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Full text of "Le Courrier musical"

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GiVEN   By 


^ 


9^  ANNÉE,   Nol.    l«r  Janvier  1906, 


Directeur:  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOJRE 

Sommaire  : 
Portrait  :  Guillaume  LiEKEU  (1870-1894) 


Lettres  inédites  de GUILLAUME  LEKEU 

(écrites  de  1889  a  1893) 
La  Religion  de  Beethoven 

ET  LA  MissA  SoLEi-viNis       D--  FRITZ  VOLBftCH- 
{suite) 
Des  Études  de  Composition 

musicale a.  bertelin. 

A  l'Opéra  : 
La  Ronde  des  Saisons  .  .     VICTOR  DEBAY. 
Notes  biographiques  sur 

Guillaume  LEKEU. . .     P,  DE  S. 


Les  Grands  Concerts 


(JEAN  0' 
■'"  (PAUL  L 


UOiNE. 
LOCARO 


La  Quinzaine  Musicale  (  Société  Philharmo- 
nique, Concerts  Le  Rey,  Soirées  d'Art,  Société 
Bach,    Scbola,  Hautes  Etudes  sociales. 

Le  mouvement  musical  en  Province 

Il  I iiii        III  if^ 

et  à  V Etranger  : 
Lettre  de  Vienne J.  SAUE8WEIN. 

Correspondances    de    :    Bordeaux,   Bruxelles, 

Leipzig,  Vervjers. 
Concerts  Divers. 
Concerts  Annoncés. 
Echos  et  Nouvelles. 
Nouveautés  Musicales. 


Administration  et  Rédactiou  : 
29.  F^UE  TRONCHET,  PARIS  {Ô') 

TKLÉiniOXE  ^S^fKi 

Burcau;c  ouverts 

de  10  b.  à  midi  et  de  ^  h.  à  6  h. 


I.c,  Directeur   et   le   Secrétaire  de  la 
Rè^iiuctiôn  reçoivent  les  Mardi,   Jeudi 

et  iSaJil'tidi,'  '  'i'^\  '^o  heures  à  midi. 


Le  numéro  :  75  centimes 


Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musical 

(le     1"     ET     LE     15     I>E     CHAQUE     MOIS) 

(    Paris  et   Départements 12  francs  l'an 

ABONNEMENTS         ^  .^ 

[    Etranger 15         »  » 

Le    Numéro  :   75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 
Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (16^) 


Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8*). 

(TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D'"  Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot  —  René  Doire  ~  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Giovanna  —  Orner  Guiraud  — 
F,  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauervsrein  —  A.  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D'  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc  .. 

Z(.e  Courrier  Musical  est  cd  veute  : 
A  PARIS:    -sp,  rue  Tronchet. 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  Auber, 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Saint- Honoré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre- Français. 
Chez  M.  PUGNO,   ly,   Quai  des  Grcnds-t^ugustins,  etc... 
îH  PROVINCE,   chez^les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

DÉPÔTS  ï  ''^  •' '"^  .''î  ^' 'f  i . .  rtîîTiT?!  [  j 'ï 

Pour   r ALLEMAGNE  :      T' m/^  BRÉlfK'OPF    d   H/ERTEL,   à  LEIPZIG 

Pour    la    BELGIqUÈ'-'   '^''^'^'-^'^^^  45,  rue  Montagne  de 

^  \  '     Cour/â' 'BRUXELLES 

Pour  (^ANGLETERRE  •      ^    ^*^'  ^^^'"^^^^^  ^  MORTEL,   54,    Ntalborough-Street, 
'      }  LONDON-VT. 


Edition  SCHOTT  fils  (Mayence) 

(FROMONT,  20,  rue  d'Anjou,  Paris) 

Deuxième  Suite 

Allegro  Moderato^   Sarabande   variée^    Scherzo,  Rhapsodie   auvergnate. 
Mazurka  sentimentale.  ^/  f   /^    /    a     -^      »  r^ 

Berceuse.  i^Ol^0^yL^<6 

Chant  du  Voyageur.  {^^/Uvw^— €^  ^ 

,-       VA  PARAITRE  : 

Première  Suite  ^  ^^^  hSjhIS' 

Allegro,  Andajite,  Scherzo,  Allegro  assai. 
Six  caprices  de  virtuosité. 


Edition  SCHOTT  frères  (Bruxelles) 


Premier  Concerto  en  sol  mineur. 
Polonaise  en  sol  majeur. 


Edition   LEDUC,  3,  rue  de  Grammont,  Paris 


Jola.  Aragonaise. 

Rêverie. 

Serenata  Espanola. 

L'abeille. 

Fileuse. 


Edition    HAMELLE,   22,  B^  Malesherbes,  Paris 

CEuvres    a'u^llDerto    B^^GM:]Va:-A.]NriSr   : 

Aria  en  si  mineur.  y 

Chant  du  Printemps 

Toccata  de  Ch.  Widor.    )    ^  -^    a       a-    -d     u^ 

[    Transcrits  par  A.  Bacnmann. 

Papillon  de  Fauré.  ) 


PjLitian  Jlfutuciic 


(En  dépôt  à  la  Schola  Cantorum). 

209,  rue  Saint -Jacques,  PARIS. 


VIENT  DE  pk'tlklXriZ  : 

R.    DE    UaSTERAi    "■     1  riO    en   ré  pour  Piano,  Violon  et  Violoncelle. 

Prix  fiet  :  8   ïr. 

Album  pour  Enfants,  Petits  &  Grands 

Recueil  de  pièces  de  piano  à  deux  et  quatre  mains,  de  130  pages  de  musique  ;  ces  pièces 
destinées  à  initier  la  Jeunesse  à  la  musique  moderne,  ont  été,  dans  ce  but,  écrites  pour 
petites  mains  par  les  auteurs  suivants:  J.  Albeniz,  M.  AtauiER,  Ch.  Bordes,  G.  Bret, 
P.  DE  Bréville.  R.  de  Castéra,  p.  Coindreau,  a.  Dupuis,  h.  Estienne,  J.  Gay,  a.  Groz, 
V.  d'Indy,  m.  Labey,  L.  Pineau,  A.  Roussel,  L.  Saint-Req.uier,  G.  Samazeuilh,  Bl.  Selva, 

A.   SÉRIEYX,   D.   DE  SÉVERAC,  F.   DE  LA  TOMBELLE,   WlTKOWSKY. 

Couverture  de  Maurice  Denis,  gravée  sur  bois  en  trois  couleurs  par  J.  Beltrand. 

Net  :   10  francs. 


PIANO  : 

Allegro  de    Concert. 
Etudes  Symphoniques. 
Orientale. 

PIANO   ET    VIOLON    : 
Suite    (Allegro  -  Andante  -  Final). 
La   Fille  de  Minotti  {chœur  pour  voix   d'homme.^). 


PFISTER    F*'^''^^»      £5iteurs   Se    Jv|u5ique 

30,     Boulevard     Haussmann,   PARIS. 


Editioîjs  du  "  Courrier  Musical  " 

29,  rue  Tronchet,   PARIS. 

F.  BALDENSPERGER.  — .QÉSAR  FRANCK:  L'homme,  l'artiste,  l'œuvre 
\.*  î!: /J".^  î'.  :;.»::    \  '  \\    •>•:•  «ntusical.     (Avec     catalogue    complet    des 

:  .*:;'•..•:•.::..:  *••••"•••'••' oeuvres    de  Franck).  Prix:  1  fr. 

Paul  LOCA'EÇip..:  '^   II^S:  MAITRES   CONTEMPORAINS  DE   L'ORGUE 

(C.   Franck,  Saint-Saëns,  Guilmant,    Gigout, 

:•*:•'**•*:**'.••'**•%*.:•*:•*•'*./ *:*:WJ'^o^'  F^uré,  Boëlmann,    etc..)  avec   por- 

;•:•.*  :  •!•'•.'*•'*:    *:*.,•    :     :  îtrâitsde  Boëlmann,  Fauré,  Franck. 

Prix  :  1  fr.  50       \ 
M.-D.  CALVOCORESSI.  —  L'ÉTRANGER,  de  V.  d'iNDY,  avec  un  portrait  \ 

de  V.  d'Indy.  )).75       \ 

Jean  d'UDINE.  —  BORODINE  (éptiisé).  Prix  :  1  fr. 

G.  ROUCHÈS.  —  TROIS  CONFÉRENCES  sur  l'Histoire  de  la  Musique. 

Prix  :  1  fr. 

Jean  d'UDINE.  —  DISSONANCE,  roman  musical.  —  Prix  :  3  fr. 

Numéro  spécial  consacré  à  CES  Alt  FKA\Cli,  (publié  en  novembreo  194,  à 
l'occasion  de  l'inauguration  du  Monument  de  C.  Franck),  avec  articles, 
de  MM.  Vincent  d'Indy,  P.  Dukas,  Ch.  Bordes,  Camille  Mauclair,  A. 
CoQUARD,  V.  Debay,  Jean  d'Udine,  etc..  Autographes  musicaux  de 
C.  Franck,  portraits  du  Maître,  etc.  Prix:  75  centimes. 

Ces  ouvrages  seront  adressés  FRANCO  contre  l'envoi  de  leur  prix  en  mandat-poste. 


SOCIETE  PHILHARMONIQUE   DE    PARIS 

SALLK  DES  CONCEPTS  :  S,  rue  d'Jklîîènes 
Admmistration'.  32^  rue  Louis-le-Grand  [Pavillon  de  Hanovre) 

Mardi  16  Janvier  1906,  à  9  h.  très  précises  dit  soir 

SIXIÈME  CONCERT 

M'  Mark  Hanjbourg 

M'  Fritz  Kreisler 

^^7^:^  PROGRAMME  ^^^^^ 

\    I.     Sonate  en  la  majeur Mozart  (i 756-1791) 

Mrs  Fritz  KREISLER  et  Mark  HAMBOURG. 

2.  a  Pastorale Scarlatti. 

h  Capriccio id. 

c  Prélude  et  Fugue  en  ré  majeur J--S.  Bach 

CTranscnption    D'ALBERT) 

M.  Mark  HAMBOURG 

3.  Allemande,    Courante  et  Double    de    la  Sonate 

en  si  mineur,  pour  violon   seul Bach  (1685- 1750) 

Mr  Fritz  KREISLER 

4.  a  Ballade Grieg 

^ Etude  en  sol  bémol Chopin 

I        c  Etude  en  fa  mineur d° 

<        d  Valse  en  ré  bémol d» 

\        e  Polonaise  en  6"/  majeur  d" 

Mr  Mark  HAMBOURG 

5.  a  Prélude  en  mi  majeur Bach  (i 685-1 750) 

b  Chanson  Louis  XIII Louis  Couperin  (i 721-1789) 

c  Humoresque Dvorak 

d  Prélude  et  Allegro  en  mi  mineur Pugnani  (1727-1803J     \ 

Mr  Fritz  KREISLER 

6.  Fantaisie  en  ut  majeur,  pour  violon  et  piano.  .  .     Schubert  17 97-1828) 
Mrs  Fritz  KREISLER  et  Mark  HAMBOURG 

PIAKO   GAYEAU 

PRIX  DES  PLACES  : 

PARQUET  :  Fauteailî  (i"  série)  :  10  fr.  —  Fauteuils  (2°  série)  :  7  fr.  —  Galeries  C"'  rang),  5  fr.  — 

Autres  Rangs,  4  fr.  —  Entrée,  5  fr. 

Billets  à  l'avance   ;   A  la  SALLE  DES  CONCERTS,   8,   rue  d'Athènes  ;   chez  MM.   DURAND  et  Fils,  Éditeurs, 
4,  place  de  la  Madeleine  et  chez  M.  CRUS,   Editeur,  place  Saint-Augustin. 


Administration  de  Concerts  h.  DANDELOT,  S3,  Rue  d'Amsterdam 


Salle  ERARD;  15,  fm©  un  i^j 

SONATES    Piano    et    Violon 

TROIS  SÉANCES 

PAR 

€ESARE   ©AI^EOTTI 


I^aCîEK    €AFET 

Mercredi  10,   Mardi  16  et  Vendredi  26  Janvier,   à  9  heures  précises  du  soir  \ 


PRIX     DES     PLACES: 

DAD    CI^^4P^^^^^''^^^^^''^  ^^^  TROIS   SÉANCES  :  Fauteuil  réservé  ;  SO  francs. 
PAR   SEANCE  :  Fauteuil  réservé  :  20  fr.  —  Fauteuil  de  parquet  :  lO  fr.  —  Première  Galerie 
(i*^--  rang)  :  8  fr.  (2=  rang)  S  fr.  —  Deuxième  Galerie  :  3  fr. 
Billets  chez  :  MM.  DURAND  et  Fils,  4,  place  de  la  Madeleine  et  à  l'Administration  de  Concerts  A.   DANDELOT, 

83,  rue  d'Amsterdam.  Télép.  115-25. 
Monsieur  Cesare  GALEOTTI  Monsieur  Lucien  CAPET 

67,  boulevard  Haussmann  c,,  rue  du  Bois  (AsnièresL 


PREMIÈRE  SEANCE  (Mercredi  10  janvier) 

SONATE  ut  mineur,  op.  30  n"  2 Beethoven 

SONATE  50/  majeur,  op.  78   Brahms 

SONATE  ré  mineur,  op.  121 Schumann 


DEUXIÈME  SEANCE  (Mardi  16  janvier) 

SONATE  50/  majeur,  op.  96 Beethoven 

SONATE  la  majeur. César  Franck 

SONATE  ré  mineur  op.  75 Saint-Saens 


TROISIEME  SEANCE  (Vendredi  26  janvier) 

SONATE  sol  mineur,  op.  8 Camille  Chevillard 

SONATE  la  mineur,  op.   13.. Gabriel  Fauré 

SONATE  ut  mineur,  op.  45 Grieg 


SOGl£T£   J.    S.    BAGK 

Salle     de     l'Uriion,      14,     rue     de     Trévise 

Administration  :  9  bis,  rue  Mechain 


Le  Mercredi  17  Janvier  1906^  à  9  ï)eures 

CONCERT  avec  50LI,  OKCHESTKE  ^t  CHOEURS 

(  iROISlèmS    D£    LA  5*éRl£^  ) 
AVEC      LE      CONCOURS       DE 

Geopg    \A?a  LT  E 'R 

Ténor  solo  de  la  Singakadémie  et  de  la  Société  BACH,  de  Berlin 

-K*- 

AU  PROGRAMME  :  Première  audition  de 

La  Cat)tat    :  NUN  KOMM.  DERHEIDENttEILAND 

LE  COiXCERTO  en  LA  MIXEUR,  pour  piano,  flûte  et  violon. 
LA  CAIVTATE  «  SEIV  \RMER  MEUSt  H  "  pour  ténor  solo. 


PRIX  DES  PLACES  : 

Parquet  d^''  série)  6  fr.  Fauteuils  de  balcon,  5  fr.  Parquet  (2'  .série)  4  fr. 
Par  série  de  4  billets  utilisables  en  i  ou  plusieurs  fois,  18,  15,  18  fr. 


9*^  ANNEE.  N°  i.         :"  i"  JANVIER  1906 

E  Courrier  Musical 


SOMMAIRE  :  Portrait  :  Guillaume  Lekeu  (1870- 1894).  —  Lettres  inédites  de 
Guillaume  Lekeu  (écrites  de  1889  à  1893).  —  La  Religion  de  Beethoven  et  la  Missa 
solemnis  (suite)  (D""  Fritz  Volbach).  —  Des  Études  de  composition  musicale 
(A.  Bertelin).  —  A  l'Opéra  :  La  Ronde  des  Saisons  (Victor  Debay).  —  Notes  bio- 
graphiques sur  Guillaume  Lekeu  (P.  de  S.).  — Les  Grands  Concerts  (Jean  d'Udine, 
Paul  Locard).  —  La  Q.uinzaine  Musicale  {Société  Philharmonique,  Concerts  Le  Rev, 
Soirées  d'Art.  Société  Bach,  Hautes  Etudes  sociales.  — Le  mouvement  musical  en  pro- 
vince et  à  l'étranger  :  Lettre  de  Vienne.  Correspondances  de  :  Bordeaux,  Bruxelles, 
Leipzig,  Verviers.  —  Concerts  annoncés.  —  Echos  et  Nouvelles.  —  Bibliographie, 
Nouveautés  musicales. 


A  nos  dévoués  Collaborateurs,  à  nos  Amis  et  à  nos  Lecteurs., 
nous  offrons  nos  meilleurs  souhaits  de  nouvel  an. 


Le  Courrier  Musical  entre  aujourd'hui  dans  sa  neuvième  année 
d'existence.  Nous  ferons  tous  nos  efforts,  au  cours  de  l'année  nou- 
velle, pour  développer,  comme  par  le  passé,  notre  revue,  en  publiant 
un  nombre  toujours  croissant  d'études  et  d'articles  de  critique  et 
d'histoire  musicales,  de  monographies  et  de  portraits  de  musiciens, 
en  tenant  nos  lecteurs  au  courant  de  la  vie  musicale  en  France  et  à 
l'Etranger,  en  donnant  une  importance  de  plus  en  plus  grande  au 
bulletin  bibliographique.,  qui  leur  signalera  la  publication  de  tous 
les  ouvrages  de  valeur  traitant  des  choses  de  la  musique,  ainsi  que 
des  nouveautés  musicales. 

Nous  demandons  à  nos  lecteurs  de  nous  aider  à  faire  mieux 
encore,  en  nous  amenant,  par  leur  propagande  personnelle —  qui  est 
la  plus  efficace  —  de  nouveaux  adhérents.  Nous  enverrons  volontiers 
un  numéro  spécimen  à  toutes  les  personnes  qu'ils  nous  signaleront 
comme  susceptibles  de  s'intéresser  au  Courrier  Musical. 


A  partir  d'aujourd'hui  l*"""  janvier  1906,  le  prix  du  numéro,  composé 
de  34,  36,  ou  même  40  pages  de  texte  et  illustrations,  est  porté  à 
75  CENTIMES. 

Le  prix  de  l'abonnement,  néanmoins,  n'est  pas  modifié  et  reste  fixé 
à  1 2  francs  pour  la  France. 


—  7^2  — 

Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu 


Nous  commençons  aujourd'hui,  avec  l'agrément  de  la  famille  de  Guillaume  Lekeu,  la 
publication  d'une  série  de  Lettres  inédites  du  regretté  compositeur.  Mieux  que  ne  saurait  le 
faire  tout  essai  biographique,  elles  permettront  à  ceux  qu'a  profondément  émiis  sa  musique 
si  vibrante  et  si  sincère,  de  connaître  son  âme  ardente  et  généreuse,  d'admirer  ses  belles 
qualités  de  cœur  et  d'esprit. 

Sa  carrière  de  musicien,  —  hélas!  si  courte,  —  se  trouve  retracée  dans  ces  lettres,  oit 
l'on  verra  esquissés  bien  des  projets  dont  la  mort  ne  permit  pas  la  réalisation.  Nous  suivrons 
autant  que  possible,  pour  leur  publication,  l'ordre  chronologique. 

I.  —  Lettres  écrites  à  ses  parents,  au  cours  d'un  voyage  en  Allemagne 

(en  compagnie  de  MM.  T.  de  "WyzeiTva  et  Guéry)  en  1889 

(il  avait  19  ans). 

Munich,  le  i"  août  1889. 

J'ai  vu  avant  hier,  à  l'Opéra  de  Munich,  un  immense  chef-d'œuvre  :  le  Hollandais 
volant,  de  Wagner.  C'est  tout  simplement  prodigieux  !  Et  quelle  exécution  !  Oui, 
l'Allemagne  est  un  pays  tout  ce  qu'il  y  a  plus  de  extraordinaire. 

Et  la  Pinacothèque  !  Si  le  «  Bibelot  »  (i  )  pouvait  voir  les  pâles  vierges  de  Schaffner 
l'Adoration  des  Mages  de  Bonto,  les  œuvres  d'un  vieux  maître  anonyme,  auteur  de  la 
Passion  d'Elbersfeld,  les  Tryptiques  sacrés  des  vieux  de  Cologne,  les  Memling,  et  la 
Lucrèce  du  père  Cranach  !  Sans  parler  des  deux  immenses  salles  pleines  de  Rubens 
exclusivement,  d'où  l'on  sort  absolument  fou.  D'ailleurs,  je  n'ai  encore  vu  que  les  six 
ou  sept  premières  salles  et  il  y  en  a  vingt  ou  vingt-cinq  :  je  te  dis  que  l'Allemagne  est 
un  pays  prodigieux. 

Mais  l'étonnant,  c'est  la  beauté  du  Vaisseau  Fantôme  —  (c'est  le  nom  français  du 
Fliegender  Hollaender) . — Car  Wagner  a  écrit  cette  œuvre  à  Paris,  il  avait  tout  au 
plus  vingt-cinq  ans,  c'est  une  œuvre  de  jeunesse  tout  à  fait,  et  c'est  admirable  :  il  n'y 
a  pas  encore  l'emploi  étonnant  du  leitmotiv  qui  apparaît  dans  Tristan,  mais  chaque 
mélodie  est  superbe  de  vie,  de  passion,  et  toujours  conforme  au  caractère  du  person- 
nage qui  la  chante.  C'est  une  œuvre  forte  et  admirable,  qui  procède  sans  intermédiaire 
aucun  de  Fidelio. 

Que  sera-ce  donc  à  Bayreuth  ?... 

Je  me  sauve  vers  les  Primitifs  de  la  Pinacothèque  ancienne.  Mais  je  tiens  à  te  dire 
que  Mijnchen  est  la  meilleure  et  la  plus  drôle  des  villes  :  partout  des  édifices  grecs, 
des  temples,  des  portiques,  et  au  milieu  de  tout  cela  de  grandes  brasseries  avec  des 
entrées  de  cave,  et  de  bonnes  petites  maisons  allemandes.  11  est  vrai  aussi  que  la  ville 
est  pleine  et  entourée  de  jardins  splendides,  d'une  fraîcheur  et  d'un  calme  exquis. 

Lundi,  nous  avons  vu  défiler  un  admirable  cortège  de  sociétés  de  gymnastique 
qui  avaient  concouru  la  veille  :  des  bannières,  des  drapeaux,  et  surtout  des  hommes 
superbes.  A  citer  les  corporations  d'étudiants  et  leurs  insignes  ;  on  se  croyait  au 
moyen  âge... 

Je  t'embrasse  ferme. 


(i)  Surnom  donné  à  un  de  ses  amis. 


—  723  - 

Bayreuth,  6  août  89. 

Mardi  soir. 
Ma  bien  chère  petite  Maman. 

Aujourd'hui,  était  jour  de  repos  :  hier,  Tristan,  demain  les  Meister singer... 

Au  lieu  d'aller  chez  Mme  Wagner,  je  suis  allé  dans  la  chambre  de  Jean,  qui  a  un 
piano,  essayer  quelques  fugues  du  Clavecin  bien  tempéré,  et  j'ai  constaté,  non  sans 
une  certaine  joie,  que  je  ne  savais  presque  plus  jouer  du  piano... 

...Cependant  les  meilleures  gens  du  monde  sont  tous  les  membres  de  la  famille 
qui  nous  loue  une  chambre,  à  W...  et  à  moi  ;  ils  sont  d'une  prévenance,  d'une  atten- 
tion délicieuses  et  tout  aussi  incroyables.  La  jeune  fille  qui  s'occupe  surtout  de  nous  a 
remis  àW...  une  petite  montre  qu'on  lui  a  donnée  au  jour  de  l'an,  lui  disant  qu'elle 
regrettait  qu'il  n'y  eût  ni  pendule  ni  horloge  dans  la  chambre,  mais  que  cette  montre 
mise  sur  la  commode  tiendrait  lieu  de  ces  objets  et  qu'elle  marchait  très  bien.  (Elle 
avance  d'une  bonne  demi-heure  par  jour.)  ...Pour  moi,  comme  ami  deW...,  je  suis 
aussi  bien  soigné  ;  j'ai  la  clef  de  la  maison,  chaque  matin  on  m'apporte  du  café  et  un 
pot  de  lait  avec  deux  œufs  à  la  coque  ;  en  guise  de  pain,  ce  sont  de  petits  gâteaux  déli- 
cieux, et  chaque  fois  que  l'on  me  voit,  ce  sont  des  «  Guten  Tag  »  infinis  !  Ce  sont  de 
bien  braves  gens  vraiment  (dont  je  ne  sais  pas  encore  le  nom  d'ailleurs),  et  je  me  pro- 
mets bien,  si  j'ai  le  bonheur  de  revenir  encore  ici,  de  ne  plus  aller  vivre  ailleurs.  Et 
puis,  quel  rêve  réalisé  !  Entendre  les  jeux  scéniques  en  vivant  en  pleine  campagne, 
dans  un  pays  merveilleux  de  douceur  et  de  beauté  ! 

...  J'ai  été  présenté  à  l'unique  élève  de  Vincent  d'Indy,  M.  Albéric  Magnard.  Il  ne 
m'a  pas  produit  bien  bonne  impression.  Je  n'y  ai  vu  ni  un  musicien,  ni  un  artiste,  du 
moins  dans  tout  ce  que  je  lui  ai  entendu  dire,  et  c'est,  il  me  semble,  avant  tout,  un 
esprit  très  fin,  très  parisien  et  boulevardier,  qualité  prodigieuse  peut-être,  mais  qui  ne 
sert  de  rien  à  qui  veut  s'occuper  de  choses  sérieuses.  D'ailleurs,  il  est  probable  que  je 
lui  ai  fait  encore  une  bien  plus  triste  impression.  Je  crois  que  je  suis  peu  sociable  : 
c'est  dégoûtant  ! 

Quant  à  d'Indy  lui-même,  que  je  comptais  bien  voir  ici,  avec  ma  veine  habituelle 
à  son  égard,  je  suis  arrivé  le  lendemain  de  son  départ  pour  Paris. 

M.  Jules  Massenet  est  venu,  lui  aussi,  mais  il  est  aussitôt  reparti. 

De  lui  un  mot  délicieux,  mais  qu'il  fera  bien  de  ne  pas  répéter,  car  sa  réputation 
de  chef  des  wagnériens  en  France  (??!!)  pourrait  en  souffrir.  L'anecdote  est  de  Ma- 
gnard qui  la  tient  de  d'Indy.  Massenet,  sortant  tout  troublé  du  premier  acte  de  Parsi- 
fal  rencontre  d'Indy  :  «  Mon  cher  (avec  un  grand  air  d'onction  artistique),  c'est  admi- 
rable et  cette  fin  est  tout  à  fait  comme  celle  du  premier  acte  de  la  Norma  !  » 

Alors  d'Indy,  froidement:  «  Parfaitement,  cher  Monsieur,  et  j'en  suis  d'autant 
plus  frappé  que  je  ne  connais  nullement  la  musique  de  Bellini.  » 

Ce  fragment  de  causerie  me  remplit  de  joie,  car  les  deux  caractères,  quand  on  y 
songe,  s'y  révèlent  avec  une  netteté  extraordinaire 

Allons,  encore  une  fois,  je  vous  embrasse  tous  trois. 


Bayreuth,  le  12  août  1889. 

Mes  bien  chers  Parents, 

.....  Quand  maman  sera-t-elle  à  Verviers?   Pour  moi,  j'y  arriverai   certainement 
dimanche  matin. 

Voici  ce  qui  arrive  :  aujourd'hui  lundi  commence  à  Francfort  une  exécution  en- 


—  724  — 

tière  de  la  Tétralogie.  J'aurais  vivement  désiré  entendre  l'ensemble  de  ce  monument 
extraordinaire  ;  mais  il  n'y  faut  pas  songer.  Je  préfère  entendre  ici  une  seconde  fois 
Tristan  et  Y  solde  et  les  Meistersinger.  Mais  mercredi,  après  la  IValkyrie,  ily  a  à  Franc- 
fort jour  de  repos,  &i  Siegfried  tt  la  Gœtterdaemmerung  ne  seront  donnés  que  jeudi  et 
vendredi,  peut-être  même  vendredi  et  samedi.  Dans  tous  les  cas  j'y  serai,  car  nous 
quitterons  Bayreuth  mercredi  à  1 1  heures,  sitôt  après  les  Meistersinger... 

Faut-il  vous  dire  que  mon  voyage  est  toujours  aussi  beau,  aussi  surprenant  que 
jamais  ! 

Je  suis  allé  passer  trois  jours  à  Nuremberg  :  une  ville  extraordinaire,  bien  en- 
tendu ;  mais  pas  tout  à  fait  ce  que  je  m'imaginais.  Que  Marcel  n'aille  pas  croire  que 
chaque  rue  et  chaque  maison  soient  comme  le  merveilleux  décor  du  deuxième  acte 
des  Maîtres.  Les  maisons,  quoique  avec  une  allure  ancienne,  ont  toutes  été  restaurées, 
les  unes  dans  ce  siècle,  les  autres  au  xviii«. 

Mais  ce  qu'on  a  gardé,  ce  sont  les  vues  d'ensemble,  étonnantes  d'originalité,  les 
petites  rues  contournées  et  enchevêtrées,  les  amoncellements  de  toits  pointus,  au  loin 
dominés  par  le  vieux  château-fort  et  les  tours  des  fortifications,  les  ponts  couverts  de 
maisons  sur  la  Pegnitz  ;  mais  dans  tout  cela,  trop  de  gens  se  promènent  et  courent 
pour  leurs  affaires.  Puis  une  ignoble  synagogue  laisse  voir  de  partout  les  boules  qui  la 
surmontent.  J'ai  vu  une  vieille  maison  entièrement  belle  :  celle  d'Albrecht  Durer  ; 
moins  intéressante  est  celle  d'Hans  Sachs. 

En  revanche,  ce  qui  a  dépassé  toutes  mes  espérances,  ce  sont  les  églises,  puis  le 
musée.  Il  est  impossible  de  ne  pas  devenir  profondément  religieux  devant  des  chefs- 
d'œuvre  tels  que  l'église  de  Saint-Laurent,  ou  ce  divin  bijou  mystique  :  Sainte-Marie, 
et  les  douloureux  bas-reliefs  de  Saint-Sebald.  Puis,  dans  chacune  de  ces  maisons  di- 
vines, des  tableaux  de  Primitifs,  toujours  aussi  beaux  :  tel  entre  cent,  un  Wohigemuth 
à  l'église  Saint-Laurent. 

Je  suis  allé  aussi  à  Sroabach,  un  tout  petit  village  à  trois  quarts  d'heure  de  Nu- 
remberg, où  resplendit  une  miraculeuse  église,  avec,  à  l'intérieur,  d'étonnants  Albert 
Durer,  des  Wohigemuth,  et  des  statues  en  bois  stupéfiantes  d'expression,  de  reli- 
gion, qu'a  créées  un  bienheureux  artiste  de  Nuremberg. 

Tout  cela,  c'est  beau,  beau  comme  le  monde,  et  je  ne  puis  que  le  répéter  encore 
du  Musée  germanique  de  Nuremberg  où  scintillent  les  Cranach,  Wohigemuth,  Culm- 
bach,  Durer,  Zeitblau,  Bouts,  Altdorfer,  etc.,  puis  les  vieux  maîtres  de  Cologne.  — 
Et  surtout,  dans  ce  musée,  la  joie,  pour  la  première  fois  éprouvée,  de  n'avoir  à  re- 
garder que  des  œuvres  de  ces  bons  et  doux  génies,  sans  regretter  les  peintres  plus 
modernes  qui  sont  dans  les  autres  salles.  Marcel  me  comprendra.  Ici,  pas  un  Rubens, 
un  VanDyck,  un  Rembrandt,  rien... 

...  Ici,  à  Bayreuth,  rien  de  saillant.  J'ai  entendu  hier,  pour  la  seconde  et  dernière 
fois,  Parsifal.  Aujourd'hui,  à  4  heures,  Tristan,  demain  les  Maîtres. 

Je  ne  regrette  que  l'absence  de  mon  vieuxBibelot,  de  mon  seul  ami  avant  Wyzewa  ; 
il  comprendrait  que  Wagner  ne  peut  être  compris  (absolument  pas),  au  piano  ;  et  qu'en- 
tendre ou  plutôt  voir  un  de  ses  drames  est  entrer  dans  un  monde  tout  nouveau  dont 
je  n'avais  jusqu'ici  nulle  idée.  On  pleure  presque  tout  le  temps  ;  Parsifal  m'a  fait  de- 
venir passionnément  religieux,  et  je  me  sens  des  envies  étouffantes  d'aller  à  la  messe 
(car  c'est  la  seule  chose  que  rappelle  cette  rêverie  surhumaine  !)  —  Et  dire  que  ce 
soir  je  vais  encore  entendre  Tristan  !  —  Puis  les  Meistersinger  !... 


—  725  -- 

II.    -  Lettres  à  M.  Kéfer,  directeur  de  l'Bcole  de  musique  de  Verviers 
(écrites  pendant  son  séjour  à  Paris,  1889-1890) 

Paris,  19  novembre  1889. 

Cher  Monsieur, 

Je  ne  lis  jamais  les  journaux  de  Paris,  et  encore  moins  ceux  de  Verviers.  Je  le 
regrette  aujourd'hui,  car  j'ai  trouvé,  par  un  purhasard,  dans  un  numéro  de  l'L^n/onLî&e- 
ralc,  déjà  vieux  d'un  mois,  un  entrefilet  m'apprenant  le  succès  que  vous  venez  de  rem- 
porter avec  une  symphonie. 

Mes  humbles  félicitations  vous  paraîtront  peut-être  de  la  moutarde  après  souper, 
et  pourtant,  Monsieur,  je  vous  prie  de  les  accepter  et  de  croire  à  leur  entière  sincérité. 
Mon  oncle  vient  de  m'écrire  tout  récemment  pour  me  dire  avec  quelle  bonté  bienveil- 
lante vous  lui  aviez  parlé  de  moi.  Je  ne  sais  vraiment  comment  vous  remercier  de 
cette  nouvelle  marque  d'affection,  et  je  me  sens  aussi  impuissant  à  vous  témoigner 
toute  ma  reconnaissance  pour  la  demande  d'un  travail  musical  que  vous  m'adressez 
par  l'entremise  de  mon  oncle.  Je  voudrais  dès  maintenant  me  rendre  à  votre 
désir,  mais  je  ne  le  puis  vraiment  encore.  Voyez  plutôt,  cher  monsieur  ce  qui 
m'arrive. 

Depuis  le  mois  de  mai  de  cette  année,  je  travaille  à  une  étude  scénique  à  trois 
personnages  (j'en  omets  trois  autres,  mais  sans  importance  pour  le  sens  de  l'ouvrage)  : 
étude  d'après  la  charmante  comédie  d'Alfred  de  Musset  :  Barberine.  Ma  partition  aura 
deux  actes  ;  j'espère,  dans  un  ou  deux  mois  (mettons  au  i^'"  janvier),  avoir  terminé  le 
premier  acte.  Terminé,  mais  pas  entièrement.  J'écris  sur  trois,  quatre,  cinq  ou  même 
huit  ou  dix  portées,  en  multipliant  les  indications  instrumentales,  mais  la  partition 
d'orchestre  n'est  même  pas  commencée,  encore  moins  l'arrangement  pour  piano, 
dont  la  seule  pensée  me  fait  dresser  les  cheveux  sur  la  tête.  Vous  voyez  que  j'ai 
encore  au  moins  une  année  de  travail,  et  sérieuse,  avant  d'arriver  au  bout  de  mon 
petit  drame. 

Jusqu'à  présent  je  n'ai  pas  lieu  de  me  plaindre  de  moi-même,  et  je  vous  avouerai 
en  toute  franchise  que  je  crois  avoir  assez  bien  réalisé  mes  intentions  sans  m'illusion- 
ner  cependant  sur  la  valeur  de  ce  premier  ouvrage,  car  je  sens  bien  que  le  Maître  de 
Bayreuth  pèse  de  tout  son  formidable  poids  sur  ma  pensée  ;  mais  enfin  je  n'ai  cherché 
qu'à  le  suivre  fidèlement,  à  être  simple  et  exact  dans  la  déclamation,  à  être  expressif 
et  musical  dans  l'orchestration,  en  outre,  à  être  scénique.  Mais  voici  qu'aujourd'hui 
un  de  mes  amis,  acteur  de  l'Odéon,  m'a  affirmé  que  jamais  Mme  Lardin,  sœur  de 
Musset,  ne  permettrait  l'exécution  de  l'œuvre  (si,  par  hasard,  l'occasion  se  présentait 
de  la  monter  à  la  scène),  ni  l'exécution  de  quelques  fragments  dans  un  concert.  Elle 
refuse,  paraît-il,  absulument  toute  autorisation  aux  demandes  (nombreuses)  d'adapta- 
tions musicales  des  drames  et  comédies  de  son  frère.  Me  voilà  bien  ennuyé,  et  pour- 
tant je  veux  finir  ce  que  j'ai  entrepris,  certain  d'avance  de  ne  jamais  avoir  le  plaisir 
de  voir  la  réalisation  absolue  de  ce  que  je  rêve.  Mais  je  pourrai  toujours,  lorsqu'un 
orchestre  voudra  s'y  prêter,  faire  exécuter  à  mon  gré,  et  sans  aucun  contrôle  de  Mme 
Lardin,  les  parties  purement  symphoniques  de  l'ouvrage.  Je  ne  vois  guère  que  deux 
fragments  propres  au  concert,  et  encore  le  premier  perdra,  je  crois,  beaucoup,  loin  de 
la  scène  :  un  fragment  de  la  deuxième  scène  du  premier  acte  et  le  prélude  du  deuxième 
acte. 

Mon  premier  acte  n'aura  pas  de  prélude  ;  j'ai  cru  devoir  ainsi  faire,  car  le  person- 
nage principal  n'apparaît  qu'au  deuxième  acte. 

Le  Prélude  est  donc  reporté  avant  cette  rentrée  au  deuxième  acte  :  il  doit  dé- 
peindre la  douceur  de  Barberine,  sa  bonté  honnête,  son  amour  et  son  dévouement 


—   'J26   — 

pour  son  mari.  C'est  un  bien  beau  programme,  mais...  je  n'en  ai  pas  encore  écrit  une 
note.  Sans  doute  (puisque  les  quatre  cinquièmes  du  premier  acte  sont  terminés)  j'ai 
plusieurs  motifs  qui  constitueront  la  base  de  ce  morceau  symphonique. 

Mais  il  m'en  faut  encore  deux  ou  trois  autres,  inutiles  au  premier  acte,  et  que  j'ai 
d'avance  réservés  au  deuxième  exclusivement  ;  il  me  restera  alors  à  ordonner  tous  ces 
thèmes  en  un  morceau  d'orchestre  bien  continu. 

Je  me  propose  de  ne  mettre  la  main  à  ce  Prélude  que  quand  je  verrai  le  deuxième 
acte  sur  le  point  d'être  terminé.  Lorsqu'il  sera  achevé,  je  le  montrerai  à  mon  maître 
Franck,  et  aussitôt  après  je  me  ferai  un  réel  plaisir  de  vous  en  adresser  la  partition. 
Mais  vous  voyez  que  ce  n'est  pas  pour  demain.  J'ai  aussi  en  tête  une  introduction  à  la 
Coupe  et  les  lèvres,  mais  presque  à  l'état  de  projet. 

Excusez-moi,  monsieur,  de  vous  adresser  une  lettre  si  fastidieusement  longue, 
mais  cela  a  été  pour  moi  une  si  vive  joie  de  vous  connaître  et  de  voir  surtout  qu'en 
tout  point  (musical  cela  s'entend,  pour  le  reste  nous  n'avons  rien  effleuré),  vos  opi- 
nions répondaient  absolument  à  mes  admirations  et  à  mes  haines,  —  que  je  laisse 
maintenant  ma  plume  courir,  sans  songer  que  toute  mon  histoire  vous  ennuie  peut- 
être  et  mortellement.  Encore  une  fois  pardon. 

Franck,  de  son  côté,  travaille  aussi  beaucoup  :  il  aura  bientôt  terminé  la  troi- 
sième partie  d'un  Quatuor  à  cordes  qu'il  m'a  promis  de  me  faire  connaître  avant  de  le 
confier  à  la  gravure.  Il  est  enchanté  de  son  éditeur  Hamelle  qui  va  faire  paraître  la 
partition  d'orchestre  de  sa  Symphonie,  et,  en  outre,  il  est  content  de  mes  devoirs  de 
contrepoint.  Je  vais  avoir  fini  le  contrepoint  à  trois  parties,  j'en  suis  à  la  cinquième 
espèce.  Ce  n'est  pas  bien  amusant,  mais  je  sens  que  cela  donne  à  l'écriture  musicale 
une  aisance  incroyable  et  je  m'y  applique  sérieusement. 

G.  LEKEU, 

[A  suivre).  83,  rue  d'Assas. 

LA   RELIGION   DE    BEETHOVEN 

et  Sa  c(  IVlissa  SoleroQis  »  ^'^ 

{Suite  et  fin) 


Beethoven  avait  déjà  écrit  une  messe  (celle  en  Ut  majeur^  à  la  demande  du  prince 
Esterhazy.  Cette  œuvre  du  maître  est  fort  intéressante,  et  mérite  d'être  prise  en  con- 
sidération bien  plus  sérieusement  qu'elle  ne  l'est,  cependant,  on  ne  saurait  la  juger  par 
comparaison  avec  la  colossale  Missa  Solemnis.  Mais  certaines  de  ses  pages  ofi'rent  des 
idées  d'une  profondeur  et  d'une  noblesse  aussi  hautes;  je  rappellerai,  à  titre  d'exem- 
ple, le  saisissant  Qui  tollis  peccata  mundt. 

Bien  des  années  après  avoir  composé  cette  œuvre,  Beethoven  en  feuilletait  un  jour 
la  partition.  Lorsqu'il  parvint  à  cet  endroit,  raconte  Schindler  :  «  Les  larmes  lui  tom- 
bèrent des  yeux  »,  et  il  dut  interrompre  sa  lecture  ;  profondément  ému  par  le  texte 
ineffablement  beau  de  la  liturgie,  il  murmura  :  «  Oui,  c'est  bien  ce  que  j'ai  ressenti 
lorsque  j'écrivis  ceci  ». 

L'une  et  l'autre  de  ces  messes  ont  été  écrites  spécialement  pour  être  incorporées 
dans  le  service  divin  ;  elles  remplissent  toutes  deux  les  conditions  que  leur  destination 
liturgique  imposait. 


(i)  Nous  emprutitons,  avec  l'agrément  de  l'auteur,  ce     chapitre    au    bel    ouvrage    sur  Beethoven,  du 
docteur  Fritz  Volbach,  qui  vient  de  paraître  chez  l'éditeur  Kirschaim,  à  Munich  et  Mayence, 


~  727  — 

Il  fallait  que  la  Mùsa  Solemnis  fut  de  proportions  beaucoup  plus  considérables  que 
la  messe  en  Ui,  et  ce  même  pour  des  motifs  tout  matériels  :  elle  était  destinée  à  un 
office  pontifical,  c'est-à-dire  un  office  où  l'église  catholique  déploie  ses  suprêmes  ma- 
gnificences, et  où  chaque  partie  du  service  dure  un  temps  beaucoup  plus  long.  Si  l'on 
tient  compte  de  ce  fait,  on  ne  reprochera  guère  plus  à  l'œuvre  de  Beethoven  d'être  inu- 
tilisable à  l'église  ;  ou  du  moins  cette  critique  ne  subsistera  plus  qu'en  ce  qui  concerne 
des  parties  isolées  de  cette  œuvre. 

A  ce  que  je  sais,  le  Kyrie  et  le  Gloria  au  moins  de  la  Missa  Solemnis  étaient  autre- 
fois exécutés  très  fréquemment  aux  offices  pontificaux  qui  se  célébraient  à  la  cathédrale 
de  Cologne.  Ceux  qui  contestent  à  la  messe  de  Beethoven  sa  destination  liturgique  ne 
tiennent  pas  assez  compte  du  fait  que  c'est  là  priver  l'œuvre  de  toute  sa  raison  d'être, 
lui  enlever  le  terrain  nourricier  qui  seul  en  peut  recevoir  les  racines.  Et  alors  la  Missa 
Solemnis  ne  serait  plus  comparable  qu'à  un  bel  arbre  de  Noël,  dont  la  beauté  s'épuise 
en  peu  de  jours.  Quiconque  veut  construire  pour  l'éternité  doit  avant  tout  veiller  à  ce 
que  les  fondements  de  son  édifice  soient  solidement  établis. 

Ce  qui  donne  encore  à  l'œuvre  un  caractère  tout  particulièrement  ecclésiastique, 
ce  sont  les  rappels  qu'on  y  trouve  de  mélodies  liturgiques,  et  notamment  de  chants 
grégoriens,  —  comme  par  exemple  à  Y  Et  incarnatus  est  ',  mais  les  thèmes  religieux 
allemands,  que  Beethoven,  au  temps  de  sa  jeunesse,  entendait  presque  journellement 
à  Bonn,  et  qu'il  avait  même  accompagnés  à  l'orgue,  ces  vieux  thèmes  y  sont  également 
rappelés  de  temps  en  temps.  Chaque  fois  que  j'ai  écouté  l'œuvre,  chaque  fois  que  je 
l'ai  dirigée  moi-même,  il  y  a  bien  des  pages  —  par  exemple,  Y  Homo  factus  est,  —  qui 
m'ont  évoqué  le  ressouvenir  des  sonorités  si  souvent  étendues  au  temps  de  ma  pro- 
pre jeunesse,  dans  mon  pays  natal. 

Au  temps  où  Beethoven  était  absorbé  par  les  travaux  préparatoires  de  la  compo- 
sition de  sa  Missa  Solemnis,  pendant  l'été  de  1818,  il  avait  noté,  sur  son  journal,  ces 
paroles  :  «  Pour  écrire  de  véritable  musique  liturgique,  étudier  les  anciens  chorals  des 
moines,  etc.,  et  voir  aussi,  et  les  césures  dans  les  meilleures  traductions  et  la  pro- 
sodie correcte  des  vieux  psaumes  chrétiens-catholiques,  et  surtout  les  chants  (i). 

Une  autre  question  se  présente  tout  naturellement  :  cette  œuvre  de  haute  sub- 
jectivité est-elle  conforme  à  cette  conception  de  musique  religieuse  que  l'Eglise  a  sou- 
vent affirmée,  et  qu'elle  s'attache  à  établir,  aujourd'hui,  avec  une  force  nouvelle  ?  De 
même,  la  musique  instrumentale  est-elle  véritablement  à  sa  place  dans  une  église  ?  A 
l'époque  actuelle,  on  y  interdit  presque  absolument  cette  musique,  pour  n'y  permet- 
tre que  le  chant  a  capella,  avec,  au  plus  l'accompagnement  de  l'orgue.  Richard  Wa- 
gner s'est  notoirement  déclaré  en  faveur  de  l'adoption  exclusive  du  chant  a  capella. 
Beethoven  lui-même,  en  envoyant  à  Zelter  la  partition  de  sa  messe,  lui  écrit,  le  25 
mars  1823  :  «  qu'il  est  préférable  de  reconnaître,  dans  le  style  a  capella,  le  seul  véri- 
table style  d'église  ». 

Aujourd'hui  on  voit,  dans  les  œuvres  de  Palestrina,  les  suprêmes  modèles  de  la 
vraie  musique  liturgique,  et  à  mon  avis  cette  opinion  est  absolument  juste.  Toutefois, 
il  y  aurait  un  fort  grand  danger  dans  le  fait  de  se  complaire  uniquement  à  imiter  le 
style  de  ce  grand  maître,  et  de  croire  que  là  seulement  est  la  vérité.  Beethoven  déjà 
avait  reconnu  ce  danger,  et  le  proclame  nettement. 

Je  suis  persuadé  qu'en  cette  matière,  un  progrès  est  possible  ;  il  peut  se  créer  une 
musique  d'église  qui  soit  conforme  à  l'essence  de  notre  art  actuel,  c'est-à-dire,  une 
musique  d'église  moderne  qui  viendrait  remplacer  celle  qui  est  conçue  en  quelque 


(i)  La  phrase  allemande  est  un  simple  mémento,  très  confus,  cjui  est  ici    traduit  mot  pour    mot  (Note 
du  traducteur). 


-7^8 


sorte  par  arrière-pensée,  et  réalisée  selon  des  principes  vieillis.  Lorsque  Palestrina  écri- 
vait ses  chefs-d'œuvres,  ceux-ci  étaient  inspirés  par  le  génie  même  de  l'époque  :  ils 
étaient  donc  modernes.  Je  ne  connais  qu'une  seule  composition  où  s'affirment  des  ten- 
dances novatrices,  sans  que  pourtant  il  y  soit  contredit  aux  tendances  essentielles  de 
l'Eglise  :  la  SMissa  choralis  de  Franz  Liszt.  On  peut,  si  l'on  veut,  estimer  que  le  pro- 
blème n'est  pas,  dans  cette  messe,  intégralement  résolu  ;  on  peut  apprécier  comme  on 
voudra  la  valeur  de  l'œuvre  même  :  mais  il  reste  vrai  qu'elle  donne  l'impulsion, 
qu'elle  montre  le  chemin  par  où  peut  s'accomplir  le  progrès.  Mais  revenons  à  la  messe 
de  Beethoven. 

Nous  avons  défini  celle-ci,  une  œuvre  liturgique,  destinée  au  service  divin.  Et 
c'est  bien  ce  qu'elle  est,  eu  égard  aux  tendances  de  son  époque,  où  la  messe  instru- 
mentale était  considérée  comme  l'expression  de  la  plus  haute  solennité.  Mais  il  ne  faut 
pas  conclure  qu'elle  ne  doive  jamais  être  exécutée  hors  l'église,  en  manière  d'oratorio. 
D'ailleurs,  Beethoven  lui-même  le  spécifie  dans  une  lettre  à  Gœthe  en  date  du  8  fé- 
vrier 1823. 

L'œuvre  se  distingue,  à  plusieurs  points  de  vue,  de  toutes  les  autres  messes  com- 
posées à  la  même  époque  :  d'abord,  par  une  très  haute  puissance  expressive.  Puis  par 
l'ampleur  de  lignes,  par  l'unité  de  l'ensemble  comme  de  chaque  partie  envisagée  isolé- 
ment. Beethoven  s'est  abstenu  de  séparer,  comme  le  firent  souvent  les  musiciens  de 
cette  époque,  le  Gloria  et  le  Credo  en  plusieurs  numéros.  11  les  traite  comme  un  bloc, 
et  sait  admirablement  en  réunir,  par  des  moyens  purements  musicaux,  toutes  les  pen- 
sées et  toutes  les  images  en  une  immense  et  puissante  vue  d'ensemble.  11  donne  à  cha" 
cune  des  parties  une  architecture  digne  d'être  comparée,  pour  la  vigoureuse  logique 
du  développement  et  pour  la  progression  intensément  consciente,  à  celle  de  ses  pages 
symphoniques. 

La  première  partie,  le  Kyrie  Eleison  avec  le  mouvement  médian,  le  Christe  Elei- 
son, affirme  d'emblée  le  caractère  fondamental  de  l'œuvre,  «  solennelle  sublimité  »  qui 
s'accompagne  d'un  suprême  éclat,  comme  il  convient  pour  une  grand'messe.  L'indica- 
tion placée  en  tête  de  la  musique  :  Avec  recueillement,  montre  qu'il  faut  comprendre 
cette  page  comme  une  prière  pleine  d'élévation.  Le  Christe  Eleison,  le  premier,  contient 
véritablement  une  supplication,  un  appel  à  la  miséricorde.  Et  là  nous  voyons  le  maître 
harcelé  par  le  destin,  isolé  dans  sa  surdité,  le  cœur  alourdi  d'un  germe  de  mort,  lever 
ardemment  les  yeux  au  ciel,  et  implorer  :  «  Du  fond  de  l'abîme,  je  clame  vers  toi. 
Seigneur  ;  Seigneur,  daigne  écouter  ma  voix.  »  C'est  là  le  caractère  du  Christe,  et 
la  suite  du  Kyrie,  en  dépit  de  toute  l'atmosphère  de  solennité,  en  reste  toujours  em- 
preinte. 

Suit  le  Gloria  in  excelsis  Deo.  Une  joie  tumultueuse  parcourt  toute  cette  partie,  et 
quelquefois  à  peine  s'interrompt  pour  laisser  apparaître  de  plus  graves  images.  Le  mo- 
tif principal,  plein  d'élan  et  presque  sauvage,  devient  un  très  significatif  élément  grâce 
auquel  sont  obtenues  et  l'unité  de  l'ensemble,  et  la  merveilleuse  distribution  des  pé- 
riodes. Ce  motif  revient,  toujours  plein  de  joie,  dans  le  Laudamus  te,  dans  le  Glorifica- 
nms  te,  dans  le  Domine  Deus,  à  la  première  et  unique  entrée  des  trombones  du  pater 
omnipotens,  et  enfin  s'exalte,  de  plus  en  plus  dans  la  péroraison.  De  magnifiques  épi- 
sodes viennent,  entre  ces  diverses  parties,  faire  contraste.  L'image  de  la  paix,  au 
verset  et  in  terra pax;  le  mystérieux  Adoramus  te  ;  le  Gratias  agimus  avec  toute  la  ten- 
dresse de  ses  lignes  mélodiques  et  le  charme  captivant  des  sonorités  ;  le  fier  Domine 
fili unigeniti  avec  le  qui  tollis peccatamundi  si  saisissant,  si  rempli  de  sainte  émotion; 
et,  avant  le  dernier  retour  du  thème,  après  le  Ouoniam  soins  tu  sanctus,  la  grandiose 
{\ig\XQf\nd\e,ingloria  Deipatris,  Amen,  oùYoxï  croit  percevoir,  comme  pour  un  7^ 
Deum  de  victoire,  les  clameurs  abondantes  des  cloches. 


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Le  Credo,  avec  ses  divisions  nombreuses  et  ses  plirases  dogmatiques,  offre  la  ma- 
tière la  moins  propice  à  la  composition  musicale,  car  il  comporte  malaisément  une 
construction  bien  homogène.  Mais  ici  encore  Beethoven  a  trouvé  le  fil  rouge  qui  le 
guide,  et  l'a  trouvé  dans  le  motif  originel  du  Credo  même,  ce  motif  qui  comme  un  pi- 
lier central  supporte  puissamment  l'édifice  tout  entier.  Je  me  bornerai  à  mentionner  ici 
quelques-unes  des  beautés  qui  sont  particulièrement  frappantes.  D'abord,  je  voudrais 
signaler  les  tableaux  qui  sont  relatifs  à  l'Incarnation  du  Christ  ;  la  caractéristique  des- 
cription du  descendit  de  cœlis  ;  Y  Et  tncarnatus  est  profondément  émouvant  en  sa  lumi- 
neuse simplicité,  avec  son  très  antique  thème  auquel,  subitement,  vient  s'associer  un 
doux  et  mystérieux  papillotement,  tout  pareil  à  l'éternelle  musique  des  astres.  Ici  la 
tonalité  générale  pourrait  être  définie  par  ce  vers  du  poète  :  «  Le  séraphin  n'ose  par- 
ler, l'infini  tressaille.  »  Après,  comme  un  appel  d'allégresse,  le  et  homo  factus  est.  Puis 
une  autre  scène  :  la  Crucifixion,  le  drame  de  l'histoire  universelle.  La  terre  frémit. 
Des  chocs  de  marteaux  annoncent  le  meurtre  commis  sur  le  Rédempteur  des  hommes. 
Il  semble  que  la  nature  se  soulève,  et  au  milieu  de  ce  tumulte,  s'élève  la  plainte  émou- 
vante des  violons.  Puis  après  que  tout  s'est  apaisé,  le  silence  de  mort  qui  accompagne 
les  paroles  et  sepuUus  est.  Mais  Christ  est  vainqueur  de  la  mort  :  Et  resurrexit.  La  mu- 
sique illumine  ce  moment  d'un  splendide  éclat.  C'est  le  jeune  soleil  du  matin,  c'est 
l'aube  de  Pâques  ! 

L'effet  deVacapella,  avec  les  puissants  accords  à  la  basse,  qui  est  presque  dans  le 
style  de  Palestrina,  et  de  toute  la  joie  de  Vet  ascendit,  jailli  vers  le  ciel,  est  ici  absolu- 
ment écrasant.  Mais  c'est  un  véritable  coup  de  tonnerre  qui  ébranle  le  monde,  lors- 
qu'au milieu  de  cette  joie  retentissent  les  trombones  du  jugement  :  jiidicare  vives  et 
niortuos.  Cependant,  le  juste  ne  doit  pas  craindre  la  venue  de  Celui  qui  jugera  l'uni- 
vers :  avec  une  joyeuse  confiance,  il  regarde  ce  Juge,  et  à  ses  côtés  s'envole  vers  les 
régions  bienheureuses  de  l'éternelle  paix. 

Voilà  ce  que  contient  cette  musique  supra-terrestre  pleine  de  mystère,  qui  plane 
si  haut  au-dessus  de  notre  monde,  cette  musique  que  nous  offre  la  fugue  terminale  :  et 
vitam  venturi  sœcuH,  Amen. 

Les  trois  premières  parties  du  Sanctus  se  répartissent  entre  les  solistes.  La  cou- 
leur générale  de  ce  morceau  est  grave  et  élevée;  on  commence  à  y  prendre  cons- 
cience du  mystère  qui  bientôt  va  s'accomplir  à  l'autel.  Les  sonorités  des  altos,  des 
violoncelles  et  des  contrebasses  (sans  violons)  s'entrecoupent  d'accords  très  doux  aux 
trombones,  et  tout  cela  produit  une  atmosphère  particulièrement  solennelle. 

C'est  seulement  au  moment  du  Pleni  sunt  Cceii  que  les  violons  et  le  reste  de  l'or- 
chestre interviennent  en  une  joyeuse  animation,  qui  s'accroît  encore  à  YHosanna,  acti- 
vée au  plus  haut  degré  par  l'emploi  de  moyens  dynamiques  remarquablement 
incisifs. 

Je  souligne  encore  le  fait  que  tout  le  morceau  est  jusqu'ici  tout  entier  confié  aux 
quatre  solistes.  La  raison  de  cette  particularité  n'est  point  connue,  et  on  ne  la  peut 
découvrir  nulle  part.  L'instrumentation,  très  chargée,  du  Pleni  et  du  Hosanna  semble 
indiquer  l'intervention  des  chœurs,  mais  cependant  la  partition  d'après  laquelle 
l'œuvre  a  été  gravée  chez  Schott  à  Mayence,  et  qui  porte  une  multitude  de  correc- 
tions de  la  main  même  de  Beethoven,  montre  sans  doute  possible  que  le  maître  voulut 
ici  les  solistes  et  rien  de  plus. 

Un  silence  sacré  tombe  maintenant  sur  la  foule  des  fidèles  en  prières,  pendant 
qu'à  l'autel  s'accomplit  le  plus  saint  des  mystères,  celui  de  la  Transsubstantiation. 
Notre  âme  croit  voir  le  Maître  de  l'univers  descendre,  entouré  de  ses  légions  d'anges. 
Et  soudain,  le  silence  sacré  devient  sonore,  et  semblable  à  la  mystérieuse  musique  des 
légions  célestes.  A  ces  sonorités,  le  monde  qui  nous  entoure  disparaît  pour  nous,  des 


—  730  — 

espaces  infinis  et  lumineux  s'ouvrent,  nous  voyons  le  sublime  prodige,  nous  recon- 
naissons le  Rédempteur,  qui  ouvre  ses  bras  tout  grands  et  nous  appelle  :  «  Venez  tous 
à  moi,  vous  dont  l'âme  est  lasse  et  lourde  de  peines  ».  Mais  des  hauteurs,  une  voix 
descend  vers  nous,  comme  sortant  des  lèvres  des  anges  :  Benedictus  qui  venit  in  no- 
mine  Domini.  Un  solo  de  violon  —  puis  retentit,  montant  de  la  terre  en  manière 
d'écho,  une  presque  muette  prière  :  Benedictus  qui  venit. 

Et  transportés  de  sainte  extase,  nous  nous  agenouillons,  en  priant,  anéantis  par 
la  douceur  de  la  béatitude. 

La  fin  est  formée  par  VAgnus  Dei  qui  est  un  chant  de  plainte,  grave  et  solennel. 
Dans  le  choeur  interviennent  d'abord  les  seules  voix  des  hommes  ;  puis  s'y  associent 
les  altos  au  timbre  chaleureux.  La  musique  y  évoque  le  Sauveur  courbé  sur  le  far- 
deau de  tous  les  péchés  de  la  terre  ;  l'humanité  l'a  reconnu,  et  comme  écrasée  elle 
clame  :  «  Pitié,  Seigneur,  accordez-nous  la  paix  »,  la  paix  que  nous  ne  pouvons  pas 
trouver  dans  le  monde!  Prière  pour  la  paix  intérieure  et  pour  la  paix  au  dehors,  a  mis 
en  épigraphe  Beethoven.  Lorsque  s'est  achevée  l'intime  prière  pour  la  paix  intérieure, 
la  paix  de  l'âme,  on  entend  soudain,  au  loin,  de  sourds  roulements  de  tambour  et  des 
fanfares  guerrières.  Au  dessus  du  frémissant  trémolo  des  cordes,  une  voix  s'élève,  et 
prie  avec  angoisse  pour  la  paix.  Les  signaux  se  rapprochent  ;  la  supplication  devient 
plus  intense,  comme  un  cri  de  détresse  retentit  l'appel  du  chœur  :  «  Miséricorde  !  » 

La  Furie  guerrière  ne  se  laisse  point  détourner  ;  elle  approche,  précédant  la 
Mort  moissonneuse.  Mais  l'humanité  a  rassemblé  toutes  ses  forces  grâce  à  la  prière  ; 
elle  veut  résister  même  au  Ciel.  La  voix  des  hommes  couvre  les  bruits  belliqueux. 
Une  furieuse  page  d'orchestre.  Puis,  dans  la  détresse  suprême,  un  cri  strident,  inter- 
rompu par  les  bruyantes  trompettes,  annonciatrices  de  la  victoire. 

Le  Seigneur  n'a  point  oublié  les  siens  !  Le  tumulte  de  la  guerre  s'est  tu  ;  douce- 
ment, les  roulements  des  tambours  et  les  appels  des  cors  se  font  entendre,  très  au 
loin.  Voici  que  point  l'aurore  du  jour  prochain.  Un  arc-en-ciel  étale  ses  mille  couleurs 
en  signe  de  paix,  le  ciel  s'entr'ouvre,  et  des  voix  ravies  répètent  Dona  nohis  pacem.  Les 
chants  s'arrêtent,  sans  conclusion  bien  caractérisée,  comme  s'ils  se  résolvaient  en 
musiques  éternelles,  en  mélodies  des  sphères,  purifiés  de  tout  ce  qui  est  terrestre,  dans 
la  lumière  éternelle. 

D--  Fritz  VOLBACH. 

(Traduit  de  l'Allemand  par  M.-D.  Calvocoressi). 


Des  Etudes  de    Composition  musicale 

Ce  qu*elles  sont,  ce  qu'elles  devraient  être 


Depuis  le  mois  d'octobre  dernier,  sous  l'impulsion  du  nouveau  Directeur,  les 
réformes  sont  à  l'ordre  du  jour  au  Conservatoire.  'Quelques  règlements  vieillis  ont  été 
abrogés,  d'autres  d'une  incontestable  utilité,  remis  en  vigueur,  le  plus  grand  nombre 
enfin  modifiés  en  vue  de  les  rendre  plus  adéquats  aux  exigences  actuelles  ;  mais  ces 
remaniements,  pour  la  plupart,  sont  partiels  :  n'y  aurait-il  pas  lieu  de  reviser  complè- 
tement certains  programmes  d'études  pour  les  rendre  plus  conformes  à  l'orientation 
de  la  musique  moderne  ? 

Cette  question  se  pose  principalement  en  ce  qui  concerne  la  composition  musicale, 
qu'il  s'agisse  des  classes  élémentaires  {classes  d'harmonie)  aussi  bien  que  des  classes  de 
composition.  Examinons  comment  sont  enseignées  actuellement  ces  différentes  ma- 
tières. 


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Quiconque  veut  devenir  élève  dans  une  classe  d'harmonie,  doit,  après  s'être  fait 
agréer  comme  auditeur  libre  par  le  professeur,  suivre  les  cours  de  cette  classe  et  étu- 
dier, non  pas  comme  on  serait  tenté  de  le  croire,  la  science  des  accords,  mais  les  lois 
qui  régissent  les  rapports  des  accords  entre  eux.  Il  doit  travailler  seul  et  presque  sans 
guide,  le  professeur  n'étant  pas  tenu  de  corriger  ses  essais  ;  s'il  n'est  pas  assez  fortuné 
ou  si  un  camarade  plus  érudit  ne  l'aide  de  ses  conseils  il  risque  fort  de  prendre  en 
dégoût  ces  études  arides  que  les  explications  d'un  maître  éclairé  parviennent  rarement 
à  rendre  attrayantes.  Si  pourtant  il  a  le  courage  de  persévérer  et  de  s'assimiler  toutes 
les  règles  que  les  harmonistes  érigèrent  en  lois,  il  peut,  à  la  suite  d'un  examen,  être 
admis  au  titre  officiel  et  recevoir  les  conseils  du  professeur.  Quel  genre  de  travaux  lui 
seront  alors  imposés  ?  Des  réalisations  de  hasses  et  chants  donnés  plus  ou  moins  étendus 
ou  complexes  qui  lui  serviront  à  acquérir  (pour  employer  un  mot  d'argot)  le  plus  de 
«  patte  »  possible  et  se  mettre  en  bonne  forme  pour  obtenir  un  premier  prix  au  con- 
cours. Ces  exercices  il  pourra  les  pratiquer  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long  (cinq 
ans  au  maximum)  selon  les  chances  qu'il  aura  de  deviner  les  énigmes  à  lui  proposées 
sous  le  nom  de  hasses  et  chants  donnés.  N'est-ce  pas  ainsi  qu'il  convient  de  dénommer 
ces  textes  où  s'accumulent  à  plaisir  les  modulations  lointaines,  souvent  enharmoni- 
ques, sortes  de  rébus  plus  ou  moins  musicaux  et  nullement  vocaux,  comme  ils  de- 
vraient l'être,  car  l'élève  est  tenu  d'écrire  pour  quatre  voix  :  soprano,  alto,  ténor  et 
basse,  dans  les  clefs  qui  correspondent  à  la  tessiture  de  chacune  d'elles.  Mais  comment 
arriverait-il  à  écrire  vocalement  puisqu'il  doit  toujours  considérer  une  seule  des  quatre 
parties  (chant  ou  basse)  comme  partie  principale,  les  autres  n'étant  qu'un  accompa- 
gnement plus  ou  moins  orné  de  la  partie  donnée?  Vocal  et  mélodique  sont  synonymes, 
aucun  remplissage  ne  peut  mériter  le  qualificatif  de  vocal.  C'est  là  une  contradiction 
qu'il  faut  signaler,  il  est  impossible  d'y  remédier  avec  le  plan  d'études  actuel. 

De  nombreux  inconvénients  résultent  de  cette  méthode  de  travail  :  voici  les  deux 
principaux  : 

Un  esprit  peu  enclin  aux  recherches  s'assimilera  nombre  de  formules  ;  il  les  re- 
trouvera sous  sa  plume  le  jour  où  il  s'essaiera  à  composer  ;  ses  œuvres  paraîtront  ba- 
nales, plates  et  dénuées  de  personnahté. 

Si,  au  contraire,  l'élève  possède  un  esprit  curieux,  il  se  laissera  aller,  afin  de 
rendre  son  travail  plus  attrayant,  à  combiner  des  enchaînements  d'accords  bizarres  ou 
illogiques,  il  abusera  du  chromatique,  des  modulations  rapides  aux  tons  éloignés  :  ses 
réalisations  deviendront  antitonales,  souvent  même  antimusicales,  résultat  diamétra- 
lement opposé  au  but  poursuivi.  Les  complications  harmoniques  excessives  que 
présentent  nombre  d'œuvres  modernes  sont  la  conséquence  directe  de  ces  exercices 
inutiles. 


Suivons  maintenant  l'apprenti  compositeur  dans  la  classe  de  contrepoint  et 
fugue  (i);  de  nombreuses  désillusions  l'y  attendent.  Il  lui  faut  faire  table  rase  des 
connaissances  acquises  jusqu'alors,  à  l'exception  de  quelques  règles  fondamentales 
concernant  les  accords  parfaits,  la  tonalité  et  les  modulations.  Soumis  à  des  lois  bien 
plus  sévères,  il  doit  s'astreindre  à  n'écrire  au  début  qu'à  deux  parties,  son  seul  objec- 
tif étant  la  marche  W/oJ^^mc  de  ces  parties.  Ce  n'est  qu'après  de  nombreux  exercices 
de  ce  genre  qu'il  peut  aborder  des  études  moins  arides  quoique  d'un  style  également 
rigoureux.  Le  stage  comme  auditeur  est  obligatoire  mais  sa  durée  est  moins  longue 


(i)  C'était  la  dénomination  que  portaient  jusqu'au  mois  d'octobre   dernier  les    classes  dites  communé- 
ment :  classes  de  composition. 


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que  dans  les  classes  d'harmonie,  il  est  rare  qu'il  dépasse  un  an.  L'élève  ayant  alors 
pratiqué  les  espèces  de  contrepoint  les  plus  variées  s'exerce  successivement  à  écrire  des 
fugues  à  deux,  trois  et  quatre  parties.  Mais  là  encore  le  côté  grammatical  l'emporte  de 
beaucoup  sur  le  côté  rhétorique.  Le  plan  de  la  fugue  tel  qu'on  le  pratique  au  Conser- 
vatoire, est,  à  quelques  détails  près,  emprunté  aux  Maîtres  italiens  du  xvii^  siècle  :  le 
thème  est  composé,  le  contre  sujet  obligatoire,  les  transformations  tonales  et  modales 
du  sujet  et  de  la  réponse  sont  arrêtées  d'avance,  c'est  donc  uniquement  dans  les  épi- 
sodes destinés  à  relier  les  différents  aspects  du  thème  que  l'élève  peut  composer,  in- 
venter, le  reste  n'étant  guère  qu'un  travail  d'harmonisation.  Ces  règles  strictes  para- 
lysent toute  initiative  et  tendent  à  ne  faire  de  la  fugue  qu'un  exercice  de  virtuosité. 
Les  chances  plus  ou  moins  grandes  d'un  concours  apportent  une  sanction  à  ce  genre 
d'études  et  voici  un  jeune  homme  sacré  compositeur  parce  qu'il  manie  correctement, 
quelquefois  avec  élégance,  l'écriture  contrapontale  à  quatre  parties  !  ! 

II  est  inutile  cette  fois  d'insister  sur  l'inconvénient  d'un  pareil  procédé.  Est-il  be- 
soin de  dire  que  lorsqu'il  s'agit  de  fugue  tant  vocale  qu'instrumentale,  c'est  à  J.-S. 
Bach  et  non  plus  haut  qu'il  faut  remonter,  n'est-ce  pas  lui  qui  a  synthétisé  et  amené  à 
la  perfection  absolue  tous  les  essais  tentés  dan?  le  même  genre  par  ses  prédécesseurs 
italiens  et  allemands  ? 

Signalons  seulement  deux  graves  défauts,  conséquences  des  études  actuelles  : 

I*»  L'obligatoire  transformation  modale  du  sujet  qui  peut  entraîner  à  des  réalisa- 
tions antimusicales  (i). 

2°  L'obligation  de  la  strette  qui  devient  absurde  quand  le  sujet  ne  se  prête  à  au- 
cune combinaison  canonique. 


Cet  exposé  succinct  du  programme  des  classes  d'harmonie  et  de  composition 
montre  les  inconvénients  qui  résultent  de  la  méthode  actuelle  d'enseignement.  Il 
faut  donc  élaborer  un  règlement  d'études  échappant  aux  critiques  ci-dessus  énon- 
cées. 

On  a  souvent  adressé  aux  Conservatoires  le  reproche  de  n'avoir  jamais  aidé  à 
l'éclosion  des  génies  ;  c'est  une  mauvaise  querelle  qu'on  cherche  à  ces  établissements  : 
leur  but  n'est  pas  uniquement  de  faire  éclore  des  talents,  mais  ils  doivent  surtout  for- 
mer ce  qu'on  pourrait  définir  d'excellents  traducteurs  de  la  pensée  des  maîtres  :  vir- 
tuoses, professeurs,  chefs  d'orchestre,  etc.  (2). 

Pour  cela  il  est  nécessaire  de  donner  à  ceux-ci,  en  outre  des  principes  indispen- 
sables à  la  branche  spéciale  qu'ils  étudient,  une  sorte  de  culture  générale  leur  per- 
mettant d'être  les  interprètes  ^(i^/«  des  œuvres  qui  leur  sont  confiées;  c'est  dans 
l'étude  plus  ou  moins  approfondie  de  la  composition  qu'ils  puiseront  les  connaissances 
indispensables  pour  acquérir  cette  qualité. 

Voici  l'énoncé  d'un  projet  qui  répondrait  assez  bien  à  ce  but  : 

.  Etude  théorique  et  pratique 
des  accords. 
I.  Création  de  classes  d'harmonie  et  de  contrepoint.  \  2.  Etude  du  contrepoint  de  deux 

à  huit  parties. 
.  Harmonisation  de  chorals. 


(i)  Certains  sujets  ne  se  prêtent  nullement  au  changement  démode  à  cause  de  leur  configuration  mé- 
lodique et  vice  versa. 

(2)  Les  critiques  musicaux  gagneraient  beaucoup  à  fréquenter  les  classes  de  composition  ;  une  con- 
naissance même  superficielle  de  la  technique  donnerait  plus  d'autorité  à  leurs  jugements. 


—  73?  — 

(Ces  exercices  n'ayant  qu'un  but  :  initier  l'élève  à  toutes  les  ressources  de  la  po- 
lyphonie vocale.) 

/  I.  Fugue  à  deux,  trois  et  quatre 


i        parties. 


„   ^  .  ,.      j      ,  ,    c  i  j  -i-         ■  -•  Variations  sur  des  thèmes  de 

II.  Création  de  classes  de  fugue  et  de  composition.  <         h  r-l 

'  5.  Etude  théorique  et  pratique 
\       de  la  forme  symphonique. 

Quelques  éclaircissements  sont  nécessaires  pour  bien  faire  comprendre  la  seconde 
partie  de  ce  programme,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  fugue.  Il  serait  facile  de 
choisir  dans  l'œuvre  de  Bach  cinq  ou  six  des  fugues  les  plus  parfaites, le  plan  et  la  con- 
duite générale  de  ces  morceaux  serviraient  de  guide  à  l'élève  qui,  devenu  maître  de  sa 
plume  grâce  aux  exercices  de  contrepoint,  jouirait  d'une  certaine  liberté.  Il  aurait  le 
choix  entre  le  style  vocal  (avec  texte  obligé)  et  le  style  instrumental,  les  conseils  du 
professeur  le  maintiendraient  dans  la  bonne  voie.  La  composition  du  Choral  varié 
développerait  encore  son  esprit  d'invention  en  lui  laissant  une  latitude  plus 
grande,  il  arriverait  insensiblement  à  l'étude  de  la  forme  symphonique  ayant 
pratiqué  les  différents  genres  de  composition,  depuis  les  plus  sévères  jusqu'aux  plus 
libres. 

*  * 

Ce  plan  d'études,  d'ailleurs,  n'a  nullement  la  prétention  d'être  inédit,  ni  même 
original. 

Depuis  longtemps  l'enseignement  de  l'harmonie  et  du  contrepoint  est  mené  de 
front  en  Allemagne  ;  M.  Vincent  d'Indy,  dans  l'appendice  du  premier  volume  de  son 
Cours  de  composition  musicale,  préconise  la  plupart  des  exercices  indiqués  plus  haut. 
Pourtant,  ce  qui  devrait  faire  adopter  ces  idées  sans  conteste  par  tous  les  musiciens,  à 
quelqu'école  qu'ils  appartiennent,  c'est  que  la  paternité  en  revient  à  J. -S. Bach  lui-même 
qui  ne  pratiqua  jamais  d'autre  méthode  d'enseignement  (i). 

Bach  ne  faisait  pas  étudier  en  premier  lieu  le  contrepoint  simple  à  ses  élèves,  il 
leur  faisait  de  suite  harmoniser  le  Choral  à  quatre  parties,  mais,  pour  lui,  toute  leçon 
d'harmonie  était  également  une  leçon  de  contrepoint.  Ses  idées  sur  la  réalisation  de  la 
Basse  chiffrée  nous  sont  parvenues  de  différents  côtés  :  le  Clavierhûchlein  d'Anna  Magda- 
lena  Bacli  (1735)  contient  quelques  explications  sommaires  à  ce  sujet,  mais  c'est  sur- 
tout dans  un  cours  complet  sur  la  même  matière  (dont  fit  prendre  copie  en  1738  un 
certain  Johann  Peter),  que  nous  pouvons  trouver  les  renseignements  les  plus  intéres- 
sants. Le  texte  que  nous  possédons  doit  être,  à  quelque  détail  près,  celui  que  Bach 
dicta  à  ses  élèves.  Il  expose  d'abord  quelques  définitions  concernant  l'accord  parfait 
puis,  formule  la  règle  fondamentale  de  toute  bonne  réalisation  :  «  Il  faut  toujours 
faire  marcher  les  mains  par  mouvement  contraire  afin  d'éviter  les  suites  de  quintes  et 
d'octaves.  » 

Bach  obligeait  également  ses  élèves  à  réaliser  par  écrit  des  basses  chiffrées  de  So- 
nates étrangères.  Quand  il  les  jugeait  suffisamment  exercés  il  leur  faisait  commencer 
l'étude  de  la  fugue.  Pour  lui,  chaque  partie  représentait  une  personne  en  train  de  par- 
ler ;  il  défendait  de  l'interrompre  ou  de  la  faire  taire  avant  qu'elle  eût  exprimé  tout  ce 
qu'elle  avait  à  dire,  mais  il  interdisait  aussi  tout  bavardage  inutile.  La  personnalité  de 
chaque  partie  étant  respectée  il  permettait  toutes  les  libertés,  tolérait  toutes  les  audaces 
pourvu  qu'il  y  eût  du  raisonnement  et  des  idées.  Toutefois,  à  ses  yeux,  ces  exercices 


(i)  Les  renseignements  qui  suivent  sont  tous  empruntés  au  remarquable  livre  de  M.  A.  Schweitzer  : 
Bach,  le  musicien  poète. 


—  734  — 

ne  représentaient  qu'un  premier  apprentissage  ;  un  seul  moyen  lui  paraissait  bon  pour 
progresser  dans  l'art  de  la  composition,  c'est  celui  qu'il  avait  pratiqué  lui-même: 
l'étude  des  chefs-d'œuvre. 

Ces  quelques  citations  suffiront  sans  doute  à  montrer  les  nombreux  points  de 
contact  existant  entre  notre  plan  d'étude  et  la  méthode  d'enseignement  de  Bach. 
Pourtant,  dans  le  programme  de  classes  de  composition,  il  faut  tenir  compte  de  cer- 
tains éléments  dont  le  Cantor  de  Leipzig  n'avait  pas  à  se  préoccuper  puisqu'il  nous  ont 
été  transmis  par  ses  successeurs  ;  l'un  d'entre  eux  a  une  importance  capitale  :  La 
forme  symphonique. 

Que  la  paternité  doive  en  être  attribuée  à  Ph.  Emm.  Bach  ou  à  Jos.  Haydn,  peu 
importe  ici,  l'essentiel  est  de  considérer  son  rôle  dans  l'histoire  de  la  musique  depuis 
le  xviii®  siècle  jusqu'à  nos  jours  ;  c'est  à  elle  que  nous  devons  les  manifestations  les 
plus  hautes  de  l'Art,  et  il  est  absolument  indispensable  que  tout  musicien,  quelles  que 
soient  ses  tendances,  l'étudié  à  fond. 

La  musique  a  une  grande  analogie  avec  l'architecture,  les  œuvres  fortes  et  pro- 
fondes ont.  pour  caractéristique  un  plan  bien  établi  et  une  grande  pureté  de  lignes  ; 
ces  qualités,  si  difficiles  à  acquérir  ne  s'obtiennent  que  par  une  étude  réfléchie  et 
approfondie  de  \di  forme  ;  une  connaissance  complète  de  celle-ci,  acquise  par  la  prati- 
que, permet  seule  au  compositeur  de  créer  des  œuvres  solides,  bien  construites,  quel- 
que soit  le  genre  qu'il  aborde.  Les  exemples  d'ailleurs  ne  manquent  pas,  qui  prouvent 
l'absolue  nécessité  de  cette  étude.  Tous  les  maîtres  classiques  et  romantiques  ne  se 
sont-ils  pas  formés  à  cette  école,  depuis  Mozart,  Schubert,  Weber  jusqu'à  Schumann, 
Wagner  et  Brahms  ?  Cela  n'a  pourtant  empêché  quelques-uns  d'entre  eux  d'écrire  les 
ouvrages  de  théâtre  les  plus  remarquables  que  nous  aient  légués  les  siècles  précé- 
dents ;  témoin  Don  Juan,  le  Freischût:(,  Parsifal. 


Il  reste  à  rechercher  pourquoi  les  études  de  composition  proprement  dite  ont  été 
laissées  jusqu'ici  en  dehors  de  tout  programme  d'enseignement.  Cela  tient,  sans 
doute  en  grande  partie  à  la  vogue  exclusive  dont  a  joui,  en  France,  la  musique 
dramatique  depuis  la  Révolution  jusqu'aux  dernières  années  du  dix-neuvième  siècle. 
Mais  sans  s'arrêter  à  des  considérations  historiques  il  faut  envisager  ce  qui  actuelle- 
ment empêche  la  forme  symphonique  d'occuper  dans  les  études  la  place  à  laquelle  elle 
a  droit. 

La  question  est  assez  délicate  puisqu'il  faut,  pour  expliquer  cette  anomalie, 
s'attaquer  à  une  institution  d'Etat  dont  l'Académie  des  Beaux-Arts  garde  jalousement 
les  règlements  sans  vouloir  les  modifier  :  il  s'agit  du  Prix  de  Rome. 

Procurer  à  des  jeunes  gens  sans  fortune  les  ressources  matérielles  nécessaires  à 
leur  entretien,  leur  permettre,  par  cela  même,  de  travailleren  toute  tranquillité,  est  une 
idée  excellente  :  elle  aurait  d'excellents  résultats  si  elle  n'était  mise  en  pratique  de 
détestable  façon. 

Qu'arrive-t-il,  en  effet,  quand  un  jeune  musicien  entre  dans  une  classe  de  compo- 
sition ? 

Il  est  uniquement  Iiypnotisé  par  le  concours  de  Rome,  sorte  de  miroir  à  alouettes 
qui  exerce  sur  lui  une  attraction  irrésistible.  En  vain  son  maître  essaie-t-il  de  lui  dé- 
montrer qu'avant  d'être  prix  de  Rome  il  faut  tâcher  d'apprendreà  fond  son  métier,  (i) 


(i)  De  1892  à  1896  dans  une  des  classes  de  composition  dont  l'effectif  était  d'une  vingtaine  d'élèves 
deux  seulement  d'entre  eux  soumirent  des  essais  de  musique  symphonique  à  la  critique  du  professeur  ; 
l'un  une  Ouverture,  l'autre  un  Quatuor  à  cordes  et  une  Symphonie. 


—  755  — 

il  n'écoute  pas  ses  conseils  ;  son  but  unique  est  d'arriver  à  écrire  une  fugue  suffisante 
et  un  choeur  passable  qui  lui  permettent  d'aborder  le  second  degré  du  concours.  Avec 
un  peu  de  protection  il  y  arrive  sans  trop  de  peine,  brosse  une  cantate  qu'il  orchestre 
tant  bien  que  mal,  (i)  s'il  a  la  chance  de  la  faire  bien  interpréter  et  de  charmer  par 
quelques  élégantes  banalités  les  oreilles  d'un  jury  en  grande  partie  incompétent,  il 
part  l'année  suivante  à  Rome  lesté  de  quatre  mille  francs  de  rente  ! 

Mais  c'est  ici  que  commence  le  côté  vraiment  comique  de  l'histoire.  Parmi  les 
obligations  qu'impose  l'Institut  à  ses  lauréats,  en  échange  de  l'aide  pécunier  qu'elle 
leur  offre,  figure  celle  d'écrire  un  trio  et  un  quatuor  à  cordes  ;  voici  notre  musicien  bien 
embarrassé  pour  se  tirer  de  ce  mauvais  pas  !  Il  cherche  à  deviner  chez  les  Maîtres  clas- 
siques les  secrets  de  cette  forme  symphonique  dont  il  ignore  jusqu'aux  principes  élé- 
mentaires, mais  comme  il  manque  d'un  guide  éclairé,  autant  que  d'expérience  per- 
sonnelle il  envoie  quelqu'œuvre  bâtarde  mal  équilibrée,  qui  lui  attire  les  foudres  de 
l'aréopage  chargé  de  la  juger. 

II  serait  pourtant  bien  facile  de  réformer  les  règlements  du  concours  de  façon  à 
n'envoyer  à  Rome  que  des  jeunes  gens  en  pleine  possession  de  leur  métier;  ceux-là 
seuls  peuvent  travailler  avec  fruit  et  profiter  des  avantages  vraiment  exceptionnels 
qu'on  leur  offre. 

Formons,  en  terminant,  le  souhait  qu'une  prompte  et  complète  refonte  des  règle- 
ments permette  de  tirer  de  cette  institution,  indubitablement  utile,  tous  les  bénéfices 

qu'elle  est  susceptible  de  donner. 

Albert  BERTELIN. 

TlCmÉMIE  NTITIÛNULE  IDE  MVSIQVE 
La  Ronde  des  Saisons 

Ballet  légendaire  en  trois  actes.—  Musique  de  Henri  BUSSER 

Aimez-vous  les  ballets?  C'est  oui  ou  c'est  non,  comme  pour  Venise.  J'ose  avouer 
qu'ils  me  plaisent  assez,  mais  à  la  condition  de  ne  pas  durer  trop  longtemps.  Au  bout 
d'une  heure  les  jambes  ne  me  disent  plus  rien.  Pour  compléter  mon  aveu  je  vous  con- 
fesserai que  je  ne  supporte  les  ballets  qu'à  l'Opéra.  Car  si  l'on  n'y  chante  pas  toujours 
bien,  témoin  l'autre  soir  où  un  beau  ténor  fut  justement  sifflé,  on  y  danse  à  mer- 
veille. Il  y  a  là  tout  un  bataillon  de  charmantes  femmes  qui,  vouées  dès  leur  plus 
jeune  âge  à  l'étude  de  l'entrechat,  connaissent  jusqu'au  bout  de  l'ongle  de  leur  pied 
léger  les  ressources  périlleuses  de  leur  art.  Je  n'ai  pas  encore  vu  tomber  une  dan- 
seuse, tout  au  moins  sur  la  scène,  et  Dieu  sait  si,  plus  que  d'autres,  elles  sont  expo- 
sées aux  chutes.  On  le  regrette  presque,  elles  se  relèveraient  si  joliment. 

C'était  donc  fête  ce  mardi  19  décembre  à  l'Opéra  où  pour  la  répétition  générale 
de  la  Ronde  des  Saisons  les  rats  du  chant  avaient  laissé  la  place  entièrement  libre  aux 
rats  de  la  danse.  La  scène  leur  appartenait.  Ils  avaient  tous  les  honneurs  du  pro- 
gramme. L'Académie  nationale  de  musique  et  de  danse  prend  ces  soirs-là  un  petit  air 
gaillard  qui  prépare  bien  les  invités  de  la  maison  au  gracieux  spectacle  qu'on  leur 
offre.  Plus  de  partitions  sous  le  bras  des  critiques  grincheux,  mais  des  lorgnettes 
dans  toutes  les  mains.  On  vient  là  pour  se  rincer Parfaitement.  Et  il  y  a  de  quoi. 


(i)  Ceci  ne  veut  pas  dire    naturellement  que   ious   les  prix  de  Rome  ont  obtenu  cette  récompense  sans 
en  être  dignes,  mais  les  exceptions,  même  nombreuses,  ne  confirment-elles  pas  la  règle  ? 


—  736  — 

Après  une  ouverture  qui  n'a  pas  d'importance  pour  l'abonné  dont  le  cœur  palpite, 
parce  que,  pour  la  première  fois  depuis  son  passage  des  quadrilles  aux  premiers  sujets, 
la  petite  Zaza  Pirouette,  à  qui  il  ne  veut  que  du  bien,  va  débuter  dans  une  trop  courte 
variation,  le  rideau  se  lève,  et  les  voici  toutes  qui  s'avancent  en  bel  ordre,  solidement 
campées  sur  les  pieds  en  dehors,  d'un  coup  de  main  faisant  bouffer  le  tulle  de  leur 
jupe  un  peu  froissée  par  la  descente  en  tourbillon  des  escaliers  des  loges.  Un  courant 
de  sympathie  s'établit  aussitôt  entre  la  scène  et  la  salle.  Par  dessus  la  rampe  de  jolis 
yeux  cherchent  la  mèche  conquérante  ou  le  crâne  d'un  ami  tout  heureux  de  cette  at- 
tention. Ce  que  ces  demoiselles  ont  de  belles  relations  !  Un  petit  signe  de  tête  ;  on 
s'est  reconnu.  Et  elles  dansent,  ou  plutôt  elles  s'envolent  au  rythme  d'une  musique 
entraînante.  Entre  les  lèvres  de  corail  brille  la  nacre  des  dents,  les  yeux  pétillent  de 
joie  et  de  malice,  les  bras  s'arrondissent  en  de  gracieux  mouvements,  les  corsages  on- 
dulent avec  souplesse,  et  les  jambes  nerveuses  ont  des  battements  d'ailes.  Tour  à  tour 
elles  dansent,  sourient  et  bavardent,  et  souvent  cumulent  ces  trois  aimables  occupa- 
tions. Quand  tout  s'agite,  la  langue  peut-elle  demeurer  au  repos?  Et  l'on  a  de  l'esprit 
dans  le  monde  des  pointes. 

N'attendez  pas  de  moi  que  je  vous  fasse  le  récit  de  la  Ronde  des  Saisons.  Un  bal- 
let, cela  se  laisse  voir,  mais  non  raconter.  Le  scénario  de  MM.  Ch.  Lomon  etj.  Hansen 
nous  développe  l'aventure  tragique  d'Oriel,  un  joli  petit  lutin  du  sexe  faible,  qui 
s'éprend  d'amour  pour  un  mortel  et  en  meurt,  eomme  l'avait  prédit  une  sorcière  du 
sexe  fort.  (On  a  bien  fait  de  donner  ce  rôle  à  un  vilain  homme,  aucune  danseuse  n'aurait 
jamais  pu  s'enlaidir  et  se  vieillir  assez  pour  cet  emploi).  Le  libretto,  coulé  dans  le 
moule  classique  de  ce  genre  de  divertissement,  fournit  au  musicien  les  plus  gracieuses 
occasions  de  dépenser  son  imagination  lyrique  appuyée  sur  des  rythmes  heureux,  au 
peintre  décorateur  de  brosser  un  tableau  dans  lequel  les  saisons  se  succèdent  avec 
leurs  effets  connus  et  toujours  nouveaux,  au  costumier  d'habiller  légèrement  de  jolies 
femmes  chargées  de  figurer  les  fleurs,  les  oiseaux  et  les  insectes  chers  à  la  féerie.  Nous 
avons  bien  remarqué  certaines  hirondelles  dont  le  bleu  ne  pouvait  venir  que  de  Prusse, 
tant  il  choqua  nos  yeux  de  France.  Mais  ce  n'est  qu'une  petite  tache  dans  un  en- 
semble très  harmonieux  de  couleurs  qui  se  termine  par  une  exposition  de  blanc  et  noir 
avec  le  vol  final,  tout  à  fait  réussi,  des  corbeaux  agitant  leurs  ailes  funèbres  sous  la 
neige  qui  tombe. 

M.  Henri  Busser  nous  excusera  de  ne  pouvoir  aujourd'hui  parler  utilement  de  sa 
partition.  Je  la  reçois  à  l'instant  et  la  nécessité  où  je  suis,  à  cause  des  fêtes,  d'envoyer 
tout  de  suite  ma  copie,  ne  me  permet  pas  d'entreprendre,  sans  une  lecture  préalable, 
l'analyse  qu'elle  mérite.  L'autre  soir  j'ai  entendu  sa  musique  à  travers  ma  lorgnette 
devant  laquelle  passaient  trop  de  jolies  choses.  Cependant  je  ne  veux  pas  envoyer  cet 
article  un  peu  fantaisiste,  sans  dire  que  j'en  ai  rapporté  une  excellente  impression,  sur- 
tout du  premier  acte  si  plein  de  mouvement,  de  gaieté,  de  trouvailles  rythmiques 
qu'animait  de  son  pas,  de  son  geste,  de  son  sourire,  de  son  vol  presque  la  délicieuse 
Carlotta  Zambelli,  lutin  et  femme,  et  si  différente  dans  ses  deux  incarnations.  Je  ne 
puis  nommer  toutes  les  jolies  personnes,  à  la  tête  desquelles  marchaient  Mlles  Louise 
Mante  et  Mathilde  Salle,  qui  contribuèrent  au  succès  de  cette  œuvre.  Il  me  faudrait  ici 
copier  la  liste  du  personnel  de  la  danse.  Je  me  ferai  un  plaisir,  dans  notre  prochain 
numéro,  de  m'occuper  de  la  musique  qui  permit  aux  saisons  de  mener  leur  ronde  et  de 
tourner  avec  succès.  Compositeur  et  interprètes  furent  acclamés.         jVictor  DEBAY. 


Nous  publierons  dans  notre  prochain  numéro  le  compte  rendu  des  Pêcheurs  de  Saint- 
Jean  et  de  la  Coupe  Enchantée  à  l'Opéra  -  Comique ,  et  la  fin  de  l'article  sur  les 
Trente-deux  Sonates  de  Beethoven  et  les  Concerts-Risler. 


—  737  — 

LES  Gi^arxii^s  eoncEi^îTS 


Concerts  Colonne  et  Lamoureux 

La  plus  grande  curiosité  de  ces  derniers  dimanches  a  été,  le  17  décembre,  la 
direction  de  l'orchestre  Lamoureux  par  M.  Safonoff,  «  chef  d'orchestre  de  la  Société 
impériale  et  Directeur  du  Conservatoire  de  Moscou  »,  Nous  eussions  aimé  qu'il  nous 
fît  entendre  des  œuvres  plus  foncièrement  russes  que  laiSérénadede  Mozart,  le  Concerto 
de  violon  de  Beethoven,  dont  la  partie  de  solo  fut  tenue  par  Mlle  Luboschitz,  le  Roméo 
et  Juliette  de  Tschaïkowsky,  ou  même  la  Symphonie  en  ut  mineur  de  Glazounow.  Génial 
enfant,  élève  de  Rimsky  et  disciple  des  «  cinq  »,  Glazounovi^  au  début  de  sa  brillante 
carrière  fut  leur  digne  émule.  Depuis  longtemps  il  est  perdu  pour  la  musique  russe, 
et  a  versé  dans  les  roublardises  impersonnelles  des  écoles  occidentales.  La  Symphonie 
en  ut  mineur  (la  sixième  qu'il  ait  écrite,  et  peut-être  cette  production  énorme  est-elle  le 
secret  de  sa  décadence  !)  ne  rappelle  en  rien  le  style  si  original,  la  forme  nationale, 
les  inspirations  mauresques  ou  slaves  d'Antar  ou  des  symphonies  de  Borodine,  Et 
même  en  faisant  crédit  à  cette  œuvre  de  toute  couleur  locale,  on  ne  saurait  lui  accor- 
der une  admiration  bien  grande.  Elle  est  divisée  en  quatre  parties  :  un  premier  mou- 
vement quelconque,  de  lyrisme  conventionnel  et  d'écriture  touffue,  assez  schuman- 
nesque,  un  thème  avec  des  variations  beaucoup  trop  longues,  mais  offrant,  par  en- 
droits, quelques-uns  de  ces  jeux  de  flûte  spleenétique  où  se  complurent  les  amis  de 
Balakirew,  un  intermezzo  qui,  baptisé  du  nom  de  mazurka  paraîtrait  peu  digne  d'un 
grand  ouvrage  d'orchestre,  et  un  finale  dont  l'un  des  thèmes,  en  forme  de  marche 
triomphale,  trahit  cette  singulière  propension  des  Russes  à  fabriquer  de  grandes  ma- 
chines clinquantes  avec  des  matériaux  de  réelle  valeur  intrinsèque.  L'or  et  les  pierres 
précieuses,  chez  ce  peuple  incompréhensible,  servent  à  faire  des  mosaïques  horribles, 
des  chapes  barbares  ou  des  cartes  de  France  d'un  goût  déconcertant.  Parfois  cette  sau* 
vagerie  même  ajoute  à  leur  saveur  un  piment  singulier  :  le  finale  de  la  Symphonie  en  si 
mineur  de  Borodine,  ou  les  «  délices  de  la  Puissance  »  dans  Antar  en  offrent  de  sédui- 
sants exemples.  Mais  quand  la  vulgarité  de  l'expression  ne  se  sauve  point  par  sa  bizar- 
rerie même,  tout  le  charme  s'évapore  et  ce  n'est  vraiment  pas  la  peine  d'agencer  sa- 
vamment de  beaux  thèmes,  pour  n'arriver  à  débiter  que  des  lieux  communs  d'assez 
mauvais  goût... 

Si  la  Symphonie  de  Glazounow  n'est  pas  remarquable,  on  n'en  saurait  dire  au- 
tant de  la  manière  dont  M.  Safonoff  la  dirige.  La  caractéristique  de  ce  chef  est  de  con- 
duire l'orchestre  sans  bâton.  Les  mains  vides,  j'allais  écrire  nues  de  toute  baguette, 
il  triture  librement,  avec  une  aisance  incroyable  la  pâte  symphonique.  Il  l'étiré,  la 
fouette,  la  mélange,  la  divise  et  la  bouscule  suivant  les  inspirations  d'une  mimique  non 
point  excessive,  mais  extraordinairement  variée.  Au  lieu  de  frapper  les  «  ictus  »,  il  les 
arrache,  au  lieu  de  marquer  les  nuances,  il  les  sème,  au  lieu  d'indiquer  ses  intentions 
au  quatuor,  il  l'en  asperge,  au  lieu  de  faire  un  signe  de  départ  à  ses  cuivres,  il  les  ha- 
rangue d'un  geste  menaçant  ou  désespéré.  C'est  assurément  un  excellent  musicien. 
Son  système  est-il  le  meilleur  ?  Tout  d'abord,  devant  l'apparente  efficacité  d'un  contact 
si  direct  entre  le  chef  et  sa  bande,  on  est  tenté  de  s'emballer  et  de  proclamer  que  ce 
Christophe  Colomb  a  découvert  l'Amérique  des  cappelmeisters.  A  la  réflexion  l'on  ne 
tarde  point  à  en  rabattre.  La  baguette  paralyse  assurément  un  peu  le  directeur,  mais 
elle  l'assagit,  elle  diminue  sa  souplesse  mais  allège  les  mouvements,  elle  morcelé  un 
peu  la  phrase  mélodique,  mais  elle  garantit  la  précision  des  rythmes.  C'est  une  grande 
fille,  un  peu  bourgeoise,  raisonnable,  rieuse  et  mutine,  qui  tempère  de  son  bon  scr.s 


-  7^8  - 

l'égarement  des  iitiagînations  nébuleuses.  Elle  a  de  l'esprit.  Elle  a  des  muscles  aussi, 
fait  courageusement  le  gros  ouvrage  et  je  crois  que  bien  longtemps  encore  elle  restera 
la  bonne  ménagère  de  l'orchestre,  qui  tient  la  maison  nette,  sait  mater  les  emporte- 
ïnents  du  maître,  dans  l'emballement  des  finales,  égrène  gentiment  les  perles  du  rire, 
quand  scintille  le  soleil  matinal  des  scherzos,  et  sait  même  rêver  avec  assez  de  mélan- 
colie, aux  heures  poétiques  de  l'andante. 

Et  puis  je  ne  vois  pas  un  orchestre  de  second  ordre ,  même  un  bon  or- 
chestre, par  exemple  celui  du  théâtre  dans  nos  grandes  villes  de  province,  devant  ce 
chef  aux  mouvement  cabalistiques,  qui  hèle  les  bassons,  félicite  un  hautbois,  gour- 
mande les  cors,  agite  des  phalanges  imprécatrices  devant  la  mollesse  des  violoncelles 
et  finalement  bat  comme  un  enragé  d'un  tambour  imaginaire,  pour  réveiller  l'énergie 
de  toute  sa  troupe,  mais  oublie,  plus  souvent  qu'il  ne  siérait,  de  battre  prosaïquement 
la  mesure.  Ah  !  le  beau  désarroi  auquel  nous  assisterions  ! 

Le  précédent  dimanche,  M.  Chevillard  nous  avait  donné  une  fort  belle  séance, 
dont  le  clou,  un  vieux  clou  qui  demeure  admirable,  fut  le  Concerto  de  Haendel  pour 
deux  violons,  violoncelle  et  instruments  à  cordes  joué  d'une  façon  merveilleuse  et 
remplaçant  un  Concerto  de  violon  de  Sinding  annoncé  au  programme. 

A  cette  même  matinée  l'on  nous  fit  entendre,  remarquablement  chantées  par 
Mme  Marie  Mayrand,  deux  mélodies  nouvelles.  }e  ne  tiens  pas  à  rappeler  le  nom  de 
leur  auteur,  car  je  ne  saurais  dire  rien  que  de  fâcheux  de  ces  poèmes  aussi  informes, 
confus,  agressifs  et  prétentieux  musicalement  que  poétiquement.  Beaucoup  de  critiques 
ont  admiré  cette  déclamation  cherchée,  pénible,  monotone,  torturée,  conséquence  nor- 
male et  fâcheuse  du  debussysme  triomphant.  Si  c'est  là  ce  qu'on  appelle  de  la  musique 
et  de  l'agrément  pour  l'oreille,  il  faut  croire  que  j'ai  les  oreilles  de  Midas,  mais  je  ne 
sais  plus  ce  que  c'est  que  de  la  cacophonie.  Pas  un  endroit  saillant,  pas  de  commence- 
ment, pas  de  fin  ;  une  perpétuelle  décomposition  de  la  couleur  à  l'orchestre,  un  poin- 
tillisme sec  et  systématique,  un  constant  souci  de  n'avoir  pas  l'air  inspiré,  une  peur  du 
banal  qui  va  jusqu'à  la  phobie  !  Avec  toutes  ces  belles  qualités,  qui  font  pâmer  les  lit- 
térateurs musicographes  ou  picturographes,  et  tous  les  bons  snobs  qui  leur  emboîtent 
le  pas,  on  arrive  à  construire  des  œuvres  tellement  impersonnelles  que  l'on  pourrait, 
sans  que  le  public  s'en  doute,  changer  de  morceau  toutes  les  vingt  mesures,  ou  coudre 
bout  à  bout  des  fragments  de  toiles  diverses,  tous  les  dix  centimètres. 

Le  concert  se  terminait  par  les  Impressions  d'Italie  de  Gustave  Charpentier,  jouées 
sans  conviction.  Ah  !  que  cela  me  réjouit  désormais,  cette  bonne  musique  honnête  et 
vigoureuse,  dont  je  méconnus  jadis  la  fougueuse  éloquence  un  peu  triviale,  le  lyrisme 
populaire  et  débordant  !...  C'est  qu'alors  je  débarquais  de  ma  province,  légèrement 
retardataire,  imbu  d'un  vieux  fond  de  laforguisme  et  de  mallarmisme,  que  je  secouai 
bientôt  dans  la  capitale,  où  je  revins  au  sentiment  de  l'art  intelligible  et  sincère.  Et  ce 
m'est  une  douce  joie,  mêlée,  je  l'avoue,  d'un  peu  d'ironie,  de  voir  tant  de  parisiens,  — 
si  parisiens  I  — verser  à  leur  tour  dans  un  étrange  provincialisme,  en  gobant,  comme 
une  suprême  élégance,  toutes  les  beautés  absconses  qui  envahissent  maintenant  la 
musique,  en  retard  de  cinq  ou  six  lustres  sur  sa  sœur  aînée  la  littérature.  On  se  moque 
du  départemental  qui  en  est  encore  à  tremper  un  lys  symbolique  dans  les  bocks  de 
quelque  brasserie  d'esthètes  et  l'on  prend,  aux  guichets  de  la  rue  Blanche  ou  du 
Châtelet,  un  bon  billet  pour  le  Kamtchatka  musical.  C'est  tout  de  même  rigolo  ! 

Aux  Concerts-Colonne,  on  nous  offrit,  comme  primeur,  un  certain  Conte  d'Avril 
de  M.  Widor,  que  la  symphonie  de  Glazounow,  inscrite  pour  la  même  heure  au 
programme  des  Concerts-Lamoureux  m'empêcha  d'ouïr,  et  huit  jours  auparavant  un 
certain  Toggenburg,  poème  de  M.  Charles  Lefebvre,  d'après  la  ballade  de  Schiller.  M. 


—  739  — 

Carbelli  chanta  d'une  manière  assez  terne  ce  Toggenburg,  habilement  écrit,  mais  pensé 

sans  grande  émotion,  pittoresque  ni  nouveauté. 

Et  tout  le  reste  fut  Beethoven,  ou  peu  s'en  faut,  avec  un  bis  enthousiaste  pour  le 

délicieux  chœur  de  jeunes  filles  du  Roi  Etienne. 

Jean  d'UDlNE. 

P. -S.  — Je  parlerai  dans  ma  prochaine  chronique  de  l'admirable  Requiem  de  Fauré, 
que  M.  Colonne  a  mis  dans  nos  petits  sabots  de  Noël.  Ça  c'est  un  beau  cadeau  à  faire 
à  une  grande  personne  !  et  je  ne  puis  résister  au  désir  d'exprimer  tout  de  suite  l'émo- 
tion que  m'a  causée  cette  œuvre  magnifique. 


Concerts  du  Conservatoire 

C'est  le  17  décembre  —  mois  voué  aux  coups  d'Etat —  vers  trois  heures  de 
relevée,  que  M.  Debussy  fit  son  entrée  au  Conservatoire  entre  Haydn  et  M.  Saint- 
Saëns  d'une  part,  Liszt  et  Bach  d'autre  part.  Peut-être  était-ce  la  véritable  manière  de 
ne  point  passer  inaperçu  et  même  de  risquer  le  scandale  ;  peut-être  aussi  était-ce  la 
seule  de  franchir  la  porte  basse  et  défiante  qui  protège  la  décrépitude  de  quelques  dou- 
zaines d'abonnés  finissants.  N'allez  pas  m'accuser,  je  vous  prie,  de  m'exprimer  ici  avec 
cette  témérité  et  cette  impertinence  qui  sont  la  rançon  d'une  jeunesse  insouciante,  et 
que  je  regrette.  Non  certes  !  Mais,  à  mon  humble  avis,  il  est  profondément  navrant 
de.  penser  qu'une  œuvre  à  laquelle  il  a  été  donné  depuis  près  de  dix  ans,  une  si  large 
hospitalité  dans  les  grands  concerts  et  que  la  foule,  la  misérable  foule,  accueille  sans 
étonnement,  fut  astreinte  à  je  ne  sais  quelles  exigences  sanitaires  de  par  la  tyrannie 
d'une  ignorance  privilégiée.  Je  n'ai  point  le  loisir  de  scruter  ici  la  mentalité  de  ce 
public  très  spécial  dont  le  Conservatoire  est  si  vivement  incommodé  et  où  il  se  trouve 
des  barbares  pour  bisser  «  ironiquement  »  la  Symphonie  sur  un  thème  montagnard  do 
M.  d'indy  et  pour  siffloter,  avec  une  pitoyable  maladresse,  V Après-midi  d'un  Faune 
Aussi  bien  cette  étude  s'accompagnerait-elle  d'un  certain  écœurement.  Mais  il  est  né- 
cessaire de  dégonfler  la  solennelle  boursouflure  de  tant  de  bonshommes  décoratifs, 
insensibles  à  autre  chose  qu'au  menuet  égrillard  ou  à  la  gavotte  calamistrée,  dédai- 
gneux de  toute  musique  qui  n'a  point  d'ancêtres  et  jaloux  de  tout  ce  qui  est  libre, 
jeune,  capricieux  et  vagabond. 

A  la  vérité,  je  me  suis  demandé  quelquefois  comment  ces  cerveaux  réfractaires  à 
l'éclat  d'une  GwendoUne  par  exemple,  pénétraient  la  dense  et  massive  polyphonie  d'un 
Allegro  de  Bach,  comment  les  velours  et  les  peluches  de  ces  âmes  élégantes  ne  s'égra- 
tignaient  pas  en  passant  aux  fausses  relations  et  aux  rudesses  inciviles  du  vieqx  cantor. 
C'est  qu'ils  apportent  dans  l'éloge  ou  le  dénigrement  la  même  incompétence  et  la 
même  mauvaise  foi.  Car  je  comprends  fort  bien  qu'on  puisse  ne  pas  aimer  la  musique 
de  M.  Debussy,  qu'on  la  juge  néfaste,  inapte  à  évoluer,  condamnée  à  la  répétition  des 
mêmes  formules  et  délicieusement  recluse  à  perpétuité  dans  la  grotte  de  Pelléas.  Mais 
alors  même  on  ne  siffle  pas,  et  si  l'on  se  dépite  ou  si  l'on  se  querelle  un  peu,  soudain 
voilà  qu'aux  sons  d'une  flûte  étrangement  modulante,  l'instinct,  le  vieil  instinct,  nous 
reprend  et  que,  méprisant  les  larges  routes  où  l'accord  parfait  promène  sa  corpulence, 
nous  nous  glissons  sous  bois  parmi  le  jeu  des  rayons  et  des  ombres  et  le  bruissement 
lumineux  des  feuilles,  dans  les  parfums,  les  clartés,  les  murmures  de  tous  les  êtres  et 
de  toutes  les  choses,  à  travers  les  détours  égarés  de  cette  mélodie,  les  glissades  déce- 
vantes de  ces  dissonances  qui  jamais  ne  se  posent,  l'ivresse  ardente  de  toute  la 
nature  dont  se  grisent  follement  les  Faunes  puérils  ! 

Hélas  il  faut  n'avoir  jamais  senti,  aimé,  respiré  cette  joie   innocente  pour   ne   pas 


—  74^  — 

s'abandonner  à  M.  Debussy,  abandon  cruel  il  est  vrai  lorsque  brusquement  on  vient  se 
heurter  contre  un  Psaume  de  Liszt,  admirable  mais  malencontreux.  Certes  j'admets 
l'éclectisme  d'un  programme  mais  non  pas  sans  un  certain  art  de  la  transition. 
Car  naïvement  je  m'imagine  que  lorsqu'on  écoute  de  la  musique,  c'est  avec  tout 
son  cœur,  que  l'on  se  donne  à  elle,  qu'on  la  laisse  vibrer  profondément  en  soi, 
dans  une  émotion  intense  qui  se  prolonge  et  qui  survit  au  dernier  accord.  Et  alors 
peut-on  sans  une  souffrance  véritable  entendre  avec  le  sang-froid  d'une  saine  dialectique 
un  concerto  de  M.  Saint-Saëns  puis  se  mêler,  sous  le  chaud  soleil  du  monde  adoles- 
cent, au  troupeau  velu  des  capripèdes  et  se  retrouver  tout  à  coup  prosterné  au  fond 
de  la  cathédrale  où  Liszt  déroule  le  cortège  pompeux  de  ses  versets.  Je  me  sens,  pour 
ma  part,  incapable  de  subir  de  pareilles  épreuves  et  sans  doute  je  ne  suis  pas  le  seul 
car  l'Après-midi  d'un  Faune  eut  des  partisans  dont  je  voudrais  pouvoir  publier  ici  les 
noms.  Pourquoi  dès  lors  sacrifier  la  bonne  cause  au  respect  un  peu  enfantin  de  quel- 
ques momies  ébréchées  ?  Pourquoi  un  orchestre  incomparable  se  laisse-t-il  ainsi  tenir 
en  lisière  ?  Pourquoi  ces  ménagements,  ces  vaines  terreurs  ?  Que  l'on  garde  certaines 
traditions,  que  l'on  «conserve  »;  assurément  je  suis  le  premier  à  le  souhaiter,  mais  il 
faut  que  l'on  renouvelle  aussi  audacieusement.  Qu'arrivera-t-il  ?  Les  traînards  tombe- 
ront en  route.  —  Soit  !  Ils  seront  remplacés  par  des  centaines  de  recrues  enthousiastes. 
Qu'on  aère  donc  le  Conservatoire  !  Qu'on  en  rende  l'accès  plus  facile  aux  bonnes  vo- 
lontés en  peine  sUr  le  seuil  !  iMoins  de  despotisme  et  de  monopoles  et  l'on  aura  resti- 
tué à  la  musique  le  meilleur  peut-être  de  ses  forces  comme  à  M.  Marty  la  paix  du 
cœur  que  méritent  sa  fermeté  et  sa  vaillance.   Il   reste   vraiment  trop  de  Bastilles  à 

prendre. 

* 

Je  reviens  sur  YAprès-Midi  que  vous  savez  pour  dire  seulement  avec  quelle  sou- 
plesse et  quelle  subtilité  l'orchestre  de  la  Société  l'exécuta  ?  Est-il  besoin  de  le  louer 
pour  la  5ym^&omee«  m/ d'Haydn,  pour  l'impérissable  5îtî7^  en  ré  de  Bach  et  pour  le 
Psaume  XIII  de  Liszt  inspiré,  grandiloquent,  magnifique,  où  les  chœurs,  eux  aussi, 
excellèrent.  Quant  au  concerto  de  M.  Saint-Saëns,  composition  harmonieuse  et  pure, 
il  eut  en  M.  Boucherit  un  interprète  d'élite,  à  la  virtuosité  aisée  et  agile,  où  la  correc- 
tion s'allie  au  charme  le  plus  délicat.  M.  Boucherit  a  pu  ajouter  un  brillant  succès  de 
plus  à  tous  ceux  dont  sa  jeunesse  s'enorgueillit  déjà. 


11  me  reste  à  peine  quelques  lignes  pour  les  envois  de  Rome  de  M.  Malherbe  et 
Levadé,  que  l'Institut  faisait  exécuter  jeudi.  M.  Malherbe  qui  s'adonne  à  la  musique 
picturale  et  dont  le  Jugement  de  Paris  fit  quelque  bruit  nous  offrait  l'Amour  sacré  et 
V Amour  profane  d'après  le  Titien,  déjà  entendu  aux  Concerts  Chevillard  et  dont  il  fut 
je  crois  traité  dans  ces  colonnes.  Je  ne  veux  pas  en  quelques  mots  rechercher  ce  que 
le  système  de  M.  Malherbe  peut  avoir  de  vrai  ou  de  faux.  J'observerai  seulement  que, 
s'il  fait  violence  à  la  musique,  c'est,  comme  disait  un  de  mes  anciens  maîtres  en  Sor- 
bonne,  pour  l'idéaliser.  Le  procédé  est  singulier  mais  il  peut  réussir  et  il  me  suffit  que 
M.  Malherbe  se  soit  manifesté,  principalement  dans  ses  Illusions  perdues,  comme  un 
musicien  qui  sent  profondément,  dont  l'imagination  est  riche  et  colorée  et  qui  manie 
l'orchestre  avec  une  curieuse  habileté  pour  que  je  l'absolve  et  l'admire.  M.  Levadé, 
auteur  applaudi  des  Hérétiques,  dont  on  nous  offrait  un  Psaume  conçu  dans  un  res- 
pect, très  respectable,  des  traditions  et  quelques  ravissantes  mélodies,  fleurant  bon 
l'hellénisme,  où  Mme  Raunay  fut  exquise,  M.  Levadé,  dis-je,  n'est  pas  un  compliqué. 
11  pense  et  il  écrit  avec  une  simplicité  qui  a  son  charme  et  son  imagination  s'épanche 


—  741  — 

naturellement  et  sans  effort,  encore  qu'il  lui  soit  loisible,  dès  qu'il  le  voudra,  d'attein- 
dre beaucoup  plus  haut  que  la  distinction.  11  a  reçu  l'accueil  le  plus  sympathique  et 
nous  serons  heureux  de  le  retrouver  dans  des  œuvres  plus  importantes,  plus  caracté- 
ristiques encore  et  que  nous  espérons  prochaines. 

Paul  LOCARD. 

LA    QUINZAINE   MUSICALE 

Société  Philharmonique 

Au  quatrième  concert  se  firent  entendre  Mme  Jeanne  Diot,  M.  le  docteur  Wullner 
et  M.  Arthur  Rubinstein,  ce  dernier  remplaçant  le  pianiste  Joseph  Slivinski  annoncé 
au  programme  primitif.  Mme  Jeanne  Diot,  joua  la  Sonate  i  en  ré  majeur  d'Arcangelo 
Corelli  et  le  Prélude  et  Fugue  en  sol  mineur  pour  violon  seul  de  J.-S.  Bach.  Malgré 
mon  admiration  pour  l'œuvre  du  Grand  Sébastien,  mes  prédilections  ne  vont  pas  à  ces 
pièces  pour  violon  solo  où  le  talent  de  l'artiste  n'arrive  jamais  à  faire  oublier  les  diffi- 
cultés de  l'exécution.  En  les  écoutant  je  pense  trop  à  une  étude,  plus  ardue  qu'agréable. 
Mon  attention  s'égare  dans  la  broussaille  des  arpèges  et  des  doubles  cordes.  Je  dois  dire 
que  la  virtuosité  de  la  charmante  violoniste  s'en  est  tirée  à  son  très  grand  honneur. 
Mais  combien  plus  j'ai  pris  de  plaisir  pendant  la  sonate  de  Corelli,  une  perle  que  Mme 
Jeanne  Diot  a  mis  si  splendidement  en  valeur  par  l'ampleur  de  son  style,  la  souplesse 
de  ses  mouvements,  l'agilité  d'un  doigté  nerveux,  la  force  et  l'émotion  d'une  belle  so- 
norité qui  reste  toujours  solide  sans  avoir  recours  aux  grâces  faciles  qui  gâtent  trop 
souvent  le  jeu  des  violonistes  femmes.  Le  public  a  pensé  comme  moi  en  rappelant  cha- 
leureusement l'excellente  artiste. 

M.  Arthur  Rubinsten  porte  un  nom  bien  lourd  pour  ses  jeunes  épaules,  A  cause  de 
lui  peut-être  se  croit-on  en  droit  d'exiger  davantage  de  ce  jeune  pianiste.  Mais 
j'estime  tout  de  même  que  si  le  Grand  Antoine  l'avait  entendu,  il  aurait  conseillé  au 
petit  Arthur  de  travailler  encore  et  de  méditer  beaucoup  avant  de  s'attaquer  à  la  Toc- 
cata et  fugue  (transcription  Tauzig)  de  Bach  et  à  la  Polonaise  en  la  bémol  majeur  de 
Chopin  où,  dans  cette  dernière  œuvre  surtout,  les  deux  mains  de  l'artiste  ne  se  concer- 
taient pas  pour  frapper  ensemble  les  accords.  Une  certaine  fantaisie  convient  à  l'exécu- 
tion du  Chopin,  mais  un  peu  de  clarté  ne  lui  messied  pas.  M.  Arthur  Rubinstein  fut 
plus  heureux  dans  les  deux  Etudes  Posthumes  de  Chopin,  dans  lesquelles  il  fit  preuve 
de  sentiment  poétique. 

Me  voici  tout  à  fait  embarrassé  pour  vous  parler  du  docteur  Wullner  qui  chanta  du 
Schubert,  du  Mendelssohn,  du  Schumann,  du  Brahms,  du  Wolf  et  du  Strauss.  Les 
Allemands  présents  à  ce  concert  lui  firent  un  tel  triomphe,  que  je  n'ose  pas  apporter  ici 
mon  humble  opinion.  Catulle  Mendès  aurait-il  raison  lorsqu'il  prétend  que  l'art  est 
essentiellement  national  et  n'a  toute  sa  portée  que  dans  son  pays  d'origine  ?  Je  croyais 
comprendre  et  aimer  les  grands  musiciens  dont  M.  Wullner  chanta  les  œuvres.  Serait- 
ce  n'y  rien  entendre  que  de  rire,  lorsque  c'est  M.  Wullner  qui  les  interprète, 
puisque  tout  un  public  se  pâmait  à  cette  audition,  et  que  j'estime  ce  public  aussi  sincère 
que  moi  dans  son  appréciation  opposée  à  la  mienne.  Qui  avait  raison  de  lui  ou  de  moi 
qui  n'ai  pas  pu  prendre  au  sérieux  les  terribles  grimaces  de  ce  grand  diable  aux  allures 
de  fantôme,  chantant  d'une  voix  caverneuse  et  gutturale,  la  bouche  tordue  et  les  yeux 
blancs  ?  Il  ne  nous  épargne  aucune  lettre  des  syllabes  qu'il  enlaidit  à  force  de  précision, 
et  il  a  les  mêmes  accents  tragiques  pour  le  petit  chapeau  rose  du  Jardinier  de  Wolf  que 
pour  la  chanson  haletante  du  Tailleur  de  pierre  de  Strauss,  deux  très  curieuses  mélo- 
dies. Hoffmann  aurait  apprécié  l'art  tragico-macabre  du  Docteur  Wullner.  11  n'en  au- 
rait peut-être  pas  fait  le  chanteur  de  ses  rêves,  mais  à  coup  sûr  il  aurait  su  nous  le 
peindre  de  façon  à  nous  donner  le  cauchemar.  Pour  bien  prouver  que  j'ai  tort  de  parler 
ainsi,  je  le  répèle  :  M.  Wullner  a  remporté  un  véritable  triomphe. 

Victor  Debay. 


—  742  — 

Le  Concert  du  ig  décembre  présentait  un  très  vif  intérêt  tant  par  la  composition  du 
programme  que  par  son  exécution.  MM.  Hayot,  André,  Denayer  et  Salmon  ont  inter- 
prêté  avec  une  précision  et  un  ensemble  parfaits  le  Quatuor  en  sol  majeur  (op.  77  n'  i) 
de  Haydn,  donnant  toute  la  valeur  à  cette  œuvre  délicieuse,  toute  de  clarté  lumineuse, 
de  charme  discret  et  d'heureuse  simplicité.  Très  bonne  exécution  également  du  Quatuor 
en  ut  de  Beethoven  (op.  5g  n°  3).  Ce  quatuor  composé  à  la  même  époque  que  la  sonate  57 
révèle  par  moment  une  qualité  d'inspiration  assez  voisine  de  celle  de  VAppasionnata. 
Beethoven,  le  dédiant  à  l'ambassadeur  de  Russie  à  Vienne,  y  introduisit  des  thèmes  po- 
pulaires russes  qui  sont  d'un  fort  bel  effet.  Les  alternatives  de  gaieté  exubérante,  de 
mélancolie  inquiète,  de  sentiment  d'espoir  où  la  volonté  s'efforce  de  triompher  d'un 
cœur  douloureux,  puis  finalement  les  affirmations  triomphantes  de  la  joie,  tout  cela  fut 
rendu  avec  un  soin  très  scrupuleux,  et  le  gros  succès  que  la  salle  entière  fit  au  Quatuor 
de  Paris  fut  on  ne  peut  plus  légitime. 

M.  Ernesto  Consolo  nous  a  fait  entendre  la  Fantaisie  en  fa  mineur  de  Chopin.  Il, 
faut  savoir  gré  à  ce  pianiste  de  ne  pas  abuser  des  faciles  effets  auxquels  bien  peu  ont  le 
courage  de  résister,  surtout  quand  il  s'agit  des  pièces  de  Chopin.  Il  ne  sacrifie  ni  aux 
mouvements  arbitraires  ni  aux  rubato  maniéré  et  précieux.  Son  style  est  simple  et  dis- 
cret, son  jeu  expressif  et  sobre,  son  interprétation  très  personnelle  et  fidèle  à  la  fois. 

Deux  lieders  de  Brahms  Immer  Leiser  et  O  Liebliche  Wangen^  le  Proven\alisches 
Lied  de  Schumann  et  la  Vague  et  la  Cloche  de  Duparc  ont  valu  de  nombreux  applau- 
dissements à  M.  Clarck.  Le  brillant  chanteur  a  révélé  une  fois  de  plus  les  qualités  de 
sa  voix  souple  et  chaude  en  même  temps  qu'un  goût  très  sûr  et  une  grande  intelligence 
musicale. 

La  soirée  s'est  terminée  par  l'audition  du  Qui^itette  de  Brahms  pour  piano  et  cor- 
des. La  perfection  technique  du  maître  ne  se  montre  pas  dans  cette  œuvre,  ainsi  qu'elle 
le  fait  dans  tant  d'autres,  comme  se  suffisant  à  elle-même  et  ne  réussissant  pas  à  mas- 
quer quelque  sécheresse  d'idée.  Le  premier  et  le  troisième  mouvement  —  l'allegro  et  le 
scherzo  —  témoignent  d'une  spontanéité  d'inspiration  et  d'un  enthousiasme  chaleureux 
que  l'on  chercherait  vainement  dans  d'autres  pages,  M.  Ernesto  Consolo  et  le  quatuor 
Hayot  en  ont  donné  une  exécution  de  tous  points  excellente. 

Edouard  Schneider. 

Concert  Le  Rey 

10  décembre,  —  M.  Le  Rey  compose  des  programmes  dont  l'éclectisme  semble  par- 
fois compromettre  l'unité.  C'est  ainsi  que  Weber  et  Franck  voisinent  avec  Léoncavallo, 
ce  qui  est  d'un  efifet  vraiment  étrange  et  déconcertant.  —  Après  l'ouverture  de  Frei- 
chût^  et  la  Chacone  et  Rigodon  de  Monsigny,  nous  avons  entendu  le  Prélude  du  Dé- 
luge de  Saint-Saëns,  dont  M.  Cantarelle  a  joué  la  partie  de  violon  solo  avec  une  jolie 
mais  froide  sonorité.  Puis  M.  Dubois  a  chanté  aussi  généreusem.ent  qu'ils  le  permet- 
taient deux  poèmes  pour  chant  et  orchestre  de  Mlle  Marthe  Grunbach,  la  Neige  et 
Poème  de  Mai  \  les  vers  d'Armand  Silvestre  sont  un  peu  vides,  et  c'est  sans  doute  la 
raison  pour  laquelle  l'auteur  n'a  pu  éviter  une  monotone  banalité.  M.  Llorca  a  exécuté 
sèchement, sans  vigueur'et  sans  couleur  le  Quatrième  concerto  pour  piano  et  orchestre  de 
Rubinstein.  Mais  il  faut  tenir  compte  à  M.  Le  Rey  de  la  très  louable  intention  qui  lui  a 
fait  inscrire  au  programme  l'admirable  Sympkonie  de  Franck  ;  toutefois,  l'exécution 
n'est  pas  encore  au  point  ;  elle  manque  généralement  de  relief.  La  phrase  musicale  n'est 
pas  dessinée  avec  une  suffisante  netteté,  et  l'attaque  manque  de  décision,  témoin  celle 
du  cor  anglais  dans  l'allégretto.  —  Pourquoi  placer  cette  symphonie  à  la  fin  du  concert 
et  après  un  air  de  Paillasse  remarquable  par  sa  sensibilité  factice  et  vulgaire  ?  De  trop 
nombreux  auditeurs  qui  avaient  frénétiquement  applaudi  la  musique  de  Paillasse  se 
sont  esquivés  dès  les  premières  mesures  de  la  symphonie  ;  spectacle  significatif  et  pé- 
nible en  vérité... 

17  décembre.  —  Nouvelle  audition  de  la  Symphonie  de  Franck.  Le  programme  était 
en  partie  consacré  à  la  musique  de  M.  Henry  Eymieu  au  sujet  de  laquelle  il  est  difficile 


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de  s'exprimer  à  la  fois  franchement  et  favorablement.  Des  pièces  que  nous  avons  enr 
tendues,  Chanson,  Prière  et  Epilogue  dit  Dieu  Vert,  Chanson  Bulgare,  nous  ne  sau- 
rions conserver  qu'une  impression  pâle  de  choses  convenues  et  compassées.  Mlle  Eléonore 
Blanc  a  chanté  avec  son  art  achevé  et  son  habituelle  sûreté  de  voix  VAir  du  deuxième 
acte  de  Tannhauser.  La  Sonate  en  ut  mineur  de  Grieg  a  été  exécutée  avec  un  juste  goût, 
surtout  dans  le  deuxième  mouvement,  et  avec  une  énergie  un  peu  excessive  par  Mlle 
Bernard-Verel.  Cette  jeune  pianiste  a  ensuite  révélé  de  bonnes  qualités  de  précision  et 
de  correction  dans  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns.  Elle  ne  pouvait  faire  mieux 
par  la  faute  de  cette  œuvre  ingrate  et  froide.  L'Introduction  du  troisième  acte  de  Lohen- 

grin  terminait  le  concert. 

Edouard  Schneider. 

Les  Soirées  d'Art 

Aux  deux  dernières  séances,  le  dixième,  le  onzième  et  le  douzième  quatuors  de 
Beethoven  furent  exécutés  par  M.  Gapet  et  les  artistes  qui  l'entourent  toujours  avec  la 
même  perfection,  et  aussi  dans  un  sentiment  point  assez  large.  Je  serais  mal  venu  de 
reprocher  à  M.  Maurice  Dumesnil,  qui  figura  au  concert  du  12  décembre,  son  récent 
prix  de  piano  au  Conservatoire,  mais  dans  la  Sonate  Clair  de  lune  de  Beethoven 
et  dans  le  Scherzo  en  si  bémol  de  Chopin,  il  nous  fit,  par  son  jeu  froid,  un 
peu  l'impression  d'un  bon  élève  dont  la  personnalité  ne  s'est  pas  encore  complètement 
dégagée.  M.  Debussy  l'avait  chargé  de  révéler  au  public  son  Hommage  à  Rameau 
auquel  d'autres  œuvres  de  l'auteur  de  Pelléas  me  semblent  préférables. 

Le  succès  de  ce  concert  revient  surtout  à  Mme  Mellot-Joubert  et  au  quatuor  vocal 
Battaille.  Mme  Mellot-Joubert  s'est  montrée,  qu'on  me  pardonne  la  banalité  de  l'épi- 
thète,  merveilleuse  dans  son  interprétation  des  Joies  et  douleurs,  d'Arthur  Coquard,  si 
sincèrement  émues,  si  délicatement  passionnées. Et  le  quatuor  Battaille  dont  les  progrès 
ont  été  si  rapides  sembla  bien  près  de  la  perfection  en  exécutant  :  la  Prière  de  Beetho- 
ven, Paix  du  Ciel  de  Bach,  Brunetta,  écho  délicieux  du  xviii*  siècle  et  enfin  ce 
Printemps  vainqueur  de  Léo  Sachs,  que  le  public  bissa  avec  un  enthousiasme  bien  com- 
préhensible. 

Sans  ce  même  quatuor  Battaille, la  dernière  Soirée  d'art  eut  été  passablement  terne. 
Mmes  AstrucDoria  et  Olivier,  MM.  Drouville  et  L.-Ch.  Battaille  (leurs  noms  méritent 
d'être  cités),  nous  redonnèrent  la  Prière  de  Beethoven  et  Brunetta  et  firent  entendre  le 
Madrigal  de  M.  Gabriel  Fauré,  le  Soleil  couchant  de  Bach,  à  la  poésie  large  et  gran- 
diose et  la  Chanson  galante  de  M.  Léon  Moreau,  d'une  mélancolie  prenante.  Mlle  Long, 
excellente  pianiste,  figurait  au  programme  ainsi  que  Mlle  Doerken  qui  chanta  diverses 
mélodies  de  Haendel,  de  Lotti,  de  M.  Saint-Quentin  et  de  Chabrier. 

Gabriel  Rouchès. 


Société  J.-S.  Bach 

La  seule  critique  que  nous  ayons  à  faire  au  sujet  du  dernier  concert,  c'est  au  public 
qu'elle  s'adresse.  Il  était  vraiment  trop  peu  nombreux.  La  séance  d'orgue  et  de  musique 
de  chambre  qui  a  eu  liej  le  samedi  23  Décembre  méritait  une  toute  autre  affluence,  car 
elle  offrait  un  très  grand  intérêt.  M.  Guilmant  a  exécuté  les  Fantasia  et  Fugue  en  ut 
mineur,  le  Choral  «  Schmûcke  dich,  o  liebe  Seele  ))  et  les  Prélude  et  Fugue  en  ut  majeur. 
M.  Motte-Lacroix  a  joué  le  premier  livre  du  Clavecin  bien  tetnpéré  ainsi  que  la  sixième 
Sonate  avec  M.  Gaubert,  admirable  flûtiste  et  le  Trio  en  sol  majeur  avec  MM.  Gaubert  et 
Daniel  Herrman.  Grâce  à  tous  ces  artistes,  et  en  particulier  à  M.  Guilmant,  l'âme  du 
vieux  maître  allemand  a  chanté  en  nous,  claire  et  sonore,  durant  deux  heures  d'une 
rare  jouissance  esthétique. 

G.   RoUCHSQ. 


—  y-i*  — 
CONCERTS  DIVERS 


Mlle  Flora  Joutard.  —  C'est  avant  tout  la  puissance,  la  franchise  des  attaques  que 
Ton  remarque  dans  le  jeu  de  Mlle  Joutard.  Puis  peu  à  peu  on  s'aperçoit  que  le  charme 
mérite  aussi  d'y  être  mentionné.  Mais  c'est  surtout  le  style  très  noble  et  l'impression 
très  naturelle  que  nous  avons  appréciés  dans  la  Sonate  iio  de  Beethoven,  que  Mlle  Jou- 
tard interprétera  mieux  à  mesure  qu'elle  s'éloignera  davantage  de  l'époque  de  tâtonne- 
ment par  laquelle  doivent  passer  tous  les  virtuoses,  même  ceux  appelés  à  devenir  en 
peu  de  temps  de  grands  artistes.  L'intensité  romantique  de  Liszt  et  la  fantaisie  senti- 
mentale de  Chopin  lui  deviendront  également  plus  familières  ;  dans  une  Suite  et  un 
Scherzo  de  sa  composition,  tout  à  fait  réussis,  elle  fit  montre  d'une  virtuosité  beaucoup 
plus  délicate  ;  reconnaissons  avec  plaisir  que  ce  concert,  au  cours  duquel  Mlle  Marie 
Lasne  chanta  frèlement  quelques  mélodies  allemandes  de  Mlle  F.  Joutard,  nous  permit 
d'espérer  qu'un  talent  déjà  cultivé,  allait  prendre  sa  place  parmi  les  plus  grands. 

Mme  Roger-Miclos.  —  Qui  déclarerait,  aujourd'hui,  sans  rougir,  qu'il  n'a  jamais 
entendu  Mme  Roger-Miclos  ?  Et  qui  oserait  prétendre  que  son  talent  n'est  pas  char- 
mant, fait  d'une  grâce  très  simple  et  très  pure,  exempte  de  maniérisme,  assouplie  sous 
'  l'égide  puissante  d'une  étincelante  virtuosité.  Enumérer  le  programme  qui  a  valu  l'autre 
vendredi  un  si  vif  succès  à  cette  excellente  artiste,  nous  entraînerait  à  enumérer  et  à 
épuiser  les  qualificatifs,  combien  fâcheux  en  général,  qui  constituent  la  garde-robe  de 
la  gloire.  Et  puis  nous  nous  répéterions  pour  la  N"°  fois  !  Disons  seulement  que 
dans  Schumann,  dans  Chopin  et  dans  Fauré,  Mme  Roger-Miclos  évoque  aussi  parfai- 
tement que  possible  l'image  distinguée,  délicate,  enjouée  et  sentimentale  —  très  poéti- 
quement sentimentale  —  de  ces  séduisants  maîtres  de  l'Expression  musicale. 

A  côté  d'elle  le  Quatuor  vocal  Battaille,  dont  les  progrès,  depuis  un  an,  sont 
extraordinaires,  a  chante  idéalement  (je  n'aime  pourtant  pas  employer  ce  mot)  diffé- 
rentes pages  de  Bach.  Beethoven,  Knorr  et  Fauré,  sans  compter  des  fragments  exquis 
d'auteurs  inconnus  des  xvii°  et  xviii°  siècles.  Il  nous  semble  difficile  de  dépasser  le  degré 
de  perfection  auquel  sont  parvenus  Mme  Astruc-Doria,  Mlle  E.  Grégoire,  MM,  Drou- 
ville  et  Battaille,  dont  les  succès  ne  sauraient  être  que  croissants,  maintenant  qu'ils  sont 
entrés  dans  l'ère  de  la  célébrité. 

Concerts  Lefort.  —  Toujours  suivis  par  un  public  aimable,  assez  facile  à  contenter, 
mais  au  fond  très  connaisseur,  les  Concerts  Lefort  nous  offrent  des  programmes 
variés,  trop  variés  peut-être,  qui  réunissent  tout  ce  que  la  Musique  compte  de  noms 
célèbres;  de  moins  célèbres,  de  pas  célèbres.  Pour  aujourd'hui  nous  nous  cantonnerons 
dans  les  «  célèbres  »  avec  M.  Diémer,  l'auteur  de  la  Fauvette^  de  la  Source  et  du  Poète 
(de  quoi  faire  une  fable  de  la...  fontaine)  M.  Debussy  dont  la  volage  Mary  Garnier  mur- 
mure V Ariette  oubliée,  M.  Fugère  qui  rajeunit  délicieusement  les  Vieilles  de  chez  nous, 
de  Levadé.  Le  Quatuor  Lefort  (MM.  Lefort,  G.  Catherine,  van  Waefolghem  et  Loeb)sont 
corrects  et  consciencieux  dans  les  Quatuors  en  tit  majeur  de  Mozart  et  en  ré  mineur  de 
Schubert.  R. 

Les  anciennes  matinées  Danbé.  —  Placées  sous  la  direction  artistique  de  M.  Lui- 
gini,  les  anciennes  matinées  Danbé,  continuent  à  attirer,  par  leurs  beaux  programmes, 
les  auditoires  les  plus  élégants  et  les  plus  compacts.  Quïl  nous  suffise  de  citer  quel- 
ques-uns des  interprètes  des  deux  premières  séances  :  Mme  Carré,  MM.  Fugère,  A. 
Georges,  F.  Lemaire,  Mmes  Raunay  et  Lucy  Vauthrin,  le  Quatuor  Soudant, 
de  Bruyne,  Migard  et  Bedetti,  etc. 

Mlle  Germaine  Tassart,  —  Le  concert  donné  le  22  décembre  par  Mlle  Germaine 
Tassart  a  été  couronné  de  succès.  Bien  que  la  pleine  possession  de  ses  moyens  lui  ait 
fait  un  peu  défaut  au  début,  Mlle  Tassart  n'a  pas  tardé  à  redevenir  maîtresse  d'elle- 
même  ;  elle  nous  a  fait  entendre  successivement  le  Concerto  op.  16  de  Grieg,  dans  le- 
quel elle  ne  fut  pas  toujours  bien  secondée  par  l'orchestre  ;  une  Gavotte  variée  de  Hîen- 


—  745  — 

del  interprétée  dans  un  pur  et  joli  style  classique;  une  Tarentelle  de  Moszkowsky.  et  la 
Fantaisie  Hongroise  pour  piano  et  orchestre  de  Liszt  dont  elle  surmonta  les  multiples 
difficultés  avec  une  grande  sûreté  de  moyens  et  une  énergie  qui  paraît  être  sa  qualité 
dominante. 

M.  Lucien  Berton  chanta  avec  succès  le  Soldat  de  Schumann,  un  air  de  le  Reine 
F/amme//<2  de  Xavier  Leroux  et  VAndaloitse  de  Bourgault-Ducoudray  ;  et  l'orchestre, 
sous  la  conduite  de  i\L  Lucien  Wurmser  exécuta  l'ouverture  des  iVoces  ie  Fz'o-aro  et 
Deux  Danses  Hongroises  de  Brahms  dans  un  mouvement  excellent  quoique  avec  un 
cei"taîn  flottement  dans  l'ensemble. 

L'Union  Instrumentale.  —  Je  suis  heureux  de  présenter  aux  lecteurs  du  Courrier. 
VlJm'oti  Instrumentale,  une  jeune  société.  Elle  existe  depuis  quatre  ans  et  elle  a  surtout 
pris  son  essor  depuis  le  mois  de  mai  dernier.  Le  but  poursuivi  par  les  organisateurs  : 
Mme  Durey-Sohy,  MM.  Tanron,  Blanchet,  Henry  Landowski,  est  de  réunir  des  amateurs 
afin  de  former  un  orchestre  et  d'exécuter  le  plus  de  musique  classique.  Leurs  efforts 
méritent  vraiment  d'être  couronnés  de  succès. 

U Union  Instrumentale  s'est  fait  entendre  au  Trocadéro,  au  Cercle  du  Luxembourg 
et  dans  nombre  de  réunions  privées.  Pour  le  printemps,  elle  nous  promet  une  manifes- 
tation des  plus  intéressantes  à  la  salle  Mors. 

Le  dimanche  lo  décembre,  elle  exécutait,  au  Cercle  du  Luxembourg,  la  Messe  eu  ut 
wî/neHr  de  Schumann  d'une  façon  plus  que  satisfaisante.  Mlle  Charlotte  Durey-Sohy 
tenait  l'orgue.  Mmes  Landowski-Messner  (mezzo),  Planés  (contralto);  MM.  Drouville 
(ténor),  Ananian  (basse)  formaient  un  remarquable  quatuor.  A  l'offertoire,  Mme  Durey- 
Sohy  fit  apprécier  son  talent  et  sa  voix.  En  un  mot,  nous  avons  pu  constater  vers 
quel  idéal  d'art  tendait  V Union  Instrumentale.  Nous  souhaitons  de  la  voir  persé- 
vérer. G.  ROUCHÈS. 

P. -S.  —  ]J Union  Instrumentale  ne  désire  pas  former  un  cercle  étroit  et  restreint. 
Elle  veut  au  contraire  s'élargir  et  elle  fait  appel  à  tous  les  amateurs  sérieux.  (Café  du 
Départ).  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au  secrétaire  général,  M.  A.  Blanchet,  2, 
place  du  Théâtre-Français. 

Fondation  J  -S.  Bach.  —  Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  sur  l'ensemble  des 
séances  que  M.  C.  Bouvet  se  propose  de  nous  offrir  cette  saison  comme  suite  digne  des 
précédentes.  Notons  tout  de  suite  la  remarquable  exécution  de  la  Sonate  en  sol  ma- 
jeur de  Bach,  par  MM.  Bouvet  et  Jemain. 

Mlle  Edna  Hoff.  —  Mlle  Edna  Hoff  concilie  deux  choses  qui  jusqu'alors  n'avaient 
pas  été  remarquées  souvent  ;  une  voix  fraîche  et  un  timbre  chaud.  Dans  des  mélodies 
de  Gounod,  Verdi  et  Schésinger,  elle  nous  a  véritablement  charmés.  M.  Ch.  Fœrster, 
M.  et  Mme  Gustav  Wagner,  qui  lui  prêtaient  leur  concours,  ont  contribué  au  succès 
de  cet  intéressant  concert. 

MM.  Dumesnil,  Mendels  et  Bedetti  sont  tous  trois  fort  joliment  doués,  mais  doués 
de  quoi  ?  de  natures  totalement  différentes  qui  ne  nous  laissent  pas  croire  à  une  entente 
très  prochaine  entre  ces  trois  excellentsvirtuoses,  surtout  dans  l'exécution  d'oeuvres  aussi 
ad  H  bitum,  si  j'ose  m'exprimer  ainsi,  que  Je  troisième  trio  de  Lalo  et  surtout  celui  en 
ré  mineur  de  Schuman.  Par  contre  nous  avons  assez  aimé  l'intéressante  traduction  de 
la  Sona/e  de  Franck  par  MM.  Mendels  et  Dumesnil. 

Le  quatuor  Luquin.  —  A  ce  concert  le  quatuor  Luquin  (MM.  Luquin,  Dumont, 
Roelens  et  Richet)  et  M.  G.  de  Launay  se  surpassèrent  dans  le  quintette  de  Franck 
qui  fut  de  beaucoup  la  partie  la  plus  intéressante  parce  que  la  mieux  mise  en  valeur  de 
la  soirée. 

Mlle  J.  d'Herbécourt.  —  Audition  uniquement  consacrée  à  Franck  (Sonate),  d'Indy 
(Poème  des  Montagnes),  et  Lekeu  (Sonate)  ;  interprétation  sincère  et  noble,  sinon  émou- 
vante, par  Mlle  d'Herbécourt,  dont  la  pureté  du  jeu  n'a  d'égale  que  celle  de  M.  Parent, 
et  par  M.  Parent  dont  le  style  sobre  n'a  d'égal  que  celui  de  Mlle  d'Herbécourt. 


—  74<5  — 

Mme  Max-Soîilier.  —  Concert  composé  avec  le  soucî  de  plaire,  mais  cependant 
sans  la  moindre  concession.  D'ailleurs  Mme  Max-Soulier  du  temps  où  elle  prêchait  la 
bonne  parole  à  «  la  Fronde  ))  aurait-elle  admis  que  l'on  put  chercher  à  satisfaire  les  exi- 
gences du  public?  Comme  critique  elle  a  donc  fait  ses  preuves  ;  comme  interprèt.e  elle 
vient  de  les  faire  en  chantant  avec  goût,  justesse  et  sans  s'astreindre  aucune  école  en 
cours,  différentes  pages  de  Bach,  Beethoven,  Fauré,  Pierné,  X.  Leroux,  etc.  M.  David 
Blitz  pourrait  exécuter  la  Sonate  op.  2^  (n°  2)  de  Beethoven  avec  plus  d'assurçince,  son 
solide  talent  lui  en  donne  le  droit.  A.  L. 

Société  de  Musique  nouvelle.  —  Le  Jeudi  21  décembre  a  eu  lieu  le  premier  concert 
de  la  Société  de  Musique  nouvelle.,  qui  a  émigré  cette  année  à  la  Grande  Salle  Erard, 
où  les  voix  puissantes  de  Mlle  Eléonore  Blanc  et  de  M.  Chanoine-Davranches  ont  pu 
plus  facilement  se  développer  dans  toute  leur  ampleur. 

Mlle  Blanc  a  été  acclamée  après  les  Mélodies  bretonnes  de  M.  Bourgault-Ducoudray, 
accompagnée  par  l'auteur  et  M.  Chanoine-Davranches  très  applaudi  dans  les  Chan- 
sons créoles  de  P.  Carolus-Duran.  Les  distingués  compositeurs  Mlle  Hélène  Fleury  et 
G.  Grovlez,  le  violoniste  Eug.  Borrel,  Mlle  de  Mirmont,  etc..  ont  interprété  les  œuvres 
de  MM.  Falkenberg,  Destanay,  Eymieu,  B.  Moreau  et  Péron. 


Le  RiOMYement  musical  en  pwiîice  et  à  l'étranger 


Nous  publierons  le  i ^  janvier  l'article  de  notre  correspondant  sur  la  première  de 
Salomé,  de  Richard  Strauss,  à  l'Opéra  de  Dresde,  cet  article  nous  parvenant  au  mo77ient 
de  la  mise  en  pages. 

LETTRE  DE  VIENNE 


Si  je  voulais  donner  une  idée  de  tout  ce  qui  se  passe  dans  une  quinzaine  de  la 
vie  musicale  à  Vienne,  je  me  trouverais  à  peu  près  aussi  embarrassé  qu'un  critique 
parisien  qui  voudrait  renseigner  des  lecteurs  étrangers  sur  tous  les  événements  musi- 
caux d'une  quinzaine  de  Paris.  Mais  d'un  autre  côté,  si  j'essaye  de  faire  un  choix  dans 
cette  abondance  d'œuvres  et  de  virtuoses  que  j'ai  entendus  et  d'en  dégager  le  peu  qui 
par  une  réelle  nouveauté  est  susceptible  de  vous  intéresser,  le  champ  est  singulière- 
ment plus  restreint.  Et  d'abord  les  concerts  de  virtuoses  sont  tous  taillés  sur  le  même 
patron  :  le  Bach,  généralement  arrangé  par  Liszt  ou  Tausig  ouvre  solennellement  la 
marche,  le  Beethoven  forme  le  plat  de  consistance  et  l'inévitable  Liszt  ou  Chopin  sert 
de  bouquet  final,  sans  parler  d'autres  productions  plus  locales,  d'un  niveau  que  l'on 
n'admettrait  pas  dans  un  concert  parisien.  Bien  entendu  les  maîtres  du  violon  et  du 
piano  défilent  tous  au  cours  de  la  saison  viennoise,  mais  ceux-là  vous  les  entendrez  ou 
vous  les  avez  déjà  entendus  ;  inutile  donc  de  vous  en  parler. 

Heureusement  il  y  a  à  Vienne  une  compensation ,  je  veux  dire  d'admirables 
orchestres  qui  parviennent  à  une  unité  de  sonorités  et  d'intentions  incomparables  ;  un 
autre  jour  je  vous  entretiendrai  de  l'Opéra  ;  pour  aujourd'hui  je  voudrais  vous  faire 
connaître  le  Wiener-Concert-Verein,  dirigé  depuis  sa  fondation  par  Ferdinand  Lowe. 
Imaginez  dans  une  salle  d'acoustique  excellente,  contenant  2.000  places,  un  orchestre  de 
100  musiciens  qui,  devant  un  public  d'abonnés,  exécute  naturellement  toutes  les  grandes 
œuvres  classiques,  mais  aussi  toutes  les  nouveautés  intéressantes  ;  j'y  ai  assisté  derniè- 
rement à  un  concert  composé  exclusivement  de  nouveautés  sous  la  direction  des  auteurs 
mêmes  ;  là  le  maigre  et  sautillant  Hans  Pfitzner  nous  fit  entendre  une  Ballade  pour 
orchestre  et  voix  de  basse,  les  Lutins  familiers.,  où  l'orchestration  infiniment  pitto- 
resque, l'écriture  hardie  et  le  mépris  de  la  voix  décèlent  la  main  qui  a  signé  la  Rose 
von  Liebesgarten. 


—  747  — 

Ensuite  avec  Fair  solennel  et  satisfait  d'un  maître  d'hôtel  content  de  son  menu,  on 
vit  s'avancer  Siegfried  Wagner  qui  nous  servit  une  lamentable  valse  et  une  ouverture 
tirée  de  son  opéra  Herzog  Wildfang.  ainsi  qu'une  déplorable  pantomime  extraite  de 
Bruder  Lustig.  Heureusement  une  Suite  pour  orchestre  d'un  jeune  compositeur  hon- 
grois Bêla  Bartoh  dissipa  cette  fâcheuse  impression  par  la  richesse  juvénile  de  ses  mo- 
tifs et  la  couleur  sauvage  de  ses  rythmes. 

Quelques  jours  après,  c'était  Ernst  de  Dohnanyi  qui  nous  exécutait  son  concerto 
pour  piano  et  orchestre  ;  c'est  un  grand  artiste  et  une  grande  œuvre  et  je  ne  crois  pas 
qu'à  cette  forme  de  concerto  notre  ami  Jean  d'Udine  lui-même  pût  trouver  à  redire  ; 
l'union  de  l'orchestre  et  du  piano  est  intime,  le  soliste  n'apparaît  parmi  les  autres  voix 
que  comme  une  voix  plus  humaine  et  plus  expressive;  on  n'y  trouve  point  le  défaut  des 
concertos  habituels  où  l'orchestre  pris  en  masse  s'oppose  à  l'instrumentiste,  chaque  ins- 
trument garde  bien  son  individualité  et  le  piano  par  reflet  n'en  acquiert  que  plus  d'au- 
torité. Dohuanyi  est  un  virtuose  dans  la  plus  haute  acception  du  mot  et  je  souhaite 
que  d'ici  peu  vous  ayez  la  joie  de  l'entendre. 

L'interprétation  de  Mozart  et  de  Beethoven  est  naturellement  parfaite  ;  c'est  à 
Vienne  qu'il  faut  entendre  les  symphonies  de  Mozart  sous  la  direction  de  Lowe.  La 
précision  des  rythmes  généralement  exagérée  jusqu'à  l'outrance  par  les  orchestres  vien- 
nois devient  ici  une  qualité  éminente,  les  moindres  dessins  de  contre-basse  ressortent 
en  pleine  lumière,  les  bois  n'ont  pas  à  vrai  dire  le  charme  pastoral  des  nôtres,  mais  les 
cuivres  sonnent  avec  la  plénitude  moelleuse  des  orgues.  Le  sentiment  musical  est  plus 
développé  que  le  goût  et  la  curiosité,  toutes  les  nouveautés  allemandes  sont  accueillies 
mais  les  écoles  russes  et  françaises  contemporaines  sont  peu  connues  ;  il  y  a  quelques 
jours  devant  un  auditoire  de  musiciens,  aidé  de  deux  excellentes  artistes,  la  comtesse 
Morsztyn  et  Mlle  Stephie  Brunner,  j'ai  fait  entendre  quelques  œuvres  de  Debussy  ac- 
compagnées de  commentaires  explicatifs  ;  j'ai  eu  l'impression  qu'elles  n'étaient  pas 
comprises;  jusqu'ici  il  n'y  a  pas  eu  entre  Vienne  et  Paris  l'échange  qui  devrait  exister 
entre  deux  capitales  de  la  musique  ;  avec  le  temps  une  compréhension  mutuelle  pourra 
se  faire  jour.  Jules  Sauerwein. 

BORDEAUX. —  Le  programme  du  2"  concert  de  la  Société  Sainte-Cécile  compre- 
nait la  symphonie  en  ré  de  Brahms,  qui  fut  présentée  avec  une  grande  clarté, mais 
qui  enthousiasma  aussi  peu  que  possible.  Décidément,  avec  la  meilleure  volonté  du 
monde,  il  nous  est  impossible  de  «  vibrer  ))  à  l'audition  de  cette  musique  d'un  senti- 
mentalisme si  spécial  et  si  «  contenu  ))  ! 

Le  beau  Concerto  de  Lalo,  pour  violoncelle,  fut  joué  avec  aisance  et  avec  une  belle 
sonorité  par  M.  Liégeois,  à  qui  l'on  a  fait  un  grand  succès,  surtout  après  l'exécution 
d'un  Nocturne  de  Chopin,  transcrit  pour  violoncelle  (!)  et  avec  accompagnement  de 
harpe  (!!).  Le  Few  cé/esfe  n'ajoute  rien  à  la  gloire  de  M.  Saint-Saëns,  célébrée  par  M. 
Baumann  ;  Nuit  d'été  de  G.  Marty  est  un  poème  symphonique  fort  réussi,  où  l'on  ren- 
contre quelques  jolies  idées  musicales  présentées  avec  art  et  dont  l'orchestration  est 
parfaite. 

Signalons  la  reprise  des  séances  si  artistiques  de  M.  Lespine  qui  consacre  cette  an- 
née six  concerts  à  la  musique  allemande,  de  Bach  à  R.  Strauss.  Programmes  un  peu 
trop  chargés.  Le  premier  concert  était  consacré  à  Bach,  Haendel  et  Haydn  :  c'était  un 
copieux  menu  !  On  a  entendu  le  2°  Concerto  de  Bach  pour  trompette,  violon,  flûte, 
hautbois  et  orchestre  à  cordes,  où  M.  Sicottly  se  distingua.  M.  Lespine  interpréta  re- 
marquablement la  Chacone.  R.  S. 

* 
•  * 

Une  fremière  au  Grand-Théâtre.  —  Le  5  janvier  prochain,  afin  de  fêter  congrû- 
ment  la  jeunesse  de  l'an  neuf,  le  Grand  Théâtre  de  Bordeaux  va  donner  l'œuvre  d'un 
jeune  :  U Anniversaire ^  drame  musical  en  un  acte,  pour  les  paroles,  de  MM.  Ferval  et 
Harold,  pour  la  musique,  de  M.  Adalbert  Mercier,  dont  le  prénom  seul  est  germanique, 
car  son  talent  est  très  latin. 


-  748  - 

M.  Mercier  est  un  vrai  jeune.  On  médit  qu'il  est  encore  dans  la  vingtaine.  Pour  les 
débuts  au  théâtre  d'un  musicien,  c'est  à  peine  l'adolescence. 

On  décentralise  beaucoup  par  le  temps  qui  court.  A  Paris,  il  faut  attendre.  Trop  de 
talents  sollicitent  trop  peu  de  directeurs.  La  Province  ouvre  ses  bras  aux  éphèbes  impa- 
tients :  ils  y  volent,  ils  n'ont  point  tort.  M.  iMercier  goûtera  d'autant  mieux  l'utile  joie 
d'entendre  vivre  et  chanter  son  drame  qu'il  a  tous  ses  cheveux  encore  et  l'âme  toute 
fraîche. 

Drame  très  bref,  vibrant  de  passion  italienne. 

Nous  sommes  en  Lombardie,  chez  le  fermier  Matteo,  le  jour  des  Morts.  Des  cloches 
pleurent  dans  le  crépuscule.  Et  Matteo  pleure  aussi  son  bonheur  défunt.  Stella,  sa 
jeune  femme  qu'il  adorait,  est  morte.  A  la  douleur  de  l'amour  brisé  s'ajoute  encore, 
dans  son  âme  inconsolable,  la  torture  de  la  fureur  jalouse  :  Stella  est  morte  adultère, 
confessant  sa  faute  à  Matteo.  sans  toutefois  lui  nommer  le  coupable,  que  la  haine  de 
l'époux  outragé  s'acharne  depuis  à  découvrir.  Il  soupçonne  que  Séverina,  la  vieille 
servante  dévouée,  connaît  le  nom  du  séducteur.  Mais  ni  les  prières,  ni  les  m.enaces 
du  Maître  n'arracheront  à  la  pauvre  femme  une  révélation...  qui  serait  la  mort  de  son 
propre  fils.  Car  Sandro,  son  cher  Sandro,  c'est  justement  le  coupable.  Son  angoisse 
maternelle,  quand  Matteo  l'a  quittée,  s'exhale  en  plaintes  haletantes,  un  instant 
calmées  par  une  gaie  chanson  d'avril  et  de  virginal  amour  qui  s'éveille  au  lointain 
de  la  plaine.  C'est  la  voix  de  Lucia,  amie  d'eniance  de  Sandro.  La  voix  approche  ; 
et  voici  la  jeune  fille,  apportant  des  branchages  et  des  fleurs  dont  elle  pare, 
en  ce  jour  des  Morts,  un  petit  autel  surmonté  d'une  statuette  de  la  Madone. 
Dans  un  tintement  de  sonnailles  arrive  aussi  Sandro,  avec  les  muletiers  ses  com- 
pagnons. Il  est  triste,  abattu  ;  un  remords  l'obsède,  que  le  sourire  de  Lucia  ne  parvient 
pas  à  dissiper;  et  quand  le  chœur  des  muletiers  et  des  paysans,  à  genoux  devant  l'autel, 
murmure  la  Prière  des  Morts,  quand  la  voix  douloureuse  de  Matteo,  revenu,  évoque  la 
mémoire  de  Stella,  un  sanglot,  qu'il  n'a  pu  retenir,  révèle  tragiquement  le  nom  du  cou- 
pable à  la  vengeance  qui  le  guettait.  De  quel  droit  Sandro  pleure-t-il  donc  la  femme  de 
Matteo?  Bref  colloque  entre  les  deux  hommes.  Ils  sortent...  et  Matteo  revient  seul,  son 
couteau  sanglant  à  la  main.  Lucia  s'est  évanouie  ;  et  tandis  que,  sur  un  signe  du  Justi- 
cier, le  De  Profundis  recommence,  l'atroce  douleur  de  la  mère,  au  dehors,  hurle,  éper- 
due, sur  le  cadavre  de  son  enfant. 

On  souhaiterait  peut-être,  dans  ce  livret  d'ailleurs  pathétique  et  théâtral,  des 
images  et  des  vers  de  qualité  plus  choisie.  Mais  que  l'intrigue  en  soit  fort  simple,  c'est 
tant  mieux.  La  complexité  du  livret,  n'est-ce  pas  le  plus  souvent  la  mort  de  la  partition  ? 
Trop  de  faits  —  comme  trop  de  paroles  —  embarrassent  et  morcèlent  le  développement 
lyrique,  détournent  la  musique  de  son  rôle  qui  n'est  point  de  s'asservir,  même  au  théâ- 
tre, à  l'enchaînement  particulier  des  événements,  mais  d'en  extraire  le  sens  humain  et 
l'émotion  profonde  (i). 

Des  situations  et  des  sentiments  que  les  contrastes  du  scénario  lui  présentaient,  le 
musicien  a  su  tirer  un  fort  bon  parti.  C'est  d'abord,  au  début  de  l'acte,  dans  la  tris- 
tesse du  jour  tombant,  la  polyphonie  de  l'orchestre  associant  au  chant  douloureux  de 
Matteo  l'éparse  compassion  de  la  nature.  C'est  aussi  l'andante  où  le  violon  solo,  expo- 
sant le  motif  de  la  disparue,  souligne  le  récit  de  sa  mort  et  de  son  aveu  suprême.  C'est 
encore,  sous  le  récitatif  dramatique  de  Séverina,  la  détresse  de  la  mère  haletant  aux 
terreurs  du  quatuor  entrecoupé  :  scène  d'angoisse  quasi  physique,  traversée  comme 
d'un  rayon  de  mai  par  cette  jolie  villanelle  de  Lucia  qui  ferait  songer,  peut-être,  à  la 
manière  de  Bizet.  Les  deux  chœurs  seront  applaudis  tous  deux  :  le  chœur  des  muletiers, 
tumultueux,  pittoresque,  et  la  Prière  des  morts,  d'une  religieuse  solennité.  Le  thème 
de  ce  second  chœur  sert  plus  loin  au  développement  de  la  scène  funèbre  où  Matteo  prie 
pour  la  mémoire  de  Stella.  11  reparaît  enfin  au  dénouement,  dont  il    devient    le  sombre 


(i)  Voir  sur  cette  question  quelques  pages  de  l'étude  si  curieuse  et  pénétrante  d'Albert  Bazaillas  : 
De  la  signification  métaphysique  de  la  musique,  d'après  Schopenhauer,  p .  48  sqq  (  F .  Alcan,  édi- 
teur). 


—  749  — 

commentaire,  s'apeurant  en  quelque  sorte  de  l'efifroi  même  du  (drame  jusqu'au  moment 
où  l'orchestre,  dans  toute  l'intensité  de  sa  force,  reprend  la  phrase  déchirante  —  et 
finale  —  qui  caractérise  l'amour  maternel. 

En  somme,  de  la  verve  et  de  l'entrain,  de  la  vigueur  dans  l'accent  dramatique,  à 
l'occasion  un  charme  juvénile  de  mélancolie  et  de  fraîcheur,  l'heureux  souci  de  conser- 
ver au  chant  une  ligne  d'un  relief  scéniquement  mélodique,  un  orchestre  coloré  qui  ne 
se  réclame  d'aucune  école,  où  l'action  se  reflète  avec  justesse,  où  s'approfondit  l'analyse 
des  sentiments,  n'est-ce  point  un  lot  assez  coquet  de  qualités  personnelles  et,  déjà, 
d'expérience  acquise  ?  Car  M.  Mercier  est  un  travailleur.  Elève,  au  Conservatoire,  de 
Xavier  Leroux  pour  l'harmonie,  de  Gabriel  Fauré  pour  les  mystères  du  contrepoint  et 
de  la  fugue,  il  a  dès  maintenant,  quoiqu'imberbe,  un  gentil  bagage  d'œuvres  diverses. 
Il  a  donné  le  vol  à  de  nombreuses  mélodies  qui  ont  chanté  dans  les  concerts,  notam- 
ment, l'an  dernier,  aux  Matinées  Danbé,  Il  a  composé,  pour  le  Théâtre  de  l'OEuvre,  la 
musique  de  scène  du  Roi  Candaule.  d'André  Gide,  et  du  Maître  de  Palmyrc.  de  Wil- 
brandt,  avec,  dans  cette  dernière  pièce, d'assez  importantes  parties  chantées.  Musique  de 
scène,  encore,  pour  le  Jésus  à  Béthanie  que  le  Théâtre  des  Mathurins  a  joué  plusieurs 
années  de  suite  pendant  la  semaine  sainte,  une  Etude  Symphonique,  à  la  salle  Humbert 
de  Romans.  Critique,  il  a  donné  aux  journaux  et  revues  plusieurs  articles,  deux  entre 
autres,  récents,  sur  César  Franck  et  sur  les  lieder  de  R.  Strauss. 

Souhaitons  donc  à  M.  Adalbert  Mercier,  pour  ses  étrennes,  l'encouragement,  qu'il 
mérite,  d'un  bon  succès. Interprété  par  le  talent  de  Mlles  Ranflaur  (Séverina)  et  Clouzet 
(Lucia),  de  M.  Lorrain  (Sandro),  et  par  AL  Fournets,  dont  l'art  éprouvé,  tant  de  fois 
applaudi  à  l'Opéra,  de  chanteur  et  de  comédien  excellera  dans  le  rôle  de  Matteo, 
V Anniversaire  a  de  plus  cette  chance  précieuse,  puisqu'on  le  Joue  à  Bordeaux,  que  son 
destin  soit  remis  aux  soins  dévoués,  au  goût  très  sûr  de  M.  Frédéric  Boyer,  aussi  par- 
fait directeur  et  metteur  en  scène  qu'il  est  parfait  artiste. 

Maurice  Lena. 


BRUXELLES.  —  Concerts  Ysaye.  —  S'ils  cherchent  un  guide  dans  les  ap- 
préciations des  journaux,  les  compositeurs  doivent  être  souvent  embarrassés.  L'au- 
teur de  la  symphonie  qui  ouvrait  le  troisième  concert  Ysaye  a  pu  lire,  le  lende- 
main de  l'audition,  dans  un  des  journaux  du  matin  :  «  La  symphonie  de  M.  Louis 
Mortelmans  a  le  mérite  essentiel  d'être  écrite  avec  clarté  ».  —  et  le  m^me  jour,  dans  un 
journal  du  soir  :  «  Ces  œuvres  (la  symphonie  précitée  et  le  poème  symphonique  de  M. 
Joseph  Jongen).  ne  sont  pas  parfaites  ;  il  leur  manque  de  la  clarté,  de  la  précision,  de 
l'ensemble,  etc.  ».  L'heure  du  tirage —  diurne  ou  nocturne  —  des  journaux  influerait- 
elle  sur  le  jugement  des  critiques  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  public  a  paru  partager  l'opinion  la  plus  matinale,  si  l'on  en 
juge  par  l'accueil  sympathique  qu'il  à  fait  à  la  Symphonie  homérique^  dont  il  a  acclamé 
l'auteur.  —  Homérique  ?  Le  programme  l'affirme.  Le  wagnérisme  suraigu  dont  est  pé- 
nétrée cette  partition  (son  excuse,  c'est  d'avoir  été  écrite  il  y  a  douze  ans,  à  une  époque 
où  Bayreuth  obsédait  les  musiciens)  s'accorde  mal  avec  l'évocation  de  l'Iliade  et  de  l'O- 
dyssée. Les  quatre  mouvements  dont  elle  se  compose  semblent  célébrer  plutôt  le  jeune 
Siegfried,  le  chaste  Parsifal,  les  Filles-fleurs  et  leurs  jardins  de  volupté.  La  symphonie 
n'en  est  pas  moins,  au  vœu  de  son  auteur,  «  homérique  ».  Gageons  que  c'est  un  trait 
de  modestie.  Sept  villes  de  la  Grèce  se  disputaient,  dit-on,  l'honneur  d'avoir  donné 
naissance  au  poète.  L'impersonnalité  de  son  œuvre,  l'incertitude  des  sources  multiples 
dont  elle  est  issue  (car  Manon  s'y  mêle  polyphoniquement  à  des  réminiscences  de  la  té- 
tralogie) ont  sans  doute  déterminé  M.  Mortelmans  à  l'assimiler  au  classique  symbole 
des  origines  conjecturales...  En  quoi  II  aurait  fait  preuve  d'esprit.  Homérique,  héroïque 
ou  chimérique,  la  symphonie  est  d'ailleurs  une  œuvre  honorable.  A  défaut  d'originalité, 
elle  décèle  une  main  habile  à  manier  l'orchestre  et  à  en  faire  chanter  les  cent 
voix. 

Chez  M.  Joseph  Jongen  il  y  a,  outre  une  parfaite  connaissance  du  métier,  un  tem- 


—  750  — 

pérament  musical  réel.  Diverses  pages  symphoniques,  plusieurs  œuvres  de  musique 
de  chambre  ont  mis  en  vedette  ce  nom  liégeois  à  désinence  flamande  (la  voilà  peut-être 
réalisée,  l'âme  belge  dont  il  fut  tant  question  ces  temps  derniers  !).  Son  nouveau  poème 
symphonique  Lalla  Roukh.  inspiré  de  Thomas  Moore,  s'inscrit  parmi  ses  meilleures 
partitions  d'orchestre.  Classiquement  construite  sur  deux  thèmes  précédés  d'une  intro- 
duction destinée  à  situer  l'action  (et  d'un  orientalisme  dépouillé  de  l'exotisme  de  paco- 
tillle  propagé  par  les  expositions  universelles),  l'œuvre  se  développe  logiquement,  avec 
une  gi-adation  d'effets  parallèles  au  crescendo  pathétique  du  poème.  On  sait  que  les 
deux  héros,  tels  Tristant  et  Yseult,  s'aiment  au  cours  de  la  traversée  qui  doit  amener  à 
l'époux  la  princesse  lointaine.  Mais  au  lieu  d'un  roi  Marke,  celle-ci  trouve  sur  le  trône 
l'amant  qu'un  subterfuge  lui  avait  fait  prendre  pour  un   messager  de   son  futur  maître. 

La  musique  dont  M.  Jongen  a  commenté  ce  récit  légendaire  a  de  la  vie,  de  la  cha- 
leur et  de  l'éclat.  Elle  est  riche  et  sonore,  abondante  et  expressive.  L'auteur  y  affirme 
une  personnalité  libérée  de  souvenirs,  sinon  d'influences  :  celles-ci  apparentent  l'œu- 
vre à  certaines  compositions  de  M.  d'Indy,  spécialement  à  Sctugefleurie  avec  laquelle 
elle  présente  des  analogies  d'écriture. 

Les  Divei-tissements  russes  de  M.  Henri  Rabaud,  qui  clôturaient  le  programme, 
n'offrent  qu'un  intérêt  pittoresque,  —  de  ce  pittoresque  un  peu  superficiel  mis  à  la  mode 
par  les  recherches  moins  folkloriques.  Instrumentés  avec  goût,  ils  n'en  forment  pas 
moins  un  numéro  de  concert  chatoyant  et  animé. 

A  l'attrait  de  ces  trois  auditions  nouvelles,  M.  Eugène  Ysaye  avait  ajouté  le  charme 
caressant  du  violon  de  Jacques  Thibaud.  Celui-ci  joua  avec  la  pureté,  le  sentiment  et  le 
style  admirables  qu'on  lui  connaît  le  Concerto  en  si  mineur  de  Saint-Saëns.  Et  le 
triomphe  devint  du  délire  quand  M.  Eugène  Ysaye,  passant  à  l'improviste  le  bâton  di- 
rectorial à  M.  Gustave  Huberti,  interpréta  avec  M.  Thibaud,  pour  remplacer  la  Cha~ 
conne  annoncée,  le  Concerto  pour  deux  violons  de  J.-S.  Bach.  Rien  ne  peut  donner  une 
idée  de  la  beauté  émouvante  de  cette  exécution.  La  salle  entière,  transportée,  ovationna 
frénétiquement  les  deux  virtuoses  et  ne  se  lassa  de  les  rappeler  sur  l'estrade  que 
pour  écouter  et  applaudir,  encore  et  toujours,  M.  Jacques  Thibaud,  revenu  seul,  cette 
fois,  et  qui  ajouta  gracieusement  au  programme  la  Habanera  de  Saint-Saëns,  merveil- 
leusement jouée.  Octave  Maus. 

Concerts  Populaires.  —  Au  deuxième  concert  populaire,  M.  Sylvain  Dupuis  nous 
a  donné  dans  la  même  séance,  les  esquisses  de  Gilson  et  de  Debussy  sur  la  Mer.  Il  faut 
avouer  que  le  public  bruxellois,  ému  par  la  mer  flamande  et  si  dramatique  de  Gilson,  a 
été  profondément  déconcerté  par  l'art  étrange  de  Debussy,  bien  que  l'interprétation  en 
ait  été  excellente. 

Au  programme  figuraient  encore  deux  œuvres  nouvelles  :  Paris  la  Nicit,  de  F.  Dé- 
lius,  et  Morgane,  d'Auguste  Dupont,  œuvres  intéressantes,  mais  sans  grande  impor- 
tance. 

La  virtuose,  Mlle  Stefi  Geyer,  fut  très  applaudie,  bien  qu'elle  ne  jouât  que  des 
œuvres  sans  intérêt  musical.  F. 

♦  * 

Concerts  divers,  —  Mentionnons,  parmi  les  derniers  concerts  intéressants,  celui  de 
la  Société  des  instruments  à  vent.,  de  Paris  qui  nous  a  fait  entendre  le  Quintette  de  Mo- 
zart, un  délicieux  Trio  de  Haendel,  une  sonate  pour  flûte  et  clavecin  de  Bach,  des  œu- 
vres de  Gounod  et  E.  Bernard.  On  a  admiré  la  merveilleuse  sonorité  et  la  superbe  vii-- 
tuosité  de  ces  excellents  artistes. 

M.  Emile  Bosquet  et  Mme  C.  Kleeberg  ont  donné  des  récitals  de  piano  très  suivis. 
A  la  Société  des  Ingénieurs.,  M.  Engel  et  Mlle  Bathori  ont  chanté  avec  l'art  que  l'on 
sait  des  mélodies  de  Charpentier,  R.  Strohl  et  joué  la  Princesse  jaune.,  de  Saint- 
Saëns,  œuvrette  charmante   et  qui  gagnerait  à  être  plus  connue. 

MM.  Bosquet  et  Chaumont  continuent  avec  succès  l'historique  de  la  Sonate  piano 
et  violon.  G. 


—  751  — 


A  la  Monnaie.  —  Chérubin  est  le  succès  du  jour.  On  travaille  d'autre  part  à  la 
Damnation  de  Faust  (adaptation  scénique  de  R.  Gunsbourg).  Armide  continue  toujours 
à  faire  salle  pleine. 

iEIPZîO.  —  Fin  Novembre.  —  Le  mois  de  novembre  nous  a  apporté  comme  œu- 
vres modernes,  au  Gewandhaus,  la  Symphonie  pathétique  de  Tschaïkowsky,  der 
À  Tanz  in  der  Dorfschenkl  de  Liszt,  et  les  Variations  d'Elgar  :  cette  dernière  œuvre 
consiste  en  une  série  de  «  portraits  musicaux  »  à  l'aide  desquels  Elgar  a  voulu  dé- 
peindre ses  amis  :  il  semble  qu'il  y  ait  assez  bien  réussi. 

Le  nouveau  Concerto  pour  piano  d'Hugo  Kann  reçut  un  accueil  sympathique.  Mlle 
Vera  Maurina  l'interpréta  dans  un  sentiment  exact  et  fit  preuve  d'une  brillante  tech- 
nique. Comme  solistes,  citons  encore  M.  Wollgandt  qui  exécuta  d'une  façon  suffisante 
le  Concerto  de  violon  de  Brahms  et  Mmes  Johanna  Kiss  et  Antonia  Dolorès. 

Les  Concerts  Philharmoniques  de  Hans  Winderstein  nous  donnèrent  la  Symphonie 
de  Man/red,  de  Tchaïkowsky  et  le  Cygne  de  Tuonela  de  Sibélius.  Comme  nouveauté, 
die  Champagner-Oiiverture  de  W.  von  Baussnern.  Mlle  Mùnchhoff  chanta  avec  succès. 
Richard  Burmeister  exécuta  brillamment  le  Concerto  pathétique  de  Liszt,  et  Ad.  Reb*^ 
ner  nous  présenta  fort  bien  le  Concerto  de  violon  de  Dvorak. 

Le  Riedelverein  a  donné  une  audition  assez  bonne  du  Messie  de  Hasndel.  — 
F.  Thieriot  nous  a  fait  connaître  de  ses  œuvres  :  elles  n'ont  éveillé  qu'un  intérêt  rela- 
tif.—  De  même  M.  Jenner,  de  Marburg  a  donné  un  concert  consacré  à  ses  compositions  : 
la  Sonate  pour  violoncelle  et  piano  a  prouvé  immédiatement  son  manque  absolu  d'ima- 
gination. 

Les  séances  de  musique  de  chambre  du  Gewandhaus  ont  offert  un  réel  intérêt, 
avec  des  quatuors  de  Beethoven,  VOctette  de  Schubert,  le  Quatuor  avec  piano  de  Dvo- 
rak. MM.  Friedberg  et  Hegner  jouèrent  avec  grand  succès  les  cinq  sonates  pour  violon- 
celle et  piano.  —  Max  Reger  remporta,  à  son  concert,  un  véritable  triomphe  avec  un 
lieder  et  ses  Variations  sur  des  thèmes  de  Bach  et  de  Beethoven. 

M.  M.  Oberdœrfer  interpréta  parfaitement  des  mélodies  de  Wilhelm  Berger  :  ce 
dernier  joua  sa  belle  Sonate  et  plusieurs  pièces  pour  piano. 

Citons  encore  les  Récitals  de  piano  de  Max  Pauer  et  de  Mlle  Anny  Eisele. 

E.  Segniïz. 


VERVIERS.  —  Rares  se  ont  les  manifestations  artistiques  en  notre  bonne 
ville  :  depuis  le  concert  Vreuls  dont  nous  avons  parlé  et  qui  marqua  le  début  de 
la  saison  et  en  dehors  des  soirées  des  cercles  privés,  c'est  le  néant.  On  ne  parle 
point  jusqu'à  présent  de  la  reprise  annuelle  des  Nouveaux  Concerts,  et  nous  ne  pou- 
vons plus  guère  considérer  comme  une  solennité  d'art  le  Concert  annuel  de  notre  Ecole 
de  musique  qui  fut  autrefois  le  prétexte  de  maintes  auditions  mémorables  où  l'on 
applaudissait  des  lauréats  remarquables  et  des  œuvres  belles  et  fortes  et  dont  on  a  fait 
cette  année  une  assez  vulgaire  «  représentation  dramatique  ».  Décidément  le  niveau 
artistique  baisse  et  notre  Ecole  délaisse  ses  belles  et  nobles  visées  :  déjà  l'an  dernier  on 
avait  vu  se  glisser,  aux  concerts  dont  nous  n'avons  pu  parler  ici  des  ((  monologues  » 
entre  les  svmphonies  de  Beethoven  et  les  pages  wagnériennes.  Cette  année  c'est  com- 
plet et  on  bannit  totalement  la  musique  pure,  jadis  si  adorée.  Que  les  temps  sont  chan- 
gés !  Il  est  vrai  qu'il  s'agissait  de  présenter,  après  deux  années  d'incubation,  les  résul- 
tats des  classes  de  diction  et  de  déclamation  lyrique,  nouvellement  installées  à  l'Ecole  ! 
Nous  avions  parlé  jadis  ailleurs  de  cette  innovation  que  nous  trouvions,  non  sans  rai- 
son, plutôt  inutile  et  même  nuisible  à  l'Art  et  aux  élèves  eux-mêmes  :  notre  avis  n'est 
point  modifié,  d'autant  plus  qu'on  a  tout  fait  pour  enlever  un  caractère  sérieux  à  ces 
cours  tout  en  les  favorisant  à  tout  propos.  Contrairement  à  la  coutume  justifiée  d'exi- 
ger une  distinction  de  chant  pour  suivre  ces  cours,  on  les  a  peuplés  en  les  rendant  obli- 


—  752  — 

gatoires  à  tous  les  élèves  des  classes  de  chant  et  en  y  admettant  même  des  élèves  qui  ne 
suivirent  jamais  un  cours  de  chant. 

Aujourd'hui  ces  heureuses  classes  accaparent  tout  le  programme,  et  quel  programme  ! 
Point  de  ces  œuvres  classiques  qui  sont  cependant  toujours,  si  on  n'en  abuse,  la  base  de 
l'enseignement  et  qui  par  leur  caractère  auraient  été  mieux  de  mise  dans  un  concert 
d'Ecole.  Non  !  ce  sont  des  scènes  du  Maître  de  Chapelle,  des  scènes  de  Faust  (dont  a 
expurgé  le  rôle  de  Siebel  qui  n'a  point  trouvé  d'amateur  parmi  nos  pudiques  jeunes 
filles)  et  une  saynète  plutôt  médiocre  de  MM.  Aderer  et  Ephraïm  niSoô  !))...  Ce  que  fut 
l'exécution  ?...  une  exécution,  plus  ou  moins  passable,  d'amateurs,  comme  en  fournissent 
chaque  jour  les  multiples  sociétés  d'amateurs  qui  sévissent  ici  pour  le  plus  grand  dam 
de  l'Art  et  des  solennités  artistiques,  comme  en  donnent  les  collégiens  au  jour  de  la 
distribution  de  prix...  Mais  des  qualités  dramatiques,  des  connaissances  «  techniques  )) 
du  théâtre,  armant  les  élèves  pour  le  but  réel  des  cours,  «  la  scène  )),  peu  ou  prou  !...  Et 
si  ce  n'est  que  pour  améliorer  des  «  amateurs  »  qu'avions-nous  bien  besoin  de  ces 
classes  dispendieuses  qui  font  tourner  la  tête  à  bien  des  cervelles  ?  Nous  n'irons  pas 
jusqu'à  détailler  ces  exécutions  ni  à  émettre  nos  justes  critiques  sur  les  malheureux 
élèves  fourvoyés  dans  cette  galère  :  d'aucuns  ont  du  talent  peut-être,  des  ressources  vo- 
cales, d'autres,  par  contre,  ignorent  tout  du  chant  (nous  ne  dirons  pas  de  la  scène,  pour 
cela  ils  sont  à  peu  près  tous  au  même  point),  d'autres  enfin  ont  été  inconsidérément  en- 
gagés dans  des  rôles  trop  lourds  pour  leur  organe.  Nous  ne  citerons  donc  personne, 
sauf  peut-être  M.  Simon  qui  chanta  excellemment  le  Maître  de  Chapelle,  et  dans  la 
classe  de  diction  Mlle  Delfortrie  qui  nous  a  surpris  et  M.  Moulan  qui  n')^  a  du  reste  rien 
appris. 

Grand  succès  du  reste  pour  ce  concert  qui  avait  attiré  une  foule  inaccoutumée  et 
très  prodigue  de  ses  bravos  :  cette  fois,  croyez-nous,  ce  n'est  pas  le  public  qui  eut  raison 
—  il  a  un  tas  de  motifs  spéciaux  et  il  applaudissait  des  «  amateurs  ))  sans  rien  y  cher- 
cher d'autre.  —  Mais  pour  nous  l'expérience  est  faite  et  bien  faite  et  la  conclusion  facile 
à  en  tirer. 

Ajoutons  que  l'orchestre  accompagna  lourdement,  sous  le  bâton  de  M.  Kefer  lui- 
même  et  joua  avec  conviction  une  intéressante  page  symphonique  de  notre  concitoyen 
Gaillard,  l'ouverture  de  l'opéra  wallon  Li  May  d'amour. 

Nous  parlerons  prochainement  de  la  soirée  de  musique  de  chambre  organisée  par 
M.  Alph.  Voncken. 

J.  D. 

L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  à  notre  prochain  numéro  l'Ecole 
des  Hautes  Etudes  sociales,  ainsi  que  les  correspondances  de  :  Angers,  Le  Havre., 
Montpellier.,  Marseille.  Nancy.  Nice.,  Rouen,  et  divers  échos. 


Concerts  Tlnvoijcés 


Salle  Pleyel 

janvier  1906 

1 1      M.  Riccardo  Prati,  pianiste 

13     MHz  Carcassonne,       id. 

Salle  Erard 

ô     La  Société  nationale. 

10  MM.  Galeotti    et    Capet  (Voir    le    progiamme 
sur  notre  encartage). 

1 1  Mme  Brêma. 

12  M.  Decq. 

13  M.  Barat. 

15  M.  J.  Hoffmann. 

16  MM.  Galeotti  et  Capet.  (Voir  le  programme  su^ 
notre  encartage). 


Châtelet 

10  Tlie  London  Symphony  Orchestra,  à  2  h.  1/2. 
12  id.  id.  id. 

Salle  des  Agriculteurs 

1 1  Les  Soirées  d'Art. 

16  Société  i-'hilharmonique  (Voir  le  programme    sur 
notre  encartage). 

Ambigu 

10  Société  des  Anciennes  matinées  Danbé,  4  h.  1/2. 

Salle  .^olian 

5  Le  Quatuor  Parent. 


ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


F  PI  A  N  C  E 

A  l'Opéra.  —  La  reprise  de  Tristan  et  Ysolde  avec  M.  Van  Dyck  a  évoqué  le  sou- 
venir des  meilleures  représentations  de  cette  œuvre  qui  serait  depuis  longtemps  entrée 
dans  les  phases  de  l'agonie,  si  M.  Alvarez  avait  continué  à  en  interpréter  la  moindre 
mesure,  à  plus  forte  raison  un  rôle  aussi  énorme  que  celui  de  Tristan. 

—  Le  début  de  Mlle  Chenal  dans  Sioitrd  a  quelque  peu  déçu  ceux  qui  partageaient 
l'opinion  enthousiaste  de  notre  confrère  Catulle  Mendès,  au  moment  des  concours  du 
Conservatoire.  Nous  préférons  attendre  pour  nous   prononcer  plus  définitivement. 

—  Le  mois  prochain,  on  reprendra  les  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  avec  une 
distribution  en  grande  partie  nouvelle.  Le  rôle  d'Eva  sera  chanté  par  Mlle  Lindsay  et 
celui  de  Magdeleine  par  Mme  Caro-Lucas. 

M.  Delmas  conservera  son  rôle  de  Hans  Sachs,  de  même  que  MM.  Chambon  et 
Barret  reprendront  les  rôles  qu'ils  ont  déjà  chantés.  Le  ténor  Muratore  abordera  pour  la 
première  fois  le  rôle  de  Walter    et  M.  Nuibo  celui  de  David. 

A  rOféra-Comique.  —  La  rentrée  de  Mlle  Marié  de  l'Isle  a  été  accueillie  par  les 
plus  vibrantes  ovations.  Que  sera  celle  de  Mlle  Garden  dans  Aphrodyte  !  Du  délire 
alors  !  A  ce  propos,  savez-vous  comment  l'on  appelle  Mme  Carré  —  (O  Sparklet,  ne  ron- 
chonnez pas  !)  :  Garden-Party.  N'est-ce  pas  charmant  et...  rosse  en  même  temps? 
D'ailleurs  à  notre  époque  l'un  ne  va  jamais  sans  l'autre. 


Société  J. -S.  Bach.  —  Le  prochain  concert  avec  orchestre  aura  lieu  le  mercredi  17 
janvier  (répétition  publique  le  mardi  16)  avec  le  concours  du  célèbre  ténor  allemand 
Geoag  Walter.  Voir  le  programme  sur  notre  encartage  intérieur. 

La  réouverture  des  matinées  musicales  Maxime  Thomas  a  eu  lieu  avec  le  concours 
de  M.  Bourgault- Ducoudray. 

Parmi  les  oeuvres  du  maître  particulièrement  goûtées  et  même  bissées,  nous  cite- 
rons :  le  magnifique  Duo  de  Thamara  ;  les  Citants  de  la  Bretagne  ;  la  deuxième  Gavotte 
et  le  Passe  pied  pour  piano;  les  Chœurs  d'Aimées,  pleins  de  charme,  d'originalité  et 
d'entrain  ;  le  ravissant  Quintette  pour  flûte  et  instruments  à  cordes  ;  le  chœur.  Hymne 
à  la  Patrie,  dont  une  mélodie  grandiose  et  une  harmonie  puissante  soulignent  et  enca-^ 
drent  les  immortels  vers  de  Victor  Hugo,  etc. 

Les  interprètes  de  toutes  ce  belles  œuvres  étaient  Mme  Gallet,  la  remarquable 
cantatrice  mondaine.  Mlle  Alice  Deville,  le  réputé  contralto  des  Concerts  Colonne  ; 
Mme  Bleuzet,  une  pianiste  de  talent  supérieur;  Mlle  Horon,  une  aimable  et  talentueuse 
violoniste  ;  Mme  Balia  et  M.  Lubet,  des  Concerts  Lamoureux  ;  MM.  Gomé,  L'Hom- 
meau  et  de  Passillé,  instrurnentlstes  impeccables  complétaient  la  série  des  vrais  artistes 
dont  avait  su  s'entourer  le  vaillant  organisateur  de  ces  éclectiques  concerts,  le  violon- 
celliste émérite  Maxime  Thomas. 

Une  nombreuse  et  élégante  assistance  applaudit  le  8  décembre,  dans  les  salons  de 
Mme  Postel-Vinay,  Mlle  Gagniet,  de  la  Schola  Cantorum,  dans  des  œuvres  de  Monsi- 
gny  et  Haendel,  le  Quintette  de  Brahms,  joué  par  Mlle  M.  Jacquard,  MM.  Tracol,  Etche- 
copar  et  Gauthier,  un  Trio  de  Saint-Saëns,  joué  par  Mme  Monnier,  MM.  Tracol  et 
Gauthier,  et  surtout  la  Sonate  de  Franck  que  Mlle  Boutet  de  Monvel  et  M.  Sechiari 
exécutèrent  avec  une  chaleur  et  une  émotion  admirables. 


Nous  apprenons  que  le  Quatuor  vocal  français,  composé  de  Mlle  Mary  Pironnay, 
soprano,  Mme  Marthe  Philip,  contralto,  M.  Délit,  ténor,  M.  Gébelin,  basse,  et  fondé 
par  M.  Paul  Landormy,  professeur  d'histoire  de  la  musique  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes 
sociales,  a  donné  le  15,  le  17  et  le  ig  décembre    à    Venise    et  à  Milan   quatre    auditions 


—  754  — 

consacrées  à  Y  école  française  ancienne  et  moderne.  Nous  relevons  au  programme  les 
noms  de  nos  plus  notables  contemporains  :  Fauré,  Vincent  d'Indy,  Chausson,  Duparc, 
Massenet,  Debussy,  Paul  Locard,  celui  d'un  grand  compositeur  depuis  longtemps  déjà 
disparu  :  Castillon,  sans  parler  des  ancêtres  Jeannequin,  Costeley,  Charpentier,  Ra- 
meau. 

Voilà  un  excellent  essai  de  propagande  artistique  tout  au  bénéfice  de  l'art  fran- 
çais. 

Après  d'excellentes  représentations  de  Werther .,  Carmen  et  Cavalleria.,  dans  dififé- 
rentes  villes  où  son  succès  fut  considérable,  Mlle  Cécile  Thévenet  nous  est  revenue  plus 
en  voix  et  en  beauté  que  jamais.  Dans  la  charmante  opérette  d'Offenbach,  les  Bri- 
gands, qu'elle  a  accepté  de  jouer,  bien  que  sa  jolie  nature  d'artiste  la  porte  vers  les 
systèmes  d'un  art  plus  élevé,  la  brillante  cantatrice  a  remporté  un  triomphe,  bien  mé- 
rité d'ailleurs. 

M.  Ernesto  Consolo  qui  a  remporté  un  si  brillant  succès,  l'autre  mardi,  à  la  Société 
Philharmonique,  et  le  mois  dernier  à  Zurich,  Fribourg,  Montreux  et  Genève,  vient 
d'exprimer  à  MM.  Gaveau  toute  la  satisfaction  qu'il  éprouve  à  jouer  leurs  pianos,  qui, 
écrit-il,  «  ne  laissent  rien  à  désirer  au  point  de  vue  de  la  qualité,  du  son  et  du  méca- 
nisme )).  Voilà,  en  vérité,  une  jolie  manifestation  du  sentiment  de  reconnaissance. 


Aussi  bien  en  Hollande  qu'à  Hambourg  et  à  Dresde,  le  violoniste  A.  Bachmann  a 
été  accueilli  par  les  plus  chaleureuses  ovations  surtout  après  le  Concerto  de  Lalo  qu'il  a 
joué  partout  durant  cette  importante  tournée. 

M.  Alexandre  Georges,  termine  en  ce  moment  l'importante  musique  de  scène,  avec 
choeurs  et  soli,  d'une  pièce  en  cinq  tableaux,  En  Perdition.àe  M.  Edouard  Bureau-Gué- 

roult. 

La  Croisade  des  Enfants  de  M.  G.  Pierné  vient  de  remporter  deux  nouveaux  et 
énormes  succès  à  Bruxelles  et  à  Rotterdam.  Sous  la  direction  de  M.  Huberti,  dans  la 
première  de  ces  villes,  et  de  M.  Georg.  Rijken,  dans  la  seconde,  ces  auditions,  compre- 
nant jusqu'à  500  exécutants,  ont  été  parfaites  en  tous  points. 

César  Franck  vient  d'être  fêté  solennellement,  le  24  décembre,  à  Angers,  011  l'on  a 
donné  un  Festival  Franck  avec  la  Symphonie  en  ré  et  Rédemption  (Mme  Auguez  de 
Montalant,  M.  Béguin),  —  et  à  Lyon,  où  la  Société  des  Concerts  de  Lvon  vient  de  faire 
entendre  Rédemption  sous  la  direction  de  Witkowsky  (soliste  :  Mlle  de  la  jRou- 
vière), 

M.  Charles  Tournemire,  présenté  en  Hollande  par  M.  Daniel  de  Lange,  l'éminent 
directeur  du  Conservatoire  d'Amsterdam,  vient  de  diriger  deux  brillantes  auditions  de 
son  œuvre,  le  Sang  de  la  Sirène.  A  Leyde,  le  8  décembre,  et  à  la  Haye,  le  12  décembre, 
avec  le  concours  du  merveilleux  orchestre  royal  de  la  Haye,  et  des  splendides  chœurs  de 
la  Toonkunst  de  Leyde,  les  solistes,  tous  remarquables  :  Mmes  Madier  de  Montjau,  D. 
Brunings,  Jacoba  Dhont.  MM.  Martien  Smits  et  Jos.  M.  Orelio,  surent  faire  valoir  les 
récits  de  l'œuvre.  La  critique  hollandaise  a  été  extrêmement  élogieuse. 

A  ces  deux  séances  de  Leyde  et  de  la  Haye, M.  Daniel  de  Lange  a  dirigé  en  très  grand 
mucicien  deux  chœurs  admirables  de  R.  Strauss  à  16  parties  réelles,  chantés  à  la  per- 
fection par  la  célèbre  société  La  Toonkunst  de  Leyde.  Le  concert  commençait  par  l'ou- 
verture à'Egmont,  de  Beethoven,  admirablement  rendue  par  l'orchestre  royal  de  la 
Haye. 

Nos  compositeurs  et  artistes  français  en  Amérique.  —  On  sait  que  M.  Vin- 
cent d'Indy  vient  de  faire  un  séjour  de  trois  semaines  en  Amérique  où  il  a  dirigé  l'or- 
chestre de  la  Boston  Symphony  et  tait  connaître  des  œuvres  de  musique  française  mo- 
derne. Notre  correspondant  de  New-York  nous  parlera  bientôt  de  ces  concerts. 

M.  Tiersot,  engagé  pour  une  série  de  conférences  par  l'Alliance  française  aux  Etats- 
Unis,  a  donné  les  trois  premières  les  14,  16  et  23  novembre  à  Boston  et  a  déjà  débuté  à 


—  755  — 

New- York.  Il  parle  exclusivement  de  la  musique  française  et  en  particulier  de  nos 
«  vieilles  chansons  )). 

Mme  Emma  Calvé  fait  une  tournée  de  concerts  (la  première  de  sa  vie!)  Elle  a 
comme  accompagnateur  l'excellent  pianiste  Decreus,  et  a  demandé  également  le  con- 
cours du  flûtiste  Fleury  pour  la  «  flûte  olligato  ))  de  certains  de  ses  morceaux. 

Pugno  est  en  Amérique  pour  tout  Thiver  :  il  n'a  pas  de  tournée  organisée,  et 
habite  New- York,  d'où  il  rayonne  dans  toutes  les  autres  villes.  Il  a  débuté  à  New-York 
à  la  Russian  Symphony  avec  le  deuxième  Concerto  de  Rachmaninoff,  jouera  à  la  New- 
York  Symphony  la  Symphonie  de  V.  d'Indy  sur  un  air  montagnard  et  les  Variations 
symphoniques  de  Franck,  et  a  déjà  donné  plusieurs  récitals  ;  à  New- York  il  a  joué  sur- 
tout des  œuvres  de  compositeurs  anciens  (Couperin,  Rameau,  Bach,  etc.),  à  Boston,  des 
oeuvres  modernes  (Schumann,  Franck,  Fauré,  d'Indy). 

M.  George  Barrère,  l'éminent  flûtiste,  est  également  à  New-York  où  il  est  engagé 
comme  flûte-solo  au  New-York  Symphony  Orchestra  et  à  V Institute  of  musical  Art, 
dirigé  par  Frank  Damrosch,  nouvellement  fondé,  où  certains  de  nos  compatriotes  sont 
également  professeurs  :  Giraudet,  Stojowski,  Leroy,  Ménard,  etc..,.  M.  Barrère  a  l'in- 
tention de  créer  là-bas  une  Société  d'instruments  à  vent  et  de  jouer  les  œuvres  des 
«  jeunes  ))  qu'il  a  déjà  fait  entendre  à  Paris. 

Harold  Bauer  a  débuté  avec  grand  succès  à  Boston. 

La  New-York  Symphony  a  à  sa  tête  un  chef  très  actif,  M.  'Walter  Damrosch,  qui  a 
fait  connaître  V  Après-midi  d'u7i  Faune,  Schéhérazade,  Namouna,  Y  Apprenti  sorcier, 
des  œuvres  de  Franck,  d'Indy,  etc. 

La  Musique  Française  à  l'Etranger.  —  Les  Béatitudes,  de  G.  Franck,  ont  été 
données  au  concert  du  7  décembre,  au  Gewandhaus  de  Leipzig  pour  la  première  fois. 
Solistes  :  Mlles  Gerhardt,  F.  Schaefer,  Léa  Stadgger  ;  MM.  Georges  A. Walter,  A.  Diet- 
zel,  F.  Rapp. 

U Après-midi  d'un  faune,  de  Debussy,  vient  d'être  exécuté  aux  Concerts  philhar- 
moniques de  Hambourg  (direction  M.  Fiedler).  Le  public  à  été  désorienté  :  a  Fur  das 
grosse  Publikum  war  Debussy  auch  hier  Caviar  »,  dit  le  correspondant  de  la  Neue 
Zeitschrift.  Il  est  vrai  que  ce  même  public  se  réjouissait  entièrement,  quelques  minutes 
après,  à  l'audition  du  Scherzo  de  Sgambati  ! 

La  musique  de  Berlioz  figure  un  peu  sur  les  programmes  de  toutes  les  sociétés  mu- 
sicales importantes  d'Allemagne. 

Dans  un  genre...  spécial,  Eugénie  Buffet  fait  florès  à  Berlin,  à  Hanovre,  etc.,  avec 
ses  Chansons  des  rues  si  «  parisiennes  »,  n'est-ce  pas  ?... 

A  Genève,  Marteau  et  J.  Baume  font  entendre  la  Sonate  de  G.  Samazeuilh.  —  A 
Zurich,  on  révèle  la  Sonate  de  d'Indy. 

Werther,  de  Massenet,  vient  d'être  représenté  pour  la  première  fois  à  Leipzig  le  16 
décembre.  Du  même  auteur,  le  Jongleur  de  Notre-Dame  a  été  brillamment  monté,  à 
l'Opéra-Comique  de  Berlin.  —  La  Cabrera  de  G.  Dupont  est  à  l'étude. 


La  Saison  d'Opéra  à  Monte-Carlo  :  Elle  s'annonce  particulièrement  brillante.  M. 
Raoul  Gunsbourg  a  voulu  faire,  cette  année,  encore  mieux  que  les  années  précédentes. 
Voici  le  beau  programme  élaboré  par  lui  :  La  saison  s'ouvrira  avec  Tannhœuser,  inter- 
prété par  Van  Dyck,  Renaud,  Mmes  Farrar,  Lindsay  ;  puis  ce  seront  :  le  Roi  de  Lahore, 
de  Massenet,  avec  Mme  Farrar,  Renaud,  Rousselière,  Ananian,  Mlle  Zambelli  et  Mata- 
Hari. 

Le  «  clou  »  de  la  saison  sera  la  première  de  Y  Ancêtre,  l'œuvre  nouvelle  du  maître 
C.  Saint-Saëns,  qui  sera  créée  par  Mmes  Litvinne,  Farrar,  Charbonnel,  MM.  Rousse- 
lière, Renaud,  Lequien.  Ajoutons  à  ce  programme  la  reprise  de  Dow  Proco^zo,  œuvre  de 
jeunesse  de  Bizet,  celle  de  Samson  et  Dalila,  la  création  de  Mlle  de  Belle-Isle,  l'œuvre 
nouvelle  de  Spiro  Samara,  enfin  le  Don  Carlos,  de  Verdi,  le  Mefisto/ele  de  Boïto,  et  le 
Démon,  de  Rubinstein,  si   rarement  entendu. 


Monte-Carlo.  —  C'est  avec  une  œuvre  délicieuse  de  M.  Justin  Clérice,  Mimosa, 
que  M.  Coudert  a  inauguré  la  série  des  représentations  de  ballets.  La  musique  en  est 
originale,  chatoyante,  bien  rythmée  pour  la  danse. 

L'exéçiition,  grâce  k  l'habile  maîtrg  de  ballet,  M.  SaRçço,  et  grâce  à  la  pléiade  d'ar- 


—  756  — 

listes  dont  se  compose  la  troupe  chorégraphique  de  Monte-Carlo,  fut  d'une  absolue  per- 
fection, en  même  temps  que  d'un  grand  luxe. 

L'étoîle,  Mlle  Charles,  de  l'Opéra,  est  une  admirable  danseuse,  du  plus  pur  style, 
et  elle  mime  avec  un  art  délicieux  :  son  succès  fut  triomphal. 

Autour  d'elle,  toute  une  gerbe  de  premières  danseuses  :  Mlle  Fabris,  fine  et  gra- 
cieuse; Mlle  Charbonnel,  travesti  sculptural;  Mlles  Ly  Simons,  Cavini,  Bertrand, 
Legrand,  chacune  digne  du  titre  d'étoile,  forment  un  groupe  merveilleux,  qui  suffirait 
déjà  à  établir  la  haute  renommée  du  Ballet  de  Monte-Carlo. 

Signalons  la  magnificence  des  décors  de  M.  Visconti,  et  la  richesse  éblouissante 
des  costumes. 

M.  Désiré  Thibault  dirigeait  l'orchestre. 

—  Au  quatrième  concert  classique,  M.  Léon  Jehin  a  fait  une  très  large  place  aux 
jeunes  musiciens  :  il  a  donné,  tout  d'abord,  une  longue  symphonie,  les  Quatre  saisons. 
de  M.  Henry  K.  Hadley,  un  jeune  compositeur  américain.  Cette  œuvre  prouve  une 
réelle  maîtrise.  M.  Hadley  possède  au  plus  haut  degré  la  science  de  développement  et 
de  l'orchestration.  Le  succès  en  fut  éclatant. 

Puis,  les  Paoes  d'orchestre  de  M.  Georges  de  Seynes  ont  profondément  charmé 
l'auditoire.  Les  trois  pièces  qui  forment  cette  «  suite  symphonique.  Près  du  Ronet. 
Heure  d'automne  et  Idylle  aux  champs,  d'une  inspiration  bien  personnelle,  d'une  fac- 
ture où  la  délicatesse  confine  à  la  virtuosité,  sont  trois  purs  bijoux  d'une  ciselure  extrê- 
mement fine. 

M.  Vuillermoz  a  remporté  un  vif  succès  dans  la  Romance  pour  cor  et  orchestre 
de  Saint-vSaëns  :  sa  puissance  de  son  et  sa  pureté  de  style  lui  ont  valu  d'unanimes  ap- 
plaudissements. 

—  La  nouvelle  soirée  chorégraphique  fut  triomphale  pour  le  ballet  de  Monte- 
Carlo. 

Au  programme,  la  Mariska  et  P-uppenfée. 

La  Ma7-7"sAï7.,  de  M.Jean  Lorrain,  musique  deM.Marici,fut  un  des  clous  du  printemps 
dernier,  lors  de  sa  création  à  Monte-Carlo.  Depuis,  la  Marislca  a  fait  son  tour  de 
France,  et  a  trouvé  à  Paris  la  définitive  consécration. 

On  a  revu,  avec  infiniment  de  plaisir,  cette  oeuvre  étrange,  poétique  et  si  vivante. 
C'est  la  superbe  créatrice,  Trouhanowa,  tant  acclamée  partout,  qui  faisait  sa  rentrée 
dans  ce  rôle  où  elle  est  admirable  :  ses  danses  caractéristiques,  sa  mimique  expressive, 
lui  ont  fait  retrouver  tout  son  succès  de  la  création. 

Venait  ensuite  Piippenfée  (la  Fée  des  Poupées),  le  célèbre  ballet  applaudi  dans 
toute  l'Europe.  Sa  musique,  fort  jolie,  et  que  tous  les  orchestres  ont  popularisée,  prend 
une  vie  nouvelle  aux  feux  de  la  rampe,  tandis  qu'évoluent,  en  un  tourbillon  féerique  les 
premières  danseuses,  dignes  d'être  étoiles,  les  coryphées,  les  quadrilles,  la  figuration, 
dans  un  mouvement  admirablement  réglé  par  M.  Saracco,  et  dans  un  éblouissant  bario- 
lage de  costumes. 

Les  premières  danseuses,  Mlles  Fabris,  Charbonnel,  Bertrand,  Cavini,  Legrand. 
Ly  Symons,  ont  rivalisé  de  talent  pour  composer  une  interprétation  d'éclat  excep- 
tionnel. 

Les  décors  de  M.  Visconti,  les  costumes  de  .M.  Le  Maire,  ont  brillamment  collaboré 
pour  l'enchantement  des  yeux. 

M.  Désiré  Thibault  conduisait  l'orchestre. 


Nantes.  —  Il  vient  de  se  former  à  Nantes,  sous  le  patronage  de  MIVl..  Fauré,  d'Indy 
et  Romain  Rolland,  une  société  musicale,  dite  Association  des  Concerts  historiques  de 
Nantes.  Elle  est  fondée  et  sera  dirigée  par  M.  de  Lacerda,  professeur  à  la  Schola  Can- 
torum.  et  donne  cette  saison  deux  concerts,  le  2g  décembre  et  à  la  fin  de  février.  Nous 
en  rendrons  compte. 

D'autre  part  on  annonce  la  fondation  d'une  Société  des  Concerts  de  Nantes,  qui  or- 
ganisera deux  concerts  annuels.  Cette  société  est  administrée  par  des  représentants  des 
deux  sexes,  l'aimable  et  le  laid.  La  présidente  est  Mme  Liébeaux  ;  le  président,  M.  Gus- 
tave Baillergeau.  La  présidence  d'honneur  a  été  offerte  à  M.  Bourgault-Ducoudray. 

Voilà  d'intéressantes  tentatives  artistiques  sur  lesquelles  on  ne  saurait  fonder  trop 
d'espoir. 


—  757  — 

Lille.  —  Au  Deuxième  concert  populaire  Mme  Riss-Arbeau^  planiste  de  talent 
sobre  et  consciencieux,  a  remarquablement  exécuté  le  Concerto  en  mi  de  Chopin.  L'or- 
chestre, assez  flottant,  a  exécuté  tant  bien  que  mal  V Héroïque^  la  Jota  de  Glinka  et  de  la 
musique  d'E.  Ratez. 

—  hc  quatuor  Rieu  donne  des  séances  très  intéressantes  :  il  vient  de  jouer  le  qua- 
tuor de  Svendsen  et  de  faire  entendre  la  belle  Sonate  de  G.  Fauré. 

—  Colonne  et  son  orchestre  ont  donné  ici  deux  concerts  :  grand  succès  pour  les 
excellents  artistes  et  pour  le  remarquable  chef  d'orchestre. 


Le  Havre.  —  Le  cours  d'histoire  de  la  musique  professé  par  M.  Woollett  est  de 
plus  en  plus  suivi  et  apprécié.  Toutes  les  formes  musicales,  depuis  les  origines  les  plus 
éloignées,  y  sont  étudiées  avec  soin  et  accompagnées  d'auditions  du  plus  haut  intérêt. 
Voilà  un  bel  exemple  à  suivre  pour  nos  villes  de  province  bien  mal  partagées  sous  le 
rapport  de  l'érudition  musicale  ! 

Relms.  —  Concerts  éclectiques.  —  Le  quatrième  concert  de  cette  société  marquera 
parmi  les  plus  beaux  de  la  saison. 

M.  H.  Dallier,  le  distingué  organiste  de  la  Madeleine,  était  venu  très  amicalement 
prêter  son  gracieux  concours  aux  artistes  rémois.  Aussi  les  amateurs  étaient-ils  venus 
nombreux  rendre  un  juste  hommage  au  beau  talent  de  notre  concitoyen  qui  fut  très  fêté 
et  très  acclamé.  Ses  diverses  compositions  firent  une  délicieuse  impression  sur  le 
public. 

Mlle  Dallier  interprétait  les  jolies  mélodies  de  son  frère  qu'elle  a  fort  gracieusement 
dites.  Cette  aimable  artiste  a  été  très  justement  applaudie. 

MM.  Vaysman  et  Aubert  furent  aussi  les  dignes  interprètes  de  M.  Dallier  et  mé- 
ritent des  félicitations  toutes  spéciales. 

L'orchestre,  pour  terminer,  nous  donna  une  splendide  exécution  de  l'ouverture  du 
Vaisseau  fantôme  de  Wagner. 

—  Salle  Degermann.  —  La  Société  internationale  des  concerts  de  musique  ancienne, 
classique  et  moderne,  donnait  mercredi  soir  un  superbe  concert.  Les  noms  des  artistes 
annoncés  étaient  un  sûr  garant  de  réussite. 

Mlle  H.  Sirbain  possède  une  voix  de  mezzo-soprano  d'un  timbre  exquis  et  d'une 
étendue  exceptionnelle. 

Mlle  Sandrini.  étoile  de  l'Opéra,  a  fait  revivre  les  danses  anciennes  en  costume  de 
l'époque.  Gracieuse  à  souhait,  Mlle  Sandrini  a  traduit  avec  finesse  et  intelligence  l'ex- 
pression musicale  des  célèbres  auteurs  Hcendel  et  Gluck. 

M.  G.  Rabani  est  un  des  bons  violonistes  actuels  ;  il  se  distingue  par  son  jeu  clas- 
sique, sa  brillante  sonorité  et  son  grand  sentiment  artistique.  Nous  avons  fort  goûté  son 
style  bien  correct,  surtout  dans  la.  Sonate  de  César  Franck.  M.  Ricardo  Vinès,  pianiste, 
a  obtenu  un  véritable  triomphe,  car  ce  très  remarquable  virtuose  atteint  la  perfection  et 
son  mécanisme  lui  permet  d'aborder  avec  une  aisance  absolue  les  plus  grandes  diffi- 
cultés. 

Nous  informons  nos  abonnés  que  Emile  Mennesson,  Éditeur  de  musique  à  Reims, 
leur  enverra  gratuitement,  sur  leur  demande,  accompagnée  de  o  fr.15  ,rAgenda-memento 
Sainte-Cécile  qu'il  vient  de  publier  pour  1906. 

Arras. — Au  dernier  concert  de  la  Société  Philharmonique,  M.  Georges  Dantu  a  vé- 
ritablement captivé  l'auditoire  en  chantant,  avec  sa  voix  si  franche  et  si  enveloppante, 
des  fragments  de  la  Walkyrie  et  d'Hérodiade  et  de  jolies  mélodies  de  A.  Dubois. 

Niort.  —  La  Société  Philharmonique  donnait  lundi,  11  décembre,  son  premier  con- 
cert. Mlle  Van  Gelder,  cantatrice  de  l'Opéra-Comique  et  le  violoncelliste  P.  Destombes, 
professeur  au  Conservatoire  d'Athènes,  encadrés  par  l'orchestre  ordinaire  de  la  société, 
composaient  la  partie  principale  du  programme. 

En  toute  sincérité  je  dois  avouer  que  l'orchestre,  malgré  ses  25  violons,  et  les  nom- 
breuses rangées  de  cuivres  et  de  bois  ne  s'est  pas  montré  à  la  hauteur  de  sa  tâche. 

Les  instruments  à  vent  ont  détonné  franchement  dans  l'ouverture  de  Patrie  de  Bi- 


zp'         '  ■  1  les  imiter  dans  l'hymne  à  Sainte-Cécile 

re  de  Saint-Saëns  l'excellent  violon  solo  M. 

.  est  vu  absolument  submergé  par  le  flot  de  ses 

.e  pas  que  de  temps  à  autre  des  passages   et  effets 

.er  les  défauts  signalés  plus  haut  et  j'applaudis  de  tout 

.  Conte,  chef  de  cet  orchestre    trop  nourri...  d'amateurs. 

c   une  voix  peu  sympathique  surtout  dans  l'intonation  a 

Oi  grâce  à  la  science  consommée  de  sa  diction  ,un  excellent  accueil. 

Api  l'Jil  de  Leroux,  un  air  d'Hippolyte  et  Aricie  de    Rameau,  un  air 

de  la  o  strophes  de  Muguette,  elle  a  dû  bisser  //  Neige  de  Bemberg,  d'une 

interpr^  .ueux  réussie. 

Pieri  .estombes  a  été  incontestablement  le  roi  de  la  soirée.  De  la  Sonate  d'Haen- 
del,  en  passant  par  VElégie  de  Fauré,  La  Romance  de  l'Etoile  de  Wagner,  jusqu'au 
Concerto  et  la  Tarentelle  de  Popper,  il  a  fait  preuve,  dans  ces  divers  morceaux,  de 
grandes  qualités  et  d'une  maîtrise  incontestable.  Son  expression  est  d'une  rare  distinc- 
tion, son  style  et  sa  technique  sont  impeccables.  Chaque  morceau  a  valu  à  ce  véritable 
artiste  des  ovations  méritées. 

M.  Jean  Déré  a  tenu  à  la  satisfaction  générale  le  rôle  obscur  et  difficile  d'accompa- 
gnateur. 

P. -S.  J'ai  entendu  parler  d'une  tournée  en  France  pour  février  du  grand  violoniste 
P.  de  Sarasate. 

Peut  être  pourrait-on...  Waft. 


Dresde.  —  La  Salomé  àe  Richard  Strauss  (d'après  0.  Wilde),  si  impatiemment  at- 
tendue du  monde  musical  allemand,  vient  enfin  d'être  donnée  à  l'Opéra  :  tous  les 
journaux  musicaux  sont  enthousiastes  à  son  égard. 

—  Au  dernier  concert  de  la  Chapelle  Royale,  sous  la  direction  de  E.  Schuch,  on  a 
donné  comme  nouveauté  V Humoreske  de  K.  de  Kaskel,  qui  a  obtenu  ici  le  même  brillant 
succès  qu'à  Munich. 

Munich.  —  C'est  décidément  M.  Hermann  Bahr  qui  est  nommé  régisseur  en  chef 
des  Théâtres  Royaux,  en  remplacement  de  M.  von  Possart.  A  ce  propos  reproduisons  la 
note  que  l'Intendance  des  théâtres  de  la  cour  vient  de  communiquer  au  sujet  de  l'en- 
tente entre  Bayreuth  et  Munich  : 

Le  festival  d'été  aura  lieu  en  igo6.  Du  2  au  12  août,  six  œuvres  de  Mozart  seront 
représentées  au  Residenz-Théater.  Du  13  août  au  7  septembre,  seize  représentations 
d'œuvres  de  Richard  Wagner  auront  lieu  au  Prinz-Regenten-Theater.  Les  Maîtres- 
Chanteurs  de  Nuremberg  seront  joués  cinq  fois,  Tannhauser  trois  fois  et  Y  Anneau  de 
Niebelung  deux  fois. 

—  Sous  la  direction  de  Max  Reger,  vient  d'être  donnée  une  audition  de  la 
musique  de  Prométhée  de  Liszt.  —  Aux  concerts  Kaim,  Schneevoigt  fit  entendre  la 
Finlandia,  de  Sibélius  et  le  Poème  tragique,  de  Walther  Lampe  ;  à  l'Académie, 
Mottl  dirigea,  comme  nouveautés,  la  Vie  est  un  rêve,  symphonie  de  F.  Klose  et  VHu- 
moresque,  de  K.  de  Kaskel, 

—  Festivals  de  içoô.  —  Les  oeuvres  suivantes  de  Richard  Wagner  seront  repré- 
sentées du  13  août  au  7  septembre  1906  au  Prinzregententhéâtre  à  Munich  :  cinq  fois 
les  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg,  trois  fois  Tannhauser  et  deux  fois  l'Anneau  du 
Niebelung.  Au  théâtre  de  larésidence  on  donnera  six  représentations  des  œuvres  de  Mo- 
zart du  2  au  12  août. 

Pour  prospectus  détaillés  qui  paraîtront  au  commencement  de  janvier  et  pour  bil- 
lets d'entrée  s'adresser  à  l'Agence  Générale,  bureau  des  voyages  Schenker  et  C°, Munich, 
16  Promenadeplatz. 

Londres.  — On  nous  annonce  le  grand  succès  remporté  à  Queen's  Hall  et  à  la  salle 
iEolian  par  le  pianiste  Richard  Buhlig  ;  son  interprétation  des  œuvres  de  Bach,  de 
Brahms  et  de  Beethoven,  fut  excellente  à  tous  points  de  vue  ;  mais  il  nous  parut  surtout 
remarquable  dans  des  œuvres  de  Chopin,  qu'il  joua  avec  une  émotion  sincère  et  distin- 
guée, un  charme  exquis,  et  aussi  avec  une  belle  puissance.  Le  public  lui  fit  une  magni- 
fique ovation. 


—  759  — 

BIBLIOGRAPHIE 


"Weltgeschichte  in  Karakterbildern.  —  Die  Zeit  des   Klassizismus  • 

BEETHOVEN,  von  FRITZ  VOLBACH. 

Mûnchen,  Kirchheim,  iços,  gr.in-8  de  ii8  p.  hnpr.  à  2  colonnes,  avec  6y  fig. 
dans  le  texte  et  4  pi.  en  /ac-sùnile. 

Dans  une  collection  d'environ  quarante  volumes  signés  d'autant  de  «  spécialistes  » 
et  destinés  à  former  une  «  Histoire  universelle  »,  racontée  en  «  portraits  caractéristi- 
ques »,  cette  nouvelle  vie  de  Beethoven  représente  «  l'époque  du  classicisme  »,  ce  qui, 
au  premier  abord,  n'est  pas  sans  nous  étonner  quelque  peu.  C'est  que  nous  ne  nous  en- 
tendons pas  sur  les  mots.  Ou  bien  nous  appelons  «  classiques  »  des  œuvres  ou  des  au- 
teurs qui  se  meuvent  en  de  certaines  formes  très  claires,  très  nobles  et  très  régulières  : 
et  alors  le  «  classicisme  »  se  personnifie,  en  France,  dans  le  «  grand  siècle  »  et  pour  les 
irrespectueux,  dans  la  perruque  de  Boileau  ;  ou  bien  nous  appliquons  cette  épithète  à 
tout  ce  qui,  pour  avoir  de  quelque  manière  atteint  la  perfection,  mérite  d'être  «  regardé 
comme  un  modèle  »  et,  ajoute  Littré,  «  par  extension  :  fait  autorité  ».  Sous  le  premier 
point  de  vue,  l'histoire  de  la  littérature  allemande  désigne  comme  classique,  ainsi  que 
l'expose  M.  le  D"'  Volbach,  l'époque  où  s'affranchit  la  pensée  nationale,  et  où  Gœthe 
Schiller,  Lessing,  Kant,  Winckelmann,  s'inspirant  soit  des  auteurs  antiques,  soit  de 
Shakespeare  (l'antipode  de  notre  classicisme  français),  furent  les  créateurs  d'une  poésie, 
d'une  philosophie,  d'un  théâtre  allemands.  En  musique,  M.  le  D"-  Volbach  définit 
comme  point  culminant  de  la  période  classique  le  moment  où  «  la  forme  reçut  un  con- 
tenu »,  c'est-à-dire  celui  où  les  formes  musicales  constituées  par  le  travail  de  plusieurs 
siècles,  perfectionnées  et  «  arrondies  »  par  Mozart,  atteignirent  «  l'idéal  le  plus  élevé  » 
avec  Beethoven,  qui  ((  exprima  en  elles  son  âme  grande  et  magnifique  ». 

_  «  L'esprit  de  contradiction  »  qui  réside  en  tout  critique  nous  souffle  bien  à  l'oreille 
qu'il  y  a  là  un  gros  grain  d'injustice  à  l'égard  des  prédécesseurs  de  Beethoven,  et 
qu'avant  lui,  chez  Mozart,  chez  Bach  ((  le  musicien-poète  »,  chez  Schûtz,  chez  beaucoup 
d'autres  plus  vieux,  beaucoup  plus  vieux,  la  «  forme  »  avait  déjà  reçu  un  «  contenu  ». 
Et  sans  doute,  il  n'est  pas  entré  dans  la  pensée  du  D"^  Volbach  de  le  contester,  pas  plus 
qu'il  n'a  songé  à  enfermer  Beethoven,  —  le  génie  même  de  la  liberté  dans  la  rnusique  — 
dans  les  limites  d'école  ou  do  doctrine,  plus  ou  moins  étroitement  définies,  que  l'on 
associe  d'ordinaire  à  l'idée  du  ((  classicisme  ». 

C'est,  au  contraire,  par  une  grande  largeur  de  vues,  en  même  temps  que  par  le  ton 
chaleureux  de  l'exposition,  que  se  distingue  le  livre  de  M.  le  D'  Volbach.  Ecrivant  dans 
un  but  de  «  vulgarisation  »,  l'auteur  a  réduit  au  strict  nécessaire  les  détails  biographi- 
ques, s'est  abstenu  de  toute  note  en  bas  de  page,  et  a  limité  la  Hste  finale  des  «  sources  » 
à  un  très  petit  nombre  de  titres  exclusivement  choisis  dans  la  littérature  allemande  (le 
livre  capital  de  sir  George  Grove  sur  les  Symphonies  de  Beethoven  n'y  est  pas  men- 
tionné). C'est,  avec  raison,  à  l'étude  des  œuvres  de  Beethoven  ,  et  de  son  âme  «  grande 
et  magnifique  »,  que  l'auteur  s'est  attaché  de  préférence. 

Grâce  à  la  traduction  qui  leur  a  été  offerte  du  fragment  relatif  à  «  la  religion  de 
Beethoven  et  la  Mïssa  solemnis  »,  les  lecteurs  de  cette  revue  ont  déjà  pu  se  rendre 
compte  par  eux-mêmes  de  la  méthode  de  M.  le  D'  Volbach  :  à  ceux  qui  connaissent  la 
langue  allemande,  il  est  donc  à  peine  besoin  de  recommander  la  lecture  de  l'ouvrage 
tout  entier,  qu'achèvent  de  rendre  attrayant  une  soixantaine  d'illustrations  et  d'intéres- 
sants fac-similé  d'autographes. 

M.  Brenet. 

Les  Maîtres  de  la  Musique  :  PALESTRINA,  par  Michel  Brenet 

fPélix  Alcan,  Editeur,  Paris) 

La  librairie  Alcan  a  commencé  de  faire  paraître,  sous  la  direction  de  notre  distingué 
confrère  M.  Jean  Chantavoine,  une  série  de  volumes  consacrés  aux  maîtres  de  la  mu- 
sique ancienne  et  moderne,  qui  comblera,  dans  l'histoire  de  notre  art,  une  regrettable 
lacune  et  dont  les  auteurs  ont  été  élus  avec  un  tact  rare  et  un  sentiment  très  vif  de  ce 
que  doit  être  la  critique  musicale  à  notre  époque.  Comme  on  l'indiquait  ici-même,  la 
musique  a  cessé  d'être  une  matière  commode  à  de  creuses  et  sonores  dissertations;  ellç 


—  760  — 

a  conquis  sa  juste  place  dans  les  programmes  d'enseignement  et  elle  attire  à  elle  des  sa- 
vants qui  ne  dédaignent  pas  d'appliquer  à  son  étude  les  méthodes  les  plus  rigoureuses 
de  la  critique  littéraire.  Le  Palesirinct  de  M.  Michel  Brenet,  qui  ouvre  l'ère  de  cette 
publication,  justifie  les  plus  favorables  augures.  M.  Brenet  que  son  érudition  patiente, 
sa  vaste  culture  et  sa  sensibilité  délicate  prédestinent  à  de  pareilles  tâches,  a  su  tout  à 
la  fois,  avec  un  art  aussi  personnel  que  discret,  faire  revivre  la  lointaine  et  noble  figure 
du  «  prince  des  musiciens  »,  caractériser  en  un  ensemble  de  formules  définitives  son 
œuvre  immense  et  divers  et  élucider  avec  une  étonnante  sûreté  d'intuition  ou  de  dialec- 
tique quelques  redoutables  problèmes  d'exégèse.  Rarement  la  science  unit  ainsi  la  cer- 
titude à  la  simplicité. 

De  la  multitude  des  faits  et  des  observations,  M.  Brenet  excelle  à  dégager  l'idée 
générale  sans  nulle  indulgence  pour  le  paradoxe.  Il  recrée  autour  de  Palestrina  l'atmos- 
phère lumineux  de  l'histoire,  il  le  suit  pas  à  pas  dans  sa  vie  en  épargnant  les  détails  oi- 
seux ,  les  dates  superflues  ;  il  détermine  les  influences  auxquelles  il  a  obéi,  rectifie  en 
passant  l'erreur  comme  touchant  la  prétendue  réforme  de  la  musique  religieuse  dont 
r-*alestrina  serait  l'auteur,  souligne  d'un  trait  précis  et  sans  complaisance  suspecte,  cer- 
taines particularités  de  son  caractère,  retrace  les  destinées  posthumes  de  tant  de  chefs- 
d'œuvre  oubliés  pendant  près  de  deux  cents  ans,  principalement  en  France  et  si  magni- 
fiquement ressuscites  de  nos  jours  ;  il  analyse  enfin  avec  une  précision,  un  bonheur  d'ex- 
pression sur  lesquels  on  ne  saurait  trop  insister  le  stj'le  palestrinien  si  différent  dans 
les  messes  et  les  motets  ainsi  que  dans  les  madrigaux  ou  les  nécessités  de  l'expression 
du  sentiment  individuel  entraînent  peu  à  peu,  ainsi  que  le  remarque  ingénieusement 
l'auteur,  la  substitution  de  la  mélodie  accompagnée  à  la  polyphonie  impersonnelle  et 
collective  de  la  musique  religieuse. 

On  lira  avec  un  intérêt  spécial  tout  ce  qui  touche  au  Motu  proprio.  à  l'œuvre  du 
Concile  de  Trente,  aux  origines  des  thèmes  employés  par  Palestrina  qui,  n'en  déplaise 
à  Fetis,  à  Gounod  ou  à  Taine,  ne  rassembla  jamais,  pas  plus  que  ses  contemporains, 
dans  un  accouplement  sacrilège,  les  textes  sacrés  et  les  textes  profanes,  voire  licencieux, 
dont  les  chansons  populaires,  traitées  liturgiquement,  étaient  primitivement  ornées. 

L'amateur  qui  ne  sait  rien  de  cette  période  musicale  (et  malgré  les  beaux  travaux 
de  M.  Bordes  et  de  M.  Expert,  il  y  en  a  encore)  trouvera  dans  le  livre  de  M.  Brenet  des 
notions  élémentaires  distribuées  avec  une  telle  adresse  qu'elles  n'offusqueront  pas  ou  ne 
feront  pas  sourire  les  adeptes  de  la  confrérie.  J'ai  dit  ce  que  l'auteur  a  réservé  à  ceux-ci 
et  je  ne  parle  pas  de  la  terrifiante  bibliographie  qui  termine  l'ouvrage  et  ajoute  à  la  salu- 
brité d'une  lecture  d'où  l'on  sort  à  la  fois  plus  instruit  et  plus  humble. 

Paul  LOGARD. 


Paris  als  Musikstadt  par  ROMAIN  ROLLAND  (Collection  die  Musik,  publiée 
SOUS  la  direction  de  RICHARD  STRAUSS.   -  Berlin). 


Nouveautés    musicales 


M.  Paul  Locard  vient  de  faire  paraître  chez  Hamelle,  une  Pièce  symphoniqtie  pour 
orgue,  d'une  facture  solide  et  d'une  écriture  très  soignée.  La  ligne  mélodique,  toujours 
distinguée  et  très  pure,  reflète  peut-être  par  instants  le  souvenir  de  Franck,  et  ce  n'est 
certes  pas  un  reproche  que  nous  lui  adressons. 

Tous  les  organistes  voudront  connaître  cette  œuvre  de  très  réelle  valeur. 

Du  même  auteur,  paraît  chez  Démets,  un  délicieux  chœur,  à  quatre  voix  mixtes, 
Hiver^  (sur  une  poésie  d'Albert  Samain),  d'une  charmante  inspiration,  déjà  entendu 
dans  plusieurs  concerts. 


Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


l 


9^  ANNÉE.   No'J.    15  Janvier  1906, 


Directeur:   Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 


^OMMAIRE 


Portraits  :  MOZART,  enfant  (à  l'âge  de  onze  ans.) 

Portrait  de  MOZART  par  son  beau-frère,  l'acteur  Lange 


Mozart  :  L'Œuvre  et 

le  génie CAWILLE  BELLAIGUE. 

Mozart  .■  Silhouette.  IDEM. 

Mozart  et  le  Cata- 
logue DE  ses  Œu- 
vres       CHARLES  WALHERBE. 

A  PROPOS  DE  LA  FLUTE 
ENCHANTEE 

Sur  LES  32  Sonates  de 
Beethoven  (fin).,.     PAUL  LOCARD. 
Les  Premières  : 

Les  Pêcheurs  de  la  Saint- 
Jean 

La  Coupe  enchantée,  à 

rOpéra-Comique  . .      VICTOR  DEBAY. 


HENRY  GAUTHIER-VILLARS 


Les  Grands  Concerts  :  (  j^^^  ^,^3,^^ 
Colonne,  Lamoureux,  \ 
Conservatoire.  f  INTÉRIM. 

La  Quinzaine  Musicale  (Concerts  Le  Rey, 
Nationale,  Schola  Cantorum,  Soirées  d'Art, 
Quatuor  Parent,  Hautes  études  sociales). 

Le  mouvement  m.tisical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 


Salomé  de  Richard 
Strauss,  à  l'Opéra 
de  Dresde L.  PONNELLE. 

Correspondances  de    :    Angers,    Montpellier, 
Nancy,  Nice,  Rouen,  Toulouse,  Verviers. 
Concerts  Annoncés. 
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Bibliographie,  Nouveautés  Musicales. 


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29,  RUE  TRONCHET,  PARIS  (8«)      ^^^^'^t'^"  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 

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Le  numéro  :  75  centimes 

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Le  Courrier  Musical 

(le     1"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 

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Le    Numéro  :    75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


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Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8^). 

(TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F,  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D""  Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot — RenéDoire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm,  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Giovanna  —  Omer  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauerwein  —  A.  Séryeix.    —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwrenka 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D»^  Fritz  Volbach  —  E.  VuilJ 
lermoz,  etc  .. 

lie  Courrier  Musical  est  ea  irecte  : 
A  PARIS:    ^9>  rue  Tronchet. 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  houlevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  AuUf\ 

—  jf6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Saint-Honcrê. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 
Chez  M.  PUGNO,   ly,    Quai  des  Grands-tÂugustins,  etc... 
EN  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 


DEPOTS  : 


Pour  l'ALLEMAGNE 


Pour   la   BELGIQUE 
Pour  rANGLETERRE 


MM.    BREITKGPF    &   H/ERTEL,  à  LEIPZIG 

MM.  BREITKOPF  &  H/ERTEL,    45,  rue  Montagne  de 

Cour,  à  BRUXELLES 
MM.   BREITKOPF  d   MORTEL,    54,    Malboreugh-Streeî, 
LONDON-W. 


W.  A.  MOZART  :  A  l'âge  de  onze  ans 

D'après  le  tableau  de  Dominique  van  der  Smissen  (peint  en  1766) 


W.  A.  MOZART 

Peint  par  son  beau-frère,  l'acteur  Lange 

Ces  deux  photographies  appartiennent  à  la  Société  du  Mo:{arteum  de 
Salzbourg,  dont  l'Administration  a  bien  voulu  nous  les  communiquer.  Nous 
lui  adressons  ici  nos  plus  sincères  remerciements. 


9"  ANNEE.  N"  2.  1 5  JANVIER  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE  :  Portrait  :  Mozart,  enfant  (à  l'âge  de  onze  ans).  —  Portrait  de 
Mozart  par  son  beau-frère,  l'acteur  Lange. —  Mozart:  L'œuvre  et  le  génie  (Camille 
Bellaigue).  —  Mozart  :  Silhouette  (Camille  Bellaigue).  —  Mozart  et  le  catalogue 
de  ses  œuvres  (Charles  Malherbe).  —  A  propos  de  la  flûte  enchantée  (Henry  Gau- 
thier-Villars).  —  Sur  les  32  Sonates  de  Beethoven  (fin)  (Paul  Locard).  —  Les 
Premières  :  Les  Pécheurs  de  la  Saint-Jean,  la  Coupe  Enchantée  à  l'Opéra-Comique 
(V.  Debay).  —  Les  Grands  Concerts,  Colonne,  Lamoureux,  Conservatoire  (Jean  d'U- 
DiNE,  Intérim),  —  La  Quinzaine  Musicale:  Concerts  Le  Rey,  Nationale,  Schola  Canto- 
rum,  Soirées  d'Art,  Quatuor  Parent,  Hautes  études  sociales.  —  Le  mouvement  musical 
en  province  et  à  l'étranger  :  Salomé,  de  Richard  Strauss,  à  l'Opéra  de  Dresde 
(L.  Ponnelle).  —  Correspondances  de  :  Angers,  Montpellier,  Nancy,  Nice,  Rouen, 
Toulouse,  Verviers.  —  Concerts  annoncés.  —  Échos  et  Nouvelles.  —  Bibliographie, 
Nouveautés  musicales. 


Par  suite  d'une  erreur  dans  la  pagination,  les  quarante  pages 
de  texte  du  numéro  du  i"  janvier  ont  été  numérotées  de  721  à  760, 
alors  qu'elles  auraient  dû  Vêtre  de  1  à  40.  Nous  prions  nos 
lecteurs  de  vouloir  bien  rétablir  eux-mêmes  la  pagination  exacte. 

Nous  publierons,  avec  le  numéro  du  i"  février,  la  table  des 
matières  de  Vannée  jpo^. 

Dans  quelques  jours  (le  27  janvier)  sera  célébré  le  150'"  anniver- 
saire de  la  naissance  de  Mozart  (Salsburg  1756).  Nous  sommes  heureux 
de  pouvoir  offrir  aujourd'hui  à  nos  lecteurs  la  primeur  de  pages 
encore  inédites  de  M.  Camille  Bellaigue,  d'articles  originaux  de 
MM.  Charles  Malherbe  et  Henry  Gauthier- Villars  sur  l'immortel 
musicien. 

MOZART 


L'CEUVRE     ET     LE     aÉNIE<i) 


Aussi  bien  que  dans  l'ordre  delà  forme,  dans  celui  du  sentiment  ou  de 
l'éthos,  l'œuvre  de  Mozart  est  un  concert. 

Le  génie  de  Mozart  est  à  la  fois  idéal  et  familier,  supérieur  et  prochain, 
sans  que  jamais  un  choc,  ou  même  un  froissement,  résulte  de  cette  rencontre. 
Il  arrive  au  sublime  tantôt  par  la  grandeur,  tantôt  —  plus  souvent  même  — 
par  la  grâce.  Et  je  ne  sais  que  les  Grecs,  et  Raphaël  après  eux,    qui    sachent  y 


(t)  Nous  publions,  avec  l'agrément  de  M.  Camille  Bellaigue,  ce  fragment  de  l'ouvrage  de  l'éminent 
écrivain  sur  Mo:^art,  qui  paraîtra  très  prochainement  chez  l'éditeur  Laurens.  Nous  adressons  à  M.  Laurens 
nos  remerciements  d'avoir  bien  voulu  autoriser  cette  publication. 


—  42  — 

atteindre  par  ce  dernier  chemin.  Regardez  le  Parthénon  ou  VÉcole  d'Athènes  : 
écoutez,  non  pas  un  chant  de  Mozart,  mais  dix,  mais  vingt,  que  nous  pour- 
rions citer  :  le  f^oi  che  sapete  et  tel  air  de  ténor  de  V Enlèvement  au  Sérail,  le  trio 
de  la  fenêtre  de  Don  Juan,  ou  le  second  motif  de  la  «  romance  »  du  concerto  en 
ré,  pour  le  piano;  vous  éprouverez  que  le  charme  vous  touche  aussi  profondé- 
ment que  la  force,  que  certains  sourires  attendrissent  Jusqu'aux  larmes  et  qu'il 
y  a  pour  la  beauté  plus  d'une  manière  d'être  infinie  et  divine. 

Plénum  gratice  et  veritatis.  L'alliance  de  ces  deux  mots  sied  à  Mozart  et  le  dé- 
finit tout  entier.  Les  vérités  les  plus  hautes  ou  les  plus  profondes,  il  les 
exprime  avec  grâce.  Il  a  le  secret  de  tout  dire,  même  le  terrible,  sans  enfler  la 
voix,  et  peu  de  moyens  lui  suffisent.  Que  la  lettre,  en  la  matière,  est  donc  peu 
de  chose  en  son  œuvre,  auprès  de  l'esprit!  Il  ne  faut,  ponr  ]0\itv  Don  Juan,  qu'un 
orchestre  de  vingt-cinq  musiciens.  Celui  de  notre  Opéra  ne  fait  que  grossir  et 
dénaturer  le  chef-d'œuvre.  Que  dirons-nous  du  ballet,  de  cette  postiche  et  de 
cette  bosse,  qui,  pour  être  aussi  brillante  que  celle  des  polichinelles  que  le  ballet 
met  en  branle,  n'en  demeure  pas  moins  une  bosse,  autrement  dit  une  difformi- 
té. Cet  intermède  a  tous  les  inconvénients-  et  toutes  les  impertinences.  Il  désor- 
ganise et  désiquilibre  le  finale;  il  en  fausse  les  proportions  et  le  sens.  Afin 
d'assortir,  ou  d'égaler  la  musique  à  la  chorégraphie  et  à  la  mise  en  scène,  on 
a  fait  du  Viva  la  libertal  de  ce  salut  cordial  et  familier,  je  ne  sais  quel  mélodra- 
matique et  formidable  appel  à  la  liberté.  «  Que  de  bruit,  disait  l'autre,  pour  une 
omelette  au  lard  !  o  On  pourrait  presque  le  redire,  puisqu'il  s'agit  ici  de  faire 
plus  :  d'un  repas  sur  l'herbe  offert  par  un  seigneur  à  une  noce  de  paysans. 

Mozart  est  la  nature  même.  On  pourrait  dire  de  lui,  continuant  de  le  cher- 
cher et  de  le  trouver  dans  un  texte  sacré,  a  qu'il  a  habité  parmi  nous  ».  Si  grand 
qu'il  soit,  il  reste  ce  que  nous  sommes  à  quelques  personnages  qui  nous 
dépassent  (Sarastro,  la  Reine  de  la  Nuit,  en  maint  endroit  Don  Juan).  Combien,  et 
beaucoup  plus  nombreux,  n'en  a-t-il  pas  mêlés  de  plus  modestes,  plus  humains, 
qui  nous  ressemblent,  qui  vivent  de  notre  vie  moyenne  et  meurt  de  notre 
commune  morti  Qui  décidera,  par  exemple,  si  la  fin  du  commandeur  est  plus 
admirable  de  noblesse  et  de  pathétique,  ou  de  simplicité.  Pour  honorer  un 
vieillard,  un  inconnu,  qui  ne  fait  que  paraître  et  mourir,  il  n'y  avait  point  à 
déployer  les  magnificences  funèbres  qui  font  du  convoi  de  Siegfried,  héros  de 
toute  une  épopée,  un  deuil  presque  divin.  L'épée  de  Don  Juan  et  l'épée  de 
Hagen  ont  assurément  tranché  d'inégales  destinées.  Mozart  ne  consacre  qu'un 
trio  de  quelques  lignes,  un  épilogue  instrumental  de  quelques  mesures  à  la 
médiocrité,  j'allais  dire  à  la  banalité  d'une  mort  obscure.  Mais  ce  peu  de  mesures, 
ce  peu  de  notes,  qui  perlent  goutte  à  goutte,  comme  du  sang  ou  comme  des 
pleurs,  sont  d'une  telle  beauté,  si  large  et  si  profonde,  que  ce  n'est  pas  une 
mort,  mais  la  mort  même,  dont  elles  expriment  l'horreur. 

Quoi  de  plus  simple  encore,  et  d'obtenu  à  moins  de  frais,  que  la  couleur 
fantastique  !  Viendras-tu  souper?  —  Oui.  De  quels  éclats  d'orchestre,  de  quelles  har- 
monies extravagantes  un  musicien  moderne  aurait-il  souligné  l'acceptation 
d'outre-tombe  I  Mozart  la  glisse  en  passant  dans  la  trame  souple  et  courante  du 
duo,  et,  pour  l'en  distinguer,  l'en  détacher  cependant,  froide  et  sentant  le 
sépulcre,  il  suffit  d'une  note  de  cor  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  et  d'une 
modulation  que  nos  écoliers  peut-être  mépriseraient.  Il  en  est  de  l'œuvre 
entière  de  Mozart  comme  du  duo  du  Cimetière.  La  plus  haute  beauté  n'y  a  ja- 
mais rien  d'ambitieux,  encore  moins  d'affecté;  rien  qui  nous  étonne  et  nous 
effarouche,  rien  qui  nous  tienne  à  distance  et  nous  défende  d'approcher.  Sur  les 


-  43  - 

choses  graves,  et  mêmes  saintes,  Mozart  a  porté  des  mains  aussi  pures,  maïs  aussi 
libres,  que  celles  d'un  enfant.  Non  seulement  dans  un  opéra,  mais  dans  un 
rôle,  dans  un  air,  partout  il  a,  comme  en  se  jouant,  mêlé  le  pathétique  avec 
le  comique  parfois,  toujours  avec  le  naturel.  C'est  le  secret  des  grands  idéalis- 
tes, celui  du  musicien  de  Don  Juan  aussi  bien  que  du  peintre  de  VHéliodore  et  de 
la  Messe  deBolsène,  de  réserver  ainsi  jusque  dans  les  pages  grandioses,  un  asile  et 
comme  un  coin  familier  à  la  vie  intime,  à  la  plus  modeste,  à  la  plus  humble  réalité. 

• 
¥    * 

Mozart  contente  pleinement  l'esprit  et  la  raison.  Les  plus  savants  parmi 
les  savants  n'en  savent  pas  plus  que  lui,  car  il  sait  tout.  Son  talent  est  égal  à 
son  génie.  Bizet  disait  volontiers,  en  parlant  de  la  musique  :  «  Il  faut  toujours 
que  cela  soit  fait  ».  Rien  n'est  mieux  «  fait  »  que  la  musique  de  Mozart,  que 
VAveverum  ouït  Trio  des  Masques,  \q  qmnleix^ay  te  piano  qïï  sol  mineur  ou  la 
Flûte  enchantée.  Enfin,  il  suffit  de  comparer  au  premier  finale  des  Noces  de  Figaro 
le  finale  du  5arWér  J^  5m7/^,  pour  décider  aussitôt,  de  Mozart  et  de  Rossini, 
lequel  est  le  grand  compositeur,  l'architecte  des  sons. 

La  beauté  pour  ainsi  dire  intellectuelle  de  la  musique  de  Mozart  occupe 
donc  et  remplit  tout  notre  entendement.  Elle  ne  l'excède  et  ne  l'accable  jamais. 
On  dirait  que  Mozart  a  le  souci  constant  de  nous  tenir,  ainsi  qu'il  se  tient  lui- 
même,  au-dessus  de  son  œuvre,  et  comme  il  ne  nous  donne  pas  trop,  de  ne 
pas  trop  nous  demander.  «Vous  le  nommez  grand  »,  s'écriait  un  jour  Grill- 
parzen  «  Il  l'est,  en  effet,  parce  qu'il  s'est  limité.  Ce  qu'il  a  fait  et  ce  qu'il  s'est 
interdit  pèsent  du  même  poids  dans  la  balance  de  sa  renommée.  Parcequ'il  n'a 
jamais  voulu  plus  que  ne  doivent  vouloir  les  hommes,  l'ordre  :  «  Il  le  faut  I  »  sort 
de  tout  ce  qu'il  a  créé.  Il  a  préféré  paraître  plus  petit  qu'il  n'était,  plutôt  que  de 
s'enfler  jusqu'au  monstreux.  Le  royaume  de  l'art  est  un  second  monde,  mais 
existant  et  réel  et  soumis  à  la  mesure.  » 

Mozart  y  a  soumis  la  sensation  non  moins  que  la  pensée.  Un  des  miracles 
et  non  le  moindre,  de  son  génie,  est  de  tempérer  l'une  par  l'autre  et  de  les 
porter  ensemble  jusqu'à  la  perfection.  Dans  l'immense  domaine  des  sons,  il  n'y 
a  peut-être  rien  de  plus  délicieux  à  l'oreille  qu'une  phrase  de  Mozart.  Grillpar- 
zer  encore  l'a  dit,  et  fort  bien  :  «  Il  t'attachait  fermement  à  des  éternelles 
énigmes,  ô  toi,  l'œil  de  l'âme,  oreille  qui  sens  tout.  Ce  qui  n'entrait  point  par 
cette  porte  lui  paraissait  un  caprice  de  l'homme  et  non  la  parole  divine,  et  de- 
meurait banni  de  son  cercle  de  lumière.  » 

Autant  qu'à  notre  esprit,  Mozart  plaît  donc  à  nos  sens.  Loin  de  les  offenser 
jamais,  de  leur  demander  le  moindre  sacrifice,  il  les  charme  et  les  ravit  toujours. 
Le  comprendre  est  une  joie  et  c'est  une  volupté  de  l'entendre.  Une  mélodie,  ou 
seulement  le  début  d'une  mélodie,  comme  les  premières  mesurent  du  trio  de  la 
fenêtre  dans  Don  Juan,  celles  du  premier  morceau  de  la  symphonie  en  sol 
mineur,  comptent  parmi  les  plus  purs  chefs-d'œuvre  de  la  plus  sensuelle  beauté. 
Oui,  de  la  plus  sensuelle,  et  pourtant  les  plus  purs.  Jamais  VAmari  aliquid  du 
poète  latin  ne  surgit  du  fond  du  plaisir  qu'ils  nous  causent.  «  La  musique  la 
plus  physique  que  je  connaisse  »,  disait  Stendal  de  certaine  musique  de  Rossini. 
On  le  dirait  peut-être  mieux  encore  de  la  musique  de  Mozart,  mais  à  la  condi- 
tion d'ajouter  aussitôt  qu'elle  est  également  la  plus  morale,  qu'en  sa  forme,  en 
sa  figure,  j'écrirais  volontiers,  en  son  corps  divin,  habite  une  âme  divine,  enfin, 
qu'une  phrase  de  Mozart  est  peut-être  la  ligne  idéale  où  se  rencontrent  et 
s'accordent  le  mieux  l'ordre  de  la  matière  et  celui  de  l'esprit. 

Camille  BELLAIGUE. 


—  44  — 

M  O  Z  A  R  T  ■> 


En  1790,  lorsque  Haydn  partit  de  Vienne  pour  Londres,  Mozart,  qui  l'aimait,  se 
jeta  dans  ses  bras  en  sanglotant  :  «  O  mon  cher  papa,  s'écria-t-il,  ce  baiser  sera  le 
dernier  !  Nous  ne  nous  reverrons  plus.  »  Et  quelques  mois  après,  quand  Haydn  apprit 
que  Mozart  était  mort  :  «  O  mes  amis,  dit-il  en  pleurant  à  son  tour,  le  monde  retrou- 
vera-t-il  jamais  un  pareil  artiste  ?  » 

Le  monde  ne  l'a  jamais  retrouvé. 

Mozart,  comme  Pascal,  eut  une  enfance  prodigieuse.  A  l'âge  de  5  ou  6  ans,  son 
père,  un  jour,  l'ayant  surpris  en  train  d'écrire,  lui  demanda  ce  qu'il  faisait.  —  «  Un 
concerto  pour  le  clavecin  »,  répondit  le  petit  bonhomme.  Et  le  père,  ayant  lu  par-des- 
sus son  épaule  et  voyant  qu'il  disait  vrai,  se  prit  à  pleurer  d'émotion  et  presque  d'ef- 
froi. Alors,  il  l'emmena  par  toute  l'Europe,  et  toute  l'Europe  applaudit  aux  miraculeux 
essais  de  l'enfant  sublime.  II  allait  gracieux  et  souriant,  avec  son  habit  de  drap  lilas 
brodé  d'or,  sa  perruque  frisée  et  sa  petite  épée  ;  il  allait  chantant,  jouant  du  violon, 
du  piano,  improvisant  sonates  et  fugues,  composant  des  symphonies  et  des  opéras, 
exposant  aux  hasards  des  chemins  le  fragile  trésor  de  son  génie. 

Revenu  à  Salzbourg,  il  entra  au  service  du  prince-archevêque.  11  y  subit  toutes 
les  humiliations  de  la  domesticité  des  grands,  et  il  était  déjà  l'auteur  à'Idoménée,  qu'il 
soupait  encore  à  la  table  des  valets. 

Chassé  comme  l'un  d'entre  eux,  il  connut  la  pauvreté.  L'amour  l'en  consola  ; 
l'amour  conjugal,  qui  fut  son  unique  amour  :  car  Mozart  vécut  purement.  11  souffrit  le 
froid,  presque  la  faim,  les  dédains  et  les  rebuts,  mendiant  en  vain  les  plus  humbles 
places  et  n'obtenant  qu'après  les  Noces,  après  Don  Juan,  la  charge  à  peine  rétribuée  de 
compositeur  de  la  chambre  impériale.  Sa  femme,  sa  chère  Constance,  était  malade  et 
ne  vivait  que  par  ses  soins  ;  aux  eaux  de  Bade,  près  de  Vienne,  où  elle  fut  envoyée,  un 
humble  chantre  du  village  lui  donna  l'hospitalité  :  «  Tu  vois,  lui  écrivait  alors  Mozart, 
sur  un  feuillet  taché  de  larmes,  tu  vois  qu'en  t'écrivant  j'ai  beaucoup  pleuré.  Mais 
nargue  du  chagrin!...  Il  voltige  autour  de  ma  tête  une  innombrable  quantité  de 
baisers.  » 

Le  chagrin  fut  le  plus  fort.  Et  pourtant,  en  proie  à  la  misère,  le  doux  maître  en- 
tendit chanter  une  dernière  fois  les  esprits  heureux  ;  les  génies  et  les  fées  lui  dictèrent 
\a  Flûte  enchantée.  La  gloire  venait  enfin,  et  la  fortune.  Elles  venaient  trop  tard.  A 
trente-cinq  ans,  un  matin  de  décembre,  il  mourut.  On  l'enterra  pauvrement.  Sa 
femme,  malade,  ne  put  le  suivre,  et  comme  la  neige  et  le  vent  faisaient  rage,  les  rares 
amis  qui  l'avaient  accompagné  d'abord,  ne  l'accompagnèrent  plus  jusqu'au  bout.  11 
entra  seul  au  cimetière  et  son  corps  fut  déposé  dans  la  fosse  commune.  Quelques  jours 
plus  tard,  sa  femme  vint  et  interrogea  le  fossoyeur.  Il  répondit  qu'il  ne  connaissait  pas 
ce  mort,  et  depuis,  pour  prier  sur  la  tombe  de  Mozart,  nul  n'a  su  jamais  où  ployer  les 
genoux.  Sa  vie  ne  fut  que  souffrance,  et  son  œuvre  n'est  que  bonheur.  Son  art,  qui 
n'eut  pas  la  confidence  de  son  martyre,  n'en  porte  ni  la  trace,  ni  le  témoignage.  En 
dehors,  au-dessus  de  sa  misère,  Mozart  a  rêvé  l'idéale  félicité.  C'est  de  formes  heu- 
reuses qu'il  a  peuplé  «  où  demeurent,  dit  Hoffmann,  les  enchantements  célestes  des 
sons  ».  Ses  mélodies  vivent  comme  des  fleurs,  sans  trouble  ni  peine  ;  quand  elles 
meurent,  quand  elles  tombent,  c'est  encore  en  souriant,  et  leur  chute,  leur  mort,  n'est 


(i)  Extrait   des   Portraits   et   Silhouettes    de   Musiciens  de    Camille    BellaiguCj  grâce    à   l'amabilité  de 
J'auteur  et  à  l'obligeance  de  l'éditeur  Delagravc. 


—  45  —  , 

que  la  dernière  et  non  la  moins  exquise  de  leurs  grâces.  Dieu  fait  entre  les  grands  ar- 
tistes le  partage  de  la  beauté.  11  assigne  à  chacun  son  lot  dans  l'âme  humaine,  à  cha- 
cun sa  place  dans  la  maison  où  il  y  a  plusieurs  demeures.  Heureux  les  simples  !  Heu- 
reux les  doux  !  Heureux  les  purs  !  Le  génie  de  Mozart  a  été  marqué  par  ces  trois  béati- 
tudes. 

Mozart  est  pur.  Aucun  mélange  ne  le  gâte  ni  le  corrompt.  Il  ressemble  à  cette 
source  dont  parle  Bossuet,  qui  jamais  n'agite  assez  violemment  la  terre  sur  laquelle 
elle  passe,  pour  en  détacher  quelque  partie  qu'elle  entraîne  avec  elle  parmi  ses  eaux. 

Mozart  est  doux.  Le  pauvre  fou,  que  Georges  Sand  enfant  voyait  errer  dans  la 
campagne  et  qui  cherchait  partout  la  tendresse,  l'aurait  trouvée  enfin  dans  la  musique 
de  Mozart.  Tendresse  heureuse,  tendresse  mélancolique,  toute  tendresse  y  surabonde. 
Il  y  a  dans  ce  trésor  d'amour  de  la  paix  pour  toutes  les  inquiétudes,  de  la  consolation 
pour  toutes  les  souffrances. 

Mozart  est  simple,  et  parce  qu'il  est  simple,  il  ne  se  décomposera  jamais  ;  il  de- 
meurera tout  entier.  11  entre  aussi  peu  de  matière  que  possible  dans  son  œuvre  ;  elle 
n'est  qu'esprit  et  âme.  Pour  entendre  Mozart,  l'oreille,  n'est  pas  assez  fine  ; 
les  doigts  sont  trop  lourds  pour  le  jouer,  et  les  mots  sont  impuissants  à  parler 
de  lui. 

11  est  mort  en  écrivant  le  Requiem,  en  demandant  pour  lui  et  en  nous  laissant  à 
nous  le  bien  par  excellence,  le  repos.  Il  n'a  rien  fait  de  laid,  ou  seulement  d'obscur  et 
de  trouble.  Il  n'est  pas  le  musicien  de  ce  que  nous  sommes,  mais  de  ce  que  nous  rê- 
vons d'être,  de  ce  que  nous  serons  :  le  musicien  de  l'avenir,  au  sens  éternel  du  mot. 
Il  est  le  dernier  des  génies  heureux.  Après  lui  viendra  Beethoven,  le  sublime  patient, 
l'héroïque  vainqueur  de  soi-même,  exemplaire  sans  égal  de  l'humanité  ;  Beethoven, 
beau  comme  la  passion,  comme  l'orage  infini  et  comme  la  douleur. 

Mozart  est  au-dessus  de  l'humanité  ;  il  est  beau  comme  la  paix,  comme  l'azur 
infini,  comme  la  joie.  Il  est  le  jeune  homme  divin. 

Camille  BELLAIGUE. 


E-fc  le  ca.-ta.log^\ie  dLe  ses  oeuivres 


Tous  ceux  qui  étudient  Mozart  connaissent  le  catalogue  de  ses  œuvres  rédigé  par 
Kœchel  :  c'est  l'ensemble  des  compositions  du  maître,  présentées  chronologiquement, 
avec  une  notation  thématique  de  chaque  morceau,  et  des  renseignements  relatifs  aux 
principales  éditions,  ainsi  qu'aux  autographes.  L'auteur,  Ludwig  Alois  Friedrich  von 
Kœchel,  n'était  pas  un  professionnel  de  la  musique  classique.  Ne  à  Stein  (Autriche), 
le  14  janvier  1800.  mort  à  Vienne  le  3  juin  1877,  il  avait  d'abord  choisi  la  carrière  de 
l'enseignement,  puis  appliqué  aux  sujets  les  plus  variés  son  goût  pour  l'étude  ;  on  lui 
doit  notamment  d'importants  travaux  sur  la  botanique  et  la  minéralogie.  Comme  il 
aimait  la  musique  en  général,  et  celle  de  Mozart  en  particulier,  il  s'était  mis  à  recher- 
cher tout  ce  qu'avait  écrit  son  compositeur  favori  ;  esprit  méthodique,  il  s'adonnait 
volontiers  aux  classifications  ;  ainsi,  la  réunion  progressive  des  matériaux  aboutit  à  la 
rédaction  d'un  catalogue  qui  l'occupa  longtemps  et  parut  enfin  à  Leipzig,  chez  Breit- 
kopf  et  Haertel,  en  1862.  Depuis  cette  époque,  on  le  devine,  la  musicographie  s'est 
développée  largement  en  tous  sens  et  en  tous  pays  ;  grands  et  petits,  les  maîtres  ont 
été  l'objet  d'investigations  minutieuses,  celui  de    Salzbourg,  autant  et  plus  que  bien 


-46- 

d'autres  ;  peu  à  peu  les  ténèbres  se  sont  dissipées  ;  on  a  fixé  certains  points,  jusque-là 
douteux,  corrigé  des  erreurs,  réparé  des  oublis.  Pour  que  le  livre  de  Kœchel  conservât 
toute  sa  valeur  et  toute  son  utilité,  il  fallait  le  tenir  à  jour.  Le  comte  Paul  von  Wal- 
dersee  s'est  imposé  la  tâche  de  cette  révision,  et  il  a  publié  chez  Breitkopf  et  Hsertel 
une  seconde  édition,  qui  date  de  quelques  semaines.  On  ne  saurait  trop  lui  rendre 
hommage  pour  le  soin  et  la  compétence  dont  il  a  fait  preuve  en  ce  travail  difficile. 
L'élégance  typographique  ajoute  encore  au  prix  d'un  volume  qui  se  recommande  ainsi 
doublement  par  la  forme  et  par  le  fond. 


Pour  faire  comprendre  l'importance  d'un  ouvrage  de  ce  genre  et  les  services 
qu'il  peut  rendre,  il  convient  d'en  expliquer  le  plan,  ou  tout  au  moins  la  division  en 
deux  parties. 

La  première,  de  beaucoup  la  plus  développée,  donne  le  thème  detoutes  les  œuvres 
terminées,  en  y  joignant  les  renseignements  suivants  :  titre  exact  du  morceau,  instru- 
ments employés,  nombre  de  mesures,  date  de  composition,  description  de  l'autogra- 
phe, s'il  existe,  avec  le  nom  du  possesseur,  quand  on  le  connaît,  mention  des  copies  à 
défaut  de  l'original,  remarques  relatives  à  l'œuvre  et  empruntées,  la  plupart  du  temps, 
à  l'ouvrage  devenu  classique  d'Otto  Jahn  sur  Mozart. 

La  seconde,  sous  le  nom  de  Supplément,  comprend  cinq  subdivisions  :  i"  Œuvres 
perdues  ;  2°  Œuvres  incomplètes  ;  3°  Œuvres  transformées  (soit  par  substitution  des 
paroles  ou  changement  de  titre,  soit  par  adaptation  du  chant  aux  instruments,  ou 
vice  versa)  ;  4°  Œuvres  douteuses  ;  5°  Œuvres  faussement  attribuées  à  Mozart. 

Le  catalogue  est  complété  par  une  table  des  matières  et  ^noms  cités  ;  plus  une 
liste  alphabétique  des  airs,  rangés  d'après  leur  premier  vers. 

En  parcourant  cette  suite  de  921  numéros  (627  dans  la  première  partie  et  294 
dans  la  seconde)  on  éprouve  un  respect  mêlé  d'admiration  pour  le  probe  ouvrier  qui, 
pierre  à  pierre,  a  patiemment  élevé  l'édifice.  Toutefois,  sans  diminuer  son  mérite, 
il  faut  reconnaître  que  la  besogne  lui  avait  été  facilitée,  et  même  préparée,  d'un  côté 
par  la  présence  des  autographes  dont  l'ensemble  n'était  pas  encore  dispersé,  de  l'autre 
par  l'existence  de  catalogues  dont  l'un  émanait  de  Mozart  lui-même.  Sur  ces  deux 
points,  quelques  explications  ne  paraîtront  pas  superflues. 

Mozart,  on  le  sait,  était  soigneux  et  ordonné  pour  sa  personne,  comme  pour  ce 
qui  l'entourait  ;  la  graphologie  révèle  dans  son  écriture  une  certaine  coquetterie  qu'il 
appliquait  aussi  bien  à  la  notation  de  ses  pensées  musicales  qu'à  l'élégance  de  ses  ha- 
bits. Il  inscrivait,  par  exemple,  en  tête  de  ses  œuvres,  la  date  et  le  lieu  de  leur  com- 
position, suivant  en  cela  l'exemple  que  son  père  lui  avait  donné  dès  le  plus  jeune  âge. 
Il  finit  même  par  éprouver  le  besoin  de  mentionner  ses  travaux,  au  jour  le  jour,  sur  un 
cahier  spécial  :  sorte  de  registre  qu'il  tint  avec  exactitude  du  9  février  1784  au  15 
novembre  1791,  soit  vingt  jours  avant  sa  mort.  Ce  catalogue  primitifa  été  publié  deux 
fois  par  l'éditeur  André,  à  Offenbach-sur-le-Mein,  en  1805  et  en  1825  ;  il  devait  servir 
de  base  certaine  à  tous  les  travaux  ultérieurs. 

Au  moment  de  son  décès,  Mozart  possédait  encore  la  moitié  environ  de  ses  ma- 
nuscrits originaux,  notamment  presque  toutes  ses  partitions  d'orchestre.  Pour  les 
œuvres  de  l'enfance,  souvent  tracées  dans  des  albums,  elles  avaient  été  soigneuse- 
ment gardées  par  le  frère  d'abord,  puis  par  la  sœur  ;  pour  les  œuvres  de  l'adolescence, 
souvent  considérées  comme  des  études  préparatoires,  elles  n'étaient  point  destinées  à 
la  publicité  et  demeuraient  obscurément  dans  les  papiers  de  famille  ;  pour  les  œuvres 
de  la  maturité,  celles-là  surtout  manquaient  à  l'appel  qui  avaient  été  éditées, 
comme  les  pièces  pour  piano  et  les  mélodies  ;  les  ouvrages  dramatiques,  symphoni- 


—  47  — 

ques,  concertants  n'avaient  pas  trouvé  d'éditeur.  Ils  en  trouvèrent  un,  lorsque  le  con- 
seiller danois  Nissen  épousa  la  veuve  de  Mozart,  et  que  tout  l'héritage  musical  du 
grand  homme  fut  cédé,  moyennant  un  prix  minime  d'ailleurs,  à  la  maison  André, 
fondée  à  Offenbach  dans  les  dernières  années  du  xviiie  siècle.  Des  milliers  de  pages 
musicales  furent  alors  inventoriées,  classées  et  publiées  ;  quarante  ans  s'écoulèrent, 
jusqu'au  jour  où  Johann  André  s'avisa  qu'une  telle  collection  représentait  un  capital 
dont  on  pouvait  tirer  parti.  Il  avait  déjà  cédé  quelques  pièces,  mais  il  lui  en  restait 
encore  276  qu'il  mit  en  vente,  au  moyen  d'un  catalogue  à  prix  marqués,  portant  ce 
titre  :  «  Catalogue  thématique  des  manuscrits  originaux  de  Mo;(art  que  possède  le  Conseiller 
Andréa  Offenhach-sur-le-Mein.  Prix  net,  i  florin.  Offenhach-sur-le-Mein.  1841.  »  Cette 
brochure  de  77  pages,  devenue  assez  rare,  comportait  un  Avant-propos  qui  se  peut 
traduire  ainsi  : 


t^  Jum^f^Sty'' 


Das  Traumbild  {la  Fiston) 
lied  composé  à  Prague  le  6  Novembre  1787  (N"  530  du  Catalogue  Kœchel) 
Autographe  de  Mozart, 
obligeamment  prêté  par   M.    Charles    Malherbe  pour   la    reproduction    ci-dessus. 

Pour  répondre  enfin  aux  désirs  manifestés  de  divers  côtés  par  les  admirateurs  de 
IVÎozart,  le  possesseur  des  manuscrits  originaux  de  l'immortel  compositeur,  inscrits  au 
présent  catalogue,  s'est  décidé  à  les  vendre.  A  cet  effet,  il  a  divisé  ces  manuscrits  par 
classes,  et  rangé  chronologiquement  toutes  les  oeuvres  dans  chaque  classe  :  se  servant 
pour  cela  du  catalogue  thématique  rédigé  par  Mozart,  et  aussi  des  remarques  qui  se 
trouvent  sur  la  plupart  de  ces  manuscrits,  voire  même  imprimant  mot  à  mot  ces  remar- 
ques, qu'elles  émanent  de  Mozart  ou  de  son  père. 

Le  possesseur  (Conseiller  André)  a  fixé  pour  toute  la  collection,  somme  pour  cha- 


-48- 

que  œuvre  en  particulier  un  prix  très  modéré,  mais  en  rapport  avec  la  valeur  d'une 
chose  aussi  précieuse  qu'un  manuscrit  de  Mozart,  prix  au-dessous  duquel  il  ne  sera  rien 
cédé.  Jusqu'au  31  décembre,  celui  qui  fera  l'offre  la  plus  élevée  pourra  acquérir  toute  la 
collection  ou  les  manuscrits  séparément. Un  exemplaire  imprimé  des  prix  exigés  sera  remis 
à  tous  ceux  qui,  par  lettre  affranchie, en  feront  la  demande  à  la  maison  Johann  André. — 
Offenbach-sur-le-Mein,  le  i^""  mai  1841. 

Cet  appel  ne  fut  pas  entendu.  Le  goût  des  autographes  musicaux  était  alors  si 
peu  répandu  qu'il  ne  vint  nulle  proposition,  concernant  l'ensemble. 

Les  bibliothèques  publiques  s'abstinrent  autant  que  les  collections  privées;  à  peine 
quelques  morceaux  trouvèrent-ils  preneur,  en  Angleterre  notamment,  à  titre  de 
relique  ou  de  curiosité.  En  septembre  1854,  la  mort  du  chef  de  famille  fit  de  la  disper- 
sion des  pièces  une  nécessité  ;  il  y  avait  sept  enfants,  six  fils  et  une  fille  mariée  ;  il 
y  eut  donc  sept  lots  que  l'on  égalisa  tant  bien  que  mal,  d'après  les  estimations  laissées 
par  le  père,  et  le  tirage  au  sort  détermina  l'attribution  des  parts.  Les  héritiers  négo- 
cièrent alors  la  vente,  comme  ils  purent,  chacun  pour  soi.  C'est  ainsi  que  par  un  inter- 
médiaire la  partition  originale  de  Don  Giovanni  fut  présentée  en  1855  à  Mme  Viardot, 
qui  se  trouvait  alors  à  Londres  et  qui  l'acquit  pour  la  somme  de  180  livres,  soit 
4.540  francs;  or,  dans  le  catalogue  d'André,  elle  était  cotée  350  carolins,  soit 
8.312  fr.  50.  Depuis,  l'illustre  cantatrice  a  voulu  assurer  à  la  France  la  possession  de 
ce  précieux  trésor  ;  elle  en  a  fait  don  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  :  éter- 
nel sujet  de  regrets  et  de  rage  pour  l'Allemagne  musicale,  obligée  de  ne  s'en  prendre 
qu'à  elle-même  et  de  reconnaître  son  indifférence,  car  à  Berlin  comme  à  Vienne  les 
offres  d'achat  avaient  été  repoussées.  En  1861,  la  première  de  ces  deux  villes  ne  mon- 
tra guère  plus  d'empressement  ;  on  y  mit  en  vente  tout  le  lot  de  l'un  des  fils  André  ; 
le  libraire  Stage  publia  un  catalogue  à  prix  marqués,  comprenant  34  ouvrages  com- 
plets formant  un  total  de  14.705  francs.  Ces  prix  n'avaient  rien  d'exagéré  ;  on  pouvait 
encore  se  procurer  une  Symphonie  autographe  de  30  pages  pour  200  francs;  et  pour- 
tant, non  seulement  personne  ne  se  présenta  pour  l'ensemble,  mais  quelques  numéros, 
tout  au  plus,  prirent,  comme  en  1841,  le  chemin  de  l'Angleterre.  C'est  après  la  guerre 
de  1870  que  les  choses  changèrent  de  face.  Sur  l'indemnité  payée  par  la  France,  une 
somme  avait  été  prélevée  pour  les  musées.  La  bibliothèque  de  Berlin  profita  de  cette 
aubaine  pour  traiter  avec  ceux  qui  gardaient  encore  entre  leurs  mains  les  autographes 
de  Mozart  ;  cette  fois,  elle  s'adjug«îa  la  part  du  lion,  puisqu'elle  possède,  à  l'heure 
actuelle,  presque  exactement  le  tiers  de  tous  ceux  qui  existent. 


Les  deux  éditions  du  catalogue  de  Kœchel  présentent  quelques  différences  ;  il 
n'est  pas  sans  intérêt  d'en  consigner  ici  plusieurs,  au  risque  de  donner  trop  de  place 
aux  chiffres;  les  statistiques  ont  parfois  leur  utilité. 

La  première  édition  mentionnait  627  ouvrages  complets  ou  soi-disant  tels,  12 
regardés  comme  perdus  et  98  incomplets  :  en  tout  737  numéros  (sans  parler  des  arran- 
gements et  fausses  attributions). 

La  seconde  édition  semble  présenter  le  même  nombre  de  chiff'res,  mais 
en  apparence  seulement,  car  beaucoup  de  numéros  se  sont  augmentés  de  bis 
et  de  ter,  tandis  que  d'autres  disparaissaient,  ou  du  moins  n'étaient  laissés  à  leur 
place  que  pour  mémoire  ;  on  ne  pouvait,  en  effet,  remanier  de  fond  en  comble  ce 
numérotage  primitif,  sans  amener  la  confusion,  et  compromettre  l'utilité  pratique  d'un 
répertoire  utilisé  déjà  pour  maints  travaux. 

Il  est  juste,  au  surplus,  de  constater  que  les  erreurs,  portant  sur  les  ouvrages  ré- 
putés complets,  se  bornaient  à  dix  : 


—  49  — 

N**^  140.  Une  messe  brève,  dont  l'attribution  à  Mozart,  déjà  douteuse,  a  été  recon- 
nue définitivement  fausse. 

54.  Six  variations  pour  piano,  tirées  d'une  sonate  pour  piano  et  violon 
n"  547. 

226,  227,  235.  Trois  canons  dont  les  véritables  auteurs  sont  Bird,  Muller  et  Ph. 
Emmanuel  Bach. 

350,  La  trop  fameuse  Berceuse,  dont  l'honneur  doit  être  restitué  au  compositeur 
Flies. 

206  et  362.  Deux  marches  pour  orchestre,  qui  font  partie  d' Idoménée  et  ne  doivent 
pas  être  comptées  séparément. 

342.  Un  Offertoire  qui  appartient  à  un  autre  ouvrage  du  même  genre, 
n°  177. 

514.  Un  Rondo  pour  cor  qui  est  le  final  du  Concerto  pour  ce  même  instrument, 
n°4i2. 

Ces  dix  numéros  éliminés  ont  été  remplacés  par  oit^e  autres  qui  constituent  la 
partie  vraiment  nouvelle  du  catalogue,  savoir  : 

N°=9  a.  Allegro  pour  piano  (ut,  C.)  1763. 

9  b.  Andante  pour  piano  (sol  mineur,  2/4)  1763. 

25  a.  Menuet  pour  orchestre  (ut  majeur),  1765. 

65  a.  Sept  menuets  pour  deux  violons  et  basse  (sol,  ré,  la,  fa,  ut,  sol,  ré)  26  jan- 
vier 1769. 

89  a.  Canon  à  cinq  parties,  et  cinq  canons  énigmatiques,  1770. 

154  a.  Deux  petites  fugues  pour  piano  ou  orgue  (sol,  C,  et  ré,  3/4),  1772. 

27J  a.  Concerto  pour  violon  et  orchestre  (ré,  C;  sol,  3/4;  ré  2/4),  16  juillet  1777. 

315  a.  Huit  menuets  pour  piano  (ut,  sol,  ré,  ut,  fa,  ré,  la,  sol),  1779. 

486  a.  Récit  et  air  avec  orchestre  Basta  Vincesti,  27  février  1778. 

511a.  Rondo  pour  piano  (si  bémol,  6/8),  date  inconnue. 

535  a.  Trois  contredanses  pour  orchestre  (ut,  sol,  sol,  2/4),  date  inconnue. 

Dans  les  suppléments,  ont  été  ajoutées  quatorze  œuvres  inachevées  et  six  dou- 
teuses, 

Pour  les  raisons  ci-dessus  énoncées,  la  nouvelle  édition  a  respecté  certaines  bi- 
zarreries, dont  Kcechel  s'était  rendu  coupable,  sans  qu'on  en  comprit  trop  la  raison  ; 
par  exemple,  il  ne  comptait  pas  comme  œuvres  incomplètes,  certaines  pièces  qu'avaient 
terminées  des  disciples  ou  amis  du  maître,  tels  que  l'abbé  Stadler,  Sussmayer,  Simon 
Sechter  et  André  ;  d'autre  part,  il  ne  rangeait  pas  parmi  les  œuvres  perdues,  certains 
morceaux  dont  on  savait  l'existence,  mais  dont  on  ne  connaissait  plus  que  les  pre- 
mières notes.  Il  convient  de  procéder  autrement  si  l'on  veut  obtenir  un  bilan  exact, 
et  voici  le  résumé  très  simple  que  l'on  peut  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  : 

Œuvres  terminées 622   ; 

.    -  (    754- 

Œuvres  non  termmees. . .      132  ; 

Parmi  ces  754  œuvres,  il  en  est  26  qui  ne  se  sont  pas  retrouvées  jusqu'à  ce  jour, 
et  14  qui  n'ont  pas  encore  été  publiées,  sans  parler  des  incomplètes  (pour  la  plupart 
inédites). 

A  ces  renseignements  j'en  ajoute  un  qui  a  trait  plus  particulièrement  aux  manus- 
crits et  à  leurs  possesseurs. 

Les  manuscrits  originaux  que  l'on  connaît  sont  au  nombre  de  507,  soit  presque 
exactement  les  deux  tiers  des  ouvrages  composés  par  Mozart.  De  toutes  les  Bibliothè- 
ques publiques,  c'est  celle  de  Berlin  qui  en  possède  le  plus  grand  nombre,  et  de  beau- 
coup :  215.  Le  Mozarteum  de  Salzburg  vient  ensuite  avec  50.  La  Bibliothèque  impé- 


—  50  — 

riale  de  Vienne  et  le  British  Muséum  de  Londres  font  encore  figure  très  honorable  ; 
les  bibliothèques  de  Paris,  de  Pétersbourg,  de  Munich,  ne  comptent  que  quelques  uni- 
tés ;  le  reste  se  répartit  entre  plusieurs  collections  particulières  : 

En  Allemagne,  celles  du  duc   de  Saxe-Cobourg,  de  Sonnleithner  et  des  éditeurs 
Peters,  Cranz,  André  ; 

En  Angleterre,  celles  de  Plowden,  de  Randegger,  de  Jules  Marshall  ; 

En  France,  une  seule,  mais  riche  de  32  numéros,  celle  du  signataire  de  ces  lignes  , 

Charles  MALHERBE. 


A  propos  de  la  »  Flûte  Enchantée 


II  fut  un  temps  où  les  critiques  musicaux  se   faisaient  un  devoir  et   une  joie 
d'écraser  les  compositeurs  nouveaux  venus  sous  l'accusation  de  wagnérisme  ;  Masse- 
net,  de  longues  années,  encourut  les  invectives  de  ces  misonéistes  ;  Bizet  ne  fut  pas 
épargné  davantage,  lui  que  le  bon  Larousse  —  en   1877  —   accusait  de  «  donner  de 
gages  aux  apôtres  de  la  musique  de  l'Avenir  en  rompant  avec  l'harmonie...  » 

La  plupart  de  ces  nigauds  étant  morts,  ce  qui  reste  des  antiwagnériens  enfour- 
chent un  autre  dada  :  ils  opposent  l'auteur  de  Don  Juan  à  celui  du  Ring  et  déclarent 
les  malheureux  «  adonnés  aux  musiques  savantes  »  incapables  de  goûter  «  les  suaves 
mélodies  de  Mozart  ».  Généralement,  c'est  du  pavillon  de  M.  Saint-Saëns  qu'ils  cou- 
vrent leur  marchandise... 

Or,  quelqu'un  a  dit,  excellemment  :  «.  Les  belles  harmonies  et  les  belles  mélodies 
sont  également  le  produit  de  l'inspiration...  On  a  cherché  à  répandre  cette  idée  que 
l'harmonie  était  le  produit  de  la  réflexion,  de  la  science,  et  que  l'inspiration  n'y  était 
pour  rien  :  la  vérité,  c'est  que  les  vrais  musiciens  trouvent  les  belles  harmonies 
comme  les  belles  mélodies,  spontanément,  sans  que  la  science  ait  rien  à  y  voir.  »  Le 
nom  de  ce  quelqu'un  ?  Précisément  M.  Camille  Saint-Saëns. 

Je  pourrais  citer  d'autres  textes  encore,  rappeler  que  Wagner  écrivit  un  jour  : 
«  La  musique  n'est  que  mélodie  »,  Wagner  qui  porta  sur  Mozart  des  jugements  admi- 
ratifs  que  les  antiwagnériens  caudataires  de  M.  Saint-Saëns  ne  seraient  même  pas  ca- 
pables de  comprendre  ! 

Dans  Beethoven  et  Wagner,  M.  Théodore  de  Wyzewa,  bayreuthien  de  la  première 
heure,  analyse  avec  infiniment  de  sagacité  le  charme  de  Mozart  «  le  poète  »,  comme 
il  l'appelle,  «  celui  qui  sait  toujours  exprimer  ses  sentiments,  si  intenses  qu'ils  soient 
en  beauté  ». 

Et  mon  cher  ami  Ernst  ne  sépara  jamais  dans  son  admiration  Tristan  et  la  Flûte 
enchantée  dont  la  reprise  lui  inspira  jadis,  (quand  il  mettait  sa  tête  avec  la  mienne  sous 
le  bonnet  de  l'Ouvreuse),  une  délicieuse  étude  attendrie  où  il  souhaitait  que,  laissant  à 
cette  œuvre  véritablement  «  enchantée  »  son  caractère  féerique,  on  fit  apparaître  la 
Reine  des  Nuits,  non  à  la  rampe,  mais  aux  hauteurs  du  décor,  toute  scintillante  sur 
l'azur  sombre,  dans  un  fourmillement  d'étoiles,  pour  que  les  folles  vocalises  de 
Mozart  pussent  étinceler  alors,  comme  un  bouquet  de  lueurs  stellaires,  vives  fulgura- 
tions de  quelque  musicale  voie  lactée. 

De  quelle  tendresse  exaltée  l'auteur  de  Y  Art  de  Richard  Wagner  entourait  cette 
exquise  merveille,  qu'il  aurait  souhaité  voir  sous  la  forme  presque  familière  qui  fut 
sienne  tout  d'abord,  sur  un  théâtre  de  hasard,  avec  la  misère  de  décors  invraisem- 
blables, dans  son  atmosphère  primitive  de  gaieté  toute  viennoise  —  Wiener  Lust  — 


—  51  — 

gaieté  sentimentale,  enfantine  même,  où  la  noblesse  des  grandes  pages  religieuses 
s'exalte  plus  puissamment  ! 

Il  disait  vrai  :  on  aimerait  voir  la  Zauherfloeie  d'autrefois,  mise  en  scène  par  son 
propre  librettiste,  ce  Schikaneder  échappé  du  «  Roman  Comique  »,  mais  d'un  Roman 
Comique  plus  atténué,  plus  fade,  qui  serait  au  premier  ce  que  la  bière  est  au  vin.  Je 
voudrais  qu'on  ne  nous  épargnât  ni  le  serpent  empaillé  de  la  scène  initiale,  ni  les  plu- 
mes de  perroquet  de  Papageno,  ni  aucune  des  platitudes  du  texte,  préférables  en  leur 
touchante  bêtise,  à  toutes  celles  que  la  traduction  leur  substitue.  L'autre  soir,  en 
écoutant,  les  souvenirs  me  revenaient  en  foule  d'une  audition  de  la  Flûte  enchantée  à 
Munich,  à  la  fois  plus  intelligente  et  plus  naïve.  Et  je  retrouvais,  avec  une  franchise 
meilleure,  embaumés  de  leur  fragrance  première,  ces  refrains  si  charmants,  frais  bou- 
tons cueillis  par  Mozart  aux  haies  vives  de  la  chanson  populaire  allemande,  épanouis 
en  fleurs  précieuses  au  tiède  souffle  de  son  génie.  Der  Vogelfaenger  bin  ich  ja  :  c'est 
moi  le  charmeur  d'oiseaux  :  »  Comme  l'aimable  mélodie  s'applique  bien  au  maître  lui- 
même,  et  comme  nous  comprenons  qu'elle  soit  revenue  un  peu  plus  tard,  pendant  les 
heures  dernières  —  innocent  adieu  de  la  vie  —  sur  les  lèvres  tremblantes  du  mourant. 
Le  sourire  de  Mozart...  C'est  peut-être  la  spéciale  tendresse  de  sa  musique,  la  ri- 
chesse absolument  originale  qui  éclate,  au  milieu  de  tant  d'autres, dans  le  vaste  trésor 
de  son  œuvre.  Ce  sourire  de  lumière  est  doux  et  pénétrant,  ému,  comme  trempé  de 
larmes  claires.  C'est  lui  qui  fait  d'un  thème  scénique  insignifiant,  Cosi  fan  tutte,  une 
idéale  petite  merveille  ;  c'est  lui  qui  rayonne  aux  andantes  des  sonates,  des  trios  et 
des  quatuors  et  dans  ces  lieder  pieux  ou  tendres  qui  préparent  ceux  de  Beethoven  et 
de  Schubert.  Le  voici  dans  la  deuxième  partie  de  la  Symphonie  en  mi  bémol  ;  plus  loin 
c'est  la  grâce  de  Zerline,  c'est  Chérubin  et  c'est  Suzanne...  Notez  en  passant  les  trans- 
formations qu'opère  un  génie  vraiment  créateur,  et  voyez  comment  Mozart  sait  faire 
de  la  comédie  de  Beaumarchais,  railleuse,  aigre  et  puissante,  un  chef-d'œuvre  de  dou- 
ceur indicible,  pur  et  passionné  tout  à  la  fois. 

C'est  un  prodige  de  ce  genre  que  Mozart  accomplit  dans  la  Flûte.  Grâce  à  lui,  la 
stupidité  de  la  fable,  compliquée  des  niaiseries  maçonniques  chères  à  Schikaneder  (et, 
il  faut  le  reconnaître,  au  musicien  lui-même)  s'ennoblit  au  point  de  toucher  au  mys- 
tère et  d'évoquer,  à  notre  esprit,  des  symboles.  Les  sottes  aventures  de  Tamino  et  de 
Pamina  deviennent  la  périlleuse  ascension  des  âmes,  à  travers  les  embûches  de  l'er- 
reur, les  séductions  et  les  menaces  du  vice,  jusqu'à  la  région  supérieure  de  la  vérité 
et  de  la  bonté.  Et,  parallèlement,  comme  une  transposition  de  l'action  poétique  dans 
le  monde  familier,  voici  les  amours  de  Papageno  et  de  Papagena,  traversées  des 
mêmes  obstacles,  égayées  de  rires, de  plaisanteries,  de  mimiques  bouffonnes  et  sau- 
vées pourtant  de  toute  bassesse  par  le  prestige  vainqueur  de  la  musique. 

Ce  sourire  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure,  il  rayonne  plus  divinement  que 
jamais  aux  trios  des  fées,  des  initiés  bienfaisants.  Ici  le  charme  est  si  intense  qu'il 
devient  générateur  d'émotion.  Tout  à  côté,  voici  les  accents  admirables  de  Sarasto  et 
de  ses  prêtres,  la  puissance  contenue  des  trombones,  allant  du  pianissimo  le  plus  voilé 
à  de  larges  sonorités  vibrantes  ;  tantôt  leur  timbre  soutient  et  colore  les  hymnes,  aux 
parvis  d'Isis  ;  tantôt,  aux  ultimes  épreuves  que  doit  vaincre  Tamino  accompagné  de 
Pamina,  il  se  prolonge  en  grands  accords,  pleins  d'une  autorité  mystérieuse,  sous  la 
lente  mélopée  de  la  flûte  magique.  Et  c'est  le  tintement  du  glockenspiel,  gai  carillon  de 
cristal,  ayant  lui  aussi  sa  magie.  Et  je  rappellerai,  en  finissant,  le  libre  style  du  discours 
musical  dans  le  dialogue  de  Tamino  et  du  Sprecher,  au  seuil  redoutable  du  sanctuaire... 
Çà  n'empêchera  pas  certains  critiques  de  prétendre  que  les  wagnériens  «  en 
veulent  »  à  Mozart.  Mais  qu'importent  les  critiques  ? 

Henry  GAUTHIER-VILLARS. 


—  52  — 

Sur  les  trente=deux  Sonates  de  Beethoven 


^  propos  des  Cos)certs  Risler 

Suite  (') 


Si  les  derniers  quatuors  de  Beethoven  ont  été  jugés  par  quelques-uns  de  ses  con- 
temporains comme  une  mystification,  on  a  vu,  je  crois,  de  tout  temps,  dans  les 
Sonates  de  la  «  troisième  manière  »  une  énigme  dont  le  secret  devait  nous  demeurer 
impénétrable.  Elles  apparaissent  à  l'heure  où  Beethoven  est  emprisonné  sans  rémis- 
sion au  fond  de  cette  surdité  qu'un  fanatisme  cruel  a  dite  bienheureuse  ;  mais,  au 
rebours  de  quelque  conquérant  déchu,  il  ne  sera  jamais  plus  grand  et  plus  libre  que 
dans  la  captivité.  Inaccessible  désormais  à  toute  chose  artificielle  ou  éphémère  et  sur- 
tout au  commerce  des  hommes,  que  les  cahiers'de  conversation  transforment  pour  lui 
en  une  humiliation^  et  en  une  souffrance,  livré  perpétuellement  au  tumultueux  assaut 
de  sa  pensée,  il  ne  se  mêle  plus,  il  se  brise  contre  les  âmes  les  plus  proches,  il  est  à 
lui-même  son  propre  confident,  son  univers,  il  s'élance  désespérément  vers  la  vérité 
lointaine,  peut-être  vers  la  chimère  et  il  se  manifeste  uniquement  et  tout  entier  dans 
une  musique  prodigieuse  qui  est  à  la  fois  le  rêve,  le  verbe  et  l'action.  N'a-t-il  pas 
écrit,  au  cours  d'une  de  ces  lettres  dont  la  lecture  est  si  périlleuse  pour  quiconque 
reste  rebelle  à  l'émotion  musicale,  que  les  notes  ont,  à  ses  yeux,  une  signification  plus 
précise  que  les  mots  et  que  par  elles  il  exprime  tout  ? 

