédiée
mérite ces études et une exécution publique. Je voudrais parler de tout cela avec
vous ; malheureusement nous sommes un peu trop éloignés l'un de l'autre. Que si
toutefois vous jugez ce travail assez intéressant pour mériter une telle récompense, je
crois que je pourrai prendre pour moi tout au moins une partie des frais de copie. —
Mais dites-moi bien franchement ce que vous en pensez, car je suis très jeune, et
jamais, à vingt ans, on n'a le bonheur de rencontrer un ami si complaisamment dé-
voué que vous l'êtes : c'est vous dire qu'il ne me serait nullement pénible, même
après les nouvelles si heureusement imprévues que vous me faites parvenir, d'atten-
dre encore quelque temps, quelques années même, avant de me faire connaître. Je
dois me mûrir avant tout.
(À suivre).
L'ÉCOLE DES AMATEURS
PAR
Jean d'UDINE
VII
Les Synesthésies
22 janvier 1906.
Je ne vous ai pas écrit depuis plusieurs semaines, les fêtes du premier de l'an
ayant désorganisé ma vie régulière d'étudiant. Mes parents sont venus passer
quelques jours près de moi et j'en ai profité pour aller avec ma sœur entendre beau-
coup de musique, soit au théâtre, soit au concert. Nous avons pris un grand plaisir
d'art à écouter ensemble des œuvres de toutes sortes et un grand plaisir intellectuel à
en causer ensuite. Vous voyez, mon cher oncle, si je deviens votre disciple !... J'ai lu
et relu plusieurs fois votre dernière lettre, qui me prêchait le sensualisme artistique et,
cette fois, je commence pour tout de bon à ne voir dans vos paradoxes apparents que
l'expression d'une sensibilité ardente et personnelle, mais très raisonnable en somme,
et dépourvue de cette sorte d'hypocrisie idéaliste, dont on enveloppe systématiquement
certaines émotions, sous prétexte de les ennoblir.
Quelques points cependant me chiffonnent encore un peu. Celui-ci notam-
ment.
Selon vous la part vraiment artistique de toute œuvre, musique ou peinture,
réside exclusivement dans les phénomènes matériels, rythmes ou sons, lignes ou
couleurs, de ces œuvres. Or si j'interroge loyalement les impressions que j'éprouve
au concert (pour m'en tenir au seul domaine des arts acoustiques), chaque fois que
j'ai eu du plaisir, l'émotion musicale éprouvée, sous l'influence des sonorités de la voix
ou de l'orchestre, a toujours été accompagnée de visions d'un autre ordre ; j'ai pensé
à des couleurs, à des parfums, j'ai imaginé des paysages, des danses, j'ai songé à des
— 86 —
architectures de tel ou tel style. Mon ami Ludovic et le frère des jeunes métamusî-
ciennes s'indignent fort quand, après une symphonie ou une sonate, je leur dis les
images que ces pièces ont éveillées dans mon esprit. « Quelle rage, s'écrient-ils
de chercher toutes ces formes, tous ces mouvements, toute cette transcription
plastique des harmonies ou des mélodies, au lieu de jouir simplement de leur musi-
calité ! »
Je sais que ce dernier mot vous fait bondir. Mais, au fond, vous devez être de
leur avis, puisque vous ne voulez pas que les idées exprimées dans les œuvres d'art
participent à l'essence de l'émotion esthétique. Et cependant, au début de notre cor-
respondance, vous m'avez écrit que puisque en entendant un quatuor de Beethoven
je croyais voir « des mouvements énergiques, faisant surgir divers spectacles dans
mon imagination, » vous trouviez que, pour une première séance de musique de
chambre, je n'étais pas un trop mauvais auditeur.
Alors je ne vois pas comment concilier ces deux principes : « la musique et la
peinture ne sont artistiques qu'en tant que groupements de sons et de couleurs, et à
proportion des impressions physiques agréables qu'elles nous procurent ; » et « l'on est
sensible à la musique dès l'instant qu'elle éveille en notre esprit des impressions extra-
sonores ? » Vous ai-je mal compris dans l'un des cas, ou bien estimez-vous que ces
deux points de vue ne sont point contradictoires ?
De gr^ce, une fois encore, tirez votre neveu de l'incertitude !
Paris, le 25 janvier.
Mon bel ami, nous sommes restés un peu trop longtemps sans nous écrire, et je
t'avoue franchement que je reprends aujourd'hui la plume avec un médiocre enthou-
siasme, parce que je sens que je vais laisser des lacunes dans mon argumentation ou
l'encombrer de redites inutiles. Essayons pourtant de renouer le fil rompu de notre
duelépistolaire, et puisse la nouvelle année nous mettre tout à fait d'accord.
Tu admets donc, avec moi, que la part artistique de la musique et de la peinture
ce sont bien les sons et les couleurs. J'ai un peu oublié comment j'ai pu te convaincre
de ce point capital. Pour le moment tenons-le pour démontré, quitte à y revenir plus
tard, La musique et la peinture peuvent servir et servent en effet très fréquemment à
exprimer des idées ou à célébrer des croyances, mais ne sont pas artistiques à raison
de la nature ou de l'élévation de ces idées et de ces croyances. Une œuvre purement
décorative peut être aussi belle qu'un tableau religieux. Un netzké du Japon, un son-
net d'Hérédia, un menuet de Mozart ne sont pas moins beaux respectivement qu'une
fresque de Fra Angelico, que les Psaumes de la Pénitence ou que les « Béatitudes »de
Franck. Voilà qui est provisoirement convenu. Tu t'étonnes cependant de ressentir à
l'audition de toute musique des impressions extra-musicales, visions colorées ou
images motrices, peut-être même sensations olfactives ou sapides, qui ne paraissent
se rattacher par aucun lien réel aux sonorités en jeu. 11 me suffirait pour te rassurer,
mon cher neveu, de te faire observer que des sensations suggérées ou des idées exprimée^
sont choses tout à fait différentes, et que, par conséquent si la valeur artistique d'une
œuvre demeure absolument indépendante des idées qu'elle exprime, elle peut fprt
bien, îiu contraire, se mesurer à l'intensité des sensations qu'elle suggère.
Mais je tiens à étudier plus longuement avec toi le second terme du problènie et je
pose tout de suite ce principe : une œuvre musicale est artistique à raison du nombre, de
lO; variété et de l'intensité des sensations non sonores qu éveille en nous son audition. Tu ver-
rais bientôt comment et pourquoi je comprends les émotions sentimentales elles-niênie?
m
«87-
dans les sensations non sonores. De ce principe je tire comrne corollaire qu'on ne peut
parler congrûment d'un art qu'avec des termes empruntés aux autres arts.
Cette évocation de sensations non sonores au moyen de sons, se rattache à la
catégorie de phénomènes connus par les psychophysiciens sous le nom de synesthésies.
L,a synesthésie est le ressort primordial de l'émotion artistique et, pour bien l'étudier,
il convient de l'examiner d'abord sous sa forme la plus simple.
Etymolpgiquement synesthésie veut dire sensations associées. Trouver le son de la
clarinette jaune d'or, ou le ton de ré bémol bleu d'outremer, attribuer à l'odeur du
réséda le timbre de la flûte, assimiler au goût de la mangue la dissonance de quinte
augmentée, voilà autant de synesthésies. Si nous faisions de la psychologie nous
pourrions examiner si ces synesthésies sont morbides ou non. Je te montrerais la très
jyste différence que M. Victor Ségalen établit entre les synesthésies maladives qui
ont le caractère fatal d'une hallucination et celles qui n'ont qu'une valeur d'analogie et
sont une façon artistique de s'exprimer. Enfin je pourrais t'exposer la très originale
hypothèse que formait sur leur origine objective le docteur Louis Laurent, dont je t§
parlais dernièrement, et qui est mort depuis, au retour d'une campagne coloniale,
laissant inachevés ses intéressants travaux de psychologie. Un jour ou l'autre j'ejxpoT
ser^i cette hypothèse qu'il n'a, je crois bien, écrite nulle part et qui est extrêmement
ingénieuse.., Mais tout ceci n'est que le point de départ rudimentaire de l'émotion
artistique, et n'est guère artistique en soi. Les anciens y attachaient peu d'importance
et il a fallu la subtilité moderne pour s'attarder à noter ces « correspondances >>
chantées par Baudelaire. Huysmans est le maître du genre, et son livre 4 Rehours
demeure la bible de la synesthésie brute. Des Esseintes, le héros de ce roman, çrgote
à perte de vue sur la couleur des rubans qu'il convient d'attacher à la reliure de tei
livre de Mallarmé, et invente un « Orgue à bouche», qui témoigne, dans cette sorte
de transpositions arbitraires, d'une subtilité merveilleuse. Je n'ai pas l'ouvrage sous la
main, mais, de mémoire, je puis te citer sûrement la composition du quatuor, dans
cet orchestrercabaret : comme violons les cognacs au tinibre asexué et neutre, comme
altos les rhums de sonorité plus âpre, pour basse le vespétro « long et déchirant
comme un soupir de violoncelle » — ça, c'est une merveille ! — et pour contrebasse
le vigoureux arôme des kurnmels. Depuis on a continué ces exercices. Claudine,
nièce rprale de des Esseintes, ne mange probablement pas les crayons bleus, l'encre
et le papier buvard pour la saveur propre de ces substances, mais comme évocateurs
de sensations plus subtiles : elle pratique la synesthésie. Et quand Marius-Ary Le^
blond écrivit naguère l'histoire de cette jeune femme qui veut donner son cœur à celui
de ses prétendants capable de deviner, parmi ses robes de diverses couleurs, laquelle
lui plait davantage, il jouait également de la synesthésie.
Au-dessus de ces associations simplistes où, de part et d'autre, il n'y a guère
qu'un seul terme, qu'une seule impression enjeu, se classe, suivant la loi universelle
de l'évolution, une série complète et indéfinie de sensations associées de plus en plus
complexes. L'art consiste presque uniquement à provoquer de ces correspondances
mystérieuses,
{1 y a des cas où cela ne semble pas doqteux. Quand un musicien intitula un<?
pièce de piano Coucher de Soleil ou Clair de Lune, personne ne mçt en doute son jn-s
tention d'évoquer par certaines analogies, au rnoyen de certains groupements de sons,
le spectacle mélancolique ou grandiose du crépuscule ou de la nuit lumineuse. Et tes
amis ne se moqueront pas de toi si tu affirmes l'efficacité descriptiye de ces morceauîç,
en constatant l'intensité des visions picturales qu'ils te procurèrent, Quand pn con-
sidère d'autres formes musicales, celles qu'on est convenu d'appeler pures, ^^r- par
purisme, •'— ou quç l'on renionte anx vieux maîtres, la synesthésie est moins appa-
— 88 —
rente et pourtant elle est plus directe encore, mais c'est, en ce cas, une synesthésie
tellement naturelle et nécessaire qu'on ne songe même plus à la constater : la synes-
thésie sons-mmivements . Les mouvements humains, les gestes qui sont à l'origine de
toute musique possèdent avec elle un élément commun : le rythme; et c'est pourquoi
rendre des mouvements par des sons a été le but constant et presque unique de la
musique à ses débuts. On a traduit, soit par le chant vocal, soit par le chant instru-
mental, les rythmes de la marche, de la course, du galop des cavaliers, la manœuvre
des avirons ou le halage des barques, le long des grands fleuves, tous les actes de la
vie, en un mot, et surtout ce mouvement décoratif et passionné cher à l'humanité
impulsive : la danse ! Née de la danse, toute musique est forcément chorégique, et
toute symphonie est avant tout la synesthésie de gestes lyriques.
Les enfants le savent bien, qui dansent spontanément à la musique militaire ; Isa-
dora Duncan recompose cette synesthésie amputée de l'un de ses termes, en dansant
des Nocturnes de Chopin et des Sonates de Beethoven, et c'est également le secret
des capellmeisters à la forte mimique, MM. Winogradski et Weingaertner par
exemple, que Ricciotto Canudo, ingénieux eXalté, qualifie justement de danseurs d'or-
chestre.
Ces danseurs ne dansent pas seulement des rythmes, comme on le fait dans nos
bals stupides et agonisants, ils dansent tous les éléments de la musique, la mélodie
avec tous ses accidents, les modulations, les harmonies elles-mêmes, et c'est une sy-
nesthésie complète. Lorsque nous disons qu'une musique est juste d'expression, cela
revient précisément à constater qu'elle est parfaitement synesthésique, qu'elle évoque
avec vivacité certains mouvements, qu'elle représente certains gestes avec bonheur.
Méhul qui, dans sa jeunesse a connu Gluck, raconte qu'il l'a vu danser ses ballets et
jouer, avec des chaises pour partenaires, les scènes de ses opéras quand il compo-
sait, afin de trouver les inflexions capables de traduire le mieux le texte du li-
brettiste.
Quand une musique n'exprime pas des actes, mais des émotions, lorsqu'elle est
pathétique et non descriptive, elle repose encore sur cette même sorte de synesthésie.
Je l'ai déjà dit quelque part : « On ne peut exprimer un sentiment qu'en peignant les
mouvements et les attitudes dont il s'accompagne d'ordinaire. Peindre symphonique-
ment ou mélodiquement l'amour, la valeur guerrière, l'abattement moral, ce n'est en
somme, rien autre chose que traduire en sons des gestes amoureux, guerriers ou abat-
tus. » Je me rappelle avoir été frappé très vivement de ceci, certain jour où je vis pour
la première fois l'un des compositeurs modernes les mieux doués, le plus lyrique de tous
à coup sûr. Il faisait répéter à une jeune fiUe un air d'opéra quelconque, un air de
Mireille, si j'ai bonne mémoire. Je n'oublierai jamais de quels mouvements expressifs il
appuyait ses indications, combien il mimait les phrases de la mélodie, purement sen-
timentales cependant, serrant le bout des doigts, comme pour tenir une fleur et l'éle-
ver lentement vers le ciel, en offrande virginale. C'était exquis de simplicité un peu
emphatique. Toutes les nuances de la musique se trouvaient traduites dans ce geste et
je devinai que ce compositeur lui-même, quand il écrit sa musique sensible et passion-
née, doit se la représenter d'abord sous cette forme motrice d'une touchante et naïve
sincérité... Je me souviens aussi d'une caricature de Caran d'Ache où, tout petit sur
une cime énorme, un émule d'Hugo, courant après l'inspiration, ouvre vers le
ciel des bras épiques et ridicules. Ces grands gestes ne sont pas une condition sufiî-
sante du génie artistique, je me demande s'ils n'en sont pas une condition nécessaire.
Je ne dis point qu'il soit indispensable au créateur ou à l'auditeur artiste de les réaliser
extérieurement, s'il veut saisir les mystérieux rapports qui nous lient au monde
sensible, mais il doit sûrement se les représenter dans son cœur. Pour parler un lan-
— 8q —
gage moins poétique, je crois que tout véritable artiste possède au plus haut degré ce
que M. Pierre Bonnier appelle « le sens interne des attitudes ■». Il faut pouvoir rame-
ner à des mouvements les phénomènes sensibles, si l'on veut les reconstituer ensuite.
Le peintre qui construit avec le pouce des tableaux imaginaires dans l'espace, le musi-
cien qui trace en l'air la courbe idéale d'un chant, obéissent à des réflexes profonds et
sûrs, à la loi souveraine des synesthésies.
Comment la musique en est venue à ne plus se contenter de synesthésies sons-
mouvements et à chercher peu à peu les synesthésies sons-couleurs, et même sons-
parfums et sons-saveurs, comment les raffinements de timbre correspondent d'une
manière tout à fait objective aux raffinements de la polychromie, comment il est faux
de dire, ainsi que le fait M. Max Nordau, que les progrès des synesthésies artistiques
soient la marque d'une décadence et d'une régression physiologique vers l'époque où
les êtres doués d'organes moins spécialisés discernaient en moins grand nombre les
cantons sensoriels, tout ceci serait trop long à t'expliquer. D'ailleurs tu n'es pas com-
positeur et ces démonstrations ne t'intéresseraient qu'à demi. Je puis donc passer
outre, non sans te prévenir toutefois contre une erreur fâcheuse dans laquelle tombent
beaucoup de théoriciens lorsqu'ils pratiquent personnellement un art. Par l'analyse on
arrive, en effet, à se convaincre sans peine que les groupements artistiques de lignes,
de couleurs ou de sons traduisent en quelque sorte des sensations d'autres ordres.
De là il n'y a souvent qu'un pas à prétendre opérer systématiquement de telles tra-
ductions et obtenir mécaniquement de beHes impressions dans un art en traduisant
littéralement de belles impressions d'un autre art. Que l'on puisse s'inspirer d'un
tableau pour écrire une symphonie, et d'une symphonie pour peindre un tableau,
rien de mieux, et l'on ne fait guère autre chose, que de telles transpositions, quand
on est inspiré. Mais c'est un sophisme que d'entreprendre des versions « littérales et
juxtalinéaires » comme nous disions au collège. J'ai entendu parler d'un monsieur qui
mettait en vitraux les mélodies de Schubert, je connais un orfèvre qui vous présente
des broches comme étant des secondes majeures, et des bracelets comme des accords
de sixte et quarte, et nous avons maintenant un musicien qui met en symphonies des
tableaux et des fresques, personnage par personnage. Les rapports d'art à art ne
peuvent être que des rapports de sensation à sensation, non des rapports de forme à
forme ; il y faut l'intermédiaire du sujet sensible. Si je veux traduire en broderie un
intervalle d'octave, je puis essayer de représenter, par le choix des laines colorées, ou
du dessin, l'impression de calme et de repos que nous donne cette consonnance par-
faite. Il serait stupide de prétendre la représenter par la courbe lumineuse en forme
de 8 que projettent sur un écran deux diapasons munis de miroirs et vibrant per-
pendiculairement l'un à l'autre. Autant donner tout de suite cet intervalle musical
pour leitmotiv à un personnage d'opéra qui s'appellerait Octave.
Ne t'attarde donc point aux synesthésies purement verbales des esprits dogmati-
ques, non plus qu'aux synesthésies élémentaires de des Esseintes et des décadents. Ce
ne sont que jeux futiles. Mais n'aie pas peur de t'abandonner aux synesthésies com-
plexes et inanalysables que ton instinct infaillible te dicte en présence des œuvres
d'art ! N'aie pas peur de goûter la musique en peintre, et la peinture en musicien !
C'est la vraie manière de les savourer. Ne te confine pas dans l'amour d'un seul art.
Réjouis-toi que tout en ce monde s'enchaîne par des liens mystérieux tellement innom-
brables qu'un homme vibre tout entier quand vibre une seule de ses cordes sensibles !
Et sois bien persuadé que cet instinct synesthésique est encore le guide le plus sûr de
notre sensibilité.
L'autre soir Mme Landowska, l'exquise et intelligente artiste que je te citais dans
ma dernière lettre, jouait en ma présence l'andante du Concerto en mi bémol majeur de
— go
Mozart, j'écoutais avec une émotion profonde cette page adorable, toute pleine d'une
joie grave mais infinie, recueillie et chastement voluptueuse, et, tout à coup, sentant
autour de moi comme une nuit douce et tiède, « une ombre solennelle, auguste et
nuptiale » je connus l'intime parenté de cette œuvre avec la Nuit de la Saint-Jean d'été
des Maîtres-Chanteurs. A l'affirmation de cette parenté imprévue l'examen des formes
dit : non! ma sensibilité synesthésique dit : oui. C'est elle, mon petit, qui a raison
par rapport à moi. Ceci j'en suis sûr ; et, en art, c'est la seule certitude qui m'inté-
resse, parce que c'est la seule qui fasse monter à mes paupières les larmes d'un émoi
divin !...
Jean d'UDINE.
L'ÉTOILE
Nous sommes heureux de publier, avec l'autorisation de l'éditeur Victor Havard et O^,
le début d'un des chapitres de L'Etoile, le beau et émouvant roman de notre collaborateur
Victor Dehay, qui est appelé à remporter auprès des amis de la musique le même succès
que Z'Amie Suprême.
Lorsque les solides garçons de la maison Erard ouvrirent les battants de la porte
de l'estrade du grand salon devant Mme Saliiaux-Reccini, il y avait déjà trente bonnes
minutes de retard sur l'heure annoncée. La pianiste n'avait désiré commencer qu'en
présence de tout son monde. Cependant elle constata de nombreux vides. Son sourire
à l'assistance dissimula l'ennui qu'elle en concevait. Les galeries étaient remplies par
la clientèle habituelle des organisateurs de concerts. Les noms d'Anna Le Cozan, de
l'Opéra-Comique, et de Maurice Fombreuse, imprimés en petits carrctères sur les
billets d'invitation au-dessous de celui plus apparent et très inconnu de Mme Saliiaux-
Reccini, leur promettaient un régal qui n'était pas leur ordinaire. Les fauteuils au fond
du parquet, donnés aux amis et connaissances, étaient à peu près tous occupés. Mais,
aux belles places, des rangs entiers laissaient voir le velours rouge des sièges. Les
gens riches, que des services rendus à leur soirée avaient obligés à prendre quelques
billets à vingt francs, ne montraient pas le même empressement que le public gratuit.
L'impression première fut fâcheuse pour Mme Saliiaux-Reccini.
Elle s'avança vers le piano, tandis que ses amis par des applaudissements dis-
crets saluaient son entrée. Dans la toilette à falbalas, traîne opulente, dentelles, plis-
sés, guipures, petits nœuds, pour laquelle elle avait voulu qu'on ne négligeât ni
l'étoffe ni les fournitures, on reconnaissait à peine la maîtresse de piano qui, du matin
au soir, courait les leçons en petite robe retroussée de trottin, coiffée d'un chapeau de
feutre mou dont une voilette féminisait la forme masculine, toujours pressée, qu'on
ne voyait guère en corsage clair et demi décolleté sur sa poitrine sèche, que lors-
qu'elle accompagnait dans les salons et les concerts quelque chanteur ou instrumen-
tiste et surtout Mlle Le Cozan qui rendait justice à ses précieuses qualités musicales.
Mme Saliiaux-Reccini pour cette manifestation de virtuose avait fait comme la chry-
salide en devenant papillon. Elle avait déchiré sa modeste carapace et s'était épanouie,
toutes voiles dehors.
A mesure qu'elle approchait du piano, elle était prise de vertige devant le gouffre
de la salle. Les jambes lui fléchissaient sous le corps. Quand elle s'assit sur le tabou-
ret, elle eut la sensation qu'on lui fauchait les genoux. De plus, son corsage neuf la
serrait, et elle eut peur d'être gênée dans ses mouvements par les longues dentelles
de ses manches à la juive qui balaieraient le clavier. Des craintes puériles l'envahis-
— 91 —
saient. Le trac allait-il encore s'emparer d'elle ? Elle eut le regret subit d'avoir cédé
à un mouvement d'orgueil en donnant ce concert qu'elle ne se sentait plus la force
de mener jusqu'au bout. Si elle allait manquer de mémoire! Si ses doigts se rai-
dissaient! Elle s'affolait de soudaines et sourdes inquiétudes d'entrailles. Elle
enviait la foule de braves gens qui à cette même heure étaient assis tranquille-
ment en leur foyer ou couchés dans un bon lit, sans autre préoccupation que de
dormir tout leur soûl. Etaient-ils heureux ! Elle pensa à fuir. Heureusement cela ne
dura qu'un éclair de temps, mais ce fut presque douloureux. Enfin elle se décida,
comme on se jette à l'eau d'un navire qui naufrage. Elle sécha ses mains à un mou-
choir qu'elle posa à sa droite près du pupitre abaissé, donna un coup d'oeil vers les
derniers rangs des fauteuils où des amis et des élèves lui souriaient, et commença
la grande Fantaisie avec Fugue en sol mineur de Jean-Sébastien Bach. Sous ses doigts
tremblants les touches semblèrent s'amollir, et le son dans la salle parut cotonneux à
ses oreilles bourdonnantes. Comme la machine était montée, JVlme Salliaux continua.
Elle évitait de regarder en face d'elle, dans la loge de la famille, son mari qu'elle aper-
cevait au milieu de l'angle formé par la caisse du piano à queue et le couvercle levé.
Il avait si piteuse figure en comptant les vides des premiers rangs, qu'il eût enlevé à
la pianiste le peu qui lui restait de courage. Elle s'obstinait à fixer le clavier sur lequel
ses doigts nerveux reprenaient de l'assurance. Les arpèges s'envolaient maintenant dans
un mouvement dont elle était maîtresse, et, quand arriva la fugue, elle la mena dans
un bon rythme rigoureux qui permit aux motifs de s'exposer clairement et d'af-
firmer leur rentrée nécessaire au milieu de la polyphonie dont chaque chant demeura
bien distinct. L'exécution s'acheva par un crescendo savamment gradué qui provoqua
de vifs applaudissements, quoique la majeure partie de l'assistance eût baillé aux cor-
neilles pendant cette somptueuse et abondante musique qui exige une attention médi-
tative et de la culture musicale. Pour beaucoup d'auditeurs l'accord final^sonnait la dé-
livrance, et ils en témoignaient bruyamment leur satisfaction.
Mme SaUiaux-Reccini salua, resalua et souffla, pendant que s'engouffrait un Ilot
de retardataires qu'il fallut placer. Cela demanda quelques minutes. Il restait toujours
beaucoup de fauteuils inoccupés. Ses belles relations, et particulièrement la comtesse
de Rudennis, ne l'entendraient pas dans la sonate en ut diè:(e mineur [Clair de lune)
de Beethoven. Elle dut commencer, le cœur navré, ce qui ne contribua pas peu à
donner à l'interprétation de l'adagio sostcnuto la mélancolie qui lui convient. Mme Sal-
liaux-Reccini se rencontrait avec Beethoven pour exprimer les amertumes de la désil-
lusion. Elle savait accommoder à sa mesure les sentiments grandioses du génie. Le
public fut satisfait. On entra encore pendant les bravos. L'arrivée de quelques per-
sonnes dont elle escomptait la présence, lui apporta du réconfort pour l'allégretto
qu'elle conduisit joyeusement. On applaudit derechef, et le garçon en profita pour in-
troduire une nouvelle fournée de personnes. C'était maintenant le presto agitato où elle
allait déployer l'agilité de ses doigts. Mme SaUiaux-Reccini s'assura que l'ordre
était rétabli dans la salle, et le garçon ferma la porte, contre la vitre de laquelle elle
vit s'arrêter, obéissant à la consigne, la comtesse de Rudennis suivie d'un cortège
de jolies madames. Elle retint l'élan de ses mains prêtes à frapper l'accord,
mais le garçon laissa close la porte impitoyablement. Mme de Rudennis n'al-
lait entendre le presto qu'à travers la glace. Faire des signes au garçon était
impossible. Envoyer M. Salliaux qui regardait sans comprendre, c'était dépê-
cher un maladroit. Force lui fut donc de s'exécuter. Elle partit d'un train d'enfer
que sa mauvaise humeur ne lui permit pas de modérer. Ses doigts tricotaient,
entraînés par la routine, tandis que son esprit demeurait tout à sa contrariété. Quel-
ques fausses notes et des traits sans netteté augmentèrent sa nervosité. Le trac qui la
— 92 —
guettait s'empara d'elle. A la fin de la reprise, elle ne se souvint plus de l'accord d'ut
dièze majeur et recommença les arpèges du mineur, jouant ainsi trois fois de suite le
début de Vallegro. Dès lors elle perdit la tête. Enfermée dans ce cercle, elle en sortit
comme elle put, par un saut d'une trentaine de mesures. Mme Salliaux poussa un sou-
pir de soulagement, quand elle fut au bout de la sonate et de son martyre. Elle quitta
la salle comme une affolée, suivie par sa traîne à laquelle la précipitation de ses petits
pas imprimait un mouvement désordonné de ^(7«c/;^-Jro//^ qui balayait l'estrade. Des
amis la rappelèrent, elle revint et vit que les premiers rangs étaient garnis et qu'une
foule se pressait dans l'allée centrale. On arrivait pour Anna Le Cozan. D'un ton un
peu pincé elle dit à la cantatrice :
— C'est maintenant plein comme un œuf pour vous applaudir.
LES Gi^iin'ûs eoncEiî^s
Concerts Colonne et Liamoureux
De nouvelles auditions de la Damnation de Faust ont occupé au Châtelet et à la
Rue Blanche, la matinée du 15 janvier. Le dimanche suivant M. Chevillard nous offrait
une suite symphonique de M. Coquard : En Norwège et un Concerto de violon de Sin-
ding, interprété par M. Johannès Wolff. Retenu au coin du quai par l'œuvre nouvelle
de M. Enesco, j'arrivai trop tard malheureusement pour entendre le premier de ces ou-
vrages, dont on a célébré partout le caractère pittoresque et le sentiment de fine poé-
sie, et heureusement pour subir les ébats de la virtuosité triomphante. La Faust-Sym-
phonie de Liszt terminait la séance. Si remarquable que soit l'orchestration de cette
œuvre, l'insignifiance de ses thèmes (comparez l'admirable thème d'Antar avec celui
de Faust !) et leurs interminables développements l'emportent à mes yeux» dans la ba-
lance de l'ennui, sur ses qualités de structure. Mon esprit se refuse à suivre les aspira-
tions de Faust et les rêveries de Gretchen, même interprétées avec les soins minu-
tieux qu'on y apporte au Nouveau-Théâtre. J'ai sans doute l'âme trop germanique
pour me plaire à ces contemplations intérieures, car je vois force musiciens excellents
férus de ce poème symphonique, sans compter notre ami Calvocoressi, auteur de la
très belle biographie de Lis:(t récemment parue dans la collection des « Grands
Musiciens » et qui montre pour les grandes œuvres du maître une tendresse si éclairée
et si chaleureuse 1
Quand je songe aux divergences d'opinions qui peuvent se produire sur des ou-
vrages déjà anciens et généralement admirés comme celui-ci, je me refuse de plus en
plus à « juger» les productions nouvelles, et ne conçois pas au nom de quel principe
mystérieux on se permet d'attribuer à ses impressions une valeur objective... Ce que
j'en dis c'est à propos de la symphonie de M. Enesco, très importante et très savam-
ment construite, donnée avec beaucoup de flamme et de conviction par M. Colonne, à
son concert du 21 janvier. Personnellement je n'aime guère cette œuvre, dont la fou-
gue indéniable et le lyrisme plus dramatique que symphonique auraient dû me sé-
duire, mais où je ne perçois nettement ni une individualité libre, ni une grande ri-
chesse thématique. Seule la première partie du mouvement lent m'a vivement
charmé par sa grâce très fine et son émotion sincère. Mais elle tourne bientôt au
wagnérisme absolu, une atmosphère tristanesque y dominant toute autre inspiration.
Les deux autres parties étouffent, sous un abus de sons et de polyphonie, les idées
qui cherchent à s'y épanouir et c'est toujours, à mon sens, la grande erreur de notre
-^sii
— 93 -
époque de vouloir étonner par l'habileté de la forme, au lieu de charmer par la justesse
et l'individualité de l'inspiration...
Au risque de passer pour monomane, je ne cesserai de répéter que mon souhait
le plus ardent à tous les jeunes musiciens, souvent si bien doués, c'est qu'ils sachent
moins, beaucoup moins de choses, et qu'ils laissent chanter leur cœur, naïvement,
simplement, sans aucune préoccupation de « métier ». En certains endroits j'ai cru
deviner ce que serait M. Enesco libéré de son talent. L'usage très fréquent des pizzi-
cati, quelques mesures charmantes de valse lente, dans le premier mouvement je
crois, l'élan même de l'ensemble, tout démontre quel beau tempérament spontané,
quelle ardente couleur, quelles trouvailles distingueraient cet auteur, s'il osait être
lui-même, c'est-à-dire écrire moins bien. L'écriture, cette infernale écriture qui a égaré
des hommes comme Flaubert et les Concourt, pauvres forçats du verbe, on en est à
peu près revenu, fort heureusement, dans les lettres. Puisse-t-on en revenir bientôt
dans la musique, où elle paralyse les audaces et ankylose l'inspiration !
Jean d'UDlNE.
Concerts du Conservatoire
Je me bornerai à consigner ici quelques notes brèves, espérant que M. Locard
reviendra sur ce programme, dès que l'indisposition qui le tient momentanément
éloigné de nous, le lui permettra.
La Symphonie en si bémol de Beethoven fut bien exécutée surtout V Adagio et le
Scherzo où la précision la plus parfaite n'enleva ni le moelleux, ni l'esprit, ni l'expres-
sion en un mot, qui conviennent à ces belles pages. JVl. Pablo Casais interpréta mer-
veilleusement le Concerto pour violoncelle de Schumann, phrasant l'adagio avec une
expression rêveuse de la plus intense poésie. Ce Concerto, d'un intérêt médiocre, a pris,
grâce à M. Casais, la proportion d'une œuvre profonde.
La première audition de la Belle au bois dormant de Georges Hue a été bien ac-
cueillie, surtout les deux morceaux intitulés le Rouet et YOiseau bleu où MM. Henne-
bains et Bleuzet firent applaudir leurs jolis talents de flûtiste et de hautboïste. Mais
nous avons eu l'impression que cette œuvre, dans son ensemble, effleurait une cer-
taine monotonie, La musique d'accessoire en principe devient au concert trop essen-
tielle pour suffire à présenter la pensée dans tout son charme. Les chœurs, en conti-
nuels progrès grâce aux dévoués efforts de M. Em. Schwartz, furent entendus dans un
Cantique de Racine , délicieusement orchestré par l'auteur, M. Gabriel Fauré ; enfin
notons une vivante et brillante exécution de l'ouverture du Vaisseau-fantôme qui valut
à l'orchestre et à son vaillant chef, M. Marty, le plus vif succès.
INTÉRIM.
— 94 —
LA QUINZAINE MUSICALE
Les Concerts du Liondon Symphony orchestra
L'orchestre symphonique de Londres est un assez bon orchestre, auquel on pour-
rait surtout reprocher quelque manque de souplesse, et les chœurs de la Ville de Leeds
chantent toujours très juste et vont toujours très en mesure. Leur seul défaut est qu'ils
vont trop en mesure, mesure par mesure, insistent sur chaque temps fort, et ne cons-
truisent point la musique qu'ils chantent en périodes. N'empêche qu'ils sont infiniment
meilleurs que ceux que nous entendons d'ordinaire, ceux du Conservatoire et les Chan-
teurs de Saint-Gervais exceptés.
Quant au programme, il comprenait toute une partie d'un intérêt musical ordinaire:
était-il bien utile de nous faire entendre, dirigées par des chefs français bien connus,
MM. Messager et Colonne, des oeuvres comme le Phaëton de M. Saint-Saëns, l'ouver-
ture des Maîtres-Chanteurs, celle de Benve?tuto Cellinî, voire le DoJi Juan de M.
Strauss ? Il eut été meilleur de nous offrir une interprétation à laquelle eut participé le
chef habituel de l'orchestre anglais — car je suppose que cet orchestre a un chef titu-
laire. C'est d'ailleurs ce qui arriva en ce qui concerne la Neuvième Syynphom'e de
Beethoven. Là il est intéressant de discuter l'exécution, parce que M. Stanford était au
pupitre : je pe puis d'ailleurs pas en faire des éloges excessifs. J'ai trouvé un peu lente,
un peu grise l'interprétation des trois premiers morceaux ; mais la fin, au point de
vue vocal surtout, fut très bien rendue, et ce tant par les chœurs que par les solistes,
Mmes Allen et Brema, MM. Coats et Braun.
Parlons maintenant de la musique anglaise qui fut jouée à ces festivals. Ici encore,
l'intérêt a été tout au plus moyen. Je ne crois pas que la sélection offerte représente
bien exactement l'état actuel de la musique anglaise. Si je ne me trompe, la plupart des
œuvres qu'on nous fit entendre ont été écrites il y a un certain temps déjà — ce qui en
l'espèce est extrêmement important, puisque c'est tout récemment qu'on a recommencé,
en Angleterre, à créer de la musique symphonique.
Ainsi, M. Elgar, le plus illustre des compositeurs anglais, n'a été représenté que
par un extrait d'un de ses moins bons oratorios, le Roi Olaf. Pourquoi ne pas avoir
exécuté des fragments de son Rêve de Gérontius. qui est certainement son œuvre la plus
intéressante?
Elle n'est pas bien riche non plus, la musique des autres compositeurs choisis
pour représenter l'école : elle n'a ni beaucoup d'originalité, ni beaucoup de force. La
moins médiocre des pages qu'on nous offrit — elle était de M. Cowen — ressemble in-
croyablement au scherzo de la Reine Mab de Berlioz; le Benedictus de M. Mackenzie est
assez fade, comme dans un autregenre une Danse de M. Sullivan. De bien discrètes
et toutes « mendelssohniennes qualités, au plus, rehaussent la Symphonie irlandaise
de M. Stanford ou l'Ode Blest pair of Sirens de M. Parr^r ; le Requiem de M. Stanford
est d'une bonne tenue, mais pas très neuf non plus (j'entends parler des fragments
exécutés).
On me trouvera bien modérément enthousiaste : mais je transcris ici mon opinion,
sans l'atténuer comme sans l'exagérer. 11 n'y a d'ailleurs point lieu de se désintéresser
des tentatives de l'école anglaise, au contraire : par le seul fait d'avoir revécu, après une
longue inexistence, cette école affirme des éléments de vitalité : je sais d'ailleurs des
œuvres de jeunes compositeurs anglais qui valent d'être connues. Mais d'une façon gé-
nérale, la génération dont on vient de nous faire connaître la musique est surtout tran-
sitoire, et l'effort en paraît destiné principalement à préparer le terrain du renouveau
qui sans doute est proche.
J'ajouterai cependant (mais ceci nous entraîne bien loin de notre compte rendu) que
les influences les plus dangereuses de toutes, celles de la musique de Brahms, de
Tchaïkowsky et, je crois bien, de M. Richard Strauss, menacent, si l'on n'y prend
garde, de mal orienter l'effort des musiciens anglais :ces trois, en effet, sont, de tous les
-S
:mÊ\
95 —
symphonistes modernes, ceux qui semblent impressionner le plus profondément la géné-
ration anglaise actuelle. Et je crains bien qu'aucun des trois n'ofifre à cette génération
les principes de vie et de force qui lui seraient nécessaires.
M.-D. Calvocoressi
Société Philharmonique
Le sixième concert réunissait les noms de MM. Fritz Kreissler et Mark Hambourg. En-
registrons tout d'abord la profonde admiration qu'excitèrent en nous ces grands artistes.
Nous ne nous souvenons pas d'avoir entendu de violoniste supérieur à M. Fritz Kreissler.
Bien que scrupuleusement sobre son jeu se montre d'une richesse extraordinaire. Les
attaques sont toujours d'une franchise et d'une sûreté impeccables, le coup d'archet
d'une robustesse vigoureuse et aussi d'une délicatesse infinie, le son d'une pureté par-
faite et d'une chaleur enveloppante. Des fragments de la Sonate en si mineur de Bach,
les Chansons Louis XIII et Pavane de Couperin, le Menuet de Porpora, le Prélude et
Allegro en mi mineur de Pugnani furent interprétés tour à tour avec une ampleur ma-
gistrale, une grâce ravissante et une maîtrise supérieure. Ce furent également des
minutes délicieuses que celles où il fit chanter sur son violon, douce et chaude caresse
de pénétrante volupté, la belle Humoresque de Dvorak. Si c'est un enchantement d'en-
tendre M. Fritz Kreissler c'est aussi un plaisir séduisant que de l'observer. Le
visage d'aepect un peu froid s'anime dès les premières mesures d'une vie et d'une
lumière qui le transfigurent. La beauté qui naît de la pure inspiration gagne soudaine-
ment chacun de ses traits, éclaire les yeux d'une flamme ardente, et si nous osions
avouer fidèlement notre impression, nous dirions que par moments M. Kreissler évoqua
l'un de ces jeunes dieux qu'offrent à notre admiration les allégories de certaines frises
grecques. D'autre part, nous avons applaudi la prodigieuse virtuosité et l'étonnante puis-
sance de M. Mark Hambourg. Si nous ne savions que c'est là un dessein arrêté de sa
part, nous contesterions peut-être son interprétation du Prélude et Fugue en ré majeur
de Bach. Le maître de la Fugue semble exiger un style d'où soit absent un excès de
personnalité. Ce parti-pris qui ne paraît pas convenir à Bach devient au contraire une
qualité que M. Mark Hambourg porte au plus haut degré dans l'exécution des autres
œuvres. A la place d'une Gavotte de Rameau inscrite au programme il nous fit en-
tendre la Ballade de Grieg, évitant toute joliesse facile et donnant libre cours à son tem-
pérament emporté et sauvage. La Ballade en fa majeur^ un Nocturne, deux Etudes,
la Polonaise op. 22 de Chopin nous permirent d'admirer cette énergie si personnelle
qui transforme le piano en un véritable orchestre, ce mécanisme incomparable et cette
profonde pénétration musicale qui font de M. Mark Hambourg l'un des plus merveil-
leux pianistes de ce temps. Si son attitude n'éveille pas la même vision que celle de
M. Kreissler, elle rappelle de façon assez saisissante celle du grand Rubinstein dont il
pourrait d'ailleurs se réclamer à d'autres points de vue. — La Sonate en la majeur de
Mozart, sereine, substantielle et pleine de santé, et celle de Beethoven à Kreutzer furent
interprétées par ces deux artistes comme bien l'on pense.
Le concert suivant donné avec le concours de Mme Boyé-Jensen et du Trio de Rot-
terdam fut intéressant quoique sans éclat particulier. Nous ne savons si les bi'umes
du Nord en sont la cause, mais le Trio de Rotterdam semble affectionner une exécution
de demi-teinte favorable sans doute aux impressions légères et délicates mais insuffi-
santes quand il s'agit d'exprimer des sentiments d'un autre ordre. Il nous donna le
Trio en fa 7nineur op. 65 de Dvorak, de couleur poétique et populaire, et le Trio en si
bémol op. rjj de Beethoven au grave et douloureux andante cantabile. MM. Verhey et
Wolff jouèrent la Sonate pour piano et violon, op. 100 de Brahms, d'intérêt médiocre
et ennuyeuse à la longue. Le Trio de Rotterdam se signale par l'unité de son ensemble
et la sobriété de son exécution ; pourtant il gagnerait parfois à se départir d'une
réserve qui peut être à sa place dans une pièce restreinte mais qui satisfait moins aux
exigences d'une salle de concert. Enfin, Mme Boyé-Jensen, accompagnée avec discrétion
et opportunité par M. Olaf Jensen, chanta des lieder de Schubert et de Brahms. Cette
chanteuse ne possède pas une voix très puissante, mais sa grande qualité est d'inter-
préter avec simplicité et une excellente intelligence. D'une expression dramatique et
concentrée elle « dit )) parfois plus qu'elle ne chante les profonds et beaux lieds de Schu-
bert : V Eternel. Scène de Faust, Méphtstophele, la Mort et la Jeune fille qui fut bissée,
et Groupe du Tartare ; elle montra également beaucoup de finesse, de style et de grâce,
quoique un peu trop de placidité, dans Cinq chansons Tziganes de Brahms animées
d'un joli accent populaire et d'une très agréable fantaisie.
Edouard Schneider.
Concerts Le Rey
L'orchestre Le Rey nous a prouvé qu'il est capable, quand il le veut, de secouer la
placidité somnqjente que nous lui reprochions tout récemment. Le concert du 14 janvier
fut en effet sensiblement supérieur aux précédents par le souci apporté à l'exécution
du programme. Celui-ci comprenait une composition un peu longue de M. Alexandre
Bernn, le Massacre de Wassy ; les procédés de l'auteur ne décèlent pas une excessive
originalité et son œuvre présente le caractère de la musique de scène bien plus que celui
d'une pièce symphonique écrite pour le concert. M. Le Rey la conduisit avec précision,
disons même avec une certaine énergie. Quant à la Légende pour piano et orchestre de
M. Pfeiffer dont c'était la première audition, elle nous jDarut bien incolore et indiffé-
rente. Mlle Antoinette Lamy fit preuve dans la Troisiènie bc.-Uade de Chopin, d'un
toucher délicat et d'une fine intelligence musicale. Notons enfin la bonne exécution de
la Mort d'Ase et de la Danse d'Anitra de Grieg et celle du troisième acte d'Iphigénie
en Taiiride, chanté avec succès par Mme Lina Star, M. Carbelly et surtout M.
Dubois.
Le dimanche suivant, ÎVl. Le Rey nous a donné d'importants fragments des Noces
de Figaro de Mozart. Mme Bureau-Berthelot, qui dut bisser l'air de Chérubin, chantait
également le rôle de la comtesse d'une façon charmante, et Mme Max-Soulier, Su-
zanne fort aimable, triompha aisément de sa partie difficile. Parmi les chanteurs, ci-
tons MM. Boucrel, Nagelle et Carbelly qui malgré sa bonne voix fut un Figaro un peu
lourd. Une œuvre symphonique de M. Gervais Durand, Désillusion, que l'auteur con-
duisait avec une belle ardeur, ne nous produisit guère d'autre effet que celui d'une
légère déception. Enfin dans le Concerto de Beethoven, Mme Ysabel Barnard, quoique
ne montrant peut-être pas une énergie suffisante, fit applaudir un bon mécanisme et
un jeu délicat. L'orchestre, qui soutint un peu mollement Mme Barnard, se montra
comme au précédent concert plus éveillé que d'habitude. Souhaitons-lui d'entrer réso-
lument dans la voie du progrès.
Edouard Schneider.
Société Nationale
Le programme comprend, outre un Quatuor à cordes de M.Ropartz et des mélodies
de M. Fauré, quelques nouveautés; une Sonate (piano et violon), de M. Jean Poneigh ;
un Nocturne de violoncelle de M. Inghelbrecht \ et de petits Tableaux catnpagnards
(piano et chant) de M. Claude Guillon. La première de ces œuvres décèle un tempéra-
ment musical assez intéressant, mais qui ne s'est pas encore dégagé et qui n'est point,
encore sûr de son métier. Il en faut retenir surtout le troisième mouvement, qui est le
moins morcelé, le plus clair.
Le Nocturne de M. Inghelbrecht au contraire est clair, élégant, adroitement bâti et
écrit ■- J'en dirai autant des petites mélodies de M. Guillon, qui ont par contre, à ce
qu'il m'a semblé, le défaut de manquer et de personnalité, et de lyrisme.
Parmi les interprètes, félicitons MM. Aubert et Enesco, M. Stenger et Mme
Jeanne Auger.
C.
- 97 -
Société J.-S. Bach
I y janvier. — Le public était nombreux, disons-le à sa louange, car ce concert
offrait un intérêt de premier ordre. Au programme, figuraient, seules, des œuvres iné-
dites pour les Parisiens. L'exécution a été parfaite, si parfaite que me voilà très em-
barrassé, réduit à épuiser tout mon vocabulaire d'éloges. A tout seigneur, tout hon-
neur : je commence par M. Gustave Bret, l'âme de la Société, qui a dirigé avec religion
— c'est le mot qui convient — un orchestre et des choeurs restreints mais excellents.
Le concerto en la mineur, pour piano, flûte et violon a été fort bien joué par Mlle Ritter
et MM. Hennebains et Daniel Herrmann. Mlle Eléonore Blanc et M. Louis Bourgeois, à
la basse sonore, furent, comme d'habitude, d'excellents solistes, avec, dans la cantate
NunKomm Hatden Heïland., M. Georg Walter comme protagoniste. M. Georg Walter
appartient à la Singakade^nie et à la Société Bach de Berlin. Il était, je crois inconnu à
Paris. C'est, physiquement, un grand garçon gauche, au type germanique assez accen-
tué et d'une physionomie peu expressive. La voix, médiocre comme qualité, est d'un
registre peu étendu. Mais il chante avec infiniment d'intelligence et d'art. Son style
excellent et la sûreté de son goût ont vivement impressionné l'auditoire qui n'a cessé
de lui faire fête.
La cantate Nun Komm Haiden Heiland, telle qu'elle nous a été présentée, dans sa
première manière, est une œuvre de jeunesse conçue sous l'influence de la musique fran-
çaise. C'est une longue prière adressée au Rédempteur.
Les Geistliche Lieder ne sont pas de Bach à proprement parler. Bach les a rema-
niés, mais de telle façon qu'on peut lui en attribuer la paternité en grande partie. M.
Georg Walter les a interprétés en leur conservant leur ferveur et leur naïveté. Notam-
ment, dans le lied O mon doux petit Jésus, où il nous a vraiment émus. Il est impos-
sible de trouver rien de plus suave, de plus enfantin, dirai-je, dans le bon sens du
mot. Dans la cantate Ich armer Mensch, il a traduit merveilleusement les inquiétudes
de la pauvre humanité pénétrée de terreur et d'inquiétude à la pensée du jugement
suprême. Et que de beautés dans cette œuvre d'un génie à son apogée, que d'accents
dramatiques et surtout quelle hauteur à laquelle si peu de musiciens sont parvenus !
Gabriel RouciiÈs.
24 Janvier. — M. Tournemire doit être un organiste plein de talent, mais il est
bien regrettable qu'il l'emploie à déformer les plus belles œuvres de Bach : je ne sais
quelle « tradition )) peut l'autoriser à allonger systématiquement toute première note
d'un groupe au détriment des suivantes ; cette exécution donne au Prélude et Fugue en
si mineur une allure contournée et nerveuse. La belle ligne du Choral An Wasserflïïs-
sen Babylon a été également altérée par une registration compliquée. Pour servir Bach,
il faut oublier tout système personnel, il faut s'effacer, être religieux.
C'est précisément pourquoi M.Pablo Casais est un virtuose de génie. Inutile de dire
la perfection incroyable de sa technique, la splendeur de sa sonorité, la sûreté de son
mécanisme : M. Pablo Casais est plus qu'un virtuose ; aucune impression d'art ne peut
surpasser celle qu'il nous a donnée en jouant la Suite pour violoncelle seul en ut ma-
jeur.
Le programme était complété par Mme Rey-Gaufrès dont le talent de pianiste nous a
paru solide et souple à la fois, et par M. Krauss, flûtiste aux exquises sonorités.
G. L.
Les Soirées d'Art
1 1 janvier. — Le quinzième quatuor de Beethoven ouvre le concert. Dans le der-
nier mouvement : « Alla Marcia, assai vivace, allegro appassionato )), les exécutants se
montrent tout à fait remarquables, particulièrement M. Capet, qui a des sons d'une
beauté merveilleuse. M. de Saint-Quentin accompagne M. Cazeneuve qui chante deux
de ses mélodies : Rêves envolés ! et Adoration, deux petites œuvres d'une jolie ligne,
délicates et point banales.
Mlle Cornelis nous montre comment on apprend la harpe chromatique au Con-
servatoire de Bruxelles, où elle a eu un premier prix. C'est une toute jeune et toute char-
mante artiste, d'une virtuosité qui sait se montrer aimable soit qu'elle joue une ballade
de G. Pfeiffer un peu sans commencement ni fin, soit qu'elle interprète une fantaisie
d'E. Bach, ou bien une gigue du grand Bach ou encore une romance de J. Risler.
Puis M. Georges Hue nous présente lui-même ses Lieds dans la forêt chantés par
M. Cazeneuve et par Mme Astruc-Doria. Ce qui semble avoir intéressé l'auteur du
poème et le compositeur, c'est plus que la forêt, la vie qui y règne, les oiseaux, les in-
sectes, les fleurs ont leur rôle. Le papillon ne manque pas de se montrer frivole et ta-
quin. La musique de M. Georges Hue est, comme toujours, élégante, claire, cristalline,
on ne peut que lui reprocher une certaine monotonie. Tous ces différents lieds se res-
semblent un peu. Citons les Vers luisants où il y a une très jolie impression de fraî-
cheur nocturne, les Lys et le duo des Eternels baisers où les deux amoureux sur le
« vieux banc de pierre envahi par la mousse et les fleurs » essaient de se figurer l'avenir
lointain. M. Cazeneuve et Mme Astruc-Doria ont été vivement applaudis.
i8 janvier. — Tout d'abord, un pianiste : M. Richard Buhling. Il paraît tout
jeune et tout à fait à ses débuts. Son mécanisme est excellent, mais son jeu est trop
souvent nerveux et point exempt de confusion. Il a joué la sonate Appassionata, de
Beethoven, sans grand relief. Il a été bien meilleur dans le Prélude choral et fugue, de
César Franck, interprété avec chaleur et puissance.
Mlle Grandjean paraissait au même concert. La belle Isolde, de l'Opéra, a chanté
en allemand les Traeume (Rêves), de Wagner et le célèbre Ich grolle nicht, qu'on
finira par déplorer, à force de l'exécuter partout et trop souvent. Mlle Grandjean l'a
pris d'ailleurs, à mon avis, dans un mouvement trop lent.
Je l'ai appréciée dans trois fort jolies mélodies de M. Léo Sachs : Solitude, le Ba-
teau rose et le Retour à V Aimée. La première traduit la douleur de l'amant seul désor-
mais, parmi la tristesse de la nuit et le calme de la nature indifférente ; le Bateau rose.,
au contraire, dans sa légèreté aérienne, chante la griserie de la volupté et enfin le Retour
à l'aiinée., inspiré par Uhland, dans une note un peu schumanienne, exalte la saine et
forte passion, victorieuse des obstacles. J'ai été très heureux de connaître ces trois
œuvres vraiment intéressantes et pas banales.
Pour finir, je ne veux pas oublier le quatuor Capet, toujours égal à lui-même et
d'une perfection qui ne va pas sans quelque maniérisme.
Gabriel Rouchès.
Quatuor Parent
Le programme du 12 janvier était particulièrement composé, si l'on excepte la So-
nate op. ço. d'œuvres de la jeunesse de Beethoven. Le Trio op. 8j pour deux hautbois
et cor anglais fut très joliment exécuté par MM. Bleuzet, Bourbon et P. Brun. M. La-
zare Lévy, tout en se montrant soucieux du style, nous a paru manquer de sensibilité
dans la Sonate op. go. Nous l'avons préféré dans la Sonate op. 24 pour piano et violon
qu'il irrterprète ainsi que M. Parent avec la grâce et la finesse qui l'animent. Malgré le
timbre agréable de sa voix, Mlle Delhez ne donna pas assez de relief aux Quatre lieder
de l'op. 52 si charmants de simplicité tendre et naïve. Enfin la Société de musique de
chambre pour instruments à vent s'est fait très justement applaudir dans VOctuor op.
loy qui date de 1796 et où circulent la fantaisie et la jeunesse du Maître.
La troisième séance était consacrée à la musique moderne. Les Quatuors à cordes
de Maurice Ravel et de Debussy sont trop connus pour que nous pensions en devoir
parler. Il suffira de signaler la très bonne exécution qui nous en fut donnée. L'intérêt
de la soirée se portait particulièrement sur le Trio pour piano., violojt et violoncelle
d'Alberic Magnard. Une robuste volonté semble être le caractère dominant de cette
œuvre ; elle se révèle dès les premières mesures de l'allégro, ardente et passionnée ; re-
— 99 —
paraît dans l'adagio de forme méditative, plus consciente d'elle-même; enfin après des
hésitations et des luttes intérieures, elle s'affirme calme, heureuse et triomphante. Le
dernier mouvement gagnerait sans doute à être écourté ; les répétitions de la même
phrase au violon et au violoncelle ne paraissent pas s'imposer avec nécessité. Quoiqu'il
en soit, celte œuvre se recommande par sa construction solide et son inspiration pro-
fonde. Mlle Marthe Dron, MM. Parent et Fournier en étaient les consciencieux inter-
prètes. Trois lieder de Gabriel Fauré, célèbres pour leur charme subtil, Clair de Lune,
la Fée aux chansons, les Roses d'Ispahan furent chantés par Mme Gandrey avec intelli-
gence et goût, mais d'une voix à laquelle manquaient peut-être la souplesse et la sûreté
nécessaires.
Edouard Schneider.
CONCERTS DIVERS
Sonatières et les al^itours
On se donne vraiment bien du mal en ce monde, et je vous demande un peu pour-
quoi ! Au fond, chaque chose ou chaque être, et même toutes les choses et tous les
êtres ont bien peu d'importance, quand on y réfléchit un instant. Mais voilà, c'est
justement parce que ce peu d'importance nous crève les yeux que l'on ne veut pas l'ac-
cepter et que l'on cherche par mille moyens, généralement burlesques à se donner
l'illu ion que l'on existe utilement. Aussi de quels fatras d'obstacles et d'illogismes
ne complique-t-on pas les choses les plus simples ! C'est à se tordre et à pleurer. Et
puis le mot d'ordre est : « arriver ». Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire, arriver ?
Arriver à quoi ? à être un crétin ou un génie ? Pour atteindre l'un ou l'autre de ces deux
buts il n'y a rien à faire. Le premier surtout me paraît n'impliquer aucun effort de vo-
lonté : il faut se laisser aller. Quant au second, vous y êtes transporté tout naturel-
lement si tel l'a voulu l'effroyable hasard de la Conception. Pour certains — oh, ils
sont rares ! — « arriver » veut dire simplement vivre intelligemment, se donner le plus
de satisfactions possible, les reporter sur ceux qui vous sont chers, tout en ne faisant
de peine à personne. Le compositeur qui travaille pour lui, dans son cabinet, et non
entre Pousset et le Napolitain, celui qui, par surprise, sans préparation aucune, livre
sa pensée à deux ou trois amis, de temps en temps, pas trop souvent, et qui vit saine-
ment, enveloppé d'une tendre affection qu'il rend généreusement, me paraît être un
homme arrivé. Arriver par le travail et par l'amour à se procurer le bonheur élevé
qui rend fort et bon, voilà quelle sorte d'arrivisme j'ai la naïveté de préconiser.
Vous me pensez très loin, n'est-ce pas, du sujet que j'ai à traiter ici : et au contraire
j'en suis terriblement près ; j'en suis si près que je ne vois pas très bien comment je
vais pouvoir parler des talentueux artistes qui m'ont charmé ces temps-ci, sans avoir
l'air de les ranger dans la catégorie qui m'a inspiré ces réflexions. Et pourtant peut-on
dire que M. Joseph Hoffmann n'est pas un sympathique pianiste, modeste et tout plein
mignon. D'abord quand on a les yeux malins de Joseph Hoffmann, on va partout,
même sans être un vilain petit arriviste. Au surplus, je préfère vous entretenir de son
talent déjà solide dans la Sonate en si mineur de Chopin, qu'il joue cependant «un peu
menu » et avec fragilité. Sauer y est gigantesque ! J'ai tout à fait aimé son interprétation
colorée du Caprice espagnol de Moszkowski ; on me dit que son premier récital a été
parfait en tous points : je le crois aisément ; mais je n'ai entendu que le second. On
me communique sur les Anciennes Matinées Danbé (aujourd'hui Matinées Luigini) des
notes où je relève que la suggestive Mary Garnier a prouvé une fois de plus que les
femmes ne devraient jamais chercher à imiter les rossignols (pas même celui ^d'Alabieff)
sous peine de produire des sons n'ayant que de lointains rapports avec la musique ; on
ajoute que Mlle Renié a du tempérament (personne n'en doutait) et un jeu pur, net et
vibrant, ce qui Erard chez une harpiste ; le quatuor Soudand, de Bruyne, Migard et
— lOO —
Bedetti se distingue toujours par une probité artistique qui est un précieux appoint
pour l'attrait de ces matinées. On me dit encore tant d'autres choses que... je veux en
garder pour la prochaine fois.
Ricardo Prati se montre amateur de l'Heure de Musique dans toute l'acception du
mot. Une " heure de musique", voilà un titre dont on s'est servi bien souvent pour
annoncer ces quantités de moments d'Art, que Mme Roger-Miclos a définitivement ran-
gés parmi ses " Intimités d'Art ". C'est bien trouvé, pas vrai ? Quant à M. Prati, il nous
a offert exactement 60 minutes de musique, de g h. 1/4 à 10 h. 1/4, avec toute la qualité que
devait comporter cette insuffisance de quantité. Il interprète avec une égale impeccabilité
et aussi avec une égale froideur Bach et Brahms. MM. Galeotti et Capet, au contraire,
calorisent Q) la Sonate de Franck dont j'ai rarement entendu une aussi parfaite et bril-
lante exécution ! Et pourtant on l'entend souvent cette admirable page, qui perd chaque
jour de sa beauté, précisément à cause de ces auditions impitoyablement multipliées.
C'est comme l'Ouverture de Taiinhaiiser ! et c'est comme... Beethoven. Pauvre
Beethoven ! Est-il permis d'en vouloir à un homme au point de manipuler dans tous les
sens ce qui constitue son Immortalité, et cela dans l'espoir d'un maximum de rendement.
O musique ! O vaste chant d'affaires ! ! Heureusement que les ficelles sont toujours appa-
rentes : ainsi, Capet, le remarquable violoniste' Capet, a été très supérieur dans la
Sonate de Franck à ce qu'il est dans les quatuors de Beethoven. Pourquoi ? Parce que,
pour lui, l'interprétation beethovenienne est devenue une affaire, " sa chose ", ou du
moins, il a cherché à ce qu'il en soit ainsi, d'où un amoindrissement inconscient de sa
force émotive, tandis que, jouant incidemment Franck avec le sincère Galeotti, il a pensé
uniquement à son acte d'artiste, et il est " arrivé " à la grandeur, parce qu'il n'a pas
eu le temps de calculer quel genre d'arrivisme il allait pratiquer...
Je savais bien que je n'étais pas si éloigné que cela de mon sujet tout-à-l'heure.
Mais voilà que sans pitié pour moi, sinon pour mes lecteurs, la place va me manquer,
et que, sous prétexte de considérations plus sociales que musicales, je vais, une fois de
plus, faillir à mon devoir de critique. J'aurais bien voulu cependant, faire plaisir à
Boquel, en portant au septième ciel et plus haut si possible le New-Trio de Londres
(MM. Epstein, Zimmermann et Ludwig) qui a sévèrement exécuté le Trio en si majeur
de Bi'ahms et M. Théo Lierhemmer dont l'interprétation des lieder de Schumann et de
Brahms fut sensiblement supérieure à celle de l'air de Xérès ; le prestigieux violo-
niste Hegedus aurait droit aussi à mes plus enthousiastes dithyrambes, mais j'y
reviendrai puis qu'il rekubelise le 10 février prochain. Et puis, pourquoi se donner
tant de mal ; car tout cela, " est-ce bien important ? ", comme nasillent les bandarlog
des Chants de la Jungle de mon ami d'Udine...
Djinn.
Concerts Clémandh, — Les Concerts Clémandh, sans faire d'autre bruit que celui
d'une musique parfois très agréable, continuent leur tentative, non sans succès. Notons
la satisfaisante exécution de Rédemption^ de la Fantaisie Hongroise de Liszt avec Mlle
Juliette Toutain-Grûn au piano (succès énorme, est-il besoin de le dire ?); Mlle André
Lorec interpréta avec goût deux charmantes mélodies de M. Léo Sachs, Si j'étais Roi
et le Retour ; et pour terminer ce concert une entraînante audition du Trio final de
Faust, dont le besoin ne se faisait vraiment pas sentir. R. D.
Société de Musique Nouvelle. — La Société de Musique Nouvelle nous a lait en-
tendre le 20 janvier le cycle musical que M. Gabriel Grovlez a composé sur la Chambre
Blanche d'Henry Bataille. Cette œuvre que l'influence debussyste n'a que légèrement
atteinte a su conserver sa place à la ligne mélodique si souvent sacrifiée dans l'école
nouvelle ; elle traduit avec beaucoup de personnalité et de fidélité à la fois les poèmes
auxquels Henry Bataille confia un peu de son âme nostalgique et tourmentée. Tout en
poésie intime et délicate, en sensibilité discrète et sincère, la musique de M. Gabriel
Grovlez fit mieux que nous envelopper de son charme profond, elle nous pénétra de
l'émotion douce et attristée que l'on éprouve au contact silencieux des choses dont l'âme
— loi —
souffre d'être muette. Elle exprime délicieusement ce qui, en apparence semble inexpri-
mable et nous lui savons un gré infini de l'exquis plaisir qu'elle nous fit goûter. Ce
n'est que justice d'associer au succès de l'auteur Mlle Bathory qui l'interpréta avec
le grand talent et la parfaite intelligence musicale que tout le monde apprécie en elle.
A ce même concert, fut exécutée par M. Jemain une Sona.te pour piano de Al. Gha-
noine-Davranches. Je ne pus malheureusement l'entendre, mais je serais heureux
qu'une occasion prochaine me permît d'en parler, étant données les excellentes impres-
sions qui m'ont été rapportées. E. S.
M77ïe Marie Avice. — Mme M. Avice a eu raison de se faire entendre, car elle pos-
sède une belle intelligence musicale ; si elle interprète d'une façon intéressante ce qu'elle
chante, elle ne chante pas toujours de même ce qu'elle interprète. A vrai dire j'aime
mieux cela; la souplesse et la sûreté d'émission lui viendront par le travail, tandis que la
compréhension ne peut s'acquérir. Dans Joies et Douleurs de Coquard et surtout dans
Fédict d'Erlanger, le succès de Mme Avice a été très vif et très mérité. M. Louis Dut-
tenhofer a remarquablement exécuté une Fantaisie pour piano, de Georges Hue, bril-
lante et bien écrite. R. D.
Mlle Blanche Selva. — Mlle Blanche Selva a repris ses séances de piano consa-
crées cette année au grand Bach. La célèbre pianiste compte donner six séances dans
lesquelles elle interprétera avec le souci d'art qui la caractérise les œuvres du Cantor de
Leipzig.
Mlle Selva a acquis une réputation de grande artiste. Elle déteste le virtuosisme et
il lui répugne visiblement de réduire l'art du piano à la recherche de moyens purement
•extérieurs. Elle possède le secret de mettre les thèmes en relief, de ne pas les noyer sous
le flot continu des détails de l'écriture contrapuntique. L'accentuation est impeccable, la
maîtrise du clavier incomparable. Soit qu'elle interprète la souple et fluide fugue en jit
diè/{e majeur du Clavecin bien tempéré, soit qu'elle fasse gémir sous ses doigts la
Fugue en ut dièze mineur, soit enfin qu'elle veuille rendre l'expression émouvante de la
Toccata et fugue en ut inineur. Mlle Selva sait toujours nous saisir par la sincérité et
la pureté toute classique de son goût.
M. Nestor Lejeune qui prêtait son concours à ce concert, exécuta avec sobriété les
sonates pour piano et violon en si mineur et en ut mineur. Paul Le Flem.
M. Emile Bosquet. — Bien que le mécanisme de M. Bosquet soit excellent, nous
n'avons pas trouvé une parfaite égalité d'exécution dans les différentes œuvres qu'il a
Interprétées, entre autres, dans Prélude., Aria et Finale de FVanck et dans la Rhapsodie
en mi bémol de Brahms. Mais nous avons aimé toute la finesse avec laquelle il
a brodé quatre Etudes de Ghopin et Y Impromptu en fa mineur de G. Fauré.
B.
M. Pomposi. — Avec une conscience et une conviction que contraria malheureuse-
ment une émotion apparente, M. Pomposi donna avec Mlle Selva une très noble inter-
prétation de la Sonate de Franck. Le Quatuor de Debussy bénéficia d'une délicate exé-
cution avec MM. Pomposi, de Bruyne, Migard et Schidenhelm. C'est une caresse
suggestive, un murpure enveloppant qui monte et vous enivre, parfois même vous
agace singulièrement. C'est de la musique essentiellement voluptueuse, moins raffinée
et plus fantaisiste que celle de Fauré. Debussy est un peu le Vielé-Jufîfin musical, et,
comme l'exquis poète de Viéland-le-Forgeron, il évoque parfois toute une féerie agreste
hantée de nymphes lascives, gracieuses et blondes dans le frissonnement de la Nature.
Les Valses de d'Indy s'égrenèrent, fugitives, sous les doigts magiques de Mlle Selva.
Il ne m'appartient pas de dire les beautés du Quintette de Franck ; œuvre profonde,
intense, qui pénètre les plus intimes pensées, qui renouvelle les plus grandes, les plus
vibrantes émotions de l'âme, qui impressionne et bouleverse l'Etre entier. Debussy
excite les sens et rimagination, Franck passe sur le cœur et l'esprit comme un aigle
aux ailes éployées passe au sommet des monts éblouissants de neige et de lumière.
M. G.
— 104 —
LETTRE DE BERLIN
J'enregistre, sans regret, l'insuccès complet du Jongleur de Not?-e-Dame au Nou\e\
Opéra-Comique de Berlin. La première est restée sans lendemain.
Une autre (( première » également malheureuse que celle de la Sinfonietta de Max
Reger. Là, c'est la trop grande complication harmonique et rythmique qui, à défaut
d'inspiration, engendre à la longue l'ennui. L'écriture est serrée, embrouillée, l'orches-
tration étouffante, la mélodie peu caractérisée. Les violons grincent à plaisir, en sour-
dine, et crispent. Il faut tout le talent d'un Nlkisch pour animer un bloc aussi froid, et
rendre l'audition supportable jusqu'au bout.
Le cinquième concert philharmonique et la Faust-Symphonie inscrite au pro-
gramme, procurait au génial chef d'orchestre l'occasion de dépenser toute sa virtuosité
au service d'une des plus resplendissantes créations de Franz Liszt. La voix magnifique
du ténor solo, Félix Seniiis, fit merveille dans le rôle de Faust.
Les violonistes de l'Ecole française et belge sont de plus en plus en faveur auprès
du public berlinois. Par l'apport de leur grand talent, Ysaye, Marteau, Thibaud ont
popularisé les traditions et les qualités nationales de leur art. Ils ont créé, dans la capi-
tale allemande, un courant d'admiration continu pour tous les virtuoses qui se récla-
ment de leur Ecole. Le succès tout récent des deux récitals d' Ysaye a été énorme. Les
concertos de Bach n° 2, de Mozart n° 3, l'op. 61 de Beethoven formaient le programme
de la première soirée. La seconde séance nous apportait les concertos de Saint-Saëns,
de Vieuxtemps et de Max Bruch. Je ne ferai pas au grand artiste l'injure de vanter la
perfection de son jeu. la grandeur incomparable de son interprétation. Il est autre
chose et plus qu'un violoniste. C'est un poète dont les chants nous élèvent bien au-
dessus de l'humanité. De telles soirées restent inoubliables. Inoubliable aussi l'enthou-
siasme de ces 2,500 auditeurs se livrant aux plus frénétiques acclamations.
Le surlendemain, Willy Burviester, s'attaquait à son tour au concerto de Bach,
dans cette même salle de la Philharmonie (concert Oskar Fried). Le technicien, chez
lui, fait obstacle à l'artiste. L'interprétation manque de relief autant par la sécheresse
du jeu que par la froideur et l'étroitesse de la compréhension. Les mouvements d'ail-
leurs étaient considérablement altérés et le grand Jean-Sébastien ne s'y fût pas reconnu
lui-même à l'intempestive vivacité de l'allégro transformé en un sautillant presto.
Au dernier Elite-Concert, Marteau remportait un véritable triomphe dans l'exécu-
tion delà Folie, de Corelli. Armand Forest se taillait également un superbe succès à la
Beethoven-Saal. Il interpréta avec beaucoup d'autorité le Concerto de Lalo. Il a rendu
de jolie façon la sentimentalité vaporeuse de l'andantino, enlevé avec une merveilleuse
sûreté le finale d'inspiration si vivante, de couleur si chaude. La qualité de son était
des plus pures. La Berceuse, de Fauré, valut à notre compatriote un redoublement de
bravos.
Le violoniste russe, Michaël Press, a fait entendre au Troisième Orchester-Abend de
Ferruccio Busoni, le Poème Elégiaque d'Ysayc et la Fantaisie de concert sur des thèmes
russes de Rimsky-Korsakoff. On sent en lui une haute personnalité d'artiste.
Par la noble expression, par l'impeccable netteté de son jeu, Press se place au rang des
meilleurs virtuoses.
Sous l'archet d'Alexander Scbald, le Concerto de Brahms m'a semblé plutôt terne.
La justesse est loin d'être parfaite. Une attaque dure de la corde dans les passages de
force choque désagréablement l'oreille.
Frir7y Kreislcr, par contre, s'est affirmé une fois de plus, par une merveilleuse exé-
cution d'un concerto de Viotti, comme le grand protagoniste de ses collègues français.
Un son velouté et riche, une souplesse d'archet extraordinaire, une délicatesse exquise
de sentiment et par dessus tout une émotion communicative rendent son interprétation
pleine de charme. Sa virtuosité technique tient du fabuleux.
Le jeune Mischa Elman continue de tenir les promesses que ses récitals de l'an
— I05 —
passé faisaient entrevoir. J'oserai dire qu'il les dépasse, tant il est surprenant, ce ga-
min qui, malgré le surmenage des tournées, se montre en progrès constant sur lui-
mêmeet conquiert les sommets les plus hauts de son art. Il exécutait à la Philharmonie,
devant une salle remplie par la seule attraction de son prodigieux talent, le Concerto
de Beethoven et celui de Glazounoff. Cette dernière composition, dédiée à Léopold Auer,
le maître du petit phénomène, était une nouveauté pour Berlin. C'est une œuvre colo-
rée, éminemment suggestive oij les images neuves, les richesses mélodiques abondent,
régies par une maîtrise d'écriture incontestable. Elle servit à merveille le tempérament
si chaleureux de l'enfant prodige.
Je mentionnerai, pour terniiner, les deux récitals d'Albert Spalding. Mme Jea)iiie
Diot nous arrive couverte des lauriers qu'elle a recueillis à Munich et à Dresde. Nous
l'entendrons le 30 janvier. A quand Lucien Capet .^
Le second des Nowcaux Concerts eût été excellent si Burmester n'était pas resté
au-dessous de sa réputation, et si le ténor Ludwig Hess, à l'émission gutturale et
rauque, savait mettre un peu plus de charme dans ce qu'il chante. Quant au chef d'or-
chestre, Oskar Fried, il a droit aux éloges les plus vifs. Sous son habile direction, la
Ihiitième symphonie de Schubert. Alort et Transfiguration de Richard Strauss furent
magistralement et lumineusement exposés. Fried est un capellmeister de race et de tem-
pérament qui fera beaucoup parler de lui. II lui reste encore, néanmoins, à contenir les
désordres d'une gesticulation par trop violente.
Le barj^ton américain Ch.-\\'. Clark possède un organe souple et généreux. La
voix est à la fois bien timbrée et puissante. La diction ne laisse rien à désirer. Pour-
quoi donc s'attarde-t-il parfois à des effets discutables ? Plus sobre, mieux stylé
m'apparaît le ténor Georg Wcvlter. interprète sans égal des cantates et des airs de Bach
père et fils.
Wilhelm Backhaus, à qui le Prix Rubinstein fut décerné à l'Université (1905), nous
révéla dans son concert de la Sing-Académie, le plus bel ensemble de qualités pianis-
tiques que l'on puisse rêver. Backhaus pétrit le clavier avec une maestria et une fugue
dévorantes. Le Concerto de Tchaïlcowsky semble écrit tout spécialement pour lui tant
il y déploie d'ardeur, de bravoure et de verve originale. Le mécanisme de ce jeune vir-
tuose est transcendant, la sonorité amplement nourrie. Backhaus donne l'impression
d'une nature musicale très profonde. Souhaitons que son beau succès de Berlin ait sa
répercussion aux quatre coins du monde musical.
Edouard Rt'sler vient de donner sa première séance, consacrée aux Sonates de
Beethoven, avec un magnifique succès. Je reviendrai sur ces beaux concerts.
L. PoNNELLE,
V. HAVRK. — Le violoncelliste C. Liégeois dont le beau talent est des plus
appréciés dans notre ville où il compte de nombreux élèves, a donné le 15 un inté-
^ ressant concert. Il s'est fait applaudir dans la Sonate de Franck, dont le premier
mouvement gagne un charme encore plus rêveur dans la sonorité grave et pénétrante
du violoncelle. Les autres parties me semblent moins se prêter à cette transcription.
L'éclat y perd beaucoup et les thèmes sont comme empâtés et noyés dans les arabesques
du piano.
Dans le Concerto de Lalo et dans un exquis Menuet de Boccherini, l'éminent ar-
tiste a su faire apprécier toute sa virtuosité et son large phrasé noble et soutenu. II a
de jolies finesses de nuances sans afféterie. Son jeu est exempt de tout charlatanisme et
il est certainement un des beaux violoncellistes de notre époque.
Mme Auguez de Montalant est toujours la cantatrice de grand style que nous con-
naissions. Elle a dit à la perfection deux nobles airs de Gluck et un air de Mozart d'une
grâce merveilleuse. Elle s'est fait bisser dans une jolie romance de Vidal.
Mlle Dehelly m'a déconcerté. Je ne crois pas que c'est au Conservatoire qu'on
apprenne à désarticuler ainsi la musique de Schubert. Le beau thème ew si bémol de
1 Impromptu si calme et si pur, si simple surtout, est devenu une sorte de polka sautil-
— io6 —
lante. Les variations ont été jouées à la Tzigane, avec des retards et des pressés conti-
nuels qui sont là un véritable non sens musical. Mlle Dehelly a pourtant fait preuve
d'un mécanisme brillant dans la Sonate de Franck et surtout dans la Rapsodie espa-
gnole de Liszt, et malgré cela elle a joué d'une façon bien quelconque le menuet de
VArléstenne, d'une transcription pianistique très ingrate il est vrai, avec des accrocha-
ges nombreux dans la main gauche — je veux croire que la jeune artiste qui peut certes
mieux que cela, était fort troublée. — Elle s'est d'ailleurs ressaisie dans l'oeuvre de
Liszt qu'elle a jouée avec verve et coloration.
*
Deux beaux concerts, à deux jours de distance, nous ont permis d'apprécier le
talent hors de pair de deux pianistes également remarquables. L'un Ricardo Vinès,
d'une merveilleuse correction, chez lequel pour ainsi dire la virtuosité ne se fait plus
sentir tant est grande l'aisance, le naturel, l'apparente facilité de son mécanisme ; pia-
niste admirable mais musicien plus admirable encore.comprenant et faisant comprendre
la musique de tous les temps depuis Bach et Scarlatti jusqu'à Fauré et Debusssy,
jouant simplement, sobrement, sans gestes inutiles et toujours avec un sentiment très
intense et très juste ; l'autre Alfred Cortot, tout aussi brillant virtuose, mais plus exté-
rieur, plus fougueux, doué d'une sensibilité profonde, connaissant tout de la musique
et l'exécutant tantôt avec une délicatesse infinie et un toucher moelleux, tantôt avec une
énergie farouche et une sonorité vibrante, toujours avec toute son âme et sa pensée. Et
ce fut par deux fois un beau régal d'art, et le triomphe des deux artistes fut grand et
justifié. Mais il ne faut pas que ce triomphe nous fasse oublier les autres numéros de
ces deux concerts.
Le concert organisé par M. Rabani doit être loué pour la belle composition du
programme divisé en deux parties, l'une classique et l'autre moderne.
Dans la première nous avons applaudi la belle sonate de Bach jouée avec style par
MM. Rabani et Vinès. Mlle Sirbain, quoique fâcheusement enrhumée, a dit avec une
belle expression et un art très réel les Elfes de Mendelssohn, Je t'aime^ de Beethoven et
Mon cœur tu frémis, tu doutes..., une des plus angoissantes mélodies de Schumann. Et
Vinès souleva l'enthousiasme par la façon admirable dont il dit des pièces de Scarlatti,
Schumann et Chopin. Dans la seconde partie la Sonate de Franck obtint son succès
coutumier, Mlle Sirbain chanta excellemment une mélodie de M. Rabani, distinguée de
facture, et deux autres "■ Amor et A la Mer., de l'auteur de ces lignes. Mais Vinés
triompha une fois de plus par sa merveilleuse exécution de Vlsle Joyeuse, de Debussy,
oii les thèmes semblent enveloppés d'une poussière d'harmonies changeantes et cha-
toyantes, dans la Poste de d'Indy, dans le Troisième Nocturne de Fauré, tendrement
élégiaque et dans la Tarentelle de Moskowsky, moins purement musicale mais si pia-
nistique.
Des danses complétaient ce programme. Mais des danses exécutées par Mlle E.
Sandrini, de l'Opéra, gracieuse et séduisante au possible dans ces reconstitutions de
l'art grec et de l'art plus maniéré du xviii" siècle. Mais était-ce bien des reconstitutions ?
Des adaptations tout au plus... et il me semble bien que le style d'Opéra, ou plutôt de
l'Opéra, Académie nationale de danse s. v. p., avait exercé là-dedans une influence lé-
gèrement regrettable. N'importe Mlle Sandrini est une exquise danseuse, et ses pointes
sont irréprochables.
— La Société Sainte-Cécile vient de nous offrir son premier concert. L'orchestre ne fut
pas exempt de reproches dans l'Ouverture (n° 2) de Léonore qui ouvrait la séance pas plus
que dans la Cosatchoque de Dargomijsky sur laquelle on termina. Mais il se réhabilita
dans les pièces extraites du Voyage imaginaire de René Lenormand, dont le Prélude, le
Ruisseau de Fatahona et la Chapelle Bretonne furent bien nuancés et dont les deux
lieds : Nocturne tahitien et Chanson de Pêcheurs, bien dits par Mlle Merville, sont
deux admirables poèmes d'un auteur qui a tout simplement écrit quelques-uns des plus
beaux lieds français contemporains.
L'orchestre exécuta également de très honorable façon les exquises et séduisantes
pages de la Demoiselle Elue, où Debussy semble préluder aux nouveautés de Pelléas.
— 107 —
Ah ! l'adorable musique ! et qu'elle suit admirablement le texte, en soulignant, en en
développant toutes l^s beautés, en les enveloppant aussi d'ombre et de mystère quand il
le faut. Il était courageux de présenter cette œuvre à un public non encore préparé, non
encore initié à toutes les finesses, à toutes les subtilités d'un musicien aussi résolument
novateur ; l'accueil fut pourtant excellent, et si tout ne fut pas compris, on se sentit
plus d'une fois conquis par le charme prenant qui se dégage de toutes les œuvres du
jeune maître.
Les chœurs de dames se distinguèrent tout particulièrement dans cette exécution
bien nuancée et Mlle Gogne-Mancini en exprima les soli avec sentiment et distinction.
Un beau chœur de d'Indy : Sur la Mer fut aussi fort goûté et le public s'associant
à un hommage sympathique fait à Mlle Mancini (une Havraise) après son air de Sapho,
en souvenir de son double et récent succès au Conservatoire, lui témoigna toute sa sa-
tisfaction par une chaleureuse ovation.
Mais que dire encore de Cortot ^ Superbe de tenue, de conviction, de res-
pect pour l'œuvre dans le Concerto en ut mineur de Beethoven, où il eut la fière
abnégation de supprimer l'habituelle cadence, susciteuse de bravos mais si inutile ; il
électrisa réellement le public par une magistrale exécution des Maîtres-Chanteurs^
d'une sonorité orchestrale véritablement stupéfiante ; par la douceur caressante de la
Berceuse de Chopin, du vrai Chopin, sans crise d'hystérie, sans pâmoison, sans poses
prétentieuses, par la fantaisie et la maestria d'une Rapsodie de Liszt jouée avec un mé-
canisme foudroyant. Et un triple rappel (unique dans les annales du public havrais,
toujours si froid d'ordinaire) vint le récompenser de s'être livré avec tant de sincérité et
tant d'âme à toute la fougue heureuse de son tempéramment musical.
Ai-je dit que l'orchestre fut tour à tour conduit par M. Paul Cifolelli et par votre
serviteur.
H. WOOLLETT.
'ftTANTJES- — L'Association des Concerts Historiques^ fondée à Nantes par M. F.
\ de Lacerda, sous les auspices d'un Comité Nantais et le patronage artistique de
il MM. G. Fauré, V. d'Indy et R. Rolland, a donné son premier concert le 29 dé-
cembre.
Enorme succès, dont le plus grand mérite revient certainement à M. de Lacerda, si
méritoires que soient les efforts individuels qui préparèrent sa venue à Nantes et y
secondèrent son action. Dès le premier soir qu'il prit en main la direction des études,
il conquit d'emblée la confiance de ses collaborateurs, par sa très correcte simplicité,
l'expressive élégance de son geste, l'heureux choix des images dont il ornait ses expli-
cations,, toujours claires et sans pédanterie. D'un orchestre composé surtout d'amateurs,
il obtint vite des résultats que les plus optimistes n'attendaient que d'un persévérant
effort. Les chœurs, constitués d'éléments déjà entraînés à la musique d'ensemble in-
quiétaient moins. Bientôt, entre eux et leur chef, dans un élan de confiance réciproque,
s'établit cette précieuse communication sympathique, indispensable, gage des parfaites
interprétations.
M. de Lacerda, pour bien caractériser le souci d'enseignement historique de l'œu-
vre, avait consacré la première partie du programme à d'anciens maîtres peu connus en
dehors des cercles musicaux. Il ne pouvait mieux débuter que par la belle ouverture de
Scylla et Glaucus — unique opéra de J.-M. Leclair, l'aîné — qui, réveillée par son heu-
reuse initiative, d'un sommeil de cent soixante ans et mise par lui en partition moderne,
était vraiment pour nous, en dépit de son âge, une intéressante nouveauté. Elle nous
montre, en Leclair, à côté du brillant maître de l'Ecole Fi'ançaise du violon au
xviii° siècle, une composition de grand talent. L'orchestre y fut excellent, et par ailleurs,
ne se démentit pas : soit seul, dans l'exquise Sarabande de la Suite en ré de d'Indy, et
dans deux charmantes Mélodies Norvégiennes de Grieg ; soit comme partenaire du
piano ou accompagnateur des chœurs et soli, il se maintint au niveau de la tâche assu-
• mée, attentif et docile aux indications que lui dispensait, avec une inlassable aisancCj
Jla maîtrise de son chef.
Las chœurs furent presque parfaits. Le puissant et magistral Loué sots-lti de la
Passion selon Saint-Mathieu^ de H. Schûtz, fut chanté avec une conviction, une ar-
deur, un enthousiasme irrésistible : et le Chant Elégiaque de Beethoven, admirable
page si noblement humaine du plus puissamment humain des génies musicaux fut in-
terprété avec une très impressionnante intensité d émotion.
Le charmant et spirituel Madrigal de Fauré a été aussi fort bien chanté ; mais
c'est avec \a.Vit:rge à, la CrècAe, chœur pour voix de femmes, œuvre de tendresse exquise
et touchante, du simple et pur César Franck, que le mieux fut atteint. L'auditoire le
bissa d'enthousiasme.
Les solistes furent justement appréciés.
Mme Caldaguès a chanté avec un art merveilleux, une excellente diction et une
justesse d'émotion sobrement exprimée, tout à fait dans le style qui convient, l'air de
Télaïre : « Tristes apprêts », de Castor et Pollux, un des plus beaux qu'ait écrits notre
grand Rameau, page de rare vérité, expressive et d'un profond sentiment dramatique.
Mlle Lénars nous fit admirer, sur la harpe chromatique, qui triompha à Nantes,
sa technique impeccable et son excellent style en jouant la Fantaisie de Saint-Saëns et
Prélude, Valse et Rigaudon de Raynaldo Hahn.
Le D"" Bonjour fit valoir sa virtuosité de violoncelliste et ses dons de très compré-
hensif musicien en exécutant un Andante de Corelli et un Largo et allegro de Porpora.
Et nous voici arrivé à l'œuvre capitale de cette belle séance : le Concerto en ré mineur
de J.-S. Bach — et au parfait artiste qui en fut l'excellent interprète : J.-J. Nin. Effacé
au milieu de l'orchestre, y mêlant ou en détachant avec un art consommé et une mer-
veilleuse entente des valeurs, les sonorités du piano, J.-J. Nin chante de toute son âme,
forte, intelligente et tendre, les admirables inspirations du maître immortel. Ce fut
une révélation, et le public acclama l'œuvre et l'interprète. Auparavant Nin avait joué,
avec un art d'une délicatesse exquise, deux charmantes pièces de Rameau : Villageoise
et V Enharmonique.
En résumé, début sensationnel d'une noble tentative artistique, dont l'éclatant suc-
cès n'est que la juste récompense de tous ceux à qui nous la devons, et en particulier à
M. de Lacerda.
S...
'^1 AIVCY — A mon grand regret, je n'ai pu assister au concert du 7 janvier, qu'il-
\| lustrait la présence d'Ysaye. Je n'en parlerai donc que par ouï-dire. Quelques
.-■ amateurs grincheux ont reproché au célèbre violoniste une trop grande liberté
d'interprétation dans le Concerto en sol majeur de Mozart ; mais tous ont admiré
sans restriction le sentiment intense avec lequel il a joué l'émouvant Poème four violon
de Chausson.
La belle et intéressante S3»!/'/;o7n'e four orchestre et violon de M. Victor Vreuls a
conquis, elle aussi, tous les suffrages, avec ses trois parties si solidement construites, si
pittoresquement orchestrées. Comme le disait le programme, le violon, dans cette
symphonie, « joue le rôle d'un personnage intimement mêlé à Taction » et le grand
artiste a tenu cette partie avec l'autorité, la puissance et le charme que l'on sait. C'est
par une tempête d'applaudissements qu'a été accueillie la magnifique péroraison de
l'œuvre, où le thème initial du premier mouvement reparaît, affirmé par les cuivres
avec un grandiose éclat.
Le programme, très copieux et savamment composé, comprenait en outre, VOuver ■
ture du Roi d'Ys, le Préluda du y" acte de Tristan, les Murmures de la Forêt et un frag-
ment de Psyché de César Franck ; l'adorable scène d'amour entre Psyché et son
céleste amant.
En comparaison de ce rutilant programme, celui du 21 janvier semblait un peu
sévère ; il réservait cependant au public de vives satisfactions.
D'abord, VOuvcrture de Czvendoline, de Chabrier, fracassante, il est vrai, mais
héroïque, exubérante et du coloris le plus riche. Puis, le Concerto en fa majeur de
— I09 —
J.-S. Bach, pour violon, hautbois et deux cors, empreint, dans ses quatre parties, de
cette allégresse sérieuse, si je puis m'exprimer ainsi, qui est comme la signature du
grand Allemand. C'est la manifestation d'une âme sereine, pure et forte.
Le Concertstïiclc pour harpe et orchestre de Pierné, a surtout un intérêt de curiosité
car il n'existe que de rares pièces pour harpe et orchestre complet. La sonorité un peu
agaçante de l'instrument principal, n'est pas sans donner, à la longue, une impression
de monotonie. Ce morceau fut cependant l'occasion d"un très légitime succjs pour
Mlle Bressler.
Le concert se terminait par la Symphonie Pastorale. Si l'exécution de la première
partie n'a pas été absolument parfaite, celle des quatre autres a été excellente. Il faut
une somme d'efforts considérable pour mettre au point cette oeuvre longue et difficile et
en rendre les multiples beautés. Ce n'est pas un médiocre honneur pour l'orchestre de
Nancy d'être arrivé à ce résultat.
X.
FRA\CFORT-8UR-MEI\ — Depuis que S. M. l'Empereur d'Allemagne a
institué un concours national de chant avec un prix à la « Gordon-Bennett », l'in-
térêt que l'on porte au chœur d'hommes en Allemagne a beaucoup augmenté. A
Francfort le Saengerclwr des Lehrervereijis jouit de la plus grande faveur auprès du
public, et ses concerts prennent place à côté de ceux de la Museumgesellschaft et des
premiers choeurs mixtes de la ville. Son premier concert offrait un attrait particulier,
car il s'agissait de fêter le vingt-cinquième jubilé de son excellent directeur, prof. Maxi-
milien Fleisch.
Au programme figuraient des œuvres deMozart, Schubert, Schumann, etc., ainsi que
les plus jolis « Volkslieder ». Il est impossible de rendre ces « perles » de la littérature
musicale de chœurs d'hommes avec plus de finesse, de poésie et une plus belle sonorité ;
aussi cela a-t-il été pour l'auditoire une vraie jouissance artistique en même temps
qu'un repos d'esprit (chose rare dans nos salles de concert) que d'écouter cette musique
interprétée à la perfection et composée uniquement pour le cœur et les oreilles.
Le cinquième concert de la Muséumsgesellschaft sous la direction de Sigmund von
Haussegger était consacré à la musique formale : Bach, Haendel, Mendelssohn et
Brahms. M. Froelich de la Cruz, de Paris, sest fait applaudir surtout dans un aria de
Haendel où sa voix sonore et sa technique de respiration ont fait merveille.
Au programme du sixième concert de la société figuraient exclusivement des com-
positions d'auteurs modernes : le prélude des Maîtres Chanteurs de Wagner, lasso de
Liszt et Don Quichote de Richard Strauss, puis quelques L/eier de Luuwig Hess et de
Haussegger. Le Don Qw^cÂo/e de Strauss est une caricature musicale qui illustre d'une
façon géniale ce héros de Cervantes que l'on suit avec intérêt dans ses différentes aven-
tures. C'est une musique spirituelle et amusante, où la poésie coudoie la banalité.
Le public s'est montré froid.
Le ténor Ludwig Hess a chanté trois lieder de sa composition," avec lesquelles il
n'a malheureusement pas enrichi la littérature musicale, puis trois autres de Von
Haussegger qui ont davantage intéressé.
Parmi les concerts particuliers il faut citer celui de Frédéric Lamond qui a su inté-
resser son public pendant deux heures de temps en jouant du Beethoven, dont il est
sûrement un des meilleurs interprètes.
G. A.
L'abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain numéro les corres-
pondances de Bordeaux. Lyon., Liège, Le Caire et Orléans,
Las chœurs furent presque parfaits. Le puissant et magistral Loué sois-tu de la
Passion selon. Saint-Mathieu, de H. Schûtz, fut chanté avec une conviction, une ar-
deur, un enthousiasme irrésistible : et le Chant Elégiaque de Beethoven, admirable
page si noblement humaine du plus puissamment humain des génies musicaux fut in-
terprété avec une très impressionnante intensité d'émotion.
Le charmant et spirituel Madrival de Fauré a été aussi fort bien chanté ; mais
c'est avec laVio-ffc à la Crèc/;e, chœur pour voix de femmes, œuvre de tendresse exquise
et touchante, du simple et pur César Franck, que le mieux fut atteint. L'auditoire le
bissa d'enthousiasme.
Les solistes furent justement appréciés.
Mme Caldaguès a chanté avec un art merveilleux, une excellente diction et une
justesse d'émotion sobrement exprimée, tout à fait dans le style qui convient, l'air de
Télaïre : « Tristes apprêts )), de Castor et Pollux, un des plus beaux qu'ait écrits notre
grand Rameau, page de rare vérité, expressive et d'un profond sentiment dramatique.
Mile Lénars nous fit admirer, sur la harpe chromatique, qui triompha à Nantes,
sa technique impeccable et son excellent style en jouant la Fantaisie de Saint-Saëns et
Prélude. Valse et Rifratidon de Raynaldo Hahn.
Le D'' Bonjour fit valoir sa virtuosité de violoncelliste et ses dons de très compré-
hensif musicien en exécutant un Andante de Corelli et un Largo et allegro de Porpora.
Et nous voici arrivé à l'œuvre capitale de cette belle séance : le Concerto en ré mineur
de J.-S. Bach — et au parfait artiste qui en fut l'excellent interprète : J.-J. Nin. Effacé
au milieu de l'orchestre, y mêlant ou en détachant avec un art consommé et une mer-
veilleuse entente des valeurs, les sonorités du piano, J.-J. Nin chante de toute son âme,
forte, intelligente et tendre, les admirables inspirations du maître immortel. Ce fut
une révélation, et le public acclama l'œuvre et l'interprète. Auparavant Nin avait joué,
avec un art d'une délicatesse exquise, deux charmantes pièces de Rameau : Villageoise
et V Enharmonique.
En résumé, début sensationnel d'une noble tentative artistique, dont l'éclatant suc-
cès n'est que la juste récompense de tous ceux à qui nous la devons, et en particulier à
M. de Lacerda.
S...
1^] AIVCY — A mon grand regret, je n'ai pu assister au concert du 7 janvier, qu'il-
pt| lustrait la présence d'Ysaye. Je n'en parlerai donc que par ouï-dire. Quelques
1 1 amateurs grincheux ont reproché au célèbre violoniste une trop grande liberté
d'interprétation dans le Concerto eji sol majeur de Mozart ; mais tous ont admiré
sans restriction le sentiment intense avec lequel il a joué l'émouvant Poème pour violon
de Chausson.
La belle et Intéressante Symphonie pour orchestre et violon de M. Victor Vreuls a
conquis, elle aussi, tous les suffrages, avec ses trois parties si solidement construites, si
pittoresquement orchestrées. Comme le disait le programme, le violon, dans cette
symphonie, « joue le rôle d'un personnage intimement mêlé à l'action » et le grand
artiste a tenu cette partie avec l'autorité, la puissance et le charme que l'on sait. C'est
par une tempête d'applaudissements qu'a été accueillie la magnifique péroraison de
l'œuvre, où le thème initial du premier mouvement reparaît, aflirmé par les cuivres
avec un grandiose éclat.
Le programme, très copieux et savamment composé, comprenait en outre, VOuver-
turc du. Roi d'Ys, le Prélude du y" acte de Tristan, les Murmures de la Forêt et un frag-
ment de Psyché de César Franck ; l'adorable scène d'amour entre Psyché et son
céleste amant.
En comparaison de ce rutilant programme, celui du 21 janvier semblait un peu
sévère ; il réservait cependant au public de vives satisfactions.
D'abord, VOuvcriure de Gzvendoline, de Chabrier, fracassante, il est vrai, mais
héroïque, exubérante et du coloris le plus riche. Puis, le Concerto en fa majeur de
■À
— I09 —
J.-S. Bach, pour violon, hautbois et deux cors, empreint, dans ses quatre parties, de
cette allégresse sérieuse, si je puis m'exprimer ainsi, qui est comme la signature du
grand Allemand. C'est la manifestation d'une âme sereine, pure et forte.
Le Concertslilck pour harpe et orchestre de Pierné, a surtout un intérêt de curiosité
car il n'existe que de rares pièces pour harpe et orchestre complet. La sonorité un peu
agaçante de l'instrument principal, n'est pas sans donner, à la longue, une impression
de monotonie. Ce morceau fut cependant l'occasion d'un très légitime succJs pour
Mlle Bressler.
Le concert se terminait par la Symphonie Pastorctle. Si l'exécution de la première
partie n'a pas été absolument parfaite, celle des quatre autres a été excellente. 11 faut
une somme d'efforts considérable pour mettre au point cette oeuvre longue et difficile et
en rendre les multiples beautés. Ce n'est pas un médiocre honneur pour l'orchestre de
Nancy d'être arrivé à ce résultat.
X.
RA\'CFORT-SUK-MEIi\ — Depuis que S. M. l'Empereur d'Allemagne a
institué un concours national de chant avec un prix à la « Gordon-Bennett », l'in-
térêt que l'on porte au chœur d'hommes en Allemagne a beaucoup augmenté. A
Francfort le Saengerchor des Lehrervereins jouit de la plus grande faveur auprès du
public, et ses concerts prennent place à côté de ceux de la Museumgesellschafl et des
premiers chœurs mixtes de la ville. Son premier concert offrait un attrait particulier,
car il s'agissait de fêter le vingt-cinquième jubilé de son excellent directeur, prof. Maxi-
milien Fleisch.
Au programme figuraient des œuvres deMozart, Schubert, Schumann, etc., ainsi que
les plus jolis « Volkslieder ». Il est impossible de rendre ces « perles » de la littérature
musicale de chœurs d'hommes avec plus de finesse, de poésie et une plus belle sonorité ;
aussi cela a-t-il été pour l'auditoire une vraie jouissance artistique en même temps
qu'un repos d'esprit (chose rare dans nos salles de concert) que d'écouter cette musique
interprétée à la perfection et composée uniquement pour le cœur et les oreilles.
Le cinquième concert de la Muséumsgesellschaft sous la direction de Sigmund von
Haussegger était consacré à la musique formale : Bach, Haendel, Mendelssohn et
Brahms. M. Froelich de la Cruz, de Paris, s'est fait applaudir surtout dans un aria de
Haendel où sa voix sonore et sa technique de respiration ont fait merveille.
Au programme du sixième concert de la société figuraient exclusivement des com-
positions d'auteurs modernes : le prélude des Maîtres Chanteurs de Wagner, l'asso de
Liszt et Doti Qiiichote de Richard Strauss, puis quelques L/eier de Luuwig Hess et de
Haussegger. Le Don QwzcAo^d-' de Strauss est une caricature musicale qui illustre d'une
façon géniale ce héros de Cervantes que l'on suit avec intérêt dans ses différentes aven-
tures. C'est une musique spirituelle et amusante, où la poésie coudoie la banalité.
Le public s'est montré froid.
Le ténor Ludwig Hess a chanté trois lieder de sa composition,' avec lesquelles il
n'a malheureusement pas enrichi la littérature musicale, puis trois autres de Von
Haussegger qui ont davantage intéressé.
Parmi les concerts particuliers il faut citer celui de Frédéric Lamond qui a su inté-
resser son public pendant deux heures de temps en jouant du Beethoven, dont il est
sûrement un des meilleurs interprètes.
G. A.
h' abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain numéro les corres-
pondances de Bordeaux. Lyon, Liège, Le Caire et Orléans.
— JIO —
Concerts Tlrjvoîjcés
Salles Pleyel
Grande Salle
Février
1 Mlle Germaine Arnaud.
2 M. Rodolphe Plamondon.
La Société nationale de musique.
Mlle Jeanne Réol.
M. Paul Minssart.
Mme Juliette Ducher.
Mlles Eminger.
M. Emile Decombes.
Mlle Gabrielle Steiger.
M. Paul Minssart.
Mlle Grégoire.
3
6
7
9
lO
1 1
12
14
Salle des Quatuors
M. Charles Bouvet.
Le Qjiatuor Calliat.
La Société des Compositeurs die musique.
Salle Erard
M- Hertz.
M. Enesco.
M. Reitlinger.
Mlle Corranza.
Mlle H. Barry.
M, Qabrilpwitsch.
M. Enescp.
M. Hertz.
M. Staub.
Mme Gousseau d'Almeida.
Mlle H. Renié,
Mlle Clément.
Salle des Agricij^lt€;ur9
Février.
1 Les Soirées d'Art.
6 Société Philharmonique.
7 M. Edouard Bernard.
8 Les Soirées d'Art.
10 M. Hegedûs.
12 M. Edouard Bernard.
I 5 Société Philharmonique.
Scîiola CantorTjiii
2 L'Orfeo de Monteverde.
13 Mlle Blanche Selva (œuvres de Bach).
Salle de l'Union
7 Société J.-S. Bach.
Salle iSolian
2 Le Quatuor Parent.
9 id.
14 Mme Uriarté.
15 Mme Landqrmy-PIançqn.
Salle du Conservatoire
4 Le Quatuor Capet.
4wlîigu
7 Ancienne Société dps nigtinées Danbé, 4 h, i[2,
14 id. id.
TîiéâtreTRoyal (rue fioyale)
3 Les Ifitiniité^ d'Art, à 3 h.
10 j4.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A l'Opéra. — L'Etranger de V. d'Indy, sera repris, ^ l'Opérp, vprs 1§ fin jîji piois
de février.
A l' Opéra-Comique. — Les répétitions d'Aphroclite de C^piille Erlai^ger spi^t
activement poussées à l'Opéra-Comique. Nous avons donné dernièrement la distribu-
tion des rôles ; nou^ apprenons aujourd'hui que, sur la demande des auteurs et de
M. Carré, Mlle Glaire Friche avait bien voulu accepter de créer le rôle important, mais
relativement court, de Bacchis. L'interprétation s'annonce comme devant être hors de
pair. La première d'Aphrodite aura lieu vers le 10 mars.
Société J,-S: Bcich (Salle de l'Union, 14, rue de Trévise), r— |^e mercredi 7 février,
concert avec soli, ochestre et chœurs (4° de la série A). Programme : Premier concert
brandebourgeois, pour violon principal, deux cors, neufs hautbois, basson et orchestre
(audition redemandée'^, cantate, Ach wie fliichlig (i" audit ion), Swt/e en si minevr, can-
tate : Hen wie du wilt, solistes. MM. Plamondon, Sigwalt, etc.
— III —
La Société des Concerts du Conservatoire fera entendre, à ses séance? des ii et i8
Février, la belle cantate composée par M, Balakirew, pour les fêtes du cer^tenaire de
Glinka,
La traduction française deToeuvre est due à notre collaborateur M. -D. Calvocoressi.
C'est Mme Mellot Joubert qui chantera les soli.
Dinjaiiçhe prochain, 4 février, à 10 h. 1/3, les Chanteurs de Sairit-Gervais se
feront entendre à l'Eglise de la Sorbonne, sous la direction de M,, Çh. Bordes, daps la
Messe du Pape Marcel de Palestrina.
Les concerts Le Rey donneront à partir du 8 février prochain, des matinées tous les
jeudis à 4 heures, au Théâtre Marigny.
Jeudi soir, 15 février prochain, aura lieu Salle des Fêtes du Petit Journal, le pre-
mier concert de la Camaraderie., association des élèves de la classe Pessard, au Conser-
vatoire. Au programme, des œuvres de MM. Gustave Charpentier, Moreau, Georges
Sporck, Clérice, Selz, Jacob, Mouchet, Durand, Bayer et MoUo, avec le concours de
Mme Kunc, MM. Douaillier de l'Opéra, Pecquery et l'association symphonique YOr-
chestre, sous la direction de M. Victor Charpentier et des auteurs.
MM. Willaumeet Feuillard donneront leur première séance de musique de chambre
le mardi 20 février, salle Erard, avec le concours de Mlle Henriette Renié et de MM.
Camille Chevillard, P. Monteux et Morel. Nous publierons le programme dans notre
prochain numéro.
La réouverture des Concerts-Berlioz aura lieu vers la fin de février, dans une
nouvelle salle avec orgue Cavaillé-Coll et contenant 500 places, sise 55 rue de Clichy.
Les concerts auront lieu les mardi, jeudi et samedi.
Mlle Berthe Ginoux, violoniste, donnera le 18 février à 8 heures 1/2 du soir, à la
Coopération des Idées, 234, faubourg Saint-Antoine, un concert avec le concours de
Mme A. Wolff, pianiste.
Au programme, oeuvres de Schuniann, Weber, Schubert, Lalo, S^int-Saëns et
Georges Sporck.
Musique dans l'intimité, le 21 Janvier, chez la Princesse de Polignaç : le quatuor
Geloso a exécuté de fort belle façon le i""" quatuor de Borodine et celui de M. Claude
Debussy. Mlle Louise Thomasset a obtenu un grand succès en chantant des mélodies
de Balakirew et des airs populaires grecs harmonisés par M. Maurice Ravel.
L' «Heure de Musique » du Fz^aro présente presque toujours le plus vif intérêt. C'est
ainsi que le 23 janvier dernier le programme consacré aux œuvres de MM. Eymieuet Marsick
a obtenu le plus grand succès, remarquablement interprété d'ailleurs par Mlle Germaine
Tassart, très applaudie après la Suite Villageoise de M. Eymieu, Mlle Poignant, MM.
Lqforge et Drœghmans.
On nqus prie de rappeler aux compositeurs qui yeuletit prendre part au (,(. Sajou
musical de la Société nationale », que les envoie doivent êtr? effectués le 17 février,avant
six bçurep du soir, au Grand-Palais, porte B.
i . . .
L.Q Juif Polonçiis. dciV^. Camille Erlanger, fait en çe moment pon tour de France,
et de la façon la plus brillante. A Nantes et à Brest le succès a été considérable ; la pre-
mière à Toulpuse aura Heu le 7 février prochain,
112 —
Raoul Pugno vient de jouer à New-York avec rOrchestre de Damrosch la Sym-
phonie avec piano, de V. d'Indy. Le public a chaleureusement applaudi cette belle
œuvre qu'il entendait pour la première fois et a rappelé l'éminent pianiste qui, ensuite,
a joué délicieusement Halvetia, de V. d'Indy.
Amiens. - La nouvelle Soci'clé des Concerts de mns:.]ue ancienne, classique et
moderne a donné un très beau concert, salle Godbert : M. G. Rabani, violoniste, a fait
apprécier son beau style dans la Sonate en la majeur de J.-S. Bach et la Sonatj de G.
Franck, ainsi que dans des pièces de Beethoven et Leclair.
M. Ricardo Vinès est un éblouissant pianiste, interprète admirable des classiques
et des modernes tels que d'Indy et Debussy ; Mlle Sirbain a chanté avec beaucoup d'art
des mélodies de Schubert, Schumann, Fauré, Rabani.
Mlle E. Sandrini, l'étoile de l'Opéra, est une admirable danseuse, son succès fut
éclatant dans les Danses grecques sur la musique de Bourgault-Ducoudray.
Nantes. — Au Grand Théâtre, Mme Duvall-Melchissédec remporte d'immenses
succès surtout dans Sigurd. où sa voix tendre et extraordinairement puissante tour à
tour, donne un relief insoupçonné au rôle de Brunnhilde.
Lille. — Le jeune et déjà remarquable pianiste .Marcel Dupré, dont le Courrier
Musical signalait dernièrement le succès à Rouen, vient de triompher véritablement au
cours d'un concert organisé ici par le quatuor Rieu. La Toccata de Saint-Saëns, lui a
valu de nombreux rappels. R. D.
Rouen. — On vient de représenter ici avec succès les Girondins de Fernand Le
Borne.
Une dépêche du Lavandou, dans le Var, où M. Ernest Reyer passe depuis de lon-
gues années tous ses hivers, annonce que l'auteur de Sigurd serait sérieusement ma-
lade.
Nice. — La première de '\Villia}?i Ratcliff de Xavier Leroux, vient d'avoir lieu, à
l'Opéra, avec M. Delmas et Mme Héglon. Nous en reparlerons.
— Les concerts du matin et de l'après-midi, inaugurés par le Casino municipal,
obtiennent un superbe succès. Une jeune cantatrice parisienne, qui est en même temps
une pianiste et une musicienne remarquable, Mlle Germaine Chevalet, s'est fait entendre
ces jours derniers et a été très applaudie. Il est regrettable qu'elle n'ait pu rester plus
longtemps à Nice. A signaler également le succès du ténor Vernet dans des fragments
d'opéras modernes.
Monte-Carlo. — Les concerts D. Thibault. — Par une innovation qui a conquis
de suite la faveur du public, l'excellent chef d'orchestre, M. Désiré Thibault, entouré
d'une phalange de virtuoses, a dirigé mardi, au Palais des Beaux-Arts, son premier
concert.
Les exécutants sont tous des premiers prix du Conservatoire National de Paris.
Quant à M. Désiré Thibault, c'est un musicien consommé : élève de Ch. Dancla et
de Litolff, il obtint son prix de violon, au Conservatoire de Paris, en 1864 ; après avoir
été premier violon à l'Opéra, puis à l'Opéra-Comique, il devint chef d'orchestre des
Folies-Dramatiques, puis du Théâtre Lyrique. Au cours de sa carrière de chef d'or-
chestre à Paris, il a monté deux cent vingt ouvrages. Membre de la Société des Con-
certs du Conservatoire pendant trente années, il fut élu second chef en 1891, et depuis
lors fut toujours réélu. En dernier lieu, il était chef d'orchestre aux Bouffes-Parisiens.
Il est chef d'orchestre au Casino de Monte-Carlo depuis sept ans. Il était donc tout dé-
signé pour diriger les nouveaux concerts des Beaux-Arts qui, d'ailleurs, portent son
nom.
La première séance a eu un énorme succès d'art. Il est impossible de rêver, pour un
orchestre de quatorze musiciens, une sonorité plus ample. Ne parlons pas de la disci-
— 113 —
pline : avec de tels artistes, elle est d'une précision admirable. Les œuvres de Mozart,
Dclibes, Gounod, Strohl, Schumann, Haydn, ont été interprétées magnifiquement.
Dans la première partie, M. Carlos Salzédo a joué en virtuose incomparable, deux
pièces pour harpe. Nocturne et Petite valse d'Hasselmans, avec une pureté de style,
une souplesse de nuances et un brio, qui lui ont valu une chaude ovation.
M. Henri Richet, violoncelliste, n'a pas remporté un succès moindre, dans la
seconde partie, pour sa merveilleuse exécution du Cvgnc de Saint-Sa ëns et du Menuet
de Becker (avec accompagnement de harpe par M. Salzédo). La chaleur du son, la
beauté du style, le profond sentiment de cet artiste l'on fait acclamer.
Et tous, dans ce petit orchestre, sont virtuoses au môme titre. Tour à tour, chacun
jouera seul. Il est absolument rare qu'un tel ensemble puisse être réuni. C'est là un
véritable tour de force réalisé par l'administration, et qui réserve au public de pures
joies d'art.
— On a vivement applaudi, en Concert classique, Mme Marthe Chassang, qui,
d'une voix très pure, avec un charme délicieux, et un style impeccable, a chanté l'air
de Thaïs, en véritable tragédienne, et le Nil de M. Xavier Leroux, avec une mollesse
exquise.
Le brillant violoniste, M. Deszo Lederer, dans le Concerto en ré mineur de Max
Bruch, qu'il a interprété très classiquement, et dans trois pièces de Chopin, de Léon-
cavallo et de sa propre composition, où il a déployé toute sa virtuosité, a remporté un
succès éclatant.
Signalons aussi le succès d'un délicieux poème symphonîque de M.Léo Sachs, BaZ?//
d'Oiseaux, d'une grande fraîcheur d'inspiration et d'une orchestration pleine de détails
ingénieux.
Lierre. — La Grande Harmonie offrait l'autre soir à ses membres un concert d'un ca-
ractère artistique remarquable. Le Quatuor vocal mixte Pour l' Art en faisait les frais tant
par ses exécutions d'ensemble que par des productions personnelles de chacun de ses
membres. Nous avons fort goûté les qualités d'ensemble, de cohésion et d'infini souci ar-
tistique dont le quatuor a fait preuve dans un Ave Maria de Smulders, le curieux Chant
des oiseaux de Jannequin, une suite intéressante de Massenet, les Chansons du bois
d' Amaranthc, un Lied, page d'intense poésie du jeune compositeur be Ige Albert Dupuis,
enfin dans diverses chansons anciennes dites avec tout leur charme a rchaïque.
On a fait grand succès au Quatuor Pour l'Art qui forme un groupe artistique de
toute première valeur.
Mlle Al. Hermann et Mme Jobé, deux excellentes pianistes complétaient le pro-
gramme de cette soirée qui marquera dans les annales artistiques lierroises.
L AMAJEUR.
Bruxelles. — Le Concert jubilaire Ysaye a été un succès énorme : public trépi-
gnant d'enthousiasme. Au programme, rien que des œuvres belges : Symphonie de
Franck, Fantaisie sur des airs angevins de G. Lekeu, Concerto de Théo Ysaye (M. de
Greef), entracte de Jean Michel, d'A. Dupuis, Chant d' hiver ei Caprice-Valse d'E. Ysaye
(Jacques Thibaud).
Une ovation superbe a été faite à Ysaye.
— A la Monnaie. — Le 27 janvier vient d'avoir lieu, à bureaux fermés, la représen-
tation des Noces de Fi<raro de Mozart, sous la direction de M. Fritz Steinbach. l'émi-
nent capellmeister de Cologne. On a lu à l'orchestre la partition de Déidamia, l'œuvre
nouvelle de M. F. Rasse. La Damnation de Faust passera vers le 15 février.
Les Théâtres lyriques en Allemagne : Nous donnons par curiosité, le
programme de quelques Théâtres lyriques d'Allemagne, dans la semaine du 15 au 21
janvier.
Berlin : Opéra de la Cour : 15 janvier .• Ondine ; 16 : Manon ; 17 : VEnlèvement
au Sérail:, 18 : Lohengrin ; ig : Mignon; 20 ; les Noces de Figaro; 21 : Der
Wildschiïtz.
Leipzig : Nouveau Théâtre : 16 : Enoch Arden ; 17 ; Les Contes d' iIolfm,a7tn ; 18 :
■ Undi ne ; 21 ■.Lohengrin.
Dresde : 15 : Bajazzo, Cavalleria rusticana ; 16 : Carmen; 17 : Pre:{_iosa ; 18 :
— 114 —
Salomé \ ig : Le Barbier de Séville ; 20 : Die Meistersinger ; 21 : Les Contes d'Hof-
fmann.
MuNïCH : 16 : Joseph ; 17 : Margarethe (Faust) ; 18 : Lé Postillon de Longjumeau ;
20: Les joyeuses commères de W^indsor \ 21 : Tannhceuser. ■
Cologne : 15 : Rheingold ; 16 : die Walkûre-^ 17 : Siegfried; 19 : PrinT^ess W^as-
cherin \ 20 : le Trouvère ; 21 : Gotterdaemmerting.
Francfort-sur-Mein. -^ Exposition Mo:!;art. — Nous avons déjà annoûûé ici
qu'une Exposition de documents se rapportant à la vie et aux oeuvres de Mozart aurait
lieu à Francfort, au Musée historique bien connu de M. Nicolas Manskopf. Parmi les
très nombreuses « pièces » qui ont été exposées, citons : une jolie gravure représentant
Mo:{art chez le prince de Conti (1763), (le jeune Mozart au piano avec, près de lui,
le célèbre chanteur Jéliotte). Cette gravure, faite d'après le peintre Barthélémy
Olivier, est très rare. — Parmi les manuscrits de Mozart, celui du Concerto à j cemhali
et accompagnement d'orchestre à cordes, la Sonate pour piano et violon (Kœchel n° 301).
Nous voyons aussi l'affiche de la première de Donjtian (15 juin 1788). Une autre affiche
annonce une des premières de Don Juan en allemand^ à Dresde (16 octobre 1795). Nous
ne pouvons malheureusement, donner ici une idée de la richesse de cette exposition qui
est aussi brillante que fut naguère V Exposition Berlioz., organisée également par M.
Manskopf, dans son Musée. Z...
— L'éminent violoniste Hugo Hermann, dont certains journaux français orit an-
noilcé la mort, est heureusement vivant, bien vivant.
De retour d'une brillante tournée en Australie et en Amérique, Hugo Hefmatitl a
repris la direction de son Quatuor et de son Ecole de violon. Nous l'entendrons bientôt
à Paris, aux concerts de la Société P hilharmonique .
Berlin. -^ Edouard Risler vient de donner ici trois séances consacrées à l'audition
de Sonates de Beethoven. Succès triomphal pour le grand artiste. Nous reviendrons
sur ces concerts prochainement.
Mme Jeanne Diot donne le 30 janvier un concert à la Beethovensaal avec le concours
du pianiste Vianna da Motta : Sonates de Bach, Beethoven, Rich. Strauss et César
Franck*
On nous écrit de Suisse pour nous signaler le grand Succès remporté à Laiisanne
et à Genève, aux Concerts Marteau, par Mme Georgeâ Marty, qui vient d'y interprétet
des lieder de Franz Liszt et d'Alexis de Castillon.
Bucarest. — La distinguée cantatrice Yvonne de Trévllle vient de remporter un
immense succès dans Lakmé^ avec sa troupe française d'opéra.
BIBLIOGRAPHIE
Musik-geschichtliclies aus Boehmen, von Dr. Johann Branberger
Prag, Verlag von I. Taussig, 1906, in-8 de 51 pages
Dr Jan Branberger. K. Dejinam Sborového Zpêvu
Praha, « Slavia » 1905, in-8 dé 30 p&gcâ
Dans un petit volume qui nous est présenté comme le premier d'une série promet-
tant d'être fort intéressante, M. le D' Branberger a réuni quatre brèves^ mais substan-
tielles études sur divers épisodes de l'histoire, encore trop peu connue, de la musique
en Bohême. Tout d'abord il nous révèle un maître du xvi" siècle, Johann Trajan Tur-
novsky, dont les œuvres conservées à Prague en manuscrit et datées de 1 574-1 576,
offrent cette particularité passablement rare en ce temps, d'être écrites à 3, 4, 5 DU 6
voix, uniquement pour des chœurs d'hommes.
— 115 —
En second lieu, l'auteur trace un tableau rapide de l'état de la composition reli-
gieuse en Bohême au xvin" siècle ; ses principaux représentants nationaux furent Czer-
nohorsky, Zach, Tuma, Segert et Habermann, dont les noms et un petit nombre d'œu-
vres se sont imposés déjà à l'attention des historiens, et sur lesquels sans doute M.
Branberger nous apportera bientôt d'utiles détails. Ceux qu'il nous donne sur « Une
Académie noble de musique à Prague, en 1715-1717 » montrent avec quel zèle la haute
société bohème de cette époque s'occupait de musique* Si l'on Se rappelle que la pre-
mière symphonie de Haydn fut écrite en Bohême poUr un orchestre privé, tout ce qui
touche à la culture de la musique instrumentale dans ce pays acquiert de l'importance.
— Les dernières pages du petit volume concernent le séjour de Paganini à Prague en
1828 et les cinq concerts qu'il y donna. Quoiqu'il eût abandonné le bénéfice du troisième
à une institution charitable, il laissa là, comme partout, le double souvenir d'un vir-
tuose extraordinaire et d'un prudent « homme d'affaires ».
En langue tchèque, dans une autre brochure, M. le D"' Branberger publie le pro-
gramme, accompagné de divers commentaires, d'un concert historique donné à Praguet
eh 1905, par la société de chant Skroup. Toutes les écoles de composition vocale poly-
phonique du xVi" siècle étaient représentées par leurs maîtres les plus célèbres, dans
cette audition combinée à l'instar de celles du chœur d'Amsterdam (D. de Lange), de la
Société dirigée par M. Emile Bohn, à Breslau, et des chanteurs de Saint-Gervais. Nous
retrouvons aux pages 11-13 la notice qui concerne J. Trajan Turnovski. A la fin de la
brochure, quelques lignes renseignent sur la société Skroup, ainsi nommée en souvenir
du chef d'orchestre François Skroup dont un petit portrait orne l'avant-dernière
page. M. Brenet,
Voici, publié chez l'éditeur Jurgenson, de Moscou, Un charmant recueil de reconsti-
tutions de musique ancienne, par M. A. Kastalsky. Je ne saurais dire avec quelle vérité
de couleur et quelle simplicité de moyens l'auteur a tracé ces tableaux musicaux, et
comme il obtient, aVec le seul piano, jolies impressions. Ce ne sont point des pastiches,
ni des documents : c'est de la musique, qui évoque tour à toiir la Chine, l'Inde, l'Egypte,
la Judée, la Grèce et l'Arabie. Ce petit recueil tïiérite d'être chaudement recom-
mandé.
De Russie aussi m'arrive, récemment parue (chez Zimmermann), une sonate de
piano de M. Mili Balakirew. C'est Uile œuvre importante et dont on ne saurait parler
convenablement dans ce court bulletin. J'y reviendrai lors de sa prochaine exécu-
tion)
Chez MM. Augener et C'' de Londres a paru un fort joli Capticcio de piano de M.
Frank Bridge. L'écriture en est légère, l'invention heureuse, l'allure discrètement ori-
ginale et agréablement souple. Le nom de ce jeune musicien anglais me paraît digne
d'être retenu.
M.-D. G.
Les éditeurs DURAND & FILS viennent de publier tiiie édition in-16 de la parti-
tion d'orchestre de l'Apprenti sorcier, de Paul Dukas. C'est là, à toUs points dé vue,
une heureuse idée (prix ; $ francs).
— 1 1 6 —
NOUVEAUTÉS MUSICALES
Les Maîtres Français du violon au XVIIP siècle. — Edition
J. JONGEN et J. DEBROUX.
B. Rondanez, éditeur, 9, rue de Médicis. Pans.
Poursuivant avec zèle et intelligence la publication des œuvres de nos violonistes
du xvm" siècle, si heureusement tirées de l'oubli, M. Joseph Debroux nous donne au-
jourd'hui quatre nouvelles sonates de "• Jacques Aubert (1678-1753), J.-P. Guignon
(1702-1774), Jea«-Ferr_v Rc'^c/ (1664-1747), Branche (1722-?). Elles sont toutes intéres-
santes, à des points de vue divers, et témoignent comme les sonates de Leclair, de
Francœur, de Labbé, de la liberté d'inspiration de nos violonistes du xviii' et du déve-
loppement, de l'originalité même qu'ils imprimèrent à la technique de leur instru-
ment. Nous ne saurions donc trop les signaler aux violonistes et à tous les musi-
ciens.
Nous avons reçu de MM. DOTESIO, éditeurs à Bilbao, les trois Quatuors, à cor-
des du compositeur espagnol J.-C. de Arriaga. élève de Fétis, mort à 19 ans en iSjç.
L'édition nouvelle de ces quatuors est bien présentée, et nous les signalons aux ama-
teurs de musique de chambre.
VIENT DE PARAITRE :
POUR PIANO A DEUX MAINS
Gésar Franck
Danse Lente (1885).
Petite Pièce facile Net : 1 fr. 50.
eJosepii «Joii-Q-eri.
Sérénade (op. 19).
Moyenne difficulté Net : 3 francs.
Edition Mutuelle, 26r), rue Saint-Jacques, PARIS
Ouvrages reçus
Hugues Imbert : Johannès Brahms, sa vie et son oeuvre, i vol. Fïschbacher, éditeur.
Paris.
Lionel de la Laurencie : L'Académie de Musique et le Concert de nantes
à l'Hôtel de la Bourse (1727-1767)
I volume de 211 pages. — Société Française d'Imprimerie
et de Librairie. Paris.
Victor Debay ; L'Etoile, roman, Victor Ilavard. éditeur. Paris.
Beethoven : par A. Goellerich.
Zur Geschichte der Programm-Musik, von W. Klatte.
Bayreuth, von Hans von Wolzogen.
Die Russiche Musik, von Alfred Bruneau
Ces 4 volumes ont paru dans l'édition die Musi/c, chez Bard-
Marquardt et C", éditeurs à Berlin. _^
Maurice Morel : L'Ame de l'eneance (Perrin & C", éditeurs).
Alex. Cormier : Le livre des Fées, des Fantôaves et des Sages.
— Maître Belgiratte.
— Don Fernand de Catalogne.
(E. Sansot & C'", éditeurs).
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
Administration ds Concerts L DANDEL07, S3, rue d'Amsterdam
SAL.l_E PL_EYEI_
Ji:UI)I !«' tB.VKIEK Î90(5, à 9 heures
RÉCITAL de PIANO
donné par Mlle
ermaine 1^ R N A U D
f» il o G R A ]sj: m: E
I. Sonate op. 91 n'3, mi bémol majeur Beethoven
2. (T. Prélude et Fugue /a mineur .. Bach
/'. Novellette mi majeur Schumann
c. Pièce un majeur Mendelssohn
1/. Toccata . SAiNr-SArNS
a. Nocturne ut mineur . . . . . . . Chopin
b. Etude la mineur ...... . . id.
c. Etude mi majeur. Chopin
d. Troisième Ballade id.
4. a. Arabeske Schumann
b. Humoresque Alph. Duvernoy
c. Chœur des Pileuses . Wagnek-Liszt
d. Campanella Liszt
PRIX DES PLACES : Grand Salon : {!'•■- série) 10 francs. - ('2'°° série) 5 francs. - Petits Salons : 3 francs
BILLETS : A la Salle PLEYEL et à l'Administration de Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam
(Téléphone 11^-2^)
S A L l_
R A R D
MARDI 6 Février 1906, à 9 heures
dopé par
lie
élèi)e im\
Avec le Concours de M.M.
François DRESSEN
Premier Violûneelle-Solo des Concerts Lainonreux
Louis BAILiLY
Henri LEFEBVRE
Clarinette-Solo des Concerts Lamoureux
1. Sonate en sol mineur
pour Violoncelle et Piano
M. François DRESSEN
Mlle Hélène BARR Y
2. a. Récitatif et Air
b. Chœur (Cantate 30J
Chrétiens, rcjouisse--vons.
Transcrit par Saint-Saens
c. Sonat?, op. ^), ut majeur. . .
Mlle Hélène BARRY
Altiste du Quatuor Capet
p» R. o o 1 i A m: m: JE
Haendel
(I6S5-I739)
J.-S Bach
(1685-1730)
Beethoven
(1770-18271
3. a. Impromptu m Chopin
(1810-1849)
h. Kreisleriana R- Schumann
N-- 6. 2. I. 4. 5. (1810-1836)
Mlle Hélène BARR Y
4. Trio en mi bémol majeur Mozart
pour Piano, Clarinette et Alto (1756-I791)
Mlle Hélène BARR Y
MM. Henri LEFEBrRE
Louis BAILLY
PRIX DES PLAGES : Fauteuil de Parquet : 10 francs - Première Galerie : 5 francs - Deuxième Galerie : 2 francs
BILLETS : Chez Mlle BARRY, 5 Place des Ternes ; à la Salle Erard, 13, Rue du Mail ; et à l'Administration
de Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam (Téléphone 7/^-25*.
SALLE PLEYEL
lIAltDI G Fâ^VRIEIl I90(î, à 9 hciiics ^
Concert dovvé par Mii^ faije liÉOL
Avee le concours de M'i® Marthe DOERKEN
et d'un Orchestre d'instruments à cordes sous la direction de 1. Edouard MDAUS
1. Concerto en sol mineur Max Bkuch
Mlle Jeanne RÉOL
2. Iphigénie en Tauride Gluck
Le Songe, récit et air.
Mlle Marthe DOERKEN
3- 6""' Sonate pour Violon seul J.-S. Bach.
Mlle Jeanne RÉOL
l'ILOGhRAlVLM.E
}. a. Orîeo .
, Haydn
b. En Prière G. Fauré
c. Lied Maritime V. d'Indy
Mlle Marthe DOERKEN
5. Symphonie espagnole Ed. Lalo.
Mlle Jeanne REOL
Ail Pi;iMO : Mlle CHASSAING, du Ccjuscrvati.iic
PRIX DES PLAGES : Grand Salon (/•• série) ; 10 francs, - (2- série) ; 5 francs. - Pelits Salons ; 3 francs
BILLETS : cIk-z Mlle RÉOL, i so, Faubourg St- .Martin, à la Salle PLEYEL et à l'Administration d; Concerts
A. DANDI.LOT, 83. Rue d'Amsterdam.
Administration de Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam
SALLE PLEYEL. — SAMEDI lo FÉVRIER ic)o6
Concert donné par Mesdemoiselles Nelly et Alice EMIIIGER
Avec le concours de MM.
PROGRAMME
(Piano et
Beethoven
Sonata op 12.
violon). . .
Mlles NELLYet Alice EMINCER.
Introduction et Ronde Cappric-
cioso Saint-Saens
accompagné par IVlUe Marie EMINCER.
Mlle Alice EMINCER
. Sonate, op. ^s Chopin
Mlle Nelly EMINCER
Le Triompha Victor Hugo
Adaption symphonique de Francis ThomÉ
M. BRÉMONT.
Au Piano : L'AUTEUR.
Violon : Mlle Alice EMINCER.
Une voix : Mlle BEAUBOUCHEZ.
. Intermezzo 0' ^^'^'t'°") ■•■ Francis Thomé
accompagné par 1' Auteur.
h. L'Abeille . ... Schubert
Mlle Alice EMINCER .
a. Hallucinations Schumann
b. Pourquoi ? »
c. Paraphrase sur le Songe d'une
Nuitd'Eté Mendelssohn-Liszt
(Marche Nuptiale — Ronde des
Elfes\
Mlle Nelly EMINCER.
Poèmes hongrois (/ à 6) J Hubay.
accompagnés par Mme Marie EMINCER.
Mlle Alice EMINCER.
Rapsodie peur 2 pianos) Francis Thomé
(/■ Audition^
L'AUTEUR et Mlle Nelly EMINCER.
, fl. Rappelle-toi . .. Victor Hugo
è. Incantation »
Adaptations musicales Francis Thomé
M. BREMONT.
Au Piano : L'AUTEUR.
Violon : Mlle Alice EMINCER
SALLE ERARD. — VENDREDI i6 FEVRIER iqo6
Concert donné par M"^' Georges Ml^TY
Avec le concours de
TVllle Heïiriette REISTIÉ
De MM. Louis BLEUZET, Hautbois Solo de la Société des Concerts de Conservatoire et Georges MARTY
Prooramme
1. Sonate en sol majeur Haendel
pour Hautbois et Piano.
MM. BLEUZET et Ceorges MARTY.
2. a. Air de la Cantate : Freue dich J.-S. Bach
è. La Jeune Religieuse Schubert
c. LaLoreley. F. Listz
Mme Ceorges MARTY.
5. fl. Fantaisie . . .. pour harpe Saint-Saens
è. Le Rappel des oiseaux » J. Ph. Rameau
c. Légende » H. Renié
(d'après les Elfes de Leconte de Lisle)
Mlle Henriette RENIÉ.
4. rt. Dans la Steppe Ch. Lefebvre.
Z) Berceuse philosophique. G. Alary
c. Nuit étoilée A. Duvernoy
d. Ballade de Barberine .... C. de Saint-Q.uentin
£. Haï Luli A. CoauARD
/.Offrande Xavier Leroux
.§'. Fédia C.Erlanger.
/j. Dans les ruines d'une abbaye Gabriel Fauré
Mlle Ceorges MARTY.
5. Scènes Ecossaises, p. Hautb. B.Godard
et. Légende Pastorale
b. Sérénade à Mabel
c. Marche des Highlanders
M. L. BLEUZET.
6. fl. Echange P. Puget
/'. Adieu. LÉO Sachs
c. Les Marionneltes G. Pierné
d. Invocation Ch. M Widor
e. Sône Bourgault-Ducoudray
/. La Pavane Chanson à danser). A. Bruneau
g. Le Cavalier L. Diémer
Mme Georges MARTY.
SALLE PLEYEL. — VENDREDI 16 FEVRIER iço6
ONCERT donné par M"' Alice QOGUEY
AVEC LE CONCOURS DE
Mlle Marthe DOERKEN et de M. Marix LOEVENSOHN
PROGRAMME
Sonate en ut Op. 2, n
Allegro. — Adagio
Mlle Alice GOGUEY.
Sonate 01 sol pour violoncelle
M. MARIX LŒVENSOHN.
Iphigénie en Tauride
Songe et Air
Mlle Marthk DOERKEN.
Carnaval de Vienne
Allegro. — Romance
Scher:^cllino. — Inicrmcdc
Finale.
Mlle Alice GOGUEY.
Beethoven
Schcr-o. — Finale.
Bach
Gluck
Schumann
7. a
b
Sonate pour Violoncelle .. . Boccherini
M. MARIX LOEVENSOHN.
a. A la Nuit GouNOD
b. Fédia C. Erlanger
c. A ma Fiancée . . Schumann
Mlle Marthe DOERKEN.
Gavotte variée Rameau 1633-1764"
ijcherzo Mendelssohn
Jardin sous la pluie Debussy
Bourrée fantasque Chabrier
Mlle Alice GOGUEY.
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travaux qui lui sont transmis de Paris, de la Province et de l'Etranger. Son organisatiocf'
technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
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LIQUEUR
BENEDICTINE
wÊ'
90 ANNÉE. No 4. 15 Février 1906.
Directeur; Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE
Portrait : G.-M. GUY-ROPARTZ
(notes biographiques et catalogue de ses oeuvres)
Lettres Inédites (suite) de
Propositions sur la Musique
Les Etudes de Litz
Les Premières : IVilliam
Ratcliff de X. Leroux a
Nice
Tiphaine, de V. Neuville
A Lyon
Les Grands Concerts
GUILLAUME LEKEU
C. MAUCLAIR.
MICHEL BRENET.
ALFRED MORTIER.
PAUL LERICHE.
JEAN O'UOINE.
La Quinzaine Musicale : Société T^hilbarmo-
nique. Concerts Le Rey, Schola Cantorum,
Société Nationale, Soirées d'Art, Le Quatuor
Parent, Concerts N in.
Concerts Divers.
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Correspondances de: Lyon, Bordeaux, Orléans,
Liège, Leipzig, Le Caire.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles Diverses.
Bibliographie MICHEL BRENET.
■»■•»»
Administration «t Rédaction
Le Directeur et le Secrétaire de la
Rédaction reçoivent les Mardi, Jeudi
29, RUE TRONCHET, PARIS (8*) Rédaction reçoivent les Mardi,
- ^ ' et Samedi, de /o mures a midi.
TÉLÉPIIOIVE 252.95
3ureau;c ouverts
de /o h. à midi ci dt ^h. à 6 h.
Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
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Le Courrier Musical
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
( Paris et Départements .... 2 francs l'aal
ABONNEMENTS ] ^ ,^ ^
( ETRANGER 15 » )>
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, (16^)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8*). i
(TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM» Aguettant — Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Br©t-r
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D' Colas — M. Daubresse — Victor^
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot— RenéDoire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flaghy — Henry Gauthier- Villars — E. Giovanna — Orner Guiraud —
F. Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier-— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. --,1
J. Sauer^Arein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D"^ Fritz Volbach — E. Vuil--
lermoz, etc ..
te Courrier Musical est en veute :
A PARIS: 29, rue Tro7ichet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Auber^
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, ^, Faubourg Saint-Honoré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
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Cour, à BRUXELLES
MM. BREITKOPF d H/ERTEL, 54, Malborough-Street, I
LONDON-Vy.
Û-
9« ANNEE. N» 4. i5 FÉVRIER 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portrait : J,-M. Guy-Ropartz (Notes biographiques et Catalogue de ses
œuvres). — Lettres inédites de Guillaume Lekeu (suite). — Propositions sur la
Musique (Camille Mauclair). — Les Etudes de Liszt (Michel Brenet). — Les
Premières : William Ratcliff, de X. Leroux à Nice (Alfred Mortier). — Tiphaine,
de V. Neuville à Lyon (PaulLeriche). — Les Grands Concerts : Colonne, Lamoureux,
Conservatoire (Jean d'Udine, L). — La Quinzaine Musicale : Société Philharmonique,
Concerts Le Rey, Schola Cantorum, Société Nationale, Soirées d'Art, Le Quatuor Parent,
Concerts Nin. — Concerts divers. — Le mouvement musical en province et à
l'étranger : Correspondances de : Lyon, Bordeaux, Orléans, Liège, Leipzig, Le
Caire. — Concerts annoncés. — Echos et Nouvelles diverses. — Bibliographie
(Michel Brenet).
Lettres inédites de Guillaume Lekeu
(Suite)
Lettres à M. Kéfer, directeur de l'Ecole de musique de Verviers
(Suite)
Paris ; vendredi 26 avril 1890,
J'ai été revoir le père Franck, qui m'a reçu avec son éternelle bonté. 11 s'est
informé de la santé de ma mère, de mon séjour à Verviers, de la musique que j'y avais
entendue, du concert, de mon Etude symphonique, de l'exécution, etc.. Il a été
enchanté de toutes mes réponses, et fort content de ce que je lui ai montré du Trio que
je suis à travailler ; il m'a chaudement encouragé à poursuivre cette lourde besogne.
Je m'y suis attelé avec une force nouvelle (comme dit Beethoven dans le 15»
quatuor !)
J'ai déjà entendu plusieurs choses importantes depuis ma rentrée à Paris. Sa-
medi soir, à la Nationale, on donnait la première audition du Quatuor de Franck,
C'est encore un chef-d'œuvre ! L'adagio en particulier est une gigantesque merveille.
C'est vraiment un homme étonnant, d'une richesse et d'une nouveauté d'invention
stupéfiantes. — Lundi, à un concert d'orchestre à la Salle Erard (donné aussi par la
Nationale), j'ai entendu la première exécution d'une Introduction pour orchestre et
chœurs à la Passion (mystère de Haraucourt), par Gabriel Fauré. C'est une très belle
œuvre, très grande, très simple, très sincère, et d'une sonorité splendide. Le reste des
deux concerts ne valait pas grand chose ; mais ces deux œuvres-là sont réconfor-
tantes et saines, elles suffisent l'une et l'autre à toute une longue soirée de mu-
sique.
Ajoutez à cela que j'ai acheté et lu les premières livraisons de la partition d'or-
— ii8 —
chestre des Maîtres et de celle de Tristan, et vous serez sans aucun doute, persuadé
queje n'ai pas perdu ces huit premiers jours.
Une vraie fièvre de travail me tient en ce moment et je veux m'y abandonner
tout entier. D'ailleurs, presque au jour le jour je vous tiendrai au courant de ce que je
ferai.
Jeudi soir, 23 mai 1890.
Je travaille beaucoup. Je ne parlé pas du contrepoint, il faut bien se débar-
rasser de ces scholasticités ennuyeuses, mais si indispensables ! J'ai terminé la pre-
mière partie d'un Trio pour piano, violon et alto ; l'adagio sera écrit (du moins je
l'espère) dans un ou deux mois. J'ai montré ce travail au père Franck qui en est fort
satisfait. D'ailleurs je compte bien le lui dédier (c'est tout naturel !)...J'ai entrepris une
grosse machine à trois parties pour orchestre (et des chœurs d'hommes dans la troi-
sième partie). Je vous en dirai tout à l'heure lé sujet et le plan. Voici, auparavant,
sur quoi repose mon espoir d'entendre cela à brève échéance. M. Voncken m'a
demandé, pour le concert annuel de l'Emulation, une œuvre pour orchestre et chœurs.
En outre, j'ai été tout récemment présenté à M. Louis de Romain qui, avec Jules Bor-
dier est à la tête de l'artistique entreprise des Concerts d'Angers. Ce monsieur a été
charmant pour moi et m'a prié de lui remettre, au mois d'août, à son prochain voyage
à Paris, la partition d'un morceau symphonique. Je me propose de terminer, pour
cette date, la première partie de mon Poème et de la lui remettre.
Voici maintenant de quoi il s'agit dans ce lourd travail : je voudrais faire une
Etude musicale d'après VHamlet de Shakespeare. La première partie a pour épigraphe :
«Mourir!... dormir, dormir! Peut-être rêver!... Me souvenir de toi!... Ton ordre
vivant remplira seul les feuillets du livre de mon cerveau ! » — Vous voyez que c'est
le caractère d'Hamlet lui-même.
Mais ce caractère, je ne me sens ni l'âge ni la force de l'embrasser tout entier : il
faudrait pour cette tâche un Beethoven ! Mais je puis du moins tenter d'en montrer
musicalement quelques traits principaux : la soif de la mort, la marche de sa pensée
s'appliquant à ce sujet : voyant d'abord dans la Mort une délivrance et craignant
ensuite de retrouver au-delà du tombeau les douloureuses surprises d'ici-bas; sa haine,
ensuite, de tout le mal fétide qui l'entoure (ses conseillers, sa mère, son beau-père),
et je suis ainsi amené à montrer aussi toute l'honnêteté de cette âme extraordinaire,
son profond amour du bien, son éternel attachement à son père. — Vous voyez que
ce n'est pas une petite affaire, et il y aurait encore bien des choses à voir et à traduire,
car la complexité de ce caractère (si étonnamment un, avec cela) est réellement écra-
sante.
Eh bien ! je me suis mis résolument à la besogne ! Déjà j'y songeais avant de
partir pour Verviers. Je viens de terminer le premier groupe de la première partie.
J'ai maintenant à faire entrer les thèmes de haine et à les unir symphoniquement aux
motifs d'invocation à la Mort.
La seconde partie aura pour épigraphe : « Das Ewig-Weibliche zieht uns hin an »,
« l'Eternel-Féminin nous attire » (Dernières paroles du 2« Faust) : la consolation que
la Mort n'apportera pas peut-être, l'âme inquiète la demande à l'Amour. M-ais, là
encore, déception complète ; et les thèmes de douleur reviennent plus sûrs de leur
victoire.
La troisième partie aura pour épigraphe : « O fière mort, quel festin prépares-tui
dans ton antre éternel, que tu as, d'un seul coup, abattu dans le sang, tant de
— 119 —
princes ! » C'est le triomphe définitif de la Douleur. — Il est surtout une chose contre
laquelle j'ai à me tenir en garde, c'est de vouloir raconter en musique des faits con-
crets (musique à programme), par exemple, l'apparition du spectre et autres bêtises.
Je ne veux, à aucun prix, tenter de recommencer en musique le drame de Shakespeare,
mais bien essayer de traduire musicalement quelques-uns des sentiments que j'ai
éprouvés en lisant et en relisant Hamlet . Par exemple, la 3^ partie ne sera pas une
marche funèbre (Berlioz en a fait une sur ce sujet), mais un morceau de musique, dans
un mouvement très modéré, où je m'efforcerai de mettre la plus grande douleur en la
faisant dériver de l'Invocation à la mort et des imprécations haineuses de la première
partie.
Dites-moi si vous trouvez tout cela compréhensible et raisonnable,et ne m'épargnez
conseils ni remontrances. Je suis trop heureux d'avoir autour de moi deux ou trois amis
sincères (et vous en êtes le premier) pour m'encourager parfois, plus souvent pour
me montrer que je m'écarte de la voie qui mène aux œuvres vraiment grandes, fortes,
dérivant de la Pensée, cette voie qui vous a permis de concevoir et de réaliser si splen-
didement votre Symphonie.,..
Lettres de Guillaume Lekeu à ses parents (suite)
(1890-92)
Heusy, i^'mars 1890(1)
Chère petite Maman,
J'ai reçu ce matin, à Heusy, une lettre de toi qui m'a rempli de joie. J'y ai vu que
tes habitudes étaient reprises et que la vie de coq en pâte, qui t'avait été promise, com-
mençait son cours. Je ne peux que te répéter le mot célèbre adressé à un jeune
nègre...
Mon existence ici est toujours la même, c'est-à-dire' une suite d'enchantements.
je vais ce soir avec Massau (2), Voncken (3), et peut-être aussi M. Kéfer, à un con-
cert du Conservatoire de Liège : on inaugure le grand orgue, et M. Ch. -Marie Widor
vient y jouer plusieurs choses du père Bach et du grand Haendel, de celui-ci le gigan-
tesque Alléluia du Messie pour deux chœurs, orgue et orchestre (orchestration de Mo-
zart, probablement). 11 y aura aussi des rasoirs (Symphonie de Widor, etc.), mais c'est
inévitable. En somme, toute belle soirée.
J'ai entendu ce matin chez Kéfer (F^ répétition^ le 15® Quatuor du Dieu! Je
tremble encore de la fièvre que cette œuvre m'a donnée ; mon impression a été cer-
tainement la même que celle d'un aveugle habilement opéré de la cataracte. O ! le
« Heiliger Dank-Gesang! »...
Je travaille ferme, autant pour suivre vos recommandations que pour ma propre
satisfaction. Le dernier morceau de mon Trio est définitivement attaqué : deux pages
sont écrites. Le reste mijote fiévreusement dans ma tête. Voici ce que je voudrais dire
dans cette première partie. J'en ai tous les thèmes :
1° Introduction : La douleur, une lueur d'espoir luit, fugitive, trop courte, chassée
brusquement par la sombre rêverie qui, seule, s'épand dominatrice.
(i) Cette lettre et les suivantes sont datées de Heusy, son village natal, pendant un séjour qu'il y fit
en 1890.
(2) M. Massau, violoncelliste distingué, professeur à l'Ecole de musique de Verviers.
(3) M. Voncken, violoniste éminent, professeur â l'Ecole de musique de Ven'iers.
2° Allegro Molto : Mélancolie douloureuse ; il faut donc toujours être en lutte
et avec la matière et avec les souvenirs des victoires passagères mais torturantes de
cette matière ! Et la Douleur réapparaît, des cris de haine retentissent et la malédiction
plane, librement. Le violon pousse un appel désespéré : qui me débarrassera de cette
torture? La ritournelle infernale lui répond; le violoncelle s'unit au violon pour cla-
mer à nouveau la supplication ; la ritournelle répond encore. Une lutte s'engage,
désespérée, entre les deux idées. (C'est ici que je me suis arrêté). Voici le plan de ce
qui me reste à faire :
La lutte semble se terminer. Serait-ce la fin des souffrances ?
La mélodie d'espoir de l'Introduction reparaît. Mais brusquement le monde Dou-
leur, comme irrité de ce calme consolateur, reprend tout son empire. Les cris de haine
reviennent plus nombreux, la fugue les entraîne dans ses replis, la mélancolie doulou-
reuse, qui veut se faire jour, est elle-même chassée ; chassés aussi tous les espoirs ;
et, dans une impuissante lassitude s'achève la première partie, semblant dans un obs-
cur silence proclamer le triomphe du Mal.
Ma chère maman, tu peux te rassurer, les autres parties corrigent la première,
et le final sera le lumineux développement de la Bonté, si toutefois je peux m'en sortir
convenablement.
Je suis content de ce que j'ai fait jusqu'à ce jour. J'espère, à force de patient tra-
vail, venir à bout de cette œuvre que je sens si belle, surtout si expressive, et je m'ef-
force de m'y mettre tout entier. Espérons que tu l'entendras dans un an.
Je vous embrasse tous deux comme je vous aime.
VOSS' BONZON.
Donne-moi des nouvelles du petit caniche et embrasse-le pour moi.
*
Mars 1890.
Chère petite maman.
Le concert symphonique est définitivement fixé au 13 avril, le i^'" dimanche après
Pâques. 11 y aura comme soliste Eugène Ysaye.
J'ai entendu hier la première répétition d'orchestre de mon Ehide Symphonique.
J'en ai été, somme toute, fort satisfait. Cela sonne bien, c'est un orchestre à la Bee-
thoven, et Kéfer m'a encore dit, en me serrant chaleureusement la main, que la fugue
était « prodigieusement charpentée ». J'y ferai cependant quelques petits changements,
nonau point de vue mélodique ou harmonique, mais orchestral. Cette répétition d'hier
a eu lieu dans des conditions particulièrement désavantageuses. Pendant une heure
trois quarts, Kéfer avait tenu les instrumentistes à l'étude de sa Symphonie ; fatigués,
ils étaient déjà levés et se disposaient à quitter la salle lorsque Kéfer les a rappelés et
les a priés d'essayer une fois l'œuvre d'un de leurs jeunes compatriotes. Ils se sont
remis à scier et à souffler de leur mieux, mais les cors et trombones, ne connaissant
nullement l'œuvre, ont manqué bien des rentrées. Lorsqu'ils ont eu terminé, ils se
sont tous mis à applaudir et j'ai dû me lever (j'étais dans un coin, assis à l'écart) et
faire des courbettes à droite et à gauche ; après quoi j'ai eu à recevoir et rendre des
poignées de mains pendant 5 ou 6 minutes. Tout cela vous fera bien rire, et hier
j'avais envie d'en faire autant. Le principal est obtenu : c'est de la belle musique et
d'une exécution possible.
Au prochain concert, on exécutera un petit morceau de Voss' éfant (Encore ! !)
Ce petit morceau (que vous entendrez à coup sûr) est une bonne blague inventée par
Massau et moi.
D'abord un violon et un violoncelle viennent se placer à leurs pupitres, tous les
autres restent vides. Ils attendent un peu les autres qui ne viennent pas et jouent, en
attendant, un motif de « Crampignon » (le violon d'abord, le violoncelle le reprend et
le violon l'accompagne en contrepoint d'imitation).
Un alto arrive pendant qu'ils jouent, s'assied et reprend à son tour le motif. C'est
une petite fugue qui se déroule sans aucune interruption pendant toutes les entrées
successives (à la queue leu leu) des instruments à archet.
Un hautbois arrive ensuite : il veut reprendre le thème, mais des accords bi-
zarres lui imposent silence à deux reprises. Une clarinette, qui, entre temps, est en-
trée, chante une mélodie bien calme, caractérisant la joie qu'on éprouve à faire de la
musique entre amis. Cette mélodie est traitée dans un petit adagio de 5 ou 6 lignes.
Le cor et le basson se mêlent à leur tour au divertissement, les sonorités grandissent,
enfin les violons entonnent victorieusement le chant de la clarinette et les basses, dou-
blées du basson, reprennent en même temps le thème du crampignon qui servait de
sujet à la fugue. (Ceci comme dans les Maîtres Chanteurs !!).
Tu vois, chère Maman, qu'on peut écrire des blagues en musique comme en lit-
térature. Mais je me suis eflForcé de rendre cette fantaisie amusante et très musicale.
Cela sonnera, je crois, à merveille, et presque toutes les entrées successives sont amu-
santes et imprévues ; à noter surtout une entrée jf de la contrebasse seule...
(A suivre).
Propositions sur la Musique
A RENÉ DOIRE.
l'Art de la Collectivité
On a pu se demander pourquoi la musique, telle que nous la concevons aujour-
d'hui, n'a été constituée que si tard dans l'évolution esthétique de l'humanité. Elle
semble être apparue avec un retard immense sur les autres formes d'art. Les passages
de l'ère du grossier fétiche à la statuaire égénète, de la mosaïque byzantine à l'art
giottesque, et de celui-ci aux quattrocentistes, se sont accomplis par des progrès inces-
sants et rapides en comparaison du très long stationnement de la musique entre la pri-
mitive instrumentation et l'orchestre moderne.
On en a conclu que l'oreille humaine, éduquée bien plus malaisément que l'œil ou
le tact, s'était contentée de sonorités fondamentales, sans besoin de les subdiviser, et
que la flûte du pâtre hellène, les instruments médiévaux, avaient suffi ^u plaisir des
générations. On a dit aussi, ce qui ne se soutient guère, que la fabrication d'instru-
ments comme les nôtres correspondait à un degré d'ingéniosité scientifique inacces-
sible aux anciens. Ils ont réalisé des problèmes plus délicats, depuis trente siècles,
dans le perfectionnement des techniques d'art. La première raison est démentie par
l'histoire elle-même : les expressions par lesquelles les anciens, et surtout les hommes
de la Renaissance, traduisent leur extase musical, dénotent une complexité sensorielle
qui vaut la nôtre, et on peut même dire qu'ils sentaient la musique autant que nous,
et plus dans un certain sens, puisque des moyens infiniment moindres les émouvaient
a notre envi, et qu'ils s'émouvaient moins des finesses des timbres d'instruments sub-
tils que de la structure rythmique et des modes harmoniques en eux-mêmes.
— 122 —
On pourra inférer de là que les anciens se faisaient de la musique une conception
bien plus profonde que la nôtre, et qu'ils en éprouvaient la jouissance d'un langage
supérieur, beaucoup plus que cet oubli du langage articulé qui, dans nos âmes, crée
le sensualisme indéfini des combinaisons de timbres. Leur satisfaction était toute
mentale. Le rythme, secondant la poésie et dérivant comme elle des rites constitutifs
d'une langue hiératique, était une géométrie sonore renforçant le prestige de la pa-
role individuelle. A mesure que se développa la prescience des forces collectives la-
tentes dans les associations de rythmes, les formes vocales collectives furent créées.
Le choral et le chant individuel humain furent, indépendamment des instruments,
les moyens d'énonciation, de transmissions de la pensée, et la voix garda très tard son
prestige d'instrument par excellence, parce qu'elle signifiait une forme suprême et vo-
lontaire de la parole. L'émotivité nerveuse incluse dans la vibration propre du bois ou
de la corde parut être un plaisir, quelque chose d'anonymement sensuel, une caresse
distincte de l'émotion intellectuelle du discours chanté. En d'autres termes, l'homme
resta maître de la musique.
Mais quand la sollicitation du plaisir nerveux l'incita à demander aux vibrations
subtiles de certaines matières une volupté qui fût à soi-même son but, quand toute
idée rituelle et hiératique fut disparue de la musique profane, quand les choses essen-
tielles eurent trouvé dans les autres arts deâ moyens de parfaite énonciation, sans
qu'il fût besoin du rythme vocal pour les signifier, l'homme seulement alors songea
à la nécessité de perfectionner par l'instrument ce sensualisme qui, antérieurement,
n'était que l'accessoire d'une émotion de pensée. D'une joie intellectuelle il fit une pas-
sion physique.
La lente et curieuse évolution qui, d'un art unitaire et sacré, a fait plusieurs arts
profanes, ne s'est jamais mieux précisée que dans cet acheminement du langage indi-
viduel et rythmique vers la collectivité orchestrale, où tout le monde parle et où per-
sonne n'est responsable, sinon un homme qui dicte et règle le testament appelé
partition. Il est le seul à tenir le rôle primitif, alors que l'ivresse sensorielle est le but
de la majorité des assistants. Et après avoir admis dans la sévère géométrie du chant
primitif l'imitation ornementale des rumeurs de la nature, évoquées en décor, on en
est venu à faire consister toute la musique dans la transcription de ce décor, à décrire
des états de conscience qui ne sont, au vrai, que des états de sensibilité. Le chant
réagissait sur les bruits naturels : la magie des bruits naturels envahissant l'âme et
aliénant la volonté est le suprême de notre actuelle satisfaction musicale.
En tous cas, si les compositeurs de symphonies persistent à veiller au maintien
des états de conscience, à préciser une volonté parmi les états de sensibilité, la grande
raison de l'amour de la foule moderne pour le concert est dans cette hyperesthésie des
états sensibles : c'est un plaisir qu'elle cherche, un plaisir stupéfiant dont la dissolu-
tion momentanée et délicieuse de la volonté est le plus attrayant résultat. La musique
est devenue l'art de la collectivité. C'est là la vraie explication de son très long stage
dans une sorte d'indifférence pour l'invention de multiples instruments. La constitution
d'un orchestre à l'image d'une foule n'a semblé désirable qu'au moment où les autres
arts parvenus au faîte de l'individualisme, rendaient inutile le rôle hiératique de
la musique. Le choral a été l'expression culminante d'une union de volontés musi- .
ciennes signifiant un langage : l'orchestre s'est opposé directement au choral en
offrant le moyen de dissoudre mutuellement les volontés. Le choral a été une expres-
sion cohérente de l'élite. L'orchestre est l'expression diversifiée de la foule. Un art
collectif ne pouvait être conçu que par le désir de désindividualiser les secrets de la
volonté esthétique, de créer, auprès de l'écriture hiératique des arts réalisés par un
seul homme, l'écriture démotique d'un art réaljsé par un€ collectivité anonyme.
— 123 —
■ Il en est résulté cette étrangeté que l'écriture musicale est démotique par sa desti-
nation, et hiératique par sa forme. Elle reconstitue dans les temps modernes le gri-
moire du Moyen-Age : mais elle est le grimoire de la foule. De ce grimoire naît la
voix collective. Le chant primitif disait le langage de l'homme au milieu de la nature.
La polyphonie moderne intensifie la puissance de la nature sur l'âme. De là vient que
le chanteur et la cantatrice sont un peu anormaux à nos yeux, en tous cas diminués,
et dépouillés de leur antique prestige. La musique collective faisant la symphonisation
des bruits naturels le protagoniste anonyme, multiforme et gigantesque de la musique
ces protagonistes paraissent mesquins. Cette déconsidération a été précisée par Wagner
plus que par tout autre, et c'est même parce qu'il nous a semblé aller trop loin qu'un
malaise nous fait retourner en ce moment vers l'époque lointaine où l'homme était plus
important dans la musique, où le Protée qu'est l'orchestre ne l'avait pas encore annulé,
où la musique de Bach et de Gluck maintenait toujours droite la volontaire et direc-
trice silhouette humaine dans le vertige des sonorités dont l'Inconscient fait actuelle-
ment notre dangereuse volupté, par la séduction d'une sorte d'amnésie exquise et
intermittente.
A ceux qui cherchent non cette amnésie, mais un renforcement et une exaltation de
leur individualité, le quatuor, le piano, le violon, le chant accompagné d'un instrument
suffisent, et donnent une joie intellectuelle distincte de la dépersonnalisation del'orches-
tre. Ils n'éprouvent pas le besoin de disparaître dans la polyphonie; ils se replacent dans
l'état d'esprit des gens du Moyen- Age, auxquels suffisaient un minimum d'instruments.
Leur émotion est dissemblable de celle du Pain magnétique de la musique collective.
Ils prouvent par là que la musique, dans sa fondamentale raison d'être, préexistait au
développement orchestral et avait dès lors connu sa perfection. La musique de chambre
est hiératique, la symphonie est démotique. La musique de chambre est notre voix
qui parle : l'orchestre est la nature qui lui répond et l'étouffé dans son immense mur-
mure où miroite le reflet de l'univers, Ulysse et les Sirènes...
II
LA MÉTAMUSIQUE
On a risqué cette expression. Elle est amusante pai" ses diverses façons de n'avoir
aucun sens. J'entends bien que par elle on a voulu désigner la musique métaphysique,
c'est-à-dire celle qui, distincte de la musique passionnelle ou descriptive, se propose
l'expression des états de conscience et se meut, comme la métaphysique, dans le do-
maine des idées générales. On y comprendrait alors la musique religieuse, et, comme
« religieuse» n'est pas « ecclésiale », toute musique n'ayant pour objet que l'étude
des réactions entre les valeurs sonores, sans préoccupation de sentiment ou de pein-
ture. Ce serait le langage prédit par Fichte, une langue philosophique universelle
comme la chimie ou la géométrie.
Mais il en est de la métamusique comme du « surhomme » qui a fait des traîtres
de tant de traducteurs de Nietzche. Toute musique est « métamusicale », c'est-à-dire
au-dessus de soi-même : en ce sens que jamais une sonorité n'a été émue sans une rai-
son supérieure. 11 n'y a pas de métamusique, il n'y a que des métamusiciens. Même si,
abandonnant toute volonté passionnelle ou descriptive, ils ne veulent que des combi-
naisons de sons, et font d'elles le but de leur art, ils ne font encore qu'une allusion à
la sorte de géométrie dans l'espace qu'est le jeu des ondes sonores. En sorte qu'au-
dessus de la musique, il y a un langage suprême auquel cette allusion s'adresse. C'est
le rythme générateur de l'univers, dont nos sons ne sont que les échos. Et ce rythme
seul est la métamusique. Dans tous les autres cas, nous ne pouvons qu'employer u»
— 124 —
adjectif: le substantif lui-même est intangible. Pour mieux dire, l'état métamusical,
c'est le silence — car le rythme ne fait pas plus de bruit que le mouvement n'en fait
dans l'éther. Les musiques humaines, et les rumeurs de la nature, ne sont en quelque
sorte que des traductions du silence en bruits perceptibles à nos organismes. Mais
l'âme perçoit le rythme en silence : elle est métamusicale, et quand le corps qu'elle
habite entend des musiques, c'est ce silence qu'elle écoute.
III
OCCULTISME MUSICAL
Une salle de concert recèle quotidiennement le miracle de la séparation de l'âme
et du corps : l'effluve musical emplit cette salle jusqu'à la saturation. Avant que cette
saturation soit accomplie, l'inattention du public persiste, et la gêne demeure, gêne
bien connue de tous les mélomanes. Il faut que l'air ait été complètement renouvelé,
remplacé par la sonorité diffuse, qui est une sorte d'arôme. Mais dès que la saturation
est faite, cette atmosphère irrespirable et étrange opprime les poitrines. \Jair musical
est au monde ce qu'il y a de plus léger et de plus lourd tout ensemble. Alors l'an-
goisse commence, et c'est comme une mort : le corps astral s'élève, le corps matériel
reste engourdi dans la couche torpide. Un échange muet se produit. Les effluves venus
de l'orchestre lui font retour sous la forme des corps astraux qui flottent et restent
suspendus comme des elfes. Ce sont eux qui comprennent le sens supérieur et caché
de la musique dont les corps des spectateurs, las et indistincts sur les gradins, se
bornent à cuver grossièrement l'opium.
Avec des volontés soutirées s'élabore, dans l'espace vacant, l'alchimie de la mu-
sique impérieuse. A ces corps astraux, elle fait faire tout ce qu'elle veut. Elle leur or-
donne de regarder avec pitié leurs tristes corps matériels qui sont là, fiévreux ou
inertes. Et parfois elle leur murmure, non sans une ineffable ironie :
« Vous rentrerez en eux, puisqu'il le faut, captifs qui ne planez encore qu'à demi.
Consolez-les, dites-leur aussi d'être moins vils, pour l'amour de moi. Si vous vous
ennuyez trop dans leur prison de chair, prenez patience en songeant que je vous ferai
évader quelque jour pour une autre promenade éthérée, car mon miroir magique est
toujours prêt et vous en êtes les alouettes fidèles. Comme vous pourriez — car vous
êtes aussi des oiseaux curieux — vous y briser avant l'heure en voulant le voir de trop
près, j'ai là pour gardien de mes magies un homme armé d'une baguette. Il vous écar-
tera dans votre intérêt : car, chers petits corps astraux, vous craignez le pouvoir des
pointes... »
Les fantômes réintègrent les messieurs et les dames dont les stalles contiennent
les apparences matérielles — et les uns et les autres s'arrangent ensemble, plutôt mal,
jusqu'au prochain congé...
Au reste, il ne faudrait pas penser que toute cette musique est perdue, et n'a servi
qu'à faire faire aux corps astraux la petite promenade dont je parle. Aucun son n'a
cessé de retentir dans l'univers depuis qu'il a été émis, et ses vibrations émeuvent
l'éther depuis l'origine, car le mouvement ne meurt jamais et les ondes sonores se
propagent à l'infini. Toutes nos symphonies se recomposent donc dans des mondes
inconnus, comme dans des phonographes prodigieux, et si l'on fait, comme j'aime à
le croire, de la musique dans d'autres planètes, il est bien possible qu'elles nous en
envoient les échos un jour. Il y a certainement des symphonies en marche dans l'éther,
comme les clartés de certaines étoiles qui ne nous parviennent pas encore. J'oserai
appeler sur ce point l'attention des compositeurs, en les priant de faire tout leur pos-
— 125
sible pour n'écrire que de bonne musique, sinon pour notre satisfaction, du moins par
égard légitime pour Bételgeuse, Alplia de la Lyre, la verte Vénus et la brillante du
Cygne...
Camille MAUCLAIR.
LES « ETUDES » DE LISZT
A toutes les époques, les compositeurs ont usé du droit qui leur appartient sans
conteste de reprendre leur bien partout où ils le trouvent, et de donner, dans l'âge
mûr, une forme nouvelle à des œuvres de jeunesse. Chez Hasndel, chez Gluck, chez
Beethoven, les exemples abondent. Mais nulle part, peut-être, n'en peut-on découvrir
de plus considérable que chez Liszt, dont les Etudes d'exécution transcendante, et par
conséquent le poème symphonique zMa;(eppa, qui est le développement de l'une d'elles,
sont le remaniement du petit recueil d'Etudes en forme d'exercices, composé à l'âge de
quinze ans.
Un fait si intéressant pour la biographie de Liszt et si fécond en enseignements
musicaux ne pouvait échapper à aucun des écrivains qui se sont occupés du grand
pianiste-compositeur. Nous n'y revenons aujourd'hui que pour fixer quelques petits
détails restés incomplets même dans le gros livre qu'une des élèves de Liszt, Mme
Lina Ramann, a écrit sous ses yeux et d'après ses propres indications (i).
« Le plus important des travaux de jeunesse de Liszt, dit Mme Ramann, est son
recueil à' Etudes (opus. i) pour le piano en dou:(e exercises » (sic) ; et, en note ou dans
le texte, elle ajoute que la première édition allemande, offrant au titre une vignette
qui représentait un enfant au berceau, fut publiée chez Hofmeister, àLeipzig, en 1835,
et que la première édition française, dédiée à Mlle Lydia Garella, avait paru en 1826,
chez Boisselot, à Marseille. L'œuvre, nous dit un peu plus loin le même biographe,
avait été composée pendant le second voyage du jeune virtuose dans les départements
du midi de la France. Liszt « plaisantait plus tard sur sa dédicace à Mlle Garella et la
désignait en riant comme l'expression de son premier amour ». Mlle Garella était une
jeune fille avec laquelle il jouait à quatre mains pendant son séjour à Marseille, et qui
avait pour ce grand enfant de quinze ans des « attentions toutes maternelles », sous
forme de « petites friandises ».
N'ayant eu sous les yeux aucun exemplaire de cette première édition française,
Mlle Ramann n'a pas pu savoir que les douze études de Liszt y étaient présentées
comme première partie d'une série de quarante-huit pièces faisant suite à la réimpres-
sion des Préludes et exercices de Clementi ; qu'elles étaient accompagnées d'un portrait
lithographie ; et qu'une double adresse annonçait leur mise en vente simultanée à
Marseille et à Paris.
Nous reproduisons in-extenso les deux titres de cette double publication, d'après
l'exemplaire en notre possession et celui de la Bibliothèque nationale (2) :
Préludes et Exercices | doigtés | dans tous les tons majeurs et mineurs \ pour | le
PIANO-FORTE | par I Muzio-Clémenti I en deux livraisons | édition corrigée | et mar-
quée au métronome de Maël^el | par | Le jeune liszt, [ suivi de dou^e de ses études. \ Les
Trois Livraisons [ Propriété de Boisselot. Chaque Livre séparé 9 f . | a paris, | chez
(1) L. Ramann, Fran;^ Lisit, Leipzig, Breitkopfet Haertel, 18S0-1S87, 2 vol. in-8.
(2) Coté Vnfis, 492.
126 —
V°'' iDufaut et Dubois, Editeurs M'^= de musique, | rue du Gros-Chenet, n° 2, et bou-
levard Poissonnière, n° 10 | et chez J. L. Boisselot, M"^ de musique, | A Marseille. |
Gravé par Malbeste, à Paris.
Après ce titre et avant la page i des préludes et exercices de Clementi, se place
le portrait de « F. Liszt, pianiste », qui porte pour signature : «. Lith. de G. Motte ».
Le jeune virtuose est représenté en buste, les yeux levés au ciel, les lèvres entr'ouvertes
dans une expression « inspirée ». De très grandes diflFérences séparent ce portrait de
celui que Devéria dessina six ans plus tard, en 1832 (i). Le visage beaucoup moins
allongé, les joues plus pleines, ont quelque chose d'encore tout enfantin qui devait
s'effacer vers la vingtième année.
Les éy pages de l'œuvre de Clementi sont suivies de ce second titre :
Etude | pour le piano-forte | En quarante-huit Exercices \ Dans tous les Tons
Majeurs et Mineurs | Composés et dédiés 1 à | Mademoiselle Lydie Garella, [ par j
Le jeune Liszt. | En Quatre Livraisons contenant douze Etudes chaque | Œuvre 6 j
... Livraison | Prix y"" 50*=. | a Paris | Chez Dufaut et Dubois, Editeurs de Musique,
Rue du Gros Chenet, N° 2 | et Boulevard Poissonnière, N° 10. | Chez Boisselot, Edi-
teur de musique, | a Marseille. | Propriété de Boisselot.
La publication fut annoncée dans le n° du 21 octobre 1826 du Journal de la
Librairie (2) .
La mention : «. Œuvre 6 » a été conservée pour la réimpression publiée à Paris,
chez Costallat, il y a peu d'années (3). Dans l'édition allemande qui parut chez Hof-
meister, à Leipzig, en 1835, le titre portait : « Opus i ». Pour augmenter la confu-
sion, paraissaient presque en même temps avec le titre d'œuvre i la Fantaisie sur la
tyrolienne de l'opéra la Fiancée, et avec celui d'œuvre 6 la Grande valse di Bravura dé-
diée à Pierre Wolf, composée à Genève vers 1836.
Un intervalle de douze ans sépare la première composition des études de leur
transformation en 1838. Achevée pendant le séjour de Liszt et de la comtesse d'Agoult
sur les bords du lac de Côme, la nouvelle version parut en 1839, chez Haslinger, à
Vienne, sans numéro d'œuvre, sous le titre de Wingt-quatre grandes études dédiées à
Charles C{ernj> (4). Le nombre des morceaux restait cependant limité à douze, et
jamais ne devait être tenue cette promesse de « vingt-quatre études », non plus que
celle, antérieure, d'une « étude en quarante-huit exercices dans tous les tons majeurs
et mineurs », promesse affirmée en 1826 non seulement par les termes du titre gravé,
mais par l'ordre adopté dans le choix des tonalités (5). Aucune dénomination particu-
lière ne distinguait les morceaux. Lorsque l'ouvrage parut en édition française, à Pa-
ris, chez Maurice Schlesinger (6), la quatrième étude fut intitulée Ma^eppa, la huitième,
Pandœmonium. En 1852, dans l'édition qui parut chez Breitkopf et Haertel, à Leipzig (7),
chaque pièce reçut un titre poétique ou descriptif : i et 2, Prasludio ; 3, Paysage ; 4,
(i) Une reproduction de la lithographie de Devéria se trouve à la p. 9 du récent volume de M. Cal-
vocoressi, Lis:(t, Paris, Laisrens, s. d. in-8.
(2) Bibliographie delà France on Journal général de l'Imprimerie et de la Librairie, n° 84, du samedi
21 •ctobre 1826, p. 886.
(3) Franz Liszt, Dou:^e études pour piano, nouvelle édition revue et doigtée par A. Reitlinger^ Op. 6
Prix net, 5 fr., Paris, Costallat.
(4 Ramann, ouv. cité.
(5) Les douze études se succédaient dans l'ordre suivant : i, en ut majeur; 2, en lamineur; 3, en fa
majeur; 4, en ré mineur; ^, en si bémol majeur; 6, en sol mineur; 7, en mi bémol majeur; 8, en ut
Biineur ; 9, en la bémol majeur; 10, en fa mineur; il', en ré bémol majeur; 12, en si bémol mineur.
(6) Aujourd'hui chez Joubert.
(7) Liszt en corrigeait les épreuves en février-mai 1S51 (Voyez ses lettres à la princesse Sayn-Wittgens-
tein, depuis le 11 février 1851^. La mise en vente eut lieu, d'après le yer:^eichniss de Hofmeister en
1852.
— 127 —
Mazeppa ; 5, Feux Follets ; 6, Vision ; 7, Eroica ; Wilde Jagd (i) ; 9 et 10, Ricordanza;
II, Harmonies du soir ; 12, Chasse-neige. — Sauf donc pour Ma:(eppa, ces titres, loin
de faire corps avec les compositions, et d'en avoir dicté l'orientation, avaient été
ajoutés après la rédaction définitive, et résultaient de l'interprétation donnée par l'au-
teur à son œuvre, une fois celle-ci achevée.
Au point de vue spécial de l'enseignement du piano, Mme Ramann a jugé d'une
façon élogieuse les études de 1826, qui mériteraient, dit-elle, d'être placées auprès de
celles du « père de l'étude », J.-B. Cramer. Si elles n'ont pas été mises à ce rang, c'est
que Liszt, en les «créant une seconde fois », les a lui-même bannies de l'usage. Elles
étaient construites dans une forme « très sage » et très classique, surprenante sous
la plume d'un jeune homme de quinze ans, et qui ne laissait rien entrevoir encore de
ce qui, à peu d'années de là, constituerait son extraordinaire personnalité de virtuose
et de compositeur.
Que se passa-t-il donc, entre 1826 et 1838, pour que, dans la seconde version
des mêmes études, cette personnalité vint à se manifester avec une telle puissance ?
Chez aucun artiste, peut-être, la crise de l'adolescence ne se dénoue d'une manière si
brusque et si complète. Les étapes que d'autres musiciens mettent la moitié d'une vie
à parcourir pas à pas, Liszt les saute d'un bond. A trente ans il atteint la pleine pos-
session de lui-même, le cran d'arrêt qu'il ne dépassera presque plus, ni comme pia-
niste sous le rapport de l'exécution véritablement «transcendante», ni comme com-
positeur sous celui de la liberté et de l'originalité de l'invention. Le contact du ro-
mantisme français, dans le bouillonnement duquel il vécut, à Paris, les années déci-
sives de sa jeunesse, et la profonde commotion sentimentale qu'il dut à la rencontre,
à cette heure et dans ce milieu, de la comtesse d'Agoult, furent les éléments dont le
choc détermina cette soudaine explosion du génie de Liszt. D'autres influences doc-
trinales, d'autres amours, marquèrent plus tard en lui d'autres empreintes décisives,
sans qu'une seconde fois pareil élan vint le porter au-delà de lui-même : comme
Berhoz, à qui le rattachaient tant d'affmités visibles ou cachées, Liszt s'était dévoilé
tout entier dans les œuvres de la trentième année.
Une comparaison suivie entre les deux versions des Etudes nécessiterait de longues
descriptions et l'emploi de nombreux exemples notés. Tout lecteur musicien, — nous
ne disons pas tout pianiste, car il en est très peu dont l'habileté technique pourrait se
mesurer avec les difficultés d'exécution de la seconde version, — aurait profit à l'en-
treprendre lui-même. Nous ne voulons donc que lui signaler certains côtés sur les-
quels, entre beaucoup d'autres, se fixerait son attention.
Dès la première étude apparaît clairement le sens des modifications introduites
dans la construction des morceaux et dans leur signification esthétique. Liszt ne con-
serve que le début et la terminaison de son ancienne pièce, en tout, quelques mesures,
qu'il dédouble, élargit, complique et enrichit de formules plus brillantes et plus libres.
Les arpèges enfantins qui remplissaient les dernières mesures, s'étendent désormais
sur des accords plaqués par la main gauche, et justifient le titre nouveau, Praeludio
imposé à la composition, dans laquelle, selon l'ancienne mode, le pianiste semble
essayer son clavier, et donner aux études suivantes une brève et accessoire prépa-
ration.
Les modifications sont plus profondes à partir de la seconde étude. Liszt ajoute
une petite introduction ; le dessin principal n'est plus noté en triolets, mais en notes
répétées, sous des octaves placées en syncope ; l'étendue du morceau atteint cinq
'i) Chasse sauvage au lieu du Pandœmonium de^ï édition (rançahe.
— T28 —
pages, au lieu de deux ; toute la partie virtuosité est transformée, chargée de figures
nouvelles et d'une ornementation que la version primitive ignorait ; des signes inédits
de nuances sont imaginés : un double trait, pour une suspension moindre que l'ancien
point d'orgue, un rectangle allongé, pour commander « un crescendo de mouvement »,
une longue ligne droite, pour le decrescendo inverse.
Dans la troisième étude, Liszt réunit à la main gauche seule le total des deux
mains et dégage au-dessus un large chant lié ; il brise l'ancienne mesure à quatre
temps, et marque pour la nouvelle le chiffre six-huit ; il introduit tout un épisode im-
prévu, après lequel il ramène le début du morceau, sous une autre forme harmonique;
et après un mouvement passionné, où se croisent les deux mains, il termine en toute
tranquillité par un « dolce, pastorale, rallentando ».
L'on dirait que dans ces trois morceaux le virtuose a voulu progressivement ras-
sembler les éléments d'un langage pianistique infiniment varié, neuf, et audacieux. A
partir du numéro suivant, — Mazcppa, — les études seront de grandes fantaisies, où
des auditeurs non prévenus reconnaîtront à peine, sous le flot tumultueux d'un océan
sonore, les germes étrangement agrandis et renouvelés, de l'ancienne version'. Ce
charmant petit allegretto en ré mineur, qui 'souriait, dans une allure tranquille de
« romance sans paroles », se développe en treize pages au lieu de deux ; son dessin
initial en tierces, conservé, devient l'accompagnement, puis l'aiguillon, d'un chant
large, fier et rude, qui personnifie Mazeppa ; des épisodes d'une virtuosité flam-
boyante et d'une sauvage énergie en séparent et en ramènent les retours, chaque fois
accentués par des transformations rythmiques et harmoniques plus fougueuses et plus
puissantes, jusqu'au terrible strepitoso final. Au lieu des jeux pleins de grâce du jeune
chat qui enferme de très fines griffes dans ses pattes de velours, ce sont maintenant
les bonds redoutables des grands félins, rois du désert. Seul debout sur les cîmes de la
virtuosité pianistique, Liszt jongle, en lion qui s'amuse, avec tous les effets de sono-
rité, toutes les prouesses d'exécution, que l'on peut imposer au clavier d'un Erard.
Lorsque, quelques années plus tard, il développera de nouveau dVfa:(eppa en poème
symphonique, cette maîtrise inouïe d'un instrument se fera jour à travers même l'é-
clat du coloris orchestral, et l'œuvre conservera l'aspect indélébile d'un gigantesque et
sans pareil « morceau de piano ».
Michel BRENET.
Opéra de Nice
WILLIAM RATCLIFF
Tragédie musicale en quatre actes
Poème de M. Louis de Gramont. — Musique de M. Xavier Leroux
(Cîréation)
La tragédie musicale inédite créée le 26 janvier à l'Opéra de Nice a été tirée par
M. Louis de Gramont du poème dramatique de Henri Heine. C'est un drame terrible-
ment sombre, empreint d'un romantisme échevelé, mais qui par instants ne laisse pas
d'être impressionnant.
L'action se passe en 1820.
Au premier acte, nous assistons aux fiançailles de la douce Marie, fille du laird
Marc Gregor, dans le château qu'ils habitent en Ecosse. Mais à peine les futurs époux
ont-ils échangé leurs anneaux que lord Douglas, le fiancé, reçoit un cartel d'un per-
sonnage mystérieux qui n'est autre que William Ratcliff.
Ici un retour sur le passé devient nécessaire : Mac Gregor, le père de Marie, a
jadis tué de sa main, dans les fossés du château, Edouard Ratcliff, père de William
qu'il soupçonnait être l'amant de sa femme Betty, alors qu'il n'en était que le fiancé
éconduit. Vingt ans plus tard William, le fils de la victime, ignorant du crime, s'est
épris de la fille du meurtrier de son père et il a demandé sa main .
Mais Mac Gregor s'est refusé brutalement à une union qu'il sait impossible. Et
William s'est enfui en faisant le serment que nul autre n'épouserait la jeune fille qu'il
aime. En effet, par deux fois il a tué en duel des prétendants à la main de Marie, et le
même soir il a rapporté a la jeune fille en larmes, l'anneau nuptial arraché des doigts
du rival agonisant.
Mais cette fois la chance tourne. Douglas provoqué se rend au rendez-vous. Sa
rencontre avec William Ratcliff qu'il blesse grièvement, les imprécations de ce dernier
au milieu des hurlements de la tempête déchaînée et peuplée de spectres forment le
troisième acte de cette tragédie romantique.
Enfin au dernier acte, William, malgré ses blessures, parvient à pénétrer dans le
château jusqu'auprès de Marie. Tremblante, la jeune fille croit que cette fois encore il
lui rapporte l'anneau de son rival et déjà elle recule avec horreur. Mais non! C'est
William qui est blessé. Et alors une étrange pitié s'élève en elle ; et doucement elle
étanche le visage ensanglanté de celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimer. Une illusion
singulière les envahit tous deux tandis qu'ils échangent leurs aveux : Marie, qu'une
vieille nourrice à demi folle a instruite du passé, s'imagine qu'elle est devenue Betty et
que William n'est autre qu'Edward. En cet instant la nourrice, présente à cette scène,
profère la chanson sanglante du père de Ratcliff. Les esprits ataviques, le destin meurtrier
et sinistre qui plane sur tous ces êtres et sur cette demeure achèvent de bouleverser
la raison de William Ratcliff qui tire son épée, poursuit Marie, la transperce et se tue
lui-même sur le cadavre de son amante, tandis qu'arrivent épouvantés Douglas et
Mac Gregor à qui la vieille nourrice montre d'un doigt vengeur les deux corps inanimés.
L'adaptation française de cette noire et fatidique légende a été faite par M. Louis
de Gramont en vers bien frappés où se reconnaissent l'homme de goût et l'écrivain
— 130 —
de talent. Mais M. de Gramontj quî s'en est tenu presque fidèlement au texte de
Henri Heine, n'a pu transformer en une œuvre de coupe vraiment dramatique un mo-
dèle qui ne l'était point. Il m'a semblé que le second acte surtout faisait longueur, et
que l'on eût pu le souder aisément au troisième en sacrifiant le pittoresque un peu
convenu des bandits, et en plaçant les confidences de William à Lesley au début du
troisième acte. Il n'y a de véritablement théâtral que le dernier acte, le premier étant
un acte d'exposition, et les deux actes intermédiaires n'étant guère qu'un long mono-
logue de Ratcliff ; or l'on sait que, même dans le théâtre chanté, les monologues Sont
toujours d'un fâcheux effet.
Quant à la valeur littéraire proprement dite de l'œuvre, elle dénote évidemment
chez Henri Heine des influences de l'époque, notamment des Brigands de Schiller et de
la renaissance shakespearienne alors en faveur dans l'Allemagne. On y démêle aisé-
ment le conflit tragique de la volonté et de l'amour aux prises avec le destin atavique
et sanguinaire.
La partition de M. Xavier Leroux daté déjà d'une dizaine d'années. Elle devait être
primitivement créée à l'Opéra-Comique avec Victor iVlaurel dans le rôle dé William
Ratcliff", mais ce projet ne put se réaliser pour diverses raisons.
Au point de vUè musical il serait superflu de dire qu'elle est parfaitement écrite,
et instrumentée avec un sens très vif de la couleur. Elle est tout entière baignée de
teintes fuligineuses et fatales que viennent çà et là seulement éclairer quelques jolis
rayons de charme, tels que le chœur des jeunes flUes au dernier acte si finement har-
monisé, les confidences amoureuses de Ratcliff" au deuxième acte et le beau duo pas-
sionné du tableau final.
Xavier Leroux a su exprimer en vrai poète musicien l'accent tragique de tous ces
héros marqués au front du sceau maudit ; il a trouvé pour caractériser chacun d'eux
des thèmes expressifs et de ligne variée, ce qui n'était point fort aisé, étant donnée la
couleur générale uniformément sombre des situations et des sentiments. La partition
est solidement construite sur une charpente thématique nette et serrée ; elle m'a paru
pour cette raison empreinte d'une unité qui manquait parfois à celle de la Reine Fiam^
metUi Toutefois j'ai cru démêler dans William Ratcliff l'influence assez apparente ie
Richard Wagner, influence d'autant plus explicable que l'œuvre de Leroux fut com^
posée il y a plus de dix ans»
Cette observation faite, il est juste de reconnaître que lâ coupe musicale est fort
dramatique et que M. Xavier Leroux, qui a un sens inné du lyrisme de la scène â
tiré tout ce qui était possible d'un ouvrage qui est plutôt un poème dramatique qu'uil
drame proprement dit.
J'ai dit que les thèmes de l'œuvre étaient vigoureusement expressifs. Les pas*
sages les plus saillants de la partition sont au premier acte la déclamation fatidique de
la vieille nourrice rappelant à son maître, Mac Gregor, le sinistre passé et lui prophé-
tisant un terrible avenir ; au deuxième acte le chœur des bandits et les divers motifs
de leur fête crapuleuse m'ont semblé manquer de la couleur locale désirable ; le récit
de William Ratcliff" à son ami Lesley a de la vigueur, mais paraît bien long ; le troi"
sième acte est d'une belle puissance orchestrale, et la scène de Ratcliff" aux prises avec
les spectres est une page lyrique de grande envolée qui fait honneur à M. Xavier
Leroux. Enfin le dernier acte est consacré au duo tragique de William et de Marie.
William Ratcliff a bénéficié d'une interprétation homogène et Soignée : M. Del-
mas prête l'appoint de sa superbe voix et de sa prestance de tragédien au rôle écrasant
de Ratcliff". C'est une belle création de plus à l'actif de l'éminent artiste.
Mme Héglon a été fort impressionnante dans le rôle de la nourrice dont elle a
exprimé en véritable artiste les accents prophétiques ; Mlle Mastio chante avec grâce
et d'une voix pure le rôle touchant de Marie ; on eût cependant «ouhaité d'elle au duo
final plus d'affolement, plus d'étrangeté troublante ; M. Aumônier fait un excellent
Mac Gregor, d'organe sonore et de diction parfaite. Le ténor Zocchi fait sonner vail-
lamment sa voix généreuse dans le rôle du comte Douglas. Les personnages épisodi-
ques sont tenus honorablement par Mmes Hiriberry (Kate), Delcour (Ruth) et MM.
Dutilloy (Lesley), Rougon (Tom), Perret (Bill), etc.
Les décors, signés Contessa, sont réussis, surtout celui de la forêt romantique
du 5* acte.
Les chœurs de la taverne méritent d'être loués, ainsi que l'orchestre qui inter-
préta brillamment la partition sous la direction de l'auteur.
Le public, où nous avons reconnu diverses personnalités parisiennes, a fréquem-
ment souligné de ses applaudissements la remarquable interprétation de M. Delmas
et de ses partenaires.
On ne peut contester que l'œuvre n'ait une belle tenue d'art à laquelle,
en dépit de certaines longueurs inhérentes au sujet, le public s'est plu à rendre
hommage.
Alfred MORTIER.
Noies biograplîipes sur V. Neuville
Né à Rexpoëde (Nord) en i86j> Elève du célèbre organiste
belge Lemmens, V. Neuville termina ses études au Conservatoire
de Bruxelles d'où il sortit avec le premier prix d'orgue en 1884,
Organiste à Brioude (Haute-Loire) de 188^ à i8ço. Organiste
de Saint-Ni:^ier à Lyon depuis i8go^ poste quHl occupe encore.
OUVRAGES PRINCIPAUX
CHANT ET PIANO Lcs IVUUs, 5 actcs (1895)
Les Proses des Mortes Joués à Rotterdam et à Thlel (Hollande).
Ali Jardin Tiphaine, 2 actes ( 1 898)
50 Mélodies joué à Anvers (1899), à Stockolm (1901)
■"" Madeleine , 3 actes (1899)
75 pièces pour grand orgue Inédit.
L'Aveugle, i acte(i90i)
ORCHESTRE Créé à Kiel en décembre 1904.
2 Symphonies L'Enfant, 4 actes (1902)
— Inédit.
MUSIQUE DE CHAMBRE
2 Quintettes
_^ MUSIQUE RELIGIEUSE
THÉÂTRE Fourvières, oratorio
Lé Trèfle à 4 feuilles (1894) Un prologue en 5 parties (i 901-1905)
Joué à Bruxelles. Inédit.
— 132 —
T I P H A I N E
DE V. NEUVILLE
Création en France au Grand-Théâtre de Lyon le 23 janvier 1906 (i)
Dans la vaste salle gothique où l'ennui la tient prisonnière et devant un triste
paysage d'hiver rêve immobile la belle Tiphaine, châtelaine seigneuriale. La voix
pourtant consolante et bonne d'Edme son vieil époux ne saurait l'émouvoir : il lui
faut à toute heure près d'elle l'ardente jeunesse de Wilfrid son page favori. Et la soli-
tude de l'ennui les jetterait volontiers aux bras l'un de l'autre si Tiphaine n'avait pro-
mis de rester fidèle au vieux seigneur tant qu'il vivrait. — Cependant des bohémiens
passent : ils viennent chanter sous les yeux de Tiphaine une lugubre chanson où il est
question de crime et de sang, d'amour fou et de délivrance par le meurtre : en l'âme
affolée de Tiphaine se fait jour l'idée du crime. Et sur son instigation, Wilfrid, le page
amoureux, poignarde le malheureux époux ! Voici Edme qui se traîne sanglant à la
porte de la salle où les amants se tiennent enlacés. Héroïquement avant d'expirer il
pardonne. Tiphaine inconsciente attire dans ses bras Wilfrid qui cette fois la repousse:
« Ton amour a fait de moi un assassin ! » et pour expier le meurtre sous les yeux
épouvantés de Tiphaine le page se poignarde, il meurt en murmurant les paroles fatales
qu'Edme en expirant avait déjà proférées :
La femme est plus amère que la mort
Désespérément sur le cadavre sanglote Tiphaine.
' Sur ce poème qui est de M. Louis Payen, un librettiste au style soigné et à la
langue délicate, M. V. Neuville écrivit une musique extrêmement neuve et per-
sonnelle, d'un modernisme d'écriture savoureux. Inféodé à aucune école bien que
nourri de la vraie sève wagnérienne, uniquement préoccupé de servir l'art vrai, de
transcrire les états de la vie intérieure qui font vibrer son âme d'artiste, ce musicien
avec Tiphaine nous apporte une note nouvelle et toute spéciale dans la production con-
temporaine.
Tiphaine est une partition éminemment thématique (2) où l'orchestre inlassable-
ment dévoile le drame interne enveloppant l'action d'une atmosphère sonore qui la
grandit et recrée pour ainsi dire en l'élargissant l'humanité de ceux qui en sont les
héros. C'est au début le thème de désespérance d'un chromatisme intense auquel
s'adjoint la figure notée musicalement d'un sanglot (une chute de seconde mineure),
c'est le thème sourd du destin, les thèmes de tendresse, d'ardente passion et d'enla-
çante volupté, puis les motifs plaintifs réservés à Edme et qui , éloquemment, disent sa
bonté et sa peine émue, ce sont les arpèges enthousiastes des harpes qui chantent
l'idéal de Wilfrid et c'est encore la sombre montée du thème du crime qui bondit des
profondeurs de l'orchestre, issue du motif caractéristique des Bohémiens... Ces
thèmes, vie intérieure du drame, sont revêtus d'une instrumentation d'une couleur
très particulière, où dominent les voix navrantes des altos et du cor anglais, les sons
bouchés des cors et les étranges sonorités des bassons ; et cette instrumentation ac-
centue encore leur côté expressif et déchirant.
(i) Tiphaine a. été créée au théâtre lyrique flamand d'Anvers le ii février 1899 et jouée depuis lors
sur diverses scènes étrangères, notamment à Stockolm (en 1901).
(2) Une étude thématique de Tiphaine due à M. Joseph Billiat vient de paraître.
— ï33 —
Volontairement cette musique s'abstient de tout rythme qui ne répond point au
chant intérieur, de toute expansion qui pourrait gêner ses concordances avec les mou-
vements secrets de l'âme, et d'aucuns avec quelque apparence de raison lui reprochè-
rent certaine uniformité rythmique (i). Mais par cela même qu'il s'exhale une tristesse
indicible de ces thèmes de désespérance et d'angoisse qui recèlent, comme l'a dit ex-
cellemment M. Locard, la véritable morale de l'œuvre « en montrant les thèmes d'a-
mour coupable et de crime issus de cette donnée primordiale de l'esseulement et de la
méditation morose », par cela même que la vie y est trop concentrée, l'action trop
dense, que les faits, motivés il est vrai par une psychologie intensive, y paraissentem-
preints d'une brutalité inquiétante, par suite de ceci que cette musique un peu hau-
taine et très raffinée, si elle s'éclaire d'un sourire comme au moment de la délicieuse bal-
lade du premier tableau, c'est encore d'un sourire triste, par tout cela Tiphaine ne
nous semble pas une œuvre destinée à plaire aux foules. En revanche les délicats se
complaisent à son audition. Et M. Neuville qui est un modeste aura eu sans aucun
doute les suffrages qu'il ambitionnait. Réservée à une élite la partition sera placée
dans la bibliothèque côte à côte avec les quelques volumes de Stendhal et dans Je voi-
sinage des œuvres choisies de Frédéric Nietsche.
L'interprétation, il faut bien le dire, ne fut pas de premier ordre. Mlle Jeanne Fo-
reau que l'on avait appelée de Paris à cette occasion, ne nous parait pas posséder la voix
et l'expérience scènique suffisantes pour un rôle de premier plan comme celui de Ti-
phaine. Edme personnifié par M. Lafont fut chanté d'une façon intéressante mais au
point de vue dramatique le personnage est insuffisant. Quant à M. Geyre il fut vrai-
ment le seul auquel nous puissions décerner des éloges pour la façon intéressante dont
il chanta et composa le rôle du page Wilfrid. Ainsi qu'à son habitude, l'orchestre sous
la direction nette et précise de M. Flon fut excellent. Un nombreux public des plus
sympathiques acclama le musicien de très haute valeur dont cette soirée du 23 jan-
vier 1906 constituait la première manifestation sur une scène française.
Paul LERICHE.
LES Giîanas eoncEiîrs
Concerts Colonne et Lamoureux
Deux auditions du Faust de Schumann occupèrent, aux Concerts-Lamoureux, les
programmes du 28 janvier et du 4 février. Vous n'attendez pas de moi que je revienne
sur cette œuvre très connue, qui possède le lyrisme intense, les qualités sentimen-
tales et aussi quelque peu la monotonie de toutes les grandes compositions du même
maître. Tel quel c'est un fort bel ouvrage, que l'on a raison de jouer quelquefois, et
peut-être bien celui qui se rapproche le plus de la pensée de Gœthe. Les protagonistes
de ce Faust furent Mme Raunay, dont le beau syle et le sentiment artistique si noble
et si distingué firent merveille comme toujours, M. Cazeneuve et M. Frœlich, excel-
lent dans le principal rôle de l'œuvre, mais qui, dans la seconde partie, sembla
chanter le docteur Marianus avec quelque gêne. Les chœurs, suivant la coutume,
dans notre bonne ville de Paris, ne furent pas absolument à la hauteur de leur man-
(i) Le très beau prélude exécuté avant le lever du rideau ne se placerait-il pas très bien entre les
deux tableaux de l'œuvre ? La scène muette de Thiphaine où des motifs identiques se répètent, serait,
semble-t-il, d'un effet beaucoup plus saisissant.
— 134 —
dat, et l'orchestre, suivant la sienne, fit florès dans la partition de Schumann, que
M. Chevillard dirige avec tout l'amour voué par lui à l'auteur de Manfred.
Ces mêmes dimanches Berlioz et Mozart accaparèrent presque entièrement les
programmes du Chàtelet. Du premier l'on nous donna trois numéros de Roméo et Ju-
liette, (dont la Scène d'amour un peu longue, mais si poétique), l'ouverture des
Francs-Juges, qui renferme vraiment peu de chose, et celle, remplie de vie, du Carnaval
Romain. M, Colonne l'enleva comme toujours avec une maestria incomparable.
J'adresserai moins de compliments à l'orchestre pour l'ensemble des œuvres de Mozart
qui remplirent ces deux séances.
Si la Symphonie en sol mineur (à part l'andante mal au point et saccadé par les
cordes) fut interprété de façon sviff\sz.ViXt,\dL Symphonie en ut majeur, bizarrement dénom-
mée Jupiter, avait été rendue d'une façon tout à fait médiocre le précédent dimanche.
On n'entendait que les ssss ! perpétuels du chef, implorant de ses musiciens un peu de
douceur et de sentiment dans l'attaque. Ceci est fâcheux, quand il s'agit d'une œuvre
aussi pure, aussi belle, aussi fine. J'estime d'ailleurs que c'est une grosse faute, -^ on
la commet un peu partout aujourd'hui, — déjouer des symphonies de Mozart avec
des orchestres beaucoup trop nombreux. Là où il faudrait 25 ou 30 musiciens, pour
laisser à la mélodie sa grâce ailée, aux harmonies leur délicatesse, on lance une masse
de 80 interprètes, qui écrasent le son et enlèvent toute leur élégante nervosité, toute
leur souriante allégresse, toute leur discrète mélancolie aux inspirations du maître divin.
Et puis ces programmes de festivals sont bien difficiles à composer ! S'il est inté-
ressant d'entendre l'adorable Quintette de Cosi fan lutte, fort bien interprété par
Mmes Auguez et Lassalle, MM. Plamondon et Reder et par M. Daraux, qui a mis avec
infiniment d'esprit et d'autorité une note ironique dans le quatuor de ses partenaires,
la gloire de Mozart ne gagne rien, en revanche, à l'exhumation de l'air de Fernand,
dans le même opéra, de l'air du Roi Pasteur, ni du Tuba mirum emprunté au Requiem*
Et elle a tout à perdre à ce que l'on confie les deux airs de Chérubin, si adorables de
mutinerie sentimentale, à une interprète qui n'est pas une artiste...
Les Concertos nous ont fait un plus sensible plaisir : l'andante de celui pour flûte
et harpe, admirablement joué par M. Blanquart et par Mme Provinciali-Celmer, celui
pour deux pianos interprêté avec beaucoup de soin et de respect par MM. Diémer et
Georges de Lausnay, et surtout celui pour violon (en mi bémol), où M. Firmin Touche,
l'excellent soliste des Concerts-Colonne, se montra le digne interprête de Mozart,
précis, délicat, tout plein de charme, d'esprit et d'émotion. C'est un artiste de premier
ordre, qui joint une grande simplicité d'attitudes — chose rare chez les violonistes ! —
à une belle intelligence musicale et à une émotion discrète, élégante et du meilleur
aloi. Nous l'avons acclamé de tout cœur, et je me plais à remarquer, au passage, que
pas un de ces trois concertos n'a soulevé la moindre manifestation fâcheuse. Ceci
démontre que les galeries hautes agissent avec discernement et non de parti-pris
quand elles se montrent hostiles à la virtuosité creuse de certaines œavres. Lorsque
la virtuosité demeure l'habile mais humble servante de la musique, — - ce qui fut pré-
cisément le cas chez les vieux maîtres, et cessa malheureusement de l'être bien des
fois à partir de Beethoven, Beethoven inclus, — tout le monde l'accepte et y applaudit*
Quand elle dicte des élucubrations comme ce Concerto en ut mineur de Saint-Saëns, que
M. Josef Hofmann interpréta, fort bien d'ailleurs, au début de la première séance
Mozart, le poulailler siffle, et, je le dis sans détour, il a mille fois raison, le poulailler !
Ce concerto n'est ni de l'art, ni même de la belle musique et il est fâcheux que des pia-
nistes, désireux de faire valoir leur mécanisme, interprètent ces ouvrages. Pour la
réputation même de leurs auteurs mieux vaudrait que les morceaux de bravoure retom-
bassent le plus tôt possible dans un oubli d'où ils n'auraient jamais dû sortir.
i:
— Ï35 —
J'allais omettre de mentionner les bonnes exécutions des ouvertures de la Pluie
enchantée et àQ Don Juan, merveilles qui ne vieilliront point, dont la grâce et la puis-
sance tragique résisteront à toutes les évolutions du goût et de la mode, parce que,
sortis d'un cœur miraculeusement sensible, elles parleront toujours au cœur leur clair
et mélodieux langage.
Jean d'UDINE.
Concerts du Conservatoire
La séance de dimanche 4 février était consacrée exceptionnellement à l'audition
des gMa/Mor5 de Beethoven (op. 127, 131 et 135) par le quatuor Capet. Nous n'avons
pas à revenir sur l'exécution de ces œuvres que notre collaborateur Gabriel Rouchès
a commentée tout dernièrement — avec les éloges qu'elle comportait, — dans ses
comptes rendus des « Soirées d'Art ».
INTÉRIM.
LA QUINZAINE MUSICALE
Société Philharmonique '
Le huitième concert fut donné devant une salle dont un bon tiers des fauteuils
demeura inoccupé. Il faut dire que, pour son interprétation, le programme ne portait
que des noms français, et ils ne sont pas très en faveur auprès du public cosmopolite
de la Philharmonique qui dédaigne systématiquement tout ce qui n'a pas passé le Rhin
avant d'affronter son nationalisme intransigeant. Nous partageons souvent son enthou-
siasme qu'il manifeste parfois avec quelque excès, mais pour un Kreislerque d'artistes
dont le talent ne justifie pas la renommée. Ne citons pas nos déceptions. Quoi qu'il en
soit, les absents eurent tort à la séance où le quatuor de Paris (MM. Hayot, André,
Denayer et Salmon), assisté deMM. Monteuxet Fournier, fit entendre leQuintette àcordes
en sol mineur de Mozart et le Sextuor à cordes en solde Brahms. Si l'on peut adresser
une toute légère critique à l'exécution de Brahms qui à notre avis ne fut pas, en certains
passages, assez enlevé à la tzigane, il faut dire de quelle adorable façon fut joué le Mo-
zart, avec une délicatesse de sentiment et de nuances telle, qu'il me paraît difficile de
l'égaler. Ah l'exquis adagio, tendre et pur, qui fait songer à la mélancolie de certains
paysages où des cyprès élancent leurs profils sombres sur le crépuscule doré d'un ciel
italien ! M. Plamondon chanta Vnir de Joseph et un air de la Création. Les mouvements
furent peut-être pris un peu lentement par ce ténor qui a une très jolie voix et qui la
conduit avec beaucoup d'art.
Grâce à la présence de Mme Mysz-Gmeiner, la Société française des instruments à
vent joua tout d'abord devant une salle comble et vit, dès que la cantatrice eut épuisé son
programme, s'envoler lamoitiéderauditoire,comme s'ilsavaientsoufflédessus.Etpourtant
la valeur indiscutable de MM. Gaubert, Bleuzet, Bourbon, Mimart, Lebailly, Leteller,
Jacot, A. Delgrange, Penable est universellement reconnue. Aucune ville au monde ne
peut offrir une telle phalange d'artistes, et chacun est un virtuose de son instrument.
Mais leur grave défaut est d'être d'ici. Regrettons ce parti-pris chez les autres, et cons-
tatons le très grand succès remporté par Mme Mysz-Gmeiner. C'est la parfaite chan-
teuse de lieder. On pourrait remarquer le retour trop attendu d'opposition, de nuances
qui ressemble à un procédé facile, mais ce n'est de notre part qu'une critique légère
avant de rapporter avec quelle grâce, avec quelle finesse l'artiste a chanté Ich sende
einen Gruss et Roselein de Schumann, avec quelle légèreté elle a dit la jolie mélodie
Dis-moi^ hirondelle et comment elle a murmuré Solitude champêtre de Brahms.
Acclamée, rappelée, elle a chanté Fruhlingsnacht de Schumann d'une voix trop saccadée
— 136 —
et la Sérénade inutile de Brahms de façon spirituelle. La diction est nette, la voix char-
mante presque toujours, et idéale dans la douceur.
Gomme Mme Mysz-Gmeiner récolta tous les bravos, il n'en resta plus pour es
Instruments à vent qui auraient mieux mérité que les froids applaudissements que leur
donnèrent des mains lassées ou indifférentes. Avec M. Grovlez au piano ils jouèrent le
quintette de Beethoven dont le motif de l'andante rappelle note pour note le début de
certain air mozartien de la frivole Zerline. J'ai beaucoup aimé Chanson et Danses de
Vincent d'Indy, ce septuor aux harmonies rudes puis savoureuses, où après le rythme
énergique des danses revient le gracieux thème langoureux dont César Franck aurait
aimé la mélancQlie. La Sérénade en ut mineur de Mozart terminait le concert et en écou-
tant cette œuvre lumineuse si joliment exécutée, je plaignais tous ceux et surtout toutes
celles qui, par un départ hâtif, s'étaient privés du plaisir de l'entendre.
Victor Debay.
Concerts Le Rey
Après une exécution de YOuverture de Léonore n' y de Beethoven, M. Le Rey nous
présentait une composition de M. F. de Léry, intitulée Mystère, agréablement mise en
valeur par la voix charmante de Mme Bureau-Berthelot. Nous eûmes ensuite le plaisir
d'entendre le séduisant Concerto en sol mineur de Max Bruck, interprêté par M. Can-
trelle. Ce jeune violoniste a de sérieuses qualités de son, de finesse et de netteté de
mécanisme; il devra, semble-t-il, travailler surtout à acquérir plus de puissance et
aussi de chaleur; son succès fut vif et mérité. Seconde audition des fragments des
Noces de Figaro avec les mêmes interprètes que le dimanche précédent parmi lesquels
il faut signaler de nouveau Mmes Bureau-Berthelot et Max- Soulier toutes deux
fort applaudies.
M. de Léry conduisait le concert du 4 février, exception faite pour ïOtcverture dra-
matique de Torquato Tassa que dirigea son auteur, M. Pénavaire, avec la chaleur un
peu emphatique qu'elle comporte. Dans deux pièces de Rameau pour piano Mme Dietz
fit preuve de finesse et de bon mécanisme, mais elle ne mit peut-être pas assez en relief
la vie enthousiaste dont Schumann anima Kreisleiriana.
Edouard Schneider.
— Les deux matinées que M. Le Rey vient d'organiser les Jeudis 1" et 8 février,
ont permis d'applaudir de très talentueux artistes parmi lesquels nous citerons Mlles
Lorec, Oberlé et Mme Mayrand dans des mélodies de Sylvio Lazzari. A. V.
Concerts de la Schola Cantorum
La Schola donnait à son concert du 2 février trois œuvres, types d'essais de mu-
sique dramatique en France, en Allemagne et en Italie.
Le Ballet de la Royne (1582), musique de Beaulieuet Salmon présente de curieuses
intentions musicales, et par sa pondération et le noble équilibre des diverses parties,
fait pressentir l'opéra français du xvii' siècle dont Lully sera le chef d'école re-
connu.
Plus dramatique est la Philothée, œuvre d'un religieux. La Philothée présente un
singulier mélange des tendances nouvelles de l'école italienne et de respect pour la tra-
dition contrapuntique. Le prélude — ou plutôt sinfo?iia, selon l'appellation de l'époque
— est remarquable. Les larges accords de trombones ont une allure de grandiose reli-
giosité et font penser à Parsifal. Les lignes mélodiques sont expressives et s'infléchis-
sent selon le sens du texte. L'instrumentation est riche : les alliances de timbres sont
souvent piquantes et les instruments sont employés avec une signification dramatique
bien déterminée.
— «37 —
UOrfeo est incontestablement supérieur aux deux essais précédents. Pieusement
reconstitué par M. Vincent d'Indy, VOrfeo fut donné à la Schola pour la première fois
en France, il y a deux ans. En composant son Orfeo^ Monteverde créait le vrai drame
musical. Monteverde est un Vénitien, et par son talent, il s'oppose nettement aux mu-
siciens de l'école de Florence. Ceux-ci étaient surtout des dilettanti, des raffinés d'art,
plus préoccupés de satisfaire les exigences de leur raison que les besoins de leur cœur.
Monteverde lui, s'adresse au cœur. Il parle à la nature vibrante de notre être, à ce qu'il
y a de tumultueux et de spontanément sensible en nous-mêmes. Emouvoir, en étant
ému, telle pourrait être la formule de son esthétique.
Il brise les formules entassées autour de lui par les siècles. Il cherche la vérité ex-
pressive qu'il atteint toujours, soit par l'accent tragique de la ligne musicale, soit par
T'mprévu de ses combinaisons de timbres. Il semble que le tissu mélodique soit en dé-
calquage sonore des émotions des personnages dont il reflète les tristesses, les joies et
l'amour. L'orchestre obéit au même besoin de vérité. Monteverde fut le premier à soup-
çonner tout le parti expressif que le musicien pouvait tirer des alliances d'instru-
ments.
Il y aurait amplement à dire sur cet admirable Orfeo. Mais que le lecteur se reporte
lui-même à la partition, qu'il la lise et la médite. Il reconnaîtra que Monteverde était
un de ces tempéraments dont l'apparition devait déterminer en musique une orientation
nouvelle vers un idéal renouvelé.
Bonne interprétation sous la direction de M. Fr. de Lacerda. Mme Legrand-Philip
remporta dans le rôle de la Messagère son habituel succès : elle le chante avec un par-
fait instinct dramatique. Mlle Mary Pironnay chanta avec une grande expression le rôle
de Thétis {Ballet de la Royne) et fut une Musique des plus émues dans VOrfeo. Les
rôles de Glauque {Ballet de la Royne) et de Garon (Orfeo), furent fort bien interprétés
par M. Gébelin, excellent chanteur au goût sûr. M. Bourgeois s'acquitta dignement du
rôle d'Orphée. Paul Le Flem.
Société Nationale
La Sonate pour piano et violon de M. Joseph Jongen, exécutée par l'auteur et le
violoniste Chaumont, a été très sympathiquement accueillie par le public de la Société
Nationale. Elle méritait cet accueil, et même un peu plus, à notre avis : c'est une œuvre
saine, de structure intelligible et simple, pleine de chaleur et .d'expansion, sonnant bien
et élégamment écrite. Peut-être les deux thèmes du premier morceau manquent-ils des
qualités contrastantes qui leur sont à peu près indispensables pour éviter la confusion
et l'indétermination dans leurs développements. Le morceau lent a beaucoup plu par sa
grâce et sa réelle émotion, mais il semble que le rôle du piano y demeure trop limité à
celui d'accompagnateur ; cette légère critique ne se compense pas, croyons-nous, par
certains débordements de virtuosité, glissando, traito etc., qui encombrent sans grand
profit, le premier morceau et surtout le final. Il y a dans l'œuvre très estimable de
M. Jongen assez de musique sincère et vraie pour bannir l'emploi de ces procédés de
concerto, réservés à ceux qui n'ont rien à exprimer.
M. Chaumont nous a paru un interprète de premier ordre, et tout à fait adéquat à
l'œuvre qu'il présentait au public.
On nous pardonnera de ne pas insister sur les mélodies de M. Bardac, assez peu
perceptibles,
« Ce sont des perles que je te rends t
avons-nous cru comprendre, non sans quelque perplexité sur la classification zoologique
de l'interlocuteur auquel pouvait s'adresser cette singulière restitution mais
passons.
L'œuvre très forte et très colorée de Déodat de Séverac En Lan^ueJoc, était déjà par-
tiellement connue des habitués de la Société Nationale., mais il fallait la magistrale
interprétation de Mlle Selva pour donner à ses peintures musicales à la fois puissantes
- 138-
et émues le relief qu'elles comportent. Cette audition complète s'imposait depuis long-
temps, comme s'est imposée elle-même, par sa valeur inestimable, cette « œuvre maî-
tresse )) de notre jeune école française contemporaine.
Le Trio de Pierre Coindreau clôturait dignement cette intéressante soirée. On con-
naît déjà, mais peut-être insuffisamment, cet ouvrage remarquable par son impeccable
construction. Mlle Selva, infiniment mieux secondée qu'à la première audition, avait en
MM. Lejeuns et de Bruyn d'excellents partenaires. Le morceau lent, contenant le véri-
table scherzo, nous est enfin apparu avec sa véritable physi®nomie tantôt grave, tantôt
burlesque, et les ingénieuses combinaisons rythmiques du final ont donné leur plein
effet, aussi pittoresque qu'original.
A. Sérieyx,
Ijes "Soirées d'Art"
2^ Janvier. — M. Ghevillard prêtait son concours à cette séance. Il a exécuté avec
M. Lucien Capet sa Sonate -pour piano et violon, dont je ne prétends pas révéler aux
lecteurs du Courrier l'élégante beauté. M. Ghevillard ne se contente pas d'être notre
premier chef d'orchestre, il est aussi un de nos meilleurs compositeurs. Et, au piano,
quel merveilleux interprète ! Il a su rendre les joies, les tristesses et finalement le déses-
poir du Poète de Heine et Schumann, autrement que ne l'a fait Mlle Charlotte Lormont,
avec une jolie voix et des nuances délicates, mais avec trop de préciosité. Schumann
demande avant tout de la simplicité et de la sincérité. De plus, malgré l'habitude prise,
je ne conçois pas le Dichterliebe chanté par une femme : confie-t-on la Vie et l'amour
d'une femilie à une voix masculine ? Ce serait le même contresens.
On a applaudi Mlle Renié dans la Fantaisie pour harpe de Saint-Saëns. M. Capet,
avec les artistes de son quatuor auxquels s'étaient joints MM. Leduc, Vizentini et Mas-
sardo nous a donné une superbe exécution du Septuor^ de Beethoven.
/"" Février. — M. Richard Buhlig paraît sentir profondément les oeuvres qu'il
interprète. Son goût est très sûr. Il dédaigne les effets faciles, ce dont il faut le louer
tout autant que de son mécanisme excellent. Mais son jeu manque vraiment de chaleur
et 'de vie. II est par moment d'une trop grande sécheresse. Le public a médiocrement
goûté les Variations et fugue sur un thème de Haendel par Brahms ; pour ma part, je
les ai trouvées d'un long et d'un filandreux ! Trois œuvres de Chopin, pourtant assez
connues, VEtude en la bémol majeur^ la Valse en ut dièze mineur et la Barcarolle plutôt
vieillotte ont valu à M. Buhlig un succès plus vif.
On attendait avec impatience la première audition d'un cycle de mélodies. Le
Nouveau printemps, inspiré à M. André Messager par Henri Heine. Mme Raunay,
accompagnée par l'auteur, a chanté ces divers morceaux avec sa maestria et son charme
habituels. Tous deux ont été très applaudis. M. Messager a apporté dans la composition
du Nouveau Printemps, ces qualités de grâce, de finesse et d'élégance qui lui permirent
de réaliser ce tour de force : écrire des opérettes sans tomber dans la niaiserie et dans
la grossièreté. Dans ces nouvelles mélodies, il a très bien su rendre le sentiment dou-
loureux et triste qui s'exhale de Heine. La mélodie 3 :
Un réseau d'ombres emprisonne
Les prés, les champs et la forêt .
est un petit chef-d'œuvre.
Mme Raunay a chanté également V Absence et les Stances de Roméo et Juliette
(Berlioz). On a redonné le Septuor de Beethoven qui a été exécuté magistralement par
M. Capet et les artistes qui l'entouraient.
8 février. — La Sonate pour violoncelle et piano de Saint-Saëns valut à M. Has-
selmans et à Mlle Long des applaudissements mérités. Des œuvres de M. Fa uré com-
plétaient le programme. Inutile de dire l'attrait que présentait cette séance. Mlle Rosejj
Féart a interprété la. Bonne chanson, accompagnée par l'auteur. Des vieillards moroses
prétendent qu'on ne sait plus chanter aujourd'hui. Qu'ils aillent entendre Mlle Féart II
— 139 —
Quant à la musique, elle est digne des vers du pauvre Lélian. Nous savons d'ailleurs
combien la poésie de Verlaine inspira heureusement M. Fauré.
Mlle Long fut fort appréciée dans le Sixième Nocturne et dans la Troisième valse-
caprice^ ce fut, pour terminer, une exécution émouvante du Dezcxième quatuor par le
maître lui-même entouré de MM. Capet, Bailly et Hasselmans.
P. -S. — Une horrible coquille dans le compte rendu de « la Soirée d'art » du i8
janvier (numéro du i^' février). Au lieu de : « le célèbre Ich grolle nicht qu'on finira
par déplorer », lire : « qu'on finira par déflorer, a
Gabriel Roughès.
Quatuor Parent
La séance du 26 janvier réunissait des oeuvres très différentes de Beethoven. D'abord
le Quatuor of. 18 n' 7, charmant, à la façon de Mozart, puis la Sonate pour piano,
op. 8ia dite les « Adieux » que Mlle Marthe Dron exécuta avec une grande correction
mais d'une manière que l'oneûtsouhaitéeplus personnelle, et trots marches pour piano à
quatre mains op. 4^ qui, par leur simplesse étrange, étonnent et détonnent vraiment
dans l'œuvre de Beethoven ? le souci scrupuleux qu'a M. Parent de présenter intégrale-
ment les compositions du Maître en justifie seul l'audition qui fut confiée à Mlle Dron
et à Mme Landormy-Plançon. Le quatuor Parent qui avait montré une grande légèreté
d'archet dans l'op. 18 nous donna pour terminer une excellente exécution du célèbre et
merveilleux Quatorzième quatuor.
Le concert suivant comprenait les Variations pour piano, violon et violoncelle, op.
12 la sur le lied « Ich bin der Schneider kakadu )) qui rappelle singulièrement un motif
de la Flûte Enchantée, la Sonate pour piano et violon op. 23 n° 4, et le Trio op. jo
n° I d'une inspiration profonde et passionnée. Mme Landormy, MM. Parent et Fournier
interprétèrent ces œuvres, comme toujours, de fort intéressante façon. Enfin Mlle Delhez
chanta trois lieder « Lied aus der Ferne, Die laute Klage, Mignon », dans un style dis-
cret, juste et distingué. Edouard Schneider.
Les Concerts J. Joachim Nin
On se souvient de la très intéressante audition donnée l'an dernier à la salle
^olian par le jeune pianiste catalan J. Joachim Nin, dont le Courrier Musical a pu-
blié le portrait et la biographie, dans son numéro du i" janvier 1905. Cette audition
était la première d'une série de douze, ayant pour but, dans leur ensemble, « l'étude des
formes musicales au piano, depuis le xvi° siècle jusqu'à nos jours ».
Pour l'artiste, malheureusement éloigné de nous pendant plusieurs mois depuis sa
première séance, comme pour le public, qui donna de si vifs encouragements à son
entreprise, cette longue mais involontaire interruption est tout à fait regrettable. Nous
sommes heureux d'annoncer qu'elle va prendre fin : la seconde audition, consacrée
à J.-S. Bach, aura lieu en effet dans les premiers jours du mois de mars, et les autrçs
suivront à intervalles rapprochés.
Nos lecteurs apprendront aussi avec intérêt qu'en raison du réel su<îcès de sa pre-
mière tentative, M. Nin l'a renouvelée, le mois dernier, à trois reprises différentes, dans
des milieux extrêmement variés. Fidèle à sa foi profonde dans l'efficacité de la vulgari"
sation des chefs-d'œuvre de l'art, en tout temps et en tout lieu, il avait accepté notam-
ment de reproduire presque intégralement le programme de sa première séance, à une
soirée donnée par l'Université Populaire, en son local du faubourg Saint-Antoine, le 31
janvier.
On sait que l'Université Populaire a été fondée, il y a quelques années par M.
Georges Deherme, lequel dirigeait en même temps une publication intéressante, mais
un peu utopiquQ de tendances : la Coopération des Idées.
Cette tentative d'éducation du peuple valut à son loyal directeur d'amères déeonve-
— 140 —
nues : dépossédé de sa propre entreprise à la suite de perfides manœuvres, M. Deherme
se retira, et l'Université Populaire ne tarda pas à s'orienter vers des doctrines anar-
chiques et libertaires, en opposition flagrante avec les intentions et les idées de son
fondateur.
Que M. Nin nous permette ici de lui exprimer notre étonnement de ce que, sans
doute à la faveur de son ignorance sur le fait de l'évolution subie par ce groupement, il
ait cru pouvoir accepter de lui apporter, par son talent si sincère et si loyal, un témoi-
gnage implicite d'approbation. Nous sommes convaincus que sa bonne foi a été surprise,
et que sa sympathie véritable allait à l'œuvre initiale et non à sa déformation actuelle.
Le programme de la soirée du 31 janvier est connu de nos lecteurs : Cabezon, Scar-
latti, Couperin, Rameau, Kuhnau, Haendel, Bach, pour ne citer que les plus grands
noms, ont été interprétés avec une exacte compréhension, et unesûretédegoûtdont nous
connaissons peu d'exemples. L'exécution de chaque morceau était précédée de la lecture
d'une notice biographique et technique sur l'auteur et l'œuvre jouée ; la plupart de ces
notices ont été publiées avec le programme de l'audition de l'an dernier, à la salle vEo-
lian ; à la prochaine séance, ce programme, réimprimé, sera distribué avec celui des
œuvres deJ.-S. Bach.
Notre simple modestie d'auteur nous oblige à ne porter aucun jugement sur ces
notices. Nous nous demandons toutefois avec quelque incrédulité si la plupart des
braves auditeurs, meilleurs au fond que les idées qu'on leur donne, ont pu prendre le
moindre intérêt à ces arides commentaires, que, certes, nous ne leur avions nullement
destinés.
Mais, si notre prose les laissa indifférents, il n'en fut pas de même de la musique.
Les qualités exquises du jeune pianiste ont imposé, là comme ailleurs, leur inéluctable
enchantement. Bien que les morceaux les plus simples, Sœur Monique, de Rameau,
Pièce en mi majeur de Scarlatti aient été en général les plus goûtés, il est à remarquer
que la Fantaisie chromatique et Fugue de J.-S. Bach a valu à M. Nin un véritable
triomphe.
Et c'était joie et tristesse, tout ensemble, de voir par instants, sur ces visages no-
blement empreints des stigmates du travail, une expression d'extase supra-naturelle.
Tant la puissance de l'idéal divin, contenu dans l'œuvre d'art et transmis par l'inter-
prète vraiment digne de ce nom, demeure souveraine et indestructible, dans les âmes
même de ceux chez qui on a prétendu en effacer jusqu'à la moindre trace !
A. Sérieyx.
CONCERTS DIVERS
Mlle Andrée Gellée. — Une nouvelle étoile dans le firmament déjà si brillant des
pianistes nous apparaît en Mlle A. Gellée.
Cette artiste toute jeune encore, presque une enfant, nous causa un étonnement
admiratif vite changé en une émotion reconnaissante, lorsqu'il y a déjà un an elle osait
affronter le public pour la première fois avec des œuvres de Bach et V Aurore, la 1 10 et
la 1 1 1 de Beethoven. Ce fut alors la révélation d'une personnalité où la profondeur et
la tendresse se mêlent à un sentimentalisme un peu germanique ; d'un tempérament où
toute passion humaine semble déifiée.
On n'y trouve pas ces grands élans de joie enthousiaste, ces émotions irraisonnées
qui jaillissent du cœur à des instants imprévus et qui rompent les digues de la sagesse.
Mais on est envahi par ce sentiment de bonheur intime qui vous pénètre à la vue de
l'œuvre d'art où tout est beau et pondéré.
Et les moyens techniques, la connaissance du clavier que possède Mlle A. Gellée,
sont grands au point de lui permettre de se réaliser ainsi.
A sa deuxième séance du 29 janvier, toute consacrée à Beethoven, elle interpréta
cette œuvre colossale qu'est la 106, les 72 Variations et avec Pabl© Casais, ce grand
— 141 ~
prêtre de l'art qu'on ne peut écouter sans le recueillement, le transport que vous inspire
tout ce qui est surnaturel, la Sonate en ut majeur.
M.-L. RiTTER.
M. Louis Revel, — Le violoncelliste Louis Revel a obtenu un très franc succès au
concert qu'il a donné le 31 janvier, salle des Agriculteurs, Très beau programme ne
comportant pas des morceaux à effets faciles comme les violoncellistes ont trop accou-
tumé de nous en faire entendre, mais bien des œuvres de style, et même la première
audition d'une Première Suite de Caix d'Hervelois (xvii' siècle), délicieuse œuvrette en
cinq parties appelée, enfin, à devenir la proie de tous les violoncellistes. C'est encore
dans la Première Sonate de Bach interprétée dans un style parfait, ou dans les difficul-
tueuses Variations Symphoniques de Boëllmann, le beau Lied et le merveilleux Trio de
V. d'Indy que M. L. Revel a fait preuve d'une très sûre technique et de rares qualités
musicales ; il était d'ailleurs très bien secondé par Mme G. Revel-Germain, pianiste
distinguée. Des mélodies de Louis de Serres, les Heures Claires, d'un beau lyrisme,
apportaient une agréable variété dans le programme -, elles ont valu à leur jeune inter-
prète, Mlle L. Braquaval, le succès que méritaient sa voix généreuse et son réel
talent. R- C.
M, Ossip Gabrilowitsch. — M. Ossip Gabrilowitsch vient de donner deux séances
à la salle Erard. La première, récital de piano, nous permit d'applaudir une fois de plus
le talent supérieur qui place M. Gabrilowitsch parmi les premiers pianistes de notre
époque. Deux qualités lui sont essentiellement personnelles : la sincérité et l'intelligence
musicales, et aussi une sensibilité tendre, attristée, féminine sans mièvrerie qui fait de
lui un incomparable interprète de Chopin. De ce récital retenons avant tout les interpréta-
tions successives du Prélude et Fugue en si bémol mineur de Bach, la Sonate loç de
Beethoven, la très belle Rhapsodie op. i ig de Brahms et la Ballade de Grieg. La deuxième
séance était consacrée à l'audition d'œuvres symphoniques russes. M. Gabrilowitsch s'y
affirma chef d'orchestre très savant et très habile. Dans la Schéhérazade de Rimsky-
Korsako w, dans les Steppes de Borodine, dans une Ouverture Rhapsodie pleine de jeunesse
et de fantaisie dont il est l'auteur, il sut mettre en valeur chaque instrument, obtenir une
unité d'ensemble et une harmonie de couleur vraiment remarquables. Lui-même exécuta
le Concerto pour piano et orchestre op. 2j de Tschaïkowsky qui lui valut des acclama-
tions. La virtuosité de cet artiste s'efface toujours devant le caractère de l'œuvre à
exécuter et c'est une profonde et noble conscience artistique qu'il faut saluer en
M. Ossip Gabrilowitsch. Edouard Schneider,
M. Edouard Bernard, — Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur les
deux concerts donnés le 7 et le 12 Février par le remarquable pianiste Edouard Bernard,
interprète profond de Liszt et de Franck. P.
Mlle Germaine Arnaud. — Une véritable révélation que ce concert de Mlle Arnaud
qui déchaîna à juste titre les plus enthousiastes opinions. Depuis Germaine Schnitzer,
nous ne nous souvenons pas d'avoir apprécié une nature musicale aussi intéressante,
dans les jeunes pianistes-femmes. Il n'y a pas lieu de se pâmer devant certains prodiges
de l'Etranger, quand nous avons chez nous une enfant de quinze ans, possédant un
talent si complet qu'un pianiste réputé a pu dire textuellement, à l'issue du concert :
« Maintenant je n'ai plus qu'à aller travailler ». Assurance, intelligence artistique, jolies
recherches de sonorités, doigts merveilleux, puissance surprenante, font de cette petite
une pianiste que l'on peut hardiment mettre en parallèle avec les plus appréciées de ses
aînées. La place nous manque pour citer l'intéressant programme qu'elle interpréta,
mais nous devons dire que dans le Toccata de Saint-Saëns, elle égala les plus grands
virtuoses. E. G.
Légation de Suède. — Au cours de la soirée donnée le 21 janvier dernier par le
Comte Gyldeustophe dans l'hôtel de la légation de Suède, les membres de la colonie
Suédoise, réunis pour fêter le soixante-dix-septième anniversaire de leur Roi, ont eu
la bonne fortune d'entendre un beau programme musical, interprété par des artistes,
— 142 —
leurs compatriotes. Très applaudis : Mlle Emma Holmstrand, la délicieuse cantatrice,
qui a soulevé de chaleureux bravos, dans des mélodies de Sjœgren et ufie délicate Pas-^
tourelle de Messager ; M. Lundin, l'excellent harpiste des concerts Lamoureux et le
violoniste Kjellstrom dans des œuvres de Sjœgren, Sarasate et Hubay. Ils se sont tous
surpassés. V.
Société moderne d'instruments a vent. — A cette première séance de la Société mo-
derne d'instruments à vent, deux auditions importantes d'oeuvres de (( jeunes )) inédites.
C'estun Poème Sylvestre pour double quintette à vent et harpe de M. D. E. Inghelbrecht
et Cinq pièces pour instruments à vent et piano de M. H. Woollett. De ces cinq
pièces, Prélude, Romance, Scherzo, Nocturne, Final, quatre seulement purent être
jouées, l'absence du cor, M. Capdevielle, ayant empêché l'exécution du Nocturne. M.
Woollett est encore trop peu connu pour son grand talent. Il est peu de poèmes où il
ait mis autant de charme et de pensées délicates, que dans ces œuvrettes légères de
style, exquisément ouvragées. — Chaque composition nouvelle de M. Inghelbrecht affirme
la personnalité d'un artiste, qui, en pleine possession de la technique musicale moderne,
sait être largement lui-même, par la force et l'intransigeance de la pensée. Il excelle
délicieusement dans son Poème Sylvestre^ que j'entends pour la première fois ; il tra-
duit en lignes parfaites, évoque magiquement la beauté grecque dans ses deux Esquisses
antiques pour flûte et harpe. Que les interprètes sont donc heureux d'avoir de si belles
éhoses à jouer. Mais que les compositeurs sont donc heureux d'avoir utl interprète
comme M. Blanquart qui traduit avec cette intensité de passion, cette pureté de timbre,
incomparables. Son succès a été particulièrement grand dans le Soir Payen de Georges
Hue. Je né veux pas négliger de dire beaucoup de bien du délicat Quintette pour instru-
ments à Vent et piano de Patrice Devandhy, d'une écriture peut-être un peu simpliste, et je
tné garderais bien de ne pas parler des nombreux applaudissements remportés par MM.
Gâudàrd, Leclercq, Guyot, Cahuzac, EntraigUes (remplaçant M. Gapdevislle), Mellin,
Flament, Hermans, dans l'Andante, le Menuet et le Final de VOôtuor de Beethoveti.
B, Masselon.
Mlle Yvonne Péan. — Mlle Péan acquiert chaque année plus de maîtrise et plus
de fougue. Dans les œuvres où la passion, la nervosité, le brio, en un mot où la fantai-
sie doit régner, Mlle Péan excelle. C'est ainsi qu'elle a remarquablement interprété la
Sonate (piano et violon) d'Enesco que l'auteur a fait valoir superbement au violon. De
même dans un Scherzando de M. G. Pierné, Mlle Péan a obtenu le plus vif succès. Au
même concert, la voix ample et bien conduite de Mlle Sirbain a été fort goûtée, surtout
dans l'air de Rédemption, H.
Les Intimités d'Art dont Mme Roger-Miclos-Battaille enveloppe tous les samedis
à 3 heures le Théâtre-Royal, deviennent le rendez-vous des plus friands de la bonne
musique alliée à l'atmosphère mondaine dont Paris a le secret. Nous n'avons pu
malheureusement suivre les auditions déjà données soUs ce titre charmant, mais il nous
est revenu de différents côtés que le plus vif succès avait accueilli l'intelligente entreprise
de Mme Roger-Miclos. D'ailleurs, entourée d'artistes comme Mmes Hatto, Astruc-
Dorîa, Du Minil, Kutscherra, Cécile Sorel, Bréval, etc., MM. Johannès, Wolff, Enesco,
Viardot, Mounet-Sully, Battaille, G. Touche, etc., comment Mme Roger-Miclos, dont le
nom seul suffirait, pourrait-elle douter delà réussite des "Intimités d'Art" ?
V.
M, G. Ekèsco. — Très brillants, très « smart », les deux concerts de M. G,
Enesco doivent compter parmi les plus intéressantes séances de musique de la saison.
C'est d'ailleurs « la semaine Enesco )) que l'on vient de fêter : le nom du remarquable
musicien figurait en effet sur la plupart des affiches de concerts, tant comme compositeur
que comme violoniste; nous devons ajouter qu'il aurait pu y figurer également comme
pianiste. M. Enesco est admirablement doué,et laMusique,enpenséeoueninterprétation,
fait partie intégrante de sa nature. Nous reprocherons peut-être à Enesco d'avoir composé
ses progi'afflmes dans un esprit voisinant avec celui de Kubelik, c'est-à-dire recherchant
— M3 —
un peu trop le seul èflfet de la virtuosité ; mais lorsqu'on possède une si merveilleuse
agilité, un jeU si sûr et si brillant, comment ne pas se laisser tenter par les œuvres qui
les font valoir ! Au demeurant, nous avons infiniment goûté la majesté, la noblesse, la
puissance et l'émotion dont le remarquable artiste a fait preuve dans la Partita en si
mineur de Bach. R.
Le 27 janvier, à la salle Gavaillé-Coll-Mutin, récital donné par M. Paul Pierné sur
l'admirable instrument qui s'y trouve actuellement, avec un programme composé
presque uniquement d'oeuvres empruntées au recueil de pièces d'orgue de MM. PaUl-
Lueien Hillemacher, récemment paru chez Joanin et G". Le public a fait le plus cha-
leureux accueil à ces pièces, où se retrouvent toutes les éminentes qualités de facture de
ces remarquables mélodistes, jointes à un sentiment très moderne du recueillement et
de la méditation. Il appartenait à ces intimistes de concilier les formes les plus nou-
velles de la musique avec cette réserve d'expression qui caractérise tous leurs ouvrages
et qu'exige impérieusement la composition d'église. Ils ont montré par là que, sans être
grégorien, l'on peut écrire de la musique édifiante et pieuse, ce dont nous nous doutions
depuis Parsifal^ sans remonter aux maîtres classiques. Le Prélude en forme d'étude, la
Prière et les Pastorales nous ont particulièrement séduits par leur grâce évangélique et
pénétrante et les organistes curieux des raffinements les plus osés pourront adjoindre ce
recueil à leur répertoire, sans crainte d'attenter à la dignité du temple et avec la certi-
tude de charmer toutes les oreilles musicales.
J. d'UDINE.
L'abondaiîce des matières nous oblige à reporter au prochain nuiriéro les (( SoHa-^
tières et les alentours » ainsi que les correspondances de : Angers^ Montpellier,
Bruxelles et Londres.
Le Mouvement musical en Province el à l'Étranger
LYOIV. — Si par hasard fuyant vers son cher Lavandou, l'auteur de Sigurd a pris
fantaisie le 24 décembre dernier de stationner à Lyon pour se glisser dans la salle
des Folies-Bergères, il a dû Se rappeler avec quelque remords un malheureux
feuilleton du 23 avril 187^ où après dix colonnei consacrées à la Marie-Madeleine d'un
certain Massenet, il mentionnait en vingt lignes hâtives la première audition de Rédemp-
tion de M. César Franck... L'œuvre n'avait recueilli d'ailleurs aucun succès. Ah ! que
Mme de Thèbes aurait été bien inspirée en soufflant ce jour-là au critique musical du
Journal des Débats les bonnes phrases de son feuilleton ! Oui, ce 24 décembre 1905,
Rédemption^ grâce aux soins pieux d'un disciple du maître vénéré fut exécuté à Lyon
avec le plus grand succès et le 29 décembre une seconde audition du chef-d'œuvre de-
vait être donnée devant une salle nombreuse où fraternisaient nombre d'auditeurs de
la veille.
Dieu merci ! nous avons progressé depuis le 23 avril 1873 : nous ne sommes plus
au temps où Gabriel Fauré se voyait attribuer les Rameaux, grâce à une fâcheuse
homonymie ; les Marie-Madeleine ne transportent plus les foules tout au moins au
concert sérieux et quelqu'un en dehors des bons pensionnats se souvient-il que Gounod
écrivit une partition de nom similaire de celle qui nous occupe aujourd'hui ?
On connaît le sujet de philosophie élevée proposé par M. Ed. Blau, le librettiste
regretté, tout dernièrement disparu, à l'inspiration de Gésar Franck : l'antique rachat
du monde païen par la venue de Jésus et le rachat nouveau du genre humain retombé
dans les erreurs du paganisme par la prière fervente. Get austère sujet où intervien-
nent les voix des célèbres annonciateurs du pardon divin était fait pour tenter l'âme
religieuse du maître, et il nous a valu une œuvre d'une sincérité d'expression et d'ins-
piration sublime Vraiment uniques. La foi Yraie déborde dans cette musique et la qua-
— 144 ~
lité d'émotion éprouvée à son audition est d'une essence si particulière que nous cher-
chons vainement de quelle œuvre une telle partition pourrait être rapprochée. Notons
que ce sont précisément les passages où la foi religieuse inspire directement César
Franck, où sa pensée d'artiste est pénétrée, baignée pour ainsi dire de mysticisme,
que l'expression musicale resplendit de la plus fière beauté : tels les chœurs des anges
d'une suavité indicible, l'admirable air de l'archange « Les rois dont vous vantez la
gloire... )) où se sent toute l'extase d'une adoration, l'air d'une pureté de ligne et d'ex-
pression toute classique de la deuxième partie (( Le flot se lève... » Voyez dans le chœur
qui termine la première partie comme l'inspiration se relève d'un point de départ peut-
être un peu vulgaire a Devant la loi nouvelle... » et devient d'une qualité plus rare
dès que la musique peut préciser le sens intimement religieux des paroles qui l'inspi-
rent ; voyez en particulier les phrases dites pianissimo par les voix : « Le monde est
prosterné... », « Noël voici l'aurore... » enchâssées avec amour dans cet ensemble où
elles forment avec les autres parties un contraste voulu. En revanche les chœurs qui
voudraient exprimer toute la joie des sens sont un peu secs d'inspiration : Franck
n'était à l'aise qu'au Paradis !
L'exécution de YOratorio de Franck fut excellente avec les chœurs de la Schola très
bien disciplinés, où l'on ne put signaler que quelques hésitations du côté des voix
d'homme, avec Mlle de la Rouvière dont le grand talent donna au rôle de l'archange
toute sa puissance et son charme, et l'orchestre qui, notamment, exécuta splendidement
la symphonie merveilleuse qui ouvre la deuxième partie. M. Witkowski dirigea cette
œuvre d'absolue beauté avec une maîtrise unanimement admirée. Le concert comprenait
en outre la curieuse ouverture de la Belle Mélusine de Mendelssohn, puis un air
à^ Hippolyte et Aricie de Rameau et la délicieuse Phidylé de Duparc, chantés excellem-
ment par Mlle de la Rouvière.
Troisième concert de l'abonnement. — La Symphonie en fa dièze mineur d'Haydn
et le Concerto en ut mineur de Mozart, suivis du Prélude à l'après-midi d'un Faune de
Claude Debussy ; voilà le savoureux contraste que M. Witkowski avait médité sur le
programme du 21 janvier ! Ce fut un charme inexprimable de savourer les raffinements
exquisement voluptueux de la page célèbre de Debussy après la musique aimablement
vieillotte du père de la Symphonie. Avec quelle souplesse précise, quelle entente étudiée
des sonorités M. Witkowski conduisit cette œuvre d'extrême difficulté : ce fut merveil-
leux. Dirons-nous que le Concerto de Mozart ne distilla pour nous qu'ennui mortel ?
Tant pis si notre franchise semble un sacrilège. Il fallait tout le grand talent de M. de
Greef pour rendre supportables des pages que beaucoup se croient obligés d'admirer de
confiance, rassurés par l'étiquette. M. de Greef joua seul les Arabesques de Schumann
et le Caprice de Saint-Saëns sur les airs de ballet d'Alceste. Son jeu très fin confine
par instant à la préciosité, mais la sonorité obtenue sur le clavier reste toujours déli-
cieuse. Nous aurions aimé voir cet artiste aux prises avec quelque grande page de la lit-
térature du piano, les Variations symphoniques de Franck, par exemple, au lieu de
l'entendre fignoler des pages d'album délicieuses, mais trop connues. Nous savons que
ce ne fut pas la faute de l'éminent organisateur du concert qui se heurta à des difficul-
tés tout à fait imprévues. Le programme qui comportait outre la Symphonie citée, très
finement détaillée, la charmante Pavane de Fauré, se terminait par l'ouverture du
Vaisseau- Fantôme, vibrante musique qui, sous la baguette de M. Witkowski, resplendit
d'une façon vraiment enthousiasmante.
Les grandes auditions dont nous venons de parler ne doivent point nous faire ou-
blier des séances plus modestes mais intéressantes à plus d'un titre : tel le récital exquis
offert par la Revue musicale de Lyon où Mme de Lestang, rare musicienne et pianiste
parfaite, interpréta un programme qu'un de Greef aurait peut-être hésité à accepter
{Aria de Franck, Paysage de Chausson, pièces des Tableaux de paysage de d'indy,
Sanate de Lekeu, Pavane pour une infante défunte et Jeux d'ea:-ix de Ravel); telle la
séance où Mlle Pironnet, premier prix du Conservatoire de Bruxelles, un jeune talent
plein de promesse, exécuta avec l'aide de l'archet de M. Pironnet l'excellent pro-
fesseur, la belle Sonate de Silvio Lazzari et la Sonate en sol de Mozart ; tel le dernier
— '45 —
concert de la Symphonie lyonnaise dirigée par M. Mariotte où nous applaudîmes de
bonnes exécutions de la Procession nocturne de H. Rabaud, du Prélude du quatrième
acte de Messidor, ainsi que la première audition d'une mélodie d'un de nos compatrio-
tes M. Benoît, les Vagues, oeuvre très soignée, d'une orchestration mélancolique un
peu grise.
Au Grand Théâtre, de brillantes reprises de Lohengrin et de Tannhaûser avec
Mmes Jannsen et Kutscherra ont été suivies de Sibéria, l'opéra de Giordano représenté
à Paris l'an dernier au cours de la saison italienne. L'œuvre ne semble pas devoir sur-
vivre à trois ou quatre représentations : c'est un insuccès bien mérité.
P. L.
B OROEAUX» — Les trois pretniers concerts de la « Société Sainte-Cécile », —
Les trois premiers concerts de la Société Sainte-Cécile sont loin d'avoir présenté
un égal intérêt. La Société tend à faire connaître au public Bordelais à la fois les
plus importantes parmi les œuvres des maîtres anciens et modernes et les principaux
artistes exécutants en renom. Aussi tous les programmes font-ils une part à peu près
égale à la symphonie et au concerto. Comme la Société Sainte-Cécile a un sens très
élevé de l'hospitalité, il arrive parfois qu'elle néglige volontairement le reste de son pro-
gramme, pour permettre à l'exécutant concertiste de recueillir la plus belle part du
succès. Le fait semble s'être produit pour le second concert.
Celui du 26 novembre, le premier de la saison comportait la Symphonie héroïque
de Beethoven dont l'adagio et le scherzo furent particulièrement bien exécutés par l'or-
chestre de M. Pennequin. Les Carillons blancs et Carillons noirs, composition pour
huit harpes, inspiré à M. Saint-Quentin par la lecture des Cloches matinales de
d'Auriac et des Cloches mélancoliques de Beaudelaire et exécutée par quatre jeunes filles
vêtues de blanc et quatre jeunes filles vêtues de noir, a laissé froid les auditeurs Borde-
lais. La belle page des Murmures de la Forêt, qui venait immédiatement après la com-
position de M. Saint-Quentin a vite fait d'effacer l'impression fâcheuse produite par
les huit harpistes et l'excellente interprétation donnée par l'orchestre a obtenu un très
légitime succès. Dans le Concerto en la «" / de Saint-Saëns, dans la Paraphrase sur
un thème arabe de Lenormant et dans Haba7iera de son frère César, M. Albert Geloso
nous a permis d'apprécier ses fortes qualités de virtuose et d'artiste.
Le talent de M. Liégeois fut à peu près seul digne de remarque dans le concert du
10 décembre. M. Liégeois interpréta avec infiniment de délicatesse le Concerto en ré
pour violoncelle de Lalo, et fut aussi très goûté dans V Adagio de Boccherini.
Le programme comportait en outre la Deuxième symphonie en ré majeur de
Brahms, très bien rendue par l'orchestre. Venaient ensuite un poème symphonique
de M. G. Marty : Nuit d'été, puis une cantate de Saint-Saëns : Feu Céleste, dans la-
quelle se sont fait entendre les voix fraîches des élèves de la Société. Enfin, intéressant
rapprochement, deux thèmes d'inspiration religieuse : le Psaume de Marcello (1686-
1737, « Cœli ennarant gloriam Dei » réalisé et orchestré par M. Pennequinetl'ft Alléluia
du Messie » de Hsendel.
En somme, malgré la bonne exécution des diverses parties, ce deuxième concert
n'a laissé qu'une impression de froide correction. Des œuvres honnêtes se sont succé-
dées sans qu'il s'en dégageât une idée saillante et la Société Sainte-Cécile fut souvent
plus heureuse dans la composition de ses programmes.
Le troisième Concert donné le 24 décembre fut dans son ensemble beaucoup moins
monotone que le précédent. Il débutait par la deuxième symphonie en si bémol de Vin-
cent d'Indy. OEuvre très curieuse, fortement charpentée, où de nombreuses duretés
s'allient à une recherche d'originalité poussée parfois jusqu'à l'extrême. OEuvre puissante
d'ailleurs. Cette symphonie est toute empreinte des tendances de l'école moderne, et il était
bon qu'elle figurât, à titre d'enseignement, au programme des Concerts Sainte-Cécile.
Très vit et très légitime a été le succès obtenu par M. Féline dans le Rondo Capricioso
pour violon de Saint-Saëns. M. Féline possède un joli talent. 11 a joué ce morceau avec
une parfaite délicatesse d'expression, beaucoup de souplesse et d'entrain. L'orchestre
— 146 —
de M. Pennequin mérite d'être particulièrement félicité pour la verve et l'ampleur qu'il
a déployées dans l'exécution de la Suite en si mineur de Bach. C'est Mme Clotilde
Kleeberg, artiste plusieurs fois admirée à Bordeaux, que la Société Sainte-Cécile nous
procurait le plaisir d'entendre dans la partie concerto de son programme. Dans le Con-
certo en si bé^nol majeur pour piano de Mozart et dans V Introduction et V Allegro Appa-
sionato (op. 92) de Schumann, Mme Kleeberg recueillait une fois de plus les applaudis^
sements qui lui ont toujours été justement prodigués dans notre ville.
L'intensité du mouvement musical s'affirme à Bordeaux, cette année comme les
précédentes, par la multitude des concerts de second ordre, plus modestes que ceux de
la société Sainte-Cécile, mais intéressants à bien des égards.
Il convient de rappeler l'intelligente initiative prise par la Chanterelle. Sous le
titre « Les Cinq écoles » c'est un essai pour vulgariser dans une série de concerts-cau-
series les principaux chefs-d'œuvre des grandes écoles de musique. Les séances de
cette année sont consacrées à l'école allemande.
La direction du Grand-Théâtre a affirmé ses tendances artistiques dans la repré-
sentation de la Datnnatïon de Faust et de ï Anniversaire, d'Adalbert Mercier.
P. B.
R.LEANS» — Concert Cortot-Blanc. — Le pianiste Cortot, ainsi que Mlle E.
Blanc, ont été très applaudis. M. Cortot est un grand pianiste et un artiste
consciencieux : il le prouva en particulier dans l'exécution de la Fantaisie en sol
mineur de J.-S, Bach et dans le Carnaval de Schumann. Mlle Eléonore Blanc chante
admirablement, mais je ne pensais pas qu'elle eût à son répertoire Ouvre tes yeux bleus
et autres mélodies véritablement trop connues.
Concert Achard-Luquin. — Mlle Achard est une virtuose de la harpe Erard, elle
joue très artistiquement de la musique bien banale. Le Quatuor Luquin nous a donné
une froide, mais noble interprétation du Neuvième Quatuor de Beethoven et de VAn-
dante con variazoyii du quatuor en ré mineur de Franz Schubert. Un Quititette pour
harpe et quatuor (trop'écrit spécialement pour la harpe, et cela au détriment du senti-
ment musical) de M. Destenay a été très bien enlevé.
Le public, malheureusement trop peu nombreux, a fait un excellent accueil aux très
excellents artistes.
Concert Heurteau (audition annuelle). ■ — Mlle Heurteau a donné avec le concours
de ses meilleurs élèves, un concert consacré presque exclusivement aux oeuvres de Ch.
René avec des mélodies et une Ode musicale, forme à la Gounod, intitulée les Lende-
mains de la vie. M. Ed. Mignan était au piano, l'auteur dirigeait les interprètes (Mlle
Heurteau, Poirier. M. Riche) et les choeurs excellents.
Concert Boucherit. — Peu de grandes œuvres étaient inscrites au programme,
sauf le deuxième Trio de Mendelssohn : de nombreuses petites pièces charmantes, ai-
mables faisaient les frais du concert. Parmi les compositeurs représentés, MM. Th.
Dubois et Delsart étaient en bonne place ; c'est dire 3 quelle fête artistique nous étions
conviés !... M. Boucherit était accompagné de Mlle Madeleine Boucherit (pianiste) et Mme
Boucherit-Larronde (violoncelliste).
Mme Auguez de Montalant a toujours une voix délicieuse, éternellement jeune,
fraîche et charmante.
Société des Coyicerts populaires. — Au premier concert, nous eûmes à entendre de
nombreux solistes et très peu d'orchestre. La Suite Algérienne de C. Saint-Saëns et
la Symphonie d'Haydn (la Surprise) représentaient la musique orchestrale : l'exécu-
tion de ces œuvres fut suffisante, rien de plus; et j'ajouterai que M. Dumont conduisit
très bien l'orchestre.
Mme Mellot-Joubert prêtait son concours à ce concert avec trois instrumentistes
(hautbois, clarinette, basson) : MM. Costes, Hue, Carlin. Je déplore que ces trois bons
musiciens n'aient pas suivi pour la composition de leur programme, l'exemple de la
Société des Instruments à vent dirigée par Barrère et qu'ils aient cru nécessaire de faire
admirer leur virtuosité remarquable avec des soli de concerts rococos, démodés et anti-
— «47 —
ihiisîcaux (jîetit-on encore ati xx' siècle exécuter en piiblîc une fantaisie sur le Pré aux
Clercs !). Ils ne nous donnèrent comme œuvre vraiment belle que le Trio pour haut-
bois, clarinette et basson de Beethoven d'une sonorité très originale, d'une structure
solide et d'une noble inspiration qu'ils interprétèrent d'une manière très clas-
sique. M. Porte accompagnait le concert.
Société J .-S. Bach ( i"' année). — MM. G. Rabani et Ed. Mignan ont entrepris une
tâche énorme : fonder à Orléans une Société Bach afin de faire connaître le grand can-
tor. Sans argent, presque sans éléments mais avec des bonnes volontés, ils y ont réussi
et déjà dans la salle J.-S. Bach, deux concerts ont été donnés avec plein succès, l'un
avec orchestre et chœur, l'autre consacré à la musique de chambre.
M. G. Rabani a été un chef d'orchestre précis, scrupuleux, soucieux d'une exécu-
tion irréprochable, surtout lorsqu'il s'agit de pages musicales aussi remarquables. M.
Ed. Mignan est un fervent de Bach et a tenu l'orgue avec son autorité habituelle.
Voici les programmes de ces deux séances, ils prouveront que la persévérance et la
foi artistique font des miracles et ils témoigneront des progrès que fait le goût musical
sous l'influence des saines et salutaires propagandes :
Ouverture, en ut majeur, pour orchestre :
Laudamus te, de la messe en si mitieur
Concerto pour piano en ré mineur.
Cantate Brick dem Huncrrig^en den Brod. FrangeSe.
IIÈGE* — Reprenant l'ancienne dénomination à' Association des Concerts -popu-
laires^ fondée jadis par Eug. Hutoy, à laquelle S. Dupuis fit succéder les Nou-
À veaux Concerts., MM. Delsemme et Debeive la reconstituèrent en igoô, et jusqu'à
l'année dernière ces messieurs en dirigèrent alternativement les concerts.
M. Delsemme s'étant retiré, M. DebefVe reste donc seul responsable de l'entreprise
artistique et matérielle, ce dont il faut lui savoir gré car seul, cet orchestre inscrit cha-
que année plusieurs œuvres nouvelles ou inconnues.
Le premier concert qui eut lieu le i6 décembre comprenait un programme d'œuvres
assez rarement jouées, notamment la Huitième Symphonie de Beethoven, dont la ligne
mélodique du premier morceau ne fut pas toujours très apparente ; V Allegretto et le
Menuet simulant une vigoureuse entrée de danse rustique aussitôt entremêlée d'une
mélodie gracieuse et reposante. Quant au final, l'esprit, plus que la lettre, fut réalisé,
car la sérieuse difficulté de rendre ces frémissements de tierces et sixtes délicatement
perceptibles, tolèrent une certaine réserve dans la critique.
En Saga, la seconde œuvre de J. Sibélius qu'il nous est donné d'entendre, apparaît
semblable à un fond sonore sur lequel des thèmes folkloriques, le plus souvent d'une
sauvage rudesse ou d'une ténuité excessive forment, avec des rythmes de danses exoti-
ques une mosaïque intéressante et colorée. L'impression d'une seule audition et l'absence
au programme de renseignements plus précis sur ce poème symphonique ne nous permet
de le considérer que sous l'aspect très accusé d'une œuvre rapsodique.
Un compositeur belge figurait aussi au programme avec une Rapsodie Canadienne
d'une facture plus familière et qui vibre des sonorités amples et énergiques de l'orches-
tration de Paul Gilson.
Pablo Casais, le soliste de tout premier ordre que nous avions eu le plaisir d'admi-
rer pour la première fois s'est imposé par des qualités remarquables de musicien et de
celliste. Dans l'inégal Concerto de Dvorack le grand artiste a mis à le traduire une con-
viction de musicien profondément attaché à l'œuvre, qui renferme, certes, de bien belles
pages. Confiant en sa supériorité, P. Casais n'a pas craint de changer la coutume en
jouant l'œuvre de virtuosité d'abord, et en la faisant suivre de VElégie si pénétrante de
G. Fauré, de Kol Nidrei de M. Bruch exécutés avec une élévation de style peu com-
mune qui fut vivement appréciée. Aussi le brillant accueil qui lui fut fait l'engagea-t-il
à jouer en bis plusieurs pièces sans accompagnement de J.-S. Bach ; peut-être voulut-il
— 148 —
éprouver le public liégeois ! maÎG, expérience ou non, celui-ci fut enchanté et le succès
de Casais considérable.
Mentionnons en passant le concert de la distribution des prix du Conservatoire
avec, comme mets principal, la réaudition de la Cantate inauourale de l^ Exposition,
de M. Radoux. Ensuite le Concerto en ut mineur de Saint-Saëns joué avec le méca-
nisme clair et perlé de Mlle Heusent, et celui en Sol mineur de M. Bruch exécuté cor-
rectement par le violoniste Piery.
*
L'« Ecole libre de musique » de Liège fondée récemment par quelques professeurs
de la ville a pris prétexte de l'installation d'un nouveau professeur pour organiser une
séance musicale à laquelle ils ont tous participé.
Le programme comprenait la Folia de Corelli jouée par E. Fassin, l'air Diane
impitoyable de Gluck chanté par I. Henrotte, la première Ballade de Chopin par
L. Henry et le premier allegro du Concerto exécuté par le violoncelliste A. Dechesne ;
le tout précédé d'un petit discours prononcé par M. Dwelshauvers, professeur à l'Uni-
versité et titulaire de la chaire du cours d'esthétique ajouté à l'a Ecole libre ».
La leçon inaugurale promet un cours intéressant, car il est confié à un physicien
doublé d'un musicien et critique autorisé.
F. M.
IEIPZIO» — Ces dernières semaines nous avons eu de nouveau énormément de
musique. Je ne cite que les choses plus importantes : au Gewandhaus nous enten-
J dîmes comme presque nouveauté la Symphonie en ut mineur (n° 8) de Bruckner
exécutée magnifiquement sous la direction de Nikisch, une œuvre splendide dans la-
quelle on reconnaît à fond la pensée et le génie du grand compositeur. Les Béatitudes
de César Franck furent moins goûtées. Le librettoest d'abord déplorable et la partition
musicale n'appartient pas aux meilleures œuvres que le maîti'e a données ; c'est une
musique très mélodieuse, mais aussi trop douceâtre et qui fatigue à cause de son ho-
mophonie continuelle.
La Fête de Mo:iart nous fit entendre la symphonie Jupiter et l'ouverture de laFlûte
enchantée. Cari Reinecke joua avec Fritz von Rose le concerto mi hémol majeur pour
deux pianos et reçut des ovations très chaleureuses. Le public salua le vieil artiste avec
enthousiasme.
Dans les derniers Concerts philharmoniques on donna aussi de Bruckner, la Sym-
phonie n° 4 qui fut accueillie avec beaucoup de faveur. Le poème symphonique d'or-
chestre Résurrection et dernier Jugement par G. von Reusler n'eut aucun succès. Pas à
tort, car le componiste aspire à des choses extraordinaires sans avoir pour cela... la
force nécessaire dans l'invention ni la maîtrise technique. Le capellmeister Winderstein
aussi arrangea une fête digne de Mozart. Il faut lui savoir gré de nous avoir fait con-
naître la très jeune violoncelliste Marg. Caponsacchi de Genève, un très grand talent
qui promet beaucoup.
C'est la musique de chambre qui offrit le plus d'intérêt : au Gewandhaus parut Sin-
ding avec son nouveau quatuor en la mineur qui ne me plût qu'à moitié ; Joseph Pembaur
joua la partie de piano du trio de Volkmann avec un sentiment fin et poétique, et en
E. von Dohnany nous fîmes la connaissance d'un nouveau maître du piano. Ce dernier
participa à la fête de Mozart où nous entendîmes le quatuor en sol mineur, un Diverti-
mento et un Quintette avec instruments à vent. La Société de concerts des Instruments
anciens de Paris y débuta avec un succès tout à fait extraordinaire; Mmes Casadessus-
Dellerba et Marg. Delcourt, MM. H. et M. Casadessus et Ed. Nanny donneront une su-
perbe interprétation de compositions anciennes sur les instruments correspondants.
Le Boehmische Quartett nous a organisé une fête de Mozart si belle qu'on ne peut
rexprimcr ; avec le concours de MM. les professeurs Suchy et Schubert nous enten-
dîmes les quintettes de Mozart en ut majeur et la majeur (celui-ci avec clarinette) et le
— I4Q —
quatuor de piano en sol mineur exécutés d'une manière parfaite. M. Pr. von Bose était
au piano avec Pel. Berber et le professur Klcngel, il joua à une autre soirée, outre le trio
pour piano en ut majeur de Brahms, le trio /a majeur de Georges Schumann et une so-
nate ya majeur sympathique et très charmante quant aux thèmes pour piano et cello, de
Stephan Krehl.
La Société de musique internationale et la Moc^art Gemeinde se réunirent pour une
fête Mozart. Au programme : des compositions de musique de chambre, des lieder, des
duos, et aussi la jolie fantaisie Die Dorfmusikornten, Les Musiciens de village, une
symphonie de paysans.
Les violonistes Jos. Achron, K. Klein et Ai. Rebner ne purent intéresser que par-
tiellement. Mischa Elman se fit applaudir de nouveau d'une manière enthousiaste et eut
d'immenses succès ; M. H. Solomonojf élève de talent de Hanss Sitt, et Mlles Hell Fe-
rehlanr et Hel. Fûrst furent bien accueillies. Ces dernières jouaient avec un beau succès
des compositions originales de Bach, Mozart, Spohr, Sinding et Juon. M. Klengel
célébra dans un concert très réussi son jubilé de trente ans d'artiste.
Parmi les récitals de piano, je cite un concert très intéressant, Ballades eX. Légendes
de M. Joseph Pembaur pianiste de talent, où l'on entendit les œuvres de Brahms. Cho-
pin, Liszt. Jos. S/ùoms/iv fit de nouveau fureur grâce à sa technique extraordinaire.
Léo Kestenberg étonnait assez avec l'intention de jouer seulement des arrangements
pour piano. La jeune pianiste viennoise Marg. Rccdel fit preuve de talent.
M. Egidy, de Berlin, a donné dans l'église de Saint-Nirol (Nikoldikirshe) un
concert d'orgue et a remporté un succès artistique avec le concours de la cantatrice Anna
Stephan qui fut très favorablement appréciée.
Quant aux concerts d'église, les deux premiers concerts du Bachverein intéressèrent
surtout ; on y entendit quatre cantates de Bach et V Oratorio de Noël assez bien exécu-
tés ; et au deuxième concert du Riedelverein eut lieu une belle exécution de la grande
Messe en ut mineur par Mozart.
A citer également quelques séances de lieder de Mme Mysz-Gmeiner, de M. R. von
Zur-Mùhlen et M. Ludwig Wûllner. On s'est bien étonné que ce dernier prodiguât son
talent pour nous faire entendre des mélodies tout à fait insignifiantes de Otto Vrieslan-
der et qu'il leur consacrât une soirée entière.
Eugen Segnitz.
LE CAIRE. — Heureux mortel que ce correspondant viennois du Courrier Musi-
cal qui se trouve embarrassé de ne pouvoir donner une idée de ce qui se passe de
la vie musicale dans une quinzaine, tellement sont nombreux les concerts ! Ici
c'est tout à fait le contraire ; malheureusement, dans une ville aussi riche et mouve-
mentée que Le Caire, la musique chôme. Depuis un mois nous n'avons eu que deux
concerts, et encore... !
M. P. Loredan, de passage ici, a donné un récital de piano dans le Grand Salon du
Savoy Hôtel. Au programme : Fantaisie ejt D mineur de Mozart ; Sonate op. 2 y de
Beethoven, interprétée autrement que nous avions l'habitude de l'entendre parles grands
maîtres. Rondo Capriccioso de Mendelssohn, Mouvement perpétuel de Weber, Préludes,
Berceuse et Fantaisie de Chopin, // trémolo de Gottschalk ; malgré toutes les difficul-
tés dont ce morceau est hérissé, Loredan a réussi à le jouer beaucoup mieux que les
autres oeuvres. Enfin avec le S/ o/scawy'é/ats de Henselt, la. Bacchanale et Rigoletto
de Liszt clôturèrent le concert.
Maintenant, si Loredan n'a pas su captiver tout son auditoire, il en a charmé un
grand nombre. Il est malheureux qu'il fasse souvent concession au maniérisme, sans
cela on doit reconnaître en lui une remarquable personnalité artistique.
Le second concert de la quinzaine donné par Mme Bonucci Carlesimo, fut pour
nous une occasion d'applaudir une pianiste de grande valeur. Parmi les numéros du
programme : Gigue en sol de Scarlatti-Cesi ; Thème en fa avec variations de Mozart,
Fugue en la mineur (Tarentelle) de Bach, Roi des Aulnes de Schubert et Liszt, Sonate
— 150 —
op. 2j é& Beethoven, Préludes.^ Nocturnes. Etudes de Chopin, Grande Marche mili-
taire de Schubert-Taussig, etc.
Dans tous ces morceaux, Mme Bonucci Carlesimo a montré de belles qualités musi-
cales et a su se faire apprécier. L'interprétation de Chopin a été simplement admirable.
Le public lui a fait une ovation chaleureuse et bien méritée.
On annonce l'arrivée prochaine en notre ville du jeune, mais déjà célèbre violoniste,
Serato, de Berlin, que nous avons tant applaudi l'année passée. Nous attendons aussi
le Quatuor Fitzner, de Vienne.
Vahram.
Concerts Hijnoncés
Salles Pleyel
Grande Salle
Février
15 La Société des Instruments à vent, à 4 h.
Mme Jeanne Arger,
Mlle Alice Goguey.
La Société nationale de musique.
M. Joseph Debroux.
M. David Blitz.
Mme Monteux-Barrière.
M. Daniel Herrmann.
Mme Marie Bétille.
Mme Camille Chevillard, à i h.
Mlle Hélène Laye.
M. Théo Delacroix.
Salle des Quatuors
18 Mlle Mélet, à i h.
24 Mlle d'Albos et J. Dumas.
28 Le Quatuor Calliat.
Salle Erard
15 Les élèves de M. Jonardon.
16 Mme Marty.
17 Mlle Th. Roger.
|8 Les élèves de Mme Girardin iV^archal,
19 Mme Veyron-Lacroix.
20 MM. Feuillard et Willaume.
21 M. V. Stavb.
22 La Société chorale d'amateurs.
23 Mlle Capoccetti.
25 Les élèves de M. Dimitri.
26 Mme Schultz-Gangain.
28 Mlle H. Picot.
Salle des Agriculteurs
Février.
:5 Les Soirées d'Art (Concerts Barrau).
20 Société Philharmonique (A. Sistermans, A. Cor-
tot, Pablo Casais).
22 Les Soirées d'Art.
M. Francis Thibaud.
M. A. Bachmann.
24
25
Schola Cantorum
23 4" Acte d'Hippolvte et Aricie (Rameau).
2" Acte A'Ipbigénie en Tauride (Glûk).
26 Mlle Blanche Selva (œuvres de Bach).
Salle JSolian
15 Mme Landormy-PIançon.
16 Le Quatuor Parent.
19 Mme Panthès.
21 Le Quatuor Lejeune.
23 Le Quatuor Parent.
Salle de l'Union
21 Société J.-S. Bach. (Mme Panthès, MM. Widor
et Enesco).
Ambigu
21 Anciennes matinées Danbé, 4 h. ij?,
Théâtre-Royal (rue Royale)
17 Les Intimités d'Art, à 3 h.
24 id.
— 151 —
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FR A NCE
Deux Concerts de gala à l'Opéra.-— M. Dujardin-Beaumetz a autorisé M. Gailhard,
directeur de l'Opéra, à s'entendre avec M. Gabriel Astruc, directeur de la Société Mu-
sicale, pour l'organisation, dans la grande salle de l'Opéra, de deux concerts sensation-
nels qui auront lieu à la fin du mois d'avril. Ces deux concerts seront donnés sous la
direction du célèbre chef d'orchestre Félix Weingartner et sous le patronage delà Société
des Grandes auditions musicales de France, dont la présidente est M™" la comtesse Grel-
fulhe. Nous pouvons dire dès à présent que M. F. Weingartner conduira cette fois en-
core les Symphonies de Beethoven qui lui ont valu l'an dernier un véritable triomphe
au Nouveau-Théâtre.
A l'Opéra. — Les études d'Ariane, le grand ouvrage nouveau de MM. Catulle
Mendès et Massenet, commenceront à l'Opéra dès le i"'' mars. Entre temps, ainsi que
nous l'avons déjà annoncé, l'Opéra remettra à la scène l'Etranger, de M.Vincent d'Indy
et fera, ensuite, une reprise des Maîtres chanteurs de Nuremberg,
Au Nouveau-Théâtre. — On commence à répéter le Clown, l'opéra de MM. de
Camondo et Victor Capoul, qui passera dans les premiers jours d'avril.
Salle Pleyel : Deux séances de musique française donnée par Daniel Hermann les
22 février et g mars. Première ^séance : œuvres de César Franck, Gabriel Pierné et
Henri Rabaud, avec le concours de Mlles Boutet de Monvel, Eléonore Blanc, MM. Ga-
briel Pierné et Paul Krauss. Deuxième séance : œuvres de Gabriel Fauré avec le con-
cours de l'auteur.
Alberto Bachmann donnera le dimanche 25 février prochain, à la Salle des Agricul-
teurs, un concert uniquement composé de ses œuvres pour piano et violon.
La Société de Musique de Chambre pour Instruments à vent (fondée en 187g par P.
Tafifanel) donnera trois séances à la Salle Pleyel, les i", 15 et 2g mars à 4 heures de
l'après-midi. Aux programmes : œuvres classiques de Haydn, Beethoven et Brahms
et des œuvres modernes de Th. Dubois, Perilhou, Hue, Lazzari, Sporck, etc.
Le mardi 20 février, à g heures, salle Erard, séance de musique de chambre par
MM. V^illaume et Feuillard, avec le concours de Mlle H. Renié, MM. C. Chevillard,
Monteux et Morel. Au programme : le Trio de Mlle H. Renié, la Sonate (piano ,et vio-
loncelle) de Chevillard, le quintette de Schumann.
Trois séances de musique de chambre seront données à la salle des Fêtes du Jour-
nal les mardis 6 et 20 mars, le mercredi 4 avril, par les Concerts SaïUer.
La dernière séance du Lied français, fondation de Mme de Valgorge, exclusive-
ment consacrée aux œuvres de L. Filliaux-Tiger, a mis une fois de plus en lumière le
talent, si souple et si caractéristique de cet éminent compositeur qui s'est montré vir-
tuose de premier ordre en exécutant ses œuvres pour piano ; ses mélodies furent inter-
prétées à ravir par d'excellents artistes : Mlle Elphège Barroux, soprano à la voix si
pure, Mlle de Ligny, Mme Cosset, le magnifique contralto, Mlle Lehmann, M. Berthier,
à la basse puissante.
M. Maurice Lévy vient d'être désigné comme chef d'orchestre du Théâtre Sarah-
Bernhardt (direction Galmettes),
— 152 —
.M. Camille Saint-Saëns vient d'achever, sur le poème de Sébastien-Charles Leconte.
la composition musicale de l'œuvre qu'il destine à la célébration du troisième centenaire
de Corneille. Cette œuvre sera exécutée à l'Opéra.
Après avoir remporté un triomphe inouï à Berlin (7 bis dont la Chaconne de Bach',,
le maître Eugène Ysaye s'est rendu à Bucarest où la reine lui a remis la croix de Coni-
mandeur de la Couronne de Roumanie, puis à Vienne, où il a joué devant trois mille
auditeurs. Paris, qui n'a pas reçu la visite du grand artiste depuis la saison 1903-1904,
pourra le fêter à son tour dans les deux séances qu'il doit donner au Nouveau-Théâtre
les lundi 19 et mercredi 38 mars à 9 heures du soir. Au programme : Bach, Mozart.
Beethoven, Saint-Saëns, Chausson, Rimsky-KorsakoflF, Max Bruch. L'orchestre, sous
la direction de M. Georges Marty, sera exclusivement composé de membres de la Société
des Concerts du Conservatoire.
On nous écrit que M. Arthur De Greef se propose de faire, en une série d'auditions
publiques à Bruxelles, toute l'histoire de la littérature du piano, qu'il a esquissée, il y a
quelques années, dans ses mémorables séances de la salle Pleyel, à Paris.
Il commencera cet hirer par plusieurs séances consacrées aux primitifs du clavier,
Frescobaldi, Merulo. Gibbons, Bird, Couperiiî, Scarlatti, jusques et y compris Jean-
Sébastien Bach.
Puis viendront Haydn, Mozart et leurs contemporains.
Une année entière sera consacrée à Beethoven, dont il exécutera les y 2 sonates et les
5 concerti.
Les romantiques Schumann et Weber feront, avec Mendelssohn, Chopin et Liszt,
l'objet d'une quatrième série.
Enfin une cinquième série comprendra les modernes, notamment Grieg, Saint-
Saëns, César Franck.
La Société Bach d'Heidelberg a donné dernièrement un concert uniquement consa-
cré à la musique française. Il y avait au programme Harold en Italie de Berlioz, Y Ap-
prenti sorcier de M. Paul Dukas, Napoli, extrait des hnpressions d'Italie àt M. Gustave
Charpentier, et des mélodies chantées par Mme Faliero-Dalcroze.
Angers. — Deux séances de musique de chambre, données à quinze jours de distance,
permirent à MM. Arcouët et Bilewski d'affirmer encore leurs sympathiques talents. Le
programme de la première séance comprenait le neuvième Quatuor de Beethoven, dont
MM. Mambriny, Chapelier, Bailly et Becker firent un tout satisfaisant, puis le Quin-
tette de Saint-Saëns où M. Arcouët se surpassa lui-même, jouant avec un art, une so-
briété et un sentiment musical remarquables. Les auditeurs lui firent une véritable
ovation après une éblouisssante interprétation deV Etude en forme de l'a/se (Saint-Saëns)
d'une Toccata (Sgambati) et de VEtude en ut dièze mineur (Chopin). A la deuxième
séance : un Quatuor de Mozart, une Suite pour instruments à cordes et piano du xvn"
siècle, d'un haut intérêt rétrospectif, et M. Bilewski, expressif à souhait dans la Romance
en fa (Beethoven) et révélateur de précieuses qualités de mécanisme dans un fragment
d'un Concerto de Vieuxtemps et dans les AîVs Tziganes de Sarasate.
EvA.
Toulouse. — Le théâtre du Capitole vient d'offrir à son public, la primeur d'un
ouvrage inédit, un drame lyrique en un acte, Amaryllis, dont l'auteur n'est rien moins
que M. André Gailhard, fils du directeur de l'Académie nationale de musique, lequel
était présent à la solennité. Bon accueil a été fait à la partition du jeune compo-
siteur.
Montpellier. — La première représentation de la Troupe Jolicœur., à Montpellier,
a pris fin au milieu des applaudissements enthousiastes et des ovations unanimes à
l'adresse d'Arthur Coquard. Musique très moderne, mais restant toujours claire et mé-
lodique, ce qui explique qu'elle atteigne le public simple aussi bien que les raffinés.
Nous avons le droit de nous en réjouir, le Courrier Musical ayant, en toute occasion
— 153 —
affirmé sa haute sympathie pour le talent de M. Arthur Coquard,dont le poème Norvège
vient d'avoir un si magnifique succès aux concerts Lamoureux.
Marseille. — UAssociation artistique vient de fêter sa vingtième année d'exis-
tence et de donner son 500" concert. A cette occasion, M. André Gouirand, l'un des
derniers présidents, a retracé, dans une brochure, l'historique de l'Association, depuis
sa fondation, en i885, jusqu'à maintenant : on y peut suivre, pas à pas, le développe-
ment et la prospérité croissante de cette institution qui, à l'heure actuelle, sous la pré-
sidence d'honneur de M. Paul Fournier, (dont l'influence a été si heureuse à tous points
de vue), sou-s la présidence effective de M. Arthur Michaud, le «président sympathique »
et grâce à la direction artistique de M. Gabriel Marie, l'éminent chef d'orchestre, est un
des éléments principaux de la vie musicale en France.
Nous publierons très prochainement un article d'ensemble sur tous les concerts de
la saison actuelle.
Monte-Carlo. — L'ouverture de la saison lyrique est toujours un événement artis-
tique qui fait accourir, en foule, tout ce que le littoral compte de personnalités mon-
daines et artistiques. La première soirée, consacrée à Tannhaûser fut une vraie réu-
nion de gala, que rehaussait la présence de S. A. S. le prince Albert de Monaco, sous
le haut patronage de qui est placée toute la saison d'opéras.
Dès le début de la représentation le public fut conquis par l'éclat et l'ingéniosité de
la mise en scène : le Vénusberg, avec ses déchaînements de bacchanale, ses fantasma-
gories décoratives, ses apparitions de rêve, ne fut qu'un long éblouissement. Toute
l'œuvre, d'ailleurs, était montée avec un art merveilleux et une vie remarquable.
Les quatre principaux rôles furent interprétés magnifiquement : M. Van Dyck, le
héros wagnérien par excellence, est un admirable Tannhaûser, dont la voix superbe, la
diction nette, le style irréprochable et la passion vibrante, ont soulevé l'enthousiasme,
de même que l'on a acclamé, dans le rôle de Wolfram, le grand chanteur et le grand
comédien, M. Renaud. Mlle Farrar a chanté et joué le rôle d'Elisabeth avec un charme
et une puissance incomparables. Et, dans le rôle de Vénus, Mlle Lindsay fit applaudir
sa magnifique voix et sa suprême séduction de belle déesse.
M. Lequien fut un landgrave de noble allure ; M. Ananian a remarquablement
chanté le rôle de Betterhof. Les trois Grâces étaient délicieusement représentées par
Mlles Cavini, Charbonnel et Legrand.
Les chœurs et l'orchestre, sous la direction de M. Léon Jehin, ont brillamment
concouru à l'éclat de cette belle soirée. Quant aux décors, de M. Visconti, et de M.
Eugène Frey, pour les projections lumineuses à transformations, ils ont fait l'admira-
tion unanime du public.
— La première représentation de Mademoiselle de Belle-lsle^ de Spiro Samara,
vient d'avoir lieu le 6 février avec grand succès. Nous en reparlerons.
— Voici les dates des prochaines représentations : le Roi de Lahore, de Massenet
(13, 15, 17), — VAncétre, de C. Saint-Saëns (création), 24, 25, 27 février, 3 mars; —
Mefisto/ele, de Boïto ; puis viendront \ Don Procofio, de Bizet ; Paillasse, Don Carlos,
de Verdi ; la Vie de Bohême, le Démon, de Rubinstein.
— Les Grands Concerts, que dirige si magistralement M. Léon Jehin, attirent en
masse le public mondain qui ne se lasse pas d'admirer la superbe exécution des œuvres
classiques et modernes.
ha. Symphonie fantastique et la marche funèbre du Crépuscule des Dieux, que
M. Léon Jehin a conduites en grand artiste, avec une vie très intense et une magnifique
passion, ont valu de triomphales acclamations à l'éminent chef d'orchestre.
On a vivement applaudi un exquis poème symphonique de M. G. Gracie, Sommeil
d'enfant, et les fragments symphoniques des Pécheurs de Saint-Jean, de M. Widor.
Un jeune pianiste, M. Enrico Toselli, a remporté un brillant succès dans le Con-
certo en la mineur de Grieg et des pages de Chopin et Liszt où s'est affirmée sa remar-
quable virtuosité.
Nécrologie. — Nous apprenons avec regret la mort de M. Henri-Louis-Charles
Duvernoy, né à Paris, le 16 novembre 1820. Il avait fait au Conservatoire une carrière
exceptionnellement brillante, obtenant successivement les premiers prix de solfège, de
piano, d'harmonie, d'orgue et de fugue, et enfin le second prix de Rome.
— 154 —
BIBLIOGRAPHIE
Die Musik, Sammlung illustrierter Einzeldarstellungen, herausgegeben von Ri-
chard Strauss. — Berlin, Bard, Marquardt et C", petit in i6, s. d. — I, Beethoven^
von August Goellerich, 2'° Auflage, lV-85 p. 12 pi. — V, Bayreuth, von Hans von
Wolzogen, 81 p. 21 pi., I fac-similé. — VII, Zur Geschichte der Programm-Musik^ von
Wilhelm Klatte, 67 p., 16 pi. — IX, Die russische Musik^ von Alfred Bruneau, ubertra-
gen von Max Graf, III-51 p., 13 pi.
Ce sont de très séduisants petits volumes, élégamment imprimés, ampleipent illus-
trés et très variés quant au sujet, tout en se rattachant à un plan général qu'expliqua
M. Richard Strauss dans l'introduction du premier volume, et que l'on peut ainsi résu-
mer : l'art est un produit' de la civilisation ; sa mission n'est pas d'exister en soi, dans
l'isolement, mais d'apporter un témoignage de la civilisation des divers temps et des
divers peuples; longtemps absorbée dans le dogme de la forme, la science a tenu le
contenu vital de la musique enfermé dans un livre scellé de sept sceaux. Il n'en est pas
de même aujourd'hui. L'histoire des maîtres et de leurs œuvres, étudiée déjà dans un
grand nombre d'écrits, soit trop scientifiques, soit sans rattachement l'un à l'autre, a mon-
tré le lien qui relie l'art à la vie, mais il est temps d'étendre aux masses cette connaissance,
en leur offrant une série d'essais traitant séparément, d'une façon généralement acces-
sible, de toutes les parties essentielles de la musique. Pour ouvrir une telle publication,
il a paru qu'une monographie sur Beethoven était particulièrement appropriée, parce
que tout le monde est aujourd'hui d'accord sur la place à décerner à ce maître dans
l'histoire universelle, et que cette unanimité d'opinion sur un point initial offre une
base pour atteindre une semblable entente, en ce qui concerne d'autres questions, en-
core controversées.
M. Goelleri£h a donc eu l'honneur d'inaugurer la série en parlant de Beethoven, ce
que les dimensions de chaque volume, et leur destination, ne lui permettaient de faire
que très brièvement. Il a suivi autant que possible l'ordre chronologique des faits, en
insistant volontiers sur l'insuccès des œuvres à leur première apparition et sur les ju-
gements ridicules qui en ont souvent été portés : chose curieuse, excellente à rappeler
pour l'instruction de la critique et du public actuels, et dangereuse seulement pour
quelques jeunes cervelles, qui pourraient, de la similitude dans l'accueil, croire à la
similitude de mérite, et se voir dans la glace sous un aspect de petits Beethoven. A
propos de la Symphonie héroïque, nous relevons ce détail peu connu, ou qui, du
moins, nous avait échappé, qu'après la tentative bizarre de Bûlow, de la dédier à
Bismarck, Moritz Wirth émit, en 1898, le vœu de voir de nouveau figurer à son
titre le nom de l'homme qui l'avait inspirée, Bonaparte.
Le volume, intitulé Bciyreuth, s été rédigé par l'un des plus fidèles amis de la mai-
son, M. Hans de Wolzogen, qui s'est donné pour tâche première d'expliquer quelle fut
l'idée fondamentale et maîtresse de Wagner, dans la conception et la réalisation du
théâtre modèle, — idée que, paraît-il, le public allemand ne saisit pas très exactement,
et qui peut avoir été obscurcie, à la longue, par l'exploitation commerciale des représen-
tations annuelles. Un chapitre tout entier est destiné à prouver que Bayreuth n'est pas
« un spectacle pour les riches ». D'autres, moins mélangés de discussions esthétiques
ou matérielles, retracent l'histoire de Bayreuth ; M. de Wolzogen a pleine confiance
dans l'avenir du théâtre, qui est l'un des biens des « heureux fils de la patrie alle-
mande » et qui symbolise le génie germanique, au milieu de la civilisation occi-»
dentale.
Il est tout naturel que dans une collection dirigée par M. Richard Strauss, le gé-
nial représentant de la symphonie à programme en Allemagne, un volume soit consa'-
cré à cette forme d'art, très ancienne, et dont l'origine remonte, sinon aux Grecs, —
dont sous ce rapport nous savons trop peu de chose, — du moins aux musiciens fran-
çais du xvi" siècle, et parmi eux surtout à Clément Jannequin. M. Klatte a recpnstitué
depuis là, la respectable généalogie de la musique descriptive, dent il a suivi les mani-
festations, dnns toutes les écoles, jusqu'à l'époque présente. Son travail, très reçom-
mandable, se dot par une énumération d'œuvres conten)poraines, où l'on regrette de ne
pas voir figurer les titres de la trilogie W alhnstein, de V, d'Indy, non plus que cer-
taines compositions de l'école russe.
A celle-ci, d'ailleurs, est réservé tout un volume, la neuvième de la série. Nous
— Ï55 —
n'àVong pas à noua y arrêter, puisqu'il n'est autre que la traduction allemande, par
M. Max Graf, du « rapport )) de M. Alfred Bruneau sur la musique en Russie, que tout
le monde a lu^ chez nous, et dont il est fort agréable de constater le succès à l'étranger.
Michel Brenet.
Acta generalis cantus gregorianis studiosorum conventus Argen-
tinensis, 16-19 Aug. 1905. — Bericht der internationalen Kongress, etc. —
Compte rendu du Congrès international de plain-chant grégorien... édité par le Comité
local. Strasbourg, Le Roux, 1905, in-8, LXVI - 176 p.
Les musiciens qui ont été assez heureux pour pouvoir prendre part aux splendides
manifestations artistiques et scientifiques du Congrès grégorien de Strasbourg, ravive-
ront, à la lecture de ce volume, des souvenirs ineffaçables; les autres y recueilleront
d'amples et précieux renseignements sur les travaux de cette assemblée « mondiale » et
sur nombre de questions qui se rattachent à l'histoire et à la pratique du chant catho-
lique et de la musique du moyen-âge. Avec la Festschrift publiée au moment de la réu-
nion du Congrès, ce volume de ses « Actes » sera donc mis eh bonne place dans les
bibliothèques musicales. Conformément aux résolutions de l'Assemblée, ces «Actes»
ont été publiés, par le Comité local, dans leur langue originale. C'est dire que, comme
dans les séances de la Festhalle ou de VAubette^ trois idiomes, le latin, l'allemand et le
français, fraternisent dans ce volume, chaque document, lettre, discours, procès-verbal,
étant reproduit tel qu'il a été prononcé ou présenté.
Les congressistes de langue allemande, — allemands, alsaciens, suisses, luxem-
bourgeois, — l'emportant de beaucoup en nombre sur ceux de langue française, —
français (72) et belges, — et sur les représentants des autres races latines et des pays
anglo-saxons, il est naturel que le total des pages imprimées en allemand l'emporte sur
celui des pages en français. Parmi ces dernières, on lira surtout le simple et beau dis-
cours de Dom Pothier sur « la catholicité du chant de l'Eglise romaine», les savantes et
ingénieuses communications de M. Gastoué sur « l'étude des traités du moyen âge » et
sur la manière de «s'inspirer des anciens dans l'accompagnement », et l'instructif ré-
sumé de Dom Rojo, sur l'histoire du chant grégorien en Espagne. En allemand, avec
les discours de M. le D'. Peter Wagner, dont la publication était d'autant plus désirable
que, faute de temps, ils n'avaient pu être tous prononcés (i), on distinguera particuliè-
rement l'excellente leçon de M. le D"" F.-X. Mathias sur « l'accompagnement à l'orgue »
et son histoire du chant religieux en Alsace ; puis, dans un ordre d'idées analogue, les
discours de M. le D' Marxer et de M. le D' Ott sur la décadence du chant à Saint-Gall
depuis la fin du moyen âge, et sur le chant milanais. M. Brenet.
La Jeunesse d'un Romantique, Hector Berlioz (1803-1831), par Adolphe
Boschot, I vol. in-i6, Plon-Nourrit et Cie, Editeurs, Paris.
Hector Bsrlioz, pour faire applaudir sa musique, fut obligé de lui chercher un pu-
blic hors de France. Aujourd'hui, notre grand compositeur romantique est acclamé
dans tous nos concerts, et sa D xmncktion de Faust connaît la grande vogue. La vie de
Berlioz, longtemps ignorée, ou plutôt dénaturée par des anecdotes légendaires et sus-
pectes, va aussi être complètement connue. Et nulle vie d'artiste n^est plus intéressante,
plus passionnée, plus romanesque, nulle autre ne reflète et ne résume mieux la vie des
enfants du siècle. Faut-il dire que cette Jeunesse d'un romantique se termine par « le
suicide de Berlioz » }
Pour écrire ce livre d'une précision toute scientifique et néanmoins d'une lecture
fort attachante, M. Adolphe Boschot a disposé d'une très grande abondance de docu-
ments, inédits pour la plupart. Il nous montre, au jour le jour, Berlioz vivant sa vie et
faisant son œuvre : ainsi, par un curieux parallélisme, il rend sensibles les mystérieuses
correspondances qui relient la vie et l'oeuvre de Berlioz.
Ce livre est tout ensemble du roman, de l'histoire, de la critique musicale et de l'a-
nalyse psychologique. — L'armature critique a été rejetée dans les appendices et dans
une table chronologique dressée presque jour à jour. Le récit, ainsi dégagé de ses en-
(i) A l'heure où nous écrivons, la revue mensuelle Ccecilia, de Strasbourg, qui vient, sous la direction
de MM. Mathias et Victori, dé transformer son cadre et d'adopter une rédaction bilingue, commence de
donner la traduction française des discours de M. le D- Wagner.
— -i5<3 —
traves, se présente comme la peinture exacte, minutieuse, mouvementée, où l'on voit
revivre un homme et toute son époque.
Si l'on veut savoir avec précision ce que fut un romantique français, il faut avoir lu,
dans cette Jeunesse d'un ro)nantique, ce que fut le plus beau cas, le cas Berlto^. Par
l'abondance et la valeur des documents, ce livre est une véritable révélation sur l'état
d'âme qui produisit la rénovation artistique et littéraire de 1830.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Œuvres de 11. Rébîkow. — La collection Yafil
La maison Jurgenson,de Moscou, vient de me faire parvenir, outre les charmantes
pièces de M. Kastalsky dont j'ai déjà parlé, tout un stock d'œuvres diverses dues à la
plume de M. Rébikow, un compositeur dont le nom ne nous était point encore par-
venu.
Ces oeuvres sont de deux sortes. Il y a d'abord un nombre respectable de pièces de
piano, où l'auteur fait preuve d'une certaine grâce simplette d'invention, grâce qui à la
longue paraîtrait peut-être entachée de quelque maniérisme, mais qui reste aimable et
sans pi'étention. 11 se trouve de charmantes pièces enfantines dans ces cahiers, et no-
tamment dans celui intitulé Silhouettes (y voir surtout une valse mignonne, Musiciens
ambulants, harmonisée rien qu'avec la fondamentale et la septième de l'accord de domi-
nante, et plus loin, la poétique Fée), dans les Scènes bucoliques, où j'aime surtout les
deux pièces initiales. Mais on y remarquera aussi certaines pages qui côtoient d'assez
près la banalité, et auxquelles on pourrait reprocher d'être un peu pauvres de substance
et aussi de développements. Mais les petits tableautins de M. Rébikow, tout compte
fait, attestent de sensibles qualités musicales, et enrichissent d'appréciable façon le ré-
pertoire accessible aux jeunes pianistes, ce répertoire si encombré de compositions dé-
nuées de toute valeur.
Il existe une autre catégorie d'œuvres de M. Rébikow, qui ne sont point menues ni
enfantines. Ce sont des compositions orchestrales réunies sous la commune désignation
de Tableaux musicaux-psychologiques, et portant respectivement les titres suivants :
Esclavage et Liberté; Chanson du cœur; Aspirer et atteindre; Cauchemar. Je n'ose
formuler une appréciation sur le seul vu d'une réduction pour deux pianos que j'ai
entre les mains, et je me réserve de parler plus tard de ces quatre oeuvres.
— M. N.-E. Yafil, d'Alger, a édité une très intéressante et riche collection de musique
arabe, qui comprend des chansons, des airs de danses, etc., présentés sous lorme de fas-
cicules séparés, avec de très claires explications par M. Jules Rouanet. Ce sont d'inté-
ressants documents, et, mieux que cela, des spécimens de séduisantes musiques, dont il
faut admirer surtout la richesse rythmique et les langoureuses inflexions. La série
comprend vingt-deux numéros, dont tous sont dignes d'être connus.
M.-D. C.
Vient de paraître :
Chez les éditeurs Durand et fils, la partition d'orchestre (dans le petit format si
commode) de la
Danse Macabre, de Saint-Saens. Prix : 4 francs.
Nouveautés musicales reçues
ALBERT GROZ : Heures d'été (Préludes et Mélodies).
Prélude (pour piano).
Chez PoNSCARME, 37, boulevafd Hausmann.
R, DARNAUDPEYS : Impressions basques (Prélude, Lever du jour, l'Auberge^
la Fête, le Soir) pour piano.
Chez JoANiN et C% 32, rue des Saints-Pères.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
.:>« .
GUY ROPARTZ
M. J.-M.-Guy Ropartz, l'éminent compositeur, directeur du Conservatoire et de
la Société des Concerts de Nancy, vient d'être décoré de la Légion d'honneur. Nous ne
saurions trop applaudir à cette flatteuse distinction, si justement méritée. L'œuvre
accomplie par M. Ropartz à Nancy, avec autant d'opiniâtreté que d'intelligence et de
désintéressement, est de celles qui honorent grandement ceux qui osent les entre-
prendre et qui les mènent à bonne fm.
Guy Ropartz est né à Guingamp (Côtes-du-Nord) le 15 juin 1864. Au Conserva-
toire de Paris, il fut élève de Th. Dubois, de Massenet et de César Franck. Le haut
enseignement de ce dernier agit plus complètement sur Ropartz qui se voua dès lors
à la composition. En 1894, il fut appelé à diriger le Conservatoire de Nancy où il ins-
titua des concerts qui sont classés aujourd'hui parmi les plus importants de France,
surtout au point de vue de l'éducation musicale. Combien d'œuvres, en effet, virent le
jour sous la baguette de Ropartz avant d'ébranler les lourds portails de nos grands
concerts parisiens .
Guy Ropartz est un artiste probe, consciencieux, un des rares qui soient convaincus
de la profondeur de leur art : c'est pourquoi nous rencontrons chez lui, aussi bien
comme compositeur que comme chef d'orchestre, cette belle autorité, privilège des
honnêtes et des forts.
D.
CATALOGUE
des Œuvres de M. Quy ROPARTZ
Pêcheur d'Islande, drame en 4 actes et 9 tableaux, d'après le Roman de Pierre Loti (Pierre Loti et
Louis Tiercelin) (Choudens'. i" Suite de Concert ; I. Prélude. II. La Maison des Gaos. III. La Noce.
2' Suite de Concert : 1. La mer d'Islande. II. Scène d'amour. III. Les Danses.
Les Landes, paysage breton pour orchestre (Baudoux).
Sérénade, pour instruments à archet (Baudoux). Réduction pour piano à deux mains.
Cinq Pièces brèves, pour orchestre restreint (Heugel). Réduction pour piano. Len''3, Page d'Amour,
transcription pour piano et violon.
Prière, poème en musique pour voix de baryton et orchestre (Baudoux). Réduction pour chant et piano.
Psaume 136, pour chœur, orgue et orchestre (Baudoux. Réduction pour chant et piano.
Adagio, pour violoncelle et orchestre (Dupont-Metzner).
Quatre Poèmes, d'après l'Intermezzo de Heine pour voix de baryton et orchestre (Baudoux'. Réduc-
tion pour chant et piano.
1" Symphonie, en 3 parties sur un choral breton (Baudoux). Réduction pour piano à quatre mains,
2^ Symphonie, en Fa mineur (Baudoux). Réduction pour 2 pianos, par L. Thirion.
Carnaval, impromptu symphonique pour orchestre (BornemannI.
La Cloche des Morts, paysage breton pour orchestre (Baudoux'. Réduction pour piano à 4 m.iins.
Lamente, pour hautbois et orchestre (Baudoux^
Marche de Fête, pour orchestre fLuNoauiST). Réduction pour piano à 4 mains.
Fantaisie en Ré majeur, pour orchestre (Baudoux). Réduction pour deux pianos, par G. Vallin.
Pièce en Si mineur, pour deux pianos (Durand).
Quatuor, pour deux violons, alto et violoncelle (Baudoux).
Andante et Allegro, pour trompette chromatique en ut et piano (Dupont-Metzner).
Trois Pièces pour orgue, (Schola Cantorum). I. Sur un thème breton. II. Intermède. III. Fugue en
Mi mineur. Le n° I . Sur un thème breton, transcrit pour orchestre.
Offertoire pascal, pour orgue (Leduc).
Préluda funèbre, id. (Muraille).
Prière, id. (Muraille).
Sortie, id. (Muraille).
Versets pour les Vêpres des Saintes Femmes, pour orgue (Schola Cantorum).
Deux petites Pièces, pour orgue sans pédales (Muraille).
Thème varié, pour grand orgue (Muraille).
Prière pour les Trépassés, pour grand orgue (Muraille).
Fantaisie, id. id.
Ave Maria, à 4 voix (Schola Cantorum).
Ave Verum. à 3 voix id.
Cinq Motets, à 4 voix mixtes (Schola Cantorum)^
Tu es Pet rus.
Domine, non sum dignus.
Ego sum panis vivus.
O quant suavis est. '
Beata es Virgo Maria.
Cantate Ich Will den Kreuzstab gerne tragen, de J. S. Bach. Traduction (Enoch).
Douze Cantiques bretons, recueillis et harmonisés (Schola Cantorum).
Berceuse, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano ('Baudoux).
Rondel pour Jeanne, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano (Baudoux).
Le petit Enfant, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano (Baudoux).
Sous Bois, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano (Dupont-Metzner).
Si j'ai parlé de mon Amour, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano (Dupont- .Metzner)
Lever d'Aube, mélodie pour une voix avec accompagnement de piano (Dupont-Metzner).
Chant Elégiaque, de Beethoven, traduction et réduction pour chant et piano (Dupont-Metzner).
Leçons d'Harmonie, données aux Concours du Conservatoire de Nancy (i='' fascicule) (Dupont-
Metzner';.
Société flgusicale G. ASTRUC et C'% 33, Boulevard des Italiens - Pavillon de Hanovre
SALLE des AGRICULTEURS. — DIMANCHE i8 FÉVRIER iqo6 à c, h.
GOflGEp doi)i)é paF jyille paulette DEflEJ^l
AVEC LE CONCOURS DE
Mlle SOEGO M. 6ALDELLI M. Georges ENESCO
de l'Opéra du Théâtre Royal de Madrid Violoniste
PROGRAMME
M.A. LU2ZATTI
Pianiste- A ccoinpag7îateur.
1 a. Fugue, sol mineur .. J.-S. Bach.
b. Etude ut diè^e mineur Chopin.
c. Ballade, la bémol majeur Chopin.
Mlle P. DENERI.
2 a. Aria j..S. Bach.
/;. L'Abeille Schubert.
c. Moto perpétue Paganini.
M. Georges ENESCO.
3 Concerto pour deux pianos Grieg.
M. L UZZA TTI, Mlle P. DENERI.
4 «. Mort d'Isolde Wagner.
b. Nenna iWia (Chanson napolitaine). . Spiro Samara.
Mlle BORGO.
5 a. Quando cantava mia madie [mé-
'oi/e) Dvorak.
b. Aria (Tragico-Comica) de Doa
Ghecco GiosA.
[Le désespéré qui cherche la mort)
Chanté-Mimé
M. BALDELLl.
6 a. Z' Romance sans paroles , . . G. Fauré.
b. Nocturne, fa majeur Chopin.
c. 2- Rhapsodie Liszt.
Mlle P. DENERI.
Ail Piano d'accompagnement : M. LUZZATTI — Pianos ERARD
SALLE PLEYEL. — MERCREDI 21 FÉVRIER iço6, à 9 heures
Séance de Sonates pour piar^o ^ Violoncelle
Donnée par Diran ALEXANIAN
AVEC LE CONCOURS DE Mme
MOIsrTEUX-B ARRIÈRE, Soliste des Concerts Lamoureux
Programme
1. Sonate, Op. 102, N° 2 Beethoven.
Mme MONTEUX-BARRIÉRE et
M. DIRAN ALEXANIAN.
2. Sonate Valentini (1690)
Mme MONTEUX-B ARRIÈRE et
M. DIRAN ALEXANIAN.
3. Sonate (En une seule partie) .. Jean Huré.
Mme MONTEUX-B ARRIÈRE et
M. DIRAN-ALEXANIAN.
4- Sonate, Op. 38 J. Brahms.
Mme MONTEUX-BARRIÉRE et
M. DIRAN ALEXANIAN,
Administration de Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam
Salle des Agriculteurs. SAMEDI 24 FÉVRIER à 9 heures
Concert donné par Francis THIBAUD
Avec le Concours de
Louis DIÉMER et Jacques THIBAUD
2' Sonate, (Piano, Violoncelle)
MM. Louis DIÈMER et Francis
THIBAUD.
'■ Prélude de la Suite en ut mineur.
Adagio et Allegro
'■ Sarabande id.
• Gavottes, i, 1 1 id.
î. Allemande, ut majeur. ..
(Violoncelle seul)
M. Francis THIBAUD.
Gavotte pour les Heures et les
Zéphirs Rameau.
PROGRAMME
Saint-Saens.
J.-S. Bach.
L. DiÉMER.
b. La Source et le Poète ..
M. Louis DIEMER.
4. a. Romance L Diémer.
b. Rallade et Polonaise Vieuxtemps.
M. Jacques THIBAUD.
3. a. Chanson Suisse C. de Grandval.
b. Sérénade id.
<:■ Elégie g. Fauré.
d. Danse Hongroise Brahms.
M. Francis THIBAUD.
6. Sonate à Kreutzer Beethoven.
MM. Louis DIEMER et Jacques
THIBAUB
Administration de Concerts k. DÂNDELOT, S3, rue d'Amsterdam
SALLE ERARD
JEUDI l^-^ Mars 1906, à 9 heures
I\ÉGITA.L IDE F^I-A.]VO
donné par Mlle
ticie OeufEeti^et
P»ROGhR,AI^M:E
1. Fantaisie et Fugue, sol mineur, Bach-Liszt.
2. a. Allegro de la Sonate en ré
majeur Mozart.
b. Arabesque Schumann.
C. Sous bois Alph. DUVERNOY.
3. 32 Variations Beethoven.
4. a. A Venise Paladilhe.
b. Pièce, la majeur Mendelssohn.
f. Etude mi majeur Chopin.
d. Etude, sol bémol majeur . .. Chopin.
5. fl*. Impromptu, fa diè^e majeur . Chopin.
b. Scherzo si bémol majeur . . . , Chopin.
I
PRIX DES PLACES : Fauteuil de Parquet : 10 francs - Première Galerie : 5 francs - Deuxième Galerie : 3 francs
BILLETS : Chez Mlle Lucie CAFFARET, 91, rue de Maubeuge : à la Salle Erard, et à l'Administration de
Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam (Téléphone ii}-2^\
Lundi 5, LbbcIî il et leudi 15 Mmu
A 9 HEURES DU SOIR
Arthur de QREEF
et Jules BOUCHERIT
A LA SALLE PLEYEL
Prix des Places : 10 fp. ; 5 fr. ; 3 fr. ; 2 fr.
I
LOCATION là partir du 15 Février) : à la Salle PLEYEL ; chez MM. DURAND et Fils, 4, Place de la Madeleine eT
à l'Administration de Concerts A. DANDELOT^ 83, rue d'Amsterdam (^Teléph. 113-25.)
DEUX CONCERTS
EUO. YSA.YE
AVEC ORCHESTRE
S'adresser à l'Administration de Concerts A. DANDELOT, 8^, rue d' Amsterdam {Téléphone 11^-2^)
'P
-^'-
l'Estomac
à Grand Gadre C17 fer d'ui^c seule Pièce et Gordes croisées
MUSTE
Fo-ctiix^o e^siclTjLsi'V'ement. A.2:*t.is'tic[\ie
ÔR^UiS MUSTÈL
*^, lîac de Douai, 46. î>
il
L. I o u e: U R
BENÈDiCTJNE
IP
9e ANNÉE. No 5. 1er Mars 1906.
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE :
Portrait : ANTON BRUCKNER
Anton Bruckner EUGÈNE SEGNITZ.
L'ÉCOLE DES Amateurs (suite)
yill. — Forme et matière. . JEAN D'UDINE,
Lettres Inédites (suite) de GUILLAUME LEKEU
Les Premières : Mademoi-
selle de 'Belle-Isle, de Spiro
Samara, A Monte-Carlo. ALFRED MORTIER.
L'anniversaire , d'A d a l -
bert Mercier, A Bordeaux F. STROWSKY.
-ES Grands Concerts JEAN D'UDINE.
»A duiNZAiNE Musicale : Société Thilharmo-
nique, Concerts Le Rey, Société Nationale,
Société Bach, Sciola Cantorum, Soirées d'Art,
Quatuor Parent, Sonatières.
! Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Lettre de Munich EL. DE STŒCKLIM.
Lettre de New- York LAMEY-LADHUVE.
Correspondances de : Angers, Le Havre, Mar-
seille, Montpellier, Bruxelles.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles Diverses,
Bibliographie P. LOCAflB, S.
Nouveautés Musicales.
■« H»» «
Administration et Rédaction :
Le Directeur et le Secrétaire de la
Î9, RUE TRONCHET. PARIS (8«) Rédaction reçoivent les Mardi Jeudi
... ->-_«— _»—«J- et Samedi, de lo benres a midi.
TELEPHOI^E 252.95
Jureau;c ouverts
de lo h. à midi ci de 2 h. i 6 h. 1/2.
..
Le numéro ; 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musical
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
( Paris et Départements.... 2 francs l'an
ABONNEMENTS ^
( Etranger 15 » »
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Directioji, 128, rue de la Pompe, PARIS, (16*)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8*).
^^ (TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Aguettant — Camille Bellaigue — F, Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D*" Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — RenéDoire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flag:ny — Henry Gauthier- Villars ~ E. Gio vanna — Orner Guiraud —
F. Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchês — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauerwein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. charwenka —
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon VaJlas — D» Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoz, etc ..
Le Courrier Musical est en "^eni&i
A PARIS: ^9, ^«^ Tronchet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Auher,
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN; ;?, Faubourg Saint-Honoré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
Chez M, PUGNO, ij, Quai des Grands-tÂugusiins, etc...
EN PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
""""*"'**'"" 1
DEPOTS :
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Pour la BELGIQUE
Pour l'ANGLETERRE
MM. BREITKOPF & H/ERTEL, à LEIPZIG
S MM. BREITKOPF & HJERTEL, 45, rue Montagne de
l Cour, à BRUXELLES
( MM. BREITKOPF & H/ERTEL, 54, l/lalborough-Street, fî,
( LONDON-W.
I
ANTON BRUCKNER
1824- 1896
9» ANNEE. No 5. i«^ MARS 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portrait : Anton Bruckner. — Anton Bruckner (Eugen Segnitz). —
L'Ecole des Amateurs {suite) : VIII. — Forme et matière (Jean d'Udine), — Lettres
inédites de Guillaume Lekeu (>mîY^^. — Les Premières : Mademoiselle de Belle-Isle, de
Spiro Samara, à Monte-Carlo (Alfred Mortier). — L'Anniversaire, dAdalbert Mercier,
à Bordeaux (F. Strowski). — Les Grands Concerts: Colonne, Lamoureux, Conservatoire
(Jean d'Udine). — La Quinzaine Musicale : Société Philharmonique, Concerts Le Rey,
Société Nationale, Société Bach, Schola Cantorum, Soirées d'Art, Le Quatuor Parent,
Sonaiières. — Le mouvement musical en province et à l'étranger : Lettre de, Munich (El.
DE Stœcklin). — Lettre de New-York (Lamey Ladhuve). — Correspondances de :
Angers, Le Havre, Marseille, Montpellier, Bruxei.t.es. — Concerts annoncés.
— Échos et Nouvelles diverses. — Bibliographie (P. Locard, F. Chantavoine). —
Nouveautés musicales.
Anton BRUCKNER
Plus nous nous éloignons de l'époque à laquelle ont été écrites les œuvres d'un
grand musicien, plus nous sommes à même de pouvoir les juger sainement. Depuis
la mort d'Anton Bruckner, la lutte a cessé, cette lutte qui jadis se poursuivait avec
tant d'âpreté et d'acharnement, en Allemagne et en Autriche, et qui fut menée avec
tant de parti pris, grâce au mot d'ordre parti de Vienne.
On sait avec quelle vivacité on chercha à opposer Anton Bruckner à Johannès
Brahms : comme d'habitude, on voulut établir une comparaison entre deux fortes
personnalités qu'on n'aurait jamais dû mettre en parallèle. Car chacun de ces grands
compositeurs possédait une haute individualité qui lui était propre.
En réalité c'était une sorte d'opposition, de rivalité entre l'Allemagne du Nord et
l'Allemagne du Sud qui se trouvait personnifiée dans la différence d'esthétique de ces
deux maîtres. Brahms est le représentant de l'école de la « forme », de la pensée con-
centrée, s'exprimant sobrement et de la façon la plus concise. Sa ligne mélodique est
souvent peu complaisante et de couleur sombre, la construction de ses œuvres
toujours mesurée et logique. Il parle généralement une langue douce et sentimentale,
sans rechercher des spéculations transcendantales. — Au contraire l'imagination de
Bruckner est tellement puissante qu'il lui arrive souvent, dans ses symphonies, de
s'écarter des idées principales et d'y mêler une foule de choses absolument neuves :
il en résulte des longueurs et une sorte de confusion momentanée. Mais les deux
compositeurs ont du moins un point commun : ils sont les seuls parmi les successeurs
de Beethoven qui aient pu écrire, en leur donnant un développement, des mouve-
ments lents. Peut-être Bruckner était-il même supérieur en cela à Brahms, et c'est à
juste titre qu'on a pu le nommer le « Maître de l'Adagio ».
La biographie de Bruckner est très simple. Né le 4 septembre 1824, à Ansfelden,
près de Linz, en Autriche, fils d'un maître d'école de village, il reçut les premières
notions de musique de son père ; après la mort de celui-ci, en 1837, il entra comme
- 158 -
enfant de chœur xhez les Augustins de Saint-Florian d'Ebelsberg, y prit des leçons
d'orgue et d'harmonie, tout en faisant ses études pour être à son tour maître d'école.
Il exerça ce dernier emploi à Windhag, où il dut, pour un salaire mensuel de deux flo-
rins, être en même temps organiste, directeur de musique, et même... sacristain. Pour
gagner sa vie, il jouait du violon dans les fêtes de village. Envoyé à Kronstorf, près
Enn, puis organiste à Saint-Florian, il alla concourir à Vienne et fut nommé orga-
niste à la cathédrale de Linz. Protégé par l'évêque de Linz, il put aller souvent à
Vienne se perfectionner et prendre des leçons de composition près de Simon Sechter
(1856-1860), puis d'Otto Kitzler, chef d'orchestre du théâtre. En octobre 1862, Kitzler
dirigea deux représentations de Tannbceuser, à Linz, et Bruckner fit ainsi connaissance
avec la musique de Wagner, pour lequel il professa, dès cette époque, une admira-
tion enthousiaste, et qu'il vit en 1865, à la première représentation de Tristan. Déjà il
avait composé quelques œuvres, et on avait exécuté de lui une Messe en ré mineur et
une Cantate. En 1868, Bruckner fut nommé organiste de l'église Saint-Etienne, à
Vienne, et professeur d'orgue et d'harmonie au Conservatoire. Plus tard, en 1875, il
entra comme « lecteur sur la théorie musicale » à l'Université.
C'est de Vienne que se répandit en Allemagne la renommée de Bruckner comme
compositeur. Le public accueillit avec faveur ses grandes compositions, notamment
ses trois premières symphonies. Et dès lors commença à se faire jour cette opposition,
menée par le célèbre critique Hanslick, et qui prit Brahms comme porte-drapeau.
En Allemagne, c'est à Arthur Nikisch et à Gustave Mahler que revient le mérite
d'avoir fait connaître les œuvres de Bruckner. Le maître, qui sans relâche avait tra-
vaillé, sans s'inquiéter du bruit mené autour de lui et contre lui, s'éteignit à Vienne le
1 1 octobre 1 896.
Anton Bruckner ne commença guère à être connu que dans sa cinquantième
année : dix ans après, il était célèbre : cas tout à fait rare dans l'histoire des musi-
ciens. Le nombre de ses œuvres n'est pas extrêmement grand ; mais ces œuvres sont
de la plus haute importance et de la plus haute valeur. Le Dr Louis, dans son livre
récent (i), nous montre que l'œuvre véritable du maître, ce sont ses 9 Symphonies
(numéros i, 2, 8 en ut mineur, 3 et 9 en ré mineur, 4 en mi hémol, 6 en si bémol, 7 en
en mi majeur, 5 en la majeur). Bruckner est, croyons-nous, le plus grand symphoniste
que nous ayons eu depuis Beethoven. — Dans le domaine de la musique religieuse, il
écrivit également Trois messes, un Ave Maria, plusieurs motets, un Te Deum et le
Psaume 1^0. Ajoutons à ces œuvres deux chœurs pour voix d'hommes et orchestre, et
plusieurs compositions a capella.
Bruckner était un véritable artiste, une âme noble et généreuse. Il ne se souciait
en rien du succès probable de ses œuvres ni même de savoir si elles seraient exécu-
tées. Son talent se développa lentement : il travaillait sans hâte, laissant mûrir peu à
peu ses idées musicales, et retouchant, corrigeant, modifiant ce qu'il avait écrit.
C'était un artiste probe et scrupuleux, digne de servir de modèle aux jeunes compo-
siteurs.
Bruckner était, à l'orgue, un improvisateur merveilleux. Il fut très apprécié à
Nancy, à Paris, où Gounod vint l'entendre, à Londres, etc. Comme professeur il se
(i) A Bruckner, chez Georges Millier à Munich.
— 159 —
montrait très sévère sur l'application des règles du contrepoint. Parmi ses élèves,
citons : Mottl, Nikisch, Mahler, Emil Paur, Friedrich Klose, etc.
Son admiration pour les œuvres de Wagner, qu'il manifestait ouvertement, lui
causa de nombreuses inimitiés parmi ses collègues et même dans son entourage. Il ne
manquait pas d'aller assister aux représentations de Bayreuth.
Bruckner était d'allure simple ; il menait une vie retirée et très modeste. Son
aspect fut, toute sa vie, celui d'un brave maître d'école de village autrichien dévot et
timide. Il était d'abord charmant, très cordial et gardait une fidèle amitié à ceux qui
l'avaient obligé.
C'était un croyant, et il avait gardé jusque dans sa vieillesse la foi naïve et abso-
lue de l'enfance ; très catholique, mais en même temps très tolérant. C'est dans ce
sentiment de naïve reconnaissance envers le Créateur qu'il écrivit sur la partition de
sa dernière Symphonie : « Dédiée au Bon Dieu !».
De même, Bruckner aimait religieusement son art : la musique était pour lui une
« révélation », un «mystère», l'entrée dans le monde divin des sons. 11 professait
une admiration absolue pour Bach, Beethoven, Wagner. Son œuvre en porte l'em-
preinte, en même temps qu'elle témoigne d'un penchant pour Franz Schubert. Elle
n'ouvre nullement une nouvelle période musicale : elle clôt plutôt la période classique.
En elle se reflète une âme de grand artiste, et l'une des personnalités musicales les
plus grandes et les plus hautes de notre histoire musicale moderne.
EuGEN Segnitz.
Jean d'UDlNE
VIII
FORME ET MATIÈRE
Paris, le 19 février 1906.
Mon cher neveu, je reprends la plume sans y être provoqué par une nouvelle lettre
de toi.Je suis impatient de causer avec mon jeune disciple sur un point qui le tourmente,
j'en suis persuadé, car il me préoccupe beaucoup moi-même. Aujourd'hui d'ailleurs
j'ai du temps devant moi et la question que je me propose d'examiner dans cette
lettre est si grave que ce n'est pas trop de toute une journée de méditation pour l'élu-
cider un peu.
J'ai reçu la semaine dernière la visite de ta mère et de ta sœur. Celle-ci m'a dit
avoir lu chez toi notre correspondance de cet hiver. Elle partage maintenant presque
toutes mes manières de voir sur la musique ; un seul point la chiffonne encore, c'est
que, d'une part, je répète sans cesse que l'émotion esthétique tient à peu près unique-
ment aux sensations provoquées par les œuvres d'art, et que, cependant, je paraisse
avoir, pour ce que l'on est convenu d'appeler Informe, une indifférence sinon une hos-
tilité croissantes. Quand elle m'a parlé de cela, l'autre soir, après un bon dîner chez
des amis, il est arrivé ce qui se produit toujours en pareil cas : on a discuté, criaillé,
fait de l'esprit, le tout au hasard des réparties, sans prendre soin de poser des défini-
tions, d'établir les bases d'une argumentation bien nette, et naturellement l'on n'est
— i6o —
pas arrivé le moins du monde à s'entendre. En la quittant je lui ai promis de t'écrire
là-dessus et de te dire, du mieux que je pourrais, pourquoi je n'ai plus le culte de la
forme, tout en croyant plus que jamais que le plaisir artistique est un plaisir maté-
riel. Tu voudras bien lui passer cette épître, quand tu l'auras lue..., si toutefois tu es-
times que j'aie quelque peu éclairci le problème.
Au fond, vois-tu, mon petit ami, je pense que nous sommes encore ici en pré-
sence d'une querelle de mots, Par /orwe, nous entendons beaucoup de choses diffé-
rentes les unes des autres. Dans l'esprit de la plupart des connaisseurs, des amateurs
et des artistes, — des connaisseurs surtout, — la forme est l'agencement des matériaux
de chaque art suivant des prototypes acceptés pour parfaits et reconnus implicitement
comme des modèles inviolables. M. d'Indy enseigne comment on fait une sonate, mais
il oublie d'aiouier comnie les sonates de Beethoven... En musique ce sont les notes, en
littérature les phrases, en peinture les couleurs qu'il s'agit de ranger le plus confor-
mément possible à ces modèles inviolables, à ces gabarits sacro-saints. Si tout le
monde était d'accord sur les prototypes, tout le monde serait également d'accord sur
la valeur des œuvres nouvelles. Etablissons; une fois pour toutes, par exemple, que la
forme du Parthénon est parfaite, avec les principes des formalistes nous en conclue-
rons que Notre-Dame est hideuse, que le Château de Chambord est ignoble, et que le
nouveau pont du Métro, près de la gare d'Orléans, est affreux. Présenté comme cela,
le culte de la forme paraît immédiatement ridicule et les défenseurs de la forme-for-
mule vont me dire que j'exagère. J'exagère en effet leur exclusivisme, maisje ne fais que
l'exagérer. La vie les oblige de temps à autre à enrichir leur arsenal de nouveaux
prototypes et c'est pour cela qu'ils ont l'air presque raisonnables, mais ils ne l'enri-
chissent jamais qu'une fois contraints par le consentement général et par les circons-
tances, et les prototypes nouveaux acceptés, ils s'en servent pour condamner les pro-
totypes futurs. Au nom de Lully, on condamne Rameau ; Rameau imposé, au nom de
Rameau l'on condamne Gluck; Gluck imposé, au nom de Gluck l'on condamne
Weber et ainsi de suite. Et chaque fois qu'un maître nouveau entre dans le cortège
des modèles, sa forme qui était une mauvaise forme, devient une forme indis-
cutable ; on a le devoir de la suivre, l'on n'a pas le droit de s'en écarter.
Il arrive de la sorte cette chose extraordinaire et constante, que tous ceux qui ne
vivent pas de leur propre fonds, mais qui copient, qui plagient, qui adaptent et qui
répétassent les formes des autres sur le vide de leur propre pensée, passent
pour des gens de goût, pour de beaux artistes solides et loyaux, parce que l'on trouve
dans leurs œuvres la grimace des maîtres canonisés. Tandis que les malheureux génies
qui ont le front d'exprimer, comme il leur plaît, des émotions qui leur sont propres,
passent pour des contempleurs de la décence, de la logique et de la Beauté, avec un
grand B, cette beauté dont chacun parle la bouche en cœur, et que personne n'est
fichu de définir.
La discussion est née l'autre soir à propos d'Alfred Bruneau ; entre musiciens
c'est souvent à propos de Bruneau qu'elle naît aujourd'hui. Je parlais avec enthou-
siasme de certains ouvrages de ce compositeur. Immédiatement quelqu'un se récria
au nom de la forme offensée. Je suis habitué à cet argument, parce que la musique de
Bruneau n'est pas établie suivant un type encore catalogué. Je ne sais si tu connais
quelques œuvres de ce maître ; je pense que oui : le Rêve et l'Attaque du Moulin sont
fréquemment joués en province. 11 est évident qu'il y a chez lui une sorte d'âpreté, de
dégingandage, mettons d'apparente gaucherie qui lui sont propres, mais qui sont la
conséquence nécessaire de ses inspirations même. Je répliquai tout de suite à mes
contradicteurs: «Dites que vous n'aimez pas la musique de Bruneau, c'est votre
droit absolu ; mais ne dites pas qu'elle est mal faite, cela n'a aucun sens. Puisqu'elle a
\mÊ,
— i6i —
la forme-Bruneau, elle a la forme qui convient aux idées-Bruneau. Libre à vous
de goûter ou non celles-ci ; moi-même je ne les aime pas toutes. Mais je vous mets au
défi, si vous admirez, comme moi, les Imprécations à la Guerre, par exemple, ou la
Rêverie d'Angélique : «Je voudrais être reine », ou l'entr'acte de Messidor, de me
démontrer que ces pages seraient plus belles, écrites autrement qu'elles ne le sont. »
Nous étions au cœur du problème et nous aurions dû parler, en cet endroit, de
la forme substantielle, si l'on pouvait discuter sérieusement après les liqueurs et le
café. Cependant comme je suis naturellement bavard, mettons un peu raseur, j'en-
traînai deux ou trois personnnes dans un angle du salon, et voici à peu près ce que je
leur dis :
« Certainement je crois que les œuvres d'art ont besoin d'une forme pour durer,
et même pour exister, mais contrairement à vous, ce n'est pas une forme définie et
soumise à je ne sais quelles lois mal connues que j'exige d'elles, mais la forme natu-
relle de la pensée qu'elles expriment ; disons mieux : la forme spécifique de la matière
qui les compose. Voici un œuf de poule ; outre l'albumine et le jaune ou vitellus qui doit
nourrir l'embryon, cet œuf renferme un germe, cellule de substance-poulet. Dans cer-
taines conditions de température et d'aération ce germe va se développer et prendre en
21 jours la forme d'équilibre de la substance-poulet, qui est la forme-poulet. Un petit
poulet doit éclore. Cette forme est donc intimement et exclusivement liée à la nature
chimique du germe originaire. Un œuf de langouste donne une forme-langouste, un
œuf d'hippopotame donne un petit hippopotame. Dirons-nous qu'un hippopotame est
mal fait parce que nous n'aimons pas sa forme ? Elle est pourtant bien la forme qui
convient à cet animal, puisqu'il naît, assimile, se reproduit parfaitement dans les con-
ditions de milieu où persiste et se propage son espèce... Eh bien ! je crois qu'il en va
de même pour les œuvres d'art. Sous l'empire d'une excitation extérieure, le cerveau
d'un artiste conçoit brusquement, spasmodiquement une certaine matière : rythme,
son, ligne, volume ou couleur, comme la traduction synesthésique, comme le réflexe
d'une impression individuelle. C'est l'inspiration. Si cette inspiration est réelle, il va
réaliser bientôt dans une œuvre d'art, avec les agents dont il dispose, — peinture à
l'huile, marbre ou clarinette, — la matière conçue et fécondée par son esprit, JVIais il
n'est déjà plus libre d'en modifier la qualité intime ou, si j'ose dire, la composition
bio-chimique. Il faut que cette pensée germe et éclose suivant sa forme d'équilibre
individuelle, particulière, fatale, et suivant cette forme seule. Il est évident que les
œuvres des devanciers ne seront pas sans influence sur cette forme, mais à titre
d'exemples et non point à titre de modèles. 11 n'est même pas besoin que ces modèles
soient excellents. Gorki peut écrire ses admirables Vagabonds, après avoir appris dans
Alexandre Dumas père ou dans Jules Verne tout ce qu'il a besoin de savoir sur la ma-
nière de faire un livre. Et je crois que tout génie à qui l'on montre des chefs-d'œuvre,
les comprend à demi-mots, referme bien vite le livre, ou quitte fiévreusement le musée
et s'écrie tout de suite : « moi aussi, je suis artiste ! » laissant aux élèves mal doués
le soin de copier la toile ou d'analyser la partition. En revanche, le monsieur qui n'est
point un génie, n'a pas de conception spontanée ; il n'a pas de réflexes individuels, ce
n'est qu'un homme de talent, et je l'envoie rejoindre le vil troupeau de ses semblables.
II copiera l'aspect extérieur des œuvres du voisin, des œuvres consacrées, il fera très
bien du Bach, du Beethoven ou du Wagner, sans la flamme intérieure, et les pédants
lui trouveront une bonne forme. Une bonne forme, oui 1... mais il n'aura jamais ^a
forme, parce qu'il n'a pas sa matière, et c'est un gueux dont j'ai pitié ! »
Comprends-tu maintenant, mon jeune ami, pourquoi je méprise la forme-formule ?
et comment j'estime qu'il n'y a chez les vrais artistes qu'une seule forme, la forme
matérielle, état d'équilibre spécifique de leurs inspirations? Si je n'ai pas le cerveau de
— l62 —
Mozart, pourquoi imiterais-je les coupes et les harmonies de Mozart, et en quoi, je te
prie, la forme symétrique du Rondeau turc, que d'ailleurs j'adore, est-elle supérieure
à la forme désordonnée de l'Invocation à la nature, qui est le résultat normal du lyrisme
romantique de Berlioz?...
Ceci revient donc à dire qu'il n'y a pour chaque artiste qu'une seule école de
forme, la sienne ; et comme l'expression individuelle du monde extérieur est précisé-
ment le style, pour peu qu'un auteur ait du style, c'est-à-dire soit lui-même, il a tout.
J'en arrive ainsi, vers la fin de cette correspondance, qui sans doute s'achèvera bien-
tôt, (car nous avons presque épuisé, peut-être même dépassé notre programme de cau-
series), j'en arrive au point d'où je partis jadis, dans mes lettres à ta sœur. Si j'ai
bonne mémoire je lui avais à peu près défini le style : la vision synthétique et person-
nelle du monde extérieur, propre à chaque individu.
Quand on discute ces choses, même avec des musiciens, on arrive souvent à
prendre des exemples littéraires parce qu'ils sont plus concrets et plus faciles à donner.
C'est un peu fâcheux. La littérature n'est pas tout à fait un art. ou du moins n'est pas
exclusivement un art, puisqu'outre les émotions sensibles qu'elle cultive et les images
qu'elle essaie d'évoquer, elle a des idées à transmettre. Et puis sur la littérature de
chaque pays règne un tyran, élu par le suffrage universel, et dont les arrêts sont iné-
luctables : la Grammaire ; tandis que les grammaires des autres arts ne sont que des
semblants de monarques, adulés par quelques pontifes, mais sans autorité réelle. On
ne peut faire réciter à la Comédie française : « si j'aurais su », sans que toute la salle se
cabre, tandis que les chœurs de l'Opéra-Comique peuvent chanter trois quintes de
suite, sans révolter plus d'une demi-douzaine de professeurs.
Acceptons cependant les exemples littéraires. Le soir dont je te parle un homme,
remarquable écrivain du reste, me disait pour me confondre : « La preuve que la
forme, indépendamment du fond est capitale dans l'art, c'est que la plupart des chefs-
d'œuvre ne sont faits que de lieux communs, qui, moins bien exprimés, n'auraient
aucune valeur. — Par exemple ?... — Par exemple, quand Pascal écrit : « Ce chien
est à moi, disaient ces pauvres enfants, c'est ma place au soleil », il ne fait qu'expri-
mer, avec une belle forme, l'idée banale* que chacun a l'instinct de la propriété, —
Votre citation, ré pondis-je à mon interlocuteur, me confirme dans ma théorie. Si
cette phrase est artistique, c'est précisément parce que l'idée n'en est pas banale, étant
particulière et plastique. Pascal a vu les pauvres enfants jouer au soleil avec leur
chien, il a senti leur notion du « tien » et du « mien », il n'a eu qu'à le dire pour que
cela soit beau, et n'importe comment il eût arrangé sa phrase (il ne l'a d'ailleurs pas
arrangée du tout), elle eût été belle, parce qu'il avait une belle matière. »
Tout le mystère du style est là : voir nettement quelque chose, avoir une sensa-
tion par idée. L'architecture des mots importe si peu ! Loti s'est fait un style admi-
rable, c'est un écrivain de premier ordre, et pourtant sa forme serait ridicule et assom-
mante adaptée à toute matière autre que ses sensations vagues, flottantes et d'une
mélancolie si sensuelle. Flaubert, avec tout son labeur, est en somme un assez pauvre
artiste et l'on en reviendra de l'engouement que l'on montrait naguère pour sa forme
raide, guindée, impersonnelle, pleine d'amphilologies et d'une si désespérante mono-
tonie de rythme, de sonorités et de syntaxe,, de tout cet art qui sent l'huile, l'effort,
l'absence de sensations directes. J'ai lu, je ne sais où, que le jour où le père Hugo ré-
cita pour la première fois, devant quelques intimes, l'admirable Boo:( endormi, quand il
arriva aux vers incomparables : « L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle... »,
l'auteur de Madame Bovary , présent à la lecture, se frappa la cuisse avec une admira-
tion désespérée, en criant à ses amis : « Jamais nous n'aurions trouvé cette épithète-là,
nous autres ! » Non certes, jamais ! parce que ce sont des miracles de forme qui nais-
■m.
— 163 —
sent uniquement de l'acuité de la sensation, et que ni le travail, ni le bon goût ne dic-
teront à qui que ce soit.
J'ai entendu l'année dernière un homme et une femme qui se rencontraient sur le
pont Louis-Philippe, pour la deuxième ou la troisième fois de la journée probablement,
se lancer ces deux phrases, en se croisant : « On se chercherait, on ne se rencon-
trerait pas, vous savez. — C'est ce qui arrive ! » Au point de vue de la forme-for-
mule, des académiciens ne se parleraient évidemment pas de la sorte ; comme forme-
matérielle, adaptée au milieu et aux circonstances, je trouve ces deux répliques mer-
veilleuses de style et de concision. Ces personnes du peuple disaient parfaitement ce
qu'elles avaient à se dire ; elles faisaient œuvre d'art.
Tu vois , mon cher neveu , comment je concilie l'horreur de la forme en
soi et le culte de la matière dans l'art ? Si tu m'as bien compris, tu dois deviner
aussi pourquoi j'ai, dans tout ordre d'idées, la haine de la virtuosité, qui substitue à
l'éclosion normale de la pensée, la fausse élégance d'un travestissement de carnaval.
Puisque nous sommes dans le domaine littéraire, laisse-moi te rapporter cette
anecdote, contée naguère, dans un quotidien, par Octave Uzanne. On y découvre
tout ce qu'il y a de bas et de misérablement factice chez un virtuose de la plume.
« Je me souviens qu'un soir, dit ce chroniqueur, je vis Heredia étrangement sur-
pris à l'audition d'une fameuse pièce de Mallarmé où figurait ce vers :
Là, un ptyx
Insolite vaisseau d'inanité sonore
« José-Maria tortillait sa moustache brune d'une main fébrile. Quand il eut écouté
et applaudi, il s'approcha du doux Stéphane, intrigué, l'interrogeant sur ce mot pfjx,
qu'il jugeait devoir signifier quelque piano fabuleux.
— Mais aucunement, cher ami, répliqua Mallarmé. Notez bien que comme rime
à Sfyx, j'avais urgent besoin d'un mot congruent. N'en trouvant point, j'ai créé un
instrument de musique inédit. Or rien n'est plus clair que mon vers. Le ptyx est in-
solite, car il est inconnu ; il résonne avec sonorité, puisqu'il rime avec une majes-
tueuse opulence ; il n'en demeure pas moins un vaisseau d'inanité, puisqu'il n'a
jamais existé. Et l'on dit que je ne suis pas clair ! concluait l'auteur de l'Après-midi
d'un Faune ».
N'est-il pas affreux de penser qu'un tel virtuose a pu passer pour un artiste aux
yeux de bons jeunes gens ébaubis?... Et en musique donc, mon pauvre garçon! Je ne
veux pas citer des noms contemporains, parce qu'il est inutile de froisser dans leurs
admirations les personnes de bonne foi. Mais il est vraiment drôle de songer que les
mêmes amateurs qui reprochent à tel musicien son absence de forme, s'extasient de-
vant les formules désespérément vides d'un tas de barreurs de croches, que l'on salue
jusqu'à terre, que l'on appelle « Maître » qui savent tout de leur art, sauf trouver une
expression sonore un peu personnelle, un peu savoureuse, un peu neuve, épanouisse-
ment naturel d'une émotion sincère.
Ah ! mon petit, j'ai été souvent dur pour les virtuoses. Je le serai encore. Et je
me réjouis de voir que tout de même on se dégoûte de tout ce fard, de tout ce rouge.
de toutes ces mouches qu'ils plaquaient avec une triomphante insolence sur le beau
visage expressif et simple de la chère Musique. Ah ! les gredins ! Ils croyaient avoir
le droit de vendre des moulages en carton peint de la Vénus de Milo. Les galeries
hautes de nos grands concerts, où palpite encore un peu de jeunesse, d'émotion et de
sincérité, leur ont prouvé que non, tout de même ! Elles ont « débiné le truc » des
mauvaises gammes inutiles, des arpèges arrogants, des vaines acrobaties et c'est quel-
que chose de doux, pour celui qui aime la belle matière et déteste les poncifs, de voir
— 164 —
que^ là même où l'on ne craint pas de siffler l'ennuyeuse et scholastique Chacone pour
violon seul, du grand Bach, on a respectueusement écouté depuis un mois, sans une
protestation /le divin sourire de Mozart, dans quatre concertos. La musique vit encore
dans la conscience des amateurs, sinon dans l'épateuse volonté des musiciens; et l'ave-
nir est beau pour elle.
Avant de te quitter, mon cher ami, je veux te rappeler, en manière de conclusion,
une autre pensée de Pascal : « Ceux qui font les antithèses en forçant les mots, sont
comme ceux qui font des fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n'est pas de
parler juste, mais de faire des figures justes. » Malheureusement il y a beaucoup de
gens qui aiment les fausses fenêtres. Au commencement du vingtième siècle, la Ville
de Paris organise des concours de façades ! ! ! Et l'on ne sait aucun gré, dans
aucun art, aux gens droits et simples qui cherchent tout bonnement à parler
juste.
Lettres inédites de Guillaume Lekeu
(Suite)
Lettre à M. Kéfer(1891)
[Suite)
* Paris, 75 iÂvril i8çi.
Cher Monsieur et ami,
Si je suis resté si longtemps sans vous donner de mes nouvelles, c'est que j'aî
passé depuis le i^' janvier, le trimestre le plus ennuyeux que vous puissiez imaginer.
Le trimestre précédent avait été par moi, employé à faire du grec, du latin, etc.. et à
donner des leçons de ces langues en remplacement d'un de mes amis, professeur de
littérature.
Au mois de décembre, c'était la mort de mon cher Maître (i), et lorsque, au
commencement de cette année, je me suis vu délivré de mes extravagantes occupa-
tions, quand j'ai pu me remettre à faire de la musique, je ne suis parvenu qu'à écrire
des horreurs sans nom, que j'ai classées sous le titre de Trio pour Piano, Violon,
Violoncelle.
J'étais tout désorienté, je passais 4 ou 5 jours par semaine à fumer en regardant
tomber l'implacable pluie et à me dire qu'il serait sage à moi d'aller casser des pierres.
Mais, comme vraiment, il y a autre chose qu'à regarder tomber des ondées, je me suis
mis, tant bien que mal, à un travail réguUer. Je me suis replongé dans le contrepoint,
le double chœur et la fugue et ça marche cahin-caha. J'ai entendu à Angers une bonne
lecture d'un petit morceau d'orchestre que j'avais écrit l'été dernier [la 3^ partie d'une
Etude Symphonique en ^ parties) et comme la sonorité n'en était pas trop désagréable,
cela m'a donné un peu de courage.
D'autre part, Vincent d'Indy (dont, fort heureusement, j'ai pu faire la connaissance)
me pousse, très amicalement à beaucoup travailler, me demande, à chaque rencontre,
si j'ai quelque chose de nouveau à lui montrer et je ne désespère pas de rentrer bientôt
dans la fièvre du travail qui m'a tenu toute l'année dernière. Je vais remanier entière-
ment, je pourrais même dire refaire la première partie de ma deuxième étude sympho-
(1) César Franck, mort en novembre 1890.
— 165 —
nique, car, quand j'ai voulu en écrire la troisième partie, la première m'a paru plus
nulle que les œuvres complètes d'Ambroise Thomas.
Enfin, je me sens animé petit à petit à donner un bon coup de collier. Ce qui en
résultera, nul ne peut le dire, rien de bien fort sûrement, mais je veux avoir cette con-
solation de me dire que je n'aurai pas perdu une année entière.
JVlon ami A. Guignard m'a écrit que vous aviez bien voulu vous charger de con-
duire votre quatuor d'orchestre pour l'exécution du petit morceau que je lui ai
adressé à l'occasion de son proche mariage, j'ai encore retrouvé là l'amical et profond
dévoûment dont vous m'avez déjà donné tant de preuves et ne sais comment vous
remercier. C'est pourtant à vous encore que je m'adresse pour savoir si la sonorité de
cet Epithalame est satisfaisante. Il doit, me semble-t-il, résulter pas mal de trous de cet
assemblage de cordes, trombones et orgue. Ces trous, cher Monsieur, veuillez me
les indiquer, j'essaierai de vous adresser des changements aux endroits fautifs.
Je connais votre sincérité et je sais que vous ne m'épargnerez pas les critiques.
Merci d'avance infiniment. Avez-vous lu le Quatuor du père Franck ? Je sais qu'il est
édité chez Hamelle et me le procurerai bientôt. C'est, vous le savez, une œuvre ad-
mirable. Plus admirable encore, peut-être, le quatuor à cordes que vient d'achever
d'indy et qu'il a fait entendre à Bruxelles d'abord, ici ensuite. C'est un travail abso-
lument stupéfiant. Dès qu'il sera publié, je vous avertirai.
Cette année aura été fort brillante pour la Société Nationale. Plusieurs œuvres de
ses membres ont été exécutées chez Lamoureux et un tout jeune homme, Ch. Bordes,
s'est vraiment révélé comme penseur et coloriste dans plusieurs œuvres. Tout le
monde travaille et c'est décidément le seul moyen d'arriver au bonheur.
Paris, i^ juin i8çi.
... Je suis bien décidé maintenant à tenter cette aventure (i), si décidé que j'ai
adressé depuis trois jours ma demande d'inscription et Dieu sait pourtant qu'il est
impossible de se présenter dans des conditions plus désastreuses que celles où je suis.
Je n'ai pour ainsi dire pas travaillé cette année et j'ai perdu mon plus ferme appui : le
père Franck.
Par bonheur, j'ai connu, depuis cette mort si imprévue, Vincent d'indy et j'ai pu,
grâce à lui et sous sa direction, me remettre un peu au travail. Il m'a encouragé et
sérieusement conseillé de me présenter au concours. Je lui obéis et satisfais ainsi en
partie mes parents qui n'ont en ce moment d'autre rêve que de me voir un jour loti de
cette récompense suprême et gouvernementale.
En toute sincérité je dois pourtant bien avouer qu'il me serait assez désagréable
de ne pas être admis au concours définitif, et, pourtant, au point de vue strictement
matériel (j'entends par là le temps d'écrire des notes) je redoute bien plus l'épreuve
préparatoire que le concours lui-même. Car pour celui-ci on accorde 27 jours de loge,
alors que les concurrents n'ont que 72 heures = 3 jours pour composer la fugue à 4
voix et le chœur avec orchestre (partition complète) qui constituent l'épreuve prépara-
toire.
Je n'ai jamais pu faire une fugue en moins de six jours et pour le chœur avec
orchestre j'ai déjà essayé d'en composer un en aussi peu de temps que possible, il m'a
[i) Il s'agit du concours pour le prix de Rome, auquel Lekeu se présenta sur les conseils de Vincent
d'indy.
— i66 —
fallu 8 jours et je n'avais pris pour texte que quelques vers de Lamartine (6 seulement,
mais avec les répétitions des mots, ces 6 en représentent 15).
Ici, au Conservatoire, on donne de 20 à 30 vers à illustrer d'une musique du plus
vif intérêt pour ce chœur avec orchestre.
S'il en est de même à Bruxelles, je ne sais pas du tout comment je pourrai m'y
prendre pour avoir terminé ma double besogne dans le délai fixé.
Mais si je puis achever en 3 jours ces 2 devoirs, je serais vraiment vexé que le
jury les trouvât si mauvais que je ne pusse prendre part au concours. Et pourtant...
Gela me pend au nez! Le plus ennuyeux, c'est que ce concours m'empêche d'aller à
Bayreuth. J'en suis vraiment furieux, car c'est, de ma part, rééditer à coup sûr la déli-
cieuse et mélancolique fable du chien qui lâche sa proie pour l'ombre. Vous y allez, je
le sais, et je me faisais une si grande fête de vous rejoindre là-bas, dans ce pays béni,
et, avec vous, et grâce au Mage sublime, de quitter encore ce vieux sol maudit où les
générations ne se succèdent que pour souffrir ; oui, de le quitter (pour quelques heures
seulement, hélas !) et d'habiter au pays des songes, où les souffrances les plus ter-
ribles ne sont elles-mêmes que le prétexte des joies infinies et consolatrices...
Vous me demandez comment est mort Franck? Je vous ai parlé d'un accident de
voiture où il avait été blessé au mois de juillet dernier. Depuis, sa santé s'affaiblissait
de jour en jour. Il a gagné un rhume au mois d'octobre et. à partir du 15 novembre,
a dû renoncer à presque toutes ses leçons. J'ai eu le bonheur de le voir deux fois encore
et de faire delà musique avec lui. Il s'est alité vers la fin du mois et chaque jour j'allai
prendre de ses nouvelles. C'était tantôt mieux, tantôt pis. Un jour, on m'annonce une
amélioration très sensible : le lendemain, il était mort...
(A suivre).
MADEMOISELLE DE BELLE-ÏSLE
De M. Spiro SAMARA, sur un livret de Paul MILLIET
Après une brillante représentation de Tannhceuser avec Van Dyck, Renaud,
Mnies Farrar et Lindsay, le théâtre de Monte-Carlo vient de nous faire entendre une
œuvre inédite en France du compositeur Spiro Samara.
L'auteur de iMlIe de Belle-Isle est grec d'origine, il est né à Corfou, a fait ses
études en France avec Léo Delibes, et il écrit de la musique italienne, oh combien !
Lelivret de Mlle de Belle Isle a été fidèlement découpé par Paul Milliet dans la
pièce de Dumas père, lors delà création de l'œuvre à Gênes. 11 y a deux mois à peine,
le librettiste avait changé le dénoûment, la pièce finissait tragiquement par la mort
du chevalier d'Aubigny, qui tout à la fin, avant que le duc de Richelieu n'eût eu le
temps de dénouer la situation, s'enferrait lui-même sur l'épée de son adversaire.
En Italie il paraît qu'un bon drame lyrique doit finir par un malheur. A Monte-
Carlo notre aimable confrère Milliet est revenu à des sentiments plus humains, et pre-
nant en pitié le sort de l'infortunée Mlle de Belle-lsle, il a sauvé la vie à son fiancé, se
conformant ainsi au dénouement infiniment plus logique de son illustre modèle.
L'œuvre de M. Samara réunissait ici la plupart des protagonistes de la création à
l'exception de Mlle Royer. Il était en somme intéressant de nous faire connaître un
compositeur nouveau peur nous, M. Spiro Samara, déjà apprécié dans la péninsule
pour sa Martyre, sa Medje, etc.
— 167 —
Dans Mademoiselle de Belle-Isle, M. Samara témoigne d'un sens réel du théâtre et
du mouvement scénique, qualités que possèdent d'ailleurs la plupart des compositeurs
modernes de l'Italie. La partition comprend deux éléments bien distincts en vertu du
sujet même de la pièce : d'une part l'atmosphère légère, spirituelle et libertine qui ca-
ractérise l'époque de Louis XV, d'autre part l'élément passionnel et émotif, représenté
par le chevalier d'Aubigny et l'héroïne du drame, et les situations dans lesquelles ils
se débattent.
Parmi les passages les plus saillants il convient de citer au premier acte le mari-
vaudage de la marquise de Prie et du duc de Richelieu ; puis la déclamation de Mlle de
Belle-Isle, lorsqu'elle s'adresse en suppliante à la marquise : Corne un viandante smar-
rito a notte (comme un voyageur égaré dans la nuit) ; puis l'andante passionné chanté
par d'Aubigny (en sol majeur à quatre temps) : Si, l'aer ch'iorespiro (oui, l'air que je
respire) ; l'ironique et badine déclaration de Richelieu (allegretto scherzoso) Re dei
x'a^Ma/non (,1e roi des amourettes).
Le second acte se passe surtout en dialogues et en allées et venues. Entre le
second et le troisième actes un intermezzo élégamment écrit dans le style ancien ;
à noter ensuite la caressante cantilène chantée par Renaud « notte adorabil, 0 notte
deli:(iosa »;
Le quatrième acte débute par un andante dans le style religieux et continue par
unassezgracieuxbadinagedes chœurs de courtisans; citons ensuite la prière de Mlle de
Belle-Isle et enfin le morceau de résistance de cet acte, le grand duo d'amour final (en
la bémol avec basses syncopées) « Obliamo un passato cbe il cor ci strapô » (oublions
le passé qui blessa nos deux cœursj, et où M. Samara a exprimé la passion en accents
chaleureux.
Telles sont les grandes lignes de cette partition qui dénote chez son auteur, ainsi
que je l'ai dit, un sens réel de la scène. Ajoutons à cela que M. Samara écrit d'une
façon claire et en mélodisant le plus possible.
Toutefois, au point de vue musical proprement dit, M. Samara ne nous paraît pas
l'égal de ses rivaux d'outre-monts. Son inspiration brille par la franchise et la sincérité
mais la mélodie de M. Samara est trop, beaucoup trop facile et frise souvent la bana-
lité ; on n'y découvre point cette distinction qui est la marque de Puccini, ni ces jo-
lies recherches harmoniques dont est parsemée la Bohême ou \& Tosca ; ce n'est pas non
plus l'originalité ni la puissance instrumentale d'un Giordano.
En un mot pour être complet il faudrait que M. Samara joignît à ses qualités de
chaleur et de mouvement une ligne mélodique plus personnelle et plus travaillée, et
qu'il ne se contentât point du premier jet comme il semble l'avoir fait dans sa Made-
moiselle de Belle-Isle, où la trame symphonique est pour ainsi dire inexistante.
L'ouvrage a été brillamment mis en scène : costumes et décors sont d'une rare
élégance. L'interprétation est excellente avec Bassi, le rival de Caruso, l'un des meil-
leurs ténors de l'Italie ; Renaud, toujours impeccable ; Mlle Cavalieri et Mlle Royer, de
j voix fort agréables.
Le public a fait bon accueil à l'ouvrage.
Alfred MORTIER.
— i68 —
GRAND THÉÂTRE DE BORDEAUX
L'ANNIVERSAIRE
M. Adalbert Mercier a écrit pour l'Anniversaire, une partition tout à fait remar-
quable. La musique suit le livret avec beaucoup de sincérité et de fidélité ; et même à
l'action pittoresque et véhémente, brutale à la fin, l'inspiration du compositeur ajoute
une sorte de tendresse élégiaque bien séduisante.
C'est qu'en effet, là est tout le talent de M. Mercier. Certes, on reconnaît dans
son écriture l'influence de Xavier Leroux, et parfois — par exemple pour le choix des
tonalités — l'imitation de César Franck : et l'on ne peut que louer Mercier d'être à
si grande école. De même on voit qu'il est déjà homme de métier, il manie très habi-
lement l'orchestration et la polyphonie. Mais le flot de l'inspiration personnelle, le don
de grâce emporte tout, domine tout, science, imitation, leçons. La musique de
Mercier est de quelqu'un, quelqu'un de fort aimable.
U Anniversaire a été chaleureusement accueilli. Le récitatif de Mattéo : « Soleil qui
empourpres nos plaines » coupé d'un air exquis : « Lorsqu'elle errait parmi les mousses », a
soulevé les applaudissements. Puis est venu le lamento de Severina, et la vilanelle
riante et lumineuse de Lucia qui arrive les bras chargés de fleurs. Lorsque le clair prin-
temps viendra ; puis encore ce joli duo d'amour entre Lucia, aimante et confiante, et
Sandro qui hésite, qui se souvient et qui souffre ; enfin le chœur religieux de la Tous-
saint, ample et solennel.
On voit par ces brèves indications que Mercier n'est pas ennemi de la mélodie, et
il aurait grand tort : car elle l'a présentement favorisé. Il ne dédaigne pas d'écrire des
pages sentimentales d'un dessin limpide, pages d'une jolie venue, et qui coulent de
source. S'il y a un dieu dans l'école italienne, Mercier porte quelquefois ses vœux à
ce dieu-là . Mais ce n'est pas tout à fait sa religion ; sa musique n'est ni superficielle
ni rapide, elle sait traduire toutes les émotions, elle est bien écrite et bien construite,
elle ne brille pas aux dépens du drame, elle est le drame même. Cette musique est
dramatique et vivante.
Au succès, au triomphal succès du musicien et du librettiste, ont contribué gran-
dement Fournets qui est un chanteur de style et Mlle Ranflaur, tragédienne impres-
sionnante.
F. STROWSKI.
— 169 —
LES GiîanDS eoncEiî'TS
Concerts Colonne et Lamoureux
Rendre compte de quatre concerts en un seul article est un travail qui m'ennuie
au-delà de toute expression et je crains fort de faire partager cet ennui à mes lecteurs,
si j'énumère seulement les numéros de ces quatre programmes, ceux du Châtelet sur-
tout, interminables comme toujours. Butinons donc un peu au hasard sur toutes ces
œuvres et commençons par les nouvelles. Elles devraient être les plus fraîches ; elles
sont généralement les moins jeunes de toutes, tant comme charme que comme émo-
tion. Que vous dire, par exemple, de la Cloche fêlée, poème symphonique de M. F.
Pécoud, d'après Baudelaire, ou des Récits de Guerre et d'Amour, poème symphonique
de M. Jemain, joués par M. Chevillard, les 11 et 18 février ? S'il me fallait paraphraser
ces pièces, je répéterais ce que j'ai dit plus de cinquante fois depuis quelques années :
on y trouve tout ce qui fait la bonne musique, tout sauf l'étincelle. Mais il est effrayant
de songer à la somme de travail que dépensent les pauvres auteurs pour arriver à bâ-
tir (avec quelle peine, on ne le sent que trop !) un malheureux morceau qui vient,
comme une bulle de gaz lentement formée dans la vase d'un étang, s'épanouir une mi-
nute à la surface de l'orchestre et crever pour toujours sous la lumière des lustres.
Pourquoi ces auteurs ne composeraient-ils pas plutôt, comme leurs ancêtres, un bon
petit opéra-comique bien gentil, qui É^YoMwéra/f peut-être moins leurs confrères, mais
qui séduirait le public et remplirait infiniment mieux le rôle charmeur et expressif de
l'art. Ou même, sans se porter à cette extrémité honteuse d'écrire deux ou trois jolis
actes, que n'imitent-ils Rimsky-Korsakow qui, sans se torturer l'entendement, habille
les récits de Schéhérazade de soie et de perles instrumentales, dont l'orchestre Lamou-
reux fait si bien chatoyer les reflets ! « Grand Art, grand Art, quand tu nous tiens,
on peut bien dire : adieu, jouissance ! »
De son côté, M. Colonne redonna la Symphonie en mi hèmol de M. Enesco. Tous
ceux qui la réentendirent, et qui à la première audition en avaient éprouvé la même
impression que moi, m'ont affirmé avoir ressenti pour elle, la seconde fois, une sym-
pathie beaucoup plus vive. Je regrette donc de ne l'avoir pas réentendue. Je ne
demande pas mieux que de revenir sur une impression trop hâtive. Il est certain que
désormais, par exemple, Y Après-midi d'un Faune de M. Debussy, fort bien joué par
M. Colonne, ces derniers dimanches, me fait beaucoup plus de plaisir qu'autrefois,
(contrairement à ses Nocturnes, dont je me lasse un peu après les avoir vivement
aimés) et, tout en maintenant qu'il y a dans cette musique troublante une subtibilité
excessive et probablement inutile, j'eus tort, je l'avoue très volontiers, d'en mécon-
naître jadis la mélancolie poignante et sensuelle.
Le Chant d'Automne de M. Guy Ropartz sur une poésie de Beaudelaire, (encore
Baudelaire !) et le Concerto de piano de Castillon joué par Mlle Blanche Selva furent
donnés à des Concerts où je n'assistais pas. Mais j'ai entendu le jour d'été a la Mon-
tagne, nouveau poème symphonique de M. d'Indy. C'est long, un jour d'été, ah !
fichtre oui ! c'est long, même décrit par un impressionniste miraculeusement adroit,
mais qui veut à tout prix verser dans le symbole et qui pousse l'habileté jusqu'à
l'oubli de toute candeur. Aurore, jour et soir! Ça finit bien tout de même par une
délicieuse rêverie du quatuor en sourdine, trop longtemps attendue et c'est plein de
talent, mais non de simplicité. M. Vincent d'Indy est un réaliste manqué, je l'ai plu-
sieurs fois insinué, moins crûment qu'aujourd'hui peut-être, et quelque admiration
que j'aie pour plusieurs de ses œuvres, je regrette qu'il ait trop pensé sa musique et
— 170 —
desséché, — a mon avis, bien entendu, — les dons d'une sensibilité très française par
un parti-pris de spiritualité, qui n'a rien à voir avec notre tempérament national.
Quand on me trouve injuste vis-à-vis de Franck, on a raison sans doute. Mais j'ai
raison aussi, soyez-en sûrs, de déplorer que ce maître wallon soit venu orienter la
musique de chez nous dans des sentiers beaucoup trop idéalistes pour elle.
Si nous parlions un peu des virtuoses qui se sont fait entendre à ces séances?
Tenez-vous bien! Je n'aiqu'àchanterleurslouanges. A vrai dire, si M. Enesco, violoniste,
m'a paru fort bon et si la Chacone pour violon seul du père Bach est signée d'un nom
qui équivaut, en musique, à celui dejéhovah, en histoire naturelle, cette Chacone est
tout de même passablement ennuyeuse. Eh ! parbleu ! c'est de la bonne musique ; mais
il en est des morceaux d'étude comme de la vérité : les meilleurs ne sont pas
toujours bons à dire... en public du moins, surtout dans une si grande salle. Et je ne
suis aucunement surpris que l'autre jour, quand M. Enesco a voulu se faire entendre
en his, l'auditoire lui ait signifié, par des « chut » vigoureux, que l'Ainsi-soit-il avait
duré assez longtemps pour qu'on ne recommençât pas le sermon.
Et maintenant je vais célébrer deux pianistes : M. Alfred Cortot, qui, remarqua-
blement secondé par M. Chevillard, a joué les admirables Variations symphoniques , le
chef-d'œuvre de Franck, (sur lesquelles je n'ai jamais varié, et ne varierai jamais, je
pense,) avec une discrétion d'effets, uneintensité d'émotion, unsensualismejoyeuxetune
sérénité discrète extraordinairement poignants — Quelle allégresse ! quelle force calme!
quel brasier intérieur! — ce fut superbe; ... et Mme Wanda Landowska qui, parfaite-
ment accompagnée, elle aussi, par M. Colonne, nous a distillé l'adorable Concerto en
mi bémol de Mozart, selon cette méthode fine, expressive, presque déconcertante de
simplicité, de netteté, de précision et pourtant si remplie de charme, si enveloppante,
qui en fait aujourd'hui la plus exquise interprète des vieux maîtres du clavecin et du
piano-forte. Si quelqu'un ne s'émerveillait pas d'une gamme ou d'un trille individua-
lisés par cette adorable pianiste, et ne sentait pas ses yeux se troubler à l'ineffable
adagio de l'œuvre qu'elle interpréta l'autre jour, je ne saurais causer avec lui, car le
mot « musique » ne possède évidemment pas le même sens pour nous deux.
A coup sûr il est infiniment doux au détracteur des virtuoses de tresser ici une
double couronne au jeune chef d'orchestre et à la jeune claveciniste qui, l'un et
l'autre, avec des styles presque contradictoires, sont deux artistes si parfaitement
doués. Je les prie seulement de me laisser aujourd'hui faire une petite place, auprès
d'eux, à M. Paul Brun, cor anglais des Concerts-Colonne qui, le 18 février, remporta
une si légitime ovation dans le Ranz des Vaches du SManfred de Schumann. Il est im-
possible de rêver non seulement un son plus pur, une sûreté rythmique plus parfaite
que celle de cet instrumentiste, mais surtout (et c'est par là qu'il a touché le public), de
faire tenir dans un pauvre petit solo de quelques lignes une plus intense poésie de la
nature, un plus juste sentiment de la paix du soir... « Ah ! qu'la vie est bonn' tout
d' même, quand on l'aime, quand on l'aime ! » chanterait le joyeux Dalcroze.
Jean d'UDINE.
— 171 —
LA QUINZAINE MUSICALE
Société Philharmonique
Tout l'intérêt de la dixième séance reposa sur le quatuor Hugo Heermann-Becker,
car on ne peut citer que pour mémoire Mme Réja-Bauer qui, fort applaudie par des
compatriotes complaisants, chanta du Schubert et du Brahms d'une façon tout à fait
ordinaire et avec une voix bien ingrate. Mais les quatre vrais artistes composant le
quatuor Heermann, dont j'ai le grand plaisir de rapporter ici les noms à nouveau,
MM. Hugo Heermann, Adolphe Rebner, F. Bassermann et Hugo Becker, ont mérité les
chaleureuses ovations qui les remercièrent de leur superbe interprétation du programme.
De quelle finesse et de quel esprit ils ont témoigné dans le Quatuor en ut majeur (op.
20 n° 2) de Haydn, dont ils durent bisser le menuet grâce au violoncelle endiablé de
M. Hugo Becker, et dont le presto scher^ando est si amusant, lorsqu'on a remarqué
qu'il évoque en ses staccatos le caquetage d'une bande de poules affolées. Ils dépensèrent
une fougue entraînante, qu'ils adoucirent avec tant de mélancolie pour l'adagio molto,
dans le Quatuor en la majeur (op. 41 n° 3) de Schumann, où par instant le maître a
voulu obtenir des effets qui dépassent les moyens du quatuor. M. Hugo Heermann et
ses excellents compagnons terminèrent dignement le concert par le Quatuor en fa mineur
(op. 59 n" I ) de Beethoven, auquel le programme attribuait par erreur les mouvements
du Quatuor en fa (op. 18 n° i^. Ils l'ont joué avec cette profondeur de sentiment, cette
fidélité respectueuse, cette intelligence et cet amour de l'œuvre qui font qu'après l'audi-
tion on s'en revient l'âme reposée et meilleure.
Le 11° concert réunissait MM. Anton Sistermans, Pablo Gazais et Alfred Cortot. Un
malencontreux rhume ne nous a permis d'apprécier chez M. Sistermans que le style
avec lequel il phrasa différents airs et récitatifs tirés de l'œuvre vocale de J. -S. Bach.
M. Gazais joua des fragments de la Sonate en si mineur pour violoncelle seul de Bach.
On lui fit un grand succès après son exécution très vibrante. M. Alfred Gortot nous
donna la Sonate en si mineur de F. Liszt, dédiée à Schumann. Gette œuvre longue où
Liszt s'affirme non pas le beau-père mais le grand-père de la Tétralogie dans certains
motifs à qui Wagner fit un meilleur sort, n'a pas toutes nos préférences, mais elle a
trouvé en M. Gortot un merveilleux interprète. Il n'est pas possible de jouer avec plus
de clarté et d'intelligence une œuvre difficile, j'aurais pu dire ennuyeuse, si le ma-
gistral talent de M. Gortot ne nous avait pas contraint à la suivre avec intérêt. M.
Alfred Gortot est un grand artiste qui joue en musicien, ce qu'on ne saurait reconnaître
chez tant de pianistes à qui il pourrait en remontrer en fait de virtuosité. Le concert
s'acheva avec les Seft variations sur un thème de la Flûte enchantée de Beethoven
pour piano et violoncelle. Tout le talent de MM. Gortot et Gazais ne réussit pas à
nous empêcher de regretter le choix, comme morceau final, de cette petite fantaisie
innocente, que personne ne songerait à exhumer, si ce n'était pas Beethoven qui l'avait
commise. 11 ne faut pas que le respect des grands noms tourne au fétichisme !
Victor Debay.
Concerts Le Rey
Le concert du 11 février nous donnait la première audition d'une ouverture svm-
fhonique de M. 0. Tibel, qui ne se signala point par un intérêt particulier, et la
Mégère apprivoisée de M. Frédéric Le Rey. Il est difficile de parler comme il convient
de cette œuvre qui, nécessitant le théâtre, se trouve dépaysée au concert et, de ce fait,
semble par moments un peu longue. Ecrite, avec plus de distinction, dans le style cou-
rant des opéra-comiques qui égayaient la douce sérénité de nos pères, cette partition
renferme des mélodies agréables et des pages très aimables. Enregistrons le, succès de
l'auteur et celui de ses interprètes, Mmes Bureau-Berthelot et Georges Marty, MM.
Dubois et Monys. M. Alejandro Ribo avait exécuté auparavant la Polonaise en la
— 172 —
béynol de Chopin, sans y mettre la fougue nécessaire et la Fantaisie Hongroise de Liszt
que Mme Toutain-Grûn avait si remarquablement interprétée l'un des dimanches
précédents.
Des œuvres nouvelles qui nous furent présentées au concert suivant il faut signaler
un court poème de M. Ch. René, Sur la Plage, très joliment chanté par Mme Bureau-
Berthelot, et une suite d'orchestre de M. Lucien Niverd, Horizons Bleus, dont nous
avons apprécié la première partie. Au Réveil, pour son orchestration souple et facile.
Des fragments de Richard Cœur-de-Lion nous permirent enfin d'applaudir Mme Bu-
reau-Berthelot, MM. Dubois, Berton et Mary.
Edouard Schneider.
Société Nationale
On connaît déjà les deux mélodies tout à fait charmantes de M. Marcel Labey, sur
le Rondel de Charles d'Orléans et la poésie de Clément Marot De sa grande Amye.
Mlle Jeanne Bertaux les a fort bien interprétées au dernier concert de la Société Natio-
nale, en compagnie d'une nouvelle mélodie du même auteur sur la Chanson du Rayon
de Lune, de Maupassant. La valeur, assurément plus grande, de cette Chanson, d'ordre
très descriptif, ne pouvait lutter avantageusement avec la grâce pénétrante et distinguée
de ses voisines : il semble que la longueur et la coupe du poème y soient pour quelque
chose : c'est une série de petits tableaux variés, qu'une voix et un piano sont peu suscep-
tibles d'évoquer, sans le secours d'un décor... tout au moins orchestral.
Deux mélodies de Mlle Corbin, chantées par Mme Camille Fourrier avec beaucoup
de goût, complétaient la partie vocale de ce concert : la seconde, une Chanson Rou-
viaine, a un peu surpris l'auditoire par certaines étrangetés de la poésie.
La partie pianistique, confiée à Mlle Selva, comprenait la puissante Sonate de
Dukas, une des œuvres de piano seul les plus solides et les plus pleines qu'on ait
écrites depuis Franck, et trois pièces nouvelles de M. Albert Roussel, parfaitement sus-
ceptibles d'affronter sans dommage ce redoutable voisinage. La première. Danse au bord
de l'eau, a conquis, sans conteste, tous les suffrages; ceux qui raisonnaient trop pour
subir tout simplement, sans contrôle, son charme berceur, ont été ravis d'y découvrir
une des plus ingénieuses adaptations du 5/8, qui aient été tentées jusqu'à présent. 11 ne
faut jamais affirmer que quelqu'un a découvert quelque chose : il peut être utile toute-
fois de recommander aux chercheurs de rythmes rares cette disposition, qui consiste à
partager les cinq temps d'une mesure en trois croches d'une part, et, de l'autre, un
triolet, équivalant aux deux derniers temps. Et tant qu'on ne nous aura pas mis sous
les yeux un spécimen de ce rythme, employé antérieurement à la Danse au bord de
l'eau de M. Roussel, on devra reconnaître avec nous qu'il demeure le premier à en avoir
fait usage.
La Promenade sentijuentale en forêt, qui semble finir comme à regret, et le Retour
de fête, où abondent d'amusants frottements, ont fait l'objet des commentaires les plus
variés, pour la conquête du second rang, — le seul resté libre après l'universel succès
de la Danse. — 11 faut en conclure que chacune de ces deux pièces est préférable à l'au-
tre par quelque qualité, mais qu'aucune n'est inférieure : les logiciens arrangeront cela
comme ils pourront.
Quant à l'interprétation, le nom seul de l'artiste en dit plus que d'inutiles épithètes.
Il convient toutefois de mentionner spécialement les qualités rares de souplesse,, de force
et de haute compréhension, dont Mlle Selva a fait preuve, dans sa magistrale exécution
de la Sonate de Dukas.
Certes, on ne doit pas craindre d'affirmer que la perfection de la première audition,
en 1901, était ici dépassée notablement ; que n'en peut-on dire autant, hélas ! delà molle
et inégale interprétation du Quatuor inachevé d'Ernest Chausson, qui servait d'intro-
duction instrumentale à cet intéressant concert.
A. Sérieyx.
— Ï75 -•
Société J.-S. Bach
Le mercredi 7 février, bonne exécution de deux cantates dont Herr^ wie du willt,
chef-d'œuvre incomparable inspiré par l'idée de la mort; réaudition du Premier Concert
Brandbotirgeois et excellente présentation de la Suite en si mineur.
Au concert du 21 février, M. Georges Enesco fut un fidèle interprète de Bach en
même temps que violoniste admirable. La Sonate en mi (pour piano et violon) fut jouée
par lui avec une expression intense et un respect absolu ; la Partita pour violon seul
(n° 6 en mi) fut pour le jeune et intéressant virtuose l'occasion d'un grand et légitime
succès. A l'orgue M. Widor joua en grand maître le Prélude et fugue en ut mineur (sa
registration en est très intéressante quoique un peu compliquée), deux chorals., et l'en-
nuyeux Concerto en la mineur (qui est en réalité de Vivaldi). Mme Marie Panthès in-
terpréta avec intelligence et maîtrise plusieurs préludes et fugues du « Clavecin bien
tempéré )) malgré un emploi quelquefois malheureux de la pédale et quelques mouve-
ments trop rapides.
G.L.
Concerts de la Schola Cantorum
Au concert du 23, programme fort bien composé et des plus attrayants : l'ouver-
ture de Zoroastre de Rameau, le quatrième acte d^Hippolyte et Aricie, quatre pièces
d'orgue de L. Marchand et N. de Grigny; enfin la scène du premier acte d'Iphigénie en
Tauride de Gluck.
L'ouverture de Zoroastre., d'après Rameau lui-même, comportait un programme :
« La première partie est un tableau fort et pathétique du pouvoir d'Abramane et des
gémissements des peuples qu'il opprime ; un doux calme succède, l'espoir renaît. La
seconde partie est une image vive et riante de la puissance bienfaisante de Zoroastre et
du bonheur des peuples qu'il a délivrés de l'oppression. ))
Le quatrième acte d'Hippolyte et Aricie est merveilleusement divers. La verve
lyrique de Rameau s'y donne libre cours, toujours riche et variée. La scène d'amour
entre Hippolyte et Aricie est exquise de finesse psychologique et de charme mélanco-
lique. Rameau ne se complaît pas uniquement dans l'expression des sentiments inté-
rieurs. Le monde extérieur existe pour lui, et dans la Scène de la Chasse, il déborde de
gaîté et d'humour. Les airs, alertes et d'une élégance non apprêtée, sont soutenus par
une orchestration descriptive et soignée. La Scène de l'Orage était pour l'époque une
grande nouveauté, et la Simfonie du Tonnerre impressionna fortement les auditeurs.
Les chœurs de la fin, brefs et entrecoupés, annoncent la mort d'Hippolyte et terminent
cet acte admirable.
Le concort s'achevait par la première scène du premier acte d'Iphigétiie en Taurtde
de Gluck. Dans cette belle œuvre, Gluck a répudié toute complaisance vis-à-vis des
chanteurs en renom. Le drame se déroule, brutal et expressif Le vieux Maître ne se
soucie plus des formes d'air consacrées par la tradition -, il réforme la déclamation
lyrique, innove le récitatif vivant, dramatique et fait ainsi pressentir Wagner.
L'interprétation fut excellente et ferme sous la direction de M. Marcel Labey. Mme
Raunay (Phèdre et Iphigénie) fut émouvante, admirable par l'ampleur tragique de sa
voix et la sûreté de son instinct dramatique. Mlle Pironnay (une chasseresse) et Mlle
Braquaval (Aricie) chantèrent avec expression et une grande justesse d'accent. Le
maître Guilmant suscita les applaudissements de tous par son incomparable jeu qui le
place au premier rang parmi les organistes. Enfin, rendons un juste hommage au talent
souple et finement nuancé de M. Plamondon qui sut nous charmer dans le rôle si déli-
cat d'Hippolyte.
Paul Le Flem.
Les " Soirées d'Art"
i S février igoô. — Ce ne fut pas la séance la plus intéressante de la saison. Dans
le premier mouvement du dix-septième quatuor de Mozart;, on entendit quelques sons
— 174 —
un peu aigres. M. Capet et les artistes qui l'entourent nous ont rendus très difficiles,
surtout vis-à-vis d'eux-mêmes.
A M. Georges Svirsky, jeune pianiste probablement à ses débuts, je ferai deux cri-
îques. II a, sans doute, pour rehausser la beauté de son jeu, l'habitude d'envoyer ses
mains jusque par dessus sa tête, ce qui nous semble d'un goût douteux. Que M. Svirsky
aille voir (je dis voir et non entendre) M. Dièmer ou M. Risler, à l'indiscutable autorité,
il ne remarquera rien de semblable. Le plus extraordinaire est que M. Svirsky, abat-
tant ses accords de si haut, ne commette pas de fausses notes ; son adresse est vraiment
sans égale. Son interprétation manque de nuances. Elle est toute en oppositions exces-
sives. Les passages de force ne vont pas sans quelque confusion et sans quelque bruta-
lité. Chopin, le féminin Chopin, dont le programme portait le Nocturne en mi mineur
et V Allegro de la Sonate en si bémol mineur a quelque peu souffert de ces violences. Le
Prélude de Rachmaninoff apparut comme une page d'une inspiration plutôt tapageuse.
A côté de ces défauts, M. Georges Svirsky possède de très réelles qualités qu'il peut
mettre davantage en valeur.
D'une physionomie très expressive, bizarre même et fort attachante, Mme Espinasse
a chanté, à ravir, trois mélodies de Beethoven : Près de ma tombe obscure, Apaisement
et le Roi des Aulnes, qu'il est si curieux de comparer au lied de Schubert.
Le troisième quatuor de Schumann termina le concert.
22 février. — C'était le dernier concert, puisque lés deux séances qui auront lieu
dans le courant de mars seront consacrées au pianiste allemand Wilhem Backaus. Le
quatuor Capet qui fut tout le temps sur la brèche, au cours de cette saison, a tenu à se
faire regretter et à nous laisser un impérissable souvenir. Jamais encore il ne nous avait
donné d'exécution aussi parfaite que celle du ly" Quatuor de Beethoven, le 22 février. Le
public fit une chaude ovation à ces excellents artistes. Pour ma part, je ne vois pas la
moindre critique à faire : j'avais reproché jusqu'à présent à M. Capet et à ses compa-
gnons une trop grande recherche du détail qui confinait au maniérisme. A ce dernier
concert, il n'en était plus rien. C'était large d'ensemble et de souffle. M. Lalo dit avec
raison dans son dernier feuilleton du Temps, que la récente séance du Conservatoire a
mis le quatuor Capet « à son rang qui est le premier )) et que (( la France possède
aujourd'hui un quatuor digne des meilleurs quatuors d'Allemagne )).
Mme Marie Panthès a joué excellemment, à son habitude, le Carnaval de Schu-
mann qui est bien un peu long, et trois valses de Chopin. M. Plamondon a chanté trois
mélodies de M. Léo Sachs : Rêve et réalité, Aubade et Rêve de poète. J'ai déjà eu, à
deux reprises, l'occasion de dire en quelle estime je tenais ce musicien. Ses lieder déli-
cats comme facture, délicats comme sentiment, méritent d'être distingués. Le Rêve et
réalité inspiré par le poème de Bodenstedt « Traum und Wirklichkeit )) est particuliè-
rement intéressant. M. Plamondon tire un parti merveilleux d'une voix qui n'est point
des meilleures, peu étendue et peu timbrée et qui l'oblige à recourir parfois aux notes
de tête, rarement plaisantes. S'il chante fort bien, en revanche il articule peu ou point
et sa diction manque complètement de netteté.
M. Diémer a simplement accompagné Mlle de Mouromzow qui chantait deux de
ses mélodies, fines et gracieuses, dignes de notre grand et exquis pianiste. Mlle de Mou-
romzow, une toute jeune fille, a une voix d'une fraîcheur délicieuse et elle prononce le
français avec une pointe d'accent, ce qui la rend tout à fait charmante. Elle obtint éga-
lement un vif succès en chantant en allemand l'amusante Sérénade Inutile de Brahms :
« Guten Abend, guten Abend, mein Kind ».
Gabriel Rouchès.
Quatuor Parent
Très belle séance que celle du 9 février. Le Quatuor, la Sonate pour piano et violon
et le Quintette de César FVanck que nous avons entendus maintes fois exécutés par le
quatuor Parent sont aujourd'hui des oeuvres trop universellement connues et admirées
pour qu'on en puisse parler sans répéter ce qui a été déjà dit à leur sujet. Signalons
une fois de plus la très belle interprétation que ce quatuor et Mlle Dron en ont donnée
— 175 —
avec l'animation, Ténergie, l'accent douloureux et l'envolée céleste qui chantent de façon
si humaine et si divine à la fois dans les admirables pages de César Franck.
Le vendredi i6 était de nouveau consacré à Beethoven. Le Quatuor Parent donnait
deux œuvres de la jeunesse du maître, la Sérénade op. 8 pour violon, alto et violoncelle,
et le Quatuor en fa majeur n° i op. S, et aussi le 77* Quatuor op. 133 (Grande Fugue)
qui ne parut qu'après sa mort, œuvre étrange dont la joie ironique et le caractère tour-
menté impressionnent de façon si vivante. Mlle Marguerite Hamman joua consciencieu-
sement la Sonate iio mais sans mettre toutefois suffisamment en valeur son relief
si caractérisé et son allure si indépendante.
Edouard Schneider.
Sonatières et les alentours
On dit couramment que « les jours se suivent et ne se ressemblent pas », ce qui
prouve que l'on ne sait pas ce qu'on dit. Car en dehors des différentes fonctions
normales que l'homme accomplit quotidiennement avec une certaine régularité, et sur
lesquelles je n'ai pas à insister, en dehors de l'habitude que l'on qualifie non sans raison
de seconde nature, parce que l'homme, au fond, est un vieux routinier, même celui qui
affiche les tendances les plus bohèmes, en un mot, en dehors de tout ce qui dépend
directement de nous et constitue les absolues ressemblances de chaque jour, il y a la
vie, l'impitoyable vie qui se charge de monotoniser (?) les heures dont le total représente
les existences humaines. En toute espèce de choses, même dans ce qui nous paraît être
le plus imprévu, comme les impressions d'art ou de sentiments par exemple, nous cons-
tatons de désespérantes similitudes. Cela me conduirait trop loin d'étudier les diverses
manifestations sentimentales ou artistiques qui font de nous de petites marionnettes do-
ciles dont les ficelles nous agitent constamment dans le même sens et à heure fixe; mais
je crois avoir ici l'occasion de prouver que l'on devrait bien réfléchir avant de répéter
comme un perroquet les soi-disant axiomes dont nous nous servons trop volontiers. Je
sais fort bien que, pour ma part, je suis témoin tous les jours des mêmes misères
affreuses et des mêmes illusions fragiles ; je sais fort bien aussi que j'entends tous les
jours de la musique, et voilà qui suffit amplement, me semble-t-il, pour excuser le
laborieux début de cet articulet. Oui j'entends de la musique, et elle est toujours la
même cette musique, presque toujours intéressante, presque toujours bien interprétée,
presque toujours prétexte à jaboter, à flirter, à médire, à se pâmer, à dormir et à pro-
voquer encore quelque autre état que je ne saurais décrire avec suffisamment de
mystère. — Oh ! que voilà des jours qui se suivent et qui se ressemblent depuis que la
saison a jugé à propos de recommencer. Au demeurant j'aurais mauvaise grâce à m'en
plaindre puisqu'il s'agit des agréables auditions données par M. G. Boulnois et Mlle Jane
Chevalier (deux jeunes de brillant avenir, l'un, organiste et compositeur averti, l'autre
pianiste au jeu caressant, ce dont son partenaire s'éprit avec raison) ; par MM. Willaume
et Fueillard, ce dernier tout à fait remarquable dans la Sonate pour piano et violon-
celle de Chevillard ; par Mme Panthès qui exécuta magistralement une très intéressante
Sonate de Emmanuel Moôr ; par M. Julien Isseris à la main gauche renversante et
renversée dans un Nocturne de Scriabine (toucher sympathique s'il en fut) ; par
Mme Georges Marty, aux copieux et éclectiques programmes interprétés avec un style
et un goût exquis ; par Mlle Claire Hugon qui divise son concert en deux parties :
l'Ecole de Franck et l'Ecole Moderne comme si celle-ci ne se rattachait pas à celle-là,
— d'ailleurs admirable programme et aimable interprétation; par Edmond Hertz qui
traduit avec brio les excellents compositeurs Franz Listz et Edmond Hertz déjà nommé,
et dans un style discutable Bach et Beethoven, jeunes élèves en composition ; par M.