Sans  doute  nous  sommes  encore  inaptes  aujourd'hui  à  traduire  littéralement  ces 
pages  redoutables  ;  du  moins  essayons-nous  d'en  scruter  le  sens.  Où  la  parole  finit, 
dit-on  quelquefois,  la  musique  commence.  Or  il  semble  ici  que  ce  soit  la  musique 
elle-même  qui  finisse.  Peut-être  faudrait-il  les  lire  plutôt  que  de  les  écouter,  tant  il  est 
à  craindre  que  toute  exécution  ne  les  trahisse  ;  car  jamais  la  pensée  et  l'expression  ne 
se  livrèrent  un  combat  aussi  rude.  Déjà  depuis  longtemps  le  Scher:(o  a  cessé  d'être  un 
motif  ornemental  pour  devenir  l'un  des  éléments  les  plus  passionnés  du  drame,  tels  le 
Schei-j^o  en  fa  mineur  de  l'œuvre  X  n°  2,  le  Scber:(o  en  mi  mineur  de  l'œuvre  XIV  n  "i , 
le  Scher:(o  en  mi  bémol,  à  deux  temps,  de  l'œuvre  XXXI  n°  3.  De  la  Sonate  on  ne  re- 
trouve plus  guère  que  le  nom  ;  presque  rien  ne  demeure  de  ce  moule  où  la  matière  de 
la  psychologie  musicale  se  coulait  avec  une  séduisante  variété  et  une  harmonieuse  ai- 
sance. Les  plans,  les  développements,  les  modulations  semblent  moins  obéir  à  des 
lois  inconnues  et  éternelles  pourtant  qu'à  la  plus  fantasque  des  tyrannies.  Les  divi- 
sions s'effacent,  les  mouvements  s'entrechoquent,  les  idées  s'étreignent  et  se  terras- 
sent dans  ces  tÂdagios,  dans  ces  Allégros  entrecoupés  et  comme  inachevés,  dans  les 
récitatifs  hallucinants  de  la  Sonate  o^.  110  par  exemple,  ou  bien  elles  s'élargissent  jus- 
qu'à l'infini  comme  dans  la  colossale  Sonate  op.  106  dont  V Adagio  défie  toute  mu- 
sique. 

Et  l'on  ne  s'étonne  plus  qu'au  terme  de  cette  évolution  Beethoven  soit  ramené 
fatalement  à  des  formes  scholastiques  telles  que  la  Variation  et  la  Fugue  qui,  si  l'on 
excepte  les  variations  de  la  Sonate  en  la  bémol  op.  26,  VAndante  en  ut  de  l'œuvre  XIV 
n°  2  et  le  Presto  fugué  de  l'œuvre  X  n°  2,  tiennent  si  peu  de  place  dans  ce  cycle  et 
dont  il   semble  au   contraire  que  son  libre  génie  eût  dû  secouer  le  joug  avec  plus 


(i)  Voir  les  numéros  des  i"  et  15  mai  1905. 


—  53  — 

d'emportement  que  jamais.  Ajoutons  qu'il  les  bouleverse  de  fond  en  comble.  Il  ne  faut 
en  effet  chercher  dans  les  trois  grandes  fugues  des  Sonates  ici,  io6  et  i  lo  nulle  trace 
des  chères  réminiscences  que  les  impressions  reçues  tout  le  long  d'une  jeunesse  ar- 
dente et  studieuse  font  éclore  à  l'âge  mûr  et,  par  dessus  tout,  il  faut  reconnaître  dans 
ce  retour  moins  l'effet  d'un  choix  volontaire  que  celui  d'une  obscure  détermination. 
Car  l'idée,  l'idée  obsédante  qui  fut  chez  Beethoven  assez  forte  et  assez  tenace  pour 
consommer  la  ruine  de  la  Sonate  traditionnelle,  cette  idée  tend  à  l'absolu  et,  pour 
ainsi  parler,  elle  y  atteint  en  restaurant  violemment  le  principe  monarchique  de  la 
fugue  où  elle  envahit  tout,  où  elle  est  partout  réellement  et  manifestement  présente, 
où  elle  se  multiplie  par  la  magie  des  renversements,  des  marches  rétrogrades,  par  le 
redoublement  simultané  sous  deux  formes  contraires  d'un  même  thème,  par  l'absorp- 
tion d'éléments  épisodiques  dénués  en  apparence  de  toute  affmité  avec  elle  et  qu'elle 
s'amalgame,  par  tout  ce  qu'il  y  a  d'impératif  encore  dans  ce  style  figuré,  tardivement 
et  victorieusement  ressuscité,  dans  l'entêtement  des  imitations  et  dans  la  rigueur  des 
développements  canoniques.  Et  elle  est  aussi  partout  dans  la  Variation,  dont  la  fugue 
représente  peut-être  le  type  essentiel,  et  bien  qu'elle  reste  parfois  invisible  on  la  sent 
imminente,  toute  l'atmosphère  sonore  émane  d'elle,  la  répercute  et  l'amplifie,  parmi  le 
frémissement  impatient  des  trilles  et  la  puUulation  de  ces  myriades  de  notes,  dans  le 
chaos  d'un  ébranlement  universel. 

Il  semble  que  l'arietta  de  la  Sonate  ///,  l'une  des  plus  formidables  créations  de  la 
variation  beethovenienne,  épuise  toute  l'énergie  du  rythme  comme  la  fugue  de  la 
Sonate  io6  entraîne  le  piano  à  un  trépas  héroïque.  On  dit  souvent,  à  la  manière  des 
augures,  que  Beethoven  ne  sait  pas  écrire  pour  le  piano.  En  réalité  ce  n'est  point  là 
un  souci  qui  le  préoccupe.  Nulle  influence  extérieure,  consciente  ou  secrète,  ne  peut 
agir  sur  le  développement  de  sa  pensée  ou  de  son  style  ;  il  ne  faut  pas  espérer  qu'il 
cède  ;  il  ne  s'adapte  pas,  il  transforme  et  le  piano  est  fait  orchestre.  Il  procède  exacte- 
ment à  l'inverse  de  Liszt  ou  de  Chopin  et  sa  violence  téméraire  a  la  même  efficacité 
que  leur  ingénieuse  souplesse.  Rappellerai-je  les  conquêtes  sonores  de  la  Sonate  en  ut 
dièze  mineur  et  de  la  Sonate  en  fa  mineur  (appassionata),  ce  pressentiment  merveil- 
leux des  timbres  que  le  piano  recèle,  ce  don  de  prolonger  l'accord,  de  créer,  je  le  ré- 
pète, une  atmosphère  de  vibrations  et  d'emplir  les  silences  même  de  musique  ?  Faut- 
il  insister  sur  tout  ce  qu'il  y  a  de  nouveau,  de  pianistique  et  d'orchestral  à  la  fois  dans 
ces  éboulis  d'arpèges  où  risque  de  s'écrouler  le  final  de  la  Sonate  en  ut  dièze  mineur, 
dans  la  disposition  de  ces  chants  de  basse  dont  l'Adagio  de  la  Sonate  io6  offre  un  des 
exemples  les  plus  caractéristiques,  dans  l'extraordinaire  vibrato  de  ces  notes  syncopées 
que  l'Adagio  de  la  Sonate  i  lo  nous  révèle  ? 

On  chercherait  inutilement  dans  la  série  des  Sonates  la  trace  de  quelque  com- 
plaisance pour  la  virtuosité  vaine.  Là  encore  la  pensée  se  refuse  à  toute  concession  et, 
au  fur  et  à  mesure  que  l'on  avance,  les  vestiges  de  ces  formules  techniques  dont  les 
premières  œuvres  ne  pouvaient  pas  être  exemptes,  disparaissent.  Ces  gammes  per- 
forantes, ces  octaves  et  arpèges  brisés,  ces  accords  ambitieux  et  volontaires  ont  un 
sens  expressif.  Bientôt  la  rectitude  du  trait  classique  va  fléchir  et,  après  avoir  retrouvé 
dans  ce  même  final  en  ut  dièze  mineur,  et  coloré  de  la  même  tonalité,  la  gamme 
rompue  haletante  et  douloureuse  de  V Impromptu  Posthume  de  Chopin,  on  ne  sera  pas 
surpris  de  s'accrocher  dans  l'allégro  initial  de  l'œuvre  io6,  alors  que  la  septième  di- 
minuée semble  avoir  perdu  le  monopole  de  l'expression  pathétique,  à  un  arpège  des- 
cendant hérissé  d'appogiatures,  dont  le  chromatisme  trébuchant  revivra  quelque  jour 
dans  Tristan  ou  dans  Parsifal. 

Beethoven,  nous  raconte  l'histoire,  jouait  du  piano  «  très  vite  et  avec  une  grande 
force  ».  Son  exécution  était  «  précise,  solide  et  dure  »,  mais  il  ne  recherchait  que  l'ex- 


—  54  — 

pression  et  était  indulgent  aux  défaillances  du  mécanisme.  J'ajoute  qu'il  n'interprétait 
jamais  deux  fois  de  suite  la  même  œuvre  de  la  même  manière.  M.  Risler  sait  tout  cela 
et  mille  autres  choses  encore.  Depuis  plusieurs  années,  sans  négliger  aucun  des  chefs- 
d'œuvre  modernes,  il  s'est  voué  à  la  propagation  de  la  foi  beethovénienne  qui  lui  est 
précieuse  entre  toutes  et  spécialement  à  la  divulgation  des  dernières  sonates.  Il  s'est 
longuement  et  intimement  pénétré  de  cette  pensée  et  l'a  faite  sienne  avec  la  sûreté 
d'une  intelligence  éclairée  et  guidée  par  l'amour.  Tout  ce  qui  était  prémédité,  réflé- 
chi, volontaire,  est  devenu  spontané,  naturel  et  comme  inné,  et  lorsqu'il  s'abandonne 
à  l'inspiration  du  dieu,  l'incohérence  et  l'erreur  sont  absentes  de  son  délire.  Ainsi 
que  je  l'écrivais,  il  y  a  déjà  plusieurs  années,  il  réalise  cette  union  mystérieuse  de 
l'âme  et  du  corps  où  celle-ci  plane,  domine,  asservit  l'autre,  où,  par  je  ne  sais  quelle 
voie  secrète,  elle  lui  donne  le  pouvoir  d'éveiller  au  fond  du  piano  les  voix  de  l'orchestre, 
d'évoquer  à  l'aide  d'un  artifice  inconscient  tout  un  monde  de  sensations  et  de  senti- 
ments, de  même  que  les  inflexions  de  la  voix  rendent  sans  études,  les  nuances  de  la 
pensée.  Il  a  traduit  avec  rudesse,  parfois  avec  une  certaine  brutalité,  comme  il  fallait, 
les  révoltes  de  ce  cœur  perpétuellement  inquiet  et  bouleversé,  qu'on  ne  connut  ja- 
mais sans  une  passion  portée  au  paroxysme  et  dont  M.  Romain  Rolland  a  dit  «  qu'il 
s'éprenait  furieusement,  rêvait  de  bonheurs  aussitôt  déçus  et  suivis  de  souffrances 
amères  ».  M.  Risler  est  allé  chercher  là,  lui  aussi,  «  la  source  de  ses  inspirations  ».  Il 
a  conçu  les  sonates  de  Beethoven  non  pas  comme  une  peinture  ou  un  commentaire, 
mais  comme  un  drame  ;  il  s'est  efforcé  de  faire  surgir  de  cette  musique  tout  ce  que 
Beethoven  y  a  mis,  ainsi  qu'on  le  sent  et  qu'il  l'a  dit,  la  parole  et  le  geste,  la  vie  qui 
se  joue  dans  l'explosion  magnifique  d'un  Allegro,  dans  l'éternelle  lamentation  d'un 
Largo  ou  même  parmi  les  menuets,  dans  le  chuchotement  étouffé  des  basses  confi- 
dentielles. Et  c'est,  en  écrivant  ces  lignes,  au  Minuettode  la  Sonate  en  fa  dédiée  à 
Haydn  que  je  pense,  alors  que,  dès  le  premier  soir,  M.  Risler  nous  prit  tour  à  tour 
par  la  profondeur,  la  puissance  ou  la  subtilité  délicate  de  son  interprétation.  Ce  Mi- 
nuetto  qu'on  dédaignerait  presque,  et  dont  il  fit  le  plus  délicieusement  tendre  et  en- 
joué des  dialogues,  lui  valut,  avec  l'Adagio  en  mi  m'ajeur  de  la  sonate  en  ut,  dédiée 
aussi  à  Haydn,  une  quasi  ovation.  Et  après  la  désillusion  que  ne  m'épargna  guère  l'un 
des  plus  illustres  de  nos  musiciens  —  je  ne  dis  pas  seulement  de  nos  pianistes  —  j'ai 
eu  la  joie  d'entendre  enfin  jouer  comme  je  le  rêvais,  sans  heurt,  sans  fièvre,  avec  une 
résignation  infinie,  l'Adagio  en  ut  dièze  mineur,  plainte  lente  et  si  lourde  d'une  im- 
mense lassitude.  Je  ne  parlerai  pas  des  auditions  inoubliables  de  la  Sonate  avec  varia- 
tions en  la  bémol  et  de  ce  final,  auquel  M.  Risler  garda,  avec  une  extraordinaire  maî- 
trise du  rythme  et  de  la  sonorité,  avec  un  art  incomparable  de  dégrader  et  de  décolo- 
rer les  timbres,  sa  grâce  exquise,  vaporeuse  et  comme  lointaine  ;  auditions  inoublia- 
bles, dis-je,  celles  des  Sonates  en  ré  majeur  (Pastorale),  en  ré  mineur  op.  31,  en  ut 
majeur  (Aurore),  en  fa  mineur  (Appassionata),  en  mi  bémol  (les  Adieux),  étapes  glo- 
rieuses de  la  route  triomphale  qui  mène  aux  cinq  dernières  sonates. 

Ce  n'est  pas,  à  mon  sens,  une  étrange  façon  d'exalter  M.  Risler  que  de  dire  com- 
ment il  put  nous  convaincre  qu'ici  les  œuvres  dépassent  l'instrument.  On  a  trop  sou- 
vent parlé  de  la  magnificence  de  son  exécution  dans  les  Sonates  106,  uo  et  1 1 1 ,  pour 
que  je  m'attarde  à  des  louanges  superflues  et  vagues.  D'ailleurs  le  prétexte  ne  me  man- 
quera pas  pour  y  revenir.  Je  ne  lui  ferai  pas  non  plus  l'injure  de  vanter  l'habileté  et 
la  perfection  de  sa  virtuosité,  j'aime  mieux  dire  avec  quelle  pudeur  elle  s'elfaça. 
J'aime  mieux  dire  aussi  avec  quelle  simplicité,  avec  quelle  sincérité,  avec  quel  re- 
cueillement M.  Risler  servit  le  maître,  comme  il  se  refusa,  redoutant  les  applaudisse- 
ments qui  brisent  l'idée  ou  rompent  le  charme  aux  bis  les  plus  tentateurs,  comment 
enfin  dans  l'œuvre  90  il  coupa  court  à  une  manifestation  naissante  en  enchaînant  les 


^  55  — 

deux  mouvements,  par  pur  souci  d'une  plus  grande  vérité  psychologique  et  d'une 
opposition  plus  saisissante.  Un  seul  mot  caractérisera  ces  séances:  elles  furent  une 
révélation.  Tout  ce  que  notre  délection  avait  découvert  ou  deviné  était  peu  de  chose 
auprès  de  ce  que  M.  Risler  nous  apporta,  auprès  de  ce  qu'il  sut  faire  sourdre  et  jaillir 
non  seulement  des  Sonates  favorites,  pour  ainsi  dire,  mais  encore  de  celles  qu'on 
feuillette  avec  une  moindre  assiduité.  Et  si  la  reconnaissance  d'une  foule  qui  lui  doit 
les  meilleures  et  les  plus  salutaires  de  ses  émotions,  quelques  heures  d'oubli,  de  rêves 
chimériques  et  de  surnaturelle  confiance,  est  comme  je  le  crois,  toute  son  ambition, 
il  sera  certes  justement  et  exactement  payé  de  son  labeur,  labeur  colossal,  labeur  tita- 
nique  ainsi  qu'on  se  plaisait  à  le  répéter,  s'il  est  vrai  qu'il  faille  posséder  la  force  éter- 
nelle et  paisible  d'un  Atlas,  pour  soutenir  l'œuvre  accablant  de  celui  dont  Wagner  a  dit 
qu'il  fut  «  un  monde  marchant  dans  un  homme  ». 

Paul  LOCARD. 

Errata.  —  Je  prie  qu'on  veuille  bien  lire  dans  mon  précédent  article  «  court  et 
tragique  »  au  lieu  de  «  correct  et  tragique  ».  On  lira  également  dans  la  notice  biblio- 
graphique que  j'ai  consacrée  au  Palestrina  de  M.  Michel  Brenet  dans  le  numéro  du  i^"" 
janvier  :  «  erreur  commune  »  et  non  «  erreur  comme  ». 

P.  L. 

Nous  reprendrons  dans  notre  prochain  numéro  la puMication 
des  Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu  et  de  /'Ecole  des  Ama> 
teurS;  de  Jean  d'Udine. 


A  L'OPÉRA-COMIQUE 


Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean 
La  Coupe  enchantée 


J'arrive  un  peu  tard  pour  parler  des  Pécheurs  de  Saint-Jean  que  l'Opéra-Comique 
laissa  si  longtemps  mariner  dans  ses  cartons.  Voici  des  années  que  le  programme  les 
annonce  au  commencement  de  chaque  saison,  et  je  ne  pense  pas  qu'ils  aient  gagné  à 
mûrir  ainsi  sur  les  rayons  des  placards  de  la  direction.  A  quelque  époque  qu'on  se  fût 
décidé  à  les  produire  au  grand  jour  de  la  rampe,  ils  seraient  toujours  venus  trop  tard 
ou  trop  tôt.  Le  drame  en  aurait  toujours  semblé  quelconque,  et  la  musique  indiffé- 
rente. Le  poème,  si  poème  il  y  a,  est  un  de  ces  faits  divers  dont  M.  Henri  Gain, 
librettiste  express,  s'est  fait  une  facile  spécialité.  Il  doit  puiser  ses  inspirations  dans 
les  colonnes  de  quelque  Petit  Journal.  11  y  ajoute  sous  prétexte  de  couleur  locale,  les 
circonstances  possibles  et  prévues  au  milieu  desquelles  peut  se  mouvoir  l'action,  dans 
l'espèce  il  nous  offre  un  baptême  de  bateau,  des  processions,  des  danses  de  sardi- 
nières, des  scènes  de  cabaret,  une  veillée  de  Noël  avec  toutes  les  lanternes  nécessaires. 
Sous  prétexte  de  vérité  il  met  dans  la  bouche  des  personnages  un  langage  qui  n'a 
d'exact  que  sa  platitude.  Et  le  tour  est  joué.  Il  passe  la  main  au  musicien  qui  s'en  tire 
comme  il  peut. 

Le  drame  de  M.  Gain  n'est  pas  autre  chose  qu'une  histoire  de  sauvetage  qui  mé- 


-co- 
nterait un  prix  de  l'Académie,  si  le  liéros  n'était  déjà  récompensé  par  la  reconnais- 
sance un  peu  forcée  de  celui  qu'il  arracha  au  naufrage.  Il  se  voit  accorder  la  fille  qu'on 
lui  refusait  parce  qu'il  était  pauvre.  La  chose  est  édifiante,  et  la  vie  nous  fournit  rare- 
ment d'aussi  beaux  exemples,  mais  de  là  à  servir  de  matière  à  un  opéra  en  quatre 
actes,  il  y  a  peut-être  un  peu  d'excès  d'admiration.  Sans  les  trop  longs  détails  qui 
remplissent  l'œuvre  et  dont  j'ai  déjà  énuméré  les  principaux,  un  seul  acte  aurait  suffi 
pour  développer  la  psychologie  des  [personnages  à  la  manière  dont  M.  Gain  la  com- 
prend. 

La  partition  de  M.  Charles  Widor  vaut  mieux  que  le  poème,  car  elle  témoigne 
d'un  effort  de  travail  dont  celui-ci  paraît  exempt.  On  y  trouve  beaucoup  de  musique  : 
chansons,  marches,  danses,  cantiques,  prières,  hymnes  liturgiques,  romances,  duos, 
scènes  lyriques,  symphonies  maritimes  et  abondante  ouverture  quelque  peu  bruyante. 
Mais  l'inspiration  de  M.  Ch.  Widor,  dans  ses  différents  avatars,  manifeste  si  peu  de 
personnalité,  qu'en  maints  endroits  on  peut  l'apparenter  à  des  pages  définitives  de 
maîtres  précédents  qu'il  n'y  avait  pour  lui  nul  avantage  à  rappeler  d'aussi  évidente 
façon.  On  a  prétendu  que  c'était  de  la  musique  d'organiste.  Bach,  César  Franck, 
Fauré  et  combien  d'autres  sont  là  pour  protester  contre  un  pareil  jugement  qui  les  at- 
teindrait s'ils  ne  planaient  pas  au-dessus  de  toute  étroite  classification.  C'est  plutôt  de 
la  musique  d'excellent  professeur.  Toutes  les  bonnes  recettes  y  sont  employées  qu'il 
enseigne  utilement  aux  autres.  Il  n'y  manque  que  le  génie  particulier  qui  permet  de 
différencier  la  personnalité  de  celui-ci  de  la  personnalité  de  celui-là.  On  n'y  saurait 
rien  reprendre,  mais  on  n'en  désire  rien  garder.  Et  de  toute  cette  partition  qui  se  ré- 
veille de  sa  somnolence  pour  mener  un  inutile  vacarme  pouvant  parfois  donner  l'illu- 
sion de  la  force,  il  se  dégage  une  impression  d'ennui.  En  beaucoup  d'autres  œuvres 
M.  Ch.  Widor  fut  plus  heureux.  Le  théâtre  n'est  vraiment  pas  son  genre. 

Mlle  Friche  à  la  belle  voix  sonore,  M.  Salignac,  meilleur  comédien  que  chanteur, 
M.  Vieuille  artiste  consciencieux  ont  défendu  vaillamment  ce  drame  lyrique  pour  le- 
quel la  direction  a  planté  un  unique  décor  maritime,  plus  réussi  dans  l'obscurité  de  la 
tempête  que  sous  la  lumière  du  jour.  Je  dois  louer  les  heureux  groupements  de  la 
mise  en  scène  où  se  sentait  la  main  habile  de  M.  Albert  Carré  et  les  vagues  furieuses 
dont  l'écume  s'envole  par  dessus  le  mur  du  môle. 

Avant  le  plat  de  résistance  des  Pêcheurs  de  Saint-Jean,  M.  Gabriel  Pierné  nous 
avait  présenté  un  délicat  hors-d'œuvre  dont  La  Fontaine,  arrangé  par  M.  Matrat,  lui 
avait  fourni  les  éléments.  M.  Gabriel  Pierné  comprendra  qu'à  son  opéra-comique  je 
préfère  beaucoup  d'autres  œuvres  dues  à  sa  plume  savante,  telle  la  Croisade  des  enfants, 
pour  n'en  citer  qu'une.  Mais  il  faut  voir  l'intention  du  musicien,  lorsqu'il  écrivit,  il  y 
a  longtemps  déjà,  cette  œuvre  presque  de  jeunesse,  ceci  n'est  pas  un  reproche,  et  je 
suis  heureux  de  reconnaître  qu'il  a  atteint  avec  talent  le  but  qu'il  poursuivait,  et  qui 
était  d'illustrer  de  musique,  par  des  moyens  légers  et  spirituels,  l'amusante  aventure  de 
notre  grand  conteur,  La  Coupe  enchantée  pourra,  avec  avantage  pour  nous,  remplacer 
certains  opéras-comiques  en  un  acte  qu'on  a  peut-être  trop  entendus.  C'est  une  jolie 
chose  où  le  postiche  sait  discrètement  emprunter  ce  qui  convient  au  sujet  et  où  l'inspi- 
ration subtile  du  maître  montre  le  bout  de  son  nez  malin  aux  bons  endroits.  On  a  pris 
plaisir  à  la  comédie  dont  les  pauvres  maris  font  les  frais,  et  l'on  a  beaucoup  goûté  la 
musique  qui  souligne  finement  des  couplets  qui  ne  sont  pas  hélas  de  La  Fontaine. 
Par  la  voix  de  ses  interprètes,  Mmes  Fairy,  A.  Launay  et  Dangès,  MM.  AUard,  Caze- 
neuve,  Delvoye,  Mesmacker  et  Gourdon,  M.  Gabriel  Pierné  a  gagné  sa  cause.  A  ren- 
contre des  maris  trop  curieux,  le  public  fut  enchanté  de  la  Coupe. 

Victor  DEBAY. 


—  51  — 

P. -S.  —  Je  reviens  de  la  Ronde  des  saisons.  Une  seconde  audition  de  la  partition 
de  M.  Henri  Busser  a  confirmé  l'impression  que  j'en  avais  tout  d'abord  rapportée.  Sans 
présenter  des  motifs  bien  caractéristiques  le  premier  acte  plaît  par  son  mouvement  et 
par  son  entrain.  Certaines  variations  du  thème  populaire  y  sont  gracieuses. Mais  la  ré- 
pétition trop  fréquente  au  cours  de  l'œuvre  de  ces  motifs  finit  par  gâter  le  plaisir  qu'on 
y  prenait.  Au  tableau  des  saisons  le  renouvellement  de  la  même  situation  n'a  pas 
permis  au  compositeur  de  ranimer  un  intérêt  qui  languit.  Peut-être  M.  Busser  a-t-il 
été  gêné  par  le  scénario  et  par  les  exigences  tyranniques  d'un  art  ou  plutôt  d'un  mé- 
tier où  le  maîtreà  danser  commande  au  maître  de  musique. Dans  les  quelques  pages  de 
pantomime,  l'acte  de  la  sorcière,  où  sa  lyre  ne  fut  pas  obligée  de  suivre  servilement 
les  pas  qu'elle  aurait  dû  conduire,  M.  Busser  a  montré  qu'on  pouvait  mieux  attendre 
de  lui.  Son  orchestre  prit  alors  plus  d'éclat,  de  couleur  et  d'originalité.  Avec  cette 
courte  partition  M.  Henri  Busser  a  témoigné  qu'il  était  habile  à  faire  danser,  nous 
espérons  une  prochaine  occasion  où  il  lui  sera  loisible  de  prouver  à  notre  émotion  qu'il 
sait  aussi  faire  chanter  le  sentiment  et  la  passion. 

V.  D. 


LES  Giîaiîfts  eoncEiîîrs 


Concerts  Colonne  et  Lamoureux 

Remontons  d'abord  à  l'année  dernière.  La  veille  de  Noël  tandis  que  M.  Chevillard 
donnait,  avec  son  habileté  coutumière,  un  festival  Wagner,  où  M.  Van  Dyck  triom- 
pha, m'a-t-on  dit,  parla  maîtrise  de  son  style  et  sa  grande  autorité,  l'association  des 
Concerts-Colonne  nous  gratifiait  d'une  séance  «  spirituelle  »  composée  d'un  certain 
nombre  de  fragments  religieux  ayant  plus  ou  moins  de  rapports  avec  l'évangile  du 
lendemain  :  le  morceau  symphonique  de  Rédemption,  la  nuit  de  Noël,  première  partie 
du  Christus  de  Liszt,  page  sans  grand  intérêt,  où  les  hautbois  pastoraux  jouent  leur 
rôle  traditionnel,  l'admirable  Aria  de  la  Suite  en  ré  de  Bach,  la  deuxième  partie  de  l'En- 
fance du  Christ  de  Berlioz,  et  enfin  le  trio  «  tecum  principium  »  de  l'Oratorio  de  Noël 
de  Saint-Saëns.  Le  programme  nous  servait  sur  cette  page  un  commentaire,  que  lui 
consacre,  dans  un  récent  livre,  certain  admirateur  quelque  peu  forcené.  Je  m'en  vou- 
drais de  priver  mes  lecteurs  des  lignes  suivantes  qui  terminent  ce  savoureux  mor- 
ceau :  «  ...Les  trois  voix  entremêlent  leur  hymne  ;  en  s'unissant,  elles  dépassent  leur 
première  ardeur  ;  elles  se  suspendent  dans  une  psalmodie,  tandis  que  la  harpe  décrit 
la  parabole  d'une  gamme  vertigineuse.  Par  une  modulation  en  majeur,  la  splendeur 
s'épure,  l'extase  plonge  plus  avant  dans  la  source  de  son  rayonnement  et  s'y  perd 
enfin,  balbutiante,  au  fond  d'un  suprême  pianissimo.  »  C'est  beau  la  littérature  !... 
Je  regrette,  je  l'avoue,  de  n'être  plus  d'humeur  à  en  faire,  non  point  pour  célébrer  ce 
trio,  tout  de  facture  et  de  style  conventionnel,  mais  pour  parler  du  superbe  Requiem 
de  M.  Fauré,  avec  le  lyrisme  dont  mon  cœur  débordait  à  son  audition.  Mais  des  phrases 
seraient  fort  déplacées  quand  il  s'agit  de  célébrer  une  œuvre  si  noble  dans  sa  grâce, 
d'un  charme  si  austère  et  si  religieux.  Je  ne  voudrais  pas  avoir  l'air  de  découvrir  un 
chef-d'œuvre  connu  depuis  fort  longtemps,  que  j'entendais,  il  est  vrai  pour  la  première 
fois,  avec  une  émotion  qui  fut  très  vive  et  très  profonde.  Mais  pour  venir  un  peu  tar- 
divement déposer  ma  palme  au  pied  de  ce  magnifique  ouvrage,  je  n'en  ai  pas  moins 
le  droit,  ce  me  semble,  d'exprimer  quelque  étonnement  sur  les  éloges  qu'on  lui 
dresse  d'ordinaire.  On  parle  de  piété  païenne,  d'esprit  antique,   «  d'enterrement  de 


-  58  - 

jeune  duchesse  »,  à  propos  de  cette  musique  si  grave,  qui  pousse  la  pudeur  et  la  ré- 
serve jusqu'à  se  priver  du  concours  des  violons  pendant  l'Introït,  le  Kj>rie  et  l'Offertoire, 
Je  me  demande  si  ce  n'est  point  là  quelque  cliché  assez  étourdiment  reçu  et  transmis 
par  la  critique.  Sous  prétexte  que  M.  Fauré  a  été  le  premier  et  délicieux  chantre  des 
nuances  verlainiennes  et  le  véritable  instaurateur  des  subtilités  debussystes,  on  en 
conclut  que  sa  musique  religieuse  doit  forcément  refléter  les  côtés  un  peu  trop  profanes 
de  sa  délicieuse  nature  et  l'on  tient  pour  obligatoire  de  respirer  des  senteurs  de  vio- 
lettes et  de  pétales  de  roses  dans  une  musique  d'où  s'exhalent  bien  plutôt  les  mysti- 
ques parfums  de  l'encens...  L'esprit  religieux  chrétien  diffère-t-il  essentiellement  d'ail- 
leurs de  l'esprit  religieux  païen  ? 

J'en  doute  et  je  ne  crois  pas  que  la  musique  soit  un  langage  assez  concret  pour 
trouver  des  formes  très  différentes,  qu'il  s'agisse  de  chanter  sur  le  parvis  du  temple 
d'Apollon,  ou  sous  les  voûtes  d'une  cathédrale.  Je  ne  me  pique  pas  d'érudition.  Je  me 
suis  pourtant  laissé  dire  que  certains  chants  chrétiens,  celui  du  Parce  Domine  !  par 
exemple,  nous  viennent  en  droite  ligne  de  certains  hymnes  grecs  et  je  me  souviens 
d'avoir  entendu  naguère,  dans  une  église  de  province,  un  motet  d'une  grâce  tellement 
inquiétante,  presque  massenetiste,  que  je  fus,  à  l'issue  de  la  messe,  demander  au  jeune 
prêtre,  fort  pieux  et  fort  bon  musicien,  qui  dirigeait  les  chœurs,  où  il  avait  pris  une 
telle  mélodie.  Je  n'oublierai  jamais  l'accent  de  foi  profonde  avec  lequel  il  me  répondit: 
«  Mais,  mon  ami,  c'est  un  motet  grégorien.  Sa  tendresse  et  sa  douceur  vous  éton- 
nent. Vous  oubliez  que  l'église  catholique  n'est  point  l'ennemie  des  sentiments  les  plus 
affectueux  et  les  plus  délicats.  Elle  soupire  avec  amour  vers  le  bon  Dieu  !  »  et,  dans 
sourire  exquis,  il  ajouta  :  «  Nous  ne  sommes  point  des  protestants  !  »  Le  Requiem  de 
M.  Fauré  est  catholique  et  je  trouve  même  que  par  son  style,  par  le  caractère  de  ses 
mélodies,  par  son  recueillement,  il  cadre  à  merveille  avec  le  texte  lithurgique  qu'il 
commente,  où  les  terreurs  de  l'au-delà  se  mitigent  par  l'espérance  triste,  mais  douce 
et  calme,  d'une  miséricorde  infinie.  Dans  une  religion  où  l'Agneau  est  le  symbole  de  la 
divinité  en  son  plus  profond,  en  son  plus  touchant  mystère,  on  a  le  droit  d'être  idyl- 
lique et  pastoral  sans  friser  l'hérésie,  et  cet  Agneau,  M.  Fauré  l'a  imploré  dans  la  page 
la  plus  belle  peut-être  de  sa  partition,  au  son  de  cors  terriblement  forts  et  mâles.  11  a 
chanté  le  Libéra  avec  des  accents  superbes,  une  progression  d'effets  qui  exprime  ad- 
mirablement le  cri  de  détresse  de  l'humilité  chrétienne,  Un  rythme  robuste  et  soutenu 
accompagne  la  déclamation  du  Dies  irce  et  devant  toutes  ces  qualités  qui  requièrent  des 
épithètes  vigoureuses,  je  ne  songe  guère  au  jeune  Adonis,  ni  à  l'enfant  Atys  ;  et  je  ne 
vois  point  que  l'orthodoxie  la  plus  scrupuleuse  doive  s'alarmer  des  délicates  réponses 
de  l'orchestre  aux  «  donaeis  requiem  »  de  la  soprano,  réponses  mystiques  et  moyen- 
nâgeuses  à  la  manière  des  balbutiantes  harmonies  de  Pelléas,  et  tenant  par  ce  côté 
archaïque  à  l'essence  même  du  catholicisme. 

Sans  discuter  plus  avant  ce  problème,  qui  nécessiterait  une  incursion  dans  un 
autre  domaine  que  celui  de  l'art,  on  peut  dire  qu'aucune  œuvre  française  n'est  plus 
pleinement,  plus  élégamment  ni  plus  solennellement  musicale  que  celle-ci.  Il  faut 
remercier  grandement  M.  Colonne  de  nous  l'avoir  donnée  avec  ardeur,  avec  soin,  avec 
conviction,  ...mais  aussi,  hélas  !  avec  ces  chœurs  insuffisants  auxquels  nous  sommes 
condamnés  à  Paris,  dans  tous  les  théâtres,  toutes  les  églises  et  tous  les  concerts... 
Souhaitons  du  moins  que  la  Messe  de  M.  Fauré  s'inscrive  définitivement  aux  pro- 
grammes de  nos  grandes  sociétés  symphoniques.  Il  serait  bon  de  l'entendre  plus  sou- 
vent, et,  à  l'heure  où  certains  musicographes  prétendent  —  bien  à  tort  —  faire  de  son 
auteur  une  sorte  de  porte-drapgau  du  décadentisme,  de  rappeler  ce  qu'il  y  a,  au  con- 
traire, dans  ce  génie,  de  sincèrement  classique  ;  quelle  force,  quelle  grandeur  et  quelle 
énergie  se  cachent  sous  ses  délicieux  sourires  ! 


—  59  — 

Pour  la  Saint-Sylvestre  on  joua  les  400  coups  du  Diable  au  Châtelet.  Au  Nouveau- 
Théâtre,  entre  une  audition...  redemandée  de  la  Symphonie  de  César  Franck  et  des 
fragments  wagnériens,  où  l'orchestre  fut  admirable  comme  de  coutume,  et  où 
M.  Frœlich  chanta  les  Adieux  de  fVotan  en  grand  artiste,  mais  pas  toujours  très  juste, 
deux  nouveautés  complétèrent  le  programme  :  Une  nuit  sur  le  Mont-Chauve,  fantaisie 
symphonique  de  Moussorgski  et  quatre  Esquisses  de  Schumann,  pour  le  piano  à  pédales, 
orchestrées  par  M.  Chevillard. 

J'ai  parlé  jadis  du  Mont-Chauve,  quand  M.  Winogradski  le  donna  au  Trocadéro, 
pendant  l'Exposition  de  1900.  Cet  ouvrage  qui  rappelle  les  qualités  pittoresques  des 
grands  maîtres  russes,  ne  les  égale  point.  On  n'y  trouve  ni  le  coloris  chatoyant  de 
Shéhérazade,  ni  la  profonde  désespérance  à'Antar,  ni  la  puissance  classique  des 
admirablessymphonies  de  Borodine.  Elle  est  fort  amusante  cependant  et  se  rattache  au 
genre  de  poèmes  symphoniques  tels  que  la  Danse  Macabre  de  Saint-Saëns  ou  que 
y  Apprenti  sorcier  de  M.  Dukas,  sans  être  solidement  construite  comme  la  première, 
ni  hautement^comique  ainsi  que  l'autre. 

hes  Esquisses  àt  Schumann  ont  plu  très  vivement,  grâce  à  l'excellente  instrumen- 
tation dont  les  a  dotées  M.  Chevillard.  Les  deux  dernières  surtout  remportèrent  tous 
les  suffrages,  par  la  délicatesse  élégante  et  nourrie  de  leur  orchestration.  Les  gammes 
légères  de  la  clarinette,  le  babillage  des  bois  mariés  suivant  une  effusion  toute  schu- 
mannienne  aux  caresses  des  cordes  font  de  ces  petits  morceaux  de  charmantes  pages, 
que  leur  premier  auteur  eût  tenues  volontiers  pour  filles  adoptives.  Mais,  en  les  accla- 
mant avec  chaleur,  nous  n'avons  pas  seulement  témoigné  de  notre  satisfaction  artis- 
tique, nous  payâmes  encore  un  tribut  de  reconnaissance  au  parfait  musicien  dont  le 
zèle,  l'activité,  l'ardeur  simple  et  digne,  le  grand  talent  surtout  ménagent  depuis  plus 
de  six  ans,  tant  d'heures  excellentes  à  ses  habitués.  Et  nous  regrettons  seulement 
qu'une  excessive  discrétion  de  sa  part  les  prive  du  plaisir  de  témoigner  plus  souvent 
à  M.  Chevillard,  compositeur,  la  gratitude  ressentie  pour  le  méticuleux  et  brillant 
chef  d'orchestre  des  Concerts  Lamoureux. 

Un  autre  musicien  que  nous  applaudîmes  ces  temps  derniers  avec  bien  de  l'en- 
train, c'est  M.  Gabriel  Pierné.  Contrairement  aux  autres  chefs  d'orchestre,  celui-ci 
abandonne  quelquefois,  —  trop  rarement  à  notre  gré,  —  ses  charmants  travaux  de 
composition,  pour  prendre  la  baguette  que  veut  bien  lui  prêter  M.  Colonne.  Le  7 
janvier,  il  dirigeait  au  Châtelet  la  Damnation  de  Faust.  On  était  curieux  de  voir  com- 
ment il  se  tirerait  d'une  œuvre  que  le  maître  de  la  maison  a  faite  sienne  à  tout  jamais 
en  la  marquant  si  puissamment  de  son  génie  romantique.  C'était  une  dangereuse 
gageure.  S'il  n'a  pas  gagné  la  partie,  JVl.  Pierné  ne  l'a  pas  perdue  davantage,  car  sem- 
blable au  preux  Roland,  dont  M.Anatole  France  nous  conta  jadis  le  «  gab  »  téméraire, 
il  nous  a  si  bien  distraits  par  sa  direction  poétique,  fougueuse  et  tendre  tour  à  tour, 
merveilleusement. musicale  toujours,  que  nous  avons  oublié  de  faire  des  comparaisons, 
en  nous  abandonnant  à  la  parfaite  jouissance  de  l'heure.  Son  succès  a  été  très  vif  et  très 
légitime.  Je  ne  crois  pas  d'ailleurs  que  l'on  puisse  graduer  plus  habilement  la  Marche 
Hongroise,  en  ménager  plus  savamment,  ni  en  mener  avec  plus  de  chaleur  l'explosion 
finale.  On  ne  saurait  donner  une  plus  aérienne  traduction  de  la  Scène  des  Gnomes  et 
des  Sylphes,  ni  mettre  plus  d'emportement  dans  la  Course  à  l'abîme.  Mais  là  où  M. 
Pierné  m'a  semblé  particulièrement  remarquable,  c'est  d'abord  dans  le  duo  et  le  trio 
de  la  troisième  partie,  inférieurs  assurément  au  point  de  vue  musical  au  reste  de 
l'œuvre,  et  qu'il  anima,  l'autre  jour,  d'une  vie  imprévue,  en  leur  imprimant  un  carac- 
tère dramatique  et  franchement  théâtral,  et  c'est  ensuite  dans  le  Chœur  des  Soldats  et 
des  Etudiants  de  la  quatrième  partie,  dont  je  n'avais  jamais  entendu  accentuer  avec- 
une  si  heureuse  audace  le  caractère  volontairement  trivial...  Je  ne  puis  me  lancer   ici 


—  6o  — • 

dans  une  étude  dëtaillée  de  cette  direction.  Cela  m'amuserait  fort,  car  j'ai  remarqué 
bien  des  petites  choses  ;  mais  en  les  exposant  j'aurais  l'air  d'un  vilain  pédagogue  et  je 
passerais  pour  plus  malicieux  que  nature.  Toutefois  je  tiens  à  redire,  comme  Tan  der- 
nier, quel  admirable  tempérament  musical  possède  M.  Pierné.  Avec  quelle  flamme, 
quelle  joie  communicative,  quelle  intuition  et  quel  respect  de  la  pensée  des  maîtres  il 
dirige  leurs  œuvres  et  comme  il  possède  à  un  degré  exceptionnel  le  sens  delà  pesanteur 
rythmique  !  Comme  il  soupèse  avec  sensibilité  ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  les 
temps  forts  et  que  l'on  nommerait  plus  justement  les  temps  lourds  !  C'est  précisément 
le  contraire  de  M.  Mottl,  et  ce  sont  deux  conceptions  de  la  musique  diamétralement 
opposées.  Je  serais  donc  bien  content  si  j'entendais  jamais  M.  Pierné  diriger  Tristan  et 
Yseult  et  le  jour  où  ce  plaisir  me  serait  offert,  je  vous  promets  de  m'engager  brave- 
ment dans  le  sentier  périlleux  des  comparaisons... 

J'ai  tant  bavardé  qu'il  me  reste  à  peine  dix  lignes  pour  noter  qu'à  la  même  heure 
M.  Chevillard  donnait,  lui  aussi,  une  excellente  audition  du  chef-d'œuvre  de  Berlioz. 
Si  j'en  crois  un  rapport  dans  lequel  j'ai  grande  confiance,  les  chanteurs  y  furent  très 
bons  :  M.  LaflTitte,  un  peu  froid  peut-être,  mais  doué  si  merveilleusement  au  point  de 
vue  vocal,  M.  Delmas  excellent...  et  très  convaincu  de  l'être,  bien  qu'assez  mal  à 
l'aise  dans  la  Chanson  de  la  Puce  et  Mme  Gaëtane  Vicq,  un  peu  écrasée  dans  les  en- 
sembles par  ces  chanteurs  de  théâtre,  ;mais  exquise  de]  grâce,  d'émotion  et  de  sim- 
plicité prenante  dans  ses  deux  soli.  On  avait  malheureusement  confié  le  petit  rôle  de 
Brander  à  un  chanteur  insuffisant. 

J'aurais  tort  d'oublier  les  solistes  du  Châtelet  qui,  M.  Daraux  mis  à  part,  furent 
notoirement  au-dessous  de  leur  tâche.  Un  ténor  qui  rate  la  moitié  de  ses  notes  aiguës 
et  une  mezzo  qui  pour  tenter  de  se  faire  entendre  est  contrainte  de  changer  en  o  la 
plupart  des  voyelles,  c'est  tout  de  même  par  trop  piètre  pour  un  tel  cadre  et  pour  une 
telle  œuvre...  Mais  quelle  affreuse  manie  ont  donc  tant  de  cantatrices  de  truquer  ainsi 
toutes  les  syllabes  !  Mlle  Pregi  chante  :  «  Autrefois  un  rat  de  Thaulov^...  »  et  dans  la 
Procession  de  Franck,  Mme  Auguez  nous  qualifie  régulièrement  d'un  superbe  «  Dieu 
s'avance  à  travers  les  chats  !  »  que  je  recommande  à  votre  malveillante  attention. 
Idola  theatri.  Jean  d'UDINE. 

Concerts  du  Conservatoire 

Je  regrette  pour  mes  lecteurs  qu'ils  soient  aujourd'hui  privés  de  lire  la  chronique 
si  avertie  et  si  joliment  rédigée  de  M.  Paul  Locard.  Je  m'en  console  un  peu  en  songeant 
que  l'indisposition  de  notre  ami  n'est  pas  grave.  Et  puis,  j'ai  eu  tant  de  plaisir  à  écou- 
ter, en  son  lieu  et  place,  le  bel  orchestre  de  la  Société  des  Concerts,  à  admirer  l'incom- 
parable direction,  souple,   précise,  lucide,  de  M.  Georges  Marty. 

Vons  pensez  bien  que  l'Ouverture  de  Léonore  (]<l°  i)  a  été  exécutée  de  superbe  ma- 
nière ;  mais  je  voudrais  trouver  d'autres  expressions  pour  caractériser  la  force,  la  vé- 
rité de  l'interprétation  de  M.  Georges  Marty  :  ce  fut  un  moment  d'émotion  intense  que 
nous  dûmes  à  l'orchestre  et  à  son  chef. 

La  3*  symphonie  de  M.  Magnard  fut  aussi  jouée  merveilleusement.  Mais  je  suis 
embarrassé  pour  vous  parler  explicitement  de  l'œuvre,  pour  en  louer  les  grandes 
qualités  et  en  critiquer  les  quelques  défauts  que  j'y  trouve  :  ce  n'est  point  là  l'affaire 
de  l'être  impersonnel  qui  signe  Intérim.  Par  exemple,  je  puis  bien  vous  conter  que 
M.  Albéric  Magnard,  en  qui  tous  ou  à  près  s'accordent  à  reconnaître  un  des  plus  in. 
téressants  musiciens  de  notre  jeune  école,  fut  élève,  il  y  a  longtemps,  de  M.  Théodore 
Dubois.  Son  maître  un  jour  lui  conseilla,  paternellement,  de  ne  point  s'obstiner  à 
vouloir  écrire  de  la  musique,  chose  pour  laquelle,  affirmait  le  sagace   directeur,    il 


—  6i  — 

n'avait  pas  la  moindre  disposition.  Et,  coïncidence  curieuse,  M.  Théodore  Dubois  n'a 
pas  quitté  le  Conservatoire  depuis  six  mois,  qu'on  y  exécute  une  œuvre  dudit  M.  Ma- 
gnard,  et  que  cette  œuvre,  déjà  applaudie  à  Paris  et  ailleurs,  y  obtient  un  unanime 
et  mérité  succès. 

Sans  doute,  M.  Locard  pourra-t-il  assister  au  deuxième  concert  où  elle  sera  jouée, 
et  vous  en  parlera-t-il  dans  le  prochain  numéro,  comme  du  Défi  de  Phéhus  et  de  Pan. 
Au  sujet  de  cette  cantate,  une  remarque  seulement  :  le  bon  Midas  qui  y  pérore  n'est- 
il  point  l'ancêtre  de  Beckmesser  (  que  Wagner  faillit  appeler  Hans  Lick)  et  du  «  Clas- 
sique »  de  Moussorgski  ?j 

Excusez-moi  de  ne  point  insister  sur  la  comparaison  :  j'ai  juste  la  place  de  louer, 
en  peu  de  mots,  les  excellents  interprètes  de  l'œuvre  de  Bach  :  Mmes  de  Montalant, 
Lacombe,  MM.  Engel,  Frœhlich,  Plamondon  et  Bouvet. 

INTÉRIM. 


LA    QUINZAINE   MUSICALE 

Concerts   Le    Rey 

L'orchestre  était  dirigé  le  24  décembre  par  M.Fernand  de  Léry.  Nous  avons  entendu 
le  Septuor  de  Beethoven,  exécuté  avec  une  certaine  précision  mais  aussi  avec  une 
excessive  lenteur  de  mouvement.  Mlle  Revel  chantait  un  air  d'Œdipe  à  Colonne  de  Sac- 
chini,  le  Noyer  de  Schumann  et  le  Nil  de  Xaxier  Leroux  ;  son  succès  fut  vif  et  mérité  : 
une  expression  distinguée,  une  diction  intelligente,  une  voix  au  timbre  frais  et  pur  sont 
des  qualités  qui  font  de  Mlle  Revel  une  chanteuse  pleine  de  charme  et  d'intérêt.  Un 
Prélude  symphonique  conduit  par  l'auteur  M.  Sporck  avec  une  vigueur  qui  troubla  la 
douce  quiétude  de  l'orchestre  est  à  notre  avis  un  peu  écourté,  ce  qui  est  regrettable,  car 
cette  composition  renferme  des  idées  personnelles  et  des  motifs,  comme  ceux  du  haut- 
bois, qui  sont  fort  jolis.  Quant  à  Mlle  Henriette  Picot,  elle  possède,  outre  une  assu- 
rance que  l'on  dirait  d'un  vieux  maître  plus  qu'habile,  de  réelles  qualités  de  méca- 
nisme ;  aussi  la  Tarentelle  de  Gottschalk  lui  convint-elle  à  souhait  ;  mais  la  Sonate 
op.  2j  n"  I  de  Beethoven  est  quelque  peu  différente  d'une  tarentelle  ;  c'est  ce  dont  Mlle 
Picot  ne  paraît  pas  autrement  convaincue  ;  de  là  une  interprétation  bien  fantaisiste  et 
superficielle. 

Le  dimanche  suivant  M.  Le  Rey  nous  a  donné  deux  premières  auditions  :  une  Suite 
villageoise  de  M.  Théodore  Dubois  aussi  dénuée  d'imprévu  et  d'originalité  que  possi- 
ble, puis  un  poème  symphonique  de  M.  Paul  Viardot,  la  Source,  dont  l'eau  s'écoule 
tantôt  avec  douceur  tantôt  avec  violence  entre  des  rives  d'aspect  varié  et  agréable  ;  sans 
présenter  un  grand  intérêt  cette  pièce  témoigne  d'une  écriture  facile.  L'interprétation 
du  Concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven  par  Mlle  Marcelle  Weiss  manque  un  peu  de 
caractère  ;  il  faut  ajouter,  il  est  vrai,  que  loin  d'aider  à  sa  tâche  l'orchestre  la  lui  ren- 
dait sensiblement  difficile  par  sa  tendance  à  ralentir  le  mouvement.  Enfin  la  partie  la 
mieux  exécutée  du  programme  fut  le  troisième  acte  à'Iphigénie  en  Tauride  de  Gluck. 
MM.  Carbelly  et  Dubois  se  sont  montrés  l'un  et  l'autre  très  chaleureux  dans  le  duo 
passionné  où  s'exalte  l'amitié  d'Oreste  et  de  Pylade.  En  revanche  Mme  Lina  Star  ne 
nous  a  pas  semblé  posséder  la  force  et  le  souffle  nécessaires  au  rôle  d'iphigénie. 

Mieux  que  jamais  le  concert  du  7  janvier  nous  donne  l'occasion  de  pré- 
senter quelques  observations  à  l'orchestre  des  concerts  Le  Rey.  Loin  de  nous 
la  pensée  de  lui  être  désagréable  ;  mais  nous  croirions  manquer  de  sincérité 
en  ne  lui  signalant  pas  des  défauts  incompatibles  avec  l'idée  que  l'on  se  fait  d'un 
«  grand  concert  ».  Pourquoi  ne  pas  essayer  de  surmonter  la  tiédeur  qui  fait  de  cet  or- 
chestre quelque  chose  comme  une  petite  confrérie  de  dévots  sommeillant  avec  béatitude 


—   62    — 

sous  le  geste  onctueux  et  bienveillant  d'un  chanoine  pacifique  ?  Pourquoi  ne  pas  obte- 
nir d'une  façon  régulière  que  les  instruments  jouent  en  mesure  et  avec  ensemble,  que 
les  cuivres  n'éclatent  pas  en  sonorités  incorrectes  et  douteuses,  que  les  cors  ne  déton- 
nent pas  sans  cesse,  que  les  mouvements  ne  soient  pas  ralentis  parfois  au  point  d'être 
défigurés  ?  —  Ces  défauts  apparurent  en  toute  évidence  dans  VOuverture  de  Phèdre  de 
Massenet,  dans  celle  d'Iphtgéme,  de  Gluck  et  surtout  dans  l'exécution  de  la  Marche 
Troyenne,  de  Berlioz.  Ceci  dit  nous  nous  empressons  de  noter  que  l'orchestre  ne  mé- 
rita pas  ces  reproches  dans  le  Chant  du  soir,  de  Saint-Saëns  :  c'est  la  meilleure  preuve 
qu'il  est  capable  de  l'effort  qu'on  est  en  droit  d'attendre  de  lui.  —  Une  autre  prière  doit 
être  adressée  à  M.  Le  Rey  :  c'est  de  ne  plus  nous  faire  entendre  de  chanteuses  comme 
Mlle  Lise  d'Ajac  qui  fut  aussi  mauvaise  dans  l'air  d'Hélène  et  Parts,  de  Gluck,  que 
dans  celui  de  Samson  et  Dalila.  Cette  chanteuse  semble  ignorer  l'art  du  chant  et  le 
vacillement  de  sa  voix  est  tel  que  le  tympan  de  l'auditeur  s'en  trouve  momentanément 
déséquilibré. 

Nous  avons  été  heureusement  dédommagés  par  Mme  Toutain-Grun  et  aussi  par 
Mme  Bureau-Berthelot  et  M.  Dubois.  Mme  Toutain-Grun  a  interprété  la  Fantaisie 
Hongroise  pour  piano  et  orchestre  de  Liszt  avec  un  charme  tout  à  fait  délicieux.  Tout 
en  exquise  simplicité,  en  délicate  coloration,  en  séduisante  poésie,  son  jeu  servi  par  un 
très  souple  et  très  fin  mécanisme  a  conquis  naturellement  la  salle  entière.  Dans 
des  fragments  de  VArmide,  de  Gluck,  M.  Dubois  remporta  un  légitime  succès  et  Mme 
Bureau-Berthelot  fit  applaudir  le  timbre  doux  et  joli  de  sa  voix  délicate  et  pure. 

Edouard  Schneider. 


Société  Nationale 

Moins  de  monde  que  d'habitude  à  ce  concert  initial  de  la  saison,  salle  Erard  ;  et  ce 
fut  dommage,  car  le  programme  était  extrêmement  intéressant.  11  comprenait  des  mélo- 
dies populaires  bretonnes,  recueillies  et  harmonisées  par  M.  Ladmirault  et  chantées  par 
Mlle  Lasne,  le  premier  quatuor  de  M.  V.  d'Indy,  qu'exécutèrent  MM.  Lejeune,  Cla- 
veau, Drouet  et  de  Bruyn,  une  sonate,  piano  et  violon,  de  M,  P.  Le  Flem,  et  une  suite 
de  piano  de  M.  Maurice  Ravel,  Miroirs. 

M.  Le  Flem,  qui,  si  je  ne  me  trompe,  présente  pour  la  première  fois  une  œuvre  au 
public  parisien,  débute  d'une  façon  qui  permet  de  fonder  sur  lui  d'excellentes  espé- 
rances. Sa  sonate  offre  de  sensibles  qualités,  de  grandes  qualités  même,  et  les  défauts 
qu'on  pourrait,  par  contre,  y  signaler,  ne  sont  point  inquiétants  pour  l'avenir.  Ce 
sont  des  faiblesses  de  facture,  et  rien  de  plus.  Mais  le  sentiment  musical  du  compositeur 
est  incontestable. 

Le  thème  initial  de  cette  sonate,  thème  de  belle  allure,  est  —  simple  coïncidence 
sans  doute  —  extrêmement  analogue  à  celui  de  la  Symphonie  inachevée  de  Borodine, 
et  cela  tant  par  la  coupe  et  l'harmonie  que  parla  valeur  expressive.  11  est  traité  de  ma- 
nière intéressante. 

Le  deuxième  thème  est  de  qualité  plus  médiocre,  et  introduit  quelque  inégalité  dans 
le  développement. 

Le  mouvement  lent  est  vraiment  beau,  expressif,  et  tout  le  temps  plein  d'émotion. 
Le  final,  bâti  sur  un  thème  de  ronde  populaire  et  où  reviennent  les  thèmes  du  début,  est 
moins  personnel,  moins  bien  venu  aussi  —  autant  qu'on  le  peut  apprécier  après  une 
seule  audition.  Mais,  somme  toute  —  le  seul  Andante  l'atteste  amplement  —  l'ensemble 
est  d'un  véritable  musicien  dont  le  talent  peut  se  développer  très  vite,  puisque  le  don 
primordial,  et  assez  rare,  de  la  pensée  musicale  ne  lui  fait  point  défaut. 

MM.  Masson  et  Lefeuve  présentèrent  fort  bien  l'oeuvre  de  M.  Le  Flem.  J'ai  goûté 
surtout  la  belle  et  ample  sonorité  et  le  bon  style  du  jeune  violoniste. 

Les  Miroirs  de  M.  Maurice  Ravel  sont  peut-être  ce  que  le  jeune  compositeur  a  écrit 
de  plus  complet  jusqu'ici,  au  point  de  vue  de  la  technique  autant  qu'à  celui  du  senti- 
ment. La  seule  facture  de  ces  pièces  est  extrêmement  intéressante  :  je  ne  parle  point 
exclusivement   de   l'écriture    pour   l'instrument   --   on  sait  que   M.  Ravel  y  est  passé 


-65- 

maître  —  mais  de  l'invention  et  de  la  forme.  Les  Oiseaux  tristes  sont  quelque  chose 
d'extrêmement  neuf,  une  étude  (au  sens  que  donnent  à  ce  mot  les  peintres)assez  poussée 
et  d'une  parfaite  vérité  de  notation.  Il  en  est  de  même  de  la  Vallée  des  Cloches.  Au  con- 
traire, Barque  sur  l'Océan  est  un  véritable  petit  poème  symphonique,  très  vigoureuse- 
ment charpenté,  et  VAlborada  est  un  scherzo,  un  grand  scherzo  indépendant  à  la  façon 
de  ceux  de  Chopin  et  de  Balakirew.  Noctuelles  est,  si  je  ne  me  trompe,  une  sorte  d'étude 
(cette  fois  au  sens  pianistique)  réalisée  de  façon  très  neuve  aussi. 

En  ce  qui  concerne  l'écriture  pour  le  piano,  il  est  à  remarquer  que  tout  dans  ces 
cinq  pièces  est  extrêmement  bien  compris,  et  convenable  à  l'instrument.  Des  effets  comme 
ceux  de  la  Vallée  des  Cloches,  où  d'un  brouillard  sonore,  des  vibrations  de  cloches, 
graves,  aiguës,  lointaines,  proches,  se  dégagent,  jaillissent  peu  à  peu,  se  répondent,  se 
superposent,  se  résolvent  en  mélodies  ;  dans  Noctuelles,  ce  continuel  murmure  léger, 
moelleux  comme  celui  d'un  quatuor  d'orchestre  très  divisé  ;  toutes  les  somptuosités 
d'écriture  aussi  de  la  jBar^we  sur /'Océan,;  tout  cela  est  du  véritable  piano,  n'ofifre  rien 
de  forcé,  de  mal  réalisé  au  point  de  vue  des  doigts. 

De  même,  les  harmonies  toujours  expressives  et  riches,  où  apparaissent  des  choses 
qui  semblent  dures  à  l'œil  et  sont  très  douces  à  l'oreille,  où  chaque  élément  se  fond  en 
d'ingénieuses  figures;  les  rythmes  si  divers,  si  souples  qui, suivant  une  phrase  illustre, 
«  célèbrent  leur  orgie  »  surtout  dans  Noctuelles  et  dans  Alborada:  voilà  plus  qu'il 
n'en  faut  pour  attester  l'exceptionnelle  valeur  de  l'invention  de  M.  Maurice  Ravel. 

Maie  ce  que  je  trouve  de  plus  remarquable  dans  ces  diverses  pièces,  c'en  sont  les 
qualités  d'émotion.  Il  y  a  dans  Oiseaux  tristes  et  dans  la  Vallée  des  Cloches  une  grande 
profondeur  de  sentiment,  d'un  sentiment  intime  et  dénué  de  toute  grandiloquence. 
Barque  sur  l'Océan  est  encore  de  belle,  d'intense  poésie.  L'  «  humour  »,  la  franche  et 
vivante  fantaisie  de  VAlborada  méritent  les  plus  absolus  éloges. 

Le  public  accueillit  très  chaudement  ces  cinq  pièces,  et  fît  bisser  VAlborada.  L'in- 
terprète, d'ailleurs,  en  était  M.  Vinès,  et  nul  ne  pouvait  mettre  mieux  en  valeur  les 
charmantes  créations  de  M.  Maurice  Ravel  que  cet  artiste  inégalé,  dont  j'ai  eu  maintes 
fois  à  dire  les  louanges,  et  pour  qui  l'on  voudrait,  tant  il  s'affirme  sans  cesse  supérieur 
à  lui-même,  trouver  sans  cesse  des  épithètes  inédites  et  qui  soient  dignes  de  son  art  si 
simple  et  si  efficace. 

M.-D.  Calvogoressi 

Concerts  de  la  Schola  Cantorum 

29  décembre.  —  Un  beau  concert  à  l'actif  de  la  Schola.  Ce  n'est  pas  le  premier 
qu'ait  entendu  la  haute  salle  de  la  rue  Saint-Jacques,  à  l'austérité  quasi  religieuse. 
Sous  la  direction  de  M.  Armand  Gastoué,  sept  pièces  de  chant  grégorien  ont  été  exécu- 
tées ;  je  n'ai  pas  besoin  de  dire  avec  quelle  justesse  et  quel  souci  du  détail,  les  soli  tenus 
dans  r  Alléluia  par  Mme  Jumel,  dans  VOmjtes  de  Saba  par  M.  Gibert  et  dans  le  Diri- 
gatur  par  Mme  Gastoué. 

Le  cours  d'ensemble  vocal,  professé  par  M.  de  Lacerda,  interpréta  «  a  capella  )) 
quatre  motets  :  Ave  Maria,  de  Josquin  de  Près  ;  Exultate  Deo,  de  Palestrina  ;  Jesu 
dulcis,  de  Vittoria,  et  un  cantique  de  la  passion.  Loué  sois-tu,  de  Schûtz. 

Après  un  intermède  populaire,  un  Noël  flamand  du  xv°  siècle,  qui  permit  à  Mmes 
Marthe  Legrand  et  Maurat  de  se  faire  apprécier,  VActus  tragicus  de  Bach  nous  fut 
offert. 

Je  n'ai  point  la  place  nécessaire  pour  parler  longuement  de  cette  oeuvre  surhu- 
maine, le  plus  merveilleux  acte  de  foi  qu'ait  écrit  un  artiste  mettant  tout  son  génie  au 
service  de  sa  croyance.  Je  renvoie  le  lecteur  à  l'excellente  analyse  que  M.  Le  Flem  a 
donnée  dans  les  dernières  Tablettes  de  la  Schola.  Le  prélude  est  d'une  admirable  séré- 
nité :  c'est  une  sonatine  dans  le  style  de  l'époque,  d'une  allure  plutôt  gracieuse,  comme 
d'ailleurs  la  majeure  partie  du  chœur  qui  suit.  La  fin  devient  tragique.  Elle  évoque  la 
vanité  de  ce  monde  et  sa  faiblesse  devant  le  Tout-Puissant.  Le  ténor  (M.  Cazeneuve) 
exprime  son  angoisse  :  «  Seigneur,  rappelle-nous  sans  cesse»  ;    la    basse  reprend  cette 


-64- 

idée,  montrant  combien  «  nos  jours  sont  comptés  ».  Le  choeur  suivant  est  peut-être  le 
point  culminant  de  la  partition.  Les  voix  graves  commencent  :  «  Telle  est  l'antique  loi  )) 
puis  les  soprani  chantent  seuls  ensuite,  avec  une  infinie  tendresse.  Rude  redevient  la 
prière  des  ténors,  que  reprend  le  chœur  entier. 

Après  un  air  suppliant  du  contralto  (Mme  Legrand),  la  basse  prononce  enfin  les 
paroles  de  rédemption  :  «  Aujourd'hui  tu  seras  avec  moi  »,  que  M.  Louis  Bourgeois  a 
dites  remarquablement.  Un  choral  et  un  chœur  joj'eux  sous  forme  de  fugue  constituent 
la  fin,  exprimant  les  sentiments  d'allégresse  et  d'apaisement  qu'éprouve  l'humanité 
pardonnée  et  assurée. 

Il  est  inutile  de  dire  la  façon  dont  M.  d'Indy  a  dirigé  l'orchestre  et  les  chœurs.  M. 
Guilmant  tenait  l'orgue  avec  sa  maîtrise  habituelle  et,  dans  les  nombreux  passages  de 
flûte,  M.  Blanquart  s'est  montré  excellent. 

Gabriel  Rouchès. 


Les  Soirées  d'Art 

A  la  Soirée  d'art  an  28  décembre,  M.  Diémer  a  eu  un  très  grand  succès.  Il  ne  pou- 
vait en  être  autrement.  Le  programme  portait  :  les  Variations  sur  un  thème  de  Bee- 
thoven par  Saint-Saëns  (M.  Georges  de  Lausnay  tenait  le  second  piano  d'une  façon  re- 
marquable) la  Chaconne  variée  en  sol  majeur,  de  Haendel  et  la  Source  et  le  Poète,  une 
composition  delM.  Diémer,  dont  on  a  goûté  la  délicatesse  et  l'ingéniosité. 

M.  Louis  Froehlich,  avec  une  voix  sonore  au  service  d'un  style  sobre  et  ému,  a  in- 
terprété, comme  elles  doivent  l'être,  les  Six  mélodies  religieuses  de  Beethoven,  surtout 
l'admirable  «  chant  de  repentir  :  ((  Seigneur,  envers  toi,  je  suis  coupable.  » 

Mlle  Grégoire  a  une  voix  exquise,  elle  chante  d'une  façon  délicieuse.  Ce  sont  deux 
qualités  dont  l'exagération  constitue  des  défauts.  Accompagnée  par  M.  Diémer,  elle 
nous  a  présenté  dans  V Amour  et  la  Vie  d' mie  femme  un  Schumann  inattendu,  sucré  et 
édulcoré. 

A  Mme  Stiévenard,  qui  paraissait  au  concert  du  4  janvier,  on  peut  reprocher  un 
jeu  peut-être  trop  exempt  de  chaleur  —  on  s'en  est  aperçu  principalement  durant  l'exécu- 
tion de  V Impromptu  en  fa  dièze  majeur  de  Chopin,  mais  dont  la  sûreté,  la  précision  et 
l'autorité  ont  été  très  appréciées.  Mme  Stiévenard  a  remarquablement  joué  la  Bourrée 
fantasque  de  Chabrier  et  elle  a  partagé  le  succès  de  M.  Fernand  Gillet,  très  bon  dans 
la  Deuxième  sonate  pour  hautbois  et  piano  de  Haendel. 

Mme  Raunay  s'est  montrée,  à  son  ordinaire,  tout  à  fait  supérieure,  soit  dans  le 
divin  Mariage  des  roses  composé  par  César  Franck  sur  des  paroles  réjouissantes  : 

»  Un  seul  phare  est  allumé 
L'amour  nous  éclaire  » 

soit  dans  deux  mélodies  de  M.  Boussion  Les  paroles  à  l'absente.  Je  ne  connaissais  pas 
l'auteur.  Il  m'a  vivement  intéressé.  Sur  deux  poèmes  de  M.  Aubry,  d'une  bonne  littéra- 
ture, M.  Boussion  a  écrit  une  musique  tout  ensemble  sincère  et  raffinée.  Le  sentiment 
exprimé  dans  ces  œuvres  est,  plutôt  qu'une  douleur  déchirante,  une  mélancolie  d'une 
douceur  triste.  Mme  Raunay  en  sut  faire  ressortir  les  nuances.  Et  combien  aussi  elle 
se  montra  la  digne  interprète  de  Beethoven,  dans  A  la  bien  aimée  absente  que  Mme 
Stiévenard  accompagnait. 

Au  cours  de  ces  deux  séances,  le  treizième  et  le  quatorzième  quatuors  de  Beethoven 
ont  été  exécutés  par  MM.  Capet,  Tourret,  Bailly  et  Hasselmans.  Il  convient  de  leur 
adresser  les  mêmes  éloges  que  précédemment  et  aussi  les  mêmes  critiques   légères. 

Gabriel  Rouchès. 


Quatuor  Parent 

•  Le  Quatuor  Parent  a  donné  le  5  janvier  la  première  des  huit  séances  qu'il  doit  con- 
sacrer chaque  vendredi  à  Beethoven.  On  ne  saurait  trop  le  louer  de  cette  nouvelle  entre- 
prise, et  s'il  est  vrai  que  l'on  a  rarement  parlé  de  Beethoven  avec  autant  d'abondance 
qu'à  l'heure  actuelle  il  n'est  pas  moins  juste  de  penser  que  la  musique  de  chambre  qui 
forme  une  partie  considérable  de  l'œuvre  du  Maître  n'est  généralement  connue  que  d'une 
façon  extérieure  et  parfois  toute  nominale.  Aussi  bien  les  programmes  du  Quatuor  Pa- 
rent sont-ils  composés  d'une  manière  fort  intelligente  et  vraiment  instructive.  On  en 
jugera  par  celui  de  la  première  séance. 

Dans  une  causerie  toute  d'élégance  et  de  clarté  M.  Paul  Landormy  nous  a  indiqué 
dans  quel  esprit  avaient  été  choisies  les  œuvres  à  exécuter.  Il  s'agissait  d'exposer  les 
trois  manières  de  Beethoven  tout  en  montrant  combien  il  est  arbitraire  de  vouloir  leur 
assigner  à  chacune  de  trop  rigoureuses  limites  et  jusqu'à  quel  point  elles  présentent 
entre  elles  des  rapports  parfois  étroits.  Comme  exemple  de  la  première  manière, 
Mlle  Marthe  Dron,  MM.  Parent  et  Fournier  ont  exécuté  le  Trio  j>our  piano  et  violon- 
celle, op.  I  n"  7,  dont  le  finale  révèle  déjà  le  caractère  tragique  de  Beethoven,  Puis  nous 
avons  entendu  le  Quatuor  à  Cordes  op.  5p,  «°  2.  composé  en  1807,  c'est-à-dire  dans  la 
deuxième  période  et  enfin  la  Sonate  op.  iii,  datée  de  1822,  la  dernière  des  sonates  pour 
piano.  Mlle  Marthe  Dron  s'est  brillamment  acquittée  de  l'exécution  difficile  de  cette 
œuvre.  Trois  lieder,  ïa  Parte?iza  (1798)  dégoût  italien,  Wonne  der  Wehmuth,  d'un  ac- 
cent profond  et  passionné,  Senfzer  eines  Ungeliebten  und  Gegenliebe,  ou  «  Les  soupirs 
d'un  amant  dédaigné  »,  écrit  en  1795  et  contenant  déjà  le  motif  du  finale  de  la  Neuvième 
Symphonie,  ont  été  chantés  par  Mlle  Delka  dans  un  joli  style  bien  que  d'une  voix  un 
peu  frêle.  Quant  au  Quatuor  Parent  ne  semble-t-il  pas  superflu  d'ajouter  que  son  succès 

a  été  unanime  ? 

Edouard  Schneider. 


Ecole  des  Hautes  études  Sociales 

L'école  des  Hautes  études  sociales  rouvrait  ses  portes  le  30  novembre  avec  une 
savoureuse  et  substantielle  conférence  de  M.  A.  Boschot  sur  Lesueur,  maître  de  Ber- 
lioz. M.  Boschot  qui  vient  d'achever,  je  crois,  un  important  ouvrage  de  critique  à  la 
gloire  de  Berlioz  en  avait  extrait  un  des  chapitres  les  plus  originaux  pour  le  fidèle  pu- 
blic des  Hautes  études  sociales.  Il  a  pensé  qu'en  dehors  de  quelques  professionnels 
studieux,  bien  peu  de  gens  connaissent  Lesueur  et  surtout  se  doutaient  qu'il  ait  eu  une 
influence  sur  l'auteur  de  la  Damnation.  Il  nous  a  donc  retracé  sa  vie,  ses  études  ;  il  a 
surtout  analysé  ses  écrits,  quatre-vingts  volumes  en  manuscrit, des  articles  inédits  pour 
le  dictionnaire  des  Beaux-Arts  ;  rédigés  vers  1824  ils  témoignent  de  ce  que  l'auteur 
transmet  alors  au  jeune  Berlioz.  C'est  la  tradition  gluckiste.  La  musique  est  une 
expression  de  sentiments  mais  pour  Lesueur  la  musique  pure  est  lettre  morte  ;  elle  est 
incompréhensible  si  elle  ne  s'accompagne  pas  d'un  commentaire  quelconque,  texte  litté- 
raire, action  dramatique  ou  programme.  Le  pire  ennemi  de  la  musique  est  à  son  avis  le 
contre-sens,  et  puisque  la  musique  est  imitative,  le  pire  contre-sens  est  le  manque 
d'expression.  Il  s'attache  à  la  valeur  expressive  des  rythmes  qu'il  faut  s'efforcer  de 
varier  sans  cesse  ;  il  recommande  le  mélange  des  styles,  l'absence  de  partis-pris  et 
Berlioz  mettra  à  profit  cette  incertitude  pour  peindre  avec  plus  de  variété  son  âme  bi- 
garrée. La  mélodie  populaire  n'est  pas  pour  Lesueur  ou  Berlioz  une  source  d'inspira- 
tion, un  germe,  mais  seulement  un  ornement  extérieur,  un  artifice,  tout  comme  la  su- 
perposition des  thèmes.  A  tout  prendre  conclut  M.  Boschot,  les  écrits  de  Lesueur  ont 
sombré  parce  qu'ils  seraient  inutiles  aujourd'hui.  Ce  qu'ils  renfermaient  de  bon  a  passé 
dans  ceux  de  Berlioz  pour  qui  Lesueur  fut  le  seul  maître  possible,  un  maître  merveil- 
leux, providentiel. 

M.  Boschot,  orateur  précis,  spirituel  et  disert,  intéressa  vivement  ses  auditeurs 
qui  ne  lui  ménagèrent  pas  les   applaudissements,  non  plus   qu'à   Mlle  Andrée  Allard,  à 


—  66  — 

MM.  Cazaux,  Nansen  etPiffaretti,  interprètes  très  goûtés  de  deux  fragments  des  Bardes 
et  de  l'Hymne  -pour  la  fête  de  la  Vieillesse. 


Le  7  décembre  M.  Paul  Landormy  parlait  de  Brahms.  II  s'est  attaché  à  montrer  que 
la  musique  n'est  pas  une  langue  universelle,  que  les  musiques  très  anciennes  sont  des 
«  langues  mortes  ))  incompréhensibles  pour  nous  si  nous  ne  les  apprenons  pas  et  que 
plus  la  musique  se  libère  des  formules  consacrées  pour  devenir  l'expression  immédiate 
des  individualités,  plus  il  apparaît  que  la  musique  d'un  pays  est  une  langue  étrangère 
pour  le  pays  voisin.  Prenant  ensuite  Brahms  pour  exemple,  il  a  recherché  quelles  sont 
les  raisons  qui  le  rendent  d'ordinaire  peu  sympathique  aux  Français.  Il  en  a  trouvé 
trois  principales,  dans  la  nature  de  la  mélodie,  le  caractère  des  rythmes,  la  couleur  de 
l'inspiration  ;  mais  ici  nous  ne  pouvons  reproduire,  même  en  l'abrégeant,  l'analyse 
technique  qui,  seule,  pourrait  mettre  en  valeur  la  thèse  que  M.  Landormy  a  défendue 
avec  l'éclat  et  l'ingéniosité  que  l'on  sait. 

La  conférence  était  coupée  d'auditions  diverses.  Mlle  Elisabeth  Delhez  a  chanté 
avec  beaucoup  d'intelligence,  de  finesse,  et  en  musicienne,  cinq  lieder  de  Brahms  :  elle 
fut  surtout  remarquable  dans  Feldeinsamkeitex.aa.ns  Vergebliches  Staendchen.  Mme 
Landormy-Plançon  joua  au  piano  un  hilerme:{:{0  de  Brahms  dans  un  sentiment  très  dé- 
licat, et  avec  un  juste  souci  des  demi-teintes.  Enfin  la  séance  se  termina  par  la  Sonate 
en  sol  de  Brahms,  que  Mme  Landormy-Plançon  et  M.  Parent  détaillèrent   avec   un  art 

exquis,  qui  n'excluait  pas  l'émotion. 

Paul  LOCARD. 


L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  reporter  au  prochain  numéro  les  CoilC6rtS 
divers  (Concerts  Clémandh,  Anciennes  Matinées  Danbé,  Concerts  des  Instruments 
anciens,  Mme  Saillard-Dietz,  Mlle  A.  Abran,  du  Lied  Français),  ainsi  que  les  corres- 
pondances de  Liège  et  du  Havre. 

Le  mopemeot  musical  en  province  et  à  l'étranger 
Théâtre  Royal  de  Dresde 


Pren)îère    Repré5e!)ta.tioi7    (créatioi))   de 

SALOMÉ 

Drame  musical  en  un  acte  de  RICHARD   STRAUSS 
d'après  le  poème  d'Oscar  W^ilde 


Rarement  «  première  >>  fut  attendue  du  public  avec  plus  d'impatience  et  de 
curiosité  que  la  Salomé  de  Richard  Strauss.  Pour  une  certaine  partie  de  la  presse,  la 
représentation  en  elle-même  ne  restait  malheureusement  qu'un  inutile  accessoire,  un 
élément  d'appréciation  superflu.  Le  nouveau  drame  musical  du  grand  maître  alle- 
mand n'était-il  pas  jugé  d'avance,  condamné  d'office  sur  un  mot  d'ordre  parti  je  ne 
sais  d'où?  Dès  que  le  projet  de  Strauss,  de  mettre  en  musique  la  Salomê d'Oscdit 
Wilde,  fut  connu,  la  critique,  ou  du  moins  une  c  ertaine  critique,  s'emparait  de  cette 
nouvelle  et  commençait  à   faire   rage.  Sans   rien  connaître  de  la  partition,   pas   la 


moindre  mesure,  on  ne  craignait  pas  de  répandre  au  jour  le  jour  les  insinuations  les 
plus  perfides  sur  le  compte  de  l'artiste  et  de  son  œuvre. 

A  s'abstenir  de  tous  commentaires  sur  un  drame  musical  dont  la  réalisation  leur 
était  étrangère  jusque  dans  le  moindre  de  ses  détails,  la  dignité  professionnelle  des 
gens  du  métier  en  eût-elle  donc  été  diminuée?  Qu'importe  !  On  sortit  de  l'arsenal  tout 
le  vieux  stock  des  armes  qu'on  avait  jadis  dirigées  contre  Wagner  :  immoralité  du 
sujet,  interdit  jeté  par  la  censure,  musique  injouable,  grève  des  musiciens  de  l'orches- 
tre, dés3rtion  des  chanteurs.  Et  Salomé,  bien  avant  de  connaître  les  feux  de  la 
rampe  dut  subir  les  plus  rudes  assauts.  On  batailla  autour  d'elle  comme  jadis  autour 
de  Tannbailser,  de  Tristan, — mais  cette  fois  la  cabale  ne  devait  pas  avoir  le  dernier 
mot. 

A  la  veille  de  la  première  à  Dresde,  l'effervescence  redouble.  Les  attaques  se 
multiplient,  surtout  du  côté  des  partisans  de  la  «.  moralitaet  ».  La  fureur  de  ces  der- 
niers ne  connaît  pas  de  bornes.  Elle  s'exhale  en  des  brochures  indignées  où  l'on 
maudit  Strauss  comme  un  esprit  frappé  de  perversion.  Le  plus  violent  de  ces  opuscules, 
Salomé  an  den  Deutschen  Hofbûhnen,  dont  l'auteur  se  cache  sous  le  voile  d'un  pseudo- 
nyme ad  hoc,  H.  Ernstmann  (l'homme  sérieux  !  !)  décèle  un  état  d'àme  lamentable- 
ment troublé  par  le  fanatisme.  Dis -moi  ce  que  tu  composes,  s'écrie  l'homme  sérieux, 
et  je  te  dirai  qui  tu  es  (sic)  ;  et  il  ne  prend  pas  moins  de  quarante  pages  pour  éreinter 
apriorile  drame  musical  de  Strauss. On  a  pincé  toutes  les  cordes  sensibles,  celles  qui, 
chez  nos  voisins,  vibrent  le  plus  fortement,  pour  les  détourner  d'un  tel  spectacle  où  la 
Bible  est  profanée,  travestie,  la  royauté  bafouée  en  la  personne  d'Hérode,  veule,  in- 
quiet et  titubant  sous  l'empire  de  l'ivresse.  Mais  le  public,  au  soir  de  la  première  et 
des  représentations  suivantes,  —  le  bon  public  que  l'on  s'évertuait  à  circonvenir,  a 
pris  sa  revanche  sur  les  professeurs  de  morale,  les  pasteurs,  et  les  affiliés  des  cours  ! 
C'est  avec  un  enthousiasme  indescriptible,  voisin  du  délire,  qu'il  accueillit  la  magni- 
fique création  de  Richard  Strauss.  Des  tonnerres  d'applaudissements  emplissaient  la 
salle,  bondée  de  spectateurs  jusqu'aux  derniers  hémicycles,  tandis  que  les  bravos,  les 
cris  d'admiration,  les  5/raM55 .' 5/mM55 .' partaient  de  toutes  les  poitrines.  Après  les 
émotions  dominatrices  de  cette  musique  troublante  et  passionnée  jusqu'à  vous  ébran- 
ler les  nerfs,  quel  soulagement  de  pouvoir  crier  à  tue-tête,  de  trépigner  comme  un 
forcené  !  Le  compositeur,  ses  interprètes,  le  chef  d'orchestre,  le  régisseur  furent  l'objet 
d'interminables  ovations.  On  les  rappela  plus  de  trente  fois.  La  presse  musicale  du 
monde  tout  entier  s'était  fait  représenter.  On  était  accouru  d'Amérique,  d'Angleterre, 
d'Italie,  d'Autriche.  11  y  avait  huit  Français.  On  remarquait  aussi  la  présence  de  Hans 
Sommer,  Max  Schillings,  les  réputés  compositeurs  allemands,  et  celle  de  Robert  Ross, 
l'ami  d'Oscar  Wilde.  L'Allemagne  réunissait  là  tout  son  contingent  d'intendants 
royaux,  de  directeurs  de  théâtre,  de  kapellmeister,  de  chanteurs.  Strauss  fut  acclamé 
par  une  élite  internationale,  —  couvert  d'applaudissements  par  tout  ce  que  son  pays 
compte  de  notabilités  artistiques. 

Quant  à  cette  fraction  de  la  critique,  à  laquelle  je  faisais  allusion  plus  haut 
et  qui  s'était  rendue  â  Dresde  dans  un  esprit  ouvertement  hostile,  elle  en  fut  pour  ses 
diatribes.  On  avait  décrété  depuis  longtemps,  en  petit  comité  (et  ce  n'était  un 
secret  pour  personne),  que  Strauss  n'était  pas  un  dramaturge,  —  qu'il  ne  pouvait  pas 
être  un  dramaturge.  On  savait  par  de  vagues  indications  que  Salomé  se  tournait  vers 
une  orientation  nouvelle  du  drame  musical  allemand.  Il  ne  s'agissait  rien  moins  que 
de  faire  obstacle,  de  propos  délibéré,  à  cette  audacieuse  tentative  et  de  renvoyer  le 
compositeur  à  ses  poèmes  symphoniques.  Mais  les  instigateurs  de  cette  campagne» 
adeptes  de  la  sainte  routine,  champion  de  toutes  les  réactions,  avaient  compté  sans  le 
génie  d'un  Strauss,  sans  la  beauté  tragique  et  les   séductions  enivrantes  d'un  drame 


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musical  merveilleusement  scénique,  très  fortement  conçu.  Les  plus  farouches  d'entre 
eux  n'échappèrent  pas  à  l'empire  du  maître.  Force  leur  fut,  pour  ne  point  faillir  à  la 
consigne,  pour  dénigrer,  de  se  rabattre  sur  le  livret,  d'invoquer  à  nouveau  l'immora- 
lité de  la  pièce,  d'en  flétrir  la  perversité  et  d'agiter  à  leur  tour  la  vieille  question  delà 
morale  dans  l'Art. 

Il  y  aura  désormais  dans  les  annales  de  l'histoire  de  la  musique  un  «  cas  Salomé», 
intimement  lié  au  chapitre  de  la  critique  arriérée. 

Le  sujet,  quel  est-il  ?  Nous  le  connaissons  tous  par  le  comte  de  Flaubert,  Héro- 
dias,  dont  le  poème  d'Oscar  Wilde  n'est  que  la  dramatisation  puissante.  Inutile  de 
l'analyser  en  détail.  Ce  n'est  point  la  Salomé  des  Léonard  de  Vinci,  des  Tintoret,  des 
Ghirlandgo,  des  Rubens,  des  Albert  Durer,  la  juive  au  charme  languissant  que 
Wilde  nous  représente,  c'est  la  Salomé  de  Gustave  Moreau,  la  fille  de  Sodome  et  de 
Babylone,  vouée  à  toutes  les  corruptions,  à  tous  les  vices,  l'animal  impudique  et  su- 
perbe qui  inspira  le  Cantique  des  Cantiques.  Nous  touchons  au  paroxysme  de  l'éro- 
tisme,  à  toutes  les  contradictions  de  la  folie.  C'est  la  tragédie  du  mal,  du  mal  le  plus 
dévorant  de  tous,  la  sensualité  et  la  luxure,  en  conflit  avec  le  bien  représenté  sous  les 
traits  austères  et  calmes  du  Prophète  Jochanaan.  De  l'antithèse  des  deux  forces  oppo- 
sées jaillit  tout  l'intérêt  du  drame,  et  voilà  ce  qui,  chez  le  musicien,  provoqua  la 
«  Stimenung  ».  Une  fois  de  plus  le  génie  du  poète  des  sons  a  bondi  par  dessus  la  réa- 
lité, par  dessus  l'exotisme  du  sujet  pour  saisir  la  vérité  en  elle-même  et  tracer  de 
l'amour  charnel  le  plus  violemment  exaspéré  en  des  harmonies  brûlées  d'une  passion 
ardente  et  féroce,  le  tableau  le  plus  coloré,  le  plus  chaud,  le  plus  vibrant,  le  plus  émou- 
vant que  musicien  ait  peut-être  jamais  brossé.  Les  orgies  dyonisiaques  de  Vénusberg, 
l'implacable  amour  de  Tristan  et  Ysolde,  sont  dépassés  par  cette  frénésie  de  volupté. 
Toute  la  fureur,  toute  la  folie  de  la  chair  et  du  sang  se  rue  à  l'orchestre  et  aux  voix. Nul 
soupçon  de  langueur  ou  de  morbidesse  orientale  ne  vient  effleurer  cette  musique 
écrite  en  traits  de  feu.  Des  mélodies  enivrantes  montent  en  boufi'ées  capiteuses  des 
sables  ardents  de  l'orchestre.  Elles  s'élancent  comme  lâchées  au  travers  d'une  sym- 
phonie en  délire.  On  dirait  des  résonnances  d'une  nature  inconnue  et  sauvage;  des 
palpitations  étranges. 

Rien  de  plus  nouveau  pour  l'oreille.  Rien  de  plus  empoignant  pour  l'imagination. 
Pourtant,  Strauss  ne  se  pique  pas  de  couleur  locale.  Loin  de  lui  la  pensée  de  se  livrer 
à  des  reconstitutions  archéologiques,  de  se  perdre  dans  la  recherche  des  eff'ets  pitto- 
resques et  décoratifs  et  des  sonorités  rares.  La  note  exotique  n'a  pas  d'écho  dans 
Salomé,  si  ce  n'est  dans  la  danse  où  l'on  en  perçoit  le  tintement  éloigné.  Strauss  s'im- 
pose à  l'émotion  des  spectateurs  par  le  choc  furieux  et  tumultueux  de  la  passion,  — 
par  la  fougue,  par  l'emportement  et  la  rapidité  vertigineuse  de  ses  combinaisons 
sonores. 

Ni  prélude,  ni  entr'actes.  L'action  se  déroule  logiquement,  impétueusement,  en 
l'espace  d'une  heure  et  demie,  dans  un  décor  baigné  par  la  lumière  argentée  de  la 
lune.  La  musique  s'adapte  étroitement  au  poème  d'Oscar  Wilde.  Elle  le  suit  pas  à  pas. 
Strauss  a  brisé  toutes  les  formules  passagères  ou  factices.  Salomé  marque  le  point  de 
départ  d'une  proche  évolution  de  la  musique  dramatique  en  Allemagne.  Cette  nou- 
velle manière  à  laquelle  nous  a  si  bien  préparés  Pclléas  et  Mélisandc,  le  maître  alle- 
mand la  reprend  pour  son  propre  compte  et  l'implante  au-delà  du  Rhin.  Il  apporte  à 
l'œuvre  entreprise  par  Claude  Debussy  la  contribution  de  son  prodigieux  talent  poly- 
phonique et  de  son  inépuisable  inspiration.  Car,  en  écrivant  Salomé,  son  dessein  était 
moins  de  marcher  sur  les  traces  de  Wagner,  de  suivre  les  sentiers  battus  et  rebattus 
par  ses  successeurs  que  de  s'inspirer  des  tendances  de  notre  école  française  moderne. 
Il  vous  confie,  d'ailleurs,  non  sans  une  certaine  coquetterie,   pour  peu  que  vous  ne 


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soyez  pas  allemands,  qu'il  a  composé  sa  musique  sur  le  mot  à  mot  du  texte  français. 
Les  paroles  allemandes  restent  une  traduction  d'après  coup.  Voilà  certes  qui  n'est  pas 
banal,  mais  la  particularité  la  plus  curieuse  de  Salomé,  la  nouveauté,  réside  dans 
l'écriture  toute  originale  du  style  vocal. 

Strauss  n'a  point  traité  les  voix  à  l'allemande.  Sa  mélodie  se  réclame  manifeste- 
ment de  notre  déclamation  lyrique,  —  tout  d'abord  par  la  courbe  prononcée  de  la 
ligne  sonore  qui  se  développe  à  l'aise  et  aussi  par  la  valeur,  par  l'autorité,  par  l'ac- 
cent que  prend  ici  la  voix.  Le  chant  se  déploie  en  toute  liberté  mélodique,  témoin  les 
plaintes  délicieuses  du  soupirant  Narraboth,  les  phrases  d'une  amplitude  si  magnifique 
dans  la  bouche  du  Prophète,  les  élans  passionnés  de  Salomé  ;  ses  accès  délirants  de 
volupté  à  la  vue  de  Jochanaan,  toute  cette  scène  finale,  longue  de  236  mesures,  où  la 
sensualité  de  son  amour  s'exaspère  au  baiser  de  la  tête  de  Baptiste,  et  j'en  passe,  les 
supplications  d'Hérode,  toutes  pleines  des  convoitises  allumées  par  l'ivresse,  etc.,  etc. 
Chez  Wagner,  la  parole  humaine  s'avouait  le  plus  souvent  incapable  d'exprimer  les 
mouvements  de  l'âme  et  en  confiait  le  soin  à  l'orchestre.  Chez  Strauss,  elle  reprend 
tous  ses  droits.  Elle  se  jette  à  toute  volée  dans  le  gouffre  de  l'orchestre.  Elle  y  allume 
à  tous  les  coins  une  flamme  qui  circule,  bondit  et  rebondit.  Qu'elle  soit  emportée  sur 
les  sommets  ou  plongée  aux  abîmes,  la  voix  émerge  toujours  et  s'étend  souveraine- 
ment, au-dessus  même  du  tumulte  de  toutes  les  forces  déchaînées.  Rien  ne  l'arrête, 
rien  ne  l'essoulïle. 

Quel  orchestre  cependant  I  120  musiciens,  16  premiers  violons,  autant  de  se- 
conds violons.  Les  bois  sont  au  nombre  de  19,  parmi  lesquels  le  fameux  Hcckelphone. 
Le  groupe  des  cuivres  compte  15  instruments.  Harpes  en  plus,  orgue,  harmonium, 
deux  paires  de  timbales,  glockenspiel,  triangles,  tambourins,  etc.  Rien  n'y  manque. 
Dans  le  maniement  de  ce  formidable  organisme  sonore,  Strauss  déploie  une  incompa- 
rable virtuosité.  Par  le  mélange  des  sonorités,  l'élaboration  et  la  combinaison  des  mo- 
tifs, la  psychologie  des  timbres,  l'entrelacement  audacieux  d'un  prestigieux  contre- 
point, par  toutes  les  ressources  d'une  polyphonie  grandiose,  unique,  colossale,  5fl- 
Zome  se  place  au  premier  rang  des  compositions  du  célèbre  «  Tonkunstler  ».  C'est 
peut-être  le  point  culminant  de  toute  la  production  lyrique  depuis  Richard  Wagner. 
C'est  la  floraison  musicale  d'une  imagination,  d'un  génie  tout  rempli  de  l'éternelle 
jeunesse.  Rarement  l'inspiration  de  Strauss  se  montra  si  luxuriante,  si  étincelante.  Il 
faut  remonter  jusqu'à  Guntram^  à  Zarathustra  pour  retrouver  cette  vigueur,  cet  élan, 
cette  fougue  dévorante,  cette  prodigalité  d'invention. 

Je  n'insiste  pas  autrement  sur  l'éclat  de  l'instrum.entation.  Le  nom  seul  de  Strauss 
en  dit  assez  dès  qu'on  aborde  le  domaine  de  la  polyphonie.  Ce  qui,  en  dernière  ana- 
lyse, donne  à  Solomé  une  portée  exceptionnelle  c'est  la  prépondérance  de  l'élément 
vocal  dans  une  œuvre  où  la  symphonie  atteint  en  même  temps  sa  plus  haute  expres- 
sion. 

Au  point  de  vue  de  l'interprétation  et  de  la  mise  en  scène,  l'intendant  général,  le 
comte  de  Seebach  a  monté  la  pièce  avec  le  faste  coutumier  du  théâtre  de  Dresde.  Sous 
la  direction  de  l'éminent  kapellmeister  von  Schuch  l'orchestre  s'est  vaillamment  dé- 
pensé. Il  a  fait  des  miracles.  Il  n'est  pas  conduit  d'ailleurs,  mais  électrisé,  tant  Schuch 
y  met  de  vigueur,  de  souplesse  et  d'entrain.  Et  que  de  science,  que  de  talent,  que 
d'autorité  ne  faut-il  pas  pour  équilibrer  des  forces  aussi  complexes. 

Mme  Wittich  prête  au  rôle  de  Salomé  son  soprano  souple  et  puissant.  Elle  incarne 
superbement  l'héroïne  du  drame  avec  une  intensité  d'expression  inouïe.  On  ne  peut 
rêver  d'un  art  plus  accompli,  d'une  voix  plus  délicieusement  timbrée.  Elle  obtint  un 
succès  personnel  très  vif.  La  voix  si  prenante  de  Perron  sonne  merveilleusement,  pro- 
phétiquement, j'allais  dire,  dans  le  rôle  de  Jochanaan.  Quant  à  Bunian,  il  a  fait  d'Hé- 


—  70  — 

rode  une  création  de  tout  premier  ordre.  Il  a  été  simplement  merveilleux.  Voilà  un 
ténor  intelligent,  un  maître  dans  l'art  de  composer  son  personnage.  Sa  voix  est  ma- 
gnifique d'étendue,  de  souplesse  et  de  force. 

Les  rôles  de  second  plan  sont  fort  bien  tenus  par  Mmes  von  Chavanne  (Hero- 
dias),  Eibenschiitz  (le  page)  et  par  MM.  Jaeger  (Narraboth),'Wachter  (le  cappadocien). 
Je  m'en  voudrais  de  passer  sous  silence  MM.  Rudiger,  Saville  Grosch,  Erl,  Rains  qui 
rendirent  de  façon  remarquable,  avec  la  plus  grande  sûreté,  l'épisode  fugué  de  la  dis- 
pute des  Juifs. 

Le  décor  signé  Rieck,  peintre  de  la  Cour,  évoquait  toute  la   poésie   des  nuits  de 

l'Orient.    La   mise   en   scène  était   réglée  avec  beaucoup  de  goût  par  M.  Wirk  qu'on 

avait  spécialement  mandé  de  Munich. 

L.  PONNELLE. 


ANGERS.  —  Troisième  concert  populaire.  (541")  25  novembre.  —  Le  public  ange- 
vin, malgré  sa  méfiance  coutumière,  devant  les  œuvres  des  jeunes,  dont  la  réputa- 
tion n'est  pas  encore  consacrée  en  province,,  a  bien  accueilli  la  Fantaisie  sur  deux 
noëls  wallons,  de  M.  Jongen.  Cette  belle  œuvre  remarquablement  architecturée  autour 
de  deux  thèmes  populaires  essentiels,  est  toute  revêtue  de  religiosité  orgueilleuse.  Elle 
suit  une  ligne  de  pensée  profonde  que  nul  élan  inattendu,  nul  essor  immodéré  ou  exces- 
sif ne  fait  dévier.  Elle  est  amenée  vers  son  dénouement  à  travers  les  ressources  d'une 
savante  instrumentation,  avec  une  mesure  et  une  réflexion  qui  dénotent  une  admirable 
cérébralité  musicale  et  se  tient  souvent  entre  l'angélisme  un  peu  monotone  d'un  Franck 
et  la  passion  latente  d'un  Lekeu. 

Mlle  Marguerite  Long  a  enchanté  le  public  du  troisième  concert  et  provoqué  des 
enthousiasmes  bien  mérités  par  son  talent  de  pianiste  impeccable  et  pourtant  poétique. 
Elle  a  joué  le  Concerto  de  Liszt  en  le  disciplinant  hautainement,  sans  en  réduire  toute- 
fois la  fantaisie,  sans  en  atténuer  la  couleur  ni  le  romantisme  de  bon  aloi.  Sa  technique 
est  à  la  fois  ferme  et  délicate,  forte  et  séduisante.  Elle  trouve  les  sonorités  émouvantes 
et  atteint  l'extrême  grâce  et  l'extrême  légèreté  dans  les  traits.  De  plus  elle  a  répandu 
à  travers  les  Variations  en  ut  mineur  de  Beethoven  un  noble  élan  d'âme,  un  sentiment 
haut  et  pur,  éloignant  classiquement  les  exagérations  de  sensiblerie  coutumières  aux 
virtuoses. 

La  Symphonie  en  ut  mineur  de  Haydn,  VOuverture  de  Faust  de  Wagner  et  la 
Marche  Héroïque  de  Saint-Saëns,  étaient  également  inscrites  au  programme, 

—  Quatrième  concert  populaire,  10  décembre.  —  Le  quatrième  concert  débutait 
par  une  exécution  parfaite  de  la  Symphonie  Italienne  de  Mendelsshon,  L'orchestre  y  a 
répandu  les  coloris,  la  vivacité  et  la  sentimentalité  qui  conviennent  et  en  a  fait  ressortir 
avec  une  souveraine  maîtrise,  les  contrastes  et  les  effets. 

Titania,  suite  symphonique  de  M.  Georges  Hiie,  (dirigée  par  l'auteur),  inspire  con- 
fiance tout  de  suite,  grâce  aux  belles  sonorités  nourries  et  vibrantes  sur  lesquelles  elle 
s'ouvre  et  derrière  lesquelles  on  sent  palpiter  la  lointaine  légende.  La  couleur  musicale 
du  début  pourrait  se  comparer,  sans  qu'il  y  ait  pastiche,  à  celle  qui  tremble  autour  du 
Vénusberg  dans  Tannhœuser.  Tout  le  long  de  son  œuvre  M.  Hue  joue  magistralement 
de  la  totalité  des  ressources  orchestrales  et  des  heureuses  plénitudes  sonores.  Son  habi- 
leté est  extrême.  Je  note  un  délicat  dessin  de  flûte  retombantsur  des  gouttelettes  de  vio- 
loncelle, quelques  fluctuations  montantes  bien  Shakespeariennes  dans  la  trame  symphoni- 
que, des  moments  où  la  féerie  légère  se  déploie  comme  un  voile  diapré  et  des  harmonies 
bien  soutenues  à  l'arrière-plan  de  deux  ou  trois  essors  mélodiques.  La  fin  du  Prélude 
est  peut-être  un  peu  flou  et  de  temps  en  temps  on  voudrait  un  rythme  plus  catégori- 
que s'imposant.  Mais  ces  imprécisions  mêmes  sont  d'accord  avec  le  sujet  merveilleux  et 
légendaire  choisi   par  M.  Hue. 

M.  A.  Hekking  nous  apportait  le  Concerto  en  la  mineur  pour  violoncelle,  de  Saint- 
Saëns.  Sa  virtuosité  riche  et  robuste,  sa  superbe    éloquence  sonore  y  ont  trouvé  l'occa- 


—  71  — 

sion  de  se  révéler  triomphalement.  Il  rendit  le  solo  de  violoncelle  le  plus  dominateur  du 
monde,  sans  trop  l'isoler  de  l'ensemble  ;  il  en  déroula  chaleureusement  la  ligne  et  son 
grand  talent  a  embelli  VAve  Maria  de  Max  Bruch,  qui  est  une  chose  médiocre  en  soi, 
mais  où  les  qualités  particulières  de  M.  Hekking,  longueur,  abondance  et  ferveur  des 
résonnances,  s'imposèrent  victorieusement.  Rappelé  par  le  public  M.  André  Hekking 
joua  VAria  de  Bach,  où  l'on  pourrait  peut-être  si  l'on  voulait  absolument  formuler 
une  critique,  lui  reprocher  de  n'avoir  pas  mis  assez  d'intériorité  discrète  et 
profonde. 

La  Danse  des  Sylphes  et  le  Menuet  des  Follets  empruntés  à  la  Damnation  de 
Faust  (Berlioz)  se  sont  envolés  de  l'orchestre  avec  une  grâce  souple  et  mille  frivolités 
pompeuses, 

L'Ouverture  de  Léonore  (Beethoven),  est  une  des  œuvres  que  l'orchestre  possède 
le  mieux.  Elle  plane  toujours  en  pleine  lumière  et  en  pleine  beauté,  et  bien  que  termi- 
nant le  concert,  elle  a  forcé  l'attention  silencieuse  et  continue  du  public. 

—  Premier  Concert  extraordinaire.  —  Festival  Franck.  —  Le  Festival  Franck  eut 
lieu  le  24  décembre  devant  une  salle  comble.  Cent-soixante  choristes  avaient  pris  place 
sur  l'estrade  et  il  faut  admirer  la  somme  d'efforts  donnée  par  les  organisateurs  du  fes- 
tival pour  mettre  au  point  le  difficile  poème-symphonie  de  Rédemption.  Les  choristes  et 
l'orchestre  ont  fait  preuve  de  tant  de  talent  et  de  bonne  volonté  que  le  public  fut  sou- 
levé d'un  enthousiasme  inaccoutumé.  L'angélisme  de  l'œuvre  fut  délicieusement  rendu 
et  synthétisé  dans  les  quelques  motifs  chantés  par  les  voix  d'ange  qui  semblaient  choir 
d'un  ciel  indulgent  et  proche.  Les  parties  symphoniques  d'orchestre  ont  vibré  d'une 
superbe  éloquence.  Les  chœurs  d'ensemble  et  le  chœur  d'hommes  ont  été  chantés  avec 
une  précision  et  une  ferveur  qui  faisaient  le  plus  grand  honneur  aux  exécutants  et  à 
leurs  répétiteurs  habituels.  Mme  Auguez  de  Montalant  a  interprété  la  partie  vocale  de 
V Archange  en  très  grande  artiste,  en  cantatrice  habile  et  sûre.  Son  école  de  diction  est 
parfaite,  sa  voix  pleine  et  égale,  son  autorité  magistrale.  Elle  a  été  à  la  fois  hautaine  et 
évangélique  donnant  ainsi  superbement  la  double  note  psychologique  de  l'œuvre.  Mme 
Béguin  s'est  acquittée  de  son  rôle  de  récitant  à  la  satisfaction  générale. 

Le  concert  débutait  par  une   bonne  exécution   de   la   Symphonie   en  ré  mineur  de 

Franck, qui  avait  déjà  été  entendue  plusieurs  fois  à  Angers  et  marque  l'apogée  de  puissance 

musicale  du  maître  belge,  le  sommet  de  son  ascension  spirituelle  et  le  suprême   élan  de 

son  noble  et  touchant  idéalisme. 

EvA. 

MONTPELLIER.  —  La  Schola  récemment  fondée  par  M.  Charles  Bordes  et 
qui  semble  promise  aux  meilleures  destinées,  a  été  honorée,  dernièrement,  de  la 
présence  de  Mme  Roger-Miclos-Bataille  et  de  M.  Alexandre  Guilmant. 

L'impératrice  du  piano,  pour  parler  comme  les  sujets  de  M.  Roosevelt,  perfectionne 
avec  adresse  et  courage  un  talent  un  peu  court,  son  jeu  demeure  empreint  d'une  sédui- 
sante féminité,  ses  doigts  toujours  de  fée  font  sourdre  harmonieusement  de  l'ivoire  les 
timbres  de  Couperin  et  de  Schumann,  elle  semble  descendue  d'une  toile  d'H,enner  pour 
faire  surgir  du  noir  cercueil  sonore  le  fantôme  de  la  Grâce,  sœur  cadette  de  la  Beauté. 

M.  Guilmant,  qui,  l'après-midi,  en  un  admirable  récital  d'orgue,  avait  interprété 
des  pages  de  Bach,  de  Nicolaï  de  Grigny,  de  Frescobaldi,  de  Buxtehude,  a  interprété 
sur  le  piano  pédalier  un  choix  d'œuvres  intéressantes  et  a  improvisé  sur  des  thèmes 
donnés.  Cette  belle  soirée  d'art  nous  a  valu  d'entendre,  en  même  temps  que  le  premier 
des  organistes  d'aujourd'hui,  M.  Georges  Borne  qui  s'est  joué  des  difficultés  pianlsti- 
ques  accumulées  dans  la  curieuse  et  originale  Fantaisie  rythmique  de  M.  Ch.  Bordes, 
et  M.  Henri  Rohart,  qui  a  traduit,  avec  une  intense  expression  et  dans  un  style  délicat, 
des  mélodies  de  Chausson,  de  Fauré  et  de  Bordes. 


Notre  scène  lyrique,  qui  se  prépare  à  remplacer  l'obsédante  barcarolle  de  Guillaume 
Tell  par  le  chant  des  bateliers  du  Volga  et  à  «  méridionaliser  »  résolument  son  réper- 


—  72  — 

toire  en  nous  offrant  nombre  de  partitions  alla  Sonzogno,  nous  a  fait  entendre  Mlle 
Simone  d  Arnaud  dans  Manon,  Mireille  et  Rigoletto.  L'estimée  diva  a  été  accueillie 
avec  sympathie. 

—  Mlle  Blanche  Selva  a  donné,  le  22  décembre,  dans  les  salons  de  la  Schola 
dirigée  par  M.  Charles  Bordes,  un  récital  de  piano  qui  a  mis  pleinement  en  lu- 
mière la  fidélité,  la  vigueur  et  la  netteté  de  son  interprétation  des  grands  écrivains. 
Elle  a  obtenu  un  succès  du  meilleur  aloi  en  traduisant,  avec  une  maîtrise  dont  je  sais 
peu  d'exemples,  la  Fantaisie  chrornatique  et  Fugue  de  Bach,  la  Sonate  op.  iii  de 
Beethoven,  le  Prélude,  Aria  et  Final  de  Franck,  le  Poème  des  Montagnes  de  d'Indy,  En 
Languedoc  de  Déodat  de  Séverac  et  VIslamey  de  Balakirew.  Nous  devons  louer  la  di- 
versité et  la  carrure  de  son  style,  la  probité  de  son  jeu  adéquat  à  la  pensée  des  musi- 
ciens, sa  ferme  volonté  d'art  pur.  Mme  Selva  nous  a  fait  vivre  une  heure  inoubliable 
pendant  laquelle  nous  avons  entendu  de  la  beauté. 

Raoul  Davray. 


'AIVCY.  —  Le  nom  de  M.  A.  Geloso  figurait  sur  le  programme  du  troisième  con- 
cert, au-dessous  du  Concerto  en  la  majeur  de  Saint-Saëns  et  de  V Adagio  et  Ga- 
votte de  J.-S.  Bach.  Malheureusement  un  accident  survenu  à  l'un  des  siens  empê- 
cha le  sympathique  violoniste  de  se  rendre  à  Nancy,  et  ses  deux  numéros  où  il  devait 
paraître  furent  remplacés  par  l'intermède  symphonique  de  Rédemption  et  par  V Adagio 
de  M.  Guy  Ropartz.  La  symphonie  de  Rédemption  fut  jouée  avec  l'ampleur,  la  tendresse 
et  l'éclat  qui  conviennent  à  cette  musique  divine.  Quant  à  V Adagio,  grave  et  passionné, 
il  fut  l'occasion  d'un  beau  succès  pour  M.  René  Polain  qui  sut  tirer  de  son  alto  les  ac- 
cents les  plus  pathétiques. 

Pour  débuter,  la  trilogie  de  Walleiistein,  qui  restera,  je  crois,  l'une  des  plus  belles 
œuvres  de  M.  Vincent  d'Indy  et  de  toute  la  musique  française  moderne.  Que  préférer 
du  truculent  tableau  du  camp,  de  l'idylle  tragique  de  la  deuxième  partie,  où  le  thème 
jeune  et  viril  de  Max  s'allie  à  la  grâce  mélancolique  de  celui  de  Thécla,  ou  de  la  Mort 
qu'illuminent  de  clartés  mystérieuses  les  accords  sidéraux  et  qu'enveloppe  une  inquié- 
tante atmosphère  de  fatalité  ?  Je  ne  connais  rien  de  plus  impressionnant  que  la  des- 
cente des  instruments  à  cordes  qui,  après  le  fracas  de  la  catastrophe  et  la  formidable 
puissance  du  Chant  fatal,  s'éteint  doucement  en  un  long  pianissimo.  C'est  la  sérénité 
des  choses,  la  nature  impassible,  reprenant  leurs  droits  après  les  bouleversements  des 
drames  humains. 

Le  programme  comprenait  encore  la  Symphonie  en  ré  mineur  de  Schumann,  qui 
fut  exécutée  avec  une  aisance  brillante  et  la  Danse  macabre  dans  laquelle  M.  A.  Heck, 
violon  solo,  fit  admirer  une  pureté  de  son  tout  à  fait  remarquable. 

Au  quatrième  concert  de  l'Abonnement,  trois  numéros  seulement  :  La  troisième 
Symphonie  de  M.  A.  Magnard,  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven  et,  pour  la  se- 
conde fois,  la  trilogie  de  Wallenstein. 

La  Troisième  symphonie  de  M.  Magnard  est  une  belle  œuvre,  au  plan  très  clas- 
sique et  dont  les  quatre  mouvements  intitulés  Ouverture,  Danses,  Pastorale,  Final,  ont 
chacun  une  couleur  bien  particulière,  quoique  leur  réunion  forme  un  ensemble  d'une 
parfaite  unité.  La  première  partie, d'où  se  dégage  une  impression  d'austérité  et  de  calme, 
débute  par  un  majestueux  choral  qui  se  retrouve  dans  la  conclusion.  Entre  temps,  plu- 
sieurs idées  mélodiques  donnent  lieu  à  d'ingénieux  développements. 

Les  Danses,  aux  rythmes  populaires,  s'interrompent  pour  laisser  la  clarinette,  puis 
les  violons,  se  passer  un  chant  d'une  belle  ligne  simple  et  d'une  couleur  agreste.  Tel, 
dans  les  anciennes  symphonies,  le  Scherzo,  encadrant  entre  deux  reprises  d'allure  vive 
la  douceur  tendre  du  Trio.  Mais,  ici,  les  redites,  au  lieu  d'être  identiques,  varient  de 
tonalités  d'orchestration. 

Pastorale,  c'est  le  chant  d'un  pâtre  interprété  par  le  hautbois  et  qui,  par  sa  mélan- 
colie paisible,  évoque  la  sérénité  d'un  beau  soir.  11  est  interrompu  par  un  épisode 
sombre  et  farouche,  dessiné  par  les  basses  et  signifiant  sans  doute  la  menace  d'un  dan- 


—  7?  — 

ger,  d'un  malheur.  Puis  tout  se  calme  ;  le  chant  pastoral  s'élève  de  nouveau  et  le  mor- 
ceau s'achève  dans  la  sérénité  du  début. 

Le  Fina-l,  animé,  brillant,  coloré  de  fanfares  de  trompettes  et  de  cors,  avec  des  rap- 
pels du  choral  de  la  première  partie,  termine  dans  la  joie  cette  belle  et  intéressante  sym- 
phonie. 

Mlle  Geneviève  Dehelly  a  fait  preuve,  dans  le  Conce7-to  en  ut  mineur  de  Beethoven, 
d'un  talent  délicat,  ennemi  des  gros  effets.  Son  jeu  est  fin,  très  perlé,  mais  il  manque 
de  puissance.  Je  suis  sûr  qu'aux  derniers  rangs  des  auditeurs,  la  partie  de  piano  devait 
à  peine  se  faire  entendre. 

La  trilogie  de  Wallenstein  a  été  jouée  avec  une  verve,  une  sûreté,  un  éclat,  qui  ont 
valu  à  M.  Ropartz  et  à  son  orchestre  une  véritable  ovation. 

X. 


|^"J  ÎCE.  —  Représentation  de  Siberia,  poème  d'Illica  (traduction  Milliet),  musique  de 
a^      Giordano. 
...1  L'opéra  de  Nice  vient  de  représenter  avec  éclat  et    devant   un   public  enthou- 

siaste la  belle  œuvre  du  compositeur  italien  Giordano,  qui  s'afiBrme  cette  fois  d'une 
façon  définitive  comme  un  musicien  de  théâtre  en  pleine  possession  de  son  métier  et  de 
son  talent.  Quoique  le  premier  acte  soit  assez  médiocre  et  composé  avec  des  formules 
musicales  ayant  déjà  servi,  les  deux  actes  suivants  ont  emporté  le  succès  par  l'accent, 
la  couleur  et  l'inspiration  chaleureuse  qui  les  animent. 

M.  Saugey,  directeur  de  l'Opéra,  a  donné  tous  ses  soins  à  monter  dignement  cette 
œuvre  intéressante,  interprétée  pour  la  première  fois  en  français  :  les  décors  signés  Gon- 
tessa  sont  superbes,  notamment  la  plaine  neigeuse  du  deuxième  acte  ;  les  costumes  sont 
également  de  la  plus  grande  exactitude. 

L'interprétation  est  fort  bonne  dans  son  ensemble  :  le  ténor  Zocchi  a  vaillamment 
chanté  le  rôle  du  déporté  Vassili.  Mlle  Mazarin,  servie  par  une  voix  généreuse  et  sans 
faiblesses  a  fait  une  ardente  Stephana  ;  M.  Séveilhac,  baryton,  joint  à  un  organe  chaud 
et  vibrant  un  vrai  talent  dé  comédien.  A  côté  de  ces  protagonistes  il  sérail  injuste  d'ou- 
blier Mlle  Dereyne,  une  agréable  Vikona  et  Mlle  Romanitza,  fort  touchante  :  puis  encore 
MM.  La  Taste,  de  bonne  tenue  en  Walitzin,  Saldon  (prince  Alexis),  etc.  Les  chœurs 
ont  fait  preuve  d'une  homogénéité  inaccoutumée,  et  l'orchestre  sous  la  baguette  de  M, 
Dobbelaer    a  droit    à   des  éloges. 

Le  nom  de  Giordano  a  été  acclamé  et  son  œuvre  est  incontestablement  l'une  de 
celles  qui  font  le  plus  honneur  à  l'école  italienne  moderne. 

Alfred  Mortier. 


I  OUErV.  —  Le  Théâtre-des-Arts  continue  brillamment  son  ascension  vers  le  néant  i 
Les  représentations  d'Arnica^  bien  que  défendues  énergiquement  par  quelques  ar- 
tistes de  valeur,  ont  été  navrantes  au  point  de  vue  artistique  !  Peut-on  trouver  en 
effet  une  œuvre  plus  plate,  plus  écœurante  ({n  Arnica}  Quant  à  la  reprise  de  la  Reine 
Fiammeite,]eme  demandece  qui  serait  arrivé  au  cours  de  cette  mémorable  soiréesiMme 
Ghassang  n'avait  été  là  pour  supporter  tout  le  poids  de  l'œuvre  et  de  l'interprétation.  Le 
succès  de  Mme  Ghassang  a  été  considérable,  et  les  acclamations  dont  elle  a  été  l'objet 
témoignaient  de  la  reconnaissance  que  le  public  lui  devait,  d'aider  à  maintenir  la  vieille 
réputation  —  aujourd'hui  bien  chancelante  —  du  Théâtre-des-Arts.  Enfin  comment 
se  fait-il  qu'un  directeur  de  théâtre,  qui  devrait  être  un  homme  éclairé,  digne  des  plus 
hautes  responsabilités  artistiques,  commette  des  erreurs  qui  paraissent  d'autant  plus 
lourdes  qu'il  les  commet  généralement  avec  une  prétention  et  une  fatuité  n'ayant 
d'égale  que  son  insuffisance  d'éducation  artistique  ?  G'est  ainsi  que  M.  Gamoin  vient 
d'interrompre,  après  trois  ou  quatre  représentations,  la  carrière  de  V Etranger,  alors  que 
de  tous  côtés  le  désir  était  trè«  vif  de  réentendre  cette  œuvre.  Après  de  nombreuses 
demandes,  il  consacra  enfin  une  soirée  à  l'action  musicale  de  M.  d'indy,  mais  c'était 
trop  tard  ;  le  temps,  c'est-à-dire  l'oubli,  avait  fait  son  œuvre.  R.  D. 


—  74 


Concerts.  —  En  première  ligne,  nous  devons  noter  la  magnifique  séance  donnée  au 
Cirque  par  Marcel  Dupré,  premier  prix  de  piano  du  Conservatoire,  par  M.  et  Mme 
Albert  Dupré,  Mme  Raunay  et  par  «  l'Accord  Parfait  ». 

Marcel  Dupré  fut  un  des  artistes  les  plus  précoces  de  notre  ville  :  à  huit  ans,  il 
donna  sa  première  séance  d'orgue  à  l'Exposition  de  1896  ;  à  douze  ans,  il  était  orga- 
niste à  l'église  Saint- Vivien  ;  à  quinze  ans  il  exécutait  un  oratorio  remarquable,  le  Songe 
de  Jacob.,  de  sa  composition;  à  seize  ans,  il  entrait  au  Conservatoire,  dans  la  classe  du 
maître  Diémer  :  il  y  obtenait  un  premier  accessit  à  la  fin  de  la  première  année  et  le 
premier  prix  de  piano,  à  la  deuxième.  Il  est  aujourd'hui  âgé  de  dix-neuf  ans. 

Au  concert  du  Cirque,  un  public  nombreux  a  pu  applaudir  la  virtuosité,  le  méca- 
nisme extraordinaire  de  ce  jeune  musicien  dans  la  Ballade  en  fa  de  Chopin,  la  Valse 
de  concert  de  Diémer,  dans  la  Toccata  de  Saint-Saëns,  la  Toccatina  de  Lack,  la 
Dixième  Rapsodie  de  Liszt,  et  VOuverture  des  Maîtres  Chanteurs:,  nous  avons  pris  part 
de  tout  cœur  à  l'enthousiasme  des  auditeurs.  Ce  qui  fait  que  nous  lui  devons  tout  par- 
ticulièrement notre  reconnaissance,  c'est  qu'il  a  associé,  pour  ainsi  dire,  la  célébration 
des  compositeurs  de  génie  à  son  très  légitime  succès  ;  nous  dirions  presque  qu'il  s'est 
même  un  peu  sacrifié;  on  comprend  la  valeur  de  cet  éloge,  quand  on  pense  à  la  vanité 
d'une  foule  d'acrobates-ès-instruments  à  cordes  ou  autres,  qui  semblent  croire  que  leur 
gymnastique  est  l'art  unique  et  que  les  compositeurs  n'ont  pas  d'autre  raison  d'être  que 
de  les  faire  valoir.  Ce  mauvais  goût  est   une  de  nos  plaies  modernes. 

Quand  nous  aurons  dit  que  Marcel  Dupré  s'est  fait  le  traducteur  de  la  pensée  de 
Bach  dans  le  Concerto  en  ut  fnineur  à  deux  pianos  et  orchestre,  de  l'inspiration  de 
Beethoven  dans  la  Fantaisie  pour  piano,  chœurs  et  orchestre,  et  du  génie  de  Wagner  ; 
quand  nous  ajouterons  aux  morceaux  déjà  cités  le  reste  du  programme,  c'est-à-dire  le 
premier  chœur  de  la  Cantate  de  Noël  (J.-S.  Bach)  ;  les  Enfants  de  Bohême  de  Schu- 
mann  ;  la  Marche  du  Tannhceuser,  on  se  rendra  compte  que  les  organisateurs  de  ce 
beau  concert  ont  été  inspirés  avant  tout  par  un  réel  souci  d'art.  Mme  Raunay  a  eu  un 
grand  succès  dans  ses  mélodies.  Quelle  admirable  artiste  ! 


Séances  d'orgue  à  St-Godard.  —  A  noter  deux  très  intéressantes  séances  d'orgue 
consacrées  par  M.  Haelling,  l'une  aux  œuvres  de  Bach,  l'autre  à  diverses  compositions 
d'organistes  des  xvi,  xvii  et  xviii'  siècles.  Le  respect  des  maîtres  qu'il  interprète  et  des 
nuances  indiquées,  l'absence  de  gros  effets,  l'honnêteté  artistique  sont,  avec  son  talent 
aujourd'hui  incontestable,  les  qualités  essentielles  de  M.  Haelling  qui,  nous  l'espérons, 
continuera  la  série  de  ses  belles  auditions. 

Maridort. 

TOULOUSE.  —  Les  concerts  battent  leur  plein  dans  notre  ville  :  c'est  d'abord  la 
Société  des  Concerts  du  Conservatoire  qui,  dans  sa  dernière  audition  nous  faisait 
entendre  la  Symphonie  héroïque  de  Beethoven  ;  Phaéton  de  Saint-Saëns,  plus 
une  sélection  de  M.  Rabaud  sur  des  Chansons  russes  ;  voilà  pour  la  partie  purement 
symphonique.  Comme  solistes  :  Mme  Auguez  de  Montalant  interprétant  les  Rêves,  de 
Wagner,  puis  M.  Cornélis  Liégeois,  remportent  un  beau  succès  daus  le  premier  Con- 
certo pour  violoncelle,  de  Saint-Saëns.  Je  n'ai  pas  à  décrire  de  nouveau  ce  que  sont  les 
exécutions  de  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire.,  car  je  ne  veux  pas  tomber  dans 
des  redites  :  11  me  suffira  de  constater  le  fini,  dans  le  rendu  de  la  Symhonie  héroïque  — 
surtout  dans  le  Scherzo  —  et  de  complimenter  M.  Crocé-Spinelli,  pour  le  succès  tou- 
jours croissant  de  son  entreprise  artistique.  Quelques  jours  plus  tard,  Mlle  Blanche 
Selva  et  Mlle  de  la  Rouvière  donnaient  une  audition  dans  la  salle  de  l'Athénée.  Ce  n'est 
pas  aux  lecteurs  du  Courrier  Musical  qu'il  faut  découvrir  le  talent  de  ces  deux  artistes 
de  tout  premier  ordre  ;  mais  n'ayant  jamais  entendu  Mlle  Blanche  Selva  il  me  sera  per- 
mis de  dire  que  rarement,  dans  ma  carrière  de  critique,  je  vis  une  femme  sachant  La 


—  75  — 

Musique  comme  celle-là.  Sans  doute  son  mécanisme  est  merveilleux,  mais,  ce  qui  l'est 
davantage,  c'est  la  compréhension  des  œuvres  diverses,  qu'elle  interprète  non  seulement 
en  musicienne,  mais  encore  en  harmoniste. 

Dans  la  salle  Rouget,  la  Société  de  musique  de  chambre  a  repris  le  cours  de  ses 
séances  annuelles.  Au  programme  du  premier  concert  se  trouvaient  :  le  neuvième  Qua- 
tuor à  cordes  de  Beethoven,  fort  bien  joué  par  MM.  Jeanson,  Ménetchet,  Pujol  et  Bala- 
resque,  puis  le  Quintette  de  Schubert,  la  Trinité  avec  Mme  Tourraton- Vannier  comme 
pianiste  —  on  connaît  depuis  longtemps  le  talent  de  cette  artiste  —  qui  s'était  fait  ap- 
plaudir auparavant  dans  une  verveuse  interprétation  d'un  Nocturne  de  Listz. 

Au  Théâtre  du  Capitule  le  succès  du  Jongleur  de  Notre-Daine  prend  de  très  vastes 
proportions  ;  le  délicieux  ouvrage  de  Massenet  est  Joué  deux  fois  par  semaine  devant  des 
salles  combles. 

Orner  Guiraud. 

VERVIERS»  —  Pour  la  deuxième  fois,  M.  Alphonse  Voncken,  l'un  de  nos  plus 
distingués  professeurs  de  musique,  organisait  une  séance  de  musique  de  cham- 
bre. L'an  dernier  déjà  il  en  avait  ouvert  la  série  par  un  intéressant  programme 
qu'il  exécutait  en  compagnie  d'une  remarquable  artiste,  Mlle  Marie  Joliet  ;  cette  année, 
le  menu  n'était  ni  moins  intéressant  ni  moins  attractif 

Il  comportait  d'abord  une  page  de  César  Franck,  son  admirable  Sonate  pour  piano 
et  violon,  d'une  intensité  d'émotion  si  poignante  et  d'une  si  grande  pureté  de  lignes; 
un  Duo  de  concert  pour  deux  violons,  de  Léonard,  œuvre  assez  peu  intéressante  sinon 
au  point  de  vue  des  difficultés  techniques  à  surmonter  ;  le  grand  trio  en  si  bémol  de 
Beethoven  peur  piano,  clarinette  et  violoncelle,  et  enfin  deux  parties  du  très  intéres- 
sant Quintette  avec  piano  (op.  44)  de  Schumann  qui  porte  bien  l'empreinte  du  sombre 
et  inquiet  compositeur. 

M.  Alph.  Voncken  tenait  avec  sa  maîtrise  habituelle  la  partie  de  violon  dans  la 
Sonate  de  Franck,  très  bien  secondé  par  une  pianiste  amateur  de  tout  premier  mérite, 
Mme  B.  L.,  élève  du  virtuose  vervietois  M.  Jean  Sauvage  ;  l'habileté  technique  du  ré- 
puté violoniste  qu'est  A.  Voncken  se  fit  aussi  brillamment  jour  dans  le  Concerto  de 
Léonard  et  dansle  Quintette  de  Schumann  ;  délaissant  l'archet  dans  le  Tr^o  de  Beethoven 
il  s'y  révéla  clarinettiste  non  moins  expert,  et  artiste  aussi  consciencieux. 

Mme  B.  L.  participa  avec  autant  de  succès  au  trio  de  Beethoven  et  au  quintette  de 
Schumann,  se  montrant  artiste  délicate,  soucieuse  de  rendre  la  pensée  intime  des  au- 
teurs ;  M.  J.  Lejeune,  le  jeune  violoncelliste  dont  nous  avons  déjà  signalé  le  talent, 
interpréta  avec  âme,  les  admirables  phrases  du  trio  et  contribua  à  la  très  correcte  inter- 
prétation du  quintette.  Enfin,  M.  Bonjean  au  violon  et  M.  L.  Voncken  à  l'alto  complé- 
tèrent consciencieusement  ce  groupe  musical  auquel  nous  devons  l'une  de  nos  trop 
rares  soirées  musicales. 


Quelques  jours  plus  tard,  le  Cercle  musical  d'amateurs  offrait  à  ses  membres  son 
deuxième  concert  où  on  a  pu  applaudir  —  fortune  rare  !  —  le  réputé  quatuor  Schoerg. 
MM.  Franz  Schoerg,  Hans  Daucher,  Paul  Méry  et  notre  concitoyen  Jacques  Gaillard, 
forment  un  vrai  quatuor,  et  c'est  tout  dire  ;  tant  sont  admirables  leur  compréhension  et 
leur  homogénéité.  Au  programme  un  Quatuor  en  la  mineur  de  Glazounow,  une  ro- 
mance de  W.  Wres  et  une  Danse  hongroise  de  Brahms,  toutes  deux  pour  violon,  et 
enfin  le  Quatuor  en  fa  majeur  (op.  135)  de  Beethoven  ;  l'interprétation  en  fut  admirable 
et  nous  regrettons  de  ne  pouvoir  y  insister. 

Mme  Méry-Merek  prêtait  le  concours  de  sa  jolie  voix  et  de  son  talent  remarquable 
qui  excelle  surtout  à  «  interpréter  ))  les  compositeurs  et  à  en  faire  pénétrer  l'intimité 
expressive  :  son  succès  fut  très  grand  dans  le  Lied  de  Franck  et  dans  les  Cloches  du 
soir  surtout. 

J.  D. 


-76 


Concerts  Tînvovcés 


Salles  Pleyel 

Janvier  Grande  Salle 

17  Quator  Laval-Clément. 

18  Trio  R.  Epstein. 

19  M.  Pomposi  (Voir  le  programme  sur   notre  en- 

cartage). 

20  L»  Société  nationale  de  Musique  (1"  séance). 

21  M.  Philippe  Courras  (Elèves). 

22  M.  Joseph  Debroux  (i"  séance). 

23  Mme  Avice. 

24  M.  et  Mme  J.  Salmon. 

25  La  Société    des  compositeurs   de    Musique    (i" 

séance). 

26  M.  Hemmersbach. 

26  Mme  Cam.  Chevillard  (Elèves  i"  séance). 

29  M.  Paul  Viardot. 

30  Mlle  Renée  Lénars 

31  M.  Joseph  Boulnois.   (Voir   le    programme    sur 

notre  encartage). 

Salle  des  Quatuors 
17     Quatuor  Calliat(2*  séance'). 

20  Mlle  d'Albas- et  M.  J.  Dumas  (2"'  séance). 

21  M.   Paul  Hérard  (Elèves). 

Salle  Erard 


M.   Bosquet    (Voir    le    programme    sur    notre 
encartage). 

18  Mlle  Guy. 

19  M.  J.  Hoffmann. 

20  M.  R.  Havas. 

21  Matinée  des  élèves  de  Mlle  Légrénay. 

22  Mme  Copreaux. 
25     La  Tarentelle. 


17 


25 
26 
27 
29 


16 


25 
50 


16 
24 


'7 


'9 

26 


Mlle  Y.  Péan. 

Mejora  Galeotti  et  Capet. 

M.  Bomveno  van  der  Boijen. 

Mlle  Gellée. 

M.  D.   Lederer. 

M.  Gabrilowitsch. 

Salle  des  Agriculteurs 

Société  Philharmonique  (MM.  Mark  Hambourg 
et  Kreisslerj. 

Les  Soirées  d'Art. 

M.  Hegedûs  (Voir  le  programme  sur  notre  en- 
cartage). 

Société  Philharmonique  (  Mme  Boyé-Jensen, 
Rotterdamsche-Trio). 

Les  Soirées  d'Art. 

Société  Philharmonique  (  M.  Plamondon.  Le 
Quatuor  de  Paris). 

Schola  Cantorum 

Mlle  B.  Selva  (œuvres  de  Bach). 

MM.    Lejeune,    De    Bruyn,    Mlle    Selva  (Trios 

modernes). 
Mlle  B.  Selva  (œuvres  de  Bach). 

Salle  de  l'Union 

Société  J  -S.  Bach  (Soli,  Orchestre  et  chœurs). 

Salle  ^olian 

Le  Qiiatuor  Parent, 
id. 

Ambigu 

Ancienne  Société  des  matinées  Danbé,  4  h.  J\2. 
id.  id. 


ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


A  l'Opéra.  —  M.  Duiardin-Beaumetz  vient  de  prolonger  d'une  année  la  durée  du 
privilège  de  M.  Gailhard  comme  directeur  de  l'Opéra.  D'autre  part,  nous  apprenons 
de  source  autorisée  que  la  personnalité  artistique  dont  les  frères  Isola  se  sont  assuré  la 
collaboration  en  vue  de  leur  candidature  à  l'Opéra,  est  M.  Gunsbourg,  et  que  cette  can- 
didature Isola-Gunsbourg  aurait  beaucoup  de  chances  d'être  agréée. 


A  l'Opéra-Comique.  —  A  propos  de  la  Coupe  enchantée,  de  M.  Gabriel  Pierné,  il 
n'est  peut-être  pas  inutile  de  rappeler  que  Ferdinand  Poise,  avait  traité  musicalement 
le  même  sujet.  M.  Carvalho,  l'ancien  directeur  de  l'Opéra-Comique,  avait  reçu  le  ma- 
nuscrit de  la  partition  et  se  préparait  à  monter  l'œuvre,  comme  il  avait  fait  pour  la 
Surprise  de  fAmour,  Joli  Gilles  et  VAtîiour  médecin.,  quand  survint  l'incendie  du 
théâtre.  La  partition  de  Poise  fut  brûlée  avec  le  reste,  et  on  n'en  parla  plus. 

—  M.  Albert  Carré  a  mis  à  l'étude  V Aphrodite.,  de  M.  Camille  Erlanger. 

C'est  Mlle  Mary  Garden  qui  créera  le  rôle  d'Aphrodite  et  M.  Léon  Beyle  celui  du 
ténor. 

Voici  la  distribution  des  autres  rôles  :  Timon.  Allard  ;  Philodème,  Devriès  ;  le 
grand-prêtre,  Guillamat;  le  geôlier,  Huberdeau  ;    Colidcs,    Ghasne  ;    Myrto,    Mathieu- 


—  77  — 

Lutz  ;  Phodis,  Demellier  ;  Bacchis,  Vallandri  ;  Chlmaîris,  Brohly  ;  Seso,  Brozla  ;  Try- 
phéra,  Guionie  ;  Monsarion,  Henriquez  ;  Philotis,  Gonzalès  ;  Corinna,  Mirai  ;  Sélevé, 
Velder  ;  Héliope,  Costès  ;  Hermione,  Comès  ;  Crobyté,  Borga  ;  Diocède,  Vuilefroy  ; 
Joessa,  Duchêne  ;  Théano  (danseuse),  Badet. 

On  s'occupe  également  du  Clos,  la  partition  nouvelle  du  jeune  compositeur  M. 
Charles  Silver,  et  dont  Mlle  Marie  Thiéry  doit  créer  le  rôle  principal. 

Le  livret  du  Clos  a  été  écrit  par  M.  Michel  Carré  d'après  le  roman  du  Clos-Pom- 
mier, d'Amédée  Achard. 

Entre  temps,  l'Opéra-Comique  donnera  une  série  de  représentations  du  Fidelio  de 
Beethoven. 

La  Société  J.-S.  Bach  donnera  le  mercredi  24  janvier  prochain,  à  la  salle  de  l'Union 
(14,  rue  de  Trévise),  un  concert  d'orgue  et  de  musique  de  chambre,  avec  le  concours  de 
Mme  Rey-Gaufrès,  de  MM.  Krauss,  Tournemire  et  du  remarquable  violoncelliste  Pablo 
Casais.  Au  programme  :  SwîVe  pour  violoncelle  seul,  Sonate  piano  et  violon,  œuvres 
pour  orgue  et  pour  piano. 

Mlle  Blanche  Selva  commencera  demain  mardi,  16  janvier,  à  la  Schola  Cantorum  , 
une  série  de  six  séances  consacrées  à  J.-S.  Bach,  dont  les  suivantes  auront  lieu  les  30 
janvier,  13  et  26  février,  13  et  27  mars,  à  9  heures  du  soir. 

Notre  collaborateur  M.-D.  Calvocoressi  fera  le  31  janvier  à  8  h.  1/2  du  soir,  à  la 
Coopération  des  idées,  157,  faubourg  Saint-Antoine,  une  conférence  sur  les  origines  de 
la  musique  de  clavier. 

Cette  conférence  sera  accompagnée  d'une  audition  par  M.  J.-Joachim  Nin  :  œuvres 
de  Cabezon,  Byrd,  Frescobaldi,  Kuhnau,  Couperin,  Bach,  etc. 


Les  trois  récitals  annuels  de  M.  Joseph  Debroux  sont  fixés  au  22  janvier,  iq  février 
et  13  mars  prochains,  salle  Pleyel.  à  g  heures  du  soir.  C'est  la  quinzième  année  que  le 
remarquable  violoniste  donne  avec  la  conscience  artistique  qui  n'a  d'égal  que  son  im- 
mense talent,  ces  intéressantes  auditions  au  cours  desquelles  revivent  pour  un  moment 
—  combien  attachant.  —  les  vieux  Maîtres  français  du  xviii"  siècle.  Il  y  aura  cette  année 
vingt-cinq  ans  que  Joseph  Debroux  a  donné  son  premier  concert  à  Ruremondc  (Hol- 
lande). 

L'Ecole  de  piano  Lucien  Wurmser,  23,  rue  Ballu,  nous  prie  d'annoncer  que  l'audi- 
tion semestrielle  d'élèves,  aura  lieu  le  dimanche  4  février,  à  i  heure,  salle  Pleyel.  Cette 
école  compte  maintenant  comme  succursales  :  Amiens,  Beauvais.  Bourges,  Cherbourg, 
Clermont-Ferrand,  Grenoble,  Lille.  Le  Havre,  Lyon,  Nantes,  Nevers,  Oran,  Poitiers, 
Tours,  Troyes.  De  plus,  par  suite  d'une  entente  entre  M.  le  professeur  Gustav  Hollean- 
der,  directeur  du  Conservatoire  Stern  à  Berlin  et  M.  Lucien  Wurmser,  l'Ecole  de 
Piano  de  Paris  et  le  Conservatoire  Stern  de  Berlin  sont  correspondants. 

M.  Georges  Quévremont.  l'excellent  professeur  au  Conservatoire  de  Lyon,  sera 
examinateur  à  Paris  à  côté  de  M.  Joseph  Morpain. 


Nous  extrayons  avec  plaisir  un  passage  du  précieux  certificat  que  l'éminent 
violoniste  Joseph  Joachim  a  remis  à  son  élève  Joseph  Zeligmann  lorsque  celui-ci  a 
quitté  Berlin  pour  venir  s'installer  à  Paris  tout  récemment  :  «  Les  succès  qu'il  a  rem- 
portés auprès  du  public,  écrit  Joachim,  m'ont  prouvé  qu'il  était  digne  de  la  confiance 
que  j'avais  mise  en  lui...  Je  le  recommande  chaleureusement  comme  soliste  et  comme 
professeur  de  violon...  »  Combien  de  violonistes  préféreraient  une  pareille  recomman- 
dation à  un  premier  prix  de  Conservatoire.  Et  comme  ils  auraient  raison. 


M.  Massenet,  qui  a  terminé  sa  partition  d'Ariane,  destinée  à  l'Opéra,  travaille  en 
ce  moment  à  un  ouvrage  qui  sera  donné  l'hiver  prochain  pour  la  première  fois  à  Monte- 
Carlo.  L'auteur  du  livret  est  M.  Jules  Claretie.  Le  sujet  est  emprunté  à  un  épisode  de 
la  Révolution. 


-  7S  - 
Nécrologie 

M.  Vincent  d'Indy  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  sa  femme,  Mme  la  comtesse 
d'Indy,  née  de  Geis  de  Pampelonne.  Nous  le  prions  de  vouloir  bien  accepter  nos  respec- 
tueuses condoléances  et  de  croire  à  la  vive  part  que  nous  prenons  au  malheur  qui  l'a 
frappé.  A.  D. 

—  La  célèbre  cantatrice,  Mme  G.  Krauss,  est  décédée  la  semaine  dernière  à  Paris, 
après  une  longue  et  douloureuse  maladie. 

Marie-Gabrielle  Krauss,  qui  était  née  à  Vienne,  débuta  à  l'Opéra  Impérial  en  1860, 
dans  Guillaume  Tell.  Après  avoir  passé  cinq  ans  dans  ce  théâtre,  où  elle  obtint  de 
grands  succès,  elle  joua  ensuite  en  Italie,  et  ne  vint  à  Paris  qu'en  1875. 

Elle  interpréta  successivement  La.  Juive,  Aïda,  Le  Tribut  de  Zamora^  Henri  VIII, 
Patrie,  Les  Huguenots,  etc.,  où  ses  triomphes  furent  chaque  fois  plus  grands. 

Depuis  1888,  elle  se  consacrait  au  professorat. 

—  L'auteur  dramatique  bien  connu,  Edouard  Blau,  vient  de  mourir  âgé  de  soixante- 
dix  ans.  Il  était  surtout  connu  comme  librettiste,  bien  qu'il  ait  fait  jouer  plusieurs  pièces 
sans  musique,  entre  autres  Maître  Andréa  à  l'Odéon.  Comme  poète  d'opéra,  il  a  écrit, 
en  collaboration  avec  Louis  Gallet,  la  Coupe  du  Roi  de  Thulé  (musique  d'Eugène  Diaz), 
le  Chevalier  Jean  et  Lancelot  (musique  de  Victqrin  Joncières),  le  Cid  (musique  de  Mas- 
senet).  Edouard  Blau  signa  également,  avec  M.  Paul  Milliet,  Werther  (Massenet),  avec 
Blum  et  Toché,  Belle  Lurette  (Serpette)  et  seul  le  Roi  d'Ys  et  la.  Jacquerie  (Lalo).  C'est 
à  tort  qu'on  lui  attribue  le  poème  d'Esclarmonde,  qui  est  de  M.  Louis  de  Grammont  et 
son  homonyme  et  cousin  Alfred  Blau. 


Reims.  —  Concerts  éclectiques.  —  M.  Vaysman,  musicien  aussi  éclairé  qu'infati- 
gable, renouvelle  ses  manifestations  artistiques  avec  un  succès  toujours  croissant;  la 
séance  de  dimanche  est  une  des  plus  remarquables  qui  nous  aient  été  données  jusqu'ici. 
Aussi  le  public,  par  une  ovation  méritée,  lui  a  fait  comprendre  combien  son  œuvre  l'in- 
téressait et  quels  vœux  il  formait  pour  qu'il  en  continuât  le  développement.  La  pre- 
mière partie  du  concert  comportait  la  Symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven  :  nous 
féliciterons  chaudement  les  artistes  qui  ont  interprété  cette  œuvre  grandiose. 

L'élément  spirituel  du  concert  était  représenté  par  VOratorio  de  Noël  de  Saint- 
Saëns. 

Nos  compliments  les  plus  sincères  à  Mme  Marie  Petit,  cantatrice  de  grand  talent, 
ainsi  qu'à  Mlles  Sallier  et  Adam  et  à  MM.Wolflf  et  Richard. 

En  terminant,  remercions  M.  Vaysman  d'avoir  doté  la  ville  de  Reims  d'un  or- 
chestre capable  d'initier  le  public  aux  plus  belles  œuvres  du  grand  maître. 


Lyon.  —  Le  maire  de  Lyon  vient  de  désigner  MM.  Flon,  le  distingué  chef  d'or- 
chestre et  Landouzy,  comme  directeurs  du  Grand-Théâtre,  qui  sera  administré  doré- 
navant en  régie  mixte. 


Niort.  —  Nous  avons  reçu  de  M.  Conte,  chef  d'orchestre  de  la  Société  Philhar- 
monique de  Niort,  une  lettre  où  il  nous  prie  d'insérer  quelques  rectifications  à  l'article 
publié  par  nous  ici  même  le  i"  janvier.  M.  Conte  nous  affirme  : 

1°  Que  l'orchestre  de  la  Société  n'a  que  16  violons  en  tout  ; 

2°  Que  les  «  nombreuses  rangées  de  cuivres  et  de  bois  ))  dont  parlait  notre  cor- 
respondant se  réduisent  à  un  pupitre  de  hautbois,  un  de  basson,  4  cors,  2  pistons» 
3  trombones  ; 

3°  Que  l'exécution  de  VHymne  à  Sainte-Cécile  a  été  très  bonne  ; 

4°  Qu'il  en  a  été  de  même  de  celle  de  la  Danse  Macabre. 

Nous  insérons  bien  volontiers  ces  rectifications  :  nous  ajoutons  que  les  critiques 
(très  légères  en  somme)  que  contenait  la  note  de  notre  correspondant  éventuel,  ne  nous 
paraissent  en  rien  devoir  exciter  la  susceptibilité  des  excellents  instrumentistes  qui 
composent  la  Société  Philharmonique  et  de  leur  chef,  estimé  de  tous. 

M.  Suter,  notre  correspondant  habituel  à  Niort,  nous  prie  de  faire  observer  que 
l'article  en  question  n'était  pas  de  lui,  mais  d'un  correspondant  occasionnel.  Voilà  qui 
est  fait.  N.  D.  L.  R. 


—  79  — 

Monte-Carlo,  —  Les  représentations  de  ballet  continuent  à  attirer  le  public  qu'é- 
merveillent la  magnificence  de  la  mise  en  scène  et  la  rare  perfection  artistique  du 
«  Ballet  de  Monte-Carlo  ». 

Dans  l'œuvre  exquise  de  M.  Justin  Clèrice,  Au  temps  Jadis^  le  succès  fut  triom- 
phal pour  l'admirable  danseuse  russe  Mlle  Trouhanowa,  encadrée  par  une  pléiade  de 
ballerines,  parmi  lesquelles  les  premières  danseuses,  Mlles  Bertrand,  Gavini,  Charbon- 
nel,  Fabris,  Legrand  et  Ly  Symons  ont  été  fort  applaudies,  dans  leurs  danses  remar- 
quablement réglées  par  M.  Saracco. 

L'excellent  mime  M.  Paglieri,  et  la  charmante  divette  parisienne  Mlle  Miriam  Ma- 
nuel contribuèrent  brillamment  à  l'éclat  de  la  soirée. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Désiré  Thibault. 

—  M.  Léon  Jehin  vient  de  faire  entendre,  aux  Concerts  classiques,  deux  œuvres  de 
jeunes  musiciens  :  un  Poème  lyi-iqiie  de  M.  Théodore  Akimenko,  élève  de  Rimsky- 
Korsakow,  et  Le  Pêcheur,  de  M.  Georges  de  Seynes,  élèves  de  MM.  Massenet  et  Ga- 
briel Fauré. 

Le  Poème  lyrique  de  M.  Akimenko  plaît  par  ses  phrases  mélodiques,  sa  fougue 
passionnée  et  son  instrumentation  sévère  mais  bien  sonore  ;  c'est  l'œuvre  d'un  artiste 
sincère,  inspiré  'et  savant. 

Le  Pêcheur^  de  M.  Georges  de  Seynes,  est  un  poème  symphonique  de  grande  ligne, 
nette  et  pure,  d'une  remarquable  intensité  d'expression  qui  atteint  à  une  réelle  puis- 
sance. L'orchestration  en  est  d'une  variété  et  d'une  délicatesse  des  plus  intéressantes, 
et  abonde  en  trouvailles  de  détails  ingénieux. 

Le  succès  de  ces  deux  œuvres  fut  très  vif. 

Biarritz,  —  M.  Gaston  Coste,  le  distingué  chef  d'orchestre,  vient  d'être  nommé 
directeur  artistique  du  Casino  municipal  de  Biarritz. 


Berlin,  —  Il  est  question  de  monter  ici  Miarka,  d'Alex.  Georges,  M,  Hàns  Gregor, 
directeur  de  l'Opéra-Comique,  y  paraît  disposé, 

—  Le  dimanche  7  janvier,  les  membres  du  Philarmonisches  Orchester,  les  admi- 
nistrateurs de  l'agenc»  Hermann  WolfF,  entourés  de  plus  de  250  personnes, 
tout  ce  que  Berlin  compte  de  notabilités  artistiques  et  musicales,  célébraient  le  jubilé 
directorial  du  sympathique  M,  Fernow,  Voilà  25  ans  que  l'éminent  directeur  préside 
aux  destinées  de  la  célèbre  Concert-Direction,  servant  avec  une  rare  intelligence  la 
cause  des  artistes  et  de  l'art.  L,  P, 


Munich.  —  Au  Théâtre  de  la  Cour  viennent  d'être  mises  en  scène,  comme  nou- 
veautés, la  Feuersnot,  de  Rich,  Strauss  (sous  la  direction  de  l'auteur),  et  la  Cabrera,  de 
G.  Dupont. 

Aux  Concerts  Kaim,  G,  Schneevoigt  a  brillamment  conduit  la  Symphonie  fantas- 
tique de  Berlioz. 


Bologne.  —  Voici  les  nouveautés  qui  seront  données  cet  hiver  aux  Concerts  Mu- 
gellini  (dirigés  par  Bruno  Mugellini)  :  (Quintette  de  C.  Franck;  Concerto  pour  deux  pia- 
nos de  Bach  ;  E.  Bossi  :  Trio  Sinfonico  ;  Sonate  de  violon  de  Rich.  Strauss  ;  Concerto 
de  violon  de  Brahms;  Finlandia  de  Sibélius  ;  Turandot  de  Busoni,  etc. 


Pétersbourg,  —  Les  prix  de  la  Fondation  Glinka  viennent  d'être  attribués 
par  MM,  Rimsky-Korsakow,  Glazounow  et  Liadow,  aux  compositeurs  dont  les  noms 
suivent  : 

M.  A.-S.  Arenski,  pour  l'introduction  de  son  opéra  Nala  et  Damajanti,  300  roubles; 
M.  J.-J.  Withol,  pour  des  variations  sur  un  chant  populaire,  300  roubles  ;  M.  R.-M. 
Glière,  pour  son  sextuor,  op.  i,  500  roubles  ;  M.  N.-A.  Szokolow,  pour  deux  chœurs 
à  trois  voix  de  femmes,  400  roubles  ;  M.  A.-N,  Scriabine,pour  sa  deuxième  symphonie, 
op.  2g,  1,000  roubles;  M.  Serge  Tanejew,  pour  son  ouverture  de  l'opéra  Orestie  100 
roubles. 

Vienne.  —  Mme  Wanda  Landowska  vient  d'être  acclamée  ici  après  sa  délicate  in- 
terprétation des  plus  charmants  chefs-d'œuvre  de  J,-P.  Rameau,   Gouperin-le-Grandj 


—  8o  — 

Scarlatti,   de    Chambonnières,    etc.,   groupés  poétiquement    dans  un    programme  gé- 
néral comprenant  :    i  "   Dans    la   Forêt  ;    2"   A   travers   les   Prairies  ;  y'  Fête  du  Vil- 

Barcelone.  —  On  vient  de  représenter  au  Théâtre  Principal  un  ouvrage  de  M.  Fe- 
lipe Pedrell,  l'éminent  compositeur  et  critique,  dont  le  Courrier  Musical  a  longuement 
parlé  dans  son  numéro  du  i"  février  1905.  Cet  ouvrage  très  remarquable  est  intitulé  : 
La  Matinada. 

Tournai.  —  Vif  succès  pour  M.  Boucrel,  l'autre  dimanche,  dans  l'intéressante 
exécution  de  la  Marie-Madeleine  de  Massenet,  brillamment  dirigée  par  M.  H.  de 
Loose. 


Monaco.  —  Un  grand  concours  international  de  musique  aura  lieu  à  Monaco  les  2, 
3  et  4  juin  1906  sous  le  patronage  de  S.  A.  S.  le  Prince  de  Monaco  et  avec  le  concours 
des  sociétés  musicales  de  Monte-Carlo  et  de  la  Principauté.  Demander  tous  les  rensei- 
gnements à  M.  Percheron,  secrétaire  général. 

Hanoi  (Tonkin).  —  Une  Société  Philharmonique  vient  d'être  fondée  à  Hanoï  ! 
L'orchestre  se  compose  de  37  musiciens,  sous  la  direction  de  M.  Cornet  :  ce  dernier 
annonce  l'audition  d'œuvres  de  Beethoven,  Berlioz,  Bizet,  d'opéras  de  Massenet,  Puccini, 
Mascagni,  etc..  

Nouveautés   musicales   reçues 

Six  mélodies,  de  Mlle  Germaine  Corbin  :  Le  Soir  (Albert  Samain),  Chanson 
roumaine  (Hélène  Vacaresco),  Menuet  (Fernand  Gregh),  Sérénade  Vénitienne  (A.  de 
Bigault),  Madrigal  (Jean  Lahor),  Nuit  d'Eté  (Paul  Bourget).  Empreintes  d'une  distinc- 
tion et  d'un  charme  confinant  à  une  séduisante  originalité,  ces  mélodies  sont  écrites  avec 
élégance,  —  non  sans  péril  pour  l'interprète  qui  ne  les  aurait  pas  attentivement  appro- 
fondies, —  et  dénotent  une  nature  de  musicienne  infiniment  délicate. 

Editées  chez  Grus,  Paris. 

Sérénade  pour  Piano,  de  Joseph  Jongen,  dont  la  solide  écriture  et  l'exquise  poé- 
sie confirment  le  talent  et  les  pensées  caressantes  que  de  précédentes  œuvres  nous 
avaient  déjà  révélés. 

Editée  par  V«  Edition  Mutuelle  )),  Paris. 


VERLAG  VON  RAHTER  (LEIPZIG) 

RiCH.  Fricke  :  Ailes  Mogtiche.  Pièces  pour  piano. 
Arthur  Hinton  :  4  Bagatelles  pour  piano. 
Max  Laurischkus  :  Esquisses  pour  piano. 
AuGUST  NoLK  :  Morceaux  mélodiques  pour  piano. 
L.  ScHYTTE  :  6  morceaux  pour  piano. 
E.  Wolf-Ferrari  :  Impromptus  pour  piano. 
Paul  Zilcher  :  Esquisses  pour  piano. 


Ouvrages  reçus 


p.  de  Ménil  :  L'Ecole  Contrapuntique  Flamande  Aux  xv°  et  x\i'  siècles 

C'est  la  réunion  en  un  volume  des  articles  parus  en  1904  et  1905  dans 
le  Courrier  Musical. 

Marcel  Clavié  :  Benjamin  Godard,  étude  biographique. 

D""  Johann  Branberger  :  Musikgeschichtliches  aus  Bckhmen. 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 

Paris-Thou«rs,  Imprimerie  Nouvelle 


Salle  ERARD,  15,  tub  un  Mail 


Le  MERCREDI  17  JANVIER  1906,  à  9  heures  du  soir 


DONNE    PAR    M. 


Î^pis  Babinsteiiî   Wieiî   19  00 

<^?^::>^  PROGRAMME  ^^^ 

1.  Toccata  et  Fugue  en /// ;7z//i6V/r,  pour  piano J. -S.  Bach 

2.  Sonate  eximi,  Op.  loq     ..     ..      Beethoven 

Prélude,  Aria  et  Finale C.  Franck 

4.     a  Impromptu  Qnfa  mineur G.  Fauré 

h  Jardins  sous  la  pluie C.Debussy 

c  Rhapsodie  en  mi  bémol ,     J.  Brahms 

d  Quatre  Etudes,  Op.  25,  la  bémol,  fa    mineur,   fa  ma- 
jeur, ut  mineur Chopin 


^ 


PRIX  DES  PLACES  : 

FAUTEUIL     DE    PARQUET     :     10     FR.   GALERIE   :     5    FR. 


Billets  à  l'avance   ;   A  la  SALLE  ERARD  ;   chez  MM.   DURAND  et  Fils,  Éditeurs,  4,   place  de  la  Madeleine 
et  à  la  SOCIÉTÉ   MUSICALE,   32,   rue  Louis-le-Grand.  —  Tél.   277-20 


SOCIÉTÉ  MUSICALE  (d.  ASTRDG  &  Gie),  32,  rue  Louis-le-Grand  (Paviiloa  de  Hanovre)  FÂRIS 


SALLE   PLEYEL,    22,   rue   Roehechouart 


Vendredi   19  Jarjvier   1906,  à  9  I^eures   précises  (Ouvertures  des  Portes  à   8  heures   1I2) 


1 


AUDITION     B'QSUVRES    DE 
Qéè'aï  ^ïanci,  Vincent  d'S^ndy^  êr  Q,  S)eêu&&^ 

Programme 

1  Sonate,  Piano  et  Violon C.   Franck. 

Mlle  B.  Selva  et  M.  Pomposi. 

2  Quatuor  à  cordes C.  Debussy 

MAI.    Po.MPOSI,    DE    BrUYNE,    MiGARD,    SciI  IDENHELM. 

3  Valses  pour  Piano V.  d'Indy. 

Mlle  B.  Selva. 

4  Quintette,  Piano  et  instruments  à  cordes C.   Franck, 

Mlle  B.  Selva,  MM.  Pomposi,   de  Bruyne,  Migard  et  Sciiidenhelm. 

P»RIX     DES     PLACES: 

Fauteuil  de  Grand  Salon  10  fr.    —    Fauteuil  de  Petit  Salon   5    //'. 


On  trouve  des  Billets  chez  M.M.  A.  DURAND  et  Fils,  4,  Place  de  la  Madeleine; 
à   la  Salle  PLEYEL,   22,  rue  Rochechouart  et  à  l'Agence  E.   DEMETS,   2,    rue  de  Louvois 


SOCIÉTÉ  AîUSIGEL-E  (G.  Est3?ac  &  0'^)  33,  bouleyard  des  Italiens  -  Pavillon  de  Hanovre 

SALLE  DES  AGRICULTEURS,  8,  rue  d'Athènes 
LE  SAMEDI  20  JAIVVIER   1906,  à  9  h.  1res  précises  du  soir 


G  O  ISr  Cl  E  3FI  T 


Donné  par  le  Violoniste 


I.  SONATE,  pour  Piano  et  Violon,  en 

ré  majeur,  Op.   12,  n"i  ...      BEETHOVEN 

M.  HEGEDUS  et  Mlle  Lily  H  EN  K  EL. 

CONCERTO  en  r«  ;;»■«««-    ....      TARTINI  a6''^2-1770) 
M.  HEGEDUS. 

a  ARIA BACH 

b  MENUET MOZART 

M.  HEGEDUS. 

4.  a  ÉTUDE  POSTHUME chopin 

b  ÉTUDE,  Op.  2Ç,  n"  I.    .      ..    .  .         id. 

c  FANTAISIE-IMPROMPTU  ...         id. 
Mlle  Lilv  H  EN  K  EL 


Avec  le  Concours  de  Madame 

Lily    HENKEL,     Pianiste 


5.  rt  ADAGIO    DU    CONCERTO    en 
ré  majeur R.  STRAUSS 

b  PERPETUUM  MOBILE  ....     NOVACEK 
M.  HEGEDUS. 

6.  SÉRÉNADE  MÉLANCOLIQUE  ..     TSCHAIKOWSKY 
M.  HEGEDUS. 


7.  ADAGIO  ET  RONDO 

DU  CONCERTO  enfadiè-emin. 
M.  HEGEDUS. 


VIEDXTEMPS 


AU    riaiio   d'Acrompngnemfiit  :  M.  Eugène  WAGNER 


PEIX    DES    PLACES     :     Parquet  :   Fauteuils  lire  Séries  10  fr      —    Fauteuils  (Snie  Série),  5  fr.    —    Galerie 

(Icv  Rail?),  3  fr.  —  Autres  Rar^gs,  2  fr. 

Billets  à  l'avance  :  A  la  Salle  des  Concert",  S,  rue  d'Athènes  ;  chez  Mrs  DURAND  &  FILS,  Editeurs,    4,   place  de 
la  Madeleine  et  à  la  Société  Musicale,  J2,  r%ie  Louis-le-Grand.  —  Tèléph.  277.20 

Administration  de  Osncirts  L  SMDELOT,  i3,  rue  d'Amsterdam 

SALLE     PLEYEL 

IMARTDI     23     Janvier     10OQ,     à     9     lieiires     du     soir 

GO]XrC!EÏ=iT    donné    par   Madame    B^arie   -A.^V"ÏGE 

PP^OGhtcAMMiE 

1.  a  Plaisir  d'Art our Martini. 

b  Ophélia A.  Tariot. 

Violon  :   M.  Louis  Duttenhofer. 

Piano  ;  L'AUTEUR. 

c  Pourquoi  je  pleure Louis  Ancel. 

^  Les  trois  oiseaux id. 

Mme  Marie  Avice. 

2.  Fantaisie.    .. George  Hue 

M,   Louis  Duttenhofer. 

3.  a  Iphigénie  en  Tauride 

(Air  du  Songe) Gluck. 

è  Haï  Lulli A,  CoauARD. 

Mme  Marie  Avice. 

4.  Joies  et  Douleurs   Poëme  d'amour)     A.  CoaL'ARD 

{Poésie  de  Cécile  Founery-Coquard). 

5.  a  Andante L.  Lalo. 

è  Danse  Hongroise Brahms. 

M.  Lotus  Duttenhofer. 


6.  a  Salut,  ô  beau  jour  ....     .  . 

{Extrait  de  Rube-ahl,  Légende  svmpb.] 

b  Tristesse 

c  Fé^ia 

Mme  Marie  Avice. 

7.  a  Le  Désert.        .         

(Poésie  de  Leconite  de  l'isle) 
b  Arittte  oubliée     

(Poésie  de  Paul  l^erlains) 
c  Soir  de  Printemps 

(Poésie  de  A.  Sainain) 

Violon  ;   iVl.  Louis  Duttenhofer. 

Piano  :  L'AUTEUR. 

M.  Bréniont. 
8   ^  Mes  yeux  pleuraient  en  rêve.. 

b  Dans  la  Forêt 

c  J'ai  pardonné 

d  En    fconge,    dans    l'ombre,    je 

te  voi.s  ! 

Mme  Marie  Avice. 


George  Hue. 

G.    PlERNÉ. 

C.  Erlanger. 

\  Adaptations 

1  musicales 
l  de 

,  A.  Tariot 


SCHUMANN 

id. 
id. 

id. 


Au   riaiio  d'Aci'omiJiigncment  :  M.  Faul  HÉRAED 
PRIX  DES  PLACFS  :   Grand  Salon   :   10  francs.  —  Salon  de  Côté   :   5  francs. 


SALLE      PLEYEL 

MERCREDI    31     JANVIER     1906     à    9     heures    du    soir 

CONCERT     DONNE     PAR 

Mademoiielie  JaneîGHEVALÎlîl     |        M.  Joseph  BOULNOis 

^^2Z"~^^  Avec  le   Cf>iicours   de 

'e  ffîapgae:?ite   KE^"Eii,   SolJste  des  Concerts  Lamoureux  et   d'un  DOUBLE    PATUOR 


1.  a  Fantaisie  et  Fugue  (sol  mineur).  J.-S.  Bach. 

2.  /)  Choral  Agnus  Dei id. 

Orgue  :   M.Joseph  Boulitois. 

2.  a  Le  Noyer        Schumann. 

b  Air  de  Judas  Macchabée     .     .  Haendel. 

Mlle  Marguerite  Revcl. 

3.  Sonate,  Op.   57  I  fa  mineur] Beethoven.- 

Mlle  Jane  Chevalier. 

4.  a  Pièce  syrophonique        J.  Boulnois. 

b  Marche  Nuptiale Aï.  Guilmant. 

c  Scherzo  de  la  2"""  symphonie.  ...  L  Vierne. 
urgue  :  M.Joseph  Boulnois. 

PRIX  DES  PLACES 


5.  a  Les  Bei ceaiix G.  Fauré. 

b  Aurore        id. 

Mlle  Marguerite  Revel. 

6.  rtScheizo       ■  Chopin. 

b  Romance  (la  bémol) .  .  G.  Fauré. 

cimorcmptu     id. 

Mlle  Jane  Chevalier. 

7.  Andante  et  Finale  delà  1"  symph.  L.  Vierne. 

Orgue  :  M.  Joseph  Boulnois. 

S    Wedding  Cake ...     .  Saint-Saens. 

Mlle  Jane  Chevalier  et  le  Double  Quatuor. 


Fauteuils  (irc  fc'ric)   •  dO  fr.  —  Fa' teuils  '2me  série'       fr. 

BILLETS  :  Salli- PLEYEL  et  à   l'A  1  minisiraiion  des  Concerts  A.  DANDELOT. 


Edition     RlCORDh     H,  Rue    De    Lisboooe,    PARIS 


Méthode  complète  de  Violon. 
I^a.r»  -A.llDer»-to  !Oa.oliro.a.rm. 


NET  :   8   Fr, 


EDitiût)    ASTKUC    ^    C'^    52,    Rue    Louis-le-Grao;) 

Chanson  Provençale. 

Chanson  Bohémienne. 

Eglogue. 

Zapateado  (Danse  Espagnole) 

2'  Mazurka  de  Concert. 


Librairie    FISCHBACHEK»    55.   Rue   De  Seioe 

Pour  paraître  prochainement  : 

LUTHERIE    —     ŒUVRES     —     LES     VIOLONISTES 

PRÉFACE      DE 

HENRY  GAUTHIER=VILLARS 


"uVlAAAAAjv^- 


Eôitiûo  SCHOTT  F'is.  M^y^ice 


Concertino    en  ré. 
Mazurka  sentimentale. 


NET  :  3   Fr.  75. 


E^itior)    HAMELLE»    22,   goulecard    Malesberbes,  PARIS 
GEijLvi-es     d'-A^llDerto     BactLixiann 

Séville. 

Suite  pour  deux  violons   et  piano. 

Elégie. 

Mazurka  de  Concert  en  mL 

Pavane. 


25,   rue  Pierre  Charron 
Le    DIMANCHE    28     JANVIER     1906,    à    3     heures    précises 


¥I§¥IQOE 


AU     PROFIT    DE 

L^œuure  5cs  petites  filles  abar)Doi)r)ées  et  sar)s  asile 

Autorisée  par  arrêté  préfectoral,  subventionnée  par  la    Ville    de    Paris 


M.   Sully-Prud'homme,  Président  d'Honneur. 
M.  le  Général  Février,  Vice-Président. 
M™"  la  Comtesse  de  Clarens,  Présidente. 


PROGRAMME 

PREMIÈRE     PARTIE 


1 .  Sonate 

L'Auteur  et  M.  Alberto  Bachmann. 

2 .  a  Chant  des  Fileuses 

h  Air  de  Liouise 

Mlle  iJarmières,  de  l'Opera-Coinique. 

3 .  a  Arietta  variée 

b  Polonaise     . 

Mme  Rooer-'Miclos. 

4.  a  La  Jolie  Pille  de  Parth    (Air  de  l'Ivresse) 

b  L'heure  d'azur 

c  Nos  Deux  Grenadiers. 

M.   Louis-Charles   Battaille 

5.  Poésies. 

Mlle  Lherbav,  du  Tliéàlre  Français. 

b .  a  II  faut  aimer 

b  La  Fiancée 

c  Tir  de  la  Naïde  (Armide) 

Mme  Pauline  Smyth,  de  V Opéra-Comique. 

7.  La  Streghe   (Danse  des  Sorcières) 

M.   Alberto  Bachmann. 

8.  a  Le  Cid 

b  Nativité  .....     •    ••  ;, , 

i\/.  }\L^urice  Gerval,  du  Théâtre  Sarah-Bernard. 

9.  Duo  de  la  flûte  enchantée. 

i\///t'  Nina  Varney  et  M.  Bouvet. 

10  La  Peur.  (Pièce  en  i  acte) 

Mlle  DorT^iat  et  MM.  XXX,  du  Vaudeville. 

TEUXIÈME     PARTIE 

1 .  a  Sur  le  lac 

b  Tarentelle ^ 

^L  (Jhoinet,  violoncelliste-solo  des  Concerts  Colonne. 

2.  a  Le  Prophète  (Air) 

^  Le  Barbier  de  Séville  (Air) 

Mlle  jenny  Passama,  de  l'Opéra. 

3     a  La  Vaise  .  T 

fc  L'Épingle  sur  la  Manche 

Mme  Ducellier-Mouod. 

4.  a  La  Cigale  et  la  Fourmi  (Duo  du  Petit  Noël) 

Mlles  Dubois,   de  l'Opéra-Comique  et  Nina  Varney. 

5 .  a  Humoresque 

b  Zapateado  (Danse  espagnole)     

AL  A.  Bachmann. 

6 .  a  Romance  de  Joconde 

b  Plaisir  d'amour 

7.  M.  Dominique  Bonnaud  dans  ses  œuvres. 

8.  La  Bourrasque  (Pièce  en  i  acte) 

Mme  Ducellier-Mouod  et  Ai.  Davin,  du  Palais-Royal. 

M.  LUZZATI  tiendra  le  Piano  d'Accompagnement. 
Piano    PLEYEL 


F.  DE  LA    TOxMBELLE. 

Abriès-Bachmann. 
Charpentier. 

Haydn. 
Chopin. 

G.  BiZET. 

A.   Holmes. 

SCHUMANN. 


Louis  Urgel. 

H.    DE    CaLLIAS. 

Gluck. 

Paganim. 

Barbey  dAurévilly. 
Jean   Guiselin. 


Duquesnel 


B.    Godard. 

D.    POPPER. 

Meyerbeer. 
RossiNi. 

Theuriet. 
Nadaud. 

AUDRAN. 

A.     DvORRAK. 

A.   Bacii.mann. 

A^icolo. 
Martini, 

Charles   Pulet, 


On   trouve    des   billets  au   Cazar  de  la  Charité;    au  Secrétariat  de  l'Œuvre,  9,   rue  Lauriston  ;    dans  l;s  agences 
de  Théâtres  et  chez    MM.   DURAND,   GRUSS  et   ENOCH,   Editeurs. 


Affections 


DU 


Foie 


ET    DE 


l'Estomac 


Institut  Musical  de  France 

12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (12^)  téléphone  924-70 

l7arrnonisalion,    Orcl^cstralion  ;    ^rrangcrnent    de    toutes    œuvres    pour    Piarjo» 
ï^arinoriie,  Orcl^estre  svrrîpl^orjique,  etc.  Gravure  et  Edilion 

Examen  et  correction  de  toutes  compositions  musicales.  —  Conseils  aux  débutants  et 

consultations  techniques 

>-*-o-«-« 

L'Institut  Musical  de  France,  qui  compte  parmi  ses  Collaborateurs  les  Professeurs  et  les 
Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  charge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Etranger.  Son  organisation 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


I; 


9e  ANNÉE.  N°3.   l«r  Février  1906, 


Directeur  :  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 
^OMMAIRE  : 


Lettres  Inédites    (suite)  de    GUILLAUWE  LEKEU 
L'École  des  Amateurs 

(suite)  VII JEAN  D'UDINE 

"  L'Etoile  ",  fragment 

Les  Grands  Concerts  : 

Colonne,  Lamoureux, 


Conservatoire . 


) 


VICTOR  OEBAY. 
JEAN  O'UDINE. 
I. 


La  Quinzaine  Musicale  (Les  Concerts  du 
London  Symphony  orchestra,  Société  Tbilhar- 
monique,  Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale, 
Société J .-S .  'Bach,  Les  Soirées  d'Art,  Quatuor 
Parent . 

Concerts    Divers    :    Sona- 

tières  et  alentours D'JINN. 


Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

Lettre  de  Munich E,  DE  STŒCKLIN 

Lettre  de  Berlin L.  POMMELLE 

Correspondances  de:LB  Havre,  Nantes,  Nancy, 

Francfort-sur-Mein  . 

Concerts  Annoncés. 

Echos  et  Nouvelles. 

(    miCHEL  BRENET 
Bibliographie ....^   w.-o.  CALVOCORESSI 

Nouveautés  Musicales,  Ouvrages  Reçus. 
Table  des  Matières  de  l'année  1905 


Administration  et  Rédautiua  :  Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  la 

nc\    r>i  Tir^  T'rk/^ivT/-'ijr-"T'    -r-»  a  -rixo  /r>.\  Rédaction  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 

29,  RUE  TRONCHET,  PARIS  (8«)  ^^  samedi,  de  /o  heures  à  nudi. 

TÈLKPHOIVE  252.95 


Bureau;c  ouverts 

de  lo  h.  à  midi  et  de  j?  fc.  à  6  h. 


Le  numéro  :  75  centimes 


Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musica 

(le     !«"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 


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Paris  et   Départements....     12  francs  11 

(    Étranger 15         »  » 

Le    Numéro  :   75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (IQ") 


Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8®)i 


(TELEPHONE  :    252-95) 


COLLABORATEURS 


MM.  Âguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  -^ 
J.  Chantavoine  —  Camille  CheviUard  —  D*^  Colas  —  M.  Daubresse  —  VictojP 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot  —  René  Deire  —  F.  Drogoul  -^ 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  --  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  -+ 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  •—  E.  Giovanna  —  Orner  Guiraud-^j 
F.Hellouin  —  Vincent  d*Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp^l 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair-^ 

-m 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octaviji 

Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — | 
J.  Sauerwein  —  A.  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Schar-wenka  -4 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D*^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuilij 
lermoz,  etc  .. 


Le  Courrier  Musical  est  ea  ireute  : 
A  PARIS:    ^9)  rue  Tronchet. 


Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines.  j 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  Àuitr, 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  3,  Faubourg  Saint-Honoré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
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MM.    BR€ITKOPF    d   HJERTEL,  à  LEIPZIG 


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(  MM.   BREITKOPF  d   MORTEL,    54,    Malborough-Street,' 
l  LONDON-W. 


, 


9"  ANNEE.  N"  3.  !«■•  FÉVRIER  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu  (suite).  —  L'Ecole  des  Amateurs 
{suite)  VII  (Jean  d'Udine).  —  L'Etoile,  fragment  (Victor  Debay).  — ■  Les  Grands 
Concerts:  Colonne,  Lamoureux,  Conservatoire  (Jean  d'Udine,  L).  —  La  Quinzaine 
Musicale  :  Les  Concerts  du  Lcndon  Symphony  Orchestra,  Société  Philharmonique,  Con- 
certs Le  Rey,  Société  Nationale,  Société  J.-S.  Bach,  Les  Soirées  d'Art,  Quatuor  Parent. 
—  Concerts  divers  :  Sonatières  et  les  alentours  (D'jinn).  —  Le  mouvement  musical  en 
province  et  à  l'étranger  :  Lettre  de  Munich  (E.  de  Stœcklin).  Lettre  de  Berlin 
(L.  Ponnelle).  —  Correspondances  de  :  Le  Havre,  Nantes,  Nancy,  Francfort-sur- 
Mein.  —  Concerts  annoncés.  —  Échos  et  Nouvelles.  —  Bibliographie  (Michel  Brenet, 
M.-D.  Calvocoressi).  —  Nouveautés  musicales.  —  Ouvrages  reçus.  —  Table  des 
matières  de  l'année  1905. 


Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu 

(Suite)  (  I  ) 


II.   -  Lettres  à  M.  Kéfer,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  de  Verviers 
(écrites  pendant  son  séjour  à  Paris  en  1 889-1 890) 

[Suite) 


Paris,  samedi  15  décembre  89. 
Cher  monsieur  et  ami, 

Pardonnez-moi,  je  vous  prie,  le  silence  que  je  garde  depuis  votre  si  aimable 
lettre  ;  mais  je  suis,  depuis  quelque  temps,  vraiment  surchargé  de  besogne.  Franck, 
de  plus  en  plus  satisfait  de  mon  contrepoint  à  3  parties,  m'a  brusquement  planté  dans 
les  enchevêtrements  du  même  contrepoint  à  4  parties,  alors  que  je  comptais  me  promener 
encore  un  bon  mois  au  moins  dans  les  sentiers  (peu  remplis  d'ivresses)  du  fleuri  à  5 
voix. 

En  outre,  Franck  veut  me  précipiter  le  plus  rapidement  possible  dans  la  fugue. 
Aussi,  c'est  à  chaque  leçon  le  même  conseil  :  «  Cela  marche  sur  des  roulettes  ;  appor- 
tez-moi beaucoup  de  travail,  de  façon  à  abattre  une  espèce  ou  un  mélange  d'espèces  à 
chaque  fois.  »  Et,  trois  jours  après,  j'encre  chez  lui  avec  des  dix,  douze  pages  de  mu- 
sique ! 

Ne  croyez  pas  que  cela  soit  tout.  ]e  me  suis  amusé  à  recopier  de  la  musique  de 
Franck  :  le  prélude  de  Ruth  et  le  morceau  symphonique  qui  ouvre  la  deuxième  partie 
du  poème  Rédemption.  Celui-ci  est  absolument  un  colossal  chef-d'œuvre.  Le  connais- 
sez-vous? C'est  pour  moi  (les  œuvres  de  Wagner  mises  à  part  bien  entendu),  l'œuvre 
la  plus  pleinement  géniale  que  puisse  compter  la  musique  religieuse  depuis  la  Messe  en 


("i)  Voir  notre  numéeo  du  i"  janvier  renfermant  également  une  notice  biograpliique  sur  G.  Lekeu. 


—    82    — 

Ré  du  Dieu  Beethoven.  A  ce  propos,  permettez-moi  de  vous  parler  encore  de  Franck  : 
je  sais  ainsi  ne  vous  ennuyer  nullement.  C'est  un  arrangement  à  deux  pianos,  fait  par 
son  élève  Pierre  de  Bréville,  que  j'ai  recopié.  En  lui  reportant  le  morceau  gravé  (édité 
chez  Hartmann),  j'en  ai  demandé  à  Franck  la  partition  d'orchestre;  et,  comme  je 
m'étonnais  qu'elle  ne  fût  pas  encore  éditée,  Franck  me  dit  ces  mots  navrants  :  «  Mon 
ami  ne  comptez  pas  l'avoir,  maintenant  du  moins.  C'est  là,  pour  un  éditeur,  une  grosse 
dépense!  Si  le  m.orceau  se  jouait  à  Paris,  cela  lui  donnerait  un  petit  cachet  (sic!). 
Alors,  peut-être,  Hartmann  consentirait  à  le  publier,  ou  si,  par  hasard,  je  devenais 
célèbre...  Non,  vraiment,  n'y  comptez  pas.  » 

Cela  pourrait  se  passer  de  tout  commentaire.  Mais  vous  voyez,  n'est-ce  pas,  cet 
homme  étonnant,  l'auteur  du  Quintette  en  fa  mineur,  celui  dont  l'âme  géniale  et 
sereine  n'est  faite  que  de  bonté,  de  religion  et  de  simplicité  grandiose,  —  disant  à 
soixante  ans  :  «  Si  je  devenais  célèbre...  »  et  parlant  avec  un  ineffable  sourire  du 
«  petit  cachet  »  que  donnerait  à  son  œuvre  une  exécution  devant  l'ignoble  public  pa- 
risien I...  Il  est  difficile  de  ne  pas  se  sentir  le  cœur  glacé  et  serré  jusqu'à  la  mort, 
quand  on  pense  à  ces  choses,  quand  on  pense  qu' Esclarmonde  est  l'œuvre  du  jour!... 

Vous  savez  aussi  que  l'Opéra  a  repris  Lutie  !  Vous  devez  en  être  bien  heureux. 
Pour  moi,  je  ne  m'en  sens  pas  d'aise...  En  voilà  assez,  trop  même,  sur  un  sujet  aussi 
pénible.  Vous  me  demandez  bien  amicalementde  vous  tenir  au  courant  de  toutceque  je 
fais.  Je  m'exécute  avec  la  plus  entière  franchise  :  je  travaille  les  Toccatas  pour  piano, 
de  Bach,  et  je  relis  sans  cesse  les  quatuors  et  les  trios  du  mage  Beethoven. 

Vous  m'annoncez  pour  cet  hiver  des  concerts  admirables  qui  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  les  abominables  salmis  antimusicaux  que  servent  hebdomadairement  X.  Y.  à 
des  publics  appropriés.  Dites-moi,  je  vous  prie,  vers  quelle  date  vous  pensez  donner 
îés  12*,  13^,  et  14^  quatuors  ?  Si  Vous  donniez  l'un  d'eux  avec  le  quintette  du  maître 
et  un  trio  de  Beethoven,  vous  pourriez  être  assuré  d'avoir  pour  auditeurs  un  de  mes 
amis,  docteur  en  droit,  et  moi-même,  tous  deux  archi-fous  de  ces  divines  musiques. 
Nous  avons  décidé  de  faire  à  cette  occasion  le  voyage  de  Verviers.  Je  vous  prie  bien 
instamment  de  nous  accorder  cette  grande  joie. 

J'ai  lu  à  Franck  votre  bonne  lettre.  Elle  l'a  rempli  de  joie.  Son  quatuor  n'est  pas 
entièrement  terminé  ;  dans  huit  ou  dix  jours  il  espère  l'avoir  fini.  Ce  sera  le  digne 
frère  du  Quintette,  car  Franck  me  l'a  fait  entendre  au  fur  et  à  mesure  qu'il  le  tra- 
vaillait. Je  vous  en  annoncerai  la  publication  dès  qu'elle  me  sera  connue.  Recevez, 
pour  la  demande  que  vous  en  faites,  tous  les  remerciements  de  mon  maitre* 

J'ai  votre  trio  et  l'ai  lu.  J'ai  essayé,  mais  vainement,  d'y  saisir  le  moindre  rap- 
port avec  la  non-musique  du  cuistre  Bazin.  Peut-être  l'ai-je  encore  trop  peu  lu.  Je  n'ai 
vu  tout  simplement  qu'une  œuvre  saine,  franche,  bellement  musicale,  pleine  de  pas- 
sion, de  mélancolie  (dans  le  final,  se  transformant  en  douleur  énergiquement  domi- 
née), en  un  mot,  tout  expressive.  Vous  avouerai-je  que  je  ne  puis  trop  admirer  à  mon 
gré  la  transformation  que  subit,  dans  le  discret  et  charmant  Interme^^o,  un  motif  mé- 
lancolique qui  devient  un  choral  pleinement  religieux  ?  J'ai  retrouvé  là  un  phénomène 
psychologique  par  moi-même  bien  souvent  ressenti  :  la  rêverie  partant  d'une  joie  très 
douce  et  très  calme,  devenant  mélancolie  et  conduisant  invinciblement  à  l'idée  de 
Dieu.  Et  vous  avez  indiqué  cette  grande  vérité  de  la  façon  la  plus  sobre  et  aussi  la 
plus  précise.  Pardonnez-moi  tous  ces  compliments.  Vous  me  demandez  de  dire  fran- 
chement mes  pensées  :  je  vous  obéis,  tout  simplement.  Ce  n'est  certes  pas  ma  faute 
si  votre  œuvre  me  séduit  ;  vous  n'avez  à  accuser  ici  que  vous  seuL  Voilà  à  quoi  on 
s'expose  en  écrivant  de  la  musique  pour  soi-même.  On  est  expressif  et  on  entre  dans 
le  sanctuaire  de  l'Art.  (L'expression  est  peut-être  bien  vieille,  mais  elle  exprime  toute 
ma  pensée,  car  elle  est  aussi  éternellement  jeune.) 


-83- 

Pour  les  traités  de  contrepoint,  Franck  me  charge  de  vous  dire  qu'il  apprend  le 
contrepoint  sans  traité,  rien  que  par  les  conseils  oraux  ;  il  trouve  d'ailleurs  tous  les 
traités  déplorables.  Il  ne  connaît  que  très  peu  celui  de  Bazin,  qui  m'a  paru  ne  pas  lui 
inspirer  grande  confiance  ;  c'est  celui  qu'on  suit  au  Conservatoire. 

Franck  fait  travailler  le  contrepoint  en  prenant  pour  thèmes  des  chants  religieux  : 
Stahat  Mater,  Dies  irœ,  Jesu  Redemptor,  etc.  Il  veut  que  le  travail  brodé  sur  ces  admi- 
rables mélodies  : 

1°  Sonne  bien  (soit  musical,  si  vous  préférez)  ; 

2°  Soit  expressif  (surtout  !) 

C'est  ce  qu'il  appelle,  avec  raison,  introduire  la  viedans  une  étude  qui^autriement 
comprise,  est  la  sécheresse  suprême. 

Je  me  vois  obligé  de  commencer  une  troisième  feuille  pour  vous  dire  que  le  con- 
trepoint est  bien  loin  de  me  faire  oublier  ce  à  quoi  je  me  dois  moi-même  :  la  composi- 
tion musicale.  J'ai  terminé  aujourd'hui  une  fugue  à  quatre  voix  pour  piano.  Si  vous 
me  le  permettez,  je  la  recopierai  et  vous  l'adresserai.  En  toute  franchise,  je  vous 
avouerai  qu'elle  me  satisfait  moi-même  ;  je  crois  qu'elle  forme  Un  tout  et  que  chaque 
mesure  y  dit  quelque  chose.  Peut-être  n'est-ce  là  que  pure  illusion  ;  si  vous  le  désirez, 
je  vous  mettrai  à  même  d'en  juger.  — Je  vous  ai  parlé  de  mon  futur  essai  scénique  : 
Barherine,  que  j'ai  dû  abandonner.  J'ai  écrit  pour  ce  drame  tout  intime  un  Prélude  que 
j'ai  montré  à  Franck  :  il  en  a  été  fort  content  et  ne  m'a  pas  épargné  les  compliments 
(loin  de  là  !)  Mais  il  m'a  recommandé  de  ne  pas  écrire  de  suite  pour  l'orchestre.  Je 
suivrai  son  conseil.  Néanmoins  ce  Prélude  a  son  orchestration  entièrement  esquissée  ; 
il  ne  me  reste  vraiment  plus  qu'à  en  écrire  la  partition.  De  même  pour  une  Etude 
symphonique  en  forme  de  Chant  de  triomphale  délivrance  (i)  qui  est  terminée  depuis 
bientôt  un  mois,  sur  quatre  ou  cinq  portées  surchargées  d'indications  instrumentales. 
Ces  deux  morceaux  et  ma  fugue,  voilà  mon  travail  depuis  le  mois  d'octobre....* 


Paris,  i8  janvier  1890. 

...  Je  pourrai  plus  tard  répondre  à  la  question  que  vous  me  posez  dans  votre 
dernière  lettre  :  Que  pense  Franck  de  la  musique  à  programmé  ?  Je  n'ai  pas  encore  touché 
ce  sujet  avec  lui  ;  cependant,  d'après  sa  tournure  d'esprit  habituelle,  je  me  crois  déjà 
autorisé  à  vous  dire  que  son  avis  sur  cette  question  (plus  facile,  au  fond,  qu'elle  n'en  a 
l'air),  que  cet  avis,  dis-je,  est  identique  à  celui  de  Beethoven  sur  le  même  sujet,  avis 
que  ce  génie  extraordinaire  a  exposé  avec  son  habituelle  concision  au  haut  de  la  pre- 
mière page  du  manuscrit  de  la  Symphonie  pastorale  :  «  Peinture  de  sentiments  et  non 
de  sensations.  »  (Cf.  l'article  publié  par  mon  ami  T.  de  Wyzewa  dans  la  livraison  du 
15  septembre  1889  de  la  Revue  des  Deux  Mondes,  article  intitulé  :  «  Beethoven  »,  mais 
qui  n'étudie  que  la  jeunesse  du  divin  Maître,  de  1770  à  1780,  je  crois  ;  c'est,  à  mon 
avis,  la  meilleure  étude,  surtout  la  plus  musicalement  intelligente  qui  ait  paru  (en  fran- 
çais) sur  ce  sujet.) 

Pour  ne  pas  quitter  Beethoven,  quand  espérez-vous  pouvoir  donner  l'op.  130  ou 
131,  ou  tout  autre  des  Quatuors  Suprêmes,  avec  le  Quintette  de  César  Faanck? 
Vous  m'avez  promis  une  audition  de  ces  œuvres  aimées  ;  je  vous  rappelle  votre  pro- 
messe. 


(i)  Première  étude  symphonique,  exécutée  pour  la  première  fois  le  15  avril   1890,  au  Concet-t  dé  l'Ecole 
de  musique  de  Verviers,  sous  la  direction  de  M.  Kéfer,  à  lui  dédiée. 


-84- 

Vous  recevrez  par  ce  courrier  un  manuscrit  qui  vous  paraîtra  sans  aucun  doute 
d'une  longueur  déraisonnable.  Excusez-moi  et  pour  sa  longueur  et  pour  la  liberté  que 
j'ai  prise  de  vous  dédier  ma  première  œuvre  orchestrale  ;  mais  j'ai  cru  que  cette  dédi- 
cace vous  revenait  de  droit,  pour  toute  la  bonté  que  vous  m'avez  déjà  témoignée,  et 
aussi  parce  que  cette  Etude  Symphonique  est,  de  tout  ce  que  j'ai  barbouillé  jusqu'ici, 
la  seule  chose  dont  je  sois  réellement  content.  Depuis  le  mois  de  novembre  j'y  tra- 
vaille. Pour  la  dernière  partie  (5  ou  6  dernières  pages  de  la  partition),  je  l'ai  bien  recom- 
mencée six  ou  sept  fois,  et  n'ai  gardé  en  dernier  lieu  que  la  version  qui  m'a  paru  la 
plus  précise  et  la  plus  concise. 

Je  vous  prierai  donc  simplement  de  lire,  dès  que  vous  en  aurez  le  temps,  cet 
essai  pour  orchestre  et  de  me  dire  sincèrement  ce  que  vous  en  pensez.  Vous  remar- 
querez que  dans  la  première  moitié,  je  fais  changer  de  ton  à  mes  trompettes,  pour  les 
garder  en  fa.  C'est  une  faute,  je  le  sais,  j'aurais  dû  les  écrire  en  fa  d'un  bout  à  l'autre  ; 
cela  serait  facile  à  corriger,  mais  je  crois  qu'à  l'exécution,  cela  ne  créera  aucune  diffi- 
culté nouvelle. 

Je  m'arrête  ;  je  ne  vous  tiendrai  que  trop  longtemps  par  mon  envoi  musical  ; 
si  je  vous  fatiguais  par  une  de  ces  lettres  de  quinze  pages  dont  je  garde  le  déplorable 
secret,  vous  m'en  voudriez  éternellement,  et  éternellement  j'en  demeurerais  inconso- 
lable. 

Votre  ami,  G.  LEKEU. 


Paris  i^''  février   1890. 

...  Je  ne  puis  que  souscrire  aveuglément  à  tout  ce  que  vous  me  dites  touchant 
Vincent  d'Indy.  Je  viens  de  passer  un  mois  à  être  malade,  et  cela  m'a  empêché  d'aller 
à  la  Société  Nationale  où  Franck  doit  me  présenter  au  jeune  maitre,  au  si  parfait  mu- 
sicien que  vous  comprenez  si  pleinement,  et  je  vous  avoue  que  des  bouffées  d'orgueil 
me  montent  au  cerveau  quand  je  me  prends  à  songer  au  bonheur  qui  m'est  échu  de 
travailler  sous  la  direction  du  génie  qui  a  si  parfaitement  développé  les  extraordinaires 
qualités  de  Vincent  d'Indy. 

Je  sors  à  l'instant  de  chez  mon  admirable  maître,  qui,  pendant  une  demi-heure, 
m'a  bombardé  de  compliments  sur  les  quatre  premières  pages  (tout  ce  que  j'ai  écrit 
depuis  un  mois  !)  d'un  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle.  —  Mais  passons.  J'ai 
donc  causé  avec  lui  :  sa  symphonie  vient  de  paraître  chez  Hamelle  en  grande  par- 
tition d'orchestre.  Pour  le  Quatuor,  on  ne  l'aura  pas  avant  mai  ou  juin  prochain  :  il 
ne  sera  joué  à  la  Nationale  qu'en  avril. 

J'ai  parlé  du  beau  concert  que  vous  prépariez,  et  il  en  a  eu,  vous  le  pouvez  aisé- 
ment croire,  la  joie  la  plus  vive.  Je  lui  ai  enfin  demandé  son  opinion  sur  la  Musique 
à  programme  et  voici  franchement  sa  réponse  : 

«  Que  la  musique  soit  descriptive,  c'est-à-dire  s'attarde  à  éveiller  l'idée  d'une 
donnée  matérielle,  ou  qu'elle  se  borne  simplement  à  traduire  un  état  purement  interne 
et  exclusivement  psychologique,  peu  importe  !  Il  faut  seulement  que  l'œuvre  soit  mu- 
sicale et  avant  tout  émotionnelle.  » 

Je  ne  sais  ce  que  vous  penserez  de  cette  opinion,  parfaitement  raisonnable  d'ail- 
leurs ;  mais,  pour  vous  donner  franchement  mon  avis,  il  m'a  paru  que  le  maître 
Franck  n'avait  pas  souvent,  ni  sûrement  réfléchi  à  ce  problème  qui,  pour  moi,  mal 
résolu,  a  égaré  Berlioz,  et  qui,  pourtant,  ne  me  parait  pas  dune  difficulté  insur- 
montable. 

Quoiqu'il  en  soit,  je  préférerai  toujours  la  moindre  page  du  Qiiintette,  du  premier 
Trio,  de  la  Symphonie,  du  quatuor  de  Franck,  à   ses  Djinns,  encore  que  l'expression  y 


-85  - 

soit,  en  bien  des  endroits,  merveilleusement  musicale.  — Jene  sais  si  vous  serez  satis- 
fait de  ces  renseignements,  mais  je  me  suis  borné  à  être  un  consciencieux  et  fidèle 
rapporteur  de  la  parole  de  mon  maître. 

Et  maintenant,  cher  Monsieur,  puisqu'il  me  faut  vous  parler  de  moi,  je  vous 
prierai,  bien  sincèrement  de  me  dire  si  vous  croyez  que  l'œuvre  que  je  vous  ai  dédiée 
mérite  ces  études  et  une  exécution  publique.  Je  voudrais  parler  de  tout  cela  avec 
vous  ;  malheureusement  nous  sommes  un  peu  trop  éloignés  l'un  de  l'autre.  Que  si 
toutefois  vous  jugez  ce  travail  assez  intéressant  pour  mériter  une  telle  récompense,  je 
crois  que  je  pourrai  prendre  pour  moi  tout  au  moins  une  partie  des  frais  de  copie.  — 
Mais  dites-moi  bien  franchement  ce  que  vous  en  pensez,  car  je  suis  très  jeune,  et 
jamais,  à  vingt  ans,  on  n'a  le  bonheur  de  rencontrer  un  ami  si  complaisamment  dé- 
voué que  vous  l'êtes  :  c'est  vous  dire  qu'il  ne  me  serait  nullement  pénible,  même 
après  les  nouvelles  si  heureusement  imprévues  que  vous  me  faites  parvenir,  d'atten- 
dre encore  quelque  temps,  quelques  années  même,  avant  de  me  faire  connaître.  Je 
dois  me  mûrir  avant  tout. 

(À  suivre). 


L'ÉCOLE  DES  AMATEURS 


PAR 


Jean    d'UDINE 


VII 

Les  Synesthésies 


22  janvier  1906. 

Je  ne  vous  ai  pas  écrit  depuis  plusieurs  semaines,  les  fêtes  du  premier  de  l'an 
ayant  désorganisé  ma  vie  régulière  d'étudiant.  Mes  parents  sont  venus  passer 
quelques  jours  près  de  moi  et  j'en  ai  profité  pour  aller  avec  ma  sœur  entendre  beau- 
coup de  musique,  soit  au  théâtre,  soit  au  concert.  Nous  avons  pris  un  grand  plaisir 
d'art  à  écouter  ensemble  des  œuvres  de  toutes  sortes  et  un  grand  plaisir  intellectuel  à 
en  causer  ensuite.  Vous  voyez,  mon  cher  oncle,  si  je  deviens  votre  disciple  !...  J'ai  lu 
et  relu  plusieurs  fois  votre  dernière  lettre,  qui  me  prêchait  le  sensualisme  artistique  et, 
cette  fois,  je  commence  pour  tout  de  bon  à  ne  voir  dans  vos  paradoxes  apparents  que 
l'expression  d'une  sensibilité  ardente  et  personnelle,  mais  très  raisonnable  en  somme, 
et  dépourvue  de  cette  sorte  d'hypocrisie  idéaliste,  dont  on  enveloppe  systématiquement 
certaines  émotions,  sous  prétexte  de  les  ennoblir. 

Quelques  points  cependant  me  chiffonnent  encore  un  peu.  Celui-ci  notam- 
ment. 

Selon  vous  la  part  vraiment  artistique  de  toute  œuvre,  musique  ou  peinture, 
réside  exclusivement  dans  les  phénomènes  matériels,  rythmes  ou  sons,  lignes  ou 
couleurs,  de  ces  œuvres.  Or  si  j'interroge  loyalement  les  impressions  que  j'éprouve 
au  concert  (pour  m'en  tenir  au  seul  domaine  des  arts  acoustiques),  chaque  fois  que 
j'ai  eu  du  plaisir,  l'émotion  musicale  éprouvée,  sous  l'influence  des  sonorités  de  la  voix 
ou  de  l'orchestre,  a  toujours  été  accompagnée  de  visions  d'un  autre  ordre  ;  j'ai  pensé 
à  des  couleurs,  à  des  parfums,  j'ai  imaginé  des  paysages,  des  danses,  j'ai  songé  à  des 


—  86  — 

architectures  de  tel  ou  tel  style.  Mon  ami  Ludovic  et  le  frère  des  jeunes  métamusî- 
ciennes  s'indignent  fort  quand,  après  une  symphonie  ou  une  sonate,  je  leur  dis  les 
images  que  ces  pièces  ont  éveillées  dans  mon  esprit.  «  Quelle  rage,  s'écrient-ils 
de  chercher  toutes  ces  formes,  tous  ces  mouvements,  toute  cette  transcription 
plastique  des  harmonies  ou  des  mélodies,  au  lieu  de  jouir  simplement  de  leur  musi- 
calité !  » 

Je  sais  que  ce  dernier  mot  vous  fait  bondir.  Mais,  au  fond,  vous  devez  être  de 
leur  avis,  puisque  vous  ne  voulez  pas  que  les  idées  exprimées  dans  les  œuvres  d'art 
participent  à  l'essence  de  l'émotion  esthétique.  Et  cependant,  au  début  de  notre  cor- 
respondance, vous  m'avez  écrit  que  puisque  en  entendant  un  quatuor  de  Beethoven 
je  croyais  voir  «  des  mouvements  énergiques,  faisant  surgir  divers  spectacles  dans 
mon  imagination,  »  vous  trouviez  que,  pour  une  première  séance  de  musique  de 
chambre,  je  n'étais  pas  un  trop  mauvais  auditeur. 

Alors  je  ne  vois  pas  comment  concilier  ces  deux  principes  :  «  la  musique  et  la 
peinture  ne  sont  artistiques  qu'en  tant  que  groupements  de  sons  et  de  couleurs,  et  à 
proportion  des  impressions  physiques  agréables  qu'elles  nous  procurent  ;  »  et  «  l'on  est 
sensible  à  la  musique  dès  l'instant  qu'elle  éveille  en  notre  esprit  des  impressions  extra- 
sonores ?  »  Vous  ai-je  mal  compris  dans  l'un  des  cas,  ou  bien  estimez-vous  que  ces 
deux  points  de  vue  ne  sont  point  contradictoires  ? 

De  gr^ce,  une  fois  encore,  tirez  votre  neveu  de  l'incertitude  ! 


Paris,  le  25  janvier. 

Mon  bel  ami,  nous  sommes  restés  un  peu  trop  longtemps  sans  nous  écrire,  et  je 
t'avoue  franchement  que  je  reprends  aujourd'hui  la  plume  avec  un  médiocre  enthou- 
siasme, parce  que  je  sens  que  je  vais  laisser  des  lacunes  dans  mon  argumentation  ou 
l'encombrer  de  redites  inutiles.  Essayons  pourtant  de  renouer  le  fil  rompu  de  notre 
duelépistolaire,  et  puisse  la  nouvelle  année  nous  mettre  tout  à  fait  d'accord. 

Tu  admets  donc,  avec  moi,  que  la  part  artistique  de  la  musique  et  de  la  peinture 
ce  sont  bien  les  sons  et  les  couleurs.  J'ai  un  peu  oublié  comment  j'ai  pu  te  convaincre 
de  ce  point  capital.  Pour  le  moment  tenons-le  pour  démontré,  quitte  à  y  revenir  plus 
tard,  La  musique  et  la  peinture  peuvent  servir  et  servent  en  effet  très  fréquemment  à 
exprimer  des  idées  ou  à  célébrer  des  croyances,  mais  ne  sont  pas  artistiques  à  raison 
de  la  nature  ou  de  l'élévation  de  ces  idées  et  de  ces  croyances.  Une  œuvre  purement 
décorative  peut  être  aussi  belle  qu'un  tableau  religieux.  Un  netzké  du  Japon,  un  son- 
net d'Hérédia,  un  menuet  de  Mozart  ne  sont  pas  moins  beaux  respectivement  qu'une 
fresque  de  Fra  Angelico,  que  les  Psaumes  de  la  Pénitence  ou  que  les  «  Béatitudes  »de 
Franck.  Voilà  qui  est  provisoirement  convenu.  Tu  t'étonnes  cependant  de  ressentir  à 
l'audition  de  toute  musique  des  impressions  extra-musicales,  visions  colorées  ou 
images  motrices,  peut-être  même  sensations  olfactives  ou  sapides,  qui  ne  paraissent 
se  rattacher  par  aucun  lien  réel  aux  sonorités  en  jeu.  11  me  suffirait  pour  te  rassurer, 
mon  cher  neveu,  de  te  faire  observer  que  des  sensations  suggérées  ou  des  idées  exprimée^ 
sont  choses  tout  à  fait  différentes,  et  que,  par  conséquent  si  la  valeur  artistique  d'une 
œuvre  demeure  absolument  indépendante  des  idées  qu'elle  exprime,  elle  peut  fprt 
bien,  îiu  contraire,  se  mesurer  à  l'intensité  des  sensations  qu'elle  suggère. 

Mais  je  tiens  à  étudier  plus  longuement  avec  toi  le  second  terme  du  problènie  et  je 
pose  tout  de  suite  ce  principe  :  une  œuvre  musicale  est  artistique  à  raison  du  nombre,  de 
lO;  variété  et  de  l'intensité  des  sensations  non  sonores  qu  éveille  en  nous  son  audition.  Tu  ver- 
rais bientôt  comment  et  pourquoi  je  comprends  les  émotions  sentimentales  elles-niênie? 


m 


«87- 

dans  les  sensations  non  sonores.  De  ce  principe  je  tire  comrne  corollaire  qu'on  ne  peut 
parler  congrûment  d'un  art  qu'avec  des  termes  empruntés  aux  autres  arts. 

Cette  évocation  de  sensations  non  sonores  au  moyen  de  sons,  se  rattache  à  la 
catégorie  de  phénomènes  connus  par  les  psychophysiciens  sous  le  nom  de  synesthésies. 
L,a  synesthésie  est  le  ressort  primordial  de  l'émotion  artistique  et,  pour  bien  l'étudier, 
il  convient  de  l'examiner  d'abord  sous  sa  forme  la  plus  simple. 

Etymolpgiquement  synesthésie  veut  dire  sensations  associées.  Trouver  le  son  de  la 
clarinette  jaune  d'or,  ou  le  ton  de  ré  bémol  bleu  d'outremer,  attribuer  à  l'odeur  du 
réséda  le  timbre  de  la  flûte,  assimiler  au  goût  de  la  mangue  la  dissonance  de  quinte 
augmentée,  voilà  autant  de  synesthésies.  Si  nous  faisions  de  la  psychologie  nous 
pourrions  examiner  si  ces  synesthésies  sont  morbides  ou  non.  Je  te  montrerais  la  très 
jyste  différence  que  M.  Victor  Ségalen  établit  entre  les  synesthésies  maladives  qui 
ont  le  caractère  fatal  d'une  hallucination  et  celles  qui  n'ont  qu'une  valeur  d'analogie  et 
sont  une  façon  artistique  de  s'exprimer.  Enfin  je  pourrais  t'exposer  la  très  originale 
hypothèse  que  formait  sur  leur  origine  objective  le  docteur  Louis  Laurent,  dont  je  t§ 
parlais  dernièrement,  et  qui  est  mort  depuis,  au  retour  d'une  campagne  coloniale, 
laissant  inachevés  ses  intéressants  travaux  de  psychologie.  Un  jour  ou  l'autre  j'ejxpoT 
ser^i  cette  hypothèse  qu'il  n'a,  je  crois  bien,  écrite  nulle  part  et  qui  est  extrêmement 
ingénieuse..,  Mais  tout  ceci  n'est  que  le  point  de  départ  rudimentaire  de  l'émotion 
artistique,  et  n'est  guère  artistique  en  soi.  Les  anciens  y  attachaient  peu  d'importance 
et  il  a  fallu  la  subtilité  moderne  pour  s'attarder  à  noter  ces  «  correspondances  >> 
chantées  par  Baudelaire.  Huysmans  est  le  maître  du  genre,  et  son  livre  4  Rehours 
demeure  la  bible  de  la  synesthésie  brute.  Des  Esseintes,  le  héros  de  ce  roman,  çrgote 
à  perte  de  vue  sur  la  couleur  des  rubans  qu'il  convient  d'attacher  à  la  reliure  de  tei 
livre  de  Mallarmé,  et  invente  un  «  Orgue  à  bouche»,  qui  témoigne,  dans  cette  sorte 
de  transpositions  arbitraires,  d'une  subtilité  merveilleuse.  Je  n'ai  pas  l'ouvrage  sous  la 
main,  mais,  de  mémoire,  je  puis  te  citer  sûrement  la  composition  du  quatuor,  dans 
cet  orchestrercabaret  :  comme  violons  les  cognacs  au  tinibre  asexué  et  neutre,  comme 
altos  les  rhums  de  sonorité  plus  âpre,  pour  basse  le  vespétro  «  long  et  déchirant 
comme  un  soupir  de  violoncelle  »  —  ça,  c'est  une  merveille  !  —  et  pour  contrebasse 
le  vigoureux  arôme  des  kurnmels.  Depuis  on  a  continué  ces  exercices.  Claudine, 
nièce  rprale  de  des  Esseintes,  ne  mange  probablement  pas  les  crayons  bleus,  l'encre 
et  le  papier  buvard  pour  la  saveur  propre  de  ces  substances,  mais  comme  évocateurs 
de  sensations  plus  subtiles  :  elle  pratique  la  synesthésie.  Et  quand  Marius-Ary  Le^ 
blond  écrivit  naguère  l'histoire  de  cette  jeune  femme  qui  veut  donner  son  cœur  à  celui 
de  ses  prétendants  capable  de  deviner,  parmi  ses  robes  de  diverses  couleurs,  laquelle 
lui  plait davantage,  il  jouait  également  de  la  synesthésie. 

Au-dessus  de  ces  associations  simplistes  où,  de  part  et  d'autre,  il  n'y  a  guère 
qu'un  seul  terme,  qu'une  seule  impression  enjeu,  se  classe,  suivant  la  loi  universelle 
de  l'évolution,  une  série  complète  et  indéfinie  de  sensations  associées  de  plus  en  plus 
complexes.  L'art  consiste  presque  uniquement  à  provoquer  de  ces  correspondances 
mystérieuses, 

{1  y  a  des  cas  où  cela  ne  semble  pas  doqteux.  Quand  un  musicien  intitula  un<? 
pièce  de  piano  Coucher  de  Soleil  ou  Clair  de  Lune,  personne  ne  mçt  en  doute  son  jn-s 
tention  d'évoquer  par  certaines  analogies,  au  rnoyen  de  certains  groupements  de  sons, 
le  spectacle  mélancolique  ou  grandiose  du  crépuscule  ou  de  la  nuit  lumineuse.  Et  tes 
amis  ne  se  moqueront  pas  de  toi  si  tu  affirmes  l'efficacité  descriptiye  de  ces  morceauîç, 
en  constatant  l'intensité  des  visions  picturales  qu'ils  te  procurèrent,  Quand  pn  con- 
sidère d'autres  formes  musicales,  celles  qu'on  est  convenu  d'appeler  pures,  ^^r-  par 
purisme,  •'—  ou  quç  l'on  renionte  anx  vieux  maîtres,  la  synesthésie    est   moins  appa- 


—  88  — 

rente  et  pourtant  elle  est  plus  directe  encore,  mais  c'est,  en  ce  cas,  une  synesthésie 
tellement  naturelle  et  nécessaire  qu'on  ne  songe  même  plus  à  la  constater  :  la  synes- 
thésie sons-mmivements .  Les  mouvements  humains,  les  gestes  qui  sont  à  l'origine  de 
toute  musique  possèdent  avec  elle  un  élément  commun  :  le  rythme;  et  c'est  pourquoi 
rendre  des  mouvements  par  des  sons  a  été  le  but  constant  et  presque  unique  de  la 
musique  à  ses  débuts.  On  a  traduit,  soit  par  le  chant  vocal,  soit  par  le  chant  instru- 
mental, les  rythmes  de  la  marche,  de  la  course,  du  galop  des  cavaliers,  la  manœuvre 
des  avirons  ou  le  halage  des  barques,  le  long  des  grands  fleuves,  tous  les  actes  de  la 
vie,  en  un  mot,  et  surtout  ce  mouvement  décoratif  et  passionné  cher  à  l'humanité 
impulsive  :  la  danse  !  Née  de  la  danse,  toute  musique  est  forcément  chorégique,  et 
toute  symphonie  est  avant  tout  la  synesthésie  de  gestes  lyriques. 

Les  enfants  le  savent  bien,  qui  dansent  spontanément  à  la  musique  militaire  ;  Isa- 
dora  Duncan  recompose  cette  synesthésie  amputée  de  l'un  de  ses  termes,  en  dansant 
des  Nocturnes  de  Chopin  et  des  Sonates  de  Beethoven,  et  c'est  également  le  secret 
des  capellmeisters  à  la  forte  mimique,  MM.  Winogradski  et  Weingaertner  par 
exemple,  que  Ricciotto  Canudo,  ingénieux  eXalté,  qualifie  justement  de  danseurs  d'or- 
chestre. 

Ces  danseurs  ne  dansent  pas  seulement  des  rythmes,  comme  on  le  fait  dans  nos 
bals  stupides  et  agonisants,  ils  dansent  tous  les  éléments  de  la  musique,  la  mélodie 
avec  tous  ses  accidents,  les  modulations,  les  harmonies  elles-mêmes,  et  c'est  une  sy- 
nesthésie complète.  Lorsque  nous  disons  qu'une  musique  est  juste  d'expression,  cela 
revient  précisément  à  constater  qu'elle  est  parfaitement  synesthésique,  qu'elle  évoque 
avec  vivacité  certains  mouvements,  qu'elle  représente  certains  gestes  avec  bonheur. 
Méhul  qui,  dans  sa  jeunesse  a  connu  Gluck,  raconte  qu'il  l'a  vu  danser  ses  ballets  et 
jouer,  avec  des  chaises  pour  partenaires,  les  scènes  de  ses  opéras  quand  il  compo- 
sait, afin  de  trouver  les  inflexions  capables  de  traduire  le  mieux  le  texte  du  li- 
brettiste. 

Quand  une  musique  n'exprime  pas  des  actes,  mais  des  émotions,  lorsqu'elle  est 
pathétique  et  non  descriptive,  elle  repose  encore  sur  cette  même  sorte  de  synesthésie. 
Je  l'ai  déjà  dit  quelque  part  :  «  On  ne  peut  exprimer  un  sentiment  qu'en  peignant  les 
mouvements  et  les  attitudes  dont  il  s'accompagne  d'ordinaire.  Peindre  symphonique- 
ment  ou  mélodiquement  l'amour,  la  valeur  guerrière,  l'abattement  moral,  ce  n'est  en 
somme,  rien  autre  chose  que  traduire  en  sons  des  gestes  amoureux,  guerriers  ou  abat- 
tus. »  Je  me  rappelle  avoir  été  frappé  très  vivement  de  ceci,  certain  jour  où  je  vis  pour 
la  première  fois  l'un  des  compositeurs  modernes  les  mieux  doués,  le  plus  lyrique  de  tous 
à  coup  sûr.  Il  faisait  répéter  à  une  jeune  fiUe  un  air  d'opéra  quelconque,  un  air  de 
Mireille,  si  j'ai  bonne  mémoire.  Je  n'oublierai  jamais  de  quels  mouvements  expressifs  il 
appuyait  ses  indications,  combien  il  mimait  les  phrases  de  la  mélodie,  purement  sen- 
timentales cependant,  serrant  le  bout  des  doigts,  comme  pour  tenir  une  fleur  et  l'éle- 
ver lentement  vers  le  ciel,  en  offrande  virginale.  C'était  exquis  de  simplicité  un  peu 
emphatique.  Toutes  les  nuances  de  la  musique  se  trouvaient  traduites  dans  ce  geste  et 
je  devinai  que  ce  compositeur  lui-même,  quand  il  écrit  sa  musique  sensible  et  passion- 
née, doit  se  la  représenter  d'abord  sous  cette  forme  motrice  d'une  touchante  et  naïve 
sincérité...  Je  me  souviens  aussi  d'une  caricature  de  Caran  d'Ache  où,  tout  petit  sur 
une  cime  énorme,  un  émule  d'Hugo,  courant  après  l'inspiration,  ouvre  vers  le 
ciel  des  bras  épiques  et  ridicules.  Ces  grands  gestes  ne  sont  pas  une  condition  sufiî- 
sante  du  génie  artistique,  je  me  demande  s'ils  n'en  sont  pas  une  condition  nécessaire. 
Je  ne  dis  point  qu'il  soit  indispensable  au  créateur  ou  à  l'auditeur  artiste  de  les  réaliser 
extérieurement,  s'il  veut  saisir  les  mystérieux  rapports  qui  nous  lient  au  monde 
sensible,  mais  il  doit  sûrement  se  les  représenter  dans  son  cœur.  Pour  parler  un  lan- 


—  8q  — 

gage  moins  poétique,  je  crois  que  tout  véritable  artiste  possède  au  plus  haut  degré  ce 
que  M.  Pierre  Bonnier  appelle  «  le  sens  interne  des  attitudes  ■».  Il  faut  pouvoir  rame- 
ner à  des  mouvements  les  phénomènes  sensibles,  si  l'on  veut  les  reconstituer  ensuite. 
Le  peintre  qui  construit  avec  le  pouce  des  tableaux  imaginaires  dans  l'espace,  le  musi- 
cien qui  trace  en  l'air  la  courbe  idéale  d'un  chant,  obéissent  à  des  réflexes  profonds  et 
sûrs,  à  la  loi  souveraine  des  synesthésies. 

Comment  la  musique  en  est  venue  à  ne  plus  se  contenter  de  synesthésies  sons- 
mouvements  et  à  chercher  peu  à  peu  les  synesthésies  sons-couleurs,  et  même  sons- 
parfums  et  sons-saveurs,  comment  les  raffinements  de  timbre  correspondent  d'une 
manière  tout  à  fait  objective  aux  raffinements  de  la  polychromie,  comment  il  est  faux 
de  dire,  ainsi  que  le  fait  M.  Max  Nordau,  que  les  progrès  des  synesthésies  artistiques 
soient  la  marque  d'une  décadence  et  d'une  régression  physiologique  vers  l'époque  où 
les  êtres  doués  d'organes  moins  spécialisés  discernaient  en  moins  grand  nombre  les 
cantons  sensoriels,  tout  ceci  serait  trop  long  à  t'expliquer.  D'ailleurs  tu  n'es  pas  com- 
positeur et  ces  démonstrations  ne  t'intéresseraient  qu'à  demi.  Je  puis  donc  passer 
outre,  non  sans  te  prévenir  toutefois  contre  une  erreur  fâcheuse  dans  laquelle  tombent 
beaucoup  de  théoriciens  lorsqu'ils  pratiquent  personnellement  un  art.  Par  l'analyse  on 
arrive,  en  effet,  à  se  convaincre  sans  peine  que  les  groupements  artistiques  de  lignes, 
de  couleurs  ou  de  sons  traduisent  en  quelque  sorte  des  sensations  d'autres  ordres. 
De  là  il  n'y  a  souvent  qu'un  pas  à  prétendre  opérer  systématiquement  de  telles  tra- 
ductions et  obtenir  mécaniquement  de  beHes  impressions  dans  un  art  en  traduisant 
littéralement  de  belles  impressions  d'un  autre  art.  Que  l'on  puisse  s'inspirer  d'un 
tableau  pour  écrire  une  symphonie,  et  d'une  symphonie  pour  peindre  un  tableau, 
rien  de  mieux,  et  l'on  ne  fait  guère  autre  chose,  que  de  telles  transpositions,  quand 
on  est  inspiré.  Mais  c'est  un  sophisme  que  d'entreprendre  des  versions  «  littérales  et 
juxtalinéaires  »  comme  nous  disions  au  collège.  J'ai  entendu  parler  d'un  monsieur  qui 
mettait  en  vitraux  les  mélodies  de  Schubert,  je  connais  un  orfèvre  qui  vous  présente 
des  broches  comme  étant  des  secondes  majeures,  et  des  bracelets  comme  des  accords 
de  sixte  et  quarte,  et  nous  avons  maintenant  un  musicien  qui  met  en  symphonies  des 
tableaux  et  des  fresques,  personnage  par  personnage.  Les  rapports  d'art  à  art  ne 
peuvent  être  que  des  rapports  de  sensation  à  sensation,  non  des  rapports  de  forme  à 
forme  ;  il  y  faut  l'intermédiaire  du  sujet  sensible.  Si  je  veux  traduire  en  broderie  un 
intervalle  d'octave,  je  puis  essayer  de  représenter,  par  le  choix  des  laines  colorées,  ou 
du  dessin,  l'impression  de  calme  et  de  repos  que  nous  donne  cette  consonnance  par- 
faite. Il  serait  stupide  de  prétendre  la  représenter  par  la  courbe  lumineuse  en  forme 
de  8  que  projettent  sur  un  écran  deux  diapasons  munis  de  miroirs  et  vibrant  per- 
pendiculairement l'un  à  l'autre.  Autant  donner  tout  de  suite  cet  intervalle  musical 
pour  leitmotiv  à  un  personnage  d'opéra  qui  s'appellerait  Octave. 

Ne  t'attarde  donc  point  aux  synesthésies  purement  verbales  des  esprits  dogmati- 
ques, non  plus  qu'aux  synesthésies  élémentaires  de  des  Esseintes  et  des  décadents.  Ce 
ne  sont  que  jeux  futiles.  Mais  n'aie  pas  peur  de  t'abandonner  aux  synesthésies  com- 
plexes et  inanalysables  que  ton  instinct  infaillible  te  dicte  en  présence  des  œuvres 
d'art  !  N'aie  pas  peur  de  goûter  la  musique  en  peintre,  et  la  peinture  en  musicien  ! 
C'est  la  vraie  manière  de  les  savourer.  Ne  te  confine  pas  dans  l'amour  d'un  seul  art. 
Réjouis-toi  que  tout  en  ce  monde  s'enchaîne  par  des  liens  mystérieux  tellement  innom- 
brables qu'un  homme  vibre  tout  entier  quand  vibre  une  seule  de  ses  cordes  sensibles  ! 
Et  sois  bien  persuadé  que  cet  instinct  synesthésique  est  encore  le  guide  le  plus  sûr  de 
notre  sensibilité. 

L'autre  soir  Mme  Landowska,  l'exquise  et  intelligente  artiste  que  je  te  citais  dans 
ma  dernière  lettre,  jouait  en  ma  présence  l'andante  du   Concerto  en  mi  bémol  majeur  de 


—  go 

Mozart,  j'écoutais  avec  une  émotion  profonde  cette  page  adorable,  toute  pleine  d'une 
joie  grave  mais  infinie,  recueillie  et  chastement  voluptueuse,  et,  tout  à  coup,  sentant 
autour  de  moi  comme  une  nuit  douce  et  tiède,  «  une  ombre  solennelle,  auguste  et 
nuptiale  »  je  connus  l'intime  parenté  de  cette  œuvre  avec  la  Nuit  de  la  Saint-Jean  d'été 
des  Maîtres-Chanteurs.  A  l'affirmation  de  cette  parenté  imprévue  l'examen  des  formes 
dit  :  non!  ma  sensibilité  synesthésique  dit  :  oui.  C'est  elle,  mon  petit,  qui  a  raison 
par  rapport  à  moi.  Ceci  j'en  suis  sûr  ;  et,  en  art,  c'est  la  seule  certitude  qui  m'inté- 
resse, parce  que  c'est  la  seule  qui  fasse  monter  à  mes  paupières  les  larmes  d'un  émoi 

divin  !... 

Jean  d'UDINE. 


L'ÉTOILE 


Nous  sommes  heureux  de  publier,  avec  l'autorisation  de  l'éditeur  Victor  Havard  et  O^, 
le  début  d'un  des  chapitres  de  L'Etoile,  le  beau  et  émouvant  roman  de  notre  collaborateur 
Victor  Dehay,  qui  est  appelé  à  remporter  auprès  des  amis  de  la  musique  le  même  succès 
que  Z'Amie  Suprême. 

Lorsque  les  solides  garçons  de  la  maison  Erard  ouvrirent  les  battants  de  la  porte 
de  l'estrade  du  grand  salon  devant  Mme  Saliiaux-Reccini,  il  y  avait  déjà  trente  bonnes 
minutes  de  retard  sur  l'heure  annoncée.  La  pianiste  n'avait  désiré  commencer  qu'en 
présence  de  tout  son  monde.  Cependant  elle  constata  de  nombreux  vides.  Son  sourire 
à  l'assistance  dissimula  l'ennui  qu'elle  en  concevait.  Les  galeries  étaient  remplies  par 
la  clientèle  habituelle  des  organisateurs  de  concerts.  Les  noms  d'Anna  Le  Cozan,  de 
l'Opéra-Comique,  et  de  Maurice  Fombreuse,  imprimés  en  petits  carrctères  sur  les 
billets  d'invitation  au-dessous  de  celui  plus  apparent  et  très  inconnu  de  Mme  Saliiaux- 
Reccini,  leur  promettaient  un  régal  qui  n'était  pas  leur  ordinaire.  Les  fauteuils  au  fond 
du  parquet,  donnés  aux  amis  et  connaissances,  étaient  à  peu  près  tous  occupés.  Mais, 
aux  belles  places,  des  rangs  entiers  laissaient  voir  le  velours  rouge  des  sièges.  Les 
gens  riches,  que  des  services  rendus  à  leur  soirée  avaient  obligés  à  prendre  quelques 
billets  à  vingt  francs,  ne  montraient  pas  le  même  empressement  que  le  public  gratuit. 
L'impression  première  fut  fâcheuse  pour  Mme  Saliiaux-Reccini. 

Elle  s'avança  vers  le  piano,  tandis  que  ses  amis  par  des  applaudissements  dis- 
crets saluaient  son  entrée.  Dans  la  toilette  à  falbalas,  traîne  opulente,  dentelles,  plis- 
sés, guipures,  petits  nœuds,  pour  laquelle  elle  avait  voulu  qu'on  ne  négligeât  ni 
l'étoffe  ni  les  fournitures,  on  reconnaissait  à  peine  la  maîtresse  de  piano  qui,  du  matin 
au  soir,  courait  les  leçons  en  petite  robe  retroussée  de  trottin,  coiffée  d'un  chapeau  de 
feutre  mou  dont  une  voilette  féminisait  la  forme  masculine,  toujours  pressée,  qu'on 
ne  voyait  guère  en  corsage  clair  et  demi  décolleté  sur  sa  poitrine  sèche,  que  lors- 
qu'elle accompagnait  dans  les  salons  et  les  concerts  quelque  chanteur  ou  instrumen- 
tiste et  surtout  Mlle  Le  Cozan  qui  rendait  justice  à  ses  précieuses  qualités  musicales. 
Mme  Saliiaux-Reccini  pour  cette  manifestation  de  virtuose  avait  fait  comme  la  chry- 
salide en  devenant  papillon.  Elle  avait  déchiré  sa  modeste  carapace  et  s'était  épanouie, 
toutes  voiles  dehors. 

A  mesure  qu'elle  approchait  du  piano,  elle  était  prise  de  vertige  devant  le  gouffre 
de  la  salle.  Les  jambes  lui  fléchissaient  sous  le  corps.  Quand  elle  s'assit  sur  le  tabou- 
ret, elle  eut  la  sensation  qu'on  lui  fauchait  les  genoux.  De  plus,  son  corsage  neuf  la 
serrait,  et  elle  eut  peur  d'être  gênée  dans  ses  mouvements  par  les  longues  dentelles 
de  ses  manches  à  la  juive  qui  balaieraient  le  clavier.  Des  craintes  puériles  l'envahis- 


—  91  — 

saient.  Le  trac  allait-il  encore  s'emparer  d'elle  ?  Elle  eut  le  regret  subit  d'avoir  cédé 
à  un  mouvement  d'orgueil  en  donnant  ce  concert  qu'elle  ne  se  sentait  plus  la  force 
de  mener  jusqu'au  bout.  Si  elle  allait  manquer  de  mémoire!  Si  ses  doigts  se  rai- 
dissaient! Elle  s'affolait  de  soudaines  et  sourdes  inquiétudes  d'entrailles.  Elle 
enviait  la  foule  de  braves  gens  qui  à  cette  même  heure  étaient  assis  tranquille- 
ment en  leur  foyer  ou  couchés  dans  un  bon  lit,  sans  autre  préoccupation  que  de 
dormir  tout  leur  soûl.  Etaient-ils  heureux  !  Elle  pensa  à  fuir.  Heureusement  cela  ne 
dura  qu'un  éclair  de  temps,  mais  ce  fut  presque  douloureux.  Enfin  elle  se  décida, 
comme  on  se  jette  à  l'eau  d'un  navire  qui  naufrage.  Elle  sécha  ses  mains  à  un  mou- 
choir qu'elle  posa  à  sa  droite  près  du  pupitre  abaissé,  donna  un  coup  d'oeil  vers  les 
derniers  rangs  des  fauteuils  où  des  amis  et  des  élèves  lui  souriaient,  et  commença 
la  grande  Fantaisie  avec  Fugue  en  sol  mineur  de  Jean-Sébastien  Bach.  Sous  ses  doigts 
tremblants  les  touches  semblèrent  s'amollir,  et  le  son  dans  la  salle  parut  cotonneux  à 
ses  oreilles  bourdonnantes.  Comme  la  machine  était  montée,  JVlme  Salliaux  continua. 
Elle  évitait  de  regarder  en  face  d'elle,  dans  la  loge  de  la  famille,  son  mari  qu'elle  aper- 
cevait au  milieu  de  l'angle  formé  par  la  caisse  du  piano  à  queue  et  le  couvercle  levé. 
Il  avait  si  piteuse  figure  en  comptant  les  vides  des  premiers  rangs,  qu'il  eût  enlevé  à 
la  pianiste  le  peu  qui  lui  restait  de  courage.  Elle  s'obstinait  à  fixer  le  clavier  sur  lequel 
ses  doigts  nerveux  reprenaient  de  l'assurance.  Les  arpèges  s'envolaient  maintenant  dans 
un  mouvement  dont  elle  était  maîtresse,  et,  quand  arriva  la  fugue,  elle  la  mena  dans 
un  bon  rythme  rigoureux  qui  permit  aux  motifs  de  s'exposer  clairement  et  d'af- 
firmer leur  rentrée  nécessaire  au  milieu  de  la  polyphonie  dont  chaque  chant  demeura 
bien  distinct.  L'exécution  s'acheva  par  un  crescendo  savamment  gradué  qui  provoqua 
de  vifs  applaudissements,  quoique  la  majeure  partie  de  l'assistance  eût  baillé  aux  cor- 
neilles pendant  cette  somptueuse  et  abondante  musique  qui  exige  une  attention  médi- 
tative et  de  la  culture  musicale.  Pour  beaucoup  d'auditeurs  l'accord  final^sonnait  la  dé- 
livrance, et  ils  en  témoignaient  bruyamment  leur  satisfaction. 

Mme  SaUiaux-Reccini  salua,  resalua  et  souffla,  pendant  que  s'engouffrait  un  Ilot 
de  retardataires  qu'il  fallut  placer.  Cela  demanda  quelques  minutes.  Il  restait  toujours 
beaucoup  de  fauteuils  inoccupés.  Ses  belles  relations,  et  particulièrement  la  comtesse 
de  Rudennis,  ne  l'entendraient  pas  dans  la  sonate  en  ut  diè:(e  mineur  [Clair  de  lune) 
de  Beethoven.  Elle  dut  commencer,  le  cœur  navré,  ce  qui  ne  contribua  pas  peu  à 
donner  à  l'interprétation  de  l'adagio  sostcnuto  la  mélancolie  qui  lui  convient.  Mme  Sal- 
liaux-Reccini  se  rencontrait  avec  Beethoven  pour  exprimer  les  amertumes  de  la  désil- 
lusion. Elle  savait  accommoder  à  sa  mesure  les  sentiments  grandioses  du  génie.  Le 
public  fut  satisfait.  On  entra  encore  pendant  les  bravos.  L'arrivée  de  quelques  per- 
sonnes dont  elle  escomptait  la  présence,  lui  apporta  du  réconfort  pour  l'allégretto 
qu'elle  conduisit  joyeusement.  On  applaudit  derechef,  et  le  garçon  en  profita  pour  in- 
troduire une  nouvelle  fournée  de  personnes.  C'était  maintenant  le  presto  agitato  où  elle 
allait  déployer  l'agilité  de  ses  doigts.  Mme  SaUiaux-Reccini  s'assura  que  l'ordre 
était  rétabli  dans  la  salle,  et  le  garçon  ferma  la  porte,  contre  la  vitre  de  laquelle  elle 
vit  s'arrêter,  obéissant  à  la  consigne,  la  comtesse  de  Rudennis  suivie  d'un  cortège 
de  jolies  madames.  Elle  retint  l'élan  de  ses  mains  prêtes  à  frapper  l'accord, 
mais  le  garçon  laissa  close  la  porte  impitoyablement.  Mme  de  Rudennis  n'al- 
lait entendre  le  presto  qu'à  travers  la  glace.  Faire  des  signes  au  garçon  était 
impossible.  Envoyer  M.  Salliaux  qui  regardait  sans  comprendre,  c'était  dépê- 
cher un  maladroit.  Force  lui  fut  donc  de  s'exécuter.  Elle  partit  d'un  train  d'enfer 
que  sa  mauvaise  humeur  ne  lui  permit  pas  de  modérer.  Ses  doigts  tricotaient, 
entraînés  par  la  routine,  tandis  que  son  esprit  demeurait  tout  à  sa  contrariété.  Quel- 
ques fausses  notes  et  des  traits  sans  netteté  augmentèrent  sa  nervosité.  Le  trac  qui  la 


—  92  — 

guettait  s'empara  d'elle.  A  la  fin  de  la  reprise,  elle  ne  se  souvint  plus  de  l'accord  d'ut 
dièze  majeur  et  recommença  les  arpèges  du  mineur,  jouant  ainsi  trois  fois  de  suite  le 
début  de  Vallegro.  Dès  lors  elle  perdit  la  tête.  Enfermée  dans  ce  cercle,  elle  en  sortit 
comme  elle  put,  par  un  saut  d'une  trentaine  de  mesures.  Mme  Salliaux  poussa  un  sou- 
pir de  soulagement,  quand  elle  fut  au  bout  de  la  sonate  et  de  son  martyre.  Elle  quitta 
la  salle  comme  une  affolée,  suivie  par  sa  traîne  à  laquelle  la  précipitation  de  ses  petits 
pas  imprimait  un  mouvement  désordonné  de  ^(7«c/;^-Jro//^  qui  balayait  l'estrade.  Des 
amis  la  rappelèrent,  elle  revint  et  vit  que  les  premiers  rangs  étaient  garnis  et  qu'une 
foule  se  pressait  dans  l'allée  centrale.  On  arrivait  pour  Anna  Le  Cozan.  D'un  ton  un 
peu  pincé  elle  dit  à  la  cantatrice  : 

—  C'est  maintenant  plein  comme  un  œuf  pour  vous  applaudir. 


LES  Gi^iin'ûs  eoncEiî^s 


Concerts  Colonne  et  Liamoureux 

De  nouvelles  auditions  de  la  Damnation  de  Faust  ont  occupé  au  Châtelet  et  à  la 
Rue  Blanche,  la  matinée  du  15  janvier.  Le  dimanche  suivant  M.  Chevillard  nous  offrait 
une  suite  symphonique  de  M.  Coquard  :  En  Norwège  et  un  Concerto  de  violon  de  Sin- 
ding,  interprété  par  M.  Johannès  Wolff.  Retenu  au  coin  du  quai  par  l'œuvre  nouvelle 
de  M.  Enesco,  j'arrivai  trop  tard  malheureusement  pour  entendre  le  premier  de  ces  ou- 
vrages, dont  on  a  célébré  partout  le  caractère  pittoresque  et  le  sentiment  de  fine  poé- 
sie, et  heureusement  pour  subir  les  ébats  de  la  virtuosité  triomphante.  La  Faust-Sym- 
phonie de  Liszt  terminait  la  séance.  Si  remarquable  que  soit  l'orchestration  de  cette 
œuvre,  l'insignifiance  de  ses  thèmes  (comparez  l'admirable  thème  d'Antar  avec  celui 
de  Faust  !)  et  leurs  interminables  développements  l'emportent  à  mes  yeux»  dans  la  ba- 
lance de  l'ennui,  sur  ses  qualités  de  structure.  Mon  esprit  se  refuse  à  suivre  les  aspira- 
tions de  Faust  et  les  rêveries  de  Gretchen,  même  interprétées  avec  les  soins  minu- 
tieux qu'on  y  apporte  au  Nouveau-Théâtre.  J'ai  sans  doute  l'âme  trop  germanique 
pour  me  plaire  à  ces  contemplations  intérieures,  car  je  vois  force  musiciens  excellents 
férus  de  ce  poème  symphonique,  sans  compter  notre  ami  Calvocoressi,  auteur  de  la 
très  belle  biographie  de  Lis:(t  récemment  parue  dans  la  collection  des  «  Grands 
Musiciens  »  et  qui  montre  pour  les  grandes  œuvres  du  maître  une  tendresse  si  éclairée 
et  si  chaleureuse  1 

Quand  je  songe  aux  divergences  d'opinions  qui  peuvent  se  produire  sur  des  ou- 
vrages déjà  anciens  et  généralement  admirés  comme  celui-ci,  je  me  refuse  de  plus  en 
plus  à  «  juger»  les  productions  nouvelles,  et  ne  conçois  pas  au  nom  de  quel  principe 
mystérieux  on  se  permet  d'attribuer  à  ses  impressions  une  valeur  objective...  Ce  que 
j'en  dis  c'est  à  propos  de  la  symphonie  de  M.  Enesco,  très  importante  et  très  savam- 
ment construite,  donnée  avec  beaucoup  de  flamme  et  de  conviction  par  M.  Colonne,  à 
son  concert  du  21  janvier.  Personnellement  je  n'aime  guère  cette  œuvre,  dont  la  fou- 
gue indéniable  et  le  lyrisme  plus  dramatique  que  symphonique  auraient  dû  me  sé- 
duire, mais  où  je  ne  perçois  nettement  ni  une  individualité  libre,  ni  une  grande  ri- 
chesse thématique.  Seule  la  première  partie  du  mouvement  lent  m'a  vivement 
charmé  par  sa  grâce  très  fine  et  son  émotion  sincère.  Mais  elle  tourne  bientôt  au 
wagnérisme  absolu,  une  atmosphère  tristanesque  y  dominant  toute  autre  inspiration. 
Les  deux  autres  parties  étouffent,  sous  un  abus  de  sons  et  de  polyphonie,  les  idées 
qui  cherchent  à  s'y  épanouir  et  c'est  toujours,  à  mon  sens,  la  grande  erreur  de  notre 


-^sii 


—  93  - 

époque  de  vouloir  étonner  par  l'habileté  de  la  forme,  au  lieu  de  charmer  par  la  justesse 
et  l'individualité  de  l'inspiration... 

Au  risque  de  passer  pour  monomane,  je  ne  cesserai  de  répéter  que  mon  souhait 
le  plus  ardent  à  tous  les  jeunes  musiciens,  souvent  si  bien  doués,  c'est  qu'ils  sachent 
moins,  beaucoup  moins  de  choses,  et  qu'ils  laissent  chanter  leur  cœur,  naïvement, 
simplement,  sans  aucune  préoccupation  de  «  métier  ».  En  certains  endroits  j'ai  cru 
deviner  ce  que  serait  M.  Enesco  libéré  de  son  talent.  L'usage  très  fréquent  des  pizzi- 
cati,  quelques  mesures  charmantes  de  valse  lente,  dans  le  premier  mouvement  je 
crois,  l'élan  même  de  l'ensemble,  tout  démontre  quel  beau  tempérament  spontané, 
quelle  ardente  couleur,  quelles  trouvailles  distingueraient  cet  auteur,  s'il  osait  être 
lui-même,  c'est-à-dire  écrire  moins  bien.  L'écriture,  cette  infernale  écriture  qui  a  égaré 
des  hommes  comme  Flaubert  et  les  Concourt,  pauvres  forçats  du  verbe,  on  en  est  à 
peu  près  revenu,  fort  heureusement,  dans  les  lettres.  Puisse-t-on  en  revenir  bientôt 
dans  la  musique,  où  elle  paralyse  les  audaces  et  ankylose  l'inspiration  ! 

Jean  d'UDlNE. 


Concerts  du  Conservatoire 

Je  me  bornerai  à  consigner  ici  quelques  notes  brèves,  espérant  que  M.  Locard 
reviendra  sur  ce  programme,  dès  que  l'indisposition  qui  le  tient  momentanément 
éloigné  de  nous,  le  lui  permettra. 

La  Symphonie  en  si  bémol  de  Beethoven  fut  bien  exécutée  surtout  V  Adagio  et  le 
Scherzo  où  la  précision  la  plus  parfaite  n'enleva  ni  le  moelleux,  ni  l'esprit,  ni  l'expres- 
sion en  un  mot,  qui  conviennent  à  ces  belles  pages.  JVl.  Pablo  Casais  interpréta  mer- 
veilleusement le  Concerto  pour  violoncelle  de  Schumann,  phrasant  l'adagio  avec  une 
expression  rêveuse  de  la  plus  intense  poésie.  Ce  Concerto,  d'un  intérêt  médiocre,  a  pris, 
grâce  à  M.  Casais,  la  proportion  d'une  œuvre  profonde. 

La  première  audition  de  la  Belle  au  bois  dormant  de  Georges  Hue  a  été  bien  ac- 
cueillie, surtout  les  deux  morceaux  intitulés  le  Rouet  et  YOiseau  bleu  où  MM.  Henne- 
bains  et  Bleuzet  firent  applaudir  leurs  jolis  talents  de  flûtiste  et  de  hautboïste.  Mais 
nous  avons  eu  l'impression  que  cette  œuvre,  dans  son  ensemble,  effleurait  une  cer- 
taine monotonie,  La  musique  d'accessoire  en  principe  devient  au  concert  trop  essen- 
tielle pour  suffire  à  présenter  la  pensée  dans  tout  son  charme.  Les  chœurs,  en  conti- 
nuels progrès  grâce  aux  dévoués  efforts  de  M.  Em.  Schwartz,  furent  entendus  dans  un 
Cantique  de  Racine  ,  délicieusement  orchestré  par  l'auteur,  M.  Gabriel  Fauré  ;  enfin 
notons  une  vivante  et  brillante  exécution  de  l'ouverture  du  Vaisseau-fantôme  qui  valut 
à  l'orchestre  et  à  son  vaillant  chef,  M.  Marty,  le  plus  vif  succès. 

INTÉRIM. 


—  94  — 

LA    QUINZAINE   MUSICALE 


Les  Concerts  du  Liondon  Symphony  orchestra 

L'orchestre  symphonique  de  Londres  est  un  assez  bon  orchestre,  auquel  on  pour- 
rait surtout  reprocher  quelque  manque  de  souplesse,  et  les  chœurs  de  la  Ville  de  Leeds 
chantent  toujours  très  juste  et  vont  toujours  très  en  mesure.  Leur  seul  défaut  est  qu'ils 
vont  trop  en  mesure,  mesure  par  mesure,  insistent  sur  chaque  temps  fort,  et  ne  cons- 
truisent point  la  musique  qu'ils  chantent  en  périodes.  N'empêche  qu'ils  sont  infiniment 
meilleurs  que  ceux  que  nous  entendons  d'ordinaire,  ceux  du  Conservatoire  et  les  Chan- 
teurs de  Saint-Gervais  exceptés. 

Quant  au  programme,  il  comprenait  toute  une  partie  d'un  intérêt  musical  ordinaire: 
était-il  bien  utile  de  nous  faire  entendre,  dirigées  par  des  chefs  français  bien  connus, 
MM.  Messager  et  Colonne,  des  oeuvres  comme  le  Phaëton  de  M.  Saint-Saëns,  l'ouver- 
ture des  Maîtres-Chanteurs,  celle  de  Benve?tuto  Cellinî,  voire  le  DoJi  Juan  de  M. 
Strauss  ?  Il  eut  été  meilleur  de  nous  offrir  une  interprétation  à  laquelle  eut  participé  le 
chef  habituel  de  l'orchestre  anglais  —  car  je  suppose  que  cet  orchestre  a  un  chef  titu- 
laire. C'est  d'ailleurs  ce  qui  arriva  en  ce  qui  concerne  la  Neuvième  Syynphom'e  de 
Beethoven.  Là  il  est  intéressant  de  discuter  l'exécution,  parce  que  M.  Stanford  était  au 
pupitre  :  je  pe  puis  d'ailleurs  pas  en  faire  des  éloges  excessifs.  J'ai  trouvé  un  peu  lente, 
un  peu  grise  l'interprétation  des  trois  premiers  morceaux  ;  mais  la  fin,  au  point  de 
vue  vocal  surtout,  fut  très  bien  rendue,  et  ce  tant  par  les  chœurs  que  par  les  solistes, 
Mmes  Allen  et  Brema,  MM.  Coats  et  Braun. 

Parlons  maintenant  de  la  musique  anglaise  qui  fut  jouée  à  ces  festivals.  Ici  encore, 
l'intérêt  a  été  tout  au  plus  moyen.  Je  ne  crois  pas  que  la  sélection  offerte  représente 
bien  exactement  l'état  actuel  de  la  musique  anglaise.  Si  je  ne  me  trompe,  la  plupart  des 
œuvres  qu'on  nous  fit  entendre  ont  été  écrites  il  y  a  un  certain  temps  déjà  —  ce  qui  en 
l'espèce  est  extrêmement  important,  puisque  c'est  tout  récemment  qu'on  a  recommencé, 
en  Angleterre,  à  créer  de  la  musique  symphonique. 

Ainsi,  M.  Elgar,  le  plus  illustre  des  compositeurs  anglais,  n'a  été  représenté  que 
par  un  extrait  d'un  de  ses  moins  bons  oratorios,  le  Roi  Olaf.  Pourquoi  ne  pas  avoir 
exécuté  des  fragments  de  son  Rêve  de  Gérontius.  qui  est  certainement  son  œuvre  la  plus 
intéressante? 

Elle  n'est  pas  bien  riche  non  plus,  la  musique  des  autres  compositeurs  choisis 
pour  représenter  l'école  :  elle  n'a  ni  beaucoup  d'originalité,  ni  beaucoup  de  force.  La 
moins  médiocre  des  pages  qu'on  nous  offrit  —  elle  était  de  M.  Cowen  —  ressemble  in- 
croyablement au  scherzo  de  la  Reine  Mab  de  Berlioz;  le  Benedictus  de  M.  Mackenzie  est 
assez  fade,  comme  dans  un  autregenre  une  Danse  de  M.  Sullivan.  De  bien  discrètes 
et  toutes  «  mendelssohniennes  qualités,  au  plus,  rehaussent  la  Symphonie  irlandaise 
de  M.  Stanford  ou  l'Ode  Blest  pair  of  Sirens  de  M.  Parr^r  ;  le  Requiem  de  M.  Stanford 
est  d'une  bonne  tenue,  mais  pas  très  neuf  non  plus  (j'entends  parler  des  fragments 
exécutés). 

On  me  trouvera  bien  modérément  enthousiaste  :  mais  je  transcris  ici  mon  opinion, 
sans  l'atténuer  comme  sans  l'exagérer.  11  n'y  a  d'ailleurs  point  lieu  de  se  désintéresser 
des  tentatives  de  l'école  anglaise,  au  contraire  :  par  le  seul  fait  d'avoir  revécu,  après  une 
longue  inexistence,  cette  école  affirme  des  éléments  de  vitalité  :  je  sais  d'ailleurs  des 
œuvres  de  jeunes  compositeurs  anglais  qui  valent  d'être  connues.  Mais  d'une  façon  gé- 
nérale, la  génération  dont  on  vient  de  nous  faire  connaître  la  musique  est  surtout  tran- 
sitoire, et  l'effort  en  paraît  destiné  principalement  à  préparer  le  terrain  du  renouveau 
qui  sans  doute  est  proche. 

J'ajouterai  cependant  (mais  ceci  nous  entraîne  bien  loin  de  notre  compte  rendu)  que 
les  influences  les  plus  dangereuses  de  toutes,  celles  de  la  musique  de  Brahms,  de 
Tchaïkowsky  et,  je  crois  bien,  de  M.  Richard  Strauss,  menacent,  si  l'on  n'y  prend 
garde,  de  mal  orienter  l'effort  des  musiciens  anglais  :ces  trois,  en  effet,  sont,  de  tous  les 


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95  — 


symphonistes  modernes,  ceux  qui  semblent  impressionner  le  plus  profondément  la  géné- 
ration anglaise  actuelle.  Et  je  crains  bien  qu'aucun  des  trois  n'ofifre  à  cette  génération 
les  principes  de  vie  et  de  force  qui  lui  seraient  nécessaires. 

M.-D.  Calvocoressi 


Société  Philharmonique 

Le  sixième  concert  réunissait  les  noms  de  MM.  Fritz  Kreissler  et  Mark  Hambourg.  En- 
registrons tout  d'abord  la  profonde  admiration  qu'excitèrent  en  nous  ces  grands  artistes. 
Nous  ne  nous  souvenons  pas  d'avoir  entendu  de  violoniste  supérieur  à  M.  Fritz  Kreissler. 
Bien  que  scrupuleusement  sobre  son  jeu  se  montre  d'une  richesse  extraordinaire.  Les 
attaques  sont  toujours  d'une  franchise  et  d'une  sûreté  impeccables,  le  coup  d'archet 
d'une  robustesse  vigoureuse  et  aussi  d'une  délicatesse  infinie,  le  son  d'une  pureté  par- 
faite et  d'une  chaleur  enveloppante.  Des  fragments  de  la  Sonate  en  si  mineur  de  Bach, 
les  Chansons  Louis  XIII  et  Pavane  de  Couperin,  le  Menuet  de  Porpora,  le  Prélude  et 
Allegro  en  mi  mineur  de  Pugnani  furent  interprétés  tour  à  tour  avec  une  ampleur  ma- 
gistrale, une  grâce  ravissante  et  une  maîtrise  supérieure.  Ce  furent  également  des 
minutes  délicieuses  que  celles  où  il  fit  chanter  sur  son  violon,  douce  et  chaude  caresse 
de  pénétrante  volupté,  la  belle  Humoresque  de  Dvorak.  Si  c'est  un  enchantement  d'en- 
tendre M.  Fritz  Kreissler  c'est  aussi  un  plaisir  séduisant  que  de  l'observer.  Le 
visage  d'aepect  un  peu  froid  s'anime  dès  les  premières  mesures  d'une  vie  et  d'une 
lumière  qui  le  transfigurent.  La  beauté  qui  naît  de  la  pure  inspiration  gagne  soudaine- 
ment chacun  de  ses  traits,  éclaire  les  yeux  d'une  flamme  ardente,  et  si  nous  osions 
avouer  fidèlement  notre  impression,  nous  dirions  que  par  moments  M.  Kreissler  évoqua 
l'un  de  ces  jeunes  dieux  qu'offrent  à  notre  admiration  les  allégories  de  certaines  frises 
grecques.  D'autre  part,  nous  avons  applaudi  la  prodigieuse  virtuosité  et  l'étonnante  puis- 
sance de  M.  Mark  Hambourg.  Si  nous  ne  savions  que  c'est  là  un  dessein  arrêté  de  sa 
part,  nous  contesterions  peut-être  son  interprétation  du  Prélude  et  Fugue  en  ré  majeur 
de  Bach.  Le  maître  de  la  Fugue  semble  exiger  un  style  d'où  soit  absent  un  excès  de 
personnalité.  Ce  parti-pris  qui  ne  paraît  pas  convenir  à  Bach  devient  au  contraire  une 
qualité  que  M.  Mark  Hambourg  porte  au  plus  haut  degré  dans  l'exécution  des  autres 
œuvres.  A  la  place  d'une  Gavotte  de  Rameau  inscrite  au  programme  il  nous  fit  en- 
tendre la  Ballade  de  Grieg, évitant  toute  joliesse  facile  et  donnant  libre  cours  à  son  tem- 
pérament emporté  et  sauvage.  La  Ballade  en  fa  majeur^  un  Nocturne,  deux  Etudes, 
la  Polonaise  op.  22  de  Chopin  nous  permirent  d'admirer  cette  énergie  si  personnelle 
qui  transforme  le  piano  en  un  véritable  orchestre,  ce  mécanisme  incomparable  et  cette 
profonde  pénétration  musicale  qui  font  de  M.  Mark  Hambourg  l'un  des  plus  merveil- 
leux pianistes  de  ce  temps.  Si  son  attitude  n'éveille  pas  la  même  vision  que  celle  de 
M.  Kreissler,  elle  rappelle  de  façon  assez  saisissante  celle  du  grand  Rubinstein  dont  il 
pourrait  d'ailleurs  se  réclamer  à  d'autres  points  de  vue.  —  La  Sonate  en  la  majeur  de 
Mozart,  sereine,  substantielle  et  pleine  de  santé,  et  celle  de  Beethoven  à  Kreutzer  furent 
interprétées  par  ces  deux  artistes  comme  bien  l'on  pense. 

Le  concert  suivant  donné  avec  le  concours  de  Mme  Boyé-Jensen  et  du  Trio  de  Rot- 
terdam fut  intéressant  quoique  sans  éclat  particulier.  Nous  ne  savons  si  les  bi'umes 
du  Nord  en  sont  la  cause,  mais  le  Trio  de  Rotterdam  semble  affectionner  une  exécution 
de  demi-teinte  favorable  sans  doute  aux  impressions  légères  et  délicates  mais  insuffi- 
santes quand  il  s'agit  d'exprimer  des  sentiments  d'un  autre  ordre.  Il  nous  donna  le 
Trio  en  fa  7nineur  op.  65  de  Dvorak,  de  couleur  poétique  et  populaire,  et  le  Trio  en  si 
bémol  op.  rjj  de  Beethoven  au  grave  et  douloureux  andante  cantabile.  MM.  Verhey  et 
Wolff  jouèrent  la  Sonate  pour  piano  et  violon,  op.  100  de  Brahms,  d'intérêt  médiocre 
et  ennuyeuse  à  la  longue.  Le  Trio  de  Rotterdam  se  signale  par  l'unité  de  son  ensemble 
et  la  sobriété  de  son  exécution  ;  pourtant  il  gagnerait  parfois  à  se  départir  d'une 
réserve  qui  peut  être  à  sa  place  dans  une  pièce  restreinte  mais  qui  satisfait  moins  aux 
exigences  d'une  salle  de  concert.  Enfin,  Mme  Boyé-Jensen,  accompagnée  avec  discrétion 


et  opportunité  par  M.  Olaf  Jensen,  chanta  des  lieder  de  Schubert  et  de  Brahms.  Cette 
chanteuse  ne  possède  pas  une  voix  très  puissante,  mais  sa  grande  qualité  est  d'inter- 
préter avec  simplicité  et  une  excellente  intelligence.  D'une  expression  dramatique  et 
concentrée  elle  «  dit  ))  parfois  plus  qu'elle  ne  chante  les  profonds  et  beaux  lieds  de  Schu- 
bert :  V Eternel.  Scène  de  Faust,  Méphtstophele,  la  Mort  et  la  Jeune  fille  qui  fut  bissée, 
et  Groupe  du  Tartare  ;  elle  montra  également  beaucoup  de  finesse,  de  style  et  de  grâce, 
quoique  un  peu  trop  de  placidité,  dans  Cinq  chansons  Tziganes  de  Brahms  animées 
d'un  joli  accent  populaire  et  d'une  très  agréable  fantaisie. 

Edouard   Schneider. 

Concerts   Le    Rey 

L'orchestre  Le  Rey  nous  a  prouvé  qu'il  est  capable,  quand  il  le  veut,  de  secouer  la 
placidité  somnqjente  que  nous  lui  reprochions  tout  récemment.  Le  concert  du  14  janvier 
fut  en  effet  sensiblement  supérieur  aux  précédents  par  le  souci  apporté  à  l'exécution 
du  programme.  Celui-ci  comprenait  une  composition  un  peu  longue  de  M.  Alexandre 
Bernn,  le  Massacre  de  Wassy  ;  les  procédés  de  l'auteur  ne  décèlent  pas  une  excessive 
originalité  et  son  œuvre  présente  le  caractère  de  la  musique  de  scène  bien  plus  que  celui 
d'une  pièce  symphonique  écrite  pour  le  concert.  M.  Le  Rey  la  conduisit  avec  précision, 
disons  même  avec  une  certaine  énergie.  Quant  à  la  Légende  pour  piano  et  orchestre  de 
M.  Pfeiffer  dont  c'était  la  première  audition,  elle  nous  jDarut  bien  incolore  et  indiffé- 
rente. Mlle  Antoinette  Lamy  fit  preuve  dans  la  Troisiènie  bc.-Uade  de  Chopin,  d'un 
toucher  délicat  et  d'une  fine  intelligence  musicale.  Notons  enfin  la  bonne  exécution  de 
la  Mort  d'Ase  et  de  la  Danse  d'Anitra  de  Grieg  et  celle  du  troisième  acte  d'Iphigénie 
en  Taiiride,  chanté  avec  succès  par  Mme  Lina  Star,  M.  Carbelly  et  surtout  M. 
Dubois. 

Le  dimanche  suivant,  ÎVl.  Le  Rey  nous  a  donné  d'importants  fragments  des  Noces 
de  Figaro  de  Mozart.  Mme  Bureau-Berthelot,  qui  dut  bisser  l'air  de  Chérubin,  chantait 
également  le  rôle  de  la  comtesse  d'une  façon  charmante,  et  Mme  Max-Soulier,  Su- 
zanne fort  aimable,  triompha  aisément  de  sa  partie  difficile.  Parmi  les  chanteurs,  ci- 
tons MM.  Boucrel,  Nagelle  et  Carbelly  qui  malgré  sa  bonne  voix  fut  un  Figaro  un  peu 
lourd.  Une  œuvre  symphonique  de  M.  Gervais  Durand,  Désillusion,  que  l'auteur  con- 
duisait avec  une  belle  ardeur,  ne  nous  produisit  guère  d'autre  effet  que  celui  d'une 
légère  déception.  Enfin  dans  le  Concerto  de  Beethoven,  Mme  Ysabel  Barnard,  quoique 
ne  montrant  peut-être  pas  une  énergie  suffisante,  fit  applaudir  un  bon  mécanisme  et 
un  jeu  délicat.  L'orchestre,  qui  soutint  un  peu  mollement  Mme  Barnard,  se  montra 
comme  au  précédent  concert  plus  éveillé  que  d'habitude.  Souhaitons-lui  d'entrer  réso- 
lument dans  la  voie  du  progrès. 

Edouard    Schneider. 

Société    Nationale 

Le  programme  comprend,  outre  un  Quatuor  à  cordes  de  M.Ropartz  et  des  mélodies 
de  M.  Fauré,  quelques  nouveautés;  une  Sonate  (piano  et  violon),  de  M.  Jean  Poneigh  ; 
un  Nocturne  de  violoncelle  de  M.  Inghelbrecht  \  et  de  petits  Tableaux  catnpagnards 
(piano  et  chant)  de  M.  Claude  Guillon.  La  première  de  ces  œuvres  décèle  un  tempéra- 
ment musical  assez  intéressant,  mais  qui  ne  s'est  pas  encore  dégagé  et  qui  n'est  point, 
encore  sûr  de  son  métier.  Il  en  faut  retenir  surtout  le  troisième  mouvement,  qui  est  le 
moins  morcelé,  le  plus  clair. 

Le  Nocturne  de  M.  Inghelbrecht  au  contraire  est  clair,  élégant,  adroitement  bâti  et 
écrit  ■-  J'en  dirai  autant  des  petites  mélodies  de  M.  Guillon,  qui  ont  par  contre,  à  ce 
qu'il  m'a  semblé,  le  défaut  de  manquer  et  de  personnalité,  et  de  lyrisme. 

Parmi  les  interprètes,  félicitons  MM.  Aubert  et  Enesco,  M.  Stenger  et  Mme 
Jeanne  Auger. 

C. 


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Société  J.-S.  Bach 

I y  janvier.  — Le  public  était  nombreux,  disons-le  à  sa  louange,  car  ce  concert 
offrait  un  intérêt  de  premier  ordre.  Au  programme,  figuraient,  seules,  des  œuvres  iné- 
dites pour  les  Parisiens.  L'exécution  a  été  parfaite,  si  parfaite  que  me  voilà  très  em- 
barrassé, réduit  à  épuiser  tout  mon  vocabulaire  d'éloges.  A  tout  seigneur,  tout  hon- 
neur :  je  commence  par  M.  Gustave  Bret,  l'âme  de  la  Société,  qui  a  dirigé  avec  religion 
—  c'est  le  mot  qui  convient  —  un  orchestre  et  des  choeurs  restreints  mais  excellents. 
Le  concerto  en  la  mineur,  pour  piano,  flûte  et  violon  a  été  fort  bien  joué  par  Mlle  Ritter 
et  MM.  Hennebains  et  Daniel  Herrmann.  Mlle  Eléonore  Blanc  et  M.  Louis  Bourgeois,  à 
la  basse  sonore,  furent,  comme  d'habitude,  d'excellents  solistes,  avec,  dans  la  cantate 
NunKomm  Hatden  Heïland.,  M.  Georg  Walter  comme  protagoniste.  M.  Georg  Walter 
appartient  à  la  Singakade^nie  et  à  la  Société  Bach  de  Berlin.  Il  était,  je  crois  inconnu  à 
Paris.  C'est,  physiquement,  un  grand  garçon  gauche,  au  type  germanique  assez  accen- 
tué et  d'une  physionomie  peu  expressive.  La  voix,  médiocre  comme  qualité,  est  d'un 
registre  peu  étendu.  Mais  il  chante  avec  infiniment  d'intelligence  et  d'art.  Son  style 
excellent  et  la  sûreté  de  son  goût  ont  vivement  impressionné  l'auditoire  qui  n'a  cessé 
de  lui  faire  fête. 

La  cantate  Nun  Komm  Haiden  Heiland,  telle  qu'elle  nous  a  été  présentée,  dans  sa 
première  manière,  est  une  œuvre  de  jeunesse  conçue  sous  l'influence  de  la  musique  fran- 
çaise. C'est  une  longue  prière  adressée  au  Rédempteur. 

Les  Geistliche  Lieder  ne  sont  pas  de  Bach  à  proprement  parler.  Bach  les  a  rema- 
niés, mais  de  telle  façon  qu'on  peut  lui  en  attribuer  la  paternité  en  grande  partie.  M. 
Georg  Walter  les  a  interprétés  en  leur  conservant  leur  ferveur  et  leur  naïveté.  Notam- 
ment, dans  le  lied  O  mon  doux  petit  Jésus,  où  il  nous  a  vraiment  émus.  Il  est  impos- 
sible de  trouver  rien  de  plus  suave,  de  plus  enfantin,  dirai-je,  dans  le  bon  sens  du 
mot.  Dans  la  cantate  Ich  armer  Mensch,  il  a  traduit  merveilleusement  les  inquiétudes 
de  la  pauvre  humanité  pénétrée  de  terreur  et  d'inquiétude  à  la  pensée  du  jugement 
suprême.  Et  que  de  beautés  dans  cette  œuvre  d'un  génie  à  son  apogée,  que  d'accents 
dramatiques  et  surtout  quelle  hauteur  à  laquelle  si  peu  de  musiciens  sont  parvenus  ! 

Gabriel  RouciiÈs. 


24  Janvier.  —  M.  Tournemire  doit  être  un  organiste  plein  de  talent,  mais  il  est 
bien  regrettable  qu'il  l'emploie  à  déformer  les  plus  belles  œuvres  de  Bach  :  je  ne  sais 
quelle  «  tradition  ))  peut  l'autoriser  à  allonger  systématiquement  toute  première  note 
d'un  groupe  au  détriment  des  suivantes  ;  cette  exécution  donne  au  Prélude  et  Fugue  en 
si  mineur  une  allure  contournée  et  nerveuse.  La  belle  ligne  du  Choral  An  Wasserflïïs- 
sen  Babylon  a  été  également  altérée  par  une  registration  compliquée.  Pour  servir  Bach, 
il  faut  oublier  tout  système  personnel,  il  faut  s'effacer,  être  religieux. 

C'est  précisément  pourquoi  M.Pablo  Casais  est  un  virtuose  de  génie.  Inutile  de  dire 
la  perfection  incroyable  de  sa  technique,  la  splendeur  de  sa  sonorité,  la  sûreté  de  son 
mécanisme  :  M.  Pablo  Casais  est  plus  qu'un  virtuose  ;  aucune  impression  d'art  ne  peut 
surpasser  celle  qu'il  nous  a  donnée  en  jouant  la  Suite  pour  violoncelle  seul  en  ut  ma- 
jeur. 

Le  programme  était  complété  par  Mme  Rey-Gaufrès  dont  le  talent  de  pianiste  nous  a 
paru  solide  et  souple  à  la  fois,  et  par  M.  Krauss,  flûtiste  aux  exquises  sonorités. 

G.  L. 


Les  Soirées  d'Art 

1 1  janvier.  —  Le  quinzième  quatuor  de  Beethoven  ouvre  le  concert.  Dans  le  der- 
nier mouvement  :  «  Alla  Marcia,  assai  vivace,  allegro  appassionato  )),  les  exécutants  se 
montrent  tout  à  fait  remarquables,  particulièrement  M.  Capet,  qui  a  des  sons  d'une 
beauté  merveilleuse.  M.  de  Saint-Quentin  accompagne  M.  Cazeneuve    qui  chante  deux 


de  ses  mélodies  :  Rêves  envolés  !  et  Adoration,  deux  petites  œuvres    d'une    jolie   ligne, 
délicates  et  point  banales. 

Mlle  Cornelis  nous  montre  comment  on  apprend  la  harpe  chromatique  au  Con- 
servatoire de  Bruxelles,  où  elle  a  eu  un  premier  prix.  C'est  une  toute  jeune  et  toute  char- 
mante artiste,  d'une  virtuosité  qui  sait  se  montrer  aimable  soit  qu'elle  joue  une  ballade 
de  G.  Pfeiffer  un  peu  sans  commencement  ni  fin,  soit  qu'elle  interprète  une  fantaisie 
d'E.  Bach,  ou  bien  une  gigue  du  grand  Bach  ou  encore  une  romance  de  J.  Risler. 

Puis  M.  Georges  Hue  nous  présente  lui-même  ses  Lieds  dans  la  forêt  chantés  par 
M.  Cazeneuve  et  par  Mme  Astruc-Doria.  Ce  qui  semble  avoir  intéressé  l'auteur  du 
poème  et  le  compositeur,  c'est  plus  que  la  forêt,  la  vie  qui  y  règne,  les  oiseaux,  les  in- 
sectes, les  fleurs  ont  leur  rôle.  Le  papillon  ne  manque  pas  de  se  montrer  frivole  et  ta- 
quin. La  musique  de  M.  Georges  Hue  est,  comme  toujours,  élégante,  claire,  cristalline, 
on  ne  peut  que  lui  reprocher  une  certaine  monotonie.  Tous  ces  différents  lieds  se  res- 
semblent un  peu.  Citons  les  Vers  luisants  où  il  y  a  une  très  jolie  impression  de  fraî- 
cheur nocturne,  les  Lys  et  le  duo  des  Eternels  baisers  où  les  deux  amoureux  sur  le 
«  vieux  banc  de  pierre  envahi  par  la  mousse  et  les  fleurs  »  essaient  de  se  figurer  l'avenir 
lointain.  M.  Cazeneuve  et  Mme  Astruc-Doria  ont  été  vivement  applaudis. 

i8  janvier.  —  Tout  d'abord,  un  pianiste  :  M.  Richard  Buhling.  Il  paraît  tout 
jeune  et  tout  à  fait  à  ses  débuts.  Son  mécanisme  est  excellent,  mais  son  jeu  est  trop 
souvent  nerveux  et  point  exempt  de  confusion.  Il  a  joué  la  sonate  Appassionata,  de 
Beethoven,  sans  grand  relief.  Il  a  été  bien  meilleur  dans  le  Prélude  choral  et  fugue,  de 
César  Franck,  interprété  avec  chaleur  et  puissance. 

Mlle  Grandjean  paraissait  au  même  concert.  La  belle  Isolde,  de  l'Opéra,  a  chanté 
en  allemand  les  Traeume  (Rêves),  de  Wagner  et  le  célèbre  Ich  grolle  nicht,  qu'on 
finira  par  déplorer,  à  force  de  l'exécuter  partout  et  trop  souvent.  Mlle  Grandjean  l'a 
pris  d'ailleurs,  à  mon  avis,  dans  un  mouvement  trop  lent. 

Je  l'ai  appréciée  dans  trois  fort  jolies  mélodies  de  M.  Léo  Sachs  :  Solitude,  le  Ba- 
teau  rose  et  le  Retour  à  V Aimée.  La  première  traduit  la  douleur  de  l'amant  seul  désor- 
mais, parmi  la  tristesse  de  la  nuit  et  le  calme  de  la  nature  indifférente  ;  le  Bateau  rose., 
au  contraire,  dans  sa  légèreté  aérienne,  chante  la  griserie  de  la  volupté  et  enfin  le  Retour 
à  l'aiinée.,  inspiré  par  Uhland,  dans  une  note  un  peu  schumanienne,  exalte  la  saine  et 
forte  passion,  victorieuse  des  obstacles.  J'ai  été  très  heureux  de  connaître  ces  trois 
œuvres  vraiment  intéressantes  et  pas  banales. 

Pour  finir,  je  ne  veux  pas  oublier  le  quatuor  Capet,  toujours  égal  à  lui-même  et 
d'une  perfection  qui  ne  va  pas  sans  quelque  maniérisme. 

Gabriel  Rouchès. 

Quatuor  Parent 

Le  programme  du  12  janvier  était  particulièrement  composé,  si  l'on  excepte  la  So- 
nate  op.  ço.  d'œuvres  de  la  jeunesse  de  Beethoven.  Le  Trio  op.  8j  pour  deux  hautbois 
et  cor  anglais  fut  très  joliment  exécuté  par  MM.  Bleuzet,  Bourbon  et  P.  Brun.  M.  La- 
zare Lévy,  tout  en  se  montrant  soucieux  du  style,  nous  a  paru  manquer  de  sensibilité 
dans  la  Sonate  op.  go.  Nous  l'avons  préféré  dans  la  Sonate  op.  24  pour  piano  et  violon 
qu'il  irrterprète  ainsi  que  M.  Parent  avec  la  grâce  et  la  finesse  qui  l'animent.  Malgré  le 
timbre  agréable  de  sa  voix,  Mlle  Delhez  ne  donna  pas  assez  de  relief  aux  Quatre  lieder 
de  l'op.  52  si  charmants  de  simplicité  tendre  et  naïve.  Enfin  la  Société  de  musique  de 
chambre  pour  instruments  à  vent  s'est  fait  très  justement  applaudir  dans  VOctuor  op. 
loy  qui  date  de  1796  et  où  circulent  la  fantaisie  et  la  jeunesse  du  Maître. 

La  troisième  séance  était  consacrée  à  la  musique  moderne.  Les  Quatuors  à  cordes 
de  Maurice  Ravel  et  de  Debussy  sont  trop  connus  pour  que  nous  pensions  en  devoir 
parler.  Il  suffira  de  signaler  la  très  bonne  exécution  qui  nous  en  fut  donnée.  L'intérêt 
de  la  soirée  se  portait  particulièrement  sur  le  Trio  pour  piano.,  violojt  et  violoncelle 
d'Alberic  Magnard.  Une  robuste  volonté  semble  être  le  caractère  dominant  de  cette 
œuvre  ;  elle  se  révèle  dès  les  premières  mesures  de  l'allégro,  ardente  et  passionnée  ;  re- 


—  99  — 

paraît  dans  l'adagio  de  forme  méditative,  plus  consciente  d'elle-même;  enfin  après  des 
hésitations  et  des  luttes  intérieures,  elle  s'affirme  calme,  heureuse  et  triomphante.  Le 
dernier  mouvement  gagnerait  sans  doute  à  être  écourté  ;  les  répétitions  de  la  même 
phrase  au  violon  et  au  violoncelle  ne  paraissent  pas  s'imposer  avec  nécessité.  Quoiqu'il 
en  soit,  celte  œuvre  se  recommande  par  sa  construction  solide  et  son  inspiration  pro- 
fonde. Mlle  Marthe  Dron,  MM.  Parent  et  Fournier  en  étaient  les  consciencieux  inter- 
prètes. Trois  lieder  de  Gabriel  Fauré,  célèbres  pour  leur  charme  subtil,  Clair  de  Lune, 
la  Fée  aux  chansons,  les  Roses  d'Ispahan  furent  chantés  par  Mme  Gandrey  avec  intelli- 
gence et  goût,  mais  d'une  voix  à  laquelle  manquaient  peut-être  la  souplesse  et  la  sûreté 

nécessaires. 

Edouard  Schneider. 


CONCERTS  DIVERS 


Sonatières  et  les  al^itours 

On  se  donne  vraiment  bien  du  mal  en  ce  monde,  et  je  vous  demande  un  peu  pour- 
quoi !  Au  fond,  chaque  chose  ou  chaque  être,  et  même  toutes  les  choses  et  tous  les 
êtres  ont  bien  peu  d'importance,  quand  on  y  réfléchit  un  instant.  Mais  voilà,  c'est 
justement  parce  que  ce  peu  d'importance  nous  crève  les  yeux  que  l'on  ne  veut  pas  l'ac- 
cepter et  que  l'on  cherche  par  mille  moyens,  généralement  burlesques  à  se  donner 
l'illu  ion  que  l'on  existe  utilement.  Aussi  de  quels  fatras  d'obstacles  et  d'illogismes 
ne  complique-t-on  pas  les  choses  les  plus  simples  !  C'est  à  se  tordre  et  à  pleurer.  Et 
puis  le  mot  d'ordre  est  :  «  arriver  ».  Qu'est-ce  que  cela  peut  bien  vouloir  dire,  arriver  ? 
Arriver  à  quoi  ?  à  être  un  crétin  ou  un  génie  ?  Pour  atteindre  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
buts  il  n'y  a  rien  à  faire.  Le  premier  surtout  me  paraît  n'impliquer  aucun  effort  de  vo- 
lonté :  il  faut  se  laisser  aller.  Quant  au  second,  vous  y  êtes  transporté  tout  naturel- 
lement si  tel  l'a  voulu  l'effroyable  hasard  de  la  Conception.  Pour  certains  —  oh,  ils 
sont  rares  !  —  «  arriver  »  veut  dire  simplement  vivre  intelligemment,  se  donner  le  plus 
de  satisfactions  possible,  les  reporter  sur  ceux  qui  vous  sont  chers,  tout  en  ne  faisant 
de  peine  à  personne.  Le  compositeur  qui  travaille  pour  lui,  dans  son  cabinet,  et  non 
entre  Pousset  et  le  Napolitain,  celui  qui,  par  surprise,  sans  préparation  aucune,  livre 
sa  pensée  à  deux  ou  trois  amis,  de  temps  en  temps,  pas  trop  souvent,  et  qui  vit  saine- 
ment, enveloppé  d'une  tendre  affection  qu'il  rend  généreusement,  me  paraît  être  un 
homme  arrivé.  Arriver  par  le  travail  et  par  l'amour  à  se  procurer  le  bonheur  élevé 
qui  rend  fort  et  bon,  voilà  quelle    sorte  d'arrivisme  j'ai   la  naïveté  de  préconiser. 

Vous  me  pensez  très  loin,  n'est-ce  pas,  du  sujet  que  j'ai  à  traiter  ici  :  et  au  contraire 
j'en  suis  terriblement  près  ;  j'en  suis  si  près  que  je  ne  vois  pas  très  bien  comment  je 
vais  pouvoir  parler  des  talentueux  artistes  qui  m'ont  charmé  ces  temps-ci,  sans  avoir 
l'air  de  les  ranger  dans  la  catégorie  qui  m'a  inspiré  ces  réflexions.  Et  pourtant  peut-on 
dire  que  M.  Joseph  Hoffmann  n'est  pas  un  sympathique  pianiste,  modeste  et  tout  plein 
mignon.  D'abord  quand  on  a  les  yeux  malins  de  Joseph  Hoffmann,  on  va  partout, 
même  sans  être  un  vilain  petit  arriviste.  Au  surplus,  je  préfère  vous  entretenir  de  son 
talent  déjà  solide  dans  la  Sonate  en  si  mineur  de  Chopin,  qu'il  joue  cependant  «un  peu 
menu  »  et  avec  fragilité.  Sauer  y  est  gigantesque  !  J'ai  tout  à  fait  aimé  son  interprétation 
colorée  du  Caprice  espagnol  de  Moszkowski  ;  on  me  dit  que  son  premier  récital  a  été 
parfait  en  tous  points  :  je  le  crois  aisément  ;  mais  je  n'ai  entendu  que  le  second.  On 
me  communique  sur  les  Anciennes  Matinées  Danbé  (aujourd'hui  Matinées  Luigini)  des 
notes  où  je  relève  que  la  suggestive  Mary  Garnier  a  prouvé  une  fois  de  plus  que  les 
femmes  ne  devraient  jamais  chercher  à  imiter  les  rossignols  (pas  même  celui  ^d'Alabieff) 
sous  peine  de  produire  des  sons  n'ayant  que  de  lointains  rapports  avec  la  musique  ;  on 
ajoute  que  Mlle  Renié  a  du  tempérament  (personne  n'en  doutait)  et  un  jeu  pur,  net  et 
vibrant,  ce  qui  Erard  chez  une  harpiste  ;   le   quatuor  Soudand,    de    Bruyne,  Migard  et 


—    lOO   — 

Bedetti  se  distingue  toujours  par  une  probité  artistique  qui  est  un  précieux  appoint 
pour  l'attrait  de  ces  matinées.  On  me  dit  encore  tant  d'autres  choses  que...  je  veux  en 
garder  pour  la  prochaine  fois. 

Ricardo  Prati  se  montre  amateur  de  l'Heure  de  Musique  dans  toute  l'acception  du 
mot.  Une  "  heure  de  musique",  voilà  un  titre  dont  on  s'est  servi  bien  souvent  pour 
annoncer  ces  quantités  de  moments  d'Art,  que  Mme  Roger-Miclos  a  définitivement  ran- 
gés parmi  ses  "  Intimités  d'Art  ".  C'est  bien  trouvé,  pas  vrai  ?  Quant  à  M.  Prati,  il  nous 
a  offert  exactement  60  minutes  de  musique,  de  g  h.  1/4  à  10  h.  1/4,  avec  toute  la  qualité  que 
devait  comporter  cette  insuffisance  de  quantité.  Il  interprète  avec  une  égale  impeccabilité 
et  aussi  avec  une  égale  froideur  Bach  et  Brahms.  MM.  Galeotti  et  Capet,  au  contraire, 
calorisent  Q)  la  Sonate  de  Franck  dont  j'ai  rarement  entendu  une  aussi  parfaite  et  bril- 
lante exécution  !  Et  pourtant  on  l'entend  souvent  cette  admirable  page,  qui  perd  chaque 
jour  de  sa  beauté,  précisément  à  cause  de  ces  auditions  impitoyablement  multipliées. 
C'est  comme  l'Ouverture  de  Taiinhaiiser  !  et  c'est  comme...  Beethoven.  Pauvre 
Beethoven  !  Est-il  permis  d'en  vouloir  à  un  homme  au  point  de  manipuler  dans  tous  les 
sens  ce  qui  constitue  son  Immortalité,  et  cela  dans  l'espoir  d'un  maximum  de  rendement. 
O  musique  !  O  vaste  chant  d'affaires  !  !  Heureusement  que  les  ficelles  sont  toujours  appa- 
rentes :  ainsi,  Capet,  le  remarquable  violoniste'  Capet,  a  été  très  supérieur  dans  la 
Sonate  de  Franck  à  ce  qu'il  est  dans  les  quatuors  de  Beethoven.  Pourquoi  ?  Parce  que, 
pour  lui,  l'interprétation  beethovenienne  est  devenue  une  affaire,  "  sa  chose  ",  ou  du 
moins,  il  a  cherché  à  ce  qu'il  en  soit  ainsi,  d'où  un  amoindrissement  inconscient  de  sa 
force  émotive,  tandis  que,  jouant  incidemment  Franck  avec  le  sincère  Galeotti,  il  a  pensé 
uniquement  à  son  acte  d'artiste,  et  il  est  "  arrivé  "  à  la  grandeur,  parce  qu'il  n'a  pas 
eu  le  temps  de  calculer  quel    genre  d'arrivisme  il  allait  pratiquer... 

Je  savais  bien  que  je  n'étais  pas  si  éloigné  que  cela  de  mon  sujet  tout-à-l'heure. 
Mais  voilà  que  sans  pitié  pour  moi,  sinon  pour  mes  lecteurs,  la  place  va  me  manquer, 
et  que,  sous  prétexte  de  considérations  plus  sociales  que  musicales,  je  vais,  une  fois  de 
plus,  faillir  à  mon  devoir  de  critique.  J'aurais  bien  voulu  cependant,  faire  plaisir  à 
Boquel,  en  portant  au  septième  ciel  et  plus  haut  si  possible  le  New-Trio  de  Londres 
(MM.  Epstein,  Zimmermann  et  Ludwig)  qui  a  sévèrement  exécuté  le  Trio  en  si  majeur 
de  Bi'ahms  et  M.  Théo  Lierhemmer  dont  l'interprétation  des  lieder  de  Schumann  et  de 
Brahms  fut  sensiblement  supérieure  à  celle  de  l'air  de  Xérès  ;  le  prestigieux  violo- 
niste Hegedus  aurait  droit  aussi  à  mes  plus  enthousiastes  dithyrambes,  mais  j'y 
reviendrai  puis  qu'il  rekubelise  le  10  février  prochain.  Et  puis,  pourquoi  se  donner 
tant  de  mal  ;  car  tout  cela,  "  est-ce  bien  important  ?  ",  comme  nasillent  les  bandarlog 
des  Chants  de  la  Jungle  de  mon  ami  d'Udine... 

Djinn. 

Concerts  Clémandh,  —  Les  Concerts  Clémandh,  sans  faire  d'autre  bruit  que  celui 
d'une  musique  parfois  très  agréable,  continuent  leur  tentative,  non  sans  succès.  Notons 
la  satisfaisante  exécution  de  Rédemption^  de  la  Fantaisie  Hongroise  de  Liszt  avec  Mlle 
Juliette  Toutain-Grûn  au  piano  (succès  énorme,  est-il  besoin  de  le  dire  ?);  Mlle  André 
Lorec  interpréta  avec  goût  deux  charmantes  mélodies  de  M.  Léo  Sachs,  Si  j'étais  Roi 
et  le  Retour  ;  et  pour  terminer  ce  concert  une  entraînante  audition  du  Trio  final  de 
Faust,  dont  le  besoin  ne  se  faisait  vraiment  pas  sentir.  R.  D. 

Société  de  Musique  Nouvelle.  —  La  Société  de  Musique  Nouvelle  nous  a  lait  en- 
tendre le  20  janvier  le  cycle  musical  que  M.  Gabriel  Grovlez  a  composé  sur  la  Chambre 
Blanche  d'Henry  Bataille.  Cette  œuvre  que  l'influence  debussyste  n'a  que  légèrement 
atteinte  a  su  conserver  sa  place  à  la  ligne  mélodique  si  souvent  sacrifiée  dans  l'école 
nouvelle  ;  elle  traduit  avec  beaucoup  de  personnalité  et  de  fidélité  à  la  fois  les  poèmes 
auxquels  Henry  Bataille  confia  un  peu  de  son  âme  nostalgique  et  tourmentée.  Tout  en 
poésie  intime  et  délicate,  en  sensibilité  discrète  et  sincère,  la  musique  de  M.  Gabriel 
Grovlez  fit  mieux  que  nous  envelopper  de  son  charme  profond,  elle  nous  pénétra  de 
l'émotion  douce  et  attristée  que  l'on  éprouve  au  contact  silencieux  des  choses  dont  l'âme 


—   loi    — 

souffre  d'être  muette.  Elle  exprime  délicieusement  ce  qui,  en  apparence  semble  inexpri- 
mable et  nous  lui  savons  un  gré  infini  de  l'exquis  plaisir  qu'elle  nous  fit  goûter.  Ce 
n'est  que  justice  d'associer  au  succès  de  l'auteur  Mlle  Bathory  qui  l'interpréta  avec 
le  grand  talent  et  la  parfaite  intelligence  musicale  que  tout  le  monde  apprécie  en  elle. 

A  ce  même  concert,  fut  exécutée  par  M.  Jemain  une  Sona.te  pour  piano  de  Al.  Gha- 
noine-Davranches.  Je  ne  pus  malheureusement  l'entendre,  mais  je  serais  heureux 
qu'une  occasion  prochaine  me  permît  d'en  parler,  étant  données  les  excellentes  impres- 
sions qui  m'ont  été  rapportées.  E.  S. 

M77ïe  Marie  Avice.  —  Mme  M.  Avice  a  eu  raison  de  se  faire  entendre,  car  elle  pos- 
sède une  belle  intelligence  musicale  ;  si  elle  interprète  d'une  façon  intéressante  ce  qu'elle 
chante,  elle  ne  chante  pas  toujours  de  même  ce  qu'elle  interprète.  A  vrai  dire  j'aime 
mieux  cela;  la  souplesse  et  la  sûreté  d'émission  lui  viendront  par  le  travail,  tandis  que  la 
compréhension  ne  peut  s'acquérir.  Dans  Joies  et  Douleurs  de  Coquard  et  surtout  dans 
Fédict  d'Erlanger,  le  succès  de  Mme  Avice  a  été  très  vif  et  très  mérité.  M.  Louis  Dut- 
tenhofer  a  remarquablement  exécuté  une  Fantaisie  pour  piano,  de  Georges  Hue,  bril- 
lante et  bien  écrite.  R.  D. 

Mlle  Blanche  Selva.  —  Mlle  Blanche  Selva  a  repris  ses  séances  de  piano  consa- 
crées cette  année  au  grand  Bach.  La  célèbre  pianiste  compte  donner  six  séances  dans 
lesquelles  elle  interprétera  avec  le  souci  d'art  qui  la  caractérise  les  œuvres  du  Cantor  de 
Leipzig. 

Mlle  Selva  a  acquis  une  réputation  de  grande  artiste.  Elle  déteste  le  virtuosisme  et 
il  lui  répugne  visiblement  de  réduire  l'art  du  piano  à  la  recherche  de  moyens  purement 
•extérieurs.  Elle  possède  le  secret  de  mettre  les  thèmes  en  relief,  de  ne  pas  les  noyer  sous 
le  flot  continu  des  détails  de  l'écriture  contrapuntique.  L'accentuation  est  impeccable,  la 
maîtrise  du  clavier  incomparable.  Soit  qu'elle  interprète  la  souple  et  fluide  fugue  en  jit 
diè/{e  majeur  du  Clavecin  bien  tempéré,  soit  qu'elle  fasse  gémir  sous  ses  doigts  la 
Fugue  en  ut  dièze  mineur,  soit  enfin  qu'elle  veuille  rendre  l'expression  émouvante  de  la 
Toccata  et  fugue  en  ut  inineur.  Mlle  Selva  sait  toujours  nous  saisir  par  la  sincérité  et 
la  pureté  toute  classique  de  son  goût. 

M.  Nestor  Lejeune  qui  prêtait  son  concours  à  ce  concert,  exécuta  avec  sobriété  les 
sonates  pour  piano  et  violon  en  si  mineur  et  en  ut  mineur.  Paul  Le  Flem. 

M.  Emile  Bosquet.  —  Bien  que  le  mécanisme  de  M.  Bosquet  soit  excellent,  nous 
n'avons  pas  trouvé  une  parfaite  égalité  d'exécution  dans  les  différentes  œuvres  qu'il  a 
Interprétées,  entre  autres,  dans  Prélude.,  Aria  et  Finale  de  FVanck  et  dans  la  Rhapsodie 
en  mi  bémol  de  Brahms.  Mais  nous  avons  aimé  toute  la  finesse  avec  laquelle  il 
a  brodé  quatre  Etudes  de  Ghopin  et  Y  Impromptu  en  fa  mineur  de  G.  Fauré. 

B. 

M.  Pomposi.  —  Avec  une  conscience  et  une  conviction  que  contraria  malheureuse- 
ment une  émotion  apparente,  M.  Pomposi  donna  avec  Mlle  Selva  une  très  noble  inter- 
prétation de  la  Sonate  de  Franck.  Le  Quatuor  de  Debussy  bénéficia  d'une  délicate  exé- 
cution avec  MM.  Pomposi,  de  Bruyne,  Migard  et  Schidenhelm.  C'est  une  caresse 
suggestive,  un  murpure  enveloppant  qui  monte  et  vous  enivre,  parfois  même  vous 
agace  singulièrement.  C'est  de  la  musique  essentiellement  voluptueuse,  moins  raffinée 
et  plus  fantaisiste  que  celle  de  Fauré.  Debussy  est  un  peu  le  Vielé-Jufîfin  musical,  et, 
comme  l'exquis  poète  de  Viéland-le-Forgeron,  il  évoque  parfois  toute  une  féerie  agreste 
hantée  de  nymphes  lascives,  gracieuses  et  blondes  dans  le  frissonnement  de  la  Nature. 
Les  Valses  de  d'Indy  s'égrenèrent,  fugitives,  sous  les  doigts  magiques  de  Mlle  Selva. 
Il  ne  m'appartient  pas  de  dire  les  beautés  du  Quintette  de  Franck  ;  œuvre  profonde, 
intense,  qui  pénètre  les  plus  intimes  pensées,  qui  renouvelle  les  plus  grandes,  les  plus 
vibrantes  émotions  de  l'âme,  qui  impressionne  et  bouleverse  l'Etre  entier.  Debussy 
excite  les  sens  et  rimagination,  Franck  passe  sur  le  cœur  et  l'esprit  comme  un  aigle 
aux  ailes  éployées   passe  au   sommet  des   monts    éblouissants  de  neige  et  de  lumière. 

M.  G. 


—  104  — 

LETTRE  DE  BERLIN 


J'enregistre,  sans  regret,  l'insuccès  complet  du  Jongleur  de  Not?-e-Dame  au  Nou\e\ 
Opéra-Comique  de  Berlin.  La  première  est  restée  sans  lendemain. 

Une  autre  ((  première  »  également  malheureuse  que  celle  de  la  Sinfonietta  de  Max 
Reger.  Là,  c'est  la  trop  grande  complication  harmonique  et  rythmique  qui,  à  défaut 
d'inspiration,  engendre  à  la  longue  l'ennui.  L'écriture  est  serrée,  embrouillée,  l'orches- 
tration étouffante,  la  mélodie  peu  caractérisée.  Les  violons  grincent  à  plaisir,  en  sour- 
dine, et  crispent.  Il  faut  tout  le  talent  d'un  Nlkisch  pour  animer  un  bloc  aussi  froid,  et 
rendre  l'audition  supportable  jusqu'au  bout. 

Le  cinquième  concert  philharmonique  et  la  Faust-Symphonie  inscrite  au  pro- 
gramme, procurait  au  génial  chef  d'orchestre  l'occasion  de  dépenser  toute  sa  virtuosité 
au  service  d'une  des  plus  resplendissantes  créations  de  Franz  Liszt.  La  voix  magnifique 
du  ténor  solo,  Félix  Seniiis,  fit  merveille  dans  le  rôle  de  Faust. 

Les  violonistes  de  l'Ecole  française  et  belge  sont  de  plus  en  plus  en  faveur  auprès 
du  public  berlinois.  Par  l'apport  de  leur  grand  talent,  Ysaye,  Marteau,  Thibaud  ont 
popularisé  les  traditions  et  les  qualités  nationales  de  leur  art.  Ils  ont  créé,  dans  la  capi- 
tale allemande,  un  courant  d'admiration  continu  pour  tous  les  virtuoses  qui  se  récla- 
ment de  leur  Ecole.  Le  succès  tout  récent  des  deux  récitals  d' Ysaye  a  été  énorme.  Les 
concertos  de  Bach  n°  2,  de  Mozart  n°  3,  l'op.  61  de  Beethoven  formaient  le  programme 
de  la  première  soirée.  La  seconde  séance  nous  apportait  les  concertos  de  Saint-Saëns, 
de  Vieuxtemps  et  de  Max  Bruch.  Je  ne  ferai  pas  au  grand  artiste  l'injure  de  vanter  la 
perfection  de  son  jeu.  la  grandeur  incomparable  de  son  interprétation.  Il  est  autre 
chose  et  plus  qu'un  violoniste.  C'est  un  poète  dont  les  chants  nous  élèvent  bien  au- 
dessus  de  l'humanité.  De  telles  soirées  restent  inoubliables.  Inoubliable  aussi  l'enthou- 
siasme de  ces  2,500  auditeurs  se  livrant  aux  plus  frénétiques  acclamations. 