Edouard Bernard dont la technique, le style et la sonorité sont simplement dignes des plus
grands musiciens (je ne dis pas virtuoses !) ; par Diran Alexanian, le violoncelliste
langoureux et tendre qu'accompagne mirifîquement la vivante et pétillante pianiste
Mme Monteux-Barrière (tous deux parfaits dans la jolie Sonate de Jean Huré) ; par
M. David Blitz qui se classe décidément parmi les meilleurs pianistes de l'époque ; par
Paulette Deneri, qui est en voie de devcair une délicieuse pianiste, aux côtés du
— 176 —
subjuguant Enesco et du moelleux Baldelli ; par Joseph Salmon, violoncelliste vibrant
dans le Concerto de Lalo et Mme Salmon Ten-Have, aux délicats doigtés, combien
suaves, dans le Concerto de Schumann que dirige avec épanouissement le blondinet
Chevillard ; et par cent autres artistes qui ont tous beaucoup de talent et auxquels je
suis reconnaissant de donner à la vie musicale, d'apparence si agitée, l'unité imposante
de l'éternel recommencement
D JINN.
Nous publierons dans un de nos prochains numéros un compte rendu d'ensemble
des Récitals de violon de M. Joseph Debroux.
L' abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain nwméro les Concerts
du Conservatoire, les correspondances de : Londres, et les Concerts divers (Concerts
Clémandh, H. Renié, Dezso Lederer, Ch. Bouvet, Instruments à vent, etc.).
Le MouYement musical en Province et à l'Étranger
LETTRE DE MUNICH
Max Reger est un homme heureux : musicien de grand talent, on siffle sa mu-
sique.
Quelque paradoxal que puisse paraître cette proposition, elle n'en est pas moins
juste. En effet un artiste qu'on siffle, — notez bien que je dis un artiste ! — ■ a forcément
un clan d'admirateurs enthousiastes et de chauds partisans. De suite il devient chef de
groupe, comme on dit en langage parlementaire, adulé par les uns, combattu par les
autres, mais pour cela et par cela même jcué partout. C'est le personnage intéressant,
celui pour ou contre qui il faut prendre parti et qui ne souffre pas l'odieuse et meur-
trière indifférence.
Le rôle est beau, mais il n'est pas donné à chacun de pouvoir le tenir ; il faut pour
cela une forte individualité, des défauts et des qualités qui ne soient pas communs,
mais fortement caractérisés. Reger est l'homme de cette situation et tel est son cas. On
le chante, on le joue partout en Allemagne; à Munich, plus particulièrement, et il ne
se passe pas de semaine ou quelque chanteur à la poursuite du succès ou quelque vio-
loniste en peine de nouveauté ne consacre, si non un concert tout entier, du moins
une bonne partie de son programme à Reger. Celui-ci du reste, obligeant et aimable, se
prodigue partout et on ne le sollicite point en vain; il se prodigue et tient la partie de
piano dans presque tous ces concerts avec une aisance, une délicatesse et un charme qui
en font un attrait de plus.
Ces réflexions me viennent à l'esprit à la suite de la première audition de sa pre-
mière oeuvre orchestrale à l'Académie de musique. Cette Sinfonietta comme il l'appelle,
bien qu'à peine née, a déjà fait le tour de l'Allemagne ; portée aux nues à Cologne, elle
fut éreintée à Berlin, beaucoup critiquée à Dresde, discutée partout. Mottl qui savait à
quoi il s'exposait en inscrivant cette œuvre à son programme, a reçu comme il conve-
nait, c'est-à-dire avec un sourire narquois et amusé, la manifestation presque tumul-
tueuse du public où quelques coups de sifflets répondaient aux applaudissements géné-
reux et aux bravos enthousiastes.
Mais pour en 'revenir à nos moutons, c'est-à-dire à l'oeuvre elle-même, il faut
avouer qu'elle est au moins extraordinaire. Construite sur le type classique de la sym-
— 177 —
plîonîe de Beethoven et pour l'orchestre de Beethoven, cette symphonie en quatre par-
ties est un fouillis inextricable où les thèmes s'entrecroisent avec une science et une
complication si merveilleuse qu'il se pourrait bien qu'il fallût être l'auteur lui-même
pour découvrir dans cette œuvre, la plupart du temps, autre chose qu'un bruit énorme
et complexe — je ne dis pas confus — dont on ne croirait pas capable un orchestre si
restreint. Pour ce qui est de l'orchestration, je n'en saurais rien dire sinon que tous les
instruments sonnent à la fois au petit bonheur semble-t-il. Les gens « compétents »
et il s'en trouve toujours à côté de vous au bon moment — assurent que Reger, mal-
gré sa science incomparable de la fugue et du contrepoint, ne sait pas orchestrer; je m en
serais douté sans cela.
Ces réserves faites, je puis me laisser aller à dire combien, malgré tout, j'ai été
charmé et surpris par certaines parties vives et fortes du Scherzo, d'une allégresse qui
ressortait même de cet infernal fouillis. L'adagio est exquis; là, pour un moment au
moins nous avons retrouvé le poète ému sans sentimentalisme et délicat sans préciosité,
le Reger fin, profond et subtil des lieders charmeurs et nous avons senti parfois aussi
l'envolée savante et serrée de son admirable musique de chambre. Reger est un artiste
véritable quand il fait de la musique de musicien ; son oeuvre est bâtarde quand il fait
de la métaphysique en musique; pourquoi faut-il... mais demandons-nous à la neige
pourquoi elle est blanche et au firmament pourquoi il est bleu ?
Comme autre nouveauté, Mottl nous donnait le Fingerhûtchen de J. Weissmann,
poème symphonique pour grand orchestre, choeur de femmes et baryton solo, œuvre
sentimentale qui n'est pas sans mérite mais qui a semblé un peu poncive venant après
la Sinfonietta ; la couleur y est un peu grise et le soliste A. Dressler n'a pas peu con-
tribué à l'engrisailler de sa voix sourde et cotonneuse qu'il force en vain. Il fut mauvais,
mais je l'ai entendu dans de plus mauvais moments encore.
Je suis en retard avec les Concerts Kaim ; cette excellente phalange et ses coura-
geux chefs MM. G. Schneevoigt et Raabe méritent toute notre reconnaissance pour leurs
grands et nobles efforts, pour les rares jouissances musicales que nous leur devons.
C'est surtout à la grande musique classique que ces jeunes kappelmeisters ont voué
leurs efforts. Les nouveautés sont relativement rares à la salle Kaim.
Notons toutefois Finlandia. poème symphonique de Sibélius, que M. Schneevoigt,
son compatriote, dirigea avec sa fougue et son entrain ordinaires. L'œuvre est trop na-
tionale pour être vraiment intéressante, mais elle doit produire un fort effet sur une
foule par sa largeur et la simplicité de ses thèmes, poussée jusqu'au schéma.
Ce fut à un autre concert l'Ouverture de Cléopâtre, de Enna, d'un sensualisme
vulgaire et grossier. Des thèmes quelconques forcés à l'orchestre pour atteindre à la
grandeur et ne parvenant qu'à bouffir une orchestration de foire.
Nous eûmes le même soir le plaisir d'entendre, sous la direction de l'auteur, une
autre ouverture, celle de Catherùie de Heilbronn, de Pfitzner. C'est là de la belle mu-
sique à forte ligne, un peu contournée parfois, mais toujours franche et enflammée, de
rythmes riches et variés, le tout agrémenté dune haute et forte couleur.
Nous nous promettions de goûter comme il convient une série de lieder du même
auteur que nous chanta — est-ce bien le mot — M. Loritz, remplaçant au pied levé le
ténor van Dyck, mais vraiment il nous fut impossible de distinguer le son delà voix du
chanteur. La première condition pour chanter est d'avoir de la voix ; M. Lontz estime
sans doute que c'est un accident de la nature dont on peut se passer.
La Symphonie en sol mineur de Kalinïkow, que nous a donnée l'autre jour
M. Schneevoigt, n'est pas très originale — c'est du Schumann bien orchestré, disait-on
derrière moi. — N'empêche que Kalinikow possédait un intéressant tempérament artis-
tique; sa symphonie est bien construite, elle est claire et dit ce qu'elle veut dire. Sa
fantaisie est parfois un peu débridée, mais non pas débraillée. J'aime surtout son
scherzo, tout unité en couleur qu'il soit; il est vif et spirituel à souhait.
M. Raabe a entrepris de son côté, pour les Volkssymphonie-Kon:ierten, un cycle
Beethoven où seront donnés avec les neuf symphonies, les principaux concertos du
maître et ses grandes ouvertures. M. Raabe, qui a de belles qualités de chef d'orchestre,
— 178 —
n'a pas faibli jusqu'ici dans sa tâche où il met le meilleur de son talent et tout son
sérieux.
Il me reste bien peu de place pour vous parler des virtuoses. Vous dirais-je que
Lili Lehmann est une cantatrice admirable même à soixante-quatre ans ; qu'elle chante
tout à ravir, sauf peut-être — à notre sens — le Mozart ; que Tilly Koenen lui est a
peine inférieure et que le Roi des Aulnes, interprété par elle prend une allure tragique
que je n'ai de nulle autre ressentie ; que Mlle Staegemann chante à ravir surtout la mé-
lodie populaire et que Mme Faliéro-Dalcro:ie est parfaite en tous points sauf qu'elle
pèche par un excès d'art ? J'aurai fini de la sorte avec les cantatrices et je vous citerai
M. von :{ur Mûhlen, chanteur plein de talent qui dit les Deux Grenadiers de Schumann
avec feu et enthousiasme ; mais que n'est-il moins maniéré ! Je passe sous silence les
noms de MM. Erlenmeyer, Halbe. et tant d'autres ; je ne veux vous entretenir que des
artistes qui savent chanter. Nous sommes submergés de cantatrices et de chanteurs
qui viennent témoigner de l'ignorance où ils sont de leur métier.
Je réserve pour une prochaine lettre les concerts donnés par d'autres virtuoses.
Mais il est singulier qu'en Allemagne, le pays où l'on chante le plus — dit-on — il y
ait si peu de professionnels qui sachent chanter.
E. DE Stcecklin.
LETTRE D'AMÉRIQUE
New-York, ^février.
C'est un préjugé assez répandu à Paris que l'Amérique ne connaît de la musique
que ce que les étoiles du chant et de la virtuosité y viennent importer. Certes, il y a ici
un abus de récitals et de vedettes d'artistes ayant un nom ou cherchant à s'en faire un;
mais, à côté de toutes ces manifestations où le talent est jugé d'après les recettes, il est
de sérieuses associations symphoniques ou chorales qui dirigent tous leurs efforts vers
la production aussi parfaite qu'elles le peuvent d'oeuvres du plus haut intérêt. Dans
cette catégorie il est encore indispensable de faire une large sélection, car j'ai entendu en
province des orchestres et des sociétés d'oratorios, incomplets et incapables, mas-
sacrer avec le plus grand sérieux des chefs-d'œuvre de liaendel, Haydn, Mozart, Bee-
thoven, à côté d'ouvrages indignes d'un si glorieux voisinage. Il y aurait long à dire
sur la trop grande quantité de musique et le trop grand nombre de musiciens d'ordre
secondaire qui ont envahi le Nouveau-Monde.
Ce que l'on entend parfois, inférieur au niveau de nos plus modestes sociétés rurales
en France, est néfaste pour le bon goût.
Le Yankee provincial est si bien habitué à cette orgie de mauvaise musique qu'il
ne sait plus apprécier les choses supérieures à leur juste valeur.
Cependant, il se trouve dans quelques grands centres une société d'élite qui recon-
naît et encourage les efforts des véritables artistes. Cela permet aux chefs d'orchestre
de faire composer leurs programmes avec un certain éclectisme, et l'on voit fréquem-
ment entre une ouverture de Weber et une symphonie de Tchaïkowski (i) se glisser
une œuvre moderne qui se trouve ainsi être un sujet d'agréable étonnement pour les
dilettantes. Ce système d'initiation par petites doses est excellent et l'Américain y très
docile.
Grâce à cet état d'esprit actuel on a pu voir dernièrement un grand compositeur
français donner plus de dix concerts uniquement consacrés à notre école contempo-
raine.
(i) On fait ici un abus immodéré des œuvres dix plus grand compositeur russe, comme l'appellent les
journalistes américains bien informés.
— 179 —
Le succès n'étant pas toujours uns preuve de mérite, nous devons, sans nous occu-
per de la sanction du public, savoir gré à M. Vincent d'Indy de son geste hardi et dé-
sintéressé. Il ne s'est point présenté aux Américains comme chef d'orchestre, — encore
que sa baguette soit des plus remarquables, — mais comme représentant d'une Ecole
dont il est lui-même un des principaux chefs.
Le Boston Symphony Orchestra est une phalange de tout premier ordre qui,
dirigée par l'auteur de Fervaal, a donné une audition parfaite des deux programmes
suivants (i) :
/•"■ -programme : Deuxième symphonie V. d'Indy.
Pelléas et Mélisande (entr'actes) G. Fauré.
Sauge fleurie V, d'Indy.
L'Apprenti Sorcier P. Dukas.
2° programme : Symphonie en si bémol E. Chausson.
Psyché et Eros ; extrait de Psyché C. Franck.
Nocturttes G. Debussy.
Chant funèbre , A. Magnard.
Istar (variations symphoniques) V. d'Indy.
Le programme explicatif, très bien rédigé, donnait sur chaque œuvre une analyse
indispensable de la façon la plus claire. Pourquoi faut-il que, malgré toutes ces condi-
tions, M. d'Indy n'ait été accueilli, suivant l'expression d'un ami, qu'avec une sympa-
thique froideur ? Gertes, une ovation fut faite au Maître après l'exécution de sa sym-
phonie qui ouvrait le premier concert ; mais ces applaudissements qui étaient en
même temps un salut de bienvenue (Welcome), s'éteignirent graduellement au fur et
à mesure que le programme se déroulait.
Ce n'est pas là l'enihousiasme avec lequel on reçoit à Paris les Nlkisch, Motl,
Weingaertner et tant d'autres; et c'est pourtant de cette façon que M. d'Indy eût dû être
acclamé tant pour la valeur de ses exécutions que pour celle de sa tentative convaincue.
Je suis persuadé que cet accueil du public (que la presse avertie traduisait d'autre fa-
çon) vient de la trop grande mesure d'une musique qui est entrée petit à petit dans
nos goûts, et parfois même après bien des luttes.
Les Américains, gens de sport, ont besoin en tout d'un entraînement progressif ;
et quatre heures de musique resserrées dans les limites de Franck à Magnard n'ont pu
les convertir. On pourrait même craindre qu'une nouvelle campagne de ce genre les
détachât à jamais de tout ce qui, en musique, porterait l'étiquette française.
Comme à Paris, la vie musicale est en pleine activité. A signaler à l'un des con-
certs de la New-York Symphony une oeuvre très intéressante dont nous devons encore
l'audition à l'Intelligente Initiative de M. Walter Damrasch : La Mort de Tintagiles,
poème symphonique d'après le drame de Maeterlinck, pour orchestre avec viole d'a-
mour obligée, par M. Gh.-M. Lceffler. L'œuvre est trop importante pour lui faire
subir une analyse insuffisante au cours d'une correspondance. M. Lœffler, alsacien de
naissance a vécu plusieurs années à Paris où II fit ses études musicales sous la direc-
tion de Gulraud. Admirateur dévoué de notre école moderne, son œuvre sans
qu'ellesolt en rien celle d'un pâle Imitateur reflète la profonde impression que les musiques
subtiles dont nous nous souvenons avec tant de joie, ont produites sur l'auteur. Mais je
m'empresse de le répéter, l'œuvre de M. Lœffler est très personnelle, et II a su prouver
que l'on pouvait illustrer musicalement Maeterlinck sans être obligé de faire du De-
bussy (du sous-Debussy serait mieux dit). La viole d'amour dialoguant avec un orches-
tre moderne peut sembler d'une conception quasi paradoxale ; et cependant l'effet en
est délicieux et rien ne pouvait mieux personnifier le frêle Petit Prince. Espérons qu'un
orchestre symphonique parisien accueillera un jour cette œuvre malgré rimpossibilité
où elle est d'entrer en ligne de compte pour les trois heures de musique nouvelle que
(i) En plus des Concerts de Boeton, l'orchestre et M. d'Indy ont fait avec ces deux programmes
une tournée cemprenant : Philadelphie, Washington, Baltimore, New-York et Brooklyn.
— i8o —
réclament les 15,000 francs de la Direction des Beaux-Arts. C'est la grâce que ]e
souhaite aux parisiens.
M. Weingaertner est acclamé de New-York à Chicago, Via Boston et Milwankee,
Chaque concert est un nouveau triomphe pour le vaillant Cappelmeister. Soyons-lui
reconnaissant des interprétations hors ligne qu'il donne à ses admirateurs de la pre-
mière de Schumann, de la cinquième de Beethoven, de la deuxième de Brahms et de la
Fantastique de Berlioz. Cette dernière symphonie me fait regretter malgré tout ce que
M. Jeand'Udine dénomme si justement le génie romantique de M. Colonne.
Safonojf est venu conduire à New-York et subjuguer les artistes avec son invisible
baguette, telle une fée.
Comme toujours, les pianistes sont les plus nombreux : Pugno triomphe un peu
partout, Reisenauer, Riuiolph Ganz, un jeune qui a beaucoup d'avenir, Rafaël Joseffy.
qui a beaucoup de passé, Harold Baue?-. Arthur Rubinstein, Sigismond Hojoinski,
dont les débuts à New- York furent très remarqués dans \e Deuxième Concerto de Saint-
Saëns et dont les récitals sont maintenant très courus.
Les violonistes font également parler d'eux : Kubelik récolte les triomphes avec
son éternel air ennuyé. Mais pourquoi diable fait-il porter son violon à la salle de Con-
cert par un ascendant du Grand Alogol tout -or et rouge vif; ce beau mulâtre en costume
d'opérette et les affiches que vous connaissez rappellent fatalement l'homme à la grande
voiture, grand guérisseur de tous les maux, même de la passion de la bonne musique.
Nous attendons Marteau^ impatiemment. Sauref, violoniste français inconnu en France
est venu se fixer à Chicago. C'est un très grand violoniste que j'eus souvent le plaisir
d'entendre, non pas en France, mais à i kilomètre de la frontière. Marie Hall, jeune
anglaise au mécanisme tout à fait mécanique, Miss Hall est une réduction au dixième
de Polaire ; aussi, grande fut l'impression produite par le récit du baiser que lui octroya
Pugno après leur première répétition de trio avec Hollmann. Ah! que les managers
américains ont de finesse et que leurs réclames sont donc spirituelles. Les trois artistes
susdits donnent leurs séances de musique de chambre à Carnegie Holl, une aalle plus
grande que le Châtelet !
Gérardy est très aimé en Amérique, et l'Amérique est très aimée par Gérardy.
Calvé arrivée à San Francisco recommence sa tournée en sens contraire. Son succès,
très grand dans l'Est s'est changé en triomphe aux abords du Pacifique.
A New- York même, les artistes européens ou locaux sont pléiade, citons au hasard
Giraudet, Paul Kéfer, Léon van der Elst, David Mannes, et mille autres dont quelques-
uns, pour n'avoir point obtenu les applaudissements des Parisiens, sont néanmoins des
virtuoses de haute valeur dont je regrette de ne pouvoir citer tous les noms.
Lamey-Ladhuve.
ANGERS» — Cinquième concert populaire. — M. Contran Arcouët apportait au
cinquième concert le concours de son talent consciencieux, aimable et assuré. Sa j
compréhension jeune et poétique du Concerto de Grieg lui fut l'occasion d'un franc
succès. Il y trouva des souplesses et des grâces bien conformes à l'œuvre. Sa virtuosité
déjà certaine et sa belle facilité musicale lui vaudront bien des lauriers lorsque sa per-
sonnalité se sera un peu plus affirmée. Il a joué des pages de Moskowski et de Godard avec
une aisance et une élégance parfaites et de charmantes finesses sentimentales. La Sym-
phonie Fantastique (Berlioz) fut exécutée si chaleureusement que quelques-uns médirent
du lyrisme trop excessif qu'on y sent déborder. Mais enfin cette œuvre est une forme de
puissance artistique, une forme de beauté indéniable. Elle est l'équivalent musical de
l'exaltation littéraire chez les quelques romantiques géniaux. Par cela elle peut en
effet déplaire aux fanatiques de musique pédagogique et d'idéalité vague. Il n'en faut
pas moins souligner l'excellente, vivante et soigneuse interprétation qu'elle reçut à An-
gers le 7 janvier. Catalonia, rhapsodie espagnole d'Albeniz est une œuvre légère, bril-
lante, colorée qui arrive par minutes à matérialiser trop tangiblement la musique. Le
concert se terminait par le Prélude du y"" acte de Lohengrin.
é""' Concert populaire. — La septième symphonie de Beethoven fut une source de
— I8l —
joie délicieuse pour les auditeurs éclairés du 6""^ concert. Car M. Brahy trouva moyen
de répandre parmi l'orchestre une ferveur et une docilité toutes spéciales. Son geste et
sa pensée firent monter le public jusqu'à l'un de ces sommets de l'art qu'on n'atteint
que rarement. Le Finale^ particulièrement, fut déployé dans toute sa gloire. iM. Bilewski
le tout jeune violoniste est revenu dans son pays en prophète. Il a commencé ses études
musicales à Angers et y retrouvait maintes sympathies. Son talent est tendre et char-
meur. Les sonorités qu'il tire de son violon sont d'une qualité sentimentale tout à fait
heureuse et son mécanisme est déjà fort incontestable et fort habile, toutes choses que
le Concerto de Lalo lui permit de nous révéler. Il l'exécuta avec une sincérité, une
émotion et un souci de style dont on ne saurait trop le louer. Puis il joua, comme mor-
ceau de èîs, le Cygne de Saint-Saëns, en l'imprégnant de poésie fluide et légère.
M. Béguin, du théâtre d'Angers, chanta, non sans école et sans maîtrise vocale et non
sans largeur de ligne et volonté expressive, l'air si difficile d'Hérode dans V Enfance du
Christ (Berlioz), Le poème symphonique de Viviane d'Ernest Chausson eut ensuite
l'heur déplaire au public. On en comprit l'enchantement légendaire étendu à travers
les épanouissements harmonieux et les souples fluctuations et les multiples nuances
orchestrales. UOuverture de Haensel et Gretel, pour clôturer la séance, fut joj^euse-
mentet délicatement exécutée.
Festival russe. — Septième concert populaire (4 février), — Le festival russe
s'enchantait de la présence de M. Ossip Gabrilowitch qui nous a redonné, au
piano, les rares joies d'art perçues déjà grâce à lui l'an dernier, et qui nous permet-
tait cette année de l'apprécier en outre comme compositeur. Son Ouverture-P hapso-
die est fort originale, colorée richement, savamment instrumentée. Il la dirigeait lui-
même avec une grande habileté. Il a joué le Co;îcer/o de Tschaï-Kowsky en y dépensant
d'infinies ressources de cœur, de virtuosité, d'éloquence et de songe et trois morceaux
de Chopin qui débordaient de poésie et de fantaisie lointaine sous ses doigts. Le concerc
composé exclusivement d'oeuvres russes ne permettait pas pourtant à l'auditeur de
localiser outre mesure. U Onverture-rhapsodie de M. Gabrilowitsch est bien imprégnée
de couleur étrangère. J'en dirai autant pour Sadko de Rimsky-Korsakow, tableau des-
criptif à souhait, rythmé brusquement ou voluptueusement, bâti avec un art accompli
sur un programme légendaire, mais la Suite moyen-âge de Glazounow, et le Caprice
brillant de Glinka, pas plus que le Concerto de Tschaïkowsky, ne s'imposent irréfuta-
blement slaves. Les diverses images héroïques ou mystiques de la Suite moyen âge se
déroulent sans éclat surprenant et suggèrent pourtant des impressions diverses et plai-
santes dans une atmosphère musicale bien accordée et de jolie nuance. Le Caprice bril-
lant est agréable, facile, heureusement traité, fertile en ressources sonores. Et tout cela
domine de trop haut et de trop loin les faits particuliers et matériels, pour cimenter la
démodée alliance franco-russe.
Troisième séance de musique de chambre (5 février). — La troisième séance de mu-
sique de chambre fut très réussie. Au programme le septième quatuor de Beethoven
dont MM. Manbriny, Bailly, Becker et Chapelier nous firent percevoir la transcendante
génialité et le Quatuor en sol mineur de Grieg qu'ils ont détaillé avec beaucoup de
finesse et de charme. Mlle Y. de Stœcklin prêtait son concours à cette séance. Elle
a chanté Y Air des Noces de Figaro avec des moyens vocaux et des recherches de style
qui lui font honneur et a interprété en musicienne accomplie le cycle des mélodies si
poétiques, délicates et charmeuses de M. A. Berthelin. L'auteur lui-même l'accompa-
gnait au piano et le succès remporté par ces lieders infiniment subtils à été très vif et
spontané. Eva.
LE HAVRE. — Deux concerts à deux jours de distance. L'un, concert de musique
pure exécutée par de consciencieux et réels artistes ; l'autre, concert de deux vir-
tuoses, de deux grands virtuoses subordonnant la musique à leur virtuosité. Le
second de ces concerts seul réunit un nombreux public. Il y a des snobs partout !
Parlons du premier. Mlle Duranton avait consacré sa première séance de musique
de chambre à Mozart. Et ce fut un régal d'entendre le Quatuor en sol mineur pour
piano et cordes, délicatement interprété par l'éminent pianiste, M. Phal, Mlle Eudeline
et M. Gh. Maurech, puis le Quintette pour piano et instruments à vent pour lequel Mlle
Duranton avait fait appel au talent de MM. Coquin, Vassoud, Deschamps et Wild,
solistes de l'orchestre du Grand-Théâtre, qui se tirèrent à leur honneur de cette tâche
difficile. L'œuvre est exquise d'assemblage et de sonorités, on sait comment Mozart sa-
vait manier les instruments à vent et les faire chanter. M. Phal est un remarquable
violoniste, possédant une technique parfaite et un style naturel et sobre. Il fut très
remarqué et très applaudi dans la Sonate en ré et dans le Goncerto en mi bémol de
Mozart. Mlle Duranton dit excellemment la Sonate pour piano en ut mineur et la Pas-
torcile variée.
Passons au second concert. — Un employé vient ouvrir le piano et déjà un frémis-
sement passe dans l'auditoire. On entend dans la coulisse l'accord d'un violon et plu-
sieurs dames sont prêtes à se pâmer. Enfin i/'paraît. Toujours droit et fièrement campé,
les cheveux poudrés de blanc, l'œil vif, la mine d'un dompteur dans sa cage, Orphée
charmant les monstres... (il y en avait quelques-uns dans la salle !) II commence, un
son cristallin vibre, d'une pureté admirable, d'une justesse absolue. Oh ! ce son cris-
tallin comme on en a parlé pendant huit jours, comme à toutes mes réserves, à toutes
mes objections, à toutes mes critiques, on m'a vanté ce son 'prodigieux, unique, ce son
miraculeux. Sans doute il y a ceci vous avez raison... Mais ce son cristallin! Sans
doute il y a cela... mais ce son cristallin. Sans doute on peut dire... Mais ce son !...
tarte à la crème !
Et ce son s'est épandu pendant deux heures, toujours le même, toujours aussi beau,
aussi inexpressif hélas !...
Tout de même le dieu du violon consentit à nous jouer un peu de musique. La So-
nate à Kreutzer était au programme. Mme Marx-Goldschmidt en traduisit fort noble-*
ment la partie de piano mais on ne l'écoutait pas !... On buvait les sons ''cristallins) de
Sarasate (Oh ! l'ampleur d'Isaye dans ce début où était-elle ?). On attendait impatiem-
ment les variations du violon où l'archet du maître fit des merveilles. Et le public ap-
plaudit avec frénésie... oui après la variation ! II applaudit même certain trait léger de
violon sans attendre la fin de la phrase musicale confiée au piano. Parbleu ! ce n'était
ni la pianiste, ni Beethoven surtout qu'on était venu entendre, mais bien Pablo Sa-
rasate !
Tout de même ce dernier était impatient de jouer quelque chose de plus violonis-
tique que Beethoven. Et il revint triomphant nous exiber d'hilarantes acrobaties sur un
thème de Don Juan.
Pauvre Mozart ! Applaudi furieusement il daigna ajouter au programme deux
pièces de Bach. J'avoue que le Bach m'assomme quand il m'est présenté en si mauvaise
compagnie. Et pourtant ce Sarasate, il est impardonnable, car il joua superbement le
deuxième morceau tout de vélocité. Ah ! s'il voulait ! Et s'il consentait à faire chanter
son violon plus humainemeitt.
Mais Mme Max-Goldschmitt joua avec une belle sonorité et une technique bril-
lante, mais froide, des airs de ballet de Gluck, démolis par St-Saëns en veine de fumis-
terie ce jour-là. Elle dit aussi la Pastorale de Mozart. On la sert bien souvent depuis
quelque temps. Serait-ce parce qu'elle ne ressemble guère à du Mozart ? J'ai toujours
soupçonné ce morceau, par trop en si bémol majeur, d'avoir un état civil truqué !
J'appréciai davantage Mme Goldschmitt dans une Etude de Ghopin. Malheureuse-
ment Sarasate revint nous donner le coup de grâce avec deux morceaux de sa composi-
tion. Il est évident que Sarasate est un violoniste extraordinaire, je ne veux pas avoir
l'air de le bêcher de parti-pris. Je l'aurais même applaudi si le public n'avait pas tré-
pigné avec une rage idolâtre à chacune de ses apparitions, ce même public si ménager
de ses bravos avec des artistes chaleureux et vibrants comme les Gapet, les Thibaud,
les Géloso. Mais une simple question : le violon est-il fait pour faire entendre unique-
ment des tours de force ? Et vraiment l'acrobatie au violon n'cst-elle pas souveraine-
ment laide ?
H. WOOLLETT,
- i83-
JiffARSEÏLLE. — Après Rouen et deux semaines avant Bordeaux, les Girondins
'1 du distingue compositeur, Fernand Le Borne, ont été représentés avec succès et
M. ont vivement intéressé notre monde musical.
Evocation d'une des plus farouches, des plus terribles périodes de la Révolution,
drame fortement charpenté par les librettistes : MM. Delormeil et Pont Bérel (pseudo-
nymes déguisant deux personnalités parisiennes bien connues), les Girondins offraient
au musicien des situations mouvementées dont il a très habilement tiré parti.
C'est un drame symphonique, en lequel le rôle de l'orchestre est prépondérant. Le
caractère tragique du sujet ne comportait guère l'application aux protagonistes de la
scène d'un élément mélodique sous forme d'airs, de morceaux chantés. Judicieusement,
je compositeur n'a mis dans la bouche de ses personnages que des récits dialogues
adaptés aux situations passionnelles, mais d'acc&nts très variés dans la forme et les
inflexions. Ils sont soulignés par des thèmes d'orchestre très bienvenus et qui subissent
au cours de l'ouvrage d'intéressantes modifications.
Une idylle d'amour se dessine très passionnée sur le tragique canevas du scénario ;
le thème qui la caractérise est de la plus pénétrante expression ; il revient à plusieurs
reprises au cours de l'ouvrage sous des physionomies diverses.
Le principal mérite musical des Girondins consiste dans la mise en œuvre des cinq
Préludes de la partition, lesquels, admirablement instrumentés, offrent une succession
de couleurs impressionnantes. Le musicien qui les a écrits est, de toute évidence, un
maître en possession de tous les secrets du grand art symphonique et possède de plus
une trempe vigoureuse et souplement imaginative tout ensemble. La musique de
M. Le Borne a le don de s'emparer du premier coup de l'âme de ses auditeurs.
Aussi n'a-t-on été nullement surpris d'apprendre que M. Fernand Le Borne, dont
le théâtre de Pau va représenter Hedda le mois prochain, a vu recevoir Le Maître à
rOpéra-Comique qui doit le donner cet automne, et que le compositeur travaille à un
grand ouvrage : Les Borgia, accepté par l'Opéra.
Sylvio.
P.-S. — L'ouvrage a été vaillamment et très efficacement soutenu par Mmes Ha-
riett Strasy et Gholain, MM. Abonil, Rothier, Gaidan pour les premiers rôles et notre
vigilant et expert chef d'orchestre, M. Miranne.
MONTPELLIER. — Notre Schola a fêté le iço" anniversaire de la naissance de
Mozart, en organisant une « rétrospective )) de l'œuvre du maître de Salzburg. La
Symphonie en so/ mineur et des fragments importants d'Idoménéo ont composé
le programme de ce concert commémoratif. Les interprètes d'Idomeneo, re di Creta,
Mlles Eléonore Blanc (Electre), Ali Villot (Ilia) , MM. Simonnet, Rohart et
Diffre, ont traduit avec style le caractère du « dramma per musica )) de Mozart.
A ce même concert nous avons entendu encore le concerto en ré de Bach, exécuté
avec fidélité par M. Ra^'mond Bérard. pianiste excellent, MM. Bouillon, Lamirault, et
deux chansons du xvi°, chantées par les chœurs de la Schola admirablement disciplinés
sous la conduite de M. Charles Bordes.
— Le 29 janvier, concert de Musique de chambre. Le quatuor Capet a inter-
prété le 3^ et le 13° quatuors de Beethoven avec sa maîtrise et sa cohésion habi-
tuelles. Entre les deux quatuors, a été donnée la première audition d'Or^Aee, la célèbre
cantate de chambre de Clérambault, dont Mlle Ali Villot a excellemment déclamé les
« airs )).
— Le compositeur Arthur Coquard, auteur de la Troupe Jolicceur. récemment
donnée à notre théâtre, a fait, dans les salons de la Schola, une conférence, avec
exemples musicaux, sur la Mélodie à travers les âges. Une assistance élégante a goûté
sa causerie documentée et spirituelle.
— Au Grand-Théâtre, Mme Jane Mérey a fait une apparition météorique
dans le Barbier de Séville dont elle a vocalisé avec éclat les phrases ornementées.
Mme Simone d'Arnaud a maintenu sur l'affiche Thaïs, l'œuvre assez faible de Mas-
IsA'
— i84 —
senet, en prêtant à la Courtisane d'Alexandrie son art des attitudes et sa science du
chant. Mme d'Arnaud est une chanteuse adroite et expérimentée. Elle parvient à inté-
resser en chantant la. Travtata. Elle mérite mieux. Son interprétation prochaine de
Louise le montrera. Raoul Davray.
BRUXELLES. — Le Festival Mozart. — 2^ janvier. — Un essai assez auda-
cieux du Cercle artistique, ce Festival Mozart ! Trois soirées consécutives, touffues,
d'un maître dont on parle beaucoup et que l'on connaît peu. Il est vrai que l'ini-
tiative de M. Schlesinger est si entraînante que le Cercle ne pouvait hésiter à le
suivre ; la conception artistique de la fête et son organisation matérielle si délicate ont
assuré le succès.
Première soirée : Musique de chambre : Quatuor en ré majeur, sous la conduite de
M. Elderlng, Hollandais précis ; rythme, style, netteté, classicisme. La ligne mélodi-
que légèrement compassée. Les interprètes respectueux craignent la fantaisie ; le vio-
loncelle est lourd, l'alto un peu terne. Voici le trio enmi bémol: Mme Samuel et Richard
Mûhlfeld ; immédiatement le piano, manié élégamment, jette dans l'assemblée sa grâce
française, sa claire fraîcheur. Nous entrons de plain pied dans le régal : Mûhlfeld joue !
L'extraordinaire artiste ! Il s'installe et se carre, en jouisseur, sur sa chaise fragile.
Gros homme aux yeux rieurs ; un mélange de Drumont et de Sylvain Dupuis. Il em-
bouche une clarinette bizarrement recourbée en cornet à bouquin : — et le mondé
change. Des mélodies passionnées, frémissantes de vie et d'entrain ; une échelle de sons
qui paraît sans limites, une variété d'expressions qui empoigne irrésistiblement, depuis
la poésie intense du rêve le plus pur jusqu'aux orages frénétiques d'une âme démontée.
Cette grosse pipe méprisée et un peu ridicule chante, vibre, souffre, pleure ou sourit et
raille. Mûhlfeld est un grand romantique qui n'oublie pas de rester humain. Le Trio et
le Quintette, grâce à lui, furent des instants inouïs de douceur, de charme, d'accent,
et d'intensité. Cet homme est vraiment de la grande lignée.
Première apparition de Steinbach, dirigeant la grande Sérénade en si bémol pour
instruments à vent. Excellente exécution, très achevée, faisant honneur au chef savant
et attentif qui sait dispenser avec maîtrise et entrain les oppositions de cette curieuse
page.
26 janvier. — Journée symphonique; ]o\xr née Steinbach. Foule dense. Il y a des
habits noirs sur le toit, qui penchent l'oreille en cornet au-dessus des ventilateurs
entr'ouverts. Dans les salles voisines de la Salle, des âmes qui n'ont pu forcer les
portes d'un paradis regorgeant d'élus, se collent aux murs, aux vantaux, aux fissures,
hypertrophiant leurs facultés auditives.
Mme Samuel, lAM.. Van Hout et Crickboom triomphent, les deux derniers dans la
symphonie concertante pour violon et alto, — ce Van Hout, quelle élégance, quelle
émotion, quelle sensibilité ! — la première dans le Concerto en si bémol majeur. La
charmante planiste est en pleine possession de ses moyens. Son interprétation radieuse,
émue, rapproche de nous, en les attendrissant, les œuvres de cristal d'un génie trop
plastique. Elle joue, avec la mesure et le goût de sa race sans abdiquer la grâce de son
sexe. Et quel plaisir que d'observer un accompagnement aussi savant, aussi «juxta-
posé » ! Pas d'hésitation dans les répliques, pas de lourdeur dans les soutiens. Deux
cadences de Reinecke, oasis ombrées dans un paysage de lumière uniforme ; la première
au perlé adorable; la deuxième peu mozartique. U adagio simple, expression exacte-
ment atteinte.
Fritz Steinbach au pupitre : l'œuvre est dans toute sa personne. L'expression
figurée devient matérielle ; il semble qu'à tout moment il voudrait parler, et qu'il se
contient pour faire traduire par son corps ce que sa bouche ne peut dire. Le cou est
gonflé dans une perpétuelle contention. Le regard dompte, saute, enveloppe. La tête
commande en secousses dominatrices, où flotte une mèche éperdue. Les bras secs ou
ondoyants, toujours en action, toujours indépendants l'un de l'autre, et toujours intelli-
gibles : la synthèse, idéal du vrai chef d'orchestre, est réalisée chez lui dans une inté-
~ 185 -
gralité exceptionnelle. Chaque groupe instrumentai reconnaît l'indication qui le con-
cerne dans ce multiple travail de direction. Steinbach déblaie et secoue. Il veut. — '
Mottl est irrésistible ; il suggestionne, par un don presque surnaturel, où sa volonté
individuelle paraît prendre moins de part. Dans Steinbach tout est volonté, extériori-
sation de domination ; c'est un maître, qui veut l'obéissance.
2y janvier. — Les Noces de Figaro à la Monnaie. — L'histoire anecdotique veut
qu'en 1786, à la fin de la première représentation de cet opéra à Vienne, l'empereur
Joseph II, à la demande duquel il fut composé, et qui le défendit contre la cabale de
Salieri, dit au compositeur :
« Il faut convenir pourtant, mon cher Mozart, que voilà bien des notes ! — Pas une
de trop. Sire », répond le musicien. Il semble qu'une importante partie du public, sa-
medi dernier, était assez de l'avis du souverain. Impression d'ensemble imperceptible-
ment lassante et relativement froide, en somme, si l'on met à part le quatrième acte si
avenant et juvénile. On reconnaissait volontiers beaucoup de musique, de grâce mélo-
dieuse ; mais l'ensemble n'a pas captivé. Etait-ce la faute de l'œuvre ? N'était-ce pas
aussi un vague déséquilibre général, à l'orchestre, dans l'interprétation, dans les
proportions de la salle et même dans le public ?
Mlle Maubourg, intelligente, avec son habile aisance coutumière, a sauvé par son
à-propos et son esprit maintes situations relativement ternes ou minces, telle la scène
de la fêconnaissance, bizarrerie dé Beaumarchais, reflet malencontreux des « comédies
larmoyantes » de la deuxième moitié du xviii° siècle. Le rôle de Marceline a peu de
relief : Mlle Maubourg en fait l'égal des protagonistes.
Mme Eyreams, M. Bourbon ont témoigné d'un talent auquel plus d'éclat et de lé-
gèreté n'auraient pas nui. M. Belhômme fut bonhomme ; et, mon Dieu ! que Mlle Aldâ
a donc terriblement chevrotté !
Pauvre orchestre, il était bien bas dans un vaisseau bien grand I Les auditeurs du
rez-de-chaussée ont perdu le charme de l'exécution de Steinbach ; il fallait monter aux
deuxièmes loges pour le percevoir en partie. Et pourtant l'ouverture, l'entr'acte du
troisième, la marche nuptiale furent des perles : légèreté, nerf, précision. Les deux pre-
miers actes ont paru particulièrement au point.
De telles dentelles ne sont pas faites pour un cadre aussi étendu ; mais que faire ?
On n'aurait pu caser les douze cents membres du Cercle et les douze cents titulaires des
cartes de dames dans aucun théâtre de Bruxelles; et quelle que soit la fortune d'une
association artistique, elle ne peut s'offrir plusieurs séries d'une représentation aussi
coûteuse. Le luxe était déjà d'une suffisante ampleur, et l'organisation adoptée a pré-
senté cette originalité d'un auditoite amusant, un peu désorienté par le mélange et le
hasard des places. H. L.
A la Monnaie a eu lieu, avec un plein succès, la représentation d'un charmant ballet
de MM> Bêott et Ambrosiny^ Matmouna : l'orchestre était dirigé par L. van Hout.
Les Concepts populaires ont donné le 18 février, le Chant de la Cloche^ de Vincent
d'Indy.
— La première de la Damnation de Faust, vient d'avoir lieu avec plein succès.
Les répétitions de Déidamie, le drame lyrique de L. Solvay et F. Rasse se poursuivent
activement.
A ïEcole de Musique Saint-Josse-Schaerbeeck vient d'avoir lieu l'audition de deux
œuvres aussi belles qu'importantes : le Déluge et la Croisade des Enfants. La plus
importante, le Déluge., de Saint-Saëns, n'avait plus été entendue depuis vingt ans à
Bruxelles ; elle a conservé toute sa force et toute sa grâce, avec sa belle élévation de
sentiment et sa forme magnifique; les chœurs mixtes de l'Ecole de musique, un peu
faibles seulement du côté des hommes, en ont donné, avec l'aide de l'orchestre Ysaye,
une interprétation vivante et colorée, qui a produit une vive impression.
L'autre œuvre était nouvelle : elle date d'hier à peine, et elle est d'un caractère
absolument original : c'est la Croisade des Enfants.^ de M. Gabriel Pierné.
-— I«& —
C'est la seconde partie seulement de cette oeuvre délicieuse, exécutée à Paris l'hiver
dernier, la Route vers la Terre-Sainte, que l'Ecole de musique nous a fait entendre :
elle est composée uniquement de voix d'enfants, et rien n'est plus exquis, d'une expres-
sion plus ingénue, plus délicate et plus fraîche, rendue dans une forme enchanteresse,
que cette scène où la marche des petits, rythmée sur un motif de vieille chanson popu-
laire, se mêle de dialogues, de jeux et de prières. Les deux cents voix enfantines de
l'Ecole de musique ont détaillé cette page ravissante avec une grâce de nuances sans
pareille. L'effet a été considérable, et a fait souhaiter à tout le monde d'entendre bientôt
l'œuvre entièrement. L. S.
TïiEA.TR.E OE 3yEO]NrXE-C.A.FlLO
LE ROI DE LAHORE
Après bientôt trente ans, le Roi de Làbore, qui fut le début, à l'Opéra, de Massenet,
est toujours jeune, fougueux de belle passion, et tout débordant d'inspiration. Les
Parisiens ne connaissent plus guère cetre œuvre superbe, qui n'aurait jamais dû
quitter le répertoire. Par contre, toutes les scènes importantes de la province et de
l'étranger se font honneur et profit à maintenir le Roi de Lahore sur l'affiche.
Le succès à Monte-Carlo en a été triomphal. Le public s'est enthousiasmé à cette
musique qui chante magnifiquement l'amour. Et, au cours du troisième acte, après
l'air célèbre Promesse de mon avenir admirablement chanté par M. Renaud, une ovation
superbe a été faite à l'illustre compositeur, qui assistait à la représentation dans la
loge de S. A. S. le prince de Monaco, et qui dut se lever et saluer le public frémissant
d'admiration.
M. Raoul Gunsbourg n'avait rien épargné pour que la mise en scène fût
digne de l'œuvre, et pour que l'interprétation musicale fût d'une absolue beauté.
Mlle Farrar, dans le rôle de Sita fit acclamer sa voix splendide et son jeu tragique:
c'est une délicieuse héroïne lyrique qui unit le charme et la force et qui, dans les
scènes de tendresse comme dans les emportements de douleur et de désespoir, est
d'une rare puissance expressive en même temps que d'une profonde poésie. M. Re-
naud, dans le rôle de Scindia, fit admirer une fois de plus son merveilleux talent de
chanteur et de comédien. M. Rousselière a vaillamment chanté, de sa belle voix de
ténor, le rôle d'Alim. Il reste à citer MM. Ananian etLequien.et Mlle Verna, qui com-
plétaient brillamment cette très belle distribution..
Le ballet du Paradis d'Indra a valu de longs applaudissements à Mlles Zambelli,
Salle et Mata-Hari.
La belle œuvre de Massenet était splendidement encadrée dans les superbes dé-
cors de M. Visconti, auxquels les transformations lumineuses de M. Eugène Frey
ajoutaient leur fantasmagorie.
Les chœurs et l'orchestre, sous la direction de M. Léon Jehin, furent irréprocha-
bles, et contribuèrent avec éclat au grand succès du Roi de Lahore.
— i87 —
Coîjcerts Tlijvoijcés
Salles Pleyel
Grande Salle
Mars
1 La Société des Instruments à vent.
» La société des Compositeurs de Musique.
2 Mlle J. Lyon.
5 La Société Nationale de musique.
4 Mme Breton Halmagrand (élèves).
5 MM. De Greef et Boucherit.
6 M. E. Saury.
7 Mlle Charlotte Lamy.
8 Mlle Cécile Meûdt.
9 M. Daniel Herrmann.
10 M David Blitz.
1 1 Mlle Toulouse (élèves.")
12 MM. Degreef et Boucherit,
13 MM. Canivet et Oberdœrffer.
14 Mlle Waltener,
15 La Société des Instruments à vent.
» MM De Greef et Boucherit.
Salle des Qiiatuors
I Mme L. Vaillant,
z M. Ch. Bouvet.
3 Mlle Henriette Gaston.
4 Mme Ferant (élèves).
6 M C. Golling.
7 M. Raphaël Cisior.
8 M. Martinet.
» M. Garnier Hubert.
9 M. Pomposi.
1 1 Mlle Hortense Parent.
14 Mlle Hortense Parent.
15 Mlle Hortense Parent.
Salle Erard
1 Mlle CafFaret.
2 Mlle Monchablon.
3 M. Borchard.
5 M, Montoriol-Tarrès.
6 Mme Mellot-Joubert.
Mars
7 M. Lazare-Lévy.
8 Mlle Lipochitz.
9 Mme Rey-Gaufiès .
10 M. Eimer, pianiste.
12 M. Friedmann.
13 M. Brunold.
14 Mlle M. Weiss.
15 M. Busoni.
Salle des Agriculteurs
4 Concerts Lefort (5 h )
5 M. Santa-Vicca.
6 Société Philharmonique.
10 Mlle Boyer de Lafory.
12 Mme de Nervosky.
13 Société Philharmonique.
Salle .^ollan
1 Mme Landormy-Plançon.
2 Quatuor Parent.
6 Mlle Tripet.
8 Le D' Lulek.
9 Quatuor Parent.
/O Mme Kowalski.
12 Le D' Lulek.
Schola Cantorum
i; Mlle Blanche Selva.
T.liéâtre-Royal (rue Royale)
3 Les intimités d'Art, 3 h.
10 id.
Ambigu
7 Matinées Luigini, 4 h. 1/2.
Salle de l'Union
14 Société J.-S. Bach.
Salle Hoche
4 Mlle Morillon, 3 h.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FR A NCE
Théâtre des Mathurins. — La Mort de Tintagiles, drame en 5 tableaux de M.
Maurice Maeterlinck^ musique de Jean Nouguès.
Voici un petit drame fort simple, et d'une intimité si grande que l'auteur l'aurait
voulu joué par des marionnettes ; mais il n'est petit que par ses proportions, car il est
d'une humanité prodigieusement grande, et M. Maeterlinck y fut une fois de plus le
«chantre de la Douleur )), Avec son talent si particulier, si personnel, dans un style
délicieusement imprécis et enchanté, le poète nous a fait apparaître le symbole éternel
delà lutte féroce de la Vie contre la Mort ; et, bien souvent dans ce drame nous sen-
tîmes comme l'héroïne « notre vie tout au bord des nos lèvres ».
La tâche du musicien était périlleuse dans cette œuvre, et seul le génie d'un
Debussy aurait pu s'élever à celui du poète. M. Jean Nouguès a écrit une partition
— l»8 —
honorable, à tendances très « massenétiques » peut-être à côté, croyons-nous, de l'at-
mosphère musicale dont il aurait fallu envelopper ce drame ; cependant il nous faut
reconnaître que sa déclamation est presque toujours juste et laisse suffisamment à dé-
couvert le poème. Et puis le second plan auquel on a relégué l'orchestre — (à peine
perceptible dans la coulisse) — n'a-t-il pas empêché d'apprécier les qualités que ren-
ferme l'importante partition de M. Nouguès?
Mme Georgette Leblanc accomplit un tour de force en montant la Mort de Tinta-
ailes \ sur une scène exiguë, sans dégagements, privée de tous les moyens d'éclairage
et de machinerie; elle arriva à nous donner à force d'art, l'illusion de la réalité et à
mettre de l'air et de l'espace sur cette minuscule scène des « Mathurins ». Mme
Georgette Leblanc est une artiste que l'on ne discute pas, il faut l'aimer avec
ses défauts et ses qualités, ses puérilités et ses exagérations, et je suis de ceux qui
l'admirent. Son interprétation est peut-être quelquefois différente de celle que j'aurais
voulu, mais elle est toujours sincère et intéressante. Elle fut une a Ygraine )) doulou-
reuse et tragique et elle apporta à cette triste histoire toute l'émotion de son cœur ainsi
que son incomparable plastique. Les autres rôles étaient tenus par Mme Nina Russel
(Bellangère), M. Stéphane Austin, parfait en « Aglobale » et le Petit Russel (Tintagi-
les). Il nous faut féliciter tout particulièrement M. Philippe Gaubert qui dirigea l'or-
chestre de façon remarquable.
La Mort de Tinta giles était accompagnée sur l'affiche d'une charmante pantomime
de M. de Croisset (musique de M. Nouguès) pour les débuts de Mme Colette Willy au
théâtre ; elle y fut tout bonnement exquise et nous espérons qu'elle ne s'en tiendra pas
à cette tentative. Voilà un « Faune » pour les après-midi duquel on écrirait bien des
« Préludes » ! ' Gabriel Grovlez.
Le 14 mars, la Société J. -S. Bach^ sous la direction de M. Gustave Bret, fera en-
tendre une très curieuse Cantate Burlesque de Bach, intitulée Nous avons U7t nouveau
gouvernement.
Très artistique soirée, l'autre jeudi, chez M. et Mme André Alem où l'aimable
maîtresse de maison (Mlle Germaine Chené) a délicieusement charmé ses invités dans
différentes pages de Schumann et Fauré. Vif succès pour les excellents artistes, MM.
Nadaud, Gaubert, Mlle Henriette Renié et M. J. Fenoux.
A la dernière séance de la Société de Musique nouvelle qui a eu lieu à la salle
Erard, la jeune et célèbre pianiste Mlle Geneviève Dehelly a remporté un très vif succès
dans la Suite pour Piano du compositeur roumain Stan Golestan.
Les oeuvres du compositeur Eymieu interprétées par M. Willaume et Mlle Louise
Poignant ont également reçu le plus chaleureux accueil.
Vendredi 9 mars, à la salle Erard, l'excellente pianiste Mme Rey-Ganfiès donnera
son concert annuel, avec le concours annuel de MM. Rosé et Buxtaum de Vienne qui
pour la première fois seront entendus à Paris en dehors de leur quatuor.
M. DE La Laurencie a terminé dernièrement son très intéressant cours à
l'Ecole des Hautes Etudes sociales sur Quelques maîtres de l'ancienne Ecole française
du violon. Il a spécialement analysé, dans ce dernier entretien, l'oeuvre de J.-M. Leclair
l'aîné, qui vécut de 1697 à 1764 et qui fut, en même temps qu'un virtuose accompli, un
compositeur remarquable. Le conférencier avait choisi comme exemples, pour clôturer «
la séance, quelques pièces instrumentales de. L. Constantin, dit « le Roi des violons n \
(i 583-1657), J.-F. Rebel (1661-1747), ^- du Val, J.-B. Anet, J. Aubert et J.-M. Leclair. ]
Ces œuvres, qui se distinguent par une grande indépendance de rythmes et par un
tour mélodique plein d'agrément, furent exécutées sous sa direction par le Quatuor Lu-
quin secondé par quelques artistes au nombre desquels Mlle Blanche Selva.
'M
M. Déodat de Séverac, l'auteur du Chant de la Terre et d'E« Languedoc^ vient
d'être autorisé par M. Maurice Maeterlinck à mettre en vnmiqnt Sceur Béatrice qui fut»
— i89 —
on le sait, — de même qu Ariane, dont la partition a été écrite par M. Paul Dukas, —
spécialement destinée à la scène lyrique.
M. de Séverac a, d'autre part, terminé récemment un drame en deux actes, le
Cœur du Moulin, sur un livret de M. Magre. Exécuté dernièrement dans plusieurs
salons parisiens par MM. Engel, S, Austin, Mlle Pironnay, Mme G. Fié, Mlle Blanche
Selva, etc., le Cœur du Moulina produit la meilleure impression. M. Albert Carré, qui
l'entendit récemment chez M. Alfred Edwards, l'a reçu à l'Opéra-Comique pour la sai-
son prochaine.
Bordeaux. — Le dernier concert intime de la Société de Sainte-Cécile comptera
parmi les plus brillants. M. Pennequin s'y est montré le remarquable violoniste, le
parfait musicien que tout le monde connaît. Mlle Marguerite Portés s'est fait applaudir
dans l'air de la Vestale et la cantilène d'Hellé. Mais nous devons insister sur le succès
triomphal remporté par Mlle Geneviève DehelUy, la jeune pianiste, dont la presse
parisienne a célébré, l'hiver dernier, l'éclatant début. Après s'être distinguée à côté de
son éminent partenaire, M. Pennequin, dans la belle Sonate de Fauré et surtout dans
l'incomparable Sonate à ilrew^^er que nous n'avons peut-être jamais entendue interpréter
avec une pareille intensité d'émotion, Mlle Dehelly s'est révélée pianiste d'un charme
exquis dans deux pièces de Chopin et virtuose prodigieuse dans l'ouverture de Tann-
haûser de Wagner-Liszt, qui terminait la séance. La salle entière s'est levée, et durant
plusieurs minutes, a acclamé la jeune et remarquable artiste.
Nantes. — Au Grand Théâtre on vient de monter Sibéiia de Giordano et un ballet
inédit du compositeur Sélim : Sorrente. — M. Tournié a posé sa candidature à la direc-
tion des Théâtres municipaux.
h,Q àe\i.xihm.e ConcQTtàQ Y Association des Concerts historiques a.\xra. lieu le 2 Mars.
Au programme, des œuvres de nos compositeurs français du xviii' siècle. Rameau,
Leclair, Lalande, — puis de Haendel et Gluck, l'ouverture de Prométhée de Beethoven,
le Chant funèbre de Chausson, le concerto en la de J.-S. Bach par M. Nin.
Les récitals de MM. Arcouet et Lonati ont repris avec un superbe succès : Sonates
de Beethoven, Grieg, Trio de Lalo.
Au Concert Hermann, remarquable exécution du Quintette de Brahms, de lieder
de Schumann par Mlle Menjaud, de Kol Nydrei, de Bruch, par M. Bonjour^ des Coti-
certo de Grieg par M. Arcouet.
Le Havre. — Cercle de l'Art moderne. — Un groupe d'artistes peintres, sculp-
teurs, musiciens, d'architectes, de littérateurs et d'amateurs d'art attirés par sympathie
commune pour les tendances artistiques modernes vient de se fonder dans notre ville,
dans le but de faciliter les manifestations d'art personnel en organisant des expositions
d'art, des concerts de musique de chambre et des conférences de vulgarisation artis-
tique.
Le conseil de direction est présidé par M. Choupay, architecte en chef de la
ville du Havre, avec pour secrétaire M. C.-Jean Aubry, et pour trésorier M. J.
Ausset.
Les comités artistiques sont composés comme suit :
Beaux-arts : MM. Friesz, Dufy, Geo. Braque.
Musique : MM. H. Woollett, André Caplet, Gh. Maurech.
Littérature : MM. G. Jean Aubry, L. Hurel, Lesieutre.
Expositions : MM. Dusseuil, Aug. Marande, Van der Velde, Ch. Braque, Luthy.
Le conseil de direction comprend en outre :
MM. Biette, F. Dennis, Geo. Dupuis, L.-J. Hilly, Lavaud, Lecourt, V. Marande,
Gaston Prunier, Roussat, H. de Saint-Delis, R. de Saint-Delis, O. Senn, H. Thieul-
lent. Vieillard.
Rouen. — La Carmélite, de MM. C. Mendès et R. Kahn, vient d'être représentée
au Théâtre-des-Arts.
Cannes. — Au cours d'une tournée dans le Midi, la Société J, -S. Bach de Paris a
donné dans notre ville un concert des plus brillants. Au programme : le Concerto pour
piano, flûte et violon, la Suite en si mineur^ différents fragments de Cantate, etc. Grand
— 190 —
succès pour l'oi-chestre, excellemment dirigé par M. Gustave Bret, et pour le remar-
quable soliste en tête duquel il convient de citer l'exquise cantatrice, Mlle Mary Piron-
nay, le violoniste Daniel Hurmann, le pianiste Motle-Lacroix, le flûtiste Krauss.
Monte-Carlo. — Aux derniers concerts, dirigés par M. Léon Jehin, le public a cha-
leureusement applaudi les virtuoses et les cantatrices dont les noms bien connus illus-
traient les programmes.
Deux cantatrices ont soulevé d'unanimes applaudissements: Mlle Andréa Dereims,
dont la délicieuse voix de soprano a fait merveille, et Mlle Lucy Arbell qui, de sa
grande voix de contralto, et avec une puissance dramatique superbe, a chanté l'air de
Fidès du Prophète.
Mme Juliette Toutain-Grûn a fait admirer son magistral talent de pianiste dans le
Concerto en sol mineur de Saint-Saëns, et dans la Fantaisie Hongroise pour piano et
orchestre, de Liszt : musicienne consommée en même temps que virtuose incomparable,
Mme Juliette Toutain-Grûn a interprété ces oeuvres avec un style très pur et un senti-
ment qui lui ont valu les acclamacions du public enthousiasmé.
Un succès non moins éclatant a été remporté par le violoncelliste Pablo Gazais,
qui, dans son interprétation d'un concerto de Dvorak, et des mélodies hébraïques Kol
Nidreï de Max Bruch, a transporté les auditeurs par la pureté de son, le style irrépro-
chable et, surtout, le charme délicieux dont il a fait preuve.
— Un festival-Ma^'senet vient d'être donné, en présence de S. A. S. le Prince
de Monaco, avec un succès enthousiaste.
Le maître accom pagnait lui-même au piano diverses de ses mélodies, qui furent
magnifiquement chantées par Mlle Lucy Arbell, dont la voix superbe et le profond
sentiment artistique ont transporté le public.
Quelques-unes des plus délicates pages d'orchestre de M. Massenet ont été
remarquablement exécutées par l'orchestre D. Thibault.
— La première représentation de rAncêtre, de Camille Saint-Saens vient d'avoir lieu,
samedi 2^, au bénéfice de la Société de Bienfaisance française, avec un immense succès. Nous
parlerons en détail de cette œuvre dans notre prochain numéro.
Berlin. — Parmi les derniers concerts de pianistes françaises, signalons celui de
Mme Anna Laidlaw, qui a fait entendre des pièces de Scarlatti, Rubinstein, Chopin,
Liszt, le Carnaval de Schumann et la belle Sonate de Raoul Pugno. Mme Laidlaw
excelle dans les nuances variées et délicates et son jeu est toujours très musical. Elle a
remporté un très grand succès.
BIBLIOGRAPHIE
L'Étoile, roman par Victor Debay, — Havard., éditeur, Paris.
Ceci n'est point un billet de faire -part. Nul parmi les lecteurs du Courrier n'ignore
plus le roman que notre ami et collaborateur Victor Debay vient de faire paraître ; les
quotidiens de toutes nuances nous en ont entretenus, et il en a été publié dans ces
colonnes un pittoresque fragment que son caractère musico-littéraire recommandait à
l'hospitalité d'une telle revue, mais qui n'était, à la vérité, qu'un de ces divertissements
épisodlques auxquels l'essence du thème demeure étrangère. Dans le cycle des oeuvres
de M. Debay, l'Etoile se rattache par le lien le plus étroit à cette Amie suprême qui
demeurera l'un des poèmes les plus enthousiastes et les plus inspirés que l'on ait écrits
sur la musique, à une heure où les snobs, ou, si l'on veut, les « moutons de Panurge »
ne broutaient pas encore « à travers chants )). Déjà, vivante et lumineuse, celle qui sera
r Joite, Anna Le Cozan, y passe dans le rayonnement d'une atmosphère sonore, et
Fombreuse se détache à travers la multitude de ces types singuliers où évoluent un
Steinhaum, héritier lointain de Rembrandt ou un Wolfram émanation romanesque de
César Franck. Mais ils ne sont encore là que des comparses ; la musique absorbe tout ;
ils l'interprètent, ils la servent, ils l'exaltent, ils vivent par elle et pour elle. UAmie
suprême était une Muse ; ÏEtoile n'est plus qu'une femme, une artiste, certes, prodi-
IÇ)1 ■--
gieuse, unique peut-être, mais en même temps un être d'amour, de passion et de
souffrance, et c'est simplement l'histoire d'un cœur que M. Debay a faite.
Je n'en sais guère de plus poignante. Il est erroné, à mon sens, d'y chercher, comme
on l'a tenté, une sorte de thèse sur la vertu au théâtre. Laissons de côté, si séduisants
soient-ils, les chapitres consacrés en interludes aux Arnoux-Jodèle, aux Dinah Grâce,
à toutes les victimes plus ou moins innocentes, plus ou moins volontaires d'un directeur
trop négligemment ignifugé. Anna Le Cozan est une créature d'exception. Elle glisse
dans cet air trouble sans en être souillée et elle est restée, là où tout n'est qu'artifice et
fausseté, saine, droite et vaillante, telle que la nature où sa jeunesse s'épanouit l'a faite à
son image. Lorsqu'elle succombe, lorsqu'elle se donne à Maurice Fombreuse, ce n'est point
une chute vulgaire ; c'est le triomphe fatal d'un amour que sa conscience réprouve mais
que son cœur a choyé comme malgré elle, parce qu'il est fait de toutes les forces profon-
des et secrètes qui rythment sa vie, de la tendresse un peu maternelle qu'elle a vouée à
celui dont elle fut la première interprète et qu'elle a sauvé peut-être de l'obscurité, de
l'ivresse ardente de tant de communions musicales, enfin de l'orgueil passionné d'avoir
incarné Moïnella. l'héroïne divine de Fombreuse ; d'avoir donné un corps à ce qu'il a
déplus cher, à son rêve, d'être celle sans qui son génie n'eût pas vécu pleinement.
Transfigurée parce qu'enfin sa destinée de femme s'est accomplie, parce qu'elle existe
dans l'amour, dans un merveilleux amour où son cœur et son esprit se rencontrent et
se reposent, elle oublie sa trahison envers une amie deux fois sacrée par la confiance et
par la douleur, elle immole son passé, elle se renie et lorsqu'au lendemain d'une de ces
crises dont la vie, malgré les mensonges des livres, ne peut-être faite et dont elle se
lasse, Fombreuse se réveille et se reprend au souvenir apaisant de sa femme et de sa
fille, Anna Le Cozan qui ne croit plus en lui et qui ne croit plus en elle, Anna Le
Cozan pour qui la beauté fut aussi une morale et qui ne croit peut-être plus en son art,
Anna Le Cozan dis-je, sans foi, sans guide ne descendra pas jusqu'à l'aventure avilis-
sante qui la guette, elle déserte, elle se tue.
Je ne discute pas ce dénouement ; il est dans la vie, et ce n'est pas le lieu de
refaire un traité des Passions ou de méditer sur le suicide. Anna Le Cozan est logique ;
elle est tragique surtout ; elle se dresse parmi tant de marionnettes du roman moderne
de toute la grandeur de sa sincérité, de son enthousiasme et de son infortune, A côté
d'elle, Maurice Fombreuse, l'Amour du 'Poète en face de l'Amour d'une Femme, Fom-
breuse, dont la musique a peut-être absorbé toute l'énergie passionnelle et que peut-
être aussi elle a trompé sur lui-même, est dessiné avec une maîtrise que tous ceux qui
lui ressemblent admireront. Je ne parle pas du décor ; de cette peinture si colorée de la
vie et de l'âme de ceux qu'on appelle avec trop de respect ou trop de mépris les artistes,
des mœurs du théâtre, de tout ce qu'il y a là d'attirant et de perfide, de pervers et de
puéril en même temps. L'éloge du talent de M. Debay n'est plus à faire. Il révèle dans
VtLtoile^ avec plus d'évidence que jamais, une clarté dans l'analyse, une surêté et une
vigueur dans la composition, une abondance d'imagination et une richesse d'idées géné-
rales qui perpétueront le succès de son œuvre. J'ai éprouvé à le constater la joie la plus
vive et la plus délicate ; peut-être en est-ce une plus grande encore pour moi de pouvoir
le dire. Paul Locard.
Die physiologischen Pehler und die Ungestaltung der Elavierteohaik,
vonD' F. -A. Steinhausen. — Leipzig, Breitkopf et Haertel, 1905. 145 p.
Quiconque' (( touche » du piano lira ce petit livre avec intérêt, et peut-être non sans
profit. M. Steinhausen part de ce principe que l'étude du piano ne devrait jamais rester
purement mécanique, et se faire sans une active collaboration de l'intelligence : cela est
si juste qu'on s'en était avisé, je crois, avant lui. A grand renfort de considérations ana-
tomiques ou physiologiques l'auteur dénonce ensuite, dans les 'méthodes ordinaires,
mille absurdités dont voici les principales : 1° effort pour accroître les'^muscles'de la
main ; 2° pour assouplir cette main ; -f pour isoler les doigts et les rendre jindépendants
les uns des autres ; 4" pour remédier autant que possible à l'inégalité naturelle entre':les
doigts. En revanche, poursuit M. Steinhausen, tandis qu'on cherche ainsi, vainement,
à corriger la nature, on dédaigne les secours qu'elle nous offre, à savoir l'élasticité et la
pesanteur, comme forces auxiliaires du toucher ; les degrés et la durée de la contraction
musculaire ; enfin et surtout le roulement de l'avant-bras, autour du coude et'du poi-
gnet, comme adjuvant principal du toucher. M. Steinhausen préconise fort ce mode
de toucher : il voudrait même en reporter l'origine jusqu'à l'épaule ; voici quels en
I,
— 192 —
seraient, selon lui, les avantages : 1° suppression de la gymnastique anti-naturelle des
doigts isolés ; 2° participation de tout le membre au toucher et suppression de toute
roideur ; 'y' emploi de la force des grands muscles ; 4° libération de tout exercice méca-
nique et irréfléchi (car il faut réfléchir, si nous devons user de l'épaule pour bouger le
petit doigt !) ; 5"" économie de force et de fatigue; 6° maximum de gradations dans le
son ; 7° minimum de dépense de force tandis que le doigt reste sur la touche pendant la
résonnance de la corde.
Ce livre ne manque pas d'aperçus ingénieux ou suggestifs. Son tort est, semble-t-il,
jde confondre, dans la question du toucher, les commençants et les virtuoses, les élèves
et les maîtres, et de mener ainsi le contact contre des moulins à vent. De plus, sur
beaucoup de points (indépendance et égalisation des doigts, etc.) l'expérience paraît
avoir raison contre les déductions, encore que très scientifiques du D'' Steinhausen. Le
toucher digital, qu'il exècre, est souvent utile ou indispensable, et quant à celui qu'il
propose, au moyen de l'épaule et de l'avant-bras, si la physiologie le recommande, tant
pis pour la physiologie; il conduit généralement ses adeptes à une déplorable affectation
de style, — moins détestée en Allemagne que chez nous. Je touche ici au point faible du
livre : le maniement du clavier n'y est traité que comme un simple exercice dynamique,
et le problème du toucher ramené à celui du maximum d'effet à produire avec le minimum
d'effort. On y considère la quantité du son, au lieu de sa qualité, qui importe davantage,
mais qui échappe à la compétence des physiologistes :
Nec quitus id faciant plagis apparet aperte,
ou, si M. Steinhausen entend mieux Goethe que Lucrèce :
Grau, theurer Freund, ist aile- Théorie.
Jean Chanta voine.
Nouveautés musicales reçues
Vincent d'Indy : Jour d'été à la Montagne^ pour orchestre
(Aurore — Après-midi, sous les pins. — Soir)
Réduction pour piano à 4 mains par Marcel Labey
Claude Debussy : Menuet et En Bateau., extraits de la Petite Suite
Réduction pour piano à 2 mains ^av Jacques Durand
C. Saint-Saëns : IS Ancêtre, drame lyrique en 3 actes
Partition piano et chant : 20 francs
(DURAND et Fils, éditeurs, Paris)
M. Ducourau : Suite basque., pour piano.
(Edition Mutuelle).
Œuvre des plus intéressantes, tant au point de vue des recherches rythmiques^ que de
la couleur, de l'écriture et de la saveur des thèmes populaires utilisés.
Otto Barblan : Psaume .23 pour chœur mixte a capella.
Œuvre d'un réel intérêt musical, habilement écrite pour les voix et à recommander aux
chorales religieuses évangéliques,
(Kahnt-Nachfolger, éditeur, Leipzig).
Joseph Lauber : Les Passiflores.,
Suite de morceaux lyriques pour piano, en 12 cahiers, de
3 à 5 pièces chacun, et qui toutes unissent à une fraîche
inspiration la qualité d'être des modèles d'écriture pia-
nistique.
Sandoz, Jobin, éditeurs, à Neuchàtel (Suisse).
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE de PARIS
SALLE DES CONCERTS, S, rue cC Athènes
Administration : 32, RUE LOUIS-LE-GRAND (Pavillon de Hanovre)
DOUZIÈME CONCERT
Xn^^ Gaétai^e \2ieQ
Le Quatuor liOSE
De Vienne
^Jîl. Jïpnold iBosé, !Ê^aul ^ischer, ^tK\on ^uziisba, ^FiedPich ^\xxh(x\xm
P'KOGK-AiyiMlE:
1. Sonate, en/a mineur. Op. 50, n- 5 . , Haydn.
Le Ouatuor ROSÉ.
2. a Soserme. Haekdel.
b La Violette (Traduction de M. Che-
villard).
c Si tu m'ami Pergolèse .
Mme Gaétane VICQ.
5. Quatuor, en la majeur, n- 464, K. V. Mozart.
Le Qiiatuor ROSE.
4. a. Chanson triste Duparc.
b 0 Santissima ChantpopulaireToscan.
c La Princesse endormie Borodine.
£< Daos le Bois Grieg.
Mme Gaétane VICQ_.
5. XV Quatuor, en la mineur. Op. 132. Beethoven.
Le Qiiatuor ROSÉ.
FiANo Gaveau
Administration de Concerts A. DMDELOT, 83, rue d'Amsterdam
SALLE PL_EYEL
Lioiiïdî 5, LMndi il et leudlî 15 MaFs
A 9 III,URES OU SOIK
^oiô^ iféanccô^ de îfonaie^, ^iuno Sr Vioton
Arthur de GREEF
et Jules BOUCHERIT
PREMIER CONCERT ! DEUXIÈME CONCERT
LUNDI S Mars, à 9 heures précises ! LUNDI 12 Mars, à 9 heures précises
;$ÉANCE JlOZART
Sonate sol majeur . . . . Mozart,
Sonate mi mineur Mozart .
Sonate la majeur Mozar
§EANCE "f LASSi^îUE
Sonate mi majeur Bach.
Sonate mi-bémol Beethoven .
Son^iQ si bémol Mozart. | Sonate /a w/;/t'iir Schumann.
TROISIÈME CONCERT
JEUDI 15 Mars, à 9 heures précises
^^ÉANCE ^^ODERNE
Sonate sol majeur, op. 78 Brahms.
^O^&ie lu ii'cjeur César Franck.
Sonate ré mineur, op 75 Saint-Saens,
Société ^usical^ G. ASTRUC & Cie, 32, rue Louis-le -Grand (Pavilion de Hanovre) PARIS
Le Dimanche 11 Mars 1906, a ^ heures de VAprh-Midi
GI^;^NDE S^LLE DE GONCEI^TS DU
Conservatoire National de Musique
2, Rue du Conservatoire, 2
--SL^^^a^- ' ■
Deuxième Séance
donnée par le
Quatuor C^'PET
Locietî GilPlT, i^îîdPé TOOHBIT
BEETHOVEN
XIII^ QU^^TUO^, en sihèniol.
^Ve QUJ^TIIO^, en la n^ineur.
Grande fugue.
SALLE ERARD
c^_-
Le Jeudi 15 llars 1906 — Le Lundi 19 Mars 1906, àçb. très précises du soir
-^«i
Deux Récitals de Piavo
Donnés par
Perrucc
usovi
' ■-xii.Z^g^îa-' ■•
Preir^ier Récital
1 . n Ballade en fa mineur, n° 4
h Nocturne en mi héiiiol majeur . . . .
c Fantaisie Polonaise
d Barcarolle
e Scherzo en si bémol mineur
2. Six Études la inin:ur —mi majeur —
ut dié:;^e mineur — sol bémol majeur —
mi bémol mineur — ut majeur . . . .
3. a Harmonies du soir
b Feux Follets
c Mazeppa
4. Marche Nuptiale et Ronde des
•Sylphes .
(D'après le Songe d'une Nuit d'Eté
de Mendei.ssohn).
Société Musicale G. ASTRUC et Cie ,32, rue Louis-le-Grand (Pavillon de Hanovre) PARIS
Chopin.
Chopin,
Liszt.
Liszr.
Deu;cièine Récital
1. 15 Variations et Fugue op.
Î5 (Eroica) Beethoven.
2. Sonate, op. 109. enmi majeur. Beethoven.
3. Sonate, op. 106 Beethoven.
4. a Adélaïde.
b Busslied
c Les Ruines d'Athènes ..
Beethoven-Liszt
(3 O
Administration de Concerts L DANDELOT, S3, rue d'Amsterdam
NOUVEAU -TfjéATI^^^,^ 15, ^uc Blancî^e
LUNDI 19 MARS et MERCREDI 28 MARS 1Q06, à c, heures du soir
Eu gèi) e Y5^YE
l^« CONCERT
Lundi iç Mars iço6. à g heures du soir
Concerto J.S.Bach.
Concerto Mozart.
Concerto Beethoven
2ME CONCERT
Mercredi 28 Mars igoô, à g heures du soir
Concerto en si miiieur . C. Saint-Saens.
Poème E. Chausson.
Fantaisie Russe . . . . Rimski-Korsakoff.
Concerto Mendelssohn. l
M. Eugène YSAYE
Sera accompagné par TOrchestre des Concerts du Conservatoire
Sous la direction de I^. Georges Î^^^TX
Chef d'Orchestre de la SOCIÉTÉ DES CONCERTS DU CONSERVATOIRE
Société Alusicale G. ASTRUC et C'% 33, Boulevard des Italiens - Pavillon de Hanovre
SALLE ERARD
LE SAMEDI 3 MARS 1906, à g heures très précises du soir
DONNÉ PAR M'
Adolphe BOnCHTinD
P R O O R A M M E
I. a Pièce ScARLATTi. 3. a Rhapsodie en 5/ mineur Brahms.
h Sonate en ut majeur Mozart.
c Prélude et Fugua en la inineur . Bach.
[Traincriplion clc LISZT)
2. Etudes symphoniques Schumann.
b Nocturne en ut mineur Chopin.
c 3me Scherzo id.
4. a Valse-Caprice en la majeur Fauré.
h 4°ie Orientale Diémer.
c i5^^'Rh.di-psodïe(Mii\chede Rackoc- y) Liszt.
SALLE ERARD
LE VENDREDI 9 MARS 1906, à p heures très précises du soir
CONCERT
DONNÉ PAR Mme
AVEC LE CONCOURS DE MM.
Arnold Rosé et Friedrich Buxbaum
(DE VlEJSrjSTE)
Procramme
I '• Scnate, en s( /;, N- 15, pour Piano et | y- 3^ Trio, Op. iio . .. Schumann
v,„'._ .. 1 Mii'e Rey-Gaufrès.
'°°-^ Mozart. | MM. Arnold Rosé et Buxhaum,
Mme Rej-Gaufrcs et M. A. Roié 4. a Noctume ,
r- S-'-^t^' OP- 3'. N' 3 B.BTHOVBN. J Etude^^. .. . . J Chopin.
Mme Rey-Gaufrès. \ Mme Rey-Gaufrès.
Administration de Concerts ^- DâKDî:i.OT, S3, rue d'Amsterdam
DEUX RÉCITALS
DE PIAN O
PAR
Ewil STIVEn
I «^^ ,>^ndi 26 ei ifamedi 30 Jtf(aï&
\ Pour renseignements, s'adresser à l'Administration de Concerts A. DANDELOT, Téléphone : 7/^-25
e Séai^ce de lîlu^ique de d^atr^bre
DONNEE PAR
Edouard 'BISLEB
AVEC LE CONCOURS E^E
Gabriel WILLAUME ^ Louis FEUILLARD
3 la ^alle des (^gPiculteuPS, 8, rue d ^iherxes
LE 3A.]yLEIDI 24 IMC ^^ R S 190e
S'adresser à l'Administration de Concerts A. DANDELOT, 8^, rue d' Amsterdam.
iSciété musicale G. ASTEUC et Cie, 32, Rue Lonis-le-Grand, Pavillon de Hanovre, Paris
\ SALLE ERARD. — LE MERCREDI 14 MARS, à 9 heures très précises
RECITAL. »E I^IAA^O
Doi)i)é par )«"« prcelle WEISS
PROGRAMME
1. (7 Allegro.. Mozart.
h L'Hirondelle DAauiN,
c Sonate en ré majeur Op. 28.. .. Beethoven.
Allegro - Andante - Scherzo -Rondo
2. Carnaval de Vienne Schumann.
Allegro - Romanze - Scherzino
Intermezzo - Finale
3. a Etude en /a ;«/««;<;-. Saint-Saens.
h Nocturne en 50/ w;j;'iV/;- A Duvernoy.
c Marche Ch. Lefebvre.
d Moment musical en /a ////«e/^r . Schubert.
c Fileuse Mendelsshon.
4. a Prélude en la diè^^e iiiineiir. .. -
/' Nocturne en ré bémol ,. .,
c Valse en mi mineur
d Ballade en la bémol
Chopin.
Le^
1
Les Professeurs du Conservatoire de Taris
QAalicô^ dc^éliot, Professeur de piano.
Selon le désir que vous avez manifesté, J'ai essayé vos pianos à queue nouveau
lodèle ; ce sont des instruments parfaits tant au point de vue de la docilité du clavier
ue de la pureté du son.
Honneur à la fabrication française.
J^Uiù^ SÙHîTit^t^, 'Professeur dé piano.
Je suis très charmé de pouv&ir vous dire combien j'ai été enchanté et ravi de
)s excellents pianos à queue (grands et petits modèles) que j'ai joués chez vous
lutre jour ; ils ont une très belle sonorité, puissante, égale et veloutée, et le clavier
est d'une très grande légèreté et des plus agréables à jouer.
Je vous adresse donc encore mes bien sincères félicitations.
Ç€OÏçc& y^aiÂcnéeïç, Professeur de piano.
J'ai eu, en bien des circonstances, l'occasion de jouer sur vos excellents pianos
( d'apprécier leurs très sérieuses qualités comme sonorité ainsi que comme égalité du
> vier; d'après le temps que je les ai vu résister chez des personnes de ma connaissance,
;,a fatigue que peut occasionner un travail régulier, je ne doute pas qu'ils n'offrent les
(.éditions de solidité qu'on désire trouver dans un instrument qui peut être soumis à
i travail quotidien considérable.
J^ïmontef pèïe, Professeur de piano.
Le piano que vous m'avez envoyé est exquis. Sonorité délicieuse, chantante,
t iressive, se prêtant à tous les effets de coloris musical. Mécanisme parfait, clavier
s iple, d'un toucher très agréable.
^fexandle Çuitmunt, Professeur d'orgue
J'ai été à même maintes fois d'apprécier votre facture si artistique et j'ai pu juger
ibien vous apportez de soin dans la fabrication de vos instruments. Vos pianos ont
très belle sonorité et le mécanisme en est excellent.
C'est en construisant des instruments de premier ordre que notre facture française
niiendra sa supériorité sur la concurrence étrangère, et vous y contribuez largement.
y^oïç^ô^ Jt^ïi^, Professeur d'%armoniej.
J'ai eu bien du plaisir dernièrement à voir de près vos grands pianos de concert, nou-
' I modèle.
Vous étiez absent, et je n'ai pas pu vous dire de vive voix ce que je suis heureux
' ous écrire aujourd'hui : Vos instruments sont de tout premier ordre, par la puis-
' e de leur sonorité et leur délicatesse expressive ; et je n'ai qu'un regret, c'est de ne
t;tre assez pianiste pour les faire valoir comme ils le méritent.
Le Courrier Musica
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
ABONNEMENTS
Paris et Départements 12 francs l'ai
Étranger 15 » »
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, (16«)
Administration et Rédaction :, 29, rue Troncbet, PARIS (S'j
, (TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Aguettant— Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Ben<
Eugène BerteausL — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Br(
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi'^
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D*^ Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — René Doire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars — E. Gio vanna — Orner Guiraud —
F. Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser— Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauerwein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka —
E. Segnitz — Jean d^Udine — Léon Vallas — D"^ Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoz, etc ..
Zl0 Courrier Musical est es iroste :
A PARIS: ^9, ^«^ Tronchet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, i, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Au^'
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, 5, Faubourg Saint- Honoré.
■ Librairie RET, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
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( MM. BREITKOPF & HJERTEL, 45, rue Uoniaine dt
\ Cour, à BRUXELLES
( MM. BREITKOPF d HÂERTEL, 54, Malborouih-Stt
} LONDON-W.
1
C. SAINT -SAËNS
dont une œuvre nouvelle, VA7tcêtre, vient d'être
représentée à Monte-Carlo
^M
g* ANNEE. N» 6. 15 MARS 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portrait : C. Saint-Saëns. — Franz Liszt et l'art classique (Jean
Chanta voine). — Lettres inédites de Guillaume Lekeu (suite). — L'acoustique au
Trocadéro (Gustave Lyon). — Les Premières : Théâtre de Monte-Carlo : Y Ancêtre,
de C. Saint-Saëns (A. Mortier). — Les Grands Concerts: Colonne, Lamoureux, Con-
servatoire (Jean d'Udine, Edouard Schneider). — La=. Quinzaine Musicale: Société
Philharmonique, Concerts Le Rey, Société Nationale, Le Quatuor Parent. — Concerts
divers. — Le mouvement musical en province et à l'étranger : Lettre de Munich (E. de
Stœcklin). — Lettre de Londres (Léo Diensis). — Correspondances de : Angers,
Nancy, Toulouse. — Concerts annoncés. — Echos et Nouvelles diverses. —
Bibliographie (M. Brenet, Vincent d'Indy). — Nouveautés musicales reçues.
FRANZ LISZT ET L'ART CLASSIQUE
C'est, je crois, Herder qui a dit : « Einen Schriftsteller aus sich selhst :(u erklaeren
ist die Honestas jedem Honesto schuldig. » — « Expliquer un écrivain par lui-même est
le devoir de l'honnêteté envers tout honnête homme. » Cette belle maxime devrait
servir de devise à quiconque prétend pénétrer dans l'œuvre d'autrui ; il s'en faut
qu'elle soit applicable aux seuls écrivains, et la critique artistique en peut faire son
profit, aussi bien que la critique littéraire. Une pareille recherche s'impose avec une
force particulière, si l'on étudie des maîtres qui, en marge de leur œuvre essentielle,
ont exprimé leurs pensées sur l'art, et leurs préférences pour telle ou telle de ses
formes. Franz Liszt est de ce nombre. Soit dans sa correspondance, soit dans ses
livres et ses articles, il a fait avec une grande netteté, souvent avec un grand bonheur
d'expression, la théorie de son art personnel. Sans doute, plus d'un lecteur ne la
découvrira pas du premier abord : Liszt qui a semé beaucoup d'idées, négligeait de
les présenter en bon ordre, dans une disposition avantageuse. Comme tous les auto-
didactes dont l'éducation et l'instruction se sont faites ou complétées au hasard, et qui
ne se sont point plies à la stricte discipline d'une méthode dialectique, il n'aborde jamais
de front un problème et ne traite jamais une question ex professo. Ou bien s'il essaye
de le faire, le génial improvisateur reparaît bien vite en lui, et l'entraîne à des di-
gressions sans fin. Il faut chercher çà et là, dans des articles, dans des préfaces, dans
des manifestes, dans des lettres particulières, les aphorismes ou confidences qui s'y
trouvent épars. Ce sont les matériaux tout prêts, mais abandonnés, d'une construction
théorique que lui-même n'a jamais achevée. Mais ils se prêtent admirablement à un
travail de mosaïque : aucune pièce ne manque et toutes concordent sans efforts. Peu
à peu, entre ces fragments naguère dispersés, on voit s'ébaucher et se préciser une
image nette, aux contours précis, aux articulations solides. Oui, par la vertu d'un
esprit naturellement bien organisé, et dont les pensées, même isolées, gardaient entre
elles une sorte de cohésion virtuelle, Liszt, sans le vouloir, peut-être sans le savoir, a
— 194 —
étayé son œuvre artistique sur une puissante base théorique. Lorsqu'on a pu trouver
l'unité et mettre l'ordre dans les éléments de cette théorie, la conclusion est que Liszt,
le musicien romantique par excellence, n'a prétendu être qu'un fidèle descendant des
classiques, que ce musicien de l'avenir a voulu chercher dans le passé les origines de
la tradition qu'il désirait représenter et continuer.
Pour beaucoup, une telle affirmation a d'abord, il faut le reconnaître, quelque
chose qui surprend. La musique à programme des Poèmes Symphoniques, du Faust, du
Dante, n'est-elle pas en opposition formelle avec la musique pure de l'école classique?
Le « programme n>, telle est la pierre de scandale qu'on heurte au premier pas. Hérésie
en elle-même, pour tant de bons esprits, la musique à programme n'est-elle pas une
hérésie surtout contre l'idéal des grands classiques, Haydn, Mozart, Beethoven, dont
les symphonies avait pour nom de baptême la sèche indication de leur tonalité ? A cela
se ramène en définitive toute opposition des classiques aux romantiques. Liszt le
savait fort bien : à supposer qu'il l'ignorât, ses contemporains se fussent chargés de le
lui apprendre bien vite. Aussi est-ce sur ce point précis qu'il portera le débat, dans la
revendication de ses origines classiques : il s'efforcera de démontrer que la musique à
programme, loin de rompre la tradition classique, ne fait, au fond, que s'en inspirer
pour la prolonger.
C'est dire que, pour Liszt, le problème se pose au point de vue historique. Il évite
ainsi la question préalable, qu'on ne manquerait pas de lui opposer, pour refuser a
priori à la musique intitulée le droit même d'exister ; de plus, en transportant la cause
du terrain de l'esthétique abstraite sur celui de l'histoire, Liszt peut fournir des témoi-
gnages de fait, infiniment plus forts que toute raison théorique. Et, n'ayant d'autre
dessein que de reproduire, en leur donnant une forme dialectique, les éléments mêmes
de son argumentation, nous ne nous demanderons pas plus que lui si, en soi, la mu-
sique à programme est ou n'est pas admissible. Il nous suffira d'indiquer que sa con-
damnation ne peut reposer que sur un malentendu. En effet, ceux qui attaquent par
principe la musique à programme lui reprochent d'introduire des idées ou des imagçs
dans un art qui devrait rester, à l'exclusion de tout le reste, un art de sentiment ;
mais sur quelles planches d'anatomie psychologique existe-t-il un sentiment dépouillé
de toute attache avec une idée quelconque, un sentiment auquel ne réponde aucune
image, ou qu'aucune image n'ait suggéré ? Il y a plus : on refuse en réalité au
compositeur le droit de s'inspirer selon les rencontres de sa sensibilité, d'un beau
vers, d'un large symbole, d'un tableau frappant. C'est méconnaître, non seulement les
droits, mais la nature même de l'inspiration musicale : faites entendre ijn bruit sec et
violent auprès d'une cavité sonore, elle répercutera ce bruit par un autre bruit ; mais
si cette cavité est disposée selon certaines règles d'acoustique, ou si elle est munie de
certains accessoires tels que des cordes tendues, au lieu de continuer le bruit par du
bruit, elle le modifiera, l'élaborera, l'embellira et rendra un son musical. Il en va de
même des esprits : une émotion quelconque agit ordinairement sur la sensibilité géné-
rale, mais, chez les natures bien douées, elle concentre son action sur une sorte de sen-
sibilité spéciale. Chez le poète, elle éveille des rythmes et des images, chez le peintre
des lignes et des couleurs, chez le musicien enfin, de la musique- En cela consiste
l'exception d'être un artiste, parmi des gens qui ne le sont pas. Dès lors, refuser à la
sensibilité spéciale d'un musicien le droit d'être affectée par les rnêmes causçs quj
agissent seulement sur notre sensibilité générale, c'est un aveu d'impuissance, Pré-
tendre que tel sujet n'est pas musical, c'est avant tout peut-être confesser que, dan§
une certaine mesure, on n'est pas soi-même musicien, Une fm de non'recevoir, çn fér
— 195 —
ponse à une question préalable, ne peut vider la question de la musique à programme:
ce n'est pas résoudre un problème que le supprimer.
11 ne reste plus, pour chercher cette solution, que le point de vue adopté par
Liszt, le point de vue historique. Avec sa modestie foncière et cet esprit d'abnégation
que quelques travers passagers de virtuose ne doivent pas nous dissimuler, Liszt ne se
met jamais en scène : presque toujours il soutient la cause d'un autre, celle de Ber-
lioz par exemple. Mais, à l'ardeur de sa discussion et surtout à la nature de ses argu-
ments, il est impossible de ne pas reconnaître bien vite le client dans l'avocat ; on doit
donc prendre pour des manifestes personnels ses écrits de théorie ou de polémique.
Pour attaquer l'hostilité ou la méfiance que soulève la musique à programme,
Liszt s'efforce d'abord de montrer que cette forme d'art n'est pas si nouvelle qu'on le
prétend. Ce n'est pas Berlioz, ce n'est pas même Beethoven qui l'ont inventée. Bach,
le maître classique par excellence, le parangon, l'archétypedu classicisme, n'a-t-il pas
écrit le Caprice sur le départ de son frère hien-ainié ? (i). Les clavecinistes de la même
époque et de l'époque immédiatement postérieure n'ont-ils pas donné des titres,
parfois obscurs et bizarres, aux pièces qu'ils écrivaient pour leur instrument? En vain on
objectera que ces premiers programmes étaient d'une extrême brièveté et se bornaient
d'ordinaire à un mot : « C'est, répond Liszt, le gland du chêne, et tous les germes sont
imperceptibles, même ceux d'où des arbres, même ceux d'où des idées naissent (2). »
Si l'on passe de la musique instrumentale à la musique symphonique, on verra les
parties symphoniques des oratorios s'accompagner souvent d'un programme : témoin
le charmant interlude pastoral qui ouvre le second « jour » de \' Oratorio de£h(o'èl, de
J.-S. Bach, témoin les morceaux symphoniques de la Création ou des Saisons de
Haydn. Mais c'est surtout l'ouverture, qui a favorisé le développement de la musique
à programme. Dans les premiers âges du théâtre lyrique moderne, l'ouverture était
un prologue orchestral d'importance médiocre et de signification indéterminée. Peu à
peu elle a tenté d'ébaucher par avance le drame qu'elle précédait, et d'en annoncer, par
des moyens sommaires, le caractère général, voire même d'en présager nettement
certains épisodes ou péripéties. Chose singulière, à mesure que l'ouverture entrete-
nait ainsi avec l'opéra, des rapports plus directs, plus étroits, j'allais dire plus orga-
niques, elle-même gagnait en intérêt : elle progressait à la fois en signification et en
indépendance. Par une contradiction apparente, plus fortement elle paraissait unie au
drame, et mieux elle s'accommodait d'en être séparée : l'ouverture d'Orphée
ou d'Armide ne supporterait pas l'épreuve du concert ; on sait avec quel éclat les ou-
vertures de Léonore, et surtout la troisième, la plus serrée au point de vue dramati-
que, en triomphent. Le résultat naturel fut qu'après avoir joué seules certaines ou-
vertures, on composa des ouvertures isolées, que ne suivait aucun opéra, mais qui
devaient suffire à résumer un drame : « On écrivit alors des ouvertures sans opéras,
mais on adopta ce nom pour toutes les œuvres instrumentales qui, au lieu de se diviser
comme la symphonie en quatre morceaux différents, forment un tout homogène,
organique, inséparable, en une partie». (3) Ainsi fit Mendelssohn, dont la fidélité aux
(1) La critique moderne fournirait à l'argumentation de Liszt mille autres témoignages tirés
de l'œuvre de Bach. Voir f.-S. Bach, le musicien poète par M. Alb. Schweilzer, Leipzig (Breitkopf) et
Paris (Costallat) 1905.
(2) Gesammelte Schriften, tome IV, p. 23. Le seul recueil des écrits de Liszt est celui publié en alle-
mand chez Breitkopf. 11 offre le grave inconvénient de ne jamais fournir la référence de l'original pour des
articles, traduits en allemand, mais qui furent d'abord écrits et publiés en français. Nos citations, faites
d'après cette traduction allemande, avec toute l'exactitude possible, risquent donc de s'écarter du texte
littéral que nous n'avons pas eu la patience et le loisir de rechercher.
(3) G. S. IV, 23.
i
— 1^6 — ■
formes classiques peut bien passer pour proverbiale et exemplaire : si ses ouvertures
du Songe, d'Athalie, de Rwy-Blas ont été composées pour précéder les pièces qui
portent ces noms, les ouvertures des Hébrides et de Mélusine ne sont le prologue
d'aucun drame. Or, plusieurs poèmes symphoniques de Liszt lui-même ne prendront
ce titre révolutionnaire que longtemps après leur composition et leur première audi-
tion : Prométhée et le Tasse s'appelaient ouvertures lorsqu'ils furent joués d'abord à
Weimar, en 1850, lors du festival Gœthe-Herder. Dans la symphonie proprement
dite, l'introduction du programme est plus lente, plus hésitante aussi ; avec une
grande loyauté, si Liszt rappelle les titres pittoresques ou anecdotiques donnés à
certaines symphonies de Haydn, la Reine, la Surprise, la Chasse, le Maître d'école^ c'est
pour constater qu'on ne saurait chercher dans ces démonstrations sommaires et plus
ou moins fantaisistes, la matière générative d'un vrai programme.
Selon Liszt, il faut arriver à Beethoven pour trouver le véritable créateur de la
musique à programme. Dans une lettre, datée de Weimar, le 2 décembre 1852, au
célèbre musicographe russe, son ami W. von Lenz (i), Liszt a écrit, sur l'œuvre de
Beethoven, une page capitale. « Pour nous musiciens, l'œuvre de Beethoven est sem-
blable à la colonne de nuée et de feu qui conduisit les Israélites à travers le désert —
colonne de nuée pour nous conduire le jour, — colonne de feu pour nous éclairer la
nuit « afin que nous marchions jour et nuit ». Son obscurité et sa lumière nous tracent
également la voie que nous devons suivre ; elles nous sont l'une et l'autre un perpé-
tuel commandement, une infaillible révélation. S'il m'appartenait de catégoriser les di-
vers termes (2) de la pensée du grand maître, manifestés dans ses sonates, ses sym-
phonies, ses quatuors, je ne m'arrêterais guère, il est vrai, à la division des trois
styles, assez généralement adoptée maintenant, et que vous avez suivie, — mais pre-
nant simplement acte des questions soulevées jusqu'ici, je poserais franchement la
grande question qui est l'axe de la critique et de l'esthétique musicale au point où
nous a conduit Beethoven : à savoir, en combien (3) la forme traditionnelle et convenue
est nécessairement déterminante pour l'organisme de la pensée ?
La solution de cette question, telle qu'elle se dégage de l'œuvre de Beethoven
même, me conduirait à partager cette œuvre non pas en trois styles ou périodes — ^
les mots style et période ne pouvant être ici que termes corollaires, subordonnés, d'une
signification vague et équivoque — mais très logiquement en deux catégories : la
première, celle où la forme traditionnelle et convenue contient et régit la pensée du
maître ; et la seconde, celle où la pensée étend, brise, recrée et façonne au gré de ses
besoins et de ses inspirations la forme et le style. Sans doute en procédant ainsi nous
arrivons en droite ligne à ces incessants problèmes de l'autorité et de la liberté. Mais
pourquoi nous effrayeraient-ils ? Dans la région des arts libéraux, ils n'entraînent
heureusement aucun des dangers et des désastres que leurs oscillations occasionnent
dans le monde politique et social, car dans le domaine du Beau, le génie seul fait
autorité et par là, le duahsme disparaissant, les notions d'autorité et de liberté sont
ramenées à leur identité primitive. » (4).
Ces lignes si riches de pensée sont peut-être, dans leur synthétique brièveté, ce
qui a été écrit de plus vigoureux sur l'art beeethovenien. Si, pour reprendre l'expres-
(i) L'auteur ingénieux et pénétrant de Beethoven et ses trois styles.
(2) C'est-à-dire, non pas les expressions, mais les stades.
(3) Bien que le français fut devenu, bien avant 1852, la langue spontanée de Liszt, on trouve icî
un de ces germanismes fréquents dans son style : eu combien est le décalque en français de l'allemand in-
wiefern.
(4) Frani Lisit's Briefe, herausgegeben von La Mara (Leipzig, Breitkopf), tome I, pp. 123-124.
— 197 —
sion d'un délicat écrivain (i), elles ne nous donnent pas le « secret de Beethoven »,
elles nous livrent tout entier celui de Liszt. Ce que, muiatis mutandis, la critique de
Leibniz a pu être pour un Kant, l'étude de Beethoven le sera pour un Liszt. Chaque
phrase de cette lettre à Lcnz prêterait à un commentaire : deux mots avant tout y
sont à retenir, ceux d'obscurité et de lumière. Pour Liszt, l'aurore qui s'annonce et
s'éveille dans l'oeuvre de Beethoven n'est justement qu'une aube, toute imprégnée
encore d'obscurité nocturne. Donc, si le devoir du disciple est de suivre cette lueur,
il est aussi d'en attiser la flamme trop hésitante. En d'autres termes, la fidélité à
Beethoven, premier précepte de l'art musical selon Liszt (et, qu'on ne l'oublie pas,
profession de foi classique) la fidélité à Beethoven ne doit pas être timidement inerte,
littérale, dogmatique. Ce qu'il importe de conserver, c'est l'esprit de Beethoven, esprit
de vie et de progrès. Sous prétexte de fidélité à son exemple, que ce serait justement
méconnaître, il ne faut pas s'en tenir au point où une mort prématurée, survenue en
pleine force intellectuelle, et en plein devenir artistique, a brutalement arrêté Beethoven
lui-même. Il faut suivre les chemins qu'il a ouverts, et achever la courbe aux sinuo-
sités imprévues, dont son geste n'a pu tracer que le départ. Telle est la pensée générale
de Liszt : il la précise par l'exemple particulier d'Egmont où il montre la hardiesse
novatrice et pourtant incomplète, à la fois lumineuse et obscure, de Beethoven. « Dans
Egmont, dit-il, nous apercevons un des premiers exemples des temps modernes : un
grand musicien puise son inspiration immédiatement dans l'œuvre d'un grand poète.
Si incertain et hésitant que puisse nous paraître ce début de Beethoven, il a été aussi
hardi, aussi significatif de son temps... Beethoven a commencé d'ouvrir une route
nouvelle. D'une main puissante il a abattu le premier arbre d'une forêt jusqu'alors
inconnue. Le monde assista sans une attention particulière à ce premier pas. Mais les
temps vinrent où l'art foula cette route, trouvant bientôt après lui la voie lumineuse-
ment éclairée et aplanie » (2). A cet exemple, Liszt en ajoute plusieurs : ce sont la
Symphoniehérdiqvte tildk Pastorale, \2iSOVï^ifÇionr -çidi^o o^. 81^, avec son triple titre
les Adieux, l'Absence, le Retour et Lebewobl inscrit sous ses premières notes qui forment
le germe du développement ; ce seront encore, dans le quinzième quatuor l'hymne du
convalescent qui remercie le seigneur et sent de nouvelles forces ; dans le seizième
quatuor, la question muss es seyn {le faut-il) la réponse es muss seyn [il le faut) et le
finale construit sur l'opposition de ces deux motifs. Ce sera enfin le projet d'une sym-
phonie sur Faust, que rappelle Liszt. Mais on doit convenir qu'il sollicite ici les textes
avec un peu trop de complaisance. Tout porte à croire que, si Beethoven avait réalisé
son rêve de mettre Faust en musique — son rêve suprême — il n'eût pas donné à
cette œuvre la forme, même très libre, d'une symphonie, il aurait probablement
traité le poème de Gœthe à la façon de Schumann et non à celle de Liszt.
Aux exemples nombreux dont il fait des arguments à l'appui de sa thèse, Liszt en
aurait pu joindre d'autres, non moins forts. Combien d'œuvres de Beethoven qui por-
tent un titre, ou dont nous savons quelle en fut l'idée génératrice : il suffira de citer
la Mélancolie du sixième quatuor, la Sonate pour piano en ré, op. 10, qui pourrait à
aussi bon droit porter le même titre (3) ; la Sonate en mi mineur op. 90 qui racontait
les amours du prince Lichnowsky, le Rondo pour piano op. 129 où s'exprime « la
rage de chercher un sou perdu », la neuvième Symphonie, enfin cette Bataille de Vit-
toria, que Liszt a peut-être eu la discrétion de ne point alléguer, sachant que Beetho-
(i) Raymond Bouyer, Le Secret de Beethoven. (ï'ans 1905. Fischbacher)
(2) G S. m, i" vol. p. 29.
(J^) Voir Moschelès, Life of Beethoven.
— 198 —
ven lui-même la traitait d' « absurdité », et ce projet d'une dixième symphonie qui
devait opposer le christianisme au paganisme (i).
A ces preuves internes, tirées de l'œuvre de Beethoven, Liszt aurait pu ajouter
des preuves externes, empruntées aux témoignages fournis par les familiers de Beetho-
ven. Si Schindler doit être contrôlé avec le dernier soin lorsqu'il avance une date ou
rapporte une anecdote, du moins est-il digne de créance lorsqu'il se tient dans les
généralités : s'il nous affirme que Beethoven, au moins à partir d'une certaine période,
ne composa jamais sans avoir une idée de derrière la tête, nous pouvons le croire.
Dans les cahiers de conversation de Beethoven sourd, son neveu Cari le caractérise
ainsi en face de Mozart : « Sous la musique de Mozart on pourrait mettre plusieurs
textes, sous la tienne on n'en pourrait mettre qu'un ». Du reste, parmi les projets
auxquels la mort de Beethoven vint trop tôt mettre fin, il en est un, à jamais regret-
table, celui d'une édition complète des œuvres de Beethoven revues par lui et où, à
chaque œuvre, il aurait mis un programme explicatif. Bref, tout prouve que l'idée de
la musique à programme hantait Beethoven, au moins depuis 1810. Ainsi, plus encore
qu'il ne pouvait le croire lui-même, Liszt a raison de l'affirmer et d'en tirer des consé-
quences, lorsqu'il essaye de montrer à qui échoit la succession du grand maître clas-
sique.
On comprend dès lors quelle sera l'attitude de Liszt devant le souvenir et l'ensei-
gnement de Beethoven. La seconde partie de sa lettre à Lenz, citée plus haut, nous
aide à en mieux comprendre le sens. Liszt veut être un disciple et non un imitateur.
L'imitation est, par essence, inerte et passive, et, en art, qui dit immobilité dit recul.
Or, en s'affranchissant peu à peu des formes traditionnelles reçues et adoptées par sa
jeunesse, Beethoven a donné l'exemple du progrès : c'est l'exemple de ce progrès que
Liszt suivra. Beethoven, en 1823, définissait le génie par la capacité d'inventer des
formes nouvelles, et l'on sait comment lui-même, à cette époque, illustrait cette défi-
nition. Liszt à son tour l'adoptera en pratique. Combien peu le Beethoven de 1825 res-
semble à celui de 1795, et cependant c'est le même homme, partant le même art. La
tradition artistique ne sera donc pas rompue si l'artiste de 1850 est au Beethoven de
1825, ce que celui-ci est au Beethoven de 1795. Ainsi se concilient, pour reprendre
les termes de Liszt lui-même, « dans leur identité primitive », l'autorité du maître et
la liberté du disciple.
(A suivre) Jean CHANTA VOINE.
(i) Une conversation de Beethoven, pendant sa dernière maladie, avec Schindler, contient un pfogrâmme
du trio à l'archiduc op. 97, mais On peut admettre qu'il s'agit d'un commentaire plus ou moins fantaisiste
et postérieur à la composition de l'œuvre.
— Ï99 —
Lettres inédites de Guillaume Lekeu
(Suite)
Lettres à M. Kéfer (écrites de Bruxelles, en loge)
Mercredi soir , ^o Juillet i8çi.
Cher Monsieur et Ami,
Je reçois votre lettre qui me plonge dans le plus horrible embarras, car jamais je
ne pourrai trouver de termes convenables pour vous remercier de toutes les preuves
d'amitié que vous m'avez déjà prodiguées, dont vous me comblez et me voulez
combler encore.
Je voudrais vous avoir près de moi pour vous dire, d'une seule et bonne poignée
de main, combien je suis fier d'occuper une si belle place dans votre estime. Mais je
voudrais aussi, fort amicalement, calmer votre zèle à mon égard.
Vraiment vous croyez que je vais ainsi, du premier coup, décrocher la timbale,
détrompez- vous. Ce n'est pas à 21 ans qu'on triomphe d'une épreuve semblable, sur-
tout quand on a pour concurrent des gaillards de 26, 28 et 29 ans dont l'un, par
exemple, M. Paul Lebrun, professeur d'harmonie au Conservatoire de Gand, a déjà
remporté deux fois le premier second prix. Je vous vois venir et me dire que j'ai bien
été premier à la première épreuve, c'est vrai, mais la seconde est bien différente. Il
s'agit uniquement ici d'être habile. Le prix est à celui qui a le premier terminé
l'esquisse de la cantate et qui a ensuite le plus de temps pour soigner l'orchestration.
Cette rapidité dans le travail, je suis très loin de l'avoir. L'aurai-je jamais ? Je n'en sais
rien. Pour parler franchement, je n'attache pas une grande importance à cette faculté
bizarre de pouvoir mener la composition d'une œuvre d'art au pas accéléré, et je trouve
étrange qu'on l'exige, avant toute autre, d'un futur musicien.
Tout ceci pour vous dire qu'en bûchant consciencieusement, je pourrai peut-être
dans 4 ans avoir le prix de Rome. Je suis ici plutôt en amateur qu'en concurrent et
ma vie, sans être couverte de roses, n'est pas des plus désagréables. Le sujet
qui nous est imposé est Andromède et comporte 3 situations.
1° L'Ethiopie est dévastée par un monstre : scène religieuse pour demander à
Ammon s'il est un sacrifice capable de délivrer le pays. Le Dieu répond qu'il faut livrer
la princesse Andromède au mal : c'est-à-dire l'enchaîner à un rocher pour racheter
l'affront fait aux Néréides qu'Andromède a vaincues dans un concours de beauté. Le
peuple entraîne la vierge sans écouter ses supplications.
2° Andromède seule, sa douleur, les Néréides, en se jouant sur les flots, la rail-
lent impitoyablement.
y' Persée (qui se promenait par là, sans doute), délivre Andromède, ils se ma-
rient, le peuple (qui a tourné casaque... pourquoi???) hurle à Hyménée... On espère
qu'ils auront beaucoup d'enfants. Harpes, etc
Mon travail avance sans précipitation folle, ni lenteur désespérante.
J'aurai terminé demain matin la première scène (la plus longue des trois, de
beaucoup) qui comprend une bonne vieille marche religieuse. Scène d'invocation, tout
le diable et son train.
Je vois clairement que dans 21 jours, quand je sortirai d'ici, je serai complètement
éreinté. Aussi, j'ai abandonné totalement ma première idée, qui était de faire exécuter
ma Cantate au piano, avec chœurs et solistes devant le jury....
— 200 —
Lundi soir, iq août i8pi.
Cher Monsieur et Ami,
Merci mille fois pour votre bonne lettre si encourageante et si affectueuse. Oui
j'ai pris le taureau par les cornes. J'ai travaillé ferme, ma Cantate est entièrement
composée et l'orchestration en est même déjà assez avancée : la 75^ page commence à
se noircir. Demain, à midi sans doute, j'aurai fini la première moitié du poème. La
deuxième partie ira aussi rapidement, plus même j'espère, que la première.
J'aurai donc fini à temps, si, d'ici au 20 août, je ne tombe malade, ce qui est très
peu probable, car je me porte à merveille depuis mon entrée en loge. Ce qui pourra
résulter de ce concours, je n'en sais absolument rien. Je crois cependant pouvoir vous
promettre que mon orchestration sera bonne de la première à la dernière mesure. J'ai
beaucoup travaillé depuis un an et demi ; je me suis encore entendu à Angers et je
commence à me sentir la main sûre dans l'emploi polyphonique de l'orchestre.
Ayant terminé la composition de ma Cantate avant la date que je m'étais fixée,
j'ai plus de temps à consacrera l'instrumentation.
J'ai pu ainsi chercher et j'espère trouver le plus d'effets possible, enfin je ne re-
mettrai certes pas un travail orchestré à la diable. Mais l'orchestration c'est la sauce et
vous voulez sans doute avoir des nouvelles du poisson qui sera ainsi accommodé, j'en-
tends de la' cantate elle-même. Ne me demandez rien là-dessus. On est tellement abruti
de travail, que le sens esthétique est presque totalement engourdi.
Est-ce bon ? ne l'est-ce pas ? on ne sait. C'est fait et plus à faire : voilà la grande
question. Il faut finir coûte que coûte. Jamais une cantate n'est bonne d'un bout à
l'autre, dans la meilleure, les défaillances sont nombreuses. Mais, ces points noirs, le
temps manque pour les retoucher et c'est pourquoi cette besogne de concours est dia-
métralement opposée au sincère et réconfortant labeur de l'art. Certains jours (hier par
exemple), je suis conteant de mon travail. Cela me paraît solidement charpenté ; d'une
bonne cohésion expressive et musicale tout ensemble très dramatique et surtout sin-
cèrement écrit. Bref, je suis content de moi. D'autres jours (aujourd'hui après midi),
tout me paraît manqué et je passe alors des heures peu drôles. Ce soir je suis un peu
remonté, j'ai entendu des fragments de deux de mes concurrents et vraiment, sans me
vanter aucunement, je puis affirmer que ce que j'ai fait est mieux que ce qu'ils m.'ont
joué ; car vraiment leurs productions musicales, sans doute, ne sont que de vastes
exercices... saupoudrés de ressouvenirs wagnériens, pas un cri d'expression, pas un
accord mordant, de ces choses qui viennent de l'âme et qui y vont tout droit.
De ces choses, je n'en ai peut-être qu'une ou deux dans ma cantate, mais enfin
j'ai la certitude consolatrice d'avoir senti et écrit quelque part quelque chose de sain,
d'honnête et d'humain. Mais cette certitude pour moi ne sera peut-être (probablement
même) qu'un doute absolu pour le jury et je n'ai vraiment pas beaucoup d'espoir de
décrocher quelque chose. Peut-être le soin extrême que j'apporte à mon orchestra-
tion me vaudra une seconde mention honorable. Mais il vaut mieux n'y pas
compter
Fin août i8çi.
Cher Monsieur et Ami,
Je passe, depuis dimanche, des journées horribles, des nuits plus tristes encore.
Et cela pour un coup de tête fou, insensé, peut-être impardonnable.
Mais vous me connaissez et vous devez me voir lorsque j'ai entendu crier le nom
■de S... avant le mien. Une rage folle m'a pris subitement, mes dents claquaient et (on
— 201 —
me l'a dit depuis) j'avais une expression d'aliéné. Sans me rendre un compte bien
exact de ce que je faisais, je me suis refusé à entrer dans la salle du jury. Le lende-
main encore sous cette atroce impression, j'ai écrit di V Indépendance Belge qui avait
mentionné le classement du jury sans parler de mon refus.
Puissè-je ne pas payer d'une peine de toute ma vie ce coup de folie d'enfant qui
souffre trop en ce moment.
Et à cela s'ajoute pour moi la torture de ne pas vous voir, vous, mon meilleur,
mon plus fidèle ami, dont la présence m'eût été si précieuse à Bruxelles ! Car vous
m'eussiez empêché de commettre une faute insensée. Que pensez-vous de moi ? Je
vous prie, ne gardez pas plus longtemps le silence où vous restez, je ne demande
rien, rien, qu'une place encore dans votre estime. Vous le voyez, je souffre et bien
cruellement. Nul ici ne comprend l'état dans lequel je me suis trouvé et tous ceux qui
méconnaissent (ou presque tous) m'accusent d'une vanité folle et injustifiable. Ecri-
vez-moi, je vous en prie et j'attends anxieusement votre lettre.
Guillaume LEKEU.
Mardi, 75 septembre i8pi.
A Monsieur Vincent d'Indy
Cher Monsieur et Ami,
Le résultat du concours de Rome est connu depuis samedi soir. Le jury m'a
accordé un deuxième prix que j'ai refusé, c'est-à-dire que je n'ai pas voulu entrer dans
la salle pour m'entendre décerner cette distinction.
Après ce coup de tête, j'ai eu des moments fort noirs pendant lesquels je me suis
bien amèrement reproché mon refus, mais maintenant que me voici un peu calmé, je
crois décidément avoir bien agi.
Le concours de Rome n'est pas du tout ce que je croyais et je n'ai guère lieu
d'être fier de ma place à l'épreuve préparatoire. Je n'ai rencontré là (à une seule excep-
tion^ que de vieux piliers de Conservatoire qui ne savent pas le quart du métier le
plus élémentaire et n'ont absolument pas la moindre idée en tête. Mais ce n'est pas
entre eux que le concours a lieu, c'est entre les Conservatoires belges.
J'ai vu les six travaux soumis au jury. Quatre d'entre eux n'existent pas, grâce
surtout à l'absence de toute émotion, bien plus que par la pauvreté de l'harmonie.
Quant à la polyphonie, c'est lettre morte pour ces gens-là, ils en connaissent à peine
le nom.
Un jeune organiste de Gand, Monsieur Roels, remettait une œuvre fort intéres-
sante, d'un charme exquis et d'une perfection de forme absolument extraordinaire (|e
parle particulièrement de l'écriture chorale).
Pour moi, j'ai eu le rare bonheur d'être fortement ému par le sujet imposé et
d'avoir été pendant les vingt-cinq jours de loge, mieux disposé que jamais au travail.
J'ai fait le premier ouvrage dont je suis réellement satisfait. Je dois convenir, bien
certainement, de nombreuses faiblesses, mais j'ose vous dire, comme à mon meilleur
et plus sincère ami, que j'ai écrit là des pages de musique dignes d'un élève de Franck,
et où un musicien consciencieux doit reconnaître, dès la première lecture, que j'ai
reçu et attentivement écouté vos conseils.
Je n'ai pas eu une seule voix pour le premier prix. Sans aucune hésitation, le jury
m'a écarté, et M. Lebrun, de Gand, a eu cette récompense par quatre voix contre
trois accordées à M. Smalders de Liège, qui a obtenu cinq voix contre deux pour le
second^prix.
— 202 —
Roels, n'a rien eu ; il a été tout simplement mis à la porte du concours. Et sans
aucun doute le même sort m'attendait si je n'avais pas lu vos partitions d'orchestre
('la Scène Cévenole et Wallenstein); mais on a craint un peu que je ne parvienne à faire
exécuter mon œuvre et on m'a offert le deuxième second prix.
La cause de l'échec de Roels et du mien n'est autre qu'une vieille éternelle ran-
cune qu'ont les Académies musicales pour la musique moderne ; mais pour moi le cas
se complique de, mon éducation entièrement reçue à Paris et loin de tout Conservatoire.
N'importe, je crois avoir bien fait en me présentant à ce concours. J'en sors plus
fier, plus courageux. J'ai hâte maintenant de travailler à vos côtés, après vous avoir
montré ma cantate de concours, que je vais réclamer pour quelque temps au Gouver-
nement afin de la pouvoir recopier.
Je crois plus clairement que jamais que seuls les jeunes musiciens emportés dans
le mouvement moderne qui agite l'art entier, peuvent parvenir à faire des œuvres. Il
leur faut surtout beaucoup de courage, mais, quoiqu'il arrive deux d'entre eux ne fai-
bliront pas : Oscar Roels et moi.
J'espère avoir bientôt le bonheur de lire quelques lignes de vous, ne fût-ce que
pour me donner ou me refuser votre approbation au refus que j'ai opposé au jury.
J'ai vu en toute évidence que jamais il n'y aurait pour moi le moindre espoir
d'obtenir le prix de Rome et j'ai préféré en finir tout de suite.
Croyez, cher Monsieur et Ami, à la profonde et sincère reconnaissance de votre
élève bien respectueux.
G. LEKEU.
L'Acoustique au Trocadéro
La question de la suppression des échos au Trocadéro est doublement intéres-
sante et au point de vue purement scientifique et au point de vue de l'utilisation
future de cette admirable salle pour des concerts véritablement populaires.
Dans cette salle devenue bonne, se pourraient, en effet, donner utilement désor-
mais les manifestations musicales les plus grandioses.
J'ai eu le plaisir, il y a près de trois ans maintenant, de devenir le collaborateur
temporaire de IVl. Bourdais, l'éminent architecte du Palais du Trocadéro.
M. Bourdais avait déjà, ainsi que chacun le sait, approfondi la question d'acousti-
que du Trocadéro et l'étude générale des qualités sonores des grandes salles (voir ses
articles à ce sujet dans le dictionnaire de Planât). Afin de supprimer les résonnances
et les échos, il avait réalisé trois corrections qu'il est utile de rappeler ici. Sur les
conques et parties en voûte qui se trouvent au-dessus de l'estrade et du Grand
Orgue, et p^r dessus les admirables peintures de Lemmer appliquées sur le stuc de ces
surfaces concaves, M. Bourdais n'avait pas hésité à constituer un lattis de bois épou-
sant la forme de ces voûtes et sur lequel il avait fait clouer une toile épaisse destinée
à absorber les ondes sonores, les empêchant ainsi de se réfléchir et d'arriver aux
oreilles des spectateurs avec le retard d'au rnoins i/io de seconde par rapport à l'onde
directe qui constitue l'écho le plus gênant.
Des toiles semblables furent appliquées sur les surfaces cylindriques de la
salle .
Enfin des réseaux'de cordes, sous formé de filets, furent tendus devant les fenêtres.
D'autres essais furent tentés postérieurement. C'est ainsi que M. Bourdais essaya un
grand vélum sur tout le plafond.
— 203 —
Il est donc juste de constater que d'une façon continue l'éminent architecte du
Trocadéro a cherché à perfectionner, au point de vue sonore, l'admirable salle dont il
est l'auteur.
Au mois de janvier 1903, sur le conseil de M. d'Estournelles de Constant, je me
rendis au Trocadéro. Je demandai s'il ne trouverait pas intéressant de procéder, par
des expériences nouvelles à une analyse méthodique des échos du Trocadéro, afin que
nous puissions, d'un commun accord, fixer d'une façon définitive, quelles étaient les
parties principales de la surface intérieure du Trocadéro qui étaient responsables des
échos dont il y avait lieu de se débarrasser.
M. Bourdais m'offrit de la façon la plus gracieuse de devenir son collaborateur
temporaire.
De cette collaboration qui remonte à plusieurs années déjà, va sortir, je l'espère
du moins, un très sensible perfectionnement dans les qualités sonores de la salle du
Trocadéro.
Je ne parlerai pas ici des méthodes d'observations, de recherches scienti-
fiques, des épures de descriptives particulièrement compliquées qui durent être faites.
11 est néanmoins de mon devoir de rappeler que M. Bourdais qui fut particulière-
ment fort à l'Ecole Centrale dans la Science de la Descriptive était particulièrement
indiqué pour s'intéresser au problème que nous nous étions posé d'un commun
accord.
Les parties coupables du Trocadéro une fois reconnues, nous procédâmes à des
vérifications sur place démontrant par l'expérience que c'était bien elles les coupables
et non les autres.
Restait alors à entreprendre la troisième série des expériences qui devaient nous
apporter le remède. Après le diagnostic nous allons entreprendre le traitement et je
crois à la guérison.
Pour ce traitement, la Commission nommée par M. le Ministre de l'Instruction
publique, en date du 4 mai 1904 et qui se composait de :
Président. — (Le Président était le regretté M. Scellier de Gisors, inspecteur
général des bâtiments civils, aujourd'hui décédé. M. l'Inspecteur général Guadet assure
son service).
'[Membres. — MM. Bourdais, architecte du Palais du Trocadéro ; Brunel (Dr Blon-
del) compositeur de musique; Charpentier (Jules) membre du bureau des longitudes ;
Chapuis, professeur de physique à l'Ecole Centrale; d'Estournelles. chef du bureau des
théâtres, de la conservation des palais et du mobilier national ; Landrin, administra-
teur du Palais du Trocadéro; Lyon, ingénieur civil (Directeur de la maison Pleyel,
Wolff, Lyon et C°) ; Maréchal (Henri) compositeur de musique, prix de Rome; Merca-
dier, directetir des études à l'Ecole Polytechnique ; Picot, chef du bureau des bâtiments
civils et des Palais nationaux; Pierné, compositeur de musique, prix de Rome ; Pillet,
professeur au Conservatoire des Arts et Métiers ; Perdreau, chef du bureau de la liqui-
dation des dépenses et du Contentieux; VioUe, membre de l'Institut, maître de confé-
rences à l'Ecole normale supérieure, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers ;
Petot, sous-chef du bureau des bâtiments civils et des palais nationaux (secrétaire) ;
Dumonthier, sous-chef du Bureau des Théâtres, de la conservation des palais et du
mobilier national (secrétaire) ; MM. René Dubrisay, élève ingénieur des manufactures
de l'Etat et Sarraz, professeur de géométrie descriptive et de physique convoqués
lors des réunions de cette Commission, vient d'émettre à la date du i^'' mai 1906,
deux votes importants résultant de la mise à la disposition de la commission sur
les ressources ordinaires du ministère des Beaux-Arts d'une somme de 4.000 à
5.000 francs. La Commission a, en effet, décidé : i.o qu'il y a lieu de procéder aux
— 204 —
travaux d'expérimentation dont la commission technique avait indiqué l'utilité ;
2° que l'exécution en doit commencer autant que possible le 15 mars 1906.
M. Bourdais, qui n'avait pu se rendre à la séance avait, et c'était son devoir im-
périeux d'auteur et de conservateur du Palais du Trocadéro, manifesté les craintes que
la solution trop géométrique indiquée par la théorie ne modifiât l'aspect intérieur de
son Palais.
D'un commun accord fut cherchée la solution qui devait garder l'aspect général
des conques situées au-dessus de l'estrade et cette étude achevée, M. Bourdais et moi,
nous posâmes le problème suivant éminemment intéressant, mais particulièrement
difficile à résoudre :
Avec les 4.000 ou 5.000 francs votés pour une expérience, essayer de réaliser
cette expérience dans des conditions pratiques telles que si l'expérience était satisfai-
sante on put considérer ces travaux qui, primitivement devaient être essentiellement
provisoires, comme définitifs.
C'est à la solution de ce problème que M. Bourdais voulut bien m'associer à lui
et nous avons le plus grand espoir que d'ici quelques semaines, nous pourrons être
fixés sur les résultats pratiques de la correction entreprise.
Gustave LYON.
TKCEAXFIE DE ]?^OIVXE-a-A.r^LO
L'ANCÈ TRE
De Camille Sa,int-Saërie
(création)
La nouvelle œuvre de Camille Saint-Saëns comporte trois actes, et je veux dire
tout de suite que par la richesse musicale et harmonique qui s'y déploie autant que
par une vigueur d'inspiration que ne démentent point les années du maître, elle peut
aller de pair avec les plus beaux ouvrages de celui que l'on considère à juste titre
comme le plus grand musicien français contemporain.
Le sujet de YtÂncHre, dû à la plume de M. Auge de Lassus, est de la plus grande
simplicité. C'est un drame rapide dont l'action se déroule en Corse, sous le premier
Empire. Les mœurs si particulières de la Corse nous furent rendues familières par un
des chefs-d'œuvre de Mérimée, Colomba. On comprend que M. Camille Saint-Saëns ait
été séduit par le caractère profondément original de ce pays et de ses habitants, qui
de nos jours encore ont gardé quelque chose de leurs fières et violentes traditions.
Le premier acte de Y Ancêtre se passe dans un site agreste des montagnes de
Corse, où se trouve un ermitage et les chapelles funéraires de deux familles rivales,
les Fabiani et les Pietra Nera.
L'Ermite Raphaël qui habite ces lieux, s'est juré de réconcilier les deux familles
ennemies entre qui des vendettas sanglantes entretiennent une haine néfaste. Il a
convoqué les tenants et les fermiers de chacun des camps pour renoncer enfin solen-
nellement à leur rancune. Amis et serviteurs sont accourus à l'appel pacificateur ;
d'une part ce sont les Pietra Nera, ayant à leur tête Tébaldo, jeune et brillant officier
de l'armée de Napoléon, et qui vient de débarquer dans l'île. De l'autre, ce sont les
Fabiani, où l'on remarque deux jeunes filles, Vanina et sa sœur de lait Margarita. Toutes
— ^05 —
deux aiment Tebaldo ; mais c'est Margarita qui est aimée, c'est elle qui a échangé ses
vœux avec Tebaldo. L'on n'attend plus que l'Ancêtre, Nunciata, grand'mère de Vanina.
A demi-aveugle, elle descend enfin le sentier, à pas chancelants, escortée et soutenue
par son petit-fils Leandri, et par le porcher Bursica. Le vieux et pieux ermite conjure
ardemment alors l'aïeule, au nom du Dieu depitié, défaire trêve à son ressentiment et de
prononcer la parole qui réconciliera les Fabiani et les Pietra-Nera.
C'est en vain. Isolée et farouche, la vieille Nunciata ne laisse pas tomber le mot
libérateur des haines. Lugubres et menaçants les deux partis se. dispersent et dispa-
raissent, oppressés par la fatalité qui de nouveau pèsera sur eux.
Seuls, Tebaldo et Margarita se sourient avec amour et se quittent avec
l'espérance de se joindre bientôt, tandis que le vieil ermite rentre tristement en sa
demeure.
Au second acte nous sommes à la ferme de Nunciata. Leandri, son petit-fils, n'a
pas reparu, et Vanina sa sœur s'en inquiète. Soudain l'on entend au loin de sinistres
rumeurs. Et voici que, parmi des chants attristés, les serviteurs apportent sur un
brancard le corps de Leandri, frappé à mort par une balle de Tebaldo.
La vieille Nunciata, l'ancêtre, attirée par ces cris, s'avance, tâtonnante. Ses
mains d'aveugle palpent un corps rigide. Elle a reconnu les traits, les membres de
son fils, et la voici qui, le désespoir au cœur, profère le vocero du fils aimé tendre-
ment, du fils bon, vaillant et doux qu'ils luî ont tué. Enfin parvenant à dominer sa
douleur, d'une voix farouche elle proclame la vengeance et la guerre aux Piétra-Nera ;
une clameur de haine accueille ces paroles. Et l'aïeule alors, trop vieille pour venger
la mort, se tourne vers Vanina ; c'est à elle qu'incombera ce devoir redoutable et
sacré. C'est elle qui frappera les Fabiani.
Tremblante d'horreur, Vanina se voit forcée de jurer. Et l'homme qu'elle assume
de tuer, c'est Tebaldo. celui qu'elle aime.
Le troisième acte s'ouvre sur un riant paysage, une colline ensoleillée, non loin
d'une chapelle, et d'où l'on aperçoit au loin la mer et les monts irisés des diaprures du
levant. En ce site apparaissent Tebaldo et Margarita, dont Raphaël l'ermite va bientôt
bénir l'union et qui fuiront la Corse pour cacher leur bonheur sous d'autres cieux.
Survient Vanina, inquiète et frémissante et qui se reproche comme un crime de faiblir
devant la tâche affreuse qu'elle s'est imposée. Bursica le porcher, qui voit ses hésita-
tions, lui laisse à dessein son fusil chargé. Nunciata entre à son tour. Et voici qu'au
haut du chemin sortent de la chapelle, Tebaldo et Margarita enivrés de jeunesse,
d'amour et d'espoir. A cette vue Vanina sent la haine et le désespoir gonfler son cœur,
Elle se précipite, elle va décharger son arme, mais elle hésite : Qu'attends-tu donc, lui
crie éperdument l'aïeule ? «Je ne puis pas le tuer, répond Vanina... je l'aime ». Et
son bras retombe inerte : « Infâme parjure, s'écrie Nunciata ! C'est donc moi qui le
frapperai ». A tâtons elle ramasse le fusil et tente d'épauler, puis elle tire... Mais
Vanina s'est précipitée pour sauver Tebaldo. C'est elle qui reçoit la balle meur-
trière. Et tandis que l'Ancêtre s'éloigne croyant avoir fait justice, Vanina expire
entre les bras du porcher attéré et qui reçoit l'adieu suprême du dernier rejeton des
Fabiani.
Tel est Ce drame sobre, bien approprié aux mœurs de la Corse, assez impression-
nant, et qui l'eût été davantage encore avec un peu plus de dextérité scénique et si
l'auteur avait pris soin d'insister sur la psychologie des personnages. Telle qu'elle est,
l'action se borne à une succession de scènes rapides et ne laisse point assez de part
aux caractères.
OLuoi qu'il en soit, la partition de Saint-Saëns reste de tous points intéressante, et
les deux premiers actes sont parfaitement admirables.
— 206 —
Le premier acte débute par un beau récitatif de l'ermite Raphaël. Il faut citer éga-
lement le frais et gracieux duo de Tebaldo et Margarita, délicatement orchestré ; puis
la magnifique scène d'ensemble où l'ermite adjure l'Ancêtre, parmi les supplications
du chœur.
A l'acte II nous signalerons le récitatif émouvant de Vanina, par quoi s'ouvre la
première scène, puis le morceau capital, le vocero de l'Ancêtre Nunciata, d'accents tra-
giques et d'une noblesse déchirante. Enfin l'ensemble fortement rythmé qui termine
l'acte.
Le dernier acte comprend un joli chœur de femmes suivi d'un trio d'une facture
élégante et chanté par Raphaël, Tebaldo et Margarita. A noter enfin l'exquis chant
d'espoir et de joie des deux jeunes époux, auxquels viennent ensuite se joindre pour
former quatuor, les imprécations de Nunciata et de Vanina. Et tandis que cette der-
nière expire, l'œuvre s'achève en laissant entendre le thème du chant d'amour à l'or-
chestre.
Il serait superflu de dire que Saint-Saëns a déployé dans cette partition les iné-
puisables ressources de sa science et de son imagination musicales. C'est à quoi nous
nous attendions. Mais j'estime qu'en outre il fait œuvre superbe de dramaturge, et
qu'il a su invoquer en grand artiste l'atmosphère fatale et pathétique du poème.
Enfin l'on ne saurait assez admirer combien le maître a su dans son nouvel ou-
vrage prouver une fois de plus de quelle façon l'on peut concilier les besoins de la
scène avec ceux de la musique pure : tout y est rythmique et enchaîné avec une
logique supérieure comme un beau discours ordonne par un parfait orateur.
Voici vraiment une œuvre d'un fécond enseignement pour ceux qui croient de-
voir se passer d'ordonnance : V Ancêtre a la beauté d'une œuvre classique jointe à la
véhémence d'un ouvrage moderne. Mais cette véhémence est trop mesurée, trop interne
peut-être pour être pleinement sentie par le public habituel des théâtres lyriques.
C'est ce qui fait croire et dire à certains que Saint-Saëns est peu dramatique et nous
entendîmes également formuler cette opinion par certains spectateurs de VAncctre.
L'interprétation est dans son ensemble fort remarquable.
Mme Litvinne a composé en tragédienne lyrique de premier ordre le rôle de la
vieille et terrible Nunciata; elle a dit d'une voix impressionnante et puissamment tim-
brée le vocero du deuxième acte. Mme Farrar a de la grâce et du charme dans Mar-
garita ; c'est de plus une satisfaction musicale sans mélange que d'écouter la voix
délicieusement pure et le style impeccable de cette jeune et parfaite cantatrice.
M. Rousselière fait valoir avec aisance sa généreuse voix de ténor dans le rôle du
jeune officier Tebaldo. Le personnage de l'ermite Raphaël a été chanté par l'artiste
qu'est Renaud avec une science achevée de la diction lyrique et composé avec sa
recherche et sa conscience habituelles. C'est une intéressante création de plus à
l'actif de l'éminent chanteur. Mme Charbonnel (Vanina) possède un mezzo bien
timbré, mais elle manqua d'expérience scénique et pour cette raison ne sut point tirer
de son rôle tout l'effet qu'il devrait comporter. Dans le personnage, d'ailleurs épisodi-
que, du porcher Bursica, M. Lequin ne nous sembla point suffisant.
Les chœurs, excellemment stylés, ont rendu sans une défaillance la part impor-
tante qui leur est confiée dans cette partition. Il en fut de même pour l'orchestre, vrai-
ment parfait sous la direction de M. Léon Jehin.
Les décors, signés Visconti, sont tout à fait bien, surtout celui du troisième j
acte, véritable œuvre d'art par le sentiment, la composition et la poésie de la lu- }
mière. {
Alfred MORTIER.
— 207 —
LES Giîan'ûs eoncEiîTS
Concerts Colonne et Lamoureux
M. Chevillard ne donnant plus que du Beethoven, depuis trois semaines, ma
tâche aujourd'hui sera brève. De la séance du 25 février, ouverte par une belle exécu-
tion de la Deuxième Symphonie de Schumann, et clôturée par les Nocturnes de Debussy
et par la sélection classique des Maîtres Chanteurs, nous n'aurons à retenir que la pre-
mière audition d'un entracte symphonique de M. Auzende, pièce trop brève pour qu'il
me soit possible de formuler à son sujet la moindre impression et le Concerto pour
violoncelle de Haydn, joué par M. Pablo Casais. M. Casais est un merveilleux artiste.
chéri de tous les musiciens. Ce jour-là l'extrême chaleur qu'il faisait dans la salle,
l'œuvre jouée, assez gauche à ce qu'il semble, ou quelque autre condition extrinsèque
l'ont-elles desservi? Toujours est-il que, s'il fut acclamé comme d'ordinaire, il joua
moins bien que de coutume. Son instrument sifflait, le son était maigre, parfois même
douteux et je n'ai pu m'empêcher de dire à un voisin que je ne connaissais pas : « )e
vous en prie. Monsieur, si vous ne connaissez pas Casais, ne le jugez pas sur cette au-
dition ! »... Jeme demande aussi, avec toute la respectueuse admiration qui s'attache
à un tel artiste, si la recherche du style et du sentiment ne risque pas, en devenant
trop prépondérante, de s'exercer au détriment de la beauté du son. Voici plusieurs fois
que je crois m'en apercevoir et justement chez les musiciens, chanteurs ou instru-
mentistes, dont les tendances sont les plus hautes. En voulant trop bien faire, il leur
arrive parfois de sacrifier la simple beauté sonore à la profondeur du sentiment.
J'aime tout de même mieux cet excès, que l'excès contraire des virtuoses, celui,
par exemple de Mme Schumann-Heink, virtuose du gosier, entendue au Chàtelet ces
deux derniers dimanches. Oh ! l'air de la clémence de Titus, assommant et faux encore
que de Mozart, chanté par cette brave dame!... Et dire que le public jubile parce
qu'elle saute, avec un air de dire : » voyez si je chante bien ! » des vocalises aiguës
flûtées sans cerveau et sans cœur aux notes de gorge barytonnées sans esprit et sans
âme. Ah ! si elle était française comme on lui reprocherait ce bluff, ce mauvais goût,
cette affectation et cette autorité toute mécanique. Mais quoi ! ellle est allemande et
chacun délire.
Comme nouveauté, M. Colonne nous a fait entendre, le 4 mars, avec l'ardente
effusion qui lui est propre, une page symphonique de M. Emile Trépard : U Angélus,
que j'ai vivement goûtée. Si le début de cette œuvre, symbolisant le désespoir et les
blasphèmes d'un amant trahi, est d'une exaltation à la Charpentier, un peu bruyante et
extérieure, la minute où le son des cloches lointaines et le calme du soir apaisent ce
pauvre poète, m'a paru tout à fait exquise. 11 y a là, délicatement ponctuée de deux
notes obtinées de harpe, une lente et claire et prenante mélodie des cordes qui enve-
loppe, touche et pénètre. Une longue et belle et simple mélodie, quelle délicieuse oasis
dans la musique contemporaine ! et que c'est bon un artiste assez naïf pour nous bercer
d'une belle phrase qui part du cœur et s'adresse au cœur tout bêtement ! J'aimerais
qu'on nous rejouât V Angélus de M. Trépard.
Et puisque nous en sommes à ce concert, oserais-je dire aussi le grand, le très
grand plaisir que j'eus à réentendre, merveilleusement enlevée par les musiciens du
coin du quai, l'ouverture de Phèdre de Massenet. Dites que c'est roublard, d'une élé-
vation médiocre, d'un style un peu plat, tout ce qu'on voudra. C'est chaud, ça vit,
ça palpite! c'est un cœur qui vibre et qui chante, et que diable ! c'est ça la musique
après tout ! Jean d'Udiné.
— 3o8 —
Dimanche, 4 heures.
Je sors du Châtelet, délicieusement ému par deux fragments de la Rapsodie norvé-
gienne deLalo. Ah \ l'exquisesymphoniepure, claire, transparente, si généreuse de rythme
et si riche de tons dans sa coloration blanche et bleue ! et que M. Colonne joue donc
cela prodigieusement bien ! Vive la musique française ! Nous venons aussi d'entendre
quelques pages nouvelles doublement de chez nous, par leur forme et par leur sujet :
je veux dire les trois entractes des Girondins de M. Le Borne, Ils m'ont plu infiniment ;
c'est sobre, presque austère, comme le caractère des héros de la Révolution, d'une
couleur locale absolument juste, d'une brutalité concise, et d'un sentiment tragique
parfaitement approprié à la terrible et grande époque dépeinte dans ces fragments
d'orchestre. Le premier des préludes (celui du quatrième acte) la Mort, est traversée de
sombres fragments de Marseillaise conservant toute la noblesse de cet hymne, en dépit
de sa funèbre transposition aux instruments à vent les plus graves, le second (celui du
troisième acte), la Patrie, paraphrase le chant de Rouget de l'isle « Mourir pour la
patrie » avec une parfaite compréhension de l'esprit et de l'émotion propre aux vieilles
mélodies françaises, l'enrichissant d'harmonies toutes modernes sans altérer sa sensi-
bilité un peu archaïque, et le troisième (celui du deuxième acte), la Terreur, d'une
violence d'autant plus impressionnante qu'elle est plus concentrée, où le « Ça ira »
adroitement introduit met son éclaboussure criminelle sur la souffrance des grands
cœurs épris de liberté. Le tout est net, discret, avec l'élégance un peu froide du
temps et remarquablement intelligent. Le public n'a semblé rien comprendre à cette
évocation de notre grande épopée nationale, et a ménagé tous ses bravos pour la can-
tatrice allemande ci-dessusdénommée, à la vocalité impeccable, dépourvue totalement
d'âme, de distinction et de sincérité. Et c'est à désespérer d'écrire désormais pour
lui quoi que ce soit de probe, de direct et de réservé. Heureusement le temps remet
les choses au point, et conserve les belles œuvres plus longtemps que les interprètes
à succès ! J. d'U.
Concerts du Conservatoire
> ! , I ■ I J I . I ». I 1,11 i I
Nous ne saurions assez louer M. Marty de la maîtrise avec laquelle il conduisit la
5j^m^Jbo«îV de Franck. Il semble difficile d'associer plus étroitement et à un plus haut
degré la précision scrupuleuse de l'exécution avec la pénétration vivante, intime et
profonde d'une œuvre, — L'angoisse étreignante du lento initial, la reprise grandiose
du premier thème en forme de canon, la richesse incomparable des harmonies de
l'allégretto, l'émotion douloureuse, l'espoir secret et grandissant, l'enthousiasme final
qui magnifie la conclusion si puissante et si affirmative, tout cela fut rendu avec une
justesse et une intensité d'expression qui font le plus grand honneur à la direction
magistrale de M. Marty, comme à l'intelligence, à la souplesse et à l'homogénéité dç
l'orchestre.
M. Paul Locard faisait récemment remarquer dans ces pages qu'il ne devrait pas y
avoir une sorte d'incompatibilité entre l'éclectisme d'un programme, et l'art de tran-
sition. Combien opportune nous apparaît cette observation dès les premières mesures
delà Lyre et la Harpe de M. Saint-Saëns. Nous subissions encore le charme de César
Franck, et ce fut une impression singulière que la phrase païenne des cordes et des
harpes venant se mêler dans notre oreille aux échos non encore éteints de
l'admirable symphonie.
Cet oratorio, le dernier sorti de la plume de M. Saint-Saëns, — il date de 1879,
— nous paraît sensiblement inférieur à ses aînés, notamment à celui de Noël et au
Déluge. Tout le monde se souvient du poème de Victor Hugo. La Harpe célèbre l'idéal
chrétien alors que la Lyre chante les voluptés païennes. Mais, dans la vision du poète,
la pureté chrétienne et la beauté païenne ne sont que les deux formes d'un principe
éternel, les deux colonnes, différentes semble-t-il, mais également puissantes, dressées
toutes deux vers l'unique et impérieux fronton du temple de la Divinité. — Sur les
strophes du poème, M. Saint-Saëns écrivit des pages inégales. Toutefois, si certain
rythme d'allure espagnole semble au moins curieux et inattendu, si l'accent général
affecte une forme bien extérieure et convenue, il faut reconnaître la souplesse et le
charme de lignes mélodiques comme celle de la première strophe qui réapparaît çà et
là au cours de l'œuvre, la belle unité de la fugue en mi bémol construite sur les vers
y^a, l'Olympe est né du Parnasse, — Les Poètes ont fait les dieux ! » çt la chapson de la
Lyre : << Jouis, c'est unflcuve des ombres... » d'accent passionné, à la joie âpre, au rythme
étincelant, que M. Delmas interpréta avec son habituelle autorité et qu'il dut bisser aux
applaudissements des auditeurs. JVllles Demougeot et Lacombe ainsi que M. Cazeneuve
furent avec lui les distingués interprêtes de l'œuvre.
Le concert comprenait encore la belle et vigoureuse ouverture de Ruy Blas de
Mendelssohn dirigé? et exécutée de façon tout à fait remarquable.
Edouard Schnpider.
LA QUINZAINE MUSICALE
Société Philharmonique, — Il y eut quelque déception lorsqu'en arrivant rue
d'Athènes on apprit que le célèbre quatuor Rosé de Vienne, manquant à ses engage-
ments, ne prêtait pas son concours au douzième concert. Je fus de ceux qui le regret-
taient, car j'avais en d'autres temps apprécié la haute valeur artistique de cette compa-
gnie un peu lâcheuse à l'occasion. Mais je m'en consolai, quand je vis inscrite au nou-
veau programme une œuvre française, le Quatuor à cordes de César Franck, que le qua-
tuor Geloso, Monteux, Bloch, Tergis exécuta d'excellente façon, surtout le Scherzo vi-
vace et le Larghetto. Malgré toute l'admiration que je professe pour le maître, je ne
puis m'empêcher de trouver \e finale un peu long. Les mêmes formules y sont trop ré-
pétées. Le Quatuor en la mineur n" i de Schumann terminait le concert. Mrne Gaër
tanç Viçq chanta d'une voix sûre au timbre chaud et joli et avec un art charmant des
mélodies de Haendel, Mozart, Pergolèse, Grieg, la si touchante Chanson triste de Du-
parç et la Princesse endormie de Borodine aux mystérieuses harmonies. Mme Gaëtane
Viçq y fut très applaudie et dut bisser O Santissima, chant populaire toscan avec leque}
\\ nip paraît plus facile de danser que de prier.
Victor Debay.
Oonoerts Le Rey. — ■ Le dernier concert de février était consacré à la deu?:ième
audition de la Mégère apprivoisée de M. Le Rey, dont nous avons rendu compte dans le
dernier numéro, et d'un Concerto de M. Mozkowski très bien construit, et brillamment
exécuté par M. Dumesnil.
Mozart et Beethoven faisaient les frais du programme du 4 mars. M. Le Rey avait
choisi des fragments célèbres de la Flûte Enchantée ; ceux-ci nous parurent un peu
longs par la faute, sans doute, de l'allure trop lente donnée aux mouvements. Signalons
parmi les interprètes, M. Mary, qui possède une très bonne voix, et aussi Mlle Andrée
Loreç. Si l'exécution de la Flûte fut inégale, celle de la Cinquième Symphonie fut en
revanche très honorable, — la meilleure, à notre avis, que M- Le Rey nous ait fait en-
tendre jusqu'ici. Nous aurions souhaité peut-être plus de précision dans Vallegro vivace,
mais le scher:[o et le final furent enlevés dans un juste sentiment, avec un bon ensemble
et même avec une animation et une chaleur inaccoutumées.
Edouard Schneider,
2IO —
Société Nationale. — Il soufflait sur le concert du 3 mar?. un « vent nouveau W,
pourrait-on dire : celui des flûtes, hautbois, clarinettes, cors et bassons de la Société
Moderne. Personne ne s'est plaint de ce (( courant d'air », artistiquement mis en œuvre
par M. de Wailly, dans un Ottetto des plus pittoresques, qui mérite des éloges pour sa
grande clarté et son écriture impeccable. \^' Aubade {en trio) a particulièrement plu par
sa grâce archaïque de bon aloi. Seul, le Final apparaissait un peu long et trop voisin
des classiques ballets.
Les mêmes « Petits Vents », comme on les appelle familièrement, nous ont fait
entendre les Chansons et Danses de Vincent d'Indy ; on connaît déjà la saveur si origi-
nale et spirituelle de cette « boutade » du maître, à l'interprétation de laquelle furent
apportés tout l'esprit et toute l'exactitude désirables.
Les trois mélodies de M. Mariotte semblent garder, sauf peut-être la première inti-
tulée Douceur, la caractéristique de désespérance un peu amère, chère à l'auteur ; cette
réflexion, qui n'est nullement une critique, s'adresse aussi bien au choix des poèmes •
un Calvaire et un Frisson d'Atitomne comportèrent bien une telle musique, très fine-
ment chantée par Mlle Delph.
Les Chants de la Jungle, du distingué collaborateur du Courrier Musical, Jean
d'Udine, ont eu en M. Jan Reder un interprète de premier ordre. Cette œuvre, toute
de spontanéité et d'impression, par où peut-être elle touche un peu aux formes chères à
Schubert, est avant tout claire, simple et par suite aisément pénétrable : il semble que
les âpres et puissantes poésies de Rudyard Kipling réclameraient encore quelque chose
de plus.
M. Ricardo Vinès a mis toutes les ressources de son très remarquable talent au
service d'œuvres tellement inégales, qu'il convient de séparer nettement les éloges dus
au virtuose du jugement à porter sur ces diverses compositions.
Les Images de M. Debussy constituent un amusement charmant, comparable aux
tours d'adresse d'un habile prestidigitateur... parfois même il s'y rencontre de la
musique.
On n'en saurait dire autant de \a Sonate de Schulhoff... pardon ! de Balakircff, ou,
sauf quelques jolis traits, beaucoup mieux employés par Chopin avant lui, il n'y a rien
de plus que dans les Ketterer, Quidant, Kalbrenner et autres industriels, qui achalan-
daient les boutiques d'édition vers 1830.
A. Sérieyx.
Quatuor Parent. — Des quatre numéros qui composaient le programme
du 23 février, le premier nous parut quelque peu long ; le quatuor 71° y, écrit à quinze
ans ne présente, en effet, qu'un intérêt historique. Mlle Andrée Gellée exécuta très
joliment les Sept Bagatelles, op. jy, et apporta à l'exécution de la Sonate, op. sSi
ï Aurore, un art parfait, un charme très vif et une réelle puissance. MM. Parent,
Vieux et Fournier interprétèrent avec beaucoup d'éclat, de largeur et de grâce égale-
ment le Trio poiir violon, alto et violoncelle n" 2 op. 9 n° i qui compte parmi l'un des
plus beaux qu'ait écrit le maître.
La première séance de mars était réservée à la musique moderne. C'est toujours
une joie nouvelle d'entendre le Quatuor de Chausson et les richesses de sa délicate
sensibilité, de sa fantaisie si pure et si personnelle, de son âme enveloppante et rêveuse,
qui en font un des plus beaux quatuors de la musique moderne. Mlle Dron, MM. Pa-
rent, Vieux et Fournier lui apportèrent toute l'ardeur et toute la perfection souhaitées;
ce fut une excellente exécution. Que dire des mélodies de Mlle Corbin sinon qu'elles sont
très jolies et habiles pastiches de Debussy ? Mme Fournier de Noce qui les chantait
nous fit entendre également deux chansons d'Alfred Bruneau, C'est l'amour qui tombe
et la Ronde de Marguerite, exquises de simplicité et de franche couleur populaire ; elle
les interpréta de façon tout à fait charmante. Mlle Dron et M. Parent nous donnaient
encore l'intéressante Sonate de M. Vreuls à laquelle viennent se mêler parfois des
souvenirs de Franck et de Lekeu. Enfin M. Ricardo Vinès essaya pendant près d'une
demi-heure de nous intéresser aux dernières pièces pour piano de M. Ravel, Miroirs,
ce à quoi, malgré son merveilleux talent, il ne put parvenir. Aucune des qualités du
fl
quatuor de M. Ravel ne se retrouve dans ces pièces incohérentes d'où semble exclue
toute musicalité. Ce sont des galvaudages de tierces et de quintes, d'innombrables et
inutiles traits qui jaillissent du grave à l'aigu ou de l'aigu au grave du clavier comme
autant de jets d'eau redoutables et intempestifs. Qu'il s'agisse de Nocluelles. d'Oiseaux
Tristes, d'Une barque sur l'Océan, c'est toujours le même et inintelligible balbutiement
de notes, le même bégaiement sans fin qui. à la longue devient exaspérant. Mettons à
part VAlborada dcl gracioso qui rappelle singulièrement une pièce d'Albeniz et qui
eut l'heur de faire sourire les grosses dames ainsi que me le fit remarquer un voisin
très versé dans l'expérimentation psycho-physiologique. N'est-il pas regrettable de voir
M. Ravel s'attarder à des amusements qui ne sauraient retenir l'attention que de quel-
ques dilettantes fatigués.
Edouard Schneider,
CONCERTS DIVERS
Concerts Clémandh. — Il est utile, aux concerts Clémandh, de se munir du pro-
gramme de la dernière heure, sans quoi, sur la foi de l'affiche, on risquerait de prendre
le Prélude et Cortège de Déjanire de Saint-Saëns pour la symphonie de M. Lefèvre-
Dérode annoncée et non jouée et le Prélude de Rédemption pour Espana de Chabrier,
comme le fit une de nos voisines. De ce dernier concert nous n'avons guère retenu que
le concerto pour trois violons de Vivaldi dont l'adagio est une page délicieuse, trop
arrangé peut-être par M. Alberto Bachmann qui le jouait avec M. Defay et Mlle L.
Adam. Un Intermezzo symplionique 'première audition) de M. V. Lebailly ne mérite
que d'être mentionné. Dans la Danse des Sorcières de Paganini, M. Alberto Bachmann
déploya une virtuosité qu'on ne peut que déplorer lorsqu'on la voit servir à un usage
aussi inutile. En s'attaquant au Prélude de Rédemption, l'orchestre de M. Clémandh
témoigna d'une belle audace, mais le succès ne répondit pas à son effort. Il le devra lon-
guement travailler et mûrir avant de le remettre à son programme. Espana lui aurait
mieux réussi. V. D.
Le i" mars, M. Tournemire dirigeait une partie de sa Symphonie.
M. Tournemire n'utilise pas l'immense vacarme orchestral que les modernes com-
positeurs ont à leur disposition, sa musique reste toujours agréable et ne devient
jamais assourdissante.
Mlle Grégoire a délicatement chanté le Chant de ma mère, le premier chant entendu
et oublié, celui qui a bercé nos premiers rêves, la douce chanson envolée, le relrain mort
dont il ne reste plus rien qu'un souvenir et qu'un regret.
Dans ses Cloches de Pâques, M. Tournemire a mis de la lumière, de la vie, on se
trouve dans un sentier ensoleillé, les roses s'ouvrent et les cloches prient !
Il y a beaucoup de pianistes ; il y en a peu comme Augieras. Pierre Augieras est
endiablé. Il ne casse pas le piano, mais le son est large, puissant, sonore, le rythme
marqué, il a du tempérament, la lougue de sa jeunesse, c'est pour un jeu semblable que
Liszt a écrit sa Fantaisie hongroise et M. Augieras y met toute la fantaisie et la verve
des Hongrois ! M. G.
Concerts Berlioz. — La réouverture des Concerts Berlioz vient d'avoir lieu, très
brillamment. La salle tout à fait coquette ne demande certainement qu'à recevoir de
nombreux auditeurs : avec un orchestre comme celui que dirige M. Monteux et des pro-
grammes composés avec le répertoire de nos grands concerts, nul doute que l'entreprise
artistique de M. Ch. Wolff ne réussisse. Il nous a été donné d'entendre entre autres
œuvres l'ouverture de Léonore (n" 3) et la Symphonie de Franck ; elles ont été rendues
avec beaucoup de soin et ont permis d'apprécier un orchestre recruté parmi les meilleurs
instrumentistes ; et à mesure que ces musiciens joueront ensemble, ce sera certaine-
ment encore mieux, c'est-à-dire parfait. A L.
— 212 —
Matinées Luigini. — On a souvent dit qne la grâce et l'esprit ne vieillissent pas et
conservent toujours jeune le charme d'un individu : A ce titre Diémer sera toujours
jeune, jeune comme le Rappel des Oiseaux de Rameau, qu'il détaille avec une légèreté
étourdissante, jeune comme la jolie oeuvre, La Source et le Poète (œuvre de vir-
tuose !) Et tandis que je l'écoutais je songeais qu'il s'y était peint lui-même avec son jeu
clair, cristallin, évoquant une source ruisselante au soleil matinal. Et le poète c'est l'ar-
tiste qui interprète la chanson de la source, la voix de la nature.
M. Devriès est tout à fait le héros rêvé du « Cavalier », le chanteur des Dernières
roses. Il en rend le rythme, la couleur, la poésie et c'est délice d'entendre le vieux maître
et son jeune interprète unir leurs talents dans l'éternelle jeunesse de l'art — même re-
marque pour G. de Lausnay qui enleva brillamment avec l'auteur, M. Diémer, la Valse
de concert dont l'entrain plût fort au public !
Mme Doria a chanté les Cygnes et les Ruisseaux d'automne de L. Lambert, mais les
murmures des ruisseaux étouffaient sa plainte ! l'accompagnateur en faisait un
torrent !
Le quatuor Soudant a mis toute la délicatesse nécessaire au premier quatuor de
Beethoven, et à celui de Haydn, œuvres délicieuses qu'on est toujours ravi d'entendre.
A une autre matinée, le quatuor Soudaat.ejcécute fort joliq:ient l'andante du Qua-
tuor Tchaïkowski qui contient toute la tristesse des steppes, la mélancolie uixifûrme
des neiges, la nostalgie d'un soleil lointain...
Mme Ratti-Bonnefoi se présente avec un charme souriant qui lui gagne tous les
cœurs en les dilatant. Et comme elle a une jolie voix et qu'elle chante avec feu, l'irïipres-
sion reste agréable, M. Figean lui accompagnait trois de ses compositions ; les Fugitijfs,
à un Oiseau et Aubade.
Mlle Marié de l'Isle est un bon gros chat qui miaule superbement l'air de Ma,rie
Magdeleine et celui de Louise. On a beaucoup applaudi la voix chaude et moelleuse de
M. Vieulle qui a chanté le poème ensoleillé de Bilitis et le polisson comico-tragique,
dernier amour de M, Trépard. Quant à Gorrien Ribo il prouve que le piano est
parfois un instrument de distraction, facilitant la digestion et excitant la bonne humeur
— parfois même la conversation. — La musique espagnole est chose légère ! ! Tra la la
la. Au reste il la joue avec entrain ! M, G-
MM. De Greef et BoucheriT'. — Il n'est rien de nouveau qu'on puisse dire sur M.
de Greef, remarquable autant par la précision et la délicatesse de son jeu que par la sûreté
de son goût, on ne peut mieux jouer Mozart qu'il ne l'a lait dans la séance du 5 mars.
Les quatre Sonates en sol majeur, en mi mineur, en la majeur et en si bémol étaient
au programme. La partie de violon était tenue par M. BouPherit, fervent interprète au?c
sons d'une rare beauté d'expression, Gabriel Houchès.
M. Francis Thibaud. — Tout à fait sympathique, Francis Thibaud aurait le droit
de jouer faux, sans mesure, sans sonorité, voire même sans instrument ; ce serait en-
core bien, extrêmement bien. 11 est tellement sympathique, Francis Thibaud. Mais il
violoncellise avec charme VElégie de Fauré où il est mélancolique et toujours sympa-
thique. Il enjolive avec grâce la célèbre Danse Hongroise de Brahms où il est enjoué et
plus que jamais sympathique; de même dans la Deuxièine Sonate de Saint-Saëns où
Diémer, au piano, étincelle et resplendit autant que dans ses charmantes œuvres. Et
pour terminer, Jacques « notre Jacques », que nous avons connu plus ardent, plus
illusionné, en un mot avec « le sourire », enlève superbement la Sonate à Kreutzer avec
Diémer qui lui, a conservé cette exquise risette, malicieuse un peu retenue, contente.
Le succès est formidable. D. S.
Intimités d'Art. — Pétrone se serait assis à l'aise dans l'élégante petite salle de la
rue Royale, ses yeux se seraient reposés avec satisfaction sur Mme Roger-Miclos, dont
la toilette s'harmonisait avec les lumières et dont la ligne harmonieuse se détachait sur
le fond pâle de la scène.
— 213 —
Enesco contraste avec sa force sauvage, la sauvage force de son génie, et la Sonate
dp Fauré s'accentua sous son archet ferme, sonore et passionné.
M. Gaubert, le flûtiste célèbre a fait entendre deux jolis poèmes musicaux de sa
composition que Mlle Demougeot a chantés avec grâce.
Truffier a récité des vers exquis, de Gabriel Vicaire, des vers charmants dits avec
charme.
Inutile de faire l'éloge de celle qui fut l'âme de cette heure moderne française q(ux
parut courte, c'est-à-dire d'autant plus agréable ! M. G.
Mlle Henriette Renié. — Il est incontestable que Mlle Renié est une des plus
brillantes harpistes de l'époque, car il est difficile de réunir à un plus haut degré la
virtuosité et le charme dont elle fait preuve. Le programme de son dernier concert était
délicatement composé : Un quatuor de Mozart pour piano, violon, violoncelle et harpe,
des solis de harpe exécutés par la brillante virtuose, une partie de chant par la grande
cantatrice Jeanne Raunay qui a superbement détaillé «A la bien-aimée absente» de
Beethoven et l'air du (( Rouet» de la « Damnation de Faust ». Parmi les morceaux les
plus applaudis de Mlle Renié citons une « Fantasia » composée par son frère, le Capi-
taine Renié, qui est un musicien de réelle valeur. Mlle Renié a dû bisser une « Arabesque »
de Debussy. W.
La Trompette. — Nous reviendrons sur l'ensemble des séances de cette société où
Ton entend les plus brillants artistes dans des programmes admirablement com-
posés.
M. BoRCHARD. — Dans différentes pièces de Sçarlatti, Mozart, Chopin, Fauré et
Diémer, M. Borchard s'est révélé à la fois brillant virtuose et excellent musicien. Il a su
traduire à merveille chaque maître dans le style qui convient, avec des nuances très
justes et de poétiques sonorités ; toutefois c'est dans Prélude et fugue en la mineur de
Bach-Liszt, dans les Études symphoniques dç Schumann et la Quinzième Rhapsodie dç
Liszt qu'il fut tout à fait supérieur. Il convient cependant de le prémunir contre ynç
tendance qui pourrait, par suite d'exagération, devenir un défaut : l'abus de la sono-
rité, Nous sommes convaincus, du reste, que M. Borchard ne se laissera pas séduire par
cette sorte d'effet facile dont abusent tant de pianistes ; il nous a prouvé par ailleurs
qu'il était musicien de trop bonne race pour ne pas soigner, avant tout, le côté musical
et artistique de son interprétation. De chaleureux applaudissements et de nombreux
rappels ont prouvé à l'excellent virtuose qu'il avait, du premier coup et à juste titre,
conquis la faveur du public. A. B.
M. Ch. Bouvet, — La seconde séance de la Fondation J.-S. Bach était consacrée à
la musique française aux xvn" et xviii° siècles.
Outre uqe Sonate à trois de J.-M, Leclair pour violon, violoncelle et piano que
MM. Ch. Bouvet, J, Jemain et Gros Saint-Ange, interprétèrent excellemment. M. Ch,
Bouvet nous fit entendre deux sonates charmantes et à peu près inconnues ; l'une de
P. Gaviniès, l'autre de Cassanéa de Mondonville ; la Gaccia de cette dernière sonate ^
été bissée par un auditoire enthousiasmé.
Mlle A. Vila a chanté avec style la superbe scène finale de VArmide de LulU et des
fragments de VOrphée de Clérambault et du Dardanus de Rameau,
Une pièce de Dufort l'aîné, pour violoncelle seul, a été exécutée par M- Gros-Saint-^
Ange avec charme et ampleur, et la ravissante apothéose de Lulli par F. Couperin
pour deux violons, viole de gambe et clavecin, dont la Fondation J.-S. Bach avait donné
la première audition l'année dernière, terminait allègrement cette soirée qui fait grand
honneur à M. Çh. Bouvet, directeur de cette belle institution. V.
Société modprnp d'Instruments a vent. -^ Remarqué particulièrement à ce con-
cert une Suite pour double quintette, de Georges Sporck, très joliment exécutée. Nous
aurons occasion de revenir sur cette oeuvre charmante, d'élégante facture, et qui ne
manquera pas d'être souvent aux programmes des sociétés d'instruments à vent. Une
— 214 —
réduction pour piano nous paraît indiquée. — Un fort enrouement n'a pas permis à
Mlle Luquins de faire comprendre les mélodies de Woollett qui doivent être de l'excel-
lente musique. D. S.
Mlle Lucie Caffaret. — C'est devant une très nombreuse et s^'mpathique assistance
que Mlle Lucie Caffaret donnait le i" mars, à la salle Erard, son premier récital. On
sait que cette toute jeune pianiste, à peine âgée de onze ans, obtint son premier
prix au dernier concours du Conservatoire. Aussi n'est-ce pas sans une certaine
défiance que nous attendions son apparition ; mais loin de nous apporter une déception,
cette extraordinaire enfant nous surprit par ses qualités musicales. Sans doute on ne
saurait lui demander ce que seul peut donner l'âge, à savoir la maturité qu'exigent les
grandes pièces de la littérature du piano ; mais, à défaut de cette maturité qu'elle ne
peut manquer d'acquérir, Mlle Caffaret possède un art très souple des nuances, une
grande clarté de toucher, et, chose étonnante à cet âge, une réelle puissance. La Fantai-
sie et Fugue en sol viineur de Bach-Liszt, l'allégro de la Sonate en ré majeur de Mo-
zart, V Arabesque de Schumann, et des pièces de Chopin furent jouées avec style, grâce
et fantaisie et lui valurent un très vif succès. Nous avons applaudi sincèrement Mlle
Caffaret ; souhaitons-lui de ne pas se laisser arrêter par le succès toujours dangereux,
et de développer de toute sa conscience d'artiste les dons remarquables à elle dévolus
par un sort généreux. . E. S.
M. Daniel Herrmann. — Le 22 février et le 9 mars, M. Daniel Herrmann que nous
avons applaudi cet hiver à la Société Bach adonné deux séances consacrées à la musi-
que française. Elles offraient le plus vif intérêt. Dans le premier concert, à côté de M.
Herrmann se sont fait entendre M. Gabriel Pierné {Sonate pour piatw et violon et les
Trois Contes de Jean Lorrain chantés par Mlle Blanc) et Mlle Boutet de Monvel (Sonate
de Franck et Andante et scherzo du trio de M. Rabaud ave M. Krauss).
Le 9 mars, le programme était consacré à M. Gabriel Fauré, Le maître, une fois de
plus, a remporté un triomphe. Tout d'abord la Sonate, ensuite Thème et Variations
interprété par M. Motte-Lacroix. Mme Durand-Texte a chanté admirablement — il n'y
a pas d'autre mot — diverses mélodies de Fauré. Le premier Quatuor terminait ce
deuxièm concert qui ne sera pas suivi d'autres, nous le regrettons infiniment. A ces
deux concerts M. D. Herrmann a été l'objet des plus chaleureuses ovations.
G. RouciiÈs.
L'Union Instrumentale. — Les lecteurs du Courrier connaissent déjà cette toute
jeune Société. Je leur ai signalé l'intérêt qu'elle présentait. Je rappelle à ce propos
qu'elle s'adresse à tous les amateurs de bonne volonté, désireux d'exécuter des œuvres
principalement classiques (S'adresser à M. Blancher, secrétaire général, 2, place
du Théâtre-Français). M. et Mme Duray-Sohy ont bien voulu nous convier, à
entendre l'orchestre dont ils sont présidents d'honneur. Sous l'habile direction de
M. Tanron, les membres de l'Union ont joué, outre deux fragments de Car?nen, la
Sixième symphonie de Haydn avec un ensemble et une sûreté vraiment dignes d'éloge.
Dans le Concerstûck de Weber Mlle Morin tenait la partie de piano et dans la Fantai-
sie dialovuée de Boëllmann Mlle Charlotte Duray-Sohy était à l'orgue. Leur succès a
été des plus vifs. L'exécution du deuxième tableau du premier acte d'Alceste a été des
meilleures avec Mme Planés et M. Ch. Morcl. De même \e Quatuor de VIrato de Méhul,
avec Mmes Duray-Sohy et Landowski-Messener et MM. Ch. Morel et Ed. Millot.
Enfin Mme Duray-Sohy avec sa voix timbrée et son style impeccable, a interprété ma-
gistralement la Cloche de Saint-Saëns.
G. ROUCHÈS
M. Dezso Lederer.. — Très vif succès pour le remarquable violoniste Dezso
Lederer, au concert qu'il vient de donner à la Salle Erard. Dans différentes œuvres de
Bach, de Saint-Saëns et de Max Bruch, il fit preuve d"un mécanisme et d'un sentiment
que nous avons rarement rencontrés. Mlle Grandjean et le pianiste Francmesnil ont
également été chaleureusement applaudis au cours de cet intéressant concert. F.
— 215 —
Société de Musique de chambre pour instruments a vent. — Les deux pre-
mières séances de la Société nous ont permis d'entendre, à côté de VOctctl op. loy de
Beethoven, d'un octett également de Haydn et d'une sonate de Brahms, — des oeuvres
nouvelles de valeur inégale. De la première séance il convient de retenir un Nocturne
pour double quintette à vent de Léon Moreau, vraiment charmant et riche de jolies so-
norités, ainsi qu'une Pastorale variée, dans le style ancien, de G. Pierné, pastiche dé-
licieux et d'une ravissante musicalité. Quant au Nocturne et Gigue pour flûte et piano
de G. Hue, il nous fut une occasion d'applaudir une fois de plus l'étincelante virtuosité
de M. Gaubert.
Le concert suivant nous offrait un Quintette de M. Th. Dubois, aux harmonies
gracieuses et élégantes, une Suite française sur des airs anciens de M. Perilhou, œuvre
très distinguée et fort habile dont un épisode, VHermite, valut un vif succès à M. Le-
tcllier, et une composition de M. Ch. Lefèvre, les Bergers d'Arcadie, qui parut assez
vide et inutile. A cette séance nous entendions la Sonate op. 120 n° 2 pour piano et cla-
rinette de Brahms. C'est une oeuvre merveilleuse de sérénité, de logique, de mesure et
aussi d'élégant et de réel sentiment. MM. Grovlez et Mimart en donnèrent une parfaite
interprétation. Edouard Schneider.
M. V. Staub. — Avec une maîtrise, une assurance remarquable et en même
temps beaucoup de souplesse, M. Staub vient de nous faire entendre en deux concerts
les plus belles pages pour piano de Beethoven, Chopin, Mozart, Liszt, Schumann,
Fauré, Balakirew, Debussy, etc.
Mme C. Schultz-Gaugain et M. W. Cantrelle. — Quel jeu séduisant que celui
de M. CantrelleJ; justesse, charme, style, virtuosité, toutes ces qualités s'y rencontrent
sans se heurter, mais au contraire en se fondant admirablement. Voilà un violoniste
d'avenir qui exécute déjà avec une grande maîtrise les oeuvres les plus délicates comme
expression et les plus ardues comme difficulté. Mme Colette Schultz-Gaugain a besoin
d'acquérir un peu de puissance et de mettre plus en relief les mélodies du premier plan
qu'elle sacrifie trop volontiers aux petites gargouillades qui les entourent. F.
Le Quatuor éclectique fait montre de sonorités charmantes dans le Quatuor en
sol mineur de Mozart et dans celui de Fauré, où Mme Bleuzet, MM. G. Lavello, C. Vi-
deix et Max. Thomas se font chaleureusement applaudir.
Mlle Monchablon nous ravit exquisement avec Rameau et Haendel dans l'inter-
prétation desquels elle apporte un charme infiniment pur. C. R.
Mlle Celiny Richey, MM. M. Chailley et P. Mimart nous régalent d'un Trio
de M. Février, oeuvre joliment inspirée, élégamment écrite, 'd'ailleurs remarquablement
exécutée. Aux deux intéressantes séances de ces excellents virtuoses, nous applaudis-
sons Mme Durand-Texte dans des Mélodies de Février et Mme Espinasse dans la For-
geromte de Georges Sporck. V.
La Nussery de D.-E. Ingelbrecllt obtient le plus charmant accueil au Théâtre-
Royal, interprétée par des gracieuses enfants qui s'offrent des bouquets de fleurs, s'en-
voient des baisers et possèdent déjà un joli talent. Les Chansons canadiennes et Popu-
laires d'IDluile Vllillermoz sont délicieusement chantées par Mme Marie Mockel :
très vif succès. H. B.
Mme Rey-Gaufrès. — Le talent de Mme Rey-Gaufrès n'est plus à faire connaître ;
mais on peut constater qu'il s'affirme, se développe, progresse encore, en un mot qu'il
devient l'égal de ceux qui sont les plus réputés, et à juste titre. En effet, aussi bien
dans Mozart et Beethoven que dans Shumann et Chopin, nous avons remarqué ce qui
convenait plus particulièrement comme interprétation proprement dite à ces maîtres
du piano, c'est-à-dire ici, une charmante fantaisie non dénuée d'une profonde expres-
sion, là une grande et musicale pensée mise au service d'une excellente virtuosité. M.
J. Ten Hâve qui prêtait son concours à ce concert a partagé avec Mme Rey les chaleu-
reux applaudissements qui ont retenti ce soir-là salle Erard. R.
— 2l6 —
Le mouvement musical en province et à l'étranger
LETTRE DE MUNICH
(Suite)
II me reste à vous parler des concerts particuliers.
D'Albert a donné deux récitals de piano dont Tun consacré à Beethoven. Que vous
dire de cet extraordinaire virtuose si ce n'est que chez lui le virtuose domine l'inter-
prète; or, Beethovens'accommode assez mal de ce défaut là, d'Albert a ]onéVA-ppassionata^
d'une façon à la fois merveilleuse et déplorable ; le public, lui, n'a vu que l'étonnant
mécanisme et a fait une ovation à l'incomparable pianiste.
Nous ne devons aucune reconnaissance à M. G. Liebling d'avoir fait le voyage
Londres-Munich pour venir nous jouer avec une sécheresse qui n'a d'égale que sa
virtuosité, le Concerto de Schumann. Schumann a fait mieux que ce concerto.
Dieu merci; il est surtout merveilleux dans les morceaux de fantaisie où sa grande
imagination peut se donner libre carrière, telle cette exquise fantaisie en do mineur pour
piano que nous a jouée l'autre jour Mlle Mikorey. Cette pianiste est une vraie artiste
qui transmet à son auditoire son émotion réelle et profonde.
Madame Mav Flowers nous a gratifié, ce dont nous nous serions passé parfaitement
— d'un Lieder-Abend consacré à des Chansons populaires anglaises, françaises et alle-
mandes qu'elle a chantées médiocrement s'accompagnant alternativement du Luth et de
la guitare.
C'est toujours un régal artistique que d'entendre la grande cantatrice Lili Leh-
mann. A soixante ans, elle a une voix que de plus jeunes lui envient sûrement. Par
dessus tout, elle a conservé ce beau et magnifique tempérament d'artiste qui nous im-
pressionne toujours. Nous ferons toutefois une réserve sur sa façon d'interpréter Mozart.
Cette réserve touchant le maître de Salzbourg nous la ferons partout ici, où décidé-
ment l'auteur des Noces est compris d'une façon trop différente de la nôtre pour que
nous la puissions admettre. Encore ferons-nous une exception pour Mlle Bosettî, la
cantatrice si non idéale, du moins parfaite du genre.
Mlle Staegemann est une cantatrice tout à fait charmante, à la voix souple et pure;
elle chante à ravir les vieilles chansons populaires allemandes qu'accompagne M. de
Eulenbourg avec une discrétion qui est un excès de modestie. D'où vient qu'elle nous
ravit et ne nous touche guère ?
Il y a une parenté de tempérament entre Mlle Staegemann et Mme Faliero-Dal-
croze; toutes deux ont un organe charmant etpossèdent un art consommé. On nepeutpas
détailler avec plus d'intelligence et de finesse que ne l'a fait la gracieuse cantatrice le
ravissant air de « Suzanne ». Voilà du Mozart chanté comme nous l'aimons. Le Roi des
Aulnes, il faut l'avouer, n'est pas dans les cordes de Mme Faliero-Dalcroze, mais elle y
fut intéressante, elle y met tant d'art ! Trop d'art même et c'est là son unique défaut.
Il vaut mieux ne pas parler de Mlle Halbe qui interprète d'une voix cotonneuse et
trop souvent « jaune » Gluck et Brahms tandis que sa partenaire au piano, Mlle Wanda
Trzaska exécute de son mieux, qui est à peine bien, une pastorale de Scarlatti.
Connaissez-vous Tilly Kœnen ? Si non allez l'entendre si vous en avez l'occasion.
C*est une cantatrice de grande envergure, à la voix prenante et forte ; elle vous émeut
profondément. Il faut l'entendre dans An die Nachtigall, de Brahms ou Ins Freie, de
Schumann pour comprendre tout ce que cette musique contient de puissance poétique.
On n'ose dire du mal de Mme Ackté, n'est-il pas vrai? Pensez donc, une artiste
universellement estimée, une des étoiles de l'Opéra ! On en peut moins dire encore
après le très grand succès remporté ici dans son concert. Et pourtant je voudrais pro-
tester contre un certain cabotinage et... mais non, je me tais devant le succès, succès
analogue, du reste, à celui da Liane de Vriès au « Gaertner-Theater ».
— 217 —
Pour en finir avec les chanteurs, disons un mot encore de M. von ziir Mûhlen. A
vrai dire il dit mieux qu'il ne chante encore qu'il chante bien, mais son art est gâté par
une certaine afifectation incompréhensible chez un homme qui est assurément un artiste,
ce qu'il a prouvé dans son interprétation des Deux Grenadiers de Schumann.
Sauer est un de ces rares pianistes qui, avec Gabrilowitçh, savent rendre Chopin
avec finesse et mesure et pourtant aussi avec toute la fantaisie nécessaire sans se croire
obligés d'ajouter à cette musique de névrosé je ne sais quelle note morbide qui en fait
une musique d'hystérique. Mais je n'ai pas la prétention de vous faire connaître cet
artiste dont la réputation est déjà faite.
Celle de Max Pauer le sera bientôt. Pauer est une sorte de Risler moins vigoureux
et moins triomphant, mais fort et coloré comme le merveilleux artiste français, plein de
goût et de savoir. Il a rendu à la perfection et avec un grand sentiment de vérité le Con-
certo italien de Bach, la Sonate en la de Beethowen et les Variations en do mineur du
même. Ce fut une des belles soirées de la saison. Notez bien ce nom, il est à retenir.
Hubermann, Hubermann, Hubermann ! Tout le monde connaît Hubermann, et il est
de fait que Ce talentueux jeune homme — ou son impressario — fait assez de réclame
pour qu'il ne passe pas inaperçu. Il faut avouer qu'il est plein de talent, dès lors sa ré-
clame ne peut que lui nuire. Il ne faudrait pas non plus, pensons-nous, exagérer ses
mérites. Il nous a joué avec un style parfait et une grande sobriété le Concerto de
Beethoven ; mais il ne nous y a pas semblé supérieur à quantité de bons artistes. Au
même concert nous avons entendu le pianiste Singer dans le médiocre Concerto en la
de Liszt. Singer possède avant tout une grande autorité et un rythme puissant, mais il
manque de poésie. En vérité on ne sait trop où il aurait pu la trouver dans cette œuvre.
Il faut assurément se méfier des enfants prodiges, mais vraiment on ne peut qu'ad-
mirer et se taire devant le merveilleux phénomène qu'est Fran:^ von Vec:{ey. Cet en-
fant de 12 ans joue le Concerto de Beethoven avec un rythme, une conviction et un
sentiment que lui envieraient des plus grands. Non pas que je veuille prétendre qu'il
le rend avec la profonde compréhension de l'artiste mûr, mais on voit que l'enfant sent
déjà cette musique grandiose et la respecte. C'est avec une désinvolture merveilleuse
qu'il nous a donné WChacone de Bach. Quant au Concerto de Paganini, il fut pour lui
un jeu. Il ne faut pas parler de difficultés techniques à cet enfant, elles n'existent pas
pour lui. Connaissez-vous rien de plus merveilleux, posséder à 12 ans la technique d'un
Kubelik et par là-dessus interpréter avec âme et sentiment la musique des grands maî-
tres I Vous avouerez que ce cas est peu commun.
E. de Stoecklin.
LETTRE DE LONDRES
Après ufie morte saison qui dura plus que de coutume, les concerts d'orchestre ont
repris de plus belle et l'un des premiers de igo6 fut donné par le Symphony Orchestra
fraîchement débarqué de son excursion à Paris. La pièce de résistance de ce concert
fut une nouvelle symphonie de Charles V. Stanford (qui dirigea le Symphony orchestra
au Châtelet), dédiée à la mémoire ,d'un « grand artiste » : en l'occurence le peintre et
sculpteur Watts.
La première partie de cette œuvre, inspirée par le monument représentant l'éner-
gie physique, est d'une belle allure et mélodique. Le développement musical en est par-
fait, intéressant, bien que très académique. J'aime moins les trois autres parties qui
représentent plutôt l'œuvre d'un professeur érudit que d'un créateur enthousiaste de
son art ; elles furent pourtant parfaitement exécutées, ainsi que la première par l'excel-
lente phalange.
Le grand attrait de la séance résidait en la réapparition du célèbre pianiste Arthui*
de Greefdont l'exécution du Concerto as Grieg enthousiasma l'auditoire.
Joignant une délicatesse extrême et une élégance de gestes à la puissance de son
jeu, et marquant son interprétation au coin du bon goût et du meilleur sens artistique^
— 2l8 ■—
de Grcef rendit cette belle œuvre en maître et l'on comprit à l'entendre (ou plutôt à le
réentendre) pourquoi Grieg l'avait choisi entre tous lorsqu'il s'agit de présenter son
œuvre pour la première fois. Les Arabesques de Schumann et le Ca/)r2Cc' sur Alceste
de Gluclc par Saint-Saëns, merveilleusement exécutés, achevèrent le triomphe de de
Greef que l'on acclama et que l'on rappela de nombreuses fois.
Peu de jours après, le Queen's Hall Orchestra^ de par la magie de trois noms, réu-
nissait à Queen's Hall une foule compacte. Mais quels noms ! Mozart, Brahrns et Ri-
chard Strauss I Du maître de Salzbourg nous entendîmes l'une de ses immortelles sym-
phonies : celle en ré (Haffner), et de Strauss, l'un de ces poèmes symphoniques qui ont
le don de provoquer les discussions contradictoires et exagérées dont on n'honore que
les œuvres d'une valeur transcendante. En l'occurence, c'était son Don Quichotte et,
cette fois encore, je n'ai pu trouver dans l'exposition de l'immense talent et du génie
orchestral de Strauss la justification de ses incartades harmoniques et de l'incohérence
du développement musical. Hugo Becker exécuta avec entrain les soli de cello de cette
œuvre ; mais l'on prit plus grand plaisir à l'entendre interpréter avec Maurice Sons (le
soliste de l'orchestre) le beau Double Concerto en la pour violon et cello de Brahms.
Une réapparition « most welcome )) fut celle de Mme Sacnger-Sèthe qui, sous le
nom de Mlle Irma Sèthe avait remporté de grands succès en Angleterre il y a quelques
années. Le talent de cette brillante violoniste's'est encore affiné et son interprétation du
Concerto de Mendelssohn lut surtout remarquable par une pénétrante expixssion et une
grande noblesse de sentiment. La technique de Mme Saënger-Sèthe est restée ce qu'elle
était déjà : parfaite ; et je me réjouis de la réentendre le 21 à l'occasion du Récital qu'elle
reviendra donner à Londres.
Au « His Majesty's )) théâtre, M. Herbert B. Free vient de mettre en scène Néron
de Stephen Phillips, une tragédie admirablement encadrée de décors somptueux et
habillée de costumes fastueux. Il incarne avec son grand talent le rôle principal, et, dans
le rôle d'Agrippine. la mère du héros, Mme Free se taille le succès peut-être le plus
beau de sa carrière. Une partition originale de Coleridge Taylor souligne les passages
principaux de l'œuvre et illustre les entr'actes. Elle est habilement écrite et je ne lui
reprocherai que la répétition trop prodiguée des principaux motifs. Le succès de Néron
est tel que la salle du « His Majesty's » fut louée pour plusieurs soirs dès le lendemain
de la première.
Depuis huit jours, la musique de la Garde Républicaine donne un ou deux con-
certs quotidiens à Covent Garden et y récolte un succès trop mérité pour qu'il soit né-
cessaire d'en dire les raisons. Les meilleures musiques militaires anglaises même ne
peuvent lui être comparées et les membres et chefs de celles-ci sont les premiers à
reconnaître la supériorité de l'excellente phalange française. Quant aux solistes que l'on
entend successivement ils sont également très applaudis et citer les plus vaillants serait
les citer tous. Je veux pourtant tirer hors de pair M. Fontbonne qui a émerveillé un
auditoire très éclectique en interprétant en grand artiste et avec une virtuosité éton-
nante la Fantaisie Pastorale de Doppler qui lui valut quatre rappels chaleureux.
Dans les cercles sociaux et artistiques l'accueil réservé aux musiciens français
n'est pas moins enthousiaste et nul doute qu'ils ne gardent un souvenir vivace de leur
visite actuelle à Londres.
Le programme de la prochaine saison de Covent Garden sera publié sous peu. Di-
sons déjà qu'il s'ouvrira par deux cycles de la Tétralogie dirigés par Hans Richter et
que les autres œuvres représentées seront : Don Juan, Rigoletto, Travîaîa, Aida, Bal
masqué, La Tosca, Madame Butterfly, La Bohème, Pagliacci, Faust, Roméo, Carmen,
le Jongleur de Notre-Dame, Armide, André Chénier, le Barbier de Bagdad, le Vaga-
bond et la Princesse, le V^aisseau Fantôme, les Maîtres Chanteurs, Tannhœuser et
Tristan.
Parmi les artistes déjà engagés citons : Mmes Aida, Destinn, Melba, Wittich,
Kirkby Lunn, Paulin, etc. MM. Burian, Caruso, Laffitte, Scotti, Van Rooy, Scveilhac,
Zador, etc.
Léo DiENSIS.
— 219 —
Â^G^R^» — Hîiitième C07icert pop7ilaire. [y février. — Le héros du huitième
concert fut M. Ed. Brahy. Il donna par sa direction admii-able, on pourrait dire
héroïque, de la Faust-Symphonie de Liszt, une inoubliable et passionnée fête d'art.
Le public lui fit une ovation des plus enthousiastes, à laquelle se joignit l'orchestre.
M. Brahy est celui qui a fait connaître en France l'œuvre gigantesque de Liszt. Il la
dirige par cœur et la possède de telle façon qu'on peut dire qu'il la recrée. L'exécution
en fut excellente ; le torrent de mélodie, la riche atmosphère harmonieuse se déversè-
rent abondamment sur les auditeurs attentifs et toute cette profonde émotion lyrique
s'en alla toucher les sensibilités même les plus lointaines. L'œuvre porta plus que lors
de la première audition et je ne sais si cela tient à l'interprétation meilleure où à l'édu-
cation musicale plus achevée du public angevin.
Mlle Amsden, une jeune cantatrice américaine dont la carrière s'annonce brillante,
chanta d'une voix pleine, ronde et sonore l'air à' I phi génie en Tauride et l'air d'Obé-
ron. Quelques détails de style lui restent encore à chercher, mais, malgré le peu de
temps qu'elle travaille, on admire déjà chez elle une facilité musicale et un tempérament
dramatique qui, servis par cette voix chaude, déroulée comme une onde profonde, per-
mettent de prédire à la jeune et ravissante artiste, des succès proches et certains.
UOuverture de Don Juan et VOuverture de Frithiof (Th. Dubois) complétaient le
concert.
Neuviènte concert populaire, 2) février. — La Sytnphonie en si mineur de M. Henri
Rabaud est une des œuvres modernes qu'on est le plus heureux d'entendre et que l'on
voudrait le plus souvent réentendre. La claire et noble conscience, la haute et grave
pensée qui l'ont conçue s'y répandent comme une vague amplement déroulée. Tout le
long de l'œuvre on peut suivre les réapparitions, transformations, alternances des quel-
ques thèmes sur lesquels elle est construite et se rendre compte de la sagacité qui les
conduit parmi l'harmonieux réseau qui les entoure. \J Andante est d'une, belle ligne
expressive toute empreinte de piété ; le Scherzo est habile, séduisant, gracieux ; les pre-
mière et dernière parties sont agencées avec une maîtrise qui doit inciter au respect
même les moins initiés. La Symphonie de M. Rabaud remporta un succès sincère et son
orchestration subtile, savante et bien mesurée des Chants religieux de Beethoven ne fut
pas moins appréciée. M. Jan Reder était chargé de la difficile interprétation de ces
chants et trouva l'occasion d'y affirmer un beau et solide talent vocal, un art sûr, bien
approprié à l'immortelle grandeur de ces pages où la géniale inspiration coule à pleins
bords. M. Jan Reder chantait également l'air d'Agammeinnon (Iphigénie en Aulide)
avec d'excellentes qualités de voix et de style.
La Sélection des Maîtres-Chanteurs, Prélude du y'"' acte, Danse des apprentis,
Ouverture, fut bien exécutée par l'orchestre. Le quatuor y fit de louables et heureux
efforts. Il n'y a plus de raisons désormais de contester que VOuverture doit prendre
place dans le répertoire classique. Les Amis du Ballet de Gréty, si adroitement et
légèrement arrangés par Mottl et VOuverture d'Euryanthe figuraient encore au pro-
gramme.
— Quatrième et cinquième séance de musique de chambre. i8 février et 5 Mars.
A la quatrième séance de musique de chambre on a entendu, non sans le plaisir
coutumier, un quatuor de Haydn (76°) puis le quatuor de Borodine dontMM. Mambriny,
Chapelin, Bailly et Becker ont vaincu allègrement les extrêmes difficultés. Mlle Amsden
a chanté deux lieder de Schubert et Schumann, et deux mélodies de Hahn et Fauré.
Sa voix, comme au concert de la veille, a dégagé une séduction à laquelle nul n'est resté
insensible. Ses dons de musicienne et ses recherches de diction la classent dès aujour-
d'hui parmi les chanteuses de talent. Notons en passant l'art accompli, rare et délicieux,
avec lequel M. Walther Straram accompagnait Mlle Amsden dont il est d'ailleurs le
professeur.
Au programme de la cinquième séance étaient inscrits le quatuor en la mineur de Schu-
mann, le septuor de Beethoven et ci7tq novelettes de Glazounow. Séance des plus satis-
faisantes qui fait grand honneur aux interprètes habituels, ainsi qu'à MM. Fichet, Jenot,
Jamar et Thomson qui prêtaient leur concours pour le septuor. Eva.
— 220 —
'^TAÎVCY» — Au concert du 4 février, le public nancéien eut la bonne fortune d'eïi-
%l tendre Mlle Eléonore Blanc dans la cantate de Bach Ich bin vergnïigt et dans
1 1 Trois Mélodies de M. J. Guy Ropartz, L'éloge n'est plus à faire de la voix si pure
de l'excellente artiste, de sa méthode parfaite, de son style impeccable.
Les Airs de la cantate de Bach m'ont bien semblé un peu longuets, mais les réci-
tatifs sont pleins de grandeur et un choral empreint d'une majestueuse sérénité, ter-
mine l'œuvre.
Les mélodies de M. J. Guy Ropartz sont intitulées : Chrysanthèmes ; Vos yeux : la
Mer. La première, d'une mélancolie automnale, très adéquate à son titre, est celle qui
m'a donné le plaisir le plus complet. La dernière, une barcarole, d'une banalité voulue,
s'interrompt en son milieu pour laisser entrevoir une maiine d'un éclat aveuglant :
« Les barques légères vers l'inconnu s'éloignent joyeusement et leurs blanches voiles
semblent les ailes d'oiseaux géants : tout s'embrase et rayonne sous la lumière éclatante
du soleil. »
Il est intéressant de suivre avec quelle fidélité la musique de M. Ropartz accom-
pagne la poésie qu'elle illustre : ainsi dans Chrysanthèmes., le profond sentiment d'inti-
mité qui souligne le vers
Et lorsque je m'enferme en ma maisoh bien close ;
dans vos Yeux., comparés à de « claires fontaines », le frisson nocturne qui fait
glisser le vent sur leur onde qui dort ;
enfin cet éblouissant paysage marin, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Ce fut un beau succès pour l'auteur et pour l'interprète.
Le programme, qui débutait par Vouverture de Léonore (n° i) — médiocrement
exécutée — Comprenait, en plus des numéros déjà cités, la divine Symphonie de Franck
que l'orchestre, en possession, cette fois, de ses moyens, joua avec toute la gravité, la
tendresse et la passion désirables ; puis V Alléluia du Messie de Haendel, dont la pompe
joyeuse a été magnifiquement rendue par les excellents choeurs du Conservatoire.
Pour finir, les Préludes et danses de Daria, de M. G. Marty. Préludes et danses
m'ont semblé agréables, mais la sublimité de Franck et la majestueuse robustesse de
Htendel leur faisaient un voisinage bien écrasant.
Le concert du 18 février eut, comme prologue, une petite scène de famille très tou-
chante. M. Guy Ropartz, ainsi que l'annonçait aux lecteurs du Courrier le numéro du 15
février, venait d'être décoré de la Légion d'honneur. Lorsque l'éminent chef d'orchestre
parut à son pupitre, les applaudissements éclatèrent, nourris et chaleureux. Puis, on
vit s'avancer, se frayant un passage à travers les musiciens de l'orchestre, une députa-
tion du personnel du Conservatoire, ayant à sa tête le général Joly, l'amateur nancéien
bien connu.
En quelques mots pleins de cœur, le général exprima au nouveau chevalier la joie
ressentie par les habitués des concerts, à la nouvelle de cette distinction si flatteuse et si
méritée. Il lui remit les insignes de la Légion d'honneur, lui annonçant, en même temps,
que la partition de sa 1'^ symphonie venait d'être gravée, à la suite d'une sous-
cription faite parmi les abonnés du Conservatoire et les admirateurs de son direc-
teur.
Nouveaux applaudissements. Réponse émue de M. Ropartz ; après quoi s'élevèrent
les accents pathétiques de VOuverture de Léonore {n° 2).
Beethoven triomphait encore avec le Concerto en mi bémol pour piano et orchestre,
joué par M. Alfred Cortot. Il serait banal de louer le jeu puissant et délicat du célèbre
pianiste ; mais je ne puis m'empêcher de dire toute mon admiration pour sa sobriété
pleine de goût, pour la scrupuleuse probité avec laquelle l'interprète s'efface devant
l'auteur, ne s'attachant qu'à rendre la pensée de ce dernier avec la plus fidèle exacti-
tude.
Les Variations symphoniques de César Franck furent pour M. Cortot l'occasion de
nouvelles ovations. Que cette musique, tour à tour tendre et passionnée, toujours pro-
fondément expressive, est donc féconde en émotions délicieuses 1
je voudrais en dire autant de La Chevauchée de la Chimère, poème symphoni-
que de M. G. Carraud, mais je préfère attendre une seconde audition pour me pro-
noncer sur cette oeuvre inspirée par une prose telle que celle-ci : « La gorge pleine de
fanfares, les moins lourdes des batailles (!!, les yeux baignés de rêve, je te suivrai hale-
tant, déchiré, ravi ! »
La belle Symphonie en ut mineur de Saint-Saëns déroula ses thèmes majestueux,
ingénieusement développés, faisant succéder, à l'ironie capricieuse de son Scherp^o, la
grandeur d'apothéose de son finale.
A la bonne heure, « voilà de la belle ouvrage )), comme on dit dans le monde chic.
Le 23 février, dans la salle du Conservatoire, un jeune pianiste, encore peu connu
— mais qui le sera — M. Victor Gille, donnait un récital de piano.
Le programme, très heureusement composé, comprenait Prélude et Fugue (en la
mineur), de Bach-Liszt ; une Pastorale, de Scarlatti ; la Sonate en 7ni mineur {op. go),
de Beethoven ; Nachtsstilck, de Schumann ; un prélude, deux études, un impromptu,
un nocturne et une mazurka, de Chopin ; enfin, la Légende de St-François de Paule
marchant sur les flots de Liszt.
Le jeune artiste joua ces œuvres de caractères si différents avec une extraordinaire
compréhension musicale. Son mécanisme merveilleux passe au second plan tant l'in-
tensité d'expression, qu'il met dans son jeu, tient du prodige.
Ce n'est plus du piano ; c'est une âme qui rêve, prie, chante ou sanglote. Pas n'est
besoin d'être prophète pour prédire à M. Gille les plus beaux succès,
A..
TOULOUSE. — Les fonctions de critique — dans ce moment en notre ville — ne
sont pas précisément une sinécure. Jamais le virtuosisme n'a battu son plein à
Toulouse comme il le fait actuellement.
Nous avons donc eu le Concert César GéléSO, remarquable virtuose du clavier, au
Jeu précis, net, vigoureux et au style charmeur, entouré de Mlle Denise Blot fpianiste)
et Claire Blot, harpiste. Puis sont venus nous charmer, encore par leur virtuosité, le
violoncelliste André Hekking et M. Joseph Thibaud. Le premier s'affirma dès le début
du programme par une heureuse traduction d'une Sonate de Grieg. Heureuse, dis-je,
elle l'était en effet, car M. Hekking conquit son auditoire par sa puissance de sonorité, par
son long archet, par son mécanisme, et aussi par l'interprétation chatoyante des diverses
œuvres de différentes écoles. Quant à M. Joseph Thibaud, dont j'ai déjà parlé aux lec-
teurs du Courrier Musical, il subjugua — le mot n'est nullement excessif — par la
netteté de son jeu, d'abord, par la qualité de son élégante pathétique et aussi par son
mécanisme.
Deux jours après, la Société des Concerts du Conservatoire et son distingué chef
nous conviaient à la quatrième audition de l'année. En voici le programme : la sombre
et austère ouverture de Manfred, de Schumann, qui fut très bien exécutée ; la Sympho-
nie Ecossaise, de Mendelssohn. Puis voici... voici... C'est ÏEtude Symphonique, de
Florent Schmitt. Je dois avouer, qu'ici, nous nous trouvons en présence d'un musicien
posté aux ultimes avant-gardes. Je ne me chargerai pas de vous dire à quelle école
appartient M. Florent Schmitt, car il m'est — sincèrement, très sincèrement même —
impossible, après une seule audition, d'arialyser une œuvre d'une aussi originale con-
ception. Mais ce que je peux dire, cette fois sainement et judicieusement, c'est que
M. Florent Schmitt est un remarquable coloriste, un chercheur obstiné de sonorités
non encore entendues, et de combinaisons de timbres étonnamment osées. Mais au-des-
sus de tout cela, il y a la technique autorisée d'un parfait musicien, d'un savant contra-
puntiste et, au total d'un de nos plus distingués grand prix de Rome.
Je regrette beaucoup que M. Paul Locard ait déjà analysé dans ses colonnes, le
Sang de la Sirène de M. Charles Tournemire, car j'aurais tenu à cœur de vous décou-
vrir la beauté de cette partition. Certes, tout le monde aurait perdu, et beaucoup, si un
simple critique de province vous eût initié au plan de cette œuvre d'une réelle valeur,
tandis que chacun y a gagné en lisant l'étude que lui consacra ici même mon talen-
— 222 — -,
tueux confrère. A Toulouse, nous n'eûmes que des fragments du Sang de la Sirène.
mais ils furent suffisants pour mettre en lumière le talent de symphonie de M. Charles
Tournemire; le suave, délicieux et exquis chœur de la première partie, les Ouessantins^
le Proélla, presque en son entier avec son style angoissant, ses accents désespérés, ces
chants liturgiques si remarquablement harmonisés et le tout soutenu par une trame
symphonique du plus haut intérêt, sont des pages puissantes qui honorent Técole
moderne.
Le concert se terminait par Brumaire, ouverture de Massenet. Cette pièce sympho-
nique, violente et tumultueuse — comme le sujet l'indique — fut fièrement enlevée par
l'orchestre que M. Crocé Spinelli dirigeait avec un bras vigoureux.
Orner Guiraud.
Concerts Tlrjvoijcés
Salles Pleyel
Grande Salle
Mars
i6 Mme Contoux-Quanté.
18 Mlles Suire (élèves),
19 M. Joseph Debroux.
20 M. E. Saury.
21 Mlle M -H. Hansen.
23 Mlle Labarthe
24 Mme Chevillard.
25 Mme Gruet (élèves).
26 Mlle Hélène GoUin.
27 Mlle Fernande Reboul.
28 Mlle l'astoureau.
29 La Société des Instruments à vent.
» La société des Compositeurs de Musique.
30 Mme W. Landowska.
31 M.Morpain.
Salle des Quatuors
16 Mlle Hortense Parent.
18 Mlle Hortense Parent.
19 Mlle Baudin.
21 Le Quatuor Calliat.
24 Mlle d'Albas et M. J. Dumas.
25 Mme Ed. Lyon (élèves).
27 Mlle Dennery.
31 Mlle J. Dumont.
Salle Erard
16 Mme Alem-Chéné.
17 M. Lazare Lévy.
:9 M. Busoni.
20 Mme Sax-Godefroid.
21 M. Friedmann.
23 Mlle Neu.
24 M. Jaudoin.
26 M. Sauer.
27 Mme Klèeberg.
28 M. Busoni.
29 M. Duttenhofer.
30 M. Sauer.
31 Mlle G. Magnus.
Salle des Agriculteurs
Mars
17 M. Wagner.
19 M. Backaus.
20 Société Philharmonique.
21 M. Backaus, 3 h.
24 Mme Carisson, ? h.
» M. Ed. Risler, 9 h.
25 Concerts Lefort, 3 h.
» M. Hirlemann, 8 h. 1/2.
27 Société Philharmonique.
31 Mme Guéroult.
Nouveau-Théâtre
19 M. Eugène Ysaye.
23 Festival Mozart.
25 id.
28 M. Eugène Ysaye.
E9 Festival Mozart.
23
'7
27
30
24
Salle ^ollan
Quatuor Parent.
M. Choinet.
M. J -J. Nin.
Le D^ Lulek.
Quatuor Parent.
M. de Sanstesteban.
Le D' Lulek.
Schola Cantorum
Société Nationale.
Les Elèves de la Schola.
Mlle Blanche Selva.
Cinquième Concert mensuel.
Société Nationale.
Salle de l'Union
Société J.-S. Bach.
Théâtre-Royal (rue Royale)
Les Intimités d'Art, 3 h.
id.
Ambigu
21 Anciennes Matinées Danbé, 4 h. 1/2.
28 id.
— 223 —
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A l'Opéra. — La reprise de VEtranger, de V. d'Indy, a été des plus brillantes avec
Mlle Bréval et M. Delmas. Espérons que, cette fois, la direction de l'Opéra fera tout son
possible pour donner une longue carrière à cette belle oeuvre.
Le ténor Rousselière, qui avait obtenu un congé pour aller en représentations sur
la Côte d'Azur, devait faire sa rentrée mercredi à l'Académie de musique, dans le rôle
de Max, de Freischutz. L'artiste n'ayant pas paru au théâtre à l'heure du spectacle, son
rôle fut confié à M. Gaston Dubois.
M. Gailhard a vu dans l'absence de M. Rousselière un manque aux termes de son
engagement. Il intente contre son pensionnaire une action judiciaire et lui réclame le
paiement du dédit prévu par son contrat, soit 40,000 francs.
La reprise des Maîtres Chanteurs., à l'Opéra, aura lieu dans les premiers jours
d'avril.
On a commencé dans les foyers les études d'Ariane.
A rOpéra-Comique. — Aphrodite passera vers le 20 courant. On répète en même
temps Marie-Magdeleine.1 Le Clos., et une œuvre de M. H.. Février, Le Roi aveugle.
. Société J. -S. Bach (salle de l'Union, 14, rue de Trévise). — Le concert du mercredi
21 mars aura lieu avec le concours de Mme Wanda Landowska qui, pour permettre la
comparaison entre les instruments anciens et modernes, se fera entendre tour à tour sur
le clavecin, le pianoforte et le piano. Mlle Carlotta de Féo, cantatrice, et M. Joseph
Bonnet, organiste, prendront part à la même séance.
Demain vendredi 16 mars, à la salle Erard, concert de Mme Alem-Chéné, dont
nous publions le programme sur notre encartage.
Le ig et le 21 courant, concerts du célèbre pianiste Backaus, à la salle des Agri-
culteurs.
A l'occasion du cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Mozart, la So-
ciété Musicale organise un Festival au Nouveau-Théâtre les 23, 25 et 2g mars en soirée
(Voir le programme sur notre encartage).
Mme Glotilde Kleeberg donnera deux concerts à la Salle Erard les mardi 27 mars
et mercredi 4 avril prochain à g heures.
Le vendredi 30 mars prochain, aura lieu, salle Pleyel, à g heures du soir, un
concert donné par la célèbre pianiste Mme Wanda Landowska. Ainsi qu'on pourra en
juger en parcourant le programme que nous publions d'autre part, c'est à une véritable
exposition de la musique des xvii" et xviii" siècles que Mme Landowska convie le pu-
blic. Ces programmes sont du plus haut intérêt.
Le 4 février a eu lieu à l'Université Populaire du Faubourg Saint-Antoine (Coopé-
ration des Idées), une très intéressante conférence de M. Ch. Batilliot sur l'œuvre poéti-
que d'Henry Bataille ; la partie musicale était confiée à Mme Jane Bathori qui inter-
préta merveilleusement La Chambre Blanche de Gabriel Grovlez.
Les soirées musicales de M. et Mme L. Diémer offrent toujours le plus haut inté-
rêt : lundi dernier, le succès a été enthousiaste pour MM. Joseph Thibaud, Hayot,
— 524 -'
Salmon, Chanoine Davranches, Le Lubez, Mme la comtesse de Maupeou et l'émînent
maître de la maison.
M. G. de Lausnay vient de faire entendre quelques-uns de ses élèves. Le suc-
cès a été aussi vif pour ceux-ci que pour l'excellent professeur dont l'enseignement est
si apprécié.
Cette année les élèves de Mlle Fanny Lépine célébraient le mardi gras sans cos-
tume avec un programme panaché qui allait de Charpentier (celui du xvii° siècle), à
Saint-Saëns, en passant par Beethoven, Grétry, Poise, Verdi, Gounod, Bizet, Masse-
net, pour finir par le premier acte du Roi l'a dit de Delibes. Toute la troupe de l'émi-
nent professeur donna et se fit applaudir. On remarqua la jolie voix cristalline de
Mme Roger Quérenet dans une scène de Falstaff (dernier acte), Mlle Saint-Amand,
exquise Mireille, Mlle Hamburger, pimpante soubrette dans Javotle et encore Mlles
J. Huet, Saint-Denis et Voisin. M. Vernudachi chanta dans une demi-teinte tout à fait
charmante un air de Zémire et Azor^ M. Pierre Guyot se montra excellent de voix et
de diction en interprétant avec esprit une scène de Bonsoir Voisin^ et M. Mareilhacy
dut bisser l'air de Vulcain de Philemont. Il ne faut pas oublier la parfaite accompagna-
trice du cours, Mme de Léotard qui, dans le Prélude de Rachmaninoflf, ï Allegro
scher:{ando de Saint-Saëns et une pièce de ' Debussy fit apprécier son beau et souple
talent de pianiste.
Nous apprenons avec plaisir la nomination de M. J.-J. Nin comme professeur de
piano à la Schola Cantorum.
' MM. L. FleuryetC. Decreus rentrent ces jours-ci à Paris après avoir donné 41
concerts dans 38 villes d'Amérique. C'est un joli record qui permettrait aux deux dis-
tingués artistes de prendre un peu de repos. Mais nous apprenons au contraire qu'aus-
sitôt rentrés, MM. Fleury et Decreus se remettront à leurs occupations comme s'ils ne
s'étaient pas absentés.
La Légende du Sang, — Une sensation d'art très diverse et très complète à la fois
a été offerte en son atelier par M. Arthus.
C'est la Légende du Sang de M. de Beuguy-Puyvallée, sur laquelle M. Louis
AuBERT écrivit une musique de scène pleine de puissance et d'érudition ; la Légende du
Sang^ celle du meurtre et de la guerre, embrasse tout le cycle humain, de la mort d'Abel
à Napoléon. L'Egypte, la Grèce, les Vikuigs, les Croisés, le moyen âge, les temps mo-
dernes y figurent. On conçoit l'étonnante diversité de rythmes et de modes que doit
embrasser une partition de petite étendue, et quel talent est nécessaire pour que l'œuvre
soit normale et belle. Elle était interprétée, en ses soli, par Mme et M. Bourgeois dont
l'éloge n'est plus à faire et les chœurs étaient tenus par un groupe d'élèves de la Schola.
A cette musique, se joignait la vision des scènes par des tableaux surprenants de colo-
ris. Une sorte de lanterne magique, éclairant des maquettes animées du plus haut inté-
rêt et donnait l'illusion de fenêtres ouvertes sur le passé. Les yeux étaient surpris et
charmés de ce décor mobile, objectivant l'Eden, l'Egypte, l'Hellade, Troie, le Nord,
toutes les phases du cycle dans tous les cadres où il se déroulait. Et, pour compléter
l'ensemble, au charme de l'oreille et de la vue venait s'ajouter le régal d'entendre les
vers noblement frappés de M. de Beuguy-Puyvallée.
Il est à souhaiter qu'un spectacle aussi attrayant, aussi nouveau par l'emploi de
tous les moyens propres à captiver l'attention ne soit pas réservé aux trop rares invi-
tés de M. Arthus, et que le grand public puisse applaudir la Légende du Sang.
Jean Marcel.
Reims. — Concerts éclectiques. — ^ Il y avait foule l'autre dimanche, salle De-
germann, à l'audition des concerts éclectiques. Ces succès sont dus certainement
à l'incessant travail de M. Vaysman qui se dépense comme virtuose et comme orr
ganisateur. Mlle Lucie Botz et M. Vaysman ont interprété magistralement la Sonate
pour violon et piano de Sylvio La^^^ari. Mlle Lucie Botz se fit ensuite chaleureusement
applaudir dans un Nocturne de Chopin et la Truite de Schubert.
Un chœur de jeunes filles exécuta trois pièces de César Franck et ce fut tine di*
-. 225 —
version heureuse très appréciée par la nombreuse assistance qui remplissait la
salle.
Terminons en complimentant bien sincèrement M. Vaysman qui se propose de
monter encore de grandes oeuvres auxquelles le concours de l'excellente chorale de da-
mes sera très précieux.
— Concert Feryiand Lemaire. — Dimanche dernier , 4 mars , se trouvait
réunie en la salle Degermann une nombreuse assistance. Divers artistes se faisaient
entendre avec grand succès, parmi lesquels M. Lucien Fugère qui a été le triomphateur
de cette matinée. Aussi la salle entière éclata en frénétique ovation après chacun des
morceaux chantés par cet excellent artiste dont le talent donne la perfection. Mlle
Jeanne Leclerc de l'Opéra-Comique s'est fait également acclamer. Mlle Vivard, pianiste,
tenait le piano d'accompagnement et nous lui adressons nos plus vives félicitations pour
la façon dont elle a fait valoir ce rôle si modeste. En terminant, compliments sincères
à M. Fernand Lemaire, l'habile organisateur de cette matinée qui nous a aussi donné
toute la mesure de son beau talent de pianiste-virtuose dans différentes pièces de Bee-
thoven, Chopin et G. Fauré ainsi qu'en chantant le duo du Pêcheur de Perles avec
M. Fugère. L. B.
Limoges. — Au 298° et 299" concerts d'abonnement de la Société Philharmomqtie
de Limoges, l'excellent violoniste M. G. Rabani s'est fait entendre avec un très grand
succès, dans des oeuvres importantes de Bach, Haendel, Schumann, Grieg, Fauré. Pri-
rent part à ces deux concerts : M. Charles Bernardel, pianiste virtuose très applaudi ;
Mlle H. Sirbatn, l'exquise cantatrice; l'excellent baryton, toujours fêté du public, M. G.
Boucrel, et Mlle /. Santori,à.e l'Opéra-Comique. L'orchestre de la Philharmonique était
dirigé par M. Van Eyckcn.
Versailles. — La Société J.-S. Bach, de Paris, viendra le samedi 31 mars, don-
ner, salle de l'Hôtel des Réunions, un concert avec orchestre sous la direction de M.
Gustave Bret, et nous offre un programme aussi varié qu'intéressant. Comme solistes :
Mlle Mary Pironnay, M. Motte-Lacroix, M. Daniel Hermann et M. Krauss,
Nantes. — M. G. Dantu et Mlle II. Menjaud viennent de remporter ici un très vif
succès dans la Marie-Madeleine de Massenet.
Monte-Carlo. — Premier Concert. — Le public débordait de la salle Garnier, au
dernier Concert classique pour entendre, au piano, M. Camille Saint-Saëns, jouer son
poème Africa et le Concerto en mi bémol de Beethoven. Le maître a exécuté ces deux
œuvres avec un style admirable, une magnifique virtuosité, qui lui ont valu une ovation
triomphale.
Certaines pages de M. Saint-Saëns, dans la première partie du concert, ont été
très applaudies, notamment le prélude du Déluge et l'air du Ballet de Parysatis que
l'excellent orchestre de M. Léon Jehin a exécutées en perfection.
Les Concerts D. Thibault continuent à avoir la grande faveur du public.
Soit dans le grand hall du Palais des Beaux-Arts, soit dans Fatrium du Casino,
l'excellent chef d'orchestre et son admirable phalange de virtuoses attirent une foule
énorme d'étrangers qui ne ménagent pas leurs applaudissements enthousiastes à ces
merveilleux artistes ainsi qu'à leur chef : les fragments d'œuvres classiques, les pages
modernes, les pièces pour solistes, tout y est exécuté avec une perfection et une maestria
qui suffisent à justifier l'accueil du public.
Mefistofele, le célèbre opéra de Boïto, aujourd'hui presque classique en Italie, et
qui fut joué. Tan dernier, au théâtre de Monte-Carlo, et l'été passé au théâtre d'Orange,
avec un très grand succès, vient d'être repris par M. Raoul Gunsbourg. Le public, une
fois de plus, a fait à cette belle œuvre le plus chaleureux accueil.
Le rôle de Mefistofele, tel que le compose M. Chaliapine, équivaut à une création ;
le jeune et puissant artiste russe, doué d'une des plus belles voix de basse qu'on puisse
entendre, comprend et interprète le personnage de Satan avec une vigueur et un relief
extraordinaire. U est magnifique autant que terrible. C'est pour lui un véritable
triomphe.
220
Dans le rôle de Faust, rexcellent ténor italien M. de Marchi fait admirer sa voix
bien timbrée et d'un généreux éclat.
Mme Lina Cavalieri, dans le rôle de Marguerite, et dans celui d'Hélène, chante dé-
licieusement et dépense une belle force dramatique.
Mme Deschamps-Jehin a tenu avec autorité le rôle de Dame Marthe et celui de
Panthalès.
La mise en scène de M. Raoul Gunsbourg est de toute beauté et s'approprie très
exactement à l'œuvre deBoïto. On a justement admiré les beaux décors de M. Visconti.
Et, dans les scènes féeriques, telles que l'Enfer et l'épilogue, les décors lumineux de M.
Eugène Frey, avec leurs transformations fantasmagoriques, ont émerveillé le
public.
L'exécution musicale, chœurs et orchestre, sous la direction de M. Léon Jehin, fut
de toute perfection.
Francfort-s.-Mein. — Une jeune artiste belge, Mme Eve Stinony, vient de se faire
entendre pour la première fois en Allemagne. Elle a remporté au cinquième concert de
l'opéra, un succès indiscutable. Après avoir chanté l'air des clochettes de Lackmé, l'in-
terprétation classique qu'elle a donnée d'œuvres de Mozart fut principalement remar-
quée. Les ovations du public et les éloges unanimes de la presse laissent espérer un
prompt retour de Mme Simony. ' W. B.
Nécrologie. — Nous apprenons en dernière heure la mort du compositeur russe
Antonin Arensky, décédé à St-Pétersbourg à l'âge de 65 ans. Il était professeur de con-
trepoint au Conservatoire de Moscou.
BIBLIOGRAPHIE
LIONEL DE LA LAURENGIE : L'Académie de Musique et le Concert de
Nantes à l'Hôtel de la Bourse (1727-1767). — Paris. Société française d'im-
primerie et de librairie. 1906, in-S", xxvi, 211 p., 7 planches hors texte.
Cet ouvrage d'un musicologue que connaissent et apprécient les lecteurs du Cour-
rier Musical est de ceux, toujours assez rares, dont l'on peut dire qu'ils sont entière-
ment nouveaux et véritablement utiles. On ne possédait jusqu'ici, sur l'Académie de
musique et le Concert de Nantes, qu'une brochure de Camille Mellinet, tout juste suf-
fisante pour faire désirer que le sujet fût sérieusement repris et approfondi. Il faut
savoir beaucoup de gré à M. de la Laurencie de s'y être adonné, et d'avoir, avec le soin
patient et la sûreté qui caractérisent sa méthode de travail, reconstitué une page
presque inconnue de l'histoire de la musique française et des mœurs provinciales.
Les archives locales, et certains dossiers des archives nationales, ont fourni les
matériaux essentiels de l'ouvrage pour lequel M. de La Laurencie n'a d'autre part né-
gligé de consulter ni les journaux de l'époque, ni les publications historiques, anciennes
et nouvelles. La source la moins abondante, parmi celles auxquelles il a pu recourir, a
été la musique proprement dite : car, ainsi que cela s'est malheureusement produit pour
la plupart des anciennes maîtrises de cathédrales, le fonds de musique du concert de
Nantes a été dispersé ou détruit, soit au fur et à mesure des changements de son réper-
toire, soit à l'époque des saisies et des destructions révolutionnaires. Nos vénérables
ancêtres avaient fort peu de respect pour la musique démodée, et l'envoyaient volon-
tiers, selon l'expression de Brossard, (( chez les beurrières ».
Le répertoire des concerts de province se calquait, d'ailleurs, sur celui des concerts
de Paris, et M. de La Laurencie, qui connaît mieux qu'aucun de nous les violonistes
français ou francisés du xviu' siècle, a pu reconnaître dans les programmes nantais les
__ 227 —
nortlS d'un grand nombre d'esntre eux, et joindre à leiir rnentîan une foule de notes bio-
graphiques pu bibliographiques.
Le système des « tournées » était déjà fort connu des virtuoses, à l'époque où s'éta-
blit cette Académie (1727) et les prétentions qu'affichaient les amateurs à juger du
mérite des ceuvres ou de l'interprétation ne différaient pas non plus de celles qu'étalent
aujourd'hui bon nombre de leurs descendants. Une anecdote bouffonne, contée à la
page 46, ou l'on voit un des « commissaires » du concert de Nantes se courroucer de ce
que, au début d'une pièce fuguée, plusieurs musiciens « restaient dans l'inaction »,
nous fait souvenir d'une opinion recueillie récemment dans un chef-lieu de département
où s'étaient fait entendre les Chanteurs de Saint-Gervais, et où l'un des auditeurs
s'offusquait de ce qu'ils n'étaient pas partis tous à la fois. Plus change la musique, et
îpoins varient les conditions de son existerice. Le dépourvu où l'on était à Nantes d'une
véritable salle de concerts, et les difficultés qu'éprouvèrent les dilettantç^ à réorganiser
leurs séances, après qu'un premier local leur eût été retiré, sont aussi des épisodes
d'une lecture fort amusante et qui ne manque pas de rapports avec l'époque présente,
puisqu'à l'heure actuelle Paris même T\e possède encore, en fait d'installations de ce
genre, ni le superflu, ni le nécessaire.
Nous n'insisterons pas sur l'agrément que l'auteur à su répandre dans un livre
qu'il nous faut garder de croire approprié aux seuls Nantais : soit que nous nous inté^
ressions à l'histoire de l'art ou à celle de la société française, nous y appreiidrQns tous,
quelque chose.
Une table alphabétique très complète termine le volume et y rend les recherches
faciles.
Michel Brenet,
J.-S. Bach, 100 chorals. — Version française, par A. Mahot, 4 volumes
(Breitkoff et Haertel, éditeurs, Leipzig).
L'œuvre de Jean-Sébastien Bach, cet évangile de l'art musical, commence à être de
plus en plus connu en France.
La réponse de la jeune élève du Conservatoire de Paris qui, questionnée — il y a
vingt ans — sur son répertoire de piano, ajoutait, après énumération des pièces
pianistiques en vogue : (( Je joue aussi la Fugue de Bach », ne serait plus de mise au-
jourd'hui.
Militants et auditeurs français connaissent Bach et, s'ils ne le comprennent pas tou-
jours, ils ne lui ménagent pas du moins, les témoignages d'admiration, à tel point qu'un
éditeur allemand avouait l'an dernier que les demandes concernant les œuvres du
grand Gantor lui arrivaient de France en beaucoup plus grand nombre que des autres
pays, l'Allemagne comprise ; et c'est avec quelque fierté que j'ose attribuer au travail
lent mais sûr accompli depuis quinze ans par notre Schola Cantorum, l'évolution du
public français vis-à-vis de J.-S. Bach.
Il est cependant un coin de son œuvre qui, jusqu'à présent, est resté à peu près
fermé à nos compatriotes : je veux parler de la partie vocale de ses compositions et spé-
cialement des Chorals qui parsèment toute la carrière de ce génie universel. La cause
de cette ignorance est que la plupart des Cantates et Oratorios ne sont point traduits et
que le Français répugne à chanter dans une autre langue que la sienne.
C'est cette lacune que M. Mahot a contribué à combler en choisissant parmi
les 400 Chorals environ, que J.-S. Bach a traités, une centaine des plus beaux et des
plus intéressants musicalement et en en présentant dans ce volume une traduction
française.
Et qu'on ne s'imagine point que ce travail fût aisé à effectuer.
Traduire les chorals de Bach, petits poèmes où le sens se résume en 2, 4 ou 6 vers
au plus, était une tâche d'autant plus difficile que l'inversion qui fait le fond de la
langue allemande affecte aux accents tpniqwee §t expressifs des places essentiellement
— 228 —
autres que dans notre construction littéraire française en sorte qu'un long et minutieux
travail est nécessaire au traducteur pour arriver à cette concordance des accents dans
les mots et dans la musique dont je parlais plus haut.
Je crois, qu'à très peu d'exceptions près, M. Mahot est parvenu à vaincre cette
difficulté qui était grande. Il est vrai qu'il y a mis toute son application et tous ses
soins et c'est de cela que je dois le louer tout d'abord.
Il ne s'est pas attaché, et avec juste raison, eu égard à l'esprit très différent des
deux langues, à serrer son texte mot à mot, mais, ce qui est beaucoup mieux, il a cher-
ché tout en conservant, la signification générale du couplet, l'esprit et l'expression
équivalant à la poésie allemande. Il a dû établir sa traduction en vers rimes ; agir au-
trement eut été méconnaître le caractère populaire des textes qui lui servirent de
modèles. Enfin il ne s'est pas astreint à traduire tous les couplets allemands de chaque
Choral, pensant fort justement qu'en notre langue deux ou trois couplets suffiraient
amplement.
Ce recueil, établi avec une admirative piété, paraît donc à son heure. Il sera pré-
cieux aux musiciens qui pourront ainsi avoir une notion suffisamment complète delà façon
très diverse dont Bach écrivait le choral vocal; indispensable aux maîtrises et associations
de chants religieux pour lesquelles il deviendra une mine inépuisable de cantiques vrai-
ment sacrés; et enfin, lorsque l'institution des Sociétés de chantmtxtes se sera répandue
en France, c'est dans cette collection de chefs-d'œuvre que les chefs intelligents devront
puiser la manne quotidienne de leurs études et de leurs concerts.
Le jour où, sur les programmes de nos Sociétés musicales, le Choral de Bach si
élevé de pensées et si facile, en somme, d'exécution, aura pris la place de l'ignoble
Chœur d'orphéon, il y aura un grand pas de fait dans l'éducation musicale de notre
peuple de France.
Vincent d'iNor.
Nouveautés musicales reçues
Emile VUILLiERMOZ : Les Dionysies (l. VOSrande; II. Le Désir), Les Trois
Princesses, Bourrée de Chapdes-Beaufort, Ronde des
Filles de Quimper lé. Jardin d'Amour, La Belle Fran-
çaise, Une Perdriole, Cœcilïa.
(Editées chez A, Z. Mathot)
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
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ZART
sous LE PATRONAGE DE
Madame la Princesse de BRANCOVAN, Madame la Comtesse Edmond
de POURTALÈS et de Madame Madeleine LEMAIRE
Zi SOUS la Direction de }([. ^epr^aldo fJAî^N
AVEC LE CONCOURS DE
Madame Lilli LE !I MANN
de Mmes Hedw. HELBIG, Maggie SATE, DOERKEN
MM. Edouard de RESZKÉ, M. ANCONA, SOTTOLANA,
BYGNOy, SAUTELET, Louis DIÉMER, Ed. RISLER,
Maurice HAYOT, DENAYER, SALMON,
Orcl^eslre et cljccurs de 100 e;cécutants
PROG R A M M ES
1^=^ CONCERT
Vendredi 23 Mars, en soirée, à 9 lieures très précises
1. Symphonie en mi h.
L'ORCHESTRE.
2. Air des Noces de Figaro.
Mme Lilli LEHMANN.
?. Allegro et Finale du Concerto en la mineur.
M. Maurice HAYOT.
4. Trio de « Cosi fan tulte »
Mmes Lilli LEHMANN et HELBIG.
M. SOTTOLANA.
5. Marche funèbre des Francs-Maçons.
L'ORCHESTRE.
6. Air des Noces de Figaro.
M. M. ANCONA.
7. gme Acte des Noces de Figaro.
La Comtesse Mme Lilli LEHMANN
Suzanne Mlles HELBIG.
Chérubini TATE.
Marceline
Figaro... MM.
Le Comte
Basilio
M. DOERKEN.
M. ANCONA.
SOTTOLANA.
Ch. SAUTELET.
2ME CONCERT
Dimanclie 25 Mars, en soirée, à 9 heures très précises
Mlusique de Chambre
r. Quatuor en 50/ mineur, avec piano.
MM. L. DIÉMER, HAYOT, DENAYER, SALMON.
2. Air de Don Giovanni.
Mme Lilli LEHMANN
Accompagnée par M. Reynaido HAHN.
3 Fragments de la Sérénade en si b.
pour instruments à vent.
4 Air du Roi Pasteur, avec violon obligé.
Mlle HELBIG.
M. Maurice HAYOT.
5- Mélodies.
Mme Lilli LEHMANN.
Accompagnée par M. Reyn-ildo HAHN.
6. a. Andante varié
b. Ouverture de la Flûte enchantée.
M. Louis DIÉMER.
7. a. Duo de la Clémence de Titus-
b. Duo des Noces de Figaro.
Mmes Lilli LEHMANN et HELBIG.
3me concert
Jeudi 29 Mars, en soirée, à 9 heures très précises
4-
Menuet, Alagio et Finale de la Sérénade en
ré majeur.
L'ORCHESTRE.
Fragments de la Grande Messe en ut mineur.
(Kyrie, Credo et Incarnatus est).
Mlle Lilli LEHMANN — Les Chœurs.
Concerto en ut mineur.
M. Ed. RISLER.
Air de la Flûfe enchantée.
M. Ed. de RESZKii
a. Gavotte d'Idoménée.
b. Trois Valses Allemandes.
6. Fragments de Don Giovanni d" acte).
Donna Anna Mmes Lilli LEHMANN.
Elvire HELBIG.
Zéline. Mlle TATE.
LeporeUo MM. Ed. de RESZKÉ.
Don Giovanni Mario ANCONA.
Fasetto SOTTOLANA .
Don Oitavio BYGNON.
Pianos ERARD et PLEYEL.
NOUVEAU-THEATRE
15, Rue Blanche
LUNDI 19 MARS et MERCREDI 28 MARS 1Q06, à 9 heures du soir
D E B X C O K C E R T S
Eiigèrje
E
^■^Si^^^^^aS^-
±'^^ CONCERT
Lundi 19 Mars 1906, à g heures du soir
Concerto J. S. Bach.
Concerto . Mozart.
Concerto Beethoven.
2ME CONCERT
Mercredi 28 Mars 1906, à q heures du soir
Concerto (avec 2 flûtes) . . J. S. Bach.
Concerto en si mineur . . C. Saint-Saens.
Poème E. Chausson.
Concerto Mendelssohn.
M. Eugène YSAYE
sera accompagrié par
l'Orchestre des Concerts du Conservatoire
sous la direction de
M. Georges MTiliTY
Chef â'Orchesiyc de la " SOCIÉTÉ 0E5 eONCEIÎTS DU eONSEUVaTOIlîE "
Âdministraiion de Concerts A. SAKDELOT, 23, rue d'Amsterdam
AUDITION D'CEUVRES
de leaîj'Sébastiei) BUCH
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SALLE yïOLIAN, MERCREDI 21 MARS, à 9 heures du soir
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Capriccio sopra la lonlananza del s»o fratello dileltissimo
fragir^ei^ls des Suites, Suites Arjglaises et Suites françaises
avec variations
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en fa majeur
en fa mineur
Prélude et Fugue
en si bémol mineur
FUGUE n" 1 de I'"Art de la Fugue"
Fantaisie chromatique et Fugue, etc.
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SALLE DKS CONCERTS, 8, rue d'Athènes
Administration : 32, RUE LOUIS-LE-GRAND (Pavillon Hanovre)
Les Lundi 2, Mardi 3, Mercredi 4, Vendredi 6 et Samedi 7 Avril 190^5
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LE (âlUflTUOli
J o ^ 6 p h
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^|V], les Professeurs Joseph Joacl^irr), C^^' H^''''''
£rr)rr)ar)uel ^j^irth et ]^oberf ffaussrr)ar)r)
LUNDI 2 AVRIL iço6
Quatuor, en fa majeur. Op. 77, n° 2 Haydn.
Quatuor, en la majeur Mozart.
XV'= Quatuor, en /a ;»/»e»r Op. 32 Beethoven.
MARDI ^ AVRIL igoô
Quatuor, en sol majeur Mozart.
XII^ Quatuor, en ?/!?/' ;;k7j' t.';;/-, Op. 127 Beethoven.
Quatuor, en /a «ja^'t'i/r. Op. 41, n" 3 .. Sciiumann.
MERCREDI 4 AVRIL icjoô
Quatuor, en ut majeur., Op. 54, n" 2 Haydn.
Quatuor, en /a ;»/;?6'z<;-, Op. 51, n° 2 Brahms.
XIII<^ Quatuor, en s/ & majeur, op. 130 Beethoven.
VENDREDI 6 AVRIL iço6
Quatuor, en ut viajeur Mozart.
XVI^ Quatuor, en /a w/o/Vin-, Op. 135 Beethoven.
Quatuor, en ré 7;!2»ez/r Schubert.
SAMEDI 7 AVRIL 1906
Quatuor en si h, Op. 76, L. II ; . Haydn.
Quatuor, en ut mineur Brahms.
XIV'' Quatuor, en ut dièse mineur., Op. 131 Beethoven.
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Madeleine et chez M. GRUS, éditeur, place Saint-Augustin. \
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DONNÉ PAR MADAME
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PROGRAMME
a Sonate en fa diè^e . . . . Schumann.
b Papillons .. Schumann.
M"' ALEM-CHÉNÉ.
Poésies X.
M. Jacques FENOUX.
a Valse-Caprice G. Faure.
b Barcarolle Schubert-Liszt.
c Valse-impromptu . . . Liszt.
d. Chœur des Derviches
Tourneurs . . . .
Beethoven-Saint-Saens.
c Pièce . .. . . - • . .
M°° ALEM-CHÉNÉ.
Poésies X.
M. Jacques FENOUX.
a JH OCtu\ ne fa majeur.. ..
b Mazurka"^ majeur . ..
c Paraphrase sur le Songe
d'une Nuit d'Été ..
M"" ALEM-CHENE.
Scarlati.
Chopin.
Mesdelssohn-Liszt.
SALLE DES AGRICULTEURS, 8, Rue d'Athènes
Samedi 24 Mars 1906, à ç heures
&&SiioxG& de JVExisicjTJie de GHamlDre
Dorjriée par I"^.
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Programme
1 . Sonate en sol majeur. Piano et violoncelle Beethoven.
MM. RISLER et FEUILLARD.
2. Sonate (Piano et Violon) Th. Dubois.
MM. RISLER et WILLAUME.
3. Trio en fa majeur Saint-Saens.
Piano, Violon, Violoncelle.
MM. RISLER, WILLAUME et FEUILLARD.
SALLE ERARD
DEUX BECITAI^S DE FÎAK0
DONNÉS PAR
EmiL Sf\UE1^
L-u-ndi 26 et "Vendr-edi 30 IVCars, à. 9 li.e\ix»es
FROGRAMAIE:
Premier Récital
Sonate op. 109 .. L.V.Beethoven.
Concert dans le Style Italien. , J. S. Bach.
a Toccata op. 7 R. Schumann.
b Intermezzo op. 117 n° i.. j. Brahms.
c Scherzo d'un songe d'uie
Nuit a'Eté F. Mendelssohn
4. a Vaiiations brillantes op. 12 . ,
b Nocturne f
c Etude op. 25 n° II ;
5 a 2'"° Romance ^
è Etudes en Octaves j
6. Don Juan Fantaisie
Fr. Chopin.
E. Sauer.
Fr. Liszt.
Deuxième Récital
1. Préluiîe et Fugue Bach d'Albert
2. Gr»nde Fantais e op. 15 Fr. Schubert.
3. iJ Scherzo op. 4 J. Brahms.
h Romance fa dière majeur ) ne-
^Traumeswirren.. \ ^- Schumann.
4. Sonate op. 35 Fr. Chopin.
5. a Rêve d'amour ]
è A Cheval (Etude de Concert n° 1 1) f ^ c
c Les délices de Vienne (Valse 1 ^- ^'^"=''-
de bravoure'; ]
6. Fantaisie-Norma Fr. Liszt.
Pour les Concerts ci-dessus, on trouve des Billets à l'Administration de Concerts A. DANDELOT,
83, Rue d'Amsterdam. Téléph. 113-25
m':i-i.y'1ii'^^''''f-^^\Si'A;'
Le^
"Pianos Gaveau
* ■ f
AppiîEeiES PAU
Les Professeurs du Conservatoire de Paris
Çjnih S^^^aïd, iProfcsseur d'harmonie.
Quel pas énorme vous avez fait et quels progrès vous avez réalisés depuis qu'en
1867 je faisais entendre vos pianos à l'Exposition Universelle !
Le grand piano de concert que vous m'avez soumis hier est un superbe instru-
ment, sonore, facile à jouer, d'un mécanisme parfait, d'une douceur invraisemblable et
dont le clavier, docile aux moindres fantaisies de l'exécutant, cède à la plus légère
pression. Je vous envoie mes félicitations les plus sincères.
Srtiiit Viaut, rrofesseur df accompagnement.
J'apprécie beaucoup les pianos Gaveau. Dès mon enfance, au Conservatoire de
Toulouse, je me familiarisai avec eux, jappris à les aimer, et depuis lors je n'en ai
jamais eu d'autres chez moi.
Çaiïi^t ^eïné. Membre du "Conseil supérieur.
Depuis longtemps j'ai pu constater la puissance et le charme, l'égalité de clavier
n l'homogénéité parfaite de vos remarquables instruments, et je vous remercie de
'avoir initié, pendant notre visite à l'usine de Fontenay, aux détails si intéressants de
leur fabrication
Victor*^ Waloi, Membre du Conseil supérieur et Professeur"
de "Clfant.
Bien que ne connaissant rien des détails et des difficultés de la fabrication du
>iano, comme depuis longtemps je suis à même de juger les qualités merveilleuses de
os instruments et de constater les immenses progrès réalisés par votre maison, je me
'lais à rendre hommage à vos succès, et à proclamer bien haut que, si la perfection
tait de ce monde, Messieurs Gaveau frères pourraient se vanter de l'avoir atteinte.
Vos excellents pianos ont toutes \&s qualités de force, de puissance et de sonorité
ésirables ; ils y joignent la douceur, la suavité et le charme, ce qui les rend absolu-
jîcnt supérieurs au point de vue de l'accompagnement.
Depuis vingt ans, j'ai pu les apprécier, et je suis heureux de vous dire toute mon
jimiration pour les résultats merveilleux que vous avez atteints, résultats couronnés
ar un succès longuement mérité.
LyALt^
'Estomac
à Grand Cadre en fer d'une seule pièce et Cordes croisées'
Fa.ctTai»e exicliisiverrient -A.2rfcistiq:vie
firRGuiSiMUSiEi
rnUSTEL ^ C'S lluc dévouai, 46. f^a^l
LE
9« ANNÉE. No 7. 1er Avril 1906.
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DO IRE
^OMMAIRE :
Portrait : MAX REGER
Musiciens contemporains :
Max Reger
Franz Liszt et l'Art
i CLASsiauE [suite)
JL'EcoLE DES Amateurs
[suiU). —IX
Les Premières : Aphrodite,
d'Erlanger, à l'Opéra-
Comique
Don Procopio, de Bizet, à
Monte-Carlo
ILbs Grands Concerts . . .
PAUL DE STŒCKLIN
J. CHANTAVOINf.
JEAN O'UDINE.
VICTOR OEBAY.
ALFRED MORTIER.
JEAN D'UOINE.
P. LOCARO.
La Quinzaine Musicale ; Société l^bilharmo-
nique, Concerts Le Rey, Société Nationale,
Société Bach, Les Maîtres du violon, Quatuor
Capet, Soirées d'Art, Concerts Nin, Qttatuor
Parent, Schola Cantorum, Concert Busoni.
Concerts Divers.
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
La vie musicale à Bruxelles.
Correspondances de : Lyon.MarseilIe.Monte-
Carlo ,Berlin, Le Caire.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles Diverses.
Nouveautés Musicales,
Le Directeur et le Secrétaire de la
Administration et Rédaction :
^9, RUE TRONCHET, PARIS (8«) ^^'^^^^'o" reçoivent les Mardi. Jeudi
— et Samedi, de /o heures à midi.
TÉLÉPHO]\E 259.95
iureau;c ouverts
de lo h. à midi et de 2 h. à 6 h. i/a.
Le numéro : 75 centimea
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musicale
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
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Paris et Départements 12 francs l'an
( Étranger . 15 » »
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
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Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8').
(TÉLÉPHONE : 252-95)
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Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de BréviUe — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D"^ Colas — M. Baubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — René Doire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud --
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars — E. Giovanna — Orner Guiraud —
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Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
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9- ANNÉE. N« 7. 1*' AVRIL 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portrait : Max Reger. — Musiciens contemporains : Max Reger
(Paul de Stœcklin). — Franz Liszt et l'art classique (Jean Chanta voine). —
L'Ecole des Amateurs (suite) IX (Jean d'Udine). — Les Premières : Aphrodite, d'ER-
LANGER, à rOpéra-Comique (Victor Debay). — Don Procopio, de Bizet, à Monte-Carlo.
(A. Mortier). — Les Grands Concerts (Jean d'Udine, Paul Locard). — La Quinzaine
Musicale : Société Philharmonique, Concerts Le Rey, Société Nationale, Société Bach,
Les Maîtres du violon, Quatuor Capet, Soirées d'Art, Concerts Nin, Quatuor Parent,
Schola Cantorum, Concert Busoni. — Concerts divers. — Le mouvement musical en
province et à l'étranger : La vie musicale à Bruxelles. Correspondances de : Lyon,
Marseille, Monte-Carlo, Berlin, Le Caire. — Concerts annoncés. — Echos et
Nouvelles diverses. — Livres? et œuvres musicales reçus.
COMPOSITEURS CONTEMPORAINS
MAX REGER
j'ai reçu de divers côtés un certain nombre de lettres plus ou moins aimables, me
reprochant de n'avoir pas, dans mes lettres de Munich, fait la part assez grande aux
musiciens modernes de l'Allemagne dont « mon devoir de correspondant » était
d'entretenir les lecteurs du Courrier ! Je croyais avoir rempli (souvent je l'avoue avec
peu d'enthousiasme) scrupuleusement ce devoir. J'ai essayé de fixer, à ma façon il est
vrai et selon les émotions ressenties, le rôle de Wolf et de Bruckner, j'ai parlé, si j'ai
bonne mémoire, maintes fois de Strauss, de Nikisch, de Weingartner, de Mottl, de
Lampe, de Thuille, de Weissmann, deKaskel, de Hausegger, de Bœhe, de Pfitzner, de
Mahler, de Schillings, même de Humperdinck, c'est-à-dire à peu de noms près de
tout ce que l'Allemagne compte d'artistes intéressants. J'ai oublié intentionnellement
Reger, sur qui je n'avais pas encore d'opinion bien arrêtée, oubli que je m'empresse
de réparer aujourd'hui. Dans ces causeries que je suis heureux de pouvoir reprendre
aujourd'hui, je m'efforcerai, comme par le passé, d'être sans parti-pris et de rester
sincère. On ne peut contenter tout le monde et son père !
Reger est, avec Pfitzner, la personnalité la plus originale de la musique allemande
contemporaine, et je crois son influence destinée à marquer une orientation nouvelle
de cette musique.
Né en 1873, ^ Brand, dans le Palatinat bavarois, sa biographie tient en quelques
lignes. Dès l'âge de 5 ans, il commence le piano avec sa mère. Tout en acquérant une
instruction générale complète (il passe brillamment ses examens d'admission à l'école
normale de son pays), il continuait avec ardeur ses études musicales, piano avec
Lindner, harmonie et orgue avec son père.
En 1888, à 15 ans, Reger entend pour la première fois de la musique dramatique,
— 230 —
une exécution orchestrale. C'est à Bayreuth et les œuvres s'appellent les Mm/^mn^gr et
Parsifal. L'impression fut énorme, définitive. L'adolescent s'essaye aussitôt à la com-
position. Successivement jaillissent une grande ouverture pour orchestre, des Préludes
et fugues pour piano, deux quatuors pour piano et cordes et pour cordes seules. Il se
rendit compte de la très relative valeur de ses œuvres et sut résister à la tentation de
les publier. Elles eurent ceci de bon qu'elles lui obtinrent de ses parents l'autorisation
de se vouer entièrement à la musique. Jusqu'en avril 1890 il travaille seul, étudiant les
grands musiciens, surtout les vieux maîtres du contre-point, Bach avant tout et par
dessus tout. Puis il entre à l'école de musique de Sonderhausen où professait Riemann
dont il suit les cours de piano, d'orgue et de théorie. Il accompagne son maître à
Wiesbaden et obtient bientôt une classe de piano et une classe d'orgue au Conservatoire
de cette ville. Il venait d'atteindre sa 17^ année.
De 1891 datent les premières compositions qu'il juge dignes de communiquer au
public : Deux sonates pour violon et piano, un trio, une sonate pour violoncelle, des
pièces d'orgue, des pièces de piano, des lieder, des chœurs. Sa veine productrice semble
intarissable. 11 est actuellement tout près de son centième opus et chaque numéro con-
tient la plupart du temps plusieurs pièces. Il a touché à tous les genres de la musique,
à tous sauf deux ; le drame et la symphonie. Ceci est caractéristique. Tous les jeunes
actuellement à peine sortis des conservatoires, ne rêvent que drames ruisselants de
passion et de lyrisme, vastes déploiements d'effets orchestraux. On ne sait pas faire
une sonate, mais on construit — une symphonie? non pas : forme étroite, vieilloteoù
l'individualité étouffe, — mais d'immenses poèmes où peuvent s'assouvir les aspira-
tions illimitées.
Reger, dont l'inépuisable facilité tient du prodige, Sauf l'œuvre d'enfance qui ne
fut qu'un effort sans lendemain, ne s'est essayé que tout dernièrement dans le genre
symphonique. Sa Symphonietta dont l'exécution donna lieu dernièrement à Munich à
des manifestations diverses, est construite selon les formes conventionnelles. Elle n'a
d'étrange que le titre qui fait qu'on s'attend à quelque chose de court, au lieu de la
vaste composition qu'elle est en réalité.
Deux influences ont pesé (sans du reste compromettre sa personnalité) sur Reger
et lui ont montré la voie dans laquelle il s'engagea : }.-S. Bach et Brahms.
J.-S. Bach ! Voilà qui est nouveau en Allemagne. Bach, de ce côté du Rhin, est une
propriété nationale dont on admire la grandeur, la fécondité, la puissance, dont on
méconnaît, je crois, la poésie et la tendresse et dont on dédaigna, jusqu'ici, l'enseigne-
ment. Lisez les œuvres de piano et violon de Reger, surtout les dernières, son œuvre
entière d'orgue, ses chorals, une partie de son œuvre de piano, Bach transparaît à
chaque page. Bach lui a enseigné à construire une fugue, ce qu'en Allemagne on
semblait avoir oublié, Bach lui a enseigné le respect de la logique, a développé en lui
le goût des belles architectures, Fart de faire jaillir les harmonies de combinaisons
polyphoniques. Je sais peu de chose aussi puissante que ses Variations (op. 86) sur un
thème de Beethoven pour deux pianos et aussi géniale que le fugue qui les
termine.
A côté de Bach, Brahms, chez qui Reger a appris le culte de la forme tradition-
nelle, la valeur du riche trésor de l'inspiration populaire, la possibilité d'exposer des
idées neuves et jeunes dans les vieux cadres, la recherche parfois métaphysique dans
l'expression, j'aime personnellement peu Brahms, je ne le compends point et si j'admire
parfois la belle ordonnance de ses œuvres, il me laisse en général froid. J'estime tou-
tefois que son influence, en ramenant les jeunes vers la musique pure, ne peut être
qu'heureuse et bienfaisante.
A propos de Reger on a parlé de Schubert avec qui il n'a rien de commun que la
— 231 —
richesse d'invention. Les thèmes de Schubert s'étendent en d'admirables périodes
poétiques avec lesquelles la prose nerveuse de Reger n'a rien à voir.
Depuis un an Reger est professeur d'harmonie, de composition et d'orgue au Con-
servatoire de Munich. Cet événement qui fit tant de bruit souleva de vraies tempêtes.
Reger n'était point vu d'un bon œil dans la Société wagnérienne. Thuille, jusqu'alors,
avait le monopole de l'enseignement. Il avait groupé autour de lui la jeune école
munichoise dont je vous ai fréquemment parlé. Il y a maintenant une rivalité éminem-
ment féconde entre les deux classes et la classe Reger gagne chaque jour du terrain
ce dont, quelque admiration personnelle qu'on ait pour Thuille, il faut se féliciter
chaudement.
Reger est un organiste remarquable qui comprend l'orgue autrement que comme
un instrument sur lequel on peut produire de curieux effets orchestraux. C'est en outre
un pianiste exquis, à la façon de notre Planté, qui joue vraiment du piano. De ses
études générales il a gardé dans la tournure de son esprit quelque chose de pédago-
gique qui fait de lui un incomparable professeur. Nous l'étudierons prochainement
sous ce point de vue en nous occupant des Conservatoires de l'Allemagne.
Paul de STŒCKLIN.
Franz Liszt et l'Art classique
(suite)
Si la fidélité à l'art classique, et spécialement à la tradition beethovénienne»
n'exclut pas pour les successeurs du maître le droit au progrès, du moins ce droit
doit-il s'exercer dans certaines limites.
Aussi verrons-nous Liszt, après l'avoir revendiqué, en déduisant et justifiant sa
revendication, montrer avec quelle mesure il en use. Entre Beethoven et lui, entre les
neuf symphonies et les douze poèmes symphoniques — plus Faust et Dante — le pro-
grès se marquera en deux sens (i), à savoir la généralisation et la précision. Liszt a
montré que les exemples littéraux de musique à programme se rencontraient en assez
grand nombre chez Beethoven : lui-même ne risque donc pas une innovation, il se
borne à généraliser des exceptions ; de Beethoven à lui, la minorité des cas, pour
ainsi parler, devient majorité. Mais en dehors de ces cas, combien de fois, lors même
que Beethoven n'a pas inscrit de programme explicite au titre d'une sonate, d'un
quatuor, d'une symphonie, ne devinons-nous pas la présence sous-entendue et sub-
consciente de ce programme ? A la vérité «toute organisation musicale se rend compte
— sinon toujours avec une entière clarté, du moins approximativement — de
l'impression qu'un poème instrumental doit faire passer de l'auteur à l'auditeur ; de
j même, elle prend conscience des passions et sentiments qu'il déploie, ainsi que de
\ leurs modulations » (2) ; mais l'obscurité de ces intentions à peine devinées, l'inquié-
i tude de ces pressentiments nuit à notre compréhension. D'où il suit que, si Liszt
généralise l'usage du programme en musique, c'est avec un désir de précision: «N'est-
il pas regrettable, dit-il, que Beethoven, si difficile à comprendre et sur les intentions
, duquel on tombe si difficilement d'accord, n'ait pas indiqué sommairement la pensée
(i) Il va de soi que le terme de progrès est pris ici dans le sens historique, évolutionniste et non dans
1 le sens intrinsèque, qui prétendrait donner aux œuvres de Liszt plus de beauté qu'à celles de Beethoven ; en
1 matière d'art, on doit toujours éviter avec le plus grand soin la confusion de l'histoire et de l'esthétique.
(2) G. S. t. IV, p. 47.
— 232 —
fondamentale de quelques-unes de ses grandes œuvres, avec les principales modifica-
tions de sa pensée ? » (i). Pareil danger n'existait pas au temps de la musique pure-
ment scolastique, formelle et objective, où le développement musical suivait des lois
strictes ; au fur et à mesure que ces lois se sont relâchées pour laisser plus de jeu au
sentiment, à la fantaisie, voire au caprice, et que, d'objective, la musique est devenue
plus subjective, toute communication préalable s'est trouvée rompue entre l'auteur et
l'auditeur. Aujourd'hui « le critérium de la loi musicale n'est pas dans les oreilles du
consommateur, mais dans l'idée artistique du producteur » (2) .
Le rôle du programme se trouve ainsi restreint, sa nature définie, son usage
limité, d'une façon assez étroite. Cet usage, si Liszt l'élargit, il ne va pas jusqu'à le
généraliser entièrement : en bien des cas la musique peut et doit s'en passer : « Le
programme ou le titre ne se justifient que là où ils sont une nécessité poétique, une
partie indissoluble du tout, et nécessaires à sa compréhension » (3). Là-même où le
compositeur aura reconnu cette nécessité, le programme musical de son œuvre ne
devra être« qu'un avant-propos quelconque, en langage intelligible, ajouté à la musique
purement instrumentale, par lequel le compositeur a pour but de préserver son œuvre
contre l'arbitraire d'une explication poétique et d'orienter par avance l'attention sur
l'idée poétique du tout, et sur un point particulier » (4). D'où il est clair que le pro-
gramme doit être exclusivement préalable. Liszt insistera sur ce point, qui est capital:
« Le programme n'a pas d'autre but que de faire une allusion préalable aux mobiles
psychologiques qui ont poussé le compositeur à créer son œuvre et qu'il a cherché à
incarner en elle. Bien que ce soit un vain enfantillage, et le plus souvent une erreur,
d'esquisser des programmes après coup et de vouloir expliquer le contenu sentimental
d'un poème instrumental, parce qu'il faut en ce cas rompre le charme, profaner les
sentiments, déchirer les plus fins tissus de l'âme, qui justement n'ont pris cette forme
que parce qu'ils ne se laissaient point saisir par des mots, des images ou des idées —
pourtant le maître est maître de son œuvre ; il peut l'avoir créée sous l'influence
d'impressions déterminées qu'il voudrait ensuite porter à la pleine et entière conscience
de l'auditeur » (5). Donc, le programme reste préliminaire: l'auditeur ne doit plus
avoir besoin de le consulter, dès que le chef d'orchestre a levé son bâton pour attaquer
la première mesure. Mais il reste à se demander comment un élément étranger à la
musique peut lui communiquer un caractère musical qu'elle n'aurait pas sans lui ? La
chimie nous offre maint exemple d'une pareille action, aussi énigmatique dans ses
causes, aussi indiscutable dans ses effets. Abandonnez à lui-même, à l'abri de tout
heurt, un liquide sursaturé, il refroidit sans cristalliser ; il pourra rester visqueux,
opaque, trouble, ou si limpide au contraire, que rien n'y trahisse à l'œil la présence
d'un sel. Plongez-y tout à coup une baguette de verre ; aussitôt, comme à un appel
magique, s'organisent en figures multiples et d'une admirable régularité, mille cristaux
brillants dont la matière éparse nageait jusqu'alors dans une sorte de chaos indistinct
ou invisible. De même l'éveil d'un mot suffira pour cristalliser, selon une formule
parfaitement claire et intelligible, mille impressions ou sensations qui, sans lui, seraient
demeurées dans une sorte de virtualité obscure au sein de la musique.
Il apparaît donc bien nettement, malgré les préjugés, en dépit des malentendus,
que l'introduction ou la généralisation du programme dans la musique symphonique
(i) à George Sand, G. S. t. H, p. 131.
(2) Séroff, cité par Liszt, G. S. t. V, p. 224.
(3) G. S. t. IV, pp. 27, 28.
(4) G. S. t. IV, p. 21.
(5) G. S. t. IV. p. 50.
— 233 —
n'avait pas du tout pour but, aux yeux de Liszt, de substituer la musique descriptive,
pittoresque, à la musique pure, ou en d'autres termes un art extérieur et objectif à un
art intérieur et subjectif. On s'en aviserait plus vite, on s'en convaincrait aussi plus
aisément si, en écoutant ou en étudiant les Poèmes symphoniques , on prenait soin de ne
pas confondre deux choses qui sont radicalement distinctes, à savoir les préfaces et les
programmes. Lorsque, au titre du Tasse ou de Prométhée, Liszt rappelle les circonstances
qui ont favorisé ou accompagné la genèse de ses œuvres, lors même qu'à ce petit exposé
historiqueiljointquelques confidences d'artiste, rien ne ressemble moins à un programme:
le programme du Tasse, ce n'est pas cela ; ce n'est pas même l'histoire du poète italien,
ce n'est pas même le drame de Goethe, c'est l'opposition de ces deux mots, formant le
sous-titre : lamenta e trionfo. De même, si Liszt, à la première page de son œuvre, cite
le poème de Hugo, Ce qu'on entend sur la Montagne ou Ma^eppa, ces citations déve-
loppées, simple hommage du musicien au poète, ne peuvent être prises pour des pro-
grammes ; on ne doit pas chercher dans la musique des équivalents, des parallèles, des
projections du poème, tel développement répondant d'une manière plus ou moins
exacte à telle strophe, telle mesure à tel vers. Une pareille erreur serait d'un aveugle-
ment puéril. L'image essentielle ou l'idée centrale du poème, voilà tout le programme :
L'une disait : Nature, et l'autre : Humanité.
ou bien
....il court, il vole, il tomb^ej
Et se relève roi !
On pourrait multiplier les exemples, avec Hamlet qui ne prétend pas suivre ou
retracer les péripéties du drame shakespearien, mais synthétiser quelques traits de
caractère ; avec la Bataille des Huns , dont les détails ne cherchent pas à imiter ceux du
tableau de Kaulbach, mais qui oppose simplement la rudesse barbare et la douceur
chrétienne ; avec les Préludes, magnifique application au lyrisme poétique de la grande
variation beethovénienne, etc. Bref, presque toujours, le programme se réduit à deux
mots ; le plus souvent ces deux mots évoquent moins des images plastiques que des
sentiments, des émotions qui sont la source même du lyrisme. Si l'on voulait enfin
réduire cet art à sa plus simple expression, le plus souvent aussi on trouverait qu'en
fin de compte Liszt n'a pas fait autre chose que d'exposer dans sa musique cette « lutte
de deux principes » par laquelle Beethoven lui-même expliquait beaucoup de ses propres
œuvres. Déjà, dans les Années de Pèlerinage, lorsqu'il admirait les spectacles de la
nature, embellis par les souvenirs de l'histoire ou les songes de la poésie, le paysage
n'avait été pour Liszt qu'un « état d'âme ». Témoin la préface si importante de ce beau
recueil : « Les aspects variés de la nature ne passaient pas devant mes yeux comme
de vaines images, mais... remuaient en mon âme des émotions profondes... A mesure
que la musique instrumentale progresse, se développe, se dégage des premières
entraves, elle tend à s'empreindre de plus en plus de cette idéalité qui a marqué la
perfection des arts plastiques, à devenir non plus une simple combinaison de sons,
mais un langage poétique, plus apte peut-être que la poésie elle-même à exprimer tout
ce qui, en nous, franchit les horizons accoutumés, tout ce qui échappe à l'analyse,
tout ce qui s'agite à des profondeurs inaccessibles, désirs impérissables, de pressenti-
ments infinis ». Témoin l'épigraphe de la pièce intitulée les Cloches de G*** :
1 live net in myself but 1 become
Portion of that around me (i).
(i) Byron, Cbild Hurold.
— 234 —
et celle du Lac de Wallenstadt i
....thy contrasted lake
With the wild world I dwelt in, îs a thing
Which warns me, with its stillness, to forsake
Earth's troubled waters for a purer spring (i).
Ne retrouvons-nous pas ici l'application de la devise inscrite par Beethoven au
titre de la Pastorale : « Mehr Ausdruck der Empfindung als Malerei». Différents parleurs
formes extérieures et leurs moyens d'expression, l'art de Liszt et celui de Beethoven,
le dernier classique avant lui, accusent donc une étroite parenté intime ; de même en
mathématiques, deux fractions peuvent être égales, malgré l'inégalité respective de leurs
facteurs. Cette identité échappe au premier regard : pour la découvrir il faut opérer la
réduction au même dénominateur ; elle n'en est pas pour cela moins réelle.
A quoi donc tiennent ces différences de forme entre la musique dite classique, et
celle qu'on appelle romantique ? A rien d'autre qu'à la différence des époques. Peu à
peu, les artistes cessent de former une caste sans lien avec la société où ils vivent ; ils
partagent les idées, les sentiments, les aspirations de leurs contemporains. Déjà nous
avons vu Beethoven s'enivrer tour à tour d'enthousiasme et de haine pour Napoléon;
le musicien, comme le poète, doit être un « enfant du siècle ». La musique, par sa
nature, n'appartient pas exclusivement au domaine du sentiment : elle a plus d'un
point d'attache avec les intérêts de la pensée ; il ne faut donc pas que le musicien se
cultive et se développe aux dépens de l'homme, mais que l'homme, au contraire, pour
devenir musicien, déploie toutes ses facultés. Le musicien doit donc « avoir des idées
pour accorder sa lyre au diapason des temps, pour grouper les manifestations de son
art en images reliées par un fil poétique ou philosophique ; alors on atteint le dernier
mot de la musique de l'avenir et on enlève la musique à sa position secondaire parmi
les arts » (2). Et ainsi nous retournons à l'idéal classique par excellence, à l'idéal des
grecs, pour qui la musique comprenait l'ensemble « de tous les arts des Muses, de tous
les arts libéraux » (3). Ne soyons pas trop attentifs au préjugé qui a voulu opposer
l'une à l'autre les deux générations qui se sont succédé : « Sainte-Beuve, dit Liszt,
remarque avec beaucoup de raison que la plupart des auteurs que nous appelons juste-
ment des classiques ont, en leur temps, compté au nombre des romantiques, c'est-à-dire
des rebelles qui ont rompu le joug des disciplines surannées, rejeté l'étroit uniforme et
le vieux froc, qui ont refusé une obéissance de recrues et de novices, n'ont pas voulu
couver sur un poncif vermoulu, verser dans des moules pourris des sentiments
refroidis et figés, aller à des sources taries humer une goutte oubliée, mais ont voulu
chercher au contraire de nouveaux modèles à de nouveaux tissus, des creusets réfrac-
taires pour y fondre de nouveaux métaux, et découvrir des sources débordantes qui
bruissaient encore dans leurs cachettes » (4). Donc, la seule différence qu'on
puisse caractériser nettement par les mots différents de classique et de romantique est
une différence de date. iVlais si l'on entend par classique celui qui suit et prolonge une
tradition, qui peut revendiquer ses ancêtres, justifier sa lignée intellectuelle, les
romantiques d'aujourd'hui seront les classiques de demain. Le « programme » n'est,
pourrait-on dire, qu'un instrument de plus dont ils ont enrichi l'orchestre.
*
* *. i
Telle est la théorie dont les éléments se trouvent épars dans les écrits de Franz
(i) Byron, Child Harold.
(2) G. S., t. IV, p. 204. 205.
(3) ibid.
(4) G. S. t. V., p. 191.
— 335 —
Liszt. Autorisée par les exemples des maîtres reconnus, imposée par la condition nou-
velle des artistes dans une société nouvelle, la musique à programme, loin de renier
la tradition classique et de rompre avec elle, s'inspire d'elle au contraire pour la déve-
lopper et la prolonger. Elle se justifie donc par l'histoire. D'autre part la symphonie à
programme, traitée avec la mesure et la prudence que Liszt ne manque pas d'indi-
quer, ne jette pas l'art des sons dans la dangereuse aventure de la musique pittoresque
et descriptive, ou idéalogique et symbolique. Loin de sacrifier le lyrisme, inspirateur
de toute musique profonde, elle l'affranchit des dernières entraves du formalisme qui
contrariaient encore la liberté de son essor; elle assure sa souveraineté, sa toute-
puissance ; le musicien devient l'égal du poète, et musica quoque poesis erit.
Il resterait maintenant à confronter la théorie de Liszt avec son œuvre, et à cher-
cher si l'une et l'autre coïncident exactement. Une pareille étude, très utile et inté-
ressante, comporterait forcément trop de détails pour rentrer dans les limites d'un
article. D'une façon générale et approximative, la conclusion serait favorable à Liszt,
et montrerait chez lui une rare homogénéité entre la doctrine du penseur et l'inspira-
tion de l'artiste. En effet, à côté des pages innombrables où il a animé sa théorie avec
l'éclat, la grandeur et l'éloquence que l'on sait, rares sont celles où il a versé dans les
défauts ou les périls que lui-même avait signalés (i).
Mais, beaucoup de bons esprits en sont encore à se demander s'il importe de con-
naître les théories d'un artiste, de scruter sa pensée, de fouiller ses intentions,
d'interroger sa vie, et s'il ne faut pas au contraire examiner ses œuvres pour elles-
mêmes et en elles seules, détachés de tout lien avec leur auteur. Une telle abstrac-
tion ne paraît pas possible; le fût-elle que je la trouverais maladroite et un peu
sacrilège. On n'élève pas ainsi une cloison étanche entre l'histoire et l'esthétique, pas
plus qu'entre les diverses facultés de l'esprit humain. Rien ne voisine, qui ne commu-
nique et ne se pénètre de quelque manière. Le goût, l'admiration même, lorsqu'elle
nous transporte d'une sorte d'enivrement, ne touche pas exclusivement nos sens ; son
caprice serait bien fragile et bien passager. L'intelligence lui donne la force, et la
réflexion la durée. La collaboration de l'esprit et de la raison est ici indispensable : ce
n'est pas moins admirer que de mieux comprendre. Les écrits de Liszt nous indiquent
le point de vue qu'il faut adopter pour examiner ses œuvres; à ce titre ils sont précieux.
Nous leur devrons une intimité plus réelle et plus profonde avec l'œuvre musical dont
ils expriment la théorie. Si leur lecture donne à notre admiration pour cette œuvre
une sorte de garantie et de confirmation intellectuelle, elle donne à cette œuvre comme
une solidité nouvelle, avec son sens véritable. Ne faut-il pas considérer l'envers d'un
tapis, pour éprouver l'ordre et la solidité de son point ; sans doute dans ses fils bruis
nous ne retrouvons ni les dessins capricieux ni les couleurs chatoyantes de l'endroit,
mais sans eux les dessins ne seraient pas fixés, ni les couleurs assorties. Un même rap-
port, pourrait-on dire, existe entre les écrits de Liszt et ses compositions. Ignorer
ceux-là, c'est risquer de mal comprendre celles-ci ; et une telle erreur est de consé-
quence, lorsqu'il s'agit du symphoniste le plus original et le plus puissant qui ait paru
depuis la mort de Beethoven.
Jean CHANTAVOINE.
(i) p. ex. le poème symphonique de ï' Idéal.
— 236 —
L'ÉCOLE DES AMATEURS
PAR
Jean d'UDINE
IX
l'art et la pensée
20 mars ipo6.
Mon cher oncle, les huit jours que je viens de passer auprès de vous se sont
écoulés trop vite. Vous avez gâté le petit provincial !... Aujourd'hui, dans le désœu-
vrement de cette fin de vacances, je me trouve seul et triste au milieu des miens.
Vous ne sauriez croire à quel point l'existence me parait vide, après cette semaine
partagée entre les musées, les concerts, les théâtres et les rues si vivantes de votre
beau Paris.
Pour «charmer un temps mon ennui», je voudrais me donner, en vous écrivant,
l'illusion de nos longues et délicieuses causeries. Et, maintenant que j'ai vu à l'œuvre
votre esprit de prosélytisme, je pense que ce sera le meilleur remerciement, à vos yeux,
pour votre si parfaite hospitalité matérielle et morale.
Faut-il résumer ici — je n'ai pas osé le faire de vive voix — l'impression que
j'emporte de ces quelques jours, où je me chauffais aux flammes de votre ardent
amour pour toutes les manifestations de la beauté ?,.. Vous m'avez jadis recommandé
la franchise envers vous. Je pense que maintenant vous l'exigez plus que jamais. Alors,
mon oncle, je dois vous avouer que si vos enseignements oraux ont dépassé mon
attente par leur enthousiasme et la variété de leurs vues, s'ils ont allumé définitivement
dans mon cœur la passion de l'art, ils m'ont un peu déçu en tant que théorie esthétique.
Comprenez-moi bien. Je n'attendais pas de vous un corps de doctrine. Dès le début de
notre correspondance vous m'aviez dit qu'il ne fallait solliciter de votre part rien qui
ressemblât à un système méthodique, aucune définition, aucun critérium du Beau, avec
un grand B. Et je vous rends cette justice que, conséquent avec vous-même, vous
n'avez jamais encombré vos dissertations d'aucun terme abstrait, d'aucune notion
absolue de Vérité ou d'Idéal artistique, En revanche vous vous étiez posé dans vos
lettres, que je garde précieusement, vous le savez, en champion d'un subjectivisme
et d'un matérialisme artistiques farouches, et toutes vos conclusions se réduisaient à
peu près à ces deux aphorismes : Le Beau, c'est ce qui me plaît, et Rien ne me plaît que
par mes sens. On eût dit parfois même que vous preniez un malin plaisir à outrer votre
pensée à cet égard et à railler un peu cruellement, chez les musiciens, toutes les ten-
dances idéalistes.
Or, pendant cette semaine, où nous venons de contempler tant de tableaux et
d'écouter tant de musique côte à côte, je vous ai trouvé, je ne dis pas vacillant dans
vos doctrines, mais presque .indifférent à les défendre. Autant vous avez pris plaisir à
exciter, par des considérations de tous ordres, mon admiration devant les chefs-d'œu-
vre, autant vous sembliez fuir la discussion des problèmes généraux que vous traitiez
naguère la plume à la main. Je croirais que, depuis peu, vous inclinez au scepticisme,
s'il était possible de devenir sceptique aussi subitement. Bref, j'ai rencontré en vous,
comme je m'y attendais, un amateur d'art fanatique, je n'ai pas trouvé l'esthéticien
quelque peu révolutionnaire qu'indiquaient toutes vos lettres.
Vous ne m'en voudrez pas, mon cher oncle, de vous avoir écrit sans ambages. Je
— 237 —
suis certain que vous serez le premier à dissiper ce malentendu, si je me trompe, ou
à me l'expliquer, si j'ai vu juste. Une telle attitude de votre part me trouble, J'étais prêt,
ou peu s'en faut, à accepter vos théories d'individualisme et de sensualisme artistiques,
et je ne parviens pas à comprendre pourquoi vous n'avez rien fait pour achever ma
conversion, lorsque vous me teniez entre vos mains.
Tandis que je vous écris, ma sœur pianote dans la pièce voisine. Elle joue un
entracte d'un opéra de Massenet ; j'aime beaucoup ce morceau en dépit du mépris des
«purs». Mais me voici Gros-Jean comme devant, car je ne sais plus s'il m'est permis
d'en jouir, conformément à vos doctrines, ou si, transfuge de votre propre cause, vous
ne me conseilleriez pas aujourd'hui, avec les théoriciens du Beau, de dédaigner cette
page qui charme mes oreilles ???
Paris, le 22 mars igo6,
Mon cher neveu, tu es un brave et je t'aime bien ! C'est si rare qu'on ose dire tout
net aux gens ce qu'on pense d'eux, de leurs idées ou de leurs œuvres ! Non certes, je
ne suis pas devenu sceptique, et, dans mon for intérieur je ne renie aucunement ce que
tu appelles mon subjectivisme et mon matérialisme esthétiques. Mais, je le reconnais,
pendant ton séjour auprès de moi (séjour, qui m'a doublement charmé parce que tu
es un garçon sensible et franc, et parce qu'on n'apprend bien les choses qu'en les
enseignant aux autres), j'ai réellement évité de faire de l'esthétique avec toi. Tu as eu
raison de provoquer de ma part une explication à ce sujet. Ma réponse traitera plutôt
de philosophie que d'art. Depuis assez longtemps, du reste, notre correspondance a
pris une direction qu'elle ne se proposait pas tout d'abord. C'est un peu de ta faute ;
c'est beaucoup de la mienne. N'en rougissons point, je n'ai guère de sympathie pour les
esprits qui se cantonnent dans leur petit coin de science ou d'art et que les problèmes
de leur spécialité n'entraînent pas à des spéculations plus vastes. Il ne s'agit pas, bien
entendu, de créer à priori de grandes synthèses, mais du moins de rattacher les ques-
tions particulières à des principes généraux.
Tu as deviné juste cependant. Lorsque tu étais auprès de moi, je me suis tenu
systématiquement sur le terrain des conventions artistiques et, par là, je t'ai paru fuir
tout débat de fond ou de principe. En ceci, comme pour toutes les choses de ce monde,
les raisons de ma conduite ont été multiples.
Je commence par la première et j'espère, en te l'avouant sans fausse honte, ne pas
trop diminuer le petit prestige de maître que tu as bien voulu m'accorder jusqu'à
présent. Les esprits médiocres peuvent demander à un professeur d'être invariablement
sûr de lui-même ou de ses idées. Ils se trompent. Celui-là serait un piètre éducateur
qui se figerait dans ses certitudes, parlerait de tout avec une conviction mathématique
et romprait ces liens si souples qui unissent chacun de nous avec la vie universelle
et le reste des humains: le doute, l'inquiétude, les curiosités nouvelles... Quelles
circonstances m'ont tout à coup plongé dans une perplexité réelle, non point quant à
la justesse de mes théories subjectives de l'art, mais quant à leurs déductions pratiques?
Ceci ne t'importe point. L'existence a de ces tournants où, toutàcoup, quatre ou cinq
événements successifs, ornières, cailloux ou pièges savamment tendus, viennent
imprimer à nos ressorts intellectuels de terribles secousses. Il faut verser piteusement
dans le fossé ou savoir, au prix d'un effort terrible et d'un sang-froid tout de suite
reconquis, trouver un nouvel équilibre pour continuer sa route vaille que vaille !
Rappelle-toi ces acrobates qui, lancés sur une bicyclette font sauter l'une des roues de
leur machine et prennent subitement, par un vigoureux coup de reins, l'attitude qui
leur permet de poursuivre leurs exercices en monocycle. Tu es venu me voir au
moment où il m'arrivait quelque chose d'analogue. Je ne suis plus tout à fait le même
— 238 —
homme qu'il y a quelques semaines. J'espère néanmoins que je roulerai comme par le
passé, mais un peu différemment.
l'aurais pu t'associer à la genèse de mon nouvel équilibre moral. Tu aurais vu un
pauvre diable tâtonnant, indécis; et voilà tout. Seulement les crises de cette sorte, qui,
pour un homme, sont plutôt fortifiantes, risquent de désorienter trop longtemps un
garçon de ton âge. C'est pourquoi je ne t'en parlais pas. Il est peut-être fâcheux que
notre correspondance n'ait pas pris fin quelques semaines plus tôt. Mais je ne puis me
résoudre à rompre brusquement nos rapports d'amateurs passionnés, sans t'avoir dit
de l'art ce qui me reste à te dire.
Je te le répète d'ailleurs : aucun des principes exposés dans nos lettres de cet hiver
ne se trouve atteint à mes yeux. Seules leurs conséquences et leur application peuvent
varier pour moi ; et ceci n'importe guère. Ma négation de certains dogmes artistiques,
par exemple, risquait de. tourner elle-même au dogmatisme. Ce serait gagner beaucoup
que de ne point tomber de Charybde en Scylla. Sans mener au scepticisme, la sagesse
née de l'expérience et de ces chocs, auxquels je faisais allusion tout à l'heure, conduit
aussi à plus de tolérance, et le dernier mot du savoir doit être la bonté. Je suis cer-
tain, mon cher ami, que, sans me le dire, tu m'as trouvé trop faible, ces jours derniers,
vis-à-vis des œuvres qui ne me plaisent pas. Je sens, en effet, que j'incline à l'indul-
gence. Mais tu peux te rassurer, mauvais petit bougre, je suis loin d'y être entièrement
parvenu et je t'amuserai encore de mes boutades, puisque, hélas ! ce qu'on nomme
l'esprit et que l'on recherche dans le monde, c'est presque toujours de la méchanceté !
Du reste les torts que peut avoir un homme dans l'exercice de ses opinions n'atteint en
rien leur valeur intrinsèque. Un mauvais prêtre ne condamne pas une religion. Si la
puissance d'art est individuelle et de nature physiologique, comme je le pense, c'est à
chacun, auteur ou amateur, de la provoquer et de la développer comme il lui plaît. Je
t'ai dit maintes fois que la noblesse, la profondeur, l'élévation d'une idée exprimée
dans une œuvre d'art n'ont rien à voir avec notre plaisir artistique ; mais cela ne
signifie en aucune façon qu'un esprit noble, profond ou élevé, qu'un cœur généreux ne
créeront pas ou ne goûteront pas des jouissances artistiques plus étendues et plus
intenses que des cœurs vulgaires ou que des esprits vils. A tempérament artistique
égal, il n'y a pas de doute à cela, les premiers édifieront ou aimeront des œuvres bien
autrement grandes et durables que les seconds. A l'heure qu'il est, la Messe solennelle de
Beethoven et l'ouverture des Maîtres chanteurs, qui, toutes les deux expriment de si
hautes pensées, demeurent aussi pour moi les sommets de la jouissance sonore...
Mais puisque ta sœur a conservé mes vieilles lettres, je ne vais pas me répéter
là-dessus. Je lui ai écrit ces choses dans le temps et tu peux lui demander les pages
qui traitent la question (i). Cependant je te le ressasse une dernière fois : l'élévation
intellectuelle et morale et le génie artistique sont, à mon sens, foncièrement distincts
l'un de l'autre. C'est sans doute ceci que tu nommes mon matérialisme artistique, et
c'est aussi ce dernier point, je veux dire ta croyance intuitive à la solidarité du Beau
et de l'Idéal, que tu aurais voulu me voir combattre définitivement la semaine dernière,
quand nous nous promenions ensemble.
Je ne pouvais honnêtement le tenter et j'arrive, cette fois, au point le plus délicat
de nos relations mentales, parce que c'est celui qui intéresse l'humanité tout entière...
A présent je m'en rends un compte très net : la sympathie ou la répugnance d'un
chacun pour l'esthétique individualiste et sensuelle, que je t'ai prêchées dans mes longues
missives, dépend non point de nos facultés artistiques ou de notre raison, mais de nos
l) Petites lettres pour la jeunesse, Chapitre VIII, la Pensée dans l'art.
— 259 —
croyances religieuses. Un spirituallste doit logiquement refuser aux jouissances d'art
des origines purement physiologiques et ne saurait admettre que les goûts individuels
ne possèdent pas un guide de perfection éternel et absolu. Si l'amour, aux yeux des
croyants, « ne peut trouver de repos qu'en Dieu, en s'élevant au-dessus de toutes les"
choses créées », la beauté doit chercher dans la même direction son prototype per
manent. Pour un spiritualiste le beau est intimement lié au bien et au vrai, parce que
tous trois possèdent une source métaphysique commune. Pour un moniste le problème
fie présente pas les mêmes données et les hasards du mouvement qui créent la Vie
suffisent à expliquer aussi l'évolution de l'Art. La grande loi de sélection naturelle
s'applique aux œuvres comme aux êtres. Celles-là survivent aux autres qui plaisent
mieux à nos sens ; elles justifient leur qualité par leur survivance même, sans qu'on
aille chercher si elles répondent à quelque plan préconçu.
Il est bien difficile, j'en conviens, d'accepter ce darwinisme esthétique, auquel je
t'ai déjà fait allusion, sans accepter tout d'abord le darwinisme biologique,je veux dire
sans l'accepter franchement avec le déterminisme qui en découle.
je devine, mon enfant, que tu as conservé de ton éducation des sentiments et des
idées qui ne te permettent pas de me suivre sur ce terrain. Il ne m'appartient pas de
t'influencer dans ces graves matières. Tu m'as demandé de te parler d'art ; nous en
sommes venus fatalement à causer philosophie. }e ne suis ni assez instruit, ni assez
présomptueux, ni assez imprudent non plus pour tenter de modifier en quoi que ce soit
tes croyances métaphysiques. C'est à chaque homme de préparer et d'accomplir son
évolution spirituelle comme il l'entend... surtout comme les circonstances l'y poussent.
je ne te dis pas nique tu deviendras moniste un jour, ni que tu ferais bien de le devenir.
Je crois en vérité que les suprêmes arguments des convictions qui nous paraissent le
plus purement intellectuelles sont des arguments sentimentaux. Mais je crois aussi que
le sentiment de l'humanité incline peu à peu au matérialisme et je puis du moins l'affir-
mer avec certitude, que dans une Société entièrement moniste on accepterait univer-
sellement mon esthétique... négative. Le sort des dogmes artistiques est intimement
lié au sort des dogmes religieux et l'anarchie, en art comme en politique, pourrait bien
être le résultat nécessaire du progrès.
Une dernière raison m'a déterminé à ne discuter devant toi aucun point de théorie:
c'est l'inutilité complète des raisonnements dans l'éducation de la sensibiHté. Un homme
qui répète cent fois : « bravo ! bravo ! bravo ! » ou une vieille anglaise qui mâchonne :
« splendid ! charming ! beautiful ! » t'entraîneront aussi bien à l'admiration des chefs-
d'œuvre qu'un dialecticien subtil avec les plus beaux arguments du monde. 11 en est
delà beauté comme des précipices ; un simple coup de coude suffit à nous la faire per-
cevoir si nous la côtoyons distraitement. Je me souviens avoir rencontré au Musée
Rodin, en 1900, un jeune germain qui ne savait pas un mot de français. Moi je ne sais
pas un mot d'allemand. Nous ne nous sommes pas quittés de l'après-midi, et je t'assure
qu'avec quelques exclamations nous avons accru énormément, l'un chez l'autre, notre
admiration pour le grand sculpteur.
Mais si l'on m'accorde sans peine que des théories abstraites sont assez oiseuses
dans la formation du goût, l'on voudra défendre, en revanche, certaines bases objec-
tives du jugement ; l'histoire de l'art, par exemple. Tu m'avais demandé jadis si tu
devais lire quelque histoire de la musique ou des monographies de musiciens. Je ne
t'avais pas répondu, je crois. Je te réponds aujourd'hui. Si c'est un plaisir intellectuel
que tu cherches dans ces ouvrages, vas-y : leur étude est passionnante ! et je t'accorde
qu'un homme cultivé ne devrait pas ignorer que Monteverde a précédé Lulli et que
Weber est antérieur à Schumann . Mais si tu penses trouver là un excitant pour ta
sensibilité musicale, un guide pour ton goût, laisse toute espérance à la première page
— 240 —
du plus parfait de ces livres. L'histoire est toujours de l'histoire. Quand tu auras appris
omment la basse continue a pris naissance à la fin du seizième siècle et est morte avant
la fm du dix-huitième, cela ne changera pas d'un iota ton émotion devant une page de
Bach ou de Rameau. Tu sauras que le ronronnement ininterrompu des instruments
graves s'appelle le continua ; peut-être même le remarqueras-tu davantage que si tu
n'en étais pas averti. Mais le tremblement de tes lèvres, mais le petit frisson qui passera
dans tes cheveux, mais les palpitations plus rapides de ton cœur, mais les larmes qui
humecteront, tes .paupières, tous ces réflexes, témoins de ton profond ébranlement sous
l'empire des sonorités géniales, ne seront aucunement accrus par ta connaissance
nouvelle des formes et de leur origine.
Je ne vais pas recommencer mes démonstrations afin de te prouver leur inanité.
Laisse-moi seulement te faire toucher du doigt le danger des connaissances historiques
pour les musiciens. Dernièrement, un critique, pour démolir une œuvre nouvelle,
droit que je ne lui conteste point, écrivait ceci : «des accords qui étaient déjà fades
en 1820, des accompagnements à la Schubert ou plutôt encore de Schubert, une décla-
mation pseudo-wagnérienne, ont paru à cet auteur le comble de la hardiesse et le dernier
effort de la musique descriptive. » Et ce critique, satisfait d'une comparaison qu'il subs-
tituait à son instinct artistique, ne se demandait même pas si la musique en litige
était juste ou fausse d'expression, émouvante ou non !...
Moi-même j'ai commis naguère une erreur du même genre. Ayant à parler
d'une symphonie nouvelle, je lui reprochais de ressembler à telle page de Wagner.
Voilà bien de l'impertinence! Le compositeur aurait pu me dire : «Pourquoi, mon-
sieur, connaissez-vous si bien TVu/an ? J'ai fait de la musique pour des âmes sen-
sibles et non pour des cerveaux encombrés par les ouvrages de mes prédéces-
seurs. Mes harmonies sont-elles riches? mes rythmes vous semblent-ils variés et
vivants ? ma mélodie chante-t-elle avec tendresse et passion ?... Et bien, alors ! Laissez
donc votre Wagner tranquille et veuillez m'écouter plus naïvement!» Il aurait eu
raison. J'avais dû, moi aussi, écrire ma petite comparaison par vanité, et c'est une
marque des époques dénuées d'ardeur et de sève artistiques d'exiger que l'art y
soit nouveau et chaque œuvre personnelle ! Ah la belle besogne vraiment que de recher-
cher si l'auteur de la Tétralogie a «pigé» des effets à Liszt et des thèmes à Cornélius.
Qu'est-ce que cela peut bien faire, je te le demande !
Allons, mon ami, je vais me taire.; il en est plus que temps. Mais je t'adresserai
bientôt une leçon de quiétisme artistique. Ce sera, si tu le veux bien, la conclusion de
ma trop longue correspondance.
■ — 241 —
A L'OPÉRA -COMIQUE
Drame musical de Camille Èrlaiigfer
Avant d'aller entendre la partition de M. Erlanger j'ai tenu à relire YtÂphrodite
de Pierre Louys. J'y pris beaucoup de plaisir, moins cependant iqù'àiiti'efois. Dans sa
grâce voluptueuse, l'oeuvre m'a paru un peu superficielle, et j'ai trouvé 'qù'il'y manque
un puissant élément d'i'Btërêt, l'émotion. Le style a toujours sa- joliesse simple et son
rythme pur. Cette nouvelle lecture, motivée par les circonstances, me fit apercevoir
combien devait être difficile et délicate pour un librettiste la tâche de transformer en
drame ce roman exquis et spécial. La réalisation scènique de certains épisodes était si
impossible, qu'au dernier moment, bien qu'ils aient été mis à l'étude, on y dut re-
noncer. La crucifixion de l'esclave chez Bacchis et la montée triomphale de Ghrysis à
la tour du grand phare se passeront désormais dans la coulisse. Pour la première, on
a fort bien fait de nous en épargner le sanglant et odieux spectacle. Quant à la sup-
pression de la seconde, elle rend toute une fin d'acte absoluinent' ihcômpréhehsible
aux spectateurs à qui le roman n'est pas familier; .Mais 'à cote de' ces difficultés pra-
tiques il yen avait à vaincre de plus grandes d'un ordre moral. Certaines amours, qui
sont avec une naïve et délicieuse complaisance détaillées 'dans- ■ te volume, -ris-
quaient de devenir scabreuses, grossières en les transportant du livre où l'imagination
les idéalise sur le théâtre où elles auraient été peut-être-trop' évidentes.' Ily avait aussi
toutes les aimables discussions sur le plaisir et ses moyens qui font, avec leur quasi-
philosophie, songer, à un banquet de 'Platon pour cocottes lettrées, qu'il était assez
malaisé de développer devant un public. Et pourtant ces passions particulières, ces
entretiens audacieux sont l'essence même et le charme du livre. M. Louis de Gra-
mont, l'adaptateur d'Aphrodite, s'en est tiré en les supprimant. Il s'était jadis montré
moins scrupuleux dans VAstarté de Xavier Leroux dont la conclusion lesbienne ne fut
pas sans choquer la haute moralité des chastes abonnés de l'Opéra.- Du roman de'
Pierre Louys il ne reste plus à la scène que l'aventure de la courtisane Chrysis et du
sculpteur Démétrios. C'est une Aphrodite revue et corrigée aii usum DelpUni. Que les
familles soient donc rassurées, elles y pourront conduire leurs enfants- qui n'y com-
prendront pas grand chose. Je n'entends parler ici que du poème. Et encore si M. de
Gramont avait respecté la pensée du romancier au lieu d'y ajouter de son cru qui n'a
pas la valeur de celui de Pierre Louys. Dans le volume, lorsque Démétrios a, pour con-
quérir la courtisane qui ne se devait donner qu'à cette condition, commis le vol, le
meurtre et le sacrilège, rentré en sa demeure, il tombe dans un sorrimeil profond pen-
dant lequel un rêve étrange lui livre Chrysis avec une" volupté si intensément puis-
sante, que la réalité ne pourra jamais égaler le songe. Aussi, quand Chrysis recon-
naissante, troublée, ardente, amoureuse à son tour vient s'offrir à' son. vainqueur,
Démétrios la repousse et la dédaigne. L'imaginaire possession a tué le désir. « Il est
trop tard, dit-il, je t'ai eue ». Cela était original et cruel. Avec M. de Gramont la
rencontre devient plus banale. Comme dans tout opéra-comique, les deux amants se
précipitent dans les bras l'un de l'autre, échangent serments et baisers, chantent
ensemble le cantique des cantiques; connaissent enfin dans leurs entrelacements toutes
les extases dont le théâtre permet le spectacle et pour lesquelles la musique supplée
— 242 —
avantageusement à ce qu'on n'en pourrait laisser voir. Dans celte nouvelle version
Démétrios ne se reprend que lorsqu'il entend les rumeurs de la foule révoltée par la
nouvelle du triple crime. 11 chasse Chrysis sous l'empire d'un remords dont je n'ai
trouvé nulle trace dans l'œuvre de Pierre Louys et qui est tout à fait contraire au carac-
tère de son héros désabusé. Il est vrai que cet ingénieux arrangement fournissait au
musicien la matière de l'inévitable duo d'amour que M. Erlanger a d'ailleurs écrit de
main de maître. Cependant, mettant à part la personnalité très sympathique du com-
positeur, ne pensez-vous pas avec moi qu'il est tout à fait désagréable de voir, dans le
but d'une adaptation scénique inutile et irréalisable, déformer une œuvre d'art exquise
dont on aimait le parfum erotique qu'une main lourde a dispersé au vent, sans rien
ajouter qui le remplaçât. On pouvait regretter qu'il y fût. Mais il ne fallait pas tou-
cher à Aphrodite si l'on en voulait l'arracher. Il y a désormais deux Aphrodites : celle
de M. Pierre Louys, savoureuse, perverse, charmante, celle de M. de Gramont qui
n'est que le résultat d'une expurgation de la première. Je comprends qu'il soit tentant
de mettre à la scène une œuvre qu'un grand succès consacra. On est en droit de
compter pour la réussite sur la curiosité du public que la gloire attire. Mais au moins
faut-il apporter quelque discernement dans le choix, et de l'intelligence dans la
retouche.
Sur ce tripatouillage M. Camille Erlanger a écrit une très abondante partition à
qui je ferai tout d'abord le reproche de couvrir les voix sous une orchestration trop
serrée. Je mets au défi quelqu'un qui ne connaîtrait pas préalablement le sujet d'entendre
assez de paroles pour pouvoir comprendre ce que l'on chante et ce dont il s'agit. C'est
un grave défaut pour un drame musical, et d'autant plus, qu'il n'y a pas à compter sur
le secours du livret au cours de la représentation, la salle demeurant pendant les
tableaux plongée dans la plus complète obscurité. Il est donc utile d'être informé avant
d'entrer. Comme on regrette l'orchestre fluide et transparent de Pelléas et Melisande
qui permet à la prose lyrique de se développer et la met si bien en valeur ! Maintenant
que j'ai laissé entendre que la symphonie de M. Erlanger pèche peut-être en maints
endroits par trop de richesse, je dois dire avec quelle habileté son orchestre est traité.
La trame solide en est tissée de thèmes caractéristiques qui chantent sans répit. Par
leur emploi toujours judicieux le compositeur en impose la signification. Parfois on
pourrait trouver qu'ils sont répétés trop de fois de suite avec une insistance opiniâtre.
Mais c'est là un procédé de conception et d'écriture dont on ne saurait faire un trop
lourd grief au musicien, quand on se rend compte de la précision à laquelle il parvient
ainsi par un commentaire psychologique, sentimental ou descriptif du drame et de ses
mobiles. Au début de l'œuvre, lorsque dans le court prélude, entre les sonorités écla-
tantes puis atténuées du motif de la destinée, apparaît le thème du temple d'Aphrodite,
on craignit que M. Erlanger n'employât encore les couleurs sombres dans lesquelles
son œuvre s'enferme, mais tout de suite, sur la jetée d'Alexandrie, la lumière brilla
dans un mouvement de fête, avec une voluptueuse exubérance de vie. Tous les timbres
de l'orchestre se fondaient dans une harmonie lumineuse. Pour l'orgie chez Bacchis,
M. Erlanger a poussé le tableau jusqu'à la violence, mais il serait injuste de ne pas
reconnaître qu'il a, par ces moyens quelquefois brutaux, atteint une grande puissance
d'intensité. J'avouerais que mes préférences vont plutôt aux scènes moins bruyantes où
M. Erlanger s'est efforcé et a réussi en maints endroits à créer autour de son sujet
l'atmosphère musicale qui lui convenait. Je n'ai que l'embarras du choix pour citer de
jolies pages comme celle de l'entrée de Démétrios avec son motif de lassitude, l'inter-
mède de la sorcière, léger quand elle s'adresse aux courtisanes rieuses, dramatique
quand elle lit dans la main du sculpteur sa destinée sanglante ; l'arrivée de Chrysis,
enveloppée comme d'un voile transparent de son thème séduisant avec sa conclusion
— 245 —
longtemps attendue et irritante comme un désir non satisfait ; la fm du premier acte, quand
dans le soir monte la mélopée des courtisanes . L'acte du temple est un des plus intéressants
avec son déroulement lascif du cortège des courtisanes, leurs prières amoureuses, leurs
offrandes et leurs danses pour lesquelles M. Erlanger a dépensé à profusion tous les
charmes sonores d'un orchestre ondoyant et souple. Après les coupures du tableau du
phare, le quatrième acte, au seuil duquel est placé un beau prélude construit sur le
motif caressant de Chrysis, est tout entier rempli par le grand duo de Démétrios et de
Chrysis. Le joli chant /c suis la rose de Saron est posé sur des harmonies qui rappellent
celles d'une des proses lyriques de Debussy. Ce n'est pas pour le lui reprocher. La
conclusion, avec ses reprises obstinées du motif chromatique et passionné, fit songer
avec quelque longueur au duo de Tristan. Pour les deux derniers tableaux, la
prison et le cimetière, l'inspiration de M. Erlanger s'est reposée de ses violences et â
composé des pages attendries qui mettent à la fin de l'œuvre une note mélancolique
d'un grand charme de simplicité et d'émotion.
La distribution de cette œuvre comporte de nombreux rôles secondaires qui sont
confiés au talent de Mlles Claire Friche, MathieU-Lutz, Demellier, Brohly et de
MM. AUard, Devriès, Guillamat, Ghasne,Huberdeau. Les deux principaux personnages
sont chantés par Mme Marie Garden et M. Léon Beyle. Cela tient-il à la tessiture tendue
de sa partie, M. Beyle (Démétrios) ne nous a pas semblé jouir de sa belle aisance
ordinaire. Quant à Mme Garden, si, plastiquemertt, elle incarne à merveille la cour-
tisane Chrysis, au point de vue vocal il n'en va pas de même. Elle né chante pas son
rôle, elle le murmure sans articuler la parole, et l'habitude qu'elle a de prendre tous
les sons en dessous et de lier les notes par un continuel port de voix, prête à tôUt ce
qu'elle dit quelque chose d'indécis et de flottant qui, à la longue, finit par déconcerter.
Mme Garden a pourtant, en de précédentes créations, témoigné qu'elle était une chan-
teuse exquise, une grande artiste même.
Le plus important et le meilleur interprète est l'orchestre à qui M. Erlanger a
donné une tâche bien difficile dont M. Luigini et ses excellents musiciens se sont
joué pour notre plaisir. Le succès de l'œuvre leur revient en grande partie.
De belles toiles de fond de M. Jusseaume, plus réussies que ses architectures dé
toile peinte dont le marbre se gondole déjà, de jolis costumes aux harmonieuses cou-
leurs de M. Marcel Multzer, une mise en scène toujours pittoresque, réglée par
l'artiste qu'est M. Albert Carré en la matière, ont ajouté la beauté du spectacle à
l'intérêt musical d'une œuvre curieuse, excessive parfois, mais toujours sincère et
artistique,
Victor Debay.
1
— 244 —
THÉA.TR.E DE ]M:0]VTE-a-A.FlIL.O
DON PROCOPIO
De Oeorg-es 3IZBT
(création)
Don Procopio fut le premier envoi de Rome de Georges Bizet ; cela se passait en
1858 et le compositeur avait alors vingt ans. Auber qui présidait aux destinées du
Conservatoire ne tint aucun compte de cet ouvrage. On retrouva plus tard le manuscrit
que la maison Choudens s'empressa d'éditer. Elle devait bien cela à l'auteur de Car-
men. Cependant aucun directeur ne monta ce Don Procopio dont M. Raoul Gunsbourg
vient de nous donner la primeur le 10 mars à Monte-Carlo.
La création d'un ouvrage inconnu de Bizet est à tous égards une chose intéressante,
cela va de soi, fut-ce même une œuvre de jeunesse. On dit que Bizet en avait emprunté
le sujet à une comédie italienne du XVIII® siècle, alors qu'il furetait dans la bibliothèque
de Naples. Ce qui est certain c'est qu'un Don Procopio italien fut représenté à Naples
en 1782, musique de Tritto, qui fut le maître deSpontini.
Est-ce de ce livret là que s'empara Bizet? Je ne sais. L'adaptation française est de
M. Paul Colin. En voici le thème :
Don Procopio, un vieil avare fort riche, est sur le point d'épouser Bettina. nièce de
son ami Don Andronico. Mais la jeune fille est aimée et elle aime le bel officier Odoardo.
Néanmoins don Andronico n'en veut point démordre : Bettina épousera Don Procopio^
Sur ces entrefaites Ernesto, le frère de Bettina, revient de voyage. Il apprend le mariage
projeté et reçoit les confidences éplorées de Bettina et de sa jeune tante Eufemia. Il faut
atout prix se débarrasser du barbon. Mais comment? Ernesto imagine de duper don
Procopio. Il lui conte que Bettina sa future est une femme frivole, folle de luxe et de
dépense, et que de plus, loin d'avoir la belle dot qu'on a fait miroiter à ses yeux, elle
n'est riche que de grâce et de charme. Don Procopio est complètement défrisé par ces
révélations et son ardeur pour le mariage se trouve aussitôt refroidie. Plus Bettina
tente à dessein de le solliciter, plus don Procopio se décide à renoncer à l'union projetée.
Pour le tromper tout à fait Ernesto feint de vouloir le provoquer en duel afin de le
contraindre à s'exécuter.
Pour le coup Don Procopio en a assez. Il fuira la maison d'Andronico, tandis
qu'enfin revenu à une juste appréciation du bonhomme, l'oncle accordera la main de
sa jolie nièce à l'officier qu'elle aime.
Ce sujet, en le voit, ne brille point par l'originahté : c'est l'éternelle histoire du
barbon bafoué, triomphe de l'ancien répertoire et de la commedia deU'artc, à laquelle
nous ne pouvons plus guère nous intéresser.
Sur une trame aussi vieillie et que ne vient rehausser aucune dextérité scénique,
il ne fallait naturellement point s'attendre à trouver dans Don Procopio le Bizet de
Carmen. Du reste, le compositeur s'est expliqué lui-même à ce sujet dans une lettre
datée de Rome : « Sur des paroles italiennes, il faut faire italien ; je n'ai pas cherché à
me dérober à cette influence ».
Et non seulement Bizet n'a pas cherché à s'y dérober, mais je dirai même qu'il
est entré résolument et de propos délibéré dans la formule du genre, voire dans le
pastiche. Don Procopio semble par instants une œuvre posthume deRossini, de Rossini
du Barbier. Mais, dans cette formule même, Bizet a quand même trouvé le moyen
d'attester sa grâce personnelle et son étonnante virtuosité. Un jeune homme de moins
— 245 —
de vingt ans capable d'écrire avec autant d'aisance et comme en se jouant une parti-
tion théâtrale aussi élégamment mélodique et aussi spirituelle, était évidemment
capable de composer plus tard tout ce qu'il voulait.
L'œuvre est découpée à la manière ancienne en airs, trios, ensembles, etc. Au
premier acte, je citerai le joli chœur du début avec l'entrée et la dispute alerte d'An-
dronico et d'Eufemia, sa femme ; l'air à vocalises de Bettina « en vain l'on croit nous
désunir » ; le trio tout à fait gracieux de Bettina, Odoardo et Ernesto « d'avance le
projet me tente » qui a été bissé et longuement applaudi ; la charmante cavatine d'Er-
nesto « Vraiment elle est si belle » exquisement phrasée par Bouvet ; puis encore le
récitatif de Procopio.
Au second acte, le duo-sérénade du ténor Odoardo et de Bettina à 6/8 avec
accompagnement de pizzicati et de mandolines ; citons aussi le prélude composé par
M. Ch. Malherbe sur des motifs de la partition.
Puis le duo de Bettina et don Procopio ; le trio comique fort réussi « s'il veut
manquer à sa parole » que JVIM. Bouvet, Périer et Chalmin ont enlevé avec une verve
remarquable. Enfin le duo entre Bettina et Odoardo et un délicat chœur d'hommes
chanté mezza-voce.
Tel est le bilan de cette gracieuse partition qui évidemment occupe une place à
part dans l'œuvre de Bizet, puisque c'est un pastiche volontaire, mais qui néanmoins
dénote, ainsi que je l'ai dit, une adresse peu commune dans l'écriture et l'orchestration.
Aussi Don Procopio a-t-'û plu beaucoup par son charme léger et sa délicatesse archaïque.
Il est fâcheux que le livret ne soit pas égal à la partition et que les mésaventures du
barbon soient d'un comique par trop éventé.
L'interprétation fut charmante avec M. Rousselière (Odoardo), Mlle Pornot, une
Bettina de voix fraîche et aisée, M. Bouvet (Ernesto), Mlle Morlet(Eufemia), M. Chalmin
(AndronicoJ. C'est M. Jean Périer, le baryton bien connu, qui a créé Don Procopio et
qui nous apparut dans un rôle de vieux comique grime bien fait pour surprendre ceux
qui ont vu ce délicat artiste dans celui de Pelléas ; voilà qui prouve une rare souplesse
de composition.
Un décor frais et printanier encadre à souhait cette comédie lyrique. Les chœurs
et l'orchestre furent parfaits sous la direction de M. Léon Jehin.
Alfred Mortier.
LES GRANDS CONCERTS
L-A. ©"5r3M[F»Ii01SriE DOnVlEJSTIQTJE
DE
RICHARD STRAUSS
La fin de notre saison musicale aura été marquée par l'apparition d'un nouveau
chef-d'œuvre : la Symphonia domestica de M. Richard Strauss, jouée pour la première
fois en France, au Concert-Colonne du 25 mars. Les lecteurs du Courrier Musical se
souviennent peut-être que j'ai témoigné jusqu'ici une sympathie médiocre au chef de
l'école allemande contemporaine. Son Don Quichotte et son Till l'Espiègle m'avaient
semblé des plaisanteries un peu lourdes et d'un assez dangereux exemple ; la Vie d'un
Héros est entachée, à mon sens, par trop de fautes de goût pour que je l'admire sin-
— 246 —
cèrement, et si j'aime la magnifique péroraison de Mort et Transfiguration, le début
m'en paraît long et aride.
Cette fois la nouvelle œuvre de M. Strauss m'a charmé d'un bout à l'autre. Parti
pour l'écouter non sans prévention, je suis revenu de la répétition générale le cœur
palpitant d'enthousiasme et de joie, et le lendemain je me suis associé non seulement
de toute mon âme, mais de toutes mes mains et de tous mes poumons, aux applaudis-
sements et aux bravos frénétiques, adressés au compositeur par une salle en délire,
après l'exécution de son œuvre qu'il a magistralement dirigée et que les musiciens du
Châtelet ont interprétée avec une verve, une chaleur, une justesse et une puissance
rythmique véritablement admirables.
On sait que la Symphonie domestique de M. Strauss est consacrée à la description
de son foyer et célèbre ses joies intimes d'époux et de père. A vrai dire le programme
qu'il s'est imposé peut dans quelques-uns de ses détails prêter à sourire : les oncles
disant de l'enfant sur le thème maternel : « tout à fait la maman ! » et les tantes sur
le thème paternel : « tout à fait le papa ! » ou la pendule sonnant l'heure du coucher
pour le bébé récalcitrant constituent des arguments un peu bien terre à terre et fami-
liers pour une œuvre orchestrale qui emploie comme instruments à vent : trois
grandes flûtes et une petite ; deux hautbois, un'hautbois d'amour et un cor anglais ;
quatre clarinettes, dont une en ré, une en la et deux en si bémol ; une clarinette basse ;
quatre bassons et un contrebasson ; quatre saxophones (soprano, alto, baryton, basse);
huit cors, quatre trompettes, trois trombones et un tuba.
On pourrait aussi discuter non seulement la valeur psychologique des trois thèmes
de l'homme : activité, intelligence, enthousiasme, et des deux thèmes de la femme : sen-
timent et caprice, mais encore leur qualité mélodique elle-même, assez banale et quel-
conque. Le thème de l'enfant, qui joue dans tout l'ouvrage un rôle capital, n'est pas
non plus très distingué. Mais des chicanes de cette nature seraient aussi stériles de la
part de l'auditeur que l'exposé du sujet est vain de la part de l'auteur. Il ne s'agit pas
de savoir si M. Strauss a eu tort ou raison de demander ses inspirations à la vie quo-
tidienne, ni de rechercher s'il a fait dans sa symphonie œuvre de réaliste ou d'idéaliste.
Il a fait certainement œuvre de très grand artiste et d'admirable musicien et cela seul
importe ! Pour parler de sa symphonie, je laisserai donc le programme de côté, comme
je l'ai laissé pour l'entendre et je tâcherais plutôt d'en caractériser la musique, si une
telle entreprise n'était pas insensée.
La Symphonia domestica se joue d'une seule traile, mais comprend en réalité
quatre parties très distinctes, trois plutôt, car la première, où les thèmes se trouvent
exposés, et que d'ailleurs j'aime le moins, n'est qu'une simple introduction très brève
>qui amène presque aussitôt le scherzo. Ce scherzo, où se développe dans sa grâce
mutine l'idée de l'enfant, est un pur bijou musical. Par son mouvement il présente le
caractère d'une valse, mais quelle valse ! quelle polyphonie élégante, riche et pleine !
et quelle intensification progressive de ses sonorités jusqu'à leur explosion finale avec
la voix retentissante des cuivres I Cette amplification musicale d'une idée par accrois-
sement du son est d'ailleurs un des procédés les plus frappants de la Symphonia
domestica. Il se reproduit dans l'andante à quatre temps, dont la tendresse envelop-
pante et douce se développe jusqu'à la plus solennelle grandeur, et dans le finale extrê-
mement complexe, long et bruyant, où le conflit des thèmes amène par deux fois un
fracas de tempête. Je ne crois pas qu'il soit possible, dans cet ordre d'idées, d'atteindre
à une plus souveraine habileté technique. Ces sons, pleins et nourris dès le début,
et pourtant doux et réservés, s'ajoutent, j'allais dire s'additionnent sans cesse de nou-
veaux timbres suivant une progression si constante, que leur croissance paraît plutôt
un phénomène de la nature que le résultat d'une habileté professionnelle. L'artifice du
— 247 —
compositeur, par sa perfection même, se fait oublier à tel point qu'il semble l'écho,
disons mieux le signe spontané d'une émotion intérieure d'abord contenue, mais qui
brise ses liens et s'envole sur les battements d'aile d'un lyrisme irrésistible et inlas-
sable...
Je recule vainement, par une sotte pudeur, l'instant où je voudrais dire de la
Symphonie domestique quelque chose qui la caractériserait pourtant mieux que toute
analyse : cet ouvrage énorme et splendide est du Rubens musical. Il a tous les dé-
fauts, il a toutes les qualités des plus belles pages du maître flamand ; un accent par-
fois trivial, un dessin qui par lui-même ne serait pas extraordinaire, une composition
où l'audace et le laisser-aller se mêlent témérairement, un fracas un peu excessif, mais
une éloquence de coloris si chaude et si magnifique qu'elle emporte t9ut le reste, nous
étonne, nous attire et nous émeut tout ensemble. Certes je ne suis pas suspect d'aduler
le métier. Mais le métier ici devient partie intégrante de l'émotion ; ce n'est pas un
plaquage, c'est le sentiment lui-même fait écriture musicale et triomphant jusqu'à
toucher directement et constamment notre sensibilité.
En sortant du concert, l'impression que je ressentais était si semblable à celle que
Ruben? me fit éprouver autrefois à Malines, à Anvers et à Lille, que j'ai relu tout de
suite les Maîtres d'autrefois. J'y ai trouvé la justification de mon parallèle involontaire.
Il n'est pour ainsi dire pas un jugement de Fromentin, dans ses longues pages sur le
maître de la Descente de Croix, qui ne puisse s'appliquer merveilleusement à la sym-
phonie nouvelle.
En lisant, par exemple, cette phrase, vous n'auriez qu'à changer les termes pic-
turaux en termes musicaux pour obtenir la plus juste définition du talent de M. Strauss :
«Enlevez des tableaux de Rubens, ôtez à celui que j'étudie (la Pêche miraculeuse) l'es-
prit, la variété, la propriété de chaque touche, vous lui ôtez un mot qui porte, un
accent nécessaire, un trait physionomique, vous lui enlevez peut-être le seul élément
qui spiritualise tant de matière, et transfigure de si fréquentes laideurs, parce que
vous supprimez toute sensibilité, et que, remontant des effets à la cause première,
vous tuez la vie, vous en faites un tableau sans âme. Je dirai presque qu'une touche en
moins fait disparaître un trait de l'artiste ».
Assurément, il y a en musique des œuvres plus nobles c\\xq\a Symphonie domestique,
des pages d'un style plus pur, des trouvailles plus subtiles ; il n'y a rien de plus puis-
sant ni de plus généreux et j'écrirais encore, en changeant seulement deux mots au
texte de Fromentin : « Vous dire que c'est le dernier mot de l'art symphonique quand
il est sévère et qu'il s'agit, avec un grand style dans l'esprit,... et dans la main,
d'exprimer des choses idéales ou épiques, soutenir qu'on doit agir ainsi en toute cir-
constance, autant vaudrait appliquer la langue imagée, pittoresque et rapide de nos
écrivains modernes aux idées de Pascal. Dans tous les cas, c'est la langue de Richard
Strauss, son style, et par conséquent ce qui convient à ses propres idées ».
Comment se fait-il, me demanderez-vous peut-être, qu'une telle admiration me
vienne subitement pour un art dont les manifestations antérieures m'avaient laissé
froid, quand elles ne m'avaient pas trouvé hostile ? Je crois bien que le sujet cette
fois, — je ne parle pas de ses épisodes un peu puérils, mais de son sentiment général,
— en sont cause, non point que je m'en préoccupe, mais parce que dans l'art très
physique de M. Strauss ce sujet a mis des flammes et de la lumière. Du cher foyer a
jailli l'étincelle sacrée qui vivifia le contrepoint du compositeur et spiritualisa ses har-
monies savantes. Remarquez-le, ce sont bien toujours les notes seules qui font de cette
musique de la belle musique, mais elles sont particulièrement expressives et touchantes
cette fois, parce qu'en jaillissant de la plume, elles furent occuper sur les portées
l'ordre mystérieux que leur dictait une poitrine plus émue et des sens plus vibrants.
y
— 248 —
Et ici encore je songe à Rubens. Si je rencontrais quelqu'un que toute la chair et
toutes les draperies du grand coloriste auraient laissé indiflférent, je lui dirais d'aller
sur la tombe du peintre, à Saint-Jacques d'Anvers, contempler l'admirable toile où il
s'est représenté entouré de tous les siens, sous des traits de saints et de saintes. Et là,
j'en suis sûr, il recevrait le coup de grâce, parce qu'il percevrait les rapports intimes
et inexplicables qui peuvent unir des affections sentimentales à des jeux d'ombre et
de lumière. Et quand, sous le grand praticien, il aurait une fois senti le grand artiste,
il retrouverait partout, à des degrés divers, ce qu'il peut y avoir d'émouvant et d'hu-
main dans les splendeurs d'une facture inspirée, et n'en voudrait probablement plus
jamais à un homme « qui voit gros, qui voit juste, la couleur aussi bien que la
forme, qui respecte la vérité quand elle est expressive, ne craint pas de dire crûment
les choses crues, sait son métier comme un ange et n'a peur de rien ».
Et quand ensuite le même amateur écouterait la Symphonia domestica de JVI.
Strauss, je m'étonnerais qu'à la lueur de la même révélation il ne devint pas un admi-
rateur sincère du grand symphoniste d'outre-Rhin.
Au même concert nous entendîmes l'ennuyeux concerto de violon de Beethoven,
joué à ravir parle petit Mischa Elman. Cet enfant mériterait tout de même le fouet
pour apprendre à ne pas dire par toutes ses cadences et toutes ses attitudes : « Moi et
la musique ! » Huit jours plus tôt M.. Ricardo Vinès jouait au Chàtelet, avec sa
finesse coutumière, les admirables Variations symphoniques du père Franck ; M. Froelich
chantait superbement, comme toujours, un air d'Elie de Mendeissohn et les adieux de
Wotan, qu'il a fait siens par l'autorité et l'intelligence de son style ; et M. Colonne
enfin nous donnait, suivant son habitude en pareille matière, d'admirables exécutions
de la Symphonie fantastique et de la Rapsodie norwégienne .
Pendant ce temps Beethoven achève au Nouveau-Théâtre sa carrière rétrospec-
tive. Mais il la recommencera l'année prochaine, vous verrez et nous devrons nous
estimer satisfaits, puisqu'il assure de belles recettes. Allons, tant mieux !
Jean d'UDINE.
Concerts du Conservatoire
« Ne dites pas de mal de Nicolas, conseillait Voltaire aux détracteurs de Boileau ;
cela porte malheur ! » 11 n'est pas moins imprudent, je pense, de viHpender les abon-
nés du Conservatoire, car je ne puis qu'attribuer à quelque envoûtement de leur ran-
cune l'influenzadont j'ai souffert six semaines durant et je serais fort surpris d'apprendre
que M. Pierre Lalo qui s'épancha contre eux en une longue invective, se garda de
leurs maléfices. Ce jeûne musical me sembla rigoureux encore qu'il m'ait été donné
de le rompre en écoutant le Don Procopio de Bizet, que là-bas, près du soleil, à Monte-
Carlo, M.Jehin dirige avec une finesse exquise et qui est bien la plus délicate et la plus
menue friandise dont un convalescent puisse se délecter. Du moins les fidèles du
Courrier ont-ils eu en mon absence l'heureuse fortune de lire le commentaire d'un
Intérim aussi docte que discret et, tout récemment, l'hymne franckiste de M. Edouard
Schneider qui parla du maître avec une tendresse si clairvoyante. J'ose à peine remer-
cier ceux qui m'ont aussi généreusement suppléé ; je pense que la joie de quelques
auditions incomparables rendrait vaines pour eux les mille et une actions de grâce que
je pourrais leur offrir.
La Symphonie de la Réformation ouvrait le concert du 25 mars. Sans doute les
préoccupations religieuses qui inspirèrent l'auteur « luthérien zélé sinon fervent », dit
Berlioz, et l'obsession du Choral où elle s'achève ont fortifié et virilisé l'idée mendels-
— 249 —
sohnienne. Les formules faciles et un peu molles, mais personnelles pourtant, qu'on
trouve dans l'œuvre d'un musicien trop aisément décrié et qui le feraient reconnaître
entre tous, s'y montrent plus rares. Les thèmes d'autre part sont traités avec cette
sûreté, cette solidité, ce sens des proportions et des valeurs, cette science de l'effet
qui sont d'un artiste, sinon d'un novateur. Et puis il y a là une chère cadence emprun-
tée à la liturgie protestante, qui laisse espérer par deux fois que Parsifal va venir
Je me hâte d'ajouter que la part de l'orchestre dans le succès de la Réformation a été
considérable. Le Conservatoire demeurera le temple de Mendelssohn, un temple qui ne
sera jamais désaffecté.
A l'autre bout du programme quelques fragments du Manfred de Schumann
n'excitèrent pas un moindre enthousiasme. C'étaient, comme de juste, l'ouverture, un
Entracte, l'aérienne apparition de la fée des Alpes, con sordini, telle que les concerts
ambiants nous l'ont révélée, enfin le choeur que chantent les Génies d'Arimane à
l'approche de Manfred, lorsque ce Faust en raccourci vient défier les puissances
occultes et évoque le spectre douloureux d'Astarté. Il faut savoir gré à M. Marty de
nous avoir restitué ces pages où Schumann revit tout entier en amant passionné d'une
nature splendide et puissamment évoquée, parmi les hallucinations d'un esprit dont
Byron lui-même, ainsi qu'il l'écrit, n'a peut-être pas pénétré tout le mystère. C'était
d'ailleurs une noble tâche que de faire battre un peu plus vite, à la chaleur de ces
rythmes syncopés, le cœur cuirassé de quelques douzaines d'auditrices en les préparant
à des émotions plus vives. Ces émotions hélas ! ce ne fut point l'absent qui
les leur donna. J'ai gardé un assez vague souvenir de la pièce de M. Robert
Mitchell pour laquelle M. Le Borne écrivit sa partition. Je crois me rappeler pour-
tant qu'elle ne m'intéressa guère. Elle participe de ce genre hybride, et pour lequel
je me sens une médiocre inclination, où la littérature et la musique heurtent leurs
ambitions rivales, où elles se nuisent presque toujours et ne se rachètent pas l'une
l'autre. Les triomphantes exceptions de \' Arlêsienne et de quelques chefs-d'œuvre
analogues justifient la règle. 11 ne me déplaisait donc pas d'entendre, allégés d'un texte
morose, le Prélude et le Scherzo qui nous étaient offerts en pâture et qui méritaient mieux
que quelques bravos pusillanimes. On ne pourrait rêver pour un Prélude une plus sage
ordonnance ; c'est une exposition des thèmes caractéristiques de l'ouvrage avec toute
la plénitude de leur signification psychologique, la variété de leurs contrastes et
l'ingéniosité de leurs développements. Dans \e, Scherzo à trois temps il y a tout juste
autant de nouveauté rythmique qu'il en faut pour rajeunir une forme qui a beaucoup
servi. Mais notre public est assez rebelle à la polyphonie ; il ne faut pas lui deman-
der d'aller chercher l'épingle thématique dans la floraison des ornements. Surtout le
pittoresque violent l'effraie ; il n'aime pas les « sites féroces » comme disait une
Anglaise de ma connaissance ; il ne distingue guère la couleur du dessin et il suffit
de quelques harmonies rares ou de quelques bigarrures orchestrales (et M. Le Borne
ne s'en montra pas avare) pour qu'il perde de vue l'idée musicale. Il se noie dès qu'il
ne touche plus le quatuor, le « fond de l'orchestre » comme parlent les professeurs de
composition et j'ai craint un moment que certaines trompettes bouchées et casca-
deuses ne provoquassent un scandale. Enfin il se défie des jeunes ; il a une terrible
peur d'être dupe et ne sourit avec confiance qu'aux gloires consacrées. Commençons
donc par être célèbres ou par avoir des aïeux ; ceci d'ailleurs est peut-être moins
difficile que cela.
C'est au Conservatoire que la congrégation des Concertos s'est réfugiée. Là elle
trouve une large hospitalité et les solistes y sont fêtés sans respect humain. M. Dela-
borde joua le Concerto en mi bémol de Beethoven avec ce souci de la ligne, cette
ampleur de style et cette puissance de virtuosité qui l'ont classé parmi les premiers
— 250 —
pianistes du temps présent. II n'échappa point aux ovations coutumières, non plus
d'ailleurs que les six chœurs a capella de Jannequin et de Costeley qui précédaient
Manfred. Et j'ai béni une fois de plus le nom de M. Expert, disciple de Franck, béné-
dictin laïque à qui il suffit un jour de recevoir le coup de foudre d'une Pavane à
quatre voix pour qu'il entreprît de déchiffrer, en se forgeant lui-même le dictionnaire
de cette paléographie, des manuscrits réputés illisibles, et pour qu'il fit renaître toute
une époque la plus curieuse peut-être de notre art musical. Quelle surprise dans le jaillisse-
ment abondantde ces mélodies qui s'entrelacent, souples, sveltes et libres, dans les heurts
hardis de ces harmonies d'aventure, étincelantes comme un choc d'épées, dans le caprice
de ces rythmes à l'antique, dans l'incertitude de ces vieux modes qui ont passé et qu'on
essaie de nous rendre, dans cet art brutal et délicat, naïf et subtil, religieux ou profane,
toujours si profondément réaliste, expressif et vivant ! Et j'éprouvais un plaisir véritable
à penser que, du haut des cieux, Costeley était peut-être témoin du succès de cette
musique par laquelle il se flattait « d'exciter, modérer, mortifier, maintenir et vivifier
les stupides, furieux, impudiques, tempérez et languides ». II me paraît bien qu'il y a
réussi !
^___ Paul LOCARD.
La quinzaine musicale
Société Philharraonique. — Au treizième concert il nous fut donné d'entendre
le quatuor Zimmer de Bruxelles (MM. Albert Zimmer, Franz Dochaerd, Louis Barœn,
Emile Dochaerd) et Mme Gulp-Merten. Le quatuor Zimmer joua très scrupuleusement
le Quatuor en ut majeur op. 54 n° 2 de Haydn et le Quatuor eu mi bémol op. 4
d'Edouard Lalo, œuvre tourmentée et d'un caractère mélodramatique. Dans un pro-
gramme comprenant des lieder de Schubert, Schumann, Cari Lœwe et A. Wolf Mme
Culp-Merten fit apprécier un des plus beaux talents de chanteuse qu'il nous ait été
donné d'entendre. Douée d'une voix où se rencontrent toutes les douceurs et toutes les
puissances, elle apporte à son interprétation une intelligence rare du texte et un goût
musical qui lui permet de développer avec une admirable sûreté la phrase musicale.
Elle a chanté Nuit et rêves de Schubert en lui prêtant toute la poésie dont une voix
humaine est capable, et Souhaits de jeune fille de Cari Lœwe, valse ironique, d'une
façon ingénue et fine qui la lui a fait redemander. Mme Culp-Merten a su résister à la ten-
tation et a poursuivi son programme à la fin duquel elle fut très longuement rappelée.
Au quatorzième concert Mlle Lindsay de l'Opéra nous fit comprendre toute la dif-
férence qu'il y a entre une chanteuse de concert et une chanteuse de théâtre. Si sur la
scène de l'Académie de Musique Mlle Lindsay mérite tout le succès que remporte sa
belle voix, elle nous causa moins de plaisir dans une salle de concert, et cela tenait, je
crois, à l'emploi des grands moyens que le théâtre exige et qui paraissent excessifs dans
l'intimité d'une salle de musique pure. Il y faudrait oublier des habitudes dont il est ma-
laisé de se défaire, car je goûte peu au concert les chanteurs de théâtre, même les meil-
leurs. Avec Mlle Lindsay Pergolèse, Bach, Mozart, Salnt-Saëns, Fauré ont l'air d'être de
la même famille. Elle a pour les uns et pour les autres les mêmes défauts et les mêmes
qualités. Elle fut plus heureuse dans le Lied maritime de Vincent d'Indy, pour lequel
elle put déployer sa voix. La partie instrumentale était confiée au quatuor tchèque de
Prague ; c'est dire avec quel intérêt elle fut écoutée. La réputation de ce groupe d'ar-
tistes n'est plus à faire. Ils apportent à l'interprétation de la musique de chambre une
originalité, une fougue, une sonorité, une variété de rythmes qui séduisent l'auditeur
alors même qu'il ne partage pas leur manière de comprendre cette musique. Si leur
façon toute personnelle ne convient pas toujours au Quatuor en si mineur àc Mozart,
dont ils jouèrent le minueito avec un chic qui transporta la salle (Mlle Hirsch, qui le
~ 251 —
danse si spirituellement à l'Opéra, dans le ballet de Don Juan^ aurait bien dû venir
l'applaudir), le Quatuor- en ut majeur de Dvorak, ne pourrait trouver une meilleure et
plus fidèle interprétation que celle de ces quatre vrais artistes du son. Le quatuor éta>it
composé de MM. Hoffmann, Suk, Stephan Suchy (remplaçant M. Nedbal) et Wichan.
Il semble qu'ils ont cette musique dans le sang, tant ils la vivent et la font palpiter.
Phrasé par eux, Vallegro moderato, avec ses emportements et ses repos de czarda, fut
comme le récit d'une âme tumultueuse, tout un drame raconté par l'une des cordes, tan-
dis que les trois autres l'accompagnent de contrechants et le plus souvent de rythmes
étranges et imprévus comme les mouvements d'un coeur sous l'empire d'une violente
émotion. Dans la vulgarité parfois et l'excès de certains motifs, on dirait le désespoir
déclamatoire d'une amance qui se grise de ses paroles douloureuses. On est remué aux
larmes. Puis ce fut le largo sostenuto avec ses phrases plaintives de mélopée, que ter-
mina le vivace enlevé avec furie. Ah ! on se sent vivre à de telles auditions ! Le Quatuor
en la tnineur op. 2ç de Schubert couronna dignement cette séance, et nos tchèques le
jouèrent avec une brillante maestria. Cela nous changea de certaines interprétations
parfois trop philosophiques de la musique de chambre.
Victor Debay.
Concerts Le R-ey. — L'exécution de la. Symphonie en sol mineur de Mozart que
l'on nous donna le 11 mars fut honorable bien qu'on eût souhaité un peu plus de carac-
tère et de variété ; d'autre part, l'audition de la Princesse Jaune., de Saint-Saëns,
aurait peut-être gagné à subir quelques coupures. Cet acte lyrique qui nous entre-
tient du songe de Kornélis, jeune Hollandais épris d'une princesse de rêve, laquelle
n'est autre qu'une jeune fille de son pays natal, est écrit selon la formule des opéra-
comiques d'Auber. Enveloppé d'orientalisme, agrémenté du son du triangle, des clo-
chettes et des gongs, il témoigne cependant d'une originalité inconnue du vieil opéra-
comique ; mais si l'on accepte quelques jolies pages comme le chant de Kornélis
Vision dont mon âme éprise...., combien de phrases vulgaires sont à regretter !
Mme Bureau-Berthelot fut une délicieuse Léaa et M. Francelly un Kornélis à la voix
fraîche et charmante. Dans le Concerto de Grieg, M. Edy Toulmouche se montra iné-
gal et maniéré avec excès.
Mlle Marcelle Le Rey interprétait le dimanche suivant un Concerto pour piano et
orchestre de M. Widor. La puissance dans la sonorité est peut-être la qualité domi-
nante de Mlle Le Rey. Pourquoi M. Widor, qui conduisait lui-même son oeuvre, prit-
il plaisir à tenter d'amoindrir cette sonorité sous le bruit de l'orchestre ? Mlle Le Rey
obtint néanmoins un très vif succès queluivalut son jeu solide et coloré. De M. Léo Sachs
on exécutait six compositions dont un intermède symphonique et cinq lieder auxquels
Mme Mellot-Joubert prêta sa voix jolie, facile et claire. Quant aux fragments de Don
Juan ils paraissaient bien un peu décousus, mais le public les accueillit quand même
avec aise. De vénérables dames penchaient une tête souriante et bissaient la romance
Parais à ta fenêtre., que M. Mony chanta d'ailleurs avec goût. Mmes Bureau-Berthelot
et Mayrand firent applaudir leurs voix charmantes ; MM. Mary et Francelly eurent
également leur part du succès. Edouard Schneider.
Société Nationale
« Pedro possède une guitare,
« Une guitare bien bizarre... », etc.
{Air connu)
Bien que M. LIobet s'appelle Miguel, et non Pedro, sa guitare est pour le moins
aussi bizarre que celle du personnage si poétiquement chanté dans la célèbre opérette-
bouffe, mais d'une bizarrerie de bon aloi, à la fois musicale et artistique. Sans doute,
l'accès de cet instrument trop décrié par toutes les /erms, jusques et y compris celle de
l'exposition de 1900, dans le temple de VArs Gallica (en français : Société Nationale)
était fait pour surprendre. Mais le programme du dernier concert abondait en sur-
prises, et celle-ci du moins comptait parmi les bonnes.
Il faut n'avoir pas entendu la pittoresque sérénade de M. Albeniz, les chansons
— 252 —
populaires catalanes, et, en général, toutes les pièces si exquisement interprétées par
M. Llobet, pour conserver le vieux préjugé que la guitare est un instrument d'aveugle,
tout au plus bon à faire entendre de vagues accords de tonique et de dominante sous
quelque chanson de loqueteux. Il y a un art de la guitare, où la virtuosité n'exclut nul-
lement l'expression émue, avec son cortège d'évocations naïves et gracieuses : voilà ce
qu'il faut conclure de cette évolution qu'on pouvait appeler : « de Giraffier à Llobet ».
ou « du Pont-Neuf à la Société Nationale)).
Une surprise d'ordre négatif fut causée au même concert par l'absence de l'artiste
qui devait faire entendre deux mélodies de M. Bouwens van der Boijen. Par suite de
cette suppression, les deux mélodies de M.Casella ont été remontées de plusieurs crans
sur le programme; la très belle voix de Mlle Luquiens leur a donné tout le relief auquel
elles étaient susceptibles de prétendre.
Moins brillamment présentées peut-être par leur interprête Mlle Jane Bernardel,
mais intelligemment et finement dites, les mélodies de Mlle Debrie ont conquis l'audi-
toire par leur émotion fraîche et poétique, tout-à-fait jeune et féminine. Peut-être est-il
permis de regretter le rôle trop strictement accompagnant du piano, surtout dans
la seconde, intitulée Automne.
M. Vinès a fort habilement mis en valeur les qualités pianistiques et élégantes des
deux pièces pour piano de M. Février, un Nocturne et une Valse-Caprice : on a un peu
abusé de ces désignations ; elles ont si souvent servi à étiqueter des morceaux très
inférieurs à ceux que nous joua l'éminent pianiste, avant de donner libre carrière à sa
« russophilie )) coutumière.
Avec Moussorgsky du moins, nous voici loin des « schulhoflferies » de l'autre soir :
les Tableaux d'une exposition, qui sont aussi bien une « exposition de tableaux )) musi-
caux, sont pleins de verve et d'esprit. On y suit aisément l'intention descriptive de l'au-
teur dans la Querelle d'enfants et le Ballet de poussins ; mais lorsqu'il veut absolument
nous mettre en présence d'un juif pauvre^ d'un juif riche et du marché de Limoges (?),
on est assez « désorienté » si l'on peut appliquer ce terme à de la musique composée sur
les bords de la Neva.
Un passage cependant paraît avoir été plus accessible : nous voulons parler de la
grande porte de Kiew, symbolisée par de vastes et puissants accords plaqués.
Croyant sans doute qu'il s'agissait de la porte de la salle, une grande partie de
l'assistance, après une ovation chaleureuse et méritée à M. Vinès, s'y est précipitée avec
une discrétion relative, sans nul souci de la remarquable pièce d'orgue de M. Philipp,
qui terminait le programme.
Et c'est ici que se produit une dernière surprise, réservée à ceux que leur empres-
sement à se procurer des voitures empêcha de rester dix minutes de plus dans la salle
de la Schola : ils vont apprendre avec étonnement, en effet, que le Prélude et la Fugue
de M. Philipp se différencient notablement des autres œuvres d'orgue qu'on fut obligé
d'entendre dans la même soirée : ceci est bel et bien de la musique, et non de la mau-
vaise, tant s'en faut. Style excellent et expressif, construction équilibrée et logique,
telles sont les principales qualités qu'on ne peut refuser à cette composition, pour peu
qu'on ait bien voulu en écouter l'intelligente exécution, que rehaussait le jeu clair et
puissant de M. G. Ibos.
A. Sérieyx.
Société J.-S. Bach. — Au programme du 14 mars, deux premières auditions :
la Cantate burlesque « Nous avons un nouveau gouvernement )) et la cantate : Hait in
Gedaechtniss ; Mlle Mary Pironnay et M. Monys dans l'une, Mlle Ador, MM. Fernand
Francell et Monys dans l'autre ont été très applaudis. Je ne dois pas oublier l'excellent
organiste qu'est M. Joseph Bonnet. En outre, Mlle Hamman, MM. Gaubert et Daniel
Herrmann parfaits à leur ordinaire ont joué le cinquième Concerto bra^idehourgeois.
Le concert du 21 offrait un attrait tout spécial. Mme Wanda Landowska a joué le
Concerto italien sur un clavecin fidèlement copié, paraît-il, sur celui de Bach au Musée
de Berlin. Le clavecin n'a qu'un intérêt rétrospectif. Ces petites notes aigres et métal-
liques ne présentent pas un très grand agrément par elles-mêmes ; elles ont le charme
— 253 —
des choses du passé, charme poudreux et vieillot. Mme Landowska, avec une grâce qui
n'est pas dénuée de préciosité, joue du clavecin comme une élève de Couperin. Sur le
piano forte, aux sons grêles et cassés comme la voix d'un petit vieux, nous avons
entendu la Suite française et enfin sur le grand Pleyel de combat, géant à côté de ses
ancêtres nains, la Suite anglaise. Mme Landowska a remporté le plus vif succès.
Mme Garlotta de Feo a chanté l'air de la cantate : « Lobet Gott in seinen Reichen »
avec M. Herrmann dans la partie de violon ; M. Joseph Bonnet a joué le Prélude et
Fugue en ré majeur et le Prélude et Fugue en sol majeur.
Gabriel Rouchès.
Les Maîtres du violon au XVIII'' siècle et M. Debroux. — Les trois
récitals que M. Debroux vient de donner à la salle Pleyel se signalèrent avant tout par
leur très haute portée artistique. Il faut faire deux parts des œuvres sur lesquelles s'est
fixé son choix. Les unes sont généralement très connues, comme les sonates de Haendel
et de Bach, les Romances de Beethoven, la Fantaisie sur des thèmes russes de Rimsky
Korsakow, Vintroduction et scherzo de Lalo ; d'autres sont à peu près ignorées : celles
des Maîtres Français du violon au xviii' siècle. C'est de ces dernières qu'il me semble
utile de parler.
Aussi bien M. Debroux opère-t-il une véritable résurrection en allant chercher dans
un passé relativement récent, des pages tombées dans un oubli dont il est difficile de
comprendre l'injustice. Et cette résurrection porte en elle une signification autrement
éloquente que ne ferait la simple curiosité d'une sèche érudition. Elle est le réveil de
l'esprit français en ce qu'il a de plus séduisant tant par la clarté de ses idées que par
l'élégance et le charme de son sentiment.
Ces maîtres, avec lesquels M. Debroux a entrepris de nous réconcilier, jouirent à
leur époque d'une réputation considérable, témoin ce titre de « roi des violons » qu'on
se plût à accorder successivement à plusieurs d'entre eux, et que J.-B. Guignon fut le
dernier à porter. Leurs œuvres sont à ce point méconnues que M. Debroux a pu, sans
arrière-pensée, inscrire sur son programme, à côté de la plupart d'entre elles, la men-
tion « première audition ». C'est ainsi qu'il nous fit entendre la sonate en la majeur de
François du Val, qui fut le premier à publier en France des sonates pour violon, sonate
on ne peut plus intéressante, au rondo léger, à ïair simple et tendre, et dont la conclu-
sion s'exprime dans la gavotte à la façon d'une morale réconfortante d'un conte plein
de bonhomie. De Jean-Marie Leclair ce furent la sonate en ut majeur^ les concertos en ré
mineur et en ré majeur., d'une incomparable clarté logique, d'une ligne et d'une ampleur
magistrale. Puis la sonate en ré mineur de Jean Ferry Rebel, violoniste de Louis XIV
et de l'opéra, qui composa surtout de la musique de danse ; la sonate en sol majeur de
J.-B. Guignon, celle en fa majeur de Jacques Aubert, les deux concertos en sol majeur
et en la majeur de Louis Aubert le fils, remarquables par lebadinage exquis des allegro,
la mêlée alerte et malicieuse d'un presto, l'entrain endiablé, les rythmes et cadences
accusant nettement leur parenté avec la musique de ballet qui tient une place si impor-
tante dans l'œuvre de ces maîtres ; Jean-Marie Leclair ne se fit-il pas tout d'abord connaître
du public comme danseur au théâtre de Rouen ? Enfin la sonate en mi majeur de Louis
Sénallié le fils, et surtout celle en sol mineur de Branche, qui accusent une poésie plus
intime que les précédentes. La sonate de Branche renferme un adagio paisible et médi-
tatif dont l'expression est de toute beauté, et ne semble-t-il pas que dans la giga sa
gaieté soit d'une qualité différente de celle des autres maîtres, moins ouverte, moins
franche, et qu'il s'y mêle une pointe de scepticisme ?
Je ne parle pas des œuvres que M. Debroux nous avait fait connaître précédemment.
Mais cette brève énumération suffit à montrer l'étendue et le caractère du labeur que
depuis plusieurs années entreprit l'éminent violoniste. N'est-t-il pas vain de redire, après
tant d'autres, les beautés profondes, la pureté incomparable, la grâce si distinguée que
M. Debroux sait communiquer à l'âme de son violon ? N'est-il pas inutile de louer une
fois de plus la pénétration vivante de ceux qu'il interprète ? Ce que je voudrais résumer
en quelques mots avant de terminer ces lignes, c'est l'impression générale recueillie au
— 254 —
cours de ces dernières auditions consacrées aux Maîtres du xviii' siècle. Quelle saine
gaieté se dégage de cette musique alerte et simple ? Quelle facilité, quelle logique dans
le développement ? L'absence de toute complication, la bonne humeur naturelle, la
légèreté de la phrase, toutes les qualités charmantes et souvent un peu supei-ficielles,
qui s'imposaient comme les titres de la vraie noblesse aux hommes de cour, semblent
avoir été présentes à l'inspiration de ces maîtres qui, musiciens de la chambre du roi
pour la plupart, se souciaient avant tout d'exprimer dans le langage le plus élégant les
sentiments d'une élite éprise de frivolités spirituelles, de plaisirs aimables et de délica-
tesses choisies. On se prend à regretter ce langage si joliment évocateur quand, instinc-
tivement, on le rapproche de celui qui prétend exprimer aujourd'hui des sentiments
identiques. Il apparaît que l'excessive subtilité des moyens ne constitue pas un progrès
sur la bonne et délicieuse simplesse d'antan, que la limpide clarté intellectuelle en quoi
chacun aime à reconnaître une qualité toute française, ne gagne pas à être exploitée au
profit d'innombrables et précieux commentaires, et que si la loi de l'évolution repose sur
un fondement plus solide que celui d'une attrayante hypothèse, il y a des pas accomplis
en arrière, qui sont de probantes exceptions et de saines confirmations. Comment ne
pas dire toute notre reconnaissance à M. Debroux qui, en restituant au passé les droits
si légitimes qu'il a de séduire notre sensibilité et notre âme, sut donner une si oppor-
tune leçon aux tendances excessives et parfois erronées de l'heure actuelle?
Edouard Schneider.
Le Quatuor Capet. — Je ne reviendrai pas sur le programme de la seconde
séance donnée parle quatuor Capet au Conservatoire : M. Capet a repris, le ii mars, le
treizième et le quinzième quatuor de Beethoven qu'il avait joués tout dernièrement aux
(( Soirées d'Art ». Alors que M. Capet était à Bordeaux j'avais grand plaisir à le louer
comme il méritait de l'être; j'ai été heureux de le retrouver à Paris encore plus en pos-
session de son beau talent et de constater qu'il avait renoncé à la virtuosité pure pour se
consacrer tout entier à faire revivre les œuvres des grands maîtres. Dans une demi-
obscurité propre à faire valoir les qualités d'intimité d'un quatuor, M. Capet et ses colla-
borateurs ont, pendant des minutes trop courtes, fait chanter sur leurs instruments
l'âme du grand Beethoven. Il semblait par instants que la voix elle-même du maître
montait de la scène perdue dans une obscurité telle qu'on distinguait à peine la sil-
houette des artistes et s'épandait dans la salle. De tels moments de jouissances artis-
tiques sont rares et beaux et consolent de bien des concerts ennuyeux. On ne saurait
trop féliciter les artistes qui ont su vous les procurer.
Gilbert-Chinard.
Soirées d'Art. — /p mars. — M. Wilhelm Backhaus « le célèbre pianiste » aux
termes du programme, a remporté, l'an passé, le prix Rubinstein, paraît-il, d'une va-
* leur de 5.000 francs. C'est très beau et j'en suis fort heureux pour M. Backhaus. Je
suis persuadé que cette récompense fut attribuée en toute justice à celui qui m'a semblé
le plus laborieux des élèves. On n'arrive pas sans de longues années de travail à cette
perfection mécanique du jeu, à cette correction impeccable, j'allais écrire implacable. Il
semble que les efforts accomplis par M. Backhaus dans l'étude technique des maîtres
l'aient dissuadé d'aller plus avant et de chercher à pénétrer leur âme ; le jeune artiste
allemand a joué différentes œuvres de Beethoven, de Schumann, de Chopin, d'une
façon glaciale et monotone. Peut-être le souvenir du fameux concours, où il avait exécuté
le même programme, le poursuivait-il ? En somme — je crois traduire l'impression
générale — on eut désiré un peu moins de perfection, de « métier )) et par contre, plus
de sentiment. M. Backhaus, bien que « célèbre», est à ses débuts. Il a tout ensemble
à apprendre et à oublier.
21 mars rço6. — Un triomphe pour M. Backhaus, je me plais à le reconnaître. Sa
merveilleuse technique s'est jouée des difficultés présentées par le Waldesrauschen de
Liszt et par l'abominable fantaisie sur Don Juan perpétrée par le même Liszt. Les
thèmes de la divine partition affublés de paillettes ridicules et servant de prétexte â Dieu
— 255 —
sait quelles jongleries î Comment cette abomination a-t-elle pu être commise par un
homme qui fut un grand musicien à ses heures.
Dans d'autres morceaux, dans la sonate (Waldstein) de Beethoven et surtout danâ
trois œuvres de Chopin, M. Backhaus a bien voulu mettre un peu de chaleur, de ce
sentiment absent à la dernière séance. Son succès n'en a été que plus vif,
Gabriel Rouchès.
Les Concerts J.-JoacMm Nin. — La seconde des douze auditions consacrées
par M. J.-J. Nin à l'étude des formes musicales au piano, depuis le xvi° siècle, a eu
lieu, comme le Courrier Musical l'avait annoncé, le 21 mars dernier à la salle ^olian.
Le choix de cette date, qui coïncidait exactement avec le 221° anniversaire de la
naissance de J.-S. Bach ajoutait au programme, exclusivement composé d'œuvres du
maître allemand, un intérêt commémoratif particulier.
Il faut savoir gré au jeune artiste catalan, déjà tant applaudi lors de sa première
séance, d'avoir pris à tâche de présenter au public avec son impeccable talent, quelques-
unes des moins connues parmi les œuvres de Bach.
Le Caprice sur le départ d'un frère^ la Sarabande avec ses quiitze variations, une
Polonaise extraite du recueil d'Anna-Magdalena Bach et une Gigue, provenant des
compositions réunies par W.-F. Bach, ne font point partie ordinairement des innom-
brables « auditions Bach » auxquelles on a coutume d'assister.
Au surplus, le très intéressant préambule où M. Nin nous fait connaître, en tête
de son programme, ses idées et ses intentions artistiques, montre bien que ce choix
n'est pas l'effet du hasard.
Il faut insister un peu sur cette petite profession de foi, car elle rencontrera sans
doute quelques contradicteurs : il y est affirmé catégoriquement le droit absolu du
piano a s'approprier de nos jours toute la musique écrite pour les différents instruments
à cordes et à clavier des xvi" et xvii" siècles. Nous croyons nous souvenir qu'un fascicule
du Mercure de France émettait l'an dernier, sous la signature de Mme Wanda Lan-
dowska (i) une opinion tout à fait opposée. La voilà bien la polémique des Revues 1
Seulement Mme Landowska est claveciniste : elle oppose, elle aussi, la (( propagande
par le fait »...
Alors, qui croire ? « Vous êtes orfèvre. Monsieur Josse ! » pourrait-on dire tour à
tour à la protagoniste de cet instrument dont « on ne peut enfler ni diminuer les sons »
(c'est Couperin qui parle, cité par M. Nin), et au défenseur convaincu de cette « mi-
trailleuse pour assommer tout un peuple » (ainsi s'exprime la charmante claveciniste).
Tout (( peuple )) que nous soyons, en tant qu'auditeur au concert du 21 mars, nous
déclarons n'avoir été nullement assommé :
« Les gens que vous tuez se portent assez bien... »
surtout lorsqu'ils ont vivement ressenti le charme pénétrant qui se dégage du jeu si
sobre, si précis, mais en même temps si intimement ému du jeune virtuose.
M. Nin nous a paru encore en progrès sur l'an dernier : pour l'auditeur attentif, le
moindre détail de son jeu porte la trace d'une préparation logiqueet consciencieused'une
maturité chaque jour plusgrande, au service d'une âme forte et vibrante : c'est là, à
notre sens, un pianiste « de race », un « aristocrate » , au sens étymologique du
mot.
Mais pourquoi faut-il qu'il diminue en quelque sorte la portée de son réel talent
par une horreur exagérée de la pause et de l'entracte ? Il ne recherche pas l'effet et le
succès, soit : mais un peu moins de hâte à nous faire entendre, sans le moindre inter-
valle, des compositions que la seule nécessité du concert avait juxtaposées, eût paru
préférable.
Entre l'aimable farceur, bien décidé à jouer le minimum de musique dans le niaxi-
(i) Sur l'interprétation des œuvres de clavecin de J.-S. Bach [Mercure de France du 15 novembre
1905).
— 256 —
munï de temps, et le musicien consciencieux et sincère, qui semble- tenir - à honneur de
ne jamais laisser au public le loisir de savourer chacune de ses impressions, en lui
donnant entre chaque œuvre exécutée un peu plus de «mesures à compter»; il y aurait,
semble-t-il,- un équilibre à trouver. Et nous ne croyons pas qu'un petit quart d'heure
sagement partagé entre les douze numéros du programme, ait fait paraître celui-ci plus ■
long : au contraire !
Personne ne s'en fût plaint, pas même l'auteur des très intéressantes notices, M.
Sérieyx, dont le travail, sérieusement documenté et nettement mis en forme, < valait la
peine d'être lu, non par un inutile confériencier, ce qui parait parfois un peu pompeux,
riiais par chacun en particulier.
Et maintenant, à quand la troisième séance? on nous fait espérer que ce sera bien-
tôt, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
, .'. . , . . F. V.
Quatuor Parent. — D'un caractère moins vigoureux que le précédent, le trio op,
jo n" 2 pour piano, violon et violoncelle se recommande surfout par son amabilité et sa
grâce sereine; quelques longueurs ne l'alourdissent-elles pas cependant ? La Sonate op.
j «° 2 pour piano et violoncelle ne compte ni parmi les plus belles ni parmi les plus
intéressantes qu'ait écrites Beethoven ; au contraire, celle pour piano et violon, op. jo
n° 2 se montre d'une inspiration on ne peut plus puissante ; les deux premiers mouve-
ments en particulier, l'allégro et l'adagio sont d'une admirable profondeur de sentiment.
Mlle Dron, MAL Parent et Fournier interprétèrent ces oeuvres avec leur habituelle fidé-
lité. Enfin, le irio op. g n° 2 pour violon, alto et violoncelle n'est pas étranger au sou-
venir de Mozart ; la grâce spirituelle du maître semble errer à chaque mesure. Quelle
douce gaieté, teintée parfois de mélancolie, s'envole de ces pages ravissantes ! Quelle
amusante ironie se dégage du violoncelle qui rappelle ici le philosophe du quatuor de
Cosi fan tutti ! Au cours de cette séance M. Grandmougin vint nous dire des vers...
Lyrique et pieux souvenir a la mémoire du Maître, calme et sincère poésie qui, malgré
l'ingratitude du genre élogieux sut recueillir les applaudissements des fidèles beetho-
veniens. '
La société des instruments à vent participait au concert suivant. MM. Grovlez,
Bleuzet, Mimart, Pénable et Letellier exécutèrent excellemment le quintette op. /6, œuvre
jeune et brillante, ainsi que le sextuor op.' 7/. Mlle Gellée fit preuve d'une grande sû-
reté de jeu et d'un style parfait dans la sonate op. j i n'^ y et sut avec M. Parent nous
faire partager la douce et pure émotion de l'andante de la sonate op. 12 n° 2. Très bien
accompagné par M. Grovlez, M. Jean Reder chanta les six lieder de Gellert op. 48. A
l'inspiration si profondément religieuse, si émouvante, si dramatique et' joyeuse à la
fois de confiance affirmative, M. Jean Reder apporta la vive intelligence, la chaleur et
l'ampleur magistrale de son beau talent.
jj Par suite d'un changement de programme, nous avons réentendu à la dernière
séance l'intéressant quatuor de Ravel et celui de Debussy dont Vandantino est pour
Toreille d'une séduction toujt)urs nouvelle. Puis avec MM. Parent et Fournier, l'auteur,
M. Jean'Huré, nous donna \ine Suite sur des chants bretons. La couleur locale, pré-
texte des compositions de ce genre, semble d'un effet un peu trop facile, et si l'on ne s'ef-
force d'y mêler les accents de l'inspiration personnelle, ne s'expose-t-on pas à ne noter
que des impressions purement extérieures .> Ce fut là le défaut de M. Jean Iluré. De ses
doigts prestigieux, M. Ricardo Vinès nous entraîna dans le léger vertige du Mouvement
de Debussy, et fit applaudir l'alerte et élégant Scher~o de Borodine, ainsi qu'une pièce
de Déodat de Séverac, Coin de Cimetière au Printemps^ faite de douce et intime mé-
lancolie.
Nous aurions voulu ajouter quelques lignes pour rappeler, à propos de cette der-
nière séance, les soins que M. Parent a si généreusement prodigués à la musique fran-
çaise depuis quinze ans ; l'abondance des matières nous en empêche aujourd'hui, mais
nous espérons pouvoir le faire en une prochaine occasion.
Edouard Schneider,
— 257 —
Concert Busoni. — Quiconque n'a pas entendu cet admirable artiste, ignore à
la fois ce que peut être un piano et le secret de Chopin ou de Liszt. La technique de
M. Busoni est d'une audace et d'une délicatesse prodigieuses : ce serait la rabaisser que
de lui appliquer le terme, devenu si banal, de virtuosité. Car, si M. Busoni porte à un
point inaccessible la prestesse et la fougue, il garde toujours, dans les tours de force les
plus vertigineux, une beauté de son, une harmonie de nuances et une sensibilité musi-
cales qui ne sont pas moins exceptionnelles. Qu'il aille par des graduations infiniment
subtiles de l'extrême douceur, à la force la plus puissante, on n'entendra jamais ni un
son grêle, ni une attaque brutale. Son premier récital du 19 mars, consacré à Liszt et
Chopin, a été un long triomphe, particulièrement pour les études de Chopin en ut
majeur (op. 10, n" 7) et sol diè\e mineur (op. 25, n" 6), jouées avec une légèreté féerique
et lé Ma^efpa de Liszt, enlevé avec une hardiesse et une autorité géniales.
J.C.
Schola Cantorum. — Le 20 mars, la Schola donnait un concert où se produi-
saient quelques-uns des élèves des cours d'ensemble et de déclamation lyrique. Le pro-
gramme fort habilement composé était des plus attrayants : Concerto en ré mineur^ de
J.-S. Bach, des mélodies de Fauré, Ch. Bordes et de Franck, la Sixième suite fran-
çaise en sol majeur de J.-S. Bach, la Défloration Finale de Jephté de Carissimi, le
Trio en fa de Schumann. Tout ceci était fort bien présenté par les élèves qui ont riva-
lisé de zèle et de bon goût musical. Un public nombreux montra par ses applaudisse-
ments multiples et chaleureux qu'il appréciait à sa juste valeur le souci d'art pur et de
probité artistique des élèves de la Schola.
Paul Le Flem.
U abondance des matières nous oblige à reporter au prochain numéro le Festival
Mozart, les Concerts Ysaïe, Sonatières et les alentours, et un grand notnbre de Concerts
divers, la Vie artistique en Allemagne et la correspondance de Strasbourg.
CONCERTS DIVERS
MM. DE Greef et BoucHERiT — /2 et i^ Mars. — MM. de Greef et Boucherit ont
remporté au cours de ces deux séances, un énorme succès. J'en suis fort aise et pour
ma part, je les ai vivement applaudis. Ce sont deux artistes — tous malheureusement ne
sont point ainsi — dont aucun cabotinage ne vient déparer l'interprétation. Aussi,
dans la mesure et dans la sobriété, quelle force, quelle énergie d'accents ! M. de Greef
est sans égal avec son jeu si pur, si cristallin, et M. Boucherit qui, au premier concert,
avait été moins parfait, possède une sonorité pénétrante et expressive. Et quelles
œuvres réunies sur ces deux programmes : La sonate en mi majeur de Bach, celles en
mi bémol de Beethoven et en la mineur de Schumann, et, en dernier lieu, à côté de
Brahms et de M. Saint-Saëns, la sonate de Franck, dont les deux artistes firent res-
sortir la beauté surhumaine. Gabriel Rouchès.
Société de musique de chambre pour instruments a vent. — Dans sa troisième
séance la société nous a présenté des œuvres exclusivement modernes. Les Paysages
Normands de M. Georges Sporck, pour double quintette à vent séduisent par un juste
sentiment de la couleur locale. On ne peut en dire autant de la Suite pour flûte et piano
extraite des « Poèmes Virgiliens » de M. Théodore Dubois ; sauf la première pièce, Da-
phnis, aimablement banale, les autres sont banales sans rien de plus et d'une si parfaite
méconnaissance d'elle-même; l'âme sensible du doux Virgile doit se lamenter doulou-
reusement au fond de l'empire des ombres... Le remarquable talent de M. Gaubert sut
pourtant faire éclore les applaudissements. Un Preludio et fughetta de M. Gabriel
Pierné, de charme léger et de construction habile, obtint un vif succès, et un excellent
accueil fut fait à une sonate pour piano et hautbois de M. Ferdinand Schneider, inter-
— 258 —
prêtée par MM. Grovlez et Bleuzet, dont nous avons particulièrement apprécié l'éléva-
tion du sentiment, le caractère méditatif des idées et la tenue sérieuse de la facture. Un
octuor de M. Sylvio Lazzari terminait la séance, pièce un peu longue dont l'adagio nous
parut seul intéressant. Edouard Schneider.
M. Lazare Lévy. — Chaque année M. Lazare Lévy appelle l'attention du monde
de la musique par la belle ordonnance de ses programmes et la maîtrise d'un jeu cor-
rect, précis, vigoureux, mais qui gagnerait à s'assouplir légèrement et à s'envelopper
de ce charme exquis que Planté me paraît être l'un des derniers d'une génération célèbre,
à avoir conservé. Pourquoi les jeunes ne veulent-ils pas s'inspirer de cette école qui est
bien celle de l'émotion, c'est-à-dire du seul art ! Hâtons-nous de reconnaître, toutefois,
que M. Lazare Lévy ne saurait tarder à se classer parmi nos plus célèbres jeunes
gloires du piano. Il y a chez lui une assurance et une netteté que nous admirons sin-
cèrement : c'est ce qui résume le mieux notre impression; mais si la place ne nous était
mesurée nous aurions commente volontiers les deux récitals qu'il vient de donner
avec grand succès. G. L.
Mme Gaetane Vicq. — Avec sa voix prenante au timbre de velours, avec sa sûre
diction, avec son beau sentiment musical, Mme Gaëtane Vicq remporta un véri-
table triomphe à son concert auquel collaborèrent Mlles Suzanne et Thérèse Chaigneau
dans la Sonate en ut majeur d'Hasndel et la Sonate op. 8 pour piano et violon de C.
Chevillard. Nous avons eu le plaisir de dire dernièrement (Société philharmonique) de
quelle façon heureuse elle interpréta Mozart et Duparc qu'elle redonnait à son concert.
Il nous faut aujourd'hui ajouter que Fédia d'Erlanger, Tes yeux tristes de Lenormand
et C'est l'amour qui compte de Bruneau lui furent l'occasion de nouveaux succès. Pour
terminer cette belle séance Mme Gaëtane Vicq chanta les Nuages d'Alexandre Georges
comme ne le fit jamais la Miarka de l'Opéra-Comique. C'était ému, inspiré et très lar-
gement déclamé. Mais aussi Mme Gaëtane Vicq est une artiste. V. D.
M. A. MusTEL. — Une des plus charmantes séances de musique de la saison. On
sait que M. Alphonse Mustel ne se contente pas d'être un instructeur et un inventeur
distingué, mais qu'il est encore un compositeur et un exécutant de talent. Aussi notre
joie fut-elle grande en l'écoutant interpréter avec M. Galobert, sur un orgue et un
piano Mustel, aux délicieuses sonorités, sa Suite Ottomaîie empreinte d'un charme très
agréablement enveloppant. S.
M. PoMPOSi. — Très remarquable séance donnée par rexcellént violoniste Pompôsî
qui exécuta dans un bon style la Sonate n" 2 de Bach, avec Mlle B. Selvâ ; puis avec
MM. de Bruyn, Migard et Schidenhelm il interpréta très joliment le Neuvième Quatuor
de Beethoven. A ce même concert le succès fut vif pour Mlle E. Grégoire, dans des mé-
k)dies de Chansarel et pour Mlle Selva dans la suite si pittoresque de M. dé SéVerac : En
Languedoc.
Concert Saïller. — Les deux concerts que l'excellent violoniste Henri Saïller
vient de donner à la salle du Journal ont remporté un très vif succès, M. Saïller qui
sait allier le charme à la plus brillante virtuosité a remarquablement interprété
la Sonate en ré mineur de Saint-Saëns, avec Mlle Dehelly, et différentes œuvres de
chambre dans l'exécution desquelles il était fort bien secondé par MM. Hewitt, Migard
et Liégeois. Le 3' concert qui a lieu le 4 avril promet d'être aussi réussi si nous nous
en rapportons à son beau programme. H. B.
Mme L. de Buffon. — Une très intéressante séance de sonates pour piano et vio-
loncelle a été donnée le 19 mars à la salle des Enfants des Arts, par Mme Leroy dé
Buffon qui remporta un très grand succès en interprétant avec M. Gabriel Grovlez, leS
sonates de Haendel, de Mendelssohn et de Boëllmann. A cette même séance Mlle Hen-
riette Menjaud chanta délicieusement trois charmantes mélodies de Léon Moreau.
A.
— 359 —
MM. H. Choinet et Ed. Bernard. — Admirablement composé le programme de
ce concert a permis d'apprécier une fois de plus la haute maîtrise de M. Ed. Bernard, un
de nos plus remarquables pianistes, et la sonorité souple et délicate en même temps de
M. Henri Choinet qui a su rendre les splendeurs de la Sonate de Franck transcrite pour
violoncelle. R.
Le mouYeinenl musical en province et à l'étranger
Ll^ VIE mUS^C^i-^ ft BRUXELLES
Le grand événement de ce dernier mois a été la mise à la scène de la Damnation
de Faust, de Berlioz, à la Monnaie. Disons de suite que le succès a été complet, et lais-
sons la parole à notre confrère Octave Maus : « Après tout, pourquoi pas puisque le
résultat est heureux? Et quel farouche Berliozien, — l'ami Alix lui-même, qui garde
à Grenoble, comme un dépôt sacré, la tradition des plus secrètes pensées du maître, —
Oserait blâmer le « sacrilège » puisqu'il auréole le compositeur dauphinois d'une gloire
nouvelle ?...
On pouvait craindre, il est vrai, que l'œuvre, dont l'essence est plus lyrique que
dramatique, ne pût « tenir la scène ». Ainsi que Ta justement dit M. Georges Syster-
mans, (( composée de scènes que ne relie aucun lien musical, formée d'une succession de
tableaux dont quelques-uns ont le caractère et la coupe dramatiques tandis que d'autres
sont essentiellement lyriques, la Damnation de Faust ne répond point aux exigences du
théâtre ; il ne paraît pas douteux que Berlioz l'eût conçue dans une forme bien diffé-
rente s'il en avait entendu faire un drame musical. En principe donc il faudrait con-
damner ceux qui l'ont « déracinée ». Mais, ajoute notre confrère, dans la pratique on
peut se montrer moinâ rigoureux, pour l'excellente raison que la Damnation possède
une « unité latente », si l'on peut ainsi parler. Là légende de Faust est si familière à
tous les esprits, même de culture primordiale, elle pénètre si avant dans l'âme popu-
laire que le lien non apparenté entre les scènes éparses de la Damnation se trouve créé
en quelque sorte par l'auditeur lui-même et qu'en fin de compte l'impression ressentie
est celle d'une action dramatique suivie. »
Ajoutons que l'interprétation fut excellente, avec MM. Dalmorès, Albers, Mme
Albâ, l'orchestre, vibrant, souS la direction de Sylvain Dupuis.
On vient de mettre en répétition les Maîtres-Chanteurs, et on annonce les pro-
chaines premières de Déidamia et de Résurrection.
Les Concerts. ^- Ils sont tellement nombreux qu'on s'y perd ! Ce fut d'abord le
Concert Ysaye qui nous a donné de nouveau la Symphonie funèbre de Gustave Huberti,
page émue datant déjà de plus de vingt ans, qui fut accueillie avec faveur. Comme
nouveauté, En Saga, de Sibélius, œuvre curieuse, mais extrêmement confuse.
Mme Bréma détailla à ravir les belles Chansons à danser, de Bruneau, et fut acclamée
après le finale de la Gcetterdaemmerung.
l^èdûtniër Concert d'orchestre duConservatoire ne nous a rien apporté de nouveau:
l'ouverture d'Obéron, Siefried-Idill sont choses fort connues. Quant à la symphonie
de Raff, Im WaldCj elle offre peu d'intérêt.
Je veux signaler tout spécialement les séances de musique de la Libre Esthétique,
organisées comme toujours par M. 0. Maus. Les quatre concerts nOus ont fait
Connaître de nombreuses œuvres nouvelles oii peu connues : la Sonate pour piano et
violon de Albéric Magtlard, d'une inspiration libre et originale, parfois Un peu revêche
(MM. Chaumont et Bosquet) ; de délicats poèmes de Ravel (M. Engel, Mme Bâthori), la
Chambre Blanche, de Grovle2; ; le Trio de M. Gofïitl, œiiVre sincère, âisémetit péné-
— 26o —
trable, très rythmique ; le magnifique Quatuor de Guy Ropartz, l'une de ses plus belles
compositions ; la Sonate pour piano et alto de Marcel Labey, distinguée et poétique,
de jolies (mais si menues) œuvrettes de M. Inghelbrecht, réunies sous le titre : la
Nursery ; — de très belles mélodies de Kœchlin et deux fraîches chansons canadiennes
de Vuillermoz, les Heures d'Eté d'Albert Groz ; un joli Poème pour violoncelle de Jon-
gen. Enfin le quatrième concert fut particulièrement brillant, grâce à la présence du
maître Fauré, qui vint délicieusement accompagner à M. Dambois sa Romance, a Mme
Zimmer ses mélodies, et jouer la charmante suite Dolly avec Mlle Blanche Selva :
cette admirable pianiste nous révéla deux œuvres absolument remarquables '• En Lan-
guedoc, de Deodat de Séverac, et VIbéria., de Albeniz, si pleine de couleur.
Parmi les concerts particuliers, mentionnons le superbe récital d'Eugen d'Albert,
le lieder-abend de Mme Bréma (Schumann, Schubert, Weingartner, Brahms, Wolf),
les deux concerts de Willy Burmester, malheureusement peu suivis, le concert Deru,
de Mlle Littel, etc. S. T...
IYO\. — Le Quatrième Concert de l'abonnement, auquel nous eûmes le regret de
ne pouvoir assister, avait lieu avec le concours de M. Louis Frœlich et de la
J Schola Cantorum lyonnaise. Au programme, figuraient outre le Prélude à V après'
midi d'un Faune de Debussy (2° audition), YOuverture d'Euryanthe^Xa Symphonie n" i
de Beethoven et des fragments de Parsifal (Prélude, scène religieuse). M. Froelich
chanta un air tiré de la Fête d'Alexandre d'Haendel, les Deux Grenadiers de Schumann
et un poème en musique de M. Savard, intitulé Elévation. Ce programme captivant,
obtint, à juste titre, le plus beau succès. Le 6 Mars dernier, pour la cinquième soirée
d'abonnement, les auditeurs eurent à savourer un concert d'œuvres modernes du plus
vif intérêt. La Symphonie sur un air montag?iard français de M. V. d'Indy dont les trois
parties sont étroitement reliées entre elles, grâce à la forme cyclique, devait obtenir
pour sa première audition à Lyon et obtint en réalité un éclatant succès. Si les deux
premiers mouvements disent surtout la sérénité du paysage montagnard et la mélanco-
lie des êtres qui le peuplent, on retrouve en contraste dans le dernier toute la joie lourde
et franche des fêtes populaires ; une curieuse transformation rythmique du thème initial
tiré du folklore de nos montagnes y fait naître des motifs de danses paysannes d'un
pittoresque achevé, et cela semble une sorte de transposition musicale d'une toile de
Rubens ou de Téniers. Les Variations sympho7tiques de César Franck d'une si grande
richesse expressive, aux développements tour à tour passionnés et pittoresques, avaient
été jouées ici dans des conditions très défectueuses et elles étaient pour ainsi dire ignorées
à Lyon. Elles parurent cette fois dans toute leur pure beauté. Mlle Blanche Selva in-
terpréta le parties pianistiques des œuvres de d'Indy et de César Franck avec une auto-
* rite et un sentiment musical bien rares. Combien d'artistes savent, comme elle, s'effacer
devant l'œuvre à interprêter et dédaigner tout succès personnel? Nous eûmes avec elle
desémotions d'art profondes et très pures. L'orchestre plus assoupli que jamais et dirigé
avec une maîtrise absolue par M. Witkowski fit valoir excellemment ces partitions maî-
tresses. Le concert avait débuté par l'ouverture classique de la Flûte enchantée ; il com-
prenait encore les deux premiers numéros de la Suite sur Pelléas et Mélisande de G.
Fauré, Siegfried Idyll, la délicieuse symphonie wagnérienne, VIslamey de Balakirew ;
(cette fantaisie orientale déçut nombre d'auditeurs dont nous sommes), et la vibrante
ouverture du jRoî rf'Ys.
Depuis un mois, véritable avalanche de virtuoses : Planté, Pablo Gazais, Spalding,
Bimboni, le quatuor vocal Battaille, le quatuor de musique de chambre Rinuccini, le
quatuor tchèque, etc.. etc., et, prochainement, Paderewski, précédé d'une réclame
monstre, sera dans nos murs ! La Revue mnsicale de Lyon nous convoqua récemment à
une audition de musique moderne des plus exquises (Lieder de Mossorgski, Chausson,
Vuillermoz. Sonate piano et violon de Lekeu, Caprice de Bach sur le départ de son
frère, Suite pour le piano de Debussy, Sonatine de Ravel, le Soldat de plomb de Déodat
201
de Séverac.) Mme de Lestang, M. Ricou et M. Reynaud obtinrent aux côtés de M.
Léon Vallas, l'inlassable organisateur de ces soirées choisies, le plus vif succès.
Au grand théâtre nous avons actuellement d'excellentes représentations de Tristan
et Isolde avec Mlle Jonnsen et Mme Litvinne : cela alterne en attendant la reprise de la
Gotter dammerùng, qui est proche, avec la Tosca... et le Postillon de Lonjumeau !
P. L.
MwARSEILLE. — U Association Artistique des Concerts classiques, très habile-
yi ment dirigée par le sympathique M. Michaud, eut l'heureuse idée de nous donner
HJ^ VHistoire du Poème Symphonique, après nous avoir donné, l'année dernière,
l'histoire de la Symphonie.
Sous la baguette consciencieuse de M. Gabriel-Marie, nos musiciens, toujours en
progrès, donnèrent successivement : La Victoire de Wellington à Vittoria, qui n'ajoute
rien à la gloire de Beethoven, la Symphonie fantastique, les Préludes de Liszt, œuvre
débordante d'enthousiasme et de jeunesse, la Danse Macabre, désormais classique, la
Procession Nocturne de Rabaud, connue et appréciée à Marseille depuis longtemps,
Irlande d'Aug. Holmes, les Eolides, Viviane, du regretté Chausson, Thamar, de Bala-
kirew, que nousvoudrions voir définitivement inscrit à nos programmes, la délicate et
tendre Sauge fleurie, du maître V. d'Indy, Zorahayda, de Svendsen. La troublante
Après-midi d'un Faune, qui ne compte plus ici que des admirateurs, La Nuit d'été, de
Marty. Nous nous réjouissions d'entendre Y Apprenti sorcier, lorsque le malencontreux
départ d'un instrumentiste nous priva de ce plaisir.
Parmi les virtuoses toujours applaudis de notre public, citons : Pawla Frisch.
A. Guilmant, Mme Klebeerg, le tout jeune et surprenant Miecio Horszowki dont le succès
fut prodigieux, le baryton Clark, Stefi Geyer, Pablo Casais, Mme Roger- Miclos^
Emilie Bitter, etc., etc.
La Croisade des Enfants, qui devait être l'œuvre importante de la saison ne put
être montée et fut remplacée par la IX' Symphonie, avec le concours de Mmes Fournier
de Noce, Mathieu d'Ancy et de MM. Dantu et Daraux.
Nous eûmes la joie de voir V Association fêter son 500' concert, témoignage écla-
tant de sa vitalité et de ses succès. L. Gébelin.
MOi\TE-CARLO. — Les Concerts classiques (Mars). — L'orchestre, déjà si
remarquable et d'une si merveilleuse sonorité les années précédentes, a encore
gagné cette année en puissance et en homogénéité. Le quatuor sonne superbe-
ment, le pupitre des bois est peut-être le meilleur qui soit, les cors enfin, sont excel-
lents et d'attaque, grâce à Vuillermoz, transfuge de la Société Mimart. Avec cet
admirable orchestre, dont il joue avec infiniment de talent, Jehin nous a donné de
belles exécutions de quelques œuvres nouvelles ou peu jouées en France : la
Symphonie en sol mineur de Kallinikow, limpide et aimable, schumanienne à souhait,
sympathique ; le Poème Carnavalesque de Ch. Silver, dont j'ai peu goûté la ligne
heurtée, qui manque d'originalité, malgré certaines qualités mélodiques ; la Lustspiel-
Ouverture, du compositeur munichois K. de Kaskel, œuvre remarquable et très
curieuse, digne de retenir l'attention, tant par l'habileté de l'orchestration, l'opposi"
tion des nuances et des timbres, que par la richesse de la mélodie, l'écriture polypho-
nique, dénotant un compositeur de réel talent ; enfin, deux œuvres charmantes et
finement ciselées de Jehin, Elégie et Scher^^etto, pour petit orchestre, qui furent délicieu-
sement jouées par MM. Corsanago, Wazemans, Van Houtte, Sansoni et par les cordes.
Ce mois-ci appartient vraiment aux pianistes, qui régnèrent sans conteste, en leur
qualité de solistes, sur le public. Mais aussi, quels pianistes ! Saint-Saëns, Planté,
Risler. — On sait combien l'auteur de Samson et de V Ancêtre aime à se produire
comme virtuose du clavier : nous eûmes la bonne fortune de lui entendre interpréter le
Concerto en mi bémol de Beethoven avec la maîtrise que l'on connaît. Ce fut également
une rare jouissance que d'entendre Francis Planté. Ce grand artiste est bien le plus
— 262 —
éblouissant pianiste qui soit, et l'on reste émerveillé devant cette technique si claire etsî
élégante, devant cette interprétation si rythmique, si soignée, empreinte d'une telle sim-
plicité, noyée dans une sonorité idéalement pure. On sent que Planté ne cherche pas à
faire rendre au piano plus qu'il ne peut et plus qu'il ne doit (pourtant de quelle puis-
sance ne dispose-t-il pas, quand il le faut !). Et nous voilà bien loin de Risler, pianiste
orchestral et aux intentions dramatiques, dont le talent s'affirma dans le Concerto en
sol de Beethoven, dans des pièces de Chabrier et Liszt, et que nous voudrions seule-
ment mettre en garde contre certains gestes habituels (soulèvement du corps et coups
de pieds vigoureux aux pédales accompagnant les attaques,^), tout à fait inutiles et dis-
gracieux, A. D.
jERLIIV. — Depuis un mois, que de pianistes ! A tout seigneur, tout honneur, —
car sans me livrer au jeu des comparaisons puériles, Ferruccio Busoni, par le
déploiement d'une technique inouïe, par les sonorités paradisiaques de son in-
comparable toucher, par l'enthousiasme et la générosité de son inspiration, s'affirme
comme le maître le plus complet du piano, — et le seul qui en comprenne toute la
poésie. Les Harmonies du soir, Feux follets, Mazeppa, Marche nuptiale et Ronde des
Sylphes, Marche Héroïque dansle mode Hongrois de Liszt, les /y Variations-Eroïques,
les Sonates op. 109 et 106, de Beethoven. ■ — Adélaïde, Busslied, Les Ruines d'Athènes,
de Beethoven dans les transcriptions de Liszt, ™ le Prélude, Choral et Fugue de
César Franck, le Thème et Variations de Rubinstein, les Etudes d'Alkan aîné, compo-
saient la matière des trois récitals qu'il vient de donner.
Eugène d'Albert, accompagné par l'orchestre de la Philharmonie, sous la direction
de Muck, émerveillait plus qu'il n'émouvait dans le Concerto de Schumann, op. 54, le
Concerto et le Dies Irce de Liszt.
Edouard Risler consacrait 3 séances à l'interprétation des Sonates de Beethoven,
qu'il a pour ainsi dire fait siennes tant il fait revivre intensément, fidèlement la pensée
du plus grand des classiques.
José Vienna da Motta fit preuve d'une puissance surprenante, d'une incomparable
netteté. Il Joua Chopin, (Ballade, trois Mazurkas, Polonaise) avec charme et simplicité,
sans mièvrerie, sans emphatique déclamation. Le scherzo et marche, la Bénédiction de
Dieu dans la solitude, la valse de Méphisto (transcription de Busoni), trois pièces de
Liszt mirent en pleine valeur sa belle virtuosité.
Ernst von Dohnanyi interprète excellemment la Sonate de Brahms. Un peu mièvre
dans la Sonate op. 1 1 de Schumann, il exécute en revanche avec une certaine raideur
la Sonate op. 1 10 de Beethoven.
Sous les doigts d'Ossip Gabrilowitsch, la Rhapsodie de Brahms, le Rigaudon de
Raff, la Ballade de Grieg, la Gavotte de Glazounofï, le Prélude de Liadow séduirent
Infiniment. Je ne suis pas de ceux qui goûtent son interprétation de Bach et de Bee-
thoven.
Wladimir von Pachmann, fait courir la foule. Il électrise son auditoire en exécu-
tant vertigineusement des tours de la plus périlleuse acrobatie. Grâce à lui, j'ai maudit
pour toujours Chopin et tout le contingent des ballades, mazurkas et polonaises,
Alfred Cortot, plus heureux à Berlin que Lazare Lévy, a fait grande impression.
Son programme comportait des sonates de Chopin et de Liszt, le Carnaval de Schu-
mann. C'est un artiste vibrant et sincère que le public a chaleureusement applaudi.
Frédéric Lamond est un interprète caverneux des sonates de Beethoven, Combien
je préfère la grâce agile et discrète, la souplesse et le sentiment nuancé et délicat de
Godowsky. Au dernier programme de Godowsky figuraient les ^2 Variations, le
Rondo op. I2Ç de Beethoven, la Sonate de Brahms, la Rhapsodie espagnole et les GnO"
menreigen de Liszt.
Michaël von Zadora, encore qu'au déhut de sa carrière, s'est révélé comme pianiste
de haute lignée. Sa fougue et son tempérament ne sont égalés que par la sûreté de sa
technique qui est prodigieuse.
— 263 —
Gottfried Galston est un « réfléchi » qui rendit avec noblesse le Capriccio sopra la
hntanan^a del suo fratello dilettissimo (Bach) et la Sonate op. 106 de Beethoven.
En revenant aux violonistes, Mme Jeanne Diot qui, hier encore, était une inconnue
à Berlin, a remporté, dès son premier concert à la Beethoven-Saal un énorme succès.
Dans l'assistance, on remarquait tout particulièrement la présence du maître Joachim.
L'enthousiasme avec lequel le célèbre violoniste donnait le signal des applaudissements
sera, pour notre compatriote, la consécration la plus flatteuse de son remarquable talent.
Dans les Sonates de Corelli, Mozart, Beethoven et César Franck, la musicalité profonde
et l'intelligence artistique de Mme Diot se sont afifirmés de tout premier ordre. Le style
est sobre, ferme et noble. L'ampleur de la sonorité, la chaleur et la force de l'interpré-
tation, la perfection du jeu valurent à Mme Diot les ovations du public et les honneurs
d'un bis, chose rare à Berlin !
Les concerts d'orchestre nous apportèrent des nouveautés dignes de peu d'intérêt.
Une certaine Apalachia de Délius, das Trùnk'ne Lied d'Oskar Fried (d'après Nietzsche),
l'Homme de Paul Ertel. Beaucoup de bruit pour rien. Seul, la Mort des Tintagiles,
poème symphonique de Ch. W. Loeffler, nous ramène à la musique véritable.
L. PONNELLE.
E CAIRE. — /jT Février. — ■ Dans cette quinzaine, parmi les concerts dignes
d'attention, citons tout d'abord les deux séances données par le célèbre violoniste
A. Serato.
Au programme, pour le i" concert.
Wieniawsky, 2' concert en ré mineur. Ries, Perpetuum Mobile. Sarasate, Zige-
unerweisen.