Le  surlendemain,  Willy  Burviester,  s'attaquait  à  son  tour  au  concerto  de  Bach, 
dans  cette  même  salle  de  la  Philharmonie  (concert  Oskar  Fried).  Le  technicien,  chez 
lui,  fait  obstacle  à  l'artiste.  L'interprétation  manque  de  relief  autant  par  la  sécheresse 
du  jeu  que  par  la  froideur  et  l'étroitesse  de  la  compréhension.  Les  mouvements  d'ail- 
leurs étaient  considérablement  altérés  et  le  grand  Jean-Sébastien  ne  s'y  fût  pas  reconnu 
lui-même  à  l'intempestive  vivacité  de  l'allégro  transformé  en  un  sautillant  presto. 

Au  dernier  Elite-Concert,  Marteau  remportait  un  véritable  triomphe  dans  l'exécu- 
tion delà  Folie,  de  Corelli.  Armand  Forest  se  taillait  également  un  superbe  succès  à  la 
Beethoven-Saal.  Il  interpréta  avec  beaucoup  d'autorité  le  Concerto  de  Lalo.  Il  a  rendu 
de  jolie  façon  la  sentimentalité  vaporeuse  de  l'andantino,  enlevé  avec  une  merveilleuse 
sûreté  le  finale  d'inspiration  si  vivante,  de  couleur  si  chaude.  La  qualité  de  son  était 
des  plus  pures.  La  Berceuse,  de  Fauré,  valut  à  notre  compatriote  un  redoublement  de 
bravos. 

Le  violoniste  russe,  Michaël  Press,  a  fait  entendre  au  Troisième  Orchester-Abend  de 
Ferruccio  Busoni,  le  Poème  Elégiaque  d'Ysayc  et  la  Fantaisie  de  concert  sur  des  thèmes 
russes  de  Rimsky-Korsakoff.  On  sent  en  lui  une  haute  personnalité  d'artiste. 
Par  la  noble  expression,  par  l'impeccable  netteté  de  son  jeu,  Press  se  place  au  rang  des 
meilleurs  virtuoses. 

Sous  l'archet  d'Alexander  Scbald,  le  Concerto  de  Brahms  m'a  semblé  plutôt  terne. 
La  justesse  est  loin  d'être  parfaite.  Une  attaque  dure  de  la  corde  dans  les  passages  de 
force  choque  désagréablement  l'oreille. 

Frir7y  Kreislcr,  par  contre,  s'est  affirmé  une  fois  de  plus,  par  une  merveilleuse  exé- 
cution d'un  concerto  de  Viotti,  comme  le  grand  protagoniste  de  ses  collègues  français. 
Un  son  velouté  et  riche,  une  souplesse  d'archet  extraordinaire,  une  délicatesse  exquise 
de  sentiment  et  par  dessus  tout  une  émotion  communicative  rendent  son  interprétation 
pleine  de  charme.  Sa  virtuosité  technique  tient  du  fabuleux. 

Le  jeune  Mischa  Elman  continue  de  tenir   les   promesses  que  ses  récitals  de  l'an 


—  I05  — 

passé  faisaient  entrevoir.  J'oserai  dire  qu'il  les  dépasse,  tant  il  est  surprenant,  ce  ga- 
min qui,  malgré  le  surmenage  des  tournées,  se  montre  en  progrès  constant  sur  lui- 
mêmeet  conquiert  les  sommets  les  plus  hauts  de  son  art.  Il  exécutait  à  la  Philharmonie, 
devant  une  salle  remplie  par  la  seule  attraction  de  son  prodigieux  talent,  le  Concerto 
de  Beethoven  et  celui  de  Glazounoff.  Cette  dernière  composition,  dédiée  à  Léopold  Auer, 
le  maître  du  petit  phénomène,  était  une  nouveauté  pour  Berlin.  C'est  une  œuvre  colo- 
rée, éminemment  suggestive  oij  les  images  neuves,  les  richesses  mélodiques  abondent, 
régies  par  une  maîtrise  d'écriture  incontestable.  Elle  servit  à  merveille  le  tempérament 
si  chaleureux  de  l'enfant  prodige. 

Je  mentionnerai,  pour  terniiner,  les  deux  récitals  d'Albert  Spalding.  Mme  Jea)iiie 
Diot  nous  arrive  couverte  des  lauriers  qu'elle  a  recueillis  à  Munich  et  à  Dresde.  Nous 
l'entendrons  le  30  janvier.  A  quand  Lucien  Capet  .^ 

Le  second  des  Nowcaux  Concerts  eût  été  excellent  si  Burmester  n'était  pas  resté 
au-dessous  de  sa  réputation,  et  si  le  ténor  Ludwig  Hess,  à  l'émission  gutturale  et 
rauque,  savait  mettre  un  peu  plus  de  charme  dans  ce  qu'il  chante.  Quant  au  chef  d'or- 
chestre, Oskar  Fried,  il  a  droit  aux  éloges  les  plus  vifs.  Sous  son  habile  direction,  la 
Ihiitième  symphonie  de  Schubert.  Alort  et  Transfiguration  de  Richard  Strauss  furent 
magistralement  et  lumineusement  exposés.  Fried  est  un  capellmeister  de  race  et  de  tem- 
pérament qui  fera  beaucoup  parler  de  lui.  II  lui  reste  encore,  néanmoins,  à  contenir  les 
désordres  d'une  gesticulation  par  trop  violente. 

Le  barj^ton  américain  Ch.-\\'.  Clark  possède  un  organe  souple  et  généreux.  La 
voix  est  à  la  fois  bien  timbrée  et  puissante.  La  diction  ne  laisse  rien  à  désirer.  Pour- 
quoi donc  s'attarde-t-il  parfois  à  des  effets  discutables  ?  Plus  sobre,  mieux  stylé 
m'apparaît  le  ténor  Georg  Wcvlter.  interprète  sans  égal  des  cantates  et  des  airs  de  Bach 
père  et  fils. 

Wilhelm  Backhaus,  à  qui  le  Prix  Rubinstein  fut  décerné  à  l'Université  (1905),  nous 
révéla  dans  son  concert  de  la  Sing-Académie,  le  plus  bel  ensemble  de  qualités  pianis- 
tiques  que  l'on  puisse  rêver.  Backhaus  pétrit  le  clavier  avec  une  maestria  et  une  fugue 
dévorantes.  Le  Concerto  de  Tchaïlcowsky  semble  écrit  tout  spécialement  pour  lui  tant 
il  y  déploie  d'ardeur,  de  bravoure  et  de  verve  originale.  Le  mécanisme  de  ce  jeune  vir- 
tuose est  transcendant,  la  sonorité  amplement  nourrie.  Backhaus  donne  l'impression 
d'une  nature  musicale  très  profonde.  Souhaitons  que  son  beau  succès  de  Berlin  ait  sa 
répercussion  aux  quatre  coins  du  monde  musical. 

Edouard  Rt'sler  vient  de  donner  sa  première  séance,  consacrée  aux  Sonates  de 
Beethoven,  avec  un  magnifique  succès.  Je  reviendrai  sur  ces  beaux  concerts. 

L.    PoNNELLE, 


V.  HAVRK.  —  Le  violoncelliste  C.  Liégeois  dont  le  beau  talent  est  des  plus 
appréciés  dans  notre  ville  où  il  compte  de  nombreux  élèves,  a  donné  le  15  un  inté- 
^  ressant  concert.  Il  s'est  fait  applaudir  dans  la  Sonate  de  Franck,  dont  le  premier 
mouvement  gagne  un  charme  encore  plus  rêveur  dans  la  sonorité  grave  et  pénétrante 
du  violoncelle.  Les  autres  parties  me  semblent  moins  se  prêter  à  cette  transcription. 
L'éclat  y  perd  beaucoup  et  les  thèmes  sont  comme  empâtés  et  noyés  dans  les  arabesques 
du  piano. 

Dans  le  Concerto  de  Lalo  et  dans  un  exquis  Menuet  de  Boccherini,  l'éminent  ar- 
tiste a  su  faire  apprécier  toute  sa  virtuosité  et  son  large  phrasé  noble  et  soutenu.  II  a 
de  jolies  finesses  de  nuances  sans  afféterie.  Son  jeu  est  exempt  de  tout  charlatanisme  et 
il  est  certainement  un  des  beaux  violoncellistes  de  notre  époque. 

Mme  Auguez  de  Montalant  est  toujours  la  cantatrice  de  grand  style  que  nous  con- 
naissions. Elle  a  dit  à  la  perfection  deux  nobles  airs  de  Gluck  et  un  air  de  Mozart  d'une 
grâce  merveilleuse.  Elle  s'est  fait  bisser  dans  une  jolie  romance  de  Vidal. 

Mlle  Dehelly  m'a  déconcerté.  Je  ne  crois  pas  que  c'est  au  Conservatoire  qu'on 
apprenne  à  désarticuler  ainsi  la  musique  de  Schubert.  Le  beau  thème  ew  si  bémol  de 
1  Impromptu  si  calme  et  si  pur,  si  simple  surtout,  est  devenu  une  sorte  de  polka  sautil- 


—  io6  — 

lante.  Les  variations  ont  été  jouées  à  la  Tzigane,  avec  des  retards  et  des  pressés  conti- 
nuels qui  sont  là  un  véritable  non  sens  musical.  Mlle  Dehelly  a  pourtant  fait  preuve 
d'un  mécanisme  brillant  dans  la  Sonate  de  Franck  et  surtout  dans  la  Rapsodie  espa- 
gnole de  Liszt,  et  malgré  cela  elle  a  joué  d'une  façon  bien  quelconque  le  menuet  de 
VArléstenne,  d'une  transcription  pianistique  très  ingrate  il  est  vrai,  avec  des  accrocha- 
ges nombreux  dans  la  main  gauche  —  je  veux  croire  que  la  jeune  artiste  qui  peut  certes 
mieux  que  cela,  était  fort  troublée.  —    Elle   s'est  d'ailleurs  ressaisie    dans    l'oeuvre  de 

Liszt  qu'elle  a  jouée  avec  verve  et  coloration. 

* 

Deux  beaux  concerts,  à  deux  jours  de  distance,  nous  ont  permis  d'apprécier  le 
talent  hors  de  pair  de  deux  pianistes  également  remarquables.  L'un  Ricardo  Vinès, 
d'une  merveilleuse  correction,  chez  lequel  pour  ainsi  dire  la  virtuosité  ne  se  fait  plus 
sentir  tant  est  grande  l'aisance,  le  naturel,  l'apparente  facilité  de  son  mécanisme  ;  pia- 
niste admirable  mais  musicien  plus  admirable  encore.comprenant  et  faisant  comprendre 
la  musique  de  tous  les  temps  depuis  Bach  et  Scarlatti  jusqu'à  Fauré  et  Debusssy, 
jouant  simplement,  sobrement,  sans  gestes  inutiles  et  toujours  avec  un  sentiment  très 
intense  et  très  juste  ;  l'autre  Alfred  Cortot,  tout  aussi  brillant  virtuose,  mais  plus  exté- 
rieur, plus  fougueux,  doué  d'une  sensibilité  profonde,  connaissant  tout  de  la  musique 
et  l'exécutant  tantôt  avec  une  délicatesse  infinie  et  un  toucher  moelleux,  tantôt  avec  une 
énergie  farouche  et  une  sonorité  vibrante,  toujours  avec  toute  son  âme  et  sa  pensée.  Et 
ce  fut  par  deux  fois  un  beau  régal  d'art,  et  le  triomphe  des  deux  artistes  fut  grand  et 
justifié.  Mais  il  ne  faut  pas  que  ce  triomphe  nous  fasse  oublier  les  autres  numéros  de 
ces  deux  concerts. 

Le  concert  organisé  par  M.  Rabani  doit  être  loué  pour  la  belle  composition  du 
programme  divisé  en  deux  parties,  l'une  classique  et  l'autre  moderne. 

Dans  la  première  nous  avons  applaudi  la  belle  sonate  de  Bach  jouée  avec  style  par 
MM.  Rabani  et  Vinès.  Mlle  Sirbain,  quoique  fâcheusement  enrhumée,  a  dit  avec  une 
belle  expression  et  un  art  très  réel  les  Elfes  de  Mendelssohn,  Je  t'aime^  de  Beethoven  et 
Mon  cœur  tu  frémis,  tu  doutes...,  une  des  plus  angoissantes  mélodies  de  Schumann.  Et 
Vinès  souleva  l'enthousiasme  par  la  façon  admirable  dont  il  dit  des  pièces  de  Scarlatti, 
Schumann  et  Chopin.  Dans  la  seconde  partie  la  Sonate  de  Franck  obtint  son  succès 
coutumier,  Mlle  Sirbain  chanta  excellemment  une  mélodie  de  M.  Rabani,  distinguée  de 
facture,  et  deux  autres  "■  Amor  et  A  la  Mer.,  de  l'auteur  de  ces  lignes.  Mais  Vinés 
triompha  une  fois  de  plus  par  sa  merveilleuse  exécution  de  Vlsle  Joyeuse,  de  Debussy, 
oii  les  thèmes  semblent  enveloppés  d'une  poussière  d'harmonies  changeantes  et  cha- 
toyantes, dans  la  Poste  de  d'Indy,  dans  le  Troisième  Nocturne  de  Fauré,  tendrement 
élégiaque  et  dans  la  Tarentelle  de  Moskowsky,  moins  purement  musicale  mais  si  pia- 
nistique. 

Des  danses  complétaient  ce  programme.  Mais  des  danses  exécutées  par  Mlle  E. 
Sandrini,  de  l'Opéra,  gracieuse  et  séduisante  au  possible  dans  ces  reconstitutions  de 
l'art  grec  et  de  l'art  plus  maniéré  du  xviii"  siècle.  Mais  était-ce  bien  des  reconstitutions  ? 
Des  adaptations  tout  au  plus...  et  il  me  semble  bien  que  le  style  d'Opéra,  ou  plutôt  de 
l'Opéra,  Académie  nationale  de  danse  s.  v.  p.,  avait  exercé  là-dedans  une  influence  lé- 
gèrement regrettable.  N'importe  Mlle  Sandrini  est  une  exquise  danseuse,  et  ses  pointes 
sont  irréprochables. 

—  La  Société  Sainte-Cécile  vient  de  nous  offrir  son  premier  concert.  L'orchestre  ne  fut 
pas  exempt  de  reproches  dans  l'Ouverture (n° 2) de  Léonore  qui  ouvrait  la  séance  pas  plus 
que  dans  la  Cosatchoque  de  Dargomijsky  sur  laquelle  on  termina.  Mais  il  se  réhabilita 
dans  les  pièces  extraites  du  Voyage  imaginaire  de  René  Lenormand,  dont  le  Prélude,  le 
Ruisseau  de  Fatahona  et  la  Chapelle  Bretonne  furent  bien  nuancés  et  dont  les  deux 
lieds  :  Nocturne  tahitien  et  Chanson  de  Pêcheurs,  bien  dits  par  Mlle  Merville,  sont 
deux  admirables  poèmes  d'un  auteur  qui  a  tout  simplement  écrit  quelques-uns  des  plus 
beaux  lieds  français  contemporains. 

L'orchestre  exécuta  également  de  très  honorable  façon  les  exquises  et  séduisantes 
pages  de  la  Demoiselle  Elue,  où    Debussy  semble  préluder   aux  nouveautés   de  Pelléas. 


—  107  — 

Ah  !  l'adorable  musique  !  et  qu'elle  suit  admirablement  le  texte,  en  soulignant,  en  en 
développant  toutes  l^s  beautés,  en  les  enveloppant  aussi  d'ombre  et  de  mystère  quand  il 
le  faut.  Il  était  courageux  de  présenter  cette  œuvre  à  un  public  non  encore  préparé,  non 
encore  initié  à  toutes  les  finesses,  à  toutes  les  subtilités  d'un  musicien  aussi  résolument 
novateur  ;  l'accueil  fut  pourtant  excellent,  et  si  tout  ne  fut  pas  compris,  on  se  sentit 
plus  d'une  fois  conquis  par  le  charme  prenant  qui  se  dégage  de  toutes  les  œuvres  du 
jeune  maître. 

Les  chœurs  de  dames  se  distinguèrent  tout  particulièrement  dans  cette  exécution 
bien  nuancée  et  Mlle  Gogne-Mancini  en  exprima  les  soli  avec  sentiment  et  distinction. 

Un  beau  chœur  de  d'Indy  :  Sur  la  Mer  fut  aussi  fort  goûté  et  le  public  s'associant 
à  un  hommage  sympathique  fait  à  Mlle  Mancini  (une  Havraise)  après  son  air  de  Sapho, 
en  souvenir  de  son  double  et  récent  succès  au  Conservatoire,  lui  témoigna  toute  sa  sa- 
tisfaction par  une  chaleureuse  ovation. 

Mais  que  dire  encore  de  Cortot  ^  Superbe  de  tenue,  de  conviction,  de  res- 
pect pour  l'œuvre  dans  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven,  où  il  eut  la  fière 
abnégation  de  supprimer  l'habituelle  cadence,  susciteuse  de  bravos  mais  si  inutile  ;  il 
électrisa  réellement  le  public  par  une  magistrale  exécution  des  Maîtres-Chanteurs^ 
d'une  sonorité  orchestrale  véritablement  stupéfiante  ;  par  la  douceur  caressante  de  la 
Berceuse  de  Chopin,  du  vrai  Chopin,  sans  crise  d'hystérie,  sans  pâmoison,  sans  poses 
prétentieuses,  par  la  fantaisie  et  la  maestria  d'une  Rapsodie  de  Liszt  jouée  avec  un  mé- 
canisme foudroyant.  Et  un  triple  rappel  (unique  dans  les  annales  du  public  havrais, 
toujours  si  froid  d'ordinaire)  vint  le  récompenser  de  s'être  livré  avec  tant  de  sincérité  et 
tant  d'âme  à  toute  la  fougue  heureuse  de  son  tempéramment  musical. 

Ai-je  dit  que  l'orchestre  fut  tour  à  tour  conduit  par  M.  Paul  Cifolelli  et  par  votre 
serviteur. 

H.    WOOLLETT. 

'ftTANTJES-  —  L'Association  des    Concerts  Historiques^  fondée  à  Nantes  par  M.  F. 
\    de  Lacerda,    sous  les   auspices    d'un    Comité  Nantais  et  le  patronage  artistique  de 
il    MM.  G.    Fauré,  V.  d'Indy  et   R.  Rolland,  a  donné  son  premier   concert  le  29  dé- 
cembre. 

Enorme  succès,  dont  le  plus  grand  mérite  revient  certainement  à  M.  de  Lacerda,  si 
méritoires  que  soient  les  efforts  individuels  qui  préparèrent  sa  venue  à  Nantes  et  y 
secondèrent  son  action.  Dès  le  premier  soir  qu'il  prit  en  main  la  direction  des  études, 
il  conquit  d'emblée  la  confiance  de  ses  collaborateurs,  par  sa  très  correcte  simplicité, 
l'expressive  élégance  de  son  geste,  l'heureux  choix  des  images  dont  il  ornait  ses  expli- 
cations,, toujours  claires  et  sans  pédanterie.  D'un  orchestre  composé  surtout  d'amateurs, 
il  obtint  vite  des  résultats  que  les  plus  optimistes  n'attendaient  que  d'un  persévérant 
effort.  Les  chœurs,  constitués  d'éléments  déjà  entraînés  à  la  musique  d'ensemble  in- 
quiétaient moins.  Bientôt,  entre  eux  et  leur  chef,  dans  un  élan  de  confiance  réciproque, 
s'établit  cette  précieuse  communication  sympathique,  indispensable,  gage  des  parfaites 
interprétations. 

M.  de  Lacerda,  pour  bien  caractériser  le  souci  d'enseignement  historique  de  l'œu- 
vre, avait  consacré  la  première  partie  du  programme  à  d'anciens  maîtres  peu  connus  en 
dehors  des  cercles  musicaux.  Il  ne  pouvait  mieux  débuter  que  par  la  belle  ouverture  de 
Scylla  et  Glaucus  — unique  opéra  de  J.-M.  Leclair,  l'aîné  —  qui,  réveillée  par  son  heu- 
reuse initiative,  d'un  sommeil  de  cent  soixante  ans  et  mise  par  lui  en  partition  moderne, 
était  vraiment  pour  nous,  en  dépit  de  son  âge,  une  intéressante  nouveauté.  Elle  nous 
montre,  en  Leclair,  à  côté  du  brillant  maître  de  l'Ecole  Fi'ançaise  du  violon  au 
xviii°  siècle,  une  composition  de  grand  talent.  L'orchestre  y  fut  excellent,  et  par  ailleurs, 
ne  se  démentit  pas  :  soit  seul,  dans  l'exquise  Sarabande  de  la  Suite  en  ré  de  d'Indy,  et 
dans  deux  charmantes  Mélodies  Norvégiennes  de  Grieg  ;  soit  comme  partenaire  du 
piano  ou  accompagnateur  des  chœurs  et  soli,  il  se  maintint  au  niveau  de  la  tâche  assu- 
•  mée,  attentif  et  docile  aux  indications  que  lui  dispensait,  avec  une  inlassable  aisancCj 
Jla  maîtrise  de  son  chef. 


Las  chœurs  furent  presque  parfaits.  Le  puissant  et  magistral  Loué  sots-lti  de  la 
Passion  selon  Saint-Mathieu^  de  H.  Schûtz,  fut  chanté  avec  une  conviction,  une  ar- 
deur, un  enthousiasme  irrésistible  :  et  le  Chant  Elégiaque  de  Beethoven,  admirable 
page  si  noblement  humaine  du  plus  puissamment  humain  des  génies  musicaux  fut  in- 
terprété avec  une  très  impressionnante  intensité  d  émotion. 

Le  charmant  et  spirituel  Madrigal  de  Fauré  a  été  aussi  fort  bien  chanté  ;  mais 
c'est  avec  \a.Vit:rge  à,  la  CrècAe, chœur  pour  voix  de  femmes,  œuvre  de  tendresse  exquise 
et  touchante,  du  simple  et  pur  César  Franck,  que  le  mieux  fut  atteint.  L'auditoire  le 
bissa  d'enthousiasme. 

Les  solistes  furent  justement  appréciés. 

Mme  Caldaguès  a  chanté  avec  un  art  merveilleux,  une  excellente  diction  et  une 
justesse  d'émotion  sobrement  exprimée,  tout  à  fait  dans  le  style  qui  convient,  l'air  de 
Télaïre  :  «  Tristes  apprêts  »,  de  Castor  et  Pollux,  un  des  plus  beaux  qu'ait  écrits  notre 
grand  Rameau,  page  de  rare  vérité,  expressive  et  d'un  profond  sentiment  dramatique. 

Mlle  Lénars  nous  fit  admirer,  sur  la  harpe  chromatique,  qui  triompha  à  Nantes, 
sa  technique  impeccable  et  son  excellent  style  en  jouant  la  Fantaisie  de  Saint-Saëns  et 
Prélude,  Valse  et  Rigaudon  de  Raynaldo  Hahn. 

Le  D""  Bonjour  fit  valoir  sa  virtuosité  de  violoncelliste  et  ses  dons  de  très  compré- 
hensif  musicien  en  exécutant  un  Andante  de  Corelli  et  un  Largo  et  allegro  de  Porpora. 
Et  nous  voici  arrivé  à  l'œuvre  capitale  de  cette  belle  séance  :  le  Concerto  en  ré  mineur 
de  J.-S.  Bach  —  et  au  parfait  artiste  qui  en  fut  l'excellent  interprète  :  J.-J.  Nin.  Effacé 
au  milieu  de  l'orchestre,  y  mêlant  ou  en  détachant  avec  un  art  consommé  et  une  mer- 
veilleuse entente  des  valeurs,  les  sonorités  du  piano,  J.-J.  Nin  chante  de  toute  son  âme, 
forte,  intelligente  et  tendre,  les  admirables  inspirations  du  maître  immortel.  Ce  fut 
une  révélation,  et  le  public  acclama  l'œuvre  et  l'interprète.  Auparavant  Nin  avait  joué, 
avec  un  art  d'une  délicatesse  exquise,  deux  charmantes  pièces  de  Rameau  :  Villageoise 
et  V Enharmonique. 

En  résumé,  début  sensationnel  d'une  noble  tentative  artistique,  dont  l'éclatant  suc- 
cès n'est  que  la  juste  récompense  de  tous  ceux  à  qui  nous  la  devons,  et  en  particulier  à 
M.  de  Lacerda. 

S... 


'^1 AIVCY  —  A  mon  grand  regret,  je  n'ai  pu  assister  au  concert  du  7  janvier,  qu'il- 
\|  lustrait  la  présence  d'Ysaye.  Je  n'en  parlerai  donc  que  par  ouï-dire.  Quelques 
.-■  amateurs  grincheux  ont  reproché  au  célèbre  violoniste  une  trop  grande  liberté 
d'interprétation  dans  le  Concerto  en  sol  majeur  de  Mozart  ;  mais  tous  ont  admiré 
sans  restriction  le  sentiment  intense  avec  lequel  il  a  joué  l'émouvant  Poème  four  violon 
de  Chausson. 

La  belle  et  intéressante  S3»!/'/;o7n'e  four  orchestre  et  violon  de  M.  Victor  Vreuls  a 
conquis,  elle  aussi,  tous  les  suffrages,  avec  ses  trois  parties  si  solidement  construites,  si 
pittoresquement  orchestrées.  Comme  le  disait  le  programme,  le  violon,  dans  cette 
symphonie,  «  joue  le  rôle  d'un  personnage  intimement  mêlé  à  Taction  »  et  le  grand 
artiste  a  tenu  cette  partie  avec  l'autorité,  la  puissance  et  le  charme  que  l'on  sait.  C'est 
par  une  tempête  d'applaudissements  qu'a  été  accueillie  la  magnifique  péroraison  de 
l'œuvre,  où  le  thème  initial  du  premier  mouvement  reparaît,  affirmé  par  les  cuivres 
avec  un  grandiose   éclat. 

Le  programme,  très  copieux  et  savamment  composé,  comprenait  en  outre,  VOuver  ■ 
ture  du  Roi  d'Ys,  le  Préluda  du  y"  acte  de  Tristan,  les  Murmures  de   la  Forêt  et  un  frag- 
ment     de  Psyché   de  César  Franck  ;  l'adorable  scène  d'amour    entre   Psyché   et    son 
céleste  amant. 

En  comparaison  de  ce  rutilant  programme,  celui  du  21  janvier  semblait  un  peu 
sévère  ;  il  réservait  cependant  au  public  de  vives  satisfactions. 

D'abord,  VOuvcrture  de  Czvendoline,  de  Chabrier,  fracassante,  il  est  vrai,  mais 
héroïque,  exubérante  et  du  coloris    le  plus    riche.   Puis,  le   Concerto   en  fa  majeur  de 


—  I09  — 

J.-S.  Bach,  pour  violon,  hautbois  et  deux  cors,  empreint,  dans  ses  quatre  parties,  de 
cette  allégresse  sérieuse,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  qui  est  comme  la  signature  du 
grand  Allemand.  C'est  la  manifestation  d'une  âme  sereine,  pure  et  forte. 

Le  Concertstïiclc  pour  harpe  et  orchestre  de  Pierné,  a  surtout  un  intérêt  de  curiosité 
car  il  n'existe  que  de  rares  pièces  pour  harpe  et  orchestre  complet.  La  sonorité  un  peu 
agaçante  de  l'instrument  principal,  n'est  pas  sans  donner,  à  la  longue,  une  impression 
de  monotonie.  Ce  morceau  fut  cependant  l'occasion  d"un  très  légitime  succjs  pour 
Mlle  Bressler. 

Le  concert  se  terminait  par  la  Symphonie  Pastorale.  Si  l'exécution  de  la  première 
partie  n'a  pas  été  absolument  parfaite,  celle  des  quatre  autres  a  été  excellente.  Il  faut 
une  somme  d'efforts  considérable  pour  mettre  au  point  cette  oeuvre  longue  et  difficile  et 
en  rendre  les  multiples  beautés.  Ce  n'est  pas  un  médiocre  honneur  pour  l'orchestre  de 
Nancy  d'être  arrivé  à  ce  résultat. 

X. 


FRA\CFORT-8UR-MEI\  —  Depuis  que  S.  M.  l'Empereur  d'Allemagne  a 
institué  un  concours  national  de  chant  avec  un  prix  à  la  «  Gordon-Bennett  »,  l'in- 
térêt que  l'on  porte  au  chœur  d'hommes  en  Allemagne  a  beaucoup  augmenté.  A 
Francfort  le  Saengerclwr  des  Lehrervereijis  jouit  de  la  plus  grande  faveur  auprès  du 
public,  et  ses  concerts  prennent  place  à  côté  de  ceux  de  la  Museumgesellschaft  et  des 
premiers  choeurs  mixtes  de  la  ville.  Son  premier  concert  offrait  un  attrait  particulier, 
car  il  s'agissait  de  fêter  le  vingt-cinquième  jubilé  de  son  excellent  directeur,  prof.  Maxi- 
milien  Fleisch. 

Au  programme  figuraient  des  œuvres  deMozart,  Schubert,  Schumann,  etc.,  ainsi  que 
les  plus  jolis  «  Volkslieder  ».  Il  est  impossible  de  rendre  ces  «  perles  »  de  la  littérature 
musicale  de  chœurs  d'hommes  avec  plus  de  finesse,  de  poésie  et  une  plus  belle  sonorité  ; 
aussi  cela  a-t-il  été  pour  l'auditoire  une  vraie  jouissance  artistique  en  même  temps 
qu'un  repos  d'esprit  (chose  rare  dans  nos  salles  de  concert)  que  d'écouter  cette  musique 
interprétée  à  la  perfection  et  composée  uniquement  pour  le  cœur  et  les  oreilles. 

Le  cinquième  concert  de  la  Muséumsgesellschaft  sous  la  direction  de  Sigmund  von 
Haussegger  était  consacré  à  la  musique  formale  :  Bach,  Haendel,  Mendelssohn  et 
Brahms.  M.  Froelich  de  la  Cruz,  de  Paris,  sest  fait  applaudir  surtout  dans  un  aria  de 
Haendel  où  sa  voix  sonore  et  sa  technique  de  respiration  ont  fait  merveille. 

Au  programme  du  sixième  concert  de  la  société  figuraient  exclusivement  des  com- 
positions d'auteurs  modernes  :  le  prélude  des  Maîtres  Chanteurs  de  Wagner,  lasso  de 
Liszt  et  Don  Quichote  de  Richard  Strauss,  puis  quelques  L/eier  de  Luuwig  Hess  et  de 
Haussegger.  Le  Don  Qw^cÂo/e  de  Strauss  est  une  caricature  musicale  qui  illustre  d'une 
façon  géniale  ce  héros  de  Cervantes  que  l'on  suit  avec  intérêt  dans  ses  différentes  aven- 
tures. C'est  une  musique  spirituelle  et  amusante,  où  la  poésie  coudoie  la  banalité. 

Le  public  s'est  montré  froid. 

Le  ténor  Ludwig  Hess  a  chanté  trois  lieder  de  sa  composition,"  avec  lesquelles  il 
n'a  malheureusement  pas  enrichi  la  littérature  musicale,  puis  trois  autres  de  Von 
Haussegger  qui  ont  davantage  intéressé. 

Parmi  les  concerts  particuliers  il  faut  citer  celui  de  Frédéric  Lamond  qui  a  su  inté- 
resser son  public  pendant  deux  heures  de  temps  en  jouant  du  Beethoven,  dont  il  est 
sûrement  un  des  meilleurs  interprètes. 

G.  A. 


L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  au  prochain  numéro  les  corres- 
pondances de  Bordeaux.  Lyon.,  Liège,  Le  Caire  et  Orléans, 


Las  chœurs  furent  presque  parfaits.  Le  puissant  et  magistral  Loué  sois-tu  de  la 
Passion  selon.  Saint-Mathieu,  de  H.  Schûtz,  fut  chanté  avec  une  conviction,  une  ar- 
deur, un  enthousiasme  irrésistible  :  et  le  Chant  Elégiaque  de  Beethoven,  admirable 
page  si  noblement  humaine  du  plus  puissamment  humain  des  génies  musicaux  fut  in- 
terprété avec  une  très  impressionnante  intensité  d'émotion. 

Le  charmant  et  spirituel  Madrival  de  Fauré  a  été  aussi  fort  bien  chanté  ;  mais 
c'est  avec  laVio-ffc  à  la  Crèc/;e, chœur  pour  voix  de  femmes,  œuvre  de  tendresse  exquise 
et  touchante,  du  simple  et  pur  César  Franck,  que  le  mieux  fut  atteint.  L'auditoire  le 
bissa  d'enthousiasme. 

Les  solistes  furent  justement  appréciés. 

Mme  Caldaguès  a  chanté  avec  un  art  merveilleux,  une  excellente  diction  et  une 
justesse  d'émotion  sobrement  exprimée,  tout  à  fait  dans  le  style  qui  convient,  l'air  de 
Télaïre  :  «  Tristes  apprêts  )),  de  Castor  et  Pollux,  un  des  plus  beaux  qu'ait  écrits  notre 
grand  Rameau,  page  de  rare  vérité,  expressive  et  d'un  profond  sentiment  dramatique. 

Mile  Lénars  nous  fit  admirer,  sur  la  harpe  chromatique,  qui  triompha  à  Nantes, 
sa  technique  impeccable  et  son  excellent  style  en  jouant  la  Fantaisie  de  Saint-Saëns  et 
Prélude.  Valse  et  Rifratidon  de  Raynaldo  Hahn. 

Le  D''  Bonjour  fit  valoir  sa  virtuosité  de  violoncelliste  et  ses  dons  de  très  compré- 
hensif  musicien  en  exécutant  un  Andante  de  Corelli  et  un  Largo  et  allegro  de  Porpora. 
Et  nous  voici  arrivé  à  l'œuvre  capitale  de  cette  belle  séance  :  le  Concerto  en  ré  mineur 
de  J.-S.  Bach  —  et  au  parfait  artiste  qui  en  fut  l'excellent  interprète  :  J.-J.  Nin.  Effacé 
au  milieu  de  l'orchestre,  y  mêlant  ou  en  détachant  avec  un  art  consommé  et  une  mer- 
veilleuse entente  des  valeurs,  les  sonorités  du  piano,  J.-J.  Nin  chante  de  toute  son  âme, 
forte,  intelligente  et  tendre,  les  admirables  inspirations  du  maître  immortel.  Ce  fut 
une  révélation,  et  le  public  acclama  l'œuvre  et  l'interprète.  Auparavant  Nin  avait  joué, 
avec  un  art  d'une  délicatesse  exquise,  deux  charmantes  pièces  de  Rameau  :  Villageoise 
et  V Enharmonique. 

En  résumé,  début  sensationnel  d'une  noble  tentative  artistique,  dont  l'éclatant  suc- 
cès n'est  que  la  juste  récompense  de  tous  ceux  à  qui  nous  la  devons,  et  en  particulier  à 
M.  de  Lacerda. 

S... 


1^]  AIVCY  —  A  mon  grand  regret,  je  n'ai  pu  assister  au  concert  du  7  janvier,  qu'il- 
pt|  lustrait  la  présence  d'Ysaye.  Je  n'en  parlerai  donc  que  par  ouï-dire.  Quelques 
1  1  amateurs  grincheux  ont  reproché  au  célèbre  violoniste  une  trop  grande  liberté 
d'interprétation  dans  le  Concerto  eji  sol  majeur  de  Mozart  ;  mais  tous  ont  admiré 
sans  restriction  le  sentiment  intense  avec  lequel  il  a  joué  l'émouvant  Poème  pour  violon 
de  Chausson. 

La  belle  et  Intéressante  Symphonie  pour  orchestre  et  violon  de  M.  Victor  Vreuls  a 
conquis,  elle  aussi,  tous  les  suffrages,  avec  ses  trois  parties  si  solidement  construites,  si 
pittoresquement  orchestrées.  Comme  le  disait  le  programme,  le  violon,  dans  cette 
symphonie,  «  joue  le  rôle  d'un  personnage  intimement  mêlé  à  l'action  »  et  le  grand 
artiste  a  tenu  cette  partie  avec  l'autorité,  la  puissance  et  le  charme  que  l'on  sait.  C'est 
par  une  tempête  d'applaudissements  qu'a  été  accueillie  la  magnifique  péroraison  de 
l'œuvre,  où  le  thème  initial  du  premier  mouvement  reparaît,  aflirmé  par  les  cuivres 
avec  un  grandiose   éclat. 

Le  programme,  très  copieux  et  savamment  composé,  comprenait  en  outre,  VOuver- 
turc  du.  Roi  d'Ys,  le  Prélude  du  y"  acte  de  Tristan,  les  Murmures  de  la  Forêt  et  un  frag- 
ment     de  Psyché   de  César  Franck  ;  l'adorable  scène  d'amour   entre   Psyché   et    son 
céleste  amant. 

En  comparaison  de  ce  rutilant  programme,  celui  du  21  janvier  semblait  un  peu 
sévère  ;  il  réservait  cependant  au  public  de  vives  satisfactions. 

D'abord,  VOuvcriure  de  Gzvendoline,  de  Chabrier,  fracassante,  il  est  vrai,  mais 
héroïque,  exubérante  et  du  coloris   le  plus    riche.   Puis,  le   Concerto   en  fa  majeur  de 


■À 


—  I09  — 

J.-S.  Bach,  pour  violon,  hautbois  et  deux  cors,  empreint,  dans  ses  quatre  parties,  de 
cette  allégresse  sérieuse,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  qui  est  comme  la  signature  du 
grand  Allemand.  C'est  la  manifestation  d'une  âme  sereine,  pure  et  forte. 

Le  Concertslilck  pour  harpe  et  orchestre  de  Pierné,  a  surtout  un  intérêt  de  curiosité 
car  il  n'existe  que  de  rares  pièces  pour  harpe  et  orchestre  complet.  La  sonorité  un  peu 
agaçante  de  l'instrument  principal,  n'est  pas  sans  donner,  à  la  longue,  une  impression 
de  monotonie.  Ce  morceau  fut  cependant  l'occasion  d'un  très  légitime  succJs  pour 
Mlle  Bressler. 

Le  concert  se  terminait  par  la  Symphonie  Pastorctle.  Si  l'exécution  de   la   première 

partie  n'a  pas  été  absolument  parfaite,  celle   des    quatre  autres  a  été  excellente.  11   faut 

une  somme  d'efforts  considérable  pour  mettre  au  point   cette  oeuvre  longue  et  difficile  et 

en  rendre  les  multiples  beautés.  Ce  n'est  pas  un  médiocre   honneur  pour  l'orchestre  de 

Nancy  d'être  arrivé  à  ce  résultat. 

X. 


RA\'CFORT-SUK-MEIi\  —  Depuis  que  S.  M.  l'Empereur  d'Allemagne  a 
institué  un  concours  national  de  chant  avec  un  prix  à  la  «  Gordon-Bennett  »,  l'in- 
térêt que  l'on  porte  au  chœur  d'hommes  en  Allemagne  a  beaucoup  augmenté.  A 
Francfort  le  Saengerchor  des  Lehrervereins  jouit  de  la  plus  grande  faveur  auprès  du 
public,  et  ses  concerts  prennent  place  à  côté  de  ceux  de  la  Museumgesellschafl  et  des 
premiers  chœurs  mixtes  de  la  ville.  Son  premier  concert  offrait  un  attrait  particulier, 
car  il  s'agissait  de  fêter  le  vingt-cinquième  jubilé  de  son  excellent  directeur,  prof.  Maxi- 
milien  Fleisch. 

Au  programme  figuraient  des  œuvres  deMozart,  Schubert,  Schumann, etc.,  ainsi  que 
les  plus  jolis  «  Volkslieder  ».  Il  est  impossible  de  rendre  ces  «  perles  »  de  la  littérature 
musicale  de  chœurs  d'hommes  avec  plus  de  finesse,  de  poésie  et  une  plus  belle  sonorité  ; 
aussi  cela  a-t-il  été  pour  l'auditoire  une  vraie  jouissance  artistique  en  même  temps 
qu'un  repos  d'esprit  (chose  rare  dans  nos  salles  de  concert)  que  d'écouter  cette  musique 
interprétée  à  la  perfection  et  composée  uniquement  pour  le  cœur  et  les  oreilles. 

Le  cinquième  concert  de  la  Muséumsgesellschaft  sous  la  direction  de  Sigmund  von 
Haussegger  était  consacré  à  la  musique  formale  :  Bach,  Haendel,  Mendelssohn  et 
Brahms.  M.  Froelich  de  la  Cruz,  de  Paris,  s'est  fait  applaudir  surtout  dans  un  aria  de 
Haendel  où  sa  voix  sonore  et  sa  technique  de  respiration  ont  fait  merveille. 

Au  programme  du  sixième  concert  de  la  société  figuraient  exclusivement  des  com- 
positions d'auteurs  modernes  :  le  prélude  des  Maîtres  Chanteurs  de  Wagner,  l'asso  de 
Liszt  et  Doti  Qiiichote  de  Richard  Strauss,  puis  quelques  L/eier  de  Luuwig  Hess  et  de 
Haussegger.  Le  Don  QwzcAo^d-' de  Strauss  est  une  caricature  musicale  qui  illustre  d'une 
façon  géniale  ce  héros  de  Cervantes  que  l'on  suit  avec  intérêt  dans  ses  différentes  aven- 
tures. C'est  une  musique  spirituelle  et  amusante,  où  la  poésie  coudoie  la  banalité. 
Le  public  s'est  montré  froid. 

Le  ténor  Ludwig  Hess  a  chanté  trois  lieder  de  sa  composition,'  avec  lesquelles  il 
n'a  malheureusement  pas  enrichi  la  littérature  musicale,  puis  trois  autres  de  Von 
Haussegger  qui  ont  davantage  intéressé. 

Parmi  les  concerts  particuliers  il  faut  citer  celui  de  Frédéric  Lamond  qui  a  su  inté- 
resser son  public  pendant  deux  heures  de  temps  en  jouant  du  Beethoven,  dont  il  est 
sûrement  un  des  meilleurs  interprètes. 

G.  A. 


h' abondance  des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  au  prochain  numéro  les  corres- 
pondances de  Bordeaux.  Lyon,  Liège,  Le  Caire  et  Orléans. 


—   JIO  — 


Concerts  Tlrjvoîjcés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 
Février 

1  Mlle  Germaine  Arnaud. 

2  M.  Rodolphe  Plamondon. 
La  Société  nationale  de  musique. 
Mlle  Jeanne  Réol. 
M.  Paul  Minssart. 
Mme  Juliette  Ducher. 
Mlles  Eminger. 
M.  Emile  Decombes. 
Mlle  Gabrielle  Steiger. 
M.  Paul  Minssart. 
Mlle  Grégoire. 


3 
6 

7 
9 

lO 

1 1 

12 


14 


Salle  des  Quatuors 
M.  Charles  Bouvet. 
Le  Qjiatuor  Calliat. 
La  Société  des  Compositeurs  die  musique. 

Salle  Erard 

M-  Hertz. 

M.  Enesco. 

M.  Reitlinger. 

Mlle  Corranza. 

Mlle  H.  Barry. 

M,  Qabrilpwitsch. 

M.  Enescp. 

M.  Hertz. 

M.  Staub. 

Mme  Gousseau  d'Almeida. 

Mlle  H.  Renié, 

Mlle  Clément. 


Salle  des  Agricij^lt€;ur9 

Février. 

1  Les  Soirées  d'Art. 

6  Société  Philharmonique. 

7  M.  Edouard  Bernard. 

8  Les  Soirées  d'Art. 
10  M.   Hegedûs. 

12  M.  Edouard  Bernard. 

I  5     Société  Philharmonique. 

Scîiola  CantorTjiii 

2  L'Orfeo  de  Monteverde. 

13  Mlle  Blanche  Selva  (œuvres  de  Bach). 

Salle  de  l'Union 

7     Société  J.-S.  Bach. 

Salle  iSolian 

2  Le  Quatuor  Parent. 

9  id. 

14  Mme  Uriarté. 

15  Mme  Landqrmy-PIançqn. 

Salle  du  Conservatoire 

4     Le  Quatuor  Capet. 

4wlîigu 

7     Ancienne  Société  dps  nigtinées  Danbé,  4  h,  i[2, 
14  id.  id. 

TîiéâtreTRoyal  (rue  fioyale) 

3  Les  Ifitiniité^  d'Art,  à  3  h. 
10  j4. 


ÉCHOS   ET  NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 

A  l'Opéra. —  L'Etranger  de  V.  d'Indy,  sera  repris,  ^  l'Opérp,  vprs  1§  fin  jîji  piois 
de  février. 

A  l' Opéra-Comique.  —  Les  répétitions  d'Aphroclite  de  C^piille  Erlai^ger  spi^t 
activement  poussées  à  l'Opéra-Comique.  Nous  avons  donné  dernièrement  la  distribu- 
tion des  rôles  ;  nou^  apprenons  aujourd'hui  que,  sur  la  demande  des  auteurs  et  de 
M.  Carré,  Mlle  Glaire  Friche  avait  bien  voulu  accepter  de  créer  le  rôle  important,  mais 
relativement  court,  de  Bacchis.  L'interprétation  s'annonce  comme  devant  être  hors  de 
pair.  La  première  d'Aphrodite  aura  lieu  vers  le  10  mars. 


Société  J,-S:  Bcich  (Salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise),  r—  |^e  mercredi  7  février, 
concert  avec  soli,  ochestre  et  chœurs  (4°  de  la  série  A).  Programme  :  Premier  concert 
brandebourgeois,  pour  violon  principal,  deux  cors,  neufs  hautbois,  basson  et  orchestre 
(audition  redemandée'^,  cantate,  Ach  wie  fliichlig  (i"  audit  ion),  Swt/e  en  si  minevr,  can- 
tate :  Hen  wie  du  wilt,  solistes.  MM.  Plamondon,  Sigwalt,  etc. 


—  III  — 

La  Société  des  Concerts  du  Conservatoire  fera  entendre,  à  ses  séance?  des  ii  et  i8 
Février,  la  belle  cantate  composée  par  M,  Balakirew,  pour  les  fêtes  du  cer^tenaire  de 
Glinka, 

La  traduction  française  deToeuvre  est  due  à  notre  collaborateur  M. -D.  Calvocoressi. 
C'est  Mme  Mellot  Joubert  qui  chantera  les  soli. 


Dinjaiiçhe  prochain,  4  février,  à  10  h.  1/3,  les  Chanteurs  de  Sairit-Gervais  se 
feront  entendre  à  l'Eglise  de  la  Sorbonne,  sous  la  direction  de  M,,  Çh.  Bordes,  daps  la 
Messe  du  Pape  Marcel  de  Palestrina. 

Les  concerts  Le  Rey  donneront  à  partir  du  8  février  prochain,  des  matinées  tous  les 
jeudis  à  4  heures,  au  Théâtre  Marigny. 


Jeudi  soir,  15  février  prochain,  aura  lieu  Salle  des  Fêtes  du  Petit  Journal,  le  pre- 
mier concert  de  la  Camaraderie.,  association  des  élèves  de  la  classe  Pessard,  au  Conser- 
vatoire. Au  programme,  des  œuvres  de  MM.  Gustave  Charpentier,  Moreau,  Georges 
Sporck,  Clérice,  Selz,  Jacob,  Mouchet,  Durand,  Bayer  et  MoUo,  avec  le  concours  de 
Mme  Kunc,  MM.  Douaillier  de  l'Opéra,  Pecquery  et  l'association  symphonique  YOr- 
chestre,  sous  la  direction  de  M.  Victor  Charpentier  et  des  auteurs. 


MM.  Willaumeet  Feuillard  donneront  leur  première  séance  de  musique  de  chambre 
le  mardi  20  février,  salle  Erard,  avec  le  concours  de  Mlle  Henriette  Renié  et  de  MM. 
Camille  Chevillard,  P.  Monteux  et  Morel.  Nous  publierons  le  programme  dans  notre 
prochain  numéro. 


La  réouverture  des  Concerts-Berlioz  aura  lieu  vers  la  fin  de  février,  dans  une 
nouvelle  salle  avec  orgue  Cavaillé-Coll  et  contenant  500  places,  sise  55  rue  de  Clichy. 
Les  concerts  auront  lieu  les  mardi,  jeudi  et  samedi. 

Mlle  Berthe  Ginoux,  violoniste,  donnera  le  18  février  à  8  heures  1/2  du  soir,  à  la 
Coopération  des  Idées,  234,  faubourg  Saint-Antoine,  un  concert  avec  le  concours  de 
Mme  A.  Wolff,  pianiste. 

Au  programme,  oeuvres  de  Schuniann,  Weber,  Schubert,  Lalo,  S^int-Saëns  et 
Georges  Sporck. 

Musique  dans  l'intimité,  le  21  Janvier,  chez  la  Princesse  de  Polignaç  :  le  quatuor 
Geloso  a  exécuté  de  fort  belle  façon  le  i"""  quatuor  de  Borodine  et  celui  de  M.  Claude 
Debussy.  Mlle  Louise  Thomasset  a  obtenu  un  grand  succès  en  chantant  des  mélodies 
de  Balakirew  et  des  airs  populaires  grecs  harmonisés  par  M.  Maurice  Ravel. 


L'  «Heure  de  Musique  »  du  Fz^aro  présente  presque  toujours  le  plus  vif  intérêt.  C'est 
ainsi  que  le  23  janvier  dernier  le  programme  consacré  aux  œuvres  de  MM.  Eymieuet  Marsick 
a  obtenu  le  plus  grand  succès,  remarquablement  interprété  d'ailleurs  par  Mlle  Germaine 
Tassart,  très  applaudie  après  la  Suite  Villageoise  de  M.  Eymieu,  Mlle  Poignant,  MM. 
Lqforge  et  Drœghmans. 

On  nqus  prie  de  rappeler  aux  compositeurs  qui  yeuletit  prendre  part  au  (,(.  Sajou 
musical  de  la  Société  nationale  »,  que  les  envoie  doivent  êtr?  effectués  le  17  février,avant 
six  bçurep  du  soir,  au  Grand-Palais,  porte  B. 


i         .        .  . 

L.Q  Juif  Polonçiis.  dciV^.  Camille  Erlanger,  fait  en  çe  moment  pon  tour  de  France, 
et  de  la  façon  la  plus  brillante.  A  Nantes  et  à  Brest  le  succès  a  été  considérable  ;  la  pre- 
mière à  Toulpuse  aura  Heu  le  7  février  prochain, 


112    — 


Raoul  Pugno  vient  de  jouer  à  New-York  avec  rOrchestre  de  Damrosch  la  Sym- 
phonie avec  piano,  de  V.  d'Indy.  Le  public  a  chaleureusement  applaudi  cette  belle 
œuvre  qu'il  entendait  pour  la  première  fois  et  a  rappelé  l'éminent  pianiste  qui,  ensuite, 
a  joué  délicieusement  Halvetia,  de  V.  d'Indy. 


Amiens.  -  La  nouvelle  Soci'clé  des  Concerts  de  mns:.]ue  ancienne,  classique  et 
moderne  a  donné  un  très  beau  concert,  salle  Godbert  :  M.  G.  Rabani,  violoniste,  a  fait 
apprécier  son  beau  style  dans  la  Sonate  en  la  majeur  de  J.-S.  Bach  et  la  Sonatj  de  G. 
Franck,  ainsi  que  dans  des  pièces  de  Beethoven  et  Leclair. 

M.  Ricardo  Vinès  est  un  éblouissant  pianiste,  interprète  admirable  des  classiques 
et  des  modernes  tels  que  d'Indy  et  Debussy  ;  Mlle  Sirbain  a  chanté  avec  beaucoup  d'art 
des  mélodies  de  Schubert,  Schumann,  Fauré,  Rabani. 

Mlle  E.  Sandrini,  l'étoile  de  l'Opéra,  est  une  admirable  danseuse,  son  succès  fut 
éclatant  dans  les  Danses  grecques  sur  la  musique  de  Bourgault-Ducoudray. 


Nantes.  —  Au  Grand  Théâtre,  Mme  Duvall-Melchissédec  remporte  d'immenses 
succès  surtout  dans  Sigurd.  où  sa  voix  tendre  et  extraordinairement  puissante  tour  à 
tour,  donne  un  relief  insoupçonné  au  rôle  de  Brunnhilde. 


Lille.  —  Le  jeune  et  déjà  remarquable  pianiste  .Marcel  Dupré,  dont  le  Courrier 
Musical  signalait  dernièrement  le  succès  à  Rouen,  vient  de  triompher  véritablement  au 
cours  d'un  concert  organisé  ici  par  le  quatuor  Rieu.  La  Toccata  de  Saint-Saëns,  lui  a 
valu  de  nombreux  rappels.  R.  D. 

Rouen.  —  On  vient  de  représenter  ici  avec  succès  les  Girondins  de  Fernand  Le 
Borne. 

Une  dépêche  du  Lavandou,  dans  le  Var,  où  M.  Ernest  Reyer  passe  depuis  de  lon- 
gues années  tous  ses  hivers,  annonce  que  l'auteur  de  Sigurd  serait  sérieusement  ma- 
lade. 

Nice.  —  La  première  de  '\Villia}?i  Ratcliff  de  Xavier  Leroux,  vient  d'avoir  lieu,  à 
l'Opéra,  avec  M.  Delmas  et  Mme  Héglon.   Nous  en  reparlerons. 

—  Les  concerts  du  matin  et  de  l'après-midi,  inaugurés  par  le  Casino  municipal, 
obtiennent  un  superbe  succès.  Une  jeune  cantatrice  parisienne,  qui  est  en  même  temps 
une  pianiste  et  une  musicienne  remarquable,  Mlle  Germaine  Chevalet,  s'est  fait  entendre 
ces  jours  derniers  et  a  été  très  applaudie.  Il  est  regrettable  qu'elle  n'ait  pu  rester  plus 
longtemps  à  Nice.  A  signaler  également  le  succès  du  ténor  Vernet  dans  des  fragments 
d'opéras  modernes. 

Monte-Carlo.  —  Les  concerts  D.  Thibault.  —  Par  une  innovation  qui  a  conquis 
de  suite  la  faveur  du  public,  l'excellent  chef  d'orchestre,  M.  Désiré  Thibault,  entouré 
d'une  phalange  de  virtuoses,  a  dirigé  mardi,  au  Palais  des  Beaux-Arts,  son  premier 
concert. 

Les  exécutants  sont  tous  des  premiers  prix  du  Conservatoire  National  de  Paris. 

Quant  à  M.  Désiré  Thibault,  c'est  un  musicien  consommé  :  élève  de  Ch.  Dancla  et 
de  Litolff,  il  obtint  son  prix  de  violon,  au  Conservatoire  de  Paris,  en  1864  ;  après  avoir 
été  premier  violon  à  l'Opéra,  puis  à  l'Opéra-Comique,  il  devint  chef  d'orchestre  des 
Folies-Dramatiques,  puis  du  Théâtre  Lyrique.  Au  cours  de  sa  carrière  de  chef  d'or- 
chestre à  Paris,  il  a  monté  deux  cent  vingt  ouvrages.  Membre  de  la  Société  des  Con- 
certs du  Conservatoire  pendant  trente  années,  il  fut  élu  second  chef  en  1891,  et  depuis 
lors  fut  toujours  réélu.  En  dernier  lieu,  il  était  chef  d'orchestre  aux  Bouffes-Parisiens. 
Il  est  chef  d'orchestre  au  Casino  de  Monte-Carlo  depuis  sept  ans.  Il  était  donc  tout  dé- 
signé pour  diriger  les  nouveaux  concerts  des  Beaux-Arts  qui,  d'ailleurs,  portent  son 
nom. 

La  première  séance  a  eu  un  énorme  succès  d'art.  Il  est  impossible  de  rêver,  pour  un 
orchestre  de  quatorze  musiciens,  une  sonorité  plus  ample.  Ne  parlons  pas  de  la  disci- 


—  113  — 

pline  :  avec  de  tels  artistes,  elle  est  d'une  précision  admirable.  Les  œuvres  de  Mozart, 
Dclibes,  Gounod,  Strohl,  Schumann,  Haydn,  ont  été  interprétées  magnifiquement. 

Dans  la  première  partie,  M.  Carlos  Salzédo  a  joué  en  virtuose  incomparable,  deux 
pièces  pour  harpe.  Nocturne  et  Petite  valse  d'Hasselmans,  avec  une  pureté  de  style, 
une  souplesse  de  nuances  et  un  brio,  qui  lui  ont  valu  une  chaude  ovation. 

M.  Henri  Richet,  violoncelliste,  n'a  pas  remporté  un  succès  moindre,  dans  la 
seconde  partie,  pour  sa  merveilleuse  exécution  du  Cvgnc  de  Saint-Sa  ëns  et  du  Menuet 
de  Becker  (avec  accompagnement  de  harpe  par  M.  Salzédo).  La  chaleur  du  son,  la 
beauté  du  style,  le  profond  sentiment  de  cet  artiste  l'on  fait  acclamer. 

Et  tous,  dans  ce  petit  orchestre,  sont  virtuoses  au  môme  titre.  Tour  à  tour,  chacun 
jouera  seul.  Il  est  absolument  rare  qu'un  tel  ensemble  puisse  être  réuni.  C'est  là  un 
véritable  tour  de  force  réalisé  par  l'administration,  et  qui  réserve  au  public  de  pures 
joies  d'art. 

—  On  a  vivement  applaudi,  en  Concert  classique,  Mme  Marthe  Chassang,  qui, 
d'une  voix  très  pure,  avec  un  charme  délicieux,  et  un  style  impeccable,  a  chanté  l'air 
de  Thaïs,  en  véritable  tragédienne,  et  le  Nil  de  M.  Xavier  Leroux,  avec  une  mollesse 
exquise. 

Le  brillant  violoniste,  M.  Deszo  Lederer,  dans  le  Concerto  en  ré  mineur  de  Max 
Bruch,  qu'il  a  interprété  très  classiquement,  et  dans  trois  pièces  de  Chopin,  de  Léon- 
cavallo  et  de  sa  propre  composition,  où  il  a  déployé  toute  sa  virtuosité,  a  remporté  un 
succès  éclatant. 

Signalons  aussi  le  succès  d'un  délicieux  poème  symphonîque  de  M.Léo  Sachs, BaZ?// 
d'Oiseaux,  d'une  grande  fraîcheur  d'inspiration  et  d'une  orchestration  pleine  de  détails 
ingénieux. 

Lierre. —  La  Grande  Harmonie  offrait  l'autre  soir  à  ses  membres  un  concert  d'un  ca- 
ractère artistique  remarquable.  Le  Quatuor  vocal  mixte  Pour  l' Art  en  faisait  les  frais  tant 
par  ses  exécutions  d'ensemble  que  par  des  productions  personnelles  de  chacun  de  ses 
membres.  Nous  avons  fort  goûté  les  qualités  d'ensemble,  de  cohésion  et  d'infini  souci  ar- 
tistique dont  le  quatuor  a  fait  preuve  dans  un  Ave  Maria  de  Smulders,  le  curieux  Chant 
des  oiseaux  de  Jannequin,  une  suite  intéressante  de  Massenet,  les  Chansons  du  bois 
d' Amaranthc,  un  Lied,  page  d'intense  poésie  du  jeune  compositeur  be  Ige  Albert  Dupuis, 
enfin  dans  diverses  chansons  anciennes  dites  avec  tout  leur  charme  a  rchaïque. 

On  a  fait  grand  succès  au  Quatuor  Pour  l'Art  qui  forme  un  groupe  artistique  de 
toute  première  valeur. 

Mlle  Al.  Hermann  et  Mme  Jobé,  deux  excellentes  pianistes  complétaient  le  pro- 
gramme de  cette  soirée  qui  marquera  dans  les  annales  artistiques  lierroises. 

L  AMAJEUR. 

Bruxelles.  —  Le  Concert  jubilaire  Ysaye  a  été  un  succès  énorme  :  public  trépi- 
gnant d'enthousiasme.  Au  programme,  rien  que  des  œuvres  belges  :  Symphonie  de 
Franck,  Fantaisie  sur  des  airs  angevins  de  G.  Lekeu,  Concerto  de  Théo  Ysaye  (M.  de 
Greef),  entracte  de  Jean  Michel,  d'A. Dupuis,  Chant  d' hiver  ei  Caprice-Valse  d'E. Ysaye 
(Jacques  Thibaud). 

Une  ovation  superbe  a  été  faite  à  Ysaye. 

—  A  la  Monnaie.  —  Le  27  janvier  vient  d'avoir  lieu,  à  bureaux  fermés,  la  représen- 
tation des  Noces  de  Fi<raro  de  Mozart,  sous  la  direction  de  M.  Fritz  Steinbach.  l'émi- 
nent  capellmeister  de  Cologne.  On  a  lu  à  l'orchestre  la  partition  de  Déidamia,  l'œuvre 
nouvelle  de  M.  F.  Rasse.  La  Damnation  de  Faust  passera  vers  le  15  février. 


Les  Théâtres  lyriques  en  Allemagne  :  Nous  donnons  par  curiosité,  le 
programme  de  quelques  Théâtres  lyriques  d'Allemagne,  dans  la  semaine  du  15  au  21 
janvier. 

Berlin  :  Opéra  de  la  Cour  :  15  janvier  .•  Ondine  ;  16  :  Manon  ;  17  :  VEnlèvement 
au  Sérail:,  18  :  Lohengrin  ;  ig  :  Mignon;  20  ;  les  Noces  de  Figaro;  21  :  Der 
Wildschiïtz. 

Leipzig  :  Nouveau  Théâtre  :  16  :  Enoch  Arden  ;  17  ;  Les  Contes  d' iIolfm,a7tn  ;  18  : 
■  Undi  ne  ;  21  ■.Lohengrin. 

Dresde  :    15  :   Bajazzo,    Cavalleria   rusticana  ;  16  :  Carmen;    17  :  Pre:{_iosa  ;  18  : 


—  114  — 

Salomé  \  ig  :  Le  Barbier  de  Séville  ;  20  :  Die  Meistersinger  ;  21  :  Les  Contes  d'Hof- 
fmann. 

MuNïCH  :  16  :  Joseph  ;  17  :  Margarethe  (Faust)  ;  18  :  Lé  Postillon  de  Longjumeau  ; 
20:  Les  joyeuses  commères  de  W^indsor  \  21  :  Tannhceuser.    ■ 

Cologne  :  15  :  Rheingold  ;  16  :  die  Walkûre-^  17  :  Siegfried;  19  :  PrinT^ess  W^as- 
cherin  \  20  :  le  Trouvère  ;  21  :  Gotterdaemmerting. 


Francfort-sur-Mein.  -^  Exposition  Mo:!;art.  —  Nous  avons  déjà  annoûûé  ici 
qu'une  Exposition  de  documents  se  rapportant  à  la  vie  et  aux  oeuvres  de  Mozart  aurait 
lieu  à  Francfort,  au  Musée  historique  bien  connu  de  M.  Nicolas  Manskopf.  Parmi  les 
très  nombreuses  «  pièces  »  qui  ont  été  exposées,  citons  :  une  jolie  gravure  représentant 
Mo:{art  chez  le  prince  de  Conti  (1763),  (le  jeune  Mozart  au  piano  avec,  près  de  lui, 
le  célèbre  chanteur  Jéliotte).  Cette  gravure,  faite  d'après  le  peintre  Barthélémy 
Olivier,  est  très  rare. —  Parmi  les  manuscrits  de  Mozart,  celui  du  Concerto  à  j  cemhali 
et  accompagnement  d'orchestre  à  cordes,  la  Sonate  pour  piano  et  violon  (Kœchel  n°  301). 
Nous  voyons  aussi  l'affiche  de  la  première  de  Donjtian  (15  juin  1788).  Une  autre  affiche 
annonce  une  des  premières  de  Don  Juan  en  allemand^  à  Dresde  (16  octobre  1795).  Nous 
ne  pouvons  malheureusement,  donner  ici  une  idée  de  la  richesse  de  cette  exposition  qui 
est  aussi  brillante  que  fut  naguère  V Exposition  Berlioz.,  organisée  également  par  M. 
Manskopf,  dans  son  Musée.  Z... 

—  L'éminent  violoniste  Hugo  Hermann,  dont  certains  journaux  français  orit  an- 
noilcé  la  mort,  est  heureusement  vivant,  bien  vivant. 

De  retour  d'une  brillante  tournée  en  Australie  et  en  Amérique,  Hugo  Hefmatitl  a 
repris  la  direction  de  son  Quatuor  et  de  son  Ecole  de  violon.  Nous  l'entendrons  bientôt 
à  Paris,  aux  concerts  de  la  Société  P hilharmonique . 

Berlin.  -^  Edouard  Risler  vient  de  donner  ici  trois  séances  consacrées  à  l'audition 
de  Sonates  de  Beethoven.  Succès  triomphal  pour  le  grand  artiste.  Nous  reviendrons 
sur  ces  concerts  prochainement. 

Mme  Jeanne  Diot  donne  le  30  janvier  un  concert  à  la  Beethovensaal  avec  le  concours 
du  pianiste  Vianna  da  Motta  :  Sonates  de  Bach,  Beethoven,  Rich.  Strauss  et  César 
Franck* 


On  nous  écrit  de  Suisse  pour  nous  signaler  le  grand  Succès  remporté  à  Laiisanne 
et  à  Genève,  aux  Concerts  Marteau,  par  Mme  Georgeâ  Marty,  qui  vient  d'y  interprétet 
des  lieder  de  Franz  Liszt  et  d'Alexis  de  Castillon. 

Bucarest.  —  La  distinguée  cantatrice  Yvonne  de  Trévllle  vient  de  remporter  un 
immense  succès  dans  Lakmé^  avec  sa  troupe  française  d'opéra. 


BIBLIOGRAPHIE 


Musik-geschichtliclies  aus  Boehmen,   von  Dr.  Johann  Branberger 

Prag,  Verlag  von  I.  Taussig,   1906,  in-8  de  51  pages 

Dr  Jan  Branberger.  K.  Dejinam  Sborového  Zpêvu 

Praha,   «  Slavia  »  1905,  in-8  dé  30  p&gcâ 

Dans  un  petit  volume  qui  nous  est  présenté  comme  le  premier  d'une  série  promet- 
tant d'être  fort  intéressante,  M.  le  D'  Branberger  a  réuni  quatre  brèves^  mais  substan- 
tielles études  sur  divers  épisodes  de  l'histoire,  encore  trop  peu  connue,  de  la  musique 
en  Bohême.  Tout  d'abord  il  nous  révèle  un  maître  du  xvi"  siècle,  Johann  Trajan  Tur- 
novsky,  dont  les  œuvres  conservées  à  Prague  en  manuscrit  et  datées  de  1 574-1 576, 
offrent  cette  particularité  passablement  rare  en  ce  temps,  d'être  écrites  à  3,  4,  5  DU  6 
voix,  uniquement  pour  des  chœurs  d'hommes. 


—  115  — 

En  second  lieu,  l'auteur  trace  un  tableau  rapide  de  l'état  de  la  composition  reli- 
gieuse en  Bohême  au  xvin"  siècle  ;  ses  principaux  représentants  nationaux  furent  Czer- 
nohorsky,  Zach,  Tuma,  Segert  et  Habermann,  dont  les  noms  et  un  petit  nombre  d'œu- 
vres  se  sont  imposés  déjà  à  l'attention  des  historiens,  et  sur  lesquels  sans  doute  M. 
Branberger  nous  apportera  bientôt  d'utiles  détails.  Ceux  qu'il  nous  donne  sur  «  Une 
Académie  noble  de  musique  à  Prague,  en  1715-1717  »  montrent  avec  quel  zèle  la  haute 
société  bohème  de  cette  époque  s'occupait  de  musique*  Si  l'on  Se  rappelle  que  la  pre- 
mière symphonie  de  Haydn  fut  écrite  en  Bohême  poUr  un  orchestre  privé,  tout  ce  qui 
touche  à  la  culture  de  la  musique  instrumentale  dans  ce  pays  acquiert  de  l'importance. 
—  Les  dernières  pages  du  petit  volume  concernent  le  séjour  de  Paganini  à  Prague  en 
1828  et  les  cinq  concerts  qu'il  y  donna.  Quoiqu'il  eût  abandonné  le  bénéfice  du  troisième 
à  une  institution  charitable,  il  laissa  là,  comme  partout,  le  double  souvenir  d'un  vir- 
tuose extraordinaire  et  d'un  prudent  «  homme  d'affaires  ». 

En  langue  tchèque,  dans  une  autre  brochure,  M.  le  D"'  Branberger  publie  le  pro- 
gramme, accompagné  de  divers  commentaires,  d'un  concert  historique  donné  à  Praguet 
eh  1905,  par  la  société  de  chant  Skroup.  Toutes  les  écoles  de  composition  vocale  poly- 
phonique du  xVi"  siècle  étaient  représentées  par  leurs  maîtres  les  plus  célèbres,  dans 
cette  audition  combinée  à  l'instar  de  celles  du  chœur  d'Amsterdam  (D.  de  Lange),  de  la 
Société  dirigée  par  M.  Emile  Bohn,  à  Breslau,  et  des  chanteurs  de  Saint-Gervais.  Nous 
retrouvons  aux  pages  11-13  la  notice  qui  concerne  J.  Trajan  Turnovski.  A  la  fin  de  la 
brochure,  quelques  lignes  renseignent  sur  la  société  Skroup,  ainsi  nommée  en  souvenir 
du  chef  d'orchestre  François  Skroup  dont  un  petit  portrait  orne  l'avant-dernière 
page.  M.  Brenet, 


Voici,  publié  chez  l'éditeur  Jurgenson,  de  Moscou,  Un  charmant  recueil  de  reconsti- 
tutions de  musique  ancienne,  par  M.  A.  Kastalsky.  Je  ne  saurais  dire  avec  quelle  vérité 
de  couleur  et  quelle  simplicité  de  moyens  l'auteur  a  tracé  ces  tableaux  musicaux,  et 
comme  il  obtient,  aVec  le  seul  piano,  jolies  impressions.  Ce  ne  sont  point  des  pastiches, 
ni  des  documents  :  c'est  de  la  musique,  qui  évoque  tour  à  toiir  la  Chine,  l'Inde,  l'Egypte, 
la  Judée,  la  Grèce  et  l'Arabie.  Ce  petit  recueil  tïiérite  d'être  chaudement  recom- 
mandé. 

De  Russie  aussi  m'arrive,  récemment  parue  (chez  Zimmermann),  une  sonate  de 
piano  de  M.  Mili  Balakirew.  C'est  Uile  œuvre  importante  et  dont  on  ne  saurait  parler 
convenablement  dans  ce  court  bulletin.  J'y  reviendrai  lors  de  sa  prochaine  exécu- 
tion) 

Chez  MM.  Augener  et  C''  de  Londres  a  paru  un  fort  joli  Capticcio  de  piano  de  M. 
Frank  Bridge.  L'écriture  en  est  légère,  l'invention  heureuse,  l'allure  discrètement  ori- 
ginale et  agréablement  souple.  Le  nom  de  ce  jeune  musicien  anglais  me  paraît  digne 
d'être  retenu. 

M.-D.  G. 


Les  éditeurs  DURAND  &  FILS  viennent  de  publier  tiiie  édition  in-16  de  la  parti- 
tion d'orchestre  de  l'Apprenti  sorcier,  de  Paul  Dukas.  C'est  là,  à  toUs  points  dé  vue, 
une  heureuse  idée  (prix  ;  $  francs). 


—  1 1 6  — 

NOUVEAUTÉS  MUSICALES 


Les   Maîtres    Français    du    violon    au    XVIIP   siècle.    —    Edition 
J.  JONGEN  et  J.  DEBROUX. 

B.  Rondanez,  éditeur,  9,  rue  de  Médicis.  Pans. 

Poursuivant  avec  zèle  et  intelligence  la  publication  des  œuvres  de  nos  violonistes 
du  xvm"  siècle,  si  heureusement  tirées  de  l'oubli,  M.  Joseph  Debroux  nous  donne  au- 
jourd'hui quatre  nouvelles  sonates  de  "•  Jacques  Aubert  (1678-1753),  J.-P.  Guignon 
(1702-1774),  Jea«-Ferr_v  Rc'^c/ (1664-1747),  Branche  (1722-?).  Elles  sont  toutes  intéres- 
santes, à  des  points  de  vue  divers,  et  témoignent  comme  les  sonates  de  Leclair,  de 
Francœur,  de  Labbé,  de  la  liberté  d'inspiration  de  nos  violonistes  du  xviii'  et  du  déve- 
loppement, de  l'originalité  même  qu'ils  imprimèrent  à  la  technique  de  leur  instru- 
ment. Nous  ne  saurions  donc  trop  les  signaler  aux  violonistes  et  à  tous  les  musi- 
ciens.   

Nous  avons  reçu  de  MM.  DOTESIO,  éditeurs  à  Bilbao,  les  trois  Quatuors,  à  cor- 
des du  compositeur  espagnol  J.-C.  de  Arriaga.  élève  de  Fétis,  mort  à  19  ans  en  iSjç. 
L'édition  nouvelle  de  ces  quatuors  est  bien  présentée,  et  nous  les  signalons  aux  ama- 
teurs de  musique  de  chambre. 

VIENT  DE  PARAITRE  : 


POUR  PIANO  A  DEUX  MAINS 
Gésar    Franck 

Danse  Lente  (1885). 
Petite  Pièce  facile Net  :  1  fr.  50. 

eJosepii    «Joii-Q-eri. 

Sérénade  (op.   19). 

Moyenne  difficulté Net  :  3  francs. 

Edition  Mutuelle,  26r),  rue  Saint-Jacques,   PARIS 


Ouvrages  reçus 


Hugues  Imbert  :  Johannès  Brahms,  sa  vie  et  son  oeuvre,  i  vol.  Fïschbacher,  éditeur. 

Paris. 
Lionel  de  la  Laurencie  :  L'Académie  de  Musique  et  le  Concert  de  nantes 

à  l'Hôtel  de  la  Bourse  (1727-1767) 

I  volume  de  211  pages.  —  Société  Française  d'Imprimerie 

et  de  Librairie.  Paris. 

Victor  Debay  ;  L'Etoile,  roman,  Victor  Ilavard.  éditeur.  Paris. 

Beethoven  :  par  A.  Goellerich. 

Zur  Geschichte  der  Programm-Musik,  von  W.  Klatte. 
Bayreuth,  von  Hans  von  Wolzogen. 
Die  Russiche  Musik,  von  Alfred  Bruneau 

Ces  4  volumes  ont  paru  dans  l'édition   die  Musi/c,  chez  Bard- 
Marquardt  et  C",  éditeurs  à  Berlin.  _^ 

Maurice  Morel  :  L'Ame  de  l'eneance  (Perrin  &  C",  éditeurs). 
Alex.  Cormier  :  Le  livre  des  Fées,  des  Fantôaves  et  des  Sages. 

—  Maître  Belgiratte. 

—  Don  Fernand  de  Catalogne. 

(E.  Sansot  &  C'",  éditeurs). 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


Administration  ds  Concerts  L  DANDEL07,  S3,  rue  d'Amsterdam 

SAL.l_E     PL_EYEI_ 


Ji:UI)I   !«'   tB.VKIEK   Î90(5,  à  9  heures 


RÉCITAL  de  PIANO 

donné  par  Mlle 


ermaine     1^  R  N  A  U  D 


f»  il  o  G  R  A  ]sj:  m:  E 

I.  Sonate  op.   91  n'3,  mi  bémol  majeur     Beethoven 


2.  (T.  Prélude  et  Fugue /a  mineur  ..  Bach 

/'.   Novellette  mi  majeur Schumann 

c.  Pièce  un  majeur Mendelssohn 

1/.  Toccata .  SAiNr-SArNS 


a.  Nocturne  ut  mineur  .    .  .    .  .    .  .      Chopin 

b.  Etude  la  mineur  ......      .  .  id. 


c.  Etude  mi  majeur. Chopin 

d.  Troisième  Ballade id. 


4.  a.  Arabeske Schumann 

b.  Humoresque Alph.  Duvernoy 

c.  Chœur  des  Pileuses .     Wagnek-Liszt 

d.  Campanella Liszt 

PRIX   DES   PLACES  :   Grand  Salon  :   {!'•■-  série)  10  francs.  -     ('2'°°  série)    5  francs.  -  Petits  Salons   :  3  francs 

BILLETS    :     A    la    Salle    PLEYEL    et    à   l'Administration  de   Concerts  A.  DANDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 
(Téléphone    11^-2^) 


S  A   L  l_ 


R  A   R   D 


MARDI    6    Février    1906,    à    9    heures 


dopé  par 


lie 


élèi)e  im\ 


Avec  le  Concours  de  M.M. 


François  DRESSEN 

Premier  Violûneelle-Solo  des  Concerts  Lainonreux 

Louis  BAILiLY 


Henri   LEFEBVRE 

Clarinette-Solo  des  Concerts  Lamoureux 


1.  Sonate  en  sol  mineur 

pour  Violoncelle  et  Piano 
M.  François  DRESSEN 
Mlle  Hélène  BARR  Y 

2.  a.  Récitatif  et  Air 

b.  Chœur  (Cantate  30J 

Chrétiens,  rcjouisse--vons. 
Transcrit  par  Saint-Saens 

c.  Sonat?,  op.  ^),  ut  majeur.   . . 
Mlle  Hélène  BARRY 


Altiste  du  Quatuor  Capet 

p»  R.  o  o  1  i  A  m:  m:  JE 

Haendel 

(I6S5-I739) 


J.-S   Bach 
(1685-1730) 


Beethoven 
(1770-18271 


3.  a.  Impromptu  m     Chopin 

(1810-1849) 


h.  Kreisleriana R-  Schumann 

N--  6.  2.  I.  4.  5.  (1810-1836) 

Mlle  Hélène  BARR  Y 

4.  Trio  en  mi  bémol  majeur Mozart 

pour  Piano,  Clarinette  et  Alto  (1756-I791) 

Mlle  Hélène  BARR  Y 
MM.  Henri  LEFEBrRE 
Louis  BAILLY 


PRIX  DES  PLAGES  :  Fauteuil  de  Parquet  :  10  francs  -  Première  Galerie  :  5  francs  -  Deuxième  Galerie  :  2  francs 
BILLETS  :  Chez  Mlle  BARRY,   5  Place  des  Ternes  ;  à  la  Salle  Erard,   13,  Rue  du  Mail  ;    et   à   l'Administration 
de  Concerts  A.  DANDELOT,    83,  rue  d'Amsterdam  (Téléphone  7/^-25*. 


SALLE     PLEYEL 


lIAltDI   G  Fâ^VRIEIl   I90(î,  à  9  hciiics  ^ 

Concert  dovvé  par  Mii^  faije  liÉOL 

Avee  le  concours  de  M'i®   Marthe   DOERKEN 
et  d'un  Orchestre  d'instruments  à  cordes  sous  la  direction  de  1.  Edouard  MDAUS 


1.  Concerto  en  sol  mineur Max  Bkuch 

Mlle  Jeanne  RÉOL 

2.  Iphigénie  en  Tauride Gluck 

Le  Songe,  récit  et  air. 
Mlle  Marthe  DOERKEN 

3-  6""'  Sonate  pour  Violon  seul J.-S.  Bach. 

Mlle  Jeanne  RÉOL 


l'ILOGhRAlVLM.E 

}.  a.  Orîeo    . 


, Haydn 

b.  En  Prière G.  Fauré 

c.  Lied  Maritime      V.  d'Indy 

Mlle  Marthe  DOERKEN 

5.  Symphonie  espagnole Ed.  Lalo. 

Mlle  Jeanne  REOL 


Ail   Pi;iMO  :  Mlle   CHASSAING,   du  Ccjuscrvati.iic 

PRIX   DES    PLAGES  :  Grand     Salon    (/••  série)  ;  10  francs,  -   (2-   série)  ;    5    francs.    -   Pelits    Salons    ;    3    francs 
BILLETS  :  cIk-z  Mlle  RÉOL,    i  so,  Faubourg  St- .Martin,  à  la  Salle  PLEYEL  et    à    l'Administration  d;    Concerts 
A.  DANDI.LOT,  83.   Rue  d'Amsterdam. 


Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 

SALLE  PLEYEL.  —  SAMEDI  lo  FÉVRIER  ic)o6 

Concert  donné  par  Mesdemoiselles  Nelly  et  Alice  EMIIIGER 

Avec  le  concours  de  MM. 


PROGRAMME 


(Piano     et 


Beethoven 


Sonata  op     12. 

violon).  .  .  

Mlles  NELLYet  Alice  EMINCER. 
Introduction  et  Ronde  Cappric- 

cioso Saint-Saens 

accompagné  par  IVlUe  Marie  EMINCER. 
Mlle  Alice  EMINCER 

.     Sonate,  op.  ^s        Chopin 

Mlle  Nelly  EMINCER 

Le  Triompha Victor  Hugo 

Adaption  symphonique  de Francis  ThomÉ 

M.  BRÉMONT. 
Au  Piano  :  L'AUTEUR. 
Violon   :  Mlle  Alice  EMINCER. 
Une  voix  :   Mlle  BEAUBOUCHEZ. 
.     Intermezzo  0' ^^'^'t'°")        ■•■      Francis  Thomé 
accompagné  par  1' Auteur. 

h.  L'Abeille    .    ...  Schubert 

Mlle  Alice  EMINCER . 


a.  Hallucinations    Schumann 

b.  Pourquoi  ? » 

c.  Paraphrase    sur  le    Songe   d'une 

Nuitd'Eté      Mendelssohn-Liszt 

(Marche    Nuptiale  —  Ronde   des 
Elfes\ 
Mlle  Nelly  EMINCER. 

Poèmes  hongrois  (/  à  6) J   Hubay. 

accompagnés  par  Mme  Marie  EMINCER. 
Mlle  Alice  EMINCER. 

Rapsodie    peur  2  pianos) Francis  Thomé 

(/■  Audition^ 
L'AUTEUR  et  Mlle  Nelly  EMINCER. 

,  fl.  Rappelle-toi .    ..     Victor  Hugo 

è.  Incantation » 

Adaptations  musicales Francis  Thomé 

M.  BREMONT. 
Au  Piano  :  L'AUTEUR. 
Violon  :   Mlle  Alice  EMINCER 


SALLE  ERARD.  —  VENDREDI  i6  FEVRIER  iqo6 

Concert  donné  par  M"^'  Georges  Ml^TY 

Avec  le  concours  de 

TVllle     Heïiriette     REISTIÉ 
De  MM.  Louis  BLEUZET,   Hautbois  Solo  de  la  Société  des  Concerts  de  Conservatoire  et  Georges   MARTY 

Prooramme 


1.  Sonate  en  sol  majeur Haendel 

pour  Hautbois  et  Piano. 
MM.  BLEUZET  et  Ceorges  MARTY. 

2.  a.  Air  de  la  Cantate  :  Freue  dich  J.-S.  Bach 

è.  La  Jeune  Religieuse Schubert 

c.  LaLoreley. F.  Listz 

Mme  Ceorges  MARTY. 
5.  fl.  Fantaisie  .  .    ..       pour  harpe     Saint-Saens 

è.  Le  Rappel  des  oiseaux  »  J.  Ph.  Rameau 

c.  Légende »  H.  Renié 

(d'après  les  Elfes  de  Leconte  de  Lisle) 
Mlle  Henriette  RENIÉ. 

4.  rt.  Dans  la  Steppe Ch.  Lefebvre. 

Z)  Berceuse  philosophique.  G.  Alary 

c.  Nuit  étoilée A.  Duvernoy 

d.  Ballade  de  Barberine  ....  C.  de  Saint-Q.uentin 

£.  Haï  Luli A.  CoauARD 

/.Offrande Xavier  Leroux 


.§'.  Fédia C.Erlanger. 

/j.  Dans  les  ruines  d'une  abbaye    Gabriel  Fauré 

Mlle  Ceorges  MARTY. 

5.  Scènes  Ecossaises,  p.  Hautb.     B.Godard 

et.   Légende  Pastorale 

b.  Sérénade  à  Mabel 

c.  Marche  des  Highlanders 

M.  L.  BLEUZET. 

6.  fl.  Echange P.  Puget 

/'.  Adieu. LÉO  Sachs 

c.  Les  Marionneltes G.  Pierné 

d.  Invocation  Ch.  M   Widor 

e.  Sône Bourgault-Ducoudray 

/.  La  Pavane  Chanson  à  danser).      A.  Bruneau 

g.  Le  Cavalier L.  Diémer 

Mme  Georges  MARTY. 


SALLE  PLEYEL.  —  VENDREDI  16  FEVRIER  iço6 

ONCERT   donné   par   M"'  Alice   QOGUEY 

AVEC  LE  CONCOURS  DE 

Mlle  Marthe  DOERKEN  et  de  M.  Marix  LOEVENSOHN 


PROGRAMME 


Sonate  en  ut  Op.  2,  n 
Allegro.  —  Adagio 
Mlle  Alice  GOGUEY. 
Sonate  01  sol  pour  violoncelle 
M.   MARIX  LŒVENSOHN. 

Iphigénie  en  Tauride     

Songe  et  Air 
Mlle  Marthk  DOERKEN. 

Carnaval  de  Vienne  

Allegro.  —  Romance 
Scher:^cllino.  —  Inicrmcdc 
Finale. 
Mlle  Alice  GOGUEY. 


Beethoven 
Schcr-o.  —  Finale. 


Bach 


Gluck 


Schumann 


7.  a 
b 


Sonate  pour  Violoncelle     ..    .  Boccherini 
M.  MARIX  LOEVENSOHN. 

a.  A  la  Nuit GouNOD 

b.  Fédia C.  Erlanger 

c.  A  ma  Fiancée . .  Schumann 

Mlle  Marthe  DOERKEN. 

Gavotte  variée Rameau  1633-1764" 

ijcherzo Mendelssohn 

Jardin  sous  la  pluie Debussy 

Bourrée  fantasque Chabrier 

Mlle  Alice  GOGUEY. 


IVAiM 


Affections 


DU 


ET    DE 


r 


Institut  Musical  de  France 


12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (i2'=) 


TÉLÉPHONE  924-70 


:m 

fiarmonisalion,    Orcl^estration  ;    ^irrangen^ent    de    toutes    œuvres    pour    pianoi'f 
ïiarrriorjie,  Orchestre  sytripl^onique,  etc.  Gravure  et  Edition 

Examen  et  correction  de  tontes  compositions  mnsicales.  —  Conseils  anx  débntants  et    -^ 

consultations  teckipes  *^ 

L'Institut  Musical  de  France,  qui  compte  parmi  ses  Collaborateurs  les  Professeurs  et  les 
Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  charge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Etranger.  Son  organisatiocf' 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


H 


LIQUEUR 


BENEDICTINE 


wÊ' 


90  ANNÉE.  No  4.    15  Février  1906. 


Directeur;  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 


^OMMAIRE 


Portrait  :  G.-M.  GUY-ROPARTZ 

(notes  biographiques  et  catalogue  de  ses  oeuvres) 


Lettres  Inédites   (suite)  de 
Propositions  sur  la  Musique 

Les  Etudes  de  Litz 

Les  Premières  :  IVilliam 
Ratcliff  de  X.  Leroux  a 

Nice 

Tiphaine,  de  V.  Neuville 

A  Lyon 

Les  Grands  Concerts 


GUILLAUME  LEKEU 
C.  MAUCLAIR. 
MICHEL  BRENET. 

ALFRED  MORTIER. 

PAUL  LERICHE. 
JEAN  O'UOINE. 


La  Quinzaine  Musicale  :  Société  T^hilbarmo- 
nique.  Concerts  Le  Rey,  Schola  Cantorum, 
Société  Nationale,  Soirées  d'Art,  Le  Quatuor 
Parent,  Concerts  N in. 

Concerts  Divers. 

Le  mouvement  musical  en  Province 

et  à  V Etranger  : 

Correspondances  de:  Lyon,  Bordeaux,  Orléans, 

Liège,  Leipzig,  Le  Caire. 
Concerts  Annoncés. 
Echos  et  Nouvelles  Diverses. 
Bibliographie MICHEL  BRENET. 


■»■•»» 


Administration  «t  Rédaction 


Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  la 
Rédaction  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 


29,  RUE  TRONCHET,  PARIS  (8*)      Rédaction  reçoivent  les  Mardi, 
-  ^      '      et  Samedi,  de  /o  mures  a  midi. 


TÉLÉPIIOIVE  252.95 

3ureau;c  ouverts 

de  /o  h.  à  midi  ci  dt  ^h.  à  6  h. 


Le  numéro  :  75  centimes 

Etranger  :  1  franc. 


1 

Le  Courrier  Musical 

(le     1"     ET     LE     15    DE     CHAQUE     MOIS) 

(    Paris  et   Départements  ....       2  francs  l'aal 
ABONNEMENTS    ]    ^  ,^  ^ 

(      ETRANGER 15  »  )> 

Le    Numéro  :   75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (16^) 


Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8*).   i 

(TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM»  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Br©t-r 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D' Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor^ 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot—  RenéDoire  — F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flaghy  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Giovanna  —  Orner  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier-—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  --,1 
J.  Sauer^Arein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D"^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil-- 
lermoz,  etc  .. 

te  Courrier  Musical  est  en  veute  : 
A  PARIS:    29,  rue  Tro7ichet. 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  Auber^ 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Saint-Honoré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 
Chez  M.  PUGNO,   ij,   Quai  des  Grands-^Augustins,  etc... 
EN  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

DÉPOTS  : 


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Pour  rANGLETERRE 


MM,    BREITKOPF    A   MORTEL,  à  LEIPZIG 

MM.  BREITKOPF  à  H/ERTEL,    45,  rue  Montagne  de 

Cour,  à  BRUXELLES 
MM.   BREITKOPF  d   H/ERTEL,    54,    Malborough-Street,    I 
LONDON-Vy. 


Û- 


9«  ANNEE.  N»  4.  i5  FÉVRIER  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portrait  :  J,-M.  Guy-Ropartz  (Notes  biographiques  et  Catalogue  de  ses 
œuvres).  —  Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu  (suite).  —  Propositions  sur  la 
Musique  (Camille  Mauclair).  —  Les  Etudes  de  Liszt  (Michel  Brenet).  —  Les 
Premières  :  William  Ratcliff,  de  X.  Leroux  à  Nice  (Alfred  Mortier).  —  Tiphaine, 
de  V.  Neuville  à  Lyon  (PaulLeriche).  —  Les  Grands  Concerts  :  Colonne,  Lamoureux, 
Conservatoire  (Jean  d'Udine,  L).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Société  Philharmonique, 
Concerts  Le  Rey,  Schola  Cantorum,  Société  Nationale,  Soirées  d'Art,  Le  Quatuor  Parent, 
Concerts  Nin.  —  Concerts  divers.  —  Le  mouvement  musical  en  province  et  à 
l'étranger  :  Correspondances  de  :  Lyon,  Bordeaux,  Orléans,  Liège,  Leipzig,  Le 
Caire.  —  Concerts  annoncés.  —  Echos  et  Nouvelles  diverses.  —  Bibliographie 
(Michel  Brenet). 


Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu 

(Suite) 


Lettres  à  M.  Kéfer,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  de  Verviers 

(Suite) 


Paris  ;  vendredi  26  avril   1890, 

J'ai  été  revoir  le  père  Franck,  qui  m'a  reçu  avec  son  éternelle  bonté.  11  s'est 

informé  de  la  santé  de  ma  mère,  de  mon  séjour  à  Verviers,  de  la  musique  que  j'y  avais 
entendue,  du  concert,  de  mon  Etude  symphonique,  de  l'exécution,  etc..  Il  a  été 
enchanté  de  toutes  mes  réponses,  et  fort  content  de  ce  que  je  lui  ai  montré  du  Trio  que 
je  suis  à  travailler  ;  il  m'a  chaudement  encouragé  à  poursuivre  cette  lourde  besogne. 
Je  m'y  suis  attelé  avec  une  force  nouvelle  (comme  dit  Beethoven  dans  le  15» 
quatuor  !) 

J'ai  déjà  entendu  plusieurs  choses  importantes  depuis  ma  rentrée  à  Paris.  Sa- 
medi soir,  à  la  Nationale,  on  donnait  la  première  audition  du  Quatuor  de  Franck, 
C'est  encore  un  chef-d'œuvre  !  L'adagio  en  particulier  est  une  gigantesque  merveille. 
C'est  vraiment  un  homme  étonnant,  d'une  richesse  et  d'une  nouveauté  d'invention 
stupéfiantes.  —  Lundi,  à  un  concert  d'orchestre  à  la  Salle  Erard  (donné  aussi  par  la 
Nationale),  j'ai  entendu  la  première  exécution  d'une  Introduction  pour  orchestre  et 
chœurs  à  la  Passion  (mystère  de  Haraucourt),  par  Gabriel  Fauré.  C'est  une  très  belle 
œuvre,  très  grande,  très  simple,  très  sincère,  et  d'une  sonorité  splendide.  Le  reste  des 
deux  concerts  ne  valait  pas  grand  chose  ;  mais  ces  deux  œuvres-là  sont  réconfor- 
tantes et  saines,  elles  suffisent  l'une  et  l'autre  à  toute  une  longue  soirée  de  mu- 
sique. 

Ajoutez  à  cela  que  j'ai  acheté  et  lu  les  premières  livraisons  de  la  partition  d'or- 


—  ii8  — 

chestre  des  Maîtres  et  de  celle  de  Tristan,   et  vous    serez  sans  aucun  doute,  persuadé 
queje  n'ai  pas  perdu  ces  huit  premiers  jours. 

Une  vraie  fièvre  de  travail  me  tient  en  ce  moment  et  je  veux  m'y  abandonner 
tout  entier.  D'ailleurs,  presque  au  jour  le  jour  je  vous  tiendrai  au  courant  de  ce  que  je 
ferai. 


Jeudi  soir,  23  mai  1890. 

Je  travaille  beaucoup.  Je  ne  parlé  pas  du  contrepoint,  il  faut  bien  se  débar- 
rasser de  ces  scholasticités  ennuyeuses,  mais  si  indispensables  !  J'ai  terminé  la  pre- 
mière partie  d'un  Trio  pour  piano,  violon  et  alto  ;  l'adagio  sera  écrit  (du  moins  je 
l'espère)  dans  un  ou  deux  mois.  J'ai  montré  ce  travail  au  père  Franck  qui  en  est  fort 
satisfait.  D'ailleurs  je  compte  bien  le  lui  dédier  (c'est  tout  naturel  !)...J'ai  entrepris  une 
grosse  machine  à  trois  parties  pour  orchestre  (et  des  chœurs  d'hommes  dans  la  troi- 
sième partie).  Je  vous  en  dirai  tout  à  l'heure  lé  sujet  et  le  plan.  Voici,  auparavant, 
sur  quoi  repose  mon  espoir  d'entendre  cela  à  brève  échéance.  M.  Voncken  m'a 
demandé,  pour  le  concert  annuel  de  l'Emulation,  une  œuvre  pour  orchestre  et  chœurs. 
En  outre,  j'ai  été  tout  récemment  présenté  à  M.  Louis  de  Romain  qui,  avec  Jules  Bor- 
dier  est  à  la  tête  de  l'artistique  entreprise  des  Concerts  d'Angers.  Ce  monsieur  a  été 
charmant  pour  moi  et  m'a  prié  de  lui  remettre,  au  mois  d'août,  à  son  prochain  voyage 
à  Paris,  la  partition  d'un  morceau  symphonique.  Je  me  propose  de  terminer,  pour 
cette  date,  la  première  partie  de  mon  Poème  et  de  la  lui  remettre. 

Voici  maintenant  de  quoi  il  s'agit  dans  ce  lourd  travail  :  je  voudrais  faire  une 
Etude  musicale  d'après  VHamlet  de  Shakespeare.  La  première  partie  a  pour  épigraphe  : 
«Mourir!...  dormir,  dormir!  Peut-être  rêver!...  Me  souvenir  de  toi!...  Ton  ordre 
vivant  remplira  seul  les  feuillets  du  livre  de  mon  cerveau  !  »  —  Vous  voyez  que  c'est 
le  caractère  d'Hamlet  lui-même. 

Mais  ce  caractère,  je  ne  me  sens  ni  l'âge  ni  la  force  de  l'embrasser  tout  entier  :  il 
faudrait  pour  cette  tâche  un  Beethoven  !  Mais  je  puis  du  moins  tenter  d'en  montrer 
musicalement  quelques  traits  principaux  :  la  soif  de  la  mort,  la  marche  de  sa  pensée 
s'appliquant  à  ce  sujet  :  voyant  d'abord  dans  la  Mort  une  délivrance  et  craignant 
ensuite  de  retrouver  au-delà  du  tombeau  les  douloureuses  surprises  d'ici-bas;  sa  haine, 
ensuite,  de  tout  le  mal  fétide  qui  l'entoure  (ses  conseillers,  sa  mère,  son  beau-père), 
et  je  suis  ainsi  amené  à  montrer  aussi  toute  l'honnêteté  de  cette  âme  extraordinaire, 
son  profond  amour  du  bien,  son  éternel  attachement  à  son  père.  —  Vous  voyez  que 
ce  n'est  pas  une  petite  affaire,  et  il  y  aurait  encore  bien  des  choses  à  voir  et  à  traduire, 
car  la  complexité  de  ce  caractère  (si  étonnamment  un,  avec  cela)  est  réellement  écra- 
sante. 

Eh  bien  !  je  me  suis  mis  résolument  à  la  besogne  !  Déjà  j'y  songeais  avant  de 
partir  pour  Verviers.  Je  viens  de  terminer  le  premier  groupe  de  la  première  partie. 
J'ai  maintenant  à  faire  entrer  les  thèmes  de  haine  et  à  les  unir  symphoniquement  aux 
motifs  d'invocation  à  la  Mort. 

La  seconde  partie  aura  pour  épigraphe  :  «  Das  Ewig-Weibliche  zieht  uns  hin  an  », 
«  l'Eternel-Féminin  nous  attire  »  (Dernières  paroles  du  2«  Faust)  :  la  consolation  que 
la  Mort  n'apportera  pas  peut-être,  l'âme  inquiète  la  demande  à  l'Amour.  M-ais,  là 
encore,  déception  complète  ;  et  les  thèmes  de  douleur  reviennent  plus  sûrs  de  leur 
victoire. 

La  troisième  partie  aura  pour  épigraphe  :  «  O  fière  mort,  quel  festin  prépares-tui 
dans  ton  antre   éternel,   que   tu    as,    d'un   seul  coup,  abattu  dans  le  sang,  tant  de 


—  119  — 

princes  !  »  C'est  le  triomphe  définitif  de  la  Douleur.  —  Il  est  surtout  une  chose  contre 
laquelle  j'ai  à  me  tenir  en  garde,  c'est  de  vouloir  raconter  en  musique  des  faits  con- 
crets (musique  à  programme),  par  exemple,  l'apparition  du  spectre  et  autres  bêtises. 
Je  ne  veux,  à  aucun  prix,  tenter  de  recommencer  en  musique  le  drame  de  Shakespeare, 
mais  bien  essayer  de  traduire  musicalement  quelques-uns  des  sentiments  que  j'ai 
éprouvés  en  lisant  et  en  relisant  Hamlet .  Par  exemple,  la  3^  partie  ne  sera  pas  une 
marche  funèbre  (Berlioz  en  a  fait  une  sur  ce  sujet),  mais  un  morceau  de  musique,  dans 
un  mouvement  très  modéré,  où  je  m'efforcerai  de  mettre  la  plus  grande  douleur  en  la 
faisant  dériver  de  l'Invocation  à  la  mort  et  des  imprécations  haineuses  de  la  première 
partie. 

Dites-moi  si  vous  trouvez  tout  cela  compréhensible  et  raisonnable,et  ne  m'épargnez 
conseils  ni  remontrances.  Je  suis  trop  heureux  d'avoir  autour  de  moi  deux  ou  trois  amis 
sincères  (et  vous  en  êtes  le  premier)  pour  m'encourager  parfois,  plus  souvent  pour 
me  montrer  que  je  m'écarte  de  la  voie  qui  mène  aux  œuvres  vraiment  grandes,  fortes, 
dérivant  de  la  Pensée,  cette  voie  qui  vous  a  permis  de  concevoir  et  de  réaliser  si  splen- 
didement votre  Symphonie.,.. 


Lettres  de  Guillaume  Lekeu  à  ses  parents  (suite) 
(1890-92) 


Heusy,  i^'mars  1890(1) 
Chère  petite  Maman, 

J'ai  reçu  ce  matin,  à  Heusy,  une  lettre  de  toi  qui  m'a  rempli  de  joie.  J'y  ai  vu  que 
tes  habitudes  étaient  reprises  et  que  la  vie  de  coq  en  pâte,  qui  t'avait  été  promise,  com- 
mençait son  cours.  Je  ne  peux  que  te  répéter  le  mot  célèbre  adressé  à  un  jeune 
nègre... 

Mon  existence  ici  est  toujours  la  même,  c'est-à-dire' une  suite  d'enchantements. 
je  vais  ce  soir  avec  Massau  (2),  Voncken  (3),  et  peut-être  aussi  M.  Kéfer,  à  un  con- 
cert du  Conservatoire  de  Liège  :  on  inaugure  le  grand  orgue,  et  M.  Ch. -Marie  Widor 
vient  y  jouer  plusieurs  choses  du  père  Bach  et  du  grand  Haendel,  de  celui-ci  le  gigan- 
tesque Alléluia  du  Messie  pour  deux  chœurs,  orgue  et  orchestre  (orchestration  de  Mo- 
zart, probablement).  11  y  aura  aussi  des  rasoirs  (Symphonie  de  Widor,  etc.),  mais  c'est 
inévitable.  En  somme,  toute  belle  soirée. 

J'ai  entendu  ce  matin  chez  Kéfer  (F^  répétition^  le  15®  Quatuor  du  Dieu!  Je 
tremble  encore  de  la  fièvre  que  cette  œuvre  m'a  donnée  ;  mon  impression  a  été  cer- 
tainement la  même  que  celle  d'un  aveugle  habilement  opéré  de  la  cataracte.  O  !  le 
«  Heiliger  Dank-Gesang!  »... 

Je  travaille  ferme,  autant  pour  suivre  vos  recommandations  que  pour  ma  propre 
satisfaction.  Le  dernier  morceau  de  mon  Trio  est  définitivement  attaqué  :  deux  pages 
sont  écrites.  Le  reste  mijote  fiévreusement  dans  ma  tête.  Voici  ce  que  je  voudrais  dire 
dans  cette  première  partie.  J'en  ai  tous  les  thèmes  : 

1°  Introduction  :  La  douleur,  une  lueur  d'espoir  luit,  fugitive,  trop  courte,  chassée 
brusquement  par  la  sombre  rêverie  qui,  seule,  s'épand  dominatrice. 


(i)  Cette  lettre  et  les  suivantes  sont  datées  de  Heusy,  son  village   natal,  pendant  un  séjour  qu'il  y  fit 
en  1890. 

(2)  M.  Massau,  violoncelliste  distingué,  professeur  à  l'Ecole  de  musique  de  Verviers. 

(3)  M.  Voncken,  violoniste  éminent,  professeur  â  l'Ecole  de  musique  de  Ven'iers. 


2°  Allegro  Molto  :  Mélancolie  douloureuse  ;  il  faut  donc  toujours  être  en  lutte 
et  avec  la  matière  et  avec  les  souvenirs  des  victoires  passagères  mais  torturantes  de 
cette  matière  !  Et  la  Douleur  réapparaît,  des  cris  de  haine  retentissent  et  la  malédiction 
plane,  librement.  Le  violon  pousse  un  appel  désespéré  :  qui  me  débarrassera  de  cette 
torture?  La  ritournelle  infernale  lui  répond;  le  violoncelle  s'unit  au  violon  pour  cla- 
mer à  nouveau  la  supplication  ;  la  ritournelle  répond  encore.  Une  lutte  s'engage, 
désespérée,  entre  les  deux  idées.  (C'est  ici  que  je  me  suis  arrêté).  Voici  le  plan  de  ce 
qui  me  reste  à  faire  : 

La  lutte  semble  se  terminer.  Serait-ce  la  fin  des  souffrances  ? 

La  mélodie  d'espoir  de  l'Introduction  reparaît.  Mais  brusquement  le  monde  Dou- 
leur, comme  irrité  de  ce  calme  consolateur,  reprend  tout  son  empire.  Les  cris  de  haine 
reviennent  plus  nombreux,  la  fugue  les  entraîne  dans  ses  replis,  la  mélancolie  doulou- 
reuse, qui  veut  se  faire  jour,  est  elle-même  chassée  ;  chassés  aussi  tous  les  espoirs  ; 
et,  dans  une  impuissante  lassitude  s'achève  la  première  partie,  semblant  dans  un  obs- 
cur silence  proclamer  le  triomphe  du  Mal. 

Ma  chère  maman,  tu  peux  te  rassurer,  les  autres  parties  corrigent  la  première, 
et  le  final  sera  le  lumineux  développement  de  la  Bonté,  si  toutefois  je  peux  m'en  sortir 
convenablement. 

Je  suis  content  de  ce  que  j'ai  fait  jusqu'à  ce  jour.  J'espère,  à  force  de  patient  tra- 
vail, venir  à  bout  de  cette  œuvre  que  je  sens  si  belle,  surtout  si  expressive,  et  je  m'ef- 
force de  m'y  mettre  tout  entier.  Espérons  que  tu  l'entendras  dans  un  an. 

Je  vous  embrasse  tous  deux  comme  je  vous  aime. 

VOSS'  BONZON. 

Donne-moi  des  nouvelles  du  petit  caniche  et  embrasse-le  pour  moi. 

* 

Mars  1890. 
Chère  petite  maman. 

Le  concert  symphonique  est  définitivement  fixé  au  13  avril,  le  i^'"  dimanche  après 
Pâques.  11  y  aura  comme  soliste  Eugène  Ysaye. 

J'ai  entendu  hier  la  première  répétition  d'orchestre  de  mon  Ehide  Symphonique. 
J'en  ai  été,  somme  toute,  fort  satisfait.  Cela  sonne  bien,  c'est  un  orchestre  à  la  Bee- 
thoven, et  Kéfer  m'a  encore  dit,  en  me  serrant  chaleureusement  la  main,  que  la  fugue 
était  «  prodigieusement  charpentée  ».  J'y  ferai  cependant  quelques  petits  changements, 
nonau  point  de  vue  mélodique  ou  harmonique,  mais  orchestral.  Cette  répétition  d'hier 
a  eu  lieu  dans  des  conditions  particulièrement  désavantageuses.  Pendant  une  heure 
trois  quarts,  Kéfer  avait  tenu  les  instrumentistes  à  l'étude  de  sa  Symphonie  ;  fatigués, 
ils  étaient  déjà  levés  et  se  disposaient  à  quitter  la  salle  lorsque  Kéfer  les  a  rappelés  et 
les  a  priés  d'essayer  une  fois  l'œuvre  d'un  de  leurs  jeunes  compatriotes.  Ils  se  sont 
remis  à  scier  et  à  souffler  de  leur  mieux,  mais  les  cors  et  trombones,  ne  connaissant 
nullement  l'œuvre,  ont  manqué  bien  des  rentrées.  Lorsqu'ils  ont  eu  terminé,  ils  se 
sont  tous  mis  à  applaudir  et  j'ai  dû  me  lever  (j'étais  dans  un  coin,  assis  à  l'écart)  et 
faire  des  courbettes  à  droite  et  à  gauche  ;  après  quoi  j'ai  eu  à  recevoir  et  rendre  des 
poignées  de  mains  pendant  5  ou  6  minutes.  Tout  cela  vous  fera  bien  rire,  et  hier 
j'avais  envie  d'en  faire  autant.  Le  principal  est  obtenu  :  c'est  de  la  belle  musique  et 
d'une  exécution  possible. 

Au  prochain  concert,  on  exécutera  un  petit  morceau  de  Voss'  éfant  (Encore  !  !) 
Ce  petit  morceau  (que  vous  entendrez  à  coup  sûr)  est  une  bonne  blague  inventée  par 
Massau  et  moi. 


D'abord  un  violon  et  un  violoncelle  viennent  se  placer  à  leurs  pupitres,  tous  les 
autres  restent  vides.  Ils  attendent  un  peu  les  autres  qui  ne  viennent  pas  et  jouent,  en 
attendant,  un  motif  de  «  Crampignon  »  (le  violon  d'abord,  le  violoncelle  le  reprend  et 
le  violon  l'accompagne  en  contrepoint  d'imitation). 

Un  alto  arrive  pendant  qu'ils  jouent,  s'assied  et  reprend  à  son  tour  le  motif.  C'est 
une  petite  fugue  qui  se  déroule  sans  aucune  interruption  pendant  toutes  les  entrées 
successives  (à  la  queue  leu  leu)  des  instruments  à  archet. 

Un  hautbois  arrive  ensuite  :  il  veut  reprendre  le  thème,  mais  des  accords  bi- 
zarres lui  imposent  silence  à  deux  reprises.  Une  clarinette,  qui,  entre  temps,  est  en- 
trée, chante  une  mélodie  bien  calme,  caractérisant  la  joie  qu'on  éprouve  à  faire  de  la 
musique  entre  amis.  Cette  mélodie  est  traitée  dans  un  petit  adagio  de  5  ou  6  lignes. 
Le  cor  et  le  basson  se  mêlent  à  leur  tour  au  divertissement,  les  sonorités  grandissent, 
enfin  les  violons  entonnent  victorieusement  le  chant  de  la  clarinette  et  les  basses,  dou- 
blées du  basson,  reprennent  en  même  temps  le  thème  du  crampignon  qui  servait  de 
sujet  à  la  fugue.  (Ceci  comme  dans  les  Maîtres  Chanteurs  !!). 

Tu  vois,  chère  Maman,  qu'on  peut  écrire  des  blagues  en  musique  comme  en  lit- 
térature. Mais  je  me  suis  eflForcé  de  rendre  cette  fantaisie  amusante  et  très  musicale. 
Cela  sonnera,  je  crois,  à  merveille,  et  presque  toutes  les  entrées  successives  sont  amu- 
santes et  imprévues  ;  à  noter  surtout  une  entrée  jf  de  la  contrebasse  seule... 

(A  suivre). 


Propositions  sur  la  Musique 


A  RENÉ  DOIRE. 


l'Art  de  la  Collectivité 

On  a  pu  se  demander  pourquoi  la  musique,  telle  que  nous  la  concevons  aujour- 
d'hui, n'a  été  constituée  que  si  tard  dans  l'évolution  esthétique  de  l'humanité.  Elle 
semble  être  apparue  avec  un  retard  immense  sur  les  autres  formes  d'art.  Les  passages 
de  l'ère  du  grossier  fétiche  à  la  statuaire  égénète,  de  la  mosaïque  byzantine  à  l'art 
giottesque,  et  de  celui-ci  aux  quattrocentistes,  se  sont  accomplis  par  des  progrès  inces- 
sants et  rapides  en  comparaison  du  très  long  stationnement  de  la  musique  entre  la  pri- 
mitive instrumentation  et  l'orchestre  moderne. 

On  en  a  conclu  que  l'oreille  humaine,  éduquée  bien  plus  malaisément  que  l'œil  ou 
le  tact,  s'était  contentée  de  sonorités  fondamentales,  sans  besoin  de  les  subdiviser,  et 
que  la  flûte  du  pâtre  hellène,  les  instruments  médiévaux,  avaient  suffi  ^u  plaisir  des 
générations.  On  a  dit  aussi,  ce  qui  ne  se  soutient  guère,  que  la  fabrication  d'instru- 
ments comme  les  nôtres  correspondait  à  un  degré  d'ingéniosité  scientifique  inacces- 
sible aux  anciens.  Ils  ont  réalisé  des  problèmes  plus  délicats,  depuis  trente  siècles, 
dans  le  perfectionnement  des  techniques  d'art.  La  première  raison  est  démentie  par 
l'histoire  elle-même  :  les  expressions  par  lesquelles  les  anciens,  et  surtout  les  hommes 
de  la  Renaissance,  traduisent  leur  extase  musical,  dénotent  une  complexité  sensorielle 
qui  vaut  la  nôtre,  et  on  peut  même  dire  qu'ils  sentaient  la  musique  autant  que  nous, 
et  plus  dans  un  certain  sens,  puisque  des  moyens  infiniment  moindres  les  émouvaient 
a  notre  envi,  et  qu'ils  s'émouvaient  moins  des  finesses  des  timbres  d'instruments  sub- 
tils que  de  la  structure  rythmique  et  des  modes  harmoniques  en  eux-mêmes. 


—    122   — 

On  pourra  inférer  de  là  que  les  anciens  se  faisaient  de  la  musique  une  conception 
bien  plus  profonde  que  la  nôtre,  et  qu'ils  en  éprouvaient  la  jouissance  d'un  langage 
supérieur,  beaucoup  plus  que  cet  oubli  du  langage  articulé  qui,  dans  nos  âmes,  crée 
le  sensualisme  indéfini  des  combinaisons  de  timbres.  Leur  satisfaction  était  toute 
mentale.  Le  rythme,  secondant  la  poésie  et  dérivant  comme  elle  des  rites  constitutifs 
d'une  langue  hiératique,  était  une  géométrie  sonore  renforçant  le  prestige  de  la  pa- 
role individuelle.  A  mesure  que  se  développa  la  prescience  des  forces  collectives  la- 
tentes dans  les  associations  de  rythmes,  les  formes  vocales  collectives  furent  créées. 
Le  choral  et  le  chant  individuel  humain  furent,  indépendamment  des  instruments, 
les  moyens  d'énonciation,  de  transmissions  de  la  pensée,  et  la  voix  garda  très  tard  son 
prestige  d'instrument  par  excellence,  parce  qu'elle  signifiait  une  forme  suprême  et  vo- 
lontaire de  la  parole.  L'émotivité  nerveuse  incluse  dans  la  vibration  propre  du  bois  ou 
de  la  corde  parut  être  un  plaisir,  quelque  chose  d'anonymement  sensuel,  une  caresse 
distincte  de  l'émotion  intellectuelle  du  discours  chanté.  En  d'autres  termes,  l'homme 
resta  maître  de  la  musique. 

Mais  quand  la  sollicitation  du  plaisir  nerveux  l'incita  à  demander  aux  vibrations 
subtiles  de  certaines  matières  une  volupté  qui  fût  à  soi-même  son  but,  quand  toute 
idée  rituelle  et  hiératique  fut  disparue  de  la  musique  profane,  quand  les  choses  essen- 
tielles eurent  trouvé  dans  les  autres  arts  deâ  moyens  de  parfaite  énonciation,  sans 
qu'il  fût  besoin  du  rythme  vocal  pour  les  signifier,  l'homme  seulement  alors  songea 
à  la  nécessité  de  perfectionner  par  l'instrument  ce  sensualisme  qui,  antérieurement, 
n'était  que  l'accessoire  d'une  émotion  de  pensée.  D'une  joie  intellectuelle  il  fit  une  pas- 
sion physique. 

La  lente  et  curieuse  évolution  qui,  d'un  art  unitaire  et  sacré,  a  fait  plusieurs  arts 
profanes,  ne  s'est  jamais  mieux  précisée  que  dans  cet  acheminement  du  langage  indi- 
viduel et  rythmique  vers  la  collectivité  orchestrale,  où  tout  le  monde  parle  et  où  per- 
sonne n'est  responsable,  sinon  un  homme  qui  dicte  et  règle  le  testament  appelé 
partition.  Il  est  le  seul  à  tenir  le  rôle  primitif,  alors  que  l'ivresse  sensorielle  est  le  but 
de  la  majorité  des  assistants.  Et  après  avoir  admis  dans  la  sévère  géométrie  du  chant 
primitif  l'imitation  ornementale  des  rumeurs  de  la  nature,  évoquées  en  décor,  on  en 
est  venu  à  faire  consister  toute  la  musique  dans  la  transcription  de  ce  décor,  à  décrire 
des  états  de  conscience  qui  ne  sont,  au  vrai,  que  des  états  de  sensibilité.  Le  chant 
réagissait  sur  les  bruits  naturels  :  la  magie  des  bruits  naturels  envahissant  l'âme  et 
aliénant  la  volonté  est  le  suprême  de  notre  actuelle  satisfaction  musicale. 

En  tous  cas,  si  les  compositeurs  de  symphonies  persistent  à  veiller  au  maintien 
des  états  de  conscience,  à  préciser  une  volonté  parmi  les  états  de  sensibilité,  la  grande 
raison  de  l'amour  de  la  foule  moderne  pour  le  concert  est  dans  cette  hyperesthésie  des 
états  sensibles  :  c'est  un  plaisir  qu'elle  cherche,  un  plaisir  stupéfiant  dont  la  dissolu- 
tion momentanée  et  délicieuse  de  la  volonté  est  le  plus  attrayant  résultat.  La  musique 
est  devenue  l'art  de  la  collectivité.  C'est  là  la  vraie  explication  de  son  très  long  stage 
dans  une  sorte  d'indifférence  pour  l'invention  de  multiples  instruments. La  constitution 
d'un  orchestre  à  l'image  d'une  foule  n'a  semblé  désirable  qu'au  moment  où  les  autres 
arts  parvenus  au  faîte  de  l'individualisme,  rendaient  inutile  le  rôle  hiératique  de 
la  musique.  Le  choral  a  été  l'expression  culminante  d'une  union  de  volontés  musi-  . 
ciennes  signifiant  un  langage  :  l'orchestre  s'est  opposé  directement  au  choral  en 
offrant  le  moyen  de  dissoudre  mutuellement  les  volontés.  Le  choral  a  été  une  expres- 
sion cohérente  de  l'élite.  L'orchestre  est  l'expression  diversifiée  de  la  foule.  Un  art 
collectif  ne  pouvait  être  conçu  que  par  le  désir  de  désindividualiser  les  secrets  de  la 
volonté  esthétique,  de  créer,  auprès  de  l'écriture  hiératique  des  arts  réalisés  par  un 
seul  homme,  l'écriture  démotique  d'un  art  réaljsé  par  un€  collectivité  anonyme. 


—  123  — 

■  Il  en  est  résulté  cette  étrangeté  que  l'écriture  musicale  est  démotique  par  sa  desti- 
nation, et  hiératique  par  sa  forme.  Elle  reconstitue  dans  les  temps  modernes  le  gri- 
moire du  Moyen-Age  :  mais  elle  est  le  grimoire  de  la  foule.  De  ce  grimoire  naît  la 
voix  collective.  Le  chant  primitif  disait  le  langage  de  l'homme  au  milieu  de  la  nature. 
La  polyphonie  moderne  intensifie  la  puissance  de  la  nature  sur  l'âme.  De  là  vient  que 
le  chanteur  et  la  cantatrice  sont  un  peu  anormaux  à  nos  yeux,  en  tous  cas  diminués, 
et  dépouillés  de  leur  antique  prestige.  La  musique  collective  faisant  la  symphonisation 
des  bruits  naturels  le  protagoniste  anonyme,  multiforme  et  gigantesque  de  la  musique 
ces  protagonistes  paraissent  mesquins. Cette  déconsidération  a  été  précisée  par  Wagner 
plus  que  par  tout  autre,  et  c'est  même  parce  qu'il  nous  a  semblé  aller  trop  loin  qu'un 
malaise  nous  fait  retourner  en  ce  moment  vers  l'époque  lointaine  où  l'homme  était  plus 
important  dans  la  musique,  où  le  Protée  qu'est  l'orchestre  ne  l'avait  pas  encore  annulé, 
où  la  musique  de  Bach  et  de  Gluck  maintenait  toujours  droite  la  volontaire  et  direc- 
trice silhouette  humaine  dans  le  vertige  des  sonorités  dont  l'Inconscient  fait  actuelle- 
ment notre  dangereuse  volupté,  par  la  séduction  d'une  sorte  d'amnésie  exquise  et 
intermittente. 

A  ceux  qui  cherchent  non  cette  amnésie,  mais  un  renforcement  et  une  exaltation  de 
leur  individualité,  le  quatuor,  le  piano,  le  violon,  le  chant  accompagné  d'un  instrument 
suffisent,  et  donnent  une  joie  intellectuelle  distincte  de  la  dépersonnalisation  del'orches- 
tre.  Ils  n'éprouvent  pas  le  besoin  de  disparaître  dans  la  polyphonie;  ils  se  replacent  dans 
l'état  d'esprit  des  gens  du  Moyen- Age,  auxquels  suffisaient  un  minimum  d'instruments. 
Leur  émotion  est  dissemblable  de  celle  du  Pain  magnétique  de  la  musique  collective. 
Ils  prouvent  par  là  que  la  musique,  dans  sa  fondamentale  raison  d'être,  préexistait  au 
développement  orchestral  et  avait  dès  lors  connu  sa  perfection. La  musique  de  chambre 
est  hiératique,  la  symphonie  est  démotique.  La  musique  de  chambre  est  notre  voix 
qui  parle  :  l'orchestre  est  la  nature  qui  lui  répond  et  l'étouffé  dans  son  immense  mur- 
mure où  miroite  le  reflet  de  l'univers,  Ulysse  et  les  Sirènes... 

II 

LA    MÉTAMUSIQUE 

On  a  risqué  cette  expression.  Elle  est  amusante  pai"  ses  diverses  façons  de  n'avoir 
aucun  sens.  J'entends  bien  que  par  elle  on  a  voulu  désigner  la  musique  métaphysique, 
c'est-à-dire  celle  qui,  distincte  de  la  musique  passionnelle  ou  descriptive,  se  propose 
l'expression  des  états  de  conscience  et  se  meut,  comme  la  métaphysique,  dans  le  do- 
maine des  idées  générales.  On  y  comprendrait  alors  la  musique  religieuse,  et,  comme 
«  religieuse»  n'est  pas  «  ecclésiale  »,  toute  musique  n'ayant  pour  objet  que  l'étude 
des  réactions  entre  les  valeurs  sonores,  sans  préoccupation  de  sentiment  ou  de  pein- 
ture. Ce  serait  le  langage  prédit  par  Fichte,  une  langue  philosophique  universelle 
comme  la  chimie  ou  la  géométrie. 

Mais  il  en  est  de  la  métamusique  comme  du  «  surhomme  »  qui  a  fait  des  traîtres 
de  tant  de  traducteurs  de  Nietzche.  Toute  musique  est  «  métamusicale  »,  c'est-à-dire 
au-dessus  de  soi-même  :  en  ce  sens  que  jamais  une  sonorité  n'a  été  émue  sans  une  rai- 
son supérieure.  11  n'y  a  pas  de  métamusique,  il  n'y  a  que  des  métamusiciens.  Même  si, 
abandonnant  toute  volonté  passionnelle  ou  descriptive,  ils  ne  veulent  que  des  combi- 
naisons de  sons,  et  font  d'elles  le  but  de  leur  art,  ils  ne  font  encore  qu'une  allusion  à 
la  sorte  de  géométrie  dans  l'espace  qu'est  le  jeu  des  ondes  sonores.  En  sorte  qu'au- 
dessus  de  la  musique,  il  y  a  un  langage  suprême  auquel  cette  allusion  s'adresse.  C'est 
le  rythme  générateur  de  l'univers,  dont  nos  sons  ne  sont  que  les  échos.  Et  ce  rythme 
seul  est  la  métamusique.  Dans  tous  les  autres  cas,  nous  ne  pouvons  qu'employer   u» 


—    124   — 

adjectif:  le  substantif  lui-même  est  intangible.  Pour  mieux  dire,  l'état  métamusical, 
c'est  le  silence  —  car  le  rythme  ne  fait  pas  plus  de  bruit  que  le  mouvement  n'en  fait 
dans  l'éther.  Les  musiques  humaines,  et  les  rumeurs  de  la  nature,  ne  sont  en  quelque 
sorte  que  des  traductions  du  silence  en  bruits  perceptibles  à  nos  organismes.  Mais 
l'âme  perçoit  le  rythme  en  silence  :  elle  est  métamusicale,  et  quand  le  corps  qu'elle 
habite  entend  des  musiques,  c'est  ce  silence  qu'elle  écoute. 

III 

OCCULTISME   MUSICAL 

Une  salle  de  concert  recèle  quotidiennement  le  miracle  de  la  séparation  de  l'âme 
et  du  corps  :  l'effluve  musical  emplit  cette  salle  jusqu'à  la  saturation.  Avant  que  cette 
saturation  soit  accomplie,  l'inattention  du  public  persiste,  et  la  gêne  demeure,  gêne 
bien  connue  de  tous  les  mélomanes.  Il  faut  que  l'air  ait  été  complètement  renouvelé, 
remplacé  par  la  sonorité  diffuse,  qui  est  une  sorte  d'arôme.  Mais  dès  que  la  saturation 
est  faite,  cette  atmosphère  irrespirable  et  étrange  opprime  les  poitrines.  \Jair  musical 
est  au  monde  ce  qu'il  y  a  de  plus  léger  et  de  plus  lourd  tout  ensemble.  Alors  l'an- 
goisse commence,  et  c'est  comme  une  mort  :  le  corps  astral  s'élève,  le  corps  matériel 
reste  engourdi  dans  la  couche  torpide.  Un  échange  muet  se  produit.  Les  effluves  venus 
de  l'orchestre  lui  font  retour  sous  la  forme  des  corps  astraux  qui  flottent  et  restent 
suspendus  comme  des  elfes.  Ce  sont  eux  qui  comprennent  le  sens  supérieur  et  caché 
de  la  musique  dont  les  corps  des  spectateurs,  las  et  indistincts  sur  les  gradins,  se 
bornent  à  cuver  grossièrement  l'opium. 

Avec  des  volontés  soutirées  s'élabore,  dans  l'espace  vacant,  l'alchimie  de  la  mu- 
sique impérieuse.  A  ces  corps  astraux,  elle  fait  faire  tout  ce  qu'elle  veut.  Elle  leur  or- 
donne de  regarder  avec  pitié  leurs  tristes  corps  matériels  qui  sont  là,  fiévreux  ou 
inertes.  Et  parfois  elle  leur  murmure,  non  sans  une  ineffable  ironie  : 

«  Vous  rentrerez  en  eux,  puisqu'il  le  faut,  captifs  qui  ne  planez  encore  qu'à  demi. 
Consolez-les,  dites-leur  aussi  d'être  moins  vils,  pour  l'amour  de  moi.  Si  vous  vous 
ennuyez  trop  dans  leur  prison  de  chair,  prenez  patience  en  songeant  que  je  vous  ferai 
évader  quelque  jour  pour  une  autre  promenade  éthérée,  car  mon  miroir  magique  est 
toujours  prêt  et  vous  en  êtes  les  alouettes  fidèles.  Comme  vous  pourriez  —  car  vous 
êtes  aussi  des  oiseaux  curieux  —  vous  y  briser  avant  l'heure  en  voulant  le  voir  de  trop 
près,  j'ai  là  pour  gardien  de  mes  magies  un  homme  armé  d'une  baguette.  Il  vous  écar- 
tera dans  votre  intérêt  :  car,  chers  petits  corps  astraux,  vous  craignez  le  pouvoir  des 
pointes...  » 

Les  fantômes  réintègrent  les  messieurs  et  les  dames  dont  les  stalles  contiennent 
les  apparences  matérielles  —  et  les  uns  et  les  autres  s'arrangent  ensemble,  plutôt  mal, 
jusqu'au  prochain  congé... 

Au  reste,  il  ne  faudrait  pas  penser  que  toute  cette  musique  est  perdue,  et  n'a  servi 
qu'à  faire  faire  aux  corps  astraux  la  petite  promenade  dont  je  parle.  Aucun  son  n'a 
cessé  de  retentir  dans  l'univers  depuis  qu'il  a  été  émis,  et  ses  vibrations  émeuvent 
l'éther  depuis  l'origine,  car  le  mouvement  ne  meurt  jamais  et  les  ondes  sonores  se 
propagent  à  l'infini.  Toutes  nos  symphonies  se  recomposent  donc  dans  des  mondes 
inconnus,  comme  dans  des  phonographes  prodigieux,  et  si  l'on  fait,  comme  j'aime  à 
le  croire,  de  la  musique  dans  d'autres  planètes,  il  est  bien  possible  qu'elles  nous  en 
envoient  les  échos  un  jour.  Il  y  a  certainement  des  symphonies  en  marche  dans  l'éther, 
comme  les  clartés  de  certaines  étoiles  qui  ne  nous  parviennent  pas  encore.  J'oserai 
appeler  sur  ce  point  l'attention  des  compositeurs,  en  les  priant  de  faire  tout  leur  pos- 


—    125 


sible  pour  n'écrire  que  de  bonne  musique,  sinon  pour  notre  satisfaction,  du  moins  par 
égard  légitime  pour  Bételgeuse,  Alplia  de  la  Lyre,  la  verte  Vénus  et  la  brillante  du 
Cygne... 

Camille  MAUCLAIR. 


LES  «  ETUDES  »  DE  LISZT 


A  toutes  les  époques,  les  compositeurs  ont  usé  du  droit  qui  leur  appartient  sans 
conteste  de  reprendre  leur  bien  partout  où  ils  le  trouvent,  et  de  donner,  dans  l'âge 
mûr,  une  forme  nouvelle  à  des  œuvres  de  jeunesse.  Chez  Hasndel,  chez  Gluck,  chez 
Beethoven,  les  exemples  abondent.  Mais  nulle  part,  peut-être,  n'en  peut-on  découvrir 
de  plus  considérable  que  chez  Liszt,  dont  les  Etudes  d'exécution  transcendante,  et  par 
conséquent  le  poème  symphonique  zMa;(eppa,  qui  est  le  développement  de  l'une  d'elles, 
sont  le  remaniement  du  petit  recueil  d'Etudes  en  forme  d'exercices,  composé  à  l'âge  de 
quinze  ans. 

Un  fait  si  intéressant  pour  la  biographie  de  Liszt  et  si  fécond  en  enseignements 
musicaux  ne  pouvait  échapper  à  aucun  des  écrivains  qui  se  sont  occupés  du  grand 
pianiste-compositeur.  Nous  n'y  revenons  aujourd'hui  que  pour  fixer  quelques  petits 
détails  restés  incomplets  même  dans  le  gros  livre  qu'une  des  élèves  de  Liszt,  Mme 
Lina  Ramann,  a  écrit  sous  ses  yeux  et  d'après  ses  propres  indications  (i). 

«  Le  plus  important  des  travaux  de  jeunesse  de  Liszt,  dit  Mme  Ramann,  est  son 
recueil  à' Etudes  (opus.  i)  pour  le  piano  en  dou:(e  exercises  »  (sic)  ;  et,  en  note  ou  dans 
le  texte,  elle  ajoute  que  la  première  édition  allemande,  offrant  au  titre  une  vignette 
qui  représentait  un  enfant  au  berceau,  fut  publiée  chez  Hofmeister,  àLeipzig,  en  1835, 
et  que  la  première  édition  française,  dédiée  à  Mlle  Lydia  Garella,  avait  paru  en  1826, 
chez  Boisselot,  à  Marseille.  L'œuvre,  nous  dit  un  peu  plus  loin  le  même  biographe, 
avait  été  composée  pendant  le  second  voyage  du  jeune  virtuose  dans  les  départements 
du  midi  de  la  France.  Liszt  «  plaisantait  plus  tard  sur  sa  dédicace  à  Mlle  Garella  et  la 
désignait  en  riant  comme  l'expression  de  son  premier  amour  ».  Mlle  Garella  était  une 
jeune  fille  avec  laquelle  il  jouait  à  quatre  mains  pendant  son  séjour  à  Marseille,  et  qui 
avait  pour  ce  grand  enfant  de  quinze  ans  des  «  attentions  toutes  maternelles  »,  sous 
forme  de  «  petites  friandises  ». 

N'ayant  eu  sous  les  yeux  aucun  exemplaire  de  cette  première  édition  française, 
Mlle  Ramann  n'a  pas  pu  savoir  que  les  douze  études  de  Liszt  y  étaient  présentées 
comme  première  partie  d'une  série  de  quarante-huit  pièces  faisant  suite  à  la  réimpres- 
sion des  Préludes  et  exercices  de  Clementi  ;  qu'elles  étaient  accompagnées  d'un  portrait 
lithographie  ;  et  qu'une  double  adresse  annonçait  leur  mise  en  vente  simultanée  à 
Marseille  et  à  Paris. 

Nous  reproduisons  in-extenso  les  deux  titres  de  cette  double  publication,  d'après 
l'exemplaire  en  notre  possession  et  celui  de  la  Bibliothèque  nationale  (2)  : 

Préludes  et  Exercices  |  doigtés  |  dans  tous  les  tons  majeurs  et  mineurs  \  pour  |  le 
PIANO-FORTE  |  par  I  Muzio-Clémenti  I  en  deux  livraisons  |  édition  corrigée  |  et  mar- 
quée au  métronome  de  Maël^el  |  par  |  Le  jeune  liszt,  [  suivi  de  dou^e  de  ses  études.  \  Les 
Trois  Livraisons  [  Propriété  de  Boisselot.  Chaque   Livre   séparé   9  f .  |  a  paris,  |  chez 


(1)  L.  Ramann,  Fran;^  Lisit,  Leipzig,  Breitkopfet  Haertel,   18S0-1S87,  2  vol.  in-8. 

(2)  Coté  Vnfis,  492. 


126   — 

V°''  iDufaut  et  Dubois,  Editeurs  M'^=  de  musique,  |  rue  du  Gros-Chenet,  n°  2,  et  bou- 
levard Poissonnière,  n°  10  |  et  chez  J.  L.  Boisselot,    M"^   de  musique,  |  A  Marseille.  | 
Gravé  par  Malbeste,  à  Paris. 

Après  ce  titre  et  avant  la  page  i  des  préludes  et  exercices  de  Clementi,  se  place 
le  portrait  de  «  F.  Liszt,  pianiste  »,  qui  porte  pour  signature  :  «.  Lith.  de  G.  Motte  ». 
Le  jeune  virtuose  est  représenté  en  buste,  les  yeux  levés  au  ciel,  les  lèvres  entr'ouvertes 
dans  une  expression  «  inspirée  ».  De  très  grandes  diflFérences  séparent  ce  portrait  de 
celui  que  Devéria  dessina  six  ans  plus  tard,  en  1832  (i).  Le  visage  beaucoup  moins 
allongé,  les  joues  plus  pleines,  ont  quelque  chose  d'encore  tout  enfantin  qui  devait 
s'effacer  vers  la  vingtième  année. 

Les  éy  pages  de  l'œuvre  de  Clementi  sont  suivies  de  ce  second  titre  : 

Etude  |  pour  le  piano-forte    |   En  quarante-huit  Exercices  \  Dans  tous  les   Tons 
Majeurs  et  Mineurs  |  Composés  et  dédiés  1  à  |  Mademoiselle  Lydie   Garella,  [  par  j 
Le  jeune  Liszt.  |  En  Quatre  Livraisons  contenant  douze  Etudes  chaque  |  Œuvre  6  j 
...  Livraison  |  Prix  y""  50*=.  |  a  Paris  |  Chez  Dufaut  et  Dubois,  Editeurs  de  Musique, 
Rue  du  Gros  Chenet,  N°  2  |  et  Boulevard  Poissonnière,  N°  10.  |  Chez  Boisselot,  Edi- 
teur de  musique,  |  a  Marseille.  |  Propriété  de  Boisselot. 

La  publication  fut  annoncée  dans  le  n°  du  21  octobre  1826  du  Journal  de  la 
Librairie  (2) . 

La  mention  :  «.  Œuvre  6  »  a  été  conservée  pour  la  réimpression  publiée  à  Paris, 
chez  Costallat,  il  y  a  peu  d'années  (3).  Dans  l'édition  allemande  qui  parut  chez  Hof- 
meister,  à  Leipzig,  en  1835,  le  titre  portait  :  «  Opus  i  ».  Pour  augmenter  la  confu- 
sion, paraissaient  presque  en  même  temps  avec  le  titre  d'œuvre  i  la  Fantaisie  sur  la 
tyrolienne  de  l'opéra  la  Fiancée,  et  avec  celui  d'œuvre  6  la  Grande  valse  di  Bravura  dé- 
diée à  Pierre  Wolf,  composée  à  Genève  vers  1836. 

Un  intervalle  de  douze  ans  sépare  la  première  composition  des  études  de  leur 
transformation  en  1838.  Achevée  pendant  le  séjour  de  Liszt  et  de  la  comtesse  d'Agoult 
sur  les  bords  du  lac  de  Côme,  la  nouvelle  version  parut  en  1839,  chez  Haslinger,  à 
Vienne,  sans  numéro  d'œuvre,  sous  le  titre  de  Wingt-quatre  grandes  études  dédiées  à 
Charles  C{ernj>  (4).  Le  nombre  des  morceaux  restait  cependant  limité  à  douze,  et 
jamais  ne  devait  être  tenue  cette  promesse  de  «  vingt-quatre  études  »,  non  plus  que 
celle,  antérieure,  d'une  «  étude  en  quarante-huit  exercices  dans  tous  les  tons  majeurs 
et  mineurs  »,  promesse  affirmée  en  1826  non  seulement  par  les  termes  du  titre  gravé, 
mais  par  l'ordre  adopté  dans  le  choix  des  tonalités  (5).  Aucune  dénomination  particu- 
lière ne  distinguait  les  morceaux.  Lorsque  l'ouvrage  parut  en  édition  française,  à  Pa- 
ris, chez  Maurice  Schlesinger  (6),  la  quatrième  étude  fut  intitulée  Ma^eppa,  la  huitième, 
Pandœmonium.  En  1852,  dans  l'édition  qui  parut  chez  Breitkopf  et  Haertel,  à  Leipzig (7), 
chaque  pièce  reçut  un  titre  poétique  ou  descriptif  :  i  et  2,   Prasludio  ;  3,  Paysage  ;  4, 


(i)  Une  reproduction  de  la  lithographie  de  Devéria  se  trouve  à  la  p.  9  du  récent  volume  de  M.  Cal- 
vocoressi,  Lis:(t,  Paris,   Laisrens,  s.  d.  in-8. 

(2)  Bibliographie  delà  France  on  Journal  général  de  l'Imprimerie  et  de  la  Librairie,  n°  84,  du  samedi 
21  •ctobre  1826,  p.  886. 

(3)  Franz  Liszt,  Dou:^e  études  pour  piano,  nouvelle  édition  revue  et  doigtée  par  A.  Reitlinger^  Op.  6 
Prix  net,  5  fr.,  Paris,  Costallat. 

(4  Ramann,  ouv.  cité. 

(5)  Les  douze  études  se  succédaient  dans  l'ordre  suivant  :  i,  en  ut  majeur;  2,  en  lamineur;  3,  en  fa 
majeur;  4,  en  ré  mineur;  ^,  en  si  bémol  majeur;  6,  en  sol  mineur;  7,  en  mi  bémol  majeur;  8,  en  ut 
Biineur  ;  9,  en  la  bémol  majeur;   10,  en  fa  mineur;    il',  en  ré  bémol  majeur;    12,  en  si  bémol  mineur. 

(6)  Aujourd'hui  chez  Joubert. 

(7)  Liszt  en  corrigeait  les  épreuves  en  février-mai  1S51  (Voyez  ses  lettres  à  la  princesse  Sayn-Wittgens- 
tein,  depuis  le  11  février  1851^.  La  mise  en  vente  eut  lieu,  d'après  le  yer:^eichniss  de  Hofmeister  en 
1852. 


—    127   — 

Mazeppa  ;  5,  Feux  Follets  ;  6,  Vision  ;  7,  Eroica  ;  Wilde  Jagd  (i)  ;  9  et  10,  Ricordanza; 
II,  Harmonies  du  soir  ;  12,  Chasse-neige.  —  Sauf  donc  pour  Ma:(eppa,  ces  titres,  loin 
de  faire  corps  avec  les  compositions,  et  d'en  avoir  dicté  l'orientation,  avaient  été 
ajoutés  après  la  rédaction  définitive,  et  résultaient  de  l'interprétation  donnée  par  l'au- 
teur à  son  œuvre,  une  fois  celle-ci  achevée. 

Au  point  de  vue  spécial  de  l'enseignement  du  piano,  Mme  Ramann  a  jugé  d'une 
façon  élogieuse  les  études  de  1826,  qui  mériteraient,  dit-elle,  d'être  placées  auprès  de 
celles  du  «  père  de  l'étude  »,  J.-B.  Cramer.  Si  elles  n'ont  pas  été  mises  à  ce  rang,  c'est 
que  Liszt,  en  les  «créant  une  seconde  fois  »,  les  a  lui-même  bannies  de  l'usage.  Elles 
étaient  construites  dans  une  forme  «  très  sage  »  et  très  classique,  surprenante  sous 
la  plume  d'un  jeune  homme  de  quinze  ans,  et  qui  ne  laissait  rien  entrevoir  encore  de 
ce  qui,  à  peu  d'années  de  là,  constituerait  son  extraordinaire  personnalité  de  virtuose 
et  de  compositeur. 

Que  se  passa-t-il  donc,  entre  1826  et  1838,  pour  que,  dans  la  seconde  version 
des  mêmes  études,  cette  personnalité  vint  à  se  manifester  avec  une  telle  puissance  ? 
Chez  aucun  artiste,  peut-être,  la  crise  de  l'adolescence  ne  se  dénoue  d'une  manière  si 
brusque  et  si  complète.  Les  étapes  que  d'autres  musiciens  mettent  la  moitié  d'une  vie 
à  parcourir  pas  à  pas,  Liszt  les  saute  d'un  bond.  A  trente  ans  il  atteint  la  pleine  pos- 
session de  lui-même,  le  cran  d'arrêt  qu'il  ne  dépassera  presque  plus,  ni  comme  pia- 
niste sous  le  rapport  de  l'exécution  véritablement  «transcendante»,  ni  comme  com- 
positeur sous  celui  de  la  liberté  et  de  l'originalité  de  l'invention.  Le  contact  du  ro- 
mantisme français,  dans  le  bouillonnement  duquel  il  vécut,  à  Paris,  les  années  déci- 
sives de  sa  jeunesse,  et  la  profonde  commotion  sentimentale  qu'il  dut  à  la  rencontre, 
à  cette  heure  et  dans  ce  milieu,  de  la  comtesse  d'Agoult,  furent  les  éléments  dont  le 
choc  détermina  cette  soudaine  explosion  du  génie  de  Liszt.  D'autres  influences  doc- 
trinales, d'autres  amours,  marquèrent  plus  tard  en  lui  d'autres  empreintes  décisives, 
sans  qu'une  seconde  fois  pareil  élan  vint  le  porter  au-delà  de  lui-même  :  comme 
Berhoz,  à  qui  le  rattachaient  tant  d'affmités  visibles  ou  cachées,  Liszt  s'était  dévoilé 
tout  entier  dans  les  œuvres   de   la  trentième  année. 

Une  comparaison  suivie  entre  les  deux  versions  des  Etudes  nécessiterait  de  longues 
descriptions  et  l'emploi  de  nombreux  exemples  notés.  Tout  lecteur  musicien,  —  nous 
ne  disons  pas  tout  pianiste,  car  il  en  est  très  peu  dont  l'habileté  technique  pourrait  se 
mesurer  avec  les  difficultés  d'exécution  de  la  seconde  version,  —  aurait  profit  à  l'en- 
treprendre lui-même.  Nous  ne  voulons  donc  que  lui  signaler  certains  côtés  sur  les- 
quels, entre  beaucoup  d'autres,  se  fixerait  son  attention. 

Dès  la  première  étude  apparaît  clairement  le  sens  des  modifications  introduites 
dans  la  construction  des  morceaux  et  dans  leur  signification  esthétique.  Liszt  ne  con- 
serve que  le  début  et  la  terminaison  de  son  ancienne  pièce,  en  tout,  quelques  mesures, 
qu'il  dédouble,  élargit,  complique  et  enrichit  de  formules  plus  brillantes  et  plus  libres. 
Les  arpèges  enfantins  qui  remplissaient  les  dernières  mesures,  s'étendent  désormais 
sur  des  accords  plaqués  par  la  main  gauche,  et  justifient  le  titre  nouveau,  Praeludio 
imposé  à  la  composition,  dans  laquelle,  selon  l'ancienne  mode,  le  pianiste  semble 
essayer  son  clavier,  et  donner  aux  études  suivantes  une  brève  et  accessoire  prépa- 
ration. 

Les  modifications  sont  plus  profondes  à  partir  de  la  seconde  étude.  Liszt  ajoute 
une  petite  introduction  ;  le  dessin  principal  n'est  plus  noté  en  triolets,  mais  en  notes 
répétées,  sous  des   octaves  placées   en  syncope  ;  l'étendue  du  morceau  atteint  cinq 


'i)  Chasse  sauvage  au  lieu  du  Pandœmonium  de^ï édition  (rançahe. 


—    T28    — 

pages,  au  lieu  de  deux  ;  toute  la  partie  virtuosité  est  transformée,  chargée  de  figures 
nouvelles  et  d'une  ornementation  que  la  version  primitive  ignorait  ;  des  signes  inédits 
de  nuances  sont  imaginés  :  un  double  trait,  pour  une  suspension  moindre  que  l'ancien 
point  d'orgue,  un  rectangle  allongé,  pour  commander  «  un  crescendo  de  mouvement  », 
une  longue  ligne  droite,  pour  le  decrescendo  inverse. 

Dans  la  troisième  étude,  Liszt  réunit  à  la  main  gauche  seule  le  total  des  deux 
mains  et  dégage  au-dessus  un  large  chant  lié  ;  il  brise  l'ancienne  mesure  à  quatre 
temps,  et  marque  pour  la  nouvelle  le  chiffre  six-huit  ;  il  introduit  tout  un  épisode  im- 
prévu, après  lequel  il  ramène  le  début  du  morceau, sous  une  autre  forme  harmonique; 
et  après  un  mouvement  passionné,  où  se  croisent  les  deux  mains,  il  termine  en  toute 
tranquillité  par  un  «  dolce,  pastorale,  rallentando  ». 

L'on  dirait  que  dans  ces  trois  morceaux  le  virtuose  a  voulu  progressivement  ras- 
sembler les  éléments  d'un  langage  pianistique  infiniment  varié,  neuf,  et  audacieux.  A 
partir  du  numéro  suivant,  —  Mazcppa,  —  les  études  seront  de  grandes  fantaisies,  où 
des  auditeurs  non  prévenus  reconnaîtront  à  peine,  sous  le  flot  tumultueux  d'un  océan 
sonore,  les  germes  étrangement  agrandis  et  renouvelés,  de  l'ancienne  version'.  Ce 
charmant  petit  allegretto  en  ré  mineur,  qui  'souriait,  dans  une  allure  tranquille  de 
«  romance  sans  paroles  »,  se  développe  en  treize  pages  au  lieu  de  deux  ;  son  dessin 
initial  en  tierces,  conservé,  devient  l'accompagnement,  puis  l'aiguillon,  d'un  chant 
large,  fier  et  rude,  qui  personnifie  Mazeppa  ;  des  épisodes  d'une  virtuosité  flam- 
boyante et  d'une  sauvage  énergie  en  séparent  et  en  ramènent  les  retours,  chaque  fois 
accentués  par  des  transformations  rythmiques  et  harmoniques  plus  fougueuses  et  plus 
puissantes,  jusqu'au  terrible  strepitoso  final.  Au  lieu  des  jeux  pleins  de  grâce  du  jeune 
chat  qui  enferme  de  très  fines  griffes  dans  ses  pattes  de  velours,  ce  sont  maintenant 
les  bonds  redoutables  des  grands  félins,  rois  du  désert.  Seul  debout  sur  les  cîmes  de  la 
virtuosité  pianistique,  Liszt  jongle,  en  lion  qui  s'amuse,  avec  tous  les  effets  de  sono- 
rité, toutes  les  prouesses  d'exécution,  que  l'on  peut  imposer  au  clavier  d'un  Erard. 
Lorsque,  quelques  années  plus  tard,  il  développera  de  nouveau  dVfa:(eppa  en  poème 
symphonique,  cette  maîtrise  inouïe  d'un  instrument  se  fera  jour  à  travers  même  l'é- 
clat du  coloris  orchestral,  et  l'œuvre  conservera  l'aspect  indélébile  d'un  gigantesque  et 
sans  pareil  «  morceau  de  piano  ». 

Michel  BRENET. 


Opéra  de  Nice 


WILLIAM    RATCLIFF 

Tragédie  musicale  en  quatre  actes 
Poème  de  M.  Louis  de  Gramont.  —  Musique  de  M.  Xavier  Leroux 

(Cîréation) 


La  tragédie  musicale  inédite  créée  le  26  janvier  à  l'Opéra  de  Nice  a  été  tirée  par 
M.  Louis  de  Gramont  du  poème  dramatique  de  Henri  Heine.  C'est  un  drame  terrible- 
ment sombre,  empreint  d'un  romantisme  échevelé,  mais  qui  par  instants  ne  laisse  pas 
d'être  impressionnant. 

L'action  se  passe  en  1820. 

Au  premier  acte,  nous  assistons  aux  fiançailles  de  la  douce  Marie,  fille  du  laird 
Marc  Gregor,  dans  le  château  qu'ils  habitent  en  Ecosse.  Mais  à  peine  les  futurs  époux 
ont-ils  échangé  leurs  anneaux  que  lord  Douglas,  le  fiancé,  reçoit  un  cartel  d'un  per- 
sonnage mystérieux  qui  n'est  autre  que  William  Ratcliff. 

Ici  un  retour  sur  le  passé  devient  nécessaire  :  Mac  Gregor,  le  père  de  Marie,  a 
jadis  tué  de  sa  main,  dans  les  fossés  du  château,  Edouard  Ratcliff,  père  de  William 
qu'il  soupçonnait  être  l'amant  de  sa  femme  Betty,  alors  qu'il  n'en  était  que  le  fiancé 
éconduit.  Vingt  ans  plus  tard  William,  le  fils  de  la  victime,  ignorant  du  crime,  s'est 
épris  de  la  fille  du  meurtrier  de  son  père  et  il  a  demandé  sa  main . 

Mais  Mac  Gregor  s'est  refusé  brutalement  à  une  union  qu'il  sait  impossible.  Et 
William  s'est  enfui  en  faisant  le  serment  que  nul  autre  n'épouserait  la  jeune  fille  qu'il 
aime.  En  effet,  par  deux  fois  il  a  tué  en  duel  des  prétendants  à  la  main  de  Marie,  et  le 
même  soir  il  a  rapporté  a  la  jeune  fille  en  larmes,  l'anneau  nuptial  arraché  des  doigts 
du  rival  agonisant. 

Mais  cette  fois  la  chance  tourne.  Douglas  provoqué  se  rend  au  rendez-vous.  Sa 
rencontre  avec  William  Ratcliff  qu'il  blesse  grièvement,  les  imprécations  de  ce  dernier 
au  milieu  des  hurlements  de  la  tempête  déchaînée  et  peuplée  de  spectres  forment  le 
troisième  acte  de  cette  tragédie  romantique. 

Enfin  au  dernier  acte,  William,  malgré  ses  blessures,  parvient  à  pénétrer  dans  le 
château  jusqu'auprès  de  Marie.  Tremblante,  la  jeune  fille  croit  que  cette  fois  encore  il 
lui  rapporte  l'anneau  de  son  rival  et  déjà  elle  recule  avec  horreur.  Mais  non!  C'est 
William  qui  est  blessé.  Et  alors  une  étrange  pitié  s'élève  en  elle  ;  et  doucement  elle 
étanche  le  visage  ensanglanté  de  celui  qu'elle  n'a  jamais  cessé  d'aimer.  Une  illusion 
singulière  les  envahit  tous  deux  tandis  qu'ils  échangent  leurs  aveux  :  Marie,  qu'une 
vieille  nourrice  à  demi  folle  a  instruite  du  passé,  s'imagine  qu'elle  est  devenue  Betty  et 
que  William  n'est  autre  qu'Edward.  En  cet  instant  la  nourrice,  présente  à  cette  scène, 
profère  la  chanson  sanglante  du  père  de  Ratcliff.  Les  esprits  ataviques,  le  destin  meurtrier 
et  sinistre  qui  plane  sur  tous  ces  êtres  et  sur  cette  demeure  achèvent  de  bouleverser 
la  raison  de  William  Ratcliff  qui  tire  son  épée,  poursuit  Marie,  la  transperce  et  se  tue 
lui-même  sur  le  cadavre  de  son  amante,  tandis  qu'arrivent  épouvantés  Douglas  et 
Mac  Gregor  à  qui  la  vieille  nourrice  montre  d'un  doigt  vengeur  les  deux  corps  inanimés. 

L'adaptation  française  de  cette  noire  et  fatidique  légende  a  été  faite  par  M.  Louis 
de  Gramont  en  vers  bien  frappés  où  se  reconnaissent  l'homme  de  goût  et  l'écrivain 


—  130  — 

de  talent.  Mais  M.  de  Gramontj  quî  s'en  est  tenu  presque  fidèlement  au  texte  de 
Henri  Heine,  n'a  pu  transformer  en  une  œuvre  de  coupe  vraiment  dramatique  un  mo- 
dèle qui  ne  l'était  point.  Il  m'a  semblé  que  le  second  acte  surtout  faisait  longueur,  et 
que  l'on  eût  pu  le  souder  aisément  au  troisième  en  sacrifiant  le  pittoresque  un  peu 
convenu  des  bandits,  et  en  plaçant  les  confidences  de  William  à  Lesley  au  début  du 
troisième  acte.  Il  n'y  a  de  véritablement  théâtral  que  le  dernier  acte,  le  premier  étant 
un  acte  d'exposition,  et  les  deux  actes  intermédiaires  n'étant  guère  qu'un  long  mono- 
logue de  Ratcliff  ;  or  l'on  sait  que,  même  dans  le  théâtre  chanté,  les  monologues  Sont 
toujours  d'un  fâcheux  effet. 

Quant  à  la  valeur  littéraire  proprement  dite  de  l'œuvre,  elle  dénote  évidemment 
chez  Henri  Heine  des  influences  de  l'époque,  notamment  des  Brigands  de  Schiller  et  de 
la  renaissance  shakespearienne  alors  en  faveur  dans  l'Allemagne.  On  y  démêle  aisé- 
ment le  conflit  tragique  de  la  volonté  et  de  l'amour  aux  prises  avec  le  destin  atavique 
et  sanguinaire. 

La  partition  de  M.  Xavier  Leroux  daté  déjà  d'une  dizaine  d'années.  Elle  devait  être 
primitivement  créée  à  l'Opéra-Comique  avec  Victor  iVlaurel  dans  le  rôle  dé  William 
Ratcliff",  mais  ce  projet  ne  put  se  réaliser  pour  diverses  raisons. 

Au  point  de  vUè  musical  il  serait  superflu  de  dire  qu'elle  est  parfaitement  écrite, 
et  instrumentée  avec  un  sens  très  vif  de  la  couleur.  Elle  est  tout  entière  baignée  de 
teintes  fuligineuses  et  fatales  que  viennent  çà  et  là  seulement  éclairer  quelques  jolis 
rayons  de  charme,  tels  que  le  chœur  des  jeunes  flUes  au  dernier  acte  si  finement  har- 
monisé, les  confidences  amoureuses  de  Ratcliff"  au  deuxième  acte  et  le  beau  duo  pas- 
sionné du  tableau  final. 

Xavier  Leroux  a  su  exprimer  en  vrai  poète  musicien  l'accent  tragique  de  tous  ces 
héros  marqués  au  front  du  sceau  maudit  ;  il  a  trouvé  pour  caractériser  chacun  d'eux 
des  thèmes  expressifs  et  de  ligne  variée,  ce  qui  n'était  point  fort  aisé,  étant  donnée  la 
couleur  générale  uniformément  sombre  des  situations  et  des  sentiments.  La  partition 
est  solidement  construite  sur  une  charpente  thématique  nette  et  serrée  ;  elle  m'a  paru 
pour  cette  raison  empreinte  d'une  unité  qui  manquait  parfois  à  celle  de  la  Reine  Fiam^ 
metUi  Toutefois  j'ai  cru  démêler  dans  William  Ratcliff  l'influence  assez  apparente  ie 
Richard  Wagner,  influence  d'autant  plus  explicable  que  l'œuvre  de  Leroux  fut  com^ 
posée  il  y  a  plus  de  dix  ans» 

Cette  observation  faite,  il  est  juste  de  reconnaître  que  lâ  coupe  musicale  est  fort 
dramatique  et  que  M.  Xavier  Leroux,  qui  a  un  sens  inné  du  lyrisme  de  la  scène  â 
tiré  tout  ce  qui  était  possible  d'un  ouvrage  qui  est  plutôt  un  poème  dramatique  qu'uil 
drame  proprement  dit. 

J'ai  dit  que  les  thèmes  de  l'œuvre  étaient  vigoureusement  expressifs.  Les  pas* 
sages  les  plus  saillants  de  la  partition  sont  au  premier  acte  la  déclamation  fatidique  de 
la  vieille  nourrice  rappelant  à  son  maître,  Mac  Gregor,  le  sinistre  passé  et  lui  prophé- 
tisant un  terrible  avenir  ;  au  deuxième  acte  le  chœur  des  bandits  et  les  divers  motifs 
de  leur  fête  crapuleuse  m'ont  semblé  manquer  de  la  couleur  locale  désirable  ;  le  récit 
de  William  Ratcliff"  à  son  ami  Lesley  a  de  la  vigueur,  mais  paraît  bien  long  ;  le  troi" 
sième  acte  est  d'une  belle  puissance  orchestrale,  et  la  scène  de  Ratcliff"  aux  prises  avec 
les  spectres  est  une  page  lyrique  de  grande  envolée  qui  fait  honneur  à  M.  Xavier 
Leroux.  Enfin  le  dernier  acte  est  consacré  au  duo  tragique  de  William  et  de  Marie. 

William  Ratcliff  a  bénéficié  d'une  interprétation  homogène  et  Soignée  :  M.  Del- 
mas  prête  l'appoint  de  sa  superbe  voix  et  de  sa  prestance  de  tragédien  au  rôle  écrasant 
de  Ratcliff".  C'est  une  belle  création  de  plus  à  l'actif  de  l'éminent  artiste. 

Mme  Héglon  a  été  fort  impressionnante  dans  le  rôle  de  la  nourrice  dont  elle  a 
exprimé  en  véritable  artiste  les  accents  prophétiques  ;  Mlle  Mastio  chante  avec  grâce 


et  d'une  voix  pure  le  rôle  touchant  de  Marie  ;  on  eût  cependant  «ouhaité  d'elle  au  duo 
final  plus  d'affolement,  plus  d'étrangeté  troublante  ;  M.  Aumônier  fait  un  excellent 
Mac  Gregor,  d'organe  sonore  et  de  diction  parfaite.  Le  ténor  Zocchi  fait  sonner  vail- 
lamment sa  voix  généreuse  dans  le  rôle  du  comte  Douglas.  Les  personnages  épisodi- 
ques  sont  tenus  honorablement  par  Mmes  Hiriberry  (Kate),  Delcour  (Ruth)  et  MM. 
Dutilloy  (Lesley),  Rougon  (Tom),  Perret  (Bill),  etc. 

Les  décors,  signés  Contessa,  sont  réussis,  surtout  celui  de  la  forêt  romantique 
du  5*  acte. 

Les  chœurs  de  la  taverne  méritent  d'être  loués,  ainsi  que  l'orchestre  qui  inter- 
préta brillamment  la  partition  sous  la  direction  de  l'auteur. 

Le  public,  où  nous  avons  reconnu  diverses  personnalités  parisiennes,  a  fréquem- 
ment souligné  de  ses  applaudissements  la  remarquable  interprétation  de  M.  Delmas 
et  de  ses  partenaires. 

On  ne  peut  contester  que  l'œuvre  n'ait  une  belle  tenue  d'art  à  laquelle, 
en  dépit  de  certaines  longueurs  inhérentes  au  sujet,  le  public  s'est  plu  à  rendre 
hommage. 

Alfred  MORTIER. 


Noies  biograplîipes  sur  V.  Neuville 


Né  à  Rexpoëde  (Nord)  en  i86j>  Elève  du  célèbre  organiste 
belge  Lemmens,  V.  Neuville  termina  ses  études  au  Conservatoire 
de  Bruxelles  d'où  il  sortit  avec  le  premier  prix  d'orgue  en  1884, 

Organiste  à  Brioude  (Haute-Loire)  de  188^  à  i8ço.  Organiste 
de  Saint-Ni:^ier  à  Lyon  depuis  i8go^  poste  quHl  occupe  encore. 

OUVRAGES   PRINCIPAUX 

CHANT  ET  PIANO  Lcs  IVUUs,  5  actcs  (1895) 

Les  Proses  des  Mortes  Joués  à  Rotterdam  et  à  Thlel  (Hollande). 
Ali  Jardin  Tiphaine,  2  actes  (  1 898) 

50  Mélodies  joué  à  Anvers  (1899),  à   Stockolm  (1901) 

■""  Madeleine  ,  3  actes  (1899) 

75  pièces  pour  grand  orgue  Inédit. 

L'Aveugle,  i  acte(i90i) 
ORCHESTRE  Créé  à  Kiel  en  décembre  1904. 

2  Symphonies  L'Enfant,  4  actes  (1902) 

—  Inédit. 

MUSIQUE    DE    CHAMBRE  

2  Quintettes 

_^  MUSIQUE    RELIGIEUSE 

THÉÂTRE  Fourvières,  oratorio 

Lé  Trèfle  à  4  feuilles  (1894)  Un  prologue  en  5  parties  (i  901-1905) 

Joué  à  Bruxelles.  Inédit. 


—    132    — 

T  I  P  H  A  I  N  E 

DE  V.  NEUVILLE 

Création  en  France  au  Grand-Théâtre  de  Lyon  le  23  janvier  1906  (i) 


Dans  la  vaste  salle  gothique  où  l'ennui  la  tient  prisonnière  et  devant  un  triste 
paysage  d'hiver  rêve  immobile  la  belle  Tiphaine,  châtelaine  seigneuriale.  La  voix 
pourtant  consolante  et  bonne  d'Edme  son  vieil  époux  ne  saurait  l'émouvoir  :  il  lui 
faut  à  toute  heure  près  d'elle  l'ardente  jeunesse  de  Wilfrid  son  page  favori.  Et  la  soli- 
tude de  l'ennui  les  jetterait  volontiers  aux  bras  l'un  de  l'autre  si  Tiphaine  n'avait  pro- 
mis de  rester  fidèle  au  vieux  seigneur  tant  qu'il  vivrait.  —  Cependant  des  bohémiens 
passent  :  ils  viennent  chanter  sous  les  yeux  de  Tiphaine  une  lugubre  chanson  où  il  est 
question  de  crime  et  de  sang,  d'amour  fou  et  de  délivrance  par  le  meurtre  :  en  l'âme 
affolée  de  Tiphaine  se  fait  jour  l'idée  du  crime.  Et  sur  son  instigation,  Wilfrid,  le  page 
amoureux,  poignarde  le  malheureux  époux  !  Voici  Edme  qui  se  traîne  sanglant  à  la 
porte  de  la  salle  où  les  amants  se  tiennent  enlacés.  Héroïquement  avant  d'expirer  il 
pardonne.  Tiphaine  inconsciente  attire  dans  ses  bras  Wilfrid  qui  cette  fois  la  repousse: 
«  Ton  amour  a  fait  de  moi  un  assassin  !  »  et  pour  expier  le  meurtre  sous  les  yeux 
épouvantés  de  Tiphaine  le  page  se  poignarde, il  meurt  en  murmurant  les  paroles  fatales 
qu'Edme  en  expirant  avait  déjà  proférées  : 

La  femme  est  plus  amère  que  la   mort 

Désespérément  sur  le  cadavre  sanglote  Tiphaine. 
'  Sur  ce  poème  qui  est  de  M.  Louis  Payen,  un  librettiste  au  style  soigné  et  à  la 
langue  délicate,  M.  V.  Neuville  écrivit  une  musique  extrêmement  neuve  et  per- 
sonnelle, d'un  modernisme  d'écriture  savoureux.  Inféodé  à  aucune  école  bien  que 
nourri  de  la  vraie  sève  wagnérienne,  uniquement  préoccupé  de  servir  l'art  vrai,  de 
transcrire  les  états  de  la  vie  intérieure  qui  font  vibrer  son  âme  d'artiste,  ce  musicien 
avec  Tiphaine  nous  apporte  une  note  nouvelle  et  toute  spéciale  dans  la  production  con- 
temporaine. 

Tiphaine  est  une  partition  éminemment  thématique  (2)  où  l'orchestre  inlassable- 
ment dévoile  le  drame  interne  enveloppant  l'action  d'une  atmosphère  sonore  qui  la 
grandit  et  recrée  pour  ainsi  dire  en  l'élargissant  l'humanité  de  ceux  qui  en  sont  les 
héros.  C'est  au  début  le  thème  de  désespérance  d'un  chromatisme  intense  auquel 
s'adjoint  la  figure  notée  musicalement  d'un  sanglot  (une  chute  de  seconde  mineure), 
c'est  le  thème  sourd  du  destin,  les  thèmes  de  tendresse,  d'ardente  passion  et  d'enla- 
çante volupté,  puis  les  motifs  plaintifs  réservés  à  Edme  et  qui ,  éloquemment,  disent  sa 
bonté  et  sa  peine  émue,  ce  sont  les  arpèges  enthousiastes  des  harpes  qui  chantent 
l'idéal  de  Wilfrid  et  c'est  encore  la  sombre  montée  du  thème  du  crime  qui  bondit  des 
profondeurs  de  l'orchestre,  issue  du  motif  caractéristique  des  Bohémiens...  Ces 
thèmes,  vie  intérieure  du  drame,  sont  revêtus  d'une  instrumentation  d'une  couleur 
très  particulière,  où  dominent  les  voix  navrantes  des  altos  et  du  cor  anglais,  les  sons 
bouchés  des  cors  et  les  étranges  sonorités  des  bassons  ;  et  cette  instrumentation  ac- 
centue encore  leur  côté  expressif  et  déchirant. 


(i)  Tiphaine  a.  été  créée  au   théâtre  lyrique  flamand  d'Anvers  le  ii    février  1899  et  jouée  depuis  lors 
sur  diverses  scènes  étrangères,   notamment  à  Stockolm  (en   1901). 

(2)  Une  étude  thématique  de  Tiphaine  due  à  M.  Joseph  Billiat  vient  de  paraître. 


—  ï33  — 

Volontairement  cette  musique  s'abstient  de  tout  rythme  qui  ne  répond  point  au 
chant  intérieur,  de  toute  expansion  qui  pourrait  gêner  ses  concordances  avec  les  mou- 
vements secrets  de  l'âme,  et  d'aucuns  avec  quelque  apparence  de  raison  lui  reprochè- 
rent certaine  uniformité  rythmique  (i).  Mais  par  cela  même  qu'il  s'exhale  une  tristesse 
indicible  de  ces  thèmes  de  désespérance  et  d'angoisse  qui  recèlent,  comme  l'a  dit  ex- 
cellemment M.  Locard,  la  véritable  morale  de  l'œuvre  «  en  montrant  les  thèmes  d'a- 
mour coupable  et  de  crime  issus  de  cette  donnée  primordiale  de  l'esseulement  et  de  la 
méditation  morose  »,  par  cela  même  que  la  vie  y  est  trop  concentrée,  l'action  trop 
dense,  que  les  faits,  motivés  il  est  vrai  par  une  psychologie  intensive,  y  paraissentem- 
preints  d'une  brutalité  inquiétante,  par  suite  de  ceci  que  cette  musique  un  peu  hau- 
taine et  très  raffinée,  si  elle  s'éclaire  d'un  sourire  comme  au  moment  de  la  délicieuse  bal- 
lade du  premier  tableau,  c'est  encore  d'un  sourire  triste,  par  tout  cela  Tiphaine  ne 
nous  semble  pas  une  œuvre  destinée  à  plaire  aux  foules.  En  revanche  les  délicats  se 
complaisent  à  son  audition.  Et  M.  Neuville  qui  est  un  modeste  aura  eu  sans  aucun 
doute  les  suffrages  qu'il  ambitionnait.  Réservée  à  une  élite  la  partition  sera  placée 
dans  la  bibliothèque  côte  à  côte  avec  les  quelques  volumes  de  Stendhal  et  dans  Je  voi- 
sinage des  œuvres  choisies  de  Frédéric  Nietsche. 

L'interprétation,  il  faut  bien  le  dire,  ne  fut  pas  de  premier  ordre.  Mlle  Jeanne  Fo- 
reau  que  l'on  avait  appelée  de  Paris  à  cette  occasion,  ne  nous  parait  pas  posséder  la  voix 
et  l'expérience  scènique  suffisantes  pour  un  rôle  de  premier  plan  comme  celui  de  Ti- 
phaine. Edme  personnifié  par  M.  Lafont  fut  chanté  d'une  façon  intéressante  mais  au 
point  de  vue  dramatique  le  personnage  est  insuffisant.  Quant  à  M.  Geyre  il  fut  vrai- 
ment le  seul  auquel  nous  puissions  décerner  des  éloges  pour  la  façon  intéressante  dont 
il  chanta  et  composa  le  rôle  du  page  Wilfrid.  Ainsi  qu'à  son  habitude,  l'orchestre  sous 
la  direction  nette  et  précise  de  M.  Flon  fut  excellent.  Un  nombreux  public  des  plus 
sympathiques  acclama  le  musicien  de  très  haute  valeur  dont  cette  soirée  du  23  jan- 
vier 1906  constituait  la  première  manifestation  sur  une  scène  française. 

Paul  LERICHE. 


LES  Giîanas  eoncEiîrs 


Concerts  Colonne  et  Lamoureux 

Deux  auditions  du  Faust  de  Schumann  occupèrent,  aux  Concerts-Lamoureux,  les 
programmes  du  28  janvier  et  du  4  février.  Vous  n'attendez  pas  de  moi  que  je  revienne 
sur  cette  œuvre  très  connue,  qui  possède  le  lyrisme  intense,  les  qualités  sentimen- 
tales et  aussi  quelque  peu  la  monotonie  de  toutes  les  grandes  compositions  du  même 
maître.  Tel  quel  c'est  un  fort  bel  ouvrage,  que  l'on  a  raison  de  jouer  quelquefois,  et 
peut-être  bien  celui  qui  se  rapproche  le  plus  de  la  pensée  de  Gœthe.  Les  protagonistes 
de  ce  Faust  furent  Mme  Raunay,  dont  le  beau  syle  et  le  sentiment  artistique  si  noble 
et  si  distingué  firent  merveille  comme  toujours,  M.  Cazeneuve  et  M.  Frœlich,  excel- 
lent dans  le  principal  rôle  de  l'œuvre,  mais  qui,  dans  la  seconde  partie,  sembla 
chanter  le  docteur  Marianus  avec  quelque  gêne.  Les  chœurs,  suivant  la  coutume, 
dans  notre  bonne  ville  de  Paris,  ne  furent  pas  absolument  à  la  hauteur  de  leur  man- 


(i)  Le  très  beau  prélude  exécuté  avant  le  lever  du  rideau  ne  se  placerait-il  pas  très  bien  entre  les 
deux  tableaux  de  l'œuvre  ?  La  scène  muette  de  Thiphaine  où  des  motifs  identiques  se  répètent,  serait, 
semble-t-il,  d'un  effet  beaucoup  plus  saisissant. 


—  134  — 

dat,  et  l'orchestre,   suivant  la  sienne,  fit   florès  dans  la  partition  de  Schumann,  que 
M.  Chevillard  dirige  avec  tout  l'amour  voué  par  lui  à  l'auteur  de  Manfred. 

Ces  mêmes  dimanches  Berlioz  et  Mozart  accaparèrent  presque  entièrement  les 
programmes  du  Chàtelet.  Du  premier  l'on  nous  donna  trois  numéros  de  Roméo  et  Ju- 
liette, (dont  la  Scène  d'amour  un  peu  longue,  mais  si  poétique),  l'ouverture  des 
Francs-Juges,  qui  renferme  vraiment  peu  de  chose,  et  celle,  remplie  de  vie,  du  Carnaval 
Romain.  M,  Colonne  l'enleva  comme  toujours  avec  une  maestria  incomparable. 
J'adresserai  moins  de  compliments  à  l'orchestre  pour  l'ensemble  des  œuvres  de  Mozart 
qui  remplirent  ces  deux  séances. 

Si  la  Symphonie  en  sol  mineur  (à  part  l'andante  mal  au  point  et  saccadé  par  les 
cordes)  fut  interprété  de  façon  sviff\sz.ViXt,\dL  Symphonie  en  ut  majeur,  bizarrement  dénom- 
mée  Jupiter,  avait  été  rendue  d'une  façon  tout  à  fait  médiocre  le  précédent  dimanche. 
On  n'entendait  que  les  ssss  !  perpétuels  du  chef,  implorant  de  ses  musiciens  un  peu  de 
douceur  et  de  sentiment  dans  l'attaque.  Ceci  est  fâcheux,  quand  il  s'agit  d'une  œuvre 
aussi  pure,  aussi  belle,  aussi  fine.  J'estime  d'ailleurs  que  c'est  une  grosse  faute,  -^  on 
la  commet  un  peu  partout  aujourd'hui, — déjouer  des  symphonies  de  Mozart  avec 
des  orchestres  beaucoup  trop  nombreux.  Là  où  il  faudrait  25  ou  30  musiciens,  pour 
laisser  à  la  mélodie  sa  grâce  ailée,  aux  harmonies  leur  délicatesse,  on  lance  une  masse 
de  80  interprètes,  qui  écrasent  le  son  et  enlèvent  toute  leur  élégante  nervosité,  toute 
leur  souriante  allégresse,  toute  leur  discrète  mélancolie  aux  inspirations  du  maître  divin. 

Et  puis  ces  programmes  de  festivals  sont  bien  difficiles  à  composer  !  S'il  est  inté- 
ressant d'entendre  l'adorable  Quintette  de  Cosi  fan  lutte,  fort  bien  interprété  par 
Mmes  Auguez  et  Lassalle,  MM.  Plamondon  et  Reder  et  par  M.  Daraux,  qui  a  mis  avec 
infiniment  d'esprit  et  d'autorité  une  note  ironique  dans  le  quatuor  de  ses  partenaires, 
la  gloire  de  Mozart  ne  gagne  rien,  en  revanche,  à  l'exhumation  de  l'air  de  Fernand, 
dans  le  même  opéra,  de  l'air  du  Roi  Pasteur,  ni  du  Tuba  mirum  emprunté  au  Requiem* 
Et  elle  a  tout  à  perdre  à  ce  que  l'on  confie  les  deux  airs  de  Chérubin,  si  adorables  de 
mutinerie  sentimentale,  à  une  interprète  qui  n'est  pas  une  artiste... 

Les  Concertos  nous  ont  fait  un  plus  sensible  plaisir  :  l'andante  de  celui  pour  flûte 
et  harpe,  admirablement  joué  par  M.  Blanquart  et  par  Mme  Provinciali-Celmer,  celui 
pour  deux  pianos  interprêté  avec  beaucoup  de  soin  et  de  respect  par  MM.  Diémer  et 
Georges  de  Lausnay,  et  surtout  celui  pour  violon  (en  mi  bémol),  où  M.  Firmin Touche, 
l'excellent  soliste  des  Concerts-Colonne,  se  montra  le  digne  interprête  de  Mozart, 
précis,  délicat,  tout  plein  de  charme,  d'esprit  et  d'émotion.  C'est  un  artiste  de  premier 
ordre,  qui  joint  une  grande  simplicité  d'attitudes  —  chose  rare  chez  les  violonistes  !  — 
à  une  belle  intelligence  musicale  et  à  une  émotion  discrète,  élégante  et  du  meilleur 
aloi.  Nous  l'avons  acclamé  de  tout  cœur,  et  je  me  plais  à  remarquer,  au  passage,  que 
pas  un  de  ces  trois  concertos  n'a  soulevé  la  moindre  manifestation  fâcheuse.  Ceci 
démontre  que  les  galeries  hautes  agissent  avec  discernement  et  non  de  parti-pris 
quand  elles  se  montrent  hostiles  à  la  virtuosité  creuse  de  certaines  œavres.  Lorsque 
la  virtuosité  demeure  l'habile  mais  humble  servante  de  la  musique,  — -  ce  qui  fut  pré- 
cisément le  cas  chez  les  vieux  maîtres,  et  cessa  malheureusement  de  l'être  bien  des 
fois  à  partir  de  Beethoven,  Beethoven  inclus,  —  tout  le  monde  l'accepte  et  y  applaudit* 
Quand  elle  dicte  des  élucubrations  comme  ce  Concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns,  que 
M.  Josef  Hofmann  interpréta,  fort  bien  d'ailleurs,  au  début  de  la  première  séance 
Mozart,  le  poulailler  siffle,  et,  je  le  dis  sans  détour,  il  a  mille  fois  raison,  le  poulailler  ! 
Ce  concerto  n'est  ni  de  l'art,  ni  même  de  la  belle  musique  et  il  est  fâcheux  que  des  pia- 
nistes, désireux  de  faire  valoir  leur  mécanisme,  interprètent  ces  ouvrages.  Pour  la 
réputation  même  de  leurs  auteurs  mieux  vaudrait  que  les  morceaux  de  bravoure  retom- 
bassent le  plus  tôt  possible  dans  un  oubli  d'où  ils  n'auraient  jamais  dû  sortir. 


i: 


—  Ï35  — 

J'allais  omettre  de  mentionner  les  bonnes  exécutions  des  ouvertures  de  la  Pluie 
enchantée  et  àQ  Don  Juan,  merveilles  qui  ne  vieilliront  point,  dont  la  grâce  et  la  puis- 
sance tragique  résisteront  à  toutes  les  évolutions  du  goût  et  de  la  mode,  parce  que, 
sortis  d'un  cœur  miraculeusement  sensible,  elles  parleront  toujours  au  cœur  leur  clair 
et  mélodieux  langage. 

Jean  d'UDINE. 

Concerts  du  Conservatoire 

La  séance  de  dimanche  4  février  était  consacrée  exceptionnellement  à  l'audition 
des  gMa/Mor5  de  Beethoven  (op.  127,  131  et  135)  par  le  quatuor  Capet.  Nous  n'avons 
pas  à  revenir  sur  l'exécution  de  ces  œuvres  que  notre  collaborateur  Gabriel  Rouchès 
a  commentée  tout  dernièrement  —  avec  les  éloges  qu'elle  comportait,  —  dans  ses 
comptes  rendus  des  «  Soirées  d'Art  ». 

INTÉRIM. 


LA   QUINZAINE  MUSICALE 

Société  Philharmonique      ' 

Le  huitième  concert  fut  donné  devant  une  salle  dont  un  bon  tiers  des  fauteuils 
demeura  inoccupé.  Il  faut  dire  que,  pour  son  interprétation,  le  programme  ne  portait 
que  des  noms  français,  et  ils  ne  sont  pas  très  en  faveur  auprès  du  public  cosmopolite 
de  la  Philharmonique  qui  dédaigne  systématiquement  tout  ce  qui  n'a  pas  passé  le  Rhin 
avant  d'affronter  son  nationalisme  intransigeant.  Nous  partageons  souvent  son  enthou- 
siasme qu'il  manifeste  parfois  avec  quelque  excès,  mais  pour  un  Kreislerque  d'artistes 
dont  le  talent  ne  justifie  pas  la  renommée.  Ne  citons  pas  nos  déceptions.  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  absents  eurent  tort  à  la  séance  où  le  quatuor  de  Paris  (MM.  Hayot,  André, 
Denayer  et  Salmon),  assisté  deMM.  Monteuxet  Fournier,  fit  entendre  leQuintette  àcordes 
en  sol  mineur  de  Mozart  et  le  Sextuor  à  cordes  en  solde  Brahms.  Si  l'on  peut  adresser 
une  toute  légère  critique  à  l'exécution  de  Brahms  qui  à  notre  avis  ne  fut  pas,  en  certains 
passages,  assez  enlevé  à  la  tzigane,  il  faut  dire  de  quelle  adorable  façon  fut  joué  le  Mo- 
zart, avec  une  délicatesse  de  sentiment  et  de  nuances  telle,  qu'il  me  paraît  difficile  de 
l'égaler.  Ah  l'exquis  adagio,  tendre  et  pur,  qui  fait  songer  à  la  mélancolie  de  certains 
paysages  où  des  cyprès  élancent  leurs  profils  sombres  sur  le  crépuscule  doré  d'un  ciel 
italien  !  M.  Plamondon  chanta  Vnir  de  Joseph  et  un  air  de  la  Création.  Les  mouvements 
furent  peut-être  pris  un  peu  lentement  par  ce  ténor  qui  a  une  très  jolie  voix  et  qui  la 
conduit  avec  beaucoup  d'art. 

Grâce  à  la  présence  de  Mme  Mysz-Gmeiner,  la  Société  française  des  instruments  à 
vent  joua  tout  d'abord  devant  une  salle  comble  et  vit,  dès  que  la  cantatrice  eut  épuisé  son 
programme,  s'envoler  lamoitiéderauditoire,comme  s'ilsavaientsoufflédessus.Etpourtant 
la  valeur  indiscutable  de  MM.  Gaubert,  Bleuzet,  Bourbon,  Mimart,  Lebailly,  Leteller, 
Jacot,  A.  Delgrange,  Penable  est  universellement  reconnue.  Aucune  ville  au  monde  ne 
peut  offrir  une  telle  phalange  d'artistes,  et  chacun  est  un  virtuose  de  son  instrument. 
Mais  leur  grave  défaut  est  d'être  d'ici.  Regrettons  ce  parti-pris  chez  les  autres,  et  cons- 
tatons le  très  grand  succès  remporté  par  Mme  Mysz-Gmeiner.  C'est  la  parfaite  chan- 
teuse de  lieder.  On  pourrait  remarquer  le  retour  trop  attendu  d'opposition,  de  nuances 
qui  ressemble  à  un  procédé  facile,  mais  ce  n'est  de  notre  part  qu'une  critique  légère 
avant  de  rapporter  avec  quelle  grâce,  avec  quelle  finesse  l'artiste  a  chanté  Ich  sende 
einen  Gruss  et  Roselein  de  Schumann,  avec  quelle  légèreté  elle  a  dit  la  jolie  mélodie 
Dis-moi^  hirondelle  et  comment  elle  a  murmuré  Solitude  champêtre  de  Brahms. 
Acclamée,  rappelée,  elle  a  chanté  Fruhlingsnacht  de  Schumann  d'une  voix  trop  saccadée 


—  136  — 

et  la  Sérénade  inutile  de  Brahms  de  façon  spirituelle.  La  diction  est  nette,  la  voix  char- 
mante presque  toujours,  et  idéale  dans  la  douceur. 

Gomme  Mme  Mysz-Gmeiner  récolta  tous  les  bravos,  il  n'en  resta  plus  pour  es 
Instruments  à  vent  qui  auraient  mieux  mérité  que  les  froids  applaudissements  que  leur 
donnèrent  des  mains  lassées  ou  indifférentes.  Avec  M.  Grovlez  au  piano  ils  jouèrent  le 
quintette  de  Beethoven  dont  le  motif  de  l'andante  rappelle  note  pour  note  le  début  de 
certain  air  mozartien  de  la  frivole  Zerline.  J'ai  beaucoup  aimé  Chanson  et  Danses  de 
Vincent  d'Indy,  ce  septuor  aux  harmonies  rudes  puis  savoureuses,  où  après  le  rythme 
énergique  des  danses  revient  le  gracieux  thème  langoureux  dont  César  Franck  aurait 
aimé  la  mélancQlie.  La  Sérénade  en  ut  mineur  de  Mozart  terminait  le  concert  et  en  écou- 
tant cette  œuvre  lumineuse  si  joliment  exécutée,  je  plaignais  tous  ceux  et  surtout  toutes 
celles  qui,  par  un  départ  hâtif,  s'étaient  privés  du  plaisir  de  l'entendre. 

Victor  Debay. 


Concerts   Le   Rey 

Après  une  exécution  de  YOuverture  de  Léonore  n'  y  de  Beethoven,  M.  Le  Rey  nous 
présentait  une  composition  de  M.  F.  de  Léry,  intitulée  Mystère,  agréablement  mise  en 
valeur  par  la  voix  charmante  de  Mme  Bureau-Berthelot.  Nous  eûmes  ensuite  le  plaisir 
d'entendre  le  séduisant  Concerto  en  sol  mineur  de  Max  Bruck,  interprêté  par  M.  Can- 
trelle.  Ce  jeune  violoniste  a  de  sérieuses  qualités  de  son,  de  finesse  et  de  netteté  de 
mécanisme;  il  devra,  semble-t-il,  travailler  surtout  à  acquérir  plus  de  puissance  et 
aussi  de  chaleur;  son  succès  fut  vif  et  mérité.  Seconde  audition  des  fragments  des 
Noces  de  Figaro  avec  les  mêmes  interprètes  que  le  dimanche  précédent  parmi  lesquels 
il  faut  signaler  de  nouveau  Mmes  Bureau-Berthelot  et  Max- Soulier  toutes  deux 
fort  applaudies. 

M.  de  Léry  conduisait  le  concert  du  4  février,  exception  faite  pour  ïOtcverture  dra- 
matique de  Torquato  Tassa  que  dirigea  son  auteur,  M.  Pénavaire,  avec  la  chaleur  un 
peu  emphatique  qu'elle  comporte.  Dans  deux  pièces  de  Rameau  pour  piano  Mme  Dietz 
fit  preuve  de  finesse  et  de  bon  mécanisme,  mais  elle  ne  mit  peut-être  pas  assez  en  relief 
la  vie  enthousiaste  dont  Schumann  anima  Kreisleiriana. 

Edouard  Schneider. 

—  Les  deux  matinées  que  M.  Le  Rey  vient  d'organiser  les  Jeudis  1"  et  8  février, 
ont  permis  d'applaudir  de  très  talentueux  artistes  parmi  lesquels  nous  citerons  Mlles 
Lorec,  Oberlé  et  Mme  Mayrand  dans  des  mélodies  de   Sylvio  Lazzari.  A.  V. 


Concerts  de  la  Schola  Cantorum 

La  Schola  donnait  à  son  concert  du  2  février  trois  œuvres,  types  d'essais  de  mu- 
sique dramatique  en  France,  en  Allemagne  et  en  Italie. 

Le  Ballet  de  la  Royne  (1582),  musique  de  Beaulieuet  Salmon  présente  de  curieuses 
intentions  musicales,  et  par  sa  pondération  et  le  noble  équilibre  des  diverses  parties, 
fait  pressentir  l'opéra  français  du  xvii'  siècle  dont  Lully  sera  le  chef  d'école  re- 
connu. 

Plus  dramatique  est  la  Philothée,  œuvre  d'un  religieux.  La  Philothée  présente  un 
singulier  mélange  des  tendances  nouvelles  de  l'école  italienne  et  de  respect  pour  la  tra- 
dition contrapuntique.  Le  prélude  —  ou  plutôt  sinfo?iia,  selon  l'appellation  de  l'époque 
—  est  remarquable.  Les  larges  accords  de  trombones  ont  une  allure  de  grandiose  reli- 
giosité et  font  penser  à  Parsifal.  Les  lignes  mélodiques  sont  expressives  et  s'infléchis- 
sent selon  le  sens  du  texte.  L'instrumentation  est  riche  :  les  alliances  de  timbres  sont 
souvent  piquantes  et  les  instruments  sont  employés  avec  une  signification  dramatique 
bien  déterminée. 


—  «37  — 

UOrfeo  est  incontestablement  supérieur  aux  deux  essais  précédents.  Pieusement 
reconstitué  par  M.  Vincent  d'Indy,  VOrfeo  fut  donné  à  la  Schola  pour  la  première  fois 
en  France,  il  y  a  deux  ans.  En  composant  son  Orfeo^  Monteverde  créait  le  vrai  drame 
musical.  Monteverde  est  un  Vénitien,  et  par  son  talent,  il  s'oppose  nettement  aux  mu- 
siciens de  l'école  de  Florence.  Ceux-ci  étaient  surtout  des  dilettanti,  des  raffinés  d'art, 
plus  préoccupés  de  satisfaire  les  exigences  de  leur  raison  que  les  besoins  de  leur  cœur. 
Monteverde  lui,  s'adresse  au  cœur.  Il  parle  à  la  nature  vibrante  de  notre  être,  à  ce  qu'il 
y  a  de  tumultueux  et  de  spontanément  sensible  en  nous-mêmes.  Emouvoir,  en  étant 
ému,  telle  pourrait  être  la  formule  de  son  esthétique. 

Il  brise  les  formules  entassées  autour  de  lui  par  les  siècles.  Il  cherche  la  vérité  ex- 
pressive qu'il  atteint  toujours,  soit  par  l'accent  tragique  de  la  ligne  musicale,  soit  par 
T'mprévu  de  ses  combinaisons  de  timbres.  Il  semble  que  le  tissu  mélodique  soit  en  dé- 
calquage sonore  des  émotions  des  personnages  dont  il  reflète  les  tristesses,  les  joies  et 
l'amour.  L'orchestre  obéit  au  même  besoin  de  vérité.  Monteverde  fut  le  premier  à  soup- 
çonner tout  le  parti  expressif  que  le  musicien  pouvait  tirer  des  alliances  d'instru- 
ments. 

Il  y  aurait  amplement  à  dire  sur  cet  admirable  Orfeo.  Mais  que  le  lecteur  se  reporte 
lui-même  à  la  partition,  qu'il  la  lise  et  la  médite.  Il  reconnaîtra  que  Monteverde  était 
un  de  ces  tempéraments  dont  l'apparition  devait  déterminer  en  musique  une  orientation 
nouvelle  vers  un  idéal  renouvelé. 

Bonne  interprétation  sous  la  direction  de  M.  Fr.  de  Lacerda.  Mme  Legrand-Philip 
remporta  dans  le  rôle  de  la  Messagère  son  habituel  succès  :  elle  le  chante  avec  un  par- 
fait instinct  dramatique.  Mlle  Mary  Pironnay  chanta  avec  une  grande  expression  le  rôle 
de  Thétis  {Ballet  de  la  Royne)  et  fut  une  Musique  des  plus  émues  dans  VOrfeo.  Les 
rôles  de  Glauque  {Ballet  de  la  Royne)  et  de  Garon  (Orfeo),  furent  fort  bien  interprétés 
par  M.  Gébelin,  excellent  chanteur  au  goût  sûr.  M.  Bourgeois  s'acquitta  dignement  du 
rôle  d'Orphée.  Paul  Le  Flem. 


Société    Nationale 

La  Sonate  pour  piano  et  violon  de  M.  Joseph  Jongen,  exécutée  par  l'auteur  et  le 
violoniste  Chaumont,  a  été  très  sympathiquement  accueillie  par  le  public  de  la  Société 
Nationale.  Elle  méritait  cet  accueil,  et  même  un  peu  plus,  à  notre  avis  :  c'est  une  œuvre 
saine,  de  structure  intelligible  et  simple,  pleine  de  chaleur  et  .d'expansion,  sonnant  bien 
et  élégamment  écrite.  Peut-être  les  deux  thèmes  du  premier  morceau  manquent-ils  des 
qualités  contrastantes  qui  leur  sont  à  peu  près  indispensables  pour  éviter  la  confusion 
et  l'indétermination  dans  leurs  développements.  Le  morceau  lent  a  beaucoup  plu  par  sa 
grâce  et  sa  réelle  émotion,  mais  il  semble  que  le  rôle  du  piano  y  demeure  trop  limité  à 
celui  d'accompagnateur  ;  cette  légère  critique  ne  se  compense  pas,  croyons-nous,  par 
certains  débordements  de  virtuosité,  glissando,  traito  etc.,  qui  encombrent  sans  grand 
profit,  le  premier  morceau  et  surtout  le  final.  Il  y  a  dans  l'œuvre  très  estimable  de 
M.  Jongen  assez  de  musique  sincère  et  vraie  pour  bannir  l'emploi  de  ces  procédés  de 
concerto,  réservés  à  ceux  qui  n'ont  rien  à  exprimer. 

M.  Chaumont  nous  a  paru  un  interprète  de  premier  ordre,  et  tout  à  fait  adéquat  à 
l'œuvre  qu'il  présentait  au  public. 

On  nous  pardonnera  de  ne  pas  insister  sur  les  mélodies  de  M.  Bardac,  assez  peu 
perceptibles, 

«  Ce  sont  des  perles  que  je  te  rends  t 

avons-nous  cru  comprendre,  non  sans  quelque  perplexité  sur  la  classification  zoologique 

de    l'interlocuteur    auquel    pouvait    s'adresser     cette    singulière    restitution mais 

passons. 

L'œuvre  très  forte  et  très  colorée  de  Déodat  de  Séverac  En  Lan^ueJoc,  était  déjà  par- 
tiellement connue  des  habitués  de  la  Société  Nationale.,  mais  il  fallait  la  magistrale 
interprétation  de  Mlle  Selva  pour  donner  à  ses  peintures  musicales  à   la  fois  puissantes 


-  138- 

et  émues  le  relief  qu'elles  comportent.  Cette  audition  complète  s'imposait  depuis  long- 
temps, comme  s'est  imposée  elle-même,  par  sa  valeur  inestimable,  cette  «  œuvre  maî- 
tresse ))  de  notre  jeune  école  française  contemporaine. 

Le  Trio  de  Pierre  Coindreau  clôturait  dignement  cette  intéressante  soirée.  On  con- 
naît déjà,  mais  peut-être  insuffisamment,  cet  ouvrage  remarquable  par  son  impeccable 
construction.  Mlle  Selva,  infiniment  mieux  secondée  qu'à  la  première  audition,  avait  en 
MM.  Lejeuns  et  de  Bruyn  d'excellents  partenaires.  Le  morceau  lent,  contenant  le  véri- 
table scherzo,  nous  est  enfin  apparu  avec  sa  véritable  physi®nomie  tantôt  grave,  tantôt 
burlesque,  et  les  ingénieuses   combinaisons  rythmiques   du  final  ont  donné  leur  plein 

effet,  aussi  pittoresque  qu'original. 

A.  Sérieyx, 

Ijes  "Soirées  d'Art" 

2^  Janvier.  —  M.  Ghevillard  prêtait  son  concours  à  cette  séance.  Il  a  exécuté  avec 
M.  Lucien  Capet  sa  Sonate  -pour  piano  et  violon,  dont  je  ne  prétends  pas  révéler  aux 
lecteurs  du  Courrier  l'élégante  beauté.  M.  Ghevillard  ne  se  contente  pas  d'être  notre 
premier  chef  d'orchestre,  il  est  aussi  un  de  nos  meilleurs  compositeurs.  Et,  au  piano, 
quel  merveilleux  interprète  !  Il  a  su  rendre  les  joies,  les  tristesses  et  finalement  le  déses- 
poir du  Poète  de  Heine  et  Schumann,  autrement  que  ne  l'a  fait  Mlle  Charlotte  Lormont, 
avec  une  jolie  voix  et  des  nuances  délicates,  mais  avec  trop  de  préciosité.  Schumann 
demande  avant  tout  de  la  simplicité  et  de  la  sincérité.  De  plus,  malgré  l'habitude  prise, 
je  ne  conçois  pas  le  Dichterliebe  chanté  par  une  femme  :  confie-t-on  la  Vie  et  l'amour 
d'une  femilie  à  une  voix  masculine  ?  Ce  serait  le  même  contresens. 

On  a  applaudi  Mlle  Renié  dans  la  Fantaisie  pour  harpe  de  Saint-Saëns.  M.  Capet, 
avec  les  artistes  de  son  quatuor  auxquels  s'étaient  joints  MM.  Leduc,  Vizentini  et  Mas- 
sardo  nous  a  donné  une  superbe  exécution  du  Septuor^  de  Beethoven. 

/""  Février.  —  M.  Richard  Buhlig  paraît  sentir  profondément  les  oeuvres  qu'il 
interprète.  Son  goût  est  très  sûr.  Il  dédaigne  les  effets  faciles,  ce  dont  il  faut  le  louer 
tout  autant  que  de  son  mécanisme  excellent.  Mais  son  jeu  manque  vraiment  de  chaleur 
et 'de  vie.  II  est  par  moment  d'une  trop  grande  sécheresse.  Le  public  a  médiocrement 
goûté  les  Variations  et  fugue  sur  un  thème  de  Haendel  par  Brahms  ;  pour  ma  part,  je 
les  ai  trouvées  d'un  long  et  d'un  filandreux  !  Trois  œuvres  de  Chopin,  pourtant  assez 
connues,  VEtude  en  la  bémol  majeur^  la  Valse  en  ut  dièze  mineur  et  la  Barcarolle  plutôt 
vieillotte  ont  valu  à  M.  Buhlig  un  succès  plus  vif. 

On  attendait  avec  impatience  la  première  audition  d'un  cycle  de  mélodies.  Le 
Nouveau  printemps,  inspiré  à  M.  André  Messager  par  Henri  Heine.  Mme  Raunay, 
accompagnée  par  l'auteur,  a  chanté  ces  divers  morceaux  avec  sa  maestria  et  son  charme 
habituels.  Tous  deux  ont  été  très  applaudis.  M.  Messager  a  apporté  dans  la  composition 
du  Nouveau  Printemps,  ces  qualités  de  grâce,  de  finesse  et  d'élégance  qui  lui  permirent 
de  réaliser  ce  tour  de  force  :  écrire  des  opérettes  sans  tomber  dans  la  niaiserie  et  dans 
la  grossièreté.  Dans  ces  nouvelles  mélodies,  il  a  très  bien  su  rendre  le  sentiment  dou- 
loureux et  triste  qui  s'exhale  de  Heine.  La  mélodie  3  : 

Un  réseau  d'ombres  emprisonne 
Les  prés,  les  champs  et  la  forêt . 

est  un  petit  chef-d'œuvre. 

Mme  Raunay  a  chanté  également  V Absence  et  les  Stances  de  Roméo  et  Juliette 
(Berlioz).  On  a  redonné  le  Septuor  de  Beethoven  qui  a  été  exécuté  magistralement  par 
M.  Capet  et  les  artistes  qui  l'entouraient. 

8  février.  —  La  Sonate  pour  violoncelle  et    piano  de  Saint-Saëns  valut   à  M.  Has- 
selmans  et  à  Mlle  Long  des  applaudissements  mérités.   Des  œuvres    de  M.  Fa uré  com- 
plétaient le  programme.  Inutile  de  dire  l'attrait   que  présentait  cette  séance.  Mlle  Rosejj 
Féart  a  interprété  la.  Bonne  chanson,  accompagnée  par  l'auteur.  Des  vieillards  moroses 
prétendent  qu'on  ne  sait  plus  chanter  aujourd'hui.  Qu'ils  aillent  entendre  Mlle  Féart  II 


—  139  — 

Quant  à  la  musique,  elle  est  digne  des  vers   du  pauvre  Lélian.  Nous  savons  d'ailleurs 
combien  la  poésie  de  Verlaine  inspira  heureusement  M.  Fauré. 

Mlle  Long  fut  fort  appréciée  dans  le  Sixième  Nocturne  et  dans  la  Troisième  valse- 
caprice^  ce  fut,  pour  terminer,  une  exécution  émouvante  du  Dezcxième  quatuor  par  le 
maître  lui-même  entouré  de  MM.  Capet,  Bailly  et  Hasselmans. 

P. -S.  —  Une  horrible  coquille  dans  le  compte  rendu  de  «  la  Soirée  d'art  »  du  i8 
janvier  (numéro  du  i^'  février).  Au  lieu  de  :  «  le  célèbre  Ich  grolle  nicht  qu'on  finira 
par  déplorer  »,  lire  :  «  qu'on  finira  par  déflorer,  a 

Gabriel  Roughès. 


Quatuor  Parent 

La  séance  du  26  janvier  réunissait  des  oeuvres  très  différentes  de  Beethoven.  D'abord 
le  Quatuor  of.  18  n'  7,  charmant,  à  la  façon  de  Mozart,  puis  la  Sonate  pour  piano, 
op.  8ia  dite  les  «  Adieux  »  que  Mlle  Marthe  Dron  exécuta  avec  une  grande  correction 
mais  d'une  manière  que  l'oneûtsouhaitéeplus  personnelle,  et  trots  marches  pour  piano  à 
quatre  mains  op.  4^  qui,  par  leur  simplesse  étrange,  étonnent  et  détonnent  vraiment 
dans  l'œuvre  de  Beethoven  ?  le  souci  scrupuleux  qu'a  M.  Parent  de  présenter  intégrale- 
ment les  compositions  du  Maître  en  justifie  seul  l'audition  qui  fut  confiée  à  Mlle  Dron 
et  à  Mme  Landormy-Plançon.  Le  quatuor  Parent  qui  avait  montré  une  grande  légèreté 
d'archet  dans  l'op.  18  nous  donna  pour  terminer  une  excellente  exécution  du  célèbre  et 
merveilleux  Quatorzième  quatuor. 

Le  concert  suivant  comprenait  les  Variations  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  op. 
12  la  sur  le  lied  «  Ich  bin  der  Schneider  kakadu  ))  qui  rappelle  singulièrement  un  motif 
de  la  Flûte  Enchantée,  la  Sonate  pour  piano  et  violon  op.  23  n°  4,  et  le  Trio  op.  jo 
n°  I  d'une  inspiration  profonde  et  passionnée.  Mme  Landormy,  MM.  Parent  et  Fournier 
interprétèrent  ces  œuvres,  comme  toujours,  de  fort  intéressante  façon.  Enfin  Mlle  Delhez 
chanta  trois  lieder  «  Lied  aus  der  Ferne,  Die  laute  Klage,  Mignon  »,  dans  un  style  dis- 
cret, juste  et  distingué.  Edouard  Schneider. 


Les  Concerts  J.  Joachim  Nin 

On  se  souvient  de  la  très  intéressante  audition  donnée  l'an  dernier  à  la  salle 
^olian  par  le  jeune  pianiste  catalan  J.  Joachim  Nin,  dont  le  Courrier  Musical  a  pu- 
blié le  portrait  et  la  biographie,  dans  son  numéro  du  i"  janvier  1905.  Cette  audition 
était  la  première  d'une  série  de  douze,  ayant  pour  but,  dans  leur  ensemble,  «  l'étude  des 
formes  musicales  au  piano,  depuis  le  xvi°  siècle  jusqu'à  nos  jours  ». 

Pour  l'artiste,  malheureusement  éloigné  de  nous  pendant  plusieurs  mois  depuis  sa 
première  séance,  comme  pour  le  public,  qui  donna  de  si  vifs  encouragements  à  son 
entreprise,  cette  longue  mais  involontaire  interruption  est  tout  à  fait  regrettable.  Nous 
sommes  heureux  d'annoncer  qu'elle  va  prendre  fin  :  la  seconde  audition,  consacrée 
à  J.-S.  Bach,  aura  lieu  en  effet  dans  les  premiers  jours  du  mois  de  mars,  et  les  autrçs 
suivront  à  intervalles  rapprochés. 

Nos  lecteurs  apprendront  aussi  avec  intérêt  qu'en  raison  du  réel  su<îcès  de  sa  pre- 
mière tentative,  M.  Nin  l'a  renouvelée,  le  mois  dernier,  à  trois  reprises  différentes,  dans 
des  milieux  extrêmement  variés.  Fidèle  à  sa  foi  profonde  dans  l'efficacité  de  la  vulgari" 
sation  des  chefs-d'œuvre  de  l'art,  en  tout  temps  et  en  tout  lieu,  il  avait  accepté  notam- 
ment de  reproduire  presque  intégralement  le  programme  de  sa  première  séance,  à  une 
soirée  donnée  par  l'Université  Populaire,  en  son  local  du  faubourg  Saint-Antoine,  le  31 
janvier. 

On  sait  que  l'Université  Populaire  a  été  fondée,  il  y  a  quelques  années  par  M. 
Georges  Deherme,  lequel  dirigeait  en  même  temps  une  publication  intéressante,  mais 
un  peu  utopiquQ  de  tendances  :  la  Coopération  des  Idées. 

Cette  tentative  d'éducation  du  peuple  valut  à  son  loyal  directeur  d'amères  déeonve- 


—  140  — 

nues  :  dépossédé  de  sa  propre  entreprise  à  la  suite  de  perfides  manœuvres,  M.  Deherme 
se  retira,  et  l'Université  Populaire  ne  tarda  pas  à  s'orienter  vers  des  doctrines  anar- 
chiques  et  libertaires,  en  opposition  flagrante  avec  les  intentions  et  les  idées  de  son 
fondateur. 

Que  M.  Nin  nous  permette  ici  de  lui  exprimer  notre  étonnement  de  ce  que,  sans 
doute  à  la  faveur  de  son  ignorance  sur  le  fait  de  l'évolution  subie  par  ce  groupement,  il 
ait  cru  pouvoir  accepter  de  lui  apporter,  par  son  talent  si  sincère  et  si  loyal,  un  témoi- 
gnage implicite  d'approbation.  Nous  sommes  convaincus  que  sa  bonne  foi  a  été  surprise, 
et  que  sa  sympathie  véritable  allait  à  l'œuvre  initiale  et  non  à  sa  déformation   actuelle. 

Le  programme  de  la  soirée  du  31  janvier  est  connu  de  nos  lecteurs  :  Cabezon,  Scar- 
latti,  Couperin,  Rameau,  Kuhnau,  Haendel,  Bach,  pour  ne  citer  que  les  plus  grands 
noms,  ont  été  interprétés  avec  une  exacte  compréhension, et  unesûretédegoûtdont  nous 
connaissons  peu  d'exemples.  L'exécution  de  chaque  morceau  était  précédée  de  la  lecture 
d'une  notice  biographique  et  technique  sur  l'auteur  et  l'œuvre  jouée  ;  la  plupart  de  ces 
notices  ont  été  publiées  avec  le  programme  de  l'audition  de  l'an  dernier,  à  la  salle  vEo- 
lian  ;  à  la  prochaine  séance,  ce  programme,  réimprimé,  sera  distribué  avec  celui  des 
œuvres  deJ.-S.  Bach. 

Notre  simple  modestie  d'auteur  nous  oblige  à  ne  porter  aucun  jugement  sur  ces 
notices.  Nous  nous  demandons  toutefois  avec  quelque  incrédulité  si  la  plupart  des 
braves  auditeurs,  meilleurs  au  fond  que  les  idées  qu'on  leur  donne,  ont  pu  prendre  le 
moindre  intérêt  à  ces  arides  commentaires,  que,  certes,  nous  ne  leur  avions  nullement 
destinés. 

Mais,  si  notre  prose  les  laissa  indifférents,  il  n'en  fut  pas  de  même  de  la  musique. 
Les  qualités  exquises  du  jeune  pianiste  ont  imposé,  là  comme  ailleurs,  leur  inéluctable 
enchantement.  Bien  que  les  morceaux  les  plus  simples,  Sœur  Monique,  de  Rameau, 
Pièce  en  mi  majeur  de  Scarlatti  aient  été  en  général  les  plus  goûtés,  il  est  à  remarquer 
que  la  Fantaisie  chromatique  et  Fugue  de  J.-S.  Bach  a  valu  à  M.  Nin  un  véritable 
triomphe. 

Et  c'était  joie  et  tristesse,  tout  ensemble,  de  voir  par  instants,  sur  ces  visages  no- 
blement empreints  des  stigmates  du  travail,  une  expression  d'extase  supra-naturelle. 
Tant  la  puissance  de  l'idéal  divin,  contenu  dans  l'œuvre  d'art  et  transmis  par  l'inter- 
prète vraiment  digne  de  ce  nom,  demeure  souveraine  et  indestructible,  dans  les  âmes 
même  de  ceux  chez  qui  on  a  prétendu  en  effacer  jusqu'à  la  moindre  trace  ! 

A.  Sérieyx. 

CONCERTS  DIVERS 


Mlle  Andrée  Gellée.  —  Une  nouvelle  étoile  dans  le  firmament  déjà  si  brillant  des 
pianistes  nous  apparaît  en  Mlle  A.  Gellée. 

Cette  artiste  toute  jeune  encore,  presque  une  enfant,  nous  causa  un  étonnement 
admiratif  vite  changé  en  une  émotion  reconnaissante,  lorsqu'il  y  a  déjà  un  an  elle  osait 
affronter  le  public  pour  la  première  fois  avec  des  œuvres  de  Bach  et  V Aurore,  la  1 10  et 
la  1 1 1  de  Beethoven.  Ce  fut  alors  la  révélation  d'une  personnalité  où  la  profondeur  et 
la  tendresse  se  mêlent  à  un  sentimentalisme  un  peu  germanique  ;  d'un  tempérament  où 
toute  passion  humaine  semble  déifiée. 

On  n'y  trouve  pas  ces  grands  élans  de  joie  enthousiaste,  ces  émotions  irraisonnées 
qui  jaillissent  du  cœur  à  des  instants  imprévus  et  qui  rompent  les  digues  de  la  sagesse. 
Mais  on  est  envahi  par  ce  sentiment  de  bonheur  intime  qui  vous  pénètre  à  la  vue  de 
l'œuvre  d'art  où  tout  est  beau  et  pondéré. 

Et  les  moyens  techniques,  la  connaissance  du  clavier  que  possède  Mlle  A.  Gellée, 
sont  grands  au  point  de  lui  permettre  de  se  réaliser  ainsi. 

A  sa  deuxième  séance  du  29  janvier,  toute  consacrée  à  Beethoven,  elle  interpréta 
cette  œuvre  colossale  qu'est  la    106,  les  72  Variations  et  avec  Pabl©  Casais,  ce  grand 


—    141   ~ 

prêtre  de  l'art  qu'on  ne  peut  écouter  sans  le  recueillement,  le  transport  que  vous  inspire 
tout  ce  qui  est  surnaturel,  la  Sonate  en  ut  majeur. 

M.-L.    RiTTER. 

M.  Louis  Revel,  —  Le  violoncelliste  Louis  Revel  a  obtenu  un  très  franc  succès  au 
concert  qu'il  a  donné  le  31  janvier,  salle  des  Agriculteurs,  Très  beau  programme  ne 
comportant  pas  des  morceaux  à  effets  faciles  comme  les  violoncellistes  ont  trop  accou- 
tumé de  nous  en  faire  entendre,  mais  bien  des  œuvres  de  style,  et  même  la  première 
audition  d'une  Première  Suite  de  Caix  d'Hervelois  (xvii'  siècle),  délicieuse  œuvrette  en 
cinq  parties  appelée,  enfin,  à  devenir  la  proie  de  tous  les  violoncellistes.  C'est  encore 
dans  la  Première  Sonate  de  Bach  interprétée  dans  un  style  parfait,  ou  dans  les  difficul- 
tueuses  Variations  Symphoniques  de  Boëllmann,  le  beau  Lied  et  le  merveilleux  Trio  de 
V.  d'Indy  que  M.  L.  Revel  a  fait  preuve  d'une  très  sûre  technique  et  de  rares  qualités 
musicales  ;  il  était  d'ailleurs  très  bien  secondé  par  Mme  G.  Revel-Germain,  pianiste 
distinguée.  Des  mélodies  de  Louis  de  Serres,  les  Heures  Claires,  d'un  beau  lyrisme, 
apportaient  une  agréable  variété  dans  le  programme  -,  elles  ont  valu  à  leur  jeune  inter- 
prète, Mlle  L.  Braquaval,  le  succès  que  méritaient  sa  voix  généreuse  et  son  réel 
talent.  R-  C. 

M,  Ossip  Gabrilowitsch.  —  M.  Ossip  Gabrilowitsch  vient  de  donner  deux  séances 
à  la  salle  Erard.  La  première,  récital  de  piano,  nous  permit  d'applaudir  une  fois  de  plus 
le  talent  supérieur  qui  place  M.  Gabrilowitsch  parmi  les  premiers  pianistes  de  notre 
époque.  Deux  qualités  lui  sont  essentiellement  personnelles  :  la  sincérité  et  l'intelligence 
musicales,  et  aussi  une  sensibilité  tendre,  attristée,  féminine  sans  mièvrerie  qui  fait  de 
lui  un  incomparable  interprète  de  Chopin.  De  ce  récital  retenons  avant  tout  les  interpréta- 
tions successives  du  Prélude  et  Fugue  en  si  bémol  mineur  de  Bach,  la  Sonate  loç  de 
Beethoven,  la  très  belle  Rhapsodie  op.  i  ig  de  Brahms  et  la  Ballade  de  Grieg.  La  deuxième 
séance  était  consacrée  à  l'audition  d'œuvres  symphoniques  russes.  M.  Gabrilowitsch  s'y 
affirma  chef  d'orchestre  très  savant  et  très  habile.  Dans  la  Schéhérazade  de  Rimsky- 
Korsako  w,  dans  les  Steppes  de  Borodine,  dans  une  Ouverture  Rhapsodie  pleine  de  jeunesse 
et  de  fantaisie  dont  il  est  l'auteur,  il  sut  mettre  en  valeur  chaque  instrument,  obtenir  une 
unité  d'ensemble  et  une  harmonie  de  couleur  vraiment  remarquables.  Lui-même  exécuta 
le  Concerto  pour  piano  et  orchestre  op.  2j  de  Tschaïkowsky  qui  lui  valut  des  acclama- 
tions. La  virtuosité  de  cet  artiste  s'efface  toujours  devant  le  caractère  de  l'œuvre  à 
exécuter  et  c'est  une  profonde  et  noble  conscience  artistique  qu'il  faut  saluer  en 
M.  Ossip  Gabrilowitsch.  Edouard  Schneider, 

M.  Edouard  Bernard,  —  Nous  reviendrons  dans  notre  prochain  numéro  sur  les 
deux  concerts  donnés  le  7  et  le  12  Février  par  le  remarquable  pianiste  Edouard  Bernard, 
interprète  profond  de  Liszt  et  de  Franck.  P. 

Mlle  Germaine  Arnaud.  —  Une  véritable  révélation  que  ce  concert  de  Mlle  Arnaud 
qui  déchaîna  à  juste  titre  les  plus  enthousiastes  opinions.  Depuis  Germaine  Schnitzer, 
nous  ne  nous  souvenons  pas  d'avoir  apprécié  une  nature  musicale  aussi  intéressante, 
dans  les  jeunes  pianistes-femmes.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  se  pâmer  devant  certains  prodiges 
de  l'Etranger,  quand  nous  avons  chez  nous  une  enfant  de  quinze  ans,  possédant  un 
talent  si  complet  qu'un  pianiste  réputé  a  pu  dire  textuellement,  à  l'issue  du  concert  : 
«  Maintenant  je  n'ai  plus  qu'à  aller  travailler  ».  Assurance,  intelligence  artistique,  jolies 
recherches  de  sonorités,  doigts  merveilleux,  puissance  surprenante,  font  de  cette  petite 
une  pianiste  que  l'on  peut  hardiment  mettre  en  parallèle  avec  les  plus  appréciées  de  ses 
aînées.  La  place  nous  manque  pour  citer  l'intéressant  programme  qu'elle  interpréta, 
mais  nous  devons  dire  que  dans  le  Toccata  de  Saint-Saëns,  elle  égala  les  plus  grands 
virtuoses.  E.  G. 

Légation  de  Suède.  —  Au  cours  de  la  soirée  donnée  le  21  janvier  dernier  par  le 
Comte  Gyldeustophe  dans  l'hôtel  de  la  légation  de  Suède,  les  membres  de  la  colonie 
Suédoise,  réunis  pour  fêter  le  soixante-dix-septième  anniversaire  de  leur  Roi,  ont  eu 
la  bonne  fortune  d'entendre  un  beau  programme  musical,   interprété  par  des  artistes, 


—  142  — 

leurs  compatriotes.  Très  applaudis  :  Mlle  Emma  Holmstrand,  la  délicieuse  cantatrice, 
qui  a  soulevé  de  chaleureux  bravos,  dans  des  mélodies  de  Sjœgren  et  ufie  délicate  Pas-^ 
tourelle  de  Messager  ;  M.  Lundin,  l'excellent  harpiste  des  concerts  Lamoureux  et  le 
violoniste  Kjellstrom  dans  des  œuvres  de  Sjœgren,  Sarasate  et  Hubay.  Ils  se  sont  tous 
surpassés.  V. 

Société  moderne  d'instruments  a  vent. —  A  cette  première  séance  de  la  Société  mo- 
derne d'instruments  à  vent,  deux  auditions  importantes  d'oeuvres  de  ((  jeunes  ))  inédites. 
C'estun  Poème  Sylvestre  pour  double  quintette  à  vent  et  harpe  de  M.  D.  E.  Inghelbrecht 
et  Cinq  pièces  pour  instruments  à  vent  et  piano  de  M.  H.  Woollett.  De  ces  cinq 
pièces,  Prélude,  Romance,  Scherzo,  Nocturne,  Final,  quatre  seulement  purent  être 
jouées,  l'absence  du  cor,  M.  Capdevielle,  ayant  empêché  l'exécution  du  Nocturne.  M. 
Woollett  est  encore  trop  peu  connu  pour  son  grand  talent.  Il  est  peu  de  poèmes  où  il 
ait  mis  autant  de  charme  et  de  pensées  délicates,  que  dans  ces  œuvrettes  légères  de 
style,  exquisément  ouvragées. — Chaque  composition  nouvelle  de  M.  Inghelbrecht  affirme 
la  personnalité  d'un  artiste,  qui,  en  pleine  possession  de  la  technique  musicale  moderne, 
sait  être  largement  lui-même,  par  la  force  et  l'intransigeance  de  la  pensée.  Il  excelle 
délicieusement  dans  son  Poème  Sylvestre^  que  j'entends  pour  la  première  fois  ;  il  tra- 
duit en  lignes  parfaites,  évoque  magiquement  la  beauté  grecque  dans  ses  deux  Esquisses 
antiques  pour  flûte  et  harpe.  Que  les  interprètes  sont  donc  heureux  d'avoir  de  si  belles 
éhoses  à  jouer.  Mais  que  les  compositeurs  sont  donc  heureux  d'avoir  utl  interprète 
comme  M.  Blanquart  qui  traduit  avec  cette  intensité  de  passion,  cette  pureté  de  timbre, 
incomparables.  Son  succès  a  été  particulièrement  grand  dans  le  Soir  Payen  de  Georges 
Hue.  Je  né  veux  pas  négliger  de  dire  beaucoup  de  bien  du  délicat  Quintette  pour  instru- 
ments à  Vent  et  piano  de  Patrice  Devandhy, d'une  écriture  peut-être  un  peu  simpliste, et  je 
tné  garderais  bien  de  ne  pas  parler  des  nombreux  applaudissements  remportés  par  MM. 
Gâudàrd,  Leclercq,  Guyot,  Cahuzac,  EntraigUes  (remplaçant  M.  Gapdevislle),  Mellin, 
Flament,  Hermans,  dans  l'Andante,  le  Menuet  et  le  Final  de  VOôtuor  de  Beethoveti. 

B,  Masselon. 

Mlle  Yvonne  Péan.  —  Mlle  Péan  acquiert  chaque  année  plus  de  maîtrise  et  plus 
de  fougue.  Dans  les  œuvres  où  la  passion,  la  nervosité,  le  brio,  en  un  mot  où  la  fantai- 
sie doit  régner,  Mlle  Péan  excelle.  C'est  ainsi  qu'elle  a  remarquablement  interprété  la 
Sonate  (piano  et  violon)  d'Enesco  que  l'auteur  a  fait  valoir  superbement  au  violon.  De 
même  dans  un  Scherzando  de  M.  G.  Pierné,  Mlle  Péan  a  obtenu  le  plus  vif  succès.  Au 
même  concert,  la  voix  ample  et  bien  conduite  de  Mlle  Sirbain  a  été  fort  goûtée,  surtout 
dans  l'air  de  Rédemption,  H. 

Les  Intimités  d'Art  dont  Mme  Roger-Miclos-Battaille  enveloppe  tous  les  samedis 
à  3  heures  le  Théâtre-Royal,  deviennent  le  rendez-vous  des  plus  friands  de  la  bonne 
musique  alliée  à  l'atmosphère  mondaine  dont  Paris  a  le  secret.  Nous  n'avons  pu 
malheureusement  suivre  les  auditions  déjà  données  soUs  ce  titre  charmant,  mais  il  nous 
est  revenu  de  différents  côtés  que  le  plus  vif  succès  avait  accueilli  l'intelligente  entreprise 
de  Mme  Roger-Miclos.  D'ailleurs,  entourée  d'artistes  comme  Mmes  Hatto,  Astruc- 
Dorîa,  Du  Minil,  Kutscherra,  Cécile  Sorel,  Bréval,  etc.,  MM.  Johannès,  Wolff,  Enesco, 
Viardot,  Mounet-Sully,  Battaille,  G.  Touche,  etc.,  comment  Mme  Roger-Miclos,  dont  le 
nom  seul  suffirait,  pourrait-elle  douter  delà  réussite  des  "Intimités  d'Art"  ? 

V. 

M,  G.  Ekèsco.  —  Très  brillants,  très  «  smart  »,  les  deux  concerts  de  M.  G, 
Enesco  doivent  compter  parmi  les  plus  intéressantes  séances  de  musique  de  la  saison. 
C'est  d'ailleurs  «  la  semaine  Enesco  ))  que  l'on  vient  de  fêter  :  le  nom  du  remarquable 
musicien  figurait  en  effet  sur  la  plupart  des  affiches  de  concerts,  tant  comme  compositeur 
que  comme  violoniste;  nous  devons  ajouter  qu'il  aurait  pu  y  figurer  également  comme 
pianiste. M.  Enesco  est  admirablement  doué,et  laMusique,enpenséeoueninterprétation, 
fait  partie  intégrante  de  sa  nature.  Nous  reprocherons  peut-être  à  Enesco  d'avoir  composé 
ses  progi'afflmes  dans  un  esprit  voisinant  avec  celui  de  Kubelik,  c'est-à-dire  recherchant 


—  M3  — 

un  peu  trop  le  seul  èflfet  de  la  virtuosité  ;  mais  lorsqu'on  possède  une  si  merveilleuse 
agilité,  un  jeU  si  sûr  et  si  brillant,  comment  ne  pas  se  laisser  tenter  par  les  œuvres  qui 
les  font  valoir  !  Au  demeurant,  nous  avons  infiniment  goûté  la  majesté,  la  noblesse,  la 
puissance  et  l'émotion  dont  le  remarquable  artiste  a  fait  preuve  dans  la  Partita  en  si 
mineur  de  Bach.  R. 

Le  27  janvier,  à  la  salle  Gavaillé-Coll-Mutin,  récital  donné  par  M.  Paul  Pierné  sur 
l'admirable  instrument  qui  s'y  trouve  actuellement,  avec  un  programme  composé 
presque  uniquement  d'oeuvres  empruntées  au  recueil  de  pièces  d'orgue  de  MM.  PaUl- 
Lueien  Hillemacher,  récemment  paru  chez  Joanin  et  G".  Le  public  a  fait  le  plus  cha- 
leureux accueil  à  ces  pièces,  où  se  retrouvent  toutes  les  éminentes  qualités  de  facture  de 
ces  remarquables  mélodistes,  jointes  à  un  sentiment  très  moderne  du  recueillement  et 
de  la  méditation.  Il  appartenait  à  ces  intimistes  de  concilier  les  formes  les  plus  nou- 
velles de  la  musique  avec  cette  réserve  d'expression  qui  caractérise  tous  leurs  ouvrages 
et  qu'exige  impérieusement  la  composition  d'église.  Ils  ont  montré  par  là  que,  sans  être 
grégorien,  l'on  peut  écrire  de  la  musique  édifiante  et  pieuse,  ce  dont  nous  nous  doutions 
depuis  Parsifal^  sans  remonter  aux  maîtres  classiques.  Le  Prélude  en  forme  d'étude,  la 
Prière  et  les  Pastorales  nous  ont  particulièrement  séduits  par  leur  grâce  évangélique  et 
pénétrante  et  les  organistes  curieux  des  raffinements  les  plus  osés  pourront  adjoindre  ce 
recueil  à  leur  répertoire,  sans  crainte  d'attenter  à  la  dignité  du  temple  et  avec  la  certi- 
tude de  charmer  toutes  les  oreilles  musicales. 

J.  d'UDINE. 

L'abondaiîce  des  matières  nous  oblige  à  reporter  au  prochain  nuiriéro  les  ((  SoHa-^ 
tières  et  les  alentours  »  ainsi  que  les  correspondances  de  :  Angers^  Montpellier, 
Bruxelles  et  Londres. 


Le  Mouvement  musical  en  Province  el  à  l'Étranger 


LYOIV.  —  Si  par  hasard  fuyant  vers  son  cher  Lavandou,  l'auteur  de  Sigurd  a  pris 
fantaisie  le  24  décembre  dernier  de  stationner  à  Lyon  pour  se  glisser  dans  la  salle 
des  Folies-Bergères,  il  a  dû  Se  rappeler  avec  quelque  remords  un  malheureux 
feuilleton  du  23  avril  187^  où  après  dix  colonnei  consacrées  à  la  Marie-Madeleine  d'un 
certain  Massenet,  il  mentionnait  en  vingt  lignes  hâtives  la  première  audition  de  Rédemp- 
tion de  M.  César  Franck...  L'œuvre  n'avait  recueilli  d'ailleurs  aucun  succès.  Ah  !  que 
Mme  de  Thèbes  aurait  été  bien  inspirée  en  soufflant  ce  jour-là  au  critique  musical  du 
Journal  des  Débats  les  bonnes  phrases  de  son  feuilleton  !  Oui,  ce  24  décembre  1905, 
Rédemption^  grâce  aux  soins  pieux  d'un  disciple  du  maître  vénéré  fut  exécuté  à  Lyon 
avec  le  plus  grand  succès  et  le  29  décembre  une  seconde  audition  du  chef-d'œuvre  de- 
vait être  donnée  devant  une  salle  nombreuse  où  fraternisaient  nombre  d'auditeurs  de 
la  veille. 

Dieu  merci  !  nous  avons  progressé  depuis  le  23  avril  1873  :  nous  ne  sommes  plus 
au  temps  où  Gabriel  Fauré  se  voyait  attribuer  les  Rameaux,  grâce  à  une  fâcheuse 
homonymie  ;  les  Marie-Madeleine  ne  transportent  plus  les  foules  tout  au  moins  au 
concert  sérieux  et  quelqu'un  en  dehors  des  bons  pensionnats  se  souvient-il  que  Gounod 
écrivit  une  partition  de  nom  similaire  de  celle  qui  nous  occupe  aujourd'hui  ? 

On  connaît  le  sujet  de  philosophie  élevée  proposé  par  M.  Ed.  Blau,  le  librettiste 
regretté,  tout  dernièrement  disparu,  à  l'inspiration  de  Gésar  Franck  :  l'antique  rachat 
du  monde  païen  par  la  venue  de  Jésus  et  le  rachat  nouveau  du  genre  humain  retombé 
dans  les  erreurs  du  paganisme  par  la  prière  fervente.  Get  austère  sujet  où  intervien- 
nent les  voix  des  célèbres  annonciateurs  du  pardon  divin  était  fait  pour  tenter  l'âme 
religieuse  du  maître,  et  il  nous  a  valu  une  œuvre  d'une  sincérité  d'expression  et  d'ins- 
piration sublime  Vraiment  uniques.  La  foi  Yraie  déborde  dans  cette  musique  et  la  qua- 


—   144  ~ 

lité  d'émotion  éprouvée  à  son  audition  est  d'une  essence  si  particulière  que  nous  cher- 
chons vainement  de  quelle  œuvre  une  telle  partition  pourrait  être  rapprochée.  Notons 
que  ce  sont  précisément  les  passages  où  la  foi  religieuse  inspire  directement  César 
Franck,  où  sa  pensée  d'artiste  est  pénétrée,  baignée  pour  ainsi  dire  de  mysticisme, 
que  l'expression  musicale  resplendit  de  la  plus  fière  beauté  :  tels  les  chœurs  des  anges 
d'une  suavité  indicible,  l'admirable  air  de  l'archange  «  Les  rois  dont  vous  vantez  la 
gloire...  ))  où  se  sent  toute  l'extase  d'une  adoration,  l'air  d'une  pureté  de  ligne  et  d'ex- 
pression toute  classique  de  la  deuxième  partie  ((  Le  flot  se  lève...  »  Voyez  dans  le  chœur 
qui  termine  la  première  partie  comme  l'inspiration  se  relève  d'un  point  de  départ  peut- 
être  un  peu  vulgaire  a  Devant  la  loi  nouvelle...  »  et  devient  d'une  qualité  plus  rare 
dès  que  la  musique  peut  préciser  le  sens  intimement  religieux  des  paroles  qui  l'inspi- 
rent ;  voyez  en  particulier  les  phrases  dites  pianissimo  par  les  voix  :  «  Le  monde  est 
prosterné...  »,  «  Noël  voici  l'aurore...  »  enchâssées  avec  amour  dans  cet  ensemble  où 
elles  forment  avec  les  autres  parties  un  contraste  voulu.  En  revanche  les  chœurs  qui 
voudraient  exprimer  toute  la  joie  des  sens  sont  un  peu  secs  d'inspiration  :  Franck 
n'était  à  l'aise  qu'au  Paradis  ! 

L'exécution  de  YOratorio  de  Franck  fut  excellente  avec  les  chœurs  de  la  Schola  très 
bien  disciplinés,  où  l'on  ne  put  signaler  que  quelques  hésitations  du  côté  des  voix 
d'homme,  avec  Mlle  de  la  Rouvière  dont  le  grand  talent  donna  au  rôle  de  l'archange 
toute  sa  puissance  et  son  charme,  et  l'orchestre  qui,  notamment,  exécuta  splendidement 
la  symphonie  merveilleuse  qui  ouvre  la  deuxième  partie.  M.  Witkowski  dirigea  cette 
œuvre  d'absolue  beauté  avec  une  maîtrise  unanimement  admirée.  Le  concert  comprenait 
en  outre  la  curieuse  ouverture  de  la  Belle  Mélusine  de  Mendelssohn,  puis  un  air 
à^ Hippolyte  et  Aricie  de  Rameau  et  la  délicieuse  Phidylé  de  Duparc,  chantés  excellem- 
ment par  Mlle  de  la  Rouvière. 

Troisième  concert  de  l'abonnement.  —  La  Symphonie  en  fa  dièze  mineur  d'Haydn 
et  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Mozart,  suivis  du  Prélude  à  l'après-midi  d'un  Faune  de 
Claude  Debussy  ;  voilà  le  savoureux  contraste  que  M.  Witkowski  avait  médité  sur  le 
programme  du  21  janvier  !  Ce  fut  un  charme  inexprimable  de  savourer  les  raffinements 
exquisement  voluptueux  de  la  page  célèbre  de  Debussy  après  la  musique  aimablement 
vieillotte  du  père  de  la  Symphonie.  Avec  quelle  souplesse  précise,  quelle  entente  étudiée 
des  sonorités  M.  Witkowski  conduisit  cette  œuvre  d'extrême  difficulté  :  ce  fut  merveil- 
leux. Dirons-nous  que  le  Concerto  de  Mozart  ne  distilla  pour  nous  qu'ennui  mortel  ? 
Tant  pis  si  notre  franchise  semble  un  sacrilège.  Il  fallait  tout  le  grand  talent  de  M.  de 
Greef  pour  rendre  supportables  des  pages  que  beaucoup  se  croient  obligés  d'admirer  de 
confiance,  rassurés  par  l'étiquette.  M.  de  Greef  joua  seul  les  Arabesques  de  Schumann 
et  le  Caprice  de  Saint-Saëns  sur  les  airs  de  ballet  d'Alceste.  Son  jeu  très  fin  confine 
par  instant  à  la  préciosité,  mais  la  sonorité  obtenue  sur  le  clavier  reste  toujours  déli- 
cieuse. Nous  aurions  aimé  voir  cet  artiste  aux  prises  avec  quelque  grande  page  de  la  lit- 
térature du  piano,  les  Variations  symphoniques  de  Franck,  par  exemple,  au  lieu  de 
l'entendre  fignoler  des  pages  d'album  délicieuses,  mais  trop  connues.  Nous  savons  que 
ce  ne  fut  pas  la  faute  de  l'éminent  organisateur  du  concert  qui  se  heurta  à  des  difficul- 
tés tout  à  fait  imprévues.  Le  programme  qui  comportait  outre  la  Symphonie  citée,  très 
finement  détaillée,  la  charmante  Pavane  de  Fauré,  se  terminait  par  l'ouverture  du 
Vaisseau- Fantôme,  vibrante  musique  qui,  sous  la  baguette  de  M.  Witkowski,  resplendit 
d'une  façon  vraiment  enthousiasmante. 

Les  grandes  auditions  dont  nous  venons  de  parler  ne  doivent  point  nous  faire  ou- 
blier des  séances  plus  modestes  mais  intéressantes  à  plus  d'un  titre  :  tel  le  récital  exquis 
offert  par  la  Revue  musicale  de  Lyon  où  Mme  de  Lestang,  rare  musicienne  et  pianiste 
parfaite,  interpréta  un  programme  qu'un  de  Greef  aurait  peut-être  hésité  à  accepter 
{Aria  de  Franck,  Paysage  de  Chausson,  pièces  des  Tableaux  de  paysage  de  d'indy, 
Sanate  de  Lekeu,  Pavane  pour  une  infante  défunte  et  Jeux  d'ea:-ix  de  Ravel);  telle  la 
séance  où  Mlle  Pironnet,  premier  prix  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  un  jeune  talent 
plein  de  promesse,  exécuta  avec  l'aide  de  l'archet  de  M.  Pironnet  l'excellent  pro- 
fesseur, la  belle  Sonate  de  Silvio  Lazzari  et  la  Sonate  en  sol  de  Mozart  ;   tel    le   dernier 


—  '45  — 

concert  de  la  Symphonie  lyonnaise  dirigée  par  M.  Mariotte  où  nous  applaudîmes  de 
bonnes  exécutions  de  la  Procession  nocturne  de  H.  Rabaud,  du  Prélude  du  quatrième 
acte  de  Messidor,  ainsi  que  la  première  audition  d'une  mélodie  d'un  de  nos  compatrio- 
tes M.  Benoît,  les  Vagues,  oeuvre  très  soignée,  d'une  orchestration  mélancolique  un 
peu  grise. 

Au  Grand  Théâtre,  de  brillantes  reprises  de  Lohengrin  et  de  Tannhaûser  avec 
Mmes  Jannsen  et  Kutscherra  ont  été  suivies  de  Sibéria,  l'opéra  de  Giordano  représenté 
à  Paris  l'an  dernier  au  cours  de  la  saison  italienne.  L'œuvre  ne  semble  pas  devoir  sur- 
vivre à  trois  ou  quatre  représentations  :  c'est  un  insuccès  bien  mérité. 

P.  L. 

B OROEAUX»  —  Les  trois  pretniers  concerts  de  la  «  Société  Sainte-Cécile  »,  — 
Les  trois  premiers  concerts  de  la  Société  Sainte-Cécile  sont  loin  d'avoir  présenté 
un  égal  intérêt.  La  Société  tend  à  faire  connaître  au  public  Bordelais  à  la  fois  les 
plus  importantes  parmi  les  œuvres  des  maîtres  anciens  et  modernes  et  les  principaux 
artistes  exécutants  en  renom.  Aussi  tous  les  programmes  font-ils  une  part  à  peu  près 
égale  à  la  symphonie  et  au  concerto.  Comme  la  Société  Sainte-Cécile  a  un  sens  très 
élevé  de  l'hospitalité,  il  arrive  parfois  qu'elle  néglige  volontairement  le  reste  de  son  pro- 
gramme, pour  permettre  à  l'exécutant  concertiste  de  recueillir  la  plus  belle  part  du 
succès.  Le  fait  semble  s'être  produit  pour  le  second  concert. 

Celui  du  26  novembre,  le  premier  de  la  saison  comportait  la  Symphonie  héroïque 
de  Beethoven  dont  l'adagio  et  le  scherzo  furent  particulièrement  bien  exécutés  par  l'or- 
chestre de  M.  Pennequin.  Les  Carillons  blancs  et  Carillons  noirs,  composition  pour 
huit  harpes,  inspiré  à  M.  Saint-Quentin  par  la  lecture  des  Cloches  matinales  de 
d'Auriac  et  des  Cloches  mélancoliques  de  Beaudelaire  et  exécutée  par  quatre  jeunes  filles 
vêtues  de  blanc  et  quatre  jeunes  filles  vêtues  de  noir,  a  laissé  froid  les  auditeurs  Borde- 
lais. La  belle  page  des  Murmures  de  la  Forêt,  qui  venait  immédiatement  après  la  com- 
position de  M.  Saint-Quentin  a  vite  fait  d'effacer  l'impression  fâcheuse  produite  par 
les  huit  harpistes  et  l'excellente  interprétation  donnée  par  l'orchestre  a  obtenu  un  très 
légitime  succès.  Dans  le  Concerto  en  la  «"  /  de  Saint-Saëns,  dans  la  Paraphrase  sur 
un  thème  arabe  de  Lenormant  et  dans  Haba7iera  de  son  frère  César,  M.  Albert  Geloso 
nous  a  permis  d'apprécier  ses  fortes  qualités  de  virtuose  et  d'artiste. 

Le  talent  de  M.  Liégeois  fut  à  peu  près  seul  digne  de  remarque  dans  le  concert  du 
10  décembre.  M.  Liégeois  interpréta  avec  infiniment  de  délicatesse  le  Concerto  en  ré 
pour  violoncelle  de  Lalo,  et  fut  aussi  très  goûté  dans  V Adagio  de  Boccherini. 

Le  programme  comportait  en  outre  la  Deuxième  symphonie  en  ré  majeur  de 
Brahms,  très  bien  rendue  par  l'orchestre.  Venaient  ensuite  un  poème  symphonique 
de  M.  G.  Marty  :  Nuit  d'été,  puis  une  cantate  de  Saint-Saëns  :  Feu  Céleste,  dans  la- 
quelle se  sont  fait  entendre  les  voix  fraîches  des  élèves  de  la  Société.  Enfin,  intéressant 
rapprochement,  deux  thèmes  d'inspiration  religieuse  :  le  Psaume  de  Marcello  (1686- 
1737,  «  Cœli  ennarant  gloriam  Dei  »  réalisé  et  orchestré  par  M.  Pennequinetl'ft  Alléluia 
du  Messie  »  de  Hsendel. 

En  somme,  malgré  la  bonne  exécution  des  diverses  parties,  ce  deuxième  concert 
n'a  laissé  qu'une  impression  de  froide  correction.  Des  œuvres  honnêtes  se  sont  succé- 
dées sans  qu'il  s'en  dégageât  une  idée  saillante  et  la  Société  Sainte-Cécile  fut  souvent 
plus  heureuse  dans  la  composition  de  ses  programmes. 

Le  troisième  Concert  donné  le  24  décembre  fut  dans  son  ensemble  beaucoup  moins 
monotone  que  le  précédent.  Il  débutait  par  la  deuxième  symphonie  en  si  bémol  de  Vin- 
cent d'Indy.  OEuvre  très  curieuse,  fortement  charpentée,  où  de  nombreuses  duretés 
s'allient  à  une  recherche  d'originalité  poussée  parfois  jusqu'à  l'extrême.  OEuvre  puissante 
d'ailleurs.  Cette  symphonie  est  toute  empreinte  des  tendances  de  l'école  moderne,  et  il  était 
bon  qu'elle  figurât,  à  titre  d'enseignement,  au  programme  des  Concerts  Sainte-Cécile. 
Très  vit  et  très  légitime  a  été  le  succès  obtenu  par  M.  Féline  dans  le  Rondo  Capricioso 
pour  violon  de  Saint-Saëns.  M.  Féline  possède  un  joli  talent.  11  a  joué  ce  morceau  avec 
une  parfaite  délicatesse  d'expression,  beaucoup  de    souplesse   et   d'entrain.    L'orchestre 


—  146  — 

de  M.  Pennequin  mérite  d'être  particulièrement  félicité  pour  la  verve  et  l'ampleur  qu'il 
a  déployées  dans  l'exécution  de  la  Suite  en  si  mineur  de  Bach.  C'est  Mme  Clotilde 
Kleeberg,  artiste  plusieurs  fois  admirée  à  Bordeaux,  que  la  Société  Sainte-Cécile  nous 
procurait  le  plaisir  d'entendre  dans  la  partie  concerto  de  son  programme.  Dans  le  Con- 
certo en  si  bé^nol  majeur  pour  piano  de  Mozart  et  dans  V Introduction  et  V Allegro  Appa- 
sionato  (op.  92)  de  Schumann,  Mme  Kleeberg  recueillait  une  fois  de  plus  les  applaudis^ 
sements  qui  lui  ont  toujours  été  justement  prodigués  dans  notre  ville. 

L'intensité  du  mouvement  musical  s'affirme  à  Bordeaux,  cette  année  comme  les 
précédentes,  par  la  multitude  des  concerts  de  second  ordre,  plus  modestes  que  ceux  de 
la  société  Sainte-Cécile,  mais  intéressants  à  bien  des  égards. 

Il  convient  de  rappeler  l'intelligente  initiative  prise  par  la  Chanterelle.  Sous  le 
titre  «  Les  Cinq  écoles  »  c'est  un  essai  pour  vulgariser  dans  une  série  de  concerts-cau- 
series les  principaux  chefs-d'œuvre  des  grandes  écoles  de  musique.  Les  séances  de 
cette  année  sont  consacrées  à  l'école  allemande. 

La  direction  du  Grand-Théâtre  a  affirmé  ses  tendances  artistiques  dans  la  repré- 
sentation de  la  Datnnatïon  de  Faust  et  de  ï Anniversaire,  d'Adalbert  Mercier. 

P.  B. 

R.LEANS»  —  Concert  Cortot-Blanc.  —  Le  pianiste  Cortot,  ainsi  que  Mlle  E. 
Blanc,  ont  été  très  applaudis.  M.  Cortot  est  un  grand  pianiste  et  un  artiste 
consciencieux  :  il  le  prouva  en  particulier  dans  l'exécution  de  la  Fantaisie  en  sol 
mineur  de  J.-S,  Bach  et  dans  le  Carnaval  de  Schumann.  Mlle  Eléonore  Blanc  chante 
admirablement,  mais  je  ne  pensais  pas  qu'elle  eût  à  son  répertoire  Ouvre  tes  yeux  bleus 
et  autres  mélodies  véritablement  trop  connues. 

Concert  Achard-Luquin.  —  Mlle  Achard  est  une  virtuose  de  la  harpe  Erard,  elle 
joue  très  artistiquement  de  la  musique  bien  banale.  Le  Quatuor  Luquin  nous  a  donné 
une  froide,  mais  noble  interprétation  du  Neuvième  Quatuor  de  Beethoven  et  de  VAn- 
dante  con  variazoyii  du  quatuor  en  ré  mineur  de  Franz  Schubert.  Un  Quititette  pour 
harpe  et  quatuor  (trop'écrit  spécialement  pour  la  harpe,  et  cela  au  détriment  du  senti- 
ment musical)  de  M.  Destenay  a  été  très  bien  enlevé. 

Le  public,  malheureusement  trop  peu  nombreux,  a  fait  un  excellent  accueil  aux  très 
excellents  artistes. 

Concert  Heurteau  (audition  annuelle).  ■ —  Mlle  Heurteau  a  donné  avec  le  concours 
de  ses  meilleurs  élèves,  un  concert  consacré  presque  exclusivement  aux  oeuvres  de  Ch. 
René  avec  des  mélodies  et  une  Ode  musicale,  forme  à  la  Gounod,  intitulée  les  Lende- 
mains de  la  vie.  M.  Ed.  Mignan  était  au  piano,  l'auteur  dirigeait  les  interprètes  (Mlle 
Heurteau,  Poirier.  M.  Riche)  et  les  choeurs  excellents. 

Concert  Boucherit.  —  Peu  de  grandes  œuvres  étaient  inscrites  au  programme, 
sauf  le  deuxième  Trio  de  Mendelssohn  :  de  nombreuses  petites  pièces  charmantes,  ai- 
mables faisaient  les  frais  du  concert.  Parmi  les  compositeurs  représentés,  MM.  Th. 
Dubois  et  Delsart  étaient  en  bonne  place  ;  c'est  dire  3  quelle  fête  artistique  nous  étions 
conviés  !...  M.  Boucherit  était  accompagné  de  Mlle  Madeleine  Boucherit  (pianiste)  et  Mme 
Boucherit-Larronde  (violoncelliste). 

Mme  Auguez  de  Montalant  a  toujours  une  voix  délicieuse,  éternellement  jeune, 
fraîche  et  charmante. 

Société  des  Coyicerts  populaires.  —  Au  premier  concert,  nous  eûmes  à  entendre  de 
nombreux  solistes  et  très  peu  d'orchestre.  La  Suite  Algérienne  de  C.  Saint-Saëns  et 
la  Symphonie  d'Haydn  (la  Surprise)  représentaient  la  musique  orchestrale  :  l'exécu- 
tion de  ces  œuvres  fut  suffisante,  rien  de  plus;  et  j'ajouterai  que  M.  Dumont  conduisit 
très  bien  l'orchestre. 

Mme  Mellot-Joubert  prêtait  son  concours  à  ce  concert  avec  trois  instrumentistes 
(hautbois,  clarinette,  basson)  :  MM.  Costes,  Hue,  Carlin.  Je  déplore  que  ces  trois  bons 
musiciens  n'aient  pas  suivi  pour  la  composition  de  leur  programme,  l'exemple  de  la 
Société  des  Instruments  à  vent  dirigée  par  Barrère  et  qu'ils  aient  cru  nécessaire  de  faire 
admirer  leur  virtuosité  remarquable  avec  des  soli  de  concerts  rococos,  démodés  et  anti- 


—  «47  — 

ihiisîcaux  (jîetit-on  encore  ati  xx'  siècle  exécuter  en  piiblîc  une  fantaisie  sur  le  Pré  aux 
Clercs  !).  Ils  ne  nous  donnèrent  comme  œuvre  vraiment  belle  que  le  Trio  pour  haut- 
bois, clarinette  et  basson  de  Beethoven  d'une  sonorité  très  originale,  d'une  structure 
solide  et  d'une  noble  inspiration  qu'ils  interprétèrent  d'une  manière  très  clas- 
sique. M.  Porte  accompagnait  le  concert. 

Société  J .-S.  Bach  ( i"'  année).  —  MM.  G.  Rabani  et  Ed.  Mignan  ont  entrepris  une 
tâche  énorme  :  fonder  à  Orléans  une  Société  Bach  afin  de  faire  connaître  le  grand  can- 
tor.  Sans  argent,  presque  sans  éléments  mais  avec  des  bonnes  volontés,  ils  y  ont  réussi 
et  déjà  dans  la  salle  J.-S.  Bach,  deux  concerts  ont  été  donnés  avec  plein  succès,  l'un 
avec  orchestre  et  chœur,  l'autre  consacré  à  la  musique  de  chambre. 

M.  G.  Rabani  a  été  un  chef  d'orchestre  précis,  scrupuleux,  soucieux  d'une  exécu- 
tion irréprochable,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  pages  musicales  aussi  remarquables.  M. 
Ed.  Mignan  est  un  fervent  de  Bach  et  a  tenu  l'orgue  avec  son  autorité  habituelle. 

Voici  les  programmes  de  ces  deux  séances,  ils  prouveront  que  la  persévérance  et  la 
foi  artistique  font  des  miracles  et  ils  témoigneront  des  progrès  que  fait  le  goût  musical 
sous  l'influence  des  saines  et  salutaires  propagandes  : 

Ouverture,  en  ut  majeur,   pour  orchestre  : 

Laudamus  te,  de  la  messe  en  si  mitieur 

Concerto  pour  piano  en  ré  mineur. 

Cantate  Brick  dem  Huncrrig^en  den  Brod.  FrangeSe. 


IIÈGE*  —  Reprenant  l'ancienne  dénomination  à' Association  des  Concerts  -popu- 
laires^ fondée  jadis  par  Eug.  Hutoy,  à  laquelle  S.  Dupuis  fit  succéder  les  Nou- 
À  veaux  Concerts.,  MM.  Delsemme  et  Debeive  la  reconstituèrent  en  igoô,  et  jusqu'à 
l'année  dernière  ces  messieurs  en  dirigèrent  alternativement  les  concerts. 

M.  Delsemme  s'étant  retiré,  M.  DebefVe  reste  donc  seul  responsable  de  l'entreprise 
artistique  et  matérielle,  ce  dont  il  faut  lui  savoir  gré  car  seul,  cet  orchestre  inscrit  cha- 
que année  plusieurs  œuvres  nouvelles  ou  inconnues. 

Le  premier  concert  qui  eut  lieu  le  i6  décembre  comprenait  un  programme  d'œuvres 
assez  rarement  jouées,  notamment  la  Huitième  Symphonie  de  Beethoven,  dont  la  ligne 
mélodique  du  premier  morceau  ne  fut  pas  toujours  très  apparente  ;  V Allegretto  et  le 
Menuet  simulant  une  vigoureuse  entrée  de  danse  rustique  aussitôt  entremêlée  d'une 
mélodie  gracieuse  et  reposante.  Quant  au  final,  l'esprit,  plus  que  la  lettre,  fut  réalisé, 
car  la  sérieuse  difficulté  de  rendre  ces  frémissements  de  tierces  et  sixtes  délicatement 
perceptibles,  tolèrent  une  certaine  réserve  dans  la  critique. 

En  Saga,  la  seconde  œuvre  de  J.  Sibélius  qu'il  nous  est  donné  d'entendre, apparaît 
semblable  à  un  fond  sonore  sur  lequel  des  thèmes  folkloriques,  le  plus  souvent  d'une 
sauvage  rudesse  ou  d'une  ténuité  excessive  forment,  avec  des  rythmes  de  danses  exoti- 
ques une  mosaïque  intéressante  et  colorée.  L'impression  d'une  seule  audition  et  l'absence 
au  programme  de  renseignements  plus  précis  sur  ce  poème  symphonique  ne  nous  permet 
de  le  considérer  que  sous  l'aspect  très  accusé  d'une  œuvre  rapsodique. 

Un  compositeur  belge  figurait  aussi  au  programme  avec  une  Rapsodie  Canadienne 
d'une  facture  plus  familière  et  qui  vibre  des  sonorités  amples  et  énergiques  de  l'orches- 
tration de  Paul  Gilson. 

Pablo  Casais,  le  soliste  de  tout  premier  ordre  que  nous  avions  eu  le  plaisir  d'admi- 
rer pour  la  première  fois  s'est  imposé  par  des  qualités  remarquables  de  musicien  et  de 
celliste.  Dans  l'inégal  Concerto  de  Dvorack  le  grand  artiste  a  mis  à  le  traduire  une  con- 
viction de  musicien  profondément  attaché  à  l'œuvre,  qui  renferme,  certes,  de  bien  belles 
pages.  Confiant  en  sa  supériorité,  P.  Casais  n'a  pas  craint  de  changer  la  coutume  en 
jouant  l'œuvre  de  virtuosité  d'abord,  et  en  la  faisant  suivre  de  VElégie  si  pénétrante  de 
G.  Fauré,  de  Kol  Nidrei  de  M.  Bruch  exécutés  avec  une  élévation  de  style  peu  com- 
mune qui  fut  vivement  appréciée.  Aussi  le  brillant  accueil  qui  lui  fut  fait  l'engagea-t-il 
à  jouer  en  bis  plusieurs  pièces  sans  accompagnement  de  J.-S.  Bach  ;  peut-être  voulut-il 


—  148  — 

éprouver  le  public  liégeois  !  maÎG,  expérience  ou  non,  celui-ci   fut  enchanté  et    le  succès 
de  Casais  considérable. 

Mentionnons  en  passant  le  concert  de  la  distribution  des  prix  du  Conservatoire 
avec,  comme  mets  principal,  la  réaudition  de  la  Cantate  inauourale  de  l^ Exposition, 
de  M.  Radoux.  Ensuite  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns  joué  avec  le  méca- 
nisme clair  et  perlé  de  Mlle  Heusent,  et  celui  en  Sol  mineur  de  M.  Bruch  exécuté  cor- 
rectement par  le  violoniste  Piery. 

* 

L'«  Ecole  libre  de  musique  »  de  Liège  fondée  récemment  par  quelques  professeurs 
de  la  ville  a  pris  prétexte  de  l'installation  d'un  nouveau  professeur  pour  organiser  une 
séance  musicale  à  laquelle  ils  ont  tous  participé. 

Le  programme  comprenait  la  Folia  de  Corelli  jouée  par  E.  Fassin,  l'air  Diane 
impitoyable  de  Gluck  chanté  par  I.  Henrotte,  la  première  Ballade  de  Chopin  par 
L.  Henry  et  le  premier  allegro  du  Concerto  exécuté  par  le  violoncelliste  A.  Dechesne  ; 
le  tout  précédé  d'un  petit  discours  prononcé  par  M.  Dwelshauvers,  professeur  à  l'Uni- 
versité et  titulaire  de  la  chaire  du  cours  d'esthétique  ajouté  à  l'a  Ecole  libre  ». 

La  leçon  inaugurale  promet  un  cours  intéressant,  car  il  est  confié  à  un  physicien 
doublé  d'un  musicien  et  critique  autorisé. 

F.  M. 

IEIPZIO»  —  Ces  dernières  semaines  nous  avons  eu  de  nouveau  énormément  de 
musique.  Je  ne  cite  que  les  choses  plus  importantes  :  au  Gewandhaus  nous  enten- 
J  dîmes  comme  presque  nouveauté  la  Symphonie  en  ut  mineur  (n°  8)  de  Bruckner 
exécutée  magnifiquement  sous  la  direction  de  Nikisch,  une  œuvre  splendide  dans  la- 
quelle on  reconnaît  à  fond  la  pensée  et  le  génie  du  grand  compositeur.  Les  Béatitudes 
de  César  Franck  furent  moins  goûtées.  Le  librettoest  d'abord  déplorable  et  la  partition 
musicale  n'appartient  pas  aux  meilleures  œuvres  que  le  maîti'e  a  données  ;  c'est  une 
musique  très  mélodieuse,  mais  aussi  trop  douceâtre  et  qui  fatigue  à  cause  de  son  ho- 
mophonie  continuelle. 

La  Fête  de  Mo:iart  nous  fit  entendre  la  symphonie  Jupiter  et  l'ouverture  de  laFlûte 
enchantée.  Cari  Reinecke  joua  avec  Fritz  von  Rose  le  concerto  mi  hémol  majeur  pour 
deux  pianos  et  reçut  des  ovations  très  chaleureuses.  Le  public  salua  le  vieil  artiste  avec 
enthousiasme. 

Dans  les  derniers  Concerts  philharmoniques  on  donna  aussi  de  Bruckner,  la  Sym- 
phonie n°  4  qui  fut  accueillie  avec  beaucoup  de  faveur.  Le  poème  symphonique  d'or- 
chestre Résurrection  et  dernier  Jugement  par  G.  von  Reusler  n'eut  aucun  succès.  Pas  à 
tort,  car  le  componiste  aspire  à  des  choses  extraordinaires  sans  avoir  pour  cela...  la 
force  nécessaire  dans  l'invention  ni  la  maîtrise  technique.  Le  capellmeister  Winderstein 
aussi  arrangea  une  fête  digne  de  Mozart.  Il  faut  lui  savoir  gré  de  nous  avoir  fait  con- 
naître la  très  jeune  violoncelliste  Marg.  Caponsacchi  de  Genève,  un  très  grand  talent 
qui  promet  beaucoup. 

C'est  la  musique  de  chambre  qui  offrit  le  plus  d'intérêt  :  au  Gewandhaus  parut  Sin- 
ding  avec  son  nouveau  quatuor  en  la  mineur  qui  ne  me  plût  qu'à  moitié  ;  Joseph  Pembaur 
joua  la  partie  de  piano  du  trio  de  Volkmann  avec  un  sentiment  fin  et  poétique,  et  en 
E.  von  Dohnany  nous  fîmes  la  connaissance  d'un  nouveau  maître  du  piano.  Ce  dernier 
participa  à  la  fête  de  Mozart  où  nous  entendîmes  le  quatuor  en  sol  mineur,  un  Diverti- 
mento  et  un  Quintette  avec  instruments  à  vent.  La  Société  de  concerts  des  Instruments 
anciens  de  Paris  y  débuta  avec  un  succès  tout  à  fait  extraordinaire;  Mmes  Casadessus- 
Dellerba  et  Marg.  Delcourt,  MM.  H.  et  M.  Casadessus  et  Ed.  Nanny  donneront  une  su- 
perbe interprétation  de  compositions  anciennes  sur  les  instruments  correspondants. 

Le  Boehmische  Quartett  nous  a  organisé  une  fête  de  Mozart  si  belle  qu'on  ne  peut 
rexprimcr  ;  avec  le  concours  de  MM.  les  professeurs  Suchy  et  Schubert  nous  enten- 
dîmes les  quintettes  de  Mozart  en  ut  majeur  et  la  majeur  (celui-ci  avec  clarinette)  et  le 


—    I4Q  — 

quatuor  de  piano  en  sol  mineur  exécutés  d'une  manière  parfaite.  M.  Pr.  von  Bose  était 
au  piano  avec  Pel.  Berber  et  le  professur  Klcngel,  il  joua  à  une  autre  soirée,  outre  le  trio 
pour  piano  en  ut  majeur  de  Brahms,  le  trio /a  majeur  de  Georges  Schumann  et  une  so- 
nate ya  majeur  sympathique  et  très  charmante  quant  aux  thèmes  pour  piano  et  cello,  de 
Stephan  Krehl. 

La  Société  de  musique  internationale  et  la  Moc^art  Gemeinde  se  réunirent  pour  une 
fête  Mozart.  Au  programme  :  des  compositions  de  musique  de  chambre,  des  lieder,  des 
duos,  et  aussi  la  jolie  fantaisie  Die  Dorfmusikornten,  Les  Musiciens  de  village,  une 
symphonie  de  paysans. 

Les  violonistes  Jos.  Achron,  K.  Klein  et  Ai.  Rebner  ne  purent  intéresser  que  par- 
tiellement. Mischa  Elman  se  fit  applaudir  de  nouveau  d'une  manière  enthousiaste  et  eut 
d'immenses  succès  ;  M.  H.  Solomonojf  élève  de  talent  de  Hanss  Sitt,  et  Mlles  Hell  Fe- 
rehlanr  et  Hel.  Fûrst  furent  bien  accueillies.  Ces  dernières  jouaient  avec  un  beau  succès 
des  compositions  originales  de  Bach,  Mozart,  Spohr,  Sinding  et  Juon.  M.  Klengel 
célébra  dans  un  concert  très  réussi  son  jubilé  de  trente  ans  d'artiste. 

Parmi  les  récitals  de  piano,  je  cite  un  concert  très  intéressant,  Ballades  eX.  Légendes 
de  M.  Joseph  Pembaur  pianiste  de  talent,  où  l'on  entendit  les  œuvres  de  Brahms.  Cho- 
pin, Liszt.  Jos.  S/ùoms/iv  fit  de  nouveau  fureur  grâce  à  sa  technique  extraordinaire. 
Léo  Kestenberg  étonnait  assez  avec  l'intention  de  jouer  seulement  des  arrangements 
pour  piano.  La  jeune  pianiste  viennoise  Marg.  Rccdel  fit  preuve  de  talent. 

M.  Egidy,  de  Berlin,  a  donné  dans  l'église  de  Saint-Nirol  (Nikoldikirshe)  un 
concert  d'orgue  et  a  remporté  un  succès  artistique  avec  le  concours  de  la  cantatrice  Anna 
Stephan  qui  fut  très  favorablement  appréciée. 

Quant  aux  concerts  d'église, les  deux  premiers  concerts  du  Bachverein  intéressèrent 
surtout  ;  on  y  entendit  quatre  cantates  de  Bach  et  V Oratorio  de  Noël  assez  bien  exécu- 
tés ;  et  au  deuxième  concert  du  Riedelverein  eut  lieu  une  belle  exécution  de  la  grande 
Messe  en  ut  mineur  par  Mozart. 

A  citer  également  quelques  séances  de  lieder  de  Mme  Mysz-Gmeiner,  de  M.  R.  von 
Zur-Mùhlen  et  M.  Ludwig  Wûllner.  On  s'est  bien  étonné  que  ce  dernier  prodiguât  son 
talent  pour  nous  faire  entendre  des  mélodies  tout  à  fait  insignifiantes  de  Otto  Vrieslan- 
der  et  qu'il  leur  consacrât  une  soirée  entière. 

Eugen  Segnitz. 


LE  CAIRE.  —  Heureux  mortel  que  ce  correspondant  viennois  du  Courrier  Musi- 
cal qui  se  trouve  embarrassé  de  ne  pouvoir  donner  une  idée  de  ce  qui  se  passe  de 
la  vie  musicale  dans  une  quinzaine,  tellement  sont  nombreux  les  concerts  !  Ici 
c'est  tout  à  fait  le  contraire  ;  malheureusement,  dans  une  ville  aussi  riche  et  mouve- 
mentée que  Le  Caire,  la  musique  chôme.  Depuis  un  mois  nous  n'avons  eu  que  deux 
concerts,  et  encore...  ! 

M.  P.  Loredan,  de  passage  ici,  a  donné  un  récital  de  piano  dans  le  Grand  Salon  du 
Savoy  Hôtel.  Au  programme  :  Fantaisie  ejt  D  mineur  de  Mozart  ;  Sonate  op.  2 y  de 
Beethoven,  interprétée  autrement  que  nous  avions  l'habitude  de  l'entendre  parles  grands 
maîtres.  Rondo  Capriccioso  de  Mendelssohn,  Mouvement  perpétuel  de  Weber,  Préludes, 
Berceuse  et  Fantaisie  de  Chopin,  //  trémolo  de  Gottschalk  ;  malgré  toutes  les  difficul- 
tés dont  ce  morceau  est  hérissé,  Loredan  a  réussi  à  le  jouer  beaucoup  mieux  que  les 
autres  oeuvres.  Enfin  avec  le  S/ o/scawy'é/ats  de  Henselt,  la.  Bacchanale  et  Rigoletto 
de  Liszt  clôturèrent  le  concert. 

Maintenant,  si  Loredan  n'a  pas  su  captiver  tout  son  auditoire,  il  en  a  charmé  un 
grand  nombre.  Il  est  malheureux  qu'il  fasse  souvent  concession  au  maniérisme,  sans 
cela  on  doit  reconnaître  en  lui  une  remarquable  personnalité  artistique. 

Le  second  concert  de  la  quinzaine  donné  par  Mme  Bonucci  Carlesimo,  fut  pour 
nous  une  occasion  d'applaudir  une  pianiste  de  grande  valeur.  Parmi  les  numéros  du 
programme  :  Gigue  en  sol  de  Scarlatti-Cesi  ;  Thème  en  fa  avec  variations  de  Mozart, 
Fugue  en  la  mineur  (Tarentelle)  de  Bach,  Roi  des  Aulnes  de  Schubert  et  Liszt,  Sonate 


—  150  — 

op.  2j  é&   Beethoven,    Préludes.^   Nocturnes.   Etudes   de   Chopin,  Grande  Marche  mili- 
taire de  Schubert-Taussig,  etc. 

Dans  tous  ces  morceaux,  Mme  Bonucci  Carlesimo  a  montré  de  belles  qualités  musi- 
cales et  a  su  se  faire  apprécier.  L'interprétation  de  Chopin  a  été  simplement  admirable. 
Le  public  lui  a  fait  une  ovation  chaleureuse  et  bien  méritée. 

On  annonce  l'arrivée  prochaine  en  notre  ville  du  jeune,  mais  déjà  célèbre  violoniste, 
Serato,  de  Berlin,  que  nous  avons  tant  applaudi  l'année  passée.  Nous  attendons  aussi 
le  Quatuor  Fitzner,  de  Vienne. 

Vahram. 


Concerts  Hijnoncés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 
Février 
15     La  Société  des  Instruments  à  vent,  à  4  h. 

Mme  Jeanne  Arger, 

Mlle  Alice  Goguey. 

La  Société  nationale  de  musique. 

M.  Joseph  Debroux. 

M.  David  Blitz. 

Mme  Monteux-Barrière. 

M.  Daniel  Herrmann. 

Mme  Marie  Bétille. 

Mme  Camille  Chevillard,  à  i  h. 

Mlle  Hélène  Laye. 

M.  Théo  Delacroix. 

Salle  des  Quatuors 

18  Mlle  Mélet,  à   i  h. 

24  Mlle  d'Albos  et  J.  Dumas. 
28     Le  Quatuor  Calliat. 

Salle  Erard 

15  Les  élèves  de  M.  Jonardon. 

16  Mme  Marty. 

17  Mlle  Th.  Roger. 

|8  Les  élèves  de  Mme  Girardin  iV^archal, 

19  Mme  Veyron-Lacroix. 

20  MM.  Feuillard  et  Willaume. 

21  M.  V.  Stavb. 

22  La  Société  chorale  d'amateurs. 

23  Mlle  Capoccetti. 

25  Les  élèves  de  M.  Dimitri. 

26  Mme  Schultz-Gangain. 
28     Mlle  H.  Picot. 


Salle  des  Agriculteurs 

Février. 

:5     Les  Soirées  d'Art  (Concerts  Barrau). 

20     Société  Philharmonique  (A.  Sistermans,  A.  Cor- 

tot,  Pablo  Casais). 
22     Les  Soirées  d'Art. 

M.  Francis  Thibaud. 

M.  A.  Bachmann. 


24 

25 


Schola  Cantorum 


23     4"  Acte  d'Hippolvte  et  Aricie  (Rameau). 

2"  Acte  A'Ipbigénie  en  Tauride  (Glûk). 
26     Mlle  Blanche  Selva  (œuvres  de  Bach). 

Salle  JSolian 

15  Mme  Landormy-PIançon. 

16  Le  Quatuor  Parent. 
19     Mme   Panthès. 

21     Le  Quatuor  Lejeune. 

23  Le  Quatuor  Parent. 

Salle  de  l'Union 

21     Société  J.-S.  Bach.  (Mme  Panthès,  MM.  Widor 
et  Enesco). 

Ambigu 

21     Anciennes    matinées  Danbé,  4  h.  ij?, 

Théâtre-Royal  (rue  Royale) 

17  Les  Intimités  d'Art,  à  3  h. 

24  id. 


—  151  — 

ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FR A  NCE 


Deux  Concerts  de  gala  à  l'Opéra.-— M.  Dujardin-Beaumetz  a  autorisé  M.  Gailhard, 
directeur  de  l'Opéra,  à  s'entendre  avec  M.  Gabriel  Astruc,  directeur  de  la  Société  Mu- 
sicale, pour  l'organisation,  dans  la  grande  salle  de  l'Opéra,  de  deux  concerts  sensation- 
nels qui  auront  lieu  à  la  fin  du  mois  d'avril.  Ces  deux  concerts  seront  donnés  sous  la 
direction  du  célèbre  chef  d'orchestre  Félix  Weingartner  et  sous  le  patronage  delà  Société 
des  Grandes  auditions  musicales  de  France,  dont  la  présidente  est  M™"  la  comtesse  Grel- 
fulhe.  Nous  pouvons  dire  dès  à  présent  que  M.  F.  Weingartner  conduira  cette  fois  en- 
core les  Symphonies  de  Beethoven  qui  lui  ont  valu  l'an  dernier  un  véritable  triomphe 
au  Nouveau-Théâtre. 

A  l'Opéra.  —  Les  études  d'Ariane,  le  grand  ouvrage  nouveau  de  MM.  Catulle 
Mendès  et  Massenet,  commenceront  à  l'Opéra  dès  le  i"''  mars.  Entre  temps,  ainsi  que 
nous  l'avons  déjà  annoncé,  l'Opéra  remettra  à  la  scène  l'Etranger,  de  M.Vincent  d'Indy 
et  fera,  ensuite,  une  reprise  des  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg, 

Au  Nouveau-Théâtre.  —  On  commence  à  répéter  le  Clown,  l'opéra  de  MM.  de 
Camondo  et  Victor  Capoul,  qui  passera  dans  les  premiers  jours  d'avril. 


Salle  Pleyel  :  Deux  séances  de  musique  française  donnée  par  Daniel  Hermann  les 
22  février  et  g  mars.  Première  ^séance  :  œuvres  de  César  Franck,  Gabriel  Pierné  et 
Henri  Rabaud,  avec  le  concours  de  Mlles  Boutet  de  Monvel,  Eléonore  Blanc,  MM.  Ga- 
briel Pierné  et  Paul  Krauss.  Deuxième  séance  :  œuvres  de  Gabriel  Fauré  avec  le  con- 
cours de  l'auteur. 

Alberto  Bachmann  donnera  le  dimanche  25  février  prochain,  à  la  Salle  des  Agricul- 
teurs, un  concert  uniquement  composé  de  ses  œuvres  pour  piano  et  violon. 


La  Société  de  Musique  de  Chambre  pour  Instruments  à  vent  (fondée  en  187g  par  P. 
Tafifanel)  donnera  trois  séances  à  la  Salle  Pleyel,  les  i",  15  et  2g  mars  à  4  heures  de 
l'après-midi.  Aux  programmes  :  œuvres  classiques  de  Haydn,  Beethoven  et  Brahms 
et  des  œuvres  modernes  de  Th.  Dubois,  Perilhou,  Hue,  Lazzari,  Sporck,  etc. 

Le  mardi  20  février,  à  g  heures,  salle  Erard,  séance  de  musique  de  chambre  par 
MM.  V^illaume  et  Feuillard,  avec  le  concours  de  Mlle  H.  Renié,  MM.  C.  Chevillard, 
Monteux  et  Morel.  Au  programme  :  le  Trio  de  Mlle  H.  Renié,  la  Sonate  (piano  ,et  vio- 
loncelle) de  Chevillard,  le  quintette  de  Schumann. 


Trois  séances  de  musique  de  chambre  seront  données  à  la  salle  des  Fêtes  du  Jour- 
nal les  mardis  6  et  20  mars,  le  mercredi  4  avril,  par  les  Concerts  SaïUer. 

La  dernière  séance  du  Lied  français,  fondation  de  Mme  de  Valgorge,  exclusive- 
ment consacrée  aux  œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger,  a  mis  une  fois  de  plus  en  lumière  le 
talent,  si  souple  et  si  caractéristique  de  cet  éminent  compositeur  qui  s'est  montré  vir- 
tuose de  premier  ordre  en  exécutant  ses  œuvres  pour  piano  ;  ses  mélodies  furent  inter- 
prétées à  ravir  par  d'excellents  artistes  :  Mlle  Elphège  Barroux,  soprano  à  la  voix  si 
pure,  Mlle  de  Ligny,  Mme  Cosset,  le  magnifique  contralto,  Mlle  Lehmann,  M.  Berthier, 
à  la  basse  puissante. 

M.  Maurice  Lévy  vient  d'être  désigné  comme  chef  d'orchestre  du  Théâtre  Sarah- 
Bernhardt  (direction  Galmettes), 


—    152   — 

.M.  Camille  Saint-Saëns  vient  d'achever,  sur  le  poème  de  Sébastien-Charles  Leconte. 
la  composition  musicale  de  l'œuvre  qu'il  destine  à  la  célébration  du  troisième  centenaire 
de  Corneille.  Cette  œuvre  sera  exécutée  à  l'Opéra. 


Après  avoir  remporté  un  triomphe  inouï  à  Berlin  (7  bis  dont  la  Chaconne  de  Bach',, 
le  maître  Eugène  Ysaye  s'est  rendu  à  Bucarest  où  la  reine  lui  a  remis  la  croix  de  Coni- 
mandeur  de  la  Couronne  de  Roumanie,  puis  à  Vienne,  où  il  a  joué  devant  trois  mille 
auditeurs.  Paris,  qui  n'a  pas  reçu  la  visite  du  grand  artiste  depuis  la  saison  1903-1904, 
pourra  le  fêter  à  son  tour  dans  les  deux  séances  qu'il  doit  donner  au  Nouveau-Théâtre 
les  lundi  19  et  mercredi  38  mars  à  9  heures  du  soir.  Au  programme  :  Bach,  Mozart. 
Beethoven,  Saint-Saëns,  Chausson,  Rimsky-KorsakoflF,  Max  Bruch.  L'orchestre,  sous 
la  direction  de  M.  Georges  Marty,  sera  exclusivement  composé  de  membres  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire. 


On  nous  écrit  que  M.  Arthur  De  Greef  se  propose  de  faire,  en  une  série  d'auditions 
publiques  à  Bruxelles,  toute  l'histoire  de  la  littérature  du  piano,  qu'il  a  esquissée,  il  y  a 
quelques  années,  dans  ses  mémorables  séances  de  la  salle  Pleyel,  à  Paris. 

Il  commencera  cet  hirer  par  plusieurs  séances  consacrées  aux  primitifs  du  clavier, 
Frescobaldi,  Merulo.  Gibbons,  Bird,  Couperiiî,  Scarlatti,  jusques  et  y  compris  Jean- 
Sébastien  Bach. 

Puis  viendront  Haydn,  Mozart  et  leurs  contemporains. 

Une  année  entière  sera  consacrée  à  Beethoven,  dont  il  exécutera  les  y  2  sonates  et  les 
5  concerti. 

Les  romantiques  Schumann  et  Weber  feront,  avec  Mendelssohn,  Chopin  et  Liszt, 
l'objet  d'une  quatrième  série. 

Enfin  une  cinquième  série  comprendra  les  modernes,  notamment  Grieg,  Saint- 
Saëns,  César  Franck. 

La  Société  Bach  d'Heidelberg  a  donné  dernièrement  un  concert  uniquement  consa- 
cré à  la  musique  française.  Il  y  avait  au  programme  Harold  en  Italie  de  Berlioz,  Y  Ap- 
prenti sorcier  de  M.  Paul  Dukas,  Napoli,  extrait  des  hnpressions  d'Italie  àt  M.  Gustave 
Charpentier,  et  des  mélodies  chantées  par  Mme  Faliero-Dalcroze. 


Angers. —  Deux  séances  de  musique  de  chambre,  données  à  quinze  jours  de  distance, 
permirent  à  MM.  Arcouët  et  Bilewski  d'affirmer  encore  leurs  sympathiques  talents.  Le 
programme  de  la  première  séance  comprenait  le  neuvième  Quatuor  de  Beethoven,  dont 
MM.  Mambriny,  Chapelier,  Bailly  et  Becker  firent  un  tout  satisfaisant,  puis  le  Quin- 
tette de  Saint-Saëns  où  M.  Arcouët  se  surpassa  lui-même,  jouant  avec  un  art,  une  so- 
briété et  un  sentiment  musical  remarquables.  Les  auditeurs  lui  firent  une  véritable 
ovation  après  une  éblouisssante  interprétation  deV  Etude  en  forme  de  l'a/se  (Saint-Saëns) 
d'une  Toccata  (Sgambati)  et  de  VEtude  en  ut  dièze  mineur  (Chopin).  A  la  deuxième 
séance  :  un  Quatuor  de  Mozart,  une  Suite  pour  instruments  à  cordes  et  piano  du  xvn" 
siècle,  d'un  haut  intérêt  rétrospectif,  et  M.  Bilewski,  expressif  à  souhait  dans  la  Romance 
en  fa  (Beethoven)  et  révélateur  de  précieuses  qualités  de  mécanisme  dans  un  fragment 
d'un  Concerto  de  Vieuxtemps  et  dans  les  AîVs  Tziganes  de  Sarasate. 

EvA. 


Toulouse.  —  Le  théâtre  du  Capitole  vient  d'offrir  à  son  public,  la  primeur  d'un 
ouvrage  inédit,  un  drame  lyrique  en  un  acte,  Amaryllis,  dont  l'auteur  n'est  rien  moins 
que  M.  André  Gailhard,  fils  du  directeur  de  l'Académie  nationale  de  musique,  lequel 
était  présent  à  la  solennité.  Bon  accueil  a  été  fait  à  la  partition  du  jeune  compo- 
siteur. 

Montpellier.  —  La  première  représentation  de  la  Troupe  Jolicœur.,  à  Montpellier, 
a  pris  fin  au  milieu  des  applaudissements  enthousiastes  et  des  ovations  unanimes  à 
l'adresse  d'Arthur  Coquard.  Musique  très  moderne,  mais  restant  toujours  claire  et  mé- 
lodique, ce  qui  explique  qu'elle  atteigne  le  public  simple  aussi  bien  que  les  raffinés. 
Nous  avons  le  droit  de  nous  en  réjouir,  le  Courrier  Musical  ayant,  en  toute  occasion 


—  153  — 

affirmé  sa  haute  sympathie  pour  le  talent  de  M.  Arthur  Coquard,dont  le  poème  Norvège 
vient  d'avoir  un  si  magnifique  succès  aux  concerts  Lamoureux. 


Marseille.  —  UAssociation  artistique  vient  de  fêter  sa  vingtième  année  d'exis- 
tence et  de  donner  son  500"  concert.  A  cette  occasion,  M.  André  Gouirand,  l'un  des 
derniers  présidents,  a  retracé,  dans  une  brochure,  l'historique  de  l'Association,  depuis 
sa  fondation,  en  i885,  jusqu'à  maintenant  :  on  y  peut  suivre,  pas  à  pas,  le  développe- 
ment et  la  prospérité  croissante  de  cette  institution  qui,  à  l'heure  actuelle,  sous  la  pré- 
sidence d'honneur  de  M.  Paul  Fournier,  (dont  l'influence  a  été  si  heureuse  à  tous  points 
de  vue),  sou-s  la  présidence  effective  de  M.  Arthur  Michaud,  le  «président  sympathique  » 
et  grâce  à  la  direction  artistique  de  M.  Gabriel  Marie,  l'éminent  chef  d'orchestre,  est  un 
des  éléments  principaux  de  la  vie  musicale  en  France. 

Nous  publierons  très  prochainement  un  article  d'ensemble  sur  tous  les  concerts  de 
la  saison  actuelle. 

Monte-Carlo.  —  L'ouverture  de  la  saison  lyrique  est  toujours  un  événement  artis- 
tique qui  fait  accourir,  en  foule,  tout  ce  que  le  littoral  compte  de  personnalités  mon- 
daines et  artistiques.  La  première  soirée,  consacrée  à  Tannhaûser  fut  une  vraie  réu- 
nion de  gala,  que  rehaussait  la  présence  de  S.  A.  S.  le  prince  Albert  de  Monaco,  sous 
le  haut  patronage  de  qui  est  placée  toute  la  saison  d'opéras. 

Dès  le  début  de  la  représentation  le  public  fut  conquis  par  l'éclat  et  l'ingéniosité  de 
la  mise  en  scène  :  le  Vénusberg,  avec  ses  déchaînements  de  bacchanale,  ses  fantasma- 
gories décoratives,  ses  apparitions  de  rêve,  ne  fut  qu'un  long  éblouissement.  Toute 
l'œuvre,  d'ailleurs,  était  montée  avec  un  art  merveilleux  et  une  vie  remarquable. 

Les  quatre  principaux  rôles  furent  interprétés  magnifiquement  :  M.  Van  Dyck,  le 
héros  wagnérien  par  excellence,  est  un  admirable  Tannhaûser,  dont  la  voix  superbe,  la 
diction  nette,  le  style  irréprochable  et  la  passion  vibrante,  ont  soulevé  l'enthousiasme, 
de  même  que  l'on  a  acclamé,  dans  le  rôle  de  Wolfram,  le  grand  chanteur  et  le  grand 
comédien,  M.  Renaud.  Mlle  Farrar  a  chanté  et  joué  le  rôle  d'Elisabeth  avec  un  charme 
et  une  puissance  incomparables.  Et,  dans  le  rôle  de  Vénus,  Mlle  Lindsay  fit  applaudir 
sa  magnifique  voix  et  sa  suprême  séduction  de  belle  déesse. 

M.  Lequien  fut  un  landgrave  de  noble  allure  ;  M.  Ananian  a  remarquablement 
chanté  le  rôle  de  Betterhof.  Les  trois  Grâces  étaient  délicieusement  représentées  par 
Mlles  Cavini,  Charbonnel  et  Legrand. 

Les  chœurs  et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  ont  brillamment 
concouru  à  l'éclat  de  cette  belle  soirée.  Quant  aux  décors,  de  M.  Visconti,  et  de  M. 
Eugène  Frey,  pour  les  projections  lumineuses  à  transformations,  ils  ont  fait  l'admira- 
tion unanime  du  public. 

—  La  première  représentation  de  Mademoiselle  de  Belle-lsle^  de  Spiro  Samara, 
vient  d'avoir  lieu  le  6  février  avec  grand  succès.  Nous  en  reparlerons. 

—  Voici  les  dates  des  prochaines  représentations  :  le  Roi  de  Lahore,  de  Massenet 
(13,  15,  17),  —  VAncétre,  de  C.  Saint-Saëns  (création),  24,  25,  27  février,  3  mars;  — 
Mefisto/ele,  de  Boïto  ;  puis  viendront  \  Don  Procofio,  de  Bizet  ;  Paillasse,  Don  Carlos, 
de  Verdi  ;  la  Vie  de  Bohême,  le  Démon,  de  Rubinstein. 

—  Les  Grands  Concerts,  que  dirige  si  magistralement  M.  Léon  Jehin,  attirent  en 
masse  le  public  mondain  qui  ne  se  lasse  pas  d'admirer  la  superbe  exécution  des  œuvres 
classiques  et  modernes. 

ha.  Symphonie  fantastique  et  la  marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux,  que 
M.  Léon  Jehin  a  conduites  en  grand  artiste,  avec  une  vie  très  intense  et  une  magnifique 
passion,  ont  valu  de  triomphales  acclamations  à  l'éminent  chef  d'orchestre. 

On  a  vivement  applaudi  un  exquis  poème  symphonique  de  M.  G.  Gracie,  Sommeil 
d'enfant,  et  les  fragments  symphoniques  des  Pécheurs  de  Saint-Jean,  de  M.  Widor. 

Un  jeune  pianiste,  M.  Enrico  Toselli,  a  remporté  un  brillant  succès  dans  le  Con- 
certo en  la  mineur  de  Grieg  et  des  pages  de  Chopin  et  Liszt  où  s'est  affirmée  sa  remar- 
quable virtuosité. 

Nécrologie.  —  Nous  apprenons  avec  regret  la  mort  de  M.  Henri-Louis-Charles 
Duvernoy,  né  à  Paris,  le  16  novembre  1820.  Il  avait  fait  au  Conservatoire  une  carrière 
exceptionnellement  brillante,  obtenant  successivement  les  premiers  prix  de  solfège,  de 
piano,  d'harmonie,  d'orgue  et  de  fugue,  et  enfin  le  second  prix  de  Rome. 


—  154  — 

BIBLIOGRAPHIE 


Die  Musik,  Sammlung  illustrierter  Einzeldarstellungen,  herausgegeben  von  Ri- 
chard Strauss.  —  Berlin,  Bard,  Marquardt  et  C",  petit  in  i6,  s.  d.  —  I,  Beethoven^ 
von  August  Goellerich,  2'°  Auflage,  lV-85  p.  12  pi.  —  V,  Bayreuth,  von  Hans  von 
Wolzogen,  81  p.  21  pi.,  I  fac-similé. —  VII,  Zur  Geschichte  der  Programm-Musik^  von 
Wilhelm  Klatte,  67  p.,  16  pi.  —  IX,  Die  russische  Musik^  von  Alfred  Bruneau,  ubertra- 
gen  von  Max  Graf,  III-51  p.,  13  pi. 

Ce  sont  de  très  séduisants  petits  volumes,  élégamment  imprimés,  ampleipent  illus- 
trés et  très  variés  quant  au  sujet,  tout  en  se  rattachant  à  un  plan  général  qu'expliqua 
M.  Richard  Strauss  dans  l'introduction  du  premier  volume,  et  que  l'on  peut  ainsi  résu- 
mer :  l'art  est  un  produit' de  la  civilisation  ;  sa  mission  n'est  pas  d'exister  en  soi,  dans 
l'isolement,  mais  d'apporter  un  témoignage  de  la  civilisation  des  divers  temps  et  des 
divers  peuples;  longtemps  absorbée  dans  le  dogme  de  la  forme,  la  science  a  tenu  le 
contenu  vital  de  la  musique  enfermé  dans  un  livre  scellé  de  sept  sceaux.  Il  n'en  est  pas 
de  même  aujourd'hui.  L'histoire  des  maîtres  et  de  leurs  œuvres,  étudiée  déjà  dans  un 
grand  nombre  d'écrits,  soit  trop  scientifiques,  soit  sans  rattachement  l'un  à  l'autre,  a  mon- 
tré le  lien  qui  relie  l'art  à  la  vie,  mais  il  est  temps  d'étendre  aux  masses  cette  connaissance, 
en  leur  offrant  une  série  d'essais  traitant  séparément,  d'une  façon  généralement  acces- 
sible, de  toutes  les  parties  essentielles  de  la  musique.  Pour  ouvrir  une  telle  publication, 
il  a  paru  qu'une  monographie  sur  Beethoven  était  particulièrement  appropriée,  parce 
que  tout  le  monde  est  aujourd'hui  d'accord  sur  la  place  à  décerner  à  ce  maître  dans 
l'histoire  universelle,  et  que  cette  unanimité  d'opinion  sur  un  point  initial  offre  une 
base  pour  atteindre  une  semblable  entente,  en  ce  qui  concerne  d'autres  questions,  en- 
core controversées. 

M.  Goelleri£h  a  donc  eu  l'honneur  d'inaugurer  la  série  en  parlant  de  Beethoven,  ce 
que  les  dimensions  de  chaque  volume,  et  leur  destination,  ne  lui  permettaient  de  faire 
que  très  brièvement.  Il  a  suivi  autant  que  possible  l'ordre  chronologique  des  faits,  en 
insistant  volontiers  sur  l'insuccès  des  œuvres  à  leur  première  apparition  et  sur  les  ju- 
gements ridicules  qui  en  ont  souvent  été  portés  :  chose  curieuse,  excellente  à  rappeler 
pour  l'instruction  de  la  critique  et  du  public  actuels,  et  dangereuse  seulement  pour 
quelques  jeunes  cervelles,  qui  pourraient,  de  la  similitude  dans  l'accueil,  croire  à  la 
similitude  de  mérite,  et  se  voir  dans  la  glace  sous  un  aspect  de  petits  Beethoven.  A 
propos  de  la  Symphonie  héroïque,  nous  relevons  ce  détail  peu  connu,  ou  qui,  du 
moins,  nous  avait  échappé,  qu'après  la  tentative  bizarre  de  Bûlow,  de  la  dédier  à 
Bismarck,  Moritz  Wirth  émit,  en  1898,  le  vœu  de  voir  de  nouveau  figurer  à  son 
titre  le  nom   de  l'homme  qui  l'avait  inspirée,  Bonaparte. 

Le  volume,  intitulé  Bciyreuth,  s  été  rédigé  par  l'un  des  plus  fidèles  amis  de  la  mai- 
son, M.  Hans  de  Wolzogen,  qui  s'est  donné  pour  tâche  première  d'expliquer  quelle  fut 
l'idée  fondamentale  et  maîtresse  de  Wagner,  dans  la  conception  et  la  réalisation  du 
théâtre  modèle,  —  idée  que,  paraît-il,  le  public  allemand  ne  saisit  pas  très  exactement, 
et  qui  peut  avoir  été  obscurcie,  à  la  longue,  par  l'exploitation  commerciale  des  représen- 
tations annuelles.  Un  chapitre  tout  entier  est  destiné  à  prouver  que  Bayreuth  n'est  pas 
«  un  spectacle  pour  les  riches  ».  D'autres,  moins  mélangés  de  discussions  esthétiques 
ou  matérielles,  retracent  l'histoire  de  Bayreuth  ;  M.  de  Wolzogen  a  pleine  confiance 
dans  l'avenir  du  théâtre,  qui  est  l'un  des  biens  des  «  heureux  fils  de  la  patrie  alle- 
mande »  et  qui  symbolise  le  génie  germanique,  au  milieu  de  la  civilisation  occi-» 
dentale. 

Il  est  tout  naturel  que  dans  une  collection  dirigée  par  M.  Richard  Strauss,  le  gé- 
nial représentant  de  la  symphonie  à  programme  en  Allemagne,  un  volume  soit  consa'- 
cré  à  cette  forme  d'art,  très  ancienne,  et  dont  l'origine  remonte,  sinon  aux  Grecs,  — 
dont  sous  ce  rapport  nous  savons  trop  peu  de  chose,  —  du  moins  aux  musiciens  fran- 
çais du  xvi"  siècle,  et  parmi  eux  surtout  à  Clément  Jannequin.  M.  Klatte  a  recpnstitué 
depuis  là,  la  respectable  généalogie  de  la  musique  descriptive,  dent  il  a  suivi  les  mani- 
festations, dnns  toutes  les  écoles,  jusqu'à  l'époque  présente.  Son  travail,  très  reçom- 
mandable,  se  dot  par  une  énumération  d'œuvres  conten)poraines,  où  l'on  regrette  de  ne 
pas  voir  figurer  les  titres  de  la  trilogie  W alhnstein,  de  V,  d'Indy,  non  plus  que  cer- 
taines compositions  de  l'école  russe. 

A    celle-ci,  d'ailleurs,  est   réservé  tout  un   volume,  la  neuvième  de    la   série.  Nous 


—  Ï55  — 

n'àVong  pas  à  noua  y  arrêter,  puisqu'il  n'est  autre  que  la  traduction  allemande,  par 
M.  Max  Graf,  du  «  rapport  ))  de  M.  Alfred  Bruneau  sur  la  musique  en  Russie,  que  tout 
le  monde  a  lu^  chez  nous,  et  dont  il  est  fort  agréable  de  constater  le  succès  à  l'étranger. 