Entre ces morceaux nous avons entendu avec plaisir la distinguée pianiste Mme
Malatesta qui interpréta avec un sentiment exquis le Prélude en do mineur et le Scherjjo
en si bémol mineur de Chopin.
Le programme de la 2' séance comprenait :
Beethoven, Concert pour violon et orchestre. Liszt, Fantaisie Ho7tgroise, pour
piano et orchestre. Vieuxtemps, Quatrième concerto, pour violon et orchestre.
L'espace ne me permet pas d'analyser tous ces morceaux, mais disons en l'hon-
neur du sympathique artiste, qu'il a gagné beaucoup en virtuosité depuis l'année
passée ; son mécanisme est parfait, aussi bien que sa technique, et son style est excel-
lent. Ce fut au milieu d'une ovation frénétique que prit fin l'interprétation du concerto
de Vieuxtemps ; à ce résultat contribua aussi l'excellent orchestre, dirigé magistrale-
ment par M. Bracale.
Le Quatuor Fitzner, de Vienne, composé de MM. Fitzner, Hers, Cserny et
Walther, que nous avons tant applaudi l'année passée, nous est revenu encore cette
année, il a donné son premier concert devant une assistance des plus choisies.
Parmi les numéros du programme :
Mozart, Quatuor en sol tnajeur n" XIL Borodin, Nocturne. Glazounow, Scherzo.
Beethoven, Quatuor en fa mineur, op. 95.
Tous ces morceaux ont été admirablement rendus, le public enthousiasmé a fait
une chaleureuse ovation aux artistes.
Vahram.
— 264
Concerts TlijVOîjcés
Salles Pleyel
Grande Salle
Avril
t Mme Anna Fabre (élèves^.
3 M Ed. Tourey (La Tarentelle).
4 La Société des instruments anciens.
6 Mme Juliette Ducher.
7 M Marcel Bâillon.
8 Mlle Et. Fernet (élèves).
9 M. Derzo Szigety.
10 Mlle Wierzbécka.
Salle des Quatuors
2 M. René Jullien.
3 Mme Adèle Hirsch.
4 M. Charles Bouvet.
5 Mme Hertzog.
» Irène et Fernand Chapellut.
6 M. René Jullien.
7 Mlle Grumbach.
8 Mme Kessler-Weyler.
9 Mme Rosine Marty.
10 M. P. Vizentini (élèves).
1 1 La Société des Compositeurs de Musique.
» Le Quatuor Calliat.
12 Mme P. Vizentini (élèves).
Salle Erard
1 Matinée de Mme Sax-Godefroid.
2 M. Duttenhofer.
3 M. Sauer.
4 Mme C. Kleeberg
5 Mlle B. Duranton.
Avril
6 Mme Laroche.
7 Mlle Sarah Pestre.
8 Matinée des élèves de Mme Chéné.
9 M. Fœrster.
10 M. Berny.
1 1 Soirée des élèves de Mme Chéné.
12 M. A. Salomon.
Salle des Agriculteurs
2 Le Quatuor Joachim, 9 h.
3 id.
4 id.
6 id.
7 id.
8 Concerts Lefort, 3 h.
îo Société des Instruments à vent, 9 h.
Schola Cantorum
' 4 Concert César Franck.
6 Concert d'élèves de la Schola.
Salle ^olian
3 M . Servator.
4 D"^ Lulek.
5 M. Fournier et Mme Fournier de Noce.
9 Ensemble vocal : Mme Martilly, Mme Raulin,
MM. Noël et Sigwalt.
Salle du Journal
4 3° Concert Saïller, 9 h.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FR A NCE
Le mercredi 4 avril, à 9 heures, aura lieu à la Schola Cantorum la deuxième audi-
tion annuelle des grandes œuvres de piano et d'orgue de César Franck par Mlle Blanche
Selva et M. Gustave Bret. Au programme en plus des trois Chorals d'orgue, de P^é-
lude, Choral et Fugue, Prélude, Aria et Finale., figure une Danse Lente tout récem-
pient retrouvée et publiée.
Les belles et inoubliables séances d'art pur que nous a offertes l'an dernier la So-
ciété Philharmonique de Paris, et au cours desquelles l'illustre maître Joseph Joachim
et son Quatuor ont exécuté intégralement les quatuors de Beethoven vont avoir un len-
demain.
En effet, l'illustre violoniste, directeur du Conservatoire de Berlin, doit prochaine-
ment arriver à Paris.
Il sera accompagné de ses partenaires de quatuor MM. les Professeurs Cari Ha-
lir, Emmanuel Wirth et Robert Hausmann. Ces incomparables artistes donneront à la
Société Philharmonique de Paris, 8. rue d'Athènes, les 2, 3, 4, 6 et 7 avril, une série de
cinq concerts qui seront en quelque sorte, dans leur ensemble, un résumé de l'histoire
du quatuor.
Au cours de la soirée annuelle donnée par la Société d'Amateurs Le Timbalier,
dirigée par son distingué fondateur M. Fernand de Léry, nous avons infiniment goûté
la délicate interprétation vocale de mélodies de MM. G. Hue, Ch. René, Fijean et
de Léry, {Mystère et Djelmah), par Mme Bureau-Berthelot ; Mlles De Rochette et
— 265 —
Lily Franconîe ont remporté également le plus joli succès ; Mlle Marcelle Le Rey a exé-
cuté le Concerto en ut mineur de Beethoven, Caprice de Marmontel et Thème Varié de
Hœndel, avec une maîtrise, un brio et en même temps un style remarquables. L'audi-
toire qui nous a paru particulièrement initié l'a vigoureusement applaudie. L'orchestre
nous a donné une charmante exécution de la Symphonie en sol mineur de Mozart et de
l'ouverture à'Euryanthe de Weber.
Le comte de Bertier de Sauvigny réunissait le 18 mars, autour de son bel orgue
Merklin, un groupe d'amis et de dilettantes pour leur faire entendre M. Boulnois, le
dernier lauréat du concours d'orgue du Conservatoire. M. Boulnois a joué avec une
maîtrise très remarquée des pièces de Bach, Franck, Saint-Saëns, Gigout, Guilmant,
Widor et Vierne ainsi qu'une Elévation pour orgue et une Pièce symphonique pour
orgue et quintette dont il est l'auteur. Il a été vivement applaudi, non moins que Mlle
Revel qui chanta délicieusement des mélodies de Massenet, Fauré et Dallier et que
Mlle Jane Chevalier dont la virtuosité s'épanouit dans le Scher-^o en si mineur de Cho-
pin et le Wedding Cake de Saint-Saëns.
Assistance élégante et nombreuse au concert organisé par Mme Baulier, la sym-
pathique présidente des Enfants des Arts \ tous les numéros d'un programme exclusi-
vement consacré aux oeuvres de Mme L. Filliaux-Tiger ont été chaudement applaudis ;
l'auteur qui a prouvé ses qualités de parfaite exécutante dans une sélection de compo-
sitions pour piano, accompagnait ses mélodies et ses compositions pour instruments ;
l'interprétation fut de tout premier ordre avec Mlle Eléonore Blanc, MM. Béral, Wein-
gartner, et Dupuy, Mmes de Ligny et de Banville.
Une audition musicale du plus haut intérêt a eu lieu le 15 mars, chez M. et Mme
Auguste Sérieyx dans leurs salons de l'avenue de Wagram. Il s'agissait de l'œuvre
dramatique récemment terminée par M. Déodat de Séverac et reçue par M. Albert
Carré à l'Opéra-Comique.
Nous ne pouvons faire ici l'analyse du Cœur du Moulin, puisqu'on nous promet
pour la saison prochaine sa représentation sur notre seconde scène lyrique, mais nous
pouvons affirmer que les qualités exquises de cette partition si pittoresque la désignent
pour un complet succès.
Les interprètes de la lecture intime qui en a été donnée chez M. Sérieyx, en pré-
sence d'une centaine d'amis, de musicographes et de critiques, ont remarquablement
mis en valeur l'œuvre de M. de Séverac.
Le piano — on devrait dire « l'orchestre )) — était magistralement tenu par Mlle
Selva : et ce n'était point une sinécure, notamment dans l'émouvant prélude du second
acte, tout plein de l'atmosphère ensoleillée du Languedoc. Mlle Marie Pironnay, Mme
Fié, MM. Austin et Gébelin avaient mis leur sympathique talent au service des princi-
paux rôles, soutenus par un chœur nécessairement réduit et qui ne pouvait atteindre
pour cette raison à toute l'ampleur désirable.
M. Mutin, l'habile directeur de la maison Cavaillé-Coll, vient d'achever un orgue
monumental de trente-deux pieds qu'il nous conviait a entendre le 16 mars. M. Gigout
était chargé de nous présenter le nouvel instrument. Le maître avait composé un pro-
gramme comprenant un Prélude et une Fugue en mi bémol de Bach, la Suite Gothique et
l'Allégretto con moto de la Seconde Suite de Boellmann, ainsi que quelques-unes de ses
œuvres ; le délicieux Pèlerinage extrait des Poèmes mystiques, un Scherzo, une Toccata
souvent redemandée par les fidèles de Saint-Augustin et le Grand Chœur dialogué,
œuvre puissante et sonore qui, comme l'a constaté la presse, fut acclamé frénétique-
ment. On a admiré une fois de plus l'autorité, le style large, l'exécution nette et précise
de M. Gigout et l'on a applaudi avec joie le compositeur qui a le tort de s'eÉfacer trop sou-
vent. L'orgue formidable et suave à la fois a fait excellemment valoir les délicatesses
du Pèlerinage et de la Suite Gothique. Puis Mme Gallet et M. Borde ont chanté le
duo de Sosarme d'Haendel et un duo charmant de Boellmann, le Calme. Mme Gallet
a fait apprécier dans le Veni Creator de Lalo, Mai de Boellmann et le Roi des Aulnes,
son art incomparable, et M. Borde a transporté avec trois cantiques de Beethoven l'au-
ditoire d'élite qui se pressait chez M. Mutin et qui lui a fait une ovation.
— 266 —
Le ig mars, M. Vierne, le jeune et brillant organiste de Notre-Dame faisait enten^
dre sur le même instrument les /awtez'sze et fugue en ut mineur de Bach, le Cantahile
de Franck, la Symphonie gothique de M. Widor et trois pièces signées de son nom,
Prélude^ CommunioneX. Allegretto dont on ne saurait trop louer l'inspiration et le charme.
M. Vierne a obtenu comme de juste le plus vif succès. Il est superflu de vanter les qua-
lités précieuses qui lui ont acquis à l'âge où l'on étudie encore une haute réputation et
qui l'ont fait ranger de prime abord parmi les maîtres de l'orgue. En l'absence de Mme
Vierne, M. B. de la Motte chanta avec une émotion chaleureuse la Procession de Franck.
Regrettons que de telles séances où les vrais musiciens se retrouvent avec empresse-
ment ne nous soient pas plus libéralement dispensées.
Concours. — Les concours de composition musicale pour le Prix de Rome
auront lieu cette année du ^ au ii maz" pour le concours d'essai ; du iç mai au i8
juin pour le concours définitif.
— Le 2° concours pour le prix Louis Dièmer aura lieu au Conservatoire les 7 et 8
mai prochain.
Les représentations du Clown de M. I. de Camondo, sur un livret de M. Capoul,
auront lieu vers la fin d'avril, au Nouveau-Théâtre. Les principaux rôles seront
tenus par MM. Rousselière, Renaud, Delmas, Mmes Farrar, Mérentié, Jane Margyl.
L'Union des Femmes Professeurs et Compositeurs de musique, se propose de don-
ner, cette année, plus d'extension à la Société Chorale qu'elle a fondée. Elle fait appel
à toutes les musiciennes, virtuoses et professeurs, en les priant de s'inscrire à la Cho-^
raie de l'U. F. P. C.
Il suffit pour cela d'être musicienne professionnelle, d'adresser une dema»nde écrite
à Mlle Daubresse, présidente de VUnion, 13, rue de l'Arc-de-Triomphe.
La Fédération des Artistes-Musiciens de France vient d'adresser un appel à tous
ses adhérents pour venir en aide aux familles victimes de la catastrophe de Courrières.
Des souscriptions sont ouvertes immédiatement dans tous les orchestres de Paris et de
province. Les fonds sont recueillis par le trésorier de la Fédération à Paris, 11, rue
Bergère.
Un premier envoi de cent francs a été fait par la Chambre Syndicale des Artistes-
Musiciens de Paris.
M. Tournemire vient dediriger à Leyde un concert consacré à ses œuvres, qui, remar-
quablement interprétées par Mmes Brunings, Kortman, MM. Wysman, Rappart,
Verhallen, van Isterdael, furent très applaudies ; le Quatuor, obtint particulièrement
beaucoup de succès. — Le Sang de la Sirène sera exécuté l'an prochain à Amsterdam.
• M. Léon Jehin, l'éminent chef d'orchestre des Concerts et du Théâtre de Monte-
Carlo, vient d'être décoré de l'ordre du roi Léopold de Belgique. A l'occasion de cette
nomination, les musiciens de l'orchestre ont offert à leur sympathique chef un banquet
qui fut une fête de famille très réussie et fort touchante.
Il est regrettable que les nombreux admirateurs de Léon Jehin, qui applaudiront à
cette distinction, n'aient pu fêter en même temps sa nomination dans l'ordre de la
Légion d'honneur. Il y a beau temps, paraît-il, que cette décoration est en route I L'an
dernier une pétition signée des noms les plus illustres du monde artistique, fut pré-
sentée au Sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, qui promit de tout accorder. Ce beau
projet est encore à réaliser. Pourtant, quel musicien mérite mieux que Jehin cette déco-
ration ? — Nous insistons au nom de tous auprès de M. Dujardin-Beaumetz pour que cet
acte de justice soit promptement accompli. A. D.
Bordeaux. — Grand succès pour la Troupe Jolicœur d'A. Coquard, donnée le
6 mars au Grand-Théâtre. — Le 10 mars. Concert Philharmonique avec le concours
de MM. Enesco, Cazals, de Mme Grandjean et de M. Dufrane (Rapsodie roumaine
d'Enesco, Concertos de Saint-Saëns et d'Haydn).
— 267 —
Nantes. — Sibérîa, de Giordano, a remporté ici un véritable four. On annonce
Tannhceuser et le Roi d^Ys.
Pau. — Au Palais d'Hiver on vient de donner avec succès Hedda de F. Le Borne,
créée il y a quelques années à Milan.
Nice. — L'Opéra a monté récemment Eyi Saga d'I. de Lara. Le Casino Municipal
vient de donner la première de Manon Lescaut de Puccini. Le violoniste Hubermann a
donné deux concerts avec grand succès. Mme Tilli Kœnen annonce une séance de
lieder.
On peut déjà affirmer que l'œuvre nouvelle (ou une des œuvres nouvelles) que l'on
montera à Monte-Carlo l'an prochain, est la Théodora de Xavier Leroux.
Monte-Carlo. — Avec Don Procopio, l'adorable chef-d'œuvre de Bizet dont le
succès fut immense, M. Raoul Gunsbourg a donné Paillasse de Léoncavallo.
M. Rousselière est admirable dans le rôle de Cadio, qu'il chante superbement et
qu'il joue avec une belle violence dramatique. Mlle Farrar a délicieusement interprété
le rôle de Nedda : sa voix pure et puissante, son charme exquis, sa véhémence tragique
lui ont valu un très beau succès personnel. M. Bouvet compose le rôle de Tenio en
grand artiste, avec un relief extraordinaire. M. Ananian, qui possède une très belle
voix de basse chantante, fut un remarquable Silvio. Les chœurs et l'orchestre, sous la
direction de M. Léon Jehin, interprétèrent en toute perfection la partition de Paillasse
qui, s'ajoutant à Don Procopio, contribue à composer un spectacle du plus vif éclat.
— Excellente représentation de la Vie de Bohême de Puccini. L'œuvre délicieuse
du maestro italien a retrouvé son habituel succès. Elle était interprétée, pour les princi-
paux rôles, par les artistes de l'Opéra-Comique : Mme Marguerite Carré, qui incarae à
ravir le personnage de Mimi ; M. Clément, dont la jolie voix de ténor fait merveille
dans le rôle de Rodolphe ; M. Bouvet, un Marcel de belle allure ; M. Jean Pèrier, par-
fait dans le rôle de Colline, et M. Chalmin, un Schaunard fort pittoresque. Mme Chas-
sang, qui jouait le rôle de Musette, y a lait applaudir sa jolie voix et son brillant talent
de comédienne.
L'orchestre et les chœurs, sous la direction de M. Léon Jehin, furent parfaits.
Nous parlerons dans le prochain numéro de Don Carlos, le chef-d'œuvre de Verdi,
qui vient d'être représenté et mis en scène splendidement par M. Gunsbourg.
^ Bruxelles. — Au dernier Concert Ysaye (25 mars), M. Eugène Ysaye a exécuté
les Concertos de Bach, Mozart et Beethoven. — Le i" avril, à l'Alhambra, concert de
YOrchestre Kaim, sous la direction de M. Schneevoigt. — M. Arthur de Greef annonce
une série d'auditions consacrées à l'histoire de la littérature du piano, de Frescobaldi
aux contemporains : il exécutera les trente-deux sonates et les cinq concertos de Beetho-
ven : cette série durera une année. (Décidément, l'exemple de MM. Risler et Parent est
contagieux : espérons qu'il ne surgira pas trop d'imitateurs !)
Anvers. — La Tasse de M. E. d'Harcourt vient d'être représentée ; cette œuvre d'un
amateur a laissé le public assez froid.
L'orchestre des Concerts Ysaye vient de donner un superbe concert où nous applau-
dîmes Mlle Delfortrie, Mme Kleeberg et Mme Dubois-Dongrie. V.
Gand. — Au Cercle artistique et littéraire de Gand, M. Engel et Mme Bathori vien-
nent de remporter un vif succès en interprétant avec le charme qu'on leur connaît dififé-
rentes œuvres de Schumann, Bruneau, Rita Strohl, etc.
Liège. — Le Théâtre Royal de Liège vient de représenter avec grand succès une
nouvelle œuvre du compositeur Louis Hillier, dont le grand ballet en 2 actes et avec
chœurs : Fatalidad fut applaudi à Aix-les-Bains, Lille, Toulouse, Cabourg, Dijon et
autres villes de France et de l'étranger.
Les journaux locaux sont tous des plus élogieux et le Journal de Liège constate la
remarquable exécution de la partition sous la conduite du compositeur qui dirigeait de
mémoire.
— 268 —
Amsterdam. — La deuxième audition de la Croisade des Enfants, de Pierné, au
Concert-Gebow, a remporté encore plus de succès que la première. L'auteur, présent,
a été acclamé. La Société pour l'encouragement de l'Art a donné Dem Verklaerten, de
M. Schillings, dasKlagende Lied de Mahler et Taillefer de R, Strauss.
Les Fêtes musicales du Rhin. — Voci quelle sera la série des Fêtes musicales
qui auront lieu, au printemps, sur les bords du Rhin :
i' Les 17 et 18 Mai, à Mayence, exécutions des oratorios Jwias Maccabée et de Saul
de Haendel, par les soins du Mainger, Liedertafel et du Damengesangverein.
2° A Bonn, les 20, 22 et 23 mai. Festival Schumann, avec le concours delà société
de choeurs Concordia, de la Philharmonie de Berlin, de la Société des Instrusments à
vent de Paris, de F. de Dohnangi, Dr V. Kraus, Meschaert, Mmes Kappel, Kraus-
Osborne.
Au programme : Symphonies en mi bémol et en si. Morceaux de concerts pour 4 cors.
Ouverture de Manfred, Scènes de Faust. Concerto pour piano, quatuors, lieder, etc.
La direction artistique de la fête et de l'orchestre sera entre les mains du maître
Joachim et du professeur Griiters.
3" A Aix-la-Chapelle, les 3, 4 et 5 Juin, Festival Rhénan.
MM. Félix Welngartner et le D"" Schwickerath dirigeront alternativement l'exécu-
tion. Au programme de la première journée : la Messe en si mineur de Bach ; le lende-
main, la Faust-Symphonie de Liszt. ^^
M. Arthur Nikisch vient de donner sa démission de directeur de l'Opéra de Leipzig,
poste qu'il occupait depuis un an à peine. M. Nikisch allègue des raisons de santé ; la
vérité est qu'il se sentait écrasé par ses multiples fonctions : directeur de l'Opéra, direc-
teur des deux grandes phalanges artistiques allemandes : le Gewandhaus de Leipzig et
VOrchestre philharmonique de Berlin, directeur des concerts d'abonnement de Ham-
bourg, directeur d'études au Conservatoire de Leipzig. M. Nikisch a opté pour le concert.
Le pianiste Mark Hambourg que l'on entend trop rarement à Paris où cet hiver il
n'a donné qu'un seul concert, vient de parcourir la Hollande dans une tournée de quinze
Récitals.
Ces séances ont, au dire des journaux du pays, été une suite ininterrompue
de succès pour le célèbre virtuose, ainsi que pour les pianos Gaveau dont il se servait.
Livres et Œuvres iT)Usicales reçus
p. HELiLiOUIN : Le Noël musical français (Joanin, éditeur, Paris).
A. RENSCHEL : L'art du chef d'orphéon {Fischbachek, éditeur, Paris).
La maison d'éditions LéO LIEPMANNSSOHN, de Berlin, annonce, pour le
mois de mai prochain, la publication, par M. Jules Ecorcheville, de 20 suites d'or-
'chestre du XV II" siècle français, d'après un manuscrit de la bibliothèque de Cassel.
Ces suites, qui sont les seules œuvres que nous ont laissé, ou à peu près, les 24
violons du Roy, formeront 2 volumes grand in-4° de 300 pages de musique. Le premier
volume contiendra une étude historique. Nous reviendrons sur ce véritable monument
historique lors de sa publication.
Joseph JONGEN : Sonate pour piano et violon (Schott, éditeur à Bruxelles).
C. SAINT-SAENS : Le Rouet d'Omphale. — Phaéton.
— Petites partitions d'orchestre (Durand et Fils, éditeurs, Paris).
Quatre mélodies de Ch. Neveu (Vieux Calvaire, Fleurs mortes, les Vers luisants^ j
Aux Etoiles.)
Editées par l'auteur, 8 rue Monton-Duvernet, Paris.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT\ _
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
Max REGER
k
CATAL OGUE
des principales Œuvres de Max REQER
a) rY\ysiQue De QXAmBR^:
Sonate, pour violon et piano (op. 72).
Sonate, pour violon et piano (op. 84).
2 Sonates, pour violoncelle et piano (op... et 78).
Quatuor à cordes (op. 74). — Trio à cordes (op. 77^).
Six Sonates pour violon seuh — Sérénade pour flûte,
violon et alto, (op. 77^) etc..
b) nr\usiQU£ d£ Tiaho : ,
Variations et Fugue sur un thème de Bach (op. 81).
» » sur un thème de Beethoven, pour
deux pianos (op. 86).
Aus meinem Tagebuclie. Pièces pour piano (op. 82), etc.
cj fr^;s:QU£"L)'ôR(5U^:
Variations et Fugue. — Sonate d'orgue (op. ^^). Six trios
(op. 47).
Trois fantaisies (op. 52). — Préludes et Fugues (op. 56) —
Préludes de Chorals (op. 67). — Œuvres de piano de Bach
transcrites pour orgue, etc..
d) JTjpsiQUS \/bcAL£, {chœurs, lieder, etc.)
4 lieder (op. 23). — Six poèmes (op. 31), — Six lieder (op. 35).
8 lieder (op. 43). — 12 lieder (op. 51). — 16 mélodies (op. 62).
Chœurs pour voix d'kommes (op. 38). — Chœurs pour voix
mixtes.
Chœurs religieux (4 cahiers) etc. — 2 Cantates (Choral-
kantate), etc.
De nombreux lieder : Schlichte Weisen (op. 76), etc., etc..
^J rQUSlQi;£'t)'ORCK£STR^:
Symphonietta pour grand orchestre.
Ces Œuvres sont éditées che^ :
MM. LANTERBACH et KUHN (Leipzi^t). — UNIVERSAL EDITION
(Vienne). — KAHNT, Nachfolger (Leipzig"), etc.
OPÉRA
CHATELET
Société l»ia:u.siG6Lle C3r. A.STK,XJC «Ss Cie
5/X CONCEJiTS
23 -A.vril
2T A.vril
29 .Avril
1®^ ]M[ai
FESTIVAL
BEETHOVEN-BERLIOZ
Sous le Patronage de la Société des Qra&des Auditions Musicales de France
Présidente : Mme la Comtesse Grejfulhe
AVEC LE CONCOURS DE MESDAMES
Lucicni^e B^éV^^L § Alice VS^LST, de l'Opéra
MM. YAK DYCK, AFFRE, DELIBAS, GRESSE, de l'Opéra
le Pianiste A. PIERRET
L'Qrcl)€stre Oe l'^ssociatioi} Ces (^ooccrts Lan)ourcu;i
et Des 400 Choristes De l'Qratoriun) Verecoigiog D*^n)sterC)an)
550 Ê[xË[cutaiits sou^ la 5ii|Ection Se
¥mx WEINGTinTNEn
TliÉATI^E du eïî^iTXLET
le 20 AVRIL, à 3 heures
t t t
eriEITIIOVEITV
1. Symphonie Pastorale
2. Ouverture de Coriolan
3. Symphonie Eroica
Tï^É^iTltE du GIÎATELET
le 27 AVRIL, à 3 heures
ê ê ê
BEFIXIIOI'FITV
1. Ouverture de Fidelio
2. Ouverture de Léonore (I)
3. Ouverture de Lconore (II)
4. Huitième Symphonie
5. Ouverture de Léonore (111)
Pour tous renseignements^
P BOQ R A M M E
TïîÉ^iTI^E du Z^SiXZLZX
le 23 AVRIL, à 3 heures
BEIRX^IOZ
I. Ouverture de Benvenuto Cellini
2 Air de l'Enfance du Christ
3. Ouverture du Carnaval Romain
4. Air de Cassandre
5. Symphonie Fantastique
DE L'OpÉI^^i
le 29 AVRIL, à 3 heures
BEIKLlIOZ
LA DAMNATION DE FAUST
poème symphonique pour Soli,
Chœurs et Orchestre.
s'adresser à MM. G. ASTRUC
Pavillon de Hanovre, Paris
TîîÉATI^E du eï^ATELET
le 25 AVRIL, à 3 heures
BEIEaXIIOVEITV
1 . Symphonie en la
2. Concerto de piano en sol majeur
M. Auguste PIERRET
3. Symphonie en ut mineur
X^tkX'^lZ NATIONAL
DE L'OpÉI^A
le l'"^ MAI, à 9 h. du soir
ê t â
BEEXHOTEX
I Ouverture d'Egraonl
2. Fantaisie Chorale
3. Neuvième Symphonie
et Cie (Société Musicale)
Administration de concerts L DMDELOT, 83, rue d'Amsterdam
SA l_l_E ERABD
n.éci"t£il s\ijDp>lé2:xi.en"fcair'e
Mardi 3 Avril
1. Prélude €t Fugue Bach d'Albert
2. Grande Fautaisid op. 15 . . .
3. a. Scherzo op 4
b. Romance fa dlc;e majeur . (
c. Traumeswineii (
4. Sonate op. 35 Fk. Chopin
Grave. — Doppio movimento.
Scherzo. — Marche funèbre. — Presto.
Fit. Schubert
j. Brahms
R. SCHUMANN
a. Rêve d'Amour ....
b. A Cbevdl (Etude de Concert
n° 1 1 1 . . I E. Sauek
c: Les Délices de Vienne \
(Valse de bravoure) ... y
Fantaisie-Norma Fr. Liszt
SOCIETE DE CONCERTS D'INSTRUMENTS ANCIENS
Fon.ca.ee par Henri CA.SjA.IDH3SXJS
Président : Camille SAINT-SAENS — Directeur : PERILHOU
Mme H. CASADESUS-DELLERBA Alfred CASELLA
(Quinton) (Clavecin
Henri CASADESUS
(Viole d'Amour)
M. CASADESUS
(Viole de Gambe)
F. OLIVIER
(Basse)
MERCREDI 4 AVRIL, à 9 heures du soir, SALLE PLEYEL
PREMIER CONCERT avec le concours de
ff. Unk DIÉPH
jïllfe Gaplotta de fÉO
M. HENNEBAINS et la Classe de Trompettes de M. PRANQUINyP^ au Conservatoire
P R 0 G- R A 15^ m: E :
I.
Ballet de Chimène
Sacchini
4
Deuxième Symphonie.
Bruni
Q.uinton, Viole d'amour, Viole
1734- 1786
Quinton, Viole d'amour. Viole de
1759-1825
de Gambe, Basse et Clavecin.
Gambe, Basse et Clavecin.
2.
a. Air de Phèdre
Rameau
Recueillie par Henri Casadesus
1 63 3- 1764
^
Deux Carillons Flamands
b. La Passion .
Haendf.l
du xviii^ siècle.
Mlle CARLOTTA DE FÉO
1685-1769
a. en sol majeur — b. en 50/ mineur.
3-
Concerto en ut mineur . , . .'.
J.-S. Bach
6.
Divertissement .. ...
Mozart.
l'our deux Clavecins
1685-1750
pour deux Flûtes, cinq Trompettes
1756-1 791
MM. Louis D.ÉMER et Alf. CASELLA
et quatre Timbales.
C
L À Y E C 1 ?
tf
PLEYEL
Le Deuxième Concert aura lieu en
Mai, avec le conc
3urs
de Mme Gabrielle COURTOIS
Lg^ 32 Soriale^ pour T^iai^o
^EE3'XE3:0"VE!3Sr
PAR
IEl
D O U A K I>
I S^ I^ El R
Les Dimanehes 6,; ii, iû, if Mai
-A.XJ 3SrOXJVE!-A.XJ THBA-TK^B, à 3 heures
leMclîs if et 51 Mai, à eheBFas au
A.XJ ITOXJ"VEI-A.XJ THB-A.TR.E]
Jeudis f et 14 luîn, à 9 heures
Pour tous renseignements, s'adresser à l'Administration de Concerts, A. DANDELOT, 8^, rue d' Amsterdam
Le^
APPRÉCIÉS pAIÎ
Les Professeurs du Conservatoire de Paris
^miU ^S&aïd, Trofeaeur d'%
armonie.
Quel pas énorme vous avez fait et quels progrès vous avez réalisés depuis qu'en
1867 je faisais entendre vos pianos à l'Exposition Universelle !
Le grand piano de concert que vous m'avez soumis hier est un superbe instru-
nent, sonore, facile à jouer, d'un mécanisme parfait, d'une douceur invraisemblable et
lont le clavier, docile aux moindres fantaisies de l'exécutant, cède à la plus légère
;)ression. Je vous envoie mes félicitations les plus sincères.
i(*uut Vidât, jProfesseur dfaccom-pagnement.
J'apprécie beaucoup les pianos Gaveau. Dès mon enfance, au Conservatoire de
oulouse, je me familiarisai avec eux, j'appris à les aimer, et depuis lors je n'en ai
imais eu d'autres chez moi.,
Çaiïi^t ^eïnéj Membre du 'Comeil Mpérieur.
Depuis longtemps j'ai pu constater la puissance et le charme, Pégalité de clavier
l'homogénéité parfaite de vos remarquables instruments, et je vous remercie de
l'avoir initié, pendant notre visite à l'usine de Fontenay, aux détails si intéressants de
ur fabrication.
Plctoi*^ Waïot, Membre du €cnieil suj)érieur et Vrofesseur"
de i^îjant.
Bien que ne connaissant rien des détails et des difficultés de Ja fabrication du
ano, comme depuis longtemps je suis à même de juger les qualités merveilleuses de
jsmstruments et de constater les immenses progrès réalisés par votre maison, je me
ais à rendre hommage à vos succès, et à proclamer bien haut que, si la perfection
ait de ce monde, Messieurs Gaveau frères pourraient se vanter de l'avoir atteinte.
Vos excellents pianos ont toutes les qualités de force, de puissance et de sonorité
sirables ; ils y joignent la douceur, la suavité et le charme, ce qui les rend absolu-
ent supérieurs au point de vue de l'accompagnement.
Depuis vingt ans, j'ai pu les apprécier, et je suis heureux de vous dire toute mon
miratîon pour les résultats merveilleux que vous avez atteints, résultats couronnés
r un succès longuement mérité.
jUyijQjjjjjgjjggjjjjjjgjjgUjIlUI
Affections
DU
Fo
ET DE
rEstomai
TiAnoJ* A ^fius % TiAnoS* droit
à Grarjd Cadre ci^ fer d'une seule pièce et Cordes croisées
PIANOS MUSTEl
F'a.ot.viï'e exicliisi-vement. -A.irtis"biq[\ie
dRXSUlS MÙStEL
mUSTEL <^ C'^, liue de Douai, 46. f>A#
9e Année, No8, 15 Avril 1906,
LL
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE :
Portrait : RICHABD STRAUSS
Les Béatitudes, de César
Franck VliCENT O'INOY.
La MusiauE DE Piano DE
SCHUMANN C. MAUCLAIR.
La Vie Artistiqije en Alle-
É'MAGNE : Les centres :
ir
'^Munich. — Berlin PAUL DE STŒCKLIII
\ifi Démon, DE RUBINSTEIN,
à Monte-Carlo AtFBED «ORTIER.
LGrands
Concerts i t
S P.
JEAN O'UOiNE.
LOCARD.
La Quinzaine Musicale : Festival çMo:(art,
Société 'Pbilbarntottique. Concerts Le Rey,
Société Nationale, les Récitals d'Emile Sauer,
Concerts Ysaye, Concerts Busoni.
Concerts Divers.
Le ■mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Lettre de Berlin PAUL OESTŒCKLIN
Lettre de Munich EL» OE STŒCKLIlll.
Lettre de New- York LAMEy-LADHUYNE.
Correspondances de : Angers, Montpellier,
Monte-Carlo, Nantes, Nancy, Nice,
Rouen, Toulouse, Strasbourg.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles Diverses.
«'#■»
Administration et Rédaction : Le Directeur et le Secrétaire de la
ï RUE TRONCHET, PARIS {S«) ^^^*^*'°" reçoivent les Mardi, Jeudi
Samedi, de /« heures à midi.
TÉLÉPQOIVE 2S2.9&
9ti|reau;c ouverts
de lo b. à midi et de 3 b. à 6 h. rf2 ,
Le nninéro ; 75 centime»
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musical
(le 1=* et le 15 -DM CHAQUE MOIS)
( Paris et Départements .... 12 francs Van
ABONNEMENTS j ^^^^ ............... 15 »» 1
Le Numéro : 75 Céntiines — Etfanger : i U^B;ac
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS, {16«)
»! ■ ■*
Administration et Rédaction ; 29, rue Tronchet, PARIS (8«).
(TÉLÉPHONE: 252-95) -.:^
— -<5— — - mm
COLLABORATEURS : W"
MM. Aguettant— CamiUe BeUaigue — F. Bald«nsperger - CamiUe Benoit --
Eugène Berteaux - A. Bertelin - Michel Brenet - Gustave Bret-
ChfBordes- P. de BréTÎlle -^ M. Boulestin - M.-D. Calvocoresn^-
J.ChantaYoine- CamUleClieTiUard - D' Cola» - M. Daubresse - Victor
Debay — Etienne Destranges— Albert Diot— René Doxre---F^ Drogo^r-
Eva -- Emm. Ergo — Gabriel Faurè — Fledermaus — L. de Fourcaud -
G de Flagny — Henry Gautbier-Villar» - E. Giqvanna — Orner Guirand-
fI Hellouin -- Vincent d'Indy -- Jaqnes-Dalcroze -~ H. Klmg. — G. Knosp.
-Lionel de la Laurencie - Paul Leriche- Pa^ Locajd - «ustaye Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — CamiUe Mauclair-
Jacques Mèraly — F. de Ménil - Victor Maurel - Mathis Lussy — Octave
Maus - Jean Marcel- Alfred Mortier- Aloys Mooser- Raymond-Duyal
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Samt-Saèna. -
T «iftiierwein- A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka —
e'. sêgnU^- Jeard'Udtoe - Léon VaU»8 - D' Frite Volbach - E. Vnil-
lermoz, etc.. . ^^
L« Courrier Musical •«! •» ire«4e s
A PARIS: ^9> rue Tronchet.
Chez VL. FLOV'Rl, lihrAi][c-éditeuT, I, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de VOdéon, — 14, rut Auher.
— ^6 bis, Avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, 3, Faubourg Saini-Honoré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
Chez M. LEGODX, 4, rue de Rougemont ; 20, faubourg Poissonnière, etc.
Chez M. PDGNO, 17, Quai des GrcndstÂugustins, etc..
EN PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
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Pour rALLEMAGNE : | MM. BREITKOPF à H/ERTEL, à LEIPZIG
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Pour la BELGIQUE : | ^^^^^ ^ BRUXELLES
^ ^^^r.r.n ( MM. BREITKOPF & MORTEL, 54, Malborôuih-Street,
Pour r ANGLETERRE: LONDON-W.
Pour /a HOLLANDE : \ MM. STUMPFF â KONING, à AMSTERDAM. ^^
" , ( MM. BRENTANO'S, Union Square, NEW-YORK, v^r
Pour l' AMERIQUE : \ m. G. SCHIRNERi35;Vhion Square,liEW^OBK, -jm
Richard STRAUSS
qui vient de conduire aux Concerts Colonne
sa Symplionia domestlca
9" ANNEE. N» 8. i5 AVRIL 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portrait : Richard Strauss. — Les 'béatitudes de César Franck (Vin-
cent d'Indy). — La Musique de piano de Schumann (Camille Mauclair). — La
Vie artistique en Allemagne : Les Centres : Munich-Berlin (Paul de Stœcklin). — Le
Démon, de Rubinstein, à Monte-Carlo (A. Mortier). — Les Grands Concerts (Jean
d'Udine, Paul Locard). — La Quinzaine Musicale : Festival Mozart, Société Philhar-
monique, Concerts Le Rey, Société Nationale, Les Récitals Emile Sauer, Les Concerts
Ysaye^ Concerts Busoni. — Concerts divers. — Le mouvement musical en province
et à l'étranger : Lettre de Berlin (Paul de Stœcklin. — Lettre de Munich (El. de
Stœcklin. — Lettre de New- York (Lamey-Ladhuyne). — Correspondances de: An-
gers, Montpellier, Monte-Carlo, Nantes, Nancy, Nice, Rouen, Toulouse, Stras-
bourg.— Concerts annoncés. — Echos et Nouvelles diverses.
Les « Béatitudes », de César Franck ^^^
Singulière destinée que celle du genre de composition nommé oratorio, et bien
digne d'une étude spéciale, car il constitue l'un des plus curieux exemples de trans-
formisme qu'il soit permis de constater dans l'histoire de l'Art.
Sorte d'opéra mystique au début, il devient bientôt purement lyrique et se rap-
proche alors de la forme symphonique en adoptant la coupe Cantate; mais, en notre
époque moderne, époque tourmentée, époque toute de provisoire où la foi, subissant
les assauts du doute, ne trouve plus en l'art sa naturelle expression, l'oratorio musical
fut insensiblement amené à remplacer et à continuer un genre littéraire complètement
abandonné : l'Epopée.
L'Epopée, ce monument poétique dont nous n'approchons qu'avec une sorte de
crainte superstitieuse, car ses manifestations, qu'on pourrait facilement compter,
n'apparaissent que de loin en loin dans l'histoire, l'Epopée que l'on ne rencontre qu'au
cours des siècles dits de transition et dans des conditions particulières, fut longtemps,
en effet, pour les peuples, la marque de passage d'une manière d'être établie à un
nouvel état artistique et social.
Au sortir des influences purement mystiques et théocratiques qui abritèrent de
tous temps le berceau des nations et des civilisations, s'ouvre toujours une ère de
combats, héroïque dans l'antiquité, chevaleresque au moyen âge, précédant la pé-
riode dans laquelle l'être humain, voire sa personnalité physique, devient l'objectif
unique du mouvement social, jusqu'à l'avènement d'un nouveau cycle qui recom-
mence et reproduit la marche des précédents.
C'est donc au milieu de la période de trouble, période de guerres gigantesques,
(i) Grâce à l'aimable autorisation de M. Alcan, nous pouvons donner à nos lecteurs la primeur d'un
fragment du César Franck, de Vincent d'Indy, qui paraîtra très prochainement dans la collection des
Maîtres de la Musique, publiée sous la direction de y«a« Chantavoine.
— 270 — -,
de luttes intestines, d'actes sublimes et de crimes monstrueux que fleurit invariable-
ment ce mystérieux lotus de la littérature que l'on nomme poème épique.
Telles, les épopées homériques, fixant la langue et la mythologie au seuil de la
civilisation grecque, telle l'Enéide, lis croissant sur la limite même qui sépare le
monde païen arrivé à l'état de scepticisme le plus complet de l'élan de foi enthou-
siaste sur lequel se greffa toute la grande civilisation chrétienne. Telle encore, cette
Commedia à laquelle on accola à juste titre l'épithètede divine, ci qui, née au milieu des
incessantes luttes déchirant l'Italie, fut néanmoins une œuvre d'apaisement en la-
quelle se trouvent rassemblées et concentrées toutes les connaissances de son époque,
toute la croyance exubérante dont les croisades furent le généreux phénomène.
Lorsque l'épopée tente de se produire hors de son milieu ou des temps favorables
à son éclosion, elle perd alors toute sa réelle signification ; ce peut être un poème ha-
bilement versifié, avec une certaine apparence de grandeur, comme la Pharsale,\c Pa-
radis perdu ou la Messiade, mais cela reste toujours une œuvre de dilettantisme et non
plus la manifestation universelle, nécessaire, attendue.
En notre temps, l'âme humaine est trop inquiète, trop ballottée en tous sens pour
être à même d'enfanter littérairement l'œuvre de naïve croyance que doit être l'épopée,
léchant un peu indéterminé du vers rythmé, assonnancé ou même rimé, ne suffit plus
à éveiller l'intérêt des peuples et porter à la connaissance de tous les hautes pensées
du poète ; il faut un autre élément pour remplir l'office de truchement intellectuel,
élément doué d'une influence mystérieuse et quasi divine, mais aussi élément jeune,
pouvant s'adapter, en raison de sa nature expressive, au besoin de rêve et d'idéal qui
subsistera toujours au fond du cœur de l'homme, quelque peine que se donnent les
apôtres du dogme matérialiste pour l'en arracher.
Cet élément vivificateur fut la musique.
Et le xix« siècle vit éclore, de Beethoven à Franck, en passant par Schumaiin,
Berlioz et Wagner, un grand nombre de productions, sacrées ou profanes, qui ne sont
autre chose que des poèmes épiques musicaux.
Épopée, la Missa solemnis on l'auteur des neuf symphonies raconte la vie du Christ,
la grandeur de sa doctrine et la soif de fraternelle paix, rêve de l'âme moderne. Epo-
pées incomplètes si l'on veut, mais au moins matière épique, ce Faust où Schumann
paraphrase le gigantesque poème de Gœthe, et cette Damnation où Berlioz tente d'as-
similer ce même poème à notre esprit français ; épopée, cette Tétralogie où Wagner
recrée pour la plus grande gloire de la musique les mythes et les symboles des
croyances septentrionales comme Homère avait naguère condensé les légendes médi-
terranéennes ; épopée enfin ces Béatitudes, œuvre dans laquelle le « père » Franck
raconte presque naïvement la bienfaisante action d'un Dieu tout amour sur les desti-
nées humaines.
Dans ce poème musical, en effet, toutes les conditions requises aux temps clas-
siques pour la constitution du poème épique, se trouvent remplies : unité, grandeur,
plénitude et intérêt du sujet, appropriation du milieu et du poète, celui-ci faisant
œuvre de foi en un siècle ravagé par l'incrédulité, croyant lui-même fermement à ce
qu'il narre, et s'imposant aux sceptiques eux-mêmes au moyen du discours musical,
moins précis, mais plus universellement captivant que le poème versifié. Les Béati-
tudes furent donc l'œuvre attendue de la fin du xix^ siècle, œuvre qui, en dépit de
quelques défaillances inévitables (aliquando bonus dormitat Homerus) restera comme un
superbe temple solidement fondé sur les bases traditionnelles de la foi et de la musique
et s'élevant au-dessus des agitations du monde, en fervente prière, vers le ciel.
Ainsi qu'il en est pour presque tous les grands monuments de l'art, l'éclosîon des
Béatitudes fut précédée, dans la vie de leur auteur, d'une longue, très longue période
— 271 —
de préparation ; de même dans la yUa nuova trouve-t-on des présages de la Divine
comédie, de même rencontre-t-on avec stupéfaction l'esquisse du thème qui servira de
sceau à la IX® symphonie dans un simple lied que Beethoven jette sur le papier en
l'année 1804.
Les Béatitudes furent pour Franck Yœuvre de toujours.
Dès sa première jeunesse, dès l'instant où il se sent non plus virtuose, mais mu-
sicien créateur, il pense à une assimilation dans l'ordre sonore du beau poème d'idées
qui est le sermon sur la montagne. Comment cette promesse de bonheur futur n'au-
rait-elle pas séduit ce chrétien, simple et fort en sa foi ? Comment ce Christ passant
à travers les foules pour y jeter des paroles de justice et de paix ne fût-il pas devenu
pour un Franck la manifestation faite en musique d'un Dieu d'amour apaisant d'un
geste les douleurs de l'humanité ?
Franck aimait ce texte, il le relisait souvent. On conserve dans sa famille un
« Recueil des Saints Evangiles » qu'il avait reçu en prix à la fin d'une année scolaire ;
la page qui, en huit alinéas, contient le divin discours, présente des traces d'usure
démontrant qu'elle fut fréquemment consultée; de plus, en marge de chacune des
paroles du Christ, on remarque des coups d'ongle, ces coups d'ongle que nous, ses
élèves, nous connaissions si bien et au moyen desquels, lorsqu'il n'avait pas de crayon
à sa portée, il avait coutume de souligner les passages de nos devoirs que, soit appro-
bation, soit blâme, il voulait nous signaler.
Une très ancienne pièce pour orgue, datant de ses débuts comme organiste, mais
dont le manuscrit lui-même est égaré, portait comme suscription : « Le sermon sur la
montagne » ; le même titre se reproduit en tête d'une Symphonie pour orchestre, à la
façon des poèmes de Liszt, qui date également d'une époque assez ancienne et n'a point
été publiée (i).
Traduire en une paraphrase musicale digne du sujet le poème divin fut donc la
constante pensée du maître ; mais il lui fallait pour cela un texte versifié...
Trop peu confiant en son éducation littéraire il n'osait pas entreprendre lui-même
ce travail et les librettistes d'alors ne se souciaient point (heureusement !) de perdre
de fructueux moments pour fournir à cet organiste obscur un canevas dont le rende-
ment pécuniaire ne pouvait se présenter que comme fort problématique.
Franck, qui n'était point l'ascète sauvage et intransigeant que décrivent certains
critiques peu informés, acceptait très volontiers d'amicales invitations à dîner où à
passer la soirée ; il aimait à se rendre, le soir, dans certaines maisons amies pour se
délasser de ses travaux du jour et on pouvait le rencontrer fréquemment dans la famille
de M. Denis, alors professeur au lycée Saint-Louis. Celui-ci, frappé de l'enthousiasme
avec lequel son ami l'organiste développait en causeries intimes le poème du Sermon
sur la montagne dont le plan se faisait de plus en plus clairement dans sa tête et
auquel il ne manquait qu'un texte écrit pour devenir musique, s'ingénia à chercher
pour Franck un collaborateur littéraire et finit par trouver ce collaborateur en la per-
sonne de Mme Colomb, femme d'un professeur au lycée de Versailles.
Mme Colomb possédait une assez grande facilité de versification, elle avait même
déjà publié quelques pièces qui lui avaient valu l'attribution d'un de ces prix que dé-
cerne annuellement l'Institut.
Le musicien, en quelques entrevues, lui expliqua donc la marche du poème telle
qu'il la concevait et qu'il l'avait rêvée depuis tant d'années, et Mme Colomb lui four-
nit, sur ces données, des vers qui, pour n'être point fort remarquables comme poésie.
(i) M. Georges C Franck possède le manuscrit de cette Symphonie au milieu d'un assez grand nombre
d'études et de pièces inédites de son père.
— • 272 ^—
sont néanmoins peu gênants et assurément bien préférables à ce qu'un librettiste de
profession eût pu écrire en ce genre.
Voilà donc le maître nanti du texte si ardemment désiré. Aussitôt il se met au
travail; mais cela ne va point tout seul..,, les retouches succèdent aux retouches et
il semble bien que le compositeur ne soit tout d'abord pas très fixé sur le style musical à
employer, il tâtonne et ces tâtonnements sont restés sensibles, surtout dans la première
partie de l'œuvre.
Cependant le prologue était venu assez vite et, à l'automne de l'année 1870, les
deux premières 5<;a/îÏMJ« étaient arrêtées musicalement. Pendant l'hiver de 1871,
n'ayant point l'esprit assez libéré de l'angoisse qui pesait alors sur tous les cœurs
français et ne pouvant penser à créer du nouveau, il consacre ses heures de liberté à
écrire l'instrumentation de ses premières parties qu'il termine en plein bombardement
de Paris. Après l'intermède causé parla composition de Rédemption, il se met à l'ou-
vrage et écrit le troisième chant, celui de la Douleur, qui paraît déterminer une sûre
direction au point de vue du style de l'œuvre, puis c'est l'hymne sublime à la justice,
confiée à la voix d'un ténor soliste et dont le brouillon porte la date de 1875 ; enfin,
rien ne le distrait plus jusqu'au complet achèvement, dans l'automne de 1879. Il avait
mis dix ans à édifier le monument.
Mais ce fut seulement longtemps après- cet achèvement qu'eut lieu la première
exécution intégrale du chef-d'œuvre par l'orchestre et les chœurs de V Association artis-
tique, sous la direction d'Edouard Colonne. Ce fut en l'hiver de 1891, un an après la
mort du maître, et, je l'ai dit, cette exécution prit aux yeux des artistes comme du
public, l'importance d'une véritable révélation.
Peu après, ce fut Liège, la ville natale de l'auteur des Béatitudes, qui en donna la
seconde audition, sous la direction de Sylvain Dupuis, le i*'' avril 1894. En cette
même année, on exécutait le chef-d'œuvre par deux fois à Utrecht, le 8 juin et le 18
décembre, et l'année suivante le distingué chef d'orchestre, A. Viotta, le dirigeait à
Amsterdam, dans l'immense salle du Concertgebouw, avec un chœur de plus de six
cents chanteurs.
Pendant ce temps, la Société des concerts du Conservatoire de Paris n'avait en-
core osé en donner (et combien timidement !) que deux fragments et ce n'est qu'en
1904 que les Béatitudes figurèrent intégralement, en deux séances, à ses programmes ;
mais l'œuvre n'avait désormais plus besoin de cette tardive consécration pour entrer
dans la célébrité.
Vincent d'INDY.
~~ 275 —
LA MUSIQUE DE PIANO
DE SCHUMANN^
C'est par la musique de piano que Schumann a débuté dans la composition, et il
en écrivit encore l'année où il disparut du monde. Ni i'oratorio profane, ni l'opéra
ni le lied, la symphonie, la musique religieuse, ne le purent détourner de cette forme
confidentielle où devait se révéler son extraordinaire faculté d'effusion lyrique. Cepen-
dant la musique de piano de Schumann n'est jamais limitée à elle-même : elle n'est
jamais exclusivement «pianistique ». Comme celle de Liszt, et beaucoup plus que
celle de Chopin, elle demande des timbres à l'orchestre, elle appelle et suggère l'or-
chestre constamment. C'est là le caractère qui la différencie complètement de l'école
pianistique qui règne en 1830, et dont l'idéal de perfection froide et classique est de ne
pas outrepasser le domaine propre de l'instrument.
Le terme « fantaisie » est celui qui conviendra le mieux à caractériser cette
musique, mais à la condition qu'on le prenne dans sa vraie acception étymologique et
qu'on admette que la « fantaisie » est la fixation d'une série d'images qui peuvent
revêtir tous les aspects du monde sensible. C'est, en 1830, un phénomène artistique
absolument nouveau que cette tentative de style polymorphe où l'abstrait et le con-
cret se mêlent, et où les idées et impressions, au lieu d'être subordonnées aux formes
musicales, les créent constamment et les rejettent pour en inventer d'autres non moins
fugaces. Cette musique de piano de Schumann, est, dès 1830, l'image exacte de ce que,
quarante ans plus tard, la peinture appellera l'impressionnisme. Chaque aspect noté
crée la technique qui lui convient, au lieu d'obéir à une règle uniforme. En 1830, cela
paraît être l'absence de style, en réalité c'est un style nouveau (2). Mais ce qui résulte
de l'origine allemande, des tendances lyriques et contemplatives de Schumann, c'est
qu'il s'applique beaucoup plus à créer un langage psychologique qu'un langage des-
criptif. Il cède rarement à l'harmonie imîtative, et s'il excelle à peindre de petits tableaux,
il y mêle toujours le développement d'une pensée. Il fait de l'impressionnisme d'âme.
Ce n'est pas seulement un romantique pittoresque, mais surtout un romantique psy-
chologue. Il n'exprime pas directement les sensations de la nature, il les transpose, il
nous dit non ce qu'est un paysage, mais l'émotion qu'il en a reçue; et il constitue ainsi
une série d'états d'âme musicalisés. Il semble qu'en lui se soit condensée une longue
hérédité nationale, obscure, tenace, voulant être dite : en entendant cette musique, on
dirait que tout à coup a été prononcée à haute voix une pensée longtemps contenue
et mûrie dans le silence. Le désir d'expansion de toute une jeunesse s'exprime en
Schumann, et cela donne à son art le caractère le plus troublant. Supposez qu'un
homme inconnu vous aborde, et, soudainement mis en confiance par l'expression de
vos yeux, vous raconte le secret le plus douloureux de sa vie avec ce besoin fiévreux de
confidence qu'inspire l'exaspération de la peine contenue, et cette éloquence singulière
que donne au plus maladroit l'aveu d'un trouble obsédant et sincère. Songez alors à
votre propre trouble, à la sensation insolite que vous ressentirez en voyant cet in-
connu franchir ainsi d'un trait les distances sociales, les réticences, les convenances,
(1) Fragments du chapitre III de Schumann, collection des Grands Musiciens, H. Laurcns, éditeur.
Nous devons à l'obligeante autorisation de l'éditeur Laurens de pouvoir donner ici, au moment de sa
publication, des fragments du livre où notre collaborateur M. Camille Mauclair étudie la vie et les œuvres
de Schumann.
|2) Dans son analyse critiijue de la Symphonie Fantastique de Berlioz, Schumann a parfaitement dé-
montré cette proposition.
— 274 —
et s'adresser droit à votre altruisme, à votre pitié. C'est ce que produit la musique de
piano de Schumann, musique entre toutes confidentielle. En cela elle dépasse le roman-
tisme ordinaire, lequel se confie, mais avec des élans deréthorique, de l'emphase, le souci
de l'arrangement artistique. La confidence de Schumann, c'est celle de Heine — un
aveu et un cri brefs et poignants. C'est déjà celle de Beaudelaire et de Verlaine, et en
cela il est un précurseur de notre façon contemporaine de sentir, et son langage musi-
cal semble parlé d'hier et ne vieillira jamais.
A ce besoin de confidence doivent convenir certains caractères formels : la
brièveté, qu'Edgard Poe préconise comme une condition de l'intensité, est le premier
de ces caractères. Déjà Heine et Schubert n'ont pas craint de condenser extraordinai-
rement l'impression et de chercher dans la brièveté le secret d'une beauté spéciale,
surprise nerveuse des sens. Schumann a eu ainsi le secret d'enclore tout un drame
psychique en une ou deux pages, avec plus de force et de rapidité synthétique encore
que Chopin, dont le génie pianistique résistait beaucoup moins au plaisir d'un déve-
loppement instrumental pour lui-même. Un autre caractère d'un tel art confidentiel,
c'est de multiplier les variations du rythme, les dissemblances des timbres, les effets
et les sensations sonores, en proportion inverse de la faible étendue du poème de piano.
L'abondance d'idées musicales doit être d'autant plus réelle que les dimensions de
l'œuvre sont peu imposantes. En un mot, à un art désireux de ne noter que des
paroxysmes, il faut des idées multiples et des préparations, des gradations sous-en-
tendues, que l'esprit de l'auditeur doit pouvoir reconstituer sur de brefs indices.
La musique de piano de Schumann apparaît comme le langage d'une sensibilité supé-
rieure. Elle parle autant qu'elle chante. Elle emprunte au dialogue humain ses brusque-
ries, ses pauses, ses caprices rythmiques ; le caractère change à chaque instant, merveil-
leusement souple, tour à tour léger, sanglotant, grave, exalté dans une prière, brisé,
en un éclat de rire, ample, élégant, assourdi. A travers les variations fugaces du
rythme et du timbre on perçoit réellement la présence d'un être vivant qui se confie,
pleure, sourit, espère, crie sans doute, s'élève vers l'absolu ou promène sa rêverie
désenchantée. Schumann est le personnage essentiel de cette musique d'aveux, et toute
l'histoire de son âme est écrite là autant et mieux que dans ses lettres. En même
temps, et par un reflet inexplicable comme le génie lui-même de Schumann, ce lan-
gage abstrait évoque toutes les visions, toutes les « fantaisies » (ou phantasmes) qui
émurent cette âme et provoquèrent cette pensée.
Cette musique se déroule comme un vaste paysage de sensations matérielles et
abstraites; c'est un album, selon le terme que l'auteur employa souvent. C'est un
répertoire prestigieux d'idées et de formes. Souvent une idée musicale s'y retrouve ?i
divers états, comparables aux différents états d'une eau-forte en couleurs ; et c'est
improprement qu'on a écrit qu'il s'agissait là d'esquisses et d'ébauches. Chacun de ces
états est complet en soi : ce sont des présentations différentes. Schumann concevait
une phrase, mais aimait à la modifier, à en tirer des effets imprévus, à en changer
l'impression par le voisinage de phrases nouvelles. 11 variait les essais de sertissage du
joyau, mais le joyau existait en soi. Ces « remarques », ces « repentirs », ces « faux
traits » qu'ont affectionné les plus grands peintres, il en goûtait en vrai artiste toute
la savoureuse valeur, et ce travail était à sa place dans la conception qu'il se faisait
de la musique de piano. Nous assistons aux formations d'une pensée, aux fluctuations
de sensibilité d'un poète qui s'interroge, et cela donne à toute l'œuvre un charme
unique.
C'est par le sentiment, par l'émotion, par la nervosité, par l'élégance fugace, par
la tristesse intense, par tous les dons de l'âme bien plus que par l'innovation techni-
que, que cette musique est grande. Encore que la musique de piano de Schumann
— 275 —
soit très souvent d'une grande difficulté, elle émane d'un homme qui ne rechercha
jamais les effets du virtuose, et c'est son sentiment qui commande son interprétation.
Elle ne peut être comprise et exprimée que par un être capable de se replacer dans
l'état d'esprit qui l'a suscitée : sa difficulté n'est pas de celles que résolvent les seules
promesses du doigté. Il s'est trouvé qu'elle était difficile parce que le sentiment et
l'inspiration l'exigeaient, et non le désir d'être compliqué : et si l'on repasse parce
sentiment et cette inspiration, le chemin de l'interprétation s'éclairera. Cet art poi-
gnant, instinctif, traversé d'éclairs, hanté de songes, n'est pas morbide. Il est orageux,
étrange, il s'ouvre brusquement, avec des éclaircies de sensibilité délicieuse, de grâce
voletante et éperdue, jusqu'au cœur d'un être d'élite que dominent les sombres nuages
et les radieuses lumières d'un ciel exceptionnel : mais jamais il n'est malsain.
Camille MAUCLAIR.
La Vie Artistique en Allemagne
Les centres : Munich, Berlin
Berlin, Munich. Les deux grands centres de l'activité intellectuelle de l'Allemagne,
les deux pôles entre lesquels la vie artistique de la nation oscille, sollicitée par leurs
I attraits divers et particuliers. Toutes deux, la capitale du Nord et celle du Sud, sont
relativement jeunes; leurs rôles datent d'hier. Munich commence à devenir importante
à la fin du xviii' siècle, avec l'avènement de l'électeur Charles-Théodore et c'est de Max-
Joseph et de la fondation, par la grâce de Napoléon, du nouveau royaume de Bavière
que date vraiment son éclat.
Les Wittelsbach, tiraillés par leurs devoirs de Princes électeurs, par leurs ambi-
tions personnelles étroites, l'amitié douteuse des Habsbourg, les vieilles traditions
catholiques, tandis que les Wettin s'acharnaient à la chimérique poursuite de la cou-
ronne de Pologne, laissèrent le champ libre au long, vigoureux et constant labeur de
la Prusse. Dès Frédéric le Grand, le vieil Empire vermoulu est divisé en deux sphères
d'influence ; la maison d'Autriche, les Hohenzollern et les électeurs du Palatinat n'y
jouent plus qu'un rôle accessoire. Dernière venue dans l'histoire, la Maison de Prusse
avait si bien assis sa situation, que lors des grandes crises européennes de 1793 à 181 5,
elle traite d'égal à égal avec les plus grandes puissances.
L'idéal qu'elle poursuivait conciliait à la fois ses ambitions personnelles et les aspi-
rations germaniques. L'unité nationale dont les artistes et les penseurs de la fin du
xviii' siècle semèrent le germe, se trouva, lors de la maturité, tout naturellement incar-
née dans cette famille dont la lutte âpre et tenace pour l'existence, avait affirmé la vitalité
de l'âme allemande.
Ce qui frappe dans les monuments de Munich, c'est le nombre restreint de sta-
tues de généraux. Les Rois sont en costumes magnifiques, manteaux d'hermine
sur les épaules, dans tout l'appareil d'une pompe d'opéra. La célèbre Halle des maré-
chaux construite pour exalter l'armée bavaroise contient deux statues, Tilly et Wrède,
dont l'un n'était point bavarois et l'autre fut plutôt malheureux. Par contre, beaucoup
d'artistes, de dignes fonctionnaires, de savants... A Berlin, le casque partout! Les élec-
teurs, les rois, les empereurs en soldats, souvent en tenue de campagne ; des officiers
dans tous les coins ; jusqu'aux ministres qui revêlent, pour l'occasion, l'uniforme. Et
ceci ne laisse pas d'être caractéristique.
Lorsqu'au moyen de bien des bassesses et des lâchetés, les Wittelsbach eurent
obtenu le hochet du sceptre si fort convoité, ils furent pris d'un vaste accès de folie des
grandeurs dont bénéficia Munich et qui s'étend de Louis I" au malheureux Othon qui
achève de mourir dans un cabanon. Le seul qui vit clair à un moment donné, qui
comprit que son père et son grand-père avaient lâché la proie pour l'ombre et qu'en
— 2y6 —
s'amusant du jou)ou éblouissant, ils avaient irréparablement laissé échapper la direction
générale des affaires dans TAllemagne en formation, le seul qui essaya, mais inutile-
ment, mais trop tard, peut-être aussi parce qu'il n'en avait pas la force, de réagir, fut
Louis H, le pauvre fou que ses fidèles bavarois continuent, non sans raison, de considérer
comme le bon, le grand roi national.
Construire des musées, faire de leur Université un temple européen de la sagesse,
fonder des Académies, enrichir les bibliothèques, doter les écoles, s'entourer de savants
et d'artistes, dépenser les budgets de la guerre à bâtir des palais, à percer des avenues,
transformer leur capitale en une Athènes de l'Allemagne, en favorisant à la fois les
sciences, les belles-lettres et les arts, inaugurer une vaste renaissance allemande
dont Munich concentrerait toutes les activités, voilà ce que voulurent Louis I" et Max II.
Ils le réalisèrent en partie, grâce à la naïveté et à la candeur de leurs illusions.
Ils crurent qu'il suffisait de dire à un architecte : bâtissez-moi quelque chose, pour
qu'an chef-d'œuvre jaillît, à un peintre : peignez-moi une fresque comme Michel-Ange
pour tel pape, pour qu'il en fût ainsi. Si les chefs-d'œuvre ne jaillirent point, l'effort fut
fécond. Une émulation énorme naquit et toute la vitalité artistique de l'Allemagne
afflua vers Munich. On vit des choses touchantes ! Un édit, par exemple, du roi Max II,
ouvrant un concours entre tous les architectes, pour créer un style nouveau, style
Max II (comme on dit style Louis XIV), d'après lequel une rue entière et un palais
seraient construits. Et le concours eut lieu, et la rue existe, rectiligne, large, spacieuse,
aux maisons toutes semblables de proportions, de couleurs et de décorations, la rue
Maximilien, que domine au fond le Maximilianeum, semblable à la ruine d'une cons-
truction romaine qui n'aurait jamais été achevée 1 Dans ce style national, qui n'en est
pas un, qui n'était pas viable, qui n'a pas survécu à sa rue, il y a, à côté de pas mal
de maladresses et de mauvais goût, du charme et la grandeur qu'imprime la réalisation
d'un effort.
Munich a passé de crises en crises, des ordres grecs à travers l'italianisme jusqu'à la
renaissance allemande, et pastiche pour pastiche, celui-là ne vaut pas mieux que les
autres, pas mieux non plus que l'adaptation des principes du cottage anglais aux vastes
maisons locatives, qui sous le nom de modem style hante le cerveau des modernes
architectes.
C'est là, en général, le point faible de l'art allemand. Les artistes partent d'une idée
arrêtée, d'une théorie esthétique dont ils vont établir l'excellence par leurs œuvres, ou
d'une idée morale ou philosophique qu'il s'agit de traduire en art. Il arrive alors ceci :
ou bien l'artiste s'ankylose en une forme d'autant plus tyrannique qu'elle est moins
arrêtée dans ses contours, comme chez les post-wagnériens de l'heure actuelle, ou bien
l'idée est simplement irréalisable artistiquement, comme pour l'école picturale de
Cornélius, où elle est si belle, si haute, qu'à la saisir, on se perd, ainsi qu'il arriva
parfois à Schiller lui-même, en de douloureux efforts dont les tâtonnements s'appellent
de la profondeur; ou encore la théorie est si admirable de logique que l'œuvre construite
selon elle en devient un superbe et ennuyeux théorème comme le Nathan de Lessing;
ou enfin elle ne produit rien du tout comme celle d'Obrist et de son entourage, qui '
prétendent créer un art national conscient, rompant avec toutes les influences étrangères î
séculaires.
Je doute qu'ils procédèrent de la sorte, les gens qui créèrent la grande Renaissance
allemande ou ces délicieuses constructions vieillottes, qui s'adaptent si bien dans le j
milieu où elles se trouvent et ont l'air de faire partie intégrante du paysage. Qu'impor-
taient les écoles, les habitudes, les systèmes aux admirables génies qui forgèrent les ,
lyres impérissables sur lesquelles s'exhala l'âme allemande! Telle idée était dans Rous- ,
seau. Telle forme sent son grec. Telle cadence rappelle Scarlatti, ceci est du Mozart ; |
Gœthe, Schiller, Mozart, Beethoven, n'en sont pas moins eux-mêmes, ils avaient du|
cœur, un cœur où bouillonnaient toutes les énergies, toutes les aspirations de leur race, [
ils avaient un instrument parfait, ils chantèrent. Chez eux, selon le mot de Berlioz, la|
production artistique était une fonction naturelle. Grise est la théorie, a dit Gœthe, j
l'arbre de la vie seul verdoie.
— 277 —
Les rois de Bavière ont atteint leur but. Grâce à la laborieuse tradition d'un siècle,
Munich est devenue le centre artistique de l'Allemagne. Elle a vu les grands efforts des
Cornélius, les triomphes de Schwandthaler, l'éclat de Lenbach, l'éblouissement de
Bœcklin, elle a suscité l'école de Dachau, ce Barbizon germanique, la Sécession, cette
association d'artistes cherchant leur voie en dehors des traditions académiques, les
Uhde, les Habermann, les Stuck, elle a la Scholle actuellement, un groupement nou-
veau, aux tendances ultra- nationales. Depuis Wagner enfin, Munich est la Rome musi-
cale de la Religion du Dieu dont l'œuvre risqua de compléter dans le domaine
esthétique ce qu'avaient fait dans le domaine politique les Moltke et les Bismarck.
C'est à Munich, enfin, que commence à se former la jeune école Reger, que je crois
appelée à porter un coup définitif à l'infaillibilité du dogme wagnérien. La capitale
de la Bavière demeure, quoi qu'on fasse, la capitale musicale de l'Empire. La musique y
est devenue un élément essentiel de la vie sociale. A l'écart des grandes préoccupations
de la politique, vivant dans un milieu peu industriel, le Munichois est un rêveur pour qui
la musique, d'une habitude, est devenue un besoin, comme la bière et les saucisses. Il en
veut, l'écoute avec délices, en fait avec cette facilité qui se contente à peu de frais, il la
cultive avec coquetterie. Toute une colonie de compositeurs s'est établie à Munich, et je
n'en sais point, parmi les très influents, qui ne s'y soit point fixé pendant un certain
temps.
Notez que malgré Mottl et Schnéevoigt, les exécutions sont loin d'y être de premier
ordre. L'Opéra est en plein désarroi, les orchestres, même celui de l'Académie, sont
loin d'être excellents, et il faut la vigoureuse énergie de leurs chefs pour en tirer de
temps en temps un ou deux beaux concerts.
Mais, dans ce pays essentiellement conservateur qu'est l'Allemagne, Munich a pour
elle son passé. Elle est sympathique, a du cachet. Son fait de ville catholique lui prête
une grâce nonchalante, non sans charme. Le Munichois a toutes les vraies qualités ger-
maniques : la sentimentalité rêveuse assaisonnée d'une douce sensualité qu'émousse
l'usage endormant de la bière, l'affabilité obséquieuse et surtout la Gemûthlichkeit . Il
est volontiers bavard et très accueillant. Munich est par excellence la cité de la Gemû-
thlichkeit^ c'est-à-dire d'une quiétude à laquelle participent à la fois le cœur, les sens
et l'imagination. Ses habitants sont très conscients du rôle qui reste à jouera leur ville
dans l'économie nationale. Jaloux de ses prérogatives artistiques, ils ne reculeront
devant aucun sacrifice pour en assurer l'intangibilité.
L'hégémonie esthétique de l'Athènes des bords de l'Ysar est généralement admise
dans tout l'Empire. Nos voisins d'outre-Rhin ont cependant le sens de la discipline et
de la hiérarchie, sens qu'il faut satisfaire. C'est donc à Munich que se créent les mou-
vements, que s'affirment les jeunes, que se développent les individualités, que se lancent
les idées fécondes ; mais l'allemand exige la consécration définitive, officielle, que donne
le succès obtenu à Berlin. Berlin, capitale de l'Empire n'a-t-elle pas son mot à dire ? Et
Berlin entend le dire. Longtemps elle ne fut qu'un centre de grande activité générale,
ville agitée, ville d'affaires, ville d'industrie, ville riche, luxueuse, où, et c'est le cas
encore maintenant, les arts sont un luxe nécessaire, mais un luxe que les gens de la
société se payent parce que c'est l'usage, parce que c'est comme il faut et que c'est
cher. Un mouvement, à la tête duquel est l'empereur, essaye de centraliser toutes les
lorces dans la capitale de l'Empire. Voilà bien longtemps qu'ils ont Joachim (je doute
qu'ils en comprennent l'incommensurable grandeur), ils ont Strauss aussi, à la place de
Mottl ils ont Nikisch, Pfitzner en passe de devenir célèbre, en y mettant le prix ils ont
pu conserver Weingaertner.
Les vieux rois de Prusse, occupés de la réalisation de leur rêve politique ne se sont
guère occupés des beaux-arts. Quelques palais, calqués sur le xviii° siècle français, voilà
à peu près tout ce qu'ils ont laissé. Frédéric le Grand lui-même, le grand excitateur de
la vigueur nationale, n'avait qu'une foi très tiède en la capacité artistique de sa race et
ses efforts auraient plutôt contribué à latiniser l'âme allemande. La Prusse devenue
forte, Berlin capitale de l'Empire, les choses changent.
— 27^ —
Pour être un souverain complet ne faut-il pas cet aéropage d'hommes de génie que
Louis XIV, ce type accompli de l'idéal monarchique, avait su rassembler autour de lui,
et à qui son caprice commandait des chefs-d'œuvre ? Berlin devait-être à la hauteur de
son rôle.
Il en résulta ce que vous savez : une ville quelconque, d'une propreté exceptionnelle,
avec des belles avenues larges et droites, aux maisons surchargées, lourdes, d'aspect
cossu, promettant de confortables intérieurs. Les bâtiments officiels sont de pénibles
imitations ou de lourdes et malencontreuses tentatives vers l'originalité. Partout un
envahissement de statues, depuis le désastreux Guillaume \'' de la place du Château,
jusqu'à ï A liée de la Victoire, sorte d'entrepôt de fabricants de monuments funéraires,
dont la seule excuse est qu'elle a pu, par l'argent qu'elle a coûté, mettre à l'abri de la
misère pas mal de pauvres diables ! Berlin a, par exemple, un parc idéal, le
Thiergarten, immense, touffu, nourri, au centre même de la ville. Le Berlinois
est sec, très actif, exagérant la tenue et la réserve, ne se livrant que de loin, très, même
trop poli, sans la bonhomie de ses compatriotes du Sud, ne se dissimulant pas la supé-
riorité qu'il y a à être Berlinois et surtout ne la dissimulant pas aux autres. Avec çà, du
reste, fort aimable pour l'étranger, tout particulièrement pour le Français. Si le muni-
chois est par dessus tout gemûthlich. le berlinois est schneidig, c'est-à-dire d'une rai-
deur morale et phypique, aux contours énergiques, qu'il prend pour de la distinction. Et
la ville est faite sur le modèle de l'habitant, elle est schneidig.
Entre Berlin et Munich, le résultat de la lutte pour l'hégémonie artistique ne me
semble pas douteux. Comme je le disais, l'art est à Munich un élément de la vie sociale.
Je vous citerai le cas d'un personnage très répandu dans la société munichoise. Certaines
maisons après l'avoir fort aimablement accueilli, lui firent bientôt froide mine parce
qu'il ne montrait pas pour les jeunes écoles contemporaines l'intérêt qu'il avait semblé
leur porter ! Dans le munichois peuple, il n'y a pas l'ombre de snobisme, beaucoup de
chauvinisme par contre (et c'est assez !) Dans la société règne un snobisme d'amateurs,
au fond duquel il y a autre chose que le pur souci d'être dans le courant, une sorte de
snobisme intelligent qu'il faut appeler ainsi faute de lui trouver un autre nom. Le berli-
nois, dans le fond, est pensif- il admire en conscience le tas de petites horreurs qui ont
poussé sur le bord des trottoirs ou le long des places publiques, réservant son appro-
bation extérieure et bruyante pour toutes les excentricités à la mode. La société muni-
choise est composée de petits capitalistes à l'aise, de professeurs, d'artistes arrivés,
d'intellectuels et d'aristocrates sans grande fortune. La gemùthlichkeit, le goût des
choses de l'esprit, la recherche des émotions artistiques y tiennent lieu des excitations
coûteuses de la grande vie. Munich n'est point assez vaste pour que l'élément des étu-
diants (universitaires, beaux^arts, musique) dont le nombre est immense (jusqu'à
8.000 peintres et sculpteurs pour une ville de 600.000 habitants) ne tienne pas une place
importante dans toutes les manifestations esthétiques. A Berlin, la politique, la cour, les
affaires absorbent la plus grande partie de l'activité. Les détenteurs de très grosses
fortunes gagnées dans de grosses entreprises industrielles ou financières et qu'il faut
entretenir chaque jour, les hauts dignitaires de la cour, une noblesse de culture médiocre,
le monde cosmopolite des ambassades, voilà la société berlinoise, menant l'existence à
grandes guides. Occupée avant tout des exigences des relations mondaines, elle manque
du calme et de la réflexion intérieure, nécessaires à former un noyau artistique fécond
et ceci assure pour longtemps encore l'hégémonie de Munich quoique Berlin ait pour elle
un facteur tous les jours plus important, l'argent qui paye l'œuvre et son auteur.
Enfin, le Régent et les Princes de la maison de Bavière, par une réaction assez
curieuse, s'occupent le moins possible des choses d'art. Ils visitent bien quelques expo-
sitions, achètent de ci de là un tableau, assistent à un concert, accordent des décorations
voire même jouent du violon et composent des lieder, mais par acquit de conscience plus
que par goût véritable. Les artistes ont à Munich une liberté absolue, précieuse, dont
nulle entrave officielle ne limite la jouissance. La volonté impériale, au contraire, entend
marquer de son empreinte tous les efforts individuels. L'empereur veut faire de Berlin
une yille unique, ville d'art, ville de science, mais 9elon ses idétSj ses goûts personnels,
— 279 —
D'où, entre mille exemples, les chefs-d'œuvre de la peinture officielle, le Dôme, telle
une pièce montée de pâtisserie, cette énorme tortue fossile qu'est le Palais du Reichstag,
la Siegesallée dont je parlais tantôt, ou la burlesque aventure du Roland de Berlin de
Léoncavallo. Il est compréhensible que les artistes évitent une ville où l'on prétend ins-
pirer leurs tempéraments et contrôler leurs individualités, d'autant qu'il leur est tou-
jours loisible d'y venir parfois recueillir des lauriers.
N'oublions pas cependant que chaque petite capitale allemande est un centre intel-
lectuel original, et souvent d'une haute valeur. Dresde, Weimar, Stuttgart, Karlsruhe,
Darmstadt et tant d'autres, sans parler de villes comme Leipzig, Dusseldorf, Francfort
ou Cologne ont une vie artistique intense. Elles offrent en musique, par exemple, des
exécutions infiniment supérieures parfois, à ce que l'on entend à Munich ou à Berlin,
Toutes pourtant participent du grand double courant qui va des bords de l'Ysar aux
bords de la Sprée. Le courant munichois est sans contredit le plus vigoureux, le plus
large, le plus libre de toute influence étrangère. Il n'est pas sans intérêt de voira l'heure
présente, dans ce milieu où étincela le soleil de Tristan et des Maîtres-Chanteurs^ se
lever et grandir un astre nouveau, Reger, dont le rayonnement nuit déjà à l'éclat des
étoiles fixes du ciel wagnérien.
Paul de STOECKLIN.
PreiT)ière repré5ei)tatioi) du
DÉMON
DE RUBIITSTEirT
Inconnu en France, le T>émon de Rubinstein est fort apprécié en Allemagne et en
Russie, où cet ouvrage fut créé en 1875 ; le livret en a été tiré du poème célèbre de
Lermontov, qu'on a appelé le Byron slave. Il est d'ailleurs d'un caractère national assez
accentué. Tel qu'il fut représenté, c'est plutôt un poème dramatique qu'une pièce de
théâtre proprement dite. JVlais par le pathétique des sentiments, par la philosophie
symbolique qui s'en dégage, ce spectacle est fait pour plaire aux esprits et aux
âmes artistes.
Quand on songe que Rubinstein a écrit une dizaine d'opéras, de nombreux orato-
rios, de la musique de chambre et des lieder en quantité, et que presque rien de cette
énorme production n'a franchi la frontière, on conçoit que ce fécond et brillant com-
positeur en ait éprouvé quelque amertume ; chez lui le créateur a été la victime du
génie du virtuose.
Le sujet du Démon peut se résumer en quelques mots : avide d'être aimé, l'Esprit
du Mal tente de séduire la princesse Tamara, fiancée au prince Sinodal. Il fait périr
ce dernier dans une embuscade. Puis il apparaît à Tamara, cherche à lui inspirer la pi-
tié pour la malédiction qui pèse sur lui, et finalement la subjugue. C'est surtout par
le détail poétique qu'une telle œuvre peut plaire au spectateur. Voici une brève ana-
lyse des passages les plus importants :
Une courte introduction en ré mineur à 6/8, d'un caractère sombre et majes-
tueux précède le lever du rideau. Puis retentissent, en un site sauvage et désolé, les
chœurs des mauvais esprits alternant avec les forces de la nature ; à la manière du
Mefistofele de Boïto, ces masses chorales sont invisibles. Ces chœurs sont d'ailleurs
assez insignifiants au point de vue musical. Paraît le Démon ; il hait et méprise le
— 2!S0 —
monde et la race vile des hommes qui jamais ne surent lui résister. Un ange survient,
qui l'invite à l'amour, à la paix. Mais fièrement le roi du Mal lui répond qu'il dédaigne
la paix : « Luttons, s'écria-t-il, puisque tu veux la guerre ».
Le second tableau débute par un ensemble de voix de femmes des plus gracieux
et d'une grande fraîcheur d'inspiration. Ce sont les compagnes de la princesse Ta-
mara qui descendent du château du prince Gudal, pour puiser de l'eau au fleuve. A
ce chœur se superpose un récitatif léger de Tamara, encore distante, et d'un effet
charmant ; il faut citer ainsi la chanson de la gouvernante, l'Aia, d'un joli caractère
slave, et le récitatif du Démon s'adressant à Tamara, et vu d'elle seule ; musicalement
ce tableau est un des plus réussis de la partition.
Le 3' tableau se déroule dans les montagnes du Caucase, couvertes de neige. 11
débute par un chœur d'hommes originalement rythmé suivi d'une rêverie chantée
par le prince de Sinodal songeant à sa fiancée ; ce motif est d'une inspiration délicate
et poétique et fut dit avec charme par le ténor Plamondon. Le tableau s'achève en
un mouvement violent dans l'attaque du campement par les Tatares et le prince de
Sinodal expire avec le nom de Tamara sur les lèvres.
Le deuxième acte nous transporte au château de Gudal, père de Tamara. Les
assistants s'apprêtent en des chants de joie à célébrer l'hymen de Sinodal et de la
princesse. Tout le début de cet acte est rempli par des ensembles vocaux excellem-
ment traités. Des danses préludent aux fêtes nuptiales. Elles nous permirent de goûter
à nouveau le caractère étrange et caressant des danses slaves, où Mlle Trouhanowa
sait être si personnelle et si souplement mystérieuse.
Tout à coup des cris de douleur glacent la noble assistance : on apporte, drapé
d'un voile funèbre, le corps du prince de Sinodal, dont le vieux serviteur raconte la
mort. Tamara, abimée de douleur, ira pleurer dans un couvent. La voix du Démon
retentit : c'est le même aveu, la même promesse de toute puissance en échange d'un
sourire. Le Démon apparaît, s'approche de Tamara, fascinée, et lui dit que cette nuit,
elle le reverra sans le craindre et qu'auprès de lui elle rêvera dans une extase de bon-
heur. Il disparaît, la laissant troublée comme au sortir d'un songe effrayant. On croit
la raison de Tamara ébranlée par la douleur. Elle se jette au pied de son père qui la
relève et lui dit adieu, puisqu'elle part, selon son vœu, pleurer et prier au couvent.
Cette fin d'acte est d'une grande beauté. Le récit du Démon est à coup sûr d'une
inspiration admirable; c'est une page musicale de premier ordre; cette beauté pathé-
tique et d'une pénétrante douceur, que Chaliapine a magnifiquement exprimée,
s'augmente du fait qu'elle plane aux lèvres de l'Esprit du mal. 11 y a là un contraste
saisissant et qui donne au personnage une originalité sans précédent. En une phrase de
ligne pure se détachant sur des harmonies de rêve, le Démon attire les yeux de Tamara
endormie vers les merveilles du ciel constellé : « N'es-tu pas un ange? murmure
Tamara? » Et en effet c'est bien l'ange déchu que Rubinstein a su évoquer dans la poi-
gnante mélancolie de ce beau récitatif.
Au dernier acte il faut encore citer l'air de Tamara « O nuit que tu es belle» mé-
lodique presque à l'italienne et que Mme Sigrid Arnoldson a chanté dans un style
impeccable ; puis le grand duo entre Tamara et le Démon (}e suis celui qui vint vers
toi) ; ce duo qui est le moment culminant de l'ouvrage est un des plus longs qui soient
au théâtre; il est dans son entier d'une inspiration soutenue qui prouve chez Rubinstein
des dons de mélodiste abondant ; ce dialogue véhément donne son vrai sens au démon
de Lermotov :
— Me voici ! dit-il. Jusqu'ici tu ne m'as vu qu'en rêve. Je suis celui que le monde
épouvanté maudit. Je brave le ciel. Pourtant je tombe à tes genoux. L'amour m'a
— 28l ■—
dompté. Je n'ai plus de haine. Prends pitié de mon martyre ! C'est le ciel que je re-
trouve en ton sourire : mon enfer deviendra le paradis si tu m'aimes.
Tamara veut chasser le tentateur. Mais le Démon lui dit sa misère éternelle,
qu'une soufiFrance nouvelle rend aujourd'hui plus misérable encore. L'homme peut
mourir, et sa douleur meurt avec lui. Mais le supplice du Démon ne finit jamais.
— Ton sort fut mérité ! s'écrie Tamara.
— Que t'ai-je fait, moi? répond douloureusement le Démon.
Tamara lutte encore. Mais ses forces l'abandonnent. La profonde pitié qu'elle
éprouve en face d'une si grande douleur la trouble. Le Démon fait serment de renon-
cer au mal. 11 veut aimer le ciel. Les premières lueurs du jour se montrent. On entend
la cloche du matin. Tamara tombe à genoux, dans une profonde angoisse. Elle vou-
drait prier et ne le peut. Elle crie grâce. Mais elle est vaincue. Le Démon s'empare
d'elle.
Tels sont les éléments principaux de la partition du Démon que nous félicitons
M. Gunsbourgde nous avoir fait connaître, car elle le méritait. Rubinstein y révèle
un vrai tempérament de dramaturge, d'un talent néanmoins composite : on y démêle
en effet l'influence prépondérante de Schumann, notamment dans l'un des motifs
principaux du Démon, phrase qui revient fréquemment ; ça et là encore Weber, voire
Gluck au second acte ne paraissent pas étrangers à Rubinstein.
Toutefois cette partition est de belle et noble tenue musicale, et d'une indéniable
abondance rythmique et mélodique. Ce n'est point l'œuvre d'un novateur original,
mais c'est celle d'un traditionnel dont l'inspiration atteint parfois les hauteurs des
grands maîtres. Il n'est point encore tant de musiciens dont on puisse en dire autant
de nos jours.
Dans l'ensemble de l'interprétation se détache M. Chaliapine, la célèbre basse
chantante russe qui a chanté le rôle dans sa langue natale. M. Chaliapine, dont la
puissante création de Méfistofele de Boïto est restée ici dans toutes les mémoires, a
montré dans cette nouvelle incarnation du Mauvais Esprit toute l'admirable souplesse
de son art tragique. Servi par un organe très étendu et dont il sait à son gré varier les
inflexions il n'est plus cette fois le Roi du Mal, il est l'Archange maudit cherchant
en vain l'amour. Le succès de cet artiste à la fois si sobre et si recherché fut aussi
grand que légitime.
Mme Sigrid Arnoldson prête au personnage de l'infortunée Tamara l'agrément
de sa voix pure et d'un cristal éclatant. J'ai nommé le ténor Plamondon (Sinodal).
Citons encore MM. Bouvet (Gudal) et Lequem (le Messager) et Mmes Duris (l'Aia)
et Verna (l'Ange).
La mise en scène et les décors ne laissent rien à désirer. Les chœurs et l'orchestre
toujours excellent ont sous l'énergique direction de M. Jehin concouru pour une bonne
part à la brillante réalisation de cette belle œuvre.
Alfred MORTIER.
^ 282 —
LES GRANDS CONCERTS
Le premier avril, sans doute pour nous attraper, il n'y eut de concert ni au
Clnâtelet ni au Nouveau-Théâtre, et le dimanche suivant, M. Chevillardjoua de nouveau
« relâche», tandis que M. Colonne, opérant lui-même, tout comme Pierre Petit, nous
redonnait la magnifique Symphonie domestique de Richard Strauss, avec beaucoup de puis-
sance, de lyrisme et de succès. Il étaitpérilleux de prendre, sitôt après l'auteur, la direction
de cet ouvrage effroyablement complexe. M. Colonne s'en est tiré à son plusgrand hon-
neur.
D'importants fragments de VArmide de Gluck complétaient le programme, avec
Mme Litvinne dans le rôle de l'enchanteresse. J'épuiserais toutes les épithètes lauda-
tives pour célébrer cette admirable cantatrice, que je ne dirais point encore assez com-
bien elle est grande musicienne et grande artiste. Le public l'a couverte d'acclamations,
et je renonce à la remercier, pour ma part, de l'émotion profonde qu'elle me causa
dans ses adieux à Renaud et dans son monologue final. Ce n'est plus une actrice, ce
n'est plus une interprète ; c'est l'âme douloureuse de l'héroïne même ! Et au moment
où je sors d'un long contact avec la pensée de Gluck, ayant eu à préparer un volume
sur lui, je devine avec plus de certitude quelle joie parfaite aurait éprouvé, à se voir
traduit de la sorte, le merveilleux dramaturge, que d'aucuns blasphèment aujourd'hui
et dont tant de beautés demeurent pourtant intactes. Je suis sûr que si l'on demandait
à Mme Litvinne d'avouer ses secrètes préférences entre la mort d'Armide et la mort de
Brunnhild, elle ne se résoudrait pas à faire un choix entre ces deux pages géniales. Et
j'envie presque la double ivresse que peut éprouver une telle artiste à incarner avec
une égale splendeur les héroïnes classiques du maître racinien et les héroïnes barbares
du maître shakespearien .
Près de Mme Litvinne, Mme Cocyte fut une Haine énergique et sombrement vio-
lente ; M. Plamondon chantait le rôle de Renaud et Mme Mathieu d'Ancy celui de la
Naïade. L'orchestre fut tout à fait remarquable sous la direction de M. Colonne, et cela
fait du bien d'entendre interpréter avec respect ce chef-d'œuvre, après les massacres
de l'Opéra, où la troupe, des «symphonistes» indisciplinés joue Gluck, comme elle
joue Verdi ou Wagner, au petit bonheur la chance, sans couleur, sans ligne et sans
accents. Jean d'UDINE.
Concerts du Conservatoire
L'orchestre de la Société ne manque jamais, au début de ses séances, de
s'accorder une récréation symphonique en jouant une de ces œuvres traditionnelles où
nul ne peut rivaliser avec lui et où il force l'admiration la plus rétive en réveillant
l'indifférence des vétérans du dilettantisme. La Symphonie en tit majeur de Schumann
ne manqua point son but. Quant aux trois œuvres de Beethoven qui la suivaient elles
étaient sans doute, pour une notable partie de l'assistance, à peu près inconnues. Le
Chant élégiaque me déçut un peu . La transmutation du quatuor vocal solo en chœur
et la multiplication des cordes détruisent le charme intime et pur de cette effusion
douloureuse et en alourdissent l'expression délicate. 11 faut l'entendre, n'est-ce pas,
dans le mystère d'une chambre à demi-obscure, seul ou presque seul, comme on
écoute du Fauré.
Le chœur des Derviches des Ruines d'Athènes qui est du Beethoven surprenant
pour l'auditeur non averti, a provoqué des &w chaleureux auxquels M. Marty dut se
rendre. Le symbolisme en est amusant, qui figura heureusement la frénésie giratoire
— 283 —
des derviches tourneurs, leur mouvement sur place, inutile et perpétuel, en des triolets
vertigineux où les violons s'affolent tandis que les chœurs s'obstinent sur les trois
notes d'une quarte augmentée et résolue (mi, la diè:(e, si, peut-être) à la fois germa-
nique et musulmane — déjà. J'exhorte les amateurs de comparaisons à méditer sur la
V^uit persane de M. Saint-Saëns qui, dans son chapitre des Derviches, a substitué aux
triolets quatre doubles croches, ajoutant ainsi quelque chose au passé, suivant la loi
naturelle du progrès. Je n'insiste pas d'autre part sur le ballet de Prométhée qui n'avait
plus rien à nous révéler et cite seulement les noms vénérés de ceux de nos premiers
sujets qui s'y firent remarquer, MM. Gros Saint-Ange, Hennebains, Mimart, Letellier
et Martenot.
La Rapsodie Cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray nous entraînait jusqu'en
Extrême-Orient. Il y a une quinzaine d'années environ que je l'entendais pour la pre-
mière fois chez feu Lamoureux, au temps de mon adolescence timide et ignorante et je
n'en fus point épouvanté. J'ai, je le confesse, la plus respectueuse estime pour M.
Bourgault-Ducoudray, artiste inspiré, sincère et érudit qu'on peut citer aux jeunes gens
comme un exemple. Aussi me suis-je réjoui des quelques chuts qui ont accueilli son
poème symphonique parce qu'il était là et que ce dut être pour lui une sensation déli-
cieuse que de se voir traiter comme un Schmitt ou un Ravel, comme un de ces sédui-
sants anarchistes de la musique, effroi de toutes les réactions qui les accuseraient sans
vergogne de vouloir introduire dans les orchestres des timbales à renversement. Hélas!
c'est toujours parmi l'auditoire cette peur du rythme, c'est-à-dire cette peur de vivre,
cet amour de l'artificiel et du faux sous prétexte de distinction, ce mépris de toute joie
exubérante et spontanée sous prétexte de décence, cette inintelligence de la nature,
par horreur du réalisme, en un mot cette illusion enfantine qui retient les âmes cap-
tives loin de la saine escapade et de la bonne aventure, dans la frivolité de tant de
Trianons sonores. « Musique de foire » que GwendoUne, les danses du Prince Igor,
le scherzo de V Absent, la seconde partie de la Rapsodie Cambodgienne, sans compter
peut-être la Septième Symphoniel Peu importe d'ailleurs. Ces manifestations tardives ne
tuent guère que leurs auteurs par le ridicule. Et puis qui sait? C'est peut-être une façon
d'apporter quelque nouveauté dans l'exécution des œuvres consacrées et je reconnais
que le 14 juillet serait un peu moins monotone si l'on s'avisait ce jour-là quelque part
de protester contre la destruction de la Bastille.
La suite d'orchestre de M. Fauré pour Pelléas et Mélisande était comme la Rapso-
die Cambodgienne et la cantate Herr wie du willt une première audition. Fort spirituel-
lement mon confrère M. Dandelot insinua que pour ce premier avril M. Marty allait
nous jouer quelques fragments du chef-d'œuvre de M. Debussy mais il n'en fut rien
et dès les premières mesures la musique miraculeuse de l'archange Gabriel nous en-
veloppa. Musique miraculeuse, dis-je, parce qu'elle se reconnaît entre toutes les autres
avec la souplesse sinueuse de sa ligne mélodique que nul trait ne saurait reproduire et
l'impérissable parfum de ses harmonies, parce qu'elle se transforme sans cesse et qu'elle
s'épure et qu'on ne peut fixer une formule qui la définisse ou un procédé qui la con-
trefasse. Et en ceci peut-être elle est unique, à la fois originale et inimitable.
Pourquoi est-il assez aisé de plagier Mozart, Wagner, César Franck ou M. Debussy et
pourquoi M. Fauré a-t-il gardé pour lui son «Secret»? Ce n'est pas d'ailleurs à la
Pileuse — qui fut bissée — que vont mes préférences ; et je l'immolerais au Prélude
et au Molto adagio où revit la mélancolie pleine de grâce douce et lumineuse des lieder
et de la Bonne chanson. Et certes après le ballet de Prométhée où Beethoven s'est sou-
venu de Mozart, la Suite pour Pelléas et Mélisande venait là comme une fille moderne
de l'art classique dans ce qu'il a de plus suave, de plus émouvant et d'éternel.
Je dois, pour conclure, un hommage à Mme Hénault, fidèle collaboratrice de
— 284 —
M. Expert, à MM. Francell et Narçon qui chantèrent la musique de Bach avec une re-
marquable sûreté de voix et de style et qui furent justement applaudis.
PaulLOGARD.
La Quinzaine musicale
Festival Mozart, 2^, 25 et 2g tnars, — Au souvenir des charmantes auditions
de don Giovanni organisées en décembre 1903 par M. Reynaldo Hahn, l'annonce d'un
Festival Mozart, sous la direction du même chef, avait provoqué une curiosité qui ne
s'est point démentie, mais dont toutes les espérances ne se sont pas réalisées.
M. Reynaldo Hahn aime Mozart : c'est déjà un grand mérite à notre époque ; sur-
tout, M. Reynaldo Hahn comprend Mozart, et c'est un mérite beaucoup plus précieux.
Un sentiment juste et délicat a donc inspiré l'exécution des trois programmes qu'il
avait composés et dont il avait confié les rôles aux artistes les plus illustres ou les plus
qualifiés. La symphonie en mi bémol, par exemple, jouée par un orchestre restreint,
conduite avec une sensibilité souple sans mièvrerie, a retrouvé sa physionomie
véritable, que la majesté de nos grands concerts empâte quelque peu, lorsqu'elle y
paraît.
Il serait oiseux d'étudier en détail chacun des numéros plus ou moins sensationnels
qui défilèrent au cours de ces trois soirées. Malgré tant de minutes agréables, dont
quelques-unes furent exquises, oserai-je avouer que l'ensemble de ces fêtes m'a laissé
une légère déception. Mozart y était débité en trop petites tranches, par morceaux trop
menus : airs détachés, fragments d'oeuvres, moitiés, tiers ou quarts de sérénades ou de
concertos.... Sans doute la sélection de ces morceaux était adroite, et leur exécution le
plus souvent satisfaisante, mais je n'ai pu me défendre d'une aversion congénitale pour
les 7norceaux choisis. Vraiment, n'y-a-t-il chez Mozart que des miettes à ramasser, que
des débris à réunir ? Ce morcellement, cet éparpillement nuisait à l'attention et la dé-
concertait. Il trahissait Mozart, chez qui l'harmonie de l'ordonnance et de la composi-
tion n'est pas moindre que celle des sonorités.
Cet inconvénient — qui m'a été peut-être plus sensible que de raison — n'allait pas
d'ailleurs sans un certain avantage. On a pu juger que le nombre des « échantillons »
présentés par les soins éclairés de M. Reynaldo Hahn, offrait une variété extraordinaire,
une diversité étonnante, très propres à montrer chez Mozart un génie plus multiple que
ne le veut l'admiration conventionnelle et ignorante qu'on lui porte. Puisse cette expé-
rience, couronnée par un brillant succès, rappeler à tous, virtuoses, chanteurs, chefs
d'orchestre, directeurs de théâtre qu'il y a là une mine infiniment riche, et d'une ma-
tière infiniment précieuse, dont l'abandon est une sottise criminelle. Je souhaite surtout
que cette démonstration pique le zèle de M. Albert Carré qui, dans son répertoire, rem-
placerait avec avantage le Domino Noir par Don Juan, Mignon par les Noces. Mireille
par la Flûte Enchantée, les Dragons de Villars par la Flûte Enchantée, et Fra Diavolo
par Cosifan tutti, — Cosifan tutti, cette merveille de grâce, d'esprit, d'ironie, de sen-
sualité, que l'on ignore absolument en France.
Les émlnents artistes recrutés par M. Reynaldo Hahn pour cette solennité,
Mme Lilli Lehmann, MM. Ed. de Reszké, Ancona, Diémer, Risler, Hayot et tutti
quanti ont récolté de chaleureux applaudissements devant un public nombreux et d'une
suprême élégance. Grâce au triple Mécénat féminin que M. Reynaldo Hahn avait su
gagner à la cause de Mozart, jamais on ne vit rue Blanche tant d'automobiles, ni dans
la salle du Nouveau-Théâtre tant de belles robes portées par les vedettes du Tout-
Paris depuis les grandes dames les plus authentiques jusqu'aux horizontales les plus
huppées. Il faut reconnaître qu'on ne vit non plus jamais un public moins attentif et
aussi frivole. Combien de personnes songeaient à Mozart, dans le feu croisé des con-
versations, des coups de lorgnette et des saluts échangés ? Dans l'avant-scène d'une des
trois « dames patronnesses », le bruit des caquets fut à certain moment si fort que
— 285 —
M. ReynaldoHahn lui-même en manifesta de l'impatience. Certaines gens du monde ont
l'air de vouloir se venger de leur incapacité à goûter des plaisirs quelque peu élevés, en
essayant de les gâter aux autres : le pire est qu'ils y parviennent.
Jean Chantavoine.
Société Philharmonique- — Concert fort intéressant où la combinaison du
quatuor Schoerg et du quatuor Hayol nous permit d'entendre deux œuvres de valeur
inégale, mais toutes deux supérieurement exécutées, ïochior de Svendsen et le sextuor
en si bémol de Brahms. — Le sextuor est une des plus belles œuvres de Brahms — et
il est regrettable qu'on ne le joue pas plus souvent — à seule fin de convertir ceux qu'un
parti-pris inconscient empêche de goûter, de saisir peut-être, les œuvres d'un musicien
de la plus haute valeur. Le scherzo plein de vigueur et de rythme suffirait seul à
démontrer qu'on est souvent mal venu à reprocher à Brahms une froideur mortelle,
et l'ensemble sonore et profond de l'œuvre montre qu'il y a là de la pensée, de la vie et
de la beauté.
Sonore aussi Voctuor de Svendsen, mais c'est son seul mérite. Il débute avec un
thème principal, large, quelque peu emphatique, trop fortement apparenté au motif
de Paris de la « Louise» de Charpentier, et conclut de même. Mais la bonne sonorité
de cet octuor ne suffit pas à compenser la banalité de la ligne mélodique et le peu de
nouveauté des harmonies.
Le quatuor Schoerg exécuta très parfaitement le Sixième quatuor (si bémol) de
Beethoven que sa célébrité nous dispense d'enguirlander d'un inutile commentaire.
Georges Mouillet.
Concert Le Rey. — M. Le Rey nous a présenté, le 25 mars, un certain nombre
d'œuvres nouvelles et inégales. Je passe sur la Martyre de M. Razigade, d'une musica-
lité par trop élémentaire et rappelant le Néron que donna il y a quelques années l'an-
cien Hippodrome... ha Suite Pastorale de Constantin Cille n'est pas dénuée d'une cer-
taine habileté ; mais il convient de signaler la Légende de Jésus-Christ de M. Anselme
Vinée, construit sur une très jolie mélodie populaire ; Gloria Victis du même auteur,
marche funèbre sur laquelle planent des souvenirs wagnériens mais qui renferme une
note personnelle et se présente fort bien, — et aussi deux pièces de M. Yvan de Hartu-
lary. Rêve et Solitude écrites dans une couleur séduisante et témoignant de très réelles
et très distinguées qualités mélodiques ; dans le dernier morceau le hautbois et le violon
dessinent tour à tour des phrases d'une sereine et charmante poésie.
A ce même concert Mlle Juliette Dantin interpréta avec un art extrêmement souple
et pur la Romance en fa pour violon de Beethoven, un Poème Hongrois de Hubay et
une Barcarolle de Monti dont l'italianisme on ne peut plus voluptueux gagna le public
et fut bissé. Au piano le Concerto en ré majeur de Mozart fut exécuté par Mme Eugénie
Dietz avec la délicatesse délicieusement vaporeuse qui sied si joliment à son exquise
blondeur.
Par une louable et délicate attention M. Le Rey donnait le concert suivant au
bénéfice des mineurs de Courrières. L'intérêt artistique de cette séance se portait sur
les Chants de guerre de M. Alexandre Georges, l'auteur si distingué des Chansons de
Miarka. Bien que les Chants de guerre ne semblent pas égaler en mérite leurs aînés,
ils contiennent néanmoins des pages d'une très belle venue. Les chœurs à l'accent
vigoureux et dramatique, la tendresse douce, plaintive, inquiète de la fiancée et de la
mère, les chants virils et émouvants du fiancé et du récitant, concourent à un ensemble
très saisissant qui produisit sur le public un effet profond et qui souleva ses applau-
dissements unanimes. L'auteur qui dirigeait lui-même son œuvre trouva d'excellents
interprètes avec Mmes Bureau-Berthelot et Marty, MM. Carbelly et Francell.M. Rous-
selière chanta l'air du Cid et deux mélodies de M. Léon Moreau, la Grotte et Câlinerie,
très applaudi et bissé pour sa voix puissante et chaude. Beaucoup moins aimable que
les mélodies, le Concerto pour piano et orchestre de M. Léon Moreau parut long, très
long, et d'une éloquence que ne justifiaient pas les idées qu'il voulait exprimer.
Edouard Schneider,
— 286 —
Société Nationald, — Concert assez ordinaire, mais où cependant nous pûmes
applaudir une belle page de M. Léon Saint-Régnier, A celui qui n'est plus, d'une tris-
tesse poignante, d'un intéressant lyrisme. Mlle Braquaval la chanta avec une grande
justesse de sentiment ; Petite-Isle, de M. de Bréville, ne trouva pas en Mlle Béchard
une interprète sachant faire valoir cette musique délicate et mélancolique. M. Grovlez
exécuta remarquablement une curieuse Sonatine, de M.Ravel. A noter encore un Prélude
et Fugue en un thème de Bach, idée tout au moins originale, qui revient à M. Henri
Thiébaut, Inutile de dire que deux mélodies de Chausson, et surtout le merveilleux
Quatuor à cordes de Franck — interprété par le quatuor Geloso — furent les œuvres
les plus chaleureusement accueillies. I.
Les récitals d'Emile Sauer. — Des fleurs nombreuses que d'enthousiastes
mains féminines firent voler vers lui M. Sauer a pu tresser une couronne aux propor-
tions royales. Ce furent en effet des triomphes successifs que les trois inoubliables
soirées pendant lesquelles le (( Grand Maître du Piano )) du Conservatoire de Vienne
nous fit ressentir ce que peut la puissance de l'exécution et nous fit comprendre com-
ment l'intelligence parfaite de l'interprétation peut devenir à certains moments quel-
que chose de semblable à la création elle-même. Si vraiment la force intime et secrète
que les Latins appelaient ingenium n'est autre chose que l'inspiration pure et profonde
de l'esprit et de la pensée, comment refuser, au sens rigoureux du terme, la qualifica-
tion de géniale à la flamme intérieure dont M. Sauer anime l'interprétation qu'il nous
donne des grands maîtres ? Cette interprétation n'est plus, quelque parfait qu'il
puisse être, un simple moyen d'exécution mis au service de l'œuvre créée par les
autres ; elle n'est plus un élément extérieur qui s'efforce de s'adapter à une sensibi-
lité qui n'est pas la sienne, à un esprit qui n'est pas le sien, à une âme qui malgré l'in-
telligence qu'elle en peut avoir lui demeure étrangère en ce qu'elle a de purement per-
sonnel ; il semble au contraire que tout dualisme disparaisse, que toute hétérogénéité
s'efface et qu'il y ait une si vivante pénétration du créateur et de l'interprète que. spon-
tanément, l'esprit du créateur lui-même agisse directement sur la sensibilité de celui
qui écoute. L'inspiration supérieure de M. Sauer fait que son incomparable virtuosité
s'efface d'elle-même; les difficultés les plus ardues s'évanouissent devant sa prodigieuse
facilité, et, le souci du mécanisme n'ayant plus de raison d'être, la volonté de l'inspiration
s'affirme souverainement.
Il serait trop long d'énumérer les œuvres que M. Sauer nous fit entendre. Je signa-
lerai seulement quelques-unes d'entre elles ; le Concerto italien de Bach et un Prélude
e^ Fw^we de Bach-d'Albert, 'les Sona/es 57 et /op de Beethoven qui firent valoir un
style magistral, une logique prestigieuse et une admirable solidité de pensée ; la
Toccata op. 7 et le Carnaval op. g de Schumann dont il est impossible de dire l'inter-
prétation ; les scènes du Carnaval ont vécu sous nos yeux, délicieuses d'esprit et d'iro-
nie, étourdissantes des farces de Pierrot et d'Arlequin, des courses ailées des papillons
et des lettres dansantes, assombries soudain par l'apparition mélancolique de Chopin,
attendries du frémissant aveu d'amour et de la promenade sentimentale, traversées en-
fin par la joie puissante et débordante des Davidsbûndler ; jamais jusqu'à ce jour il
ne nous avait été donné d'entendre pareil chef-d'œuvre d'interprétation. Citons encore
les admirables exécutions de Chopin, la Fantaisie, la Sonate ^5, les études parmi les-
quelles V étude op. 25 n" 11 éblouissante et colossale sous les mains féeriques du maî-
tre ; le scherTj) op. 4 de Brahms et aussi quelques pièces de M. Sauer qui témoignent
d'une virtuosité extrêmement intéressante et d'un esprit très enjoué comme les Délices
de Vienne,
Dans ces œuvres différentes M. Sauer révéla tour à tour, et portées à leur plus haut
degré, les qualités en apparence les plus opposées, — la poésie la plus délicate et la plus
fine a côté d'une puissance et d'une fougue extraordinaires, la légèreté et la grâce la
plus spirituelle ainsi que la sévérité et la profondeur de la pensée. Malgré la vertigi-
neuse rapidité à laquelle il atteint par moments le mécanisme demeure toujours d'une
netteté absolue, d'une clarté parfaite ; pas une note n'échappe à l'oreille. La sonorité est,
— 287 —
d'une substance remarquablement souple et riche, d'une couleur toujours variée, d'une
séduction toujours enveloppante et d'une distinction on ne peut plus scrupuleuse.
L'admiration sincère, l'émotion profonde, l'enthousiasme sans bornes que M. Sauer
fit naître dans l'âme de ceux qui l'écoutèrent se traduisirent par des acclamations, par
des ovations qui ne se lassaient pas, et tandis que nous quittions la salle Erard, encore
tout vibrant d'impressions incomparables, nous nous demandions, en songeant à la
facilité avec laquelle on accorde les noms de virtuose et de grand artiste à d'innom-
brables pianistes, quel pourrait être le nom réservé à Emile Sauer, à celui que nous
considérons comme le plus grand maître du piano à l'heure présente.
Edouard Schneider.
Les Concerts Ysaye. — Que pourrais-Je ajouter à tout ce qui a été dit sur
Eugène Ysaye ! Quelle émotion nouvelle pourrais-je essayer de traduire après tous ceux
qui ont écrit de si enthousiastes pages sur l'éminent violoniste ! Je me bornerai à répé-
ter une fois de plus combien grand et profond est son jeu, combien pure et noble est
son âme, combien ample et suave est son expression. Dans le Concerto de Mendelssohn,
dans l'admirable Poème d'Ernest Chausson, dans le Concerto en si mineur de Saint-
Saëns, au final péniblement vulgaire, dans le Concerto de Beethoven, dans le Concerto
de Bach où les deux flûtes de MM. Hennebains et Gaubert firent merveille, dans tout ce
que nous avons entendu lors de ses deux brillants concerts qu'il vient de donner au
Nouveau-Théâtre, accompagné par l'excellent orchestre du Conservatoire dont M. Marty
fait valoir les innombrables qualités, le grand Ysaye a « emballé )) son auditoire au
point de devoir ajouter un morceau à chacun de ses programmes, tellement étaient
frénétiques les applaudissements. C'était du délire.
R. D.
Concerts Busoni. — Après une interprétation trop fantaisiste du Prélude,
Choral et Fugue de Franck, M. Busoni a joué, à son second concert, la sonate en si
bémol, op. 106, de Beethoven, avec quelques trouvailles fort intéressantes. Des trans-
criptions de Liszt d'après Beethoven {Adélaïde, le Busslied, les Ruines d'Athènes) et
les abracadabrantes Variations de Brahms sur un thème de Paganini, lui ont permis
de déployer une fois de plus les ressources inouïes de sa prodigieuse technique. Je sou-
haite que M. Busoni, maintenant familiarisé avec le public parisien, revienne souvent
nous éblouir et nous charmer.
j. c.
CONCERTS DIVERS
Mme Clotilde Kleeberg. — Un certain nombre de virtuoses semblent considérer
la musique qu'ils exécutent comme un simple moyen de mettre en lumière leurs qua-
lités naturelles ou acquises et le snobisme triomphant les couvre de fleurs ! C'est
donc une satisfaction toute particulière que de constater qu'il existe encore des artistes
dont le principal souci est d'approfondir la pensée des maîtres qu'ils interprètent afin
de donner de leurs œuvres une traduction fidèle et parfaite. C'est parmi ceux-là qu'il
faut classer Mme Clotilde Kleeberg.
Possédant une technique excellente et un sens musical des plus fous, elle vit avec
l'œuvre qu'elle doit exécuter, s'imprègne de son caractère, et tout en l'interprétant
avec style, y met une note toute personnelle, qu'elle nous fasse entendre la Sonate
n° I de Mozart ou Prélude, Choral et Fugue de C. Franck le sentiment est toujours
juste, la nuance est toujours vraie ; elle rend à merveille la grâce délicate de l'une,
sans mièvrerie, la profondeur de l'autre sans emphase. On peut en dire autant du reste
du programme qui comprenait : Toccata en ut mineur de Bach, Fantaisie en fa diè:(e de
Mendelssohn et les Moments musicaux de Schubert.
— 288 —
A son deuxième récital, après une magistrale exécution de la Sonate en ré majeur
de Beethoven, Mme Kleeberg s'est montrée éblouissante de fantaisie dans les Davids-
hûndler de Schumann, je ne crois pas qu'il soit possible de mieux traduire la pensée
du maître. Un très heureux choix de pièces de Chopin nous a permis d'apprécier tour
à tour le sentiment délicat, l'émotion communicative, la poésie intense de l'excellente
interprète, alliés comme il convient, à une virtuosité irréprochable. Bien peu de pia-
nistes possèdent à ce point la rare faculté d'obtenir de l'instrument des sonorités à la
fois vibrantes et enveloppées, puissantes et brillantes sans donner jamais l'impression
de la force brutale. C'est donc un plaisir que de s'associer aux chaleureux applaudis-
sements qui accueillirent une si émouvante artiste dont les succès, d'ailleurs, ne se
comptent plus.
A. Bertelin.
Fondation J.-S. Bach. — La dernière séance de la saison fut particulièrement
brillante. Au programme étaient inscrits le Concerto grosso en ut mineur d'Arcangelo
Borelli que jouèrent excellemment, accompagnés par le quatuor, les violons de MM.
Charles Bouvet et Gravrand et le violoncelle de M. Cros-Saint-Ange. La Sonate en ré
mineur de Benedetto Marcello fut pour la flûte de M. Blanquart l'occasion d'un nou-
veau triomphe. La Sixième suite de J. S. Bachpour violoncelle seul fit apprécier la pu-
reté de style et de sonorité de M. Cros-Saint-Ange. Mlle Marie Lasne chanta avec son
goût si sûr unecantatede Rameau, Orphée, que les mêmes formules trop répétées firent
trouver quelque peu longue. La cantatrice obtint un grand succès avec Sosarme d'Haen-
del et la Violette de Scarlatti. Le Concerto hrandhourgeois en ré majeur de J.-S. Bach ter-
minait dignement la séance. Cette magnifique et somptueuse musique valut une ova-
tion à MM. Ch. Bouvet et Blanquart ainsi qu'à M. J. Jemain qui tint admirablement le
piano et fut tout spécialement applaudi.
V. D.
Le 30 mars, Mme Wanda Landowska donnait à la salle Pleyel un concert de
Musiques pastorales àes xvii® et xviii^ siècles. Son programme divisé en trois parties :
Bergeries, Foret, Kermesse^ et exécuté tour à tour au piano, au piano forte et au clavecin,
suivant le caractère des pièces qui le composaient, remporta le succès le plus vif et le
plus spontané. Sans doute il convient de complimenter la charmante pianiste pour le
choix des morceaux qu'elle nous fit entendre ce soir-là. Je ne parle pas seulement des
pages d'auteurs célèbres comme Rameau et Couperin, mais encore de morceaux tout à
fait oubliés et extrêmement curieux, tels que les Bransles de Francisque, qui vont être
réédités bientôt, la Primerose de Peerson, et l'adorable Coucou de Pasquini, dont la
grâce, la fantaisie pittoresque et l'adorable liberté de formes ravirent l'auditoire. Mais,
r« intérêt», — quoiqu'en puissent penser critiques et historiens, — n'est pas le but de
l'art, et ce dont il faut remercier Mme Landowska, c'est moins déjouer ces œuvres trop
longtemps délaissées, que de les jouer avec tant de délicatesse, d'amour et de convic-
tion. Elle leur redonne la vie, la belle vie simple et saine d'autrefois.
Non, cette musique ancienne n'est pas de la vieille musique ! non, cène sont point
là des pages d'herbier, de froides reliques ! C'est au contraire de la mélodie toujours
jeune, pleine de spontanéité, de senteurs printanières et de sève. Mme Landowska
respire si voluptueusement le parfum de ces fleurs agrestes ; elle les cueille sur ses
claviers avec un tel amusement et les offre au public avec une si charmante candeur,
que le public ne s'y trompe pas et reçoit joyeusement les bouquets joyeusement
nuancés par la nouvelle Glycère.., Aussi, puisqu'il s'agit d'une séance qui ne fut pas
une reconstitution, fort heureusement ! mais une résurrection, le plus grand éloge que
je puisse adresser à l'interprète est de constater combien le public, étonné de trouver
— 289 -t-
tant déplaisir dans un concert, répondit par sa gaieté à l'entrain de la pianiste et par
son silence recueilli aux minutes où la voix des oiseaux frémissait dans les bois frisson-
nants de brise et où soupirait la luxurieuse mélancolie des Sylvains.
lean d'UDINE.
Concert Sailler. — Le troisième concert Saïller a permis d'apprécier une fois de
plus la brillante technique du distingué violoniste en même temps que la pureté de
son jeu délicatement expressif. La Sonate de Grieg en ut mineur, lui a valu les plus
chaleureux applaudissements. Au même concert Mme Mellot-joubert, et MM. de
Lausnay, Hervitt, Migard et Liégeois ont obtenu également le plus vif et mérité
succès.
Mlle Sara Pestre. — Nous avons déjà eu l'occasion de louer les charmantes
qualités que renferme le jeu de Mlle Sara Pestre. Cette fois encore nous avons été infi-
niment séduits par la grâce qui se dégage de l'étincelante et musicale virtuosité de la
remarquable harpiste. La False de Chopin, transcrite par M. Hasselmans, lui a valu de
nombreux et enthousiastes rappels. Mlle M. Van Gelder et M. Fleury partagèrent ce
chaleureux accueil, la première comme cantatrice, le second comme flûtiste.
S.
M. LuzzENA. — Salle ^olian, on a applaudi le jeu brillant, l'excellent style du
violoniste O. Luzzena dans un concert fort réussi. Le Trio de Schumann par MM.
Luzzena, Choinet et Jemain, une Sonate de Haendel pour violon, une autre Sonate de
J. Jemain accompagnée par l'auteur, ont été très appréciés, ainsi que le beau con-
tralto de Mlle S. Lacombe de l'Opéra, dans l'Air d'Orphée de Gluck et deux mélodies
de J. Jemain, les Perles et les Deux Ménétriers. M. Luzzena fait grand honneur à son
professeur, M. Parent.
Société de Musiqjue de Chambre pour Instruments a Vent. — La dernière séance vit
exhumer une Symphonietta de Gounod, œuvre aimablement sucrée et facile exécutée
pour la satisfaction des oreilles peu exigeantes et la tranquillité des cerveaux placides.
Ce furent ensuite \e Sextuor de Beethoven précédemment joué aux séances Parent par la
Société, et la Symphonietta de Raff remarquablement écrite pour les instruments. Mais
le numéro le plus intéressant du programme, auquel un public essentiellement poncif
ne fit d'ailleurs qu'un accueil poli, fut les Deux Rhapsodies sur deux poèmes de Rollinat
(L'Etang et la Cornemuse) de M. Ch. M. Loeffler. Cette œuvre écrite pour piano, haut-
bois et alto renferme des développements intéressants, des idées neuves et des harmo-
nies d'un séduisant modernisme. MM. Grovlez, Bleuzet et Monteux l'interprétèrent
excellemment.
E. S.
Le 4 avril, la Société de Concerts d'Instruments Anciens donnait à la salle Pleyel sa
première séance de la saison. L'affluence du public qui parvint à entrer ce soir-là dans
la salle principale et dans ses annexes démontra premièrement que le contenu peut être
quelquefois plus grand que le contenant et secondement que la musique ancienne offre
décidément un attrait exceptionnel aux malheureux auditeurs rassasiés des complica-
tions modernes. A ce concert M. Diémer joua, secondé par M. Casella, le Concerto en
ut mineur de Bach pour deux clavecins, malheureusement amputé de sa partie d'or-
chestre, et Mlle Carlotta de Féo chanta diverses pages du xviii* siècle, dont la plus
belle, un air de la Passion d'Haendel, fut admirablement soutenue par le quinton de
Mme Casadessus. Mais les ensembles surtout ravient l'auditoire : la Symphonie en la
majeur de Bruni, pour quinton, viole d'amour, viole de gambe, basse de clavecin, et
— igo —
le délicieux Ballet de Monteclair pour les mêmes instruments, tenus par Mme H. Casa-
desus, M. M. Henri et M. Casadesus, M. Olivier et M. Casella, et dont l'adorable
Tambourin notamment remporta le plus grand succès. Deux Carillons flamands joués
sur des cloches mystérieusement installées quelque part dans les frises et dont l'effet
fut exquis, et le très curieux Divertissement de iVlozart pour deux flûtes, cinq trom-
pettes et quatre timbales complétaient cet intéressant programme. 11 faut savoir gré à
ses organisateurs de nous remettre en contact avec tout un monde d'émotions sonores,
qui rendra peut-être à notre musique de serre chaude un peu de naturel et de charme
sincère. J. d'U.
L'abondance des matières nous oblige à renvoyer les Sonatières et la Lettre de
Londres au -prochain numéro.
le mouieoient musical m province et à Télranger
LETTRE DE BERLIN
« Le but principal de mes efforts, présentement, est d'arriver à jouer du piano de
la façon la plus chantante possible. 11 est difficile de ne point laisser l'oreille vide, ni
d'étouffer la noble simplicité du chant par trop de bruit. Avant tout, la musique doit
toucher le cœur, ce à quoi un pianiste n'arrivera jamais par des arpèges, du vacarme et
des trépignements ». Ces mots de Ph. iL. Bach devraient être inscrits en lettres gigan-
tesques dans toutes les salles de conservatoires et dans toutes les sallesde concerts.
Monsieur Jonas. un espagnol, fart ce qu'il veut de ses doigts, a une mémoire sur-
prenante, des programmes superbes. Un largo de Bach, l'op. 35 de Mendelssohn sont de
belles oeuvres mais encore faut-il les jouer bellement. J'aurais voulu entendre autre chose
que les successions de notes, j'aurais voulu ne pas m'ennuyer à la sonate op. m de
Beethoven, j'aurai voulu du piano, on m'a servi une mécanique très exacte qui dévidait
des sons.
Le concert Busoni-von Glehn était pire encore. Quand on est Busoni on ne s'ac-
couple point à un violoncelliste qui ignore les principes mêmes de la technique de son
instrument et surtout on ne consent pas à jouer en de pareilles cohditions les deux
sonates op. 120 n"' i et 2 de Beethoven. JM. Busoni fit ce qu'il put pour sauver la soi-
rée; il eut des sonorités délicieuses, inattendues, il eut des pianissimos exquis, il mit en
valeur toutes les ressources de son impressionisme ; Beethoven ne s'en porte pas mieux,
au contraire. Par contre, il (son partenaire n'existe plus) remporta un beau succès dans
la sonate de S. Rousseau qui le méritait. M. Busoni était visiblement ennuyé; lui accou-
tumé aux foules en délire, se trouvait devant une salle aux trois quarts vide et aux
trois quarts chaude seulement !
Arrivé très tard à Berlin, j'ai eu la bonne fortune d'entendre encore le der-
nier concert de la Philharmonique avec JVl. Nikisch. La P hilharmonique, comme
orchestre, est bien supérieure à tout ce que j'ai entendu en Allemagne jusqu'ici. Quant à
M. Nikisch c'est, par excellence, le virtuose de la baguette, jonglant avec les timbres, les
rythmes, faisant de ses instruments ce qu'il veut, les conduisant n'importe où, non sans
un peu de nervosité parfois et de la sécheresse. Je regrette à vrai dire la sage pondéra-
tion de Mottl.
Au programme, la ravissante ouverture dgs Noces de Figaro, prestement enlevée,
point trop vite cependant, comme c'est trop souvent le cas ici. Puis l'entr'acte de Rosa-
monde de Schubert, un bijou comme Schubert sait en produire, fait de belles périodes
poétiques enveloppantes, telles des strophes de Lamartine. Ce pauvre Schubert ! en voilà
— 291 —
unpourquîles temps présents ne sont point tendres. C'est tout au plus si on lui pardonne
d'avoir écrit quelques jolis lieder! ! En outre, \a Symphonie pathétique de Tchaïkowsky.
Tchaïkowsky est, de ce côté du Rhin, le grand Russe, le seul qui paraisse (ou à peu
près) sur les programmes. C'est qu'il est très allemand au fond et qu'il est, si l'on peut
dire ainsi, le Brahms des Russes. Il est profond ! Un musicien de grande notoriété
brahmsien, enragé, voulant sans doute me convertir à sa foi, m'en expliquait les
bases : « En France nous n'arriverez que lentement, peut-être jamais, à comprendre
Brahms, parce que vous n'avez pas l'esprit suffisamment posé pour en saisir la profon-
deur. » Je lui fis observer qu'en art nous cherchions avant tout à être émus. « Parfaite-
ment, répondit-il, mais vous vous contentez d'émotions superficielles, nous voulons des
émotions profondes ». — « Qu'est-ce donc que cette profondeur dont vous faites si
grand cas et à laquelle nous ne saurions atteindre ?» — « C'est la pensée qui se cache
sous une phrase musicale (admirez !) » — « Mais à quoi la reconnaissez-vous « cette
pensée? » — a Nous la devinons, nous la cherchons, nous finissons par la trouver quand
elle existe. » — « Ah, j'y suis, la profondeur c'est l'obscurité. » — « Pourquoi pas un
peu, tous les symboles sont obscurs pour les non initiés, et l'art symbolique est le sum-
mum de l'art ». Je ne réponds rien, stupéfié; il continue : « Le grand charme de Brahms
dans la jouissance duquel nous nous complaisons, c'est sa sensualité métaphysique »,
« die metaphysische Sinnilichkeit ! )) Inouï, n'est-ce pas et mot pour mot exact ! et le
monsieur ne riait pas ! !
A propos de Brahms, Mme Schumann-Heink, dans ce même concert, a chanté de
lui une rapsodie admirable pour alto solo avec choeur d'hommes et grand orchestre. Je
n'étais pas encore au courant de la sensualité métaphysique, je me suis tout bonnement
abandonné aux grandioses impressions que cette belle oeuvre éveillait en moi.
Brahms traite les voix magistralement ; de l'union de leurs timbres avec les timbres
instrumentaux, il tire des effets qui vous secouent de frissons. Mme Schumann-Keink
est, du reste, une incomparable artiste et son air de Vitellia du Titus de Mozart lui
valut un triomphe. Moschelès, dit-on,, pour juger d'un pianiste exigeait de lui une
sonate de Mozart, alors seulement son jugement était définitif. Je suis dans tous les
domaines un peu comme Moschelès c'est pourquoi j'admire si fort Mme Schumann-
Heink.
Je n'ai rien à vous écrire encore des théâtres royaux. L'Opéra, en dehors des
Wagner obligés, n'a guère donné jusqu'ici que les Huguenots, la Dame Blanche^ la
Muette de Portici et Paillasse. J'attends autre chose pour vous en parler.
L'Opéra-Comique est un petit théâtre tout nouveau, bâti en modem style, assez
laid. L'exiguïté du terrain a forcé l'architecte à construire une salle écrasée, mal
commode, plus large que longue. C'est une entreprise particulière indépendante des
théâtres royaux et qui semble prospérer. Les deux pièces qui lui ont conquis la faveur
du public sont : la Bohême de Léoncavallo et les Contes d'Hoffmann d'Offenbach. Je ne
m'explique pas l'enthousiasme qu'excite en Allemagne cet effort plutôt malheureux du
joyeux auteur de la Belle Hélène et de tant de jolies choses. Est-ce, peut-être, par ce
que les Contes d'Hoffmann contiennent de la sensualité (sans métaphysique) ? Le célèbre
chœur du deuxième acte qui fait se pâmer tout Berlin, après que tout Munich s'était
pâmé, est dans le genre d'Amoureuse, de Sourire d'Avril, de Brises du Printemps, etc.,
avec non moins de charme ! L'Opéra-Comique a donné mieux que ça : le Corrégidor
d'Hugo Wolff, dont je m'occuperai plus longuement une autre fois, et, tout dernière-
ment, les Noces de Figaro. Pour parler de Mozart, il faudrait le langage des anges de
Saint-Paul, que je ne connais point. Pour le chanter, hélas, il faudrait aussi les voix
d'anges que n'ont pas absolument les artistes de l'Opéra-Comique ! La première chose
à exiger d'un chef d'orchestre, c'est le respect de la partition qu'il interprète. Sous
prétexte « de rajeunir une œuvre vieillotte » (mieux vaut la laisser dormir) M. Cassirer,
le chef d'orchestre de l'Opéra-Comique, l'a défigurée à plaisir, prenant des mouvements
de fantaisie, entraînant chanteurs et musiciens dans les temps vertigineux au bout
desquels ils arrivent sans soufïle et où ils sont haletants avant d'avoir commencé.
M. Cassirer du moins prouve ainsi qu'il tient ses gens en main, et qu'il en faites que bon
— 292 —
lui semble. L'orchestre est menu, manque d'homogénité, je crois cependant que son
principal défaut provient de la salle où il est forcé de jouer. La mise en scène est exquise.
Le second et le dernier tableau (la chambre de la comtesse et le parc) sont simplement
ravissants. Les chanteurs ? je vous l'ai dit, ils n'ont pas les voix d'anges. En somme,
c'était suffisant, sauf Figaro-Bertram. Celui-là, malgré les bravos frénétiques des
berlinois, est franchement mauvais. Non seulement M, Bertram n'a pas une voix
d'ange mais il n'a pas du tout de voix ce qui ne fait l'affaire ni de Mozart ni de son
héros.
La fin du carême est la saison des oratorios. Un choeur et un orchestre d'amateurs
viennent d'exécuter dans l'Eglise de la Ganison le Patilus de Mendelssohn. Laissez-moi
tout d'abord louer sans réserve cette qualité qu'ont nos voisins de se grouper ainsi en
associations. Berlin, à ce point de vue, est une ville modèle, les sociétés musicales de
toutes sortes fleurissent et la Singacadétnie, dont je vous parlerai prochainement à
propos de Bach, dispose d'éléments incomparables. Ne trouvez-vous pas comme moi
admirables ces petits bourgeois, ces ouvriers, ces demoiselles de magasin ou ces garçons
de bureaux qui, leur travail fini, se réunissent deux ou trois fois par semaine pour
étudier une oeuvre et sans aucune éducation préliminaire, par leur seule ténacité, arri-
vent à mettre debout en un hiver les Passiofis de Bach, les Oratorios de Hœndel ou de
Mendelssohn. Je ne vois vraiment pas le plaisir que peut éprouver une modiste à
chanter un canon de J.-S. ! Il y a là le besoin de sensations collectives qui est au
fond de l'âme allemande soutenu par l'étonnant esprit de discipline, grâce auquel elle
soulèverait le monde !
Patilus est une des oeuvres de la première maturité de Mendelssohn, du Men-
delssohn ardent des délicieuses ouvertures de la Belle Mélusine, de la Grotte de Fin-
gai, du Songe d'une Nuit d'Eté. Toutes ses grandes qualités y sont déjà avec en plus
un emballement juvénile d'un puissant attrait. Dans une lettre à Devrient il en expose
lui-même le plan. « Le sujet, écrit-il, sera l'apôtre Paul. Première partie : la lapidation
d'Etienne et la persécution. Deuxième partie : la conversion. Troisième partie : la vie
chrétienneet l'apostolat jusqu'au martyr ou peut-être seulement jusqu'au départ d'unedes
communautés ». Revu plus tard par les théologiens Baur et Schubineg, le projet resté
le même fut condensé en deux parties. L'œuvre entière est inspirée de J.-S. Bach.
Elle est écrite pour orgue, grand orchestre, chœur mixte, et soli de ténor soprano,
alto et basse. Le récit emprunté presque textuellement aux actes des apôtres passe suc-
cessivement du soprano aux autres voix. La coupe du récitatif, la facture, les chœurs, le
développement, les canons, l'alternance des chorals et des airs, le style général, tout est
selon Bach. Ce qui est bien original par contre c'est d'abord l'orchestre, d'un incompa-
rable richesse, fort, chaud, coloré, sans gros moyens, à travers lequel l'air circule, ja-
mais touffu, jamais énorme, jamais bruyant, toujours musical. Mendelssohn a dans
l'emploi des cuivres des trouvailles d'un effet indicible. Ce qui est bien original encore
ce sont les relations des voix et des instruments et enfin la mélodie, la courbe men-
delssohnienne, dont on rit bien de nos jours, qui est banale et vulgaire, dit-on, parce
qu'elle est carrée, qu'elle s'achève normalement, qu'elle est logique !
Mendelssohn, dans l'histoire de la musique, est le premier des intellectuels. Doué
musicalement comme peu de compositeurs l'ont été, et en cela on peut le comparer à
Mozart, il reçut une éducation très générale ; il fut question un instant d'en faire un
honnête fonctionnaire. Mendelssohn est de plus intellectuel par hérédité. Son grand-
père est le premier des intellectuels allemands, son père est nourri des principes ratio-
nalistes du xviii' siècle français. Lorsqu'il s'agit pour le jeune Félix d'avoir la sanction
d'une autorité ce n'est point à Vienne chez Beethoven, mais à Paris chez Cherubini
qu'on le conduit. Mendelssohn toutefois arrivait au moment où le romantisme avait jeté
tout son éclat, sa tante Dorothée avait épousé l'un des Schlegel, son âme délicate avait
des affinités avec la « Petite fleur bleue ». Mais son romantisme est mitigé par son intel-
lectualisme. Il a étudié la musique à fond, aux sources des grands maîtres, il s'est fait
une théorie de son art, s'est attaché à une tradition. Son intellectualisme a fait de lui
un styliste merveilleux, rompu à toutes les difficultés, connaissant toutes les ressources
— 293 —
de son métier. Sa forme laborieusement ciselée, sert de contrôle autant que d'expression
à son émotion.
II eut en outre l'existence la plus facile, la plus heureuse qui soit. Il ne
connut point les efforts perpétuels, les mille petites vilenies de la vie quotidienne.
Aussi, de toutes ses créatures, se dégage un optimisme souriant. Il est naturellement
noble et bon, d'une bonté douce qui n'a point dû s'aiguiser au contact de la lutte et de la
douleur. Tout cela explique sa mélodie. C'est la phrase élégante d'un grand écrivain qui
pétille d'esprit et qui est un fin ironiste, parfois d'un écrivain toujours si soucieux de
bien faire et si maître de ses moyens qu'il ne réagit jamais directement sous le coup
d'une impression. Son élégance va parfois jusqu'à la préciosité, et comme il est allemand
et romantique, au fond sa préciosité est sentimentale ! De plus, la crainte de ne pas ex-
poser tous les côtés d'une pensée, l'amène à lalre trop long ! Personne cependant depuis
Haendel n'a produit des effets aussi puissants avec des moyens aussi simples.
Le Paulus reste une œuvre d'une superbe architecture et d'une haute inspiration,
une œuvre sincère, saine et bienfaisante.
On ne pouvait guère attendre d'amateurs les finesses d'exécution, les recherches de
détails qu'exigent les compositions d'un artiste aussi minutieux que l'était Mendelssohn.
Nest-ce pas déjà fort beau d'avoir mis cet oratorio sur pied, de l'avoir exécuté d'un bout
à l'autre sans faiblesse ?
Paul de Stqecklin.
LETTRE DE MUNICH
On a fêté Mozart un peu partout à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de
sa naissance ; Munich y a été de son petit festival comme tout centre artistique qui se
respecte.
En vérité j'ai l'impression que dans l'admiration que l'on professe pour Mozart, il
entre une grande part de suggestion et que c'est un nom que l'on encense et non point
un musicien de génie que Von aime. Et j'avais un peu le sentiment que ces têtes en
l'honneur du maître de Salzbourg étaient données bien plus pour « se respecter, soi i),
comme on dit ici, que pour l'intérêt que l'on porte à ses œuvres.
Aujourd'hui, si Mozart n'est pas encore délaissé, il le doit à sa gloire passée, à son
nom que le monde officiel ne peut laisser oublier. Puis il a pour lui, à l'heure présente,
le snobisme qui l'a remis à la mode pour un temps ; mais je doute que le monde musi-
cal goûte son œuvre et l'apprécie autrement que comme une chose archaïque et char-
mante, comme un bibelot Louis XV qui tire sa valeur de son âge plus encore que de sa
beauté.
Il est assez compréhensible qu'il en soit ainsi : l'éducation moderne a fait de nous
des intellectuels plus que des artistes, c'est-à-dire des êtres plus épris d'idées et de
symboles que de sentiments. La musique, notre musique moderne, qui suit l'évolution
de notre mentalité, cherche à s'adapter aux besoins nouveaux de notre esprit ; elle
devient intellectuelle et s'essaie à exprimer des idées, à représenter des symboles. Elle
reflète de moins en moins nos sentiments pour devenir le serviteur de notre esprit et
de notre volonté. Dès lors peut-on s'étonner que ce qui faisait autrefois la musique, le
son en lui-même, l'harmonie, pour la coordination d'effets qu'elle représente, le rythme,
la ligne, pour le mouvement et l'équilibre qu'ils expriment, ne nous intéressent plus
qu'incidemment ! Voilà pourquoi Mozart qui est au plus haut point le représentant de
la musique musicale, si je puis ainsi m'exprimer, ne trouve de vrais admirateurs que
:hez quelques artistes disséminés.
Et cela est si vrai que ceux qui s'attachent « quand même » à Mozart — tel MottI, —
5e croient obligés de le déformer pour lui faire exprimer par force autre chose qu'il
l'exprime. Voyez plutôt : on joue ses symphonies avec un orchestre de 80 exécutants,
)n en allonge les rythmes pour leur donner de la grandeur, on coupe une phrase en
— 294 —
quatre pour lui arracher une idée, on fait gronder sînistrement les basses qui râlent
quand elles devraient soupirer. Alors le public applaudit, il a ce qu'il lui faut, il acclame
l'interprète et trépigne.
— Oh ! ma chère, on ne dirait plus du Mozart tant il y a mis de grandeur.
— Non, Madame, on ne met pas de la grandeur dans Mozart ; Mozart est plus
grand que tout ce que votre interprète y pouvait mettre ; demandez seulement à ce der-
nier de jouer cette musique comme elle est, avec sérieux et respect ainsi qu'il convient
et vous en sentirez la vraie grandeur.
Le Festival Mozart donné par l'académie de Musique était remarquablement com-
posé; il débutait par la Symphonie en mi bémol que Mottl dirigea avec son habituelle
autorité, mais non toutefois sans lourdeur. Suivaient un andantino et allegro pour flûte
et harpe soli, avec accompagnement de grand orchestre ; les solistes, premiers pupitres
de l'oixhestre royal, se montrèrent tout à fait à la hauteur de leur tâche. Mme Bosetti
vint ensuite nous chanter, de sa voix souple et caressante, un air du Curieux indiscret,
« Verrëi speragio oh Dio ». pure merveille de sentiment ému et profond. La Sympho-
nie Jupiter terminait noblement le concert qui s'acheva grandiosement sur le célèbre
final fugué que Mottl n'eut. Dieu merci, pas besoin de faire enfler pour lui faire atteindre
à la plus sublime grandeur.
Le 13 Mars ce fut au tour du (( Mozarteum )) de fêter Mozart. Comme son nom
l'indique, cette association musicale s'est mise sous lepatronnage du maître de Salzbourg ;
cela ne l'empêcha pas de clore la série des quatre concerts qu'elle donne annuellement
sans avoir eu l'idée de faire la plus petite place dans ses programmées à l'œuvre de celui
dont elle se réclame. Elle s'aperçut un beau matin que le monde officiel de la musique
s'apprêtait à commémorer le cent cinquantième anniversaire de Mozart. Ce n'est qu'a-
lors, et avec un mois et demi de retard, qu'elle prit l'initiative d'un petit mouvement en
faveur de son patron. Ce trait n'est-il pas typique et n'ai-je pas un peu raison de pré-
tendre que pour la plupart des gens, Mozart représente surtout un nom, une gloire que
l'on respecte, mais qu'on se garde bien de réveiller.
Il sera beaucoup pardonné au Mozarteum pour nous avoir donné cette messe en
ut que l'on entendit pour la première fois à Munich. Il ne faudrait pas la confondre
avec l'autre messe en ut, bien connue; celle dont il s'agit ici fut composée, sauf erreur,
après coup, pour utiliser, si l'on peut ainsi dire, la musique d'un oratorio David et
Pénitente , qui n'avait pas réussi au gré de l'auteur et qu'il transporta en grande partie
dans sa messe.
La direction de l'œuvre fut confiée à M. Rohr; il y mit toute la conscience et le
soin désirables. Les chœurs furent parfaits et pleins d'enthousiasme; quant aux solistes
nous n'aurions rien à leur reprocher, s'il n'y avait eu parmi eux Madame Rohr. En
somme l'exécudon fut de premier ordre et ce pauvre Mozart, si peu habitué à pareille
aubaine, dut en tressaillir de joie dans sa tombe. Je ne vous dis rien de l'œuvre elle-même
qu'une seule audition ne suffit pas à pénétrer; je note toutefois le Sanctus où le quatuor
vocal est traité magistralement ; il atteint à des accents d'une hauteur et d'une noblesse
rarement plus émouvantes.
Je ne mentionne que pour mémoire la mise à la scène du Roi pasteur. Cette
œuvre, qui ne fut nullement écrite pour le théâtre, est languissante au possible trans-
portée ainsi dans un cadre qui ne lui convient point. C'est l'Orchester Verein qui eut
cette idée géniale : il eut assurément été préférable pour la gloire de Mozart et pour celle
de rOrchestre-Verein de ne point se mettre en frais de costumes et de décors, mais de
mettre un peu plus de soin dans l'interprétation de l'œuvre et un peu plus de discerne-
ment dans le choix des chanteurs.
UOrchestre Kaim, sous la sympathique direction de M. Schneevoigt, vient de nous
donner une nouveauté des plus intéressantes. Je veux parler de la Lustspiel-Ouver-
ture de K. von Kaskel. Je vous ai dit, à propos de son Humoresque, tout le bien que je
pensais de ce compositeur. Cette ouverture est traitée d'une façon un peu plus moderne.
On y suit assez distinctement l'esquisse d'un petit drame. Cela est charmant de tenue,
— 295 —
de forme, d'esprit et écrit avec une virtuosité parfaite. L'orchestration est fluide, colorée,
vive, et d'une facilité étonnante.
Je n'en dirai pas autant des Champs-Elysées de Weingartner, transcription musi-
cale d'un tableau de Bœcklin ; ce n'est ni fluide, ni vif, mais largement construit, forte-
ment architecture et l'on y sent encore l'influence de Wagner.
La soliste du concert était Mme Julia Culp, une remarquable cantatrice. Quand une
artiste possède une pareille méthode et une telle sûreté de moyens on est amené à lui
pardonner l'abus qu'elle en peut faire. Elle chanta d'admirable façon Rêves de Wagner.
Par contre, elle fut beaucoup moins bonne dans Schubert, notamment dans Nacht uni
Tracume ; ces lieds si purs, sortis naturellement du cœur, nés d'une inspiration toute
spontanée, s'accommodent assez mal d'effets vocaux et de recherche de sentiment.
Remercions le Quatuor munichois des beaux programmes qu'il nous présente, plus
encore que de l'exécution des œuvres qu'il nous donne. M. Kilian, qui préside aux desti-
nées de cette petite association d'artistes, a fait preuve des plus belles intentions et des
plus nobles visées en composant ses derniers programmes ; il serait à souhaiter qu'on
mît le même esprit dans l'interprétation des œuvres. Ceci n'est pas un blâme, mais un
regret personnel.
On nous donna à l'avant-dernier concert le Quatuor en sol de Mozart fort bien
exécuté sauf quelques points de détail ; puis le second Sextett de Brahms pour cordes,
dont Y Adagio est d'une grandeur qui rappelle Beethoven. Le malheur est qu'avec
Brahms on n'est jamais sûr de son plaisir. A côté des plus éminentes qualités, qu'il
étale peut-être un peu trop copieusement, il montre parfois un manque de goût qui
déconcerte. 11 existe peu d'œuvres de longue haleine de ce compositeur qui ne se ressente
en quelque endroit de je ne sais quelle influence bohémienne et sauvage. Je ne parle ici
que de sa musique de chambre qui est assurément ce qu'il y a de plus grandiose dans
son œuvre. Ses symphonies, quelques qualités qu'on puisse y trouver, me semblent
irrespirables ; elles sont faites de trop de matière et manquent d'air.
Le concert se termina par cet admirable Odette de Schubert pour cordes et bois
dont l'interprétation fut plutôt inférieure. Pour le concert suivant, le quatuor
Munichois sétait adjoint le Quatuor Bohémien avec pour morceau de résistance
VOctette pour instruments à cordes de Mendelssohn. Rarement Mendelssohn a fait
montre de plus de qualités que dans cette œuvre d'une grâce et d'un enjouement simple-
ment merveilleux. Aussi fut-elle accueillie par de frénétiques applaudissements malgré
une interprétation qui faisait bon marché du style que comporte l'écriture du maître.
Pfit^^ner nous a donné dernièrement dans un concert avec le ténor Kraus, — ténor
tonitruant et médiocre artiste — une série de ses lieder que le public a beaucoup
applaudis. Il nous a fait entendre dans cette même soirée, une Sonate pour violoncelle
d'écriture charmante et facile, mais peu originale, jouée à ravir par Kiefer. Cette œuvre,
il faut le dire, est un péché de jeunesse ; depuis lors Pfitzner a fait du chemin.
Avez-vous entendu chanter le Roi des Aulnes par le D' WuUner ? Je me suis payé
ce divertissement. Ce fut si ridicule et si plat qu'on n'en pouvait que rire !
J'eus le lendemain la compensation d'entendre Mme Mysz-Gmeiner, la parfaite et
charmante cantatrice. Cette admirable artiste chante Schubert comme personne ne
saurait mieux le faire. E. de Stcecklin.
LETTRE DE NEW- YORK
Les salles de concert sont généralement bondées, ce qui n'empêche par les gens du
monde de donner des soirées. Une influente milliardaire fait venir chez elle un des
meilleurs quatuors à cordes de New- York. Surprise des artistes lorsqu'ils s'aperçoi-
vent qu'ils sont convoqués pour un dîner-concert ; néanmoins ils s'exécutent. Surprise
de la maîtresse de la maison lorsque les quartettistes refusent énergiquement d'accéder
à sa demande défaire danser après le dîner. Qui a raison? qui a tort ? Avoir joué
pour stimuler l'appétit des invités, c'est une concession au grand art. De là à jouer un
M:.
— 296 —
scherzo de Mendelssohn pour leur faciliter la digestion il y a si près ! La susdite mil-
liardaire payait : elle avait tous les droits suivant les mœurs de ce pays ; même celui de
ne pouvoir discerner la barbarie de ses prétentions. L'incident défraya toutes les chro-
niques quinze jours durant. Résultat : bonne réclame pour les quartettistes, rien d'édi-
fiant pour la dame aux millions.
Al. Julien Tiersot vient de finir son intéressante tournée de conférences. Mon cœur a
frémi aux chaudes paroles qu'il prononça sur la musique de nos pères. Comme il sut
nous émouvoir assez pour nous convaincre de l'influence de la musique de Jean-Jacques
sur l'évolution musicale du xviii" siècle ! Combien sa voix, si musicalement imparfaite,
nous attendrit lorsqu'il cita nos vieilles bluettes nationales qu'il connaît de façon si do-
cumentée ; à ce chercheur éclairé, à cet artiste convaincu nous devons des remerciements
sincères pour les instants exquis que nous procura son évocation d'une époque où la
puérilité était le défaut contraire et remplaçant l'excessive recherche de jouissances opia-
cées qui constituent l'ivresse des exclusivistes de notre temps.
Eh ! mon Dieu, au risque de passer pour vieille perruque, je l'avoue sans honte :
chez moi aujourd'hui ne peut nuire à hier. U Après-midi d'un faune me trouble délicieu-
sement ; les Impressions d'Italie m'enthousiasment sans restriction ; le Clair de Lune
m'attendrit ; le Quintette de Franck attire mes larmes émues ; mais rien de tout cela ne
m'empêche de trouver un charme rétrospectif à tous ces Lubins et Golettes, et « que le
jour me dure » me procure une sensation qui, — pour ne ressembler en rien à celles
que me font éprouver C. Franck, Fauré, Charpentier, Debussy et tant d'autres, — n'en
est pas moins délicieuse. Je suis bon public ; soyez comme moi, car je m'ennuie bien
moins souvent que d'autres dans une salle de concert !
Hélas ! il me faut bien vite quitter tous ces noms bien français dont l'évocation
musicale est si douce à mon cœur ; car tout ce qui se joue ici semble s'éloigner de notre
Ecole avec un parti-pris déconcertant. Je le regrette plus pour les Américains que pour
notre musique. La consécration américaine n'ajouterait vraisemblablement rien à sa
gloire, mais les yankees s'affirmei'aient avantageusement à apprécier un peu plus notre
Art qu'ils semblent vouloir ignorer systématiquement. On entend trop souvent de la
grosse tmisique avec la conviction d'en entendre de la grande.
Aussi combien serait-il utile de voir débarquer sur cette terre quelques artistes
propagandistes ! M. Vincent d'Indy a déjà fait une tentative dont le genre spécial n'a
pas suffi. Qui viendra présenter nos compositeurs nationaux ? L'un d'eux m'écrivait
dernièrement : « De Rameau à Magnard, il y a de la marge ! )) Que ne vient-il ici, l'ai-
mable signataire de cette lettre, — avec des valises pleines de partitions de ses collè-
gues et de lui-même !
Une occasion exceptionnelle se présente justement pour un pionnier musical. Une
des plus belles situations artistiques et pécuniaires est en ce moment-ci à prendre. M.
Wilhelm Gericke quitte la direction de la Boston Symphony après sept années de succès
et de travaux hautement artistiques.
Cet orchestre est réputé à juste titre comme le meilleur des Etats-Unis et peut, sans
conteste, rivaliser avec les orchestres européens les mieux cotés. C'est assez dire que la
musique que l'on y fait garantit au successeur de M. Gerike une existence éminemment
artistique et dépourvue de toute idée de business que l'on craint toujours sous-entendue
lorsqu'il s'agit d'Art en Amérique. L'Administration s'est souvent adressée aux artistes
de Paris, surtout pour le recrutement des instruments à vent ; mais je crains que, cette
fois, elle se laisse influencer par un grand nom des virtuoses de la baguette sans se
souvenir que Paris renferme de nombreux musiciens accomplis qui seraient d'excellents
chefs d'orchestre s'ils avaient l'occasion de conduire quelquefois. Car il faut se rendre
compte pourquoi l'Allemagne produit tant de cappelmeisters. Chaque cité germanique
a son orchestre permanent. 11 faut donc dans chaque ville un directeur également per-
manent d'où le grand nombre de cappelmeisters expérimentés et dont un grand nombre
a atteint une réputation de... violoniste-virtuose.
En France sept ou huit grands orchestres luttent chaque année contre les difficul-
tés matérielles qui leur interdisent la vie sans inquiétude. De Lille à Marseille l'entre-
— 297 •—
prise de concerts symphoniques est considérée comme une affaire douteuse et plus ou
moins éphémère. Dans ces conditions les excellents musiciens cités plus haut n'ont
aucun moyen de faire connaître les qualités qu'ils peuvent tenir en réserve dans l'art
de conduire. Donc, notre pays n'est pas productif en chefs d'orchestre. Morale pour
ceux qui s'en sentent capables : recherchez au dehors l'instrument si, rare chez vous
et vous le trouverez.
A New-York une société Symphonique russe (The Russian Symphony) donne des
concerts de musique exclusivement russe. Cette organisation est intéressante et le pu-
blic s'y rend en grand nombre. Aux dernières séances : entendu M. Joseph Lhévinne,
pianiste tout à fait remarquable qui sait joindre à une technique effroyablement impec-
cable une musicalité justement satisfaisante.
A signaler aussi M.Alexander Saslavsky, violoniste consciencieux, véritable artiste
qui nous fit connaître un très intéressant concerto de M. Minarsky, le sympathique
directeur de la Philharmonique de Varsovie.
Le succès de M. Sigismond Stojowsky est définitif maintenant. Espérons, qu'après
avoir acquis la meilleure place parmi les pianistes établis en Amérique, M. Stojowsky
se fera connaître l'an prochain comme compositeur ainsi qu'il était justement apprécié
en Europe.
Marteau est un grand violoniste et la Fantaisie de Schumann, si peu jouée par ses
confrères est pour lui l'occasion de montrer la probité de son art et la conscience de son
tempérament musical.
Barrère, autre Français, n'a pas perdu son temps pour former une Société d'his-
frMwenfs à venf semblable à celle qu'il organisa à Paris il y a dix ans. La nouvelle
phalange a déjà obtenu un grand succès en faisant applaudir entre Beethoven et
Schubert des pièces qu'il fit déjà interpréter à Paris de Gabriel Pierné et André
Caplet.
J'ai eu l'occasion d'entendre deux fragments malheureusement trop courts de
l'œuvre d'un musicien réputé comme le meilleur compositeur américain M. E.-A. Mac-
Dowell. Ces extraits d'une suite symphonique La CAansonrfe jRo/ancf dénotent un musi-
cien sinon innovateur du moins très au courant du mouvement musical européen. La
deuxième pièce surtout : la Belle Aida est bien venue et l'adresse d'écriture y aide un
sentiment que l'on reconnaît sincère.
Je ne puis compter M. Ch. LœfFer parmi les Américains. Je vous ai déjà parlé de
ce musicien alsacien, qui est venu se fixer à Boston après avoir terminé ses études à
Berlin et à Paris, La Musical Art Society, dirigée par M. Frank Damrosch, nous fit
entendre un intéressant psaume de M. Lœftler : « Par les rivières de Babylone » pour
chœurs de voix femmes avec un curieux accompagnement de deux flûtes, violoncelle,
harpe et orgue. L'effet de cet agencement vocal et instrumental est délicieux ; la musi-
que par elle-même est on ne peut mieux archaïque. C'est un nouveau succès pour
l'auteur. Au même concert un admirable hymne à i6 voix de Richard Strauss « Jakob,
dein verlorner Sohn », produit également une profonde et saisissante impression.
Parmi les séances de musique de chambre, je citerai les concerts du célèbre Quatuor
lùieisel, et des quatuors Léo Schulz, Marum ; ainsi que M, et Mme David Mannes qui
se consacrèrent à l'histoire de la Sonate piano et violon. Seule la maîtrise de ces deux
artistes leur permit de retracer avec un soin parfait les grandes étapes de la musique
de Tartini à César Franck. De tels efforts artistiques sont loin des acrobaties des
virtuoses aux noms ronflants et il n'est que justice de féliciter les vrais musiciens qui
mettent leur talent à la disposition d'une aussi noble cause.
Lamet-Ladhuve.
— 298 —
ÂÎMOERS. — Deuxième concert extraordinaire. — Dixième concert populaire. — ■
M. Alfred Cortot revint le 18 mars cueillir, à Angers, les lauriers auxquels il est
accoutumé. Il a joué de la façon la plus essentiellement artistique et le cœur le
plus fervent la Symphonie pour piano et orchestre de V. d'Indy. Il est regrettable que
le public angevin n'ait pas assez compris la grandeur sobre et la science profonde de
cette œuvre admirablement, impeccablement rendue par M. Cortot était réservé toutes
ses manifestations enthousiastes, pour le moment où celui-ci a joué la Fantaisie Hon-
groise de Liszt. Car s'il est vrai que le grand pianiste tant aimé à Angers a déployé le
long de cette Fantaisie Hongroise des ressources brillantes de mécanisme et des trou-
vailles innombrables d'éloquentes sonorités, il n'en est pas moins vrai qu'il est dû à la
Symphonie de V. d'Indy, ce tribut d'admiration qui indique à la fois l'éternité d'une
œuvre et l'intelligence d'un public. M. Cortot, bruyamment rappelé après la Fantaisie
Hongroise a joué avec une grâce et une virtuosité accomplies et délicieuses le Coucou
deDaquin ; grâce à lui, grâce aussi à la belle voix, à l'autorité, à la méthode sûre de la
belle cantatrice qu'est Mme Auguez de Montalant, le deuxième concert extraordinaire
fut une heureuse solennité musicale. M. A. Bertelin, le compositeur subtil et délicat fit
jouer à cette même séance son Choral pour orchestre dont le public a suffisamment
perçu les habiletés de facture et la pureté de pensée. Le concert débutait par VOuver-
ture de Tannhauser magistralement exécutée et dirigée et se terminait par VOuverture
de Genoveva de Schumann.
Le lundi soir 19 mars, M. Alfred Cortot embellissait et enchantait la sixième séance
de musique de chambre par son interprétation passionnément belle du Quintette de
Brahms. Il était bien secondé par le quatuor MM. Mambriny, Chapelier, Bailly et Bec-
ker qui ont également joué le Quintette de Mozart pour cordes et clarinette où M. Fichet
qui tenait la partie de clarinette s'est montré un artiste éclairé et consciencieux.
*
f *
Mme Ida Ekman et M. Lazare Lévyont donné le 26 mars un concert fort réussi.
M. Lévy s'est montré prodigieux virtuose et musicien parfait dans la Sonate en ut ma-
jeur pour piano et violon de Mozart exécutée avec M. Bailly, dans une Sonate de Bee-
thoven et plusieurs morceaux de Schubert, Liszt et Chopin. Mme Ekman est toujours
l'exquise et sentimentale chanteuse de lieder dont la renommée parle par ses cent bou-
ches. Elle détaille les mélodies avec un art consommé et tient longuement sous le charme
de sa jolie voix émue, tendre et facile.
Le dernier concert populaire fut un des meilleurs de la saison. UOuverture de Be-
Venuto Cellini y fut exécutée avec une fougue et une chaleur tout exceptionnelles.
Dans cette œuvre imprégnée de musicalité fervente, dans la Deuxième Symphonie
de Beethoven, V Apprenti Sorcier de Dukas, le Concerto de Bach pour flûte, hautbois,
violon et trompette avec accompagnement d'orchestre et dans VOuverture de la Fiancée
vendue de Smetana, l'orchestre s'est surpassé lui-même. M. Ed. Brahy, pour faire
regretter encore plus son départ, signe fatal des lourds silences de l'été, l'a conduit plu-
sieurs fois jusqu'à la perfection. M. Maurice Dambois, un très jeune violoncelliste que
Berlin vient de consacrer, apportait aux auditeurs de cette ultime séance l'enchantement
de son talent délicieusement jeune et musical et tout frissonnant d'ardeur sentimentale.
Il a joué les Variations symphoniques de Boellmann, l'adorable Elégie de Fauré, le
Rêve d'enfant de Schumann, avec une douceur, une maîtrise et un choix délicat de so-
norités rares et quintessencîées qui permettent de lui prédire une brillante, une victo-
rieuse carrière. Son succès a été des plus vifs.
*
La septième et dernière séance de musique de chambre a eu lieuMevant un public
trop restreint. M. Contran Arcouët cependant avait bien voulu inscrire son nom au pro-
gramme.Il a joué un Prélude de Bach avec la netteté et l'élégance qui le caractérisent et
tenu triomphalement la partie de piano du Septuor de Saint-Saëns fort bien rendu pa r
le quatuor coutumier que renforçaient M.^Evrariet M. Kregersmann pour les parties de
— 299 —
trompette et de contrebasse. Le concert fut des plus satisfaisants ; il débutait par une
bonne exécution du premier quatuor de Beethoven.
EvA.
MONTPELLIER. — Notre théâtre, après avoir enregistré un échec avec les Hé-
rétiques^ a représenté la Fédora de Giordano. Cette partition, écrite sur un
libretto qui réduit en un mélo rapide, véhémente le drame de Sardou, fait dé-
couvrir, par plusieurs pages, le musicien véreste, l'adroit coloriste, l'ingénieux polypho-
niste que sera l'écrivain de Siberia.
Elle a été pour Mme Simone d'Arnaud, mais hélas ! pour elle seule, l'occasion d'un
brillant succès. Notre distinguée diva a chanté le rôle de Fédora en tragédienne lyrique,
avec des dons remarquables de vigueur et de pathétique. Cette nouvelle création ho-
nore grandement l'artiste à qui nous devons de bonnes interprétations de Louise de la
Troupe Jolicceur et de Thaïs.
— Le dernier succès de la Schola fondée dans notre ville par M. Charles Bordes a
été l'exécution, à la Cathédrale, de VActus tragicus, La cantate de Bach a eu pour prin-
cipale interprète Mlle Marguerite Delcourt, dont le contralto ample et sonore a mis en
relief l'œuvre du grand Cantor.
— Signalons enfin une brillante représentation de Carmen donnée sur notre scène
avec le concours de Mme Maria Gay,
Raoul Davrat.
MONTE-CARLO. — Reprise de Don Carlos, opéra de Verdi, d'après la tragédie
de Schiller.
Sous le haut patronage de S. A. S. le prince de Monaco, l'Opéra de Monte-
Carlo s'affirme davantage, chaque année, comme une grande scène de décentralisation
où naissent, pour une vie durable à travers le monde entier, les œuvres nouvelles des
compositeurs, Illustres ou débutants, de tous pays, et où d'autres œuvres, oubliées ou
négligées, retrouvent un regain de vie grâce à l'éclat de leur restitution.
M. Raoul Gunsbourg a très habilement profité de la date du centenaire de Schiller
pour monter le magnifique opéra de Verdi, Don Carlos, créé sans succès à l'Académie
Impériale de Musique, en 1867, ^t Qui, bafoué par tous les critiques qu'épouvantait déjà
l'essor de Wagner, ne trouva grâce pas même aux 5'^eux du plus artiste des juges d'alors
le grand poète Théophile Gautier : l'auteur des Emaux et Camées qui avait tant bataillé
le soir d'Hernani, pour l'affranchissement du théâtre, fut sans pitié pour cet opéra qui
osait se libérer des « airs proprement dits » : Théophile Gautier (c'était en 1867) justi-
fiait ainsi son dédain pour Don Carlos : (( L'opéra ne forme qu'une seule trame, et exigé
« une attention soutenue de la part de l'auditeur, qui ne trouve dans cette vaste parti-
« tlon ni récitatif pour reposer son oreille, ni ritournelle préparatoire pour l'avertir du
« moment où II faut écouter... » Les blâmes d'antan sont devenus les meilleurs éloges,
Et c'est justement parce que la musique de Don Carlos ne forme qu'une trame, sans
airs proprement dits, sans ritournelle qui avertisse T'oreille que l'instant d'écouter est
venu, c'est justement parce que cette musique serre le drame, définit les personnages,
sincèrement, sobrement, qu'aujourd'hui la reprise de Don Carlos s'imposait : Verdi,
s'il agenouilla l'univers aux pieds de son Trouvère, fut, en même temps qu'une grande
flamme, une igrande lumière : à sa propre clarté, il sut éclairer le passé et l'avenir.
Toute son œuvre, une des plus glorieuses qui soient, ne fut qu'une ascension vers l'idéal
de Beauté que, jour par jour, sa géniale Intelligence percevait déplus en plus radieuse-
ment. Parce qu'il vécut longtemps et parce qu'il fut, jusqu'au dernier jour, le laborieux
et Infatigable artisan, ses œuvres de vieillesse, plus volontaires et moins spontanées,
n'ont pas la prlmesautière et adorable inspiration de ses balbutiements géniaux. Don
Carlos est une œuvre de maturité. Verdi, alors plein de force, sachant réaliser ce qu'il
rêvait, exécuter ce qu'il voulait, écrivit un drame musical, dont le seul défaut est d'être
venu trop tôt. D'une magnifique puissance d'expression, d'un admirable mouvement
dramatique, d'une grande richesse d'idéçe mélodiquçs (un mwki^n moderne y trouve-
— 300 —
rait des thèmes pour toute sa vie), d'une absolue netteté d'accent, d'une incomparable
maîtrise d'orchestration où les sonorités ne couvrent jamais les voix et où pourtant les
dessins polyphoniques soulignent et commentent les phrases chantées, les simples
gestes, avec une précision et une sobriété qu'on voudrait trouver en mainte partition
tumultueuse et désordonnée de nos actuels symphonistes de théâtre, — la partition de
Don Carlos, variée, vivante, profondément dramatique, reste purement italienne.
Le Verdi de Don Carlos, c'est l'immortel Verdi, avec une force, une véhémence
qu'il n'a jamais dépassées, — sans doute parce qu'il n'eut jamais un poème aussi tragique,
aussi humain, aussi poétique, aussi beau que celui que Joseph Méry et Camille du Locle
tirèrent, le plus fidèlement, du chef-d'œuvre de Schiller.
Le succès fut immense, triomphal. Si le public de jadis ne voulut ou ne put com-
prendre Z)»« Car /os, celui d'aujourd'hui peut s'étonner qu'un tel chef-d'œuvre soit
resté si longtemps méconnu.
L'interprétation est ce qu'elle devait être, admirable : Mlle Géraldine Farrar, dans
le rôle d'Elisabeth de Valois, fit admirer sa voix pure et magnifique et son merveilleux
talent dramatique ; très différente d'elle-même en chacune de ses nouvelles créations,
elle est toujours une admirable héroïne lyrique, et une très belle et très grande artiste.
Le ténor italien, M. de Marchi, a remarquablement chanté, de sa belle voix timbrée, le
rôle de Don Carlos. M. Renaud, dans le rôle du marquis Rodrigue de Posa, fut chan-
teur parfait et comédien sans égal, d'un charme, d'une noblesse, d'une véhémence qui
lui valurent les acclamations enthousiastes qu'il mérite à chacune de ses admirables
créations. Le célèbre artiste russe, M. Chaliapine, qui jouait le rôle de Philippe II, y
fut émouvant et terrible : il a fait revivre ce sombre personnage avec une puissance ex-
traordinaire. M. Bouvet, sous les traits du grand inquisiteur, fit une profonde impres-
sion ! Vieillard fatal, impérieux, parfois cauteleux, toujours cruel, il s'est dressé contre
Philippe II, dans la grande et magnifique scène du troisième acte, avec une grandeur
superbe. Mme Parsi Portinella, cantatrice renommée en Italie, fit applaudir sa voix
splendide de mezzo dans le joli rôle de la Princesse Eboli.
Les chœurs, d'une rare perfection musicale, ont joué avec une animation du plus
curieux effet.
Et l'orchestre, sous la nerveuse et précise direction du maestro Brunetto, a brillam-
ment concouru au succès de cette belle soirée qui ajoute, à la gloireimmortellede Verdi,
la retentissante revanche d'un chef-d'œuvre méconnu, V.
Les Concerts classiqiies. — La musique wagnérienne a toutes les préférences de
Jehin : il y parut bien aux magnifiques exécutions de la Marche funèbre de la Gœtter-
daemmerung et du prélude de Lohengrin qui nous furent donnés le mois dernier.
L'orchestre déploya également une admirable virtuosité dans l'interprétation de VIlu-
moreske de K. de Kaskel, où les bois, tout particulièrement, firent preuve d'une belle
vaillance. Cette œuvre, que je préfère à la Lusfspielouvertiire, du même compositeur,
est solidement construite sur deux thèmes d'allure essentiellement rythmiques, et dont
les développements sont traités avec infiniment d'originalités, d'imprévu et d'esprit. Je
ne reviendrai pas sur les qualités de l'orchestration, sur l'habileté du compositeur dans
l'emploi des timbres : je les ai déjà signalées récemment à propos d'une autre de ses
œuvres. — Comme nouveautés, nous eûmes aussi une séance d'œuvres de Georges
Hue (fragments de Titania, de Rubezahl, chantés par Mme Chassang, Romance pour
violon, jouée par M. Corsanego).
Les violonistes ont succédé aux pianistes : Jacques Thibaud joua avec beaucoup de
charme et virtuosité le Concerto de Mozart en mi bétnol et Ballade et Polonaise de
Vieuxtemps (!) ; le jeune Mischa Elman enthousiasma le public par sa technique mer-
veilleuse et aussi par ses réelles qualités de musicien ; car ce gamin est toute autre
chose qu'un a petit prodige » : c'est un véritable artiste. Dieu veuille qu'on ne le gâte
pas !...
Une jeune pianiste, Mlle Sansoni, remporta ayssi un beau triomphe en interprétant
— 301 —
avec aisance et de façon intelligente et très musicale un Concerto de Mozart et le Con-
certo de Grieg.
Signalons enfin le grand succès de M. Hugo Becker, le célèbre violoniste de Frank-
fort (Concerts de Saint-Saëns). A...
iT AN TES» — L'association des Concerts Historiques a donné son deuxième concert
\ le 2 mars dernier, avec le succès considérable que faisait présager le magnifique
.. » résultat artistique obtenu dès le début par la jeune Société et son vaillant chef.
Vaillant n'est pas ici qualificatif banal, car, atteint dès son arrivée par la grippe, M. de
Lacerda ne trouva que dans sa rare énergie et un dévouement allant jusqu'à l'impru-
dence, la force de mener jusqu'au bout les études et l'exécution des œuvres nombreuses
— quelques-unes fort difficiles — inscrites au programme. La volonté, ici, triompha de
la maladie, mais elle ne put hélas ! rendre la voix à une chanteuse aphone, et Mme
Caldaguès, atteinte elle aussi, dut renoncer à chanter les admirables Cloches du Soir de
Franck et laisser aux seuls chœurs le soin de déplorer le triste sort de la Fille de Jephté.
Ils le firent d'ailleurs avec une désolation si sincère, si émouvante, que tout près de
nous, des yeux se mouillèrent !
C'est qu'aussi, quand après l'expressif et touchant « Plorate filia Israël,.. » éclate
et se propage, comme des sanglots, aux six parties du chœur, dans le réalisme d'un
désordre apparent, le « Lamentamini )) final, telle est l'intensité atteinte ici spontané-
ment par Carissimi dans l'expression de la douleur, que ce chœur final, même isolé de
la pathétique « déploration )) de « Filia » qui en est la justification et l'admirable prépa-
ration dramatique et musicale, provoque encore une irrésistible émotion. Les chœurs
ont aussi chanté avec une simplicité naïve très appropriée, la charmante chanson à
quatre voix — a capella — Mignonne, de Costeley, et par un contraste très significatif
de leur souplesse, ils mirent dans les Bohémiens de Schumann — et l'orchestre avec
eux — toute la couleur et la fantaisie qui conviennent à ce pittoresque petit tableau de
la vie nomade. Leur tâche la plus ardue — dévolue, celle-ci, au seul chœur des femmes
— était l'interprétation du Chant funèbre de Chausson, magnifique supplication à la
nuit et aux tombeaux de s'associer à la douleur humaine, sur un texte de Shakespeare
tiré de « Beaucoup de bruit pour rien !»
Par une excellente orchestration de l'accompagnement — que Chausson n'écrivit
que pour piano — M. de Lacerda a enrichi de saisissantes sonorités les nobles et poi-
gnantes mélodies de cette page admirable qui, rendue avec une rare vérité expressive
par l'orchestre et le chœur, a vivement impressionné l'auditoire.
L'orchestre se distingua seul en de nombreuses pièces, toutes très intéressantes par
leur choix judicieusement caractéristique. Ce fut d'abord l'ouverture d'Armidc, aux
grâces un peu fanées — mais non sans charme encore — de J.-B. Lully. Puis six «airs
de danse » allant de Lalande à Gluck — un siècle de musique — et résumant avec
bonheur les caractères essentiels de la musique instrumentale de cette époque : « Air
vif» de Lalande ; « Air grave » de Haendel ; « deux menuets » de Rameau ; « Air et
musette » et « Passepied » de J.-M. Leclair ; « Chacone » de Gluck.
Puis l'immortelle — parce que de fière beauté tragique et génialement initiatrice —
ouverture d'Alceste, dont les riches et puissantes combinaisons instrumentales oifrirent
à l'orchestre l'occasion d'affirmer sa vaillance. Puis enfin, Deux danses (n" 5 et 6) de
Brahms, que d'obsédants orchestres de tziganes douteux n'ont pas réussi à découronner
de la verve populaire de leurs thèmes et de leurs rythmes.
Le très bon musicien J.-J. Nin, qui joue si bien du piano — et dont un accueil plus
que sympathique salua le retour — déploya toutes ses qualités de mécanisme et de style
dans un Rondeau et une Allemande de Couperin, un « Capricio » de Scarlatti et le
Concerto en la majeur pour piano et orchestre à cordes de J.-Ch. Bach, le dernier des
onze fils de Jean Sébastien par la naissance et le troisième par le talent.
Il faut reconnaître, à ce concerto, outre son très grand intérêt historique, comme
œuvre initiale de la grande évolution de cette forme musicale, une saine ordonnance,
— ^02 —
des thèmes, une joyeuse clarté d'inspiration, un air de jeunesse simple et naïve évo-
quant Mozart — avant sa naissance — qui justifient la grande vogue dont il jouit à
son apparition et le vif plaisir qu'on prend encore à l'écouter. Nin et l'orchestre y furent
parfaits.
Après un tel succès, personne à Nantes ne peut plus mettre en doute la vitalité de
l'œuvre entreprise par M. de Lacerda. Nous lui promettons pour l'automne prochain
un accueil triomphal mais pourquoi n'aurions-nous pas d'ici là un troisième
concert. S...
NANCY. — Au neuvième concert de l'abonnement, le principal numéro était le
Requiem de Fauré. Je n'ajouterai rien à l'appréciation si juste qu'en a donnée ici-
même Jean d'Udine. Je me bornerai à exprimer le plaisir délicat et profond que j'ai
ressenti à l'audition de cette œuvre d'une inspiration si haute, d'une facture si élégante
et si noble. La partie qui m'a le plus vivement impressionné est le Pie Jesu, chanté par
le soprano ; on dirait la supplication confiante et tendre d'un petit enfant implorant son
père, et rien n'est plus touchant que les réponses « balbutiantes » de l'orchestre aux
« dona eis requiem )) du soprano. Quant aux mâles beautés du Libéra, elles constituent
la plus indiscutable des répliques à ceux qui prétendent que le talent de Fauré est fait
uniquement de grâce et de charme subtil.
Ce charme, nous l'avons retrouvé, avec toute sa délicatesse, dans deux mélodies,
que Mlle Winsbach a chantées avec un goût parfait : un Lamento, exquis de douceur
triste et les célèbres Roses d'Ispahan, évoquant un Orient pâmé dans les parfums trop
violents.
Le programme comprenait, en outre, la Troisième Ouverture de Léonore, la plus
belle et la plus complète à mon gré ; le Prélude à l'Après-midi d'un Faune, que l'or-
chestre, très assoupli, joua avec la fantaisie nuancée qui convient à cette œuvre. Par
contre, le Concerto en sol majeur, de J,-S. Bach, pour instruments à archets, aurait
gagné à être exécuté avec moins de rudesse et plus de netteté. La mélancolie du Chant
d'Automne, de M. Guy Ropartz, tout en teintes grises, a été savamment rendue par
l'excellent bacyton Daraux.
Le dixième concert débutait par VOuverture de Fidelio, la quatrième de celles que
Beethoven composa pour son opéra de Fidelio. Ensuite, la Symphonie en ut majeur de
Schubert déroula « ses célestes longueurs », comme a dit Schumann. Je l'ai trouvée, je
dois dire, beaucoup plus longue que céleste. Ah ! ces répétitions indéfinies de la même
phrase, sans la moindre modification de coupe ou de ton, comme elles paraissent démo-
dées à vos oreilles accoutumées aux ingénieuses transformations d'un thème !
Sauge fleurie, de M, Vincent d'Indy, colorée, mouvementée, ciselée comme un pré-
cieux objet d'art, faisait un contraste curieux avec la symphonie de Schubert. Quel che-
min parcouru entre les dates de ces deux œuvres 1828, 1885 ! Pour finir, VOuverture du
Tannhaeuser, qui fut jouée avec une sûreté, un éclat, dignes des plus fameux or-
chestres.
Le i" avril, le Faust de Schumann clôturait la série des concerts de l'abonnement.
MM. Daraux, Clamer, Warmbrodt, Mlles Winsbach et Croiza avaient apporté leur
concours. L'orchestre et les chœurs se surpassèrent. L'exécution fut parfaite en tous
points.
Il est intéressant de comparer cette conception mystique du chef-d'œuvre de Gœthe
avec les diverses interprétations qu'en ont données d'autres compositeurs.
Nous ne saurions mieux faire que citer, à ce propos, les paroles de M. Charles
Malherbe : « Gounod a volontairement écarté de son opéra tout symbole, et diminué ses
« personnages pour les adapter au cadre d'un théâtre parisien ; Faust n'est plus qu'un
« vieillard signant un pacte avec le diable pour recouvrer la jeunesse et connaître
« l'amour dont une jeune fille sera la victime innocente. Berlioz, en damnant Faust, a
(( changé l'esprit général du poème, et son romantisme pittoresque s'est plu à mettre
« en lumière les côtés extérieurs de l'action à décrire plus qu'à méditer, à semer un
« peu au hasard des chçeurs de paysans, de buveurs et de soldats, des danses de syl-
— 3^3 --
(( phes, une course à l'abîme, une seène infernale et même une marche de Racokzî
« simplement, avoue-t-il avec « ingénuité », parce qu'il avait envie de faire entendre.
« un morceau de musique instrumentale dont le thème est hongrois ».
(( Liszt a mieux compris la façon profonde et subtile du poète; mais la forme
a adoptée par lui limitait son effort privé de secours, des paroles, il pouvait traduire
« l'esprit de l'œuvre et non la lettre ».
(( Schumann a poussé plus loin; sa nature mystique s'est sentie attirée vers
<( cette partie plus obscure, plus étrange, plus subjective en somme, du poème de
« Gœthe, qu'on appelle le second Faust, et il en est résulté cet ext:raordinaire chef-
ce d'œuvre, qui, planant bien au-dessus des réalités terrestres, nous fait pénétrer dans
(( un monde surnaturel. »
De même que, dans les feux d'artifices, on réserve la pièce la plus étincelante, la
plus prestigieuse, pour la fin ; de même, M. Ropartz termine d'habitude la série des
concerts par l'exécution d'une œuvre capitale. Comme les années précédentes, le
« bouquet » a été on ne peut plus réussi. X.
NICE* — Manon Lescaut de Puccini. — La Manon de Puccini vient d'être repré-
sentée au Casino municipal. Le livret de cette œuvre diffère assez sensiblement de
celui que Meilhac et Gilles ont tiré du roman de l'abbé Prévost, notamment au der-
nier acte. Puccini a fait ressortir surtout le côté pathétique de Manon et a donné plus
d'importance au personnage de Desgrieux que ne l'a fait Massenet.
La partition, antérieure de plusieurs années à la Bohême et à la Tosca laisse pres-
sentir ces œuvres et les égale même par instants; c'est du Puccini avec toutes ses qualités
mélodiques, et aussi quelques-uns de ses défauts. Il nous a été difficile d'apprécier con-
venablement cette œuvre, jusqu'alors méconnue en France, car l'interprétation en a été
assez médiocre. Mme Wyns n'est pas à son aise dans le rôle de Manon; le ténor Cons-
tantino a de la voix, mais il n'a pas le physique du rôle, qu'en outre il chante en un
charabia qu'il prétend être du français ; les autres rôles, Lescaut, le marquis, sont con-
fiés à des utilités de troisième ordre. Par là dessus, l'orchestre manqua de souplesse et
de cohésion.
Puccini qui assistait à la première paraissait fort mécontent, et il y avait de quoi.
On sait que l'éditeur Heugel, irrité de voir surgir en France une Manon rivale qu'il
craignait de voir concurrencer celle de Massenet, avait pris le parti de retirer à la ville
de Nice le répertoire de Massenet. Les deux œuvres étant complètement dissemblables,
il serait curieux, au contraire, de voir la Manon Lescaut de Puccini montée à l'Opéra-
Comique. Elle ne saurait en aucune façon nuire à celle de Massenet, et réciproquement.
ROlJEi\. — La grande séance de Musique française, donnée le 7 avril à Rouen
par M. Ed. Colonne a été un triomphe pour l'éminent artiste et son incompara-
ble orchestre.
Que dire, qui n'ait été déjà à maintes fois exprimé, sur l'impeccable virtuosité de
l'exécution ; — d'une part, soirée merveilleuse du détail, grâce auquel rien n'échappe
ni passe inaperçu, des « broderies » les plus fines ou des ornements les plus délicats, —
et de l'autre, ampleur et richesse des ensembles.
Et l'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer : de l'autorité calme et discrète du chef
ou de l'intelligente et passionnée discipline de ses musiciens.
Le programme du festival, comportait — avec l'intermède symphonique de Ré-'
demption, la pure et belle œuvre de César Franck, avec de chaudes et vibrantes (( Im-
pressions d'Italie » de G. Charpentier, le Rouet d'omphale, cette pittoresque inspiration
de Saint-Saëns, et une œuvre de Claude Debussy, ï Après-midi d'un Faune, infiniment
délicate et séduisante.
La Rapsodie Norvégienne d'Edi Lalo, dont le succès bientôt trentenaire ne s'est
— 504 — ^
jamais démenti, a été cette fois encore accueillie avec enthousiasme ; elle complétait la
première partie de ce beau programme.
Et la soirée se terminait magnifiquement par une idéale exécution de la Symphonie
antastt'que de Berlioz.
Ce n'est point aux lecteurs du Courrier Musical qu'il est besoin d'expliquer ce que
sont ces oeuvres si variés d'inspiration et de style.
Mais on nous permettra de redire qu'à celles-ci on ne saurait trouver ailleurs d'in-
terprètes plus admirablement doués et sincèrement habiles, plus éloquents et plus
fidèles que M. Colonne et son orchestre.
H. P.
TOULOUSE. — On peut dire — sans la plus petite exagération — que la Société
des Concerts du Conservatoire poursuit vraiment une marche triomphante. Voici
que dans la quatrième audition, elle nous a donné intégralement Roméo et Ju-
liette de Berlioz avec une exécution non seulement irréprochable, tant sous le rapport
choral que sous le rapport orchestral, mais encore l'œuvre berlizionienne était stylée et
nuancée; l'équilibre vocal était en parfaite concordance avec l'armée symphonique et les
solistes furent tous à la hauteur de leur mission. C'étaient : tout d'abord M. Paul
Daraux qui interprétait la partie de Père Laurence avec cette large déclamation et ce
haut style depuis si longtemps connus ; puis Mme Cora Rival, contralto du théâtre du
Capitole et M. Rouzièry, du même théâtre. Le succès de cette soirée fut si grand, si
complet et si enthousiaste, qu'une seconde audition dût être donnée. Cette seconde au-
dition eut lieu quelques jours après, au profit des victimes de Courrières et l'accueil
fait à ce chef-d'œuvre fut aussi chaud. Dans la seconde partie du concert se trouvaient :
l'ouverture à' Egmont de Beethoven et une sélection sur les Maîtres Chanteurs de
Wagner. Cette dernière interprétation, par M. Crocet Spinelli, valut au distingué direc-
teur de la Société du Conservatoire, une ovation des plus flatteuses et des plus sympa-
thiques. Je ne crois pas que le virtuosisme ait jamais, autant que cette année, battu son
plein dans notre ville. Hier, dans la salle des fêtes du Conservatoire, Mme Roger-ÎVliclos
et M. HoUmann faisaient accourir un élégant et nombreux public de dilettantes, attirés
d'abord par la réputation des deux virtuoses, ensuite par l'heureuse composition du pro-
gramme : la Sonate en ut mineur de Saint-Saëns, pour piano et violoncelle, et la Sonate
en sol mineur d'Haendel, furent traduites par ces deux artistes avec une rare perfection ;
aplomb, rythmique, style adéquat, tout concourait à une exécution hors ligne.
Dans le Carnaval de Schumann, dans diverses pièces de Chopin, de Mendelssohnn
et dans V Ariette variée d'Haydn, Mlle Roger -A\iclos nous montra à nouveau la maîtrise
de son talent, la souplesse de son mécanisme, sa sobriété dans le jeu des pédales et son
stvle expressif. De son côté, M. HoUmann, qui se faisait entendre pour la troisième fois
devant le public toulousain, conquit entièrement son auditoire dans les Variations
svmphoniques de Boellmann, dans deux pièces de sa composition et dans V Arlequin
(l'inévitable) de M. Popper.
Omer Guiraud.
^■iTRASBOURG. — C'est le plus retentissant succès artistique de notre saison l
^ musicale que nous avons à inscrire, en signalant le Festival Massenet, organisé par j
L/ rC/Mto7î C/îora/e en l'honneur de l'illustre Maître de l'école française. Pour la pre- :
mière fois depuis l'annexion, Massenet consentait à venir à Strasbourg. Toute l'Alsace ]
musicale avait répondu à Y appel de ï Union-Chorale, pour s'associer de cœur à la récep- [
tion que les chanteurs, présidés par M. Arthur Roederer et dirigés par M. Ernest
Miinch, en association avec un chœur de dames et avec les membres de notre orchestre
municipal, avaient préparée au Maître, dans la vaste salle du Saengerhaus.
M. Massenet a été l'objet d'ovations absolument délirantes de la part de notre pu-
blic musical, enchanté de lui prouver les préférences qu'il a vouées à son œuvre. Mlle
Lucy Arbell, la belle chanteuse de l'Opéra, était la soliste de la soirée et elle a été, tout
o; —
y^y
naturellement, associée aux ovations répétées à l'auteur des Scènes alsaciennes.
Massenet a lui-même dirigé l'exécution de son Dernier sommeil de la Vierge., de ses airs
de ballet, et celle de ses Scènes alsaciennes, dont iMM. Hubbard, clarinettiste, et Mawet,
violoncelliste, ont délicieusement dialogué Sons les Tilletils. Le chœur de dames, l'or-
chestre municipal, et, en particulier M. Ernest Miinch, qui a très remarquablement dirigé
la masse orchestrale et chorale, en savant musicien qu'il est, ont bien mérité de notre
monde musical, qui garde une dette de reconnaissance à V Union-Chorale pour son orga-
nisation de ce magnifique festival.
Le sixième concert d'abonnement de notre orchestre municipal, a été, lui aussi, une
solennité artistique de grand caractère, grâce à Edouard Colonne, l'illustre chef d'or-
chestre, qui était venu le diriger. Notre public, qui avait conservé le plus profond sou-
venir des concerts que Colonne avait lui-même donnés à Strasbourg, avec son propre
orchestre, a chaleureusement acclamé Colonne à ce sixième concert d'abonnement, dans
la spacieuse salle du Saengerhaus. Plusieurs rappels consécutifs ont prouvé à nouveau,
à Edouard Colonne combien son talent est hautement apprécié à Strasbourg. Le so-
liste de ce concert était le baryton Froelich, ce brillant chanteur, dont le grand art
vocal, l'expression chaleureuse et si purement nuancée ont ravi l'auditoire, qui l'a ac-
clamé et rappelé avec transport. La célébration du cinquantenaire de notre Conserva-
toire municipal, a été, entre autres, l'occasion d'un succès des plus éclatants pour M.
Daniel Herrmann, le distingué violoniste de Paris, qui a traduit d'une manière tout à
fait modèle le concerto en la mineur pour violon, de J,-S. Bach.
A. 0.
Concerts Ttîjîjotjcés
Salles Pleyel
Grande Salle
Avril
19 Mlle Joutard.
21 La Soeiété Nationale de Musique (5°
24 MM. Pugno et Ysaye (1" séance).
25 Mme Riss-Arbeau.
La Société des Compositeurs de
(5"' séance).
MM. Pugno et Ysaye (2°"^ séance).
Mlle Ad. Bailet.
29 Mme Bertrand (élèves).
30 MM. Pugno et Ysaye (3"° séance).
Salle des Quatuêrs
26 Mlle Cramer.
29 Mme Monteux-Brisac (élèves).
30 Mlle Jane Duran (élèves).
26
■ séanc«).
Musiqu<
Salle Erard
Avril
20 M. Pintel.
22 Les élèves de Mlle Prestat.
23 Mlle Solacoglu.
24 M. Ch Legrain.
25 Mme Leroy-Detournelle.
26 La Société Nationale.
27 M. Pintel.
29 Les élèves de Mme Donaissé-Masson .
30 Mlle G. Dehelly.
Festival Beethoven-Berlioz
20 au Théâtre du Châtelet, à 3 h.
23 id. id.
25 id. id.
27 id. id.
29 à l'Opéra id.
Salle ^oliaM
20 M. Jonas.
21 Mlle Lie.
34 M. Jonas.
— ^o6 —
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
L'Opéra vient de reprendre très brillamment les Maîtres Chanteurs. Ce fut une
belle soirée. M. Delmas y tint avec la magistrale autorité qu'on célébra jadis le rôle
d'Hans Sachs, M. Alvarez chanta avec ardeur les belles phrases de Walter et Mlle
Brcval fut la poétique Eva aux mélodieux accents. A côté de ces piliers de la création
qui soutinrent glorieusement le chef-d'oeuvre de Wagner, Mme Caron-Lucas, MM.
Riddez et Nuibo remplaçaient Mme Grandjean, MM. Renaud et Vaguet. S'ils ne les
firent pas oublier, ils eurent le mérite, surtout les deux premiers, de tenir dignement
leur emploi difficile et de collaborer à un ensemble excellent. M. Paul Vidal conduisait
l'orchestre et fut très applaudi.
MM. Eugène Ysaye et Raoul Pugno donneront cette année quatre séances de mu-
sique de Chambre, les mardi 24, Vendredi 27, lundi 30 avril et jeudi 3 mai, à la Salle
Pleyel, la i"et la 3° séances auront lieu à 4 heures de l'après-midi; la 2' et la 4' à
g heures du soir. La dernière séance (3 mai) sera consacrée entièrement à Beethoven.
Les programmes comporteront les œuvres classiques et modernes suivantes :
Sonates de Bach, Mozart, Beethoven, C. Franck, V. d'Indy, Lekeu, Jongen — et
avec le concours des artistes du Quatuor Ysaye (MM. J. Ten Hâve, E. Deru, L. Van
Houtt, J. Jacob) le Quintette de G. Fauré (i" audition) et le Concert (sextuor) d'E.
Chausson.
La Ligue de l'Enseignement, vient de clore la brillante série de ses matinées par
une audition de Mozart. Le quatuor en sol mineur pour piano, violon, alto et violon-
celle y fut remarquablement interprété par Mme Bleuzet, MM. Lavello, Videix et
Maxime Thomas. On a applaudi également des fragments de la Flûte enchantée et
des Noces de Figaro, chantés avec art par M. Monela, des concerts Lamoureux. En une
très intéressante étude d'une belle forme littéraire, M. Horace Hennion, avait aupara-
vant retracé l'histoire de l'auteur de Don Juan.
L'inauguration de l'orgue Cavaillé-Goll de la salle Berlioz a été des plus brillantes.
M. Alex. Guilmant qui avait été appelé à faire valoir ce bel instrument a obtenu un
grand et légitime succès en exécutant sa Première Symphonie pour orgue et orchestre
sous l'habile direction de M. Monteux, et l'immortelle Passacaille de Bach.
Lyon. — Au septième Concert (supplémentaire) de la Société des Concerts fut don-
née pour la première fois à Lyon, la Symphonie en ré mmewr de G. -M. Witkowski,
exécutée déjà à Paris, à la Société Nationale, puis aux Concerts Lamoureux. Une ova-
tion a été faite au compositeur.
Le prochain concert de la Revue musicale de Lyon sera consacré à des lieder de
Schumann, Franck, d'Indy, Chausson, Fauré, Debussy, Ravel, de Séverac. — Au
Grand-Théâtre on a donné le Crépuscule des Dieux de Wagner, avec Mme Litvinne.
— Au dernier concert de la Société de Musique de Chambre de Dijon, le succès a été
des plus vifs pour l'excellent pianiste G. de Lausnay, surtout après sa brillante exécu-i
tion du Scher7j3 en si bémol de Chopin. 1
~ 307 —
Monte-Carlo. — La série des représentations de printemps, sous la direction de
M. Coudert, s'est ouverte par une brillante reprise de Véronique, le délicieux opéra-
comique de M. André Messager.
Le succès de ce charmant ouvrage s'est renouvelé, plus éclatant que jamais. Le
public a pris le plus vif plaisir à la pièce délicate et finement amusante de MM. Vanloo
et Duval. Et l'exquise musique de M. André Messager a, de nouveau provoqué d'una-
nimes applaudissements.
C'étaient les principaux créateurs parisiens de ce gentil chef-d'œuvre qui en repre-
naient les rôles créés par eux :
Mlle Mariette Sully, avec sa spirituelle espièglerie, sa fort jolie petite émotion, fut
une Hélène vraiment adorable. M. Jean Périer, dans le rôle de Florestan, a chanté et
joué avec sa charmante fantaisie et son brio délicieux. La scène de l'escarpolette a valu
une chaleureuse ovation à ces deux excellents artistes.
M. Coudrier a joué très gaiement le rôle de Coquenard. M. Maurice Lamy détaille
avec une finesse charmante le rôle de Loustot. M. Brunais est d'une naïveté épique dans
le personnage de Séraphin.
C'était Mlle Lambert qui jouait le rôle d'Agathe : elle y fut très piquante. Et Mme
Jane Evans tint avec un comique du meilleur aloi le rôle d'Ermerance.
L'orchestre, dirigé par M. Désiré Thibault, a exécuté en perfection cette partition
ravissante. ^
Béziers. — Les fêtes annuelles de Béziers auront lieu au mois d'Août. Au pro-
gramme figurent /« Vestale de Spontini et une cantate à la Gloirede Corneille de Saint-
Saëns.
M. Siegmund von Hausegger vient de donner sa démission de chef d'orchestre des
Concerts du Muséum, à Francfort-sur-le-Mein. On semblait espérer que le conseil muni-
cipal n'accepterait pas cette démission et qu'il serait possible de faire revenir sur sa
détermination M. Hausegger, qui est un excellent chef d'orchestre et un compositeur
distingué. Mais nous apprenons que sa démission est définitive et a été acceptée.
La première exécution, en Allemagne, de Der Kinderkreussug (La Croisades des
Enfants), vient d'être donnée par l'oratorien Verein, sous la direction du professeur
W, Weber, avec un succès éclatant. M. Dumaine, ministre de France, qui assistait au
concert, a pris l'initiative d'organiser, à Munich, avec le concours des 500 membres de
l'Oratorien, une audition de l'œuvre de Gabriel Pierné, au bénéfice des sinistrés de
Courrières.
La Croisade des Enfants a été exécutée, hier, à Brunswich, sous la direction de
M. Settekorn. _____
Varsovie. — Au concert d'abonnement du 30 mars de la Philharmonie de Var-
sovie, s'est fait entendre avec un immense succès, Mlle Marguerite Artôt dans i'àir de
Fidelio et dans la prière de la Tosca, ainsi que dans des poèmes arabes d'Adam Wie-
niawski, tirés des Mille et une nuits et que l'auteur conduisait en personne. Les Var-
soviens ont vivement fêté leur jeune compatriote qui se produisait pour la première
fois comme compositeur et chef d'orchestre dans sa ville natale. Quant à Mlle Artôt,
son succès fut si grand que la direction de la Philharmonie l'a retenue pour un second
concert qui a eu lieu le 5 avril. Ces premiers triomphes font bien augurer de la bril-
lante carrière de la jeune cantatrice.
S.
Milan. — On vient de donner avec grand succès, à la Scala, la première d'un
drame lyrique en 4 actesj Résurrection, sur un livret tiré par César Hanau du roman
— 3o8 —
de Tolstoï ; la musique est de M. Frank Alfano, compositeur, originaire de Naples et
ancien élève du Conservatoire de Leipzig.
— La Scala vient de donner le 2g mars, la première représentation de la Figlia
di Jorio, d'Alberto Franchetti, tragédie lyrique sur le poème de G. d'Annunzio.
Rome. — M. C. Saint-Saëns a donné le 26 mars, à l'Académie Sainte-Cécile, un
concert consacré à l'audition de ses euvres (dont la Symphonie en ut mùteur). Le 28 il
jouait de nouveau à Florence au concert donné par M. Rinskoff, avec le violoniste
Spalding.
Londres. — La prochaine saison de Covent Garden s'ouvrira le 3 mai prochain. On
donnera Tristan et Yseult dont les rôles principaux seront chantés par Burriau
et Mme Wittig.
Cette représentation sera dirigée par Richter, ainsi que les deux séries de la Té-
tralogie qui auront lieu en mai également.
Bruxelles.— La Monnaie vient de donner avec grand succès Déidamia, de Fran-
çois Rasse. Leconcert Kaim, sous la direction de G. Schneevoigt, a parfaitement réussi.
Tournai. — La Société de Musique vient de donner une exécution intégrale des
Béatitudes de César Franck avec Mme Dubois, MM. Dubois, Noté, Nivette, de l'Opéra
de Paris.
Saint-Pétersbourg. — M. Alexandre Glazounow vient d'être nommé directeur du
Conservatoire de Saint-Pétersbourg.
Le jubilé de la cinq centième audition publique des Enfantines et Chansons de
gestes de M. E. Jaques Dalcroze vient d'être célébré à Bâle.
Une audition modèle sous la direction du profeseuur Paul Bœpple avec le concours
des écoles de la ville et du Conservatoire.
Livres et Œuvres ni)usicales reçus
GinÇL mélodies populaires grecques (traduction française par M.-D. Calvocoressi
avec accompagnement de piano par Maurice Ravel.
Impressions Sylvestres, cinq pièces pour violoncelle et piano par Auguste Chapuis.
Saint-Saëns : La Jeunesse d'Hercule (partition d'orchestre, petit format).
(Chez MM. DURAND & FILS, éditeurs, Paris).
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
P»ris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
OPÉRA
CHï^TELET
Société 1^-u.sicale O. .A.STR,XJO Ss Cie
5/X CONCEUTS
23 -A.vril
FESTIVAL
BEETHOVEN-BERLIOZ
Sous le TatroQage de la Société des Grandes Auditions Musicales de France
Présidente : Mme la Comtesse Grejfulhe
AVEC LE CONCOURS DE MESDAMES
Lucienne B^ÉV;^! § Alice V^^LKT, de l'Opéra
MM. VAN DYCK, AFFRE, DELMAS, GRESSE, de l'Opéra
le Pianiste A. PIERRET
L'Orcbcstrc De l'^ssociatiot) Des (^opccrts Larr)ourcu;i
et Des 400 (^boristes De rQratoriurt) yercet}igit)g D'^rpsterDarr)
550 ©xÉ[cutants éou^ la 5ii|Ection fie
Félix WEINGTlliTNEJi
"CfjÉ^iTI^E du Gl^^iTELET
le 20 AVRIL, à 3 heures
ê t t
BEE'niOYETV
1. Symphonie Pastorale
2. Ouverture de Coriolan
3. Symphonie Eroica
:TïîÉ;iTI^E du a^kXZlLX
le 27 AVRIL, à 3 heures
ê 6 ^
BEE'riIOl'KX
1. Ouverture de Fidclio
2. Ouverture de Léonore (I)
3. Ouverture de Léonore (II)
4. Huitième Symphonie
5. Ouverture de Léonore (III)
P ROG. R A M M E
Tf^É^iTI^E du Gfi^iTELET
le 23 AVRIL, à 3 heures
t È t
1. Ouverture de Benvenuto Cellini
2. Air de l'Enfance du Christ
3. Ouverture du Carnaval Romain
4. Air de Cassandre
5. Symphonie Fantastique
DE L'OPÉI^^
le 29 AVRIL, à 3 heures
È t È
LA DAMNATION DE FAUST
poème symplioniquc pour Soli,
Chœurs et Orchestre.
TîîÉ^itl^E du GîîATELET
le 25 AVRIL, à 3 heures
BEETIIOYET^'
1. Symphonie en la
2. Concerto de piano en sol majeur
M. Auguste PIERRET
3. Symphonie en ut mineur
DE l'Opt^k
le 1^'' MAI, à 9 h. du soir
t t t
BEETIIOYEX
1 . Ouverture d'Egmonl
2. Fantaisie Chorale
3. Neuvième Symphonie
Pour Ions renseignements^ s'adresser à MM. G. ASTRUC et Cie (Société Musicale)
l'avillon de Hanovre., Paris
Administration de Concerts A. DANDSLOT, 83, rue d'Amsterdam
SALLE PLEYEL
SAMEDI 28 AVRIL, à c, heures
ŒJi^®
^ILI¥
hhTKOVEN
Chopin
Polonaise
Sonate op 28 (Pastorale) ....
Sonate si bémol mineur
Scherzo ut diè^e mineur \
Mazurka si bémol mineur / (^^^Qp,^,
Valse op. 34, n° I
Ballade op. 47
\
Sonate Scarlatti
Arabesque Schumann
Scherzo Schubert
Murmures de la Forêt . . l
Rhapsodie n° 12. . )
Liszt
'©i]ate3 pour 'Piai]©
DE
PAR
^"-s^Sgrvr--.
X^ m^
Les BîmmBohss @, ii, iO-, if Mai
En matinée^ à ^ heures
Jeudis if et 51 Maîv eia sûipée,; à 9 heuFes
Jeudis f et 14 ëmm. en soipée, à 9 heures
I» B A TV O ^I ES A ES »
SALLE ERARD
LUNDI 30 AVRIL 1906, à 9 heures
CONfCERT mTS© ORCHEST
RE
DDNNE PAR MADEMOISELLE
SeîîGViève DIÏIIIiIlY
]Vt.
OrcÏ7eslre sous la direction de
Concerto ut mineur n° ; op. ^■y.
Mlle G. DEHELLY et l'Orchestre.
Thème et variations
Mlle Geneviève DEHELLY.
En Norvège (iv 2 et n° 31 . . . .
L'Orchestre.
3PROG H,AMM:E:
Beethoven
C. Chevillard
A. CoauARD
a. Impromptu favec variations). Schubert
b. Miiitar-Marsch . . ... Schubert-Tausig
Mlle Geneviève DEHELLY.
Concerto mi bémol majeur .. .. Liszt
Mlle G. DEHELLY et l'Orchestre.
Le^
Les Professeurs du Conservatoire de Paris
QÂaïtt>^ de Qiïiàt, iProfeâseur de j}iano.
Selon le désir que vous avez manifesté, j'ai essayé vos pianos, à queue nouveau
modèle ; ce sont des instruments parfaits tant au point de vue de la docilité du clavier
que de la pureté du son.
Honneur à la fabrication française,
.mTouiS SÛiimei*^, J^rofesieur de-piano.
Je suis très charmé de pouvoir vous dire combien j'ai été enchanté et ravi de
vos excellents pianos à queue (grands et petits modèles) que j'ai joués chez vous
l'autre jour ; ils ont une très belle sonorité, puissante, égale et veloutée, et le clavier
en est d'une très grande légèreté et des plus agréables à jouer.
Je vous adresse donc encore mes bien sincères félicitations.
ÇcoïÇi^S ^atÂenieïç, Professeur de piano.
J'ai eu, en bien des circonstances, l'occasion de jouer sur vos excellents pianos
et d'apprécier leurs très sérieuses qualités comme sonorité ainsi que comme égalité du
clavier; d'après le temps que je les ai vu résister chez des personnes de ma connaissance,
à la fatigue que peut occasionner un travail régulier, je ne doute pas qu'ils n'offrent les
conditions de sojidité qu'on désire trouver dans un instrument qui peut être soumis k
un travail quotidien considérable.
Jiflaïmontef piie, Professeur de piano.
Le piano que vous m'avez envoyé est exquis. Sonorité délicieuse, chantante,
expressive, se prêtant à tous les effets de coloris musical. Mécanisme parfait, clavier
souple, d'un toucher très agréable.
^{^xandïc Ouifmant, professeur d'orgvzj. >
J'ai été à même maintes fois d'apprécier votre facture si artistique et j'ai pu juger
combien vous apportez de soin dans la fabrication de vos instruments. Vos pianos ont
une très belle sonorité et le mécanisme en est excellent.
C'est en construisant des instruments de premier ordre que notre facture française
maintiendra sa supériorité sur la concurrence étrangère, et vous y contribuez largement.
Çeaïf€S J(aïty, ^Professeur djf
armonie,
' J'ai eu bien du plaisir dernièrement à voir de près vos grands pianos de concert,
nouveau modèle. -
Vous, étiez absent, et je n'ai pas pu vou§ dire de.vive vpix ce que je suis heureux
de vous écrire aujourd'hui-: Vos instruments sont de tout premier, ordre, par la puis-
sance de leur'sonorité et leur délicatesse expressive ; et je n'ai qu'un regret, c'est de' ne
ipas être. assez pianiste pour les faife valoir comme ils, le méritent.
Ll'AL^
ET IDE
r
à Grand eadre cr^ f^r d'une seule Pièce et Cordes croisées
PIANOS MUSTEl
Faotiii^e e3:cl\asiven3.eïit jA.i*tistiq[\ie
ORGUES MU STEL
mUSTEL, <^ Cîe «ae de ©eaa.% *6. î»aïll
L.IO u e; u 1%
BÉNÉDICTINE
9« Année, N» 11, 1er Juin 1906.
iekMu:ical
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire ii la Rédaction : René DO IRE
^OMMAIRE :
Portraits : Edward ELGAR & Camille SAINT-SAENS (en 1846)
^Es Années de Jeunesse de
Jean-Sébastien Bach. ... A. PIRftO.
-E Piano et l'Education
Musicale (fin) E.JAQUES-DflLCHOZE
<e Songe de Gérontius de
Edward Elgar VICTOR DEBAY.
-E SoiXANTIÈiME ANNIVER-
SAIRE MusicaldeC. Saint-
Saens HUBERT BRUSSEL.
La Q.UINZAINE Musicale : Société Nationale,
Concerts Jacques Tbibaud, Concerts Mys:(-
Gmeiner-lVurmser , Concerts de Blanche Selva.
Concerts Divers.
La Sonate moderne et classique. — Concerts
Risler.
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Correspondances de : Marseille, Le Havre,
Toulouse, Iiiège.
Concerts Annoncés.
Echos et Nouvelles Diverses.
Nouveautbs Musicales.
<♦>
Administration et Rédaction : Le Directeur et le Secrétaire de la
Î9. RUE TRONCHET, PARIS (8«) ^,'tl'"^-'^f '"\''' ^'*'*^v- ^^"^'
. ^ '' et Samedi, de 10 heures a midî.
TELEPHOIVC t(5!S.05
lureau;c ouverts
de 10 b. à midi ci de ) h. à 6 h.
Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musica
(le 1^ ET LE 15 E>E CHAQUE MOIS)
[ Paris et Départements 12 francs l'an
ABONNEMENTS ^
( bTRANGER 15 » »
Le Numéro: 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PRIS, (16^)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PRt> (3).
^^ ITÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Aguettant — Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Benoit — -
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chanta voine — Camille Chevillard — D*^ Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot — RenéDoire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars - E. Giovanna — Omer Guiraud —
F. Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J, Sauerwein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka —
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D»^ Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoz, etc ..
1.0 Courrier Musical est en ireutc :
A PARIS: ^9} ^w/5 Tronchet.
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — ;^, rue Àuber,
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, ^, Faubourg Saint-Honcré.
Librairie REY, 8, Boulevard des Italiens.
Chez STOCK, place du Théâtre- Français.
Chez M, LEGODX, 4, rue de Rougemotit ; 20, faubourg Poissonnière, etc.
Chez M. PDGNO, ly, Quai des Grands-^^ugustins, etc...
F«i PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
DEPOTS :
Pour rALLEMAGNE
Pour la BELGIQUE
Pour l'ANGLETERRE
Pour la HOLLANDE
Pow l' AMÉRIQUE
MM. BREITKOPF â H^RTiL, à LEIPZIG
i MIVI. BREITKjPF & H/ERTEL, 45, rue Montagne de
\ Cour, à BRUXELLES
( MM. BREITKOPF & H/ERTEL, 54, M&lborougti-Street,
\ LONDON-W.
\ MM. STUMPFF & KONING, à AMSTERDAM.
( MM. BRENTANO'S, Union Square, NEV^-YORK.
( M. G. SCHIRNER, 35, Union Square, NEW-YORK.
Le compositeur anglais Edward ELGAR
auteur du Songe de Gérontius, qui vient d'être exécuté à Paris
Société Uusicale G. ASTHUC et C'% 32, rue Louis-le-Qrand - Pavillon de Hanovre
SALLE PLEYEL
VENDREDI 8 JUIN 1906
■ — •vg3Z^g:îg->- — ■
Mfred CÛKTOT
avec le coi^cours de
3™ CONCERT
Vendredi 8 )uiv, à 9 heures
>"T?5feyT'-
F. LI5ZT
1. Concerto en mi bémol.
2. Mélodies (i" Audition).
Mme Ada ADINY
3. Sonate en si mineur.
(Dédiée à Robert Schumann).
4. Mélodies (i''° Audition).
Mme Ada ADINY
5.fl 2me Bapsodie Hongroise.
b Libestraùme (2- notturnoj.
c Méphisto-Walzer.
(d'après le poème de Lenau).
S=^-o
PRIX POUR UN SEUL CONCERT
GRAND SALON, la place 10 francs [ PETIT SALON, la place 5 francs (épuisées)
Billets à l'avance : A la SALLE PLEYEL, 22, rue Rochechouart ; chez MM. DURAND et FILS, Editeurs, 4, place de
la Madeleine et à la SOCIÉTÉ MUSICALE, 32, rue Louis-le-Grand (Pavillon de Hanovre)
"&#i
Camille SAINT-SAENS
en 1846, lors de son premier concert
Administration de Concerts A. DANDELOT, 83, rue d'Amsterdam
SALLiE PLiEYELi, 22, Rue Rochechouart
Vendredi I" Juin 1903, à 4 î^eures précises
RÉCITAL DE CHANT
donné par Mme
L"ia MYSZ-GMEINER
AU PIANO:
M. Alfred CASELLA
PROGRAMME
Vendredi i^"" Juin 1906, à 4 heures
1. Wie bi&t du meine Koenigin
Stânnchen
Feldeinsamkeit
Sandmânnchen ■. .
Brahms
II, Verborgenheit \
Verschwiegene Liebe ..... . . l
Mausfallensprûchlein .. .. .. .. [hugoWolf
Begegnung
Ich hab'iii Penna
III. Gluck \.. p
Wenn die Linde blûht /'^^'^ ^^^^"^
Nachtgeschwàtz i^ d
Icû bin eine narie
IV. Morgen \
Du meines Herzens Kroenelein. /
Alî'mein' Gedanken 1
Wiegenlied 1
R. Strauss
f\uditioi^ ii7tégpale
des
32 SONATES pour Piano
de
SMTHOVEN
par
Edouard ^isler
s ALLE ERARD, 13, Rue du Mail
S= C01SrCBR,T
Jeudi 7 Juin, à g h. du soir
Sonates : op. 55, ut majeur
op. 54, /« majeur
op. ^"j, fa mineur
Billets portant le n° 6
7"= C01;TOE3R,T
Mardi 12 Juin, à 9 h. du soir
Sonates: op. 78 /a diè^e majeur.
op. 79 50/ majeur.
op. 8ia (les Adieux) mi
bémol majeur.
op. 90 mi mineur.
op. lOi la majeur.
Billets portant le n° 7
S= C01T0E3K,T
Samedi 16 Jui7i, g h. du soir
Sonates : op. 106, 5/ bémol majeur
op. 109, mi majeur
op. \\o, la bémol majeur
op. III, ut mineur
Billets portant le n° 8
9" ANNÉE. N* II. i"JUIN 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Portraits : Edward Elgar. — Camille Saint-Saëns {en 1846). — Les
années de jeunesse de Jean-Sébastien Bach (A. Pirro). — Le piano et l'Education
Musicale (fin) (E. Jaques-Dalcroze). — Le Songe de Gérantius de Edward Elgar
(V. Debay), — Le soixantième anniversaire musical de C. Saint-Saëns (Robert
Brussel). — La Quinzaine Musicale : Société Nationale, Concerts Jacques Thihaud,
Concerts 'Mys:(-Gmeiner-lVurmser, Concerts de Blanche Selva, La Sonate moderne et
classique^ Concerts Risler. — Concerts divers. — Le mouvement musical en province et
à l'étranger: Correspondances de : Marseille, Le Havre, Toulouse. Liège. — Concerts
annoncés. — Echos et Nouvelles diverses. — Nouveautés Musicales.
Les années de jeunesse de J.=S. Bach
Les jeunes années de Jean-Sébastien s'écoulèrent à Eisenach. On voit encore la
maison où il naquit, et l'on peut se figurer, à peu de chose près, le décor où il vécut
son enfance. Bien des parties de la vieille demeure ont dû rester presque telles qu'il
les aperçut, dès que ses yeux furent capables de distinguer les objets et de les recon-
naître. La serrure de la porte d'entrée est garnie d'une plaque ouvragée dont les con-
tours chimériques lui ont semblé, sans doute, dessiner de prodigieux visages. Le large
vestibule aux carreaux de brique put lui donner l'idée d'un désert sombre, et l'escalier
tortueux qui monte, au fond, vers la droite, put lui paraître la route de quelque voyage
périlleux. Mais je veux croire qu'il ressentit, dans le petit jardin, les premières impres-
sions de la nature. Elle l'y accueillit d'abord sous cet aspect diminué qui charme
l'enfant, effrayé des grands espaces. Il prit le goût des paysages verts dans le modeste
verger. Dans cet enclos étroit, borné par la muraille de la maison tapissée de vigne,
fermé d'une haie vive, divisé par des lignes de haut buis, il se trouva assez protégé
pour oser contempler les mirages mouvants du ciel immense encore, bien que limité
par le faîte des maisons voisines. C'est là qu'il s'habitua au spectacle des nuées, sus-
pendues au-dessus de lui, et c'est là que sa mère put lui apprendre, en se servant des
paroles de Martin Luther, le miracle journalier de la main qui soutient dans les airs ces
masses flottantes, et nous garde de leur chute.
Et cette terre d'Eisenach était hantée de légendes. La vue de la Wartburg qui la
domine y entretenait la mémoire des hôtes fameux qu'avaient gardés ces murailles
fortes. C'était le château d'Elisabeth aux mains bienfaisantes, et Luther y avait com-
battu le démon, tandis qu'il préparait au peuple sa nouvelle foi. Mais le vieil édifice
évoquait encore d'autres visions. Terre mystique, la terre d'Eisemach était encore la
patrie des musiciens. La Wartburg avait réuni jadis, en un tournoi célèbre, les chan-
teurs les plus habiles, et les savants se plaisaient à faire voir que le nom latin de la
(i)Avec l'aimable autorisation de l'éditeur, nous publions un fragment important de l'ouvrage de M.
PiRRO sur Bach, qui va paraître ces jours-ci chez Alcan, dans la collection des Maîtres de la Musique.
— 374 —
ville elle-même contenait une sorte d'oracle musical (Isenactim, en canimus, en musica).
Enfin le Réformateur avait en quelque sorte consacré, dans sa jeunesse, les rues et les
carrefours de la cité, qu'il parcourait avec ses compagnons d'école, en disant des can-
tiques, selon la coutume des étudiants pauvres.
Tout ce qui pouvait modeler l'esprit tendre de Bach était ainsi mélangé de reli-
gion, de poésie de la nature et de musique. Dans la pratique de cet art, son père, le
violoniste Johann Ambrosius, fut son premier maître. Mais Bach ne put jouir long-
temps de ses conseils. Ambrosius mourut au commencement de l'année 1695. Sa
femme était morte en 1694. Jean-Sébastien dut chercher un refuge auprès de son
frère aîné, Johann-Christoph, organiste à Ohrdruf. Son frère Johann-Jakob fut recueilli
en même temps que lui. Tous deux sont inscrits sur les listes, dressées pour chaque
classe, des élèves du lycée d'Ohrdruf. Malheureusement, les états de l'année scolaire
1694-1695 font défaut et nous ne rencontrons le nom des Bach que dans les tables de
1696. Jean-Sébastien était alors novicius en Tertia, et Johann-Jakob est signalé comme
ayant,. cette année-là, quitté le lycée, où il était dans la même classe que son frère.
Bach resta deux années dans cette classe, où il avait pour professeur Johann-Heinrich
Arnold qui, d'autre part, exerçait les fonctions de cantor.
Arnold (1653-1698) était un maître violent. En 1697, le fils de Johann-Christoph
Bach d'Arnstadt, Johann-Ernst, dut passer avec un de ses camarades de la troisième
en seconde, pour échapper à la « discipline intolérable » d'Arnold. Il fallut, la même
année, donner congé à ce professeur qui mettait le trouble parmi les élèves et la con-
fusion dans le chœur. A sa place fut nommé un jeune musicien, Elias Herda. Quatre
fois par semaine, il avait pour tâche d'exercer les élèves de midi à une heure. En
seconde, Bach eut pour maître Boettiger, et en Prima, il étudia sous la conduite de
J.-Chr. Kiesewetter, rector du lycée et professeur éminent. Le plan d'études compre-
nait alors, dans les classes élevées, des exercices latins, l'explication des lettres de
Cicéron, un peu de grec et des éléments de théologie. En Prima, on enseignait aux
élèves à composer des chries et des discours, on apprenait l'histoire universelle d'après
l'ouvrage de Buno, la géographie, et on commentait Quinte-Curce et Térence (i).
Bach prit part à tous ces travaux avec intelligence et assiduité. L'année de son entrée
en troisième, il est en même temps le plus jeune et le premier de ses condisciples. La
deuxième année, il garde le même rang, descend un peu en Secunda, mais regagne la
seconde place dans la période suivante.
D'autre part, il faisait de la musique avec passion. Les auteurs de la notice né-
crologique racontent, de ces années d'apprentissage, une anecdote touchante et
caractéristique. En voici le résumé. « Un livre rempli de pièces de clavecin des
maîtres les plus célèbres de ce temps, Froberger, Kerl et Pachelbel lui avait été refusé
par son frère, on ne sait pour quelle cause. L'armoire où Johann-Christoph plaçait ce
recueil n'était fermée que d'un simple treillis. Bach put passer sa petite main au tra-
vers du grillage et tirer le cahier qui n'était que broché, en le roulant dans l'intérieur
de l'armoire. Il le copia ainsi pendant la nuit, quand tout le monde dormait, et à la
clarté delà lune. Après six mois cette proie musicale était entre ses mains. 11 cherchait
à en faire usage quand son père découvrit la chose et lui enleva sans pitié la copie
qu'il avait faite avec tant de peine. La déconvenue d'un avare qui a perdu, sur le
(i) M. le D'' Thomas, professeur au Gymnasium d'Ohrdruf, a trouvé dans les archives de cette école des
renseignements nouveaux sur le séjour de Bach à Ohrdruf. Je me suis servi de son travail pour compléter
les indications de Spitta. Cette étude est publiée dans le Jahresberichi des Graeflich Gleichenschen Gymna-
siums... :(U Ohrdruf. Ohrdruf 1900. Je dois communication de ce bulletin à M. le Dr Langer, directeur de
l'établissement, je me promets de le remercier ultérieurement pour son accueil sympathique, lors de mes
recherches à Ohrdruf.
— 375 ~
chemin du Pérou, un vaisseau chargé de cent mille thalers peut vous donner l'Idée
de la déception du petit Jean-Sébastien (i ) ».
Ce fut sans doute cette fièvre d'apprendre qui soutint Bach, le 15 mars 1700, quand il
lui fallut abandonner le lycée d'Ohrdruf, et partir pour Lûneburg où il espérait finir
ses classes à l'école Saint-Michel. 11 semble que son départ fut causé surtout par la
gêne où vivait son frère, déjà chargé de famille, et mal payé de l'église. D'après les
archives du lycée, Jean-Sébastien s'en alla parce qu'il n'avait plus d'hôtes pour le
nourrir. Remarquons cependant qu'il était en mesure de subvenir, pour une part assez
considérable, aux dépenses de son frère. Les élèves qui chantaient au chœur rece-
vaient une certaine somme d'argent pour leurs services. On les payait pour les enter-
rements et pour les mariages. L'un d'eux gagna, en moins de six ans, plus de 89
thalers (2). Il est à présumer que le jeune Bach avait aussi un salaire. Un autre élève
d'Ohrdruf se rendit à Lûneburg avec Bach, Georg Erdmann, né en 1682 à Leina, vil-
lage situé aux environs de Gotha, Leina était le pays du cantor Herda et Erdman était
entré au lycée, en troisième, le 17 janvier 1698, dix jours après que Herda eut été
installé comme régent de cette classe. Or Herda avait passé six années à Lûneburg.
Son père, simple maréchal-ferrant, avait appris, au cours d'un voyage en cette ville,
que le cantor de l'église Saint-Michel cherchait, pour son chœur, un de ces petits
Thuringiens à la voix assouplie par le chant des motets, cette suprême école de pré-
cision et de fermeté. L'artisan proposa son fils, qui fut ainsi élevé gratis, Herda avait
peut-être été sollicité par Braun, successeur de son maître P.-E, Praetorius, de lui en-
voyer quelque soprano bien formé.
Il paraît vraisemblable que Bach fut déterminé à partir par Erdmann et
qu'Erdmann se présenta à Lûneburg, muni d'une recommandation spéciale de Erda.
Dans la liste des quinze choristes de la manécanterie (Nettenchor) de Saint-Michel de
Lûneburg, ils paraissent, au mois d'avril 1700, Erdmann le neuvième, Bach, le
dixième. Au mois de mai, par suite du départ d'un de leurs condisciples, ils avancent
d'un degré, mais Bach se trouve encore après Erdmann. Tous deux faisaient partie des
soprani. Les auteurs de la notice nécrologique rapportent que Bach avait alors une
voix d'une rare beauté. Elle disparut bientôt. Un jour on s'aperçut qu'aux tons du
soprano se mêlaient, quand l'adolescent chantait, des notes graves. On eût dit que sa
voix s'était dédoublée, «Pendant huit jours, il ne put parler ou chanter qu'en octaves,
Après quoi il perdit entièrement le registre du soprano (3), »
Dans la classe de Prima du Michaelo-Gymnasium, les élèves expliquaient l'Enéide et
les Catilinares et apprenaient du recteur Joh, Bûsch, les principes de la rhétorique. On
commentait de plus le De Officiis, quelques poèmes d'Horace et l'on étudiait, dans le
Compendium de Hutter, les doctrines de la grâce, des bonnes œuvres et de la pénitence.
Tel était du moins le plan d'études pour 1695, En 1700, il devait avoir peu
changé (4).
A en juger par la bibliothèque musicale de l'école, le chœur avait un répertoire
fort étendu, Parmi les œuvres anciennes, amassées par les maîtres de chapelle Chris-
tian Praetorius (1557-1597) et Burmeister (1604- 1634 se trouvaient les Selectissimce
cantiones de Roland de Lassus, les Caniiones sacrce et les P salmi penitentiales (i^jo)
d'Uttendal, ainsi que les grandes collections de motets qu'avaient réunies Erhard
(1) Mizler, Musikalische Bibliothek, première partie du 4e volume, p. 160.
(2) Ou 128 florins (fiorenos solidos). Johann Christoph Bach n'avait de l'église que 45 florins (Gtil-
den), du grain et le bois de chauffage. En 1696 on l'augmenta de lo florins.
()) IVIizler^ Musikalische Bibliothek (W. i, p. 161).
(4) W. Junghaus. Johann Sébastian Bach als Schuler der Partikularschult ;^« St. Micbaëlis in Liineburg
[Programme des Johcmneums ^a Liineburg. Ostern 1 870).
— 576 —
Abrahams Schadaeus (i) et Erhardt Bodenschatz (2). Les principales œuvres de Hein-
rich Schutz (1585-1672) y étaient réunies, et l'on y rencontrait aussi les compositions
d'Andréas Hammerschmidt (1611-1675) dont les moindres chœurs des paroisses
thuringiennes faisaient leurs délices. L'Opus musicum (1655) et les Geistliche Harmonien
de Samuel Capricornus (Bockshorn), les Evangelische Gesprœche de Wolfgang Cari
Briegels, les motets avec instruments de Tobias Zeutschner, les airs d'Adam Krieger
(1634-1666), les Geistliche Harmonien ûber die gewœbnlicben Evangelia de Johann Caspar
Horn y figuraient dans les dernières acquisitions faites par le cantor Friedrich-Emma-
nuel Praetorius. Ce maître avait aussi introduit à Liineburg la Selva morale e spirituale
(1641) de Claudio Monteverde et il avait assemblé une grande quantité de composi-
tions manuscrites. J'ai déjà signalé une œuvre de Heinrich Bach parmi les copies qu'il
avait laissées. Une Z-amew/a/îo de Johann-Christophe Bach y figurait également (IVie
bist du, 0 gott in :(orn aufmicb entbrandt pour basse solo, violon, trois violes et basse
continue). Le nom de Johann-Rudolph Ahle paraît aussi dans son catalogue, ainsi que
le nom de lohann Pachelbel. Ce dernier (1655-1706) était un des amis de la famille
Bach. En 1680, il fut le parrain de l'une des sœurs de Jean-Sébastien, Johanna-Judi-
tha, et Johann Christoph, l'organiste d'Ohrdruf, avait été son élève à Erfurt de 1686
à 1689.
Ce chœur de Saint-Michel était alors dirigé par Augustin Braun. L'organiste de
l'église s'appelait Christophe Morhardt. Ne connaissant aucune œuvre d'eux, nous ne
pouvons juger de leur influence sur Bach. L'organiste de la Johanniskirche de Liine-
burg avait, au contraire, une personnalité musicale bien déterminée. Ses exemples,
et même probablement ses conseils, furent d'une grande importance pour la formation
de Jean-Sébastien. Cet organiste, Georg Bœhm, était né en 1661 dans les environs
d'Ohrdruf, à Hohenkirchen. Son père, organiste et maître d'école, le mit au gymnase
de Gotha d'où il passa, les études classiques terminées, à l'université d'Iéna (1684).
En 1695, il vivait à Hambourg, à une époque où l'opéra s'y développait déjà avec une
vie intense. 11 fut nommé organiste à Liinburg en 1698, tout en conservant des rela-
tions étroites et suivies avec ses amis de Hambourg (5).
Pour nous, ce musicien a une double signification. Pris en lui-même, il est moins
remarquable par la technique que par le sentiment. M. Richard Buchmayer qui a fait
revivre ses œuvres de clavecin, non seulement par de belles exécutions, mais encore
par d'excellents commentaires, dit fort justement de lui que si quelques maîtres de son
temps l'ont dépassé en habileté formelle, il est resté, du moins, au premier rang des
compositeurs pénétrants et expressifs (4). Spitta n'a que des louanges pour son talent,
plein de poésie et d'émotion. L'originalité s'en manifeste le plus nettement, dit-il,
dans un prélude suivi d'une fugue qui se résoud par une conclusion en style libre. Le
biographe de Bach admire en cette œuvre de forme toute originale « le sentiment pro-
fond d'une mélancolie si particulière » et l'ivresse rêveuse des « harmonies âprement
douces ». 11 y trouve ce que seule une âme allemande est capable d'imaginer, et ce-
pendant une grâce dont les Français avaient presque alors le privilège unique (5). Il
considère enfin trois de ses quatre suites comme les meilleures qu'on ait écrites avant
Bach (6). Comme organiste, Bœhm est surtout intéressant parce qu'en lui s'unissent le
(1) 'Pi'omptuarium musicum (i6i 1-1613-1616.)
(2) Florihgium porteuse (1603-1618 et 1621).
(3) Bohm est mort le 18 mai 1733. J'emprunte les dates et les détails qui précèdent à la substan-
tielle notice que M. Buchmayer a publiée pour son concert donné le 27 février 1904 à Leipzig.
(4) Même notice.
(5)y.-S. Bach, I, p. 206.
(6) Ibid.
— 311 —
calme des organistes thuringiens et la fantaisie des organistes du nord de rAllemagrie.
Les premiers se distinguaient par leur sensibilité grave, leur application, leur recher-
che de la sonorité agréable et de la clarté (5). Les œuvres des seconds témoignent sur-
tout d'une imagination brillante et d'un goût, poussé à l'extrême, pour la variation
ornementale des mélodies de cantiques. Bœhm imite leurs procédés quand il assouplit
en grandes phrases ornées les périodes uniformes des chorals, mais ses vocalises sont
expressives comme des traits de récitatifs, et de l'ensemble du cantique ainsi traité se
dégage une puissante exhortation à la pitié. Son prélude au choral Vater unser im Him-
melrdch a la même éloquence implorante que certains airs spirituels de Johann Fischer
ou d'Erlebach.
A mesure que se découvre l'ampleur pathétique de cette pièce vraiment inspirée,
l'on oublie l'impropriété de l'écriture l'emploi de notes répétées qui répugne à la con-
tinuité mouvante de l'orgue. Mai^ dans cette paraphrase lyrique du vieux choral, je
reconnais plutôt une prière individuelle qu'un prélude à la prière commune. Elle appar-
tient au culte domestique plus qu'à l'assemblée chrétienne. Et l'imperfection même de
la facture, le défaut de convenance pour l'orgue, semble nous annoncer que l'auteur a
pensé en claveciniste (2). Ce caractère est encore apparent dans des séries de varia-
tions sur des chorals (3) où l'on rencontre des détails qui ne sont point de l'orgue.
On ne sait point sûrement si Bach fut, dans le fait, l'élève de Boehm, mais tout
porte à le croire. Ayant résidé à Ohrdruf, tout près du pays natal de Boehm, Bach
pouvait facilement trouver accès près de l'organiste de Luneburg. A défaut d'autre
recommandation, il lui aurait suffi de se présenter devant lui au nom de ces Bach
dont les compositions étaient chantées à la Michaeliskirche. Boehm avait trop long-
temps vécu dans la région courue jadis par Hans Bach « à la jolie barbe » pour ignorer
cette famille de ménétriers où quelques-uns s'étaient déjà signalés comme des maîtres.
Observons du reste que Bach agit en tout comme s'il obéissait aux conseils de Boehm.
Non seulement il écrit dans son style, mais il veut remonter jusqu'aux sources mêmes
de ce style. D'abord formé en Thuringe, comme Boehm, il tâche d'acquérir aussi l'art
scintillant des organistes du Nord. Nous voyons dans la notice nécrologique qu'il
allait parfois de Luneburg à Hambourg pour entendre }ohann-Adam Reinken, l'orga-
niste fameux de l'église Sainte-Catherine. Reinken était né à Deventer en 1623 et avait
été formé à Hambourg par Scheidemann, auquel il succéda en 1664 comme organiste
de Sainte-Catherine après avoir servi de suppléant pendant plusieurs années (4). Dans
ses œuvres d'orgue, Reinken cherche à étonner plus qu'à toucher. A. -G. Ritter ana-
lyse son arrangement du choral IVasserfliissen Babylons. C'est une œuvre très déve-
loppée (335 mesures), pleine d'ingéniosité, mais superficielle. Il en est de même de sa
composition faite d'après le choral Es ist gezvisslich an der^eit, longue de 232 mesures
à quatre temps, très ornée, et où les ressources de l'orgue sont habilement utilisées.
Il y avait surtout dans son art une virtuosité qui devait séduire le jeune Bach et une
abondance assez riche pour l'émerveiller.
Ce séjour à l'école de Luneburg permit aussi à Bach d'entendre de la musique
française. Georg Wilhelm, duc de Braunschweig-Lùneburg, s'était formé à Celle une
cour toute française. En 1675 il il avait épousé Eléonore Desmier d'Olbreuse, qui était
(i) A.-G. Ritter, Zur geschichte des Orgelspiels, 1884, I p. 162.
(2) Cette pièce est publiée dans l'ouvrage de Ritter, II, p. 202.
(5) On trouve des chorals de Bohm dans le Repertorium d'A.-W. Gottschalg (Schuberth, éd.) et dans
la collection de M. Straube, Alte Meister des Osrgelspiels (Peters, 1904).
(4) Geschichte der Klaviermusik de M. Max Seifiert (1899), p. 255 {y éd. de l'ouvrage de Weitzmann,
Geschichte des Klavierspiels).
-378-
originaire du Poitou. Un grand nombre de Français étaient déjà au service du prince
avant 1685. Après la révocation de l'édit de Nantes, beaucoup de protestants se réfu-
gièrertt dans ses possessions où ils étaient favorablement accueillis. Eléonore Desmier
sortait d'une famille huguenote, elle compatissait aux peines dès exilés et les secourait
à cause de leur race et à cause de leur foi. Une vague religion de la patrie âe mêlait à
sa miséricorde pour les calvinistes persécutés. PoUr qu'ils pussent tenir leurs assem^
blées dans un lieu moins étroit, elle donna trois mille écus de sa cassette particulière^
Elle Voulait que, forcés de quitter leur pays afin de sauvegarder leur croyance, ils eus-
sent enfin la consolation des prières communes et paisibles, après l'émoi des prêches
dans les montagnes et la ruine de leurs temples (i). Ainsi s'organisait autour d'elle, et
jusquedans son peuple industrieux et grave, la France qu'elle aVait rêvée, parce qu'elle
l'avait déjà connue un peu, dans son enfance provinciale. Dans cette résurrection de
sa vie, la duchesse retrouvait même les joies de ses premières années. Les musiciens
français réfugiés à Celle lui jouaient, sans doute, les « danses poitevines et cham^
pêtres que, dit-on, elle avait apprises dès sa tendre jeunesse » et qu'elle avait aimé à
danser (i).
Les auteurs de la notice insérée dans la zMusikalische Bibliotbek de Nizlér assurent
que la musique française était encore une nouveauté dans la région, quand Bach eut
l'occasion d'aller l'entendre à Celle. Mais Spitta cite un document de 1663 qui fait
allusion, déjà, aux œuvres de style français que l'on y exécutait (3)* Il serait fort inté-
ressant pour nous de savoir les norhs des principaux musiciens qui» dans les pre^
mières années du xviii® siècle, faisaient partie de l'orchestre de Georg Wilhèlm. Spitta
regrette de n'avoir trouvé aucun renseignement sur la composition de ce groupe
d'instrumentistes (4). Grâce à des recherches faites sur ma demande, quelques noms,
inscrits dans les registres de la communauté réformée, ont été découverts (^). En
1704s On mentionne la mort de Philippe Gurbasatur [sic). La même année, Henri de
Hays est signalé, à propos d'un baptême. Le nom de La Selle figure, en 1869, aussi
dans un acte de baptême. D'autre part, l'organiste de Georg Wilhem était Français.
Il s'appelait Charles Gandon. Je n'ai encore pu établir depuis quelle époque il résidait à
Celle. Le 31 juillet 1707, on le désigna comme ancien de la communauté réformée (6)*
Il était aussi musicien de la troupe ducale, sans doute claveciniste.
Spitta cherche comment Bach parvint à pénétrer dans ce milieu musical. Les con-
certs n'étaient pas publics. Pour Spitta, le seul personnage qui ait pu l'introduire à
Celle était l'organiste de la ville, Arnold^Melchior Brunckhorst. Bach n'avait peut-être
pas encore assez d'assurance pour oser se présenter de lui-même à la cour où, écrit
Gregorio Leti, on était toujours accueilli si l'on prenait « l'habit d'un homme de
guerre, d'un chasseur ou d'un musicien (7). »
Par ces études de l'art français, Bach témoignait encore de son désir d'atteindre
aux principes mêmes du talent de Georg Bœhm qui, dans ses œuvres, adopte des for-
mes de composition et des « manières » françaises.
(i) Cette église fut inaugurée en 1700.
(2) Une mésalliance dans la maison de Brunswick^ Eléonore Desmiet- d'Othreuse, duchesse de Zell (sic)
par Horrie de Beaucaire (1884), p. 15. Rappelons que dans les suites d'airs à danser du i7'sièclese rencon-
trent des pièces nommées « bransles de Poitou ».
C3)y.-5. Bach, I, p. 197, fin de la note 37, à la page 19S.
(4) Ibid.
(5) J'exprime ici toute ma reconnaissance à Mme Biickmann qui a bien voulu ètttféprendt'e ces tra-
VitUJC.
(6) Je dois ce renseignement à M. le pasteur W. Deiss, auquel j'expHme ici toutfe ma féconnaissanee
pour ses recherches dans les archives dé la cohimunauté réformée de Celle.
(7) Abrégé de l'Histoire de la maison sérénissime de Brunswick ("1687), p. 3274
— 579 —
Son séjour à Lûnebufg et ses voyages à Celle durent aussi le familiariser avec des
œuvres italiennes. La bibliothèque de la Michaeliskirche de Luneburg possédait quel-
ques compositions de IVlonteverde, nous l'avons déjà dit. On y trouvait encore des
pièces de Carissimi, d'Alexandro Grandi, d'Albrici, deRovetta.de PietroTorri, etc.(i),
A lajohanniskirche se trouvait le premier livre des Can:(one, de Girolamo Frescobaldi
(1583- 1644), dans l'édition de Bartolomeo Grassi (1628). L'opéra // Paride de G. -A.
Bontempi (1662) y était aussi, ainsi que la Musur^ia universales d'Athanasius Kircher
(1650) où l'on peut lire tant d'observations sur la musique italienne, et qui ren-
ferme des exemples nombreux. A Celle, le duc avait eu à son service des musiciens
italiens (2).
Enfin, quand Bach allait à Hambourg, il assista peut-être à des représentations
d'opéras, soit de Cesti et de Pallavicini, soit de Steffani, en qui le style allemand se
mêle au style italien (3). Pendant ces années de formation à Luneburg, il eut ainsi la
faculté de se donner une culture musicale singulièrement étendue .
André PIRRO.
Le piano et l'Education musicale
(Fin)
AUX MERES DE FAMILLE.
Voici donc notre enfant qui âgé de 7 à 8 ans se met — connaissant la métrique
et les signes qui l'expriment graphiquement, à étudier les gammes et les tonalités.
Ah ! cette fois, il s'agif de sons musicaux ; le rôle des facultés auditives va commencer.
Et là, il n'y a pas à hésiter sur les moyens à employer ; il en est un qui s'impose (et
c'est évidemment pour cela que personne ne l'emploie) c'est de faire apprécier à l'en-
fant la différence entre le ton et le demi-ton en lui faisant étudier les gammes. Le pia-
niste, lui, ne connaît qu'une seule gamme qui va toujours de la tonique à la tonique
et qu'il transpose dans les diverses tonalités, il différencie ces transpositions les unes
des autres grâce aux divers doigtés qui servent à les interpréter. Vous en aurez la
preuve, mesdames, vous qui jouez du piano, en constatant que lorsque l'on vous prie
de penser à telle ou telle autre gamme, — reprenons notre gamme de la bémol, — le
nom de cette gamme éveille en vous non des sensations sonores, mais des sensations
manuelles ! Voyons, franchement, en pensant à cette gamme de la bémol, n'évoquez-
vous pas le deuxième doigt qui se pose sur le la bémol, le troisième qui joue le si bémol,
et ensuite du si bémol au do, le fameux passage du pouce ? L'on peut constater cette
infirmité chez toutes les élèves d'harmonie ayant fait leur apprentissage musical au
piano, et ce fait en apparence insignifiant est la condamnation même de l'enseigne-
ment musical instrumental. Le jour où le sentiment des sonorités musicales devient
une sensation tactile^ non auditive, tout progrès est impossible, à moins que l'on ne
lutte de toutes ses forces pour revenir à l'appréciation auditive naturelle. Dans les
(i) W. Junghans. Programme des Johanneums ^u Luneburg {iSjo), p. 28.
(2) Horrie de Beaucaire. Ouv. cité, p. 86.
{)) Dus erste Jahrhundert der deutschen Oper, article de M. le D- Hermann Kretzschmar dans le Sam-
ntelbaénde der Internationalen Musik-Gêsllscbaft, lU, p. 284.
— 380 —
leçons de développement auditif, que je préconise, l'enfant exerce son oreille sans le
secours d'aucun instrument que la voix et le rôle de l'éducateur est de lui faire entendre
et apprécier d'abord la succession des tons et demi-tons dans les diverses tonalités,
puis les successions des tonalités elles-mêmes.
Le meilleur système est évidemment de faire chanter les gammes, non toujours
de la tonique à la tonique, puisqu'alors les tons et les demi-tons se succéderaient
toujours dans le même ordre, mais à partir d'une note fixe donnée (choisissons le do)
qui servira de point de départ à toutes les gammes. Le moyen est d'une efficacité
absolue. Ainsi, Mesdames, après avoir écouté chanter la gamme de do majeur, écoutez
chanter la succession des notes suivantes : do, ré, mi, fa dièze, sol, la, si, do... Ne
saisissez-vous pas immédiatement que ce n'est plus la gamme de Jo que l'on vous
chante, que la place des tons et des demi-tons est modifiée et qu'il n'y a qu'à rétablir
l'ordre: deux tons, un demi-ton, trois tons, un demi-ton, pour établir la tonalité de
sol majeur ? C'est ce que les enfants apprennent en deux ou trois mois de leçons, et dès
lors nous pouvons avoir toute confiance en l'avenir, nous sommes certains que les
fonctions définitives de l'oreille vont se perfectionner, que les enfants acquéreront, en le
temps qu'il faudra, l'audition absolue et naturelle, pourvu que le piano n'intervienne
pas avant la fin des études préparatoires, en quel cas, je vous l'affirme, le résultat final
est compromis, car un mois d'exercices de piano faits trop tôt c'est-à-dire avant le
développement complet de l'oreille, suffit pour annihiler les progrès jusque là
effectués.
l'ai dit que les sons à faire entendre seraient créés par la voix. En effet, l'émission
et l'audition des sons ayant lieu de cette manière toutes deux dans la tête, il en résulte
forcément une série de relations étroites entre les appareils créateur et récepteur des
vibrations sonores, et le perfectionnement de l'un sera en raison directe du perfection-
nement de l'autre.
Les avantages du chant dans la première éducation musicale de l'enfance, sont
du reste multiples. Au point de vue physique d'abord, il est prouvé que la position
de l'enfant au piano est très mauvaise pour son développement corporel, si elle n'est
pas réglée dès le début de la façon la plus sévère. Les trois quarts des élèves ont le
torse affaissé, les épaules rentrées, la poitrine creusée, d'autre part les vibrations de
l'instrument ont une influence très mauvaise sur l'appareil nerveux. Que de maux
d'estomac, que de maux de reins chez les jeunes pianistes ! Combien de mères voyant
leurs filles devenir pâles, leur font prendre des pilules Pink sans résultat, qui les ver-
raient recouvrer leurs fraîches couleurs en les arrachant quelque temps à leurs chères
études pianistiques ? Les exercices de chant au contraire, développent les poumons,
élargissent la cage thoracique, provoquent l'écartement normal des épaules et acti-
vent la circulation du sang. Bien entendu, les exercices respiratoires faits dans la pre-
mière période rythmique de l'enseignement doivent être continués pendant la seconde,
celle de l'étude des sonorités. A la première leçon donnée à des élèves de solfège,
faites-leur prendre une forte inspiration. Vous constaterez que toutes généralement
font cette inspiration d'après le mode supra-costal, qui fait lever les épaules et qui
allonge la cage thoracique tout en la rétrécissant, ce qui tient en grande partie, di-
rai-je en passant, au port prématuré du corset que des coutumes barbares imposent
encore aux fillettes dans toute l'Europe méridionale. Soit en Hollande, soit en Dane-
mark, en Belgique, en Suède, et généralement dans tous les pays septentrionaux, l'u-
- 38ï -
sage de se serrer la taille, — jel'ai constaté danslesaoo auditions des mes Enfantines que
j'y ai dirigées — est tombé en désuétude et sévèrement condamné par les médecins et
parles autorités scolaires. Dans les écoles suédoises, dans beaucoup d'écoles anglaises il
est absolument interdit. Dans le Midi, pour d'absurdes et hypocrites raisons de con-
venance il n'en est pas de même, et l'on peut se demander si cette indifférence pour
les lois les plus élémentaires de l'hygiène n'est pas tout simplement la raison du peu
d'aptitudes vocales de beaucoup d'adolescents et adolescentes ? Voyez la Hollande qui
fournit à l'Europe actuellement le tiers de ses meilleurs chanteurs ; n'est-elle pas avec
la Suède, le pays où dès la première enfance, à l'école comme dans les instituts de
musique, les exercices de respiration mettant en jeu tous les muscles de la poitrine
sont le plus méticuleusement et le plus sérieusement enseignés ? Le libre jeu des
muscles du thorax dégage le jeu de ceux, du larynx, et quelqu'un qui sait aspirer lar-
gement le souffle, le garder longtemps dans la poitrine et l'expirer dans le temps 'qu'il
faut, ne chante jamais de la gorge et très rarement du nez. Sa voix prend en outre
une amplitude que les exercices vocaux seuls sont impuissants à lui procurer. Voyez
tous nos professeurs de chant se désoler de constater chez leurs élèves une foule de
défauts qu'ils n'ont souvent plus le temps de corriger ! Ces défauts ne proviennent-ils
pas des mauvaises habitudes prises à l'âge le plus tendre ? combien de voix fatiguées,
cassées, par exemple, parce que dans les écoles on a laissé aux leçons de chant les
enfants monter trop haut en voix de poitrine ! Certains professeurs de chant recom-
mandent en ce cas le repos de quelques mois ou d'une année. Le remède n'est-il pas
alors pire que le mal ? Est-ce en immobilisant pendant des semaines une jambe fatiguée
qu'on lui rend sa souplesse et sa force? Non, en vérité, le chant n'est pas assez cultivé
chez nous ni dans les écoles, ni dans les instituts de musique. Goethe, qui trace dans
les Années de pèlerinage de Wilhelm Meister un plan idéal d'éducation où se trouvent
les conseils les plusjudicieux, déclare que dans la première phase de l'éducation, c'est
le chant qui doit être à la base du développement physique, moral et spirituel de l'en-
fant. Et il répète ailleurs : « le chant est l'élément le plus important de l'éducation de
l'enfance ; il commande tous les autres !»
Si nous nous plaçons au point de vue du développement musical pur, l'exercice
du chant présente, outre les avantages déjà préconisés, celui de former pour plus tard
debons interprètes pour nos sociétés chorales mixtes. Nos directeurs de chœurs le savent :
sur 100 chanteurs, il y en a 15 qui déchiffrent bien et encore! C'est qu'une fois les
études pianistiques commencées, l'élève a mille peines à se mettre au déchiffrage vocal.
Le fait, pour un jeune pianiste, de déchiffrer sans faute, avec les doigts, de très diffi-
ciles morceaux de piano, n'est pas du tout — quoi qu'on en pense — l'indication
d'une qualité exclusivement musicale. Le bon déchiffrage au piano est en effet une
question de rapidité de vision et de bonne correspondance avec les appareils de trans-
mission. Le même pianiste bon lecteur sera incapable de faire en chantant une lecture
même très facile sans faute. C'est qu'à partir d'un certain âge, il devient excessive-
ment difficile pour un pianiste d'apprendre à chanter à première vue ; l'oreille en effet
ne contrôle plus la voix ; il est trop tard pour réussir à établir une corrélation immé-
diate entre la vue de la note à émettre et la volonté de resserrer ou desserrer les
cordes vocales. Chez l'enfant, entrepris de bonne heure, il n'en est pas de même. Si la
voix n'est pas malade, ni l'oreille non plus, si le sentiment rythmique n'est pas nul,
l'enfant arrive forcément en quatre ou cinq ans à déchiffrer vocalement les mélodies
— 382 —
les plus difficiles avec la plus grande aisance. Mais cela —je ne me lasse pas de le
répéter — à la condition expresse qu'il n'ait pas commencé trop tôt ses études instru-
mentales.
Je ne veux pas, mesdames, vous entretenir en détail des divers objets d'études
inscrits au programme de nos cinq ans d'enseignement auditif et vocal. Qu'il me suf-
fise de vous dire que tout dans la musique peut être analysé et interprété mélodique-
ment. Accords, contrepoint, modulation, carrure de la forme, tout cela est contenu en
germe dans la mélodie et peut être expliqué par elle.
Reste l'étude du nuancé et du phrasé. Et celle-ci qui n'est au programme d'aucun
enseignement d'école, — et dont les principes généraux sont dus à un musicien suisse,
M. Mathis Lussy, l'auteur de ce monument de clarté et de logique qui s'appelle Traité
du rythme et de l'expression, est la meilleure préparation à raffinement du goût musical
et au développement du sens de la beauté artistique (i). Alors que l'enseignement
pianistique supprime les pourquoi des nuancps et des accentuations, celui des prin-
cipes du phrasé et de l'expression fait naître chez les élèves le sentiment de l'inter-
prétation personnelle et celui des oppositions et des contrastes de sonorité, éléments
primordiaux du style musical. C'est là la partie la plus importante de l'enseignement.
L'enfant a le sens inné du beau. Il s'intéresse passionnément à tout ce qui lui révèle
des beautés nouvelles insoupçonnées. Puis il aime connaître la raison des choses. Il
démonte volontiers ses jouets pour savoir ce qu'il y a dedans. Les inscriptions multi-
ples notées sur les morceaux de piano lui mâchent la besogne ; il réalise ce qui est
marqué, joue « forte » ou joue « piano », ralentit ou presse, ^a?' ce que c'est écrit. Il
n'entre dans son interprétation aucun souci artistique personnel et son individualité
ne joue aucun rôle.
Qpelle joie au contraire pour lui de connaître les règles si faciles et si logiques
du phrasé et du nuancé ! De lire une mélodie vierge de toute annotation, en l'inter-
prétant à sa guise, guidé seulement par sa connaissance générale des principes du
Beau, c'est-à-dire des lois qui régissent les contrastes ! Et il y arrive le plus facilement
du monde, car rien ne s'oppose à ses progrès. Il est mis en face de la musique sans
aucun intermédiaire ; il voit de jour en jour se développer son sentiment personnel.
Au cours du processus lent et régulier de ses études, il ne s'est servi que de ses pro-
pres moyens naturels ; ses muscles ont été fortifiés et assouplis et mis rapidement au
service de la volonté ; il sait rythmer et accentuer la musique. Son oreille a été
accoutumée à discerner les sons entre eux ; il sait écouter et contrôler et analyser les
successions et superpositions de sons. Sa voix a été entraînée par des exercices pro-
gressifs ; il sait, guidé par l'oreille pareillement entraînée, interpréter et créer de
toutes pièces des mélodies. Il est devenu musicien en un mot, c'est-à-dire capable
d'apprécier les éléments de la musique, et c'est alors, mesdames, c'est alors âgé de 1 1
ovi 12 ans, que vous le laisserez s'asseoir au piano, et ce sera une joie pour lui de
faire des gammes et des exercices car il se rendra compte de ce qu'il fait, il compren-
dra l'enchaînement des sons, vérifiera de lui-même leur justesse, transposera, prélu-
dera, improvisera sans peine et sans recherches, — tout naturellement — et fera des
(1) Traité de l'expression musicale, par Mathis Lussy. — . Hetzel, éditeur, Paris.
Mk
-383-
progrès rapides en mécanisme, car ses doigts du reste déjà exercés par la gymnas-
tique rythmique, deviendront les interprètes d'une pensée déjà éveillée et vibrante.
Mesdames, les résultats que je viens de vous indiquer ne sont pas illusoires. Rien
n'est nouveau sous le soleil ! Ils ont été obtenus il y a trois ou quatre siècles dans les
scholas néerlandaises et italiennes. Tout enfant normalement doué doit de nos jours
les obtenir sans peine. Et que si, parmi les enfants soumis à cet enseignement, il y en
a un certain nombre qu'un manque absolu d'aptitudes empêche de profiter de l'en-
seignement, il en résultera du moins cet avantage sérieux, c'est que les maîtres et les
familles seront fixés sur leur compte. Ils seront dispensés de l'étude ultérieure d'un
instrument et la musique et la société n'auront qu'à s'en féliciter. La place est inondée
d'instrumentistes médiocres et incapables qui ont étudié un instrument sans l'aimer,
qui continuent sans entrain à pratiquer la musique pour ne pas perdre l'argent dé-
pensé pour leurs études, et qui ennuient leur entourage autant qu'ils s'ennuient eux-
mêmes. Tout esprit non routinier saisira le bien fondé de mes observations et la logi-
que de mes conseils. S'il est des mères de famille qui me font cette objection : que
ma préparation est bien longue et mon programme bien chargé, qu'elles ne veulent pas
faire de leurs enfants des artistes mais des amateurs, je leur répondrai qu'en ce cas
l'enseignement du piano tel qu'il est conçu aujourd'hui n'est pas du tout d'accord avec
leurs désirs, car il tend à faire de leurs enfants des virtuoses et exige d'eux un travail
énorme. Celui que je leur conseille est beaucoup moins long et beaucoup moins fati-
gant; c'est tout justement celui qui convient à des amateurs, en ce qu'il leur fera
aimer la musique. Entre deux à trois heures passées par jour à faire des arpèges et des
gammes et trois quarts d'heure consacrés à devenir musiciens, choisissez pour vos
enfants l'emploi du temps le plus utile et le plus vraiment artistique. Et si vous dési-
rez qu'ils deviennent des virtuoses, raison de plus pour développer leurs aptitudes
musicales, car il n'existe rien au monde de plus déplaisant et de plus grotesque qu'un
virtuose sans musicalité.
*
* *
Restent les enfants qui ont commencé le piano et qui sont déjà en possession de
leur mécanisme. Que doivent faire ceux-ci ? Est-il possible encore de développer leurs
facultés auditives et rythmiques ? Je le crois, mais il leur faudra pour
cela beaucoup de volonté et de courage. Il leur faudra d'abord fouler leur
orgueil aux pieds et se persuader que tout ce que leur piano leur a enseigné n'est pas
du domaine de la musicalité pure, mais est un simple succédané musical, que leur
interprétation des œuvres est toute machinale et non pas dictée par un tempérament
individuel, un jugement mûri, un instinct affermi, une instruction vraiment artistique.
Et c'est cela le plus difficile de la tâche ! Non pas pour les élèves indépendants qui tôt
ou tard s'aperçoivent de ce qui leur manque et cherchent alors, par un travail opi-
niâtre, à acquérir les connaissances que leur raisonnement leur fait juger indispen-
sable à leur complet développement. Mais que répondre aux autres, à ceux dont les pa-
rents ne sentent pas la nécessité de ces études à entreprendre, se contentent des résul-
tats acquis, et sacrifient l'avenir de leurs enfants sans se douter du tort irrémédiable
qu'ils leur font ? Car les trois quarts du temps, ce sont les parents qui empêchent
- 384 -
leurs enfants d'étudier leur solfège avec assiduité et confiance. Le fait de les voir se
livrer pendant quelques années à un travail de perfectionnement auditif, dont les ré-
sultats ne sont pas immédiats et ne provoquent pas les bravos des amis et connais-
sances dans les soirées de famille leur paraît devoir amoindrir le talent de leurs enfants
si applaudis comme pianistes et dont les succès flattent leurs instincts maternels et
paternels. Parfois ils consentent à ce que l'enfant fasse un essai d'une année, puis ils
lui font abandonner les leçons sous un prétexte ou un autre.
Combien d'enfants disent à leur maître de solfège : j'aimerais bien continuer, mais
maman ne veut pas ! Pourquoi ne veut-elle pas ?Cela me prend trop de temps.carje fais
mon instruction religieuse. Et le piano l'abandonnes-tu ? Oh non monsieur! Ah,
certes non, l'on n'abandonne pas le piano. Le piano c'est l'arche sainte. Le piano, en dépit
de tous les raisonnements, c'est la musique, c'est l'art sacré. Le piano est tabou. On
'adore comme le veau d'or et on lui sacrifie le bon sens, les jouissances musicales
supérieures, le bon goût et la santé même de ses enfants. Ah, sans doute, les parents
ne sont-ils pas avertis, ils ne se rendent pas compte de leur manque de discernement ;
ils ne savent pas, voilà tout. Ah, puisse mes observations en édifier quelques-uns et
leur faire reconnaître les erreurs commises. Qu'ils se hâtent alors de changer de sys-
tème d'éducation. Qu'ils relèguent pendant quelque temps le piano à l'arrière-plan et
qu'ils fassent reprendre à leurs enfants — même adolescents — l'étude des deux élé-
ments musicaux essentiels de la musique, le rythme et la sonorité. Qu'ils les confient
à des maîtres exercés qui leur apprennent à coordonner leurs mouvements d'une façon
équilibrée, à obtenir de leur cerveau une volonté se communiquant rapidement et
sans hésitation à tout leur organisme, à compter mentalement les mesures, à atta-
quer la phrase musicale avec aisance sur n'importe quel temps, à la terminer sans
accroc, à ralentir ou à presser sans affectation, à accentuer la note forte de la période,
à modeler, pour ainsi dire, la phrase avec énergie et souplesse.
L'effet bienfaisant d'exercices de gymnastique musicalement rythmés contreba-
lancera chez les jeunes filles l'influence désastreuse du piano au point de vue nerveux,
et, de voir devenir vos filles — en même temps que musiciennes plus complètes, —
plus gracieuses et plus équilibrées en leurs mouvements, n'aurez-vouspas, mesdames,
aussi votre petite satisfaction d'amour-propre ? En ce qui concerne le développement
de l'oreille, il y a toujours possibilité de se perfectionner si l'on a de la volonté et si
l'on sait continuer à vouloir. 11 n'est jamais trop tard pour bien faire ! Et le résultat
compensera les énergiques de la somme d'efforts dépensée. Au lieu de subir la musi-
que, ils y adapteront leurs tempéraments et la jugeront et l'aimeront à travers leur
personnalité. Quant aux professeurs de piano, ils auront tout à gagner à une plus
longue préparation musicale aux études instrumentales. Toutes leurs remarques sur
le style et l'interprétation de la musique porteront juste. Les élèves éviteront d'eux-
mêmes des fautes grossières qui blesseraient leur sens musical devenu plus affiné par
l'étude. Les études ne seront plus arrêtées à mi-chemin, car les maîtres n'auront plus
à éduquer que des élèves à la musicalité éprouvée par d'utiles travaux préparatoires.
Les parents eux-mêmes auront tout à gagner à la mise en pratique de mes théories.
Leurs oreilles ne seront-elles pas délivrées de pénibles luttes sonores auxquelles
se livrent au début des études, l'instrument et l'instrumentiste ? Ne seront-ils pas
heureux d'entendre leurs filles et leurs fils déchiffrer avec goût les œuvres classiques
et nouvelles, plutôt que de subir pendant trois mois l'initiation énervante aux grands
- 385 -
morceaux de concert joués de temps en temps aux convives des five o'clock et des
dîners de famille ? De les entendre jouer d'oreille ou improviser des mélodies nuancées
avec goût, accompagner dans n'importe quel ton les morceaux de chant, interpréter
eux-mêmes en chœur les refrains d'hier et de demain, faire danser même — et pour-
quoi pas ? — les petits amis et les petites amies, tout simplement et à la bonne fran-
quette, avec rythme et avec entrain ? De les voir en un mot entrer en relations plus
intimes avec l'art, en faisant participer celui-ci à leur vie de tous les jours, grâce à un
système d'éducation logique mettant le corps au service de l'esprit, et initiant celui-ci
à la connaissance complète du beau, en ses éléments féconds et régénérateurs ?
E. JAaUES-DALCROZE.
Le Songe de Qérontius
d'Edward Elgar
Avant d'entendre le Songe de Gérontius que donna la Société des Grandes
Auditions et à la répétition générale duquel j'assistai, je ne connaissais rien de la
musique de M. Edward Elgar dont l'Angleterre s'enorgueillit. Dès le prélude de cet
oratorio écrit sur le fervent et beau poème du très vénérable cardinal Newmann, j'ai
compris qu'une œuvre grave et sincère allait nous être révélée. « Ce n'est pas amusant »
fut une parole prononcée sérieusement à la sortie par un des membres de la critique
invitée. Je pense tout à fait comme mon honorable confrère, si je me rappelle que le
prélat et le compositeur n'ont pas fourni à l'auditoire la plus petite occasion de rire
au cours de cette œuvre austère, comme le permettra d'en juger l'analyse du poème.
Près de sa fin Gérontius recommande son âme au Seigneur. Autour de lui le
prêtre et ses amis, priant pour son salut, facilitent par leurs pieuses exhortations le
passage de la vie terrestre à Ja vie éternelle. Parvenue chrétiennement de l'autre
côté du trépas, l'âme de Gérontius, comme éveillée d'un songe, est face à face avec
l'ange gardien qui le protégea sur la terre. Dans les calmes espaces qui précèdent le
saint tribunal où le Souverain Juge doit peser ses actions, elle attend avec confiance
malgré les cris des démons hurlant de colère à la vue du juste qui leur va
échapper. Moment solennel, suprême angoisse ! On entend monter de la terre les
chants dont les prêtres et les fidèles accom.pagnent l'appareil de la mort, l'Ange de
l'agonie qui obtint de Jésus en croix le pardon de l'humanité ancienne, renouvelle sa
plainte suppliante en faveur de l'âme qui se présente à Lui, et l'âme de Gérontius
voudrait s'enfuir, car elle craint de n'avoir pas assez souffert pour l'amour de Celui
qui par amour rachète toute faute. Mais son bon ange la rassure et l'emporte dans ses
bras fraternels pour la livrer à la dernière épreuve qui la purifiera à jamais avant de
I paraître devant Dieu, tandis que le chœur des anges salue déjà l'âme qui sera bientôt
l, sauvée et admise aux joies célestes.
Pour ce poème de pure mystique, M. Edward Elgar a composé une partition qui
est peut-être la seule œuvre vraiment religieuse qu'il nous ait été donné d'ouïr depuis
les Béatitudes. Loin de moi la pensée de la placer sur le même rang que la sublime
méditation de César Franck, que je considère comme le plus bel acte de foi chrétienne
que la musique ait chanté. Bien qu'en certaines pages il s'apparente aux Béatitudes par
''influence qu'il en subit, le Songe de Gérontius n'a pas l'envolée, ni cette suavité évan.
— 386 —
gélique dont Franck fut l'apôtre harmonieux. Mais malgré toute la distance qui sépare
l'œuvre de génie de l'œuvre de talent, on doit dans cette dernière reconnaître et louer
la sincérité et la noblesse de l'inspiration. Nulles tricheries aimables ne sont ici
employées pour procurer de faciles et délicieux frissons à un public frivole comme dans
un pseudo-sacré-dramatico-oratorio dont je parlais dans notre dernier numéro. La
musique s'est attachée à rendre scrupuleusement et dans un sentiment de respect le
texte pieux qu'elle commente et embellit. Cela ne veut pas dire qu'elle manque de
charme, car elle en a beaucoup, mais un charme chaste et religieux qui sait demeurer
digne du sujet qu'elle aborde. Pour s'en convaincre il suffit de lire le début de la
seconde partie où, dans le calme qui suit la mort, l'âme et l'ange gardien se trouvent
en présence. Il y a là d'exquises pages empreintes de cette touchante et sainte mélan-
colie que la parole contenait en substance et dont une musique de candeur fervente a
dégagé l'essence mélodieuse. De cette partie j'aime peu les cris et les blasphèmes des
démons. Là, pour peindre ces redoutables ennemis du chrétien, on a, aux voix et à
l'orchestre, mis en usage tous les gros et vulgaires moyens de l'artillerie
infernale qui voudrait nous inspirer de la terreur et qui ne fait plus peur à personne.
Mais que chantent les amis en prière de Gérontius ou le chœur des anges entourant
son âme, et aussitôt, sans manifester cependant une très caractéristique personnalité
à cause de sa filiation que je signalais, dans cette œuvre du moins, l'inspiration de
M. Edward Elgar révèle un musicien de race, un artiste de goût, un esprit enclin aux
nobles pensées. Sa partition est claire, sonore, d'une belle ordonnance, une expressive
déclamation en met en valeur la partie vocale, et une orchestration abondante sans
inutile fracas y développe la symphonie aux dessins précis et toujours intéressants.
Peut-être pourrait-on reprocher à l'œuvre de manquer de variété dans l'emploi des
motifs, en constatant que l'usage trop répété des mêmes formules lui apporte quelque
monotonie. Mais, à part ces critiques de détail, ce m'est un devoir de rapporter ici la
belle et saine impression que j'ai gardée de cette œuvre hautement conçue et sobre-
ment réalisée, fort bien exécutée par les solistes Mlle Croiza, MM. Plamondon et
Frœlich, par l'orchestre et les chœurs sous l'habile direction de M. Camille Chevillard.
Il nous faut aussi remercier Mme la comtesse Greffulhe, présidente de la Société des
Grandes Auditions, grâce à l'initiative intelligente de qui deux joies artistiques et rares
nous furent offertes. Elle nous a permis dans la même semaine d'admirer la splendide
et précieuse exposition de l'œuvre du grand peintre mystique Gustave Moreau et
d'entendre le beau Songe de Gérontius de M. Edward Elgar qui n'avait pas encore été
chanté en France.
Victor DEBAY.
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Le Soixantième anniversaire
De la carrière musicale de M. Camille Saint-Saëns
Le samedi 19 Mai a eu lieu à la Salle Erard, une manifestation d'une touchante
grandeur. M. Saint-Saëns y fêtait le soixantième anniversaire de sa carrière musicale.
Par une pieuse sollicitude le Maître avait décidé de consacrer les bénéfices de ce
concert, qui ne pouvait manquer d'être fort brillant, aux sinistrés de Courrières
et du Vésuve.
Le concert qui célèbre cette date nous incite à préciser les conclusions qui
s'imposent successivement à l'esprit, lorsqu'on embrasse d'un coup d'oeil la glorieuse
carrière de M. Saint-Saëns.
L'auteur de Sanison et Dalila est un des rares artistes qui peuvent, en pleine pos-
session de leurs moyens, jouir de leur propre triomphe. Il ne s'agit point ici de la
gloire cueillie au hasard d'une inspiration heureuse, qui satisfait un instant les goûts,
parfois peu délicats, de la foule ; il ne s'agit pas non plus de la gloire factice que pro-
curent les enthousiasmes versatiles d'une cénacle. Avec M. Saint-Saëns la gloire a pris
les aspects les plus définitifs, les plus graves, ceux qui seuls consacrent l'effort d'un
homme, lorsqu'il a satisfait les appétits intellectuels de l'humanité en lui montrant de
nouveaux horizons.
Novateur, M. Saint-Saëns le fut dans la meilleure acception du terme ; il n'eut
point de ces audaces faciles, plus propres à exciter la curiosité qu'à émouvoir le cœur;
en même temps qu'il donnait à l'art des sons un aspect qui lui était personnel, il réa-
gissait contre le goût du jour; on était alors peu encHn à favoriser la musique de
chambre ; les programmes n'avaient point la belle ordonnance qu'ils affectent de nos
jours. La fantaisie, sous ses aspects les moins artistiques, y triomphait; le théâtre,
n'était guère plus soucieux d'art pur ; les noms de Gluck et de Weber, voire celui de
Beethoven, y figuraient souvent, mais l'italianisme le moins délicat y faisait égale-
ment fureur ; et les chefs-d'œuvre classiques étaient victimes de ces sortes de trahi-
sons, que la virtuosité des interprêtes, et la complicité intéressée des directeurs d'alors,
rendaient presque quotidiennes.
M. Saint-Saëns défendit d'abord la musique pure comme pianiste. On sait le
talent miraculeux qu'il y déploya ; on sait l'intelligence et la spirituelle élégance de
son jeu. 11 ne s'appliqua point à paraître un virtuose, mais il marqua sa préférence
pour les œuvres qui exigeaient plus de musicalité vraie que de technique. Beethoven
n'eut point d'interprète plus inspiré et Mozart retrouva par lui, sa grâce et sa subtilité
sentimentale.
Non content de vouer un culte aux grands maîtres — alors moins unanime-
ment applaudis qu'aujourd'hui — il mettait également son talent au service des
compositeurs nouveaux que la France ou l'étranger voyait naître. Chopin avait su
vaincre les résistances de la foule par son charme personnel, par le prestige de son
talent ; mais Schumann était presque inconnu. D'autres, plus nouveaux venus, récla-
maient le secours d'interprètes audacieux ; et l'on vit un jour Camille Saint-Saëns
affronter aux Concerts Pasdeloup un public nettement hostile et imposer le concerto
d'Alexis de Castillon. En même temps que, comme exécutant, il défendait un art
— 388 —
méconnu, il entrait plus héroïquement encore dans la mêlée en produisant ses pre-
mières œuvres de musique de chambre.
Au Théâtre une évolution semblable se produisait : la musique ne soulignait le
caractère dramatique des situations, qu'avec la plus extrême fantaisie. Comme
Edouard Lalo, son aîné d'une douzaine d'années, Camille Saint-Saëns avait mis en
faveur la musique de chambre. Comme Gounod, l'auteur de la Symphonie avec orgue,
réagit contre les tendances fâcheuses de quelques-uns de ses devanciers, et donna au
drame lyrique français, cette tenue, cette sobriété d'expression, cette force et cet
accent dramatique, cet intérêt musical, qui constituent encore à l'heure actuelle son
prestige le meilleur.
Je n'ai point la prétention dans ces quelques lignes, d'analyser l'œuvre considé-
rable du plus illustre des musiciens actuels. Il était pourtant intéressant de prendre
prétexte de cet anniversaire pour montrer que, depuis Hector Berlioz et avec César
Franck, il n'est pas de musicien qui ait eu sur l'orientation de la musique une action
plus décisive.
Sa merveilleuse pureté d'écriture, la distinction et la grâce de ses idées mélo-
diques, leur accent dramatique ou leur force symphonique, la surêté de ses dévelop-
pements, la nouveauté et la richesse de son instrumentation apportent dans le domaine
de la musique, la moisson la plus précieuse comme la plus féconde en enseignements.
Il a su retrouver le fil qui relie les temps modernes aux anciennes et admirables
traditions de la musique ancienne. Son œuvre n'est point seulement riche de son
propre génie, elle est remplie de ce je ne sais quoi de mystérieux qui fait l'éternelle
beauté des œuvres du passé. Quoiqu'il écrive — et ce maître n'a dédaigné aucune
des manifestations de son art — quoiqu'il écrive, il reste pur, et le moindre morceau
sorti de sa plume possède son architecture ; ce virtuose prestigieux ne saurait rien
concevoir qui ne soit construit, et les grâces sémillantes qui illustrent y^i^of/^, sont aussi
solidement équilibrées que le premier mouvement de sa Symphonie en ut mineur.
Certains, qui confondent la lourdeur et la profondeur, estimeront que son œuvre
n'est point assez pesante. Laissons-les-dire ; et louons-nous d'avoir connu un musicien
qui sut faire une œuvre considérable dont la joie, le charme, l'esprit et le pittoresque
n'étaient point exclus : trios, sonates, quatuors, sextuors, œuvres pour instruments à
vent, morceau de pianos, messes, motets, pièces d'orgue, symphonies et poèmes sym-
phoniques, concertos, mélodies, chœurs, cantates, drames sacrés et drames profanes,
ballets, pantomimes — tous les genres, Camille Saint-Saëns les a abordés et cela avec
un égal bonheur d'expression, avec une verve et une fraîcheur d'invention intarrissables.
Il ne fut point que novateur dans son art, il a su défendre les idées les plus auda-
cieuses lorsqu'elles tendaient à un art plus élevé : il fut wagnérien en un temps où il y
avait quelque héroïsme à l'être.
C'est tout cela qu'on a fêté l'autre soir chez Erard ; on a fêté l'admirable musicien,
l'interprète prodigieux, l'artiste illustre et probe, qui peut 60 ans après ses débuts,
s'imaginer, tant son talent et ses forces sont vives et jeunes, que c'est encore le pre-
mier jour de sa carrière.
11 est presque inutile de dire que la fête fut superbe. La salle Erard, dont la
noblesse et l'intimité s'accordaient fort bien avec le caractère de la solennité, — avait
un aspect exceptionnellement brillant.
Je ne saurais dire les ovations dont le maître a été l'objet. Ses œuvres, son inter-
prétation ont été l'objet des plus touchantes manifestations d'admiration. lia joué
d'abord l'andante et l'allégro de son premier concerto, puis le Concerto en mi bémol de
Beethoven (un souvenir de ses premiers triomphes), puis deux pièces de piano ;
- 389 -
Wedding-Cake et la Rhapsodie d'Auvergne. Sa virtuosité si intelligente et si fine, son
interprétation simple et compréhensive, son sentiment profond de l'accent et de
l'équilibre des sonorités ont donné à cette exécution un charme d'une indicible
puissance.
Entre temps, Mme Auguez deMontalanta dit, avec une qualité de voix charmante,
quelques très belles mélodies du Maître, entre autres La Cloche et l'Attente. Enfin, deux
pianistes dignes de leur illustre confrère, M. Francis Planté, un des plus admirables
interprètes de l'heure actuelle, et M. Léon Delafosse, gloire jeune encore, mais déjà
pleinement épanouie, ont joué de façon prestigieuse le Caprice héroïque et en his le
Scher^^o pour deux pianos.
Je n'aurais garde d'oublier l'Orchestre du Conservatoire qui, sous la direction
ferme et précise de M. Georges Marty, a exécuté la noble et pure ouverture d'Andw-
tnaque.
Des ovations sans fin ont accueilli le Maître à l'issue du concert, un des plus
beaux de cette saison, celui qui porte sans doute, les enseignements les plus nobles
et les plus féconds. Robert BRUSSEL.
La Quinzaine musicale
Société nationale. — C'est par une séance consacrée exclusivement aux œuvres
de Gabriel Fauré que la Société Nationale a clôturé la série de ses concerts pour cette
année, la trente-sixième de son existence.
La plupart des compositions du maître étaient déjà connues : l'une d'entre elles,
même, cette si charmante Sonate de piano et violon, avait été jouée la première fois,
près de trente ans avant, par l'auteur lui-même, à la même Société Nationale, comme
elle le fut à ce concert du 15 mai dernier, nous n'osons dire « devant le même public »,
bien qu'il se soie trouvé certainement, dans l'auditoire, quelques fidèles amis de jadis,
peut-être des « fondateurs >;, des « jeunes », reconnaissables à leur chevelure blanche...
ou absente.
11 y aurait une belle étude à faire sur le mouvement de cette société de jeunes,
vieille déjà, et forte d'une tradition d'un tiers de siècle, jalonnée de noms désormais
classés : Castillon, Lekeu, Chabrier, Lalo, PVanck, Chausson, pour ne point parler des
vivants.
Pour aujourd'hui, c'est d'un vivant, bien vivant par la grâce exquise et fine de ses
œuvres comme de sa personne, qu'il s'agit.
Le très séduisant Quintette., que M. Fauré a terminé récemment et dont il nous
donnait presque la primeur, a déjà fait l'objet des appréciations élogieuses qu'il mérite,
dans le précédent numéro du Courrier^ à propos de la seule audition antérieure qui en
fut donnée aux séances Pugno-Ysaye. Le rôle du piano, un peu effacé, sans doute à
dessein, dans le premier mouvement, devient beaucoup plus important dans le second,
qui constitue la pièce maîtresse de l'œuvre. C'est un Adagio de belle construction, de
grande envergure et de haute envolée, surtout à partir du thème fugué, tellement expres-
sif et enveloppant... comme sait« envelopper» M. Fauré. Le Finale^ très classique, offre
un rythme charmant et presque continu, perpétuellement instable et ondulant, sans
atteindre le niveau émotif du morceau central.
L'interprétation fort belle du quatuor Capet prendra sans doute plus d'assise et
de passion, lorsque cette œuvre sera mieux assimilée, car nous croyons fermement
qu'on joue mieux ce qu'on sait depuis plus longtemps.
— 390 —
Mme Marguerite Long, dans la partie du programme réservée aux pièces de piano
seul, a donné la mesure de ses qualités de virtuose consciencieuse et intelligente. Le
Thème variée l'un des Nocturnes et l'une des Valses-Caprices étaient les trois spéci-
mens choisis dans l'oeuvre pianistique de M. Fauré : faut-il avouer que les considéra-
tions motivant ce choix parurent difficilement pénétrables à quelques-uns ?
La Bonne Chanson au contraire devait s'imposer à tous et recueillir nécessaire-
ment tous les sufifrages. C'est là, certes, une des meilleures œuvres vocales du maître, et il
semble qu'il nous ait donné raison lui-même, par la grâce plus personnelle et l'aban-
don plus grand qui se manifestèrent ici, dans son jeu si poétique d'auteur — accom-
pagnateur — interprète.
Aussi est-ce très spontanément qu'on fit une chaude ovation au triple musicien in-
carné en M. Fauré, en même temps qu'à la subtile et fine diseuse qui a nom Mme Ba-
thori. A. Sérieyx.
Concerts Jacques TMbaud. — Le célèbre violoniste vient de remporter un
immense succès après l'exécution du Concerto en si mineur et de V Introduction et
Rondo capricioso de Saint-Saëns. 11 a déployé dans ces deux œuvres, brillantes et
de facture habile, les plus charmantes qualités d'expression, de tendresse, de grâce,
d'élégance et de légèreté. L'auditoire enthousiasmé ne voulait pas quitter la salle et
Jacques Thibaud dut revenir six fois, avec un air désabusé qui lui sied moins que sa
physionomie radieuse d'antan, saluer ce public bien exigeant (n'est-ce pas, exquis vio-
loniste ?). Dans la Chaconne de Bach, superbement rendue (mais avec une partie de piano
imprévue...) et dans les Concertos de Mendelssohn, de Max Bruch, et aussi dans celui de
Beethoven, cependant peut-être moins profondément senti, Jacques Thibaud s'est couvert
de lauriers. A côté de lui, son frère, le remarquable pianiste Joseph Thibaud, a particu-
lièrement brillé dans la Ballade en sol mineur de Chopin et dans VEtincelle de
Moszkowski, où sa merveilleuse technique s'est mise en valeur plus que dans les
Variations symphoniques de Franck, qui exigent une puissance et une compréhension
presque majestueuses. L'orchestre Colonne sous la direction de M. Colonne s'est natu-
rellement fort bien acquitté de sa tâche et a fait preuve d'infiniment de délicatesse et de
précision dans l'exécution des ouvertures de Coriolan et de la Grotte de Fingal.
Concerts Mysz-Gmeiner-Wurmser. — A l'occasion du cinquantième anni-
versaire de la mort de Schumann, une audition des plus exquises mélodies de l'im-
mortel romantique a été donnée par Mme Luia Mysz-Gmeiner. Nous n'entendons pas
souvent une interprétation aussi soignée, aussi parfaite des lieder de Schumann que
celle de Mme Mysz-Gmeiner. Tant au point de vue du sentiment et de la compréhension
qu'au point de vue purement vocal, c'est simplement admirable ; c'est le plus délicieux
régal musical que l'on puisse rêver. M. Wurmser au piano est le digne accompagnateur
de Mme Gmeiner, suivant ses moindres intentions, soulignant ses plus subtiles nuances^
Comme soliste, il fut chaleureusement applaudi après une exécution un peu menue du
Carnaval. Un deuxième concert nous a permis d'entendre deux Sonates de Beethoven
(piano et violoncelle), trop rarement inscrites aux programmes, celles en sol mineur et
en la ma/ewr. MM. Wurmser et Pablo Casais y apportèrent leur très musicale expression
qui en fit deux pages attachantes autant par la beauté des idées que par leur riche déve-
loppement. Dans des œuvres de Mozart et de Schubert, Mme Mysz-Gmeiner tious
charma profondément, laissant en nous l'impression ineffaçable d'une perfection rare-
nient atteinte. R.
A propos des concerts de Blanche Selva. — « Deux matinées de musique
moderne. » On ne saurait croire combien ce titre, pourtant si simple, contient d'évo-
cations rébarbatives, inquiétantes ou somnifères, pour un grand nombre de ces
«... gens qui se disent musiciens,
« Et qui ne sont pas du tout des musiciens. »
sans préjudice des autres 1
— 391 —
La musique « moderne » c'est celle où il y a « beaucoup de dièzes » et pas du tout
«d'airs qu'on retient», celle qui « ne finit pas sur l'accord parfait )), uniquement pour
{( épater le bourgeois », etc.
D'où il suit que le virtuose, chevelu de préférence, ne doit pas dépasser Chopin et
Liszt, dans l'ordre chronologique, — ordre bien méprisé d'ailleurs, quand il est ques-
tion de programmes de concert.
Or, croiriez-vous qu'il s'est trouvé de nos jours des virtuoses qui s'avisent de con-
naître les dates des œuvres qu'ils font entendre ? Et la même saison musicale de 1906
voitéclore des programmes anciens comme ceux de M. J.-J. Nin, à la salle ^olian, des
programmes de l'Epoque Romantique comme ceux de M. Gortot, à la salle Pleyel, des
programmes « modernes » comme ceux de Mlle Blanche Selva, les 9 et 16 mai à la même
salle.
L'ancêtre, dans ces programmes modernes, c'est et ce devait être César Franck,
avec son Prélude, Aria et Final, qui date de 1888. Il faut lire, à ce propos, la vigou-
reuse étude que vient de faire paraître (i) Vincent d'Indy sur notre grand maître fran-
çais du xix° siècle; il faut entendre aussi la magistrale interprétation que sait donner
Mlle Selva de ce chef-d'œuvre. Enfin, si l'on voulait se délasser ou stimuler sa gaieté, il
faudrait ensuite se remettre en mémoire certaine opinion risible sur les disciples du
même César Franck, atteints, comme ceux de Wagner, de la « folie dissonante » pro-
voquant des « excitations dépravées. »
Que dire, en ce cas, du Poème des Montagnes de Vincent d'Indy, un disciple,
croyons-nous, du Pater seraphicus ? Que dire de la Sonate et des Variations sur un
thème de Rameau, de Paul Dukas, autre admirateur fervent du génie, aujourd'hui in-
discuté, du « père Franck », le catholique auteur des Béatitudes, de Rédemption et des
Chorals d'orgue ?
Telles étaient les « excitations dépravées » que nous réservaient les programmes de
Mme Selva, l'interprète née des grandes œuvres.
A côté de ces constructions « hiératiques », une large place était faite aux (( pitto-
resques » ; entre la poésie tendre du Nocturne en mi bémol mineur de Gabriel Fauré,
le chaud soleil du Languedoc de Déodat de Séverac, et le soleil plus ardent encore de
VIbéria, d'Albeniz. Quelques épisodes d'ordre purement «descriptif» complétaient cet
attrayant groupement. Ainsi apparurent successivement : Le long du Ruisseau, de
Pierre Goindreau, une nouvelle Scène am bach, aussi pastorale que l'autre, quoique
nullement analogue, mais construite comme celle du maître de Bonn, sur les principes
définitifs de la forme sonate, légués par lui aux siècles futurs; Pagodes, de Debussy,
qui essaie de nous transporter dans le domaine de la pure évocation orientale, pour
laquelle la suppression du septième degré de la gamme majeure n'est peut-être pas
suffisante ; et enfin, la Vallée des Cloches de Maurice Ravel, pour suivre l'ordre cons-
tructif décroissant et l'ordre descriptif croissant, c'est-à-dire les deux courants assez
nets qui se partagent l'art musical symphonique contemporain. Ici, nous sommes de
plus en plus dans l'évocation fantaisiste, séduisante sans doute, poétique peut-êcre,
mais à coup sûr accidentelle et périssable, dans cette incessante gravitation du système
artistique, où de brillantes exceptions, comme les deux derniers noms cités, remplissent
la fonction nullement négligeable des comètes ou des bolides de notre système solaire
par rapport aux vieilles planètes.
Celles-ci, qu'elles soient Bach, Beethoven, Wagner, Franck, ou leurs satellites, sont
peu troublées dans leurs orbites par le voisinage éphémère de ces intéressants météores.
Elles poursuivent leur révolution rythmique et lente, non point en cercle mais en
spirale, vers l'idéal inconnu, toujours renouvelé, où les entraîne leur chef hiérar-
chique, qu'il soit Soleil, Art ou Dieu.
A. SérieyX.
(1) Les Maîtres de la Musique. CESAR FRANCK, par V. d'Indy. Chez Alcan.
— 392 —
Lia Sonate moderne et classique. — « Rendre aussi exactement que possible
l'idée du compositeur — Ne pas considérer la musique comme un objet de luxe et la
mettre à la portée de tous. Ne jamais sacrifier au goût du public. » M. Armand Parent
comprend ainsi le rôle de l'artiste. Cette petite déclaration de principes — si je puis
m'exprimer ainsi — accompagnait le programme des trois séances qui furent données
à la salle jEolian ; elle n'est pas sans utilité, ni sans bravoure. Chez M. Parent, en
dehors de son talent d'exécutant et de sa merveilleuse compréhension, il faut louer la
façon dont il satisfait à l'idéal sévère et élevé qu'il nous propose. Avec le concours de
Mlle Dron, il a donné le bon exemple une fois de plus.
Les concerts étaient exclusivement consacrés à la sonate pour piano et violon. Le 4
mai, nous avons entendu l'œuvre de Lekeu si pleine de jeunesse et d'enthousiasme, si
débordante d'idées, bien que parfois désordonnées. Certainement les sonates de
MM. d'Indy et Magnard que l'on joua ensuite sont plus achevées et plus puissantes, se
terminent davantage. Mais n'oublions pas l'âge auquel Guillaume Lekeu mourut si
malheureusement. Le 11 mai, Bach, Mozart et Schumann ont les honneurs de la soirée,
interprétés dans un style parfait. Le 18, retour aux musiciens plus modernes avec la
sonate de A. de Castillon, mélodieuse et expressive, avec celle de M. Pierné, comme
toujours très délicat et enfin, comme suprême jouissance, la sonate de César Franck,
un des piliers de la musique moderne et de toute la musique rendue avec une ferveur
qui nous a tous émus. Mlle Dron et M. Parent doivent détester les compliments : je
préfère leur adresser mes remerciements et ceux de leurs auditeurs.
Gabriel Rouchès.
Concerts Risler. — M. Risler a repris, aux premiers jours de mai, la série des
auditions sensationnelles qu'il consacrait en décembre aux trente-deux sonates de Bee-
thoven. Il lui a semblé que cette initiation n'avait point épuisé la curiosité ardente et
sympathique de ses fidèles et si nous avons, comme de juste, discerné dans l'auditoire
du Nouveau-Théâtre ou de la salle Erard un certain nombre de néophytes, du moins le
public de la saison frileuse se montre-t-il assidu lui aussi et ne redoute pas de donner
le spectacle de son enthousiasme et de son ivresse en rédicive. A cette heure M. Risler
a franchi la première des trois grandes étapes — s'il faut ainsi parler pour la commo-
dité des esprits méticuleux — qui jalonnent sa route. Je n'insiste pas aujourd'hui sur
la matière de ses programmes ; je l'ai fait il y a quelques mois — on s'en souvient peut-
être — avec scrupule. Je me réserve en outre, encore que je l'ai abondamment louée, de
commenter son interprétation dès qu'il aura plaqué le suprême accord, à la lueur de
quelques comparaisons efficaces et de quelques jugements instructifs. J'ai voulu seule-
ment, en ces quelques lignes, évoquer pour mes lecteurs nos chers souvenirs de cet
hiver et leur rappeler qu'il est temps encore d'aller les revivifier et les rajeunir avant
que l'oracle, dont les plus sublimes paroles ne sont point encore dites, ne se taise lon-
guement. P. L.
CONCERTS DIVERS
L'Union Instrumentale. — Cette fois, c'est dans le coquet théâtre de M. Mors
que VUnion Instru^nentale avait convié un élégant auditoire à venir l'entendre. Les amis
de la jeune et laborieuse société ont été très satisfaits. L'orchestre, sous la direction
précise de M. Tanron a exécuté l'ouverture de Coriolan et la symphonie en ré majeur
"de Bach. Plusieurs solistes remarquables prêtaient leur concours : Mlle Morin, une
excellente pianiste ; M. Poulet, un tout jeune violoniste ; le violoncelliste Vandœuvre et
M. Pivan qui a tenu la partie de hautbois dans le prélude ûe Jeanne d'Arc de Gounod.
Mme Durey-Sohy a chanté en grande artiste l'air de Griselidis et la ballade du Vais-
seau-Fantôme.
Le programme portait enfin le premier tableau du dernier acte d'Orphée^ interprété
— 393 —
par Mme Planés et par Mme Landowski-Messener. La voix sonore, le style de Mme
Planés s'adaptaient merveilleusement à la musique de Gluck. Mme Landowski sut être
une Eurydice tendre et élégiaque, qui nous émut profondément par la pureté et la sim-
plicité même de son chant. ' Gabriel Rouchès.
La Société Internationale de musique 'section française), avait organisé, les i8
et 19 mai, à la Bibliothèque Nationale, sous le patronage du Comité de l'exposition
des Miniatures du xviu' siècle, une audition de musique ancienne qui offrait un intérêt
tout spécial. Une charmante pastorale de Lully fils, le Triomphe de la. Raison sur /'A-
mour fut reconstituée et exécutée avec infiniment d'art par un orchestre de profession-
nels et d'amateurs et des chœurs sous la direction de M. Jules Ecorcheville. Mme
Landowska, dont on connaît le merveilleux talent, joua sur le claTecin deux pièces de
Couperin, et, sur le piano, une So7iate de Scarlatti et le Coucou de Pasquini. Un pro-
gramme somptueux et très artistique était distribué aux auditeurs de cette fête élé-
gante et très xvni°. D.
M. Louis Fleury. — Le concert donné par ce très remarquable flûtiste nous a
permis de goûter un programme charmant fort joliment exécuté par M. Fleury d'abord,
aux sonorités infiniment suaves et à l'expression exquisement enveloppante (Sonate
en mi majeur de Bach, Sérénade de Beethoven, etc.), et par MM. Enesco, Monteux,
Decreus et Baudoin. Nous avons entendu comme première audition une œuvre de Bee-
thoven, ce qui n'est pas banal : Allegretto et Minuetto pour deux flûtes. Est-il besoin
de dire que cette page peu connue se tient assez éloignée de la grande manière beetho-
venienne, mais qu'elle renferme toutefois des effets délicats et chatoyants. Mlle Mary
Garnier a quelque peu compromis la séduisante exécution générale de tout ce pro-
gramme. G. V.
M. Léon Delafosse. — Le concert du distingué pianiste Léon Delafosse avait
amené au Théâtre Sarah-Berhnardt, la plus sélect et nombreuse assistance. Accompagné
par l'orchestre Lamoureux sous la diretion de M. Ghevillard, M. Léon Delafosse a ma-
gistralement enlevé la Grande Polonaise (op. 22) de Chopin. Dans différentes pages de
Bach, Scarlatti, Schumann, Rubinstein, Liszt, etc., son succès a été très vif et de
nombreux rappels lui ont été prodigués.
Mme M. Reichemberg. — Ce qui nous a surtout frappé chez cette très intéressante
pianiste, c'est la juste compréhension dont elle a fait preuve aussi bien dans Beetho-
ven que dans Chopin, Schumann et Liszt. Bien des professionnels pourraient la lui
envier. De plus son jeu posé, réfléchi, souple, lui permet d'interpréter avec bonheur les
œuvres les plus ardues. E.
L'Accord. — Vif succès pour Mlle Menjaud, MM. Jan Reder et Boucrel qui chan-
taient mercredi dernier, au Nouveau-Théâtre, les rôles d'Iphigénie, d'Agamemnon et de
Calchas dans Iphigénie en Aulide, donnée par « l'Accord » ; les musiciens amateurs
qui formaient l'orchestre et les chœurs de cette société auraient encore beaucoup à faire
avant de songer à l'exécution d'une telle œuvre ; néanmoins, leur effort est louable sur-
tout en ce qui concerne les chœurs de femmes. Sachons-leur aussi gré de nous permettre
d'applaudir des artistes comme Mmes Saisset, Duporge, MM. Bischof et Noblet, et
souhaitons qu'à l'avenir « l'Accord )) règne tout à fait entre le bruyant orchestre et son
digne chef. G. O.
Mlle DE MouROMZOFF. — Mlle de Mouromzoff, fille du célèbre président de la Douma
d'Empire, vient de se faire entendre pour la première fois à Paris. Elle chante en italien,
en russe et en allemand, avec infiniment de charme; sa voix est d'une fraîcheur exquise,
sa souplesse lui permet de se jouer des vocalises les plus périlleuses. Son succès fut
immense surtout après la délicate interprétation de mélodies de Pierné, Strauss et
Adam Wieniawski {Oh ! Joueux de Flûte et Mélodie Polonaise). Triomphe aussi pour
MM. Diémer et Darial. Salle comble et sélecte où nous avons reconnu l'Ambassadeur
— 394 —
de Russie et Mme de Mélidow, comtesse Tornielli, princesse Brancovan, princesse
Ourousoff, comtesse Rostopkine,Mme de Serres, Mme Henri Wieniawski, MM. Colonne,
Picrné, Gabrilowitsch, etc.
M. Decreus et Mlle Cheaîet. — M. Decreus, dont nous suivons avec plaisir les
énormes progrès, se classe définitivement cette année parmi les pianistes sur lesquels
on peut compter. Son interprétation musicienne, profonde, précise et brillante à la fois
de la Sonate en ut diè\e mineur de Beethoven et de la Légende de St-François de Paule
de Liszt, nous a vivement intéressés. Mlle Ghemet, avec un programme moins bien
composé, nous a tout de même révélé ses solides qualités de virtuosité et de sonorité.
Nous entendrons certainement parler souvent de Mlle Ghemet et de M. Decreus qui
viennent de s'unir tout dernièrement ainsi que nous l'avons déjà annoncé. E.
M. E. Delaborde. — L'éminent maître du piano vient de donner un concert qui a
véritablement transporté tous ceux qui ont eu le bonheur d'y assister. Ge jeu étincelant,
spirituel, incomparable, mérite mieux qu'une critique élogieuse : le silence de l'admi-
ration. G.
MM. William Bastard et A. de Montrichard donnaient le 12 mars, avec le con-
cours de Mme Bastard-Foex, de MM. J. HoUmann et E. Gigout, à la salle de la rue de
Trévise, un concert presque entièrement consacré à l'audition de leurs œuvres. Après
avoir fait applaudir son talent de pianiste dans la Rhapsodie en sol mineur de Brahms,
M. Bastard accompagnait à Mme Bastard-Foex un Sixain sur des vers de Musset,
ainsi qu'un Poème pour chant et piano sur une poésie d'Ad. Ferrière, dont il est l'au-
teur. G'est un cycle de mélodies, à l'image d'Amour de Poète et de la Bonne Chanson ;
c'est aussi une des premières œuvres, je crois, de M. Bastard et l'on y aperçoit sans
peine le signe des dons les plus heureux, la sincérité, la sensibilité, le charme, l'inspi-
ration la plus aisée et la plus naturellement originale. Mme Bastard-Foex l'interpréta
ainsi qu'un Noël poignant de M. de Montrichard, avec une pieuse, fidèle et intelligente
émotion. UAndante pour violoncelle et orgue de M. de Montrichard joué par M. HoU-
mann et l'auteur, puis sa Sonate pour violoncelle et piano, jouée par MM. Hollmann et
Bastard, eurent le grand et légitime succès que rencontrera toute musique passionnée,
vibrante, chaleureuse et qui frappe droit au cœur. La Sonate de M. de Montrichard n'en
est plus à compter ses victoires et MM. Hollmann et Bastard l'exécutèrent avec l'éclat,
la générosité et la fièvre qu'elle appelle et qu'elle provoque. Elle était précédée de quatre
pièces pour grand orgue de M. E. Gigout, Marche religieuse. Scherzo, Communion et
Toccata, dont on a admiré l'architecture si savante et si claire à la fois, l'inspiration si
élevée, la plénitude et la variété sonores. Il est superflu d'ajouter que le jeu magistral de
M. Gigout, infiniment habile, souple et précis a transporté l'auditoire trop sevré de ces
rares joies.
Mme Mel Bonis et M. Maurice Ravel donnaient le 22 mai à la salle Berlioz une
audition de leurs œuvres qui a eu le plus vif succès. Le quatuor de Mme Mel Bonis,
d'une facture si souple et si ferme, ses trois pièces pour piano et ses Variations pour
deux pianos nous ont permis d'admirer une fois l'art si délicatement expressif et sédui-
sant de l'auteur que l'on était heureux d'applaudir récemment à la Société Nationale.De
M. Ravel, M. Sautelet chanta avec une grâce fine deux mélodies sur des poésies de
Marot et M. Ricardo Vinès, interprète élu de cette musique, joua miraculeusement les
Noctuelles, qui feront, je crois, commettre quelque péché d'envie à plus d'un musicien.
Et il faut pour cette heure exquise de musique rendre grâce aussi à Mlle Gabrielle
Monchablon qui exécuta les œuvres de piano de Mme Mel Bonis, ainsi qu'à MM. Dut'
tenhofer, Monteux et Feuillard, partenaires de l'auteur dans son quatuor.
Mme Marie Gapoy donnait à la salle Berlioz un concert avec le concours de
MM. Georges Loth et Maurice Hewitt. Mme Capoy, dont nous avions examiné l'année
passée le style infiniment pur, l'intelligence et la sensibilité musicales chantait un air
de la Passion d'Haendel, la Vie «t l'Amour d'une femme de Schumann, la Chanson
— 595 —
perpétuelle de Chausson, le Nocturne de Franck et une délicieuse Chanson du Rouet de
Georges Loth. Son interprétation pénétrante et facile de ces œuvres classiques et mo-
dernes a obtenu le plus vii succès et à côté d'elle ses partenaires ont été chaleureuse-
ment applaudis, M. Maurice Hewitt dans la Romance en fa de Beethoven,, la Source de
Schumann et trois pièces de Saint-Saëns et Sarasate pour violon ; M. Georges Loth
dans les Toccata et Fugue en ré mineur pour un orgue de Bach, la Pastorale de Franck
et des fragments de la Première Symphonie pour orgue de Louis Vierne, qu'il a exé-
cutés avec une netteté, une autorité, une aisance et un charme expressif trop rares.
Nous signalons avec joie l'initiative aussi artistique que digne d'intérêt prise par
quelques personnes désintéressées, amies de la musique, qui ont résolu de grouper des
musiciens de bonne volonté et de donner gratuitement aux ouvriers des auditions
musicales. C'est ainsi que dernièrement, rue Lekain, ils faisaient entendre Ruth de
César Franck ; les solis étaient fort bien chantés par Mlles Grégoire et Lirquiens et
par M. Chanoine Davranches. Au programme figuraient encore un chœur de Haendel,
la Pavane de Fauré, etc.
Le programme du concert donné le 1 1 mai par la Société de chant classique (fon-
dation Beaulieu) comportait l'exécution de l'ouverture de Coriolan. de Siegfried-Idylle,
du ballet de Dardantes qui fut superbe (Orchestre du Conservatoire, sous la direction de
M. Marty): puis ce furent trois charmantes chansons du xvi° siècle, merveilleusement
rendues par la Société, des Fragments de Mérowig, de Samuel Rousseau, du Don Pro-
copio, de Bizet, où M. Plamondon et Mme Auguez de Montalant obtinrent le plus vif
succès.
Mlle M. DE Marschalko. — Une jeune pianiste, toute charmante, Mignon de
Marschalko, se faisait entendre les 12 et 16 mai au Châtelet, avec l'orchestre Colonne.
Cette enfant, — car c'est encore une enfant, — joua avec les qualités que lui permettent
d'avoir acquis son âge, des concertos et pièces de Liszt, Chopin, Weber, etc. Il est à peu
près certain que ces qualités se développeront encore et que Mlle de Marschalko sera plus
tard une virtuose éminente du clavier.
Les affiches de cirque qui annonçaient ces concerts, et les notes outrancières et
ridicules parues dans les journaux quotidiens, montraient assez que l'organisation de
cette sorte d'exhibition d'enfant, était encore entre les mains d'un de ces impresarii
étrangers, qui opèrent, hélas ! trop souvent à Paris, et s'offrent aux familles pour
lancer, à haut prix, leurs jeunes phénomènes. Nous ne savons si, en l'espèce, les parents
et la jeune artiste ont eu lieu d'être satisfaits du résultat : nous en doutions l'autre
jour, en considérant, perdus dans l'immense salle du Châtelet, les quelques centaines
d'auditeurs conviés à ces séances. Et quel public, Seigneur ! !... Du moins la
jeune artiste a-l-elle eu l'insigne honneur d'être accompagnée par l'Orchestre des
Concerts Colonne et son romantique chef qui présidait à ces agapes de famille !
F. T.
U abondance des matières nous oblige à reporter au prochain numéro les comptes
rendus de la Schola Cantorum, de la Société J.-S. Bach, des Concerts Cortot, et d'un
grand nombre de Concerts divers.
— 396 —
Le mouYemenl musical en province et à l'étranger
MARSEILLE. — Même tardivement, il convient de donner un post-scriptum aux
comptes rendus des Concerts classiques de Marseille.
D'abord je crois bien que Marseille est la seule ville de province où ces con-
certs aient lieu, comme à Paris, tous les dimanches et cela dans une salle plus grande
que rOpéra-Comique, d'une acoustique d'ailleurs excellente. Même à Nancy, où l'im-
pulsion de Guy Ropartz est si vigoureuse, il n'y à eu l'hiver dernier, que douze con-
certs; ici, nous en avons, comme d'habitude, entendu vingt-quatre, de plus en plus inté-
ressants. Au vingtième, s'acheva, avec la Neuvième, l'audition de la série des Sympho-
nies de Beethoven. Cette série faisait elle-même partie d'une Histoire de la Symphonie
qu'on ne put, évidemment, donner complète, qui conduisit néanmoins les auditeurs
depuis les primitifs jusqu'à nos contemporains.
G. Franck ne fut pas omis, cela va de soi. Sa Symphonie, hélas unique, — unique
dans tous les sens du mot — fait partie du répertoire de notre orchestre. 11 la joue avec
toute l'ampleur, la conviction, l'émotion qu'elle exige. Notre public la connaît
bien ; il en démêle la complexité, en suit la trame, se laisse emporter par elle vers
les hauteurs de l'idéal pur et quand, à la fin, éclate aux cuivres, comme un chant de
victoire morale, le choral solennel déjà entendu au premier temps, d'enthousiastes et
unanimes bravos retentissent. Dans ce concert, Mme Ida Eckmann, la célèbre cantatrice
finlandaise, chanta de sa voix si étendue et si homogène, un air des Noces de Figaro
en italien ; puis en français et en allemand, des lieder, ou spirituels ou mélancoliques,
tous avec un charme exquis.
Au vingt-deuxième concert, on entendit la Symphonie fantastique de Berlioz.
Nous sommes encore de ceux, et nous nous en flattons, qui en goûtent la variété et
l'envolée géniales.
Au vingt-troisième concert, Haendel et Bach voisinaient avec Wagner et César
Franck. De celui-ci on redonna la Symphonie qu'on entend volontiers deux fois dans
la même saison, tant la science et l'inspiration y ont à l'envi multiplié leurs richesses.
Aux œuvres connues, le programme ajoutait deux nouTeautés : l'Ouverture du Tasse àe
E. d'Harcourt, une œuvre que Mendelssohn, s'il avait vécu de nos jours, initié à tous
les secrets de la polyphonie, aurait peut-être signée. Puis l'Appretiti Sorcier de
P. Dukas, une page éminemment personnelle, où se déploient, non seulement une éton-
nante ingéniosité, mais encore une verve admirable.
Le vingt-quatrième concert était donné au bénéfice de notre excellent chef d'or-
chestre, Gabriel Marie. M. Francis Planté, toujours aimable, lui avait presque gracieu-
sement prêté son concours. Je n'ai pas à apprendre aux Parisiens ce qu'est ce merveil-
leux artiste. Quelques jours après, aux Concerts spirituels du Conservatoire, il donnait
le même programme qu'ici : Andante d\in concerto de Mozart, Concerto en sol m,ineur
de Mendelssohn, Fantaisie pour piano, orchestre et chœurs de Beethoven. L'enthou-
siasme qu'il suscita, au sanctuaire de la rue de Trévise, où le public sélect est d'ordi-
naire si réservé, éclata dans notre immense salle Valette, en tonnerres d'applaudisse-
ments. Je parlais plus haut de l'excellente acoustique de cette salle. On put en juger ce
jour-là : le jeu de Francis Planté est d'un fini, d'une délicatesse invraisemblable ; les
moindres détails, les notes les plus menues furent perçues distinctement.
Et c'est un des charmes de ce talent, unique en son genre : il est égal à lui-même
que ce soit devant un millier de personnes, que ce soit dans l'intimité. Le jeudi saint,
dans la salle des Concerts du Conservatoire encore vide et quasi obscure — c'était trois
heures avant le concert public, — pour celui qui signe ces lignes et pour un de ses
jeunes compatriotes, le maire de Mont-de-Marsan, M. Francis Planté, voulut
bien jouer pendant une heure des Etudes de Chopin. Là, dans la solitude et la
pénombre, ce fut exquis. Les deux auditeurs, confus de tant d'amabilité, n'oublie-
ront cela de leur vie.
— ?97 —
Si je me permets de le raconter, c'est que la personnalité du grand artiste s'y montre
sous un de ses sympathiques aspects. Ils en savent quelque chose, les Marseillais qui
l'ont entendu chez la sœur d'Edmond Rostand, Mme Mante. 11 faut savoir qu'au château
de Valmante, plusieurs des grands virtuoses venus pour nos Concerts Classiques ont
trouvé à qui parler. Non seulement les châtelains sont des hôtes charmants, tous deux
ouverts à toutes les questions d'esthétique, mais encore Mme Mante, dépassant de
beaucoup le mérite des amateurs les plus distingués, est une artiste de premier ordre.
Jouant, à deux pianos, du Bach ou du Schumann avec Francis Planté, elle égala la
perfection de son partenaire. Ce fut un régal !
El ce serait, dans un compte rendu, au Courrier Musical, donner une idée tout à
fait incomplète du sort de la musique à Marseille que de ne pas mentionner l'accueil
qu'y reçoivent des artistes comme la très émouvante pianiste Mlle Flora Joutard et le
jeune, sympathique et déjà célèbre violoncelliste belge Marix Loevensohn.
Enfin tous ceux qui ont passé par ici, tous ceux qui, pendant l'été, l'ont entendu à
Royat ou à Evian vous diront que notre orchestre possède un soliste incomparable, le
hautboïste Jean. Paris, où il a remporté un premier prix au Conservatoire, pourrait
nous l'envier. Heureusement pour nous, auxquels la perfection de son jeu et de son art
suffirait à révéler le grand art, il tient à Marseille, son pays.
Après la série normale de nos Concerts Classiques, notre orchestre a payé fort cher
Paderewski pour venir jouer au bénéfice de l'Association. En dépit du bruit fait autour
du nom de Paderewski et de l'éclat de son prestigieux mécanisme, M. Jean, ce jour-là,
avec un simple Largo de Haëndel, a suscité dans l'immense auditoire une émotion
autrement profonde et méritée, une ovation telle que Paderewski n'a pas pu ne pas
éprouver une pointe de jalousie.
En résumé, — mon témoignage ne saurait être suspect puisque je ne suis pas Mar-
seillais — j'affirme que dans ce pays-ci l'auditeur le plus difficile a maintes fois l'occa-
sion d'éprouver, à nos Concerts Classiques et en des réunions plus ou moins privées,
de grandes joies d'art. G. Derepas.
LE H^VRE. — Le troisième concert donné par Mlle Duranton offrait l'intérêt
particulier d'une première audition : celle d'un Trio en fa mineur de notre conci-
toyen Henry Woollett. C'est l'une .des oeuvres les plus séduisantes, les plus
limpides et les plus intéressantes de cet éminent compositeur.
Les connaissances techniques très sûres que possède Henry Woollelt n'ont pas
atténué le charme d'une inspiration fraîche et personnelle. On y sent l'homme qui
connaît son métier à fond, mais aussi l'artiste ému dans cet emploi extrêmement
curieux de motifs populaires, particulièrement dans l'allégro. Cet allegro débute par
une phrase de plain-chant appuyée sur une basse de contrepoint au piano, puis cette
phrase évolue en forme de motif populaire sur une basse persistante, et cette évolution
se fait avec une simplicité et une élégante ligne tout à fait jolies.
Un chant mélancolique caractérisé par l'alliance des accords de fa majeur et de mi
mineur — inaugure VAndante, le violoncelle soutenu d'arpèges au piano ré-
pond par une phrase chaleureuse, puis la phrase de début revient et se résout dans les
harmonies évasives. Un scherzo très rythmé, très amusant de recherches tonales et de
martellement de notes forme le passage vers \e final où se combinent les thèmes de
l'andante et de l'allégro pour s'achever sur une suite d'accords violemment colorés. Par
la cohésion des divers éléments, par la sûreté des harmonies, par l'intérêt des recher-
ches techniques, parle charme enfin, ce Trio en fa majeur de Woollett, est non seule-
ment l'une de ses meilleures œuvres, mais une œuvre très attachante et remarquable.
Le compositeur avait là des interprètes qui en surent rendre les moindres effets,
Mlle Duranton avait en effet à ses côtés M. Hayot et M. Schidenhelm.
Mlle Duranton exécuta de très belle façon VEtude en ut diè:{^e mineur de Chopin, la
Bourrée de Bach-Saint-Saëns et une pièce de Scarlatti. Puis avec M. Schidenhelm le
Concerto de Lalo, œuvre puissante et pleine de science, mais qui en dépit du talent qu'y
- 598 -
apporta ce violoncelliste ne manqua pas de paraître bien ardue et peu séduisant — hor-
mis dans le charmant Intermezzo.
Quant à M. Hayot, il fut admirable : il y a peu de violonistes dont le jeU soit à la
fois d'une telle ampleur et d'une telle pureté : il nous le témoigna dans le Cygne et là
Havanaise de Saint-Saëns et surtout il donna de la Sonate à Kreutzer., aveu le concours
de Mlle Duranton, Une interprétation autrement prenante, autrement émUe, autrement
humaine, que celle que noua en donnait ici même deusf mois avant Sarasatê.
Nous avons eu depuis lors le prestidigitateur Hollmann, mais encore qu'il se crut
obligé de nous gratifier d'insipides virtuosités : Arlequin dé Pôpper et compositions de
M. Hollmann lui-même, combien l'illustre violoncelliste est cepéfidant âUtfe chose et
mieux qu'un unique virtuose quand il interprète comme il le fit la Sonate en ut mineur
de Saint-Saëns et celle en ut majeur de Haendel, car là il fut Vraiment admirable dé
puissance et de délicatesse, de sonorité aisée et sans truquage. Il accompagnait sur l'af^-
fiche Mme Roger-Miclos, qui donna une ejîcellefite interprétation intégrale de l'admi-
rable Carnaval de Schumann, faisant preuve d'une rare aisance de sensibilité profonde :
elle exécuta avec les mêmes rares qualités la Marche Funèbre, la Septième et là Neu'
vième Valses de Chopin et ces deux délica^ts bibelots^ au seris charmant dU mot, que
sont les Moulins à vent de Gouperifl et VAriettà variée de Haydn.
G. J. A.
TOULOUSE. — Les théâtres et les salles de concert viennent de fermer leurs
portes ; voici donc le moment de jeter un coup d'œil rétrospectif sur la campagne
qui vient de se terminer dans la capitale du Languedoc.
La direction du Théâtre du Capitole a monté quatre ouvrages nouveaux, ou pour
mieux dire, n'ayant jamais été joués sur notre scène ; ce sont : l'Etranger., le Juif Po-
lonais., la Reine Fiamette et le Jongleur de Notre-Dame. Des opinions diverses ayant
été émises dans le Courrier Musical sur ces œuvres, je m'abstiendrai de formuler la
, mienne.
Je parlerai plutôt des concerts. La Société des Concerts du Conservatoire est en pleine
vogue, sa renommée s'étend dans le Midi ; à chaque audition arrivent les mélomanes des
départements voisins, attirés par des programmes de choix et, il faut bien le dire, aussi
par des exécutions soignées en général et parfois hors de pair.
Au dernier concert qui clôturait la quatrième année d'existenée de cette société, M.
Crocé-Spinelli avait inscrit au programme : la Symphonie en ut mineur., dont l'inter-
prétation lui valut un chaud succès, puis un Prélude religieux de Mi Paul Lacombe,
bâti avec deux thèmes sur lesquels semblent planer un souffle « parsifalesque » et la
Grande Pàque russe de Rymsky-Korsakoff. On avait fait appel pour cet ultime séance
à M. Hasselmans, le violoncelliste au solide talent^ qui se fit longuement applaudir dans
un Co7icerto àe M. d'Albert et dans la troublante Elégie àe Gabriel Fâuré, qu'il joua de
la plus heureuse façon.
Finalement, la Société de Musique de chambre prenait congé de ses fidèles abonnés
en faisant entendre le (Quintette pour clarinette et cordes de Mozart, le Septuor avec
trompette de Saint-Saëns, et la vieille — mais sempiternellement jeune — Sérénade du
bon père Haydn.
En voilà jusqu'en novembre prochain pour la saison symphonique. Quant à la sai-
son lyrique, elle s'ouvrira le 15 octobre, avec comme première reprise — définitivement
arrêtée — la Louise de Charpentier.
Omer Guiraud.
LIEGE* '^ Depuis ma dernière eorrésporidaticé, plusieurs concerts impot-tahts par
la notoriété des Solistes aussi bien que par lés œuvfes données en premièl-e audi-
tion ont donné quelque vie à notre milieu musical.
U Association des concerts populaires dirigée pai- J. Debefvé, a fait Èhtetidre à èes
derniers concerts la Symphonie enJU de H. Goetz, mort art 1876^ âgé de 56 àflS. D'àprè S
— 399 —
les différentes œuvres qu'il a laissées et notamment sa symphonie, on ne peut nier
que Tart musical ait perdu trop tôt un disciple éclairé des grands symphonistes alle-
mands. L'écriture alerte, la pondération de la forme et des moyens mis en œuvre déno-
tent un maître qui, ce nous semble, n'a pas été sans influence dans la formation artisti-
que de Richard Strauss. On remarque surtout la sonorité étoffée du quintette d'archets
dans l'adagio et la joie solide et franche qui circule à travers le final encore relevé par
une belle coloration. C'est de la, bonne et sincère musique et peu de conducteurs d'or-
chestre l'ont distinguée car on ne s'est pas encore fait le protagoniste de cette œuvre
qui remonte cependant environ à quarante ans.
Mentionnons aussi Hutsiska, ouverture de Dvorack, débutant par un thème assez
solennel confié aux « bois )) et qui reparaît avec ampleur par tout l'orchestre pour con-
clure, mais entre ces deux extrémités que de bruit et peu de musique.
Le poème symphonique la Mer de Debussy demande, pour être jugé, une autre au-
dition.
Des pages plus intéressantes que le Cortège héroïque de V. Vreuls ayant précédé
cette œuvre, nous nous dispenserons d'en parler au profit de la Sixième Symphonie de
Glazounow qui, malgré ses tendances peu accusées, a cependant des affinités avec les
néo-classiques. En somme l'œuvre est agréable, pondérée et les thèmes, notamment
des deuxième et troisième parties, ont du charme mais l'on chercherait en vain un peu de
la personnalité qui a attiré l'attention sur l'école russe représentée par les Borodine,
Rimsky-Korsakow, etc.
Quant aux solistes, nous avons eti l'impeccable et sérieux violoniste Lucien Capet,
interprète classique du Concerto de Beethoven et de pièces diverses de Bach et assez
courageux pour tenter en public l'expérience d'une nouvelle œuvre, la Rhapsodie pié-
montaise de Sinigaglia. Le pianiste E. d'Albert nous est aussi revenu jouant superbe-
ment le délicieux Concerto en sol de Beethoven, et d'autres œuvres de Schubert, Cho-
pin, etc.
La cantatrice Mme Kachowska dont la voix semblait fatiguée a chanté avec un
beau style et en musicienne, la scène finale du troisième acte de Tristan, précédée à
l'orchestre du prélude du premier acte, et celle du Crépuscule des Dieux, également
précédée de la Marche funèbre de Siegfried.
N'oublions pas le violoniste A. Zimmer, dont les progrès se sont manifestés dans le
Concerto en si mineur de Saint-Saens, qu'il a joué avec une virtuosité sûre.
D'autres concerts organisés aux profits de divers sinistres ont donné lieu à des so-
lennités musicales de premier ordre. Grâce à ces circonstances nous avons eu l'avan-
tage de recevoir E. Ysaye qui a eu l'attention de renouveler en sa ville natale le récital
donné par lui récemment à Bruxelles. Ce beau programme synthétique composé des
concertos de Bach, Mozart et Beethoven fut une jouissance continue et rare par l'inter-
prétation hors pair du Concerto pour violon et deux flûtes n° 4 de Bach, pour lequel
MM. Radoux et Sermont prêtaient leur concours.
Le Concerto en solde Mozart, remarquable par l'andante, et la sérénité, la noblesse
avec laquelle M. Ysaye joua la Concerto de Beethoven obtinrent dé multiples ovations
auxquelles le maître répoiidit gracieusement par le final du Concerto de Mendelssohn.
Ajoutez à cela les ouvertures de la suite en ré de Bach, Cosi van lutte de Mozart
et Fidelio de Beethoven dirigées non sàris talent par Théo Ysaye et vous âUfêz le bilan
de ce soir mémorable.
Non moins important fut le concert confié à la direction autorisée d'Edouard
Brahy, dont nous aVons eu enfin l'occasion d'appréciél- la valeur péU commtihe dans
l'interprétation extraordinairement vécue de Patist-Symphûnie de Liszt. Grâce aux col-
laborations dévouées des « Disciples de Grétry » pour lés chœui's ; de l'orchestfe qui,
ayant immédiatement reconnu la supériorité de notre concitoyen, l'a vaillamment
secondé et a répondu aux exigences de son chef occasionnel dont le règne quoique
éphémère aura suffi à révéler sa compétence et à nous faire désirer le revoir souvent.
Parmi les détails pafticUlièrement mis en relief dans cette œuvre eompléxé et de
grande envergure, mentionnons l'excellente impression que la voix chairmeuse de
— 400 —
M. Plamondon a faite dans le solo de ténor, les phrases expressivement dites par le
violon de M. Maris, le hautbois de M, E. Charlier et l'ampleur ajoutée par le grand
orgue touché par M. Lucien Mawet.
L'orchestre ainsi transformé et attentif aux moindres intentions de son jeune chet
mit encore toute la concentration voulue dans le resplendissant prélude de Lohenorin.
fit sonner avec ardeur les Bruits de fête chez Cafulet de Berlioz et redevint classique et
précis dans l'ouverture de Léonore de Beethoven. Pareille jouissance ne nous avait
plus été octroyée depuis longtemps, car si des solistes de premier ordre ne nous font
pas défaut, il n'en est guère ainsi, hélas, des chefs d'orchestre réunissant les qualités
que l'on exige d'eux aujourd'hui et que nous avons eu plaisir de rencontrer en notre
concitoyen E. Brahy.
Un mot encore pour signaler le succès fait à l'exquise cantatrice, Mme Julia Gulp,
qui a triomphé par le talent qu'elle déploie dans les lieder de Schubert et qu'elle met
aussi au service de mélodies qui doivent beaucoup plus à leur interprète qu'à leur valeur
propre. F. M.
Concerts annoncés
Salle Pleyel
Juin
1 Mme Hall, avec orchestre.
7 Mme Roger-Miclos-Battaille.
8 M. Alfred Cortot.
lo M. Luc. Wurmser (élèves).
Salle Erard
I Concert de Bienfaisance.
M. Bourgeois.
Juin
6 M. de Radwan.
7 M. Risler.
9 Mme Lafaix-Gontié.
14 M. Risler.
Salle des Agriculteurs
i Mme Boucherit. M. Pugno.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A l'Opéra. — M. Taflanel, très souffrant depuis de longs mois, vient d'adresser sa
démission à M. Gailhard. M. Taflfanel sera remplacé par M. Paul Vidal, comme pre-
mier chef: M. Mangin conserve ses fonctions, et le troisième poste de chef d'orchestre
a été confié à M. Henri Busser.
— L'Opéra vient de reprendre Salammbô.
— Le Chemineau de Richepin et Xavier Leroux, qui devait être joué à l'Opéra-
Gomique, sera représenté à l'Opéra.
— Les études à' Ariane^ de iMassenet, sont en bonne voie.
A VOféra-Comique. — L'Opéra-Comique vient de donner la première réprésen-
tation de la Revanche d'Iris, de M. Paul Ferrier, musique de M. Edmond Diet. La
comédie du même titre, d'où l'auteur a tiré le livret fut créée en 1867, au Théâtre-
Français, par M. Goquelin aîné et Mme Provost-Ponsin.
Adapté à la scène lyrique, l'ouvrage garde toute sa fraîcheur, et la partition de
M. Edmond Diet, traitée dans la forme du dialogue musical, souligne habilement et
avec esprit le caractère des personnages \ Mlle Tiphaine et M. Delvoye en sont les
deux excellents interprètes.
M. Picheran, au pupitre, a su mettre en valeur les jolis détails d'une instrumenta-
tion soignée.
— 40' —
— Samedi, devant une salle archicorable, très brillante reprise de la Basoche, le
délicieux et spirituel ouvrage de MM. Albert Carré et André Alessagcr.
Le rôle de Colette a trouvé en Mme Marie Thiéry l'interprète rêvée. C'est une vé-
ritable création qu'elle a faite.
La toute gracieuse Mlle Pornot, l'impeccable ténor Clément et l'inimitable Fugère
ont droit aussi aux éloges les plus grands et les plus mérités.
— Voici la distribution complète du Clos, opéra-comique en quatre actes, de M.
Michel Carré, musique de Silver, que l'on répète pour en donner la première du i" au
5 juin.
Pierre Hennebaut, MM. Dufranne ; Jean Simon, Edmond Clément ; Hennebaut,
Vieulle ; Blaisot, Cazeneuve ; Gervais, Billot ; Pacôme, Langlois ; Geneviève, Mmes
Marie Thiéry ; Margot, Dangès.
— Toujours à rOpéra-Comique : Mme Maria Gay a donné une seule représentation
de Carmen : une interprétation éminemment originale et colorée. Elle a été très
applaudie.
Jeudi soir 7 juin, aura lieu salle Pleyel, le deuxième concert donné par Mme
Roger-Miclos, M. Louis-Charles Bataille et le quatuor composé de Mmes Astruc
Doria, Olivier, MM. Drouville et L.-Ch. Bataille; au piano M. P.-D. Hérard. Le pro-
gramme qui comprend plusieurs premières auditions du plus haut intérêt artistique,
clôturera brillamment la saison de concerts de ces éminents artistes.
Une soirée artistique lort intéressante a eu lieu mercredi dernier au « Cercle des
Arts ». Devant une assistance nombreuse et choisie, M. Camille Mauclair a développé
avec un art exquis sa conférence en traitant du Culte de la musique. Par des raisonna-
ments imagés, d'un coloris verbal raffiné, il fit valoir la qualité émotive de la musique,
sa supériorité par rapport à la parole et son empire absolu sur l'âme humaine, — cette
ivresse incomparable que nul autre art n'est capable de verser en nous, à un tel degré.
Ce fut dit avec rythme et la poésie s'y mêla.
La conférence a été suivie d'une partie musicale, où l'on a pu apprécier la voix si
souple de Mme Jane Arger, en des mélodies heureuses de A. Coquard et de Rimski-
Korsakow, — et la robuste personnalité de Mlles Thérèse et Suzanne Chaigneau
(piano et violon) qui interprétèrent avec science, finesse et beaucoup de sentiment des
œuvres maîtresses de Mozart et de Schubert. L'ensemble a été d'une tenue artistique
excellente.
La « Société Chorale d'Amateurs », fondée par Guillot de Sainbris, a donné la
semaine dernière un très brillant concert consacré à Saint-Sacns, au cours duquel on
a vivement applaudi M. Boucrel, l'excellent chanteur.
Au cours Sauvrezis vient d'avoir lieu une remarquable audition des élèves de piano
supérieur. Le programme était consacré aux « Variations classiques et modernes »,
Mlle Alice Sauvrezis, dans une étude très documentée, a montré la progression dans
la manière de traiter le thème varié depuis les (( doubles » de RSameau jusqu'au Varia-
tions symphoniques de Franck et de d'Indy, en passant par Mozart, Beethoven, Men-
delssohn, Schumann, Brahms, etc. Puis elle a signalé l'application du thème varié à
la musique dramatique, en faisant une intéressante analyse du leitmotiv dans Par-
sifal.
Charmant intermède par les élèves du cours de chant, dirigé depuis cette année par
Mme Mellot-Joubert.
Notre conlrère et collaborateur, M, Ecorcheville, vient de soutenir brillamment en
Sorbonne sa thèse de doctorat ès-lettres sur les sujets suivants, exclusivement musi-
caux : 1° Vingt suites d'orchestre du XV II" siècle français, publiées d'après un manus-
crit de la Bibliothèque de Cassel avec une étude historique et critique. 2° De Lm//î à
Rameau : L'Esthétique musicale. Le jury était composé de MM. Croiset, doyen, Lcmon-
nier, G. Séailles, auxquels on avait adjoint MM. C. Saint-Saëns, M. Emmanuel, Ro-
— 402 ■—
main Rolland et Gazier. M. Ecorçhevillé fut particulièrement félicité par M. Saint-
Saëns pour ses remarquables travaux et ses publications intéressant au plus haut point
l'histoire musicale. Nous publierons très prochainement une étude de M. Ecorçhevillé
sur Corneille et la, musique.
L'audition annuelle des élèves de Mme Bourgarel-Baron, le distingué professeur de
chant, a eu lieu le 19 mai, salle Lemoine, avec un succès mérité.
De nombreux élèves, dont quelques-uns sont déjà des artistes, méritent d'être
cités. Mmes Besnard et Jacquinot, deux très beaux soprani, Mlle Malet, des Concerts
Colonne dans le Clavecin de Gaston Paulin, accompagnée par l'auteur et soutenue par
le violon de Magdeleine Godard, qui prêtait son concours à cette charmante fête, a eu un
vif succès. Citons encore MM. Besnard et L'Herbier et Mlles Boume, Vaudin, Suaire et
Mallet.
M. Sujol, professeur au Conservatoire, présidait cette charmante soirée qui fait
honneur au professeur. Reconnu dans l'élégante assistance, au hasard, comte et com-
tesse de Meritens, Docteur Vaudin, Docteur et Madame Poirrier, comte et comtesse
Bertini, le peintre Billoul, etc., etc.
Le samedi ig mai, Mme Magdeleine Symiane donnait un récital de ses œuvres.
Compositions jolies, légères, toutes de charme et de distinction, avec cette suprême
élégance — si rare chez une musicienne — d'éviter de masculiniser son talent. La mu-
sique très personnelle de Mme Symiane fait songer à la littérature de Mme Deshouillères,
si émouvante parce que sincère et délicate.
Evocation galante du siècle aimable, dans la Révérence délicieusement interprétée
par Mlle Veniat, poèmes d'amour chantés par Mme Castagnié et Mlle Aubray, — tout,
(et j'en passe) a valu à l'auteur et à ses interprètes des applaudissements chaleureux.
Mais l'imprévu, le triomphe de la soirée fut l'audition de Mme Juliette Wermez, de
la Scala de Milan. Jamais, depuis les grands jours de la Patti et de la Nilsson, jamais
on n'entendit à Paris une voix plus belle, plus puissante, plus enveloppante et plus
suggestive. Mme Wermez, une Française, est justement célèbre en Italie. Que n'est-elle
ici, à la première place ? La méthode est parfaite, le son, d'une pureté incomparable,
possède l'étendue et la douceur. Ce fut une révélation véritable et l'ovation du public
d'élite réuni ce soir-là est, nous croyons le savoir, le prélude de succès prochains sur
une scène vraiment digne du grand talent de Mme Wermez.
Jean Marcel.
Au cours de sa séance de samedi, l'Académie ders Beaux-Arts a décerné le frix Tré-
mont, d'une valeur de i.ooo francs, à M. Gabriel Dupont, auteur de la Cabrera,
l'œuvre couronnée en Italie, qui fut représentée, la saison dernière, à l'Opéra-
Comique.
Le prix Chartiçr, d'une valeur de 500 francs, destiné à encourager la musique
dite de chambre, composée par un musicien français, est décerné à M. Charles
Duvernoy.
Le Prix Monbinne, d'une valeur de 3.000 francs, qui doit être décerné à l'auteur de
la musique d'un opéra-comique en un ou plusieurs actes, que l'Académie aura jugé le
plus digne de cette récompense, a été donné à M. Ch.-M. Widor, pour les Pêcheurs de
Saint-Jean, représentés à l'Opéra-Comique.
Les revenus de la fondation veuve Duchêne (700 francs), qui doivent être accordés
en deux portions égales, pour le perfectionnement de leurs études, à une jeune musi-
cienne et à une jeune comédienne, élèves du Conservatoire, a été partagé entre
Mlle Baylac, élève des classes de chant et Mlle Gorlys, élève des classes de comédie.
Enfin, les membres de la section musicale, rentrés de Compiègne, ont rendu compte
à la Compagnie des opérations de la matinée.
MM. Marsick, André Gailhard, Le Boucher, Mazelier et Dumas sont entrés en
loge, après avoir écrit, sous la dictée du secrétaire perpétuel, le texte de la cantate cou-
ronnée, qui a, cette année, pour titre : Ismaïl, et pour auteur M. Eugène Adenis.
— 403 —
La jury du Concours Crescent, réuni au Conservatoire, sous la présidence de
M. Camille Saint-Saëng, a décidé de partager le prix de composition symphonique
entre deux partitions : l'une de M. Eugène Cools, l'autre de M. Guy Rofartz.
La première de ces oeuvres est une symphonie en ut mineur, pour orchestre seul ;
la seconde une symphonie en mi majeur pour chœurs et orchestre. C'est la première
fois que le concours Crescent revêt la forme symphonique.
Le prix à partager est de 20,000 francs. Chacun des deux auteurs recevra, en outre,
une prime de 1.500 francs pour frais de copie.
Les chefs d'orchestre qui exécuteront les partitions couronnées recevront :
4.000 francs pour la symphonie proprement dite ; 10.000 pour la symphonie avec
chœurs.
Quelques recettes de théâtres et concerts de Pari?, en 1905, qui permettent de
curieuses comparaisons :
Opéra 3.132,3-15
Opéra-Comique 2. 410. 381
Concerts-Colonne 234. 100
Concerts-Lamoureux 203 . 195
Concerts du Conservatoire 169.022
Bal Tabartn ^6^. 4$ 2
Folies-Bergères / . 562 . og2
etc., etc.
Péronne. — Au concert donné le 25 avril par la Société symphonique^ Mlle Ger-
maine Chevalet, la jeune cantatrice, a remarquablement interprété le Roi des Aulnes^
des mélodies de Paladilhe et de Levadé, ainsi que la Ballade du Désespéré de Bemberg
(avec le concours de son frère M. Paul Chevalet, de l'Odéon).
Mlle Germaine Chevalet a également chanté le duo du Roy d'Ys \ son partenaire,
M. Fernand Francell, lui a donné la réplique et a obtenu aussi un vif succès.
M. Diran Alexanian, violoncelliste de grand talent a été très apprécié dans l'exé-
cution d'une sonate de Boccherini. L'orchestre était dirigé par MM. Boidin et Coûtant ;
M. Jean Verd a excellemment tenu le piano d'accompagnement.
Les représentations de la Vestale, de Spontini, à Béziers, auront lieu les 26 et
28 août : comme interprètes, Mmes Strasy, Bastien, MM, Duc, Gazeneuve, Delmas.
L'orchestre, 250 musiciens, sous la direction de M. Nussy-Verdié.
La Théodora, de M. Xavier Leroux, sera représentée, au niois de mars prochain,
sur la scène de Monte-Carlo. Mnie Héglon, qui vient de faire une superbe rentrée, à
l'Opéra, dans Dalila, créera le rôle de Théodora.
Thérèse, le drame musical, en deux actes de M, Massenet, poème de M, Jules Cla-
retie, passera en février, toujours à Monte-Carlo, avec Mlle Lucy Arbell dans le rôle de
Thérèse, MM. Dufranne et Clément.
Nancy. — Le concours international de musique vient d'être fixé aux 16 et 17 juin
1907.
Une rectification. — Nous avons publié, dans notre dernier numéro, une note
annonçant que M. Knosp se proposait d'organiser à Paris une section française de la
Société internationale de Musique. Présentée ainsi, cette information est inexacte : c'est
une section française d'études de la musique exotiqtce que veut instituer M. Knosp. Cette
nouvelle organisation sera rattachée à \ Internationale Musik-Gesellschaft, dont la sec-
tionfrançaise existe déjà depuis longtemps, avec comme président M.-L. Dauriac,
comme trésorier M. Eeorcheville, comme archiviste M, L. delà Laurencie.
— 404 —
Munich. — La Croisade des enfants, de G. Pierné. — Cette œuvre charmante
et de grande valeur a obtenu un plein succès devant le public muniehois : jamais on ne
vit une telle foule, ici, à un concert. L'exécution, dirigée par le cappelmeister Weber,
d'Augsbourg, où l'œuvre avait été donnée en premier lieu, fut presque parfaite, aussi
excellente que peut l'être une exécution de ce genre où l'on doit faire manœuvrer une
masse chorale énorme composée en partie d'enfants. La quatrième partie, la Tempêtera
été plus particulièrement appréciée pour sa belle pâte orchestrale et la véritable émotion
qui s'en dégage. Les solistes furent plutôt faibles, et détonnèrent parfois. En somme,
superbe succès pour Pierné qui est considéré ici, à juste titre, comme l'un des jeunes
Maîtres de l'Ecole française moderne, et l'un des meilleurs virtuoses de l'orchestre.
El. de SxœcKLiN.
On vient de donner la première représentation, à Munich, de Heirat wider Willen^
d'Humperdinck.
Fêtes Musicales en Allemagne. -- A Baden, auront lieu les g, loet n juin,
des fêtes musicales : l'un des concerts sera consacré aux compositeurs modernes
(œuvres de Berlioz, d'Indy, Liszt, R. Strauss) et sera dirigé par R. Strauss.
Rappelons que le Festival Rhénan aura lieu les 3, 4 et 5 juin, à Aix-la-Chapelle,
sous la direction de F. Weingartner et du professeur Schwickerat. Nous en rendrons
compte dans notre prochain numéro, en même temps que des Fêtes Haendel de Ma.yence,
des Fêtes Schumann de Bonn et du Festival des Compositeurs Allemands à Essen.
Bruxelles. — Le théâtre de la Monnaie vient de fermer ses portes ; du 17 août
1905 au 20 mai igo6, MM. Kuiïerath et Guidé auront monté sept ouvrages nouveaux :
Armide, la Damnation de Faust, Résurrection, Déidamia, Princesse Rayon-de-Soleil,
Chérubitt, Maïmouna.
La réouverture se fera dans les premiers jours de septembre. Comme nouveautés,
on annonce déjà : la Prise de Troie, et les Troyens à Carthage, de Berlioz, Madame
Chrysanthème, de Messager.
L'Académie royale de Stockolm a nommé comme membres étrangers les composi-
teurs Elgar, Enrico Bossi, C. Nielsen, Rimsky-Korsakoff,Jean Sibélius, le violoncelliste
Hugo Becker, Edouard Risler et Eugène Ysaye.
Budapest. — La distinguée cantatrice Yvonne de Tréville vient de chanter avec le
plus vif succès le rôle d'Ophélie dans Hamlet. L'empereur d'Autriche qui assistait à la
représentation a tenu à la féliciter vivement.
Nécrologie. — Nous avons le regret d'apprendre la mort de deux de nos con-
frères : MM. George Vanor et Léon Kerst.
M. George Vanor est mort des suites d'un accident, à l'âge de 41 ans. Né à Paris
en 1865, il s'était fait connaître par des volumes de vers, parmi lesquels le Paradis, des
articles et ouvrages de critique musicale, Pèlerinages d'art, VArt symbolique : il avait
fait enfin de nombreuses conférences sur la musique, à la Bodinière, à l'Odéon, etc.
M. Léon Kerst (de son vrai nom le comte de Froidemont\ depuis de nombreuses
années critique dramatique et musical au Petit Journal et était apprécié de tous par sa
bienveillance et son éclectisme. Il était âgé de 61 ans et chevalier de la Légion d'hon-
neur.
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technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
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BÉNÉDICTINE
9e Année, NM2, 15 Juin 1906,
Directeur : Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
pOMMAIRE
X)RNEILLEET LA MUSiauE JULES ÉCOBCHEVILLE
,Es". Premières :
,e Clos, de Silvhr, à
rOpéra-Comique V. DEBftY
a Gloire de Corneille à
l'Opéra V- 0E3AY
A Cluinzaine Musicale :
es Concerts ronianti-
qu^s de A. CoRTOT. . . JEAN D'UDIJIE
mcerts Tbihaud, Ysaye-
'ugno, Litvinne, Société
'ach.
k)NCERTs Divers,
Le mouvement musical en Province
et à VEtransrer
Le Festival Haendel, à
Mayence PAUL DE STŒCKLIX
La F//« Fête de l'As-
sociation des Musiciens
Suisses à Neuchâtel .... PAUL DE STŒCKLIN
Correspondances de : lue Havre.
Echos et Nouvelles Diverses.
^PAUL LOCARD.
Bibliographie . <ViCTOB DE8AY.
MICHEL BRENET.
^ «<i' »
Adnxinistration et Rédaction :
58, RUE TRONCHET. PARIS (8«)
Le Directeur et le Secrétaire de la
Rédaction reçoivent les Mardi, Jeudi
et Samedi, de lo heures à midi.
TÉLÉPHONE »5».95
lurcaux ouverts
Je lo b. à midi et de ^ b. à 6 h.
Le numéro : 75 centimes
Etrange}'' : 1 franc.
Le Courrier Musica
(le 1^« et le 15 DE CHAQUE MOIS)
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Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS (16«)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8^).
{TÉLÉPHONE : 252-95)
COLLABORATEURS :
MM. Âguettant — Camille Bellaigue — F, Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bertelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard — D"^ Colas — M. Daubresse — Victor
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot— RenéDoire — F. Drogoul —
Eva — Emm. Ergo ~ Gabriel Fauré — Fledermaus — L. de Fourcaud —
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars — E. Giovanna — Orner Guiraud —
F, Hellouin — Vincent d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
— Lionel de la Laurencie — Paul Leriche — PauI^Locard — Gustave Lyon
— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel — Alfred Mortier — Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauerwein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Schar-wenka —
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D*^ Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoZ) etc ..
Le Courrier Musical est es) ireute :
A PARIS: 29, rue Tronchet.
Chez M, FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de l'Odéon, — 14, rue Auber,
— ^6 bis, avenue de l'Opéra.
Chez M. MARTIN, ^, Faubourg Sainî-Honorê,
Librairie REYj 8, . Boulevard des Italiens.
Chez STOCE^ place du Théâtre-Français.
Chez M. LEGOUX, 4, me de Rougemont ; 20 , faubourg Poissonnière, etc.
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£N PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
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MM. BRFNTANO'Sj Union Square, NEW-YORK.
M. G. SCHIRNER, 35, Union Square, NEW-YORK.
9« ANNEE. N» 12. i5 JUIN 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Corneille et la musique (Jules Écorcheville). — Les Premières :
Le Clos, de Silver, à l'Opéra-Comique (V. Debay^ ; La Gloire de Corneille, à l'Opéra
(V. Debay). — La Quinzaine Musicale : Les Concerts romantiques de A. Cortot (Jean
d'Udine) , Concerts Tbibaud, Ysaye-Pugno, Litvinne, Société Bach. — Concerts divers.
— Le Mouvement musical en province et à l'étranger : Le Festival Hcendel, à Mayence
(Paul de Stœcklin) ; La VII^ Fcte de l'Association des Musiciens Suisses, à Neuchâtel.
(Paul de Stœcklin). — Correspondance de : Le Havre. — Echos et Nouvelles
diverses. — Bibliographie (Paul Locard, Victor Debay, Michel Brenet).
Corneille et la Musique
Pierre Corneille ne s'est pas signalé jusqu'à présent à l'attention des musicogra-
phes. Tout ce que nous savons de ce grand homme ne nous engage guère à le consi-
dérer comme un mélomane. Les portraits les plus flatteurs nous le représentent
comme un normand assez sec, entêté de ses idées, mauvais lecteur de ses propres
œuvres, au demeurant brave homme, d'une piété d'honnête marguillier, et tout à fait
capable de rester étranger à cette sensibilité un peu inquiète qui s'accorde bien avec
la musique. Il semble que le trait essentiel de ce caractère soit une probité paisible et
tenace également hostile aux entraînements du cœur et de l'oreille.
On ne peut nier cependant que l'auteur du Cid se soit trouvé mêlé au mouve-
ment musical de son temps. Ses œuvres le prouvent. Et comment aurait-il pu échap-
per aux influences d'un art qui tenait une si grande place dans tous les divertissements
de son époque? Entre 1630 et 1670 un artiste favori de Richelieu, bien vu de
Louis XIII, honoré par Louis XIV, un poète officiel comme le fut et voulut l'être Cor-
neille ne saurait se refuser à suivre tout au moins de loin une passion qui entraîne la
cour et le roi lui-même. C'est l'époque des grands ballets, des tentatives de Luigi
Rossi, de Cavalli, de Cambert. La musique et le drame, depuis si longtemps désunis,
se cherchent à nouveau, et vont croire s'être retrouvés dans l'opéra de LuUy. Cette
apparition du lyrisme au théâtre préoccupe tous les esprits vers 1650. L'exemple de
l'Italie, la politique de Mazarin, le goût du jeune roi, et, quelques années plus tard, le
nationalisme qui s'impose à l'art français, tout concourt à poser le problème d'une
musique dramatique. De quel œil Corneille vit-il cette évolution, comment en subit-il
les effets, et comment voulut-il s'y associer ? Ce sont là des questions que notre his-
toire littéraire néglige ordinairement, et qui semblent se poser tout naturellement dans
une revue comme celle-ci .
* «
Corneille nous a laissé un choix de poésies légères (i), composées en maintes cir-
constances, et dont beaucoup sont tout à fait propres à être mises en chant. Quelques-
(1) Elles se trouvent rassemblées dans le tome X des Œ«tr« complètes, (Paris, Hachette, 1862.)
— 4o6 —
unes portent le nom de chSnsoH^'et appellent manifestement la musii^ue ;. deux de cfs
airà oiiit même conservé le nom de leur compositeur : Tëir de Blondèl et_rair ^e
LamMrt.Le premier de ces musiciens n'a guère laissé de trace dans l'histoire ; il était
chantre de la chapelle du roi et a publié des Motets chez Ballard en 1671 . Michel Lam-
bert fut, au contraire, une des gloires du xvii® siècle. Chanteur à la mode, composi-
teur fécond, beau-père de LuUy, Lambert a trouvé grâce devant Boileau lui-même, qui
le cite avec admiration dans son Repas ridicule. C'était un excellent artiste, sacrifiant
comme tous ses contemporains à la mode des « doubles », mais luttant cependant
contre l'inutile virtuosité. Partisan d'une déclamation précise, où devait prévaloir le
sens des paroles, il fut considéré comme un réformateur de génie. Il est avec son col-
lègue Boesset le seul dont les œuvres survécurent à l'opéra de 1670.
De toutes les poésies fugitives de Corneille ( i ) nous n'avons retrouvé d'autre
musique que cet air de Lambert, composé en l'honneur de la Reine Marie-Thérèse,
dont le mariage venait d'être célébré (1660) (Voir p. 407).
Le thème est aimable et nous le retrouvons dans la musique de M. Fauré. L'en-
semble est un peu terne et d'une émotion incertaine qui convient à cette poésie. Car
le sentiment n'est ici ni profond ni tumultueux, mais simplement galant et bien
tourné. Toutes ces petites pièces lyriques de Corneille s'approchent quelques fois de
la gaillardise, jamais de l'extase. Dans l'esprit de Corneille l'air à chanter évoque,
semble-t-il, l'idée d'une pointe aimable et spirituelle. Pour lui, ce qui appelle la mu-
sique c'est l'heureuse disposition d'un esprit qui se joue et qui reste assez maître de
soi pour raffiner ses propres sentiments. Le tour du vers et de l'expression musicale,
voilà le principal en ces sortes d'ouvrages ; l'émoi lui-même importe peu. D'ailleurs,
(i) Nous citerons ici le premier vers de chacune d'elles afin de faciliter des recherches qui seront sans
doute plus heureuses que les nôtres :
Après l'œil de Mélite il n'est rien d'admirable
Bel astre à qui je dois mon estre et ma beauté.
Caliste, lorsque je vous voie.
C'est trop faire languir de si justes désirs
Depuis qu'un malheureux adieu
D'un accueil si flatteur il vaut mieux que j'espère
Je pense, à vous voir tant d'attraits.
Je suis blessé profondément.
Je vous estime, Iris, et crois pouvoir sans crime.
Mes soupirs vous ont dit plus de cent fois le jour.
Quand je vois en Philis ta beauté sans seconde.
Que vous sert de me charmer.
Qu'on te flatte, qu'on te baise.
Si je perds bien des maîtresses.
Toi qui près d'un beau visage,
Toi dont la course journalière.
Vos beaux yeux sur ma franchise.
Vous aimez que je me range.
En outre et pour éviter les dépouillements inutiles, voici les listes des œuvres musicales que nous avons
parcourues :
Jean Boyer, //• livre de Chansons, 1642. — L. Mollier. Chansons, 1640. — G. Michel, Recueil de Chan-
sons, 1636-1656, — Denis Mace, Recueil de Chansons, 1643 — Chancy, //• livre d'airs. — Boesset (tous
les airs de cours qui se trouvent à la Bibliothèque nationale). — Ballard, Airs de différents auteurs, 1658 à
1694. — Labarre, Airs, 1669. — Recueils manuscrits :
Bib. Nat. Vmy 4.761 à 4.888
id. 6.135
Rés. Vmy 231 et 583.
Arsenah 3.043 et 3.235 à 3.238
Un recueil manuscrit en notre possession qui contient 300 airs de différente auteurs (Cambefort,
Chancy, Boesset, Lambert, Gantez, Moulinié, Chastelet, Camus, Lefèvre, La Roche, Grenouillet, Vincent,
Gobert, Dupré, Baccilly, Dumont, Lemoine, Hurel.)
— 407 —
C'est trop fai.reJaK.guir de si jus . tes dé
C'est trop fai.re iangiiir fai.re lan.guir de si jus.tcs dé
sirs, Rcy . ne Ve . nez va . nez as.seu . rer as.s6u.rer nos niai .
.sirs par ! e . ciat do vo-tre pré
sen
Ve .
.sirs par i e
vo . tre pr
^ If r r-TT
ttr-f-
nez venez nous renflre heu . reu.?; sens vog au-fn.isîes lois
Venez %-e . nez nous rendre heureux-Sous. vos au. sras . tes lois Eî
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Et re.eevez tous les cccurs de l-i Fran
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gf^S^^^??)--fy=r^^-y^ J li;^;^!
dvi plus grand do nos Bois
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=^==^M^:ay--i'^^l1
.lui a,vec-ce,lui du plus gr^ind du plus grand du plus grand de nos Rois
— 4o8 —
Corneille, normand réfléchi, ami des examens a pris plaisir à formuler son esthétique
musicale, en quelques vers qu'on ne lit jamais, et que voici :
Ce n'est donc pas assez, et de la part des muses
Ariste, c'est en vers qu'il vous faut des excuses.
Et la mienne pour vous n'en plaint pas la façon
Cent vers lui coûtent moins que deux mots de chanson.
Son feu ne peut agir quand il faut qu'il s'applique
Sur les fantasques airs d'un rêveur de musique,
Et que, pour donner lieu de paraître à sa voix.
De sa bizarre quinte il se fasse des lois.
Qu'il ait sur chaque ton ses rimes ajustées
Sur chaque tremblement ses syllabes comptées.
Et qu'une froide pointe à la fin d'un couplet,
En dépit de Phœbus donne â l'art un soufflet.
Enfin cette prison déplaît à son génie
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie
11 ne se leurre point d'animer de beaux chants
Et veut pour se produire avoir la clef des champs.
Revenons aux chansons que l'amitié demande.
J'ai brûlé fort longtemps d'une amour assez grande
Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,
Puisque ce fut par là que j'appris à rimer.
Mon bonheur commença quand mon âme fut prise
Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour
Et ce que j'ai de nom je le dois à l'amour.
Vous le dirais-je, ami, tant qu'ont duré mes flammes
Ma muse également chatouillait nos deux âmes.
Elle avait sur la mienne un absolu pouvoir
J'aimais à le décrire, elle à le recevoir.
Une voix ravissante, ainsi que son visage
La fesait appeler le phénix de notre âge
Et souvent de sa part je me suis vu presser. —
Jugez vous-même, Ariste^ à cette double amorce
Si mon génie était pour épargner sa force !
Cependant mon amour, le père de mes vers,
Le fils du plus bel œil qui fut en l'univers,
A qui désobéir c'était pour moi des crimes.
Jamais en sa faveur ne put tirer deux rimes.
Tant mon esprit alors contre moi révolté.
En haine des chansons semblait m'avoir quitté
Tant ma veine se trouve aux airs mal assortie
Tant avec la musique elle a d'antipathie
Tant alors de bon cœur elle renonce au jour !
Et l'amitié voudrait ce que n'a pu l'amour !
Cette excuse à Ariste date de 1630 environ, et elle nous reporte à la toute jeu-
nesse du poète. Nous voici donc fixés. Aux regards de Corneille la sonorité musicale
est une tyrannie. Elle enchaîne l'inspiration poétique ; devant elle la passion même
s'efface. Ainsi comprise la musique, isolée du langage naturel des sentiments, forme
un art superflu et vain. Entre la libre expression de notre moi et les exigences du son
il y a désaccord. Avec la musique apparaît le rêve, le fantastique, le bizarre qui in-
quiètent l'esprit. C'est un cauchemar, une prison dont l'âme raisonnable et raison-
nante de Corneille se détourne anxieuse. La crainte de la musique est le premier mou-
vement du jeune poète.
* ♦
Cependant Corneille l'a tentée cette union qui lui semblait factice. Plusieurs fois,
moins par goût que pour obéir aux circonstances, il a cherché à joindre les rimes à la
musique, au sein même d'une action dramatique. Son premier essai date de 1632.
— 409 —
Quatre ans avant d'écrire le Cid, il se plia aux nécessités d'un ballet et tourna galam-
ment les strophes d'un prologue :
Toi dont la course journalière
Nous ôte le passé, nous promet l'avenir
Soleil père des temps, comme de la lumière,
Qui vois tout naitre et tout finir,
Depuis que tu fais tout paraître
As-tu rien vu d'égal au chasteau de Bicestre.
11 s'agissait en effet de transformer un événement bien parisien, la reconstruction
du vieux château de Bicctre, en un divertissement de cour. Cette littérature singu-
lière du ballet Louis XIII est assez peu connue pour que nous citions ici en entier le
récit qui se trouve dans la Ga;(ette du 12 mars 1632.
« Ce ballet (i) fut dansé par le comte de Soissons dimanche dernier au Louvre, à
l'arsenal et à la maison de ville, avec une telle affluence de peuple que dans le Louvre
seul il n'y avait guère moins de quatre mille personnes, la plupart personnes de re-
marque.
Le sujet fut le château de Bicestre, et les personnes, les animaux, les esprits aux-
quels il sert de rendez-vous jour et nuit. Le jour était figuré par un grand tableau où
ce château était peint ayant le soleil sur son horizon et autour de son faîte des grues,
faisans, faucons et autres oiseaux, comme au bas toutes sortes de bêtes à quatre
pieds.
D'où, après que le sieur Justice (2) eut de sa voix dextrement jointe à celle du
luth, représenté le sujet du ballet (c'était le prologue de Corneille), sortirent premiè-
rement l'hôte, l'hôtesse et son valet que représentaient les sieurs de Belleville, de la
Barre (5) et de Liancourt, aussi bien que tout le reste si richement vêtus, qu'on ne les
eut pas pris pour tels, sans les postures où rien n'était oublié, et sans le petit man-
telet que l'hôte donna à garder à sa femme, enchaperonnée à la négligence,
et les entonnoirs dont les habits de ce gentil valet étaient passementés.
Puis venaient danser deux gueux, vêtus de riches lambeaux, que représentaient
le comte de Fiesque et le sieur Parade .
Suivaient le comte de Soissons, le duc à'Aluy et les sieurs de Liancourt, de la
Barre et Marandé {4), qui représentaient cinq paysans ivres, vêtus de satin blanc pas-
sementé d'argent, la serpette à la ceinture, mais avec une telle adresse qu'encore que
le premier voulut se faire méconnaître, dans la foule des autres, toute l'assistance lui
donna le prix du ballet et le jugea véritablement sien, non tant par sa dépense, qui fut
grande, que pour avoir le mieux fait.
Puis paraissent trois bohémiens et « deux braves viennent prendre la mesure de
leur courage à celle de leur épée, vêtus de satin gris, chamarré d'argent qui dan-
sèrent l'épée nue, le fourreau leur pendant au baudrier.
Deux damoiselles masquées y allèrent présenter un autre combat sous la conduite
d'un messager d'amour garni de chausses à culottes et d'un manteau de satin qui avait
de la peine à atteindre jusqu'aux coudes, ou le baron de La Ferté, le marquis de Beu-
vron et le sieur Enaut dansèrent.
(i) 11 est possible que le livret du ballet de B. ait été imprimé. Mais on n'en a pas retrouvé d'exem-
plaire.
(2) Nicolas Justice était chantre de la chapelle.
(3) Jacques de Belleville était un « conducteur de ballet » et un joueur de mandore très à la mode. De
la Barre appartenait au duc de Nemours.
(4) Marandé parait avoir été luthiste et danseur.
— 410 —
Deux écoliers y vinrent ensuite y jouer une partie du quartier et piper l'autre.
Puis un espagnol fit la roue encore qu'il fut vêtu en pèlerin, le roquet sur les
épaules, et la petite boîte en fer blanc à sa ceinture, suivi de son valet qui avait le
bissac sur le dos, la guitare en main, et passait en dansant sous les caprioles de son
maître. Ils furent représentés par les sieurs Verpré (i) et Saintot.
Deux hibous et quatre corneilles en leur vraie forme sous laquelle étaient cachés
autant d'enfants y vinrent après danser le branle et annoncer la nuit.
Lors parut un autre tableau au lieu du premier, où le même château de Bicestre
était ombragé d'une nuit qui n'avait pas d'autre clarté que celle d'un démon qui sor-
tait tout en feu de la plus haute de ses fenêtres. Le sieur Moulinié (2) vêtu de gaze
noire parsemée d'étoiles fit l'ouverture de cette nuit par un chant lugubre auquel suc-
céda un excellent concert de luth.
Puis se présente un magicien, avec la sotane de satin incarnat, la robe de satin,
noire, couvert de passement d'argent, tenant en sa main une baguette d'ébène garnie
d'un bout d'argent dont il frappait en dansant son livre de magie, c'était le sieur
Marais (3). A ses charmes sautent en place quatre lutins vêtus de satin noir et coiffés
de plumes noires et grises. Cinq fantômes leur. succèdent tous couverts de lames d'or
coupées en oripeaux, dont le cliquetis n'était point si effroyable qu'il n'y eut des dames
en la troupe qui témoignaient par le contentement ce que d'autres, moins scrupu-
leuses, dirent tout haut ; qu'elles ne s'en pourraient fuir devant ces fantômes.
Trois faux monnayeurs se mettent après sur les rangs, ayant leurs habits cha-
marrés de pièces fausses, et les mains garnies de cisailles, tenailles et marteaux, exer-
çant leur métier en trop bonne compagnie, pour ne pas vouloir être pris comme ils le
furent par trois archers, vêtus de satin vert sous leur casaque. Ils furent bientôt suivis
des sieurs Parade et Enaut représentant le juge et son greffier vêtus de satin noir et la
toque sur la tête. Trois sergents finirent les entrées.
Puis la musique du roi se fit entendre, laquelle fut formée par le grand ballet
dansé aux pieds de S. M.
Et comme la fortune aux grands desseins se fait volontiers de la partie, il s'y ren-
contra plus d'accidents qu'on n'en avait voulu représenter, car il y eut une enseigne
et autres choses perdues jusques à la valeur de 15.000 écus (200.000 francs). Une
comtesse y accoucha. Pour faire place il fallut employer quelques descendants de Hal-
lebarde qui n'étaient point du ballet ».
Le spectacle de ce divertissement musical ne décida point Corneille à entre-
prendre d'autres œuvres du même genre. Il fallut les représentations dramatiques de
rOrfec de Rossi, quinze ans plus tard (1647) pour l'entraîner encore vers ce lyrisme
qu'il n'aimait guère. En 1650 parut sur le théâtre du Petit Bourbon \' Andromède (4),
jouée par la troupe du Marais. La musique était de Dassoucy, et les décorations de
(1) Verpré, le danseur, était aussi musicien comme presque tous les chorégraphes qui paraissent dans
ces ballets. On trouve une œuvre de lui dans le vol. I de la collection Philidor (Bibliothèque du Conserva-
toire.
(2) Il y avait deux frères de ce nom : 11 s'agit ici non du compositeur, mais du chanteur Antoine M.,
basse de la musique royale.
(3) Ce danseur fréquemment mêlé aux ballets de cette époque pourrait être l'ancêtre de Marin Marais,
le violiste de Louis XIV.
(4) Malheureusement la musique d'Andromède par Dassoucy ne nous est parvenue qu'à l'état de frag-
ments. Elle se trouve dans les Airs à quatre parties de Dassoucy. (Ballard 1653) dont on ne connaît que la
taille et la basse (Bib. Nat. Rés. Vm. 7 N" 275.)
-- 411 —
l'Italien Torelli. L'infortuné Dassoucy, sorte de Glatigny du xvii* siècle, fils de famille,
joueur de luth, poète burlesque, compositeur, théologien même, promenait ses
mœurs suspectes de Rome à Londres en passant par Paris. Il trouva cette fois, non
point seulement des lecteurs comme le remarque Boileau, mais des auditeurs. La pièce
réussit et en 1682, lorsque Lully et Quinaut s'emparèrent du même sujet, les comé-
diens français ne manquèrent pas de faire pièce à l'Opéra en remettant en scène la
tragédie de Corneille, dont ils confièrent la partie musicale à Marc Antoine Char-
pentier (i).
Cette fois ce n'était plus un ballet, mais une véritable tragédie lyrique où Cor-
neille s'essayait, et la première en ce genre qui ait été écrite en France. Corneille est
en effet ici tout à fait un précurseur. Ne confondons point son Andromède avec les
tentatives que vont bientôt réaliser Cambert, Perrin, et Boesset. La Pastorale d'Yssy,
la Mort d'Adonis, et Pomone même sont en réalité des Cantates d'orchestre. Leur
place est au concert ; leur nouveauté c'est d'avoir présenté au public un texte fran-
çais entièrement revêtu de musique, et d'avoir sacrifié le drame à cette musique.
Andromède reste au contraire et avant tout une tragédie, c'est-à-dire une œuvre que
l'action dramatique soutient et anime. Qu'on en juge par ce scénario :
Nous sommes en Ethiopie sous le règne de Cephée et de Cassiope. Andromède
leur fille est fiancée au prince Phinée. Or les néréides de ces rives mythologiques
jalousent les beautés de la jeune Andromède, et Cassiope dans un élan d'orgueil
maternel a l'imprudence de railler cette envie. D'où apparition d'un monstre qui exige
un tribut de jeunes filles. Lamentations et prières.
Cependant Vénus se montre tout à coup et déclare les dieux apaisés. Andromède
épousera un héros digne d'elle. Joie, tumulte, tendresse.
Mais voici que le destin jaloux choisit au même moment Andromède elle-même
pour être livrée au monstre. Qu'est-ce à dire? Indignation générale. Feux et ton-
nerre ! Grande tempête déchaînée pendant laquelle les éléments enlèvent la princesse
et la vont transporter au pied d'un roc où le monstre l'atteindra. C'est ici le nœud de
l'intrigue.
En voici le dénouement. Persée qui villégiaturait à la cour d'Ethiopie, intervient
en faveur d'Andromède, qu'il aime en secret. 11 dispose de Pégase et de la tête de
Méduse ; il est fils de Jupiter. Que faut-il de plus ? Le monstre est tué. Allégresse,
sacrifices !
Toutefois Phrinée, le fiancé éconduit, n'entend point que les choses se terminent
ainsi. En véritable d'Artagnan, il réunit ses partisans et cherche querelle à Persée.
Celui-ci triomphe naturellement. Les dieux descendent sur la terre, et emmènent
princes et princesses célébrer dans l'Olympe des noces héroïques. Le peuple applaudit,
heureux sans doute d'être délivré de souverains aussi conmpromettants et qu'il pré-
fère adorer de loin sous forme de constellations célestes.
Ce ne sont pas seulement le décor et l'action extérieure qui s'imposent ici à notre
attention, mais encore les mouvements d'une passion très vivace. Toute l'intrigue naît
d'une rivalité féminine et se développe grâce au conflit naturel des sentiments. Dieux,
demi-dieux et mortels luttent d'entêtement et d'orgueil, et souvent avec une naïveté
véritablement touchante. Vénus agit par haine de junon, celle-ci gagne à sa cause
Pluton et Neptune, et il semble que le ciel et la terre vont se livrer quelque combat
(2) Cette partition existe dans les mss. de Charpentier vol. 28 (Bib. Nat. Vml 1138^ , Charpentier a
d'autre part écrit une Ouverture pour Polyeucte, (itî. vol. 17.)
— 412 —
gigantesque. Un vent de/ronderie souffle sur toute cette œuvre, et certaine outrance de
Phrinée est vraiment émouvante :
Quelle crainte après tout me pourrait y résoudre^
S'ils m'ôtent Andromède ont-ils quelque autre foudre ?
Il n'est plus de respect qui puisse rien sur moi,
Andromède est mon sort et mes dieux et mon roi. (735)
« Ici, ajoute le livret, le tonnerre commence à rouler avec un si grand bruit, et
accompagné d'éclairs redoublés avec tant de promptitude, que cette feinte donne de
répouvante aussi bien que de l'admiration, tant elle approche du naturel. »
Mais que devient la musique en tout ceci ? Corneille lui-même nous en avertit :
« Je ne l'ai employée, écrit-il, qu'à satisfaire les oreilles tandis que les yeux sont
arrestés à voir descendre ou remonter les machines, ou s'attachent à quelque chose qui
les empêche de prêter attention à ce que pourraient dire les acteurs.... Mais je me suis
bien gardé de rien faire chanter qui fut nécessaire à l'intelligence de la pièce, parce
que communément les paroles qui se chantent estant mal entendues des auditeurs,
pour la confusion des voix qui les prononcent ensemble, elles auraient fait une grande
obscurité dans le corps de l'ouvrage si elles avaient eu à instruire l'auditeur de quelque
chose d'important. »
C'est-à-dire : la musique est réservée pour les instants où l'esprit de l'auditeur
obtient quelque répit. Elle participe à la décoration et tient auprès des oreilles le rôle
que les machines occupent devant les yeux. Avec un sentiment très juste de l'idéal
qu'il a sans cesse défendu, Corneille se garde de mêler ses héros directement à la mu-
sique pour laquelle ils ne sont point faits. 11 confie la partie lyrique de son œuvre aux
voix anonymes des chœurs et de l'orchestre et lui donne pour mission de créer autour
du drame une atmosphère qui nous dispose à l'émotion. La musique dans ^Andromède
prévient ou prolonge les sentiments que l'action fait naître. Son intervention, soit
avant, soit après les scènes récitées, semble calculée pour aviver nos impressions, ou
tout au moins nous maintenir en haleine. Elle ne tient pas la première place, elle n'y
prétend pas ; mais elle sait se rendre indispensable à l'équilibre de la tragédie. On ne
saurait la supprimer, comme on pourrait le faire de ces sonorités accessoires qui
accompagnent parfois nos drames. Mais elle n'est jamais tyrannique. Andromède n'est
ni un opéra ni un mélodrame. Ce n'est ni à Lully, ni à Benda que nous songeons, en
suivant les indications de Corneille réalisées par Charpentier, mais à notre opéra-co-
mique du xviii'' siècle, au Déserteur ou aux Deux journées. Guidé par un instinct très
français et bien logique après tout, l'auteur à.' Andromède a pensé que la musique et
l'action pouvaient se prêter un mutuel appui lorsqu'ils sentaient la nécessité de cette
union, et se dissocier dès qu'ils ne pouvaient plus s'entendre. C'est là un compromis,
il est vrai, mais si naturel! Au début des actes, et dans les moments où l'action est
muette l'orchestre intervient, et nous avons ainsi : une Ouverture, un Prélude « pen-
dant que Melpomène vole dans le char d'Appolon », une « Tempeste », et plusieurs
intermèdes dont un « Caprice » et une « Gigue angloise ». Les chœurs sont nombreux
et leur lyrisme aide réellement à l'expression de la tragédie. Quelquefois un ou deux
choristes se détachent et chantent quelques vers, afin de rompre la monotonie des en-
sembles trop fréquents.
(A suivre). Jules ÉCORCHEVILLE.
— 413 —
ERRATUM
Par suite d'un retard postal dans l'envoi des épreuves corrigées, quelques erreurs
typographiques sont restées dans l'article de M. André Pirro, les Années de jeunesse de
J.-S. Bach, publié dans notre dernier numéro. Bien que nous puissions compter sur la
sagacité de nos lecteurs pour en avoir rectifié spontanément la plupart, nous tenons à
signaler ici les plus graves de ces fautes :
P, 375, 1. 25 au lieu de Nettenchor lire Metteuchor ; 1. 34 au lieu de Mtchaelo, Mi-
chaelis ; note 4, au lieu de Junghaus, Junghans\ p. 376, ligne 6, au lieu de Briegels,
Briegel 5 note, au lieu de Porteuse, Porteuse; p. 377, ligne 35, avant Wasserflûssen,
lirç An ; p. 378, 1, ïj, au lieu de Nizler, Mizler \ 1. 27, au lieu de /S6p, 1689 ; 1. 29, au
lieu de Gandon, Gaudon ; notes, au lieu de Horrie de Beaucaire, Horric de Beaucaire ;
p. 379, 1. 7, au lieu de Musurzia universales, Musurgia Universalis.
A. rOpéi:»a.-GoixiLic[Tj.e
LE CLOS
Paroles de M. Michel CARRÉ. — Musique de M. Charles SILVER
Au début de cette œuvre, tirée d'un roman bien oublié d'Amédée Achard, lors-
qu'il nous fut raconté des histoires de vieux grippe-sou entre deux refrains plus vul-
gaires que populaires qui s'efforcent à la gaîté, quand nous vîmes sur la tête des
paysannes la tour penchée de la haute coiffe normande, et lorsqu'enfin nous aperçûmes
une espèce de Serpolette à califourchon sur le cheval blanc de son maître, on nous
pardonnera si nous avons pu croire que les Cloches de Corneville allaient se mettre à
sonner encore à nos oreilles rebattues de leur carillon. La ressemblance se bornait
heureusement à ce pittoresque facile, et l'affaire ne tarda pas à prendre des couleurs
plus sombres en se transformant en un drame que réclamerait l'Ambigu, si le dénoue-
ment trop imprévu ne devait pas déconcerter une clientèle sensible qui n'aime pas à
frissonner pour rien. Il faut que les coups de feu y fassent au moins une victime. Les
ratés ne sont pas admis.
En peu de mots, voici l'aventure. Pierre Hennebaut, un riche fermier, aime Gene-
viève, la fille de Gervais, humble et pauvre garde-champêtre, et la demande en ma-
riage à son père qui la refuse, parce qu'elle est promise au marin }ean-Simon. Furieux,
Pierre assez vilainement jure de se venger. La chose lui est facile. Le père Hennebaut,
un vieil et dur avare, est créancier de Gervais. Il le pousuivra en justice et ses biens
seront vendus. On va chasser du Clos le pauvre homme qui regrette avec sa chaumière
tous les souvenirs heureux qu'elle renferme. Devant le désespoir de Gervais,
Jean Simon, qui comprend que son départ peut seul apaiser la rancune de Pierre
Hennebaut, se sacrifie et conseille à Geneviève d'épouser Pierre pour assurer le repos
des derniers jours de son vieux père. Pierre a entendu ces paroles et fait à Jean Simon
le serment de rendre heureuse Geneviève. Jean Simon la quitte le cœur déchiré. Gene-
viève est maintenant la femme de Pierre qui l'adore et à qi\i elle ne peut rendre qu'une
froide amitié. Elle pense toujours à Jean Simon. La maison est triste quand le sourire
de l'épouse ne l'ensoleille jamais. Regret d'un côté, crainte de l'autre dans ce ménage
— 414 —
sans enfant. La crainte du mari se change bientôt en fureur, lorsqu^il apprend le retour
de Jean Simon, le soir même où, pour un pieux pèlerinage, Geneviève désire aller
seule au Clos, l'antique chaumière où son père est mort. N'est-ce pas plutôt un ren-
dez-vous ? Armé de son fusil, Pierre y précède les deux amants pour les surveiller et
surprendre leurs propos. Il s'enferme dans la masure. Geneviève arrive au Clos où est
venu rêver le malheureux et toujours amoureux Jean Simon. En voyant Geneviève il
lui rappelle leur ancienne tendresse à laquelle elle va peut-être se laisser aller, quand
un coup de feu retentit dans la chaumière. Elle a compris, Pierre qui les a entendus
vient de se tuer. Elle repousse alors Jean Simon qui s'enfuit cette fois pour jamais, et
tout son cœur appartient brusquement au mari qui s'est frappé pour elle. Geneviève
appelle au secours ; on enfonce la porte, ce qui est bien inutile, puisque Pierre sort
souriant de la maison. Ce n'était là qu'une épreuve pour conquérir l'amour de sa
femme. Et ainsi finit le drame en comédie ou plutôt en farce. Mesdames, méfiez-vous
désormais du coup du suicide. Avant de chasser l'amant, assurez-vous bien que le
mari est mort. A l'Opéra-Comique ce dénouement a fait sourire. A l'Ambigu, dont ce
drame était digne, le public aurait été moins indulgent, et du haut des galeries supé-
rieures où l'on proclame facilement son opinion, quelque spectatrice, désappointée
d'avoir trop tôt pleuré un cadavre, aurait peut-être laissé tomber cette exclamation
vengeresse : « Ah ! le chameau, ce n'était que du chiqué ! »
Si dans ses hésitations sentimentales le personnage de Geneviève manque de
caractère, la musique de M. Charles Silver n'en manifeste pas davantage. C'est de
l'opéra-comique sans en être, et son inspiration rétrograde, coulée dans les moules
anciens, marche vers des cadences auxquelles elle se dérobe avant la tonique par un
souci de modernisme qui n'est pas du tout dans son tempérament. Au demeurant
c'est une œuvre aimable qui contient quelques jolies pages, mais qui manque d'équi-
libre dans les moyens. Sous prétexte de couleur locale on y a plaqué des chansons
plus ou moins rustiques sans originalité de rythme et sans poésie d'accent. Souvent
la grandiloquence lyrique est en disproportion avec le peu d'intérêt des sentiments de
ces personnages qui voudraient se hausser à des héroïsmes à la Corneille et qui, pour
en donner l'illusion, crient comme des corneilles qui abattent des noix, ou plutôt des
pommes, car nous sommes au pays du cidre.
M. Luigini et son orchestre ont mené la partition avec une remarquable cons-
cience de leur devoir d'interprète. Mme Marie Thiery, Geneviève, a dû, pour le dra-
matiser, forcer et grossir par endroit le timbre d'une jolie voix dont la grande qua-
lité est le charme pur. M. Clément a été un Jean-Simon très convaincu. 11 eut de
superbes notes généreuses. M. Dufranne, le riche fermier, le mari roublard, donna
libre carrière à son beau talent de comédien et de chanteur. Dans les petits rôles il
faut citer Mme Dangès, MM. Vieuille et Cazeneuve. N'oublions pas le nocturne décor
des pommiers sous la lune, et nous aurons jusqu'à l'exercice prochain tout dit cette
année sur l'Opéra-Comique où, avec l'esprit du hasard et des circonstances, M. Albert
Carré termine la saison par le Clos.
Victor DEBAY.
— 415 —
A. l'Opéra
La Gloire de Corneille
Il est peu d'exemples qu'une Cantate composée pour la glorification d'un
génie, fut-elle écrite par un grand musicien, ait mérité de passer à la postérité.
Celle que M. Saint-Saëns vient de faire entendre à l'Opéra et dont Corneille était
le héros, n'a pas fait exception à cette règle. Je ne puis dissimuler l'impression
de tristesse que m'a laissée l'audition de cette musique plate, vide et bruyante qu'exé-
cutèrent froidement l'orchestre à sa place ordinaire et sur la scène les solistes et les
chœurs en gradins, couronnés par des rangées de cuivres qui écrasèrent le tout de leur
fracas assourdissant. Je ne sais ce qu'en pensent les poètes et les compositeurs réunis
jadis par \e Journal pour désigner celui dont la Lyre célébrerait notre grand tragédien,
mais le silence de la presse, y compris le journal promoteur de cette élection, et, après
toute la réclame préliminaire, la façon modeste dont fut annoncée et représentée cette
cantate, sont assez significatives. Aussi comment pouvait-on faire chanter le poème de
M.. Sébastien Leconte qui se borna, entre deux ou trois pauvres strophes de son cru,
à découper dans les tragédies de Corneille des fragments aussi peu propres que pos-
sible à être mis en musique. Si j'en excepte les stances de Polyencte dont M. Saint-
Saëns a donné une assez belle déclamation soutenue par les sons religieux de l'orgue,
que voulie;(-vous qu'il fit contre trois morceaux tirés du Cid, de Cinna et d'Horace desti-
nés à illustrer lyriquement les principaux personnages des grandes actions qui nous
sont chères. Leurs vers, avec leur coupe régulière, ne se prêtaient pas à l'inspiration
du musicien, et M. Saint-Saëns, malgré tout son talent, l'a fort bien prouvé dans le
duo du Cid, dans le récit d'Auguste et surtout dans les imprécations de Camille,
œuvre de jeunesse que nous fûmes tout étonnés de retrouver dans ce cortège où d'ail-
leurs elle ne formait pas disparate. Toute cette pompe ne fit qu'un vain bruit dont rien
ne restera que le souvenir d'une erreur dans l'esprit des rares critiques qui l'entendi-
rent. J'estime que l'aéropage réuni à grand orchestre par le Journal joua à M. Saint-
Saëns un assez vilain tour en l'appelant à l'honneur d'écrire la musique d'un poème
qu'aucun des compositeurs-électeurs n'aurait accepté, et je souhaite à M. Saint-Saëns
que plus tard, dans de longues années, lorsqu'il s'agira de célébrer sa gloire, nos
petits-fils sachent faire un choix plus judicieux dans l'œuvre superbe qu'il aura légué
à l'admiration de l'avenir.
Victor DEBAY.
La Quinzaine musicale
Les Coi)cert5 ron)ai)tique5 de M. Alfred Cortot
La saison musicale s'est prolongée cette année plus que de coutume ; M. Alfred
Cortot lui a fait une péroraison magnifique avec ses trois concerts de piano, à la salle
Pleyel, les 18 et 25 mai et le 8 juin, consacrés le premier à Chopin, le second à
Schumann, le dernier à Liszt. Par suite d'un malentendu je n'ai pas assisté à la séance
Chopin et je le regrette doublement, parce que j'ai été privé d'applaudir les 24
Préludes qui furent, m'a-t-on dit, interprétés avec une poésie et une puissance incom-
— 4i6 —
parable par le jeune pianiste et aussi parce que je ne puis en parler aujourd'hui, ne
jouissant pas, hélas ! du privilège des bons objectivistes qui raisonnent tranquillement
sur des œuvres sans les avoir entendues... Sept Mélodies de Chopin, chantées par la
très remarquable artiste qu'est Mme Jane Bathori, complétaient avec la Sonate en si
mineur, le programme de cette première soirée.
J'ai été plus heureux pour la séance de Schumann. M. Cortot s'y est montré vrai-
ment grand par la profondeur, l'émotion et l'extraordinaire variété de son jeu.
Comme soliste il avait choisi les Etudes en forme de Variations, les Scènes d'Enfants et le
Carnaval, Avec MM. Jacques Thibaud et Pablo Casais, partenaires incomparables, il
fît entendre le Trio en ré mineur, œuvre toute d'élan et de généreuse inspiration, où
galope l'un des scherzos les plus épiques qui soit jamais sorti d'une plume musicale.