Michel  Brenet. 

Acta  generalis  cantus  gregorianis  studiosorum  conventus  Argen- 
tinensis,  16-19  Aug.  1905.  —  Bericht  der  internationalen  Kongress,  etc.  — 
Compte  rendu  du  Congrès  international  de  plain-chant  grégorien...  édité  par  le  Comité 
local.  Strasbourg,  Le  Roux,  1905,  in-8,  LXVI  -  176  p. 

Les  musiciens  qui  ont  été  assez  heureux  pour  pouvoir  prendre  part  aux  splendides 
manifestations  artistiques  et  scientifiques  du  Congrès  grégorien  de  Strasbourg,  ravive- 
ront, à  la  lecture  de  ce  volume,  des  souvenirs  ineffaçables;  les  autres  y  recueilleront 
d'amples  et  précieux  renseignements  sur  les  travaux  de  cette  assemblée  «  mondiale  »  et 
sur  nombre  de  questions  qui  se  rattachent  à  l'histoire  et  à  la  pratique  du  chant  catho- 
lique et  de  la  musique  du  moyen-âge.  Avec  la  Festschrift  publiée  au  moment  de  la  réu- 
nion du  Congrès,  ce  volume  de  ses  «  Actes  »  sera  donc  mis  eh  bonne  place  dans  les 
bibliothèques  musicales.  Conformément  aux  résolutions  de  l'Assemblée,  ces  «Actes» 
ont  été  publiés,  par  le  Comité  local,  dans  leur  langue  originale.  C'est  dire  que,  comme 
dans  les  séances  de  la  Festhalle  ou  de  VAubette^  trois  idiomes,  le  latin,  l'allemand  et  le 
français,  fraternisent  dans  ce  volume,  chaque  document,  lettre,  discours,  procès-verbal, 
étant  reproduit  tel  qu'il  a  été  prononcé  ou  présenté. 

Les  congressistes  de  langue  allemande,  —  allemands,  alsaciens,  suisses,  luxem- 
bourgeois, —  l'emportant  de  beaucoup  en  nombre  sur  ceux  de  langue  française,  — 
français  (72)  et  belges,  —  et  sur  les  représentants  des  autres  races  latines  et  des  pays 
anglo-saxons,  il  est  naturel  que  le  total  des  pages  imprimées  en  allemand  l'emporte  sur 
celui  des  pages  en  français.  Parmi  ces  dernières,  on  lira  surtout  le  simple  et  beau  dis- 
cours de  Dom  Pothier  sur  «  la  catholicité  du  chant  de  l'Eglise  romaine»,  les  savantes  et 
ingénieuses  communications  de  M.  Gastoué  sur  «  l'étude  des  traités  du  moyen  âge  »  et 
sur  la  manière  de  «s'inspirer  des  anciens  dans  l'accompagnement  »,  et  l'instructif  ré- 
sumé de  Dom  Rojo,  sur  l'histoire  du  chant  grégorien  en  Espagne.  En  allemand,  avec 
les  discours  de  M.  le  D'. Peter  Wagner,  dont  la  publication  était  d'autant  plus  désirable 
que,  faute  de  temps,  ils  n'avaient  pu  être  tous  prononcés  (i),  on  distinguera  particuliè- 
rement l'excellente  leçon  de  M.  le  D""  F.-X.  Mathias  sur  «  l'accompagnement  à  l'orgue  » 
et  son  histoire  du  chant  religieux  en  Alsace  ;  puis,  dans  un  ordre  d'idées  analogue,  les 
discours  de  M.  le  D'  Marxer  et  de  M.  le  D'  Ott  sur  la  décadence  du  chant  à  Saint-Gall 
depuis  la  fin  du  moyen  âge,  et  sur  le  chant  milanais.  M.  Brenet. 


La  Jeunesse  d'un  Romantique,  Hector  Berlioz  (1803-1831),  par  Adolphe 

Boschot,  I  vol.  in-i6,  Plon-Nourrit  et  Cie,  Editeurs,  Paris. 

Hector  Bsrlioz,  pour  faire  applaudir  sa  musique,  fut  obligé  de  lui  chercher  un  pu- 
blic hors  de  France.  Aujourd'hui,  notre  grand  compositeur  romantique  est  acclamé 
dans  tous  nos  concerts,  et  sa  D xmncktion  de  Faust  connaît  la  grande  vogue.  La  vie  de 
Berlioz,  longtemps  ignorée,  ou  plutôt  dénaturée  par  des  anecdotes  légendaires  et  sus- 
pectes, va  aussi  être  complètement  connue.  Et  nulle  vie  d'artiste  n^est  plus  intéressante, 
plus  passionnée,  plus  romanesque,  nulle  autre  ne  reflète  et  ne  résume  mieux  la  vie  des 
enfants  du  siècle.  Faut-il  dire  que  cette  Jeunesse  d'un  romantique  se  termine  par  «  le 
suicide  de  Berlioz  »  } 

Pour  écrire  ce  livre  d'une  précision  toute  scientifique  et  néanmoins  d'une  lecture 
fort  attachante,  M.  Adolphe  Boschot  a  disposé  d'une  très  grande  abondance  de  docu- 
ments, inédits  pour  la  plupart.  Il  nous  montre,  au  jour  le  jour,  Berlioz  vivant  sa  vie  et 
faisant  son  œuvre  :  ainsi,  par  un  curieux  parallélisme,  il  rend  sensibles  les  mystérieuses 
correspondances  qui  relient  la  vie  et  l'oeuvre  de  Berlioz. 

Ce  livre  est  tout  ensemble  du  roman,  de  l'histoire,  de  la  critique  musicale  et  de  l'a- 
nalyse psychologique.  —  L'armature  critique  a  été  rejetée  dans  les  appendices  et  dans 
une  table  chronologique  dressée  presque  jour  à  jour.    Le  récit,  ainsi  dégagé  de  ses  en- 


(i)  A  l'heure  où  nous  écrivons,  la  revue  mensuelle  Ccecilia,  de  Strasbourg,  qui  vient,  sous  la  direction 
de  MM.  Mathias  et  Victori,  dé  transformer  son  cadre  et  d'adopter  une  rédaction  bilingue,  commence  de 
donner  la  traduction  française  des  discours  de  M.  le  D-  Wagner. 


—  -i5<3  — 

traves,  se  présente  comme  la  peinture    exacte,    minutieuse,  mouvementée,  où   l'on  voit 
revivre  un  homme  et  toute  son  époque. 

Si  l'on  veut  savoir  avec  précision  ce  que  fut  un  romantique  français,  il  faut  avoir  lu, 
dans  cette  Jeunesse  d'un  ro)nantique,  ce  que  fut  le  plus  beau  cas,  le  cas  Berlto^.  Par 
l'abondance  et  la  valeur  des  documents,  ce  livre  est  une  véritable  révélation  sur  l'état 
d'âme  qui  produisit  la  rénovation  artistique  et  littéraire  de  1830. 


NOTES  BIBLIOGRAPHIQUES 

Œuvres  de   11.  Rébîkow.  —  La  collection  Yafil 

La  maison  Jurgenson,de  Moscou,  vient  de  me  faire  parvenir,  outre  les  charmantes 
pièces  de  M.  Kastalsky  dont  j'ai  déjà  parlé,  tout  un  stock  d'œuvres  diverses  dues  à  la 
plume  de  M.  Rébikow,  un  compositeur  dont  le  nom  ne  nous  était  point  encore  par- 
venu. 

Ces  oeuvres  sont  de  deux  sortes.  Il  y  a  d'abord  un  nombre  respectable  de  pièces  de 
piano,  où  l'auteur  fait  preuve  d'une  certaine  grâce  simplette  d'invention,  grâce  qui  à  la 
longue  paraîtrait  peut-être  entachée  de  quelque  maniérisme,  mais  qui  reste  aimable  et 
sans  pi'étention.  11  se  trouve  de  charmantes  pièces  enfantines  dans  ces  cahiers,  et  no- 
tamment dans  celui  intitulé  Silhouettes  (y  voir  surtout  une  valse  mignonne,  Musiciens 
ambulants,  harmonisée  rien  qu'avec  la  fondamentale  et  la  septième  de  l'accord  de  domi- 
nante, et  plus  loin,  la  poétique  Fée),  dans  les  Scènes  bucoliques,  où  j'aime  surtout  les 
deux  pièces  initiales.  Mais  on  y  remarquera  aussi  certaines  pages  qui  côtoient  d'assez 
près  la  banalité,  et  auxquelles  on  pourrait  reprocher  d'être  un  peu  pauvres  de  substance 
et  aussi  de  développements.  Mais  les  petits  tableautins  de  M.  Rébikow,  tout  compte 
fait,  attestent  de  sensibles  qualités  musicales,  et  enrichissent  d'appréciable  façon  le  ré- 
pertoire accessible  aux  jeunes  pianistes,  ce  répertoire  si  encombré  de  compositions  dé- 
nuées de  toute  valeur. 

Il  existe  une  autre  catégorie  d'œuvres  de  M.  Rébikow,  qui  ne  sont  point  menues  ni 
enfantines.  Ce  sont  des  compositions  orchestrales  réunies  sous  la  commune  désignation 
de  Tableaux  musicaux-psychologiques,  et  portant  respectivement  les  titres  suivants  : 
Esclavage  et  Liberté;  Chanson  du  cœur;  Aspirer  et  atteindre;  Cauchemar.  Je  n'ose 
formuler  une  appréciation  sur  le  seul  vu  d'une  réduction  pour  deux  pianos  que  j'ai 
entre  les  mains,  et  je  me  réserve  de  parler  plus  tard  de  ces  quatre  oeuvres. 

—  M.  N.-E.  Yafil,  d'Alger,  a  édité  une  très  intéressante  et  riche  collection  de  musique 
arabe,  qui  comprend  des  chansons,  des  airs  de  danses,  etc.,  présentés  sous  lorme  de  fas- 
cicules séparés,  avec  de  très  claires  explications  par  M.  Jules  Rouanet.  Ce  sont  d'inté- 
ressants documents,  et,  mieux  que  cela,  des  spécimens  de  séduisantes  musiques,  dont  il 
faut  admirer  surtout  la  richesse  rythmique  et  les  langoureuses  inflexions.  La  série 
comprend  vingt-deux  numéros,  dont  tous  sont  dignes  d'être  connus. 

M.-D.  C. 


Vient  de  paraître  : 

Chez  les  éditeurs  Durand  et  fils,  la  partition  d'orchestre  (dans  le  petit  format  si 
commode)  de  la 

Danse  Macabre,  de  Saint-Saens.  Prix  :  4  francs. 


Nouveautés   musicales   reçues 

ALBERT  GROZ  :  Heures  d'été  (Préludes  et  Mélodies). 
Prélude  (pour  piano). 

Chez  PoNSCARME,  37,  boulevafd  Hausmann. 
R,  DARNAUDPEYS  :  Impressions  basques  (Prélude,  Lever  du  jour,  l'Auberge^ 
la  Fête,  le  Soir)  pour  piano. 
Chez  JoANiN  et  C%  32,  rue  des  Saints-Pères. 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 
Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


.:>« . 


GUY    ROPARTZ 


M.  J.-M.-Guy  Ropartz,  l'éminent  compositeur,  directeur  du  Conservatoire  et  de 
la  Société  des  Concerts  de  Nancy,  vient  d'être  décoré  de  la  Légion  d'honneur.  Nous  ne 
saurions  trop  applaudir  à  cette  flatteuse  distinction,  si  justement  méritée.  L'œuvre 
accomplie  par  M.  Ropartz  à  Nancy,  avec  autant  d'opiniâtreté  que  d'intelligence  et  de 
désintéressement,  est  de  celles  qui  honorent  grandement  ceux  qui  osent  les  entre- 
prendre et  qui  les  mènent  à  bonne  fm. 

Guy  Ropartz  est  né  à  Guingamp  (Côtes-du-Nord)  le  15  juin  1864.  Au  Conserva- 
toire de  Paris,  il  fut  élève  de  Th.  Dubois,  de  Massenet  et  de  César  Franck.  Le  haut 
enseignement  de  ce  dernier  agit  plus  complètement  sur  Ropartz  qui  se  voua  dès  lors 
à  la  composition.  En  1894,  il  fut  appelé  à  diriger  le  Conservatoire  de  Nancy  où  il  ins- 
titua des  concerts  qui  sont  classés  aujourd'hui  parmi  les  plus  importants  de  France, 
surtout  au  point  de  vue  de  l'éducation  musicale.  Combien  d'œuvres,  en  effet,  virent  le 
jour  sous  la  baguette  de  Ropartz  avant  d'ébranler  les  lourds  portails  de  nos  grands 
concerts  parisiens . 

Guy  Ropartz  est  un  artiste  probe,  consciencieux,  un  des  rares  qui  soient  convaincus 
de  la  profondeur  de  leur  art  :  c'est  pourquoi  nous  rencontrons  chez  lui,  aussi  bien 
comme  compositeur  que  comme  chef  d'orchestre,  cette  belle  autorité,  privilège  des 
honnêtes  et  des  forts. 

D. 


CATALOGUE 

des     Œuvres     de     M.     Quy     ROPARTZ 


Pêcheur  d'Islande,  drame  en  4  actes  et  9  tableaux,  d'après  le  Roman  de  Pierre  Loti  (Pierre  Loti  et 
Louis  Tiercelin)  (Choudens'.  i"  Suite  de  Concert  ;  I.  Prélude.  II.  La  Maison  des  Gaos.  III.  La  Noce. 
2'  Suite  de  Concert  :  1.  La  mer  d'Islande.  II.  Scène  d'amour.  III.  Les  Danses. 

Les  Landes,  paysage  breton  pour  orchestre  (Baudoux). 

Sérénade,  pour  instruments  à  archet  (Baudoux).  Réduction  pour  piano  à  deux  mains. 

Cinq  Pièces  brèves,  pour  orchestre  restreint  (Heugel).  Réduction  pour  piano.  Len''3,  Page  d'Amour, 
transcription  pour  piano  et  violon. 

Prière,  poème  en  musique  pour  voix  de  baryton  et  orchestre  (Baudoux).  Réduction  pour  chant  et  piano. 

Psaume  136,  pour  chœur,  orgue  et  orchestre  (Baudoux.  Réduction  pour  chant  et  piano. 

Adagio,  pour  violoncelle  et  orchestre  (Dupont-Metzner). 

Quatre  Poèmes,  d'après  l'Intermezzo  de  Heine  pour  voix  de  baryton  et  orchestre  (Baudoux'.  Réduc- 
tion pour  chant  et  piano. 

1"  Symphonie,  en  3  parties  sur  un  choral  breton  (Baudoux).  Réduction   pour  piano  à   quatre   mains, 

2^  Symphonie,  en  Fa  mineur  (Baudoux).  Réduction  pour  2  pianos,  par  L.  Thirion. 

Carnaval,  impromptu  symphonique  pour  orchestre  (BornemannI. 

La  Cloche  des   Morts,  paysage  breton  pour  orchestre  (Baudoux'.  Réduction  pour  piano  à  4    m.iins. 

Lamente,  pour  hautbois  et  orchestre  (Baudoux^ 

Marche   de  Fête,  pour  orchestre  fLuNoauiST).  Réduction  pour  piano  à  4  mains. 

Fantaisie  en  Ré  majeur,  pour  orchestre  (Baudoux).  Réduction  pour  deux  pianos,  par  G.  Vallin. 

Pièce  en  Si  mineur,  pour  deux  pianos  (Durand). 

Quatuor,  pour  deux  violons,  alto  et  violoncelle  (Baudoux). 

Andante  et  Allegro,  pour  trompette  chromatique  en  ut  et  piano  (Dupont-Metzner). 

Trois  Pièces  pour  orgue,  (Schola  Cantorum).  I.  Sur  un  thème  breton.  II.  Intermède.  III.  Fugue  en 
Mi  mineur.  Le  n°  I .  Sur  un  thème  breton,  transcrit  pour  orchestre. 

Offertoire  pascal,  pour  orgue     (Leduc). 

Préluda  funèbre,  id.  (Muraille). 

Prière,  id.  (Muraille). 

Sortie,  id.  (Muraille). 

Versets  pour  les  Vêpres  des  Saintes  Femmes,  pour  orgue  (Schola  Cantorum). 

Deux  petites   Pièces,   pour  orgue  sans  pédales  (Muraille). 

Thème  varié,  pour  grand  orgue  (Muraille). 

Prière  pour  les  Trépassés,  pour  grand  orgue  (Muraille). 

Fantaisie,  id.  id. 

Ave   Maria,   à  4  voix  (Schola  Cantorum). 

Ave  Verum.  à  3  voix  id. 

Cinq  Motets,  à  4  voix  mixtes  (Schola  Cantorum)^ 

Tu  es  Pet  rus. 

Domine,  non  sum  dignus. 

Ego  sum  panis  vivus. 

O  quant  suavis  est.  ' 

Beata  es  Virgo  Maria. 
Cantate  Ich  Will  den  Kreuzstab  gerne  tragen,  de  J.  S.  Bach.  Traduction  (Enoch). 
Douze  Cantiques  bretons,  recueillis  et  harmonisés  (Schola  Cantorum). 
Berceuse,  mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  ('Baudoux). 
Rondel  pour  Jeanne,   mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  (Baudoux). 
Le  petit  Enfant,   mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  (Baudoux). 
Sous  Bois,  mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  (Dupont-Metzner). 
Si  j'ai  parlé  de  mon  Amour,  mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  (Dupont- .Metzner) 
Lever  d'Aube,  mélodie  pour  une  voix  avec  accompagnement  de  piano  (Dupont-Metzner). 
Chant  Elégiaque,  de  Beethoven,  traduction  et  réduction  pour  chant  et  piano  (Dupont-Metzner). 
Leçons  d'Harmonie,  données  aux   Concours    du    Conservatoire    de    Nancy    (i=''    fascicule)    (Dupont- 
Metzner';. 


Société  flgusicale  G.  ASTRUC  et  C'%  33,  Boulevard  des  Italiens  -  Pavillon  de  Hanovre 


SALLE  des  AGRICULTEURS.  —  DIMANCHE  i8 FÉVRIER iqo6  à  c,  h. 

GOflGEp  doi)i)é  paF  jyille  paulette  DEflEJ^l 


AVEC   LE  CONCOURS   DE 

Mlle  SOEGO         M.  6ALDELLI         M.  Georges  ENESCO 

de  l'Opéra       du  Théâtre  Royal  de  Madrid  Violoniste 

PROGRAMME 


M.A.  LU2ZATTI 

Pianiste- A  ccoinpag7îateur. 


1  a.  Fugue,  sol  mineur  .. J.-S.  Bach. 

b.  Etude   ut  diè^e  mineur Chopin. 

c.  Ballade,  la  bémol  majeur Chopin. 

Mlle  P.  DENERI. 

2  a.  Aria j..S.  Bach. 

/;.  L'Abeille Schubert. 

c.  Moto  perpétue Paganini. 

M.    Georges  ENESCO. 

3  Concerto  pour  deux  pianos Grieg. 

M.  L  UZZA  TTI,  Mlle  P.  DENERI. 

4  «.  Mort  d'Isolde Wagner. 

b.  Nenna  iWia  (Chanson  napolitaine). .  Spiro  Samara. 
Mlle  BORGO. 


5  a.  Quando  cantava  mia  madie  [mé- 

'oi/e) Dvorak. 

b.  Aria     (Tragico-Comica)    de    Doa 

Ghecco GiosA. 

[Le  désespéré  qui  cherche  la  mort) 
Chanté-Mimé 
M.  BALDELLl. 

6  a.  Z'  Romance  sans   paroles  ,     . .     G.  Fauré. 

b.  Nocturne,  fa  majeur Chopin. 

c.  2-  Rhapsodie Liszt. 

Mlle  P.  DENERI. 


Ail  Piano  d'accompagnement  :  M.  LUZZATTI  —  Pianos  ERARD 

SALLE  PLEYEL.  —  MERCREDI  21  FÉVRIER  iço6,  à  9  heures 

Séance  de  Sonates  pour  piar^o  ^  Violoncelle 

Donnée  par   Diran  ALEXANIAN 

AVEC  LE  CONCOURS  DE   Mme 

MOIsrTEUX-B  ARRIÈRE,  Soliste  des  Concerts  Lamoureux 


Programme 

1.  Sonate,  Op.    102,  N°  2 Beethoven. 

Mme  MONTEUX-BARRIÉRE  et 
M.  DIRAN  ALEXANIAN. 

2.  Sonate Valentini  (1690) 

Mme  MONTEUX-B ARRIÈRE  et 
M.  DIRAN  ALEXANIAN. 


3.     Sonate    (En  une  seule  partie)    ..     Jean  Huré. 
Mme  MONTEUX-B  ARRIÈRE  et 
M.  DIRAN-ALEXANIAN. 

4-     Sonate,  Op.   38 J.  Brahms. 

Mme  MONTEUX-BARRIÉRE  et 
M.  DIRAN  ALEXANIAN, 


Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 


Salle  des  Agriculteurs.  SAMEDI   24  FÉVRIER  à  9  heures 

Concert  donné  par  Francis  THIBAUD 

Avec  le  Concours  de 

Louis    DIÉMER    et    Jacques    THIBAUD 


2'  Sonate,  (Piano,  Violoncelle) 
MM.  Louis  DIÈMER  et  Francis 
THIBAUD. 

'■  Prélude  de  la  Suite  en  ut  mineur. 

Adagio  et  Allegro 
'■  Sarabande  id. 

•  Gavottes,  i,  1 1        id. 
î.  Allemande,  ut  majeur.    .. 

(Violoncelle   seul) 
M.  Francis  THIBAUD. 

Gavotte  pour  les  Heures  et  les 
Zéphirs  Rameau. 


PROGRAMME 


Saint-Saens. 


J.-S.  Bach. 


L.   DiÉMER. 


b.  La  Source  et  le  Poète  .. 

M.  Louis  DIEMER. 

4.  a.  Romance L  Diémer. 

b.  Rallade  et  Polonaise Vieuxtemps. 

M.  Jacques  THIBAUD. 

3.  a.  Chanson  Suisse C.  de  Grandval. 

b.  Sérénade id. 

<:■  Elégie g.  Fauré. 

d.  Danse  Hongroise Brahms. 

M.  Francis  THIBAUD. 

6.     Sonate  à  Kreutzer Beethoven. 

MM.  Louis  DIEMER  et  Jacques 
THIBAUB 


Administration  de  Concerts  k.  DÂNDELOT,  S3,  rue  d'Amsterdam 


SALLE      ERARD 


JEUDI    l^-^    Mars    1906,    à    9    heures 
I\ÉGITA.L       IDE        F^I-A.]VO 

donné  par  Mlle 

ticie   OeufEeti^et 


P»ROGhR,AI^M:E 


1.  Fantaisie  et  Fugue,  sol  mineur,  Bach-Liszt. 

2.  a.  Allegro   de   la  Sonate    en  ré 

majeur Mozart. 

b.  Arabesque Schumann. 

C.    Sous    bois Alph.     DUVERNOY. 

3.  32  Variations Beethoven. 


4.  a.  A  Venise Paladilhe. 

b.  Pièce,  la  majeur Mendelssohn. 

f.   Etude  mi  majeur Chopin. 

d.   Etude,  sol  bémol  majeur      .    ..  Chopin. 

5.  fl*.   Impromptu,  fa  diè^e  majeur  .  Chopin. 
b.  Scherzo  si  bémol  majeur   .  .    . ,  Chopin. 


I 


PRIX  DES  PLACES  :  Fauteuil  de  Parquet  :  10  francs  -  Première  Galerie  :  5  francs  -  Deuxième  Galerie  :  3  francs 
BILLETS  :  Chez  Mlle  Lucie  CAFFARET,  91,  rue  de    Maubeuge  :    à    la  Salle    Erard,  et   à   l'Administration    de 
Concerts  A.  DANDELOT,    83,  rue  d'Amsterdam  (Téléphone  ii}-2^\ 


Lundi  5,  LbbcIî  il  et  leudi  15  Mmu 

A    9     HEURES     DU     SOIR 

Arthur  de  QREEF 

et  Jules  BOUCHERIT 


A     LA     SALLE     PLEYEL 
Prix  des  Places  :  10  fp.  ;  5  fr.  ;  3  fr.  ;  2  fr. 


I 


LOCATION  là  partir  du   15  Février)  :   à  la  Salle  PLEYEL  ;    chez    MM.  DURAND  et  Fils,  4,  Place  de  la  Madeleine  eT 
à  l'Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT^  83,  rue  d'Amsterdam  (^Teléph.    113-25.) 


DEUX     CONCERTS 

EUO.      YSA.YE 

AVEC       ORCHESTRE 


S'adresser  à  l'Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  8^,  rue  d' Amsterdam  {Téléphone  11^-2^) 


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l'Estomac 


à  Grand  Gadre  C17  fer  d'ui^c  seule  Pièce  et  Gordes  croisées 


MUSTE 


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il 


L.  I  o  u  e:  U  R 


BENÈDiCTJNE 


IP 


9e  ANNÉE.   No  5.    1er  Mars  1906. 


Directeur:  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 


^OMMAIRE  : 


Portrait  :  ANTON  BRUCKNER 


Anton  Bruckner EUGÈNE  SEGNITZ. 

L'ÉCOLE  DES  Amateurs  (suite) 
yill.  —  Forme  et  matière. .     JEAN  D'UDINE, 

Lettres  Inédites   (suite)  de    GUILLAUME  LEKEU 

Les   Premières    :    Mademoi- 
selle de 'Belle-Isle,  de  Spiro 
Samara,  A  Monte-Carlo.     ALFRED  MORTIER. 
L'anniversaire ,   d'A  d  a  l  - 
bert  Mercier,  A  Bordeaux    F.  STROWSKY. 

-ES  Grands  Concerts JEAN  D'UDINE. 

»A  duiNZAiNE  Musicale  :  Société  Thilharmo- 
nique,  Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale, 
Société  Bach,  Sciola  Cantorum,  Soirées  d'Art, 
Quatuor  Parent,  Sonatières. 


!  Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

Lettre  de  Munich EL.  DE  STŒCKLIM. 

Lettre  de  New- York LAMEY-LADHUVE. 

Correspondances  de  :  Angers,  Le  Havre,  Mar- 
seille, Montpellier,  Bruxelles. 
Concerts  Annoncés. 
Echos  et  Nouvelles  Diverses, 

Bibliographie P.  LOCAflB,  S. 

Nouveautés  Musicales. 


■«  H»»  « 


Administration  et  Rédaction  : 


Le  Directeur  et   le   Secrétaire  de  la 


Î9,  RUE  TRONCHET.  PARIS  (8«)      Rédaction  reçoivent  les  Mardi    Jeudi 

... ->-_«— _»—«J-  et  Samedi,  de  lo  benres  a  midi. 


TELEPHOI^E  252.95 

Jureau;c  ouverts 

de  lo  h.  à  midi  ci  de  2  h.  i  6  h.  1/2. 


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Le  numéro  ;  75  centimes 

Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musical 

(le     1"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 

(    Paris  et   Départements....       2  francs  l'an 

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Le    Numéro  :    75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


Directioji,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (16*) 


Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8*). 

^^  (TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F,  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D*"  Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot — RenéDoire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flag:ny  —  Henry  Gauthier- Villars  ~  E.  Gio vanna  —  Orner  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchês  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauerwein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  charwenka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  VaJlas  —  D»  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc  .. 


Le   Courrier  Musical  est  en  "^eni&i 
A  PARIS:    ^9,  ^«^   Tronchet. 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  Auher, 
—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 

Chez  M.  MARTIN;  ;?,  Faubourg  Saint-Honoré. 

Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 

Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 

Chez  M,  PUGNO,   ij,    Quai  des  Grands-tÂugusiins,  etc... 
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l  Cour,  à  BRUXELLES 

(  MM.    BREITKOPF  &   H/ERTEL,    54,    l/lalborough-Street,  fî, 
(  LONDON-W. 


I 


ANTON    BRUCKNER 

1824- 1896 


9»  ANNEE.  No  5.  i«^  MARS  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portrait  :  Anton  Bruckner.  —  Anton  Bruckner  (Eugen  Segnitz).  — 
L'Ecole  des  Amateurs  {suite)  :  VIII.  —  Forme  et  matière  (Jean  d'Udine),  —  Lettres 
inédites  de  Guillaume  Lekeu  (>mîY^^.  — Les  Premières  :  Mademoiselle  de  Belle-Isle,  de 
Spiro  Samara,  à  Monte-Carlo  (Alfred  Mortier).  —  L'Anniversaire,  dAdalbert  Mercier, 
à  Bordeaux  (F.  Strowski).  —  Les  Grands  Concerts:  Colonne,  Lamoureux,  Conservatoire 
(Jean  d'Udine).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Société  Philharmonique,  Concerts  Le  Rey, 
Société  Nationale,  Société  Bach,  Schola  Cantorum,  Soirées  d'Art,  Le  Quatuor  Parent, 
Sonaiières.  —  Le  mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger  :  Lettre  de,  Munich  (El. 
DE  Stœcklin).  —  Lettre  de  New-York  (Lamey  Ladhuve).  —  Correspondances  de  : 
Angers,  Le  Havre,  Marseille,  Montpellier,  Bruxei.t.es.  —  Concerts  annoncés. 
—  Échos  et  Nouvelles  diverses.  —  Bibliographie  (P.  Locard,  F.  Chantavoine).  — 
Nouveautés  musicales. 


Anton  BRUCKNER 


Plus  nous  nous  éloignons  de  l'époque  à  laquelle  ont  été  écrites  les  œuvres  d'un 
grand  musicien,  plus  nous  sommes  à  même  de  pouvoir  les  juger  sainement.  Depuis 
la  mort  d'Anton  Bruckner,  la  lutte  a  cessé,  cette  lutte  qui  jadis  se  poursuivait  avec 
tant  d'âpreté  et  d'acharnement,  en  Allemagne  et  en  Autriche,  et  qui  fut  menée  avec 
tant  de  parti  pris,  grâce  au  mot  d'ordre  parti  de  Vienne. 

On  sait  avec  quelle  vivacité  on  chercha  à  opposer  Anton  Bruckner  à  Johannès 
Brahms  :  comme  d'habitude,  on  voulut  établir  une  comparaison  entre  deux  fortes 
personnalités  qu'on  n'aurait  jamais  dû  mettre  en  parallèle.  Car  chacun  de  ces  grands 
compositeurs  possédait  une  haute  individualité  qui  lui  était  propre. 

En  réalité  c'était  une  sorte  d'opposition,  de  rivalité  entre  l'Allemagne  du  Nord  et 
l'Allemagne  du  Sud  qui  se  trouvait  personnifiée  dans  la  différence  d'esthétique  de  ces 
deux  maîtres.  Brahms  est  le  représentant  de  l'école  de  la  «  forme  »,  de  la  pensée  con- 
centrée, s'exprimant  sobrement  et  de  la  façon  la  plus  concise.  Sa  ligne  mélodique  est 
souvent  peu  complaisante  et  de  couleur  sombre,  la  construction  de  ses  œuvres 
toujours  mesurée  et  logique.  Il  parle  généralement  une  langue  douce  et  sentimentale, 
sans  rechercher  des  spéculations  transcendantales.  — Au  contraire  l'imagination  de 
Bruckner  est  tellement  puissante  qu'il  lui  arrive  souvent,  dans  ses  symphonies,  de 
s'écarter  des  idées  principales  et  d'y  mêler  une  foule  de  choses  absolument  neuves  : 
il  en  résulte  des  longueurs  et  une  sorte  de  confusion  momentanée.  Mais  les  deux 
compositeurs  ont  du  moins  un  point  commun  :  ils  sont  les  seuls  parmi  les  successeurs 
de  Beethoven  qui  aient  pu  écrire,  en  leur  donnant  un  développement,  des  mouve- 
ments lents.  Peut-être  Bruckner  était-il  même  supérieur  en  cela  à  Brahms,  et  c'est  à 
juste  titre  qu'on  a  pu  le  nommer  le  «  Maître  de  l'Adagio  ». 

La  biographie  de  Bruckner  est  très  simple.  Né  le  4  septembre  1824,  à  Ansfelden, 
près  de  Linz,  en  Autriche,  fils  d'un  maître  d'école  de  village,  il  reçut  les  premières 
notions  de  musique  de  son  père  ;  après  la  mort  de  celui-ci,  en  1837,  il  entra  comme 


-  158  - 

enfant  de  chœur  xhez  les  Augustins  de  Saint-Florian  d'Ebelsberg,  y  prit  des  leçons 
d'orgue  et  d'harmonie,  tout  en  faisant  ses  études  pour  être  à  son  tour  maître  d'école. 
Il  exerça  ce  dernier  emploi  à  Windhag,  où  il  dut,  pour  un  salaire  mensuel  de  deux  flo- 
rins, être  en  même  temps  organiste,  directeur  de  musique,  et  même...  sacristain.  Pour 
gagner  sa  vie,  il  jouait  du  violon  dans  les  fêtes  de  village.  Envoyé  à  Kronstorf,  près 
Enn,  puis  organiste  à  Saint-Florian,  il  alla  concourir  à  Vienne  et  fut  nommé  orga- 
niste à  la  cathédrale  de  Linz.  Protégé  par  l'évêque  de  Linz,  il  put  aller  souvent  à 
Vienne  se  perfectionner  et  prendre  des  leçons  de  composition  près  de  Simon  Sechter 
(1856-1860),  puis  d'Otto  Kitzler,  chef  d'orchestre  du  théâtre.  En  octobre  1862,  Kitzler 
dirigea  deux  représentations  de  Tannbceuser,  à  Linz,  et  Bruckner  fit  ainsi  connaissance 
avec  la  musique  de  Wagner,  pour  lequel  il  professa,  dès  cette  époque,  une  admira- 
tion enthousiaste,  et  qu'il  vit  en  1865,  à  la  première  représentation  de  Tristan.  Déjà  il 
avait  composé  quelques  œuvres,  et  on  avait  exécuté  de  lui  une  Messe  en  ré  mineur  et 
une  Cantate.  En  1868,  Bruckner  fut  nommé  organiste  de  l'église  Saint-Etienne,  à 
Vienne,  et  professeur  d'orgue  et  d'harmonie  au  Conservatoire.  Plus  tard,  en  1875,  il 
entra  comme  «  lecteur  sur  la  théorie  musicale  »  à  l'Université. 

C'est  de  Vienne  que  se  répandit  en  Allemagne  la  renommée  de  Bruckner  comme 
compositeur.  Le  public  accueillit  avec  faveur  ses  grandes  compositions,  notamment 
ses  trois  premières  symphonies.  Et  dès  lors  commença  à  se  faire  jour  cette  opposition, 
menée  par  le  célèbre  critique  Hanslick,  et  qui  prit  Brahms  comme  porte-drapeau. 
En  Allemagne,  c'est  à  Arthur  Nikisch  et  à  Gustave  Mahler  que  revient  le  mérite 
d'avoir  fait  connaître  les  œuvres  de  Bruckner.  Le  maître,  qui  sans  relâche  avait  tra- 
vaillé, sans  s'inquiéter  du  bruit  mené  autour  de  lui  et  contre  lui,  s'éteignit  à  Vienne  le 
1 1  octobre  1 896. 

Anton  Bruckner  ne  commença  guère  à  être  connu  que  dans  sa  cinquantième 
année  :  dix  ans  après,  il  était  célèbre  :  cas  tout  à  fait  rare  dans  l'histoire  des  musi- 
ciens. Le  nombre  de  ses  œuvres  n'est  pas  extrêmement  grand  ;  mais  ces  œuvres  sont 
de  la  plus  haute  importance  et  de  la  plus  haute  valeur.  Le  Dr  Louis,  dans  son  livre 
récent  (i),  nous  montre  que  l'œuvre  véritable  du  maître,  ce  sont  ses  9  Symphonies 
(numéros  i,  2,  8  en  ut  mineur,  3  et  9  en  ré  mineur,  4  en  mi  hémol,  6  en  si  bémol,  7  en 
en  mi  majeur,  5  en  la  majeur).  Bruckner  est,  croyons-nous,  le  plus  grand  symphoniste 
que  nous  ayons  eu  depuis  Beethoven.  —  Dans  le  domaine  de  la  musique  religieuse,  il 
écrivit  également  Trois  messes,  un  Ave  Maria,  plusieurs  motets,  un  Te  Deum  et  le 
Psaume  1^0.  Ajoutons  à  ces  œuvres  deux  chœurs  pour  voix  d'hommes  et  orchestre,  et 
plusieurs  compositions  a  capella. 

Bruckner  était  un  véritable  artiste,  une  âme  noble  et  généreuse.  Il  ne  se  souciait 
en  rien  du  succès  probable  de  ses  œuvres  ni  même  de  savoir  si  elles  seraient  exécu- 
tées. Son  talent  se  développa  lentement  :  il  travaillait  sans  hâte,  laissant  mûrir  peu  à 
peu  ses  idées  musicales,  et  retouchant,  corrigeant,  modifiant  ce  qu'il  avait  écrit. 
C'était  un  artiste  probe  et  scrupuleux,  digne  de  servir  de  modèle  aux  jeunes  compo- 
siteurs. 

Bruckner  était,  à  l'orgue,  un  improvisateur  merveilleux.  Il  fut  très  apprécié  à 
Nancy,  à  Paris,  où  Gounod  vint  l'entendre,  à  Londres,  etc.  Comme  professeur  il  se 


(i)  A  Bruckner,  chez  Georges  Millier  à  Munich. 


—  159  — 

montrait  très  sévère  sur  l'application  des  règles  du    contrepoint.    Parmi    ses   élèves, 
citons  :  Mottl,  Nikisch,  Mahler,  Emil  Paur,  Friedrich  Klose,  etc. 

Son  admiration  pour  les  œuvres  de  Wagner,  qu'il  manifestait  ouvertement,  lui 
causa  de  nombreuses  inimitiés  parmi  ses  collègues  et  même  dans  son  entourage.  Il  ne 
manquait  pas  d'aller  assister  aux  représentations  de  Bayreuth. 

Bruckner  était  d'allure  simple  ;  il  menait  une  vie  retirée  et  très  modeste.  Son 
aspect  fut,  toute  sa  vie,  celui  d'un  brave  maître  d'école  de  village  autrichien  dévot  et 
timide.  Il  était  d'abord  charmant,  très  cordial  et  gardait  une  fidèle  amitié  à  ceux  qui 
l'avaient  obligé. 

C'était  un  croyant,  et  il  avait  gardé  jusque  dans  sa  vieillesse  la  foi  naïve  et  abso- 
lue de  l'enfance  ;  très  catholique,  mais  en  même  temps  très  tolérant.  C'est  dans  ce 
sentiment  de  naïve  reconnaissance  envers  le  Créateur  qu'il  écrivit  sur  la  partition  de 
sa  dernière  Symphonie  :  «  Dédiée  au  Bon  Dieu  !». 

De  même,  Bruckner  aimait  religieusement  son  art  :  la  musique  était  pour  lui  une 
«  révélation  »,  un  «mystère»,  l'entrée  dans  le  monde  divin  des  sons.  11  professait 
une  admiration  absolue  pour  Bach,  Beethoven,  Wagner.  Son  œuvre  en  porte  l'em- 
preinte, en  même  temps  qu'elle  témoigne  d'un  penchant  pour  Franz  Schubert.  Elle 
n'ouvre  nullement  une  nouvelle  période  musicale  :  elle  clôt  plutôt  la  période  classique. 
En  elle  se  reflète  une  âme  de  grand  artiste,  et  l'une  des  personnalités  musicales  les 
plus  grandes  et  les  plus  hautes  de  notre  histoire  musicale  moderne. 

EuGEN  Segnitz. 


Jean   d'UDlNE 


VIII 

FORME   ET  MATIÈRE 


Paris,  le  19  février  1906. 

Mon  cher  neveu,  je  reprends  la  plume  sans  y  être  provoqué  par  une  nouvelle  lettre 
de  toi.Je  suis  impatient  de  causer  avec  mon  jeune  disciple  sur  un  point  qui  le  tourmente, 
j'en  suis  persuadé,  car  il  me  préoccupe  beaucoup  moi-même.  Aujourd'hui  d'ailleurs 
j'ai  du  temps  devant  moi  et  la  question  que  je  me  propose  d'examiner  dans  cette 
lettre  est  si  grave  que  ce  n'est  pas  trop  de  toute  une  journée  de  méditation  pour  l'élu- 
cider un  peu. 

J'ai  reçu  la  semaine  dernière  la  visite  de  ta  mère  et  de  ta  sœur.  Celle-ci  m'a  dit 
avoir  lu  chez  toi  notre  correspondance  de  cet  hiver.  Elle  partage  maintenant  presque 
toutes  mes  manières  de  voir  sur  la  musique  ;  un  seul  point  la  chiffonne  encore,  c'est 
que,  d'une  part,  je  répète  sans  cesse  que  l'émotion  esthétique  tient  à  peu  près  unique- 
ment aux  sensations  provoquées  par  les  œuvres  d'art,  et  que,  cependant,  je  paraisse 
avoir,  pour  ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  Informe,  une  indifférence  sinon  une  hos- 
tilité croissantes.  Quand  elle  m'a  parlé  de  cela,  l'autre  soir,  après  un  bon  dîner  chez 
des  amis,  il  est  arrivé  ce  qui  se  produit  toujours  en  pareil  cas  :  on  a  discuté,  criaillé, 
fait  de  l'esprit,  le  tout  au  hasard  des  réparties,  sans  prendre  soin  de  poser  des  défini- 
tions, d'établir  les  bases  d'une  argumentation  bien  nette,  et   naturellement   l'on  n'est 


—  i6o  — 

pas  arrivé  le  moins  du  monde  à  s'entendre.  En  la  quittant  je  lui  ai  promis  de  t'écrire 
là-dessus  et  de  te  dire,  du  mieux  que  je  pourrais,  pourquoi  je  n'ai  plus  le  culte  de  la 
forme,  tout  en  croyant  plus  que  jamais  que  le  plaisir  artistique  est  un  plaisir  maté- 
riel. Tu  voudras  bien  lui  passer  cette  épître,  quand  tu  l'auras  lue...,  si  toutefois  tu  es- 
times que  j'aie  quelque  peu  éclairci  le  problème. 

Au  fond,  vois-tu,  mon  petit  ami,  je  pense  que  nous  sommes  encore  ici  en  pré- 
sence d'une  querelle  de  mots,  Par /orwe,  nous  entendons  beaucoup  de  choses  diffé- 
rentes les  unes  des  autres.  Dans  l'esprit  de  la  plupart  des  connaisseurs,  des  amateurs 
et  des  artistes,  —  des  connaisseurs  surtout,  —  la  forme  est  l'agencement  des  matériaux 
de  chaque  art  suivant  des  prototypes  acceptés  pour  parfaits  et  reconnus  implicitement 
comme  des  modèles  inviolables.  M.  d'Indy  enseigne  comment  on  fait  une  sonate,  mais 
il  oublie  d'aiouier  comnie  les  sonates  de  Beethoven...  En  musique  ce  sont  les  notes,  en 
littérature  les  phrases,  en  peinture  les  couleurs  qu'il  s'agit  de  ranger  le  plus  confor- 
mément possible  à  ces  modèles  inviolables,  à  ces  gabarits  sacro-saints.  Si  tout  le 
monde  était  d'accord  sur  les  prototypes,  tout  le  monde  serait  également  d'accord  sur 
la  valeur  des  œuvres  nouvelles.  Etablissons;  une  fois  pour  toutes,  par  exemple,  que  la 
forme  du  Parthénon  est  parfaite,  avec  les  principes  des  formalistes  nous  en  conclue- 
rons  que  Notre-Dame  est  hideuse,  que  le  Château  de  Chambord  est  ignoble,  et  que  le 
nouveau  pont  du  Métro,  près  de  la  gare  d'Orléans,  est  affreux.  Présenté  comme  cela, 
le  culte  de  la  forme  paraît  immédiatement  ridicule  et  les  défenseurs  de  la  forme-for- 
mule vont  me  dire  que  j'exagère.  J'exagère  en  effet  leur  exclusivisme,  maisje  ne  fais  que 
l'exagérer.  La  vie  les  oblige  de  temps  à  autre  à  enrichir  leur  arsenal  de  nouveaux 
prototypes  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  l'air  presque  raisonnables,  mais  ils  ne  l'enri- 
chissent jamais  qu'une  fois  contraints  par  le  consentement  général  et  par  les  circons- 
tances, et  les  prototypes  nouveaux  acceptés,  ils  s'en  servent  pour  condamner  les  pro- 
totypes futurs.  Au  nom  de  Lully,  on  condamne  Rameau  ;  Rameau  imposé,  au  nom  de 
Rameau  l'on  condamne  Gluck;  Gluck  imposé,  au  nom  de  Gluck  l'on  condamne 
Weber  et  ainsi  de  suite.  Et  chaque  fois  qu'un  maître  nouveau  entre  dans  le  cortège 
des  modèles,  sa  forme  qui  était  une  mauvaise  forme,  devient  une  forme  indis- 
cutable ;  on  a  le  devoir  de  la  suivre,  l'on  n'a  pas  le  droit  de  s'en  écarter. 

Il  arrive  de  la  sorte  cette  chose  extraordinaire  et  constante,  que  tous  ceux  qui  ne 
vivent  pas  de  leur  propre  fonds,  mais  qui  copient,  qui  plagient,  qui  adaptent  et  qui 
répétassent  les  formes  des  autres  sur  le  vide  de  leur  propre  pensée,  passent 
pour  des  gens  de  goût,  pour  de  beaux  artistes  solides  et  loyaux,  parce  que  l'on  trouve 
dans  leurs  œuvres  la  grimace  des  maîtres  canonisés.  Tandis  que  les  malheureux  génies 
qui  ont  le  front  d'exprimer,  comme  il  leur  plaît,  des  émotions  qui  leur  sont  propres, 
passent  pour  des  contempleurs  de  la  décence,  de  la  logique  et  de  la  Beauté,  avec  un 
grand  B,  cette  beauté  dont  chacun  parle  la  bouche  en  cœur,  et  que  personne  n'est 
fichu  de  définir. 

La  discussion  est  née  l'autre  soir  à  propos  d'Alfred  Bruneau  ;  entre  musiciens 
c'est  souvent  à  propos  de  Bruneau  qu'elle  naît  aujourd'hui.  Je  parlais  avec  enthou- 
siasme de  certains  ouvrages  de  ce  compositeur.  Immédiatement  quelqu'un  se  récria 
au  nom  de  la  forme  offensée.  Je  suis  habitué  à  cet  argument,  parce  que  la  musique  de 
Bruneau  n'est  pas  établie  suivant  un  type  encore  catalogué.  Je  ne  sais  si  tu  connais 
quelques  œuvres  de  ce  maître  ;  je  pense  que  oui  :  le  Rêve  et  l'Attaque  du  Moulin  sont 
fréquemment  joués  en  province.  11  est  évident  qu'il  y  a  chez  lui  une  sorte  d'âpreté,  de 
dégingandage,  mettons  d'apparente  gaucherie  qui  lui  sont  propres,  mais  qui  sont  la 
conséquence  nécessaire  de  ses  inspirations  même.  Je  répliquai  tout  de  suite  à  mes 
contradicteurs:  «Dites  que  vous  n'aimez  pas  la  musique  de  Bruneau,  c'est  votre 
droit  absolu  ;  mais  ne  dites  pas  qu'elle  est  mal  faite,  cela  n'a  aucun  sens.  Puisqu'elle  a 


\mÊ, 


—  i6i  — 

la  forme-Bruneau,  elle  a  la  forme  qui  convient  aux  idées-Bruneau.  Libre  à  vous 
de  goûter  ou  non  celles-ci  ;  moi-même  je  ne  les  aime  pas  toutes.  Mais  je  vous  mets  au 
défi,  si  vous  admirez,  comme  moi,  les  Imprécations  à  la  Guerre,  par  exemple,  ou  la 
Rêverie  d'Angélique  :  «Je  voudrais  être  reine  »,  ou  l'entr'acte  de  Messidor,  de  me 
démontrer  que  ces  pages  seraient  plus  belles,  écrites  autrement  qu'elles  ne  le  sont.  » 

Nous  étions  au  cœur  du  problème  et  nous  aurions  dû  parler,  en  cet  endroit,  de 
la  forme  substantielle,  si  l'on  pouvait  discuter  sérieusement  après  les  liqueurs  et  le 
café.  Cependant  comme  je  suis  naturellement  bavard,  mettons  un  peu  raseur,  j'en- 
traînai deux  ou  trois  personnnes  dans  un  angle  du  salon,  et  voici  à  peu  près  ce  que  je 
leur  dis  : 

«  Certainement  je  crois  que  les  œuvres  d'art  ont  besoin  d'une  forme  pour  durer, 
et  même  pour  exister,  mais  contrairement  à  vous,  ce  n'est  pas  une  forme  définie  et 
soumise  à  je  ne  sais  quelles  lois  mal  connues  que  j'exige  d'elles,  mais  la  forme  natu- 
relle de  la  pensée  qu'elles  expriment  ;  disons  mieux  :  la  forme  spécifique  de  la  matière 
qui  les  compose.  Voici  un  œuf  de  poule  ;  outre  l'albumine  et  le  jaune  ou  vitellus  qui  doit 
nourrir  l'embryon,  cet  œuf  renferme  un  germe,  cellule  de  substance-poulet.  Dans  cer- 
taines conditions  de  température  et  d'aération  ce  germe  va  se  développer  et  prendre  en 
21  jours  la  forme  d'équilibre  de  la  substance-poulet,  qui  est  la  forme-poulet.  Un  petit 
poulet  doit  éclore.  Cette  forme  est  donc  intimement  et  exclusivement  liée  à  la  nature 
chimique  du  germe  originaire.  Un  œuf  de  langouste  donne  une  forme-langouste,  un 
œuf  d'hippopotame  donne  un  petit  hippopotame.  Dirons-nous  qu'un  hippopotame  est 
mal  fait  parce  que  nous  n'aimons  pas  sa  forme  ?  Elle  est  pourtant  bien  la  forme  qui 
convient  à  cet  animal,  puisqu'il  naît,  assimile,  se  reproduit  parfaitement  dans  les  con- 
ditions de  milieu  où  persiste  et  se  propage  son  espèce...  Eh  bien  !  je  crois  qu'il  en  va 
de  même  pour  les  œuvres  d'art.  Sous  l'empire  d'une  excitation  extérieure,  le  cerveau 
d'un  artiste  conçoit  brusquement,  spasmodiquement  une  certaine  matière  :  rythme, 
son,  ligne,  volume  ou  couleur,  comme  la  traduction  synesthésique,  comme  le  réflexe 
d'une  impression  individuelle.  C'est  l'inspiration.  Si  cette  inspiration  est  réelle,  il  va 
réaliser  bientôt  dans  une  œuvre  d'art,  avec  les  agents  dont  il  dispose,  —  peinture  à 
l'huile,  marbre  ou  clarinette,  —  la  matière  conçue  et  fécondée  par  son  esprit,  JVIais  il 
n'est  déjà  plus  libre  d'en  modifier  la  qualité  intime  ou,  si  j'ose  dire,  la  composition 
bio-chimique.  Il  faut  que  cette  pensée  germe  et  éclose  suivant  sa  forme  d'équilibre 
individuelle,  particulière,  fatale,  et  suivant  cette  forme  seule.  Il  est  évident  que  les 
œuvres  des  devanciers  ne  seront  pas  sans  influence  sur  cette  forme,  mais  à  titre 
d'exemples  et  non  point  à  titre  de  modèles.  11  n'est  même  pas  besoin  que  ces  modèles 
soient  excellents.  Gorki  peut  écrire  ses  admirables  Vagabonds,  après  avoir  appris  dans 
Alexandre  Dumas  père  ou  dans  Jules  Verne  tout  ce  qu'il  a  besoin  de  savoir  sur  la  ma- 
nière de  faire  un  livre.  Et  je  crois  que  tout  génie  à  qui  l'on  montre  des  chefs-d'œuvre, 
les  comprend  à  demi-mots,  referme  bien  vite  le  livre,  ou  quitte  fiévreusement  le  musée 
et  s'écrie  tout  de  suite  :  «  moi  aussi,  je  suis  artiste  !  »  laissant  aux  élèves  mal  doués 
le  soin  de  copier  la  toile  ou  d'analyser  la  partition.  En  revanche,  le  monsieur  qui  n'est 
point  un  génie,  n'a  pas  de  conception  spontanée  ;  il  n'a  pas  de  réflexes  individuels,  ce 
n'est  qu'un  homme  de  talent,  et  je  l'envoie  rejoindre  le  vil  troupeau  de  ses  semblables. 
II  copiera  l'aspect  extérieur  des  œuvres  du  voisin,  des  œuvres  consacrées,  il  fera  très 
bien  du  Bach,  du  Beethoven  ou  du  Wagner,  sans  la  flamme  intérieure,  et  les  pédants 
lui  trouveront  une  bonne  forme.  Une  bonne  forme,  oui  1...  mais  il  n'aura  jamais  ^a 
forme,  parce  qu'il  n'a  pas  sa  matière,  et  c'est  un  gueux  dont  j'ai  pitié  !  » 

Comprends-tu  maintenant,  mon  jeune  ami,  pourquoi  je  méprise  la  forme-formule  ? 
et  comment  j'estime  qu'il  n'y  a  chez  les  vrais  artistes  qu'une  seule  forme,  la  forme 
matérielle,  état  d'équilibre  spécifique  de  leurs  inspirations?  Si  je  n'ai  pas  le  cerveau  de 


—    l62   — 

Mozart,  pourquoi  imiterais-je  les  coupes  et  les  harmonies  de  Mozart,  et  en  quoi,  je  te 
prie,  la  forme  symétrique  du  Rondeau  turc,  que  d'ailleurs  j'adore,  est-elle  supérieure 
à  la  forme  désordonnée  de  l'Invocation  à  la  nature,  qui  est  le  résultat  normal  du  lyrisme 
romantique  de  Berlioz?... 

Ceci  revient  donc  à  dire  qu'il  n'y  a  pour  chaque  artiste  qu'une  seule  école  de 
forme,  la  sienne  ;  et  comme  l'expression  individuelle  du  monde  extérieur  est  précisé- 
ment le  style,  pour  peu  qu'un  auteur  ait  du  style,  c'est-à-dire  soit  lui-même,  il  a  tout. 
J'en  arrive  ainsi,  vers  la  fin  de  cette  correspondance,  qui  sans  doute  s'achèvera  bien- 
tôt, (car  nous  avons  presque  épuisé,  peut-être  même  dépassé  notre  programme  de  cau- 
series), j'en  arrive  au  point  d'où  je  partis  jadis,  dans  mes  lettres  à  ta  sœur.  Si  j'ai 
bonne  mémoire  je  lui  avais  à  peu  près  défini  le  style  :  la  vision  synthétique  et  person- 
nelle du  monde  extérieur,  propre  à  chaque  individu. 

Quand  on  discute  ces  choses,  même  avec  des  musiciens,  on  arrive  souvent  à 
prendre  des  exemples  littéraires  parce  qu'ils  sont  plus  concrets  et  plus  faciles  à  donner. 
C'est  un  peu  fâcheux.  La  littérature  n'est  pas  tout  à  fait  un  art.  ou  du  moins  n'est  pas 
exclusivement  un  art,  puisqu'outre  les  émotions  sensibles  qu'elle  cultive  et  les  images 
qu'elle  essaie  d'évoquer,  elle  a  des  idées  à  transmettre.  Et  puis  sur  la  littérature  de 
chaque  pays  règne  un  tyran,  élu  par  le  suffrage  universel,  et  dont  les  arrêts  sont  iné- 
luctables :  la  Grammaire  ;  tandis  que  les  grammaires  des  autres  arts  ne  sont  que  des 
semblants  de  monarques,  adulés  par  quelques  pontifes,  mais  sans  autorité  réelle.  On 
ne  peut  faire  réciter  à  la  Comédie  française  :  «  si  j'aurais  su  »,  sans  que  toute  la  salle  se 
cabre,  tandis  que  les  chœurs  de  l'Opéra-Comique  peuvent  chanter  trois  quintes  de 
suite,  sans  révolter  plus  d'une  demi-douzaine  de  professeurs. 

Acceptons  cependant  les  exemples  littéraires.  Le  soir  dont  je  te  parle  un  homme, 
remarquable  écrivain  du  reste,  me  disait  pour  me  confondre  :  «  La  preuve  que  la 
forme,  indépendamment  du  fond  est  capitale  dans  l'art,  c'est  que  la  plupart  des  chefs- 
d'œuvre  ne  sont  faits  que  de  lieux  communs,  qui,  moins  bien  exprimés,  n'auraient 
aucune  valeur.  —  Par  exemple  ?...  —  Par  exemple,  quand  Pascal  écrit  :  «  Ce  chien 
est  à  moi,  disaient  ces  pauvres  enfants,  c'est  ma  place  au  soleil  »,  il  ne  fait  qu'expri- 
mer, avec  une  belle  forme,  l'idée  banale*  que  chacun  a  l'instinct  de  la  propriété,  — 
Votre  citation,  ré pondis-je  à  mon  interlocuteur,  me  confirme  dans  ma  théorie.  Si 
cette  phrase  est  artistique,  c'est  précisément  parce  que  l'idée  n'en  est  pas  banale,  étant 
particulière  et  plastique.  Pascal  a  vu  les  pauvres  enfants  jouer  au  soleil  avec  leur 
chien,  il  a  senti  leur  notion  du  «  tien  »  et  du  «  mien  »,  il  n'a  eu  qu'à  le  dire  pour  que 
cela  soit  beau,  et  n'importe  comment  il  eût  arrangé  sa  phrase  (il  ne  l'a  d'ailleurs  pas 
arrangée  du  tout),  elle  eût  été  belle,  parce  qu'il  avait  une  belle  matière.  » 

Tout  le  mystère  du  style  est  là  :  voir  nettement  quelque  chose,  avoir  une  sensa- 
tion par  idée.  L'architecture  des  mots  importe  si  peu  !  Loti  s'est  fait  un  style  admi- 
rable, c'est  un  écrivain  de  premier  ordre,  et  pourtant  sa  forme  serait  ridicule  et  assom- 
mante adaptée  à  toute  matière  autre  que  ses  sensations  vagues,  flottantes  et  d'une 
mélancolie  si  sensuelle.  Flaubert,  avec  tout  son  labeur,  est  en  somme  un  assez  pauvre 
artiste  et  l'on  en  reviendra  de  l'engouement  que  l'on  montrait  naguère  pour  sa  forme 
raide,  guindée,  impersonnelle,  pleine  d'amphilologies  et  d'une  si  désespérante  mono- 
tonie de  rythme,  de  sonorités  et  de  syntaxe,,  de  tout  cet  art  qui  sent  l'huile,  l'effort, 
l'absence  de  sensations  directes.  J'ai  lu,  je  ne  sais  où,  que  le  jour  où  le  père  Hugo  ré- 
cita pour  la  première  fois,  devant  quelques  intimes,  l'admirable  Boo:(  endormi,  quand  il 
arriva  aux  vers  incomparables  :  «  L'ombre  était  nuptiale,  auguste  et  solennelle...  », 
l'auteur  de  Madame  Bovary ,  présent  à  la  lecture,  se  frappa  la  cuisse  avec  une  admira- 
tion désespérée,  en  criant  à  ses  amis  :  «  Jamais  nous  n'aurions  trouvé  cette  épithète-là, 
nous  autres  !  »  Non  certes,  jamais  !  parce  que  ce  sont  des  miracles  de  forme  qui   nais- 


■m. 


—  163  — 

sent  uniquement  de  l'acuité  de  la  sensation,  et  que  ni  le  travail,  ni  le  bon  goût  ne  dic- 
teront à  qui  que  ce  soit. 

J'ai  entendu  l'année  dernière  un  homme  et  une  femme  qui  se  rencontraient  sur  le 
pont  Louis-Philippe,  pour  la  deuxième  ou  la  troisième  fois  de  la  journée  probablement, 
se  lancer  ces  deux  phrases,  en  se  croisant  :  «  On  se  chercherait,  on  ne  se  rencon- 
trerait pas,  vous  savez.  —  C'est  ce  qui  arrive  !  »  Au  point  de  vue  de  la  forme-for- 
mule, des  académiciens  ne  se  parleraient  évidemment  pas  de  la  sorte  ;  comme  forme- 
matérielle,  adaptée  au  milieu  et  aux  circonstances,  je  trouve  ces  deux  répliques  mer- 
veilleuses de  style  et  de  concision.  Ces  personnes  du  peuple  disaient  parfaitement  ce 
qu'elles  avaient  à  se  dire  ;  elles  faisaient  œuvre  d'art. 

Tu  vois ,  mon  cher  neveu  ,  comment  je  concilie  l'horreur  de  la  forme  en 
soi  et  le  culte  de  la  matière  dans  l'art  ?  Si  tu  m'as  bien  compris,  tu  dois  deviner 
aussi  pourquoi  j'ai,  dans  tout  ordre  d'idées,  la  haine  de  la  virtuosité,  qui  substitue  à 
l'éclosion  normale  de  la  pensée,  la  fausse  élégance  d'un  travestissement  de  carnaval. 
Puisque  nous  sommes  dans  le  domaine  littéraire,  laisse-moi  te  rapporter  cette 
anecdote,  contée  naguère,  dans  un  quotidien,  par  Octave  Uzanne.  On  y  découvre 
tout  ce  qu'il  y  a  de  bas  et  de  misérablement  factice  chez  un  virtuose  de  la  plume. 

«  Je  me  souviens  qu'un  soir,  dit  ce  chroniqueur,  je  vis  Heredia  étrangement  sur- 
pris à  l'audition  d'une  fameuse  pièce  de  Mallarmé  où  figurait  ce  vers  : 

Là,  un  ptyx 
Insolite  vaisseau  d'inanité  sonore 

«  José-Maria  tortillait  sa  moustache  brune  d'une  main  fébrile.  Quand  il  eut  écouté 
et  applaudi,  il  s'approcha  du  doux  Stéphane,  intrigué,  l'interrogeant  sur  ce  mot  pfjx, 
qu'il  jugeait  devoir  signifier  quelque  piano  fabuleux. 

—  Mais  aucunement,  cher  ami,  répliqua  Mallarmé.  Notez  bien  que  comme  rime 
à  Sfyx,  j'avais  urgent  besoin  d'un  mot  congruent.  N'en  trouvant  point,  j'ai  créé  un 
instrument  de  musique  inédit.  Or  rien  n'est  plus  clair  que  mon  vers.  Le  ptyx  est  in- 
solite, car  il  est  inconnu  ;  il  résonne  avec  sonorité,  puisqu'il  rime  avec  une  majes- 
tueuse opulence  ;  il  n'en  demeure  pas  moins  un  vaisseau  d'inanité,  puisqu'il  n'a 
jamais  existé.  Et  l'on  dit  que  je  ne  suis  pas  clair  !  concluait  l'auteur  de  l'Après-midi 
d'un  Faune  ». 

N'est-il  pas  affreux  de  penser  qu'un  tel  virtuose  a  pu  passer  pour  un  artiste  aux 
yeux  de  bons  jeunes  gens  ébaubis?...  Et  en  musique  donc,  mon  pauvre  garçon!  Je  ne 
veux  pas  citer  des  noms  contemporains,  parce  qu'il  est  inutile  de  froisser  dans  leurs 
admirations  les  personnes  de  bonne  foi.  Mais  il  est  vraiment  drôle  de  songer  que  les 
mêmes  amateurs  qui  reprochent  à  tel  musicien  son  absence  de  forme,  s'extasient  de- 
vant les  formules  désespérément  vides  d'un  tas  de  barreurs  de  croches,  que  l'on  salue 
jusqu'à  terre,  que  l'on  appelle  «  Maître  »  qui  savent  tout  de  leur  art,  sauf  trouver  une 
expression  sonore  un  peu  personnelle,  un  peu  savoureuse,  un  peu  neuve,  épanouisse- 
ment naturel  d'une  émotion  sincère. 

Ah  !  mon  petit,  j'ai  été  souvent  dur  pour  les  virtuoses.  Je  le  serai  encore.  Et  je 
me  réjouis  de  voir  que  tout  de  même  on  se  dégoûte  de  tout  ce  fard,  de  tout  ce  rouge. 
de  toutes  ces  mouches  qu'ils  plaquaient  avec  une  triomphante  insolence  sur  le  beau 
visage  expressif  et  simple  de  la  chère  Musique.  Ah  !  les  gredins  !  Ils  croyaient  avoir 
le  droit  de  vendre  des  moulages  en  carton  peint  de  la  Vénus  de  Milo.  Les  galeries 
hautes  de  nos  grands  concerts,  où  palpite  encore  un  peu  de  jeunesse,  d'émotion  et  de 
sincérité,  leur  ont  prouvé  que  non,  tout  de  même  !  Elles  ont  «  débiné  le  truc  »  des 
mauvaises  gammes  inutiles,  des  arpèges  arrogants,  des  vaines  acrobaties  et  c'est  quel- 
que chose  de  doux,  pour  celui  qui  aime  la  belle  matière  et  déteste  les  poncifs,  de  voir 


—  164  — 

que^  là  même  où  l'on  ne  craint  pas  de  siffler  l'ennuyeuse  et  scholastique  Chacone  pour 
violon  seul,  du  grand  Bach,  on  a  respectueusement  écouté  depuis  un  mois,  sans  une 
protestation /le  divin  sourire  de  Mozart,  dans  quatre  concertos.  La  musique  vit  encore 
dans  la  conscience  des  amateurs,  sinon  dans  l'épateuse  volonté  des  musiciens;  et  l'ave- 
nir est  beau  pour  elle. 

Avant  de  te  quitter,  mon  cher  ami,  je  veux  te  rappeler,  en  manière  de  conclusion, 
une  autre  pensée  de  Pascal  :  «  Ceux  qui  font  les  antithèses  en  forçant  les  mots,  sont 
comme  ceux  qui  font  des  fausses  fenêtres  pour  la  symétrie.  Leur  règle  n'est  pas  de 
parler  juste,  mais  de  faire  des  figures  justes.  »  Malheureusement  il  y  a  beaucoup  de 
gens  qui  aiment  les  fausses  fenêtres.  Au  commencement  du  vingtième  siècle,  la  Ville 
de  Paris  organise  des  concours  de  façades  !  !  !  Et  l'on  ne  sait  aucun  gré,  dans 
aucun  art,  aux  gens  droits  et  simples  qui  cherchent  tout  bonnement  à  parler 
juste. 


Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu 

(Suite) 


Lettre  à  M.  Kéfer(1891) 

[Suite) 

*  Paris,  75  iÂvril  i8çi. 

Cher  Monsieur  et  ami, 

Si  je  suis  resté  si  longtemps  sans  vous  donner  de  mes  nouvelles,  c'est  que  j'aî 
passé  depuis  le  i^'  janvier,  le  trimestre  le  plus  ennuyeux  que  vous  puissiez  imaginer. 
Le  trimestre  précédent  avait  été  par  moi,  employé  à  faire  du  grec,  du  latin,  etc..  et  à 
donner  des  leçons  de  ces  langues  en  remplacement  d'un  de  mes  amis,  professeur  de 
littérature. 

Au  mois  de  décembre,  c'était  la  mort  de  mon  cher  Maître  (i),  et  lorsque,  au 
commencement  de  cette  année,  je  me  suis  vu  délivré  de  mes  extravagantes  occupa- 
tions, quand  j'ai  pu  me  remettre  à  faire  de  la  musique,  je  ne  suis  parvenu  qu'à  écrire 
des  horreurs  sans  nom,  que  j'ai  classées  sous  le  titre  de  Trio  pour  Piano,  Violon, 
Violoncelle. 

J'étais  tout  désorienté,  je  passais  4  ou  5  jours  par  semaine  à  fumer  en  regardant 
tomber  l'implacable  pluie  et  à  me  dire  qu'il  serait  sage  à  moi  d'aller  casser  des  pierres. 
Mais,  comme  vraiment,  il  y  a  autre  chose  qu'à  regarder  tomber  des  ondées,  je  me  suis 
mis,  tant  bien  que  mal,  à  un  travail  réguUer.  Je  me  suis  replongé  dans  le  contrepoint, 
le  double  chœur  et  la  fugue  et  ça  marche  cahin-caha.  J'ai  entendu  à  Angers  une  bonne 
lecture  d'un  petit  morceau  d'orchestre  que  j'avais  écrit  l'été  dernier  [la  3^  partie  d'une 
Etude  Symphonique  en  ^  parties)  et  comme  la  sonorité  n'en  était  pas  trop  désagréable, 
cela  m'a  donné  un  peu  de  courage. 

D'autre  part,  Vincent  d'Indy  (dont,  fort  heureusement,  j'ai  pu  faire  la  connaissance) 
me  pousse,  très  amicalement  à  beaucoup  travailler,  me  demande,  à  chaque  rencontre, 
si  j'ai  quelque  chose  de  nouveau  à  lui  montrer  et  je  ne  désespère  pas  de  rentrer  bientôt 
dans  la  fièvre  du  travail  qui  m'a  tenu  toute  l'année  dernière.  Je  vais  remanier  entière- 
ment, je  pourrais  même  dire  refaire  la  première  partie  de  ma  deuxième  étude  sympho- 


(1)  César  Franck,  mort  en  novembre  1890. 


—  165  — 

nique,  car,  quand  j'ai  voulu  en  écrire  la  troisième  partie,  la  première  m'a  paru  plus 
nulle  que  les  œuvres  complètes  d'Ambroise  Thomas. 

Enfin,  je  me  sens  animé  petit  à  petit  à  donner  un  bon  coup  de  collier.  Ce  qui  en 
résultera,  nul  ne  peut  le  dire,  rien  de  bien  fort  sûrement,  mais  je  veux  avoir  cette  con- 
solation de  me  dire  que  je  n'aurai  pas  perdu  une  année  entière. 

JVlon  ami  A.  Guignard  m'a  écrit  que  vous  aviez  bien  voulu  vous  charger  de  con- 
duire votre  quatuor  d'orchestre  pour  l'exécution  du  petit  morceau  que  je  lui  ai 
adressé  à  l'occasion  de  son  proche  mariage,  j'ai  encore  retrouvé  là  l'amical  et  profond 
dévoûment  dont  vous  m'avez  déjà  donné  tant  de  preuves  et  ne  sais  comment  vous 
remercier.  C'est  pourtant  à  vous  encore  que  je  m'adresse  pour  savoir  si  la  sonorité  de 
cet  Epithalame  est  satisfaisante.  Il  doit,  me  semble-t-il,  résulter  pas  mal  de  trous  de  cet 
assemblage  de  cordes,  trombones  et  orgue.  Ces  trous,  cher  Monsieur,  veuillez  me 
les  indiquer,  j'essaierai  de  vous  adresser  des  changements  aux  endroits  fautifs. 

Je  connais  votre  sincérité  et  je  sais  que  vous  ne  m'épargnerez  pas  les  critiques. 
Merci  d'avance  infiniment.  Avez-vous  lu  le  Quatuor  du  père  Franck  ?  Je  sais  qu'il  est 
édité  chez  Hamelle  et  me  le  procurerai  bientôt.  C'est,  vous  le  savez,  une  œuvre  ad- 
mirable. Plus  admirable  encore,  peut-être,  le  quatuor  à  cordes  que  vient  d'achever 
d'indy  et  qu'il  a  fait  entendre  à  Bruxelles  d'abord,  ici  ensuite.  C'est  un  travail  abso- 
lument stupéfiant.  Dès  qu'il  sera  publié,  je  vous  avertirai. 

Cette  année  aura  été  fort  brillante  pour  la  Société  Nationale.  Plusieurs  œuvres  de 
ses  membres  ont  été  exécutées  chez  Lamoureux  et  un  tout  jeune  homme,  Ch.  Bordes, 
s'est  vraiment  révélé  comme  penseur  et  coloriste  dans  plusieurs  œuvres.  Tout  le 
monde  travaille  et  c'est  décidément  le  seul  moyen  d'arriver  au  bonheur. 


Paris,  i^  juin  i8çi. 

...  Je  suis  bien  décidé  maintenant  à  tenter  cette  aventure  (i),  si  décidé  que  j'ai 
adressé  depuis  trois  jours  ma  demande  d'inscription  et  Dieu  sait  pourtant  qu'il  est 
impossible  de  se  présenter  dans  des  conditions  plus  désastreuses  que  celles  où  je  suis. 
Je  n'ai  pour  ainsi  dire  pas  travaillé  cette  année  et  j'ai  perdu  mon  plus  ferme  appui  :  le 
père  Franck. 

Par  bonheur,  j'ai  connu,  depuis  cette  mort  si  imprévue,  Vincent  d'indy  et  j'ai  pu, 
grâce  à  lui  et  sous  sa  direction,  me  remettre  un  peu  au  travail.  Il  m'a  encouragé  et 
sérieusement  conseillé  de  me  présenter  au  concours.  Je  lui  obéis  et  satisfais  ainsi  en 
partie  mes  parents  qui  n'ont  en  ce  moment  d'autre  rêve  que  de  me  voir  un  jour  loti  de 
cette  récompense  suprême  et  gouvernementale. 

En  toute  sincérité  je  dois  pourtant  bien  avouer  qu'il  me  serait  assez  désagréable 
de  ne  pas  être  admis  au  concours  définitif,  et,  pourtant,  au  point  de  vue  strictement 
matériel  (j'entends  par  là  le  temps  d'écrire  des  notes)  je  redoute  bien  plus  l'épreuve 
préparatoire  que  le  concours  lui-même.  Car  pour  celui-ci  on  accorde  27  jours  de  loge, 
alors  que  les  concurrents  n'ont  que  72  heures  =  3  jours  pour  composer  la  fugue  à  4 
voix  et  le  chœur  avec  orchestre  (partition  complète)  qui  constituent  l'épreuve  prépara- 
toire. 

Je  n'ai  jamais  pu  faire  une  fugue  en  moins  de  six  jours  et  pour  le  chœur  avec 
orchestre  j'ai  déjà  essayé  d'en  composer  un  en  aussi  peu  de  temps  que  possible,  il  m'a 


[i)  Il  s'agit  du  concours  pour  le  prix  de  Rome,  auquel  Lekeu  se  présenta  sur  les  conseils  de  Vincent 
d'indy. 


—  i66  — 

fallu  8  jours  et  je  n'avais  pris  pour  texte  que  quelques  vers  de  Lamartine  (6  seulement, 
mais  avec  les  répétitions  des  mots,  ces  6  en  représentent  15). 

Ici,  au  Conservatoire,  on  donne  de  20  à  30  vers  à  illustrer  d'une  musique  du  plus 
vif  intérêt  pour  ce  chœur  avec  orchestre. 

S'il  en  est  de  même  à  Bruxelles,  je  ne  sais  pas  du  tout  comment  je  pourrai  m'y 
prendre  pour  avoir  terminé  ma  double  besogne  dans  le  délai  fixé. 

Mais  si  je  puis  achever  en  3  jours  ces  2  devoirs,  je  serais  vraiment  vexé  que  le 
jury  les  trouvât  si  mauvais  que  je  ne  pusse  prendre  part  au  concours.  Et  pourtant... 
Gela  me  pend  au  nez!  Le  plus  ennuyeux,  c'est  que  ce  concours  m'empêche  d'aller  à 
Bayreuth.  J'en  suis  vraiment  furieux,  car  c'est,  de  ma  part,  rééditer  à  coup  sûr  la  déli- 
cieuse et  mélancolique  fable  du  chien  qui  lâche  sa  proie  pour  l'ombre.  Vous  y  allez,  je 
le  sais,  et  je  me  faisais  une  si  grande  fête  de  vous  rejoindre  là-bas,  dans  ce  pays  béni, 
et,  avec  vous,  et  grâce  au  Mage  sublime,  de  quitter  encore  ce  vieux  sol  maudit  où  les 
générations  ne  se  succèdent  que  pour  souffrir  ;  oui,  de  le  quitter  (pour  quelques  heures 
seulement,  hélas  !)  et  d'habiter  au  pays  des  songes,  où  les  souffrances  les  plus  ter- 
ribles ne  sont  elles-mêmes  que  le  prétexte  des  joies  infinies  et  consolatrices... 

Vous  me  demandez  comment  est  mort  Franck?  Je  vous  ai  parlé  d'un  accident  de 
voiture  où  il  avait  été  blessé  au  mois  de  juillet  dernier.  Depuis,  sa  santé  s'affaiblissait 
de  jour  en  jour.  Il  a  gagné  un  rhume  au  mois  d'octobre  et.  à  partir  du  15  novembre, 
a  dû  renoncer  à  presque  toutes  ses  leçons.  J'ai  eu  le  bonheur  de  le  voir  deux  fois  encore 
et  de  faire  delà  musique  avec  lui.  Il  s'est  alité  vers  la  fin  du  mois  et  chaque  jour  j'allai 
prendre  de  ses  nouvelles.  C'était  tantôt  mieux,  tantôt  pis.  Un  jour,  on  m'annonce  une 
amélioration  très  sensible  :  le  lendemain,  il  était  mort... 

(A  suivre). 


MADEMOISELLE  DE  BELLE-ÏSLE 

De  M.  Spiro  SAMARA,  sur  un  livret  de  Paul  MILLIET 


Après  une  brillante  représentation  de  Tannhceuser  avec  Van  Dyck,  Renaud, 
Mnies  Farrar  et  Lindsay,  le  théâtre  de  Monte-Carlo  vient  de  nous  faire  entendre  une 
œuvre  inédite  en  France  du  compositeur  Spiro  Samara. 

L'auteur  de  iMlIe  de  Belle-Isle  est  grec  d'origine,  il  est  né  à  Corfou,  a  fait  ses 
études  en  France  avec  Léo  Delibes,  et  il  écrit  de  la  musique  italienne,  oh  combien  ! 

Lelivret  de  Mlle  de  Belle  Isle  a  été  fidèlement  découpé  par  Paul  Milliet  dans  la 
pièce  de  Dumas  père,  lors  delà  création  de  l'œuvre  à  Gênes.  11  y  a  deux  mois  à  peine, 
le  librettiste  avait  changé  le  dénoûment,  la  pièce  finissait  tragiquement  par  la  mort 
du  chevalier  d'Aubigny,  qui  tout  à  la  fin,  avant  que  le  duc  de  Richelieu  n'eût  eu  le 
temps  de  dénouer  la  situation,  s'enferrait  lui-même  sur  l'épée  de  son    adversaire. 

En  Italie  il  paraît  qu'un  bon  drame  lyrique  doit  finir  par  un  malheur.  A  Monte- 
Carlo  notre  aimable  confrère  Milliet  est  revenu  à  des  sentiments  plus  humains,  et  pre- 
nant en  pitié  le  sort  de  l'infortunée  Mlle  de  Belle-lsle,  il  a  sauvé  la  vie  à  son  fiancé,  se 
conformant  ainsi  au  dénouement  infiniment  plus  logique  de  son  illustre  modèle. 

L'œuvre  de  M.  Samara  réunissait  ici  la  plupart  des  protagonistes  de  la  création  à 
l'exception  de  Mlle  Royer.  Il  était  en  somme  intéressant  de  nous  faire  connaître  un 
compositeur  nouveau  peur  nous,  M.  Spiro  Samara,  déjà  apprécié  dans  la  péninsule 
pour  sa  Martyre,  sa  Medje,  etc. 


—  167  — 

Dans  Mademoiselle  de  Belle-Isle,  M.  Samara  témoigne  d'un  sens  réel  du  théâtre  et 
du  mouvement  scénique,  qualités  que  possèdent  d'ailleurs  la  plupart  des  compositeurs 
modernes  de  l'Italie.  La  partition  comprend  deux  éléments  bien  distincts  en  vertu  du 
sujet  même  de  la  pièce  :  d'une  part  l'atmosphère  légère,  spirituelle  et  libertine  qui  ca- 
ractérise l'époque  de  Louis  XV,  d'autre  part  l'élément  passionnel  et  émotif,  représenté 
par  le  chevalier  d'Aubigny  et  l'héroïne  du  drame,  et  les  situations  dans  lesquelles  ils 
se  débattent. 

Parmi  les  passages  les  plus  saillants  il  convient  de  citer  au  premier  acte  le  mari- 
vaudage de  la  marquise  de  Prie  et  du  duc  de  Richelieu  ;  puis  la  déclamation  de  Mlle  de 
Belle-Isle,  lorsqu'elle  s'adresse  en  suppliante  à  la  marquise  :  Corne  un  viandante  smar- 
rito  a  notte  (comme  un  voyageur  égaré  dans  la  nuit)  ;  puis  l'andante  passionné  chanté 
par  d'Aubigny  (en  sol  majeur  à  quatre  temps)  :  Si,  l'aer  ch'iorespiro  (oui,  l'air  que  je 
respire)  ;  l'ironique  et  badine  déclaration  de  Richelieu  (allegretto  scherzoso)  Re  dei 
x'a^Ma/non  (,1e  roi  des  amourettes). 

Le  second  acte  se  passe  surtout  en  dialogues  et  en  allées  et  venues.  Entre  le 
second  et  le  troisième  actes  un  intermezzo  élégamment  écrit  dans  le  style  ancien  ; 
à  noter  ensuite  la  caressante  cantilène  chantée  par  Renaud  «  notte  adorabil,  0  notte 
deli:(iosa  »; 

Le  quatrième  acte  débute  par  un  andante  dans  le  style  religieux  et  continue  par 
unassezgracieuxbadinagedes  chœurs  de  courtisans;  citons  ensuite  la  prière  de  Mlle  de 
Belle-Isle  et  enfin  le  morceau  de  résistance  de  cet  acte,  le  grand  duo  d'amour  final  (en 
la  bémol  avec  basses  syncopées)  «  Obliamo  un  passato  cbe  il  cor  ci  strapô  »  (oublions 
le  passé  qui  blessa  nos  deux  cœursj,  et  où  M.  Samara  a  exprimé  la  passion  en  accents 
chaleureux. 

Telles  sont  les  grandes  lignes  de  cette  partition  qui  dénote  chez  son  auteur,  ainsi 
que  je  l'ai  dit,  un  sens  réel  de  la  scène.  Ajoutons  à  cela  que  M.  Samara  écrit  d'une 
façon  claire  et  en  mélodisant  le  plus  possible. 

Toutefois,  au  point  de  vue  musical  proprement  dit,  M.  Samara  ne  nous  paraît  pas 
l'égal  de  ses  rivaux  d'outre-monts.  Son  inspiration  brille  par  la  franchise  et  la  sincérité 
mais  la  mélodie  de  M.  Samara  est  trop,  beaucoup  trop  facile  et  frise  souvent  la  bana- 
lité ;  on  n'y  découvre  point  cette  distinction  qui  est  la  marque  de  Puccini,  ni  ces  jo- 
lies recherches  harmoniques  dont  est  parsemée  la  Bohême  ou  \&  Tosca  ;  ce  n'est  pas  non 
plus  l'originalité  ni  la  puissance  instrumentale  d'un  Giordano. 

En  un  mot  pour  être  complet  il  faudrait  que  M.  Samara  joignît  à  ses  qualités  de 
chaleur  et  de  mouvement  une  ligne  mélodique  plus  personnelle  et  plus  travaillée,  et 
qu'il  ne  se  contentât  point  du  premier  jet  comme  il  semble  l'avoir  fait  dans  sa  Made- 
moiselle de  Belle-Isle,  où  la  trame  symphonique  est  pour  ainsi  dire  inexistante. 

L'ouvrage  a  été  brillamment  mis  en  scène  :  costumes  et  décors  sont  d'une  rare 
élégance.  L'interprétation  est  excellente  avec  Bassi,  le  rival  de  Caruso,  l'un  des  meil- 
leurs ténors  de  l'Italie  ;  Renaud,  toujours  impeccable  ;  Mlle  Cavalieri  et  Mlle  Royer,  de 
j  voix  fort  agréables. 

Le  public  a  fait  bon  accueil  à  l'ouvrage. 

Alfred  MORTIER. 


—  i68  — 

GRAND  THÉÂTRE  DE  BORDEAUX 


L'ANNIVERSAIRE 


M.  Adalbert  Mercier  a  écrit  pour  l'Anniversaire,  une  partition  tout  à  fait  remar- 
quable. La  musique  suit  le  livret  avec  beaucoup  de  sincérité  et  de  fidélité  ;  et  même  à 
l'action  pittoresque  et  véhémente,  brutale  à  la  fin,  l'inspiration  du  compositeur  ajoute 
une  sorte  de  tendresse  élégiaque  bien  séduisante. 

C'est  qu'en  effet,  là  est  tout  le  talent  de  M.  Mercier.  Certes,  on  reconnaît  dans 
son  écriture  l'influence  de  Xavier  Leroux,  et  parfois  —  par  exemple  pour  le  choix  des 
tonalités  —  l'imitation  de  César  Franck  :  et  l'on  ne  peut  que  louer  Mercier  d'être  à 
si  grande  école.  De  même  on  voit  qu'il  est  déjà  homme  de  métier,  il  manie  très  habi- 
lement l'orchestration  et  la  polyphonie.  Mais  le  flot  de  l'inspiration  personnelle,  le  don 
de  grâce  emporte  tout,  domine  tout,  science,  imitation,  leçons.  La  musique  de 
Mercier  est  de  quelqu'un,  quelqu'un  de  fort  aimable. 

U Anniversaire  a  été  chaleureusement  accueilli.  Le  récitatif  de  Mattéo  :  «  Soleil  qui 
empourpres  nos  plaines  »  coupé  d'un  air  exquis  :  «  Lorsqu'elle  errait  parmi  les  mousses  »,  a 
soulevé  les  applaudissements.  Puis  est  venu  le  lamento  de  Severina,  et  la  vilanelle 
riante  et  lumineuse  de  Lucia  qui  arrive  les  bras  chargés  de  fleurs.  Lorsque  le  clair  prin- 
temps viendra  ;  puis  encore  ce  joli  duo  d'amour  entre  Lucia,  aimante  et  confiante,  et 
Sandro  qui  hésite,  qui  se  souvient  et  qui  souffre  ;  enfin  le  chœur  religieux  de  la  Tous- 
saint, ample  et  solennel. 

On  voit  par  ces  brèves  indications  que  Mercier  n'est  pas  ennemi  de  la  mélodie,  et 
il  aurait  grand  tort  :  car  elle  l'a  présentement  favorisé.  Il  ne  dédaigne  pas  d'écrire  des 
pages  sentimentales  d'un  dessin  limpide,  pages  d'une  jolie  venue,  et  qui  coulent  de 
source.  S'il  y  a  un  dieu  dans  l'école  italienne,  Mercier  porte  quelquefois  ses  vœux  à 
ce  dieu-là .  Mais  ce  n'est  pas  tout  à  fait  sa  religion  ;  sa  musique  n'est  ni  superficielle 
ni  rapide,  elle  sait  traduire  toutes  les  émotions,  elle  est  bien  écrite  et  bien  construite, 
elle  ne  brille  pas  aux  dépens  du  drame,  elle  est  le  drame  même.  Cette  musique  est 
dramatique  et  vivante. 

Au  succès,  au  triomphal  succès  du  musicien  et  du  librettiste,  ont  contribué  gran- 
dement Fournets  qui  est  un  chanteur  de  style  et  Mlle  Ranflaur,  tragédienne  impres- 
sionnante. 

F.  STROWSKI. 


—  169  — 

LES  GiîanDS  eoncEiî'TS 


Concerts  Colonne  et  Lamoureux 

Rendre  compte  de  quatre  concerts  en  un  seul  article  est  un  travail  qui  m'ennuie 
au-delà  de  toute  expression  et  je  crains  fort  de  faire  partager  cet  ennui  à  mes  lecteurs, 
si  j'énumère  seulement  les  numéros  de  ces  quatre  programmes,  ceux  du  Châtelet  sur- 
tout, interminables  comme  toujours.  Butinons  donc  un  peu  au  hasard  sur  toutes  ces 
œuvres  et  commençons  par  les  nouvelles.  Elles  devraient  être  les  plus  fraîches  ;  elles 
sont  généralement  les  moins  jeunes  de  toutes,  tant  comme  charme  que  comme  émo- 
tion. Que  vous  dire,  par  exemple,  de  la  Cloche  fêlée,  poème  symphonique  de  M.  F. 
Pécoud,  d'après  Baudelaire,  ou  des  Récits  de  Guerre  et  d'Amour,  poème  symphonique 
de  M.  Jemain,  joués  par  M.  Chevillard,  les  11  et  18  février  ?  S'il  me  fallait  paraphraser 
ces  pièces,  je  répéterais  ce  que  j'ai  dit  plus  de  cinquante  fois  depuis  quelques  années  : 
on  y  trouve  tout  ce  qui  fait  la  bonne  musique,  tout  sauf  l'étincelle.  Mais  il  est  effrayant 
de  songer  à  la  somme  de  travail  que  dépensent  les  pauvres  auteurs  pour  arriver  à  bâ- 
tir (avec  quelle  peine,  on  ne  le  sent  que  trop  !)  un  malheureux  morceau  qui  vient, 
comme  une  bulle  de  gaz  lentement  formée  dans  la  vase  d'un  étang,  s'épanouir  une  mi- 
nute à  la  surface  de  l'orchestre  et  crever  pour  toujours  sous  la  lumière  des  lustres. 
Pourquoi  ces  auteurs  ne  composeraient-ils  pas  plutôt,  comme  leurs  ancêtres,  un  bon 
petit  opéra-comique  bien  gentil,  qui  É^YoMwéra/f  peut-être  moins  leurs  confrères,  mais 
qui  séduirait  le  public  et  remplirait  infiniment  mieux  le  rôle  charmeur  et  expressif  de 
l'art.  Ou  même,  sans  se  porter  à  cette  extrémité  honteuse  d'écrire  deux  ou  trois  jolis 
actes,  que  n'imitent-ils  Rimsky-Korsakow  qui,  sans  se  torturer  l'entendement,  habille 
les  récits  de  Schéhérazade  de  soie  et  de  perles  instrumentales,  dont  l'orchestre  Lamou- 
reux  fait  si  bien  chatoyer  les  reflets  !  «  Grand  Art,  grand  Art,  quand  tu  nous  tiens, 
on  peut  bien  dire  :  adieu,  jouissance  !  » 

De  son  côté,  M.  Colonne  redonna  la  Symphonie  en  mi  hèmol  de  M.  Enesco.  Tous 
ceux  qui  la  réentendirent,  et  qui  à  la  première  audition  en  avaient  éprouvé  la  même 
impression  que  moi,  m'ont  affirmé  avoir  ressenti  pour  elle,  la  seconde  fois,  une  sym- 
pathie beaucoup  plus  vive.  Je  regrette  donc  de  ne  l'avoir  pas  réentendue.  Je  ne 
demande  pas  mieux  que  de  revenir  sur  une  impression  trop  hâtive.  Il  est  certain  que 
désormais,  par  exemple,  Y  Après-midi  d'un  Faune  de  M.  Debussy,  fort  bien  joué  par 
M.  Colonne,  ces  derniers  dimanches,  me  fait  beaucoup  plus  de  plaisir  qu'autrefois, 
(contrairement  à  ses  Nocturnes,  dont  je  me  lasse  un  peu  après  les  avoir  vivement 
aimés)  et,  tout  en  maintenant  qu'il  y  a  dans  cette  musique  troublante  une  subtibilité 
excessive  et  probablement  inutile,  j'eus  tort,  je  l'avoue  très  volontiers,  d'en  mécon- 
naître jadis  la  mélancolie  poignante  et  sensuelle. 

Le  Chant  d'Automne  de  M.  Guy  Ropartz  sur  une  poésie  de  Beaudelaire,  (encore 
Baudelaire  !)  et  le  Concerto  de  piano  de  Castillon  joué  par  Mlle  Blanche  Selva  furent 
donnés  à  des  Concerts  où  je  n'assistais  pas.  Mais  j'ai  entendu  le  jour  d'été  a  la  Mon- 
tagne, nouveau  poème  symphonique  de  M.  d'Indy.  C'est  long,  un  jour  d'été,  ah  ! 
fichtre  oui  !  c'est  long,  même  décrit  par  un  impressionniste  miraculeusement  adroit, 
mais  qui  veut  à  tout  prix  verser  dans  le  symbole  et  qui  pousse  l'habileté  jusqu'à 
l'oubli  de  toute  candeur.  Aurore,  jour  et  soir!  Ça  finit  bien  tout  de  même  par  une 
délicieuse  rêverie  du  quatuor  en  sourdine,  trop  longtemps  attendue  et  c'est  plein  de 
talent,  mais  non  de  simplicité.  M.  Vincent  d'Indy  est  un  réaliste  manqué,  je  l'ai  plu- 
sieurs fois  insinué,  moins  crûment  qu'aujourd'hui  peut-être,  et  quelque  admiration 
que  j'aie  pour  plusieurs  de  ses  œuvres,  je  regrette  qu'il  ait  trop  pensé  sa  musique  et 


—  170  — 

desséché,  —  a  mon  avis,  bien  entendu,  —  les  dons  d'une  sensibilité  très  française  par 
un  parti-pris  de  spiritualité,  qui  n'a  rien  à  voir  avec  notre  tempérament  national. 
Quand  on  me  trouve  injuste  vis-à-vis  de  Franck,  on  a  raison  sans  doute.  Mais  j'ai 
raison  aussi,  soyez-en  sûrs,  de  déplorer  que  ce  maître  wallon  soit  venu  orienter  la 
musique  de  chez  nous  dans  des  sentiers  beaucoup  trop  idéalistes  pour  elle. 

Si  nous  parlions  un  peu  des  virtuoses  qui  se  sont  fait  entendre  à  ces  séances? 

Tenez-vous  bien!  Je  n'aiqu'àchanterleurslouanges.  A  vrai  dire, si  M.  Enesco,  violoniste, 
m'a  paru  fort  bon  et  si  la  Chacone  pour  violon  seul  du  père  Bach  est  signée  d'un  nom 
qui  équivaut,  en  musique,  à  celui  dejéhovah,  en  histoire  naturelle,  cette  Chacone  est 
tout  de  même  passablement  ennuyeuse.  Eh  !  parbleu  !  c'est  de  la  bonne  musique  ;  mais 
il  en  est  des  morceaux  d'étude  comme  de  la  vérité  :  les  meilleurs  ne  sont  pas 
toujours  bons  à  dire...  en  public  du  moins,  surtout  dans  une  si  grande  salle.  Et  je  ne 
suis  aucunement  surpris  que  l'autre  jour,  quand  M.  Enesco  a  voulu  se  faire  entendre 
en  his,  l'auditoire  lui  ait  signifié,  par  des  «  chut  »  vigoureux,  que  l'Ainsi-soit-il  avait 
duré  assez  longtemps  pour  qu'on  ne  recommençât  pas  le  sermon. 

Et  maintenant  je  vais  célébrer  deux  pianistes  :  M.  Alfred  Cortot,  qui,  remarqua- 
blement secondé  par  M.  Chevillard,  a  joué  les  admirables  Variations  symphoniques ,  le 
chef-d'œuvre  de  Franck,  (sur  lesquelles  je  n'ai  jamais  varié,  et  ne  varierai  jamais,  je 
pense,)  avec  une  discrétion  d'effets,  uneintensité  d'émotion,  unsensualismejoyeuxetune 
sérénité  discrète  extraordinairement  poignants — Quelle  allégresse  !  quelle  force  calme! 
quel  brasier  intérieur!  —  ce  fut  superbe; ...  et  Mme  Wanda  Landowska  qui,  parfaite- 
ment accompagnée,  elle  aussi,  par  M.  Colonne,  nous  a  distillé  l'adorable  Concerto  en 
mi  bémol  de  Mozart,  selon  cette  méthode  fine,  expressive,  presque  déconcertante  de 
simplicité,  de  netteté,  de  précision  et  pourtant  si  remplie  de  charme,  si  enveloppante, 
qui  en  fait  aujourd'hui  la  plus  exquise  interprète  des  vieux  maîtres  du  clavecin  et  du 
piano-forte.  Si  quelqu'un  ne  s'émerveillait  pas  d'une  gamme  ou  d'un  trille  individua- 
lisés par  cette  adorable  pianiste,  et  ne  sentait  pas  ses  yeux  se  troubler  à  l'ineffable 
adagio  de  l'œuvre  qu'elle  interpréta  l'autre  jour,  je  ne  saurais  causer  avec  lui,  car  le 
mot  «  musique  »  ne  possède  évidemment  pas  le  même  sens  pour  nous  deux. 

A  coup  sûr  il  est  infiniment  doux  au  détracteur  des  virtuoses  de  tresser  ici  une 
double  couronne  au  jeune  chef  d'orchestre  et  à  la  jeune  claveciniste  qui,  l'un  et 
l'autre,  avec  des  styles  presque  contradictoires,  sont  deux  artistes  si  parfaitement 
doués.  Je  les  prie  seulement  de  me  laisser  aujourd'hui  faire  une  petite  place,  auprès 
d'eux,  à  M.  Paul  Brun,  cor  anglais  des  Concerts-Colonne  qui,  le  18  février,  remporta 
une  si  légitime  ovation  dans  le  Ranz  des  Vaches  du  SManfred  de  Schumann.  Il  est  im- 
possible de  rêver  non  seulement  un  son  plus  pur,  une  sûreté  rythmique  plus  parfaite 
que  celle  de  cet  instrumentiste,  mais  surtout  (et  c'est  par  là  qu'il  a  touché  le  public),  de 
faire  tenir  dans  un  pauvre  petit  solo  de  quelques  lignes  une  plus  intense  poésie  de  la 
nature,  un  plus  juste  sentiment  de  la  paix  du  soir...  «  Ah  !  qu'la  vie  est  bonn'  tout 
d'  même,  quand  on  l'aime,  quand  on  l'aime  !  »  chanterait  le  joyeux  Dalcroze. 

Jean  d'UDINE. 


—  171  — 

LA    QUINZAINE   MUSICALE 

Société  Philharmonique 

Tout  l'intérêt  de  la  dixième  séance  reposa  sur  le  quatuor  Hugo  Heermann-Becker, 
car  on  ne  peut  citer  que  pour  mémoire  Mme  Réja-Bauer  qui,  fort  applaudie  par  des 
compatriotes  complaisants,  chanta  du  Schubert  et  du  Brahms  d'une  façon  tout  à  fait 
ordinaire  et  avec  une  voix  bien  ingrate.  Mais  les  quatre  vrais  artistes  composant  le 
quatuor  Heermann,  dont  j'ai  le  grand  plaisir  de  rapporter  ici  les  noms  à  nouveau, 
MM.  Hugo  Heermann,  Adolphe  Rebner,  F.  Bassermann  et  Hugo  Becker,  ont  mérité  les 
chaleureuses  ovations  qui  les  remercièrent  de  leur  superbe  interprétation  du  programme. 
De  quelle  finesse  et  de  quel  esprit  ils  ont  témoigné  dans  le  Quatuor  en  ut  majeur  (op. 
20  n°  2)  de  Haydn,  dont  ils  durent  bisser  le  menuet  grâce  au  violoncelle  endiablé  de 
M.  Hugo  Becker,  et  dont  le  presto  scher^ando  est  si  amusant,  lorsqu'on  a  remarqué 
qu'il  évoque  en  ses  staccatos  le  caquetage  d'une  bande  de  poules  affolées.  Ils  dépensèrent 
une  fougue  entraînante,  qu'ils  adoucirent  avec  tant  de  mélancolie  pour  l'adagio  molto, 
dans  le  Quatuor  en  la  majeur  (op.  41  n°  3)  de  Schumann,  où  par  instant  le  maître  a 
voulu  obtenir  des  effets  qui  dépassent  les  moyens  du  quatuor.  M.  Hugo  Heermann  et 
ses  excellents  compagnons  terminèrent  dignement  le  concert  par  le  Quatuor  en  fa  mineur 
(op.  59  n"  I  )  de  Beethoven,  auquel  le  programme  attribuait  par  erreur  les  mouvements 
du  Quatuor  en  fa  (op.  18  n°  i^.  Ils  l'ont  joué  avec  cette  profondeur  de  sentiment,  cette 
fidélité  respectueuse,  cette  intelligence  et  cet  amour  de  l'œuvre  qui  font  qu'après  l'audi- 
tion on  s'en  revient  l'âme  reposée  et  meilleure. 

Le  11°  concert  réunissait  MM.  Anton  Sistermans,  Pablo  Gazais  et  Alfred  Cortot.  Un 
malencontreux  rhume  ne  nous  a  permis  d'apprécier  chez  M.  Sistermans  que  le  style 
avec  lequel  il  phrasa  différents  airs  et  récitatifs  tirés  de  l'œuvre  vocale  de  J. -S.  Bach. 
M.  Gazais  joua  des  fragments  de  la  Sonate  en  si  mineur  pour  violoncelle  seul  de  Bach. 
On  lui  fit  un  grand  succès  après  son  exécution  très  vibrante.  M.  Alfred  Gortot  nous 
donna  la  Sonate  en  si  mineur  de  F.  Liszt,  dédiée  à  Schumann.  Gette  œuvre  longue  où 
Liszt  s'affirme  non  pas  le  beau-père  mais  le  grand-père  de  la  Tétralogie  dans  certains 
motifs  à  qui  Wagner  fit  un  meilleur  sort,  n'a  pas  toutes  nos  préférences,  mais  elle  a 
trouvé  en  M.  Gortot  un  merveilleux  interprète.  Il  n'est  pas  possible  de  jouer  avec  plus 
de  clarté  et  d'intelligence  une  œuvre  difficile,  j'aurais  pu  dire  ennuyeuse,  si  le  ma- 
gistral talent  de  M.  Gortot  ne  nous  avait  pas  contraint  à  la  suivre  avec  intérêt.  M. 
Alfred  Gortot  est  un  grand  artiste  qui  joue  en  musicien,  ce  qu'on  ne  saurait  reconnaître 
chez  tant  de  pianistes  à  qui  il  pourrait  en  remontrer  en  fait  de  virtuosité.  Le  concert 
s'acheva  avec  les  Seft  variations  sur  un  thème  de  la  Flûte  enchantée  de  Beethoven 
pour  piano  et  violoncelle.  Tout  le  talent  de  MM.  Gortot  et  Gazais  ne  réussit  pas  à 
nous  empêcher  de  regretter  le  choix,  comme  morceau  final,  de  cette  petite  fantaisie 
innocente,  que  personne  ne  songerait  à  exhumer,  si  ce  n'était  pas  Beethoven  qui  l'avait 
commise.  11  ne  faut  pas  que  le  respect  des  grands  noms  tourne  au  fétichisme  ! 

Victor  Debay. 

Concerts   Le    Rey 

Le  concert  du  11  février  nous  donnait  la  première  audition  d'une  ouverture  svm- 
fhonique  de  M.  0.  Tibel,  qui  ne  se  signala  point  par  un  intérêt  particulier,  et  la 
Mégère  apprivoisée  de  M.  Frédéric  Le  Rey.  Il  est  difficile  de  parler  comme  il  convient 
de  cette  œuvre  qui,  nécessitant  le  théâtre,  se  trouve  dépaysée  au  concert  et,  de  ce  fait, 
semble  par  moments  un  peu  longue.  Ecrite,  avec  plus  de  distinction,  dans  le  style  cou- 
rant des  opéra-comiques  qui  égayaient  la  douce  sérénité  de  nos  pères,  cette  partition 
renferme  des  mélodies  agréables  et  des  pages  très  aimables.  Enregistrons  le, succès  de 
l'auteur  et  celui  de  ses  interprètes,  Mmes  Bureau-Berthelot  et  Georges  Marty,  MM. 
Dubois  et   Monys.    M.  Alejandro  Ribo  avait    exécuté    auparavant  la  Polonaise  en  la 


—  172  — 

béynol  de  Chopin,  sans  y  mettre  la  fougue  nécessaire  et  la  Fantaisie  Hongroise  de  Liszt 
que  Mme  Toutain-Grûn  avait  si  remarquablement  interprétée  l'un  des  dimanches 
précédents. 

Des  œuvres  nouvelles  qui  nous  furent  présentées  au  concert  suivant  il  faut  signaler 
un  court  poème  de  M.  Ch.  René,  Sur  la  Plage,  très  joliment  chanté  par  Mme  Bureau- 
Berthelot,  et  une  suite  d'orchestre  de  M.  Lucien  Niverd,  Horizons  Bleus,  dont  nous 
avons  apprécié  la  première  partie.  Au  Réveil,  pour  son  orchestration  souple  et  facile. 
Des  fragments  de  Richard  Cœur-de-Lion  nous  permirent  enfin  d'applaudir  Mme  Bu- 
reau-Berthelot,  MM.  Dubois,  Berton  et  Mary. 

Edouard  Schneider. 

Société   Nationale 

On  connaît  déjà  les  deux  mélodies  tout  à  fait  charmantes  de  M.  Marcel  Labey,  sur 
le  Rondel  de  Charles  d'Orléans  et  la  poésie  de  Clément  Marot  De  sa  grande  Amye. 
Mlle  Jeanne  Bertaux  les  a  fort  bien  interprétées  au  dernier  concert  de  la  Société  Natio- 
nale, en  compagnie  d'une  nouvelle  mélodie  du  même  auteur  sur  la  Chanson  du  Rayon 
de  Lune,  de  Maupassant.  La  valeur,  assurément  plus  grande,  de  cette  Chanson,  d'ordre 
très  descriptif,  ne  pouvait  lutter  avantageusement  avec  la  grâce  pénétrante  et  distinguée 
de  ses  voisines  :  il  semble  que  la  longueur  et  la  coupe  du  poème  y  soient  pour  quelque 
chose  :  c'est  une  série  de  petits  tableaux  variés,  qu'une  voix  et  un  piano  sont  peu  suscep- 
tibles d'évoquer,  sans  le  secours  d'un  décor...  tout  au  moins  orchestral. 

Deux  mélodies  de  Mlle  Corbin,  chantées  par  Mme  Camille  Fourrier  avec  beaucoup 
de  goût,  complétaient  la  partie  vocale  de  ce  concert  :  la  seconde,  une  Chanson  Rou- 
viaine,  a  un  peu  surpris  l'auditoire  par  certaines  étrangetés  de  la  poésie. 

La  partie  pianistique,  confiée  à  Mlle  Selva,  comprenait  la  puissante  Sonate  de 
Dukas,  une  des  œuvres  de  piano  seul  les  plus  solides  et  les  plus  pleines  qu'on  ait 
écrites  depuis  Franck,  et  trois  pièces  nouvelles  de  M.  Albert  Roussel,  parfaitement  sus- 
ceptibles d'affronter  sans  dommage  ce  redoutable  voisinage.  La  première.  Danse  au  bord 
de  l'eau,  a  conquis,  sans  conteste,  tous  les  suffrages;  ceux  qui  raisonnaient  trop  pour 
subir  tout  simplement,  sans  contrôle,  son  charme  berceur,  ont  été  ravis  d'y  découvrir 
une  des  plus  ingénieuses  adaptations  du  5/8,  qui  aient  été  tentées  jusqu'à  présent.  11  ne 
faut  jamais  affirmer  que  quelqu'un  a  découvert  quelque  chose  :  il  peut  être  utile  toute- 
fois de  recommander  aux  chercheurs  de  rythmes  rares  cette  disposition,  qui  consiste  à 
partager  les  cinq  temps  d'une  mesure  en  trois  croches  d'une  part,  et,  de  l'autre,  un 
triolet,  équivalant  aux  deux  derniers  temps.  Et  tant  qu'on  ne  nous  aura  pas  mis  sous 
les  yeux  un  spécimen  de  ce  rythme,  employé  antérieurement  à  la  Danse  au  bord  de 
l'eau  de  M.  Roussel,  on  devra  reconnaître  avec  nous  qu'il  demeure  le  premier  à  en  avoir 
fait  usage. 

La  Promenade  sentijuentale  en  forêt,  qui  semble  finir  comme  à  regret,  et  le  Retour 
de  fête,  où  abondent  d'amusants  frottements,  ont  fait  l'objet  des  commentaires  les  plus 
variés,  pour  la  conquête  du  second  rang,  —  le  seul  resté  libre  après  l'universel  succès 
de  la  Danse.  —  11  faut  en  conclure  que  chacune  de  ces  deux  pièces  est  préférable  à  l'au- 
tre par  quelque  qualité,  mais  qu'aucune  n'est  inférieure  :  les  logiciens  arrangeront  cela 
comme  ils  pourront. 

Quant  à  l'interprétation,  le  nom  seul  de  l'artiste  en  dit  plus  que  d'inutiles  épithètes. 
Il  convient  toutefois  de  mentionner  spécialement  les  qualités  rares  de  souplesse,,  de  force 
et  de  haute  compréhension,  dont  Mlle  Selva  a  fait  preuve,  dans  sa  magistrale  exécution 
de  la  Sonate  de  Dukas. 

Certes,  on  ne  doit  pas  craindre  d'affirmer  que  la  perfection  de  la  première  audition, 
en  1901,  était  ici  dépassée  notablement  ;  que  n'en  peut-on  dire  autant,  hélas  !  delà  molle 
et  inégale  interprétation  du  Quatuor  inachevé  d'Ernest  Chausson,  qui  servait  d'intro- 
duction instrumentale  à  cet  intéressant  concert. 

A.  Sérieyx. 


—  Ï75  -• 

Société  J.-S.  Bach 

Le  mercredi  7  février,  bonne  exécution  de  deux  cantates  dont  Herr^  wie  du  willt, 
chef-d'œuvre  incomparable  inspiré  par  l'idée  de  la  mort;  réaudition  du  Premier  Concert 
Brandbotirgeois  et  excellente  présentation  de  la  Suite  en  si  mineur. 

Au  concert  du  21  février,  M.  Georges  Enesco  fut  un  fidèle  interprète  de  Bach  en 
même  temps  que  violoniste  admirable.  La  Sonate  en  mi  (pour  piano  et  violon)  fut  jouée 
par  lui  avec  une  expression  intense  et  un  respect  absolu  ;  la  Partita  pour  violon  seul 
(n°  6  en  mi)  fut  pour  le  jeune  et  intéressant  virtuose  l'occasion  d'un  grand  et  légitime 
succès.  A  l'orgue  M.  Widor  joua  en  grand  maître  le  Prélude  et  fugue  en  ut  mineur  (sa 
registration  en  est  très  intéressante  quoique  un  peu  compliquée),  deux  chorals.,  et  l'en- 
nuyeux Concerto  en  la  mineur  (qui  est  en  réalité  de  Vivaldi).  Mme  Marie  Panthès  in- 
terpréta avec  intelligence  et  maîtrise  plusieurs  préludes  et  fugues  du  «  Clavecin  bien 
tempéré  ))  malgré  un  emploi  quelquefois  malheureux  de  la  pédale  et  quelques  mouve- 
ments trop  rapides. 

G.L. 

Concerts  de  la  Schola  Cantorum 

Au  concert  du  23,  programme  fort  bien  composé  et  des  plus  attrayants  :  l'ouver- 
ture de  Zoroastre  de  Rameau,  le  quatrième  acte  d^Hippolyte  et  Aricie,  quatre  pièces 
d'orgue  de  L.  Marchand  et  N.  de  Grigny;  enfin  la  scène  du  premier  acte  d'Iphigénie  en 
Tauride  de  Gluck. 

L'ouverture  de  Zoroastre.,  d'après  Rameau  lui-même,  comportait  un  programme  : 
«  La  première  partie  est  un  tableau  fort  et  pathétique  du  pouvoir  d'Abramane  et  des 
gémissements  des  peuples  qu'il  opprime  ;  un  doux  calme  succède,  l'espoir  renaît.  La 
seconde  partie  est  une  image  vive  et  riante  de  la  puissance  bienfaisante  de  Zoroastre  et 
du  bonheur  des  peuples  qu'il  a  délivrés  de  l'oppression.  )) 

Le  quatrième  acte  d'Hippolyte  et  Aricie  est  merveilleusement  divers.  La  verve 
lyrique  de  Rameau  s'y  donne  libre  cours,  toujours  riche  et  variée.  La  scène  d'amour 
entre  Hippolyte  et  Aricie  est  exquise  de  finesse  psychologique  et  de  charme  mélanco- 
lique. Rameau  ne  se  complaît  pas  uniquement  dans  l'expression  des  sentiments  inté- 
rieurs. Le  monde  extérieur  existe  pour  lui,  et  dans  la  Scène  de  la  Chasse,  il  déborde  de 
gaîté  et  d'humour.  Les  airs,  alertes  et  d'une  élégance  non  apprêtée,  sont  soutenus  par 
une  orchestration  descriptive  et  soignée.  La  Scène  de  l'Orage  était  pour  l'époque  une 
grande  nouveauté,  et  la  Simfonie  du  Tonnerre  impressionna  fortement  les  auditeurs. 
Les  chœurs  de  la  fin,  brefs  et  entrecoupés,  annoncent  la  mort  d'Hippolyte  et  terminent 
cet  acte  admirable. 

Le  concort  s'achevait  par  la  première  scène  du  premier  acte  d'Iphigétiie  en  Taurtde 
de  Gluck.  Dans  cette  belle  œuvre,  Gluck  a  répudié  toute  complaisance  vis-à-vis  des 
chanteurs  en  renom.  Le  drame  se  déroule,  brutal  et  expressif  Le  vieux  Maître  ne  se 
soucie  plus  des  formes  d'air  consacrées  par  la  tradition  -,  il  réforme  la  déclamation 
lyrique,  innove  le  récitatif  vivant,  dramatique  et  fait  ainsi  pressentir  Wagner. 

L'interprétation  fut  excellente  et  ferme  sous  la  direction  de  M.  Marcel  Labey.  Mme 
Raunay  (Phèdre  et  Iphigénie)  fut  émouvante,  admirable  par  l'ampleur  tragique  de  sa 
voix  et  la  sûreté  de  son  instinct  dramatique.  Mlle  Pironnay  (une  chasseresse)  et  Mlle 
Braquaval  (Aricie)  chantèrent  avec  expression  et  une  grande  justesse  d'accent.  Le 
maître  Guilmant  suscita  les  applaudissements  de  tous  par  son  incomparable  jeu  qui  le 
place  au  premier  rang  parmi  les  organistes.  Enfin,  rendons  un  juste  hommage  au  talent 
souple  et  finement  nuancé  de  M.  Plamondon  qui  sut  nous  charmer  dans  le  rôle  si  déli- 
cat d'Hippolyte. 

Paul  Le  Flem. 

Les  "  Soirées  d'Art" 

i S  février  igoô.  —  Ce  ne  fut  pas  la  séance  la  plus  intéressante  de  la  saison.  Dans 
le  premier  mouvement  du  dix-septième  quatuor  de  Mozart;,  on   entendit  quelques  sons 


—  174  — 

un  peu  aigres.  M.  Capet  et  les  artistes  qui   l'entourent  nous  ont  rendus  très  difficiles, 
surtout  vis-à-vis  d'eux-mêmes. 

A  M.  Georges  Svirsky,  jeune  pianiste  probablement  à  ses  débuts,  je  ferai  deux  cri- 
îques.  II  a,  sans  doute,  pour  rehausser  la  beauté  de  son  jeu,  l'habitude  d'envoyer  ses 
mains  jusque  par  dessus  sa  tête,  ce  qui  nous  semble  d'un  goût  douteux.  Que  M.  Svirsky 
aille  voir  (je  dis  voir  et  non  entendre)  M.  Dièmer  ou  M.  Risler,  à  l'indiscutable  autorité, 
il  ne  remarquera  rien  de  semblable.  Le  plus  extraordinaire  est  que  M.  Svirsky,  abat- 
tant ses  accords  de  si  haut,  ne  commette  pas  de  fausses  notes  ;  son  adresse  est  vraiment 
sans  égale.  Son  interprétation  manque  de  nuances.  Elle  est  toute  en  oppositions  exces- 
sives. Les  passages  de  force  ne  vont  pas  sans  quelque  confusion  et  sans  quelque  bruta- 
lité. Chopin,  le  féminin  Chopin,  dont  le  programme  portait  le  Nocturne  en  mi  mineur 
et  V  Allegro  de  la  Sonate  en  si  bémol  mineur  a  quelque  peu  souffert  de  ces  violences.  Le 
Prélude  de  Rachmaninoff  apparut  comme  une  page  d'une  inspiration  plutôt  tapageuse. 
A  côté  de  ces  défauts,  M.  Georges  Svirsky  possède  de  très  réelles  qualités  qu'il  peut 
mettre  davantage  en  valeur. 

D'une  physionomie  très  expressive,  bizarre  même  et  fort  attachante,  Mme  Espinasse 
a  chanté,  à  ravir,  trois  mélodies  de  Beethoven  :  Près  de  ma  tombe  obscure,  Apaisement 
et  le  Roi  des  Aulnes,  qu'il  est  si  curieux  de  comparer  au  lied  de  Schubert. 

Le  troisième  quatuor  de  Schumann  termina  le  concert. 

22  février.  —  C'était  le  dernier  concert,  puisque  lés  deux  séances  qui  auront  lieu 
dans  le  courant  de  mars  seront  consacrées  au  pianiste  allemand  Wilhem  Backaus.  Le 
quatuor  Capet  qui  fut  tout  le  temps  sur  la  brèche,  au  cours  de  cette  saison,  a  tenu  à  se 
faire  regretter  et  à  nous  laisser  un  impérissable  souvenir.  Jamais  encore  il  ne  nous  avait 
donné  d'exécution  aussi  parfaite  que  celle  du  ly"  Quatuor  de  Beethoven,  le  22  février.  Le 
public  fit  une  chaude  ovation  à  ces  excellents  artistes.  Pour  ma  part,  je  ne  vois  pas  la 
moindre  critique  à  faire  :  j'avais  reproché  jusqu'à  présent  à  M.  Capet  et  à  ses  compa- 
gnons une  trop  grande  recherche  du  détail  qui  confinait  au  maniérisme.  A  ce  dernier 
concert,  il  n'en  était  plus  rien.  C'était  large  d'ensemble  et  de  souffle.  M.  Lalo  dit  avec 
raison  dans  son  dernier  feuilleton  du  Temps,  que  la  récente  séance  du  Conservatoire  a 
mis  le  quatuor  Capet  «  à  son  rang  qui  est  le  premier  ))  et  que  ((  la  France  possède 
aujourd'hui  un  quatuor  digne  des  meilleurs  quatuors  d'Allemagne  )). 

Mme  Marie  Panthès  a  joué  excellemment,  à  son  habitude,  le  Carnaval  de  Schu- 
mann qui  est  bien  un  peu  long,  et  trois  valses  de  Chopin.  M.  Plamondon  a  chanté  trois 
mélodies  de  M.  Léo  Sachs  :  Rêve  et  réalité,  Aubade  et  Rêve  de  poète.  J'ai  déjà  eu,  à 
deux  reprises,  l'occasion  de  dire  en  quelle  estime  je  tenais  ce  musicien.  Ses  lieder  déli- 
cats comme  facture,  délicats  comme  sentiment,  méritent  d'être  distingués.  Le  Rêve  et 
réalité  inspiré  par  le  poème  de  Bodenstedt  «  Traum  und  Wirklichkeit  ))  est  particuliè- 
rement intéressant.  M.  Plamondon  tire  un  parti  merveilleux  d'une  voix  qui  n'est  point 
des  meilleures,  peu  étendue  et  peu  timbrée  et  qui  l'oblige  à  recourir  parfois  aux  notes 
de  tête,  rarement  plaisantes.  S'il  chante  fort  bien,  en  revanche  il  articule  peu  ou  point 
et  sa  diction  manque  complètement  de  netteté. 

M.  Diémer  a  simplement  accompagné  Mlle  de  Mouromzow  qui  chantait  deux  de 
ses  mélodies,  fines  et  gracieuses,  dignes  de  notre  grand  et  exquis  pianiste.  Mlle  de  Mou- 
romzow, une  toute  jeune  fille,  a  une  voix  d'une  fraîcheur  délicieuse  et  elle  prononce  le 
français  avec  une  pointe  d'accent,  ce  qui  la  rend  tout  à  fait  charmante.  Elle  obtint  éga- 
lement un  vif  succès  en  chantant  en  allemand  l'amusante  Sérénade  Inutile  de  Brahms  : 
«  Guten  Abend,  guten  Abend,  mein  Kind  ». 

Gabriel  Rouchès. 

Quatuor  Parent 

Très  belle  séance  que  celle  du  9  février.  Le  Quatuor,  la  Sonate  pour  piano  et  violon 
et  le  Quintette  de  César  FVanck  que  nous  avons  entendus  maintes  fois  exécutés  par  le 
quatuor  Parent  sont  aujourd'hui  des  oeuvres  trop  universellement  connues  et  admirées 
pour  qu'on  en  puisse  parler  sans  répéter  ce  qui  a  été  déjà  dit  à  leur  sujet.  Signalons 
une  fois  de  plus  la  très  belle  interprétation  que  ce  quatuor  et  Mlle  Dron  en  ont  donnée 


—  175  — 

avec  l'animation,  Ténergie,  l'accent  douloureux  et  l'envolée  céleste  qui  chantent  de  façon 
si  humaine  et  si  divine  à  la  fois  dans  les  admirables  pages  de  César  Franck. 

Le  vendredi  i6  était  de  nouveau  consacré  à  Beethoven.  Le  Quatuor  Parent  donnait 
deux  œuvres  de  la  jeunesse  du  maître,  la  Sérénade  op.  8  pour  violon,  alto  et  violoncelle, 
et  le  Quatuor  en  fa  majeur  n°  i  op.  S,  et  aussi  le  77*  Quatuor  op.  133  (Grande  Fugue) 
qui  ne  parut  qu'après  sa  mort,  œuvre  étrange  dont  la  joie  ironique  et  le  caractère  tour- 
menté impressionnent  de  façon  si  vivante.  Mlle  Marguerite  Hamman  joua  consciencieu- 
sement la  Sonate    iio  mais  sans   mettre   toutefois  suffisamment    en  valeur  son  relief 

si  caractérisé  et  son  allure  si  indépendante. 

Edouard  Schneider. 

Sonatières  et  les  alentours 

On  dit  couramment  que  «  les  jours  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas  »,  ce  qui 
prouve  que  l'on  ne  sait  pas  ce  qu'on  dit.  Car  en  dehors  des  différentes  fonctions 
normales  que  l'homme  accomplit  quotidiennement  avec  une  certaine  régularité,  et  sur 
lesquelles  je  n'ai  pas  à  insister,  en  dehors  de  l'habitude  que  l'on  qualifie  non  sans  raison 
de  seconde  nature,  parce  que  l'homme,  au  fond,  est  un  vieux  routinier,  même  celui  qui 
affiche  les  tendances  les  plus  bohèmes,  en  un  mot,  en  dehors  de  tout  ce  qui  dépend 
directement  de  nous  et  constitue  les  absolues  ressemblances  de  chaque  jour,  il  y  a  la 
vie,  l'impitoyable  vie  qui  se  charge  de  monotoniser  (?)  les  heures  dont  le  total  représente 
les  existences  humaines.  En  toute  espèce  de  choses,  même  dans  ce  qui  nous  paraît  être 
le  plus  imprévu,  comme  les  impressions  d'art  ou  de  sentiments  par  exemple,  nous  cons- 
tatons de  désespérantes  similitudes.  Cela  me  conduirait  trop  loin  d'étudier  les  diverses 
manifestations  sentimentales  ou  artistiques  qui  font  de  nous  de  petites  marionnettes  do- 
ciles dont  les  ficelles  nous  agitent  constamment  dans  le  même  sens  et  à  heure  fixe;  mais 
je  crois  avoir  ici  l'occasion  de  prouver  que  l'on  devrait  bien  réfléchir  avant  de  répéter 
comme  un  perroquet  les  soi-disant  axiomes  dont  nous  nous  servons  trop  volontiers.  Je 
sais  fort  bien  que,  pour  ma  part,  je  suis  témoin  tous  les  jours  des  mêmes  misères 
affreuses  et  des  mêmes  illusions  fragiles  ;  je  sais  fort  bien  aussi  que  j'entends  tous  les 
jours  de  la  musique,  et  voilà  qui  suffit  amplement,  me  semble-t-il,  pour  excuser  le 
laborieux  début  de  cet  articulet.  Oui  j'entends  de  la  musique,  et  elle  est  toujours  la 
même  cette  musique,  presque  toujours  intéressante,  presque  toujours  bien  interprétée, 
presque  toujours  prétexte  à  jaboter,  à  flirter,  à  médire,  à  se  pâmer,  à  dormir  et  à  pro- 
voquer encore  quelque  autre  état  que  je  ne  saurais  décrire  avec  suffisamment  de 
mystère.  —  Oh  !  que  voilà  des  jours  qui  se  suivent  et  qui  se  ressemblent  depuis  que  la 
saison  a  jugé  à  propos  de  recommencer.  Au  demeurant  j'aurais  mauvaise  grâce  à  m'en 
plaindre  puisqu'il  s'agit  des  agréables  auditions  données  par  M.  G.  Boulnois  et  Mlle  Jane 
Chevalier  (deux  jeunes  de  brillant  avenir,  l'un,  organiste  et  compositeur  averti,  l'autre 
pianiste  au  jeu  caressant,  ce  dont  son  partenaire  s'éprit  avec  raison)  ;  par  MM.  Willaume 
et  Fueillard,  ce  dernier  tout  à  fait  remarquable  dans  la  Sonate  pour  piano  et  violon- 
celle de  Chevillard  ;  par  Mme  Panthès  qui  exécuta  magistralement  une  très  intéressante 
Sonate  de  Emmanuel  Moôr  ;  par  M.  Julien  Isseris  à  la  main  gauche  renversante  et 
renversée  dans  un  Nocturne  de  Scriabine  (toucher  sympathique  s'il  en  fut)  ;  par 
Mme  Georges  Marty,  aux  copieux  et  éclectiques  programmes  interprétés  avec  un  style 
et  un  goût  exquis  ;  par  Mlle  Claire  Hugon  qui  divise  son  concert  en  deux  parties  : 
l'Ecole  de  Franck  et  l'Ecole  Moderne  comme  si  celle-ci  ne  se  rattachait  pas  à  celle-là, 
—  d'ailleurs  admirable  programme  et  aimable  interprétation;  par  Edmond  Hertz  qui 
traduit  avec  brio  les  excellents  compositeurs  Franz  Listz  et  Edmond  Hertz  déjà  nommé, 
et  dans  un  style  discutable  Bach  et  Beethoven,  jeunes  élèves  en  composition  ;  par  M. 
Edouard  Bernard  dont  la  technique,  le  style  et  la  sonorité  sont  simplement  dignes  des  plus 
grands  musiciens  (je  ne  dis  pas  virtuoses  !)  ;  par  Diran  Alexanian,  le  violoncelliste 
langoureux  et  tendre  qu'accompagne  mirifîquement  la  vivante  et  pétillante  pianiste 
Mme  Monteux-Barrière  (tous  deux  parfaits  dans  la  jolie  Sonate  de  Jean  Huré)  ;  par 
M.  David  Blitz  qui  se  classe  décidément  parmi  les  meilleurs  pianistes  de  l'époque  ;  par 
Paulette  Deneri,    qui   est    en    voie   de    devcair   une  délicieuse  pianiste,   aux   côtés  du 


—  176  — 

subjuguant  Enesco  et  du  moelleux  Baldelli  ;  par  Joseph  Salmon,  violoncelliste  vibrant 
dans  le  Concerto  de  Lalo  et  Mme  Salmon  Ten-Have,  aux  délicats  doigtés,  combien 
suaves,  dans  le  Concerto  de  Schumann  que  dirige  avec  épanouissement  le  blondinet 
Chevillard  ;  et  par  cent  autres  artistes  qui  ont  tous  beaucoup  de  talent  et  auxquels  je 
suis  reconnaissant  de  donner  à  la  vie  musicale,  d'apparence  si  agitée,  l'unité  imposante 
de  l'éternel  recommencement 

D  JINN. 

Nous  publierons  dans  un   de  nos  prochains  numéros  un  compte  rendu  d'ensemble 
des  Récitals  de  violon  de  M.  Joseph  Debroux. 


L' abondance  des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  au  prochain  nwméro  les  Concerts 
du  Conservatoire,  les  correspondances  de  :  Londres,  et  les  Concerts  divers  (Concerts 
Clémandh,  H.  Renié,  Dezso  Lederer,  Ch.  Bouvet,  Instruments  à  vent,  etc.). 


Le  MouYement  musical  en  Province  et  à  l'Étranger 


LETTRE  DE  MUNICH 


Max  Reger  est  un  homme  heureux  :  musicien  de  grand  talent,  on  siffle  sa  mu- 
sique. 

Quelque  paradoxal  que  puisse  paraître  cette  proposition,  elle  n'en  est  pas  moins 
juste.  En  effet  un  artiste  qu'on  siffle,  — notez  bien  que  je  dis  un  artiste  !  — ■  a  forcément 
un  clan  d'admirateurs  enthousiastes  et  de  chauds  partisans.  De  suite  il  devient  chef  de 
groupe,  comme  on  dit  en  langage  parlementaire,  adulé  par  les  uns,  combattu  par  les 
autres,  mais  pour  cela  et  par  cela  même  jcué  partout.  C'est  le  personnage  intéressant, 
celui  pour  ou  contre  qui  il  faut  prendre  parti  et  qui  ne  souffre  pas  l'odieuse  et  meur- 
trière indifférence. 

Le  rôle  est  beau,  mais  il  n'est  pas  donné  à  chacun  de  pouvoir  le  tenir  ;  il  faut  pour 
cela  une  forte  individualité,  des  défauts  et  des  qualités  qui  ne  soient  pas  communs, 
mais  fortement  caractérisés.  Reger  est  l'homme  de  cette  situation  et  tel  est  son  cas.  On 
le  chante,  on  le  joue  partout  en  Allemagne;  à  Munich,  plus  particulièrement,  et  il  ne 
se  passe  pas  de  semaine  ou  quelque  chanteur  à  la  poursuite  du  succès  ou  quelque  vio- 
loniste en  peine  de  nouveauté  ne  consacre,  si  non  un  concert  tout  entier,  du  moins 
une  bonne  partie  de  son  programme  à  Reger.  Celui-ci  du  reste,  obligeant  et  aimable,  se 
prodigue  partout  et  on  ne  le  sollicite  point  en  vain;  il  se  prodigue  et  tient  la  partie  de 
piano  dans  presque  tous  ces  concerts  avec  une  aisance,  une  délicatesse  et  un  charme  qui 
en  font  un  attrait  de  plus. 

Ces  réflexions  me  viennent  à  l'esprit  à  la  suite  de  la  première  audition  de  sa  pre- 
mière oeuvre  orchestrale  à  l'Académie  de  musique.  Cette  Sinfonietta  comme  il  l'appelle, 
bien  qu'à  peine  née,  a  déjà  fait  le  tour  de  l'Allemagne  ;  portée  aux  nues  à  Cologne,  elle 
fut  éreintée  à  Berlin,  beaucoup  critiquée  à  Dresde,  discutée  partout.  Mottl  qui  savait  à 
quoi  il  s'exposait  en  inscrivant  cette  œuvre  à  son  programme,  a  reçu  comme  il  conve- 
nait, c'est-à-dire  avec  un  sourire  narquois  et  amusé,  la  manifestation  presque  tumul- 
tueuse du  public  où  quelques  coups  de  sifflets  répondaient  aux  applaudissements  géné- 
reux et  aux  bravos  enthousiastes. 

Mais  pour  en 'revenir  à  nos  moutons,  c'est-à-dire  à  l'oeuvre  elle-même,  il  faut 
avouer  qu'elle  est  au  moins  extraordinaire.  Construite  sur  le  type  classique  de  la  sym- 


—  177  — 

plîonîe  de  Beethoven  et  pour  l'orchestre  de  Beethoven,  cette  symphonie  en  quatre  par- 
ties est  un  fouillis  inextricable  où  les  thèmes  s'entrecroisent  avec  une  science  et  une 
complication  si  merveilleuse  qu'il  se  pourrait  bien  qu'il  fallût  être  l'auteur  lui-même 
pour  découvrir  dans  cette  œuvre,  la  plupart  du  temps,  autre  chose  qu'un  bruit  énorme 
et  complexe  —  je  ne  dis  pas  confus  —  dont  on  ne  croirait  pas  capable  un  orchestre  si 
restreint.  Pour  ce  qui  est  de  l'orchestration,  je  n'en  saurais  rien  dire  sinon  que  tous  les 
instruments  sonnent  à  la  fois  au  petit  bonheur  semble-t-il.  Les  gens  «  compétents  » 
et  il  s'en  trouve  toujours  à  côté  de  vous  au  bon  moment  —  assurent  que  Reger,  mal- 
gré sa  science  incomparable  de  la  fugue  et  du  contrepoint,  ne  sait  pas  orchestrer;  je  m  en 
serais  douté  sans  cela. 

Ces  réserves  faites,  je  puis  me  laisser  aller  à  dire  combien,  malgré  tout,  j'ai  été 
charmé  et  surpris  par  certaines  parties  vives  et  fortes  du  Scherzo,  d'une  allégresse  qui 
ressortait  même  de  cet  infernal  fouillis.  L'adagio  est  exquis;  là,  pour  un  moment  au 
moins  nous  avons  retrouvé  le  poète  ému  sans  sentimentalisme  et  délicat  sans  préciosité, 
le  Reger  fin,  profond  et  subtil  des  lieders  charmeurs  et  nous  avons  senti  parfois  aussi 
l'envolée  savante  et  serrée  de  son  admirable  musique  de  chambre.  Reger  est  un  artiste 
véritable  quand  il  fait  de  la  musique  de  musicien  ;  son  oeuvre  est  bâtarde  quand  il  fait 
de  la  métaphysique  en  musique;  pourquoi  faut-il...  mais  demandons-nous  à  la  neige 
pourquoi  elle  est  blanche  et  au  firmament  pourquoi  il  est  bleu  ? 

Comme  autre  nouveauté,  Mottl  nous  donnait  le  Fingerhûtchen  de  J.  Weissmann, 
poème  symphonique  pour  grand  orchestre,  choeur  de  femmes  et  baryton  solo,  œuvre 
sentimentale  qui  n'est  pas  sans  mérite  mais  qui  a  semblé  un  peu  poncive  venant  après 
la  Sinfonietta  ;  la  couleur  y  est  un  peu  grise  et  le  soliste  A.  Dressler  n'a  pas  peu  con- 
tribué à  l'engrisailler  de  sa  voix  sourde  et  cotonneuse  qu'il  force  en  vain.  Il  fut  mauvais, 
mais  je  l'ai  entendu  dans  de  plus  mauvais  moments  encore. 

Je  suis  en  retard  avec  les  Concerts  Kaim  ;  cette  excellente  phalange  et  ses  coura- 
geux chefs  MM.  G.  Schneevoigt  et  Raabe  méritent  toute  notre  reconnaissance  pour  leurs 
grands  et  nobles  efforts,  pour  les  rares  jouissances  musicales  que  nous  leur  devons. 
C'est  surtout  à  la  grande  musique  classique  que  ces  jeunes  kappelmeisters  ont  voué 
leurs  efforts.  Les  nouveautés  sont  relativement  rares  à  la  salle  Kaim. 

Notons  toutefois  Finlandia.  poème  symphonique  de  Sibélius,  que  M.  Schneevoigt, 
son  compatriote,  dirigea  avec  sa  fougue  et  son  entrain  ordinaires.  L'œuvre  est  trop  na- 
tionale pour  être  vraiment  intéressante,  mais  elle  doit  produire  un  fort  effet  sur  une 
foule  par  sa  largeur  et  la  simplicité  de  ses  thèmes,  poussée  jusqu'au  schéma. 

Ce  fut  à  un  autre  concert  l'Ouverture  de  Cléopâtre,  de  Enna,  d'un  sensualisme 
vulgaire  et  grossier.  Des  thèmes  quelconques  forcés  à  l'orchestre  pour  atteindre  à  la 
grandeur  et  ne  parvenant  qu'à  bouffir  une  orchestration  de  foire. 

Nous  eûmes  le  même  soir  le  plaisir  d'entendre,  sous  la  direction  de  l'auteur,  une 
autre  ouverture,  celle  de  Catherùie  de  Heilbronn,  de  Pfitzner.  C'est  là  de  la  belle  mu- 
sique à  forte  ligne,  un  peu  contournée  parfois,  mais  toujours  franche  et  enflammée,  de 
rythmes  riches  et  variés,  le  tout  agrémenté  dune  haute  et  forte  couleur. 

Nous  nous  promettions  de  goûter  comme  il  convient  une  série  de  lieder  du  même 
auteur  que  nous  chanta  —  est-ce  bien  le  mot  —  M.  Loritz,  remplaçant  au  pied  levé  le 
ténor  van  Dyck,  mais  vraiment  il  nous  fut  impossible  de  distinguer  le  son  delà  voix  du 
chanteur.  La  première  condition  pour  chanter  est  d'avoir  de  la  voix  ;  M.  Lontz  estime 
sans  doute  que  c'est  un  accident  de  la  nature  dont  on  peut  se  passer. 

La  Symphonie  en  sol  mineur  de  Kalinïkow,  que  nous  a  donnée  l'autre  jour 
M.  Schneevoigt,  n'est  pas  très  originale  —  c'est  du  Schumann  bien  orchestré,  disait-on 
derrière  moi.  —  N'empêche  que  Kalinikow  possédait  un  intéressant  tempérament  artis- 
tique; sa  symphonie  est  bien  construite,  elle  est  claire  et  dit  ce  qu'elle  veut  dire.  Sa 
fantaisie  est  parfois  un  peu  débridée,  mais  non  pas  débraillée.  J'aime  surtout  son 
scherzo,  tout  unité  en  couleur  qu'il  soit;  il  est  vif  et  spirituel  à  souhait. 

M.  Raabe  a  entrepris  de  son  côté,  pour  les  Volkssymphonie-Kon:ierten,  un  cycle 
Beethoven  où  seront  donnés  avec  les  neuf  symphonies,  les  principaux  concertos  du 
maître  et  ses  grandes  ouvertures.  M.  Raabe,  qui  a  de  belles  qualités  de  chef  d'orchestre, 


—  178  — 

n'a   pas   faibli   jusqu'ici  dans   sa   tâche  où  il  met  le  meilleur  de  son  talent  et  tout  son 
sérieux. 

Il  me  reste  bien  peu  de  place  pour  vous  parler  des  virtuoses.  Vous  dirais-je  que 
Lili  Lehmann  est  une  cantatrice  admirable  même  à  soixante-quatre  ans  ;  qu'elle  chante 
tout  à  ravir,  sauf  peut-être  —  à  notre  sens  —  le  Mozart  ;  que  Tilly  Koenen  lui  est  a 
peine  inférieure  et  que  le  Roi  des  Aulnes,  interprété  par  elle  prend  une  allure  tragique 
que  je  n'ai  de  nulle  autre  ressentie  ;  que  Mlle  Staegemann  chante  à  ravir  surtout  la  mé- 
lodie populaire  et  que  Mme  Faliéro-Dalcro:ie  est  parfaite  en  tous  points  sauf  qu'elle 
pèche  par  un  excès  d'art  ?  J'aurai  fini  de  la  sorte  avec  les  cantatrices  et  je  vous  citerai 
M.  von  :{ur  Mûhlen,  chanteur  plein  de  talent  qui  dit  les  Deux  Grenadiers  de  Schumann 
avec  feu  et  enthousiasme  ;  mais  que  n'est-il  moins  maniéré  !  Je  passe  sous  silence  les 
noms  de  MM.  Erlenmeyer,  Halbe.  et  tant  d'autres  ;  je  ne  veux  vous  entretenir  que  des 
artistes  qui  savent  chanter.  Nous  sommes  submergés  de  cantatrices  et  de  chanteurs 
qui  viennent  témoigner  de  l'ignorance  où  ils  sont  de  leur  métier. 

Je  réserve  pour  une  prochaine  lettre  les  concerts  donnés  par  d'autres  virtuoses. 
Mais  il  est  singulier  qu'en  Allemagne,  le  pays  où  l'on  chante  le  plus  —  dit-on  —  il  y 
ait  si  peu  de  professionnels  qui  sachent  chanter. 

E.  DE  Stcecklin. 


LETTRE  D'AMÉRIQUE 


New-York,  ^février. 

C'est  un  préjugé  assez  répandu  à  Paris  que  l'Amérique  ne  connaît  de  la  musique 
que  ce  que  les  étoiles  du  chant  et  de  la  virtuosité  y  viennent  importer.  Certes,  il  y  a  ici 
un  abus  de  récitals  et  de  vedettes  d'artistes  ayant  un  nom  ou  cherchant  à  s'en  faire  un; 
mais,  à  côté  de  toutes  ces  manifestations  où  le  talent  est  jugé  d'après  les  recettes,  il  est 
de  sérieuses  associations  symphoniques  ou  chorales  qui  dirigent  tous  leurs  efforts  vers 
la  production  aussi  parfaite  qu'elles  le  peuvent  d'oeuvres  du  plus  haut  intérêt.  Dans 
cette  catégorie  il  est  encore  indispensable  de  faire  une  large  sélection,  car  j'ai  entendu  en 
province  des  orchestres  et  des  sociétés  d'oratorios,  incomplets  et  incapables,  mas- 
sacrer avec  le  plus  grand  sérieux  des  chefs-d'œuvre  de  liaendel,  Haydn,  Mozart,  Bee- 
thoven, à  côté  d'ouvrages  indignes  d'un  si  glorieux  voisinage.  Il  y  aurait  long  à  dire 
sur  la  trop  grande  quantité  de  musique  et  le  trop  grand  nombre  de  musiciens  d'ordre 
secondaire  qui  ont  envahi  le  Nouveau-Monde. 

Ce  que  l'on  entend  parfois,  inférieur  au  niveau  de  nos  plus  modestes  sociétés  rurales 
en  France,  est  néfaste  pour  le  bon  goût. 

Le  Yankee  provincial  est  si  bien  habitué  à  cette  orgie  de  mauvaise  musique  qu'il 
ne  sait  plus  apprécier  les  choses  supérieures  à  leur  juste  valeur. 

Cependant,  il  se  trouve  dans  quelques  grands  centres  une  société  d'élite  qui  recon- 
naît et  encourage  les  efforts  des  véritables  artistes.  Cela  permet  aux  chefs  d'orchestre 
de  faire  composer  leurs  programmes  avec  un  certain  éclectisme,  et  l'on  voit  fréquem- 
ment entre  une  ouverture  de  Weber  et  une  symphonie  de  Tchaïkowski  (i)  se  glisser 
une  œuvre  moderne  qui  se  trouve  ainsi  être  un  sujet  d'agréable  étonnement  pour  les 
dilettantes.  Ce  système  d'initiation  par  petites  doses  est  excellent  et  l'Américain  y  très 
docile. 

Grâce  à  cet  état  d'esprit  actuel  on  a  pu  voir  dernièrement  un  grand  compositeur 
français  donner  plus  de  dix  concerts  uniquement  consacrés  à  notre  école  contempo- 
raine. 


(i)  On  fait  ici  un  abus  immodéré  des  œuvres  dix  plus  grand  compositeur  russe,  comme   l'appellent   les 
journalistes  américains  bien  informés. 


—  179  — 

Le  succès  n'étant  pas  toujours  uns  preuve  de  mérite,  nous  devons,  sans  nous  occu- 
per de  la  sanction  du  public,  savoir  gré  à  M.  Vincent  d'Indy  de  son  geste  hardi  et  dé- 
sintéressé. Il  ne  s'est  point  présenté  aux  Américains  comme  chef  d'orchestre,  —  encore 
que  sa  baguette  soit  des  plus  remarquables,  —  mais  comme  représentant  d'une  Ecole 
dont  il  est  lui-même  un  des  principaux  chefs. 

Le  Boston  Symphony  Orchestra  est  une  phalange  de  tout  premier  ordre  qui, 
dirigée  par  l'auteur  de  Fervaal,  a  donné  une  audition  parfaite  des  deux  programmes 
suivants (i)  : 

/•"■  -programme  :    Deuxième  symphonie V.  d'Indy. 

Pelléas  et  Mélisande  (entr'actes) G.  Fauré. 

Sauge  fleurie V,  d'Indy. 

L'Apprenti  Sorcier P.  Dukas. 

2°  programme  :   Symphonie  en  si  bémol E.  Chausson. 

Psyché  et  Eros  ;  extrait  de  Psyché C.  Franck. 

Nocturttes G.  Debussy. 

Chant  funèbre , A.  Magnard. 

Istar  (variations  symphoniques) V.  d'Indy. 

Le  programme  explicatif,  très  bien  rédigé,  donnait  sur  chaque  œuvre  une  analyse 
indispensable  de  la  façon  la  plus  claire.  Pourquoi  faut-il  que,  malgré  toutes  ces  condi- 
tions, M.  d'Indy  n'ait  été  accueilli,  suivant  l'expression  d'un  ami,  qu'avec  une  sympa- 
thique froideur  ?  Gertes,  une  ovation  fut  faite  au  Maître  après  l'exécution  de  sa  sym- 
phonie qui  ouvrait  le  premier  concert  ;  mais  ces  applaudissements  qui  étaient  en 
même  temps  un  salut  de  bienvenue  (Welcome),  s'éteignirent  graduellement  au  fur  et 
à  mesure  que  le  programme  se  déroulait. 

Ce  n'est  pas  là  l'enihousiasme  avec  lequel  on  reçoit  à  Paris  les  Nlkisch,  Motl, 
Weingaertner  et  tant  d'autres;  et  c'est  pourtant  de  cette  façon  que  M.  d'Indy  eût  dû  être 
acclamé  tant  pour  la  valeur  de  ses  exécutions  que  pour  celle  de  sa  tentative  convaincue. 
Je  suis  persuadé  que  cet  accueil  du  public  (que  la  presse  avertie  traduisait  d'autre  fa- 
çon) vient  de  la  trop  grande  mesure  d'une  musique  qui  est  entrée  petit  à  petit  dans 
nos  goûts,  et  parfois  même  après  bien  des  luttes. 

Les  Américains,  gens  de  sport,  ont  besoin  en  tout  d'un  entraînement  progressif  ; 
et  quatre  heures  de  musique  resserrées  dans  les  limites  de  Franck  à  Magnard  n'ont  pu 
les  convertir.  On  pourrait  même  craindre  qu'une  nouvelle  campagne  de  ce  genre  les 
détachât  à  jamais  de  tout  ce  qui,   en  musique,  porterait  l'étiquette  française. 

Comme  à  Paris,  la  vie  musicale  est  en  pleine  activité.  A  signaler  à  l'un  des  con- 
certs de  la  New-York  Symphony  une  oeuvre  très  intéressante  dont  nous  devons  encore 
l'audition  à  l'Intelligente  Initiative  de  M.  Walter  Damrasch  :  La  Mort  de  Tintagiles, 
poème  symphonique  d'après  le  drame  de  Maeterlinck,  pour  orchestre  avec  viole  d'a- 
mour obligée,  par  M.  Gh.-M.  Lceffler.  L'œuvre  est  trop  importante  pour  lui  faire 
subir  une  analyse  insuffisante  au  cours  d'une  correspondance.  M.  Lœffler,  alsacien  de 
naissance  a  vécu  plusieurs  années  à  Paris  où  II  fit  ses  études  musicales  sous  la  direc- 
tion de  Gulraud.  Admirateur  dévoué  de  notre  école  moderne,  son  œuvre  sans 
qu'ellesolt  en  rien  celle  d'un  pâle  Imitateur  reflète  la  profonde  impression  que  les  musiques 
subtiles  dont  nous  nous  souvenons  avec  tant  de  joie,  ont  produites  sur  l'auteur.  Mais  je 
m'empresse  de  le  répéter,  l'œuvre  de  M.  Lœffler  est  très  personnelle,  et  II  a  su  prouver 
que  l'on  pouvait  illustrer  musicalement  Maeterlinck  sans  être  obligé  de  faire  du  De- 
bussy (du  sous-Debussy  serait  mieux  dit). La  viole  d'amour  dialoguant  avec  un  orches- 
tre moderne  peut  sembler  d'une  conception  quasi  paradoxale  ;  et  cependant  l'effet  en 
est  délicieux  et  rien  ne  pouvait  mieux  personnifier  le  frêle  Petit  Prince.  Espérons  qu'un 
orchestre  symphonique  parisien  accueillera  un  jour  cette  œuvre  malgré  rimpossibilité 
où  elle  est  d'entrer  en  ligne  de  compte  pour  les  trois  heures   de   musique  nouvelle  que 


(i)  En  plus  des  Concerts  de  Boeton,    l'orchestre    et    M.  d'Indy    ont    fait   avec  ces  deux  programmes 
une  tournée  cemprenant  :  Philadelphie,  Washington,  Baltimore,  New-York  et  Brooklyn. 


—  i8o  — 

réclament    les    15,000    francs  de   la    Direction  des  Beaux-Arts.   C'est  la  grâce  que  ]e 
souhaite  aux  parisiens. 

M.  Weingaertner  est  acclamé  de  New-York  à  Chicago,  Via  Boston  et  Milwankee, 
Chaque  concert  est  un  nouveau  triomphe  pour  le  vaillant  Cappelmeister.  Soyons-lui 
reconnaissant  des  interprétations  hors  ligne  qu'il  donne  à  ses  admirateurs  de  la  pre- 
mière de  Schumann,  de  la  cinquième  de  Beethoven,  de  la  deuxième  de  Brahms  et  de  la 
Fantastique  de  Berlioz.  Cette  dernière  symphonie  me  fait  regretter  malgré  tout  ce  que 
M.  Jeand'Udine  dénomme  si  justement  le  génie  romantique  de  M.  Colonne. 

Safonojf  est  venu  conduire  à  New-York  et  subjuguer  les  artistes  avec  son  invisible 
baguette,  telle  une  fée. 

Comme  toujours,  les  pianistes  sont  les  plus  nombreux  :  Pugno  triomphe  un  peu 
partout,  Reisenauer,  Riuiolph  Ganz,  un  jeune  qui  a  beaucoup  d'avenir,  Rafaël  Joseffy. 
qui  a  beaucoup  de  passé,  Harold  Baue?-.  Arthur  Rubinstein,  Sigismond  Hojoinski, 
dont  les  débuts  à  New- York  furent  très  remarqués  dans  \e Deuxième  Concerto  de  Saint- 
Saëns  et  dont  les  récitals  sont  maintenant  très  courus. 

Les  violonistes  font  également  parler  d'eux  :  Kubelik  récolte  les  triomphes  avec 
son  éternel  air  ennuyé.  Mais  pourquoi  diable  fait-il  porter  son  violon  à  la  salle  de  Con- 
cert par  un  ascendant  du  Grand  Alogol  tout  -or  et  rouge  vif;  ce  beau  mulâtre  en  costume 
d'opérette  et  les  affiches  que  vous  connaissez  rappellent  fatalement  l'homme  à  la  grande 
voiture,  grand  guérisseur  de  tous  les  maux,  même  de  la  passion  de  la  bonne  musique. 
Nous  attendons  Marteau^  impatiemment.  Sauref,  violoniste  français  inconnu  en  France 
est  venu  se  fixer  à  Chicago.  C'est  un  très  grand  violoniste  que  j'eus  souvent  le  plaisir 
d'entendre,  non  pas  en  France,  mais  à  i  kilomètre  de  la  frontière.  Marie  Hall,  jeune 
anglaise  au  mécanisme  tout  à  fait  mécanique,  Miss  Hall  est  une  réduction  au  dixième 
de  Polaire  ;  aussi,  grande  fut  l'impression  produite  par  le  récit  du  baiser  que  lui  octroya 
Pugno  après  leur  première  répétition  de  trio  avec  Hollmann.  Ah!  que  les  managers 
américains  ont  de  finesse  et  que  leurs  réclames  sont  donc  spirituelles.  Les  trois  artistes 
susdits  donnent  leurs  séances  de  musique  de  chambre  à  Carnegie  Holl,  une  aalle  plus 
grande  que  le  Châtelet  ! 

Gérardy  est  très  aimé  en  Amérique,  et  l'Amérique  est  très  aimée  par  Gérardy. 
Calvé  arrivée  à  San  Francisco  recommence  sa  tournée  en  sens  contraire.  Son  succès, 
très  grand  dans  l'Est  s'est  changé  en  triomphe  aux  abords  du  Pacifique. 

A  New- York  même,  les  artistes  européens  ou  locaux  sont  pléiade,  citons  au  hasard 
Giraudet,  Paul  Kéfer,  Léon  van  der  Elst,  David  Mannes,  et  mille  autres  dont  quelques- 
uns,  pour  n'avoir  point  obtenu  les  applaudissements  des  Parisiens,  sont  néanmoins  des 
virtuoses  de  haute  valeur  dont  je  regrette  de  ne  pouvoir  citer  tous  les  noms. 

Lamey-Ladhuve. 

ANGERS»  —  Cinquième  concert  populaire.  —  M.  Contran  Arcouët  apportait  au 
cinquième  concert  le  concours  de  son  talent  consciencieux,  aimable  et  assuré.  Sa  j 
compréhension  jeune  et  poétique  du  Concerto  de  Grieg  lui  fut  l'occasion  d'un  franc 
succès.  Il  y  trouva  des  souplesses  et  des  grâces  bien  conformes  à  l'œuvre.  Sa  virtuosité 
déjà  certaine  et  sa  belle  facilité  musicale  lui  vaudront  bien  des  lauriers  lorsque  sa  per- 
sonnalité se  sera  un  peu  plus  affirmée.  Il  a  joué  des  pages  de  Moskowski  et  de  Godard  avec 
une  aisance  et  une  élégance  parfaites  et  de  charmantes  finesses  sentimentales.  La  Sym- 
phonie Fantastique  (Berlioz)  fut  exécutée  si  chaleureusement  que  quelques-uns  médirent 
du  lyrisme  trop  excessif  qu'on  y  sent  déborder.  Mais  enfin  cette  œuvre  est  une  forme  de 
puissance  artistique,  une  forme  de  beauté  indéniable.  Elle  est  l'équivalent  musical  de 
l'exaltation  littéraire  chez  les  quelques  romantiques  géniaux.  Par  cela  elle  peut  en 
effet  déplaire  aux  fanatiques  de  musique  pédagogique  et  d'idéalité  vague.  Il  n'en  faut 
pas  moins  souligner  l'excellente,  vivante  et  soigneuse  interprétation  qu'elle  reçut  à  An- 
gers le  7  janvier.  Catalonia,  rhapsodie  espagnole  d'Albeniz  est  une  œuvre  légère,  bril- 
lante, colorée  qui  arrive  par  minutes  à  matérialiser  trop  tangiblement  la  musique.  Le 
concert  se  terminait  par  le  Prélude  du  y""  acte  de  Lohengrin. 

é""'  Concert  populaire.  —  La  septième  symphonie  de  Beethoven  fut  une  source  de 


—    I8l    — 

joie  délicieuse  pour  les  auditeurs  éclairés  du  6""^  concert.  Car  M.  Brahy  trouva  moyen 
de  répandre  parmi  l'orchestre  une  ferveur  et  une  docilité  toutes  spéciales.  Son  geste  et 
sa  pensée  firent  monter  le  public  jusqu'à  l'un  de  ces  sommets  de  l'art  qu'on  n'atteint 
que  rarement.  Le  Finale^  particulièrement,  fut  déployé  dans  toute  sa  gloire.  iM.  Bilewski 
le  tout  jeune  violoniste  est  revenu  dans  son  pays  en  prophète.  Il  a  commencé  ses  études 
musicales  à  Angers  et  y  retrouvait  maintes  sympathies.  Son  talent  est  tendre  et  char- 
meur. Les  sonorités  qu'il  tire  de  son  violon  sont  d'une  qualité  sentimentale  tout  à  fait 
heureuse  et  son  mécanisme  est  déjà  fort  incontestable  et  fort  habile,  toutes  choses  que 
le  Concerto  de  Lalo  lui  permit  de  nous  révéler.  Il  l'exécuta  avec  une  sincérité,  une 
émotion  et  un  souci  de  style  dont  on  ne  saurait  trop  le  louer.  Puis  il  joua,  comme  mor- 
ceau de  èîs,  le  Cygne  de  Saint-Saëns,  en  l'imprégnant  de  poésie  fluide  et  légère. 
M.  Béguin,  du  théâtre  d'Angers,  chanta,  non  sans  école  et  sans  maîtrise  vocale  et  non 
sans  largeur  de  ligne  et  volonté  expressive,  l'air  si  difficile  d'Hérode  dans  V Enfance  du 
Christ  (Berlioz),  Le  poème  symphonique  de  Viviane  d'Ernest  Chausson  eut  ensuite 
l'heur  déplaire  au  public.  On  en  comprit  l'enchantement  légendaire  étendu  à  travers 
les  épanouissements  harmonieux  et  les  souples  fluctuations  et  les  multiples  nuances 
orchestrales.  UOuverture  de  Haensel  et  Gretel,  pour  clôturer  la  séance,  fut  joj^euse- 
mentet  délicatement  exécutée. 

Festival  russe.  —  Septième  concert  populaire  (4  février),  —  Le  festival  russe 
s'enchantait  de  la  présence  de  M.  Ossip  Gabrilowitch  qui  nous  a  redonné,  au 
piano,  les  rares  joies  d'art  perçues  déjà  grâce  à  lui  l'an  dernier,  et  qui  nous  permet- 
tait cette  année  de  l'apprécier  en  outre  comme  compositeur.  Son  Ouverture-P hapso- 
die  est  fort  originale,  colorée  richement,  savamment  instrumentée.  Il  la  dirigeait  lui- 
même  avec  une  grande  habileté.  Il  a  joué  le  Co;îcer/o  de  Tschaï-Kowsky  en  y  dépensant 
d'infinies  ressources  de  cœur,  de  virtuosité,  d'éloquence  et  de  songe  et  trois  morceaux 
de  Chopin  qui  débordaient  de  poésie  et  de  fantaisie  lointaine  sous  ses  doigts.  Le  concerc 
composé  exclusivement  d'oeuvres  russes  ne  permettait  pas  pourtant  à  l'auditeur  de 
localiser  outre  mesure.  U Onverture-rhapsodie  de  M.  Gabrilowitsch  est  bien  imprégnée 
de  couleur  étrangère.  J'en  dirai  autant  pour  Sadko  de  Rimsky-Korsakow,  tableau  des- 
criptif à  souhait,  rythmé  brusquement  ou  voluptueusement,  bâti  avec  un  art  accompli 
sur  un  programme  légendaire,  mais  la  Suite  moyen-âge  de  Glazounow,  et  le  Caprice 
brillant  de  Glinka,  pas  plus  que  le  Concerto  de  Tschaïkowsky,  ne  s'imposent  irréfuta- 
blement slaves.  Les  diverses  images  héroïques  ou  mystiques  de  la  Suite  moyen  âge  se 
déroulent  sans  éclat  surprenant  et  suggèrent  pourtant  des  impressions  diverses  et  plai- 
santes dans  une  atmosphère  musicale  bien  accordée  et  de  jolie  nuance.  Le  Caprice  bril- 
lant est  agréable,  facile,  heureusement  traité,  fertile  en  ressources  sonores.  Et  tout  cela 
domine  de  trop  haut  et  de  trop  loin  les  faits  particuliers  et  matériels,  pour  cimenter  la 
démodée  alliance  franco-russe. 

Troisième  séance  de  musique  de  chambre  (5  février).  —  La  troisième  séance  de  mu- 
sique de  chambre  fut  très  réussie.  Au  programme  le  septième  quatuor  de  Beethoven 
dont  MM.  Manbriny,  Bailly,  Becker  et  Chapelier  nous  firent  percevoir  la  transcendante 
génialité  et  le  Quatuor  en  sol  mineur  de  Grieg  qu'ils  ont  détaillé  avec  beaucoup  de 
finesse  et  de  charme.  Mlle  Y.  de  Stœcklin  prêtait  son  concours  à  cette  séance.  Elle 
a  chanté  Y  Air  des  Noces  de  Figaro  avec  des  moyens  vocaux  et  des  recherches  de  style 
qui  lui  font  honneur  et  a  interprété  en  musicienne  accomplie  le  cycle  des  mélodies  si 
poétiques,  délicates  et  charmeuses  de  M.  A.  Berthelin.  L'auteur  lui-même  l'accompa- 
gnait au  piano  et  le  succès  remporté  par  ces  lieders  infiniment  subtils  à  été  très  vif  et 
spontané.  Eva. 

LE  HAVRE.  —  Deux  concerts  à  deux  jours  de  distance.  L'un,  concert  de  musique 
pure  exécutée  par  de  consciencieux  et  réels   artistes  ;    l'autre,   concert  de  deux  vir- 
tuoses, de  deux  grands  virtuoses   subordonnant  la  musique  à   leur  virtuosité.    Le 
second  de  ces  concerts  seul  réunit  un  nombreux  public.  Il  y  a  des  snobs  partout  ! 

Parlons  du  premier.  Mlle  Duranton  avait  consacré  sa  première  séance  de  musique 
de  chambre  à  Mozart.  Et  ce  fut  un  régal  d'entendre    le    Quatuor  en  sol  mineur   pour 


piano  et  cordes,  délicatement  interprété  par  l'éminent  pianiste,  M.  Phal,  Mlle  Eudeline 
et  M.  Gh.  Maurech,  puis  le  Quintette  pour  piano  et  instruments  à  vent  pour  lequel  Mlle 
Duranton  avait  fait  appel  au  talent  de  MM.  Coquin,  Vassoud,  Deschamps  et  Wild, 
solistes  de  l'orchestre  du  Grand-Théâtre,  qui  se  tirèrent  à  leur  honneur  de  cette  tâche 
difficile.  L'œuvre  est  exquise  d'assemblage  et  de  sonorités,  on  sait  comment  Mozart  sa- 
vait manier  les  instruments  à  vent  et  les  faire  chanter.  M.  Phal  est  un  remarquable 
violoniste,  possédant  une  technique  parfaite  et  un  style  naturel  et  sobre.  Il  fut  très 
remarqué  et  très  applaudi  dans  la  Sonate  en  ré  et  dans  le  Goncerto  en  mi  bémol  de 
Mozart.  Mlle  Duranton  dit  excellemment  la  Sonate  pour  piano  en  ut  mineur  et  la  Pas- 
torcile  variée. 

Passons  au  second  concert.  —  Un  employé  vient  ouvrir  le  piano  et  déjà  un  frémis- 
sement passe  dans  l'auditoire.  On  entend  dans  la  coulisse  l'accord  d'un  violon  et  plu- 
sieurs dames  sont  prêtes  à  se  pâmer.  Enfin  i/'paraît.  Toujours  droit  et  fièrement  campé, 
les  cheveux  poudrés  de  blanc,  l'œil  vif,  la  mine  d'un  dompteur  dans  sa  cage,  Orphée 
charmant  les  monstres...  (il  y  en  avait  quelques-uns  dans  la  salle  !)  II  commence,  un 
son  cristallin  vibre,  d'une  pureté  admirable,  d'une  justesse  absolue.  Oh  !  ce  son  cris- 
tallin comme  on  en  a  parlé  pendant  huit  jours,  comme  à  toutes  mes  réserves,  à  toutes 
mes  objections,  à  toutes  mes  critiques,  on  m'a  vanté  ce  son  'prodigieux,  unique,  ce  son 
miraculeux.  Sans  doute  il  y  a  ceci  vous  avez  raison...  Mais  ce  son  cristallin!  Sans 
doute  il  y  a  cela...  mais  ce  son  cristallin.  Sans  doute  on  peut  dire...  Mais  ce  son  !... 
tarte  à  la  crème  ! 

Et  ce  son  s'est  épandu  pendant  deux  heures,  toujours  le  même,  toujours  aussi  beau, 
aussi  inexpressif  hélas  !... 

Tout  de  même  le  dieu  du  violon  consentit  à  nous  jouer  un  peu  de  musique.  La  So- 
nate à  Kreutzer  était  au  programme.  Mme  Marx-Goldschmidt  en  traduisit  fort  noble-* 
ment  la  partie  de  piano  mais  on  ne  l'écoutait  pas  !...  On  buvait  les  sons  ''cristallins)  de 
Sarasate  (Oh  !  l'ampleur  d'Isaye  dans  ce  début  où  était-elle  ?).  On  attendait  impatiem- 
ment les  variations  du  violon  où  l'archet  du  maître  fit  des  merveilles.  Et  le  public  ap- 
plaudit avec  frénésie...  oui  après  la  variation  !  II  applaudit  même  certain  trait  léger  de 
violon  sans  attendre  la  fin  de  la  phrase  musicale  confiée  au  piano.  Parbleu  !  ce  n'était 
ni  la  pianiste,  ni  Beethoven  surtout  qu'on  était  venu  entendre,  mais  bien  Pablo  Sa- 
rasate ! 

Tout  de  même  ce  dernier  était  impatient  de  jouer  quelque  chose  de  plus  violonis- 
tique  que  Beethoven.  Et  il  revint  triomphant  nous  exiber  d'hilarantes  acrobaties  sur  un 
thème  de  Don  Juan. 

Pauvre  Mozart  !  Applaudi  furieusement  il  daigna  ajouter  au  programme  deux 
pièces  de  Bach.  J'avoue  que  le  Bach  m'assomme  quand  il  m'est  présenté  en  si  mauvaise 
compagnie.  Et  pourtant  ce  Sarasate,  il  est  impardonnable,  car  il  joua  superbement  le 
deuxième  morceau  tout  de  vélocité.  Ah  !  s'il  voulait  !  Et  s'il  consentait  à  faire  chanter 
son  violon  plus  humainemeitt. 

Mais  Mme  Max-Goldschmitt  joua  avec  une  belle  sonorité  et  une  technique  bril- 
lante, mais  froide,  des  airs  de  ballet  de  Gluck,  démolis  par  St-Saëns  en  veine  de  fumis- 
terie ce  jour-là.  Elle  dit  aussi  la  Pastorale  de  Mozart.  On  la  sert  bien  souvent  depuis 
quelque  temps.  Serait-ce  parce  qu'elle  ne  ressemble  guère  à  du  Mozart  ?  J'ai  toujours 
soupçonné  ce  morceau,  par  trop  en  si  bémol  majeur,  d'avoir  un  état  civil  truqué  ! 

J'appréciai  davantage  Mme  Goldschmitt  dans  une  Etude  de  Ghopin.  Malheureuse- 
ment Sarasate  revint  nous  donner  le  coup  de  grâce  avec  deux  morceaux  de  sa  composi- 
tion. Il  est  évident  que  Sarasate  est  un  violoniste  extraordinaire,  je  ne  veux  pas  avoir 
l'air  de  le  bêcher  de  parti-pris.  Je  l'aurais  même  applaudi  si  le  public  n'avait  pas  tré- 
pigné avec  une  rage  idolâtre  à  chacune  de  ses  apparitions,  ce  même  public  si  ménager 
de  ses  bravos  avec  des  artistes  chaleureux  et  vibrants  comme  les  Gapet,  les  Thibaud, 
les  Géloso.  Mais  une  simple  question  :  le  violon  est-il  fait  pour  faire  entendre  unique- 
ment des  tours  de  force  ?  Et  vraiment  l'acrobatie  au  violon  n'cst-elle  pas  souveraine- 
ment laide   ? 

H.    WOOLLETT, 


-  i83- 

JiffARSEÏLLE.  —  Après  Rouen  et  deux  semaines  avant  Bordeaux,  les  Girondins 
'1  du  distingue  compositeur,  Fernand  Le  Borne,  ont  été  représentés  avec  succès  et 
M.  ont  vivement  intéressé  notre  monde  musical. 

Evocation  d'une  des  plus  farouches,  des  plus  terribles  périodes  de  la  Révolution, 
drame  fortement  charpenté  par  les  librettistes  :  MM.  Delormeil  et  Pont  Bérel  (pseudo- 
nymes déguisant  deux  personnalités  parisiennes  bien  connues),  les  Girondins  offraient 
au  musicien  des  situations  mouvementées  dont  il  a  très  habilement  tiré  parti. 

C'est  un  drame  symphonique,  en  lequel  le  rôle  de  l'orchestre  est  prépondérant.  Le 
caractère  tragique  du  sujet  ne  comportait  guère  l'application  aux  protagonistes  de  la 
scène  d'un  élément  mélodique  sous  forme  d'airs,  de  morceaux  chantés.  Judicieusement, 
je  compositeur  n'a  mis  dans  la  bouche  de  ses  personnages  que  des  récits  dialogues 
adaptés  aux  situations  passionnelles,  mais  d'acc&nts  très  variés  dans  la  forme  et  les 
inflexions.  Ils  sont  soulignés  par  des  thèmes  d'orchestre  très  bienvenus  et  qui  subissent 
au  cours  de  l'ouvrage  d'intéressantes  modifications. 

Une  idylle  d'amour  se  dessine  très  passionnée  sur  le  tragique  canevas  du  scénario  ; 
le  thème  qui  la  caractérise  est  de  la  plus  pénétrante  expression  ;  il  revient  à  plusieurs 
reprises  au  cours  de  l'ouvrage  sous  des  physionomies  diverses. 

Le  principal  mérite  musical  des  Girondins  consiste  dans  la  mise  en  œuvre  des  cinq 
Préludes  de  la  partition,  lesquels,  admirablement  instrumentés,  offrent  une  succession 
de  couleurs  impressionnantes.  Le  musicien  qui  les  a  écrits  est,  de  toute  évidence,  un 
maître  en  possession  de  tous  les  secrets  du  grand  art  symphonique  et  possède  de  plus 
une  trempe  vigoureuse  et  souplement  imaginative  tout  ensemble.  La  musique  de 
M.  Le  Borne  a  le  don  de  s'emparer  du  premier  coup  de  l'âme  de  ses  auditeurs. 

Aussi  n'a-t-on  été  nullement  surpris  d'apprendre  que  M.  Fernand  Le  Borne,  dont 
le  théâtre  de  Pau  va  représenter  Hedda  le  mois  prochain,  a  vu  recevoir  Le  Maître  à 
rOpéra-Comique  qui  doit  le  donner  cet  automne,  et  que  le  compositeur  travaille  à  un 
grand  ouvrage  :  Les  Borgia,  accepté  par  l'Opéra. 

Sylvio. 

P.-S.  —  L'ouvrage  a  été  vaillamment  et  très  efficacement  soutenu  par  Mmes  Ha- 
riett  Strasy  et  Gholain,  MM.  Abonil,  Rothier,  Gaidan  pour  les  premiers  rôles  et  notre 
vigilant  et  expert  chef  d'orchestre,  M.  Miranne. 


MONTPELLIER.  —  Notre  Schola  a  fêté  le  iço"  anniversaire  de  la  naissance  de 
Mozart,  en  organisant  une  «  rétrospective  ))  de  l'œuvre  du  maître  de  Salzburg.  La 
Symphonie  en  so/  mineur  et  des  fragments  importants  d'Idoménéo  ont  composé 
le  programme  de  ce  concert  commémoratif.  Les  interprètes  d'Idomeneo,  re  di  Creta, 
Mlles  Eléonore  Blanc  (Electre),  Ali  Villot  (Ilia) ,  MM.  Simonnet,  Rohart  et 
Diffre,  ont  traduit  avec   style  le  caractère  du  «  dramma  per  musica  ))   de  Mozart. 

A  ce  même  concert  nous  avons  entendu  encore  le  concerto  en  ré  de  Bach,  exécuté 
avec  fidélité  par  M.  Ra^'mond  Bérard.  pianiste  excellent,  MM.  Bouillon,  Lamirault,  et 
deux  chansons  du  xvi°,  chantées  par  les  chœurs  de  la  Schola  admirablement  disciplinés 
sous  la  conduite  de  M.  Charles  Bordes. 

—  Le  29  janvier,  concert  de  Musique  de  chambre.  Le  quatuor  Capet  a  inter- 
prété le  3^  et  le  13°  quatuors  de  Beethoven  avec  sa  maîtrise  et  sa  cohésion  habi- 
tuelles. Entre  les  deux  quatuors,  a  été  donnée  la  première  audition  d'Or^Aee,  la  célèbre 
cantate  de  chambre  de  Clérambault,  dont  Mlle  Ali  Villot  a  excellemment  déclamé  les 
«  airs  )). 

—  Le  compositeur  Arthur  Coquard,  auteur  de  la  Troupe  Jolicceur.  récemment 
donnée  à  notre  théâtre,  a  fait,  dans  les  salons  de  la  Schola,  une  conférence,  avec 
exemples  musicaux,  sur  la  Mélodie  à  travers  les  âges.  Une  assistance  élégante  a  goûté 
sa  causerie  documentée  et  spirituelle. 

—  Au  Grand-Théâtre,  Mme  Jane  Mérey  a  fait  une  apparition  météorique 
dans  le  Barbier  de  Séville  dont  elle  a  vocalisé  avec  éclat  les  phrases  ornementées. 

Mme  Simone  d'Arnaud  a  maintenu  sur  l'affiche  Thaïs,  l'œuvre  assez  faible  de  Mas- 


IsA' 


—  i84  — 

senet,  en  prêtant  à  la  Courtisane  d'Alexandrie  son  art  des  attitudes  et  sa  science  du 
chant.  Mme  d'Arnaud  est  une  chanteuse  adroite  et  expérimentée.  Elle  parvient  à  inté- 
resser en  chantant  la.  Travtata.  Elle  mérite  mieux.  Son  interprétation  prochaine  de 
Louise  le  montrera.  Raoul  Davray. 


BRUXELLES.  —  Le  Festival  Mozart.  —  2^  janvier.  —  Un  essai  assez  auda- 
cieux du  Cercle  artistique,  ce  Festival  Mozart  !  Trois  soirées  consécutives, touffues, 
d'un  maître  dont  on  parle  beaucoup  et  que  l'on  connaît  peu.  Il  est  vrai  que  l'ini- 
tiative de  M.  Schlesinger  est  si  entraînante  que  le  Cercle  ne  pouvait  hésiter  à  le 
suivre  ;  la  conception  artistique  de  la  fête  et  son  organisation  matérielle  si  délicate  ont 
assuré  le  succès. 

Première  soirée  :  Musique  de  chambre  :  Quatuor  en  ré  majeur,  sous  la  conduite  de 
M.  Elderlng,  Hollandais  précis  ;  rythme,  style,  netteté,  classicisme.  La  ligne  mélodi- 
que légèrement  compassée.  Les  interprètes  respectueux  craignent  la  fantaisie  ;  le  vio- 
loncelle est  lourd,  l'alto  un  peu  terne.  Voici  le  trio  enmi  bémol:  Mme  Samuel  et  Richard 
Mûhlfeld  ;  immédiatement  le  piano,  manié  élégamment,  jette  dans  l'assemblée  sa  grâce 
française,  sa  claire  fraîcheur.  Nous  entrons  de  plain  pied  dans  le  régal  :  Mûhlfeld  joue  ! 
L'extraordinaire  artiste  !  Il  s'installe  et  se  carre,  en  jouisseur,  sur  sa  chaise  fragile. 
Gros  homme  aux  yeux  rieurs  ;  un  mélange  de  Drumont  et  de  Sylvain  Dupuis.  Il  em- 
bouche une  clarinette  bizarrement  recourbée  en  cornet  à  bouquin  :  —  et  le  mondé 
change.  Des  mélodies  passionnées,  frémissantes  de  vie  et  d'entrain  ;  une  échelle  de  sons 
qui  paraît  sans  limites,  une  variété  d'expressions  qui  empoigne  irrésistiblement,  depuis 
la  poésie  intense  du  rêve  le  plus  pur  jusqu'aux  orages  frénétiques  d'une  âme  démontée. 
Cette  grosse  pipe  méprisée  et  un  peu  ridicule  chante,  vibre,  souffre,  pleure  ou  sourit  et 
raille.  Mûhlfeld  est  un  grand  romantique  qui  n'oublie  pas  de  rester  humain.  Le  Trio  et 
le  Quintette,  grâce  à  lui,  furent  des  instants  inouïs  de  douceur,  de  charme,  d'accent, 
et  d'intensité.  Cet  homme  est  vraiment  de  la  grande  lignée. 

Première  apparition  de  Steinbach,  dirigeant  la  grande  Sérénade  en  si  bémol  pour 
instruments  à  vent.  Excellente  exécution,  très  achevée,  faisant  honneur  au  chef  savant 
et  attentif  qui  sait  dispenser  avec  maîtrise  et  entrain  les  oppositions  de  cette  curieuse 
page. 

26  janvier.  —  Journée  symphonique;  ]o\xr née  Steinbach.  Foule  dense.  Il  y  a  des 
habits  noirs  sur  le  toit,  qui  penchent  l'oreille  en  cornet  au-dessus  des  ventilateurs 
entr'ouverts.  Dans  les  salles  voisines  de  la  Salle,  des  âmes  qui  n'ont  pu  forcer  les 
portes  d'un  paradis  regorgeant  d'élus,  se  collent  aux  murs,  aux  vantaux,  aux  fissures, 
hypertrophiant  leurs  facultés  auditives. 

Mme  Samuel,  lAM..  Van  Hout  et  Crickboom  triomphent,  les  deux  derniers  dans  la 
symphonie  concertante  pour  violon  et  alto,  —  ce  Van  Hout,  quelle  élégance,  quelle 
émotion,  quelle  sensibilité  !  —  la  première  dans  le  Concerto  en  si  bémol  majeur.  La 
charmante  planiste  est  en  pleine  possession  de  ses  moyens.  Son  interprétation  radieuse, 
émue,  rapproche  de  nous,  en  les  attendrissant,  les  œuvres  de  cristal  d'un  génie  trop 
plastique.  Elle  joue,  avec  la  mesure  et  le  goût  de  sa  race  sans  abdiquer  la  grâce  de  son 
sexe.  Et  quel  plaisir  que  d'observer  un  accompagnement  aussi  savant,  aussi  «juxta- 
posé »  !  Pas  d'hésitation  dans  les  répliques,  pas  de  lourdeur  dans  les  soutiens.  Deux 
cadences  de  Reinecke,  oasis  ombrées  dans  un  paysage  de  lumière  uniforme  ;  la  première 
au  perlé  adorable;  la  deuxième  peu  mozartique.  U adagio  simple,  expression  exacte- 
ment atteinte. 

Fritz  Steinbach  au  pupitre  :  l'œuvre  est  dans  toute  sa  personne.  L'expression 
figurée  devient  matérielle  ;  il  semble  qu'à  tout  moment  il  voudrait  parler,  et  qu'il  se 
contient  pour  faire  traduire  par  son  corps  ce  que  sa  bouche  ne  peut  dire.  Le  cou  est 
gonflé  dans  une  perpétuelle  contention.  Le  regard  dompte,  saute,  enveloppe.  La  tête 
commande  en  secousses  dominatrices,  où  flotte  une  mèche  éperdue.  Les  bras  secs  ou 
ondoyants,  toujours  en  action,  toujours  indépendants  l'un  de  l'autre,  et  toujours  intelli- 
gibles :  la  synthèse,  idéal  du  vrai  chef  d'orchestre,  est  réalisée  chez  lui  dans  une  inté- 


~  185  - 

gralité  exceptionnelle.  Chaque  groupe  instrumentai  reconnaît  l'indication  qui  le  con- 
cerne dans  ce  multiple  travail  de  direction.  Steinbach  déblaie  et  secoue.  Il  veut.  — ' 
Mottl  est  irrésistible  ;  il  suggestionne,  par  un  don  presque  surnaturel,  où  sa  volonté 
individuelle  paraît  prendre  moins  de  part.  Dans  Steinbach  tout  est  volonté,  extériori- 
sation de  domination  ;  c'est  un  maître,  qui  veut  l'obéissance. 

2y  janvier.  — Les  Noces  de  Figaro  à  la  Monnaie.  —  L'histoire  anecdotique  veut 
qu'en  1786,  à  la  fin  de  la  première  représentation  de  cet  opéra  à  Vienne,  l'empereur 
Joseph  II,  à  la  demande  duquel  il  fut  composé,  et  qui  le  défendit  contre  la  cabale  de 
Salieri,  dit  au  compositeur  : 

«  Il  faut  convenir  pourtant,  mon  cher  Mozart,  que  voilà  bien  des  notes  !  —  Pas  une 
de  trop.  Sire  »,  répond  le  musicien.  Il  semble  qu'une  importante  partie  du  public,  sa- 
medi dernier,  était  assez  de  l'avis  du  souverain.  Impression  d'ensemble  imperceptible- 
ment lassante  et  relativement  froide,  en  somme,  si  l'on  met  à  part  le  quatrième  acte  si 
avenant  et  juvénile.  On  reconnaissait  volontiers  beaucoup  de  musique,  de  grâce  mélo- 
dieuse ;  mais  l'ensemble  n'a  pas  captivé.  Etait-ce  la  faute  de  l'œuvre  ?  N'était-ce  pas 
aussi  un  vague  déséquilibre  général,  à  l'orchestre,  dans  l'interprétation,  dans  les 
proportions  de  la  salle  et  même  dans  le  public  ? 

Mlle  Maubourg,  intelligente,  avec  son  habile  aisance  coutumière,  a  sauvé  par  son 
à-propos  et  son  esprit  maintes  situations  relativement  ternes  ou  minces,  telle  la  scène 
de  la  fêconnaissance,  bizarrerie  dé  Beaumarchais,  reflet  malencontreux  des  «  comédies 
larmoyantes  »  de  la  deuxième  moitié  du  xviii°  siècle.  Le  rôle  de  Marceline  a  peu  de 
relief  :  Mlle  Maubourg  en  fait  l'égal  des  protagonistes. 

Mme  Eyreams,  M.  Bourbon  ont  témoigné  d'un  talent  auquel  plus  d'éclat  et  de  lé- 
gèreté n'auraient  pas  nui.  M.  Belhômme  fut  bonhomme  ;  et,  mon  Dieu  !  que  Mlle  Aldâ 
a  donc  terriblement  chevrotté  ! 

Pauvre  orchestre,  il  était  bien  bas  dans  un  vaisseau  bien  grand  I  Les  auditeurs  du 
rez-de-chaussée  ont  perdu  le  charme  de  l'exécution  de  Steinbach  ;  il  fallait  monter  aux 
deuxièmes  loges  pour  le  percevoir  en  partie.  Et  pourtant  l'ouverture,  l'entr'acte  du 
troisième,  la  marche  nuptiale  furent  des  perles  :  légèreté,  nerf,  précision.  Les  deux  pre- 
miers actes  ont  paru  particulièrement  au  point. 

De  telles  dentelles  ne  sont  pas  faites  pour  un  cadre  aussi  étendu  ;  mais  que  faire  ? 
On  n'aurait  pu  caser  les  douze  cents  membres  du  Cercle  et  les  douze  cents  titulaires  des 
cartes  de  dames  dans  aucun  théâtre  de  Bruxelles;  et  quelle  que  soit  la  fortune  d'une 
association  artistique,  elle  ne  peut  s'offrir  plusieurs  séries  d'une  représentation  aussi 
coûteuse.  Le  luxe  était  déjà  d'une  suffisante  ampleur,  et  l'organisation  adoptée  a  pré- 
senté cette  originalité  d'un  auditoite  amusant,  un  peu  désorienté  par  le  mélange  et  le 
hasard  des  places.  H.  L. 

A  la  Monnaie  a  eu  lieu,  avec  un  plein  succès,  la  représentation  d'un  charmant  ballet 
de  MM>  Bêott  et  Ambrosiny^  Matmouna  :  l'orchestre  était  dirigé  par  L.  van  Hout. 

Les  Concepts  populaires  ont  donné  le  18  février,  le  Chant  de  la  Cloche^  de  Vincent 
d'Indy. 

—  La  première  de  la  Damnation  de  Faust,  vient  d'avoir  lieu  avec  plein  succès. 
Les  répétitions  de  Déidamie,  le  drame  lyrique  de  L.  Solvay  et  F.  Rasse  se  poursuivent 
activement. 

A  ïEcole  de  Musique  Saint-Josse-Schaerbeeck  vient  d'avoir  lieu  l'audition  de  deux 
œuvres  aussi  belles  qu'importantes  :  le  Déluge  et  la  Croisade  des  Enfants.  La  plus 
importante,  le  Déluge.,  de  Saint-Saëns,  n'avait  plus  été  entendue  depuis  vingt  ans  à 
Bruxelles  ;  elle  a  conservé  toute  sa  force  et  toute  sa  grâce,  avec  sa  belle  élévation  de 
sentiment  et  sa  forme  magnifique;  les  chœurs  mixtes  de  l'Ecole  de  musique,  un  peu 
faibles  seulement  du  côté  des  hommes,  en  ont  donné,  avec  l'aide  de  l'orchestre  Ysaye, 
une  interprétation  vivante  et  colorée,  qui  a  produit  une  vive  impression. 

L'autre  œuvre  était  nouvelle  :  elle  date  d'hier  à  peine,  et  elle  est  d'un  caractère 
absolument  original  :  c'est  la  Croisade  des  Enfants.^  de  M.  Gabriel  Pierné. 


-—  I«&  — 

C'est  la  seconde  partie  seulement  de  cette  oeuvre  délicieuse,  exécutée  à  Paris  l'hiver 
dernier,  la  Route  vers  la  Terre-Sainte,  que  l'Ecole  de  musique  nous  a  fait  entendre  : 
elle  est  composée  uniquement  de  voix  d'enfants,  et  rien  n'est  plus  exquis,  d'une  expres- 
sion plus  ingénue,  plus  délicate  et  plus  fraîche,  rendue  dans  une  forme  enchanteresse, 
que  cette  scène  où  la  marche  des  petits,  rythmée  sur  un  motif  de  vieille  chanson  popu- 
laire, se  mêle  de  dialogues,  de  jeux  et  de  prières.  Les  deux  cents  voix  enfantines  de 
l'Ecole  de  musique  ont  détaillé  cette  page  ravissante  avec  une  grâce  de  nuances  sans 
pareille.  L'effet  a  été  considérable,  et  a  fait  souhaiter  à  tout  le  monde  d'entendre  bientôt 
l'œuvre  entièrement.  L.  S. 


TïiEA.TR.E    OE    3yEO]NrXE-C.A.FlLO 


LE   ROI   DE   LAHORE 


Après  bientôt  trente  ans,  le  Roi  de  Làbore,  qui  fut  le  début,  à  l'Opéra,  de  Massenet, 
est  toujours  jeune,  fougueux  de  belle  passion,  et  tout  débordant  d'inspiration.  Les 
Parisiens  ne  connaissent  plus  guère  cetre  œuvre  superbe,  qui  n'aurait  jamais  dû 
quitter  le  répertoire.  Par  contre,  toutes  les  scènes  importantes  de  la  province  et  de 
l'étranger  se  font  honneur  et  profit  à  maintenir  le  Roi  de  Lahore  sur  l'affiche. 

Le  succès  à  Monte-Carlo  en  a  été  triomphal.  Le  public  s'est  enthousiasmé  à  cette 
musique  qui  chante  magnifiquement  l'amour.  Et,  au  cours  du  troisième  acte,  après 
l'air  célèbre  Promesse  de  mon  avenir  admirablement  chanté  par  M.  Renaud,  une  ovation 
superbe  a  été  faite  à  l'illustre  compositeur,  qui  assistait  à  la  représentation  dans  la 
loge  de  S.  A.  S.  le  prince  de  Monaco,  et  qui  dut  se  lever  et  saluer  le  public  frémissant 
d'admiration. 

M.  Raoul  Gunsbourg  n'avait  rien  épargné  pour  que  la  mise  en  scène  fût 
digne  de  l'œuvre,  et  pour  que  l'interprétation  musicale  fût  d'une  absolue  beauté. 

Mlle  Farrar,  dans  le  rôle  de  Sita  fit  acclamer  sa  voix  splendide  et  son  jeu  tragique: 
c'est  une  délicieuse  héroïne  lyrique  qui  unit  le  charme  et  la  force  et  qui,  dans  les 
scènes  de  tendresse  comme  dans  les  emportements  de  douleur  et  de  désespoir,  est 
d'une  rare  puissance  expressive  en  même  temps  que  d'une  profonde  poésie.  M.  Re- 
naud, dans  le  rôle  de  Scindia,  fit  admirer  une  fois  de  plus  son  merveilleux  talent  de 
chanteur  et  de  comédien.  M.  Rousselière  a  vaillamment  chanté,  de  sa  belle  voix  de 
ténor,  le  rôle  d'Alim.  Il  reste  à  citer  MM.  Ananian  etLequien.et  Mlle  Verna,  qui  com- 
plétaient brillamment  cette  très  belle  distribution.. 

Le  ballet  du  Paradis  d'Indra  a  valu  de  longs  applaudissements  à  Mlles  Zambelli, 
Salle  et  Mata-Hari. 

La  belle  œuvre  de  Massenet  était  splendidement  encadrée  dans  les  superbes  dé- 
cors de  M.  Visconti,  auxquels  les  transformations  lumineuses  de  M.  Eugène  Frey 
ajoutaient  leur  fantasmagorie. 

Les  chœurs  et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  furent  irréprocha- 
bles, et  contribuèrent  avec  éclat  au  grand  succès  du  Roi  de  Lahore. 


—  i87  — 

Coîjcerts  Tlijvoijcés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 


Mars 


1  La  Société  des  Instruments  à  vent. 

»  La  société  des  Compositeurs  de  Musique. 

2  Mlle  J.  Lyon. 

5  La  Société  Nationale  de  musique. 

4  Mme  Breton  Halmagrand  (élèves). 

5  MM.  De  Greef  et  Boucherit. 

6  M.  E.  Saury. 

7  Mlle  Charlotte  Lamy. 

8  Mlle  Cécile  Meûdt. 

9  M.  Daniel  Herrmann. 

10  M    David  Blitz. 

1 1  Mlle  Toulouse  (élèves.") 

12  MM.  Degreef  et  Boucherit, 

13  MM.  Canivet  et  Oberdœrffer. 

14  Mlle  Waltener, 

15  La  Société  des  Instruments  à  vent. 
»  MM     De  Greef  et  Boucherit. 

Salle  des  Qiiatuors 

I  Mme  L.  Vaillant, 

z  M.  Ch.  Bouvet. 

3  Mlle  Henriette  Gaston. 

4  Mme  Ferant  (élèves). 

6  M    C.  Golling. 

7  M.  Raphaël  Cisior. 

8  M.   Martinet. 

»  M.  Garnier  Hubert. 

9  M.  Pomposi. 

1 1  Mlle  Hortense  Parent. 

14  Mlle  Hortense  Parent. 

15  Mlle  Hortense  Parent. 

Salle  Erard 

1  Mlle  CafFaret. 

2  Mlle  Monchablon. 

3  M.  Borchard. 

5  M,  Montoriol-Tarrès. 

6  Mme  Mellot-Joubert. 


Mars 

7  M.  Lazare-Lévy. 

8  Mlle  Lipochitz. 

9  Mme  Rey-Gaufiès . 
10  M.  Eimer,  pianiste. 

12  M.  Friedmann. 

13  M.  Brunold. 

14  Mlle  M.  Weiss. 

15  M.  Busoni. 

Salle  des  Agriculteurs 

4  Concerts  Lefort  (5  h  ) 

5  M.   Santa-Vicca. 

6  Société  Philharmonique. 
10  Mlle  Boyer  de  Lafory. 

12  Mme  de  Nervosky. 

13  Société  Philharmonique. 

Salle  .^ollan 

1  Mme  Landormy-Plançon. 

2  Quatuor  Parent. 

6  Mlle  Tripet. 

8  Le  D'  Lulek. 

9  Quatuor  Parent. 
/O  Mme  Kowalski. 
12  Le    D'  Lulek. 

Schola  Cantorum 

i;     Mlle  Blanche  Selva. 

T.liéâtre-Royal  (rue  Royale) 

3  Les  intimités  d'Art,  3  h. 
10  id. 

Ambigu 

7  Matinées  Luigini,  4  h.   1/2. 

Salle  de  l'Union 

14  Société  J.-S.  Bach. 

Salle  Hoche 

4  Mlle  Morillon,  3  h. 


ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FR A  NCE 


Théâtre  des  Mathurins.  —  La  Mort  de  Tintagiles,  drame  en  5  tableaux  de  M. 
Maurice  Maeterlinck^  musique  de  Jean  Nouguès. 

Voici  un  petit  drame  fort  simple,  et  d'une  intimité  si  grande  que  l'auteur  l'aurait 
voulu  joué  par  des  marionnettes  ;  mais  il  n'est  petit  que  par  ses  proportions,  car  il  est 
d'une  humanité  prodigieusement  grande,  et  M.  Maeterlinck  y  fut  une  fois  de  plus  le 
«chantre  de  la  Douleur  )),  Avec  son  talent  si  particulier,  si  personnel,  dans  un  style 
délicieusement  imprécis  et  enchanté,  le  poète  nous  a  fait  apparaître  le  symbole  éternel 
delà  lutte  féroce  de  la  Vie  contre  la  Mort  ;  et,  bien  souvent  dans  ce  drame  nous  sen- 
tîmes comme  l'héroïne  «  notre  vie  tout  au  bord  des  nos  lèvres  ». 

La  tâche  du  musicien  était  périlleuse  dans  cette  œuvre,  et  seul  le  génie  d'un 
Debussy  aurait   pu  s'élever  à  celui    du   poète.  M.    Jean   Nouguès  a  écrit  une  partition 


—   l»8  — 

honorable,  à  tendances  très  «  massenétiques  »  peut-être  à  côté,  croyons-nous,  de  l'at- 
mosphère musicale  dont  il  aurait  fallu  envelopper  ce  drame  ;  cependant  il  nous  faut 
reconnaître  que  sa  déclamation  est  presque  toujours  juste  et  laisse  suffisamment  à  dé- 
couvert le  poème.  Et  puis  le  second  plan  auquel  on  a  relégué  l'orchestre  —  (à  peine 
perceptible  dans  la  coulisse)  —  n'a-t-il  pas  empêché  d'apprécier  les  qualités  que  ren- 
ferme l'importante  partition  de  M.  Nouguès? 

Mme  Georgette  Leblanc  accomplit  un  tour  de  force  en  montant  la  Mort  de  Tinta- 
ailes  \  sur  une  scène  exiguë,  sans  dégagements,  privée  de  tous  les  moyens  d'éclairage 
et  de  machinerie;  elle  arriva  à  nous  donner  à  force  d'art,  l'illusion  de  la  réalité  et  à 
mettre  de  l'air  et  de  l'espace  sur  cette  minuscule  scène  des  «  Mathurins  ».  Mme 
Georgette  Leblanc  est  une  artiste  que  l'on  ne  discute  pas,  il  faut  l'aimer  avec 
ses  défauts  et  ses  qualités,  ses  puérilités  et  ses  exagérations,  et  je  suis  de  ceux  qui 
l'admirent.  Son  interprétation  est  peut-être  quelquefois  différente  de  celle  que  j'aurais 
voulu,  mais  elle  est  toujours  sincère  et  intéressante.  Elle  fut  une  a  Ygraine  ))  doulou- 
reuse et  tragique  et  elle  apporta  à  cette  triste  histoire  toute  l'émotion  de  son  cœur  ainsi 
que  son  incomparable  plastique.  Les  autres  rôles  étaient  tenus  par  Mme  Nina  Russel 
(Bellangère),  M.  Stéphane  Austin,  parfait  en  «  Aglobale  »  et  le  Petit  Russel  (Tintagi- 
les).  Il  nous  faut  féliciter  tout  particulièrement  M.  Philippe  Gaubert  qui  dirigea  l'or- 
chestre de  façon  remarquable. 

La  Mort  de  Tinta giles  était  accompagnée  sur  l'affiche  d'une  charmante  pantomime 
de  M.  de  Croisset  (musique  de  M.  Nouguès)  pour  les  débuts  de  Mme  Colette  Willy  au 
théâtre  ;  elle  y  fut  tout  bonnement  exquise  et  nous  espérons  qu'elle  ne  s'en  tiendra  pas 
à  cette  tentative.  Voilà  un  «  Faune  »  pour  les  après-midi  duquel  on  écrirait  bien  des 
«  Préludes  »  !  '  Gabriel  Grovlez. 


Le  14  mars,  la  Société  J. -S.  Bach^  sous  la  direction  de  M.  Gustave  Bret,  fera  en- 
tendre une  très  curieuse  Cantate  Burlesque  de  Bach,  intitulée  Nous  avons  U7t  nouveau 
gouvernement. 

Très  artistique  soirée,  l'autre  jeudi,  chez  M.  et  Mme  André  Alem  où  l'aimable 
maîtresse  de  maison  (Mlle  Germaine  Chené)  a  délicieusement  charmé  ses  invités  dans 
différentes  pages  de  Schumann  et  Fauré.  Vif  succès  pour  les  excellents  artistes,  MM. 
Nadaud,  Gaubert,  Mlle  Henriette  Renié  et  M.  J.  Fenoux. 


A  la  dernière  séance  de  la  Société  de  Musique  nouvelle  qui  a  eu  lieu  à  la  salle 
Erard,  la  jeune  et  célèbre  pianiste  Mlle  Geneviève  Dehelly  a  remporté  un  très  vif  succès 
dans  la  Suite  pour  Piano  du  compositeur  roumain  Stan  Golestan. 

Les  oeuvres  du  compositeur  Eymieu  interprétées  par  M.  Willaume  et  Mlle  Louise 
Poignant  ont  également  reçu  le  plus  chaleureux  accueil. 


Vendredi  9  mars,  à  la  salle  Erard,  l'excellente  pianiste  Mme  Rey-Ganfiès  donnera 
son  concert  annuel,  avec  le  concours  annuel  de  MM.  Rosé  et  Buxtaum  de  Vienne  qui 
pour  la  première  fois  seront  entendus  à  Paris  en  dehors  de  leur  quatuor. 

M.   DE  La  Laurencie  a    terminé   dernièrement     son    très     intéressant    cours   à 
l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales  sur  Quelques  maîtres  de   l'ancienne    Ecole  française 
du  violon.  Il  a  spécialement  analysé,  dans  ce  dernier  entretien,  l'oeuvre  de  J.-M.  Leclair 
l'aîné,  qui  vécut  de   1697  à  1764  et  qui  fut,  en  même  temps  qu'un  virtuose  accompli,  un 
compositeur  remarquable.    Le  conférencier  avait  choisi  comme  exemples,  pour  clôturer  « 
la  séance,  quelques  pièces  instrumentales  de.  L.  Constantin,  dit   «  le  Roi  des  violons  n  \ 
(i 583-1657),  J.-F.  Rebel  (1661-1747),  ^-  du  Val,  J.-B.  Anet,  J.  Aubert  et  J.-M.  Leclair.  ] 
Ces  œuvres,  qui  se  distinguent  par   une  grande    indépendance   de  rythmes    et  par  un 
tour  mélodique  plein  d'agrément,  furent  exécutées  sous  sa  direction  par  le  Quatuor  Lu- 
quin  secondé  par  quelques  artistes  au  nombre  desquels  Mlle  Blanche  Selva. 

'M 

M.  Déodat  de  Séverac,  l'auteur  du  Chant  de  la  Terre  et   d'E«  Languedoc^  vient 
d'être  autorisé  par  M.  Maurice  Maeterlinck  à  mettre  en  vnmiqnt  Sceur  Béatrice  qui  fut» 


—  i89  — 

on  le  sait,  —  de  même  qu  Ariane,  dont  la  partition  a  été  écrite  par  M.  Paul  Dukas,  — 
spécialement  destinée  à  la  scène  lyrique. 

M.  de  Séverac  a,  d'autre  part,  terminé  récemment  un  drame  en  deux  actes,  le 
Cœur  du  Moulin,  sur  un  livret  de  M.  Magre.  Exécuté  dernièrement  dans  plusieurs 
salons  parisiens  par  MM.  Engel,  S,  Austin,  Mlle  Pironnay,  Mme  G.  Fié,  Mlle  Blanche 
Selva,  etc.,  le  Cœur  du  Moulina  produit  la  meilleure  impression.  M.  Albert  Carré,  qui 
l'entendit  récemment  chez  M.  Alfred  Edwards,  l'a  reçu  à  l'Opéra-Comique  pour  la  sai- 
son prochaine. 

Bordeaux.  —  Le  dernier  concert  intime  de  la  Société  de  Sainte-Cécile  comptera 
parmi  les  plus  brillants.  M.  Pennequin  s'y  est  montré  le  remarquable  violoniste,  le 
parfait  musicien  que  tout  le  monde  connaît.  Mlle  Marguerite  Portés  s'est  fait  applaudir 
dans  l'air  de  la  Vestale  et  la  cantilène  d'Hellé.  Mais  nous  devons  insister  sur  le  succès 
triomphal  remporté  par  Mlle  Geneviève  DehelUy,  la  jeune  pianiste,  dont  la  presse 
parisienne  a  célébré,  l'hiver  dernier,  l'éclatant  début.  Après  s'être  distinguée  à  côté  de 
son  éminent  partenaire,  M.  Pennequin,  dans  la  belle  Sonate  de  Fauré  et  surtout  dans 
l'incomparable  Sonate  à  ilrew^^er  que  nous  n'avons  peut-être  jamais  entendue  interpréter 
avec  une  pareille  intensité  d'émotion,  Mlle  Dehelly  s'est  révélée  pianiste  d'un  charme 
exquis  dans  deux  pièces  de  Chopin  et  virtuose  prodigieuse  dans  l'ouverture  de  Tann- 
haûser  de  Wagner-Liszt,  qui  terminait  la  séance.  La  salle  entière  s'est  levée,  et  durant 
plusieurs  minutes,  a  acclamé  la  jeune  et  remarquable  artiste. 


Nantes.  —  Au  Grand  Théâtre  on  vient  de  monter  Sibéiia  de  Giordano  et  un  ballet 
inédit  du  compositeur  Sélim  :  Sorrente. —  M.  Tournié  a  posé  sa  candidature  à  la  direc- 
tion des  Théâtres  municipaux. 

h,Q  àe\i.xihm.e  ConcQTtàQ  Y  Association  des  Concerts  historiques  a.\xra.  lieu  le  2  Mars. 
Au  programme,  des  œuvres  de  nos  compositeurs  français  du  xviii'  siècle.  Rameau, 
Leclair,  Lalande,  —  puis  de  Haendel  et  Gluck,  l'ouverture  de  Prométhée  de  Beethoven, 
le  Chant  funèbre  de  Chausson,  le  concerto  en  la  de  J.-S.  Bach  par  M.  Nin. 

Les  récitals  de  MM.  Arcouet  et  Lonati  ont  repris  avec  un  superbe  succès  :  Sonates 
de  Beethoven,  Grieg,  Trio  de  Lalo. 

Au  Concert  Hermann,  remarquable  exécution  du  Quintette  de  Brahms,  de  lieder 
de  Schumann  par  Mlle  Menjaud,  de  Kol  Nydrei,  de  Bruch,  par  M.  Bonjour^  des  Coti- 
certo  de  Grieg  par  M.  Arcouet. 

Le  Havre.  —  Cercle  de  l'Art  moderne.  —  Un  groupe  d'artistes  peintres,  sculp- 
teurs, musiciens,  d'architectes,  de  littérateurs  et  d'amateurs  d'art  attirés  par  sympathie 
commune  pour  les  tendances  artistiques  modernes  vient  de  se  fonder  dans  notre  ville, 
dans  le  but  de  faciliter  les  manifestations  d'art  personnel  en  organisant  des  expositions 
d'art,  des  concerts  de  musique  de  chambre  et  des  conférences  de  vulgarisation  artis- 
tique. 

Le  conseil  de  direction  est  présidé  par  M.  Choupay,  architecte  en  chef  de  la 
ville  du  Havre,  avec  pour  secrétaire  M.  C.-Jean  Aubry,  et  pour  trésorier  M.  J. 
Ausset. 

Les  comités  artistiques  sont  composés  comme  suit  : 

Beaux-arts  :  MM.  Friesz,  Dufy,  Geo.  Braque. 

Musique  :  MM.  H.  Woollett,  André  Caplet,   Gh.  Maurech. 

Littérature  :  MM.  G.  Jean  Aubry,  L.  Hurel,  Lesieutre. 

Expositions  :  MM.  Dusseuil,  Aug.  Marande,  Van  der  Velde,  Ch.  Braque,  Luthy. 

Le  conseil  de  direction  comprend  en  outre  : 

MM.  Biette,  F.  Dennis,  Geo.  Dupuis,  L.-J.  Hilly,  Lavaud,  Lecourt,  V.  Marande, 
Gaston  Prunier,  Roussat,  H.  de  Saint-Delis,  R.  de  Saint-Delis,  O.  Senn,  H.  Thieul- 
lent.  Vieillard. 

Rouen.  —  La  Carmélite,  de  MM.  C.  Mendès  et  R.  Kahn,  vient  d'être  représentée 
au  Théâtre-des-Arts. 

Cannes.  —  Au  cours  d'une  tournée  dans  le  Midi,  la  Société  J, -S.  Bach  de  Paris  a 
donné  dans  notre  ville  un  concert  des  plus  brillants.  Au  programme  :  le  Concerto  pour 
piano,  flûte  et  violon,  la  Suite  en  si  mineur^  différents  fragments  de  Cantate,  etc.  Grand 


—  190  — 

succès  pour  l'oi-chestre,  excellemment  dirigé  par  M.  Gustave  Bret,  et  pour  le  remar- 
quable soliste  en  tête  duquel  il  convient  de  citer  l'exquise  cantatrice,  Mlle  Mary  Piron- 
nay,  le  violoniste  Daniel  Hurmann,  le  pianiste  Motle-Lacroix,  le  flûtiste  Krauss. 

Monte-Carlo. —  Aux  derniers  concerts,  dirigés  par  M.  Léon  Jehin,  le  public  a  cha- 
leureusement applaudi  les  virtuoses  et  les  cantatrices  dont  les  noms  bien  connus  illus- 
traient les  programmes. 

Deux  cantatrices  ont  soulevé  d'unanimes  applaudissements:  Mlle  Andréa  Dereims, 
dont  la  délicieuse  voix  de  soprano  a  fait  merveille,  et  Mlle  Lucy  Arbell  qui,  de  sa 
grande  voix  de  contralto,  et  avec  une  puissance  dramatique  superbe,  a  chanté  l'air  de 
Fidès  du  Prophète. 

Mme  Juliette  Toutain-Grûn  a  fait  admirer  son  magistral  talent  de  pianiste  dans  le 
Concerto  en  sol  mineur  de  Saint-Saëns,  et  dans  la  Fantaisie  Hongroise  pour  piano  et 
orchestre,  de  Liszt  :  musicienne  consommée  en  même  temps  que  virtuose  incomparable, 
Mme  Juliette  Toutain-Grûn  a  interprété  ces  oeuvres  avec  un  style  très  pur  et  un  senti- 
ment qui   lui  ont  valu  les    acclamacions  du  public  enthousiasmé. 

Un  succès  non  moins  éclatant  a  été  remporté  par  le  violoncelliste  Pablo  Gazais, 
qui,  dans  son  interprétation  d'un  concerto  de  Dvorak,  et  des  mélodies  hébraïques  Kol 
Nidreï  de  Max  Bruch,  a  transporté  les  auditeurs  par  la  pureté  de  son,  le  style  irrépro- 
chable et,  surtout,  le  charme  délicieux  dont  il  a  fait  preuve. 

—  Un  festival-Ma^'senet  vient  d'être  donné,  en  présence  de  S.  A.  S.  le  Prince 
de  Monaco,  avec  un  succès  enthousiaste. 

Le  maître  accom  pagnait  lui-même  au  piano  diverses  de  ses  mélodies,  qui  furent 
magnifiquement  chantées  par  Mlle  Lucy  Arbell,  dont  la  voix  superbe  et  le  profond 
sentiment  artistique  ont  transporté  le  public. 

Quelques-unes  des  plus  délicates  pages  d'orchestre  de  M.  Massenet  ont  été 
remarquablement  exécutées  par  l'orchestre  D.  Thibault. 

—  La  première  représentation  de  rAncêtre,  de  Camille  Saint-Saens  vient  d'avoir  lieu, 
samedi  2^,  au  bénéfice  de  la  Société  de  Bienfaisance  française,  avec  un  immense  succès.  Nous 
parlerons  en  détail  de  cette  œuvre  dans  notre  prochain  numéro. 

Berlin.  —  Parmi  les  derniers  concerts  de  pianistes  françaises,  signalons  celui  de 
Mme  Anna  Laidlaw,  qui  a  fait  entendre  des  pièces  de  Scarlatti,  Rubinstein,  Chopin, 
Liszt,  le  Carnaval  de  Schumann  et  la  belle  Sonate  de  Raoul  Pugno.  Mme  Laidlaw 
excelle  dans  les  nuances  variées  et  délicates  et  son  jeu  est  toujours  très  musical.  Elle  a 
remporté  un  très  grand  succès. 


BIBLIOGRAPHIE 


L'Étoile,  roman  par  Victor  Debay,  —  Havard.,  éditeur,  Paris. 

Ceci  n'est  point  un  billet  de  faire -part.  Nul  parmi  les  lecteurs  du  Courrier  n'ignore 
plus  le  roman  que  notre  ami  et  collaborateur  Victor  Debay  vient  de  faire  paraître  ;  les 
quotidiens  de  toutes  nuances  nous  en  ont  entretenus,  et  il  en  a  été  publié  dans  ces 
colonnes  un  pittoresque  fragment  que  son  caractère  musico-littéraire  recommandait  à 
l'hospitalité  d'une  telle  revue,  mais  qui  n'était,  à  la  vérité,  qu'un  de  ces  divertissements 
épisodlques  auxquels  l'essence  du  thème  demeure  étrangère.  Dans  le  cycle  des  oeuvres 
de  M.  Debay,  l'Etoile  se  rattache  par  le  lien  le  plus  étroit  à  cette  Amie  suprême  qui 
demeurera  l'un  des  poèmes  les  plus  enthousiastes  et  les  plus  inspirés  que  l'on  ait  écrits 
sur  la  musique,  à  une  heure  où  les  snobs,  ou,  si  l'on  veut,  les  «  moutons  de  Panurge  » 
ne  broutaient  pas  encore  «  à  travers  chants  )).  Déjà,  vivante  et  lumineuse,  celle  qui  sera 
r  Joite,  Anna  Le  Cozan,  y  passe  dans  le  rayonnement  d'une  atmosphère  sonore,  et 
Fombreuse  se  détache  à  travers  la  multitude  de  ces  types  singuliers  où  évoluent  un 
Steinhaum,  héritier  lointain  de  Rembrandt  ou  un  Wolfram  émanation  romanesque  de 
César  Franck.  Mais  ils  ne  sont  encore  là  que  des  comparses  ;  la  musique  absorbe  tout  ; 
ils  l'interprètent,  ils  la  servent,  ils  l'exaltent,  ils  vivent  par  elle  et  pour  elle.  UAmie 
suprême  était  une  Muse  ;  ÏEtoile  n'est  plus   qu'une  femme,    une  artiste,  certes,  prodi- 


IÇ)1     ■-- 

gieuse,  unique  peut-être,  mais  en  même  temps  un  être  d'amour,  de  passion  et  de 
souffrance,  et  c'est  simplement  l'histoire  d'un  cœur  que  M.  Debay  a  faite. 

Je  n'en  sais  guère  de  plus  poignante.  Il  est  erroné,  à  mon  sens,  d'y  chercher,  comme 
on  l'a  tenté,  une  sorte  de  thèse  sur  la  vertu  au  théâtre.  Laissons  de  côté,  si  séduisants 
soient-ils,  les  chapitres  consacrés  en  interludes  aux  Arnoux-Jodèle,  aux  Dinah  Grâce, 
à  toutes  les  victimes  plus  ou  moins  innocentes,  plus  ou  moins  volontaires  d'un  directeur 
trop  négligemment  ignifugé.  Anna  Le  Cozan  est  une  créature  d'exception.  Elle  glisse 
dans  cet  air  trouble  sans  en  être  souillée  et  elle  est  restée,  là  où  tout  n'est  qu'artifice  et 
fausseté,  saine,  droite  et  vaillante,  telle  que  la  nature  où  sa  jeunesse  s'épanouit  l'a  faite  à 
son  image.  Lorsqu'elle  succombe,  lorsqu'elle  se  donne  à  Maurice  Fombreuse,  ce  n'est  point 
une  chute  vulgaire  ;  c'est  le  triomphe  fatal  d'un  amour  que  sa  conscience  réprouve  mais 
que  son  cœur  a  choyé  comme  malgré  elle,  parce  qu'il  est  fait  de  toutes  les  forces  profon- 
des et  secrètes  qui  rythment  sa  vie,  de  la  tendresse  un  peu  maternelle  qu'elle  a  vouée  à 
celui  dont  elle  fut  la  première  interprète  et  qu'elle  a  sauvé  peut-être  de  l'obscurité,  de 
l'ivresse  ardente  de  tant  de  communions  musicales,  enfin  de  l'orgueil  passionné  d'avoir 
incarné  Moïnella.  l'héroïne  divine  de  Fombreuse  ;  d'avoir  donné  un  corps  à  ce  qu'il  a 
déplus  cher,  à  son  rêve,  d'être  celle  sans  qui  son  génie  n'eût  pas  vécu  pleinement. 
Transfigurée  parce  qu'enfin  sa  destinée  de  femme  s'est  accomplie,  parce  qu'elle  existe 
dans  l'amour,  dans  un  merveilleux  amour  où  son  cœur  et  son  esprit  se  rencontrent  et 
se  reposent,  elle  oublie  sa  trahison  envers  une  amie  deux  fois  sacrée  par  la  confiance  et 
par  la  douleur,  elle  immole  son  passé,  elle  se  renie  et  lorsqu'au  lendemain  d'une  de  ces 
crises  dont  la  vie,  malgré  les  mensonges  des  livres,  ne  peut-être  faite  et  dont  elle  se 
lasse,  Fombreuse  se  réveille  et  se  reprend  au  souvenir  apaisant  de  sa  femme  et  de  sa 
fille,  Anna  Le  Cozan  qui  ne  croit  plus  en  lui  et  qui  ne  croit  plus  en  elle,  Anna  Le 
Cozan  pour  qui  la  beauté  fut  aussi  une  morale  et  qui  ne  croit  peut-être  plus  en  son  art, 
Anna  Le  Cozan  dis-je,  sans  foi,  sans  guide  ne  descendra  pas  jusqu'à  l'aventure  avilis- 
sante qui  la  guette,  elle  déserte,  elle  se  tue. 

Je  ne  discute  pas  ce  dénouement  ;  il  est  dans  la  vie,  et  ce  n'est  pas  le  lieu  de 
refaire  un  traité  des  Passions  ou  de  méditer  sur  le  suicide.  Anna  Le  Cozan  est  logique  ; 
elle  est  tragique  surtout  ;  elle  se  dresse  parmi  tant  de  marionnettes  du  roman  moderne 
de  toute  la  grandeur  de  sa  sincérité,  de  son  enthousiasme  et  de  son  infortune,  A  côté 
d'elle,  Maurice  Fombreuse,  l'Amour  du 'Poète  en  face  de  l'Amour  d'une  Femme,  Fom- 
breuse, dont  la  musique  a  peut-être  absorbé  toute  l'énergie  passionnelle  et  que  peut- 
être  aussi  elle  a  trompé  sur  lui-même,  est  dessiné  avec  une  maîtrise  que  tous  ceux  qui 
lui  ressemblent  admireront.  Je  ne  parle  pas  du  décor  ;  de  cette  peinture  si  colorée  de  la 
vie  et  de  l'âme  de  ceux  qu'on  appelle  avec  trop  de  respect  ou  trop  de  mépris  les  artistes, 
des  mœurs  du  théâtre,  de  tout  ce  qu'il  y  a  là  d'attirant  et  de  perfide,  de  pervers  et  de 
puéril  en  même  temps.  L'éloge  du  talent  de  M.  Debay  n'est  plus  à  faire.  Il  révèle  dans 
VtLtoile^  avec  plus  d'évidence  que  jamais,  une  clarté  dans  l'analyse,  une  surêté  et  une 
vigueur  dans  la  composition,  une  abondance  d'imagination  et  une  richesse  d'idées  géné- 
rales qui  perpétueront  le  succès  de  son  œuvre.  J'ai  éprouvé  à  le  constater  la  joie  la  plus 
vive  et  la  plus  délicate  ;  peut-être  en  est-ce  une  plus  grande  encore  pour  moi  de  pouvoir 
le  dire.  Paul  Locard. 

Die  physiologischen  Pehler  und  die  Ungestaltung  der  Elavierteohaik, 

vonD'  F. -A.  Steinhausen.  — Leipzig,  Breitkopf  et  Haertel,  1905.  145  p. 

Quiconque' ((  touche  »  du  piano  lira  ce  petit  livre  avec  intérêt,  et  peut-être  non  sans 
profit.  M.  Steinhausen  part  de  ce  principe  que  l'étude  du  piano  ne  devrait  jamais  rester 
purement  mécanique,  et  se  faire  sans  une  active  collaboration  de  l'intelligence  :  cela  est 
si  juste  qu'on  s'en  était  avisé,  je  crois,  avant  lui.  A  grand  renfort  de  considérations  ana- 
tomiques  ou  physiologiques  l'auteur  dénonce  ensuite,  dans  les  'méthodes  ordinaires, 
mille  absurdités  dont  voici  les  principales  :  1°  effort  pour  accroître  les'^muscles'de  la 
main  ;  2°  pour  assouplir  cette  main  ;  -f  pour  isoler  les  doigts  et  les  rendre  jindépendants 
les  uns  des  autres  ;  4"  pour  remédier  autant  que  possible  à  l'inégalité  naturelle  entre':les 
doigts.  En  revanche,  poursuit  M.  Steinhausen,  tandis  qu'on  cherche  ainsi,  vainement, 
à  corriger  la  nature,  on  dédaigne  les  secours  qu'elle  nous  offre,  à  savoir  l'élasticité  et  la 
pesanteur,  comme  forces  auxiliaires  du  toucher  ;  les  degrés  et  la  durée  de  la  contraction 
musculaire  ;  enfin  et  surtout  le  roulement  de  l'avant-bras,  autour  du  coude  et'du  poi- 
gnet, comme  adjuvant  principal  du  toucher.  M.  Steinhausen  préconise  fort  ce  mode 
de  toucher  :  il  voudrait  même  en  reporter  l'origine   jusqu'à  l'épaule  ;    voici  quels  en 


I, 


—  192  — 

seraient,  selon  lui,  les  avantages  :  1°  suppression  de  la  gymnastique  anti-naturelle  des 
doigts  isolés  ;  2°  participation  de  tout  le  membre  au  toucher  et  suppression  de  toute 
roideur  ;  'y'  emploi  de  la  force  des  grands  muscles  ;  4°  libération  de  tout  exercice  méca- 
nique et  irréfléchi  (car  il  faut  réfléchir,  si  nous  devons  user  de  l'épaule  pour  bouger  le 
petit  doigt  !)  ;  5""  économie  de  force  et  de  fatigue;  6°  maximum  de  gradations  dans  le 
son  ;  7°  minimum  de  dépense  de  force  tandis  que  le  doigt  reste  sur  la  touche  pendant  la 
résonnance  de  la  corde. 

Ce  livre  ne  manque  pas  d'aperçus  ingénieux  ou  suggestifs.  Son  tort  est,  semble-t-il, 
jde  confondre,  dans  la  question  du  toucher,  les  commençants  et  les  virtuoses,  les  élèves 
et  les  maîtres,  et  de  mener  ainsi  le  contact  contre  des  moulins  à  vent.  De  plus,  sur 
beaucoup  de  points  (indépendance  et  égalisation  des  doigts,  etc.)  l'expérience  paraît 
avoir  raison  contre  les  déductions,  encore  que  très  scientifiques  du  D''  Steinhausen.  Le 
toucher  digital,  qu'il  exècre,  est  souvent  utile  ou  indispensable,  et  quant  à  celui  qu'il 
propose,  au  moyen  de  l'épaule  et  de  l'avant-bras,  si  la  physiologie  le  recommande,  tant 
pis  pour  la  physiologie;  il  conduit  généralement  ses  adeptes  à  une  déplorable  affectation 
de  style,  —  moins  détestée  en  Allemagne  que  chez  nous.  Je  touche  ici  au  point  faible  du 
livre  :  le  maniement  du  clavier  n'y  est  traité  que  comme  un  simple  exercice  dynamique, 
et  le  problème  du  toucher  ramené  à  celui  du  maximum  d'effet  à  produire  avec  le  minimum 
d'effort.  On  y  considère  la  quantité  du  son,  au  lieu  de  sa  qualité,  qui  importe  davantage, 
mais  qui  échappe  à  la  compétence  des  physiologistes  : 

Nec  quitus  id  faciant  plagis  apparet  aperte, 
ou,  si  M.  Steinhausen  entend  mieux  Goethe  que  Lucrèce  : 

Grau,  theurer  Freund,  ist  aile-  Théorie. 

Jean  Chanta voine. 


Nouveautés   musicales   reçues 


Vincent  d'Indy  :  Jour  d'été  à  la  Montagne^  pour  orchestre 

(Aurore  —  Après-midi,  sous  les  pins.  —  Soir) 
Réduction  pour  piano  à  4  mains  par  Marcel  Labey 

Claude  Debussy  :  Menuet  et  En  Bateau.,  extraits  de  la  Petite  Suite 

Réduction  pour  piano  à  2  mains  ^av  Jacques  Durand 

C.  Saint-Saëns  :  IS Ancêtre,  drame  lyrique  en  3  actes 

Partition  piano  et  chant  :  20  francs 

(DURAND  et  Fils,  éditeurs,  Paris) 
M.  Ducourau  :  Suite  basque.,  pour  piano. 

(Edition  Mutuelle). 
Œuvre  des   plus  intéressantes,  tant  au  point  de  vue   des  recherches  rythmiques^  que  de 
la  couleur,  de  l'écriture  et  de  la  saveur  des  thèmes  populaires  utilisés. 

Otto  Barblan  :  Psaume  .23  pour  chœur  mixte  a  capella. 

Œuvre  d'un  réel  intérêt  musical,  habilement  écrite  pour  les  voix  et  à  recommander  aux 
chorales  religieuses  évangéliques, 

(Kahnt-Nachfolger,  éditeur,  Leipzig). 
Joseph  Lauber  :  Les  Passiflores., 

Suite  de  morceaux  lyriques  pour  piano,  en  12  cahiers,  de 
3  à  5  pièces  chacun,  et  qui  toutes  unissent  à  une  fraîche 
inspiration  la  qualité  d'être  des  modèles  d'écriture  pia- 
nistique. 

Sandoz,  Jobin,  éditeurs,  à  Neuchàtel  (Suisse). 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 

Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


SOCIÉTÉ  PHILHARMONIQUE  de  PARIS 

SALLE  DES  CONCERTS,  S,  rue  cC Athènes 

Administration  :    32,   RUE     LOUIS-LE-GRAND     (Pavillon  de  Hanovre) 

DOUZIÈME   CONCERT 

Xn^^    Gaétai^e  \2ieQ 

Le  Quatuor  liOSE 

De    Vienne 

^Jîl.  Jïpnold  iBosé,  !Ê^aul  ^ischer,  ^tK\on  ^uziisba,  ^FiedPich  ^\xxh(x\xm 

P'KOGK-AiyiMlE: 


1.  Sonate,  en/a  mineur.  Op.  50,   n-    5    . ,      Haydn. 

Le  Ouatuor  ROSÉ. 

2.  a  Soserme. Haekdel. 

b  La  Violette  (Traduction  de  M.  Che- 

villard). 

c  Si  tu  m'ami Pergolèse  . 

Mme  Gaétane  VICQ. 
5.     Quatuor,  en  la  majeur,  n-  464,  K.  V.     Mozart. 
Le  Qiiatuor  ROSE. 


4.  a.  Chanson  triste Duparc. 

b  0  Santissima  ChantpopulaireToscan. 

c  La  Princesse  endormie Borodine. 

£<  Daos  le  Bois Grieg. 

Mme  Gaétane  VICQ_. 

5.  XV  Quatuor,   en  la  mineur.  Op.    132.     Beethoven. 

Le  Qiiatuor  ROSÉ. 


FiANo    Gaveau 


Administration  de  Concerts  A.  DMDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 

SALLE     PL_EYEL 

Lioiiïdî  5,  LMndi  il  et  leudlî  15  MaFs 

A     9     III,URES     OU     SOIK 

^oiô^     iféanccô^    de    îfonaie^,    ^iuno    Sr    Vioton 

Arthur  de  GREEF 

et  Jules  BOUCHERIT 

PREMIER   CONCERT  !  DEUXIÈME   CONCERT 

LUNDI  S   Mars,  à  9  heures  précises  !  LUNDI  12  Mars,  à  9  heures  précises 

;$ÉANCE    JlOZART 

Sonate  sol  majeur  . . . .    Mozart, 

Sonate  mi  mineur Mozart  . 

Sonate  la  majeur Mozar 


§EANCE    "f  LASSi^îUE 

Sonate  mi  majeur Bach. 

Sonate  mi-bémol Beethoven  . 


Son^iQ  si  bémol Mozart.    |    Sonate  /a  w/;/t'iir Schumann. 

TROISIÈME       CONCERT 

JEUDI  15  Mars,  à  9  heures  précises 

^^ÉANCE    ^^ODERNE 

Sonate  sol  majeur,  op.  78 Brahms. 

^O^&ie  lu  ii'cjeur César  Franck. 

Sonate  ré  mineur,  op    75 Saint-Saens, 


Société  ^usical^  G.  ASTRUC  &  Cie,  32,  rue  Louis-le -Grand  (Pavilion  de  Hanovre)  PARIS 

Le   Dimanche    11    Mars    1906,  a  ^  heures  de  VAprh-Midi 


GI^;^NDE   S^LLE  DE  GONCEI^TS    DU 

Conservatoire    National     de     Musique 

2,    Rue  du  Conservatoire,  2 

--SL^^^a^-     ' ■ 

Deuxième       Séance 
donnée   par  le 


Quatuor  C^'PET 


Locietî  GilPlT,  i^îîdPé  TOOHBIT 


BEETHOVEN 

XIII^  QU^^TUO^,    en    sihèniol. 
^Ve  QUJ^TIIO^,  en   la  n^ineur. 
Grande    fugue. 


SALLE   ERARD 


c^_- 


Le  Jeudi  15  llars  1906  —  Le  Lundi  19  Mars  1906,  àçb.  très  précises  du  soir 


-^«i 


Deux  Récitals  de  Piavo 


Donnés  par 


Perrucc 


usovi 


'  ■-xii.Z^g^îa-' ■• 


Preir^ier  Récital 

1 .  n  Ballade  en  fa   mineur,  n°  4 

h  Nocturne  en  mi  héiiiol  majeur    . .    . . 

c  Fantaisie  Polonaise 

d  Barcarolle 

e  Scherzo  en  si  bémol  mineur       

2.  Six  Études  la  inin:ur  —mi  majeur  — 
ut  dié:;^e  mineur  —  sol  bémol  majeur  — 
mi  bémol  mineur  —  ut  majeur  . .    . . 

3.  a  Harmonies  du  soir 

b  Feux  Follets 

c  Mazeppa     

4.  Marche  Nuptiale  et  Ronde  des 
•Sylphes . 

(D'après  le  Songe  d'une  Nuit  d'Eté 
de  Mendei.ssohn). 

Société  Musicale  G.  ASTRUC  et  Cie  ,32,  rue  Louis-le-Grand  (Pavillon  de  Hanovre)  PARIS 


Chopin. 

Chopin, 
Liszt. 

Liszr. 


Deu;cièine  Récital 

1.  15  Variations  et  Fugue  op. 

Î5  (Eroica) Beethoven. 

2.  Sonate,  op.  109.  enmi  majeur.         Beethoven. 

3.  Sonate,  op.  106 Beethoven. 

4.  a  Adélaïde. 

b  Busslied 

c  Les  Ruines  d'Athènes    .. 


Beethoven-Liszt 


(3      O 


Administration  de  Concerts  L  DANDELOT,  S3,  rue  d'Amsterdam 

NOUVEAU -TfjéATI^^^,^    15,    ^uc    Blancî^e 
LUNDI  19  MARS  et  MERCREDI  28  MARS  1Q06,  à  c,  heures  du  soir 

Eu  gèi)  e     Y5^YE 


l^«      CONCERT 

Lundi   iç  Mars   iço6.   à  g  heures   du  soir 


Concerto J.S.Bach. 

Concerto Mozart. 

Concerto Beethoven 


2ME      CONCERT 

Mercredi  28  Mars  igoô,  à  g  heures  du  soir 


Concerto  en  si  miiieur  .  C.  Saint-Saens. 

Poème E.  Chausson. 

Fantaisie  Russe  . .   . .  Rimski-Korsakoff. 

Concerto Mendelssohn.  l 


M.     Eugène     YSAYE 

Sera  accompagné  par  TOrchestre  des  Concerts  du  Conservatoire 

Sous   la  direction    de    I^.   Georges  Î^^^TX 

Chef  d'Orchestre   de   la  SOCIÉTÉ  DES   CONCERTS   DU  CONSERVATOIRE 

Société  Alusicale  G.  ASTRUC  et  C'%  33,  Boulevard  des  Italiens  -  Pavillon  de  Hanovre 


SALLE      ERARD 

LE  SAMEDI  3  MARS    1906,  à  g  heures  très  précises  du  soir 
DONNÉ  PAR  M' 

Adolphe    BOnCHTinD 

P  R  O  O  R  A  M  M  E 
I.     a  Pièce ScARLATTi.        3.     a  Rhapsodie  en  5/  mineur Brahms. 


h  Sonate  en  ut  majeur Mozart. 

c  Prélude  et  Fugua  en  la  inineur     .  Bach. 
[Traincriplion  clc  LISZT) 

2.        Etudes  symphoniques Schumann. 


b  Nocturne  en  ut  mineur Chopin. 

c  3me  Scherzo id. 

4.      a  Valse-Caprice  en  la  majeur Fauré. 

h  4°ie  Orientale Diémer. 

c  i5^^'Rh.di-psodïe(Mii\chede Rackoc- y)  Liszt. 


SALLE       ERARD 

LE  VENDREDI  9  MARS   1906,  à  p  heures  très  précises  du  soir 

CONCERT 

DONNÉ  PAR  Mme 

AVEC  LE  CONCOURS  DE    MM. 

Arnold    Rosé    et   Friedrich    Buxbaum 

(DE      VlEJSrjSTE) 

Procramme 

I '•         Scnate,  en  s(  /;,  N-  15,  pour  Piano  et  |  y-         3^  Trio,  Op.   iio    .    .. Schumann 

v,„'._  ..  1  Mii'e  Rey-Gaufrès. 

'°°-^ Mozart.         |  MM.  Arnold  Rosé  et  Buxhaum, 

Mme  Rej-Gaufrcs  et  M.  A.  Roié  4.      a  Noctume , 

r-        S-'-^t^'  OP-  3'.  N'  3 B.BTHOVBN.  J  Etude^^.    ..    .      . J  Chopin. 

Mme  Rey-Gaufrès.  \  Mme  Rey-Gaufrès. 


Administration  de  Concerts  ^-  DâKDî:i.OT,  S3,  rue  d'Amsterdam 


DEUX     RÉCITALS 

DE     PIAN  O 


PAR 


Ewil    STIVEn 


I  «^^     ,>^ndi    26    ei    ifamedi    30    Jtf(aï& 

\    Pour  renseignements,  s'adresser  à  l'Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  Téléphone  :  7/^-25 


e   Séai^ce   de   lîlu^ique   de   d^atr^bre 


DONNEE  PAR 


Edouard    'BISLEB 


AVEC     LE      CONCOURS      E^E 


Gabriel  WILLAUME   ^  Louis  FEUILLARD 

3    la    ^alle    des    (^gPiculteuPS,    8,    rue     d  ^iherxes 

LE       3A.]yLEIDI        24       IMC  ^^  R  S       190e 

S'adresser  à  l'Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  8^,  rue  d' Amsterdam. 


iSciété  musicale  G.  ASTEUC  et  Cie,  32,  Rue  Lonis-le-Grand,  Pavillon  de  Hanovre,  Paris 

\   SALLE   ERARD.  —  LE  MERCREDI  14  MARS,  à  9  heures  très  précises 


RECITAL.    »E    I^IAA^O 

Doi)i)é  par  )«"«  prcelle  WEISS 


PROGRAMME 


1.  (7  Allegro..      Mozart. 

h  L'Hirondelle    DAauiN, 

c  Sonate  en  ré  majeur  Op.  28..    ..      Beethoven. 

Allegro  -  Andante  -  Scherzo  -Rondo 

2.  Carnaval  de  Vienne Schumann. 

Allegro  -  Romanze  -  Scherzino 
Intermezzo  -  Finale 


3.  a  Etude  en  /a  ;«/««;<;-. Saint-Saens. 

h  Nocturne  en  50/ w;j;'iV/;- A    Duvernoy. 

c  Marche Ch.  Lefebvre. 

d  Moment  musical  en /a  ////«e/^r   .     Schubert. 

c  Fileuse Mendelsshon. 

4.  a  Prélude  en  la  diè^^e  iiiineiir.    ..    - 
/'  Nocturne  en  ré  bémol  ,.    ., 

c  Valse  en  mi  mineur 

d  Ballade  en  la  bémol 


Chopin. 


Le^ 


1 


Les  Professeurs  du  Conservatoire  de  Taris 


QAalicô^  dc^éliot,     Professeur   de  piano. 


Selon  le  désir  que  vous  avez  manifesté,  J'ai  essayé  vos  pianos  à  queue  nouveau 
lodèle  ;  ce  sont  des  instruments  parfaits  tant  au  point  de  vue  de  la  docilité  du  clavier 
ue  de  la  pureté  du  son. 

Honneur  à  la  fabrication  française. 

J^Uiù^    SÙHîTit^t^,     'Professeur  dé  piano. 

Je  suis  très  charmé  de  pouv&ir  vous  dire  combien  j'ai  été  enchanté  et  ravi  de 
)s  excellents  pianos  à  queue  (grands  et  petits  modèles)  que  j'ai  joués  chez  vous 
lutre  jour  ;  ils  ont  une  très  belle  sonorité,  puissante,  égale  et  veloutée,  et  le  clavier 
est  d'une  très  grande  légèreté  et  des  plus  agréables  à  jouer. 

Je  vous  adresse  donc  encore  mes  bien  sincères  félicitations. 

Ç€OÏçc&    y^aiÂcnéeïç,    Professeur  de  piano. 

J'ai  eu,  en  bien  des  circonstances,  l'occasion  de  jouer  sur  vos  excellents  pianos 
(  d'apprécier  leurs  très  sérieuses  qualités  comme  sonorité  ainsi  que  comme  égalité  du 
>  vier;  d'après  le  temps  que  je  les  ai  vu  résister  chez  des  personnes  de  ma  connaissance, 
;,a  fatigue  que  peut  occasionner  un  travail  régulier,  je  ne  doute  pas  qu'ils  n'offrent  les 
(.éditions  de  solidité  qu'on  désire  trouver  dans  un  instrument  qui  peut  être  soumis  à 
i  travail  quotidien  considérable. 

J^ïmontef  pèïe,    Professeur  de  piano. 

Le  piano  que  vous  m'avez  envoyé  est  exquis.  Sonorité  délicieuse,  chantante, 
t  iressive,  se  prêtant  à  tous  les  effets  de  coloris  musical.  Mécanisme  parfait,  clavier 
s  iple,  d'un  toucher  très  agréable. 


^fexandle  Çuitmunt,    Professeur  d'orgue 


J'ai  été  à  même  maintes  fois  d'apprécier  votre  facture  si  artistique  et  j'ai  pu  juger 
ibien  vous  apportez  de  soin  dans  la  fabrication  de  vos  instruments.  Vos  pianos  ont 
très  belle  sonorité  et  le  mécanisme  en  est  excellent. 

C'est  en  construisant  des  instruments  de  premier  ordre  que  notre  facture  française 
niiendra  sa  supériorité  sur  la  concurrence  étrangère,  et  vous  y  contribuez  largement. 

y^oïç^ô^  Jt^ïi^,    Professeur  d'%armoniej. 

J'ai  eu  bien  du  plaisir  dernièrement  à  voir  de  près  vos  grands  pianos  de  concert,  nou- 
'  I  modèle. 

Vous  étiez  absent,  et  je  n'ai  pas  pu  vous  dire  de  vive  voix  ce  que  je  suis  heureux 
'  ous  écrire  aujourd'hui  :  Vos  instruments  sont  de  tout  premier  ordre,  par  la  puis- 
'  e  de  leur  sonorité  et  leur  délicatesse  expressive  ;  et  je  n'ai  qu'un  regret,  c'est  de  ne 
t;tre  assez  pianiste  pour  les  faire  valoir  comme  ils  le  méritent. 


Le  Courrier  Musica 

(le     1"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 


ABONNEMENTS 


Paris  et   Départements 12  francs  l'ai 

Étranger 15         »  » 

Le    Numéro  :    75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (16«) 


Administration  et  Rédaction  :,  29,  rue  Troncbet,  PARIS  (S'j 

,  (TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant—  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Ben< 
Eugène  BerteausL  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Br( 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi'^ 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D*^  Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot  —  René  Doire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Gio vanna  —  Orner  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel  —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser—  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauerwein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d^Udine  —  Léon  Vallas  —  D"^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc  .. 

Zl0  Courrier  Musical  est  es  iroste  : 
A  PARIS:    ^9,  ^«^  Tronchet. 


Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  i,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —  14,  rue  Au^' 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  5,  Faubourg  Saint- Honoré. 
■  Librairie  RET,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 
Chez  M.  PUGNO,   ly,   Quai  des  Grands-tÂugusiins,  etc... 
EN  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

DÉPOTS  :  """"" 


Pour  l'ALLEMAGNE 


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MM.    BREITKOPF    à   HJERIEL,  à  LEIPZIG 

(  MM.  BREITKOPF  &  HJERTEL,    45,  rue  Uoniaine  dt 
\  Cour,  à  BRUXELLES 

(  MM.   BREITKOPF  d   HÂERTEL,    54,    Malborouih-Stt 
}  LONDON-W. 


1 


C.    SAINT -SAËNS 

dont  une  œuvre  nouvelle,  VA7tcêtre,  vient  d'être 
représentée  à  Monte-Carlo 


^M 


g*  ANNEE.  N»  6.  15  MARS  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portrait  :  C.  Saint-Saëns.  —  Franz  Liszt  et  l'art  classique  (Jean 
Chanta voine).  —  Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu  (suite).  —  L'acoustique  au 
Trocadéro  (Gustave  Lyon).  —  Les  Premières  :  Théâtre  de  Monte-Carlo  :  Y  Ancêtre, 
de  C.  Saint-Saëns  (A.  Mortier).  —  Les  Grands  Concerts:  Colonne,  Lamoureux,  Con- 
servatoire (Jean  d'Udine,  Edouard  Schneider).  —  La=. Quinzaine  Musicale:  Société 
Philharmonique,  Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale,  Le  Quatuor  Parent.  — Concerts 
divers.  —  Le  mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger  :  Lettre  de  Munich  (E.  de 
Stœcklin).  —  Lettre  de  Londres  (Léo  Diensis).  — Correspondances  de  :  Angers, 
Nancy,  Toulouse.  —  Concerts  annoncés.  —  Echos  et  Nouvelles  diverses.  — 
Bibliographie  (M.  Brenet,  Vincent  d'Indy).  —  Nouveautés  musicales  reçues. 


FRANZ  LISZT  ET  L'ART  CLASSIQUE 


C'est,  je  crois,  Herder  qui  a  dit  :  «  Einen  Schriftsteller  aus  sich  selhst  :(u  erklaeren 
ist  die  Honestas  jedem  Honesto  schuldig.  »  —  «  Expliquer  un  écrivain  par  lui-même  est 
le  devoir  de  l'honnêteté  envers  tout  honnête  homme.  »  Cette  belle  maxime  devrait 
servir  de  devise  à  quiconque  prétend  pénétrer  dans  l'œuvre  d'autrui  ;  il  s'en  faut 
qu'elle  soit  applicable  aux  seuls  écrivains,  et  la  critique  artistique  en  peut  faire  son 
profit,  aussi  bien  que  la  critique  littéraire.  Une  pareille  recherche  s'impose  avec  une 
force  particulière,  si  l'on  étudie  des  maîtres  qui,  en  marge  de  leur  œuvre  essentielle, 
ont  exprimé  leurs  pensées  sur  l'art,  et  leurs  préférences  pour  telle  ou  telle  de  ses 
formes.  Franz  Liszt  est  de  ce  nombre.  Soit  dans  sa  correspondance,  soit  dans  ses 
livres  et  ses  articles,  il  a  fait  avec  une  grande  netteté,  souvent  avec  un  grand  bonheur 
d'expression,  la  théorie  de  son  art  personnel.  Sans  doute,  plus  d'un  lecteur  ne  la 
découvrira  pas  du  premier  abord  :  Liszt  qui  a  semé  beaucoup  d'idées,  négligeait  de 
les  présenter  en  bon  ordre,  dans  une  disposition  avantageuse.  Comme  tous  les  auto- 
didactes dont  l'éducation  et  l'instruction  se  sont  faites  ou  complétées  au  hasard,  et  qui 
ne  se  sont  point  plies  à  la  stricte  discipline  d'une  méthode  dialectique,  il  n'aborde  jamais 
de  front  un  problème  et  ne  traite  jamais  une  question  ex  professo.  Ou  bien  s'il  essaye 
de  le  faire,  le  génial  improvisateur  reparaît  bien  vite  en  lui,  et  l'entraîne  à  des  di- 
gressions sans  fin.  Il  faut  chercher  çà  et  là,  dans  des  articles,  dans  des  préfaces,  dans 
des  manifestes,  dans  des  lettres  particulières,  les  aphorismes  ou  confidences  qui  s'y 
trouvent  épars.  Ce  sont  les  matériaux  tout  prêts,  mais  abandonnés,  d'une  construction 
théorique  que  lui-même  n'a  jamais  achevée.  Mais  ils  se  prêtent  admirablement  à  un 
travail  de  mosaïque  :  aucune  pièce  ne  manque  et  toutes  concordent  sans  efforts.  Peu 
à  peu,  entre  ces  fragments  naguère  dispersés,  on  voit  s'ébaucher  et  se  préciser  une 
image  nette,  aux  contours  précis,  aux  articulations  solides.  Oui,  par  la  vertu  d'un 
esprit  naturellement  bien  organisé,  et  dont  les  pensées,  même  isolées,  gardaient  entre 
elles  une  sorte  de  cohésion  virtuelle,  Liszt,  sans  le  vouloir,  peut-être  sans  le  savoir,  a 


—  194  — 

étayé  son  œuvre  artistique  sur  une  puissante  base  théorique.  Lorsqu'on  a  pu  trouver 
l'unité  et  mettre  l'ordre  dans  les  éléments  de  cette  théorie,  la  conclusion  est  que  Liszt, 
le  musicien  romantique  par  excellence,  n'a  prétendu  être  qu'un  fidèle  descendant  des 
classiques,  que  ce  musicien  de  l'avenir  a  voulu  chercher  dans  le  passé  les  origines  de 
la  tradition  qu'il  désirait  représenter  et  continuer. 


Pour  beaucoup,  une  telle  affirmation  a  d'abord,  il  faut  le  reconnaître,  quelque 
chose  qui  surprend.  La  musique  à  programme  des  Poèmes  Symphoniques,  du  Faust,  du 
Dante,  n'est-elle  pas  en  opposition  formelle  avec  la  musique  pure  de  l'école  classique? 
Le  «  programme  n>,  telle  est  la  pierre  de  scandale  qu'on  heurte  au  premier  pas.  Hérésie 
en  elle-même,  pour  tant  de  bons  esprits,  la  musique  à  programme  n'est-elle  pas  une 
hérésie  surtout  contre  l'idéal  des  grands  classiques,  Haydn,  Mozart,  Beethoven,  dont 
les  symphonies  avait  pour  nom  de  baptême  la  sèche  indication  de  leur  tonalité  ?  A  cela 
se  ramène  en  définitive  toute  opposition  des  classiques  aux  romantiques.  Liszt  le 
savait  fort  bien  :  à  supposer  qu'il  l'ignorât,  ses  contemporains  se  fussent  chargés  de  le 
lui  apprendre  bien  vite.  Aussi  est-ce  sur  ce  point  précis  qu'il  portera  le  débat,  dans  la 
revendication  de  ses  origines  classiques  :  il  s'efforcera  de  démontrer  que  la  musique  à 
programme,  loin  de  rompre  la  tradition  classique,  ne  fait,  au  fond,  que  s'en  inspirer 
pour  la  prolonger. 

C'est  dire  que,  pour  Liszt,  le  problème  se  pose  au  point  de  vue  historique.  Il  évite 
ainsi  la  question  préalable,  qu'on  ne  manquerait  pas  de  lui  opposer,  pour  refuser  a 
priori  à  la  musique  intitulée  le  droit  même  d'exister  ;  de  plus,  en  transportant  la  cause 
du  terrain  de  l'esthétique  abstraite  sur  celui  de  l'histoire,  Liszt  peut  fournir  des  témoi- 
gnages de  fait,  infiniment  plus  forts  que  toute  raison  théorique.  Et,  n'ayant  d'autre 
dessein  que  de  reproduire,  en  leur  donnant  une  forme  dialectique,  les  éléments  mêmes 
de  son  argumentation,  nous  ne  nous  demanderons  pas  plus  que  lui  si,  en  soi,  la  mu- 
sique à  programme  est  ou  n'est  pas  admissible.  Il  nous  suffira  d'indiquer  que  sa  con- 
damnation ne  peut  reposer  que  sur  un  malentendu.  En  effet,  ceux  qui  attaquent  par 
principe  la  musique  à  programme  lui  reprochent  d'introduire  des  idées  ou  des  imagçs 
dans  un  art  qui  devrait  rester,  à  l'exclusion  de  tout  le  reste,  un  art  de  sentiment  ; 
mais  sur  quelles  planches  d'anatomie  psychologique  existe-t-il  un  sentiment  dépouillé 
de  toute  attache  avec  une  idée  quelconque,  un  sentiment  auquel  ne  réponde  aucune 
image,  ou  qu'aucune  image  n'ait  suggéré  ?  Il  y  a  plus  :  on  refuse  en  réalité  au 
compositeur  le  droit  de  s'inspirer  selon  les  rencontres  de  sa  sensibilité,  d'un  beau 
vers,  d'un  large  symbole,  d'un  tableau  frappant.  C'est  méconnaître,  non  seulement  les 
droits,  mais  la  nature  même  de  l'inspiration  musicale  :  faites  entendre  ijn  bruit  sec  et 
violent  auprès  d'une  cavité  sonore,  elle  répercutera  ce  bruit  par  un  autre  bruit  ;  mais 
si  cette  cavité  est  disposée  selon  certaines  règles  d'acoustique,  ou  si  elle  est  munie  de 
certains  accessoires  tels  que  des  cordes  tendues,  au  lieu  de  continuer  le  bruit  par  du 
bruit,  elle  le  modifiera,  l'élaborera,  l'embellira  et  rendra  un  son  musical.  Il  en  va  de 
même  des  esprits  :  une  émotion  quelconque  agit  ordinairement  sur  la  sensibilité  géné- 
rale, mais,  chez  les  natures  bien  douées,  elle  concentre  son  action  sur  une  sorte  de  sen- 
sibilité spéciale.  Chez  le  poète,  elle  éveille  des  rythmes  et  des  images,  chez  le  peintre 
des  lignes  et  des  couleurs,  chez  le  musicien  enfin,  de  la  musique-  En  cela  consiste 
l'exception  d'être  un  artiste,  parmi  des  gens  qui  ne  le  sont  pas.  Dès  lors,  refuser  à  la 
sensibilité  spéciale  d'un  musicien  le  droit  d'être  affectée  par  les  rnêmes  causçs  quj 
agissent  seulement  sur  notre  sensibilité  générale,  c'est  un  aveu  d'impuissance,  Pré- 
tendre que  tel  sujet  n'est  pas  musical,  c'est  avant  tout  peut-être  confesser  que,  dan§ 
une  certaine  mesure,  on  n'est  pas  soi-même  musicien,  Une  fm  de  non'recevoir,  çn  fér 


—  195  — 

ponse  à  une  question  préalable,  ne  peut  vider  la  question  de  la  musique  à  programme: 
ce  n'est  pas  résoudre  un  problème  que  le  supprimer. 

11  ne  reste  plus,  pour  chercher  cette  solution,  que  le  point  de  vue  adopté  par 
Liszt,  le  point  de  vue  historique.  Avec  sa  modestie  foncière  et  cet  esprit  d'abnégation 
que  quelques  travers  passagers  de  virtuose  ne  doivent  pas  nous  dissimuler,  Liszt  ne  se 
met  jamais  en  scène  :  presque  toujours  il  soutient  la  cause  d'un  autre,  celle  de  Ber- 
lioz par  exemple.  Mais,  à  l'ardeur  de  sa  discussion  et  surtout  à  la  nature  de  ses  argu- 
ments, il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  bien  vite  le  client  dans  l'avocat  ;  on  doit 
donc  prendre  pour  des  manifestes  personnels  ses  écrits  de  théorie  ou  de  polémique. 

Pour  attaquer  l'hostilité  ou  la  méfiance  que  soulève  la  musique  à  programme, 
Liszt  s'efforce  d'abord  de  montrer  que  cette  forme  d'art  n'est  pas  si  nouvelle  qu'on  le 
prétend.  Ce  n'est  pas  Berlioz,  ce  n'est  pas  même  Beethoven  qui  l'ont  inventée.  Bach, 
le  maître  classique  par  excellence,  le  parangon,  l'archétypedu  classicisme,  n'a-t-il  pas 
écrit  le  Caprice  sur  le  départ  de  son  frère  hien-ainié  ?  (i).  Les  clavecinistes  de  la  même 
époque  et  de  l'époque  immédiatement  postérieure  n'ont-ils  pas  donné  des  titres, 
parfois  obscurs  et  bizarres,  aux  pièces  qu'ils  écrivaient  pour  leur  instrument?  En  vain  on 
objectera  que  ces  premiers  programmes  étaient  d'une  extrême  brièveté  et  se  bornaient 
d'ordinaire  à  un  mot  :  «  C'est,  répond  Liszt,  le  gland  du  chêne,  et  tous  les  germes  sont 
imperceptibles,  même  ceux  d'où  des  arbres,  même  ceux  d'où  des  idées  naissent  (2).  » 
Si  l'on  passe  de  la  musique  instrumentale  à  la  musique  symphonique,  on  verra  les 
parties  symphoniques  des  oratorios  s'accompagner  souvent  d'un  programme  :  témoin 
le  charmant  interlude  pastoral  qui  ouvre  le  second  «  jour  »  de  \' Oratorio  de£h(o'èl,  de 
J.-S.  Bach,  témoin  les  morceaux  symphoniques  de  la  Création  ou  des  Saisons  de 
Haydn.  Mais  c'est  surtout  l'ouverture,  qui  a  favorisé  le  développement  de  la  musique 
à  programme.  Dans  les  premiers  âges  du  théâtre  lyrique  moderne,  l'ouverture  était 
un  prologue  orchestral  d'importance  médiocre  et  de  signification  indéterminée.  Peu  à 
peu  elle  a  tenté  d'ébaucher  par  avance  le  drame  qu'elle  précédait,  et  d'en  annoncer,  par 
des  moyens  sommaires,  le  caractère  général,  voire  même  d'en  présager  nettement 
certains  épisodes  ou  péripéties.  Chose  singulière,  à  mesure  que  l'ouverture  entrete- 
nait ainsi  avec  l'opéra,  des  rapports  plus  directs,  plus  étroits,  j'allais  dire  plus  orga- 
niques, elle-même  gagnait  en  intérêt  :  elle  progressait  à  la  fois  en  signification  et  en 
indépendance.  Par  une  contradiction  apparente,  plus  fortement  elle  paraissait  unie  au 
drame,  et  mieux  elle  s'accommodait  d'en  être  séparée  :  l'ouverture  d'Orphée 
ou  d'Armide  ne  supporterait  pas  l'épreuve  du  concert  ;  on  sait  avec  quel  éclat  les  ou- 
vertures de  Léonore,  et  surtout  la  troisième,  la  plus  serrée  au  point  de  vue  dramati- 
que, en  triomphent.  Le  résultat  naturel  fut  qu'après  avoir  joué  seules  certaines  ou- 
vertures, on  composa  des  ouvertures  isolées,  que  ne  suivait  aucun  opéra,  mais  qui 
devaient  suffire  à  résumer  un  drame  :  «  On  écrivit  alors  des  ouvertures  sans  opéras, 
mais  on  adopta  ce  nom  pour  toutes  les  œuvres  instrumentales  qui,  au  lieu  de  se  diviser 
comme  la  symphonie  en  quatre  morceaux  différents,  forment  un  tout  homogène, 
organique,  inséparable,  en  une  partie».  (3)  Ainsi  fit  Mendelssohn,  dont  la  fidélité  aux 


(1)  La  critique  moderne  fournirait  à  l'argumentation  de  Liszt  mille  autres  témoignages  tirés 
de  l'œuvre  de  Bach.  Voir  f.-S.  Bach,  le  musicien  poète  par  M.  Alb.  Schweilzer,  Leipzig  (Breitkopf)  et 
Paris  (Costallat)   1905. 

(2)  Gesammelte  Schriften,  tome  IV,  p.  23.  Le  seul  recueil  des  écrits  de  Liszt  est  celui  publié  en  alle- 
mand chez  Breitkopf.  11  offre  le  grave  inconvénient  de  ne  jamais  fournir  la  référence  de  l'original  pour  des 
articles,  traduits  en  allemand,  mais  qui  furent  d'abord  écrits  et  publiés  en  français.  Nos  citations,  faites 
d'après  cette  traduction  allemande,  avec  toute  l'exactitude  possible,  risquent  donc  de  s'écarter  du  texte 
littéral  que  nous  n'avons  pas  eu  la  patience  et  le  loisir  de  rechercher. 

(3)  G.  S.  IV,  23. 


i 


—  1^6  — ■ 

formes  classiques  peut  bien  passer  pour  proverbiale  et  exemplaire  :  si  ses  ouvertures 
du  Songe,  d'Athalie,  de  Rwy-Blas  ont  été  composées  pour  précéder  les  pièces  qui 
portent  ces  noms,  les  ouvertures  des  Hébrides  et  de  Mélusine  ne  sont  le  prologue 
d'aucun  drame.  Or,  plusieurs  poèmes  symphoniques  de  Liszt  lui-même  ne  prendront 
ce  titre  révolutionnaire  que  longtemps  après  leur  composition  et  leur  première  audi- 
tion :  Prométhée  et  le  Tasse  s'appelaient  ouvertures  lorsqu'ils  furent  joués  d'abord  à 
Weimar,  en  1850,  lors  du  festival  Gœthe-Herder.  Dans  la  symphonie  proprement 
dite,  l'introduction  du  programme  est  plus  lente,  plus  hésitante  aussi  ;  avec  une 
grande  loyauté,  si  Liszt  rappelle  les  titres  pittoresques  ou  anecdotiques  donnés  à 
certaines  symphonies  de  Haydn,  la  Reine,  la  Surprise,  la  Chasse,  le  Maître  d'école^  c'est 
pour  constater  qu'on  ne  saurait  chercher  dans  ces  démonstrations  sommaires  et  plus 
ou  moins  fantaisistes,  la  matière  générative  d'un  vrai  programme. 

Selon  Liszt,  il  faut  arriver  à  Beethoven  pour  trouver  le  véritable  créateur  de  la 
musique  à  programme.  Dans  une  lettre,  datée  de  Weimar,  le  2  décembre  1852,  au 
célèbre  musicographe  russe,  son  ami  W.  von  Lenz  (i),  Liszt  a  écrit,  sur  l'œuvre  de 
Beethoven,  une  page  capitale.  «  Pour  nous  musiciens,  l'œuvre  de  Beethoven  est  sem- 
blable à  la  colonne  de  nuée  et  de  feu  qui  conduisit  les  Israélites  à  travers  le  désert  — 
colonne  de  nuée  pour  nous  conduire  le  jour,  —  colonne  de  feu  pour  nous  éclairer  la 
nuit  «  afin  que  nous  marchions  jour  et  nuit  ».  Son  obscurité  et  sa  lumière  nous  tracent 
également  la  voie  que  nous  devons  suivre  ;  elles  nous  sont  l'une  et  l'autre  un  perpé- 
tuel commandement,  une  infaillible  révélation.  S'il  m'appartenait  de  catégoriser  les  di- 
vers termes  (2)  de  la  pensée  du  grand  maître,  manifestés  dans  ses  sonates,  ses  sym- 
phonies, ses  quatuors,  je  ne  m'arrêterais  guère,  il  est  vrai,  à  la  division  des  trois 
styles,  assez  généralement  adoptée  maintenant,  et  que  vous  avez  suivie,  —  mais  pre- 
nant simplement  acte  des  questions  soulevées  jusqu'ici,  je  poserais  franchement  la 
grande  question  qui  est  l'axe  de  la  critique  et  de  l'esthétique  musicale  au  point  où 
nous  a  conduit  Beethoven  :  à  savoir,  en  combien  (3)  la  forme  traditionnelle  et  convenue 
est  nécessairement  déterminante  pour  l'organisme  de  la  pensée  ? 

La  solution  de  cette  question,  telle  qu'elle  se  dégage  de  l'œuvre  de  Beethoven 
même,  me  conduirait  à  partager  cette  œuvre  non  pas  en  trois  styles  ou  périodes  — ^ 
les  mots  style  et  période  ne  pouvant  être  ici  que  termes  corollaires,  subordonnés,  d'une 
signification  vague  et  équivoque  —  mais  très  logiquement  en  deux  catégories  :  la 
première,  celle  où  la  forme  traditionnelle  et  convenue  contient  et  régit  la  pensée  du 
maître  ;  et  la  seconde,  celle  où  la  pensée  étend,  brise,  recrée  et  façonne  au  gré  de  ses 
besoins  et  de  ses  inspirations  la  forme  et  le  style.  Sans  doute  en  procédant  ainsi  nous 
arrivons  en  droite  ligne  à  ces  incessants  problèmes  de  l'autorité  et  de  la  liberté.  Mais 
pourquoi  nous  effrayeraient-ils  ?  Dans  la  région  des  arts  libéraux,  ils  n'entraînent 
heureusement  aucun  des  dangers  et  des  désastres  que  leurs  oscillations  occasionnent 
dans  le  monde  politique  et  social,  car  dans  le  domaine  du  Beau,  le  génie  seul  fait 
autorité  et  par  là,  le  duahsme  disparaissant,  les  notions  d'autorité  et  de  liberté  sont 
ramenées  à  leur  identité  primitive.  »  (4). 

Ces  lignes  si  riches  de  pensée  sont  peut-être,  dans  leur  synthétique  brièveté,  ce 
qui  a  été  écrit  de  plus  vigoureux  sur  l'art  beeethovenien.  Si,  pour  reprendre  l'expres- 


(i)  L'auteur  ingénieux  et  pénétrant  de  Beethoven  et  ses  trois  styles. 

(2)  C'est-à-dire,  non  pas  les  expressions,  mais  les  stades. 

(3)  Bien  que  le  français  fut  devenu,  bien  avant  1852,  la  langue  spontanée  de  Liszt,  on  trouve  icî 
un  de  ces  germanismes  fréquents  dans  son  style  :  eu  combien  est  le  décalque  en  français  de  l'allemand  in- 
wiefern. 

(4)  Frani  Lisit's  Briefe,  herausgegeben  von  La  Mara  (Leipzig,  Breitkopf),  tome  I,  pp.  123-124. 


—  197  — 

sion  d'un  délicat  écrivain  (i),  elles  ne  nous  donnent  pas  le  «  secret  de  Beethoven  », 
elles  nous  livrent  tout  entier  celui  de  Liszt.  Ce  que,  muiatis  mutandis,  la  critique  de 
Leibniz  a  pu  être  pour  un  Kant,  l'étude  de  Beethoven  le  sera  pour  un  Liszt.  Chaque 
phrase  de  cette  lettre  à  Lcnz  prêterait  à  un  commentaire  :  deux  mots  avant  tout  y 
sont  à  retenir,  ceux  d'obscurité  et  de  lumière.  Pour  Liszt,  l'aurore  qui  s'annonce  et 
s'éveille  dans  l'oeuvre  de  Beethoven  n'est  justement  qu'une  aube,  toute  imprégnée 
encore  d'obscurité  nocturne.  Donc,  si  le  devoir  du  disciple  est  de  suivre  cette  lueur, 
il  est  aussi  d'en  attiser  la  flamme  trop  hésitante.  En  d'autres  termes,  la  fidélité  à 
Beethoven,  premier  précepte  de  l'art  musical  selon  Liszt  (et,  qu'on  ne  l'oublie  pas, 
profession  de  foi  classique)  la  fidélité  à  Beethoven  ne  doit  pas  être  timidement  inerte, 
littérale,  dogmatique.  Ce  qu'il  importe  de  conserver,  c'est  l'esprit  de  Beethoven,  esprit 
de  vie  et  de  progrès.  Sous  prétexte  de  fidélité  à  son  exemple,  que  ce  serait  justement 
méconnaître,  il  ne  faut  pas  s'en  tenir  au  point  où  une  mort  prématurée,  survenue  en 
pleine  force  intellectuelle,  et  en  plein  devenir  artistique,  a  brutalement  arrêté  Beethoven 
lui-même.  Il  faut  suivre  les  chemins  qu'il  a  ouverts,  et  achever  la  courbe  aux  sinuo- 
sités imprévues,  dont  son  geste  n'a  pu  tracer  que  le  départ. Telle  est  la  pensée  générale 
de  Liszt  :  il  la  précise  par  l'exemple  particulier  d'Egmont  où  il  montre  la  hardiesse 
novatrice  et  pourtant  incomplète,  à  la  fois  lumineuse  et  obscure,  de  Beethoven.  «  Dans 
Egmont,  dit-il,  nous  apercevons  un  des  premiers  exemples  des  temps  modernes  :  un 
grand  musicien  puise  son  inspiration  immédiatement  dans  l'œuvre  d'un  grand  poète. 
Si  incertain  et  hésitant  que  puisse  nous  paraître  ce  début  de  Beethoven,  il  a  été  aussi 
hardi,  aussi  significatif  de  son  temps...  Beethoven  a  commencé  d'ouvrir  une  route 
nouvelle.  D'une  main  puissante  il  a  abattu  le  premier  arbre  d'une  forêt  jusqu'alors 
inconnue.  Le  monde  assista  sans  une  attention  particulière  à  ce  premier  pas.  Mais  les 
temps  vinrent  où  l'art  foula  cette  route,  trouvant  bientôt  après  lui  la  voie  lumineuse- 
ment éclairée  et  aplanie  »  (2).  A  cet  exemple,  Liszt  en  ajoute  plusieurs  :  ce  sont  la 
Symphoniehérdiqvte tildk  Pastorale,  \2iSOVï^ifÇionr -çidi^o  o^.  81^,  avec  son  triple  titre 
les  Adieux,  l'Absence,  le  Retour  et  Lebewobl  inscrit  sous  ses  premières  notes  qui  forment 
le  germe  du  développement  ;  ce  seront  encore,  dans  le  quinzième  quatuor  l'hymne  du 
convalescent  qui  remercie  le  seigneur  et  sent  de  nouvelles  forces  ;  dans  le  seizième 
quatuor,  la  question  muss  es  seyn  {le  faut-il)  la  réponse  es  muss  seyn  [il  le  faut)  et  le 
finale  construit  sur  l'opposition  de  ces  deux  motifs.  Ce  sera  enfin  le  projet  d'une  sym- 
phonie sur  Faust,  que  rappelle  Liszt.  Mais  on  doit  convenir  qu'il  sollicite  ici  les  textes 
avec  un  peu  trop  de  complaisance.  Tout  porte  à  croire  que,  si  Beethoven  avait  réalisé 
son  rêve  de  mettre  Faust  en  musique  —  son  rêve  suprême  —  il  n'eût  pas  donné  à 
cette  œuvre  la  forme,  même  très  libre,  d'une  symphonie,  il  aurait  probablement 
traité  le  poème  de  Gœthe  à  la  façon  de  Schumann  et  non  à  celle  de  Liszt. 

Aux  exemples  nombreux  dont  il  fait  des  arguments  à  l'appui  de  sa  thèse,  Liszt  en 
aurait  pu  joindre  d'autres,  non  moins  forts.  Combien  d'œuvres  de  Beethoven  qui  por- 
tent un  titre,  ou  dont  nous  savons  quelle  en  fut  l'idée  génératrice  :  il  suffira  de  citer 
la  Mélancolie  du  sixième  quatuor,  la  Sonate  pour  piano  en  ré,  op.  10,  qui  pourrait  à 
aussi  bon  droit  porter  le  même  titre  (3)  ;  la  Sonate  en  mi  mineur  op.  90  qui  racontait 
les  amours  du  prince  Lichnowsky,  le  Rondo  pour  piano  op.  129  où  s'exprime  «  la 
rage  de  chercher  un  sou  perdu  »,  la  neuvième  Symphonie,  enfin  cette  Bataille  de  Vit- 
toria,  que  Liszt  a  peut-être  eu  la  discrétion  de  ne  point  alléguer,  sachant  que  Beetho- 


(i)  Raymond  Bouyer,  Le  Secret  de  Beethoven. (ï'ans  1905.  Fischbacher) 

(2)  G   S.  m,  i"  vol.  p.  29. 

(J^)  Voir  Moschelès,  Life  of  Beethoven. 


—  198  — 

ven  lui-même  la  traitait  d'  «  absurdité  »,  et  ce  projet  d'une  dixième  symphonie  qui 
devait  opposer  le  christianisme  au  paganisme  (i). 

A  ces  preuves  internes,  tirées  de  l'œuvre  de  Beethoven,  Liszt  aurait  pu  ajouter 
des  preuves  externes,  empruntées  aux  témoignages  fournis  par  les  familiers  de  Beetho- 
ven. Si  Schindler  doit  être  contrôlé  avec  le  dernier  soin  lorsqu'il  avance  une  date  ou 
rapporte  une  anecdote,  du  moins  est-il  digne  de  créance  lorsqu'il  se  tient  dans  les 
généralités  :  s'il  nous  affirme  que  Beethoven,  au  moins  à  partir  d'une  certaine  période, 
ne  composa  jamais  sans  avoir  une  idée  de  derrière  la  tête,  nous  pouvons  le  croire. 
Dans  les  cahiers  de  conversation  de  Beethoven  sourd,  son  neveu  Cari  le  caractérise 
ainsi  en  face  de  Mozart  :  «  Sous  la  musique  de  Mozart  on  pourrait  mettre  plusieurs 
textes,  sous  la  tienne  on  n'en  pourrait  mettre  qu'un  ».  Du  reste,  parmi  les  projets 
auxquels  la  mort  de  Beethoven  vint  trop  tôt  mettre  fin,  il  en  est  un,  à  jamais  regret- 
table, celui  d'une  édition  complète  des  œuvres  de  Beethoven  revues  par  lui  et  où,  à 
chaque  œuvre,  il  aurait  mis  un  programme  explicatif.  Bref,  tout  prouve  que  l'idée  de 
la  musique  à  programme  hantait  Beethoven,  au  moins  depuis  1810.  Ainsi,  plus  encore 
qu'il  ne  pouvait  le  croire  lui-même,  Liszt  a  raison  de  l'affirmer  et  d'en  tirer  des  consé- 
quences, lorsqu'il  essaye  de  montrer  à  qui  échoit  la  succession  du  grand  maître  clas- 
sique. 

On  comprend  dès  lors  quelle  sera  l'attitude  de  Liszt  devant  le  souvenir  et  l'ensei- 
gnement de  Beethoven.  La  seconde  partie  de  sa  lettre  à  Lenz,  citée  plus  haut,  nous 
aide  à  en  mieux  comprendre  le  sens.  Liszt  veut  être  un  disciple  et  non  un  imitateur. 
L'imitation  est,  par  essence,  inerte  et  passive,  et,  en  art,  qui  dit  immobilité  dit  recul. 
Or,  en  s'affranchissant  peu  à  peu  des  formes  traditionnelles  reçues  et  adoptées  par  sa 
jeunesse,  Beethoven  a  donné  l'exemple  du  progrès  :  c'est  l'exemple  de  ce  progrès  que 
Liszt  suivra.  Beethoven,  en  1823,  définissait  le  génie  par  la  capacité  d'inventer  des 
formes  nouvelles,  et  l'on  sait  comment  lui-même,  à  cette  époque,  illustrait  cette  défi- 
nition. Liszt  à  son  tour  l'adoptera  en  pratique.  Combien  peu  le  Beethoven  de  1825  res- 
semble à  celui  de  1795,  et  cependant  c'est  le  même  homme,  partant  le  même  art.  La 
tradition  artistique  ne  sera  donc  pas  rompue  si  l'artiste  de  1850  est  au  Beethoven  de 
1825,  ce  que  celui-ci  est  au  Beethoven  de  1795.  Ainsi  se  concilient,  pour  reprendre 
les  termes  de  Liszt  lui-même,  «  dans  leur  identité  primitive  »,  l'autorité  du  maître  et 
la  liberté  du  disciple. 

(A  suivre)  Jean  CHANTA VOINE. 


(i)  Une  conversation  de  Beethoven,  pendant  sa  dernière  maladie,  avec  Schindler,  contient  un  pfogrâmme 
du  trio  à  l'archiduc  op.  97,  mais  On  peut  admettre  qu'il  s'agit  d'un  commentaire  plus  ou  moins  fantaisiste 
et  postérieur  à  la  composition  de  l'œuvre. 


—  Ï99  — 

Lettres  inédites  de  Guillaume  Lekeu 

(Suite) 


Lettres  à  M.  Kéfer  (écrites  de  Bruxelles,  en  loge) 

Mercredi  soir ,  ^o  Juillet  i8çi. 
Cher  Monsieur  et  Ami, 

Je  reçois  votre  lettre  qui  me  plonge  dans  le  plus  horrible  embarras,  car  jamais  je 
ne  pourrai  trouver  de  termes  convenables  pour  vous  remercier  de  toutes  les  preuves 
d'amitié  que  vous  m'avez  déjà  prodiguées,  dont  vous  me  comblez  et  me  voulez 
combler  encore. 

Je  voudrais  vous  avoir  près  de  moi  pour  vous  dire,  d'une  seule  et  bonne  poignée 
de  main,  combien  je  suis  fier  d'occuper  une  si  belle  place  dans  votre  estime.  Mais  je 
voudrais  aussi,  fort  amicalement,  calmer  votre  zèle  à  mon  égard. 

Vraiment  vous  croyez  que  je  vais  ainsi,  du  premier  coup,  décrocher  la  timbale, 
détrompez- vous.  Ce  n'est  pas  à  21  ans  qu'on  triomphe  d'une  épreuve  semblable,  sur- 
tout quand  on  a  pour  concurrent  des  gaillards  de  26,  28  et  29  ans  dont  l'un,  par 
exemple,  M.  Paul  Lebrun,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire  de  Gand,  a  déjà 
remporté  deux  fois  le  premier  second  prix.  Je  vous  vois  venir  et  me  dire  que  j'ai  bien 
été  premier  à  la  première  épreuve,  c'est  vrai,  mais  la  seconde  est  bien  différente.  Il 
s'agit  uniquement  ici  d'être  habile.  Le  prix  est  à  celui  qui  a  le  premier  terminé 
l'esquisse  de  la  cantate  et  qui  a  ensuite  le  plus  de  temps  pour  soigner  l'orchestration. 
Cette  rapidité  dans  le  travail,  je  suis  très  loin  de  l'avoir.  L'aurai-je  jamais  ?  Je  n'en  sais 
rien.  Pour  parler  franchement,  je  n'attache  pas  une  grande  importance  à  cette  faculté 
bizarre  de  pouvoir  mener  la  composition  d'une  œuvre  d'art  au  pas  accéléré,  et  je  trouve 
étrange  qu'on  l'exige,  avant  toute  autre,  d'un  futur  musicien. 

Tout  ceci  pour  vous  dire  qu'en  bûchant  consciencieusement,  je  pourrai  peut-être 
dans  4  ans  avoir  le  prix  de  Rome.  Je  suis  ici  plutôt  en  amateur  qu'en  concurrent  et 
ma  vie,  sans  être  couverte  de  roses,  n'est  pas  des  plus  désagréables.  Le  sujet 
qui  nous  est  imposé  est  Andromède  et  comporte  3  situations. 

1°  L'Ethiopie  est  dévastée  par  un  monstre  :  scène  religieuse  pour  demander  à 
Ammon  s'il  est  un  sacrifice  capable  de  délivrer  le  pays.  Le  Dieu  répond  qu'il  faut  livrer 
la  princesse  Andromède  au  mal  :  c'est-à-dire  l'enchaîner  à  un  rocher  pour  racheter 
l'affront  fait  aux  Néréides  qu'Andromède  a  vaincues  dans  un  concours  de  beauté.  Le 
peuple  entraîne  la  vierge  sans  écouter  ses  supplications. 

2°  Andromède  seule,  sa  douleur,  les  Néréides,  en  se  jouant  sur  les  flots,  la  rail- 
lent impitoyablement. 

y'  Persée  (qui  se  promenait  par  là,  sans  doute),  délivre  Andromède,  ils  se  ma- 
rient, le  peuple  (qui  a  tourné  casaque...  pourquoi???)  hurle  à  Hyménée...  On  espère 
qu'ils  auront  beaucoup  d'enfants.  Harpes,  etc 

Mon  travail  avance  sans  précipitation  folle,  ni  lenteur  désespérante. 

J'aurai  terminé  demain  matin  la  première  scène  (la  plus  longue  des  trois,  de 
beaucoup)  qui  comprend  une  bonne  vieille  marche  religieuse.  Scène  d'invocation,  tout 
le  diable  et  son  train. 

Je  vois  clairement  que  dans  21  jours,  quand  je  sortirai  d'ici,  je  serai  complètement 
éreinté.  Aussi,  j'ai  abandonné  totalement  ma  première  idée,  qui  était  de  faire  exécuter 
ma  Cantate  au  piano,  avec  chœurs  et  solistes  devant  le  jury.... 


—    200   — 

Lundi  soir,  iq  août  i8pi. 
Cher  Monsieur  et  Ami, 

Merci  mille  fois  pour  votre  bonne  lettre  si  encourageante  et  si  affectueuse.  Oui 
j'ai  pris  le  taureau  par  les  cornes.  J'ai  travaillé  ferme,  ma  Cantate  est  entièrement 
composée  et  l'orchestration  en  est  même  déjà  assez  avancée  :  la  75^  page  commence  à 
se  noircir.  Demain,  à  midi  sans  doute,  j'aurai  fini  la  première  moitié  du  poème.  La 
deuxième  partie  ira  aussi  rapidement,  plus  même  j'espère,  que  la  première. 

J'aurai  donc  fini  à  temps,  si,  d'ici  au  20  août,  je  ne  tombe  malade,  ce  qui  est  très 
peu  probable,  car  je  me  porte  à  merveille  depuis  mon  entrée  en  loge.  Ce  qui  pourra 
résulter  de  ce  concours,  je  n'en  sais  absolument  rien.  Je  crois  cependant  pouvoir  vous 
promettre  que  mon  orchestration  sera  bonne  de  la  première  à  la  dernière  mesure.  J'ai 
beaucoup  travaillé  depuis  un  an  et  demi  ;  je  me  suis  encore  entendu  à  Angers  et  je 
commence  à  me  sentir  la   main  sûre  dans   l'emploi  polyphonique  de  l'orchestre. 

Ayant  terminé  la  composition  de  ma  Cantate  avant  la  date  que  je  m'étais  fixée, 
j'ai  plus  de  temps  à  consacrera  l'instrumentation. 

J'ai  pu  ainsi  chercher  et  j'espère  trouver  le  plus  d'effets  possible,  enfin  je  ne  re- 
mettrai certes  pas  un  travail  orchestré  à  la  diable.  Mais  l'orchestration  c'est  la  sauce  et 
vous  voulez  sans  doute  avoir  des  nouvelles  du  poisson  qui  sera  ainsi  accommodé,  j'en- 
tends de  la' cantate  elle-même.  Ne  me  demandez  rien  là-dessus.  On  est  tellement  abruti 
de  travail,  que  le  sens  esthétique  est  presque  totalement  engourdi. 

Est-ce  bon  ?  ne  l'est-ce  pas  ?  on  ne  sait.  C'est  fait  et  plus  à  faire  :  voilà  la  grande 
question.  Il  faut  finir  coûte  que  coûte.  Jamais  une  cantate  n'est  bonne  d'un  bout  à 
l'autre,  dans  la  meilleure,  les  défaillances  sont  nombreuses.  Mais,  ces  points  noirs,  le 
temps  manque  pour  les  retoucher  et  c'est  pourquoi  cette  besogne  de  concours  est  dia- 
métralement opposée  au  sincère  et  réconfortant  labeur  de  l'art.  Certains  jours  (hier  par 
exemple),  je  suis  conteant  de  mon  travail.  Cela  me  paraît  solidement  charpenté  ;  d'une 
bonne  cohésion  expressive  et  musicale  tout  ensemble  très  dramatique  et  surtout  sin- 
cèrement écrit.  Bref,  je  suis  content  de  moi.  D'autres  jours  (aujourd'hui  après  midi), 
tout  me  paraît  manqué  et  je  passe  alors  des  heures  peu  drôles.  Ce  soir  je  suis  un  peu 
remonté,  j'ai  entendu  des  fragments  de  deux  de  mes  concurrents  et  vraiment,  sans  me 
vanter  aucunement,  je  puis  affirmer  que  ce  que  j'ai  fait  est  mieux  que  ce  qu'ils  m.'ont 
joué  ;  car  vraiment  leurs  productions  musicales,  sans  doute,  ne  sont  que  de  vastes 
exercices...  saupoudrés  de  ressouvenirs  wagnériens,  pas  un  cri  d'expression,  pas  un 
accord  mordant,  de  ces  choses  qui  viennent  de  l'âme  et  qui  y  vont  tout  droit. 

De  ces  choses,  je  n'en  ai  peut-être  qu'une  ou  deux  dans  ma  cantate,  mais  enfin 
j'ai  la  certitude  consolatrice  d'avoir  senti  et  écrit  quelque  part  quelque  chose  de  sain, 
d'honnête  et  d'humain.  Mais  cette  certitude  pour  moi  ne  sera  peut-être  (probablement 
même)  qu'un  doute  absolu  pour  le  jury  et  je  n'ai  vraiment  pas  beaucoup  d'espoir  de 
décrocher  quelque  chose.  Peut-être  le  soin  extrême  que  j'apporte  à  mon  orchestra- 
tion me  vaudra  une  seconde  mention  honorable.  Mais  il  vaut  mieux  n'y  pas 
compter 


Fin  août  i8çi. 
Cher  Monsieur  et  Ami, 

Je  passe,  depuis  dimanche,  des  journées  horribles,  des  nuits  plus  tristes  encore. 
Et  cela  pour  un  coup    de   tête   fou,  insensé,  peut-être  impardonnable. 

Mais  vous  me  connaissez  et  vous  devez  me  voir  lorsque  j'ai  entendu  crier  le  nom 
■de  S...  avant  le  mien.  Une  rage  folle  m'a  pris  subitement,  mes  dents  claquaient  et  (on 


—    201    — 


me  l'a  dit  depuis)  j'avais  une  expression  d'aliéné.  Sans  me  rendre  un  compte  bien 
exact  de  ce  que  je  faisais,  je  me  suis  refusé  à  entrer  dans  la  salle  du  jury.  Le  lende- 
main encore  sous  cette  atroce  impression,  j'ai  écrit  di  V Indépendance  Belge  qui  avait 
mentionné  le  classement  du  jury  sans  parler  de  mon  refus. 

Puissè-je  ne  pas  payer  d'une  peine  de  toute  ma  vie  ce  coup  de  folie  d'enfant  qui 
souffre  trop  en  ce  moment. 

Et  à  cela  s'ajoute  pour  moi  la  torture  de  ne  pas  vous  voir,  vous,  mon  meilleur, 
mon  plus  fidèle  ami,  dont  la  présence  m'eût  été  si  précieuse  à  Bruxelles  !  Car  vous 
m'eussiez  empêché  de  commettre  une  faute  insensée.  Que  pensez-vous  de  moi  ?  Je 
vous  prie,  ne  gardez  pas  plus  longtemps  le  silence  où  vous  restez,  je  ne  demande 
rien,  rien,  qu'une  place  encore  dans  votre  estime.  Vous  le  voyez,  je  souffre  et  bien 
cruellement.  Nul  ici  ne  comprend  l'état  dans  lequel  je  me  suis  trouvé  et  tous  ceux  qui 
méconnaissent  (ou  presque  tous)  m'accusent  d'une  vanité  folle  et  injustifiable.  Ecri- 
vez-moi, je  vous  en  prie  et  j'attends  anxieusement  votre  lettre. 

Guillaume  LEKEU. 


Mardi,  75  septembre  i8pi. 
A  Monsieur  Vincent  d'Indy 

Cher  Monsieur  et  Ami, 

Le  résultat  du  concours  de  Rome  est  connu  depuis  samedi  soir.  Le  jury  m'a 
accordé  un  deuxième  prix  que  j'ai  refusé,  c'est-à-dire  que  je  n'ai  pas  voulu  entrer  dans 
la  salle  pour  m'entendre  décerner  cette  distinction. 

Après  ce  coup  de  tête,  j'ai  eu  des  moments  fort  noirs  pendant  lesquels  je  me  suis 
bien  amèrement  reproché  mon  refus,  mais  maintenant  que  me  voici  un  peu  calmé,  je 
crois  décidément  avoir  bien  agi. 

Le  concours  de  Rome  n'est  pas  du  tout  ce  que  je  croyais  et  je  n'ai  guère  lieu 
d'être  fier  de  ma  place  à  l'épreuve  préparatoire.  Je  n'ai  rencontré  là  (à  une  seule  excep- 
tion^ que  de  vieux  piliers  de  Conservatoire  qui  ne  savent  pas  le  quart  du  métier  le 
plus  élémentaire  et  n'ont  absolument  pas  la  moindre  idée  en  tête.  Mais  ce  n'est  pas 
entre  eux  que  le  concours  a  lieu,  c'est  entre  les  Conservatoires  belges. 

J'ai  vu  les  six  travaux  soumis  au  jury.  Quatre  d'entre  eux  n'existent  pas,  grâce 
surtout  à  l'absence  de  toute  émotion,  bien  plus  que  par  la  pauvreté  de  l'harmonie. 
Quant  à  la  polyphonie,  c'est  lettre  morte  pour  ces  gens-là,  ils  en  connaissent  à  peine 
le  nom. 

Un  jeune  organiste  de  Gand,  Monsieur  Roels,  remettait  une  œuvre  fort  intéres- 
sante, d'un  charme  exquis  et  d'une  perfection  de  forme  absolument  extraordinaire  (|e 
parle  particulièrement  de  l'écriture  chorale). 

Pour  moi,  j'ai  eu  le  rare  bonheur  d'être  fortement  ému  par  le  sujet  imposé  et 
d'avoir  été  pendant  les  vingt-cinq  jours  de  loge,  mieux  disposé  que  jamais  au  travail. 
J'ai  fait  le  premier  ouvrage  dont  je  suis  réellement  satisfait.  Je  dois  convenir,  bien 
certainement,  de  nombreuses  faiblesses,  mais  j'ose  vous  dire,  comme  à  mon  meilleur 
et  plus  sincère  ami,  que  j'ai  écrit  là  des  pages  de  musique  dignes  d'un  élève  de  Franck, 
et  où  un  musicien  consciencieux  doit  reconnaître,  dès  la  première  lecture,  que  j'ai 
reçu  et  attentivement  écouté  vos  conseils. 

Je  n'ai  pas  eu  une  seule  voix  pour  le  premier  prix.  Sans  aucune  hésitation,  le  jury 
m'a  écarté,  et  M.  Lebrun,  de  Gand,  a  eu  cette  récompense  par  quatre  voix  contre 
trois  accordées  à  M.  Smalders  de  Liège,  qui  a  obtenu  cinq  voix  contre  deux  pour  le 
second^prix. 


—    202    — 

Roels,  n'a  rien  eu  ;  il  a  été  tout  simplement  mis  à  la  porte  du  concours.  Et  sans 
aucun  doute  le  même  sort  m'attendait  si  je  n'avais  pas  lu  vos  partitions  d'orchestre 
('la  Scène  Cévenole  et  Wallenstein);  mais  on  a  craint  un  peu  que  je  ne  parvienne  à  faire 
exécuter  mon  œuvre  et  on  m'a  offert  le  deuxième  second  prix. 

La  cause  de  l'échec  de  Roels  et  du  mien  n'est  autre  qu'une  vieille  éternelle  ran- 
cune qu'ont  les  Académies  musicales  pour  la  musique  moderne  ;  mais  pour  moi  le  cas 
se  complique  de,  mon  éducation  entièrement  reçue  à  Paris  et  loin  de  tout  Conservatoire. 

N'importe,  je  crois  avoir  bien  fait  en  me  présentant  à  ce  concours.  J'en  sors  plus 
fier,  plus  courageux.  J'ai  hâte  maintenant  de  travailler  à  vos  côtés,  après  vous  avoir 
montré  ma  cantate  de  concours,  que  je  vais  réclamer  pour  quelque  temps  au  Gouver- 
nement afin  de  la  pouvoir  recopier. 

Je  crois  plus  clairement  que  jamais  que  seuls  les  jeunes  musiciens  emportés  dans 
le  mouvement  moderne  qui  agite  l'art  entier,  peuvent  parvenir  à  faire  des  œuvres.  Il 
leur  faut  surtout  beaucoup  de  courage,  mais,  quoiqu'il  arrive  deux  d'entre  eux  ne  fai- 
bliront pas  :  Oscar  Roels  et  moi. 

J'espère  avoir  bientôt  le  bonheur  de  lire  quelques  lignes  de  vous,  ne  fût-ce  que 
pour  me  donner  ou  me  refuser  votre  approbation  au  refus  que  j'ai  opposé  au  jury. 

J'ai  vu  en  toute  évidence  que  jamais  il  n'y  aurait  pour  moi  le  moindre  espoir 
d'obtenir  le  prix  de  Rome  et  j'ai  préféré  en  finir  tout  de  suite. 

Croyez,  cher  Monsieur  et  Ami,  à  la  profonde  et  sincère  reconnaissance  de  votre 

élève  bien  respectueux. 

G.  LEKEU. 


L'Acoustique  au  Trocadéro 


La  question  de  la  suppression  des  échos  au  Trocadéro  est  doublement  intéres- 
sante et  au  point  de  vue  purement  scientifique  et  au  point  de  vue  de  l'utilisation 
future  de  cette  admirable  salle  pour  des  concerts  véritablement  populaires. 

Dans  cette  salle  devenue  bonne,  se  pourraient,  en  effet,  donner  utilement  désor- 
mais les  manifestations  musicales  les  plus  grandioses. 

J'ai  eu  le  plaisir,  il  y  a  près  de  trois  ans  maintenant,  de  devenir  le  collaborateur 
temporaire  de  IVl.  Bourdais,  l'éminent  architecte  du  Palais  du  Trocadéro. 

M.  Bourdais  avait  déjà,  ainsi  que  chacun  le  sait,  approfondi  la  question  d'acousti- 
que du  Trocadéro  et  l'étude  générale  des  qualités  sonores  des  grandes  salles  (voir  ses 
articles  à  ce  sujet  dans  le  dictionnaire  de  Planât).  Afin  de  supprimer  les  résonnances 
et  les  échos,  il  avait  réalisé  trois  corrections  qu'il  est  utile  de  rappeler  ici.  Sur  les 
conques  et  parties  en  voûte  qui  se  trouvent  au-dessus  de  l'estrade  et  du  Grand 
Orgue,  et  p^r  dessus  les  admirables  peintures  de  Lemmer  appliquées  sur  le  stuc  de  ces 
surfaces  concaves,  M.  Bourdais  n'avait  pas  hésité  à  constituer  un  lattis  de  bois  épou- 
sant la  forme  de  ces  voûtes  et  sur  lequel  il  avait  fait  clouer  une  toile  épaisse  destinée 
à  absorber  les  ondes  sonores,  les  empêchant  ainsi  de  se  réfléchir  et  d'arriver  aux 
oreilles  des  spectateurs  avec  le  retard  d'au  rnoins  i/io  de  seconde  par  rapport  à  l'onde 
directe  qui  constitue  l'écho  le  plus  gênant. 

Des  toiles  semblables  furent  appliquées  sur  les  surfaces  cylindriques  de  la 
salle . 

Enfin  des  réseaux'de  cordes,  sous  formé  de  filets,  furent  tendus  devant  les  fenêtres. 
D'autres  essais  furent  tentés  postérieurement.  C'est  ainsi  que  M.  Bourdais  essaya  un 
grand  vélum  sur  tout  le  plafond. 


—  203  — 

Il  est  donc  juste  de  constater  que  d'une  façon  continue  l'éminent  architecte  du 
Trocadéro  a  cherché  à  perfectionner,  au  point  de  vue  sonore,  l'admirable  salle  dont  il 
est  l'auteur. 

Au  mois  de  janvier  1903,  sur  le  conseil  de  M.  d'Estournelles  de  Constant,  je  me 
rendis  au  Trocadéro.  Je  demandai  s'il  ne  trouverait  pas  intéressant  de  procéder,  par 
des  expériences  nouvelles  à  une  analyse  méthodique  des  échos  du  Trocadéro,  afin  que 
nous  puissions,  d'un  commun  accord,  fixer  d'une  façon  définitive,  quelles  étaient  les 
parties  principales  de  la  surface  intérieure  du  Trocadéro  qui  étaient  responsables  des 
échos  dont  il  y  avait  lieu  de  se  débarrasser. 