11 ne s'agit pas ici de découvrir le maître de Zwickau. Au moment ou Camille
Mauclair, dans son volume de la Collection Laurens, vient de parler avec tant de ten-
dresse de cette « musique d'aveu », il y aurait quelque présomption à chercher Une
définition meilleure du génie de Schumann. A vrai dire, si l'on ne tient pas compte
de la liberté des formes, Schumann aujourd'hui nous apparaît à peine romantique. 11
appartient à la lignée des génies raciniens et l'infinie délicatesse de son cœur fait ou-
blier ce qu'il y a de fantaisiste dans sa verve et dans son éloquence un peu angoissée.
M. Cortot a merveilleusement mis en lumière tous les côtés de ce génie par la discré-
tion parfaite d'une interprétation, où toute la chaleur concentrée d'un tempérament
de feu se tempère d'une urbanité si exquise. Pour atteindre un tel résultat et donner
aux Scènes d'enfants et au Carnaval, par exemple, leur véritable grandeur, il ne faut
rien moins que cette variété de jeu dont je parlais tout à l'heure. Le premier élément
qui, dans un tableau, frappe les personnes habituées à regarder de la peinture et leur
permet d'en reconnaître l'auteur, c'est la touche, la pâte, ici mince et nerveuse, là
grasse et opulente, lisse chez celui-ci, rugueuse chez cet autre, coulante dans telle
école et presque sèche ailleurs. S'il est permis de comparer le travail de la main sur le
clavier et sur la toile, M. Cortot se singularise entre tous les pianistes par l'extraordi-
naire diversité de ses touches. En une minute il sait être brutal ou caressant, envelop-
pant ou aride, léger jusqu'à la transparence, évasif à force de souplesse, agressif dans
sa dureté. Tous les bons pianistes, dira-t-on, sont plus ou moins coutumiers de telles
métamorphoses; lui l'est plus, beaucoup plus !...
Ceci ne forme d'ailleurs que le côté purement technique, le côté physiologique de
son talent, toujours enveloppé dans une gaîne d'apparenté impassibilité. Ce qui en
constitue le côté psychique et pour ainsi dire spirituel, c'est l'intelligence et la flamme.
On ne peut décrire ces dons lumineux; on ne peut même les analyser ; on les subit et
quand on se rappelle leurs effets entraînants, l'ardeur du souvenir exalte le lyrisme.
Réfrénons pourtant ces sortes d'admirations. 11 y a pudeur et prudence à les taire,
lorsqu'il s'agit d'un grand artiste et qu'il est notre ami. Le monde, le monde des
musiciens si ombrageux surtout, est peu clément aux enthousiasmes rétrospectifs. Sur
l'heure, il les partage nécessairement, d'une façon réflexe. Après coup il y met une
sourdine et rien n'est dangereux pour le triomphateur comme les torches qui demeurent
flambantes, passé le triomphe. Il en faut cependant tirer une dernière étincelle avant
de les éteindre, et quand un artiste, supérieur par le sentiment et l'esprit, vient de
s'affirmer d'une façon définitive, il serait lâche de ne pas le crier longternps, dans tout
l'éclat de la joie dont il nous combla.
... Je viens de faire le romantique, en omettant de mesurer la longueur de cet
article ; la place me manque pour parler comme il siérait de la séance Liszt, Le
Concerto en ml bémol mjj'eur, la Sonate en si mineur, CQ drame qui nous laisse pantelants,
la Deuxième %hapsodie hongroise, où des éclairs de soleil fulgurent sur l'acier dés
— 417 —
lames héroïques, sont de ces amoncellements de richesses qui exigeraient, pour être
décrites dignement, l'exubérance verbale d'un Hugo. Jusqu'à ce jour je n'avais pas
saisi l'étrange et folle grandeur de ce maître trop longtemps méconnu. Le 8 juin j'ai
eu le bonheur de voir mon Panthéon musical s'enrichir d'une divinité, et le bon sou-
venir de cette date, je le devrai au pianiste qui sut atteindre à ce que M. Catulle Men-
dès, dans son romantisme obstiné, appelle si bien « le légitime excès ».
IVI. Enesco, musicien merveilleusement doué, partagea le succès de M. Cortot en
exécutant au second piano, avec une ardeur superbe, la partie d'orchestre du Concerto
en mi bémol, et Mme Adiny fit entendre, dans plusieurs mélodies de Liszt, toutes inté-
ressantes et quelques-unes exquises, les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur
qui ne s'éteint pas encore.
Jean d'UDINE.
Concerts Jacques Thibaud. — Le troisième concert Jacques Thibaud avait
attiré une foule considérable au Nouveau-Théâtre. Le célèbre et charmant violoniste a
supérieurement exécuté le si joli Concerto en fa de Lalo et une œuvre d'Eugène Ysaye,
Chant d'Hiver, imprégnée des plus délicates senteurs musicales modernes. Très re-
marquablement écrite et orchestrée, cette page nous a fait oublier ce qu'est en général
la musique de virtuose. D'ailleurs Ysaye n'est-il pas un des plus grands musiciens que
l'on connaisse .^ La facilité, l'élégance, la sûreté et la maîtrise incroyables avec laquelle
il a dirigé l'orchestre Colonne ce soir-là, le prouve surabondamment. Sous la direction
de M. Colonne, le Concerto pour deux violons de Bach, interprécé par MM. Ysaye et
J. Thibaud nous a paru un des points culminants de l'art de la composition et de l'exé-
cution. Ce fut grandiose et délicat, majestueux et vibrant.
R.
Séances Ysaye-Pugno. — La séance supplémentaire donnée par MM. Ysaye et
Pugno a été le digne couronnement de la copieuse saison musicale igoç-1906. L'in-
terprétation des Quintettes de Franck et de Schumann, pour laquelle MM. Ten Hâve,
Denayer et J. Salmon s'étaient joints aux éminents artistes, a été profonde et émou-
vante. Peut-être quelques détails d'exécution proprement dite, auraient-ils pu prêter à
de très légères critiques ; mais une chose supérieure à l'impeccabilité planait sur tous
ce soir-là : l'âme de Franck et l'âme de Schumann. M. Ysaye dans la Sonate en sol
mineur de Haendel et M. Pugno dans celle en ré mineur de Beethoven, ont déchaîné les
plus enthousiastes ovations.
R.
Concerts Litvinne. — Mme Félia Litvinne vient de nous offrir deux program-
mes très attrayants qu'elle a interprétés avec cet art incomparable qui fait d'elle une
des plus grandes cantatrices de notre époque. Sa voix merveilleuse, sa diction très nette,
sa compréhension si juste sont autant de qualités tendant vers la perfection. Son succès
a été considérable. Qu'il nous suffise de dire, pour donner une simple idée de l'intérêt
de ces concerts, que MM. Saint-Saëns, Diémer, Capet, Casella et Galeotti prêtaient
leur concours à Mme Litvinne.
H.
Société J. -S. Bach. — Ledernierconcert delà saison maintient cette noble'Société
au niveau artistique qu'elle a atteint si rapidement. Nous y avons entendu le Concerto
pour quatre (( clavecins » rendu par les fidèles « pianos » de MM. Casella, Lortat-Jacob,
Motte-Lacroix et Dupré ; la Toccata et Fugue en ut mineur admirablement exécutée
par M. Casella; la Toccata en fa par l'éminent organiste Eugène Gigout. Un vif suc-
cès de plus à l'actif de M. Bret, le distingué directeur de la. Société Bach.
F.
L'abondance des matières nous oblige à reporter ail prochain numéro de nombreux
comptes rendus de concerts^ parmi lesquels la Schola, les Concerts J. Niû, Myez-
Gmeiner, ainsi que les correspondances de Munich et d'Orléans, etc.
— 410 —
Concerts Divers
Mlle Achard. — Le 23 mai, Mlle Marguerite Achard donnait à la salle Erard un
concert de harpe, où elle se fit entendre au milieu de ses élèves. L'excellent violoniste
Luquin et ses partenaires complétaient la séance avec un quatuor de Grieg et un qua-
tuor de Beethoven, et M. Pierre Achard, frère de la brillante virtuose, récita des frag-
ments de la Nuit de Décembre de Musset ingénieusement adaptés sur l'adagio de la
Sonate en ut dièze mineur, que Mlle Achard traduit en perfection et qui retrouve sur
les cordes pincées toute sa grandeur d'antan au piano-forte. Malheureusement si la
harpe Erard est un instrument admirable entre tous par la rondeur, la plénitude et la
finesse de son timbre, et ;si Mlle Achard en joue en parfaite musicienne, le répertoire
moderne de la harpe est singulièrement restreint. Sans vouloir critiquer les gracieux
morceaux de sa composition ou de celle de son maître Hasselmans que nous a fait en-
tendre la jeune harpiste, il est permis de regretter que son beau talent ne puisse être
mis au service d'œuvres moins spécialement destinées à faire valoir des qualités pure-
ment techniques. 11 me semble que la musique du xviii^ siècle et du premier empire
doit renfermer nombre de morceaux admirablement écrits et pensés pour cet instru-
ment qui fut alors si à la mode, et au moment où le public cultivé est justement friand
de toutes les oeuvres antérieures à Beethoven, je crois qu'il y aurait, pour une harpiste
du mérite de Mlle Achard, les éléments d'un réel succès à faire avec la vieille littéra-
ture de harpe ce que les Casadesus font avec la littérature de violes et Mme Landowska
avec celle de clavecin, à y puiser les éléments de programmes tout neufs dans leur
archaïsme délicat. J. d'U.
Soirée Roger-Miclos. — Le 7 juin, à la salle Pleyel, Mme Roger-Miclos et le
quatuor vocal Battaille ont donné une séance très intéressante dans son éclectisme un
peu large. Au moment où la mode est aux chapelles, il est particulièrement curieux
d'entendre, dans la même soirée, de la musique de Schumann, de Weber et de Chopin,
d'H, Maréchal et de Gh. Lefebvre, voire de Mme Armande Polignac. La leçon que pro-
cure un pareil contraste est particulièrement instructive quand les interprètes, et c'était
le cas, sont parfaits. Mais j'ai bien peur que les Etudes symphoyiiques de Schumann
jouées, au début du concert, par Mme Roger-Miclos avec sa virtuosité coutumière et
dont elle interpréta surtout la page expressive avec beaucoup de charme, aient fait
grand tort à plus d'un numéro suivant. Entre autres morceaux, joués avec un vif
succès par l'habile pianiste, citons encore le Caprice en mi mineur de Mendelssohn
et la flambante Polonaise en mi bémol de Ghopin.
Le quatuor vocal Battaille, composé de mesdames Astruc-Doria et Olivier, et de
MM. Drouville et L.-Gh. Battaille est arrivé à un degré de fusion, à une cohésion et à
un équilibre qui en font un parfait instrument et c'est une vraie jouissance de l'entendre
chanter, quoiqu'il chante, pour la simple séduction de sa sonorité et de ses nuances
délicates. J'ai particulièrement goûté, l'autre soir, trois délicieux quatuors a capella de
vieux auteurs inconnus, un joli «Vers les Blés» de M. Théodore Dubois et la char-
mante inspiration de M. P. -S. Hérard « La belle s'en fut un jour » impression délicate-
ment moyennâgeuse, dont je prise les qualités musicales plus que la tendance un peu
mystique. Il faut aussi remercier le quatuor Battaille de nous avoir montré, en chan-
tant avec une bonne volonté admirable le quatuor Destinée de Mme A. de Polignac,
jusqu'à quelle plate extravagance peut mener la debussyte. Infortunés chanteurs ! et
pauvres compositeurs dans le « mouvement» !... si l'on peut appeler mouvement cette
parfaite indigence de rythme. La voilà bien la musique extatique et statique, où plus
rien ne bouge ! Ah ! que Mme de Polignac avait donc raison d'écrire naguère : « la
plus belle des musiques n'est-elle pas encore le silence ? » Fichtre oui, si elle pense à la
sienne ! Heureusement il y a encore des auteurs vivants et vibrants, et le quatuor
Battaille nous l'a montré, en clôturant la séance par quelques pièces a capella de César
— 419 —
Gui, d'une belle structure symphonique et d'un sentiment chaleureux. N'oublions pas
de noter que M. Pleyel tint en perfection l'Erard... je me trompe ; que M. Hérard
tint en perfection le Pleyel, pour accompagner les chanteurs, dans cette soirée aux
impressions multiples. J. d'U.
M. Laurence Godfrey. — Elève de Leschetizky, M. Laurence Godfrey fait hon-
neur à cette belle école. Doué d'un mécanisme accompli il joue avec un juste sentiment
musical. Son interprétation du Carnaval Mignon de Ed. Schutt a été très spirituelle.
M. Godfrey s'est signalé aussi dans la Sonate de Grieg dont la partie de violoncelle était
supérieurement tenue par M. L. Fournier. Gros succès pour Mme Fournier de Noce,
parfaite interprète de la Belle Meunière de Schubert.
Le 27 mai M. Gigout faisait entendre dans l'atelier du statuaire de Laheudrie, les
élèves de sa classe d'orgue avec le concours des élèves de l'école de chant de Mlle Fanny
Lépine. Le programme, composé d'œuvres anciennes et modernes, avait attiré une
élégante affluence qui s'est vivement intéressée à cette manifestation hautement artis-
tique. On a particulièrement applaudi pour leur exécution magistrale, tant au
piano qu'à l'orgue Mlle Gabrielle Ziégler, auteur de trois transcriptions pour
le piano d'œuvres de Boellman, Fauré et Gigout, MM. 'William Bastard et de Montri-
chard, Paul Pilot, Albert Hennion, George Edwards et Le Brun qui ont exécuté des
pièces de Bach, Mendelssohn, César Franck, Saint-Saëns, un Final de Ch. Planchet
et une Pièce symphonique de notre collaborateur Paul Locard. M. Gigout avait réservé
à ses propres compositions une trop modeste place. Citons un Scherzo, un Cor-
tège rustique et un Interlude pour orgue et trois Pièces brèves pour piano et orgue,
sans oublier la célèbre Toccata transcrite pour piano par Mlle Ziégler.
La mémoire de Boellmann avait reçu par contre l'hommage d'une pieuse commé-
moration. Il revivait en quelques-unes de ses pages les plus touchantes, une Romance
en la jouée avec infiniment de charme, ainsi qu'un Rondo de Beethoven par Mlle Marie-
Louise Boellmann, une Fantaisie pour orgue et diverses œuvres vocales, trois mélodies,
Conte d'amour, un Rondel a deux voix, un duo le Calme et deux chœurs le Chant du
Ruisseau et Larmes humaines chantés avec l'art et le sentiment les plus délicats
par les élèves de Mlle Fanny Lépine, au premier rang desquels il faut placer mesde-
moiselles Jeanne Berteaux et Marthe Beïsson, MM. Guyot et Vernudachi, sans oublier
les chœurs.
Cette audition a été un nouveau et éclatant succès pour l'enseignement de M. Gigout
dont il a affirmé la triomphante vitalité. Nous sommes heureux d'y associerMUe Fanny
Lépine dont on connaît le zèle si ardent et si intelligent pour toutes les bonnes causes
artistiques.
MM. PiERRET et Enesco. — Au cours des deux séances qu'ils viennent de donner
à la salle Pleyel, MM. Pierret et Enesco ont exécuté les Sonates en la de Bach ; op. 30
de Beethoven, op. 121 de Schumann, de V. d'Indy, de Fauré et de Pierné. Ce serait
un peu long de commenter l'interprétation de chaque morceau, et d'ailleurs nous ne
pourrions guère que décerner de nombreux éloges. Toutefois il ressort de cette colla-
boration que plus de placidité d'où plus de majesté ne nuirait en rien à la très intéres-
sante compréhension de ces excellents artistes. E. F.
MM. AuGiERAS et Pelet. — C'est quelquetois dans les plus petites salles que l'on
entend les plus grands artistes et que l'on reçoit les impressions les plus intenses.
M. Pierre Augieras se fait applaudir par un public restreint. C'est dommage pour la
foule car il est un des rares virtuoses capables d' « emballer )) un auditoire nom-
breux.
M. Georges Pelet, violoncelliste de grand talent, s'harmonise parfaitement avec
lui, et ce fut une réjouissance infinie que d'entendre trois superbes So«a/es de Mendels-
sohn, Beethoven et Saint-Saëns exécutées par ces deux jeunes musiciens avec une
fougue et une profondeur inoubliables. ]V1. Gillot.
— 420 —
Le mouYement musical en proYince et à l'étranger
Le (( Festival Haendel » à Mayence
Ma tâche est fort agréable aujourd'hui. J'ai à vous rendre compte d'un festival
admirablement réussi ayant pour cadre Tune des villes les plus attrayantes de l'Alle-
magne. Mayence, dans l'éblouissement de sa parure printanière, est incomparable.
C'est la reine du Rhin, la cité d'or. Ses nouvelles avenues, larges, ombreuses, son
quai rouge fleuri d'épines roses et blanches rejoignant les massifs contreforts de la
citadelle, enserrent d'une opulente ceinture, les vieux quartiers aux ruelles tortueuses,
étroites, pleines d'imprévu, qu'abrite, telle une gigantesque couveuse, sous ses
murailles et sous ses tours, le pur joyau du Rhin, la cathédrale, couleur de sang !
Je ne saurais assez répéter combien j'envie l'esprit d'organisation et de discipline
des Allemands. Ce qui a fait de nos voisins le peuple le plus musicien du monde, c'est
la vigueur de leurs Vereine. Ce sont les Liedertafel, les Saengerhund, les Liederkfant:( qoX
prospèrent dans tous les coins de l'empire qui ont créé le milieu où s'est développée
la musique allemande au xix^ siècle. On me dira que ces associations n'ont été viables
que parce qu'au fond de l'âme germanique dormait le germe de la musique, c'est pos-
sible. La musique, cependant, est devenue l'art allemand qui a conquis l'Europe à
partir du moment où les associations se sont épanouies.
L2. Liedertafel de Mayence a 75 ans d'existence. Elle est uniquement composée
d'amateurs. Depuis 1898, outre les grands concerts ordinaires, elle organise des audi-
tions populaires (2 d'abord puis, depuis la fondation Goertz, 3 par an) pour lesquelles
le prix des places ne dépasse pas 50 centimes. Ces auditions représentent un sacrifice
pécuniaire important. Elles ont coûté jusqu'ici plus de 30,000 marks, alors que les
entrées n'en ont pas rapporté 10.000. La Liedertafel s'est consacrée plus spécialement
à l'étude d'oratorios sans toutefois délaisser les autres genres. Pour la première fois, en
1895, elle donne des œuvres d'Haendel, Dehora et Hercule, selon l'édition du D'" Chry-
sander. L'impératrice Frédéric voyait ces exécutions d'un œil bienveillant. Son souve-
nir fit naître en 1904, la fondation Impératrice-Frédéric dont le but est de fournir des
auditions modèles des compositions de Haendel d'après les travaux de Chrysander. Le
grand-duc de Hesse accepta le protectorat de la fondation. La Liedertafel ne pouvait
souhaiter un protecteur plus heureux. Le grand-duc qui transforma sa capitale Darm-
stadt en un centre artistique très original et fort curieux, est lui-même un musicien
de valeur. Les souverains des petits états allemands sont appelés à jouer un rôle très
fécond dans la vie intellectuelle du pays. Intelligents, ils déversent sur les arts toute
l'activité qui ne saurait trouver d'emploi dans la vie politique accaparée par Berlin et
le rôle de Mécènes qui leur reste est suffisamment beau et digne d'envie pour qu'il
vaille la peine d'être joué.
Je tiens tout d'abord et avant de vous parler du festival, à exprimer l'étonne-
ment et l'admiration que j'ai éprouvés à entendre une aussi impeccable exécution. Je
n'aurais pas cru qu'il fût possible à une société d'amateurs, d'arriver à une pareille
virtuosité. Sûreté des intonations, grandeur des ensembles, fini dans les détails, sou-
plesse des traits, richesse et variété des timbres, compréhension musicale, tout est à
louer sans réserve. Jamais un chœur de professionnels ne parviendra à cette perfection,
il lui manquera toujours l'enthousiasme. 11 est vrai que la Liedertafel de Mayence a un
directeur de premier ordre. Le docteur Fritz Volbach n'est pas un inconnu pour le
— 42Ï — ^
Courrier iMusical qui a publié, il y a quelques mois, un extrait de son remarquable
ouvrage sur Beethoven. Volbach est un convaincu que n'ont point gâté les succès des
grandes capitales. En quelques répétitions il a mis sur pied deux œuvres de la dimension
de Judas Macchabée et de Saul, et cela sans un accroc. C'est un musicien consciencieux
de vieille roche qui mène chanteurs et instrumentistes où il veut avec la sûreté d'un
homme qui sait ce qu'il veut. Du reste l'orchestre de la ville, si fortement discipliné
par son chef M. Steinbach, et qui fonctionnait comme orchestre de fête, a été à la hau-
teur de sa tâche.
Deux mots encore sur les remaniements que le docteur Chrysander a fait subir
aux œuvres de Haendel. Musicographe distingué, le docteur Chrysander a consacré sa
vie à la biographie du « grand anglais ». Ses travaux servent de base à tout ce qui se
fera désormais sur Haendel. Ils consistent moins à faire une édition critique de ses
compositions qu'à essayer de dégager la vraie pensée du maître et de l'adapter à nos
exigences modernes. Il a commencé par retoucher les textes, par en donner une
excellente traduction allemande (d'après les originaux anglais). 11 a condensé la poésie,
dramatisé et ramassé les actions qui se perdaient en d'inutiles développements, a ré-
duit les trop longues expansions lyriques de certains airs. Au point de vue musical, les
partitions de Haendel avaient été retouchées bien souvent. Tout le monde s'était un
peu exercé sur ce riche matériel. Mozart lui-même avait travaillé plusieurs des orato-
rios. Chrysander s'efforça de rétablir l'orchestration primitive, réduisant les instru-
ments à vent aux flûtes, hautbois, bassons et à des trompettes spéciales, ajoutant le
cembalum et le piano forte pour les récitatifs. J'avoue n'aimer qu'à moitié ces essais de
reconstitutions pittoresques. Nous savons si peu ce qu'étaient certains instruments
employés par les vieux maîtres! Ce que je goûte encore bien moins dans les manipu-
lations Chrysander, c'est le rétablissement de traits, de vocalises, d'effets de pure vir-
tuosité et cela d'une façon arbitraire, sur la foi de vagues ébauches découvertes dans
de poudreuses bibliothèques.
Chaque époque a sa manière de sentir les œuvres d'art, selon ses besoins et ses
aspirations et rien ne prouve que notre manière critique, c'est-à-dire intellectuelle,
soit la bonne. Ce que nous demandons à l'art c'est une forme pour nos émotions. Dès
l'instant où cette forme ne s'adapte pas aux émotions antérieures, qu'elle ne nous fait
plus vibrer, c'est qu'elle est bonne à jeter aux vieux fers, c'est qu'elle était née d'un
besoin passager non des sentiments éternels les plus généraux, de l'âme humaine,
c'est qu'elle est morte et qu'il est superflu de lui insuffler, sous le vague prétexte de
respect, une vie artificieUe.
Judas Macchabée fut composé en 1746, en 35 jours environ. On reste stupéfait
en face d'une œuvre de cette taille, de la facilité et de la rapidité avec laquelle elle
naquit. — Cet oratorio qui chanta le suprême effort du peuple Juif vers l'indépen-
dance fut commandé par le gouvernement anglais pour rehausser l'éclat des fêtes
célébrant le triomphe définitif de la maison de Hanovre sur les Stuarts.
L'oratorio débute par une large et solennelle introduction orchestrale. Israël
pleure la mort de son chef Mattathias. Jehova lui donne un nouveau chef, Judas Mac-
chabée qui conduira son peuple à la victoire. L'ennemi est battu au nord et à l'est.
Cris de triomphe. Mais un gros danger menace le sud, l'armée du roi autrichien est
en marche contre Israël. Judas triomphe encore. Les menaces de la victoire arrivent à
Jérusalem pendant qu'on a réédifié le temple. Rome offre aux juifs son alliance et sa
protection. Alléluia final ! L'œuvre est essentiellement dramatique et lyrique. L'élé-
ment épique, le récit n'existe point. Tout y est mouvement. Les chœurs eux-
mêmes servent à la marche générale de l'action. Ils sont aussi parfois une explosion de
lyrisme comnna les grands airs des personnages principaux. Les airs sont évidemment
— 422 —
la partie faible de la partition. Ils contiennent trop de virtuosité, trop de recherches,
trop de concessions faites aux chanteurs. On se demande à écouter certains traits ce
que devaient être les artistes du xviii* siècle. Si je n'ai qu'à louer sans réserve la Lie-
dertafel et son directeur, je ne sais vraiment que dire des solistes. Le comité pourtant
a voulu bien faire les choses et n'a pas lésiné sur les prix. Haendel est-il trop difficile
à chanter ? Le fait est que les solistes faisaient souvent tache auprès de la perfection
des masses chorales, dans Judas surtout où le compositeur exige beaucoup plus des
voix que dans Saïil.
Les parties vivantes et grandes sont les ensembles. Avec une étonnante simplicité
de moyens, parle pur artifice d'une souple polyphonie, le vieux maître produit des effets
gigantesques. Judus Macchabée est en somme une œuvre forte, inégale par endroits,
dont bien des pages ont vieilli, dont l'émotion ne se soutient pas, mais d'une puis-
sance parfois sans égale. Je comprends à l'entendre ce que Mozart a dû y apprendre,
ce que Beethoven y admirait, Haendel est vraiment le père des classiques allemands,
bien plus que Bach dont seules les compositions d'orgue et de clavecin leur étaient
connues.
Bien différent est Saïd. Je dirai qu'il représente sur Judas un progrès évident, s'il
n'était de 8 ans antérieur. Haendel avait alors 53 ans. Il était dans l'éclat de sa gloire.
Il mit 67 jours à le composer, près du double de judas, ce qui est beaucoup pour
Haendel. Peu d'œuvres de lui sont restées si jeunes, si complètes, si vivantes, si mo-
dernes. Le sujet lui-même, moins pompeux est plus humain, plus intérieur que celui
du zMacchabée. Ce dernier tout en éclat, tout en surface, ne saurait éveiller les im-
pressions de Saûl.
L'action commence par une fête célébrant la défaite des Philistins et du géant
Goliath. Une étroite amitié unit Jonathan, le fils du roi et David, tandis que l'amour
attache Michel au jeune héros. Mais la jalousie s'éveille dans le cœur de Saiil que la
gloire naissante du vainqueur aveugle. Le malheur de Saùl et de sa maison provient
uniquement de ce qu'il ne saura conserver le bras tutélaire d'Israël David. Le vieux
roi que Jéhova a abandonné, court à sa propre perte. Lui et son fils sont tués. David
est élevé au trône. Hymne de joie et de triomphe.
Tout ici est plus profond, moins théâtral, moins à effet que dans Judas ; plus ou
presque plus de virtuosité vide. Les airs qui ont conservé la coupe ordinaire classique,
sont d'une émotion intense. L'orchestre plein d'effets pittoresques joue un rôle per-
sonnel très expressif. Toute la composition est très dramatique, souvent tout intérieure;
Saiil est puissamment caractérisé. Rien d'exquis comme l'amitié de David et de
Jonathan. «Jonathan dont l'affection est plus douce qu'un amour de femme .» Com-
bien simple et touchante la jeune passion de la tendre Michal et combien terrible
l'incantation de la sorcière et l'apparition de Samuel. Les parties purement sympho-
niques, la Bataille et l'incomparable, l'émouvante Marche funèbre sont dans toutes les
mémoires.
Voilà vraiment le Haendel impérissable dont la grandeur surhumaine éblouit.
Les fêtes se terminèrent par un superbe banquet offert par le Liedertafel et que
présidait avec une grâce et une bonhomie charmante le grand duc de Hesse. Je tiens
à remercier ici le comité dans la personne du D"" Strecker, son président, de l'accueil
courtois fait à la presse et particulièrement au Courrier Musical. Je note ceci d'autant
plus vivement et plus volontiers que ce n'est pas toujours le cas dans les fêtes de
musique, et que la presse n'arrive parfois qu'à grand peine à obtenir ses entrées quand
elle les obtient !
Entre deux grands festivals, après Haendel et avant Schumann, apvhs Judas Mac-
chabée et avant Faust, j'ai goûté délicieusement deux séances du quatuor Joachim à
— 425 —
Cologne, deux séances intimes, dans un tout petit local ! Le quatuor à cordes de
Mozart en mi bémol, celui de Beethoven op. 95 en fa majeur et celui de Haydn op. 17
et 2 en .toZ. Je conseille aux bonnes gens qui lèvent les épaules en parlant du papa
Haydn de méditer ce quatuor, particulièrement le récitatif du troisième mouvement !
Puis le quatuor op. 41 n» 2 de Schumann et le Qinntette pour deux violoncelles de
Schubert, en ut. En écoutant le roi du violon, on saisit la valeur de chaque trait, la
signification de chaque fusée de notes. C'est l'absolue perfection. Qui n'a pas entendu
le quintette de Schubert par Joachim ne sait pas ce que c'est que la musique de
chambre. Je renonce à vous décrire mes impressions, il faudrait mettre « divin » à
chaque ligne et ce serait à peine juste !
Paul de STŒCKLIN.
La Vir Fête de Musique de T Association des Musiciens suisses
-A. 3>JeTacl:iâ.tel
Après Mayence et Haendel, après Cologne, Joachim, Mozart, Beethoven, Haydn
et Schubert, après Bonn et Schumann, je ne me rendis qu'avec une certaine appréhen-
sion à Neuchâtel à la fête des musiciens suisses.
Depuis sept ans qu'elle existe, l'Association a porté des fruits nombreux. Il faut
louer grandement les efforts de ceux qui l'ont créée. Les statuts sont fortement inspi-
rés delà société similaire allemande. Je vois surtout les heureux résultats de ce genre
d'association. Chaque année, c'est une sorte de salon de la musique dont le siège
varie. Cette fois-ci, le comité avait fait supérieurement les choses. Il avait engagé
l'orchestre Kaim de Munich.
Je doute que le but qu'avaient en vue les promoteurs de l'Association soit jamais
atteint. Créer un art suisse demeurera une utopie aussi longtemps qu'il n'y aura pas
une race suisse ayant une langue propre pour exprimer ses émotions. L'association
en resserrant les liens assez lâches jusqu'ici qui unissaient intellectuellement la Suisse
romande et la Suisse allemande, en mettant en contact les individus, en leur permet-
tant de se faire entendre et surtout de s'entendre eux-mêmes et enfin en mêlant toute
la population aux fêtes qu'elle organise, joue un rôle suffisant important dans la vie
artistique de la nation, pour n'avoir pas à désirer autre chose. Ces associations ont
toutefois leur mauvais côté que compensent amplement d'inappréciables avantages.
Elles risquent parfois de tomber sous certaines influences particulières qui leur impri-
ment une direction spéciale et qui accaparent un peu à leur profit, toutes les énergies.
Dans la société allemande, en dehors de Strauss et des Munichois wagnériens, il n'y a
guère de salut possible. Et à ce propos je regrette de n'avoir point trouvé sur les
programmes de Neuchâtel jle nom d'un excellent musicien, Pierre Maurice, l'un des
tempéraments les plus originaux, les plus poétiques, les plus délicats parmi les com-
positeurs suisses. Il me semble qu'un artiste qui a foi en son art et confiance en son
talent n'a pas à craindre la concurrence de directions différentes de la sienne. Une
idée neuve arrive toujours à s'exprimer d'une façon originale et à faire son chemin
dans le monde.
Mes pressentiments ne m'ont guère trompé. La VIl^ fête des musiciens suisses
indique beaucoup d'efforts inutiles, bien des coups d'épée dans l'eau, de vaines tenta-
tives pour faire grand, pour faire nouveau, pour être original. L'influence germanique
domine, ce qui s'explique aisément, les jeunes compositeurs ayant plutôt la chance
— 4H —
d'être joués en Allemagne. Dans les deux concerts avec orchestre je note cinq com-
positions pour chœurs et orchestre et quatre poèmes symphoniques!
La première séance, consacrée à la musique de chambre, était franchement
médiocre, mais pas mauvaise. Le quatuor à cordes en la de Emmanuel Moor est à peu
près bien, amusant même par endroits, jamais ennuyeux. C'est un solo continuel de
violon avec accompagnement de cordes, sans caractère spécial.
11 est difficile d'émettre un jugement sur les sonates pour piano et violon en rè
de M. Pahnke. J'ai remarqué que la partie de piano était très chargée. M. Pahnke
aurait dû charger l'un de ses collègues de la partie de violon. 11 joue si faux
lui-même que n'ayant pas la partition sous les yeux il m'était impossible de
savoir si les notes entendues étaient celles écrites par le compositeur ou celles écor-
chées par l'exécutant : du reste un rabâchage langoureux des thèmes, un manque
d'unité qui n'arrive pas à être divertissant.
Je serais curieux de savoir pourquoi Henri Marteau, l'admirable violoniste, com-
pose des mélodies sur des paroles allemandes. Ce sont 8 lieders avec accompagne-
ment de quatuor. Marteau est un maître. Il a trouvé des sonorités charmantes. Son
quatuor sonne délicieusement, avec des effets imprévus. Il procède de Brahms évidem-
ment, et s'il ne réagit promptement, Brahms menace de l'enliser !
Le comité n'a pas eu la main heureuse dans le choix de ses solistes. Je vous ai
dit l'an dernier beaucoup de mal de madame Troyon. J'en pense tout autant de
Mlle Hégar et bien davantage de la pauvre malheureuse Mme Lang-Malignon qui a
estropié la jolie musique de Marteau.
Figurez-vous que M. Emile Lauber a trouvé nouveau de composer : « Il pleure
dans mon cœur comme il pleut sur la ville » de Verlaine. Pour ne ressembler ni à
Fauré ni à Debussy, il a préféré ressembler àDelmet en l'accommodant sauce Massenet,
pimentée de Wagner. Je pense que la prochaine fois M. Lauber donnera les Amoursdu
poète à sa façon. Les quatuors vocaux de son frère Joseph Lauber furent le clou de la
séance. Lauber, professeur au conservatoire de Genève, est très remuant, il fait beau-
coup parler de lui. Les lauriers de Jaques -Dalcroze l'empêchent de dormir. Jaques a
composé une masse d'exquises chansons populaires, Joseph Lauber fait de même,
pour quatuor vocal, et leur moindre qualité est la naïveté et la sincérité. Voici les
termes élégants et fleuris en lesquels le programme commente ces quatuors : « Fati-
gué d'une certaine prédilection régnante de mettre en musique des vers... lassés ou
troublants, Joseph Lauber a choisi des poésies allemandes, empreintes des mœurs
agrestes et de l'esprit candide de nos pères. En outre, l'auteur s'est donné à tâche, au
risque de passer pour démodé, d'écrire des mélodies afin d'y laisser briller les voix au
premier plan ». Les quatuors vocaux valent mieux que leur panégyrique dont M.
Lauber aurait mieux fait de se passer. Jaques-Dalcroze écrivit un concert de violon
que. créa Marteau ; Lauber fit créer cette année-ci par Marteau un concert de violon.
Mais quel concert ! ? Une œuvre insinueuse, décousue, filandreusee, prétentieuse, mais
nouvelle en ce sens que c'est un concert à programme, une sorte de Vie du Héros au
petit pied. Le héros personnifié dans le violon lutte et triomphe de la tourbe orches-
trale qui s'efforce, mais en vain, de le salir. « Un moment c'est une horde rieuse d'en-
fants qui passe, mais rien n'y fait car c'est de sa dernière énergie que notre héros se
défend, lançant ses anathèmes à ceux qui essayent de le sortir de sa mélancolie insur-
montable... Mais subitement il est pris de regrets, il trouve ces accès vains, inutiles,
et telle une colombe blessée, il tombe subitement à terre en proie à une tristesse vio-
lente. » Le style musical de M. Lauber est dans ce goût-là. On appelle en Suisse,
français fédéral un galimatias barbare fabriqué dans certains bureaux de chancellerie ;
la musique de Joseph Lauber est de la musique fédérale.
— 4^5 —
Inutile de vous faire l'éloge de Marteau, artiste impeccable, d'une sûreté d'autant
plus admirable que ce qu'il joue est plus fantaisiste et plus vide.
Je passe sur le deuxième concert : huit grandes compositions pour soli, chœurs,
orchestre, etc. ; à part Recueillement de Gustave Doret, une œuvre pas très originale
mais fortement pensée, solidement bâtie et bien écrite, ce ne sont guère que des
tâtonnements de jeunes en mal de production, des essais à peine mûrs ou qui ne lais-
sent prévoir aucune maturité possible. Je signale cependant les deux poèmes sympho-
niques d'Ernest Bloch, Hiver, Printemps. Ce sont deux jolies pages orchestrales point
énormes, savoureuses à souhait, d'une heureuse venue et pas nuageuses ni compli-
quées à l'excès.
La troisième séance comprenait les grands morceaux de résistance de la fête. Je
viens de vous dire l'impression produite parle concert de violon dej. Lauber. Le
Mortuus pro nohis de Paul Benner, pour soprano solo, chœur et orchestre, est du Mas-
senet agrémenté de Brahms et d'un peu de Mozart. Le thème initial est même calqué
sur un thème de la FMie enchantée. Quelle drôle d'idée d'aller demander une inspira-
tion aux vers de Mlle Levât, dans le genre de ceci :
C'est l'homme de douleur ! Sous tant d'ignominie
Sa face a ruisselé de son sang rédempteur.
Son cœur s'est déchiré dans sa lente agonie;
Les cieux se sont fermés à ses cris de terreur ! I
L'Ode pour chœur et orchestre sur les vers de Verlaine «C'est la fête du blé, c'est
la fête du pain » est bien plus intéressante. Ed. Combe, autrefois secrétaire des Con-
certs Lamoureux, est depuis plusieurs années critique musical de la Ga:(ette de Lau-
sanne. Comme tel il exerce une réelle influence sur la vie musicale de la Suisse ro-
mande. Il est, avec Jaques- Dalcroze, l'âme de V Association des musiciens suisses dont il
eut la première idée et que ses efforts créèrent. 11 en est, à l'heure actuelle, le secré-
taire général. Son poème prouve une solide éducation, beaucoup de goût. C'est un bon
travail qui ne manque pas d'émotion, d'une large envolée parfois et de mouvement.
Combe doit avoir une prédilection marquée pour le Messidor de Bruneau.
En somme, la seule œuvre empoignante c'est la Tragédie d'amour de E. Jaques-
T>alcro{e. Oh ! la belle œuvre, vigoureuse, saine, puissante, originale, achevée, quece
poème pour chant et orchestre en y tableaux lyriques. On pouvait reprocher jusqu'ici à
Jaques- Dalcro:(e sa trop grande facilité dont il était quelquefois la dupe ou la victime.
La Tragédie d'amour comme l'admirable quatuor à cordes, est un tout concentré, fermé,
complet. L'auteur a su concilier l'unité et la variété. Sa musique est vivante, elle
court avec le poème, elle est délicieuse, terrible, et c'est toujours de la musique. Ce
fut un triomphe ! Du reste Mme Nina Faliero-Dalcroze,dont le Courrier Musical a sou-
vent eu l'occasion de parler avantageusement, a interprété l'œuvre de son mari con
amore, Mme Faliero possède un charmant organe, souple à souhait, qu'elle manie avec
une maîtrise, avec une aisance rares. Vous savez combien délicieusement elle chante
le lied. Ce serait la perfection, mais il manque quelque chose, de la chaleur, du tempé-
rament. L'art même le plus raffiné ne saurait remplacer le cœur. La plus belle fille du
monde ne peut donner que ce qu'elle a, et ce qu'elle a, Mme Faliero-Dalcroze le donne
sans compter.
J'ai un regret à exprimer qui n'est ni un reproche ni un blâme. Jaques-Dalcroze,
un pur latin, amoureux de clarté et de belles ordonnances, est en train de se germa-
niser. Car la Tragédie d'amour indique un mouvement vers la musique allemande. De
l'autre côté du Rhin, le compositeur genevois est un maître incontesté, son nom se
cite avec les plus grands et les plus chers.
Il est regrettable pour le Musicien de Gmûnd, la nouvelle symphonie avec violon
— 426 —
obligé de Hans Huber, qu'elle soit venue après l'œuvre étincelante de Jaques
Dalcroze. Fort bien faite, très romantique, cette symphonie rappelle les symphonies de
Raff. C'est aussi vieux, sans être plus solide et après la virtuosité d'orchestre de la
Tragédie d'amour, l'instrumentation en paraît lourde. Elle est inspirée d'un poème de
Kerner chantant une légende populaire, variante du Jongleur de Noire-Dame, comme
la BoecUin-Symphonie du même auteur, elle fera son tour triomphal d'Allemagne. Pour
nos estomacs elle est un peu indigeste. C'est une œuvre honnête en tous cas, conscien-
cieuse, souvent grande. Elle nous a valu le plaisir d'entendre le docteur Hégar comme
chef d'orchestre. On lui fit une ovation. Grâce à sa remarquable direction, Zurich est
devenu le centre musical le plus important de la Suisse. Son orchestre de la Tonhall
est justement célèbre. Hégar prend sa retraite. Sa disparition sera très préjudiciable à
la vie artistique en Suisse.
Que reste-t-il de toutes ces œuvres (à part deux ou trois au plus qui vivront,
mais n'en sont pas plus suisses pour cela) péniblement élaborées ? Même pas une indi-
cation sur l'avenir de la musique en Suisse ! 11 faut laisser faire les petites sociétés lo-
cales, les Liedertafel de la Suisse allemande, les associations de la Suisse française.
C'est par elles que se fera la musicalisation des masses dont l'association des musi-
ciens recueillera les fruits à un moment donne.
Paul de STŒCKLIN.
Nous pitblierons, dans notre prochain numéro^ les comptes
rendus des Fêtes musicales de Montpellier^ des Fêtes Schumann de
Bonn et du Festival Rhénan d' Aix-la-Chapelle.
LE HAVRE. — Un des derniers concerts de la saison a été en même temps l'un
des plus admirables. Deux artistes seuls en supportaient le lourd programme où
voisinaient les deux (( Grandes » sonates : celle à Kreutzer, de Beethoven et celle
de Franck, dignes l'une de l'autre. Mais ces deux artistes avaient nom Pugno et Ysaye
et cela suffit. Je n'ai rien de plus à ajouter ; ce furent là d'inoubliables instants et tout
le public électrisé, touché par l'étincelle du génie, écouta avec recueillement (oui,
même les profanes, même les non-initiés), les deux œuvres rayonnantes d'une vie in-
tense et communia avec les dieux ! Parlerai-je des autres morceaux ? Pugno joua en
poète inspiré trois pièces de Chopin où il sut trouver d'exquises et rares
sonorités (notamment dans la Berceuse que nul ne peut produire comme lui).
Je voulais ailrafer Ysaye pour avoir glissé dans ce programme musical un
morceau de virtuosité et surtout, jouant un morceau de virtuosité sur violon, d'avoir
choisi M» "zorceau rfe ^îa7to (Valse-Etude de St-Saëns), et un morceau éminemment
pianistique ! Le cas était bizarre. Mais on n attrape pas Ysaye. Le géant s'est montré
étourdissant de verve, d'adresse, de fougue, de maestria, dans cette transcription
dont il est l'auteur, il a louetté les cordes de son archet vainqueur, avec tant d'audace
et de réussite, que mes principes ont fléchi... j'ai applaudi comme les autres et la salle
a failli crouler.
Les deux virtuoses, fêtés, acclamés, réclamés, appelés et rappelés, ont dû allonger
leur programme de quelques pièces. Ysaye a fait pleurer Wagner et Pugno a eu des
doigts de fée dans l'égrénement des notes d'une « clavecinade » ravissante du toujours
jeune et alerte Scarlatti !
H. WOOLLETT.
— 427 —
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A l'Opéra-Comique. — M. Albert Carré a convenu, avec M. Jules Bois, qyï'Hip-
polyte couronné serait confié, pour être mis en musique, à un de nos plus éminents
compositeurs et représenté à la salle Favart.
C'est le mercredi 27 juin, à 3 heures de l'après-midi, qu'aura lieu au théâtre de la
Gaîté, avec le concours de la musique de la Garde Républicaine, le festival que le grand
artiste Francis Planté donnera au bénéfice de la Maison de retraite de l'Association des
Artistes dramatiques (fondation Coquelin, à Pont-aux-Dames).
Francis Planté fera entendre, accompagné par la musique de la Garde républi-
caine, sous la direction de son chef, M. Gabriel Parés : La Romance du huitième Con-
certo de Mozart, un Concerto de Mendelssohn, et la célèbre Tarentelle de Gottschalk ;
et, pour piano seul, deux très importantes séries d'oeuvres des grands maîtres classi-
ques et modernes, Weber, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Chopin, Liszt, Ru-
binstein, Brahms, Saint-Saëns, etc., dont les titres seront donnés par M. Planté lui-
même, au moment de leur exécution.
La location pour ce concert est ouverte à partir d'aujourd'hui au Théâtre de la
Gaîté, chez l'éditeur G. Astruc et C'" (Pavillon de Hanovre, 32, rue Louis-le-Grand) et
chez les principaux éditeurs de musique, ainsi qu'à la salle Erard, 13, rue du Mail.
Les Concerts des Tuileries nouvellement institués sont déjà très suivis. L'orchestre
des Concerts Le Rey, sous la direction de MM F. Le Rey et F. de Léry, fait entendre
tous les soirs les morceaux les plus variés, agrémentés de pages de chant judicieuse-
ment choisies. Le cadre est charmant et tout nous pOrte à croire que cette heureuse
entreprise due à M. Nancey, sera couronnée de succès.
La dernière réception musicale de M. et Mme Louis Diémer fut merveilleusement
réussie. Au programme Mmes Litvinne, Charles Max, l'excellent violoncelliste Hassel-
mans, M. Jan Ten Hâve, dont le style fut parfait dans une sonate de Heendel ; enfin le
maître de la maison, qui, avec Edouard Risler, interpréta magistralement les Varia-
tions de Schumann et enleva d'une façon prestigieuse le Scherzo de Saint-Saëns.
A la réception du mercredi 30 mai, une matinée musicale des plus brillantes eût
lieu chez Mme Varambon, dans ses salons, rue Navarin.
On y applaudit l'admirable cantatrice Mme M. Gallet, Mlle Gina d'Aranjo, dans
ses œuvres très originales, Mlle Galitzine, une remarquable violoncelliste, le célèbre
pianiste hongrois Szanto, le violoniste très distingué, G. Rabani, le pianiste-accompa-
gnateur virtuose M. Ed. Mignan.
Très intéressant concert, le 29 mai dernier, offert par la Baronne et le Baron de Léry,
avec le concours de la Société d'Amateurs le Timbalier., dirigée par M. de Léry, de
Mme Bureau-Berthelot, M. Pascal, etc. L'assistance nombreuse et élégante a réservé
le meilleur accueil à tous ces excellents artistes.
Le concours de musique organisé par \e Journal., a obtenu le plus vif succès grâce
à l'intelligente organisation de MM. André Gresse et Cavaillé-Massenet. Plus de 18.000
exécutants se sont fait entendre, durant deux jours, aux nombreux membres du jury
recrutés parmi les plus hautes personnalités de l'Art musical. Cet important concours
— 428 —
nous a permis de constater que le niveau artistique des Harmonies, Orphéons et
Fanfares, s'élevait très sensiblement : Beethoven, Berlioz et Wagner figuraient en effet,
dans les oeuvres imposées.
Nous apprenons avec plaisir la nomination de M. Jean Gallon comme chef des
chœurs de la Société des Concerts du Conservatoire en remplacement de M. Schvartz,
démissionnaire.
M. Gallon est un compositeur de talent, doublé d'un pianiste et d'un organiste de
non moins de valeur ; nous ne pouvons que féliciter la Société des Concerts de son heu-
reux choix.
Une nombreuse et élégante assistance se pressait le 13 mai à la salle de l'Athénée
Saint-Germain où M. et Mme Petsche avaient convié un auditoire d'élite à entendre
l'exquise Dja/nt/eA de Bizet. Le rôle de Djamiieh était confié à Mme Petsche dont la
voix chaleureuse et émouvante exprima toute la beauté passionnée de cette musique
et se maria harmonieusement au ténor charmant de M. Dubreuil et à la basse géné-
reuse de M. Hue, ses partenaires. J'ajoute qu'on ne saurait trop louer l'intelligence
et l'aisance scènique des interprètes de cette œuvre si fâcheusement délaissée et qu'il
serait injuste d'oublier un orchestre qui pour être composé d'amateurs ne s'en montra
pas moins souple, docile et euphonique à souhait.
Le dimanche 27 mai, sous la présidence du Maître Camille Saint-Saëns, accom-
pagné de ses éditeurs, MM. Auguste et Jacques Durand, a eu lieu, dans les salons de la
maison Dehouve, à la Porte-Maillot, le banquet donné par la Société de secours mu-
tuels et de retraite des employés du commerce de musique. Compositeurs, éditeurs,
amateurs avaient tenu à donner à cette sympathique corporation un témoignage d'estime
en se joignant à eux pour célébrer leur 25° anniversaire de fondation. Au dessert, après
une vibrante allocution de M. Barberet, grand maître de la Mutualité, il a été décerné
plusieurs médailles à MM. Suinot, Mallet, Delhaye et Guillemot, membres du bureau
de la Société. Nous ne pouvons que féliciter cette Société, qui ne peut que s'étendre de
plus en plus, en témoignant nos hommages à M. Paul Girod, son habile et dévoué
président.
La Société des compositeurs de musique met au concours, réservé aux seuls musi-
ciens français, pour l'année 1906, les œuvres ci-après :
1° Pièce symphonique pour orchestre en une ou deux parties, d'une durée totale de
15 à 20 minutes.
Prix de 500 francs offert par le Ministre des Beaux-Arts. Orchestre avec quintette
à cordes et au maximum les instruments ci-après : double quatuor à vent, quatre cors,
deux trompettes, trois trombones et batterie (tuba et harpe, ad libitum).
(Joindre une réduction pour piano à deux ou à quatre mains).
2" Sonate pour piano.
Prix de 500 francs (fondation Pleyel-Wolff-Lyon).
3° Tantum ergo pour ténor solo et chœur à trois voix (soprano, ténor et basse, sans
division) avec accompagnement d'orgue, de harpe, de violon et de contrebasse (ces trois
derniers instruments ad libitum).
Prix Samuel-Rousseau, 300 francs, offert par Mme Samuel-Rousseau.
(Joindre les parties séparées).
4" Chœur à quatre voix pour voix mixtes avec accompagnement de piano (Poème
au choix des compositeurs).
Prix de 300 francs offert par M. Albert Glandaz.
(Joindre les parties séparées).
5" Pièce d'orgue avec accompagnement de quintette à cordes et trois cors.
Prix de 200 francs offert par la Société.
(Joindre les parties séparées).
Les manuscrits devront être parvenus le 15 janvier 1907 au plus tard au Bibliothé-
caire, au siège de la Société, 22, rue Rochechouart, où le règlement et tous rensei-
gnements peuvent être demandés à M. Lefébure ou au Secrétaire général.
— 4^9 —
Les concours ouverts, en 1905, par la Société des compositeurs de musique, ont
donné les résultats suivants :
■ I. — Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle.
Prix de 500 francs, offert par M. le ministre des Beaux-Arts, décerné à M. Roger
Ducasse. Mention à l'auteur de l'œuvre ayant pour devise : (( Il ne chantait que la
grandeur des dieux. ))
II. • — Fantaisie pour piano et orchestre.
Premier prix de 500 francs (Fondation Pleyel-Wolff-Lyon, décerné à M. Aymé
Kunc. Deuxième prix, de 200 francs, offert par la Société, décerné à M. J. Ermend-
Bonnal.
Mention, à l'unanimité, à l'auteur de l'œuvre ayant pour devise : (( Veni».
III. — Ave Maria, pour baryton solo et chœur à trois voix avec accompagnement
d'orgue, violon, violoncelle, contrebasse et harpe:
Prix Samuel Rousseau, 300 francs, offert par Mme Samuel Rousseau, non dé-
cerné. Mention à l'auteur de l'œuvre portant l'épigraphe : <( T. U. B. A. ».
IV. — Musique de scène pour VAmphytrion, de Molière :
Prix de 500 francs, offert par M. Albert Glandaz, non décerné.
V. — Histoire de la Sonate :
Prix de 200 francs, offert par la Société, non décerné.
Mention, avec prime de 100 francs, à l'auteur de l'envoi portant l'épigraphe:
(( L. S. P. M. ».
Il ne sera pris connaissance des noms des auteurs ayant obtenu des mentions qu'a-
vec leur assentiment.
Nous apprenons les favorables débuts en Allemagne de M. Pierre Samazeuilh, jeune
violoncelliste. Le Général An:{eiger et la Ga^^ette de la Marche de Brandebourg s'accor-
dent à louer le mérite de ses interprétations du Concerto de Saint-Saëns, d'un iVocfurne
de Chopin transcrit, et de morceaux de Servais et de Popper. Il faut souhaiter que l'ave-
nir réalise ces heureuses promesses et permette à M. Pierre Samazeuilh de donner toute
sa mesure.
Le 22 mai, M. Crétin-Perny, le distingué professeur de chant au Conservatoire de
Lyon, donnait une audition de ses élèves dont le très artistique programme a eu le plus
vif succès. Citons plusieurs chœurs : En mai de Rimski-Korsakow, un chœur de l'An-
cêtre de Saint-Saëns et A l'Aube de F. Berthet.
Le Cantique de Racine de Fauré, était encadré de mélodies de Fauré, A. Georges
et G. Hue. Mentionnons tout particulièrement Pleine Eau de Ch. Koechlin, VAme
d'une flûte. Aux Collines et la Mort du Soleil de F. Berthet dont l'inspiration délicate
et émouvante ainsi que l'art subtil ont charmé l'auditoire. On a bissé l'air du Freys-
chûtz, la Mort du Soleil et VEau qui court d'A. Georges que Mlle C, P. a chantée avec
un style et un sentiment admirables. Cette séance a affirmé une fois de plus l'excel-
lence et la force de l'enseignement de M. Crétin-Perny dont on ne saurait trop louer et
encourager l'effort. N'oublions pas le nom de Mlle Gonnet qui a accompagné les
œuvres les plus diverses avec la plus fine intelligence musicale et la plus souple vir-
tuosité.
Angoulême. — M, Pierre Castaigne, violoniste, s'est fait entendre avec un très
grand succès à la Société Philharmonique, dirigée par M. Raoul Drosony.
M. Ed. Mignan, pianiste, et Mlle Jane Bernardel, cantatrice, prêtaient leurconcours
à ce concert.
Le programme très musical et très artistique était consacré aux œuvres de Bach,
Schubert, Schumann, Boïeldieu, Franck, Fauré, Duparc, Ed. Mignan.
M. Pierre Castaigne, l'organisateur du concert est un jeune virtuose, ardent,
convaincu, qui possède une technique très sûre ; il fut très applaudi et très apprécié
dans la Sonate de Franck et une rhapsodie hongroise de Hiibay, brillamment enlevée.
La Roche-sur-Yon. — Le premier concert de la Société des Matinées Musicales a
obtenu le plus vif succès. Consacré aux charmantes œuvrçs d'Alexandre Georges, il
— 430 —
nous a permis d'applaudir de très remarquables artistes comme Mmes Marty et Bu-
reau-Berthelot, MM. Francell et Carbelly. L'orchestre et les chœurs ont été excel-
lents. U.
BIBLIOGRAPHIE
Vincent d'Indy : César FRANCK
Parts, Félix Alcan, éditeur, iço6.
La collection des Maîtres de la musique, publiée sous la prudente direction de
M. Jean Chantavoine, vient de s'enrichir d'un ouvrage nouveau, le plus vivement
espéré et le plus curieusement attendu peut-être, je veux parler de l'étude consacrée à
César Franck par M. Vincent d'Indy. « Etude » est-il exact? Je ne sais trop à la vérité
comment qualifier cet acte d'une foi lucide, ce commentaire d'un apôtre qui ferait de
l'exégèse et en qui s'incarneraient mystérieusement toute l'inspiration du disciple et
toute l'érudition du savant. Il nous manquait un livre sur Franck et il est juste que
M. d'Indy l'ait écrit. Minutieusement instruit des secrets de la technique musicale, chef
d'école à son tour, éducateur dont l'enseignement vivifiant s'appuie sur une vaste expé-
rience et, par dessus tout, épris pour son art d'un amour qui fut fécond en chefs-
d'œuvre, il lui appartenait de nous expliquer la vie et l'œuvre de Franck, de nous
rendre les formes, les procédés, en un mot l'expression intelligibles en nous décou-
vrant l'invisible lien qui les rattache à l'idée. Je n'insiste pas sur les péripéties d'une
existence d'où toute laideur fut bannie et où il semble que les soucis n'aient point pesé
à cette âme ravie dans une lointaine et haute contemplation. Il y a longtemps que
notre piété l'a vengée et j'aime mieux à cette heure suivre M, d'Indy dans l'ingénieuse
et claire analyse qu'il nous livre. Aussi bien la musique est-elle ici le miroir exact de
l'homme. M. d'Indy énumère les diverses influences que Franck a plus particulière-
ment ressenties, celles des musiciens français du xviii° siècle, de Bach, Beethoven,
Gluck, Schubert ou Schumann. Oserai-je de ma faible autorité et en me ressouvenant
d'un certain épisode des Variations symphoniques y joindre celle de Chopin ? Il nous
le montre rappelant au fracas du piano l'inspiration sacrifiée pour un temps aux beso-
gnes journalières ; il discerne dans sa carrière musicale trois périodes — et il a raison
de ne pas dire trois manières — dont chacune reçoit une immortelle couronne avec
Ruth, Rédemption et les Béatitudes. Surtout il voit en lui l'héritier direct de Beethoven,
le créateur du style cyclique, qui n'a cessé de se développer de nos jours, le gardien des
formes sans laquelle nulle musique ne peut vivre.
En résumé, pour M. d'Indy l'art de Franck se caractérise essentiellement par « la
noblesse et la valeur expressive de sa phrase mélodique, l'originalité de l'agrégation
harmonique, enfin la solide eurythmie de son architecture musicale » sans oublier ce
sens de la valeur tonale, des ombres et des lumières par quoi il excelle. Il faut d'ail-
leurs suivre de près l'adroite et intime dissection que M. d'Indy fait subir au Prélude
Choral et Fugue pour piano ainsi qu'au Quatuor en ré mineur et scruter les citations
éloquentes dont il illustre sa thèse. On verra avec un étonnement amusé comment le
thème le plus pathétique àe Manon se transforme dans i^M^A par la vertu calmante
d'une double pédale, en une pastorale innocente. M. d'Indy eût pu multiplier les obser-
vations grammaticales sur les systèmes mélodique et harmonique de Franck qu'il a,
comme on le sait, heureusement qualifiés, confronter, par exemple, plusieurs thèmes
pris dans la première partie de la Symphonie, dans les Danses de Lormont, dans le
Quintette, dans les Béatitudes ou les Bolides et dont la quasi-identité révèle chez le
^ 431 —
maître une certaine 'idée fixe, un mode de sa pensée très caractéristique. Mais un tel
ouvrage n'est pas un Traité décomposition, ainsi que Tauteur l'a dit sagement, et il
fallait! être compris moins des farpiliers de Franck que de ceux, ou de celles qu'il a con-
quis au loin par la splendeur ou le charme rayonnant de sa parole. Parole divine, har-
monieuse, émanation d'une âme naïve et sublime qui connut l'amour selon Pascal, c'est-
à-dire le mouvement de charité, l'oubli, le don de soi. Et comme il a, vivapt, sanctifié
pour jamais par la paix et par la douceur, ses élèves qui n'ont point connu la discorde
ni l'envie, Franck réupira dans le culte de sa mémoire la troupe éparse des êtres qui
aiment, qui souffrent et qui espèrent; autour de ce livre où le panégyriste le plus digne
a mis toute son intelligence et tout son coeur.
Paul LOCARD.
Gluck par Jean d'Udine
Librairie Renouard. Paris. Laurens, éditeur.
Entre les dififérentes productions dues à la plume distinguée de notre collabora-
teur et ami Jean d'Udine, qui avec bonheur traita tous les genres depuis le roman dans
la Meule Tourne jusqu'aux questions scientifiques dans V Orchestration des couleurs,
voici un des meilleurs ouvrages critiques de cet esprit cultivé et chercheur.
Sans s'attarder en de vaines anecdotes dont sont habituellement remplies les bio-
graphies, Jean d'Udine, tout en ne négligeant rien pour faire bien connaître l'homme
que fut Gluck, s'est surtout attaché avec un scrupule clairvoyant à marquer et à défi-
nir la grande place que tient son œuvre dans l'histoire delà musique dramatique. C'est
le récit d'une belle et grande époque qu'il nous apporte. Le faisant dans un esprit cri-
tique, Jean d'Udine est remonté aux sources italiennes et françaises où l'inspiration de
Gluck puisa les éléments que son génie devait rendre siens à jamais par leur emploi
judicieux dans ses chefs-d'œuvre, puis il dégage la part de vérité que contenait la révo-
lution glukiste et nous montre jusque dans la musique moderne l'influence lumineuse
qu'elle exerce encore chez ceux qui seraient le plus tentés de la nier.
Ce livre est plein d'aperçus et d'enseignements. La réforme de Gluck est très juste-
ment étudiée, son style défini, et ses œuvres analysées dans ce qu'elles présentèrent de
nouveau et de sublime. Pour éveiller chez nos lecteurs le désir de connaître cet ou-
vrage, je ne puis mieux faire que de leur reproduire ici une des pages qui termine le
chapitre sur la musique de Gluck. « 11 y a chez Gluck une sorte de santé, une noblesse,
(( une eurythmie qui n'excluent ni la grâce, ni la finesse, ni la terreur tragique, et qui
« est bien, dans l'art des sons, le plus touchant de tous, l'écho de cette beauté sereine
« et vigoureuse dont les Grecs ont doté le monde pendant quelques siècles, que l'on
« n'avait pas connue avant eux et que l'on n'a pas retrouvée depuis. Gluck admirait
« profondément les Grecs. 11 a su nous donner, dans son dernier chef-d'œuvre, le plus
(( délicat de tous peut-être, l'impression qu'Argos fut une cité vivante, dont une vierge
« se souvenait avec des larmes dans la voix. Et c'est avoir fait beaucoup pour l'huma-
« nité, que d'avoir retrouvé l'expression musicale d'un émoi dont ne s'étaient perpé-
(( tuées jusqu'à nous que l'expression plastique et l'expression littéraire. »
On ne saurait mieux parler de ce grand et noble artiste.
Victor Debay.
— 432 —
Die Musik, hsrg. von Richard Strauss. Bd XII-XIV, Joh.-Seb. Bach, von Philipp
Wolfrum. Berlin, Bard, Marquardt, s. d,. in-12, 180 p., 16 pi., 11 fac-sim.
Nous avons récemment signalé ici même l'apparition de quelques-uns des volumes
précédents de la même collection. Celui que M, Ph. Woltrum vient d'y ajouter comptera
parmi les meilleurs. Selon l'expression d'un de nos confrères, c'est un « introducteur »
excellent à la connaissance d'un des plus grands génies de l'art musical. Les résultats
des travaux biographiques antérieurs et ceux d'une étude à la fois enthousiaste et rai-
sonnée des œuvres de Jean-Sébastien Bach y sont condensés sous une forme rapide et
agréable, qui procurera sans doute à ce joli petit livre des lecteurs nombreux en Alle-
magne ; il mériterait assurément d'en trouver en France et nous aimerions à penser
qu'à la veille des vacances, il prendra place dans la valise de quelques-uns des jeunes
gens et des jeunes filles qui « apprennent )) la langue allemande en même temps que la
musique.
A d'autres lecteurs, plus exercés, nous recommanderons les pages où M. Ph. Wol-
frum repousse le vieux parallèle classique entre Bach et Haendel, et celles où il insiste
sur le caractère national de l'œuvre de Bach.
M. Brenet.
Ouvrages reçus :
Jules EcorcheTille : De LulU à Rameau (1690-1730) IS Esthétique Musicale.
Vingt Suites d'orchestre du xvii' siècle français, précédées d'une Etude historique par
Jules Ecorcheville.
Editions Marcel Fortin, 6, Chaussée d'Antin, Paris.
Camille Mauclair : Schumann.
Jean d'Udine : Gluck.
Arthur Pougin : Herold.
Editions Henri Laurens, 6 rue de Tournon, Paris.
Nouveautés musicales reçues
J. Guy-Ropartz : Chant d'Automne^ poème de Baudelaire.
Editeur : Dupont-MetT^ner, 7, rue Gambetta, Nancy.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, Imprimerie Nouvelle
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à Grûr^d Cadre cri fer d'urje S3uls Pièce et Cordes croisées
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L'Institut Musical de France, qui compte parmi ses Collaborateurs les Professeurs et les
Compositeurs les plus éminents, tous diplômés du Conservatoire, se ciiarge de tous les
travaux qui lui sont transmis de Paris, de la Province et de l'Etranger. Son organisation
technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
Lj_Qv e: U R
■i
BENEDICTINE
9« Aimée, N° 13, V^ Juillet 1906.
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRB
^OMMAIRE :
Sensations Récentes
Corneille et la musiqiue
{Suite et Fin)
IaQjjinzaine Musicale ;
$pnatières et les Alentours
CâlILLE lAUCLAIII
J. ÉCORCHEVILLE
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Les assises de la Schola
à monipeUier R. DE CASTÉRA
Le Festival Rhénan a
Aix'la-Cbapelle A. OIOT
Lettre de Munich E. OE STCCKLiM
Correspondances de : EsSd&
Echos et Nouvelles Diverses.
^■» »
Administration ei Rédaction : Le Directeur et le Secrétaire de Ja
29. RUE TRONCHET. PARIS (8-) ^'f'rji'tZ^^H't'^h- ""**'
* ^ ' ^ ' et Samôdl, ue .10 beura a midi.
ri:LKIMIO\K 252 .1>5
fiur«au;c ouverts
de 10 h. à midi et de ? !>. à o h.
Le numéro : 75 centime»
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Etranger : 1 franc.
Le Courrier Musical
(le 1" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS)
( Paris et Départements .... 12 francs ï
ABONNEMENTS ,s .^
( Etranger . 15 »»
Le Numéro : 75 centimes — Etranger : 1 franc
Direction, 128, rue de la Pompe, PARIS (16«)
Administration et Rédaction : 29, rue Tronchet, PARIS (8
(TÉLÉPHONE ; 252-95)
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MM. Aguettant — Camille Bellaigue — F. Baldensperger — Camille Benoit —
Eugène Berteaux — A. Bortelin — Michel Brenet — Gustave Bret —
Ch. Bordes — P. de Bréville — M. Boulestin — M.-D. Calvocoressi —
J. Chantavoine — Camille Chevillard •— D' Colas — M. Daubresse — VictorJ|j
Debay — Etienne Destranges — Albert Diot— RenéDoire— F. Drogoul— ■
Eva — Emm. Ergo — Gabriel Fauré — Flédermaus — L. de Fourcaud — tF
G. de Flagny — Henry Gauthier- Villars E. Giovanna — Omer Guiraud —
F. Hellouin — Vincent dTndy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp.
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— Ch. Malherbe — A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair —
Jacques Méraly — F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave
Maus — Jean Marcel— Alfred Mortier— Aloys Mooser — Raymond-Duval
— Rhené-Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns. —
J. Sauerwein — A Séryeix. — P. de Stœcklin. — M. Scharwenka ~
E. Segnitz — Jean d'Udine — Léon Vallas — D' Fritz Volbach — E. Vuil-
lermoz, etc .. ____,.«*^____
li» Courrier Musical est •n ireate :
A PARIS: 29, ^we Tronchet,
Chez M. FLOURY, libraire-éditeur, /, boulevard des Capucines.
Chez MM. E. FLAMMARION & A. VAILLANT, Galeries de VOdéon, — 14, rue Auher,
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Chez M. MARTIN, i, Faubourg Saint-Honcré.
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Chez STOCK, place du Théâtre-Français.
Chez M. LEGOUX, 4, l've de Rougemont ; 20, faubourg Poissonnière, etc.
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EN PROVINCE, chez les principaux marchands de musique et libraires.
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Pour la HOLLANDE : ) MM. STUMPFF & KONING, à AMSTERDAM,
, ( MM. BR^NTANO'S, Union Square, NEVy-YORK.
Pour l' AMERIQUE : ^ t^^ q scHIRNER, 35, Union Square, NEW-YORK.
9« ANNEE. N« i3. i"' JUILLET 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Sensations récentes (Camille Mauclair). — Corneille et la musique
suite et fin (Jules Écorcheville^. — La Quinzaine Musicale. — Sonatières et les
alentours. — Le Mouvement musical en province et à l'étranger : Les Assises de la
Schola, à Montpellier (R. de Castéra) ; le Festival Rhénan, à Aix-la-Chapelle (A. Diot),
— Lettre de Munich (E. de Stœcklin). — Correspondance de : Essen. — Echos et
Nouvelles diverses.
— Le 2ç Juillet, on célébrera le ^o" anniversaire de la mort
de Robert Schumann.
Notre prochain numéro sera consacré au grand compositeur
allemand .
Sensations récentes
MAURICE RAVEL
La musique de piano de Maurice Ravel, que j'entends Ricardo
Vinès jouer comme lui seul le peut faire, me donne une impression
dont la saveur entre toutes m'agrée ; celle de la véritable jeunesse.
Ravel arrive devant la vie musicale comme un enfant extraordi-
naire, et il sourit, et il chante.
La musique de piano de Debussy, qui est merveilleuse, n'a pas
pour moi cette ingénuité que l'art de Maurice Ravel offre avec une
confiance si abandonnée. Debussy n'est un « jeune » qu'au sens un
peu vague où l'entendent les gazettes. C'est, malgré tout ce qu'on
pourra dire, un romantique morbide, un Baudelairien^ un héritier
intellectuel de Mallarmé. Il a fait un immense effort pour se déga-
ger d'influences et de transitions et se créer une musicalité indivi-
duelle. Mais Maurice Ravel surgit tout neuf, n'ayant pas eu cette
lutte à soutenir : et j'entends bien que Debussy l'a soutenue pour
tous, et que c'est un des motifs de sa gloire, mais le fait est que
Ravel apparaît simple, libre, et comme à la première heure d'une
musique nouvelle.
Entendre VAlborada delgracioso^los Oiseaux tristes, ou, plus
— 434 —
encore, ce chef-d'œuvre absolu et poignant qui s'appelle Barque
sur V Océan, c'esi pour moi goûter un fruit dont jamais mes lèvres
ne connurent la chair parfumée, et supposer par ce seul contact tout
un paysage d'îles insoupçonnées. Ravel, après Debussy mais autre-
ment et plus encore, accomplit le charmant et paradoxal miracle de
nous faire accepter cette harmonie imitative que nous rangions au
nombre des vieilles erreurs de l'esthétique musicale. Il ne transpose
pas en langage sentimental des impressions de nature : réellement,
son piano imite les oiseaux du soir, ou l'eau courante, ou les bonds
et les gestes fébriles du gracioso espagnol, et nous les voyons, et
nous les touchons, et cependant ce n'est jamais à force de virtuosité.
Il faut un virtuose exceptionnel comme Vinès pour jouer cette
musique, mais son délicat génie s'accorde à celui de Ravel pour que
cette virtuosité se dérobe avec grâce à tout soupçon d'effort pré-
conçu.
Ravel recrée l'harmonie imitative par la fraîcheur heureuse de
son âme. Aussi subtil technicien que Debussy, en lui j'aperçois des
idées plus simples, des sensations plus directes, et, jusqu'ici, un
sens de joie qu'aucune tristesse enfiévrée n^a troublé. Il n'éprouve
aucune gêne à imiter avec des sons la matière et le rythme des
choses vivantes, et sa musique est une matinée de juin, éternelle,
introublée, radieuse : le soleil ne meurt pas au fond de ses paysages.
J'ai, en écoutant cette musique, la sensation qu'elle est, comme
le fut celle de Schumann, le point de départ d'une nouvelle musi-
que de piano. Rien de tel n'existe ni dans Schumann, ni dans Liszt.
Nous sommes véritablement en présence d'un art qui n'était
pas même prévu il y a quelques années. Mais je ne sais pas ce que
nous apportera cet art. Je crains qu^il ne nous ramène aux dange-
reuses et lassantes prouesses du virtuosisme en soi : car la musique
de Maurice Ravel est pleine de tendresse, d'émotion et de pensée,
mais elle voile tout cela d'un rideau de pierreries tremblantes et
versicolores que bien peu de mains sauront agiter sans croire que
ce scintillement est tout le but de leurs gestes, et la dépense d'habi-
leté technique doit être ici telle, qu'on songe, plus qu'à la maîtrise
classique de l'instrument, au charme fallacieux des jongleurs japo-
nais. Je crains qu'aux mains des pianistes le sentiment ne s'efface
sous l'écriture. Je crains aussi que ce réveil inattendu de l'harmonie
imitative ne semble bref et petit auprès de la musique transcrivant
l'éloquence d'une humanité qui souffre et qui espère... Mais on me
rejoue les Miroirs et alors je n'ai plus le courage du doute restrictif
et j'écoute avec gourmandise. Advienne que pourra des pianistes
redoutables et des futurs pasticheurs ! La musique de piano de
Maurice Ravel est d'un délicieux maître qui ne ressemble qu'à lui-
même, et je lui dois ses rêves que je n'escomptais pas. Ce jeune
homme aï rencontré Lorelei, et il est le familier des fées de la mer
— 435 ~
et de la source, et les sonorités qu^il éveille luisent, humides et
brillantes, comme des dents en le fruit rouge d'une jeune^bouche.
II
L'APPLAUDISSEMENT AU CONCERT
Alfred Cortot me charme, qui, au piano, semble ouvrir un tré-
sor avec la confiance hardie d'un très jeune héros du romantisme en
frac noir, mince, une boucle brune hésitant sur un front mat qui
surplombe un regard nocturne : les deux mains vivantes aux bouts
des poignets souples plongent dans le coffre d'ébène et en retirent
des grappes lumineuses d'arpèges qu'elles secouent, tout humides
de sonorités fraîches, vers l'auditoire. Cependant, identifié au long
et vaste piano par la couleur de sa vêture, le prolongeant, seul avec
lui et en lui, l'artiste semble moins nous donner la joie d'un concert
que travailler, dans la pénombre des girandoles atténuées et baissées
d'un ton, à devenir ce soir encore plus lui-même.
De Cortot avant -tout me plaît le sentiment de sa solitude en
public. Réellement, nous ne sommes pas là et il n'en veut pas dou-
ter. Hâtant d'un geste bref le salut préliminaire qui le relie à nous
qui l'attendions, il s'assied et dès lors il est tout seul. Il sait par
cœur ce qu'il va jouer ; mais dès que sa main a émis le premier
des sanglots dont le piano est empli, le voici qui réapprend toute
la musique, et s'étonne de sa beauté. Assis en dessous de lui, et le
considérant de bas en haut sur la scène, je l'aperçois qui, vers soi-
même uniquement tourné, essaie d'inventer une façon imprévue de
concevoir ce qu'il voulait rendre ; et une volonté soucieuse empreint
son visage, et ses prunelles se dérobent dans des trous d'ombre, et
il cherche, d'un lent mouvement de ses deux mains, à renouer d'un
nœud inédit le fil d'or qu'il tisse pour unir les pierreries de la
sonorité.
L'instinct du virtuose étant de se donner, Cortot m'intrigue par
tout ce désir contradictoire que je lis en lui, se reprendre. Au lieu
de projeter vers nous la musique qu'il sait, il la résorbe, il se la
joue pour la posséder plus encore et non pour nous- l'offrir. C'est
une aimée qu'il garde et une confidente qu'il implore. C'est à nous
d'aller jusqu'à lui, car il ne fera rien pour venir à nous. Au cours
d'un très long tête à tête avec l'instrument, par exemple la Sonate
de Liszt, je sens très bien qu'il nous a oubliés. Depuis longtemps
nous sommes, dans cette salle toute blanche, un rectangle de foule
noire et muette. Rien ne remue, chacun est acquis au total silence,
et même les chrysanthèmes blancs des chapeaux féminins n'ondoient
pas en ce parterre, et nul éventail ne bat de son aile gracile. Des
minutes s'écoulent. Le jeune homme sombre, toutefois, ne nous
regarde pas. Il touche, preste, câlin ou impérieux, le piano marbré
— 45^ —
de reflets obscurs ; et j'ai l'impression étrange de deviner tout à coup
qu'il caresse un corps vivant. L'instrument n'est plus l'intermédiaire
entre la musique et le virtuose. C'est réellemeut lui qui pleure, qui
chante, qui rêve, parce qu'un être privilégié sait l'effleurer ou le
frapper dans de mystérieux centres nerveux. Et avec toute cette
musique éperdue, voletante, gracieuse et terrible, Alfred Cortot finit
par construire au-dessus de lui et de nous une sorte de silence harmo-
nique extraordinaire. Pour obtenir un tel silence il faut le magnétisme
de sons aussi beaux. Un tel silence ne nous est imposé que par le
prestige de cette confrontation entre un artiste de pensée supérieure
et la musique pure. Nous n'avons rien à faire qu'à les regarder tous les
deux : lui qui la cherche, elle qui se défend, lui qui, grave, avec une
bouche triste et des doigts subtils, l'émeut et la prie, et choisit en elle,
et la surprend et la maîtrise, elle qui, capricieuse et enivrée, s'échappe
en fusées de rires cristallins ou en cris désespérés qui retentissent au
profond de la salle.
Brusquement nous voici distraits de cet envoûtement. L'artiste
et la musique ont cessé de se consulter, nous allons avoir à répondre
quelque chose, comme on intervient par un chuchotement ou un dis-
cret bruit de pas pour faire savoir, au milieu d'une intime causerie,
qu'on est là. Et alors qu'est-ce que nous faisons, pour dire merci de
cette beauté qui vient de briller? Nous frappons dans nos mains et
nous ne trouvons rien d'autre I II semble que le miroir magique oii
viennent de nous éblouir tant de mirages se fracasse en mille éclats,
et que, saisis d'une subite fureur d'avoir été médusés si longtemps,
les corps que nous habitons se révoltent et invoquent le vacarme
pour railler l'harmonie. La frénésie nerveuse nous fait imiter le bruit
des soufflets, crier, frapper du pied et de la canne, et clamer presque
avec colère le nom de l'homme qui a osé être tellement plus admi-
rable que nous. Jamais nous ne ferons, nous semble-t-il, assez de
tumulte pour racheter tant de sonorités idéalement justes, jamais
assez de discordances pour compenser tant d'accords. Une sauva-
gerie nous exalte, et nous symbolisons devant ce musicien et son
âme l'éternel grondement des bêtes devant Orphée.
Cependant, si Cortot achevait déjouer dans le silence, combien
ce silence paraîtrait lourd! Jamais mieux qu'après son jeu je n'ai
compris l'insuffisance et la nécessité de cette forme d'approbation,
restée à l'état brut, que nous appelons l'applaudissement, et qui me
semble signifier le cri de haine de la vie banale contre l'homme qui a
su lui voler une heure pour la magnifier de beauté. 11 avait su nous
peindre le silence extasié de l'âme dans ses régions véritables avec
des sons si délicieux — et voici que nous sommes tous debout en
criant !
Je crois voir dans l'inclinaison mélancolique de son buste, et
dans la lassitude de son visage défait qui salue, et dans le retrait
— 437 —
déférent de toute sa personne, le désaveu inconscient d'un tel fracas,
et surtout la tristesse de l'impuissance humaine, l'idée pénible
qu'après qu'il nous parla si hautement nous n^eûmes que cela à lui
répondre... Je pense que le hurlement des fauves n'émut pas Orphée
avant qu'il chantât. Mais, lorsqu'il eut fini, et lorsque les bêtes,
délivrées de la magie, s'en allèrent et redevinrent elles-mêmes au
fond de la forêt, comme leur premier grondement dut lui paraître
désolant ! C'est peut-être à cet instant-là qu'il songea pour la première
fois à l'inutilité de la lyre...
J'avais récemment, en deux concerts, cette impression, décidé-
ment confirmée, de la signification triste et farouche de l'applaudis-
sement par où nous rentrons dans la vie ordinaire après l'extase
musical. Rien, en somme, ni le silence morne, ni le battement
déplaisant des mains et les cris s'élevant tandis que les lustres se
raniment, ne peut donner une conclusion au chant tragique de
Madame Adiny sanglotant la Lorelei de Liszt et de Heine ; rien ne
succède sans brisure au dernier accord du second trio de Schumann.
Peut-être ma vision n'est-elle pas totalement fausse même si je fus le
seul à l'avoir : je regardais Cortot se lever et saluer, svelte et correct,
Jacques Thibaud pâle et fin s'incliner avec déjà un mouvement
esquissé pour disparaître. Quant à Pablo Casais, il n'y a rien à en
dire sinon que, là comme toujours, venant de parler à son violon-
celle, il regardait en soi-même et ne savait en quel lieu du monde il
était. La musique cessée isolait de nous ces trois jeunes hommes
plus encore que la surélévation de la scène qui symbolise le passage
d'un monde dans l'autre : quel sens pouvaient avoir pour eux, leur
tâche faite, l'agitation frénétique de cette vague humaine déferlant à
leurs pieds, et l'éclat de toutes ces mains battantes comme pour leur
envoyer un adieu, puisqu'était évanouie la grande brise sonore sans
laquelle ce flot fût demeuré inerte ? Il m'apparut bien que si on les
faisait revenir, et revenir encore, c'était pour les contraindre à cons-
tater qu'ils vivaient au milieu de nous, qu'ils nous appartenaient
comme amis, et que nous reprenions sur eux tous nos droits en les
forçant d'écouter notre musique de sauvages enthousiastes : mais, en
réalité, tandis qu'ils jouaient, ils avaient été tout seuls.
Je sortis curieux d'inventer quelque façon nouvelle de terminer
un concert et de dire merci, pour éviter à la fois le silence qui
semble un froid désaveu et le tapage qui déplaît : ne trouvant rien
d'ailleurs, sinon peut-être que chaque dame présente, sans rien dire,
posât sur le sarcophage majestueux du piano refermé une des roses
de sa ceinture.
Camille MAUCLAIR.
433-
Corneille et la Musique
(Suite et fin)
Une seule fois le sentiment musical l'emporte sur tout autre et parait au premier
plan. Au deuxième acte, une scène gracieuse et quelque peu maniérée, nous montre
le chant lié à l'intrigue elle-même.
Andromède incertaine de son sort attend la venue de Phinée. Tout à coup on
entend une voix de jeune garçon qui chante :
Qu'elle est lente cette journée
Aussitôt Andromède :
Taisons-nous, cette voix me parle pour Phinée
Sans doute il n'est pas loin et veut son retour
Que des accents si doux m'expliquent son amour.
Et le page reprend derrière la coulisse :
LS PAGE :
Qu'elle est len.te cet-tejour-îié . e dont la fin me doit
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2 COUPLET
Je dois posséder Andromède
Juge Soleil quel est mon bien
Vis-tu jamais amour égal au mien?
Vis-tu beauté qui ne lui cède ?
Puis donc que la longueur du jour
De mon nouveau mal est la source,
Précipite ta course
Et tarde ton retour.
O Ciel quel est l'heur etc.
Tu luis encore et ta lumière
Semble me plaindre et m'affliger.
Ah mon amour te va bien obliger
A quitter soudain ta carrière !
Viens Soleil, viens voir la beauté
Dont le divin éclat me dompte^
Et tu fuieras de honte
D'avoir moins de clarté.
O Ciel quel est l'heur etc.
Phinée. — Ce n'est pas mon dessein, Madame, de surprendre
Puisqu'avant que d'entrer je me suis fait entendre.
yi. — Vos vœux pour les cacher n'étaient point criminels,
Puisqu'ils suivent des dieux les ordres éternels.
Ph. — Que me direz-vous donc de leur galanterie ?
y4. — Que je vais vous payer de votre flatterie.
Ph. — Comment ?
.^. — En vous donnant de semblables témoins,
Si vous aimez beaucoup que je n'aime pas moins.
Approchez Liriope et donnez-lui son change.
C'est vouSj c'est votre voix que je veux qui me venge.
De grâce écoutez là ; nous avons écouté.
Et demandons silence après l'avoir prêté.
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LIRÏOPE
LE PAGE
BASSE
Bien que le juste ciel fasse voir que sans crime
On la préfère aux nymphes de la mer ;
Ce n'est que de savoir aimer qu'elle veut qu'on l'estime.
Chacun d'amour pour elle consumé
D'un cœur lui fait un temple.
Mais quoiqu'elle sôit sans exemple,
Phinée est encore plus aimé.
Enfin si ses beaux yeux passent pour un miracle
C'est un miracle aussi que son amour,
Pour qui Vénus en ce beau jour
A prononcé ce digne oracle.
Le ciel lui-même en la voyant, charmé,
La juge incomparable.
Mais quoiqu'il l'ait faite adorable
Phinée est encore plus aimé.
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S n!oiit_tous_dei2x_qu'un-cœur Joignons nos . voix pour-chan.
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Joignons. nos voix pour cîian.
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.ter leur bon. heur joignons-nos voix pour bé ..nir leur at .,
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te joignons nos voix pour chanter pour chauler leur bon.
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te joignons-aos vois pourchanterpourjchanier- leur bon
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Le Page. — Le ciel le veut.
Liriope. — Vénus l'ordonne.
Le Page. — L'amour les joint.
Linope. — L'hymen va les unir.
Tous les deux. — Douce union que chacun doit bénir,
Heureux amour qu'un tel succès couronne.
^ndromcdj. —■ 11 n'en faut point mentir, leur accord m'a surprise.
Pbinée. — iVIadame c'est ainsi que tout me favorise
Et que tous vos sujets soupirent en ces lieux
Après l'heureux effet de cet arrêt des dieux.
Phinée a raison ; tout ceci est bien une galanterie. Au milieu du drame cette
scène forme un temps d'arrêt, un moment de repos que la musique vient orner. Les
héros se divertissent ; c'est donc le lieu de faire entendre quelque chanson et cet in-
termède galant rendra d'autant plus saisissante la reprise soudaine des péripéties tra-
giques. Ainsi raisonne le lyrisme de Corneille, qui ne dépasse pas du reste ce petit
tableau. Encore l'auteur a-t-il cru devoir s'excuser de cette diversion
L abandon de l'alexandrin, la « diversité et la croisure » des vers lui ont semblé mé-
— 444 —
riter quelques lignes d'examen, « Je demeure d'accord, écrit-il avec modestie, que
c'est quelque espèce de fard, mais puisqu'il embellit notre ouvrage et nous aide à
mieux atteindre le but de notre art qui est de plaire, pourquoi devons-nous renoncer
à cet avantage ? » Et pour convaincre le lecteur. Corneille insiste sur l'état d'esprit
des personnages qui se laissent ainsi aller au charme d'une poésie musicalisée. Leur in-
souciance est l'excuse de leur badinage. Mais «on ne pourrait approuver qu'un auteur
touché fortement de ce qu'il lui vient d'arriver, se donnât la peine de faire des
stances » La bienséance poétique telle que la conçoit Corneille n'admet pas qu'une
passion vive, et profondément affectée se prête au chant. Cet aveu confirme les décla-
rations à Ariste. Vers 1630 Corneille s'élevait contre la tyranie des sons ; vingt ans
plus tard il définit les limites de l'art musical en l'excluant des sentiments héroïques.
Ici et là le point de vue esthétique ne change pas. La musique reste un joug ou une
vanité suivant que le poète la subit ou en tire parti, et, dans tous les cas, un
embellissement dont on pourrait se passer. La sonorité, dès qu'elle dépasse une cer-
taine convention (qui sera par exemple l'alexandrin) devient suspecte à Corneille.
C'est une concession, un moyen de plaire, un attrait qui n'est point tout à fait
licite, une joie sensible et presque condamnable. Derrière l'esthétique apparaît la
morale.
Une œuvre comme Andromède, conçue sous l'empire d'une double préoccupation,
et reposant sur le compromis de deux arts différents a chance de déplaire à toute la
critique. Les littérateurs la dédaignent, les musiciens n'en font point de cas. Voltaire
s'est montré particulièrement dur pour cette tragédie. « Il était permis à Corneille,
écrit-il dans son commentaire (i) de s'égarer dans un genre qui n'était pas le sien. Ce
genre ne fut perfectionné par Quinaut que trente ans après. » Et il ajoute, à propos
d'un chœur : « Ce fut dit-on Boissette qui mit ce chœur en musique. On ne connaissait
presque en ce temps-là qu'une espèce de faux bourdon, qu'un contrepoint grossier,
c'était une espèce de chant d'église, c'était une musique barbare, en comparaison de
celle d'aujourd'hui. Ces paroles '^ine de Paphe et d'Amathonte sont aussi ridicules que
la musique. II n'y a rien de moins musical, de moins harmonieux que : D'où le mal
procède, part aussi le remède. » Enfin il conclut : « L'iÂndromède de Corneille fut aussi
supérieure à VOrphée (de Rossi) que Mélite l'avait été aux comédies du temps ; ainsi
Corneille fut au-dessus de ses contemporains dans tous les genres qu'il traita... L'o-
péra fit tomber absolument toutes les pièces de ce genre »
Le jugement musical de Voltaire suffirait à discréditer ici son commentaire litté-
raire, si ce commentaire n'était lui-même indigne d'un historien raisonnable. Il s'en
faut de beaucoup que la solution du problème dramatique proposée par Corneille dans
Andromède soit ridicule et barbare. Elle n'était point si méprisable puisque elle triom-
phait à l'époque de Voltaire sous la forme de l'opéra comique. Ne faire entendre de la
musique que là où il en est besoin, n'est-ce pas la logique même? Si la tragédie de
1650 n'est pas susceptible de se musicaliser entièrement, la faute n'en est pas à Cor-
neille. Et en tout cas si ce reproche était fondé, il ne pourrait guère être présenté au
nom de l'opéra de Lully. LuUy et Quinaut n'ont en aucune façon porté à sa perfection
le genre ébauché par Corneille. Ils ont par contre, imposé violemment leur lyrisme à
une mentalité dramatique qui ne lui convenait guère. Ils ont appliqué sans réserve ces
ornements que Corneille employait avec discrétion. Cette bienséance dont Voltaire
leur fait un mérite, qu'est-ce donc en réalité sinon un simple procédé d'appropria-
tion ? Là où les sentiments et les actions se prêtaient mal aisément à l'expression mu-
(l) Edition de* œuvres de Corneille. Paris 1769.
— 445 —
sicale, le Florentin et son collaborateur ont affaibli, retouché, jusqu'à ce qu'ils aient
atteint cette imprécision sentimentale sans laquelle il n'est point de musique possible.
Qu'ont-ils gagné ? Une incroyable fadeur et une prodigieuse monotonie. Les senti-
ments que la tragédie de 1650 avait individualisés, localisés au milieu d'intrigues com-
plexes n'existent plus dès qu'ils sont ainsi dépouillés de ce qui faisait leur intérêt. La
comparaison de Y Andromède avec le Pcrsée de LuUy est, quoiqu'on dise Voltaire, tout
à l'avantage de Corneille. Il ne reste plus dans l'opéra que des lieux communs d'une
émotion convenue, qui se traînent lamentablement au milieu d'épisodes vraiment
enfantins. Mieux vaut encore la fantaisie un peu folle de 1650 que cette uniforme
galanterie de 1682 où ni la musique, ni l'action, ni l'intérêt ne trouvent leur compte.
Pour condamner Corneille il eût fallu pouvoir rendre à la musique la première
place dans le drame lyrique, et cela non pas en imposant de force celle-ci à celui-là,
mais en les faisant jaillir l'un de l'autre. Si les faits et les gestes des héros, l'intrigue
et les personnages mêmes avaient été conçus par cet esprit de la musique dont
Nietsche fera l'apologie deux cents ans plus tard, l'équilibre d'une œuvre comme
Andromède eut été tout autre. Mais c'est précisément là ce dont Voltaire ne s'avisera
jamais. Le commentateur de Corneille, et avec lui LuUy et tous nos classiques du
xviii® siècle, ne voient dans le chant et dans l'orchestre qu'un ornement accessoire
ajouté au sens raisonnable, qui est le principal. Pourquoi donc vouloir abuser de ce
plaisir s'il n'est pas légitime, et pourquoi mépriser ceux qui lui ont assigné modeste-
ment sa place ? L'esthétique qui a produit Persée ou Mahomet est désarmée contre
Andromède ; seul le wagnérisme moderne pourrait défendre contre Corneille une thèse
dont le « classicisme » est l'avocat incompétent.
Ce lien flottant, mais cependant habile qui rattachait la musique à la tragédie
d'Andromède, est presque complètement rompu dans la Toison d'Or. Ici ni l'esprit
ni l'oreille se sont satisfaits. Tout est pour les yeux. Le mythe symbolique de
la Toison de Colchique semble réalisé devant nous par quelque entrepreneur de féerie.
Dans cette « machine » le poète disparaît devant le metteur en scène. Et c'est bien en
effet le machiniste qui a joué le premier rôle dans l'histoire de cette œuvre. Il s'appe-
lait Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac et, soit en Normandie dans son châ-
teau de Neufbourg, près Louviers, soit à Paris dans son hôtel de la rue Garancière(i),
il se livrait aux entreprises sportives les plus différentes et parfois les plus extrava-
gantes. La menuiserie et le cross-country l'avaient rendu célèbre dès le temps où
Tallemant rédigeait ses Historiettes. Mais il avait bien d'autres passions encore. Un
rapport de police (2) nous le dépeint ainsi : « Homme de la première naissance du
royaume, il a piraté sur la côte de Bretagne sans aveu et sans ordres à la faveur des
troubles de l'Etat... il est chargé de crimes, soupçonné toute sa vie de faire de la fausse
monnaie à Neubourg, où, dans les paiements, on demande si ce sera monnaie du Roi
ou de Neubourg ; usurier public prêtant à deux sous par livre par mois (120 0/0),
ainsi que toutes les revendeuses de Paris témoigneront. Désordonné dans ses habits,
courant au lieu de marcher par la ville comme un fol échappé... Allant seul à la halle
et au marché et rapportant sous son justaucorps du gibier et de la morue... toujours
dans les cabarets et lieux infâmes, entretenant publiquement des femmes dans sa mai-
son aux yeux de sa femme et de ses filles... jurant, outrageant les ouvriers, les sym-
phonistes, les musiciens, les filles de l'Académie... recevant l'argent à la porte sans
(i) Aujourd'hui occupé par la maison Pion.
(2) Publié par Nuitter et Thoinan dans leurs Origines de l'Opéra français.
— 446 —
chapeau et sans manteau, paraissant sur le théâtre nud en chemise, sifflant pour la
conduite des machines... » ( i ).
En vérité. Corneille n'était pas heureux dans le choix de ses collaborateurs. Au
bohème Dassoucy, succédait l'aventurier Sourdéac, sorte de diable au corps, qui prit
l'occasion du mariage du roi pour se signaler par une nouvelle extravagance. Cette
folie, dont les décors lui coûtèrent plus de 30,000 francs, fut la représentation de la
Toison d'Or dans une grande galerie du château de Neubourg. Peut-être la pastorale
de Cambert, jouée avec éclat, l'année précédente à Issy, chez le millionnaire de la
Haye, n'était-elle pas étrangère à cette fantaisie du vaniteux Sourdéac. Mais la cantate
dramatique qui avait fait^courir tout Paris, fut remplacée en Normandie par une féerie
mythologique, dont Corneille ne put tirer qu'un médiocre parti. La musique apparaît
çà et là dans cette machine, mais accessoirement. Voici par exemple « le dieu
Glauque avec deux Tritons et deux Sirènes qui chantent, cependant qu'une grande
conque de nacre semée de branches de corral et pierres précieuses, portée par quatre
dauphins et soutenue par quatre vents en l'air, vient s'arrêter au milieu du fleuve.
Tandis qu'elles chantent le devant de cette conque merveilleuse fond dans l'eau et
laisse voir Ipsyphile, assise comme dans un trône, et soudain Glauque commande aux
vents de s'envoler, aux Tritons et aux Sirènes de disparaître, et au fleuve de retirer
une partie de ses eaux pour laisser prendre terre à Ipsyphile. Les tritons, le fleuve, les
vents et les Sirènes obéissent, et Glauque se perd lui-même au fond de l'eau, ensuite
de quoi Alsyste donne la main à Ipsyphile pour sortir de cette conque qui s'abime
dans le fleuve. » Toute cette décoration musicale a disparu ; on ignore même le nom
de celui qui en fut chargé. A Paris, la Toison fit sensation grâce à la générosité de
Sourdéac, qui abandonna ses machines aux comédiens. Mais ce fut un succès de curio-
sité. La pièce ne resta pas au répertoire.
Faut-il mentionner encore la participation de Corneille à la Psyché de 1671 ? Les
collaborateurs se trouvaient cette fois dignes du poète. Molière avait disposé l'intrigue,
Lully et Quinaut se réservaient la musique. Corneille fut mandé pour versifier en hâte
quelques scènes inachevées. Cette intervention n'a donc en réalité presque rien de
musical. Tout au plus doit-on remarquer que le travail de Pierre Corneille servit quel-
ques années plus tard à Thomas, son frère. Psyché parut en 1676 sur la scène de
l'Opéra, sans que cette adaptation lyrique l'ait beaucoup avantagée.
Il conviendrait enfin de signaler les intermèdes symphoniques dont les représen-
tations des premiers ouvrages de Corneille paraissent avoir été accompagnées. Dans
les entr' actes de Méliie, d' Œdipe, etc., on jouait de la musique, nous disent les ga-
zettes. Mais ce décor sonore s'est complètement évanoui. Dès le xvii° siècle, l'opéra de
Lully avait fait oublier la symphonie française de 1650, et l'école des Constantin, Du
Manoir, Mollier, Lazzarin, Mazuel. Seuls quelques rares manuscrits (2) nous montrant
ce que pouvaient être ces grandes pièces instrumentales, sans nous permettre cepen-
dant de déterminer leur attribution.
Durant ces quarante années qui séparent le ballet de Bicêtre du ballet de Psyché,
le grand Corneille, on le voit, n'était pas resté étranger à l'art musical. 11 avait eu
plusieurs fois l'occasion d'appliquer son génie à ce délicat problème du lyrisme dra-
(1) Pour comprendre ce passage il faut se rappeler que Sourdéac s'associa en 1669 avec Perrin et
Cambert pour fonder l'Opéra. Sa conduite scandaleuse contribua sans doute à discréditer cette entreprise
et à lui retirer la faveur du roi.
(2) Par exemple le premier volume de la collection Philidor au Conservatoire, le y. Mus. 109 de la
Bibliothèque d'Upsal, et le FoL 61 de la Bibliothèque de Cassel qui vient d'être remis au jour.
— 447 —
matique et de formuler sur ce point ses préférences esthétiques. Si l'on met à part
quelques poésies fugitives, de peu de poids, il reste de cet effort, un Prologue de bal-
let (1632), une tragédie (1650), et une >< machine» ( 1660 j ; trois entreprises diffé-
rentes et que l'intérêt musical soutient inégalement. Dans le divertissement Louis XIII,
tout est musique et danse ; dans Andromède le drame et le chant se prêtent un appui
mutuel et efficace ; dans la Toison d'Or l'intrigue extérieure l'emporte décidément.
Ces étapes correspondent à l'évolution de l'art cornélien. Elles nous montrent un
artiste de plus en plus avide d'action scénique et de moins en moins curieux d'émo-
tion intime. Les circonstances, la mode, le goût du siècle, le succès d'œuvres rivales
ont poussé Corneille vers la musique. Son génie naturel l'en détournait, parce qu'il
le portait vers le rêve qui agit et non pas vers l'action qui rêve. Corneille appartient
â ces esprits sur lesquels le monde extérieur exerce un attrait irrésistible. Tout son ■
art est celui d'un visuel qui se hâte de projeter ses sentiments dans le domaine des
représentations et de les y maintenir le plus longtemps possible. N'a-t-il pas écrit
quelque part :
Nous sommes hors des temps de cette vieille erreur
Qui fesait de l'amour un aveugle fureur,
Et l'ayant aveuglé lui donnait pour conduite,
Les mouvements d'une àme et surprise et séduite
Ceux qui l'ont peint sans yeux ne le connaissaient pas
C'est par les yeux qu'il entre et nous dit vos appas.
Lors notre esprit en juge^ et suivant le mérite,
11 fait croître une ardeur que cette vue excite.
(Galerie du Palais III 6)
Certes Corneille avait trop de génie pour méconnaître totalement cette force
aveugle, qui se confond avec l'inspiration même ; mais il était aussi trop Français et
trop intellectuel pour se fier à cet aveuglement et ne pas lui opposer la clairvoyance
du jugement. Pour lui l'entendement reste toujours le maître et précède l'émotion
dans l'ordre psychologique ; pour lui la logique de l'esprit est supérieure à la logique
du sentiment. C'est par ce côté, par cette disposition naturelle de son génie que l'au-
teur d' (Andromède échappe à la musique et se place hors de sa sphère. Cette sorte
d'obscurantisme qui enveloppe et engourdit pour un temps notre esprit, qui ferme nos
yeux, nous paraît en effet, et de plus en plus aujourd'hui, indispensable à la manifes-
tation du phénomène musical. Les « scientistes » les plus outrés sont eux-mêmes forcés
d'en convenir. Dernièrement et ici même on a pu lire l'apologie de cet aveuglement
condamné par Corneille : « ils avaient tous les yeux vides elles fronts sans pensée.
C'était pourtant de la beauté. » (i).La <;<vieil!e erreur» contre laquelle s'inscritCorneilIe
redevient aujourd'hui vérité. L'expérience nous apprend que l'acte de création esthé-
tique — en musique surtout — n'appartient pas en propre à l'entendement. Il ne re-
lève pas de ces facultés lumineuses qui jugent, qui établissent des rapports, qui cons-
truisent devant nos sens le voile merveilleux des représentations objectives. Il peut se
passer des yeux, il est essentiellement aveugle.
Supprimez en effet les données sensibles que nous projetons, très inconsciemment,
hors de nous ; faites évanouir un instant ce monde physique, admirable échafaudage de la
science et de la raison. Videz les yeux et les fronts ! Et vous n'aurez point détruit cette
passion instinctive et sourde qui n'a nul besoin de comprendre pour exister, et sans
laquelle par contre il n'est ni compréhension ni savoir possibles. Cette force qui ne
devrait avoir de nom dans aucune langue, parce qu'elle échappe à toute catégorie de
pensée, à tout concept de vrai, de faux, de bien ou de mal, cette énergie, les philo-
(l) J. d'Udine, 15 décembre 1905, p. 7o6j
sophes ont tenu à la désigner par le vocable si souvent décrié de méta-physique. Parler
de métaphysique — et il faut toujours en venir là en musicologie — c'est donc dire à
peu près ceci : le monde physique, résultat de notre activité intellectuelle et du jeu
plus ou moins inconscient de nos idées, laisse supposer une vitalité qui soutienne
cette construction et lui donne l'être, une force initiale qui fasse éclore cette représen-
tation physique comme un fruit mûr au bout d'une tige. JVlétaphysique c'est le con-
traire d'Idée, générale ou particulière, abstraite ou concrète. En ces régions où les
clartés de l'intelligence nous abandonnent puisque nous les repoussons nous-mêmes et
voulons nous passer de leur intervention, il faut nous résigner à subir la confusion des
mots qui nous trahissent sans cesse. Seul un langage comme celui de la musique, qui
laisse sommeiller l'idée et l'objet son complice, peut nous guider vers ces profondeurs.
Or — et c'est là ou nous voulions en venir — le chemin qui nous conduit ainsi de la
physique vers la méta-physique, de l'idée représentative vers la sonorité vague, de la
lumière vers la nuit, c'est précisément la marche inverse à celle que choisit Corneille.
Nous avons vu le jeune auteur du Cid marquer son éloignement pour la passion musi-
calisée dans le temps même où cette passion faisait jaillir en lui l'inspiration poétique
et lui révélait son propre génie. Vingt ans plus tard, en réalisant dans Androinède cette
esthétique négative, il sépare autant que possible la musique du drame actif. En 1660
enfin, au moment oùCavalli donne avec Xerxès l'exemple d'une grande œuvre lyrique,
où Cambert et Perrin viennent de fonder en France l'opéra, il feint de méconnaître les
ressources de l'art musical, et les sacrifie au prestige du décor. On ne dira point cepen-
dant que ce fut par ignorance. Il n'ignorait point la vertu de la musique, puisqu'il lui
reconnaissait le pouvoir d'entraver l'intrigue et d'irriter l'intelligence du spectateur. En
plaçant les chants et les symphonies aux instants qui forment les points morts de son
drame, il venait au contraire de montrer qu'il avait deviné le sens caché du langage
musical. Il avait fort bien entrevu, tout en la déplorant, cette incompatibilité naturelle
qui éloigne un art mystique de toute intrigue où domine le réel et le contingent. C'est
donc bien le goût du romanesque qui détourne Corneille de la musique et l'entraîne vers
Agésilas ou Rodogune. Passion des incidents, des coups de théâtre, jeu compliqué des
causes finales, souci de la vraisemblance convenue, de la vérité historique, de la bien-
séance morale, en un mot la ferme volonté de ne point quitter le monde des représen-
tations sensibles et de s'y complaire, voilà les préoccupations qui retiennent la
tragédie cornélienne loin du lyrisme véritable et de l'émotion sonore.
Aussi bien cette conclusion s'appliquerait-elle aisément à toute la tragédie du
grand siècle, et peut-être à l'ensemble de notre art classique. L'état d'esprit de
Corneille se retrouve sans peine chez St-Évremont, chez Boileau comme chez Lamotte-
Houdar et chez Voltaire. Si notre esthétique dramatique du xvu*^ siècle évolue très
rapidement vers des pièces d'intrigue comme Suréna ou Partharite, vers des décora-
tions comme la Toison d'Or, ce n'est aucunement parce qu'elle se détourne de son but,
mais bien au contraire parce qu'elle l'atteint. Nous nous trompons lorsque nous vou-
lons voir un affaiblissement du génie et une décadence dans Attila. Le progrès logique
d'une mentalité très tenace et admirablement conséquente, la marche régulière d'un
art qui bannit enfin de son inspiration « l'esprit de la musique », et s'est libéré de tout
aveuglement, voilà ce qu'il serait facile de distinguer dans cette dernière manière du
maître. Certes nous sommes en droit de blâmer cette évolution, si nous voulons
juger Corneille d'un point de vue esthétique différent du sien. Et nous pouvons aussi
préférer le retour accompli par Racine vers la musique des vers et le lyrisme des
émotions. Mais n'oublions pas qu' Esther, Athalie, Andromède, sont des accidents dans
notre art classique. Allons même plus loin et demandons-nous si Phèdre ou Iphigénie ne
constituent pas des exceptions plutôt que des époques de notre théâtre* Pourquoi donc
— 449 —
Racine se serait-il détourné brusquement d"un art et d'un rêve aussi séduisant, s'il n'avait
entrevu, par delà le flot sonore qui l'entraînait, des régions où l'esprit n'est plus le
maître. La voie qu'il abandonnait était bien celle qui conduisit le xix^ siècle à l'explo-
sion de Tristan et à l'extase de Mélisande ; le chemin que la tragédie reprit aussitôt fut
celui de Zaïre, à' Inès et du Siège de Calais. Deux routes bien diflférentes en vérité !
L'exemple de Corneille n'est donc pas isolé dans notre histoire littéraire. Il nous
montre une fois de plus qu'il s'est toujours trouvé en France des hommes de génie
pour faire servir la musique à des fins antimusicales. L'étude d'un grand nombre de
« cas » semblables devrait être fréquente. Peut-être arriverait-on de la sorte à limiter
plus précisément le champ des problèmes esthétiques et surtout à ramener ces problèmes
à une même et éternelle dualité, à un antagonisme très simple entre deux tendances
également légitimes : le goût de la lumière et la passion de l'obscurité.
Jules ECORCHEVILLE.
La Quinzaine musicale
M. J.-J. Nin. — Le Courrier Musical a déjà parlé, et dans les termes les plus
élogieux, de M. Nin. Nous aurons cependant grand plaisir à redire les rares qualités que
réunissent le talent et la compréhension musicale de M. Nin. M. Nin ne vise pas à l'effet
purement pianistique, et il semble même mépriser la virtuosité proprement dite. Par
contre il dissèque avec une science profonde l'œuvre qu'il interprète, il la raisonne, la
commente, la discute peut-être, il en étudie tous les contours, se rend compte de ses
tendances, observe ses accents, pénètre l'esprit de son auteur après avoir établi une
donnée logique sur l'ensemble de ses conceptions, et il parvient à une interprétation
remarquablement juste et éducatrice de la page qu'il fait vivre ainsi sobrement et
fortement. Son dernier programme, le 3° des douze séances qu'il a annoncées comme
devant constituer l'Histoire du Piano, comprenait des œuvres des Ecoles espagnole,
xvi' siècle (Cabezon), française, xvii" et xviii'^ siècles (Couperin-le-Grand et Rameau),
allemande (Haendel), anglaise (Byrd et Gibbons) et italienne (Rossi et Scarlatti), toutes
savamment commentées sur un programme d'un précieux document, par M. Aug.
Sérieyx. R.
Mlle M. Mulnier.— Mlle Mulnier, pianiste virtuose, directrice d'un cours d'en-
semble vocal, sut le 8 juin, mettre au service de l'Art le plus pur, ses multiples qua-
lités personnelles et les moyens dont elle disposait. Son programme était consacré à
l'audition d'œuvres instrumentales et vocales de Franck et Schumann.
L'interprétation du Quintette de Franck fut absolument remarquable : à Mlle Mul-
nier s'étaient joints l'éminent violoniste M. G. Willaume et MM. Charot, Morel et
Richet. Admirable compréhension de l'œuvre, de son style, de son esprit. L'homogé-
néité, l'équilibre sonore si rares et si nécessaires, furent particulièrement saisissants
dans le Lento. Puis de Franck encore, des fragments de Rédemption. Mme Georges Cou-
teaux chanta l'air de l'Archange avec un goût et une justesse d'accents hors pair. Il me
semble difficile de mieux pénétrer l'esprit mystique de l'œuvre que ne le fit la canta-
trice. Les chœurs sous l'habile direction de M. J. Berthois, surent être fondus et expres-
sifs et la diction de Mlle Corlys (le récitant) créa autour du divin oratorio toute l'atmos-
phère pieuse désirable.
Dans Schumann Mlle Mulnier s'exprimerait plus librement encore, si cela lui
était possible. Assistée de MM. Willaume, Morel et Richet, elle joua avec une grâce
exquise le quatuor du mi bémol majeur. L'interprétation d'ensemble du scherzo fut
I
— 450 —
fort spirituelle, celle de l'Andante un peu trop sonore de la part du violoncelle ; enfin
celle du vivace. très alerte.
D'importants fragments du Faust de Schumann terminèrent cette intéressante
matinée : le duo de la scène du Jardin réunit deux grands talents bien faits pour s'en-
tendre ; celui de Mme Couteaux et de M. J. Reder et témoigna de la noblesse de st5'le,
de l'émotion et de la sincérité des deux artistes. Enfin, soutenant M. Reder dans le
P.iter Seraphicus^ se mêlant aux soli de Mme Baize dans // est sauvé et au char-
mant quatuor de voix de femmes (Mme Baize, Mlles Ludwig, Detrimont et Asso), un
chœur mixte, homogène et discipliné montra ce que peut l'énergique volonté d'une
artiste telle que Mlle Mulnier et celle de l'excellent chef qu'a été M. Berthois.
G. A.
Concerts Hisler. — Pour la seconde fois, M. Risler vient de parcourir victorieu-
sement le cycle des Sonates de Beethoven et il les laissera désormais j'imagine, dormir
durant de longs mois leur bon sommeil. Il m'a été agréable de constater que cette reprise
— peut-être prématurée — fut tout à son honneur. Quelques échos des provinces qu'il
visita récemment m'avaient, il est vrai, mis en garde contre certaines libertés de style
où il s'était, paraît-il, abandonné, notamment contre un abus léger du rubato ou du
pianissimo qui peut rapetisser fâcheusement une telle musique. J'avoue que je n'ai pas
eu pour ma part à en sou&rir et que j'ai été au contraire très frappé de voir que M.
Risler, fidèle à son idéal, s'est gardé religieusement de cette interprétation orgueilleuse
et fausse qui prétend à être personnelle par tous les moyens et au prix des plus détes-
tables sacrilèges. Béni soit le Seigneur qui créa Mlle Selva et M. Risler pour soutenir
Franck et Beethoven contre les assauts héroïques et splendides de M. Busoni. J'avais,
pour exorciser de pénibles souvenirs, un besoin véritable de réentendre la Sonate op.
io6, nettoyée de toutes les souillures de la virtuosité, de la voir renaître à la lumière
d'une exécution fidèle, intelligente, consciente et sincère. M. Risler n'a pas déçu ses
admirateurs et il n'y eut nulle complaisance dans l'ovation vibrante et chaleureuse qui
accueillit la fin de ses concerts.
P. L.
Sonatières et les alentours.
Deux mots encore avant de boucler ma valise, et en route pour la Musique du
silence, la seule, la vraie, l'unique, la véritable, comme on dit à la foire de Neuilly !...
Mais comment pourrais-je ne pas remercier Mlle Hélène Ziélinska d'avoir adorablement
joué sur la harpe chromatique des œuvres de Bach, Boellmann, Grieg, d'Indy, Albeniz,
Ravel, Gasella, etc., transcrites par elle, et qui mettent en valeur aussi bien son délicat
talent que les qualités de la nouvelle harpe, Mlle Lapidus-Dylion, brillante élève de
Mme W. Landowska, d'avoir su s'assimiler la finesse de toucher et tout le séduisant
esprit de son professeur, Mme Ysabel Barnard de s'être assuré l'éminente collaboration
de Pablo Casais dont elle est la digne partenaire dans la très intéressante Sonate de Jean
Huré, Mme Mathilde Polack d'avoir exécuté avec un aussi captivant enjouement ses
CAa»/s ii'£s/>jt§ue, tandis que Ghevillard se retenait de danser la Séguedille, M. Marcel
Chailley d'avoir intéressé son public en jouant très impeccablement, avec l'auteur encore
plus impeccable, une Sonate de Louis Diémer, la Société des Instruments Anciens (MM.
et Mme Gasadesus, MM. Olivier et Gasella) d'avoir harmonieusement saupoudré de
grâce frêle des pages de Sacchini et de Bruni ; Mlle M. Vizentini, fille du réputé
Directeur de la scène à l'Opéra-Comique, d'avoir réussi à briller comme pianiste à côté
de Mlle Mary Garden et de M. L. Fugère qui lui prêtaient leur concours, M. Mau-
guière de continuer son œuvre artistique avec son très charmant quatuor vocal, Mme
Hall d'avoir organisé avec un très bon orchestre habilement dirigé par M. Longy (chef
d'orchestre des Concerts de Boston) un concert au cours duquel elle a donné la plus
probante preuve des progrès du féminisme, en soufflant avec ardeur et élégance dans
un saxophone qui, reconnaissant de cette marque d'intérêt, nous a fait entendre une
nouvelle œuvre de Georges Sporek, Légende, très agréable par ses contours mélodiques
— 451 —
sa chatoyante harmonisation et ses recherches d'orchestration ; Mme Hall a remporté
le plus mérité succès, car elle saxophonise très brillamment ; j'adresserai encore
moultes éloges à M. Joseph Thibaud pour avoir si exquisement traduit Au Soir et
Pourquoi de Schumann et la Sonate op. 58 de Chopin, qu'il a rendue avec une puis-
sance et aussi une légèreté extraordinaires ; à M. Alfred Casella pour avoir merveil-
leusement accompagné à Mme Mysz-Gmeiner (pour laquelle tout enthousiasme serait
superflu), des lieder de Schubert, Schumann, Brahms, Hugo Wolf, R. Strauss, Max
Reger et Behm ; à Mlle Germaine Tassart (depuis quelques jours Mme H. Evmieu', qui
a délicieusement exécuté avec M. Laforge. une So}iate pour piano et violon de Lefébure :
à Mme Vovard-Simon qui a su former un quatuor féminin de premier ordre (Mme
Vovard-Simon, Mlles Neuburger, Aubert et Pelletier , interprétant supérieurement le
Quatuor en ré h de Chevillard -, à Mme Olénined'Alheimdéjà souvent applaudie dans les
charmantes œuvres de Moussorgski; à M. Jean Huré pour la saveur de ses quatre Pièces
élégiaques qui seront bientôt au répertoire de tous les pianistes, et de sa Sonate pour
violoncelle et piano, déjà nommée ici-même, mais cette fois interprétée par Gérard
Hekking et l'auteur. Et si je me laissais aller, que de noms je coucherais encore sur ce
papier, que de commentaires s'étaleraient impitoyables pour mes patients lecteurs ; mais
déjà les grosses portes de nos insuffisantes salles de concerts ont roulé sur leurs gonds
dans le sens contraire de celles du Conservatoire qui commencent à s'ouvrir ; fuyons
cette échappée de volière, ce gazouillement excessif dont la discordance n'a d'égale que
celle de la Fête de Neuiliy qui, décidément me poursuit étrangement aujourd'hui.
Encore un cran à mes courroies ; ma canne, mon parapluie ; n'ai-je rien oublié, ah si !
toute la musique. Tant pis ! En route !
D'jINN.
Le fflou\emenl musical en province el à l'élranger
Les Assises musicales de la « Schola » à Montpellier
(Congrès du Chant populaire)
La section de propagande de la Schola ne saurait rester inactive sous la direction
de l'infatigable Charles Bordes ; voici qu'elle vient de donner à Montpellier des fêtes
musicales du plus haut intérêt et dont le très grand succès assurera un rayonnement
artistique considérable.
Ce Congrès, consacré essentiellement au Chant populaire dans ses manifestations
les plus vivantes et les plus artistiques, comportait deux séries, l'une religieuse, trai-
tant du chant populaire à l'église iplain-chant, noëls et cantiques), l'autre profane, trai-
tant de la chanson populaire au foyer et dans la vie. On y a entendu des œuvres mu-
sicales engendrées par ces deux courants et aussi des œuvres « oîi le sentiment de la
nature et du pittoresque tient lieu de générateur essentiel » car le but que se proposait
M. Charles Bordes en organisant ces fêtes était précisément de mettre en valeur le rôle
important que ce sentiment de la nature joue dans la formation de l'art musical fran-
çais et dans ses tendances.
C'est ce progamme que M. Charles Brun a su très éloquemment développer dans
une conférence d'introduction en étudiant les si diverses manifestations par lesquelles
ce sentiment s'est; traduit depuis le moyen âge jusqu'à nos jours.
La réalisation complète d'un tel programme n'était pas possible durant les cinq
jours du Congrès ; du moins, pour suivre d'âge en âge ce mouvement, M. Gh. Bordes
— 452 —
a-t-il su, guidé par sa remarquable intuitioa artistique, choisir des spécimens très
caractéristiques et présentant, en plus d'un réel intérêt d'art, l'attrait même de la nou-
veauté.
Au mo5'en âge c'est dans le chant grégorien une curieuse communion : Factus est
repente de cœlo, qui voulait, paraît-il, imiter le grand vent qui accompagna la venue
du Saint-Esprit et brisa les vitres du Cénacle. C'est aussi la musique primitive du drame
liturgique Les vierges sages et les vierges folles de la fin du xii' siècle exhumé à cette
occasion de la Bibliothèque nationale par l'érudit M. Gastoué. Ce mystère dont le titre
porte seulement : Sponsus « l'Epouse » consiste en un texte farci moitié latin, moitié
provençal écrit sur quatre mélodies dont le contour a encore toute la naïveté et le
charme grégorien. 11 est noté dans la notation aquitaine du temps d'une diactématié
suffisamment claire pour que M. Gastoué ait pu le reproduire sur lignes en ajoutant
seulement la clef. Ce premier balbutiement de notre théâtre fut très bien présenté par
un groupe de chanteurs de Saint-Gervais ; il suivait une très intéressante conférence
de M. Jeanroy, le savant professeur à la Faculté de Toulouse, consacrée aux Trouha-
dotirs méridionctux et coupée d'exemples musicaux dont M. P. Aubry avait fait le plus
heureux choix et qui chantés par Mlles M. Pironnay et A. Villot et par M. P. Gibert,
charmèrent le public.
Avec la Renaissance, dès que l'art français, en tant qu'art s'organise, les exemples
abondent. Et M. Bordes de nous faire entendre ces chansons « où la fraîcheur des prai-
ries et la joliesse toute « ronsardienne » du mois de mai et du gai printemps sont peints
en accents délicieux ». C'est Soyons joyeux sur la plaisante verdure de R. de Lassus,
Puisque ce beau ynois nous invitant de G. Costeley et Ce Moys de may ma verte cotte
vestirav de Cl. Jannequin, chanson « a capella » que la Schola chorale de Montpellier
sut présenter avec toute la perfection désiraWe ; cette jeune et déjà importante Schola
a d'ailleurs également fait valoir dans les nombreux motets exécutés avec soins à la
cathédrale Saint-Pierre la belle sonorité de l'ensemble de ses voix bitn timbrées et, ce
qui honore son chef Charles Bordes, l'excellente fusion de ses éléments ainsi qu'une
parfaite justesse d'interprétation.
Mais voici les grands siècles de la musique française, les xv!!"" et xviii" siècles, où
la peinture de la nature et la sève populaire et rythmique de nos danses paysannes ont
tout animé, peinture quelquefois un peu conventionnelle comme celle des paysages
d'un Claude Gelée ou d'un Poussin, mais néanmoins saisissante et féconde. )) Et M. Ch.
Bordes de nous confirmer ses dires par les exemples les plus caractéristiques choisis
dans tous les genres.
Ce sont deux Dialogues Spirituels à une et quatre voix d'un musicien languedo-
cien du xvii^ siècle, Bouzignac, de Narbonne, que M. Henri Quittard a eu l'honneur de
tirer de l'oubli. Ces deux pièces tout à fait exquises dans leur expression naïve et tou-
chante procèdent des chansons polyphoniques du xvi° siècle ; elles renferment
aussi des intentions dramatiques soulignées par des contrastes très particuliers et du
meilleur effet.
Délicieuses aussi, mais d'un sentiment plus raffiné et tout descriptif les deux can-
tates pour voix seule avec symphonie L'Isle de Délos de Clérambault que Mlle M.
de la Rouvière ne manquera pas, espérons-le, de nous faire goûter à Paris et les Plat-
sirs de la campagne de Câmpra dont Mlle Alice Villot a su rendre délicatement lé
charme pastoral. Et c'est, exemple d'une beauté plus significative encore au point de
Vue de l'emploi des rythmes des danses dans une atmosphère de nature, l'exquis» pas-
torale-ballet en un acte de J.-B. Rameau : la Guirlande.
Il nous a déjà été donné de l'entendre plusieurs fois à Paris, mais représentée par
un chaud après-midi sur un théâtre de verdure placé dans un bosquet du beau jâraîn
taillé de l'ancien Mas d'Haguenot, villa du xvin^ siècle, cet ouvrage prenait dans le
décor de son style une signification plus haute.
L'interprétation en a été, pouvons-nous dire, tout à fait exceptionnelle, telle
même que Rameau n'aurait osé l'espérer, car au mométlt où l'amoureuse Zélidé vante
au betger Myrtil les charmes de la nature, ce n'est pas en vain qu'elle lui â dit : « lé
- 453 -
rossignol s'éveille... » ; un rossignol en efifet, caché dans les arbres qui ombrageaient
la scène, se mit tout à coup à chanter avec frénésie, et ses trilles et ses fioritures de se
mêler aux vocalises de Zélide et aux pâles imitations de la flûte... Minute exquise, sen-
sation inoubliable ! Et ce rossignol en musicien consciencieux, « rara avis », était venu
le matin même à la répétition, ce qui autorisait M. Ch. Bordes à répondre tranquille-
ment à qui s'étonnait de ce concours impi'évu : a Je l'attendais ! ))
Que ce rossignol ne nous fasse oublier ni la jolie voix de la délicieuse Zélide Mlle
Mary Pironnay, ni la sûreté de Myrtil, M. Dufriche, ni l'élégante interprétation des
danses et pantomimes par les toutes charmantes Louise et Blanche Mante.
Le culte du pittoresque et du pastoral est encore plus flagrant peut-être chez les
maîtres clavecinistes. Mme Wanda Landowska, merveilleuse interprète de cette musi-
que, en a détaillé sur le clavecin les pièces les plus caractéristiques avec un sens du
rythme et de la couleur vraiment remarquable ; on ne se lassait pas d'entendre ces
oeuvres délicates inspirées tantôt des bergeries et forêts, plus souvent des danses villa-
geoises, le public enthousiasmé en réclamait toujours de nouvelles ; c'est que si Mme
Wanda Landowska sait rendre la grâce et l'élégance naturelle qui parent cette musique,
elle sait aussi en varier à l'infini l'expression en utilisant très judicieusement les mul-
tiples ressources du clavecin.
Avec le xix° siècle, l'art français tombé en pleine décadence sous l'influence du cos-
mopolitisme, perd les qualités originelles que nous venons de voir s'épanouir en lui.
Félicien David fit cependant un léger effort vers la nature et c'est à ce titre, et aussi
pour sa qualité de provençal, que nous le voyons figurer dans ces fêtes avec l'air du
Mysoli de la Perle du Brésil-^ musique peu intéressante, purement imitative mais qui
aura du moins eu l'avantage de permettre à Mme Emma Calvé de faire valoir les mer-
veilleuses ressources de sa voix et la perfection de son art du chant.
« Mais voici la période moderne et une toute autre orientation de la musique pitto-
resque française. Ce ne sera plus la peinture délicate et quelquefois un peu académique
de paysages conventionnels, de Poussin ou d'Hubert Robert ; mais une scène nouvelle
vient de s'introduire dans la musique : la Mélodie populaire, non pas seulement
rythmiques, toute de danse comme chez nos clavecinistes, mais surtout mélodique et à
ce point féconde qu'elle créera dans la musique française moderne une sorte de mouve-
ment à'' impressionnisme musical que Vincent' d'Indy, entre tous, représente certaine-
ment le mieux. » Et M. Ch. Bordes de regretter de ne pouvoir inscrire au programme
certaines des compositions pittoresques comme Sauge fleurie ou la Symphonie sur un
thème montagnard à cause de la difficulté de mise en œuvre. C'est donc des ouvrages
d'une exécution plus facile qu'il nous fut donné d'entendre et essentiellement construits
sur des thèmes populaires : la Rapsodie pour orchestre sur des airs dti Pays d'Oc de
M. Paul Lacombe, oeuvre intéressante dans laquelle des mélodies alertes ou tendres
sont habilement traitées, et la Rapsodie basque pour piano et orchestre de M. Charles
Bordes, oeuvre coloriée, vivante, où l'âme basque s'exprime avec force à travers de
beaux thèmes d'une allure rythmique si particulière ou d'un sentiment si profond.
Dans le drame lyrique moderne, c'est la Cour d'Amour^ importante sélection de la
Trilogie lyrique Los Pyreneos du maître catalan Felipe Pedrell qui nous a montré
quelle pouvait encore être la bonne influence de la musique populaire. On en a particu-
lièrement goûté les jeux, airs de ballet aux rythmes hardis et les Scènes de rayon de
lune, si chaudement colorées et d'un bel accent (fort bien interprétées par Mlle M. de la
Rouvière) , mais le public n'a pu avoir de cette belle œuvre une impression aussi favo-
rable qu'elle l'aurait méritée parce qu'elle était chantée en catalan, il ne pouvait donc
en saisir que l'intérêt musical et il s'en suivait une certaine monotonie.
Cette sève nouvelle introduite dans la musique, la chanson populaire, devait na-
turellement être étudiée elle-même dans ce congrès qui était en quelque sorte sa
glorification. Nous ne pouvons entrer dans le détail des entretiens et discussions qui
journellement avaient lieu à la Schola, le matin pour la section religieuse (cantiques,
noëls populaires), l'après-midi pour la section profane. Signalons seulement une inté-
ressante communication faite par M. A. Roque-Ferrier sur l'élément historique dans la
~ 454 —
chanson languedocienne de VEscriviie et aussi les belles chansons populaires de Pro-
vence, du Languedoc, des Landes, etc.. chantées avec goût par Mlles Ediat et Del-
court. Ces chansons seront publiées par les soins de la société Les Chansons de France
fondée par M. Ch. Bordes et dont le but de vulgarisation mérite d'être encouragé.
Ce congrès vient d'ailleurs d'en montrer éloquemment toute l'utilité.
Pour terminer le compte rendu de ces belles fêtes musicales, laissons la parole à
leur promoteur, M. Charles Bordes ; après avoir admiré l'action bienfaisante de son
initiative, nous ne pouvons que souhaiter avec lui ; « qu'une armée de jeunes musiciens
s'abattent sur la France provinciale, pour aller chercher dans nos montagnes et sur nos
plages les mélodies encore vivantes dans la mémoire de nos paysans, afin de les réunir
en une sorte de répertoire immense, où viendront s'inspirer nos jeunes compositeurs,
afin de continuer la tradition établie ».
Puisse le Congrès de la Schola de Montpellier, être une date dans ce ressaisisse-
ment de la conscience nationale et du réveil du traditionnalisme !
René de Castéra.
Le Festival Rhénan
A Aix-la-Chapelle (3, 4 et S Juin)
Cologne, Dusseldorf, Aix-la-Chapelle, les trois grandes villes de la vallée du Rhin,
ont tour à tour l'honneur et l'avantage d'abriter le Festival Rhénan, l'une des manifes-
tations les plus anciennes parmi les nombreuses fêtes musicales organisées chaque
année dans les pays allemands. C'est à Aix-la-Chapelle que nous étions invité, les 3, 4
et 5 juin, à venir assister aux trois journées de musique organisées par le Comité du
Festival.
Assise dans un pays riant et verdoyant, à l'orée de la Belgique et de la Hollande, —
tout près de Paris, — l'antique cité de Charlemagne (i) n'offre plus que l'aspect banal
d'une ville moderne, propre et bien tenue comme toutes les villes allemandes, avec de
grandes bâtisses aux façades d'un modernisme criard.
La vie musicale y est très active, non seulement l'hiver, mais l'été, Aix étant une
ville d'eaux réputée. Les éléments qui prirent part au Festival, notamment les chœurs,
appartenaient en grande partie à la ville. L'orchestre, seul, fut très sérieusement ren-
forcé par l'adjonction d'instrumentistes venus de Cologne.
La direction musicale des Fêtes était confiée à M. Eberhard Schwickerat, musik-
director d'Aix-la-Chapelle et à Félix Weingartner. M. Schwickerat est un des meilleurs
directeurs de choeurs de l'Allemagne : travailleur infatigable et consciencieux, c'est à lui
qu'incomba entièrement la préparation de détail et d'ensemble de toutes les œuvres
chorales, en particulier delà Messe en si minetir. A part la Faust-Symphonie^ Wein-
gartner ne dirigea que des œuvres purement orchestrales. Le souvenir du génial et
sympathique cappelmeister est encore trop vivant parmi nous pour qu'il me soit néces-
saire de vanter son magnifique talent.
Composé d'environ 120 exécutants, l'orchestre renfermait de bons et solides élé-
ments, un quatuor puissant et suffisamment homogène, quelque peu lourd, des bois
défectueux, à la sonorité aigre et criarde, comme tous les bois de tous les orchestres al-
lemands, des cuivres excellents, tout spécialement des trompettes merveilleuses d'éclat
et de justesse. Quant aux chœurs, on ne saurait imaginer un ensemble plus admirable
de voix fraîches et bien timbrées, d'une souplesse rare, aussi remarquables dans les
effets de douceur que dans les effets de puissance, disciplinées, obéissant aux moindres
indications du chef, chantant avec autant d'ardeur et se dépensant sans compter. On
reste confondu devant une telle perfection réalisée, lorsqu'on apprend que ces chœurs ne
(i) Malgré le superbe Dom et le Rathaus (ou du moins ce qu'on en a conservé).
— 455 —
sont composés absolument que d'ajnateurs, de dilettante d'Aix-la-Chapelle, de Dussel-
dorf, de Cologne, de Bonn. Ils sont là 350 exécutants, qui, depuis plusieurs mois, ont
préparé ces auditions, travaillé régulièrement, se sont astreints à venir répéter à jours
fixes ; puis, dans la quinzaine qui précédait les concerts, ont participé à toutes les répé-
titions d'ensemble, presque quotidiennes. Il me suffira de dire ce que j'ai vu pour qu'on
puisse se rendre compte de l'effort donné par tous : pendant les cinq derniers jours
avant le premier concert, les chœurs et l'orchestre répétaient, chaque jour, de g heures
à 2 heures, et de 5 heures à g heures et même 10 heures, soit une moyenne de dix heures
par jour ! Et c'étaient les dernières répétitions, les répétitions principales ou générales,
déjà publiques et payantes. Depuis longtemps tous les détails de l'exécution étaient
réglés. Même lorsque la fatigue était extrême, aucune trace de découragement ou d'hu-
meur, toujours la même énergie souriante, le même entrain chez le chef et chez les exé-
cutants (i). Quelle leçon un tel spectacle n'eût-il pas été pour nos musiciens d'orchestre
parisiens (que deux heures de répétition énervent et rendent parfois inconvenants), et
combien ai-je regretté de ne pas voir près de nous nos chefs d'orchestre eux-mêmes
avec quelques-uns de leurs instrumentistes ! Ces répétitions et ces exécutions eussent
été pour eux d'un haut enseignement moral et artistique.
Aussi quel magnifique résultat obtenu ! Je crois impossible de désirer de plus
admirables exécutions que celles que nous avons eues à Aix-la-Chapelle, par dessus
tout de la Grande Messe de Bach. Je ne puis dire l'impression produite sur nous par
cette œuvre sublime,' qu'hélas nous n'avions jusqu'ici entendue qu'imparfaitement
rendue, surtout avec des moyens insuffisants. Cette fois nous avons senti vraiment et
pleinement la grandeur colossale de cette inspiration supra-terrestre, qui dicta déjà au
grand Sébastien la Passion selon St-Mathieu, et devant laquelle toute musique (hori-
zontale ou verticale) semble chancelante. Nous sentions que tous, chefs et exécutants,
interprétaient l'œuvre avec foi. Dès lors, qu'importaient certaines petites défectuosités,
le ton aigre du hautbois, la mauvaise sonorité de la flûte, voir même du violon solo,
certaines coupures (j'ai regretté spécialement celle du délicieux solo d'alto qui sedes ad
dexteram) ! L'impression d'ensemble était d'une force, d'une profondeur et d'une inten-
sité inouïes. Non, rien, pas même l'extrême habileté et les dons les plus extraordi-
naires, ne remplace la foi, le zèle et la conscience artistiques.
Les solistes, — si j'excepte le ténor, M. Burrian, dont la voix, essentiellement dra-
matique, et le style ne se prêtaient guère à l'interprétation de la musique de Bach, —
furent excellents. Mlle Philippi mérite une mention spéciale : sa belle voix, son style
parfait, furent très appréciés, de même que le sentiment admirable dans lequel elle
chanta VAgnus Dei. Mlle Bosetti possède une des plus charmantes voix de soprano
léger qui se puisse entendre. Quant à M. Frœlich, il est trop connu de tous ici pour
que j'aie besoin de faire son éloge.
La deuxième journée était consacrée à l'audition d'œuvres de Schumann (Ouver-
ture de Manfred). de Brahms (Rapsodie d'après le Har^reise de Gœthe, Concerto pour
violon) ; Liszt (Psaume XIII, Faust-Symphoyiie) . Je dois mettre hors pair l'exécution
extraordinairement vivante et magistrale de la Faust-Symphonie, sous la direction de
Weingartner. Jamais cette œuvre inégale, d'un romantisme échevelé, mais souvent gé-
niale, notamment dans la troisième partie, ne nous avait été révélée aussi magnifique-
ment. L'orchestre et les chœurs furent superbes, M. Burrian chanta fort bien son solo :
j'ajoute que le grand orgue apportait aux choristes et instrumentistes son précieux sou-
tien et contribua puissamment à donner à la fin de l'œuvre une allure triomphale et
grandiose.
J'aime modérément le Psaume XIII, surtout dans la première partie ; la Jolie phrase
« Schaue doch und erhoere mich »,d'un lyrisme si séduisant (et dont Wagner s'est sou-
venu en composant le Vénusberg), fatigue même quelque peu à la longue, tant elle
(i) Un dernier détail, qui fera rêver bien des gens : non seulement les membres des chœurs ne sont pas
payés, donnent gratuitement leur temps et leurs voix, mais ils doivent payer leurs places, comme les autres
personnes assistant aux concerts !
— 456 —
r-evient avec insistance. La rapsodie, Harzreise, de Brahms, est une belle page, qui fut
merveilleusement chantée par Mlle Philippi. Quant au Concerto de violon, j'avoue qu'il
me parut, cette fois, désespérément long : M. Marteau l'exécuta pourtant avec une
technique absolument parfaite, mais aussi avec une telle tranquillité, dans un mouve-
ment tellement lent, que nous avions peine à reconnaître certains motifs d'allure carac-
téristique pourtant, nettement tziganes, comme ceux du final par exemple. Le lende-
main, troisième jour des fêtes, M. Marteau nous faisait entendre une Fantaisie pour
violon et orchestre de Schumann (op. 131), rarement jouée (heureusement !), presque
sans aucun intérêt musical, hérissée de difficultés invraisemblables, et qu'il exécuta avec
une sûreté et une virtuosité remarquables ; une jeune pianiste de grand talent,
Mme Kath-Goodson, enlevait brillamment le difficile Concerifo en otî èémo/ de Liszt ;
Mme Bosetti chantait de façon délicieuse de charmants lieder d'Hugo Wolf ; enfin
Félix Weingartner, après avoir eu, comme chef-d'orchestre, les ovations du public, se
faisait apprécier et applaudir de tous comme compositeur.
Les oeuvres qu'il nous faisait entendre sont toutes fort intéressantes, certaines
d'entre elles sont de la plus haute valeur. Les lieder, Schae ~ers Sonntagslied, Ultima
Thule, Ich denke oft ans blaue Meer, ont une ligne mélodique très ferme, et sont
écrits dans un sentiment plein de noblesse.' Ils furent interprétés de façon suffisante
par le ténor Burrian.
Je veux surtout parler des deux grands Chœurs à huit voix, avec accompa-
gnement d'orchestre et d'orgue, qui furent exécutés (suivant le désir de l'auteur),
sous la remarquable direction de M. Schwickerat. Ces deux chœurs ont été composés
pour VUnion Chorale de Sheffield, à laquelle ils sont dédiés, et qui les créa : depuis ils
ont été exécutés à Amsterdam, à Mayence, etc., et ont obtenu partout le plus grand
succès. Le premier, Traumnacht, d'une inspiration pleine de charme et de distinction,
m'a particulièrement séduit : l'œuvre est parfaitement écrite pour les voix, et l'orches-
tration est d'une fluidité, d'une légèreté de touche extraordinaire, aussi éloignée que
possible de l'orchestration wagnérienne ou de celle de Strauss ; le second, Sturfnhym-
nus est une œuvre puissante, réaliste par instants, où le compositeur a utilisé avec une
extrême habileté toutes les ressources des voix et de l'orchestre. L'effet produit est
énorme, et le succès en fut triomphal. Ces deux chœurs, d'une grande difficulté,
furent superbement exécutés.
Et maintenant que j'ai rendu compte de ces belles fêtes, il me reste à remercier le
Président et les membres du Comité de l'aimable accueil qui me fut ménagé, à dire
encore mon admiration à tous ceux qui participèrent à ces exécutions modèles, aux
musiciens des chœurs et de l'orchestre, enfin aux chefs qui surent si bien les diriger, à
M. Eberhard Schwickerat, et à Félix Weingartner. Je souhaite que l'an prochain
nous nous trouvions plus nombreux, venus de France, pour assister au Festival
Rhénan. _
Albert DioT.
LETTRE DE MUNICH
Fin Mai.
Je vous annonçais dans ma dernière lettre que le Hof-Theater allait donner le
Rinv. C'est chose faite aujourd'hui et je sors du Crépuscule des Dieux ahuri de l'au-
dace de ceux qui ont osé entreprendre cette tâche dans les conditions actuelles. J'ose
dire que si ces quatre soirées font honneur au courage de notre intendant, M. de Speidel,
elles ne grandissent sûrement pas la gloire de notre compagnie lyrique, encore que ce
disant je manque un peu d'exactitude. En effet notre troupe lyrique existe à peine, et
en tous cas elle n'a joué dans ces quatre représentations qu'un rôle accessoire, fort
médiocre du reste. Nos principaux artistes, de par la magnanimité de M. de Possart
gagnent des millions en Amérique ou soignent leur petite santé sur les bords de je ne
sais quelles eaux bleues ou argentées des pays de rêves. En attendant qu'un bon vent
— 457 —
les ramène, comme on voulait donner \s Ring, on a raccolé au petit bonheur de ci, de
là, des ténors, des sopranos, des basses dont on a fait un semblant de troupe : Siegfried
venait de Prague, Siegmund de Berlin, Sieglinde de Dresde, Wotan de Francfort ou
de Cologne, Frika de Breslau et le reste je ne sais d'où, peut-être même de Munich.
Nous n'avons naturellement pas échappé aux surprises que laissent prévoir un pareil as-
semblage. Nous arrivions au théâtre où sur la foi de notre programme nous nous atten-
tion à voir M. X dans le rôle de Wotan ou Mme Y dans le rôle de Brunehilde ; l'admi-
nistration faisait assavoir au public par de petites affiches placées dans les couloirs que
M. X de Berlin, indisposé avait dû être remplacé au pied levé par M. A de Leipzig et
Mme Y de Dresde, qui avait manqué son train, par Mme B de Vienne. Vous vous repré-
sentez bien que c'était une gageure intenable que celle de faire coopérer cette macé-
doine au cycle wagnérien. Tenir la scène cinq heures durant sans connaître cette scène,
ni ses partenaires ni l'orchestre qui vous soutient n'est pas un jeu d'enfant et c'est ce
qu'ont dû faire pourtant la plupart des artistes au cours de ces représentations. Et
vous me croirez, je pense, sur parole si je me permets de dire que les résultats obtenus
lurent au plus médiocres.
Cette insuffisance de la part des artistes n'a pas pu enlever à cette œuvre gigan-
tesque son charme puissant et magique et cette attirance qui font de cette musique
une sorte de philtre captivant et dominateur. On en est littéralement envoûté. En effet
comment pourrait-on résister sans cela à ces longueurs sans fin dont on ne se lasse
cependant pas, à la niaiserie de la trame de chacun de ces drames auxquels on s'inté-
resse malgré tout ; à l'insignifiance des personnages, brutes aux instincts rudimen-
taires et écœurants, s'il n'y avait dans leurs chants cette magie, apanage du génie, qui
influe sur nous obscurément comme agissent les forces élémentaires de la nature.
Dans le Rheingold^ la distribution fut à peu près convenable ; Bauberger dans le
rôle de Wotan fut passable et Walter dans celui de Loge plutôt bon, d'allure facile et
légère il donna à son personnage un petit air curieux et malin qui ne faisait pas trop
mal au milieu de tant de lourdeurs. Mlle Huhn dans Frika chanta faux comme à son
ordinaire. Alberich-Zador et Fafner Gillmam furent insignifiants. Quant à Bender-
Fasold il n'eut pour lui que sa taille qui le haussa à la hauteur de son rôle. Les filles
du Rhin guidées par Mme Bosetti furent seules à peu près parfaites.
Dans la Walkyrie le rôle de Siegmund fut confié à un ténor de Dusseldorf, M.
Moers qui se tira d'affaire bien médiocrement, se heurtant aux décors des pieds et delà
voix. Sieglinde venait de Dresde et Wotan de Cologne, sauf erreur. Sieglinde c'était
Mme Wittich ; ce fut la seule artiste remarquable de tout le cycle ; elle fut vraiment
émue et touchante tandis que Mme Burck-Berger fut d'une platitude lamentable dans
le rôle de Brunehilde. Mlle Huhn, Frika, continua de chanter faux. Je vous ai dit que
Wotan venait de Cologne, peut-être n'en venait-il pas, cela n'a pas d'importance, mais
pour cette fois-ci il s'appelait Bachmann, ce qui ne l'empêcha pas d'être insuppor-
table.
Siegfried n'eut pas plus de bonheur que la Walkyrie ; au contraire, Siegfried qui
nous arriva de Prague sous les traits de M. Krause fut si mauvais qu'on le siffla. Je
puis vous dire qu'il faut être bien mauvais pour être sifflé à Munich. Quant à Brune-
hilde, elle nous réapparut sous le visage de Mme Burk-Berger,elle nous parut meilleure
que la veille, sans doute grâce au ténor qui la faisait ressortir — bien malgré
lui, le malheureux ! Wotan changea encore une fois de peau et prit celle de Feinhals.
On ne jure ici que par Feinhals, quand Knote est absent. Pour mon compte je le
goûte fort peu ; il chante mal, de la gorge, il a la voix alternativement vibrante et co-
tonneuse, un jeu de marchand de toile et un tempérament de rond de cuir ; son incar-
nation de Wotan ne fut en rien supérieure à celle que nous eûmes les deux jours précé-
dents. Mime-Hofmuller a la voix aigre et criarde qui convient à son rôle, il est rabo-
teux à souhait et vif comme il convient, ici un bon point.
Le second Siegfried, dans le Crépuscule des Dieux, fut aussi un ténor de Prague,
M. Kaufuny ; si on ne le siffla pas ce fut assurément par découragement, mais il ne va-
lait pas mieux que son prédécesseur. M. Brodersen dans le rôle de Gunther fut meilleur
- 458 -
s
comédien que chanteur, encore qu'il soit tout juste convenable dans la première situa-
tion. Hagen, pour nous venir de Graz et se nommer Gillmann, n'avait pas besoin de
prendre un air aussi sombre et désespéré. Je suis obligé de répéter que Mme Burck-
Berger fut pour la troisième fois sans tempérament ni puissance.
Mlle Koboth fit une jolie Guntrun aimable et douce, un peu sucrée comme sa voix.
Les filles du Rhin ne démentirent par leur bonne réputation, Mme Bosetti qui les con-
duisait est parfaite dans tous ses rôles... et on la suit.
Mottl a terminé la série des Concerts de l'Académie par l'audition de la Messe en
ré. L'impression puissante que donne cette œuvre semble être faite autant d'étonne-
ment que d'émotion proprement dite. Les accents fulgurants du Credo lient d'une cer-
taine parenté le génie souverain de Beethoven au génie éclatant de Berlioz, ceci sans
vouloir établir aucune autre analogie entre eux. Si magnifique et si grandiose que soit
cette œuvre tant par l'inspiration puissante qui la créa que par la richesse — l'excès
de richesse — des moyens employés, on a l'impression d'être dépassé par cette musique
écrite au-dessus des instruments et des voix. Je ne ferai point comme certains critiques
convertis (d'ailleurs justement) au Motu froprio qui cherchent chicane à cette œuvre
pour la raison qu'elle ne s'adapte pas à la liturgie catholique. Assurément ce n'est
point une messe catholique et si Beethoven a cherché à l'écrire comme un accompagne-
ment du service divin, il s'est trompé ; mais c'est bien plutôt comme l'illustration de
ses sentiments religieux, de sa foi ardente et de sa soif inextinguible d'idéal qu'il faut
la considérer et vue sous cet angle-là on ne peut que s'incliner devant la puissante reli-
giosité de cette âme de feu. En effet, qu'y a-t-il de plus religieux sinon de plus litur-
gique que ce début du Kyrie où la voix du ténor monte comme une supplication de
l'âme par dessus l'agitation de l'orchestre, reprise aussitôt par l'aigu du soprano insis-
tant avec angoisse sur la prière! Il n'est point de règles pour assujettir une pensée et
exprimer des sentiments effectifs et Beethoven par la puissance et la sincérité de ses
sentiments a fait de la Messe en ré une des plus essentielles représentations de la reli-
giosité.
L'interprétation fut presque parfaite au moins pour ce qui concerne l'orchestre et
les chœurs que Mottl façonna de main de maître avec cette lourdeur qui n'est pas sans
grandeur. La masse chorale stylée à la perfection fut d'une sûreté remarquable dans
toutes ses attaques et atteignit à une finesse de nuances peu commune. Quant aux so-
listes, je préfère ne pas les nommer ; à l'exception de Mme Bosetti, dont la voix de
rossignol et la légèreté ne sont pas faites pour de telles œuvres, le reste du quatuor
vocal fut déplorable.
Pour terminer et puisque nous parlons de messe, un mot sur la célèbre Messe en
ré bémol de Klose qui a fait à grand bruit son tour d'Allemagne. C'est le Porges-
sischer-Chorverein et VOrchester Verein qui montèrent cette œuvre énorme sous la di-
rection de M. Schilling, qu'il ne faut pas confondre avec Schillings, l'auteur du Pfeif-
fertag. Je ne connais rien de plus artificiel, de plus extérieur et de plus tonitruant que
cette œuvre où l'on trouve de tout, depuis des airs d'Opéra jusqu'à des préludes fugues,
sauf de la musique religieuse. C'est une exagération de tous les moyens, un abus de
toutes les forces musicales, des effets incessants et faciles, des éclats perpétuels et
sans arrêt qui fatiguent plus qu'ils ne lassent il est vrai, car malgré tout on ne
saurait dénier à Klose une grande facilité d'écriture et une grande richesse de moyens.
L'orchestre, orchestre d'amateurs, fut à peu près passable, les chœurs comme presque
toujours fermes et bons. Les solistes parfaits ; il suffit de les nommer : Mmes Staege-
mann, soprano, et Tilly Koenen, alto ; MM. Hess, ténor et D"" Meyer, basse.
El. de Stoecklin.
— 459 —
ESSEi\. — Le festival des musiciens allemands. — Le bilan du grand Festival que
l'Union générale des musiciens allemands a organisé cette année à Essen n'est
pas très favorable.
Le clou de ce Festival était la sixième Symphonie de Gustav Mahler, directeur de
l'Opéra de Vienne. Les œuvres de Mahler ont été très discutées, il a des admirateurs
passionnés, mais non moins d'ennemis déterminés. Cette fois, il nous a donné un exem-
plaire qui est de belle allure et qui contient des pages de grande beauté surtout dans
l'andante et le scherzo. C'est seulement dans la dernière partie que l'œuvre s'assombrit
et des cacophonies et le tumulte de la batterie nous abasourdissent. En somme, la sym-
phonie est puissante et mérite d'être entendue partout. Le plus grand succès des autres
œuvres inédites a été pour Sea-drift, scène pour baryton, chœurs et orchestre de Fre-
derick Delius, qui est pleine de charme, dans la manière de Debussy. Citons encore la
symphonie en mi de Hermann Bischofif, qui, à côté de certaines longueurs, contient
une troisième partie qui fait penser à Y Apprenti sorcier, de Paul Dukas. Enfin un qua-
tuor à cordes, de Hugo Kaun, magistralement exécuté par le Quatuor de Munich et un
trio tnfa de Hans Pfitzner qu'on entehdra souvent cet hiver.
Les autres compositeurs n'ont rien présenté de saillant ; il vaut mieux ne pas en
parler.
La ville d'Essen a fêté les artistes et les membres de la Société par un souper
monstre au Saalbau. Par contre la famille Krupp a oublié toutes les règles élémentaires
de l'hospitalité, en ne laissant pas visiter ses usines et le fameux parc de la villa Huegel.
Max RiKOFF.
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
A VOpéra. — L'Opéra va faire prochainement une reprise de Tamara, l'œuvre
lyrique de M. Bourgault-Ducoudray, professeur d'histoire de la musique au Conserva-
toire. Cette pièce n'a pas été jouée depuis une dizaine d'années. Les nouveaux
interprètes seront : MM. Affre, Noté, Gilly et Mlle Hatto, qui chantera Tamara.
— 11 est question de monter l'hiver prochain à l'Opéra, l'Or du Rhin et le Crépuscule
des Dieux.
A l'Opéra-Comique. — La reprise de Pelléas et Mélisande est reportée à l'au-
tomne prochain.
Il n'a pas été possible de remettre au point les onze décors nécessaires à la pièce en
si peu de temps.
— Comme nous l'avons annoncé, Mlle Emma Calvé chantera à l'Opéra-Comique,
la saison prochaine. Elle vient de signer avec M. Albert Carré et jouera, salle Favart,
du i" mars au 30 juin 1907.
La grande cantatrice paraîtra d'abord dans Marie-Magdeleine et dans les Noces
de Figaro (rôle de la comtesse Almaviva).
Le 14 juin on a inauguré, square Lamartine, le monument élevé à la mémoire du
compositeur Benjamin Godard, dû au ciseau des sculpteurs Chailloux et Campbeil. On
sait que l'initiative de ce touchant témoignage d'admiration à l'auteur du Tasse et de
Jocelyn est due au violoniste Clerjot, aidé par Mlle Magdeleine Godard. Le monument
se compose d'une stèle en pierre que surmonte le buste du compositeur. A gauche,
Eléonore d'Esté et le Tasse, statues en bronze. A droite, une lyre brisée. — Le jour de
l'inauguration d'excellents discours ont été prononcés par M. Danvers, M. Dujardin-
Beaumetz, M. Autrand, M. Pierre Morel.
— 4^0 —
C'est définitivement au théâtre Sarah-Bernhardt que les Concerts-Lamoureux
auront lieu à partir de la saison prochaine. On sait en effet que le Nouveau-Théâtre
devient le Théâtre-Réjane, mais ce qu'on ne sait peut-être pas, c'est tout le mal que le
Comité des Concerts-Lamoureux a dû se donner pour trouver un gîte ! Devons-nous
ajouter une fois de plus que cette absence de grandes salles de Concerts à Paris est une
véritable honte pour les millionnaires qui prétendent s'intéresser à l'art musical...
Voilà donc les Concerts-Colonne et les Concerts-Chevillard porte à porte... Que M.
Lépine ait l'œil ! Quant à nous autres, critiques, nous sommes ravis en pensant à la
suppression du fiacre dominical qui nous transportait du Châtelet à la rue Blanche !
La matinée annuelle des Elèves du cours de M. Mérigo a permis d'apprécier le
parfait enseignement de ce distingué professeur que l'éminent Maître, M. Marmontel,
présent à cette séance, a félicité bien vivement ainsi que ses nombreux élèves.
Nous croyons savoir que de nouveaux Concerts seront organisés et dirigés, la
saison prochaine, le jeudi soir, par M. Séchiari, violon-solo des Concerts-Chevillard.
Mme Ducourau-Petit vient d'achever la partition d'un drame lyrique dont elle a
écrit elle-même le poème : titre : La Saint-Jean. L'action se passe dans le pays basque.
L'œuvre sera très prochainement entendue par M. Carré.
Les concours du Conservatoire. — Voici les dates des concours publics, qui auront
lieu, comme l'année dernière, dans la salle de l'Opéra-Comique :
Mardi, 17 juillet, à 9 h. 1/2 : Contrebasse, alto, violoncelle.
Mercredi, 18 juillet, à une heure : Chant (hommes).
Jeudi, 19 juillet, à une heure : Chant (femmes).
Vendredi, 20 juillet, à 9 heures : Tragédie, Comédie.
Samedi, 21 juillet, à 9 heures : Harpe, piano (hommes).
Lundi, 23 juillet, à une heure : Opéra Comique.
Mardi, 24 juillet, à midi : Violon.
Mercredi, 25 juillet, à une heure : Opéra.
Jeudi, 26 juillet, à midi : Piano (femmes).
Vendredi, 27 juillet, à midi : Flûte, hautbois, clarinette, basson.
Samedi, 28 juillet, à midi : Cor, cornet à piston, trompette, trombone.
M. G. Rabani, violoniste-soliste, dirigera cette saison d'été en Bretagne, une série
de concerts consacrés à la musique ancienne, classique, moderne et contemporaine.
A ces concerts, qui auront lieu à Nantes, la Baule, Lorient, Brest, Saint-Brieuc,
Dinard, Saint- Aialo, Paramé, etc., se feront entendre les meilleurs artistes chanteurs
et virtuoses instrumentistes des grands concerts de Paris, engagés spécialement par
M. G. Rabani, directeur des concerts.
On nous signale le nouveau succès remporté par M. Adrien Prazzi, l'auteur d'un
recueil de mélodies délicates et souvent appréciées qui vient de faire une heureuse in-
cursion dans la musique légère et a vu récemment applaudir aux Capucines une revue
qu'il a illustrée avec une verve et un esprit rares... Citons entre autres trouvailles mé-
lodiques une valse qui fera le tour des salons et que Mme Raucet-Banès chanta délicieu-
sement.
Grenoble. — Le 15 Juin dernier, un concert fort intéressant a été donné par
«l'Association Musicale )) de Grenoble, sous l'excellente direction de MM. Martin-Cha-
zaren et Henri Morin. Ce dernier a, en outre, remarquablement exécute les Variations
Symphoniques de Boellmann, pour violoncelle.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Paris-Thouars, imprimerie Nouvelle
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^^;;"v:::;•;;:^;■^•:^;v;rJiV.•n•■^.•«•»;;a•^•i•••^ï^•••■•■i••| ■«■■i"iiiwrt<iva"»iiiMiyi«i"iniri"-i"É-"'iiiiii
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F'ac'b-u.i:*© eaccliisivenaent. A.irfcistic[vie
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L'Institut Musical de France, qui compte parmi ses Collaborateurs les Professeurs et les
Compositeurs les plus éminents, tous diplômés du Conservatoire, se charge de tous les
travaux qui lui sont transmis de Paris, de la Province et de l'Htranger. Son organisation
technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
L, f Q u e: U R
iilNEDjGiriNif:
9e Année, N" 14, 15 JuiUet 1906.
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
^OMMAIRE :
Robert ScHUMANN . . CAiILLE CHEVILLARO
Sur les « lieder » de
ScHUMANN HENRY GAUTHIER-VILLARS
Amours d'Artistes. PAUL DE STŒCKLIN
( Robert et Clara
Schumann) .
La Quinzaine Musicale : Le Prix de Rome
et les Concours du Conservatoire .
Le mouvement musical en Province
et à V Etranger :
Les FÉTEs Schumann
à Bonn P. DE STŒCKLIN
Lettre de Londres LÉO OIENSIS
Correspondances de : Orléans, Le HàTre,
Vichy.
Echos et Nouvelles Diverses.
Bibliographie : Schumann, par Camille Mau-
CLAIR E. JEAN-AUBRY
Administration et Rédaction : Bureau;;? ouverts
29, RUE TRONCHET, PARIS (8^) dt loh. àmidittdt ^h. àéh.
TÉLÉPHONE 252.95
Le numéro : 75 centimes
Etranger : 1 franc.
Le Courrier MusiCAill
(lé 1«^ et le 15 r>E CHAQUE MOIS)
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Calvocoressi — J. Chantavoine — Camille Chevillard — D"" Colas
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René Doire — F. Drogoul — Eva — Emm. Ergo — J. Ecorcheville
Gabriel Fauré — Fledermaus — L. deFourcaud — G. de Flagny — Henxik
Gauthier- Villars E. Gio vanna — Orner Guiraud — F. Hellouin — Vincefl
d'Indy — Jaques-Dalcroze — H. Kling. — G. Knosp. — Lionel de la Lau^
rencie — Paul Leriche — Paul Locard — Gustave Lyon — Ch. Malherbe —
A. de Marsy — Henri Maubel — Camille Mauclair — Jacques Méraly —
F. de Ménil — Victor Maurel — Mathis Lussy — Octave Maus — Jean
Marcel — Alfred Mortier — Aloys Mooser — Raymond-Duval — Rhené-
Baton — Guy Ropartz — G. Rouchès — Camille Saint-Saëns — J. Sauer^^rein
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Jean d'Udine — Léon Vallas — D*^ Fritz Volbach — E. Vuillermoz, etc
lie Courrier Musical est eo ireote :
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( MM. BRENTANO'S, Union Square, NE"W-YORK.
l M. G. SCHIRNER, 35, Union Square, Nfi-W-YORK.
9« ANNEE. N» 14- i5 JUILLET 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Robert Schumann (Camille Chevillard). — Sur les « Lieder » de
Schumann (Henry Gauthier- Villars). — Amours d'Artistes (Robert et Clara
Schumann (Paul de Stœcklin). — La Quinzaine Musicale : Le Prix de Rome et les
Concours du Conservatoire. — Le Mouvement musical en Province et à l'Etranger :
Les FÊTES Schumann à Bonn (P. de Stœcklin). — Lettre de Londres <'LÉo Diensis).
Correspondances de : Orléans, Le Havre, Vichy. — Echos et Nouvelles diverses. —
Bibliographie : Schumann, par C, Mauclair (E. Jean-Aubry).
Robert Schumann
Robert Schumann, nom magique et douloureux, évoquant une
gloire et un martyre !
Nous nous rappellerons toujours Tenthousiasme de nos vingt
ans quand nous dévorâmes l'œuvre de celui à qui nous aurions tant
voulu dire : Aie confiance en ton étoile, tu seras parmi les plus
grands.
Il fut le grand poète des sons, ainsi que le gravèrent les Alle-
mands sur son tombeau. Il pensait en musique, celle-ci était une
émanation directe de ses joies et de ses peines, joies souvent
amères, peines intimes et vraies. Sa lyre chanta tous les genres avec
un égal bonheur. Il conçut les scènes du Faust de Goethe et fit des
chefs-d'œuvre d'une page. Il clama sa désespérance sur le sommet
de la Jungfrau et balança l'enfant sur son cheval de bois. Il résumait
en lui seul la tendresse de tous les autres mais il ne put distribuer
normalement les trésors de son intimité et son intelligence sombra
dans le trop plein de son expression intérieure.
Tout a été dit sur lui et tout reste encore à dire.
Schumann fut, avec Weber et Schubert, la plus directe manifes-
tation de l'Art allemand dans ce qu^il a de plus intime et de plus
méditatif. Bach, Beethoven et Schubert étaient ses Dieux, les deux
premiers exercèrent une influence considérable sur son écriture, mais,
contrairement aux lois de l'évolution naturelle et de la progression
personnelle qui furent si apparentes chez la plupart de ses confrères,
il sauta à pieds joints dans Tindividualisme et fut foncièrement original
dès ses premiers essais. Il écrivit successivement vingt-trois œuvres
pour piano, dont quelques-unes jetaient une toute nouvelle clarté sur
ce qui avait été fait jusqu'alors, et l'on peut même affirmer que ces
éblouissements harmoniques et rythmiques échàfaudant un style
mélodique encore inentendu devinrent les bases d'un art nouveau
dont la musique moderne est encore impressionnée.
Il fut lui tout entier dans ces vingt-trois premières œuvres, il y
atteignit rapidement une hauteur de pensée qui n^était pour ainsi
dire pas de son âge ; la conclusion de la Fantaisie dédiée à Liszt,
superbe méditation, d'une hautaine solitude, est surprenante à ren-
contrer chez un auteur de vingt-six ans. Une telle aurore allait-elle
irradier aussi splendidement les différentes formes musicales que
Schumann allait traiter? Certains critiques ont prétendu que le
Schumann des symphonies était inférieur à celui des lieder et des
pièces pour piano et que son génie était plus à l'aise dans les œuvres
de moindre envergure. Cette assertion inexacte ou du moins hasar-
deuse pourrait s'expliquer ainsi. Contrarié dans sa vocation par des
parents qui ne la pressentirent pas, les premières études de l'auteur
de Manfred furent hésitantes et portèrent trop spécialement sur le
piano au détriment de l'éducation instrumentale et symphonique
qu^il ne s'assimila que plus tard ; de là une certaine gêne dans le pre-
mier emploi qu'il eut à faire des formes classiques et scolastiques.
Il se ressaisit promptement du reste et se lança de nouveau dans un
genre qui, s'il n'offrit pas la fantaisie spontanée de ce qu'on pour-
rait appeler sa première manière, le montra, par la beauté de sa
forme et la science de son développement comme un digne émule de
ses illustres prédécesseurs. Les œuvres de cette époque sont célèbres
à juste titi'e, on en peut citer les quatre symphonies, les grands poè-
mes lyriques, une quantité de musique de chambre qui renferme
principalement les plus beaux trios qu'on ait écrits, et la plus grande
partie de son œuvre vocale qui est immense.
L'inspiration de la dernière époque fut diffuse et latente, un
dernier éclair illumina pourtant ce sombre crépuscule et l'admirable
Requiem sortit de ce cerveau déjà vaincu par sa fièvre productrice
de vingt-trois ans.
Schumann écrivit d^une façon toute nouvelle pour le piano ;
revenant à la polyphonie du C/<2tJe<;m bien tempéré, il comhla.Vécsiri
qui séparait, dans récriture des auteurs intermédiaires, la main
gauche de la droite par des motifs intérieurs vêtus des plus somp-
tueuses arabesques, ce qui donne à cette disposition une sono-
rité si riche et si enveloppante.
Il posséda au suprême degré le génie de la péroraison, ses
strettes sont toujours d'une beauté achevée, il ne tourne jamais court
et excelle à précipiter comme en une avalanche les motifs, épisodes
et périodes, sur l'accord final.
Quant à son instrumentation, elle a fait couler des torrents
d'encre. Certains compositeurs à Tinspiration peu colorée Font trou-
vée terne et grise ; d'autres ont affirmé qu'il était très difficile aux
chefs d^orchestre d'en dégager le melos et d^en équilibrer les sono-
_ 463 —
rites. Il n'est pas toujours aisé de mettre au point une œuvre sym-
phonique ; un des plus fameux drames musicaux qui soient, la
première partie de la 9"^ symphonie, n'acquiert la transparence et la
lucidité voulue qu'à l'aide de nuances spéciales, soigneusement éta-
blies et même de légères modifications instrumentales. L'art de Schu-
mann qui est tout intérieur n'avait nul besoin d'une représentation
papillotante et bigarrée. Que seraient venues faire d'ingénieuses
combinaisons de timbres sur une pensée tendre et douloureuse et se
représente-t-on l'ouverture de Manfred instrumentée par un Berlioz
ou un Korsakow ?
L'orchestration de Schumann est riche et parfaitement sonore,,
elle semblera un peu indécise dans le premier morceau de la Sym-
phonie en si bémol qui était son premier essai d'orchestre, mais,
voyez la différence de maîtrise qui sépare cette s5^mphonie de la
seconde qui est déjà un complet chef-d'œuvre et dont le final ruisse-
lant d'idées magnifiques semble une véritable cataracte musicale.
L'instrumentation de certaines de ses dernières œuvres se ressent
parfois du man ue de relief des idées qu'elle doit traduire. N'a-t-on
pas dit : ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.
Tel est l'homme dont l'art musical doit s'enorgueillir. Il vécut à
cette heureuse époque où l'on écrivait encore selon son cœur, il
rayonna moins universellement que Beethoven et Wagner, mais il
parlera intimement à ceux qui ne trouveront jamais un cercueil
assez vaste pour contenir leurs désillusions et à celles qui évoque-
ront dans les larmes leurs souvenirs de mère et de femme.
Camille CHEVILLARD.
Sur les Lieder de Schumann
Schumann se faisait de la mentalité française une idée toute
personnelle. Il l'exposa à mainte reprise, mais la précisa avec énergie
dans son article sur la Symphonie Fantastique de Berlioz. Après
avoir reproduit le commentaire de notre tumultueux Hector {Orgie
diabolique,., dans le lointain, tonnerre... solitude... silence pro-
fond... etc.) il appréciait en ces termes ce programme volcanique :
« Toute l'Allemagne dispense l'auteur de ces explications : de pareils
guides ont toujours quelque chose de peu digne et de charlata-
nesque. L'Allemand, à l'esprit subtil, veut n'être pas si grossière-
ment dirigé dans ses pensées; déjà, pour la Symphonie Pastorale.,
il s'est trouvé blessé que Beethoven n'eût pas de lui l'idée qu'il
pourrait découvrir sans son entremise le caractère de l'œuvre. Mais
Berlioz a écrit expressément pour des auditeurs français, auxquels on
ne peut que difficilement en imposer par une discrétion élevée. »
On n'est pas plus aimable. Sans pousser aussi loin que l'auteur
— 4^4 —
de Manfred le mépris de la perspicacité française, reconnaissons
que, pour bon nombre de nos compatriotes, il est nécessaire de
découvrir l'Amérique tous les huit jours. Une tendance, très natio-
nale, à la généralisation fausse la plupart de nos jugements, surtout
en matière d'art. Nous aimons les étiquettes définitives, les séries,
les classements et les hiérarchies. Les exceptions nous blessent, les
inconséquences et les contradictions nous exaspèrent et Ton voit
chaque jour des critiques de bonne volonté se torturer l'entende-
ment pour concilier l'inconciliable tant, à leurs yeux, l'élégante
explication prime la vérité parfois incohérente. Aussi sied-il, de
temps en temps, de refaire l'inventaire de nos jugements artistiques
pour voir si, dans notre esthétique cloisonnée, chaque article repose
dûment dans son tiroir et porte bien la fiche qui lui est destinée.
Il fallait ces excuses préliminaires avant d'oser aborder un sujet
aussi peu ruisselant d'imprévu que les Lieder de Schumann, et pour
légitimer une attitude d'explorateur à travers un pays dont les
moindres sentiers sont minutieusement décrits dans les Baedeker
■ musicaux.
D'ailleurs, en dépit de ces guides commodes, on peut affirmer
que les Lieder de Schumann sont mal connus en France. Sur deux
cent cinquante mélodies, trente à peine figurent çà et là dans les pro-
grammes de nos concerts. Grâce aux importations d'artistes étran-
gers « L'Amour et la vie d'une femme » et les « Amours du Poète »
ont remplacé le « Noyer » et « J'ai pardonné » (extravagante traduc-
tion de Ichgrolle nicht), mais là se borne la curiosité de nos chan-
teurs. Et pourtant les deux cent vingt lieder méprisés renferment
quelques perles d'un assez bel orient !
Plus encore que la totalité des lieder, nous ignorons l'essence
même de l'art schumannien. Grâce à quelques exégètes pourris de
littérature le « doux enfant rêveur de Zwickau » a été immobilisé
en une attitude sentimentale et mélancolique, et les glossateurs s'en-
têtent à le spécialiser dans le langage un peu fade de l'éternel soupi-
rant. A force d'exalter la « psychologie sonore 2> de certaines mélo-
dies toutes frémissantes de délicate tendresse, on en est arrivé à
n'attendre plus d'un lied de Schumann autre chose qu'une déclara-
tion, un aveu, une confidence ou un gémissement d'amour. On le
voue, pour l'éternité, au rôle de pigeon roucouleur, dont les autres
chants n'existent pas pour la critique.
C'est rabaisser étrangement l'art de Schumann ! Certes, ses
exquis lieder sentimentaux contiennent des « états d'âme musicaux ^
à peu près définitifs au point de vue de la justesse de l'expression,
mais les poèmes de pure émotion amoureuse ne forment pas la partie
la plus considérable de son œuvre vocale. Sentimental, le fiancé
patient de Clara Wieck l'était assurément: mais il faut mettre en
regard de cette belle sensibilité d'amant les impressions que recher-
chait l'artiste, même si leur notation nous apparaît- moins définitive.
— 465 —
Et l'examen des poèmes qu'il demandait à Chamisso, à Heine, à
Gœthe, à Rûckert, à Eichendorff, à Uhland ou à Lenau nous éclaire
sur la véritable orientation de ses préoccupations dominantes.
Son imagination, moins personnelle qu'on ne l'a dit, était celle
du siècle, celle qui flottait au-dessus de l'Europe entière et qui suffi-
sait à guider l'effort parallèle de deux cents poètes et de trois cents
musiciens. Schumann, au point de vue de sa vision du monde, est
un banal enfant du romantisme, et l'on demeure épouvanté devant
les rapprochements qui s'imposent entre les images naïvement 1840
auxquelles se complaît ce musicien de génie et celles dont fit ses
délices l'école de Loïsa Puget.
On retrouve dans les deux cent cinquante mélodies de Schu-
mann toutes les manies de l'époque.
Il y a d'abord cet amour touchant de quelques animaux de choix,
parés de vertus plus qu'humaines et empreints d'une indéniable
noblesse symbolique. On reconnaîtra l'ordinaire bétail romantique
dans plusieurs titres de lieder. Faut-il citer « Mon vieux cheval »,
« Mon cher petit oiseau », « Le lion », « La coccinelle », « Le papil-
lon », « L'hirondelle », et même « Le serin » qui évoque déjà Jenny
l'ouvrière. A ces animaux qui font partie de la ménagerie exploitée
par Victor Hugo et ses successeurs, on ajoutera « l'Aigle », et l'on
obtiendra ainsi une faune classique répondant à tous les besoins de
nos aïeux qui ne connaissaient ni les Histoires Naturelles de Jules
Renard, ni les Familiers d'Abel Bonnard, ni les Dialogues de Bêtes
d'une jeune dame dont le nom m'échappe ! (i).
Après la faune, la flore, Schumann chante « le jasmin », « le
lotus », « le perce-neige », « les violettes de Mars », « la fleur rési-
gnée », « mon jardin », « le noyer », « le bouleau », « le gazon » et
« la rose sans épines » ! C'est bien là l'horticulture poétique du
temps avec ses images ingénues de force, de grâce ou de mélancolie.
Pendant trente ans, cette pépinière suffira à tous les désirs des
amoureux de la nature. Depuis, Madame de Noailles a changé tout
cela et, sur les traces du merveilleux Francis Jammes, nous a révélé
son Potager innombrable.
Un troisième tic de l'époque se retrouve dans la recherche toute
artificielle de l'exotisme et dans l'attendrissant effort vers la couleur
locale. La vanité de tels décors nous apparaît lamentablement aujour-
d'hui, mais nos ancêtres s'exaltaient au clinquant de cet internationa-
lisme de bazar. C'est ainsi que Schumann s'épanouit parmi les géo-
graphies truculentes. Voici «l'Hidalgo », « Balthazar », « les Stances
hébraïques », « la chanson de Sùleïka », les « Chants vénitiens »,
les « Chants espagnols », les « Chants écossais » (sans compter la
(i) Venons au secours de notre amnésique collaborateur ; l'auteur des charmante
Dialogues de Bêles est M"» Colette Willy (N. D. L. R.).
— 466 —
« Veuve écossaise »), les « Chants provençaux », et les « Chants
bohémiens », affligeants boléros, fausses czardas, gigues apocryphes,
barcarolles postiches, à peine supérieures aux caftans, poignards et
autres chebouks que le chameau de l'orientaliste Félicien David
apportait en France par ballots, inlassablement.
Enfin la vraie manie représentative du temps encombre les quatre
cinquièmes de l'œuvre vocale laissée par le maître de Zwickau. La
scène de genre, la petite toile, l'anecdote au pittoresque facile,
l'exaspérante gravure en taille-douce de nos grand'mères, se retrou-
vent, tirées à cent cinquante exemplaires, dans les lieder schuman-
niens. Tous les types classiques du romantisme se rassemblent là,
dressés fièrement et énonçant leurs qualités avec grandiloquence. On
voit bien que « Gastibelza-l'homme-à-la-carabine » vient de traverser
la littérature ! Schumann s'empresse de nous exiber « le contreban-
dier », le fameux contrebandier chevaleresque et héroïque, aux
mines tragiques, deux pistolets damasquinés à la ceinture et, aux
dents, le poignard de Tolède, « le Braconnier », son parent pauvre,
« le Ménétrier », « l'Anachorète », « le Hussard », « le Page », « le
Pâtre Montagard », « le Soldat », « le Forgeron .>, et « le Chercheur
de trésors ». Puis c'est le cortège attendrissant d' (( Ophélia », de « la
Fileuse », de « la Fiancée du Soldat », de « FOrpheline », de « la
Bergère », de « la Religieuse », et de « la Femme du Chef » ! O titres
évocateurs î Et quel sens périmé du théâtre éveillent les anecdotes
intitulées ce les Frères ennemis », « la Cloche qui marche » ou « la
Fiancée du Lion »! Et que dire du « Chant de Lyncœus, gardien de la
Tour », du « Joyeux voyageur », de « l'Enfant de la montagne », du
« Semeur de sable », de « la Tireuse de cartes », du « Chant du jeune
archer » et de cette extraordinaire défence et illustration de la fille-
mère qui s'appelle Jeanne-aux-cheveux-roux ! (Le fermier voit sa
chevelure rousse et n'a pour elle que mépris ; plusieurs questionnent,
puis se retirent. La pauvre enfant n'a pas de dot ! — Chœur : Que
Dieu te garde, Jeanne-aux-cheveux-roux. Dans les fers gémit le
braconnier !)
Nous voilà très loin, on le voit, des petites lamentations passion-
nées auxquelles notre ignorance a trop souvent réduit tout l'effort
vocal de Schumann et qui apparaissent, rarœ najttes, dans ce tour-
billon de lieder orographiques, hydrographiques, botaniques et zoo-
logiques.
Et pourtant, c'est elles qui demeureront ! Les décors, les vête-
ments étranges et les gestes pittoresques passeront vite, mais les
accents d'émotion intime trouveront longtemps encore un écho dans
la sensibilité humaine...
Henry GAUTHIER-VILLARS.
— 467 —
Tlnjours d^Tlrtistes
Robert et Clara Schumann
La maison Breitkopf et Haertel à Leipzig publie actuellement une monographie
de Clara Schumann (i), d'après des matériaux qu'a pieusement rassemblés Mlle Marie
Schumann, fille de la grande pianiste. Le travail de l'auteur, M. Litzmann, a surtout
consisté à mettre de l'ordre dans les riches collections soumises à sa critique et à
coordonner en un tout vivant, à organiser les éléments choisis. Je désire vous entre-
tenir aujourd'hui du premier volume consacré aux années d'enfance et de jeunesse où
se déroule l'admirable roman d'amour de Robert Schumann et de Clara Wieck. Je
souhaiterais parfois au bel ouvrage de M. Litzmann plus d'air, plus de lumière aussi,
une allure plus vive, plus de chaleur dans le récit. Malgré cela c'est une œuvre
vivante, définitive. M. Litzmann avait à sa disposition le journal de Clara tenu assez
régulièrement et parallèlement par elle et par son père. Très utile pour l'histoire de la
carrière de la jeune virtuose et du milieu musical au commencement du xix« siècle,
il est à peu près nul pour celle de ses relations avec Schumann. D'une toute autre
valeur est la correspondance de Robert à Clara et de Clara à Robert. Nous avons sous
les yeux, semaine par semaine, souvent jour par jour, le récit direct des événements,
nous pénétrons au plus profond de l'être de ces deux rares artistes, leurs cœurs pal-
pitent sous nos yeux.
Et d'abord le cadre. C'est Leipzig, le vieux Leipzig où malgré le père Wieck,
Clara n'est pas absolument prophétesse. Leipzig avant Mendelssohn, puis après lui
avec les transformations apportées par ce grand musicien. C'est la vie artistique dans
toutes les petites résidences plus indépendantes, alors qu'aujourd'hui, Weimar, Cassel,
Hanovre, Dresde, Frankfort ville impériale, Hambourg. C'est Vienne qui « aurait
besoin d'un Mendelssohn pour vivifier ses bons éléments, » Vienne où, jouer une
Fugue de Bach (en 1837) constitue un événement sensationnel, où c'est ouvrir « une
ère nouvelle » que de devoir la jouer deux fois ! C'est Paris enfin ! Wieck et sa fille
semblent ignorer le Paris épique des luttes romantiques. Ils n'ont vu qu'une grande
ville, rendez- vous de tous les artistes, légère, frivole, indifférente, snob (avant la let-
tre). La « Beethovenmanie », en 1852, déjà y bat son plein. On ne jure que par
Beethoven, on ne veut que du Beethoven..., ou du Kalkbrenner et du Herz. Clara y
entend en 1838, la ix'^ symphonie. Elle ne comprend rien à la dernière partie, pas
beaucoup plus à l'adagio. La faute en est sans doute aux Français et à la superficia-
lité de leur interprétation. Paris consacre cependant les réputations, il faut y avoir
brillé pour réussir. Le Paris d'Hugo, Lamartine, Vigny, Musset, Dumas, Ingres, Sand,
Delacroix, n'existe point pour cette petite allemande.
Puis le milieu : Chopin, enchanteur mais maniéré et trop français ; Liszt, démo-
niaque, auprès de qui Clara se trouve une petite écolière. Thalberg dont elle entame
sérieusement la gloire, Berlioz qui pense beaucoup de bien de Schumann et parle en
tenant les yeux fermés ; Mendelssohn enfin, « le plus grand de tous les pianistes ». Et
le public, habitué aux programmes vides des artistes en vogue, à la virtuosité creuse
(i) Clara Schumann. Ein Kilnstlerleben : Nach Tagebuch und Briefen, von Berchtold Litzmann ;
I" volume, Maedchenjahre 1819-1840, Leipzig 1902 ; 2° vol. Ehejahre 1840-56, Leipzig 1905 : 3" vol. en
préparation.
— 468 —
à la mode, qu'il faut lentement élever à la vraie musique ! Tout cela vit, grouille,
agit devant nous. Nous assistons aux luttes de la jeune fille, à ses désillusions, à ses
joies, à ses triomphes.
Trois acteurs sont le centre du récit. D'abord le père Wieck. C'est une nature forte,
brutale, de fer, un tempérament de maître d'école, entier, absolu. 11 a conquis lente-
ment sa place au soleil. Très pauvre, il s'est créé une atmosphère de bien-être à
laquelle il tient par dessus tout. En quelques années, selon les principes d'une méthode
piûrement élaborée, ce remarquable éducateur a fait de sa fille une virtuose accomplie,
pas une enfant prodige. Il a pour elle des rêves de grandeur. Elle est un capital qu'il
entend exploiter à sa façon, dont il compte s'assurer la jouissance à son gré et dont il
ne se défera que sous certaines conditions depuis longtemps caressées. Ame sans ten-
dresse, il aime cependant sa fille en qui il a mis toutes ses espérances. 11 sera sans
compréhension pour les aspirations de ce cœur d'enfant. Tout aux questions d'intérêt,
aux affaires rnatérielles, il considère les idées sentimentales, la floraison de deux âmes
d'adolescents comme une maladie, la rougeole, dont on finit par venir à bout. Ecoutez
les seuls mots qu'il trouvera pour sa Clara le jour de sa confirmation : « Te voilà in-
dépendante désormais. Ceci est d'une haute signification. J'ai consacré à toi, à ton
éducation près de dix ar»s de rrion existence. Songe à tes devoirs. Développe ton esprit
vers une activité noble, désintéressée, pour le bien. Ne te laisse pas ébranler dans te?
principes, si tu es méconnue, calomniée, jalousée. La vraie vertu est un rude combat,
soutenons-le. ]e reste ton ami, ton conseiller et ton soutien. » 11 a pour Schumann de
la sympathie. Entre lui, toutefois, et la fantaisie ailée du jeune homme, il y a un vide
que rien ne saurait combler. 11 l'admire pourtant. C'est grâce à sa lettre que Mme
Schumann autorise son fils à se vouer à la musique. Sa conduite envers lui est telle
que celui-ci a pu croire un instant que le vieux Wieck lui destinait sa fille. A l'arrière-
plan apparaissent les personnages secondaires : Mme Schumann, une âme délicate,
douce ; la mère de Clara, Mme Bargiel, dont le cœur s'ouvre à sa fille quand la grande
crise est passée. Les amies, Emestine de Frieken, charmante, molle, « une plante ayant
besoin de beaucoup d'eau et sur qui le soleil (Schumann) a lui trop fort », Emilie List,
belle avec ses yeux foncés et sa torsade de cheveux noirs. Enfin Cari Banck le confi-
dent infidèle, et l'ami dévoué, Beeker, dont les bons offices resserreront les liens déten-
dus qui unissent les deux amants.
Enfin Clara et Robert !
Clara Wieck a 9 ans quand un étudiant à l'Université de Leipzig, attiré par
la réputation de Wieck vient lui demander des leçons de piano : c'est Robert Schu-
man. Il devient bientôt l'un des familiers de la maison, surtout l'ami de la petite
fille. Personne comme lui pour trouver des charades, raconter des légendes ou faire
frissonner par des histoires de revenants. Tout de suite l'enfant s'attache à ce bon
jeune homme qui s'occupe d'elle. « Je n'ai, pour ainsi dire pas joui de mon enfance,
écrira-t-elle longtemps plus tard. J'étais seule, étrangère dans le monde. Mon père
m'aimait bien, je le lui rendais. Cependant ce dont une enfant a besoin, l'amour d'une
mère, je ne l'ai point connu. Je n'ai donc jamais été absolument heureuse ». Et plus
oin : « Je n'ai pas une épingle de mes parents. Ma mère (sa belle-mère la seconde
femme de Wieck ; la première, divorcée s'était remariée à Bargiel) ne me donnait
même pas une cerise. Tu as de l'argent à toi, me répondait-on toujours ». « Tu étais
alors une petite fille avec deux yeux noirs, un caractère mutin, qui ne connaissait rien
de meilleur au monde que les cerises » lui dira Schuman.
En 1831 Wieck estime sa fille mûre pour le public. Il entreprend avec elle une
tournée de concerts. Clara marche de triomphe en triomphe. Robert suit sa petite amie
en pensée. Il y a des lettres charrnantes de ce grand garçon de 21 ans à l'enfant de
— 4^9 —
12 ans. « Je pense souvent à vous, non comme frère à sa sœur, ou comme un ami à
son amie, mais comme un pèlerin à l'image sainte qui est loin de lui». Il lui parle des
beaux contes qu'il rêve à son intention, de ses frères, de musique. « Composez-vous
beaucoup ? En songe parfois, j'entends de la musique. — C'est ainsi que vous com-
posez ». C'est une âme d'élite, faite de tendresse et d'énergie que cette étrange
fillette. La première, elle verra clair dans son cœur et aura conscience de son amour
qui sera sa vie. Schumann lui, est une âme vibrante, une lyre qui exhale des accents
mélodieux au moindre heurt et qui se brisera au contact brutal de la vie. Ce musicien est
un poète. Sa musique, selon le mot de Mauclair, est « une musique d'aveu ». Un mor-
ceau de son cœur est dans chacune de ses compositions. Malade, inégal, fantastique,
il est exquisément sensible et bon.
Avril et mai 1832. Clara est de retour, elle se repose de ses succès, elle travaille.
Robert, grâce au vieux Vieck, s'est voué complètement à la musique. Ils se voient
sans cesse. « Chaque jour où je ne puis parler à Clara, laisse une lacune dans mon
journal ». Heures divines, aurore indécise d'un amour qui se lève sur ces jours ra-
dieux de printemps. L'adolescent rêveur et l'inconscient enfant tissent innocemment
le lien qui unira leurs existences.
Dès lors Schumann est le centre de la vie de la jeune virtuose, comme homme et
comme artiste. Leur correspondance est délicieuse : «Je me figure que l'homme est
un papillon et le monde sa fleur. J'aime qu'un rayon de soleil danse sur mon piano et
joue avec les sons. Qu'est-ce autre chose, un son, qu'une lumière qui chante »? —
« Demain, à 1 1 heures précises, je jouerai l'adagio des variations de Chopin et penserai
fortement à vous, uniquement à vous. Je vous en prie, faites de même. Que nos esprits
se rencontrent, se voient. » N'est-ce pas déjà presque d'un amoureux ?
«Clara, qui m'est toujours très attachée — porte une lettre de Schumann à sa
mère — court, saute, joue comme une enfant et dit parfois des choses très péné-
trantes. C'est une joie de voir les qualités de son cœur et de son esprit s'épanouir
feuille â feuille. » Puis le récit d'une promenade : « Le chemin était semé de gros
cailloux. Comme cela m'arrive fréquemment dans une conversation, je regarde très
souvent en l'air. Elle marchait derrière moi, me tirant légèrement par mon habit à
chaque pierre pour m'empêcher de tomber. » Symbole touchant de la femme aimante
et dévouée qui dans la vie sera la vaillante compagne du rêveur et le gardera des faux
pas.
La fille d'un gentilhomme bohémien, Ernestine de Fricken, entre en avril 1834
comme pensionnaire et élève chez Wieck. Les deux jeunes filles se lient rapidement.
Wieck.pour couper court aux relations intimes de Schumann et de Clara et pour étouf-
fer dans son germe une sympathie dont il n'attend rien de bon, envoie son enfant à
Dresde continuer ses études de théorie musicale chez Reissiger. L'éloignement fait ren-
trer en eux-mêmes les deux amis, dans le cœur de la fillette d'hier l'amour s'éveillera
qui bravera tous les orages de la vie.