M.  Bourdais  m'offrit  de  la  façon  la  plus  gracieuse  de  devenir  son  collaborateur 
temporaire. 

De  cette  collaboration  qui  remonte  à  plusieurs  années  déjà,  va  sortir,  je  l'espère 
du  moins,  un  très  sensible  perfectionnement  dans  les  qualités  sonores  de  la  salle  du 
Trocadéro. 

Je    ne   parlerai  pas   ici  des   méthodes   d'observations,   de   recherches  scienti- 
fiques, des  épures  de  descriptives  particulièrement  compliquées  qui  durent  être  faites. 

11  est  néanmoins  de  mon  devoir  de  rappeler  que  M.  Bourdais  qui  fut  particulière- 
ment fort  à  l'Ecole  Centrale  dans  la  Science  de  la  Descriptive  était  particulièrement 
indiqué  pour  s'intéresser  au  problème  que  nous  nous  étions  posé  d'un  commun 
accord. 

Les  parties  coupables  du  Trocadéro  une  fois  reconnues,  nous  procédâmes  à  des 
vérifications  sur  place  démontrant  par  l'expérience  que  c'était  bien  elles  les  coupables 
et  non  les  autres. 

Restait  alors  à  entreprendre  la  troisième  série  des  expériences  qui  devaient  nous 
apporter  le  remède.  Après  le  diagnostic  nous  allons  entreprendre  le  traitement  et  je 
crois  à  la  guérison. 

Pour  ce  traitement,  la  Commission  nommée  par  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique,  en  date  du  4  mai  1904  et  qui  se  composait  de  : 

Président.  —  (Le  Président  était  le  regretté  M.  Scellier  de  Gisors,  inspecteur 
général  des  bâtiments  civils,  aujourd'hui  décédé.  M.  l'Inspecteur  général  Guadet assure 
son  service). 

'[Membres.  —  MM.  Bourdais,  architecte  du  Palais  du  Trocadéro  ;  Brunel  (Dr  Blon- 
del) compositeur  de  musique;  Charpentier  (Jules)  membre  du  bureau  des  longitudes  ; 
Chapuis,  professeur  de  physique  à  l'Ecole  Centrale;  d'Estournelles.  chef  du  bureau  des 
théâtres,  de  la  conservation  des  palais  et  du  mobilier  national  ;  Landrin,  administra- 
teur du  Palais  du  Trocadéro;  Lyon,  ingénieur  civil  (Directeur  de  la  maison  Pleyel, 
Wolff,  Lyon  et  C°)  ;  Maréchal  (Henri)  compositeur  de  musique,  prix  de  Rome;  Merca- 
dier,  directetir  des  études  à  l'Ecole  Polytechnique  ;  Picot,  chef  du  bureau  des  bâtiments 
civils  et  des  Palais  nationaux;  Pierné,  compositeur  de  musique,  prix  de  Rome  ;  Pillet, 
professeur  au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  ;  Perdreau,  chef  du  bureau  de  la  liqui- 
dation des  dépenses  et  du  Contentieux;  VioUe,  membre  de  l'Institut,  maître  de  confé- 
rences à  l'Ecole  normale  supérieure,  professeur  au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  ; 
Petot,  sous-chef  du  bureau  des  bâtiments  civils  et  des  palais  nationaux  (secrétaire)  ; 
Dumonthier,  sous-chef  du  Bureau  des  Théâtres,  de  la  conservation  des  palais  et  du 
mobilier  national  (secrétaire)  ;  MM.  René  Dubrisay,  élève  ingénieur  des  manufactures 
de  l'Etat  et  Sarraz,  professeur  de  géométrie  descriptive  et  de  physique  convoqués 
lors  des  réunions  de  cette  Commission,  vient  d'émettre  à  la  date  du  i^''  mai  1906, 
deux  votes  importants  résultant  de  la  mise  à  la  disposition  de  la  commission  sur 
les  ressources  ordinaires  du  ministère  des  Beaux-Arts  d'une  somme  de  4.000  à 
5.000  francs.  La  Commission  a,  en  effet,  décidé  :  i.o  qu'il  y  a  lieu  de   procéder  aux 


—   204  — 

travaux  d'expérimentation   dont  la   commission   technique    avait    indiqué   l'utilité  ; 
2°  que  l'exécution  en  doit  commencer  autant  que  possible  le  15  mars  1906. 

M.  Bourdais,  qui  n'avait  pu  se  rendre  à  la  séance  avait,  et  c'était  son  devoir  im- 
périeux d'auteur  et  de  conservateur  du  Palais  du  Trocadéro,  manifesté  les  craintes  que 
la  solution  trop  géométrique  indiquée  par  la  théorie  ne  modifiât  l'aspect  intérieur  de 
son  Palais. 

D'un  commun  accord  fut  cherchée  la  solution  qui  devait  garder  l'aspect  général 
des  conques  situées  au-dessus  de  l'estrade  et  cette  étude  achevée,  M.  Bourdais  et  moi, 
nous  posâmes  le  problème  suivant  éminemment  intéressant,  mais  particulièrement 
difficile  à  résoudre  : 

Avec  les  4.000  ou  5.000  francs  votés  pour  une  expérience,  essayer  de  réaliser 
cette  expérience  dans  des  conditions  pratiques  telles  que  si  l'expérience  était  satisfai- 
sante on  put  considérer  ces  travaux  qui,  primitivement  devaient  être  essentiellement 
provisoires,  comme  définitifs. 

C'est  à  la  solution  de  ce  problème  que  M.  Bourdais  voulut  bien  m'associer  à  lui 
et  nous  avons  le  plus  grand  espoir  que  d'ici  quelques  semaines,  nous  pourrons  être 
fixés  sur  les  résultats  pratiques  de  la  correction  entreprise. 

Gustave  LYON. 


TKCEAXFIE      DE      ]?^OIVXE-a-A.r^LO 


L'ANCÈ  TRE 
De    Camille    Sa,int-Saërie 

(création) 


La  nouvelle  œuvre  de  Camille  Saint-Saëns  comporte  trois  actes,  et  je  veux  dire 
tout  de  suite  que  par  la  richesse  musicale  et  harmonique  qui  s'y  déploie  autant  que 
par  une  vigueur  d'inspiration  que  ne  démentent  point  les  années  du  maître,  elle  peut 
aller  de  pair  avec  les  plus  beaux  ouvrages  de  celui  que  l'on  considère  à  juste  titre 
comme  le  plus  grand  musicien  français  contemporain. 

Le  sujet  de  YtÂncHre,  dû  à  la  plume  de  M.  Auge  de  Lassus,  est  de  la  plus  grande 
simplicité.  C'est  un  drame  rapide  dont  l'action  se  déroule  en  Corse,  sous  le  premier 
Empire.  Les  mœurs  si  particulières  de  la  Corse  nous  furent  rendues  familières  par  un 
des  chefs-d'œuvre  de  Mérimée,  Colomba.  On  comprend  que  M.  Camille  Saint-Saëns  ait 
été  séduit  par  le  caractère  profondément  original  de  ce  pays  et  de  ses  habitants,  qui 
de  nos  jours  encore  ont  gardé  quelque  chose  de  leurs  fières  et  violentes  traditions. 

Le  premier  acte  de  Y  Ancêtre  se  passe  dans  un  site  agreste  des  montagnes  de 
Corse,  où  se  trouve  un  ermitage  et  les  chapelles  funéraires  de  deux  familles  rivales, 
les  Fabiani  et  les  Pietra  Nera. 

L'Ermite  Raphaël  qui  habite  ces  lieux,  s'est  juré  de  réconcilier  les  deux  familles 
ennemies  entre  qui  des  vendettas  sanglantes  entretiennent  une  haine  néfaste.  Il  a 
convoqué  les  tenants  et  les  fermiers  de  chacun  des  camps  pour  renoncer  enfin  solen- 
nellement à  leur  rancune.  Amis  et  serviteurs  sont  accourus  à  l'appel  pacificateur  ; 
d'une  part  ce  sont  les  Pietra  Nera,  ayant  à  leur  tête  Tébaldo,  jeune  et  brillant  officier 
de  l'armée  de  Napoléon,  et  qui  vient  de  débarquer  dans  l'île.  De  l'autre,  ce  sont  les 
Fabiani,  où  l'on  remarque  deux  jeunes  filles,  Vanina  et  sa  sœur  de  lait  Margarita. Toutes 


—  ^05  — 

deux  aiment  Tebaldo  ;  mais  c'est  Margarita  qui  est  aimée,  c'est  elle  qui  a  échangé  ses 
vœux  avec  Tebaldo.  L'on  n'attend  plus  que  l'Ancêtre,  Nunciata,  grand'mère  de  Vanina. 
A  demi-aveugle,  elle  descend  enfin  le  sentier,  à  pas  chancelants,  escortée  et  soutenue 
par  son  petit-fils  Leandri,  et  par  le  porcher  Bursica.  Le  vieux  et  pieux  ermite  conjure 
ardemment  alors  l'aïeule,  au  nom  du  Dieu  depitié,  défaire  trêve  à  son  ressentiment  et  de 
prononcer  la  parole  qui  réconciliera  les  Fabiani  et  les  Pietra-Nera. 

C'est  en  vain.  Isolée  et  farouche,  la  vieille  Nunciata  ne  laisse  pas  tomber  le  mot 
libérateur  des  haines.  Lugubres  et  menaçants  les  deux  partis  se.  dispersent  et  dispa- 
raissent,  oppressés  par  la  fatalité  qui  de  nouveau  pèsera  sur  eux. 

Seuls,  Tebaldo  et  Margarita  se  sourient  avec  amour  et  se  quittent  avec 
l'espérance  de  se  joindre  bientôt,  tandis  que  le  vieil  ermite  rentre  tristement  en  sa 
demeure. 

Au  second  acte  nous  sommes  à  la  ferme  de  Nunciata.  Leandri,  son  petit-fils,  n'a 
pas  reparu,  et  Vanina  sa  sœur  s'en  inquiète.  Soudain  l'on  entend  au  loin  de  sinistres 
rumeurs.  Et  voici  que,  parmi  des  chants  attristés,  les  serviteurs  apportent  sur  un 
brancard  le  corps  de  Leandri,  frappé  à  mort  par  une  balle  de  Tebaldo. 

La  vieille  Nunciata,  l'ancêtre,  attirée  par  ces  cris,  s'avance,  tâtonnante.  Ses 
mains  d'aveugle  palpent  un  corps  rigide.  Elle  a  reconnu  les  traits,  les  membres  de 
son  fils,  et  la  voici  qui,  le  désespoir  au  cœur,  profère  le  vocero  du  fils  aimé  tendre- 
ment, du  fils  bon,  vaillant  et  doux  qu'ils  luî  ont  tué.  Enfin  parvenant  à  dominer  sa 
douleur,  d'une  voix  farouche  elle  proclame  la  vengeance  et  la  guerre  aux  Piétra-Nera  ; 
une  clameur  de  haine  accueille  ces  paroles.  Et  l'aïeule  alors,  trop  vieille  pour  venger 
la  mort,  se  tourne  vers  Vanina  ;  c'est  à  elle  qu'incombera  ce  devoir  redoutable  et 
sacré.  C'est  elle  qui  frappera  les  Fabiani. 

Tremblante  d'horreur,  Vanina  se  voit  forcée  de  jurer.  Et  l'homme  qu'elle  assume 
de  tuer,  c'est  Tebaldo.  celui  qu'elle  aime. 

Le  troisième  acte  s'ouvre  sur  un  riant  paysage,  une  colline  ensoleillée,  non  loin 
d'une  chapelle,  et  d'où  l'on  aperçoit  au  loin  la  mer  et  les  monts  irisés  des  diaprures  du 
levant.  En  ce  site  apparaissent  Tebaldo  et  Margarita,  dont  Raphaël  l'ermite  va  bientôt 
bénir  l'union  et  qui  fuiront  la  Corse  pour  cacher  leur  bonheur  sous  d'autres  cieux. 
Survient  Vanina,  inquiète  et  frémissante  et  qui  se  reproche  comme  un  crime  de  faiblir 
devant  la  tâche  affreuse  qu'elle  s'est  imposée.  Bursica  le  porcher,  qui  voit  ses  hésita- 
tions, lui  laisse  à  dessein  son  fusil  chargé.  Nunciata  entre  à  son  tour.  Et  voici  qu'au 
haut  du  chemin  sortent  de  la  chapelle,  Tebaldo  et  Margarita  enivrés  de  jeunesse, 
d'amour  et  d'espoir.  A  cette  vue  Vanina  sent  la  haine  et  le  désespoir  gonfler  son  cœur, 
Elle  se  précipite,  elle  va  décharger  son  arme,  mais  elle  hésite  :  Qu'attends-tu  donc,  lui 
crie  éperdument  l'aïeule  ?  «Je  ne  puis  pas  le  tuer,  répond  Vanina...  je  l'aime  ».  Et 
son  bras  retombe  inerte  :  «  Infâme  parjure,  s'écrie  Nunciata  !  C'est  donc  moi  qui  le 
frapperai  ».  A  tâtons  elle  ramasse  le  fusil  et  tente  d'épauler,  puis  elle  tire...  Mais 
Vanina  s'est  précipitée  pour  sauver  Tebaldo.  C'est  elle  qui  reçoit  la  balle  meur- 
trière. Et  tandis  que  l'Ancêtre  s'éloigne  croyant  avoir  fait  justice,  Vanina  expire 
entre  les  bras  du  porcher  attéré  et  qui  reçoit  l'adieu  suprême  du  dernier  rejeton  des 
Fabiani. 

Tel  est  Ce  drame  sobre,  bien  approprié  aux  mœurs  de  la  Corse,  assez  impression- 
nant, et  qui  l'eût  été  davantage  encore  avec  un  peu  plus  de  dextérité  scénique  et  si 
l'auteur  avait  pris  soin  d'insister  sur  la  psychologie  des  personnages.  Telle  qu'elle  est, 
l'action  se  borne  à  une  succession  de  scènes  rapides  et  ne  laisse  point  assez  de  part 
aux  caractères. 

OLuoi  qu'il  en  soit,  la  partition  de  Saint-Saëns  reste  de  tous  points  intéressante,  et 
les  deux  premiers  actes  sont  parfaitement  admirables. 


—   206   — 

Le  premier  acte  débute  par  un  beau  récitatif  de  l'ermite  Raphaël.  Il  faut  citer  éga- 
lement le  frais  et  gracieux  duo  de  Tebaldo  et  Margarita,  délicatement  orchestré  ;  puis 
la  magnifique  scène  d'ensemble  où  l'ermite  adjure  l'Ancêtre,  parmi  les  supplications 
du  chœur. 

A  l'acte  II  nous  signalerons  le  récitatif  émouvant  de  Vanina,  par  quoi  s'ouvre  la 
première  scène,  puis  le  morceau  capital,  le  vocero  de  l'Ancêtre  Nunciata,  d'accents  tra- 
giques et  d'une  noblesse  déchirante.  Enfin  l'ensemble  fortement  rythmé  qui  termine 
l'acte. 

Le  dernier  acte  comprend  un  joli  chœur  de  femmes  suivi  d'un  trio  d'une  facture 
élégante  et  chanté  par  Raphaël,  Tebaldo  et  Margarita.  A  noter  enfin  l'exquis  chant 
d'espoir  et  de  joie  des  deux  jeunes  époux,  auxquels  viennent  ensuite  se  joindre  pour 
former  quatuor,  les  imprécations  de  Nunciata  et  de  Vanina.  Et  tandis  que  cette  der- 
nière expire,  l'œuvre  s'achève  en  laissant  entendre  le  thème  du  chant  d'amour  à  l'or- 
chestre. 

Il  serait  superflu  de  dire  que  Saint-Saëns  a  déployé  dans  cette  partition  les  iné- 
puisables ressources  de  sa  science  et  de  son  imagination  musicales.  C'est  à  quoi  nous 
nous  attendions.  Mais  j'estime  qu'en  outre  il  fait  œuvre  superbe  de  dramaturge,  et 
qu'il  a  su  invoquer  en  grand  artiste  l'atmosphère  fatale  et  pathétique  du  poème. 

Enfin  l'on  ne  saurait  assez  admirer  combien  le  maître  a  su  dans  son  nouvel  ou- 
vrage prouver  une  fois  de  plus  de  quelle  façon  l'on  peut  concilier  les  besoins  de  la 
scène  avec  ceux  de  la  musique  pure  :  tout  y  est  rythmique  et  enchaîné  avec  une 
logique  supérieure  comme  un  beau  discours  ordonne  par  un  parfait  orateur. 

Voici  vraiment  une  œuvre  d'un  fécond  enseignement  pour  ceux  qui  croient  de- 
voir se  passer  d'ordonnance  :  V Ancêtre  a  la  beauté  d'une  œuvre  classique  jointe  à  la 
véhémence  d'un  ouvrage  moderne.  Mais  cette  véhémence  est  trop  mesurée,  trop  interne 
peut-être  pour  être  pleinement  sentie  par  le  public  habituel  des  théâtres  lyriques. 
C'est  ce  qui  fait  croire  et  dire  à  certains  que  Saint-Saëns  est  peu  dramatique  et  nous 
entendîmes  également  formuler  cette  opinion  par  certains  spectateurs  de  VAncctre. 

L'interprétation  est  dans  son  ensemble  fort  remarquable. 

Mme  Litvinne  a  composé  en  tragédienne  lyrique  de  premier  ordre  le  rôle  de  la 
vieille  et  terrible  Nunciata;  elle  a  dit  d'une  voix  impressionnante  et  puissamment  tim- 
brée le  vocero  du  deuxième  acte.  Mme  Farrar  a  de  la  grâce  et  du  charme  dans  Mar- 
garita ;  c'est  de  plus  une  satisfaction  musicale  sans  mélange  que  d'écouter  la  voix 
délicieusement  pure  et  le  style  impeccable  de  cette  jeune  et  parfaite  cantatrice. 
M.  Rousselière  fait  valoir  avec  aisance  sa  généreuse  voix  de  ténor  dans  le  rôle  du 
jeune  officier  Tebaldo.  Le  personnage  de  l'ermite  Raphaël  a  été  chanté  par  l'artiste 
qu'est  Renaud  avec  une  science  achevée  de  la  diction  lyrique  et  composé  avec  sa 
recherche  et  sa  conscience  habituelles.  C'est  une  intéressante  création  de  plus  à 
l'actif  de  l'éminent  chanteur.  Mme  Charbonnel  (Vanina)  possède  un  mezzo  bien 
timbré,  mais  elle  manqua  d'expérience  scénique  et  pour  cette  raison  ne  sut  point  tirer 
de  son  rôle  tout  l'effet  qu'il  devrait  comporter.  Dans  le  personnage,  d'ailleurs  épisodi- 
que,  du  porcher  Bursica,  M.  Lequin  ne  nous  sembla  point  suffisant. 

Les  chœurs,  excellemment  stylés,  ont  rendu  sans  une  défaillance  la  part  impor- 
tante qui  leur  est  confiée  dans  cette  partition.  Il  en  fut  de  même  pour  l'orchestre,  vrai- 
ment parfait  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin. 

Les  décors,  signés  Visconti,  sont  tout  à  fait  bien,  surtout  celui  du  troisième  j 
acte,  véritable  œuvre  d'art  par  le  sentiment,  la  composition  et  la  poésie  de  la  lu-  } 
mière.  { 

Alfred  MORTIER. 


—  207  — 

LES  Giîan'ûs  eoncEiîTS 


Concerts  Colonne  et  Lamoureux 

M.  Chevillard  ne  donnant  plus  que  du  Beethoven,  depuis  trois  semaines,  ma 
tâche  aujourd'hui  sera  brève.  De  la  séance  du  25  février,  ouverte  par  une  belle  exécu- 
tion de  la  Deuxième  Symphonie  de  Schumann,  et  clôturée  par  les  Nocturnes  de  Debussy 
et  par  la  sélection  classique  des  Maîtres  Chanteurs,  nous  n'aurons  à  retenir  que  la  pre- 
mière audition  d'un  entracte  symphonique  de  M.  Auzende,  pièce  trop  brève  pour  qu'il 
me  soit  possible  de  formuler  à  son  sujet  la  moindre  impression  et  le  Concerto  pour 
violoncelle  de  Haydn,  joué  par  M.  Pablo  Casais.  M.  Casais  est  un  merveilleux  artiste. 
chéri  de  tous  les  musiciens.  Ce  jour-là  l'extrême  chaleur  qu'il  faisait  dans  la  salle, 
l'œuvre  jouée,  assez  gauche  à  ce  qu'il  semble,  ou  quelque  autre  condition  extrinsèque 
l'ont-elles  desservi?  Toujours  est-il  que,  s'il  fut  acclamé  comme  d'ordinaire,  il  joua 
moins  bien  que  de  coutume.  Son  instrument  sifflait,  le  son  était  maigre,  parfois  même 
douteux  et  je  n'ai  pu  m'empêcher  de  dire  à  un  voisin  que  je  ne  connaissais  pas  :  «  )e 
vous  en  prie.  Monsieur,  si  vous  ne  connaissez  pas  Casais,  ne  le  jugez  pas  sur  cette  au- 
dition !  »...  Jeme  demande  aussi,  avec  toute  la  respectueuse  admiration  qui  s'attache 
à  un  tel  artiste,  si  la  recherche  du  style  et  du  sentiment  ne  risque  pas,  en  devenant 
trop  prépondérante,  de  s'exercer  au  détriment  de  la  beauté  du  son.  Voici  plusieurs  fois 
que  je  crois  m'en  apercevoir  et  justement  chez  les  musiciens,  chanteurs  ou  instru- 
mentistes, dont  les  tendances  sont  les  plus  hautes.  En  voulant  trop  bien  faire,  il  leur 
arrive  parfois  de  sacrifier  la  simple  beauté  sonore  à  la  profondeur  du  sentiment. 

J'aime  tout  de  même  mieux  cet  excès,  que  l'excès  contraire  des  virtuoses,  celui, 
par  exemple  de  Mme  Schumann-Heink,  virtuose  du  gosier,  entendue  au  Chàtelet  ces 
deux  derniers  dimanches.  Oh  !  l'air  de  la  clémence  de  Titus,  assommant  et  faux  encore 
que  de  Mozart,  chanté  par  cette  brave  dame!...  Et  dire  que  le  public  jubile  parce 
qu'elle  saute,  avec  un  air  de  dire  :  »  voyez  si  je  chante  bien  !  »  des  vocalises  aiguës 
flûtées  sans  cerveau  et  sans  cœur  aux  notes  de  gorge  barytonnées  sans  esprit  et  sans 
âme.  Ah  !  si  elle  était  française  comme  on  lui  reprocherait  ce  bluff,  ce  mauvais  goût, 
cette  affectation  et  cette  autorité  toute  mécanique.  Mais  quoi  !  ellle  est  allemande  et 
chacun  délire. 

Comme  nouveauté,  M.  Colonne  nous  a  fait  entendre,  le  4  mars,  avec  l'ardente 
effusion  qui  lui  est  propre,  une  page  symphonique  de  M.  Emile  Trépard  :  U Angélus, 
que  j'ai  vivement  goûtée.  Si  le  début  de  cette  œuvre,  symbolisant  le  désespoir  et  les 
blasphèmes  d'un  amant  trahi,  est  d'une  exaltation  à  la  Charpentier,  un  peu  bruyante  et 
extérieure,  la  minute  où  le  son  des  cloches  lointaines  et  le  calme  du  soir  apaisent  ce 
pauvre  poète,  m'a  paru  tout  à  fait  exquise.  11  y  a  là,  délicatement  ponctuée  de  deux 
notes  obtinées  de  harpe,  une  lente  et  claire  et  prenante  mélodie  des  cordes  qui  enve- 
loppe, touche  et  pénètre.  Une  longue  et  belle  et  simple  mélodie,  quelle  délicieuse  oasis 
dans  la  musique  contemporaine  !  et  que  c'est  bon  un  artiste  assez  naïf  pour  nous  bercer 
d'une  belle  phrase  qui  part  du  cœur  et  s'adresse  au  cœur  tout  bêtement  !  J'aimerais 
qu'on  nous  rejouât  V Angélus  de  M.  Trépard. 

Et  puisque  nous  en  sommes  à  ce  concert,  oserais-je  dire  aussi  le  grand,  le  très 
grand  plaisir  que  j'eus  à  réentendre,  merveilleusement  enlevée  par  les  musiciens  du 
coin  du  quai,  l'ouverture  de  Phèdre  de  Massenet.  Dites  que  c'est  roublard,  d'une  élé- 
vation médiocre,  d'un  style  un  peu  plat,  tout  ce  qu'on  voudra.  C'est  chaud,  ça  vit, 
ça  palpite!  c'est  un  cœur  qui  vibre  et  qui  chante,  et  que  diable  !  c'est  ça  la  musique 
après  tout  !  Jean  d'Udiné. 


—  3o8  — 

Dimanche,  4  heures. 
Je  sors  du  Châtelet,  délicieusement  ému  par  deux  fragments  de  la  Rapsodie  norvé- 
gienne deLalo.  Ah  \  l'exquisesymphoniepure,  claire,  transparente,  si  généreuse  de  rythme 
et  si  riche  de  tons  dans  sa  coloration  blanche  et  bleue  !  et  que  M.  Colonne  joue  donc 
cela  prodigieusement  bien  !  Vive  la  musique  française  !  Nous  venons  aussi  d'entendre 
quelques  pages  nouvelles  doublement  de  chez  nous,  par  leur  forme  et  par  leur  sujet  : 
je  veux  dire  les  trois  entractes  des  Girondins  de  M.  Le  Borne,  Ils  m'ont  plu  infiniment  ; 
c'est  sobre,  presque  austère,  comme  le  caractère  des  héros  de  la  Révolution,  d'une 
couleur  locale  absolument  juste,  d'une  brutalité  concise,  et  d'un  sentiment  tragique 
parfaitement  approprié  à  la  terrible  et  grande  époque  dépeinte  dans  ces  fragments 
d'orchestre.  Le  premier  des  préludes  (celui  du  quatrième  acte)  la  Mort,  est  traversée  de 
sombres  fragments  de  Marseillaise  conservant  toute  la  noblesse  de  cet  hymne,  en  dépit 
de  sa  funèbre  transposition  aux  instruments  à  vent  les  plus  graves,  le  second  (celui  du 
troisième  acte),  la  Patrie,  paraphrase  le  chant  de  Rouget  de  l'isle  «  Mourir  pour  la 
patrie  »  avec  une  parfaite  compréhension  de  l'esprit  et  de  l'émotion  propre  aux  vieilles 
mélodies  françaises,  l'enrichissant  d'harmonies  toutes  modernes  sans  altérer  sa  sensi- 
bilité un  peu  archaïque,  et  le  troisième  (celui  du  deuxième  acte),  la  Terreur,  d'une 
violence  d'autant  plus  impressionnante  qu'elle  est  plus  concentrée,  où  le  «  Ça  ira  » 
adroitement  introduit  met  son  éclaboussure  criminelle  sur  la  souffrance  des  grands 
cœurs  épris  de  liberté.  Le  tout  est  net,  discret,  avec  l'élégance  un  peu  froide  du 
temps  et  remarquablement  intelligent.  Le  public  n'a  semblé  rien  comprendre  à  cette 
évocation  de  notre  grande  épopée  nationale,  et  a  ménagé  tous  ses  bravos  pour  la  can- 
tatrice allemande  ci-dessusdénommée,  à  la  vocalité  impeccable,  dépourvue  totalement 
d'âme,  de  distinction  et  de  sincérité.  Et  c'est  à  désespérer  d'écrire  désormais  pour 
lui  quoi  que  ce  soit  de  probe,  de  direct  et  de  réservé.  Heureusement  le  temps  remet 
les  choses  au  point,  et  conserve  les  belles  œuvres  plus  longtemps  que  les  interprètes 
à  succès  !  J.  d'U. 

Concerts  du  Conservatoire 

>     !  ,     I  ■       I     J  I  .   I    ».      I       1,11  i  I 

Nous  ne  saurions  assez  louer  M.  Marty  de  la  maîtrise  avec  laquelle  il  conduisit  la 
5j^m^Jbo«îV  de  Franck.  Il  semble  difficile  d'associer  plus  étroitement  et  à  un  plus  haut 
degré  la  précision  scrupuleuse  de  l'exécution  avec  la  pénétration  vivante,  intime  et 
profonde  d'une  œuvre,  —  L'angoisse  étreignante  du  lento  initial,  la  reprise  grandiose 
du  premier  thème  en  forme  de  canon,  la  richesse  incomparable  des  harmonies  de 
l'allégretto,  l'émotion  douloureuse,  l'espoir  secret  et  grandissant,  l'enthousiasme  final 
qui  magnifie  la  conclusion  si  puissante  et  si  affirmative,  tout  cela  fut  rendu  avec  une 
justesse  et  une  intensité  d'expression  qui  font  le  plus  grand  honneur  à  la  direction 
magistrale  de  M.  Marty,  comme  à  l'intelligence,  à  la  souplesse  et  à  l'homogénéité  dç 
l'orchestre. 

M.  Paul  Locard faisait  récemment  remarquer  dans  ces  pages  qu'il  ne  devrait  pas  y 
avoir  une  sorte  d'incompatibilité  entre  l'éclectisme  d'un  programme,  et  l'art  de  tran- 
sition. Combien  opportune  nous  apparaît  cette  observation  dès  les  premières  mesures 
delà  Lyre  et  la  Harpe  de  M.  Saint-Saëns.  Nous  subissions  encore  le  charme  de  César 
Franck,  et  ce  fut  une  impression  singulière  que  la  phrase  païenne  des  cordes  et  des 
harpes  venant  se  mêler  dans  notre  oreille  aux  échos  non  encore  éteints  de 
l'admirable  symphonie. 

Cet  oratorio,  le  dernier  sorti  de  la  plume  de  M.  Saint-Saëns,  —  il  date  de  1879, 
—  nous  paraît  sensiblement  inférieur  à  ses  aînés,  notamment  à  celui  de  Noël  et  au 
Déluge.  Tout  le  monde  se  souvient  du  poème  de  Victor  Hugo.  La  Harpe  célèbre  l'idéal 


chrétien  alors  que  la  Lyre  chante  les  voluptés  païennes.  Mais,  dans  la  vision  du  poète, 
la  pureté  chrétienne  et  la  beauté  païenne  ne  sont  que  les  deux  formes  d'un  principe 
éternel,  les  deux  colonnes,  différentes  semble-t-il,  mais  également  puissantes,  dressées 
toutes  deux  vers  l'unique  et  impérieux  fronton  du  temple  de  la  Divinité.  —  Sur  les 
strophes  du  poème,  M.  Saint-Saëns  écrivit  des  pages  inégales.  Toutefois,  si  certain 
rythme  d'allure  espagnole  semble  au  moins  curieux  et  inattendu,  si  l'accent  général 
affecte  une  forme  bien  extérieure  et  convenue,  il  faut  reconnaître  la  souplesse  et  le 
charme  de  lignes  mélodiques  comme  celle  de  la  première  strophe  qui  réapparaît  çà  et 
là  au  cours  de  l'œuvre,  la  belle  unité  de  la  fugue  en  mi  bémol  construite  sur  les  vers 
y^a,  l'Olympe  est  né  du  Parnasse,  —  Les  Poètes  ont  fait  les  dieux  !  »  çt  la  chapson  de  la 
Lyre  :  <<  Jouis,  c'est  unflcuve  des  ombres...  »  d'accent  passionné,  à  la  joie  âpre,  au  rythme 
étincelant,  que  M.  Delmas  interpréta  avec  son  habituelle  autorité  et  qu'il  dut  bisser  aux 
applaudissements  des  auditeurs.  JVllles  Demougeot  et  Lacombe  ainsi  que  M.  Cazeneuve 
furent  avec  lui  les  distingués  interprêtes  de  l'œuvre. 

Le  concert  comprenait  encore  la  belle  et  vigoureuse  ouverture  de  Ruy  Blas  de 
Mendelssohn  dirigé?  et  exécutée  de  façon  tout  à  fait  remarquable. 

Edouard  Schnpider. 


LA    QUINZAINE   MUSICALE 


Société  Philharmonique,  —  Il  y  eut  quelque  déception  lorsqu'en  arrivant  rue 
d'Athènes  on  apprit  que  le  célèbre  quatuor  Rosé  de  Vienne,  manquant  à  ses  engage- 
ments, ne  prêtait  pas  son  concours  au  douzième  concert.  Je  fus  de  ceux  qui  le  regret- 
taient, car  j'avais  en  d'autres  temps  apprécié  la  haute  valeur  artistique  de  cette  compa- 
gnie un  peu  lâcheuse  à  l'occasion.  Mais  je  m'en  consolai,  quand  je  vis  inscrite  au  nou- 
veau programme  une  œuvre  française,  le  Quatuor  à  cordes  de  César  Franck,  que  le  qua- 
tuor Geloso,  Monteux,  Bloch,  Tergis  exécuta  d'excellente  façon,  surtout  le  Scherzo  vi- 
vace  et  le  Larghetto.  Malgré  toute  l'admiration  que  je  professe  pour  le  maître,  je  ne 
puis  m'empêcher  de  trouver  \e  finale  un  peu  long.  Les  mêmes  formules  y  sont  trop  ré- 
pétées. Le  Quatuor  en  la  mineur  n"  i  de  Schumann  terminait  le  concert.  Mrne  Gaër 
tanç  Viçq  chanta  d'une  voix  sûre  au  timbre  chaud  et  joli  et  avec  un  art  charmant  des 
mélodies  de  Haendel,  Mozart,  Pergolèse,  Grieg,  la  si  touchante  Chanson  triste  de  Du- 
parç  et  la  Princesse  endormie  de  Borodine  aux  mystérieuses  harmonies.  Mme  Gaëtane 
Viçq  y  fut  très  applaudie  et  dut  bisser  O  Santissima,  chant  populaire  toscan  avec  leque} 
\\  nip  paraît  plus  facile  de  danser  que  de  prier. 

Victor  Debay. 

Oonoerts  Le  Rey.  — ■  Le  dernier  concert  de  février  était  consacré  à  la  deu?:ième 
audition  de  la  Mégère  apprivoisée  de  M.  Le  Rey,  dont  nous  avons  rendu  compte  dans  le 
dernier  numéro,  et  d'un  Concerto  de  M.  Mozkowski  très  bien  construit,  et  brillamment 
exécuté  par  M.  Dumesnil. 

Mozart  et  Beethoven  faisaient  les  frais  du  programme  du  4  mars.  M.  Le  Rey  avait 
choisi  des  fragments  célèbres  de  la  Flûte  Enchantée  ;  ceux-ci  nous  parurent  un  peu 
longs  par  la  faute,  sans  doute,  de  l'allure  trop  lente  donnée  aux  mouvements.  Signalons 
parmi  les  interprètes,  M.  Mary,  qui  possède  une  très  bonne  voix,  et  aussi  Mlle  Andrée 
Loreç.  Si  l'exécution  de  la  Flûte  fut  inégale,  celle  de  la  Cinquième  Symphonie  fut  en 
revanche  très  honorable,  —  la  meilleure,  à  notre  avis,  que  M-  Le  Rey  nous  ait  fait  en- 
tendre jusqu'ici.  Nous  aurions  souhaité  peut-être  plus  de  précision  dans  Vallegro  vivace, 
mais  le  scher:[o  et  le  final  furent  enlevés  dans  un  juste  sentiment,  avec  un  bon  ensemble 
et  même  avec  une  animation  et  une  chaleur  inaccoutumées. 

Edouard  Schneider, 


2IO    — 

Société  Nationale.  —  Il  soufflait  sur  le  concert  du  3  mar?.  un  «  vent  nouveau  W, 
pourrait-on  dire  :  celui  des  flûtes,  hautbois,  clarinettes,  cors  et  bassons  de  la  Société 
Moderne.  Personne  ne  s'est  plaint  de  ce  ((  courant  d'air  »,  artistiquement  mis  en  œuvre 
par  M.  de  Wailly,  dans  un  Ottetto  des  plus  pittoresques,  qui  mérite  des  éloges  pour  sa 
grande  clarté  et  son  écriture  impeccable.  \^' Aubade  {en  trio)  a  particulièrement  plu  par 
sa  grâce  archaïque  de  bon  aloi.  Seul,  le  Final  apparaissait  un  peu  long  et  trop  voisin 
des  classiques  ballets. 

Les  mêmes  «  Petits  Vents  »,  comme  on  les  appelle  familièrement,  nous  ont  fait 
entendre  les  Chansons  et  Danses  de  Vincent  d'Indy  ;  on  connaît  déjà  la  saveur  si  origi- 
nale et  spirituelle  de  cette  «  boutade  »  du  maître,  à  l'interprétation  de  laquelle  furent 
apportés  tout  l'esprit  et  toute  l'exactitude  désirables. 

Les  trois  mélodies  de  M.  Mariotte  semblent  garder,  sauf  peut-être  la  première  inti- 
tulée Douceur,  la  caractéristique  de  désespérance  un  peu  amère,  chère  à  l'auteur  ;  cette 
réflexion,  qui  n'est  nullement  une  critique,  s'adresse  aussi  bien  au  choix  des  poèmes  • 
un  Calvaire  et  un  Frisson  d'Atitomne  comportèrent  bien  une  telle  musique,  très  fine- 
ment chantée  par  Mlle  Delph. 

Les  Chants  de  la  Jungle,  du  distingué  collaborateur  du  Courrier  Musical,  Jean 
d'Udine,  ont  eu  en  M.  Jan  Reder  un  interprète  de  premier  ordre.  Cette  œuvre,  toute 
de  spontanéité  et  d'impression,  par  où  peut-être  elle  touche  un  peu  aux  formes  chères  à 
Schubert,  est  avant  tout  claire,  simple  et  par  suite  aisément  pénétrable  :  il  semble  que 
les  âpres  et  puissantes  poésies  de  Rudyard  Kipling  réclameraient  encore  quelque  chose 
de  plus. 

M.  Ricardo  Vinès  a  mis  toutes  les  ressources  de  son  très  remarquable  talent  au 
service  d'œuvres  tellement  inégales,  qu'il  convient  de  séparer  nettement  les  éloges  dus 
au  virtuose  du  jugement  à  porter  sur  ces  diverses  compositions. 

Les  Images  de  M.  Debussy  constituent  un  amusement  charmant,  comparable  aux 
tours  d'adresse  d'un  habile  prestidigitateur...  parfois  même  il  s'y  rencontre  de  la 
musique. 

On  n'en  saurait  dire  autant  de  \a  Sonate  de  Schulhoff...  pardon  !  de  Balakircff,  ou, 
sauf  quelques  jolis  traits,  beaucoup  mieux  employés  par  Chopin  avant  lui,  il  n'y  a  rien 
de  plus  que  dans  les  Ketterer,  Quidant,  Kalbrenner  et  autres  industriels,  qui  achalan- 
daient  les  boutiques  d'édition  vers  1830. 

A.  Sérieyx. 

Quatuor  Parent.  —  Des  quatre  numéros  qui  composaient  le  programme 
du  23  février,  le  premier  nous  parut  quelque  peu  long  ;  le  quatuor  71°  y,  écrit  à  quinze 
ans  ne  présente,  en  effet,  qu'un  intérêt  historique.  Mlle  Andrée  Gellée  exécuta  très 
joliment  les  Sept  Bagatelles,  op.  jy,  et  apporta  à  l'exécution  de  la  Sonate,  op.  sSi 
ï Aurore,  un  art  parfait,  un  charme  très  vif  et  une  réelle  puissance.  MM.  Parent, 
Vieux  et  Fournier  interprétèrent  avec  beaucoup  d'éclat,  de  largeur  et  de  grâce  égale- 
ment le  Trio  poiir  violon,  alto  et  violoncelle  n"  2  op.  9  n°  i  qui  compte  parmi  l'un  des 
plus  beaux  qu'ait  écrit  le  maître. 

La  première  séance  de  mars  était  réservée  à  la  musique  moderne.  C'est  toujours 
une  joie  nouvelle  d'entendre  le  Quatuor  de  Chausson  et  les  richesses  de  sa  délicate 
sensibilité,  de  sa  fantaisie  si  pure  et  si  personnelle,  de  son  âme  enveloppante  et  rêveuse, 
qui  en  font  un  des  plus  beaux  quatuors  de  la  musique  moderne.  Mlle  Dron,  MM.  Pa- 
rent, Vieux  et  Fournier  lui  apportèrent  toute  l'ardeur  et  toute  la  perfection  souhaitées; 
ce  fut  une  excellente  exécution.  Que  dire  des  mélodies  de  Mlle  Corbin  sinon  qu'elles  sont 
très  jolies  et  habiles  pastiches  de  Debussy  ?  Mme  Fournier  de  Noce  qui  les  chantait 
nous  fit  entendre  également  deux  chansons  d'Alfred  Bruneau,  C'est  l'amour  qui  tombe 
et  la  Ronde  de  Marguerite,  exquises  de  simplicité  et  de  franche  couleur  populaire  ;  elle 
les  interpréta  de  façon  tout  à  fait  charmante.  Mlle  Dron  et  M.  Parent  nous  donnaient 
encore  l'intéressante  Sonate  de  M.  Vreuls  à  laquelle  viennent  se  mêler  parfois  des 
souvenirs  de  Franck  et  de  Lekeu.  Enfin  M.  Ricardo  Vinès  essaya  pendant  près  d'une 
demi-heure  de  nous  intéresser  aux  dernières  pièces  pour  piano  de  M.  Ravel,  Miroirs, 
ce  à  quoi,    malgré    son    merveilleux    talent,  il  ne  put  parvenir.  Aucune  des  qualités  du 


fl 


quatuor  de  M.  Ravel  ne  se  retrouve  dans  ces  pièces  incohérentes  d'où  semble  exclue 
toute  musicalité.  Ce  sont  des  galvaudages  de  tierces  et  de  quintes,  d'innombrables  et 
inutiles  traits  qui  jaillissent  du  grave  à  l'aigu  ou  de  l'aigu  au  grave  du  clavier  comme 
autant  de  jets  d'eau  redoutables  et  intempestifs.  Qu'il  s'agisse  de  Nocluelles.  d'Oiseaux 
Tristes,  d'Une  barque  sur  l'Océan,  c'est  toujours  le  même  et  inintelligible  balbutiement 
de  notes,  le  même  bégaiement  sans  fin  qui.  à  la  longue  devient  exaspérant.  Mettons  à 
part  VAlborada  dcl  gracioso  qui  rappelle  singulièrement  une  pièce  d'Albeniz  et  qui 
eut  l'heur  de  faire  sourire  les  grosses  dames  ainsi  que  me  le  fit  remarquer  un  voisin 
très  versé  dans  l'expérimentation  psycho-physiologique.  N'est-il  pas  regrettable  de  voir 
M.  Ravel  s'attarder  à  des  amusements  qui  ne  sauraient  retenir  l'attention  que  de  quel- 
ques dilettantes  fatigués. 

Edouard  Schneider, 


CONCERTS  DIVERS 


Concerts  Clémandh.  —  Il  est  utile,  aux  concerts  Clémandh,  de  se  munir  du  pro- 
gramme de  la  dernière  heure,  sans  quoi,  sur  la  foi  de  l'affiche,  on  risquerait  de  prendre 
le  Prélude  et  Cortège  de  Déjanire  de  Saint-Saëns  pour  la  symphonie  de  M.  Lefèvre- 
Dérode  annoncée  et  non  jouée  et  le  Prélude  de  Rédemption  pour  Espana  de  Chabrier, 
comme  le  fit  une  de  nos  voisines.  De  ce  dernier  concert  nous  n'avons  guère  retenu  que 
le  concerto  pour  trois  violons  de  Vivaldi  dont  l'adagio  est  une  page  délicieuse,  trop 
arrangé  peut-être  par  M.  Alberto  Bachmann  qui  le  jouait  avec  M.  Defay  et  Mlle  L. 
Adam.  Un  Intermezzo  symplionique  'première  audition)  de  M.  V.  Lebailly  ne  mérite 
que  d'être  mentionné.  Dans  la  Danse  des  Sorcières  de  Paganini,  M.  Alberto  Bachmann 
déploya  une  virtuosité  qu'on  ne  peut  que  déplorer  lorsqu'on  la  voit  servir  à  un  usage 
aussi  inutile.  En  s'attaquant  au  Prélude  de  Rédemption,  l'orchestre  de  M.  Clémandh 
témoigna  d'une  belle  audace,  mais  le  succès  ne  répondit  pas  à  son  effort.  Il  le  devra  lon- 
guement travailler  et  mûrir  avant  de  le  remettre  à  son  programme.  Espana  lui  aurait 
mieux  réussi.  V.  D. 

Le  i"  mars,  M.  Tournemire  dirigeait  une  partie  de  sa  Symphonie. 

M.  Tournemire  n'utilise  pas  l'immense  vacarme  orchestral  que  les  modernes  com- 
positeurs ont  à  leur  disposition,  sa  musique  reste  toujours  agréable  et  ne  devient 
jamais  assourdissante. 

Mlle  Grégoire  a  délicatement  chanté  le  Chant  de  ma  mère,  le  premier  chant  entendu 
et  oublié,  celui  qui  a  bercé  nos  premiers  rêves,  la  douce  chanson  envolée,  le  relrain  mort 
dont  il  ne  reste  plus  rien  qu'un  souvenir  et  qu'un  regret. 

Dans  ses  Cloches  de  Pâques,  M.  Tournemire  a  mis  de  la  lumière,  de  la  vie,  on  se 
trouve  dans  un  sentier  ensoleillé,  les  roses  s'ouvrent  et  les  cloches  prient  ! 

Il  y  a  beaucoup  de  pianistes  ;  il  y  en  a  peu  comme  Augieras.  Pierre  Augieras  est 
endiablé.  Il  ne  casse  pas  le  piano,  mais  le  son  est  large,  puissant,  sonore,  le  rythme 
marqué,  il  a  du  tempérament,  la  lougue  de  sa  jeunesse,  c'est  pour  un  jeu  semblable  que 
Liszt  a  écrit  sa  Fantaisie  hongroise  et  M.  Augieras  y  met  toute  la  fantaisie  et  la  verve 
des  Hongrois  !  M.  G. 

Concerts  Berlioz.  —  La  réouverture  des  Concerts  Berlioz  vient  d'avoir  lieu,  très 
brillamment.  La  salle  tout  à  fait  coquette  ne  demande  certainement  qu'à  recevoir  de 
nombreux  auditeurs  :  avec  un  orchestre  comme  celui  que  dirige  M.  Monteux  et  des  pro- 
grammes composés  avec  le  répertoire  de  nos  grands  concerts,  nul  doute  que  l'entreprise 
artistique  de  M.  Ch.  Wolff  ne  réussisse.  Il  nous  a  été  donné  d'entendre  entre  autres 
œuvres  l'ouverture  de  Léonore  (n"  3)  et  la  Symphonie  de  Franck  ;  elles  ont  été  rendues 
avec  beaucoup  de  soin  et  ont  permis  d'apprécier  un  orchestre  recruté  parmi  les  meilleurs 
instrumentistes  ;  et  à  mesure  que  ces  musiciens  joueront  ensemble,  ce  sera  certaine- 
ment encore  mieux,  c'est-à-dire  parfait.  A    L. 


—   212  — 

Matinées  Luigini.  —  On  a  souvent  dit  qne  la  grâce  et  l'esprit  ne  vieillissent  pas  et 
conservent  toujours  jeune  le  charme  d'un  individu  :  A  ce  titre  Diémer  sera  toujours 
jeune,  jeune  comme  le  Rappel  des  Oiseaux  de  Rameau,  qu'il  détaille  avec  une  légèreté 
étourdissante,  jeune  comme  la  jolie  oeuvre,  La  Source  et  le  Poète  (œuvre  de  vir- 
tuose !)  Et  tandis  que  je  l'écoutais  je  songeais  qu'il  s'y  était  peint  lui-même  avec  son  jeu 
clair,  cristallin,  évoquant  une  source  ruisselante  au  soleil  matinal.  Et  le  poète  c'est  l'ar- 
tiste qui  interprète  la  chanson  de  la  source,  la  voix  de  la  nature. 

M.  Devriès  est  tout  à  fait  le  héros  rêvé  du  «  Cavalier  »,  le  chanteur  des  Dernières 
roses.  Il  en  rend  le  rythme,  la  couleur,  la  poésie  et  c'est  délice  d'entendre  le  vieux  maître 
et  son  jeune  interprète  unir  leurs  talents  dans  l'éternelle  jeunesse  de  l'art  —  même  re- 
marque pour  G.  de  Lausnay  qui  enleva  brillamment  avec  l'auteur,  M.  Diémer,  la  Valse 
de  concert  dont  l'entrain  plût  fort  au  public  ! 

Mme  Doria  a  chanté  les  Cygnes  et  les  Ruisseaux  d'automne  de  L.  Lambert,  mais  les 
murmures  des  ruisseaux  étouffaient  sa  plainte  !  l'accompagnateur  en  faisait  un 
torrent  ! 

Le  quatuor  Soudant  a  mis  toute  la  délicatesse  nécessaire  au  premier  quatuor  de 
Beethoven,  et  à  celui  de  Haydn,  œuvres  délicieuses  qu'on  est  toujours    ravi  d'entendre. 

A  une  autre  matinée,  le  quatuor  Soudaat.ejcécute  fort  joliq:ient  l'andante  du  Qua- 
tuor Tchaïkowski  qui  contient  toute  la  tristesse  des  steppes,  la  mélancolie  uixifûrme 
des  neiges,  la  nostalgie  d'un  soleil  lointain... 

Mme  Ratti-Bonnefoi  se  présente  avec  un  charme  souriant  qui  lui  gagne  tous  les 
cœurs  en  les  dilatant.  Et  comme  elle  a  une  jolie  voix  et  qu'elle  chante  avec  feu,  l'irïipres- 
sion  reste  agréable,  M.  Figean  lui  accompagnait  trois  de  ses  compositions  ;  les  Fugitijfs, 
à  un  Oiseau  et  Aubade. 

Mlle  Marié  de  l'Isle  est  un  bon  gros  chat  qui  miaule  superbement  l'air  de  Ma,rie 
Magdeleine  et  celui  de  Louise.  On  a  beaucoup  applaudi  la  voix  chaude  et  moelleuse  de 
M.  Vieulle  qui  a  chanté  le  poème  ensoleillé  de  Bilitis  et  le  polisson  comico-tragique, 
dernier  amour  de  M,  Trépard.  Quant  à  Gorrien  Ribo  il  prouve  que  le  piano  est 
parfois  un  instrument  de  distraction,  facilitant  la  digestion  et  excitant  la  bonne  humeur 
—  parfois  même  la  conversation.  —  La  musique  espagnole  est  chose  légère  !  !  Tra  la  la 
la.    Au    reste   il  la  joue  avec  entrain  !  M,  G- 

MM.  De  Greef  et  BoucheriT'.  —  Il  n'est  rien  de  nouveau  qu'on  puisse  dire  sur  M. 
de  Greef,  remarquable  autant  par  la  précision  et  la  délicatesse  de  son  jeu  que  par  la  sûreté 
de  son  goût,  on  ne  peut  mieux  jouer  Mozart  qu'il  ne  l'a  lait  dans  la  séance  du  5  mars. 
Les  quatre  Sonates  en  sol  majeur,  en  mi  mineur,  en  la  majeur  et  en  si  bémol  étaient 
au  programme.  La  partie  de  violon  était  tenue  par  M.  BouPherit,  fervent  interprète  au?c 
sons  d'une  rare  beauté  d'expression,  Gabriel  Houchès. 

M.  Francis  Thibaud.  —  Tout  à  fait  sympathique,  Francis  Thibaud  aurait  le  droit 
de  jouer  faux,  sans  mesure,  sans  sonorité,  voire  même  sans  instrument  ;  ce  serait  en- 
core bien,  extrêmement  bien.  11  est  tellement  sympathique,  Francis  Thibaud.  Mais  il 
violoncellise  avec  charme  VElégie  de  Fauré  où  il  est  mélancolique  et  toujours  sympa- 
thique. Il  enjolive  avec  grâce  la  célèbre  Danse  Hongroise  de  Brahms  où  il  est  enjoué  et 
plus  que  jamais  sympathique;  de  même  dans  la  Deuxièine  Sonate  de  Saint-Saëns  où 
Diémer,  au  piano,  étincelle  et  resplendit  autant  que  dans  ses  charmantes  œuvres.  Et 
pour  terminer,  Jacques  «  notre  Jacques  »,  que  nous  avons  connu  plus  ardent,  plus 
illusionné,  en  un  mot  avec  «  le  sourire  »,  enlève  superbement  la  Sonate  à  Kreutzer  avec 
Diémer  qui  lui,  a  conservé  cette  exquise  risette,  malicieuse  un  peu  retenue,  contente. 
Le  succès  est  formidable.  D.  S. 

Intimités  d'Art.  —  Pétrone  se  serait  assis  à  l'aise  dans  l'élégante  petite  salle  de  la 
rue  Royale,  ses  yeux  se  seraient  reposés  avec  satisfaction  sur  Mme  Roger-Miclos,  dont 
la  toilette  s'harmonisait  avec  les  lumières  et  dont  la  ligne  harmonieuse  se  détachait  sur 
le  fond  pâle  de  la  scène. 


—  213   — 

Enesco  contraste  avec  sa  force  sauvage,  la  sauvage  force  de  son  génie,  et  la  Sonate 
dp  Fauré  s'accentua  sous  son  archet  ferme,  sonore  et  passionné. 

M.  Gaubert,  le  flûtiste  célèbre  a  fait  entendre  deux  jolis  poèmes  musicaux  de  sa 
composition  que  Mlle  Demougeot  a  chantés  avec  grâce. 

Truffier  a  récité  des  vers  exquis,  de  Gabriel  Vicaire,  des  vers  charmants  dits  avec 
charme. 

Inutile  de  faire  l'éloge  de  celle  qui  fut  l'âme  de  cette  heure  moderne  française  q(ux 
parut  courte,  c'est-à-dire  d'autant  plus  agréable  !  M.  G. 

Mlle  Henriette  Renié.  —  Il  est  incontestable  que  Mlle  Renié  est  une  des  plus 
brillantes  harpistes  de  l'époque,  car  il  est  difficile  de  réunir  à  un  plus  haut  degré  la 
virtuosité  et  le  charme  dont  elle  fait  preuve.  Le  programme  de  son  dernier  concert  était 
délicatement  composé  :  Un  quatuor  de  Mozart  pour  piano,  violon,  violoncelle  et  harpe, 
des  solis  de  harpe  exécutés  par  la  brillante  virtuose,  une  partie  de  chant  par  la  grande 
cantatrice  Jeanne  Raunay  qui  a  superbement  détaillé  «A  la  bien-aimée  absente»  de 
Beethoven  et  l'air  du  ((  Rouet»  de  la  «  Damnation  de  Faust  ».  Parmi  les  morceaux  les 
plus  applaudis  de  Mlle  Renié  citons  une  «  Fantasia  »  composée  par  son  frère,  le  Capi- 
taine Renié,  qui  est  un  musicien  de  réelle  valeur.  Mlle  Renié  a  dû  bisser  une  «  Arabesque  » 
de  Debussy.  W. 

La  Trompette.  —  Nous  reviendrons  sur  l'ensemble  des  séances  de  cette  société  où 
Ton  entend  les  plus  brillants  artistes  dans  des  programmes  admirablement  com- 
posés. 

M.  BoRCHARD.  —  Dans  différentes  pièces  de  Sçarlatti,  Mozart,  Chopin,  Fauré  et 
Diémer,  M.  Borchard  s'est  révélé  à  la  fois  brillant  virtuose  et  excellent  musicien.  Il  a  su 
traduire  à  merveille  chaque  maître  dans  le  style  qui  convient,  avec  des  nuances  très 
justes  et  de  poétiques  sonorités  ;  toutefois  c'est  dans  Prélude  et  fugue  en  la  mineur  de 
Bach-Liszt,  dans  les  Études  symphoniques  dç  Schumann  et  la  Quinzième  Rhapsodie  dç 
Liszt  qu'il  fut  tout  à  fait  supérieur.  Il  convient  cependant  de  le  prémunir  contre  ynç 
tendance  qui  pourrait,  par  suite  d'exagération,  devenir  un  défaut  :  l'abus  de  la  sono- 
rité, Nous  sommes  convaincus,  du  reste,  que  M.  Borchard  ne  se  laissera  pas  séduire  par 
cette  sorte  d'effet  facile  dont  abusent  tant  de  pianistes  ;  il  nous  a  prouvé  par  ailleurs 
qu'il  était  musicien  de  trop  bonne  race  pour  ne  pas  soigner,  avant  tout,  le  côté  musical 
et  artistique  de  son  interprétation.  De  chaleureux  applaudissements  et  de  nombreux 
rappels  ont  prouvé  à  l'excellent  virtuose  qu'il  avait,  du  premier  coup  et  à  juste  titre, 
conquis  la  faveur  du  public.  A.  B. 

M.  Ch.  Bouvet,  —  La  seconde  séance  de  la  Fondation  J.-S.  Bach  était  consacrée  à 
la  musique  française  aux  xvn"  et  xviii°  siècles. 

Outre  uqe  Sonate  à  trois  de  J.-M,  Leclair  pour  violon,  violoncelle  et  piano  que 
MM.  Ch.  Bouvet,  J,  Jemain  et  Gros  Saint-Ange,  interprétèrent  excellemment.  M.  Ch, 
Bouvet  nous  fit  entendre  deux  sonates  charmantes  et  à  peu  près  inconnues  ;  l'une  de 
P.  Gaviniès,  l'autre  de  Cassanéa  de  Mondonville  ;  la  Gaccia  de  cette  dernière  sonate  ^ 
été  bissée  par  un  auditoire  enthousiasmé. 

Mlle  A.  Vila  a  chanté  avec  style  la  superbe  scène  finale  de  VArmide  de  LulU  et  des 
fragments  de  VOrphée  de  Clérambault  et  du  Dardanus  de  Rameau, 

Une  pièce  de  Dufort  l'aîné,  pour  violoncelle  seul,  a  été  exécutée  par  M-  Gros-Saint-^ 
Ange  avec  charme  et  ampleur,  et  la  ravissante  apothéose  de  Lulli  par  F.  Couperin 
pour  deux  violons,  viole  de  gambe  et  clavecin,  dont  la  Fondation  J.-S.  Bach  avait  donné 
la  première  audition  l'année  dernière,  terminait  allègrement  cette  soirée  qui  fait  grand 
honneur  à  M.  Çh.  Bouvet,  directeur  de  cette  belle  institution.  V. 

Société  modprnp  d'Instruments  a  vent.  -^  Remarqué  particulièrement  à  ce  con- 
cert une  Suite  pour  double  quintette,  de  Georges  Sporck,  très  joliment  exécutée.  Nous 
aurons  occasion  de  revenir  sur  cette  oeuvre  charmante,  d'élégante  facture,  et  qui  ne 
manquera  pas  d'être  souvent  aux  programmes  des  sociétés  d'instruments  à  vent.  Une 


—    214    — 

réduction  pour  piano  nous  paraît  indiquée.  —  Un  fort  enrouement  n'a  pas  permis  à 
Mlle  Luquins  de  faire  comprendre  les  mélodies  de  Woollett  qui  doivent  être  de  l'excel- 
lente musique.  D.  S. 

Mlle  Lucie  Caffaret.  —  C'est  devant  une  très  nombreuse  et  s^'mpathique  assistance 
que  Mlle  Lucie  Caffaret  donnait  le  i"  mars,  à  la  salle  Erard,  son  premier  récital.  On 
sait  que  cette  toute  jeune  pianiste,  à  peine  âgée  de  onze  ans,  obtint  son  premier 
prix  au  dernier  concours  du  Conservatoire.  Aussi  n'est-ce  pas  sans  une  certaine 
défiance  que  nous  attendions  son  apparition  ;  mais  loin  de  nous  apporter  une  déception, 
cette  extraordinaire  enfant  nous  surprit  par  ses  qualités  musicales.  Sans  doute  on  ne 
saurait  lui  demander  ce  que  seul  peut  donner  l'âge,  à  savoir  la  maturité  qu'exigent  les 
grandes  pièces  de  la  littérature  du  piano  ;  mais,  à  défaut  de  cette  maturité  qu'elle  ne 
peut  manquer  d'acquérir,  Mlle  Caffaret  possède  un  art  très  souple  des  nuances,  une 
grande  clarté  de  toucher,  et, chose  étonnante  à  cet  âge,  une  réelle  puissance.  La  Fantai- 
sie et  Fugue  en  sol  viineur  de  Bach-Liszt,  l'allégro  de  la  Sonate  en  ré  majeur  de  Mo- 
zart, V Arabesque  de  Schumann,  et  des  pièces  de  Chopin  furent  jouées  avec  style,  grâce 
et  fantaisie  et  lui  valurent  un  très  vif  succès.  Nous  avons  applaudi  sincèrement  Mlle 
Caffaret  ;  souhaitons-lui  de  ne  pas  se  laisser  arrêter  par  le  succès  toujours  dangereux, 
et  de  développer  de  toute  sa  conscience  d'artiste  les  dons  remarquables  à  elle  dévolus 
par  un  sort  généreux.  .  E.  S. 

M.  Daniel  Herrmann.  —  Le  22  février  et  le  9  mars,  M.  Daniel  Herrmann  que  nous 
avons  applaudi  cet  hiver  à  la  Société  Bach  adonné  deux  séances  consacrées  à  la  musi- 
que française.  Elles  offraient  le  plus  vif  intérêt.  Dans  le  premier  concert,  à  côté  de  M. 
Herrmann  se  sont  fait  entendre  M.  Gabriel  Pierné  {Sonate  pour  piatw  et  violon  et  les 
Trois  Contes  de  Jean  Lorrain  chantés  par  Mlle  Blanc)  et  Mlle  Boutet  de  Monvel  (Sonate 
de  Franck  et  Andante  et  scherzo  du  trio  de  M.  Rabaud  ave  M.  Krauss). 

Le  9  mars,  le  programme  était  consacré  à  M.  Gabriel  Fauré,  Le  maître,  une  fois  de 
plus,  a  remporté  un  triomphe.  Tout  d'abord  la  Sonate,  ensuite  Thème  et  Variations 
interprété  par  M.  Motte-Lacroix.  Mme  Durand-Texte  a  chanté  admirablement  —  il  n'y 
a  pas  d'autre  mot  —  diverses  mélodies  de  Fauré.  Le  premier  Quatuor  terminait  ce 
deuxièm  concert  qui  ne  sera  pas  suivi  d'autres,  nous  le  regrettons  infiniment.  A  ces 
deux  concerts  M.  D.  Herrmann  a  été  l'objet  des  plus  chaleureuses  ovations. 

G.   RouciiÈs. 

L'Union  Instrumentale.  —  Les  lecteurs  du  Courrier  connaissent  déjà  cette  toute 
jeune  Société.  Je  leur  ai  signalé  l'intérêt  qu'elle  présentait.  Je  rappelle  à  ce  propos 
qu'elle  s'adresse  à  tous  les  amateurs  de  bonne  volonté,  désireux  d'exécuter  des  œuvres 
principalement  classiques  (S'adresser  à  M.  Blancher,  secrétaire  général,  2,  place 
du  Théâtre-Français).  M.  et  Mme  Duray-Sohy  ont  bien  voulu  nous  convier,  à 
entendre  l'orchestre  dont  ils  sont  présidents  d'honneur.  Sous  l'habile  direction  de 
M.  Tanron,  les  membres  de  l'Union  ont  joué,  outre  deux  fragments  de  Car?nen,  la 
Sixième  symphonie  de  Haydn  avec  un  ensemble  et  une  sûreté  vraiment  dignes  d'éloge. 
Dans  le  Concerstûck  de  Weber  Mlle  Morin  tenait  la  partie  de  piano  et  dans  la  Fantai- 
sie dialovuée  de  Boëllmann  Mlle  Charlotte  Duray-Sohy  était  à  l'orgue.  Leur  succès  a 
été  des  plus  vifs.  L'exécution  du  deuxième  tableau  du  premier  acte  d'Alceste  a  été  des 
meilleures  avec  Mme  Planés  et  M.  Ch.  Morcl.  De  même  \e  Quatuor  de  VIrato  de  Méhul, 
avec  Mmes  Duray-Sohy  et  Landowski-Messener  et  MM.  Ch.  Morel  et  Ed.  Millot. 
Enfin  Mme  Duray-Sohy  avec  sa  voix  timbrée  et  son  style  impeccable,  a  interprété  ma- 
gistralement la  Cloche  de  Saint-Saëns. 

G.  ROUCHÈS 

M.  Dezso  Lederer..  —  Très  vif  succès  pour  le  remarquable  violoniste  Dezso 
Lederer,  au  concert  qu'il  vient  de  donner  à  la  Salle  Erard.  Dans  différentes  œuvres  de 
Bach,  de  Saint-Saëns  et  de  Max  Bruch,  il  fit  preuve  d"un  mécanisme  et  d'un  sentiment 
que  nous  avons  rarement  rencontrés.  Mlle  Grandjean  et  le  pianiste  Francmesnil  ont 
également  été  chaleureusement  applaudis  au  cours  de  cet  intéressant  concert.  F. 


—  215  — 

Société  de  Musique  de  chambre  pour  instruments  a  vent.  —  Les  deux  pre- 
mières séances  de  la  Société  nous  ont  permis  d'entendre,  à  côté  de  VOctctl  op.  loy  de 
Beethoven,  d'un  octett  également  de  Haydn  et  d'une  sonate  de  Brahms,  —  des  oeuvres 
nouvelles  de  valeur  inégale.  De  la  première  séance  il  convient  de  retenir  un  Nocturne 
pour  double  quintette  à  vent  de  Léon  Moreau,  vraiment  charmant  et  riche  de  jolies  so- 
norités, ainsi  qu'une  Pastorale  variée,  dans  le  style  ancien,  de  G.  Pierné,  pastiche  dé- 
licieux et  d'une  ravissante  musicalité.  Quant  au  Nocturne  et  Gigue  pour  flûte  et  piano 
de  G.  Hue,  il  nous  fut  une  occasion  d'applaudir  une  fois  de  plus  l'étincelante  virtuosité 
de  M.  Gaubert. 

Le  concert  suivant  nous  offrait  un  Quintette  de  M.  Th.  Dubois,  aux  harmonies 
gracieuses  et  élégantes,  une  Suite  française  sur  des  airs  anciens  de  M.  Perilhou,  œuvre 
très  distinguée  et  fort  habile  dont  un  épisode,  VHermite,  valut  un  vif  succès  à  M.  Le- 
tcllier,  et  une  composition  de  M.  Ch.  Lefèvre,  les  Bergers  d'Arcadie,  qui  parut  assez 
vide  et  inutile.  A  cette  séance  nous  entendions  la  Sonate  op.  120  n°  2  pour  piano  et  cla- 
rinette de  Brahms.  C'est  une  oeuvre  merveilleuse  de  sérénité,  de  logique,  de  mesure  et 
aussi  d'élégant  et  de  réel  sentiment.  MM.  Grovlez  et  Mimart  en  donnèrent  une  parfaite 
interprétation.  Edouard  Schneider. 

M.  V.  Staub.  —  Avec  une  maîtrise,  une  assurance  remarquable  et  en  même 
temps  beaucoup  de  souplesse,  M.  Staub  vient  de  nous  faire  entendre  en  deux  concerts 
les  plus  belles  pages  pour  piano  de  Beethoven,  Chopin,  Mozart,  Liszt,  Schumann, 
Fauré,  Balakirew,  Debussy,  etc. 

Mme  C.  Schultz-Gaugain  et  M.  W.  Cantrelle.  —  Quel  jeu  séduisant  que  celui 
de  M.  CantrelleJ;  justesse,  charme,  style,  virtuosité,  toutes  ces  qualités  s'y  rencontrent 
sans  se  heurter,  mais  au  contraire  en  se  fondant  admirablement.  Voilà  un  violoniste 
d'avenir  qui  exécute  déjà  avec  une  grande  maîtrise  les  oeuvres  les  plus  délicates  comme 
expression  et  les  plus  ardues  comme  difficulté.  Mme  Colette  Schultz-Gaugain  a  besoin 
d'acquérir  un  peu  de  puissance  et  de  mettre  plus  en  relief  les  mélodies  du  premier  plan 
qu'elle  sacrifie  trop  volontiers  aux  petites  gargouillades  qui  les  entourent.  F. 

Le  Quatuor  éclectique  fait  montre  de  sonorités  charmantes  dans  le  Quatuor  en 
sol  mineur  de  Mozart  et  dans  celui  de  Fauré,  où  Mme  Bleuzet,  MM.  G.  Lavello,  C.  Vi- 
deix  et  Max.  Thomas  se  font  chaleureusement  applaudir. 

Mlle  Monchablon  nous  ravit  exquisement  avec  Rameau  et  Haendel  dans  l'inter- 
prétation desquels  elle  apporte  un  charme  infiniment  pur.  C.  R. 

Mlle  Celiny  Richey,  MM.  M.  Chailley  et  P.  Mimart  nous  régalent  d'un  Trio 
de  M.  Février,  oeuvre  joliment  inspirée,  élégamment  écrite, 'd'ailleurs  remarquablement 
exécutée.  Aux  deux  intéressantes  séances  de  ces  excellents  virtuoses,  nous  applaudis- 
sons Mme  Durand-Texte  dans  des  Mélodies  de  Février  et  Mme  Espinasse  dans  la  For- 
geromte  de  Georges  Sporck.  V. 

La  Nussery  de  D.-E.  Ingelbrecllt  obtient  le  plus  charmant  accueil  au  Théâtre- 
Royal,  interprétée  par  des  gracieuses  enfants  qui  s'offrent  des  bouquets  de  fleurs,  s'en- 
voient des  baisers  et  possèdent  déjà  un  joli  talent.  Les  Chansons  canadiennes  et  Popu- 
laires d'IDluile  Vllillermoz  sont  délicieusement  chantées  par  Mme  Marie  Mockel  : 
très  vif  succès.  H.  B. 

Mme  Rey-Gaufrès.  —  Le  talent  de  Mme  Rey-Gaufrès  n'est  plus  à  faire  connaître  ; 
mais  on  peut  constater  qu'il  s'affirme,  se  développe,  progresse  encore,  en  un  mot  qu'il 
devient  l'égal  de  ceux  qui  sont  les  plus  réputés,  et  à  juste  titre.  En  effet,  aussi  bien 
dans  Mozart  et  Beethoven  que  dans  Shumann  et  Chopin,  nous  avons  remarqué  ce  qui 
convenait  plus  particulièrement  comme  interprétation  proprement  dite  à  ces  maîtres 
du  piano,  c'est-à-dire  ici,  une  charmante  fantaisie  non  dénuée  d'une  profonde  expres- 
sion, là  une  grande  et  musicale  pensée  mise  au  service  d'une  excellente  virtuosité.  M. 
J.  Ten  Hâve  qui  prêtait  son  concours  à  ce  concert  a  partagé  avec  Mme  Rey  les  chaleu- 
reux applaudissements  qui  ont  retenti  ce  soir-là  salle  Erard.  R. 


—    2l6   — 

Le  mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger 


LETTRE  DE  MUNICH 

(Suite) 


II  me  reste  à  vous  parler  des  concerts  particuliers. 

D'Albert  a  donné  deux  récitals  de  piano  dont  Tun  consacré  à  Beethoven.  Que  vous 
dire  de  cet  extraordinaire  virtuose  si  ce  n'est  que  chez  lui  le  virtuose  domine  l'inter- 
prète; or,  Beethovens'accommode  assez  mal  de  ce  défaut  là,  d'Albert  a  ]onéVA-ppassionata^ 
d'une  façon  à  la  fois  merveilleuse  et  déplorable  ;  le  public,  lui,  n'a  vu  que  l'étonnant 
mécanisme  et  a  fait  une  ovation  à  l'incomparable  pianiste. 

Nous  ne  devons  aucune  reconnaissance  à  M.  G.  Liebling  d'avoir  fait  le  voyage 
Londres-Munich  pour  venir  nous  jouer  avec  une  sécheresse  qui  n'a  d'égale  que  sa 
virtuosité,  le  Concerto  de  Schumann.  Schumann  a  fait  mieux  que  ce  concerto. 
Dieu  merci;  il  est  surtout  merveilleux  dans  les  morceaux  de  fantaisie  où  sa  grande 
imagination  peut  se  donner  libre  carrière,  telle  cette  exquise  fantaisie  en  do  mineur  pour 
piano  que  nous  a  jouée  l'autre  jour  Mlle  Mikorey.  Cette  pianiste  est  une  vraie  artiste 
qui  transmet  à  son  auditoire  son  émotion  réelle  et  profonde. 

Madame  Mav  Flowers  nous  a  gratifié,  ce  dont  nous  nous  serions  passé  parfaitement 
—  d'un  Lieder-Abend  consacré  à  des  Chansons  populaires  anglaises,  françaises  et  alle- 
mandes qu'elle  a  chantées  médiocrement  s'accompagnant  alternativement  du  Luth  et  de 
la  guitare. 

C'est  toujours  un  régal  artistique  que  d'entendre  la  grande  cantatrice  Lili  Leh- 
mann.  A  soixante  ans,  elle  a  une  voix  que  de  plus  jeunes  lui  envient  sûrement.  Par 
dessus  tout,  elle  a  conservé  ce  beau  et  magnifique  tempérament  d'artiste  qui  nous  im- 
pressionne toujours.  Nous  ferons  toutefois  une  réserve  sur  sa  façon  d'interpréter  Mozart. 
Cette  réserve  touchant  le  maître  de  Salzbourg  nous  la  ferons  partout  ici,  où  décidé- 
ment l'auteur  des  Noces  est  compris  d'une  façon  trop  différente  de  la  nôtre  pour  que 
nous  la  puissions  admettre.  Encore  ferons-nous  une  exception  pour  Mlle  Bosettî,  la 
cantatrice  si  non  idéale,  du  moins  parfaite  du  genre. 

Mlle  Staegemann  est  une  cantatrice  tout  à  fait  charmante,  à  la  voix  souple  et  pure; 
elle  chante  à  ravir  les  vieilles  chansons  populaires  allemandes  qu'accompagne  M.  de 
Eulenbourg  avec  une  discrétion  qui  est  un  excès  de  modestie.  D'où  vient  qu'elle  nous 
ravit  et  ne  nous  touche  guère  ? 

Il  y  a  une  parenté  de  tempérament  entre  Mlle  Staegemann  et  Mme  Faliero-Dal- 
croze;  toutes  deux  ont  un  organe  charmant  etpossèdent  un  art  consommé.  On  nepeutpas 
détailler  avec  plus  d'intelligence  et  de  finesse  que  ne  l'a  fait  la  gracieuse  cantatrice  le 
ravissant  air  de  «  Suzanne  ».  Voilà  du  Mozart  chanté  comme  nous  l'aimons.  Le  Roi  des 
Aulnes,  il  faut  l'avouer,  n'est  pas  dans  les  cordes  de  Mme  Faliero-Dalcroze,  mais  elle  y 
fut  intéressante,  elle  y  met  tant  d'art  !  Trop  d'art  même  et  c'est  là  son  unique  défaut. 
Il  vaut  mieux  ne  pas  parler  de  Mlle  Halbe  qui  interprète  d'une  voix  cotonneuse  et 
trop  souvent  «  jaune  »  Gluck  et  Brahms  tandis  que  sa  partenaire  au  piano,  Mlle  Wanda 
Trzaska  exécute  de  son  mieux,  qui  est  à  peine  bien,  une  pastorale  de  Scarlatti. 

Connaissez-vous  Tilly  Kœnen  ?  Si  non  allez  l'entendre  si  vous  en  avez  l'occasion. 
C*est  une  cantatrice  de  grande  envergure,  à  la  voix  prenante  et  forte  ;  elle  vous  émeut 
profondément.  Il  faut  l'entendre  dans  An  die  Nachtigall,  de  Brahms  ou  Ins  Freie,  de 
Schumann  pour  comprendre  tout  ce  que  cette  musique  contient  de  puissance  poétique. 
On  n'ose  dire  du  mal  de  Mme  Ackté,  n'est-il  pas  vrai?  Pensez  donc,  une  artiste 
universellement  estimée,  une  des  étoiles  de  l'Opéra  !  On  en  peut  moins  dire  encore 
après  le  très  grand  succès  remporté  ici  dans  son  concert.  Et  pourtant  je  voudrais  pro- 
tester contre  un  certain  cabotinage  et...  mais  non,  je  me  tais  devant  le  succès,  succès 
analogue,  du  reste,  à  celui  da  Liane  de  Vriès  au  «  Gaertner-Theater  ». 


—  217   — 

Pour  en  finir  avec  les  chanteurs,  disons  un  mot  encore  de  M.  von  ziir  Mûhlen.  A 
vrai  dire  il  dit  mieux  qu'il  ne  chante  encore  qu'il  chante  bien,  mais  son  art  est  gâté  par 
une  certaine  afifectation  incompréhensible  chez  un  homme  qui  est  assurément  un  artiste, 
ce  qu'il  a  prouvé  dans  son  interprétation  des  Deux  Grenadiers  de  Schumann. 

Sauer  est  un  de  ces  rares  pianistes  qui,  avec  Gabrilowitçh,  savent  rendre  Chopin 
avec  finesse  et  mesure  et  pourtant  aussi  avec  toute  la  fantaisie  nécessaire  sans  se  croire 
obligés  d'ajouter  à  cette  musique  de  névrosé  je  ne  sais  quelle  note  morbide  qui  en  fait 
une  musique  d'hystérique.  Mais  je  n'ai  pas  la  prétention  de  vous  faire  connaître  cet 
artiste  dont  la  réputation  est  déjà  faite. 

Celle  de  Max  Pauer  le  sera  bientôt.  Pauer  est  une  sorte  de  Risler  moins  vigoureux 
et  moins  triomphant,  mais  fort  et  coloré  comme  le  merveilleux  artiste  français,  plein  de 
goût  et  de  savoir.  Il  a  rendu  à  la  perfection  et  avec  un  grand  sentiment  de  vérité  le  Con- 
certo italien  de  Bach,  la  Sonate  en  la  de  Beethowen  et  les  Variations  en  do  mineur  du 
même.  Ce  fut  une  des  belles  soirées  de  la  saison.  Notez  bien  ce  nom,  il  est  à  retenir. 

Hubermann,  Hubermann,  Hubermann  !  Tout  le  monde  connaît  Hubermann,  et  il  est 
de  fait  que  Ce  talentueux  jeune  homme  —  ou  son  impressario  —  fait  assez  de  réclame 
pour  qu'il  ne  passe  pas  inaperçu.  Il  faut  avouer  qu'il  est  plein  de  talent,  dès  lors  sa  ré- 
clame ne  peut  que  lui  nuire.  Il  ne  faudrait  pas  non  plus,  pensons-nous,  exagérer  ses 
mérites.  Il  nous  a  joué  avec  un  style  parfait  et  une  grande  sobriété  le  Concerto  de 
Beethoven  ;  mais  il  ne  nous  y  a  pas  semblé  supérieur  à  quantité  de  bons  artistes.  Au 
même  concert  nous  avons  entendu  le  pianiste  Singer  dans  le  médiocre  Concerto  en  la 
de  Liszt.  Singer  possède  avant  tout  une  grande  autorité  et  un  rythme  puissant,  mais  il 
manque  de  poésie.  En  vérité  on  ne  sait  trop  où  il  aurait  pu  la  trouver  dans  cette  œuvre. 

Il  faut  assurément  se  méfier  des  enfants  prodiges,  mais  vraiment  on  ne  peut  qu'ad- 
mirer et  se  taire  devant  le  merveilleux  phénomène  qu'est  Fran:^  von  Vec:{ey.  Cet  en- 
fant de  12  ans  joue  le  Concerto  de  Beethoven  avec  un  rythme,  une  conviction  et  un 
sentiment  que  lui  envieraient  des  plus  grands.  Non  pas  que  je  veuille  prétendre  qu'il 
le  rend  avec  la  profonde  compréhension  de  l'artiste  mûr,  mais  on  voit  que  l'enfant  sent 
déjà  cette  musique  grandiose  et  la  respecte.  C'est  avec  une  désinvolture  merveilleuse 
qu'il  nous  a  donné  WChacone  de  Bach.  Quant  au  Concerto  de  Paganini,  il  fut  pour  lui 
un  jeu.  Il  ne  faut  pas  parler  de  difficultés  techniques  à  cet  enfant,  elles  n'existent  pas 
pour  lui.  Connaissez-vous  rien  de  plus  merveilleux,  posséder  à  12  ans  la  technique  d'un 
Kubelik  et  par  là-dessus  interpréter  avec  âme  et  sentiment  la  musique  des  grands  maî- 
tres I  Vous  avouerez  que  ce  cas  est  peu  commun. 

E.  de  Stoecklin. 

LETTRE  DE  LONDRES 


Après  ufie  morte  saison  qui  dura  plus  que  de  coutume,  les  concerts  d'orchestre  ont 
repris  de  plus  belle  et  l'un  des  premiers  de  igo6  fut  donné  par  le  Symphony  Orchestra 
fraîchement  débarqué  de  son  excursion  à  Paris.  La  pièce  de  résistance  de  ce  concert 
fut  une  nouvelle  symphonie  de  Charles  V.  Stanford  (qui  dirigea  le  Symphony  orchestra 
au  Châtelet),  dédiée  à  la  mémoire  ,d'un  «  grand  artiste  »  :  en  l'occurence  le  peintre  et 
sculpteur  Watts. 

La  première  partie  de  cette  œuvre,  inspirée  par  le  monument  représentant  l'éner- 
gie physique,  est  d'une  belle  allure  et  mélodique.  Le  développement  musical  en  est  par- 
fait, intéressant,  bien  que  très  académique.  J'aime  moins  les  trois  autres  parties  qui 
représentent  plutôt  l'œuvre  d'un  professeur  érudit  que  d'un  créateur  enthousiaste  de 
son  art  ;  elles  furent  pourtant  parfaitement  exécutées,  ainsi  que  la  première  par  l'excel- 
lente phalange. 

Le  grand  attrait  de  la  séance  résidait  en  la  réapparition  du  célèbre  pianiste  Arthui* 
de  Greefdont  l'exécution  du  Concerto  as  Grieg  enthousiasma  l'auditoire. 

Joignant  une  délicatesse  extrême  et  une  élégance  de  gestes  à  la  puissance  de  son 
jeu,  et  marquant  son  interprétation  au  coin  du  bon  goût  et  du  meilleur  sens  artistique^ 


—    2l8    ■— 

de  Grcef  rendit  cette  belle  œuvre  en  maître  et  l'on  comprit  à  l'entendre  (ou  plutôt  à  le 
réentendre)  pourquoi  Grieg  l'avait  choisi  entre  tous  lorsqu'il  s'agit  de  présenter  son 
œuvre  pour  la  première  fois.  Les  Arabesques  de  Schumann  et  le  Ca/)r2Cc'  sur  Alceste 
de  Gluclc  par  Saint-Saëns,  merveilleusement  exécutés,  achevèrent  le  triomphe  de  de 
Greef  que  l'on  acclama  et  que  l'on  rappela  de  nombreuses  fois. 

Peu  de  jours  après,  le  Queen's  Hall  Orchestra^  de  par  la  magie  de  trois  noms,  réu- 
nissait à  Queen's  Hall  une  foule  compacte.  Mais  quels  noms  !  Mozart,  Brahrns  et  Ri- 
chard Strauss  I  Du  maître  de  Salzbourg  nous  entendîmes  l'une  de  ses  immortelles  sym- 
phonies :  celle  en  ré  (Haffner),  et  de  Strauss,  l'un  de  ces  poèmes  symphoniques  qui  ont 
le  don  de  provoquer  les  discussions  contradictoires  et  exagérées  dont  on  n'honore  que 
les  œuvres  d'une  valeur  transcendante.  En  l'occurence,  c'était  son  Don  Quichotte  et, 
cette  fois  encore,  je  n'ai  pu  trouver  dans  l'exposition  de  l'immense  talent  et  du  génie 
orchestral  de  Strauss  la  justification  de  ses  incartades  harmoniques  et  de  l'incohérence 
du  développement  musical.  Hugo  Becker  exécuta  avec  entrain  les  soli  de  cello  de  cette 
œuvre  ;  mais  l'on  prit  plus  grand  plaisir  à  l'entendre  interpréter  avec  Maurice  Sons  (le 
soliste  de  l'orchestre)  le  beau  Double  Concerto  en  la  pour  violon  et  cello  de  Brahms. 

Une  réapparition  «  most  welcome  ))  fut  celle  de  Mme  Sacnger-Sèthe  qui,  sous  le 
nom  de  Mlle  Irma  Sèthe  avait  remporté  de  grands  succès  en  Angleterre  il  y  a  quelques 
années.  Le  talent  de  cette  brillante  violoniste's'est  encore  affiné  et  son  interprétation  du 
Concerto  de  Mendelssohn  lut  surtout  remarquable  par  une  pénétrante  expixssion  et  une 
grande  noblesse  de  sentiment.  La  technique  de  Mme  Saënger-Sèthe  est  restée  ce  qu'elle 
était  déjà  :  parfaite  ;  et  je  me  réjouis  de  la  réentendre  le  21  à  l'occasion  du  Récital  qu'elle 
reviendra  donner  à  Londres. 

Au  «  His  Majesty's  ))  théâtre,  M.  Herbert  B.  Free  vient  de  mettre  en  scène  Néron 
de  Stephen  Phillips,  une  tragédie  admirablement  encadrée  de  décors  somptueux  et 
habillée  de  costumes  fastueux.  Il  incarne  avec  son  grand  talent  le  rôle  principal,  et,  dans 
le  rôle  d'Agrippine.  la  mère  du  héros,  Mme  Free  se  taille  le  succès  peut-être  le  plus 
beau  de  sa  carrière.  Une  partition  originale  de  Coleridge  Taylor  souligne  les  passages 
principaux  de  l'œuvre  et  illustre  les  entr'actes.  Elle  est  habilement  écrite  et  je  ne  lui 
reprocherai  que  la  répétition  trop  prodiguée  des  principaux  motifs.  Le  succès  de  Néron 
est  tel  que  la  salle  du  «  His  Majesty's  »  fut  louée  pour  plusieurs  soirs  dès  le  lendemain 
de  la  première. 

Depuis  huit  jours,  la  musique  de  la  Garde  Républicaine  donne  un  ou  deux  con- 
certs quotidiens  à  Covent  Garden  et  y  récolte  un  succès  trop  mérité  pour  qu'il  soit  né- 
cessaire d'en  dire  les  raisons.  Les  meilleures  musiques  militaires  anglaises  même  ne 
peuvent  lui  être  comparées  et  les  membres  et  chefs  de  celles-ci  sont  les  premiers  à 
reconnaître  la  supériorité  de  l'excellente  phalange  française.  Quant  aux  solistes  que  l'on 
entend  successivement  ils  sont  également  très  applaudis  et  citer  les  plus  vaillants  serait 
les  citer  tous.  Je  veux  pourtant  tirer  hors  de  pair  M.  Fontbonne  qui  a  émerveillé  un 
auditoire  très  éclectique  en  interprétant  en  grand  artiste  et  avec  une  virtuosité  éton- 
nante la  Fantaisie  Pastorale  de  Doppler  qui  lui  valut  quatre  rappels  chaleureux. 

Dans  les  cercles  sociaux  et  artistiques  l'accueil  réservé  aux  musiciens  français 
n'est  pas  moins  enthousiaste  et  nul  doute  qu'ils  ne  gardent  un  souvenir  vivace  de  leur 
visite  actuelle  à  Londres. 

Le  programme  de  la  prochaine  saison  de  Covent  Garden  sera  publié  sous  peu.  Di- 
sons déjà  qu'il  s'ouvrira  par  deux  cycles  de  la  Tétralogie  dirigés  par  Hans  Richter  et 
que  les  autres  œuvres  représentées  seront  :  Don  Juan,  Rigoletto,  Travîaîa,  Aida,  Bal 
masqué,  La  Tosca,  Madame  Butterfly,  La  Bohème,  Pagliacci,  Faust,  Roméo,  Carmen, 
le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Armide,  André  Chénier,  le  Barbier  de  Bagdad,  le  Vaga- 
bond et  la  Princesse,  le  V^aisseau  Fantôme,  les  Maîtres  Chanteurs,  Tannhœuser  et 
Tristan. 

Parmi  les  artistes  déjà  engagés  citons  :  Mmes  Aida,  Destinn,  Melba,  Wittich, 
Kirkby  Lunn,  Paulin,  etc.  MM.  Burian,  Caruso,  Laffitte,  Scotti,  Van  Rooy,  Scveilhac, 
Zador,  etc. 

Léo  DiENSIS. 


—  219  — 

Â^G^R^»  —  Hîiitième  C07icert  pop7ilaire.  [y  février.  —  Le  héros  du  huitième 
concert  fut  M.  Ed.  Brahy.  Il  donna  par  sa  direction  admii-able,  on  pourrait  dire 
héroïque,  de  la  Faust-Symphonie  de  Liszt,  une  inoubliable  et  passionnée  fête  d'art. 
Le  public  lui  fit  une  ovation  des  plus  enthousiastes,  à  laquelle  se  joignit  l'orchestre. 
M.  Brahy  est  celui  qui  a  fait  connaître  en  France  l'œuvre  gigantesque  de  Liszt.  Il  la 
dirige  par  cœur  et  la  possède  de  telle  façon  qu'on  peut  dire  qu'il  la  recrée.  L'exécution 
en  fut  excellente  ;  le  torrent  de  mélodie,  la  riche  atmosphère  harmonieuse  se  déversè- 
rent abondamment  sur  les  auditeurs  attentifs  et  toute  cette  profonde  émotion  lyrique 
s'en  alla  toucher  les  sensibilités  même  les  plus  lointaines.  L'œuvre  porta  plus  que  lors 
de  la  première  audition  et  je  ne  sais  si  cela  tient  à  l'interprétation  meilleure  où  à  l'édu- 
cation musicale  plus  achevée  du  public  angevin. 

Mlle  Amsden,  une  jeune  cantatrice  américaine  dont  la  carrière  s'annonce  brillante, 
chanta  d'une  voix  pleine,  ronde  et  sonore  l'air  à' I  phi  génie  en  Tauride  et  l'air  d'Obé- 
ron.  Quelques  détails  de  style  lui  restent  encore  à  chercher,  mais,  malgré  le  peu  de 
temps  qu'elle  travaille,  on  admire  déjà  chez  elle  une  facilité  musicale  et  un  tempérament 
dramatique  qui,  servis  par  cette  voix  chaude,  déroulée  comme  une  onde  profonde,  per- 
mettent de  prédire  à  la  jeune  et  ravissante  artiste,  des  succès  proches  et  certains. 

UOuverture  de  Don  Juan  et  VOuverture  de  Frithiof  (Th.  Dubois)  complétaient  le 
concert. 

Neuviènte  concert  populaire,  2)  février.  — La  Sytnphonie  en  si  mineur  de  M.  Henri 
Rabaud  est  une  des  œuvres  modernes  qu'on  est  le  plus  heureux  d'entendre  et  que  l'on 
voudrait  le  plus  souvent  réentendre.  La  claire  et  noble  conscience,  la  haute  et  grave 
pensée  qui  l'ont  conçue  s'y  répandent  comme  une  vague  amplement  déroulée.  Tout  le 
long  de  l'œuvre  on  peut  suivre  les  réapparitions,  transformations,  alternances  des  quel- 
ques thèmes  sur  lesquels  elle  est  construite  et  se  rendre  compte  de  la  sagacité  qui  les 
conduit  parmi  l'harmonieux  réseau  qui  les  entoure.  \J Andante  est  d'une,  belle  ligne 
expressive  toute  empreinte  de  piété  ;  le  Scherzo  est  habile,  séduisant,  gracieux  ;  les  pre- 
mière et  dernière  parties  sont  agencées  avec  une  maîtrise  qui  doit  inciter  au  respect 
même  les  moins  initiés.  La  Symphonie  de  M.  Rabaud  remporta  un  succès  sincère  et  son 
orchestration  subtile,  savante  et  bien  mesurée  des  Chants  religieux  de  Beethoven  ne  fut 
pas  moins  appréciée.  M.  Jan  Reder  était  chargé  de  la  difficile  interprétation  de  ces 
chants  et  trouva  l'occasion  d'y  affirmer  un  beau  et  solide  talent  vocal,  un  art  sûr,  bien 
approprié  à  l'immortelle  grandeur  de  ces  pages  où  la  géniale  inspiration  coule  à  pleins 
bords.  M.  Jan  Reder  chantait  également  l'air  d'Agammeinnon  (Iphigénie  en  Aulide) 
avec  d'excellentes  qualités  de  voix  et  de  style. 

La  Sélection  des  Maîtres-Chanteurs,  Prélude  du  y'"'  acte,  Danse  des  apprentis, 
Ouverture,  fut  bien  exécutée  par  l'orchestre.  Le  quatuor  y  fit  de  louables  et  heureux 
efforts.  Il  n'y  a  plus  de  raisons  désormais  de  contester  que  VOuverture  doit  prendre 
place  dans  le  répertoire  classique.  Les  Amis  du  Ballet  de  Gréty,  si  adroitement  et 
légèrement  arrangés  par  Mottl  et  VOuverture  d'Euryanthe  figuraient  encore  au  pro- 
gramme. 

—  Quatrième  et  cinquième  séance  de  musique  de  chambre.  i8  février  et  5  Mars. 

A  la  quatrième  séance  de  musique  de  chambre  on  a  entendu,  non  sans  le  plaisir 
coutumier,  un  quatuor  de  Haydn  (76°)  puis  le  quatuor  de  Borodine  dontMM.  Mambriny, 
Chapelin,  Bailly  et  Becker  ont  vaincu  allègrement  les  extrêmes  difficultés.  Mlle  Amsden 
a  chanté  deux  lieder  de  Schubert  et  Schumann,  et  deux  mélodies  de  Hahn  et  Fauré. 
Sa  voix,  comme  au  concert  de  la  veille,  a  dégagé  une  séduction  à  laquelle  nul  n'est  resté 
insensible.  Ses  dons  de  musicienne  et  ses  recherches  de  diction  la  classent  dès  aujour- 
d'hui parmi  les  chanteuses  de  talent.  Notons  en  passant  l'art  accompli,  rare  et  délicieux, 
avec  lequel  M.  Walther  Straram  accompagnait  Mlle  Amsden  dont  il  est  d'ailleurs  le 
professeur. 

Au  programme  de  la  cinquième  séance  étaient  inscrits  le  quatuor  en  la  mineur  de  Schu- 
mann, le  septuor  de  Beethoven  et  ci7tq  novelettes  de  Glazounow.  Séance  des  plus  satis- 
faisantes qui  fait  grand  honneur  aux  interprètes  habituels,  ainsi  qu'à  MM.  Fichet,  Jenot, 
Jamar  et  Thomson  qui  prêtaient  leur  concours  pour  le  septuor.  Eva. 


—    220    — 

'^TAÎVCY»  —  Au  concert  du  4  février,  le  public  nancéien  eut  la  bonne   fortune  d'eïi- 
%l    tendre  Mlle  Eléonore  Blanc   dans   la   cantate   de  Bach  Ich  bin   vergnïigt  et  dans 
1  1    Trois  Mélodies  de  M.  J.  Guy  Ropartz,  L'éloge  n'est  plus  à  faire  de  la  voix  si  pure 
de  l'excellente  artiste,  de  sa  méthode  parfaite,  de  son  style  impeccable. 

Les  Airs  de  la  cantate  de  Bach  m'ont  bien  semblé  un  peu  longuets,  mais  les  réci- 
tatifs sont  pleins  de  grandeur  et  un  choral  empreint  d'une  majestueuse  sérénité,  ter- 
mine l'œuvre. 

Les  mélodies  de  M.  J.  Guy  Ropartz  sont  intitulées  :  Chrysanthèmes  ;  Vos  yeux  :  la 
Mer.  La  première,  d'une  mélancolie  automnale,  très  adéquate  à  son  titre,  est  celle  qui 
m'a  donné  le  plaisir  le  plus  complet.  La  dernière,  une  barcarole,  d'une  banalité  voulue, 
s'interrompt  en  son  milieu  pour  laisser  entrevoir  une  maiine  d'un  éclat  aveuglant  : 
«  Les  barques  légères  vers  l'inconnu  s'éloignent  joyeusement  et  leurs  blanches  voiles 
semblent  les  ailes  d'oiseaux  géants  :  tout  s'embrase  et  rayonne  sous  la  lumière  éclatante 
du  soleil.  » 

Il  est  intéressant  de  suivre  avec  quelle  fidélité  la  musique  de  M.  Ropartz  accom- 
pagne la  poésie  qu'elle  illustre  :  ainsi  dans  Chrysanthèmes.,  le  profond  sentiment  d'inti- 
mité qui  souligne  le  vers 

Et  lorsque  je  m'enferme  en  ma  maisoh  bien  close  ; 

dans  vos  Yeux.,  comparés  à  de  «  claires  fontaines  »,  le  frisson  nocturne  qui  fait 
glisser  le  vent  sur  leur  onde  qui  dort  ; 

enfin  cet  éblouissant  paysage  marin,  dont  j'ai  parlé  tout  à  l'heure. 

Ce  fut  un  beau  succès  pour  l'auteur  et  pour  l'interprète. 

Le  programme,  qui  débutait  par  Vouverture  de  Léonore  (n°  i)  —  médiocrement 
exécutée  —  Comprenait,  en  plus  des  numéros  déjà  cités,  la  divine  Symphonie  de  Franck 
que  l'orchestre,  en  possession,  cette  fois,  de  ses  moyens,  joua  avec  toute  la  gravité,  la 
tendresse  et  la  passion  désirables  ;  puis  V Alléluia  du  Messie  de  Haendel,  dont  la  pompe 
joyeuse  a  été  magnifiquement  rendue  par  les  excellents  choeurs  du  Conservatoire. 

Pour  finir,  les  Préludes  et  danses  de  Daria,  de  M.  G.  Marty.  Préludes  et  danses 
m'ont  semblé  agréables,  mais  la  sublimité  de  Franck  et  la  majestueuse  robustesse  de 
Htendel  leur  faisaient  un  voisinage  bien  écrasant. 

Le  concert  du  18  février  eut,  comme  prologue,  une  petite  scène  de  famille  très  tou- 
chante. M.  Guy  Ropartz,  ainsi  que  l'annonçait  aux  lecteurs  du  Courrier  le  numéro  du  15 
février,  venait  d'être  décoré  de  la  Légion  d'honneur.  Lorsque  l'éminent  chef  d'orchestre 
parut  à  son  pupitre,  les  applaudissements  éclatèrent,  nourris  et  chaleureux.  Puis,  on 
vit  s'avancer,  se  frayant  un  passage  à  travers  les  musiciens  de  l'orchestre,  une  députa- 
tion  du  personnel  du  Conservatoire,  ayant  à  sa  tête  le  général  Joly,  l'amateur  nancéien 
bien  connu. 

En  quelques  mots  pleins  de  cœur,  le  général  exprima  au  nouveau  chevalier  la  joie 
ressentie  par  les  habitués  des  concerts,  à  la  nouvelle  de  cette  distinction  si  flatteuse  et  si 
méritée.  Il  lui  remit  les  insignes  de  la  Légion  d'honneur,  lui  annonçant, en  même  temps, 
que  la  partition  de  sa  1'^  symphonie  venait  d'être  gravée,  à  la  suite  d'une  sous- 
cription faite  parmi  les  abonnés  du  Conservatoire  et  les  admirateurs  de  son  direc- 
teur. 

Nouveaux  applaudissements.  Réponse  émue  de  M.  Ropartz  ;  après  quoi  s'élevèrent 
les  accents  pathétiques  de  VOuverture  de  Léonore  {n°  2). 

Beethoven  triomphait  encore  avec  le  Concerto  en  mi  bémol  pour  piano  et  orchestre, 
joué  par  M.  Alfred  Cortot.  Il  serait  banal  de  louer  le  jeu  puissant  et  délicat  du  célèbre 
pianiste  ;  mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  dire  toute  mon  admiration  pour  sa  sobriété 
pleine  de  goût,  pour  la  scrupuleuse  probité  avec  laquelle  l'interprète  s'efface  devant 
l'auteur,  ne  s'attachant  qu'à  rendre  la  pensée  de  ce  dernier  avec  la  plus  fidèle  exacti- 
tude. 

Les  Variations  symphoniques  de  César  Franck  furent  pour  M.  Cortot  l'occasion  de 
nouvelles  ovations.  Que  cette  musique,  tour  à  tour  tendre  et  passionnée,  toujours  pro- 
fondément expressive,  est  donc  féconde  en  émotions  délicieuses  1 


je  voudrais  en  dire  autant  de  La  Chevauchée  de  la  Chimère,  poème  symphoni- 
que  de  M.  G.  Carraud,  mais  je  préfère  attendre  une  seconde  audition  pour  me  pro- 
noncer sur  cette  oeuvre  inspirée  par  une  prose  telle  que  celle-ci  :  «  La  gorge  pleine  de 
fanfares,  les  moins  lourdes  des  batailles  (!!,  les  yeux  baignés  de  rêve,  je  te  suivrai  hale- 
tant, déchiré,  ravi  !  » 

La  belle  Symphonie  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns  déroula  ses  thèmes  majestueux, 
ingénieusement  développés,  faisant  succéder,  à  l'ironie  capricieuse  de  son  Scherp^o,  la 
grandeur  d'apothéose  de  son  finale. 

A  la  bonne  heure,  «  voilà  de  la  belle  ouvrage  )),  comme  on  dit  dans  le  monde  chic. 

Le  23  février,  dans  la  salle  du  Conservatoire,  un  jeune  pianiste,  encore  peu  connu 
—  mais  qui  le  sera  —  M.  Victor  Gille,  donnait  un  récital  de  piano. 

Le  programme,  très  heureusement  composé,  comprenait  Prélude  et  Fugue  (en  la 
mineur),  de  Bach-Liszt  ;  une  Pastorale,  de  Scarlatti  ;  la  Sonate  en  7ni  mineur  {op.  go), 
de  Beethoven  ;  Nachtsstilck,  de  Schumann  ;  un  prélude,  deux  études,  un  impromptu, 
un  nocturne  et  une  mazurka,  de  Chopin  ;  enfin,  la  Légende  de  St-François  de  Paule 
marchant  sur  les  flots  de  Liszt. 

Le  jeune  artiste  joua  ces  œuvres  de  caractères  si  différents  avec  une  extraordinaire 
compréhension  musicale.  Son  mécanisme  merveilleux  passe  au  second  plan  tant  l'in- 
tensité d'expression,  qu'il  met  dans  son  jeu,  tient  du  prodige. 

Ce  n'est  plus  du  piano  ;  c'est  une  âme  qui  rêve,  prie,  chante  ou  sanglote.  Pas  n'est 
besoin  d'être  prophète  pour  prédire  à  M.  Gille  les  plus  beaux  succès, 

A.. 

TOULOUSE.  —  Les  fonctions  de  critique  —  dans  ce  moment  en  notre  ville  —  ne 
sont  pas  précisément  une  sinécure.  Jamais  le  virtuosisme  n'a  battu  son  plein  à 
Toulouse  comme  il  le  fait  actuellement. 

Nous  avons  donc  eu  le  Concert  César  GéléSO,  remarquable  virtuose  du  clavier,  au 
Jeu  précis,  net,  vigoureux  et  au  style  charmeur,  entouré  de  Mlle  Denise  Blot  fpianiste) 
et  Claire  Blot,  harpiste.  Puis  sont  venus  nous  charmer,  encore  par  leur  virtuosité,  le 
violoncelliste  André  Hekking  et  M.  Joseph  Thibaud.  Le  premier  s'affirma  dès  le  début 
du  programme  par  une  heureuse  traduction  d'une  Sonate  de  Grieg.  Heureuse,  dis-je, 
elle  l'était  en  effet,  car  M.  Hekking  conquit  son  auditoire  par  sa  puissance  de  sonorité,  par 
son  long  archet,  par  son  mécanisme,  et  aussi  par  l'interprétation  chatoyante  des  diverses 
œuvres  de  différentes  écoles.  Quant  à  M.  Joseph  Thibaud,  dont  j'ai  déjà  parlé  aux  lec- 
teurs du  Courrier  Musical,  il  subjugua  —  le  mot  n'est  nullement  excessif  —  par  la 
netteté  de  son  jeu,  d'abord,  par  la  qualité  de  son  élégante  pathétique  et  aussi  par  son 
mécanisme. 

Deux  jours  après,  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire  et  son  distingué  chef 
nous  conviaient  à  la  quatrième  audition  de  l'année.  En  voici  le  programme  :  la  sombre 
et  austère  ouverture  de  Manfred,  de  Schumann,  qui  fut  très  bien  exécutée  ;  la  Sympho- 
nie Ecossaise,  de  Mendelssohn.  Puis  voici...  voici...  C'est  ÏEtude  Symphonique,  de 
Florent  Schmitt.  Je  dois  avouer,  qu'ici,  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  musicien 
posté  aux  ultimes  avant-gardes.  Je  ne  me  chargerai  pas  de  vous  dire  à  quelle  école 
appartient  M.  Florent  Schmitt,  car  il  m'est  —  sincèrement,  très  sincèrement  même  — 
impossible,  après  une  seule  audition,  d'arialyser  une  œuvre  d'une  aussi  originale  con- 
ception. Mais  ce  que  je  peux  dire,  cette  fois  sainement  et  judicieusement,  c'est  que 
M.  Florent  Schmitt  est  un  remarquable  coloriste,  un  chercheur  obstiné  de  sonorités 
non  encore  entendues,  et  de  combinaisons  de  timbres  étonnamment  osées.  Mais  au-des- 
sus de  tout  cela,  il  y  a  la  technique  autorisée  d'un  parfait  musicien,  d'un  savant  contra- 
puntiste  et,  au  total  d'un  de  nos  plus  distingués  grand  prix  de  Rome. 

Je  regrette  beaucoup  que  M.  Paul  Locard  ait  déjà  analysé  dans  ses  colonnes,  le 
Sang  de  la  Sirène  de  M.  Charles  Tournemire,  car  j'aurais  tenu  à  cœur  de  vous  décou- 
vrir la  beauté  de  cette  partition.  Certes,  tout  le  monde  aurait  perdu,  et  beaucoup,  si  un 
simple  critique  de  province  vous  eût  initié  au  plan  de  cette  œuvre  d'une  réelle  valeur, 
tandis  que  chacun  y  a  gagné  en  lisant  l'étude  que  lui   consacra  ici  même    mon   talen- 


—    222    — -, 

tueux  confrère.  A  Toulouse,  nous  n'eûmes  que  des  fragments  du  Sang  de  la  Sirène. 
mais  ils  furent  suffisants  pour  mettre  en  lumière  le  talent  de  symphonie  de  M.  Charles 
Tournemire;  le  suave,  délicieux  et  exquis  chœur  de  la  première  partie,  les  Ouessantins^ 
le  Proélla,  presque  en  son  entier  avec  son  style  angoissant,  ses  accents  désespérés,  ces 
chants  liturgiques  si  remarquablement  harmonisés  et  le  tout  soutenu  par  une  trame 
symphonique  du  plus  haut  intérêt,  sont  des  pages  puissantes  qui  honorent  Técole 
moderne. 

Le  concert  se  terminait  par  Brumaire,  ouverture  de  Massenet.  Cette  pièce  sympho- 
nique, violente  et  tumultueuse  —  comme  le  sujet  l'indique  —  fut  fièrement  enlevée  par 
l'orchestre  que  M.  Crocé  Spinelli  dirigeait  avec  un  bras  vigoureux. 

Orner  Guiraud. 


Concerts  Tlrjvoijcés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 

Mars 

i6     Mme  Contoux-Quanté. 

18  Mlles  Suire  (élèves), 

19  M.  Joseph  Debroux. 

20  M.   E.   Saury. 

21  Mlle  M  -H.   Hansen. 

23  Mlle  Labarthe 

24  Mme  Chevillard. 

25  Mme  Gruet  (élèves). 

26  Mlle  Hélène  GoUin. 

27  Mlle  Fernande  Reboul. 

28  Mlle  l'astoureau. 

29  La  Société  des  Instruments  à  vent. 

»     La  société  des  Compositeurs  de  Musique. 

30  Mme  W.  Landowska. 

31  M.Morpain. 

Salle  des  Quatuors 

16     Mlle  Hortense  Parent. 

18  Mlle  Hortense  Parent. 

19  Mlle  Baudin. 

21  Le  Quatuor  Calliat. 

24  Mlle  d'Albas  et  M.  J.  Dumas. 

25  Mme  Ed.  Lyon  (élèves). 
27  Mlle  Dennery. 

31     Mlle  J.  Dumont. 

Salle  Erard 

16  Mme  Alem-Chéné. 

17  M.  Lazare  Lévy. 
:9  M.  Busoni. 

20  Mme  Sax-Godefroid. 

21  M.  Friedmann. 

23  Mlle  Neu. 

24  M.  Jaudoin. 

26  M.  Sauer. 

27  Mme  Klèeberg. 

28  M.  Busoni. 

29  M.  Duttenhofer. 

30  M.  Sauer. 

31  Mlle  G.   Magnus. 


Salle  des  Agriculteurs 

Mars 

17     M.  Wagner. 

19  M.  Backaus. 

20  Société  Philharmonique. 

21  M.  Backaus,  3  h. 

24  Mme  Carisson,   ?  h. 
»     M.  Ed.  Risler,  9  h. 

25  Concerts  Lefort,  3  h. 

»     M.  Hirlemann,  8  h.  1/2. 

27  Société  Philharmonique. 
31      Mme  Guéroult. 

Nouveau-Théâtre 

19  M.  Eugène  Ysaye. 

23  Festival  Mozart. 
25  id. 

28  M.  Eugène  Ysaye. 
E9  Festival  Mozart. 


23 


'7 


27 
30 


24 


Salle  ^ollan 

Quatuor  Parent. 
M.  Choinet. 
M.  J  -J.  Nin. 
Le  D^  Lulek. 
Quatuor  Parent. 
M.  de  Sanstesteban. 
Le  D'  Lulek. 

Schola  Cantorum 

Société  Nationale. 
Les  Elèves  de  la  Schola. 
Mlle  Blanche  Selva. 
Cinquième  Concert  mensuel. 
Société  Nationale. 

Salle  de  l'Union 

Société  J.-S.  Bach. 

Théâtre-Royal  (rue  Royale) 

Les  Intimités  d'Art,  3   h. 

id. 

Ambigu 


21     Anciennes  Matinées  Danbé,  4  h.    1/2. 
28  id. 


—   223   — 

ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


A  l'Opéra. —  La  reprise  de  VEtranger,  de  V.  d'Indy,  a  été  des  plus  brillantes  avec 
Mlle  Bréval  et  M.  Delmas.  Espérons  que,  cette  fois,  la  direction  de  l'Opéra  fera  tout  son 
possible  pour  donner  une  longue  carrière  à  cette  belle  oeuvre. 

Le  ténor  Rousselière,  qui  avait  obtenu  un  congé  pour  aller  en  représentations  sur 
la  Côte  d'Azur,  devait  faire  sa  rentrée  mercredi  à  l'Académie  de  musique,  dans  le  rôle 
de  Max,  de  Freischutz.  L'artiste  n'ayant  pas  paru  au  théâtre  à  l'heure  du  spectacle,  son 
rôle  fut  confié  à  M.  Gaston  Dubois. 

M.  Gailhard  a  vu  dans  l'absence  de  M.  Rousselière  un  manque  aux  termes  de  son 
engagement.  Il  intente  contre  son  pensionnaire  une  action  judiciaire  et  lui  réclame  le 
paiement  du  dédit  prévu  par  son  contrat,  soit  40,000  francs. 

La  reprise  des  Maîtres  Chanteurs.,  à  l'Opéra,  aura  lieu  dans  les  premiers  jours 
d'avril. 

On  a  commencé  dans  les  foyers  les  études  d'Ariane. 


A  rOpéra-Comique.  —  Aphrodite  passera    vers  le  20  courant.  On  répète  en  même 
temps  Marie-Magdeleine.1  Le  Clos.,  et  une  œuvre  de  M.  H..  Février,  Le  Roi  aveugle. 


.  Société  J. -S.  Bach  (salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise).  —  Le  concert  du  mercredi 
21  mars  aura  lieu  avec  le  concours  de  Mme  Wanda  Landowska  qui,  pour  permettre  la 
comparaison  entre  les  instruments  anciens  et  modernes,  se  fera  entendre  tour  à  tour  sur 
le  clavecin,  le  pianoforte  et  le  piano.  Mlle  Carlotta  de  Féo,  cantatrice,  et  M.  Joseph 
Bonnet,  organiste,  prendront  part  à  la  même  séance. 


Demain   vendredi  16  mars,  à  la   salle   Erard,  concert  de  Mme  Alem-Chéné,   dont 
nous  publions  le  programme  sur  notre  encartage. 


Le  ig  et  le  21  courant,  concerts  du  célèbre  pianiste  Backaus,  à  la  salle  des  Agri- 
culteurs. 

A  l'occasion  du  cent-cinquantième  anniversaire  de  la  naissance  de  Mozart,  la  So- 
ciété Musicale  organise  un  Festival  au  Nouveau-Théâtre  les  23,  25  et  2g  mars  en  soirée 
(Voir  le  programme  sur  notre  encartage). 


Mme  Glotilde  Kleeberg  donnera  deux  concerts  à  la  Salle  Erard  les  mardi  27  mars 
et  mercredi  4  avril  prochain  à  g  heures. 

Le  vendredi  30  mars  prochain,  aura  lieu,  salle  Pleyel,  à  g  heures  du  soir,  un 
concert  donné  par  la  célèbre  pianiste  Mme  Wanda  Landowska.  Ainsi  qu'on  pourra  en 
juger  en  parcourant  le  programme  que  nous  publions  d'autre  part,  c'est  à  une  véritable 
exposition  de  la  musique  des  xvii"  et  xviii"  siècles  que  Mme  Landowska  convie  le  pu- 
blic. Ces  programmes  sont  du  plus  haut  intérêt. 


Le  4  février  a  eu  lieu  à  l'Université  Populaire  du  Faubourg  Saint-Antoine  (Coopé- 
ration des  Idées),  une  très  intéressante  conférence  de  M.  Ch.  Batilliot  sur  l'œuvre  poéti- 
que d'Henry  Bataille  ;  la  partie  musicale  était  confiée  à  Mme  Jane  Bathori  qui  inter- 
préta merveilleusement  La  Chambre  Blanche  de  Gabriel  Grovlez. 


Les  soirées  musicales  de  M.  et  Mme  L.  Diémer  offrent  toujours  le   plus  haut  inté- 
rêt :  lundi  dernier,    le  succès    a    été  enthousiaste  pour   MM.  Joseph   Thibaud,  Hayot, 


—  524  -' 

Salmon,  Chanoine  Davranches,  Le  Lubez,  Mme  la  comtesse  de  Maupeou  et  l'émînent 
maître  de  la  maison. 


M.  G.  de  Lausnay  vient  de  faire  entendre  quelques-uns  de  ses  élèves.  Le  suc- 
cès a  été  aussi  vif  pour  ceux-ci  que  pour  l'excellent  professeur  dont  l'enseignement  est 
si  apprécié. 

Cette  année  les  élèves  de  Mlle  Fanny  Lépine  célébraient  le  mardi  gras  sans  cos- 
tume avec  un  programme  panaché  qui  allait  de  Charpentier  (celui  du  xvii°  siècle),  à 
Saint-Saëns,  en  passant  par  Beethoven,  Grétry,  Poise,  Verdi,  Gounod,  Bizet,  Masse- 
net,  pour  finir  par  le  premier  acte  du  Roi  l'a  dit  de  Delibes.  Toute  la  troupe  de  l'émi- 
nent  professeur  donna  et  se  fit  applaudir.  On  remarqua  la  jolie  voix  cristalline  de 
Mme  Roger  Quérenet  dans  une  scène  de  Falstaff  (dernier  acte),  Mlle  Saint-Amand, 
exquise  Mireille,  Mlle  Hamburger,  pimpante  soubrette  dans  Javotle  et  encore  Mlles 
J.  Huet,  Saint-Denis  et  Voisin.  M.  Vernudachi  chanta  dans  une  demi-teinte  tout  à  fait 
charmante  un  air  de  Zémire  et  Azor^  M.  Pierre  Guyot  se  montra  excellent  de  voix  et 
de  diction  en  interprétant  avec  esprit  une  scène  de  Bonsoir  Voisin^  et  M.  Mareilhacy 
dut  bisser  l'air  de  Vulcain  de  Philemont.  Il  ne  faut  pas  oublier  la  parfaite  accompagna- 
trice du  cours,  Mme  de  Léotard  qui,  dans  le  Prélude  de  Rachmaninoflf,  ï Allegro 
scher:{ando  de  Saint-Saëns  et  une  pièce  de  '  Debussy  fit  apprécier  son  beau  et  souple 
talent  de  pianiste. 

Nous  apprenons  avec  plaisir  la  nomination  de  M.  J.-J.  Nin  comme  professeur  de 
piano  à  la  Schola  Cantorum. 

'  MM.  L.  FleuryetC.  Decreus  rentrent  ces  jours-ci  à  Paris  après  avoir  donné  41 
concerts  dans  38  villes  d'Amérique.  C'est  un  joli  record  qui  permettrait  aux  deux  dis- 
tingués artistes  de  prendre  un  peu  de  repos.  Mais  nous  apprenons  au  contraire  qu'aus- 
sitôt rentrés,  MM.  Fleury  et  Decreus  se  remettront  à  leurs  occupations  comme  s'ils  ne 
s'étaient  pas  absentés. 

La  Légende  du  Sang,  —  Une  sensation  d'art  très  diverse  et  très  complète  à  la  fois 
a  été  offerte  en  son  atelier  par  M.  Arthus. 

C'est  la  Légende  du  Sang  de  M.  de  Beuguy-Puyvallée,  sur  laquelle  M.  Louis 
AuBERT  écrivit  une  musique  de  scène  pleine  de  puissance  et  d'érudition  ;  la  Légende  du 
Sang^  celle  du  meurtre  et  de  la  guerre,  embrasse  tout  le  cycle  humain,  de  la  mort  d'Abel 
à  Napoléon.  L'Egypte,  la  Grèce,  les  Vikuigs,  les  Croisés,  le  moyen  âge,  les  temps  mo- 
dernes y  figurent.  On  conçoit  l'étonnante  diversité  de  rythmes  et  de  modes  que  doit 
embrasser  une  partition  de  petite  étendue,  et  quel  talent  est  nécessaire  pour  que  l'œuvre 
soit  normale  et  belle.  Elle  était  interprétée,  en  ses  soli,  par  Mme  et  M.  Bourgeois  dont 
l'éloge  n'est  plus  à  faire  et  les  chœurs  étaient  tenus  par  un  groupe  d'élèves  de  la  Schola. 
A  cette  musique,  se  joignait  la  vision  des  scènes  par  des  tableaux  surprenants  de  colo- 
ris. Une  sorte  de  lanterne  magique,  éclairant  des  maquettes  animées  du  plus  haut  inté- 
rêt et  donnait  l'illusion  de  fenêtres  ouvertes  sur  le  passé.  Les  yeux  étaient  surpris  et 
charmés  de  ce  décor  mobile,  objectivant  l'Eden,  l'Egypte,  l'Hellade,  Troie,  le  Nord, 
toutes  les  phases  du  cycle  dans  tous  les  cadres  où  il  se  déroulait.  Et,  pour  compléter 
l'ensemble,  au  charme  de  l'oreille  et  de  la  vue  venait  s'ajouter  le  régal  d'entendre  les 
vers  noblement  frappés  de  M.  de  Beuguy-Puyvallée. 

Il  est  à  souhaiter  qu'un  spectacle  aussi  attrayant,  aussi  nouveau  par  l'emploi  de 
tous  les  moyens  propres  à  captiver  l'attention  ne  soit  pas  réservé  aux  trop  rares  invi- 
tés de  M.  Arthus,  et  que  le  grand  public  puisse  applaudir  la  Légende  du  Sang. 

Jean  Marcel. 

Reims.  —  Concerts  éclectiques.  — ^  Il  y  avait  foule  l'autre  dimanche,  salle  De- 
germann,  à  l'audition  des  concerts  éclectiques.  Ces  succès  sont  dus  certainement 
à  l'incessant  travail  de  M.  Vaysman  qui  se  dépense  comme  virtuose  et  comme  orr 
ganisateur.  Mlle  Lucie  Botz  et  M.  Vaysman  ont  interprété  magistralement  la  Sonate 
pour  violon  et  piano  de  Sylvio  La^^^ari.  Mlle  Lucie  Botz  se  fit  ensuite  chaleureusement 
applaudir  dans  un  Nocturne  de  Chopin  et  la  Truite  de  Schubert. 

Un  chœur  de  jeunes  filles  exécuta  trois    pièces    de    César   Franck  et  ce  fut  tine  di* 


-.    225    — 

version  heureuse  très  appréciée  par  la  nombreuse  assistance  qui  remplissait  la 
salle. 

Terminons  en  complimentant  bien  sincèrement  M.  Vaysman  qui  se  propose  de 
monter  encore  de  grandes  oeuvres  auxquelles  le  concours  de  l'excellente  chorale  de  da- 
mes sera  très  précieux. 

—  Concert  Feryiand  Lemaire.  —  Dimanche  dernier  ,  4  mars  ,  se  trouvait 
réunie  en  la  salle  Degermann  une  nombreuse  assistance.  Divers  artistes  se  faisaient 
entendre  avec  grand  succès,  parmi  lesquels  M.  Lucien  Fugère  qui  a  été  le  triomphateur 
de  cette  matinée.  Aussi  la  salle  entière  éclata  en  frénétique  ovation  après  chacun  des 
morceaux  chantés  par  cet  excellent  artiste  dont  le  talent  donne  la  perfection.  Mlle 
Jeanne  Leclerc  de  l'Opéra-Comique  s'est  fait  également  acclamer.  Mlle  Vivard,  pianiste, 
tenait  le  piano  d'accompagnement  et  nous  lui  adressons  nos  plus  vives  félicitations  pour 
la  façon  dont  elle  a  fait  valoir  ce  rôle  si  modeste.  En  terminant,  compliments  sincères 
à  M.  Fernand  Lemaire,  l'habile  organisateur  de  cette  matinée  qui  nous  a  aussi  donné 
toute  la  mesure  de  son  beau  talent  de  pianiste-virtuose  dans  différentes  pièces  de  Bee- 
thoven, Chopin  et  G.  Fauré  ainsi  qu'en  chantant  le  duo  du  Pêcheur  de  Perles  avec 
M.  Fugère.  L.  B. 

Limoges.  —  Au  298°  et  299"  concerts  d'abonnement  de  la  Société  Philharmomqtie 
de  Limoges,  l'excellent  violoniste  M.  G.  Rabani  s'est  fait  entendre  avec  un  très  grand 
succès,  dans  des  oeuvres  importantes  de  Bach,  Haendel,  Schumann,  Grieg,  Fauré.  Pri- 
rent part  à  ces  deux  concerts  :  M.  Charles  Bernardel,  pianiste  virtuose  très  applaudi  ; 
Mlle  H.  Sirbatn,  l'exquise  cantatrice;  l'excellent  baryton,  toujours  fêté  du  public,  M.  G. 
Boucrel,  et  Mlle  /.  Santori,à.e  l'Opéra-Comique.  L'orchestre  de  la  Philharmonique  était 
dirigé  par  M.  Van  Eyckcn. 

Versailles.  —  La  Société  J.-S.  Bach,  de  Paris,  viendra  le  samedi  31  mars,  don- 
ner, salle  de  l'Hôtel  des  Réunions,  un  concert  avec  orchestre  sous  la  direction  de  M. 
Gustave  Bret,  et  nous  offre  un  programme  aussi  varié  qu'intéressant.  Comme  solistes  : 
Mlle  Mary  Pironnay,  M.  Motte-Lacroix,  M.  Daniel  Hermann  et  M.  Krauss, 


Nantes.  —  M.  G.  Dantu  et  Mlle  II.  Menjaud  viennent  de  remporter  ici  un  très  vif 
succès  dans  la  Marie-Madeleine  de  Massenet. 


Monte-Carlo.  —  Premier  Concert.  —  Le  public  débordait  de  la  salle  Garnier,  au 
dernier  Concert  classique  pour  entendre,  au  piano,  M.  Camille  Saint-Saëns,  jouer  son 
poème  Africa  et  le  Concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven.  Le  maître  a  exécuté  ces  deux 
œuvres  avec  un  style  admirable,  une  magnifique  virtuosité,  qui  lui  ont  valu  une  ovation 
triomphale. 

Certaines  pages  de  M.  Saint-Saëns,  dans  la  première  partie  du  concert,  ont  été 
très  applaudies,  notamment  le  prélude  du  Déluge  et  l'air  du  Ballet  de  Parysatis  que 
l'excellent  orchestre  de  M.  Léon  Jehin  a  exécutées  en  perfection. 

Les  Concerts  D.  Thibault  continuent  à  avoir  la  grande  faveur  du  public. 

Soit  dans  le  grand  hall  du  Palais  des  Beaux-Arts,  soit  dans  Fatrium  du  Casino, 
l'excellent  chef  d'orchestre  et  son  admirable  phalange  de  virtuoses  attirent  une  foule 
énorme  d'étrangers  qui  ne  ménagent  pas  leurs  applaudissements  enthousiastes  à  ces 
merveilleux  artistes  ainsi  qu'à  leur  chef  :  les  fragments  d'œuvres  classiques,  les  pages 
modernes,  les  pièces  pour  solistes,  tout  y  est  exécuté  avec  une  perfection  et  une  maestria 
qui  suffisent  à  justifier  l'accueil  du  public. 

Mefistofele,  le  célèbre  opéra  de  Boïto,  aujourd'hui  presque  classique  en  Italie,  et 
qui  fut  joué.  Tan  dernier,  au  théâtre  de  Monte-Carlo,  et  l'été  passé  au  théâtre  d'Orange, 
avec  un  très  grand  succès,  vient  d'être  repris  par  M.  Raoul  Gunsbourg.  Le  public,  une 
fois  de  plus,  a  fait  à  cette  belle  œuvre  le  plus  chaleureux  accueil. 

Le  rôle  de  Mefistofele,  tel  que  le  compose  M.  Chaliapine,  équivaut  à  une  création  ; 
le  jeune  et  puissant  artiste  russe,  doué  d'une  des  plus  belles  voix  de  basse  qu'on  puisse 
entendre,  comprend  et  interprète  le  personnage  de  Satan  avec  une  vigueur  et  un  relief 
extraordinaire.  U  est  magnifique  autant  que  terrible.  C'est  pour  lui  un  véritable 
triomphe. 


220   

Dans  le  rôle  de  Faust,  rexcellent  ténor  italien  M.  de  Marchi  fait  admirer  sa  voix 
bien  timbrée  et  d'un  généreux  éclat. 

Mme  Lina  Cavalieri,  dans  le  rôle  de  Marguerite,  et  dans  celui  d'Hélène,  chante  dé- 
licieusement et  dépense  une  belle  force  dramatique. 

Mme  Deschamps-Jehin  a  tenu  avec  autorité  le  rôle  de  Dame  Marthe  et  celui  de 
Panthalès. 

La  mise  en  scène  de  M.  Raoul  Gunsbourg  est  de  toute  beauté  et  s'approprie  très 
exactement  à  l'œuvre  deBoïto.  On  a  justement  admiré  les  beaux  décors  de  M.  Visconti. 
Et,  dans  les  scènes  féeriques,  telles  que  l'Enfer  et  l'épilogue,  les  décors  lumineux  de  M. 
Eugène  Frey,  avec  leurs  transformations  fantasmagoriques,  ont  émerveillé  le 
public. 

L'exécution  musicale,  chœurs  et  orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  fut 
de  toute  perfection. 

Francfort-s.-Mein.  —  Une  jeune  artiste  belge,  Mme  Eve  Stinony,  vient  de  se  faire 
entendre  pour  la  première  fois  en  Allemagne.  Elle  a  remporté  au  cinquième  concert  de 
l'opéra,  un  succès  indiscutable.  Après  avoir  chanté  l'air  des  clochettes  de  Lackmé,  l'in- 
terprétation classique  qu'elle  a  donnée  d'œuvres  de  Mozart  fut  principalement  remar- 
quée. Les  ovations  du  public  et  les  éloges  unanimes  de  la  presse  laissent  espérer  un 
prompt  retour  de  Mme  Simony.  '  W.  B. 


Nécrologie.  —  Nous  apprenons  en  dernière  heure  la  mort  du  compositeur  russe 
Antonin  Arensky,  décédé  à  St-Pétersbourg  à  l'âge  de  65  ans.  Il  était  professeur  de  con- 
trepoint au  Conservatoire  de  Moscou. 


BIBLIOGRAPHIE 


LIONEL  DE  LA  LAURENGIE  :  L'Académie  de   Musique  et  le   Concert  de 

Nantes  à  l'Hôtel    de  la  Bourse  (1727-1767).  —   Paris.  Société  française  d'im- 
primerie et  de  librairie.  1906,  in-S",  xxvi,  211  p.,  7  planches  hors  texte. 

Cet  ouvrage  d'un  musicologue  que  connaissent  et  apprécient  les  lecteurs  du  Cour- 
rier Musical  est  de  ceux,  toujours  assez  rares,  dont  l'on  peut  dire  qu'ils  sont  entière- 
ment nouveaux  et  véritablement  utiles.  On  ne  possédait  jusqu'ici,  sur  l'Académie  de 
musique  et  le  Concert  de  Nantes,  qu'une  brochure  de  Camille  Mellinet,  tout  juste  suf- 
fisante pour  faire  désirer  que  le  sujet  fût  sérieusement  repris  et  approfondi.  Il  faut 
savoir  beaucoup  de  gré  à  M.  de  la  Laurencie  de  s'y  être  adonné,  et  d'avoir,  avec  le  soin 
patient  et  la  sûreté  qui  caractérisent  sa  méthode  de  travail,  reconstitué  une  page 
presque  inconnue  de  l'histoire  de  la  musique  française  et  des  mœurs  provinciales. 

Les  archives  locales,  et  certains  dossiers  des  archives  nationales,  ont  fourni  les 
matériaux  essentiels  de  l'ouvrage  pour  lequel  M.  de  La  Laurencie  n'a  d'autre  part  né- 
gligé de  consulter  ni  les  journaux  de  l'époque,  ni  les  publications  historiques,  anciennes 
et  nouvelles.  La  source  la  moins  abondante,  parmi  celles  auxquelles  il  a  pu  recourir,  a 
été  la  musique  proprement  dite  :  car,  ainsi  que  cela  s'est  malheureusement  produit  pour 
la  plupart  des  anciennes  maîtrises  de  cathédrales,  le  fonds  de  musique  du  concert  de 
Nantes  a  été  dispersé  ou  détruit,  soit  au  fur  et  à  mesure  des  changements  de  son  réper- 
toire, soit  à  l'époque  des  saisies  et  des  destructions  révolutionnaires.  Nos  vénérables 
ancêtres  avaient  fort  peu  de  respect  pour  la  musique  démodée,  et  l'envoyaient  volon- 
tiers, selon  l'expression  de  Brossard,  ((  chez  les  beurrières  ». 

Le  répertoire  des  concerts  de  province  se  calquait,  d'ailleurs,  sur  celui  des  concerts 
de  Paris,  et  M.  de  La  Laurencie,  qui  connaît  mieux  qu'aucun  de  nous  les  violonistes 
français  ou  francisés  du  xviu'  siècle,  a  pu  reconnaître  dans  les  programmes  nantais  les 


__   227    — 

nortlS  d'un  grand  nombre  d'esntre  eux,  et  joindre  à  leiir  rnentîan  une  foule  de  notes  bio- 
graphiques pu  bibliographiques. 

Le  système  des  «  tournées  »  était  déjà  fort  connu  des  virtuoses,  à  l'époque  où  s'éta- 
blit cette  Académie  (1727)  et  les  prétentions  qu'affichaient  les  amateurs  à  juger  du 
mérite  des  ceuvres  ou  de  l'interprétation  ne  différaient  pas  non  plus  de  celles  qu'étalent 
aujourd'hui  bon  nombre  de  leurs  descendants.  Une  anecdote  bouffonne,  contée  à  la 
page  46,  ou  l'on  voit  un  des  «  commissaires  »  du  concert  de  Nantes  se  courroucer  de  ce 
que,  au  début  d'une  pièce  fuguée,  plusieurs  musiciens  «  restaient  dans  l'inaction  », 
nous  fait  souvenir  d'une  opinion  recueillie  récemment  dans  un  chef-lieu  de  département 
où  s'étaient  fait  entendre  les  Chanteurs  de  Saint-Gervais,  et  où  l'un  des  auditeurs 
s'offusquait  de  ce  qu'ils  n'étaient  pas  partis  tous  à  la  fois.  Plus  change  la  musique,  et 
îpoins  varient  les  conditions  de  son  existerice.  Le  dépourvu  où  l'on  était  à  Nantes  d'une 
véritable  salle  de  concerts,  et  les  difficultés  qu'éprouvèrent  les  dilettantç^  à  réorganiser 
leurs  séances,  après  qu'un  premier  local  leur  eût  été  retiré,  sont  aussi  des  épisodes 
d'une  lecture  fort  amusante  et  qui  ne  manque  pas  de  rapports  avec  l'époque  présente, 
puisqu'à  l'heure  actuelle  Paris  même  T\e  possède  encore,  en  fait  d'installations  de  ce 
genre,  ni  le  superflu,  ni  le  nécessaire. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  l'agrément  que  l'auteur  à  su  répandre  dans  un  livre 
qu'il  nous  faut  garder  de  croire  approprié  aux  seuls  Nantais  :  soit  que  nous  nous  inté^ 
ressions  à  l'histoire  de  l'art  ou  à  celle  de  la  société  française,  nous  y  appreiidrQns  tous, 
quelque  chose. 

Une  table  alphabétique  très  complète  termine  le  volume  et  y  rend  les  recherches 
faciles. 

Michel  Brenet, 


J.-S.  Bach,    100  chorals.   —   Version   française,    par   A.   Mahot,    4    volumes 
(Breitkoff  et  Haertel,  éditeurs,  Leipzig). 

L'œuvre  de  Jean-Sébastien  Bach,  cet  évangile  de  l'art  musical,  commence  à  être  de 
plus  en  plus  connu  en  France. 

La  réponse  de  la  jeune  élève  du  Conservatoire  de  Paris  qui,  questionnée  —  il  y  a 
vingt  ans  —  sur  son  répertoire  de  piano,  ajoutait,  après  énumération  des  pièces 
pianistiques  en  vogue  :  ((  Je  joue  aussi  la  Fugue  de  Bach  »,  ne  serait  plus  de  mise  au- 
jourd'hui. 

Militants  et  auditeurs  français  connaissent  Bach  et,  s'ils  ne  le  comprennent  pas  tou- 
jours, ils  ne  lui  ménagent  pas  du  moins,  les  témoignages  d'admiration,  à  tel  point  qu'un 
éditeur  allemand  avouait  l'an  dernier  que  les  demandes  concernant  les  œuvres  du 
grand  Gantor  lui  arrivaient  de  France  en  beaucoup  plus  grand  nombre  que  des  autres 
pays,  l'Allemagne  comprise  ;  et  c'est  avec  quelque  fierté  que  j'ose  attribuer  au  travail 
lent  mais  sûr  accompli  depuis  quinze  ans  par  notre  Schola  Cantorum,  l'évolution  du 
public  français  vis-à-vis  de  J.-S.  Bach. 

Il  est  cependant  un  coin  de  son  œuvre  qui,  jusqu'à  présent,  est  resté  à  peu  près 
fermé  à  nos  compatriotes  :  je  veux  parler  de  la  partie  vocale  de  ses  compositions  et  spé- 
cialement des  Chorals  qui  parsèment  toute  la  carrière  de  ce  génie  universel.  La  cause 
de  cette  ignorance  est  que  la  plupart  des  Cantates  et  Oratorios  ne  sont  point  traduits  et 
que  le  Français  répugne  à  chanter  dans  une  autre  langue  que  la  sienne. 

C'est  cette  lacune  que  M.  Mahot  a  contribué  à  combler  en  choisissant  parmi 
les  400  Chorals  environ,  que  J.-S.  Bach  a  traités,  une  centaine  des  plus  beaux  et  des 
plus  intéressants  musicalement  et  en  en  présentant  dans  ce  volume  une  traduction 
française. 

Et  qu'on  ne  s'imagine  point  que  ce  travail  fût  aisé  à  effectuer. 

Traduire  les  chorals  de  Bach,  petits  poèmes  où  le  sens  se  résume  en  2,  4  ou  6  vers 
au  plus,  était  une  tâche  d'autant  plus  difficile  que  l'inversion  qui  fait  le  fond  de  la 
langue  allemande  affecte  aux  accents  tpniqwee  §t  expressifs  des  places  essentiellement 


—    228    — 

autres  que  dans  notre  construction  littéraire  française  en  sorte  qu'un  long  et  minutieux 
travail  est  nécessaire  au  traducteur  pour  arriver  à  cette  concordance  des  accents  dans 
les  mots  et  dans  la  musique  dont  je  parlais  plus  haut. 

Je  crois,  qu'à  très  peu  d'exceptions  près,  M.  Mahot  est  parvenu  à  vaincre  cette 
difficulté  qui  était  grande.  Il  est  vrai  qu'il  y  a  mis  toute  son  application  et  tous  ses 
soins  et  c'est  de  cela  que  je  dois  le  louer  tout  d'abord. 

Il  ne  s'est  pas  attaché,  et  avec  juste  raison,  eu  égard  à  l'esprit  très  différent  des 
deux  langues,  à  serrer  son  texte  mot  à  mot,  mais,  ce  qui  est  beaucoup  mieux,  il  a  cher- 
ché tout  en  conservant,  la  signification  générale  du  couplet,  l'esprit  et  l'expression 
équivalant  à  la  poésie  allemande.  Il  a  dû  établir  sa  traduction  en  vers  rimes  ;  agir  au- 
trement eut  été  méconnaître  le  caractère  populaire  des  textes  qui  lui  servirent  de 
modèles.  Enfin  il  ne  s'est  pas  astreint  à  traduire  tous  les  couplets  allemands  de  chaque 
Choral,  pensant  fort  justement  qu'en  notre  langue  deux  ou  trois  couplets  suffiraient 
amplement. 

Ce  recueil,  établi  avec  une  admirative  piété,  paraît  donc  à  son  heure.  Il  sera  pré- 
cieux aux  musiciens  qui  pourront  ainsi  avoir  une  notion  suffisamment  complète  delà  façon 
très  diverse  dont  Bach  écrivait  le  choral  vocal;  indispensable  aux  maîtrises  et  associations 
de  chants  religieux  pour  lesquelles  il  deviendra  une  mine  inépuisable  de  cantiques  vrai- 
ment sacrés;  et  enfin,  lorsque  l'institution  des  Sociétés  de  chantmtxtes  se  sera  répandue 
en  France,  c'est  dans  cette  collection  de  chefs-d'œuvre  que  les  chefs  intelligents  devront 
puiser  la  manne  quotidienne  de  leurs  études  et  de  leurs  concerts. 

Le  jour  où,  sur  les  programmes  de  nos  Sociétés  musicales,  le  Choral  de  Bach  si 
élevé  de  pensées  et  si  facile,  en  somme,  d'exécution,  aura  pris  la  place  de  l'ignoble 
Chœur  d'orphéon,  il  y  aura  un  grand  pas  de  fait  dans  l'éducation  musicale  de  notre 
peuple  de  France. 

Vincent  d'iNor. 


Nouveautés   musicales   reçues 


Emile    VUILLiERMOZ   :    Les  Dionysies  (l.  VOSrande;  II.  Le  Désir),  Les    Trois 

Princesses,  Bourrée  de  Chapdes-Beaufort,  Ronde  des 
Filles  de  Quimper lé.  Jardin  d'Amour,  La  Belle  Fran- 
çaise, Une  Perdriole,  Cœcilïa. 

(Editées  chez  A,  Z.  Mathot) 


Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


Société  Musicale  G.  ASTRUC  &  Cie,  32,  rue  Louis-le -Grand  (Pavillon  de  Hanovre)  PARIS 

15,     Rue     Blanche 


23,   25   Si  29  Mars  19C6 


-■■~s:^^:^!2^-- 


Festival 


ZART 


sous     LE     PATRONAGE     DE 

Madame  la  Princesse  de  BRANCOVAN,  Madame  la  Comtesse  Edmond 
de  POURTALÈS  et  de  Madame  Madeleine  LEMAIRE 

Zi    SOUS     la     Direction    de    }([.     ^epr^aldo     fJAî^N 

AVEC    LE    CONCOURS    DE 

Madame     Lilli     LE  !I  MANN 

de   Mmes    Hedw.    HELBIG,    Maggie   SATE,    DOERKEN 

MM.     Edouard     de    RESZKÉ,     M.     ANCONA,     SOTTOLANA, 

BYGNOy,  SAUTELET,  Louis  DIÉMER,   Ed.  RISLER, 

Maurice     HAYOT,    DENAYER,    SALMON, 


Orcl^eslre    et    cljccurs    de    100    e;cécutants 


PROG  R  A  M  M  ES 


1^=^    CONCERT 

Vendredi  23  Mars,  en  soirée,  à  9  lieures  très  précises 


1.  Symphonie  en  mi  h. 

L'ORCHESTRE. 

2.  Air  des  Noces  de  Figaro. 

Mme  Lilli   LEHMANN. 
?.  Allegro  et  Finale  du  Concerto  en  la  mineur. 

M.  Maurice  HAYOT. 

4.  Trio  de  «  Cosi  fan  tulte  » 

Mmes  Lilli  LEHMANN  et  HELBIG. 
M.  SOTTOLANA. 

5.  Marche  funèbre  des  Francs-Maçons. 

L'ORCHESTRE. 

6.  Air  des  Noces  de  Figaro. 

M.  M.  ANCONA. 

7.  gme  Acte  des  Noces  de  Figaro. 

La  Comtesse Mme    Lilli    LEHMANN 

Suzanne Mlles    HELBIG. 

Chérubini TATE. 

Marceline 

Figaro... MM. 

Le    Comte 

Basilio 


M.  DOERKEN. 
M.  ANCONA. 
SOTTOLANA. 
Ch.    SAUTELET. 


2ME    CONCERT 

Dimanclie  25  Mars,  en  soirée,  à  9  heures  très  précises 


Mlusique  de  Chambre 

r.  Quatuor  en    50/  mineur,  avec  piano. 

MM.  L.  DIÉMER,  HAYOT,  DENAYER,  SALMON. 
2.  Air  de  Don  Giovanni. 

Mme  Lilli   LEHMANN 

Accompagnée  par  M.  Reynaido  HAHN. 

3  Fragments  de  la  Sérénade  en  si  b. 

pour  instruments    à  vent. 

4  Air  du  Roi  Pasteur,  avec  violon  obligé. 

Mlle  HELBIG. 

M.  Maurice  HAYOT. 

5-  Mélodies. 

Mme  Lilli  LEHMANN. 

Accompagnée  par  M.  Reyn-ildo  HAHN. 

6.  a.  Andante  varié 

b.  Ouverture  de  la  Flûte  enchantée. 
M.   Louis  DIÉMER. 

7.  a.  Duo  de  la  Clémence  de  Titus- 
b.  Duo  des  Noces  de  Figaro. 

Mmes  Lilli  LEHMANN  et  HELBIG. 


3me    concert 

Jeudi  29  Mars,    en    soirée,    à   9   heures  très  précises 


4- 


Menuet,  Alagio  et  Finale  de  la  Sérénade  en 

ré  majeur. 
L'ORCHESTRE. 
Fragments  de  la  Grande  Messe  en  ut  mineur. 

(Kyrie,  Credo  et  Incarnatus  est). 

Mlle  Lilli  LEHMANN  —  Les  Chœurs. 
Concerto  en  ut  mineur. 

M.  Ed.  RISLER. 
Air  de  la    Flûfe    enchantée. 

M.  Ed.  de  RESZKii 

a.  Gavotte  d'Idoménée. 

b.  Trois  Valses  Allemandes. 


6.  Fragments  de  Don  Giovanni  d"  acte). 

Donna  Anna Mmes  Lilli    LEHMANN. 

Elvire HELBIG. 

Zéline. Mlle     TATE. 

LeporeUo MM.     Ed.   de    RESZKÉ. 

Don  Giovanni Mario  ANCONA. 

Fasetto SOTTOLANA . 

Don  Oitavio BYGNON. 


Pianos    ERARD    et   PLEYEL. 


NOUVEAU-THEATRE 

15,  Rue   Blanche 

LUNDI  19  MARS  et  MERCREDI  28  MARS  1Q06,  à  9  heures  du  soir 

D  E  B  X     C  O  K  C  E  R  T  S 


Eiigèrje 


E 


^■^Si^^^^^aS^- 


±'^^       CONCERT 
Lundi   19  Mars  1906,  à  g  heures  du  soir 


Concerto J.  S.  Bach. 

Concerto    . Mozart. 

Concerto Beethoven. 


2ME       CONCERT 
Mercredi  28  Mars  1906,  à  q  heures  du  soir 


Concerto  (avec  2  flûtes)  .  .  J.  S.  Bach. 

Concerto  en  si  mineur    .  .  C.  Saint-Saens. 

Poème E.  Chausson. 

Concerto Mendelssohn. 


M.    Eugène    YSAYE 

sera     accompagrié     par 

l'Orchestre  des  Concerts  du  Conservatoire 

sous  la  direction  de 

M.    Georges    MTiliTY 

Chef  â'Orchesiyc  de  la  "  SOCIÉTÉ  0E5  eONCEIÎTS  DU  eONSEUVaTOIlîE  " 


Âdministraiion  de  Concerts  A.  SAKDELOT,  23,  rue  d'Amsterdam 
AUDITION     D'CEUVRES 

de  leaîj'Sébastiei)  BUCH 


DONNEE     PAR 


IN" 


SALLE  yïOLIAN,    MERCREDI  21  MARS,  à  9  heures  du  soir 

X>K>-< 

AU       PROORAMME   : 

Capriccio  sopra  la  lonlananza  del  s»o  fratello  dileltissimo 

fragir^ei^ls  des  Suites,  Suites   Arjglaises  et  Suites  françaises 

avec    variations 

I  isr  "V  E  isj  T  I  o  ]Nr 

en  fa  majeur 
en  fa  mineur 

Prélude     et    Fugue 

en  si  bémol  mineur 

FUGUE     n"    1    de    I'"Art    de    la    Fugue" 

Fantaisie  chromatique  et  Fugue,  etc. 


>  fi 


SOCIETE   PHILHARMONIQUE    DE    PARIS 


SALLE    DKS    CONCERTS,    8,     rue     d'Athènes 

Administration   :    32,   RUE     LOUIS-LE-GRAND     (Pavillon  Hanovre) 


Les  Lundi  2,  Mardi  3,  Mercredi  4,  Vendredi  6  et  Samedi  7  Avril  190^5 

tA   g    heures  précises   du   soir 

CINQ    SÉANCES     SUPPLÉMENTAIRES 

LE     (âlUflTUOli 

J  o  ^  6  p  h 

JOACHI 

^|V],     les    Professeurs   Joseph     Joacl^irr),     C^^'    H^'''''' 
£rr)rr)ar)uel    ^j^irth   et   ]^oberf   ffaussrr)ar)r) 

LUNDI    2    AVRIL    iço6 

Quatuor,  en  fa  majeur.  Op.  77,  n°  2 Haydn. 

Quatuor,  en  la  majeur Mozart. 

XV'=  Quatuor,  en  /a  ;»/»e»r  Op.  32 Beethoven. 

MARDI    ^   AVRIL    igoô 

Quatuor,  en  sol  majeur Mozart. 

XII^  Quatuor,  en  ?/!?/' ;;k7j' t.';;/-,  Op.  127 Beethoven. 

Quatuor,  en  /a  «ja^'t'i/r.  Op.  41,  n"  3 ..      Sciiumann. 

MERCREDI   4   AVRIL    icjoô 

Quatuor,  en  ut  majeur.,  Op.  54,  n"  2 Haydn. 

Quatuor,  en  /a  ;»/;?6'z<;-,  Op.  51,  n°  2 Brahms. 

XIII<^  Quatuor,  en  s/ &  majeur,  op.  130 Beethoven. 

VENDREDI  6  AVRIL  iço6 

Quatuor,  en  ut  viajeur Mozart. 

XVI^  Quatuor,  en /a  w/o/Vin-,  Op.  135 Beethoven. 

Quatuor,  en  ré  7;!2»ez/r Schubert. 

SAMEDI  7  AVRIL  1906 

Quatuor  en  si  h,  Op.  76,  L.  II ; .      Haydn. 

Quatuor,  en  ut  mineur Brahms. 

XIV''  Quatuor,  en  ut  dièse  mineur.,  Op.   131 Beethoven. 

PRIX   IJI^S   PLACES.  —  Parquet  :  Fauteuils  [i'  série),   15  fr.  —  Fauteuils  (2'^  série',  lo  fr. 
—  Galerie,  8  fr.  —  Parterre,  6  fr.  \ 

Billets  à  l'avance  :   à  la  SALLE  DES  CONCERTS,  8,  rue  d'Athènes  ;    chez  MM.    DURAND  et  Fils,   4,  place  de  la     5 
Madeleine  et  chez  M.  GRUS,  éditeur,  place  Saint-Augustin.  \ 

-5 


Administration  de  concerts  A.  DAND5L0T,  83,  rue  d'Amsterdam 

VENDREDI    i6    MARS    iqo6,    A    9    HEURES 

C  O  K  C  E  R  T 

DONNÉ  PAR  MADAME 

ALEM-CHÉNÉ 


PROGRAMME 


a  Sonate  en  fa  diè^e   .  .    . .  Schumann. 

b  Papillons ..  Schumann. 

M"'  ALEM-CHÉNÉ. 

Poésies X. 

M.  Jacques  FENOUX. 

a  Valse-Caprice G.  Faure. 

b  Barcarolle Schubert-Liszt. 

c  Valse-impromptu  . .   .      Liszt. 
d.  Chœur  des  Derviches 
Tourneurs  . .   . . 


Beethoven-Saint-Saens. 


c  Pièce    .    ..   . .    - •    . . 

M°°  ALEM-CHÉNÉ. 

Poésies X. 

M.  Jacques  FENOUX. 
a  JH  OCtu\  ne  fa  majeur..  .. 
b  Mazurka"^  majeur  .  .. 
c  Paraphrase  sur   le  Songe 

d'une  Nuit  d'Été  .. 

M""  ALEM-CHENE. 


Scarlati. 


Chopin. 


Mesdelssohn-Liszt. 


SALLE   DES   AGRICULTEURS,  8,  Rue  d'Athènes 


Samedi  24  Mars  1906,  à  ç  heures 
&&SiioxG&      de     JVExisicjTJie      de     GHamlDre 

Dorjriée  par  I"^. 


E 


DOUARD 


RISLtEIR 


Programme 


1 .  Sonate  en  sol  majeur.  Piano  et  violoncelle     Beethoven. 

MM.  RISLER  et  FEUILLARD. 

2.  Sonate  (Piano  et  Violon) Th.  Dubois. 

MM.  RISLER  et  WILLAUME. 


3.  Trio  en  fa  majeur     Saint-Saens. 

Piano,  Violon,   Violoncelle. 

MM.  RISLER,  WILLAUME  et  FEUILLARD. 


SALLE       ERARD 


DEUX  BECITAI^S  DE  FÎAK0 

DONNÉS  PAR 

EmiL  Sf\UE1^ 

L-u-ndi   26  et  "Vendr-edi    30    IVCars,  à.  9  li.e\ix»es 


FROGRAMAIE: 


Premier   Récital 

Sonate     op.     109 ..  L.V.Beethoven. 

Concert  dans  le  Style  Italien. ,  J.  S.  Bach. 

a  Toccata    op.   7 R.  Schumann. 

b  Intermezzo    op.    117  n°  i..  j.  Brahms. 
c  Scherzo    d'un    songe     d'uie 

Nuit  a'Eté F.  Mendelssohn 


4.  a  Vaiiations  brillantes  op.  12  .    , 

b  Nocturne f 

c  Etude  op.  25  n°  II ; 

5    a  2'"°  Romance ^ 

è  Etudes  en  Octaves j 

6.   Don    Juan     Fantaisie 


Fr.  Chopin. 

E.    Sauer. 
Fr.  Liszt. 


Deuxième  Récital 

1.  Préluiîe  et  Fugue Bach    d'Albert 

2.  Gr»nde  Fantais  e  op.  15 Fr.  Schubert. 

3.  iJ  Scherzo  op.  4 J.  Brahms. 

h  Romance  fa  dière  majeur )     ne- 

^Traumeswirren.. \     ^-  Schumann. 

4.  Sonate  op.  35 Fr.  Chopin. 

5.  a  Rêve   d'amour ] 

è  A  Cheval  (Etude de  Concert  n°  1 1)  f     ^    c 

c  Les  délices  de  Vienne  (Valse  1    ^-  ^'^"=''- 

de  bravoure'; ] 

6.  Fantaisie-Norma Fr.  Liszt. 


Pour  les  Concerts  ci-dessus,  on  trouve  des  Billets  à  l'Administration  de   Concerts  A.  DANDELOT, 
83,  Rue  d'Amsterdam.  Téléph.   113-25 


m':i-i.y'1ii'^^''''f-^^\Si'A;' 


Le^ 


"Pianos     Gaveau 


*       ■  f 


AppiîEeiES  PAU 
Les  Professeurs  du  Conservatoire  de  Paris 


Çjnih    S^^^aïd,    iProfcsseur  d'harmonie. 

Quel  pas  énorme  vous  avez  fait  et  quels  progrès  vous  avez  réalisés  depuis  qu'en 
1867  je  faisais  entendre  vos  pianos  à  l'Exposition  Universelle  ! 

Le  grand  piano  de  concert  que  vous  m'avez  soumis  hier  est  un  superbe  instru- 
ment, sonore,  facile  à  jouer,  d'un  mécanisme  parfait,  d'une  douceur  invraisemblable  et 
dont  le  clavier,  docile  aux  moindres  fantaisies  de  l'exécutant,  cède  à  la  plus  légère 
pression.  Je  vous  envoie  mes  félicitations  les  plus  sincères. 

Srtiiit   Viaut,    rrofesseur  df accompagnement. 

J'apprécie  beaucoup  les  pianos  Gaveau.  Dès  mon  enfance,  au  Conservatoire  de 
Toulouse,  je  me  familiarisai  avec  eux,  jappris  à  les  aimer,  et  depuis  lors  je  n'en  ai 
jamais  eu  d'autres  chez  moi. 

Çaiïi^t  ^eïné.   Membre  du  "Conseil  supérieur. 

Depuis  longtemps  j'ai  pu  constater  la  puissance  et  le  charme,  l'égalité  de  clavier 
n  l'homogénéité   parfaite  de  vos  remarquables  instruments,  et  je  vous  remercie  de 
'avoir  initié,  pendant  notre  visite  à  l'usine  de  Fontenay,  aux  détails  si  intéressants  de 


leur  fabrication 


Victor*^     Waloi,    Membre  du   Conseil  supérieur  et   Professeur" 
de   "Clfant. 

Bien  que  ne  connaissant  rien  des  détails  et  des  difficultés  de  la  fabrication  du 
>iano,  comme  depuis  longtemps  je  suis  à  même  de  juger  les  qualités  merveilleuses  de 
os  instruments  et  de  constater  les  immenses  progrès  réalisés  par  votre  maison,  je  me 
'lais  à  rendre  hommage  à  vos  succès,  et  à  proclamer  bien  haut  que,  si  la  perfection 
tait  de  ce  monde,  Messieurs  Gaveau  frères  pourraient  se  vanter  de  l'avoir  atteinte. 

Vos  excellents  pianos  ont  toutes  \&s  qualités  de  force,  de  puissance  et  de  sonorité 
ésirables  ;  ils  y  joignent  la  douceur,  la  suavité  et  le  charme,  ce  qui  les  rend  absolu- 
jîcnt  supérieurs  au  point  de  vue  de  l'accompagnement. 

Depuis  vingt  ans,  j'ai  pu  les  apprécier,  et  je  suis  heureux  de  vous  dire  toute  mon 
jimiration  pour  les  résultats  merveilleux  que  vous  avez  atteints,  résultats  couronnés 
ar  un  succès  longuement  mérité. 


LyALt^ 


'Estomac 


à  Grand  Cadre  en  fer  d'une  seule  pièce  et  Cordes  croisées' 


Fa.ctTai»e       exicliisiverrient      -A.2rfcistiq:vie 


firRGuiSiMUSiEi 


rnUSTEL  ^  C'S  lluc  dévouai,  46.  f^a^l 


LE 


9«  ANNÉE.  No  7.   1er  Avril  1906. 


Directeur:  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René   DO  IRE 


^OMMAIRE  : 
Portrait  :  MAX  REGER 


Musiciens  contemporains  : 
Max  Reger 

Franz   Liszt   et   l'Art 

i     CLASsiauE  [suite) 

JL'EcoLE  DES  Amateurs 
[suiU).  —IX 

Les  Premières  :  Aphrodite, 
d'Erlanger,  à  l'Opéra- 
Comique 

Don  Procopio,  de  Bizet,  à 
Monte-Carlo 

ILbs  Grands  Concerts  . . . 


PAUL  DE  STŒCKLIN 
J.  CHANTAVOINf. 
JEAN  O'UDINE. 

VICTOR  OEBAY. 

ALFRED  MORTIER. 

JEAN  D'UOINE. 
P.  LOCARO. 


La  Quinzaine  Musicale  ;  Société  l^bilharmo- 
nique,  Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale, 
Société  Bach,  Les  Maîtres  du  violon,  Quatuor 
Capet,  Soirées  d'Art,  Concerts  Nin,  Qttatuor 
Parent,  Schola  Cantorum,  Concert  Busoni. 

Concerts  Divers. 

Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

La  vie  musicale  à  Bruxelles. 

Correspondances  de  :  Lyon.MarseilIe.Monte- 
Carlo  ,Berlin,  Le  Caire. 

Concerts  Annoncés. 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 

Nouveautés  Musicales, 


Le   Directeur   et    le   Secrétaire  de  la 


Administration  et  Rédaction  : 

^9,  RUE  TRONCHET,  PARIS  (8«)     ^^'^^^^'o"  reçoivent  les  Mardi.  Jeudi 
—  et  Samedi,  de  /o  heures  à  midi. 

TÉLÉPHO]\E  259.95 


iureau;c  ouverts 

de  lo  h.  à  midi  et  de  2  h.  à  6  h.  i/a. 


Le  numéro  :  75  centimea 

Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musicale 

(le     1"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 


ABONNEMENTS 


Paris  et   Départements 12  francs  l'an 

(    Étranger  .    15         »  » 

Le    Numéro  :   75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 


Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  (16*) 


Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8'). 

(TÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  BréviUe  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D"^  Colas  —  M.  Baubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot  —  René  Doire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  -- 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Giovanna  —  Orner  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Enosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel —  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauer\7ein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Schar\^renka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D'  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc. 

Le  Courrier  Musical  est  eo  ire^ie  : 

/^  PARIS:    29,  rue  Tronchet. 


Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  houîevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Gahrùs  dt  l'Odèon,  —  14,  rue  Aultr, 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  5,  Faubourg  Saini-Honoré. 
Librairie  RET^  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre- Français. 
Chez  M.  PUGNO,   jy,   Quai  des  Grands-oiugustins,  etc.. 
EH  PROVINCE,    chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

DÉPOTS  :  ' 


Pour   l'ALLEMAGNE 


Pour   la   BELGIQUE 


Pour  l'ANGLETERRE 


Pour   la   HOLLANDE 


Pour  l'AMÈRIQUE 


MM.    BREITKOPF    &   H/ERTEL,   à  LEIPZIG 

MM.  BREITKOPF  &  H/ERTEL,    45,  rue  Montagne  de 
Cour,  à  BRUXELLES 

MM.   BREITKOPF  &   H/ERTEL,    54,    Malborough-Stref 
LONDON-W. 

MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM. 

(    AfAf.  BRENTANO'S,  Union  Square,  NEW-YORK.  „. 
(    M.  G.  SCHIRNER,  35,  Union  Square,  NEW-YORf"^ 


9-  ANNÉE.  N«  7.  1*' AVRIL  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portrait  :  Max  Reger.  —  Musiciens  contemporains  :  Max  Reger 
(Paul  de  Stœcklin).  —  Franz  Liszt  et  l'art  classique  (Jean  Chanta voine).  — 
L'Ecole  des  Amateurs  (suite)  IX  (Jean  d'Udine).  —  Les  Premières  :  Aphrodite,  d'ER- 
LANGER,  à  rOpéra-Comique  (Victor  Debay). — Don  Procopio,  de  Bizet,  à  Monte-Carlo. 
(A.  Mortier).  —  Les  Grands  Concerts  (Jean  d'Udine,  Paul  Locard). —  La  Quinzaine 
Musicale  :  Société  Philharmonique,  Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale,  Société  Bach, 
Les  Maîtres  du  violon,  Quatuor  Capet,  Soirées  d'Art,  Concerts  Nin,  Quatuor  Parent, 
Schola  Cantorum,  Concert  Busoni.  —  Concerts  divers.  —  Le  mouvement  musical  en 
province  et  à  l'étranger  :  La  vie  musicale  à  Bruxelles.  Correspondances  de  :  Lyon, 
Marseille,  Monte-Carlo,  Berlin,  Le  Caire.  —  Concerts  annoncés.  —  Echos  et 
Nouvelles  diverses.  —  Livres?  et  œuvres  musicales  reçus. 


COMPOSITEURS   CONTEMPORAINS 

MAX  REGER 


j'ai  reçu  de  divers  côtés  un  certain  nombre  de  lettres  plus  ou  moins  aimables,  me 
reprochant  de  n'avoir  pas,  dans  mes  lettres  de  Munich,  fait  la  part  assez  grande  aux 
musiciens  modernes  de  l'Allemagne  dont  «  mon  devoir  de  correspondant  »  était 
d'entretenir  les  lecteurs  du  Courrier  !  Je  croyais  avoir  rempli  (souvent  je  l'avoue  avec 
peu  d'enthousiasme)  scrupuleusement  ce  devoir.  J'ai  essayé  de  fixer,  à  ma  façon  il  est 
vrai  et  selon  les  émotions  ressenties,  le  rôle  de  Wolf  et  de  Bruckner,  j'ai  parlé,  si  j'ai 
bonne  mémoire,  maintes  fois  de  Strauss,  de  Nikisch,  de  Weingartner,  de  Mottl,  de 
Lampe,  de  Thuille,  de  Weissmann,  deKaskel,  de  Hausegger,  de  Bœhe,  de  Pfitzner,  de 
Mahler,  de  Schillings,  même  de  Humperdinck,  c'est-à-dire  à  peu  de  noms  près  de 
tout  ce  que  l'Allemagne  compte  d'artistes  intéressants.  J'ai  oublié  intentionnellement 
Reger,  sur  qui  je  n'avais  pas  encore  d'opinion  bien  arrêtée,  oubli  que  je  m'empresse 
de  réparer  aujourd'hui.  Dans  ces  causeries  que  je  suis  heureux  de  pouvoir  reprendre 
aujourd'hui,  je  m'efforcerai,  comme  par  le  passé,  d'être  sans  parti-pris  et  de  rester 
sincère.  On  ne  peut  contenter  tout  le  monde  et  son  père  ! 

Reger  est,  avec  Pfitzner,  la  personnalité  la  plus  originale  de  la  musique  allemande 
contemporaine,  et  je  crois  son  influence  destinée  à  marquer  une  orientation  nouvelle 
de  cette  musique. 

Né  en  1873,  ^  Brand,  dans  le  Palatinat  bavarois,  sa  biographie  tient  en  quelques 
lignes.  Dès  l'âge  de  5  ans,  il  commence  le  piano  avec  sa  mère.  Tout  en  acquérant  une 
instruction  générale  complète  (il  passe  brillamment  ses  examens  d'admission  à  l'école 
normale  de  son  pays),  il  continuait  avec  ardeur  ses  études  musicales,  piano  avec 
Lindner,  harmonie  et  orgue  avec  son  père. 

En  1888,  à  15  ans,  Reger  entend  pour  la  première  fois  de  la  musique  dramatique, 


—  230  — 

une  exécution  orchestrale.  C'est  à  Bayreuth  et  les  œuvres  s'appellent  les  Mm/^mn^gr  et 
Parsifal.  L'impression  fut  énorme,  définitive.  L'adolescent  s'essaye  aussitôt  à  la  com- 
position. Successivement  jaillissent  une  grande  ouverture  pour  orchestre,  des  Préludes 
et  fugues  pour  piano,  deux  quatuors  pour  piano  et  cordes  et  pour  cordes  seules.  Il  se 
rendit  compte  de  la  très  relative  valeur  de  ses  œuvres  et  sut  résister  à  la  tentation  de 
les  publier.  Elles  eurent  ceci  de  bon  qu'elles  lui  obtinrent  de  ses  parents  l'autorisation 
de  se  vouer  entièrement  à  la  musique.  Jusqu'en  avril  1890  il  travaille  seul,  étudiant  les 
grands  musiciens,  surtout  les  vieux  maîtres  du  contre-point,  Bach  avant  tout  et  par 
dessus  tout.  Puis  il  entre  à  l'école  de  musique  de  Sonderhausen  où  professait  Riemann 
dont  il  suit  les  cours  de  piano,  d'orgue  et  de  théorie.  Il  accompagne  son  maître  à 
Wiesbaden  et  obtient  bientôt  une  classe  de  piano  et  une  classe  d'orgue  au  Conservatoire 
de  cette  ville.  Il  venait  d'atteindre  sa  17^  année. 

De  1891  datent  les  premières  compositions  qu'il  juge  dignes  de  communiquer  au 
public  :  Deux  sonates  pour  violon  et  piano,  un  trio,  une  sonate  pour  violoncelle,  des 
pièces  d'orgue,  des  pièces  de  piano,  des  lieder,  des  chœurs.  Sa  veine  productrice  semble 
intarissable.  11  est  actuellement  tout  près  de  son  centième  opus  et  chaque  numéro  con- 
tient la  plupart  du  temps  plusieurs  pièces.  Il  a  touché  à  tous  les  genres  de  la  musique, 
à  tous  sauf  deux  ;  le  drame  et  la  symphonie.  Ceci  est  caractéristique.  Tous  les  jeunes 
actuellement  à  peine  sortis  des  conservatoires,  ne  rêvent  que  drames  ruisselants  de 
passion  et  de  lyrisme,  vastes  déploiements  d'effets  orchestraux.  On  ne  sait  pas  faire 
une  sonate,  mais  on  construit  —  une  symphonie?  non  pas  :  forme  étroite,  vieilloteoù 
l'individualité  étouffe,  —  mais  d'immenses  poèmes  où  peuvent  s'assouvir  les  aspira- 
tions illimitées. 

Reger,  dont  l'inépuisable  facilité  tient  du  prodige,  Sauf  l'œuvre  d'enfance  qui  ne 
fut  qu'un  effort  sans  lendemain,  ne  s'est  essayé  que  tout  dernièrement  dans  le  genre 
symphonique.  Sa  Symphonietta  dont  l'exécution  donna  lieu  dernièrement  à  Munich  à 
des  manifestations  diverses,  est  construite  selon  les  formes  conventionnelles.  Elle  n'a 
d'étrange  que  le  titre  qui  fait  qu'on  s'attend  à  quelque  chose  de  court,  au  lieu  de  la 
vaste  composition  qu'elle  est  en  réalité. 

Deux  influences  ont  pesé  (sans  du  reste  compromettre  sa  personnalité)  sur  Reger 
et  lui  ont  montré  la  voie  dans  laquelle  il  s'engagea  :  }.-S.  Bach  et  Brahms. 

J.-S.  Bach  !  Voilà  qui  est  nouveau  en  Allemagne.  Bach,  de  ce  côté  du  Rhin,  est  une 
propriété  nationale  dont  on  admire  la  grandeur,  la  fécondité,  la  puissance,  dont  on 
méconnaît,  je  crois,  la  poésie  et  la  tendresse  et  dont  on  dédaigna,  jusqu'ici,  l'enseigne- 
ment. Lisez  les  œuvres  de  piano  et  violon  de  Reger,  surtout  les  dernières,  son  œuvre 
entière  d'orgue,  ses  chorals,  une  partie  de  son  œuvre  de  piano,  Bach  transparaît  à 
chaque  page.  Bach  lui  a  enseigné  à  construire  une  fugue,  ce  qu'en  Allemagne  on 
semblait  avoir  oublié,  Bach  lui  a  enseigné  le  respect  de  la  logique,  a  développé  en  lui 
le  goût  des  belles  architectures,  Fart  de  faire  jaillir  les  harmonies  de  combinaisons 
polyphoniques.  Je  sais  peu  de  chose  aussi  puissante  que  ses  Variations  (op.  86)  sur  un 
thème  de  Beethoven  pour  deux  pianos  et  aussi  géniale  que  le  fugue  qui  les 
termine. 

A  côté  de  Bach,  Brahms,  chez  qui  Reger  a  appris  le  culte  de  la  forme  tradition- 
nelle, la  valeur  du  riche  trésor  de  l'inspiration  populaire,  la  possibilité  d'exposer  des 
idées  neuves  et  jeunes  dans  les  vieux  cadres,  la  recherche  parfois  métaphysique  dans 
l'expression,  j'aime  personnellement  peu  Brahms,  je  ne  le  compends  point  et  si  j'admire 
parfois  la  belle  ordonnance  de  ses  œuvres,  il  me  laisse  en  général  froid.  J'estime  tou- 
tefois que  son  influence,  en  ramenant  les  jeunes  vers  la  musique  pure,  ne  peut  être 
qu'heureuse  et  bienfaisante. 

A  propos  de  Reger  on  a  parlé  de  Schubert  avec  qui  il  n'a  rien  de  commun  que  la 


—   231    — 

richesse  d'invention.  Les  thèmes  de  Schubert  s'étendent  en  d'admirables  périodes 
poétiques  avec  lesquelles  la  prose  nerveuse  de  Reger  n'a  rien  à  voir. 

Depuis  un  an  Reger  est  professeur  d'harmonie,  de  composition  et  d'orgue  au  Con- 
servatoire de  Munich.  Cet  événement  qui  fit  tant  de  bruit  souleva  de  vraies  tempêtes. 
Reger  n'était  point  vu  d'un  bon  œil  dans  la  Société  wagnérienne.  Thuille,  jusqu'alors, 
avait  le  monopole  de  l'enseignement.  Il  avait  groupé  autour  de  lui  la  jeune  école 
munichoise  dont  je  vous  ai  fréquemment  parlé.  Il  y  a  maintenant  une  rivalité  éminem- 
ment féconde  entre  les  deux  classes  et  la  classe  Reger  gagne  chaque  jour  du  terrain 
ce  dont,  quelque  admiration  personnelle  qu'on  ait  pour  Thuille,  il  faut  se  féliciter 
chaudement. 

Reger  est  un  organiste  remarquable  qui  comprend  l'orgue  autrement  que  comme 
un  instrument  sur  lequel  on  peut  produire  de  curieux  effets  orchestraux.  C'est  en  outre 
un  pianiste  exquis,  à  la  façon  de  notre  Planté,  qui  joue  vraiment  du  piano.  De  ses 
études  générales  il  a  gardé  dans  la  tournure  de  son  esprit  quelque  chose  de  pédago- 
gique qui  fait  de  lui  un  incomparable  professeur.  Nous  l'étudierons  prochainement 
sous  ce  point  de  vue  en  nous  occupant  des  Conservatoires  de  l'Allemagne. 

Paul  de  STŒCKLIN. 


Franz   Liszt  et   l'Art   classique 

(suite) 


Si  la  fidélité  à  l'art  classique,  et  spécialement  à  la  tradition  beethovénienne» 
n'exclut  pas  pour  les  successeurs  du  maître  le  droit  au  progrès,  du  moins  ce  droit 
doit-il  s'exercer  dans  certaines  limites. 

Aussi  verrons-nous  Liszt,  après  l'avoir  revendiqué,  en  déduisant  et  justifiant  sa 
revendication,  montrer  avec  quelle  mesure  il  en  use.  Entre  Beethoven  et  lui,  entre  les 
neuf  symphonies  et  les  douze  poèmes  symphoniques  —  plus  Faust  et  Dante  —  le  pro- 
grès se  marquera  en  deux  sens  (i),  à  savoir  la  généralisation  et  la  précision.  Liszt  a 
montré  que  les  exemples  littéraux  de  musique  à  programme  se  rencontraient  en  assez 
grand  nombre  chez  Beethoven  :  lui-même  ne  risque  donc  pas  une  innovation,  il  se 
borne  à  généraliser  des  exceptions  ;  de  Beethoven  à  lui,  la  minorité    des   cas,  pour 
ainsi  parler,  devient  majorité.  Mais  en  dehors  de  ces  cas,  combien  de  fois,  lors  même 
que  Beethoven  n'a  pas  inscrit  de  programme  explicite  au   titre  d'une   sonate,  d'un 
quatuor,  d'une  symphonie,  ne  devinons-nous  pas   la  présence  sous-entendue  et  sub- 
consciente de  ce  programme  ?  A  la  vérité  «toute  organisation  musicale  se  rend  compte 
—  sinon  toujours   avec   une    entière   clarté,    du   moins  approximativement  —  de 
l'impression  qu'un  poème  instrumental  doit  faire  passer  de  l'auteur  à  l'auditeur  ;  de 
j  même,  elle  prend  conscience  des  passions  et  sentiments  qu'il  déploie,   ainsi  que  de 
\  leurs  modulations  »  (2)  ;  mais  l'obscurité  de  ces  intentions  à  peine  devinées,  l'inquié- 
i  tude  de  ces  pressentiments  nuit  à   notre  compréhension.    D'où  il  suit  que,  si  Liszt 
généralise  l'usage  du  programme  en  musique,  c'est  avec  un  désir  de  précision:  «N'est- 
il  pas  regrettable,  dit-il,  que  Beethoven,  si  difficile  à  comprendre  et  sur  les  intentions 
,  duquel  on  tombe  si  difficilement  d'accord,  n'ait  pas  indiqué  sommairement  la  pensée 


(i)  Il  va  de  soi  que  le  terme  de  progrès  est  pris  ici  dans  le  sens  historique,  évolutionniste  et  non  dans 
1  le  sens  intrinsèque,  qui  prétendrait  donner  aux  œuvres  de  Liszt  plus  de  beauté  qu'à  celles  de  Beethoven  ;  en 
1  matière  d'art,  on  doit  toujours  éviter  avec  le  plus  grand  soin  la  confusion  de  l'histoire  et  de  l'esthétique. 

(2)  G.  S.  t.  IV,  p.  47. 


—  232  — 

fondamentale  de  quelques-unes  de  ses  grandes  œuvres,  avec  les  principales  modifica- 
tions de  sa  pensée  ?  »  (i).  Pareil  danger  n'existait  pas  au  temps  de  la  musique  pure- 
ment scolastique,  formelle  et  objective,  où  le  développement  musical  suivait  des  lois 
strictes  ;  au  fur  et  à  mesure  que  ces  lois  se  sont  relâchées  pour  laisser  plus  de  jeu  au 
sentiment,  à  la  fantaisie,  voire  au  caprice,  et  que,  d'objective,  la  musique  est  devenue 
plus  subjective,  toute  communication  préalable  s'est  trouvée  rompue  entre  l'auteur  et 
l'auditeur.  Aujourd'hui  «  le  critérium  de  la  loi  musicale  n'est  pas  dans  les  oreilles  du 
consommateur,  mais  dans  l'idée  artistique  du  producteur  »  (2) . 

Le  rôle  du  programme  se  trouve  ainsi  restreint,  sa  nature  définie,  son  usage 
limité,  d'une  façon  assez  étroite.  Cet  usage,  si  Liszt  l'élargit,  il  ne  va  pas  jusqu'à  le 
généraliser  entièrement  :  en  bien  des  cas  la  musique  peut  et  doit  s'en  passer  :  «  Le 
programme  ou  le  titre  ne  se  justifient  que  là  où  ils  sont  une  nécessité  poétique,  une 
partie  indissoluble  du  tout,  et  nécessaires  à  sa  compréhension  »  (3).  Là-même  où  le 
compositeur  aura  reconnu  cette  nécessité,  le  programme  musical  de  son  œuvre  ne 
devra  être«  qu'un  avant-propos  quelconque,  en  langage  intelligible,  ajouté  à  la  musique 
purement  instrumentale,  par  lequel  le  compositeur  a  pour  but  de  préserver  son  œuvre 
contre  l'arbitraire  d'une  explication  poétique  et  d'orienter  par  avance  l'attention  sur 
l'idée  poétique  du  tout,  et  sur  un  point  particulier  »  (4).  D'où  il  est  clair  que  le  pro- 
gramme doit  être  exclusivement  préalable.  Liszt  insistera  sur  ce  point,  qui  est  capital: 
«  Le  programme  n'a  pas  d'autre  but  que  de  faire  une  allusion  préalable  aux  mobiles 
psychologiques  qui  ont  poussé  le  compositeur  à  créer  son  œuvre  et  qu'il  a  cherché  à 
incarner  en  elle.  Bien  que  ce  soit  un  vain  enfantillage,  et  le  plus  souvent  une  erreur, 
d'esquisser  des  programmes  après  coup  et  de  vouloir  expliquer  le  contenu  sentimental 
d'un  poème  instrumental,  parce  qu'il  faut  en  ce  cas  rompre  le  charme,  profaner  les 
sentiments,  déchirer  les  plus  fins  tissus  de  l'âme,  qui  justement  n'ont  pris  cette  forme 
que  parce  qu'ils  ne  se  laissaient  point  saisir  par  des  mots,  des  images  ou  des  idées  — 
pourtant  le  maître  est  maître  de  son  œuvre  ;  il  peut  l'avoir  créée  sous  l'influence 
d'impressions  déterminées  qu'il  voudrait  ensuite  porter  à  la  pleine  et  entière  conscience 
de  l'auditeur  »  (5).  Donc,  le  programme  reste  préliminaire:  l'auditeur  ne  doit  plus 
avoir  besoin  de  le  consulter,  dès  que  le  chef  d'orchestre  a  levé  son  bâton  pour  attaquer 
la  première  mesure.  Mais  il  reste  à  se  demander  comment  un  élément  étranger  à  la 
musique  peut  lui  communiquer  un  caractère  musical  qu'elle  n'aurait  pas  sans  lui  ?  La 
chimie  nous  offre  maint  exemple  d'une  pareille  action,  aussi  énigmatique  dans  ses 
causes,  aussi  indiscutable  dans  ses  effets.  Abandonnez  à  lui-même,  à  l'abri  de  tout 
heurt,  un  liquide  sursaturé,  il  refroidit  sans  cristalliser  ;  il  pourra  rester  visqueux, 
opaque,  trouble,  ou  si  limpide  au  contraire,  que  rien  n'y  trahisse  à  l'œil  la  présence 
d'un  sel.  Plongez-y  tout  à  coup  une  baguette  de  verre  ;  aussitôt,  comme  à  un  appel 
magique,  s'organisent  en  figures  multiples  et  d'une  admirable  régularité,  mille  cristaux 
brillants  dont  la  matière  éparse  nageait  jusqu'alors  dans  une  sorte  de  chaos  indistinct 
ou  invisible.  De  même  l'éveil  d'un  mot  suffira  pour  cristalliser,  selon  une  formule 
parfaitement  claire  et  intelligible,  mille  impressions  ou  sensations  qui,  sans  lui,  seraient 
demeurées  dans  une  sorte  de  virtualité  obscure  au  sein  de  la  musique. 

Il  apparaît  donc  bien  nettement,  malgré  les  préjugés,  en  dépit  des  malentendus, 
que  l'introduction  ou  la  généralisation  du  programme  dans  la  musique  symphonique 


(i)  à  George  Sand,  G.  S.  t.  H,  p.  131. 

(2)  Séroff,  cité  par  Liszt,  G.  S.  t.  V,  p.  224. 

(3)  G.  S.  t.  IV,  pp.  27,  28. 

(4)  G.  S.  t.  IV,  p.  21. 

(5)  G.  S.  t.  IV.  p.  50. 


—  233  — 

n'avait  pas  du  tout  pour  but,  aux  yeux  de  Liszt,  de  substituer  la  musique  descriptive, 
pittoresque,  à  la  musique  pure,  ou  en  d'autres  termes  un  art  extérieur  et  objectif  à  un 
art  intérieur  et  subjectif.  On  s'en  aviserait  plus  vite,  on  s'en  convaincrait  aussi  plus 
aisément  si,  en  écoutant  ou  en  étudiant  les  Poèmes  symphoniques ,  on  prenait  soin  de  ne 
pas  confondre  deux  choses  qui  sont  radicalement  distinctes,  à  savoir  les  préfaces  et  les 
programmes.  Lorsque,  au  titre  du  Tasse  ou  de  Prométhée,  Liszt  rappelle  les  circonstances 
qui  ont  favorisé  ou  accompagné  la  genèse  de  ses  œuvres,  lors  même  qu'à  ce  petit  exposé 
historiqueiljointquelques  confidences  d'artiste,  rien  ne  ressemble  moins  à  un  programme: 
le  programme  du  Tasse,  ce  n'est  pas  cela  ;  ce  n'est  pas  même  l'histoire  du  poète  italien, 
ce  n'est  pas  même  le  drame  de  Goethe,  c'est  l'opposition  de  ces  deux  mots,  formant  le 
sous-titre  :  lamenta  e  trionfo.  De  même,  si  Liszt,  à  la  première  page  de  son  œuvre,  cite 
le  poème  de  Hugo,  Ce  qu'on  entend  sur  la  Montagne  ou  Ma^eppa,  ces  citations  déve- 
loppées, simple  hommage  du  musicien  au  poète,  ne  peuvent  être  prises  pour  des  pro- 
grammes ;  on  ne  doit  pas  chercher  dans  la  musique  des  équivalents,  des  parallèles,  des 
projections  du  poème,  tel  développement  répondant  d'une  manière  plus  ou  moins 
exacte  à  telle  strophe,  telle  mesure  à  tel  vers.  Une  pareille  erreur  serait  d'un  aveugle- 
ment puéril.  L'image  essentielle  ou  l'idée  centrale  du  poème,  voilà  tout  le  programme  : 

L'une  disait  :  Nature,  et  l'autre  :  Humanité. 

ou  bien 

....il  court,  il  vole,  il  tomb^ej 
Et  se  relève  roi  ! 

On  pourrait  multiplier  les  exemples,  avec  Hamlet  qui  ne  prétend  pas  suivre  ou 
retracer  les  péripéties  du  drame  shakespearien,  mais  synthétiser  quelques  traits  de 
caractère  ;  avec  la  Bataille  des  Huns ,  dont  les  détails  ne  cherchent  pas  à  imiter  ceux  du 
tableau  de  Kaulbach,  mais  qui  oppose  simplement  la  rudesse  barbare  et  la  douceur 
chrétienne  ;  avec  les  Préludes,  magnifique  application  au  lyrisme  poétique  de  la  grande 
variation  beethovénienne,  etc.  Bref,  presque  toujours,  le  programme  se  réduit  à  deux 
mots  ;  le  plus  souvent  ces  deux  mots  évoquent  moins  des  images  plastiques  que  des 
sentiments,  des  émotions  qui  sont  la  source  même  du  lyrisme.  Si  l'on  voulait  enfin 
réduire  cet  art  à  sa  plus  simple  expression,  le  plus  souvent  aussi  on  trouverait  qu'en 
fin  de  compte  Liszt  n'a  pas  fait  autre  chose  que  d'exposer  dans  sa  musique  cette  «  lutte 
de  deux  principes  »  par  laquelle  Beethoven  lui-même  expliquait  beaucoup  de  ses  propres 
œuvres.  Déjà,  dans  les  Années  de  Pèlerinage,  lorsqu'il  admirait  les  spectacles  de  la 
nature,  embellis  par  les  souvenirs  de  l'histoire  ou  les  songes  de  la  poésie,  le  paysage 
n'avait  été  pour  Liszt  qu'un  «  état  d'âme  ».  Témoin  la  préface  si  importante  de  ce  beau 

recueil  :  «  Les  aspects  variés  de  la  nature ne  passaient  pas  devant  mes  yeux  comme 

de  vaines  images,  mais...  remuaient  en  mon  âme  des  émotions  profondes...  A  mesure 
que  la  musique  instrumentale  progresse,  se  développe,  se  dégage  des  premières 
entraves,  elle  tend  à  s'empreindre  de  plus  en  plus  de  cette  idéalité  qui  a  marqué  la 
perfection  des  arts  plastiques,  à  devenir  non  plus  une  simple  combinaison  de  sons, 
mais  un  langage  poétique,  plus  apte  peut-être  que  la  poésie  elle-même  à  exprimer  tout 
ce  qui,  en  nous,  franchit  les  horizons  accoutumés,  tout  ce  qui  échappe  à  l'analyse, 
tout  ce  qui  s'agite  à  des  profondeurs  inaccessibles,  désirs  impérissables,  de  pressenti- 
ments infinis  ».  Témoin  l'épigraphe  de  la  pièce  intitulée  les  Cloches  de  G***  : 

1  live  net  in  myself  but  1  become 
Portion  of  that  around  me  (i). 


(i)  Byron,  Cbild  Hurold. 


—  234  — 

et  celle  du  Lac  de  Wallenstadt  i 

....thy  contrasted  lake 
With  the  wild  world  I  dwelt  in,  îs  a  thing 
Which  warns  me,  with  its  stillness,  to  forsake 
Earth's  troubled  waters  for  a  purer  spring  (i). 

Ne  retrouvons-nous  pas  ici  l'application  de  la  devise  inscrite  par  Beethoven  au 
titre  de  la  Pastorale  :  «  Mehr  Ausdruck  der  Empfindung  als  Malerei».  Différents  parleurs 
formes  extérieures  et  leurs  moyens  d'expression,  l'art  de  Liszt  et  celui  de  Beethoven, 
le  dernier  classique  avant  lui,  accusent  donc  une  étroite  parenté  intime  ;  de  même  en 
mathématiques,  deux  fractions  peuvent  être  égales,  malgré  l'inégalité  respective  de  leurs 
facteurs.  Cette  identité  échappe  au  premier  regard  :  pour  la  découvrir  il  faut  opérer  la 
réduction  au  même  dénominateur  ;  elle  n'en  est  pas  pour  cela  moins  réelle. 

A  quoi  donc  tiennent  ces  différences  de  forme  entre  la  musique  dite  classique,  et 
celle  qu'on  appelle  romantique  ?  A  rien  d'autre  qu'à  la  différence  des  époques.  Peu  à 
peu,  les  artistes  cessent  de  former  une  caste  sans  lien  avec  la  société  où  ils  vivent  ;  ils 
partagent  les  idées,  les  sentiments,  les  aspirations  de  leurs  contemporains.  Déjà  nous 
avons  vu  Beethoven  s'enivrer  tour  à  tour  d'enthousiasme  et  de  haine  pour  Napoléon; 
le  musicien,  comme  le  poète,  doit  être  un  «  enfant  du  siècle  ».  La  musique,  par  sa 
nature,  n'appartient  pas  exclusivement  au  domaine  du  sentiment  :  elle  a  plus  d'un 
point  d'attache  avec  les  intérêts  de  la  pensée  ;  il  ne  faut  donc  pas  que  le  musicien  se 
cultive  et  se  développe  aux  dépens  de  l'homme,  mais  que  l'homme,  au  contraire,  pour 
devenir  musicien,  déploie  toutes  ses  facultés.  Le  musicien  doit  donc  «  avoir  des  idées 
pour  accorder  sa  lyre  au  diapason  des  temps,  pour  grouper  les  manifestations  de  son 
art  en  images  reliées  par  un  fil  poétique  ou  philosophique  ;  alors  on  atteint  le  dernier 
mot  de  la  musique  de  l'avenir  et  on  enlève  la  musique  à  sa  position  secondaire  parmi 
les  arts  »  (2).  Et  ainsi  nous  retournons  à  l'idéal  classique  par  excellence,  à  l'idéal  des 
grecs,  pour  qui  la  musique  comprenait  l'ensemble  «  de  tous  les  arts  des  Muses,  de  tous 
les  arts  libéraux  »  (3).  Ne  soyons  pas  trop  attentifs  au  préjugé  qui  a  voulu  opposer 
l'une  à  l'autre  les  deux  générations  qui  se  sont  succédé  :  «  Sainte-Beuve,  dit  Liszt, 
remarque  avec  beaucoup  de  raison  que  la  plupart  des  auteurs  que  nous  appelons  juste- 
ment des  classiques  ont,  en  leur  temps,  compté  au  nombre  des  romantiques,  c'est-à-dire 
des  rebelles  qui  ont  rompu  le  joug  des  disciplines  surannées,  rejeté  l'étroit  uniforme  et 
le  vieux  froc,  qui  ont  refusé  une  obéissance  de  recrues  et  de  novices,  n'ont  pas  voulu 
couver  sur  un  poncif  vermoulu,  verser  dans  des  moules  pourris  des  sentiments 
refroidis  et  figés,  aller  à  des  sources  taries  humer  une  goutte  oubliée,  mais  ont  voulu 
chercher  au  contraire  de  nouveaux  modèles  à  de  nouveaux  tissus,  des  creusets  réfrac- 
taires  pour  y  fondre  de  nouveaux  métaux,  et  découvrir  des  sources  débordantes  qui 
bruissaient  encore  dans  leurs  cachettes  »  (4).  Donc,  la  seule  différence  qu'on 
puisse  caractériser  nettement  par  les  mots  différents  de  classique  et  de  romantique  est 
une  différence  de  date.  iVlais  si  l'on  entend  par  classique  celui  qui  suit  et  prolonge  une 
tradition,  qui  peut  revendiquer  ses  ancêtres,  justifier  sa  lignée  intellectuelle,  les 
romantiques  d'aujourd'hui  seront  les  classiques  de  demain.  Le  «  programme  »  n'est, 
pourrait-on  dire,  qu'un  instrument  de  plus  dont  ils  ont  enrichi  l'orchestre. 

* 
*  *.  i 

Telle  est  la  théorie  dont  les  éléments  se  trouvent  épars  dans  les  écrits  de  Franz 


(i)  Byron,  Child  Harold. 

(2)  G.  S.,  t.  IV,  p.  204.  205. 

(3)  ibid. 

(4)  G.  S.  t.  V.,  p.  191. 


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Liszt.  Autorisée  par  les  exemples  des  maîtres  reconnus,  imposée  par  la  condition  nou- 
velle des  artistes  dans  une  société  nouvelle,  la  musique  à  programme,  loin  de  renier 
la  tradition  classique  et  de  rompre  avec  elle,  s'inspire  d'elle  au  contraire  pour  la  déve- 
lopper et  la  prolonger.  Elle  se  justifie  donc  par  l'histoire.  D'autre  part  la  symphonie  à 
programme,  traitée  avec  la  mesure  et  la  prudence  que  Liszt  ne  manque  pas  d'indi- 
quer, ne  jette  pas  l'art  des  sons  dans  la  dangereuse  aventure  de  la  musique  pittoresque 
et  descriptive,  ou  idéalogique  et  symbolique.  Loin  de  sacrifier  le  lyrisme,  inspirateur 
de  toute  musique  profonde,  elle  l'affranchit  des  dernières  entraves  du  formalisme  qui 
contrariaient  encore  la  liberté  de  son  essor;  elle  assure  sa  souveraineté,  sa  toute- 
puissance  ;  le  musicien  devient  l'égal  du  poète,  et  musica  quoque  poesis  erit. 

Il  resterait  maintenant  à  confronter  la  théorie  de  Liszt  avec  son  œuvre,  et  à  cher- 
cher si  l'une  et  l'autre  coïncident  exactement.  Une  pareille  étude,  très  utile  et  inté- 
ressante, comporterait  forcément  trop  de  détails  pour  rentrer  dans  les  limites  d'un 
article.  D'une  façon  générale  et  approximative,  la  conclusion  serait  favorable  à  Liszt, 
et  montrerait  chez  lui  une  rare  homogénéité  entre  la  doctrine  du  penseur  et  l'inspira- 
tion de  l'artiste.  En  effet,  à  côté  des  pages  innombrables  où  il  a  animé  sa  théorie  avec 
l'éclat,  la  grandeur  et  l'éloquence  que  l'on  sait,  rares  sont  celles  où  il  a  versé  dans  les 
défauts  ou  les  périls  que  lui-même  avait  signalés  (i). 

Mais,  beaucoup  de  bons  esprits  en  sont  encore  à  se  demander  s'il  importe  de  con- 
naître les  théories  d'un  artiste,  de  scruter  sa  pensée,  de  fouiller  ses  intentions, 
d'interroger  sa  vie,  et  s'il  ne  faut  pas  au  contraire  examiner  ses  œuvres  pour  elles- 
mêmes  et  en  elles  seules,  détachés  de  tout  lien  avec  leur  auteur.  Une  telle  abstrac- 
tion ne  paraît  pas  possible;  le  fût-elle  que  je  la  trouverais  maladroite  et  un  peu 
sacrilège.  On  n'élève  pas  ainsi  une  cloison  étanche  entre  l'histoire  et  l'esthétique,  pas 
plus  qu'entre  les  diverses  facultés  de  l'esprit  humain.  Rien  ne  voisine,  qui  ne  commu- 
nique et  ne  se  pénètre  de  quelque  manière.  Le  goût,  l'admiration  même,  lorsqu'elle 
nous  transporte  d'une  sorte  d'enivrement,  ne  touche  pas  exclusivement  nos  sens  ;  son 
caprice  serait  bien  fragile  et  bien  passager.  L'intelligence  lui  donne  la  force,  et  la 
réflexion  la  durée.  La  collaboration  de  l'esprit  et  de  la  raison  est  ici  indispensable  :  ce 
n'est  pas  moins  admirer  que  de  mieux  comprendre.  Les  écrits  de  Liszt  nous  indiquent 
le  point  de  vue  qu'il  faut  adopter  pour  examiner  ses  œuvres;  à  ce  titre  ils  sont  précieux. 
Nous  leur  devrons  une  intimité  plus  réelle  et  plus  profonde  avec  l'œuvre  musical  dont 
ils  expriment  la  théorie.  Si  leur  lecture  donne  à  notre  admiration  pour  cette  œuvre 
une  sorte  de  garantie  et  de  confirmation  intellectuelle,  elle  donne  à  cette  œuvre  comme 
une  solidité  nouvelle,  avec  son  sens  véritable.  Ne  faut-il  pas  considérer  l'envers  d'un 
tapis,  pour  éprouver  l'ordre  et  la  solidité  de  son  point  ;  sans  doute  dans  ses  fils  bruis 
nous  ne  retrouvons  ni  les  dessins  capricieux  ni  les  couleurs  chatoyantes  de  l'endroit, 
mais  sans  eux  les  dessins  ne  seraient  pas  fixés,  ni  les  couleurs  assorties.  Un  même  rap- 
port, pourrait-on  dire,  existe  entre  les  écrits  de  Liszt  et  ses  compositions.  Ignorer 
ceux-là,  c'est  risquer  de  mal  comprendre  celles-ci  ;  et  une  telle  erreur  est  de  consé- 
quence, lorsqu'il  s'agit  du  symphoniste  le  plus  original  et  le  plus  puissant  qui  ait  paru 
depuis  la  mort  de  Beethoven. 

Jean  CHANTAVOINE. 


(i)  p.  ex.  le  poème  symphonique  de  ï' Idéal. 


—  236  — 

L'ÉCOLE  DES  AMATEURS 


PAR 

Jean   d'UDINE 


IX 
l'art  et  la  pensée 

20  mars  ipo6. 

Mon  cher  oncle,  les  huit  jours  que  je  viens  de  passer  auprès  de  vous  se  sont 
écoulés  trop  vite.  Vous  avez  gâté  le  petit  provincial  !...  Aujourd'hui,  dans  le  désœu- 
vrement de  cette  fin  de  vacances,  je  me  trouve  seul  et  triste  au  milieu  des  miens. 
Vous  ne  sauriez  croire  à  quel  point  l'existence  me  parait  vide,  après  cette  semaine 
partagée  entre  les  musées,  les  concerts,  les  théâtres  et  les  rues  si  vivantes  de  votre 
beau  Paris. 

Pour  «charmer  un  temps  mon  ennui»,  je  voudrais  me  donner,  en  vous  écrivant, 
l'illusion  de  nos  longues  et  délicieuses  causeries.  Et,  maintenant  que  j'ai  vu  à  l'œuvre 
votre  esprit  de  prosélytisme,  je  pense  que  ce  sera  le  meilleur  remerciement,  à  vos  yeux, 
pour  votre  si  parfaite  hospitalité  matérielle  et  morale. 

Faut-il  résumer  ici  —  je  n'ai  pas  osé  le  faire  de  vive  voix  —  l'impression  que 
j'emporte  de  ces  quelques  jours,  où  je  me  chauffais  aux  flammes  de  votre  ardent 
amour  pour  toutes  les  manifestations  de  la  beauté  ?,..  Vous  m'avez  jadis  recommandé 
la  franchise  envers  vous.  Je  pense  que  maintenant  vous  l'exigez  plus  que  jamais.  Alors, 
mon  oncle,  je  dois  vous  avouer  que  si  vos  enseignements  oraux  ont  dépassé  mon 
attente  par  leur  enthousiasme  et  la  variété  de  leurs  vues,  s'ils  ont  allumé  définitivement 
dans  mon  cœur  la  passion  de  l'art,  ils  m'ont  un  peu  déçu  en  tant  que  théorie  esthétique. 
Comprenez-moi  bien.  Je  n'attendais  pas  de  vous  un  corps  de  doctrine.  Dès  le  début  de 
notre  correspondance  vous  m'aviez  dit  qu'il  ne  fallait  solliciter  de  votre  part  rien  qui 
ressemblât  à  un  système  méthodique,  aucune  définition,  aucun  critérium  du  Beau,  avec 
un  grand  B.  Et  je  vous  rends  cette  justice  que,  conséquent  avec  vous-même,  vous 
n'avez  jamais  encombré  vos  dissertations  d'aucun  terme  abstrait,  d'aucune  notion 
absolue  de  Vérité  ou  d'Idéal  artistique,  En  revanche  vous  vous  étiez  posé  dans  vos 
lettres,  que  je  garde  précieusement,  vous  le  savez,  en  champion  d'un  subjectivisme 
et  d'un  matérialisme  artistiques  farouches,  et  toutes  vos  conclusions  se  réduisaient  à 
peu  près  à  ces  deux  aphorismes  :  Le  Beau,  c'est  ce  qui  me  plaît,  et  Rien  ne  me  plaît  que 
par  mes  sens.  On  eût  dit  parfois  même  que  vous  preniez  un  malin  plaisir  à  outrer  votre 
pensée  à  cet  égard  et  à  railler  un  peu  cruellement,  chez  les  musiciens,  toutes  les  ten- 
dances idéalistes. 

Or,  pendant  cette  semaine,  où  nous  venons  de  contempler  tant  de  tableaux  et 
d'écouter  tant  de  musique  côte  à  côte,  je  vous  ai  trouvé,  je  ne  dis  pas  vacillant  dans 
vos  doctrines,  mais  presque  .indifférent  à  les  défendre.  Autant  vous  avez  pris  plaisir  à 
exciter,  par  des  considérations  de  tous  ordres,  mon  admiration  devant  les  chefs-d'œu- 
vre, autant  vous  sembliez  fuir  la  discussion  des  problèmes  généraux  que  vous  traitiez 
naguère  la  plume  à  la  main.  Je  croirais  que,  depuis  peu,  vous  inclinez  au  scepticisme, 
s'il  était  possible  de  devenir  sceptique  aussi  subitement.  Bref,  j'ai  rencontré  en  vous, 
comme  je  m'y  attendais,  un  amateur  d'art  fanatique,  je  n'ai  pas  trouvé  l'esthéticien 
quelque  peu  révolutionnaire  qu'indiquaient  toutes  vos  lettres. 

Vous  ne  m'en  voudrez  pas,  mon  cher  oncle,  de  vous  avoir  écrit  sans  ambages.  Je 


—  237  — 

suis  certain  que  vous  serez  le  premier  à  dissiper  ce  malentendu,  si  je  me  trompe,  ou 
à  me  l'expliquer,  si  j'ai  vu  juste.  Une  telle  attitude  de  votre  part  me  trouble,  J'étais  prêt, 
ou  peu  s'en  faut,  à  accepter  vos  théories  d'individualisme  et  de  sensualisme  artistiques, 
et  je  ne  parviens  pas  à  comprendre  pourquoi  vous  n'avez  rien  fait  pour  achever  ma 
conversion,  lorsque  vous  me  teniez  entre  vos  mains. 

Tandis  que  je  vous  écris,  ma  sœur  pianote  dans  la  pièce  voisine.  Elle  joue  un 

entracte  d'un  opéra  de  Massenet  ;  j'aime  beaucoup  ce  morceau  en  dépit  du  mépris  des 
«purs».  Mais  me  voici  Gros-Jean  comme  devant,  car  je  ne  sais  plus  s'il  m'est  permis 
d'en  jouir,  conformément  à  vos  doctrines,  ou  si,  transfuge  de  votre  propre  cause,  vous 
ne  me  conseilleriez  pas  aujourd'hui,  avec  les  théoriciens  du  Beau,  de  dédaigner  cette 
page  qui  charme  mes  oreilles  ??? 

Paris,  le  22  mars  igo6, 

Mon  cher  neveu,  tu  es  un  brave  et  je  t'aime  bien  !  C'est  si  rare  qu'on  ose  dire  tout 
net  aux  gens  ce  qu'on  pense  d'eux,  de  leurs  idées  ou  de  leurs  œuvres  !  Non  certes,  je 
ne  suis  pas  devenu  sceptique,  et,  dans  mon  for  intérieur  je  ne  renie  aucunement  ce  que 
tu  appelles  mon  subjectivisme  et  mon  matérialisme  esthétiques.  Mais,  je  le  reconnais, 
pendant  ton  séjour  auprès  de  moi  (séjour,  qui  m'a  doublement  charmé  parce  que  tu 
es  un  garçon  sensible  et  franc,  et  parce  qu'on  n'apprend  bien  les  choses  qu'en  les 
enseignant  aux  autres),  j'ai  réellement  évité  de  faire  de  l'esthétique  avec  toi.  Tu  as  eu 
raison  de  provoquer  de  ma  part  une  explication  à  ce  sujet.  Ma  réponse  traitera  plutôt 
de  philosophie  que  d'art.  Depuis  assez  longtemps,  du  reste,  notre  correspondance  a 
pris  une  direction  qu'elle  ne  se  proposait  pas  tout  d'abord.  C'est  un  peu  de  ta  faute  ; 
c'est  beaucoup  de  la  mienne.  N'en  rougissons  point,  je  n'ai  guère  de  sympathie  pour  les 
esprits  qui  se  cantonnent  dans  leur  petit  coin  de  science  ou  d'art  et  que  les  problèmes 
de  leur  spécialité  n'entraînent  pas  à  des  spéculations  plus  vastes.  Il  ne  s'agit  pas,  bien 
entendu,  de  créer  à  priori  de  grandes  synthèses,  mais  du  moins  de  rattacher  les  ques- 
tions particulières  à  des  principes  généraux. 

Tu  as  deviné  juste  cependant.  Lorsque  tu  étais  auprès  de  moi,  je  me  suis  tenu 
systématiquement  sur  le  terrain  des  conventions  artistiques  et,  par  là,  je  t'ai  paru  fuir 
tout  débat  de  fond  ou  de  principe.  En  ceci,  comme  pour  toutes  les  choses  de  ce  monde, 
les  raisons  de  ma  conduite  ont  été  multiples. 

Je  commence  par  la  première  et  j'espère,  en  te  l'avouant  sans  fausse  honte,  ne  pas 
trop  diminuer  le  petit  prestige  de  maître  que  tu  as  bien  voulu  m'accorder  jusqu'à 
présent.  Les  esprits  médiocres  peuvent  demander  à  un  professeur  d'être  invariablement 
sûr  de  lui-même  ou  de  ses  idées.  Ils  se  trompent.  Celui-là  serait  un  piètre  éducateur 
qui  se  figerait  dans  ses  certitudes,  parlerait  de  tout  avec  une  conviction  mathématique 
et  romprait  ces  liens  si  souples  qui  unissent  chacun  de  nous  avec  la  vie  universelle 
et  le  reste  des  humains:  le  doute,  l'inquiétude,  les  curiosités  nouvelles...  Quelles 
circonstances  m'ont  tout  à  coup  plongé  dans  une  perplexité  réelle,  non  point  quant  à 
la  justesse  de  mes  théories  subjectives  de  l'art,  mais  quant  à  leurs  déductions  pratiques? 
Ceci  ne  t'importe  point.  L'existence  a  de  ces  tournants  où,  toutàcoup,  quatre  ou  cinq 
événements  successifs,  ornières,  cailloux  ou  pièges  savamment  tendus,  viennent 
imprimer  à  nos  ressorts  intellectuels  de  terribles  secousses.  Il  faut  verser  piteusement 
dans  le  fossé  ou  savoir,  au  prix  d'un  effort  terrible  et  d'un  sang-froid  tout  de  suite 
reconquis,  trouver  un  nouvel  équilibre  pour  continuer  sa  route  vaille  que  vaille  ! 
Rappelle-toi  ces  acrobates  qui,  lancés  sur  une  bicyclette  font  sauter  l'une  des  roues  de 
leur  machine  et  prennent  subitement,  par  un  vigoureux  coup  de  reins,  l'attitude  qui 
leur  permet  de  poursuivre  leurs  exercices  en  monocycle.  Tu  es  venu  me  voir  au 
moment  où  il  m'arrivait  quelque  chose  d'analogue.  Je  ne  suis  plus  tout  à  fait  le  même 


—  238  — 

homme  qu'il  y  a  quelques  semaines.  J'espère  néanmoins  que  je  roulerai  comme  par  le 
passé,  mais  un  peu  différemment. 

l'aurais  pu  t'associer  à  la  genèse  de  mon  nouvel  équilibre  moral.  Tu  aurais  vu  un 
pauvre  diable  tâtonnant,  indécis;  et  voilà  tout.  Seulement  les  crises  de  cette  sorte,  qui, 
pour  un  homme,  sont  plutôt  fortifiantes,  risquent  de  désorienter  trop  longtemps  un 
garçon  de  ton  âge.  C'est  pourquoi  je  ne  t'en  parlais  pas.  Il  est  peut-être  fâcheux  que 
notre  correspondance  n'ait  pas  pris  fin  quelques  semaines  plus  tôt.  Mais  je  ne  puis  me 
résoudre  à  rompre  brusquement  nos  rapports  d'amateurs  passionnés,  sans  t'avoir  dit 
de  l'art  ce  qui  me  reste  à  te  dire. 

Je  te  le  répète  d'ailleurs  :  aucun  des  principes  exposés  dans  nos  lettres  de  cet  hiver 
ne  se  trouve  atteint  à  mes  yeux.  Seules  leurs  conséquences  et  leur  application  peuvent 
varier  pour  moi  ;  et  ceci  n'importe  guère.  Ma  négation  de  certains  dogmes  artistiques, 
par  exemple,  risquait  de.  tourner  elle-même  au  dogmatisme.  Ce  serait  gagner  beaucoup 
que  de  ne  point  tomber  de  Charybde  en  Scylla.  Sans  mener  au  scepticisme,  la  sagesse 
née  de  l'expérience  et  de  ces  chocs,  auxquels  je  faisais  allusion  tout  à  l'heure,  conduit 
aussi  à  plus  de  tolérance,  et  le  dernier  mot  du  savoir  doit  être  la  bonté.  Je  suis  cer- 
tain, mon  cher  ami,  que,  sans  me  le  dire,  tu  m'as  trouvé  trop  faible,  ces  jours  derniers, 
vis-à-vis  des  œuvres  qui  ne  me  plaisent  pas.  Je  sens,  en  effet,  que  j'incline  à  l'indul- 
gence. Mais  tu  peux  te  rassurer,  mauvais  petit  bougre,  je  suis  loin  d'y  être  entièrement 
parvenu  et  je  t'amuserai  encore  de  mes  boutades,  puisque,  hélas  !  ce  qu'on  nomme 
l'esprit  et  que  l'on  recherche  dans  le  monde,  c'est  presque  toujours  de  la  méchanceté  ! 
Du  reste  les  torts  que  peut  avoir  un  homme  dans  l'exercice  de  ses  opinions  n'atteint  en 
rien  leur  valeur  intrinsèque.  Un  mauvais  prêtre  ne  condamne  pas  une  religion.  Si  la 
puissance  d'art  est  individuelle  et  de  nature  physiologique,  comme  je  le  pense,  c'est  à 
chacun,  auteur  ou  amateur,  de  la  provoquer  et  de  la  développer  comme  il  lui  plaît.  Je 
t'ai  dit  maintes  fois  que  la  noblesse,  la  profondeur,  l'élévation  d'une  idée  exprimée 
dans  une  œuvre  d'art  n'ont  rien  à  voir  avec  notre  plaisir  artistique  ;  mais  cela  ne 
signifie  en  aucune  façon  qu'un  esprit  noble,  profond  ou  élevé,  qu'un  cœur  généreux  ne 
créeront  pas  ou  ne  goûteront  pas  des  jouissances  artistiques  plus  étendues  et  plus 
intenses  que  des  cœurs  vulgaires  ou  que  des  esprits  vils.  A  tempérament  artistique 
égal,  il  n'y  a  pas  de  doute  à  cela,  les  premiers  édifieront  ou  aimeront  des  œuvres  bien 
autrement  grandes  et  durables  que  les  seconds.  A  l'heure  qu'il  est,  la  Messe  solennelle  de 
Beethoven  et  l'ouverture  des  Maîtres  chanteurs,  qui,  toutes  les  deux  expriment  de  si 
hautes  pensées,  demeurent  aussi  pour  moi  les  sommets  de  la  jouissance  sonore... 

Mais  puisque  ta  sœur  a  conservé  mes  vieilles  lettres,  je  ne  vais  pas  me  répéter 
là-dessus.  Je  lui  ai  écrit  ces  choses  dans  le  temps  et  tu  peux  lui  demander  les  pages 
qui  traitent  la  question  (i).  Cependant  je  te  le  ressasse  une  dernière  fois  :  l'élévation 
intellectuelle  et  morale  et  le  génie  artistique  sont,  à  mon  sens,  foncièrement  distincts 
l'un  de  l'autre.  C'est  sans  doute  ceci  que  tu  nommes  mon  matérialisme  artistique,  et 
c'est  aussi  ce  dernier  point,  je  veux  dire  ta  croyance  intuitive  à  la  solidarité  du  Beau 
et  de  l'Idéal,  que  tu  aurais  voulu  me  voir  combattre  définitivement  la  semaine  dernière, 
quand  nous  nous  promenions  ensemble. 

Je  ne  pouvais  honnêtement  le  tenter  et  j'arrive,  cette  fois,  au  point  le  plus  délicat 
de  nos  relations  mentales,  parce  que  c'est  celui  qui  intéresse  l'humanité  tout  entière... 
A  présent  je  m'en  rends  un  compte  très  net  :  la  sympathie  ou  la  répugnance  d'un 
chacun  pour  l'esthétique  individualiste  et  sensuelle,  que  je  t'ai  prêchées  dans  mes  longues 
missives,  dépend  non  point  de  nos  facultés  artistiques  ou  de  notre  raison,  mais  de  nos 


l)  Petites  lettres  pour  la  jeunesse,  Chapitre  VIII,  la  Pensée  dans  l'art. 


—  259  — 

croyances  religieuses.  Un  spirituallste  doit  logiquement  refuser  aux  jouissances  d'art 
des  origines  purement  physiologiques  et  ne  saurait  admettre  que  les  goûts  individuels 
ne  possèdent  pas  un  guide  de  perfection  éternel  et  absolu.  Si  l'amour,  aux  yeux  des 
croyants,  «  ne  peut  trouver  de  repos  qu'en  Dieu,  en  s'élevant  au-dessus  de  toutes  les" 
choses  créées  »,  la  beauté  doit  chercher  dans  la  même  direction  son  prototype  per 
manent.  Pour  un  spiritualiste  le  beau  est  intimement  lié  au  bien  et  au  vrai,  parce  que 
tous  trois  possèdent  une  source  métaphysique  commune.  Pour  un  moniste  le  problème 
fie  présente  pas  les  mêmes  données  et  les  hasards  du  mouvement  qui  créent  la  Vie 
suffisent  à  expliquer  aussi  l'évolution  de  l'Art.  La  grande  loi  de  sélection  naturelle 
s'applique  aux  œuvres  comme  aux  êtres.  Celles-là  survivent  aux  autres  qui  plaisent 
mieux  à  nos  sens  ;  elles  justifient  leur  qualité  par  leur  survivance  même,  sans  qu'on 
aille  chercher  si  elles  répondent  à  quelque  plan  préconçu. 

Il  est  bien  difficile,  j'en  conviens,  d'accepter  ce  darwinisme  esthétique,  auquel  je 
t'ai  déjà  fait  allusion,  sans  accepter  tout  d'abord  le  darwinisme  biologique,je  veux  dire 
sans  l'accepter  franchement  avec  le  déterminisme  qui  en  découle. 

je  devine,  mon  enfant,  que  tu  as  conservé  de  ton  éducation  des  sentiments  et  des 
idées  qui  ne  te  permettent  pas  de  me  suivre  sur  ce  terrain.  Il  ne  m'appartient  pas  de 
t'influencer  dans  ces  graves  matières.  Tu  m'as  demandé  de  te  parler  d'art  ;  nous  en 
sommes  venus  fatalement  à  causer  philosophie.  }e  ne  suis  ni  assez  instruit,  ni  assez 
présomptueux,  ni  assez  imprudent  non  plus  pour  tenter  de  modifier  en  quoi  que  ce  soit 
tes  croyances  métaphysiques.  C'est  à  chaque  homme  de  préparer  et  d'accomplir  son 
évolution  spirituelle  comme  il  l'entend...  surtout  comme  les  circonstances  l'y  poussent. 
je  ne  te  dis  pas  nique  tu  deviendras  moniste  un  jour,  ni  que  tu  ferais  bien  de  le  devenir. 
Je  crois  en  vérité  que  les  suprêmes  arguments  des  convictions  qui  nous  paraissent  le 
plus  purement  intellectuelles  sont  des  arguments  sentimentaux.  Mais  je  crois  aussi  que 
le  sentiment  de  l'humanité  incline  peu  à  peu  au  matérialisme  et  je  puis  du  moins  l'affir- 
mer avec  certitude,  que  dans  une  Société  entièrement  moniste  on  accepterait  univer- 
sellement mon  esthétique...  négative.  Le  sort  des  dogmes  artistiques  est  intimement 
lié  au  sort  des  dogmes  religieux  et  l'anarchie,  en  art  comme  en  politique,  pourrait  bien 
être  le  résultat  nécessaire  du  progrès. 

Une  dernière  raison  m'a  déterminé  à  ne  discuter  devant  toi  aucun  point  de  théorie: 
c'est  l'inutilité  complète  des  raisonnements  dans  l'éducation  de  la  sensibiHté.  Un  homme 
qui  répète  cent  fois  :  «  bravo  !  bravo  !  bravo  !  »  ou  une  vieille  anglaise  qui  mâchonne  : 
«  splendid  !  charming  !  beautiful  !  »  t'entraîneront  aussi  bien  à  l'admiration  des  chefs- 
d'œuvre  qu'un  dialecticien  subtil  avec  les  plus  beaux  arguments  du  monde.  11  en  est 
delà  beauté  comme  des  précipices  ;  un  simple  coup  de  coude  suffit  à  nous  la  faire  per- 
cevoir si  nous  la  côtoyons  distraitement.  Je  me  souviens  avoir  rencontré  au  Musée 
Rodin,  en  1900,  un  jeune  germain  qui  ne  savait  pas  un  mot  de  français.  Moi  je  ne  sais 
pas  un  mot  d'allemand.  Nous  ne  nous  sommes  pas  quittés  de  l'après-midi,  et  je  t'assure 
qu'avec  quelques  exclamations  nous  avons  accru  énormément,  l'un  chez  l'autre,  notre 
admiration  pour  le  grand  sculpteur. 

Mais  si  l'on  m'accorde  sans  peine  que  des  théories  abstraites  sont  assez  oiseuses 
dans  la  formation  du  goût,  l'on  voudra  défendre,  en  revanche,  certaines  bases  objec- 
tives du  jugement  ;  l'histoire  de  l'art,  par  exemple.  Tu  m'avais  demandé  jadis  si  tu 
devais  lire  quelque  histoire  de  la  musique  ou  des  monographies  de  musiciens.  Je  ne 
t'avais  pas  répondu,  je  crois.  Je  te  réponds  aujourd'hui.  Si  c'est  un  plaisir  intellectuel 
que  tu  cherches  dans  ces  ouvrages,  vas-y  :  leur  étude  est  passionnante  !  et  je  t'accorde 
qu'un  homme  cultivé  ne  devrait  pas  ignorer  que  Monteverde  a  précédé  Lulli  et  que 
Weber  est  antérieur  à  Schumann .  Mais  si  tu  penses  trouver  là  un  excitant  pour  ta 
sensibilité  musicale,  un  guide  pour  ton  goût,  laisse  toute  espérance  à  la  première  page 


—    240   — 

du  plus  parfait  de  ces  livres.  L'histoire  est  toujours  de  l'histoire.  Quand  tu  auras  appris 
omment  la  basse  continue  a  pris  naissance  à  la  fin  du  seizième  siècle  et  est  morte  avant 
la  fm  du  dix-huitième,  cela  ne  changera  pas  d'un  iota  ton  émotion  devant  une  page  de 
Bach  ou  de  Rameau.  Tu  sauras  que  le  ronronnement  ininterrompu  des  instruments 
graves  s'appelle  le  continua  ;  peut-être  même  le  remarqueras-tu  davantage  que  si  tu 
n'en  étais  pas  averti.  Mais  le  tremblement  de  tes  lèvres,  mais  le  petit  frisson  qui  passera 
dans  tes  cheveux,  mais  les  palpitations  plus  rapides  de  ton  cœur,  mais  les  larmes  qui 
humecteront,  tes  .paupières,  tous  ces  réflexes,  témoins  de  ton  profond  ébranlement  sous 
l'empire  des  sonorités  géniales,  ne  seront  aucunement  accrus  par  ta  connaissance 
nouvelle  des  formes  et  de  leur  origine. 

Je  ne  vais  pas  recommencer  mes  démonstrations  afin  de  te  prouver  leur  inanité. 
Laisse-moi  seulement  te  faire  toucher  du  doigt  le  danger  des  connaissances  historiques 
pour  les  musiciens.  Dernièrement,  un  critique,  pour  démolir  une  œuvre  nouvelle, 
droit  que  je  ne  lui  conteste  point,  écrivait  ceci  :  «des  accords  qui  étaient  déjà  fades 
en  1820,  des  accompagnements  à  la  Schubert  ou  plutôt  encore  de  Schubert,  une  décla- 
mation pseudo-wagnérienne,  ont  paru  à  cet  auteur  le  comble  de  la  hardiesse  et  le  dernier 
effort  de  la  musique  descriptive.  »  Et  ce  critique,  satisfait  d'une  comparaison  qu'il  subs- 
tituait à  son  instinct  artistique,  ne  se  demandait  même  pas  si  la  musique  en  litige 
était  juste  ou  fausse  d'expression,  émouvante  ou  non  !... 

Moi-même  j'ai  commis  naguère  une  erreur  du  même  genre.  Ayant  à  parler 
d'une  symphonie  nouvelle,  je  lui  reprochais  de  ressembler  à  telle  page  de  Wagner. 
Voilà  bien  de  l'impertinence!  Le  compositeur  aurait  pu  me  dire  :  «Pourquoi,  mon- 
sieur, connaissez-vous  si  bien  TVu/an  ?  J'ai  fait  de  la  musique  pour  des  âmes  sen- 
sibles et  non  pour  des  cerveaux  encombrés  par  les  ouvrages  de  mes  prédéces- 
seurs. Mes  harmonies  sont-elles  riches?  mes  rythmes  vous  semblent-ils  variés  et 
vivants  ?  ma  mélodie  chante-t-elle  avec  tendresse  et  passion  ?...  Et  bien,  alors  !  Laissez 
donc  votre  Wagner  tranquille  et  veuillez  m'écouter  plus  naïvement!»  Il  aurait  eu 
raison.  J'avais  dû,  moi  aussi,  écrire  ma  petite  comparaison  par  vanité,  et  c'est  une 
marque  des  époques  dénuées  d'ardeur  et  de  sève  artistiques  d'exiger  que  l'art  y 
soit  nouveau  et  chaque  œuvre  personnelle  !  Ah  la  belle  besogne  vraiment  que  de  recher- 
cher si  l'auteur  de  la  Tétralogie  a  «pigé»  des  effets  à  Liszt  et  des  thèmes  à  Cornélius. 
Qu'est-ce  que  cela  peut  bien  faire,  je  te  le  demande  ! 

Allons,  mon  ami,  je  vais  me  taire.;  il  en  est  plus  que  temps.  Mais  je  t'adresserai 
bientôt  une  leçon  de  quiétisme  artistique.  Ce  sera,  si  tu  le  veux  bien,  la  conclusion  de 
ma  trop  longue  correspondance. 


■ —   241    — 

A    L'OPÉRA -COMIQUE 


Drame  musical  de  Camille  Èrlaiigfer 


Avant  d'aller  entendre  la  partition  de  M.  Erlanger  j'ai  tenu  à  relire  YtÂphrodite 
de  Pierre  Louys.  J'y  pris  beaucoup  de  plaisir,  moins  cependant  iqù'àiiti'efois.  Dans  sa 
grâce  voluptueuse,  l'oeuvre  m'a  paru  un  peu  superficielle,  et  j'ai  trouvé 'qù'il'y  manque 
un  puissant  élément  d'i'Btërêt,  l'émotion.  Le  style  a  toujours  sa-  joliesse  simple  et  son 
rythme  pur.  Cette  nouvelle  lecture,  motivée  par  les  circonstances,  me  fit  apercevoir 
combien  devait  être  difficile  et  délicate  pour  un  librettiste  la  tâche  de  transformer  en 
drame  ce  roman  exquis  et  spécial.  La  réalisation  scènique  de  certains  épisodes  était  si 
impossible,  qu'au  dernier  moment,  bien  qu'ils  aient  été  mis  à  l'étude,  on  y  dut  re- 
noncer. La  crucifixion  de  l'esclave  chez  Bacchis  et  la  montée  triomphale  de  Ghrysis  à 
la  tour  du  grand  phare  se  passeront  désormais  dans  la  coulisse.  Pour  la  première,  on 
a  fort  bien  fait  de  nous  en  épargner  le  sanglant  et  odieux  spectacle.  Quant  à  la  sup- 
pression de  la  seconde,  elle  rend  toute  une  fin  d'acte  absoluinent'  ihcômpréhehsible 
aux  spectateurs  à  qui  le  roman  n'est  pas  familier;  .Mais  'à  cote  de' ces  difficultés  pra- 
tiques il  yen  avait  à  vaincre  de  plus  grandes  d'un  ordre  moral.  Certaines  amours, qui 
sont  avec  une  naïve  et  délicieuse  complaisance  détaillées 'dans- ■  te  volume,  -ris- 
quaient de  devenir  scabreuses,  grossières  en  les  transportant  du  livre  où  l'imagination 
les  idéalise  sur  le  théâtre  où  elles  auraient  été  peut-être-trop' évidentes.' Ily  avait  aussi 
toutes  les  aimables  discussions  sur  le  plaisir  et  ses  moyens  qui  font,  avec  leur  quasi- 
philosophie,  songer,  à  un  banquet  de 'Platon  pour  cocottes  lettrées,  qu'il  était  assez 
malaisé  de  développer  devant  un  public.  Et  pourtant  ces  passions  particulières,  ces 
entretiens  audacieux  sont  l'essence  même  et  le  charme  du  livre.  M.  Louis  de  Gra- 
mont,  l'adaptateur  d'Aphrodite,  s'en  est  tiré  en  les  supprimant.  Il  s'était  jadis  montré 
moins  scrupuleux  dans  VAstarté  de  Xavier  Leroux  dont  la  conclusion  lesbienne  ne  fut 
pas  sans  choquer  la  haute  moralité  des  chastes  abonnés  de  l'Opéra.- Du  roman  de' 
Pierre  Louys  il  ne  reste  plus  à  la  scène  que  l'aventure  de  la  courtisane  Chrysis  et  du 
sculpteur  Démétrios.  C'est  une  Aphrodite  revue  et  corrigée  aii  usum  DelpUni.  Que  les 
familles  soient  donc  rassurées,  elles  y  pourront  conduire  leurs  enfants-  qui  n'y  com- 
prendront pas  grand  chose.  Je  n'entends  parler  ici  que  du  poème.  Et  encore  si  M.  de 
Gramont  avait  respecté  la  pensée  du  romancier  au  lieu  d'y  ajouter  de  son  cru  qui  n'a 
pas  la  valeur  de  celui  de  Pierre  Louys.  Dans  le  volume,  lorsque  Démétrios  a,  pour  con- 
quérir la  courtisane  qui  ne  se  devait  donner  qu'à  cette  condition,  commis  le  vol,  le 
meurtre  et  le  sacrilège,  rentré  en  sa  demeure,  il  tombe  dans  un  sorrimeil  profond  pen- 
dant lequel  un  rêve  étrange  lui  livre  Chrysis  avec  une"  volupté  si  intensément  puis- 
sante, que  la  réalité  ne  pourra  jamais  égaler  le  songe.  Aussi,  quand  Chrysis  recon- 
naissante, troublée,  ardente,  amoureuse  à  son  tour  vient  s'offrir  à' son.  vainqueur, 
Démétrios  la  repousse  et  la  dédaigne.  L'imaginaire  possession  a  tué  le  désir.  «  Il  est 
trop  tard,  dit-il,  je  t'ai  eue  ».  Cela  était  original  et  cruel.  Avec  M.  de  Gramont  la 
rencontre  devient  plus  banale.  Comme  dans  tout  opéra-comique,  les  deux  amants  se 
précipitent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre,  échangent  serments  et  baisers,  chantent 
ensemble  le  cantique  des  cantiques;  connaissent  enfin  dans  leurs  entrelacements  toutes 
les  extases  dont  le  théâtre  permet  le  spectacle  et  pour  lesquelles  la  musique  supplée 


—    242    — 

avantageusement  à  ce  qu'on  n'en  pourrait  laisser  voir.  Dans  celte  nouvelle  version 
Démétrios  ne  se  reprend  que  lorsqu'il  entend  les  rumeurs  de  la  foule  révoltée  par  la 
nouvelle  du  triple  crime.  11  chasse  Chrysis  sous  l'empire  d'un  remords  dont  je  n'ai 
trouvé  nulle  trace  dans  l'œuvre  de  Pierre  Louys  et  qui  est  tout  à  fait  contraire  au  carac- 
tère de  son  héros  désabusé.  Il  est  vrai  que  cet  ingénieux  arrangement  fournissait  au 
musicien  la  matière  de  l'inévitable  duo  d'amour  que  M.  Erlanger  a  d'ailleurs  écrit  de 
main  de  maître.  Cependant,  mettant  à  part  la  personnalité  très  sympathique  du  com- 
positeur, ne  pensez-vous  pas  avec  moi  qu'il  est  tout  à  fait  désagréable  de  voir,  dans  le 
but  d'une  adaptation  scénique  inutile  et  irréalisable,  déformer  une  œuvre  d'art  exquise 
dont  on  aimait  le  parfum  erotique  qu'une  main  lourde  a  dispersé  au  vent,  sans  rien 
ajouter  qui  le  remplaçât.  On  pouvait  regretter  qu'il  y  fût.  Mais  il  ne  fallait  pas  tou- 
cher à  Aphrodite  si  l'on  en  voulait  l'arracher.  Il  y  a  désormais  deux  Aphrodites  :  celle 
de  M.  Pierre  Louys,  savoureuse,  perverse,  charmante,  celle  de  M.  de  Gramont  qui 
n'est  que  le  résultat  d'une  expurgation  de  la  première.  Je  comprends  qu'il  soit  tentant 
de  mettre  à  la  scène  une  œuvre  qu'un  grand  succès  consacra.  On  est  en  droit  de 
compter  pour  la  réussite  sur  la  curiosité  du  public  que  la  gloire  attire.  Mais  au  moins 
faut-il  apporter  quelque  discernement  dans  le  choix,  et  de  l'intelligence  dans  la 
retouche. 

Sur  ce  tripatouillage  M.  Camille  Erlanger  a  écrit  une  très  abondante  partition  à 
qui  je  ferai  tout  d'abord  le  reproche  de  couvrir  les  voix  sous  une  orchestration  trop 
serrée.  Je  mets  au  défi  quelqu'un  qui  ne  connaîtrait  pas  préalablement  le  sujet  d'entendre 
assez  de  paroles  pour  pouvoir  comprendre  ce  que  l'on  chante  et  ce  dont  il  s'agit.  C'est 
un  grave  défaut  pour  un  drame  musical,  et  d'autant  plus,  qu'il  n'y  a  pas  à  compter  sur 
le  secours  du  livret  au  cours  de  la  représentation,  la  salle  demeurant  pendant  les 
tableaux  plongée  dans  la  plus  complète  obscurité.  Il  est  donc  utile  d'être  informé  avant 
d'entrer.  Comme  on  regrette  l'orchestre  fluide  et  transparent  de  Pelléas  et  Melisande 
qui  permet  à  la  prose  lyrique  de  se  développer  et  la  met  si  bien  en  valeur  !  Maintenant 
que  j'ai  laissé  entendre  que  la  symphonie  de  M.  Erlanger  pèche  peut-être  en  maints 
endroits  par  trop  de  richesse,  je  dois  dire  avec  quelle  habileté  son  orchestre  est  traité. 
La  trame  solide  en  est  tissée  de  thèmes  caractéristiques  qui  chantent  sans  répit.  Par 
leur  emploi  toujours  judicieux  le  compositeur  en  impose  la  signification.  Parfois  on 
pourrait  trouver  qu'ils  sont  répétés  trop  de  fois  de  suite  avec  une  insistance  opiniâtre. 
Mais  c'est  là  un  procédé  de  conception  et  d'écriture  dont  on  ne  saurait  faire  un  trop 
lourd  grief  au  musicien,  quand  on  se  rend  compte  de  la  précision  à  laquelle  il  parvient 
ainsi  par  un  commentaire  psychologique,  sentimental  ou  descriptif  du  drame  et  de  ses 
mobiles.  Au  début  de  l'œuvre,  lorsque  dans  le  court  prélude,  entre  les  sonorités  écla- 
tantes puis  atténuées  du  motif  de  la  destinée,  apparaît  le  thème  du  temple  d'Aphrodite, 
on  craignit  que  M.  Erlanger  n'employât  encore  les  couleurs  sombres  dans  lesquelles 
son  œuvre  s'enferme,  mais  tout  de  suite,  sur  la  jetée  d'Alexandrie,  la  lumière  brilla 
dans  un  mouvement  de  fête,  avec  une  voluptueuse  exubérance  de  vie.  Tous  les  timbres 
de  l'orchestre  se  fondaient  dans  une  harmonie  lumineuse.  Pour  l'orgie  chez  Bacchis, 
M.  Erlanger  a  poussé  le  tableau  jusqu'à  la  violence,  mais  il  serait  injuste  de  ne  pas 
reconnaître  qu'il  a,  par  ces  moyens  quelquefois  brutaux,  atteint  une  grande  puissance 
d'intensité.  J'avouerais  que  mes  préférences  vont  plutôt  aux  scènes  moins  bruyantes  où 
M.  Erlanger  s'est  efforcé  et  a  réussi  en  maints  endroits  à  créer  autour  de  son  sujet 
l'atmosphère  musicale  qui  lui  convenait.  Je  n'ai  que  l'embarras  du  choix  pour  citer  de 
jolies  pages  comme  celle  de  l'entrée  de  Démétrios  avec  son  motif  de  lassitude,  l'inter- 
mède de  la  sorcière,  léger  quand  elle  s'adresse  aux  courtisanes  rieuses,  dramatique 
quand  elle  lit  dans  la  main  du  sculpteur  sa  destinée  sanglante  ;  l'arrivée  de  Chrysis, 
enveloppée  comme  d'un  voile  transparent  de  son  thème  séduisant  avec  sa  conclusion 


—  245  — 

longtemps  attendue  et  irritante  comme  un  désir  non  satisfait  ;  la  fm  du  premier  acte,  quand 
dans  le  soir  monte  la  mélopée  des  courtisanes .  L'acte  du  temple  est  un  des  plus  intéressants 
avec  son  déroulement  lascif  du  cortège  des  courtisanes,  leurs  prières  amoureuses,  leurs 
offrandes  et  leurs  danses  pour  lesquelles  M.  Erlanger  a  dépensé  à  profusion  tous  les 
charmes  sonores  d'un  orchestre  ondoyant  et  souple.  Après  les  coupures  du  tableau  du 
phare,  le  quatrième  acte,  au  seuil  duquel  est  placé  un  beau  prélude  construit  sur  le 
motif  caressant  de  Chrysis,  est  tout  entier  rempli  par  le  grand  duo  de  Démétrios  et  de 
Chrysis.  Le  joli  chant /c  suis  la  rose  de  Saron  est  posé  sur  des  harmonies  qui  rappellent 
celles  d'une  des  proses  lyriques  de  Debussy.  Ce  n'est  pas  pour  le  lui  reprocher.  La 
conclusion,  avec  ses  reprises  obstinées  du  motif  chromatique  et  passionné,  fit  songer 
avec  quelque  longueur  au  duo  de  Tristan.  Pour  les  deux  derniers  tableaux,  la 
prison  et  le  cimetière,  l'inspiration  de  M.  Erlanger  s'est  reposée  de  ses  violences  et  â 
composé  des  pages  attendries  qui  mettent  à  la  fin  de  l'œuvre  une  note  mélancolique 
d'un  grand  charme  de  simplicité  et  d'émotion. 

La  distribution  de  cette  œuvre  comporte  de  nombreux  rôles  secondaires  qui  sont 
confiés  au  talent  de  Mlles  Claire  Friche,  MathieU-Lutz,  Demellier,  Brohly  et  de 
MM.  AUard,  Devriès,  Guillamat,  Ghasne,Huberdeau.  Les  deux  principaux  personnages 
sont  chantés  par  Mme  Marie  Garden  et  M.  Léon  Beyle.  Cela  tient-il  à  la  tessiture  tendue 
de  sa  partie,  M.  Beyle  (Démétrios)  ne  nous  a  pas  semblé  jouir  de  sa  belle  aisance 
ordinaire.  Quant  à  Mme  Garden,  si,  plastiquemertt,  elle  incarne  à  merveille  la  cour- 
tisane Chrysis,  au  point  de  vue  vocal  il  n'en  va  pas  de  même.  Elle  né  chante  pas  son 
rôle,  elle  le  murmure  sans  articuler  la  parole,  et  l'habitude  qu'elle  a  de  prendre  tous 
les  sons  en  dessous  et  de  lier  les  notes  par  un  continuel  port  de  voix,  prête  à  tôUt  ce 
qu'elle  dit  quelque  chose  d'indécis  et  de  flottant  qui,  à  la  longue,  finit  par  déconcerter. 
Mme  Garden  a  pourtant,  en  de  précédentes  créations,  témoigné  qu'elle  était  une  chan- 
teuse exquise,  une  grande  artiste  même. 

Le  plus  important  et  le  meilleur  interprète  est  l'orchestre  à  qui  M.  Erlanger  a 
donné  une  tâche  bien  difficile  dont  M.  Luigini  et  ses  excellents  musiciens  se  sont 
joué  pour  notre  plaisir.  Le  succès  de  l'œuvre  leur  revient  en  grande  partie. 

De  belles  toiles  de  fond  de  M.  Jusseaume,  plus  réussies  que  ses  architectures  dé 
toile  peinte  dont  le  marbre  se  gondole  déjà,  de  jolis  costumes  aux  harmonieuses  cou- 
leurs de  M.  Marcel  Multzer,  une  mise  en  scène  toujours  pittoresque,  réglée  par 
l'artiste  qu'est  M.  Albert  Carré  en  la  matière,  ont  ajouté  la  beauté  du  spectacle  à 
l'intérêt  musical  d'une  œuvre  curieuse,  excessive  parfois,  mais  toujours  sincère  et 
artistique, 

Victor  Debay. 


1 


—  244  — 

THÉA.TR.E      DE      ]M:0]VTE-a-A.FlIL.O 

DON  PROCOPIO 
De    Oeorg-es    3IZBT 

(création) 


Don  Procopio  fut  le  premier  envoi  de  Rome  de  Georges  Bizet  ;  cela  se  passait  en 
1858  et  le  compositeur  avait  alors  vingt  ans.  Auber  qui  présidait  aux  destinées  du 
Conservatoire  ne  tint  aucun  compte  de  cet  ouvrage.  On  retrouva  plus  tard  le  manuscrit 
que  la  maison  Choudens  s'empressa  d'éditer.  Elle  devait  bien  cela  à  l'auteur  de  Car- 
men. Cependant  aucun  directeur  ne  monta  ce  Don  Procopio  dont  M.  Raoul  Gunsbourg 
vient  de  nous  donner  la  primeur  le  10  mars  à  Monte-Carlo. 

La  création  d'un  ouvrage  inconnu  de  Bizet  est  à  tous  égards  une  chose  intéressante, 
cela  va  de  soi,  fut-ce  même  une  œuvre  de  jeunesse.  On  dit  que  Bizet  en  avait  emprunté 
le  sujet  à  une  comédie  italienne  du  XVIII®  siècle,  alors  qu'il  furetait  dans  la  bibliothèque 
de  Naples.  Ce  qui  est  certain  c'est  qu'un  Don  Procopio  italien  fut  représenté  à  Naples 
en  1782,  musique  de  Tritto,  qui  fut  le  maître  deSpontini. 

Est-ce  de  ce  livret  là  que  s'empara  Bizet?  Je  ne  sais.  L'adaptation  française  est  de 
M.  Paul  Colin.  En  voici  le  thème  : 

Don  Procopio,  un  vieil  avare  fort  riche,  est  sur  le  point  d'épouser  Bettina.  nièce  de 
son  ami  Don  Andronico.  Mais  la  jeune  fille  est  aimée  et  elle  aime  le  bel  officier  Odoardo. 
Néanmoins  don  Andronico  n'en  veut  point  démordre  :  Bettina  épousera  Don  Procopio^ 
Sur  ces  entrefaites  Ernesto,  le  frère  de  Bettina,  revient  de  voyage.  Il  apprend  le  mariage 
projeté  et  reçoit  les  confidences  éplorées  de  Bettina  et  de  sa  jeune  tante  Eufemia.  Il  faut 
atout  prix  se  débarrasser  du  barbon.  Mais  comment?  Ernesto  imagine  de  duper  don 
Procopio.  Il  lui  conte  que  Bettina  sa  future  est  une  femme  frivole,  folle  de  luxe  et  de 
dépense,  et  que  de  plus,  loin  d'avoir  la  belle  dot  qu'on  a  fait  miroiter  à  ses  yeux,  elle 
n'est  riche  que  de  grâce  et  de  charme.  Don  Procopio  est  complètement  défrisé  par  ces 
révélations  et  son  ardeur  pour  le  mariage  se  trouve  aussitôt  refroidie.  Plus  Bettina 
tente  à  dessein  de  le  solliciter,  plus  don  Procopio  se  décide  à  renoncer  à  l'union  projetée. 
Pour  le  tromper  tout  à  fait  Ernesto  feint  de  vouloir  le  provoquer  en  duel  afin  de  le 
contraindre  à  s'exécuter. 

Pour  le  coup  Don  Procopio  en  a  assez.  Il  fuira  la  maison  d'Andronico,  tandis 
qu'enfin  revenu  à  une  juste  appréciation  du  bonhomme,  l'oncle  accordera  la  main  de 
sa  jolie  nièce  à  l'officier  qu'elle  aime. 

Ce  sujet,  en  le  voit,  ne  brille  point  par  l'originahté  :  c'est  l'éternelle  histoire  du 
barbon  bafoué,  triomphe  de  l'ancien  répertoire  et  de  la  commedia  deU'artc,  à  laquelle 
nous  ne  pouvons  plus  guère  nous  intéresser. 

Sur  une  trame  aussi  vieillie  et  que  ne  vient  rehausser  aucune  dextérité  scénique, 
il  ne  fallait  naturellement  point  s'attendre  à  trouver  dans  Don  Procopio  le  Bizet  de 
Carmen.  Du  reste,  le  compositeur  s'est  expliqué  lui-même  à  ce  sujet  dans  une  lettre 
datée  de  Rome  :  «  Sur  des  paroles  italiennes,  il  faut  faire  italien  ;  je  n'ai  pas  cherché  à 
me  dérober  à  cette  influence  ». 

Et  non  seulement  Bizet  n'a  pas  cherché  à  s'y  dérober,  mais  je  dirai  même  qu'il 
est  entré  résolument  et  de  propos  délibéré  dans  la  formule  du  genre,  voire  dans  le 
pastiche.  Don  Procopio  semble  par  instants  une  œuvre  posthume  deRossini,  de  Rossini 
du  Barbier.  Mais,  dans  cette  formule  même,  Bizet  a  quand  même  trouvé  le  moyen 
d'attester  sa  grâce  personnelle  et  son  étonnante  virtuosité.  Un  jeune  homme  de  moins 


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de  vingt  ans  capable  d'écrire  avec  autant  d'aisance  et  comme  en  se  jouant  une  parti- 
tion théâtrale  aussi  élégamment  mélodique  et  aussi  spirituelle,  était  évidemment 
capable  de  composer  plus  tard  tout  ce  qu'il  voulait. 

L'œuvre  est  découpée  à  la  manière  ancienne  en  airs,  trios,  ensembles,  etc.  Au 
premier  acte,  je  citerai  le  joli  chœur  du  début  avec  l'entrée  et  la  dispute  alerte  d'An- 
dronico  et  d'Eufemia,  sa  femme  ;  l'air  à  vocalises  de  Bettina  «  en  vain  l'on  croit  nous 
désunir  »  ;  le  trio  tout  à  fait  gracieux  de  Bettina,  Odoardo  et  Ernesto  «  d'avance  le 
projet  me  tente  »  qui  a  été  bissé  et  longuement  applaudi  ;  la  charmante  cavatine  d'Er- 
nesto  «  Vraiment  elle  est  si  belle  »  exquisement  phrasée  par  Bouvet  ;  puis  encore  le 
récitatif  de  Procopio. 

Au  second  acte,  le  duo-sérénade  du  ténor  Odoardo  et  de  Bettina  à  6/8  avec 
accompagnement  de  pizzicati  et  de  mandolines  ;  citons  aussi  le  prélude  composé  par 
M.  Ch.  Malherbe  sur  des  motifs  de  la  partition. 

Puis  le  duo  de  Bettina  et  don  Procopio  ;  le  trio  comique  fort  réussi  «  s'il  veut 
manquer  à  sa  parole  »  que  JVIM.  Bouvet,  Périer  et  Chalmin  ont  enlevé  avec  une  verve 
remarquable.  Enfin  le  duo  entre  Bettina  et  Odoardo  et  un  délicat  chœur  d'hommes 
chanté  mezza-voce. 

Tel  est  le  bilan  de  cette  gracieuse  partition  qui  évidemment  occupe  une  place  à 
part  dans  l'œuvre  de  Bizet,  puisque  c'est  un  pastiche  volontaire,  mais  qui  néanmoins 
dénote,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  une  adresse  peu  commune  dans  l'écriture  et  l'orchestration. 
Aussi  Don  Procopio  a-t-'û  plu  beaucoup  par  son  charme  léger  et  sa  délicatesse  archaïque. 
Il  est  fâcheux  que  le  livret  ne  soit  pas  égal  à  la  partition  et  que  les  mésaventures  du 
barbon  soient  d'un  comique  par  trop  éventé. 

L'interprétation  fut  charmante  avec  M.  Rousselière  (Odoardo),  Mlle  Pornot,  une 
Bettina  de  voix  fraîche  et  aisée,  M.  Bouvet  (Ernesto),  Mlle  Morlet(Eufemia),  M.  Chalmin 
(AndronicoJ.  C'est  M.  Jean  Périer,  le  baryton  bien  connu,  qui  a  créé  Don  Procopio  et 
qui  nous  apparut  dans  un  rôle  de  vieux  comique  grime  bien  fait  pour  surprendre  ceux 
qui  ont  vu  ce  délicat  artiste  dans  celui  de  Pelléas  ;  voilà  qui  prouve  une  rare  souplesse 
de  composition. 

Un  décor  frais  et  printanier  encadre  à  souhait  cette  comédie  lyrique.  Les  chœurs 
et  l'orchestre  furent  parfaits  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin. 

Alfred  Mortier. 


LES  GRANDS  CONCERTS 


L-A.       ©"5r3M[F»Ii01SriE       DOnVlEJSTIQTJE 

DE 

RICHARD     STRAUSS 


La  fin  de  notre  saison  musicale  aura  été  marquée  par  l'apparition  d'un  nouveau 
chef-d'œuvre  :  la  Symphonia  domestica  de  M.  Richard  Strauss,  jouée  pour  la  première 
fois  en  France,  au  Concert-Colonne  du  25  mars.  Les  lecteurs  du  Courrier  Musical  se 
souviennent  peut-être  que  j'ai  témoigné  jusqu'ici  une  sympathie  médiocre  au  chef  de 
l'école  allemande  contemporaine.  Son  Don  Quichotte  et  son  Till  l'Espiègle  m'avaient 
semblé  des  plaisanteries  un  peu  lourdes  et  d'un  assez  dangereux  exemple  ;  la  Vie  d'un 
Héros  est  entachée,  à   mon  sens,  par  trop  de  fautes  de  goût  pour  que  je  l'admire  sin- 


—  246  — 

cèrement,  et  si  j'aime  la  magnifique  péroraison  de  Mort  et  Transfiguration,   le  début 
m'en  paraît  long  et  aride. 

Cette  fois  la  nouvelle  œuvre  de  M.  Strauss  m'a  charmé  d'un  bout  à  l'autre.  Parti 
pour  l'écouter  non  sans  prévention,  je  suis  revenu  de  la  répétition  générale  le  cœur 
palpitant  d'enthousiasme  et  de  joie,  et  le  lendemain  je  me  suis  associé  non  seulement 
de  toute  mon  âme,  mais  de  toutes  mes  mains  et  de  tous  mes  poumons,  aux  applaudis- 
sements et  aux  bravos  frénétiques,  adressés  au  compositeur  par  une  salle  en  délire, 
après  l'exécution  de  son  œuvre  qu'il  a  magistralement  dirigée  et  que  les  musiciens  du 
Châtelet  ont  interprétée  avec  une  verve,  une  chaleur,  une  justesse  et  une  puissance 
rythmique  véritablement  admirables. 

On  sait  que  la  Symphonie  domestique  de  M.  Strauss  est  consacrée  à  la  description 
de  son  foyer  et  célèbre  ses  joies  intimes  d'époux  et  de  père.  A  vrai  dire  le  programme 
qu'il  s'est  imposé  peut  dans  quelques-uns  de  ses  détails  prêter  à  sourire  :  les  oncles 
disant  de  l'enfant  sur  le  thème  maternel  :  «  tout  à  fait  la  maman  !  »  et  les  tantes  sur 
le  thème  paternel  :  «  tout  à  fait  le  papa  !  »  ou  la  pendule  sonnant  l'heure  du  coucher 
pour  le  bébé  récalcitrant  constituent  des  arguments  un  peu  bien  terre  à  terre  et  fami- 
liers pour  une  œuvre  orchestrale  qui  emploie  comme  instruments  à  vent  :  trois 
grandes  flûtes  et  une  petite  ;  deux  hautbois,  un'hautbois  d'amour  et  un  cor  anglais  ; 
quatre  clarinettes,  dont  une  en  ré,  une  en  la  et  deux  en  si  bémol  ;  une  clarinette  basse  ; 
quatre  bassons  et  un  contrebasson  ;  quatre  saxophones  (soprano,  alto,  baryton,  basse); 
huit  cors,  quatre  trompettes,  trois  trombones  et  un  tuba. 

On  pourrait  aussi  discuter  non  seulement  la  valeur  psychologique  des  trois  thèmes 
de  l'homme  :  activité,  intelligence,  enthousiasme,  et  des  deux  thèmes  de  la  femme  :  sen- 
timent et  caprice,  mais  encore  leur  qualité  mélodique  elle-même,  assez  banale  et  quel- 
conque. Le  thème  de  l'enfant,  qui  joue  dans  tout  l'ouvrage  un  rôle  capital,  n'est  pas 
non  plus  très  distingué.  Mais  des  chicanes  de  cette  nature  seraient  aussi  stériles  de  la 
part  de  l'auditeur  que  l'exposé  du  sujet  est  vain  de  la  part  de  l'auteur.  Il  ne  s'agit  pas 
de  savoir  si  M.  Strauss  a  eu  tort  ou  raison  de  demander  ses  inspirations  à  la  vie  quo- 
tidienne, ni  de  rechercher  s'il  a  fait  dans  sa  symphonie  œuvre  de  réaliste  ou  d'idéaliste. 
Il  a  fait  certainement  œuvre  de  très  grand  artiste  et  d'admirable  musicien  et  cela  seul 
importe  !  Pour  parler  de  sa  symphonie,  je  laisserai  donc  le  programme  de  côté,  comme 
je  l'ai  laissé  pour  l'entendre  et  je  tâcherais  plutôt  d'en  caractériser  la  musique,  si  une 
telle  entreprise  n'était  pas  insensée. 

La  Symphonia  domestica  se  joue  d'une  seule  traile,  mais  comprend  en  réalité 
quatre  parties  très  distinctes,  trois  plutôt,  car  la  première,  où  les  thèmes  se  trouvent 
exposés,  et  que  d'ailleurs  j'aime  le  moins,  n'est  qu'une  simple  introduction  très  brève 
>qui  amène  presque  aussitôt  le  scherzo.  Ce  scherzo,  où  se  développe  dans  sa  grâce 
mutine  l'idée  de  l'enfant,  est  un  pur  bijou  musical.  Par  son  mouvement  il  présente  le 
caractère  d'une  valse,  mais  quelle  valse  !  quelle  polyphonie  élégante,  riche  et  pleine  ! 
et  quelle  intensification  progressive  de  ses  sonorités  jusqu'à  leur  explosion  finale  avec 
la  voix  retentissante  des  cuivres  I  Cette  amplification  musicale  d'une  idée  par  accrois- 
sement du  son  est  d'ailleurs  un  des  procédés  les  plus  frappants  de  la  Symphonia 
domestica.  Il  se  reproduit  dans  l'andante  à  quatre  temps,  dont  la  tendresse  envelop- 
pante et  douce  se  développe  jusqu'à  la  plus  solennelle  grandeur,  et  dans  le  finale  extrê- 
mement complexe,  long  et  bruyant,  où  le  conflit  des  thèmes  amène  par  deux  fois  un 
fracas  de  tempête.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible,  dans  cet  ordre  d'idées,  d'atteindre 
à  une  plus  souveraine  habileté  technique.  Ces  sons,  pleins  et  nourris  dès  le  début, 
et  pourtant  doux  et  réservés,  s'ajoutent,  j'allais  dire  s'additionnent  sans  cesse  de  nou- 
veaux timbres  suivant  une  progression  si  constante,  que  leur  croissance  paraît  plutôt 
un  phénomène  de  la  nature  que  le  résultat  d'une  habileté  professionnelle.   L'artifice  du 


—  247  — 

compositeur,  par  sa  perfection  même,  se  fait  oublier  à  tel  point  qu'il  semble  l'écho, 
disons  mieux  le  signe  spontané  d'une  émotion  intérieure  d'abord  contenue,  mais  qui 
brise  ses  liens  et  s'envole  sur  les  battements  d'aile  d'un  lyrisme  irrésistible  et  inlas- 
sable... 

Je  recule  vainement,  par  une  sotte  pudeur,  l'instant  où  je  voudrais  dire  de  la 
Symphonie  domestique  quelque  chose  qui  la  caractériserait  pourtant  mieux  que  toute 
analyse  :  cet  ouvrage  énorme  et  splendide  est  du  Rubens  musical.  Il  a  tous  les  dé- 
fauts, il  a  toutes  les  qualités  des  plus  belles  pages  du  maître  flamand  ;  un  accent  par- 
fois trivial,  un  dessin  qui  par  lui-même  ne  serait  pas  extraordinaire,  une  composition 
où  l'audace  et  le  laisser-aller  se  mêlent  témérairement,  un  fracas  un  peu  excessif,  mais 
une  éloquence  de  coloris  si  chaude  et  si  magnifique  qu'elle  emporte  t9ut  le  reste,  nous 
étonne,  nous  attire  et  nous  émeut  tout  ensemble.  Certes  je  ne  suis  pas  suspect  d'aduler 
le  métier.  Mais  le  métier  ici  devient  partie  intégrante  de  l'émotion  ;  ce  n'est  pas  un 
plaquage,  c'est  le  sentiment  lui-même  fait  écriture  musicale  et  triomphant  jusqu'à 
toucher  directement  et  constamment  notre  sensibilité. 

En  sortant  du  concert,  l'impression  que  je  ressentais  était  si  semblable  à  celle  que 
Ruben?  me  fit  éprouver  autrefois  à  Malines,  à  Anvers  et  à  Lille,  que  j'ai  relu  tout  de 
suite  les  Maîtres  d'autrefois.  J'y  ai  trouvé  la  justification  de  mon  parallèle  involontaire. 
Il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  un  jugement  de  Fromentin,  dans  ses  longues  pages  sur  le 
maître  de  la  Descente  de  Croix,  qui  ne  puisse  s'appliquer  merveilleusement  à  la  sym- 
phonie nouvelle. 

En  lisant,  par  exemple,  cette  phrase,  vous  n'auriez  qu'à  changer  les  termes  pic- 
turaux en  termes  musicaux  pour  obtenir  la  plus  juste  définition  du  talent  de  M.  Strauss  : 
«Enlevez  des  tableaux  de  Rubens,  ôtez  à  celui  que  j'étudie  (la  Pêche  miraculeuse)  l'es- 
prit, la  variété,  la  propriété  de  chaque  touche,  vous  lui  ôtez  un  mot  qui  porte,  un 
accent  nécessaire,  un  trait  physionomique,  vous  lui  enlevez  peut-être  le  seul  élément 
qui  spiritualise  tant  de  matière,  et  transfigure  de  si  fréquentes  laideurs,  parce  que 
vous  supprimez  toute  sensibilité,  et  que,  remontant  des  effets  à  la  cause  première, 
vous  tuez  la  vie,  vous  en  faites  un  tableau  sans  âme.  Je  dirai  presque  qu'une  touche  en 
moins  fait  disparaître  un  trait  de  l'artiste  ». 

Assurément,  il  y  a  en  musique  des  œuvres  plus  nobles  c\\xq\a  Symphonie  domestique, 
des  pages  d'un  style  plus  pur,  des  trouvailles  plus  subtiles  ;  il  n'y  a  rien  de  plus  puis- 
sant ni  de  plus  généreux  et  j'écrirais  encore,  en  changeant  seulement  deux  mots  au 
texte  de  Fromentin  :  «  Vous  dire  que  c'est  le  dernier  mot  de  l'art  symphonique  quand 
il  est  sévère  et  qu'il  s'agit,  avec  un  grand  style  dans  l'esprit,...  et  dans  la  main, 
d'exprimer  des  choses  idéales  ou  épiques,  soutenir  qu'on  doit  agir  ainsi  en  toute  cir- 
constance, autant  vaudrait  appliquer  la  langue  imagée,  pittoresque  et  rapide  de  nos 
écrivains  modernes  aux  idées  de  Pascal.  Dans  tous  les  cas,  c'est  la  langue  de  Richard 
Strauss,  son  style,  et  par  conséquent  ce  qui  convient  à  ses  propres  idées  ». 

Comment  se  fait-il,  me  demanderez-vous  peut-être,  qu'une  telle  admiration  me 
vienne  subitement  pour  un  art  dont  les  manifestations  antérieures  m'avaient  laissé 
froid,  quand  elles  ne  m'avaient  pas  trouvé  hostile  ?  Je  crois  bien  que  le  sujet  cette 
fois,  —  je  ne  parle  pas  de  ses  épisodes  un  peu  puérils,  mais  de  son  sentiment  général, 
—  en  sont  cause,  non  point  que  je  m'en  préoccupe,  mais  parce  que  dans  l'art  très 
physique  de  M.  Strauss  ce  sujet  a  mis  des  flammes  et  de  la  lumière.  Du  cher  foyer  a 
jailli  l'étincelle  sacrée  qui  vivifia  le  contrepoint  du  compositeur  et  spiritualisa  ses  har- 
monies savantes.  Remarquez-le,  ce  sont  bien  toujours  les  notes  seules  qui  font  de  cette 
musique  de  la  belle  musique,  mais  elles  sont  particulièrement  expressives  et  touchantes 
cette  fois,  parce  qu'en  jaillissant  de  la  plume,  elles  furent  occuper  sur  les  portées 
l'ordre  mystérieux  que  leur  dictait  une  poitrine  plus  émue  et  des  sens  plus  vibrants. 


y 


—  248  — 

Et  ici  encore  je  songe  à  Rubens.  Si  je  rencontrais  quelqu'un  que  toute  la  chair  et 
toutes  les  draperies  du  grand  coloriste  auraient  laissé  indiflférent,  je  lui  dirais  d'aller 
sur  la  tombe  du  peintre,  à  Saint-Jacques  d'Anvers,  contempler  l'admirable  toile  où  il 
s'est  représenté  entouré  de  tous  les  siens,  sous  des  traits  de  saints  et  de  saintes.  Et  là, 
j'en  suis  sûr,  il  recevrait  le  coup  de  grâce,  parce  qu'il  percevrait  les  rapports  intimes 
et  inexplicables  qui  peuvent  unir  des  affections  sentimentales  à  des  jeux  d'ombre  et 
de  lumière.  Et  quand,  sous  le  grand  praticien,  il  aurait  une  fois  senti  le  grand  artiste, 
il  retrouverait  partout,  à  des  degrés  divers,  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'émouvant  et  d'hu- 
main dans  les  splendeurs  d'une  facture  inspirée,  et  n'en  voudrait  probablement  plus 
jamais  à  un  homme  «  qui  voit  gros,  qui  voit  juste,  la  couleur  aussi  bien  que  la 
forme,  qui  respecte  la  vérité  quand  elle  est  expressive,  ne  craint  pas  de  dire  crûment 
les  choses  crues,  sait  son  métier  comme  un  ange  et  n'a  peur  de  rien  ». 

Et  quand  ensuite  le  même  amateur  écouterait  la  Symphonia  domestica  de  JVI. 
Strauss,  je  m'étonnerais  qu'à  la  lueur  de  la  même  révélation  il  ne  devint  pas  un  admi- 
rateur sincère  du  grand  symphoniste  d'outre-Rhin. 

Au  même  concert  nous  entendîmes  l'ennuyeux  concerto  de  violon  de  Beethoven, 
joué  à  ravir  parle  petit  Mischa  Elman.  Cet  enfant  mériterait  tout  de  même  le  fouet 
pour  apprendre  à  ne  pas  dire  par  toutes  ses  cadences  et  toutes  ses  attitudes  :  «  Moi  et 
la  musique  !  »  Huit  jours  plus  tôt  M..  Ricardo  Vinès  jouait  au  Chàtelet,  avec  sa 
finesse  coutumière,  les  admirables  Variations  symphoniques  du  père  Franck  ;  M.  Froelich 
chantait  superbement,  comme  toujours,  un  air  d'Elie  de  Mendeissohn  et  les  adieux  de 
Wotan,  qu'il  a  fait  siens  par  l'autorité  et  l'intelligence  de  son  style  ;  et  M.  Colonne 
enfin  nous  donnait,  suivant  son  habitude  en  pareille  matière,  d'admirables  exécutions 
de  la  Symphonie  fantastique  et  de  la  Rapsodie  norwégienne . 

Pendant  ce  temps  Beethoven  achève  au  Nouveau-Théâtre  sa  carrière  rétrospec- 
tive. Mais  il  la  recommencera  l'année  prochaine,  vous  verrez  et  nous  devrons  nous 
estimer  satisfaits,  puisqu'il  assure  de  belles  recettes.  Allons,  tant  mieux  ! 

Jean  d'UDINE. 

Concerts  du  Conservatoire 

«  Ne  dites  pas  de  mal  de  Nicolas,  conseillait  Voltaire  aux  détracteurs  de  Boileau  ; 
cela  porte  malheur  !  »  11  n'est  pas  moins  imprudent,  je  pense,  de  viHpender  les  abon- 
nés du  Conservatoire,  car  je  ne  puis  qu'attribuer  à  quelque  envoûtement  de  leur  ran- 
cune l'influenzadont  j'ai  souffert  six  semaines  durant  et  je  serais  fort  surpris  d'apprendre 
que  M.  Pierre  Lalo  qui  s'épancha  contre  eux  en  une  longue  invective,  se  garda  de 
leurs  maléfices.  Ce  jeûne  musical  me  sembla  rigoureux  encore  qu'il  m'ait  été  donné 
de  le  rompre  en  écoutant  le  Don  Procopio  de  Bizet,  que  là-bas,  près  du  soleil,  à  Monte- 
Carlo,  M.Jehin  dirige  avec  une  finesse  exquise  et  qui  est  bien  la  plus  délicate  et  la  plus 
menue  friandise  dont  un  convalescent  puisse  se  délecter.  Du  moins  les  fidèles  du 
Courrier  ont-ils  eu  en  mon  absence  l'heureuse  fortune  de  lire  le  commentaire  d'un 
Intérim  aussi  docte  que  discret  et,  tout  récemment,  l'hymne  franckiste  de  M.  Edouard 
Schneider  qui  parla  du  maître  avec  une  tendresse  si  clairvoyante.  J'ose  à  peine  remer- 
cier ceux  qui  m'ont  aussi  généreusement  suppléé  ;  je  pense  que  la  joie  de  quelques 
auditions  incomparables  rendrait  vaines  pour  eux  les  mille  et  une  actions  de  grâce  que 
je  pourrais  leur  offrir. 

La  Symphonie  de  la  Réformation  ouvrait  le  concert  du  25  mars.  Sans  doute  les 
préoccupations  religieuses  qui  inspirèrent  l'auteur  «  luthérien  zélé  sinon  fervent  »,  dit 
Berlioz,  et  l'obsession  du  Choral  où  elle  s'achève  ont  fortifié  et  virilisé  l'idée  mendels- 


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sohnienne.  Les  formules  faciles  et  un  peu  molles,  mais  personnelles  pourtant,  qu'on 
trouve  dans  l'œuvre  d'un  musicien  trop  aisément  décrié  et  qui  le  feraient  reconnaître 
entre  tous,  s'y  montrent  plus  rares.  Les  thèmes  d'autre  part  sont  traités  avec  cette 
sûreté,  cette  solidité,  ce  sens  des  proportions  et  des  valeurs,  cette  science  de  l'effet 
qui  sont  d'un  artiste,  sinon  d'un  novateur.  Et  puis  il  y  a  là  une  chère  cadence  emprun- 
tée à  la  liturgie  protestante,  qui  laisse  espérer  par  deux  fois  que  Parsifal  va  venir 

Je  me  hâte  d'ajouter  que  la  part  de  l'orchestre  dans  le  succès  de  la  Réformation  a  été 
considérable.  Le  Conservatoire  demeurera  le  temple  de  Mendelssohn,  un  temple  qui  ne 
sera  jamais  désaffecté. 

A  l'autre  bout  du  programme  quelques  fragments  du  Manfred  de  Schumann 
n'excitèrent  pas  un  moindre  enthousiasme.  C'étaient,  comme  de  juste,  l'ouverture,  un 
Entracte,  l'aérienne  apparition  de  la  fée  des  Alpes,  con  sordini,  telle  que  les  concerts 
ambiants  nous  l'ont  révélée,  enfin  le  choeur  que  chantent  les  Génies  d'Arimane  à 
l'approche  de  Manfred,  lorsque  ce  Faust  en  raccourci  vient  défier  les  puissances 
occultes  et  évoque  le  spectre  douloureux  d'Astarté.  Il  faut  savoir  gré  à  M.  Marty  de 
nous  avoir  restitué  ces  pages  où  Schumann  revit  tout  entier  en  amant  passionné  d'une 
nature  splendide  et  puissamment  évoquée,  parmi  les  hallucinations  d'un  esprit  dont 
Byron  lui-même,  ainsi  qu'il  l'écrit,  n'a  peut-être  pas  pénétré  tout  le  mystère.  C'était 
d'ailleurs  une  noble  tâche  que  de  faire  battre  un  peu  plus  vite,  à  la  chaleur  de  ces 
rythmes  syncopés,  le  cœur  cuirassé  de  quelques  douzaines  d'auditrices  en  les  préparant 
à  des  émotions  plus  vives.  Ces  émotions  hélas  !  ce  ne  fut  point  l'absent  qui 
les  leur  donna.  J'ai  gardé  un  assez  vague  souvenir  de  la  pièce  de  M.  Robert 
Mitchell  pour  laquelle  M.  Le  Borne  écrivit  sa  partition.  Je  crois  me  rappeler  pour- 
tant qu'elle  ne  m'intéressa  guère.  Elle  participe  de  ce  genre  hybride,  et  pour  lequel 
je  me  sens  une  médiocre  inclination,  où  la  littérature  et  la  musique  heurtent  leurs 
ambitions  rivales,  où  elles  se  nuisent  presque  toujours  et  ne  se  rachètent  pas  l'une 
l'autre.  Les  triomphantes  exceptions  de  \' Arlêsienne  et  de  quelques  chefs-d'œuvre 
analogues  justifient  la  règle.  11  ne  me  déplaisait  donc  pas  d'entendre,  allégés  d'un  texte 
morose,  le  Prélude  et  le  Scherzo  qui  nous  étaient  offerts  en  pâture  et  qui  méritaient  mieux 
que  quelques  bravos  pusillanimes.  On  ne  pourrait  rêver  pour  un  Prélude  une  plus  sage 
ordonnance  ;  c'est  une  exposition  des  thèmes  caractéristiques  de  l'ouvrage  avec  toute 
la  plénitude  de  leur  signification  psychologique,  la  variété  de  leurs  contrastes  et 
l'ingéniosité  de  leurs  développements.  Dans  \e, Scherzo  à  trois  temps  il  y  a  tout  juste 
autant  de  nouveauté  rythmique  qu'il  en  faut  pour  rajeunir  une  forme  qui  a  beaucoup 
servi.  Mais  notre  public  est  assez  rebelle  à  la  polyphonie  ;  il  ne  faut  pas  lui  deman- 
der d'aller  chercher  l'épingle  thématique  dans  la  floraison  des  ornements.  Surtout  le 
pittoresque  violent  l'effraie  ;  il  n'aime  pas  les  «  sites  féroces  »  comme  disait  une 
Anglaise  de  ma  connaissance  ;  il  ne  distingue  guère  la  couleur  du  dessin  et  il  suffit 
de  quelques  harmonies  rares  ou  de  quelques  bigarrures  orchestrales  (et  M.  Le  Borne 
ne  s'en  montra  pas  avare)  pour  qu'il  perde  de  vue  l'idée  musicale.  Il  se  noie  dès  qu'il 
ne  touche  plus  le  quatuor,  le  «  fond  de  l'orchestre  »  comme  parlent  les  professeurs  de 
composition  et  j'ai  craint  un  moment  que  certaines  trompettes  bouchées  et  casca- 
deuses ne  provoquassent  un  scandale.  Enfin  il  se  défie  des  jeunes  ;  il  a  une  terrible 
peur  d'être  dupe  et  ne  sourit  avec  confiance  qu'aux  gloires  consacrées.  Commençons 
donc  par  être  célèbres  ou  par  avoir  des  aïeux  ;  ceci  d'ailleurs  est  peut-être  moins 
difficile  que  cela. 

C'est  au  Conservatoire  que  la  congrégation  des  Concertos  s'est  réfugiée.  Là  elle 
trouve  une  large  hospitalité  et  les  solistes  y  sont  fêtés  sans  respect  humain.  M.  Dela- 
borde  joua  le  Concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven  avec  ce  souci  de  la  ligne,  cette 
ampleur  de  style  et  cette  puissance  de  virtuosité  qui  l'ont  classé  parmi  les  premiers 


—  250  — 

pianistes  du  temps  présent.  II  n'échappa  point  aux  ovations  coutumières,  non  plus 
d'ailleurs  que  les  six  chœurs  a  capella  de  Jannequin  et  de  Costeley  qui  précédaient 
Manfred.  Et  j'ai  béni  une  fois  de  plus  le  nom  de  M.  Expert,  disciple  de  Franck,  béné- 
dictin laïque  à  qui  il  suffit  un  jour  de  recevoir  le  coup  de  foudre  d'une  Pavane  à 
quatre  voix  pour  qu'il  entreprît  de  déchiffrer,  en  se  forgeant  lui-même  le  dictionnaire 
de  cette  paléographie,  des  manuscrits  réputés  illisibles,  et  pour  qu'il  fit  renaître  toute 
une  époque  la  plus  curieuse  peut-être  de  notre  art  musical.  Quelle  surprise  dans  le  jaillisse- 
ment abondantde  ces  mélodies  qui  s'entrelacent,  souples,  sveltes  et  libres,  dans  les  heurts 
hardis  de  ces  harmonies  d'aventure,  étincelantes  comme  un  choc  d'épées,  dans  le  caprice 
de  ces  rythmes  à  l'antique,  dans  l'incertitude  de  ces  vieux  modes  qui  ont  passé  et  qu'on 
essaie  de  nous  rendre,  dans  cet  art  brutal  et  délicat,  naïf  et  subtil,  religieux  ou  profane, 
toujours  si  profondément  réaliste,  expressif  et  vivant  !  Et  j'éprouvais  un  plaisir  véritable 
à  penser  que,  du  haut  des  cieux,  Costeley  était  peut-être  témoin  du  succès  de  cette 
musique  par  laquelle  il  se  flattait  «  d'exciter,  modérer,  mortifier,  maintenir  et  vivifier 
les  stupides,  furieux,  impudiques,  tempérez  et  languides  ».  II  me  paraît  bien  qu'il  y  a 
réussi  ! 

^___  Paul  LOCARD. 

La  quinzaine  musicale 


Société  Philharraonique.  —  Au  treizième  concert  il  nous  fut  donné  d'entendre 
le  quatuor  Zimmer  de  Bruxelles  (MM.  Albert  Zimmer,  Franz  Dochaerd,  Louis  Barœn, 
Emile  Dochaerd)  et  Mme  Gulp-Merten.  Le  quatuor  Zimmer  joua  très  scrupuleusement 
le  Quatuor  en  ut  majeur  op.  54  n°  2  de  Haydn  et  le  Quatuor  eu  mi  bémol  op.  4 
d'Edouard  Lalo,  œuvre  tourmentée  et  d'un  caractère  mélodramatique.  Dans  un  pro- 
gramme comprenant  des  lieder  de  Schubert,  Schumann,  Cari  Lœwe  et  A.  Wolf  Mme 
Culp-Merten  fit  apprécier  un  des  plus  beaux  talents  de  chanteuse  qu'il  nous  ait  été 
donné  d'entendre.  Douée  d'une  voix  où  se  rencontrent  toutes  les  douceurs  et  toutes  les 
puissances,  elle  apporte  à  son  interprétation  une  intelligence  rare  du  texte  et  un  goût 
musical  qui  lui  permet  de  développer  avec  une  admirable  sûreté  la  phrase  musicale. 
Elle  a  chanté  Nuit  et  rêves  de  Schubert  en  lui  prêtant  toute  la  poésie  dont  une  voix 
humaine  est  capable,  et  Souhaits  de  jeune  fille  de  Cari  Lœwe,  valse  ironique,  d'une 
façon  ingénue  et  fine  qui  la  lui  a  fait  redemander.  Mme  Culp-Merten  a  su  résister  à  la  ten- 
tation et  a  poursuivi  son  programme  à  la  fin  duquel  elle  fut  très  longuement   rappelée. 

Au  quatorzième  concert  Mlle  Lindsay  de  l'Opéra  nous  fit  comprendre  toute  la  dif- 
férence qu'il  y  a  entre  une  chanteuse  de  concert  et  une  chanteuse  de  théâtre.  Si  sur  la 
scène  de  l'Académie  de  Musique  Mlle  Lindsay  mérite  tout  le  succès  que  remporte  sa 
belle  voix,  elle  nous  causa  moins  de  plaisir  dans  une  salle  de  concert,  et  cela  tenait,  je 
crois,  à  l'emploi  des  grands  moyens  que  le  théâtre  exige  et  qui  paraissent  excessifs  dans 
l'intimité  d'une  salle  de  musique  pure.  Il  y  faudrait  oublier  des  habitudes  dont  il  est  ma- 
laisé de  se  défaire,  car  je  goûte  peu  au  concert  les  chanteurs  de  théâtre,  même  les  meil- 
leurs. Avec  Mlle  Lindsay  Pergolèse,  Bach,  Mozart,  Salnt-Saëns,  Fauré  ont  l'air  d'être  de 
la  même  famille.  Elle  a  pour  les  uns  et  pour  les  autres  les  mêmes  défauts  et  les  mêmes 
qualités.  Elle  fut  plus  heureuse  dans  le  Lied  maritime  de  Vincent  d'Indy,  pour  lequel 
elle  put  déployer  sa  voix.  La  partie  instrumentale  était  confiée  au  quatuor  tchèque  de 
Prague  ;  c'est  dire  avec  quel  intérêt  elle  fut  écoutée.  La  réputation  de  ce  groupe  d'ar- 
tistes n'est  plus  à  faire.  Ils  apportent  à  l'interprétation  de  la  musique  de  chambre  une 
originalité,  une  fougue,  une  sonorité,  une  variété  de  rythmes  qui  séduisent  l'auditeur 
alors  même  qu'il  ne  partage  pas  leur  manière  de  comprendre  cette  musique.  Si  leur 
façon  toute  personnelle  ne  convient  pas  toujours  au  Quatuor  en  si  mineur  àc  Mozart, 
dont  ils   jouèrent  le  minueito  avec   un  chic  qui  transporta  la  salle  (Mlle  Hirsch,  qui  le 


~  251  — 

danse  si  spirituellement  à  l'Opéra,  dans  le  ballet  de  Don  Juan^  aurait  bien  dû  venir 
l'applaudir),  le  Quatuor-  en  ut  majeur  de  Dvorak,  ne  pourrait  trouver  une  meilleure  et 
plus  fidèle  interprétation  que  celle  de  ces  quatre  vrais  artistes  du  son.  Le  quatuor  éta>it 
composé  de  MM.  Hoffmann,  Suk,  Stephan  Suchy  (remplaçant  M.  Nedbal)  et  Wichan. 
Il  semble  qu'ils  ont  cette  musique  dans  le  sang,  tant  ils  la  vivent  et  la  font  palpiter. 
Phrasé  par  eux,  Vallegro  moderato,  avec  ses  emportements  et  ses  repos  de  czarda,  fut 
comme  le  récit  d'une  âme  tumultueuse,  tout  un  drame  raconté  par  l'une  des  cordes,  tan- 
dis que  les  trois  autres  l'accompagnent  de  contrechants  et  le  plus  souvent  de  rythmes 
étranges  et  imprévus  comme  les  mouvements  d'un  coeur  sous  l'empire  d'une  violente 
émotion.  Dans  la  vulgarité  parfois  et  l'excès  de  certains  motifs,  on  dirait  le  désespoir 
déclamatoire  d'une  amance  qui  se  grise  de  ses  paroles  douloureuses.  On  est  remué  aux 
larmes.  Puis  ce  fut  le  largo  sostenuto  avec  ses  phrases  plaintives  de  mélopée,  que  ter- 
mina le  vivace  enlevé  avec  furie.  Ah  !  on  se  sent  vivre  à  de  telles  auditions  !  Le  Quatuor 
en  la  tnineur  op.  2ç  de  Schubert  couronna  dignement  cette  séance,  et  nos  tchèques  le 
jouèrent  avec  une  brillante  maestria.  Cela  nous  changea  de  certaines  interprétations 
parfois  trop  philosophiques  de  la  musique  de  chambre. 

Victor  Debay. 

Concerts  Le  R-ey.  —  L'exécution  de  la.  Symphonie  en  sol  mineur  de  Mozart  que 
l'on  nous  donna  le  11  mars  fut  honorable  bien  qu'on  eût  souhaité  un  peu  plus  de  carac- 
tère et  de  variété  ;  d'autre  part,  l'audition  de  la  Princesse  Jaune.,  de  Saint-Saëns, 
aurait  peut-être  gagné  à  subir  quelques  coupures.  Cet  acte  lyrique  qui  nous  entre- 
tient du  songe  de  Kornélis,  jeune  Hollandais  épris  d'une  princesse  de  rêve,  laquelle 
n'est  autre  qu'une  jeune  fille  de  son  pays  natal,  est  écrit  selon  la  formule  des  opéra- 
comiques  d'Auber.  Enveloppé  d'orientalisme,  agrémenté  du  son  du  triangle,  des  clo- 
chettes et  des  gongs,  il  témoigne  cependant  d'une  originalité  inconnue  du  vieil  opéra- 
comique  ;  mais  si  l'on  accepte  quelques  jolies  pages  comme  le  chant  de  Kornélis 
Vision  dont  mon  âme  éprise....,  combien  de  phrases  vulgaires  sont  à  regretter  ! 
Mme  Bureau-Berthelot  fut  une  délicieuse  Léaa  et  M.  Francelly  un  Kornélis  à  la  voix 
fraîche  et  charmante.  Dans  le  Concerto  de  Grieg,  M.  Edy  Toulmouche  se  montra  iné- 
gal et  maniéré  avec  excès. 

Mlle  Marcelle  Le  Rey  interprétait  le  dimanche  suivant  un  Concerto  pour  piano  et 
orchestre  de  M.  Widor.  La  puissance  dans  la  sonorité  est  peut-être  la  qualité  domi- 
nante de  Mlle  Le  Rey.  Pourquoi  M.  Widor,  qui  conduisait  lui-même  son  oeuvre,  prit- 
il  plaisir  à  tenter  d'amoindrir  cette  sonorité  sous  le  bruit  de  l'orchestre  ?  Mlle  Le  Rey 
obtint  néanmoins  un  très  vif  succès  queluivalut  son  jeu  solide  et  coloré. De  M.  Léo  Sachs 
on  exécutait  six  compositions  dont  un  intermède  symphonique  et  cinq  lieder  auxquels 
Mme  Mellot-Joubert  prêta  sa  voix  jolie,  facile  et  claire.  Quant  aux  fragments  de  Don 
Juan  ils  paraissaient  bien  un  peu  décousus,  mais  le  public  les  accueillit  quand  même 
avec  aise.  De  vénérables  dames  penchaient  une  tête  souriante  et  bissaient  la  romance 
Parais  à  ta  fenêtre.,  que  M.  Mony  chanta  d'ailleurs  avec  goût.  Mmes  Bureau-Berthelot 
et  Mayrand  firent  applaudir  leurs  voix  charmantes  ;  MM.  Mary  et  Francelly  eurent 
également  leur  part  du  succès.  Edouard  Schneider. 

Société  Nationale 

«  Pedro  possède  une  guitare, 

«  Une  guitare  bien  bizarre...  »,  etc. 

{Air  connu) 
Bien  que  M.  LIobet  s'appelle  Miguel,  et  non  Pedro,  sa  guitare  est  pour  le  moins 
aussi  bizarre  que  celle  du  personnage  si  poétiquement  chanté  dans  la  célèbre  opérette- 
bouffe,  mais  d'une  bizarrerie  de  bon  aloi,  à  la  fois  musicale  et  artistique.  Sans  doute, 
l'accès  de  cet  instrument  trop  décrié  par  toutes  les /erms,  jusques  et  y  compris  celle  de 
l'exposition  de  1900,  dans  le  temple  de  VArs  Gallica  (en  français  :  Société  Nationale) 
était  fait  pour  surprendre.  Mais  le  programme  du  dernier  concert  abondait  en  sur- 
prises, et  celle-ci  du  moins  comptait  parmi  les  bonnes. 

Il  faut   n'avoir  pas   entendu  la  pittoresque  sérénade  de  M.  Albeniz,  les  chansons 


—  252  — 

populaires  catalanes,  et,  en  général,  toutes  les  pièces  si  exquisement  interprétées  par 
M.  Llobet,  pour  conserver  le  vieux  préjugé  que  la  guitare  est  un  instrument  d'aveugle, 
tout  au  plus  bon  à  faire  entendre  de  vagues  accords  de  tonique  et  de  dominante  sous 
quelque  chanson  de  loqueteux.  Il  y  a  un  art  de  la  guitare,  où  la  virtuosité  n'exclut  nul- 
lement l'expression  émue,  avec  son  cortège  d'évocations  naïves  et  gracieuses  :  voilà  ce 
qu'il  faut  conclure  de  cette  évolution  qu'on  pouvait  appeler  :  «  de  Giraffier  à  Llobet  ». 
ou  «  du  Pont-Neuf  à  la  Société  Nationale)). 

Une  surprise  d'ordre  négatif  fut  causée  au  même  concert  par  l'absence  de  l'artiste 
qui  devait  faire  entendre  deux  mélodies  de  M.  Bouwens  van  der  Boijen.  Par  suite  de 
cette  suppression,  les  deux  mélodies  de  M.Casella  ont  été  remontées  de  plusieurs  crans 
sur  le  programme;  la  très  belle  voix  de  Mlle  Luquiens  leur  a  donné  tout  le  relief  auquel 
elles  étaient    susceptibles    de    prétendre. 

Moins  brillamment  présentées  peut-être  par  leur  interprête  Mlle  Jane  Bernardel, 
mais  intelligemment  et  finement  dites,  les  mélodies  de  Mlle  Debrie  ont  conquis  l'audi- 
toire par  leur  émotion  fraîche  et  poétique,  tout-à-fait  jeune  et  féminine.  Peut-être  est-il 
permis  de  regretter  le  rôle  trop  strictement  accompagnant  du  piano,  surtout  dans 
la  seconde,  intitulée  Automne. 

M.  Vinès  a  fort  habilement  mis  en  valeur  les  qualités  pianistiques  et  élégantes  des 
deux  pièces  pour  piano  de  M.  Février,  un  Nocturne  et  une  Valse-Caprice  :  on  a  un  peu 
abusé  de  ces  désignations  ;  elles  ont  si  souvent  servi  à  étiqueter  des  morceaux  très 
inférieurs  à  ceux  que  nous  joua  l'éminent  pianiste,  avant  de  donner  libre  carrière  à  sa 
«  russophilie  ))  coutumière. 

Avec  Moussorgsky  du  moins,  nous  voici  loin  des  «  schulhoflferies  »  de  l'autre  soir  : 
les  Tableaux  d'une  exposition,  qui  sont  aussi  bien  une  «  exposition  de  tableaux  ))  musi- 
caux, sont  pleins  de  verve  et  d'esprit.  On  y  suit  aisément  l'intention  descriptive  de  l'au- 
teur dans  la  Querelle  d'enfants  et  le  Ballet  de  poussins  ;  mais  lorsqu'il  veut  absolument 
nous  mettre  en  présence  d'un  juif  pauvre^  d'un  juif  riche  et  du  marché  de  Limoges  (?), 
on  est  assez  «  désorienté  »  si  l'on  peut  appliquer  ce  terme  à  de  la  musique  composée  sur 
les  bords  de  la  Neva. 

Un  passage  cependant  paraît  avoir  été  plus  accessible  :  nous  voulons  parler  de  la 
grande  porte  de  Kiew,  symbolisée  par  de  vastes  et  puissants  accords  plaqués. 

Croyant  sans  doute  qu'il  s'agissait  de  la  porte  de  la  salle,  une  grande  partie  de 
l'assistance,  après  une  ovation  chaleureuse  et  méritée  à  M.  Vinès,  s'y  est  précipitée  avec 
une  discrétion  relative,  sans  nul  souci  de  la  remarquable  pièce  d'orgue  de  M.  Philipp, 
qui  terminait  le  programme. 

Et  c'est  ici  que  se  produit  une  dernière  surprise,  réservée  à  ceux  que  leur  empres- 
sement à  se  procurer  des  voitures  empêcha  de  rester  dix  minutes  de  plus  dans  la  salle 
de  la  Schola  :  ils  vont  apprendre  avec  étonnement,  en  effet,  que  le  Prélude  et  la  Fugue 
de  M.  Philipp  se  différencient  notablement  des  autres  œuvres  d'orgue  qu'on  fut  obligé 
d'entendre  dans  la  même  soirée  :  ceci  est  bel  et  bien  de  la  musique,  et  non  de  la  mau- 
vaise, tant  s'en  faut.  Style  excellent  et  expressif,  construction  équilibrée  et  logique, 
telles  sont  les  principales  qualités  qu'on  ne  peut  refuser  à  cette  composition,  pour  peu 
qu'on  ait  bien  voulu  en  écouter  l'intelligente  exécution,  que  rehaussait  le  jeu  clair  et 
puissant  de  M.  G.  Ibos. 

A.  Sérieyx. 

Société  J.-S.  Bach.  —  Au  programme  du  14  mars,  deux  premières  auditions  : 
la  Cantate  burlesque  «  Nous  avons  un  nouveau  gouvernement  ))  et  la  cantate  :  Hait  in 
Gedaechtniss  ;  Mlle  Mary  Pironnay  et  M.  Monys  dans  l'une,  Mlle  Ador,  MM.  Fernand 
Francell  et  Monys  dans  l'autre  ont  été  très  applaudis.  Je  ne  dois  pas  oublier  l'excellent 
organiste  qu'est  M.  Joseph  Bonnet.  En  outre,  Mlle  Hamman,  MM.  Gaubert  et  Daniel 
Herrmann  parfaits  à  leur  ordinaire  ont  joué  le  cinquième  Concerto  bra^idehourgeois. 

Le  concert  du  21  offrait  un  attrait  tout  spécial.  Mme  Wanda  Landowska  a  joué  le 
Concerto  italien  sur  un  clavecin  fidèlement  copié,  paraît-il,  sur  celui  de  Bach  au  Musée 
de  Berlin.  Le  clavecin  n'a  qu'un  intérêt  rétrospectif.  Ces  petites  notes  aigres  et  métal- 
liques ne  présentent  pas  un  très  grand  agrément  par  elles-mêmes  ;  elles  ont  le  charme 


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des  choses  du  passé,  charme  poudreux  et  vieillot.  Mme  Landowska,  avec  une  grâce  qui 
n'est  pas  dénuée  de  préciosité,  joue  du  clavecin  comme  une  élève  de  Couperin.  Sur  le 
piano  forte,  aux  sons  grêles  et  cassés  comme  la  voix  d'un  petit  vieux,  nous  avons 
entendu  la  Suite  française  et  enfin  sur  le  grand  Pleyel  de  combat,  géant  à  côté  de  ses 
ancêtres  nains,  la  Suite  anglaise.  Mme  Landowska  a  remporté  le  plus  vif  succès. 
Mme  Garlotta  de  Feo  a  chanté  l'air  de  la  cantate  :  «  Lobet  Gott  in  seinen  Reichen  » 
avec  M.  Herrmann  dans  la  partie  de  violon  ;  M.  Joseph  Bonnet  a  joué  le  Prélude  et 
Fugue  en  ré  majeur  et  le  Prélude  et  Fugue  en  sol  majeur. 

Gabriel  Rouchès. 

Les  Maîtres  du  violon  au  XVIII''  siècle  et  M.  Debroux.  —  Les  trois 
récitals  que  M.  Debroux  vient  de  donner  à  la  salle  Pleyel  se  signalèrent  avant  tout  par 
leur  très  haute  portée  artistique.  Il  faut  faire  deux  parts  des  œuvres  sur  lesquelles  s'est 
fixé  son  choix.  Les  unes  sont  généralement  très  connues,  comme  les  sonates  de  Haendel 
et  de  Bach,  les  Romances  de  Beethoven,  la  Fantaisie  sur  des  thèmes  russes  de  Rimsky 
Korsakow,  Vintroduction  et  scherzo  de  Lalo  ;  d'autres  sont  à  peu  près  ignorées  :  celles 
des  Maîtres  Français  du  violon  au  xviii'  siècle.  C'est  de  ces  dernières  qu'il  me  semble 
utile  de  parler. 

Aussi  bien  M.  Debroux  opère-t-il  une  véritable  résurrection  en  allant  chercher  dans 
un  passé  relativement  récent,  des  pages  tombées  dans  un  oubli  dont  il  est  difficile  de 
comprendre  l'injustice.  Et  cette  résurrection  porte  en  elle  une  signification  autrement 
éloquente  que  ne  ferait  la  simple  curiosité  d'une  sèche  érudition.  Elle  est  le  réveil  de 
l'esprit  français  en  ce  qu'il  a  de  plus  séduisant  tant  par  la  clarté  de  ses  idées  que  par 
l'élégance  et  le  charme  de  son  sentiment. 

Ces  maîtres,  avec  lesquels  M.  Debroux  a  entrepris  de  nous  réconcilier,  jouirent  à 
leur  époque  d'une  réputation  considérable,  témoin  ce  titre  de  «  roi  des  violons  »  qu'on 
se  plût  à  accorder  successivement  à  plusieurs  d'entre  eux,  et  que  J.-B.  Guignon  fut  le 
dernier  à  porter.  Leurs  œuvres  sont  à  ce  point  méconnues  que  M.  Debroux  a  pu,  sans 
arrière-pensée,  inscrire  sur  son  programme,  à  côté  de  la  plupart  d'entre  elles,  la  men- 
tion «  première  audition  ».  C'est  ainsi  qu'il  nous  fit  entendre  la  sonate  en  la  majeur  de 
François  du  Val,  qui  fut  le  premier  à  publier  en  France  des  sonates  pour  violon,  sonate 
on  ne  peut  plus  intéressante,  au  rondo  léger,  à  ïair  simple  et  tendre,  et  dont  la  conclu- 
sion s'exprime  dans  la  gavotte  à  la  façon  d'une  morale  réconfortante  d'un  conte  plein 
de  bonhomie.  De  Jean-Marie  Leclair  ce  furent  la  sonate  en  ut  majeur^  les  concertos  en  ré 
mineur  et  en  ré  majeur.,  d'une  incomparable  clarté  logique,  d'une  ligne  et  d'une  ampleur 
magistrale.  Puis  la  sonate  en  ré  mineur  de  Jean  Ferry  Rebel,  violoniste  de  Louis  XIV 
et  de  l'opéra,  qui  composa  surtout  de  la  musique  de  danse  ;  la  sonate  en  sol  majeur  de 
J.-B.  Guignon,  celle  en  fa  majeur  de  Jacques  Aubert,  les  deux  concertos  en  sol  majeur 
et  en  la  majeur  de  Louis  Aubert  le  fils,  remarquables  par  lebadinage  exquis  des  allegro, 
la  mêlée  alerte  et  malicieuse  d'un  presto,  l'entrain  endiablé,  les  rythmes  et  cadences 
accusant  nettement  leur  parenté  avec  la  musique  de  ballet  qui  tient  une  place  si  impor- 
tante dans  l'œuvre  de  ces  maîtres  ;  Jean-Marie  Leclair  ne  se  fit-il  pas  tout  d'abord  connaître 
du  public  comme  danseur  au  théâtre  de  Rouen  ?  Enfin  la  sonate  en  mi  majeur  de  Louis 
Sénallié  le  fils,  et  surtout  celle  en  sol  mineur  de  Branche,  qui  accusent  une  poésie  plus 
intime  que  les  précédentes.  La  sonate  de  Branche  renferme  un  adagio  paisible  et  médi- 
tatif dont  l'expression  est  de  toute  beauté,  et  ne  semble-t-il  pas  que  dans  la  giga  sa 
gaieté  soit  d'une  qualité  différente  de  celle  des  autres  maîtres,  moins  ouverte,  moins 
franche,  et  qu'il  s'y  mêle  une  pointe  de  scepticisme  ? 

Je  ne  parle  pas  des  œuvres  que  M.  Debroux  nous  avait  fait  connaître  précédemment. 
Mais  cette  brève  énumération  suffit  à  montrer  l'étendue  et  le  caractère  du  labeur  que 
depuis  plusieurs  années  entreprit  l'éminent  violoniste.  N'est-t-il  pas  vain  de  redire,  après 
tant  d'autres,  les  beautés  profondes,  la  pureté  incomparable,  la  grâce  si  distinguée  que 
M.  Debroux  sait  communiquer  à  l'âme  de  son  violon  ?  N'est-il  pas  inutile  de  louer  une 
fois  de  plus  la  pénétration  vivante  de  ceux  qu'il  interprète  ?  Ce  que  je  voudrais  résumer 
en  quelques  mots  avant  de  terminer  ces  lignes,  c'est  l'impression  générale  recueillie  au 


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cours  de  ces  dernières  auditions  consacrées  aux  Maîtres  du  xviii'  siècle.  Quelle  saine 
gaieté  se  dégage  de  cette  musique  alerte  et  simple  ?  Quelle  facilité,  quelle  logique  dans 
le  développement  ?  L'absence  de  toute  complication,  la  bonne  humeur  naturelle,  la 
légèreté  de  la  phrase,  toutes  les  qualités  charmantes  et  souvent  un  peu  supei-ficielles, 
qui  s'imposaient  comme  les  titres  de  la  vraie  noblesse  aux  hommes  de  cour,  semblent 
avoir  été  présentes  à  l'inspiration  de  ces  maîtres  qui,  musiciens  de  la  chambre  du  roi 
pour  la  plupart,  se  souciaient  avant  tout  d'exprimer  dans  le  langage  le  plus  élégant  les 
sentiments  d'une  élite  éprise  de  frivolités  spirituelles,  de  plaisirs  aimables  et  de  délica- 
tesses choisies.  On  se  prend  à  regretter  ce  langage  si  joliment  évocateur  quand,  instinc- 
tivement, on  le  rapproche  de  celui  qui  prétend  exprimer  aujourd'hui  des  sentiments 
identiques.  Il  apparaît  que  l'excessive  subtilité  des  moyens  ne  constitue  pas  un  progrès 
sur  la  bonne  et  délicieuse  simplesse  d'antan,  que  la  limpide  clarté  intellectuelle  en  quoi 
chacun  aime  à  reconnaître  une  qualité  toute  française,  ne  gagne  pas  à  être  exploitée  au 
profit  d'innombrables  et  précieux  commentaires,  et  que  si  la  loi  de  l'évolution  repose  sur 
un  fondement  plus  solide  que  celui  d'une  attrayante  hypothèse,  il  y  a  des  pas  accomplis 
en  arrière,  qui  sont  de  probantes  exceptions  et  de  saines  confirmations.  Comment  ne 
pas  dire  toute  notre  reconnaissance  à  M.  Debroux  qui,  en  restituant  au  passé  les  droits 
si  légitimes  qu'il  a  de  séduire  notre  sensibilité  et  notre  âme,  sut  donner  une  si  oppor- 
tune leçon  aux  tendances  excessives  et  parfois  erronées  de  l'heure  actuelle? 

Edouard  Schneider. 

Le  Quatuor  Capet.  —  Je  ne  reviendrai  pas  sur  le  programme  de  la  seconde 
séance  donnée  parle  quatuor  Capet  au  Conservatoire  :  M.  Capet  a  repris,  le  ii  mars,  le 
treizième  et  le  quinzième  quatuor  de  Beethoven  qu'il  avait  joués  tout  dernièrement  aux 
((  Soirées  d'Art  ».  Alors  que  M.  Capet  était  à  Bordeaux  j'avais  grand  plaisir  à  le  louer 
comme  il  méritait  de  l'être;  j'ai  été  heureux  de  le  retrouver  à  Paris  encore  plus  en  pos- 
session de  son  beau  talent  et  de  constater  qu'il  avait  renoncé  à  la  virtuosité  pure  pour  se 
consacrer  tout  entier  à  faire  revivre  les  œuvres  des  grands  maîtres.  Dans  une  demi- 
obscurité  propre  à  faire  valoir  les  qualités  d'intimité  d'un  quatuor,  M.  Capet  et  ses  colla- 
borateurs ont,  pendant  des  minutes  trop  courtes,  fait  chanter  sur  leurs  instruments 
l'âme  du  grand  Beethoven.  Il  semblait  par  instants  que  la  voix  elle-même  du  maître 
montait  de  la  scène  perdue  dans  une  obscurité  telle  qu'on  distinguait  à  peine  la  sil- 
houette des  artistes  et  s'épandait  dans  la  salle.  De  tels  moments  de  jouissances  artis- 
tiques sont  rares  et  beaux  et  consolent  de  bien  des  concerts  ennuyeux.  On  ne  saurait 
trop  féliciter  les  artistes  qui  ont  su  vous  les  procurer. 

Gilbert-Chinard. 

Soirées  d'Art.  —  /p  mars.  —  M.  Wilhelm  Backhaus  «  le  célèbre  pianiste  »  aux 
termes  du  programme,  a  remporté,  l'an  passé,  le  prix  Rubinstein,  paraît-il,  d'une  va- 
*  leur  de  5.000  francs.  C'est  très  beau  et  j'en  suis  fort  heureux  pour  M.  Backhaus.  Je 
suis  persuadé  que  cette  récompense  fut  attribuée  en  toute  justice  à  celui  qui  m'a  semblé 
le  plus  laborieux  des  élèves.  On  n'arrive  pas  sans  de  longues  années  de  travail  à  cette 
perfection  mécanique  du  jeu,  à  cette  correction  impeccable,  j'allais  écrire  implacable.  Il 
semble  que  les  efforts  accomplis  par  M.  Backhaus  dans  l'étude  technique  des  maîtres 
l'aient  dissuadé  d'aller  plus  avant  et  de  chercher  à  pénétrer  leur  âme  ;  le  jeune  artiste 
allemand  a  joué  différentes  œuvres  de  Beethoven,  de  Schumann,  de  Chopin,  d'une 
façon  glaciale  et  monotone.  Peut-être  le  souvenir  du  fameux  concours,  où  il  avait  exécuté 
le  même  programme,  le  poursuivait-il  ?  En  somme  —  je  crois  traduire  l'impression 
générale  —  on  eut  désiré  un  peu  moins  de  perfection,  de  «  métier  ))  et  par  contre,  plus 
de  sentiment.  M.  Backhaus,  bien  que  «  célèbre»,  est  à  ses  débuts.  Il  a  tout  ensemble 
à  apprendre  et  à  oublier. 

21  mars  rço6.  —  Un  triomphe  pour  M.  Backhaus,  je  me  plais  à  le  reconnaître.  Sa 
merveilleuse  technique  s'est  jouée  des  difficultés  présentées  par  le  Waldesrauschen  de 
Liszt  et  par  l'abominable  fantaisie  sur  Don  Juan  perpétrée  par  le  même  Liszt.  Les 
thèmes  de  la  divine  partition  affublés  de  paillettes  ridicules  et  servant  de  prétexte  â  Dieu 


—  255  — 

sait  quelles  jongleries  î  Comment  cette  abomination  a-t-elle  pu  être  commise  par  un 
homme  qui  fut  un  grand  musicien  à  ses  heures. 

Dans  d'autres  morceaux,  dans  la  sonate  (Waldstein)  de  Beethoven  et  surtout  danâ 
trois  œuvres  de  Chopin,  M.  Backhaus  a  bien  voulu  mettre  un  peu  de  chaleur,  de  ce 
sentiment  absent  à  la  dernière  séance.  Son  succès  n'en  a  été  que  plus  vif, 

Gabriel  Rouchès. 

Les  Concerts  J.-JoacMm  Nin.  —  La  seconde  des  douze  auditions  consacrées 
par  M.  J.-J.  Nin  à  l'étude  des  formes  musicales  au  piano,  depuis  le  xvi°  siècle,  a  eu 
lieu,  comme  le  Courrier  Musical  l'avait  annoncé,    le  21  mars  dernier  à  la  salle  ^olian. 

Le  choix  de  cette  date,  qui  coïncidait  exactement  avec  le  221°  anniversaire  de  la 
naissance  de  J.-S.  Bach  ajoutait  au  programme,  exclusivement  composé  d'œuvres  du 
maître  allemand,  un  intérêt  commémoratif  particulier. 

Il  faut  savoir  gré  au  jeune  artiste  catalan,  déjà  tant  applaudi  lors  de  sa  première 
séance,  d'avoir  pris  à  tâche  de  présenter  au  public  avec  son  impeccable  talent,  quelques- 
unes  des  moins  connues  parmi  les  œuvres  de  Bach. 

Le  Caprice  sur  le  départ  d'un  frère^  la  Sarabande  avec  ses  quiitze  variations,  une 
Polonaise  extraite  du  recueil  d'Anna-Magdalena  Bach  et  une  Gigue,  provenant  des 
compositions  réunies  par  W.-F.  Bach,  ne  font  point  partie  ordinairement  des  innom- 
brables «  auditions  Bach  »  auxquelles  on  a  coutume  d'assister. 

Au  surplus,  le  très  intéressant  préambule  où  M.  Nin  nous  fait  connaître,  en  tête 
de  son  programme,  ses  idées  et  ses  intentions  artistiques,  montre  bien  que  ce  choix 
n'est  pas  l'effet  du  hasard. 

Il  faut  insister  un  peu  sur  cette  petite  profession  de  foi,  car  elle  rencontrera  sans 
doute  quelques  contradicteurs  :  il  y  est  affirmé  catégoriquement  le  droit  absolu  du 
piano  a  s'approprier  de  nos  jours  toute  la  musique  écrite  pour  les  différents  instruments 
à  cordes  et  à  clavier  des  xvi"  et  xvii"  siècles.  Nous  croyons  nous  souvenir  qu'un  fascicule 
du  Mercure  de  France  émettait  l'an  dernier,  sous  la  signature  de  Mme  Wanda  Lan- 
dowska  (i)  une  opinion  tout  à  fait  opposée.  La  voilà  bien  la  polémique  des  Revues  1 
Seulement  Mme  Landowska  est  claveciniste  :  elle  oppose,  elle  aussi,  la  ((  propagande 
par  le  fait  »... 

Alors,  qui  croire  ?  «  Vous  êtes  orfèvre.  Monsieur  Josse  !  »  pourrait-on  dire  tour  à 
tour  à  la  protagoniste  de  cet  instrument  dont  «  on  ne  peut  enfler  ni  diminuer  les  sons  » 
(c'est  Couperin  qui  parle,  cité  par  M.  Nin),  et  au  défenseur  convaincu  de  cette  «  mi- 
trailleuse pour  assommer  tout  un  peuple  »  (ainsi  s'exprime  la  charmante  claveciniste). 

Tout  ((  peuple  ))  que  nous  soyons,  en  tant  qu'auditeur  au  concert  du  21  mars,  nous 
déclarons  n'avoir  été  nullement  assommé  : 

«  Les  gens  que  vous  tuez  se  portent  assez  bien...  » 

surtout  lorsqu'ils  ont  vivement  ressenti  le  charme  pénétrant  qui  se  dégage  du  jeu  si 
sobre,  si  précis,  mais  en  même  temps  si  intimement  ému  du  jeune  virtuose. 

M.  Nin  nous  a  paru  encore  en  progrès  sur  l'an  dernier  :  pour  l'auditeur  attentif,  le 
moindre  détail  de  son  jeu  porte  la  trace  d'une  préparation  logiqueet  consciencieused'une 
maturité  chaque  jour  plusgrande,  au  service  d'une  âme  forte  et  vibrante  :  c'est  là,  à 
notre  sens,  un  pianiste  «  de  race  »,  un  «  aristocrate  »  ,  au  sens  étymologique  du 
mot. 

Mais  pourquoi  faut-il  qu'il  diminue  en  quelque  sorte  la  portée  de  son  réel  talent 
par  une  horreur  exagérée  de  la  pause  et  de  l'entracte  ?  Il  ne  recherche  pas  l'effet  et  le 
succès,  soit  :  mais  un  peu  moins  de  hâte  à  nous  faire  entendre,  sans  le  moindre  inter- 
valle, des  compositions  que  la  seule  nécessité  du  concert  avait  juxtaposées,  eût  paru 
préférable. 

Entre  l'aimable  farceur,  bien  décidé  à  jouer  le  minimum  de  musique  dans  le    niaxi- 


(i)  Sur  l'interprétation   des  œuvres  de    clavecin  de  J.-S.   Bach  [Mercure  de  France  du  15  novembre 
1905). 


—  256  — 

munï  de  temps,  et  le  musicien  consciencieux  et  sincère,  qui  semble- tenir  -  à  honneur  de 
ne  jamais  laisser  au  public  le  loisir  de  savourer  chacune  de  ses  impressions,  en  lui 
donnant  entre  chaque  œuvre  exécutée  un  peu  plus  de  «mesures à  compter»;  il  y  aurait, 
semble-t-il,-  un  équilibre  à  trouver.  Et  nous  ne  croyons  pas  qu'un  petit  quart  d'heure 
sagement  partagé  entre  les  douze  numéros  du  programme,  ait  fait  paraître  celui-ci  plus  ■ 
long  :  au  contraire  ! 

Personne  ne  s'en  fût  plaint,  pas  même  l'auteur  des  très  intéressantes  notices,  M. 
Sérieyx,  dont  le  travail,  sérieusement  documenté  et  nettement  mis  en  forme,  <  valait  la 
peine  d'être  lu,  non  par  un  inutile  confériencier,  ce  qui  parait  parfois  un  peu  pompeux, 
riiais  par  chacun  en  particulier. 

Et  maintenant,  à  quand  la  troisième  séance?  on  nous  fait  espérer  que  ce  sera  bien- 
tôt, et  nous  ne  pouvons  que  nous  en  réjouir. 
,     .'.     .  ,  .  .      F.  V. 

Quatuor  Parent.  —  D'un  caractère  moins  vigoureux  que  le  précédent,  le  trio  op, 
jo  n"  2  pour  piano,  violon  et  violoncelle  se  recommande  surfout  par  son  amabilité  et  sa 
grâce  sereine;  quelques  longueurs  ne  l'alourdissent-elles  pas  cependant  ?  La  Sonate  op. 
j  «°  2  pour  piano  et  violoncelle  ne  compte  ni  parmi  les  plus  belles  ni  parmi  les  plus 
intéressantes  qu'ait  écrites  Beethoven  ;  au  contraire,  celle  pour  piano  et  violon,  op.  jo 
n°  2  se  montre  d'une  inspiration  on  ne  peut  plus  puissante  ;  les  deux  premiers  mouve- 
ments en  particulier,  l'allégro  et  l'adagio  sont  d'une  admirable  profondeur  de  sentiment. 
Mlle  Dron,  MAL  Parent  et  Fournier  interprétèrent  ces  oeuvres  avec  leur  habituelle  fidé- 
lité. Enfin,  le  irio  op.  g  n°  2  pour  violon,  alto  et  violoncelle  n'est  pas  étranger  au  sou- 
venir de  Mozart  ;  la  grâce  spirituelle  du  maître  semble  errer  à  chaque  mesure.  Quelle 
douce  gaieté,  teintée  parfois  de  mélancolie,  s'envole  de  ces  pages  ravissantes  !  Quelle 
amusante  ironie  se  dégage  du  violoncelle  qui  rappelle  ici  le  philosophe  du  quatuor  de 
Cosi  fan  tutti  !  Au  cours  de  cette  séance  M.  Grandmougin  vint  nous  dire  des  vers... 
Lyrique  et  pieux  souvenir  a  la  mémoire  du  Maître,  calme  et  sincère  poésie  qui,  malgré 
l'ingratitude  du  genre  élogieux  sut  recueillir  les  applaudissements  des  fidèles  beetho- 
veniens.  ' 

La  société  des  instruments  à  vent  participait  au  concert  suivant.  MM.  Grovlez, 
Bleuzet,  Mimart,  Pénable  et  Letellier  exécutèrent  excellemment  le  quintette  op.  /6,  œuvre 
jeune  et  brillante,  ainsi  que  le  sextuor  op.'  7/.  Mlle  Gellée  fit  preuve  d'une  grande  sû- 
reté de  jeu  et  d'un  style  parfait  dans  la  sonate  op.  j i  n'^  y  et  sut  avec  M.  Parent  nous 
faire  partager  la  douce  et  pure  émotion  de  l'andante  de  la  sonate  op.  12  n°  2.  Très  bien 
accompagné  par  M.  Grovlez,  M.  Jean  Reder  chanta  les  six  lieder  de  Gellert  op.  48.  A 
l'inspiration  si  profondément  religieuse,  si  émouvante,  si  dramatique  et' joyeuse  à  la 
fois  de  confiance  affirmative,  M.  Jean  Reder  apporta  la  vive  intelligence,  la  chaleur  et 
l'ampleur  magistrale  de  son  beau  talent. 

jj  Par  suite  d'un  changement  de  programme,  nous  avons  réentendu  à  la  dernière 
séance  l'intéressant  quatuor  de  Ravel  et  celui  de  Debussy  dont  Vandantino  est  pour 
Toreille  d'une  séduction  toujt)urs  nouvelle.  Puis  avec  MM.  Parent  et  Fournier,  l'auteur, 
M.  Jean'Huré,  nous  donna  \ine  Suite  sur  des  chants  bretons.  La  couleur  locale,  pré- 
texte des  compositions  de  ce  genre,  semble  d'un  effet  un  peu  trop  facile,  et  si  l'on  ne  s'ef- 
force d'y  mêler  les  accents  de  l'inspiration  personnelle,  ne  s'expose-t-on  pas  à  ne  noter 
que  des  impressions  purement  extérieures  .>  Ce  fut  là  le  défaut  de  M.  Jean  Iluré.  De  ses 
doigts  prestigieux,  M.  Ricardo  Vinès  nous  entraîna  dans  le  léger  vertige  du  Mouvement 
de  Debussy,  et  fit  applaudir  l'alerte  et  élégant  Scher~o  de  Borodine,  ainsi  qu'une  pièce 
de  Déodat  de  Séverac,  Coin  de  Cimetière  au  Printemps^  faite  de  douce  et  intime  mé- 
lancolie. 

Nous  aurions  voulu  ajouter  quelques  lignes  pour  rappeler,  à  propos  de  cette  der- 
nière séance,  les  soins  que  M.  Parent  a  si  généreusement  prodigués  à  la  musique  fran- 
çaise depuis  quinze  ans  ;  l'abondance  des  matières  nous  en  empêche  aujourd'hui,  mais 
nous  espérons  pouvoir  le  faire  en  une  prochaine  occasion. 

Edouard  Schneider, 


—  257  — 

Concert  Busoni.  —  Quiconque  n'a  pas  entendu  cet  admirable  artiste,  ignore  à 
la  fois  ce  que  peut  être  un  piano  et  le  secret  de  Chopin  ou  de  Liszt.  La  technique  de 
M.  Busoni  est  d'une  audace  et  d'une  délicatesse  prodigieuses  :  ce  serait  la  rabaisser  que 
de  lui  appliquer  le  terme,  devenu  si  banal,  de  virtuosité.  Car,  si  M.  Busoni  porte  à  un 
point  inaccessible  la  prestesse  et  la  fougue,  il  garde  toujours,  dans  les  tours  de  force  les 
plus  vertigineux,  une  beauté  de  son,  une  harmonie  de  nuances  et  une  sensibilité  musi- 
cales qui  ne  sont  pas  moins  exceptionnelles.  Qu'il  aille  par  des  graduations  infiniment 
subtiles  de  l'extrême  douceur,  à  la  force  la  plus  puissante,  on  n'entendra  jamais  ni  un 
son  grêle,  ni  une  attaque  brutale.  Son  premier  récital  du  19  mars,  consacré  à  Liszt  et 
Chopin,  a  été  un  long  triomphe,  particulièrement  pour  les  études  de  Chopin  en  ut 
majeur  (op.  10,  n"  7)  et  sol  diè\e  mineur  (op.  25,  n"  6),  jouées  avec  une  légèreté  féerique 
et  lé  Ma^efpa  de  Liszt,  enlevé  avec  une  hardiesse  et  une  autorité  géniales. 

J.C. 

Schola  Cantorum.  —  Le  20  mars,  la  Schola  donnait  un  concert  où  se  produi- 
saient quelques-uns  des  élèves  des  cours  d'ensemble  et  de  déclamation  lyrique.  Le  pro- 
gramme fort  habilement  composé  était  des  plus  attrayants  :  Concerto  en  ré  mineur^  de 
J.-S.  Bach,  des  mélodies  de  Fauré,  Ch.  Bordes  et  de  Franck,  la  Sixième  suite  fran- 
çaise en  sol  majeur  de  J.-S.  Bach,  la  Défloration  Finale  de  Jephté  de  Carissimi,  le 
Trio  en  fa  de  Schumann.  Tout  ceci  était  fort  bien  présenté  par  les  élèves  qui  ont  riva- 
lisé de  zèle  et  de  bon  goût  musical.  Un  public  nombreux  montra  par  ses  applaudisse- 
ments multiples  et  chaleureux  qu'il  appréciait  à  sa  juste  valeur  le  souci  d'art  pur  et  de 
probité  artistique  des  élèves  de  la  Schola. 

Paul  Le  Flem. 

U abondance  des  matières  nous  oblige  à  reporter  au  prochain  numéro  le  Festival 
Mozart,  les  Concerts  Ysaïe,  Sonatières  et  les  alentours,  et  un  grand  notnbre  de  Concerts 
divers,  la  Vie  artistique  en  Allemagne  et  la  correspondance  de  Strasbourg. 


CONCERTS   DIVERS 


MM.  DE  Greef  et  BoucHERiT  —  /2  et  i^  Mars.  —  MM.  de  Greef  et  Boucherit  ont 
remporté  au  cours  de  ces  deux  séances,  un  énorme  succès.  J'en  suis  fort  aise  et  pour 
ma  part, je  les  ai  vivement  applaudis.  Ce  sont  deux  artistes  —  tous  malheureusement  ne 
sont  point  ainsi  —  dont  aucun  cabotinage  ne  vient  déparer  l'interprétation.  Aussi, 
dans  la  mesure  et  dans  la  sobriété,  quelle  force,  quelle  énergie  d'accents  !  M.  de  Greef 
est  sans  égal  avec  son  jeu  si  pur,  si  cristallin,  et  M.  Boucherit  qui,  au  premier  concert, 
avait  été  moins  parfait,  possède  une  sonorité  pénétrante  et  expressive.  Et  quelles 
œuvres  réunies  sur  ces  deux  programmes  :  La  sonate  en  mi  majeur  de  Bach,  celles  en 
mi  bémol  de  Beethoven  et  en  la  mineur  de  Schumann,  et,  en  dernier  lieu,  à  côté  de 
Brahms  et  de  M.  Saint-Saëns,  la  sonate  de  Franck,  dont  les  deux  artistes  firent  res- 
sortir la  beauté  surhumaine.  Gabriel  Rouchès. 

Société  de  musique  de  chambre  pour  instruments  a  vent.  —  Dans  sa  troisième 
séance  la  société  nous  a  présenté  des  œuvres  exclusivement  modernes.  Les  Paysages 
Normands  de  M.  Georges  Sporck,  pour  double  quintette  à  vent  séduisent  par  un  juste 
sentiment  de  la  couleur  locale.  On  ne  peut  en  dire  autant  de  la  Suite  pour  flûte  et  piano 
extraite  des  «  Poèmes  Virgiliens  »  de  M.  Théodore  Dubois  ;  sauf  la  première  pièce,  Da- 
phnis,  aimablement  banale,  les  autres  sont  banales  sans  rien  de  plus  et  d'une  si  parfaite 
méconnaissance  d'elle-même;  l'âme  sensible  du  doux  Virgile  doit  se  lamenter  doulou- 
reusement au  fond  de  l'empire  des  ombres...  Le  remarquable  talent  de  M.  Gaubert  sut 
pourtant  faire  éclore  les  applaudissements.  Un  Preludio  et  fughetta  de  M.  Gabriel 
Pierné,  de  charme  léger  et  de  construction  habile,  obtint  un  vif  succès,  et  un  excellent 
accueil  fut  fait  à  une  sonate  pour  piano  et  hautbois  de  M.  Ferdinand   Schneider,  inter- 


—  258  — 

prêtée  par  MM.  Grovlez  et  Bleuzet,  dont  nous  avons  particulièrement  apprécié  l'éléva- 
tion du  sentiment,  le  caractère  méditatif  des  idées  et  la  tenue  sérieuse  de  la  facture.  Un 
octuor  de  M.  Sylvio  Lazzari  terminait  la  séance,  pièce  un  peu  longue  dont  l'adagio  nous 
parut  seul  intéressant.  Edouard  Schneider. 

M.  Lazare  Lévy.  —  Chaque  année  M.  Lazare  Lévy  appelle  l'attention  du  monde 
de  la  musique  par  la  belle  ordonnance  de  ses  programmes  et  la  maîtrise  d'un  jeu  cor- 
rect, précis,  vigoureux,  mais  qui  gagnerait  à  s'assouplir  légèrement  et  à  s'envelopper 
de  ce  charme  exquis  que  Planté  me  paraît  être  l'un  des  derniers  d'une  génération  célèbre, 
à  avoir  conservé.  Pourquoi  les  jeunes  ne  veulent-ils  pas  s'inspirer  de  cette  école  qui  est 
bien  celle  de  l'émotion,  c'est-à-dire  du  seul  art  !  Hâtons-nous  de  reconnaître,  toutefois, 
que  M.  Lazare  Lévy  ne  saurait  tarder  à  se  classer  parmi  nos  plus  célèbres  jeunes 
gloires  du  piano.  Il  y  a  chez  lui  une  assurance  et  une  netteté  que  nous  admirons  sin- 
cèrement :  c'est  ce  qui  résume  le  mieux  notre  impression;  mais  si  la  place  ne  nous  était 
mesurée  nous  aurions  commente  volontiers  les  deux  récitals  qu'il  vient  de  donner 
avec  grand  succès.  G.  L. 

Mme  Gaetane  Vicq.  —  Avec  sa  voix  prenante  au  timbre  de  velours,  avec  sa  sûre 
diction,  avec  son  beau  sentiment  musical,  Mme  Gaëtane  Vicq  remporta  un  véri- 
table triomphe  à  son  concert  auquel  collaborèrent  Mlles  Suzanne  et  Thérèse  Chaigneau 
dans  la  Sonate  en  ut  majeur  d'Hasndel  et  la  Sonate  op.  8  pour  piano  et  violon  de  C. 
Chevillard.  Nous  avons  eu  le  plaisir  de  dire  dernièrement  (Société  philharmonique)  de 
quelle  façon  heureuse  elle  interpréta  Mozart  et  Duparc  qu'elle  redonnait  à  son  concert. 
Il  nous  faut  aujourd'hui  ajouter  que  Fédia  d'Erlanger,  Tes  yeux  tristes  de  Lenormand 
et  C'est  l'amour  qui  compte  de  Bruneau  lui  furent  l'occasion  de  nouveaux  succès.  Pour 
terminer  cette  belle  séance  Mme  Gaëtane  Vicq  chanta  les  Nuages  d'Alexandre  Georges 
comme  ne  le  fit  jamais  la  Miarka  de  l'Opéra-Comique.  C'était  ému,  inspiré  et  très  lar- 
gement déclamé.  Mais  aussi  Mme  Gaëtane  Vicq  est  une  artiste.  V.  D. 

M.  A.  MusTEL.  —  Une  des  plus  charmantes  séances  de  musique  de  la  saison.  On 
sait  que  M.  Alphonse  Mustel  ne  se  contente  pas  d'être  un  instructeur  et  un  inventeur 
distingué,  mais  qu'il  est  encore  un  compositeur  et  un  exécutant  de  talent.  Aussi  notre 
joie  fut-elle  grande  en  l'écoutant  interpréter  avec  M.  Galobert,  sur  un  orgue  et  un 
piano  Mustel,  aux  délicieuses  sonorités,  sa  Suite  Ottomaîie  empreinte  d'un  charme  très 
agréablement    enveloppant.  S. 

M.  PoMPOSi.  —  Très  remarquable  séance  donnée  par  rexcellént  violoniste  Pompôsî 
qui  exécuta  dans  un  bon  style  la  Sonate  n"  2  de  Bach,  avec  Mlle  B.  Selvâ  ;  puis  avec 
MM.  de  Bruyn,  Migard  et  Schidenhelm  il  interpréta  très  joliment  le  Neuvième  Quatuor 
de  Beethoven.  A  ce  même  concert  le  succès  fut  vif  pour  Mlle  E.  Grégoire,  dans  des  mé- 
k)dies  de  Chansarel  et  pour  Mlle  Selva  dans  la  suite  si  pittoresque  de  M.  dé  SéVerac  :  En 
Languedoc. 

Concert  Saïller.  —  Les  deux  concerts  que  l'excellent  violoniste  Henri  Saïller 
vient  de  donner  à  la  salle  du  Journal  ont  remporté  un  très  vif  succès,  M.  Saïller  qui 
sait  allier  le  charme  à  la  plus  brillante  virtuosité  a  remarquablement  interprété 
la  Sonate  en  ré  mineur  de  Saint-Saëns,  avec  Mlle  Dehelly,  et  différentes  œuvres  de 
chambre  dans  l'exécution  desquelles  il  était  fort  bien  secondé  par  MM.  Hewitt,  Migard 
et  Liégeois.  Le  3'  concert  qui  a  lieu  le  4  avril  promet  d'être  aussi  réussi  si  nous  nous 
en  rapportons  à  son  beau  programme.  H.  B. 

Mme  L.  de  Buffon.  —  Une  très  intéressante  séance  de  sonates  pour  piano  et  vio- 
loncelle a  été  donnée  le  19  mars  à  la  salle  des  Enfants  des  Arts,  par  Mme  Leroy  dé 
Buffon  qui  remporta  un  très  grand  succès  en  interprétant  avec  M.  Gabriel  Grovlez,  leS 
sonates  de  Haendel,  de  Mendelssohn  et  de  Boëllmann.  A  cette  même  séance  Mlle  Hen- 
riette Menjaud  chanta  délicieusement  trois  charmantes  mélodies  de  Léon  Moreau. 

A. 


—  359  — 

MM.  H.  Choinet  et  Ed.  Bernard.  —  Admirablement  composé  le  programme  de 
ce  concert  a  permis  d'apprécier  une  fois  de  plus  la  haute  maîtrise  de  M.  Ed.  Bernard,  un 
de  nos  plus  remarquables  pianistes,  et  la  sonorité  souple  et  délicate  en  même  temps  de 
M.  Henri  Choinet  qui  a  su  rendre  les  splendeurs  de  la  Sonate  de  Franck  transcrite  pour 
violoncelle.  R. 

Le  mouYeinenl  musical  en  province  et  à  l'étranger 

Ll^  VIE  mUS^C^i-^  ft  BRUXELLES 


Le  grand  événement  de  ce  dernier  mois  a  été  la  mise  à  la  scène  de  la  Damnation 
de  Faust,  de  Berlioz,  à  la  Monnaie.  Disons  de  suite  que  le  succès  a  été  complet,  et  lais- 
sons la  parole  à  notre  confrère  Octave  Maus  :  «  Après  tout,  pourquoi  pas  puisque  le 
résultat  est  heureux?  Et  quel  farouche  Berliozien,  —  l'ami  Alix  lui-même,  qui  garde 
à  Grenoble,  comme  un  dépôt  sacré,  la  tradition  des  plus  secrètes  pensées  du  maître,  — 
Oserait  blâmer  le  «  sacrilège  »  puisqu'il  auréole  le  compositeur  dauphinois  d'une  gloire 
nouvelle  ?... 

On  pouvait  craindre,  il  est  vrai,  que  l'œuvre,  dont  l'essence  est  plus  lyrique  que 
dramatique,  ne  pût  «  tenir  la  scène  ».  Ainsi  que  Ta  justement  dit  M.  Georges  Syster- 
mans,  ((  composée  de  scènes  que  ne  relie  aucun  lien  musical,  formée  d'une  succession  de 
tableaux  dont  quelques-uns  ont  le  caractère  et  la  coupe  dramatiques  tandis  que  d'autres 
sont  essentiellement  lyriques,  la  Damnation  de  Faust  ne  répond  point  aux  exigences  du 
théâtre  ;  il  ne  paraît  pas  douteux  que  Berlioz  l'eût  conçue  dans  une  forme  bien  diffé- 
rente s'il  en  avait  entendu  faire  un  drame  musical.  En  principe  donc  il  faudrait  con- 
damner ceux  qui  l'ont  «  déracinée  ».  Mais,  ajoute  notre  confrère,  dans  la  pratique  on 
peut  se  montrer  moinâ  rigoureux,  pour  l'excellente  raison  que  la  Damnation  possède 
une  «  unité  latente  »,  si  l'on  peut  ainsi  parler.  Là  légende  de  Faust  est  si  familière  à 
tous  les  esprits,  même  de  culture  primordiale,  elle  pénètre  si  avant  dans  l'âme  popu- 
laire que  le  lien  non  apparenté  entre  les  scènes  éparses  de  la  Damnation  se  trouve  créé 
en  quelque  sorte  par  l'auditeur  lui-même  et  qu'en  fin  de  compte  l'impression  ressentie 
est  celle  d'une  action  dramatique  suivie.  » 

Ajoutons  que  l'interprétation  fut  excellente,  avec  MM.  Dalmorès,  Albers,  Mme 
Albâ,  l'orchestre,  vibrant,  souS  la  direction  de  Sylvain  Dupuis. 

On  vient  de  mettre  en  répétition  les  Maîtres-Chanteurs,  et  on  annonce  les  pro- 
chaines premières  de  Déidamia  et  de  Résurrection. 


Les  Concerts.  ^-  Ils  sont  tellement  nombreux  qu'on  s'y  perd  !  Ce  fut  d'abord  le 
Concert  Ysaye  qui  nous  a  donné  de  nouveau  la  Symphonie  funèbre  de  Gustave  Huberti, 
page  émue  datant  déjà  de  plus  de  vingt  ans,  qui  fut  accueillie  avec  faveur.  Comme 
nouveauté,  En  Saga,  de  Sibélius,  œuvre  curieuse,  mais  extrêmement  confuse. 
Mme  Bréma  détailla  à  ravir  les  belles  Chansons  à  danser,  de  Bruneau,  et  fut  acclamée 
après  le  finale  de  la  Gcetterdaemmerung. 

l^èdûtniër  Concert  d'orchestre  duConservatoire  ne  nous  a  rien  apporté  de  nouveau: 
l'ouverture  d'Obéron,  Siefried-Idill  sont  choses  fort  connues.  Quant  à  la  symphonie 
de  Raff,  Im  WaldCj  elle  offre  peu  d'intérêt. 

Je  veux  signaler  tout  spécialement  les  séances  de  musique  de  la  Libre  Esthétique, 
organisées  comme  toujours  par  M.  0.  Maus.  Les  quatre  concerts  nOus  ont  fait 
Connaître  de  nombreuses  œuvres  nouvelles  oii  peu  connues  :  la  Sonate  pour  piano  et 
violon  de  Albéric  Magtlard,  d'une  inspiration  libre  et  originale,  parfois  Un  peu  revêche 
(MM.  Chaumont  et  Bosquet)  ;  de  délicats  poèmes  de  Ravel  (M.  Engel,  Mme  Bâthori),  la 
Chambre  Blanche,     de  Grovle2;  ;    le  Trio  de  M.  Gofïitl,  œiiVre  sincère,  âisémetit  péné- 


—  26o  — 

trable,  très  rythmique  ;  le  magnifique  Quatuor  de  Guy  Ropartz,  l'une  de  ses  plus  belles 
compositions  ;  la  Sonate  pour  piano  et  alto  de  Marcel  Labey,  distinguée  et  poétique, 
de  jolies  (mais  si  menues)  œuvrettes  de  M.  Inghelbrecht,  réunies  sous  le  titre  :  la 
Nursery  ;  —  de  très  belles  mélodies  de  Kœchlin  et  deux  fraîches  chansons  canadiennes 
de  Vuillermoz,  les  Heures  d'Eté  d'Albert  Groz  ;  un  joli  Poème  pour  violoncelle  de  Jon- 
gen.  Enfin  le  quatrième  concert  fut  particulièrement  brillant,  grâce  à  la  présence  du 
maître  Fauré,  qui  vint  délicieusement  accompagner  à  M.  Dambois  sa  Romance,  a  Mme 
Zimmer  ses  mélodies,  et  jouer  la  charmante  suite  Dolly  avec  Mlle  Blanche  Selva  : 
cette  admirable  pianiste  nous  révéla  deux  œuvres  absolument  remarquables  '•  En  Lan- 
guedoc, de  Deodat  de  Séverac,  et  VIbéria.,  de  Albeniz,  si  pleine  de  couleur. 

Parmi  les  concerts  particuliers,  mentionnons  le  superbe  récital  d'Eugen  d'Albert, 
le  lieder-abend  de  Mme  Bréma  (Schumann,  Schubert,  Weingartner,  Brahms,  Wolf), 
les  deux  concerts  de  Willy  Burmester,  malheureusement  peu  suivis,  le  concert  Deru, 
de  Mlle  Littel,  etc.  S.  T... 


IYO\.  —  Le  Quatrième  Concert  de  l'abonnement,  auquel  nous  eûmes  le  regret  de 
ne  pouvoir  assister,  avait  lieu  avec  le  concours  de  M.  Louis  Frœlich  et  de  la 
J  Schola  Cantorum  lyonnaise.  Au  programme,  figuraient  outre  le  Prélude  à  V après' 
midi  d'un  Faune  de  Debussy  (2°  audition),  YOuverture  d'Euryanthe^Xa  Symphonie  n"  i 
de  Beethoven  et  des  fragments  de  Parsifal  (Prélude,  scène  religieuse).  M.  Froelich 
chanta  un  air  tiré  de  la  Fête  d'Alexandre  d'Haendel,  les  Deux  Grenadiers  de  Schumann 
et  un  poème  en  musique  de  M.  Savard,  intitulé  Elévation.  Ce  programme  captivant, 
obtint,  à  juste  titre,  le  plus  beau  succès.  Le  6  Mars  dernier,  pour  la  cinquième  soirée 
d'abonnement,  les  auditeurs  eurent  à  savourer  un  concert  d'œuvres  modernes  du  plus 
vif  intérêt.  La  Symphonie  sur  un  air  montag?iard  français  de  M.  V.  d'Indy  dont  les  trois 
parties  sont  étroitement  reliées  entre  elles,  grâce  à  la  forme  cyclique,  devait  obtenir 
pour  sa  première  audition  à  Lyon  et  obtint  en  réalité  un  éclatant  succès.  Si  les  deux 
premiers  mouvements  disent  surtout  la  sérénité  du  paysage  montagnard  et  la  mélanco- 
lie des  êtres  qui  le  peuplent,  on  retrouve  en  contraste  dans  le  dernier  toute  la  joie  lourde 
et  franche  des  fêtes  populaires  ;  une  curieuse  transformation  rythmique  du  thème  initial 
tiré  du  folklore  de  nos  montagnes  y  fait  naître  des  motifs  de  danses  paysannes  d'un 
pittoresque  achevé,  et  cela  semble  une  sorte  de  transposition  musicale  d'une  toile  de 
Rubens  ou  de  Téniers.  Les  Variations  sympho7tiques  de  César  Franck  d'une  si  grande 
richesse  expressive,  aux  développements  tour  à  tour  passionnés  et  pittoresques,  avaient 
été  jouées  ici  dans  des  conditions  très  défectueuses  et  elles  étaient  pour  ainsi  dire  ignorées 
à  Lyon.  Elles  parurent  cette  fois  dans  toute  leur  pure  beauté.  Mlle  Blanche  Selva  in- 
terpréta le  parties  pianistiques  des  œuvres  de  d'Indy  et  de  César  Franck  avec  une  auto- 
*  rite  et  un  sentiment  musical  bien  rares.  Combien  d'artistes  savent,  comme  elle,  s'effacer 
devant  l'œuvre  à  interprêter  et  dédaigner  tout  succès  personnel?  Nous  eûmes  avec  elle 
desémotions  d'art  profondes  et  très  pures.  L'orchestre  plus  assoupli  que  jamais  et  dirigé 
avec  une  maîtrise  absolue  par  M.  Witkowski  fit  valoir  excellemment  ces  partitions  maî- 
tresses. Le  concert  avait  débuté  par  l'ouverture  classique  de  la  Flûte  enchantée  ;  il  com- 
prenait encore  les  deux  premiers  numéros  de  la  Suite  sur  Pelléas  et  Mélisande  de  G. 
Fauré,  Siegfried  Idyll,  la  délicieuse  symphonie  wagnérienne,  VIslamey  de  Balakirew  ; 
(cette  fantaisie  orientale  déçut  nombre  d'auditeurs  dont  nous  sommes),  et  la  vibrante 
ouverture  du  jRoî  rf'Ys. 

Depuis  un  mois,  véritable  avalanche  de  virtuoses  :  Planté,  Pablo  Gazais,  Spalding, 
Bimboni,  le  quatuor  vocal  Battaille,  le  quatuor  de  musique  de  chambre  Rinuccini,  le 
quatuor  tchèque,  etc..  etc.,  et,  prochainement,  Paderewski,  précédé  d'une  réclame 
monstre,  sera  dans  nos  murs  !  La  Revue  mnsicale  de  Lyon  nous  convoqua  récemment  à 
une  audition  de  musique  moderne  des  plus  exquises  (Lieder  de  Mossorgski,  Chausson, 
Vuillermoz.  Sonate  piano  et  violon  de  Lekeu,  Caprice  de  Bach  sur  le  départ  de  son 
frère,  Suite  pour  le  piano  de  Debussy,  Sonatine  de  Ravel,  le  Soldat  de  plomb  de  Déodat 


201    

de  Séverac.)  Mme  de  Lestang,  M.  Ricou  et  M.    Reynaud  obtinrent   aux    côtés    de  M. 
Léon  Vallas,  l'inlassable  organisateur  de  ces  soirées  choisies,  le  plus  vif  succès. 

Au  grand  théâtre  nous  avons  actuellement  d'excellentes  représentations  de  Tristan 
et  Isolde  avec  Mlle  Jonnsen  et  Mme  Litvinne  :  cela  alterne  en  attendant  la  reprise  de  la 
Gotter  dammerùng,  qui  est  proche,  avec  la  Tosca...  et  le  Postillon  de  Lonjumeau  ! 

P.  L. 

MwARSEILLE.  —  U Association  Artistique  des  Concerts  classiques,  très  habile- 
yi  ment  dirigée  par  le  sympathique  M.  Michaud,  eut  l'heureuse  idée  de  nous  donner 
HJ^  VHistoire  du  Poème  Symphonique,  après  nous  avoir  donné,  l'année  dernière, 
l'histoire  de  la  Symphonie. 

Sous  la  baguette  consciencieuse  de  M.  Gabriel-Marie,  nos  musiciens,  toujours  en 
progrès,  donnèrent  successivement  :  La  Victoire  de  Wellington  à  Vittoria,  qui  n'ajoute 
rien  à  la  gloire  de  Beethoven,  la  Symphonie  fantastique,  les  Préludes  de  Liszt,  œuvre 
débordante  d'enthousiasme  et  de  jeunesse,  la  Danse  Macabre,  désormais  classique,  la 
Procession  Nocturne  de  Rabaud,  connue  et  appréciée  à  Marseille  depuis  longtemps, 
Irlande  d'Aug.  Holmes,  les  Eolides,  Viviane,  du  regretté  Chausson,  Thamar,  de  Bala- 
kirew,  que  nousvoudrions  voir  définitivement  inscrit  à  nos  programmes,  la  délicate  et 
tendre  Sauge  fleurie,  du  maître  V.  d'Indy,  Zorahayda,  de  Svendsen.  La  troublante 
Après-midi  d'un  Faune,  qui  ne  compte  plus  ici  que  des  admirateurs,  La  Nuit  d'été,  de 
Marty.  Nous  nous  réjouissions  d'entendre  Y  Apprenti  sorcier,  lorsque  le  malencontreux 
départ  d'un  instrumentiste  nous  priva  de  ce  plaisir. 

Parmi  les  virtuoses  toujours  applaudis  de  notre  public,  citons  :  Pawla  Frisch. 
A.  Guilmant,  Mme  Klebeerg,  le  tout  jeune  et  surprenant  Miecio  Horszowki  dont  le  succès 
fut  prodigieux,  le  baryton  Clark,  Stefi  Geyer,  Pablo  Casais,  Mme  Roger-  Miclos^ 
Emilie  Bitter,  etc.,  etc. 

La  Croisade  des  Enfants,  qui  devait  être  l'œuvre  importante  de  la  saison  ne  put 
être  montée  et  fut  remplacée  par  la  IX'  Symphonie,  avec  le  concours  de  Mmes  Fournier 
de  Noce,  Mathieu  d'Ancy  et  de  MM.  Dantu  et  Daraux. 

Nous  eûmes  la  joie  de  voir  V Association  fêter  son  500'  concert,  témoignage  écla- 
tant de  sa  vitalité  et  de  ses  succès.  L.  Gébelin. 


MOi\TE-CARLO.  —  Les  Concerts  classiques  (Mars).  —  L'orchestre,  déjà  si 
remarquable  et  d'une  si  merveilleuse  sonorité  les  années  précédentes,  a  encore 
gagné  cette  année  en  puissance  et  en  homogénéité.  Le  quatuor  sonne  superbe- 
ment, le  pupitre  des  bois  est  peut-être  le  meilleur  qui  soit,  les  cors  enfin,  sont  excel- 
lents et  d'attaque,  grâce  à  Vuillermoz,  transfuge  de  la  Société  Mimart.  Avec  cet 
admirable  orchestre,  dont  il  joue  avec  infiniment  de  talent,  Jehin  nous  a  donné  de 
belles  exécutions  de  quelques  œuvres  nouvelles  ou  peu  jouées  en  France  :  la 
Symphonie  en  sol  mineur  de  Kallinikow,  limpide  et  aimable,  schumanienne  à  souhait, 
sympathique  ;  le  Poème  Carnavalesque  de  Ch.  Silver,  dont  j'ai  peu  goûté  la  ligne 
heurtée,  qui  manque  d'originalité,  malgré  certaines  qualités  mélodiques  ;  la  Lustspiel- 
Ouverture,  du  compositeur  munichois  K.  de  Kaskel,  œuvre  remarquable  et  très 
curieuse,  digne  de  retenir  l'attention,  tant  par  l'habileté  de  l'orchestration,  l'opposi" 
tion  des  nuances  et  des  timbres,  que  par  la  richesse  de  la  mélodie,  l'écriture  polypho- 
nique, dénotant  un  compositeur  de  réel  talent  ;  enfin,  deux  œuvres  charmantes  et 
finement  ciselées  de  Jehin,  Elégie  et  Scher^^etto,  pour  petit  orchestre,  qui  furent  délicieu- 
sement jouées  par  MM.  Corsanago,  Wazemans,  Van  Houtte,  Sansoni  et  par  les  cordes. 
Ce  mois-ci  appartient  vraiment  aux  pianistes,  qui  régnèrent  sans  conteste,  en  leur 
qualité  de  solistes,  sur  le  public.  Mais  aussi,  quels  pianistes  !  Saint-Saëns,  Planté, 
Risler.  —  On  sait  combien  l'auteur  de  Samson  et  de  V Ancêtre  aime  à  se  produire 
comme  virtuose  du  clavier  :  nous  eûmes  la  bonne  fortune  de  lui  entendre  interpréter  le 
Concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven  avec  la  maîtrise  que  l'on  connaît.  Ce  fut  également 
une  rare  jouissance  que  d'entendre  Francis  Planté.  Ce  grand  artiste  est   bien  le   plus 


—  262  — 

éblouissant  pianiste  qui  soit, et  l'on  reste  émerveillé  devant  cette  technique  si  claire  etsî 
élégante,  devant  cette  interprétation  si  rythmique,  si  soignée,  empreinte  d'une  telle  sim- 
plicité, noyée  dans  une  sonorité  idéalement  pure.  On  sent  que  Planté  ne  cherche  pas  à 
faire  rendre  au  piano  plus  qu'il  ne  peut  et  plus  qu'il  ne  doit  (pourtant  de  quelle  puis- 
sance ne  dispose-t-il  pas,  quand  il  le  faut  !).  Et  nous  voilà  bien  loin  de  Risler,  pianiste 
orchestral  et  aux  intentions  dramatiques,  dont  le  talent  s'affirma  dans  le  Concerto  en 
sol  de  Beethoven,  dans  des  pièces  de  Chabrier  et  Liszt,  et  que  nous  voudrions  seule- 
ment mettre  en  garde  contre  certains  gestes  habituels  (soulèvement  du  corps  et  coups 
de  pieds  vigoureux  aux  pédales  accompagnant  les  attaques,^),  tout  à  fait  inutiles  et  dis- 
gracieux, A.  D. 

jERLIIV. —  Depuis  un  mois,  que  de  pianistes  !  A  tout  seigneur,  tout  honneur,  — 
car  sans  me  livrer  au  jeu  des  comparaisons  puériles,  Ferruccio  Busoni,  par  le 
déploiement  d'une  technique  inouïe,  par  les  sonorités  paradisiaques  de  son  in- 
comparable toucher,  par  l'enthousiasme  et  la  générosité  de  son  inspiration,  s'affirme 
comme  le  maître  le  plus  complet  du  piano,  —  et  le  seul  qui  en  comprenne  toute  la 
poésie.  Les  Harmonies  du  soir,  Feux  follets,  Mazeppa,  Marche  nuptiale  et  Ronde  des 
Sylphes,  Marche  Héroïque dansle  mode  Hongrois  de  Liszt,  les  /y  Variations-Eroïques, 
les  Sonates  op.  109  et  106,  de  Beethoven.  ■ — Adélaïde,  Busslied,  Les  Ruines  d'Athènes, 
de  Beethoven  dans  les  transcriptions  de  Liszt,  ™  le  Prélude,  Choral  et  Fugue  de 
César  Franck,  le  Thème  et  Variations  de  Rubinstein,  les  Etudes  d'Alkan  aîné,  compo- 
saient la  matière  des  trois  récitals  qu'il  vient  de  donner. 

Eugène  d'Albert,  accompagné  par  l'orchestre  de  la  Philharmonie,  sous  la  direction 
de  Muck,  émerveillait  plus  qu'il  n'émouvait  dans  le  Concerto  de  Schumann,  op.  54,  le 
Concerto  et  le  Dies  Irce  de  Liszt. 

Edouard  Risler  consacrait  3  séances  à  l'interprétation  des  Sonates  de  Beethoven, 
qu'il  a  pour  ainsi  dire  fait  siennes  tant  il  fait  revivre  intensément,  fidèlement  la  pensée 
du  plus  grand  des  classiques. 

José  Vienna  da  Motta  fit  preuve  d'une  puissance  surprenante,  d'une  incomparable 
netteté.  Il  Joua  Chopin,  (Ballade,  trois  Mazurkas,  Polonaise)  avec  charme  et  simplicité, 
sans  mièvrerie,  sans  emphatique  déclamation.  Le  scherzo  et  marche,  la  Bénédiction  de 
Dieu  dans  la  solitude,  la  valse  de  Méphisto  (transcription  de  Busoni),  trois  pièces  de 
Liszt  mirent  en  pleine  valeur  sa  belle  virtuosité. 

Ernst  von  Dohnanyi  interprète  excellemment  la  Sonate  de  Brahms.  Un  peu  mièvre 
dans  la  Sonate  op.  1 1  de  Schumann,  il  exécute  en  revanche  avec  une  certaine  raideur 
la  Sonate  op.  1 10  de  Beethoven. 

Sous  les  doigts  d'Ossip  Gabrilowitsch,  la  Rhapsodie  de  Brahms,  le  Rigaudon  de 
Raff,  la  Ballade  de  Grieg,  la  Gavotte  de  Glazounofï,  le  Prélude  de  Liadow  séduirent 
Infiniment.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  goûtent  son  interprétation  de  Bach  et  de  Bee- 
thoven. 

Wladimir  von  Pachmann,  fait  courir  la  foule.  Il  électrise  son  auditoire  en  exécu- 
tant vertigineusement  des  tours  de  la  plus  périlleuse  acrobatie.  Grâce  à  lui,  j'ai  maudit 
pour  toujours  Chopin  et  tout  le  contingent  des  ballades,  mazurkas  et  polonaises, 

Alfred  Cortot,  plus  heureux  à  Berlin  que  Lazare  Lévy,  a  fait  grande  impression. 
Son  programme  comportait  des  sonates  de  Chopin  et  de  Liszt,  le  Carnaval  de  Schu- 
mann. C'est  un  artiste  vibrant  et  sincère  que  le  public  a  chaleureusement  applaudi. 

Frédéric  Lamond  est  un  interprète  caverneux  des  sonates  de  Beethoven,  Combien 
je  préfère  la  grâce  agile  et  discrète,  la  souplesse  et  le  sentiment  nuancé  et  délicat  de 
Godowsky.  Au  dernier  programme  de  Godowsky  figuraient  les  ^2  Variations,  le 
Rondo  op.  I2Ç  de  Beethoven,  la  Sonate  de  Brahms,  la  Rhapsodie  espagnole  et  les  GnO" 
menreigen  de  Liszt. 

Michaël  von  Zadora,  encore  qu'au  déhut  de  sa  carrière,  s'est  révélé  comme  pianiste 
de  haute  lignée.  Sa  fougue  et  son  tempérament  ne  sont  égalés  que  par  la  sûreté  de  sa 
technique  qui  est  prodigieuse. 


—  263  — 

Gottfried  Galston  est  un  «  réfléchi  »  qui  rendit  avec  noblesse  le  Capriccio  sopra  la 
hntanan^a  del  suo  fratello  dilettissimo  (Bach)  et  la  Sonate  op.  106  de  Beethoven. 

En  revenant  aux  violonistes,  Mme  Jeanne  Diot  qui,  hier  encore,  était  une  inconnue 
à  Berlin,  a  remporté,  dès  son  premier  concert  à  la  Beethoven-Saal  un  énorme  succès. 
Dans  l'assistance,  on  remarquait  tout  particulièrement  la  présence  du  maître  Joachim. 
L'enthousiasme  avec  lequel  le  célèbre  violoniste  donnait  le  signal  des  applaudissements 
sera,  pour  notre  compatriote,  la  consécration  la  plus  flatteuse  de  son  remarquable  talent. 
Dans  les  Sonates  de  Corelli,  Mozart,  Beethoven  et  César  Franck,  la  musicalité  profonde 
et  l'intelligence  artistique  de  Mme  Diot  se  sont  afifirmés  de  tout  premier  ordre.  Le  style 
est  sobre,  ferme  et  noble.  L'ampleur  de  la  sonorité,  la  chaleur  et  la  force  de  l'interpré- 
tation, la  perfection  du  jeu  valurent  à  Mme  Diot  les  ovations  du  public  et  les  honneurs 
d'un  bis,  chose  rare  à  Berlin  ! 

Les  concerts  d'orchestre  nous  apportèrent  des  nouveautés  dignes  de  peu  d'intérêt. 
Une  certaine  Apalachia  de  Délius,  das  Trùnk'ne  Lied  d'Oskar  Fried  (d'après  Nietzsche), 
l'Homme  de  Paul  Ertel.  Beaucoup  de  bruit  pour  rien.  Seul,  la  Mort  des  Tintagiles, 
poème  symphonique  de  Ch.  W.  Loeffler,  nous  ramène  à  la  musique  véritable. 

L.    PONNELLE. 

E  CAIRE.  —  /jT  Février.  — ■  Dans  cette  quinzaine,  parmi  les  concerts  dignes 
d'attention,  citons  tout  d'abord  les  deux  séances  données  par  le  célèbre  violoniste 
A.  Serato. 

Au  programme,  pour  le  i"  concert. 

Wieniawsky,  2'  concert  en  ré  mineur.  Ries,  Perpetuum  Mobile.  Sarasate,  Zige- 
unerweisen. 

Entre  ces  morceaux  nous  avons  entendu  avec  plaisir  la  distinguée  pianiste  Mme 
Malatesta  qui  interpréta  avec  un  sentiment  exquis  le  Prélude  en  do  mineur  et  le  Scherjjo 
en  si  bémol  mineur  de  Chopin. 

Le  programme  de  la  2'  séance  comprenait  : 

Beethoven,  Concert  pour  violon  et  orchestre.  Liszt,  Fantaisie  Ho7tgroise,  pour 
piano  et  orchestre.  Vieuxtemps,  Quatrième  concerto,  pour  violon  et  orchestre. 

L'espace  ne  me  permet  pas  d'analyser  tous  ces  morceaux,  mais  disons  en  l'hon- 
neur du  sympathique  artiste,  qu'il  a  gagné  beaucoup  en  virtuosité  depuis  l'année 
passée  ;  son  mécanisme  est  parfait,  aussi  bien  que  sa  technique,  et  son  style  est  excel- 
lent. Ce  fut  au  milieu  d'une  ovation  frénétique  que  prit  fin  l'interprétation  du  concerto 
de  Vieuxtemps  ;  à  ce  résultat  contribua  aussi  l'excellent  orchestre,  dirigé  magistrale- 
ment par  M.  Bracale. 

Le  Quatuor  Fitzner,  de  Vienne,  composé  de  MM.  Fitzner,  Hers,  Cserny  et 
Walther,  que  nous  avons  tant  applaudi  l'année  passée,  nous  est  revenu  encore  cette 
année,  il  a  donné  son  premier  concert  devant  une  assistance  des  plus  choisies. 

Parmi  les  numéros  du  programme  : 

Mozart,  Quatuor  en  sol  tnajeur  n"  XIL  Borodin,  Nocturne.  Glazounow,  Scherzo. 

Beethoven,  Quatuor  en  fa  mineur,  op.  95. 

Tous  ces  morceaux  ont  été  admirablement  rendus,  le  public  enthousiasmé  a  fait 
une  chaleureuse  ovation  aux  artistes. 

Vahram. 


—  264 


Concerts  TlijVOîjcés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 
Avril 
t     Mme  Anna  Fabre  (élèves^. 

3  M     Ed.  Tourey  (La  Tarentelle). 

4  La  Société  des  instruments  anciens. 

6  Mme  Juliette   Ducher. 

7  M     Marcel    Bâillon. 

8  Mlle  Et.  Fernet  (élèves). 

9  M.  Derzo  Szigety. 
10  Mlle  Wierzbécka. 

Salle  des  Quatuors 

2  M.  René  Jullien. 

3  Mme  Adèle  Hirsch. 

4  M.  Charles  Bouvet. 

5  Mme  Hertzog. 

»  Irène  et  Fernand  Chapellut. 

6  M.  René  Jullien. 

7  Mlle  Grumbach. 

8  Mme  Kessler-Weyler. 

9  Mme  Rosine  Marty. 

10  M.  P.  Vizentini  (élèves). 

1 1  La  Société  des  Compositeurs  de  Musique. 
»  Le  Quatuor  Calliat. 

12  Mme  P.  Vizentini  (élèves). 

Salle  Erard 

1  Matinée  de  Mme  Sax-Godefroid. 

2  M.  Duttenhofer. 

3  M.  Sauer. 

4  Mme  C.  Kleeberg 

5  Mlle  B.  Duranton. 


Avril 

6  Mme  Laroche. 

7  Mlle  Sarah  Pestre. 

8  Matinée  des  élèves  de  Mme  Chéné. 

9  M.  Fœrster. 

10  M.  Berny. 

1 1  Soirée  des  élèves  de  Mme  Chéné. 

12  M.  A.  Salomon. 

Salle  des  Agriculteurs 

2  Le  Quatuor  Joachim,  9  h. 

3  id. 

4  id. 

6  id. 

7  id. 

8  Concerts  Lefort,  3  h. 

îo  Société  des  Instruments  à  vent,  9  h. 

Schola  Cantorum 

'  4     Concert  César  Franck. 
6     Concert  d'élèves  de  la  Schola. 

Salle  ^olian 

3  M .    Servator. 

4  D"^  Lulek. 

5  M.  Fournier  et  Mme  Fournier  de  Noce. 

9  Ensemble  vocal    :  Mme  Martilly,    Mme  Raulin, 

MM.  Noël  et  Sigwalt. 

Salle  du  Journal 

4    3°  Concert  Saïller,   9  h. 


ÉCHOS   ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FR A  NCE 


Le  mercredi  4  avril,  à  9  heures,  aura  lieu  à  la  Schola  Cantorum  la  deuxième  audi- 
tion annuelle  des  grandes  œuvres  de  piano  et  d'orgue  de  César  Franck  par  Mlle  Blanche 
Selva  et  M.  Gustave  Bret.  Au  programme  en  plus  des  trois  Chorals  d'orgue,  de  P^é- 
lude,  Choral  et  Fugue,  Prélude,  Aria  et  Finale.,  figure  une  Danse  Lente  tout  récem- 
pient  retrouvée  et  publiée. 

Les  belles  et  inoubliables  séances  d'art  pur  que  nous  a  offertes  l'an  dernier  la  So- 
ciété Philharmonique  de  Paris,  et  au  cours  desquelles  l'illustre  maître  Joseph  Joachim 
et  son  Quatuor  ont  exécuté  intégralement  les  quatuors  de  Beethoven  vont  avoir  un  len- 
demain. 

En  effet,  l'illustre  violoniste,  directeur  du  Conservatoire  de  Berlin,  doit  prochaine- 
ment arriver  à  Paris. 

Il  sera  accompagné  de  ses  partenaires  de  quatuor  MM.  les  Professeurs  Cari  Ha- 
lir,  Emmanuel  Wirth  et  Robert  Hausmann.  Ces  incomparables  artistes  donneront  à  la 
Société  Philharmonique  de  Paris,  8.  rue  d'Athènes,  les  2,  3,  4,  6  et  7  avril,  une  série  de 
cinq  concerts  qui  seront  en  quelque  sorte,  dans  leur  ensemble,  un  résumé  de  l'histoire 
du  quatuor. 

Au  cours  de  la  soirée  annuelle  donnée  par  la  Société  d'Amateurs  Le  Timbalier, 
dirigée  par  son  distingué  fondateur  M.  Fernand  de  Léry,  nous  avons  infiniment  goûté 
la  délicate  interprétation  vocale  de  mélodies  de  MM.  G.  Hue,  Ch.  René,  Fijean  et 
de  Léry,  {Mystère   et    Djelmah),   par  Mme  Bureau-Berthelot  ;    Mlles  De   Rochette    et 


—  265  — 

Lily  Franconîe  ont  remporté  également  le  plus  joli  succès  ;  Mlle  Marcelle  Le  Rey  a  exé- 
cuté le  Concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven,  Caprice  de  Marmontel  et  Thème  Varié  de 
Hœndel,  avec  une  maîtrise,  un  brio  et  en  même  temps  un  style  remarquables.  L'audi- 
toire qui  nous  a  paru  particulièrement  initié  l'a  vigoureusement  applaudie.  L'orchestre 
nous  a  donné  une  charmante  exécution  de  la  Symphonie  en  sol  mineur  de  Mozart  et  de 
l'ouverture  à'Euryanthe  de  Weber. 

Le  comte  de  Bertier  de  Sauvigny  réunissait  le  18  mars,  autour  de  son  bel  orgue 
Merklin,  un  groupe  d'amis  et  de  dilettantes  pour  leur  faire  entendre  M.  Boulnois,  le 
dernier  lauréat  du  concours  d'orgue  du  Conservatoire.  M.  Boulnois  a  joué  avec  une 
maîtrise  très  remarquée  des  pièces  de  Bach,  Franck,  Saint-Saëns,  Gigout,  Guilmant, 
Widor  et  Vierne  ainsi  qu'une  Elévation  pour  orgue  et  une  Pièce  symphonique  pour 
orgue  et  quintette  dont  il  est  l'auteur.  Il  a  été  vivement  applaudi,  non  moins  que  Mlle 
Revel  qui  chanta  délicieusement  des  mélodies  de  Massenet,  Fauré  et  Dallier  et  que 
Mlle  Jane  Chevalier  dont  la  virtuosité  s'épanouit  dans  le  Scher-^o  en  si  mineur  de  Cho- 
pin et  le  Wedding  Cake  de  Saint-Saëns. 


Assistance  élégante  et  nombreuse  au  concert  organisé  par  Mme  Baulier,  la  sym- 
pathique présidente  des  Enfants  des  Arts  \  tous  les  numéros  d'un  programme  exclusi- 
vement consacré  aux  oeuvres  de  Mme  L.  Filliaux-Tiger  ont  été  chaudement  applaudis  ; 
l'auteur  qui  a  prouvé  ses  qualités  de  parfaite  exécutante  dans  une  sélection  de  compo- 
sitions pour  piano,  accompagnait  ses  mélodies  et  ses  compositions  pour  instruments  ; 
l'interprétation  fut  de  tout  premier  ordre  avec  Mlle  Eléonore  Blanc,  MM.  Béral,  Wein- 
gartner,  et  Dupuy,  Mmes  de  Ligny  et  de  Banville. 


Une  audition  musicale  du  plus  haut  intérêt  a  eu  lieu  le  15  mars,  chez  M.  et  Mme 
Auguste  Sérieyx  dans  leurs  salons  de  l'avenue  de  Wagram.  Il  s'agissait  de  l'œuvre 
dramatique  récemment  terminée  par  M.  Déodat  de  Séverac  et  reçue  par  M.  Albert 
Carré  à  l'Opéra-Comique. 

Nous  ne  pouvons  faire  ici  l'analyse  du  Cœur  du  Moulin,  puisqu'on  nous  promet 
pour  la  saison  prochaine  sa  représentation  sur  notre  seconde  scène  lyrique,  mais  nous 
pouvons  affirmer  que  les  qualités  exquises  de  cette  partition  si  pittoresque  la  désignent 
pour  un  complet  succès. 

Les  interprètes  de  la  lecture  intime  qui  en  a  été  donnée  chez  M.  Sérieyx,  en  pré- 
sence d'une  centaine  d'amis,  de  musicographes  et  de  critiques,  ont  remarquablement 
mis  en  valeur  l'œuvre  de  M.  de  Séverac. 

Le  piano  —  on  devrait  dire  «  l'orchestre  ))  —  était  magistralement  tenu  par  Mlle 
Selva  :  et  ce  n'était  point  une  sinécure,  notamment  dans  l'émouvant  prélude  du  second 
acte,  tout  plein  de  l'atmosphère  ensoleillée  du  Languedoc.  Mlle  Marie  Pironnay,  Mme 
Fié,  MM.  Austin  et  Gébelin  avaient  mis  leur  sympathique  talent  au  service  des  princi- 
paux rôles,  soutenus  par  un  chœur  nécessairement  réduit  et  qui  ne  pouvait  atteindre 
pour  cette  raison  à  toute  l'ampleur  désirable. 

M.  Mutin,  l'habile  directeur  de  la  maison  Cavaillé-Coll,  vient  d'achever  un  orgue 
monumental  de  trente-deux  pieds  qu'il  nous  conviait  a  entendre  le  16  mars.  M.  Gigout 
était  chargé  de  nous  présenter  le  nouvel  instrument.  Le  maître  avait  composé  un  pro- 
gramme comprenant  un  Prélude  et  une  Fugue  en  mi  bémol  de  Bach,  la  Suite  Gothique  et 
l'Allégretto  con  moto  de  la  Seconde  Suite  de  Boellmann,  ainsi  que  quelques-unes  de  ses 
œuvres  ;  le  délicieux  Pèlerinage  extrait  des  Poèmes  mystiques,  un  Scherzo,  une  Toccata 
souvent  redemandée  par  les  fidèles  de  Saint-Augustin  et  le  Grand  Chœur  dialogué, 
œuvre  puissante  et  sonore  qui,  comme  l'a  constaté  la  presse,  fut  acclamé  frénétique- 
ment. On  a  admiré  une  fois  de  plus  l'autorité,  le  style  large,  l'exécution  nette  et  précise 
de  M.  Gigout  et  l'on  a  applaudi  avec  joie  le  compositeur  qui  a  le  tort  de  s'eÉfacer  trop  sou- 
vent. L'orgue  formidable  et  suave  à  la  fois  a  fait  excellemment  valoir  les  délicatesses 
du  Pèlerinage  et  de  la  Suite  Gothique.  Puis  Mme  Gallet  et  M.  Borde  ont  chanté  le 
duo  de  Sosarme  d'Haendel  et  un  duo  charmant  de  Boellmann,  le  Calme.  Mme  Gallet 
a  fait  apprécier  dans  le  Veni  Creator  de  Lalo,  Mai  de  Boellmann  et  le  Roi  des  Aulnes, 
son  art  incomparable,  et  M.  Borde  a  transporté  avec  trois  cantiques  de  Beethoven  l'au- 
ditoire d'élite  qui  se  pressait  chez  M.  Mutin  et  qui  lui  a  fait  une  ovation. 


—  266  — 

Le  ig  mars,  M.  Vierne,  le  jeune  et  brillant  organiste  de  Notre-Dame  faisait  enten^ 
dre  sur  le  même  instrument  les /awtez'sze  et  fugue  en  ut  mineur  de  Bach,  le  Cantahile 
de  Franck,  la  Symphonie  gothique  de  M.  Widor  et  trois  pièces  signées  de  son  nom, 
Prélude^  CommunioneX.  Allegretto  dont  on  ne  saurait  trop  louer  l'inspiration  et  le  charme. 
M.  Vierne  a  obtenu  comme  de  juste  le  plus  vif  succès.  Il  est  superflu  de  vanter  les  qua- 
lités précieuses  qui  lui  ont  acquis  à  l'âge  où  l'on  étudie  encore  une  haute  réputation  et 
qui  l'ont  fait  ranger  de  prime  abord  parmi  les  maîtres  de  l'orgue.  En  l'absence  de  Mme 
Vierne,  M.  B.  de  la  Motte  chanta  avec  une  émotion  chaleureuse  la  Procession  de  Franck. 
Regrettons  que  de  telles  séances  où  les  vrais  musiciens  se  retrouvent  avec  empresse- 
ment ne  nous  soient  pas  plus  libéralement  dispensées. 


Concours.  —  Les  concours  de  composition  musicale  pour  le  Prix  de  Rome 
auront  lieu  cette  année  du  ^  au  ii  maz"  pour  le  concours  d'essai  ;  du  iç  mai  au  i8 
juin  pour  le  concours  définitif. 

—  Le  2°  concours  pour  le  prix  Louis  Dièmer  aura  lieu  au  Conservatoire  les  7  et  8 
mai  prochain. 

Les  représentations  du  Clown  de  M.  I.  de  Camondo,  sur  un  livret  de  M.  Capoul, 
auront  lieu  vers  la  fin  d'avril,  au  Nouveau-Théâtre.  Les  principaux  rôles  seront 
tenus  par  MM.  Rousselière,  Renaud,  Delmas,  Mmes  Farrar,  Mérentié,  Jane  Margyl. 


L'Union  des  Femmes  Professeurs  et  Compositeurs  de  musique,  se  propose  de  don- 
ner, cette  année,  plus  d'extension  à  la  Société  Chorale  qu'elle  a  fondée.  Elle  fait  appel 
à  toutes  les  musiciennes,  virtuoses  et  professeurs,  en  les  priant  de  s'inscrire  à  la  Cho-^ 
raie  de  l'U.  F.  P.  C. 

Il  suffit  pour  cela  d'être  musicienne  professionnelle,  d'adresser  une  dema»nde  écrite 
à  Mlle  Daubresse,  présidente  de  VUnion,  13,  rue  de  l'Arc-de-Triomphe. 


La  Fédération  des  Artistes-Musiciens  de  France  vient  d'adresser  un  appel  à  tous 
ses  adhérents  pour  venir  en  aide  aux  familles  victimes  de  la  catastrophe  de  Courrières. 
Des  souscriptions  sont  ouvertes  immédiatement  dans  tous  les  orchestres  de  Paris  et  de 
province.  Les  fonds  sont  recueillis  par  le  trésorier  de  la  Fédération  à  Paris,  11,  rue 
Bergère. 

Un  premier  envoi  de  cent  francs  a  été  fait  par  la  Chambre  Syndicale  des  Artistes- 
Musiciens  de  Paris. 


M.  Tournemire  vient  dediriger  à  Leyde  un  concert  consacré  à  ses  œuvres,  qui,  remar- 
quablement interprétées  par  Mmes  Brunings,  Kortman,  MM.  Wysman,  Rappart, 
Verhallen,  van  Isterdael,  furent  très  applaudies  ;  le  Quatuor,  obtint  particulièrement 
beaucoup  de  succès.  —   Le  Sang  de  la  Sirène  sera  exécuté  l'an  prochain  à  Amsterdam. 


•  M.  Léon  Jehin,  l'éminent  chef  d'orchestre  des  Concerts  et  du  Théâtre  de  Monte- 
Carlo,  vient  d'être  décoré  de  l'ordre  du  roi  Léopold  de  Belgique.  A  l'occasion  de  cette 
nomination,  les  musiciens  de  l'orchestre  ont  offert  à  leur  sympathique  chef  un  banquet 
qui  fut  une  fête  de  famille  très  réussie  et  fort  touchante. 

Il  est  regrettable  que  les  nombreux  admirateurs  de  Léon  Jehin,  qui  applaudiront  à 
cette  distinction,  n'aient  pu  fêter  en  même  temps  sa  nomination  dans  l'ordre  de  la 
Légion  d'honneur.  Il  y  a  beau  temps,  paraît-il,  que  cette  décoration  est  en  route  I  L'an 
dernier  une  pétition  signée  des  noms  les  plus  illustres  du  monde  artistique,  fut  pré- 
sentée au  Sous-secrétaire  d'Etat  aux  Beaux-Arts,  qui  promit  de  tout  accorder.  Ce  beau 
projet  est  encore  à  réaliser.  Pourtant,  quel  musicien  mérite  mieux  que  Jehin  cette  déco- 
ration ?  —  Nous  insistons  au  nom  de  tous  auprès  de  M.  Dujardin-Beaumetz  pour  que  cet 
acte  de  justice  soit  promptement  accompli.  A.  D. 

Bordeaux.  —  Grand  succès  pour  la  Troupe  Jolicœur  d'A.  Coquard,  donnée  le 
6  mars  au  Grand-Théâtre.  —  Le  10  mars.  Concert  Philharmonique  avec  le  concours 
de  MM.  Enesco,  Cazals,  de  Mme  Grandjean  et  de  M.  Dufrane  (Rapsodie  roumaine 
d'Enesco,  Concertos  de  Saint-Saëns  et  d'Haydn). 


—  267  — 

Nantes.  — Sibérîa,  de  Giordano,  a  remporté  ici  un  véritable  four.  On  annonce 
Tannhceuser  et  le  Roi  d^Ys. 

Pau.  —  Au  Palais  d'Hiver  on  vient  de  donner  avec  succès  Hedda  de  F.  Le  Borne, 
créée  il  y  a  quelques  années  à  Milan. 

Nice.  —  L'Opéra  a  monté  récemment  Eyi  Saga  d'I.  de  Lara.  Le  Casino  Municipal 
vient  de  donner  la  première  de  Manon  Lescaut  de  Puccini.  Le  violoniste  Hubermann  a 
donné  deux  concerts  avec  grand  succès.  Mme  Tilli  Kœnen  annonce  une  séance  de 
lieder. 

On  peut  déjà  affirmer  que  l'œuvre  nouvelle  (ou  une  des  œuvres  nouvelles)  que  l'on 
montera  à  Monte-Carlo  l'an  prochain,  est  la  Théodora  de  Xavier  Leroux. 


Monte-Carlo.  —  Avec  Don  Procopio,  l'adorable  chef-d'œuvre  de  Bizet  dont  le 
succès  fut  immense,  M.  Raoul  Gunsbourg  a  donné  Paillasse  de  Léoncavallo. 

M.  Rousselière  est  admirable  dans  le  rôle  de  Cadio,  qu'il  chante  superbement  et 
qu'il  joue  avec  une  belle  violence  dramatique.  Mlle  Farrar  a  délicieusement  interprété 
le  rôle  de  Nedda  :  sa  voix  pure  et  puissante,  son  charme  exquis,  sa  véhémence  tragique 
lui  ont  valu  un  très  beau  succès  personnel.  M.  Bouvet  compose  le  rôle  de  Tenio  en 
grand  artiste,  avec  un  relief  extraordinaire.  M.  Ananian,  qui  possède  une  très  belle 
voix  de  basse  chantante,  fut  un  remarquable  Silvio.  Les  chœurs  et  l'orchestre,  sous  la 
direction  de  M.  Léon  Jehin,  interprétèrent  en  toute  perfection  la  partition  de  Paillasse 
qui,   s'ajoutant   à    Don  Procopio,  contribue  à  composer  un  spectacle  du  plus  vif  éclat. 

—  Excellente  représentation  de  la  Vie  de  Bohême  de  Puccini.  L'œuvre  délicieuse 
du  maestro  italien  a  retrouvé  son  habituel  succès.  Elle  était  interprétée,  pour  les  princi- 
paux rôles,  par  les  artistes  de  l'Opéra-Comique  :  Mme  Marguerite  Carré,  qui  incarae  à 
ravir  le  personnage  de  Mimi  ;  M.  Clément,  dont  la  jolie  voix  de  ténor  fait  merveille 
dans  le  rôle  de  Rodolphe  ;  M.  Bouvet,  un  Marcel  de  belle  allure  ;  M.  Jean  Pèrier,  par- 
fait dans  le  rôle  de  Colline,  et  M.  Chalmin,  un  Schaunard  fort  pittoresque.  Mme  Chas- 
sang,  qui  jouait  le  rôle  de  Musette,  y  a  lait  applaudir  sa  jolie  voix  et  son  brillant  talent 
de  comédienne. 

L'orchestre  et  les  chœurs,  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  furent  parfaits. 

Nous  parlerons  dans  le  prochain  numéro  de  Don  Carlos,  le  chef-d'œuvre  de  Verdi, 
qui  vient  d'être  représenté  et  mis  en  scène  splendidement  par  M.  Gunsbourg. 


^  Bruxelles.  —  Au  dernier  Concert  Ysaye  (25  mars),  M.  Eugène  Ysaye  a  exécuté 
les  Concertos  de  Bach,  Mozart  et  Beethoven.  —  Le  i"  avril,  à  l'Alhambra,  concert  de 
YOrchestre  Kaim,  sous  la  direction  de  M.  Schneevoigt. —  M.  Arthur  de  Greef  annonce 
une  série  d'auditions  consacrées  à  l'histoire  de  la  littérature  du  piano,  de  Frescobaldi 
aux  contemporains  :  il  exécutera  les  trente-deux  sonates  et  les  cinq  concertos  de  Beetho- 
ven :  cette  série  durera  une  année.  (Décidément,  l'exemple  de  MM.  Risler  et  Parent  est 
contagieux  :  espérons  qu'il  ne  surgira  pas  trop  d'imitateurs  !) 

Anvers. —  La  Tasse  de  M.  E.  d'Harcourt  vient  d'être  représentée  ;  cette  œuvre  d'un 
amateur  a  laissé  le  public  assez  froid. 

L'orchestre  des  Concerts  Ysaye  vient  de  donner  un  superbe  concert  où  nous  applau- 
dîmes Mlle  Delfortrie,  Mme  Kleeberg  et  Mme  Dubois-Dongrie.  V. 

Gand.  —  Au  Cercle  artistique  et  littéraire  de  Gand,  M.  Engel  et  Mme  Bathori  vien- 
nent de  remporter  un  vif  succès  en  interprétant  avec  le  charme  qu'on  leur  connaît  dififé- 
rentes  œuvres  de  Schumann,  Bruneau,  Rita  Strohl,  etc. 

Liège.  —  Le  Théâtre  Royal  de  Liège  vient  de  représenter  avec  grand  succès  une 
nouvelle  œuvre  du  compositeur  Louis  Hillier,  dont  le  grand  ballet  en  2  actes  et  avec 
chœurs  :  Fatalidad  fut  applaudi  à  Aix-les-Bains,  Lille,  Toulouse,  Cabourg,  Dijon  et 
autres  villes  de  France  et  de  l'étranger. 

Les  journaux  locaux  sont  tous  des  plus  élogieux  et  le  Journal  de  Liège  constate  la 
remarquable  exécution  de  la  partition  sous  la  conduite  du  compositeur  qui  dirigeait  de 
mémoire. 


—  268  — 

Amsterdam.  —  La  deuxième  audition  de  la  Croisade  des  Enfants,  de  Pierné,  au 
Concert-Gebow,  a  remporté  encore  plus  de  succès  que  la  première.  L'auteur,  présent, 
a  été  acclamé.  La  Société  pour  l'encouragement  de  l'Art  a  donné  Dem  Verklaerten,  de 
M. Schillings,    dasKlagende  Lied  de  Mahler  et  Taillefer  de  R,  Strauss. 


Les  Fêtes  musicales  du  Rhin.  —  Voci  quelle  sera  la  série  des  Fêtes  musicales 
qui  auront  lieu,  au  printemps,  sur  les  bords  du  Rhin  : 

i'  Les  17  et  18  Mai,  à  Mayence,  exécutions  des  oratorios  Jwias  Maccabée  et  de  Saul 
de  Haendel,  par  les  soins  du  Mainger,  Liedertafel  et  du  Damengesangverein. 

2°  A  Bonn,  les  20,  22  et  23  mai.  Festival  Schumann,  avec  le  concours  delà  société 
de  choeurs  Concordia,  de  la  Philharmonie  de  Berlin,  de  la  Société  des  Instrusments  à 
vent  de  Paris,  de  F.  de  Dohnangi,  Dr  V.  Kraus,  Meschaert,  Mmes  Kappel,  Kraus- 
Osborne. 

Au  programme  :  Symphonies  en  mi  bémol  et  en  si.  Morceaux  de  concerts  pour  4  cors. 
Ouverture  de  Manfred,  Scènes  de  Faust.  Concerto  pour  piano,  quatuors,    lieder,  etc. 

La  direction  artistique  de  la  fête  et  de  l'orchestre  sera  entre  les  mains  du  maître 
Joachim  et  du  professeur  Griiters. 

3"  A  Aix-la-Chapelle,  les  3,  4  et  5  Juin,  Festival  Rhénan. 

MM.  Félix  Welngartner  et  le  D""  Schwickerath  dirigeront  alternativement  l'exécu- 
tion. Au  programme  de  la  première  journée  :  la  Messe  en  si  mineur  de  Bach  ;  le  lende- 
main, la  Faust-Symphonie  de  Liszt.       ^^ 

M.  Arthur  Nikisch  vient  de  donner  sa  démission  de  directeur  de  l'Opéra  de  Leipzig, 
poste  qu'il  occupait  depuis  un  an  à  peine.  M.  Nikisch  allègue  des  raisons  de  santé  ;  la 
vérité  est  qu'il  se  sentait  écrasé  par  ses  multiples  fonctions  :  directeur  de  l'Opéra,  direc- 
teur des  deux  grandes  phalanges  artistiques  allemandes  :  le  Gewandhaus  de  Leipzig  et 
VOrchestre  philharmonique  de  Berlin,  directeur  des  concerts  d'abonnement  de  Ham- 
bourg, directeur  d'études  au  Conservatoire  de  Leipzig.  M.  Nikisch  a  opté  pour  le  concert. 

Le  pianiste  Mark  Hambourg  que  l'on  entend  trop  rarement  à  Paris  où  cet  hiver  il 
n'a  donné  qu'un  seul  concert,  vient  de  parcourir  la  Hollande  dans  une  tournée  de  quinze 
Récitals. 

Ces  séances  ont,  au  dire  des  journaux  du  pays,  été  une  suite  ininterrompue 
de  succès  pour  le  célèbre  virtuose,  ainsi  que  pour  les  pianos  Gaveau  dont  il   se  servait. 


Livres  et  Œuvres  iT)Usicales  reçus 


p.  HELiLiOUIN  :  Le  Noël  musical  français  (Joanin,  éditeur,  Paris). 
A.  RENSCHEL  :  L'art  du  chef  d'orphéon  {Fischbachek,  éditeur,  Paris). 

La  maison  d'éditions  LéO  LIEPMANNSSOHN,  de  Berlin,  annonce,  pour  le 
mois  de  mai  prochain,  la  publication,  par  M.  Jules  Ecorcheville,  de  20  suites  d'or- 
'chestre  du  XV  II"  siècle  français,  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Cassel. 

Ces  suites,  qui  sont  les  seules  œuvres  que  nous  ont  laissé,  ou  à  peu  près,  les  24 
violons  du  Roy,  formeront  2  volumes  grand  in-4°  de  300  pages  de  musique.  Le  premier 
volume  contiendra  une  étude  historique.  Nous  reviendrons  sur  ce  véritable  monument 
historique  lors  de  sa  publication.  

Joseph  JONGEN  :  Sonate  pour  piano  et  violon  (Schott,  éditeur  à  Bruxelles). 
C.  SAINT-SAENS  :  Le  Rouet  d'Omphale.  —  Phaéton. 

—  Petites  partitions  d'orchestre  (Durand  et  Fils,  éditeurs,  Paris). 

Quatre  mélodies  de  Ch.  Neveu  (Vieux  Calvaire,  Fleurs  mortes,  les  Vers  luisants^  j 
Aux  Etoiles.) 
Editées  par  l'auteur,  8  rue  Monton-Duvernet,  Paris. 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT\ _ 

Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


Max    REGER 


k 


CATAL  OGUE 

des    principales    Œuvres    de     Max    REQER 


a)  rY\ysiQue  De  QXAmBR^: 

Sonate,  pour  violon  et  piano  (op.  72). 
Sonate,  pour  violon  et  piano  (op.  84). 
2  Sonates,  pour  violoncelle  et  piano  (op...  et  78). 
Quatuor  à  cordes  (op.  74).  —  Trio  à  cordes  (op.  77^). 
Six    Sonates    pour   violon   seuh  —    Sérénade   pour   flûte, 
violon  et  alto,  (op.  77^)  etc.. 

b)  nr\usiQU£  d£  Tiaho  :  , 

Variations  et  Fugue  sur  un  thème  de  Bach  (op.  81). 

»  »        sur    un    thème    de    Beethoven,    pour 

deux  pianos  (op.  86). 

Aus  meinem  Tagebuclie.  Pièces  pour  piano  (op.  82),  etc. 

cj  fr^;s:QU£"L)'ôR(5U^: 

Variations  et  Fugue.  —  Sonate  d'orgue  (op.  ^^).  Six  trios 

(op.  47). 

Trois  fantaisies  (op.  52).  —  Préludes  et  Fugues  (op.  56)  — 
Préludes  de  Chorals  (op.  67).  —  Œuvres  de  piano  de  Bach 
transcrites  pour  orgue,  etc.. 

d)  JTjpsiQUS  \/bcAL£,  {chœurs,  lieder,  etc.) 

4  lieder  (op.  23).  —  Six  poèmes  (op.  31),  —  Six  lieder  (op.  35). 

8  lieder  (op.  43).  —  12  lieder  (op.  51).  —  16  mélodies  (op.  62). 

Chœurs  pour  voix  d'kommes  (op.  38).  — Chœurs  pour  voix 
mixtes. 

Chœurs  religieux  (4  cahiers)  etc.  —  2  Cantates  (Choral- 
kantate),  etc. 

De  nombreux  lieder  :  Schlichte  Weisen  (op.  76),  etc.,  etc.. 

^J   rQUSlQi;£'t)'ORCK£STR^: 

Symphonietta  pour  grand  orchestre. 


Ces  Œuvres  sont  éditées  che^  : 

MM.  LANTERBACH  et  KUHN  (Leipzi^t).  —  UNIVERSAL  EDITION 
(Vienne).  —  KAHNT,  Nachfolger  (Leipzig"),  etc. 


OPÉRA 


CHATELET 


Société     l»ia:u.siG6Lle     C3r.     A.STK,XJC     «Ss     Cie 

5/X   CONCEJiTS 

23    -A.vril 

2T   A.vril 
29    .Avril 

1®^    ]M[ai 

FESTIVAL 

BEETHOVEN-BERLIOZ 

Sous  le  Patronage  de  la  Société  des  Qra&des  Auditions  Musicales  de  France 

Présidente  :  Mme  la  Comtesse  Grejfulhe 

AVEC   LE   CONCOURS   DE   MESDAMES 

Lucicni^e    B^éV^^L    §    Alice     VS^LST,    de    l'Opéra 

MM.  YAK  DYCK,  AFFRE,  DELIBAS,  GRESSE,  de  l'Opéra 

le    Pianiste     A.     PIERRET 
L'Qrcl)€stre    Oe    l'^ssociatioi}    Ces     (^ooccrts     Lan)ourcu;i 

et  Des  400  Choristes  De  l'Qratoriun)  Verecoigiog  D*^n)sterC)an) 

550  Ê[xË[cutaiits  sou^  la  5ii|Ection  Se 

¥mx    WEINGTinTNEn 


TliÉATI^E  du  eïî^iTXLET 

le  20  AVRIL,  à  3  heures 

t  t  t 

eriEITIIOVEITV 

1.  Symphonie  Pastorale 

2.  Ouverture  de  Coriolan 

3.  Symphonie  Eroica 


Tï^É^iTltE  du  GIÎATELET 
le  27  AVRIL,  à  3  heures 

ê  ê  ê 

BEFIXIIOI'FITV 

1.  Ouverture  de  Fidelio 

2.  Ouverture  de  Léonore  (I) 

3.  Ouverture  de  Lconore  (II) 

4.  Huitième  Symphonie 

5.  Ouverture  de  Léonore  (111) 

Pour   tous  renseignements^ 


P  BOQ  R  A  M  M  E 

TïîÉ^iTI^E  du  Z^SiXZLZX 
le  23  AVRIL,  à  3  heures 


BEIRX^IOZ 

I.   Ouverture    de    Benvenuto  Cellini 
2     Air  de  l'Enfance  du  Christ 

3.  Ouverture  du  Carnaval  Romain 

4.  Air  de  Cassandre 

5.  Symphonie  Fantastique 


DE  L'OpÉI^^i 
le  29  AVRIL,  à  3  heures 


BEIKLlIOZ 

LA    DAMNATION    DE    FAUST 

poème  symphonique  pour  Soli, 

Chœurs  et  Orchestre. 

s'adresser    à   MM.    G.   ASTRUC 
Pavillon  de  Hanovre,  Paris 


TîîÉATI^E  du  eï^ATELET 
le  25  AVRIL,  à  3  heures 


BEIEaXIIOVEITV 

1 .  Symphonie    en  la 

2.  Concerto  de  piano  en  sol  majeur 

M.  Auguste  PIERRET 

3.  Symphonie  en  ut  mineur 


X^tkX'^lZ  NATIONAL 

DE  L'OpÉI^A 
le  l'"^  MAI,  à  9  h.  du  soir 

ê  t  â 

BEEXHOTEX 

I     Ouverture  d'Egraonl 

2.  Fantaisie  Chorale 

3.  Neuvième  Symphonie 

et   Cie   (Société  Musicale) 


Administration  de  concerts  L  DMDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 


SA   l_l_E       ERABD 


n.éci"t£il     s\ijDp>lé2:xi.en"fcair'e 

Mardi    3    Avril 


1.  Prélude    €t   Fugue Bach  d'Albert 

2.  Grande  Fautaisid  op.    15    . .     . 

3.  a.  Scherzo  op    4 

b.  Romance  fa  dlc;e  majeur    .      ( 

c.  Traumeswineii ( 

4.  Sonate  op.  35 Fk.  Chopin 

Grave.  —  Doppio  movimento. 

Scherzo.  —  Marche  funèbre.  —  Presto. 


Fit.  Schubert 
j.   Brahms 

R.    SCHUMANN 


a.  Rêve  d'Amour  .... 

b.  A  Cbevdl  (Etude  de  Concert 

n°    1 1 1    . . I        E.  Sauek 

c:  Les    Délices    de    Vienne     \ 

(Valse  de  bravoure)       ...      y 

Fantaisie-Norma Fr.  Liszt 


SOCIETE  DE   CONCERTS  D'INSTRUMENTS  ANCIENS 

Fon.ca.ee     par     Henri      CA.SjA.IDH3SXJS 
Président    :    Camille    SAINT-SAENS    —    Directeur    :    PERILHOU 

Mme  H.  CASADESUS-DELLERBA  Alfred  CASELLA 

(Quinton)  (Clavecin 


Henri  CASADESUS 

(Viole  d'Amour) 


M.  CASADESUS 

(Viole  de  Gambe) 


F.  OLIVIER 

(Basse) 


MERCREDI  4  AVRIL,  à  9  heures  du  soir,  SALLE  PLEYEL 

PREMIER   CONCERT  avec  le  concours  de 


ff.   Unk  DIÉPH 


jïllfe  Gaplotta  de  fÉO 


M.  HENNEBAINS  et  la  Classe  de  Trompettes  de  M.  PRANQUINyP^  au  Conservatoire 


P  R  0  G-  R  A  15^  m:  E  : 

I. 

Ballet  de  Chimène 

Sacchini 

4 

Deuxième  Symphonie. 

Bruni 

Q.uinton,  Viole  d'amour,  Viole 

1734- 1786 

Quinton,  Viole  d'amour.    Viole   de 

1759-1825 

de  Gambe,   Basse  et  Clavecin. 

Gambe,   Basse  et  Clavecin. 

2. 

a.  Air  de  Phèdre 

Rameau 

Recueillie   par   Henri   Casadesus 

1 63  3- 1764 

^ 

Deux  Carillons  Flamands 

b.  La  Passion     .              

Haendf.l 

du  xviii^  siècle. 

Mlle  CARLOTTA  DE  FÉO 

1685-1769 

a.  en  sol  majeur  —  b.  en  50/  mineur. 

3- 

Concerto  en  ut  mineur  .          , .    .'. 

J.-S.  Bach 

6. 

Divertissement     ..                ... 

Mozart. 

l'our  deux  Clavecins 

1685-1750 

pour  deux  Flûtes,  cinq  Trompettes 

1756-1 791 

MM.  Louis  D.ÉMER  et  Alf.  CASELLA 

et  quatre  Timbales. 

C 

L   À  Y  E  C  1  ? 

tf 

PLEYEL 

Le  Deuxième  Concert  aura  lieu  en 

Mai,  avec  le  conc 

3urs 

de  Mme  Gabrielle    COURTOIS 

Lg^  32  Soriale^  pour   T^iai^o 


^EE3'XE3:0"VE!3Sr 


PAR 


IEl 


D  O  U  A  K  I> 


I  S^  I^  El  R 


Les    Dimanehes    6,;    ii,    iû,    if    Mai 

-A.XJ    3SrOXJVE!-A.XJ    THBA-TK^B,    à    3    heures 

leMclîs  if  et  51   Mai,  à    eheBFas  au 

A.XJ      ITOXJ"VEI-A.XJ      THB-A.TR.E] 

Jeudis  f  et  14  luîn,  à  9  heures 


Pour    tous    renseignements,   s'adresser    à  l'Administration    de    Concerts,    A.    DANDELOT,    8^,     rue     d' Amsterdam 


Le^ 


APPRÉCIÉS    pAIÎ 

Les  Professeurs  du  Conservatoire  de  Paris 


^miU    ^S&aïd,  Trofeaeur  d'% 


armonie. 


Quel  pas  énorme  vous  avez  fait  et  quels  progrès  vous  avez  réalisés  depuis  qu'en 
1867  je  faisais  entendre  vos  pianos  à  l'Exposition  Universelle  ! 

Le  grand  piano  de  concert  que  vous  m'avez  soumis  hier  est  un  superbe  instru- 
nent,  sonore,  facile  à  jouer,  d'un  mécanisme  parfait,  d'une  douceur  invraisemblable  et 
lont  le  clavier,  docile  aux  moindres  fantaisies  de  l'exécutant,  cède  à  la  plus  légère 
;)ression.  Je  vous  envoie  mes  félicitations  les  plus  sincères. 

i(*uut  Vidât,    jProfesseur  dfaccom-pagnement. 

J'apprécie  beaucoup  les  pianos  Gaveau.  Dès  mon  enfance,  au  Conservatoire  de 
oulouse,  je  me  familiarisai  avec  eux,  j'appris  à  les  aimer,  et  depuis  lors  je  n'en  ai 
imais  eu  d'autres  chez  moi., 

Çaiïi^t  ^eïnéj   Membre  du  'Comeil  Mpérieur. 

Depuis  longtemps  j'ai  pu  constater  la  puissance  et  le  charme,  Pégalité  de  clavier 
l'homogénéité   parfaite  de  vos  remarquables  instruments,  et  je  vous  remercie  de 
l'avoir  initié,  pendant  notre  visite  à  l'usine  de  Fontenay,  aux  détails  si  intéressants  de 
ur  fabrication. 

Plctoi*^     Waïot,    Membre  du   €cnieil  suj)érieur  et   Vrofesseur" 
de   i^îjant. 

Bien  que  ne  connaissant  rien  des  détails  et  des  difficultés  de  Ja  fabrication  du 
ano,  comme  depuis  longtemps  je  suis  à  même  de  juger  les  qualités  merveilleuses  de 
jsmstruments  et  de  constater  les  immenses  progrès  réalisés  par  votre  maison,  je  me 
ais  à  rendre  hommage  à  vos  succès,  et  à  proclamer  bien  haut  que,  si  la  perfection 
ait  de  ce  monde,  Messieurs  Gaveau  frères  pourraient  se  vanter  de  l'avoir  atteinte. 

Vos  excellents  pianos  ont  toutes  les  qualités  de  force,  de  puissance  et  de  sonorité 
sirables  ;  ils  y  joignent  la  douceur,  la  suavité  et  le  charme,  ce  qui  les  rend  absolu- 
ent  supérieurs  au  point  de  vue  de  l'accompagnement. 

Depuis  vingt  ans,  j'ai  pu  les  apprécier,  et  je  suis  heureux  de  vous  dire  toute  mon 
miratîon  pour  les  résultats  merveilleux  que  vous  avez  atteints,  résultats  couronnés 
r  un  succès  longuement  mérité. 


jUyijQjjjjjgjjggjjjjjjgjjgUjIlUI 


Affections 


DU 


Fo 


ET    DE 


rEstomai 


TiAnoJ*  A  ^fius  %  TiAnoS*  droit 

à  Grarjd  Cadre  ci^  fer  d'une  seule  pièce  et  Cordes  croisées 


PIANOS  MUSTEl 


F'a.ot.viï'e       exicliisi-vement.      -A.irtis"biq[\ie 


dRXSUlS   MÙStEL 


mUSTEL  <^  C'^,  liue  de  Douai,  46.  f>A# 


9e  Année,  No8,  15  Avril  1906, 


LL 


Directeur:  Albert  DIOT 

Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René   DOIRE 


^OMMAIRE  : 
Portrait  :  RICHABD  STRAUSS 


Les  Béatitudes,     de    César 

Franck VliCENT  O'INOY. 

La  MusiauE  DE  Piano  DE 

SCHUMANN C.  MAUCLAIR. 

La  Vie  Artistiqije  en  Alle- 
É'MAGNE  :  Les    centres  : 


ir 


'^Munich.  —  Berlin PAUL  DE  STŒCKLIII 

\ifi  Démon,   DE    RUBINSTEIN, 

à  Monte-Carlo AtFBED  «ORTIER. 


LGrands 


Concerts i  t 

S  P. 


JEAN  O'UOiNE. 
LOCARD. 


La  Quinzaine  Musicale  :  Festival  çMo:(art, 
Société  'Pbilbarntottique.  Concerts  Le  Rey, 
Société  Nationale,  les  Récitals  d'Emile  Sauer, 
Concerts  Ysaye,  Concerts  Busoni. 

Concerts  Divers. 

Le  ■mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

Lettre  de  Berlin PAUL  OESTŒCKLIN 

Lettre  de  Munich EL»  OE  STŒCKLIlll. 

Lettre  de  New- York LAMEy-LADHUYNE. 

Correspondances  de  :  Angers,  Montpellier, 
Monte-Carlo,  Nantes,  Nancy,  Nice, 
Rouen,  Toulouse,  Strasbourg. 

Concerts  Annoncés. 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 


«'#■» 


Administration  et  Rédaction  :  Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  la 

ï  RUE  TRONCHET,  PARIS  {S«)     ^^^*^*'°"  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 


Samedi,  de  /«  heures  à  midi. 


TÉLÉPQOIVE  2S2.9& 

9ti|reau;c  ouverts 

de  lo  b.  à  midi  et  de  3  b.  à  6  h.  rf2 , 


Le  nninéro  ;  75  centime» 

Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musical 

(le     1=*     et     le     15     -DM     CHAQUE    MOIS) 

(    Paris  et  Départements  ....     12  francs  Van 

ABONNEMENTS    j    ^^^^    ...............     15         »»         1 

Le   Numéro  :   75  Céntiines   —  Etfanger  :  i   U^B;ac 

Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS,  {16«) 


»!   ■    ■* 


Administration  et  Rédaction  ;  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8«). 

(TÉLÉPHONE:    252-95)       -.:^ 

— -<5— —   -  mm 

COLLABORATEURS  :  W" 

MM.  Aguettant—  CamiUe  BeUaigue  —  F. Bald«nsperger  -  CamiUe  Benoit -- 
Eugène  Berteaux  -  A.  Bertelin  -  Michel  Brenet  -  Gustave  Bret- 
ChfBordes-  P.  de  BréTÎlle  -^  M.  Boulestin  -  M.-D.  Calvocoresn^- 
J.ChantaYoine-  CamUleClieTiUard  -  D' Cola»  -  M.  Daubresse  -  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges— Albert Diot— René Doxre---F^ Drogo^r- 
Eva  --  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Faurè  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  - 
G  de  Flagny  —  Henry  Gautbier-Villar»  -  E.  Giqvanna  —  Orner  Guirand- 
fI  Hellouin  --  Vincent  d'Indy  --  Jaqnes-Dalcroze  -~  H.  Klmg.  —  G.  Knosp. 
-Lionel  de  la  Laurencie  -  Paul  Leriche-  Pa^  Locajd  -  «ustaye  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  CamiUe  Mauclair- 
Jacques  Mèraly  —  F.  de  Ménil  -  Victor  Maurel  -  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  -  Jean  Marcel-  Alfred  Mortier-  Aloys  Mooser-  Raymond-Duyal 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Samt-Saèna. - 
T  «iftiierwein- A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  — 
e'.  sêgnU^-  Jeard'Udtoe  -  Léon  VaU»8  -  D'  Frite  Volbach  -  E.  Vnil- 
lermoz,  etc..  .  ^^ 

L«  Courrier  Musical  •«!  •»  ire«4e  s 
A  PARIS:    ^9>  rue  Tronchet. 

Chez  VL.  FLOV'Rl,  lihrAi][c-éditeuT,  I,  boulevard  des  Capucines. 
Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  VOdéon,  —  14,  rut  Auher. 

—  ^6  bis,  Avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  3,  Faubourg  Saini-Honoré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 

Chez  M.  LEGODX,  4,  rue  de  Rougemont  ;  20,  faubourg  Poissonnière,  etc. 
Chez  M.  PDGNO,  17,   Quai  des  GrcndstÂugustins,  etc.. 
EN  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

^mÊmmmimmmmm      ■  ^ ^ 

DÉPOTS  : 

WÊimmÊÊÊmÊmÊmimmiÊam 

Pour   rALLEMAGNE  :      |    MM.    BREITKOPF    à  H/ERTEL,  à  LEIPZIG 

.      „r.,^,,^„r         (    MM.  BREITKOPF  â  MORTEL,    45,  rue-MonUé"^  de    ^ 
Pour  la   BELGIQUE  :     |  ^^^^^  ^  BRUXELLES 

^   ^^^r.r.n         (     MM.   BREITKOPF  &  MORTEL,    54,    Malborôuih-Street, 
Pour  r ANGLETERRE:  LONDON-W. 


Pour    /a    HOLLANDE  :     \    MM.  STUMPFF  â  KONING,  à  AMSTERDAM.        ^^ 
"        ,  (    MM.  BRENTANO'S,  Union  Square,  NEW-YORK,    v^r 

Pour   l' AMERIQUE  :      \    m.  G.  SCHIRNERi35;Vhion  Square,liEW^OBK,  -jm 


Richard    STRAUSS 

qui  vient  de  conduire  aux  Concerts  Colonne 
sa  Symplionia    domestlca 


9"  ANNEE.  N»  8.  i5  AVRIL  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portrait  :  Richard  Strauss.  —  Les  'béatitudes  de  César  Franck  (Vin- 
cent d'Indy).  —  La  Musique  de  piano  de  Schumann  (Camille  Mauclair).  — La 
Vie  artistique  en  Allemagne  :  Les  Centres  :  Munich-Berlin  (Paul  de  Stœcklin).  — Le 
Démon,  de  Rubinstein,  à  Monte-Carlo  (A.  Mortier).  —  Les  Grands  Concerts  (Jean 
d'Udine,  Paul  Locard).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Festival  Mozart,  Société  Philhar- 
monique, Concerts  Le  Rey,  Société  Nationale,  Les  Récitals  Emile  Sauer,  Les  Concerts 
Ysaye^  Concerts  Busoni.  —  Concerts  divers.  —  Le  mouvement  musical  en  province 
et  à  l'étranger  :  Lettre  de  Berlin  (Paul  de  Stœcklin.  —  Lettre  de  Munich  (El.  de 
Stœcklin.  — Lettre  de  New- York  (Lamey-Ladhuyne).  —  Correspondances  de:  An- 
gers, Montpellier,  Monte-Carlo,  Nantes,  Nancy,  Nice,  Rouen,  Toulouse,  Stras- 
bourg.—  Concerts  annoncés.  —  Echos  et  Nouvelles  diverses. 


Les  «  Béatitudes  »,  de  César  Franck  ^^^ 


Singulière  destinée  que  celle  du  genre  de  composition  nommé  oratorio,  et  bien 
digne  d'une  étude  spéciale,  car  il  constitue  l'un  des  plus  curieux  exemples  de  trans- 
formisme qu'il  soit  permis  de  constater  dans  l'histoire  de  l'Art. 

Sorte  d'opéra  mystique  au  début,  il  devient  bientôt  purement  lyrique  et  se  rap- 
proche alors  de  la  forme  symphonique  en  adoptant  la  coupe  Cantate;  mais,  en  notre 
époque  moderne,  époque  tourmentée,  époque  toute  de  provisoire  où  la  foi,  subissant 
les  assauts  du  doute,  ne  trouve  plus  en  l'art  sa  naturelle  expression,  l'oratorio  musical 
fut  insensiblement  amené  à  remplacer  et  à  continuer  un  genre  littéraire  complètement 
abandonné  :  l'Epopée. 

L'Epopée,  ce  monument  poétique  dont  nous  n'approchons  qu'avec  une  sorte  de 
crainte  superstitieuse,  car  ses  manifestations,  qu'on  pourrait  facilement  compter, 
n'apparaissent  que  de  loin  en  loin  dans  l'histoire,  l'Epopée  que  l'on  ne  rencontre  qu'au 
cours  des  siècles  dits  de  transition  et  dans  des  conditions  particulières,  fut  longtemps, 
en  effet,  pour  les  peuples,  la  marque  de  passage  d'une  manière  d'être  établie  à  un 
nouvel  état  artistique  et  social. 

Au  sortir  des  influences  purement  mystiques  et  théocratiques  qui  abritèrent  de 
tous  temps  le  berceau  des  nations  et  des  civilisations,  s'ouvre  toujours  une  ère  de 
combats,  héroïque  dans  l'antiquité,  chevaleresque  au  moyen  âge,  précédant  la  pé- 
riode dans  laquelle  l'être  humain,  voire  sa  personnalité  physique,  devient  l'objectif 
unique  du  mouvement  social,  jusqu'à  l'avènement  d'un  nouveau  cycle  qui  recom- 
mence et  reproduit  la  marche  des  précédents. 

C'est  donc  au  milieu  de  la  période  de  trouble,  période  de  guerres  gigantesques, 


(i)  Grâce  à  l'aimable  autorisation  de  M.  Alcan,  nous  pouvons  donner  à  nos  lecteurs  la  primeur  d'un 
fragment  du  César  Franck,  de  Vincent  d'Indy,  qui  paraîtra  très  prochainement  dans  la  collection  des 
Maîtres  de  la  Musique,  publiée  sous  la  direction  de  y«a«  Chantavoine. 


—  270  —  -, 

de  luttes  intestines,  d'actes  sublimes  et  de  crimes  monstrueux  que  fleurit  invariable- 
ment ce  mystérieux  lotus  de  la  littérature  que  l'on  nomme  poème  épique. 

Telles,  les  épopées  homériques,  fixant  la  langue  et  la  mythologie  au  seuil  de  la 
civilisation  grecque,  telle  l'Enéide,  lis  croissant  sur  la  limite  même  qui  sépare  le 
monde  païen  arrivé  à  l'état  de  scepticisme  le  plus  complet  de  l'élan  de  foi  enthou- 
siaste sur  lequel  se  greffa  toute  la  grande  civilisation  chrétienne.  Telle  encore,  cette 
Commedia  à  laquelle  on  accola  à  juste  titre  l'épithètede  divine,  ci  qui,  née  au  milieu  des 
incessantes  luttes  déchirant  l'Italie,  fut  néanmoins  une  œuvre  d'apaisement  en  la- 
quelle se  trouvent  rassemblées  et  concentrées  toutes  les  connaissances  de  son  époque, 
toute  la  croyance  exubérante  dont  les  croisades  furent  le  généreux  phénomène. 

Lorsque  l'épopée  tente  de  se  produire  hors  de  son  milieu  ou  des  temps  favorables 
à  son  éclosion,  elle  perd  alors  toute  sa  réelle  signification  ;  ce  peut  être  un  poème  ha- 
bilement versifié,  avec  une  certaine  apparence  de  grandeur,  comme  la  Pharsale,\c  Pa- 
radis perdu  ou  la  Messiade,  mais  cela  reste  toujours  une  œuvre  de  dilettantisme  et  non 
plus  la  manifestation  universelle,  nécessaire,  attendue. 

En  notre  temps,  l'âme  humaine  est  trop  inquiète,  trop  ballottée  en  tous  sens  pour 
être  à  même  d'enfanter  littérairement  l'œuvre  de  naïve  croyance  que  doit  être  l'épopée, 
léchant  un  peu  indéterminé  du  vers  rythmé,  assonnancé  ou  même  rimé,  ne  suffit  plus 
à  éveiller  l'intérêt  des  peuples  et  porter  à  la  connaissance  de  tous  les  hautes  pensées 
du  poète  ;  il  faut  un  autre  élément  pour  remplir  l'office  de  truchement  intellectuel, 
élément  doué  d'une  influence  mystérieuse  et  quasi  divine,  mais  aussi  élément  jeune, 
pouvant  s'adapter,  en  raison  de  sa  nature  expressive,  au  besoin  de  rêve  et  d'idéal  qui 
subsistera  toujours  au  fond  du  cœur  de  l'homme,  quelque  peine  que  se  donnent  les 
apôtres  du  dogme  matérialiste  pour  l'en  arracher. 

Cet  élément  vivificateur  fut  la  musique. 

Et  le  xix«  siècle  vit  éclore,  de  Beethoven  à  Franck,  en  passant  par  Schumaiin, 
Berlioz  et  Wagner,  un  grand  nombre  de  productions,  sacrées  ou  profanes,  qui  ne  sont 
autre  chose  que  des  poèmes  épiques  musicaux. 

Épopée,  la  Missa solemnis  on  l'auteur  des  neuf  symphonies  raconte  la  vie  du  Christ, 
la  grandeur  de  sa  doctrine  et  la  soif  de  fraternelle  paix,  rêve  de  l'âme  moderne.  Epo- 
pées incomplètes  si  l'on  veut,  mais  au  moins  matière  épique,  ce  Faust  où  Schumann 
paraphrase  le  gigantesque  poème  de  Gœthe,  et  cette  Damnation  où  Berlioz  tente  d'as- 
similer ce  même  poème  à  notre  esprit  français  ;  épopée,  cette  Tétralogie  où  Wagner 
recrée  pour  la  plus  grande  gloire  de  la  musique  les  mythes  et  les  symboles  des 
croyances  septentrionales  comme  Homère  avait  naguère  condensé  les  légendes  médi- 
terranéennes ;  épopée  enfin  ces  Béatitudes,  œuvre  dans  laquelle  le  «  père  »  Franck 
raconte  presque  naïvement  la  bienfaisante  action  d'un  Dieu  tout  amour  sur  les  desti- 
nées humaines. 

Dans  ce  poème  musical,  en  effet,  toutes  les  conditions  requises  aux  temps  clas- 
siques pour  la  constitution  du  poème  épique,  se  trouvent  remplies  :  unité,  grandeur, 
plénitude  et  intérêt  du  sujet,  appropriation  du  milieu  et  du  poète,  celui-ci  faisant 
œuvre  de  foi  en  un  siècle  ravagé  par  l'incrédulité,  croyant  lui-même  fermement  à  ce 
qu'il  narre,  et  s'imposant  aux  sceptiques  eux-mêmes  au  moyen  du  discours  musical, 
moins  précis,  mais  plus  universellement  captivant  que  le  poème  versifié.  Les  Béati- 
tudes furent  donc  l'œuvre  attendue  de  la  fin  du  xix^  siècle,  œuvre  qui,  en  dépit  de 
quelques  défaillances  inévitables  (aliquando  bonus  dormitat  Homerus)  restera  comme  un 
superbe  temple  solidement  fondé  sur  les  bases  traditionnelles  de  la  foi  et  de  la  musique 
et  s'élevant  au-dessus  des  agitations  du  monde,  en  fervente  prière,  vers  le  ciel. 

Ainsi  qu'il  en  est  pour  presque  tous  les  grands  monuments  de  l'art,  l'éclosîon  des 
Béatitudes  fut  précédée,  dans  la  vie  de  leur  auteur,  d'une  longue,  très  longue  période 


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de  préparation  ;  de  même  dans  la  yUa  nuova  trouve-t-on  des  présages  de  la  Divine 
comédie,  de  même  rencontre-t-on  avec  stupéfaction  l'esquisse  du  thème  qui  servira  de 
sceau  à  la  IX®  symphonie  dans  un  simple  lied  que  Beethoven  jette  sur  le  papier  en 
l'année  1804. 

Les  Béatitudes  furent  pour  Franck  Yœuvre  de  toujours. 

Dès  sa  première  jeunesse,  dès  l'instant  où  il  se  sent  non  plus  virtuose,  mais  mu- 
sicien créateur,  il  pense  à  une  assimilation  dans  l'ordre  sonore  du  beau  poème  d'idées 
qui  est  le  sermon  sur  la  montagne.  Comment  cette  promesse  de  bonheur  futur  n'au- 
rait-elle pas  séduit  ce  chrétien,  simple  et  fort  en  sa  foi  ?  Comment  ce  Christ  passant 
à  travers  les  foules  pour  y  jeter  des  paroles  de  justice  et  de  paix  ne  fût-il  pas  devenu 
pour  un  Franck  la  manifestation  faite  en  musique  d'un  Dieu  d'amour  apaisant  d'un 
geste  les  douleurs  de  l'humanité  ? 

Franck  aimait  ce  texte,  il  le  relisait  souvent.  On  conserve  dans  sa  famille  un 
«  Recueil  des  Saints  Evangiles  »  qu'il  avait  reçu  en  prix  à  la  fin  d'une  année  scolaire  ; 
la  page  qui,  en  huit  alinéas,  contient  le  divin  discours,  présente  des  traces  d'usure 
démontrant  qu'elle  fut  fréquemment  consultée;  de  plus,  en  marge  de  chacune  des 
paroles  du  Christ,  on  remarque  des  coups  d'ongle,  ces  coups  d'ongle  que  nous,  ses 
élèves,  nous  connaissions  si  bien  et  au  moyen  desquels,  lorsqu'il  n'avait  pas  de  crayon 
à  sa  portée,  il  avait  coutume  de  souligner  les  passages  de  nos  devoirs  que,  soit  appro- 
bation, soit  blâme,  il  voulait  nous  signaler. 

Une  très  ancienne  pièce  pour  orgue,  datant  de  ses  débuts  comme  organiste,  mais 
dont  le  manuscrit  lui-même  est  égaré,  portait  comme  suscription  :  «  Le  sermon  sur  la 
montagne  »  ;  le  même  titre  se  reproduit  en  tête  d'une  Symphonie  pour  orchestre,  à  la 
façon  des  poèmes  de  Liszt,  qui  date  également  d'une  époque  assez  ancienne  et  n'a  point 
été  publiée  (i). 

Traduire  en  une  paraphrase  musicale  digne  du  sujet  le  poème  divin  fut  donc  la 
constante  pensée  du  maître  ;  mais  il  lui  fallait  pour  cela  un  texte  versifié... 

Trop  peu  confiant  en  son  éducation  littéraire  il  n'osait  pas  entreprendre  lui-même 
ce  travail  et  les  librettistes  d'alors  ne  se  souciaient  point  (heureusement  !)  de  perdre 
de  fructueux  moments  pour  fournir  à  cet  organiste  obscur  un  canevas  dont  le  rende- 
ment pécuniaire  ne  pouvait  se  présenter  que  comme  fort  problématique. 

Franck,  qui  n'était  point  l'ascète  sauvage  et  intransigeant  que  décrivent  certains 
critiques  peu  informés,  acceptait  très  volontiers  d'amicales  invitations  à  dîner  où  à 
passer  la  soirée  ;  il  aimait  à  se  rendre,  le  soir,  dans  certaines  maisons  amies  pour  se 
délasser  de  ses  travaux  du  jour  et  on  pouvait  le  rencontrer  fréquemment  dans  la  famille 
de  M.  Denis,  alors  professeur  au  lycée  Saint-Louis.  Celui-ci,  frappé  de  l'enthousiasme 
avec  lequel  son  ami  l'organiste  développait  en  causeries  intimes  le  poème  du  Sermon 
sur  la  montagne  dont  le  plan  se  faisait  de  plus  en  plus  clairement  dans  sa  tête  et 
auquel  il  ne  manquait  qu'un  texte  écrit  pour  devenir  musique,  s'ingénia  à  chercher 
pour  Franck  un  collaborateur  littéraire  et  finit  par  trouver  ce  collaborateur  en  la  per- 
sonne de  Mme  Colomb,  femme  d'un  professeur  au  lycée  de  Versailles. 

Mme  Colomb  possédait  une  assez  grande  facilité  de  versification,  elle  avait  même 
déjà  publié  quelques  pièces  qui  lui  avaient  valu  l'attribution  d'un  de  ces  prix  que  dé- 
cerne annuellement  l'Institut. 

Le  musicien,  en  quelques  entrevues,  lui  expliqua  donc  la  marche  du  poème  telle 
qu'il  la  concevait  et  qu'il  l'avait  rêvée  depuis  tant  d'années,  et  Mme  Colomb  lui  four- 
nit, sur  ces  données,  des  vers  qui,  pour  n'être  point  fort  remarquables  comme  poésie. 


(i)  M.  Georges  C  Franck  possède  le  manuscrit  de  cette  Symphonie  au  milieu  d'un  assez  grand  nombre 
d'études  et  de  pièces  inédites  de  son  père. 


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sont  néanmoins  peu  gênants  et  assurément  bien  préférables  à  ce  qu'un  librettiste  de 
profession  eût  pu  écrire  en  ce  genre. 

Voilà  donc  le  maître  nanti  du  texte  si  ardemment  désiré.  Aussitôt  il  se  met  au 
travail;  mais  cela  ne  va  point  tout  seul..,,  les  retouches  succèdent  aux  retouches  et 
il  semble  bien  que  le  compositeur  ne  soit  tout  d'abord  pas  très  fixé  sur  le  style  musical  à 
employer,  il  tâtonne  et  ces  tâtonnements  sont  restés  sensibles,  surtout  dans  la  première 
partie  de  l'œuvre. 

Cependant  le  prologue  était  venu  assez  vite  et,  à  l'automne  de  l'année  1870,  les 
deux  premières  5<;a/îÏMJ«  étaient  arrêtées  musicalement.  Pendant  l'hiver  de  1871, 
n'ayant  point  l'esprit  assez  libéré  de  l'angoisse  qui  pesait  alors  sur  tous  les  cœurs 
français  et  ne  pouvant  penser  à  créer  du  nouveau,  il  consacre  ses  heures  de  liberté  à 
écrire  l'instrumentation  de  ses  premières  parties  qu'il  termine  en  plein  bombardement 
de  Paris.  Après  l'intermède  causé  parla  composition  de  Rédemption,  il  se  met  à  l'ou- 
vrage et  écrit  le  troisième  chant,  celui  de  la  Douleur,  qui  paraît  déterminer  une  sûre 
direction  au  point  de  vue  du  style  de  l'œuvre,  puis  c'est  l'hymne  sublime  à  la  justice, 
confiée  à  la  voix  d'un  ténor  soliste  et  dont  le  brouillon  porte  la  date  de  1875  ;  enfin, 
rien  ne  le  distrait  plus  jusqu'au  complet  achèvement,  dans  l'automne  de  1879.  Il  avait 
mis  dix  ans  à  édifier  le  monument. 

Mais  ce  fut  seulement  longtemps  après-  cet  achèvement  qu'eut  lieu  la  première 
exécution  intégrale  du  chef-d'œuvre  par  l'orchestre  et  les  chœurs  de  V Association  artis- 
tique, sous  la  direction  d'Edouard  Colonne.  Ce  fut  en  l'hiver  de  1891,  un  an  après  la 
mort  du  maître,  et,  je  l'ai  dit,  cette  exécution  prit  aux  yeux  des  artistes  comme  du 
public,  l'importance  d'une  véritable  révélation. 

Peu  après,  ce  fut  Liège,  la  ville  natale  de  l'auteur  des  Béatitudes,  qui  en  donna  la 
seconde  audition,  sous  la  direction  de  Sylvain  Dupuis,  le  i*''  avril  1894.  En  cette 
même  année,  on  exécutait  le  chef-d'œuvre  par  deux  fois  à  Utrecht,  le  8  juin  et  le  18 
décembre,  et  l'année  suivante  le  distingué  chef  d'orchestre,  A.  Viotta,  le  dirigeait  à 
Amsterdam,  dans  l'immense  salle  du  Concertgebouw,  avec  un  chœur  de  plus  de  six 
cents  chanteurs. 

Pendant  ce  temps,  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  de  Paris  n'avait  en- 
core osé  en  donner  (et  combien  timidement  !)  que  deux  fragments  et  ce  n'est  qu'en 
1904  que  les  Béatitudes  figurèrent  intégralement,  en  deux  séances,  à  ses  programmes  ; 
mais  l'œuvre  n'avait  désormais  plus  besoin  de  cette  tardive  consécration  pour  entrer 
dans  la  célébrité. 

Vincent  d'INDY. 


~~  275  — 

LA   MUSIQUE    DE    PIANO 

DE   SCHUMANN^ 


C'est  par  la  musique  de  piano  que  Schumann  a  débuté  dans  la  composition,  et  il 
en  écrivit  encore  l'année  où  il  disparut  du  monde.  Ni  i'oratorio  profane,  ni  l'opéra 
ni  le  lied,  la  symphonie,  la  musique  religieuse,  ne  le  purent  détourner  de  cette  forme 
confidentielle  où  devait  se  révéler  son  extraordinaire  faculté  d'effusion  lyrique.  Cepen- 
dant la  musique  de  piano  de  Schumann  n'est  jamais  limitée  à  elle-même  :  elle  n'est 
jamais  exclusivement  «pianistique  ».  Comme  celle  de  Liszt,  et  beaucoup  plus  que 
celle  de  Chopin,  elle  demande  des  timbres  à  l'orchestre,  elle  appelle  et  suggère  l'or- 
chestre constamment.  C'est  là  le  caractère  qui  la  différencie  complètement  de  l'école 
pianistique  qui  règne  en  1830,  et  dont  l'idéal  de  perfection  froide  et  classique  est  de  ne 
pas  outrepasser  le  domaine  propre  de  l'instrument. 

Le  terme  «  fantaisie  »  est  celui  qui  conviendra  le  mieux  à  caractériser  cette 
musique,  mais  à  la  condition  qu'on  le  prenne  dans  sa  vraie  acception  étymologique  et 
qu'on  admette  que  la  «  fantaisie  »  est  la  fixation  d'une  série  d'images  qui  peuvent 
revêtir  tous  les  aspects  du  monde  sensible.  C'est,  en  1830,  un  phénomène  artistique 
absolument  nouveau  que  cette  tentative  de  style  polymorphe  où  l'abstrait  et  le  con- 
cret se  mêlent,  et  où  les  idées  et  impressions,  au  lieu  d'être  subordonnées  aux  formes 
musicales,  les  créent  constamment  et  les  rejettent  pour  en  inventer  d'autres  non  moins 
fugaces.  Cette  musique  de  piano  de  Schumann,  est,  dès  1830,  l'image  exacte  de  ce  que, 
quarante  ans  plus  tard,  la  peinture  appellera  l'impressionnisme.  Chaque  aspect  noté 
crée  la  technique  qui  lui  convient,  au  lieu  d'obéir  à  une  règle  uniforme.  En  1830,  cela 
paraît  être  l'absence  de  style,  en  réalité  c'est  un  style  nouveau  (2).  Mais  ce  qui  résulte 
de  l'origine  allemande,  des  tendances  lyriques  et  contemplatives  de  Schumann,  c'est 
qu'il  s'applique  beaucoup  plus  à  créer  un  langage  psychologique  qu'un  langage  des- 
criptif. Il  cède  rarement  à  l'harmonie  imîtative,  et  s'il  excelle  à  peindre  de  petits  tableaux, 
il  y  mêle  toujours  le  développement  d'une  pensée.  Il  fait  de  l'impressionnisme  d'âme. 
Ce  n'est  pas  seulement  un  romantique  pittoresque,  mais  surtout  un  romantique  psy- 
chologue. Il  n'exprime  pas  directement  les  sensations  de  la  nature,  il  les  transpose,  il 
nous  dit  non  ce  qu'est  un  paysage,  mais  l'émotion  qu'il  en  a  reçue;  et  il  constitue  ainsi 
une  série  d'états  d'âme  musicalisés.  Il  semble  qu'en  lui  se  soit  condensée  une  longue 
hérédité  nationale,  obscure,  tenace,  voulant  être  dite  :  en  entendant  cette  musique,  on 
dirait  que  tout  à  coup  a  été  prononcée  à  haute  voix  une  pensée  longtemps  contenue 
et  mûrie  dans  le  silence.  Le  désir  d'expansion  de  toute  une  jeunesse  s'exprime  en 
Schumann,  et  cela  donne  à  son  art  le  caractère  le  plus  troublant.  Supposez  qu'un 
homme  inconnu  vous  aborde,  et,  soudainement  mis  en  confiance  par  l'expression  de 
vos  yeux,  vous  raconte  le  secret  le  plus  douloureux  de  sa  vie  avec  ce  besoin  fiévreux  de 
confidence  qu'inspire  l'exaspération  de  la  peine  contenue,  et  cette  éloquence  singulière 
que  donne  au  plus  maladroit  l'aveu  d'un  trouble  obsédant  et  sincère.  Songez  alors  à 
votre  propre  trouble,  à  la  sensation  insolite  que  vous  ressentirez  en  voyant  cet  in- 
connu franchir  ainsi  d'un  trait  les  distances  sociales,  les  réticences,    les  convenances, 


(1)  Fragments  du  chapitre  III  de  Schumann,  collection  des  Grands  Musiciens,  H.  Laurcns,  éditeur. 

Nous  devons  à  l'obligeante  autorisation  de  l'éditeur  Laurens  de  pouvoir  donner  ici,  au  moment  de  sa 
publication,  des  fragments  du  livre  où  notre  collaborateur  M.  Camille  Mauclair  étudie  la  vie  et  les  œuvres 
de  Schumann. 

|2)  Dans  son  analyse  critiijue  de  la  Symphonie  Fantastique  de  Berlioz,  Schumann  a  parfaitement  dé- 
montré cette  proposition. 


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et  s'adresser  droit  à  votre  altruisme,  à  votre  pitié.  C'est  ce  que  produit  la  musique  de 
piano  de  Schumann,  musique  entre  toutes  confidentielle.  En  cela  elle  dépasse  le  roman- 
tisme ordinaire,  lequel  se  confie,  mais  avec  des  élans  deréthorique,  de  l'emphase, le  souci 
de  l'arrangement  artistique.  La  confidence  de  Schumann,  c'est  celle  de  Heine  —  un 
aveu  et  un  cri  brefs  et  poignants.  C'est  déjà  celle  de  Beaudelaire  et  de  Verlaine,  et  en 
cela  il  est  un  précurseur  de  notre  façon  contemporaine  de  sentir,  et  son  langage  musi- 
cal semble  parlé  d'hier  et  ne  vieillira  jamais. 

A  ce  besoin  de  confidence  doivent  convenir  certains  caractères  formels  :  la 
brièveté,  qu'Edgard  Poe  préconise  comme  une  condition  de  l'intensité,  est  le  premier 
de  ces  caractères.  Déjà  Heine  et  Schubert  n'ont  pas  craint  de  condenser  extraordinai- 
rement  l'impression  et  de  chercher  dans  la  brièveté  le  secret  d'une  beauté  spéciale, 
surprise  nerveuse  des  sens.  Schumann  a  eu  ainsi  le  secret  d'enclore  tout  un  drame 
psychique  en  une  ou  deux  pages,  avec  plus  de  force  et  de  rapidité  synthétique  encore 
que  Chopin,  dont  le  génie  pianistique  résistait  beaucoup  moins  au  plaisir  d'un  déve- 
loppement instrumental  pour  lui-même.  Un  autre  caractère  d'un  tel  art  confidentiel, 
c'est  de  multiplier  les  variations  du  rythme,  les  dissemblances  des  timbres,  les  effets 
et  les  sensations  sonores,  en  proportion  inverse  de  la  faible  étendue  du  poème  de  piano. 
L'abondance  d'idées  musicales  doit  être  d'autant  plus  réelle  que  les  dimensions  de 
l'œuvre  sont  peu  imposantes.  En  un  mot,  à  un  art  désireux  de  ne  noter  que  des 
paroxysmes,  il  faut  des  idées  multiples  et  des  préparations,  des  gradations  sous-en- 
tendues, que  l'esprit  de  l'auditeur  doit  pouvoir  reconstituer  sur  de  brefs  indices. 

La  musique  de  piano  de  Schumann  apparaît  comme  le  langage  d'une  sensibilité  supé- 
rieure. Elle  parle  autant  qu'elle  chante.  Elle  emprunte  au  dialogue  humain  ses  brusque- 
ries, ses  pauses,  ses  caprices  rythmiques  ;  le  caractère  change  à  chaque  instant,  merveil- 
leusement souple,  tour  à  tour  léger,  sanglotant,  grave,  exalté  dans  une  prière,  brisé, 
en  un  éclat  de  rire,  ample,  élégant,  assourdi.  A  travers  les  variations  fugaces  du 
rythme  et  du  timbre  on  perçoit  réellement  la  présence  d'un  être  vivant  qui  se  confie, 
pleure,  sourit,  espère,  crie  sans  doute,  s'élève  vers  l'absolu  ou  promène  sa  rêverie 
désenchantée.  Schumann  est  le  personnage  essentiel  de  cette  musique  d'aveux,  et  toute 
l'histoire  de  son  âme  est  écrite  là  autant  et  mieux  que  dans  ses  lettres.  En  même 
temps,  et  par  un  reflet  inexplicable  comme  le  génie  lui-même  de  Schumann,  ce  lan- 
gage abstrait  évoque  toutes  les  visions,  toutes  les  «  fantaisies  »  (ou  phantasmes)  qui 
émurent  cette  âme  et  provoquèrent  cette  pensée. 

Cette  musique  se  déroule  comme  un  vaste  paysage  de  sensations  matérielles  et 
abstraites;  c'est  un  album,  selon  le  terme  que  l'auteur  employa  souvent.  C'est  un 
répertoire  prestigieux  d'idées  et  de  formes.  Souvent  une  idée  musicale  s'y  retrouve  ?i 
divers  états,  comparables  aux  différents  états  d'une  eau-forte  en  couleurs  ;  et  c'est 
improprement  qu'on  a  écrit  qu'il  s'agissait  là  d'esquisses  et  d'ébauches.  Chacun  de  ces 
états  est  complet  en  soi  :  ce  sont  des  présentations  différentes.  Schumann  concevait 
une  phrase,  mais  aimait  à  la  modifier,  à  en  tirer  des  effets  imprévus,  à  en  changer 
l'impression  par  le  voisinage  de  phrases  nouvelles.  11  variait  les  essais  de  sertissage  du 
joyau,  mais  le  joyau  existait  en  soi.  Ces  «  remarques  »,  ces  «  repentirs  »,  ces  «  faux 
traits  »  qu'ont  affectionné  les  plus  grands  peintres,  il  en  goûtait  en  vrai  artiste  toute 
la  savoureuse  valeur,  et  ce  travail  était  à  sa  place  dans  la  conception  qu'il  se  faisait 
de  la  musique  de  piano.  Nous  assistons  aux  formations  d'une  pensée,  aux  fluctuations 
de  sensibilité  d'un  poète  qui  s'interroge,  et  cela  donne  à  toute  l'œuvre  un  charme 
unique. 

C'est  par  le  sentiment,  par  l'émotion,  par  la  nervosité,  par  l'élégance  fugace,  par 
la  tristesse  intense,  par  tous  les  dons  de  l'âme  bien  plus  que  par  l'innovation  techni- 
que, que  cette  musique  est  grande.  Encore  que  la  musique  de  piano  de  Schumann 


—  275  — 

soit  très  souvent  d'une  grande  difficulté,  elle  émane  d'un  homme  qui  ne  rechercha 
jamais  les  effets  du  virtuose,  et  c'est  son  sentiment  qui  commande  son  interprétation. 
Elle  ne  peut  être  comprise  et  exprimée  que  par  un  être  capable  de  se  replacer  dans 
l'état  d'esprit  qui  l'a  suscitée  :  sa  difficulté  n'est  pas  de  celles  que  résolvent  les  seules 
promesses  du  doigté.  Il  s'est  trouvé  qu'elle  était  difficile  parce  que  le  sentiment  et 
l'inspiration  l'exigeaient,  et  non  le  désir  d'être  compliqué  :  et  si  l'on  repasse  parce 
sentiment  et  cette  inspiration,  le  chemin  de  l'interprétation  s'éclairera.  Cet  art  poi- 
gnant, instinctif,  traversé  d'éclairs,  hanté  de  songes,  n'est  pas  morbide.  Il  est  orageux, 
étrange,  il  s'ouvre  brusquement,  avec  des  éclaircies  de  sensibilité  délicieuse,  de  grâce 
voletante  et  éperdue,  jusqu'au  cœur  d'un  être  d'élite  que  dominent  les  sombres  nuages 
et  les  radieuses  lumières  d'un  ciel  exceptionnel  :  mais  jamais  il  n'est  malsain. 

Camille  MAUCLAIR. 

La  Vie   Artistique  en   Allemagne 

Les  centres  :  Munich,  Berlin 

Berlin,  Munich.  Les  deux  grands  centres  de  l'activité  intellectuelle  de  l'Allemagne, 
les  deux  pôles  entre  lesquels  la  vie  artistique  de  la  nation  oscille,  sollicitée  par  leurs 
I  attraits  divers  et  particuliers.  Toutes  deux,  la  capitale  du  Nord  et  celle  du  Sud,  sont 
relativement  jeunes;  leurs  rôles  datent  d'hier.  Munich  commence  à  devenir  importante 
à  la  fin  du  xviii'  siècle,  avec  l'avènement  de  l'électeur  Charles-Théodore  et  c'est  de  Max- 
Joseph  et  de  la  fondation,  par  la  grâce  de  Napoléon,  du  nouveau  royaume  de  Bavière 
que  date  vraiment  son  éclat. 

Les  Wittelsbach,  tiraillés  par  leurs  devoirs  de  Princes  électeurs,  par  leurs  ambi- 
tions personnelles  étroites,  l'amitié  douteuse  des  Habsbourg,  les  vieilles  traditions 
catholiques,  tandis  que  les  Wettin  s'acharnaient  à  la  chimérique  poursuite  de  la  cou- 
ronne de  Pologne,  laissèrent  le  champ  libre  au  long,  vigoureux  et  constant  labeur  de 
la  Prusse.  Dès  Frédéric  le  Grand,  le  vieil  Empire  vermoulu  est  divisé  en  deux  sphères 
d'influence  ;  la  maison  d'Autriche,  les  Hohenzollern  et  les  électeurs  du  Palatinat  n'y 
jouent  plus  qu'un  rôle  accessoire.  Dernière  venue  dans  l'histoire,  la  Maison  de  Prusse 
avait  si  bien  assis  sa  situation,  que  lors  des  grandes  crises  européennes  de  1793  à  181 5, 
elle  traite  d'égal  à  égal  avec  les  plus  grandes  puissances. 

L'idéal  qu'elle  poursuivait  conciliait  à  la  fois  ses  ambitions  personnelles  et  les  aspi- 
rations germaniques.  L'unité  nationale  dont  les  artistes  et  les  penseurs  de  la  fin  du 
xviii'  siècle  semèrent  le  germe,  se  trouva,  lors  de  la  maturité,  tout  naturellement  incar- 
née dans  cette  famille  dont  la  lutte  âpre  et  tenace  pour  l'existence,  avait  affirmé  la  vitalité 
de  l'âme  allemande. 

Ce  qui  frappe  dans  les  monuments  de  Munich,  c'est  le  nombre  restreint  de  sta- 
tues de  généraux.  Les  Rois  sont  en  costumes  magnifiques,  manteaux  d'hermine 
sur  les  épaules,  dans  tout  l'appareil  d'une  pompe  d'opéra.  La  célèbre  Halle  des  maré- 
chaux construite  pour  exalter  l'armée  bavaroise  contient  deux  statues,  Tilly  et  Wrède, 
dont  l'un  n'était  point  bavarois  et  l'autre  fut  plutôt  malheureux.  Par  contre,  beaucoup 
d'artistes,  de  dignes  fonctionnaires,  de  savants...  A  Berlin,  le  casque  partout!  Les  élec- 
teurs, les  rois,  les  empereurs  en  soldats,  souvent  en  tenue  de  campagne  ;  des  officiers 
dans  tous  les  coins  ;  jusqu'aux  ministres  qui  revêlent,  pour  l'occasion,  l'uniforme.  Et 
ceci  ne  laisse  pas  d'être  caractéristique. 

Lorsqu'au  moyen  de  bien  des  bassesses  et  des  lâchetés,  les  Wittelsbach  eurent 
obtenu  le  hochet  du  sceptre  si  fort  convoité,  ils  furent  pris  d'un  vaste  accès  de  folie  des 
grandeurs  dont  bénéficia  Munich  et  qui  s'étend  de  Louis  I"  au  malheureux  Othon  qui 
achève  de  mourir  dans  un  cabanon.  Le  seul  qui  vit  clair  à  un  moment  donné,  qui 
comprit  que  son  père  et  son  grand-père  avaient  lâché  la  proie   pour  l'ombre  et  qu'en 


—  2y6  — 

s'amusant  du  jou)ou  éblouissant,  ils  avaient  irréparablement  laissé  échapper  la  direction 
générale  des  affaires  dans  TAllemagne  en  formation,  le  seul  qui  essaya,  mais  inutile- 
ment, mais  trop  tard,  peut-être  aussi  parce  qu'il  n'en  avait  pas  la  force,  de  réagir,  fut 
Louis  H,  le  pauvre  fou  que  ses  fidèles  bavarois  continuent,  non  sans  raison,  de  considérer 
comme  le  bon,  le  grand  roi  national. 

Construire  des  musées,  faire  de  leur  Université  un  temple  européen  de  la  sagesse, 
fonder  des  Académies,  enrichir  les  bibliothèques,  doter  les  écoles,  s'entourer  de  savants 
et  d'artistes,  dépenser  les  budgets  de  la  guerre  à  bâtir  des  palais,  à  percer  des  avenues, 
transformer  leur  capitale  en  une  Athènes  de  l'Allemagne,  en  favorisant  à  la  fois  les 
sciences,  les  belles-lettres  et  les  arts,  inaugurer  une  vaste  renaissance  allemande 
dont  Munich  concentrerait  toutes  les  activités,  voilà  ce  que  voulurent  Louis  I"  et  Max  II. 
Ils  le  réalisèrent  en  partie,  grâce  à  la  naïveté  et  à  la  candeur  de  leurs  illusions. 

Ils  crurent  qu'il  suffisait  de  dire  à  un  architecte  :  bâtissez-moi  quelque  chose,  pour 
qu'an  chef-d'œuvre  jaillît,  à  un  peintre  :  peignez-moi  une  fresque  comme  Michel-Ange 
pour  tel  pape,  pour  qu'il  en  fût  ainsi.  Si  les  chefs-d'œuvre  ne  jaillirent  point,  l'effort  fut 
fécond.  Une  émulation  énorme  naquit  et  toute  la  vitalité  artistique  de  l'Allemagne 
afflua  vers  Munich.  On  vit  des  choses  touchantes  !  Un  édit,  par  exemple,  du  roi  Max  II, 
ouvrant  un  concours  entre  tous  les  architectes,  pour  créer  un  style  nouveau,  style 
Max  II  (comme  on  dit  style  Louis  XIV),  d'après  lequel  une  rue  entière  et  un  palais 
seraient  construits.  Et  le  concours  eut  lieu,  et  la  rue  existe,  rectiligne,  large,  spacieuse, 
aux  maisons  toutes  semblables  de  proportions,  de  couleurs  et  de  décorations,  la  rue 
Maximilien,  que  domine  au  fond  le  Maximilianeum,  semblable  à  la  ruine  d'une  cons- 
truction romaine  qui  n'aurait  jamais  été  achevée  1  Dans  ce  style  national,  qui  n'en  est 
pas  un,  qui  n'était  pas  viable,  qui  n'a  pas  survécu  à  sa  rue,  il  y  a,  à  côté  de  pas  mal 
de  maladresses  et  de  mauvais  goût,  du  charme  et  la  grandeur  qu'imprime  la  réalisation 
d'un  effort. 

Munich  a  passé  de  crises  en  crises,  des  ordres  grecs  à  travers  l'italianisme  jusqu'à  la 
renaissance  allemande,  et  pastiche  pour  pastiche,  celui-là  ne  vaut  pas  mieux  que  les 
autres,  pas  mieux  non  plus  que  l'adaptation  des  principes  du  cottage  anglais  aux  vastes 
maisons  locatives,  qui  sous  le  nom  de  modem  style  hante  le  cerveau  des  modernes 
architectes. 

C'est  là,  en  général,  le  point  faible  de  l'art  allemand.  Les  artistes  partent  d'une  idée 
arrêtée,  d'une  théorie  esthétique  dont  ils  vont  établir  l'excellence  par  leurs  œuvres,  ou 
d'une  idée  morale  ou  philosophique  qu'il  s'agit  de  traduire  en  art.  Il  arrive  alors  ceci  : 
ou  bien  l'artiste  s'ankylose  en  une  forme  d'autant  plus  tyrannique  qu'elle  est  moins 
arrêtée  dans  ses  contours,  comme  chez  les  post-wagnériens  de  l'heure  actuelle,  ou  bien 
l'idée  est  simplement  irréalisable  artistiquement,  comme  pour  l'école  picturale  de 
Cornélius,  où  elle  est  si  belle,  si  haute,  qu'à  la  saisir,  on  se  perd,  ainsi  qu'il  arriva 
parfois  à  Schiller  lui-même,  en  de  douloureux  efforts  dont  les  tâtonnements  s'appellent 
de  la  profondeur;  ou  encore  la  théorie  est  si  admirable  de  logique  que  l'œuvre  construite 
selon  elle  en  devient  un  superbe  et  ennuyeux  théorème  comme  le  Nathan  de  Lessing; 
ou  enfin  elle  ne  produit  rien  du  tout  comme  celle  d'Obrist  et  de  son  entourage,  qui  ' 
prétendent  créer  un  art  national  conscient,  rompant  avec  toutes  les  influences  étrangères  î 
séculaires. 

Je  doute  qu'ils  procédèrent  de  la  sorte,  les  gens  qui  créèrent  la  grande  Renaissance 
allemande  ou  ces  délicieuses  constructions  vieillottes,  qui  s'adaptent  si  bien  dans  le  j 
milieu  où  elles  se  trouvent  et  ont  l'air  de  faire  partie  intégrante  du  paysage.  Qu'impor- 
taient les  écoles,  les  habitudes,  les  systèmes  aux  admirables  génies  qui  forgèrent  les  , 
lyres  impérissables  sur  lesquelles  s'exhala  l'âme  allemande!  Telle  idée  était  dans  Rous- , 
seau.  Telle  forme  sent  son  grec.  Telle  cadence  rappelle  Scarlatti,  ceci  est  du  Mozart  ;  | 
Gœthe,  Schiller,  Mozart,  Beethoven,  n'en  sont  pas  moins  eux-mêmes,  ils  avaient  du| 
cœur,  un  cœur  où  bouillonnaient  toutes  les  énergies,  toutes  les  aspirations  de  leur  race,  [ 
ils  avaient  un  instrument  parfait,  ils  chantèrent.  Chez  eux,  selon  le  mot  de  Berlioz,  la| 
production  artistique  était  une  fonction  naturelle.  Grise  est  la  théorie,  a  dit  Gœthe,  j 
l'arbre  de  la  vie  seul  verdoie. 


—  277  — 

Les  rois  de  Bavière  ont  atteint  leur  but.  Grâce  à  la  laborieuse  tradition  d'un  siècle, 
Munich  est  devenue  le  centre  artistique  de  l'Allemagne.  Elle  a  vu  les  grands  efforts  des 
Cornélius,  les  triomphes  de  Schwandthaler,  l'éclat  de  Lenbach,  l'éblouissement  de 
Bœcklin,  elle  a  suscité  l'école  de  Dachau,  ce  Barbizon  germanique,  la  Sécession,  cette 
association  d'artistes  cherchant  leur  voie  en  dehors  des  traditions  académiques,  les 
Uhde,  les  Habermann,  les  Stuck,  elle  a  la  Scholle  actuellement,  un  groupement  nou- 
veau, aux  tendances  ultra- nationales.  Depuis  Wagner  enfin,  Munich  est  la  Rome  musi- 
cale de  la  Religion  du  Dieu  dont  l'œuvre  risqua  de  compléter  dans  le  domaine 
esthétique  ce  qu'avaient  fait  dans  le  domaine  politique  les  Moltke  et  les  Bismarck. 
C'est  à  Munich,  enfin,  que  commence  à  se  former  la  jeune  école  Reger,  que  je  crois 
appelée  à  porter  un  coup  définitif  à  l'infaillibilité  du  dogme  wagnérien.  La  capitale 
de  la  Bavière  demeure,  quoi  qu'on  fasse,  la  capitale  musicale  de  l'Empire.  La  musique  y 
est  devenue  un  élément  essentiel  de  la  vie  sociale.  A  l'écart  des  grandes  préoccupations 
de  la  politique,  vivant  dans  un  milieu  peu  industriel,  le  Munichois  est  un  rêveur  pour  qui 
la  musique,  d'une  habitude,  est  devenue  un  besoin,  comme  la  bière  et  les  saucisses.  Il  en 
veut,  l'écoute  avec  délices,  en  fait  avec  cette  facilité  qui  se  contente  à  peu  de  frais,  il  la 
cultive  avec  coquetterie.  Toute  une  colonie  de  compositeurs  s'est  établie  à  Munich,  et  je 
n'en  sais  point,  parmi  les  très  influents,  qui  ne  s'y  soit  point  fixé  pendant  un  certain 
temps. 

Notez  que  malgré  Mottl  et  Schnéevoigt,  les  exécutions  sont  loin  d'y  être  de  premier 
ordre.  L'Opéra  est  en  plein  désarroi,  les  orchestres,  même  celui  de  l'Académie,  sont 
loin  d'être  excellents,  et  il  faut  la  vigoureuse  énergie  de  leurs  chefs  pour  en  tirer  de 
temps  en  temps  un  ou  deux  beaux  concerts. 

Mais,  dans  ce  pays  essentiellement  conservateur  qu'est  l'Allemagne,  Munich  a  pour 
elle  son  passé.  Elle  est  sympathique,  a  du  cachet.  Son  fait  de  ville  catholique  lui  prête 
une  grâce  nonchalante,  non  sans  charme.  Le  Munichois  a  toutes  les  vraies  qualités  ger- 
maniques :  la  sentimentalité  rêveuse  assaisonnée  d'une  douce  sensualité  qu'émousse 
l'usage  endormant  de  la  bière,  l'affabilité  obséquieuse  et  surtout  la  Gemûthlichkeit .  Il 
est  volontiers  bavard  et  très  accueillant.  Munich  est  par  excellence  la  cité  de  la  Gemû- 
thlichkeit^ c'est-à-dire  d'une  quiétude  à  laquelle  participent  à  la  fois  le  cœur,  les  sens 
et  l'imagination.  Ses  habitants  sont  très  conscients  du  rôle  qui  reste  à  jouera  leur  ville 
dans  l'économie  nationale.  Jaloux  de  ses  prérogatives  artistiques,  ils  ne  reculeront 
devant  aucun  sacrifice  pour  en  assurer  l'intangibilité. 

L'hégémonie  esthétique  de  l'Athènes  des  bords  de  l'Ysar  est  généralement  admise 
dans  tout  l'Empire.  Nos  voisins  d'outre-Rhin  ont  cependant  le  sens  de  la  discipline  et 
de  la  hiérarchie,  sens  qu'il  faut  satisfaire.  C'est  donc  à  Munich  que  se  créent  les  mou- 
vements, que  s'affirment  les  jeunes,  que  se  développent  les  individualités,  que  se  lancent 
les  idées  fécondes  ;  mais  l'allemand  exige  la  consécration  définitive,  officielle,  que  donne 
le  succès  obtenu  à  Berlin.  Berlin,  capitale  de  l'Empire  n'a-t-elle  pas  son  mot  à  dire  ?  Et 
Berlin  entend  le  dire.  Longtemps  elle  ne  fut  qu'un  centre  de  grande  activité  générale, 
ville  agitée,  ville  d'affaires,  ville  d'industrie,  ville  riche,  luxueuse,  où,  et  c'est  le  cas 
encore  maintenant,  les  arts  sont  un  luxe  nécessaire,  mais  un  luxe  que  les  gens  de  la 
société  se  payent  parce  que  c'est  l'usage,  parce  que  c'est  comme  il  faut  et  que  c'est 
cher.  Un  mouvement,  à  la  tête  duquel  est  l'empereur,  essaye  de  centraliser  toutes  les 
lorces  dans  la  capitale  de  l'Empire.  Voilà  bien  longtemps  qu'ils  ont  Joachim  (je  doute 
qu'ils  en  comprennent  l'incommensurable  grandeur),  ils  ont  Strauss  aussi,  à  la  place  de 
Mottl  ils  ont  Nikisch,  Pfitzner  en  passe  de  devenir  célèbre,  en  y  mettant  le  prix  ils  ont 
pu  conserver  Weingaertner. 

Les  vieux  rois  de  Prusse,  occupés  de  la  réalisation  de  leur  rêve  politique  ne  se  sont 
guère  occupés  des  beaux-arts.  Quelques  palais,  calqués  sur  le  xviii°  siècle  français,  voilà 
à  peu  près  tout  ce  qu'ils  ont  laissé.  Frédéric  le  Grand  lui-même,  le  grand  excitateur  de 
la  vigueur  nationale,  n'avait  qu'une  foi  très  tiède  en  la  capacité  artistique  de  sa  race  et 
ses  efforts  auraient  plutôt  contribué  à  latiniser  l'âme  allemande.  La  Prusse  devenue 
forte,  Berlin  capitale  de  l'Empire,  les  choses  changent. 


—   27^  — 

Pour  être  un  souverain  complet  ne  faut-il  pas  cet  aéropage  d'hommes  de  génie  que 
Louis  XIV,  ce  type  accompli  de  l'idéal  monarchique,  avait  su  rassembler  autour  de  lui, 
et  à  qui  son  caprice  commandait  des  chefs-d'œuvre  ?  Berlin  devait-être  à  la  hauteur  de 
son  rôle. 

Il  en  résulta  ce  que  vous  savez  :  une  ville  quelconque,  d'une  propreté  exceptionnelle, 
avec  des  belles  avenues  larges  et  droites,  aux  maisons  surchargées,  lourdes,  d'aspect 
cossu,  promettant  de  confortables  intérieurs.  Les  bâtiments  officiels  sont  de  pénibles 
imitations  ou  de  lourdes  et  malencontreuses  tentatives  vers  l'originalité.  Partout  un 
envahissement  de  statues,  depuis  le  désastreux  Guillaume  \''  de  la  place  du  Château, 
jusqu'à  ï A  liée  de  la  Victoire,  sorte  d'entrepôt  de  fabricants  de  monuments  funéraires, 
dont  la  seule  excuse  est  qu'elle  a  pu,  par  l'argent  qu'elle  a  coûté,  mettre  à  l'abri  de  la 
misère  pas  mal  de  pauvres  diables  !  Berlin  a,  par  exemple,  un  parc  idéal,  le 
Thiergarten,  immense,  touffu,  nourri,  au  centre  même  de  la  ville.  Le  Berlinois 
est  sec,  très  actif,  exagérant  la  tenue  et  la  réserve,  ne  se  livrant  que  de  loin,  très,  même 
trop  poli,  sans  la  bonhomie  de  ses  compatriotes  du  Sud,  ne  se  dissimulant  pas  la  supé- 
riorité qu'il  y  a  à  être  Berlinois  et  surtout  ne  la  dissimulant  pas  aux  autres.  Avec  çà,  du 
reste,  fort  aimable  pour  l'étranger,  tout  particulièrement  pour  le  Français.  Si  le  muni- 
chois  est  par  dessus  tout  gemûthlich.  le  berlinois  est  schneidig,  c'est-à-dire  d'une  rai- 
deur morale  et  phypique,  aux  contours  énergiques,  qu'il  prend  pour  de  la  distinction.  Et 
la  ville  est  faite  sur  le  modèle  de  l'habitant,  elle  est  schneidig. 

Entre  Berlin  et  Munich,  le  résultat  de  la  lutte  pour  l'hégémonie  artistique  ne  me 
semble  pas  douteux.  Comme  je  le  disais,  l'art  est  à  Munich  un  élément  de  la  vie  sociale. 
Je  vous  citerai  le  cas  d'un  personnage  très  répandu  dans  la  société  munichoise.  Certaines 
maisons  après  l'avoir  fort  aimablement  accueilli,  lui  firent  bientôt  froide  mine  parce 
qu'il  ne  montrait  pas  pour  les  jeunes  écoles  contemporaines  l'intérêt  qu'il  avait  semblé 
leur  porter  !  Dans  le  munichois  peuple,  il  n'y  a  pas  l'ombre  de  snobisme,  beaucoup  de 
chauvinisme  par  contre  (et  c'est  assez  !)  Dans  la  société  règne  un  snobisme  d'amateurs, 
au  fond  duquel  il  y  a  autre  chose  que  le  pur  souci  d'être  dans  le  courant,  une  sorte  de 
snobisme  intelligent  qu'il  faut  appeler  ainsi  faute  de  lui  trouver  un  autre  nom.  Le  berli- 
nois, dans  le  fond,  est  pensif-  il  admire  en  conscience  le  tas  de  petites  horreurs  qui  ont 
poussé  sur  le  bord  des  trottoirs  ou  le  long  des  places  publiques,  réservant  son  appro- 
bation extérieure  et  bruyante  pour  toutes  les  excentricités  à  la  mode.  La  société  muni- 
choise est  composée  de  petits  capitalistes  à  l'aise,  de  professeurs,  d'artistes  arrivés, 
d'intellectuels  et  d'aristocrates  sans  grande  fortune.  La  gemùthlichkeit,  le  goût  des 
choses  de  l'esprit,  la  recherche  des  émotions  artistiques  y  tiennent  lieu  des  excitations 
coûteuses  de  la  grande  vie.  Munich  n'est  point  assez  vaste  pour  que  l'élément  des  étu- 
diants (universitaires,  beaux^arts,  musique)  dont  le  nombre  est  immense  (jusqu'à 
8.000  peintres  et  sculpteurs  pour  une  ville  de  600.000  habitants)  ne  tienne  pas  une  place 
importante  dans  toutes  les  manifestations  esthétiques.  A  Berlin,  la  politique,  la  cour,  les 
affaires  absorbent  la  plus  grande  partie  de  l'activité.  Les  détenteurs  de  très  grosses 
fortunes  gagnées  dans  de  grosses  entreprises  industrielles  ou  financières  et  qu'il  faut 
entretenir  chaque  jour,  les  hauts  dignitaires  de  la  cour,  une  noblesse  de  culture  médiocre, 
le  monde  cosmopolite  des  ambassades,  voilà  la  société  berlinoise,  menant  l'existence  à 
grandes  guides.  Occupée  avant  tout  des  exigences  des  relations  mondaines,  elle  manque 
du  calme  et  de  la  réflexion  intérieure,  nécessaires  à  former  un  noyau  artistique  fécond 
et  ceci  assure  pour  longtemps  encore  l'hégémonie  de  Munich  quoique  Berlin  ait  pour  elle 
un  facteur  tous  les  jours  plus  important,  l'argent  qui  paye  l'œuvre  et  son  auteur. 

Enfin,  le  Régent  et  les  Princes  de  la  maison  de  Bavière,  par  une  réaction  assez 
curieuse,  s'occupent  le  moins  possible  des  choses  d'art.  Ils  visitent  bien  quelques  expo- 
sitions, achètent  de  ci  de  là  un  tableau,  assistent  à  un  concert,  accordent  des  décorations 
voire  même  jouent  du  violon  et  composent  des  lieder,  mais  par  acquit  de  conscience  plus 
que  par  goût  véritable.  Les  artistes  ont  à  Munich  une  liberté  absolue,  précieuse,  dont 
nulle  entrave  officielle  ne  limite  la  jouissance.  La  volonté  impériale,  au  contraire,  entend 
marquer  de  son  empreinte  tous  les  efforts  individuels.  L'empereur  veut  faire  de  Berlin 
une  yille  unique,  ville  d'art,  ville  de  science,  mais  9elon  ses  idétSj  ses  goûts  personnels, 


—  279  — 

D'où,  entre  mille  exemples,  les  chefs-d'œuvre  de  la  peinture  officielle,  le  Dôme,  telle 
une  pièce  montée  de  pâtisserie,  cette  énorme  tortue  fossile  qu'est  le  Palais  du  Reichstag, 
la  Siegesallée  dont  je  parlais  tantôt,  ou  la  burlesque  aventure  du  Roland  de  Berlin  de 
Léoncavallo.  Il  est  compréhensible  que  les  artistes  évitent  une  ville  où  l'on  prétend  ins- 
pirer leurs  tempéraments  et  contrôler  leurs  individualités,  d'autant  qu'il  leur  est  tou- 
jours loisible  d'y  venir  parfois  recueillir  des  lauriers. 

N'oublions  pas  cependant  que  chaque  petite  capitale  allemande  est  un  centre  intel- 
lectuel original,  et  souvent  d'une  haute  valeur.  Dresde,  Weimar,  Stuttgart,  Karlsruhe, 
Darmstadt  et  tant  d'autres,  sans  parler  de  villes  comme  Leipzig,  Dusseldorf,  Francfort 
ou  Cologne  ont  une  vie  artistique  intense.  Elles  offrent  en  musique,  par  exemple,  des 
exécutions  infiniment  supérieures  parfois,  à  ce  que  l'on  entend  à  Munich  ou  à  Berlin, 
Toutes  pourtant  participent  du  grand  double  courant  qui  va  des  bords  de  l'Ysar  aux 
bords  de  la  Sprée.  Le  courant  munichois  est  sans  contredit  le  plus  vigoureux,  le  plus 
large,  le  plus  libre  de  toute  influence  étrangère.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voira  l'heure 
présente,  dans  ce  milieu  où  étincela  le  soleil  de  Tristan  et  des  Maîtres-Chanteurs^  se 
lever  et  grandir  un  astre  nouveau,  Reger,  dont  le  rayonnement  nuit  déjà  à  l'éclat  des 
étoiles  fixes  du  ciel  wagnérien. 

Paul  de  STOECKLIN. 


PreiT)ière  repré5ei)tatioi)  du 

DÉMON 

DE     RUBIITSTEirT 


Inconnu  en  France,  le  T>émon  de  Rubinstein  est  fort  apprécié  en  Allemagne  et  en 
Russie,  où  cet  ouvrage  fut  créé  en  1875  ;  le  livret  en  a  été  tiré  du  poème  célèbre  de 
Lermontov,  qu'on  a  appelé  le  Byron  slave.  Il  est  d'ailleurs  d'un  caractère  national  assez 
accentué.  Tel  qu'il  fut  représenté,  c'est  plutôt  un  poème  dramatique  qu'une  pièce  de 
théâtre  proprement  dite.  JVlais  par  le  pathétique  des  sentiments,  par  la  philosophie 
symbolique  qui  s'en  dégage,  ce  spectacle  est  fait  pour  plaire  aux  esprits  et  aux 
âmes  artistes. 

Quand  on  songe  que  Rubinstein  a  écrit  une  dizaine  d'opéras,  de  nombreux  orato- 
rios, de  la  musique  de  chambre  et  des  lieder  en  quantité,  et  que  presque  rien  de  cette 
énorme  production  n'a  franchi  la  frontière,  on  conçoit  que  ce  fécond  et  brillant  com- 
positeur en  ait  éprouvé  quelque  amertume  ;  chez  lui  le  créateur  a  été  la  victime  du 
génie  du  virtuose. 

Le  sujet  du  Démon  peut  se  résumer  en  quelques  mots  :  avide  d'être  aimé,  l'Esprit 
du  Mal  tente  de  séduire  la  princesse  Tamara,  fiancée  au  prince  Sinodal.  Il  fait  périr 
ce  dernier  dans  une  embuscade.  Puis  il  apparaît  à  Tamara,  cherche  à  lui  inspirer  la  pi- 
tié pour  la  malédiction  qui  pèse  sur  lui,  et  finalement  la  subjugue.  C'est  surtout  par 
le  détail  poétique  qu'une  telle  œuvre  peut  plaire  au  spectateur.  Voici  une  brève  ana- 
lyse des  passages  les  plus  importants  : 

Une  courte  introduction  en  ré  mineur  à  6/8,  d'un  caractère  sombre  et  majes- 
tueux précède  le  lever  du  rideau.  Puis  retentissent,  en  un  site  sauvage  et  désolé,  les 
chœurs  des  mauvais  esprits  alternant  avec  les  forces  de  la  nature  ;  à  la  manière  du 
Mefistofele  de  Boïto,  ces  masses  chorales  sont  invisibles.  Ces  chœurs  sont  d'ailleurs 
assez  insignifiants  au  point  de  vue  musical.  Paraît  le   Démon  ;  il  hait   et  méprise  le 


—    2!S0   — 

monde  et  la  race  vile  des  hommes  qui  jamais  ne  surent  lui  résister.  Un  ange  survient, 
qui  l'invite  à  l'amour,  à  la  paix.  Mais  fièrement  le  roi  du  Mal  lui  répond  qu'il  dédaigne 
la  paix  :  «  Luttons,  s'écria-t-il,  puisque  tu  veux  la  guerre  ». 

Le  second  tableau  débute  par  un  ensemble  de  voix  de  femmes  des  plus  gracieux 
et  d'une  grande  fraîcheur  d'inspiration.  Ce  sont  les  compagnes  de  la  princesse  Ta- 
mara qui  descendent  du  château  du  prince  Gudal,  pour  puiser  de  l'eau  au  fleuve.  A 
ce  chœur  se  superpose  un  récitatif  léger  de  Tamara,  encore  distante,  et  d'un  effet 
charmant  ;  il  faut  citer  ainsi  la  chanson  de  la  gouvernante,  l'Aia,  d'un  joli  caractère 
slave,  et  le  récitatif  du  Démon  s'adressant  à  Tamara,  et  vu  d'elle  seule  ;  musicalement 
ce  tableau  est  un  des  plus  réussis  de  la  partition. 

Le  3'  tableau  se  déroule  dans  les  montagnes  du  Caucase,  couvertes  de  neige.  11 
débute  par  un  chœur  d'hommes  originalement  rythmé  suivi  d'une  rêverie  chantée 
par  le  prince  de  Sinodal  songeant  à  sa  fiancée  ;  ce  motif  est  d'une  inspiration  délicate 
et  poétique  et  fut  dit  avec  charme  par  le  ténor  Plamondon.  Le  tableau  s'achève  en 
un  mouvement  violent  dans  l'attaque  du  campement  par  les  Tatares  et  le  prince  de 
Sinodal  expire  avec  le  nom  de  Tamara  sur  les  lèvres. 

Le  deuxième  acte  nous  transporte  au  château  de  Gudal,  père  de  Tamara.  Les 
assistants  s'apprêtent  en  des  chants  de  joie  à  célébrer  l'hymen  de  Sinodal  et  de  la 
princesse.  Tout  le  début  de  cet  acte  est  rempli  par  des  ensembles  vocaux  excellem- 
ment traités.  Des  danses  préludent  aux  fêtes  nuptiales.  Elles  nous  permirent  de  goûter 
à  nouveau  le  caractère  étrange  et  caressant  des  danses  slaves,  où  Mlle  Trouhanowa 
sait  être  si  personnelle  et  si  souplement  mystérieuse. 

Tout  à  coup  des  cris  de  douleur  glacent  la  noble  assistance  :  on  apporte,  drapé 
d'un  voile  funèbre,  le  corps  du  prince  de  Sinodal,  dont  le  vieux  serviteur  raconte  la 
mort.  Tamara,  abimée  de  douleur,  ira  pleurer  dans  un  couvent.  La  voix  du  Démon 
retentit  :  c'est  le  même  aveu,  la  même  promesse  de  toute  puissance  en  échange  d'un 
sourire.  Le  Démon  apparaît,  s'approche  de  Tamara,  fascinée,  et  lui  dit  que  cette  nuit, 
elle  le  reverra  sans  le  craindre  et  qu'auprès  de  lui  elle  rêvera  dans  une  extase  de  bon- 
heur. Il  disparaît,  la  laissant  troublée  comme  au  sortir  d'un  songe  effrayant.  On  croit 
la  raison  de  Tamara  ébranlée  par  la  douleur.  Elle  se  jette  au  pied  de  son  père  qui  la 
relève  et  lui  dit  adieu,  puisqu'elle  part,  selon  son  vœu,  pleurer  et  prier  au  couvent. 

Cette  fin  d'acte  est  d'une  grande  beauté.  Le  récit  du  Démon  est  à  coup  sûr  d'une 
inspiration  admirable;  c'est  une  page  musicale  de  premier  ordre;  cette  beauté  pathé- 
tique et  d'une  pénétrante  douceur,  que  Chaliapine  a  magnifiquement  exprimée, 
s'augmente  du  fait  qu'elle  plane  aux  lèvres  de  l'Esprit  du  mal.  11  y  a  là  un  contraste 
saisissant  et  qui  donne  au  personnage  une  originalité  sans  précédent.  En  une  phrase  de 
ligne  pure  se  détachant  sur  des  harmonies  de  rêve,  le  Démon  attire  les  yeux  de  Tamara 
endormie  vers  les  merveilles  du  ciel  constellé  :  «  N'es-tu  pas  un  ange?  murmure 
Tamara?  »  Et  en  effet  c'est  bien  l'ange  déchu  que  Rubinstein  a  su  évoquer  dans  la  poi- 
gnante mélancolie  de  ce  beau  récitatif. 

Au  dernier  acte  il  faut  encore  citer  l'air  de  Tamara  «  O  nuit  que  tu  es  belle»  mé- 
lodique presque  à  l'italienne  et  que  Mme  Sigrid  Arnoldson  a  chanté  dans  un  style 
impeccable  ;  puis  le  grand  duo  entre  Tamara  et  le  Démon  (}e  suis  celui  qui  vint  vers 
toi)  ;  ce  duo  qui  est  le  moment  culminant  de  l'ouvrage  est  un  des  plus  longs  qui  soient 
au  théâtre;  il  est  dans  son  entier  d'une  inspiration  soutenue  qui  prouve  chez  Rubinstein 
des  dons  de  mélodiste  abondant  ;  ce  dialogue  véhément  donne  son  vrai  sens  au  démon 
de  Lermotov  : 

—  Me  voici  !  dit-il.  Jusqu'ici  tu  ne  m'as  vu  qu'en  rêve.  Je  suis  celui  que  le  monde 
épouvanté  maudit.  Je  brave  le  ciel.   Pourtant  je  tombe  à  tes  genoux.  L'amour  m'a 


—    28l    ■— 

dompté.  Je  n'ai  plus  de  haine.  Prends  pitié  de  mon  martyre  !  C'est  le  ciel  que  je  re- 
trouve en  ton  sourire  :  mon  enfer  deviendra  le  paradis  si  tu  m'aimes. 

Tamara  veut  chasser  le  tentateur.  Mais  le  Démon  lui  dit  sa  misère  éternelle, 
qu'une  soufiFrance  nouvelle  rend  aujourd'hui  plus  misérable  encore.  L'homme  peut 
mourir,  et  sa  douleur  meurt  avec  lui.  Mais  le  supplice  du  Démon  ne  finit  jamais. 

—  Ton  sort  fut  mérité  !  s'écrie  Tamara. 

—  Que  t'ai-je  fait,  moi?  répond  douloureusement  le  Démon. 

Tamara  lutte  encore.  Mais  ses  forces  l'abandonnent.  La  profonde  pitié  qu'elle 
éprouve  en  face  d'une  si  grande  douleur  la  trouble.  Le  Démon  fait  serment  de  renon- 
cer au  mal.  11  veut  aimer  le  ciel.  Les  premières  lueurs  du  jour  se  montrent.  On  entend 
la  cloche  du  matin.  Tamara  tombe  à  genoux,  dans  une  profonde  angoisse.  Elle  vou- 
drait prier  et  ne  le  peut.  Elle  crie  grâce.  Mais  elle  est  vaincue.  Le  Démon  s'empare 
d'elle. 

Tels  sont  les  éléments  principaux  de  la  partition  du  Démon  que  nous  félicitons 
M.  Gunsbourgde  nous  avoir  fait  connaître,  car  elle  le  méritait.  Rubinstein  y  révèle 
un  vrai  tempérament  de  dramaturge,  d'un  talent  néanmoins  composite  :  on  y  démêle 
en  effet  l'influence  prépondérante  de  Schumann,  notamment  dans  l'un  des  motifs 
principaux  du  Démon,  phrase  qui  revient  fréquemment  ;  ça  et  là  encore  Weber,  voire 
Gluck  au  second  acte  ne  paraissent  pas  étrangers  à  Rubinstein. 

Toutefois  cette  partition  est  de  belle  et  noble  tenue  musicale,  et  d'une  indéniable 
abondance  rythmique  et  mélodique.  Ce  n'est  point  l'œuvre  d'un  novateur  original, 
mais  c'est  celle  d'un  traditionnel  dont  l'inspiration  atteint  parfois  les  hauteurs  des 
grands  maîtres.  Il  n'est  point  encore  tant  de  musiciens  dont  on  puisse  en  dire  autant 
de  nos  jours. 

Dans  l'ensemble  de  l'interprétation  se  détache  M.  Chaliapine,  la  célèbre  basse 
chantante  russe  qui  a  chanté  le  rôle  dans  sa  langue  natale.  M.  Chaliapine,  dont  la 
puissante  création  de  Méfistofele  de  Boïto  est  restée  ici  dans  toutes  les  mémoires,  a 
montré  dans  cette  nouvelle  incarnation  du  Mauvais  Esprit  toute  l'admirable  souplesse 
de  son  art  tragique.  Servi  par  un  organe  très  étendu  et  dont  il  sait  à  son  gré  varier  les 
inflexions  il  n'est  plus  cette  fois  le  Roi  du  Mal,  il  est  l'Archange  maudit  cherchant 
en  vain  l'amour.  Le  succès  de  cet  artiste  à  la  fois  si  sobre  et  si  recherché  fut  aussi 
grand  que  légitime. 

Mme  Sigrid  Arnoldson  prête  au  personnage  de  l'infortunée  Tamara  l'agrément 
de  sa  voix  pure  et  d'un  cristal  éclatant.  J'ai  nommé  le  ténor  Plamondon  (Sinodal). 

Citons  encore  MM.  Bouvet  (Gudal)  et  Lequem  (le  Messager)  et  Mmes  Duris  (l'Aia) 
et  Verna  (l'Ange). 

La  mise  en  scène  et  les  décors  ne  laissent  rien  à  désirer.  Les  chœurs  et  l'orchestre 
toujours  excellent  ont  sous  l'énergique  direction  de  M.  Jehin  concouru  pour  une  bonne 
part  à  la  brillante  réalisation  de  cette  belle  œuvre. 

Alfred  MORTIER. 


^  282  — 

LES  GRANDS  CONCERTS 


Le  premier  avril,  sans  doute  pour  nous  attraper,  il  n'y  eut  de  concert  ni  au 
Clnâtelet  ni  au  Nouveau-Théâtre,  et  le  dimanche  suivant,  M.  Chevillardjoua  de  nouveau 
«  relâche»,  tandis  que  M.  Colonne,  opérant  lui-même,  tout  comme  Pierre  Petit,  nous 
redonnait  la  magnifique  Symphonie  domestique  de  Richard  Strauss,  avec  beaucoup  de  puis- 
sance, de  lyrisme  et  de  succès.  Il  étaitpérilleux  de  prendre,  sitôt  après  l'auteur,  la  direction 
de  cet  ouvrage  effroyablement  complexe.  M.  Colonne  s'en  est  tiré  à  son  plusgrand  hon- 
neur. 

D'importants  fragments  de  VArmide  de  Gluck  complétaient  le  programme,  avec 
Mme  Litvinne  dans  le  rôle  de  l'enchanteresse.  J'épuiserais  toutes  les  épithètes  lauda- 
tives  pour  célébrer  cette  admirable  cantatrice,  que  je  ne  dirais  point  encore  assez  com- 
bien elle  est  grande  musicienne  et  grande  artiste.  Le  public  l'a  couverte  d'acclamations, 
et  je  renonce  à  la  remercier,  pour  ma  part,  de  l'émotion  profonde  qu'elle  me  causa 
dans  ses  adieux  à  Renaud  et  dans  son  monologue  final.  Ce  n'est  plus  une  actrice,  ce 
n'est  plus  une  interprète  ;  c'est  l'âme  douloureuse  de  l'héroïne  même  !  Et  au  moment 
où  je  sors  d'un  long  contact  avec  la  pensée  de  Gluck,  ayant  eu  à  préparer  un  volume 
sur  lui,  je  devine  avec  plus  de  certitude  quelle  joie  parfaite  aurait  éprouvé,  à  se  voir 
traduit  de  la  sorte,  le  merveilleux  dramaturge,  que  d'aucuns  blasphèment  aujourd'hui 
et  dont  tant  de  beautés  demeurent  pourtant  intactes.  Je  suis  sûr  que  si  l'on  demandait 
à  Mme  Litvinne  d'avouer  ses  secrètes  préférences  entre  la  mort  d'Armide  et  la  mort  de 
Brunnhild,  elle  ne  se  résoudrait  pas  à  faire  un  choix  entre  ces  deux  pages  géniales.  Et 
j'envie  presque  la  double  ivresse  que  peut  éprouver  une  telle  artiste  à  incarner  avec 
une  égale  splendeur  les  héroïnes  classiques  du  maître  racinien  et  les  héroïnes  barbares 
du  maître  shakespearien . 

Près  de  Mme  Litvinne,  Mme  Cocyte  fut  une  Haine  énergique  et  sombrement  vio- 
lente ;  M.  Plamondon  chantait  le  rôle  de  Renaud  et  Mme  Mathieu  d'Ancy  celui  de  la 
Naïade.  L'orchestre  fut  tout  à  fait  remarquable  sous  la  direction  de  M.  Colonne,  et  cela 
fait  du  bien  d'entendre  interpréter  avec  respect  ce  chef-d'œuvre,  après  les  massacres 
de  l'Opéra,  où  la  troupe,  des  «symphonistes»  indisciplinés  joue  Gluck,  comme  elle 
joue  Verdi  ou  Wagner,  au  petit  bonheur  la  chance,  sans  couleur,  sans  ligne  et  sans 
accents.  Jean  d'UDINE. 

Concerts  du  Conservatoire 

L'orchestre  de  la  Société  ne  manque  jamais,  au  début  de  ses  séances,  de 
s'accorder  une  récréation  symphonique  en  jouant  une  de  ces  œuvres  traditionnelles  où 
nul  ne  peut  rivaliser  avec  lui  et  où  il  force  l'admiration  la  plus  rétive  en  réveillant 
l'indifférence  des  vétérans  du  dilettantisme.  La  Symphonie  en  tit  majeur  de  Schumann 
ne  manqua  point  son  but.  Quant  aux  trois  œuvres  de  Beethoven  qui  la  suivaient  elles 
étaient  sans  doute,  pour  une  notable  partie  de  l'assistance,  à  peu  près  inconnues.  Le 
Chant  élégiaque  me  déçut  un  peu .  La  transmutation  du  quatuor  vocal  solo  en  chœur 
et  la  multiplication  des  cordes  détruisent  le  charme  intime  et  pur  de  cette  effusion 
douloureuse  et  en  alourdissent  l'expression  délicate.  11  faut  l'entendre,  n'est-ce  pas, 
dans  le  mystère  d'une  chambre  à  demi-obscure,  seul  ou  presque  seul,  comme  on 
écoute  du  Fauré. 

Le  chœur  des  Derviches  des  Ruines  d'Athènes  qui  est  du  Beethoven  surprenant 
pour  l'auditeur  non  averti,  a  provoqué  des  &w  chaleureux  auxquels  M.  Marty  dut  se 
rendre.  Le  symbolisme  en  est  amusant,  qui  figura  heureusement  la  frénésie  giratoire 


—  283  — 

des  derviches  tourneurs,  leur  mouvement  sur  place,  inutile  et  perpétuel,  en  des  triolets 
vertigineux  où  les  violons  s'affolent  tandis  que  les  chœurs  s'obstinent  sur  les  trois 
notes  d'une  quarte  augmentée  et  résolue  (mi,  la  diè:(e,  si,  peut-être)  à  la  fois  germa- 
nique et  musulmane  —  déjà.  J'exhorte  les  amateurs  de  comparaisons  à  méditer  sur  la 
V^uit persane  de  M.  Saint-Saëns  qui,  dans  son  chapitre  des  Derviches,  a  substitué  aux 
triolets  quatre  doubles  croches,  ajoutant  ainsi  quelque  chose  au  passé,  suivant  la  loi 
naturelle  du  progrès.  Je  n'insiste  pas  d'autre  part  sur  le  ballet  de  Prométhée  qui  n'avait 
plus  rien  à  nous  révéler  et  cite  seulement  les  noms  vénérés  de  ceux  de  nos  premiers 
sujets  qui  s'y  firent  remarquer,  MM.  Gros  Saint-Ange,  Hennebains,  Mimart,  Letellier 
et  Martenot. 

La  Rapsodie  Cambodgienne  de  M.  Bourgault-Ducoudray  nous  entraînait  jusqu'en 
Extrême-Orient.  Il  y  a  une  quinzaine  d'années  environ  que  je  l'entendais  pour  la  pre- 
mière fois  chez  feu  Lamoureux,  au  temps  de  mon  adolescence  timide  et  ignorante  et  je 
n'en  fus  point  épouvanté.  J'ai,  je  le  confesse,  la  plus  respectueuse  estime  pour  M. 
Bourgault-Ducoudray,  artiste  inspiré,  sincère  et  érudit  qu'on  peut  citer  aux  jeunes  gens 
comme  un  exemple.  Aussi  me  suis-je  réjoui  des  quelques  chuts  qui  ont  accueilli  son 
poème  symphonique  parce  qu'il  était  là  et  que  ce  dut  être  pour  lui  une  sensation  déli- 
cieuse que  de  se  voir  traiter  comme  un  Schmitt  ou  un  Ravel,  comme  un  de  ces  sédui- 
sants anarchistes  de  la  musique,  effroi  de  toutes  les  réactions  qui  les  accuseraient  sans 
vergogne  de  vouloir  introduire  dans  les  orchestres  des  timbales  à  renversement. Hélas! 
c'est  toujours  parmi  l'auditoire  cette  peur  du  rythme,  c'est-à-dire  cette  peur  de  vivre, 
cet  amour  de  l'artificiel  et  du  faux  sous  prétexte  de  distinction,  ce  mépris  de  toute  joie 
exubérante  et  spontanée  sous  prétexte  de  décence,  cette  inintelligence  de  la  nature, 
par  horreur  du  réalisme,  en  un  mot  cette  illusion  enfantine  qui  retient  les  âmes  cap- 
tives loin  de  la  saine  escapade  et  de  la  bonne  aventure,  dans  la  frivolité  de  tant  de 
Trianons  sonores.  «  Musique  de  foire  »  que  GwendoUne,  les  danses  du  Prince  Igor, 
le  scherzo  de  V Absent,  la  seconde  partie  de  la  Rapsodie  Cambodgienne,  sans  compter 
peut-être  la  Septième  Symphoniel  Peu  importe  d'ailleurs.  Ces  manifestations  tardives  ne 
tuent  guère  que  leurs  auteurs  par  le  ridicule.  Et  puis  qui  sait?  C'est  peut-être  une  façon 
d'apporter  quelque  nouveauté  dans  l'exécution  des  œuvres  consacrées  et  je  reconnais 
que  le  14  juillet  serait  un  peu  moins  monotone  si  l'on  s'avisait  ce  jour-là  quelque  part 
de  protester  contre  la  destruction  de  la  Bastille. 

La  suite  d'orchestre  de  M.  Fauré  pour  Pelléas  et  Mélisande  était  comme  la  Rapso- 
die Cambodgienne  et  la  cantate  Herr  wie  du  willt  une  première  audition.  Fort  spirituel- 
lement mon  confrère  M.  Dandelot  insinua  que  pour  ce  premier  avril  M.  Marty  allait 
nous  jouer  quelques  fragments  du  chef-d'œuvre  de  M.  Debussy  mais  il  n'en  fut  rien 
et  dès  les  premières  mesures  la  musique  miraculeuse  de  l'archange  Gabriel  nous  en- 
veloppa. Musique  miraculeuse,  dis-je,  parce  qu'elle  se  reconnaît  entre  toutes  les  autres 
avec  la  souplesse  sinueuse  de  sa  ligne  mélodique  que  nul  trait  ne  saurait  reproduire  et 
l'impérissable  parfum  de  ses  harmonies,  parce  qu'elle  se  transforme  sans  cesse  et  qu'elle 
s'épure  et  qu'on  ne  peut  fixer  une  formule  qui  la  définisse  ou  un  procédé  qui  la  con- 
trefasse. Et  en  ceci  peut-être  elle  est  unique,  à  la  fois  originale  et  inimitable. 
Pourquoi  est-il  assez  aisé  de  plagier  Mozart,  Wagner,  César  Franck  ou  M.  Debussy  et 
pourquoi  M.  Fauré  a-t-il  gardé  pour  lui  son  «Secret»?  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  à  la 
Pileuse  —  qui  fut  bissée  —  que  vont  mes  préférences  ;  et  je  l'immolerais  au  Prélude 
et  au  Molto  adagio  où  revit  la  mélancolie  pleine  de  grâce  douce  et  lumineuse  des  lieder 
et  de  la  Bonne  chanson.  Et  certes  après  le  ballet  de  Prométhée  où  Beethoven  s'est  sou- 
venu de  Mozart,  la  Suite  pour  Pelléas  et  Mélisande  venait  là  comme  une  fille  moderne 
de  l'art  classique  dans  ce  qu'il  a  de  plus  suave,  de  plus  émouvant  et  d'éternel. 

Je  dois,  pour  conclure,  un  hommage  à  Mme  Hénault,  fidèle  collaboratrice  de 


—  284  — 

M.  Expert,  à  MM.  Francell  et  Narçon  qui  chantèrent  la  musique  de  Bach  avec  une  re- 
marquable sûreté  de  voix  et  de  style  et  qui  furent  justement  applaudis. 

PaulLOGARD. 

La  Quinzaine  musicale 


Festival  Mozart,  2^,  25  et  2g  tnars,  —  Au  souvenir  des  charmantes  auditions 
de  don  Giovanni  organisées  en  décembre  1903  par  M.  Reynaldo  Hahn,  l'annonce  d'un 
Festival  Mozart,  sous  la  direction  du  même  chef,  avait  provoqué  une  curiosité  qui  ne 
s'est  point  démentie,  mais  dont  toutes  les  espérances  ne  se  sont  pas  réalisées. 

M.  Reynaldo  Hahn  aime  Mozart  :  c'est  déjà  un  grand  mérite  à  notre  époque  ;  sur- 
tout, M.  Reynaldo  Hahn  comprend  Mozart,  et  c'est  un  mérite  beaucoup  plus  précieux. 
Un  sentiment  juste  et  délicat  a  donc  inspiré  l'exécution  des  trois  programmes  qu'il 
avait  composés  et  dont  il  avait  confié  les  rôles  aux  artistes  les  plus  illustres  ou  les  plus 
qualifiés.  La  symphonie  en  mi  bémol,  par  exemple,  jouée  par  un  orchestre  restreint, 
conduite  avec  une  sensibilité  souple  sans  mièvrerie,  a  retrouvé  sa  physionomie 
véritable,  que  la  majesté  de  nos  grands  concerts  empâte  quelque  peu,  lorsqu'elle  y 
paraît. 

Il  serait  oiseux  d'étudier  en  détail  chacun  des  numéros  plus  ou  moins  sensationnels 
qui  défilèrent  au  cours  de  ces  trois  soirées.  Malgré  tant  de  minutes  agréables,  dont 
quelques-unes  furent  exquises,  oserai-je  avouer  que  l'ensemble  de  ces  fêtes  m'a  laissé 
une  légère  déception.  Mozart  y  était  débité  en  trop  petites  tranches,  par  morceaux  trop 
menus  :  airs  détachés,  fragments  d'oeuvres,  moitiés,  tiers  ou  quarts  de  sérénades  ou  de 
concertos....  Sans  doute  la  sélection  de  ces  morceaux  était  adroite,  et  leur  exécution  le 
plus  souvent  satisfaisante,  mais  je  n'ai  pu  me  défendre  d'une  aversion  congénitale  pour 
les  7norceaux  choisis.  Vraiment,  n'y-a-t-il  chez  Mozart  que  des  miettes  à  ramasser,  que 
des  débris  à  réunir  ?  Ce  morcellement,  cet  éparpillement  nuisait  à  l'attention  et  la  dé- 
concertait. Il  trahissait  Mozart,  chez  qui  l'harmonie  de  l'ordonnance  et  de  la  composi- 
tion n'est  pas  moindre  que  celle  des  sonorités. 

Cet  inconvénient  — qui  m'a  été  peut-être  plus  sensible  que  de  raison  — n'allait  pas 
d'ailleurs  sans  un  certain  avantage.  On  a  pu  juger  que  le  nombre  des  «  échantillons  » 
présentés  par  les  soins  éclairés  de  M.  Reynaldo  Hahn,  offrait  une  variété  extraordinaire, 
une  diversité  étonnante,  très  propres  à  montrer  chez  Mozart  un  génie  plus  multiple  que 
ne  le  veut  l'admiration  conventionnelle  et  ignorante  qu'on  lui  porte.  Puisse  cette  expé- 
rience, couronnée  par  un  brillant  succès,  rappeler  à  tous,  virtuoses,  chanteurs,  chefs 
d'orchestre,  directeurs  de  théâtre  qu'il  y  a  là  une  mine  infiniment  riche,  et  d'une  ma- 
tière infiniment  précieuse,  dont  l'abandon  est  une  sottise  criminelle.  Je  souhaite  surtout 
que  cette  démonstration  pique  le  zèle  de  M.  Albert  Carré  qui,  dans  son  répertoire,  rem- 
placerait avec  avantage  le  Domino  Noir  par  Don  Juan,  Mignon  par  les  Noces.  Mireille 
par  la  Flûte  Enchantée,  les  Dragons  de  Villars  par  la  Flûte  Enchantée,  et  Fra  Diavolo 
par  Cosifan  tutti,  —  Cosifan  tutti,  cette  merveille  de  grâce,  d'esprit,  d'ironie,  de  sen- 
sualité, que  l'on  ignore  absolument  en  France. 

Les  émlnents  artistes  recrutés  par  M.  Reynaldo  Hahn  pour  cette  solennité, 
Mme  Lilli  Lehmann,  MM.  Ed.  de  Reszké,  Ancona,  Diémer,  Risler,  Hayot  et  tutti 
quanti  ont  récolté  de  chaleureux  applaudissements  devant  un  public  nombreux  et  d'une 
suprême  élégance.  Grâce  au  triple  Mécénat  féminin  que  M.  Reynaldo  Hahn  avait  su 
gagner  à  la  cause  de  Mozart,  jamais  on  ne  vit  rue  Blanche  tant  d'automobiles,  ni  dans 
la  salle  du  Nouveau-Théâtre  tant  de  belles  robes  portées  par  les  vedettes  du  Tout- 
Paris  depuis  les  grandes  dames  les  plus  authentiques  jusqu'aux  horizontales  les  plus 
huppées.  Il  faut  reconnaître  qu'on  ne  vit  non  plus  jamais  un  public  moins  attentif  et 
aussi  frivole.  Combien  de  personnes  songeaient  à  Mozart,  dans  le  feu  croisé  des  con- 
versations, des  coups  de  lorgnette  et  des  saluts  échangés  ?  Dans  l'avant-scène  d'une  des 
trois  «  dames  patronnesses  »,  le  bruit  des  caquets  fut  à  certain  moment  si  fort  que 


—  285  — 

M.  ReynaldoHahn  lui-même  en  manifesta  de  l'impatience.  Certaines  gens  du  monde  ont 
l'air  de  vouloir  se  venger  de  leur  incapacité  à  goûter  des  plaisirs  quelque  peu  élevés,  en 
essayant  de  les  gâter  aux  autres  :  le  pire  est  qu'ils  y  parviennent. 

Jean  Chantavoine. 

Société  Philharmonique-  —  Concert  fort  intéressant  où  la  combinaison  du 
quatuor  Schoerg  et  du  quatuor  Hayol  nous  permit  d'entendre  deux  œuvres  de  valeur 
inégale,  mais  toutes  deux  supérieurement  exécutées,  ïochior  de  Svendsen  et  le  sextuor 
en  si  bémol  de  Brahms.  —  Le  sextuor  est  une  des  plus  belles  œuvres  de  Brahms  —  et 
il  est  regrettable  qu'on  ne  le  joue  pas  plus  souvent  —  à  seule  fin  de  convertir  ceux  qu'un 
parti-pris  inconscient  empêche  de  goûter,  de  saisir  peut-être,  les  œuvres  d'un  musicien 
de  la  plus  haute  valeur.  Le  scherzo  plein  de  vigueur  et  de  rythme  suffirait  seul  à 
démontrer  qu'on  est  souvent  mal  venu  à  reprocher  à  Brahms  une  froideur  mortelle, 
et  l'ensemble  sonore  et  profond  de  l'œuvre  montre  qu'il  y  a  là  de  la  pensée,  de  la  vie  et 
de  la  beauté. 

Sonore  aussi  Voctuor  de  Svendsen,  mais  c'est  son  seul  mérite.  Il  débute  avec  un 
thème  principal,  large,  quelque  peu  emphatique,  trop  fortement  apparenté  au  motif 
de  Paris  de  la  «  Louise»  de  Charpentier,  et  conclut  de  même.  Mais  la  bonne  sonorité 
de  cet  octuor  ne  suffit  pas  à  compenser  la  banalité  de  la  ligne  mélodique  et  le  peu  de 
nouveauté  des  harmonies. 

Le  quatuor  Schoerg  exécuta  très  parfaitement  le  Sixième  quatuor  (si  bémol)  de 
Beethoven  que  sa  célébrité  nous  dispense  d'enguirlander  d'un  inutile  commentaire. 

Georges  Mouillet. 

Concert  Le  Rey.  —  M.  Le  Rey  nous  a  présenté,  le  25  mars,  un  certain  nombre 
d'œuvres  nouvelles  et  inégales.  Je  passe  sur  la  Martyre  de  M.  Razigade,  d'une  musica- 
lité par  trop  élémentaire  et  rappelant  le  Néron  que  donna  il  y  a  quelques  années  l'an- 
cien Hippodrome...  ha  Suite  Pastorale  de  Constantin  Cille  n'est  pas  dénuée  d'une  cer- 
taine habileté  ;  mais  il  convient  de  signaler  la  Légende  de  Jésus-Christ  de  M.  Anselme 
Vinée,  construit  sur  une  très  jolie  mélodie  populaire  ;  Gloria  Victis  du  même  auteur, 
marche  funèbre  sur  laquelle  planent  des  souvenirs  wagnériens  mais  qui  renferme  une 
note  personnelle  et  se  présente  fort  bien,  —  et  aussi  deux  pièces  de  M.  Yvan  de  Hartu- 
lary.  Rêve  et  Solitude  écrites  dans  une  couleur  séduisante  et  témoignant  de  très  réelles 
et  très  distinguées  qualités  mélodiques  ;  dans  le  dernier  morceau  le  hautbois  et  le  violon 
dessinent  tour  à  tour  des  phrases  d'une  sereine  et  charmante  poésie. 

A  ce  même  concert  Mlle  Juliette  Dantin  interpréta  avec  un  art  extrêmement  souple 
et  pur  la  Romance  en  fa  pour  violon  de  Beethoven,  un  Poème  Hongrois  de  Hubay  et 
une  Barcarolle  de  Monti  dont  l'italianisme  on  ne  peut  plus  voluptueux  gagna  le  public 
et  fut  bissé.  Au  piano  le  Concerto  en  ré  majeur  de  Mozart  fut  exécuté  par  Mme  Eugénie 
Dietz  avec  la  délicatesse  délicieusement  vaporeuse  qui  sied  si  joliment  à  son  exquise 
blondeur. 

Par  une  louable  et  délicate  attention  M.  Le  Rey  donnait  le  concert  suivant  au 
bénéfice  des  mineurs  de  Courrières.  L'intérêt  artistique  de  cette  séance  se  portait  sur 
les  Chants  de  guerre  de  M.  Alexandre  Georges,  l'auteur  si  distingué  des  Chansons  de 
Miarka.  Bien  que  les  Chants  de  guerre  ne  semblent  pas  égaler  en  mérite  leurs  aînés, 
ils  contiennent  néanmoins  des  pages  d'une  très  belle  venue.  Les  chœurs  à  l'accent 
vigoureux  et  dramatique,  la  tendresse  douce,  plaintive,  inquiète  de  la  fiancée  et  de  la 
mère,  les  chants  virils  et  émouvants  du  fiancé  et  du  récitant,  concourent  à  un  ensemble 
très  saisissant  qui  produisit  sur  le  public  un  effet  profond  et  qui  souleva  ses  applau- 
dissements unanimes.  L'auteur  qui  dirigeait  lui-même  son  œuvre  trouva  d'excellents 
interprètes  avec  Mmes  Bureau-Berthelot  et  Marty,  MM.  Carbelly  et  Francell.M.  Rous- 
selière  chanta  l'air  du  Cid  et  deux  mélodies  de  M.  Léon  Moreau,  la  Grotte  et  Câlinerie, 
très  applaudi  et  bissé  pour  sa  voix  puissante  et  chaude.  Beaucoup  moins  aimable  que 
les  mélodies,  le  Concerto  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Léon  Moreau  parut  long,  très 
long,  et  d'une  éloquence  que  ne  justifiaient  pas  les  idées  qu'il  voulait  exprimer. 

Edouard  Schneider, 


—  286  — 

Société  Nationald,  —  Concert  assez  ordinaire,  mais  où  cependant  nous  pûmes 
applaudir  une  belle  page  de  M.  Léon  Saint-Régnier,  A  celui  qui  n'est  plus,  d'une  tris- 
tesse poignante,  d'un  intéressant  lyrisme.  Mlle  Braquaval  la  chanta  avec  une  grande 
justesse  de  sentiment  ;  Petite-Isle,  de  M.  de  Bréville,  ne  trouva  pas  en  Mlle  Béchard 
une  interprète  sachant  faire  valoir  cette  musique  délicate  et  mélancolique.  M.  Grovlez 
exécuta  remarquablement  une  curieuse  Sonatine,  de  M.Ravel.  A  noter  encore  un  Prélude 
et  Fugue  en  un  thème  de  Bach,  idée  tout  au  moins  originale,  qui  revient  à  M.  Henri 
Thiébaut,  Inutile  de  dire  que  deux  mélodies  de  Chausson,  et  surtout  le  merveilleux 
Quatuor  à  cordes  de  Franck  —  interprété  par  le  quatuor  Geloso  —  furent  les  œuvres 
les  plus  chaleureusement  accueillies.  I. 

Les  récitals  d'Emile  Sauer.  —  Des  fleurs  nombreuses  que  d'enthousiastes 
mains  féminines  firent  voler  vers  lui  M.  Sauer  a  pu  tresser  une  couronne  aux  propor- 
tions royales.  Ce  furent  en  effet  des  triomphes  successifs  que  les  trois  inoubliables 
soirées  pendant  lesquelles  le  ((  Grand  Maître  du  Piano  ))  du  Conservatoire  de  Vienne 
nous  fit  ressentir  ce  que  peut  la  puissance  de  l'exécution  et  nous  fit  comprendre  com- 
ment l'intelligence  parfaite  de  l'interprétation  peut  devenir  à  certains  moments  quel- 
que chose  de  semblable  à  la  création  elle-même.  Si  vraiment  la  force  intime  et  secrète 
que  les  Latins  appelaient  ingenium  n'est  autre  chose  que  l'inspiration  pure  et  profonde 
de  l'esprit  et  de  la  pensée,  comment  refuser,  au  sens  rigoureux  du  terme,  la  qualifica- 
tion de  géniale  à  la  flamme  intérieure  dont  M.  Sauer  anime  l'interprétation  qu'il  nous 
donne  des  grands  maîtres  ?  Cette  interprétation  n'est  plus,  quelque  parfait  qu'il 
puisse  être,  un  simple  moyen  d'exécution  mis  au  service  de  l'œuvre  créée  par  les 
autres  ;  elle  n'est  plus  un  élément  extérieur  qui  s'efforce  de  s'adapter  à  une  sensibi- 
lité qui  n'est  pas  la  sienne,  à  un  esprit  qui  n'est  pas  le  sien,  à  une  âme  qui  malgré  l'in- 
telligence qu'elle  en  peut  avoir  lui  demeure  étrangère  en  ce  qu'elle  a  de  purement  per- 
sonnel ;  il  semble  au  contraire  que  tout  dualisme  disparaisse,  que  toute  hétérogénéité 
s'efface  et  qu'il  y  ait  une  si  vivante  pénétration  du  créateur  et  de  l'interprète  que.  spon- 
tanément, l'esprit  du  créateur  lui-même  agisse  directement  sur  la  sensibilité  de  celui 
qui  écoute.  L'inspiration  supérieure  de  M.  Sauer  fait  que  son  incomparable  virtuosité 
s'efface  d'elle-même;  les  difficultés  les  plus  ardues  s'évanouissent  devant  sa  prodigieuse 
facilité,  et,  le  souci  du  mécanisme  n'ayant  plus  de  raison  d'être,  la  volonté  de  l'inspiration 
s'affirme  souverainement. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  œuvres  que  M.  Sauer  nous  fit  entendre.  Je  signa- 
lerai seulement  quelques-unes  d'entre  elles  ;  le  Concerto  italien  de  Bach  et  un  Prélude 
e^  Fw^we  de  Bach-d'Albert, 'les  Sona/es  57  et  /op  de  Beethoven  qui  firent  valoir  un 
style  magistral,  une  logique  prestigieuse  et  une  admirable  solidité  de  pensée  ;  la 
Toccata  op.  7  et  le  Carnaval  op.  g  de  Schumann  dont  il  est  impossible  de  dire  l'inter- 
prétation ;  les  scènes  du  Carnaval  ont  vécu  sous  nos  yeux,  délicieuses  d'esprit  et  d'iro- 
nie, étourdissantes  des  farces  de  Pierrot  et  d'Arlequin,  des  courses  ailées  des  papillons 
et  des  lettres  dansantes,  assombries  soudain  par  l'apparition  mélancolique  de  Chopin, 
attendries  du  frémissant  aveu  d'amour  et  de  la  promenade  sentimentale,  traversées  en- 
fin par  la  joie  puissante  et  débordante  des  Davidsbûndler  ;  jamais  jusqu'à  ce  jour  il 
ne  nous  avait  été  donné  d'entendre  pareil  chef-d'œuvre  d'interprétation.  Citons  encore 
les  admirables  exécutions  de  Chopin,  la  Fantaisie,  la  Sonate  ^5,  les  études  parmi  les- 
quelles V étude  op.  25  n"  11  éblouissante  et  colossale  sous  les  mains  féeriques  du  maî- 
tre ;  le  scherTj)  op.  4  de  Brahms  et  aussi  quelques  pièces  de  M.  Sauer  qui  témoignent 
d'une  virtuosité  extrêmement  intéressante  et  d'un  esprit  très  enjoué  comme  les  Délices 
de  Vienne, 

Dans  ces  œuvres  différentes  M.  Sauer  révéla  tour  à  tour,  et  portées  à  leur  plus  haut 
degré,  les  qualités  en  apparence  les  plus  opposées,  —  la  poésie  la  plus  délicate  et  la  plus 
fine  a  côté  d'une  puissance  et  d'une  fougue  extraordinaires,  la  légèreté  et  la  grâce  la 
plus  spirituelle  ainsi  que  la  sévérité  et  la  profondeur  de  la  pensée.  Malgré  la  vertigi- 
neuse rapidité  à  laquelle  il  atteint  par  moments  le  mécanisme  demeure  toujours  d'une 
netteté  absolue,  d'une  clarté  parfaite  ;  pas  une  note  n'échappe  à  l'oreille.  La  sonorité  est, 


—  287  — 

d'une  substance  remarquablement  souple  et  riche,  d'une  couleur  toujours  variée,  d'une 
séduction  toujours  enveloppante  et  d'une  distinction  on  ne  peut  plus  scrupuleuse. 

L'admiration  sincère,  l'émotion  profonde,  l'enthousiasme  sans  bornes  que  M.  Sauer 
fit  naître  dans  l'âme  de  ceux  qui  l'écoutèrent  se  traduisirent  par  des  acclamations,  par 
des  ovations  qui  ne  se  lassaient  pas,  et  tandis  que  nous  quittions  la  salle  Erard,  encore 
tout  vibrant  d'impressions  incomparables,  nous  nous  demandions,  en  songeant  à  la 
facilité  avec  laquelle  on  accorde  les  noms  de  virtuose  et  de  grand  artiste  à  d'innom- 
brables pianistes,  quel  pourrait  être  le  nom  réservé  à  Emile  Sauer,  à  celui  que  nous 
considérons  comme  le  plus  grand  maître  du  piano  à  l'heure  présente. 

Edouard  Schneider. 

Les  Concerts  Ysaye.  —  Que  pourrais-Je  ajouter  à  tout  ce  qui  a  été  dit  sur 
Eugène  Ysaye  !  Quelle  émotion  nouvelle  pourrais-je  essayer  de  traduire  après  tous  ceux 
qui  ont  écrit  de  si  enthousiastes  pages  sur  l'éminent  violoniste  !  Je  me  bornerai  à  répé- 
ter une  fois  de  plus  combien  grand  et  profond  est  son  jeu,  combien  pure  et  noble  est 
son  âme,  combien  ample  et  suave  est  son  expression.  Dans  le  Concerto  de  Mendelssohn, 
dans  l'admirable  Poème  d'Ernest  Chausson,  dans  le  Concerto  en  si  mineur  de  Saint- 
Saëns,  au  final  péniblement  vulgaire,  dans  le  Concerto  de  Beethoven,  dans  le  Concerto 
de  Bach  où  les  deux  flûtes  de  MM.  Hennebains  et  Gaubert  firent  merveille,  dans  tout  ce 
que  nous  avons  entendu  lors  de  ses  deux  brillants  concerts  qu'il  vient  de  donner  au 
Nouveau-Théâtre,  accompagné  par  l'excellent  orchestre  du  Conservatoire  dont  M.  Marty 
fait  valoir  les  innombrables  qualités,  le  grand  Ysaye  a  «  emballé  ))  son  auditoire  au 
point  de  devoir  ajouter  un  morceau  à  chacun  de  ses  programmes,  tellement  étaient 
frénétiques  les  applaudissements.  C'était  du  délire. 

R.  D. 

Concerts  Busoni.  —  Après  une  interprétation  trop  fantaisiste  du  Prélude, 
Choral  et  Fugue  de  Franck,  M.  Busoni  a  joué,  à  son  second  concert,  la  sonate  en  si 
bémol,  op.  106,  de  Beethoven,  avec  quelques  trouvailles  fort  intéressantes.  Des  trans- 
criptions de  Liszt  d'après  Beethoven  {Adélaïde,  le  Busslied,  les  Ruines  d'Athènes)  et 
les  abracadabrantes  Variations  de  Brahms  sur  un  thème  de  Paganini,  lui  ont  permis 
de  déployer  une  fois  de  plus  les  ressources  inouïes  de  sa  prodigieuse  technique.  Je  sou- 
haite que  M.  Busoni,  maintenant  familiarisé  avec  le  public  parisien,  revienne  souvent 
nous  éblouir  et  nous  charmer. 

j.  c. 

CONCERTS   DIVERS 


Mme  Clotilde  Kleeberg.  —  Un  certain  nombre  de  virtuoses  semblent  considérer 
la  musique  qu'ils  exécutent  comme  un  simple  moyen  de  mettre  en  lumière  leurs  qua- 
lités naturelles  ou  acquises  et  le  snobisme  triomphant  les  couvre  de  fleurs  !  C'est 
donc  une  satisfaction  toute  particulière  que  de  constater  qu'il  existe  encore  des  artistes 
dont  le  principal  souci  est  d'approfondir  la  pensée  des  maîtres  qu'ils  interprètent  afin 
de  donner  de  leurs  œuvres  une  traduction  fidèle  et  parfaite.  C'est  parmi  ceux-là  qu'il 
faut  classer  Mme  Clotilde  Kleeberg. 

Possédant  une  technique  excellente  et  un  sens  musical  des  plus  fous,  elle  vit  avec 
l'œuvre  qu'elle  doit  exécuter,  s'imprègne  de  son  caractère,  et  tout  en  l'interprétant 
avec  style,  y  met  une  note  toute  personnelle,  qu'elle  nous  fasse  entendre  la  Sonate 
n°  I  de  Mozart  ou  Prélude,  Choral  et  Fugue  de  C.  Franck  le  sentiment  est  toujours 
juste,  la  nuance  est  toujours  vraie  ;  elle  rend  à  merveille  la  grâce  délicate  de  l'une, 
sans  mièvrerie,  la  profondeur  de  l'autre  sans  emphase.  On  peut  en  dire  autant  du  reste 
du  programme  qui  comprenait  :  Toccata  en  ut  mineur  de  Bach,  Fantaisie  en  fa  diè:(e  de 
Mendelssohn  et  les  Moments  musicaux  de  Schubert. 


—  288  — 

A  son  deuxième  récital,  après  une  magistrale  exécution  de  la  Sonate  en  ré  majeur 
de  Beethoven,  Mme  Kleeberg  s'est  montrée  éblouissante  de  fantaisie  dans  les  Davids- 
hûndler  de  Schumann,  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible  de  mieux  traduire  la  pensée 
du  maître.  Un  très  heureux  choix  de  pièces  de  Chopin  nous  a  permis  d'apprécier  tour 
à  tour  le  sentiment  délicat,  l'émotion  communicative,  la  poésie  intense  de  l'excellente 
interprète,  alliés  comme  il  convient,  à  une  virtuosité  irréprochable.  Bien  peu  de  pia- 
nistes possèdent  à  ce  point  la  rare  faculté  d'obtenir  de  l'instrument  des  sonorités  à  la 
fois  vibrantes  et  enveloppées,  puissantes  et  brillantes  sans  donner  jamais  l'impression 
de  la  force  brutale.  C'est  donc  un  plaisir  que  de  s'associer  aux  chaleureux  applaudis- 
sements qui  accueillirent  une  si  émouvante  artiste  dont  les  succès,  d'ailleurs,  ne  se 
comptent  plus. 

A.  Bertelin. 

Fondation  J.-S.  Bach. — La  dernière  séance  de  la  saison  fut  particulièrement 
brillante.  Au  programme  étaient  inscrits  le  Concerto  grosso  en  ut  mineur  d'Arcangelo 
Borelli  que  jouèrent  excellemment,  accompagnés  par  le  quatuor,  les  violons  de  MM. 
Charles  Bouvet  et  Gravrand  et  le  violoncelle  de  M.  Cros-Saint-Ange.  La  Sonate  en  ré 
mineur  de  Benedetto  Marcello  fut  pour  la  flûte  de  M.  Blanquart  l'occasion  d'un  nou- 
veau triomphe.  La  Sixième  suite  de  J.  S.  Bachpour  violoncelle  seul  fit  apprécier  la  pu- 
reté de  style  et  de  sonorité  de  M.  Cros-Saint-Ange.  Mlle  Marie  Lasne  chanta  avec  son 
goût  si  sûr  unecantatede  Rameau,  Orphée,  que  les  mêmes  formules  trop  répétées  firent 
trouver  quelque  peu  longue.  La  cantatrice  obtint  un  grand  succès  avec  Sosarme  d'Haen- 
del  et  la  Violette  de  Scarlatti.  Le  Concerto  hrandhourgeois  en  ré  majeur  de  J.-S.  Bach  ter- 
minait dignement  la  séance.  Cette  magnifique  et  somptueuse  musique  valut  une  ova- 
tion à  MM.  Ch.  Bouvet  et  Blanquart  ainsi  qu'à  M.  J.  Jemain  qui  tint  admirablement  le 
piano  et  fut  tout  spécialement  applaudi. 

V.  D. 

Le  30  mars,  Mme  Wanda  Landowska  donnait  à  la  salle  Pleyel  un  concert  de 
Musiques  pastorales  àes  xvii®  et  xviii^  siècles.  Son  programme  divisé  en  trois  parties  : 
Bergeries,  Foret,  Kermesse^  et  exécuté  tour  à  tour  au  piano,  au  piano  forte  et  au  clavecin, 
suivant  le  caractère  des  pièces  qui  le  composaient,  remporta  le  succès  le  plus  vif  et  le 
plus  spontané.  Sans  doute  il  convient  de  complimenter  la  charmante  pianiste  pour  le 
choix  des  morceaux  qu'elle  nous  fit  entendre  ce  soir-là.  Je  ne  parle  pas  seulement  des 
pages  d'auteurs  célèbres  comme  Rameau  et  Couperin,  mais  encore  de  morceaux  tout  à 
fait  oubliés  et  extrêmement  curieux,  tels  que  les  Bransles  de  Francisque,  qui  vont  être 
réédités  bientôt,  la  Primerose  de  Peerson,  et  l'adorable  Coucou  de  Pasquini,  dont  la 
grâce,  la  fantaisie  pittoresque  et  l'adorable  liberté  de  formes  ravirent  l'auditoire.  Mais, 
r«  intérêt»,  —  quoiqu'en  puissent  penser  critiques  et  historiens,  —  n'est  pas  le  but  de 
l'art,  et  ce  dont  il  faut  remercier  Mme  Landowska,  c'est  moins  déjouer  ces  œuvres  trop 
longtemps  délaissées,  que  de  les  jouer  avec  tant  de  délicatesse,  d'amour  et  de  convic- 
tion. Elle  leur  redonne  la  vie,  la  belle  vie  simple  et  saine  d'autrefois. 

Non,  cette  musique  ancienne  n'est  pas  de  la  vieille  musique  !  non,  cène  sont  point 
là  des  pages  d'herbier,  de  froides  reliques  !  C'est  au  contraire  de  la  mélodie  toujours 
jeune,  pleine  de  spontanéité,  de  senteurs  printanières  et  de  sève.  Mme  Landowska 
respire  si  voluptueusement  le  parfum  de  ces  fleurs  agrestes  ;  elle  les  cueille  sur  ses 
claviers  avec  un  tel  amusement  et  les  offre  au  public  avec  une  si  charmante  candeur, 
que  le  public  ne  s'y  trompe  pas  et  reçoit  joyeusement  les  bouquets  joyeusement 
nuancés  par  la  nouvelle  Glycère..,  Aussi,  puisqu'il  s'agit  d'une  séance  qui  ne  fut  pas 
une  reconstitution,  fort  heureusement  !  mais  une  résurrection,  le  plus  grand  éloge  que 
je  puisse  adresser  à  l'interprète  est  de  constater  combien  le  public,  étonné  de  trouver 


—  289  -t- 

tant  déplaisir  dans  un  concert,  répondit  par  sa  gaieté  à  l'entrain  de  la  pianiste  et  par 
son  silence  recueilli  aux  minutes  où  la  voix  des  oiseaux  frémissait  dans  les  bois  frisson- 
nants de  brise  et  où  soupirait  la  luxurieuse  mélancolie  des  Sylvains. 

lean  d'UDINE. 

Concert  Sailler.  —  Le  troisième  concert  Saïller  a  permis  d'apprécier  une  fois  de 
plus  la  brillante  technique  du  distingué  violoniste  en  même  temps  que  la  pureté  de 
son  jeu  délicatement  expressif.  La  Sonate  de  Grieg  en  ut  mineur,  lui  a  valu  les  plus 
chaleureux  applaudissements.  Au  même  concert  Mme  Mellot-joubert,  et  MM.  de 
Lausnay,  Hervitt,  Migard  et  Liégeois  ont  obtenu  également  le  plus  vif  et  mérité 
succès. 

Mlle  Sara  Pestre.  —  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  louer  les  charmantes 
qualités  que  renferme  le  jeu  de  Mlle  Sara  Pestre.  Cette  fois  encore  nous  avons  été  infi- 
niment séduits  par  la  grâce  qui  se  dégage  de  l'étincelante  et  musicale  virtuosité  de  la 
remarquable  harpiste.  La  False  de  Chopin,  transcrite  par  M.  Hasselmans,  lui  a  valu  de 
nombreux  et  enthousiastes  rappels.  Mlle  M.  Van  Gelder  et  M.  Fleury  partagèrent  ce 
chaleureux  accueil,  la  première  comme  cantatrice,  le  second  comme  flûtiste. 

S. 

M.  LuzzENA.  —  Salle  ^olian,  on  a  applaudi  le  jeu  brillant,  l'excellent  style  du 
violoniste  O.  Luzzena  dans  un  concert  fort  réussi.  Le  Trio  de  Schumann  par  MM. 
Luzzena,  Choinet  et  Jemain,  une  Sonate  de  Haendel  pour  violon,  une  autre  Sonate  de 
J.  Jemain  accompagnée  par  l'auteur,  ont  été  très  appréciés,  ainsi  que  le  beau  con- 
tralto de  Mlle  S.  Lacombe  de  l'Opéra,  dans  l'Air  d'Orphée  de  Gluck  et  deux  mélodies 
de  J.  Jemain,  les  Perles  et  les  Deux  Ménétriers.  M.  Luzzena  fait  grand  honneur  à  son 
professeur,  M.  Parent. 

Société  de  Musiqjue  de  Chambre  pour  Instruments  a  Vent. —  La  dernière  séance  vit 
exhumer  une  Symphonietta  de  Gounod,  œuvre  aimablement  sucrée  et  facile  exécutée 
pour  la  satisfaction  des  oreilles  peu  exigeantes  et  la  tranquillité  des  cerveaux  placides. 
Ce  furent  ensuite  \e  Sextuor  de  Beethoven  précédemment  joué  aux  séances  Parent  par  la 
Société,  et  la  Symphonietta  de  Raff  remarquablement  écrite  pour  les  instruments.  Mais 
le  numéro  le  plus  intéressant  du  programme,  auquel  un  public  essentiellement  poncif 
ne  fit  d'ailleurs  qu'un  accueil  poli,  fut  les  Deux  Rhapsodies  sur  deux  poèmes  de  Rollinat 
(L'Etang  et  la  Cornemuse)  de  M.  Ch.  M.  Loeffler.  Cette  œuvre  écrite  pour  piano,  haut- 
bois et  alto  renferme  des  développements  intéressants,  des  idées  neuves  et  des  harmo- 
nies d'un  séduisant  modernisme.  MM.  Grovlez,  Bleuzet  et  Monteux  l'interprétèrent 
excellemment. 

E.  S. 

Le  4  avril,  la  Société  de  Concerts  d'Instruments  Anciens  donnait  à  la  salle  Pleyel  sa 
première  séance  de  la  saison.  L'affluence  du  public  qui  parvint  à  entrer  ce  soir-là  dans 
la  salle  principale  et  dans  ses  annexes  démontra  premièrement  que  le  contenu  peut  être 
quelquefois  plus  grand  que  le  contenant  et  secondement  que  la  musique  ancienne  offre 
décidément  un  attrait  exceptionnel  aux  malheureux  auditeurs  rassasiés  des  complica- 
tions modernes.  A  ce  concert  M.  Diémer  joua,  secondé  par  M.  Casella,  le  Concerto  en 
ut  mineur  de  Bach  pour  deux  clavecins,  malheureusement  amputé  de  sa  partie  d'or- 
chestre, et  Mlle  Carlotta  de  Féo  chanta  diverses  pages  du  xviii*  siècle,  dont  la  plus 
belle,  un  air  de  la  Passion  d'Haendel,  fut  admirablement  soutenue  par  le  quinton  de 
Mme  Casadessus.  Mais  les  ensembles  surtout  ravient  l'auditoire  :  la  Symphonie  en  la 
majeur  de  Bruni,  pour  quinton,  viole  d'amour,  viole  de  gambe,  basse  de  clavecin,  et 


—  igo  — 

le  délicieux  Ballet  de  Monteclair  pour  les  mêmes  instruments,  tenus  par  Mme  H.  Casa- 
desus,  M.  M.  Henri  et  M.  Casadesus,  M.  Olivier  et  M.  Casella,  et  dont  l'adorable 
Tambourin  notamment  remporta  le  plus  grand  succès.  Deux  Carillons  flamands  joués 
sur  des  cloches  mystérieusement  installées  quelque  part  dans  les  frises  et  dont  l'effet 
fut  exquis,  et  le  très  curieux  Divertissement  de  iVlozart  pour  deux  flûtes,  cinq  trom- 
pettes et  quatre  timbales  complétaient  cet  intéressant  programme.  11  faut  savoir  gré  à 
ses  organisateurs  de  nous  remettre  en  contact  avec  tout  un  monde  d'émotions  sonores, 
qui  rendra  peut-être  à  notre  musique  de  serre  chaude  un  peu  de  naturel  et  de  charme 
sincère.  J.  d'U. 

L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  les   Sonatières   et   la   Lettre  de 
Londres  au  -prochain  numéro. 


le  mouieoient  musical  m  province  et  à  Télranger 


LETTRE    DE    BERLIN 


«  Le  but  principal  de  mes  efforts,  présentement,  est  d'arriver  à  jouer  du  piano  de 
la  façon  la  plus  chantante  possible.  11  est  difficile  de  ne  point  laisser  l'oreille  vide,  ni 
d'étouffer  la  noble  simplicité  du  chant  par  trop  de  bruit.  Avant  tout,  la  musique  doit 
toucher  le  cœur,  ce  à  quoi  un  pianiste  n'arrivera  jamais  par  des  arpèges,  du  vacarme  et 
des  trépignements  ».  Ces  mots  de  Ph.  iL.  Bach  devraient  être  inscrits  en  lettres  gigan- 
tesques dans  toutes  les  salles  de  conservatoires  et  dans  toutes  les  sallesde  concerts. 

Monsieur  Jonas.  un  espagnol,  fart  ce  qu'il  veut  de  ses  doigts,  a  une  mémoire  sur- 
prenante, des  programmes  superbes.  Un  largo  de  Bach,  l'op.  35  de  Mendelssohn  sont  de 
belles  oeuvres  mais  encore  faut-il  les  jouer  bellement.  J'aurais  voulu  entendre  autre  chose 
que  les  successions  de  notes,  j'aurais  voulu  ne  pas  m'ennuyer  à  la  sonate  op.  m  de 
Beethoven,  j'aurai  voulu  du  piano,  on  m'a  servi  une  mécanique  très  exacte  qui  dévidait 
des  sons. 

Le  concert  Busoni-von  Glehn  était  pire  encore.  Quand  on  est  Busoni  on  ne  s'ac- 
couple point  à  un  violoncelliste  qui  ignore  les  principes  mêmes  de  la  technique  de  son 
instrument  et  surtout  on  ne  consent  pas  à  jouer  en  de  pareilles  cohditions  les  deux 
sonates  op.  120  n"'  i  et  2  de  Beethoven.  JM.  Busoni  fit  ce  qu'il  put  pour  sauver  la  soi- 
rée; il  eut  des  sonorités  délicieuses,  inattendues,  il  eut  des  pianissimos  exquis,  il  mit  en 
valeur  toutes  les  ressources  de  son  impressionisme  ;  Beethoven  ne  s'en  porte  pas  mieux, 
au  contraire.  Par  contre,  il  (son  partenaire  n'existe  plus)  remporta  un  beau  succès  dans 
la  sonate  de  S.  Rousseau  qui  le  méritait.  M.  Busoni  était  visiblement  ennuyé;  lui  accou- 
tumé aux  foules  en  délire,  se  trouvait  devant  une  salle  aux  trois  quarts  vide  et  aux 
trois  quarts  chaude  seulement  ! 

Arrivé  très  tard  à  Berlin,  j'ai  eu  la  bonne  fortune  d'entendre  encore  le  der- 
nier concert  de  la  Philharmonique  avec  JVl.  Nikisch.  La  P hilharmonique,  comme 
orchestre,  est  bien  supérieure  à  tout  ce  que  j'ai  entendu  en  Allemagne  jusqu'ici.  Quant  à 
M.  Nikisch  c'est,  par  excellence,  le  virtuose  de  la  baguette,  jonglant  avec  les  timbres,  les 
rythmes,  faisant  de  ses  instruments  ce  qu'il  veut,  les  conduisant  n'importe  où,  non  sans 
un  peu  de  nervosité  parfois  et  de  la  sécheresse.  Je  regrette  à  vrai  dire  la  sage  pondéra- 
tion de  Mottl. 

Au  programme,  la  ravissante  ouverture  dgs  Noces  de  Figaro,  prestement  enlevée, 
point  trop  vite  cependant,  comme  c'est  trop  souvent  le  cas  ici.  Puis  l'entr'acte  de  Rosa- 
monde  de  Schubert,  un  bijou  comme  Schubert  sait  en  produire,  fait  de  belles  périodes 
poétiques  enveloppantes,  telles  des  strophes  de  Lamartine.  Ce  pauvre  Schubert  !  en  voilà 


—  291  — 

unpourquîles  temps  présents  ne  sont  point  tendres.  C'est  tout  au  plus  si  on  lui  pardonne 
d'avoir  écrit  quelques  jolis  lieder!  !  En  outre,  \a  Symphonie  pathétique  de  Tchaïkowsky. 
Tchaïkowsky  est,  de  ce  côté  du  Rhin,  le  grand  Russe,  le  seul  qui  paraisse  (ou  à  peu 
près)  sur  les  programmes.  C'est  qu'il  est  très  allemand  au  fond  et  qu'il  est,  si  l'on  peut 
dire  ainsi,  le  Brahms  des  Russes.  Il  est  profond  !  Un  musicien  de  grande  notoriété 
brahmsien,  enragé,  voulant  sans  doute  me  convertir  à  sa  foi,  m'en  expliquait  les 
bases  :  «  En  France  nous  n'arriverez  que  lentement,  peut-être  jamais,  à  comprendre 
Brahms,  parce  que  vous  n'avez  pas  l'esprit  suffisamment  posé  pour  en  saisir  la  profon- 
deur. »  Je  lui  fis  observer  qu'en  art  nous  cherchions  avant  tout  à  être  émus.  «  Parfaite- 
ment, répondit-il,  mais  vous  vous  contentez  d'émotions  superficielles,  nous  voulons  des 
émotions  profondes  ».  —  «  Qu'est-ce  donc  que  cette  profondeur  dont  vous  faites  si 
grand  cas  et  à  laquelle  nous  ne  saurions  atteindre  ?»  —  «  C'est  la  pensée  qui  se  cache 
sous  une  phrase  musicale  (admirez  !)  »  —  «  Mais  à  quoi  la  reconnaissez-vous  «  cette 
pensée?  »  — a  Nous  la  devinons,  nous  la  cherchons,  nous  finissons  par  la  trouver  quand 
elle  existe.  »  —  «  Ah,  j'y  suis,  la  profondeur  c'est  l'obscurité.  »  —  «  Pourquoi  pas  un 
peu,  tous  les  symboles  sont  obscurs  pour  les  non  initiés,  et  l'art  symbolique  est  le  sum- 
mum de  l'art  ».  Je  ne  réponds  rien,  stupéfié;  il  continue  :  «  Le  grand  charme  de  Brahms 
dans  la  jouissance  duquel  nous  nous  complaisons,  c'est  sa  sensualité  métaphysique  », 
«  die  metaphysische  Sinnilichkeit  !  ))  Inouï,  n'est-ce  pas  et  mot  pour  mot  exact  !  et  le 
monsieur  ne  riait  pas  !  ! 

A  propos  de  Brahms,  Mme  Schumann-Heink,  dans  ce  même  concert,  a  chanté  de 
lui  une  rapsodie  admirable  pour  alto  solo  avec  choeur  d'hommes  et  grand  orchestre.  Je 
n'étais  pas  encore  au  courant  de  la  sensualité  métaphysique,  je  me  suis  tout  bonnement 
abandonné  aux  grandioses  impressions  que  cette  belle  oeuvre  éveillait  en  moi. 
Brahms  traite  les  voix  magistralement  ;  de  l'union  de  leurs  timbres  avec  les  timbres 
instrumentaux,  il  tire  des  effets  qui  vous  secouent  de  frissons.  Mme  Schumann-Keink 
est,  du  reste,  une  incomparable  artiste  et  son  air  de  Vitellia  du  Titus  de  Mozart  lui 
valut  un  triomphe.  Moschelès,  dit-on,,  pour  juger  d'un  pianiste  exigeait  de  lui  une 
sonate  de  Mozart,  alors  seulement  son  jugement  était  définitif.  Je  suis  dans  tous  les 
domaines  un  peu  comme  Moschelès  c'est  pourquoi  j'admire  si  fort  Mme  Schumann- 
Heink. 

Je  n'ai  rien  à  vous  écrire  encore  des  théâtres  royaux.  L'Opéra,  en  dehors  des 
Wagner  obligés,  n'a  guère  donné  jusqu'ici  que  les  Huguenots,  la  Dame  Blanche^  la 
Muette  de  Portici  et  Paillasse.  J'attends  autre  chose  pour  vous  en  parler. 

L'Opéra-Comique  est  un  petit  théâtre  tout  nouveau,  bâti  en  modem  style,  assez 
laid.  L'exiguïté  du  terrain  a  forcé  l'architecte  à  construire  une  salle  écrasée,  mal 
commode,  plus  large  que  longue.  C'est  une  entreprise  particulière  indépendante  des 
théâtres  royaux  et  qui  semble  prospérer.  Les  deux  pièces  qui  lui  ont  conquis  la  faveur 
du  public  sont  :  la  Bohême  de  Léoncavallo  et  les  Contes  d'Hoffmann  d'Offenbach.  Je  ne 
m'explique  pas  l'enthousiasme  qu'excite  en  Allemagne  cet  effort  plutôt  malheureux  du 
joyeux  auteur  de  la  Belle  Hélène  et  de  tant  de  jolies  choses.  Est-ce,  peut-être,  par  ce 
que  les  Contes  d'Hoffmann  contiennent  de  la  sensualité  (sans  métaphysique)  ?  Le  célèbre 
chœur  du  deuxième  acte  qui  fait  se  pâmer  tout  Berlin,  après  que  tout  Munich  s'était 
pâmé,  est  dans  le  genre  d'Amoureuse,  de  Sourire  d'Avril,  de  Brises  du  Printemps,  etc., 
avec  non  moins  de  charme  !  L'Opéra-Comique  a  donné  mieux  que  ça  :  le  Corrégidor 
d'Hugo  Wolff,  dont  je  m'occuperai  plus  longuement  une  autre  fois,  et,  tout  dernière- 
ment, les  Noces  de  Figaro.  Pour  parler  de  Mozart,  il  faudrait  le  langage  des  anges  de 
Saint-Paul,  que  je  ne  connais  point.  Pour  le  chanter,  hélas,  il  faudrait  aussi  les  voix 
d'anges  que  n'ont  pas  absolument  les  artistes  de  l'Opéra-Comique  !  La  première  chose 
à  exiger  d'un  chef  d'orchestre,  c'est  le  respect  de  la  partition  qu'il  interprète.  Sous 
prétexte  «  de  rajeunir  une  œuvre  vieillotte  »  (mieux  vaut  la  laisser  dormir)  M.  Cassirer, 
le  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique,  l'a  défigurée  à  plaisir,  prenant  des  mouvements 
de  fantaisie,  entraînant  chanteurs  et  musiciens  dans  les  temps  vertigineux  au  bout 
desquels  ils  arrivent  sans  soufïle  et  où  ils  sont  haletants  avant  d'avoir  commencé. 
M.  Cassirer  du  moins  prouve  ainsi  qu'il  tient  ses  gens  en  main, et  qu'il  en  faites  que  bon 


—  292  — 

lui  semble.  L'orchestre  est  menu,  manque  d'homogénité,  je  crois  cependant  que  son 
principal  défaut  provient  de  la  salle  où  il  est  forcé  de  jouer.  La  mise  en  scène  est  exquise. 
Le  second  et  le  dernier  tableau  (la  chambre  de  la  comtesse  et  le  parc)  sont  simplement 
ravissants.  Les  chanteurs  ?  je  vous  l'ai  dit,  ils  n'ont  pas  les  voix  d'anges.  En  somme, 
c'était  suffisant,  sauf  Figaro-Bertram.  Celui-là,  malgré  les  bravos  frénétiques  des 
berlinois,  est  franchement  mauvais.  Non  seulement  M,  Bertram  n'a  pas  une  voix 
d'ange  mais  il  n'a  pas  du  tout  de  voix  ce  qui  ne  fait  l'affaire  ni  de  Mozart  ni  de  son 
héros. 

La  fin  du  carême  est  la  saison  des  oratorios.  Un  choeur  et  un  orchestre  d'amateurs 
viennent  d'exécuter  dans  l'Eglise  de  la  Ganison  le  Patilus  de  Mendelssohn.  Laissez-moi 
tout  d'abord  louer  sans  réserve  cette  qualité  qu'ont  nos  voisins  de  se  grouper  ainsi  en 
associations.  Berlin,  à  ce  point  de  vue,  est  une  ville  modèle,  les  sociétés  musicales  de 
toutes  sortes  fleurissent  et  la  Singacadétnie,  dont  je  vous  parlerai  prochainement  à 
propos  de  Bach,  dispose  d'éléments  incomparables.  Ne  trouvez-vous  pas  comme  moi 
admirables  ces  petits  bourgeois,  ces  ouvriers,  ces  demoiselles  de  magasin  ou  ces  garçons 
de  bureaux  qui,  leur  travail  fini,  se  réunissent  deux  ou  trois  fois  par  semaine  pour 
étudier  une  oeuvre  et  sans  aucune  éducation  préliminaire,  par  leur  seule  ténacité,  arri- 
vent à  mettre  debout  en  un  hiver  les  Passiofis  de  Bach,  les  Oratorios  de  Hœndel  ou  de 
Mendelssohn.  Je  ne  vois  vraiment  pas  le  plaisir  que  peut  éprouver  une  modiste  à 
chanter  un  canon  de  J.-S.  !  Il  y  a  là  le  besoin  de  sensations  collectives  qui  est  au 
fond  de  l'âme  allemande  soutenu  par  l'étonnant  esprit  de  discipline,  grâce  auquel  elle 
soulèverait  le  monde  ! 

Patilus  est  une  des  oeuvres  de  la  première  maturité  de  Mendelssohn,  du  Men- 
delssohn ardent  des  délicieuses  ouvertures  de  la  Belle  Mélusine,  de  la  Grotte  de  Fin- 
gai,  du  Songe  d'une  Nuit  d'Eté.  Toutes  ses  grandes  qualités  y  sont  déjà  avec  en  plus 
un  emballement  juvénile  d'un  puissant  attrait.  Dans  une  lettre  à  Devrient  il  en  expose 
lui-même  le  plan.  «  Le  sujet,  écrit-il,  sera  l'apôtre  Paul.  Première  partie  :  la  lapidation 
d'Etienne  et  la  persécution.  Deuxième  partie  :  la  conversion.  Troisième  partie  :  la  vie 
chrétienneet  l'apostolat  jusqu'au  martyr  ou  peut-être  seulement  jusqu'au  départ  d'unedes 
communautés  ».  Revu  plus  tard  par  les  théologiens  Baur  et  Schubineg,  le  projet  resté 
le  même  fut  condensé  en  deux  parties.  L'œuvre  entière  est  inspirée  de  J.-S.  Bach. 

Elle  est  écrite  pour  orgue,  grand  orchestre,  chœur  mixte,  et  soli  de  ténor  soprano, 
alto  et  basse.  Le  récit  emprunté  presque  textuellement  aux  actes  des  apôtres  passe  suc- 
cessivement du  soprano  aux  autres  voix.  La  coupe  du  récitatif,  la  facture,  les  chœurs,  le 
développement,  les  canons,  l'alternance  des  chorals  et  des  airs,  le  style  général,  tout  est 
selon  Bach.  Ce  qui  est  bien  original  par  contre  c'est  d'abord  l'orchestre,  d'un  incompa- 
rable richesse,  fort,  chaud,  coloré,  sans  gros  moyens,  à  travers  lequel  l'air  circule,  ja- 
mais touffu,  jamais  énorme,  jamais  bruyant,  toujours  musical.  Mendelssohn  a  dans 
l'emploi  des  cuivres  des  trouvailles  d'un  effet  indicible.  Ce  qui  est  bien  original  encore 
ce  sont  les  relations  des  voix  et  des  instruments  et  enfin  la  mélodie,  la  courbe  men- 
delssohnienne,  dont  on  rit  bien  de  nos  jours,  qui  est  banale  et  vulgaire,  dit-on,  parce 
qu'elle  est  carrée,  qu'elle  s'achève  normalement,  qu'elle  est  logique  ! 

Mendelssohn,  dans  l'histoire  de  la  musique,  est  le  premier  des  intellectuels.  Doué 
musicalement  comme  peu  de  compositeurs  l'ont  été,  et  en  cela  on  peut  le  comparer  à 
Mozart,  il  reçut  une  éducation  très  générale  ;  il  fut  question  un  instant  d'en  faire  un 
honnête  fonctionnaire.  Mendelssohn  est  de  plus  intellectuel  par  hérédité.  Son  grand- 
père  est  le  premier  des  intellectuels  allemands,  son  père  est  nourri  des  principes  ratio- 
nalistes du  xviii'  siècle  français.  Lorsqu'il  s'agit  pour  le  jeune  Félix  d'avoir  la  sanction 
d'une  autorité  ce  n'est  point  à  Vienne  chez  Beethoven,  mais  à  Paris  chez  Cherubini 
qu'on  le  conduit.  Mendelssohn  toutefois  arrivait  au  moment  où  le  romantisme  avait  jeté 
tout  son  éclat,  sa  tante  Dorothée  avait  épousé  l'un  des  Schlegel,  son  âme  délicate  avait 
des  affinités  avec  la  «  Petite  fleur  bleue  ».  Mais  son  romantisme  est  mitigé  par  son  intel- 
lectualisme. Il  a  étudié  la  musique  à  fond,  aux  sources  des  grands  maîtres,  il  s'est  fait 
une  théorie  de  son  art,  s'est  attaché  à  une  tradition.  Son  intellectualisme  a  fait  de  lui 
un  styliste  merveilleux,  rompu  à  toutes  les  difficultés,  connaissant  toutes  les  ressources 


—  293  — 

de  son  métier.  Sa  forme  laborieusement  ciselée,  sert  de  contrôle  autant  que  d'expression 
à  son  émotion. 

II  eut  en  outre  l'existence  la  plus  facile,  la  plus  heureuse  qui  soit.  Il  ne 
connut  point  les  efforts  perpétuels,  les  mille  petites  vilenies  de  la  vie  quotidienne. 
Aussi,  de  toutes  ses  créatures,  se  dégage  un  optimisme  souriant.  Il  est  naturellement 
noble  et  bon,  d'une  bonté  douce  qui  n'a  point  dû  s'aiguiser  au  contact  de  la  lutte  et  de  la 
douleur.  Tout  cela  explique  sa  mélodie.  C'est  la  phrase  élégante  d'un  grand  écrivain  qui 
pétille  d'esprit  et  qui  est  un  fin  ironiste,  parfois  d'un  écrivain  toujours  si  soucieux  de 
bien  faire  et  si  maître  de  ses  moyens  qu'il  ne  réagit  jamais  directement  sous  le  coup 
d'une  impression.  Son  élégance  va  parfois  jusqu'à  la  préciosité,  et  comme  il  est  allemand 
et  romantique,  au  fond  sa  préciosité  est  sentimentale  !  De  plus,  la  crainte  de  ne  pas  ex- 
poser tous  les  côtés  d'une  pensée,  l'amène  à  lalre  trop  long  !  Personne  cependant  depuis 
Haendel  n'a  produit  des  effets  aussi  puissants  avec  des  moyens  aussi  simples. 

Le  Paulus  reste  une  œuvre  d'une  superbe  architecture  et  d'une  haute  inspiration, 
une  œuvre  sincère,  saine  et  bienfaisante. 

On  ne  pouvait  guère  attendre  d'amateurs  les  finesses  d'exécution,  les  recherches  de 
détails  qu'exigent  les  compositions  d'un  artiste  aussi  minutieux  que  l'était  Mendelssohn. 
Nest-ce  pas  déjà  fort  beau  d'avoir  mis  cet  oratorio  sur  pied,  de  l'avoir  exécuté  d'un  bout 
à  l'autre  sans  faiblesse  ? 

Paul  de  Stqecklin. 

LETTRE    DE    MUNICH 


On  a  fêté  Mozart  un  peu  partout  à  l'occasion  du  cent  cinquantième  anniversaire  de 
sa  naissance  ;  Munich  y  a  été  de  son  petit  festival  comme  tout  centre  artistique  qui  se 
respecte. 

En  vérité  j'ai  l'impression  que  dans  l'admiration  que  l'on  professe  pour  Mozart,  il 
entre  une  grande  part  de  suggestion  et  que  c'est  un  nom  que  l'on  encense  et  non  point 
un  musicien  de  génie  que  Von  aime.  Et  j'avais  un  peu  le  sentiment  que  ces  têtes  en 
l'honneur  du  maître  de  Salzbourg  étaient  données  bien  plus  pour  «  se  respecter,  soi  i), 
comme  on  dit  ici,  que  pour  l'intérêt  que  l'on  porte  à  ses  œuvres. 

Aujourd'hui,  si  Mozart  n'est  pas  encore  délaissé,  il  le  doit  à  sa  gloire  passée,  à  son 
nom  que  le  monde  officiel  ne  peut  laisser  oublier.  Puis  il  a  pour  lui,  à  l'heure  présente, 
le  snobisme  qui  l'a  remis  à  la  mode  pour  un  temps  ;  mais  je  doute  que  le  monde  musi- 
cal goûte  son  œuvre  et  l'apprécie  autrement  que  comme  une  chose  archaïque  et  char- 
mante, comme  un  bibelot  Louis  XV  qui  tire  sa  valeur  de  son  âge  plus  encore  que  de  sa 
beauté. 

Il  est  assez  compréhensible  qu'il  en  soit  ainsi  :  l'éducation  moderne  a  fait  de  nous 
des  intellectuels  plus  que  des  artistes,  c'est-à-dire  des  êtres  plus  épris  d'idées  et  de 
symboles  que  de  sentiments.  La  musique,  notre  musique  moderne,  qui  suit  l'évolution 
de  notre  mentalité,  cherche  à  s'adapter  aux  besoins  nouveaux  de  notre  esprit  ;  elle 
devient  intellectuelle  et  s'essaie  à  exprimer  des  idées,  à  représenter  des  symboles.  Elle 
reflète  de  moins  en  moins  nos  sentiments  pour  devenir  le  serviteur  de  notre  esprit  et 
de  notre  volonté.  Dès  lors  peut-on  s'étonner  que  ce  qui  faisait  autrefois  la  musique,  le 
son  en  lui-même,  l'harmonie,  pour  la  coordination  d'effets  qu'elle  représente,  le  rythme, 
la  ligne,  pour  le  mouvement  et  l'équilibre  qu'ils  expriment,  ne  nous  intéressent  plus 
qu'incidemment  !  Voilà  pourquoi  Mozart  qui  est  au  plus  haut  point  le  représentant  de 
la  musique  musicale,  si  je  puis  ainsi  m'exprimer,  ne  trouve  de  vrais  admirateurs  que 
:hez  quelques  artistes  disséminés. 

Et  cela  est  si  vrai  que  ceux  qui  s'attachent  «  quand  même  »  à  Mozart  —  tel  MottI,  — 
5e  croient  obligés  de  le  déformer  pour  lui  faire  exprimer  par  force  autre  chose  qu'il 
l'exprime.  Voyez  plutôt  :  on  joue  ses  symphonies  avec  un  orchestre  de  80  exécutants, 
)n  en  allonge  les  rythmes  pour  leur  donner  de  la  grandeur,  on  coupe   une  phrase    en 


—  294  — 

quatre  pour  lui  arracher  une  idée,  on  fait  gronder  sînistrement  les  basses  qui  râlent 
quand  elles  devraient  soupirer.  Alors  le  public  applaudit,  il  a  ce  qu'il  lui  faut,  il  acclame 
l'interprète  et  trépigne. 

—  Oh  !  ma  chère,  on  ne  dirait  plus  du  Mozart  tant  il  y  a  mis  de  grandeur. 

—  Non,  Madame,  on  ne  met  pas  de  la  grandeur  dans  Mozart  ;  Mozart  est  plus 
grand  que  tout  ce  que  votre  interprète  y  pouvait  mettre  ;  demandez  seulement  à  ce  der- 
nier de  jouer  cette  musique  comme  elle  est,  avec  sérieux  et  respect  ainsi  qu'il  convient 
et  vous  en  sentirez  la  vraie  grandeur. 

Le  Festival  Mozart  donné  par  l'académie  de  Musique  était  remarquablement  com- 
posé; il  débutait  par  la  Symphonie  en  mi  bémol  que  Mottl  dirigea  avec  son  habituelle 
autorité,  mais  non  toutefois  sans  lourdeur.  Suivaient  un  andantino  et  allegro  pour  flûte 
et  harpe  soli,  avec  accompagnement  de  grand  orchestre  ;  les  solistes,  premiers  pupitres 
de  l'oixhestre  royal,  se  montrèrent  tout  à  fait  à  la  hauteur  de  leur  tâche.  Mme  Bosetti 
vint  ensuite  nous  chanter,  de  sa  voix  souple  et  caressante,  un  air  du  Curieux  indiscret, 
«  Verrëi  speragio  oh  Dio  ».  pure  merveille  de  sentiment  ému  et  profond.  La  Sympho- 
nie Jupiter  terminait  noblement  le  concert  qui  s'acheva  grandiosement  sur  le  célèbre 
final  fugué  que  Mottl  n'eut.  Dieu  merci,  pas  besoin  de  faire  enfler  pour  lui  faire  atteindre 
à  la  plus  sublime  grandeur. 

Le  13  Mars  ce  fut  au  tour  du  ((  Mozarteum  ))  de  fêter  Mozart.  Comme  son  nom 
l'indique,  cette  association  musicale  s'est  mise  sous  lepatronnage  du  maître  de  Salzbourg  ; 
cela  ne  l'empêcha  pas  de  clore  la  série  des  quatre  concerts  qu'elle  donne  annuellement 
sans  avoir  eu  l'idée  de  faire  la  plus  petite  place  dans  ses  programmées  à  l'œuvre  de  celui 
dont  elle  se  réclame.  Elle  s'aperçut  un  beau  matin  que  le  monde  officiel  de  la  musique 
s'apprêtait  à  commémorer  le  cent  cinquantième  anniversaire  de  Mozart.  Ce  n'est  qu'a- 
lors, et  avec  un  mois  et  demi  de  retard,  qu'elle  prit  l'initiative  d'un  petit  mouvement  en 
faveur  de  son  patron.  Ce  trait  n'est-il  pas  typique  et  n'ai-je  pas  un  peu  raison  de  pré- 
tendre que  pour  la  plupart  des  gens,  Mozart  représente  surtout  un  nom,  une  gloire  que 
l'on  respecte,  mais  qu'on  se  garde  bien  de  réveiller. 

Il  sera  beaucoup  pardonné  au  Mozarteum  pour  nous  avoir  donné  cette  messe  en 
ut  que  l'on  entendit  pour  la  première  fois  à  Munich.  Il  ne  faudrait  pas  la  confondre 
avec  l'autre  messe  en  ut,  bien  connue;  celle  dont  il  s'agit  ici  fut  composée,  sauf  erreur, 
après  coup,  pour  utiliser,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  la  musique  d'un  oratorio  David  et 
Pénitente  ,  qui  n'avait  pas  réussi  au  gré  de  l'auteur  et  qu'il  transporta  en  grande  partie 
dans  sa  messe. 

La  direction  de  l'œuvre  fut  confiée  à  M.  Rohr;  il  y  mit  toute  la  conscience  et  le 
soin  désirables.  Les  chœurs  furent  parfaits  et  pleins  d'enthousiasme;  quant  aux  solistes 
nous  n'aurions  rien  à  leur  reprocher,  s'il  n'y  avait  eu  parmi  eux  Madame  Rohr.  En 
somme  l'exécudon  fut  de  premier  ordre  et  ce  pauvre  Mozart,  si  peu  habitué  à  pareille 
aubaine,  dut  en  tressaillir  de  joie  dans  sa  tombe.  Je  ne  vous  dis  rien  de  l'œuvre  elle-même 
qu'une  seule  audition  ne  suffit  pas  à  pénétrer;  je  note  toutefois  le  Sanctus  où  le  quatuor 
vocal  est  traité  magistralement  ;  il  atteint  à  des  accents  d'une  hauteur  et  d'une  noblesse 
rarement  plus  émouvantes. 

Je  ne  mentionne  que  pour  mémoire  la  mise  à  la  scène  du  Roi  pasteur.  Cette 
œuvre,  qui  ne  fut  nullement  écrite  pour  le  théâtre,  est  languissante  au  possible  trans- 
portée ainsi  dans  un  cadre  qui  ne  lui  convient  point.  C'est  l'Orchester  Verein  qui  eut 
cette  idée  géniale  :  il  eut  assurément  été  préférable  pour  la  gloire  de  Mozart  et  pour  celle 
de  rOrchestre-Verein  de  ne  point  se  mettre  en  frais  de  costumes  et  de  décors,  mais  de 
mettre  un  peu  plus  de  soin  dans  l'interprétation  de  l'œuvre  et  un  peu  plus  de  discerne- 
ment dans  le  choix  des  chanteurs. 

UOrchestre  Kaim,  sous  la  sympathique  direction  de  M.  Schneevoigt,  vient  de  nous 
donner  une  nouveauté  des  plus  intéressantes.  Je  veux  parler  de  la  Lustspiel-Ouver- 
ture  de  K.  von  Kaskel.  Je  vous  ai  dit,  à  propos  de  son  Humoresque,  tout  le  bien  que  je 
pensais  de  ce  compositeur.  Cette  ouverture  est  traitée  d'une  façon  un  peu  plus  moderne. 
On  y  suit  assez  distinctement  l'esquisse  d'un  petit  drame.  Cela  est  charmant  de  tenue, 


—  295  — 

de  forme,  d'esprit  et  écrit  avec  une  virtuosité  parfaite.  L'orchestration  est  fluide,  colorée, 
vive,  et  d'une  facilité  étonnante. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  des  Champs-Elysées  de  Weingartner,  transcription  musi- 
cale d'un  tableau  de  Bœcklin  ;  ce  n'est  ni  fluide,  ni  vif,  mais  largement  construit,  forte- 
ment architecture  et  l'on  y  sent  encore  l'influence  de  Wagner. 

La  soliste  du  concert  était  Mme  Julia  Culp,  une  remarquable  cantatrice.  Quand  une 
artiste  possède  une  pareille  méthode  et  une  telle  sûreté  de  moyens  on  est  amené  à  lui 
pardonner  l'abus  qu'elle  en  peut  faire.  Elle  chanta  d'admirable  façon  Rêves  de  Wagner. 
Par  contre,  elle  fut  beaucoup  moins  bonne  dans  Schubert,  notamment  dans  Nacht  uni 
Tracume  ;  ces  lieds  si  purs,  sortis  naturellement  du  cœur,  nés  d'une  inspiration  toute 
spontanée,  s'accommodent  assez  mal  d'effets  vocaux  et  de  recherche  de  sentiment. 

Remercions  le  Quatuor  munichois  des  beaux  programmes  qu'il  nous  présente,  plus 
encore  que  de  l'exécution  des  œuvres  qu'il  nous  donne.  M.  Kilian,  qui  préside  aux  desti- 
nées de  cette  petite  association  d'artistes,  a  fait  preuve  des  plus  belles  intentions  et  des 
plus  nobles  visées  en  composant  ses  derniers  programmes  ;  il  serait  à  souhaiter  qu'on 
mît  le  même  esprit  dans  l'interprétation  des  œuvres.  Ceci  n'est  pas  un  blâme,  mais  un 
regret  personnel. 

On  nous  donna  à  l'avant-dernier  concert  le  Quatuor  en  sol  de  Mozart  fort  bien 
exécuté  sauf  quelques  points  de  détail  ;  puis  le  second  Sextett  de  Brahms  pour  cordes, 
dont  Y  Adagio  est  d'une  grandeur  qui  rappelle  Beethoven.  Le  malheur  est  qu'avec 
Brahms  on  n'est  jamais  sûr  de  son  plaisir.  A  côté  des  plus  éminentes  qualités,  qu'il 
étale  peut-être  un  peu  trop  copieusement,  il  montre  parfois  un  manque  de  goût  qui 
déconcerte.  11  existe  peu  d'œuvres  de  longue  haleine  de  ce  compositeur  qui  ne  se  ressente 
en  quelque  endroit  de  je  ne  sais  quelle  influence  bohémienne  et  sauvage.  Je  ne  parle  ici 
que  de  sa  musique  de  chambre  qui  est  assurément  ce  qu'il  y  a  de  plus  grandiose  dans 
son  œuvre.  Ses  symphonies,  quelques  qualités  qu'on  puisse  y  trouver,  me  semblent 
irrespirables  ;    elles  sont  faites  de  trop  de  matière  et  manquent  d'air. 

Le  concert  se  termina  par  cet  admirable  Odette  de  Schubert  pour  cordes  et  bois 
dont  l'interprétation  fut  plutôt  inférieure.  Pour  le  concert  suivant,  le  quatuor 
Munichois  sétait  adjoint  le  Quatuor  Bohémien  avec  pour  morceau  de  résistance 
VOctette  pour  instruments  à  cordes  de  Mendelssohn.  Rarement  Mendelssohn  a  fait 
montre  de  plus  de  qualités  que  dans  cette  œuvre  d'une  grâce  et  d'un  enjouement  simple- 
ment merveilleux.  Aussi  fut-elle  accueillie  par  de  frénétiques  applaudissements  malgré 
une  interprétation  qui  faisait  bon  marché  du  style  que  comporte  l'écriture  du  maître. 

Pfit^^ner  nous  a  donné  dernièrement  dans  un  concert  avec  le  ténor  Kraus,  —  ténor 
tonitruant  et  médiocre  artiste  —  une  série  de  ses  lieder  que  le  public  a  beaucoup 
applaudis.  Il  nous  a  fait  entendre  dans  cette  même  soirée,  une  Sonate  pour  violoncelle 
d'écriture  charmante  et  facile,  mais  peu  originale,  jouée  à  ravir  par  Kiefer.  Cette  œuvre, 
il  faut  le  dire,  est  un  péché  de  jeunesse  ;  depuis  lors  Pfitzner  a  fait  du  chemin. 

Avez-vous  entendu  chanter  le  Roi  des  Aulnes  par  le  D'  WuUner  ?  Je  me  suis  payé 
ce  divertissement.  Ce  fut  si  ridicule  et  si  plat  qu'on  n'en  pouvait  que  rire  ! 

J'eus  le  lendemain  la  compensation  d'entendre  Mme  Mysz-Gmeiner,  la  parfaite  et 
charmante  cantatrice.  Cette  admirable  artiste  chante  Schubert  comme  personne  ne 
saurait  mieux  le  faire.  E.  de  Stcecklin. 

LETTRE  DE  NEW- YORK 


Les  salles  de  concert  sont  généralement  bondées,  ce  qui  n'empêche  par  les  gens  du 
monde  de  donner  des  soirées.  Une  influente  milliardaire  fait  venir  chez  elle  un  des 
meilleurs  quatuors  à  cordes  de  New- York.  Surprise  des  artistes  lorsqu'ils  s'aperçoi- 
vent qu'ils  sont  convoqués  pour  un  dîner-concert  ;  néanmoins  ils  s'exécutent.  Surprise 
de  la  maîtresse  de  la  maison  lorsque  les  quartettistes  refusent  énergiquement  d'accéder 
à  sa  demande  défaire  danser  après  le  dîner.  Qui  a  raison?  qui  a  tort  ?  Avoir  joué 
pour  stimuler  l'appétit  des  invités,  c'est  une  concession  au  grand  art.  De  là  à  jouer  un 


M:. 


—  296  — 

scherzo  de  Mendelssohn  pour  leur  faciliter  la  digestion  il  y  a  si  près  !  La  susdite  mil- 
liardaire payait  :  elle  avait  tous  les  droits  suivant  les  mœurs  de  ce  pays  ;  même  celui  de 
ne  pouvoir  discerner  la  barbarie  de  ses  prétentions.  L'incident  défraya  toutes  les  chro- 
niques quinze  jours  durant.  Résultat  :  bonne  réclame  pour  les  quartettistes,  rien  d'édi- 
fiant pour  la  dame  aux  millions. 

Al.  Julien  Tiersot  vient  de  finir  son  intéressante  tournée  de  conférences.  Mon  cœur  a 
frémi  aux  chaudes  paroles  qu'il  prononça  sur  la  musique  de  nos  pères.  Comme  il  sut 
nous  émouvoir  assez  pour  nous  convaincre  de  l'influence  de  la  musique  de  Jean-Jacques 
sur  l'évolution  musicale  du  xviii"  siècle  !  Combien  sa  voix,  si  musicalement  imparfaite, 
nous  attendrit  lorsqu'il  cita  nos  vieilles  bluettes  nationales  qu'il  connaît  de  façon  si  do- 
cumentée ;  à  ce  chercheur  éclairé,  à  cet  artiste  convaincu  nous  devons  des  remerciements 
sincères  pour  les  instants  exquis  que  nous  procura  son  évocation  d'une  époque  où  la 
puérilité  était  le  défaut  contraire  et  remplaçant  l'excessive  recherche  de  jouissances  opia- 
cées qui  constituent  l'ivresse  des  exclusivistes  de  notre  temps. 

Eh  !  mon  Dieu,  au  risque  de  passer  pour  vieille  perruque,  je  l'avoue  sans  honte  : 
chez  moi  aujourd'hui  ne  peut  nuire  à  hier.  U Après-midi  d'un  faune  me  trouble  délicieu- 
sement ;  les  Impressions  d'Italie  m'enthousiasment  sans  restriction  ;  le  Clair  de  Lune 
m'attendrit  ;  le  Quintette  de  Franck  attire  mes  larmes  émues  ;  mais  rien  de  tout  cela  ne 
m'empêche  de  trouver  un  charme  rétrospectif  à  tous  ces  Lubins  et  Golettes,  et  «  que  le 
jour  me  dure  »  me  procure  une  sensation  qui,  —  pour  ne  ressembler  en  rien  à  celles 
que  me  font  éprouver  C.  Franck,  Fauré,  Charpentier,  Debussy  et  tant  d'autres,  —  n'en 
est  pas  moins  délicieuse.  Je  suis  bon  public  ;  soyez  comme  moi,  car  je  m'ennuie  bien 
moins  souvent  que  d'autres  dans  une  salle  de  concert  ! 

Hélas  !  il  me  faut  bien  vite  quitter  tous  ces  noms  bien  français  dont  l'évocation 
musicale  est  si  douce  à  mon  cœur  ;  car  tout  ce  qui  se  joue  ici  semble  s'éloigner  de  notre 
Ecole  avec  un  parti-pris  déconcertant.  Je  le  regrette  plus  pour  les  Américains  que  pour 
notre  musique.  La  consécration  américaine  n'ajouterait  vraisemblablement  rien  à  sa 
gloire,  mais  les  yankees  s'affirmei'aient  avantageusement  à  apprécier  un  peu  plus  notre 
Art  qu'ils  semblent  vouloir  ignorer  systématiquement.  On  entend  trop  souvent  de  la 
grosse  tmisique  avec  la  conviction  d'en  entendre  de  la  grande. 

Aussi  combien  serait-il  utile  de  voir  débarquer  sur  cette  terre  quelques  artistes 
propagandistes  !  M.  Vincent  d'Indy  a  déjà  fait  une  tentative  dont  le  genre  spécial  n'a 
pas  suffi.  Qui  viendra  présenter  nos  compositeurs  nationaux  ?  L'un  d'eux  m'écrivait 
dernièrement  :  «  De  Rameau  à  Magnard,  il  y  a  de  la  marge  !  ))  Que  ne  vient-il  ici,  l'ai- 
mable signataire  de  cette  lettre,  —  avec  des  valises  pleines  de  partitions  de  ses  collè- 
gues et  de  lui-même  ! 

Une  occasion  exceptionnelle  se  présente  justement  pour  un  pionnier  musical.  Une 
des  plus  belles  situations  artistiques  et  pécuniaires  est  en  ce  moment-ci  à  prendre.  M. 
Wilhelm  Gericke  quitte  la  direction  de  la  Boston  Symphony  après  sept  années  de  succès 
et  de  travaux  hautement  artistiques. 

Cet  orchestre  est  réputé  à  juste  titre  comme  le  meilleur  des  Etats-Unis  et  peut,  sans 
conteste,  rivaliser  avec  les  orchestres  européens  les  mieux  cotés.  C'est  assez  dire  que  la 
musique  que  l'on  y  fait  garantit  au  successeur  de  M.  Gerike  une  existence  éminemment 
artistique  et  dépourvue  de  toute  idée  de  business  que  l'on  craint  toujours  sous-entendue 
lorsqu'il  s'agit  d'Art  en  Amérique.  L'Administration  s'est  souvent  adressée  aux  artistes 
de  Paris,  surtout  pour  le  recrutement  des  instruments  à  vent  ;  mais  je  crains  que,  cette 
fois,  elle  se  laisse  influencer  par  un  grand  nom  des  virtuoses  de  la  baguette  sans  se 
souvenir  que  Paris  renferme  de  nombreux  musiciens  accomplis  qui  seraient  d'excellents 
chefs  d'orchestre  s'ils  avaient  l'occasion  de  conduire  quelquefois.  Car  il  faut  se  rendre 
compte  pourquoi  l'Allemagne  produit  tant  de  cappelmeisters.  Chaque  cité  germanique 
a  son  orchestre  permanent.  11  faut  donc  dans  chaque  ville  un  directeur  également  per- 
manent d'où  le  grand  nombre  de  cappelmeisters  expérimentés  et  dont  un  grand  nombre 
a  atteint  une  réputation  de...  violoniste-virtuose. 

En  France  sept  ou  huit  grands  orchestres  luttent  chaque  année  contre  les  difficul- 
tés matérielles  qui  leur  interdisent  la  vie  sans  inquiétude.  De  Lille  à  Marseille  l'entre- 


—  297  •— 

prise  de  concerts  symphoniques  est  considérée  comme  une  affaire  douteuse  et  plus  ou 
moins  éphémère.  Dans  ces  conditions  les  excellents  musiciens  cités  plus  haut  n'ont 
aucun  moyen  de  faire  connaître  les  qualités  qu'ils  peuvent  tenir  en  réserve  dans  l'art 
de  conduire. Donc,  notre  pays  n'est  pas  productif  en  chefs  d'orchestre.  Morale  pour 
ceux  qui  s'en  sentent  capables  :  recherchez  au  dehors  l'instrument  si,  rare  chez  vous 
et  vous  le  trouverez. 

A  New-York  une  société  Symphonique  russe  (The  Russian  Symphony)  donne  des 
concerts  de  musique  exclusivement  russe.  Cette  organisation  est  intéressante  et  le  pu- 
blic s'y  rend  en  grand  nombre.  Aux  dernières  séances  :  entendu  M.  Joseph  Lhévinne, 
pianiste  tout  à  fait  remarquable  qui  sait  joindre  à  une  technique  effroyablement  impec- 
cable une  musicalité  justement  satisfaisante. 

A  signaler  aussi  M.Alexander  Saslavsky,  violoniste  consciencieux,  véritable  artiste 
qui  nous  fit  connaître  un  très  intéressant  concerto  de  M.  Minarsky,  le  sympathique 
directeur  de  la  Philharmonique  de  Varsovie. 

Le  succès  de  M.  Sigismond  Stojowsky  est  définitif  maintenant.  Espérons,  qu'après 
avoir  acquis  la  meilleure  place  parmi  les  pianistes  établis  en  Amérique,  M.  Stojowsky 
se  fera  connaître  l'an  prochain  comme  compositeur  ainsi  qu'il  était  justement  apprécié 
en  Europe. 

Marteau  est  un  grand  violoniste  et  la  Fantaisie  de  Schumann,  si  peu  jouée  par  ses 
confrères  est  pour  lui  l'occasion  de  montrer  la  probité  de  son  art  et  la  conscience  de  son 
tempérament  musical. 

Barrère,  autre  Français,  n'a  pas  perdu  son  temps  pour  former  une  Société  d'his- 
frMwenfs  à  venf  semblable  à  celle  qu'il  organisa  à  Paris  il  y  a  dix  ans.  La  nouvelle 
phalange  a  déjà  obtenu  un  grand  succès  en  faisant  applaudir  entre  Beethoven  et 
Schubert  des  pièces  qu'il  fit  déjà  interpréter  à  Paris  de  Gabriel  Pierné  et  André 
Caplet. 

J'ai  eu  l'occasion  d'entendre  deux  fragments  malheureusement  trop  courts  de 
l'œuvre  d'un  musicien  réputé  comme  le  meilleur  compositeur  américain  M.  E.-A.  Mac- 
Dowell.  Ces  extraits  d'une  suite  symphonique  La CAansonrfe  jRo/ancf  dénotent  un  musi- 
cien sinon  innovateur  du  moins  très  au  courant  du  mouvement  musical  européen.  La 
deuxième  pièce  surtout  :  la  Belle  Aida  est  bien  venue  et  l'adresse  d'écriture  y  aide  un 
sentiment  que  l'on  reconnaît  sincère. 

Je  ne  puis  compter  M.  Ch.  LœfFer  parmi  les  Américains.  Je  vous  ai  déjà  parlé  de 
ce  musicien  alsacien,  qui  est  venu  se  fixer  à  Boston  après  avoir  terminé  ses  études  à 
Berlin  et  à  Paris,  La  Musical  Art  Society,  dirigée  par  M.  Frank  Damrosch,  nous  fit 
entendre  un  intéressant  psaume  de  M.  Lœftler  :  «  Par  les  rivières  de  Babylone  »  pour 
chœurs  de  voix  femmes  avec  un  curieux  accompagnement  de  deux  flûtes,  violoncelle, 
harpe  et  orgue.  L'effet  de  cet  agencement  vocal  et  instrumental  est  délicieux  ;  la  musi- 
que par  elle-même  est  on  ne  peut  mieux  archaïque.  C'est  un  nouveau  succès  pour 
l'auteur.  Au  même  concert  un  admirable  hymne  à  i6  voix  de  Richard  Strauss  «  Jakob, 
dein  verlorner  Sohn  »,  produit  également  une  profonde  et  saisissante  impression. 

Parmi  les  séances  de  musique  de  chambre,  je  citerai  les  concerts  du  célèbre  Quatuor 
lùieisel,  et  des  quatuors  Léo  Schulz,  Marum  ;  ainsi  que  M,  et  Mme  David  Mannes  qui 
se  consacrèrent  à  l'histoire  de  la  Sonate  piano  et  violon.  Seule  la  maîtrise  de  ces  deux 
artistes  leur  permit  de  retracer  avec  un  soin  parfait  les  grandes  étapes  de  la  musique 
de  Tartini  à  César  Franck.  De  tels  efforts  artistiques  sont  loin  des  acrobaties  des 
virtuoses  aux  noms  ronflants  et  il  n'est  que  justice  de  féliciter  les  vrais  musiciens  qui 
mettent  leur  talent  à  la  disposition  d'une  aussi  noble  cause. 

Lamet-Ladhuve. 


—  298  — 

ÂÎMOERS.  —  Deuxième  concert  extraordinaire.  —  Dixième  concert  populaire.  — ■ 
M.  Alfred  Cortot  revint  le  18  mars  cueillir,  à  Angers,  les  lauriers  auxquels  il  est 
accoutumé.  Il  a  joué  de  la  façon  la  plus  essentiellement  artistique  et  le  cœur  le 
plus  fervent  la  Symphonie  pour  piano  et  orchestre  de  V.  d'Indy.  Il  est  regrettable  que 
le  public  angevin  n'ait  pas  assez  compris  la  grandeur  sobre  et  la  science  profonde  de 
cette  œuvre  admirablement,  impeccablement  rendue  par  M.  Cortot  était  réservé  toutes 
ses  manifestations  enthousiastes,  pour  le  moment  où  celui-ci  a  joué  la  Fantaisie  Hon- 
groise de  Liszt.  Car  s'il  est  vrai  que  le  grand  pianiste  tant  aimé  à  Angers  a  déployé  le 
long  de  cette  Fantaisie  Hongroise  des  ressources  brillantes  de  mécanisme  et  des  trou- 
vailles innombrables  d'éloquentes  sonorités,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  est  dû  à  la 
Symphonie  de  V.  d'Indy,  ce  tribut  d'admiration  qui  indique  à  la  fois  l'éternité  d'une 
œuvre  et  l'intelligence  d'un  public.  M.  Cortot,  bruyamment  rappelé  après  la  Fantaisie 
Hongroise  a  joué  avec  une  grâce  et  une  virtuosité  accomplies  et  délicieuses  le  Coucou 
deDaquin  ;  grâce  à  lui,  grâce  aussi  à  la  belle  voix,  à  l'autorité,  à  la  méthode  sûre  de  la 
belle  cantatrice  qu'est  Mme  Auguez  de  Montalant,  le  deuxième  concert  extraordinaire 
fut  une  heureuse  solennité  musicale.  M.  A.  Bertelin,  le  compositeur  subtil  et  délicat  fit 
jouer  à  cette  même  séance  son  Choral  pour  orchestre  dont  le  public  a  suffisamment 
perçu  les  habiletés  de  facture  et  la  pureté  de  pensée.  Le  concert  débutait  par  VOuver- 
ture  de  Tannhauser  magistralement  exécutée  et  dirigée  et  se  terminait  par  VOuverture 
de  Genoveva  de   Schumann. 

Le  lundi  soir  19  mars,  M.  Alfred  Cortot  embellissait  et  enchantait  la  sixième  séance 
de  musique  de  chambre  par  son  interprétation  passionnément  belle  du  Quintette  de 
Brahms.  Il  était  bien  secondé  par  le  quatuor  MM.  Mambriny,  Chapelier,  Bailly  et  Bec- 
ker  qui  ont  également  joué  le  Quintette  de  Mozart  pour  cordes  et  clarinette  où  M.  Fichet 
qui  tenait  la  partie  de  clarinette  s'est  montré  un  artiste  éclairé  et  consciencieux. 

* 

f  * 

Mme  Ida  Ekman  et  M.  Lazare  Lévyont  donné  le  26  mars  un  concert  fort  réussi. 
M.  Lévy  s'est  montré  prodigieux  virtuose  et  musicien  parfait  dans  la  Sonate  en  ut  ma- 
jeur pour  piano  et  violon  de  Mozart  exécutée  avec  M.  Bailly,  dans  une  Sonate  de  Bee- 
thoven et  plusieurs  morceaux  de  Schubert,  Liszt  et  Chopin.  Mme  Ekman  est  toujours 
l'exquise  et  sentimentale  chanteuse  de  lieder  dont  la  renommée  parle  par  ses  cent  bou- 
ches. Elle  détaille  les  mélodies  avec  un  art  consommé  et  tient  longuement  sous  le  charme 
de  sa  jolie  voix  émue,  tendre  et  facile. 

Le  dernier  concert  populaire  fut  un  des  meilleurs  de  la  saison.  UOuverture  de  Be- 
Venuto  Cellini  y  fut  exécutée  avec  une  fougue  et  une  chaleur  tout  exceptionnelles. 

Dans  cette  œuvre  imprégnée  de  musicalité  fervente,  dans  la  Deuxième  Symphonie 
de  Beethoven,  V Apprenti  Sorcier  de  Dukas,  le  Concerto  de  Bach  pour  flûte,  hautbois, 
violon  et  trompette  avec  accompagnement  d'orchestre  et  dans  VOuverture  de  la  Fiancée 
vendue  de  Smetana,  l'orchestre  s'est  surpassé  lui-même.  M.  Ed.  Brahy,  pour  faire 
regretter  encore  plus  son  départ,  signe  fatal  des  lourds  silences  de  l'été,  l'a  conduit  plu- 
sieurs fois  jusqu'à  la  perfection.  M.  Maurice  Dambois,  un  très  jeune  violoncelliste  que 
Berlin  vient  de  consacrer,  apportait  aux  auditeurs  de  cette  ultime  séance  l'enchantement 
de  son  talent  délicieusement  jeune  et  musical  et  tout  frissonnant  d'ardeur  sentimentale. 
Il  a  joué  les  Variations  symphoniques  de  Boellmann,  l'adorable  Elégie  de  Fauré,  le 
Rêve  d'enfant  de  Schumann,  avec  une  douceur,  une  maîtrise  et  un  choix  délicat  de  so- 
norités rares  et  quintessencîées  qui  permettent  de  lui  prédire  une  brillante,  une  victo- 
rieuse carrière.  Son  succès  a  été  des  plus  vifs. 

* 

La  septième  et  dernière  séance  de  musique  de  chambre  a  eu  lieuMevant  un  public 
trop  restreint.  M.  Contran  Arcouët  cependant  avait  bien  voulu  inscrire  son  nom  au  pro- 
gramme.Il  a  joué  un  Prélude  de  Bach  avec  la  netteté  et  l'élégance  qui  le  caractérisent  et 
tenu  triomphalement  la  partie  de  piano  du  Septuor  de  Saint-Saëns  fort  bien  rendu  pa  r 
le  quatuor  coutumier  que  renforçaient  M.^Evrariet  M.  Kregersmann  pour  les  parties  de 


—  299  — 

trompette  et  de  contrebasse.  Le  concert  fut  des  plus  satisfaisants  ;  il   débutait  par  une 
bonne  exécution  du  premier  quatuor  de  Beethoven. 

EvA. 

MONTPELLIER.  —  Notre  théâtre,  après  avoir  enregistré  un  échec  avec  les  Hé- 
rétiques^ a  représenté  la  Fédora  de  Giordano.  Cette  partition,  écrite  sur  un 
libretto  qui  réduit  en  un  mélo  rapide,  véhémente  le  drame  de  Sardou,  fait  dé- 
couvrir, par  plusieurs  pages,  le  musicien  véreste,  l'adroit  coloriste,  l'ingénieux  polypho- 
niste  que  sera  l'écrivain  de  Siberia. 

Elle  a  été  pour  Mme  Simone  d'Arnaud,  mais  hélas  !  pour  elle  seule,  l'occasion  d'un 
brillant  succès.  Notre  distinguée  diva  a  chanté  le  rôle  de  Fédora  en  tragédienne  lyrique, 
avec  des  dons  remarquables  de  vigueur  et  de  pathétique.  Cette  nouvelle  création  ho- 
nore grandement  l'artiste  à  qui  nous  devons  de  bonnes  interprétations  de  Louise  de  la 
Troupe  Jolicceur  et  de  Thaïs. 

—  Le  dernier  succès  de  la  Schola  fondée  dans  notre  ville  par  M.  Charles  Bordes  a 
été  l'exécution,  à  la  Cathédrale,  de  VActus  tragicus,  La  cantate  de  Bach  a  eu  pour  prin- 
cipale interprète  Mlle  Marguerite  Delcourt,  dont  le  contralto  ample  et  sonore  a  mis  en 
relief  l'œuvre  du  grand  Cantor. 

—  Signalons  enfin  une  brillante   représentation  de  Carmen  donnée  sur  notre  scène 

avec  le  concours  de  Mme  Maria  Gay, 

Raoul  Davrat. 

MONTE-CARLO.  —  Reprise  de  Don  Carlos,  opéra  de  Verdi,  d'après  la  tragédie 
de  Schiller. 
Sous  le  haut  patronage  de  S.  A.  S.  le  prince  de  Monaco,  l'Opéra  de  Monte- 
Carlo  s'affirme  davantage,  chaque  année,  comme  une  grande  scène  de  décentralisation 
où  naissent,  pour  une  vie  durable  à  travers  le  monde  entier,  les  œuvres  nouvelles  des 
compositeurs,  Illustres  ou  débutants,  de  tous  pays,  et  où  d'autres  œuvres,  oubliées  ou 
négligées,  retrouvent  un  regain  de  vie  grâce  à  l'éclat  de  leur  restitution. 

M.  Raoul  Gunsbourg  a  très  habilement  profité  de  la  date  du  centenaire  de  Schiller 
pour  monter  le  magnifique  opéra  de  Verdi,  Don  Carlos,  créé  sans  succès  à  l'Académie 
Impériale  de  Musique,  en  1867,  ^t  Qui,  bafoué  par  tous  les  critiques  qu'épouvantait  déjà 
l'essor  de  Wagner,  ne  trouva  grâce  pas  même  aux  5'^eux  du  plus  artiste  des  juges  d'alors 
le  grand  poète  Théophile  Gautier  :  l'auteur  des  Emaux  et  Camées  qui  avait  tant  bataillé 
le  soir  d'Hernani,  pour  l'affranchissement  du  théâtre,  fut  sans  pitié  pour  cet  opéra  qui 
osait  se  libérer  des  «  airs  proprement  dits  »  :  Théophile  Gautier  (c'était  en  1867)  justi- 
fiait ainsi  son  dédain  pour  Don  Carlos  :  ((  L'opéra  ne  forme  qu'une  seule  trame,  et  exigé 
«  une  attention  soutenue  de  la  part  de  l'auditeur,  qui  ne  trouve  dans  cette  vaste  parti- 
«  tlon  ni  récitatif  pour  reposer  son  oreille,  ni  ritournelle  préparatoire  pour  l'avertir  du 
«  moment  où  II  faut  écouter...  »  Les  blâmes  d'antan  sont  devenus  les  meilleurs  éloges, 
Et  c'est  justement  parce  que  la  musique  de  Don  Carlos  ne  forme  qu'une  trame,  sans 
airs  proprement  dits,  sans  ritournelle  qui  avertisse  T'oreille  que  l'instant  d'écouter  est 
venu,  c'est  justement  parce  que  cette  musique  serre  le  drame,  définit  les  personnages, 
sincèrement,  sobrement,  qu'aujourd'hui  la  reprise  de  Don  Carlos  s'imposait  :  Verdi, 
s'il  agenouilla  l'univers  aux  pieds  de  son  Trouvère,  fut,  en  même  temps  qu'une  grande 
flamme,  une  igrande  lumière  :  à  sa  propre  clarté,  il  sut  éclairer  le  passé  et  l'avenir. 
Toute  son  œuvre,  une  des  plus  glorieuses  qui  soient,  ne  fut  qu'une  ascension  vers  l'idéal 
de  Beauté  que,  jour  par  jour,  sa  géniale  Intelligence  percevait  déplus  en  plus  radieuse- 
ment.  Parce  qu'il  vécut  longtemps  et  parce  qu'il  fut,  jusqu'au  dernier  jour,  le  laborieux 
et  Infatigable  artisan,  ses  œuvres  de  vieillesse,  plus  volontaires  et  moins  spontanées, 
n'ont  pas  la  prlmesautière  et  adorable  inspiration  de  ses  balbutiements  géniaux.  Don 
Carlos  est  une  œuvre  de  maturité.  Verdi,  alors  plein  de  force,  sachant  réaliser  ce  qu'il 
rêvait,  exécuter  ce  qu'il  voulait,  écrivit  un  drame  musical,  dont  le  seul  défaut  est  d'être 
venu  trop  tôt.  D'une  magnifique  puissance  d'expression,  d'un  admirable  mouvement 
dramatique,  d'une  grande  richesse  d'idéçe  mélodiquçs  (un  mwki^n   moderne  y  trouve- 


—  300  — 

rait  des  thèmes  pour  toute  sa  vie),  d'une  absolue  netteté  d'accent,  d'une  incomparable 
maîtrise  d'orchestration  où  les  sonorités  ne  couvrent  jamais  les  voix  et  où  pourtant  les 
dessins  polyphoniques  soulignent  et  commentent  les  phrases  chantées,  les  simples 
gestes,  avec  une  précision  et  une  sobriété  qu'on  voudrait  trouver  en  mainte  partition 
tumultueuse  et  désordonnée  de  nos  actuels  symphonistes  de  théâtre,  —  la  partition  de 
Don  Carlos,  variée,  vivante,  profondément  dramatique,  reste  purement  italienne. 

Le  Verdi  de  Don  Carlos,  c'est  l'immortel  Verdi,  avec  une  force,  une  véhémence 
qu'il  n'a  jamais  dépassées,  —  sans  doute  parce  qu'il  n'eut  jamais  un  poème  aussi  tragique, 
aussi  humain,  aussi  poétique,  aussi  beau  que  celui  que  Joseph  Méry  et  Camille  du  Locle 
tirèrent,  le  plus  fidèlement,  du  chef-d'œuvre  de  Schiller. 

Le  succès  fut  immense,  triomphal.  Si  le  public  de  jadis  ne  voulut  ou  ne  put  com- 
prendre Z)»«  Car /os,  celui  d'aujourd'hui  peut  s'étonner  qu'un  tel  chef-d'œuvre  soit 
resté  si  longtemps  méconnu. 

L'interprétation  est  ce  qu'elle  devait  être,  admirable  :  Mlle  Géraldine  Farrar,  dans 
le  rôle  d'Elisabeth  de  Valois,  fit  admirer  sa  voix  pure  et  magnifique  et  son  merveilleux 
talent  dramatique  ;  très  différente  d'elle-même  en  chacune  de  ses  nouvelles  créations, 
elle  est  toujours  une  admirable  héroïne  lyrique,  et  une  très  belle  et  très  grande  artiste. 
Le  ténor  italien,  M.  de  Marchi,  a  remarquablement  chanté,  de  sa  belle  voix  timbrée,  le 
rôle  de  Don  Carlos.  M.  Renaud,  dans  le  rôle  du  marquis  Rodrigue  de  Posa,  fut  chan- 
teur parfait  et  comédien  sans  égal,  d'un  charme,  d'une  noblesse,  d'une  véhémence  qui 
lui  valurent  les  acclamations  enthousiastes  qu'il  mérite  à  chacune  de  ses  admirables 
créations.  Le  célèbre  artiste  russe,  M.  Chaliapine,  qui  jouait  le  rôle  de  Philippe  II,  y 
fut  émouvant  et  terrible  :  il  a  fait  revivre  ce  sombre  personnage  avec  une  puissance  ex- 
traordinaire. M.  Bouvet,  sous  les  traits  du  grand  inquisiteur,  fit  une  profonde  impres- 
sion !  Vieillard  fatal,  impérieux,  parfois  cauteleux,  toujours  cruel,  il  s'est  dressé  contre 
Philippe  II,  dans  la  grande  et  magnifique  scène  du  troisième  acte,  avec  une  grandeur 
superbe.  Mme  Parsi  Portinella,  cantatrice  renommée  en  Italie,  fit  applaudir  sa  voix 
splendide  de  mezzo  dans  le  joli  rôle  de  la  Princesse  Eboli. 

Les  chœurs,  d'une  rare  perfection  musicale,  ont  joué  avec  une  animation  du  plus 
curieux  effet. 

Et  l'orchestre,  sous  la  nerveuse  et  précise  direction  du  maestro  Brunetto,  a  brillam- 
ment concouru  au  succès  de  cette  belle  soirée  qui  ajoute,  à  la  gloireimmortellede  Verdi, 
la  retentissante  revanche  d'un  chef-d'œuvre  méconnu,  V. 


Les  Concerts  classiqiies.  —  La  musique  wagnérienne  a  toutes  les  préférences  de 
Jehin  :  il  y  parut  bien  aux  magnifiques  exécutions  de  la  Marche  funèbre  de  la  Gœtter- 
daemmerung  et  du  prélude  de  Lohengrin  qui  nous  furent  donnés  le  mois  dernier. 
L'orchestre  déploya  également  une  admirable  virtuosité  dans  l'interprétation  de  VIlu- 
moreske  de  K.  de  Kaskel,  où  les  bois,  tout  particulièrement,  firent  preuve  d'une  belle 
vaillance.  Cette  œuvre,  que  je  préfère  à  la  Lusfspielouvertiire,  du  même  compositeur, 
est  solidement  construite  sur  deux  thèmes  d'allure  essentiellement  rythmiques,  et  dont 
les  développements  sont  traités  avec  infiniment  d'originalités,  d'imprévu  et  d'esprit.  Je 
ne  reviendrai  pas  sur  les  qualités  de  l'orchestration,  sur  l'habileté  du  compositeur  dans 
l'emploi  des  timbres  :  je  les  ai  déjà  signalées  récemment  à  propos  d'une  autre  de  ses 
œuvres.  —  Comme  nouveautés,  nous  eûmes  aussi  une  séance  d'œuvres  de  Georges 
Hue  (fragments  de  Titania,  de  Rubezahl,  chantés  par  Mme  Chassang,  Romance  pour 
violon,  jouée  par  M.  Corsanego). 

Les  violonistes  ont  succédé  aux  pianistes  :  Jacques  Thibaud  joua  avec  beaucoup  de 
charme  et  virtuosité  le  Concerto  de  Mozart  en  mi  bétnol  et  Ballade  et  Polonaise  de 
Vieuxtemps  (!)  ;  le  jeune  Mischa  Elman  enthousiasma  le  public  par  sa  technique  mer- 
veilleuse et  aussi  par  ses  réelles  qualités  de  musicien  ;  car  ce  gamin  est  toute  autre 
chose  qu'un  a  petit  prodige  »  :  c'est  un  véritable  artiste.  Dieu  veuille  qu'on  ne  le  gâte 
pas  !... 

Une  jeune  pianiste,  Mlle  Sansoni,  remporta  ayssi  un  beau  triomphe  en  interprétant 


—  301  — 

avec  aisance  et  de  façon  intelligente  et  très  musicale  un  Concerto  de  Mozart  et   le  Con- 
certo de  Grieg. 

Signalons  enfin  le  grand  succès  de  M.  Hugo  Becker,  le  célèbre  violoniste  de  Frank- 
fort  (Concerts  de  Saint-Saëns).  A... 


iT  AN  TES»  —  L'association  des  Concerts  Historiques  a  donné  son  deuxième  concert 
\  le  2  mars  dernier,  avec  le  succès  considérable  que  faisait  présager  le  magnifique 
..  »  résultat  artistique  obtenu  dès  le  début  par  la  jeune  Société  et  son  vaillant  chef. 
Vaillant  n'est  pas  ici  qualificatif  banal,  car,  atteint  dès  son  arrivée  par  la  grippe,  M.  de 
Lacerda  ne  trouva  que  dans  sa  rare  énergie  et  un  dévouement  allant  jusqu'à  l'impru- 
dence, la  force  de  mener  jusqu'au  bout  les  études  et  l'exécution  des  œuvres  nombreuses 

—  quelques-unes  fort  difficiles  —  inscrites  au  programme.  La  volonté,  ici,  triompha  de 
la  maladie,  mais  elle  ne  put  hélas  !  rendre  la  voix  à  une  chanteuse  aphone,  et  Mme 
Caldaguès,  atteinte  elle  aussi,  dut  renoncer  à  chanter  les  admirables  Cloches  du  Soir  de 
Franck  et  laisser  aux  seuls  chœurs  le  soin  de  déplorer  le  triste  sort  de  la  Fille  de  Jephté. 
Ils  le  firent  d'ailleurs  avec  une  désolation  si  sincère,  si  émouvante,  que  tout  près  de 
nous,  des  yeux  se  mouillèrent  ! 

C'est  qu'aussi,  quand  après  l'expressif  et  touchant  «  Plorate  filia  Israël,..  »  éclate 
et  se  propage,  comme  des  sanglots,  aux  six  parties  du  chœur,  dans  le  réalisme  d'un 
désordre  apparent,  le  «  Lamentamini  ))  final,  telle  est  l'intensité  atteinte  ici  spontané- 
ment par  Carissimi  dans  l'expression  de  la  douleur,  que  ce  chœur  final,  même  isolé  de 
la  pathétique  «  déploration  ))  de  «  Filia  »  qui  en  est  la  justification  et  l'admirable  prépa- 
ration dramatique  et  musicale,  provoque  encore  une  irrésistible  émotion.  Les  chœurs 
ont  aussi  chanté  avec  une  simplicité  naïve  très  appropriée,  la  charmante  chanson  à 
quatre  voix  —  a  capella  —  Mignonne,  de  Costeley,  et  par  un  contraste  très  significatif 
de  leur  souplesse,  ils  mirent  dans  les  Bohémiens  de  Schumann  —  et  l'orchestre  avec 
eux  —  toute  la  couleur  et  la  fantaisie  qui  conviennent  à  ce  pittoresque  petit  tableau  de 
la  vie  nomade.  Leur  tâche  la  plus  ardue  —  dévolue,  celle-ci,  au  seul  chœur  des  femmes 

—  était  l'interprétation  du  Chant  funèbre  de  Chausson,  magnifique  supplication  à  la 
nuit  et  aux  tombeaux  de  s'associer  à  la  douleur  humaine,  sur  un  texte  de  Shakespeare 
tiré  de  «  Beaucoup  de  bruit  pour  rien  !» 