« Ecoute, écrit-elle à son fiancé en 1838, à propos de cette époque, écoute la rê-
veuse enfant que j'étais alors. Lorsque tu venais nous voir tu ne pariais qu'à Ernes-
tine. Avec moi tu t'amusais. D'étranges sentiments agitaient mon cœur (si jeune et
déjà si brûlant) quand dans nos promenades tu t'entretenais avec elle. Je pensais alors
déjà combien ce serait charmant de t'avoir un jour pour mari ». Et une autre
fois : « Quand je rentrai à Leipzig (après son séjour à Dresde) je tombai du
haut de mon ciel. Ernestine, méfiante, me parlait peu. J'appris que vous étiez
fiancés ! »
Schumann, en effet, séduit par le charme et surtout par l'amour que lui portait
Ernestine de Fricken, s'était attaché à elle. « Si l'avenir, dit-il dans une lettre à sa
— 47© —
mère, me demandait : qui veux-tu choisir? Je répondrais résolument : celle-ci. » Le
baron de Fricken, à moitié satisfait de l'amour de sa fille, l'emmène. L'éloignement ne
fait qu'exaspérer leur passion. Sans qu'il y ait toutefois jamais été question de fian-
çailles, Robert se considère comme lié. Leurs sentiments ne tardent pas à se refroidir.
Schumann est froissé de ce qu'Ernestine ne lui ait pas dit franchement qu'elle était
illégitime et seulement fille adoptive de Fricken. Il voit bientôt qu'elle n'était point
l'être qu'il avait rêvé dans son exubérante exaltation.
La liaison de Robert avec son amie avait profondément impressionné Clara. Elle
s'efforce en vain d'oublier. Elle se ment à elle même, annonce à sa mère qu'elle est
amoureuse d'un violoncelliste de Brunschwig. A son retour à Leipzig en avril 1835
une des premières visites est celle de Schumann. «Je me rappelle encore la première
fois que je te revis. Tu me semblas étrangère. Tu n'étais plus l'enfant avec qui j'avais
joué, ri. Tu parlais si raisonnablement et dans tes yeux je vis luire un profond et
secret rayon d'amour ! Sais-tu ce qu'il advint. J'arrachai Ernestine de mon cœur.
// le fallait. »
Il faut lire en entier la lettre qu'il écrira en 1838 à sa fiancée Clara et qui donne
la clef de toutes ses actions et de son étrange personne. « Ma douce, ma bien aimée,
assieds-toi près de moi, la tête légèrement penchée sur le côté droit comme cela te va
si bien. Ecoute, je vais te raconter bien des choses Je suis depuis quelque temps
heureux comme jamais. Quel beau sentiment de puissance pour toi d'avoir rendu à
la belle clarté du jour un homme que rongèrent, des années durant, les plus atroces
pensées, qui trouvait avec une vraie virtuosité les noirs côtés de tout (dont lui-
même s'effraye maintenant) qui aurait jeté sa vie comme un sou. Je vais t'ouvrir mon
être comme je ne l'ai encore fait à personne. Il faut que tu saches tout, ô toi, ce que
j'ai de plus cher avec Dieu. Ma vie commence réellement au moment où j'ai pris cons-
cience de moi et de mon talent où je me suis donné à l'art et où j'ai imprimé à mon
énergie une direction sûre. En 1830. Tu étais alors une petite fille étrange, esprit
mutin avec une paire de beaux yeux et tu adorais les cerises. Je n'avais personne que
ma Rosalie (sa belle-sœur). Quelques années passèrent. En 1833 déjà une sorte de
mélancolie s'emparait de moi dont je me gardais de me rendre compte. C'étaient les
désillusions que chaque artiste éprouve lorsque rien ne va aussi vite qu'il l'avait rêvé.
J'étais peu apprécié — pour comble la paralysie de ma main droite m'empêche de
jouer. — Au milieu de toutes ces pensées et de ces images sombres, toi seule
me hantai. C'est toi, sans le vouloir ni le savoir, qui depuis des années me gardes
de toute relation avec les femmes. Dès lors, la pensée qu'un jour peut-être tu
serais ma femme se faisait jour en moi. Tu étais trop loin encore cependant. Quoi
qu'il en soit je t'aimais alors aussi sincèrement que nos âges le permettaient. D'une
toute autre nature était mon affection pour mon inoubliable Rosalie. Nous étions du
même âge, elle était pour moi plus qu'une sœur, mais il ne pouvait êtie question
d'amour entre nous. Elle avait soin de moi, m'encourageait, tenait beaucoup à moi.
Mes pensées reposaient plus volontiers sur son image. C'était en été 1833. Je ne me
sentais toutefois que rarement heureux. Il me manquait quelque chose. La mélancolie
augmenta encore par la mort d'un frère chéri, s'emparait toujours davantage de moi.
Dans mon cœur je crus apprendre la mort de Rosalie.
« Quelques mots seulement là-dessus. — Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1833,
la plus épouvantable pensée qui puisse hanter un homme, me saisit — la plus affreuse
dont le ciel puisse punir quelqu'un — celle àt perdre l'esprit. — Elle me domina avec
une telle violence, que toute consolation, toute prière étaient impossibles ou sem-
blaient raillerie ou sarcasme. Cette angoisse ne me lâchait pas ; le souffle me manquait
à cette idée : s'il arrivait que tu ne puisses plus penser ! — Clara, sur celui qui a passé
— 47ï —
une fois par cet anéantissement, ni souffrances, ni maladies, ni désespoir, n'ont plus
de prise. Je courus alors chez un médecin, je lui dis tout, que je ne savais que faire
dans mon angoisse, que je ne pouvais répondre de rien et que dans un tel abandon déses-
péré je pourrais attenter à mes jours. Ne t'épouvantes pas, ange du ciel, mais écoute.
Le médecin me consola gentiment et me dit en souriant : « Aucune médecine ne vous
guérira — Choisissez-vous une femme, elle vous aura bientôt sauvé ». Je fus allégé
d'un grand poids. Le remède est facile, pensé-je. Tu ne faisais guère attention à moi,
alors, tu étais dans l'âge où l'enfant se transforme en jeune fille. Alors survint Ernes-
tine, d'une si rare bonté. « La voilà celle qui te sauvera ». Je voulais me cramponner
à toute force à une femme. Je me sentais mieux. Elle m'aimait, je le savais. Tu sais
tout : que nous fûmes séparés, que nous nous sommes écrits, que nous nous sommes
tutoyés. C'était en hiver 1834. Quand elle fut partie et que je commençai à réfléchir
comment cela pourrait bien finir, quand j'appris sa pauvreté, moi-même, quelque
laborieux que je sois, n'ayant que peu de fortune, je fus comme oppressé pardes chaînes
Je ne voyais point d'issue, point d'aide ! De plus j'appris de malheureux démêlés de
famille, dans lesquels se trouvait Ernestine et je lui en voulais de me les avoir cachés
si longtemps. Avec tout cela — condamne-moi — je devins plus froid. Ma carrière
artistique me parut reculée. L'image à laquelle je me cramponnais pour mon salut, me
poursuivait dans mes rêves comme un fantôme ; il me fallait travailler pour mon pain
quotidien comme un manœuvre, Ernestine était incapable de rien gagner. J'en causai
à ma mère et nous convînmes, qu'après bien des tracas, cette liaison ne pouvait qu'en
amener de nouveaux. — ... Tu es mon plus vieil amour, Ernestine devait venir pour
que nous puissions être unis !»
En effet Schumann se sent de plus en plus attiré par le charme de la petite
Wieck. Ils ont entre eux de longs entretiens. Enfin un soir de novembre 1836 (avant
même d'avoir rompu définitivement avec Ernestine), que Clara l'accompagnait dans
l'escalier de la maison Wieck, Robert lui avoua son amour et reçut son aveu : « Quand
tu me donnas ton premier baiser, écrit-elle, je pensai m'évanouir. Je ne voyais plus,
je ne tenais qu'à peine la lumière qui devait t'éclairer. » « Les yeux de Clara, son
amour — Premier baiser en novembre, » lit-on dans son journal à lui, directement
au-dessous du nom de Chopin. «Je ne me cache pas que je commis une grave injus-
tice envers Ernestine. mais tôt ou tard, mon vieil attachement pour toi se serait
réveillé et alors quel malheur ! Ernestine est la victime des circonstances, je ne me
dissimule point mes torts. Elle sait bien qu'elle a dû te chasser de mon cœur, que Je
t'aimais avant de la connaître. Elle m'écrivit souvent : «J'ai toujours pensé que tu ne
pouvais aimer que Clara, je le pense encore. — Elle a vu plus clair que moi. »
Cependant le vieux Wieck avait des projets que les amours des deux jeunes gens
contrariaient. Aussi longtemps qu'il crut Schumann lié à Ernestine, il n'y fit que peu
d'attention, Il se décida toutefois à user du remède déjà employé. En janvier 36, il
renvoie sa fille à Dresde. Les deux amoureux s'écrivent. Leur correspondance est cor-
diale, joyeuse. Robert est plein d'espoir, il parle affaires. Il va trouver Clara à Dresde.
Wieck apprend cette visite. Ce fut la catastrophe, scènes atroces, menaces, injures
contre lesquelles la petite jeune fille de 18 ans se trouvait sans défense . Tout com-
merce avec la maison Wieck fut interdit à Schumann, Plus de lettre possible. Souvent
ensemble dans la même ville, les amants sont absolument séparés. Ils se rencontrent
sans oser se parler. Pour Clara, ce fut une torture de chaque instant. Sans nouvelles
de son ami, sans moyens de lui en faire parvenir, elle est ébranlée sans cesse par la
violence paternelle et les accusations incessantes à l'adresse de son Robert. Elle
s'épanouit cependant comme artiste. Mendelssohn, Chopin, etc., les plus grands pia-
nistes l'apprécient, la fêtent, la traitent d'égal à égal.
— 472 —
Un faux ami, Cari Banck, insinue à Schumann que sa bien aimée a le cœur lé-
ger, qu'elle l'oublie. « Oh ! les temps sombres, s'écrie-t-il, où je ne savais rien de toi
et voulais t'oublier à tout prix. Nous devions être alors étrangers l'un à l'autre. Je me
résignais. Puis, la vieille douleur reprenait le dessus. Je me tordais les mains. Sou-
vent la nuit je disais à Dieu : Oh que cela se passe sans que je devienne fou. Un jour
je crus lire tes fiançailles dans un journal, je hurlai. » Banck d'un autre côté s'efforce de
détruire Schumann dans l'esprit de Clara. En mai 1837 Robert dédie à la jeune fille
sa sonate en fa dièze mineur. « Cette sonate est un seul cri du cœur vers toi, où ton
thème revient sous toutes les formes. » Il en espère un rapprochement. La réponse
fut cruelle. Le père Wieck exige qu'on lui retourne les lettres de sa fille.
Enfin Clara donne le 15 août 1837 un grand concert. Schumann est dans la salle,
elle joue sa sonate. Ce fut une réponse dans la même langue à c^ cri du cœur resté sans
écho quelques mois auparavant. « N'as-tu pas compris que j'ai joué cette pièce parce
que je n'avais pas d'autre moyen de te dévoiler mon cœur ? En secret je ne l'osais —
je le fis publiquement. Penses-tu que mon cœur ne trembla pas ? )e fus, ce jour-là,
affreusement malheureuse. Jeté voyais partout sans oser te voir. »
Depuis février 1836, ils n'avaient échangé ni un mot, ni une ligne. Enfin un ami
fidèle, Becker, arrive à Leipzig. 11 était familier de la maison Wieck. Clara le Charge
de redemander à Schumann les lettres qu'elle lui avait envoyées. « Les vieilles lettres
non, mais les nouvelles si elle veut », fut la réponse. La correspondance recommence
par l'intermédiaire de Becker et pour ne pas cesser cette fois, Schumann enhardi fait
une nouvelle tentative auprès du vieux Wieck. La réponse fut grossière, injurieuse,
froidement cruelle, ne laissant aucun espoir. La jeune fille est résolue, elle a donné
définitivement son cœur. Longue et douloureuse sera la lutte, mais l'amour sera plus
fort que tout, plus fort que la vie, plus fort même que la mort !
Clara Wieck parcourt le monde. Accompagnée de son père, elle fait une tournée
triomphale avec Vienne comme terme. Schumann, à qui la certitude d'être aimé donne
des ailes compose sans cesse. Les idées « comme les dieux et les fleurs » jaillissent de
son cerveau et de ses doigts^.. Ils s'écrivent et leur correspondance est exquise, une
vraie correspondance sentimentale d'amoureux allemands le long de laquelle lui
sème les perles de sa riche fantaisie, elle la douleur de son inaltérable tendresse et les
vues solides de son bon sens et de son esprit pratique ! Il faudrait tout citer.
« Une dernière prière avant ton départ. Dis-moi le doux, le tendre tu qui unit ».
« Puisse le Tout-Puissant, répond-elle, te murmurer à l'oreille ce que je ne saurais
exprimer... Seul, l'amour peut me rendre heureuse, je ne vis que pour toi. — »
Toute à son bonheur et à son art, elle ne laisse pas de réfléchir aux choses positives.
«Je ne serai jamais à toi aussi longtemps que les conditions matérielles n'auront pas
changées. Je suis heureuse si je te possède, mais je veux vivre sans souci. Je serais
malheureuse si je ne pouvais pas toujours exercer mon art. J'ai besoin de beaucoup et
constate qu'il faut beaucoup pour vivre convenablement. — Réfléchis, pourras-tu me
créer une situation sans soucis ? Songe que quelque simplement j'aie été élevée, je
n'ai jamais connu le besoin ». Après les triomphes inouis remportés à Vienne, son
cœur déborde : « Je suis heureuse, mais je le serai complètement quand je pourrai
tomber sur ton cœur et te dire : maintenant je suis à toi pour toujours, moi et mon
art ». Plus loin, la petite allemande sentimentale paraît qui est triste le soir de Noël
de ne point avoir de Christbaum : « mais en toi, flambe l'arbre de notre amour ». Les
brutalités du père Wieck jettent leur ombre sur l'idylle et la gloire. « Si Clara
épouse Schumann, jusque sur mon lit de mort je le dirai : elle n'est point digne d'être
ma fille ».
Le soir de la St-Sylvestre 1838, Schumann est seul dans sa chambre. Ecoutez sa
— 473 —
lettre suave comme un lied. « Depuis une heure je suis assis à ma table. Je voulais
t'écrire toute la soirée. Je ne trouve point de mot. Assieds-toi sur mes genoux, enlace-
moi de tes bras, regardons-nous dans les yeux, tranquillement, extatiquement. Deux
êtres s'aiment au monde.
11 sonne 1 1 heures 3/4. Au loin j'entends chanter un choral. Connais-tu les deux
êtres qui s'aiment ? Combien nous sommes heureux. — A genoux, ma Clara, viens,
je te sens. — Notre dernière parole ensemble à Dieu ! » Le i®"" janvier 1839 : « Quelle
matinée céleste ! Toutes les cloches sonnent à toute volée. — Le ciel est resplendissant,
bleu, pur. — Ta lettre est devant moi. — A toi mon premier baiser, ô chère âme ».
Wieck se résout enfin à frapper un grand coup. Sa fille va entreprendre un long
voyage jusqu'à Paris, seule, sans lui. Elle sentira combien son père lui est nécessaire^
l'appellera à elle, acceptera ses conditions. Schumann de son côté travaille à se faire
une situation indépendante. 11 quitte Leipzig pour Vienne isur le conseil de sa fiancée
espérant y établir plus solidement et plus lucrativement sa revue (1). 11 se butte à d'in-
surmontables difficultés. La mort de son frère le rappelle à Leipzig. Cependant Clara a
quitté la maison paternelle, elle n'y rentrera plus. Sa glorieuse tournée l'a conduite à
Paris. Là, seule, loin des siens, elle est complètement sous l'influence de Schumann. Le
seul, l'unique nuage au ciel de leur amour, disparaît. Ernestine se marie. La joie de
Clara est grande. Les deux fiancés se décident enfin à obtenir légalement l'autorisa-
tion que Wieck leur refuse. Celui-ci met toutes les oppositions possibles. Il s'efforce
de nuire à sa fille partout où elle joue, rend publics les détails intimes de son amour et
de leurs démêlés, va jusqu'à accuser Schumann d'ivrognerie. La jeune fille reste iné-
branlable. Elle se cramponne à son fiancé de toute la force de son être. La certitude
d'être aimé, le bonheur, l'attente, le désir, la sécurité de son amour ont épanoui le
génie de Robert. Les œuvres jaillissent de sa délicate sensibilité comme des sources
vives. Je ne saurais résister à vous donner les fragments pris au hasard des lettres de
cette époque qui nous ouvrent le fond de ces deux âmes.
Lui. « Si seulement je pouvais redevenir l'enfant pieux d'autrefois ! L'heureux
enfant que j'étais quand je cherchais des accords au piano ou des fleurs dans le jardin.
Je composais alors les plus beaux poèmes et les plus belles prières. J'étais une prière
moi-même. On vieillit. Je voudrais jouer avec toi comme les anges entre eux, éter-
nellement... Encore une demande. N'iras-tu pas rendre visite à notre Schubert? à
notre Beethoven ? (Clara est à Vienne). Cueille quelques rameaux de myrthes, fais-en
un bouquet. Dépose le sur leurs tombes. — Prononce doucement ton nom et le mien.
Rien de plus, tu me comprends...
« Même les erreurs d'un artiste appartiennent au monde pourvu qu'elles ne soient
point laides. Depuis 4 semaines je ne fais que composer. Cela jaillit. Je chante en tra-
vaillant — et, la plupart du temps, c'est réussi. Je joue avec les formes. Depuis un an
et demi, je me sens en possession du secret... J'ai senti que rien mieux que l'attente, le
désir ardent de quelque chose, ne donne des ailes à la fantaisie, comme cela fut le cas ces
derniers jours où j'attendais ta lettre et ai composé des cahiers entiers.— Etrange* fou,
charmant — Tu vas ouvrir des yeux en les jouant ! Je pourrais éclater quelquefois de
trop de musique. Etait-ce un écho de tes paroles un jour où tu m'écrivais : « }e te sem-
blais souvent une enfant ».Bref, je me sentais des ailes et j'ai écrit trente petites choses
bien nettes dont j'ai choisi une douzaine que j'ai nommées : Scènes enfantines. Tu y
prendras du plaisir. 11 te faudra laisser de côté la virtuose en les jouant. Comme titres:
Faire peur, Rêverie, etc. Bref, on y voit tout et elles sont faciles à rendre... Pour créer
(i) Die neue Zeitschrifi jûr Mui^iki.
— 474 —
et pour réussir il faut du bonheur et une profonde solitude... Quand je t'ai dit un jour
que je t'aimais seulement parce que tu étais si bonne, ce n'était qu'à moitié vrai car en
toi tout est réussi et se tient si bien que je ne saurais me figurer toi sans ton art...
Depuis ma dernière lettre j'ai achevé tout un cahier de choses nouvelles. Je les appel-
lerai Kreisleriana ; dans ces pièces, toi et une pensée de toi jouez le principal rôle. Je te
les dédierai — ouiàtoi, sinon à personne. — Tu vas sourire en te reconnaissant... Joue
souvent mes Kreisleriana. Un amour sauvage se trouve dans quelques passages et
aussi ta vie et la mienne et quelques-uns de tes regards. Les Scènes enfantines sont le
contraire, douces, délicates, heureuses comme notre avenir... Combien je pense à toi
douloureusement, radieusement. J'espérais composer ici et travailler (Zwickau 1838),
mais je n'entends que ta voix et une musique d'adieu. Je souffre beaucoup, mais ma
souffrance est belle — ce sont des larmes sur des fleurs... Bonjour, mon cœur. Tu m'as
entouré de printemps, les fleurs d'or percent partout ; en d'autres mots, je compose
depuis ta lettre, je ne puis me rassasier de musique...
« Quand je suis longtemps sans nouvelles de toi, mes forces m'abandonnent. La
mélancolie survient. Il me semble qu'on me voile et m'enveloppe de draps et de vête-
ments noirs. Etat terrible... Tu es une jeune fille extraordinaire, tu mérites la plus
haute vénération. Cela fortifie moralement de rencontrer une telle énergie en une
temme... Toute la semaine dernière (en 1859) je n'ai fait que composer mais il n'y a
pas de vraie joie en mes pensées ni de belle mélancolie... Toute la semaine j'ai com-
posé, écrit, ri et pleuré ensemble. Tu trouveras tout cela exprimé dans mon op. 20, la
Grande Humoreske qui est gravée... Il me faut arroser parfois ton amour de lettres
(comme un parterre de fleurs) pour qu'il demeure vivace et qu'il embaume... Ma
fiancée, dans mes Novelettes tu apparais dans toutes les situations et sous toutes les
formes. Regarde-moi. J'affirme que seul quelqu'un qui connaissait des yeux comme
les tiens, qui avait baisé des lèvres comme les tiennes, était capable de les écrire...
Chacune de tes pensées sort de mon âme comme je te dois toute ma musique... La
semaine dernière (février 1840) j'ai achevé un cycle de lieder de Heine, un cahier de
Burns (en tout 7 cahiers). Combien tout cela m'est facile, je ne puis te le dire et com-
bien j'en suis heureux. La plupart du temps je les fais debout ou en marchant, pas au
piano. C'est une toute autre musique, qui n'a pas besoin de passer par les doigts, bien
plus directe et mélodieuse..... (A propos de Liszt) ; mais, ma petite Clara, ce monde
(celui de Liszt) n'est pas le mien. L'art comme tu le pratiques, comme moi souvent
aussi au piano en composant, cette belle tendresse intime je ne la donne pas pour
toute sa splendeur où il y a parfois trop de clinquant. . .
Elle:«yai une joie infinieàjouerta seconde sonate. Elle me rappelle bien des heures
heureuses et douloureuses. Je l'aime comme je t'aime. Toute ta personnalité s'y reflète
si clairement et puis elle n'est pas trop incompréhensible (! ! !) ... Certains jours, ma
mélancolie (à l'époque où ils étaient absolument séparés sans nouvelles l'un de l'autre)
n'avait pas de limite. Un soir que nous étions dans la Wasserschenke tu passas devant
notre table. Ah ! Robert j'aurais pu rentrer sous terre, je me sentis mal, je fus secouée
d'un violent tremblement. Cela dura toute la soirée et dans mon lit, la nuit, j'aurais
voulu pleurer, mais je ne pus. Je priai Dieu, pourquoi ? Je ne sais? — L'efficacité delà
prière je ne la connaissais pas alors, maintenant, je la connais... L'amour me donne
du courage pour tout et combien il me fait mieux comprendre le beau I —
La musique est quelque chose de tout différent pour moi actuellement qu'autrefois.
— ... Je sens toujours davantage que ma vie n'est que pour toi. Tout m'est égal hors
l'art que je trouve en toi. Tu es mon univers, ma joie, ma douleur, tout, tout ! Tes
Novelettes sont admirables... j'en suis folle. — Ce n'est pour toi rien de nouveau. —
En toi s'élève un chant si beau. Ton cœur entier se révèle dans toutes ces belles mélo-
— 475 —
dies — Sei mir gegriisst — connais-tu ce lied (de Schubert) je l'aime beaucoup... Ta
musique est très particulière, elle vous saisit comme si on allait mourir et d'autres
fois vous transporte dans les plus beaux songes... Combien la musique est pour moi
un bienfait, et souvent une consolation, quand la douleur est trop grande... Tu me
demandes si j'avais le sens de la nature ? C'est à toi que je le dois, à mon amour pour
toi. C'est étrange, depuis que je t'aime, j'aime aussi la nature. Autrefois, mon amour
était trop enfantin et mon esprit pas assez mûr pour comprendre le beau. Maintenant
c'est différent ; quand je pourrai jouir de la nature à ton bras, mes jouissances seront plus
pures... Tu dois souvent craindre que je ne sache pas écrire, sois tranquille... Il sonne
minuit, je regarde la lune, la pensée que nous pouvons la contempler ensemble me
rend heureuse, elle est si consolante... Combien indiciblement belles sont tes Sc^«
Enfantines. Que ne puis-je t'embrasser. Hier je pensais (et j'y pense sans cesse) : Est-ce
donc vrai que le poète qui parle ainsi sera à moi ? Ce bonheur n'est-il pas trop grand ?
Mon ravissement augmente chaque fois que je les joue... »
Et voici quelques pensées cueillies au hasard dans un journal déjeune fille : «Je
ne saurais abandonner mon art, je veux récompenser Robert. Mon grand souci est sa
santé. Le ciel est trop bon. Quand je pense à Robert, j'oublie toute mes souflFrances...
Je voudrais comparer la musique à l'amour, si elle est trop belle et émue elle fait
souffrir. Mon cœur pourrait souvent éclater en en faisant... Robert m'a montré plu-
sieurs de ses lieder. Avec mon amour augmente encore ma vénération pour lui. Parmi
les musiciens vivants il n'y en a pas d'aussi grand que lui... »
Enfin tous les obstacles ont disparu. Le vieux Wieck renonce à une lutte inutile.
En perdant son père, Clara a retrouvé sa vraie mère, Mme Bargiel, dont la tardive
tendresse lui est douce. Les deux amants sont réunis à jamais. Le mariage a lieu à
Schœnfeld près de Leipzig, le 12 septembre 1840. « Tout mon être était plein de
reconnaissance pour Celui qui enfin nous a réunis. Ma plus intime prière fut qu'il lui
plût de conserver mon Robert de longues, de très longues années. A la pensée que je
pourrais le perdre, mon esprit se trouble. Que le ciel me garde d'un pareil malheur.
Je ne le supporterais pas... Une période de ma vie est close. Si j'ai passé par bien des
tristesses, j'ai vécu bien des joies. Je ne saurais l'oublier. Une nouvelle existence com-
mence, une belle existence, la vie avec celui que j'aime plus que tout, plus que moi-
même. De lourds devoirs m'incombent. Que le ciel m'accorde la force de les remplir
en femme fidèle. 11 m'a jusqu'ici secouru, il continuera. J'ai toujours eu une foi iné-
branlable en Dieu, et la garderai. » Elle ignorait, hélas ! ce que la vie lui réservait en-
core de tortures et d'angoisses !
Paul de STŒCKLIN.
— 47^ —
La Quinzaine musicale
Le Prix de Rome. — L'audition des cantates pour le jugement définitif du
grand Prix de Rome, a eu lieu le samedi 30 juin à l'Institut, devant toutes les sections
réunies ; la section musicale était composée de MM. Reyer, Massenet, Saint-Saëns,
Paladilhe, Th. Dubois, Lenepveu, — et de MM. Gabriel Pierné, Hue, jurés-
adjoints.
Voici le résultat :
Premier grand frix de Rome : M. Dufnas, 29 ans, élève de M. Lenepveu, deuxième
grand prix de 1905.
Premier second grand prix ■ M. André Gailhard. 21 ans, élève de M. Lenepveu.
Second grand frix : M. Le Boucher, élève de M. G. Fauré et Widor.
On a également fort remarqué la cantate de M. Mazellier. — Le poème imposé
aux candidats avait pour titre Ismaïl et, naturellement, pour auteur M. Adenis.
L'Académie a décerné en outre les prix suivants :
Prix Kastner-Boursault, de la valeur de 2,000 francs, destiné à récompenser le
meilleur ouvrage de littérature musicale, à M. Adolphe Boschot, pour son ouvrage inti-
tulé La Jeunesse d'un romantique: — Hector Berlioz.
Prix Clamagerand-Hérold, de la valeur de 1,800 francs, à attribuer à l'élève musi-
cien qui aura obtenu le premier second grand prix de Rome en composition musicale, à
M. André Gailhard.
Les Concours à huis clos du Conservatoire : Voici les résultats des prin-
cipaux concours à huis clos du Conservatoire :
CONTREPOINT : >rv : MM. Fauré, président; Lenepveu, Guilmant, Vidal,
Hillemacher, Dallier, Bachelet, Pech, Tournemire, Kœchlin, Ravel.
Premier prix (à l'unanimité) : MM. Chevaillier et Fernand Masson.
Deuxième prix : M. Defay.
Premiers accessits : MM. Renauld et Allain.
Deuxièmes accessits : MM. Lely et Comte.
(Tous élèves de M. Georges Caussade.)
FUGUE : Premiers prix : MM. Nibelle, A. Gailhard, Motte-Lacroix .
Deuxième prix : M. Flament.
Premier accessit : M. Marcel Bertrand.
Deuxièmes accessits : MM. J. Boulnois et Dethîsë.
ORGUE : Premiers prix: MM. Bonnet, Barriê et Vierite.
Deuxième prix : M. Fauchet.
Premier accessit : M. Alex. Cellier. ^
Deuxième accessit : M. Bourdon.
ACCOMPAGNEMENT AU PIANO : Hommes : Premier prix : M. Albert
Wolff.
Deuxième prix : M. Flament.
Deuxième accessit : M. Boucher.
Femmes : Premier prix : Mlle Pelliot.
Deuxième prix : Mlle Ganeval.
CONCOURS D'HARMONIE (femmes).
Premiers prix : Mlles Milliaud, Delmasure, Dauby.
Deuxième prix : Mlle Stroobants.
Premiers accessits : Mlles Morhânge, Faure.,
HARMONIE (Hommes),
Premiers prix '■ MM. Vidal (Henri), Ribollet.
Deuxièmes prix : MM. Gallon, Defay, Boucher, Paroy.
Premiers accessits : MM. Robert, Lippmann, Comte, Cadou.
Deuxièmes accessits : MM. Tiarko Richepin, Renduld, Matignon.
— 477 —
Le mouvement musical en province et à l'étranger
Les « Fêtes Schumann »
A BONN
Bonn a su mettre à profit le bienveillant hasard qui fit naître Beethoven dans ses
murs. A intervalles réguliers, elle organise des festivals de musique classique. Comme
la direction en est confiée à Joachim, c'est une sorte de « Bayreuth du classicisme»
qu'elle est devenue, pieux rendez-vous d'âmes ardentes, d'enthousiastes et de snobs.
Cette année-ci, la petite ville rhénane célébrait le cinquantième anniversaire de
Robert Schumann, mort en 1856, à Endenich (près Bonn) dans les douloureuses cir-
constances que l'on sait. Cette fois également Joachim présidait et le concours, la pré-
sence de cet admirable artiste qui fut l'ami de Schumann et, avec Brahms, le conseiller
fidèle et dévoué de sa veuve, étaient pour ces iêtes un attrait de plus.
Je tiens avant tout à constater le peu d'empressement mis par les organisateurs à
accueillir la presse. Je me demande même à quoi pouvait bien servir le comité dit de la
Presse ? Peut-être à faire observer aux correspondants de journaux qu'il n'y avait pas
de place pour eux ? Le fait est si rare en Allemagne qu'il est amusant de le noter. En
outre, je regrette, et tout le monde avec moi, que pour ménager je ne sais quelles sus-
ceptibilités et pour satisfaire les vanités de clocher on ait partagé la direction entre
Joachim et le professeur Grûters. Non que je mésestime ce dernier, mais à côté de
Joachim, d'autres noms plus éclatants que le sien pâliraient.
Le dimanche 20 mai, par une pluie torrentielle, une réunion sur la tombe où
reposent Robert et sa Clara, inaugura les fêtes. Joachim prononça un superbe discours.
L'idée de faire chanter de la musique de Corné /ms en cette circonstance fut plus qu'étrange.
Cornélius n'est-il pas l'un des protagonistes d'un mouvement diamétralement opposé à
celui de Schumann ? Il semble qu'il eût été facile, à défaut de ce dernier lui-même, de
choisir dans les compositions de ses amis, Mendelssohn ou Brahms.
J'ai hâte d'arriver aux concerts.
Les programmes heureusement composés offraient, en trois séances, un coup d'œil
général assez complet sur l'œuvre totale de Schumann.
La symphonie en mi bémol, op. 97, fortement imprégnée de Mendelssohn, est l'une
des compositions orchestrales les moins heureuses du maître de Zwickau. Schumann
est un poète. Il avait les images devant les yeux, Un programme dans l'esprit en l'écri-
vant. Elle s'appelle la Symphonie rhénane et prétend fixer les impressions de la vie
populaire au bord du Rhin. Plus tard, Schumann supprima ce titre. « Il ne faut pas
montrer son cœur aux gens, écrit-il. Une impression générale de l'œuvre d'art leur
vaut mieux. Au moins ils ne sont pas dans le caê de faire des comparaisons à rebours.»
C'est un peu la critique de la musique à programme par un romantique et par l'homme
qui sut unir le plus intimement la parole au son. Que Vous dire de Joachim comme
chef d'orchestre ? Sous sa baguette l'orchestre est un instrument dont il joue avec la
même sûreté^ la même maîtrise, la même ampleur, la même noblesse que du violon. Je
rêvais en l'écoutant de l'entendre diriger du Beethoven, du Mozart ou du Mendelssohn.
C'est ainsi que ce dernier devait diriger. Point d'oiseuses recherches de sonorités
étranges, point d'effets nouveaux ou curieux, point de détails inutilement fouillés, la
grande ligne sonore qui se développe et s'étend souplfc, onduleuse. Et c'est ainsi qu'il
faut interpréter Schumann. Son instrumentation est épaisse souvent^ surtout dans
cette symphonie, gauche même, elle manque d'air parfois. Y mettre de la couleur c'est
la déformer. Le charme de cette pièce est dans le débordement des trouvaillêe mélo-
diques. Malheureusement ce fut M. Grûters qui dirigea le Faust. Faust est la grande
- 476 -
œuTre de Schumann. D'aucuns disent son chef-d'œuvre. Il y travailla près de neuf ans
sans rien changer au texte de Gœthe, Le sujet hantait son imagination romantique. Le
choix des fragments ne laisse pas d'être curieux. Après une ouverture lourde, touffue,
la scène du jardin dans la première partie. Il est étrange que ce cœur si brûlant n'ait
pas trouvé une inspiration plus chaude pour traiter cet incomparable duo d'amour. La
poésie est si fraîche, si merveilleusement naturelle que la musique auprès d'elle paraît
apprêtée. Par contre, quelle admirable page, d'une poignante émotion que la seconde
scène, Marguerite devant l'image de la Mère des douleurs : « 0 toi riche en douleurs,
incline ta face sur ma détresse... Au secours, sauve-moi de la honte et de la mort. »
Mlle A. Kappel a une jolie voix, le rôle de Marguerite exige bien autre chose. Mess-
chaert a beaucoup d'art, un organe usé, Faust aussi exige davantage. Senius est un
ténor agréable, malgré son sourire, et qui chante bien, Krauss, un Méphisto dont la
voix part de telles profondeurs qu'elle n'en peut sortir. La scène de l'église est d'un
Schumann fantastique, bruyant, plus dramatique à vrai dire mais émouvant. Quelle
différence entre les chœurs de Mayence, dont je vous parlais dernièrement, et ceux de
Bonn ! Ceux de Mayence pèchent presque par trop de virtuosité. Ils obtiennent des
nuances invraisemblables. Ceux de Bonn non seulement manquent de souplesse mais de
netteté. Les effets de douceurs sont obtenus en diminuant le nombre des voix. Dans
les pianissimos il n'y a que la moitié des chœurs qui chante. Comme truc, c'est
trouvé !
Les commentateurs s'évertuent à trouver des explications à la deuxième partie
de Faust et ce n'est pas un des moindres sujets d'orgueil du peuple allemand que de
posséder dans sa littérature une œuvre sur la signification de laquelle personne encore
n'est tombé d'accord. Je serais volontiers porté à n'y voir que le jeu d'esprit étincelant
et sublime d'un pince-sans-rire de génie.
Schumann a choisi dans ce chaos splendide un tableau charmant d'abord. Faust
en face de la nature, entouré d'esprits. Ariel chante. Le soleil se lève. Puis la scène entre
Faust et les quatre femmes grises, le besoin — la faute — le souci — la nécessité. Enfin
la mort de Faust, puis l'apothéose. Cette dernière surtout est énorme, compacte. C'est
un Schumann douloureux où étincelle le génie que pousse une volonté opiniâtre mais
malade et à qui les forces manquent quelquefois sinon l'inspiration. Le final est décidé-
ment trop long, il gagnerait à être sensiblement réduit.
Fort copieux, le programme du deuxième concert. L'ouverture de l'opéra Geneviève
de Brahant. Une ouverture romantique, très chaude, très colorée et superbement enle-
vée. Il est vrai que Joachim dirigeait et que l'orchestre de la Philharmonique de Berlin
est l'orchestre des fêtes ! Puis le concerto de piano op. Ç4 joué par E. V. Dohnanyi.
11 ne suffit pas pour jouer Schumann d'être un excellent musicien et d'avoir une tech-
nique étourdissante, il faut de l'émotion, de la tendresse, de la sensibilité et surtout de
la poésie. La mimique de Dohnanyi, ses airs recueillis ou inspirés vont bien mal avec
la simplicité et la fraîcheur de la musique qu'il jouait. Il y a un pianiste élève de Clara
Schumann, son unique élève pourrait-on dire, que tout le monde s'attendait à trouver
à Bonn, Léonard Borwick. Le comité est inexcusable de ne l'avoir pas invité. Dans les
concertos il y avait encore Joachim à l'orchestre mais les Kreislertana, cette merveil-
leuse fantaisie toute ruisselante des amours du musicien-poète et que domine le sourire
mélancolique de sa Clara ! ! Dohnanyi y a mis beaucoup de choses jolies, élégantes,
voire fines, il y manquait l'âme même de ces choses ! Quel dommage ! Le Requiem
■pour Mignon, une élégie sobre et touchante, une des pages de la pleine maturité de
Schumann, fut très parfaitement exécuté.
Pourquoi donc Joachim n'a-t-il pas dirigé la Symphonie op. 38, la plus charmante,
la mieux venue des œuvres symphoniques du maître et la plus originale. C'est un
poëme idyllique jailli des merveilleuses sources de son inspiration. «Tu as fait naître
en moi une symphonie, écrit-il à sa fiancée ». Il lui avait donné un nom : le Printemps
i) Commencement du Printemps ; 2) Soirée ; 3) Compagnons joyeux ; 4) Epanouisse-
ment. M. Griitcrs avait heureusement sous ses ordres un orchestre qui marche tout
seul.
— 479 —
La merveille de la fête fut VOuverture de Manfred dirigée par Joachim. Une révéla-
tion de la plus poignante manifestation du génie de Schumann. Une communion d'art
indicible ! Une heure inoubliable ! Croyez-moi, Joachim est à l'orchestre le même
incomparable maître qu'au violon. Je rêve d'un festival de 'musique classiqueà Paris,
avec la Société des Concerts dirigée par lui !
J'aime peu le morceau de concert pour quatre cors. L'auteur attachait à cette oeuvre
une valeur exagérée. Elle est inexécutable, banale souvent. On avait invité les quatre
cors de la Société Française des instruments à vent, Pcnahle. Wtiillermoz^Capdevielle^
Delgrange qui firent de leur mieux et ne réussirent qu'à demi, -ce dont il faut faire
surtout un reproche à Schumann.
Que penser du C/iawf c/e iVouve//e A «;2ee pour soli, chœur et orchestre, op. 144?
Est-ce faire un grand éloge d'un morceau de musique que de dire qu'il est très intéres-
sant.
Le dernier jour consacré à la musique de chambre, au piano, aux lieders était à
proprement parler le jour du Schumman immortel que nous aimons, «vec qui nous vi-
brons, le Schumann épanoui du Quatuor en mi mineur op. 47 pour piano et
cordes exécuté par le Quatuor Joachim et... Camille Saint-Saëns ! Du moins c'est
ainsi que l'annonçait le programme. La famille Schumann se sentait justement flattée
du concours promis par le compositeur parisien qui apportait à la mémoire du maître
de Zwickau, l'hommage de son talent et de la France. Au dernier moment, point de
Saint-Saëns !... C'est Dohnanyi qui l'a remplacé au pied levé et ma foi, fort habilement.
Après le Quatuor, les Amours du Poète, c'est-à-dire tout le cœur de Schumann,
toute son âme, toute sa vie. Messchaert les a chantés aussi bien qu'il le pouvait ! J'ai
entendu une seule fois ces merveilles d'émotion comme je les rêve, c'est à Paris dans un
salon par Warmbrodt !
Qu'il est regrettable que ces belles fêtes se soient terminées sur le Spanischcs Lie-
derspiel, une composition légère, pleine d'humour, très agréable du reste et qu'on a
rarement le plaisir d'entendre. Mais Schumann n'est-il pas avant tout le chanteur des
joies et des peines intimes, le romantique délicat à la sensibilité exquise, le poète enfin
des mélancoliques rêveries. C'est sur le sublime Quintette, sur un choix de lieder, ou
sur quelques pièces de piano, Etudes symphoniques, Noveleties, Fantaisiestûcke ou
THumoreske qu'il convenait de finir !
Paul de Stoecklin.
LETTRE DE LONDRES
Je suis quelque peu en retard pour vous parler ici de la réouverture annuelle du
Théâtre Royal de Covent Garden, dont je vais résumer le bilan artistique jusqu'à ce
jour. Par une coutume depuis peu établie, la troupe spéciale engagée pour interpréter
le répertoire allemand (lisez : wagnérien, car, à l'exception de deux petits opéras-co-
miques entendus ensemble en une soirée qui n'eut pas de lendemain, seules les œuvres
du maître de Bayreuth parurent à l'affiche) la troupe allemande ne passa cette fois en-
core qu'un mois à Londres. C'est voua dire que les représentations de deux cycles com-
plets des Niebelungen, de Tristan, du Tannhauser^ des Maîtres Chanteurs et du Vais-
seau-Fantôme se succédèrent presque sans interruption. Elles furent toutes dirigées par
cet incomparable chef qui a nom Hans Richter et qui, à la tête d'une phalange aussi
vaillante que celle de Covent Garden, obtint des exécutions aussi parfaites que possible,
de ces partitions. Les chœurs aussi furent remarquablement, sinon toujours impeccable-
ment bien chantés et la mise en scène ne fit pas regretter celles de Dresden, Munich et
Bayreuth qu'elle égala en mainte occasion. Bien qu'il fut évident qu'un réel désir de
s'assurer le concours des meilleurs interprètes de Wagner eût dicté le choix des artistes
engagés par la direction, ce sont surtout ceux-ci, et particulièrement les ténors, qui
donnèrent le plus de prise à la critique au cours de ces représentations ; l'on doit pour-
— 48"o —
tant décerner des éloges sans réserves à la plupart d'entre eux et particulièrement à
Burgstaller, Van Roy, Knupfer et Mmes Termina, Gadski, von Mildeburg et Kirkby
Lunn.
Faust, Roméo, Carmen, Rigoletto, Pagliacci, Carmen, La Bohême, Madame But-
terfly nous ont permis de réentendre toute une pléiade d'artistes favoris du public lon-
donien et parmi lesquels je citerai la jeune soprano si fêtée, Miss Pauline Donalda ;
Mme Gilbert-Lejeune ; Fraeulein Destinn ; Mme Jane Paulin, Signora Giachetti et
Mme Melba ; MM. Journet, Seveilhac, Gilibert, Sammuarco, Scotti, Battisiini et Ca-
ruso ; tandis qu'effectuaient d'heureux débuts à Londres les ténors Altchewsky et La-
fitte, les basses Artus et Crabbé et Mlle Aida, tous nous arrivant en ligne droite de la
Monnaie. Quand j'aurai ajouté que le répertoire français est dirigé par M. Messager,
l'italien par Campanini, que le maître de ballet est Ambrosiny, les régisseurs de la soène
MM. Almanz et H. G. Moore, vous connaîtrez le tableau complet (sauf omission invo-
lontaire) dû personnel artistique du théâtre de Covent Garden.
Quelques-unes des nouveautés annoncées ont déjà été représentées. Ce furent
d'abord les deux opéras-comiques allemands auxquels j'ai fait allusion déjà : le Vaga-
bond et la Princesse et le Barbier de Bagdad. Comme je comptais assister à leur seconde
représentation — qui n'eut jamais lieu — je ne puis donc vous en parler en connais-
sance de cause. Vint alors le Jongleur de Notre-Dame dont la désespérante monotonie
n'est pas compensée par le geste de la vierge — le beau geste -^ pour lequel l'œuvre
semble avoir été écrite. Nous y retrouvons la faculté déconcertante que Massenet possède
de parler pour ne rien dire tout en faisant écouter le discours qui se déroule à la faveur
d'une succession d'harmonies attachantes, fixées sur une palette orchestrale merveil-
leuse et rehaussée de l'éclat qu'une entente parfaite de l'art d'écrire pour la voix donne
à toutes les oeuvres de Massenet.
Je n'analyserai pas cette partition. Gela fut fait ici-mêmo à l'occasion de sa créa-
tion à Monte-Carlo et de sa reprise à l'Opéra-Comique. Je me bornerai donc à dire que
l'interprétation, confiée aux soins et aux belles voix de MM. Lafïitte, Gibbert, Le-
veilhac, Arthus et Crabbé, en fut parfaite.
Une mention spéciale également à la jolie vierge au beau geste, dont le programme
ne mentionnait pas le nom — à tort, je pense, car son rôle est important et elle le rem-
plit à ravir, dans l'éblouissement de jeux de lumières admirablement réglés.
Depuis une vingtaine d'années on n'avait plus représenté un « ballet d'action »
à Covent Garden (où l'on ne danse même plus celui de Faust). Aussi la première des
Deux Pigeons de M. Messager était attendue avec impatience, car de son succès dé-
pendra certainement le sort des oeuvres de ce genre sur cette même scène.
La partition des Deux Pigeons est digne de la plume dé l'auteur de la Basoche
et tant de pages charmantes. Elle est émaillée de rythmes caressants et entraînants,
d'essence bien gauloise en leur gracieuseté et d'une spontanéité plus absolue que les
« numéros » imitatifs de musique hongroise. L'orchestratioji se distingue aussi par
son ingéniosité quoique un peu trop uniforme en ses effets, et les mélodies soulignent
toujours parfaitement les diverses phases de l'action.
Ce fut un réel plaisir que d'entendre cette jolie partition et d'en voir la partie cho-
régraphique et mimique, si parfaitement interprétée par le corps de ballet de M.
Ambrosiny qui lui-même prit une part active à l'action après avoir admirablement
réglé la mise en scène, les pas d'ensemble et les soli. Mlles Irma Legrand et Lucie
Raulin ont droit aux plus vifs éloges pour la façon brillante dont elles ont inter-
prété les soli, quant à la « prima ballerina assoluta )) Aida Boni, elle fqt étonnante de
science, de grâce, entrain et expression. C'est une danseuse noble de la plus belle
école.
Léo DiENsis.
— 48i —
ORLEAIVS. — Concert Sarasafe-Berthe Marx Goldschmidt. — De ce concert,
nous conserverons le souvenir d'une soirée éblouissante de virtuosité, prestigieuse
de mécanisme. Sarasate est avant tout le « virtuose » de l'ancienne école, dans
l'acception entière du mot : qu'il interprète du Beethoven ou même du Chopin, il
joue toujours du Sarasate. Au programme, la Sonate à Kreutzer^ exécutée sans sincé-
rité et sans respect pour sa grandeur et sa puissance ; une fantaisie ridicule sur le Don
Juan de Mozart et différents morceaux très à effets de Sarasate.
Mme Berthe Marx Goldschmidt a sur le piano une ardeur et une vigueur remar-
quables qu'elle dépensa dans la Sonate (piano et violon) ; elle fut excellente virtuose dans
une Rapsodie de Liszt et très bonne musicienne dans le Thème varié de Mozart.
Concert Hekking. — Pour la preniière fois à Orléans, M. Hekking est venu faire
applaudir son beau talent de violoncelliste. Sonorité, mécanisme, puissance expressive,
tout est remarquable chez cet artiste, vraiment roi du violoncelle. M. Hekking était
bien entouré avçç M. Joseph Thibaud, un pianiste virtuose que j'admire beaucoup et
qui est un des maîtres du clavier, et avec Mlle Artot, une jeune cantajErice, à la voix
très pure et bien timbrée.
Concerts-Rouge. — L'orchestre des Concerts-Rouge, dirigé avec une grande com-
pétence artistique et une haute autorité par M. René Doire, a donné un fort beau
concert avec un programme très substantiel et très artistique. On entendit les Ouver-
tures du Freischût\ et du Roi d'Ys de Lalo, la musique de scène de Peër Gynt de
Grieg, la V° Symphonie de Beethoven, le Rondo capricioso de Saint- Saëns, pièce ou
}A. Dorson, violon solo, fit valoir de réelles qualités de violoniste et de musicien. Mme
Mercier-Duprez, un soprano dramatique, prêtait son concours, au Concert-Rouge, elle
fut très applaudie et très appréciée pour sa belle voix et le beau sentiment dramatique
dont elle fit preuve.
Matinée musicale de Mlle Heurteau, — Mlle Heurteau a monté avec beaucoup de
soin, V Enfance du Christ de Berlioz. Les solistes étaient MM. Sigwalt, Maliba, Mlle
J. Jacquot, l'orchestre était représenté au piano par M. Ed. Mignan, et Mlle Heurteau
conduisait cette œuvre qui eut tout le succès qu'elle méritait. Dans une première partie
au programme très panaché, M. Sigwalt chanta un Air de Serse d'Haendel et Mlle
Heurteau dramatisa un air d'Iphigénie en Aulide de Gluck et un air de la Folle par
amour de Delayrac.
Société des Concerts populaires (2', j^ et 4° concerts). — Au deuxième concert po-
pulaire, des oeuvres dignes d'intérêt étaient inscrites au programme, l'école classique
était représentée avec Mozart, Beethoven, Weber, Gliick, l'école contemporaine avec
Delibes, Saint-Saëns, Fauré, Duparc et Besau.
L'orchestre était dirigé par M. E. Dumont. On entendit à ce concert Mlle Pironnay
une très excellente cantatrice formée par la Schola Cantorum^ elle interpréta entre autre
chose, la Chanson du Vent de Besau, un élève de Déodat de Séverac ; comme son
maître, M. Besau écrit de. la musique impressionniste vivante, colorée, il ne pouvait
choisir meilleure interprète que Mlle Pironnay qui nous a donné une vive impression
d'art. A ce même concert, M. Diétrich, flûte solo delà société, fit preuve de virtosité dans
des Airs Valaques sans bien grande valeur au point de vue musical.
La Société des concerts nous a donné au troisième concert une interprétation bien
fantaisiste et plus que superficielle de la Symphonie en ut mineur de Beethoven.
Le programme orchestral était complété par l'introduction du 3° acte de Lohengrin
et par les Scènes w«/>o/î7aî»es de Massenet. Une cantatrice bien médiocre prêtait son
concours à ce troisième concert où se firent applaudir le Quintette Orléanais des instru-
ments à vent dans un Quintette de Deslandres. M. Dumont était au pupitre de chef
d'orchestre.
Pour clôturer ses concerts de igoô, la Société des Concerts festivala Th. Dubois.
L'orchestre, dirigé par M.Th. Dubois, nous donna une interprétation assez bonne et
assez exacte, malgré quelques défaillances de la Suite villageoise et Miniature^ des
— 482 —
Danses Cévenoles et du Deuxième concerto pour piano qui fut joué par Mme Deblauwe
avec une technique impeccable, un style très juste et très expressif.
Mme Auguez de Montalant dont on connaît le grand talent a chanté avec une voix
délicieusement pure et avec une déclamation parfaite, quelques mélodies : Elle eut
grand succès surtout dans Lamentation de Notre-Dame de la Mer,
Comité Orléanais des Concerts de Charité (premier et deuxième concert). —
Au premier concert de Charité, nous avons entendu la Société de concerts des instru-
ments anciens, composée d'artistes d'une rare valeur comme MM. Henri et Marcel
Casadesus, Mme Gasadesus. M. Olivier et M. Alfred Casella. Je veux citer surtout
entre les œuvres exécutées, toutes fort intéressantes le Divertissement de Monteclair,
le Ballet de Chimène de Sacchini et surtout la Symphonie de Bruni. Comme solistes,
aussi bien que dans les ensembles, les artistes de la Société des instruments anciens
recueillirent d'unanimes applaudissements.
La partie vocale était tenue par, Mlle Jane Bernardel qui a fait apprécier une excel-
lente diction et un goût musical parfait dans différentes pièces d'Haydn, Lulli, Cam-
pra, J.-S. Bach {Air de la Pentecôte, avec violon) et de merveilleux lieds de Schubert-
Schumann. M. G. Rabani tint la partie de violon dans VAir de Bach, et M. Ed. Mi-
gnase accompagna le concert avec infiniment de talent.
Le deuxième concert fut donné avec le concours de MM. Charles Pagel, violoniste,
M. Ch. Bernardel, planiste, pour la partie instrumentale et M. Warmbrodt pour la
partie vocale. Le concert était dirigé par M. Rabani.
La partie musicale débuta par une œuvre d'un très grand intérêt artistique le Par-
nasse où V Apothéose de Corelli par François Couperin, pour deux violons et piano^
Cette sonate fut magistralement interprétée par MM. Pagel, Rabani et Ch. Bernardel.
M. Ch. Pagel a en lui l'étoffe d'un grand virtuose : dans le Concerto de Max
Bruch, joué en entier, il fit preuve d'une technique très sûre et d'un style de bonne
école. M. Pagel a de sérieuses qualités de son, de finesse, de netteté ; son succès a été
très vif et très mérité dans la RoWiZMCe e« /a de Beethoven et une Danse de Brahms,
très brillamment enlevée.
M. Ch. Bernardel est un pianiste distingué, doublé d'un musicien excellent, il joue
simplement et avec une profonde conscience : il fut très applaudi dans une grande
pièce de Liszt, très descriptive. Légende de Saint- François de Paul marchant sur les eaux.
M. Warmbrodt a chanté avec une voix délicieusement lumineuse des pages de Schu-
mann, Duparc, Fauré, et le célèbre repos de la Sainte Famille ext. de ï Enfance du
Christ de Berlioz, qui fut son triomphe.
Société Johann-Sebastian Bach. — Voici le bilan des œuvres exécutées en cinq con-
concerts, saison igoç-içoô, par la Société Bach, fondée par MM. G. Rabani et Mignan,
musiciens convaincus dont la courageuse et tout à fait désintéressée initiative aura con-
tribué à faire connaître et aimer la musique du grand Cantor:
Sonate mi majeur pour violon et piano. — Sonate ut majeur pour deux violons et
piano. — Sonate sol majeur pour deux violons et piano. — Sonate si mineur pour flûte et
piano. — Chaconne pour violon seul, ext. des sonates. — Suite anglaise en ré mineur
pour piano. — Partita en si bémol pour piano. — Concerto en ré mineur pour piano et
orchestre. — Concerto en ut mineur pour 2 pianos et orchestre. — Concerto en ré mineur
pour 3 pianos et orchestre. — Concerto en ré mineur pour 2 violons et orchestre. —
Ouverture en ut majeur pour orchestre. — Terzett, ext. de VOratorio de Noël. — Récit
et Air pour alto, ext. de VOratorio de Noël. — Quia respexit, ext. du Magnificat. — Et
Misericordia,Qxt. du Magnificat. — Laudamus te, ext. de la Messe en si mitteur. — Air,
ext. de VOratorio de la Pentecôte. — Deux Airs, ext. delà Passion selott Saint-Mathieu.
Cantates sacrées : Pour le 1°' dimanche après la Trinité (n" 39). — Pour le 14' di-
manche après la Trinité (n" 7, 8.)
Cantates profanes : <( Non sa che sia dolore » (n° 309). — « Die freude reget sich »
(i" audition). — « O Holder Tag » cantate nuptiale. — Solistes, chœurs et orchestres
80US la direction de M. G. Rabani. — A l'orgue M. Ed. Mignan.
- 483 -
IE HA.VRE. — Le Cercle de l'Art Moderne vient d'ouvrir sa première exposition
où figurent les peintres les plus originaux de l'époque actuelle, de Claude Monet
J et de Renoir à Charles Guérin, à Matisse, à Maquet, en passant par Guillaumin,
Vuillard, Maurice Denis, Lebasque,
Soucieux d'organiser des manifestations nouvelles pour notre ville, le Cercle don-
nait le 8, une audition musicale dans la salle même de l'Exposition, à 4 heures de
l'après-midi. Le programme de cette audition était bien celui d'un groupement créé pour
faciliter les manifestations originales de l'art contemporain.
Sonate en sol mineur de Guy Ropart:^
Mélodies :
Aurore de Gabriel Fauré.
Au bord des Eaux Henry Woollett.
Nocturne César Franck.
Trio (op. 29) pour piano, vio-
loncelle et clarinette Vincent d'Indy.
Henry Woollett qui avait organisé cette audition fut fort applaudi et comme com-
dositeur et comme exécutant : et les très sérieux artistes dont il s'était entouré :
M. Maurech qui est notre premier violoncelliste, et un excellent clarinettiste, M. Boin,
furent également à louer pour la science et la beauté avec laquelle ils exprimèrent la
puissance et le charme de l'admirable Trio de d'Indy — une des plus belles composi-
tions de ce maître — et l'âpre et charmeuse sonate de Ropartz, tour à tour populaire et
mystique, joyeuse et grave.
Mlle Merville détailla avec infiniment de charmp et d'intelligence les
trois mélodies indiquées particulièrement, le grandiose Nocturne du père Franck.
Et ce fut dans ce décor charmant et intime d'une salle délicieusement ornée de
tableaux, de plantes vertes et de tapis, une heure de musique belle, instructive et
pleine d'attrait, première manifestation de ce genre au Havre, dans de telles conditions
et dont le Cercle annonce pour la fin de ce mois, avant la fermeture de son exposition
le retour pour la plus grande satisfaction des amateurs de musique moderne — trop
ignorée encore au Havre — et que les efforts réunis d'artistes véritables s'efiForcent
avec un rare désintéressement de faire connaître ardemment et savamment. G.
VICHY. — C'est à M. Georges Marty, chef d'orchestre des Concerts du Conser-
vatoire, que la direction du Casino de Vichy a eu l'heureuse idée de confier la ba-
guette du regretté Jules Danbé. Félicitons-la sans réserves et louons-nous de pos-
séder M. Marty qui, dès son arrivée ici, a conquis les plus mélomanes de nos hôtes par
sa direction si ferme, si nette, si nuancée. Au deuxième concert du soir qu'il dirigea,
M. Marty nous a donné une interprétation de l'ouverture d'Obéron que, certes, nous
aurons garde d'oublier de si tôt. Aussi, le théâtre du casino était-il comble (fait sans
précédent à cette époque) pour le premier concert classique de la saison. L'ouverture de
Patrie qui le commençait fut splendidement enlevée par l'orchestre. La Symphonie en
ré qui suivait fut exécutée avec conscience, encore bien que deux de ses parties, le lar-
ghetto et le scherzo, aient témoigné qu'elles étaient plus familières à nos musiciens que
les autres. Par un sentiment de piété en quelque sorte filiale, M. Marty avait inscrit à
ce concert la Berceuse de Jules Danbé où notre premier violon, M. Piédeleu, remporta
un gros et légitime succès.
Des fragments du Roméo et Juliette de Berlioz et de l'ouverture de la Grotte de
Fingal de Mendelssohn qui complétaient le programme, l'œuvre la plus romantique
n'est pas celle qu'on pourrait croire. Enfin, la Rapsodie Norvjcgienne de Lalo, rendue
avec tout le brio et toute la finesse désirables, clôturait ce premier concert dont la réus-
site lut grande et justifiée.
Ajoutons que, par une innovation à laquelle nous ne saurions trop applaudir, M.
Marty a décidé que les concerts classiques auraient lieu tous les huit jours, du 15
juillet au 15 août, en telle sorte que notre saison comportera dix concerts au lieu de
sept. J. P.
- 484 -
ÉCHOS ET NOUVELLES DIVERSES
FRANCE
La Direction de l'Opéra. — Nous avons déjà parlé en détail de cette question
qui intéresse à juste titre les artistes et le public. Nous avons laissé entendre quelle
serait la future direction probable. Une nouvelle candidature vient d'être enregistrée :
celle de M. André Messager, l'ancien directeur de la Musique à l'Opéra-Comique, le
très remarquable chef-d'orchestre de Covent-Garden, à Londres.
A l'Opéra-Comique : M. Carré vient de recevoir pour être représenté à l'Opéra-
Comique, le Songe d'une Nuit d'Auto7nne, poème de d'Annunzio, musique de M. R.
Torre Alpira.
Les Grands Concerts ;
Nous avons dit que les Concerts Lamoureux seraient donnés, l'hiver prochain, au
théâtre Sarah-Bernhardt.
Les deux premiers concerts de l'abonnement sont fixés aux 7 et 14 octobre.
Du 15 au 30 octobre, l'orchestre, sous la direction de M. Camille Chevillard, ira
donner une série de quinze concerts, à Berlin, Dresde, Leipzig, Francfort, Mannheim,
Hannover, Hambourg, et dans plusieurs autres villes de l'Allemagne.
Les concerta d'abonnements seront repris, à Paris, le 4 novembre pour finir le
31 mai 1907.
Une intéressante nouvelle musicale : A la demande de M. Albert Carré, directeur
de rOpéra-Comique, M. Vincent d'Indy va mettre en musique la tragédie de M. Jules
Bois, Hippolyte couronné^ d'après Euripide, qui fut joué au Théâtre-Antique d'Orange
puis à rOdéon. L'ouvrage remanié en vue de sa transformation en drame lyrique,
portera le titre de Phèdre et Hippolyte et sera monté avec un grand déploiement de
mise en scène.
Ariane et Barbe bleue, dont M. Paul Dukas achève en ce moment l'orchestration,
entrera en répétition à l'Opéra-Comique, au début de décembre et passera en février.
M. Jusseaume, chargé de la confection des décors, a soumis lundi dernier à MM. Mae-
terlinck et Dukas la maquette du premier tableau.
Les Concours publics du Conservatoire. — Nous avons annoncé dans notre
dernier numéro les dates de ces concours (du 16 au 28 juillet), dont nous rendrons
compte en détail le i" août.
Voici quels sont les morceaux de concours imposés :
Vïo/o» (classes supérieures) : 5° Concerto de Vieuxtemps. — Piano (classes supé-
rieures) (hommes) : Andante et Final de la Sonate Appassionata (op. 57) de Beetho-
ven. — Piano (classes supérieures) (femmes) : Etudes symphoniqiies de Schumann. —
Harpe : Ballade de Zabel. — Harpe chromatique : Pièce de Concert de L. P. Hille-
macher. — Contrebasse : 10" Concerto de Zabran. — Alto : Fantaisie en mi de Mlle
Hélène Fleury. — Violoncelle : i" Concerto de Davidoff. — Flûte : Nocturne de Gau-
bert. — Hautbois : Solo en sol de Paladilhe. — Clarinette : Morceau de concours de
M. V. de la Nux, — Basson : Solo de concert de G. Pierné. — Cornet : Morceau de
Concert G. Hiie. — Trompette : Légende Enesco. — Trombone : Morceau de concert
Pfeififer.
Le Concert Planté. — Ce fut un succès extraordinaire ; des ovations enthou-
siastes, presque délirantes, furent faites à l'admirable artiste, qui se montra plus mer-
veilleux, plus jeune que jamais, virtuose incomparable du clavier, musicien délicat et
intense, puissant sans brutalité, sans aucun de ces efifets exagérés auxquels nous ont
trop accoutumés certains de nos pianistes les plus acclamés. Planté est vraiment le poète
clu pian©. G. F.
- 485 —
Concert Breitner. — Le 29 juin, à la salle des Agriculteurs, M. Ludovic
Breitner a donné un concert avec le concours de Mme Félia Litvinne et du maître
Camille Saint-Saëns, Mme Litvinne a dû bisser Ich grolle nicht des Amours du Poète
ainsi que l'air de Henri VIII. L'admirable cantatrice a été rappelée plusieurs fois, ainsi
que M. Camille Saint-Saëns, par un public enthousiasmé.
Le Concerto de Schiitt et la Rhapsodie d'Auvergne ont été interprétés par
M. Breitner avec le talent si personnel que nous lui connaissons. C'est surtout dans le
Caprice Arabe, avec MM. Saint-Saëns et Breitner, que le public a pu apprécier une in-
terprétation impeccable, tant par la netteté de l'exécution proprement dite que par la
compréhension, fine et profonde. G. G*
Le dernier concert de la saison, donné par « l'Orchestre », a clôturé dignement la
brillante série des auditions organisées par M. Victor Charpentier. Les séances repren-
dront la saison prochaine, patronnées par l'Etat et par la ville de Paris.
Les Matinées Musicales Populaires, fondées par le regretté Danbé, à l'Ambigu, et
dirigées ensuite par M. Luigini, auront lieu la prochaine saison sous la direction de
M. Joseph Jemain, dont nous n'avons pas à vanter la haute valeur et l'autorité, connues
de tous les musiciens.
Les séances d'orgue données par M. A. Guilmant dans sa propriété de Meudon,
ont été un véritable régal artistique pour ceux qui ont pu y assister. Dans ce cadre ex-
quis, l'interprétation de l'éminent organiste nous a paru encore plus grande et plus
profonde. Ce furent là de belles sensations d'art.
Le titre exact du drame lyrique que vient d'achever Mme M. Ducourau est
Donibanè et non pas la St-Jean, comme nous l'avions publié dans notre dernier
numéro.
Les « Auditions Modernes ». — Pour rappel : MM. les compositeurs sont
invités à adresser au secrétaire des Auditions Modernes, maison Pleyel, 22, rue Roche-
chouart à Paris, leurs manuscrits d'oeuvres non encore exécutées (Sonates pour piano et
instrument à cordes, trios, quatuors, quintettes, etc., exclusivement avant le 15 août
1906 — nouveau délai accordé.
Ces œuvres inédites ne devront pas être signées, mais porteront une épigraphe.
— Comité de lecture : MM. G. Ghevillard, P. Dukas, S. Larrazi, P. Vidal et P.
Oberdœrfer, fondateur. — Pour renseignements complémentaires, s'adresser maison
Pleyel, 22, rue Rochechouart.
On a inauguré, dimanche dernier à Neuilly, au rond-point de la Porte-Maillot, une
très vivante statue d'Alfred de Musset, œuvre du sculpteur Pierre Franet. Ce monu-
ment évoque, non le Musset neurasthénique des dernières années, mais le fringant
poète des (( Nuits » et de « Rolla ».
Cette cérémonie — à laquelle M. Fallières s'était fait représenter par M. Marc
Varenne — était présidée par M. Dujardin-Beaumetz qui a prononcé un discours, ainsi
que MM. Camille Le Senne, président de l'Association de la Critique, Huet, Hector
Dépasse, Bonillet, Olivier de Gonrenff, et Berterean, maire de Neuilly.
Après ces discours officiels, différentes poésies ont été dites par Mlles Roch, de la
Comédie-Françaiss, Jane Rabuteau, de l'Odéon, et Thérèse Gomettant, petite-fille de
notre regretté confrère Oscar Gomettant.
Les applaudissements et les rappels n'ont pas été ménagés aux danseuses et au
Choral du Conservatoire de « Mimi Pinson » qui avaient bien voulu prêter leur concours
à l'inauguration de la statue du chantre de « Mimi Pinson » : Alfred de Musset.
M. le sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts vient d'accorder, à titre d'encourage-
ment, une somme de 2,500 francs à la Société des concerts de Lille, et une somme de
3,000 francs à la Société des concerts populaires d'Angers. La première a été fondée, on
le sait, par M. Emile Ratez, directeur du Conservatoire de Lille ; la seconde a pour di-
recteur M. le comte Louis de Romain, et l'on sait aussi quels signalés services elle a
— 486 —
rendus à l'art depuis plus de vingt ans. Elle justifie d'ailleurs pleinement, comme on
l'a remarqué déjà, son titre de concerts populaires, car à chaque séance elle met à la dis-
position du public 500 places au prix modique de cinquante centimes.
Les journaux américains annoncent que M. Saint-Saëns ira faire une tournée de
concerts en Amérique la saison prochaine : l'illustre compositeur y conduira des or-
chestres, jouera du piano, de l'orgue, etc., fera des conférences.
Nous croyons savoir que Monna Vanna, la célèbre pièce de M. iMaeterlink, que
M. Henry Février, le compositeur du Roi Aveugle représenté dernièrement à i'Opéra-
Comique, vient de mettre en musique, sera jouée la saison prochaine, au théâtre de la
Monnaie de Bruxelles.
Le 23 juin a été célébré à Saillans (Drôme\ le mariage de M. Henry Eymieu avec
Mlle Germaine. Tassart.
Les témoins du marié étaient le général Faure-Biguet et M. Gurédan, ancien pré-
fet et ceux de la mariée MM. J. Tassart, son frère et J. Roche, avocat général à la cour
de Lyon.
Salojné, de Richard Strauss, qui vient d'être représentée à Cologne, pendant les
Fcstspiele, et y a produit une impression considérable, sera, dit-on, montée l'hiver pro-
chain à la Monnaie de Bruxelles. M. Richard Strauss termine en ce moment l'adapta-
tion de sa déclamation musicale au texte original français d'Oscar Wilde.
Pourquoi n'entendrions-nous pas d'abord cette œuvre à Paris }
Lagny. — La charmante petite ville de Lagny dont les promenades sur la Marne
sont si appréciées des Parisiens, organise, le dimanche 16 septembre, un festival-con-
cours de musique pour chorales, harmonies, fanfares, symphonies, estudiantinas et
trompettes.
M. Fedon, secrétaire du concours, recevra les adhésions des sociétés jusqu'au 15
août.
Martigny-les-Bains. — L'Etablissement thermal de Martigny (Vosges), présente
cette année le plus vif attrait. La partie musicale confiée à M. F. Le Rey et la partie
théâtre confiée à M. Roux révalisent de goût, de variété, d'esprit et d'art. Les musi-
ciens de M. Le Rey nous oflrent de très intéressants concerts et les artistes de M.
Roux ne nous ménagent pas leur agréable talent. C'est ce qui explique la vogue dé
de Martigny cette année.
Nos compliments au sympathique directeur M. Depoisse. P.
Petites nouvelles :
De Londres : Manuel Garcia, le célèbre professeur de chant, frère de la Malibran
et de Mme Pauline Viardot, vient de mourir à l'âge de loi ans.
— De Boston: La direction de l'Orchestre symphonique de Boston est confiée à
M. Muck, chef d'orchestre de l'Opéra royal de Berlin, qui obtient un congé.
— Le violoniste Hugo Heermann a quitté Francfort pour s'établir à Chicago et y
fonder une école de violon.
— On annonce que M. Camille Saint-Saëns prêtera son concours, comme soliste,
au premier concert de la Philharmonie de Berlin, que dirigera Arthur Nikisch. On sait
que l'infatigable maître doit déjà jouer un concerto de Beethoven, le mois prochain, aux
fêtes Mozart, à Salzbourg.
— De Munich : Pour la première fois, et malgré l'opposition opiniâtre (elle a duré
plus de deux ans !) de certaines personnalités musicales, le Hofoper vient de donner
Sa/nson et Dalila : le succès a été très vif.
— De Monte-Carlo : Le Timbre d'Argent^ de C. Saint-Saëns, sera monté à Monte-
Carlo la saison prochaine. Les interprètes seront MM. Dufranne, Clément et Mlle
Zambelli.
— 487 —
Ofltende. — - Les grands concerts ont commencé sous la direction de M. RinskopK
Nous en parlerons prochainement. Annonçons pour l'instant une audition de musique
française moderne pour le 14 juillet (!) (oeuvres de d'Indy, Fauré, Debussy) avec le con-
cours de Mlle Bréval ; — le 3 août, Festival Saint-Saèns, sous la direction du Maître ;
— le 4 septembre, Festival Richard Strauss, sous la direction du compositeur.
Madrid. — La dernière saison de concerts (1905-1906) de la Société Philharmo-
nique Madrilène aura été des plus brillantes. On sait que cette Société, fondée il y a
cinq ans, donne chaque saison un certain nombre de séances consacrées surtout à la
musique de chambre et dont les programmes, composés avec le plus grand soin, ont un
caractère nettement artistique. Les plus grands virtuoses s'y sont fait entendre. Notons,
sur les programmes de l'année dernière, les noms de Mme Wanda Landowska (oeuvres
de clavecin et piano de Couperin, Byrd, etc., et Bach); Mlle Maria Gay, Mlle Louise
Ritter (Bach, Schumann, Schubert), le Quatuor Hayot (quatuor de Brahms, Debussy,
Franck, Saint-Saëns), le Quatuor Hermann, Edouard Risler, Hekking, Froelich, Pugno
et Ysaye. .
A propos des orgues d'église et de salon
On a pu redouter que l'application d'une loi récente n'a£fectât gravement un art
qui intéresse tout particulièrement la musique et où nous avons eu longtemps le pri-
vilège d'exceller, je veux parler de la lacture d'orgues. Nous avons esquisse ici-même,
il y a quelques années, une histoire <le l'orgue et nous avons montré comment, grâce
au génie d'un Cavaillé-Coll, il s'est après plusieurs siècles de servitude et de balbutie-
ments, miraculeusement guéri de ses infirmités et de ses tares, et adapté à toutes les
exigences de l'art moderne pour devenir le plus merveilleux des instruments. C'est
pour la gloire de nos églises, pour St-Denis première étape de cette conquête, pour
St-Sulpice ou pour Notre-Dame que cette révolution s'est faite et c'est là que nous
allons encore nous racheter du délicieux péché debussyste en écoutant la prédication
de Bach. Il est à craindre, semble-t-il, que l'orgue ne pâtisse de l'indigence des fabriques
et avec l'orgue toute la musique, car depuis quelques années, un essaim « bourdon-
nant «de jeunes organistes instruits par nos maîtres, allait s'abattre sur nos plus loin-
taines provinces et purifier les moindres paroisses du magister mélomane ou de la
chanoinesse en mal de liturgie. Est-il donc inévitable que la facture d'orgue périclite
et meure, et n'y a-t-il point pour elle de salut hors de l'Eglise ? Nous avons posé la
question à celui qui était le mieux qualifié pour la résoudre, à M. Mutin, successeur et
interprète fidèle des desseins de Cavaillé-Coll, qui avait mis une première fois trè
gracieusement ses archives et ses documents les plus instructifs à la disposition du
Courrier. Nous verrons, en quelques rapides études, comment la facture d'orgue s'oriente
vers un but différent, vers l'orgue de ^alon qui se pare, en se sécularisant, de jeux
inconnus, qui devient plus séduisant, plus élégant, plus raffiné, qui tente de rivaliser
avec l'orchestre et de lui dérober subtilement le coloris et la richesse de ses timbres,
entreprise téméraire pour qui ne connaît pas l'adresse et l'ingéniosité de nos organiers,
mais féconde en réalité, et qui obligera les constructeurs à créer des types nouveaux
pour les besoins nouveaux et marquera peut-être pour l'orgue au sortir de sa métamor-
phose la date d'une autre renaissance. P. L.
BIBLIOGRAPHIE
Schumann, par Camille Mauclair (i)
Quelle figure de musicien peut, plus que celle de Robert Schumann, être chère au
poète, tel que nous le concevons surtout aujourd'hui en nos âmes en défiance du ro-
mantisme, c'est-à-dire à celui qui ressent, à celui qu'émeut le spectacle des choses et le
(i) H. Laurens, éditeur.
- 488 -
sentiment de soi-même et qui veut les confesser sans emphase ni grandiloquence, mais
dans la simplicité douce ou déchirante de son cœur d'homme enivré de joie ou meurtri.
Il semble même qu'il n'appartienne vraiment qu'à un poète d'en parler avec une
exacte mesure : nous pouvons entrer sans guide dans l'édifice beethovenien ou le
théâtre wagnérien et nous serons saisis dès l'abord par la majesté de leur architecture
qui nous invitera d'elle-même à la considérer chaque jour davantage : sans effort, César
Franck nous entraînera vers les puretés qui nous sembleraient inaccessibles s'il n'était
venu vers nous : mais Schumann ? il ne vient pas vers nous ni ne nous attire par la
majesté grandiose ou par quelque enthousiaste douceur. Un homme est là, seul, dans
cette chambre où se limite son univers, les fenêtres sont ouvertes par où son regard
contemple par moments le soir d'orage ou le ciel clair, nul appel qui nous avertisse : si
nous ne sommes prévenus peut-être passerons-nous devant la porte de cette pièce où
rêve et se confesse la plus admirable simplicité du tragique quotidien : si nous ou-
vrons la porte d'un geste brusque, nous ne verrons que l'éclat brutal que donne aux ob-
jets une trop vive lumière.
Mais si, l'ignorant même, nous avons présenté ce qu'est une âme de poète et de
musicien tout ensemble, si nous en avons cherché le secret non point en de hâtives
indiscrétions, mais dans la profondeur religieuse de nos cœurs inquiets, alors nous en-
trerons dans cette chambre d'un pas assez discret pour n'en rien heurter et pour qu'ap-
paraisse à notre regard le spectacle familier et touchant d'une intimité qui devient
nôtre. Mais qui, mieux qu'un poète alors, pourra nous expliquer l'âme des moindres
objets, qui donnent à cette pièce son caractère et dont il semble que l'omission d'un
seul diminuerait l'harmonie entière. Les poètes ont pour toucher les cœurs des gestes
d'une infinie délicatesse, ils savent mieux que d'autres, pour en être infiniment
obsédés, que l'éphémère est l'unique loi, qu'un moindre heurt a des répercussions
incalculables et déterminent d'incomparables brisures : ils savent en détailler sans
lassitude les minutieuses voluptés, en évoquer sans banalité les éternels aspects, en
déterminer avec douceur des analogies inouïes.
Ainsi Camille Mauclair avec une ferveur précautionneuse nous conduit vers Robert
Schumann.
Il n'a pas certes, dans cet ouvrage, fixé en tous ses aspects, cette intéressante figure :
Je pense qu'il faut en rejeter la faute sur les obligations d'un volume dont l'étendue
demeure limitée aux exigences d'une série : mais Camille Mauclair dès longtemps aime
passionnément Schumann ; on en trouve l'allusion en maint ouvrage, jusqu'à la dédi-
cace de son admirable volume de poèmes Le Sang Parle, qui en est un noble et recon-
naissant aveu : nulle page de ce volume sur Schumann où ne se décèle la vénération
pieuse de l'auteur du Soleil des Morts pour le musicien de Faust.
Les ouvrages que nous avons en France sur l'adorable musicien sont rares, hormis
une plaquette de Léonce Mesnard, l'ouvrage de M. Schneider et le petit volume d'une
si haute élévation que Mme Marguerite d'Albert consacrait récemment à l'œuvre de
piano. Je ne sache pas que les autres exprimassent convenablement l'essence de la
sensibilité schumannisme ; à défaut d'être absolument complet, l'ouvrage de Camille
Mauclair offre du moins le mérite d'être l'étude minutieuse et juste d'une sensibilité
musicale.
Certaines pages sont parfaites, celles sur le Faust notamment; on regrette que le
commentaire de l'œuvre orchestrale ne soit pas plus étendu, ni plus précis celui de
l'œuvre pour piano, qui contient cependant de belles pages, celles entre autres qui parut
ici même (i) mais inévitablement il y a là des pages que nul autre peut-être mieux que
Camille Mauclair n'eût su écrire, ce sont celles qui traitent des Lieder : là, c'est vrai-
ment le commentaire du poète, dont je parlai au début, un écho de confidence où l'é-
motion invinciblement perce à chaque mot, et là se dénoncent, une fois de plus la déli-
catesse et la puissance d'un écrivain dant la précieuse collaboration en cette revue a dit,
mieux qui je ne le saurais faire, la noble et attirante personnalité.
Juin 1906. G. Jean Aubry.
Cf. n* du 15 «vril dernier.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
Parts-Thouars, Imprimerie Nouvelle
ff'fp-^ '
"~ " ••"•'• '- "
TlAHOS* A (S^SUfi ^ 7lAnO^ DROITS
à Grarjd Cadre cri fer d'une seule Pièce et Cordes croisées
PIANOS MUSTEL
Factiare eaccl\isivem.ent A.artisticj\i©
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fjaririoTîisatioT^, Orchestration; *irrarjgernent de toutes œuvres pour piarjo,
fiarrnonie, Ûrcl^estre syn^pî^onique, etc. Gravure et Edition
Examen et correction de toutes compositions musicales. — Conseils aux débutants et
consultations teclmiques
L'Institut Musical de France, qui compte parmi ses Collaborateurs les Professeurs et les
Compositeurs les plus éminents, tous diplômés du Conservatoire, se charge de tous les
travaux qui lui sont transmis de Paris, de la Province et de l'Etranger. Son organisation
technique lui permet de traiter toutes les questions se rapportant à l'Art Musical.
9e Année, N» 15, i^' Août 1906.
Directeur: Albert DIOT
Secrétaire de la Rédaction : René DOIRE
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Um Virtuose ouBLré :
Louis-Gabriel Guilhmain
{ijo^-iy-jo) L. de la Laurencie
Les Concours ou Conser-
vatoire :
Cbant, Opéra, Opéra-
Comique Victor Debay
Harpes, "Piano Paul Locard
f^ioioH 6. Chinard
Alto, yioloncelle. Con-
trebasse E. Schneider
Instruments à yent G, ROUChès
Echos et Nouvelles Diverses.
Bibliographie L. de la Laurencîe
Administration et Rédaction : Le Directeur et le Secrétaire de U
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^ ' et Samedi, de /o heures a. midi.
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9" ANNEE. N» 1 5. i«' AOUT 1906
Le Courrier Musical
SOMMAIRE. — Un virtuose oublié : Louis-Gabriel Guillemain (ijo^-iy-jo) (Lionel
DE LA Laurencie). — Les Concours du Conservatoire : Chant, Opéra, Opéra-Comi-
que (Victor Debay) ; Harpes, Tiano (Paul Locard) ; Violon (G. Chinard) ; iAlto,
Violoncelle Contrebasse (E. Schneider) ; Instruments à Vent (Ronchés). — Echos et
Nouvelles diverses. — Bibliographie (L. de la Laurencie).
Le prochain miméro dit Courrier VlMsicdl paraîtra le 25 Août,
et le numéro suivant le Ib Septembre.
Un virtuose oublié
Louîs-Qabrîel Guillemain
(1705-1770)
1
Le premier octobre 1770, on enterrait à Chaville, où il venait de se suicider, un
violoniste qui, pendant près de 40 ans, avait joui d'une grande réputation, tant à
Paris qu'en province, Louis-Gabriel Guillemain. Ce malheureux s'était acharné contre
lui-même avec une véritable rage, puisque son cadavre ne portait pas moins de quatorze
coups de couteau, et l'inhumation s'effectuait le jour même du suicide, en présence
du chanteur Bêche, de la musique du roi, et de Jean Bellocq, garçon de cette mu-
sique (i).
11 y a lieu de supposer qu'on fit le silence sur la mort de Guillemain, et sur les
{x) L'acte d'inhumation de Guillemain se trouve aux archives du greffe du tribunal civil de Versailles.
(Registre des actes de baptême, mariage et sépulture. Paroisse de Chaville (1770) ; « L'an mil sept cent
soixante-dix, le premier jour d'octobre^ a été inhumé le corps de Louis (X) Gabriel Guillemain, ordinaire
de la maison du Roy, décédé d'aujourd'huy en ce lieu, âgé d'environ soixante-cinq ans, demeurant à Ver-
sailles, rue Royale, paroisse de St-Louis ; présens Marc-François Bêche, ordinaire de la musique du Roy,
Jean Bellocq, garçon de la musique du Roy, demeurants tous deux à Versailles, lesquels ont signé avec
nous, (X) approuvé un mot rayé ; Signé : Bêche, Bellocq, du Tilloy, curé. » On remarquera que le premier
prénom de Guillemain, Louis, a été supprimé sur cet acte. 11 s'appelait bien Louis-Gabriel ; le privilège de
1734 dont nous parlons plus loin, le désigne effectivement sous ce double prénom, et il signe la dédicace
de son premier livre de sonates : L.-G. Guillemain.
Nous exprimons ici toute notre reconnaissance à M. Couard, archiviste de Seine-et-Oise et à
M. Michel Brenet, pour l'obligeance avec laquelle ils nous ont secondé dans nos recherches sur
Guillemain.
— 490 —
circonstances dans lesquelles il mit fin à ses jours ; on attribua son suicide à un
accès de folie furieuse, et la hâte avec laquelle les amis du musicien procédèrent à son
enterrement, vient, d'ailleurs, à l'appui de cette hypothèse (i).
C'est elle qu'a recueillie La Borde qui attribue le drame de Chaville à ce que
Guillemain avait « la tête dérangée » (2), mais Bachaumont, plus explicite, indique la
raison du désespoir du pauvre artiste ; « fort arriéré dans ses affaires et ne pouvant
toucher d'argent ». (3). En proie à d'inextricables embarras d'argent, traqué par ses
créanciers, incapable de faire face à ses engagements Guillemain se trouva acculé
au suicide. Les notes qui suivent confirment pleinement les explications de Bachau-
mont.
Luynes rapporte dans ses Mémoires que Guillemain naquit à Paris en 1705, le 15
novembre, précisent les historiens de la musique. 11 aurait été élevé chez le comte de
Rochechouart qui, lui voyant des dispositions pour le violon, lui aurait fait donner
des leçons ; Guillemain se serait rendu en Italie et aurait pendant longtemps travaillé
avec le fameux Somis, le maître de Leclair ; dès l'âge de 20 ans, en 1725, on le tenait
déjà pour un habile instrumentiste (4).
Il débuta dans la carrière artistique à Dijon, où une Académie de musique, fondée
depuis 1725, donnait des concerts au «Logis du Roi », dans l'hôtel du gouverneur.
Guillemain succédait là à deux violonistes qu'il ne devait pas tarder à faire oublier
Lacombe et Isnard (5).
Un privilège sur parchemin, daté de Versailles, le 29 mars 1734, corrobore les
renseignements ci-dessus que nous empruntons au mémorialiste bourguignon Lantin
de Damerey.
Il est accordé, en effet, « au sieur Guillemain, premier violon de notre Académie
royale de notre ville de Dijon, qui s'est appliqué depuis plusieurs années à composer
plusieurs sonates et autres pièces de musique instrumentale pour le violon » (6).
Dijon, ville parlementaire et lettrée, comptait alors nombre de salons où la mu-
sique recevait un culte assidu, et la fondation de l'Académie prouvait l'activité des
mélomanes bourguignons. Parmi ceux-ci, un président à mortier du Parlement, M.
Chartraire de Bourbonne, jouait du violon et portait à Guillemain un vif intérêt. La
dédicace de la première œuvre de notre musicien qui remonte à 1734 et qui fut
imprimée à Dijon, est adressée au président violoniste (7). Il est probable que les
œuvres II et 111 appartiennent à la période dijonnaise de la vie de Guillemain, car ni
l'une ni l'autre ne mentionnent la qualité « d'ordinaire de la musique du Roi »
que le violoniste prend par la suite, et l'œuvre III est encore dédiée à M. Char-
traire.
Le bruit des succès que Guillemain remportait en Bourgogne parvint jusqu'à
(1) La série B. des archives de Seine-et-Oise ne contient pas de dossiers concernant le xvin" siècle pour
Viroflay-Chaville (Bailliage ou Prévôté, Police). Les liasses de l'année 1770 contenues dans le fonds de
la Prévôté de l'Hôtel et du Bailliage royal de Versailles sont muettes à l'égard de la mort de
Guillemain.
(2) La Borde. Essai sur la Musique, III, p. 513.
(3) Bachaumont. Mémoires V. p. 200 C5 octobre 1770).
{4) Luynes. Mémoires, II, p. 109 (avril 1748).
(5) L«5 Deux Bourgognes, Dijon, 1858, VIII, p. 56 (Extrait du journal de M. Lantin de Damerey).
(6) Arch. dép. de Seine-et-Oise. E. 1189. — Ce privilège porte le n" 2251 et figure à la fin de
l'œuvre 1.
(7) Ce livre de sonates a la cote Vm' 765 à la Bib. nat. Le protecteur de Guillemain était Gabriel-
Bénigne de Chartraire, marquis de Bourbonne, président à mortier au Parlement de Dijon ; il épousa en
1737 Jeanne Guillemette Bouhier, fille du célèbre érudit le président Jean Bouhier. — La Chenaye Des
Bois. V. p. 224.
— 49' —
Paris, et. en 1737, le violoniste s'acheminait vers la capitale; la musique du roi ne
devait pas tarder â l'accueillir parmi ses membres.
On n'est pas fixé de façon très exacte sur la date de son entrée dans ce corps de
musique. Alors que Luynes, généralement bien renseigné en la matière, annonce en
avril 1738, que Guillemain « vient d'être reçu à la Chapelle et à la Chambre » (i), un
document d'archives place cette réception en 1737 (2). Toujours est-il que le violo-
niste se trouvait en service pendant le premier semestre de i'année 1738, où il rece-
vait, pour cinq concerts, le même salaire que le célèbre Guignon, à savoir 30 livres (3).
« 11 est venu, continue Luynes, au point d'être le premier après Guignon, et dans le
même genre; on lui donne 1,500 livres à la Chapelle ; il a, outre cela, 600 livres pour
la Chambre. » (4).
En décembre de cette même année 1738, Guignon et Guillemain jouent ensem-
ble (5) et les comptes de la maison du roi montrent que les deux violonistes touchaient
la même somme, 576 livres, pour les 96 concerts'auxquels ils participaient à la cour (6).
Aussitôt nommé à la musique royale, Guillemain s'installe à Versailles où il va
habiter hôtel de Gamaches, dans l'avenue de Saint-Cloud (7).
Les archives départementales de Seine-et-Oise conservent, sous la cote Ei 189, un
dossier composé de 28 pièces qui, pour la plupart, jettent une vive lumière sur la vie
de Guillemain ; un certain nombre de mémoires de fournisseurs, de quittances de
loyer, de lettres, etc,, viennent souligner la mauvaise économie domestique du musi-
cien, et de ces documents encore inédits se dégage l'impression que Guillemain
fut toujours mal dans ses affaires. Ainsi s'explique, par mille détails en apparence bien
minimes, comment Guillemain, dont le caractère était du reste sombre et mélancolique,
fut poussé à se donner la mort dans les conditions particulièrement tragiques que nous
avons relatées.
Dès son arrivée à Versailles, il charge le tapissier Dubut de lui meubler son ap-
partement et ses commandes témoignent bien clairement de son peu de circonspec-
tion ; il ne regarde point à la dépense, quitte à se trouver généralement fort dépourvu
lorsque sonne l'heure du règlement. Sa passion pour les tapisseries l'entraîne à des
frais vraiment excessifs. Dubut lui fournit des pièces de tapisserie de Bergame, cinq
pièces de tapisserie de point de Hongrie, dix-sept aulnes et demie de tapisserie de ver-
dure d'Aubusson. Guillemain avait même commandé vingt-six aulnes de tapisserie des
Flandres, mais l'élévation du prix de ces tentures, 850 livres, l'oblige, par la suite, à
y renoncer. Le voici qui achète d'occasion un «soffa » de bois à la capucine recouvert
de %-elours d'Utrecht, puis six bois de fauteuils qu'il fait garnir de même, à raison de
266 livres les six fauteuils, et encore une attique, des bras de cheminée, etc. Quand
Dubut présente sa facture, l'infortuné « ordinaire de la musique » discute, combat
âprement afin d'obtenir des rabais, et prend tant bien que mal des arrangements avec
son fournisseur. Bref, on le sent gêné, à la recherche d'atermoiements, sans cesse
préoccupé de la façon dont il parviendra à s'acquitter de ses dettes (9).
(i) LMynes. Mémoires, II. p. 109. Vidal ; Les Instruments à archet U, p. 285.
(2) « Le S' Guillemain, reçu en l'année 1737, musicien ordinaire de la chapelle et chambre du Roi».
Arch. nat. Pens. Oi 6773.
(3) Arch. nat. O I 2862, f 211-212,
(4). Luynes. Loc. cit.
(5) Luynes. II, p. 297.
(6) Arch. nat. O I 2862, f* 284. Cette rémunération s'élevait à 6 livres par concert.
(7) L'hôtel de Gamaches, qui porte le n* 28 de l'avenue de Saint-Cloud, était sous Louis XIV l'hôtel
du maréchal de Catinat ; il devint plus tard l'hôtel de Gamaches. Histoire de (Versailles, de ses rues, places
et avenues, par J. A. Le Roi. Versailles. I. p. 352.
(9) E. 1189. Mémoire du 23 juin 1738 pour M. Guillemain, officier de la musique du Roy, des
Ouvrages faits et fournis par Dubut, tapissier à Versailles. Mémoire du même du 23 janvier 1740.
— 492 —
Sa situation à la musique royale le mettait en relations avec tous les amateurs de
haute lignée qui fréquentaient à la cour. En 1745, il dédie au duc de Chartres (i) des
« Sonates en quatuor » qu'il a composées tout exprès pour les concerts de ce prince.
Quatre ans plus tard, nous le voyons figurer en qualité de deuxième dessus de violon dans
l'orchestre du Théâtre des Petits-Cabinets, qui se composait, comme on sait, d'ama-
teurs et de professionnels. En 1 747-1 748, Guillemain s'y trouve en compagnie d'un
porte-manteau du roi, M. de Çourtaumer, de MM. Fauchet et Belleville ; pendant la
campagne suivante (1748- 1750), la petite troupe est renforcée de deux professionnels,
les sieurs Marchand et Caraffe l'aîné (2). Assisté de Mondonville, il joue plusieurs
petits airs doublés, triplés et brodés avec tout l'art possible. «Ces duos, ajoute Luynes,
qui sont d'une exécution très difficile, sont de la composition de Guillemain » (3).
Quelques mois après, le 12 décembre 1748, au même Théâtre des Petits Cabinets, on
représente une pantomime dont la musique sort de sa plume, et dont les danses sont
confiées à Dehesse et au marquis de Courtenvaux, ce capitaine-colonel des Cent-
Suisses dont les mérites chorégraphiques .étaient fort appréciés. Voici comment
Luynes rend compte de la pantomime en question : Le théâtre représente une espèce
de foire chinoise. Les habillements sont fort agréables, les danses fort vives et bien
diversifiées. On fut assez étonné de voir arriver deux chaises à porteurs sur le théâtre;
dans l'une était Dehesse lui-même, et dans l'autre une de ces petites danseuses de ces
ballets, qu'on appelle Camille » (4). Après la pantomime chinoise de 1748, Guille-
main compose en 1749, la musique du Divertissement de la Cabale, comédie épiso-
dique de Saint-Foix, qui remporte le succès le plus vif (5), puis avec une extrême
fécondité, il entasse œuvres sur œuvres. Ses dédicaces s'adressent généralement à de
grands seigneurs qui collaboraient à l'entreprise dramatique et lyrique de Mme de
Pompadour. La marquise elle-même reçoit l'hommage de l'œuvre XV : Divertissements
de symphonie en trio. Le duc d'Ayen qui chantait très agréablement (6), le marquis de
Sourches, grand prévôt de l'Hôtel, dont le talent musical s'exprimait avec autant de
bonheur sur la viole et par le chant (7), voient leurs noms inscrits en tête de composi-
tions instrumentales de notre violoniste.
Tant de services rendus par Guillemain à la cour et à la favorite appelaient une
récompense, et par brevet du 14 juin 1750, Louis XV accordait au brillant vir-
tuose une pension de 500 livres (8). Pareille aubaine venait fort à propos, car la posi-
tion du musicien demeuraittoujours très précaire, et ses dettes ne cessaient de s'accu-
muler. C'est péniblement qu'il parvient, en 1750, à solder un compte de pharmacie de
67 livres que lui présente un apothicaire versaillais répondant au nom sédatif de La
Bonté. Guillemain paie par petits acomptes, douloureusement arrachés de 30, 15 et
22 livres (9).
Sa réputation artistique valait mieux que sa réputation financière, et son nom
s'associe aux triomphes de tous les virtuoses alors à la mode. Lors du déplacement
(1) Le duc d'Orléans, alors duc de Chartres fut fort remarqué aux Petits Cabinets en 1747 dans l'En-
fant prodigue de Voltaire. Campardon : Madame de Pompadour et la Cour de Louis XV, p. 85.
(2) A. Jullien : La Comédie à la Cour, p. 244. C'était François Rebel qui battait la mesure à l'or-
chestre.
(3) Luynes. Mémoires. IX. p. 9 (avril 1748).
(4) Luynes. id. IX. pp. 152-153. Dehesse appartenait à la Comédie italienne et était très renommé
pour son talent de danseur,
(5). Clément et l'abbé de la Porte. Anecdotes dramatiques. I. pp. 163-164.
(6) Guillemain a dédié son œuvre VII au duc d'Ayen.
(l) Jullien. Loc, cit. p. 207, et Luynes. Mémoires. Guillemain lui a dédié son œuvre XL
(8) Arch. nat. Ol, 94, f" 132. Brevet daté de Compiègne.
(9) Arch, dép, Seinc-et-Oise, E. I189.
— 495 —
de la Cour à Fontainebleau, en 1752, Guillemain accompagne, à un concert donné
pendant le souper de Louis XV, le célèbre bassonniste du roi de Sardaigne, de Laval,
auquel Guignon, Marchand, et le violoncelliste Chrétien prêtent aussi leur collabora-
tion (i). Mais les applaudissements royaux ne pouvaient lui faire oublier ses créan-
ciers, et en particulier Dubut, le tapissier aux tyranniques factures. Le 30 janvier
1752, Guillemain se voit en présence d'un mémoire de 1.680 livres qu'il règle labo-
rieusement, à raison de 300 livres en espèces, 103 livres en marchandises, et le reste
en billets.
Lorsque quelques années plus tard, en 1757, il épouse Catherine Lan-
glois, sa gestion ne semble pas devoir s'améliorer. Catherine Langlois, vieille fille de
42 ans (2), demeurait à Paris, rue de Seine, à l'hôtel d'Espagne ; le 28 novembre 1757,
elle se déclare obligée de vendre ses meubles, «étant mariée depuis peu» et ne pouvant
transporter à Versailles son modeste mobilier, parce que le logement de son mari
est trop exigu pour lui donner asile (3). Nous savons, en effet, que l'appartement de
l'avenue ds Saint-Cloud ne comprenait que trois chambres (4). Voilà donc Catherine
Langlois qui vend à la criée, et pour une piètre somme de 605 livres, les quelques
meubles qu'elle possède ; cela n'empêche pas Guillemain d'acheter, le 31 mars suivant,
un lit et un tableau provenant de la succession de son propriétaire, le marquis de
Gamaches, acquisition pour laquelle il verse une somme de 275 livres, bien dispro-
portionnée avec ses moyens (5).
A partir de 1759, Guillemain déménage et vient habiter chez un sieur Bourdon
qui lui loue, moyennant 87 livres 10 sols par quartier, un appartement dont nous pos-
sédons les quittances jusqu'en 1762. Or, de l'examen de ces quittances qui men-
tionnent toutes pour quels quartiers elles sont données, résulte cette constatation que
Guillemain est toujours en retard dans le payement de son loyer. Il a, en moyenne,
six mois de retard à chaque terme, et doit se considérer comme heureux de traiter avec
un logeur accommodant (6).
11 n'est pas jusqu'aux menus comptes du ménage qui ne fournissent la preuve de
on incurable désordre. Sur des mémoires relatifs à des livraisons de bois, d'huile, de
chandelle, etc., on relève toujours et partout des traces évidentes de la gêne du musi-
cien ; calculs établis fébrilement et sans cesse recommencés, établissement d'à-comptes,
report de dettes, etc. (7).
Du reste, le placet suivant qu'il adresse, en 1766, au contrôleur général de la
Maison du Roi, souligne encore sa triste situation :
« Monsieur,
« Guillemain, premier violon du Roy Et le plus ancien Simphoniste de La musique
de Sa Majesté, prens la Libériez D'avoir Recours Encore une fois à vos Bontés, pour
(') Lettre de Marchand datée de Fontainebleau, du il octobre 1752. Luynes, Mémoires. XII, p. 168.
(2) Elle était née le 13 janvier 1715, à Paris ; son acte de naissance et de baptême figure au dossier
de sa pension. Arch. nat. O 1. 677 3. Catherine Langlois était la deuxième femme de Guillemain, car
deux pièces du dossier E 1189, auquel nous avons fait tant d'emprunts, indiquent qu'il était marié en
1 742-1 750. Une de ces pièces est le mémoire La Bonté qui porte des remèdes fournis à Madame en 1749-
1750, et l'autre consiste en une facture du tonnelier Lhérault sur laquelle on lit ; « Madame Guillemain
m'a payé le dernier mémoire le deuxième jour de may 1750. » Guillemain avait 52 ans lorsqu'il épousa
Catherine Langlois.
(3) Procès-verbal de vente du 28 novembre 1757, E. 1189.
(4) Mémoire de Dubut, tapissier, de janvier 1740. Même dossier.
(5) Arch. dép. Seine-et-Oise ; même dossier.
(6) A l'hôtel de Gamaches, Guillemain payait 62 livres lo sols par quartier pour son loyer. Chez le
D'' Bourdon, son loyer est plus élevé et atteint 87 livres lo sols ; cela revenait donc à une dépense de
1.050 livres par an, dépense bien considérable pour la modeste bourse du musicien.
(7) Arch. de. Seine-et-Oise. Loc. cit.
— 494 —
Luy procurer quelque Grâce qui puisse Luy aider à arranger ses affaires. Vous Daî-
gnastes. Monsieur, l'honorer de vostre puissante protection auprès de Mgr le Comte de
Saint- Florentin, L'année dernière, qui Luy obtint du Roy 300 livres pour tout ; En
conséquence, le supliant Eut une ordonnance de 330 livres pour Gratifioation Extraor-
dinaire, Le 23° d'Aoust 1765 pour payer près de 6.000 Livres qu'il doit. La Bontez de
vostre cœur, Monsieur, parut sy touchez de son triste Etat Et D'un aussi faible Secours,
que vous voulustes bien Luy faire Espérer de faire continuer Chaque année cette petite
Somme Et Gratification Extraordinaire puisqu'il n'avoit pu Rien obtenir de plus.
Daignez, s'il vous plaît, permettre. Monsieur, que le Supliant ose prendre la Li-
berté De vous rappeler les Espérances qu'il vous a plut Luy Donner à cet égard ; Voicy
la 29" année Du service Le plus exact. Il ne fonde sa récompense, Monsieur, que sur
vostregénéreuse protection Et sur son zèle à Remplir ses Devoirs Depuis 29 ans : trop
heureux si vous voulez bien l'honorer d'un Regard Digne de Vos Boatées et de la Justice
que vous aimez à rendre à tous les Bons Serviteurs du Roy ». (i).
Nous ne savons si le « suppliant » reçut satisfaction, et si la faveur royale vint
adoucir un peu l'amertume de son existence. En 1760, Guillemain était pourtant le
plus payé des symphonistes de la Chapelle et, les états de paiement de cette année
portent en regard de son nom une somme de 1.650 livres, alors que Guignon ne
touche que 1.350 livres (2). Il est clair que s'il devait 6.000 livres en 1766, ses appoin-
tements et les gratifications qu'on lui allouait et dont le montant ne dépassait guère
3.000 livres, le laissaient dans une situation sans issue.
Dans une autre lettre autographe qui ne porte pas de date, mais qui parait bien
remonter à la même époque, il demande qu'on lui retienne sur deux de ses
quartiers d'appointements, une somme qu'il doit à un sieur Berteville (3).
Puis, voici le perruquier qui arrive à la rescousse. Guillemain établit son compte
depuis la fin de novembre 1762 jusqu'en mai 1770, d'où il résulte que cet artiste
capillaire reçoit une rémunération mensuelle de 4 livres. Mais que de perruques en
retard, livrées et non réglées ! En 1769, en dépit d'acomptes accumulés, le pauvre
violoniste doit encore pour 8b livres de perruques ! (4)
Est-ce pour trouver une diversion à ses ennuis qu'il s'adonnait à la boisson ? On
serait tenté de le croire à l'examen d'un mémoire concernant une fourniture d'eau-de-
vie qui semble bien suspecte. En neuf jours (du i^"" au 10 septembre), Guillemain ne
consomme pas moins, en effet, de six bouteilles d'eau-de-vie(5^. Les plus indulgents
trouveront sans doute que c'est là une ration anormale.
Misanthrope, d'une timidité excessive (on raconte qu'il ne put jamais se décider
à jouer au Concert spirituel), neurasthénique et probablement alcoolique, Guillemain,
torturé sans relâche par des besoins d'argent, et incapable d'arriver à équilibrer son
budget, courait à la catastrophe finale. Cette catastrophe devait fatalement se produire
et les longs déboires de l'artiste aussi bien que sa mentalité maladive suffisent à l'ex-
pliquer. Nous savons aussi que la situation du Trésor était particulièrement obérée
aux environs de 1770, et que le service des pensions s'en ressentait. Les seuls docu-
ments ou peu s'en faut, que nous possédions sur Guillemain consistent en factures
et en demandes d'argent, résumant ainsi toute une vie de gêne et d'expédients.
Sa veuve, Catherine Langlois, reçut en novembre 1770 une pension de 600 livres
« en considération des services de son mari. (Elle n'entra en jouissance de cette pen-
(1) Arch. dép. de Seine-et-Oise. E. I189. Placet adressé à M. Mesnard.
(2) Arch. nat., 17 mars 1760. O i, 842 i.
(5) Lettre autographe sans date. E. 1189. Loc. cit.
(4) Compte du perruquier, même dossier.
(5) Fourniture d'eau-de-vie, même dossier. Le mémoire s'élève à 16 livres.
— 495 —
sion qu'en 1772) (i), et figure jusqu'en 1779 sur les états de vétérance de la musique
du roi (2).
II
Guillemain fut un musicien fécond et un virtuose éminent. C'est ce que nous
allons constater maintenant en étudiant quelques-unes de ses compositions les plus
caractéristiques.
Son œuvre est considérable ; il ne comprend pas moins de 18 numéros, en outre
des 2 Divertissements que nous avons signalés précédemment. Nous en donnons ci-
après la liste telle que nous avons pu l'établir jusqu'à présent, en nous aidant des
anciens catalogues de Leclerc et des catalogues modernes de musique instrumentale
publiés par Liepmannssohn à Berlin ; on va voir qu'elle renferme malheureusement
deux lacunes : (3).
Œuv. I. — i" Livre de Sojidtes à violon seul et la basse, (ij ^4). {h. ^i. y m' , 765).
Œuv. IL — 12 Sonates en Trio pour les violons et les flûtes, avec basse. (S. d.)
(Bib. du Conservatoire.)
Œuv, III. — 2^ Livre de Sonates a violon seul et B. C. (S. d.)
Œuv. IV. — Sonates en Duo pour violons et flûtes sans basse, (i®' livre).
Œuv. V. - — 2^ Livres de Sonates en Duo. (S, d.) (B. n. Vm', 851).
Œuv. VI. — 6 Symphonies dans le goîit italien, en trio (S. d.). (Bib. Cons.)
Œuv. Vil. — 6 Concertinos à 4 parties. 'S. d.). (Bib. de M. Ecorcheville.)
Œuv. VIII. — Premier amusetnent à la mode pour 2 violons ou flûtes et la basse
(S. d.) (Bib. Cons.)
Œuv. IX. — Pièces pour 2 vielles, 2 musettes, flûtes ou violons.
Œuv. X. — Sonates en Trio pour les violons ou les flûtes avec basse (2° livre).
Œuv. XL — f- Livre de Sonate'^ à violon seul et B. c. (S. d.)
Œuv. XII. — 6 Sonates en quatuor ou Conversations galantes ou amusantes
entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la
B. C. (1743). (Bib de M. Ecorcheville.)
Œuv. XIII. — Pièces de Clavecin en Sonates avec accompagnement de violon (S.d.)
(B. n. Vm'', 1894 Us et Conserv.)
Œuv. XIV. — 2^ Livre de symphonies dans le goût italien en trio (S. d.), (Bib.
Cens.).
Œuv. XV. — Divertissements de symphonie en trio (S. d.), (Bib. Cons.).
Œuv. XVIII. — Amusement pour le violon seul composé de plusieurs airs variés
de différents auteurs, avec 12 caprices (S. d.)
(Bib. de M. Ecorcheville) (4).
On remarque que de ces diverses œuvres, deux seulement sont datées, l'œuv. I et
l'œuv. XII. Le Mercure de juin 1753 annonce « une Symphonie » de M. Guillemain,
(i) Arch. Nat. Pensions Oi 6773. La pension fut accordée sur les menus plaisirs.
(2) Ibid Oi 8425.
(^) En comparant ce catalogue avec celui que donne R. Eitner dans son Quellen-Lexikon, (W. p. 422),
on constate combien celui-ci est incomplet. 11 n'indique, en effet, que 4 œuvres de Guillemain. Nous
avons mentionné les dépôts publics et particuliers où on peut trouver des compositions de Guillemain ;
lorsque la mention du dépôt manque, c'est que l'œuvre a été repérée sur les catalogues de Leclerc ou de
Liepmannssohn.
(4) Les œuvres XVI et XVII manquent ; nous n'avons pu, jusqu'à ce jour, les retreuver. Fétis leur
attribue les dates de 1757 et de 1759.
— 49<5 —
qui pourrait bien être une des Symphonies dans le goût italien du deuxième Livre
(œuv. XIV), mais ce n'est là qu'une simple hypothèse (i).
Le cadre de cette étude ne nous permettant pas de nous étendre sur toutes les
compositions de Guillemain, nous nous bornerons à en faire remarquer la variété, et
à attirer l'attention sur quatre d'entre elles, en raison de l'intérêt spécial qu'elles pré-
sentent, Il s'agit des oeuvres I, XII, XIII et XVIII.
Le premier livre de Sonates à violon seul et la basse (12 sonates) révèle déjà une
étonnante virtuosité et de sérieuses qualités de rythmique. La figuration, surtout dans
les mouvements vifs, y affecte une grande diversité et une extrême complication ; de
plus, l'auteur pratique l'ornementation des mouvements lents et pousse parfois celle-ci
jusqu'à la minutie, On ne peut que souscrire au jugement fort avisé de Luynes qui
parlait de ses « airs doublés, triplés et brodés avec tout l'art possible ». Telle est bien
l'impression que produit cette musique ajourée, sculptée, semée de traits, d'arpèges,
de doubles, de trilles, d'ornements de toute nature. II y a lieu cependant de remarquer
que Guillemain tire généralement son ornementation de la substance même de ses
thèmes et qu'il ne déforme pas ceux-ci en'les couvrant de broderies. Lorsque ses ada-
gios deviennent des sortes de « points d'orgue mesurés », la ligne mélodique se
conserve dans son intégrité, et il ne lui arrive point de s'altérer à en devenir mécon-
naissable comme dans les exemples que donne Cartier des diverses façons de varier
un adagio de Tartini (2).
Voici de quelle façon Guillemain ornera un thème d'adagio : (3^
Violoniste hardi, Guillemain aborde les positions élevées ; il écrit des traits comme
celui-ci : (4)
ou de vétilleux arpèges qui ne peuvent s'exécuter qu'à la 5* position : (5)
(i) Mercure, juin 1753, p. 164.
(2) Cartier, l'Jrt du violon. Dans le plus grand nombre des exemples donnés pgr Cartier, la ligne mé-
lodique est complètement noyée dans rornementation.
(3) adagio de la Sonate VI.
(4) allemande de la Sonate II (Allegro non presto).
(5^ Allegro de la Sonate XII.
— 497 —
Il y a dans l'Allemande de la sonate II (allegro non presto) des séries d'accords
plaqués de 3 notes, dont, en raison du mouvement, la réalisation est loin d'être facile.
Guillemain pratique fréquemment aussi le passage de cordes (Allegro en la mineur de
la sonate IV), se joue des doubles cordes et des doubles trilles, et si l'on réfléchit
qu'une semblable technique date de 1734, on comprendra aisément la surprise des
contemporains de notre violoniste en le voyant jongler avec de pareilles difficultés.
« Guillemain, déclare Ancelet, mérite d'être admis dans la classe des grands
violons ; il a une main prodigieuse, une habileté étonnante des difficultés qu'il a trop
souvent prodiguées dans ses premiers ouvrages » (i). De son côté Marpurg écrivait
en 1754: « Il ignore ce que c'est que la difficulté; ses compositions sont assez
bizarres et il travaille tous les jours à les rendre plus bizarres encore » (2).
Aussi Fétis observe-t-il justement « qu'il se distinguait surtout par la dextérité de
sa main gauche qui lui permettait de doigter des passages dont la difficulté rebutait
ses contemporains (3). Fort peu de violonistes en 1734, abstraction faite de Leclair,
eussent été à même d'aborder les sonates de Guillemain.
Si la main gauche de notre violoniste s'affirmait merveilleuse (il pratiquait très
facilement Yexiension du petit doigt), son archet devait être d'une extrême souplesse.
Nous en trouvons la preuve dans les nombreux traits en staccato dont il parsème ses
compositions, dans les passages sur deux cordes, qu'il exécute fréquemment et dans ses
dessins qui nécessitent le saut d'une ou de deux cordes, dessins analogues à ceux dont
Tartini recommande tout particulièrement l'étude à ceux qui désirent obtenir une par-
faite légèreté d'archet (4).
Les 6 sonates en quatuor qu'il a dédiées au duc de Chartres sont précédées d'un
intéressant avertissement qui montre que Guillemain désirait qu'on leur conservât un
caractère de musique de chambre, et qu'on ne les fit pas exécuter « à grande sym-
phonie. » La chose, d'ailleurs, eût été plutôt difficile, en raison de la médiocrité des
musiciens d'orchestre de ce temps, que les traits de la partie de violon en particulier,
eussent probablement fort embarrassés. Nous citons ci-après le texte de Guillemain
qui marque bien le style qu'on doit observer en jouant ses « quatuors ».
a J'ay cru ne pouvoir me dispenser d'avertir les personnes qui exécuteront les
quatuors que pour les rendre dans leur vray goût, il ne faut sur chaque partie qu'un
Instrument et même différent, afin que la propreté dont ils sont susceptibles soit mieux
entendue ; ne point trop presser les mouvements, surtout pour les Allégros, et jouer
les Arias sans lenteur ; observer aussi de ne pas forcer, afin que chaque instrument
puisse faire distinguer la délicatesse de son exécution ; si l'on veut se servir du
clavecin, il faut n'accompagner que sur le petit clavier, et plaquer les acqords à l'Ita-
lienne » (5).
Les « quatuors » avec clavecin, de Guillemain, sont donc bien des quatuors et
leur auteur indique avec précision la manière de les exécuter « dans leur vrai
goût » .
Les conseils donnés par le violoniste nous le font voir minutieux ^ fignoleur »,
plus préoccupé des effets individuels des concertants que de l'effet d'ensemble. Aussi
bien, ses « Sonates en quatuor » consistent-elles avant tout en Duos entre le violon
(i) Ancelet. Observations iur la. musique et les musiciens, p. i$.
(2^ Marpurg. Beitrœge I. pp. 770-471.
(3) Fétis. Biographie Universelle. IV, p. 159.
{4) Cette curieuse et instructive lettre est datée de Padoue, 6 mars 1760, et adressée par Tartini
son élève Maddalena Lombardini-Sirmen.
(5) Avertissement de l'œuvre XII.
— 49^ —
et la flûte, instruments solistes, que la basse de viole et le clavecin accompagnent dis-
crètement.
Dans les Pièces de Clavecin en Sonates, qu'il dédie à la marquise de Castries-
Talaru, son élève (i), Guillemain donne au contraire au violon un rôle secondaire à
l'exemple de ce qu'avait déjà fait Mondonville dans cet ordre d'idées. On sait, en
effet, que Mondonville, lors de son séjour à Lille, avait publié, vers 1735 des « pièces
de clavecin, avec accompagnement de violon » qui parurent à l'époque une grande
nouveauté, rompant avec la banalité de la Sonate de violon et basse continue (2J.
Ici, comme dans les compositions de l'auteur de Titan à V (Aurore, ce n'est point le
clavecin qui joue le rôle d'accompagnateur, mais bien le violon :
« Lorsque j'ai composé ces pièces en Sonates, écrit Guillemain, ma première idée
avait été de les laisser seulement pour clavecin sans y mettre d'accompagnement, ayant
remarqué souvent que le violon couvrait un peu trop, ce qui empêche que l'on ne
distingue le véritable sujet ; mais pour me conformer au goût d'à présent, j'ai cru ne
pouvoir me dispenser d'ajouter cette partie qui demande une grande douceur dans
l'exécution, afin de laisser au clavecin seul la facilité d'être entendu » (3).
Si ces « Pièces en Sonates » n'offrent pas un intérêt musical très considérable,
en raison du rôle effacé qu'y remplit le violon, occupé le plus souvent à doubler la
ligne mélodique confiée à la main droite, elles présentent cependant un tour gracieux
et alerte. Elles offrent surtout l'avantage de pouvoir être immédiatement exécutées,
puisqu'il n'y a pas lieu de procéder à leur égard à la réalisation de basse que nécessi-
tent les Sonates à violon seul et basse continue.
Enfin leur dédicace mérite de retenir un peu notre attention, car Guillemain s'y
abandonne à quelques déclarations esthétiques ; il affirme, en effet, que le véritable
succès d'une œuvre musicale résulte beaucoup plus « du goût que des règles » ; et
que le « charme qui fait la perfection de l'art échappe souvent aux auteurs les plus ins-
truits de l'art même ». (4)
Mais nous avons hâte d'en venir aux compositions où se révèlent les qualités les
plus caractéristiques de son talent de violoniste. Ces compositions constituent l'œuvre
XVIII et consistent en un Amusement pour violon seul, suivi à.Q Dou^e Caprices, écrits
également pour violon seul. Evidemment, Guillemain, de par sa virtuosité même, se
trouvait conduit à composer des œuvres destinées au seul violon ; cet instrument pos-
sédait entre ses mains tant de ressources, il se montrait susceptible d'une si grande va-
riété que le musicien ne put résister à la tentation de prouver qu'il savait se suffire à
lui-même. Il y avait certes des précédents en Italie et en Allemagne, mais en France,
la littérature du violon n'avait point été orientée dans le sens auquel songea
Guillemain. (5)
(i) Œuvre XllI.
(2) Ces c< Pièces de clavecin avec accompagnement de violon » sont l'œuvre lii de Mondonville qui les
dédia au duc de Boufllers.
(3) Avertissement de l'œuvre XIII.
(4) Dédicace de l'œuvre XllI adressée à la marquise de Castries-Talaru. On peut constater que, comme
presque tous les musiciens du xviir siècle, Guillemain, dans ses déclarations, ne s'attache qu'au succès et se
montre attentif à suivre le goût du public.
(5) L'abbé le fils (Joseph-Barnabe Saint-Séverin, dit L'abbé) né à Agen en 1727 et qui fut l'élève de
Leclair, a composé des pièces de violon qui rentrent dans la même esthétique que celle que Guillemain ap-
plique dans son Amusement. Ces pièces forment un recueil intitulé : Jolis Airs, ajustés et variés pour un
violon seul et dédié au Comte de Méry. La date en est inconnue et il est ainsi malaisé de savoir à qui, de
L'abbé ou de Guillemain, revient la priorité de la composition d'airs pour violon seul. L'abbé est beaucoup
moins virtuose que Guillemain.
— 499 —
L'Amusement qu'il dédie à M. de Bontemps (i) et qui paraît postérieur à 1760, se
compose d'un certain nombre d'airs de différents auteurs sur lesquels Guillemain a
épuisé son imagination, en les variant de toutes les façons possibles. En tête, nous
voyons la célèbre Fûrstemherg, à laquelle le violoniste adapte 6 variations dont plu-
sieurs témoignent d'une grande ingéniosité, en même temps qu'elles sont la démons-
tration de l'extrême habileté technique de leur auteur. Guillemain démanche jusqu'au
si à l'aigu sur la chanterelle, il se livre à un intéressant travail d'archet en sautant
deux cordes (variation 2) etc. Les pièces dont il se sert comme de thèmes sont en gé-
néral fort courtes et plutôt insignifiantes ; tout l'intérêt du recueil réside dans la
technique hardie et brillante du travail violonistique.
Nous en dirons autant des douze Capriccios qui suivent l'Amusement. Ces Cappric-
cios sont de brèves compositions qui relèvent du style d'improvisation ; écrites dans
des mouvements vifs (allegro, presto, prestissimo) pleines de rythmes contrastés et
précédées parfois de quelques mesures d'allure lente, elles permettent à Guillemain
d'exposer les multiples faces de son talent de virtuose. 11 y a vraiment accumulé
comme à plaisir toutes les difficultés du violon. Voici (mesure 4) une pédale à l'aigu
assez amusante : (2)
Aiiegro.
Ou encore ce passage bien significatif en ce qui concerne le maniement de la
double corde et des accords de 3 et 4 notes : (3)
La légèreté d'archet de Guillemain se manifeste par la profusion de traits en stac-
cato, etc., de passages de cordes qu'il entasse comme en vertu d'une gageure...; il écrit
« presto » le trait suivant : (4)
(1) Louis-Dominique Bontemps était gouverneur du château des Tuileries et premier valet de chambre
du roi.
(2) Caf)riccio IV,
(3) Capriccio, V.
(4) Capriccio, IX.
— 500 —
Precîo segne
f f T T. f r f
Quant aux arpèges, il les pratique à satiété ; quelques-uns apparaissent fort dif-
ficiles, tels les deux spécimens ci-après : (i)
-*.
Jà±
À
i
À
12=
4:'.
^^^^^
à 1 I ' ' i.^ i ^ J i
i:
^^
r
^¥' is> ^ ' f
Nous pourrions multiplier les exemples ; ceux qui précèdent suffisent pour don-
ner une idée de la virtuosité de Guillemain. En terminant, nous formulons le souhait
que son œuvre si variée et souvent si curieuse par sa bizarrerie même soit un peu ex-
plorée par les musiciens qui s'intéressent à la musique ancienne. Jusqu'à ce jour, on
l'a laissée complètement de côté, et c'est à peine si le nom de son auteur est connu de
quelques historiens. Au point de vUé de la technique du violon, Guillemain peut
prendre place à côté de Jean-Marie Leclair qu'il dépasse même quelquefois en audace et
en brio. C'est peut-être notre premier violoniste à panache.
Lionel de la LAURENCÏE.
Les Concours du Conservatoire
11 y aurait ample matière à épiloguer sur cette intéressante matière, si tout n'avait
été dit déjà. Et des esprits moroses parlent de supprimer la publicité des concours!
Ce serait dommage. Cette foire aux potins et aux vanités est, après celle de Neuilly,
là dernière fête du Paris qui boucle ses malles pour les vacances, et chaque année son
succès va grandissant. Sous le prétexte que l'incendie menaçait la vieille salle du Con-
servatoire, où cependant, les jours de concert, une société d'élite continue à s'exposer
aux pires catastrophes, on avait obtenu des pouvoirs publics que la salle de l'Opéra-
ComiqUe prêtât sa plus vaste enceinte à ces séances de lutte musicale, et Voici qu'a-
près une année d'épreuves l'Opéra-Comique est devenu trop petite Comment furent
distribués les billets, je ne sais, mais les mécontents sont légion. Tous ceux qui se
prétendent des droits à assister aux concours furent, paraît-il, sacrifiés, et je me suis
laissé dire que la politique en était cause. D'ailleurs que ne raconte-t-on pas dans
les corridors pendant les entr'actes ? Si nous ramassions, pour le confiera nos lecteurs,
(i) Capriccios, VI et X.
— 501 —
tout ce qu'on y chuchote et aussi ce qu'on y crie, nous serions traduits en correction-
nelle pour diffamation. Devant une aussi grave éventualité^ nous ne commettrons pas
la moindre indiscrétion, et nous nous bornerons à rapporter ici fidèlement ce que sur
la scène nous avons vu et entendu. Nous ferons d'abord connaître le résultat de chaque
concours, et nous donnerons notre impression sur chaque séance du mieux que des
notes prises rapidement nous le permettront. Quelques réflexions y trouveront, à pro-
pos des concurents ou des morceaux interprétés, leur place toute naturelle.
CHANT, OPÉRA-COMIQUE, OPÉRA
CHANT {hommes)
T*remiers prix : MM. Georges Petit, Francell.
"Deuxièmes prix : MM. Nansen, Sorrèze, Dupouy.
Tremiers accessits : MM. Gilles, Domnier.
Deuxièmes accessits : MM. Vigneau, Payan, Tessier,Vaurs.
M. Sarraillé commença le feu, d'une voix insuffisante et sans timbre, par la can-
tilène de Polyeucte, que devait bientôt nous dire, mais avec un autre récitatif (quel est
le vrai ?) M. Vigneau, jeune baryton qui sait chanter, dire et nuancer et semble au
moins comprendre les paroles qu'il prononce. M. Teissier déclama ensuite assez bien
un fragment de Patrie. Qu'il prenne garde à ses notes élevées qui sont un peu com-
niunes. M. Rigal chanta d'une voix chevrotante l'air de basse de la Flûte enchantée. On
espérait mieux de lui. M. Pérol, premier accessit de l'an dernier, ne parvint pas à
décrocher un prix avec les Indes galantes qu'il nuança intelligemment, mais ert chan-
tant par à-coups dans les passages de force. M, Domnier, dans les Vêpres siciliennes
réclama son fils avec une conviction mélodramatique dont le jury lui tint compte. Je
fus plus content de son concours d'opéra comique. L'accompagnement de ce morceau
tragique de Verdi est la chose la plus réjouissante et sautillante qu'on puiâse imaginer.
M. Engels méritait quelque récompense pour sa voix sonore et souple dans l'air de
Ralph de la Jolie fille de Perth. M. Cazeaux fut la première des trois basses qui dé-
ployèrent l'escalier de leurs voix plus ou moins profondes moelleuse et solides pour
nous faciliter la descente dans les caveaux de l'Escurial de Don Carlos. Aucun n'en fut
récompensé. L'insuccès de M. Clamer ne nous étonna pas, mais MM. Cazauxet Meu-
risse ont fait preuve de style dans un morceau qui en manque.
A propos de cet air qui nous laissa comparer les qualités de ses trois interprètes
successifs, je riie permets d'ouvrir une parenthèse. Les voix des chanteurs, hommes et
femmes, sont classées suivant leur timbre et leur hauteur. A chaque catégorie corres-
pond dans les œuvres de concert et de théâtre un emploi et un répertoire spécial. Pre-
nons les barytons par exemple. Pourquoi en dehors du morceau laissé à leurchoix, la
Direction n'imposerait-elle pas à tous les barytons un même air qui serait comme une
pierre de touche sur laquelle leur organe et leur talent viendraient faire leurs preuves*
N'en est-il pas ainsi aux concours des instruments, et n'est-ce pas beaucoup plusjuste?
Dans le système actuel tel air plus avantageux met mieux en valeur les qualités d'un
artiste que tel autre où tout autant de talent fut dépensé. Et l'on empêcherait ainsi la
tyrannie des professeurs qui, désireux de faire briller certains élèves au détriment de
certains autres, imposent à ces derniers des morceaux dans lesquels ils seront hioins
favorisés.
M. Sorrèze avec l'air de Max du Freischut^ s'est montré en très grand progrès sUr
son concours précédent. La voix jolie, bien timbrée, a gagné de la souplesse et attei-
gnit avec vaillance les notes élevées. Il nuança avec goût cet air difficile. M. Georges
Petit est un artiste dans toute l'acception du mot. Il sent ce qu'il interprète et il pos-
— 5^2 —
sède les moyens pour le rendre. Il chanta T'aulus. Dans le fameux air de don Qttavio
de Don Juan, j'ai préféré la vocalisation de M. Francell à son style. Il n'a pas laissé à
la mélodie sa belle ligne souple, et sa voix eut quelques sonorités grêles. M. Nansen,
autre ténor, chanta Stratonice d'une voix jolie, mais froide, et phrasa avec goût.
M. Gilles, les Indes Galantes, conduisit avec sûreté un organe d'un beau métal. M.
Payan, Judas- Macchabée, et M. Vaurs, Vision fugitive d'Hérodiade, sont deux bons
élèves que couronne un second accessit. M. Dupouy, dans Elie, fit apprécier sa bonne
diction, sa voix sympathique et un juste sentiment musical. M. Calmette chanta Rode-
linda de façon à ce qu'on le priât de recommencer... l'année prochaine avec un air
moins ennuyeux.
CHANT {Femmes)
Premiers prix : Mlles Lamare, Lasalle, Martyl.
Deuxièmes prix : Mlles Galle, Bailac, Delimoges, Madeski.
Tremiers accessits : Mlles Chantai, Daubigny, Jeanne Bloch, Gustin.
Deuxièmes accessits : Mlles Salva, Le Senne, Sylla, Merlin.
Je ne fâcherai pas messieurs les chanteurs si je dis que le concours de leurs gra-
cieuses camarades fut plus agréable à voir et aussi à entendre que le leur. Il défila
devant nos yeux dix-huit robes blanches, deux noires, deux roses, une bleue, une
grise. Quelques-unes sortaient de chez la bonne faiseuse, et la plupart de ces
demoiselles sont jolies. Je ne les nommerai pas, nous n'étions pas à un concours de
beautés.
Mlle Salva ouvrit la séance avec l'air de Suzanne des Noces de Figaro. La voix est
jolie. Sur les notes graves et aux fins de phrase elle prononce mal les r. De l'inexpé-
rience enfin, mais pas autant que Mlle Leblanc (air du premier acte dn'Tardon de
Tloermel) qui a tout à apprendre. Mlle Delalozière chanta lourdement l'air d'Hérodiade
(contralto^. Dans le récit de la T'rise de Troie Mlle Madeski n'eut pas l'accent drama-
tique qu'exige cette scène de Cassandre, mal choisie pour une épreuve de chant. L'air
de César ne convenait pas mieux aux dons modestes de Mlle AUard. A défaut d'ac-
cents elle y mit de l'intention. On comptait beaucoup sur Mlle Lapeyrette qui dans
Baltha^ar n'a pas donné tout ce qu'on attendait de son talent. Elle ne put hausser d'un
degré son second prix de 1905. Dans la Belle Arsène Mlle Rosetsky donna l'impression
d'un art mécanique avec ses trilles sans souplesse et ses vocalises criées. Mlle Merlin
n'a pas tout à fait l'étoflfe vocale qui convient aux larges chants d'Alceste. Mlle Dau-
bigny la possède davantage, Mlle Comez, au physique plus opulent, n'en a pas le
style. Ce furent là des erreurs de leurs maîtres. Mlle Martyl, la Création, de voix fraîche
et roucoulante, témoigna, dans son chant et dans ses vocalises habiles, d'un art aussi
séduisant que sa personne. On rit en voyant entrer Mlle Doublel, l'air d'un bon gros
bébé et le public l'écouta avec intérêt chanter d'une petite voix espiègle et adroite
le Billet de Loterie. Pourquoi ne fut-elle pas récompensée, alors que pour le même air
Mlle Jeanne Bloch obtenait un premier accessit? Le jury a sans doute pensé que,
dans une loterie à deux billets, il fallait qu'il y eût un perdant. Il joua leur sort à
pile ou face. On ne peut accuser que le hasard, qui s'en moque, ayant bon dos. Mlle
Galle, Iphigénie en Tauride, fut plus heureuse dans son air que dans le récitatif. La voix
est jolie. Il n'en va pas de même de celle de Mlle Sylla (Héraklès) qui sembla creuse.
Mais la chanteuse se sert avec talent d'un organe un peu ingrat. Quelles jolies notes
claires a Mlle Chantai, qui soupira la pastorale de Judas Macchabée ! Son style pur, la
netteté de ses vocalises, la sûreté de son rythme firent remarquer sa jolie nature de
musicienne. Mlle Gustin, dans la Damnation de Faw^/, et Mlle Le Senne, dans Sigurd,
méritèrent les accessits qui leur furentdécernés. MlleThasia c\ïdintd.\es Pêcheurs de perles.
— 50? —
Mlle Delimoges murmura avec émotion les plaintes de Desdémone dans Othello. Elle fut
simple et touchante. Mlle Lasalle souleva l'enthousiasme de l'auditoire par la façon dont
elle chanta avec une voix superbe, triomphant des vocalises habituellement lourdes aux
contralti, l'air de Fidès du Prophète. Elle y eut de beaux accents dramatiques qui révé-
lèrent en elle une artiste complète. Mlle Irma Ackté ne remplacera jamais sa sœur,
elle travaille pour devenir contralto, et elle n'est pas encore dans le grave ce que
l'aînée fut jadis dans l'aigu. Pourtant il y a une ressemblance entre ces deux voix ;
c'est la même sonorité assez belle, mais inexpressive. Mlle Lamareosa chanter la Mar-
guerite au T^ouet de Schubert et en fut récompensée aussi bien par l'auditoire que par le
jury. Enfin, grâce à l'initiative de M. Gabriel Fauré, on va donc s'apercevoir dans les
classes de la rue Bergère qu'à côté du répertoire théâtral, et souvent au-dessus de lui,
il existe toute une littérature ignorée et méprisée d'admirables lieder qui contiennent
en une seule de leurs pages plus d'humanité et de rêve que n'en renferment de volu-
mineuses et vides partitions. L'opéra, ce n'est là qu'un aspect de la musique, et pas
toujours le plus beau, ni le plus vivant. Pourquoi ne voit-on jamais figurer l'œuvre de
Bach dans les épreuves de chant, plutôt que certaines scènes que nous avons entendues
dans cette séance et qui auraient dû être plutôt enseignées dans la classe d'opéra.
Croyez-vous qu'un jury intelligent n'aurait pas aussi bien découvert les mérites musi-
caux de Mlle Lasalle, dont je ne veux nullement diminuer le grand succès, si, au lieu
du monologue mélodramatique de Fidès, elle avait chanté un de ces émouvants airs de
cantate, de la IMesse ou de la Tassion que le grand Cantor développe avec cette abon-
dance majestueuse sous laquelle palpite un cœur si vastement humain? Avec Schubert,
Mlle Lamare a tenté l'aventure, elle s'y montra supérieure, et c'est justice qu'on l'ait
nommée avant Mlle Lasalle, dont le voisinage fut peu favorable à Mlle Bailac qui
chanta le même air du 'Troph'ete et put y faire cependant preuve d'excellentes qualités.
Après ces deux concours de chant, hommes et femmes, les récompenses se répar-
tissent entre les différentes classes de la façon suivante :
M. DubuUe : un premier prix, M. Georges Petit; 3 secondsprix, M. Nansen, Mlles
Galle et Delimoges.
Mme Rose Caron : un premier prix, M. Francell ; 2 seconds prix, M. Dupouy,
Mlle Madeski ; deux premiers accessits, Mlles Chantai et Jeanne Bloch.
M. Cazeneuve : deux premiers prix, Mlles Lamare et Lasalle ; un second prix,
M. Sorèze ; un premier accessit, M. Gille ; deux seconds accessits, MMles Le Senne et
Sylla.
M. de Martini : un premier prix, Mlle Martyl ; un premier accessit, Mlle Daubi-
gny ; deux seconds accessits, MM. Payan et Tessier.
M. Duvernoy : un second prix, Mlle Bailac ; un premier accessit, Mlle Gustin ;
deux seconds accessits, M. Vigneau, Mlle Salva.
M. Manoury : un premier accessit, M. Domnier ; un second accessit Mlle
Merlin.
M. Lassalle : un second accessit, M. Vaurs.
Pour 43 concurrents, le Jury décerna donc 26 récompenses. Il se montra géné-
reux et indulgent.
OPÉRA-COMiaUE
HOMMES. — Premiers prix : MM. Francell, Georges Petit, Domnier. — Pas de
second prix. — Premiers accesits : MM. Vigneau et Nansen. — Deuxièmes accessits :
MM. Sorrèze et Payan.
FEMMES. — Premiers prix : Mlles Lamare et Lasalle. — Deuxième prix : Mlle
-- 504 —
Delimoges. — Premiers accessits : Mlles Jeanne Bloch, AHard, Comès. — Deuxième
accessit : Mlle Thasia.
Pour 15 concurrents, la classe Isnardon obtient huit récompenses et la classe
Bertin cinq.
Cette séance fut dans son ensemble moins intéressante que les précédentes.
M. Payan chanta honnêtement une scène de la Jolie fille de Pertb que, sous le nom
d'air, nous avions déjà entendue au concours de chant. Ceci vient à l'appui de ce que
j'avançais plus haut. Un banc, une bouteille à la main de l'interprète et quelques inu-
tiles partenaires différenciaient ces deux épreuves. M. Nansen fut un don José bien
timide, bien pâle, j'allais dire bien godiche auprès de Mlle Lasalle, plus experte, quoi-
que paraissant un peu fatiguée. Avec quelle joie on écouta les fragments de Gosi fan
tutte où M. Sorrèze ne donna pas à l'air du ténor la légèreté élégante qu'il lui faut.
11 fut d'ailleurs gâté, cet air, par une variante finale en voix de tête, due au caprice
sacrilège de je ne sais quelle autorité en mal de correction. Cette musique est une
merveille d'esprit, et autour de moi onregrettaitqu'une pareille œuvre ne demeurât pâS
au répertoire. Dans Don Juan, auprès de M. Saraillé, Don Juan vulgaire, M. Cazaux fut
un insignifiant Leporello. Le concours de Mlle Thasia, gentille petite Mimi, donna à
M. Francell l'occasion d'une assez bonne réplique de la Fie de Bohême. Mlle Martyl
devait paraître à cet endroit. Nous regrettons que la maladie l'en ait empêchée, sans
nous faire l'écho de racontars dont nous n'avons pas à nous occuper. M. Domnier
s'est révélé très fin comédien et chanteur dans l'Amour Médecin et dans sa réplique du
Médecin malgré lui dont M. Saraillé, maladroit et sans verve, nous fit suoir l'épreuve.
Que c'est donc triste les choses gaies, quand on n'en peut pas rire. M. Domnier sait
composer un rôle, Mlle Lamare et M. Georges Petit concouraient ensemble dans la
Tosca. Le rôle dépassait peut-être un peu les moyens vocaux de Mlle Lamare, mais
elle y fut dramatique, M. Georges Petit fut un Scarpia parfait de cruauté. Mais quelle
drôle d'idée d'aller choisir pour un concours de musique cette scène brutale où l'on
cherche vainement la musique et où le pauvre accompagnement du piano fait mieux
apercevoir le vide et la prétention d'une telle œuvre. Mlle AUard fut une toute petite
Manon bien gentille et bien sage, et M. Nansen n'en abusa pas... pour briller à ses
dépens. Dans les Folies amoureuses Mlle Delimoges prouva qu'elle savait jouer aussi
bien que chanter, de façon spirituelle. A ses côtés M. Vigneau eut beaucoup de
succès. Mlle Lasalle dépensa de belles notes graves et émues pour la Charlotte de
IVerther, dont elle interpréta la scène des lettres en artiste sûre de son efiîet sur le
public. M. Francell a de la chance. Pour remplacer Mlle Martyl malade, Mme Mar-
guerite Carré, Manon parfaite, se présente, et le voilà du coup fort aidé dans la vic-
toire. Il fut un charmant Des Grieux, connaissant déjà les ficelles du métier et s'en
servant avec adresse. Mme Carré fut chaleureusement applaudie. On m'assure qu'à la
suite Je cette audition au pied levé elle a renouvelé son engagement avec le directeur
de rOpéra-Comique. Mlle Comez obtint ensuite un très grand succès non pas tant
pour la façon vulgaire dont elle fut Carmen que pour la manière dont elle accueillit la
récompense que lui avait décerné un jury indulgent. Les poings sur les hanches, elle
se campa au bord de la rampe et foudroya ses juges d'un regard mauvais dont ils ont
beaucoup ri, ainsi que le public. Sans le dévouement d'une camarade qui vint l'arra-
cher à cette immobiHté ridicule et provocante, elle serait restée ainsi les vingt-quatre
heures pendant lesquelles tout condamné a, paraît-il, le droit de maudire ses juges.
LcT^réaux C/erw, concours honorable de Mlle Jeanne Bloch, fournit à M. Francell
l'occasion d'une très intelligente réplique de Piffarelli. Et les Noces de Figaro^ qui ne
permettaient guère à M. Vigneau de tirer son épingle du jeu au milieu de tous les per-
— 505 —
sonnages et dans les ensembles, mais où il tint fort bien sa partie, terminèrent cette
séance avec de la vraie musique. Mozart eut tout le succès de la journée... Pardon,
j'oubliais Mlle Comès.
OPÉRA
HOMMES. — 'Premier prix : M. Carbelly. — Seconds prix ; MM. Meurisse, Nan-
sen, Sorrèze. — "Tremiers accessits : MM. Dupouy, Pérol, Payan. — Seconds accessits :
MM. Teissier, Gilles.
FEMMES. — T^remier prix : Mlle Lamare. — Second prix : Mlle Bailac. — T^re-
miers accessits : Mlles Madeski, Daubigny. — Seconds accessits : Mlles Galle, Le
Senne.
A propos de Mlle Gustin, belle personne richement costumée (Amnéris d'iÂïdà),
je voudrais bien être tiré d'incertitude. Chez son professeur de chant, elle concourt avec
la Damnation de Faust dont la Marguerite est habituellement confiée à un soprano
dramatique, et dans la classe d'opéra le professeur en fait un contralto. Le jury m'a
semblé trancher le différent, puis qu'il récompensa Mlle Gustin au concours de chant,
et ne lui donna rien en opéra. Pour être juste je dois reconnaître que Mlle Gustin con-
duisit bien sa voix et chanta avec goût. Mais si les notes élevées ont de l'éclat, le grave
est faible et sourd. M. Clamer renonça à se faire entendre, préférant sans doute
attendre l'année prochaine où il se sentira plus sûr de lui. Mlle Le Senne, qui
donna ensuite une excellente réplique des Huguenots, montra des qualités vocales et dra-
matiques dans Salammbô. Elle a une prédilection pour l'œuvre de Reyer qui lui porta du
reste bonheur. Sous son voile léger M. Sorrèze la seconda vaillamment. L'épreuve de
Mlle Irma Ackté nous a paru prématurée. Cette jeune fille n'était à aucun point de
vue préparée pour affronter dans Orphée unjury qu'elle ne dompta, pas par ses accents.
M. Payan fut un excellent frère Laurent de Roméo et Juliette. Il bénit avec onction et
une voix sympathique Mlle Daubigny, et M. Sorrège, ténor infatigable qui devait
bientôt se marier une seconde fois dans les Huguenots et tuer sa femme dans Othello,
et je ne parle pas de tous les autres amours dont il fut le héros triomphant en cette
séance. Mlle Galle et M. Teissier concouraient ensemble dans iÂïda, elle Aida, lui
Amonastro. Elle n'y brilla guère, il y montra de la voix. M. Gilles fut un bon Guil-
laume Tell. Avec du travail Mlle Galle, MM. Teissier et Gilles peuvent être plus heu-
reux en de prochaines épreuves. Mlle Lapeyrette nous a dans les Troyens complète-
ment déçus. Est-ce fatigue, nervosité, émotion ? La voix fut sèche, inégale, et la mi-
mique parut exagérée. Mais aussi quelles pages ennuyeuses que celles où la pauvre
Didon nous apprend que 5a carrière est finie. Mlle Daubigny, dans le Cid, fit preuve de
qualités dramatiques servies par une jolie voix. Le Mefistofele de Boïto réunissait les
concours de Mlle Lamare et de M. Nansen. Elle y triompha, il n'y fut qu'agréable,
Mlle Lamare sort cette année de ses classes, avec ses trois beaux premiers prix, non
pas comme une bonne élève, mais comme une artiste distinguée à qui tous les succès
peuvent être prédits. Elle sait chanter, elle sait jouer, elle sait vivre un rôle. 11 ne lui
manque plus qu'un théâtre pour employer ses heureux dons. Mais, malgré le talent
si émouvant de Mlle Lamare, et la voix charmante de M. Nansen, combien cette
œuvre de Boïto, que j'ai jadis aimée, m'a semblé surannée et peu sincère. Il y a des
choses sur le souvenir desquelles il vaudrait mieUx rester. La voix de Mlle Delalozière fut
mal assurée dans le duo de Samson et Dalila qu'une erreur de M. Sorrèze termina en
déroute. Encore deux concurrents dans la même scène d'Hamlet, Mlle Madeski et
M. Dupouy. Mlle Madeski n'a pas l'autorité qn'exige le personnage de la reine, et son
organe est un peu clair pour ses dramatiques accents. Mais jeunesse est un défaut qui
passe vite. M. Dupouy a la voix bonne, il nuance avec justesse et joue sobrement. Il
_rt 506
y a en lui la promesse de plus hautes récompenses. M. Meurisse avait été oublié par
le jury du concours de chant, son second prix d'opéra a réparé cette erreur. Dans le
rôle de Marcel des Huguenots la scène, qu'en argot théâtral on appelle le mariage à la
clarinette, permit à sa belle voix de basse de sonner de toute son ampleur homogène.
Mllq Bailac, jolie Dalila, composa fort intelligemment son rôle et mit beaucoup de
séduction dans les intonations d'une voix qui manque de volume. M. Nansen, Samson
immobile et impassible, soupira avec plus de charme que de vaillance. Ce n'est pas à
M. Sorrèze, bouillant Othello, qu'on peut adresser ce reproche. La façon emportée
dont il chanta ce rôle, la vigueur de ses notes hautes bien claironnantes, l'endurance
dont il témoigna en donnant ce même jour cinq répliques importantes, rendirent sen-
sible l'erreur de ceux qui le firent travailler et concourir en opéra-comique. M. Sorrèze
est un fort ténor à qui il reste encore à apprendre, mais ce second prix, qui lui trace
désormais sa voie, doit lui donner pleine confiance en l'avenir. Dans l'Attaque du Mou-
lin, iVl. Pérol. premier accessit seulement, obtint auprès du public beaucoup de succès
pour son chant chaleureux et émouvant. Les pages d'Alfred Bruneau, toute vibrantes
de passion et d'un sentiment si poignant, ranimèrent notre attention qui sommeillait
un peu à cette fin de concours. M. Carbelly, dernier concurrent, la tint en éveil jus-
qu'au bout. Personne n'ignore qu'il étaii le favori. On l'acclama dans RigoJetio, et ce
fut justice. L'année dernière je le trouvais tout aussi à point que cette année pour la
carrière théâtrale qui s'ouvre devant lui. Dix mois de classe ne lui ont rien donné de
plus. Le tempérament se trouve souvent à l'étroit entre les murs de l'enseignement
officiel.
Et ce fut par une belle manifestation que se terminèrent ces quatre journées de
concours lyriques pendant lesquels, à côté de quelques élèves insuffisamment prépa-
rés ou impropres à la tâche à laquelle on eut le tort de les laisser inutilement se vouer,
au milieu de ceux et de celles dons nous espérons la réussite prochaine, se sont ré-
vélés des artistes comme Mlles Lamare et Lasalle, MM. Carbelly et Georges Petit à
qui nous souhaitons dans la carrière théâtrale tout le succès que méritent leurs belles
qualités.
Victor DEBAY.
HARPE - PIANO
HARPE CHROMATIQUE
Professeur : Mme Tassu-Spencer
Pas de premier prix.
Deuxièmes prix. — Mlles Labatut et Chalot.
Premier accessit. — Mlle Goudekett.
HARPE A PÉDALES
Professeur : M. A. Hasselmans
Premier prix, à l'unanimité. — Mlles Janet et Laskine.
Deuxièmes prix. — Mlles Delgado-Perez, et Bazelaire.
Premier accessit. — Mlles Laggé et Chaumeil,
PIANO (Hommes)
Professeurs : MM. Diémer et I. Philipp.
Premier prix. — MM. Frey, Pierrefitte, Dorival et Lattes.
Deuxième prix. — MM. Nat, Gayraud, Polleri.
Premier accessit. — MM. Poillot, Gallou.
Deuxième accessit. — MM. Gantlett, Ehrard.
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PIANO (Femmes)
Premiers prix. — Mlles Le Son, Vendeur et Léon.
Deuxièmes prix. — Mlles Lefebvre Gelibert, Villemin, Beuzon, Clapisson,
Weil.
Premiers accessits. — Mlles Pennequin, Boucheron, Bouvaist.
Deuxièmes accessits. — Mlles Chassaing, Marx, Abadie, Chardard, Piltan,
La matinée du 21 juillet, jour de Sabbat, était réservée à la harpe, qui nous vient
de David. Par bonheur le sexe laid ne prenait nulle part à ce concours dont le moindre
smoking eût rompu le charme, et si nos oreilles furent parfois affligées d'étranges
douleurs, la courbe mélodieuse des bras nus, les convulsions serpentines des doigts,
évocatrices de quelque pantomime cambodgienne et l'harmonieuse irisation des mous-
selines palpitantes chantèrent à nos yeux la plus délicieuse chanson de gestes qu'ils
aient jamais recueillie. Et ce fut, je crois, une erreur des juges que de ne pas rêver à
la fois, avec toute l'absurdité désirable, qu'ils étaient l'Aréopage et que l'Opéra-
Comique jouait Thryné. Car ils eussent accordé aux douzes rivales douze récompenses
tandis qu'il se trouva dans le groupe savamment dirigé par Mme Tassu-Spencer quel-
ques victimes dont MM. Paul et Lucien Hillemacher ne se pardonneront pas, je l'es-
père, d'avoir fait couler les larmes.
La Fantaisie de concert issue de leur collaboration, débute par une introduction en
si bémol mineur dont il est logique d'attribuer la paternité au cadet tandis que le grand
frère officia en ré bémol majeur. Or quand on prend du chromatique on n'en saurait
trop prendre et je n'essaierai pas de décrire ici les péripéties de ces courses acci-
dentées, parmi les gammes tortueuses, les arpèges stylisés et les embûches de lenhar-
monie, à la conquête d'un prix. Assurément quelqu'une de ces jeunes filles eût
triomphé sans la perfidie d'un morceau de lecture à vue où MM. Hillemacher avaient
introduit des successions de septièmes assez usuelles et aisément intelligibles mais
suspectes néanmoins à l'innocence des candidates. Nous y avons gagné d'éviter la
monotonie des redites et d'entendre en réalité non pas un mais six morceaux où il y
avait quelquefois de jolies trouvailles d'improvisation. Et le jury, les yeux clos, n'a
dispensé que deux seconds prix à MMlles Labatut et Chalot et un second accessit à
Mlle Goudeket. Je suppose que pour dédommager les autres MM. Hillemacher leur
ont donné le Drac. C'est un cadeau dont elles se seraient privées assez volontiers,
notamment Mlle Blot, lauréate brillante du dernier concours et pour qui le sort fut
cette fois injustement cruel.
La classe Hasselmans dut-elle un peu de son magnifique succès à la modération
de Karl Zabel dont les Ballades n'ont jamais prétendu rénover la musique, et à la
paternelle bienveillance de M. Lavignac, qui ne voulut pas faire rougir de gracieux
visages sous la honte d'une humiliation ?Je ne saurais l'affirmer; j'aime mieux louer
de suite et sans réserve la virtuosité sûre et brillante des élèves, et l'enseignement
du maître qui vit élire toutes celles qu'il avait appelées et décerner deux premiers
prix à Mlles janet et Laskine, deux seconds prix à Mlles Delgado et Ba^elaire et deux
premiers accessits à Mlles Laggi et Chamneil, cette dernière un peu frisottante, pour
parler l'argot des harpistes. C'est là un défaut que je lui pardonne et que je voudrais
que l'on pût encore me reprocher.
*
• »
Sur le coup de deux heures, nous vîmes revenir, après un déjeuner hâtif, MM. La-
vignac, Veronge de la Nux, Harold Bauer, retour d'exil, Bruneau, Mark Hambourg,
Merloo, Pfeiffer, P. Hillemacher, Guilmant, Albeniz, cher à Vinès et aux de Castéra,
Jean Risler et l'archange Gabriel, terriblement las, je le crains, et qui soupire comme
— 5o8 —
nous après le Soir et la Forêt de Septembre. Il y avait un peu de tout dans ce jury,
même des pianistes. A la vérité, je ne suis pas de ceux qui déplorent le défaut de
signification technique des deux dernières parties de la Sonate en fa mineur de Beetho-
ven, dite Appassionata. Le hinal en dehors des réelles difficultés qu'il offre aux doigts
non encore doués d'une indépendance, d'une égalité et d'une prestesse absolue, ou au
poignet qui ne serait pas rompu au staccato le plus rapide, exige à mon sens une telle
maîtrise de virtuosité qu'il vaut moins par celle que l'on y peut mettre, que par celle
dont on doit se garder. Et c'est là, à mon humble avis, le comble de l'art. Ne se
plaint-on pas d'ordinaire que les instrumentistes en soient réduits à exhiber leurs
muscles sans pouvoir faire preuve de quelque tempérament dans l'exécution des bana-
lités prétentieuses auxquelles on les condamne? 11 est donc intéressant de noter que,
à part M. Frey, pas un seul de ces jeunes gens ne se sentit frappé de je ne sais quelle
terreur religieuse aux seuils de cet Andante dont nul ne touchera peut-être jamais le
fond et de cet Allegro on se prépare sourdement et mystérieusement la plus formi-
dable des explosions. Qui donc osa s'appesantir sur ces syncopes haletantes et lourdes
à se mouvoir et qui donc vit autre chose dans la variation en triples croches qu'un
prétexte à fioritures légères ? Qui donc aussi osa se recueillir en suivant le mouve-
ment méditatif de Risler (80-84 à la noire) où ceux-là seuls dont l'âme recèle des tré-
sors de sensibilité et d'ardeur expansive ne succombent pas ? Qui donc nous épargna
le contre-sens grossier d'un vertigineux emballement au début de l'allégro et qui donc
enfin sentit tout ce qui gronde et tout ce qui s'amasse lentement, silencieusement, de
force menaçante dans ces quatre accords étages sur une pédale d'ut et d'où jaillit la
foudre ? A tout prendre ce genre d'épreuves est plus clairement révélateur qu'un exer-
cice de steeple agrémenté de chutes retentissantes. Non ! Nous ne serons pas forcés de
choisir entre la musique et l'acrobatie, ni même de revenir au séduisant dédoublement
inventé par M. Théodore Dubois et qui avait le défaut d'être spécial au piano. L'œuvre
de Beethoven, de Liszt, de Schumann, de Chopin et de tant d'autres est inépuisable et
peut satisfaire à toutes les exigences. A quand la terrible 106 ou même l'enivrante
hlaniey ?
Je viens de nommer M. Frey qu'il faut véritablement mettre hors de pair et en
qui nous avons cru reconnaître une « nature ». D'ailleurs il a le masque beethovénien
et il n'est pas le seul, mais un peu de l'esprit du dieu s'y reflète. Il a partagé le premier
prix avec MM. Pierfitte et Lattes, élèves comme lui de la classe Diémer et avec M.
Dorival, de la classe Philipp, qui possède un mécanisme aisé, clair et élégant. Trois
seconds prix échurent à MM. Polleri (classe Philipp), Nat (classe Diémer) et Gayraud
(classe Philipp), enfin quatre accessits, deux premiers et deux seconds, récompen-
sèrent MM, Poillot et Gallon (classe Philipp), Ehrard (classe Diémer) et Gauntlett
(classe Philipp),
M. Camille Chevillard avait écrit le morceau de lecture à vue. Son inspiration
s'épancha sous la forrne d'un Andante en mi bémol, à trois temps, sans piège de rythme
ou de mesure, mais semé vers le milieu de progressions sournoises et piqué de savou-
reuses apoggiatures. M, Frey nous révéla la sûreté de son intuition en s'aventurant
dans cette trop courte page avant que M. Fauré ne lui ait dicté le mouvement de l'au-
teur. Il tomba juste. Après lui MM. Nat, Lattes, Verd et Gallon déchifi'rèrent sans
infortune et même avec quelque agrément.
Le 26 juillet, vingt-six jeunes personnes, majeures de treize ans, s'attaquèrent
aux Etudes symphoniques de Schumann, sous les yeux de MM. Fauré, de Bériot, Pugno,
Vidal, Risler, Albeniz, Bauer, Cortot, Riera, Braud, Staub, Chansarel, Bernheim,
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d'Estournelles de Constant et Bourgeat. Je pense que l'administration voulut bien
moins éprouver la valeur de ses pupilles que la résistance de l'auditoire et je confesse,
sans fausse pudeur, ma défaite. M. Octave Mirbeau a-t-il pu, dans ce Jardin des Sup-
plices où il enseigne que la volupté donne la plus affreuse mort, oublier la torture par
la musique, par la musique des confidences troublantes, des caresses douloureuses et
de l'angoisse hallucinée dont chaque note, dont chaque rythme fait se crisper les nerfs
à vif, sous la morsure d'un archet infernal ? Et si des Esseintes, ivre de la symphonie
de ses liqueurs, est mûr pour quelque cure prolongée à Evian, on nous pardonnera
d'avoir tremblé, à toute apparition nouvelle, devant le retour périodique de ces sensa-
tions aiguës qui chavirent d'abord toutl'être, et d'avoir presque regretté, sinon lestrente-
trois auditions successives du Concerto de Vieuxtemps, du moins le repos de quelque
poncif élégant, de quelque développement morphologique qui rende à notre cerveau sa
lucidité et la paix à notre cœur.
Chères et admirables Etudes symphoniques ! Avoir tant souffert par vous ! 11 est
vrai que vous souffrîtes un peu par elles, par ces enfants trop fragiles pour soutenir
le fardeau des joies et des peines que vous chantez. Pourquoi n'avoir pas confié à la
vigueur masculine et aux larges mains l'interprétation de ces pages d'où les traits
usuels sont à peu près entièrement bannis, mais qui exigent, selon la technique du
piano moderne, préparé par l'œuvre colossal de Bach et de Beethoven, une in-
croyable dépense d'énergie, une amplitude dans le jeu, une variété de toucher, une
sûreté d'attaque et un sens de l'expression polymélodique trop rares. D'ailleurs, cette
fois encore, il n'importe. 11 faut regarder toujours plus haut, toujours trop haut et
celles qui ont conquis la cime ignorent le bonheur que je leur dois. Chez elles nulle
virtuosité superflue, nulle précipitation, nulle trace de ce rubato qui fleurit dans les
ateliers de couture, mais une émotion chaleureuse, un puissant instinct des rythmes
schumanniens et la volonté ferme de nous en imposer la loi.
C'est par de telles qualités que Mlles Le Son et Léon s'imposèrent à notre at-
tention et méritèrent un premier prix dont Mlle Vendeur partagea la gloire avec elles.
Les deux premières avaient reçu les leçons de M. Marmontel et la troisième celles de
M. Delaborde.
Six seconds prix réjouirent Mlles Lefebvre (classe Marmontel), Gelibert et
Willemin (classe Delaborde), Beuzon, Clapisson et Weil (classe Duvernoy).
Trois premiers accessits : Mlles Hennequin (classe Duvernoy), Boucheron et
Bouvaist (classe Marmontel).
Enfin six seconds accessits : Mlles Chassaing (classe Marmontel), Marx, Abadie,
Landsmann, Chardard et Piltan (classe Delaborde).
J'avais essentiellement noté au passage Mlles Le Son et Léon, ainsi que Mlle Debrie,
dont l'interprétation fut originale et vibrante, mais qui ne pouvait prétendre qu'à un
premier prix, Mlles Gellibert et Clapisson, Mlle Boucheron, pleine de charme
et Mlle Chassaing. Je ne veux pas scruter et comparer ici, sur la foi d'un tel concours,
les doctrines dont les candidates reçoivent l'impulsion. Mais il me parut, à certaines
particularités de style, que quelques-unes d'entre elles avaient été frappées véritable-
ment de la grâce d'en haut, influence secrète que trahissaient la délicatesse et la
couleur sonore avec laquelle elles nuancèrent le dialogue en sol diè:(e mineur, où
s'ébauche, sur les premières notes de la mélodie proposée à Schumann, un canon exquis,
ou bien encore le tact qui leur fit mettre en pleine lumière le thème, alors qu'il sert
de basse au plus pathétique des contre-sujets, enfin leur discipline rythmique dans ce
final têtu sur lequel plus d'une glissa légèrement et fugitivement sans appuyer.
On s'étonne un peu de certaines hérésies, mais l'on ne s'étonne pas du vilain tour
que, l'émotion aidant, k morceau de lecture à vue de M. Paul Vidal joua à ces pauvres
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brebis égarées parmi les bémols et les dièzes. C'était un Andante k six-huit, en mi ma-
jeur, aux rythmes savamment balancés, coupé de périodes chromatiques et modu-
lant d'ailleurs d'une façon fort logique et tonale mais tout de même imprévue, qui
dérangea l'équilibre de tant de labeurs et promena péniblement, dans les tons péril-
leux aux doigts d'ut dièze et de sol dièze mineur, des mains hésitantes et menues. Je
ne puis que rappeler les très heureux efforts de Mlles Le Son et Léon, de Mlle Clapis-
son, de Mlle Chassaing en qui se devine une musicienne qui sait où elle va et qui ira
loin, de Mlles Debrie et Abadie, tout en exprimant le regret que Mlles Sakoff-Grun-
waldt et Delavrancea, par exemple, aient succombé dans cette entreprise. Je leur
souhaite pour l'année prochaine un destin plus favorable et je nous souhaite, à nous,
la journée de huit heures coupée par un lunch copieux (ne sommes-nous pas sortis de la
salle Favart à huit heures et demie passées), je nous souhaite dis-je, des programmes
plus explicites quant à la répartition des élèves dans les classes, l'affichage de
la liste des jurés et la proclamation des résultats en caractères lumineux au frontispice
de l'Opéra-Comique, tout ceci pour le repos d'une critique ambulante et surmenée qui
voudrait pouvoir mêler encore en actions de grâces à sa prière du soir le nom de
M. Fauré.
Paul LOCARD.
VIOLON
Premiers prix. — M. Zighera, Mlles Renée Billard, Baudot, Lapié, Hélène Mor-
hange, M. Matignon.
Deuxièmes prix. — Mlles Novi, Sauvaistre, MM. Michelon, Etchécopar, Mlle Au-
gérias.
Premiers accessits. — MM. Spathy, Thilot, Soudant, Mlles Hélène Wolff,
Pierre.
Deuxièmes accessits. — Mlle Fidide, M. Caruette, Mlles de la Hardrouyère, Des-
champs, Tulluel, Neuburger.
Trente -trois fois de suite le jury et le public entendirent le premier morceau du
Cinquième Concerto de Vieuxtemps. Vingt-deux candidats ont été récompensés : tous
ont joué de façon au moins honorable et suffisante, tous ou presque tous se sont tirés
sans anicroche notable de la page à déchiffrer élégante et facile due à M. George
Marty.
Le jury n'a pas décerné moins de six premiers prix, tous mérités du reste ; mais
il m'est bien difficile dans ces conditions de louer comme je voudrais les heureux lau-
réats de cette journée. Je tiens cependant à signaler M. Zighera, véritable artiste qui
dépassade beaucoup tousses camarades, et Mlle Billard qui racheta par avance quel-
ques hésitations dans la lecture à vue, par une exécution magistrale du concerto.
Peut-être pourrait-on adresser quelques critiques de détails à ce jury si justement gé-
néreux; beaucoup trouvèrent que le jeu très correct, très ferme et très sûr de Mlle
Pierre méritait un peu mieux qu'un premier accessit. Mais pourquoi se plaindre, ne
savons-nous pas que c'est là un acheminement presque certain vers le premier prix.
Mlle Edson à la silhouette jolie et originale méritait bien un léger encouragement,
mais Mlle Novi, la Benjamine du concours, joli petit oiseau bien stylé, s'est montrée
digne de son second prix malgré son jeune âge.
En somme l'impression est heureuse : tous les concurrents sont de bons musi-
ciens foamés à une excellente école, capables de faire au moins des exécutants sérieux
pour nos grands orchestres et l'un d'entre eux, M. Zighera, a su faire preuve d'un
véritable talent, auquel je souhaite de pouvoir se produire et de s'affirmer.
Gilbert CHINARD.
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CONTREBASSE, ALTO ET VIOLONCELLE
Sur la caisse quelque peu massive et encombrante de la vénérable contrebasse, sur
ses cordes ronflantes et grondeuses une dizaine de concurrents s'exécutent et de cela
il faut les louer car le morceau de concours était un concerto de Labre dont il serait
difficile de dire la naïveté rudimentaire et la cruelle absence d'intérêt. La pièce de
lecture était écrite par M. Chapuis. Deux premiers prix furent décernés à MM. Dar-
rieux et Gibier pour leur jeu précis et leur bon déchiffrage. Pourquoi n'avoir pas
nommé avec eux M. Jou que son archet énergique et net plaçait bien avant M. Corti-
glioni ? MM. Jou, Cortiglioni et Hardy obtinrent un second prix. Uu premier accessit
reconnut les sérieuses qualités de M. Aurès et un deuxième accessit le courage qui
incita Mlle Cisin à s'attaquer à l'inélégant instrument.
Le morceau de concours que Mlle Hélène Fleury écrivit pour l'alto eut le tort
d'être ingrat et de ne pas servir suffisamment ceux à qui incomba le soin de l'inter-
préter. En revanche celui de M. Tournemire, d'une lecture non exempte de difficultés,
nous charma par sa joliesse et sa distinction. M. Jurgenscn, premier prix, au jeu souple
et facile, le déchiffra d'excellente façon ; trois seconds prix récompensèrent comme il
convenait MM. yi:(entiniet Mont/eiiillard et Mlle Dumont qui fit preuve d'un fort joli
son. MM. Feillou, premier accessit, et Barricr, deuxième accessit, firent également
honneur à leur excellent maître M. Laforge.
Ce fut une pénible épreuve que d'entendre, répété par treize concurrents, un
désuet concerto pour violoncelle, de Davidoff, tout bigarré de traits vains et fâcheux.
Ce concerto et le morceau de lecture de M. Chapuis, valurent un premier prix à MM.
Benedetti, élève de M. Cros-St-Ange, et à M. Ringeissen, élève de M. Loëb ; leur méca-
nisme fut excellent de tous points, le premier possédant un jeu net et très joliment
nuancé, le second un son précis, solide et sobre. MM. Louis Boulnois et Gervais,
élèves de M. Loëb, qui montrèrent une grande maîtrise et une grande sûreté obtinrent
chacun un deuxième prix. Le premier accessit fut partagé entre M. Paul Mas, élève de
M. Cros-Saint-Ange, dont le style est bien inégal, et M. Gérald Maas, élève de M.
Loëb, que son jeu distingué et son excellente sonorité semblaient désigner à une
récompense supérieure. Enfin M. Ruyssett, que le « trac » éprouva fâcheusement, béné-
ficia d'un deuxième accessit. Nous regrettons vivement de n'avoir pas vu figurer au
nombre des récompensés M. Dumont qui se fit apprécier par sa très bonne sonorité et
son élégant déchiffrage.
Le jury était composé de MM. Gabriel Fauré, président ; Alfred Bruneau, Chapuis,
Paul Vidal, H. Biisser, de Bailly, Tournemire, Van Woelfelghem, Pablo Cazals, Salmon,
Hasselmans, Nanny, Chavy et Fernand Bourgeat, secrétaire.
Edouard SCHNEIDER.
FLUTE, CLARINETTE, HAUTBOIS, BASSON
27 juillet. — Malgré la grande chaleur et l'atmosphère peu plaisante d'un théâtre
en cette saison, un public nombreux et bienveillant est venu assister aux concours de
flûte, de hautbois, de clarinette et de basson.
Les flûtistes ont à exécuter un Nocturne suivi d'un Allegro S cher {ando dûs à
M. Gaubert et à déchiffrer un morceau de M. Ganne. Les auteurs figurent dans le
jury. Un premier prix est décerné au tout jeune M. Moyse (17 ans) qui vraiment a été
remarquable par sa virtuosité autant que par son sentiment. Il a très nettement sur_
passé ses camarades, même M. Bergeon, auquel un premier prix a été également dé-
cerné, MM. Paul et Cléton se sont partagés les deuxièmes prix. M. Camus a eu un
premier accessit.
— 512 —
Le morceau de concours pour le hautbois était de M. Paladilhe. On avait demandé
à M. de Bréville d'écrire le morceau de lecture à vue.
Tout le monde a été récompensé. Les lauréats du premier prix, MM. Serville et
Vaillant se sont fort distingués. MM. Stien et Fournier ont eu le second prix. Des ac-
cessits, premiers ou seconds, ont été répartis entre MM. Lonzatte et Riva, Rigot et
Durivaux.
Pour la clarinette, une mélopée orientale et sinistre de M. P. Véronge de la Nux ;
le morceau à déchiffrer était du même auteur. A l'unanimité — et le public approuva
le jury — M. Joseph Loterie obtint la première récompense. La seconde fut pour
M. Blachet, sans compter les accessits octroyés à MM. Quet, Hoogstoël et Corbet.
Le basson mit l'auditoire en gaieté. La folle joie déchaînée par les sons graves de
cet instrument ne fit trêve que devant M. Charpin (i^r prix avec M. Raimbourg) d'une
habileté consommée.
Gabriel ROUCHÈS. "
TROMPETTES ET. TROMBONE
Trois premiers prix, deux seconds prix, trois accessits, en tout huit récompenses
pour neuf concurrents ! Je citerai seulement les trois premiers prix MM. Villard, Blan-
quefort et Laurent, véritables artistes qu'il faut féliciter d'avoir choisi un instrument
que l'on apprécie heureusement à sa valeur dans l'orchestration moderne.
Excellent concours en somme puisque tous les concurrents ont su exécuter à leur
honneur non seulement le morceau de concours, mais encore la page à déchiffrer dus
tous les deux à M. G. Enesco.
Le concours de trombone fut plus inégal, une grande partie du pubhc aurait voulu
voir attribuer à M. Saintey une récompense plus élevée. Mais les trois premiers prix,
MM. Vermynck, Aennebelle et Mendels, les deux derniers surtout malgré quelques
hésitations dans la lecture à vue ont su faire applaudir une impeccable virtuosité.
G. R.
COR
Les deux morceaux, celui de concours et celui à déchiffrer étaient de M. P. Du-
kas. MM. Delgrange et Pétiau, les deux plus jeunes concurrents se sont partagé le
premier prix. MM. Deswarte et Bailleux ont eu un second prix chacun. Deux pre-
miers accessits ont été décernés à MM. Thibault et Lepitre, cornet à pistons. M.
Georges Hue avait écrit le morceau de concours et M. Charles Lévadé la pièce à dé-
chiffrer qu'il accompagnait lui-même. MM. Mager et Foveau, tous deux fort remar-
quables, ont eu, aux acclamations du ; public, le premier prix. Trois seconds prix
furent le partage de MM. Lemaire, Body et Ben Vanasek, qui ne fut pas loin, par une
mimique bizarre, d'exciter le rire de l'assistance. M. de Lakhouwer a obtenu un pre-
mier prix.
G. R.
— 513 —
Echos et Nouvelles Diverses
FR A NCE
La Direction de l'Opéra. — Encore une nouvelle candidature : celle de M. Saugey,
directeur de l'Opéra de Nice.
A r Opéra-Comique. — Il est question d'une solennelle reprise des Noces de Figaro
de -Mozart. Quant aux ouvrages nouveaux, le choix dé M. Albert Carré s'est actuellement
arrêté sur le Chandelier, de M. André Messager, et sur Phèdre et Hippolyte, de
M. Vincent d'Indy, livret de M. Jules Bois.
Dans le cours delà prochaine saison, nous entendrons Mme Emma Calvé dans
Marie-Magdeleine, dont la reprise aura lieu pendant la semaine sainte, et Mlle Mary
Garden, laquelle reparaîtra dans ses intéressantes créations de Chérubin. Aphrodite et
Louise.On dit que M. Albert Carré a l'intention de monter, au commencement de la sai-
son prochaine, Madame Butterfly., de M. Puccini.
Nouveaux concerts en perspective. — Nous avons déjà annoncé les con-
certs que M. Séchiari allait diriger à partir du 22 novembre prochain tous les jeudis
soirs ; ajoutons que ces concerts auront lieu au « Kursaal », avenue de Clichy, nouvelle
salle confortable et pratique, comprenant 1,200 places. A l'exemple des Concerts popu-
laires de la Société Philharmonique de Berlin, il sera permis de consommer et de
fumer. L'orchestre qui comprendra 60 musiciens, sera composé des plus remarquables
instrumentistes des Concerts-Lamoureux. Le prix des places sera de 2 francs environ,
et l'on entendra les artistes célèbres ainsi que nous le fait espérer le premier pro-
gramme où nous lisons le nom de Diémer.
Les Concerts-Berlio^., rue de Clichy, n'en continueront pas moins leurs intéres-
santes séances des mardi, jeudi et samedi.
De son côté, M. Touche s'est assuré la collaboration complète de l'orchestre des
Concerts-Rouge qu'il dirige depuis plus de dix ans et fonde avec cet orchestre les Co7t-
certs-Touche qui auront lieu tous les soirs, à partir d'octobre, dans une charmante
salle remarquablement aménagée à cet effet, boulevard de Strasbourg.
Nous croyons savoir encore qu'une entreprise du même genre et solidement orga-
nisée, doit voir le jour rive gauche, dans le quartier des Ecoles.
M. Ernest Reyer vient d'être élevé à la haute dignité de grand croix de la Légion
d'honneur. Tous les admirateurs et amis de l'illustre maître ont accueilli avec joie cette
heureuse nouvelle.
— M. Paul Dukas a été fait chevalier de la Légion d'honneur.
Nous apprenons que \e. comité de Direction de la Société philharmonique de- Paris
qui était composé de MM. Camille Bellaigue, président, Ernest Sachs, Pyrame Na-
ville, Gustave Doret et Louis de Morsier s'est dissous et a laissé la direction de cette
intéressante association à M. Rey, qui en fut, avec le docteur Frenkel, le fondateur.
Une nombreuse et élégante assistante applaudit le 12 juin chez Mme Fuchs des
fragments de VArmide, de LuUy, chantés sous la direction de M. Paul Vidal par
Mlle Croizat, Mme Mathieu d'Ancy, MM. Paulet, Doramier et Gustave Bordes. Les
excellents interprètes et les chœurs remarquablement accompagnés aii piano par M. Je-
main, obtinrent le plus vif succès. Armide était suivie d'une parodie du temps, dont
M. Paul Fuchs venait de retrouver le libretto et la musique composée d'airs anciens
que M. Paul Vidal harmonisa. Mme Fuchs en exprima avec un art et un charme
incomparables la grâce légère et toujours jeune et on lui fit fête ainsi qu'à ses parte-
naires, Mme André et Mlle Fuchs, MMi Baudouin^Bugnet, Pineau. Renie, . Paulet et
P. Fuchs,
— 514 —
Nous sommes heureux d'enregistrer la très flatteuse distinction dont M. Adolphe
Boschot vient d'être l'objet. L'Académie des Beaux-Arts a récemment décerné en entier
le prix triennal Kastner-Boursault à sa Jeunesse d'un Romantique que nous avons
louée ici- même et qui demeurera le type de la critique la plus profonde et la plus péné-
trante en même temps que la plus vive et la plus intelligente que l'on ait faite depuis
longtemps.
La disparition du ténor :
On a beaucoup remarqué au dernier concours de chant, l'absence presque complète
de ténors. Cette pénurie qui va, chaque année, en augmentant, devient fort inquiétante
pour l'avenir de nos théâtres lyriques.
Les grands ouvrages du vieux répertoire sont, depuis une dizaine d'années, à peu
près entièrement délaissés, faute de ténors ayant la voix suffisante pour les interpréter.
Mais il n'y aura bientôt plus de ténors du tout, et nos compositeurs vont se trouver
forcés d'écrire exclusivement pour les voix de baryton et de basse. Celles-ci sont
loin de faire défaut, et nous en avons entendu quinze, sur dix-neuf concurrents.
Le ténor Van Dyck a loué pour deux mois (janvier et février 1907), le théâtre de
Covent-Garden, à Londres, où il donnera, avec un choix d'artistes de premier ordre,
une saison wagnérienne.
M. A. Ferté, qu'une persistante indisposition avait tenu éloigné de Paris cet hiver,
sera prochainement de retour et reprendra ses concerts. Il prépare en ce moment un
recueil de mélodies sur des vers d'Albert Samain, de Mlle Marthe Dupuy et de M.
Georges Seine, un jeune poète de brillant avenir.
Boulogne-sur-Mer. — Théâtres et concerts classiques obtiennent ici le plus vif
succès, artistiquement dirigés par M. de la Fuente. Nous applaudissons surtout MM. A.
Bachmann et Francis Thibaud qui rivalisent de charme et de virtuosité aux grands
concerts très courus.
Aix-les-Bains. — Sous la savante direction de M. P. Flon, les représentations de
la Villa des Fleurs offrent un attrait incomparable. Nous y reviendrons.
Dieppe. — Les concerts du Casino sont tout-à-fait remarquables avec des solistes
tels que Mmes G. Marty, Douaillier, Eléonore Blanc, MM. Cazeneuve, Nivette, etc. ;
à l'orchestre on apprécie chaque jour MM. Dorson, Monteux, Hasselmans, Blancquart,
Leclercq. Mme Bruguière-Hardel, etc., sous l'excellente direction de M. Gabriel-Marie.
Au Théâtre, Carmen, Fatist, Grtséh'dis, La Tosca, avec Mmes Charlotte Wyns,
B. Mendès, MM. Delmas, Dufrainne, sous l'habile direction de M. P. Monteux.
" S.
Nécrologie. — Nous apprenons au moment de mettre sous presse la triste nou-
velle de la mort de M. Luigini, l'éminent directeur de la Musique à l'Opéra-Comique.
M. Luigini était né à Lyon en 1850. On sait combien fut brillante sa carrière de
chef d'orchestre à Lyon puis à Paris.
Genève. — Sur la demande de nombreux professeurs étrangers, V Institut Genevois
de gymnastique rythmique 1 Directeur M. E. Jaques-Dalcroze), organise un cours de
vacances destiné aux professionnels, pour la démonstration pratique de la méthode de
gymnastique rythmique de M. E. Jaques-Dalcroze. Cette méthode a pour but le déve-
loppement de la mentalité rythmique et métrique musicale du sens de l'harmonie plas-
tique et de l'équilibre des mouvements, ainsi que la régularisation des habitudes mo-
trices.
Le cours aura lieu à Genève (Suisse'» du 23 août au 8 septembre prochain. S'adres-
ser à M. E. Jaques-Dalcroze, 7, avenue des Vollandes, Genève.
— 515 —
M. Ernest Consolo, réminent pianiste maintes fois applaudi à Paris, vient d'être
nommé professeur à l'Ecole supérieure de piano du « Musical Collège » de Chicago.
Luxembourg. — Le Conservatoire de Luxembourg, nouvellement réorganisé, vient,
sous l'énergique initiative de son directeur Victor Vreuls, élève de Vincent d'Indy, de
donner déjà un concert auquel ont pris part exclusivement des professeurs et élèves
de l'établissement. Le programme, d'une haute tenue artistique, comportait un
Concerto brandebourgeois de J.-S. Bach, un Trio de Mozart, une Symphonie d'Haydn,
une Sonate pour violoncelle et piano et le Septuor de Beethoven. Ces oeuvres diverses
ont été remarquablement exécutées avec le concours et sous la direction de M. Vreuls
et de ses collaborateurs qu'il convient de féliciter de ce beau succès.
Au château de Trèvano, le célèbre librettiste Luigi Illica (collaborateur de Masca-
gni, Puccini, Franchetti, Giordano, etc.) et le compositeur Louis Lombard viennent de
finir un opéra qui sera donné la saison prochaine.
La musique dramatique en Allemagne. — On annonce que la saison prochaine
verra les premières représentations de plusieurs œuvres nouvelles de l'Ecole Moderne
allemande, en particulier d'une nouvelle tragédie musicale de Max Schillings, Moloch,
d'un opéra de Hans Pfitzner, Christelflein, d'un autre opéra, le Doux poison, de Albert
Gorters.
Bibliographie
Jules Ecorcheville. — Vingt suites d'Orchestre du xvii° siècle français (1640-
i67o).In-4° raisin de iv. — 145 pages,
id. De Lulli à Rameau. — L'Esthétique musicale.
In-4° couronne de ix. — 172 pages.
Paris, Marcel Fortin., éditeur, igo6.
Les deux thèses que M. Jules Ecorcheville vient de soutenir en Sorbonne pour
l'obtention du grade de Docteur ès-lettres, constituent un remarquable monument élevé
à l'histoire et à l'esthétique de la musique française.
Dans la première, l'auteur se livre à une étude approfondie d'un manuscrit de la
bibliothèque de Cassel, renfermant 20 suites écrites par des musiciens français et étran-
gers entre 1640 et 1670. Ces suites généralement à quatre ou cinq parties sont desti-
nées à un orchestre d'instruments à archet. On sait combien la littérature instrumen-
tale de cette époque est mal représentée dans nos dépôts publics. Des oeuvres qui for-
maient le répertoire de la fameuse « Bande des vingt-quatre violons du Roy )) il ne nous
reste que de bien rares spécimens conservés dans la collection Philidor et dans quelques
Recueils de la Bibliothèque Nationale. C'est donc une véritable et précieuse découverte
qu'a faite M. Ecorcheville.
A la lumière d'une érudition qui ne se dément jamais, il étudie successivement le
manuscrit, les auteurs, les œuvres et leur milieu, les danses et les rythmes, la morpho-
logie de ces curieuses compositions et les instruments employés à l'exécution de celles-ci :
puis il donne un fac-similé du manuscrit qui forme la base de son travail.
A l'étude historique et musicale de la collection de Cassel, M. Ecorcheville a joint
une réduction pour le piano des 20 suites d'orchestre de cette collection. C'est là une
idée particulièrement heureuse et qui sera accueillie comme elle le mérite par tous les
fervents de la musique ancienne.
La seconde thèse de M. Ecorcheville est une thèse d'idées. Elle est consacrée aune
époque encore peu étudiée de notre histoire musicale, à celle qui s'étend de la mort de
- ',i6 ~
Lulli à Rameau. Si cette période ne donna point le jour à des oeuvres bien retentissan-
tes, du moins vit-elle éclore les premières tentatives de la critique et de l'esthétique
musicales. Des penseurs comme l'abbé Pluche et l'abbé Dubos, des écrivains tels que
Lecerf de la Viéville, Raquenet, Terrasson et Houdar de la Motte, ne méritent point
l'oubli injuste dans lequel ils sont tombés. On ne saurait trop admirer l'ingéniosité de
leurs doctrines, la souplesse de leur dialectique, la subtilité de leurs raisonnements et
souvent la profondeur étonnante de leurs intuitions. S'ils se placèrent trop exclusive-
ment pour juger du phénomène musical sur le terrain de la pure raison, encore faut-il
leur accorder qu'ils appartenaient à une génération élevée dans la stricte discipline ra-
tionnelle et intellectualiste du xvii° siècle, discipline dont l'influence s'étend sur tout le
premier tiers du siècle suivant. Ils eurent néanmoins des lueurs admirables sur la mu-
sique et son avenir. Certains d'entre eux annoncent Schopenhauer et Wagner.
Le livre de M. Ecorcheville écrit d'un style aussi élégant que clair, comble une la-
cune dans l'histoire de la pensée française. Tous ceux qui s'intéressent à la philosophie
de l'art musical le liront avec fruit.
L. de la Laurencie.
J.-G. Prodhomme : Les Symphonies de Beethoven. (1800-182^) in 8° écu de XXI-
492 pages. Préface de M. Edouard Colonne.
Paris, Charles Delagrave. Editeur, 1906.
Voici un ouvrage qui manquait complètement à la bibliographie française sur
Beethoven. M. Prod'homme s'est proposé de retracer l'histoire des 9 symphonies du
maître de Bonn, depuis le moment où chacune d'elles germa dans l'esprit de son auteur
jusqu'à leur complet achèvement et leur exécution dans les principales villes d'Europe.
Son livre se trouve de la sorte logiquement distribué en 9 chapitres, un dixième chapitre
étant consacré à la dixième symphonie que Beethoven songeait à écrire. M. Prod'homme
apporte au cours de ces 10 chapitres, la documentation la plus'abondante et la plus sûre
qui ait été encore fournie sur la matière, et il le fait en un style sobre, précis et clair
digne à la fois de l'immortel musicien et de l'Histoire.
Nous signalerons tout particulièrement le curieux chapitre III, qui traite de
l'Héroïque. Ici, M. Prod'homme élucide bien des obscurités que ni Grove, ni les
auteurs allemands n'avaient dissipées. Il nous donne d'intéressants détails sur les opi-
nions politiques de Beethoven, indique que l'Héroïque fut commencée en 1803 à Ober-
Deobling, peut-être sur la suggestion de Bernadotte, et se livre à une étude attentive
du titre de la copie de cette symphonie que possède la Geselischaft der Musikfreunde de
Vienne, titre portant les traces de la colère qui s'empara du Maître lorsqu'il apprit que
son héros s'était transformé en empereur. Ce n'est que sur l'édition de Simrock (1820)
que la troisième symphonie prit le nom de Sinfonict eroica cotnposta fer festiggiare il
souvenire di un grand uomo. Par une ingénieuse discussion, M. Prod'homme arrive à
fixer au mois d'août 1804 la date de la première exécution de l'Héroïque.
Ajoutons que d'excellentes analyses des symphonies complètent ce précieux
ouvrage,
L. de la Laurencie.
A. PIRRO : J--S. BACH, i voL in-i6.
Félix Alcan^ éditeur.
Il sera rendu compte de cet important ouvrage dans notre prochain numéro.
Le Directeur-Gérant, Albert DIOT.
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jusqu'à ce jour — avec un succès toujours croissant, « cela grâce à sa situation topographique exceptionnelle et à son
merveilleux outillage » que de la production de la tonte de fer.
Le capital de la Société ne lui permet pas d'accepter toutes les commandes et principalement les plus importantes
qui lui sont faites; il en résulte pour elle une perte importante, d'autant plus sensible que les fonderies de fer ne
laissent que de très modestes bénéfices.
Pour pousser le rendement des FONDERIES DE L'ESCAUT à son maximum, l'Assemblée générale des action-
naires a décidé de porter le capital de la Société de 500.000 à 2 millions de francs, sa transformation en Société
ïnglaise, sous la dénomination de THE ESCAUT FOUNDRIES AND EXTENSIONS Ld, et l'émission de So.ooo
ictions de 1 livre sterling, dont 50.000 actions, soit 750.000 francs, seront dès à présent mises en vente, les autres ne
devant l'être qu'au fur et à mesure. des besoins de la Société. Ces 750.000 francs sont de première nécessité:
i" Pour la liquidation de l'ancienne Société;
2° Pour l'installation de fours à acier;
5° Pour l'exploitation des terrains de sable spécial qui entourent les usines et dont il sera parlé dans notre prochain
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Londres-Nice en 27 heures — Paris-Nice en
y 7 heures
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Marseille arrivée. ... 9 h. 35 matin
Nice )) .... 2 h. 12 soir
Menton » .... 3 h. 24 »
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Menton départ 1 h. 40 soir
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Paris arrivée . . 8 h. 30 matin
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wagons-lits et d'un restaurant.
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et une pour Naples
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du 4 Décembre \c)o^ au 5 mai ipo6
Paris départ .... 1 1 h. 20 matin
Modane arrivée. .. 10 h. 18 soir
Rome » . . . 5 h. 50 » ( i)
le lendemain
(i) hetire de l'Europe centrale.
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du 6 décembre au y mai
Rome départ. ... i h. 40 soir
Modane » .... 7 h. 56 matin
Paris arrivée. ... 6 h. 35 soir
le lendemain (i)
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Compagnie des Wagons-Lits.
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dessert les stations balnéaires et thermales de la Nor-
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ci-après qui comportent jusqu'à 50 0/0 de réduction sur
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Billets valables suivant la distance 3, 4, 10 ou 33
jours : ces derniers donnent le droit de s'arrêter pendant
48 lieures à Faller et au retour à une gare au choix de
l'itinéraire suivi et peuvent être prolongés d'une ou de
deux périodes de 30 jours, moyennant supplément de 10
0/0 pour chaque période.
2° Excursions sur les Côtes de
Normandie
en Bretagne et à l'Ile de Jersey
Billets circulaires valables un mois (non compris le
jour du départ) et pouvant être prolongés d'un nouveau
mois moyennant supplément de 10 0/0.
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50 et IIS fr., en i" classe et 40 et 100 fr., en 2» classe,
permettent de visiter les points les plus intéressants de la
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