Par  une  excellente  orchestration  de  l'accompagnement  —  que  Chausson  n'écrivit 
que  pour  piano  —  M.  de  Lacerda  a  enrichi  de  saisissantes  sonorités  les  nobles  et  poi- 
gnantes mélodies  de  cette  page  admirable  qui,  rendue  avec  une  rare  vérité  expressive 
par  l'orchestre  et  le  chœur,  a  vivement  impressionné  l'auditoire. 

L'orchestre  se  distingua  seul  en  de  nombreuses  pièces,  toutes  très  intéressantes  par 
leur  choix  judicieusement  caractéristique.  Ce  fut  d'abord  l'ouverture  d'Armidc,  aux 
grâces  un  peu  fanées  —  mais  non  sans  charme  encore  —  de  J.-B.  Lully.  Puis  six  «airs 
de  danse  »  allant  de  Lalande  à  Gluck  —  un  siècle  de  musique  —  et  résumant  avec 
bonheur  les  caractères  essentiels  de  la  musique  instrumentale  de  cette  époque  :  «  Air 
vif»  de  Lalande  ;  «  Air  grave  »  de  Haendel  ;  «  deux  menuets  »  de  Rameau  ;  «  Air  et 
musette  »  et  «  Passepied  »  de  J.-M.  Leclair  ;  «  Chacone  »  de  Gluck. 

Puis  l'immortelle  —  parce  que  de  fière  beauté  tragique  et  génialement  initiatrice  — 
ouverture  d'Alceste,  dont  les  riches  et  puissantes  combinaisons  instrumentales  oifrirent 
à  l'orchestre  l'occasion  d'affirmer  sa  vaillance.  Puis  enfin,  Deux  danses  (n"  5  et  6)  de 
Brahms,  que  d'obsédants  orchestres  de  tziganes  douteux  n'ont  pas  réussi  à  découronner 
de   la  verve  populaire  de  leurs  thèmes  et  de  leurs  rythmes. 

Le  très  bon  musicien  J.-J.  Nin,  qui  joue  si  bien  du  piano  —  et  dont  un  accueil  plus 
que  sympathique  salua  le  retour  —  déploya  toutes  ses  qualités  de  mécanisme  et  de  style 
dans  un  Rondeau  et  une  Allemande  de  Couperin,  un  «  Capricio  »  de  Scarlatti  et  le 
Concerto  en  la  majeur  pour  piano  et  orchestre  à  cordes  de  J.-Ch.  Bach,  le  dernier  des 
onze  fils  de  Jean  Sébastien  par  la  naissance  et  le  troisième  par  le  talent. 

Il  faut  reconnaître,  à  ce  concerto,  outre  son  très  grand  intérêt  historique,  comme 
œuvre  initiale  de  la  grande  évolution   de  cette  forme  musicale,  une  saine  ordonnance, 


—  ^02   — 

des  thèmes,  une  joyeuse  clarté  d'inspiration,  un  air  de  jeunesse  simple  et  naïve  évo- 
quant Mozart  —  avant  sa  naissance  —  qui  justifient  la  grande  vogue  dont  il  jouit  à 
son  apparition  et  le  vif  plaisir  qu'on  prend  encore  à  l'écouter.  Nin  et  l'orchestre  y  furent 
parfaits. 

Après  un  tel  succès,  personne  à  Nantes  ne  peut  plus  mettre  en  doute  la  vitalité  de 
l'œuvre  entreprise  par  M.  de    Lacerda.  Nous   lui  promettons  pour  l'automne  prochain 

un   accueil  triomphal mais   pourquoi   n'aurions-nous   pas    d'ici    là   un  troisième 

concert.  S... 

NANCY.  —  Au  neuvième  concert  de  l'abonnement,  le  principal  numéro  était  le 
Requiem  de  Fauré.  Je  n'ajouterai  rien  à  l'appréciation  si  juste  qu'en  a  donnée  ici- 
même  Jean  d'Udine.  Je  me  bornerai  à  exprimer  le  plaisir  délicat  et  profond  que  j'ai 
ressenti  à  l'audition  de  cette  œuvre  d'une  inspiration  si  haute,  d'une  facture  si  élégante 
et  si  noble.  La  partie  qui  m'a  le  plus  vivement  impressionné  est  le  Pie  Jesu,  chanté  par 
le  soprano  ;  on  dirait  la  supplication  confiante  et  tendre  d'un  petit  enfant  implorant  son 
père,  et  rien  n'est  plus  touchant  que  les  réponses  «  balbutiantes  »  de  l'orchestre  aux 
«  dona  eis  requiem  ))  du  soprano.  Quant  aux  mâles  beautés  du  Libéra,  elles  constituent 
la  plus  indiscutable  des  répliques  à  ceux  qui  prétendent  que  le  talent  de  Fauré  est  fait 
uniquement  de  grâce  et  de  charme  subtil. 

Ce  charme,  nous  l'avons  retrouvé,  avec  toute  sa  délicatesse,  dans  deux  mélodies, 
que  Mlle  Winsbach  a  chantées  avec  un  goût  parfait  :  un  Lamento,  exquis  de  douceur 
triste  et  les  célèbres  Roses  d'Ispahan,  évoquant  un  Orient  pâmé  dans  les  parfums  trop 
violents. 

Le  programme  comprenait,  en  outre,  la  Troisième  Ouverture  de  Léonore,  la  plus 
belle  et  la  plus  complète  à  mon  gré  ;  le  Prélude  à  l'Après-midi  d'un  Faune,  que  l'or- 
chestre, très  assoupli,  joua  avec  la  fantaisie  nuancée  qui  convient  à  cette  œuvre.  Par 
contre,  le  Concerto  en  sol  majeur,  de  J,-S.  Bach,  pour  instruments  à  archets,  aurait 
gagné  à  être  exécuté  avec  moins  de  rudesse  et  plus  de  netteté.  La  mélancolie  du  Chant 
d'Automne,  de  M.  Guy  Ropartz,  tout  en  teintes  grises,  a  été  savamment  rendue  par 
l'excellent  bacyton  Daraux. 

Le  dixième  concert  débutait  par  VOuverture  de  Fidelio,  la  quatrième  de  celles  que 
Beethoven  composa  pour  son  opéra  de  Fidelio.  Ensuite,  la  Symphonie  en  ut  majeur  de 
Schubert  déroula  «  ses  célestes  longueurs  »,  comme  a  dit  Schumann.  Je  l'ai  trouvée,  je 
dois  dire,  beaucoup  plus  longue  que  céleste.  Ah  !  ces  répétitions  indéfinies  de  la  même 
phrase,  sans  la  moindre  modification  de  coupe  ou  de  ton,  comme  elles  paraissent  démo- 
dées à  vos  oreilles  accoutumées  aux  ingénieuses  transformations  d'un  thème  ! 

Sauge  fleurie,  de  M,  Vincent  d'Indy,  colorée,  mouvementée,  ciselée  comme  un  pré- 
cieux objet  d'art,  faisait  un  contraste  curieux  avec  la  symphonie  de  Schubert.  Quel  che- 
min parcouru  entre  les  dates  de  ces  deux  œuvres  1828,  1885  !  Pour  finir,  VOuverture  du 
Tannhaeuser,  qui  fut  jouée  avec  une  sûreté,  un  éclat,  dignes  des  plus  fameux  or- 
chestres. 

Le  i"  avril,  le  Faust  de  Schumann  clôturait  la  série  des  concerts  de  l'abonnement. 
MM.  Daraux,  Clamer,  Warmbrodt,  Mlles  Winsbach  et  Croiza  avaient  apporté  leur 
concours.  L'orchestre  et  les  chœurs  se  surpassèrent.  L'exécution  fut  parfaite  en  tous 
points. 

Il  est  intéressant  de  comparer  cette  conception  mystique  du  chef-d'œuvre  de  Gœthe 
avec  les  diverses  interprétations  qu'en  ont  données  d'autres  compositeurs. 

Nous  ne  saurions  mieux  faire  que  citer,  à  ce  propos,  les  paroles  de  M.  Charles 
Malherbe  :  «  Gounod  a  volontairement  écarté  de  son  opéra  tout  symbole,  et  diminué  ses 
«  personnages  pour  les  adapter  au  cadre  d'un  théâtre  parisien  ;  Faust  n'est  plus  qu'un 
«  vieillard  signant  un  pacte  avec  le  diable  pour  recouvrer  la  jeunesse  et  connaître 
«  l'amour  dont  une  jeune  fille  sera  la  victime  innocente.  Berlioz,  en  damnant  Faust,  a 
((  changé  l'esprit  général  du  poème,  et  son  romantisme  pittoresque  s'est  plu  à  mettre 
«  en  lumière  les  côtés  extérieurs  de  l'action  à  décrire  plus  qu'à  méditer,  à  semer  un 
«  peu  au  hasard  des  chçeurs  de  paysans,  de  buveurs  et  de  soldats,  des  danses  de  syl- 


—  3^3  -- 

((  phes,  une  course  à  l'abîme,  une  seène  infernale  et  même  une  marche  de  Racokzî 
«  simplement,  avoue-t-il  avec  «  ingénuité  »,  parce  qu'il  avait  envie  de  faire  entendre. 
«  un  morceau  de  musique  instrumentale  dont  le  thème  est  hongrois  ». 

((  Liszt  a  mieux  compris  la  façon  profonde  et  subtile  du  poète;  mais  la  forme 
a  adoptée  par  lui  limitait  son  effort  privé  de  secours,  des  paroles,  il  pouvait  traduire 
«  l'esprit  de  l'œuvre  et  non  la  lettre  ». 

((  Schumann  a  poussé  plus  loin; sa  nature   mystique  s'est  sentie  attirée  vers 

<(  cette  partie  plus  obscure,  plus  étrange,  plus  subjective  en  somme,  du  poème  de 
«  Gœthe,  qu'on  appelle  le  second  Faust,  et  il  en  est  résulté  cet  ext:raordinaire  chef- 
ce  d'œuvre,  qui,  planant  bien  au-dessus  des  réalités  terrestres,  nous  fait  pénétrer  dans 
((  un  monde  surnaturel.  » 

De  même  que,  dans  les  feux  d'artifices,  on  réserve  la  pièce  la  plus  étincelante,  la 
plus  prestigieuse,  pour  la  fin  ;  de  même,  M.  Ropartz  termine  d'habitude  la  série  des 
concerts  par  l'exécution  d'une  œuvre  capitale.  Comme  les  années  précédentes,  le 
«  bouquet  »  a  été  on  ne  peut  plus  réussi.  X. 


NICE*  —  Manon  Lescaut  de  Puccini.  —  La  Manon  de  Puccini  vient  d'être  repré- 
sentée au  Casino  municipal.  Le  livret  de  cette  œuvre  diffère  assez  sensiblement  de 
celui  que  Meilhac  et  Gilles  ont  tiré  du  roman  de  l'abbé  Prévost,  notamment  au  der- 
nier acte.  Puccini  a  fait  ressortir  surtout  le  côté  pathétique  de  Manon  et  a  donné  plus 
d'importance  au  personnage  de  Desgrieux  que  ne  l'a  fait  Massenet. 

La  partition,  antérieure  de  plusieurs  années  à  la  Bohême  et  à  la  Tosca  laisse  pres- 
sentir ces  œuvres  et  les  égale  même  par  instants;  c'est  du  Puccini  avec  toutes  ses  qualités 
mélodiques,  et  aussi  quelques-uns  de  ses  défauts.  Il  nous  a  été  difficile  d'apprécier  con- 
venablement cette  œuvre,  jusqu'alors  méconnue  en  France,  car  l'interprétation  en  a  été 
assez  médiocre.  Mme  Wyns  n'est  pas  à  son  aise  dans  le  rôle  de  Manon;  le  ténor  Cons- 
tantino  a  de  la  voix,  mais  il  n'a  pas  le  physique  du  rôle,  qu'en  outre  il  chante  en  un 
charabia  qu'il  prétend  être  du  français  ;  les  autres  rôles,  Lescaut,  le  marquis,  sont  con- 
fiés à  des  utilités  de  troisième  ordre.  Par  là  dessus,  l'orchestre  manqua  de  souplesse  et 
de  cohésion. 

Puccini  qui  assistait  à  la  première  paraissait  fort  mécontent,  et  il    y  avait  de  quoi. 

On  sait  que  l'éditeur  Heugel,  irrité  de  voir  surgir  en  France  une  Manon  rivale  qu'il 
craignait  de  voir  concurrencer  celle  de  Massenet,  avait  pris  le  parti  de  retirer  à  la  ville 
de  Nice  le  répertoire  de  Massenet.  Les  deux  œuvres  étant  complètement  dissemblables, 
il  serait  curieux,  au  contraire,  de  voir  la  Manon  Lescaut  de  Puccini  montée  à  l'Opéra- 
Comique.  Elle  ne  saurait  en  aucune  façon  nuire  à  celle  de  Massenet,  et  réciproquement. 


ROlJEi\.  —  La  grande  séance  de  Musique  française,  donnée  le  7  avril  à  Rouen 
par  M.  Ed.  Colonne  a  été  un  triomphe  pour  l'éminent  artiste  et  son  incompara- 
ble orchestre. 

Que  dire,  qui  n'ait  été  déjà  à  maintes  fois  exprimé,  sur  l'impeccable  virtuosité  de 
l'exécution  ;  —  d'une  part,  soirée  merveilleuse  du  détail,  grâce  auquel  rien  n'échappe 
ni  passe  inaperçu,  des  «  broderies  »  les  plus  fines  ou  des  ornements  les  plus  délicats,  — 
et  de  l'autre,  ampleur  et  richesse  des  ensembles. 

Et  l'on  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer  :  de  l'autorité  calme  et  discrète  du  chef 
ou  de  l'intelligente  et  passionnée  discipline  de  ses  musiciens. 

Le  programme  du  festival,  comportait  —  avec  l'intermède  symphonique  de  Ré-' 
demption,  la  pure  et  belle  œuvre  de  César  Franck,  avec  de  chaudes  et  vibrantes  ((  Im- 
pressions d'Italie  »  de  G.  Charpentier,  le  Rouet  d'omphale,  cette  pittoresque  inspiration 
de  Saint-Saëns,  et  une  œuvre  de  Claude  Debussy,  ï Après-midi  d'un  Faune,  infiniment 
délicate  et  séduisante. 

La  Rapsodie  Norvégienne  d'Edi   Lalo,  dont   le  succès   bientôt  trentenaire  ne  s'est 


—  504  —  ^ 

jamais  démenti,  a  été  cette  fois  encore  accueillie  avec  enthousiasme  ;  elle  complétait  la 
première  partie  de  ce  beau  programme. 

Et  la  soirée  se  terminait  magnifiquement  par  une  idéale  exécution  de  la  Symphonie 
antastt'que  de  Berlioz. 

Ce  n'est  point  aux  lecteurs  du  Courrier  Musical  qu'il  est  besoin  d'expliquer  ce  que 
sont  ces  oeuvres  si  variés  d'inspiration  et  de  style. 

Mais  on  nous  permettra  de  redire  qu'à  celles-ci  on  ne  saurait  trouver  ailleurs  d'in- 
terprètes plus  admirablement  doués  et  sincèrement  habiles,  plus  éloquents  et  plus 
fidèles  que  M.  Colonne  et  son  orchestre. 

H.  P. 

TOULOUSE.  —  On  peut  dire  —  sans  la  plus  petite  exagération  —  que  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire  poursuit  vraiment  une  marche  triomphante.  Voici 
que  dans  la  quatrième  audition,  elle  nous  a  donné  intégralement  Roméo  et  Ju- 
liette de  Berlioz  avec  une  exécution  non  seulement  irréprochable,  tant  sous  le  rapport 
choral  que  sous  le  rapport  orchestral,  mais  encore  l'œuvre  berlizionienne  était  stylée  et 
nuancée;  l'équilibre  vocal  était  en  parfaite  concordance  avec  l'armée  symphonique  et  les 
solistes  furent  tous  à  la  hauteur  de  leur  mission.  C'étaient  :  tout  d'abord  M.  Paul 
Daraux  qui  interprétait  la  partie  de  Père  Laurence  avec  cette  large  déclamation  et  ce 
haut  style  depuis  si  longtemps  connus  ;  puis  Mme  Cora  Rival,  contralto  du  théâtre  du 
Capitole  et  M.  Rouzièry,  du  même  théâtre.  Le  succès  de  cette  soirée  fut  si  grand,  si 
complet  et  si  enthousiaste,  qu'une  seconde  audition  dût  être  donnée.  Cette  seconde  au- 
dition eut  lieu  quelques  jours  après,  au  profit  des  victimes  de  Courrières  et  l'accueil 
fait  à  ce  chef-d'œuvre  fut  aussi  chaud.  Dans  la  seconde  partie  du  concert  se  trouvaient  : 
l'ouverture  à' Egmont  de  Beethoven  et  une  sélection  sur  les  Maîtres  Chanteurs  de 
Wagner.  Cette  dernière  interprétation,  par  M.  Crocet  Spinelli,  valut  au  distingué  direc- 
teur de  la  Société  du  Conservatoire,  une  ovation  des  plus  flatteuses  et  des  plus  sympa- 
thiques. Je  ne  crois  pas  que  le  virtuosisme  ait  jamais,  autant  que  cette  année,  battu  son 
plein  dans  notre  ville.  Hier,  dans  la  salle  des  fêtes  du  Conservatoire,  Mme  Roger-ÎVliclos 
et  M.  HoUmann  faisaient  accourir  un  élégant  et  nombreux  public  de  dilettantes,  attirés 
d'abord  par  la  réputation  des  deux  virtuoses,  ensuite  par  l'heureuse  composition  du  pro- 
gramme :  la  Sonate  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns,  pour  piano  et  violoncelle,  et  la  Sonate 
en  sol  mineur  d'Haendel,  furent  traduites  par  ces  deux  artistes  avec  une  rare  perfection  ; 
aplomb,  rythmique,  style  adéquat,  tout  concourait  à  une  exécution  hors  ligne. 

Dans  le  Carnaval  de  Schumann,  dans  diverses  pièces  de  Chopin,  de  Mendelssohnn 
et  dans  V Ariette  variée  d'Haydn,  Mlle  Roger  -A\iclos  nous  montra  à  nouveau  la  maîtrise 
de  son  talent,  la  souplesse  de  son  mécanisme,  sa  sobriété  dans  le  jeu  des  pédales  et  son 
stvle  expressif.  De  son  côté,  M.  HoUmann,  qui  se  faisait  entendre  pour  la  troisième  fois 
devant  le  public  toulousain,  conquit  entièrement  son  auditoire  dans  les  Variations 
svmphoniques  de  Boellmann,  dans   deux   pièces   de  sa  composition  et  dans  V Arlequin 

(l'inévitable)  de  M.  Popper. 

Omer  Guiraud. 

^■iTRASBOURG.  —  C'est  le  plus  retentissant  succès  artistique  de  notre  saison  l 
^  musicale  que  nous  avons  à  inscrire,  en  signalant  le  Festival  Massenet,  organisé  par  j 
L/  rC/Mto7î  C/îora/e  en  l'honneur  de  l'illustre  Maître  de  l'école  française.  Pour  la  pre-  : 
mière  fois  depuis  l'annexion,  Massenet  consentait  à  venir  à  Strasbourg.  Toute  l'Alsace  ] 
musicale  avait  répondu  à  Y  appel  de  ï  Union-Chorale,  pour  s'associer  de  cœur  à  la  récep-  [ 
tion  que  les  chanteurs,  présidés  par  M.  Arthur  Roederer  et  dirigés  par  M.  Ernest 
Miinch,  en  association  avec  un  chœur  de  dames  et  avec  les  membres  de  notre  orchestre 
municipal,  avaient  préparée  au  Maître,  dans  la  vaste  salle  du  Saengerhaus. 

M.  Massenet  a  été  l'objet  d'ovations  absolument  délirantes  de  la  part  de  notre  pu- 
blic musical,  enchanté  de  lui  prouver  les  préférences  qu'il  a  vouées  à  son  œuvre.  Mlle 
Lucy  Arbell,  la  belle  chanteuse  de  l'Opéra,  était  la  soliste  de  la  soirée  et  elle  a  été,  tout 


o;   — 


y^y 


naturellement,  associée  aux  ovations  répétées  à  l'auteur  des  Scènes  alsaciennes. 
Massenet  a  lui-même  dirigé  l'exécution  de  son  Dernier  sommeil  de  la  Vierge.,  de  ses  airs 
de  ballet,  et  celle  de  ses  Scènes  alsaciennes,  dont  iMM.  Hubbard,  clarinettiste,  et  Mawet, 
violoncelliste,  ont  délicieusement  dialogué  Sons  les  Tilletils.  Le  chœur  de  dames,  l'or- 
chestre  municipal,  et,  en  particulier  M.  Ernest  Miinch,  qui  a  très  remarquablement  dirigé 
la  masse  orchestrale  et  chorale,  en  savant  musicien  qu'il  est,  ont  bien  mérité  de  notre 
monde  musical,  qui  garde  une  dette  de  reconnaissance  à  V Union-Chorale  pour  son  orga- 
nisation de  ce  magnifique  festival. 

Le  sixième  concert  d'abonnement  de  notre  orchestre  municipal,  a  été,  lui  aussi,  une 
solennité  artistique  de  grand  caractère,  grâce  à  Edouard  Colonne,  l'illustre  chef  d'or- 
chestre, qui  était  venu  le  diriger.  Notre  public,  qui  avait  conservé  le  plus  profond  sou- 
venir des  concerts  que  Colonne  avait  lui-même  donnés  à  Strasbourg,  avec  son  propre 
orchestre,  a  chaleureusement  acclamé  Colonne  à  ce  sixième  concert  d'abonnement,  dans 
la  spacieuse  salle  du  Saengerhaus.  Plusieurs  rappels  consécutifs  ont  prouvé  à  nouveau, 
à  Edouard  Colonne  combien  son  talent  est  hautement  apprécié  à  Strasbourg.  Le  so- 
liste de  ce  concert  était  le  baryton  Froelich,  ce  brillant  chanteur,  dont  le  grand  art 
vocal,  l'expression  chaleureuse  et  si  purement  nuancée  ont  ravi  l'auditoire,  qui  l'a  ac- 
clamé et  rappelé  avec  transport.  La  célébration  du  cinquantenaire  de  notre  Conserva- 
toire municipal,  a  été,  entre  autres,  l'occasion  d'un  succès  des  plus  éclatants  pour  M. 
Daniel  Herrmann,  le  distingué  violoniste  de  Paris,  qui  a  traduit  d'une  manière  tout  à 
fait  modèle  le  concerto  en  la  mineur  pour  violon,  de  J,-S.  Bach. 

A.  0. 


Concerts  Ttîjîjotjcés 


Salles  Pleyel 

Grande  Salle 
Avril 

19    Mlle  Joutard. 
21     La  Soeiété  Nationale  de  Musique  (5° 

24  MM.  Pugno  et  Ysaye  (1"  séance). 

25  Mme  Riss-Arbeau. 
La    Société    des     Compositeurs    de 

(5"'  séance). 
MM.  Pugno  et  Ysaye  (2°"^  séance). 
Mlle  Ad.  Bailet. 

29  Mme  Bertrand  (élèves). 

30  MM.  Pugno  et  Ysaye  (3"°  séance). 


Salle  des  Quatuêrs 
26     Mlle  Cramer. 

29  Mme  Monteux-Brisac  (élèves). 

30  Mlle  Jane  Duran  (élèves). 


26 


■  séanc«). 


Musiqu< 


Salle  Erard 


Avril 


20  M.  Pintel. 

22  Les  élèves  de  Mlle  Prestat. 

23  Mlle  Solacoglu. 

24  M.  Ch    Legrain. 

25  Mme  Leroy-Detournelle. 

26  La  Société  Nationale. 

27  M.  Pintel. 

29  Les  élèves  de  Mme  Donaissé-Masson . 

30  Mlle  G.  Dehelly. 

Festival  Beethoven-Berlioz 

20  au  Théâtre  du  Châtelet,  à  3  h. 
23  id.  id. 

25  id.  id. 

27  id.  id. 

29  à  l'Opéra  id. 

Salle  ^oliaM 

20  M.  Jonas. 

21  Mlle  Lie. 
34  M.  Jonas. 


—  ^o6  — 

ÉCHOS   ET  NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


L'Opéra  vient  de  reprendre  très  brillamment  les  Maîtres  Chanteurs.  Ce  fut  une 
belle  soirée.  M.  Delmas  y  tint  avec  la  magistrale  autorité  qu'on  célébra  jadis  le  rôle 
d'Hans  Sachs,  M.  Alvarez  chanta  avec  ardeur  les  belles  phrases  de  Walter  et  Mlle 
Brcval  fut  la  poétique  Eva  aux  mélodieux  accents.  A  côté  de  ces  piliers  de  la  création 
qui  soutinrent  glorieusement  le  chef-d'oeuvre  de  Wagner,  Mme  Caron-Lucas,  MM. 
Riddez  et  Nuibo  remplaçaient  Mme  Grandjean,  MM.  Renaud  et  Vaguet.  S'ils  ne  les 
firent  pas  oublier,  ils  eurent  le  mérite,  surtout  les  deux  premiers,  de  tenir  dignement 
leur  emploi  difficile  et  de  collaborer  à  un  ensemble  excellent.  M.  Paul  Vidal  conduisait 
l'orchestre  et  fut  très  applaudi. 


MM.  Eugène  Ysaye  et  Raoul  Pugno  donneront  cette  année  quatre  séances  de  mu- 
sique de  Chambre,  les  mardi  24,  Vendredi  27,  lundi  30  avril  et  jeudi  3  mai,  à  la  Salle 
Pleyel,  la  i"et  la  3°  séances  auront  lieu  à  4  heures  de  l'après-midi;  la  2'  et  la  4'  à 
g  heures  du  soir.  La  dernière  séance  (3  mai)  sera  consacrée  entièrement  à  Beethoven. 
Les  programmes  comporteront  les  œuvres  classiques  et  modernes  suivantes  : 
Sonates  de  Bach,  Mozart,  Beethoven,  C.  Franck,  V.  d'Indy,  Lekeu,  Jongen  —  et 
avec  le  concours  des  artistes  du  Quatuor  Ysaye  (MM.  J.  Ten  Hâve,  E.  Deru,  L.  Van 
Houtt,  J.  Jacob)  le  Quintette  de  G.  Fauré  (i"  audition)  et  le  Concert  (sextuor)  d'E. 
Chausson. 

La  Ligue  de  l'Enseignement,  vient  de  clore  la  brillante  série  de  ses  matinées  par 
une  audition  de  Mozart.  Le  quatuor  en  sol  mineur  pour  piano,  violon,  alto  et  violon- 
celle y  fut  remarquablement  interprété  par  Mme  Bleuzet,  MM.  Lavello,  Videix  et 
Maxime  Thomas.  On  a  applaudi  également  des  fragments  de  la  Flûte  enchantée  et 
des  Noces  de  Figaro,  chantés  avec  art  par  M.  Monela,  des  concerts  Lamoureux.  En  une 
très  intéressante  étude  d'une  belle  forme  littéraire,  M.  Horace  Hennion,  avait  aupara- 
vant retracé  l'histoire  de  l'auteur  de  Don  Juan. 


L'inauguration  de  l'orgue  Cavaillé-Goll  de  la  salle  Berlioz  a  été  des  plus  brillantes. 
M.  Alex.  Guilmant  qui  avait  été  appelé  à  faire  valoir  ce  bel  instrument  a  obtenu  un 
grand  et  légitime  succès  en  exécutant  sa  Première  Symphonie  pour  orgue  et  orchestre 
sous  l'habile  direction  de  M.  Monteux,  et  l'immortelle  Passacaille  de  Bach. 


Lyon.  —  Au  septième  Concert  (supplémentaire)  de  la  Société  des  Concerts  fut  don- 
née pour  la  première  fois  à  Lyon,  la  Symphonie  en  ré  mmewr  de  G. -M.  Witkowski, 
exécutée  déjà  à  Paris,  à  la  Société  Nationale,  puis  aux  Concerts  Lamoureux.  Une  ova- 
tion a  été  faite  au  compositeur. 

Le  prochain  concert  de  la  Revue  musicale  de  Lyon  sera  consacré  à  des  lieder  de 
Schumann,  Franck,  d'Indy,  Chausson,  Fauré,  Debussy,  Ravel,  de  Séverac.  —  Au 
Grand-Théâtre  on  a  donné  le  Crépuscule  des  Dieux  de  Wagner,  avec  Mme  Litvinne. 

—  Au  dernier  concert  de  la  Société  de  Musique  de  Chambre  de  Dijon,  le  succès  a  été 
des  plus  vifs  pour  l'excellent  pianiste  G.  de  Lausnay,  surtout  après  sa  brillante  exécu-i 
tion  du  Scher7j3  en  si  bémol  de  Chopin.  1 


~  307  — 

Monte-Carlo.  —  La  série  des  représentations  de  printemps,  sous  la  direction  de 
M.  Coudert,  s'est  ouverte  par  une  brillante  reprise  de  Véronique,  le  délicieux  opéra- 
comique  de  M.  André  Messager. 

Le  succès  de  ce  charmant  ouvrage  s'est  renouvelé,  plus  éclatant  que  jamais.  Le 
public  a  pris  le  plus  vif  plaisir  à  la  pièce  délicate  et  finement  amusante  de  MM.  Vanloo 
et  Duval.  Et  l'exquise  musique  de  M.  André  Messager  a,  de  nouveau  provoqué  d'una- 
nimes applaudissements. 

C'étaient  les  principaux  créateurs  parisiens  de  ce  gentil  chef-d'œuvre  qui  en  repre- 
naient les  rôles  créés  par  eux  : 

Mlle  Mariette  Sully,  avec  sa  spirituelle  espièglerie,  sa  fort  jolie  petite  émotion,  fut 
une  Hélène  vraiment  adorable.  M.  Jean  Périer,  dans  le  rôle  de  Florestan,  a  chanté  et 
joué  avec  sa  charmante  fantaisie  et  son  brio  délicieux.  La  scène  de  l'escarpolette  a  valu 
une  chaleureuse  ovation  à  ces  deux  excellents  artistes. 

M.  Coudrier  a  joué  très  gaiement  le  rôle  de  Coquenard.  M.  Maurice  Lamy  détaille 
avec  une  finesse  charmante  le  rôle  de  Loustot.  M.  Brunais  est  d'une  naïveté  épique  dans 
le  personnage  de  Séraphin. 

C'était  Mlle  Lambert  qui  jouait  le  rôle  d'Agathe  :  elle  y  fut  très  piquante.  Et  Mme 
Jane  Evans  tint  avec  un  comique  du  meilleur  aloi  le  rôle  d'Ermerance. 

L'orchestre,  dirigé  par  M.  Désiré  Thibault,  a  exécuté  en  perfection  cette  partition 
ravissante.  ^ 

Béziers.  —  Les  fêtes  annuelles  de  Béziers  auront  lieu  au  mois  d'Août.  Au  pro- 
gramme figurent  /«  Vestale  de  Spontini  et  une  cantate  à  la  Gloirede  Corneille  de  Saint- 
Saëns. 


M.  Siegmund  von  Hausegger  vient  de  donner  sa  démission  de  chef  d'orchestre  des 
Concerts  du  Muséum,  à  Francfort-sur-le-Mein.  On  semblait  espérer  que  le  conseil  muni- 
cipal n'accepterait  pas  cette  démission  et  qu'il  serait  possible  de  faire  revenir  sur  sa 
détermination  M.  Hausegger,  qui  est  un  excellent  chef  d'orchestre  et  un  compositeur 
distingué.  Mais  nous  apprenons  que  sa  démission   est  définitive  et  a  été  acceptée. 


La  première  exécution,  en  Allemagne,  de  Der  Kinderkreussug  (La  Croisades  des 
Enfants),  vient  d'être  donnée  par  l'oratorien  Verein,  sous  la  direction  du  professeur 
W,  Weber,  avec  un  succès  éclatant.  M.  Dumaine,  ministre  de  France,  qui  assistait  au 
concert,  a  pris  l'initiative  d'organiser,  à  Munich,  avec  le  concours  des  500  membres  de 
l'Oratorien,  une  audition  de  l'œuvre  de  Gabriel  Pierné,  au  bénéfice  des  sinistrés  de 
Courrières. 

La  Croisade  des  Enfants  a  été  exécutée,  hier,  à  Brunswich,  sous  la  direction  de 
M.  Settekorn.  _____ 

Varsovie.  —  Au  concert  d'abonnement  du  30  mars  de  la  Philharmonie  de  Var- 
sovie, s'est  fait  entendre  avec  un  immense  succès,  Mlle  Marguerite  Artôt  dans  i'àir  de 
Fidelio  et  dans  la  prière  de  la  Tosca,  ainsi  que  dans  des  poèmes  arabes  d'Adam  Wie- 
niawski,  tirés  des  Mille  et  une  nuits  et  que  l'auteur  conduisait  en  personne.  Les  Var- 
soviens  ont  vivement  fêté  leur  jeune  compatriote  qui  se  produisait  pour  la  première 
fois  comme  compositeur  et  chef  d'orchestre  dans  sa  ville  natale.  Quant  à  Mlle  Artôt, 
son  succès  fut  si  grand  que  la  direction  de  la  Philharmonie  l'a  retenue  pour  un  second 
concert  qui  a  eu  lieu  le  5  avril.  Ces  premiers  triomphes  font  bien  augurer  de  la  bril- 
lante carrière  de  la  jeune  cantatrice. 

S. 

Milan.  —   On  vient  de  donner   avec  grand  succès,  à  la  Scala,  la   première  d'un 
drame  lyrique  en  4  actesj  Résurrection,  sur  un  livret  tiré   par  César  Hanau  du  roman 


—  3o8  — 

de  Tolstoï  ;  la  musique  est  de  M.    Frank   Alfano,  compositeur,  originaire  de  Naples  et 
ancien  élève  du  Conservatoire  de  Leipzig. 

—  La  Scala  vient  de   donner  le  2g  mars,  la  première   représentation  de  la  Figlia 
di  Jorio,  d'Alberto  Franchetti,  tragédie  lyrique  sur  le  poème  de  G.  d'Annunzio. 


Rome. —  M.  C.  Saint-Saëns  a  donné  le  26  mars,  à  l'Académie  Sainte-Cécile,  un 
concert  consacré  à  l'audition  de  ses  euvres  (dont  la  Symphonie  en  ut  mùteur).  Le  28  il 
jouait  de  nouveau  à  Florence  au  concert  donné  par  M.  Rinskoff,  avec  le  violoniste 
Spalding. 

Londres. —  La  prochaine  saison  de  Covent  Garden  s'ouvrira  le  3  mai  prochain.  On 
donnera  Tristan  et  Yseult  dont  les  rôles  principaux  seront  chantés  par  Burriau 
et  Mme  Wittig. 

Cette  représentation  sera  dirigée  par  Richter,  ainsi  que  les  deux  séries  de  la  Té- 
tralogie qui  auront  lieu  en  mai  également. 


Bruxelles.—  La  Monnaie  vient  de  donner  avec  grand  succès  Déidamia,  de  Fran- 
çois Rasse.  Leconcert  Kaim,  sous  la  direction  de  G.  Schneevoigt,  a  parfaitement  réussi. 


Tournai.  —  La  Société  de  Musique  vient  de  donner  une  exécution  intégrale  des 
Béatitudes  de  César  Franck  avec  Mme  Dubois,  MM.  Dubois,  Noté,  Nivette,  de  l'Opéra 
de  Paris. 


Saint-Pétersbourg.  —  M.  Alexandre  Glazounow  vient  d'être  nommé  directeur  du 
Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg. 


Le  jubilé  de  la  cinq  centième  audition  publique  des  Enfantines  et  Chansons  de 
gestes  de  M.  E.  Jaques  Dalcroze  vient  d'être  célébré  à  Bâle. 

Une  audition  modèle  sous  la  direction  du  profeseuur  Paul  Bœpple  avec  le  concours 
des  écoles  de  la  ville  et  du  Conservatoire. 


Livres  et  Œuvres  ni)usicales  reçus 


GinÇL  mélodies  populaires  grecques  (traduction  française  par  M.-D.  Calvocoressi 
avec  accompagnement  de  piano  par  Maurice  Ravel. 

Impressions  Sylvestres,  cinq  pièces  pour  violoncelle  et  piano  par  Auguste  Chapuis. 

Saint-Saëns  :  La  Jeunesse  d'Hercule  (partition  d'orchestre,  petit  format). 

(Chez  MM.  DURAND  &  FILS,  éditeurs,  Paris). 


Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


P»ris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


OPÉRA 


CHï^TELET 


Société     1^-u.sicale     O.     .A.STR,XJO     Ss     Cie 


5/X   CONCEUTS 

23    -A.vril 

FESTIVAL 

BEETHOVEN-BERLIOZ 

Sous  le  TatroQage  de  la  Société  des  Grandes  Auditions  Musicales  de  France 

Présidente  :  Mme  la  Comtesse  Grejfulhe 

AVEC   LE   CONCOURS    DE   MESDAMES 

Lucienne    B^ÉV;^!    §    Alice     V^^LKT,     de     l'Opéra 

MM.  VAN  DYCK,  AFFRE,  DELMAS,  GRESSE,  de  l'Opéra 

le    Pianiste     A.     PIERRET 
L'Orcbcstrc     De    l'^ssociatiot)     Des     (^opccrts     Larr)ourcu;i 

et  Des  400   (^boristes  De  rQratoriurt)  yercet}igit)g  D'^rpsterDarr) 

550  ©xÉ[cutants  éou^  la  5ii|Ection  fie 

Félix    WEINGTlliTNEJi 


"CfjÉ^iTI^E  du  Gl^^iTELET 

le  20  AVRIL,  à  3  heures 

ê  t  t 

BEE'niOYETV 

1.  Symphonie  Pastorale 

2.  Ouverture  de  Coriolan 

3.  Symphonie  Eroica 


:TïîÉ;iTI^E  du  a^kXZlLX 
le  27  AVRIL,  à  3  heures 

ê  6  ^ 

BEE'riIOl'KX 

1.  Ouverture  de  Fidclio 

2.  Ouverture  de  Léonore  (I) 

3.  Ouverture  de  Léonore  (II) 

4.  Huitième  Symphonie 

5.  Ouverture  de  Léonore  (III) 


P  ROG.  R  A  M   M   E 

Tf^É^iTI^E  du  Gfi^iTELET 
le  23  AVRIL,  à  3  heures 

t   È   t 

1.  Ouverture    de    Benvenuto  Cellini 

2.  Air  de  l'Enfance  du  Christ 

3.  Ouverture  du   Carnaval   Romain 

4.  Air  de  Cassandre 

5.  Symphonie  Fantastique 


DE  L'OPÉI^^ 
le  29  AVRIL,  à  3  heures 

È  t   È 

LA    DAMNATION    DE    FAUST 

poème  symplioniquc  pour  Soli, 

Chœurs  et  Orchestre. 


TîîÉ^itl^E  du  GîîATELET 
le  25  AVRIL,  à  3  heures 


BEETIIOYET^' 

1.  Symphonie    en   la 

2.  Concerto  de  piano  en  sol  majeur 

M.  Auguste  PIERRET 

3.  Symphonie   en   ut  mineur 


DE  l'Opt^k 
le  1^''  MAI,  à  9  h.  du  soir 

t  t  t 

BEETIIOYEX 

1 .  Ouverture  d'Egmonl 

2.  Fantaisie  Chorale 

3.  Neuvième  Symphonie 


Pour   Ions   renseignements^    s'adresser    à   MM.    G.    ASTRUC   et   Cie   (Société  Musicale) 

l'avillon  de  Hanovre.,  Paris 


Administration  de  Concerts  A.  DANDSLOT,  83,  rue  d'Amsterdam 


SALLE       PLEYEL 


SAMEDI    28     AVRIL,     à     c,     heures 


ŒJi^® 


^ILI¥ 


hhTKOVEN 


Chopin 


Polonaise 

Sonate  op  28  (Pastorale)       .... 

Sonate  si  bémol  mineur 

Scherzo  ut  diè^e  mineur \ 

Mazurka  si  bémol  mineur /  (^^^Qp,^, 

Valse  op.  34,  n°  I 

Ballade  op.  47 


\ 


Sonate Scarlatti 

Arabesque     Schumann 

Scherzo Schubert 

Murmures  de  la  Forêt   . .     l 

Rhapsodie  n°  12.    .     ) 


Liszt 


'©i]ate3  pour  'Piai]© 


DE 
PAR 


^"-s^Sgrvr--. 


X^  m^ 


Les    BîmmBohss    @,    ii,    iO-,    if    Mai 

En     matinée^     à    ^     heures 

Jeudis  if  et  51   Maîv  eia  sûipée,;  à  9  heuFes 

Jeudis  f  et  14  ëmm.  en  soipée,  à  9  heures 


I»  B  A  TV  O  ^I  ES  A  ES  » 


SALLE       ERARD 


LUNDI    30    AVRIL     1906,    à    9    heures 

CONfCERT     mTS©     ORCHEST 


RE 


DDNNE  PAR  MADEMOISELLE 


SeîîGViève     DIÏIIIiIlY 


]Vt. 


OrcÏ7eslre  sous  la  direction  de 


Concerto  ut  mineur  n°   ;  op.    ^■y. 

Mlle  G.  DEHELLY  et  l'Orchestre. 
Thème  et  variations 

Mlle  Geneviève  DEHELLY. 
En  Norvège  (iv  2  et  n°  31  . .   .  . 

L'Orchestre. 


3PROG  H,AMM:E: 

Beethoven 


C.  Chevillard 
A.  CoauARD 


a.  Impromptu  favec  variations).      Schubert 

b.  Miiitar-Marsch   . .  ...     Schubert-Tausig 
Mlle  Geneviève  DEHELLY. 

Concerto  mi  bémol  majeur  ..    ..     Liszt 
Mlle  G.  DEHELLY  et  l'Orchestre. 


Le^ 


Les  Professeurs  du  Conservatoire  de  Paris 


QÂaïtt>^  de   Qiïiàt,    iProfeâseur  de  j}iano. 


Selon  le  désir  que  vous  avez  manifesté,  j'ai  essayé  vos  pianos,  à  queue  nouveau 
modèle  ;  ce  sont  des  instruments  parfaits  tant  au  point  de  vue  de  la  docilité  du  clavier 
que  de  la  pureté  du  son. 

Honneur  à  la  fabrication  française, 

.mTouiS  SÛiimei*^,   J^rofesieur  de-piano. 

Je  suis  très  charmé  de  pouvoir  vous  dire  combien  j'ai  été  enchanté  et  ravi  de 
vos  excellents  pianos  à  queue  (grands  et  petits  modèles)  que  j'ai  joués  chez  vous 
l'autre  jour  ;  ils  ont  une  très  belle  sonorité,  puissante,  égale  et  veloutée,  et  le  clavier 
en  est  d'une  très  grande  légèreté  et  des  plus  agréables  à  jouer. 

Je  vous  adresse  donc  encore  mes  bien  sincères  félicitations. 

ÇcoïÇi^S  ^atÂenieïç,  Professeur  de  piano. 

J'ai  eu,  en  bien  des  circonstances,  l'occasion  de  jouer  sur  vos  excellents  pianos 
et  d'apprécier  leurs  très  sérieuses  qualités  comme  sonorité  ainsi  que  comme  égalité  du 
clavier;  d'après  le  temps  que  je  les  ai  vu  résister  chez  des  personnes  de  ma  connaissance, 
à  la  fatigue  que  peut  occasionner  un  travail  régulier,  je  ne  doute  pas  qu'ils  n'offrent  les 
conditions  de  sojidité  qu'on  désire  trouver  dans  un  instrument  qui  peut  être  soumis  k 
un  travail  quotidien  considérable. 


Jiflaïmontef  piie,   Professeur  de  piano. 


Le  piano  que  vous  m'avez  envoyé  est  exquis.  Sonorité  délicieuse,  chantante, 
expressive,  se  prêtant  à  tous  les  effets  de  coloris  musical.  Mécanisme  parfait,  clavier 
souple,  d'un  toucher  très  agréable. 

^{^xandïc  Ouifmant,   professeur  d'orgvzj.  > 

J'ai  été  à  même  maintes  fois  d'apprécier  votre  facture  si  artistique  et  j'ai  pu  juger 
combien  vous  apportez  de  soin  dans  la  fabrication  de  vos  instruments.  Vos  pianos  ont 
une  très  belle  sonorité  et  le  mécanisme  en  est  excellent. 

C'est  en  construisant  des  instruments  de  premier  ordre  que  notre  facture  française 
maintiendra  sa  supériorité  sur  la  concurrence  étrangère,  et  vous  y  contribuez  largement. 


Çeaïf€S  J(aïty,   ^Professeur  djf 


armonie, 

'     J'ai  eu  bien  du  plaisir  dernièrement  à  voir  de  près  vos  grands  pianos  de  concert, 
nouveau  modèle.  - 

Vous, étiez  absent,  et  je  n'ai  pas  pu  vou§  dire  de.vive  vpix  ce  que  je  suis  heureux 
de  vous  écrire  aujourd'hui-:  Vos  instruments  sont  de  tout  premier,  ordre,  par  la  puis- 
sance de  leur'sonorité  et  leur  délicatesse  expressive  ;  et  je  n'ai  qu'un  regret,  c'est  de'  ne 
ipas  être. assez  pianiste  pour  les  faife  valoir  comme  ils,  le  méritent. 


Ll'AL^ 


ET    IDE 


r 


à  Grand  eadre  cr^  f^r  d'une  seule  Pièce  et  Cordes  croisées 


PIANOS  MUSTEl 


Faotiii^e       e3:cl\asiven3.eïit      jA.i*tistiq[\ie 


ORGUES    MU STEL 


mUSTEL,  <^  Cîe    «ae  de  ©eaa.%  *6.  î»aïll 


L.IO  u  e;  u  1% 


BÉNÉDICTINE 


9«  Année,  N»  11,  1er  Juin  1906. 


iekMu:ical 


Directeur:  Albert  DIOT 


Secrétaire    ii    la    Rédaction  :    René    DO  IRE 


^OMMAIRE  : 
Portraits  :  Edward  ELGAR  &  Camille  SAINT-SAENS  (en  1846) 


^Es  Années  de  Jeunesse  de 
Jean-Sébastien  Bach.  ...     A.  PIRftO. 

-E  Piano  et  l'Education 
Musicale  (fin) E.JAQUES-DflLCHOZE 

<e  Songe  de  Gérontius  de 
Edward  Elgar VICTOR  DEBAY. 

-E  SoiXANTIÈiME  ANNIVER- 
SAIRE MusicaldeC.  Saint- 
Saens HUBERT  BRUSSEL. 


La  Q.UINZAINE  Musicale  :  Société  Nationale, 
Concerts  Jacques  Tbibaud,  Concerts  Mys:(- 
Gmeiner-lVurmser ,  Concerts  de  Blanche  Selva. 

Concerts  Divers. 

La  Sonate  moderne  et  classique.  —  Concerts 
Risler. 

Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 


Correspondances  de  :  Marseille,  Le  Havre, 

Toulouse,  Iiiège. 

Concerts  Annoncés. 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 
Nouveautbs  Musicales. 


<♦> 


Administration  et  Rédaction  :  Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  la 

Î9.  RUE  TRONCHET,  PARIS  (8«)     ^,'tl'"^-'^f '"\'''  ^'*'*^v-  ^^"^' 

.  ^      ''      et  Samedi,  de  10  heures  a  midî. 


TELEPHOIVC  t(5!S.05 

lureau;c  ouverts 

de  10  b.  à  midi  ci  de  )  h.  à  6  h. 


Le  numéro  :  75  centimes 

Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musica 

(le     1^     ET     LE     15     E>E     CHAQUE     MOIS) 


[    Paris  et   Départements 12  francs  l'an 

ABONNEMENTS        ^ 

(      bTRANGER 15  »  » 

Le    Numéro:    75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 
Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PRIS,  (16^) 
Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PRt>  (3). 

^^  ITÉLÉPHONE  :    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — - 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chanta voine  —  Camille  Chevillard  —  D*^  Colas —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot —  RenéDoire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  -  E.  Giovanna  —  Omer  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel — Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J,  Sauerwein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D»^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc  .. 

1.0   Courrier  Musical  est  en  ireutc  : 
A  PARIS:    ^9}  ^w/5  Tronchet. 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.   E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odéon,  —   ;^,  rue  Àuber, 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Saint-Honcré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre- Français. 

Chez  M,   LEGODX,  4,  rue  de  Rougemotit  ;  20,  faubourg  Poissonnière,  etc. 
Chez  M.  PDGNO,   ly,    Quai  des  Grands-^^ugustins,  etc... 
F«i  PROVINCE,    chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 


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i  MIVI.  BREITKjPF  &  H/ERTEL,    45,  rue  Montagne  de 
\  Cour,  à  BRUXELLES 

(  MM.    BREITKOPF   &    H/ERTEL,    54,    M&lborougti-Street, 
\  LONDON-W. 

\  MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM. 

(  MM.  BRENTANO'S,  Union  Square,  NEV^-YORK. 

(  M.  G.  SCHIRNER,  35,  Union  Square,  NEW-YORK. 


Le  compositeur  anglais   Edward    ELGAR 

auteur    du    Songe   de   Gérontius,  qui  vient  d'être   exécuté   à    Paris 


Société  Uusicale  G.  ASTHUC  et  C'%  32,  rue  Louis-le-Qrand  -  Pavillon  de  Hanovre 


SALLE       PLEYEL 

VENDREDI     8     JUIN     1906 

■ — •vg3Z^g:îg->- — ■ 

Mfred  CÛKTOT 

avec  le  coi^cours  de 


3™   CONCERT 

Vendredi    8    )uiv,    à  9    heures 


>"T?5feyT'- 


F.    LI5ZT 


1.  Concerto  en  mi  bémol. 

2.  Mélodies   (i"  Audition). 

Mme  Ada  ADINY 

3.  Sonate  en  si  mineur. 

(Dédiée  à  Robert  Schumann). 


4.      Mélodies  (i''°  Audition). 

Mme  Ada  ADINY 
5.fl  2me  Bapsodie  Hongroise. 

b  Libestraùme  (2-  notturnoj. 

c  Méphisto-Walzer. 

(d'après  le  poème  de  Lenau). 

S=^-o 


PRIX     POUR    UN    SEUL    CONCERT 

GRAND  SALON,  la  place 10  francs  [  PETIT  SALON,  la  place 5  francs  (épuisées) 


Billets  à  l'avance  :  A  la  SALLE  PLEYEL,  22,  rue  Rochechouart  ;  chez  MM.  DURAND  et  FILS,   Editeurs,  4,  place  de 
la  Madeleine  et  à  la  SOCIÉTÉ  MUSICALE,  32,  rue  Louis-le-Grand  (Pavillon  de  Hanovre) 


"&#i 


Camille  SAINT-SAENS 

en    1846,  lors    de    son    premier  concert 


Administration  de  Concerts  A.  DANDELOT,  83,  rue  d'Amsterdam 

SALLiE  PLiEYELi,  22,  Rue  Rochechouart 


Vendredi    I"  Juin    1903,  à   4    î^eures    précises 

RÉCITAL    DE    CHANT 

donné  par  Mme 

L"ia   MYSZ-GMEINER 


AU    PIANO: 

M.   Alfred  CASELLA 


PROGRAMME 
Vendredi   i^""  Juin   1906,  à  4  heures 


1.    Wie  bi&t  du  meine  Koenigin 

Stânnchen      

Feldeinsamkeit 

Sandmânnchen ■.   . 


Brahms 


II,  Verborgenheit \ 

Verschwiegene  Liebe  .....     . .     l 

Mausfallensprûchlein  ..   ..  ..  ..     [hugoWolf 

Begegnung 

Ich  hab'iii  Penna 


III.  Gluck \..      p 

Wenn  die  Linde  blûht /'^^'^  ^^^^"^ 

Nachtgeschwàtz     i^      d 

Icû  bin  eine  narie 


IV.     Morgen \ 

Du  meines  Herzens  Kroenelein.  / 

Alî'mein' Gedanken 1 

Wiegenlied 1 


R.  Strauss 


f\uditioi^    ii7tégpale 


des 


32    SONATES    pour    Piano 


de 


SMTHOVEN 


par 


Edouard  ^isler 


s  ALLE  ERARD,  13,  Rue  du  Mail 


S=    C01SrCBR,T 

Jeudi  7  Juin,  à  g  h.  du  soir 

Sonates  :  op.  55,  ut  majeur 
op.  54, /«  majeur 
op.  ^"j,  fa  mineur 

Billets  portant  le  n°  6 


7"=      C01;TOE3R,T 

Mardi  12  Juin,  à  9  h.  du  soir 

Sonates:  op.  78 /a  diè^e  majeur. 
op.  79  50/  majeur. 
op.  8ia    (les    Adieux)    mi 

bémol  majeur. 
op.  90  mi  mineur. 
op.  lOi   la  majeur. 
Billets  portant  le  n°  7 


S=  C01T0E3K,T 

Samedi  16  Jui7i,  g  h.  du  soir 


Sonates  :  op.   106,  5/  bémol  majeur 
op.   109,  mi  majeur 
op.    \\o,  la  bémol  majeur 
op.   III,  ut  mineur 
Billets  portant  le  n°  8 


9"  ANNÉE.  N*  II.  i"JUIN  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Portraits  :  Edward  Elgar.  —  Camille  Saint-Saëns  {en  1846).  —  Les 
années  de  jeunesse  de  Jean-Sébastien  Bach  (A.  Pirro).  —  Le  piano  et  l'Education 
Musicale  (fin)  (E.  Jaques-Dalcroze).  —  Le  Songe  de  Gérantius  de  Edward  Elgar 
(V.  Debay),  —  Le  soixantième  anniversaire  musical  de  C.  Saint-Saëns  (Robert 
Brussel).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Société  Nationale,  Concerts  Jacques  Thihaud, 
Concerts  'Mys:(-Gmeiner-lVurmser,  Concerts  de  Blanche  Selva,  La  Sonate  moderne  et 
classique^  Concerts  Risler.  —  Concerts  divers.  —  Le  mouvement  musical  en  province  et 
à  l'étranger:  Correspondances  de  :  Marseille,  Le  Havre,  Toulouse.  Liège.  —  Concerts 
annoncés.  —  Echos  et  Nouvelles  diverses.  —  Nouveautés  Musicales. 


Les  années  de  jeunesse  de  J.=S.  Bach 


Les  jeunes  années  de  Jean-Sébastien  s'écoulèrent  à  Eisenach.  On  voit  encore  la 
maison  où  il  naquit,  et  l'on  peut  se  figurer,  à  peu  de  chose  près,  le  décor  où  il  vécut 
son  enfance.  Bien  des  parties  de  la  vieille  demeure  ont  dû  rester  presque  telles  qu'il 
les  aperçut,  dès  que  ses  yeux  furent  capables  de  distinguer  les  objets  et  de  les  recon- 
naître. La  serrure  de  la  porte  d'entrée  est  garnie  d'une  plaque  ouvragée  dont  les  con- 
tours chimériques  lui  ont  semblé,  sans  doute,  dessiner  de  prodigieux  visages.  Le  large 
vestibule  aux  carreaux  de  brique  put  lui  donner  l'idée  d'un  désert  sombre,  et  l'escalier 
tortueux  qui  monte,  au  fond,  vers  la  droite,  put  lui  paraître  la  route  de  quelque  voyage 
périlleux.  Mais  je  veux  croire  qu'il  ressentit,  dans  le  petit  jardin,  les  premières  impres- 
sions de  la  nature.  Elle  l'y  accueillit  d'abord  sous  cet  aspect  diminué  qui  charme 
l'enfant,  effrayé  des  grands  espaces.  Il  prit  le  goût  des  paysages  verts  dans  le  modeste 
verger.  Dans  cet  enclos  étroit,  borné  par  la  muraille  de  la  maison  tapissée  de  vigne, 
fermé  d'une  haie  vive,  divisé  par  des  lignes  de  haut  buis,  il  se  trouva  assez  protégé 
pour  oser  contempler  les  mirages  mouvants  du  ciel  immense  encore,  bien  que  limité 
par  le  faîte  des  maisons  voisines.  C'est  là  qu'il  s'habitua  au  spectacle  des  nuées,  sus- 
pendues au-dessus  de  lui,  et  c'est  là  que  sa  mère  put  lui  apprendre,  en  se  servant  des 
paroles  de  Martin  Luther,  le  miracle  journalier  de  la  main  qui  soutient  dans  les  airs  ces 
masses  flottantes,  et  nous  garde  de  leur  chute. 

Et  cette  terre  d'Eisenach  était  hantée  de  légendes.  La  vue  de  la  Wartburg  qui  la 
domine  y  entretenait  la  mémoire  des  hôtes  fameux  qu'avaient  gardés  ces  murailles 
fortes.  C'était  le  château  d'Elisabeth  aux  mains  bienfaisantes,  et  Luther  y  avait  com- 
battu le  démon,  tandis  qu'il  préparait  au  peuple  sa  nouvelle  foi.  Mais  le  vieil  édifice 
évoquait  encore  d'autres  visions.  Terre  mystique,  la  terre  d'Eisemach  était  encore  la 
patrie  des  musiciens.  La  Wartburg  avait  réuni  jadis,  en  un  tournoi  célèbre,  les  chan- 
teurs les  plus  habiles,  et  les  savants  se  plaisaient  à  faire  voir  que  le  nom  latin  de  la 


(i)Avec  l'aimable    autorisation   de  l'éditeur,  nous   publions  un  fragment  important  de  l'ouvrage  de    M. 
PiRRO  sur  Bach,  qui  va  paraître  ces  jours-ci  chez  Alcan,  dans  la  collection  des  Maîtres  de  la  Musique. 


—  374  — 

ville  elle-même  contenait  une  sorte  d'oracle  musical  (Isenactim,  en  canimus,  en  musica). 
Enfin  le  Réformateur  avait  en  quelque  sorte  consacré,  dans  sa  jeunesse,  les  rues  et  les 
carrefours  de  la  cité,  qu'il  parcourait  avec  ses  compagnons  d'école,  en  disant  des  can- 
tiques, selon  la  coutume  des  étudiants  pauvres. 

Tout  ce  qui  pouvait  modeler  l'esprit  tendre  de  Bach  était  ainsi  mélangé  de  reli- 
gion, de  poésie  de  la  nature  et  de  musique.  Dans  la  pratique  de  cet  art,  son  père,  le 
violoniste  Johann  Ambrosius,  fut  son  premier  maître.  Mais  Bach  ne  put  jouir  long- 
temps de  ses  conseils.  Ambrosius  mourut  au  commencement  de  l'année  1695.  Sa 
femme  était  morte  en  1694.  Jean-Sébastien  dut  chercher  un  refuge  auprès  de  son 
frère  aîné,  Johann-Christoph,  organiste  à  Ohrdruf.  Son  frère  Johann-Jakob  fut  recueilli 
en  même  temps  que  lui.  Tous  deux  sont  inscrits  sur  les  listes,  dressées  pour  chaque 
classe,  des  élèves  du  lycée  d'Ohrdruf.  Malheureusement,  les  états  de  l'année  scolaire 
1694-1695  font  défaut  et  nous  ne  rencontrons  le  nom  des  Bach  que  dans  les  tables  de 
1696.  Jean-Sébastien  était  alors  novicius  en  Tertia,  et  Johann-Jakob  est  signalé  comme 
ayant,. cette  année-là,  quitté  le  lycée,  où  il  était  dans  la  même  classe  que  son  frère. 
Bach  resta  deux  années  dans  cette  classe,  où  il  avait  pour  professeur  Johann-Heinrich 
Arnold  qui,  d'autre  part,  exerçait  les  fonctions  de  cantor. 

Arnold  (1653-1698)  était  un  maître  violent.  En  1697,  le  fils  de  Johann-Christoph 
Bach  d'Arnstadt,  Johann-Ernst,  dut  passer  avec  un  de  ses  camarades  de  la  troisième 
en  seconde,  pour  échapper  à  la  «  discipline  intolérable  »  d'Arnold.  Il  fallut,  la  même 
année,  donner  congé  à  ce  professeur  qui  mettait  le  trouble  parmi  les  élèves  et  la  con- 
fusion dans  le  chœur.  A  sa  place  fut  nommé  un  jeune  musicien,  Elias  Herda.  Quatre 
fois  par  semaine,  il  avait  pour  tâche  d'exercer  les  élèves  de  midi  à  une  heure.  En 
seconde,  Bach  eut  pour  maître  Boettiger,  et  en  Prima,  il  étudia  sous  la  conduite  de 
J.-Chr.  Kiesewetter,  rector  du  lycée  et  professeur  éminent.  Le  plan  d'études  compre- 
nait alors,  dans  les  classes  élevées,  des  exercices  latins,  l'explication  des  lettres  de 
Cicéron,  un  peu  de  grec  et  des  éléments  de  théologie.  En  Prima,  on  enseignait  aux 
élèves  à  composer  des  chries  et  des  discours,  on  apprenait  l'histoire  universelle  d'après 
l'ouvrage  de  Buno,  la  géographie,  et  on  commentait  Quinte-Curce  et  Térence  (i). 
Bach  prit  part  à  tous  ces  travaux  avec  intelligence  et  assiduité.  L'année  de  son  entrée 
en  troisième,  il  est  en  même  temps  le  plus  jeune  et  le  premier  de  ses  condisciples.  La 
deuxième  année,  il  garde  le  même  rang,  descend  un  peu  en  Secunda,  mais  regagne  la 
seconde  place  dans  la  période  suivante. 

D'autre  part,  il  faisait  de  la  musique  avec  passion.  Les  auteurs  de  la  notice  né- 
crologique racontent,  de  ces  années  d'apprentissage,  une  anecdote  touchante  et 
caractéristique.  En  voici  le  résumé.  «  Un  livre  rempli  de  pièces  de  clavecin  des 
maîtres  les  plus  célèbres  de  ce  temps,  Froberger,  Kerl  et  Pachelbel  lui  avait  été  refusé 
par  son  frère,  on  ne  sait  pour  quelle  cause.  L'armoire  où  Johann-Christoph  plaçait  ce 
recueil  n'était  fermée  que  d'un  simple  treillis.  Bach  put  passer  sa  petite  main  au  tra- 
vers du  grillage  et  tirer  le  cahier  qui  n'était  que  broché,  en  le  roulant  dans  l'intérieur 
de  l'armoire.  Il  le  copia  ainsi  pendant  la  nuit,  quand  tout  le  monde  dormait,  et  à  la 
clarté  delà  lune.  Après  six  mois  cette  proie  musicale  était  entre  ses  mains.  11  cherchait 
à  en  faire  usage  quand  son  père  découvrit  la  chose  et  lui  enleva  sans  pitié  la  copie 
qu'il  avait  faite  avec  tant  de  peine.  La  déconvenue  d'un   avare  qui  a  perdu,   sur  le 


(i)  M.  le  D''  Thomas,  professeur  au  Gymnasium  d'Ohrdruf,  a  trouvé  dans  les  archives  de  cette  école  des 
renseignements  nouveaux  sur  le  séjour  de  Bach  à  Ohrdruf.  Je  me  suis  servi  de  son  travail  pour  compléter 
les  indications  de  Spitta.  Cette  étude  est  publiée  dans  le  Jahresberichi  des  Graeflich  Gleichenschen  Gymna- 
siums...  :(U  Ohrdruf.  Ohrdruf  1900.  Je  dois  communication  de  ce  bulletin  à  M.  le  Dr  Langer,  directeur  de 
l'établissement,  je  me  promets  de  le  remercier  ultérieurement  pour  son  accueil  sympathique,  lors  de  mes 
recherches  à  Ohrdruf. 


—  375  ~ 

chemin  du  Pérou,  un  vaisseau  chargé  de  cent  mille  thalers  peut  vous  donner  l'Idée 
de  la  déception  du  petit  Jean-Sébastien  (i  )  ». 

Ce  fut  sans  doute  cette  fièvre  d'apprendre  qui  soutint  Bach,  le  15  mars  1700,  quand  il 
lui  fallut  abandonner  le  lycée  d'Ohrdruf,  et  partir  pour  Lûneburg  où  il  espérait  finir 
ses  classes  à  l'école  Saint-Michel.  11  semble  que  son  départ  fut  causé  surtout  par  la 
gêne  où  vivait  son  frère,  déjà  chargé  de  famille,  et  mal  payé  de  l'église.  D'après  les 
archives  du  lycée,  Jean-Sébastien  s'en  alla  parce  qu'il  n'avait  plus  d'hôtes  pour  le 
nourrir.  Remarquons  cependant  qu'il  était  en  mesure  de  subvenir,  pour  une  part  assez 
considérable,  aux  dépenses  de  son  frère.  Les  élèves  qui  chantaient  au  chœur  rece- 
vaient une  certaine  somme  d'argent  pour  leurs  services.  On  les  payait  pour  les  enter- 
rements et  pour  les  mariages.  L'un  d'eux  gagna,  en  moins  de  six  ans,  plus  de  89 
thalers  (2).  Il  est  à  présumer  que  le  jeune  Bach  avait  aussi  un  salaire.  Un  autre  élève 
d'Ohrdruf  se  rendit  à  Lûneburg  avec  Bach,  Georg  Erdmann,  né  en  1682  à  Leina,  vil- 
lage situé  aux  environs  de  Gotha,  Leina  était  le  pays  du  cantor  Herda  et  Erdman  était 
entré  au  lycée,  en  troisième,  le  17  janvier  1698,  dix  jours  après  que  Herda  eut  été 
installé  comme  régent  de  cette  classe.  Or  Herda  avait  passé  six  années  à  Lûneburg. 
Son  père,  simple  maréchal-ferrant,  avait  appris,  au  cours  d'un  voyage  en  cette  ville, 
que  le  cantor  de  l'église  Saint-Michel  cherchait,  pour  son  chœur,  un  de  ces  petits 
Thuringiens  à  la  voix  assouplie  par  le  chant  des  motets,  cette  suprême  école  de  pré- 
cision et  de  fermeté.  L'artisan  proposa  son  fils,  qui  fut  ainsi  élevé  gratis,  Herda  avait 
peut-être  été  sollicité  par  Braun,  successeur  de  son  maître  P.-E,  Praetorius,  de  lui  en- 
voyer quelque  soprano  bien  formé. 

Il  paraît  vraisemblable  que  Bach  fut  déterminé  à  partir  par  Erdmann  et 
qu'Erdmann  se  présenta  à  Lûneburg,  muni  d'une  recommandation  spéciale  de  Erda. 
Dans  la  liste  des  quinze  choristes  de  la  manécanterie  (Nettenchor)  de  Saint-Michel  de 
Lûneburg,  ils  paraissent,  au  mois  d'avril  1700,  Erdmann  le  neuvième,  Bach,  le 
dixième.  Au  mois  de  mai,  par  suite  du  départ  d'un  de  leurs  condisciples,  ils  avancent 
d'un  degré,  mais  Bach  se  trouve  encore  après  Erdmann.  Tous  deux  faisaient  partie  des 
soprani.  Les  auteurs  de  la  notice  nécrologique  rapportent  que  Bach  avait  alors  une 
voix  d'une  rare  beauté.  Elle  disparut  bientôt.  Un  jour  on  s'aperçut  qu'aux  tons  du 
soprano  se  mêlaient,  quand  l'adolescent  chantait,  des  notes  graves.  On  eût  dit  que  sa 
voix  s'était  dédoublée,  «Pendant  huit  jours,  il  ne  put  parler  ou  chanter  qu'en  octaves, 
Après  quoi  il  perdit  entièrement  le  registre  du  soprano  (3),  » 

Dans  la  classe  de  Prima  du  Michaelo-Gymnasium,  les  élèves  expliquaient  l'Enéide  et 
les  Catilinares  et  apprenaient  du  recteur  Joh,  Bûsch,  les  principes  de  la  rhétorique.  On 
commentait  de  plus  le  De  Officiis,  quelques  poèmes  d'Horace  et  l'on  étudiait,  dans  le 
Compendium  de  Hutter,  les  doctrines  de  la  grâce,  des  bonnes  œuvres  et  de  la  pénitence. 
Tel  était  du  moins  le  plan  d'études  pour  1695,  En  1700,  il  devait  avoir  peu 
changé  (4). 

A  en  juger  par  la  bibliothèque  musicale  de  l'école,  le  chœur  avait  un  répertoire 
fort  étendu,  Parmi  les  œuvres  anciennes,  amassées  par  les  maîtres  de  chapelle  Chris- 
tian Praetorius  (1557-1597)  et  Burmeister  (1604- 1634  se  trouvaient  les  Selectissimce 
cantiones  de  Roland  de  Lassus,  les  Caniiones  sacrce  et  les  P salmi  penitentiales  (i^jo) 
d'Uttendal,  ainsi   que   les  grandes  collections  de   motets   qu'avaient   réunies  Erhard 


(1)  Mizler,  Musikalische  Bibliothek,  première  partie  du  4e  volume,  p.  160. 

(2)  Ou  128  florins    (fiorenos  solidos).  Johann  Christoph   Bach    n'avait   de  l'église  que  45    florins  (Gtil- 
den),  du  grain  et  le  bois  de  chauffage.  En  1696  on  l'augmenta  de  lo  florins. 

())  IVIizler^  Musikalische  Bibliothek  (W.   i,  p.  161). 

(4)  W.  Junghaus.  Johann  Sébastian  Bach  als  Schuler  der  Partikularschult  ;^«  St.  Micbaëlis  in  Liineburg 
[Programme  des  Johcmneums  ^a  Liineburg.  Ostern  1 870). 


—  576  — 

Abrahams  Schadaeus  (i)  et  Erhardt  Bodenschatz  (2).  Les  principales  œuvres  de  Hein- 
rich  Schutz  (1585-1672)  y  étaient  réunies,  et  l'on  y  rencontrait  aussi  les  compositions 
d'Andréas  Hammerschmidt  (1611-1675)  dont  les  moindres  chœurs  des  paroisses 
thuringiennes  faisaient  leurs  délices.  L'Opus  musicum  (1655)  et  les  Geistliche  Harmonien 
de  Samuel  Capricornus  (Bockshorn),  les  Evangelische  Gesprœche  de  Wolfgang  Cari 
Briegels,  les  motets  avec  instruments  de  Tobias  Zeutschner,  les  airs  d'Adam  Krieger 
(1634-1666),  les  Geistliche  Harmonien  ûber  die  gewœbnlicben  Evangelia  de  Johann  Caspar 
Horn  y  figuraient  dans  les  dernières  acquisitions  faites  par  le  cantor  Friedrich-Emma- 
nuel Praetorius.  Ce  maître  avait  aussi  introduit  à  Liineburg  la  Selva  morale  e  spirituale 
(1641)  de  Claudio  Monteverde  et  il  avait  assemblé  une  grande  quantité  de  composi- 
tions manuscrites.  J'ai  déjà  signalé  une  œuvre  de  Heinrich  Bach  parmi  les  copies  qu'il 
avait  laissées.  Une  Z-amew/a/îo  de  Johann-Christophe  Bach  y  figurait  également  (IVie 
bist  du,  0  gott  in  :(orn  aufmicb  entbrandt  pour  basse  solo,  violon,  trois  violes  et  basse 
continue).  Le  nom  de  Johann-Rudolph  Ahle  paraît  aussi  dans  son  catalogue,  ainsi  que 
le  nom  de  lohann  Pachelbel.  Ce  dernier  (1655-1706)  était  un  des  amis  de  la  famille 
Bach.  En  1680,  il  fut  le  parrain  de  l'une  des  sœurs  de  Jean-Sébastien,  Johanna-Judi- 
tha,  et  Johann  Christoph,  l'organiste  d'Ohrdruf,  avait  été  son  élève  à  Erfurt  de  1686 
à  1689. 

Ce  chœur  de  Saint-Michel  était  alors  dirigé  par  Augustin  Braun.  L'organiste  de 
l'église  s'appelait  Christophe  Morhardt.  Ne  connaissant  aucune  œuvre  d'eux,  nous  ne 
pouvons  juger  de  leur  influence  sur  Bach.  L'organiste  de  la  Johanniskirche  de  Liine- 
burg avait,  au  contraire,  une  personnalité  musicale  bien  déterminée.  Ses  exemples, 
et  même  probablement  ses  conseils,  furent  d'une  grande  importance  pour  la  formation 
de  Jean-Sébastien.  Cet  organiste,  Georg  Bœhm,  était  né  en  1661  dans  les  environs 
d'Ohrdruf,  à  Hohenkirchen.  Son  père,  organiste  et  maître  d'école,  le  mit  au  gymnase 
de  Gotha  d'où  il  passa,  les  études  classiques  terminées,  à  l'université  d'Iéna  (1684). 
En  1695,  il  vivait  à  Hambourg,  à  une  époque  où  l'opéra  s'y  développait  déjà  avec  une 
vie  intense.  11  fut  nommé  organiste  à  Liinburg  en  1698,  tout  en  conservant  des  rela- 
tions étroites  et  suivies  avec  ses  amis  de  Hambourg  (5). 

Pour  nous,  ce  musicien  a  une  double  signification.  Pris  en  lui-même,  il  est  moins 
remarquable  par  la  technique  que  par  le  sentiment.  M.  Richard  Buchmayer  qui  a  fait 
revivre  ses  œuvres  de  clavecin,  non  seulement  par  de  belles  exécutions,  mais  encore 
par  d'excellents  commentaires,  dit  fort  justement  de  lui  que  si  quelques  maîtres  de  son 
temps  l'ont  dépassé  en  habileté  formelle,  il  est  resté,  du  moins,  au  premier  rang  des 
compositeurs  pénétrants  et  expressifs  (4).  Spitta  n'a  que  des  louanges  pour  son  talent, 
plein  de  poésie  et  d'émotion.  L'originalité  s'en  manifeste  le  plus  nettement,  dit-il, 
dans  un  prélude  suivi  d'une  fugue  qui  se  résoud  par  une  conclusion  en  style  libre.  Le 
biographe  de  Bach  admire  en  cette  œuvre  de  forme  toute  originale  «  le  sentiment  pro- 
fond d'une  mélancolie  si  particulière  »  et  l'ivresse  rêveuse  des  «  harmonies  âprement 
douces  ».  11  y  trouve  ce  que  seule  une  âme  allemande  est  capable  d'imaginer,  et  ce- 
pendant une  grâce  dont  les  Français  avaient  presque  alors  le  privilège  unique  (5).  Il 
considère  enfin  trois  de  ses  quatre  suites  comme  les  meilleures  qu'on  ait  écrites  avant 
Bach  (6).  Comme  organiste,  Bœhm  est  surtout  intéressant  parce  qu'en  lui  s'unissent  le 


(1)  'Pi'omptuarium  musicum  (i6i  1-1613-1616.) 

(2)  Florihgium  porteuse  (1603-1618  et  1621). 

(3)  Bohm    est  mort    le  18    mai  1733.  J'emprunte  les  dates  et    les  détails  qui   précèdent  à  la  substan- 
tielle notice  que  M.  Buchmayer  a  publiée  pour  son  concert  donné  le  27  février  1904  à  Leipzig. 

(4)  Même  notice. 
(5)y.-S.  Bach,  I,  p.  206. 
(6)  Ibid. 


—  311  — 

calme  des  organistes  thuringiens  et  la  fantaisie  des  organistes  du  nord  de  rAllemagrie. 
Les  premiers  se  distinguaient  par  leur  sensibilité  grave,  leur  application,  leur  recher- 
che de  la  sonorité  agréable  et  de  la  clarté  (5).  Les  œuvres  des  seconds  témoignent  sur- 
tout d'une  imagination  brillante  et  d'un  goût,  poussé  à  l'extrême,  pour  la  variation 
ornementale  des  mélodies  de  cantiques.  Bœhm  imite  leurs  procédés  quand  il  assouplit 
en  grandes  phrases  ornées  les  périodes  uniformes  des  chorals,  mais  ses  vocalises  sont 
expressives  comme  des  traits  de  récitatifs,  et  de  l'ensemble  du  cantique  ainsi  traité  se 
dégage  une  puissante  exhortation  à  la  pitié.  Son  prélude  au  choral  Vater  unser  im  Him- 
melrdch  a  la  même  éloquence  implorante  que  certains  airs  spirituels  de  Johann  Fischer 
ou  d'Erlebach. 

A  mesure  que  se  découvre  l'ampleur  pathétique  de  cette  pièce  vraiment  inspirée, 
l'on  oublie  l'impropriété  de  l'écriture  l'emploi  de  notes  répétées  qui  répugne  à  la  con- 
tinuité mouvante  de  l'orgue.  Mai^  dans  cette  paraphrase  lyrique  du  vieux  choral,  je 
reconnais  plutôt  une  prière  individuelle  qu'un  prélude  à  la  prière  commune.  Elle  appar- 
tient au  culte  domestique  plus  qu'à  l'assemblée  chrétienne.  Et  l'imperfection  même  de 
la  facture,  le  défaut  de  convenance  pour  l'orgue,  semble  nous  annoncer  que  l'auteur  a 
pensé  en  claveciniste  (2).  Ce  caractère  est  encore  apparent  dans  des  séries  de  varia- 
tions sur  des  chorals  (3)  où  l'on  rencontre  des  détails  qui  ne  sont  point  de  l'orgue. 

On  ne  sait  point  sûrement  si  Bach  fut,  dans  le  fait,  l'élève  de  Boehm,  mais  tout 
porte  à  le  croire.  Ayant  résidé  à  Ohrdruf,  tout  près  du  pays  natal  de  Boehm,  Bach 
pouvait  facilement  trouver  accès  près  de  l'organiste  de  Luneburg.  A  défaut  d'autre 
recommandation,  il  lui  aurait  suffi  de  se  présenter  devant  lui  au  nom  de  ces  Bach 
dont  les  compositions  étaient  chantées  à  la  Michaeliskirche.  Boehm  avait  trop  long- 
temps vécu  dans  la  région  courue  jadis  par  Hans  Bach  «  à  la  jolie  barbe  »  pour  ignorer 
cette  famille  de  ménétriers  où  quelques-uns  s'étaient  déjà  signalés  comme  des  maîtres. 
Observons  du  reste  que  Bach  agit  en  tout  comme  s'il  obéissait  aux  conseils  de  Boehm. 
Non  seulement  il  écrit  dans  son  style,  mais  il  veut  remonter  jusqu'aux  sources  mêmes 
de  ce  style.  D'abord  formé  en  Thuringe,  comme  Boehm,  il  tâche  d'acquérir  aussi  l'art 
scintillant  des  organistes  du  Nord.  Nous  voyons  dans  la  notice  nécrologique  qu'il 
allait  parfois  de  Luneburg  à  Hambourg  pour  entendre  }ohann-Adam  Reinken,  l'orga- 
niste fameux  de  l'église  Sainte-Catherine.  Reinken  était  né  à  Deventer  en  1623  et  avait 
été  formé  à  Hambourg  par  Scheidemann,  auquel  il  succéda  en  1664  comme  organiste 
de  Sainte-Catherine  après  avoir  servi  de  suppléant  pendant  plusieurs  années  (4).  Dans 
ses  œuvres  d'orgue,  Reinken  cherche  à  étonner  plus  qu'à  toucher.  A. -G.  Ritter  ana- 
lyse son  arrangement  du  choral  IVasserfliissen  Babylons.  C'est  une  œuvre  très  déve- 
loppée (335  mesures),  pleine  d'ingéniosité,  mais  superficielle.  Il  en  est  de  même  de  sa 
composition  faite  d'après  le  choral  Es  ist  gezvisslich  an  der^eit,  longue  de  232  mesures 
à  quatre  temps,  très  ornée,  et  où  les  ressources  de  l'orgue  sont  habilement  utilisées. 
Il  y  avait  surtout  dans  son  art  une  virtuosité  qui  devait  séduire  le  jeune  Bach  et  une 
abondance  assez  riche  pour  l'émerveiller. 

Ce  séjour  à  l'école  de  Luneburg  permit  aussi  à  Bach  d'entendre  de  la  musique 
française.  Georg  Wilhelm,  duc  de  Braunschweig-Lùneburg,  s'était  formé  à  Celle  une 
cour  toute  française.  En  1675  il  il  avait  épousé  Eléonore  Desmier  d'Olbreuse,  qui  était 


(i)  A.-G.  Ritter,  Zur  geschichte  des  Orgelspiels,  1884,  I  p.  162. 

(2)  Cette  pièce  est  publiée  dans  l'ouvrage  de  Ritter,  II,  p.  202. 

(5)  On  trouve  des  chorals  de  Bohm  dans  le  Repertorium  d'A.-W.  Gottschalg  (Schuberth,  éd.)  et  dans 
la  collection  de  M.  Straube,  Alte  Meister  des  Osrgelspiels    (Peters,    1904). 

(4)  Geschichte  der  Klaviermusik  de  M.  Max  Seifiert  (1899),  p.  255  {y  éd.  de  l'ouvrage  de  Weitzmann, 
Geschichte  des  Klavierspiels). 


-378- 

originaire  du  Poitou.  Un  grand  nombre  de  Français  étaient  déjà  au  service  du  prince 
avant  1685.  Après  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  beaucoup  de  protestants  se  réfu- 
gièrertt  dans  ses  possessions  où  ils  étaient  favorablement  accueillis.  Eléonore  Desmier 
sortait  d'une  famille  huguenote,  elle  compatissait  aux  peines  dès  exilés  et  les  secourait 
à  cause  de  leur  race  et  à  cause  de  leur  foi.  Une  vague  religion  de  la  patrie  âe  mêlait  à 
sa  miséricorde  pour  les  calvinistes  persécutés.  PoUr  qu'ils  pussent  tenir  leurs  assem^ 
blées  dans  un  lieu  moins  étroit,  elle  donna  trois  mille  écus  de  sa  cassette  particulière^ 
Elle  Voulait  que,  forcés  de  quitter  leur  pays  afin  de  sauvegarder  leur  croyance,  ils  eus- 
sent enfin  la  consolation  des  prières  communes  et  paisibles,  après  l'émoi  des  prêches 
dans  les  montagnes  et  la  ruine  de  leurs  temples  (i).  Ainsi  s'organisait  autour  d'elle,  et 
jusquedans  son  peuple  industrieux  et  grave,  la  France  qu'elle  aVait  rêvée,  parce  qu'elle 
l'avait  déjà  connue  un  peu,  dans  son  enfance  provinciale.  Dans  cette  résurrection  de 
sa  vie,  la  duchesse  retrouvait  même  les  joies  de  ses  premières  années.  Les  musiciens 
français  réfugiés  à  Celle  lui  jouaient,  sans  doute,  les  «  danses  poitevines  et  cham^ 
pêtres  que,  dit-on,  elle  avait  apprises  dès  sa  tendre  jeunesse  »  et  qu'elle  avait  aimé  à 
danser  (i). 

Les  auteurs  de  la  notice  insérée  dans  la  zMusikalische  Bibliotbek  de  Nizlér  assurent 
que  la  musique  française  était  encore  une  nouveauté  dans  la  région,  quand  Bach  eut 
l'occasion  d'aller  l'entendre  à  Celle.  Mais  Spitta  cite  un  document  de  1663  qui  fait 
allusion,  déjà,  aux  œuvres  de  style  français  que  l'on  y  exécutait  (3)*  Il  serait  fort  inté- 
ressant pour  nous  de  savoir  les  norhs  des  principaux  musiciens  qui»  dans  les  pre^ 
mières  années  du  xviii®  siècle,  faisaient  partie  de  l'orchestre  de  Georg  Wilhèlm.  Spitta 
regrette  de  n'avoir  trouvé  aucun  renseignement  sur  la  composition  de  ce  groupe 
d'instrumentistes  (4).  Grâce  à  des  recherches  faites  sur  ma  demande,  quelques  noms, 
inscrits  dans  les  registres  de  la  communauté  réformée,  ont  été  découverts  (^).  En 
1704s  On  mentionne  la  mort  de  Philippe  Gurbasatur  [sic).  La  même  année,  Henri  de 
Hays  est  signalé,  à  propos  d'un  baptême.  Le  nom  de  La  Selle  figure,  en  1869,  aussi 
dans  un  acte  de  baptême.  D'autre  part,  l'organiste  de  Georg  Wilhem  était  Français. 
Il  s'appelait  Charles  Gandon.  Je  n'ai  encore  pu  établir  depuis  quelle  époque  il  résidait  à 
Celle.  Le  31  juillet  1707,  on  le  désigna  comme  ancien  de  la  communauté  réformée  (6)* 
Il  était  aussi  musicien  de  la  troupe  ducale,  sans  doute  claveciniste. 

Spitta  cherche  comment  Bach  parvint  à  pénétrer  dans  ce  milieu  musical.  Les  con- 
certs n'étaient  pas  publics.  Pour  Spitta,  le  seul  personnage  qui  ait  pu  l'introduire  à 
Celle  était  l'organiste  de  la  ville,  Arnold^Melchior  Brunckhorst.  Bach  n'avait  peut-être 
pas  encore  assez  d'assurance  pour  oser  se  présenter  de  lui-même  à  la  cour  où,  écrit 
Gregorio  Leti,  on  était  toujours  accueilli  si  l'on  prenait  «  l'habit  d'un  homme  de 
guerre,  d'un  chasseur  ou  d'un  musicien  (7).  » 

Par  ces  études  de  l'art  français,  Bach  témoignait  encore  de  son  désir  d'atteindre 
aux  principes  mêmes  du  talent  de  Georg  Bœhm  qui,  dans  ses  œuvres,  adopte  des  for- 
mes de  composition  et  des  «  manières  »  françaises. 


(i)  Cette  église  fut  inaugurée  en  1700. 

(2)  Une  mésalliance  dans  la  maison  de  Brunswick^  Eléonore  Desmiet-  d'Othreuse,  duchesse  de  Zell  (sic) 
par  Horrie  de  Beaucaire  (1884),  p.  15.  Rappelons  que  dans  les  suites  d'airs  à  danser  du  i7'sièclese  rencon- 
trent des  pièces  nommées  «  bransles  de  Poitou  ». 

C3)y.-5.  Bach,  I,  p.   197,  fin  de  la  note  37,  à  la  page  19S. 

(4)  Ibid. 

(5)  J'exprime  ici  toute  ma  reconnaissance  à   Mme  Biickmann  qui  a   bien    voulu    ètttféprendt'e    ces  tra- 

VitUJC. 

(6)  Je  dois  ce  renseignement  à  M.  le  pasteur  W.  Deiss,  auquel  j'expHme  ici  toutfe  ma  féconnaissanee 
pour  ses  recherches  dans  les  archives  dé  la  cohimunauté  réformée  de  Celle. 

(7)  Abrégé  de  l'Histoire  de  la  maison  sérénissime  de  Brunswick  ("1687),  p.  3274 


—  579  — 

Son  séjour  à  Lûnebufg  et  ses  voyages  à  Celle  durent  aussi  le  familiariser  avec  des 
œuvres  italiennes.  La  bibliothèque  de  la  Michaeliskirche  de  Luneburg  possédait  quel- 
ques compositions  de  IVlonteverde,  nous  l'avons  déjà  dit.  On  y  trouvait  encore  des 
pièces  de  Carissimi,  d'Alexandro  Grandi,  d'Albrici,  deRovetta.de  PietroTorri,  etc.(i), 
A  lajohanniskirche  se  trouvait  le  premier  livre  des  Can:(one,  de  Girolamo  Frescobaldi 
(1583- 1644),  dans  l'édition  de  Bartolomeo  Grassi  (1628).  L'opéra  //  Paride  de  G. -A. 
Bontempi  (1662)  y  était  aussi,  ainsi  que  la  Musur^ia  universales  d'Athanasius  Kircher 
(1650)  où  l'on  peut  lire  tant  d'observations  sur  la  musique  italienne,  et  qui  ren- 
ferme des  exemples  nombreux.  A  Celle,  le  duc  avait  eu  à  son  service  des  musiciens 
italiens  (2). 

Enfin,  quand  Bach  allait  à  Hambourg,  il  assista  peut-être  à  des  représentations 
d'opéras,  soit  de  Cesti  et  de  Pallavicini,  soit  de  Steffani,  en  qui  le  style  allemand  se 
mêle  au  style  italien  (3).  Pendant  ces  années  de  formation  à  Luneburg,  il  eut  ainsi  la 
faculté  de  se  donner  une  culture  musicale  singulièrement  étendue . 

André  PIRRO. 


Le  piano  et  l'Education  musicale 

(Fin) 


AUX  MERES  DE  FAMILLE. 

Voici  donc  notre  enfant  qui  âgé  de  7  à  8  ans  se  met  —  connaissant  la  métrique 
et  les  signes  qui  l'expriment  graphiquement,  à  étudier  les  gammes  et  les  tonalités. 
Ah  !  cette  fois,  il  s'agif  de  sons  musicaux  ;  le  rôle  des  facultés  auditives  va  commencer. 
Et  là,  il  n'y  a  pas  à  hésiter  sur  les  moyens  à  employer  ;  il  en  est  un  qui  s'impose  (et 
c'est  évidemment  pour  cela  que  personne  ne  l'emploie)  c'est  de  faire  apprécier  à  l'en- 
fant la  différence  entre  le  ton  et  le  demi-ton  en  lui  faisant  étudier  les  gammes.  Le  pia- 
niste, lui,  ne  connaît  qu'une  seule  gamme  qui  va  toujours  de  la  tonique  à  la  tonique 
et  qu'il  transpose  dans  les  diverses  tonalités,  il  différencie  ces  transpositions  les  unes 
des  autres  grâce  aux  divers  doigtés  qui  servent  à  les  interpréter.  Vous  en  aurez  la 
preuve,  mesdames,  vous  qui  jouez  du  piano,  en  constatant  que  lorsque  l'on  vous  prie 
de  penser  à  telle  ou  telle  autre  gamme,  —  reprenons  notre  gamme  de  la  bémol,  —  le 
nom  de  cette  gamme  éveille  en  vous  non  des  sensations  sonores,  mais  des  sensations 
manuelles  !  Voyons,  franchement,  en  pensant  à  cette  gamme  de  la  bémol,  n'évoquez- 
vous  pas  le  deuxième  doigt  qui  se  pose  sur  le  la  bémol,  le  troisième  qui  joue  le  si  bémol, 
et  ensuite  du  si  bémol  au  do,  le  fameux  passage  du  pouce  ?  L'on  peut  constater  cette 
infirmité  chez  toutes  les  élèves  d'harmonie  ayant  fait  leur  apprentissage  musical  au 
piano,  et  ce  fait  en  apparence  insignifiant  est  la  condamnation  même  de  l'enseigne- 
ment musical  instrumental.  Le  jour  où  le  sentiment  des  sonorités  musicales  devient 
une  sensation  tactile^  non  auditive,  tout  progrès  est  impossible,  à  moins  que  l'on  ne 
lutte  de  toutes  ses  forces  pour  revenir  à   l'appréciation  auditive   naturelle.   Dans  les 


(i)  W.  Junghans.  Programme  des  Johanneums  ^u  Luneburg  {iSjo),  p.  28. 
(2)  Horrie  de  Beaucaire.  Ouv.  cité,  p.  86. 

{))  Dus  erste  Jahrhundert  der  deutschen  Oper,  article  de  M.  le  D-  Hermann  Kretzschmar  dans  le  Sam- 
ntelbaénde  der  Internationalen  Musik-Gêsllscbaft,  lU,  p.  284. 


—  380  — 

leçons  de  développement  auditif,  que  je  préconise,  l'enfant  exerce  son  oreille  sans  le 
secours  d'aucun  instrument  que  la  voix  et  le  rôle  de  l'éducateur  est  de  lui  faire  entendre 
et  apprécier  d'abord  la  succession  des  tons  et  demi-tons  dans  les  diverses  tonalités, 
puis  les  successions  des  tonalités  elles-mêmes. 

Le  meilleur  système  est  évidemment  de  faire  chanter  les  gammes,  non  toujours 
de  la  tonique  à  la  tonique,  puisqu'alors  les  tons  et  les  demi-tons  se  succéderaient 
toujours  dans  le  même  ordre,  mais  à  partir  d'une  note  fixe  donnée  (choisissons  le  do) 
qui  servira  de  point  de  départ  à  toutes  les  gammes.  Le  moyen  est  d'une  efficacité 
absolue.  Ainsi,  Mesdames,  après  avoir  écouté  chanter  la  gamme  de  do  majeur,  écoutez 
chanter  la  succession  des  notes  suivantes  :  do,  ré,  mi,  fa  dièze,  sol,  la,  si,  do...  Ne 
saisissez-vous  pas  immédiatement  que  ce  n'est  plus  la  gamme  de  Jo  que  l'on  vous 
chante,  que  la  place  des  tons  et  des  demi-tons  est  modifiée  et  qu'il  n'y  a  qu'à  rétablir 
l'ordre:  deux  tons,  un  demi-ton,  trois  tons,  un  demi-ton,  pour  établir  la  tonalité  de 
sol  majeur  ?  C'est  ce  que  les  enfants  apprennent  en  deux  ou  trois  mois  de  leçons,  et  dès 
lors  nous  pouvons  avoir  toute  confiance  en  l'avenir,  nous  sommes  certains  que  les 
fonctions  définitives  de  l'oreille  vont  se  perfectionner,  que  les  enfants  acquéreront,  en  le 
temps  qu'il  faudra,  l'audition  absolue  et  naturelle,  pourvu  que  le  piano  n'intervienne 
pas  avant  la  fin  des  études  préparatoires,  en  quel  cas,  je  vous  l'affirme,  le  résultat  final 
est  compromis,  car  un  mois  d'exercices  de  piano  faits  trop  tôt  c'est-à-dire  avant  le 
développement  complet  de  l'oreille,  suffit  pour  annihiler  les  progrès  jusque  là 
effectués. 

l'ai  dit  que  les  sons  à  faire  entendre  seraient  créés  par  la  voix.  En  effet,  l'émission 
et  l'audition  des  sons  ayant  lieu  de  cette  manière  toutes  deux  dans  la  tête,  il  en  résulte 
forcément  une  série  de  relations  étroites  entre  les  appareils  créateur  et  récepteur  des 
vibrations  sonores,  et  le  perfectionnement  de  l'un  sera  en  raison  directe  du  perfection- 
nement de  l'autre. 

Les  avantages  du  chant  dans  la  première  éducation  musicale  de  l'enfance,  sont 
du  reste  multiples.  Au  point  de  vue  physique  d'abord,  il  est  prouvé  que  la  position 
de  l'enfant  au  piano  est  très  mauvaise  pour  son  développement  corporel,  si  elle  n'est 
pas  réglée  dès  le  début  de  la  façon  la  plus  sévère.  Les  trois  quarts  des  élèves  ont  le 
torse  affaissé,  les  épaules  rentrées,  la  poitrine  creusée,  d'autre  part  les  vibrations  de 
l'instrument  ont  une  influence  très  mauvaise  sur  l'appareil  nerveux.  Que  de  maux 
d'estomac,  que  de  maux  de  reins  chez  les  jeunes  pianistes  !  Combien  de  mères  voyant 
leurs  filles  devenir  pâles,  leur  font  prendre  des  pilules  Pink  sans  résultat,  qui  les  ver- 
raient recouvrer  leurs  fraîches  couleurs  en  les  arrachant  quelque  temps  à  leurs  chères 
études  pianistiques  ?  Les  exercices  de  chant  au  contraire,  développent  les  poumons, 
élargissent  la  cage  thoracique,  provoquent  l'écartement  normal  des  épaules  et  acti- 
vent la  circulation  du  sang.  Bien  entendu,  les  exercices  respiratoires  faits  dans  la  pre- 
mière période  rythmique  de  l'enseignement  doivent  être  continués  pendant  la  seconde, 
celle  de  l'étude  des  sonorités.  A  la  première  leçon  donnée  à  des  élèves  de  solfège, 
faites-leur  prendre  une  forte  inspiration.  Vous  constaterez  que  toutes  généralement 
font  cette  inspiration  d'après  le  mode  supra-costal,  qui  fait  lever  les  épaules  et  qui 
allonge  la  cage  thoracique  tout  en  la  rétrécissant,  ce  qui  tient  en  grande  partie,  di- 
rai-je  en  passant,  au  port  prématuré  du  corset  que  des  coutumes  barbares  imposent 
encore  aux  fillettes  dans  toute  l'Europe  méridionale.  Soit  en  Hollande,  soit  en  Dane- 
mark, en  Belgique,  en  Suède,  et  généralement  dans  tous  les  pays  septentrionaux,  l'u- 


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sage  de  se  serrer  la  taille, — jel'ai  constaté  danslesaoo  auditions  des  mes  Enfantines  que 
j'y  ai  dirigées  —  est  tombé  en  désuétude  et  sévèrement  condamné  par  les  médecins  et 
parles  autorités  scolaires.  Dans  les  écoles  suédoises,  dans  beaucoup  d'écoles  anglaises  il 
est  absolument  interdit.  Dans  le  Midi,  pour  d'absurdes  et  hypocrites  raisons  de  con- 
venance il  n'en  est  pas  de  même,  et  l'on  peut  se  demander  si  cette  indifférence  pour 
les  lois  les  plus  élémentaires  de  l'hygiène  n'est  pas  tout  simplement  la  raison  du  peu 
d'aptitudes  vocales  de  beaucoup  d'adolescents  et  adolescentes  ?  Voyez  la  Hollande  qui 
fournit  à  l'Europe  actuellement  le  tiers  de  ses  meilleurs  chanteurs  ;  n'est-elle  pas  avec 
la  Suède,  le  pays  où  dès  la  première  enfance,  à  l'école  comme  dans  les  instituts  de 
musique,  les  exercices  de  respiration  mettant  en  jeu  tous  les  muscles  de  la  poitrine 
sont  le  plus  méticuleusement  et  le  plus  sérieusement  enseignés  ?  Le  libre  jeu  des 
muscles  du  thorax  dégage  le  jeu  de  ceux,  du  larynx,  et  quelqu'un  qui  sait  aspirer  lar- 
gement le  souffle,  le  garder  longtemps  dans  la  poitrine  et  l'expirer  dans  le  temps  'qu'il 
faut,  ne  chante  jamais  de  la  gorge  et  très  rarement  du  nez.  Sa  voix  prend  en  outre 
une  amplitude  que  les  exercices  vocaux  seuls  sont  impuissants  à  lui  procurer.  Voyez 
tous  nos  professeurs  de  chant  se  désoler  de  constater  chez  leurs  élèves  une  foule  de 
défauts  qu'ils  n'ont  souvent  plus  le  temps  de  corriger  !  Ces  défauts  ne  proviennent-ils 
pas  des  mauvaises  habitudes  prises  à  l'âge  le  plus  tendre  ?  combien  de  voix  fatiguées, 
cassées,  par  exemple,  parce  que  dans  les  écoles  on  a  laissé  aux  leçons  de  chant  les 
enfants  monter  trop  haut  en  voix  de  poitrine  !  Certains  professeurs  de  chant  recom- 
mandent en  ce  cas  le  repos  de  quelques  mois  ou  d'une  année.  Le  remède  n'est-il  pas 
alors  pire  que  le  mal  ?  Est-ce  en  immobilisant  pendant  des  semaines  une  jambe  fatiguée 
qu'on  lui  rend  sa  souplesse  et  sa  force?  Non,  en  vérité,  le  chant  n'est  pas  assez  cultivé 
chez  nous  ni  dans  les  écoles,  ni  dans  les  instituts  de  musique.  Goethe,  qui  trace  dans 
les  Années  de  pèlerinage  de  Wilhelm  Meister  un  plan  idéal  d'éducation  où  se  trouvent 
les  conseils  les  plusjudicieux,  déclare  que  dans  la  première  phase  de  l'éducation,  c'est 
le  chant  qui  doit  être  à  la  base  du  développement  physique,  moral  et  spirituel  de  l'en- 
fant. Et  il  répète  ailleurs  :  «  le  chant  est  l'élément  le  plus  important  de  l'éducation  de 
l'enfance  ;  il  commande  tous  les  autres  !» 

Si  nous  nous  plaçons  au  point  de  vue  du  développement  musical  pur,  l'exercice 
du  chant  présente,  outre  les  avantages  déjà  préconisés,  celui  de  former  pour  plus  tard 
debons  interprètes  pour  nos  sociétés  chorales  mixtes.  Nos  directeurs  de  chœurs  le  savent  : 
sur  100  chanteurs,  il  y  en  a  15  qui  déchiffrent  bien  et  encore!  C'est  qu'une  fois  les 
études  pianistiques  commencées,  l'élève  a  mille  peines  à  se  mettre  au  déchiffrage  vocal. 
Le  fait,  pour  un  jeune  pianiste,  de  déchiffrer  sans  faute,  avec  les  doigts,  de  très  diffi- 
ciles morceaux  de  piano,  n'est  pas  du  tout  —  quoi  qu'on  en  pense  —  l'indication 
d'une  qualité  exclusivement  musicale.  Le  bon  déchiffrage  au  piano  est  en  effet  une 
question  de  rapidité  de  vision  et  de  bonne  correspondance  avec  les  appareils  de  trans- 
mission. Le  même  pianiste  bon  lecteur  sera  incapable  de  faire  en  chantant  une  lecture 
même  très  facile  sans  faute.  C'est  qu'à  partir  d'un  certain  âge,  il  devient  excessive- 
ment difficile  pour  un  pianiste  d'apprendre  à  chanter  à  première  vue  ;  l'oreille  en  effet 
ne  contrôle  plus  la  voix  ;  il  est  trop  tard  pour  réussir  à  établir  une  corrélation  immé- 
diate entre  la  vue  de  la  note  à  émettre  et  la  volonté  de  resserrer  ou  desserrer  les 
cordes  vocales.  Chez  l'enfant,  entrepris  de  bonne  heure,  il  n'en  est  pas  de  même.  Si  la 
voix  n'est  pas  malade,  ni  l'oreille  non  plus,  si  le  sentiment  rythmique  n'est  pas  nul, 
l'enfant  arrive  forcément  en  quatre  ou  cinq  ans  à  déchiffrer  vocalement  les  mélodies 


—  382  — 

les  plus  difficiles  avec  la  plus  grande  aisance.  Mais  cela  —je  ne  me  lasse  pas  de  le 
répéter  —  à  la  condition  expresse  qu'il  n'ait  pas  commencé  trop  tôt  ses  études  instru- 
mentales. 

Je  ne  veux  pas,  mesdames,  vous  entretenir  en  détail  des  divers  objets  d'études 
inscrits  au  programme  de  nos  cinq  ans  d'enseignement  auditif  et  vocal.  Qu'il  me  suf- 
fise de  vous  dire  que  tout  dans  la  musique  peut  être  analysé  et  interprété  mélodique- 
ment.  Accords,  contrepoint,  modulation,  carrure  de  la  forme,  tout  cela  est  contenu  en 
germe  dans  la  mélodie  et  peut  être  expliqué  par  elle. 

Reste  l'étude  du  nuancé  et  du  phrasé.  Et  celle-ci  qui  n'est  au  programme  d'aucun 
enseignement  d'école,  —  et  dont  les  principes  généraux  sont  dus  à  un  musicien  suisse, 
M.  Mathis  Lussy,  l'auteur  de  ce  monument  de  clarté  et  de  logique  qui  s'appelle  Traité 
du  rythme  et  de  l'expression,  est  la  meilleure  préparation  à  raffinement  du  goût  musical 
et  au  développement  du  sens  de  la  beauté  artistique  (i).  Alors  que  l'enseignement 
pianistique  supprime  les  pourquoi  des  nuancps  et  des  accentuations,  celui  des  prin- 
cipes du  phrasé  et  de  l'expression  fait  naître  chez  les  élèves  le  sentiment  de  l'inter- 
prétation personnelle  et  celui  des  oppositions  et  des  contrastes  de  sonorité,  éléments 
primordiaux  du  style  musical.  C'est  là  la  partie  la  plus  importante  de  l'enseignement. 
L'enfant  a  le  sens  inné  du  beau.  Il  s'intéresse  passionnément  à  tout  ce  qui  lui  révèle 
des  beautés  nouvelles  insoupçonnées.  Puis  il  aime  connaître  la  raison  des  choses.  Il 
démonte  volontiers  ses  jouets  pour  savoir  ce  qu'il  y  a  dedans.  Les  inscriptions  multi- 
ples notées  sur  les  morceaux  de  piano  lui  mâchent  la  besogne  ;  il  réalise  ce  qui  est 
marqué,  joue  «  forte  »  ou  joue  «  piano  »,  ralentit  ou  presse,  ^a?' ce  que  c'est  écrit.  Il 
n'entre  dans  son  interprétation  aucun  souci  artistique  personnel  et  son  individualité 
ne  joue  aucun  rôle. 

Qpelle  joie  au  contraire  pour  lui  de  connaître  les  règles  si  faciles  et  si  logiques 
du  phrasé  et  du  nuancé  !  De  lire  une  mélodie  vierge  de  toute  annotation,  en  l'inter- 
prétant à  sa  guise,  guidé  seulement  par  sa  connaissance  générale  des  principes  du 
Beau,  c'est-à-dire  des  lois  qui  régissent  les  contrastes  !  Et  il  y  arrive  le  plus  facilement 
du  monde,  car  rien  ne  s'oppose  à  ses  progrès.  Il  est  mis  en  face  de  la  musique  sans 
aucun  intermédiaire  ;  il  voit  de  jour  en  jour  se  développer  son  sentiment  personnel. 
Au  cours  du  processus  lent  et  régulier  de  ses  études,  il  ne  s'est  servi  que  de  ses  pro- 
pres moyens  naturels  ;  ses  muscles  ont  été  fortifiés  et  assouplis  et  mis  rapidement  au 
service  de  la  volonté  ;  il  sait  rythmer  et  accentuer  la  musique.  Son  oreille  a  été 
accoutumée  à  discerner  les  sons  entre  eux  ;  il  sait  écouter  et  contrôler  et  analyser  les 
successions  et  superpositions  de  sons.  Sa  voix  a  été  entraînée  par  des  exercices  pro- 
gressifs ;  il  sait,  guidé  par  l'oreille  pareillement  entraînée,  interpréter  et  créer  de 
toutes  pièces  des  mélodies.  Il  est  devenu  musicien  en  un  mot,  c'est-à-dire  capable 
d'apprécier  les  éléments  de  la  musique,  et  c'est  alors,  mesdames,  c'est  alors  âgé  de  1 1 
ovi  12  ans,  que  vous  le  laisserez  s'asseoir  au  piano,  et  ce  sera  une  joie  pour  lui  de 
faire  des  gammes  et  des  exercices  car  il  se  rendra  compte  de  ce  qu'il  fait,  il  compren- 
dra l'enchaînement  des  sons,  vérifiera  de  lui-même  leur  justesse,  transposera,  prélu- 
dera, improvisera  sans  peine  et  sans  recherches,  —  tout  naturellement  —  et  fera  des 


(1)  Traité  de  l'expression  musicale,  par  Mathis  Lussy.  — .  Hetzel,  éditeur,  Paris. 


Mk 


-383- 

progrès  rapides  en  mécanisme,  car  ses  doigts  du  reste  déjà  exercés  par  la  gymnas- 
tique rythmique,  deviendront  les  interprètes  d'une  pensée  déjà  éveillée  et  vibrante. 

Mesdames,  les  résultats  que  je  viens  de  vous  indiquer  ne  sont  pas  illusoires.  Rien 
n'est  nouveau  sous  le  soleil  !  Ils  ont  été  obtenus  il  y  a  trois  ou  quatre  siècles  dans  les 
scholas  néerlandaises  et  italiennes.  Tout  enfant  normalement  doué  doit  de  nos  jours 
les  obtenir  sans  peine.  Et  que  si,  parmi  les  enfants  soumis  à  cet  enseignement,  il  y  en 
a  un  certain  nombre  qu'un  manque  absolu  d'aptitudes  empêche  de  profiter  de  l'en- 
seignement, il  en  résultera  du  moins  cet  avantage  sérieux,  c'est  que  les  maîtres  et  les 
familles  seront  fixés  sur  leur  compte.  Ils  seront  dispensés  de  l'étude  ultérieure  d'un 
instrument  et  la  musique  et  la  société  n'auront  qu'à  s'en  féliciter.  La  place  est  inondée 
d'instrumentistes  médiocres  et  incapables  qui  ont  étudié  un  instrument  sans  l'aimer, 
qui  continuent  sans  entrain  à  pratiquer  la  musique  pour  ne  pas  perdre  l'argent  dé- 
pensé pour  leurs  études,  et  qui  ennuient  leur  entourage  autant  qu'ils  s'ennuient  eux- 
mêmes.  Tout  esprit  non  routinier  saisira  le  bien  fondé  de  mes  observations  et  la  logi- 
que de  mes  conseils.  S'il  est  des  mères  de  famille  qui  me  font  cette  objection  :  que 
ma  préparation  est  bien  longue  et  mon  programme  bien  chargé,  qu'elles  ne  veulent  pas 
faire  de  leurs  enfants  des  artistes  mais  des  amateurs,  je  leur  répondrai  qu'en  ce  cas 
l'enseignement  du  piano  tel  qu'il  est  conçu  aujourd'hui  n'est  pas  du  tout  d'accord  avec 
leurs  désirs,  car  il  tend  à  faire  de  leurs  enfants  des  virtuoses  et  exige  d'eux  un  travail 
énorme.  Celui  que  je  leur  conseille  est  beaucoup  moins  long  et  beaucoup  moins  fati- 
gant; c'est  tout  justement  celui  qui  convient  à  des  amateurs,  en  ce  qu'il  leur  fera 
aimer  la  musique.  Entre  deux  à  trois  heures  passées  par  jour  à  faire  des  arpèges  et  des 
gammes  et  trois  quarts  d'heure  consacrés  à  devenir  musiciens,  choisissez  pour  vos 
enfants  l'emploi  du  temps  le  plus  utile  et  le  plus  vraiment  artistique.  Et  si  vous  dési- 
rez qu'ils  deviennent  des  virtuoses,  raison  de  plus  pour  développer  leurs  aptitudes 
musicales,  car  il  n'existe  rien  au  monde  de  plus  déplaisant  et  de  plus  grotesque  qu'un 

virtuose  sans  musicalité. 

* 
*  * 

Restent  les  enfants  qui  ont  commencé  le  piano  et  qui  sont  déjà  en  possession  de 
leur  mécanisme.  Que  doivent  faire  ceux-ci  ?  Est-il  possible  encore  de  développer  leurs 
facultés  auditives  et  rythmiques  ?  Je  le  crois,  mais  il  leur  faudra  pour 
cela  beaucoup  de  volonté  et  de  courage.  Il  leur  faudra  d'abord  fouler  leur 
orgueil  aux  pieds  et  se  persuader  que  tout  ce  que  leur  piano  leur  a  enseigné  n'est  pas 
du  domaine  de  la  musicalité  pure,  mais  est  un  simple  succédané  musical,  que  leur 
interprétation  des  œuvres  est  toute  machinale  et  non  pas  dictée  par  un  tempérament 
individuel, un  jugement  mûri,  un  instinct  affermi,  une  instruction  vraiment  artistique. 
Et  c'est  cela  le  plus  difficile  de  la  tâche  !  Non  pas  pour  les  élèves  indépendants  qui  tôt 
ou  tard  s'aperçoivent  de  ce  qui  leur  manque  et  cherchent  alors,  par  un  travail  opi- 
niâtre, à  acquérir  les  connaissances  que  leur  raisonnement  leur  fait  juger  indispen- 
sable à  leur  complet  développement.  Mais  que  répondre  aux  autres,  à  ceux  dont  les  pa- 
rents ne  sentent  pas  la  nécessité  de  ces  études  à  entreprendre,  se  contentent  des  résul- 
tats acquis,  et  sacrifient  l'avenir  de  leurs  enfants  sans  se  douter  du  tort  irrémédiable 
qu'ils  leur  font  ?  Car  les  trois  quarts  du  temps,  ce  sont  les  parents  qui  empêchent 


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leurs  enfants  d'étudier  leur  solfège  avec  assiduité  et  confiance.  Le  fait  de  les  voir  se 
livrer  pendant  quelques  années  à  un  travail  de  perfectionnement  auditif,  dont  les  ré- 
sultats ne  sont  pas  immédiats  et  ne  provoquent  pas  les  bravos  des  amis  et  connais- 
sances dans  les  soirées  de  famille  leur  paraît  devoir  amoindrir  le  talent  de  leurs  enfants 
si  applaudis  comme  pianistes  et  dont  les  succès  flattent  leurs  instincts  maternels  et 
paternels.  Parfois  ils  consentent  à  ce  que  l'enfant  fasse  un  essai  d'une  année,  puis  ils 
lui  font  abandonner  les  leçons  sous  un  prétexte  ou  un  autre. 

Combien  d'enfants  disent  à  leur  maître  de  solfège  :  j'aimerais  bien  continuer,  mais 
maman  ne  veut  pas  !  Pourquoi  ne  veut-elle  pas  ?Cela  me  prend  trop  de  temps.carje  fais 

mon  instruction  religieuse.  Et  le  piano  l'abandonnes-tu ?  Oh  non  monsieur! Ah, 

certes  non,  l'on  n'abandonne  pas  le  piano.  Le  piano  c'est  l'arche  sainte.  Le  piano,  en  dépit 
de  tous  les  raisonnements,  c'est  la  musique,  c'est  l'art  sacré.  Le  piano  est  tabou.  On 
'adore  comme  le  veau  d'or  et  on  lui  sacrifie  le  bon  sens,  les  jouissances  musicales 
supérieures,  le  bon  goût  et  la  santé  même  de  ses  enfants.  Ah,  sans  doute,  les  parents 
ne  sont-ils  pas  avertis,  ils  ne  se  rendent  pas  compte  de  leur  manque  de  discernement  ; 
ils  ne  savent  pas,  voilà  tout.  Ah,  puisse  mes  observations  en  édifier  quelques-uns  et 
leur  faire  reconnaître  les  erreurs  commises.  Qu'ils  se  hâtent  alors  de  changer  de  sys- 
tème d'éducation.  Qu'ils  relèguent  pendant  quelque  temps  le  piano  à  l'arrière-plan  et 
qu'ils  fassent  reprendre  à  leurs  enfants  —  même  adolescents  —  l'étude  des  deux  élé- 
ments musicaux  essentiels  de  la  musique,  le  rythme  et  la  sonorité.  Qu'ils  les  confient 
à  des  maîtres  exercés  qui  leur  apprennent  à  coordonner  leurs  mouvements  d'une  façon 
équilibrée,  à  obtenir  de  leur  cerveau  une  volonté  se  communiquant  rapidement  et 
sans  hésitation  à  tout  leur  organisme,  à  compter  mentalement  les  mesures,  à  atta- 
quer la  phrase  musicale  avec  aisance  sur  n'importe  quel  temps,  à  la  terminer  sans 
accroc,  à  ralentir  ou  à  presser  sans  affectation,  à  accentuer  la  note  forte  de  la  période, 
à  modeler,  pour  ainsi  dire,  la  phrase  avec  énergie  et  souplesse. 

L'effet  bienfaisant  d'exercices  de  gymnastique  musicalement  rythmés  contreba- 
lancera chez  les  jeunes  filles  l'influence  désastreuse  du  piano  au  point  de  vue  nerveux, 
et,  de  voir  devenir  vos  filles  —  en  même  temps  que  musiciennes  plus  complètes,  — 
plus  gracieuses  et  plus  équilibrées  en  leurs  mouvements,  n'aurez-vouspas,  mesdames, 
aussi  votre  petite  satisfaction  d'amour-propre  ?  En  ce  qui  concerne  le  développement 
de  l'oreille,  il  y  a  toujours  possibilité  de  se  perfectionner  si  l'on  a  de  la  volonté  et  si 
l'on  sait  continuer  à  vouloir.  11  n'est  jamais  trop  tard  pour  bien  faire  !  Et  le  résultat 
compensera  les  énergiques  de  la  somme  d'efforts  dépensée.  Au  lieu  de  subir  la  musi- 
que, ils  y  adapteront  leurs  tempéraments  et  la  jugeront  et  l'aimeront  à  travers  leur 
personnalité.  Quant  aux  professeurs  de  piano,  ils  auront  tout  à  gagner  à  une  plus 
longue  préparation  musicale  aux  études  instrumentales.  Toutes  leurs  remarques  sur 
le  style  et  l'interprétation  de  la  musique  porteront  juste.  Les  élèves  éviteront  d'eux- 
mêmes  des  fautes  grossières  qui  blesseraient  leur  sens  musical  devenu  plus  affiné  par 
l'étude.  Les  études  ne  seront  plus  arrêtées  à  mi-chemin,  car  les  maîtres  n'auront  plus 
à  éduquer  que  des  élèves  à  la  musicalité  éprouvée  par  d'utiles  travaux  préparatoires. 
Les  parents  eux-mêmes  auront  tout  à  gagner  à  la  mise  en  pratique  de  mes  théories. 

Leurs  oreilles  ne  seront-elles  pas  délivrées  de  pénibles  luttes  sonores  auxquelles 
se  livrent  au  début  des  études,  l'instrument  et  l'instrumentiste  ?  Ne  seront-ils  pas 
heureux  d'entendre  leurs  filles  et  leurs  fils  déchiffrer  avec  goût  les  œuvres  classiques 
et  nouvelles,  plutôt  que  de  subir  pendant  trois  mois  l'initiation  énervante  aux  grands 


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morceaux  de  concert  joués  de  temps  en  temps  aux  convives  des  five  o'clock  et  des 
dîners  de  famille  ?  De  les  entendre  jouer  d'oreille  ou  improviser  des  mélodies  nuancées 
avec  goût,  accompagner  dans  n'importe  quel  ton  les  morceaux  de  chant,  interpréter 
eux-mêmes  en  chœur  les  refrains  d'hier  et  de  demain,  faire  danser  même  —  et  pour- 
quoi pas  ?  —  les  petits  amis  et  les  petites  amies,  tout  simplement  et  à  la  bonne  fran- 
quette, avec  rythme  et  avec  entrain  ?  De  les  voir  en  un  mot  entrer  en  relations  plus 
intimes  avec  l'art,  en  faisant  participer  celui-ci  à  leur  vie  de  tous  les  jours,  grâce  à  un 
système  d'éducation  logique  mettant  le  corps  au  service  de  l'esprit,  et  initiant  celui-ci 
à  la  connaissance  complète  du  beau,  en  ses  éléments  féconds  et  régénérateurs  ? 

E.  JAaUES-DALCROZE. 


Le  Songe  de  Qérontius 

d'Edward   Elgar 


Avant  d'entendre  le  Songe  de  Gérontius  que  donna  la  Société  des  Grandes 
Auditions  et  à  la  répétition  générale  duquel  j'assistai,  je  ne  connaissais  rien  de  la 
musique  de  M.  Edward  Elgar  dont  l'Angleterre  s'enorgueillit.  Dès  le  prélude  de  cet 
oratorio  écrit  sur  le  fervent  et  beau  poème  du  très  vénérable  cardinal  Newmann,  j'ai 
compris  qu'une  œuvre  grave  et  sincère  allait  nous  être  révélée.  «  Ce  n'est  pas  amusant  » 
fut  une  parole  prononcée  sérieusement  à  la  sortie  par  un  des  membres  de  la  critique 
invitée.  Je  pense  tout  à  fait  comme  mon  honorable  confrère,  si  je  me  rappelle  que  le 
prélat  et  le  compositeur  n'ont  pas  fourni  à  l'auditoire  la  plus  petite  occasion  de  rire 
au  cours  de  cette  œuvre  austère,  comme  le  permettra  d'en  juger  l'analyse  du  poème. 

Près  de  sa  fin  Gérontius  recommande  son  âme  au  Seigneur.  Autour  de  lui  le 
prêtre  et  ses  amis,  priant  pour  son  salut,  facilitent  par  leurs  pieuses  exhortations  le 
passage  de  la  vie  terrestre  à  Ja  vie  éternelle.  Parvenue  chrétiennement  de  l'autre 
côté  du  trépas,  l'âme  de  Gérontius,  comme  éveillée  d'un  songe,  est  face  à  face  avec 
l'ange  gardien  qui  le  protégea  sur  la  terre.  Dans  les  calmes  espaces  qui  précèdent  le 
saint  tribunal  où  le  Souverain  Juge  doit  peser  ses  actions,  elle  attend  avec  confiance 
malgré  les  cris  des  démons  hurlant  de  colère  à  la  vue  du  juste  qui  leur  va 
échapper.  Moment  solennel,  suprême  angoisse  !  On  entend  monter  de  la  terre  les 
chants  dont  les  prêtres  et  les  fidèles  accom.pagnent  l'appareil  de  la  mort,  l'Ange  de 
l'agonie  qui  obtint  de  Jésus  en  croix  le  pardon  de  l'humanité  ancienne,  renouvelle  sa 
plainte  suppliante  en  faveur  de  l'âme  qui  se  présente  à  Lui,  et  l'âme  de  Gérontius 
voudrait  s'enfuir,  car  elle  craint  de  n'avoir  pas  assez  souffert  pour  l'amour  de  Celui 
qui  par  amour  rachète  toute  faute.  Mais  son  bon  ange  la  rassure  et  l'emporte  dans  ses 
bras  fraternels  pour  la  livrer  à  la  dernière  épreuve  qui  la  purifiera  à  jamais  avant  de 

I   paraître  devant  Dieu,  tandis  que  le  chœur  des  anges  salue  déjà  l'âme  qui  sera  bientôt 

l,  sauvée  et  admise  aux  joies  célestes. 

Pour  ce  poème  de  pure  mystique,  M.  Edward  Elgar  a  composé  une  partition  qui 
est  peut-être  la  seule  œuvre  vraiment  religieuse  qu'il  nous  ait  été  donné  d'ouïr  depuis 
les  Béatitudes.  Loin  de  moi  la  pensée  de  la  placer  sur  le  même  rang  que  la  sublime 
méditation  de  César  Franck,  que  je  considère  comme  le  plus  bel  acte  de  foi  chrétienne 
que  la  musique  ait  chanté.  Bien  qu'en  certaines  pages  il  s'apparente  aux  Béatitudes  par 
''influence  qu'il  en  subit,  le  Songe  de  Gérontius  n'a  pas  l'envolée,  ni  cette  suavité  évan. 


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gélique  dont  Franck  fut  l'apôtre  harmonieux.  Mais  malgré  toute  la  distance  qui  sépare 
l'œuvre  de  génie  de  l'œuvre  de  talent,  on  doit  dans  cette  dernière  reconnaître  et  louer 
la  sincérité  et  la  noblesse  de  l'inspiration.  Nulles  tricheries  aimables  ne  sont  ici 
employées  pour  procurer  de  faciles  et  délicieux  frissons  à  un  public  frivole  comme  dans 
un  pseudo-sacré-dramatico-oratorio  dont  je  parlais  dans  notre  dernier  numéro.  La 
musique  s'est  attachée  à  rendre  scrupuleusement  et  dans  un  sentiment  de  respect  le 
texte  pieux  qu'elle  commente  et  embellit.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'elle  manque  de 
charme,  car  elle  en  a  beaucoup,  mais  un  charme  chaste  et  religieux  qui  sait  demeurer 
digne  du  sujet  qu'elle  aborde.  Pour  s'en  convaincre  il  suffit  de  lire  le  début  de  la 
seconde  partie  où,  dans  le  calme  qui  suit  la  mort,  l'âme  et  l'ange  gardien  se  trouvent 
en  présence.  Il  y  a  là  d'exquises  pages  empreintes  de  cette  touchante  et  sainte  mélan- 
colie que  la  parole  contenait  en  substance  et  dont  une  musique  de  candeur  fervente  a 
dégagé  l'essence  mélodieuse.  De  cette  partie  j'aime  peu  les  cris  et  les  blasphèmes  des 
démons.  Là,  pour  peindre  ces  redoutables  ennemis  du  chrétien,  on  a,  aux  voix  et  à 
l'orchestre,  mis  en  usage  tous  les  gros  et  vulgaires  moyens  de  l'artillerie 
infernale  qui  voudrait  nous  inspirer  de  la  terreur  et  qui  ne  fait  plus  peur  à  personne. 
Mais  que  chantent  les  amis  en  prière  de  Gérontius  ou  le  chœur  des  anges  entourant 
son  âme,  et  aussitôt,  sans  manifester  cependant  une  très  caractéristique  personnalité 
à  cause  de  sa  filiation  que  je  signalais,  dans  cette  œuvre  du  moins,  l'inspiration  de 
M.  Edward  Elgar  révèle  un  musicien  de  race,  un  artiste  de  goût,  un  esprit  enclin  aux 
nobles  pensées.  Sa  partition  est  claire,  sonore,  d'une  belle  ordonnance,  une  expressive 
déclamation  en  met  en  valeur  la  partie  vocale,  et  une  orchestration  abondante  sans 
inutile  fracas  y  développe  la  symphonie  aux  dessins  précis  et  toujours  intéressants. 
Peut-être  pourrait-on  reprocher  à  l'œuvre  de  manquer  de  variété  dans  l'emploi  des 
motifs,  en  constatant  que  l'usage  trop  répété  des  mêmes  formules  lui  apporte  quelque 
monotonie.  Mais,  à  part  ces  critiques  de  détail,  ce  m'est  un  devoir  de  rapporter  ici  la 
belle  et  saine  impression  que  j'ai  gardée  de  cette  œuvre  hautement  conçue  et  sobre- 
ment réalisée,  fort  bien  exécutée  par  les  solistes  Mlle  Croiza,  MM.  Plamondon  et 
Frœlich,  par  l'orchestre  et  les  chœurs  sous  l'habile  direction  de  M.  Camille  Chevillard. 
Il  nous  faut  aussi  remercier  Mme  la  comtesse  Greffulhe,  présidente  de  la  Société  des 
Grandes  Auditions,  grâce  à  l'initiative  intelligente  de  qui  deux  joies  artistiques  et  rares 
nous  furent  offertes.  Elle  nous  a  permis  dans  la  même  semaine  d'admirer  la  splendide 
et  précieuse  exposition  de  l'œuvre  du  grand  peintre  mystique  Gustave  Moreau  et 
d'entendre  le  beau  Songe  de  Gérontius  de  M.  Edward  Elgar  qui  n'avait  pas  encore  été 
chanté  en  France. 

Victor  DEBAY. 


-  387  - 
Le    Soixantième   anniversaire 

De  la  carrière  musicale  de  M.  Camille  Saint-Saëns 


Le  samedi  19  Mai  a  eu  lieu  à  la  Salle  Erard,  une  manifestation  d'une  touchante 
grandeur.  M.  Saint-Saëns  y  fêtait  le  soixantième  anniversaire  de  sa  carrière  musicale. 
Par  une  pieuse  sollicitude  le  Maître  avait  décidé  de  consacrer  les  bénéfices  de  ce 
concert,  qui  ne  pouvait  manquer  d'être  fort  brillant,  aux  sinistrés  de  Courrières 
et  du  Vésuve. 

Le  concert  qui  célèbre  cette  date  nous  incite  à  préciser  les  conclusions  qui 
s'imposent  successivement  à  l'esprit,  lorsqu'on  embrasse  d'un  coup  d'oeil  la  glorieuse 
carrière  de  M.  Saint-Saëns. 

L'auteur  de  Sanison  et  Dalila  est  un  des  rares  artistes  qui  peuvent,  en  pleine  pos- 
session de  leurs  moyens,  jouir  de  leur  propre  triomphe.  Il  ne  s'agit  point  ici  de  la 
gloire  cueillie  au  hasard  d'une  inspiration  heureuse,  qui  satisfait  un  instant  les  goûts, 
parfois  peu  délicats,  de  la  foule  ;  il  ne  s'agit  pas  non  plus  de  la  gloire  factice  que  pro- 
curent les  enthousiasmes  versatiles  d'une  cénacle.  Avec  M.  Saint-Saëns  la  gloire  a  pris 
les  aspects  les  plus  définitifs,  les  plus  graves,  ceux  qui  seuls  consacrent  l'effort  d'un 
homme,  lorsqu'il  a  satisfait  les  appétits  intellectuels  de  l'humanité  en  lui  montrant  de 
nouveaux  horizons. 


Novateur,  M.  Saint-Saëns  le  fut  dans  la  meilleure  acception  du  terme  ;  il  n'eut 
point  de  ces  audaces  faciles,  plus  propres  à  exciter  la  curiosité  qu'à  émouvoir  le  cœur; 
en  même  temps  qu'il  donnait  à  l'art  des  sons  un  aspect  qui  lui  était  personnel,  il  réa- 
gissait contre  le  goût  du  jour;  on  était  alors  peu  encHn  à  favoriser  la  musique  de 
chambre  ;  les  programmes  n'avaient  point  la  belle  ordonnance  qu'ils  affectent  de  nos 
jours.  La  fantaisie,  sous  ses  aspects  les  moins  artistiques,  y  triomphait;  le  théâtre, 
n'était  guère  plus  soucieux  d'art  pur  ;  les  noms  de  Gluck  et  de  Weber,  voire  celui  de 
Beethoven,  y  figuraient  souvent,  mais  l'italianisme  le  moins  délicat  y  faisait  égale- 
ment fureur  ;  et  les  chefs-d'œuvre  classiques  étaient  victimes  de  ces  sortes  de  trahi- 
sons, que  la  virtuosité  des  interprêtes,  et  la  complicité  intéressée  des  directeurs  d'alors, 
rendaient  presque  quotidiennes. 

M.  Saint-Saëns  défendit  d'abord  la  musique  pure  comme  pianiste.  On  sait  le 
talent  miraculeux  qu'il  y  déploya  ;  on  sait  l'intelligence  et  la  spirituelle  élégance  de 
son  jeu.  11  ne  s'appliqua  point  à  paraître  un  virtuose,  mais  il  marqua  sa  préférence 
pour  les  œuvres  qui  exigeaient  plus  de  musicalité  vraie  que  de  technique.  Beethoven 
n'eut  point  d'interprète  plus  inspiré  et  Mozart  retrouva  par  lui,  sa  grâce  et  sa  subtilité 
sentimentale. 

Non  content  de  vouer  un  culte  aux  grands  maîtres  —  alors  moins  unanime- 
ment applaudis  qu'aujourd'hui  —  il  mettait  également  son  talent  au  service  des 
compositeurs  nouveaux  que  la  France  ou  l'étranger  voyait  naître.  Chopin  avait  su 
vaincre  les  résistances  de  la  foule  par  son  charme  personnel,  par  le  prestige  de  son 
talent  ;  mais  Schumann  était  presque  inconnu.  D'autres,  plus  nouveaux  venus,  récla- 
maient le  secours  d'interprètes  audacieux  ;  et  l'on  vit  un  jour  Camille  Saint-Saëns 
affronter  aux  Concerts  Pasdeloup  un  public  nettement  hostile  et  imposer  le  concerto 
d'Alexis  de  Castillon.  En  même  temps  que,  comme  exécutant,   il  défendait  un  art 


—  388  — 

méconnu,  il  entrait  plus  héroïquement  encore  dans  la  mêlée  en   produisant  ses  pre- 
mières œuvres  de  musique  de  chambre. 

Au  Théâtre  une  évolution  semblable  se  produisait  :  la  musique  ne  soulignait  le 
caractère  dramatique  des  situations,  qu'avec  la  plus  extrême  fantaisie.  Comme 
Edouard  Lalo,  son  aîné  d'une  douzaine  d'années,  Camille  Saint-Saëns  avait  mis  en 
faveur  la  musique  de  chambre.  Comme  Gounod,  l'auteur  de  la  Symphonie  avec  orgue, 
réagit  contre  les  tendances  fâcheuses  de  quelques-uns  de  ses  devanciers,  et  donna  au 
drame  lyrique  français,  cette  tenue,  cette  sobriété  d'expression,  cette  force  et  cet 
accent  dramatique,  cet  intérêt  musical,  qui  constituent  encore  à  l'heure  actuelle  son 
prestige  le  meilleur. 

Je  n'ai  point  la  prétention  dans  ces  quelques  lignes,  d'analyser  l'œuvre  considé- 
rable du  plus  illustre  des  musiciens  actuels.  Il  était  pourtant  intéressant  de  prendre 
prétexte  de  cet  anniversaire  pour  montrer  que,  depuis  Hector  Berlioz  et  avec  César 
Franck,  il  n'est  pas  de  musicien  qui  ait  eu  sur  l'orientation  de  la  musique  une  action 
plus  décisive. 

Sa  merveilleuse  pureté  d'écriture,  la  distinction  et  la  grâce  de  ses  idées  mélo- 
diques, leur  accent  dramatique  ou  leur  force  symphonique,  la  surêté  de  ses  dévelop- 
pements, la  nouveauté  et  la  richesse  de  son  instrumentation  apportent  dans  le  domaine 
de  la  musique,  la  moisson  la  plus  précieuse  comme  la  plus  féconde  en  enseignements. 

Il  a  su  retrouver  le  fil  qui  relie  les  temps  modernes  aux  anciennes  et  admirables 
traditions  de  la  musique  ancienne.  Son  œuvre  n'est  point  seulement  riche  de  son 
propre  génie,  elle  est  remplie  de  ce  je  ne  sais  quoi  de  mystérieux  qui  fait  l'éternelle 
beauté  des  œuvres  du  passé.  Quoiqu'il  écrive  —  et  ce  maître  n'a  dédaigné  aucune 
des  manifestations  de  son  art  —  quoiqu'il  écrive,  il  reste  pur,  et  le  moindre  morceau 
sorti  de  sa  plume  possède  son  architecture  ;  ce  virtuose  prestigieux  ne  saurait  rien 
concevoir  qui  ne  soit  construit,  et  les  grâces  sémillantes  qui  illustrent  y^i^of/^,  sont  aussi 
solidement  équilibrées  que  le  premier  mouvement  de  sa  Symphonie  en  ut  mineur. 

Certains,  qui  confondent  la  lourdeur  et  la  profondeur,  estimeront  que  son  œuvre 
n'est  point  assez  pesante.  Laissons-les-dire  ;  et  louons-nous  d'avoir  connu  un  musicien 
qui  sut  faire  une  œuvre  considérable  dont  la  joie,  le  charme,  l'esprit  et  le  pittoresque 
n'étaient  point  exclus  :  trios,  sonates,  quatuors,  sextuors,  œuvres  pour  instruments  à 
vent,  morceau  de  pianos,  messes,  motets,  pièces  d'orgue,  symphonies  et  poèmes  sym- 
phoniques,  concertos,  mélodies,  chœurs,  cantates,  drames  sacrés  et  drames  profanes, 
ballets,  pantomimes  —  tous  les  genres,  Camille  Saint-Saëns  les  a  abordés  et  cela  avec 
un  égal  bonheur  d'expression,  avec  une  verve  et  une  fraîcheur  d'invention  intarrissables. 

Il  ne  fut  point  que  novateur  dans  son  art,  il  a  su  défendre  les  idées  les  plus  auda- 
cieuses lorsqu'elles  tendaient  à  un  art  plus  élevé  :  il  fut  wagnérien  en  un  temps  où  il  y 
avait  quelque  héroïsme  à  l'être. 

C'est  tout  cela  qu'on  a  fêté  l'autre  soir  chez  Erard  ;  on  a  fêté  l'admirable  musicien, 
l'interprète  prodigieux,  l'artiste  illustre  et  probe,  qui  peut  60  ans  après  ses  débuts, 
s'imaginer,  tant  son  talent  et  ses  forces  sont  vives  et  jeunes,  que  c'est  encore  le  pre- 
mier jour  de  sa  carrière. 

11  est  presque  inutile  de  dire  que  la  fête  fut  superbe.  La  salle  Erard,  dont  la 
noblesse  et  l'intimité  s'accordaient  fort  bien  avec  le  caractère  de  la  solennité,  —  avait 
un  aspect  exceptionnellement  brillant. 

Je  ne  saurais  dire  les  ovations  dont  le  maître  a  été  l'objet.  Ses  œuvres,  son  inter- 
prétation ont  été  l'objet  des  plus  touchantes  manifestations  d'admiration.  lia  joué 
d'abord  l'andante  et  l'allégro  de  son  premier  concerto,  puis  le  Concerto  en  mi  bémol  de 
Beethoven   (un  souvenir  de   ses  premiers  triomphes),    puis  deux  pièces  de  piano  ; 


-  389  - 

Wedding-Cake  et  la  Rhapsodie  d'Auvergne.  Sa  virtuosité  si  intelligente  et  si  fine,  son 
interprétation  simple  et  compréhensive,  son  sentiment  profond  de  l'accent  et  de 
l'équilibre  des  sonorités  ont  donné  à  cette  exécution  un  charme  d'une  indicible 
puissance. 

Entre  temps,  Mme  Auguez  deMontalanta  dit,  avec  une  qualité  de  voix  charmante, 
quelques  très  belles  mélodies  du  Maître,  entre  autres  La  Cloche  et  l'Attente.  Enfin,  deux 
pianistes  dignes  de  leur  illustre  confrère,  M.  Francis  Planté,  un  des  plus  admirables 
interprètes  de  l'heure  actuelle,  et  M.  Léon  Delafosse,  gloire  jeune  encore,  mais  déjà 
pleinement  épanouie,  ont  joué  de  façon  prestigieuse  le  Caprice  héroïque  et  en  his  le 
Scher^^o  pour  deux  pianos. 

Je  n'aurais  garde  d'oublier  l'Orchestre  du  Conservatoire  qui,  sous  la  direction 
ferme  et  précise  de  M.  Georges  Marty,  a  exécuté  la  noble  et  pure  ouverture  d'Andw- 
tnaque. 

Des  ovations  sans  fin  ont  accueilli  le  Maître  à  l'issue  du  concert,  un  des  plus 
beaux  de  cette  saison,  celui  qui  porte  sans  doute,  les  enseignements  les  plus  nobles 
et  les  plus  féconds.  Robert  BRUSSEL. 


La  Quinzaine  musicale 


Société  nationale.  —  C'est  par  une  séance  consacrée  exclusivement  aux  œuvres 
de  Gabriel  Fauré  que  la  Société  Nationale  a  clôturé  la  série  de  ses  concerts  pour  cette 
année,  la  trente-sixième  de  son  existence. 

La  plupart  des  compositions  du  maître  étaient  déjà  connues  :  l'une  d'entre  elles, 
même,  cette  si  charmante  Sonate  de  piano  et  violon,  avait  été  jouée  la  première  fois, 
près  de  trente  ans  avant,  par  l'auteur  lui-même,  à  la  même  Société  Nationale,  comme 
elle  le  fut  à  ce  concert  du  15  mai  dernier,  nous  n'osons  dire  «  devant  le  même  public  », 
bien  qu'il  se  soie  trouvé  certainement,  dans  l'auditoire,  quelques  fidèles  amis  de  jadis, 
peut-être  des  «  fondateurs  >;,  des  «  jeunes  »,  reconnaissables  à  leur  chevelure  blanche... 
ou  absente. 

11  y  aurait  une  belle  étude  à  faire  sur  le  mouvement  de  cette  société  de  jeunes, 
vieille  déjà,  et  forte  d'une  tradition  d'un  tiers  de  siècle,  jalonnée  de  noms  désormais 
classés  :  Castillon,  Lekeu,  Chabrier,  Lalo,  PVanck,  Chausson,  pour  ne  point  parler  des 
vivants. 

Pour  aujourd'hui,  c'est  d'un  vivant,  bien  vivant  par  la  grâce  exquise  et  fine  de  ses 
œuvres  comme  de  sa  personne,  qu'il  s'agit. 

Le  très  séduisant  Quintette.,  que  M.  Fauré  a  terminé  récemment  et  dont  il  nous 
donnait  presque  la  primeur,  a  déjà  fait  l'objet  des  appréciations  élogieuses  qu'il  mérite, 
dans  le  précédent  numéro  du  Courrier^  à  propos  de  la  seule  audition  antérieure  qui  en 
fut  donnée  aux  séances  Pugno-Ysaye.  Le  rôle  du  piano,  un  peu  effacé,  sans  doute  à 
dessein,  dans  le  premier  mouvement,  devient  beaucoup  plus  important  dans  le  second, 
qui  constitue  la  pièce  maîtresse  de  l'œuvre.  C'est  un  Adagio  de  belle  construction,  de 
grande  envergure  et  de  haute  envolée,  surtout  à  partir  du  thème  fugué,  tellement  expres- 
sif et  enveloppant... comme  sait«  envelopper»  M.  Fauré.  Le  Finale^  très  classique,  offre 
un  rythme  charmant  et  presque  continu,  perpétuellement  instable  et  ondulant,  sans 
atteindre  le  niveau  émotif  du  morceau  central. 

L'interprétation  fort  belle  du  quatuor  Capet  prendra  sans  doute  plus  d'assise  et 
de  passion,  lorsque  cette  œuvre  sera  mieux  assimilée,  car  nous  croyons  fermement 
qu'on  joue  mieux  ce  qu'on  sait  depuis  plus  longtemps. 


—  390  — 

Mme  Marguerite  Long,  dans  la  partie  du  programme  réservée  aux  pièces  de  piano 
seul,  a  donné  la  mesure  de  ses  qualités  de  virtuose  consciencieuse  et  intelligente.  Le 
Thème  variée  l'un  des  Nocturnes  et  l'une  des  Valses-Caprices  étaient  les  trois  spéci- 
mens choisis  dans  l'oeuvre  pianistique  de  M.  Fauré  :  faut-il  avouer  que  les  considéra- 
tions motivant  ce  choix  parurent  difficilement  pénétrables  à  quelques-uns  ? 

La  Bonne  Chanson  au  contraire  devait  s'imposer  à  tous  et  recueillir  nécessaire- 
ment tous  les  sufifrages.  C'est  là,  certes,  une  des  meilleures  œuvres  vocales  du  maître,  et  il 
semble  qu'il  nous  ait  donné  raison  lui-même,  par  la  grâce  plus  personnelle  et  l'aban- 
don plus  grand  qui  se  manifestèrent  ici,  dans  son  jeu  si  poétique  d'auteur  —  accom- 
pagnateur —  interprète. 

Aussi  est-ce  très  spontanément  qu'on  fit  une  chaude  ovation  au  triple  musicien  in- 
carné en  M.  Fauré,  en  même  temps  qu'à  la  subtile  et  fine  diseuse  qui  a  nom  Mme  Ba- 
thori.  A.  Sérieyx. 

Concerts  Jacques  TMbaud.  —  Le  célèbre  violoniste  vient  de  remporter  un 
immense  succès  après  l'exécution  du  Concerto  en  si  mineur  et  de  V Introduction  et 
Rondo  capricioso  de  Saint-Saëns.  11  a  déployé  dans  ces  deux  œuvres,  brillantes  et 
de  facture  habile,  les  plus  charmantes  qualités  d'expression,  de  tendresse,  de  grâce, 
d'élégance  et  de  légèreté.  L'auditoire  enthousiasmé  ne  voulait  pas  quitter  la  salle  et 
Jacques  Thibaud  dut  revenir  six  fois,  avec  un  air  désabusé  qui  lui  sied  moins  que  sa 
physionomie  radieuse  d'antan,  saluer  ce  public  bien  exigeant  (n'est-ce  pas,  exquis  vio- 
loniste ?).  Dans  la  Chaconne  de  Bach,  superbement  rendue  (mais  avec  une  partie  de  piano 
imprévue...)  et  dans  les  Concertos  de  Mendelssohn,  de  Max  Bruch,  et  aussi  dans  celui  de 
Beethoven,  cependant  peut-être  moins  profondément  senti,  Jacques  Thibaud  s'est  couvert 
de  lauriers.  A  côté  de  lui,  son  frère,  le  remarquable  pianiste  Joseph  Thibaud,  a  particu- 
lièrement brillé  dans  la  Ballade  en  sol  mineur  de  Chopin  et  dans  VEtincelle  de 
Moszkowski,  où  sa  merveilleuse  technique  s'est  mise  en  valeur  plus  que  dans  les 
Variations  symphoniques  de  Franck,  qui  exigent  une  puissance  et  une  compréhension 
presque  majestueuses.  L'orchestre  Colonne  sous  la  direction  de  M.  Colonne  s'est  natu- 
rellement fort  bien  acquitté  de  sa  tâche  et  a  fait  preuve  d'infiniment  de  délicatesse  et  de 
précision  dans  l'exécution  des  ouvertures  de  Coriolan  et  de  la  Grotte  de  Fingal. 

Concerts  Mysz-Gmeiner-Wurmser.  —  A  l'occasion  du  cinquantième  anni- 
versaire de  la  mort  de  Schumann,  une  audition  des  plus  exquises  mélodies  de  l'im- 
mortel romantique  a  été  donnée  par  Mme  Luia  Mysz-Gmeiner.  Nous  n'entendons  pas 
souvent  une  interprétation  aussi  soignée,  aussi  parfaite  des  lieder  de  Schumann  que 
celle  de  Mme  Mysz-Gmeiner.  Tant  au  point  de  vue  du  sentiment  et  de  la  compréhension 
qu'au  point  de  vue  purement  vocal,  c'est  simplement  admirable  ;  c'est  le  plus  délicieux 
régal  musical  que  l'on  puisse  rêver.  M.  Wurmser  au  piano  est  le  digne  accompagnateur 
de  Mme  Gmeiner,  suivant  ses  moindres  intentions,  soulignant  ses  plus  subtiles  nuances^ 
Comme  soliste,  il  fut  chaleureusement  applaudi  après  une  exécution  un  peu  menue  du 
Carnaval.  Un  deuxième  concert  nous  a  permis  d'entendre  deux  Sonates  de  Beethoven 
(piano  et  violoncelle),  trop  rarement  inscrites  aux  programmes,  celles  en  sol  mineur  et 
en  la  ma/ewr.  MM.  Wurmser  et  Pablo  Casais  y  apportèrent  leur  très  musicale  expression 
qui  en  fit  deux  pages  attachantes  autant  par  la  beauté  des  idées  que  par  leur  riche  déve- 
loppement. Dans  des  œuvres  de  Mozart  et  de  Schubert,  Mme  Mysz-Gmeiner  tious 
charma  profondément,  laissant  en  nous  l'impression  ineffaçable  d'une  perfection  rare- 
nient  atteinte.  R. 

A  propos  des  concerts  de  Blanche  Selva.  —  «  Deux  matinées  de  musique 
moderne.  »  On  ne  saurait  croire  combien  ce  titre,  pourtant  si   simple,  contient  d'évo- 
cations rébarbatives,  inquiétantes  ou  somnifères,  pour  un  grand  nombre  de  ces 
«...  gens  qui  se  disent  musiciens, 
«  Et  qui  ne  sont  pas  du  tout  des  musiciens.  » 
sans  préjudice  des  autres  1 


—  391  — 

La  musique  «  moderne  »  c'est  celle  où  il  y  a  «  beaucoup  de  dièzes  »  et  pas  du  tout 
«d'airs  qu'on  retient»,  celle  qui  «  ne  finit  pas  sur  l'accord  parfait  )),  uniquement  pour 
{(  épater  le  bourgeois  »,  etc. 

D'où  il  suit  que  le  virtuose,  chevelu  de  préférence,  ne  doit  pas  dépasser  Chopin  et 
Liszt,  dans  l'ordre  chronologique,  —  ordre  bien  méprisé  d'ailleurs,  quand  il  est  ques- 
tion de  programmes  de  concert. 

Or,  croiriez-vous  qu'il  s'est  trouvé  de  nos  jours  des  virtuoses  qui  s'avisent  de  con- 
naître les  dates  des  œuvres  qu'ils  font  entendre  ?  Et  la  même  saison  musicale  de  1906 
voitéclore  des  programmes  anciens  comme  ceux  de  M.  J.-J.  Nin,  à  la  salle  ^olian,  des 
programmes  de  l'Epoque  Romantique  comme  ceux  de  M.  Gortot,  à  la  salle  Pleyel,  des 
programmes  «  modernes  »  comme  ceux  de  Mlle  Blanche  Selva,  les  9  et  16  mai  à  la  même 
salle. 

L'ancêtre,  dans  ces  programmes  modernes,  c'est  et  ce  devait  être  César  Franck, 
avec  son  Prélude,  Aria  et  Final,  qui  date  de  1888.  Il  faut  lire,  à  ce  propos,  la  vigou- 
reuse étude  que  vient  de  faire  paraître  (i)  Vincent  d'Indy  sur  notre  grand  maître  fran- 
çais du  xix°  siècle;  il  faut  entendre  aussi  la  magistrale  interprétation  que  sait  donner 
Mlle  Selva  de  ce  chef-d'œuvre.  Enfin,  si  l'on  voulait  se  délasser  ou  stimuler  sa  gaieté,  il 
faudrait  ensuite  se  remettre  en  mémoire  certaine  opinion  risible  sur  les  disciples  du 
même  César  Franck,  atteints,  comme  ceux  de  Wagner,  de  la  «  folie  dissonante  »  pro- 
voquant des  «  excitations  dépravées.  » 

Que  dire,  en  ce  cas,  du  Poème  des  Montagnes  de  Vincent  d'Indy,  un  disciple, 
croyons-nous,  du  Pater  seraphicus  ?  Que  dire  de  la  Sonate  et  des  Variations  sur  un 
thème  de  Rameau,  de  Paul  Dukas,  autre  admirateur  fervent  du  génie,  aujourd'hui  in- 
discuté, du  «  père  Franck  »,  le  catholique  auteur  des  Béatitudes,  de  Rédemption  et  des 
Chorals  d'orgue  ? 

Telles  étaient  les  «  excitations  dépravées  »  que  nous  réservaient  les  programmes  de 
Mme  Selva,  l'interprète  née  des  grandes  œuvres. 

A  côté  de  ces  constructions  «  hiératiques  »,  une  large  place  était  faite  aux  ((  pitto- 
resques »  ;  entre  la  poésie  tendre  du  Nocturne  en  mi  bémol  mineur  de  Gabriel  Fauré, 
le  chaud  soleil  du  Languedoc  de  Déodat  de  Séverac,  et  le  soleil  plus  ardent  encore  de 
VIbéria,  d'Albeniz.  Quelques  épisodes  d'ordre  purement  «descriptif»  complétaient  cet 
attrayant  groupement.  Ainsi  apparurent  successivement  :  Le  long  du  Ruisseau,  de 
Pierre  Goindreau,  une  nouvelle  Scène  am  bach,  aussi  pastorale  que  l'autre,  quoique 
nullement  analogue,  mais  construite  comme  celle  du  maître  de  Bonn,  sur  les  principes 
définitifs  de  la  forme  sonate,  légués  par  lui  aux  siècles  futurs;  Pagodes,  de  Debussy, 
qui  essaie  de  nous  transporter  dans  le  domaine  de  la  pure  évocation  orientale,  pour 
laquelle  la  suppression  du  septième  degré  de  la  gamme  majeure  n'est  peut-être  pas 
suffisante  ;  et  enfin,  la  Vallée  des  Cloches  de  Maurice  Ravel,  pour  suivre  l'ordre  cons- 
tructif  décroissant  et  l'ordre  descriptif  croissant,  c'est-à-dire  les  deux  courants  assez 
nets  qui  se  partagent  l'art  musical  symphonique  contemporain.  Ici,  nous  sommes  de 
plus  en  plus  dans  l'évocation  fantaisiste,  séduisante  sans  doute,  poétique  peut-êcre, 
mais  à  coup  sûr  accidentelle  et  périssable,  dans  cette  incessante  gravitation  du  système 
artistique,  où  de  brillantes  exceptions,  comme  les  deux  derniers  noms  cités,  remplissent 
la  fonction  nullement  négligeable  des  comètes  ou  des  bolides  de  notre  système  solaire 
par  rapport  aux  vieilles    planètes. 

Celles-ci,  qu'elles  soient  Bach,  Beethoven,  Wagner,  Franck,  ou  leurs  satellites,  sont 
peu  troublées  dans  leurs  orbites  par  le  voisinage  éphémère  de  ces  intéressants  météores. 
Elles  poursuivent  leur  révolution  rythmique  et  lente,  non  point  en  cercle  mais  en 
spirale,  vers  l'idéal  inconnu,  toujours  renouvelé,  où  les  entraîne  leur  chef  hiérar- 
chique, qu'il  soit  Soleil,  Art  ou  Dieu. 

A.  SérieyX. 


(1)  Les  Maîtres  de  la  Musique.  CESAR  FRANCK,  par  V.  d'Indy.  Chez  Alcan. 


—  392  — 

Lia  Sonate  moderne  et  classique.  —  «  Rendre  aussi  exactement  que  possible 
l'idée  du  compositeur  —  Ne  pas  considérer  la  musique  comme  un  objet  de  luxe  et  la 
mettre  à  la  portée  de  tous.  Ne  jamais  sacrifier  au  goût  du  public.  »  M.  Armand  Parent 
comprend  ainsi  le  rôle  de  l'artiste.  Cette  petite  déclaration  de  principes  —  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi  —  accompagnait  le  programme  des  trois  séances  qui  furent  données 
à  la  salle  jEolian  ;  elle  n'est  pas  sans  utilité,  ni  sans  bravoure.  Chez  M.  Parent,  en 
dehors  de  son  talent  d'exécutant  et  de  sa  merveilleuse  compréhension,  il  faut  louer  la 
façon  dont  il  satisfait  à  l'idéal  sévère  et  élevé  qu'il  nous  propose.  Avec  le  concours  de 
Mlle  Dron,  il  a  donné  le  bon  exemple  une  fois  de  plus. 

Les  concerts  étaient  exclusivement  consacrés  à  la  sonate  pour  piano  et  violon.  Le  4 
mai,  nous  avons  entendu  l'œuvre  de  Lekeu  si  pleine  de  jeunesse  et  d'enthousiasme,  si 
débordante  d'idées,  bien  que  parfois  désordonnées.  Certainement  les  sonates  de 
MM.  d'Indy  et  Magnard  que  l'on  joua  ensuite  sont  plus  achevées  et  plus  puissantes,  se 
terminent  davantage.  Mais  n'oublions  pas  l'âge  auquel  Guillaume  Lekeu  mourut  si 
malheureusement.  Le  11  mai,  Bach,  Mozart  et  Schumann  ont  les  honneurs  de  la  soirée, 
interprétés  dans  un  style  parfait.  Le  18,  retour  aux  musiciens  plus  modernes  avec  la 
sonate  de  A.  de  Castillon,  mélodieuse  et  expressive,  avec  celle  de  M.  Pierné,  comme 
toujours  très  délicat  et  enfin,  comme  suprême  jouissance,  la  sonate  de  César  Franck, 
un  des  piliers  de  la  musique  moderne  et  de  toute  la  musique  rendue  avec  une  ferveur 
qui  nous  a  tous  émus.  Mlle  Dron  et  M.  Parent  doivent  détester  les  compliments  :  je 
préfère  leur  adresser  mes    remerciements  et  ceux  de    leurs  auditeurs. 

Gabriel  Rouchès. 

Concerts  Risler.  —  M.  Risler  a  repris,  aux  premiers  jours  de  mai,  la  série  des 
auditions  sensationnelles  qu'il  consacrait  en  décembre  aux  trente-deux  sonates  de  Bee- 
thoven. Il  lui  a  semblé  que  cette  initiation  n'avait  point  épuisé  la  curiosité  ardente  et 
sympathique  de  ses  fidèles  et  si  nous  avons,  comme  de  juste,  discerné  dans  l'auditoire 
du  Nouveau-Théâtre  ou  de  la  salle  Erard  un  certain  nombre  de  néophytes,  du  moins  le 
public  de  la  saison  frileuse  se  montre-t-il  assidu  lui  aussi  et  ne  redoute  pas  de  donner 
le  spectacle  de  son  enthousiasme  et  de  son  ivresse  en  rédicive.  A  cette  heure  M.  Risler 
a  franchi  la  première  des  trois  grandes  étapes  —  s'il  faut  ainsi  parler  pour  la  commo- 
dité des  esprits  méticuleux  —  qui  jalonnent  sa  route.  Je  n'insiste  pas  aujourd'hui  sur 
la  matière  de  ses  programmes  ;  je  l'ai  fait  il  y  a  quelques  mois  —  on  s'en  souvient  peut- 
être  —  avec  scrupule.  Je  me  réserve  en  outre,  encore  que  je  l'ai  abondamment  louée,  de 
commenter  son  interprétation  dès  qu'il  aura  plaqué  le  suprême  accord,  à  la  lueur  de 
quelques  comparaisons  efficaces  et  de  quelques  jugements  instructifs.  J'ai  voulu  seule- 
ment, en  ces  quelques  lignes,  évoquer  pour  mes  lecteurs  nos  chers  souvenirs  de  cet 
hiver  et  leur  rappeler  qu'il  est  temps  encore  d'aller  les  revivifier  et  les  rajeunir  avant 
que  l'oracle,  dont  les  plus  sublimes  paroles  ne  sont  point  encore  dites,  ne  se  taise  lon- 
guement. P.  L. 

CONCERTS   DIVERS 


L'Union  Instrumentale.  —  Cette  fois,  c'est  dans  le  coquet  théâtre  de  M.  Mors 
que  VUnion  Instru^nentale  avait  convié  un  élégant  auditoire  à  venir  l'entendre.  Les  amis 
de  la  jeune  et  laborieuse  société  ont  été  très  satisfaits.  L'orchestre,  sous  la  direction 
précise  de  M.  Tanron  a  exécuté  l'ouverture  de  Coriolan  et  la  symphonie  en  ré  majeur 
"de  Bach.  Plusieurs  solistes  remarquables  prêtaient  leur  concours  :  Mlle  Morin,  une 
excellente  pianiste  ;  M.  Poulet,  un  tout  jeune  violoniste  ;  le  violoncelliste  Vandœuvre  et 
M.  Pivan  qui  a  tenu  la  partie  de  hautbois  dans  le  prélude  ûe  Jeanne  d'Arc  de  Gounod. 
Mme  Durey-Sohy  a  chanté  en  grande  artiste  l'air  de  Griselidis  et  la  ballade  du  Vais- 
seau-Fantôme. 

Le  programme  portait  enfin  le  premier  tableau  du  dernier  acte  d'Orphée^  interprété 


—  393  — 

par  Mme  Planés  et  par  Mme  Landowski-Messener.  La  voix  sonore,  le  style  de  Mme 
Planés  s'adaptaient  merveilleusement  à  la  musique  de  Gluck.  Mme  Landowski  sut  être 
une  Eurydice  tendre  et  élégiaque,  qui  nous  émut  profondément  par  la  pureté  et  la  sim- 
plicité même  de  son  chant.  '  Gabriel  Rouchès. 

La  Société  Internationale  de  musique  'section  française),  avait  organisé,  les  i8 
et  19  mai,  à  la  Bibliothèque  Nationale,  sous  le  patronage  du  Comité  de  l'exposition 
des  Miniatures  du  xviu'  siècle,  une  audition  de  musique  ancienne  qui  offrait  un  intérêt 
tout  spécial.  Une  charmante  pastorale  de  Lully  fils,  le  Triomphe  de  la.  Raison  sur  /'A- 
mour  fut  reconstituée  et  exécutée  avec  infiniment  d'art  par  un  orchestre  de  profession- 
nels et  d'amateurs  et  des  chœurs  sous  la  direction  de  M.  Jules  Ecorcheville.  Mme 
Landowska,  dont  on  connaît  le  merveilleux  talent,  joua  sur  le  claTecin  deux  pièces  de 
Couperin,  et,  sur  le  piano,  une  So7iate  de  Scarlatti  et  le  Coucou  de  Pasquini.  Un  pro- 
gramme somptueux  et  très  artistique  était  distribué  aux  auditeurs  de  cette  fête  élé- 
gante et  très  xvni°.  D. 

M.  Louis  Fleury.  —  Le  concert  donné  par  ce  très  remarquable  flûtiste  nous  a 
permis  de  goûter  un  programme  charmant  fort  joliment  exécuté  par  M.  Fleury  d'abord, 
aux  sonorités  infiniment  suaves  et  à  l'expression  exquisement  enveloppante  (Sonate 
en  mi  majeur  de  Bach,  Sérénade  de  Beethoven,  etc.),  et  par  MM.  Enesco,  Monteux, 
Decreus  et  Baudoin.  Nous  avons  entendu  comme  première  audition  une  œuvre  de  Bee- 
thoven, ce  qui  n'est  pas  banal  :  Allegretto  et  Minuetto  pour  deux  flûtes.  Est-il  besoin 
de  dire  que  cette  page  peu  connue  se  tient  assez  éloignée  de  la  grande  manière  beetho- 
venienne,  mais  qu'elle  renferme  toutefois  des  effets  délicats  et  chatoyants.  Mlle  Mary 
Garnier  a  quelque  peu  compromis  la  séduisante  exécution  générale  de  tout  ce  pro- 
gramme. G.  V. 

M.  Léon  Delafosse.  —  Le  concert  du  distingué  pianiste  Léon  Delafosse  avait 
amené  au  Théâtre  Sarah-Berhnardt,  la  plus  sélect  et  nombreuse  assistance.  Accompagné 
par  l'orchestre  Lamoureux  sous  la  diretion  de  M.  Ghevillard,  M.  Léon  Delafosse  a  ma- 
gistralement enlevé  la  Grande  Polonaise  (op.  22)  de  Chopin.  Dans  différentes  pages  de 
Bach,  Scarlatti,  Schumann,  Rubinstein,  Liszt,  etc.,  son  succès  a  été  très  vif  et  de 
nombreux  rappels  lui  ont  été  prodigués. 

Mme  M.  Reichemberg.  —  Ce  qui  nous  a  surtout  frappé  chez  cette  très  intéressante 
pianiste,  c'est  la  juste  compréhension  dont  elle  a  fait  preuve  aussi  bien  dans  Beetho- 
ven que  dans  Chopin,  Schumann  et  Liszt.  Bien  des  professionnels  pourraient  la  lui 
envier.  De  plus  son  jeu  posé,  réfléchi,  souple,  lui  permet  d'interpréter  avec  bonheur  les 
œuvres  les  plus  ardues.  E. 

L'Accord.  —  Vif  succès  pour  Mlle  Menjaud,  MM.  Jan  Reder  et  Boucrel  qui  chan- 
taient mercredi  dernier,  au  Nouveau-Théâtre,  les  rôles  d'Iphigénie,  d'Agamemnon  et  de 
Calchas  dans  Iphigénie  en  Aulide,  donnée  par  «  l'Accord  »  ;  les  musiciens  amateurs 
qui  formaient  l'orchestre  et  les  chœurs  de  cette  société  auraient  encore  beaucoup  à  faire 
avant  de  songer  à  l'exécution  d'une  telle  œuvre  ;  néanmoins,  leur  effort  est  louable  sur- 
tout en  ce  qui  concerne  les  chœurs  de  femmes.  Sachons-leur  aussi  gré  de  nous  permettre 
d'applaudir  des  artistes  comme  Mmes  Saisset,  Duporge,  MM.  Bischof  et  Noblet,  et 
souhaitons  qu'à  l'avenir  «  l'Accord  ))  règne  tout  à  fait  entre  le  bruyant  orchestre  et  son 
digne  chef.  G.  O. 

Mlle  DE  MouROMZOFF.  —  Mlle  de  Mouromzoff,  fille  du  célèbre  président  de  la  Douma 
d'Empire,  vient  de  se  faire  entendre  pour  la  première  fois  à  Paris.  Elle  chante  en  italien, 
en  russe  et  en  allemand,  avec  infiniment  de  charme;  sa  voix  est  d'une  fraîcheur  exquise, 
sa  souplesse  lui  permet  de  se  jouer  des  vocalises  les  plus  périlleuses.  Son  succès  fut 
immense  surtout  après  la  délicate  interprétation  de  mélodies  de  Pierné,  Strauss  et 
Adam  Wieniawski  {Oh  !  Joueux  de  Flûte  et  Mélodie  Polonaise).  Triomphe  aussi  pour 
MM.  Diémer  et  Darial.  Salle  comble   et   sélecte   où  nous  avons  reconnu  l'Ambassadeur 


—  394  — 

de  Russie  et  Mme  de  Mélidow,  comtesse  Tornielli,  princesse  Brancovan,  princesse 
Ourousoff,  comtesse  Rostopkine,Mme  de  Serres,  Mme  Henri  Wieniawski,  MM.  Colonne, 
Picrné,  Gabrilowitsch,  etc. 

M.  Decreus  et  Mlle  Cheaîet.  —  M.  Decreus,  dont  nous  suivons  avec  plaisir  les 
énormes  progrès,  se  classe  définitivement  cette  année  parmi  les  pianistes  sur  lesquels 
on  peut  compter.  Son  interprétation  musicienne,  profonde,  précise  et  brillante  à  la  fois 
de  la  Sonate  en  ut  diè\e  mineur  de  Beethoven  et  de  la  Légende  de  St-François  de  Paule 
de  Liszt,  nous  a  vivement  intéressés.  Mlle  Ghemet,  avec  un  programme  moins  bien 
composé,  nous  a  tout  de  même  révélé  ses  solides  qualités  de  virtuosité  et  de  sonorité. 
Nous  entendrons  certainement  parler  souvent  de  Mlle  Ghemet  et  de  M.  Decreus  qui 
viennent  de  s'unir  tout  dernièrement  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  annoncé.  E. 

M.  E.  Delaborde.  —  L'éminent  maître  du  piano  vient  de  donner  un  concert  qui  a 
véritablement  transporté  tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  d'y  assister.  Ge  jeu  étincelant, 
spirituel,  incomparable,  mérite  mieux  qu'une  critique  élogieuse  :  le  silence  de  l'admi- 
ration. G. 

MM.  William  Bastard  et  A.  de  Montrichard  donnaient  le  12  mars,  avec  le  con- 
cours de  Mme  Bastard-Foex,  de  MM.  J.  HoUmann  et  E.  Gigout,  à  la  salle  de  la  rue  de 
Trévise,  un  concert  presque  entièrement  consacré  à  l'audition  de  leurs  œuvres.  Après 
avoir  fait  applaudir  son  talent  de  pianiste  dans  la  Rhapsodie  en  sol  mineur  de  Brahms, 
M.  Bastard  accompagnait  à  Mme  Bastard-Foex  un  Sixain  sur  des  vers  de  Musset, 
ainsi  qu'un  Poème  pour  chant  et  piano  sur  une  poésie  d'Ad.  Ferrière,  dont  il  est  l'au- 
teur. G'est  un  cycle  de  mélodies,  à  l'image  d'Amour  de  Poète  et  de  la  Bonne  Chanson  ; 
c'est  aussi  une  des  premières  œuvres,  je  crois,  de  M.  Bastard  et  l'on  y  aperçoit  sans 
peine  le  signe  des  dons  les  plus  heureux,  la  sincérité,  la  sensibilité,  le  charme,  l'inspi- 
ration la  plus  aisée  et  la  plus  naturellement  originale.  Mme  Bastard-Foex  l'interpréta 
ainsi  qu'un  Noël  poignant  de  M.  de  Montrichard,  avec  une  pieuse,  fidèle  et  intelligente 
émotion.  UAndante  pour  violoncelle  et  orgue  de  M.  de  Montrichard  joué  par  M.  HoU- 
mann et  l'auteur,  puis  sa  Sonate  pour  violoncelle  et  piano,  jouée  par  MM.  Hollmann  et 
Bastard,  eurent  le  grand  et  légitime  succès  que  rencontrera  toute  musique  passionnée, 
vibrante,  chaleureuse  et  qui  frappe  droit  au  cœur.  La  Sonate  de  M.  de  Montrichard  n'en 
est  plus  à  compter  ses  victoires  et  MM.  Hollmann  et  Bastard  l'exécutèrent  avec  l'éclat, 
la  générosité  et  la  fièvre  qu'elle  appelle  et  qu'elle  provoque.  Elle  était  précédée  de  quatre 
pièces  pour  grand  orgue  de  M.  E.  Gigout,  Marche  religieuse.  Scherzo,  Communion  et 
Toccata,  dont  on  a  admiré  l'architecture  si  savante  et  si  claire  à  la  fois,  l'inspiration  si 
élevée,  la  plénitude  et  la  variété  sonores.  Il  est  superflu  d'ajouter  que  le  jeu  magistral  de 
M.  Gigout,  infiniment  habile,  souple  et  précis  a  transporté  l'auditoire  trop  sevré  de  ces 
rares  joies. 

Mme  Mel  Bonis  et  M.  Maurice  Ravel  donnaient  le  22  mai  à  la  salle  Berlioz  une 
audition  de  leurs  œuvres  qui  a  eu  le  plus  vif  succès.  Le  quatuor  de  Mme  Mel  Bonis, 
d'une  facture  si  souple  et  si  ferme,  ses  trois  pièces  pour  piano  et  ses  Variations  pour 
deux  pianos  nous  ont  permis  d'admirer  une  fois  l'art  si  délicatement  expressif  et  sédui- 
sant de  l'auteur  que  l'on  était  heureux  d'applaudir  récemment  à  la  Société  Nationale.De 
M.  Ravel,  M.  Sautelet  chanta  avec  une  grâce  fine  deux  mélodies  sur  des  poésies  de 
Marot  et  M.  Ricardo  Vinès,  interprète  élu  de  cette  musique,  joua  miraculeusement  les 
Noctuelles,  qui  feront,  je  crois,  commettre  quelque  péché  d'envie  à  plus  d'un  musicien. 
Et  il  faut  pour  cette  heure  exquise  de  musique  rendre  grâce  aussi  à  Mlle  Gabrielle 
Monchablon  qui  exécuta  les  œuvres  de  piano  de  Mme  Mel  Bonis,  ainsi  qu'à  MM.  Dut' 
tenhofer,  Monteux  et  Feuillard,  partenaires  de  l'auteur  dans  son  quatuor. 

Mme  Marie  Gapoy  donnait  à  la  salle  Berlioz  un  concert  avec  le  concours  de 
MM.  Georges  Loth  et  Maurice  Hewitt.  Mme  Capoy,  dont  nous  avions  examiné  l'année 
passée  le  style  infiniment  pur,  l'intelligence  et  la  sensibilité  musicales  chantait  un  air 
de  la  Passion  d'Haendel,  la  Vie  «t  l'Amour  d'une  femme  de   Schumann,  la    Chanson 


—  595  — 

perpétuelle  de  Chausson,  le  Nocturne  de  Franck  et  une  délicieuse  Chanson  du  Rouet  de 
Georges  Loth.  Son  interprétation  pénétrante  et  facile  de  ces  œuvres  classiques  et  mo- 
dernes a  obtenu  le  plus  vii  succès  et  à  côté  d'elle  ses  partenaires  ont  été  chaleureuse- 
ment applaudis,  M.  Maurice  Hewitt  dans  la  Romance  en  fa  de  Beethoven,,  la  Source  de 
Schumann  et  trois  pièces  de  Saint-Saëns  et  Sarasate  pour  violon  ;  M.  Georges  Loth 
dans  les  Toccata  et  Fugue  en  ré  mineur  pour  un  orgue  de  Bach,  la  Pastorale  de  Franck 
et  des  fragments  de  la  Première  Symphonie  pour  orgue  de  Louis  Vierne,  qu'il  a  exé- 
cutés avec  une  netteté,  une  autorité,  une  aisance  et  un  charme  expressif  trop  rares. 

Nous  signalons  avec  joie  l'initiative  aussi  artistique  que  digne  d'intérêt  prise  par 
quelques  personnes  désintéressées,  amies  de  la  musique,  qui  ont  résolu  de  grouper  des 
musiciens  de  bonne  volonté  et  de  donner  gratuitement  aux  ouvriers  des  auditions 
musicales.  C'est  ainsi  que  dernièrement,  rue  Lekain,  ils  faisaient  entendre  Ruth  de 
César  Franck  ;  les  solis  étaient  fort  bien  chantés  par  Mlles  Grégoire  et  Lirquiens  et 
par  M.  Chanoine  Davranches.  Au  programme  figuraient  encore  un  chœur  de  Haendel, 
la  Pavane  de  Fauré,  etc. 

Le  programme  du  concert  donné  le  1 1  mai  par  la  Société  de  chant  classique  (fon- 
dation Beaulieu)  comportait  l'exécution  de  l'ouverture  de  Coriolan.  de  Siegfried-Idylle, 
du  ballet  de  Dardantes  qui  fut  superbe  (Orchestre  du  Conservatoire,  sous  la  direction  de 
M.  Marty):  puis  ce  furent  trois  charmantes  chansons  du  xvi°  siècle,  merveilleusement 
rendues  par  la  Société,  des  Fragments  de  Mérowig,  de  Samuel  Rousseau,  du  Don  Pro- 
copio,  de  Bizet,  où  M.  Plamondon  et  Mme  Auguez  de  Montalant  obtinrent  le  plus  vif 
succès. 

Mlle  M.  DE  Marschalko.  —  Une  jeune  pianiste,  toute  charmante,  Mignon  de 
Marschalko,  se  faisait  entendre  les  12  et  16  mai  au  Châtelet,  avec  l'orchestre  Colonne. 
Cette  enfant,  —  car  c'est  encore  une  enfant,  —  joua  avec  les  qualités  que  lui  permettent 
d'avoir  acquis  son  âge,  des  concertos  et  pièces  de  Liszt,  Chopin,  Weber,  etc.  Il  est  à  peu 
près  certain  que  ces  qualités  se  développeront  encore  et  que  Mlle  de  Marschalko  sera  plus 
tard  une  virtuose  éminente  du  clavier. 

Les  affiches  de  cirque  qui  annonçaient  ces  concerts,  et  les  notes  outrancières  et 
ridicules  parues  dans  les  journaux  quotidiens,  montraient  assez  que  l'organisation  de 
cette  sorte  d'exhibition  d'enfant,  était  encore  entre  les  mains  d'un  de  ces  impresarii 
étrangers,  qui  opèrent,  hélas  !  trop  souvent  à  Paris,  et  s'offrent  aux  familles  pour 
lancer,  à  haut  prix,  leurs  jeunes  phénomènes.  Nous  ne  savons  si,  en  l'espèce,  les  parents 
et  la  jeune  artiste  ont  eu  lieu  d'être  satisfaits  du  résultat  :  nous  en  doutions  l'autre 
jour,  en  considérant,  perdus  dans  l'immense  salle  du  Châtelet,  les  quelques  centaines 
d'auditeurs  conviés  à  ces  séances.  Et  quel  public,  Seigneur  !  !...  Du  moins  la 
jeune  artiste  a-l-elle  eu  l'insigne  honneur  d'être  accompagnée  par  l'Orchestre  des 
Concerts  Colonne  et  son  romantique  chef  qui  présidait  à  ces  agapes  de  famille  ! 

F.  T. 

U abondance  des  matières  nous  oblige  à  reporter  au  prochain  numéro  les  comptes 
rendus  de  la  Schola  Cantorum,  de  la  Société  J.-S.  Bach,  des  Concerts  Cortot,  et  d'un 
grand  nombre  de  Concerts  divers. 


—  396  — 

Le  mouYemenl  musical  en  province  et  à  l'étranger 


MARSEILLE.  —  Même  tardivement,  il  convient  de  donner  un  post-scriptum  aux 
comptes  rendus  des  Concerts  classiques  de  Marseille. 
D'abord  je  crois  bien  que  Marseille  est  la  seule  ville  de  province  où  ces  con- 
certs aient  lieu,  comme  à  Paris,  tous  les  dimanches  et  cela  dans  une  salle  plus  grande 
que  rOpéra-Comique,  d'une  acoustique  d'ailleurs  excellente.  Même  à  Nancy,  où  l'im- 
pulsion de  Guy  Ropartz  est  si  vigoureuse,  il  n'y  à  eu  l'hiver  dernier,  que  douze  con- 
certs; ici,  nous  en  avons,  comme  d'habitude,  entendu  vingt-quatre,  de  plus  en  plus  inté- 
ressants. Au  vingtième,  s'acheva,  avec  la  Neuvième,  l'audition  de  la  série  des  Sympho- 
nies de  Beethoven.  Cette  série  faisait  elle-même  partie  d'une  Histoire  de  la  Symphonie 
qu'on  ne  put,  évidemment,  donner  complète,  qui  conduisit  néanmoins  les  auditeurs 
depuis  les  primitifs  jusqu'à  nos  contemporains. 

G.  Franck  ne  fut  pas  omis,  cela  va  de  soi.  Sa  Symphonie,  hélas  unique,  —  unique 
dans  tous  les  sens  du  mot  —  fait  partie  du  répertoire  de  notre  orchestre.  11  la  joue  avec 
toute  l'ampleur,  la  conviction,  l'émotion  qu'elle  exige.  Notre  public  la  connaît 
bien  ;  il  en  démêle  la  complexité,  en  suit  la  trame,  se  laisse  emporter  par  elle  vers 
les  hauteurs  de  l'idéal  pur  et  quand,  à  la  fin,  éclate  aux  cuivres,  comme  un  chant  de 
victoire  morale,  le  choral  solennel  déjà  entendu  au  premier  temps,  d'enthousiastes  et 
unanimes  bravos  retentissent.  Dans  ce  concert,  Mme  Ida  Eckmann,  la  célèbre  cantatrice 
finlandaise,  chanta  de  sa  voix  si  étendue  et  si  homogène,  un  air  des  Noces  de  Figaro 
en  italien  ;  puis  en  français  et  en  allemand,  des  lieder,  ou  spirituels  ou  mélancoliques, 
tous   avec  un  charme  exquis. 

Au  vingt-deuxième  concert,  on  entendit  la  Symphonie  fantastique  de  Berlioz. 
Nous  sommes  encore  de  ceux,  et  nous  nous  en  flattons,  qui  en  goûtent  la  variété  et 
l'envolée  géniales. 

Au  vingt-troisième  concert,  Haendel  et  Bach  voisinaient  avec  Wagner  et  César 
Franck.  De  celui-ci  on  redonna  la  Symphonie  qu'on  entend  volontiers  deux  fois  dans 
la  même  saison,  tant  la  science  et  l'inspiration  y  ont  à  l'envi  multiplié  leurs  richesses. 
Aux  œuvres  connues,  le  programme  ajoutait  deux  nouTeautés  :  l'Ouverture  du  Tasse  àe 
E.  d'Harcourt,  une  œuvre  que  Mendelssohn,  s'il  avait  vécu  de  nos  jours,  initié  à  tous 
les  secrets  de  la  polyphonie,  aurait  peut-être  signée.  Puis  l'Appretiti  Sorcier  de 
P.  Dukas,  une  page  éminemment  personnelle,  où  se  déploient,  non  seulement  une  éton- 
nante ingéniosité,  mais  encore  une  verve  admirable. 

Le  vingt-quatrième  concert  était  donné  au  bénéfice  de  notre  excellent  chef  d'or- 
chestre, Gabriel  Marie.  M.  Francis  Planté,  toujours  aimable,  lui  avait  presque  gracieu- 
sement prêté  son  concours.  Je  n'ai  pas  à  apprendre  aux  Parisiens  ce  qu'est  ce  merveil- 
leux artiste.  Quelques  jours  après,  aux  Concerts  spirituels  du  Conservatoire,  il  donnait 
le  même  programme  qu'ici  :  Andante  d\in  concerto  de  Mozart,  Concerto  en  sol  m,ineur 
de  Mendelssohn,  Fantaisie  pour  piano,  orchestre  et  chœurs  de  Beethoven.  L'enthou- 
siasme qu'il  suscita,  au  sanctuaire  de  la  rue  de  Trévise,  où  le  public  sélect  est  d'ordi- 
naire si  réservé,  éclata  dans  notre  immense  salle  Valette,  en  tonnerres  d'applaudisse- 
ments. Je  parlais  plus  haut  de  l'excellente  acoustique  de  cette  salle.  On  put  en  juger  ce 
jour-là  :  le  jeu  de  Francis  Planté  est  d'un  fini,  d'une  délicatesse  invraisemblable  ;  les 
moindres  détails,  les  notes  les  plus  menues  furent  perçues   distinctement. 

Et  c'est  un  des  charmes  de  ce  talent,  unique  en  son  genre  :  il  est  égal  à  lui-même 
que  ce  soit  devant  un  millier  de  personnes,  que  ce  soit  dans  l'intimité.  Le  jeudi  saint, 
dans  la  salle  des  Concerts  du  Conservatoire  encore  vide  et  quasi  obscure  —  c'était  trois 
heures  avant  le  concert  public,  —  pour  celui  qui  signe  ces  lignes  et  pour  un  de  ses 
jeunes  compatriotes,  le  maire  de  Mont-de-Marsan,  M.  Francis  Planté,  voulut 
bien  jouer  pendant  une  heure  des  Etudes  de  Chopin.  Là,  dans  la  solitude  et  la 
pénombre,  ce  fut  exquis.  Les  deux  auditeurs,  confus  de  tant  d'amabilité,  n'oublie- 
ront cela  de  leur  vie. 


—  ?97  — 

Si  je  me  permets  de  le  raconter,  c'est  que  la  personnalité  du  grand  artiste  s'y  montre 
sous  un  de  ses  sympathiques  aspects.  Ils  en  savent  quelque  chose,  les  Marseillais  qui 
l'ont  entendu  chez  la  sœur  d'Edmond  Rostand,  Mme  Mante.  11  faut  savoir  qu'au  château 
de  Valmante,  plusieurs  des  grands  virtuoses  venus  pour  nos  Concerts  Classiques  ont 
trouvé  à  qui  parler.  Non  seulement  les  châtelains  sont  des  hôtes  charmants,  tous  deux 
ouverts  à  toutes  les  questions  d'esthétique,  mais  encore  Mme  Mante,  dépassant  de 
beaucoup  le  mérite  des  amateurs  les  plus  distingués,  est  une  artiste  de  premier  ordre. 
Jouant,  à  deux  pianos,  du  Bach  ou  du  Schumann  avec  Francis  Planté,  elle  égala  la 
perfection  de  son  partenaire.  Ce  fut  un  régal  ! 

El  ce  serait,  dans  un  compte  rendu,  au  Courrier  Musical,  donner  une  idée  tout  à 
fait  incomplète  du  sort  de  la  musique  à  Marseille  que  de  ne  pas  mentionner  l'accueil 
qu'y  reçoivent  des  artistes  comme  la  très  émouvante  pianiste  Mlle  Flora  Joutard  et  le 
jeune,  sympathique  et  déjà  célèbre  violoncelliste  belge  Marix  Loevensohn. 

Enfin  tous  ceux  qui  ont  passé  par  ici,  tous  ceux  qui,  pendant  l'été,  l'ont  entendu  à 
Royat  ou  à  Evian  vous  diront  que  notre  orchestre  possède  un  soliste  incomparable,  le 
hautboïste  Jean.  Paris,  où  il  a  remporté  un  premier  prix  au  Conservatoire,  pourrait 
nous  l'envier.  Heureusement  pour  nous,  auxquels  la  perfection  de  son  jeu  et  de  son  art 
suffirait  à  révéler  le  grand  art,  il  tient  à  Marseille,  son  pays. 

Après  la  série  normale  de  nos  Concerts  Classiques,  notre  orchestre  a  payé  fort  cher 
Paderewski  pour  venir  jouer  au  bénéfice  de  l'Association.  En  dépit  du  bruit  fait  autour 
du  nom  de  Paderewski  et  de  l'éclat  de  son  prestigieux  mécanisme,  M.  Jean,  ce  jour-là, 
avec  un  simple  Largo  de  Haëndel,  a  suscité  dans  l'immense  auditoire  une  émotion 
autrement  profonde  et  méritée,  une  ovation  telle  que  Paderewski  n'a  pas  pu  ne  pas 
éprouver  une  pointe  de  jalousie. 

En  résumé,  —  mon  témoignage  ne  saurait  être  suspect  puisque  je  ne  suis  pas  Mar- 
seillais —  j'affirme  que  dans  ce  pays-ci  l'auditeur  le  plus  difficile  a  maintes  fois  l'occa- 
sion d'éprouver,  à  nos  Concerts  Classiques  et  en  des  réunions  plus  ou  moins  privées, 
de  grandes  joies  d'art.  G.  Derepas. 


LE  H^VRE.  —  Le  troisième   concert  donné  par  Mlle   Duranton  offrait   l'intérêt 
particulier  d'une  première  audition  :   celle  d'un  Trio  en  fa  mineur  de  notre  conci- 
toyen  Henry  Woollett.    C'est  l'une   .des    oeuvres  les  plus  séduisantes,  les  plus 
limpides  et  les  plus  intéressantes  de  cet  éminent  compositeur. 

Les  connaissances  techniques  très  sûres  que  possède  Henry  Woollelt  n'ont  pas 
atténué  le  charme  d'une  inspiration  fraîche  et  personnelle.  On  y  sent  l'homme  qui 
connaît  son  métier  à  fond,  mais  aussi  l'artiste  ému  dans  cet  emploi  extrêmement 
curieux  de  motifs  populaires,  particulièrement  dans  l'allégro.  Cet  allegro  débute  par 
une  phrase  de  plain-chant  appuyée  sur  une  basse  de  contrepoint  au  piano,  puis  cette 
phrase  évolue  en  forme  de  motif  populaire  sur  une  basse  persistante,  et  cette  évolution 
se  fait  avec  une  simplicité  et  une  élégante  ligne  tout  à  fait  jolies. 

Un  chant  mélancolique  caractérisé  par  l'alliance  des  accords  de  fa  majeur  et  de  mi 
mineur  —  inaugure  VAndante,  le  violoncelle  soutenu  d'arpèges  au  piano  ré- 
pond par  une  phrase  chaleureuse,  puis  la  phrase  de  début  revient  et  se  résout  dans  les 
harmonies  évasives.  Un  scherzo  très  rythmé,  très  amusant  de  recherches  tonales  et  de 
martellement  de  notes  forme  le  passage  vers  \e  final  où  se  combinent  les  thèmes  de 
l'andante  et  de  l'allégro  pour  s'achever  sur  une  suite  d'accords  violemment  colorés.  Par 
la  cohésion  des  divers  éléments,  par  la  sûreté  des  harmonies,  par  l'intérêt  des  recher- 
ches techniques,  parle  charme  enfin,  ce  Trio  en  fa  majeur  de  Woollett,  est  non  seule- 
ment l'une  de  ses  meilleures  œuvres,  mais  une  œuvre  très  attachante    et    remarquable. 

Le  compositeur  avait  là  des  interprètes  qui  en  surent  rendre  les  moindres  effets, 
Mlle  Duranton  avait  en  effet  à  ses  côtés  M.  Hayot  et  M.  Schidenhelm. 

Mlle  Duranton  exécuta  de  très  belle  façon  VEtude  en  ut  diè:{^e  mineur  de  Chopin,  la 
Bourrée  de  Bach-Saint-Saëns  et  une  pièce  de  Scarlatti.  Puis  avec  M.  Schidenhelm  le 
Concerto  de  Lalo,  œuvre  puissante  et  pleine  de  science,  mais  qui  en  dépit  du  talent  qu'y 


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apporta  ce  violoncelliste  ne  manqua  pas  de  paraître  bien  ardue  et  peu  séduisant  —  hor- 
mis dans  le  charmant  Intermezzo. 

Quant  à  M.  Hayot,  il  fut  admirable  :  il  y  a  peu  de  violonistes  dont  le  jeU  soit  à  la 
fois  d'une  telle  ampleur  et  d'une  telle  pureté  :  il  nous  le  témoigna  dans  le  Cygne  et  là 
Havanaise  de  Saint-Saëns  et  surtout  il  donna  de  la  Sonate  à  Kreutzer.,  aveu  le  concours 
de  Mlle  Duranton,  Une  interprétation  autrement  prenante,  autrement  émUe,  autrement 
humaine,    que   celle    que   noua   en   donnait    ici  même  deusf  mois  avant  Sarasatê. 

Nous  avons  eu  depuis  lors  le  prestidigitateur  Hollmann,  mais  encore  qu'il  se  crut 
obligé  de  nous  gratifier  d'insipides  virtuosités  :  Arlequin  dé  Pôpper  et  compositions  de 
M.  Hollmann  lui-même,  combien  l'illustre  violoncelliste  est  cepéfidant  âUtfe  chose  et 
mieux  qu'un  unique  virtuose  quand  il  interprète  comme  il  le  fit  la  Sonate  en  ut  mineur 
de  Saint-Saëns  et  celle  en  ut  majeur  de  Haendel,  car  là  il  fut  Vraiment  admirable  dé 
puissance  et  de  délicatesse,  de  sonorité  aisée  et  sans  truquage.  Il  accompagnait  sur  l'af^- 
fiche  Mme  Roger-Miclos,  qui  donna  une  ejîcellefite  interprétation  intégrale  de  l'admi- 
rable Carnaval  de  Schumann,  faisant  preuve  d'une  rare  aisance  de  sensibilité  profonde  : 
elle  exécuta  avec  les  mêmes  rares  qualités  la  Marche  Funèbre,  la  Septième  et  là  Neu' 
vième  Valses  de  Chopin  et  ces  deux  délica^ts  bibelots^  au  seris  charmant  dU  mot,  que 
sont  les  Moulins  à  vent  de  Gouperifl  et  VAriettà  variée  de  Haydn. 

G.  J.  A. 


TOULOUSE.  —  Les  théâtres  et  les  salles   de   concert  viennent    de    fermer   leurs 
portes  ;  voici  donc  le  moment  de  jeter  un  coup  d'œil  rétrospectif  sur  la  campagne 
qui  vient  de  se  terminer  dans  la  capitale  du  Languedoc. 
La  direction  du  Théâtre  du  Capitole  a  monté  quatre  ouvrages    nouveaux,  ou   pour 
mieux  dire,  n'ayant  jamais  été  joués  sur  notre  scène  ;    ce  sont  :  l'Etranger.,  le  Juif  Po- 
lonais., la  Reine  Fiamette  et  le  Jongleur  de  Notre-Dame.   Des   opinions  diverses  ayant 
été  émises  dans  le  Courrier  Musical  sur  ces  œuvres,   je    m'abstiendrai   de   formuler  la 
,  mienne. 

Je  parlerai  plutôt  des  concerts.  La  Société  des  Concerts  du  Conservatoire  est  en  pleine 
vogue,  sa  renommée  s'étend  dans  le  Midi  ;  à  chaque  audition  arrivent  les  mélomanes  des 
départements  voisins,  attirés  par  des  programmes  de  choix  et,  il  faut  bien  le  dire,  aussi 
par  des  exécutions  soignées  en  général  et  parfois  hors  de  pair. 

Au  dernier  concert  qui  clôturait  la  quatrième  année  d'existenée  de  cette  société,  M. 
Crocé-Spinelli  avait  inscrit  au  programme  :  la  Symphonie  en  ut  mineur.,  dont  l'inter- 
prétation lui  valut  un  chaud  succès,  puis  un  Prélude  religieux  de  Mi  Paul  Lacombe, 
bâti  avec  deux  thèmes  sur  lesquels  semblent  planer  un  souffle  «  parsifalesque  »  et  la 
Grande  Pàque  russe  de  Rymsky-Korsakoff.  On  avait  fait  appel  pour  cet  ultime  séance 
à  M.  Hasselmans,  le  violoncelliste  au  solide  talent^  qui  se  fit  longuement  applaudir  dans 
un  Co7icerto  àe  M.  d'Albert  et  dans  la  troublante  Elégie  àe  Gabriel  Fâuré,  qu'il  joua  de 
la  plus  heureuse  façon. 

Finalement,  la  Société  de  Musique  de  chambre  prenait  congé  de  ses  fidèles  abonnés 
en  faisant  entendre  le  (Quintette  pour  clarinette  et  cordes  de  Mozart,  le  Septuor  avec 
trompette  de  Saint-Saëns,  et  la  vieille  —  mais  sempiternellement  jeune  —  Sérénade  du 
bon  père  Haydn. 

En  voilà  jusqu'en  novembre  prochain  pour  la  saison  symphonique.  Quant  à  la  sai- 
son lyrique,  elle  s'ouvrira  le  15  octobre,  avec  comme  première  reprise  —  définitivement 
arrêtée  —  la  Louise  de  Charpentier. 

Omer  Guiraud. 


LIEGE*  '^  Depuis  ma  dernière  eorrésporidaticé,  plusieurs  concerts  impot-tahts  par 
la  notoriété  des  Solistes  aussi  bien  que  par  lés  œuvfes  données  en  premièl-e  audi- 
tion ont  donné  quelque  vie  à  notre  milieu  musical. 

U Association  des  concerts  populaires  dirigée  pai-  J.  Debefvé,  a  fait  Èhtetidre  à  èes 
derniers  concerts  la  Symphonie  enJU  de  H.  Goetz,  mort  art  1876^  âgé  de  56  àflS.  D'àprè  S 


—  399  — 

les  différentes  œuvres  qu'il  a  laissées  et  notamment  sa  symphonie,  on  ne  peut  nier 
que  Tart  musical  ait  perdu  trop  tôt  un  disciple  éclairé  des  grands  symphonistes  alle- 
mands. L'écriture  alerte,  la  pondération  de  la  forme  et  des  moyens  mis  en  œuvre  déno- 
tent un  maître  qui,  ce  nous  semble,  n'a  pas  été  sans  influence  dans  la  formation  artisti- 
que de  Richard  Strauss.  On  remarque  surtout  la  sonorité  étoffée  du  quintette  d'archets 
dans  l'adagio  et  la  joie  solide  et  franche  qui  circule  à  travers  le  final  encore  relevé  par 
une  belle  coloration.  C'est  de  la, bonne  et  sincère  musique  et  peu  de  conducteurs  d'or- 
chestre l'ont  distinguée  car  on  ne  s'est  pas  encore  fait  le  protagoniste  de  cette  œuvre 
qui  remonte  cependant  environ  à  quarante  ans. 

Mentionnons  aussi  Hutsiska,  ouverture  de  Dvorack,  débutant  par  un  thème  assez 
solennel  confié  aux  «  bois  ))  et  qui  reparaît  avec  ampleur  par  tout  l'orchestre  pour  con- 
clure, mais  entre  ces  deux  extrémités  que  de  bruit  et  peu  de  musique. 

Le  poème  symphonique  la  Mer  de  Debussy  demande,  pour  être  jugé,  une  autre  au- 
dition. 

Des  pages  plus  intéressantes  que  le  Cortège  héroïque  de  V.  Vreuls  ayant  précédé 
cette  œuvre,  nous  nous  dispenserons  d'en  parler  au  profit  de  la  Sixième  Symphonie  de 
Glazounow  qui,  malgré  ses  tendances  peu  accusées,  a  cependant  des  affinités  avec  les 
néo-classiques.  En  somme  l'œuvre  est  agréable,  pondérée  et  les  thèmes,  notamment 
des  deuxième  et  troisième  parties,  ont  du  charme  mais  l'on  chercherait  en  vain  un  peu  de 
la  personnalité  qui  a  attiré  l'attention  sur  l'école  russe  représentée  par  les  Borodine, 
Rimsky-Korsakow,  etc. 

Quant  aux  solistes,  nous  avons  eti  l'impeccable  et  sérieux  violoniste  Lucien  Capet, 
interprète  classique  du  Concerto  de  Beethoven  et  de  pièces  diverses  de  Bach  et  assez 
courageux  pour  tenter  en  public  l'expérience  d'une  nouvelle  œuvre,  la  Rhapsodie  pié- 
montaise  de  Sinigaglia.  Le  pianiste  E.  d'Albert  nous  est  aussi  revenu  jouant  superbe- 
ment le  délicieux  Concerto  en  sol  de  Beethoven,  et  d'autres  œuvres  de  Schubert,  Cho- 
pin, etc. 

La  cantatrice  Mme  Kachowska  dont  la  voix  semblait  fatiguée  a  chanté  avec  un 
beau  style  et  en  musicienne,  la  scène  finale  du  troisième  acte  de  Tristan,  précédée  à 
l'orchestre  du  prélude  du  premier  acte,  et  celle  du  Crépuscule  des  Dieux,  également 
précédée  de  la  Marche  funèbre  de  Siegfried. 

N'oublions  pas  le  violoniste  A.  Zimmer,  dont  les  progrès  se  sont  manifestés  dans  le 
Concerto  en  si  mineur  de  Saint-Saens,  qu'il  a  joué  avec  une  virtuosité  sûre. 

D'autres  concerts  organisés  aux  profits  de  divers  sinistres  ont  donné  lieu  à  des  so- 
lennités musicales  de  premier  ordre.  Grâce  à  ces  circonstances  nous  avons  eu  l'avan- 
tage de  recevoir  E.  Ysaye  qui  a  eu  l'attention  de  renouveler  en  sa  ville  natale  le  récital 
donné  par  lui  récemment  à  Bruxelles.  Ce  beau  programme  synthétique  composé  des 
concertos  de  Bach,  Mozart  et  Beethoven  fut  une  jouissance  continue  et  rare  par  l'inter- 
prétation hors  pair  du  Concerto  pour  violon  et  deux  flûtes  n°  4  de  Bach,  pour  lequel 
MM.  Radoux  et  Sermont  prêtaient  leur  concours. 

Le  Concerto  en  solde  Mozart,  remarquable  par  l'andante,  et  la  sérénité,  la  noblesse 
avec  laquelle  M.  Ysaye  joua  la  Concerto  de  Beethoven  obtinrent  dé  multiples  ovations 
auxquelles  le  maître  répoiidit  gracieusement  par  le  final  du  Concerto  de  Mendelssohn. 
Ajoutez  à  cela  les  ouvertures  de  la  suite  en  ré  de  Bach,  Cosi  van  lutte  de  Mozart 
et  Fidelio  de  Beethoven  dirigées  non  sàris  talent  par  Théo  Ysaye  et  vous  âUfêz  le  bilan 
de  ce  soir  mémorable. 

Non  moins  important  fut  le  concert  confié  à  la  direction  autorisée  d'Edouard 
Brahy,  dont  nous  aVons  eu  enfin  l'occasion  d'appréciél-  la  valeur  péU  commtihe  dans 
l'interprétation  extraordinairement  vécue  de  Patist-Symphûnie  de  Liszt.  Grâce  aux  col- 
laborations dévouées  des  «  Disciples  de  Grétry  »  pour  lés  chœui's  ;  de  l'orchestfe  qui, 
ayant  immédiatement  reconnu  la  supériorité  de  notre  concitoyen,  l'a  vaillamment 
secondé  et  a  répondu  aux  exigences  de  son  chef  occasionnel  dont  le  règne  quoique 
éphémère  aura  suffi  à  révéler  sa  compétence  et  à  nous  faire  désirer  le  revoir  souvent. 

Parmi  les  détails  pafticUlièrement  mis  en  relief  dans  cette  œuvre  eompléxé  et  de 
grande   envergure,    mentionnons    l'excellente  impression    que    la   voix   chairmeuse   de 


—  400  — 

M.  Plamondon  a  faite  dans  le  solo  de  ténor,  les  phrases  expressivement  dites  par  le 
violon  de  M.  Maris,  le  hautbois  de  M,  E.  Charlier  et  l'ampleur  ajoutée  par  le  grand 
orgue  touché  par  M.  Lucien  Mawet. 

L'orchestre  ainsi  transformé  et  attentif  aux  moindres  intentions  de  son  jeune  chet 
mit  encore  toute  la  concentration  voulue  dans  le  resplendissant  prélude  de  Lohenorin. 
fit  sonner  avec  ardeur  les  Bruits  de  fête  chez  Cafulet  de  Berlioz  et  redevint  classique  et 
précis  dans  l'ouverture  de  Léonore  de  Beethoven.  Pareille  jouissance  ne  nous  avait 
plus  été  octroyée  depuis  longtemps,  car  si  des  solistes  de  premier  ordre  ne  nous  font 
pas  défaut,  il  n'en  est  guère  ainsi,  hélas,  des  chefs  d'orchestre  réunissant  les  qualités 
que  l'on  exige  d'eux  aujourd'hui  et  que  nous  avons  eu  plaisir  de  rencontrer  en  notre 
concitoyen  E.  Brahy. 

Un  mot  encore  pour  signaler  le  succès  fait  à  l'exquise  cantatrice,  Mme  Julia  Gulp, 
qui  a  triomphé  par  le  talent  qu'elle  déploie  dans  les  lieder  de  Schubert  et  qu'elle  met 
aussi  au  service  de  mélodies  qui  doivent  beaucoup  plus  à  leur  interprète  qu'à  leur  valeur 
propre.  F.  M. 


Concerts  annoncés 


Salle  Pleyel 

Juin 
1      Mme  Hall,  avec  orchestre. 

7  Mme  Roger-Miclos-Battaille. 

8  M.  Alfred  Cortot. 

lo     M.  Luc.  Wurmser  (élèves). 

Salle  Erard 

I     Concert  de  Bienfaisance. 
M.  Bourgeois. 


Juin 

6  M.  de  Radwan. 

7  M.  Risler. 

9     Mme  Lafaix-Gontié. 
14     M.  Risler. 


Salle  des  Agriculteurs 


i     Mme  Boucherit.  M.  Pugno. 


ÉCHOS   ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


A  l'Opéra.  —  M.  Taflanel,  très  souffrant  depuis  de  longs  mois,  vient  d'adresser  sa 
démission  à  M.  Gailhard.  M.  Taflfanel  sera  remplacé  par  M.  Paul  Vidal,  comme  pre- 
mier chef:  M.  Mangin  conserve  ses  fonctions,  et  le  troisième  poste  de  chef  d'orchestre 
a  été  confié  à  M.  Henri  Busser. 

—  L'Opéra  vient  de  reprendre  Salammbô. 

—  Le  Chemineau  de  Richepin  et  Xavier  Leroux,  qui  devait  être  joué  à  l'Opéra- 
Gomique,  sera  représenté  à  l'Opéra. 

—  Les  études  à' Ariane^  de  iMassenet,  sont  en  bonne  voie. 


A  VOféra-Comique.  —  L'Opéra-Comique  vient  de  donner  la  première  réprésen- 
tation de  la  Revanche  d'Iris,  de  M.  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  Edmond  Diet.  La 
comédie  du  même  titre,  d'où  l'auteur  a  tiré  le  livret  fut  créée  en  1867,  au  Théâtre- 
Français,  par  M.  Goquelin  aîné  et  Mme  Provost-Ponsin. 

Adapté  à  la  scène  lyrique,  l'ouvrage  garde  toute  sa  fraîcheur,  et  la  partition  de 
M.  Edmond  Diet,  traitée  dans  la  forme  du  dialogue  musical,  souligne  habilement  et 
avec  esprit  le  caractère  des  personnages  \  Mlle  Tiphaine  et  M.  Delvoye  en  sont  les 
deux  excellents  interprètes. 

M.  Picheran,  au  pupitre,  a  su  mettre  en  valeur  les  jolis  détails  d'une  instrumenta- 
tion soignée. 


—  40'   — 

—  Samedi,  devant  une  salle  archicorable,  très  brillante  reprise  de  la  Basoche,  le 
délicieux  et  spirituel  ouvrage  de  MM.   Albert  Carré  et  André  Alessagcr. 

Le  rôle  de  Colette  a  trouvé  en  Mme  Marie  Thiéry  l'interprète  rêvée.  C'est  une  vé- 
ritable création  qu'elle  a  faite. 

La  toute  gracieuse  Mlle  Pornot,  l'impeccable  ténor  Clément  et  l'inimitable  Fugère 
ont  droit  aussi  aux  éloges  les  plus  grands  et  les  plus  mérités. 

—  Voici  la  distribution  complète  du  Clos,  opéra-comique  en  quatre  actes,  de  M. 
Michel  Carré,  musique  de  Silver,  que  l'on  répète  pour  en  donner  la  première  du  i"  au 
5   juin. 

Pierre  Hennebaut,  MM.  Dufranne  ;  Jean  Simon,  Edmond  Clément  ;  Hennebaut, 
Vieulle  ;  Blaisot,  Cazeneuve  ;  Gervais,  Billot  ;  Pacôme,  Langlois  ;  Geneviève,  Mmes 
Marie  Thiéry  ;  Margot,   Dangès. 

—  Toujours  à  rOpéra-Comique  :  Mme  Maria  Gay  a  donné  une  seule  représentation 
de  Carmen  :  une  interprétation  éminemment  originale  et  colorée.  Elle  a  été  très 
applaudie. 

Jeudi  soir  7  juin,  aura  lieu  salle  Pleyel,  le  deuxième  concert  donné  par  Mme 
Roger-Miclos,  M.  Louis-Charles  Bataille  et  le  quatuor  composé  de  Mmes  Astruc 
Doria,  Olivier,  MM.  Drouville  et  L.-Ch.  Bataille;  au  piano  M.  P.-D.  Hérard.  Le  pro- 
gramme qui  comprend  plusieurs  premières  auditions  du  plus  haut  intérêt  artistique, 
clôturera  brillamment  la  saison  de  concerts  de  ces  éminents  artistes. 


Une  soirée  artistique  lort  intéressante  a  eu  lieu  mercredi  dernier  au  «  Cercle  des 
Arts  ».  Devant  une  assistance  nombreuse  et  choisie,  M.  Camille  Mauclair  a  développé 
avec  un  art  exquis  sa  conférence  en  traitant  du  Culte  de  la  musique.  Par  des  raisonna- 
ments  imagés,  d'un  coloris  verbal  raffiné,  il  fit  valoir  la  qualité  émotive  de  la  musique, 
sa  supériorité  par  rapport  à  la  parole  et  son  empire  absolu  sur  l'âme  humaine,  —  cette 
ivresse  incomparable  que  nul  autre  art  n'est  capable  de  verser  en  nous,  à  un  tel  degré. 
Ce  fut  dit  avec  rythme  et  la  poésie  s'y  mêla. 

La  conférence  a  été  suivie  d'une  partie  musicale,  où  l'on  a  pu  apprécier  la  voix  si 
souple  de  Mme  Jane  Arger,  en  des  mélodies  heureuses  de  A.  Coquard  et  de  Rimski- 
Korsakow,  —  et  la  robuste  personnalité  de  Mlles  Thérèse  et  Suzanne  Chaigneau 
(piano  et  violon)  qui  interprétèrent  avec  science,  finesse  et  beaucoup  de  sentiment  des 
œuvres  maîtresses  de  Mozart  et  de  Schubert.  L'ensemble  a  été  d'une  tenue  artistique 
excellente. 

La  «  Société  Chorale  d'Amateurs  »,  fondée  par  Guillot  de  Sainbris,  a  donné  la 
semaine  dernière  un  très  brillant  concert  consacré  à  Saint-Sacns,  au  cours  duquel  on 
a  vivement  applaudi  M.  Boucrel,  l'excellent  chanteur. 


Au  cours  Sauvrezis  vient  d'avoir  lieu  une  remarquable  audition  des  élèves  de  piano 
supérieur.  Le  programme  était  consacré  aux  «  Variations  classiques  et  modernes  », 

Mlle  Alice  Sauvrezis,  dans  une  étude  très  documentée,  a  montré  la  progression  dans 
la  manière  de  traiter  le  thème  varié  depuis  les  ((  doubles  »  de  RSameau  jusqu'au  Varia- 
tions symphoniques  de  Franck  et  de  d'Indy,  en  passant  par  Mozart,  Beethoven,  Men- 
delssohn,  Schumann,  Brahms,  etc.  Puis  elle  a  signalé  l'application  du  thème  varié  à 
la  musique  dramatique,  en  faisant  une  intéressante  analyse  du  leitmotiv  dans  Par- 
sifal. 

Charmant  intermède  par  les  élèves  du  cours  de  chant,  dirigé  depuis  cette  année  par 
Mme  Mellot-Joubert. 


Notre  conlrère  et  collaborateur,  M,  Ecorcheville,  vient  de  soutenir  brillamment  en 
Sorbonne  sa  thèse  de  doctorat  ès-lettres  sur  les  sujets  suivants,  exclusivement  musi- 
caux :  1°  Vingt  suites  d'orchestre  du  XV  II"  siècle  français,  publiées  d'après  un  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  de  Cassel  avec  une  étude  historique  et  critique.  2°  De  Lm//î  à 
Rameau  :  L'Esthétique  musicale.  Le  jury  était  composé  de  MM.  Croiset,  doyen,  Lcmon- 
nier,   G.  Séailles,  auxquels  on  avait  adjoint  MM.  C.  Saint-Saëns,  M.  Emmanuel,  Ro- 


—  402  ■— 

main  Rolland  et  Gazier.  M.  Ecorçhevillé  fut  particulièrement  félicité  par  M.  Saint- 
Saëns  pour  ses  remarquables  travaux  et  ses  publications  intéressant  au  plus  haut  point 
l'histoire  musicale.  Nous  publierons  très  prochainement  une  étude  de  M.  Ecorçhevillé 
sur  Corneille  et  la,  musique. 

L'audition  annuelle  des  élèves  de  Mme  Bourgarel-Baron,  le  distingué  professeur  de 
chant,  a  eu  lieu  le  19  mai,  salle  Lemoine,  avec  un  succès  mérité. 

De  nombreux  élèves,  dont  quelques-uns  sont  déjà  des  artistes,  méritent  d'être 
cités.  Mmes  Besnard  et  Jacquinot,  deux  très  beaux  soprani,  Mlle  Malet,  des  Concerts 
Colonne  dans  le  Clavecin  de  Gaston  Paulin,  accompagnée  par  l'auteur  et  soutenue  par 
le  violon  de  Magdeleine  Godard,  qui  prêtait  son  concours  à  cette  charmante  fête,  a  eu  un 
vif  succès.  Citons  encore  MM.  Besnard  et  L'Herbier  et  Mlles  Boume,  Vaudin,  Suaire  et 
Mallet. 

M.  Sujol,  professeur  au  Conservatoire,  présidait  cette  charmante  soirée  qui  fait 
honneur  au  professeur.  Reconnu  dans  l'élégante  assistance,  au  hasard,  comte  et  com- 
tesse de  Meritens,  Docteur  Vaudin,  Docteur  et  Madame  Poirrier,  comte  et  comtesse 
Bertini,  le  peintre  Billoul,  etc.,  etc. 


Le  samedi  ig  mai,  Mme  Magdeleine  Symiane  donnait  un  récital  de  ses  œuvres. 
Compositions  jolies,  légères,  toutes  de  charme  et  de  distinction,  avec  cette  suprême 
élégance  —  si  rare  chez  une  musicienne  —  d'éviter  de  masculiniser  son  talent.  La  mu- 
sique très  personnelle  de  Mme  Symiane  fait  songer  à  la  littérature  de  Mme  Deshouillères, 
si  émouvante  parce  que  sincère  et  délicate. 

Evocation  galante  du  siècle  aimable,  dans  la  Révérence  délicieusement  interprétée 
par  Mlle  Veniat,  poèmes  d'amour  chantés  par  Mme  Castagnié  et  Mlle  Aubray,  —  tout, 
(et  j'en  passe)  a  valu  à  l'auteur  et  à  ses  interprètes  des  applaudissements  chaleureux. 

Mais  l'imprévu,  le  triomphe  de  la  soirée  fut  l'audition  de  Mme  Juliette  Wermez,  de 
la  Scala  de  Milan.  Jamais,  depuis  les  grands  jours  de  la  Patti  et  de  la  Nilsson,  jamais 
on  n'entendit  à  Paris  une  voix  plus  belle,  plus  puissante,  plus  enveloppante  et  plus 
suggestive.  Mme  Wermez,  une  Française,  est  justement  célèbre  en  Italie.  Que  n'est-elle 
ici,  à  la  première  place  ?  La  méthode  est  parfaite,  le  son,  d'une  pureté  incomparable, 
possède  l'étendue  et  la  douceur.  Ce  fut  une  révélation  véritable  et  l'ovation  du  public 
d'élite  réuni  ce  soir-là  est,  nous  croyons  le  savoir,  le  prélude  de  succès  prochains  sur 
une  scène  vraiment  digne  du  grand  talent  de  Mme  Wermez. 

Jean  Marcel. 


Au  cours  de  sa  séance  de  samedi,  l'Académie  ders  Beaux-Arts  a  décerné  le  frix  Tré- 
mont,  d'une  valeur  de  i.ooo  francs,  à  M.  Gabriel  Dupont,  auteur  de  la  Cabrera, 
l'œuvre  couronnée  en  Italie,  qui  fut  représentée,  la  saison  dernière,  à  l'Opéra- 
Comique. 

Le  prix  Chartiçr,  d'une  valeur  de  500  francs,  destiné  à  encourager  la  musique 
dite  de  chambre,  composée  par  un  musicien  français,  est  décerné  à  M.  Charles 
Duvernoy. 

Le  Prix  Monbinne,  d'une  valeur  de  3.000  francs,  qui  doit  être  décerné  à  l'auteur  de 
la  musique  d'un  opéra-comique  en  un  ou  plusieurs  actes,  que  l'Académie  aura  jugé  le 
plus  digne  de  cette  récompense,  a  été  donné  à  M.  Ch.-M.  Widor,  pour  les  Pêcheurs  de 
Saint-Jean,  représentés  à  l'Opéra-Comique. 

Les  revenus  de  la  fondation  veuve  Duchêne  (700  francs),  qui  doivent  être  accordés 
en  deux  portions  égales,  pour  le  perfectionnement  de  leurs  études,  à  une  jeune  musi- 
cienne et  à  une  jeune  comédienne,  élèves  du  Conservatoire,  a  été  partagé  entre 
Mlle  Baylac,  élève  des  classes  de  chant  et  Mlle  Gorlys,  élève  des  classes  de  comédie. 

Enfin,  les  membres  de  la  section  musicale,  rentrés  de  Compiègne,  ont  rendu  compte 
à  la  Compagnie  des  opérations  de  la  matinée. 

MM.  Marsick,  André  Gailhard,  Le  Boucher,  Mazelier  et  Dumas  sont  entrés  en 
loge,  après  avoir  écrit,  sous  la  dictée  du  secrétaire  perpétuel,  le  texte  de  la  cantate  cou- 
ronnée, qui  a,  cette  année,  pour  titre  :  Ismaïl,  et  pour  auteur  M.  Eugène  Adenis. 


—  403  — 

La  jury  du  Concours  Crescent,  réuni  au  Conservatoire,  sous  la  présidence  de 
M.  Camille  Saint-Saëng,  a  décidé  de  partager  le  prix  de  composition  symphonique 
entre  deux  partitions  :  l'une  de  M.  Eugène  Cools,  l'autre  de  M.  Guy  Rofartz. 

La  première  de  ces  oeuvres  est  une  symphonie  en  ut  mineur,  pour  orchestre  seul  ; 
la  seconde  une  symphonie  en  mi  majeur  pour  chœurs  et  orchestre.  C'est  la  première 
fois  que  le  concours  Crescent  revêt  la  forme  symphonique. 

Le  prix  à  partager  est  de  20,000  francs.  Chacun  des  deux  auteurs  recevra,  en  outre, 
une  prime  de  1.500  francs  pour  frais  de  copie. 

Les  chefs  d'orchestre  qui  exécuteront  les  partitions  couronnées  recevront  : 
4.000  francs  pour  la  symphonie  proprement  dite  ;  10.000  pour  la  symphonie  avec 
chœurs. 


Quelques  recettes  de   théâtres  et  concerts   de   Pari?,  en    1905,  qui  permettent  de 
curieuses  comparaisons  : 

Opéra 3.132,3-15 

Opéra-Comique 2. 410. 381 

Concerts-Colonne 234. 100 

Concerts-Lamoureux 203 .  195 

Concerts  du  Conservatoire 169.022 

Bal  Tabartn ^6^. 4$ 2 

Folies-Bergères / .  562 .  og2 

etc.,  etc. 


Péronne.  —  Au  concert  donné  le  25  avril  par  la  Société  symphonique^  Mlle  Ger- 
maine Chevalet,  la  jeune  cantatrice,  a  remarquablement  interprété  le  Roi  des  Aulnes^ 
des  mélodies  de  Paladilhe  et  de  Levadé,  ainsi  que  la  Ballade  du  Désespéré  de  Bemberg 
(avec  le  concours  de  son  frère  M.  Paul  Chevalet,  de  l'Odéon). 

Mlle  Germaine  Chevalet  a  également  chanté  le  duo  du  Roy  d'Ys  \  son  partenaire, 
M.  Fernand  Francell,  lui  a  donné  la  réplique  et  a  obtenu  aussi  un  vif  succès. 

M.  Diran  Alexanian,  violoncelliste  de  grand  talent  a  été  très  apprécié  dans  l'exé- 
cution d'une  sonate  de  Boccherini.  L'orchestre  était  dirigé  par  MM.  Boidin  et  Coûtant  ; 
M.  Jean  Verd  a  excellemment  tenu  le  piano  d'accompagnement. 


Les  représentations  de  la  Vestale,  de  Spontini,  à  Béziers,  auront  lieu  les  26  et 
28  août  :  comme  interprètes,  Mmes  Strasy,  Bastien,  MM,  Duc,  Gazeneuve,  Delmas. 
L'orchestre,  250  musiciens,  sous  la  direction  de  M.  Nussy-Verdié. 


La  Théodora,  de  M.  Xavier  Leroux,  sera  représentée,  au  niois  de  mars  prochain, 
sur  la  scène  de  Monte-Carlo.  Mnie  Héglon,  qui  vient  de  faire  une  superbe  rentrée,  à 
l'Opéra,  dans  Dalila,  créera  le  rôle  de  Théodora. 

Thérèse,  le  drame  musical,  en  deux  actes  de  M,  Massenet,  poème  de  M,  Jules  Cla- 
retie,  passera  en  février,  toujours  à  Monte-Carlo,  avec  Mlle  Lucy  Arbell  dans  le  rôle  de 
Thérèse,  MM.  Dufranne  et  Clément. 


Nancy.  —  Le  concours  international  de  musique  vient  d'être  fixé  aux  16  et  17  juin 

1907. 


Une  rectification.  —  Nous  avons  publié,  dans  notre  dernier  numéro,  une  note 
annonçant  que  M.  Knosp  se  proposait  d'organiser  à  Paris  une  section  française  de  la 
Société  internationale  de  Musique.  Présentée  ainsi,  cette  information  est  inexacte  :  c'est 
une  section  française  d'études  de  la  musique  exotiqtce  que  veut  instituer  M.  Knosp. Cette 
nouvelle  organisation  sera  rattachée  à  \  Internationale  Musik-Gesellschaft,  dont  la  sec- 
tionfrançaise  existe  déjà  depuis  longtemps,  avec  comme  président  M.-L.  Dauriac, 
comme  trésorier  M.  Eeorcheville,  comme  archiviste  M,  L.  delà  Laurencie. 


—  404  — 

Munich.  —  La  Croisade  des  enfants,  de  G.  Pierné.  —  Cette  œuvre  charmante 
et  de  grande  valeur  a  obtenu  un  plein  succès  devant  le  public  muniehois  :  jamais  on  ne 
vit  une  telle  foule,  ici,  à  un  concert.  L'exécution,  dirigée  par  le  cappelmeister  Weber, 
d'Augsbourg,  où  l'œuvre  avait  été  donnée  en  premier  lieu,  fut  presque  parfaite,  aussi 
excellente  que  peut  l'être  une  exécution  de  ce  genre  où  l'on  doit  faire  manœuvrer  une 
masse  chorale  énorme  composée  en  partie  d'enfants.  La  quatrième  partie,  la  Tempêtera 
été  plus  particulièrement  appréciée  pour  sa  belle  pâte  orchestrale  et  la  véritable  émotion 
qui  s'en  dégage.  Les  solistes  furent  plutôt  faibles,  et  détonnèrent  parfois.  En  somme, 
superbe  succès  pour  Pierné  qui  est  considéré  ici,  à  juste  titre,  comme  l'un  des  jeunes 
Maîtres  de  l'Ecole  française  moderne,  et  l'un  des  meilleurs  virtuoses  de  l'orchestre. 

El.  de  SxœcKLiN. 

On  vient  de  donner  la  première  représentation,  à  Munich,  de  Heirat  wider  Willen^ 
d'Humperdinck.  

Fêtes  Musicales  en  Allemagne.  --  A  Baden,  auront  lieu  les  g,  loet  n  juin, 
des  fêtes  musicales  :  l'un  des  concerts  sera  consacré  aux  compositeurs  modernes 
(œuvres  de  Berlioz,  d'Indy,  Liszt,  R.  Strauss)  et  sera  dirigé  par  R.  Strauss. 

Rappelons  que  le  Festival  Rhénan  aura  lieu  les  3,  4  et  5  juin,  à  Aix-la-Chapelle, 
sous  la  direction  de  F.  Weingartner  et  du  professeur  Schwickerat.  Nous  en  rendrons 
compte  dans  notre  prochain  numéro,  en  même  temps  que  des  Fêtes  Haendel  de  Ma.yence, 
des  Fêtes  Schumann  de  Bonn  et  du  Festival  des  Compositeurs  Allemands  à  Essen. 


Bruxelles.  —  Le  théâtre  de  la  Monnaie  vient  de  fermer  ses  portes  ;  du  17  août 
1905  au  20  mai  igo6,  MM.  Kuiïerath  et  Guidé  auront  monté  sept  ouvrages  nouveaux  : 
Armide,  la  Damnation  de  Faust,  Résurrection,  Déidamia,  Princesse  Rayon-de-Soleil, 
Chérubitt,  Maïmouna. 

La  réouverture  se  fera  dans  les  premiers  jours  de  septembre.  Comme  nouveautés, 
on  annonce  déjà  :  la  Prise  de  Troie,  et  les  Troyens  à  Carthage,  de  Berlioz,  Madame 
Chrysanthème,  de  Messager. 

L'Académie  royale  de  Stockolm  a  nommé  comme  membres  étrangers  les  composi- 
teurs Elgar,  Enrico  Bossi,  C.  Nielsen,  Rimsky-Korsakoff,Jean  Sibélius,  le  violoncelliste 
Hugo  Becker,  Edouard  Risler  et  Eugène  Ysaye. 


Budapest.  —  La  distinguée  cantatrice  Yvonne  de  Tréville  vient  de  chanter  avec  le 
plus  vif  succès  le  rôle  d'Ophélie  dans  Hamlet.  L'empereur  d'Autriche  qui  assistait  à  la 
représentation  a  tenu  à  la  féliciter  vivement. 


Nécrologie.  —  Nous  avons  le  regret  d'apprendre  la  mort  de  deux  de  nos  con- 
frères :  MM.  George  Vanor  et  Léon  Kerst. 

M.  George  Vanor  est  mort  des  suites  d'un  accident,  à  l'âge  de  41  ans.  Né  à  Paris 
en  1865,  il  s'était  fait  connaître  par  des  volumes  de  vers,  parmi  lesquels  le  Paradis,  des 
articles  et  ouvrages  de  critique  musicale,  Pèlerinages  d'art,  VArt  symbolique  :  il  avait 
fait  enfin  de  nombreuses  conférences  sur  la  musique,  à  la  Bodinière,  à  l'Odéon,  etc. 

M.  Léon  Kerst  (de  son  vrai  nom  le  comte  de  Froidemont\  depuis  de  nombreuses 
années  critique  dramatique  et  musical  au  Petit  Journal  et  était  apprécié  de  tous  par  sa 
bienveillance  et  son  éclectisme.  Il  était  âgé  de  61  ans  et  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur.  

Nouveautés  n)U5icale5  reçues 

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Editeur,  E.  Démets, 

Prières  d'Enfant,  de  Pierre  de  Bréville. 

édition  mutuelle,  26c,  rue  Saint-Jacques,  Paris. 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 
~~~  Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


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BÉNÉDICTINE 


9e  Année,  NM2,  15  Juin  1906, 


Directeur  :  Albert  DIOT 


Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 


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Echos  et  Nouvelles  Diverses. 

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MICHEL  BRENET. 


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Adnxinistration  et  Rédaction  : 
58,  RUE  TRONCHET.  PARIS  (8«) 


Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  la 
Rédaction  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 
et  Samedi,  de  lo  heures  à  midi. 


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MM.  Âguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F,  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D"^  Colas  —  M.  Daubresse  —  Victor 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot—  RenéDoire  —  F.  Drogoul  — 
Eva  —  Emm.  Ergo  ~  Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  — 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  —  E.  Giovanna  —  Orner  Guiraud  — 
F,  Hellouin  —  Vincent  d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  PauI^Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel  —  Alfred  Mortier  —  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauerwein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Schar-wenka  — 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D*^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
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Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Sainî-Honorê, 
Librairie  REYj  8, .  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCE^  place  du  Théâtre-Français. 

Chez  M.   LEGOUX,  4,  me  de  Rougemont  ;  20 ,  faubourg  Poissonnière,  etc. 
Chez  M.  PUGNO,   77,   Quai  des  Grands-tÂugustins>  etc... 
£N  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 


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Pour  ^ALLEMAGNE 


Pour   la   BELGIQUE 


Pour  rANGLETERRE 


Pour   la   HOLLANDE 


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(    MM.  BREITKOPF  d  H/ERTEL,    45,  rue  Montagne  de 
l  Cour,  à  BRUXELLES 

MM.   BREITKOPF  &  MORTEL,    54,    Malborough-Street, 
LONDON-W. 

MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM. 

MM.  BRFNTANO'Sj  Union  Square,  NEW-YORK. 
M.  G.  SCHIRNER,  35,  Union  Square,  NEW-YORK. 


9«  ANNEE.  N»  12.  i5  JUIN  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Corneille  et  la  musique  (Jules  Écorcheville).  —  Les  Premières  : 
Le  Clos,  de  Silver,  à  l'Opéra-Comique  (V.  Debay^  ;  La  Gloire  de  Corneille,  à  l'Opéra 
(V.  Debay).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Les  Concerts  romantiques  de  A.  Cortot  (Jean 
d'Udine)  ,  Concerts  Tbibaud,  Ysaye-Pugno,  Litvinne,  Société  Bach.  —  Concerts  divers. 
—  Le  Mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger  :  Le  Festival  Hcendel,  à  Mayence 
(Paul  de  Stœcklin)  ;  La  VII^  Fcte  de  l'Association  des  Musiciens  Suisses,  à  Neuchâtel. 
(Paul  de  Stœcklin). — Correspondance  de  :  Le  Havre.  —  Echos  et  Nouvelles 
diverses.  — Bibliographie  (Paul  Locard,  Victor  Debay,  Michel  Brenet). 


Corneille  et  la  Musique 

Pierre  Corneille  ne  s'est  pas  signalé  jusqu'à  présent  à  l'attention  des  musicogra- 
phes. Tout  ce  que  nous  savons  de  ce  grand  homme  ne  nous  engage  guère  à  le  consi- 
dérer comme  un  mélomane.  Les  portraits  les  plus  flatteurs  nous  le  représentent 
comme  un  normand  assez  sec,  entêté  de  ses  idées,  mauvais  lecteur  de  ses  propres 
œuvres,  au  demeurant  brave  homme,  d'une  piété  d'honnête  marguillier,  et  tout  à  fait 
capable  de  rester  étranger  à  cette  sensibilité  un  peu  inquiète  qui  s'accorde  bien  avec 
la  musique.  Il  semble  que  le  trait  essentiel  de  ce  caractère  soit  une  probité  paisible  et 
tenace  également  hostile  aux  entraînements  du  cœur  et  de  l'oreille. 

On  ne  peut  nier  cependant  que  l'auteur  du  Cid  se  soit  trouvé  mêlé  au  mouve- 
ment musical  de  son  temps.  Ses  œuvres  le  prouvent.  Et  comment  aurait-il  pu  échap- 
per aux  influences  d'un  art  qui  tenait  une  si  grande  place  dans  tous  les  divertissements 
de  son  époque?  Entre  1630  et  1670  un  artiste  favori  de  Richelieu,  bien  vu  de 
Louis  XIII,  honoré  par  Louis  XIV,  un  poète  officiel  comme  le  fut  et  voulut  l'être  Cor- 
neille ne  saurait  se  refuser  à  suivre  tout  au  moins  de  loin  une  passion  qui  entraîne  la 
cour  et  le  roi  lui-même.  C'est  l'époque  des  grands  ballets,  des  tentatives  de  Luigi 
Rossi,  de  Cavalli,  de  Cambert.  La  musique  et  le  drame,  depuis  si  longtemps  désunis, 
se  cherchent  à  nouveau,  et  vont  croire  s'être  retrouvés  dans  l'opéra  de  LuUy.  Cette 
apparition  du  lyrisme  au  théâtre  préoccupe  tous  les  esprits  vers  1650.  L'exemple  de 
l'Italie,  la  politique  de  Mazarin,  le  goût  du  jeune  roi,  et,  quelques  années  plus  tard,  le 
nationalisme  qui  s'impose  à  l'art  français,  tout  concourt  à  poser  le  problème  d'une 
musique  dramatique.  De  quel  œil  Corneille  vit-il  cette  évolution,  comment  en  subit-il 
les  effets,  et  comment  voulut-il  s'y  associer  ?  Ce  sont  là  des  questions  que  notre  his- 
toire littéraire  néglige  ordinairement,  et  qui  semblent  se  poser  tout  naturellement  dans 
une  revue  comme  celle-ci . 

*  « 

Corneille  nous  a  laissé  un  choix  de  poésies  légères  (i),  composées  en  maintes  cir- 
constances, et  dont  beaucoup  sont  tout  à  fait  propres  à  être  mises  en  chant.  Quelques- 


(1)  Elles  se  trouvent  rassemblées  dans  le  tome  X  des  Œ«tr«  complètes,  (Paris,  Hachette,  1862.) 


—  4o6  — 

unes  portent  le  nom  de  chSnsoH^'et  appellent  manifestement  la  musii^ue  ;.  deux  de  cfs 
airà  oiiit  même  conservé  le  nom  de  leur  compositeur  :  Tëir  de  Blondèl  et_rair  ^e 
LamMrt.Le  premier  de  ces  musiciens  n'a  guère  laissé  de  trace  dans  l'histoire  ;  il  était 
chantre  de  la  chapelle  du  roi  et  a  publié  des  Motets  chez  Ballard  en  1671 .  Michel  Lam- 
bert fut,  au  contraire,  une  des  gloires  du  xvii®  siècle.  Chanteur  à  la  mode,  composi- 
teur fécond,  beau-père  de  LuUy,  Lambert  a  trouvé  grâce  devant  Boileau  lui-même,  qui 
le  cite  avec  admiration  dans  son  Repas  ridicule.  C'était  un  excellent  artiste,  sacrifiant 
comme  tous  ses  contemporains  à  la  mode  des  «  doubles  »,  mais  luttant  cependant 
contre  l'inutile  virtuosité.  Partisan  d'une  déclamation  précise,  où  devait  prévaloir  le 
sens  des  paroles,  il  fut  considéré  comme  un  réformateur  de  génie.  Il  est  avec  son  col- 
lègue Boesset  le  seul  dont  les  œuvres  survécurent  à  l'opéra  de  1670. 

De  toutes  les  poésies  fugitives  de  Corneille  (  i  )  nous  n'avons  retrouvé  d'autre 
musique  que  cet  air  de  Lambert,  composé  en  l'honneur  de  la  Reine  Marie-Thérèse, 
dont  le  mariage  venait  d'être  célébré  (1660)  (Voir  p.  407). 

Le  thème  est  aimable  et  nous  le  retrouvons  dans  la  musique  de  M.  Fauré.  L'en- 
semble est  un  peu  terne  et  d'une  émotion  incertaine  qui  convient  à  cette  poésie.  Car 
le  sentiment  n'est  ici  ni  profond  ni  tumultueux,  mais  simplement  galant  et  bien 
tourné.  Toutes  ces  petites  pièces  lyriques  de  Corneille  s'approchent  quelques  fois  de 
la  gaillardise,  jamais  de  l'extase.  Dans  l'esprit  de  Corneille  l'air  à  chanter  évoque, 
semble-t-il,  l'idée  d'une  pointe  aimable  et  spirituelle.  Pour  lui,  ce  qui  appelle  la  mu- 
sique c'est  l'heureuse  disposition  d'un  esprit  qui  se  joue  et  qui  reste  assez  maître  de 
soi  pour  raffiner  ses  propres  sentiments.  Le  tour  du  vers  et  de  l'expression  musicale, 
voilà  le  principal  en  ces  sortes  d'ouvrages  ;  l'émoi  lui-même  importe  peu.  D'ailleurs, 


(i)  Nous  citerons  ici  le  premier  vers  de  chacune  d'elles  afin  de  faciliter  des  recherches  qui   seront    sans 
doute  plus  heureuses  que  les  nôtres  : 

Après  l'œil  de  Mélite  il  n'est  rien  d'admirable 

Bel  astre  à  qui  je  dois  mon  estre  et  ma  beauté. 

Caliste,  lorsque  je  vous  voie. 

C'est  trop  faire  languir  de  si  justes  désirs 

Depuis  qu'un  malheureux  adieu 

D'un  accueil  si  flatteur  il  vaut  mieux  que  j'espère 

Je  pense,  à  vous  voir  tant    d'attraits. 

Je  suis  blessé  profondément. 

Je  vous  estime,  Iris,  et  crois  pouvoir  sans  crime. 

Mes  soupirs  vous  ont  dit   plus  de  cent  fois  le  jour. 

Quand  je  vois  en  Philis  ta  beauté  sans  seconde. 

Que  vous  sert  de  me  charmer. 

Qu'on  te  flatte,  qu'on  te  baise. 

Si  je  perds  bien  des  maîtresses. 

Toi  qui  près  d'un  beau  visage, 

Toi  dont  la  course  journalière. 

Vos  beaux  yeux  sur  ma  franchise. 

Vous  aimez  que  je  me  range. 

En  outre  et  pour  éviter  les  dépouillements  inutiles,  voici  les  listes  des  œuvres  musicales  que  nous  avons 
parcourues  : 

Jean  Boyer,  //•  livre  de  Chansons,  1642.  —  L.  Mollier.  Chansons,  1640.  —  G.  Michel,  Recueil  de  Chan- 
sons, 1636-1656,  —  Denis  Mace,  Recueil  de  Chansons,  1643  —  Chancy,  //•  livre  d'airs.  —  Boesset  (tous 
les  airs  de  cours  qui  se  trouvent  à  la  Bibliothèque  nationale).  —  Ballard,  Airs  de  différents  auteurs,  1658  à 
1694.  —  Labarre,  Airs,  1669.  — Recueils  manuscrits  : 

Bib.  Nat.  Vmy  4.761  à  4.888 
id.       6.135 

Rés.  Vmy  231  et  583. 
Arsenah  3.043  et  3.235  à  3.238 
Un  recueil  manuscrit  en  notre  possession  qui  contient  300    airs    de    différente    auteurs    (Cambefort, 
Chancy,  Boesset,  Lambert,  Gantez,  Moulinié,  Chastelet,  Camus,  Lefèvre,  La  Roche,    Grenouillet,    Vincent, 
Gobert,  Dupré,  Baccilly,  Dumont,  Lemoine,  Hurel.) 


—  407  — 


C'est  trop  fai.reJaK.guir   de  si     jus  .  tes  dé 


C'est  trop  fai.re  iangiiir fai.re  lan.guir   de  si     jus.tcs     dé 


sirs,    Rcy .  ne     Ve    .    nez        va     .    nez   as.seu   .  rer      as.s6u.rer  nos  niai . 


.sirs       par  ! e  .  ciat     do      vo-tre   pré 


sen 


Ve . 


.sirs  par   i  e 


vo .  tre  pr 


^  If  r  r-TT 


ttr-f- 


nez  venez  nous       renflre         heu    .      reu.?;        sens  vog     au-fn.isîes     lois 


Venez    %-e  .    nez  nous  rendre  heureux-Sous.  vos  au.  sras  .    tes    lois     Eî 


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le  pp-  or  1''  Tir  r  ''r-H 


Et         re.eevez  tous  les    cccurs  de       l-i    Fran 


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6'  -' 


gf^S^^^??)--fy=r^^-y^  J      li;^;^! 


dvi  plus  grand    do  nos  Bois 

!-r-|-l=-j 


=^==^M^:ay--i'^^l1 


.lui    a,vec-ce,lui      du  plus  gr^ind  du  plus  grand  du  plus     grand    de  nos  Rois 


—  4o8  — 

Corneille,  normand  réfléchi,  ami  des  examens  a  pris  plaisir  à  formuler  son  esthétique 
musicale,  en  quelques  vers  qu'on  ne  lit  jamais,  et  que  voici  : 

Ce  n'est  donc  pas  assez,  et  de  la  part  des  muses 

Ariste,  c'est  en  vers  qu'il  vous  faut  des  excuses. 

Et  la  mienne  pour  vous  n'en  plaint  pas  la  façon 

Cent  vers  lui  coûtent  moins  que  deux  mots  de  chanson. 

Son  feu  ne  peut  agir  quand  il  faut  qu'il  s'applique 

Sur  les  fantasques  airs  d'un  rêveur  de   musique, 

Et  que,  pour  donner  lieu  de  paraître  à  sa  voix. 

De  sa  bizarre  quinte  il  se  fasse  des  lois. 

Qu'il  ait  sur  chaque  ton  ses  rimes  ajustées 

Sur  chaque  tremblement  ses  syllabes  comptées. 

Et  qu'une  froide  pointe  à  la  fin  d'un  couplet, 

En  dépit  de  Phœbus  donne  â  l'art  un  soufflet. 

Enfin  cette  prison  déplaît  à  son  génie 

Il  ne  peut  rendre  hommage  à  cette  tyrannie 

11  ne  se  leurre  point  d'animer  de  beaux  chants 

Et  veut  pour  se  produire  avoir  la  clef  des  champs. 

Revenons  aux  chansons  que  l'amitié  demande. 
J'ai  brûlé  fort  longtemps  d'une  amour  assez  grande 
Et  que  jusqu'au  tombeau  je  dois  bien  estimer, 
Puisque  ce  fut  par  là  que  j'appris  à  rimer. 
Mon  bonheur  commença  quand  mon  âme  fut  prise 
Je  gagnai  de  la  gloire  en  perdant  ma  franchise 
Charmé  de  deux  beaux  yeux,  mon  vers  charma  la  cour 
Et  ce  que  j'ai  de  nom  je  le  dois  à  l'amour. 

Vous  le  dirais-je,  ami,  tant  qu'ont  duré  mes  flammes 

Ma  muse  également  chatouillait  nos  deux  âmes. 

Elle  avait  sur  la  mienne  un  absolu  pouvoir 

J'aimais  à  le  décrire,  elle  à  le  recevoir. 

Une  voix  ravissante,  ainsi  que  son  visage 

La  fesait  appeler  le  phénix  de  notre  âge 

Et  souvent  de  sa  part  je  me  suis  vu  presser.  — 

Jugez  vous-même,  Ariste^  à  cette  double  amorce 

Si  mon  génie  était  pour  épargner  sa  force  ! 

Cependant  mon  amour,  le  père  de  mes  vers, 

Le  fils  du  plus  bel  œil  qui  fut  en  l'univers, 

A  qui  désobéir  c'était  pour  moi  des  crimes. 

Jamais  en  sa  faveur  ne  put  tirer  deux  rimes. 

Tant  mon  esprit  alors  contre  moi  révolté. 

En  haine  des  chansons  semblait  m'avoir  quitté 

Tant  ma  veine  se  trouve  aux  airs  mal  assortie 

Tant  avec  la  musique  elle  a  d'antipathie 

Tant  alors  de  bon  cœur  elle  renonce  au  jour  ! 

Et  l'amitié  voudrait  ce  que  n'a  pu  l'amour  ! 

Cette  excuse  à  Ariste  date  de  1630  environ,  et  elle  nous  reporte  à  la  toute  jeu- 
nesse du  poète.  Nous  voici  donc  fixés.  Aux  regards  de  Corneille  la  sonorité  musicale 
est  une  tyrannie.  Elle  enchaîne  l'inspiration  poétique  ;  devant  elle  la  passion  même 
s'efface.  Ainsi  comprise  la  musique,  isolée  du  langage  naturel  des  sentiments,  forme 
un  art  superflu  et  vain.  Entre  la  libre  expression  de  notre  moi  et  les  exigences  du  son 
il  y  a  désaccord.  Avec  la  musique  apparaît  le  rêve,  le  fantastique,  le  bizarre  qui  in- 
quiètent l'esprit.  C'est  un  cauchemar,  une  prison  dont  l'âme  raisonnable  et  raison- 
nante de  Corneille  se  détourne  anxieuse.  La  crainte  de  la  musique  est  le  premier  mou- 
vement du  jeune  poète. 

*  ♦ 

Cependant  Corneille  l'a  tentée  cette  union  qui  lui  semblait  factice.  Plusieurs  fois, 
moins  par  goût  que  pour  obéir  aux  circonstances,  il  a  cherché  à  joindre  les  rimes  à  la 
musique,  au  sein  même  d'une  action  dramatique.   Son  premier  essai  date  de  1632. 


—  409  — 

Quatre  ans  avant  d'écrire  le  Cid,  il  se  plia  aux   nécessités  d'un  ballet  et  tourna  galam- 
ment les  strophes  d'un  prologue  : 

Toi  dont  la  course  journalière 
Nous  ôte  le  passé,  nous  promet  l'avenir 
Soleil  père  des  temps,  comme  de  la  lumière, 

Qui  vois  tout  naitre  et  tout    finir, 

Depuis  que  tu  fais  tout  paraître 
As-tu  rien  vu  d'égal  au  chasteau  de  Bicestre. 

11  s'agissait  en  effet  de  transformer  un  événement  bien  parisien,  la  reconstruction 
du  vieux  château  de  Bicctre,  en  un  divertissement  de  cour.  Cette  littérature  singu- 
lière du  ballet  Louis  XIII  est  assez  peu  connue  pour  que  nous  citions  ici  en  entier  le 
récit  qui  se  trouve  dans  la  Ga;(ette  du  12  mars  1632. 

«  Ce  ballet  (i)  fut  dansé  par  le  comte  de  Soissons  dimanche  dernier  au  Louvre,  à 
l'arsenal  et  à  la  maison  de  ville,  avec  une  telle  affluence  de  peuple  que  dans  le  Louvre 
seul  il  n'y  avait  guère  moins  de  quatre  mille  personnes,  la  plupart  personnes  de  re- 
marque. 

Le  sujet  fut  le  château  de  Bicestre,  et  les  personnes,  les  animaux,  les  esprits  aux- 
quels il  sert  de  rendez-vous  jour  et  nuit.  Le  jour  était  figuré  par  un  grand  tableau  où 
ce  château  était  peint  ayant  le  soleil  sur  son  horizon  et  autour  de  son  faîte  des  grues, 
faisans,  faucons  et  autres  oiseaux,  comme  au  bas  toutes  sortes  de  bêtes  à  quatre 
pieds. 

D'où,  après  que  le  sieur  Justice  (2)  eut  de  sa  voix  dextrement  jointe  à  celle  du 
luth,  représenté  le  sujet  du  ballet  (c'était  le  prologue  de  Corneille),  sortirent  premiè- 
rement l'hôte,  l'hôtesse  et  son  valet  que  représentaient  les  sieurs  de  Belleville,  de  la 
Barre  (5)  et  de  Liancourt,  aussi  bien  que  tout  le  reste  si  richement  vêtus,  qu'on  ne  les 
eut  pas  pris  pour  tels,  sans  les  postures  où  rien  n'était  oublié,  et  sans  le  petit  man- 
telet  que  l'hôte  donna  à  garder  à  sa  femme,  enchaperonnée  à  la  négligence, 
et  les  entonnoirs  dont  les  habits  de  ce  gentil  valet  étaient  passementés. 

Puis  venaient  danser  deux  gueux,  vêtus  de  riches  lambeaux,  que  représentaient 
le  comte  de  Fiesque  et  le  sieur  Parade . 

Suivaient  le  comte  de  Soissons,  le  duc  à'Aluy  et  les  sieurs  de  Liancourt,  de  la 
Barre  et  Marandé  {4),  qui  représentaient  cinq  paysans  ivres,  vêtus  de  satin  blanc  pas- 
sementé  d'argent,  la  serpette  à  la  ceinture,  mais  avec  une  telle  adresse  qu'encore  que 
le  premier  voulut  se  faire  méconnaître,  dans  la  foule  des  autres,  toute  l'assistance  lui 
donna  le  prix  du  ballet  et  le  jugea  véritablement  sien,  non  tant  par  sa  dépense,  qui  fut 
grande,  que  pour  avoir  le  mieux  fait. 

Puis  paraissent  trois  bohémiens  et  «  deux  braves  viennent  prendre  la  mesure  de 
leur  courage  à  celle  de  leur  épée,  vêtus  de  satin  gris,  chamarré  d'argent  qui  dan- 
sèrent l'épée  nue,  le  fourreau  leur  pendant  au  baudrier. 

Deux  damoiselles  masquées  y  allèrent  présenter  un  autre  combat  sous  la  conduite 
d'un  messager  d'amour  garni  de  chausses  à  culottes  et  d'un  manteau  de  satin  qui  avait 
de  la  peine  à  atteindre  jusqu'aux  coudes,  ou  le  baron  de  La  Ferté,  le  marquis  de  Beu- 
vron  et  le  sieur  Enaut  dansèrent. 


(i)  11  est  possible  que  le   livret  du  ballet  de  B.  ait  été  imprimé.  Mais   on  n'en  a  pas  retrouvé  d'exem- 
plaire. 

(2)  Nicolas  Justice  était  chantre  de  la  chapelle. 

(3)  Jacques  de  Belleville  était  un  «  conducteur  de  ballet  »  et  un  joueur  de  mandore  très  à  la  mode.  De 
la  Barre  appartenait  au  duc  de  Nemours. 

(4)  Marandé  parait  avoir  été  luthiste  et  danseur. 


—  410  — 

Deux  écoliers  y  vinrent  ensuite  y  jouer  une  partie  du  quartier  et  piper  l'autre. 

Puis  un  espagnol  fit  la  roue  encore  qu'il  fut  vêtu  en  pèlerin,  le  roquet  sur  les 
épaules,  et  la  petite  boîte  en  fer  blanc  à  sa  ceinture,  suivi  de  son  valet  qui  avait  le 
bissac  sur  le  dos,  la  guitare  en  main,  et  passait  en  dansant  sous  les  caprioles  de  son 
maître.  Ils  furent  représentés  par  les  sieurs  Verpré  (i)  et  Saintot. 

Deux  hibous  et  quatre  corneilles  en  leur  vraie  forme  sous  laquelle  étaient  cachés 
autant  d'enfants  y  vinrent  après  danser  le  branle  et  annoncer  la  nuit. 

Lors  parut  un  autre  tableau  au  lieu  du  premier,  où  le  même  château  de  Bicestre 
était  ombragé  d'une  nuit  qui  n'avait  pas  d'autre  clarté  que  celle  d'un  démon  qui  sor- 
tait tout  en  feu  de  la  plus  haute  de  ses  fenêtres.  Le  sieur  Moulinié  (2)  vêtu  de  gaze 
noire  parsemée  d'étoiles  fit  l'ouverture  de  cette  nuit  par  un  chant  lugubre  auquel  suc- 
céda un  excellent  concert  de  luth. 

Puis  se  présente  un  magicien,  avec  la  sotane  de  satin  incarnat,  la  robe  de  satin, 
noire,  couvert  de  passement  d'argent,  tenant  en  sa  main  une  baguette  d'ébène  garnie 
d'un  bout  d'argent  dont  il  frappait  en  dansant  son  livre  de  magie,  c'était  le  sieur 
Marais  (3).  A  ses  charmes  sautent  en  place  quatre  lutins  vêtus  de  satin  noir  et  coiffés 
de  plumes  noires  et  grises.  Cinq  fantômes  leur. succèdent  tous  couverts  de  lames  d'or 
coupées  en  oripeaux,  dont  le  cliquetis  n'était  point  si  effroyable  qu'il  n'y  eut  des  dames 
en  la  troupe  qui  témoignaient  par  le  contentement  ce  que  d'autres,  moins  scrupu- 
leuses, dirent  tout  haut  ;  qu'elles  ne  s'en  pourraient  fuir  devant  ces  fantômes. 

Trois  faux  monnayeurs  se  mettent  après  sur  les  rangs,  ayant  leurs  habits  cha- 
marrés de  pièces  fausses,  et  les  mains  garnies  de  cisailles,  tenailles  et  marteaux,  exer- 
çant leur  métier  en  trop  bonne  compagnie,  pour  ne  pas  vouloir  être  pris  comme  ils  le 
furent  par  trois  archers,  vêtus  de  satin  vert  sous  leur  casaque.  Ils  furent  bientôt  suivis 
des  sieurs  Parade  et  Enaut  représentant  le  juge  et  son  greffier  vêtus  de  satin  noir  et  la 
toque  sur  la  tête.  Trois  sergents  finirent  les  entrées. 

Puis  la  musique  du  roi  se  fit  entendre,  laquelle  fut  formée  par  le  grand  ballet 
dansé  aux  pieds  de  S.  M. 

Et  comme  la  fortune  aux  grands  desseins  se  fait  volontiers  de  la  partie,  il  s'y  ren- 
contra plus  d'accidents  qu'on  n'en  avait  voulu  représenter,  car  il  y  eut  une  enseigne 
et  autres  choses  perdues  jusques  à  la  valeur  de  15.000  écus  (200.000  francs).  Une 
comtesse  y  accoucha.  Pour  faire  place  il  fallut  employer  quelques  descendants  de  Hal- 
lebarde qui  n'étaient  point  du  ballet  ». 


Le  spectacle  de  ce  divertissement  musical  ne  décida  point  Corneille  à  entre- 
prendre d'autres  œuvres  du  même  genre.  Il  fallut  les  représentations  dramatiques  de 
rOrfec  de  Rossi,  quinze  ans  plus  tard  (1647)  pour  l'entraîner  encore  vers  ce  lyrisme 
qu'il  n'aimait  guère.  En  1650  parut  sur  le  théâtre  du  Petit  Bourbon  \' Andromède  (4), 
jouée  par  la  troupe  du  Marais.  La  musique  était  de  Dassoucy,  et  les  décorations  de 


(1)  Verpré,  le  danseur,  était  aussi  musicien  comme  presque  tous  les  chorégraphes  qui  paraissent  dans 
ces  ballets.  On  trouve  une  œuvre  de  lui  dans  le  vol.  I  de  la  collection  Philidor  (Bibliothèque  du  Conserva- 
toire. 

(2)  Il  y  avait  deux  frères  de  ce  nom  :  11  s'agit  ici  non  du  compositeur,  mais  du  chanteur  Antoine  M., 
basse  de  la  musique  royale. 

(3)  Ce  danseur  fréquemment  mêlé  aux  ballets  de  cette  époque  pourrait  être  l'ancêtre  de  Marin  Marais, 
le  violiste  de  Louis  XIV. 

(4)  Malheureusement  la  musique  d'Andromède  par  Dassoucy  ne  nous  est  parvenue  qu'à  l'état  de  frag- 
ments. Elle  se  trouve  dans  les  Airs  à  quatre  parties  de  Dassoucy.  (Ballard  1653)  dont  on  ne  connaît  que  la 
taille  et  la  basse  (Bib.  Nat.  Rés.  Vm.  7  N"  275.) 


--  411  — 

l'Italien  Torelli.  L'infortuné  Dassoucy,  sorte  de  Glatigny  du  xvii*  siècle,  fils  de  famille, 
joueur  de  luth,  poète  burlesque,  compositeur,  théologien  même,  promenait  ses 
mœurs  suspectes  de  Rome  à  Londres  en  passant  par  Paris.  Il  trouva  cette  fois,  non 
point  seulement  des  lecteurs  comme  le  remarque  Boileau,  mais  des  auditeurs.  La  pièce 
réussit  et  en  1682,  lorsque  Lully  et  Quinaut  s'emparèrent  du  même  sujet,  les  comé- 
diens français  ne  manquèrent  pas  de  faire  pièce  à  l'Opéra  en  remettant  en  scène  la 
tragédie  de  Corneille,  dont  ils  confièrent  la  partie  musicale  à  Marc  Antoine  Char- 
pentier (i). 

Cette  fois  ce  n'était  plus  un  ballet,  mais  une  véritable  tragédie  lyrique  où  Cor- 
neille s'essayait,  et  la  première  en  ce  genre  qui  ait  été  écrite  en  France.  Corneille  est 
en  effet  ici  tout  à  fait  un  précurseur.  Ne  confondons  point  son  Andromède  avec  les 
tentatives  que  vont  bientôt  réaliser  Cambert,  Perrin,  et  Boesset.  La  Pastorale  d'Yssy, 
la  Mort  d'Adonis,  et  Pomone  même  sont  en  réalité  des  Cantates  d'orchestre.  Leur 
place  est  au  concert  ;  leur  nouveauté  c'est  d'avoir  présenté  au  public  un  texte  fran- 
çais entièrement  revêtu  de  musique,  et  d'avoir  sacrifié  le  drame  à  cette  musique. 
Andromède  reste  au  contraire  et  avant  tout  une  tragédie,  c'est-à-dire  une  œuvre  que 
l'action  dramatique  soutient  et  anime.  Qu'on  en  juge  par  ce  scénario  : 

Nous  sommes  en  Ethiopie  sous  le  règne  de  Cephée  et  de  Cassiope.  Andromède 
leur  fille  est  fiancée  au  prince  Phinée.  Or  les  néréides  de  ces  rives  mythologiques 
jalousent  les  beautés  de  la  jeune  Andromède,  et  Cassiope  dans  un  élan  d'orgueil 
maternel  a  l'imprudence  de  railler  cette  envie.  D'où  apparition  d'un  monstre  qui  exige 
un  tribut  de  jeunes  filles.  Lamentations  et  prières. 

Cependant  Vénus  se  montre  tout  à  coup  et  déclare  les  dieux  apaisés.  Andromède 
épousera  un  héros  digne  d'elle.  Joie,  tumulte,  tendresse. 

Mais  voici  que  le  destin  jaloux  choisit  au  même  moment  Andromède  elle-même 
pour  être  livrée  au  monstre.  Qu'est-ce  à  dire?  Indignation  générale.  Feux  et  ton- 
nerre !  Grande  tempête  déchaînée  pendant  laquelle  les  éléments  enlèvent  la  princesse 
et  la  vont  transporter  au  pied  d'un  roc  où  le  monstre  l'atteindra.  C'est  ici  le  nœud  de 
l'intrigue. 

En  voici  le  dénouement.  Persée  qui  villégiaturait  à  la  cour  d'Ethiopie,  intervient 
en  faveur  d'Andromède,  qu'il  aime  en  secret.  11  dispose  de  Pégase  et  de  la  tête  de 
Méduse  ;  il  est  fils  de  Jupiter.  Que  faut-il  de  plus  ?  Le  monstre  est  tué.  Allégresse, 
sacrifices  ! 

Toutefois  Phrinée,  le  fiancé  éconduit,  n'entend  point  que  les  choses  se  terminent 
ainsi.  En  véritable  d'Artagnan,  il  réunit  ses  partisans  et  cherche  querelle  à  Persée. 
Celui-ci  triomphe  naturellement.  Les  dieux  descendent  sur  la  terre,  et  emmènent 
princes  et  princesses  célébrer  dans  l'Olympe  des  noces  héroïques.  Le  peuple  applaudit, 
heureux  sans  doute  d'être  délivré  de  souverains  aussi  conmpromettants  et  qu'il  pré- 
fère adorer  de  loin  sous  forme  de  constellations  célestes. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  le  décor  et  l'action  extérieure  qui  s'imposent  ici  à  notre 
attention,  mais  encore  les  mouvements  d'une  passion  très  vivace.  Toute  l'intrigue  naît 
d'une  rivalité  féminine  et  se  développe  grâce  au  conflit  naturel  des  sentiments.  Dieux, 
demi-dieux  et  mortels  luttent  d'entêtement  et  d'orgueil,  et  souvent  avec  une  naïveté 
véritablement  touchante.  Vénus  agit  par  haine  de  junon,  celle-ci  gagne  à  sa  cause 
Pluton  et  Neptune,  et  il  semble  que  le  ciel  et  la  terre  vont  se  livrer  quelque  combat 


(2)  Cette  partition  existe   dans   les  mss.  de  Charpentier  vol.  28  (Bib.  Nat.  Vml   1138^  ,  Charpentier  a 
d'autre  part  écrit  une  Ouverture  pour  Polyeucte,  (itî.  vol.  17.) 


—   412    — 

gigantesque.  Un  vent  de/ronderie  souffle  sur  toute  cette  œuvre,  et  certaine  outrance  de 
Phrinée  est  vraiment  émouvante  : 

Quelle  crainte  après  tout  me  pourrait  y  résoudre^ 
S'ils  m'ôtent  Andromède  ont-ils  quelque  autre  foudre  ? 
Il  n'est  plus  de  respect  qui  puisse  rien  sur  moi, 
Andromède  est  mon  sort  et  mes  dieux  et  mon  roi.  (735) 

«  Ici,  ajoute  le  livret,  le  tonnerre  commence  à  rouler  avec  un  si  grand  bruit,  et 
accompagné  d'éclairs  redoublés  avec  tant  de  promptitude,  que  cette  feinte  donne  de 
répouvante  aussi  bien  que  de  l'admiration,  tant  elle  approche  du  naturel.  » 

Mais  que  devient  la  musique  en  tout  ceci  ?  Corneille  lui-même  nous  en  avertit  : 
«  Je  ne  l'ai  employée,  écrit-il,  qu'à  satisfaire  les  oreilles  tandis  que  les  yeux  sont 
arrestés  à  voir  descendre  ou  remonter  les  machines,  ou  s'attachent  à  quelque  chose  qui 
les  empêche  de  prêter  attention  à  ce  que  pourraient  dire  les  acteurs....  Mais  je  me  suis 
bien  gardé  de  rien  faire  chanter  qui  fut  nécessaire  à  l'intelligence  de  la  pièce,  parce 
que  communément  les  paroles  qui  se  chantent  estant  mal  entendues  des  auditeurs, 
pour  la  confusion  des  voix  qui  les  prononcent  ensemble,  elles  auraient  fait  une  grande 
obscurité  dans  le  corps  de  l'ouvrage  si  elles  avaient  eu  à  instruire  l'auditeur  de  quelque 
chose  d'important.  » 

C'est-à-dire  :  la  musique  est  réservée  pour  les  instants  où  l'esprit  de  l'auditeur 
obtient  quelque  répit.  Elle  participe  à  la  décoration  et  tient  auprès  des  oreilles  le  rôle 
que  les  machines  occupent  devant  les  yeux.  Avec  un  sentiment  très  juste  de  l'idéal 
qu'il  a  sans  cesse  défendu,  Corneille  se  garde  de  mêler  ses  héros  directement  à  la  mu- 
sique pour  laquelle  ils  ne  sont  point  faits.  11  confie  la  partie  lyrique  de  son  œuvre  aux 
voix  anonymes  des  chœurs  et  de  l'orchestre  et  lui  donne  pour  mission  de  créer  autour 
du  drame  une  atmosphère  qui  nous  dispose  à  l'émotion.  La  musique  dans  ^Andromède 
prévient  ou  prolonge  les  sentiments  que  l'action  fait  naître.  Son  intervention,  soit 
avant,  soit  après  les  scènes  récitées,  semble  calculée  pour  aviver  nos  impressions,  ou 
tout  au  moins  nous  maintenir  en  haleine.  Elle  ne  tient  pas  la  première  place,  elle  n'y 
prétend  pas  ;  mais  elle  sait  se  rendre  indispensable  à  l'équilibre  de  la  tragédie.  On  ne 
saurait  la  supprimer,  comme  on  pourrait  le  faire  de  ces  sonorités  accessoires  qui 
accompagnent  parfois  nos  drames.  Mais  elle  n'est  jamais  tyrannique.  Andromède  n'est 
ni  un  opéra  ni  un  mélodrame.  Ce  n'est  ni  à  Lully,  ni  à  Benda  que  nous  songeons,  en 
suivant  les  indications  de  Corneille  réalisées  par  Charpentier,  mais  à  notre  opéra-co- 
mique du  xviii''  siècle,  au  Déserteur  ou  aux  Deux  journées.  Guidé  par  un  instinct  très 
français  et  bien  logique  après  tout,  l'auteur  à.' Andromède  a  pensé  que  la  musique  et 
l'action  pouvaient  se  prêter  un  mutuel  appui  lorsqu'ils  sentaient  la  nécessité  de  cette 
union,  et  se  dissocier  dès  qu'ils  ne  pouvaient  plus  s'entendre.  C'est  là  un  compromis, 
il  est  vrai,  mais  si  naturel!  Au  début  des  actes,  et  dans  les  moments  où  l'action  est 
muette  l'orchestre  intervient,  et  nous  avons  ainsi  :  une  Ouverture,  un  Prélude  «  pen- 
dant que  Melpomène  vole  dans  le  char  d'Appolon  »,  une  «  Tempeste  »,  et  plusieurs 
intermèdes  dont  un  «  Caprice  »  et  une  «  Gigue  angloise  ».  Les  chœurs  sont  nombreux 
et  leur  lyrisme  aide  réellement  à  l'expression  de  la  tragédie.  Quelquefois  un  ou  deux 
choristes  se  détachent  et  chantent  quelques  vers,  afin  de  rompre  la  monotonie  des  en- 
sembles trop  fréquents. 

(A  suivre).  Jules  ÉCORCHEVILLE. 


—  413  — 

ERRATUM 


Par  suite  d'un  retard  postal  dans  l'envoi  des  épreuves  corrigées,  quelques  erreurs 
typographiques  sont  restées  dans  l'article  de  M.  André  Pirro,  les  Années  de  jeunesse  de 
J.-S.  Bach,  publié  dans  notre  dernier  numéro.  Bien  que  nous  puissions  compter  sur  la 
sagacité  de  nos  lecteurs  pour  en  avoir  rectifié  spontanément  la  plupart,  nous  tenons  à 
signaler  ici  les  plus  graves  de  ces  fautes  : 

P,  375,  1.  25  au  lieu  de  Nettenchor  lire  Metteuchor  ;  1.  34  au  lieu  de  Mtchaelo,  Mi- 
chaelis  ;  note  4,  au  lieu  de  Junghaus,  Junghans\  p.  376,  ligne  6,  au  lieu  de  Briegels, 
Briegel  5  note,  au  lieu  de  Porteuse,  Porteuse;  p.  377,  ligne  35,  avant  Wasserflûssen, 
lirç  An  ;  p.  378,  1,  ïj,  au  lieu  de  Nizler,  Mizler  \  1.  27,  au  lieu  de  /S6p,  1689  ;  1.  29,  au 
lieu  de  Gandon,  Gaudon  ;  notes,  au  lieu  de  Horrie  de  Beaucaire,  Horric  de  Beaucaire  ; 
p.  379,  1.  7,  au  lieu  de  Musurzia  universales,  Musurgia  Universalis. 


A.    rOpéi:»a.-GoixiLic[Tj.e 


LE     CLOS 

Paroles  de  M.  Michel  CARRÉ.  —  Musique  de  M.  Charles  SILVER 


Au  début  de  cette  œuvre,  tirée  d'un  roman  bien  oublié  d'Amédée  Achard,  lors- 
qu'il nous  fut  raconté  des  histoires  de  vieux  grippe-sou  entre  deux  refrains  plus  vul- 
gaires que  populaires  qui  s'efforcent  à  la  gaîté,  quand  nous  vîmes  sur  la  tête  des 
paysannes  la  tour  penchée  de  la  haute  coiffe  normande,  et  lorsqu'enfin  nous  aperçûmes 
une  espèce  de  Serpolette  à  califourchon  sur  le  cheval  blanc  de  son  maître,  on  nous 
pardonnera  si  nous  avons  pu  croire  que  les  Cloches  de  Corneville  allaient  se  mettre  à 
sonner  encore  à  nos  oreilles  rebattues  de  leur  carillon.  La  ressemblance  se  bornait 
heureusement  à  ce  pittoresque  facile,  et  l'affaire  ne  tarda  pas  à  prendre  des  couleurs 
plus  sombres  en  se  transformant  en  un  drame  que  réclamerait  l'Ambigu,  si  le  dénoue- 
ment trop  imprévu  ne  devait  pas  déconcerter  une  clientèle  sensible  qui  n'aime  pas  à 
frissonner  pour  rien.  Il  faut  que  les  coups  de  feu  y  fassent  au  moins  une  victime.  Les 
ratés  ne  sont  pas  admis. 

En  peu  de  mots,  voici  l'aventure.  Pierre  Hennebaut,  un  riche  fermier,  aime  Gene- 
viève, la  fille  de  Gervais,  humble  et  pauvre  garde-champêtre,  et  la  demande  en  ma- 
riage à  son  père  qui  la  refuse,  parce  qu'elle  est  promise  au  marin  }ean-Simon.  Furieux, 
Pierre  assez  vilainement  jure  de  se  venger.  La  chose  lui  est  facile.  Le  père  Hennebaut, 
un  vieil  et  dur  avare,  est  créancier  de  Gervais.  Il  le  pousuivra  en  justice  et  ses  biens 
seront  vendus.  On  va  chasser  du  Clos  le  pauvre  homme  qui  regrette  avec  sa  chaumière 
tous  les  souvenirs  heureux  qu'elle  renferme.  Devant  le  désespoir  de  Gervais, 
Jean  Simon,  qui  comprend  que  son  départ  peut  seul  apaiser  la  rancune  de  Pierre 
Hennebaut,  se  sacrifie  et  conseille  à  Geneviève  d'épouser  Pierre  pour  assurer  le  repos 
des  derniers  jours  de  son  vieux  père.  Pierre  a  entendu  ces  paroles  et  fait  à  Jean  Simon 
le  serment  de  rendre  heureuse  Geneviève.  Jean  Simon  la  quitte  le  cœur  déchiré.  Gene- 
viève est  maintenant  la  femme  de  Pierre  qui  l'adore  et  à  qi\i  elle  ne  peut  rendre  qu'une 
froide  amitié.  Elle  pense  toujours  à  Jean  Simon.  La  maison  est  triste  quand  le  sourire 
de  l'épouse  ne  l'ensoleille  jamais.  Regret  d'un  côté,  crainte  de  l'autre  dans  ce  ménage 


—  414  — 

sans  enfant.  La  crainte  du  mari  se  change  bientôt  en  fureur,  lorsqu^il  apprend  le  retour 
de  Jean  Simon,  le  soir  même  où,  pour  un  pieux  pèlerinage,  Geneviève  désire  aller 
seule  au  Clos,  l'antique  chaumière  où  son  père  est  mort.  N'est-ce  pas  plutôt  un  ren- 
dez-vous ?  Armé  de  son  fusil,  Pierre  y  précède  les  deux  amants  pour  les  surveiller  et 
surprendre  leurs  propos.  Il  s'enferme  dans  la  masure.  Geneviève  arrive  au  Clos  où  est 
venu  rêver  le  malheureux  et  toujours  amoureux  Jean  Simon.  En  voyant  Geneviève  il 
lui  rappelle  leur  ancienne  tendresse  à  laquelle  elle  va  peut-être  se  laisser  aller,  quand 
un  coup  de  feu  retentit  dans  la  chaumière.  Elle  a  compris,  Pierre  qui  les  a  entendus 
vient  de  se  tuer.  Elle  repousse  alors  Jean  Simon  qui  s'enfuit  cette  fois  pour  jamais,  et 
tout  son  cœur  appartient  brusquement  au  mari  qui  s'est  frappé  pour  elle.  Geneviève 
appelle  au  secours  ;  on  enfonce  la  porte,  ce  qui  est  bien  inutile,  puisque  Pierre  sort 
souriant  de  la  maison.  Ce  n'était  là  qu'une  épreuve  pour  conquérir  l'amour  de  sa 
femme.  Et  ainsi  finit  le  drame  en  comédie  ou  plutôt  en  farce.  Mesdames,  méfiez-vous 
désormais  du  coup  du  suicide.  Avant  de  chasser  l'amant,  assurez-vous  bien  que  le 
mari  est  mort.  A  l'Opéra-Comique  ce  dénouement  a  fait  sourire.  A  l'Ambigu,  dont  ce 
drame  était  digne,  le  public  aurait  été  moins  indulgent,  et  du  haut  des  galeries  supé- 
rieures où  l'on  proclame  facilement  son  opinion,  quelque  spectatrice,  désappointée 
d'avoir  trop  tôt  pleuré  un  cadavre,  aurait  peut-être  laissé  tomber  cette  exclamation 
vengeresse  :  «  Ah  !  le  chameau,  ce  n'était  que  du  chiqué  !  » 

Si  dans  ses  hésitations  sentimentales  le  personnage  de  Geneviève  manque  de 
caractère,  la  musique  de  M.  Charles  Silver  n'en  manifeste  pas  davantage.  C'est  de 
l'opéra-comique  sans  en  être,  et  son  inspiration  rétrograde,  coulée  dans  les  moules 
anciens,  marche  vers  des  cadences  auxquelles  elle  se  dérobe  avant  la  tonique  par  un 
souci  de  modernisme  qui  n'est  pas  du  tout  dans  son  tempérament.  Au  demeurant 
c'est  une  œuvre  aimable  qui  contient  quelques  jolies  pages,  mais  qui  manque  d'équi- 
libre dans  les  moyens.  Sous  prétexte  de  couleur  locale  on  y  a  plaqué  des  chansons 
plus  ou  moins  rustiques  sans  originalité  de  rythme  et  sans  poésie  d'accent.  Souvent 
la  grandiloquence  lyrique  est  en  disproportion  avec  le  peu  d'intérêt  des  sentiments  de 
ces  personnages  qui  voudraient  se  hausser  à  des  héroïsmes  à  la  Corneille  et  qui,  pour 
en  donner  l'illusion,  crient  comme  des  corneilles  qui  abattent  des  noix,  ou  plutôt  des 
pommes,  car  nous  sommes  au  pays  du  cidre. 

M.  Luigini  et  son  orchestre  ont  mené  la  partition  avec  une  remarquable  cons- 
cience de  leur  devoir  d'interprète.  Mme  Marie  Thiery,  Geneviève,  a  dû,  pour  le  dra- 
matiser, forcer  et  grossir  par  endroit  le  timbre  d'une  jolie  voix  dont  la  grande  qua- 
lité est  le  charme  pur.  M.  Clément  a  été  un  Jean-Simon  très  convaincu.  11  eut  de 
superbes  notes  généreuses.  M.  Dufranne,  le  riche  fermier,  le  mari  roublard,  donna 
libre  carrière  à  son  beau  talent  de  comédien  et  de  chanteur.  Dans  les  petits  rôles  il 
faut  citer  Mme  Dangès,  MM.  Vieuille  et  Cazeneuve.  N'oublions  pas  le  nocturne  décor 
des  pommiers  sous  la  lune,  et  nous  aurons  jusqu'à  l'exercice  prochain  tout  dit  cette 
année  sur  l'Opéra-Comique  où,  avec  l'esprit  du  hasard  et  des  circonstances,  M.  Albert 
Carré  termine  la  saison  par  le  Clos. 

Victor  DEBAY. 


—  415  — 
A.     l'Opéra 


La    Gloire    de   Corneille 


Il  est  peu  d'exemples  qu'une  Cantate  composée  pour  la  glorification  d'un 
génie,  fut-elle  écrite  par  un  grand  musicien,  ait  mérité  de  passer  à  la  postérité. 
Celle  que  M.  Saint-Saëns  vient  de  faire  entendre  à  l'Opéra  et  dont  Corneille  était 
le  héros,  n'a  pas  fait  exception  à  cette  règle.  Je  ne  puis  dissimuler  l'impression 
de  tristesse  que  m'a  laissée  l'audition  de  cette  musique  plate,  vide  et  bruyante  qu'exé- 
cutèrent froidement  l'orchestre  à  sa  place  ordinaire  et  sur  la  scène  les  solistes  et  les 
chœurs  en  gradins,  couronnés  par  des  rangées  de  cuivres  qui  écrasèrent  le  tout  de  leur 
fracas  assourdissant.  Je  ne  sais  ce  qu'en  pensent  les  poètes  et  les  compositeurs  réunis 
jadis  par  \e  Journal  pour  désigner  celui  dont  la  Lyre  célébrerait  notre  grand  tragédien, 
mais  le  silence  de  la  presse,  y  compris  le  journal  promoteur  de  cette  élection,  et,  après 
toute  la  réclame  préliminaire,  la  façon  modeste  dont  fut  annoncée  et  représentée  cette 
cantate,  sont  assez  significatives. Aussi  comment  pouvait-on  faire  chanter  le  poème  de 
M..  Sébastien  Leconte  qui  se  borna,  entre  deux  ou  trois  pauvres  strophes  de  son  cru, 
à  découper  dans  les  tragédies  de  Corneille  des  fragments  aussi  peu  propres  que  pos- 
sible à  être  mis  en  musique.  Si  j'en  excepte  les  stances  de  Polyencte  dont  M.  Saint- 
Saëns  a  donné  une  assez  belle  déclamation  soutenue  par  les  sons  religieux  de  l'orgue, 
que  voulie;(-vous  qu'il  fit  contre  trois  morceaux  tirés  du  Cid,  de  Cinna  et  d'Horace  desti- 
nés à  illustrer  lyriquement  les  principaux  personnages  des  grandes  actions  qui  nous 
sont  chères.  Leurs  vers,  avec  leur  coupe  régulière,  ne  se  prêtaient  pas  à  l'inspiration 
du  musicien,  et  M.  Saint-Saëns,  malgré  tout  son  talent,  l'a  fort  bien  prouvé  dans  le 
duo  du  Cid,  dans  le  récit  d'Auguste  et  surtout  dans  les  imprécations  de  Camille, 
œuvre  de  jeunesse  que  nous  fûmes  tout  étonnés  de  retrouver  dans  ce  cortège  où  d'ail- 
leurs elle  ne  formait  pas  disparate.  Toute  cette  pompe  ne  fit  qu'un  vain  bruit  dont  rien 
ne  restera  que  le  souvenir  d'une  erreur  dans  l'esprit  des  rares  critiques  qui  l'entendi- 
rent. J'estime  que  l'aéropage  réuni  à  grand  orchestre  par  le  Journal  joua  à  M.  Saint- 
Saëns  un  assez  vilain  tour  en  l'appelant  à  l'honneur  d'écrire  la  musique  d'un  poème 
qu'aucun  des  compositeurs-électeurs  n'aurait  accepté,  et  je  souhaite  à  M.  Saint-Saëns 
que  plus  tard,  dans  de  longues  années,  lorsqu'il  s'agira  de  célébrer  sa  gloire,  nos 
petits-fils  sachent  faire  un  choix  plus  judicieux  dans  l'œuvre  superbe  qu'il  aura  légué 
à  l'admiration  de  l'avenir. 

Victor  DEBAY. 

La  Quinzaine  musicale 

Les  Coi)cert5  ron)ai)tique5  de  M.  Alfred  Cortot 


La  saison  musicale  s'est  prolongée  cette  année  plus  que  de  coutume  ;  M.  Alfred 
Cortot  lui  a  fait  une  péroraison  magnifique  avec  ses  trois  concerts  de  piano,  à  la  salle 
Pleyel,  les  18  et  25  mai  et  le  8  juin,  consacrés  le  premier  à  Chopin,  le  second  à 
Schumann,  le  dernier  à  Liszt.  Par  suite  d'un  malentendu  je  n'ai  pas  assisté  à  la  séance 
Chopin  et  je  le  regrette  doublement,  parce  que  j'ai  été  privé  d'applaudir  les  24 
Préludes  qui  furent,  m'a-t-on  dit,  interprétés  avec  une  poésie  et  une  puissance  incom- 


—  4i6  — 

parable  par  le  jeune  pianiste  et  aussi  parce  que  je  ne  puis  en  parler  aujourd'hui,  ne 
jouissant  pas,  hélas  !  du  privilège  des  bons  objectivistes  qui  raisonnent  tranquillement 
sur  des  œuvres  sans  les  avoir  entendues...  Sept  Mélodies  de  Chopin,  chantées  par  la 
très  remarquable  artiste  qu'est  Mme  Jane  Bathori,  complétaient  avec  la  Sonate  en  si 
mineur,  le  programme  de  cette  première  soirée. 

J'ai  été  plus  heureux  pour  la  séance  de  Schumann.  M.  Cortot  s'y  est  montré  vrai- 
ment grand  par  la  profondeur,  l'émotion  et  l'extraordinaire  variété  de  son  jeu. 
Comme  soliste  il  avait  choisi  les  Etudes  en  forme  de  Variations,  les  Scènes  d'Enfants  et  le 
Carnaval,  Avec  MM.  Jacques  Thibaud  et  Pablo  Casais,  partenaires  incomparables,  il 
fît  entendre  le  Trio  en  ré  mineur,  œuvre  toute  d'élan  et  de  généreuse  inspiration,  où 
galope  l'un  des  scherzos  les  plus  épiques  qui  soit  jamais  sorti  d'une  plume  musicale. 
11  ne  s'agit  pas  ici  de  découvrir  le  maître  de  Zwickau.  Au  moment  ou  Camille 
Mauclair,  dans  son  volume  de  la  Collection  Laurens,  vient  de  parler  avec  tant  de  ten- 
dresse de  cette  «  musique  d'aveu  »,  il  y  aurait  quelque  présomption  à  chercher  Une 
définition  meilleure  du  génie  de  Schumann.  A  vrai  dire,  si  l'on  ne  tient  pas  compte 
de  la  liberté  des  formes,  Schumann  aujourd'hui  nous  apparaît  à  peine  romantique.  11 
appartient  à  la  lignée  des  génies  raciniens  et  l'infinie  délicatesse  de  son  cœur  fait  ou- 
blier ce  qu'il  y  a  de  fantaisiste  dans  sa  verve  et  dans  son  éloquence  un  peu  angoissée. 
M.  Cortot  a  merveilleusement  mis  en  lumière  tous  les  côtés  de  ce  génie  par  la  discré- 
tion parfaite  d'une  interprétation,  où  toute  la  chaleur  concentrée  d'un  tempérament 
de  feu  se  tempère  d'une  urbanité  si  exquise.  Pour  atteindre  un  tel  résultat  et  donner 
aux  Scènes  d'enfants  et  au  Carnaval,  par  exemple,  leur  véritable  grandeur,  il  ne  faut 
rien  moins  que  cette  variété  de  jeu  dont  je  parlais  tout  à  l'heure.  Le  premier  élément 
qui,  dans  un  tableau,  frappe  les  personnes  habituées  à  regarder  de  la  peinture  et  leur 
permet  d'en  reconnaître  l'auteur,  c'est  la  touche,  la  pâte,  ici  mince  et  nerveuse,  là 
grasse  et  opulente,  lisse  chez  celui-ci,  rugueuse  chez  cet  autre,  coulante  dans  telle 
école  et  presque  sèche  ailleurs.  S'il  est  permis  de  comparer  le  travail  de  la  main  sur  le 
clavier  et  sur  la  toile,  M.  Cortot  se  singularise  entre  tous  les  pianistes  par  l'extraordi- 
naire diversité  de  ses  touches.  En  une  minute  il  sait  être  brutal  ou  caressant,  envelop- 
pant ou  aride,  léger  jusqu'à  la  transparence,  évasif  à  force  de  souplesse,  agressif  dans 
sa  dureté.  Tous  les  bons  pianistes,  dira-t-on,  sont  plus  ou  moins  coutumiers  de  telles 
métamorphoses;  lui  l'est  plus,  beaucoup  plus  !... 

Ceci  ne  forme  d'ailleurs  que  le  côté  purement  technique,  le  côté  physiologique  de 
son  talent,  toujours  enveloppé  dans  une  gaîne  d'apparenté  impassibilité.  Ce  qui  en 
constitue  le  côté  psychique  et  pour  ainsi  dire  spirituel,  c'est  l'intelligence  et  la  flamme. 
On  ne  peut  décrire  ces  dons  lumineux;  on  ne  peut  même  les  analyser  ;  on  les  subit  et 
quand  on  se  rappelle  leurs  effets  entraînants,  l'ardeur  du  souvenir  exalte  le  lyrisme. 
Réfrénons  pourtant  ces  sortes  d'admirations.  11  y  a  pudeur  et  prudence  à  les  taire, 
lorsqu'il  s'agit  d'un  grand  artiste  et  qu'il  est  notre  ami.  Le  monde,  le  monde  des 
musiciens  si  ombrageux  surtout,  est  peu  clément  aux  enthousiasmes  rétrospectifs.  Sur 
l'heure,  il  les  partage  nécessairement,  d'une  façon  réflexe.  Après  coup  il  y  met  une 
sourdine  et  rien  n'est  dangereux  pour  le  triomphateur  comme  les  torches  qui  demeurent 
flambantes,  passé  le  triomphe.  Il  en  faut  cependant  tirer  une  dernière  étincelle  avant 
de  les  éteindre,  et  quand  un  artiste,  supérieur  par  le  sentiment  et  l'esprit,  vient  de 
s'affirmer  d'une  façon  définitive,  il  serait  lâche  de  ne  pas  le  crier  longternps,  dans  tout 
l'éclat  de  la  joie  dont  il  nous  combla. 

...  Je  viens  de  faire  le  romantique,  en  omettant  de  mesurer  la  longueur  de  cet 
article  ;  la  place  me  manque  pour  parler  comme  il  siérait  de  la  séance  Liszt,  Le 
Concerto  en  ml  bémol  mjj'eur,  la  Sonate  en  si  mineur, CQ  drame  qui  nous  laisse  pantelants, 
la  Deuxième  %hapsodie  hongroise,  où  des  éclairs  de   soleil  fulgurent   sur  l'acier  dés 


—  417  — 

lames  héroïques,  sont  de  ces  amoncellements  de  richesses  qui  exigeraient,  pour  être 
décrites  dignement,  l'exubérance  verbale  d'un  Hugo.  Jusqu'à  ce  jour  je  n'avais  pas 
saisi  l'étrange  et  folle  grandeur  de  ce  maître  trop  longtemps  méconnu.  Le  8  juin  j'ai 
eu  le  bonheur  de  voir  mon  Panthéon  musical  s'enrichir  d'une  divinité,  et  le  bon  sou- 
venir de  cette  date,  je  le  devrai  au  pianiste  qui  sut  atteindre  à  ce  que  M.  Catulle  Men- 
dès,  dans  son  romantisme  obstiné,  appelle  si  bien  «  le  légitime  excès  ». 

IVI.  Enesco,  musicien  merveilleusement  doué,  partagea  le  succès  de  M.  Cortot  en 
exécutant  au  second  piano,  avec  une  ardeur  superbe,  la  partie  d'orchestre  du  Concerto 
en  mi  bémol,  et  Mme  Adiny  fit  entendre,  dans  plusieurs  mélodies  de  Liszt,  toutes  inté- 
ressantes et  quelques-unes  exquises,  les  restes  d'une  voix  qui  tombe  et  d'une  ardeur 
qui  ne  s'éteint  pas  encore. 

Jean  d'UDINE. 

Concerts  Jacques  Thibaud.  —  Le  troisième  concert  Jacques  Thibaud  avait 
attiré  une  foule  considérable  au  Nouveau-Théâtre.  Le  célèbre  et  charmant  violoniste  a 
supérieurement  exécuté  le  si  joli  Concerto  en  fa  de  Lalo  et  une  œuvre  d'Eugène  Ysaye, 
Chant  d'Hiver,  imprégnée  des  plus  délicates  senteurs  musicales  modernes.  Très  re- 
marquablement écrite  et  orchestrée,  cette  page  nous  a  fait  oublier  ce  qu'est  en  général 
la  musique  de  virtuose.  D'ailleurs  Ysaye  n'est-il  pas  un  des  plus  grands  musiciens  que 
l'on  connaisse  .^  La  facilité,  l'élégance,  la  sûreté  et  la  maîtrise  incroyables  avec  laquelle 
il  a  dirigé  l'orchestre  Colonne  ce  soir-là,  le  prouve  surabondamment.  Sous  la  direction 
de  M.  Colonne,  le  Concerto  pour  deux  violons  de  Bach,  interprécé  par  MM.  Ysaye  et 
J.  Thibaud  nous  a  paru  un  des  points  culminants  de  l'art  de  la  composition  et  de  l'exé- 
cution. Ce  fut  grandiose  et  délicat,  majestueux  et  vibrant. 

R. 

Séances  Ysaye-Pugno.  —  La  séance  supplémentaire  donnée  par  MM.  Ysaye  et 
Pugno  a  été  le  digne  couronnement  de  la  copieuse  saison  musicale  igoç-1906.  L'in- 
terprétation des  Quintettes  de  Franck  et  de  Schumann,  pour  laquelle  MM.  Ten  Hâve, 
Denayer  et  J.  Salmon  s'étaient  joints  aux  éminents  artistes,  a  été  profonde  et  émou- 
vante. Peut-être  quelques  détails  d'exécution  proprement  dite,  auraient-ils  pu  prêter  à 
de  très  légères  critiques  ;  mais  une  chose  supérieure  à  l'impeccabilité  planait  sur  tous 
ce  soir-là  :  l'âme  de  Franck  et  l'âme  de  Schumann.  M.  Ysaye  dans  la  Sonate  en  sol 
mineur  de  Haendel  et  M.  Pugno  dans  celle  en  ré  mineur  de  Beethoven,  ont  déchaîné  les 
plus  enthousiastes  ovations. 

R. 

Concerts  Litvinne.  —  Mme  Félia  Litvinne  vient  de  nous  offrir  deux  program- 
mes très  attrayants  qu'elle  a  interprétés  avec  cet  art  incomparable  qui  fait  d'elle  une 
des  plus  grandes  cantatrices  de  notre  époque.  Sa  voix  merveilleuse,  sa  diction  très  nette, 
sa  compréhension  si  juste  sont  autant  de  qualités  tendant  vers  la  perfection.  Son  succès 
a  été  considérable.  Qu'il  nous  suffise  de  dire,  pour  donner  une  simple  idée  de  l'intérêt 
de  ces  concerts,  que  MM.  Saint-Saëns,  Diémer,  Capet,  Casella  et  Galeotti  prêtaient 
leur  concours  à  Mme  Litvinne. 

H. 

Société  J. -S.  Bach.  —  Ledernierconcert  delà  saison  maintient  cette  noble'Société 
au  niveau  artistique  qu'elle  a  atteint  si  rapidement.  Nous  y  avons  entendu  le  Concerto 
pour  quatre  ((  clavecins  »  rendu  par  les  fidèles  «  pianos  »  de  MM.  Casella,  Lortat-Jacob, 
Motte-Lacroix  et  Dupré  ;  la  Toccata  et  Fugue  en  ut  mineur  admirablement  exécutée 
par  M.  Casella;  la  Toccata  en  fa  par  l'éminent  organiste  Eugène  Gigout.  Un  vif  suc- 
cès de  plus  à  l'actif  de  M.  Bret,  le  distingué  directeur  de  la.  Société  Bach. 

F. 

L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  reporter  ail  prochain  numéro  de  nombreux 
comptes  rendus  de  concerts^  parmi  lesquels  la  Schola,  les  Concerts  J.  Niû,  Myez- 
Gmeiner,  ainsi  que  les  correspondances  de  Munich  et  d'Orléans,  etc. 


—  410  — 

Concerts    Divers 


Mlle  Achard.  —  Le  23  mai,  Mlle  Marguerite  Achard  donnait  à  la  salle  Erard  un 
concert  de  harpe,  où  elle  se  fit  entendre  au  milieu  de  ses  élèves.  L'excellent  violoniste 
Luquin  et  ses  partenaires  complétaient  la  séance  avec  un  quatuor  de  Grieg  et  un  qua- 
tuor de  Beethoven,  et  M.  Pierre  Achard,  frère  de  la  brillante  virtuose,  récita  des  frag- 
ments de  la  Nuit  de  Décembre  de  Musset  ingénieusement  adaptés  sur  l'adagio  de  la 
Sonate  en  ut  dièze  mineur,  que  Mlle  Achard  traduit  en  perfection  et  qui  retrouve  sur 
les  cordes  pincées  toute  sa  grandeur  d'antan  au  piano-forte.  Malheureusement  si  la 
harpe  Erard  est  un  instrument  admirable  entre  tous  par  la  rondeur,  la  plénitude  et  la 
finesse  de  son  timbre,  et  ;si  Mlle  Achard  en  joue  en  parfaite  musicienne,  le  répertoire 
moderne  de  la  harpe  est  singulièrement  restreint.  Sans  vouloir  critiquer  les  gracieux 
morceaux  de  sa  composition  ou  de  celle  de  son  maître  Hasselmans  que  nous  a  fait  en- 
tendre la  jeune  harpiste,  il  est  permis  de  regretter  que  son  beau  talent  ne  puisse  être 
mis  au  service  d'œuvres  moins  spécialement  destinées  à  faire  valoir  des  qualités  pure- 
ment techniques.  11  me  semble  que  la  musique  du  xviii^  siècle  et  du  premier  empire 
doit  renfermer  nombre  de  morceaux  admirablement  écrits  et  pensés  pour  cet  instru- 
ment qui  fut  alors  si  à  la  mode,  et  au  moment  où  le  public  cultivé  est  justement  friand 
de  toutes  les  oeuvres  antérieures  à  Beethoven,  je  crois  qu'il  y  aurait,  pour  une  harpiste 
du  mérite  de  Mlle  Achard,  les  éléments  d'un  réel  succès  à  faire  avec  la  vieille  littéra- 
ture de  harpe  ce  que  les  Casadesus  font  avec  la  littérature  de  violes  et  Mme  Landowska 
avec  celle  de  clavecin,  à  y  puiser  les  éléments  de  programmes  tout  neufs  dans  leur 
archaïsme  délicat.  J.  d'U. 

Soirée  Roger-Miclos.  —  Le  7  juin,  à  la  salle  Pleyel,  Mme  Roger-Miclos  et  le 
quatuor  vocal  Battaille  ont  donné  une  séance  très  intéressante  dans  son  éclectisme  un 
peu  large.  Au  moment  où  la  mode  est  aux  chapelles,  il  est  particulièrement  curieux 
d'entendre,  dans  la  même  soirée,  de  la  musique  de  Schumann,  de  Weber  et  de  Chopin, 
d'H,  Maréchal  et  de  Gh.  Lefebvre,  voire  de  Mme  Armande  Polignac.  La  leçon  que  pro- 
cure un  pareil  contraste  est  particulièrement  instructive  quand  les  interprètes,  et  c'était 
le  cas,  sont  parfaits.  Mais  j'ai  bien  peur  que  les  Etudes  symphoyiiques  de  Schumann 
jouées,  au  début  du  concert,  par  Mme  Roger-Miclos  avec  sa  virtuosité  coutumière  et 
dont  elle  interpréta  surtout  la  page  expressive  avec  beaucoup  de  charme,  aient  fait 
grand  tort  à  plus  d'un  numéro  suivant.  Entre  autres  morceaux,  joués  avec  un  vif 
succès  par  l'habile  pianiste,  citons  encore  le  Caprice  en  mi  mineur  de  Mendelssohn 
et  la  flambante  Polonaise  en  mi  bémol  de  Ghopin. 

Le  quatuor  vocal  Battaille,  composé  de  mesdames  Astruc-Doria  et  Olivier,  et  de 
MM.  Drouville  et  L.-Gh.  Battaille  est  arrivé  à  un  degré  de  fusion,  à  une  cohésion  et  à 
un  équilibre  qui  en  font  un  parfait  instrument  et  c'est  une  vraie  jouissance  de  l'entendre 
chanter,  quoiqu'il  chante,  pour  la  simple  séduction  de  sa  sonorité  et  de  ses  nuances 
délicates.  J'ai  particulièrement  goûté,  l'autre  soir,  trois  délicieux  quatuors  a  capella  de 
vieux  auteurs  inconnus,  un  joli  «Vers  les  Blés»  de  M.  Théodore  Dubois  et  la  char- 
mante inspiration  de  M.  P. -S.  Hérard  «  La  belle  s'en  fut  un  jour  »  impression  délicate- 
ment moyennâgeuse,  dont  je  prise  les  qualités  musicales  plus  que  la  tendance  un  peu 
mystique.  Il  faut  aussi  remercier  le  quatuor  Battaille  de  nous  avoir  montré,  en  chan- 
tant avec  une  bonne  volonté  admirable  le  quatuor  Destinée  de  Mme  A.  de  Polignac, 
jusqu'à  quelle  plate  extravagance  peut  mener  la  debussyte.  Infortunés  chanteurs  !  et 
pauvres  compositeurs  dans  le  «  mouvement»  !...  si  l'on  peut  appeler  mouvement  cette 
parfaite  indigence  de  rythme.  La  voilà  bien  la  musique  extatique  et  statique,  où  plus 
rien  ne  bouge  !  Ah  !  que  Mme  de  Polignac  avait  donc  raison  d'écrire  naguère  :  «  la 
plus  belle  des  musiques  n'est-elle  pas  encore  le  silence  ?  »  Fichtre  oui,  si  elle  pense  à  la 
sienne  !  Heureusement  il  y  a  encore  des  auteurs  vivants  et  vibrants,  et  le  quatuor 
Battaille  nous  l'a  montré,  en  clôturant  la  séance  par  quelques  pièces  a  capella  de  César 


—  419  — 

Gui,  d'une  belle  structure  symphonique  et  d'un  sentiment  chaleureux.  N'oublions  pas 
de  noter  que  M.  Pleyel  tint  en  perfection  l'Erard...  je  me  trompe  ;  que  M.  Hérard 
tint  en  perfection  le  Pleyel,  pour  accompagner  les  chanteurs,  dans  cette  soirée  aux 
impressions  multiples.  J.  d'U. 

M.  Laurence  Godfrey.  —  Elève  de  Leschetizky,  M.  Laurence  Godfrey  fait  hon- 
neur à  cette  belle  école.  Doué  d'un  mécanisme  accompli  il  joue  avec  un  juste  sentiment 
musical.  Son  interprétation  du  Carnaval  Mignon  de  Ed.  Schutt  a  été  très  spirituelle. 
M.  Godfrey  s'est  signalé  aussi  dans  la  Sonate  de  Grieg  dont  la  partie  de  violoncelle  était 
supérieurement  tenue  par  M.  L.  Fournier.  Gros  succès  pour  Mme  Fournier  de  Noce, 
parfaite  interprète  de  la  Belle  Meunière  de  Schubert. 

Le  27  mai  M.  Gigout  faisait  entendre  dans  l'atelier  du  statuaire  de  Laheudrie,  les 
élèves  de  sa  classe  d'orgue  avec  le  concours  des  élèves  de  l'école  de  chant  de  Mlle  Fanny 
Lépine.  Le  programme,  composé  d'œuvres  anciennes  et  modernes,  avait  attiré  une 
élégante  affluence  qui  s'est  vivement  intéressée  à  cette  manifestation  hautement  artis- 
tique. On  a  particulièrement  applaudi  pour  leur  exécution  magistrale,  tant  au 
piano  qu'à  l'orgue  Mlle  Gabrielle  Ziégler,  auteur  de  trois  transcriptions  pour 
le  piano  d'œuvres  de  Boellman,  Fauré  et  Gigout,  MM.  'William  Bastard  et  de  Montri- 
chard,  Paul  Pilot,  Albert  Hennion,  George  Edwards  et  Le  Brun  qui  ont  exécuté  des 
pièces  de  Bach,  Mendelssohn,  César  Franck,  Saint-Saëns,  un  Final  de  Ch.  Planchet 
et  une  Pièce  symphonique  de  notre  collaborateur  Paul  Locard.  M.  Gigout  avait  réservé 
à  ses  propres  compositions  une  trop  modeste  place.  Citons  un  Scherzo,  un  Cor- 
tège rustique  et  un  Interlude  pour  orgue  et  trois  Pièces  brèves  pour  piano  et  orgue, 
sans  oublier  la  célèbre  Toccata  transcrite  pour  piano  par  Mlle  Ziégler. 

La  mémoire  de  Boellmann  avait  reçu  par  contre  l'hommage  d'une  pieuse  commé- 
moration. Il  revivait  en  quelques-unes  de  ses  pages  les  plus  touchantes,  une  Romance 
en  la  jouée  avec  infiniment  de  charme,  ainsi  qu'un  Rondo  de  Beethoven  par  Mlle  Marie- 
Louise  Boellmann,  une  Fantaisie  pour  orgue  et  diverses  œuvres  vocales,  trois  mélodies, 
Conte  d'amour,  un  Rondel  a  deux  voix,  un  duo  le  Calme  et  deux  chœurs  le  Chant  du 
Ruisseau  et  Larmes  humaines  chantés  avec  l'art  et  le  sentiment  les  plus  délicats 
par  les  élèves  de  Mlle  Fanny  Lépine,  au  premier  rang  desquels  il  faut  placer  mesde- 
moiselles Jeanne  Berteaux  et  Marthe  Beïsson,  MM.  Guyot  et  Vernudachi,  sans  oublier 
les  chœurs. 

Cette  audition  a  été  un  nouveau  et  éclatant  succès  pour  l'enseignement  de  M.  Gigout 
dont  il  a  affirmé  la  triomphante  vitalité.  Nous  sommes  heureux  d'y  associerMUe  Fanny 
Lépine  dont  on  connaît  le  zèle  si  ardent  et  si  intelligent  pour  toutes  les  bonnes  causes 
artistiques. 

MM.  PiERRET  et  Enesco.  —  Au  cours  des  deux  séances  qu'ils  viennent  de  donner 
à  la  salle  Pleyel,  MM.  Pierret  et  Enesco  ont  exécuté  les  Sonates  en  la  de  Bach  ;  op.  30 
de  Beethoven,  op.  121  de  Schumann,  de  V.  d'Indy,  de  Fauré  et  de  Pierné.  Ce  serait 
un  peu  long  de  commenter  l'interprétation  de  chaque  morceau,  et  d'ailleurs  nous  ne 
pourrions  guère  que  décerner  de  nombreux  éloges.  Toutefois  il  ressort  de  cette  colla- 
boration que  plus  de  placidité  d'où  plus  de  majesté  ne  nuirait  en  rien  à  la  très  intéres- 
sante compréhension  de  ces  excellents  artistes.  E.  F. 

MM.  AuGiERAS  et  Pelet.  —  C'est  quelquetois  dans  les  plus  petites  salles  que  l'on 
entend  les  plus  grands  artistes  et  que  l'on  reçoit  les  impressions  les  plus  intenses. 
M.  Pierre  Augieras  se  fait  applaudir  par  un  public  restreint.  C'est  dommage  pour  la 
foule  car  il  est  un  des  rares  virtuoses  capables  d'  «  emballer  ))  un  auditoire  nom- 
breux. 

M.  Georges  Pelet,  violoncelliste  de  grand  talent,  s'harmonise  parfaitement  avec 
lui,  et  ce  fut  une  réjouissance  infinie  que  d'entendre  trois  superbes  So«a/es  de  Mendels- 
sohn, Beethoven  et  Saint-Saëns  exécutées  par  ces  deux  jeunes  musiciens  avec  une 
fougue  et  une  profondeur  inoubliables.  ]V1.  Gillot. 


—  420   — 


Le  mouYement  musical  en  proYince  et  à  l'étranger 
Le   ((  Festival  Haendel  »  à  Mayence 


Ma  tâche  est  fort  agréable  aujourd'hui.  J'ai  à  vous  rendre  compte  d'un  festival 
admirablement  réussi  ayant  pour  cadre  Tune  des  villes  les  plus  attrayantes  de  l'Alle- 
magne. Mayence,  dans  l'éblouissement  de  sa  parure  printanière,  est  incomparable. 
C'est  la  reine  du  Rhin,  la  cité  d'or.  Ses  nouvelles  avenues,  larges,  ombreuses,  son 
quai  rouge  fleuri  d'épines  roses  et  blanches  rejoignant  les  massifs  contreforts  de  la 
citadelle,  enserrent  d'une  opulente  ceinture,  les  vieux  quartiers  aux  ruelles  tortueuses, 
étroites,  pleines  d'imprévu,  qu'abrite,  telle  une  gigantesque  couveuse,  sous  ses 
murailles  et  sous  ses  tours,  le  pur  joyau  du  Rhin,  la  cathédrale,  couleur  de  sang  ! 

Je  ne  saurais  assez  répéter  combien  j'envie  l'esprit  d'organisation  et  de  discipline 
des  Allemands.  Ce  qui  a  fait  de  nos  voisins  le  peuple  le  plus  musicien  du  monde,  c'est 
la  vigueur  de  leurs  Vereine.  Ce  sont  les  Liedertafel,  les  Saengerhund,  les  Liederkfant:(  qoX 
prospèrent  dans  tous  les  coins  de  l'empire  qui  ont  créé  le  milieu  où  s'est  développée 
la  musique  allemande  au  xix^  siècle.  On  me  dira  que  ces  associations  n'ont  été  viables 
que  parce  qu'au  fond  de  l'âme  germanique  dormait  le  germe  de  la  musique,  c'est  pos- 
sible. La  musique,  cependant,  est  devenue  l'art  allemand  qui  a  conquis  l'Europe  à 
partir  du  moment  où  les  associations  se  sont  épanouies. 

L2. Liedertafel  de  Mayence  a  75  ans  d'existence.  Elle  est  uniquement  composée 
d'amateurs.  Depuis  1898,  outre  les  grands  concerts  ordinaires,  elle  organise  des  audi- 
tions populaires  (2  d'abord  puis,  depuis  la  fondation  Goertz,  3  par  an)  pour  lesquelles 
le  prix  des  places  ne  dépasse  pas  50  centimes.  Ces  auditions  représentent  un  sacrifice 
pécuniaire  important.  Elles  ont  coûté  jusqu'ici  plus  de  30,000  marks,  alors  que  les 
entrées  n'en  ont  pas  rapporté  10.000.  La  Liedertafel  s'est  consacrée  plus  spécialement 
à  l'étude  d'oratorios  sans  toutefois  délaisser  les  autres  genres.  Pour  la  première  fois,  en 
1895,  elle  donne  des  œuvres  d'Haendel,  Dehora  et  Hercule,  selon  l'édition  du  D'"  Chry- 
sander.  L'impératrice  Frédéric  voyait  ces  exécutions  d'un  œil  bienveillant.  Son  souve- 
nir fit  naître  en  1904,  la  fondation  Impératrice-Frédéric  dont  le  but  est  de  fournir  des 
auditions  modèles  des  compositions  de  Haendel  d'après  les  travaux  de  Chrysander.  Le 
grand-duc  de  Hesse  accepta  le  protectorat  de  la  fondation.  La  Liedertafel  ne  pouvait 
souhaiter  un  protecteur  plus  heureux.  Le  grand-duc  qui  transforma  sa  capitale  Darm- 
stadt  en  un  centre  artistique  très  original  et  fort  curieux,  est  lui-même  un  musicien 
de  valeur.  Les  souverains  des  petits  états  allemands  sont  appelés  à  jouer  un  rôle  très 
fécond  dans  la  vie  intellectuelle  du  pays.  Intelligents,  ils  déversent  sur  les  arts  toute 
l'activité  qui  ne  saurait  trouver  d'emploi  dans  la  vie  politique  accaparée  par  Berlin  et 
le  rôle  de  Mécènes  qui  leur  reste  est  suffisamment  beau  et  digne  d'envie  pour  qu'il 
vaille  la  peine  d'être  joué. 

Je  tiens  tout  d'abord  et  avant  de  vous  parler  du  festival,  à  exprimer  l'étonne- 
ment  et  l'admiration  que  j'ai  éprouvés  à  entendre  une  aussi  impeccable  exécution.  Je 
n'aurais  pas  cru  qu'il  fût  possible  à  une  société  d'amateurs,  d'arriver  à  une  pareille 
virtuosité.  Sûreté  des  intonations,  grandeur  des  ensembles,  fini  dans  les  détails,  sou- 
plesse des  traits,  richesse  et  variété  des  timbres,  compréhension  musicale,  tout  est  à 
louer  sans  réserve.  Jamais  un  chœur  de  professionnels  ne  parviendra  à  cette  perfection, 
il  lui  manquera  toujours  l'enthousiasme.  11  est  vrai  que  la  Liedertafel  de  Mayence  a  un 
directeur  de  premier  ordre.  Le  docteur  Fritz  Volbach  n'est  pas  un  inconnu  pour  le 


—  42Ï   — ^ 

Courrier  iMusical  qui  a  publié,  il  y  a  quelques  mois,  un  extrait  de  son  remarquable 
ouvrage  sur  Beethoven.  Volbach  est  un  convaincu  que  n'ont  point  gâté  les  succès  des 
grandes  capitales.  En  quelques  répétitions  il  a  mis  sur  pied  deux  œuvres  de  la  dimension 
de  Judas  Macchabée  et  de  Saul,  et  cela  sans  un  accroc.  C'est  un  musicien  consciencieux 
de  vieille  roche  qui  mène  chanteurs  et  instrumentistes  où  il  veut  avec  la  sûreté  d'un 
homme  qui  sait  ce  qu'il  veut.  Du  reste  l'orchestre  de  la  ville,  si  fortement  discipliné 
par  son  chef  M.  Steinbach,  et  qui  fonctionnait  comme  orchestre  de  fête,  a  été  à  la  hau- 
teur de  sa  tâche. 

Deux  mots  encore  sur  les  remaniements  que  le  docteur  Chrysander  a  fait  subir 
aux  œuvres  de  Haendel.  Musicographe  distingué,  le  docteur  Chrysander  a  consacré  sa 
vie  à  la  biographie  du  «  grand  anglais  ».  Ses  travaux  servent  de  base  à  tout  ce  qui  se 
fera  désormais  sur  Haendel.  Ils  consistent  moins  à  faire  une  édition  critique  de  ses 
compositions  qu'à  essayer  de  dégager  la  vraie  pensée  du  maître  et  de  l'adapter  à  nos 
exigences  modernes.  Il  a  commencé  par  retoucher  les  textes,  par  en  donner  une 
excellente  traduction  allemande  (d'après  les  originaux  anglais).  11  a  condensé  la  poésie, 
dramatisé  et  ramassé  les  actions  qui  se  perdaient  en  d'inutiles  développements,  a  ré- 
duit les  trop  longues  expansions  lyriques  de  certains  airs.  Au  point  de  vue  musical,  les 
partitions  de  Haendel  avaient  été  retouchées  bien  souvent.  Tout  le  monde  s'était  un 
peu  exercé  sur  ce  riche  matériel.  Mozart  lui-même  avait  travaillé  plusieurs  des  orato- 
rios. Chrysander  s'efforça  de  rétablir  l'orchestration  primitive,  réduisant  les  instru- 
ments à  vent  aux  flûtes,  hautbois,  bassons  et  à  des  trompettes  spéciales,  ajoutant  le 
cembalum  et  le  piano  forte  pour  les  récitatifs.  J'avoue  n'aimer  qu'à  moitié  ces  essais  de 
reconstitutions  pittoresques.  Nous  savons  si  peu  ce  qu'étaient  certains  instruments 
employés  par  les  vieux  maîtres!  Ce  que  je  goûte  encore  bien  moins  dans  les  manipu- 
lations Chrysander,  c'est  le  rétablissement  de  traits,  de  vocalises,  d'effets  de  pure  vir- 
tuosité et  cela  d'une  façon  arbitraire,  sur  la  foi  de  vagues  ébauches  découvertes  dans 
de  poudreuses  bibliothèques. 

Chaque  époque  a  sa  manière  de  sentir  les  œuvres  d'art,  selon  ses  besoins  et  ses 
aspirations  et  rien  ne  prouve  que  notre  manière  critique,  c'est-à-dire  intellectuelle, 
soit  la  bonne.  Ce  que  nous  demandons  à  l'art  c'est  une  forme  pour  nos  émotions.  Dès 
l'instant  où  cette  forme  ne  s'adapte  pas  aux  émotions  antérieures,  qu'elle  ne  nous  fait 
plus  vibrer,  c'est  qu'elle  est  bonne  à  jeter  aux  vieux  fers,  c'est  qu'elle  était  née  d'un 
besoin  passager  non  des  sentiments  éternels  les  plus  généraux,  de  l'âme  humaine, 
c'est  qu'elle  est  morte  et  qu'il  est  superflu  de  lui  insuffler,  sous  le  vague  prétexte  de 
respect,  une  vie  artificieUe. 

Judas  Macchabée  fut  composé  en  1746,  en  35  jours  environ.  On  reste  stupéfait 
en  face  d'une  œuvre  de  cette  taille,  de  la  facilité  et  de  la  rapidité  avec  laquelle  elle 
naquit.  —  Cet  oratorio  qui  chanta  le  suprême  effort  du  peuple  Juif  vers  l'indépen- 
dance fut  commandé  par  le  gouvernement  anglais  pour  rehausser  l'éclat  des  fêtes 
célébrant  le  triomphe  définitif  de  la  maison  de  Hanovre  sur  les  Stuarts. 

L'oratorio  débute  par  une  large  et  solennelle  introduction  orchestrale.  Israël 
pleure  la  mort  de  son  chef  Mattathias.  Jehova  lui  donne  un  nouveau  chef,  Judas  Mac- 
chabée qui  conduira  son  peuple  à  la  victoire.  L'ennemi  est  battu  au  nord  et  à  l'est. 
Cris  de  triomphe.  Mais  un  gros  danger  menace  le  sud,  l'armée  du  roi  autrichien  est 
en  marche  contre  Israël.  Judas  triomphe  encore.  Les  menaces  de  la  victoire  arrivent  à 
Jérusalem  pendant  qu'on  a  réédifié  le  temple.  Rome  offre  aux  juifs  son  alliance  et  sa 
protection.  Alléluia  final  !  L'œuvre  est  essentiellement  dramatique  et  lyrique.  L'élé- 
ment épique,  le  récit  n'existe  point.  Tout  y  est  mouvement.  Les  chœurs  eux- 
mêmes  servent  à  la  marche  générale  de  l'action.  Ils  sont  aussi  parfois  une  explosion  de 
lyrisme  comnna  les  grands  airs  des  personnages  principaux.  Les  airs  sont  évidemment 


—   422    — 

la  partie  faible  de  la  partition.  Ils  contiennent  trop  de  virtuosité,  trop  de  recherches, 
trop  de  concessions  faites  aux  chanteurs.  On  se  demande  à  écouter  certains  traits  ce 
que  devaient  être  les  artistes  du  xviii*  siècle.  Si  je  n'ai  qu'à  louer  sans  réserve  la  Lie- 
dertafel  et  son  directeur,  je  ne  sais  vraiment  que  dire  des  solistes.  Le  comité  pourtant 
a  voulu  bien  faire  les  choses  et  n'a  pas  lésiné  sur  les  prix.  Haendel  est-il  trop  difficile 
à  chanter  ?  Le  fait  est  que  les  solistes  faisaient  souvent  tache  auprès  de  la  perfection 
des  masses  chorales,  dans  Judas  surtout  où  le  compositeur  exige  beaucoup  plus  des 
voix  que  dans   Saïil. 

Les  parties  vivantes  et  grandes  sont  les  ensembles.  Avec  une  étonnante  simplicité 
de  moyens,  parle  pur  artifice  d'une  souple  polyphonie,  le  vieux  maître  produit  des  effets 
gigantesques.  Judus  Macchabée  est  en  somme  une  œuvre  forte,  inégale  par  endroits, 
dont  bien  des  pages  ont  vieilli,  dont  l'émotion  ne  se  soutient  pas,  mais  d'une  puis- 
sance parfois  sans  égale.  Je  comprends  à  l'entendre  ce  que  Mozart  a  dû  y  apprendre, 
ce  que  Beethoven  y  admirait,  Haendel  est  vraiment  le  père  des  classiques  allemands, 
bien  plus  que  Bach  dont  seules  les  compositions  d'orgue  et  de  clavecin  leur  étaient 
connues. 

Bien  différent  est  Saïd.  Je  dirai  qu'il  représente  sur  Judas  un  progrès  évident,  s'il 
n'était  de  8  ans  antérieur.  Haendel  avait  alors  53  ans.  Il  était  dans  l'éclat  de  sa  gloire. 
Il  mit  67  jours  à  le  composer,  près  du  double  de  judas,  ce  qui  est  beaucoup  pour 
Haendel.  Peu  d'œuvres  de  lui  sont  restées  si  jeunes,  si  complètes,  si  vivantes,  si  mo- 
dernes. Le  sujet  lui-même,  moins  pompeux  est  plus  humain,  plus  intérieur  que  celui 
du  zMacchabée.  Ce  dernier  tout  en  éclat,  tout  en  surface,  ne  saurait  éveiller  les  im- 
pressions de  Saûl. 

L'action  commence  par  une  fête  célébrant  la  défaite  des  Philistins  et  du  géant 
Goliath.  Une  étroite  amitié  unit  Jonathan,  le  fils  du  roi  et  David,  tandis  que  l'amour 
attache  Michel  au  jeune  héros.  Mais  la  jalousie  s'éveille  dans  le  cœur  de  Saiil  que  la 
gloire  naissante  du  vainqueur  aveugle.  Le  malheur  de  Saùl  et  de  sa  maison  provient 
uniquement  de  ce  qu'il  ne  saura  conserver  le  bras  tutélaire  d'Israël  David.  Le  vieux 
roi  que  Jéhova  a  abandonné,  court  à  sa  propre  perte.  Lui  et  son  fils  sont  tués.  David 
est  élevé  au  trône.  Hymne  de  joie  et  de  triomphe. 

Tout  ici  est  plus  profond,  moins  théâtral,  moins  à  effet  que  dans  Judas  ;  plus  ou 
presque  plus  de  virtuosité  vide.  Les  airs  qui  ont  conservé  la  coupe  ordinaire  classique, 
sont  d'une  émotion  intense.  L'orchestre  plein  d'effets  pittoresques  joue  un  rôle  per- 
sonnel très  expressif.  Toute  la  composition  est  très  dramatique,  souvent  tout  intérieure; 
Saiil  est  puissamment  caractérisé.  Rien  d'exquis  comme  l'amitié  de  David  et  de 
Jonathan.  «Jonathan  dont  l'affection  est  plus  douce  qu'un  amour  de  femme  .»  Com- 
bien simple  et  touchante  la  jeune  passion  de  la  tendre  Michal  et  combien  terrible 
l'incantation  de  la  sorcière  et  l'apparition  de  Samuel.  Les  parties  purement  sympho- 
niques,  la  Bataille  et  l'incomparable,  l'émouvante  Marche  funèbre  sont  dans  toutes  les 
mémoires. 

Voilà  vraiment  le  Haendel  impérissable  dont  la  grandeur  surhumaine  éblouit. 

Les  fêtes  se  terminèrent  par  un  superbe  banquet  offert  par  le  Liedertafel  et  que 
présidait  avec  une  grâce  et  une  bonhomie  charmante  le  grand  duc  de  Hesse.  Je  tiens 
à  remercier  ici  le  comité  dans  la  personne  du  D""  Strecker,  son  président,  de  l'accueil 
courtois  fait  à  la  presse  et  particulièrement  au  Courrier  Musical.  Je  note  ceci  d'autant 
plus  vivement  et  plus  volontiers  que  ce  n'est  pas  toujours  le  cas  dans  les  fêtes  de 
musique,  et  que  la  presse  n'arrive  parfois  qu'à  grand  peine  à  obtenir  ses  entrées  quand 
elle  les  obtient  ! 

Entre  deux  grands  festivals,  après  Haendel  et  avant  Schumann,  apvhs  Judas  Mac- 
chabée et  avant  Faust,  j'ai  goûté  délicieusement  deux  séances  du  quatuor  Joachim  à 


—  425  — 

Cologne,  deux  séances  intimes,  dans  un  tout  petit  local  !  Le  quatuor  à  cordes  de 
Mozart  en  mi  bémol,  celui  de  Beethoven  op.  95  en  fa  majeur  et  celui  de  Haydn  op.  17 
et  2  en  .toZ.  Je  conseille  aux  bonnes  gens  qui  lèvent  les  épaules  en  parlant  du  papa 
Haydn  de  méditer  ce  quatuor,  particulièrement  le  récitatif  du  troisième  mouvement  ! 
Puis  le  quatuor  op.  41  n»  2  de  Schumann  et  le  Qinntette  pour  deux  violoncelles  de 
Schubert,  en  ut.  En  écoutant  le  roi  du  violon,  on  saisit  la  valeur  de  chaque  trait,  la 
signification  de  chaque  fusée  de  notes.  C'est  l'absolue  perfection.  Qui  n'a  pas  entendu 
le  quintette  de  Schubert  par  Joachim  ne  sait  pas  ce  que  c'est  que  la  musique  de 
chambre.  Je  renonce  à  vous  décrire  mes  impressions,  il  faudrait  mettre  «  divin  »  à 
chaque  ligne  et  ce  serait  à  peine  juste  ! 

Paul  de  STŒCKLIN. 


La  Vir  Fête  de  Musique  de  T  Association  des  Musiciens  suisses 

-A.  3>JeTacl:iâ.tel 


Après  Mayence  et  Haendel,  après  Cologne,  Joachim,  Mozart,  Beethoven,  Haydn 
et  Schubert,  après  Bonn  et  Schumann,  je  ne  me  rendis  qu'avec  une  certaine  appréhen- 
sion à  Neuchâtel  à  la  fête  des  musiciens  suisses. 

Depuis  sept  ans  qu'elle  existe,  l'Association  a  porté  des  fruits  nombreux.  Il  faut 
louer  grandement  les  efforts  de  ceux  qui  l'ont  créée.  Les  statuts  sont  fortement  inspi- 
rés delà  société  similaire  allemande.  Je  vois  surtout  les  heureux  résultats  de  ce  genre 
d'association.  Chaque  année,  c'est  une  sorte  de  salon  de  la  musique  dont  le  siège 
varie.  Cette  fois-ci,  le  comité  avait  fait  supérieurement  les  choses.  Il  avait  engagé 
l'orchestre  Kaim  de  Munich. 

Je  doute  que  le  but  qu'avaient  en  vue  les  promoteurs  de  l'Association  soit  jamais 
atteint.  Créer  un  art  suisse  demeurera  une  utopie  aussi  longtemps  qu'il  n'y  aura  pas 
une  race  suisse  ayant  une  langue  propre  pour  exprimer  ses  émotions.  L'association 
en  resserrant  les  liens  assez  lâches  jusqu'ici  qui  unissaient  intellectuellement  la  Suisse 
romande  et  la  Suisse  allemande,  en  mettant  en  contact  les  individus,  en  leur  permet- 
tant de  se  faire  entendre  et  surtout  de  s'entendre  eux-mêmes  et  enfin  en  mêlant  toute 
la  population  aux  fêtes  qu'elle  organise,  joue  un  rôle  suffisant  important  dans  la  vie 
artistique  de  la  nation,  pour  n'avoir  pas  à  désirer  autre  chose.  Ces  associations  ont 
toutefois  leur  mauvais  côté  que  compensent  amplement  d'inappréciables  avantages. 
Elles  risquent  parfois  de  tomber  sous  certaines  influences  particulières  qui  leur  impri- 
ment une  direction  spéciale  et  qui  accaparent  un  peu  à  leur  profit,  toutes  les  énergies. 
Dans  la  société  allemande,  en  dehors  de  Strauss  et  des  Munichois  wagnériens,  il  n'y  a 
guère  de  salut  possible.  Et  à  ce  propos  je  regrette  de  n'avoir  point  trouvé  sur  les 
programmes  de  Neuchâtel  jle  nom  d'un  excellent  musicien,  Pierre  Maurice,  l'un  des 
tempéraments  les  plus  originaux,  les  plus  poétiques,  les  plus  délicats  parmi  les  com- 
positeurs suisses.  Il  me  semble  qu'un  artiste  qui  a  foi  en  son  art  et  confiance  en  son 
talent  n'a  pas  à  craindre  la  concurrence  de  directions  différentes  de  la  sienne.  Une 
idée  neuve  arrive  toujours  à  s'exprimer  d'une  façon  originale  et  à  faire  son  chemin 
dans  le  monde. 

Mes  pressentiments  ne  m'ont  guère  trompé.  La  VIl^  fête  des  musiciens  suisses 
indique  beaucoup  d'efforts  inutiles,  bien  des  coups  d'épée  dans  l'eau,  de  vaines  tenta- 
tives pour  faire  grand,  pour  faire  nouveau,  pour  être  original.  L'influence  germanique 
domine,  ce  qui  s'explique   aisément,  les  jeunes  compositeurs  ayant  plutôt  la   chance 


—  4H  — 

d'être  joués  en  Allemagne.  Dans  les  deux  concerts  avec  orchestre  je  note  cinq  com- 
positions pour  chœurs  et  orchestre  et  quatre  poèmes  symphoniques! 

La  première  séance,  consacrée  à  la  musique  de  chambre,  était  franchement 
médiocre,  mais  pas  mauvaise.  Le  quatuor  à  cordes  en  la  de  Emmanuel  Moor  est  à  peu 
près  bien,  amusant  même  par  endroits,  jamais  ennuyeux.  C'est  un  solo  continuel  de 
violon  avec  accompagnement  de  cordes,  sans  caractère  spécial. 

11  est  difficile  d'émettre  un  jugement  sur  les  sonates  pour  piano  et  violon  en  rè 
de  M.  Pahnke.  J'ai  remarqué  que  la  partie  de  piano  était  très  chargée.  M.  Pahnke 
aurait  dû  charger  l'un  de  ses  collègues  de  la  partie  de  violon.  11  joue  si  faux 
lui-même  que  n'ayant  pas  la  partition  sous  les  yeux  il  m'était  impossible  de 
savoir  si  les  notes  entendues  étaient  celles  écrites  par  le  compositeur  ou  celles  écor- 
chées  par  l'exécutant  :  du  reste  un  rabâchage  langoureux  des  thèmes,  un  manque 
d'unité  qui  n'arrive  pas  à  être  divertissant. 

Je  serais  curieux  de  savoir  pourquoi  Henri  Marteau,  l'admirable  violoniste,  com- 
pose des  mélodies  sur  des  paroles  allemandes.  Ce  sont  8  lieders  avec  accompagne- 
ment de  quatuor.  Marteau  est  un  maître.  Il  a  trouvé  des  sonorités  charmantes.  Son 
quatuor  sonne  délicieusement,  avec  des  effets  imprévus.  Il  procède  de  Brahms  évidem- 
ment, et  s'il  ne  réagit  promptement,  Brahms  menace  de  l'enliser  ! 

Le  comité  n'a  pas  eu  la  main  heureuse  dans  le  choix  de  ses  solistes.  Je  vous  ai 
dit  l'an  dernier  beaucoup  de  mal  de  madame  Troyon.  J'en  pense  tout  autant  de 
Mlle  Hégar  et  bien  davantage  de  la  pauvre  malheureuse  Mme  Lang-Malignon  qui  a 
estropié  la  jolie  musique  de  Marteau. 

Figurez-vous  que  M.  Emile  Lauber  a  trouvé  nouveau  de  composer  :  «  Il  pleure 
dans  mon  cœur  comme  il  pleut  sur  la  ville  »  de  Verlaine.  Pour  ne  ressembler  ni  à 
Fauré  ni  à  Debussy,  il  a  préféré  ressembler  àDelmet  en  l'accommodant  sauce  Massenet, 
pimentée  de  Wagner.  Je  pense  que  la  prochaine  fois  M.  Lauber  donnera  les  Amoursdu 
poète  à  sa  façon.  Les  quatuors  vocaux  de  son  frère  Joseph  Lauber  furent  le  clou  de  la 
séance.  Lauber,  professeur  au  conservatoire  de  Genève,  est  très  remuant,  il  fait  beau- 
coup parler  de  lui.  Les  lauriers  de  Jaques -Dalcroze  l'empêchent  de  dormir.  Jaques  a 
composé  une  masse  d'exquises  chansons  populaires,  Joseph  Lauber  fait  de  même, 
pour  quatuor  vocal,  et  leur  moindre  qualité  est  la  naïveté  et  la  sincérité.  Voici  les 
termes  élégants  et  fleuris  en  lesquels  le  programme  commente  ces  quatuors  :  «  Fati- 
gué d'une  certaine  prédilection  régnante  de  mettre  en  musique  des  vers...  lassés  ou 
troublants,  Joseph  Lauber  a  choisi  des  poésies  allemandes,  empreintes  des  mœurs 
agrestes  et  de  l'esprit  candide  de  nos  pères.  En  outre,  l'auteur  s'est  donné  à  tâche,  au 
risque  de  passer  pour  démodé,  d'écrire  des  mélodies  afin  d'y  laisser  briller  les  voix  au 
premier  plan  ».  Les  quatuors  vocaux  valent  mieux  que  leur  panégyrique  dont  M. 
Lauber  aurait  mieux  fait  de  se  passer.  Jaques-Dalcroze  écrivit  un  concert  de  violon 
que. créa  Marteau  ;  Lauber  fit  créer  cette  année-ci  par  Marteau  un  concert  de  violon. 
Mais  quel  concert  !  ?  Une  œuvre  insinueuse,  décousue,  filandreusee,  prétentieuse,  mais 
nouvelle  en  ce  sens  que  c'est  un  concert  à  programme,  une  sorte  de  Vie  du  Héros  au 
petit  pied.  Le  héros  personnifié  dans  le  violon  lutte  et  triomphe  de  la  tourbe  orches- 
trale qui  s'efforce,  mais  en  vain,  de  le  salir.  «  Un  moment  c'est  une  horde  rieuse  d'en- 
fants qui  passe,  mais  rien  n'y  fait  car  c'est  de  sa  dernière  énergie  que  notre  héros  se 
défend,  lançant  ses  anathèmes  à  ceux  qui  essayent  de  le  sortir  de  sa  mélancolie  insur- 
montable... Mais  subitement  il  est  pris  de  regrets,  il  trouve  ces  accès  vains,  inutiles, 
et  telle  une  colombe  blessée,  il  tombe  subitement  à  terre  en  proie  à  une  tristesse  vio- 
lente. »  Le  style  musical  de  M.  Lauber  est  dans  ce  goût-là.  On  appelle  en  Suisse, 
français  fédéral  un  galimatias  barbare  fabriqué  dans  certains  bureaux  de  chancellerie  ; 
la  musique  de  Joseph  Lauber  est  de  la  musique  fédérale. 


—  4^5  — 

Inutile  de  vous  faire  l'éloge  de  Marteau,  artiste  impeccable,  d'une  sûreté  d'autant 
plus  admirable  que  ce  qu'il  joue  est  plus  fantaisiste  et  plus  vide. 

Je  passe  sur  le  deuxième  concert  :  huit  grandes  compositions  pour  soli,  chœurs, 
orchestre,  etc.  ;  à  part  Recueillement  de  Gustave  Doret,  une  œuvre  pas  très  originale 
mais  fortement  pensée,  solidement  bâtie  et  bien  écrite,  ce  ne  sont  guère  que  des 
tâtonnements  de  jeunes  en  mal  de  production,  des  essais  à  peine  mûrs  ou  qui  ne  lais- 
sent prévoir  aucune  maturité  possible.  Je  signale  cependant  les  deux  poèmes  sympho- 
niques  d'Ernest  Bloch,  Hiver,  Printemps.  Ce  sont  deux  jolies  pages  orchestrales  point 
énormes,  savoureuses  à  souhait,  d'une  heureuse  venue  et  pas  nuageuses  ni  compli- 
quées à  l'excès. 

La  troisième  séance  comprenait  les  grands  morceaux  de  résistance  de  la  fête.  Je 
viens  de  vous  dire  l'impression  produite  parle  concert  de  violon  dej.  Lauber.  Le 
Mortuus pro  nohis  de  Paul  Benner,  pour  soprano  solo,  chœur  et  orchestre,  est  du  Mas- 
senet  agrémenté  de  Brahms  et  d'un  peu  de  Mozart.  Le  thème  initial  est  même  calqué 
sur  un  thème  de  la  FMie  enchantée.  Quelle  drôle  d'idée  d'aller  demander  une  inspira- 
tion aux  vers  de  Mlle  Levât,  dans  le  genre  de  ceci  : 

C'est  l'homme  de  douleur  !  Sous  tant  d'ignominie 
Sa  face  a  ruisselé  de  son  sang  rédempteur. 
Son  cœur  s'est  déchiré  dans  sa  lente  agonie; 
Les  cieux  se  sont  fermés  à  ses  cris  de  terreur  !  I 

L'Ode  pour  chœur  et  orchestre  sur  les  vers  de  Verlaine  «C'est  la  fête  du  blé,  c'est 
la  fête  du  pain  »  est  bien  plus  intéressante.  Ed.  Combe,  autrefois  secrétaire  des  Con- 
certs Lamoureux,  est  depuis  plusieurs  années  critique  musical  de  la  Ga:(ette  de  Lau- 
sanne. Comme  tel  il  exerce  une  réelle  influence  sur  la  vie  musicale  de  la  Suisse  ro- 
mande. Il  est,  avec  Jaques- Dalcroze,  l'âme  de  V Association  des  musiciens  suisses  dont  il 
eut  la  première  idée  et  que  ses  efforts  créèrent.  11  en  est,  à  l'heure  actuelle,  le  secré- 
taire général.  Son  poème  prouve  une  solide  éducation,  beaucoup  de  goût.  C'est  un  bon 
travail  qui  ne  manque  pas  d'émotion,  d'une  large  envolée  parfois  et  de  mouvement. 
Combe  doit  avoir  une  prédilection  marquée  pour  le  Messidor  de  Bruneau. 

En  somme,  la  seule  œuvre  empoignante  c'est  la  Tragédie  d'amour  de  E.  Jaques- 
T>alcro{e.  Oh  !  la  belle  œuvre,  vigoureuse,  saine,  puissante,  originale,  achevée,  quece 
poème  pour  chant  et  orchestre  en  y  tableaux  lyriques.  On  pouvait  reprocher  jusqu'ici  à 
Jaques- Dalcro:(e  sa  trop  grande  facilité  dont  il  était  quelquefois  la  dupe  ou  la  victime. 
La  Tragédie  d'amour  comme  l'admirable  quatuor  à  cordes,  est  un  tout  concentré,  fermé, 
complet.  L'auteur  a  su  concilier  l'unité  et  la  variété.  Sa  musique  est  vivante,  elle 
court  avec  le  poème,  elle  est  délicieuse,  terrible,  et  c'est  toujours  de  la  musique.  Ce 
fut  un  triomphe  !  Du  reste  Mme  Nina  Faliero-Dalcroze,dont  le  Courrier  Musical  a  sou- 
vent eu  l'occasion  de  parler  avantageusement,  a  interprété  l'œuvre  de  son  mari  con 
amore,  Mme  Faliero  possède  un  charmant  organe,  souple  à  souhait,  qu'elle  manie  avec 
une  maîtrise,  avec  une  aisance  rares.  Vous  savez  combien  délicieusement  elle  chante 
le  lied.  Ce  serait  la  perfection,  mais  il  manque  quelque  chose,  de  la  chaleur,  du  tempé- 
rament. L'art  même  le  plus  raffiné  ne  saurait  remplacer  le  cœur.  La  plus  belle  fille  du 
monde  ne  peut  donner  que  ce  qu'elle  a,  et  ce  qu'elle  a,  Mme  Faliero-Dalcroze  le  donne 
sans  compter. 

J'ai  un  regret  à  exprimer  qui  n'est  ni  un  reproche  ni  un  blâme.  Jaques-Dalcroze, 
un  pur  latin,  amoureux  de  clarté  et  de  belles  ordonnances,  est  en  train  de  se  germa- 
niser. Car  la  Tragédie  d'amour  indique  un  mouvement  vers  la  musique  allemande.  De 
l'autre  côté  du  Rhin,  le  compositeur  genevois  est  un  maître  incontesté,  son  nom  se 
cite  avec  les  plus  grands  et  les  plus  chers. 

Il  est  regrettable  pour  le  Musicien  de  Gmûnd,  la  nouvelle  symphonie  avec  violon 


—  426  — 

obligé  de  Hans  Huber,  qu'elle  soit  venue  après  l'œuvre  étincelante  de  Jaques 
Dalcroze.  Fort  bien  faite,  très  romantique,  cette  symphonie  rappelle  les  symphonies  de 
Raff.  C'est  aussi  vieux,  sans  être  plus  solide  et  après  la  virtuosité  d'orchestre  de  la 
Tragédie  d'amour,  l'instrumentation  en  paraît  lourde.  Elle  est  inspirée  d'un  poème  de 
Kerner  chantant  une  légende  populaire,  variante  du  Jongleur  de  Noire-Dame,  comme 
la  BoecUin-Symphonie  du  même  auteur,  elle  fera  son  tour  triomphal  d'Allemagne.  Pour 
nos  estomacs  elle  est  un  peu  indigeste.  C'est  une  œuvre  honnête  en  tous  cas,  conscien- 
cieuse, souvent  grande.  Elle  nous  a  valu  le  plaisir  d'entendre  le  docteur  Hégar  comme 
chef  d'orchestre.  On  lui  fit  une  ovation.  Grâce  à  sa  remarquable  direction,  Zurich  est 
devenu  le  centre  musical  le  plus  important  de  la  Suisse.  Son  orchestre  de  la  Tonhall 
est  justement  célèbre.  Hégar  prend  sa  retraite.  Sa  disparition  sera  très  préjudiciable  à 
la  vie  artistique  en  Suisse. 

Que  reste-t-il  de  toutes  ces  œuvres  (à  part  deux  ou  trois  au  plus  qui  vivront, 
mais  n'en  sont  pas  plus  suisses  pour  cela)  péniblement  élaborées  ?  Même  pas  une  indi- 
cation sur  l'avenir  de  la  musique  en  Suisse  !  11  faut  laisser  faire  les  petites  sociétés  lo- 
cales, les  Liedertafel  de  la  Suisse  allemande,  les  associations  de  la  Suisse  française. 
C'est  par  elles  que  se  fera  la  musicalisation  des  masses  dont  l'association  des  musi- 
ciens recueillera  les  fruits  à  un  moment  donne. 

Paul  de  STŒCKLIN. 


Nous  pitblierons,  dans  notre  prochain  numéro^  les  comptes 
rendus  des  Fêtes  musicales  de  Montpellier^  des  Fêtes  Schumann  de 
Bonn  et  du  Festival  Rhénan  d' Aix-la-Chapelle. 


LE  HAVRE.  —  Un  des  derniers  concerts  de  la  saison  a  été  en  même  temps  l'un 
des  plus  admirables.  Deux  artistes  seuls  en  supportaient  le  lourd  programme  où 
voisinaient  les  deux  ((  Grandes  »  sonates  :  celle  à  Kreutzer,  de  Beethoven  et  celle 
de  Franck,  dignes  l'une  de  l'autre.  Mais  ces  deux  artistes  avaient  nom  Pugno  et  Ysaye 
et  cela  suffit.  Je  n'ai  rien  de  plus  à  ajouter  ;  ce  furent  là  d'inoubliables  instants  et  tout 
le  public  électrisé,  touché  par  l'étincelle  du  génie,  écouta  avec  recueillement  (oui, 
même  les  profanes,  même  les  non-initiés),  les  deux  œuvres  rayonnantes  d'une  vie  in- 
tense et  communia  avec  les  dieux  !  Parlerai-je  des  autres  morceaux  ?  Pugno  joua  en 
poète  inspiré  trois  pièces  de  Chopin  où  il  sut  trouver  d'exquises  et  rares 
sonorités  (notamment  dans  la  Berceuse  que  nul  ne  peut  produire  comme  lui). 
Je  voulais  ailrafer  Ysaye  pour  avoir  glissé  dans  ce  programme  musical  un 
morceau  de  virtuosité  et  surtout,  jouant  un  morceau  de  virtuosité  sur  violon,  d'avoir 
choisi  M»  "zorceau  rfe  ^îa7to  (Valse-Etude  de  St-Saëns),  et  un  morceau  éminemment 
pianistique  !  Le  cas  était  bizarre.  Mais  on  n  attrape  pas  Ysaye.  Le  géant  s'est  montré 
étourdissant  de  verve,  d'adresse,  de  fougue,  de  maestria,  dans  cette  transcription 
dont  il  est  l'auteur,  il  a  louetté  les  cordes  de  son  archet  vainqueur,  avec  tant  d'audace 
et  de  réussite,  que  mes  principes  ont  fléchi...  j'ai  applaudi  comme  les  autres  et  la  salle 
a  failli  crouler. 

Les  deux  virtuoses,  fêtés,  acclamés,  réclamés,  appelés  et  rappelés,  ont  dû  allonger 
leur  programme  de  quelques  pièces.  Ysaye  a  fait  pleurer  Wagner  et  Pugno  a  eu  des 
doigts  de  fée  dans  l'égrénement  des  notes  d'une  «  clavecinade  »  ravissante  du  toujours 
jeune  et  alerte  Scarlatti  ! 

H.  WOOLLETT. 


—  427  — 

ÉCHOS   ET  NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


A  l'Opéra-Comique.  —  M.  Albert  Carré  a  convenu,  avec  M.  Jules  Bois,  qyï'Hip- 
polyte  couronné  serait  confié,  pour  être  mis  en  musique,  à  un  de  nos  plus  éminents 
compositeurs  et  représenté  à  la  salle  Favart. 


C'est  le  mercredi  27  juin,  à  3  heures  de  l'après-midi,  qu'aura  lieu  au  théâtre  de  la 
Gaîté,  avec  le  concours  de  la  musique  de  la  Garde  Républicaine,  le  festival  que  le  grand 
artiste  Francis  Planté  donnera  au  bénéfice  de  la  Maison  de  retraite  de  l'Association  des 
Artistes  dramatiques  (fondation  Coquelin,  à  Pont-aux-Dames). 

Francis  Planté  fera  entendre,  accompagné  par  la  musique  de  la  Garde  républi- 
caine, sous  la  direction  de  son  chef,  M.  Gabriel  Parés  :  La  Romance  du  huitième  Con- 
certo de  Mozart,  un  Concerto  de  Mendelssohn,  et  la  célèbre  Tarentelle  de  Gottschalk  ; 
et,  pour  piano  seul,  deux  très  importantes  séries  d'oeuvres  des  grands  maîtres  classi- 
ques et  modernes,  Weber,  Beethoven,  Mendelssohn,  Schumann,  Chopin,  Liszt,  Ru- 
binstein,  Brahms,  Saint-Saëns,  etc.,  dont  les  titres  seront  donnés  par  M.  Planté  lui- 
même,  au  moment  de  leur  exécution. 

La  location  pour  ce  concert  est  ouverte  à  partir  d'aujourd'hui  au  Théâtre  de  la 
Gaîté,  chez  l'éditeur  G.  Astruc  et  C'"  (Pavillon  de  Hanovre,  32,  rue  Louis-le-Grand)  et 
chez  les  principaux  éditeurs  de  musique,  ainsi  qu'à  la  salle  Erard,  13,  rue  du  Mail. 


Les  Concerts  des  Tuileries  nouvellement  institués  sont  déjà  très  suivis.  L'orchestre 
des  Concerts  Le  Rey,  sous  la  direction  de  MM  F.  Le  Rey  et  F.  de  Léry,  fait  entendre 
tous  les  soirs  les  morceaux  les  plus  variés,  agrémentés  de  pages  de  chant  judicieuse- 
ment choisies.  Le  cadre  est  charmant  et  tout  nous  pOrte  à  croire  que  cette  heureuse 
entreprise  due  à  M.  Nancey,  sera  couronnée  de  succès. 


La  dernière  réception  musicale  de  M.  et  Mme  Louis  Diémer  fut  merveilleusement 
réussie.  Au  programme  Mmes  Litvinne,  Charles  Max,  l'excellent  violoncelliste  Hassel- 
mans,  M.  Jan  Ten  Hâve,  dont  le  style  fut  parfait  dans  une  sonate  de  Heendel  ;  enfin  le 
maître  de  la  maison,  qui,  avec  Edouard  Risler,  interpréta  magistralement  les  Varia- 
tions de  Schumann  et  enleva  d'une  façon  prestigieuse  le  Scherzo  de  Saint-Saëns. 


A  la  réception  du  mercredi  30  mai,  une  matinée  musicale  des  plus  brillantes  eût 
lieu    chez  Mme  Varambon,  dans  ses  salons,  rue  Navarin. 

On  y  applaudit  l'admirable  cantatrice  Mme  M.  Gallet,  Mlle  Gina  d'Aranjo,  dans 
ses  œuvres  très  originales,  Mlle  Galitzine,  une  remarquable  violoncelliste,  le  célèbre 
pianiste  hongrois  Szanto,  le  violoniste  très  distingué,  G.  Rabani,  le  pianiste-accompa- 
gnateur virtuose  M.  Ed.  Mignan. 

Très  intéressant  concert,  le  29  mai  dernier,  offert  par  la  Baronne  et  le  Baron  de  Léry, 
avec  le  concours  de  la  Société  d'Amateurs  le  Timbalier.,  dirigée  par  M.  de  Léry,  de 
Mme  Bureau-Berthelot,  M.  Pascal,  etc.  L'assistance  nombreuse  et  élégante  a  réservé 
le  meilleur  accueil  à  tous  ces  excellents  artistes. 


Le  concours  de  musique  organisé  par  \e  Journal.,  a  obtenu  le  plus  vif  succès  grâce 
à  l'intelligente  organisation  de  MM.  André  Gresse  et  Cavaillé-Massenet.  Plus  de  18.000 
exécutants  se  sont  fait  entendre,  durant  deux  jours,  aux  nombreux  membres  du  jury 
recrutés  parmi  les  plus  hautes  personnalités  de  l'Art  musical.  Cet  important  concours 


—  428  — 

nous  a  permis  de  constater  que  le  niveau  artistique  des  Harmonies,  Orphéons  et 
Fanfares,  s'élevait  très  sensiblement  :  Beethoven,  Berlioz  et  Wagner  figuraient  en  effet, 
dans  les  oeuvres  imposées. 

Nous  apprenons  avec  plaisir  la  nomination  de  M.  Jean  Gallon  comme  chef  des 
chœurs  de  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire  en  remplacement  de  M.  Schvartz, 
démissionnaire. 

M.  Gallon  est  un  compositeur  de  talent,  doublé  d'un  pianiste  et  d'un  organiste  de 
non  moins  de  valeur  ;  nous  ne  pouvons  que  féliciter  la  Société  des  Concerts  de  son  heu- 
reux choix. 


Une  nombreuse  et  élégante  assistance  se  pressait  le  13  mai  à  la  salle  de  l'Athénée 
Saint-Germain  où  M.  et  Mme  Petsche  avaient  convié  un  auditoire  d'élite  à  entendre 
l'exquise  Dja/nt/eA  de  Bizet.  Le  rôle  de  Djamiieh  était  confié  à  Mme  Petsche  dont  la 
voix  chaleureuse  et  émouvante  exprima  toute  la  beauté  passionnée  de  cette  musique 
et  se  maria  harmonieusement  au  ténor  charmant  de  M.  Dubreuil  et  à  la  basse  géné- 
reuse de  M.  Hue,  ses  partenaires.  J'ajoute  qu'on  ne  saurait  trop  louer  l'intelligence 
et  l'aisance  scènique  des  interprètes  de  cette  œuvre  si  fâcheusement  délaissée  et  qu'il 
serait  injuste  d'oublier  un  orchestre  qui  pour  être  composé  d'amateurs  ne  s'en  montra 
pas  moins  souple,  docile  et  euphonique  à  souhait. 


Le  dimanche  27  mai,  sous  la  présidence  du  Maître  Camille  Saint-Saëns,  accom- 
pagné de  ses  éditeurs,  MM.  Auguste  et  Jacques  Durand,  a  eu  lieu,  dans  les  salons  de  la 
maison  Dehouve,  à  la  Porte-Maillot,  le  banquet  donné  par  la  Société  de  secours  mu- 
tuels et  de  retraite  des  employés  du  commerce  de  musique.  Compositeurs,  éditeurs, 
amateurs  avaient  tenu  à  donner  à  cette  sympathique  corporation  un  témoignage  d'estime 
en  se  joignant  à  eux  pour  célébrer  leur  25°  anniversaire  de  fondation.  Au  dessert,  après 
une  vibrante  allocution  de  M.  Barberet,  grand  maître  de  la  Mutualité,  il  a  été  décerné 
plusieurs  médailles  à  MM.  Suinot,  Mallet,  Delhaye  et  Guillemot,  membres  du  bureau 
de  la  Société.  Nous  ne  pouvons  que  féliciter  cette  Société,  qui  ne  peut  que  s'étendre  de 
plus  en  plus,  en  témoignant  nos  hommages  à  M.  Paul  Girod,  son  habile  et  dévoué 
président. 

La  Société  des  compositeurs  de  musique  met  au  concours,  réservé  aux  seuls  musi- 
ciens français,  pour  l'année  1906,  les  œuvres  ci-après  : 

1°  Pièce  symphonique  pour  orchestre  en  une  ou  deux  parties,  d'une  durée  totale  de 
15  à  20  minutes. 

Prix  de  500  francs  offert  par  le  Ministre  des  Beaux-Arts.  Orchestre  avec  quintette 
à  cordes  et  au  maximum  les  instruments  ci-après  :  double  quatuor  à  vent,  quatre  cors, 
deux  trompettes,  trois  trombones  et  batterie  (tuba  et  harpe,  ad  libitum). 

(Joindre  une  réduction  pour  piano  à  deux  ou  à  quatre  mains). 

2"  Sonate  pour  piano. 

Prix  de  500  francs  (fondation  Pleyel-Wolff-Lyon). 

3°  Tantum  ergo  pour  ténor  solo  et  chœur  à  trois  voix  (soprano,  ténor  et  basse,  sans 
division)  avec  accompagnement  d'orgue,  de  harpe,  de  violon  et  de  contrebasse  (ces  trois 
derniers  instruments  ad  libitum). 

Prix  Samuel-Rousseau,  300  francs,  offert  par  Mme  Samuel-Rousseau. 

(Joindre  les  parties  séparées). 

4"  Chœur  à  quatre  voix  pour  voix  mixtes  avec  accompagnement  de  piano  (Poème 
au  choix  des  compositeurs). 

Prix  de  300  francs  offert  par  M.  Albert  Glandaz. 

(Joindre  les  parties  séparées). 

5"  Pièce  d'orgue  avec  accompagnement  de  quintette  à  cordes  et  trois  cors. 

Prix  de  200  francs  offert  par  la  Société. 

(Joindre  les  parties  séparées). 

Les  manuscrits  devront  être  parvenus  le  15  janvier  1907  au  plus  tard  au  Bibliothé- 
caire, au  siège  de  la  Société,  22,  rue  Rochechouart,  où  le  règlement  et  tous  rensei- 
gnements peuvent  être  demandés  à  M.  Lefébure  ou  au  Secrétaire  général. 


—  4^9  — 

Les  concours  ouverts,  en  1905,  par  la  Société  des  compositeurs  de  musique,  ont 
donné  les  résultats  suivants  : 

■  I.  —  Quatuor  pour  piano,  violon,  alto  et  violoncelle. 

Prix  de  500  francs,  offert  par  M.  le  ministre  des  Beaux-Arts,  décerné  à  M.  Roger 
Ducasse.  Mention  à  l'auteur  de  l'œuvre  ayant  pour  devise  :  ((  Il  ne  chantait  que  la 
grandeur  des  dieux.  )) 

II.  • —  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre. 

Premier  prix  de  500  francs  (Fondation  Pleyel-Wolff-Lyon,  décerné  à  M.  Aymé 
Kunc.  Deuxième  prix,  de  200  francs,  offert  par  la  Société,  décerné  à  M.  J.  Ermend- 
Bonnal. 

Mention,  à  l'unanimité,  à  l'auteur  de  l'œuvre  ayant  pour  devise  :  ((  Veni». 

III.  —  Ave  Maria,  pour  baryton  solo  et  chœur  à  trois  voix  avec  accompagnement 
d'orgue,  violon,  violoncelle,  contrebasse  et  harpe: 

Prix  Samuel  Rousseau,  300  francs,  offert  par  Mme  Samuel  Rousseau,  non  dé- 
cerné. Mention  à  l'auteur  de  l'œuvre  portant  l'épigraphe  :  <(  T.  U.  B.  A.  ». 

IV.  —  Musique  de  scène  pour  VAmphytrion,  de  Molière  : 
Prix  de  500  francs,  offert  par  M.  Albert  Glandaz,  non  décerné. 

V.  —  Histoire  de  la  Sonate  : 

Prix  de  200  francs,  offert  par  la  Société,  non  décerné. 

Mention,  avec  prime  de  100  francs,  à  l'auteur  de  l'envoi  portant  l'épigraphe: 
((  L.  S.  P.  M.  ». 

Il  ne  sera  pris  connaissance  des  noms  des  auteurs  ayant  obtenu  des  mentions  qu'a- 
vec leur  assentiment. 

Nous  apprenons  les  favorables  débuts  en  Allemagne  de  M.  Pierre  Samazeuilh,  jeune 
violoncelliste.  Le  Général  An:{eiger  et  la  Ga^^ette  de  la  Marche  de  Brandebourg  s'accor- 
dent à  louer  le  mérite  de  ses  interprétations  du  Concerto  de  Saint-Saëns,  d'un iVocfurne 
de  Chopin  transcrit,  et  de  morceaux  de  Servais  et  de  Popper.  Il  faut  souhaiter  que  l'ave- 
nir réalise  ces  heureuses  promesses  et  permette  à  M.  Pierre  Samazeuilh  de  donner  toute 
sa  mesure. 

Le  22  mai,  M.  Crétin-Perny,  le  distingué  professeur  de  chant  au  Conservatoire  de 
Lyon,  donnait  une  audition  de  ses  élèves  dont  le  très  artistique  programme  a  eu  le  plus 
vif  succès.  Citons  plusieurs  chœurs  :  En  mai  de  Rimski-Korsakow,  un  chœur  de  l'An- 
cêtre  de  Saint-Saëns  et  A  l'Aube  de  F.  Berthet. 

Le  Cantique  de  Racine  de  Fauré,  était  encadré  de  mélodies  de  Fauré,  A.  Georges 
et  G.  Hue.  Mentionnons  tout  particulièrement  Pleine  Eau  de  Ch.  Koechlin,  VAme 
d'une  flûte.  Aux  Collines  et  la  Mort  du  Soleil  de  F.  Berthet  dont  l'inspiration  délicate 
et  émouvante  ainsi  que  l'art  subtil  ont  charmé  l'auditoire.  On  a  bissé  l'air  du  Freys- 
chûtz,  la  Mort  du  Soleil  et  VEau  qui  court  d'A.  Georges  que  Mlle  C,  P.  a  chantée  avec 
un  style  et  un  sentiment  admirables.  Cette  séance  a  affirmé  une  fois  de  plus  l'excel- 
lence et  la  force  de  l'enseignement  de  M.  Crétin-Perny  dont  on  ne  saurait  trop  louer  et 
encourager  l'effort.  N'oublions  pas  le  nom  de  Mlle  Gonnet  qui  a  accompagné  les 
œuvres  les  plus  diverses  avec  la  plus  fine  intelligence  musicale  et  la  plus  souple  vir- 
tuosité. 

Angoulême.  —  M,  Pierre  Castaigne,  violoniste,  s'est  fait  entendre  avec  un  très 
grand  succès  à  la  Société  Philharmonique,  dirigée  par  M.  Raoul  Drosony. 

M.  Ed.  Mignan,  pianiste,  et  Mlle  Jane  Bernardel,  cantatrice,  prêtaient  leurconcours 
à  ce  concert. 

Le  programme  très  musical  et  très  artistique  était  consacré  aux  œuvres  de  Bach, 
Schubert,  Schumann,  Boïeldieu,  Franck,  Fauré,  Duparc,  Ed.  Mignan. 

M.  Pierre  Castaigne,  l'organisateur  du  concert  est  un  jeune  virtuose,  ardent, 
convaincu,  qui  possède  une  technique  très  sûre  ;  il  fut  très  applaudi  et  très  apprécié 
dans  la  Sonate  de  Franck  et  une  rhapsodie  hongroise  de  Hiibay,  brillamment  enlevée. 


La  Roche-sur-Yon.  —  Le  premier  concert  de  la  Société  des  Matinées  Musicales  a 
obtenu  le  plus  vif  succès.    Consacré   aux   charmantes  œuvrçs  d'Alexandre  Georges,  il 


—  430  — 

nous  a  permis  d'applaudir  de  très  remarquables  artistes  comme  Mmes  Marty  et  Bu- 
reau-Berthelot,  MM.  Francell  et  Carbelly.  L'orchestre  et  les  chœurs  ont  été  excel- 
lents. U. 

BIBLIOGRAPHIE 


Vincent  d'Indy  :  César  FRANCK 

Parts,  Félix  Alcan,  éditeur,  iço6. 

La  collection  des  Maîtres  de  la  musique,  publiée  sous  la  prudente  direction  de 
M.  Jean  Chantavoine,  vient  de  s'enrichir  d'un  ouvrage  nouveau,  le  plus  vivement 
espéré  et  le  plus  curieusement  attendu  peut-être,  je  veux  parler  de  l'étude  consacrée  à 
César  Franck  par  M.  Vincent  d'Indy.  «  Etude  »  est-il  exact?  Je  ne  sais  trop  à  la  vérité 
comment  qualifier  cet  acte  d'une  foi  lucide,  ce  commentaire  d'un  apôtre  qui  ferait  de 
l'exégèse  et  en  qui  s'incarneraient  mystérieusement  toute  l'inspiration  du  disciple  et 
toute  l'érudition  du  savant.  Il  nous  manquait  un  livre  sur  Franck  et  il  est  juste  que 
M.  d'Indy  l'ait  écrit.  Minutieusement  instruit  des  secrets  de  la  technique  musicale,  chef 
d'école  à  son  tour,  éducateur  dont  l'enseignement  vivifiant  s'appuie  sur  une  vaste  expé- 
rience et,  par  dessus  tout,  épris  pour  son  art  d'un  amour  qui  fut  fécond  en  chefs- 
d'œuvre,  il  lui  appartenait  de  nous  expliquer  la  vie  et  l'œuvre  de  Franck,  de  nous 
rendre  les  formes,  les  procédés,  en  un  mot  l'expression  intelligibles  en  nous  décou- 
vrant l'invisible  lien  qui  les  rattache  à  l'idée.  Je  n'insiste  pas  sur  les  péripéties  d'une 
existence  d'où  toute  laideur  fut  bannie  et  où  il  semble  que  les  soucis  n'aient  point  pesé 
à  cette  âme  ravie  dans  une  lointaine  et  haute  contemplation.  Il  y  a  longtemps  que 
notre  piété  l'a  vengée  et  j'aime  mieux  à  cette  heure  suivre  M,  d'Indy  dans  l'ingénieuse 
et  claire  analyse  qu'il  nous  livre.  Aussi  bien  la  musique  est-elle  ici  le  miroir  exact  de 
l'homme.  M.  d'Indy  énumère  les  diverses  influences  que  Franck  a  plus  particulière- 
ment ressenties,  celles  des  musiciens  français  du  xviii°  siècle,  de  Bach,  Beethoven, 
Gluck,  Schubert  ou  Schumann.  Oserai-je  de  ma  faible  autorité  et  en  me  ressouvenant 
d'un  certain  épisode  des  Variations  symphoniques  y  joindre  celle  de  Chopin  ?  Il  nous 
le  montre  rappelant  au  fracas  du  piano  l'inspiration  sacrifiée  pour  un  temps  aux  beso- 
gnes journalières  ;  il  discerne  dans  sa  carrière  musicale  trois  périodes  —  et  il  a  raison 
de  ne  pas  dire  trois  manières  —  dont  chacune  reçoit  une  immortelle  couronne  avec 
Ruth,  Rédemption  et  les  Béatitudes.  Surtout  il  voit  en  lui  l'héritier  direct  de  Beethoven, 
le  créateur  du  style  cyclique,  qui  n'a  cessé  de  se  développer  de  nos  jours,  le  gardien  des 
formes  sans  laquelle  nulle  musique  ne  peut  vivre. 

En  résumé,  pour  M.  d'Indy  l'art  de  Franck  se  caractérise  essentiellement  par  «  la 
noblesse  et  la  valeur  expressive  de  sa  phrase  mélodique,  l'originalité  de  l'agrégation 
harmonique,  enfin  la  solide  eurythmie  de  son  architecture  musicale  »  sans  oublier  ce 
sens  de  la  valeur  tonale,  des  ombres  et  des  lumières  par  quoi  il  excelle.  Il  faut  d'ail- 
leurs suivre  de  près  l'adroite  et  intime  dissection  que  M.  d'Indy  fait  subir  au  Prélude 
Choral  et  Fugue  pour  piano  ainsi  qu'au  Quatuor  en  ré  mineur  et  scruter  les  citations 
éloquentes  dont  il  illustre  sa  thèse.  On  verra  avec  un  étonnement  amusé  comment  le 
thème  le  plus  pathétique  àe  Manon  se  transforme  dans  i^M^A  par  la  vertu  calmante 
d'une  double  pédale,  en  une  pastorale  innocente.  M.  d'Indy  eût  pu  multiplier  les  obser- 
vations grammaticales  sur  les  systèmes  mélodique  et  harmonique  de  Franck  qu'il  a, 
comme  on  le  sait,  heureusement  qualifiés,  confronter,  par  exemple,  plusieurs  thèmes 
pris  dans  la  première  partie  de  la  Symphonie,  dans  les  Danses  de  Lormont,  dans  le 
Quintette,  dans  les  Béatitudes  ou  les  Bolides  et  dont  la  quasi-identité  révèle  chez  le 


^  431  — 

maître  une  certaine  'idée  fixe,  un  mode  de  sa  pensée  très  caractéristique.  Mais  un  tel 
ouvrage  n'est  pas  un  Traité  décomposition,  ainsi  que  Tauteur  l'a  dit  sagement,  et  il 
fallait!  être  compris  moins  des  farpiliers  de  Franck  que  de  ceux,  ou  de  celles  qu'il  a  con- 
quis au  loin  par  la  splendeur  ou  le  charme  rayonnant  de  sa  parole.  Parole  divine,  har- 
monieuse, émanation  d'une  âme  naïve  et  sublime  qui  connut  l'amour  selon  Pascal,  c'est- 
à-dire  le  mouvement  de  charité,  l'oubli,  le  don  de  soi.  Et  comme  il  a,  vivapt,  sanctifié 
pour  jamais  par  la  paix  et  par  la  douceur,  ses  élèves  qui  n'ont  point  connu  la  discorde 
ni  l'envie,  Franck  réupira  dans  le  culte  de  sa  mémoire  la  troupe  éparse  des  êtres  qui 
aiment,  qui  souffrent  et  qui  espèrent;  autour  de  ce  livre  où  le  panégyriste  le  plus  digne 
a  mis  toute  son  intelligence  et  tout  son  coeur. 

Paul  LOCARD. 


Gluck  par  Jean  d'Udine 

Librairie  Renouard.  Paris.  Laurens,  éditeur. 

Entre  les  dififérentes  productions  dues  à  la  plume  distinguée  de  notre  collabora- 
teur et  ami  Jean  d'Udine,  qui  avec  bonheur  traita  tous  les  genres  depuis  le  roman  dans 
la  Meule  Tourne  jusqu'aux  questions  scientifiques  dans  V Orchestration  des  couleurs, 
voici  un  des  meilleurs  ouvrages  critiques  de  cet  esprit  cultivé  et  chercheur. 

Sans  s'attarder  en  de  vaines  anecdotes  dont  sont  habituellement  remplies  les  bio- 
graphies, Jean  d'Udine,  tout  en  ne  négligeant  rien  pour  faire  bien  connaître  l'homme 
que  fut  Gluck,  s'est  surtout  attaché  avec  un  scrupule  clairvoyant  à  marquer  et  à  défi- 
nir la  grande  place  que  tient  son  œuvre  dans  l'histoire  delà  musique  dramatique.  C'est 
le  récit  d'une  belle  et  grande  époque  qu'il  nous  apporte.  Le  faisant  dans  un  esprit  cri- 
tique, Jean  d'Udine  est  remonté  aux  sources  italiennes  et  françaises  où  l'inspiration  de 
Gluck  puisa  les  éléments  que  son  génie  devait  rendre  siens  à  jamais  par  leur  emploi 
judicieux  dans  ses  chefs-d'œuvre,  puis  il  dégage  la  part  de  vérité  que  contenait  la  révo- 
lution glukiste  et  nous  montre  jusque  dans  la  musique  moderne  l'influence  lumineuse 
qu'elle  exerce  encore  chez  ceux  qui  seraient  le  plus  tentés  de  la  nier. 

Ce  livre  est  plein  d'aperçus  et  d'enseignements. La  réforme  de  Gluck  est  très  juste- 
ment étudiée,  son  style  défini,  et  ses  œuvres  analysées  dans  ce  qu'elles  présentèrent  de 
nouveau  et  de  sublime.  Pour  éveiller  chez  nos  lecteurs  le  désir  de  connaître  cet  ou- 
vrage, je  ne  puis  mieux  faire  que  de  leur  reproduire  ici  une  des  pages  qui  termine  le 
chapitre  sur  la  musique  de  Gluck.  «  11  y  a  chez  Gluck  une  sorte  de  santé,  une  noblesse, 
((  une  eurythmie  qui  n'excluent  ni  la  grâce,  ni  la  finesse,  ni  la  terreur  tragique,  et  qui 
«  est  bien,  dans  l'art  des  sons,  le  plus  touchant  de  tous,  l'écho  de  cette  beauté  sereine 
«  et  vigoureuse  dont  les  Grecs  ont  doté  le  monde  pendant  quelques  siècles,  que  l'on 
«  n'avait  pas  connue  avant  eux  et  que  l'on  n'a  pas  retrouvée  depuis.  Gluck  admirait 
«  profondément  les  Grecs.  11  a  su  nous  donner,  dans  son  dernier  chef-d'œuvre,  le  plus 
((  délicat  de  tous  peut-être,  l'impression  qu'Argos  fut  une  cité  vivante,  dont  une  vierge 
«  se  souvenait  avec  des  larmes  dans  la  voix.  Et  c'est  avoir  fait  beaucoup  pour  l'huma- 
«  nité,  que  d'avoir  retrouvé  l'expression  musicale  d'un  émoi  dont  ne  s'étaient  perpé- 
((    tuées  jusqu'à  nous  que  l'expression  plastique  et  l'expression  littéraire.  » 

On  ne  saurait  mieux  parler  de  ce  grand  et  noble  artiste. 

Victor  Debay. 


—  432  — 

Die  Musik,  hsrg.  von  Richard  Strauss.   Bd  XII-XIV,  Joh.-Seb.   Bach,  von  Philipp 
Wolfrum.  Berlin,  Bard,  Marquardt,  s.  d,.  in-12,  180  p.,  16  pi.,  11  fac-sim. 

Nous  avons  récemment  signalé  ici  même  l'apparition  de  quelques-uns  des  volumes 
précédents  de  la  même  collection.  Celui  que  M,  Ph.  Woltrum  vient  d'y  ajouter  comptera 
parmi  les  meilleurs.  Selon  l'expression  d'un  de  nos  confrères,  c'est  un  «  introducteur  » 
excellent  à  la  connaissance  d'un  des  plus  grands  génies  de  l'art  musical.  Les  résultats 
des  travaux  biographiques  antérieurs  et  ceux  d'une  étude  à  la  fois  enthousiaste  et  rai- 
sonnée  des  œuvres  de  Jean-Sébastien  Bach  y  sont  condensés  sous  une  forme  rapide  et 
agréable,  qui  procurera  sans  doute  à  ce  joli  petit  livre  des  lecteurs  nombreux  en  Alle- 
magne ;  il  mériterait  assurément  d'en  trouver  en  France  et  nous  aimerions  à  penser 
qu'à  la  veille  des  vacances,  il  prendra  place  dans  la  valise  de  quelques-uns  des  jeunes 
gens  et  des  jeunes  filles  qui  «  apprennent  ))  la  langue  allemande  en  même  temps  que  la 
musique. 

A  d'autres  lecteurs,  plus  exercés,  nous  recommanderons  les  pages  où  M.  Ph.  Wol- 
frum repousse  le  vieux  parallèle  classique  entre  Bach  et  Haendel,  et  celles  où  il  insiste 
sur  le  caractère  national  de  l'œuvre  de  Bach. 

M.  Brenet. 


Ouvrages   reçus  : 


Jules  EcorcheTille  :  De  LulU  à  Rameau  (1690-1730)  IS Esthétique  Musicale. 

Vingt  Suites  d'orchestre  du  xvii'  siècle  français,  précédées  d'une  Etude  historique  par 
Jules  Ecorcheville. 

Editions  Marcel  Fortin,  6,  Chaussée  d'Antin,  Paris. 


Camille  Mauclair  :  Schumann. 
Jean  d'Udine  :  Gluck. 
Arthur  Pougin  :  Herold. 

Editions  Henri  Laurens,  6  rue  de  Tournon,  Paris. 


Nouveautés  musicales  reçues 


J.  Guy-Ropartz  :  Chant  d'Automne^  poème  de  Baudelaire. 

Editeur  :  Dupont-MetT^ner,  7,  rue  Gambetta,  Nancy. 


Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


Paris-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


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Institut  Musical  de  France 

12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (12e)  téléphone  924-70 

ï^aririonisation,    Orchestration;    ^rrangen;ent    de    toutes    oeuvres    pour   piaqo, 
J^arinonic,  Ûrcl^estre  syinplionique,  etc.  Gravure  et  Edition 

Examen  et  correction  de  tontes  compositions  mnsicales.  —  Conseils  anx  débutants  et 

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L'Institut  Musical  de  France,  qui  compte  parmi  ses  Collaborateurs  les  Professeurs  et  les 
Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  ciiarge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Etranger.  Son  organisation 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


Lj_Qv  e:  U  R 


■i 


BENEDICTINE 


9«  Aimée,  N°  13,  V^  Juillet  1906. 


Directeur:  Albert  DIOT 


Secrétaire   de    la   Rédaction  :    René   DOIRB 


^OMMAIRE  : 


Sensations  Récentes 

Corneille  et  la  musiqiue 
{Suite  et  Fin) 

IaQjjinzaine  Musicale  ; 
$pnatières  et  les  Alentours 


CâlILLE   lAUCLAIII 


J.    ÉCORCHEVILLE 


Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

Les  assises  de  la  Schola 
à  monipeUier R.  DE  CASTÉRA 


Le  Festival  Rhénan  a 
Aix'la-Cbapelle A.  OIOT 

Lettre  de  Munich E.  OE  STCCKLiM 

Correspondances  de  :  EsSd& 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 


^■»  » 


Administration  ei  Rédaction  :  Le  Directeur  et   le  Secrétaire  de  Ja 

29.  RUE  TRONCHET.  PARIS  (8-)     ^'f'rji'tZ^^H't'^h-  ""**' 

*     ^ '  ^       '       et  Samôdl,  ue   .10  beura  a  midi. 


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de  10  h.  à  midi  et  de  ?  !>.  à  o  h. 


Le  numéro  :  75  centime» 

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Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musical 

(le     1"     ET     LE     15     DE     CHAQUE     MOIS) 

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Le    Numéro  :    75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 
Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS    (16«) 
Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8 

(TÉLÉPHONE  ;    252-95) 

COLLABORATEURS  : 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit  — 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bortelin  —  Michel  Brenet  —  Gustave  Bret  — 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  M.  Boulestin  —  M.-D.  Calvocoressi  — 
J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  •—  D' Colas  —  M.  Daubresse  —  VictorJ|j 
Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert Diot—  RenéDoire—  F.  Drogoul— ■ 
Eva  —  Emm.  Ergo  —  Gabriel  Fauré  —  Flédermaus  —  L.  de  Fourcaud  — tF 
G.  de  Flagny  —  Henry  Gauthier- Villars  E.  Giovanna  —  Omer  Guiraud  — 
F.  Hellouin  —  Vincent  dTndy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  G.  Knosp. 

—  Lionel  de  la  Laurencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon 

—  Ch.  Malherbe  —  A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  — 
Jacques  Méraly  —  F.  de  Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis  Lussy  —  Octave 
Maus  —  Jean  Marcel—  Alfred  Mortier—  Aloys  Mooser —  Raymond-Duval 

—  Rhené-Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns.  — 
J.  Sauerwein  —  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  ~ 
E.  Segnitz  —  Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D'  Fritz  Volbach  —  E.  Vuil- 
lermoz,  etc  ..  ____,.«*^____ 

li»  Courrier  Musical  est  •n  ireate  : 
A  PARIS:    29,  ^we  Tronchet, 

Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  boulevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  VOdéon,  —  14,  rue  Auher, 

—  ^6  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  i,  Faubourg  Saint-Honcré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre-Français. 

Chez  M.   LEGOUX,  4,  l've  de  Rougemont  ;  20,  faubourg  Poissonnière,  etc. 
Chez  M.  PUGNO,  ij.   Quai  des  Grands-^ugusiins,  etc.. 
EN  PROVINCE,   chez  les  principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 

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Pour    l'ALLEMAGNE  :      •     MM     BREITKOPF    &   MORTEL,  à  LEIPZIG 

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Pour   la   BELGIQUE  :     )  Co.r.  â  BRUXELLES 

n         ,f  A^ni  cTCDDc  .      i     MM.   BREITKOPF  A   H/ERTEL,    54,    Malborough-Street, 
Pour  I  ANGLETERRE  .      ^  LONDON-W. 

Pour    la    HOLLANDE  :      )    MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM, 

,  (    MM.  BR^NTANO'S,  Union  Square,  NEVy-YORK. 

Pour   l' AMERIQUE  :      ^    t^^  q  scHIRNER,  35,  Union  Square,  NEW-YORK. 


9«  ANNEE.  N«  i3.  i"' JUILLET  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Sensations  récentes  (Camille  Mauclair).  — Corneille  et  la  musique 
suite  et  fin  (Jules  Écorcheville^.  —  La  Quinzaine  Musicale.  —  Sonatières  et  les 
alentours.  —  Le  Mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger  :  Les  Assises  de  la 
Schola,  à  Montpellier  (R.  de  Castéra)  ;  le  Festival  Rhénan,  à  Aix-la-Chapelle  (A.  Diot), 
—  Lettre  de  Munich  (E.  de  Stœcklin).  —  Correspondance  de  :  Essen.  —  Echos  et 
Nouvelles  diverses. 


—  Le  2ç  Juillet,  on  célébrera  le  ^o"  anniversaire  de  la  mort 
de  Robert  Schumann. 

Notre  prochain  numéro  sera  consacré  au  grand  compositeur 
allemand . 


Sensations  récentes 


MAURICE   RAVEL 

La  musique  de  piano  de  Maurice  Ravel,  que  j'entends  Ricardo 
Vinès  jouer  comme  lui  seul  le  peut  faire,  me  donne  une  impression 
dont  la  saveur  entre  toutes  m'agrée  ;  celle  de  la  véritable  jeunesse. 
Ravel  arrive  devant  la  vie  musicale  comme  un  enfant  extraordi- 
naire, et  il  sourit,  et  il  chante. 

La  musique  de  piano  de  Debussy,  qui  est  merveilleuse,  n'a  pas 
pour  moi  cette  ingénuité  que  l'art  de  Maurice  Ravel  offre  avec  une 
confiance  si  abandonnée.  Debussy  n'est  un  «  jeune  »  qu'au  sens  un 
peu  vague  où  l'entendent  les  gazettes.  C'est,  malgré  tout  ce  qu'on 
pourra  dire,  un  romantique  morbide,  un  Baudelairien^  un  héritier 
intellectuel  de  Mallarmé.  Il  a  fait  un  immense  effort  pour  se  déga- 
ger d'influences  et  de  transitions  et  se  créer  une  musicalité  indivi- 
duelle. Mais  Maurice  Ravel  surgit  tout  neuf,  n'ayant  pas  eu  cette 
lutte  à  soutenir  :  et  j'entends  bien  que  Debussy  l'a  soutenue  pour 
tous,  et  que  c'est  un  des  motifs  de  sa  gloire,  mais  le  fait  est  que 
Ravel  apparaît  simple,  libre,  et  comme  à  la  première  heure  d'une 
musique  nouvelle. 

Entendre  VAlborada  delgracioso^los  Oiseaux  tristes,  ou,  plus 


—  434  — 

encore,  ce  chef-d'œuvre  absolu  et  poignant  qui  s'appelle  Barque 
sur  V Océan,  c'esi  pour  moi  goûter  un  fruit  dont  jamais  mes  lèvres 
ne  connurent  la  chair  parfumée,  et  supposer  par  ce  seul  contact  tout 
un  paysage  d'îles  insoupçonnées.  Ravel,  après  Debussy  mais  autre- 
ment et  plus  encore,  accomplit  le  charmant  et  paradoxal  miracle  de 
nous  faire  accepter  cette  harmonie  imitative  que  nous  rangions  au 
nombre  des  vieilles  erreurs  de  l'esthétique  musicale.  Il  ne  transpose 
pas  en  langage  sentimental  des  impressions  de  nature  :  réellement, 
son  piano  imite  les  oiseaux  du  soir,  ou  l'eau  courante,  ou  les  bonds 
et  les  gestes  fébriles  du  gracioso  espagnol,  et  nous  les  voyons,  et 
nous  les  touchons,  et  cependant  ce  n'est  jamais  à  force  de  virtuosité. 
Il  faut  un  virtuose  exceptionnel  comme  Vinès  pour  jouer  cette 
musique,  mais  son  délicat  génie  s'accorde  à  celui  de  Ravel  pour  que 
cette  virtuosité  se  dérobe  avec  grâce  à  tout  soupçon  d'effort  pré- 
conçu. 

Ravel  recrée  l'harmonie  imitative  par  la  fraîcheur  heureuse  de 
son  âme.  Aussi  subtil  technicien  que  Debussy,  en  lui  j'aperçois  des 
idées  plus  simples,  des  sensations  plus  directes,  et,  jusqu'ici,  un 
sens  de  joie  qu'aucune  tristesse  enfiévrée  n^a  troublé.  Il  n'éprouve 
aucune  gêne  à  imiter  avec  des  sons  la  matière  et  le  rythme  des 
choses  vivantes,  et  sa  musique  est  une  matinée  de  juin,  éternelle, 
introublée,  radieuse  :  le  soleil  ne  meurt  pas  au  fond  de  ses  paysages. 

J'ai,  en  écoutant  cette  musique,  la  sensation  qu'elle  est,  comme 
le  fut  celle  de  Schumann,  le  point  de  départ  d'une  nouvelle  musi- 
que de  piano.  Rien  de  tel  n'existe  ni  dans  Schumann,  ni  dans  Liszt. 

Nous  sommes  véritablement  en  présence  d'un  art  qui  n'était 
pas  même  prévu  il  y  a  quelques  années.  Mais  je  ne  sais  pas  ce  que 
nous  apportera  cet  art.  Je  crains  qu^il  ne  nous  ramène  aux  dange- 
reuses et  lassantes  prouesses  du  virtuosisme  en  soi  :  car  la  musique 
de  Maurice  Ravel  est  pleine  de  tendresse,  d'émotion  et  de  pensée, 
mais  elle  voile  tout  cela  d'un  rideau  de  pierreries  tremblantes  et 
versicolores  que  bien  peu  de  mains  sauront  agiter  sans  croire  que 
ce  scintillement  est  tout  le  but  de  leurs  gestes,  et  la  dépense  d'habi- 
leté technique  doit  être  ici  telle,  qu'on  songe,  plus  qu'à  la  maîtrise 
classique  de  l'instrument,  au  charme  fallacieux  des  jongleurs  japo- 
nais. Je  crains  qu'aux  mains  des  pianistes  le  sentiment  ne  s'efface 
sous  l'écriture.  Je  crains  aussi  que  ce  réveil  inattendu  de  l'harmonie 
imitative  ne  semble  bref  et  petit  auprès  de  la  musique  transcrivant 
l'éloquence  d'une  humanité  qui  souffre  et  qui  espère...  Mais  on  me 
rejoue  les  Miroirs  et  alors  je  n'ai  plus  le  courage  du  doute  restrictif 
et  j'écoute  avec  gourmandise.  Advienne  que  pourra  des  pianistes 
redoutables  et  des  futurs  pasticheurs  !  La  musique  de  piano  de 
Maurice  Ravel  est  d'un  délicieux  maître  qui  ne  ressemble  qu'à  lui- 
même,  et  je  lui  dois  ses  rêves  que  je  n'escomptais  pas.  Ce  jeune 
homme  aï  rencontré  Lorelei,  et  il  est  le  familier  des  fées  de  la  mer 


—  435  ~ 

et  de  la  source,   et  les  sonorités   qu^il   éveille   luisent,  humides  et 
brillantes,  comme  des  dents  en  le  fruit  rouge  d'une  jeune^bouche. 

II 

L'APPLAUDISSEMENT  AU  CONCERT 

Alfred  Cortot  me  charme,  qui,  au  piano,  semble  ouvrir  un  tré- 
sor avec  la  confiance  hardie  d'un  très  jeune  héros  du  romantisme  en 
frac  noir,  mince,  une  boucle  brune  hésitant  sur  un  front  mat  qui 
surplombe  un  regard  nocturne  :  les  deux  mains  vivantes  aux  bouts 
des  poignets  souples  plongent  dans  le  coffre  d'ébène  et  en  retirent 
des  grappes  lumineuses  d'arpèges  qu'elles  secouent,  tout  humides 
de  sonorités  fraîches,  vers  l'auditoire.  Cependant,  identifié  au  long 
et  vaste  piano  par  la  couleur  de  sa  vêture,  le  prolongeant,  seul  avec 
lui  et  en  lui,  l'artiste  semble  moins  nous  donner  la  joie  d'un  concert 
que  travailler,  dans  la  pénombre  des  girandoles  atténuées  et  baissées 
d'un  ton,  à  devenir  ce  soir  encore  plus  lui-même. 

De  Cortot  avant  -tout  me  plaît  le  sentiment  de  sa  solitude  en 
public.  Réellement,  nous  ne  sommes  pas  là  et  il  n'en  veut  pas  dou- 
ter. Hâtant  d'un  geste  bref  le  salut  préliminaire  qui  le  relie  à  nous 
qui  l'attendions,  il  s'assied  et  dès  lors  il  est  tout  seul.  Il  sait  par 
cœur  ce  qu'il  va  jouer  ;  mais  dès  que  sa  main  a  émis  le  premier 
des  sanglots  dont  le  piano  est  empli,  le  voici  qui  réapprend  toute 
la  musique,  et  s'étonne  de  sa  beauté.  Assis  en  dessous  de  lui,  et  le 
considérant  de  bas  en  haut  sur  la  scène,  je  l'aperçois  qui,  vers  soi- 
même  uniquement  tourné,  essaie  d'inventer  une  façon  imprévue  de 
concevoir  ce  qu'il  voulait  rendre  ;  et  une  volonté  soucieuse  empreint 
son  visage,  et  ses  prunelles  se  dérobent  dans  des  trous  d'ombre,  et 
il  cherche,  d'un  lent  mouvement  de  ses  deux  mains,  à  renouer  d'un 
nœud  inédit  le  fil  d'or  qu'il  tisse  pour  unir  les  pierreries  de  la 
sonorité. 

L'instinct  du  virtuose  étant  de  se  donner,  Cortot  m'intrigue  par 
tout  ce  désir  contradictoire  que  je  lis  en  lui,  se  reprendre.  Au  lieu 
de  projeter  vers  nous  la  musique  qu'il  sait,  il  la  résorbe,  il  se  la 
joue  pour  la  posséder  plus  encore  et  non  pour  nous-  l'offrir.  C'est 
une  aimée  qu'il  garde  et  une  confidente  qu'il  implore.  C'est  à  nous 
d'aller  jusqu'à  lui,  car  il  ne  fera  rien  pour  venir  à  nous.  Au  cours 
d'un  très  long  tête  à  tête  avec  l'instrument,  par  exemple  la  Sonate 
de  Liszt,  je  sens  très  bien  qu'il  nous  a  oubliés.  Depuis  longtemps 
nous  sommes,  dans  cette  salle  toute  blanche,  un  rectangle  de  foule 
noire  et  muette.  Rien  ne  remue,  chacun  est  acquis  au  total  silence, 
et  même  les  chrysanthèmes  blancs  des  chapeaux  féminins  n'ondoient 
pas  en  ce  parterre,  et  nul  éventail  ne  bat  de  son  aile  gracile.  Des 
minutes  s'écoulent.  Le  jeune  homme  sombre,  toutefois,  ne  nous 
regarde  pas.  Il  touche,  preste,  câlin  ou  impérieux,  le  piano  marbré 


—  45^  — 

de  reflets  obscurs  ;  et  j'ai  l'impression  étrange  de  deviner  tout  à  coup 
qu'il  caresse  un  corps  vivant.  L'instrument  n'est  plus  l'intermédiaire 
entre  la  musique  et  le  virtuose.  C'est  réellemeut  lui  qui  pleure,  qui 
chante,  qui  rêve,  parce  qu'un  être  privilégié  sait  l'effleurer  ou  le 
frapper  dans  de  mystérieux  centres  nerveux.  Et  avec  toute  cette 
musique  éperdue,  voletante,  gracieuse  et  terrible,  Alfred  Cortot  finit 
par  construire  au-dessus  de  lui  et  de  nous  une  sorte  de  silence  harmo- 
nique extraordinaire.  Pour  obtenir  un  tel  silence  il  faut  le  magnétisme 
de  sons  aussi  beaux.  Un  tel  silence  ne  nous  est  imposé  que  par  le 
prestige  de  cette  confrontation  entre  un  artiste  de  pensée  supérieure 
et  la  musique  pure.  Nous  n'avons  rien  à  faire  qu'à  les  regarder  tous  les 
deux  :  lui  qui  la  cherche,  elle  qui  se  défend,  lui  qui,  grave,  avec  une 
bouche  triste  et  des  doigts  subtils,  l'émeut  et  la  prie,  et  choisit  en  elle, 
et  la  surprend  et  la  maîtrise,  elle  qui,  capricieuse  et  enivrée,  s'échappe 
en  fusées  de  rires  cristallins  ou  en  cris  désespérés  qui  retentissent  au 
profond  de  la  salle. 

Brusquement  nous  voici  distraits  de  cet  envoûtement.  L'artiste 
et  la  musique  ont  cessé  de  se  consulter,  nous  allons  avoir  à  répondre 
quelque  chose,  comme  on  intervient  par  un  chuchotement  ou  un  dis- 
cret bruit  de  pas  pour  faire  savoir,  au  milieu  d'une  intime  causerie, 
qu'on  est  là.  Et  alors  qu'est-ce  que  nous  faisons,  pour  dire  merci  de 
cette  beauté  qui  vient  de  briller?  Nous  frappons  dans  nos  mains  et 
nous  ne  trouvons  rien  d'autre  I  II  semble  que  le  miroir  magique  oii 
viennent  de  nous  éblouir  tant  de  mirages  se  fracasse  en  mille  éclats, 
et  que,  saisis  d'une  subite  fureur  d'avoir  été  médusés  si  longtemps, 
les  corps  que  nous  habitons  se  révoltent  et  invoquent  le  vacarme 
pour  railler  l'harmonie.  La  frénésie  nerveuse  nous  fait  imiter  le  bruit 
des  soufflets,  crier,  frapper  du  pied  et  de  la  canne,  et  clamer  presque 
avec  colère  le  nom  de  l'homme  qui  a  osé  être  tellement  plus  admi- 
rable que  nous.  Jamais  nous  ne  ferons,  nous  semble-t-il,  assez  de 
tumulte  pour  racheter  tant  de  sonorités  idéalement  justes,  jamais 
assez  de  discordances  pour  compenser  tant  d'accords.  Une  sauva- 
gerie nous  exalte,  et  nous  symbolisons  devant  ce  musicien  et  son 
âme  l'éternel  grondement  des  bêtes  devant  Orphée. 

Cependant,  si  Cortot  achevait  déjouer  dans  le  silence,  combien 
ce  silence  paraîtrait  lourd!  Jamais  mieux  qu'après  son  jeu  je  n'ai 
compris  l'insuffisance  et  la  nécessité  de  cette  forme  d'approbation, 
restée  à  l'état  brut,  que  nous  appelons  l'applaudissement,  et  qui  me 
semble  signifier  le  cri  de  haine  de  la  vie  banale  contre  l'homme  qui  a 
su  lui  voler  une  heure  pour  la  magnifier  de  beauté.  11  avait  su  nous 
peindre  le  silence  extasié  de  l'âme  dans  ses  régions  véritables  avec 
des  sons  si  délicieux  —  et  voici  que  nous  sommes  tous  debout  en 
criant  ! 

Je  crois  voir  dans  l'inclinaison  mélancolique  de  son  buste,  et 
dans  la  lassitude  de  son  visage  défait  qui  salue,   et  dans   le  retrait 


—  437  — 

déférent  de  toute  sa  personne,  le  désaveu  inconscient  d'un  tel  fracas, 
et  surtout  la  tristesse  de  l'impuissance  humaine,  l'idée  pénible 
qu'après  qu'il  nous  parla  si  hautement  nous  n^eûmes  que  cela  à  lui 
répondre...  Je  pense  que  le  hurlement  des  fauves  n'émut  pas  Orphée 
avant  qu'il  chantât.  Mais,  lorsqu'il  eut  fini,  et  lorsque  les  bêtes, 
délivrées  de  la  magie,  s'en  allèrent  et  redevinrent  elles-mêmes  au 
fond  de  la  forêt,  comme  leur  premier  grondement  dut  lui  paraître 
désolant  !  C'est  peut-être  à  cet  instant-là  qu'il  songea  pour  la  première 
fois  à  l'inutilité  de  la  lyre... 

J'avais  récemment,  en  deux  concerts,  cette  impression,  décidé- 
ment confirmée,  de  la  signification  triste  et  farouche  de  l'applaudis- 
sement par  où  nous  rentrons  dans  la  vie  ordinaire  après  l'extase 
musical.  Rien,  en  somme,  ni  le  silence  morne,  ni  le  battement 
déplaisant  des  mains  et  les  cris  s'élevant  tandis  que  les  lustres  se 
raniment,  ne  peut  donner  une  conclusion  au  chant  tragique  de 
Madame  Adiny  sanglotant  la  Lorelei  de  Liszt  et  de  Heine  ;  rien  ne 
succède  sans  brisure  au  dernier  accord  du  second  trio  de  Schumann. 
Peut-être  ma  vision  n'est-elle  pas  totalement  fausse  même  si  je  fus  le 
seul  à  l'avoir  :  je  regardais  Cortot  se  lever  et  saluer,  svelte  et  correct, 
Jacques  Thibaud  pâle  et  fin  s'incliner  avec  déjà  un  mouvement 
esquissé  pour  disparaître.  Quant  à  Pablo  Casais,  il  n'y  a  rien  à  en 
dire  sinon  que,  là  comme  toujours,  venant  de  parler  à  son  violon- 
celle, il  regardait  en  soi-même  et  ne  savait  en  quel  lieu  du  monde  il 
était.  La  musique  cessée  isolait  de  nous  ces  trois  jeunes  hommes 
plus  encore  que  la  surélévation  de  la  scène  qui  symbolise  le  passage 
d'un  monde  dans  l'autre  :  quel  sens  pouvaient  avoir  pour  eux,  leur 
tâche  faite,  l'agitation  frénétique  de  cette  vague  humaine  déferlant  à 
leurs  pieds,  et  l'éclat  de  toutes  ces  mains  battantes  comme  pour  leur 
envoyer  un  adieu,  puisqu'était  évanouie  la  grande  brise  sonore  sans 
laquelle  ce  flot  fût  demeuré  inerte  ?  Il  m'apparut  bien  que  si  on  les 
faisait  revenir,  et  revenir  encore,  c'était  pour  les  contraindre  à  cons- 
tater qu'ils  vivaient  au  milieu  de  nous,  qu'ils  nous  appartenaient 
comme  amis,  et  que  nous  reprenions  sur  eux  tous  nos  droits  en  les 
forçant  d'écouter  notre  musique  de  sauvages  enthousiastes  :  mais,  en 
réalité,  tandis  qu'ils  jouaient,  ils  avaient  été  tout  seuls. 

Je  sortis  curieux  d'inventer  quelque  façon  nouvelle  de  terminer 
un  concert  et  de  dire  merci,  pour  éviter  à  la  fois  le  silence  qui 
semble  un  froid  désaveu  et  le  tapage  qui  déplaît  :  ne  trouvant  rien 
d'ailleurs,  sinon  peut-être  que  chaque  dame  présente,  sans  rien  dire, 
posât  sur  le  sarcophage  majestueux  du  piano  refermé  une  des  roses 
de  sa  ceinture. 

Camille  MAUCLAIR. 


433- 


Corneille  et  la  Musique 


(Suite  et  fin) 


Une  seule  fois  le  sentiment  musical  l'emporte  sur  tout  autre  et  parait  au  premier 
plan.  Au  deuxième  acte,  une  scène  gracieuse  et  quelque  peu  maniérée,  nous  montre 
le  chant  lié  à  l'intrigue  elle-même. 

Andromède  incertaine  de  son  sort  attend  la  venue  de  Phinée.  Tout  à  coup  on 
entend  une  voix  de  jeune  garçon  qui  chante  : 

Qu'elle  est  lente  cette  journée 

Aussitôt  Andromède  : 

Taisons-nous,  cette  voix  me    parle  pour  Phinée 
Sans  doute  il  n'est  pas  loin  et  veut  son  retour 
Que  des  accents  si  doux  m'expliquent  son  amour. 

Et  le  page  reprend  derrière  la   coulisse  : 


LS  PAGE  : 


Qu'elle  est     len.te      cet-tejour-îié  .  e     dont      la     fin  me  doit 


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2     COUPLET 

Je  dois  posséder  Andromède 
Juge  Soleil  quel  est  mon  bien 
Vis-tu  jamais  amour  égal  au  mien? 
Vis-tu  beauté  qui  ne  lui  cède  ? 
Puis  donc  que  la  longueur  du  jour 
De  mon  nouveau  mal  est  la  source, 

Précipite  ta  course 

Et  tarde  ton  retour. 

O  Ciel  quel  est  l'heur  etc. 


Tu  luis  encore  et  ta  lumière 
Semble  me  plaindre  et  m'affliger. 
Ah  mon  amour  te  va  bien  obliger 
A  quitter  soudain  ta  carrière  ! 
Viens  Soleil,  viens  voir  la  beauté 
Dont  le  divin  éclat  me  dompte^ 
Et  tu  fuieras  de  honte 
D'avoir  moins  de   clarté. 

O  Ciel  quel  est  l'heur  etc. 


Phinée.  —  Ce  n'est  pas  mon  dessein,  Madame,  de  surprendre 

Puisqu'avant  que  d'entrer  je  me  suis  fait  entendre. 
yi.  —  Vos  vœux  pour  les  cacher  n'étaient  point  criminels, 

Puisqu'ils  suivent  des  dieux  les  ordres  éternels. 
Ph.  —  Que  me  direz-vous  donc  de  leur  galanterie  ? 

y4.    —  Que  je  vais  vous  payer  de  votre  flatterie. 

Ph.  —  Comment  ? 

.^.    —  En  vous  donnant  de  semblables  témoins, 

Si  vous  aimez  beaucoup  que  je  n'aime  pas  moins. 

Approchez  Liriope  et  donnez-lui  son  change. 

C'est  vouSj  c'est  votre  voix  que  je  veux  qui  me  venge. 

De  grâce  écoutez  là  ;  nous  avons  écouté. 

Et  demandons  silence  après  l'avoir  prêté. 


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LIRÏOPE 


LE  PAGE 


BASSE 


Bien  que  le  juste  ciel  fasse  voir  que  sans  crime 

On  la  préfère  aux  nymphes  de  la  mer  ; 

Ce  n'est  que  de  savoir  aimer  qu'elle  veut  qu'on  l'estime. 

Chacun  d'amour  pour  elle  consumé 

D'un  cœur  lui  fait  un  temple. 

Mais  quoiqu'elle  sôit  sans  exemple, 

Phinée  est  encore  plus  aimé. 

Enfin  si  ses  beaux  yeux  passent  pour  un  miracle 

C'est  un   miracle  aussi  que  son  amour, 

Pour  qui  Vénus  en  ce  beau  jour 

A  prononcé  ce  digne  oracle. 

Le  ciel  lui-même  en  la  voyant,  charmé, 

La  juge  incomparable. 

Mais  quoiqu'il  l'ait  faite  adorable 

Phinée  est  encore  plus  aimé. 


aiîie 


g^^Sp^pE3F^-^J=^É=i.f-^^ 


S  n!oiit_tous_dei2x_qu'un-cœur        Joignons  nos  .  voix  pour-chan. 

"if  k        I 


Joignons. nos    voix  pour  cîian. 


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—  445  — 


.ter  leur    bon.   heur  joignons-nos    voix    pour  bé  ..nir    leur     at  ., 


.ter  leur    bon.  heur  joignons  nos    voix   pour  bé  .  nir    leur     ai. 


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te  joignons  nos  voix  pour  chanter  pour  chauler  leur  bon. 


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te         joignons-aos  vois  pourchanterpourjchanier- leur  bon 


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Le  Page.  —  Le  ciel  le  veut. 
Liriope.    —  Vénus  l'ordonne. 
Le  Page.  —  L'amour  les  joint. 
Linope.    —  L'hymen  va  les  unir. 
Tous  les  deux.  —  Douce  union  que  chacun  doit  bénir, 

Heureux  amour  qu'un  tel  succès  couronne. 

^ndromcdj.  —■  11  n'en  faut  point  mentir,  leur  accord  m'a  surprise. 
Pbinée.  —  iVIadame  c'est  ainsi  que  tout  me  favorise 

Et  que  tous  vos  sujets  soupirent  en  ces  lieux 
Après  l'heureux  effet  de  cet  arrêt  des  dieux. 

Phinée  a  raison  ;  tout  ceci  est  bien  une  galanterie.  Au  milieu  du  drame  cette 
scène  forme  un  temps  d'arrêt,  un  moment  de  repos  que  la  musique  vient  orner.  Les 
héros  se  divertissent  ;  c'est  donc  le  lieu  de  faire  entendre  quelque  chanson  et  cet  in- 
termède galant  rendra  d'autant  plus  saisissante  la  reprise  soudaine  des  péripéties  tra- 
giques. Ainsi  raisonne  le  lyrisme  de  Corneille,  qui  ne  dépasse  pas  du  reste  ce  petit 
tableau.  Encore  l'auteur  a-t-il  cru  devoir  s'excuser  de  cette  diversion 
L  abandon  de  l'alexandrin,  la  «  diversité  et  la  croisure  »  des  vers  lui  ont  semblé  mé- 


—  444  — 

riter  quelques  lignes  d'examen,  «  Je  demeure  d'accord,  écrit-il  avec  modestie,  que 
c'est  quelque  espèce  de  fard,  mais  puisqu'il  embellit  notre  ouvrage  et  nous  aide  à 
mieux  atteindre  le  but  de  notre  art  qui  est  de  plaire,  pourquoi  devons-nous  renoncer 
à  cet  avantage  ?  »  Et  pour  convaincre  le  lecteur.  Corneille  insiste  sur  l'état  d'esprit 
des  personnages  qui  se  laissent  ainsi  aller  au  charme  d'une  poésie  musicalisée.  Leur  in- 
souciance est  l'excuse  de  leur  badinage.  Mais  «on  ne  pourrait  approuver  qu'un  auteur 
touché  fortement   de  ce   qu'il  lui   vient  d'arriver,  se  donnât  la  peine  de  faire  des 

stances »  La  bienséance  poétique  telle  que  la  conçoit  Corneille  n'admet  pas  qu'une 

passion  vive,  et  profondément  affectée  se  prête  au  chant.  Cet  aveu  confirme  les  décla- 
rations à  Ariste.  Vers  1630  Corneille  s'élevait  contre  la  tyranie  des  sons  ;  vingt  ans 
plus  tard  il  définit  les  limites  de  l'art  musical  en  l'excluant  des  sentiments  héroïques. 
Ici  et  là  le  point  de  vue  esthétique  ne  change  pas.  La  musique  reste  un  joug  ou  une 
vanité  suivant  que  le  poète  la  subit  ou  en  tire  parti,  et,  dans  tous  les  cas,  un 
embellissement  dont  on  pourrait  se  passer.  La  sonorité,  dès  qu'elle  dépasse  une  cer- 
taine convention  (qui  sera  par  exemple  l'alexandrin)  devient  suspecte  à  Corneille. 
C'est  une  concession,  un  moyen  de  plaire,  un  attrait  qui  n'est  point  tout  à  fait 
licite,  une  joie  sensible  et  presque  condamnable.  Derrière  l'esthétique  apparaît  la 
morale. 

Une  œuvre  comme  Andromède,  conçue  sous  l'empire  d'une  double  préoccupation, 
et  reposant  sur  le  compromis  de  deux  arts  différents  a  chance  de  déplaire  à  toute  la 
critique.  Les  littérateurs  la  dédaignent,  les  musiciens  n'en  font  point  de  cas.  Voltaire 
s'est  montré  particulièrement  dur  pour  cette  tragédie.  «  Il  était  permis  à  Corneille, 
écrit-il  dans  son  commentaire  (i)  de  s'égarer  dans  un  genre  qui  n'était  pas  le  sien.  Ce 
genre  ne  fut  perfectionné  par  Quinaut  que  trente  ans  après.  »  Et  il  ajoute,  à  propos 
d'un  chœur  :  «  Ce  fut  dit-on  Boissette  qui  mit  ce  chœur  en  musique.  On  ne  connaissait 
presque  en  ce  temps-là  qu'une  espèce  de  faux  bourdon,  qu'un  contrepoint  grossier, 
c'était  une  espèce  de  chant  d'église,  c'était  une  musique  barbare,  en  comparaison  de 
celle  d'aujourd'hui.  Ces  paroles  '^ine  de  Paphe  et  d'Amathonte  sont  aussi  ridicules  que 
la  musique.  II  n'y  a  rien  de  moins  musical,  de  moins  harmonieux  que  :  D'où  le  mal 
procède,  part  aussi  le  remède.  »  Enfin  il  conclut  :  «  L'iÂndromède  de  Corneille  fut  aussi 
supérieure  à  VOrphée  (de  Rossi)  que  Mélite  l'avait  été  aux  comédies  du  temps  ;  ainsi 
Corneille  fut  au-dessus  de  ses  contemporains  dans  tous  les  genres  qu'il  traita...  L'o- 
péra fit  tomber  absolument  toutes  les  pièces  de  ce  genre » 

Le  jugement  musical  de  Voltaire  suffirait  à  discréditer  ici  son  commentaire  litté- 
raire, si  ce  commentaire  n'était  lui-même  indigne  d'un  historien  raisonnable.  Il  s'en 
faut  de  beaucoup  que  la  solution  du  problème  dramatique  proposée  par  Corneille  dans 
Andromède  soit  ridicule  et  barbare.  Elle  n'était  point  si  méprisable  puisque  elle  triom- 
phait à  l'époque  de  Voltaire  sous  la  forme  de  l'opéra  comique.  Ne  faire  entendre  de  la 
musique  que  là  où  il  en  est  besoin,  n'est-ce  pas  la  logique  même?  Si  la  tragédie  de 
1650  n'est  pas  susceptible  de  se  musicaliser  entièrement,  la  faute  n'en  est  pas  à  Cor- 
neille. Et  en  tout  cas  si  ce  reproche  était  fondé,  il  ne  pourrait  guère  être  présenté  au 
nom  de  l'opéra  de  Lully.  LuUy  et  Quinaut  n'ont  en  aucune  façon  porté  à  sa  perfection 
le  genre  ébauché  par  Corneille.  Ils  ont  par  contre,  imposé  violemment  leur  lyrisme  à 
une  mentalité  dramatique  qui  ne  lui  convenait  guère.  Ils  ont  appliqué  sans  réserve  ces 
ornements  que  Corneille  employait  avec  discrétion.  Cette  bienséance  dont  Voltaire 
leur  fait  un  mérite,  qu'est-ce  donc  en  réalité  sinon  un  simple  procédé  d'appropria- 
tion ?  Là  où  les  sentiments  et  les  actions  se  prêtaient  mal  aisément  à  l'expression  mu- 


(l)  Edition  de*  œuvres  de  Corneille.  Paris  1769. 


—  445  — 

sicale,  le  Florentin  et  son  collaborateur  ont  affaibli,  retouché,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
atteint  cette  imprécision  sentimentale  sans  laquelle  il  n'est  point  de  musique  possible. 
Qu'ont-ils  gagné  ?  Une  incroyable  fadeur  et  une  prodigieuse  monotonie.  Les  senti- 
ments que  la  tragédie  de  1650  avait  individualisés,  localisés  au  milieu  d'intrigues  com- 
plexes n'existent  plus  dès  qu'ils  sont  ainsi  dépouillés  de  ce  qui  faisait  leur  intérêt.  La 
comparaison  de  Y  Andromède  avec  le  Pcrsée  de  LuUy  est,  quoiqu'on  dise  Voltaire,  tout 
à  l'avantage  de  Corneille.  Il  ne  reste  plus  dans  l'opéra  que  des  lieux  communs  d'une 
émotion  convenue,  qui  se  traînent  lamentablement  au  milieu  d'épisodes  vraiment 
enfantins.  Mieux  vaut  encore  la  fantaisie  un  peu  folle  de  1650  que  cette  uniforme 
galanterie  de  1682  où  ni  la  musique,  ni  l'action,  ni  l'intérêt  ne  trouvent  leur  compte. 
Pour  condamner  Corneille  il  eût  fallu  pouvoir  rendre  à  la  musique  la  première 
place  dans  le  drame  lyrique,  et  cela  non  pas  en  imposant  de  force  celle-ci  à  celui-là, 
mais  en  les  faisant  jaillir  l'un  de  l'autre.  Si  les  faits  et  les  gestes  des  héros,  l'intrigue 
et  les  personnages  mêmes  avaient  été  conçus  par  cet  esprit  de  la  musique  dont 
Nietsche  fera  l'apologie  deux  cents  ans  plus  tard,  l'équilibre  d'une  œuvre  comme 
Andromède  eut  été  tout  autre.  Mais  c'est  précisément  là  ce  dont  Voltaire  ne  s'avisera 
jamais.  Le  commentateur  de  Corneille,  et  avec  lui  LuUy  et  tous  nos  classiques  du 
xviii®  siècle,  ne  voient  dans  le  chant  et  dans  l'orchestre  qu'un  ornement  accessoire 
ajouté  au  sens  raisonnable,  qui  est  le  principal.  Pourquoi  donc  vouloir  abuser  de  ce 
plaisir  s'il  n'est  pas  légitime,  et  pourquoi  mépriser  ceux  qui  lui  ont  assigné  modeste- 
ment sa  place  ?  L'esthétique  qui  a  produit  Persée  ou  Mahomet  est  désarmée  contre 
Andromède  ;  seul  le  wagnérisme  moderne  pourrait  défendre  contre  Corneille  une  thèse 
dont  le  «  classicisme  »  est  l'avocat  incompétent. 


Ce  lien  flottant,  mais  cependant  habile  qui  rattachait  la  musique  à  la  tragédie 
d'Andromède,  est  presque  complètement  rompu  dans  la  Toison  d'Or.  Ici  ni  l'esprit 
ni  l'oreille  se  sont  satisfaits.  Tout  est  pour  les  yeux.  Le  mythe  symbolique  de 
la  Toison  de  Colchique  semble  réalisé  devant  nous  par  quelque  entrepreneur  de  féerie. 
Dans  cette  «  machine  »  le  poète  disparaît  devant  le  metteur  en  scène.  Et  c'est  bien  en 
effet  le  machiniste  qui  a  joué  le  premier  rôle  dans  l'histoire  de  cette  œuvre.  Il  s'appe- 
lait Alexandre  de  Rieux,  marquis  de  Sourdéac  et,  soit  en  Normandie  dans  son  châ- 
teau de  Neufbourg,  près  Louviers,  soit  à  Paris  dans  son  hôtel  de  la  rue  Garancière(i), 
il  se  livrait  aux  entreprises  sportives  les  plus  différentes  et  parfois  les  plus  extrava- 
gantes. La  menuiserie  et  le  cross-country  l'avaient  rendu  célèbre  dès  le  temps  où 
Tallemant  rédigeait  ses  Historiettes.  Mais  il  avait  bien  d'autres  passions  encore.  Un 
rapport  de  police  (2)  nous  le  dépeint  ainsi  :  «  Homme  de  la  première  naissance  du 
royaume,  il  a  piraté  sur  la  côte  de  Bretagne  sans  aveu  et  sans  ordres  à  la  faveur  des 
troubles  de  l'Etat...  il  est  chargé  de  crimes,  soupçonné  toute  sa  vie  de  faire  de  la  fausse 
monnaie  à  Neubourg,  où,  dans  les  paiements,  on  demande  si  ce  sera  monnaie  du  Roi 
ou  de  Neubourg  ;  usurier  public  prêtant  à  deux  sous  par  livre  par  mois  (120  0/0), 
ainsi  que  toutes  les  revendeuses  de  Paris  témoigneront.  Désordonné  dans  ses  habits, 
courant  au  lieu  de  marcher  par  la  ville  comme  un  fol  échappé...  Allant  seul  à  la  halle 
et  au  marché  et  rapportant  sous  son  justaucorps  du  gibier  et  de  la  morue...  toujours 
dans  les  cabarets  et  lieux  infâmes,  entretenant  publiquement  des  femmes  dans  sa  mai- 
son aux  yeux  de  sa  femme  et  de  ses  filles...  jurant,  outrageant  les  ouvriers,  les  sym- 
phonistes, les  musiciens,  les  filles  de  l'Académie...   recevant   l'argent  à  la  porte  sans 


(i)  Aujourd'hui  occupé  par  la  maison  Pion. 

(2)  Publié  par  Nuitter  et  Thoinan  dans  leurs  Origines  de  l'Opéra  français. 


—  446  — 

chapeau  et  sans  manteau,  paraissant  sur  le  théâtre  nud  en  chemise,  sifflant  pour  la 
conduite  des  machines...  »  (  i  ). 

En  vérité.  Corneille  n'était  pas  heureux  dans  le  choix  de  ses  collaborateurs.  Au 
bohème  Dassoucy,  succédait  l'aventurier  Sourdéac,  sorte  de  diable  au  corps,  qui  prit 
l'occasion  du  mariage  du  roi  pour  se  signaler  par  une  nouvelle  extravagance.  Cette 
folie,  dont  les  décors  lui  coûtèrent  plus  de  30,000  francs,  fut  la  représentation  de  la 
Toison  d'Or  dans  une  grande  galerie  du  château  de  Neubourg.  Peut-être  la  pastorale 
de  Cambert,  jouée  avec  éclat,  l'année  précédente  à  Issy,  chez  le  millionnaire  de  la 
Haye,  n'était-elle  pas  étrangère  à  cette  fantaisie  du  vaniteux  Sourdéac.  Mais  la  cantate 
dramatique  qui  avait  fait^courir  tout  Paris,  fut  remplacée  en  Normandie  par  une  féerie 
mythologique,  dont  Corneille  ne  put  tirer  qu'un  médiocre  parti.  La  musique  apparaît 
çà  et  là  dans  cette  machine,  mais  accessoirement.  Voici  par  exemple  «  le  dieu 
Glauque  avec  deux  Tritons  et  deux  Sirènes  qui  chantent,  cependant  qu'une  grande 
conque  de  nacre  semée  de  branches  de  corral  et  pierres  précieuses,  portée  par  quatre 
dauphins  et  soutenue  par  quatre  vents  en  l'air,  vient  s'arrêter  au  milieu  du  fleuve. 
Tandis  qu'elles  chantent  le  devant  de  cette  conque  merveilleuse  fond  dans  l'eau  et 
laisse  voir  Ipsyphile,  assise  comme  dans  un  trône,  et  soudain  Glauque  commande  aux 
vents  de  s'envoler,  aux  Tritons  et  aux  Sirènes  de  disparaître,  et  au  fleuve  de  retirer 
une  partie  de  ses  eaux  pour  laisser  prendre  terre  à  Ipsyphile.  Les  tritons,  le  fleuve,  les 
vents  et  les  Sirènes  obéissent,  et  Glauque  se  perd  lui-même  au  fond  de  l'eau,  ensuite 
de  quoi  Alsyste  donne  la  main  à  Ipsyphile  pour  sortir  de  cette  conque  qui  s'abime 
dans  le  fleuve.  »  Toute  cette  décoration  musicale  a  disparu  ;  on  ignore  même  le  nom 
de  celui  qui  en  fut  chargé.  A  Paris,  la  Toison  fit  sensation  grâce  à  la  générosité  de 
Sourdéac,  qui  abandonna  ses  machines  aux  comédiens.  Mais  ce  fut  un  succès  de  curio- 
sité. La  pièce  ne  resta  pas  au  répertoire. 

Faut-il  mentionner  encore  la  participation  de  Corneille  à  la  Psyché  de  1671  ?  Les 
collaborateurs  se  trouvaient  cette  fois  dignes  du  poète.  Molière  avait  disposé  l'intrigue, 
Lully  et  Quinaut  se  réservaient  la  musique.  Corneille  fut  mandé  pour  versifier  en  hâte 
quelques  scènes  inachevées.  Cette  intervention  n'a  donc  en  réalité  presque  rien  de 
musical.  Tout  au  plus  doit-on  remarquer  que  le  travail  de  Pierre  Corneille  servit  quel- 
ques années  plus  tard  à  Thomas,  son  frère.  Psyché  parut  en  1676  sur  la  scène  de 
l'Opéra,  sans  que  cette  adaptation  lyrique  l'ait  beaucoup  avantagée. 

Il  conviendrait  enfin  de  signaler  les  intermèdes  symphoniques  dont  les  représen- 
tations des  premiers  ouvrages  de  Corneille  paraissent  avoir  été  accompagnées.  Dans 
les  entr' actes  de  Méliie,  d' Œdipe,  etc.,  on  jouait  de  la  musique,  nous  disent  les  ga- 
zettes. Mais  ce  décor  sonore  s'est  complètement  évanoui.  Dès  le  xvii°  siècle,  l'opéra  de 
Lully  avait  fait  oublier  la  symphonie  française  de  1650,  et  l'école  des  Constantin,  Du 
Manoir,  Mollier,  Lazzarin,  Mazuel.  Seuls  quelques  rares  manuscrits  (2)  nous  montrant 
ce  que  pouvaient  être  ces  grandes  pièces  instrumentales,  sans  nous  permettre  cepen- 
dant de  déterminer  leur  attribution. 


Durant  ces  quarante  années  qui  séparent  le  ballet  de  Bicêtre  du  ballet  de  Psyché, 
le  grand  Corneille,  on  le  voit,  n'était  pas  resté  étranger  à  l'art  musical.  11  avait  eu 
plusieurs  fois  l'occasion  d'appliquer  son  génie  à  ce  délicat  problème  du  lyrisme  dra- 


(1)  Pour  comprendre  ce  passage  il  faut  se  rappeler  que  Sourdéac  s'associa  en  1669  avec  Perrin  et 
Cambert  pour  fonder  l'Opéra.  Sa  conduite  scandaleuse  contribua  sans  doute  à  discréditer  cette  entreprise 
et  à  lui  retirer  la   faveur  du  roi. 

(2)  Par  exemple  le  premier  volume  de  la  collection  Philidor  au  Conservatoire,  le  y.  Mus.  109  de  la 
Bibliothèque  d'Upsal,  et  le  FoL  61   de  la  Bibliothèque  de  Cassel  qui  vient  d'être  remis  au  jour. 


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matique  et  de  formuler  sur  ce  point  ses  préférences  esthétiques.  Si  l'on  met  à  part 
quelques  poésies  fugitives,  de  peu  de  poids,  il  reste  de  cet  effort,  un  Prologue  de  bal- 
let (1632),  une  tragédie  (1650),  et  une  ><  machine»  (  1660 j  ;  trois  entreprises  diffé- 
rentes et  que  l'intérêt  musical  soutient  inégalement.  Dans  le  divertissement  Louis  XIII, 
tout  est  musique  et  danse  ;  dans  Andromède  le  drame  et  le  chant  se  prêtent  un  appui 
mutuel  et  efficace  ;  dans  la  Toison  d'Or  l'intrigue  extérieure  l'emporte  décidément. 
Ces  étapes  correspondent  à  l'évolution  de  l'art  cornélien.  Elles  nous  montrent  un 
artiste  de  plus  en  plus  avide  d'action  scénique  et  de  moins  en  moins  curieux  d'émo- 
tion intime.  Les  circonstances,  la  mode,  le  goût  du  siècle,  le  succès  d'œuvres  rivales 
ont  poussé  Corneille  vers  la  musique.  Son  génie  naturel  l'en  détournait,  parce  qu'il 
le  portait  vers  le  rêve  qui  agit  et  non  pas  vers  l'action  qui  rêve.  Corneille  appartient 
â  ces  esprits  sur  lesquels  le  monde  extérieur  exerce  un  attrait  irrésistible.  Tout  son  ■ 
art  est  celui  d'un  visuel  qui  se  hâte  de  projeter  ses  sentiments  dans  le  domaine  des 
représentations  et  de  les  y  maintenir  le  plus  longtemps  possible.  N'a-t-il  pas  écrit 
quelque  part  : 

Nous  sommes  hors  des  temps  de  cette  vieille  erreur 
Qui  fesait  de  l'amour  un  aveugle  fureur, 
Et  l'ayant  aveuglé  lui  donnait  pour  conduite, 
Les  mouvements  d'une  àme  et  surprise  et  séduite 
Ceux  qui  l'ont  peint  sans  yeux  ne  le  connaissaient  pas 
C'est  par  les  yeux  qu'il  entre  et  nous  dit  vos  appas. 
Lors  notre  esprit  en  juge^  et  suivant  le  mérite, 
11  fait  croître  une  ardeur  que  cette  vue  excite. 

(Galerie  du  Palais  III  6) 

Certes  Corneille  avait  trop  de  génie  pour  méconnaître  totalement  cette  force 
aveugle,  qui  se  confond  avec  l'inspiration  même  ;  mais  il  était  aussi  trop  Français  et 
trop  intellectuel  pour  se  fier  à  cet  aveuglement  et  ne  pas  lui  opposer  la  clairvoyance 
du  jugement.  Pour  lui  l'entendement  reste  toujours  le  maître  et  précède  l'émotion 
dans  l'ordre  psychologique  ;  pour  lui  la  logique  de  l'esprit  est  supérieure  à  la  logique 
du  sentiment.  C'est  par  ce  côté,  par  cette  disposition  naturelle  de  son  génie  que  l'au- 
teur d' (Andromède  échappe  à  la  musique  et  se  place  hors  de  sa  sphère.  Cette  sorte 
d'obscurantisme  qui  enveloppe  et  engourdit  pour  un  temps  notre  esprit,  qui  ferme  nos 
yeux,  nous  paraît  en  effet,  et  de  plus  en  plus  aujourd'hui,  indispensable  à  la  manifes- 
tation du  phénomène  musical.  Les  «  scientistes  »  les  plus  outrés  sont  eux-mêmes  forcés 
d'en  convenir.  Dernièrement  et  ici  même  on  a  pu  lire  l'apologie  de   cet  aveuglement 

condamné  par  Corneille  :  « ils  avaient  tous  les  yeux  vides  elles  fronts  sans  pensée. 

C'était  pourtant  de  la  beauté.  »  (i).La  <;<vieil!e  erreur»  contre  laquelle s'inscritCorneilIe 
redevient  aujourd'hui  vérité.  L'expérience  nous  apprend  que  l'acte  de  création  esthé- 
tique —  en  musique  surtout  —  n'appartient  pas  en  propre  à  l'entendement.  Il  ne  re- 
lève pas  de  ces  facultés  lumineuses  qui  jugent,  qui  établissent  des  rapports,  qui  cons- 
truisent devant  nos  sens  le  voile  merveilleux  des  représentations  objectives.  Il  peut  se 
passer  des  yeux,  il  est  essentiellement  aveugle. 

Supprimez  en  effet  les  données  sensibles  que  nous  projetons,  très  inconsciemment, 
hors  de  nous  ;  faites  évanouir  un  instant  ce  monde  physique,  admirable  échafaudage  de  la 
science  et  de  la  raison.  Videz  les  yeux  et  les  fronts  !  Et  vous  n'aurez  point  détruit  cette 
passion  instinctive  et  sourde  qui  n'a  nul  besoin  de  comprendre  pour  exister,  et  sans 
laquelle  par  contre  il  n'est  ni  compréhension  ni  savoir  possibles.  Cette  force  qui  ne 
devrait  avoir  de  nom  dans  aucune  langue,  parce  qu'elle  échappe  à  toute  catégorie  de 
pensée,  à  tout  concept  de  vrai,  de  faux,  de  bien  ou  de  mal,  cette  énergie,  les  philo- 


(l)  J.  d'Udine,   15  décembre  1905,  p.  7o6j 


sophes  ont  tenu  à  la  désigner  par  le  vocable  si  souvent  décrié  de  méta-physique.  Parler 
de  métaphysique  —  et  il  faut  toujours  en  venir  là  en  musicologie  —  c'est  donc  dire  à 
peu  près  ceci  :  le  monde  physique,  résultat  de  notre  activité  intellectuelle  et  du  jeu 
plus  ou  moins  inconscient  de  nos  idées,  laisse  supposer  une  vitalité  qui  soutienne 
cette  construction  et  lui  donne  l'être,  une  force  initiale  qui  fasse  éclore  cette  représen- 
tation physique  comme  un  fruit  mûr  au  bout  d'une  tige.  JVlétaphysique  c'est  le  con- 
traire d'Idée,  générale  ou  particulière,  abstraite  ou  concrète.  En  ces  régions  où  les 
clartés  de  l'intelligence  nous  abandonnent  puisque  nous  les  repoussons  nous-mêmes  et 
voulons  nous  passer  de  leur  intervention,  il  faut  nous  résigner  à  subir  la  confusion  des 
mots  qui  nous  trahissent  sans  cesse.  Seul  un  langage  comme  celui  de  la  musique,  qui 
laisse  sommeiller  l'idée  et  l'objet  son  complice,  peut  nous  guider  vers  ces  profondeurs. 
Or  —  et  c'est  là  ou  nous  voulions  en  venir  —  le  chemin  qui  nous  conduit  ainsi  de  la 
physique  vers  la  méta-physique,  de  l'idée  représentative  vers  la  sonorité  vague,  de  la 
lumière  vers  la  nuit,  c'est  précisément  la  marche  inverse  à  celle  que  choisit  Corneille. 
Nous  avons  vu  le  jeune  auteur  du  Cid  marquer  son  éloignement  pour  la  passion  musi- 
calisée  dans  le  temps  même  où  cette  passion  faisait  jaillir  en  lui  l'inspiration  poétique 
et  lui  révélait  son  propre  génie.  Vingt  ans  plus  tard,  en  réalisant  dans  Androinède  cette 
esthétique  négative,  il  sépare  autant  que  possible  la  musique  du  drame  actif.  En  1660 
enfin,  au  moment  oùCavalli  donne  avec  Xerxès  l'exemple  d'une  grande  œuvre  lyrique, 
où  Cambert  et  Perrin  viennent  de  fonder  en  France  l'opéra,  il  feint  de  méconnaître  les 
ressources  de  l'art  musical,  et  les  sacrifie  au  prestige  du  décor.  On  ne  dira  point  cepen- 
dant que  ce  fut  par  ignorance.  Il  n'ignorait  point  la  vertu  de  la  musique,  puisqu'il  lui 
reconnaissait  le  pouvoir  d'entraver  l'intrigue  et  d'irriter  l'intelligence  du  spectateur.  En 
plaçant  les  chants  et  les  symphonies  aux  instants  qui  forment  les  points  morts  de  son 
drame,  il  venait  au  contraire  de  montrer  qu'il  avait  deviné  le  sens  caché  du  langage 
musical.  Il  avait  fort  bien  entrevu,  tout  en  la  déplorant,  cette  incompatibilité  naturelle 
qui  éloigne  un  art  mystique  de  toute  intrigue  où  domine  le  réel  et  le  contingent.  C'est 
donc  bien  le  goût  du  romanesque  qui  détourne  Corneille  de  la  musique  et  l'entraîne  vers 
Agésilas  ou  Rodogune.  Passion  des  incidents,  des  coups  de  théâtre,  jeu  compliqué  des 
causes  finales,  souci  de  la  vraisemblance  convenue,  de  la  vérité  historique,  de  la  bien- 
séance morale,  en  un  mot  la  ferme  volonté  de  ne  point  quitter  le  monde  des  représen- 
tations sensibles  et  de  s'y  complaire,  voilà  les  préoccupations  qui  retiennent  la 
tragédie  cornélienne  loin  du  lyrisme  véritable  et  de  l'émotion  sonore. 

Aussi  bien  cette  conclusion  s'appliquerait-elle  aisément  à  toute  la  tragédie  du 
grand  siècle,  et  peut-être  à  l'ensemble  de  notre  art  classique.  L'état  d'esprit  de 
Corneille  se  retrouve  sans  peine  chez  St-Évremont,  chez  Boileau  comme  chez  Lamotte- 
Houdar  et  chez  Voltaire.  Si  notre  esthétique  dramatique  du  xvu*^  siècle  évolue  très 
rapidement  vers  des  pièces  d'intrigue  comme  Suréna  ou  Partharite,  vers  des  décora- 
tions comme  la  Toison  d'Or,  ce  n'est  aucunement  parce  qu'elle  se  détourne  de  son  but, 
mais  bien  au  contraire  parce  qu'elle  l'atteint.  Nous  nous  trompons  lorsque  nous  vou- 
lons voir  un  affaiblissement  du  génie  et  une  décadence  dans  Attila.  Le  progrès  logique 
d'une  mentalité  très  tenace  et  admirablement  conséquente,  la  marche  régulière  d'un 
art  qui  bannit  enfin  de  son  inspiration  «  l'esprit  de  la  musique  »,  et  s'est  libéré  de  tout 
aveuglement,  voilà  ce  qu'il  serait  facile  de  distinguer  dans  cette  dernière  manière  du 
maître.  Certes  nous  sommes  en  droit  de  blâmer  cette  évolution,  si  nous  voulons 
juger  Corneille  d'un  point  de  vue  esthétique  différent  du  sien.  Et  nous  pouvons  aussi 
préférer  le  retour  accompli  par  Racine  vers  la  musique  des  vers  et  le  lyrisme  des 
émotions.  Mais  n'oublions  pas  qu' Esther,  Athalie,  Andromède,  sont  des  accidents  dans 
notre  art  classique.  Allons  même  plus  loin  et  demandons-nous  si  Phèdre  ou  Iphigénie  ne 
constituent  pas  des  exceptions  plutôt  que  des  époques  de  notre  théâtre*  Pourquoi  donc 


—  449  — 

Racine  se  serait-il  détourné  brusquement  d"un  art  et  d'un  rêve  aussi  séduisant,  s'il  n'avait 
entrevu,  par  delà  le  flot  sonore  qui  l'entraînait,  des  régions  où  l'esprit  n'est  plus  le 
maître.  La  voie  qu'il  abandonnait  était  bien  celle  qui  conduisit  le  xix^  siècle  à  l'explo- 
sion de  Tristan  et  à  l'extase  de  Mélisande  ;  le  chemin  que  la  tragédie  reprit  aussitôt  fut 
celui  de  Zaïre,  à' Inès  et  du  Siège  de  Calais.  Deux  routes  bien  diflférentes  en  vérité  ! 

L'exemple  de  Corneille  n'est  donc  pas  isolé  dans  notre  histoire  littéraire.  Il  nous 
montre  une  fois  de  plus  qu'il  s'est  toujours  trouvé  en  France  des  hommes  de  génie 
pour  faire  servir  la  musique  à  des  fins  antimusicales.  L'étude  d'un  grand  nombre  de 
«  cas  »  semblables  devrait  être  fréquente.  Peut-être  arriverait-on  de  la  sorte  à  limiter 
plus  précisément  le  champ  des  problèmes  esthétiques  et  surtout  à  ramener  ces  problèmes 
à  une  même  et  éternelle  dualité,  à  un  antagonisme  très  simple  entre  deux  tendances 
également  légitimes  :  le  goût  de  la  lumière  et  la  passion  de  l'obscurité. 

Jules  ECORCHEVILLE. 


La  Quinzaine  musicale 


M.  J.-J.  Nin.  —  Le  Courrier  Musical  a  déjà  parlé,  et  dans  les  termes  les  plus 
élogieux,  de  M.  Nin.  Nous  aurons  cependant  grand  plaisir  à  redire  les  rares  qualités  que 
réunissent  le  talent  et  la  compréhension  musicale  de  M.  Nin.  M.  Nin  ne  vise  pas  à  l'effet 
purement  pianistique,  et  il  semble  même  mépriser  la  virtuosité  proprement  dite.  Par 
contre  il  dissèque  avec  une  science  profonde  l'œuvre  qu'il  interprète,  il  la  raisonne,  la 
commente,  la  discute  peut-être,  il  en  étudie  tous  les  contours,  se  rend  compte  de  ses 
tendances,  observe  ses  accents,  pénètre  l'esprit  de  son  auteur  après  avoir  établi  une 
donnée  logique  sur  l'ensemble  de  ses  conceptions,  et  il  parvient  à  une  interprétation 
remarquablement  juste  et  éducatrice  de  la  page  qu'il  fait  vivre  ainsi  sobrement  et 
fortement.  Son  dernier  programme,  le  3°  des  douze  séances  qu'il  a  annoncées  comme 
devant  constituer  l'Histoire  du  Piano,  comprenait  des  œuvres  des  Ecoles  espagnole, 
xvi'  siècle  (Cabezon),  française,  xvii"  et  xviii'^  siècles  (Couperin-le-Grand  et  Rameau), 
allemande  (Haendel),  anglaise  (Byrd  et  Gibbons)  et  italienne  (Rossi  et  Scarlatti),  toutes 
savamment  commentées  sur  un  programme  d'un  précieux  document,  par  M.  Aug. 
Sérieyx.  R. 

Mlle  M.  Mulnier.—  Mlle  Mulnier,  pianiste  virtuose,  directrice  d'un  cours  d'en- 
semble vocal,  sut  le  8  juin,  mettre  au  service  de  l'Art  le  plus  pur,  ses  multiples  qua- 
lités personnelles  et  les  moyens  dont  elle  disposait.  Son  programme  était  consacré  à 
l'audition  d'œuvres  instrumentales  et  vocales  de  Franck  et  Schumann. 

L'interprétation  du  Quintette  de  Franck  fut  absolument  remarquable  :  à  Mlle  Mul- 
nier s'étaient  joints  l'éminent  violoniste  M.  G.  Willaume  et  MM.  Charot,  Morel  et 
Richet.  Admirable  compréhension  de  l'œuvre,  de  son  style,  de  son  esprit.  L'homogé- 
néité, l'équilibre  sonore  si  rares  et  si  nécessaires,  furent  particulièrement  saisissants 
dans  le  Lento.  Puis  de  Franck  encore,  des  fragments  de  Rédemption.  Mme  Georges  Cou- 
teaux chanta  l'air  de  l'Archange  avec  un  goût  et  une  justesse  d'accents  hors  pair.  Il  me 
semble  difficile  de  mieux  pénétrer  l'esprit  mystique  de  l'œuvre  que  ne  le  fit  la  canta- 
trice. Les  chœurs  sous  l'habile  direction  de  M.  J.  Berthois,  surent  être  fondus  et  expres- 
sifs et  la  diction  de  Mlle  Corlys  (le  récitant)  créa  autour  du  divin  oratorio  toute  l'atmos- 
phère pieuse  désirable. 

Dans  Schumann  Mlle  Mulnier  s'exprimerait  plus  librement  encore,  si  cela  lui 
était  possible.  Assistée  de  MM.  Willaume,  Morel  et  Richet,  elle  joua  avec  une  grâce 
exquise  le  quatuor   du  mi   bémol  majeur.   L'interprétation  d'ensemble   du  scherzo  fut 


I 


—  450  — 

fort  spirituelle,  celle  de  l'Andante  un  peu  trop  sonore  de  la   part   du   violoncelle  ;    enfin 
celle  du  vivace.  très  alerte. 

D'importants  fragments  du  Faust  de  Schumann  terminèrent  cette  intéressante 
matinée  :  le  duo  de  la  scène  du  Jardin  réunit  deux  grands  talents  bien  faits  pour  s'en- 
tendre ;  celui  de  Mme  Couteaux  et  de  M.  J.  Reder  et  témoigna  de  la  noblesse  de  st5'le, 
de  l'émotion  et  de  la  sincérité  des  deux  artistes.  Enfin,  soutenant  M.  Reder  dans  le 
P.iter  Seraphicus^  se  mêlant  aux  soli  de  Mme  Baize  dans  //  est  sauvé  et  au  char- 
mant quatuor  de  voix  de  femmes  (Mme  Baize,  Mlles  Ludwig,  Detrimont  et  Asso),  un 
chœur  mixte,  homogène  et  discipliné  montra  ce  que  peut  l'énergique  volonté  d'une 
artiste  telle  que  Mlle  Mulnier  et  celle  de  l'excellent  chef  qu'a  été  M.  Berthois. 

G.  A. 

Concerts  Hisler.  —  Pour  la  seconde  fois,  M.  Risler  vient  de  parcourir  victorieu- 
sement le  cycle  des  Sonates  de  Beethoven  et  il  les  laissera  désormais  j'imagine,  dormir 
durant  de  longs  mois  leur  bon  sommeil.  Il  m'a  été  agréable  de  constater  que  cette  reprise 
—  peut-être  prématurée  —  fut  tout  à  son  honneur.  Quelques  échos  des  provinces  qu'il 
visita  récemment  m'avaient,  il  est  vrai,  mis  en  garde  contre  certaines  libertés  de  style 
où  il  s'était,  paraît-il,  abandonné,  notamment  contre  un  abus  léger  du  rubato  ou  du 
pianissimo  qui  peut  rapetisser  fâcheusement  une  telle  musique.  J'avoue  que  je  n'ai  pas 
eu  pour  ma  part  à  en  sou&rir  et  que  j'ai  été  au  contraire  très  frappé  de  voir  que  M. 
Risler,  fidèle  à  son  idéal,  s'est  gardé  religieusement  de  cette  interprétation  orgueilleuse 
et  fausse  qui  prétend  à  être  personnelle  par  tous  les  moyens  et  au  prix  des  plus  détes- 
tables sacrilèges.  Béni  soit  le  Seigneur  qui  créa  Mlle  Selva  et  M.  Risler  pour  soutenir 
Franck  et  Beethoven  contre  les  assauts  héroïques  et  splendides  de  M.  Busoni.  J'avais, 
pour  exorciser  de  pénibles  souvenirs,  un  besoin  véritable  de  réentendre  la  Sonate  op. 
io6,  nettoyée  de  toutes  les  souillures  de  la  virtuosité,  de  la  voir  renaître  à  la  lumière 
d'une  exécution  fidèle,  intelligente,  consciente  et  sincère.  M.  Risler  n'a  pas  déçu  ses 
admirateurs  et  il  n'y  eut  nulle  complaisance  dans  l'ovation  vibrante  et  chaleureuse  qui 
accueillit  la  fin  de  ses  concerts. 

P.  L. 

Sonatières  et  les  alentours. 

Deux  mots  encore  avant  de  boucler  ma  valise,  et  en  route  pour  la  Musique  du 
silence,  la  seule,  la  vraie,  l'unique,  la  véritable,  comme  on  dit  à  la  foire  de  Neuilly  !... 
Mais  comment  pourrais-je  ne  pas  remercier  Mlle  Hélène  Ziélinska  d'avoir  adorablement 
joué  sur  la  harpe  chromatique  des  œuvres  de  Bach,  Boellmann,  Grieg,  d'Indy,  Albeniz, 
Ravel,  Gasella,  etc.,  transcrites  par  elle,  et  qui  mettent  en  valeur  aussi  bien  son  délicat 
talent  que  les  qualités  de  la  nouvelle  harpe,  Mlle  Lapidus-Dylion,  brillante  élève  de 
Mme  W.  Landowska,  d'avoir  su  s'assimiler  la  finesse  de  toucher  et  tout  le  séduisant 
esprit  de  son  professeur,  Mme  Ysabel  Barnard  de  s'être  assuré  l'éminente  collaboration 
de  Pablo  Casais  dont  elle  est  la  digne  partenaire  dans  la  très  intéressante  Sonate  de  Jean 
Huré,  Mme  Mathilde  Polack  d'avoir  exécuté  avec  un  aussi  captivant  enjouement  ses 
CAa»/s  ii'£s/>jt§ue,  tandis  que  Ghevillard  se  retenait  de  danser  la  Séguedille,  M.  Marcel 
Chailley  d'avoir  intéressé  son  public  en  jouant  très  impeccablement,  avec  l'auteur  encore 
plus  impeccable,  une  Sonate  de  Louis  Diémer,  la  Société  des  Instruments  Anciens  (MM. 
et  Mme  Gasadesus,  MM.  Olivier  et  Gasella)  d'avoir  harmonieusement  saupoudré  de 
grâce  frêle  des  pages  de  Sacchini  et  de  Bruni  ;  Mlle  M.  Vizentini,  fille  du  réputé 
Directeur  de  la  scène  à  l'Opéra-Comique,  d'avoir  réussi  à  briller  comme  pianiste  à  côté 
de  Mlle  Mary  Garden  et  de  M.  L.  Fugère  qui  lui  prêtaient  leur  concours,  M.  Mau- 
guière  de  continuer  son  œuvre  artistique  avec  son  très  charmant  quatuor  vocal,  Mme 
Hall  d'avoir  organisé  avec  un  très  bon  orchestre  habilement  dirigé  par  M.  Longy  (chef 
d'orchestre  des  Concerts  de  Boston)  un  concert  au  cours  duquel  elle  a  donné  la  plus 
probante  preuve  des  progrès  du  féminisme,  en  soufflant  avec  ardeur  et  élégance  dans 
un  saxophone  qui,  reconnaissant  de  cette  marque  d'intérêt,  nous  a  fait  entendre  une 
nouvelle  œuvre  de  Georges  Sporek,  Légende,  très  agréable  par  ses  contours  mélodiques 


—  451  — 

sa  chatoyante  harmonisation  et  ses  recherches  d'orchestration  ;  Mme  Hall  a  remporté 
le  plus  mérité  succès,  car  elle  saxophonise  très  brillamment  ;  j'adresserai  encore 
moultes  éloges  à  M.  Joseph  Thibaud  pour  avoir  si  exquisement  traduit  Au  Soir  et 
Pourquoi  de  Schumann  et  la  Sonate  op.  58  de  Chopin,  qu'il  a  rendue  avec  une  puis- 
sance et  aussi  une  légèreté  extraordinaires  ;  à  M.  Alfred  Casella  pour  avoir  merveil- 
leusement accompagné  à  Mme  Mysz-Gmeiner  (pour  laquelle  tout  enthousiasme  serait 
superflu),  des  lieder  de  Schubert,  Schumann,  Brahms,  Hugo  Wolf,  R.  Strauss,  Max 
Reger  et  Behm  ;  à  Mlle  Germaine  Tassart  (depuis  quelques  jours  Mme  H.  Evmieu',  qui 
a  délicieusement  exécuté  avec  M.  Laforge.  une  So}iate  pour  piano  et  violon  de  Lefébure  : 
à  Mme  Vovard-Simon  qui  a  su  former  un  quatuor  féminin  de  premier  ordre  (Mme 
Vovard-Simon,  Mlles  Neuburger,  Aubert  et  Pelletier  ,  interprétant  supérieurement  le 
Quatuor  en  ré  h  de  Chevillard  -,  à  Mme  Olénined'Alheimdéjà  souvent  applaudie  dans  les 
charmantes  œuvres  de  Moussorgski;  à  M.  Jean  Huré  pour  la  saveur  de  ses  quatre  Pièces 
élégiaques  qui  seront  bientôt  au  répertoire  de  tous  les  pianistes,  et  de  sa  Sonate  pour 
violoncelle  et  piano,  déjà  nommée  ici-même,  mais  cette  fois  interprétée  par  Gérard 
Hekking  et  l'auteur.  Et  si  je  me  laissais  aller,  que  de  noms  je  coucherais  encore  sur  ce 
papier,  que  de  commentaires  s'étaleraient  impitoyables  pour  mes  patients  lecteurs  ;  mais 
déjà  les  grosses  portes  de  nos  insuffisantes  salles  de  concerts  ont  roulé  sur  leurs  gonds 
dans  le  sens  contraire  de  celles  du  Conservatoire  qui  commencent  à  s'ouvrir  ;  fuyons 
cette  échappée  de  volière,  ce  gazouillement  excessif  dont  la  discordance  n'a  d'égale  que 
celle  de  la  Fête  de  Neuiliy  qui,  décidément  me  poursuit  étrangement  aujourd'hui. 
Encore  un  cran  à  mes  courroies  ;  ma  canne,  mon  parapluie  ;  n'ai-je  rien  oublié,  ah  si  ! 
toute  la  musique.  Tant  pis  !  En  route  ! 

D'jINN. 


Le  fflou\emenl  musical  en  province  el  à  l'élranger 


Les  Assises  musicales  de  la  «  Schola  »  à  Montpellier 

(Congrès  du   Chant  populaire) 


La  section  de  propagande  de  la  Schola  ne  saurait  rester  inactive  sous  la  direction 
de  l'infatigable  Charles  Bordes  ;  voici  qu'elle  vient  de  donner  à  Montpellier  des  fêtes 
musicales  du  plus  haut  intérêt  et  dont  le  très  grand  succès  assurera  un  rayonnement 
artistique  considérable. 

Ce  Congrès,  consacré  essentiellement  au  Chant  populaire  dans  ses  manifestations 
les  plus  vivantes  et  les  plus  artistiques,  comportait  deux  séries,  l'une  religieuse,  trai- 
tant du  chant  populaire  à  l'église  iplain-chant,  noëls  et  cantiques),  l'autre  profane,  trai- 
tant de  la  chanson  populaire  au  foyer  et  dans  la  vie.  On  y  a  entendu  des  œuvres  mu- 
sicales engendrées  par  ces  deux  courants  et  aussi  des  œuvres  «  oîi  le  sentiment  de  la 
nature  et  du  pittoresque  tient  lieu  de  générateur  essentiel  »  car  le  but  que  se  proposait 
M.  Charles  Bordes  en  organisant  ces  fêtes  était  précisément  de  mettre  en  valeur  le  rôle 
important  que  ce  sentiment  de  la  nature  joue  dans  la  formation  de  l'art  musical  fran- 
çais et  dans  ses  tendances. 

C'est  ce  progamme  que  M.  Charles  Brun  a  su  très  éloquemment  développer  dans 
une  conférence  d'introduction  en  étudiant  les  si  diverses  manifestations  par  lesquelles 
ce  sentiment  s'est;  traduit  depuis  le  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours. 

La  réalisation  complète  d'un  tel  programme  n'était  pas  possible  durant  les  cinq 
jours  du  Congrès  ;  du  moins,  pour   suivre  d'âge  en  âge  ce  mouvement,  M.  Gh.  Bordes 


—  452  — 

a-t-il  su,  guidé  par  sa  remarquable  intuitioa  artistique,  choisir  des  spécimens  très 
caractéristiques  et  présentant,  en  plus  d'un  réel  intérêt  d'art,  l'attrait  même  de  la  nou- 
veauté. 

Au  mo5'en  âge  c'est  dans  le  chant  grégorien  une  curieuse  communion  :  Factus  est 
repente  de  cœlo,  qui  voulait,  paraît-il,  imiter  le  grand  vent  qui  accompagna  la  venue 
du  Saint-Esprit  et  brisa  les  vitres  du  Cénacle.  C'est  aussi  la  musique  primitive  du  drame 
liturgique  Les  vierges  sages  et  les  vierges  folles  de  la  fin  du  xii'  siècle  exhumé  à  cette 
occasion  de  la  Bibliothèque  nationale  par  l'érudit  M.  Gastoué.  Ce  mystère  dont  le  titre 
porte  seulement  :  Sponsus  «  l'Epouse  »  consiste  en  un  texte  farci  moitié  latin,  moitié 
provençal  écrit  sur  quatre  mélodies  dont  le  contour  a  encore  toute  la  naïveté  et  le 
charme  grégorien.  11  est  noté  dans  la  notation  aquitaine  du  temps  d'une  diactématié 
suffisamment  claire  pour  que  M.  Gastoué  ait  pu  le  reproduire  sur  lignes  en  ajoutant 
seulement  la  clef.  Ce  premier  balbutiement  de  notre  théâtre  fut  très  bien  présenté  par 
un  groupe  de  chanteurs  de  Saint-Gervais  ;  il  suivait  une  très  intéressante  conférence 
de  M.  Jeanroy,  le  savant  professeur  à  la  Faculté  de  Toulouse,  consacrée  aux  Trouha- 
dotirs  méridionctux  et  coupée  d'exemples  musicaux  dont  M.  P.  Aubry  avait  fait  le  plus 
heureux  choix  et  qui  chantés  par  Mlles  M.  Pironnay  et  A.  Villot  et  par  M.  P.  Gibert, 
charmèrent  le  public. 

Avec  la  Renaissance,  dès  que  l'art  français,  en  tant  qu'art  s'organise,  les  exemples 
abondent.  Et  M.  Bordes  de  nous  faire  entendre  ces  chansons  «  où  la  fraîcheur  des  prai- 
ries et  la  joliesse  toute  «  ronsardienne  »  du  mois  de  mai  et  du  gai  printemps  sont  peints 
en  accents  délicieux  ».  C'est  Soyons  joyeux  sur  la  plaisante  verdure  de  R.  de  Lassus, 
Puisque  ce  beau  ynois  nous  invitant  de  G.  Costeley  et  Ce  Moys  de  may  ma  verte  cotte 
vestirav  de  Cl.  Jannequin,  chanson  «  a  capella  »  que  la  Schola  chorale  de  Montpellier 
sut  présenter  avec  toute  la  perfection  désiraWe  ;  cette  jeune  et  déjà  importante  Schola 
a  d'ailleurs  également  fait  valoir  dans  les  nombreux  motets  exécutés  avec  soins  à  la 
cathédrale  Saint-Pierre  la  belle  sonorité  de  l'ensemble  de  ses  voix  bitn  timbrées  et,  ce 
qui  honore  son  chef  Charles  Bordes,  l'excellente  fusion  de  ses  éléments  ainsi  qu'une 
parfaite  justesse  d'interprétation. 

Mais  voici  les  grands  siècles  de  la  musique  française,  les  xv!!""  et  xviii"  siècles,  où 
la  peinture  de  la  nature  et  la  sève  populaire  et  rythmique  de  nos  danses  paysannes  ont 
tout  animé,  peinture  quelquefois  un  peu  conventionnelle  comme  celle  des  paysages 
d'un  Claude  Gelée  ou  d'un  Poussin,  mais  néanmoins  saisissante  et  féconde.  ))  Et  M.  Ch. 
Bordes  de  nous  confirmer  ses  dires  par  les  exemples  les  plus  caractéristiques  choisis 
dans  tous  les  genres. 

Ce  sont  deux  Dialogues  Spirituels  à  une  et  quatre  voix  d'un  musicien  languedo- 
cien du  xvii^  siècle,  Bouzignac,  de  Narbonne,  que  M.  Henri  Quittard  a  eu  l'honneur  de 
tirer  de  l'oubli.  Ces  deux  pièces  tout  à  fait  exquises  dans  leur  expression  naïve  et  tou- 
chante procèdent  des  chansons  polyphoniques  du  xvi°  siècle  ;  elles  renferment 
aussi  des  intentions  dramatiques  soulignées  par  des  contrastes  très  particuliers  et  du 
meilleur  effet. 

Délicieuses  aussi,  mais  d'un  sentiment  plus  raffiné  et  tout  descriptif  les  deux  can- 
tates pour  voix  seule  avec  symphonie  L'Isle  de  Délos  de  Clérambault  que  Mlle  M. 
de  la  Rouvière  ne  manquera  pas,  espérons-le,  de  nous  faire  goûter  à  Paris  et  les  Plat- 
sirs  de  la  campagne  de  Câmpra  dont  Mlle  Alice  Villot  a  su  rendre  délicatement  lé 
charme  pastoral.  Et  c'est,  exemple  d'une  beauté  plus  significative  encore  au  point  de 
Vue  de  l'emploi  des  rythmes  des  danses  dans  une  atmosphère  de  nature,  l'exquis»  pas- 
torale-ballet en  un  acte  de  J.-B.   Rameau  :  la  Guirlande. 

Il  nous  a  déjà  été  donné  de  l'entendre  plusieurs  fois  à  Paris,  mais  représentée  par 
un  chaud  après-midi  sur  un  théâtre  de  verdure  placé  dans  un  bosquet  du  beau  jâraîn 
taillé  de  l'ancien  Mas  d'Haguenot,  villa  du  xvin^  siècle,  cet  ouvrage  prenait  dans  le 
décor  de  son  style  une  signification  plus  haute. 

L'interprétation  en  a  été,  pouvons-nous  dire,  tout  à  fait  exceptionnelle,  telle 
même  que  Rameau  n'aurait  osé  l'espérer,  car  au  mométlt  où  l'amoureuse  Zélidé  vante 
au  betger  Myrtil  les  charmes  de  la  nature,  ce  n'est  pas  en   vain   qu'elle   lui  â  dit  :  «  lé 


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rossignol  s'éveille...  »  ;  un  rossignol  en  efifet,  caché  dans  les  arbres  qui  ombrageaient 
la  scène,  se  mit  tout  à  coup  à  chanter  avec  frénésie,  et  ses  trilles  et  ses  fioritures  de  se 
mêler  aux  vocalises  de  Zélide  et  aux  pâles  imitations  de  la  flûte...  Minute  exquise,  sen- 
sation inoubliable  !  Et  ce  rossignol  en  musicien  consciencieux,  «  rara  avis  »,  était  venu 
le  matin  même  à  la  répétition,  ce  qui  autorisait  M.  Ch.  Bordes  à  répondre  tranquille- 
ment à  qui  s'étonnait  de  ce  concours  impi'évu  :  a  Je  l'attendais  !  )) 

Que  ce  rossignol  ne  nous  fasse  oublier  ni  la  jolie  voix  de  la  délicieuse  Zélide  Mlle 
Mary  Pironnay,  ni  la  sûreté  de  Myrtil,  M.  Dufriche,  ni  l'élégante  interprétation  des 
danses  et  pantomimes  par  les  toutes  charmantes  Louise  et  Blanche  Mante. 

Le  culte  du  pittoresque  et  du  pastoral  est  encore  plus  flagrant  peut-être  chez  les 
maîtres  clavecinistes.  Mme  Wanda  Landowska,  merveilleuse  interprète  de  cette  musi- 
que, en  a  détaillé  sur  le  clavecin  les  pièces  les  plus  caractéristiques  avec  un  sens  du 
rythme  et  de  la  couleur  vraiment  remarquable  ;  on  ne  se  lassait  pas  d'entendre  ces 
oeuvres  délicates  inspirées  tantôt  des  bergeries  et  forêts,  plus  souvent  des  danses  villa- 
geoises, le  public  enthousiasmé  en  réclamait  toujours  de  nouvelles  ;  c'est  que  si  Mme 
Wanda  Landowska  sait  rendre  la  grâce  et  l'élégance  naturelle  qui  parent  cette  musique, 
elle  sait  aussi  en  varier  à  l'infini  l'expression  en  utilisant  très  judicieusement  les  mul- 
tiples ressources  du  clavecin. 

Avec  le  xix°  siècle,  l'art  français  tombé  en  pleine  décadence  sous  l'influence  du  cos- 
mopolitisme, perd  les  qualités  originelles  que  nous  venons  de  voir  s'épanouir  en  lui. 
Félicien  David  fit  cependant  un  léger  effort  vers  la  nature  et  c'est  à  ce  titre,  et  aussi 
pour  sa  qualité  de  provençal,  que  nous  le  voyons  figurer  dans  ces  fêtes  avec  l'air  du 
Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil-^  musique  peu  intéressante,  purement  imitative  mais  qui 
aura  du  moins  eu  l'avantage  de  permettre  à  Mme  Emma  Calvé  de  faire  valoir  les  mer- 
veilleuses ressources  de  sa  voix  et  la  perfection  de  son  art  du  chant. 

«  Mais  voici  la  période  moderne  et  une  toute  autre  orientation  de  la  musique  pitto- 
resque française.  Ce  ne  sera  plus  la  peinture  délicate  et  quelquefois  un  peu  académique 
de  paysages  conventionnels,  de  Poussin  ou  d'Hubert  Robert  ;  mais  une  scène  nouvelle 
vient  de  s'introduire  dans  la  musique  :  la  Mélodie  populaire,  non  pas  seulement 
rythmiques,  toute  de  danse  comme  chez  nos  clavecinistes,  mais  surtout  mélodique  et  à 
ce  point  féconde  qu'elle  créera  dans  la  musique  française  moderne  une  sorte  de  mouve- 
ment à'' impressionnisme  musical  que  Vincent'  d'Indy,  entre  tous,  représente  certaine- 
ment le  mieux.  »  Et  M.  Ch.  Bordes  de  regretter  de  ne  pouvoir  inscrire  au  programme 
certaines  des  compositions  pittoresques  comme  Sauge  fleurie  ou  la  Symphonie  sur  un 
thème  montagnard  à  cause  de  la  difficulté  de  mise  en  œuvre.  C'est  donc  des  ouvrages 
d'une  exécution  plus  facile  qu'il  nous  fut  donné  d'entendre  et  essentiellement  construits 
sur  des  thèmes  populaires  :  la  Rapsodie  pour  orchestre  sur  des  airs  dti  Pays  d'Oc  de 
M.  Paul  Lacombe,  oeuvre  intéressante  dans  laquelle  des  mélodies  alertes  ou  tendres 
sont  habilement  traitées,  et  la  Rapsodie  basque  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Charles 
Bordes,  oeuvre  coloriée,  vivante,  où  l'âme  basque  s'exprime  avec  force  à  travers  de 
beaux  thèmes  d'une  allure  rythmique  si  particulière  ou  d'un  sentiment  si  profond. 

Dans  le  drame  lyrique  moderne,  c'est  la  Cour  d'Amour^  importante  sélection  de  la 
Trilogie  lyrique  Los  Pyreneos  du  maître  catalan  Felipe  Pedrell  qui  nous  a  montré 
quelle  pouvait  encore  être  la  bonne  influence  de  la  musique  populaire.  On  en  a  particu- 
lièrement goûté  les  jeux,  airs  de  ballet  aux  rythmes  hardis  et  les  Scènes  de  rayon  de 
lune,  si  chaudement  colorées  et  d'un  bel  accent  (fort  bien  interprétées  par  Mlle  M.  de  la 
Rouvière) ,  mais  le  public  n'a  pu  avoir  de  cette  belle  œuvre  une  impression  aussi  favo- 
rable qu'elle  l'aurait  méritée  parce  qu'elle  était  chantée  en  catalan,  il  ne  pouvait  donc 
en  saisir  que  l'intérêt  musical  et  il  s'en  suivait  une  certaine  monotonie. 

Cette  sève  nouvelle  introduite  dans  la  musique,  la  chanson  populaire,  devait  na- 
turellement être  étudiée  elle-même  dans  ce  congrès  qui  était  en  quelque  sorte  sa 
glorification.  Nous  ne  pouvons  entrer  dans  le  détail  des  entretiens  et  discussions  qui 
journellement  avaient  lieu  à  la  Schola,  le  matin  pour  la  section  religieuse  (cantiques, 
noëls  populaires),  l'après-midi  pour  la  section  profane.  Signalons  seulement  une  inté- 
ressante communication  faite  par  M.  A.  Roque-Ferrier  sur  l'élément  historique  dans  la 


~  454  — 

chanson  languedocienne  de  VEscriviie  et  aussi  les  belles  chansons  populaires  de  Pro- 
vence, du  Languedoc,  des  Landes,  etc..  chantées  avec  goût  par  Mlles  Ediat  et  Del- 
court.  Ces  chansons  seront  publiées  par  les  soins  de  la  société  Les  Chansons  de  France 
fondée  par  M.  Ch.  Bordes  et  dont  le  but  de  vulgarisation  mérite  d'être  encouragé. 
Ce  congrès  vient  d'ailleurs  d'en  montrer  éloquemment  toute  l'utilité. 

Pour  terminer  le  compte  rendu  de  ces  belles  fêtes  musicales,  laissons  la  parole  à 
leur  promoteur,  M.  Charles  Bordes  ;  après  avoir  admiré  l'action  bienfaisante  de  son 
initiative,  nous  ne  pouvons  que  souhaiter  avec  lui  ;  «  qu'une  armée  de  jeunes  musiciens 
s'abattent  sur  la  France  provinciale,  pour  aller  chercher  dans  nos  montagnes  et  sur  nos 
plages  les  mélodies  encore  vivantes  dans  la  mémoire  de  nos  paysans,  afin  de  les  réunir 
en  une  sorte  de  répertoire  immense,  où  viendront  s'inspirer  nos  jeunes  compositeurs, 
afin  de  continuer  la  tradition  établie  ». 

Puisse  le  Congrès  de  la  Schola  de  Montpellier,  être  une  date  dans  ce  ressaisisse- 
ment  de  la  conscience  nationale  et  du  réveil  du  traditionnalisme  ! 

René   de  Castéra. 


Le    Festival    Rhénan 

A  Aix-la-Chapelle  (3,  4  et  S  Juin) 


Cologne,  Dusseldorf,  Aix-la-Chapelle,  les  trois  grandes  villes  de  la  vallée  du  Rhin, 
ont  tour  à  tour  l'honneur  et  l'avantage  d'abriter  le  Festival  Rhénan,  l'une  des  manifes- 
tations les  plus  anciennes  parmi  les  nombreuses  fêtes  musicales  organisées  chaque 
année  dans  les  pays  allemands.  C'est  à  Aix-la-Chapelle  que  nous  étions  invité,  les  3,  4 
et  5  juin,  à  venir  assister  aux  trois  journées  de  musique  organisées  par  le  Comité  du 
Festival. 

Assise  dans  un  pays  riant  et  verdoyant,  à  l'orée  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande,  — 
tout  près  de  Paris,  —  l'antique  cité  de  Charlemagne  (i)  n'offre  plus  que  l'aspect  banal 
d'une  ville  moderne,  propre  et  bien  tenue  comme  toutes  les  villes  allemandes,  avec  de 
grandes  bâtisses  aux  façades  d'un  modernisme  criard. 

La  vie  musicale  y  est  très  active,  non  seulement  l'hiver,  mais  l'été,  Aix  étant  une 
ville  d'eaux  réputée.  Les  éléments  qui  prirent  part  au  Festival,  notamment  les  chœurs, 
appartenaient  en  grande  partie  à  la  ville.  L'orchestre,  seul,  fut  très  sérieusement  ren- 
forcé par  l'adjonction  d'instrumentistes  venus  de  Cologne. 

La  direction  musicale  des  Fêtes  était  confiée  à  M.  Eberhard  Schwickerat,  musik- 
director  d'Aix-la-Chapelle  et  à  Félix  Weingartner.  M.  Schwickerat  est  un  des  meilleurs 
directeurs  de  choeurs  de  l'Allemagne  :  travailleur  infatigable  et  consciencieux,  c'est  à  lui 
qu'incomba  entièrement  la  préparation  de  détail  et  d'ensemble  de  toutes  les  œuvres 
chorales,  en  particulier  delà  Messe  en  si  minetir.  A  part  la  Faust-Symphonie^  Wein- 
gartner ne  dirigea  que  des  œuvres  purement  orchestrales.  Le  souvenir  du  génial  et 
sympathique  cappelmeister  est  encore  trop  vivant  parmi  nous  pour  qu'il  me  soit  néces- 
saire de  vanter  son  magnifique  talent. 

Composé  d'environ  120  exécutants,  l'orchestre  renfermait  de  bons  et  solides  élé- 
ments, un  quatuor  puissant  et  suffisamment  homogène,  quelque  peu  lourd,  des  bois 
défectueux,  à  la  sonorité  aigre  et  criarde,  comme  tous  les  bois  de  tous  les  orchestres  al- 
lemands, des  cuivres  excellents,  tout  spécialement  des  trompettes  merveilleuses  d'éclat 
et  de  justesse.  Quant  aux  chœurs,  on  ne  saurait  imaginer  un  ensemble  plus  admirable 
de  voix  fraîches  et  bien  timbrées,  d'une  souplesse  rare,  aussi  remarquables  dans  les 
effets  de  douceur  que  dans  les  effets  de  puissance,  disciplinées,  obéissant  aux  moindres 
indications  du  chef,  chantant  avec  autant  d'ardeur  et  se  dépensant  sans  compter.  On 
reste  confondu  devant  une  telle  perfection  réalisée,  lorsqu'on  apprend  que  ces  chœurs  ne 


(i)  Malgré  le  superbe  Dom  et  le  Rathaus  (ou  du  moins  ce  qu'on  en  a  conservé). 


—  455  — 

sont  composés  absolument  que  d'ajnateurs,  de  dilettante  d'Aix-la-Chapelle,  de  Dussel- 
dorf,  de  Cologne,  de  Bonn.  Ils  sont  là  350  exécutants,  qui,  depuis  plusieurs  mois,  ont 
préparé  ces  auditions,  travaillé  régulièrement,  se  sont  astreints  à  venir  répéter  à  jours 
fixes  ;  puis,  dans  la  quinzaine  qui  précédait  les  concerts,  ont  participé  à  toutes  les  répé- 
titions d'ensemble,  presque  quotidiennes.  Il  me  suffira  de  dire  ce  que  j'ai  vu  pour  qu'on 
puisse  se  rendre  compte  de  l'effort  donné  par  tous  :  pendant  les  cinq  derniers  jours 
avant  le  premier  concert,  les  chœurs  et  l'orchestre  répétaient,  chaque  jour,  de  g  heures 
à  2  heures,  et  de  5  heures  à  g  heures  et  même  10  heures,  soit  une  moyenne  de  dix  heures 
par  jour  !  Et  c'étaient  les  dernières  répétitions,  les  répétitions  principales  ou  générales, 
déjà  publiques  et  payantes.  Depuis  longtemps  tous  les  détails  de  l'exécution  étaient 
réglés.  Même  lorsque  la  fatigue  était  extrême,  aucune  trace  de  découragement  ou  d'hu- 
meur, toujours  la  même  énergie  souriante,  le  même  entrain  chez  le  chef  et  chez  les  exé- 
cutants (i).  Quelle  leçon  un  tel  spectacle  n'eût-il  pas  été  pour  nos  musiciens  d'orchestre 
parisiens  (que  deux  heures  de  répétition  énervent  et  rendent  parfois  inconvenants),  et 
combien  ai-je  regretté  de  ne  pas  voir  près  de  nous  nos  chefs  d'orchestre  eux-mêmes 
avec  quelques-uns  de  leurs  instrumentistes  !  Ces  répétitions  et  ces  exécutions  eussent 
été  pour  eux  d'un  haut  enseignement  moral  et  artistique. 

Aussi  quel  magnifique  résultat  obtenu  !  Je  crois  impossible  de  désirer  de  plus 
admirables  exécutions  que  celles  que  nous  avons  eues  à  Aix-la-Chapelle,  par  dessus 
tout  de  la  Grande  Messe  de  Bach.  Je  ne  puis  dire  l'impression  produite  sur  nous  par 
cette  œuvre  sublime,'  qu'hélas  nous  n'avions  jusqu'ici  entendue  qu'imparfaitement 
rendue,  surtout  avec  des  moyens  insuffisants.  Cette  fois  nous  avons  senti  vraiment  et 
pleinement  la  grandeur  colossale  de  cette  inspiration  supra-terrestre,  qui  dicta  déjà  au 
grand  Sébastien  la  Passion  selon  St-Mathieu,  et  devant  laquelle  toute  musique  (hori- 
zontale ou  verticale)  semble  chancelante.  Nous  sentions  que  tous,  chefs  et  exécutants, 
interprétaient  l'œuvre  avec  foi.  Dès  lors,  qu'importaient  certaines  petites  défectuosités, 
le  ton  aigre  du  hautbois,  la  mauvaise  sonorité  de  la  flûte,  voir  même  du  violon  solo, 
certaines  coupures  (j'ai  regretté  spécialement  celle  du  délicieux  solo  d'alto  qui  sedes  ad 
dexteram)  !  L'impression  d'ensemble  était  d'une  force,  d'une  profondeur  et  d'une  inten- 
sité inouïes.  Non,  rien,  pas  même  l'extrême  habileté  et  les  dons  les  plus  extraordi- 
naires, ne  remplace  la  foi,  le  zèle  et  la  conscience  artistiques. 

Les  solistes,  —  si  j'excepte  le  ténor,  M.  Burrian,  dont  la  voix,  essentiellement  dra- 
matique, et  le  style  ne  se  prêtaient  guère  à  l'interprétation  de  la  musique  de  Bach,  — 
furent  excellents.  Mlle  Philippi  mérite  une  mention  spéciale  :  sa  belle  voix,  son  style 
parfait,  furent  très  appréciés,  de  même  que  le  sentiment  admirable  dans  lequel  elle 
chanta  VAgnus  Dei.  Mlle  Bosetti  possède  une  des  plus  charmantes  voix  de  soprano 
léger  qui  se  puisse  entendre.  Quant  à  M.  Frœlich,  il  est  trop  connu  de  tous  ici  pour 
que  j'aie  besoin  de  faire  son  éloge. 

La  deuxième  journée  était  consacrée  à  l'audition  d'œuvres  de  Schumann  (Ouver- 
ture de  Manfred).  de  Brahms  (Rapsodie  d'après  le  Har^reise  de  Gœthe,  Concerto  pour 
violon)  ;  Liszt  (Psaume  XIII,  Faust-Symphoyiie) .  Je  dois  mettre  hors  pair  l'exécution 
extraordinairement  vivante  et  magistrale  de  la  Faust-Symphonie,  sous  la  direction  de 
Weingartner.  Jamais  cette  œuvre  inégale,  d'un  romantisme  échevelé,  mais  souvent  gé- 
niale, notamment  dans  la  troisième  partie,  ne  nous  avait  été  révélée  aussi  magnifique- 
ment. L'orchestre  et  les  chœurs  furent  superbes,  M.  Burrian  chanta  fort  bien  son  solo  : 
j'ajoute  que  le  grand  orgue  apportait  aux  choristes  et  instrumentistes  son  précieux  sou- 
tien et  contribua  puissamment  à  donner  à  la  fin  de  l'œuvre  une  allure  triomphale  et 
grandiose. 

J'aime  modérément  le  Psaume  XIII,  surtout  dans  la  première  partie  ;  la  Jolie  phrase 
«  Schaue  doch  und  erhoere  mich  »,d'un  lyrisme  si  séduisant  (et  dont  Wagner  s'est  sou- 
venu en  composant  le   Vénusberg),  fatigue  même  quelque  peu  à  la  longue,  tant  elle 


(i)  Un  dernier  détail,  qui  fera  rêver  bien  des  gens  :  non  seulement  les  membres  des  chœurs  ne  sont  pas 
payés,  donnent  gratuitement  leur  temps  et  leurs  voix,  mais  ils  doivent  payer  leurs  places,  comme  les  autres 
personnes  assistant  aux  concerts  ! 


—  456  — 

r-evient  avec  insistance.  La  rapsodie,  Harzreise,  de  Brahms,  est  une  belle  page,  qui  fut 
merveilleusement  chantée  par  Mlle  Philippi.  Quant  au  Concerto  de  violon,  j'avoue  qu'il 
me  parut,  cette  fois,  désespérément  long  :  M.  Marteau  l'exécuta  pourtant  avec  une 
technique  absolument  parfaite,  mais  aussi  avec  une  telle  tranquillité,  dans  un  mouve- 
ment tellement  lent,  que  nous  avions  peine  à  reconnaître  certains  motifs  d'allure  carac- 
téristique pourtant,  nettement  tziganes,  comme  ceux  du  final  par  exemple.  Le  lende- 
main, troisième  jour  des  fêtes,  M.  Marteau  nous  faisait  entendre  une  Fantaisie  pour 
violon  et  orchestre  de  Schumann  (op.  131),  rarement  jouée  (heureusement  !),  presque 
sans  aucun  intérêt  musical,  hérissée  de  difficultés  invraisemblables,  et  qu'il  exécuta  avec 
une  sûreté  et  une  virtuosité  remarquables  ;  une  jeune  pianiste  de  grand  talent, 
Mme  Kath-Goodson,  enlevait  brillamment  le  difficile  Concerifo  en  otî  èémo/ de  Liszt  ; 
Mme  Bosetti  chantait  de  façon  délicieuse  de  charmants  lieder  d'Hugo  Wolf  ;  enfin 
Félix  Weingartner,  après  avoir  eu,  comme  chef-d'orchestre,  les  ovations  du  public,  se 
faisait  apprécier  et  applaudir  de  tous  comme  compositeur. 

Les  oeuvres  qu'il  nous  faisait  entendre  sont  toutes  fort  intéressantes,  certaines 
d'entre  elles  sont  de  la  plus  haute  valeur.  Les  lieder,  Schae  ~ers  Sonntagslied,  Ultima 
Thule,  Ich  denke  oft  ans  blaue  Meer,  ont  une  ligne  mélodique  très  ferme,  et  sont 
écrits  dans  un  sentiment  plein  de  noblesse.'  Ils  furent  interprétés  de  façon  suffisante 
par   le   ténor   Burrian. 

Je  veux  surtout  parler  des  deux  grands  Chœurs  à  huit  voix,  avec  accompa- 
gnement d'orchestre  et  d'orgue,  qui  furent  exécutés  (suivant  le  désir  de  l'auteur), 
sous  la  remarquable  direction  de  M.  Schwickerat.  Ces  deux  chœurs  ont  été  composés 
pour  VUnion  Chorale  de  Sheffield,  à  laquelle  ils  sont  dédiés,  et  qui  les  créa  :  depuis  ils 
ont  été  exécutés  à  Amsterdam,  à  Mayence,  etc.,  et  ont  obtenu  partout  le  plus  grand 
succès.  Le  premier,  Traumnacht,  d'une  inspiration  pleine  de  charme  et  de  distinction, 
m'a  particulièrement  séduit  :  l'œuvre  est  parfaitement  écrite  pour  les  voix,  et  l'orches- 
tration est  d'une  fluidité,  d'une  légèreté  de  touche  extraordinaire,  aussi  éloignée  que 
possible  de  l'orchestration  wagnérienne  ou  de  celle  de  Strauss  ;  le  second,  Sturfnhym- 
nus  est  une  œuvre  puissante,  réaliste  par  instants,  où  le  compositeur  a  utilisé  avec  une 
extrême  habileté  toutes  les  ressources  des  voix  et  de  l'orchestre.  L'effet  produit  est 
énorme,  et  le  succès  en  fut  triomphal.  Ces  deux  chœurs,  d'une  grande  difficulté, 
furent  superbement  exécutés. 

Et  maintenant  que  j'ai  rendu  compte  de  ces  belles  fêtes,  il  me  reste  à  remercier  le 
Président  et  les  membres  du  Comité  de  l'aimable  accueil  qui  me  fut  ménagé,  à  dire 
encore  mon  admiration  à  tous  ceux  qui  participèrent  à  ces  exécutions  modèles,  aux 
musiciens  des  chœurs  et  de  l'orchestre,  enfin  aux  chefs  qui  surent  si  bien  les  diriger,  à 
M.  Eberhard  Schwickerat,  et  à  Félix  Weingartner.  Je  souhaite  que  l'an  prochain 
nous  nous   trouvions   plus   nombreux,   venus  de   France,   pour   assister   au    Festival 

Rhénan.  _ 

Albert  DioT. 

LETTRE  DE  MUNICH 


Fin  Mai. 

Je  vous  annonçais  dans  ma  dernière  lettre  que  le  Hof-Theater  allait  donner  le 
Rinv.  C'est  chose  faite  aujourd'hui  et  je  sors  du  Crépuscule  des  Dieux  ahuri  de  l'au- 
dace de  ceux  qui  ont  osé  entreprendre  cette  tâche  dans  les  conditions  actuelles.  J'ose 
dire  que  si  ces  quatre  soirées  font  honneur  au  courage  de  notre  intendant,  M.  de  Speidel, 
elles  ne  grandissent  sûrement  pas  la  gloire  de  notre  compagnie  lyrique,  encore  que  ce 
disant  je  manque  un  peu  d'exactitude.  En  effet  notre  troupe  lyrique  existe  à  peine,  et 
en  tous  cas  elle  n'a  joué  dans  ces  quatre  représentations  qu'un  rôle  accessoire,  fort 
médiocre  du  reste.  Nos  principaux  artistes,  de  par  la  magnanimité  de  M.  de  Possart 
gagnent  des  millions  en  Amérique  ou  soignent  leur  petite  santé  sur  les  bords  de  je  ne 
sais  quelles  eaux  bleues  ou  argentées  des  pays  de  rêves.  En  attendant  qu'un   bon  vent 


—  457  — 

les  ramène,  comme  on  voulait  donner  \s  Ring,  on  a  raccolé  au  petit  bonheur  de  ci,  de 
là,  des  ténors,  des  sopranos,  des  basses  dont  on  a  fait  un  semblant  de  troupe  :  Siegfried 
venait  de  Prague,  Siegmund  de  Berlin,  Sieglinde  de  Dresde,  Wotan  de  Francfort  ou 
de  Cologne,  Frika  de  Breslau  et  le  reste  je  ne  sais  d'où,  peut-être  même  de  Munich. 
Nous  n'avons  naturellement  pas  échappé  aux  surprises  que  laissent  prévoir  un  pareil  as- 
semblage. Nous  arrivions  au  théâtre  où  sur  la  foi  de  notre  programme  nous  nous  atten- 
tion à  voir  M.  X  dans  le  rôle  de  Wotan  ou  Mme  Y  dans  le  rôle  de  Brunehilde  ;  l'admi- 
nistration faisait  assavoir  au  public  par  de  petites  affiches  placées  dans  les  couloirs  que 
M.  X  de  Berlin,  indisposé  avait  dû  être  remplacé  au  pied  levé  par  M.  A  de  Leipzig  et 
Mme  Y  de  Dresde,  qui  avait  manqué  son  train,  par  Mme  B  de  Vienne.  Vous  vous  repré- 
sentez bien  que  c'était  une  gageure  intenable  que  celle  de  faire  coopérer  cette  macé- 
doine au  cycle  wagnérien.  Tenir  la  scène  cinq  heures  durant  sans  connaître  cette  scène, 
ni  ses  partenaires  ni  l'orchestre  qui  vous  soutient  n'est  pas  un  jeu  d'enfant  et  c'est  ce 
qu'ont  dû  faire  pourtant  la  plupart  des  artistes  au  cours  de  ces  représentations.  Et 
vous  me  croirez,  je  pense,  sur  parole  si  je  me  permets  de  dire  que  les  résultats  obtenus 
lurent  au  plus  médiocres. 

Cette  insuffisance  de  la  part  des  artistes  n'a  pas  pu  enlever  à  cette  œuvre  gigan- 
tesque son  charme  puissant  et  magique  et  cette  attirance  qui  font  de  cette  musique 
une  sorte  de  philtre  captivant  et  dominateur.  On  en  est  littéralement  envoûté.  En  effet 
comment  pourrait-on  résister  sans  cela  à  ces  longueurs  sans  fin  dont  on  ne  se  lasse 
cependant  pas,  à  la  niaiserie  de  la  trame  de  chacun  de  ces  drames  auxquels  on  s'inté- 
resse malgré  tout  ;  à  l'insignifiance  des  personnages,  brutes  aux  instincts  rudimen- 
taires  et  écœurants,  s'il  n'y  avait  dans  leurs  chants  cette  magie,  apanage  du  génie,  qui 
influe  sur  nous  obscurément  comme  agissent  les  forces  élémentaires  de  la  nature. 

Dans  le  Rheingold^  la  distribution  fut  à  peu  près  convenable  ;  Bauberger  dans  le 
rôle  de  Wotan  fut  passable  et  Walter  dans  celui  de  Loge  plutôt  bon,  d'allure  facile  et 
légère  il  donna  à  son  personnage  un  petit  air  curieux  et  malin  qui  ne  faisait  pas  trop 
mal  au  milieu  de  tant  de  lourdeurs.  Mlle  Huhn  dans  Frika  chanta  faux  comme  à  son 
ordinaire.  Alberich-Zador  et  Fafner  Gillmam  furent  insignifiants.  Quant  à  Bender- 
Fasold  il  n'eut  pour  lui  que  sa  taille  qui  le  haussa  à  la  hauteur  de  son  rôle.  Les  filles 
du  Rhin  guidées  par  Mme  Bosetti  furent  seules  à  peu  près  parfaites. 

Dans  la  Walkyrie  le  rôle  de  Siegmund  fut  confié  à  un  ténor  de  Dusseldorf,  M. 
Moers  qui  se  tira  d'affaire  bien  médiocrement,  se  heurtant  aux  décors  des  pieds  et  delà 
voix.  Sieglinde  venait  de  Dresde  et  Wotan  de  Cologne,  sauf  erreur.  Sieglinde  c'était 
Mme  Wittich  ;  ce  fut  la  seule  artiste  remarquable  de  tout  le  cycle  ;  elle  fut  vraiment 
émue  et  touchante  tandis  que  Mme  Burck-Berger  fut  d'une  platitude  lamentable  dans 
le  rôle  de  Brunehilde.  Mlle  Huhn,  Frika,  continua  de  chanter  faux.  Je  vous  ai  dit  que 
Wotan  venait  de  Cologne,  peut-être  n'en  venait-il  pas,  cela  n'a  pas  d'importance,  mais 
pour  cette  fois-ci  il  s'appelait  Bachmann,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'être  insuppor- 
table. 

Siegfried  n'eut  pas  plus  de  bonheur  que  la  Walkyrie  ;  au  contraire,  Siegfried  qui 
nous  arriva  de  Prague  sous  les  traits  de  M.  Krause  fut  si  mauvais  qu'on  le  siffla.  Je 
puis  vous  dire  qu'il  faut  être  bien  mauvais  pour  être  sifflé  à  Munich.  Quant  à  Brune- 
hilde, elle  nous  réapparut  sous  le  visage  de  Mme  Burk-Berger,elle  nous  parut  meilleure 
que  la  veille,  sans  doute  grâce  au  ténor  qui  la  faisait  ressortir  —  bien  malgré 
lui,  le  malheureux  !  Wotan  changea  encore  une  fois  de  peau  et  prit  celle  de  Feinhals. 
On  ne  jure  ici  que  par  Feinhals,  quand  Knote  est  absent.  Pour  mon  compte  je  le 
goûte  fort  peu  ;  il  chante  mal,  de  la  gorge,  il  a  la  voix  alternativement  vibrante  et  co- 
tonneuse, un  jeu  de  marchand  de  toile  et  un  tempérament  de  rond  de  cuir  ;  son  incar- 
nation de  Wotan  ne  fut  en  rien  supérieure  à  celle  que  nous  eûmes  les  deux  jours  précé- 
dents. Mime-Hofmuller  a  la  voix  aigre  et  criarde  qui  convient  à  son  rôle,  il  est  rabo- 
teux à  souhait  et  vif  comme  il  convient,  ici  un  bon  point. 

Le  second  Siegfried,  dans  le  Crépuscule  des  Dieux,  fut  aussi  un  ténor  de  Prague, 
M.  Kaufuny  ;  si  on  ne  le  siffla  pas  ce  fut  assurément  par  découragement,  mais  il  ne  va- 
lait pas  mieux  que  son  prédécesseur.  M.  Brodersen  dans  le  rôle  de  Gunther  fut  meilleur 


-  458  - 

s 

comédien  que  chanteur,  encore  qu'il  soit  tout  juste  convenable  dans  la  première  situa- 
tion. Hagen,  pour  nous  venir  de  Graz  et  se  nommer  Gillmann,  n'avait  pas  besoin  de 
prendre  un  air  aussi  sombre  et  désespéré.  Je  suis  obligé  de  répéter  que  Mme  Burck- 
Berger  fut  pour  la  troisième  fois  sans  tempérament  ni  puissance. 

Mlle  Koboth  fit  une  jolie  Guntrun  aimable  et  douce,  un  peu  sucrée  comme  sa  voix. 
Les  filles  du  Rhin  ne  démentirent  par  leur  bonne  réputation,  Mme  Bosetti  qui  les  con- 
duisait est  parfaite  dans  tous  ses  rôles...  et  on  la  suit. 


Mottl  a  terminé  la  série  des  Concerts  de  l'Académie  par  l'audition  de  la  Messe  en 
ré.  L'impression  puissante  que  donne  cette  œuvre  semble  être  faite  autant  d'étonne- 
ment  que  d'émotion  proprement  dite.  Les  accents  fulgurants  du  Credo  lient  d'une  cer- 
taine parenté  le  génie  souverain  de  Beethoven  au  génie  éclatant  de  Berlioz,  ceci  sans 
vouloir  établir  aucune  autre  analogie  entre  eux.  Si  magnifique  et  si  grandiose  que  soit 
cette  œuvre  tant  par  l'inspiration  puissante  qui  la  créa  que  par  la  richesse  —  l'excès 
de  richesse  —  des  moyens  employés,  on  a  l'impression  d'être  dépassé  par  cette  musique 
écrite  au-dessus  des  instruments  et  des  voix.  Je  ne  ferai  point  comme  certains  critiques 
convertis  (d'ailleurs  justement)  au  Motu  froprio  qui  cherchent  chicane  à  cette  œuvre 
pour  la  raison  qu'elle  ne  s'adapte  pas  à  la  liturgie  catholique.  Assurément  ce  n'est 
point  une  messe  catholique  et  si  Beethoven  a  cherché  à  l'écrire  comme  un  accompagne- 
ment du  service  divin,  il  s'est  trompé  ;  mais  c'est  bien  plutôt  comme  l'illustration  de 
ses  sentiments  religieux,  de  sa  foi  ardente  et  de  sa  soif  inextinguible  d'idéal  qu'il  faut 
la  considérer  et  vue  sous  cet  angle-là  on  ne  peut  que  s'incliner  devant  la  puissante  reli- 
giosité de  cette  âme  de  feu.  En  effet,  qu'y  a-t-il  de  plus  religieux  sinon  de  plus  litur- 
gique que  ce  début  du  Kyrie  où  la  voix  du  ténor  monte  comme  une  supplication  de 
l'âme  par  dessus  l'agitation  de  l'orchestre,  reprise  aussitôt  par  l'aigu  du  soprano  insis- 
tant avec  angoisse  sur  la  prière!  Il  n'est  point  de  règles  pour  assujettir  une  pensée  et 
exprimer  des  sentiments  effectifs  et  Beethoven  par  la  puissance  et  la  sincérité  de  ses 
sentiments  a  fait  de  la  Messe  en  ré  une  des  plus  essentielles  représentations  de  la  reli- 
giosité. 

L'interprétation  fut  presque  parfaite  au  moins  pour  ce  qui  concerne  l'orchestre  et 
les  chœurs  que  Mottl  façonna  de  main  de  maître  avec  cette  lourdeur  qui  n'est  pas  sans 
grandeur.  La  masse  chorale  stylée  à  la  perfection  fut  d'une  sûreté  remarquable  dans 
toutes  ses  attaques  et  atteignit  à  une  finesse  de  nuances  peu  commune.  Quant  aux  so- 
listes, je  préfère  ne  pas  les  nommer  ;  à  l'exception  de  Mme  Bosetti,  dont  la  voix  de 
rossignol  et  la  légèreté  ne  sont  pas  faites  pour  de  telles  œuvres,  le  reste  du  quatuor 
vocal  fut  déplorable. 

Pour  terminer  et  puisque  nous  parlons  de  messe,  un  mot  sur  la  célèbre  Messe  en 
ré  bémol  de  Klose  qui  a  fait  à  grand  bruit  son  tour  d'Allemagne.  C'est  le  Porges- 
sischer-Chorverein  et  VOrchester  Verein  qui  montèrent  cette  œuvre  énorme  sous  la  di- 
rection de  M.  Schilling,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Schillings,  l'auteur  du  Pfeif- 
fertag.  Je  ne  connais  rien  de  plus  artificiel,  de  plus  extérieur  et  de  plus  tonitruant  que 
cette  œuvre  où  l'on  trouve  de  tout,  depuis  des  airs  d'Opéra  jusqu'à  des  préludes  fugues, 
sauf  de  la  musique  religieuse.  C'est  une  exagération  de  tous  les  moyens,  un  abus  de 
toutes  les  forces  musicales,  des  effets  incessants  et  faciles,  des  éclats  perpétuels  et 
sans  arrêt  qui  fatiguent  plus  qu'ils  ne  lassent  il  est  vrai,  car  malgré  tout  on  ne 
saurait  dénier  à  Klose  une  grande  facilité  d'écriture  et  une  grande  richesse  de  moyens. 

L'orchestre,  orchestre  d'amateurs,  fut  à  peu  près  passable,  les  chœurs  comme  presque 
toujours  fermes  et  bons.  Les  solistes  parfaits  ;  il  suffit  de  les  nommer  :  Mmes  Staege- 
mann,  soprano,  et  Tilly  Koenen,  alto  ;  MM.  Hess,  ténor  et  D""  Meyer,  basse. 

El.  de  Stoecklin. 


—  459  — 

ESSEi\.  —  Le  festival  des  musiciens  allemands.  —  Le  bilan  du  grand  Festival  que 
l'Union  générale  des  musiciens  allemands  a  organisé  cette  année  à  Essen  n'est 
pas  très  favorable. 

Le  clou  de  ce  Festival  était  la  sixième  Symphonie  de  Gustav  Mahler,  directeur  de 
l'Opéra  de  Vienne.  Les  œuvres  de  Mahler  ont  été  très  discutées,  il  a  des  admirateurs 
passionnés,  mais  non  moins  d'ennemis  déterminés.  Cette  fois,  il  nous  a  donné  un  exem- 
plaire qui  est  de  belle  allure  et  qui  contient  des  pages  de  grande  beauté  surtout  dans 
l'andante  et  le  scherzo.  C'est  seulement  dans  la  dernière  partie  que  l'œuvre  s'assombrit 
et  des  cacophonies  et  le  tumulte  de  la  batterie  nous  abasourdissent.  En  somme,  la  sym- 
phonie est  puissante  et  mérite  d'être  entendue  partout.  Le  plus  grand  succès  des  autres 
œuvres  inédites  a  été  pour  Sea-drift,  scène  pour  baryton,  chœurs  et  orchestre  de  Fre- 
derick Delius,  qui  est  pleine  de  charme,  dans  la  manière  de  Debussy.  Citons  encore  la 
symphonie  en  mi  de  Hermann  Bischofif,  qui,  à  côté  de  certaines  longueurs,  contient 
une  troisième  partie  qui  fait  penser  à  Y  Apprenti  sorcier,  de  Paul  Dukas.  Enfin  un  qua- 
tuor à  cordes,  de  Hugo  Kaun,  magistralement  exécuté  par  le  Quatuor  de  Munich  et  un 
trio  tnfa  de  Hans  Pfitzner  qu'on  entehdra  souvent  cet  hiver. 

Les  autres  compositeurs  n'ont  rien  présenté  de  saillant  ;  il  vaut  mieux  ne  pas  en 
parler. 

La  ville  d'Essen  a  fêté  les  artistes  et  les  membres  de  la  Société  par  un  souper 
monstre  au  Saalbau.  Par  contre  la  famille  Krupp  a  oublié  toutes  les  règles  élémentaires 
de  l'hospitalité,  en  ne  laissant  pas  visiter  ses  usines  et  le  fameux  parc  de  la  villa  Huegel. 

Max  RiKOFF. 

ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 


A  VOpéra.  —  L'Opéra  va  faire  prochainement  une  reprise  de  Tamara,  l'œuvre 
lyrique  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  professeur  d'histoire  de  la  musique  au  Conserva- 
toire. Cette  pièce  n'a  pas  été  jouée  depuis  une  dizaine  d'années.  Les  nouveaux 
interprètes  seront  :  MM.  Affre,  Noté,  Gilly  et  Mlle  Hatto,  qui  chantera  Tamara. 

—  11  est  question  de  monter  l'hiver  prochain  à  l'Opéra,  l'Or  du  Rhin  et  le  Crépuscule 
des  Dieux. 

A  l'Opéra-Comique.  —  La  reprise  de  Pelléas  et  Mélisande  est  reportée  à  l'au- 
tomne prochain. 

Il  n'a  pas  été  possible  de  remettre  au  point  les  onze  décors  nécessaires  à  la  pièce  en 
si  peu  de  temps. 

—  Comme  nous  l'avons  annoncé,  Mlle  Emma  Calvé  chantera  à  l'Opéra-Comique, 
la  saison  prochaine.  Elle  vient  de  signer  avec  M.  Albert  Carré  et  jouera,  salle  Favart, 
du  i"  mars  au  30  juin  1907. 

La  grande  cantatrice  paraîtra  d'abord  dans  Marie-Magdeleine  et  dans  les  Noces 
de  Figaro  (rôle  de  la  comtesse  Almaviva). 

Le  14  juin  on  a  inauguré,  square  Lamartine,  le  monument  élevé  à  la  mémoire  du 
compositeur  Benjamin  Godard,  dû  au  ciseau  des  sculpteurs  Chailloux  et  Campbeil.  On 
sait  que  l'initiative  de  ce  touchant  témoignage  d'admiration  à  l'auteur  du  Tasse  et  de 
Jocelyn  est  due  au  violoniste  Clerjot,  aidé  par  Mlle  Magdeleine  Godard.  Le  monument 
se  compose  d'une  stèle  en  pierre  que  surmonte  le  buste  du  compositeur.  A  gauche, 
Eléonore  d'Esté  et  le  Tasse,  statues  en  bronze.  A  droite,  une  lyre  brisée.  —  Le  jour  de 
l'inauguration  d'excellents  discours  ont  été  prononcés  par  M.  Danvers,  M.  Dujardin- 
Beaumetz,  M.  Autrand,  M.  Pierre  Morel. 


—  4^0  — 

C'est  définitivement  au  théâtre  Sarah-Bernhardt  que  les  Concerts-Lamoureux 
auront  lieu  à  partir  de  la  saison  prochaine.  On  sait  en  effet  que  le  Nouveau-Théâtre 
devient  le  Théâtre-Réjane,  mais  ce  qu'on  ne  sait  peut-être  pas,  c'est  tout  le  mal  que  le 
Comité  des  Concerts-Lamoureux  a  dû  se  donner  pour  trouver  un  gîte  !  Devons-nous 
ajouter  une  fois  de  plus  que  cette  absence  de  grandes  salles  de  Concerts  à  Paris  est  une 
véritable  honte  pour  les  millionnaires  qui  prétendent  s'intéresser  à  l'art  musical... 

Voilà  donc  les  Concerts-Colonne  et  les  Concerts-Chevillard  porte  à  porte...  Que  M. 
Lépine  ait  l'œil  !  Quant  à  nous  autres,  critiques,  nous  sommes  ravis  en  pensant  à  la 
suppression  du  fiacre  dominical  qui  nous  transportait  du  Châtelet  à  la  rue  Blanche  ! 


La  matinée  annuelle  des  Elèves  du  cours  de  M.  Mérigo  a  permis  d'apprécier  le 
parfait  enseignement  de  ce  distingué  professeur  que  l'éminent  Maître,  M.  Marmontel, 
présent  à  cette  séance,  a  félicité  bien  vivement  ainsi  que  ses  nombreux  élèves. 


Nous  croyons  savoir  que  de  nouveaux  Concerts  seront  organisés  et  dirigés,  la 
saison  prochaine,  le  jeudi  soir,  par  M.  Séchiari,  violon-solo  des  Concerts-Chevillard. 

Mme  Ducourau-Petit  vient  d'achever  la  partition  d'un  drame  lyrique  dont  elle  a 
écrit  elle-même  le  poème  :  titre  :  La  Saint-Jean.  L'action  se  passe  dans  le  pays  basque. 
L'œuvre  sera  très  prochainement  entendue  par  M.  Carré. 


Les  concours  du  Conservatoire.  —  Voici  les  dates  des  concours  publics,  qui  auront 
lieu,  comme  l'année  dernière,  dans  la  salle  de  l'Opéra-Comique  : 
Mardi,  17  juillet,  à  9  h.  1/2  :  Contrebasse,  alto,  violoncelle. 
Mercredi,  18  juillet,  à  une  heure  :  Chant  (hommes). 
Jeudi,   19  juillet,  à  une  heure  :  Chant  (femmes). 
Vendredi,  20  juillet,  à  9  heures  :  Tragédie,  Comédie. 
Samedi,  21  juillet,  à  9  heures  :  Harpe,  piano  (hommes). 
Lundi,  23  juillet,  à  une  heure  :  Opéra  Comique. 
Mardi,  24  juillet,  à  midi  :  Violon. 
Mercredi,  25  juillet,  à  une  heure  :  Opéra. 
Jeudi,  26  juillet,  à  midi  :  Piano  (femmes). 

Vendredi,  27  juillet,  à  midi  :  Flûte,   hautbois,  clarinette,  basson. 
Samedi,  28  juillet,  à  midi  :  Cor,  cornet  à  piston,  trompette,  trombone. 

M.  G.  Rabani,  violoniste-soliste,  dirigera  cette  saison  d'été  en  Bretagne,  une  série 
de  concerts  consacrés  à  la  musique  ancienne,  classique,  moderne  et  contemporaine. 

A  ces  concerts,  qui  auront  lieu  à  Nantes,  la  Baule,  Lorient,  Brest,  Saint-Brieuc, 
Dinard,  Saint- Aialo,  Paramé,  etc.,  se  feront  entendre  les  meilleurs  artistes  chanteurs 
et  virtuoses  instrumentistes  des  grands  concerts  de  Paris,  engagés  spécialement  par 
M.  G.  Rabani,  directeur  des  concerts. 


On  nous  signale  le  nouveau  succès  remporté  par  M.  Adrien  Prazzi,  l'auteur  d'un 
recueil  de  mélodies  délicates  et  souvent  appréciées  qui  vient  de  faire  une  heureuse  in- 
cursion dans  la  musique  légère  et  a  vu  récemment  applaudir  aux  Capucines  une  revue 
qu'il  a  illustrée  avec  une  verve  et  un  esprit  rares...  Citons  entre  autres  trouvailles  mé- 
lodiques une  valse  qui  fera  le  tour  des  salons  et  que  Mme  Raucet-Banès  chanta  délicieu- 
sement. 

Grenoble.  —  Le  15  Juin  dernier,  un  concert  fort  intéressant  a  été  donné  par 
«l'Association  Musicale  ))  de  Grenoble,  sous  l'excellente  direction  de  MM.  Martin-Cha- 
zaren  et  Henri  Morin.  Ce  dernier  a,  en  outre,  remarquablement  exécute  les  Variations 
Symphoniques  de  Boellmann,  pour  violoncelle. 

Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 
Paris-Thouars,  imprimerie  Nouvelle 


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à  Graiîd  Cadre  erj  fer  d'urjc  seule  Pièce  et  Cordes  croisées 


PIANOS  MUSTE 


F'ac'b-u.i:*©       eaccliisivenaent.      A.irfcistic[vie 


ORGUES    WUSTEJ^ 


mUSTEL,  ^  C'^    "Rue  de  Douai,  46.  PZlIil 


Institut  Musical  de  France 


12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (12^) 


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Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  charge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Htranger.  Son  organisation 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


L,  f  Q  u  e:  U  R 


iilNEDjGiriNif: 


9e  Année,  N"  14,  15  JuiUet  1906. 


Directeur:  Albert  DIOT 


Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René   DOIRE 


^OMMAIRE  : 


Robert  ScHUMANN . .     CAiILLE   CHEVILLARO 

Sur  les  «  lieder  »  de 

ScHUMANN HENRY  GAUTHIER-VILLARS 

Amours  d'Artistes.     PAUL  DE  STŒCKLIN 
(  Robert    et   Clara 
Schumann) . 

La  Quinzaine   Musicale   :    Le  Prix   de   Rome 

et  les  Concours  du  Conservatoire . 


Le  mouvement  musical  en  Province 
et  à  V Etranger  : 

Les  FÉTEs  Schumann 

à  Bonn P.  DE  STŒCKLIN 

Lettre  de  Londres LÉO  OIENSIS 

Correspondances  de  :  Orléans,   Le   HàTre, 
Vichy. 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 
Bibliographie  :  Schumann,  par  Camille  Mau- 
CLAIR E.  JEAN-AUBRY 


Administration  et  Rédaction  :  Bureau;;?  ouverts 

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René  Doire  —  F.  Drogoul  —  Eva  —   Emm.  Ergo  —  J.   Ecorcheville 
Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  deFourcaud  —  G.  de  Flagny  —  Henxik 
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rencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon  —  Ch.  Malherbe  — 
A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  —  Jacques  Méraly  — 
F.   de   Ménil  —  Victor  Maurel  —  Mathis   Lussy  —  Octave  Maus  —  Jean 
Marcel  —  Alfred  Mortier  —  Aloys  Mooser  —  Raymond-Duval  —  Rhené- 
Baton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns  —  J.  Sauer^^rein 
—  A    Séryeix.    —  P.  de  Stœcklin.  —   M.  Schar^wenka  —  E.    Segnitz  — 
Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D*^  Fritz  Volbach  —  E.  Vuillermoz,  etc 

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I  MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM. 

(  MM.  BRENTANO'S,  Union  Square,  NE"W-YORK. 

l  M.  G.  SCHIRNER,  35,  Union  Square,  Nfi-W-YORK. 


9«  ANNEE.  N»  14-  i5  JUILLET  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Robert  Schumann  (Camille  Chevillard).  —  Sur  les  «  Lieder  »  de 
Schumann  (Henry  Gauthier- Villars).  —  Amours  d'Artistes  (Robert  et  Clara 
Schumann  (Paul  de  Stœcklin).  —  La  Quinzaine  Musicale  :  Le  Prix  de  Rome  et  les 
Concours  du  Conservatoire.  —  Le  Mouvement  musical  en  Province  et  à  l'Etranger  : 
Les  FÊTES  Schumann  à  Bonn  (P.  de  Stœcklin).  —  Lettre  de  Londres  <'LÉo  Diensis). 
Correspondances  de  :  Orléans,  Le  Havre,  Vichy. —  Echos  et  Nouvelles  diverses.  — 
Bibliographie  :  Schumann,  par  C,  Mauclair  (E.  Jean-Aubry). 


Robert  Schumann 


Robert  Schumann,  nom  magique  et  douloureux,  évoquant  une 
gloire  et  un  martyre  ! 

Nous  nous  rappellerons  toujours  Tenthousiasme  de  nos  vingt 
ans  quand  nous  dévorâmes  l'œuvre  de  celui  à  qui  nous  aurions  tant 
voulu  dire  :  Aie  confiance  en  ton  étoile,  tu  seras  parmi  les  plus 
grands. 

Il  fut  le  grand  poète  des  sons,  ainsi  que  le  gravèrent  les  Alle- 
mands sur  son  tombeau.  Il  pensait  en  musique,  celle-ci  était  une 
émanation  directe  de  ses  joies  et  de  ses  peines,  joies  souvent 
amères,  peines  intimes  et  vraies.  Sa  lyre  chanta  tous  les  genres  avec 
un  égal  bonheur.  Il  conçut  les  scènes  du  Faust  de  Goethe  et  fit  des 
chefs-d'œuvre  d'une  page.  Il  clama  sa  désespérance  sur  le  sommet 
de  la  Jungfrau  et  balança  l'enfant  sur  son  cheval  de  bois.  Il  résumait 
en  lui  seul  la  tendresse  de  tous  les  autres  mais  il  ne  put  distribuer 
normalement  les  trésors  de  son  intimité  et  son  intelligence  sombra 
dans  le  trop  plein  de  son  expression  intérieure. 

Tout  a  été  dit  sur  lui  et  tout  reste  encore  à  dire. 

Schumann  fut,  avec  Weber  et  Schubert,  la  plus  directe  manifes- 
tation de  l'Art  allemand  dans  ce  qu^il  a  de  plus  intime  et  de  plus 
méditatif.  Bach,  Beethoven  et  Schubert  étaient  ses  Dieux,  les  deux 
premiers  exercèrent  une  influence  considérable  sur  son  écriture,  mais, 
contrairement  aux  lois  de  l'évolution  naturelle  et  de  la  progression 
personnelle  qui  furent  si  apparentes  chez  la  plupart  de  ses  confrères, 
il  sauta  à  pieds  joints  dans  Tindividualisme  et  fut  foncièrement  original 
dès  ses  premiers  essais.  Il  écrivit  successivement  vingt-trois  œuvres 
pour  piano,  dont  quelques-unes  jetaient  une  toute  nouvelle  clarté  sur 
ce  qui  avait  été  fait  jusqu'alors,  et  l'on  peut  même  affirmer  que  ces 


éblouissements  harmoniques  et  rythmiques  échàfaudant  un  style 
mélodique  encore  inentendu  devinrent  les  bases  d'un  art  nouveau 
dont  la  musique  moderne  est  encore  impressionnée. 

Il  fut  lui  tout  entier  dans  ces  vingt-trois  premières  œuvres,  il  y 
atteignit  rapidement  une  hauteur  de  pensée  qui  n^était  pour  ainsi 
dire  pas  de  son  âge  ;  la  conclusion  de  la  Fantaisie  dédiée  à  Liszt, 
superbe  méditation,  d'une  hautaine  solitude,  est  surprenante  à  ren- 
contrer chez  un  auteur  de  vingt-six  ans.  Une  telle  aurore  allait-elle 
irradier  aussi  splendidement  les  différentes  formes  musicales  que 
Schumann  allait  traiter?  Certains  critiques  ont  prétendu  que  le 
Schumann  des  symphonies  était  inférieur  à  celui  des  lieder  et  des 
pièces  pour  piano  et  que  son  génie  était  plus  à  l'aise  dans  les  œuvres 
de  moindre  envergure.  Cette  assertion  inexacte  ou  du  moins  hasar- 
deuse pourrait  s'expliquer  ainsi.  Contrarié  dans  sa  vocation  par  des 
parents  qui  ne  la  pressentirent  pas,  les  premières  études  de  l'auteur 
de  Manfred  furent  hésitantes  et  portèrent  trop  spécialement  sur  le 
piano  au  détriment  de  l'éducation  instrumentale  et  symphonique 
qu^il  ne  s'assimila  que  plus  tard  ;  de  là  une  certaine  gêne  dans  le  pre- 
mier emploi  qu'il  eut  à  faire  des  formes  classiques  et  scolastiques. 
Il  se  ressaisit  promptement  du  reste  et  se  lança  de  nouveau  dans  un 
genre  qui,  s'il  n'offrit  pas  la  fantaisie  spontanée  de  ce  qu'on  pour- 
rait appeler  sa  première  manière,  le  montra,  par  la  beauté  de  sa 
forme  et  la  science  de  son  développement  comme  un  digne  émule  de 
ses  illustres  prédécesseurs.  Les  œuvres  de  cette  époque  sont  célèbres 
à  juste  titi'e,  on  en  peut  citer  les  quatre  symphonies,  les  grands  poè- 
mes lyriques,  une  quantité  de  musique  de  chambre  qui  renferme 
principalement  les  plus  beaux  trios  qu'on  ait  écrits,  et  la  plus  grande 
partie  de  son  œuvre  vocale  qui  est  immense. 

L'inspiration  de  la  dernière  époque  fut  diffuse  et  latente,  un 
dernier  éclair  illumina  pourtant  ce  sombre  crépuscule  et  l'admirable 
Requiem  sortit  de  ce  cerveau  déjà  vaincu  par  sa  fièvre  productrice 
de  vingt-trois  ans. 

Schumann  écrivit  d^une  façon  toute  nouvelle  pour  le  piano  ; 
revenant  à  la  polyphonie  du  C/<2tJe<;m  bien  tempéré,  il  comhla.Vécsiri 
qui  séparait,  dans  récriture  des  auteurs  intermédiaires,  la  main 
gauche  de  la  droite  par  des  motifs  intérieurs  vêtus  des  plus  somp- 
tueuses arabesques,  ce  qui  donne  à  cette  disposition  une  sono- 
rité si  riche  et  si  enveloppante. 

Il  posséda  au  suprême  degré  le  génie  de  la  péroraison,  ses 
strettes  sont  toujours  d'une  beauté  achevée,  il  ne  tourne  jamais  court 
et  excelle  à  précipiter  comme  en  une  avalanche  les  motifs,  épisodes 
et  périodes,  sur  l'accord  final. 

Quant  à  son  instrumentation,  elle  a  fait  couler  des  torrents 
d'encre.  Certains  compositeurs  à  Tinspiration  peu  colorée  Font  trou- 
vée terne  et  grise  ;  d'autres  ont  affirmé  qu'il  était  très  difficile  aux 
chefs  d^orchestre  d'en  dégager  le  melos  et  d^en  équilibrer  les  sono- 


_  463  — 

rites.  Il  n'est  pas  toujours  aisé  de  mettre  au  point  une  œuvre  sym- 
phonique  ;  un  des  plus  fameux  drames  musicaux  qui  soient,  la 
première  partie  de  la  9"^  symphonie,  n'acquiert  la  transparence  et  la 
lucidité  voulue  qu'à  l'aide  de  nuances  spéciales,  soigneusement  éta- 
blies et  même  de  légères  modifications  instrumentales.  L'art  de  Schu- 
mann  qui  est  tout  intérieur  n'avait  nul  besoin  d'une  représentation 
papillotante  et  bigarrée.  Que  seraient  venues  faire  d'ingénieuses 
combinaisons  de  timbres  sur  une  pensée  tendre  et  douloureuse  et  se 
représente-t-on  l'ouverture  de  Manfred  instrumentée  par  un  Berlioz 
ou  un  Korsakow  ? 

L'orchestration  de  Schumann  est  riche  et  parfaitement  sonore,, 
elle  semblera  un  peu  indécise  dans  le  premier  morceau  de  la  Sym- 
phonie en  si  bémol  qui  était  son  premier  essai  d'orchestre,  mais, 
voyez  la  différence  de  maîtrise  qui  sépare  cette  s5^mphonie  de  la 
seconde  qui  est  déjà  un  complet  chef-d'œuvre  et  dont  le  final  ruisse- 
lant d'idées  magnifiques  semble  une  véritable  cataracte  musicale. 
L'instrumentation  de  certaines  de  ses  dernières  œuvres  se  ressent 
parfois  du  man  ue  de  relief  des  idées  qu'elle  doit  traduire.  N'a-t-on 
pas  dit  :  ce  que  l'on  conçoit  bien  s'énonce  clairement. 

Tel  est  l'homme  dont  l'art  musical  doit  s'enorgueillir.  Il  vécut  à 
cette  heureuse  époque  où  l'on  écrivait  encore  selon  son  cœur,  il 
rayonna  moins  universellement  que  Beethoven  et  Wagner,  mais  il 
parlera  intimement  à  ceux  qui  ne  trouveront  jamais  un  cercueil 
assez  vaste  pour  contenir  leurs  désillusions  et  à  celles  qui  évoque- 
ront dans  les  larmes  leurs  souvenirs  de  mère  et  de  femme. 

Camille  CHEVILLARD. 


Sur  les  Lieder  de  Schumann 


Schumann  se  faisait  de  la  mentalité  française  une  idée  toute 
personnelle.  Il  l'exposa  à  mainte  reprise,  mais  la  précisa  avec  énergie 
dans  son  article  sur  la  Symphonie  Fantastique  de  Berlioz.  Après 
avoir  reproduit  le  commentaire  de  notre  tumultueux  Hector  {Orgie 
diabolique,.,  dans  le  lointain,  tonnerre...  solitude...  silence  pro- 
fond... etc.)  il  appréciait  en  ces  termes  ce  programme  volcanique  : 
«  Toute  l'Allemagne  dispense  l'auteur  de  ces  explications  :  de  pareils 
guides  ont  toujours  quelque  chose  de  peu  digne  et  de  charlata- 
nesque.  L'Allemand,  à  l'esprit  subtil,  veut  n'être  pas  si  grossière- 
ment dirigé  dans  ses  pensées;  déjà,  pour  la  Symphonie  Pastorale., 
il  s'est  trouvé  blessé  que  Beethoven  n'eût  pas  de  lui  l'idée  qu'il 
pourrait  découvrir  sans  son  entremise  le  caractère  de  l'œuvre.  Mais 
Berlioz  a  écrit  expressément  pour  des  auditeurs  français,  auxquels  on 
ne  peut  que  difficilement  en  imposer  par  une  discrétion  élevée.  » 

On  n'est  pas  plus  aimable.    Sans  pousser  aussi  loin  que  l'auteur 


—  4^4  — 

de  Manfred  le  mépris  de  la  perspicacité  française,  reconnaissons 
que,  pour  bon  nombre  de  nos  compatriotes,  il  est  nécessaire  de 
découvrir  l'Amérique  tous  les  huit  jours.  Une  tendance,  très  natio- 
nale, à  la  généralisation  fausse  la  plupart  de  nos  jugements,  surtout 
en  matière  d'art.  Nous  aimons  les  étiquettes  définitives,  les  séries, 
les  classements  et  les  hiérarchies.  Les  exceptions  nous  blessent,  les 
inconséquences  et  les  contradictions  nous  exaspèrent  et  Ton  voit 
chaque  jour  des  critiques  de  bonne  volonté  se  torturer  l'entende- 
ment pour  concilier  l'inconciliable  tant,  à  leurs  yeux,  l'élégante 
explication  prime  la  vérité  parfois  incohérente.  Aussi  sied-il,  de 
temps  en  temps,  de  refaire  l'inventaire  de  nos  jugements  artistiques 
pour  voir  si,  dans  notre  esthétique  cloisonnée,  chaque  article  repose 
dûment  dans  son  tiroir  et  porte  bien  la  fiche  qui  lui  est  destinée. 

Il  fallait  ces  excuses  préliminaires  avant  d'oser  aborder  un  sujet 

aussi  peu  ruisselant  d'imprévu  que  les  Lieder  de  Schumann,  et  pour 

légitimer  une  attitude  d'explorateur   à  travers  un  pays   dont    les 

moindres  sentiers  sont  minutieusement  décrits  dans  les  Baedeker 

■  musicaux. 

D'ailleurs,  en  dépit  de  ces  guides  commodes,  on  peut  affirmer 
que  les  Lieder  de  Schumann  sont  mal  connus  en  France.  Sur  deux 
cent  cinquante  mélodies,  trente  à  peine  figurent  çà  et  là  dans  les  pro- 
grammes de  nos  concerts.  Grâce  aux  importations  d'artistes  étran- 
gers «  L'Amour  et  la  vie  d'une  femme  »  et  les  «  Amours  du  Poète  » 
ont  remplacé  le  «  Noyer  »  et  «  J'ai  pardonné  »  (extravagante  traduc- 
tion de  Ichgrolle  nicht),  mais  là  se  borne  la  curiosité  de  nos  chan- 
teurs. Et  pourtant  les  deux  cent  vingt  lieder  méprisés  renferment 
quelques  perles  d'un  assez  bel  orient  ! 

Plus  encore  que  la  totalité  des  lieder,  nous  ignorons  l'essence 
même  de  l'art  schumannien.  Grâce  à  quelques  exégètes  pourris  de 
littérature  le  «  doux  enfant  rêveur  de  Zwickau  »  a  été  immobilisé 
en  une  attitude  sentimentale  et  mélancolique,  et  les  glossateurs  s'en- 
têtent à  le  spécialiser  dans  le  langage  un  peu  fade  de  l'éternel  soupi- 
rant. A  force  d'exalter  la  «  psychologie  sonore  2>  de  certaines  mélo- 
dies toutes  frémissantes  de  délicate  tendresse,  on  en  est  arrivé  à 
n'attendre  plus  d'un  lied  de  Schumann  autre  chose  qu'une  déclara- 
tion, un  aveu,  une  confidence  ou  un  gémissement  d'amour.  On  le 
voue,  pour  l'éternité,  au  rôle  de  pigeon  roucouleur,  dont  les  autres 
chants  n'existent  pas  pour  la  critique. 

C'est  rabaisser  étrangement  l'art  de  Schumann  !  Certes,  ses 
exquis  lieder  sentimentaux  contiennent  des  «  états  d'âme  musicaux  ^ 
à  peu  près  définitifs  au  point  de  vue  de  la  justesse  de  l'expression, 
mais  les  poèmes  de  pure  émotion  amoureuse  ne  forment  pas  la  partie 
la  plus  considérable  de  son  œuvre  vocale.  Sentimental,  le  fiancé 
patient  de  Clara  Wieck  l'était  assurément:  mais  il  faut  mettre  en 
regard  de  cette  belle  sensibilité  d'amant  les  impressions  que  recher- 
chait l'artiste,  même  si  leur  notation  nous  apparaît- moins  définitive. 


—  465  — 

Et  l'examen  des  poèmes  qu'il  demandait  à  Chamisso,  à  Heine,  à 
Gœthe,  à  Rûckert,  à  Eichendorff,  à  Uhland  ou  à  Lenau  nous  éclaire 
sur  la  véritable  orientation  de  ses  préoccupations  dominantes. 

Son  imagination,  moins  personnelle  qu'on  ne  l'a  dit,  était  celle 
du  siècle,  celle  qui  flottait  au-dessus  de  l'Europe  entière  et  qui  suffi- 
sait à  guider  l'effort  parallèle  de  deux  cents  poètes  et  de  trois  cents 
musiciens.  Schumann,  au  point  de  vue  de  sa  vision  du  monde,  est 
un  banal  enfant  du  romantisme,  et  l'on  demeure  épouvanté  devant 
les  rapprochements  qui  s'imposent  entre  les  images  naïvement  1840 
auxquelles  se  complaît  ce  musicien  de  génie  et  celles  dont  fit  ses 
délices  l'école  de  Loïsa  Puget. 

On  retrouve  dans  les  deux  cent  cinquante  mélodies  de  Schu- 
mann toutes  les  manies  de  l'époque. 

Il  y  a  d'abord  cet  amour  touchant  de  quelques  animaux  de  choix, 
parés  de  vertus  plus  qu'humaines  et  empreints  d'une  indéniable 
noblesse  symbolique.  On  reconnaîtra  l'ordinaire  bétail  romantique 
dans  plusieurs  titres  de  lieder.  Faut-il  citer  «  Mon  vieux  cheval  », 
«  Mon  cher  petit  oiseau  »,  «  Le  lion  »,  «  La  coccinelle  »,  «  Le  papil- 
lon »,  «  L'hirondelle  »,  et  même  «  Le  serin  »  qui  évoque  déjà  Jenny 
l'ouvrière.  A  ces  animaux  qui  font  partie  de  la  ménagerie  exploitée 
par  Victor  Hugo  et  ses  successeurs,  on  ajoutera  «  l'Aigle  »,  et  l'on 
obtiendra  ainsi  une  faune  classique  répondant  à  tous  les  besoins  de 
nos  aïeux  qui  ne  connaissaient  ni  les  Histoires  Naturelles  de  Jules 
Renard,  ni  les  Familiers  d'Abel  Bonnard,  ni  les  Dialogues  de  Bêtes 
d'une  jeune  dame  dont  le  nom  m'échappe  !  (i). 

Après  la  faune,  la  flore,  Schumann  chante  «  le  jasmin  »,  «  le 
lotus  »,  «  le  perce-neige  »,  «  les  violettes  de  Mars  »,  «  la  fleur  rési- 
gnée »,  «  mon  jardin  »,  «  le  noyer  »,  «  le  bouleau  »,  «  le  gazon  »  et 
«  la  rose  sans  épines  »  !  C'est  bien  là  l'horticulture  poétique  du 
temps  avec  ses  images  ingénues  de  force,  de  grâce  ou  de  mélancolie. 
Pendant  trente  ans,  cette  pépinière  suffira  à  tous  les  désirs  des 
amoureux  de  la  nature.  Depuis,  Madame  de  Noailles  a  changé  tout 
cela  et,  sur  les  traces  du  merveilleux  Francis  Jammes,  nous  a  révélé 
son  Potager  innombrable. 

Un  troisième  tic  de  l'époque  se  retrouve  dans  la  recherche  toute 
artificielle  de  l'exotisme  et  dans  l'attendrissant  effort  vers  la  couleur 
locale.  La  vanité  de  tels  décors  nous  apparaît  lamentablement  aujour- 
d'hui, mais  nos  ancêtres  s'exaltaient  au  clinquant  de  cet  internationa- 
lisme de  bazar.  C'est  ainsi  que  Schumann  s'épanouit  parmi  les  géo- 
graphies truculentes.  Voici  «l'Hidalgo  »,  «  Balthazar  »,  «  les  Stances 
hébraïques  »,  «  la  chanson  de  Sùleïka  »,  les  «  Chants  vénitiens  », 
les  «  Chants  espagnols  »,  les  «  Chants  écossais  »  (sans  compter  la 


(i)  Venons  au  secours  de  notre  amnésique  collaborateur  ;  l'auteur  des  charmante 
Dialogues  de  Bêles  est  M"»  Colette  Willy  (N.  D.  L.  R.). 


—  466  — 

«  Veuve  écossaise  »),  les  «  Chants  provençaux  »,  et  les  «  Chants 
bohémiens  »,  affligeants  boléros,  fausses  czardas,  gigues  apocryphes, 
barcarolles  postiches,  à  peine  supérieures  aux  caftans,  poignards  et 
autres  chebouks  que  le  chameau  de  l'orientaliste  Félicien  David 
apportait  en  France  par  ballots,  inlassablement. 

Enfin  la  vraie  manie  représentative  du  temps  encombre  les  quatre 
cinquièmes  de  l'œuvre  vocale  laissée  par  le  maître  de  Zwickau.  La 
scène  de  genre,  la  petite  toile,  l'anecdote  au  pittoresque  facile, 
l'exaspérante  gravure  en  taille-douce  de  nos  grand'mères,  se  retrou- 
vent, tirées  à  cent  cinquante  exemplaires,  dans  les  lieder  schuman- 
niens.  Tous  les  types  classiques  du  romantisme  se  rassemblent  là, 
dressés  fièrement  et  énonçant  leurs  qualités  avec  grandiloquence.  On 
voit  bien  que  «  Gastibelza-l'homme-à-la-carabine  »  vient  de  traverser 
la  littérature  !  Schumann  s'empresse  de  nous  exiber  «  le  contreban- 
dier »,  le  fameux  contrebandier  chevaleresque  et  héroïque,  aux 
mines  tragiques,  deux  pistolets  damasquinés  à  la  ceinture  et,  aux 
dents,  le  poignard  de  Tolède,  «  le  Braconnier  »,  son  parent  pauvre, 
«  le  Ménétrier  »,  «  l'Anachorète  »,  «  le  Hussard  »,  «  le  Page  »,  «  le 
Pâtre  Montagard  »,  «  le  Soldat  »,  «  le  Forgeron  .>,  et  «  le  Chercheur 
de  trésors  ».  Puis  c'est  le  cortège  attendrissant  d'  ((  Ophélia  »,  de  «  la 
Fileuse  »,  de  «  la  Fiancée  du  Soldat  »,  de  «  FOrpheline  »,  de  «  la 
Bergère  »,  de  «  la  Religieuse  »,  et  de  «  la  Femme  du  Chef  »  !  O  titres 
évocateurs  î  Et  quel  sens  périmé  du  théâtre  éveillent  les  anecdotes 
intitulées  ce  les  Frères  ennemis  »,  «  la  Cloche  qui  marche  »  ou  «  la 
Fiancée  du  Lion  »!  Et  que  dire  du  «  Chant  de  Lyncœus,  gardien  de  la 
Tour  »,  du  «  Joyeux  voyageur  »,  de  «  l'Enfant  de  la  montagne  »,  du 
«  Semeur  de  sable  »,  de  «  la  Tireuse  de  cartes  »,  du  «  Chant  du  jeune 
archer  »  et  de  cette  extraordinaire  défence  et  illustration  de  la  fille- 
mère  qui  s'appelle  Jeanne-aux-cheveux-roux  !  (Le  fermier  voit  sa 
chevelure  rousse  et  n'a  pour  elle  que  mépris  ;  plusieurs  questionnent, 
puis  se  retirent.  La  pauvre  enfant  n'a  pas  de  dot  !  —  Chœur  :  Que 
Dieu  te  garde,  Jeanne-aux-cheveux-roux.  Dans  les  fers  gémit  le 
braconnier  !) 

Nous  voilà  très  loin,  on  le  voit,  des  petites  lamentations  passion- 
nées auxquelles  notre  ignorance  a  trop  souvent  réduit  tout  l'effort 
vocal  de  Schumann  et  qui  apparaissent,  rarœ  najttes,  dans  ce  tour- 
billon de  lieder  orographiques,  hydrographiques,  botaniques  et  zoo- 
logiques. 

Et  pourtant,  c'est  elles  qui  demeureront  !  Les  décors,  les  vête- 
ments étranges  et  les  gestes  pittoresques  passeront  vite,  mais  les 
accents  d'émotion  intime  trouveront  longtemps  encore  un  écho  dans 
la  sensibilité  humaine... 

Henry  GAUTHIER-VILLARS. 


—  467  — 

Tlnjours    d^Tlrtistes 

Robert  et  Clara  Schumann 


La  maison  Breitkopf  et  Haertel  à  Leipzig  publie  actuellement  une  monographie 
de  Clara  Schumann  (i),  d'après  des  matériaux  qu'a  pieusement  rassemblés  Mlle  Marie 
Schumann,  fille  de  la  grande  pianiste.  Le  travail  de  l'auteur,  M.  Litzmann,  a  surtout 
consisté  à  mettre  de  l'ordre  dans  les  riches  collections  soumises  à  sa  critique  et  à 
coordonner  en  un  tout  vivant,  à  organiser  les  éléments  choisis.  Je  désire  vous  entre- 
tenir aujourd'hui  du  premier  volume  consacré  aux  années  d'enfance  et  de  jeunesse  où 
se  déroule  l'admirable  roman  d'amour  de  Robert  Schumann  et  de  Clara  Wieck.  Je 
souhaiterais  parfois  au  bel  ouvrage  de  M.  Litzmann  plus  d'air,  plus  de  lumière  aussi, 
une  allure  plus  vive,  plus  de  chaleur  dans  le  récit.  Malgré  cela  c'est  une  œuvre 
vivante,  définitive.  M.  Litzmann  avait  à  sa  disposition  le  journal  de  Clara  tenu  assez 
régulièrement  et  parallèlement  par  elle  et  par  son  père.  Très  utile  pour  l'histoire  de  la 
carrière  de  la  jeune  virtuose  et  du  milieu  musical  au  commencement  du  xix«  siècle, 
il  est  à  peu  près  nul  pour  celle  de  ses  relations  avec  Schumann.  D'une  toute  autre 
valeur  est  la  correspondance  de  Robert  à  Clara  et  de  Clara  à  Robert.  Nous  avons  sous 
les  yeux,  semaine  par  semaine,  souvent  jour  par  jour,  le  récit  direct  des  événements, 
nous  pénétrons  au  plus  profond  de  l'être  de  ces  deux  rares  artistes,  leurs  cœurs  pal- 
pitent sous  nos  yeux. 

Et  d'abord  le  cadre.  C'est  Leipzig,  le  vieux  Leipzig  où  malgré  le  père  Wieck, 
Clara  n'est  pas  absolument  prophétesse.  Leipzig  avant  Mendelssohn,  puis  après  lui 
avec  les  transformations  apportées  par  ce  grand  musicien.  C'est  la  vie  artistique  dans 
toutes  les  petites  résidences  plus  indépendantes,  alors  qu'aujourd'hui, Weimar,  Cassel, 
Hanovre,  Dresde,  Frankfort  ville  impériale,  Hambourg.  C'est  Vienne  qui  «  aurait 
besoin  d'un  Mendelssohn  pour  vivifier  ses  bons  éléments,  »  Vienne  où,  jouer  une 
Fugue  de  Bach  (en  1837)  constitue  un  événement  sensationnel,  où  c'est  ouvrir  «  une 
ère  nouvelle  »  que  de  devoir  la  jouer  deux  fois  !  C'est  Paris  enfin  !  Wieck  et  sa  fille 
semblent  ignorer  le  Paris  épique  des  luttes  romantiques.  Ils  n'ont  vu  qu'une  grande 
ville,  rendez- vous  de  tous  les  artistes,  légère,  frivole,  indifférente,  snob  (avant  la  let- 
tre). La  «  Beethovenmanie  »,  en  1852,  déjà  y  bat  son  plein.  On  ne  jure  que  par 
Beethoven,  on  ne  veut  que  du  Beethoven...,  ou  du  Kalkbrenner  et  du  Herz.  Clara  y 
entend  en  1838,  la  ix'^  symphonie.  Elle  ne  comprend  rien  à  la  dernière  partie,  pas 
beaucoup  plus  à  l'adagio.  La  faute  en  est  sans  doute  aux  Français  et  à  la  superficia- 
lité  de  leur  interprétation.  Paris  consacre  cependant  les  réputations,  il  faut  y  avoir 
brillé  pour  réussir.  Le  Paris  d'Hugo,  Lamartine,  Vigny,  Musset,  Dumas,  Ingres,  Sand, 
Delacroix,  n'existe  point  pour  cette  petite  allemande. 

Puis  le  milieu  :  Chopin,  enchanteur  mais  maniéré  et  trop  français  ;  Liszt,  démo- 
niaque, auprès  de  qui  Clara  se  trouve  une  petite  écolière.  Thalberg  dont  elle  entame 
sérieusement  la  gloire,  Berlioz  qui  pense  beaucoup  de  bien  de  Schumann  et  parle  en 
tenant  les  yeux  fermés  ;  Mendelssohn  enfin,  «  le  plus  grand  de  tous  les  pianistes  ».  Et 
le  public,  habitué  aux  programmes  vides  des  artistes  en  vogue,  à  la  virtuosité  creuse 


(i)  Clara  Schumann.  Ein  Kilnstlerleben  :  Nach  Tagebuch  und  Briefen,  von  Berchtold  Litzmann  ; 
I"  volume,  Maedchenjahre  1819-1840,  Leipzig  1902  ;  2°  vol.  Ehejahre  1840-56,  Leipzig  1905  :  3"  vol.  en 
préparation. 


—  468  — 

à  la  mode,  qu'il  faut  lentement  élever  à  la  vraie  musique  !  Tout  cela  vit,  grouille, 
agit  devant  nous.  Nous  assistons  aux  luttes  de  la  jeune  fille,  à  ses  désillusions,  à  ses 
joies,  à  ses  triomphes. 

Trois  acteurs  sont  le  centre  du  récit.  D'abord  le  père  Wieck. C'est  une  nature  forte, 
brutale,  de  fer,  un  tempérament  de  maître  d'école,  entier,  absolu.  11  a  conquis  lente- 
ment sa  place  au  soleil.  Très  pauvre,  il  s'est  créé  une  atmosphère  de  bien-être  à 
laquelle  il  tient  par  dessus  tout.  En  quelques  années, selon  les  principes  d'une  méthode 
piûrement  élaborée,  ce  remarquable  éducateur  a  fait  de  sa  fille  une  virtuose  accomplie, 
pas  une  enfant  prodige.  Il  a  pour  elle  des  rêves  de  grandeur.  Elle  est  un  capital  qu'il 
entend  exploiter  à  sa  façon,  dont  il  compte  s'assurer  la  jouissance  à  son  gré  et  dont  il 
ne  se  défera  que  sous  certaines  conditions  depuis  longtemps  caressées.  Ame  sans  ten- 
dresse, il  aime  cependant  sa  fille  en  qui  il  a  mis  toutes  ses  espérances.  11  sera  sans 
compréhension  pour  les  aspirations  de  ce  cœur  d'enfant.  Tout  aux  questions  d'intérêt, 
aux  affaires  rnatérielles,  il  considère  les  idées  sentimentales,  la  floraison  de  deux  âmes 
d'adolescents  comme  une  maladie,  la  rougeole,  dont  on  finit  par  venir  à  bout.  Ecoutez 
les  seuls  mots  qu'il  trouvera  pour  sa  Clara  le  jour  de  sa  confirmation  :  «  Te  voilà  in- 
dépendante désormais.  Ceci  est  d'une  haute  signification.  J'ai  consacré  à  toi,  à  ton 
éducation  près  de  dix  ar»s  de  rrion  existence.  Songe  à  tes  devoirs.  Développe  ton  esprit 
vers  une  activité  noble,  désintéressée,  pour  le  bien.  Ne  te  laisse  pas  ébranler  dans  te? 
principes,  si  tu  es  méconnue,  calomniée,  jalousée.  La  vraie  vertu  est  un  rude  combat, 
soutenons-le.  ]e  reste  ton  ami,  ton  conseiller  et  ton  soutien.  »  11  a  pour  Schumann  de 
la  sympathie.  Entre  lui,  toutefois,  et  la  fantaisie  ailée  du  jeune  homme,  il  y  a  un  vide 
que  rien  ne  saurait  combler.  11  l'admire  pourtant.  C'est  grâce  à  sa  lettre  que  Mme 
Schumann  autorise  son  fils  à  se  vouer  à  la  musique.  Sa  conduite  envers  lui  est  telle 
que  celui-ci  a  pu  croire  un  instant  que  le  vieux  Wieck  lui  destinait  sa  fille.  A  l'arrière- 
plan  apparaissent  les  personnages  secondaires  :  Mme  Schumann,  une  âme  délicate, 
douce  ;  la  mère  de  Clara,  Mme  Bargiel,  dont  le  cœur  s'ouvre  à  sa  fille  quand  la  grande 
crise  est  passée.  Les  amies,  Emestine  de  Frieken,  charmante,  molle,  «  une  plante  ayant 
besoin  de  beaucoup  d'eau  et  sur  qui  le  soleil  (Schumann)  a  lui  trop  fort  »,  Emilie  List, 
belle  avec  ses  yeux  foncés  et  sa  torsade  de  cheveux  noirs.  Enfin  Cari  Banck  le  confi- 
dent infidèle,  et  l'ami  dévoué,  Beeker,  dont  les  bons  offices  resserreront  les  liens  déten- 
dus qui  unissent  les  deux  amants. 

Enfin  Clara  et  Robert  ! 

Clara  Wieck  a  9  ans  quand  un  étudiant  à  l'Université  de  Leipzig,  attiré  par 
la  réputation  de  Wieck  vient  lui  demander  des  leçons  de  piano  :  c'est  Robert  Schu- 
man. Il  devient  bientôt  l'un  des  familiers  de  la  maison,  surtout  l'ami  de  la  petite 
fille.  Personne  comme  lui  pour  trouver  des  charades,  raconter  des  légendes  ou  faire 
frissonner  par  des  histoires  de  revenants.  Tout  de  suite  l'enfant  s'attache  à  ce  bon 
jeune  homme  qui  s'occupe  d'elle.  «  Je  n'ai,  pour  ainsi  dire  pas  joui  de  mon  enfance, 
écrira-t-elle  longtemps  plus  tard.  J'étais  seule,  étrangère  dans  le  monde.  Mon  père 
m'aimait  bien,  je  le  lui  rendais.  Cependant  ce  dont  une  enfant  a  besoin,  l'amour  d'une 
mère,  je  ne  l'ai  point  connu.  Je  n'ai  donc  jamais  été  absolument  heureuse  ».  Et  plus 
oin  :  «  Je  n'ai  pas  une  épingle  de  mes  parents.  Ma  mère  (sa  belle-mère  la  seconde 
femme  de  Wieck  ;  la  première,  divorcée  s'était  remariée  à  Bargiel)  ne  me  donnait 
même  pas  une  cerise.  Tu  as  de  l'argent  à  toi,  me  répondait-on  toujours  ».  «  Tu  étais 
alors  une  petite  fille  avec  deux  yeux  noirs,  un  caractère  mutin,  qui  ne  connaissait  rien 
de  meilleur  au  monde  que  les  cerises  »  lui  dira  Schuman. 

En  1831  Wieck  estime  sa  fille  mûre  pour  le  public.  Il  entreprend  avec  elle  une 
tournée  de  concerts.  Clara  marche  de  triomphe  en  triomphe.  Robert  suit  sa  petite  amie 
en  pensée.  Il  y  a  des  lettres  charrnantes  de  ce  grand  garçon  de  21  ans  à  l'enfant  de 


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12  ans.  «  Je  pense  souvent  à  vous,  non  comme  frère  à  sa  sœur,  ou  comme  un  ami  à 
son  amie,  mais  comme  un  pèlerin  à  l'image  sainte  qui  est  loin  de  lui».  Il  lui  parle  des 
beaux  contes  qu'il  rêve  à  son  intention,  de  ses  frères,  de  musique.  «  Composez-vous 
beaucoup  ?  En  songe  parfois,  j'entends  de  la  musique.  —  C'est  ainsi  que  vous  com- 
posez ».  C'est  une  âme  d'élite,  faite  de  tendresse  et  d'énergie  que  cette  étrange 
fillette.  La  première,  elle  verra  clair  dans  son  cœur  et  aura  conscience  de  son  amour 
qui  sera  sa  vie.  Schumann  lui,  est  une  âme  vibrante,  une  lyre  qui  exhale  des  accents 
mélodieux  au  moindre  heurt  et  qui  se  brisera  au  contact  brutal  de  la  vie.  Ce  musicien  est 
un  poète.  Sa  musique,  selon  le  mot  de  Mauclair,  est  «  une  musique  d'aveu  ».  Un  mor- 
ceau de  son  cœur  est  dans  chacune  de  ses  compositions.  Malade,  inégal,  fantastique, 
il  est  exquisément  sensible  et  bon. 

Avril  et  mai  1832.  Clara  est  de  retour,  elle  se  repose  de  ses  succès,  elle  travaille. 
Robert,  grâce  au  vieux  Vieck,  s'est  voué  complètement  à  la  musique.  Ils  se  voient 
sans  cesse.  «  Chaque  jour  où  je  ne  puis  parler  à  Clara,  laisse  une  lacune  dans  mon 
journal  ».  Heures  divines,  aurore  indécise  d'un  amour  qui  se  lève  sur  ces  jours  ra- 
dieux de  printemps.  L'adolescent  rêveur  et  l'inconscient  enfant  tissent  innocemment 
le  lien  qui  unira  leurs  existences. 

Dès  lors  Schumann  est  le  centre  de  la  vie  de  la  jeune  virtuose,  comme  homme  et 
comme  artiste.  Leur  correspondance  est  délicieuse  :  «Je  me  figure  que  l'homme  est 
un  papillon  et  le  monde  sa  fleur.  J'aime  qu'un  rayon  de  soleil  danse  sur  mon  piano  et 
joue  avec  les  sons.  Qu'est-ce  autre  chose,  un  son,  qu'une  lumière  qui  chante  »?  — 
«  Demain,  à  1 1  heures  précises,  je  jouerai  l'adagio  des  variations  de  Chopin  et  penserai 
fortement  à  vous,  uniquement  à  vous.  Je  vous  en  prie,  faites  de  même.  Que  nos  esprits 
se  rencontrent,  se  voient.  »  N'est-ce  pas  déjà  presque  d'un  amoureux  ? 

«Clara,  qui  m'est  toujours  très  attachée  —  porte  une  lettre  de  Schumann  à  sa 
mère  —  court,  saute,  joue  comme  une  enfant  et  dit  parfois  des  choses  très  péné- 
trantes. C'est  une  joie  de  voir  les  qualités  de  son  cœur  et  de  son  esprit  s'épanouir 
feuille  â  feuille.  »  Puis  le  récit  d'une  promenade  :  «  Le  chemin  était  semé  de  gros 
cailloux.  Comme  cela  m'arrive  fréquemment  dans  une  conversation,  je  regarde  très 
souvent  en  l'air.  Elle  marchait  derrière  moi,  me  tirant  légèrement  par  mon  habit  à 
chaque  pierre  pour  m'empêcher  de  tomber.  »  Symbole  touchant  de  la  femme  aimante 
et  dévouée  qui  dans  la  vie  sera  la  vaillante  compagne  du  rêveur  et  le  gardera  des  faux 
pas. 

La  fille  d'un  gentilhomme  bohémien,  Ernestine  de  Fricken,  entre  en  avril  1834 
comme  pensionnaire  et  élève  chez  Wieck.  Les  deux  jeunes  filles  se  lient  rapidement. 
Wieck.pour  couper  court  aux  relations  intimes  de  Schumann  et  de  Clara  et  pour  étouf- 
fer dans  son  germe  une  sympathie  dont  il  n'attend  rien  de  bon,  envoie  son  enfant  à 
Dresde  continuer  ses  études  de  théorie  musicale  chez  Reissiger.  L'éloignement  fait  ren- 
trer en  eux-mêmes  les  deux  amis,  dans  le  cœur  de  la  fillette  d'hier  l'amour  s'éveillera 
qui  bravera  tous  les  orages  de  la  vie. 

«  Ecoute,  écrit-elle  à  son  fiancé  en  1838,  à  propos  de  cette  époque,  écoute  la  rê- 
veuse enfant  que  j'étais  alors.  Lorsque  tu  venais  nous  voir  tu  ne  pariais  qu'à  Ernes- 
tine. Avec  moi  tu  t'amusais.  D'étranges  sentiments  agitaient  mon  cœur  (si  jeune  et 
déjà  si  brûlant)  quand  dans  nos  promenades  tu  t'entretenais  avec  elle.  Je  pensais  alors 
déjà  combien  ce  serait  charmant  de  t'avoir  un  jour  pour  mari  ».  Et  une  autre 
fois  :  «  Quand  je  rentrai  à  Leipzig  (après  son  séjour  à  Dresde)  je  tombai  du 
haut  de  mon  ciel.  Ernestine,  méfiante,  me  parlait  peu.  J'appris  que  vous  étiez 
fiancés  !  » 

Schumann,  en  effet,  séduit  par  le  charme  et  surtout  par  l'amour  que  lui  portait 
Ernestine  de  Fricken,  s'était  attaché  à  elle.  «  Si  l'avenir,  dit-il  dans  une  lettre  à  sa 


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mère,  me  demandait  :  qui  veux-tu  choisir?  Je  répondrais  résolument  :  celle-ci.  »  Le 
baron  de  Fricken,  à  moitié  satisfait  de  l'amour  de  sa  fille,  l'emmène.  L'éloignement  ne 
fait  qu'exaspérer  leur  passion.  Sans  qu'il  y  ait  toutefois  jamais  été  question  de  fian- 
çailles, Robert  se  considère  comme  lié.  Leurs  sentiments  ne  tardent  pas  à  se  refroidir. 
Schumann  est  froissé  de  ce  qu'Ernestine  ne  lui  ait  pas  dit  franchement  qu'elle  était 
illégitime  et  seulement  fille  adoptive  de  Fricken.  Il  voit  bientôt  qu'elle  n'était  point 
l'être  qu'il  avait  rêvé  dans  son  exubérante  exaltation. 

La  liaison  de  Robert  avec  son  amie  avait  profondément  impressionné  Clara.  Elle 
s'efforce  en  vain  d'oublier.  Elle  se  ment  à  elle  même,  annonce  à  sa  mère  qu'elle  est 
amoureuse  d'un  violoncelliste  de  Brunschwig.  A  son  retour  à  Leipzig  en  avril  1835 
une  des  premières  visites  est  celle  de  Schumann.  «Je  me  rappelle  encore  la  première 
fois  que  je  te  revis.  Tu  me  semblas  étrangère.  Tu  n'étais  plus  l'enfant  avec  qui  j'avais 
joué,  ri.  Tu  parlais  si  raisonnablement  et  dans  tes  yeux  je  vis  luire  un  profond  et 
secret  rayon  d'amour  !  Sais-tu  ce  qu'il  advint.  J'arrachai  Ernestine  de  mon  cœur. 
//  le  fallait.  » 

Il  faut  lire  en  entier  la  lettre  qu'il  écrira  en  1838  à  sa  fiancée  Clara  et  qui  donne 
la  clef  de  toutes  ses  actions  et  de  son  étrange  personne.  «  Ma  douce,  ma  bien  aimée, 
assieds-toi  près  de  moi,  la  tête  légèrement  penchée  sur  le  côté  droit  comme  cela  te  va 
si  bien.  Ecoute,  je  vais  te  raconter  bien  des  choses  Je  suis  depuis  quelque  temps 
heureux  comme  jamais.  Quel  beau  sentiment  de  puissance  pour  toi  d'avoir  rendu  à 
la  belle  clarté  du  jour  un  homme  que  rongèrent,  des  années  durant,  les  plus  atroces 
pensées,  qui  trouvait  avec  une  vraie  virtuosité  les  noirs  côtés  de  tout  (dont  lui- 
même  s'effraye  maintenant)  qui  aurait  jeté  sa  vie  comme  un  sou.  Je  vais  t'ouvrir  mon 
être  comme  je  ne  l'ai  encore  fait  à  personne.  Il  faut  que  tu  saches  tout,  ô  toi,  ce  que 
j'ai  de  plus  cher  avec  Dieu.  Ma  vie  commence  réellement  au  moment  où  j'ai  pris  cons- 
cience de  moi  et  de  mon  talent  où  je  me  suis  donné  à  l'art  et  où  j'ai  imprimé  à  mon 
énergie  une  direction  sûre.  En  1830.  Tu  étais  alors  une  petite  fille  étrange,  esprit 
mutin  avec  une  paire  de  beaux  yeux  et  tu  adorais  les  cerises.  Je  n'avais  personne  que 
ma  Rosalie  (sa  belle-sœur).  Quelques  années  passèrent.  En  1833  déjà  une  sorte  de 
mélancolie  s'emparait  de  moi  dont  je  me  gardais  de  me  rendre  compte.  C'étaient  les 
désillusions  que  chaque  artiste  éprouve  lorsque  rien  ne  va  aussi  vite  qu'il  l'avait  rêvé. 
J'étais  peu  apprécié  —  pour  comble  la  paralysie  de  ma  main  droite  m'empêche  de 
jouer.  —  Au  milieu  de  toutes  ces  pensées  et  de  ces  images  sombres,  toi  seule 
me  hantai.  C'est  toi,  sans  le  vouloir  ni  le  savoir,  qui  depuis  des  années  me  gardes 
de  toute  relation  avec  les  femmes.  Dès  lors,  la  pensée  qu'un  jour  peut-être  tu 
serais  ma  femme  se  faisait  jour  en  moi.  Tu  étais  trop  loin  encore  cependant.  Quoi 
qu'il  en  soit  je  t'aimais  alors  aussi  sincèrement  que  nos  âges  le  permettaient.  D'une 
toute  autre  nature  était  mon  affection  pour  mon  inoubliable  Rosalie.  Nous  étions  du 
même  âge,  elle  était  pour  moi  plus  qu'une  sœur,  mais  il  ne  pouvait  êtie  question 
d'amour  entre  nous.  Elle  avait  soin  de  moi,  m'encourageait,  tenait  beaucoup  à  moi. 
Mes  pensées  reposaient  plus  volontiers  sur  son  image.  C'était  en  été  1833.  Je  ne  me 
sentais  toutefois  que  rarement  heureux.  Il  me  manquait  quelque  chose.  La  mélancolie 
augmenta  encore  par  la  mort  d'un  frère  chéri,  s'emparait  toujours  davantage  de  moi. 
Dans  mon  cœur  je  crus  apprendre  la  mort  de  Rosalie. 

«  Quelques  mots  seulement  là-dessus. —  Dans  la  nuit  du  17  au  18  septembre  1833, 
la  plus  épouvantable  pensée  qui  puisse  hanter  un  homme,  me  saisit  — la  plus  affreuse 
dont  le  ciel  puisse  punir  quelqu'un  —  celle  àt  perdre  l'esprit.  —  Elle  me  domina  avec 
une  telle  violence,  que  toute  consolation,  toute  prière  étaient  impossibles  ou  sem- 
blaient raillerie  ou  sarcasme.  Cette  angoisse  ne  me  lâchait  pas  ;  le  souffle  me  manquait 
à  cette  idée  :  s'il  arrivait  que  tu  ne  puisses  plus  penser  ! —  Clara,  sur  celui  qui  a  passé 


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une  fois  par  cet  anéantissement,  ni  souffrances,  ni  maladies,  ni  désespoir,  n'ont  plus 
de  prise.  Je  courus  alors  chez  un  médecin,  je  lui  dis  tout,  que  je  ne  savais  que  faire 
dans  mon  angoisse, que  je  ne  pouvais  répondre  de  rien  et  que  dans  un  tel  abandon  déses- 
péré je  pourrais  attenter  à  mes  jours.  Ne  t'épouvantes  pas,  ange  du  ciel,  mais  écoute. 
Le  médecin  me  consola  gentiment  et  me  dit  en  souriant  :  «  Aucune  médecine  ne  vous 
guérira  —  Choisissez-vous  une  femme,  elle  vous  aura  bientôt  sauvé  ».  Je  fus  allégé 
d'un  grand  poids.  Le  remède  est  facile,  pensé-je.  Tu  ne  faisais  guère  attention  à  moi, 
alors,  tu  étais  dans  l'âge  où  l'enfant  se  transforme  en  jeune  fille.  Alors  survint  Ernes- 
tine,  d'une  si  rare  bonté.  «  La  voilà  celle  qui  te  sauvera  ».  Je  voulais  me  cramponner 
à  toute  force  à  une  femme.  Je  me  sentais  mieux.  Elle  m'aimait,  je  le  savais.  Tu  sais 
tout  :  que  nous  fûmes  séparés,  que  nous  nous  sommes  écrits,  que  nous  nous  sommes 
tutoyés.  C'était  en  hiver  1834.  Quand  elle  fut  partie  et  que  je  commençai  à  réfléchir 
comment  cela  pourrait  bien  finir,  quand  j'appris  sa  pauvreté,  moi-même,  quelque 
laborieux  que  je  sois,  n'ayant  que  peu  de  fortune,  je  fus  comme  oppressé  pardes  chaînes 
Je  ne  voyais  point  d'issue,  point  d'aide  !  De  plus  j'appris  de  malheureux  démêlés  de 
famille,  dans  lesquels  se  trouvait  Ernestine  et  je  lui  en  voulais  de  me  les  avoir  cachés 
si  longtemps.  Avec  tout  cela  —  condamne-moi  —  je  devins  plus  froid.  Ma  carrière 
artistique  me  parut  reculée.  L'image  à  laquelle  je  me  cramponnais  pour  mon  salut,  me 
poursuivait  dans  mes  rêves  comme  un  fantôme  ;  il  me  fallait  travailler  pour  mon  pain 
quotidien  comme  un  manœuvre,  Ernestine  était  incapable  de  rien  gagner.  J'en  causai 
à  ma  mère  et  nous  convînmes,  qu'après  bien  des  tracas,  cette  liaison  ne  pouvait  qu'en 
amener  de  nouveaux.  —  ...  Tu  es  mon  plus  vieil  amour,  Ernestine  devait  venir  pour 
que  nous  puissions  être  unis  !» 

En  effet  Schumann  se  sent  de  plus  en  plus  attiré  par  le  charme  de  la  petite 
Wieck.  Ils  ont  entre  eux  de  longs  entretiens.  Enfin  un  soir  de  novembre  1836  (avant 
même  d'avoir  rompu  définitivement  avec  Ernestine),  que  Clara  l'accompagnait  dans 
l'escalier  de  la  maison  Wieck,  Robert  lui  avoua  son  amour  et  reçut  son  aveu  :  «  Quand 
tu  me  donnas  ton  premier  baiser,  écrit-elle,  je  pensai  m'évanouir.  Je  ne  voyais  plus, 
je  ne  tenais  qu'à  peine  la  lumière  qui  devait  t'éclairer.  »  «  Les  yeux  de  Clara,  son 
amour  —  Premier  baiser  en  novembre,  »  lit-on  dans  son  journal  à  lui,  directement 
au-dessous  du  nom  de  Chopin.  «Je  ne  me  cache  pas  que  je  commis  une  grave  injus- 
tice envers  Ernestine.  mais  tôt  ou  tard,  mon  vieil  attachement  pour  toi  se  serait 
réveillé  et  alors  quel  malheur  !  Ernestine  est  la  victime  des  circonstances,  je  ne  me 
dissimule  point  mes  torts.  Elle  sait  bien  qu'elle  a  dû  te  chasser  de  mon  cœur,  que  Je 
t'aimais  avant  de  la  connaître.  Elle  m'écrivit  souvent  :  «J'ai  toujours  pensé  que  tu  ne 
pouvais  aimer  que  Clara,  je  le  pense  encore.  —  Elle  a  vu  plus  clair  que  moi.  » 

Cependant  le  vieux  Wieck  avait  des  projets  que  les  amours  des  deux  jeunes  gens 
contrariaient.  Aussi  longtemps  qu'il  crut  Schumann  lié  à  Ernestine,  il  n'y  fit  que  peu 
d'attention,  Il  se  décida  toutefois  à  user  du  remède  déjà  employé.  En  janvier  36,  il 
renvoie  sa  fille  à  Dresde.  Les  deux  amoureux  s'écrivent.  Leur  correspondance  est  cor- 
diale, joyeuse.  Robert  est  plein  d'espoir,  il  parle  affaires.  Il  va  trouver  Clara  à  Dresde. 
Wieck  apprend  cette  visite.  Ce  fut  la  catastrophe,  scènes  atroces,  menaces,  injures 
contre  lesquelles  la  petite  jeune  fille  de  18  ans  se  trouvait  sans  défense .  Tout  com- 
merce avec  la  maison  Wieck  fut  interdit  à  Schumann,  Plus  de  lettre  possible.  Souvent 
ensemble  dans  la  même  ville,  les  amants  sont  absolument  séparés.  Ils  se  rencontrent 
sans  oser  se  parler.  Pour  Clara,  ce  fut  une  torture  de  chaque  instant.  Sans  nouvelles 
de  son  ami,  sans  moyens  de  lui  en  faire  parvenir,  elle  est  ébranlée  sans  cesse  par  la 
violence  paternelle  et  les  accusations  incessantes  à  l'adresse  de  son  Robert.  Elle 
s'épanouit  cependant  comme  artiste.  Mendelssohn,  Chopin,  etc.,  les  plus  grands  pia- 
nistes l'apprécient,  la  fêtent,  la  traitent  d'égal  à  égal. 


—  472  — 

Un  faux  ami,  Cari  Banck,  insinue  à  Schumann  que  sa  bien  aimée  a  le  cœur  lé- 
ger, qu'elle  l'oublie.  «  Oh  !  les  temps  sombres,  s'écrie-t-il,  où  je  ne  savais  rien  de  toi 
et  voulais  t'oublier  à  tout  prix.  Nous  devions  être  alors  étrangers  l'un  à  l'autre.  Je  me 
résignais.  Puis,  la  vieille  douleur  reprenait  le  dessus.  Je  me  tordais  les  mains.  Sou- 
vent la  nuit  je  disais  à  Dieu  :  Oh  que  cela  se  passe  sans  que  je  devienne  fou.  Un  jour 
je  crus  lire  tes  fiançailles  dans  un  journal,  je  hurlai.  »  Banck  d'un  autre  côté  s'efforce  de 
détruire  Schumann  dans  l'esprit  de  Clara.  En  mai  1837  Robert  dédie  à  la  jeune  fille 
sa  sonate  en  fa  dièze  mineur.  «  Cette  sonate  est  un  seul  cri  du  cœur  vers  toi,  où  ton 
thème  revient  sous  toutes  les  formes.  »  Il  en  espère  un  rapprochement.  La  réponse 
fut  cruelle.  Le  père  Wieck  exige  qu'on  lui  retourne  les  lettres  de  sa  fille. 

Enfin  Clara  donne  le  15  août  1837  un  grand  concert.  Schumann  est  dans  la  salle, 
elle  joue  sa  sonate.  Ce  fut  une  réponse  dans  la  même  langue  à  c^  cri  du  cœur  resté  sans 
écho  quelques  mois  auparavant.  «  N'as-tu  pas  compris  que  j'ai  joué  cette  pièce  parce 
que  je  n'avais  pas  d'autre  moyen  de  te  dévoiler  mon  cœur  ?  En  secret  je  ne  l'osais  — 
je  le  fis  publiquement.  Penses-tu  que  mon  cœur  ne  trembla  pas  ?  )e  fus,  ce  jour-là, 
affreusement  malheureuse.  Jeté  voyais  partout  sans  oser  te  voir.  » 

Depuis  février  1836,  ils  n'avaient  échangé  ni  un  mot,  ni  une  ligne.  Enfin  un  ami 
fidèle,  Becker,  arrive  à  Leipzig.  11  était  familier  de  la  maison  Wieck.  Clara  le  Charge 
de  redemander  à  Schumann  les  lettres  qu'elle  lui  avait  envoyées.  «  Les  vieilles  lettres 
non,  mais  les  nouvelles  si  elle  veut  »,  fut  la  réponse.  La  correspondance  recommence 
par  l'intermédiaire  de  Becker  et  pour  ne  pas  cesser  cette  fois,  Schumann  enhardi  fait 
une  nouvelle  tentative  auprès  du  vieux  Wieck.  La  réponse  fut  grossière,  injurieuse, 
froidement  cruelle,  ne  laissant  aucun  espoir.  La  jeune  fille  est  résolue,  elle  a  donné 
définitivement  son  cœur.  Longue  et  douloureuse  sera  la  lutte,  mais  l'amour  sera  plus 
fort  que  tout,  plus  fort  que  la  vie,  plus  fort  même  que  la  mort  ! 

Clara  Wieck  parcourt  le  monde.  Accompagnée  de  son  père,  elle  fait  une  tournée 
triomphale  avec  Vienne  comme  terme.  Schumann,  à  qui  la  certitude  d'être  aimé  donne 
des  ailes  compose  sans  cesse.  Les  idées  «  comme  les  dieux  et  les  fleurs  »  jaillissent  de 
son  cerveau  et  de  ses  doigts^..  Ils  s'écrivent  et  leur  correspondance  est  exquise,  une 
vraie  correspondance  sentimentale  d'amoureux  allemands  le  long  de  laquelle  lui 
sème  les  perles  de  sa  riche  fantaisie,  elle  la  douleur  de  son  inaltérable  tendresse  et  les 
vues  solides  de  son  bon  sens  et  de  son  esprit  pratique  !  Il  faudrait  tout  citer. 

«  Une  dernière  prière  avant  ton  départ.  Dis-moi  le  doux,  le  tendre  tu  qui  unit  ». 
«  Puisse  le  Tout-Puissant,  répond-elle,  te  murmurer  à  l'oreille  ce  que  je  ne  saurais 
exprimer...  Seul,  l'amour  peut  me  rendre  heureuse,  je  ne  vis  que  pour  toi. —  » 
Toute  à  son  bonheur  et  à  son  art,  elle  ne  laisse  pas  de  réfléchir  aux  choses  positives. 
«Je  ne  serai  jamais  à  toi  aussi  longtemps  que  les  conditions  matérielles  n'auront  pas 
changées.  Je  suis  heureuse  si  je  te  possède,  mais  je  veux  vivre  sans  souci.  Je  serais 
malheureuse  si  je  ne  pouvais  pas  toujours  exercer  mon  art.  J'ai  besoin  de  beaucoup  et 
constate  qu'il  faut  beaucoup  pour  vivre  convenablement.  — Réfléchis,  pourras-tu  me 
créer  une  situation  sans  soucis  ?  Songe  que  quelque  simplement  j'aie  été  élevée,  je 
n'ai  jamais  connu  le  besoin  ».  Après  les  triomphes  inouis  remportés  à  Vienne,  son 
cœur  déborde  :  «  Je  suis  heureuse,  mais  je  le  serai  complètement  quand  je  pourrai 
tomber  sur  ton  cœur  et  te  dire  :  maintenant  je  suis  à  toi  pour  toujours,  moi  et  mon 
art  ».  Plus  loin,  la  petite  allemande  sentimentale  paraît  qui  est  triste  le  soir  de  Noël 
de  ne  point  avoir  de  Christbaum  :  «  mais  en  toi,  flambe  l'arbre  de  notre  amour  ».  Les 
brutalités  du  père  Wieck  jettent  leur  ombre  sur  l'idylle  et  la  gloire.  «  Si  Clara 
épouse  Schumann,  jusque  sur  mon  lit  de  mort  je  le  dirai  :  elle  n'est  point  digne  d'être 
ma  fille  ». 

Le  soir  de  la  St-Sylvestre  1838,  Schumann  est  seul  dans  sa  chambre.  Ecoutez  sa 


—  473  — 

lettre  suave  comme  un  lied.  «  Depuis  une  heure  je  suis  assis  à  ma  table.  Je  voulais 
t'écrire  toute  la  soirée.  Je  ne  trouve  point  de  mot.  Assieds-toi  sur  mes  genoux,  enlace- 
moi  de  tes  bras,  regardons-nous  dans  les  yeux,  tranquillement,  extatiquement.  Deux 
êtres  s'aiment  au  monde. 

11  sonne  1 1  heures  3/4.  Au  loin  j'entends  chanter  un  choral.  Connais-tu  les  deux 
êtres  qui  s'aiment  ?  Combien  nous  sommes  heureux.  —  A  genoux,  ma  Clara,  viens, 
je  te  sens.  —  Notre  dernière  parole  ensemble  à  Dieu  !  »  Le  i®""  janvier  1839  :  «  Quelle 
matinée  céleste  !  Toutes  les  cloches  sonnent  à  toute  volée. —  Le  ciel  est  resplendissant, 
bleu,  pur.  —  Ta  lettre  est  devant  moi.  —  A  toi  mon  premier  baiser,  ô  chère  âme  ». 

Wieck  se  résout  enfin  à  frapper  un  grand  coup.  Sa  fille  va  entreprendre  un  long 
voyage  jusqu'à  Paris,  seule,  sans  lui.  Elle  sentira  combien  son  père  lui  est  nécessaire^ 
l'appellera  à  elle,  acceptera  ses  conditions.  Schumann  de  son  côté  travaille  à  se  faire 
une  situation  indépendante.  11  quitte  Leipzig  pour  Vienne  isur  le  conseil  de  sa  fiancée 
espérant  y  établir  plus  solidement  et  plus  lucrativement  sa  revue  (1).  11  se  butte  à  d'in- 
surmontables difficultés.  La  mort  de  son  frère  le  rappelle  à  Leipzig.  Cependant  Clara  a 
quitté  la  maison  paternelle,  elle  n'y  rentrera  plus.  Sa  glorieuse  tournée  l'a  conduite  à 
Paris.  Là,  seule,  loin  des  siens,  elle  est  complètement  sous  l'influence  de  Schumann.  Le 
seul,  l'unique  nuage  au  ciel  de  leur  amour,  disparaît.  Ernestine  se  marie.  La  joie  de 
Clara  est  grande.  Les  deux  fiancés  se  décident  enfin  à  obtenir  légalement  l'autorisa- 
tion que  Wieck  leur  refuse.  Celui-ci  met  toutes  les  oppositions  possibles.  Il  s'efforce 
de  nuire  à  sa  fille  partout  où  elle  joue,  rend  publics  les  détails  intimes  de  son  amour  et 
de  leurs  démêlés,  va  jusqu'à  accuser  Schumann  d'ivrognerie.  La  jeune  fille  reste  iné- 
branlable. Elle  se  cramponne  à  son  fiancé  de  toute  la  force  de  son  être.  La  certitude 
d'être  aimé,  le  bonheur,  l'attente,  le  désir,  la  sécurité  de  son  amour  ont  épanoui  le 
génie  de  Robert.  Les  œuvres  jaillissent  de  sa  délicate  sensibilité  comme  des  sources 
vives.  Je  ne  saurais  résister  à  vous  donner  les  fragments  pris  au  hasard  des  lettres  de 
cette  époque  qui  nous  ouvrent  le  fond  de  ces  deux  âmes. 

Lui.  «  Si  seulement  je  pouvais  redevenir  l'enfant  pieux  d'autrefois  !  L'heureux 
enfant  que  j'étais  quand  je  cherchais  des  accords  au  piano  ou  des  fleurs  dans  le  jardin. 
Je  composais  alors  les  plus  beaux  poèmes  et  les  plus  belles  prières.  J'étais  une  prière 
moi-même.  On  vieillit.  Je  voudrais  jouer  avec  toi  comme  les  anges  entre  eux,  éter- 
nellement... Encore  une  demande.  N'iras-tu  pas  rendre  visite  à  notre  Schubert?  à 
notre  Beethoven  ?  (Clara  est  à  Vienne).  Cueille  quelques  rameaux  de  myrthes,  fais-en 
un  bouquet.  Dépose  le  sur  leurs  tombes.  —  Prononce  doucement  ton  nom  et  le  mien. 
Rien  de  plus,  tu  me  comprends... 

«  Même  les  erreurs  d'un  artiste  appartiennent  au  monde  pourvu  qu'elles  ne  soient 
point  laides.  Depuis  4  semaines  je  ne  fais  que  composer.  Cela  jaillit.  Je  chante  en  tra- 
vaillant —  et,  la  plupart  du  temps,  c'est  réussi.  Je  joue  avec  les  formes.  Depuis  un  an 
et  demi,  je  me  sens  en  possession  du  secret...  J'ai  senti  que  rien  mieux  que  l'attente, le 
désir  ardent  de  quelque  chose,  ne  donne  des  ailes  à  la  fantaisie,  comme  cela  fut  le  cas  ces 
derniers  jours  où  j'attendais  ta  lettre  et  ai  composé  des  cahiers  entiers.— Etrange*  fou, 
charmant — Tu  vas  ouvrir  des  yeux  en  les  jouant  !  Je  pourrais  éclater  quelquefois  de 
trop  de  musique.  Etait-ce  un  écho  de  tes  paroles  un  jour  où  tu  m'écrivais  :  «  }e  te  sem- 
blais  souvent  une  enfant  ».Bref,  je  me  sentais  des  ailes  et  j'ai  écrit  trente  petites  choses 
bien  nettes  dont  j'ai  choisi  une  douzaine  que  j'ai  nommées  :  Scènes  enfantines.  Tu  y 
prendras  du  plaisir.  11  te  faudra  laisser  de  côté  la  virtuose  en  les  jouant.  Comme  titres: 
Faire  peur,  Rêverie,  etc.  Bref,  on  y  voit  tout  et  elles  sont  faciles  à  rendre...  Pour  créer 


(i)  Die  neue  Zeitschrifi  jûr  Mui^iki. 


—  474  — 

et  pour  réussir  il  faut  du  bonheur  et  une  profonde  solitude...  Quand  je  t'ai  dit  un  jour 
que  je  t'aimais  seulement  parce  que  tu  étais  si  bonne,  ce  n'était  qu'à  moitié  vrai  car  en 
toi  tout  est  réussi  et  se  tient  si  bien  que  je  ne  saurais  me  figurer  toi  sans  ton  art... 
Depuis  ma  dernière  lettre  j'ai  achevé  tout  un  cahier  de  choses  nouvelles.  Je  les  appel- 
lerai Kreisleriana  ;  dans  ces  pièces,  toi  et  une  pensée  de  toi  jouez  le  principal  rôle.  Je  te 
les  dédierai  —  ouiàtoi,  sinon  à  personne. —  Tu  vas  sourire  en  te  reconnaissant...  Joue 
souvent  mes  Kreisleriana.  Un  amour  sauvage  se  trouve  dans  quelques  passages  et 
aussi  ta  vie  et  la  mienne  et  quelques-uns  de  tes  regards.  Les  Scènes  enfantines  sont  le 
contraire,  douces,  délicates,  heureuses  comme  notre  avenir...  Combien  je  pense  à  toi 
douloureusement,  radieusement.  J'espérais  composer  ici  et  travailler  (Zwickau  1838), 
mais  je  n'entends  que  ta  voix  et  une  musique  d'adieu.  Je  souffre  beaucoup,  mais  ma 
souffrance  est  belle  —  ce  sont  des  larmes  sur  des  fleurs...  Bonjour,  mon  cœur. Tu  m'as 
entouré  de  printemps,  les  fleurs  d'or  percent  partout  ;  en  d'autres  mots,  je  compose 
depuis  ta  lettre,  je  ne  puis  me  rassasier  de  musique... 

«  Quand  je  suis  longtemps  sans  nouvelles  de  toi,  mes  forces  m'abandonnent.  La 
mélancolie  survient.  Il  me  semble  qu'on  me  voile  et  m'enveloppe  de  draps  et  de  vête- 
ments noirs.  Etat  terrible...  Tu  es  une  jeune  fille  extraordinaire,  tu  mérites  la  plus 
haute  vénération.  Cela  fortifie  moralement  de  rencontrer  une  telle  énergie  en  une 
temme...  Toute  la  semaine  dernière  (en  1859)  je  n'ai  fait  que  composer  mais  il  n'y  a 
pas  de  vraie  joie  en  mes  pensées  ni  de  belle  mélancolie...  Toute  la  semaine  j'ai  com- 
posé, écrit,  ri  et  pleuré  ensemble. Tu  trouveras  tout  cela  exprimé  dans  mon  op.  20,  la 
Grande  Humoreske  qui  est  gravée...  Il  me  faut  arroser  parfois  ton  amour  de  lettres 
(comme  un  parterre  de  fleurs)  pour  qu'il  demeure  vivace  et  qu'il  embaume...  Ma 
fiancée,  dans  mes  Novelettes  tu  apparais  dans  toutes  les  situations  et  sous  toutes  les 
formes.  Regarde-moi.  J'affirme  que  seul  quelqu'un  qui  connaissait  des  yeux  comme 
les  tiens,  qui  avait  baisé  des  lèvres  comme  les  tiennes,  était  capable  de  les  écrire... 
Chacune  de  tes  pensées  sort  de  mon  âme  comme  je  te  dois  toute  ma  musique...  La 
semaine  dernière  (février  1840)  j'ai  achevé  un  cycle  de  lieder  de  Heine,  un  cahier  de 
Burns  (en  tout  7  cahiers).  Combien  tout  cela  m'est  facile,  je  ne  puis  te  le  dire  et  com- 
bien j'en  suis  heureux.  La  plupart  du  temps  je  les  fais  debout  ou  en  marchant,  pas  au 
piano.  C'est  une  toute  autre  musique,  qui  n'a  pas  besoin  de  passer  par  les  doigts,  bien 
plus  directe  et  mélodieuse.....  (A  propos  de  Liszt)  ;  mais,  ma  petite  Clara,  ce  monde 
(celui  de  Liszt)  n'est  pas  le  mien.  L'art  comme  tu  le  pratiques,  comme  moi  souvent 
aussi  au  piano  en  composant,  cette  belle  tendresse  intime  je  ne  la  donne  pas  pour 
toute  sa  splendeur  où  il  y  a  parfois  trop  de  clinquant. . . 

Elle:«yai  une  joie  infinieàjouerta  seconde  sonate.  Elle  me  rappelle  bien  des  heures 
heureuses  et  douloureuses.  Je  l'aime  comme  je  t'aime.  Toute  ta  personnalité  s'y  reflète 
si  clairement  et  puis  elle  n'est  pas  trop  incompréhensible  (!  !  !)  ...  Certains  jours,  ma 
mélancolie  (à  l'époque  où  ils  étaient  absolument  séparés  sans  nouvelles  l'un  de  l'autre) 
n'avait  pas  de  limite.  Un  soir  que  nous  étions  dans  la  Wasserschenke  tu  passas  devant 
notre  table.  Ah  !  Robert  j'aurais  pu  rentrer  sous  terre,  je  me  sentis  mal,  je  fus  secouée 
d'un  violent  tremblement.  Cela  dura  toute  la  soirée  et  dans  mon  lit,  la  nuit,  j'aurais 
voulu  pleurer,  mais  je  ne  pus.  Je  priai  Dieu,  pourquoi  ?  Je  ne  sais?  —  L'efficacité  delà 
prière  je  ne  la  connaissais  pas  alors,  maintenant,  je  la  connais...  L'amour  me  donne 
du  courage  pour  tout  et  combien  il  me  fait  mieux  comprendre  le  beau  I  — 
La  musique  est  quelque  chose  de  tout  différent  pour  moi  actuellement  qu'autrefois. 
—  ...  Je  sens  toujours  davantage  que  ma  vie  n'est  que  pour  toi.  Tout  m'est  égal  hors 
l'art  que  je  trouve  en  toi.  Tu  es  mon  univers,  ma  joie,  ma  douleur,  tout,  tout  !  Tes 
Novelettes  sont  admirables...  j'en  suis  folle.  —  Ce  n'est  pour  toi  rien  de  nouveau.  — 
En  toi  s'élève  un  chant  si  beau.  Ton  cœur  entier  se  révèle  dans  toutes  ces  belles  mélo- 


—  475  — 

dies  —  Sei  mir  gegriisst —  connais-tu  ce  lied  (de  Schubert)  je  l'aime  beaucoup...  Ta 
musique  est  très  particulière,  elle  vous  saisit  comme  si  on  allait  mourir  et  d'autres 
fois  vous  transporte  dans  les  plus  beaux  songes...  Combien  la  musique  est  pour  moi 
un  bienfait,  et  souvent  une  consolation,  quand  la  douleur  est  trop  grande...  Tu  me 
demandes  si  j'avais  le  sens  de  la  nature  ?  C'est  à  toi  que  je  le  dois,  à  mon  amour  pour 
toi.  C'est  étrange,  depuis  que  je  t'aime,  j'aime  aussi  la  nature.  Autrefois,  mon  amour 
était  trop  enfantin  et  mon  esprit  pas  assez  mûr  pour  comprendre  le  beau.  Maintenant 
c'est  différent  ;  quand  je  pourrai  jouir  de  la  nature  à  ton  bras, mes  jouissances  seront  plus 
pures...  Tu  dois  souvent  craindre  que  je  ne  sache  pas  écrire,  sois  tranquille...  Il  sonne 
minuit,  je  regarde  la  lune,  la  pensée  que  nous  pouvons  la  contempler  ensemble  me 
rend  heureuse,  elle  est  si  consolante...  Combien  indiciblement  belles  sont  tes  Sc^« 
Enfantines.  Que  ne  puis-je  t'embrasser.  Hier  je  pensais  (et  j'y  pense  sans  cesse)  :  Est-ce 
donc  vrai  que  le  poète  qui  parle  ainsi  sera  à  moi  ?  Ce  bonheur  n'est-il  pas  trop  grand  ? 
Mon  ravissement  augmente  chaque  fois  que  je  les  joue...  » 

Et  voici  quelques  pensées  cueillies  au  hasard  dans  un  journal  déjeune  fille  :  «Je 
ne  saurais  abandonner  mon  art,  je  veux  récompenser  Robert.  Mon  grand  souci  est  sa 
santé.  Le  ciel  est  trop  bon.  Quand  je  pense  à  Robert,  j'oublie  toute  mes  souflFrances... 
Je  voudrais  comparer  la  musique  à  l'amour,  si  elle  est  trop  belle  et  émue  elle  fait 
souffrir.  Mon  cœur  pourrait  souvent  éclater  en  en  faisant...  Robert  m'a  montré  plu- 
sieurs de  ses  lieder.  Avec  mon  amour  augmente  encore  ma  vénération  pour  lui.  Parmi 
les  musiciens  vivants  il  n'y  en  a  pas  d'aussi  grand  que  lui...  » 

Enfin  tous  les  obstacles  ont  disparu.  Le  vieux  Wieck  renonce  à  une  lutte  inutile. 
En  perdant  son  père,  Clara  a  retrouvé  sa  vraie  mère,  Mme  Bargiel,  dont  la  tardive 
tendresse  lui  est  douce.  Les  deux  amants  sont  réunis  à  jamais.  Le  mariage  a  lieu  à 
Schœnfeld  près  de  Leipzig,  le  12  septembre  1840.  «  Tout  mon  être  était  plein  de 
reconnaissance  pour  Celui  qui  enfin  nous  a  réunis.  Ma  plus  intime  prière  fut  qu'il  lui 
plût  de  conserver  mon  Robert  de  longues,  de  très  longues  années.  A  la  pensée  que  je 
pourrais  le  perdre,  mon  esprit  se  trouble.  Que  le  ciel  me  garde  d'un  pareil  malheur. 
Je  ne  le  supporterais  pas...  Une  période  de  ma  vie  est  close.  Si  j'ai  passé  par  bien  des 
tristesses,  j'ai  vécu  bien  des  joies.  Je  ne  saurais  l'oublier.  Une  nouvelle  existence  com- 
mence, une  belle  existence,  la  vie  avec  celui  que  j'aime  plus  que  tout,  plus  que  moi- 
même.  De  lourds  devoirs  m'incombent.  Que  le  ciel  m'accorde  la  force  de  les  remplir 
en  femme  fidèle.  11  m'a  jusqu'ici  secouru,  il  continuera.  J'ai  toujours  eu  une  foi  iné- 
branlable en  Dieu,  et  la  garderai.  »  Elle  ignorait,  hélas  !  ce  que  la  vie  lui  réservait  en- 
core de  tortures  et  d'angoisses  ! 

Paul  de  STŒCKLIN. 


—  47^  — 

La  Quinzaine  musicale 


Le  Prix  de  Rome.  —  L'audition  des  cantates  pour  le  jugement  définitif  du 
grand  Prix  de  Rome,  a  eu  lieu  le  samedi  30  juin  à  l'Institut,  devant  toutes  les  sections 
réunies  ;  la  section  musicale  était  composée  de  MM.  Reyer,  Massenet,  Saint-Saëns, 
Paladilhe,  Th.  Dubois,  Lenepveu,  —  et  de  MM.  Gabriel  Pierné,  Hue,  jurés- 
adjoints. 

Voici  le  résultat  : 

Premier  grand  frix  de  Rome  :  M.  Dufnas,  29  ans,  élève  de  M.  Lenepveu,  deuxième 
grand  prix  de  1905. 

Premier  second  grand  prix  ■  M.  André  Gailhard.  21  ans,  élève  de  M.  Lenepveu. 

Second  grand  frix  :  M.  Le  Boucher,  élève  de  M.  G.  Fauré  et  Widor. 

On  a  également  fort  remarqué  la  cantate  de  M.  Mazellier.  —  Le  poème  imposé 
aux  candidats  avait  pour  titre  Ismaïl  et,  naturellement,  pour  auteur  M.  Adenis. 

L'Académie  a  décerné  en  outre  les  prix  suivants  : 

Prix  Kastner-Boursault,  de  la  valeur  de  2,000  francs,  destiné  à  récompenser  le 
meilleur  ouvrage  de  littérature  musicale,  à  M.  Adolphe  Boschot,  pour  son  ouvrage  inti- 
tulé La  Jeunesse  d'un  romantique:  —  Hector  Berlioz. 

Prix  Clamagerand-Hérold,  de  la  valeur  de  1,800  francs,  à  attribuer  à  l'élève  musi- 
cien qui  aura  obtenu  le  premier  second  grand  prix  de  Rome  en  composition  musicale,  à 
M.  André  Gailhard. 

Les  Concours  à  huis  clos  du  Conservatoire  :  Voici  les  résultats  des  prin- 
cipaux concours  à  huis  clos  du  Conservatoire  : 

CONTREPOINT  :  >rv  :  MM.  Fauré,  président;  Lenepveu,  Guilmant,  Vidal, 
Hillemacher,  Dallier,  Bachelet,  Pech,  Tournemire,  Kœchlin,  Ravel. 

Premier  prix  (à  l'unanimité)  :  MM.  Chevaillier  et  Fernand  Masson. 

Deuxième  prix  :  M.  Defay. 

Premiers  accessits  :  MM.  Renauld  et  Allain. 

Deuxièmes  accessits  :  MM.  Lely  et  Comte. 

(Tous  élèves  de  M.  Georges  Caussade.) 

FUGUE  :  Premiers  prix  :  MM.  Nibelle,  A.  Gailhard,  Motte-Lacroix . 

Deuxième  prix  :  M.  Flament. 

Premier  accessit  :  M.  Marcel  Bertrand. 

Deuxièmes  accessits  :  MM.  J.  Boulnois  et  Dethîsë. 

ORGUE  :  Premiers  prix:  MM.  Bonnet,  Barriê  et  Vierite. 
Deuxième  prix  :  M.  Fauchet. 

Premier  accessit  :  M.  Alex.  Cellier.  ^ 

Deuxième  accessit  :  M.  Bourdon. 

ACCOMPAGNEMENT  AU  PIANO  :  Hommes  :  Premier  prix  :  M.  Albert 
Wolff. 

Deuxième  prix  :  M.  Flament. 
Deuxième  accessit  :  M.  Boucher. 
Femmes  :  Premier  prix  :  Mlle  Pelliot. 
Deuxième  prix  :  Mlle  Ganeval. 

CONCOURS  D'HARMONIE    (femmes). 
Premiers  prix  :  Mlles  Milliaud,  Delmasure,  Dauby. 
Deuxième  prix  :  Mlle   Stroobants. 
Premiers  accessits  :  Mlles  Morhânge,  Faure., 

HARMONIE  (Hommes), 

Premiers  prix  '■  MM.  Vidal  (Henri),  Ribollet. 

Deuxièmes  prix  :  MM.  Gallon,  Defay,  Boucher,  Paroy. 

Premiers  accessits  :  MM.  Robert,  Lippmann,  Comte,  Cadou. 

Deuxièmes  accessits  :  MM.  Tiarko  Richepin,  Renduld,  Matignon. 


—  477  — 

Le  mouvement  musical  en  province  et  à  l'étranger 


Les    «  Fêtes    Schumann  » 

A  BONN 


Bonn  a  su  mettre  à  profit  le  bienveillant  hasard  qui  fit  naître  Beethoven  dans  ses 
murs.  A  intervalles  réguliers,  elle  organise  des  festivals  de  musique  classique.  Comme 
la  direction  en  est  confiée  à  Joachim,  c'est  une  sorte  de  «  Bayreuth  du  classicisme» 
qu'elle  est  devenue,  pieux  rendez-vous  d'âmes  ardentes,  d'enthousiastes  et  de  snobs. 

Cette  année-ci,  la  petite  ville  rhénane  célébrait  le  cinquantième  anniversaire  de 
Robert  Schumann,  mort  en  1856,  à  Endenich  (près  Bonn)  dans  les  douloureuses  cir- 
constances que  l'on  sait.  Cette  fois  également  Joachim  présidait  et  le  concours,  la  pré- 
sence de  cet  admirable  artiste  qui  fut  l'ami  de  Schumann  et,  avec  Brahms,  le  conseiller 
fidèle  et  dévoué  de  sa  veuve,  étaient  pour  ces  iêtes  un  attrait  de  plus. 

Je  tiens  avant  tout  à  constater  le  peu  d'empressement  mis  par  les  organisateurs  à 
accueillir  la  presse.  Je  me  demande  même  à  quoi  pouvait  bien  servir  le  comité  dit  de  la 
Presse  ?  Peut-être  à  faire  observer  aux  correspondants  de  journaux  qu'il  n'y  avait  pas 
de  place  pour  eux  ?  Le  fait  est  si  rare  en  Allemagne  qu'il  est  amusant  de  le  noter.  En 
outre,  je  regrette,  et  tout  le  monde  avec  moi,  que  pour  ménager  je  ne  sais  quelles  sus- 
ceptibilités et  pour  satisfaire  les  vanités  de  clocher  on  ait  partagé  la  direction  entre 
Joachim  et  le  professeur  Grûters.  Non  que  je  mésestime  ce  dernier,  mais  à  côté  de 
Joachim,  d'autres  noms  plus  éclatants  que  le  sien  pâliraient. 

Le  dimanche  20  mai,  par  une  pluie  torrentielle,  une  réunion  sur  la  tombe  où 
reposent  Robert  et  sa  Clara,  inaugura  les  fêtes.  Joachim  prononça  un  superbe  discours. 
L'idée  de  faire  chanter  de  la  musique  de  Corné /ms  en  cette  circonstance  fut  plus  qu'étrange. 
Cornélius  n'est-il  pas  l'un  des  protagonistes  d'un  mouvement  diamétralement  opposé  à 
celui  de  Schumann  ?  Il  semble  qu'il  eût  été  facile,  à  défaut  de  ce  dernier  lui-même,  de 
choisir  dans  les  compositions  de  ses  amis,  Mendelssohn  ou  Brahms. 

J'ai  hâte  d'arriver  aux  concerts. 

Les  programmes  heureusement  composés  offraient,  en  trois  séances,  un  coup  d'œil 
général  assez  complet  sur  l'œuvre  totale  de  Schumann. 

La  symphonie  en  mi  bémol,  op.  97,  fortement  imprégnée  de  Mendelssohn,  est  l'une 
des  compositions  orchestrales  les  moins  heureuses  du  maître  de  Zwickau.  Schumann 
est  un  poète.  Il  avait  les  images  devant  les  yeux,  Un  programme  dans  l'esprit  en  l'écri- 
vant. Elle  s'appelle  la  Symphonie  rhénane  et  prétend  fixer  les  impressions  de  la  vie 
populaire  au  bord  du  Rhin.  Plus  tard,  Schumann  supprima  ce  titre.  «  Il  ne  faut  pas 
montrer  son  cœur  aux  gens,  écrit-il.  Une  impression  générale  de  l'œuvre  d'art  leur 
vaut  mieux.  Au  moins  ils  ne  sont  pas  dans  le  caê  de  faire  des  comparaisons  à  rebours.» 
C'est  un  peu  la  critique  de  la  musique  à  programme  par  un  romantique  et  par  l'homme 
qui  sut  unir  le  plus  intimement  la  parole  au  son.  Que  Vous  dire  de  Joachim  comme 
chef  d'orchestre  ?  Sous  sa  baguette  l'orchestre  est  un  instrument  dont  il  joue  avec  la 
même  sûreté^  la  même  maîtrise,  la  même  ampleur,  la  même  noblesse  que  du  violon.  Je 
rêvais  en  l'écoutant  de  l'entendre  diriger  du  Beethoven,  du  Mozart  ou  du  Mendelssohn. 
C'est  ainsi  que  ce  dernier  devait  diriger.  Point  d'oiseuses  recherches  de  sonorités 
étranges,  point  d'effets  nouveaux  ou  curieux,  point  de  détails  inutilement  fouillés,  la 
grande  ligne  sonore  qui  se  développe  et  s'étend  souplfc,  onduleuse.  Et  c'est  ainsi  qu'il 
faut  interpréter  Schumann.  Son  instrumentation  est  épaisse  souvent^  surtout  dans 
cette  symphonie,  gauche  même,  elle  manque  d'air  parfois.  Y  mettre  de  la  couleur  c'est 
la  déformer.  Le  charme  de  cette  pièce  est  dans  le  débordement  des  trouvaillêe  mélo- 
diques. Malheureusement  ce  fut  M.   Grûters  qui  dirigea  le  Faust.   Faust  est  la  grande 


-  476  - 

œuTre  de  Schumann.  D'aucuns  disent  son  chef-d'œuvre.  Il  y  travailla  près  de  neuf  ans 
sans  rien  changer  au  texte  de  Gœthe,  Le  sujet  hantait  son  imagination  romantique.  Le 
choix  des  fragments  ne  laisse  pas  d'être  curieux.  Après  une  ouverture  lourde,  touffue, 
la  scène  du  jardin  dans  la  première  partie.  Il  est  étrange  que  ce  cœur  si  brûlant  n'ait 
pas  trouvé  une  inspiration  plus  chaude  pour  traiter  cet  incomparable  duo  d'amour.  La 
poésie  est  si  fraîche,  si  merveilleusement  naturelle  que  la  musique  auprès  d'elle  paraît 
apprêtée.  Par  contre,  quelle  admirable  page,  d'une  poignante  émotion  que  la  seconde 
scène,  Marguerite  devant  l'image  de  la  Mère  des  douleurs  :  «  0  toi  riche  en  douleurs, 
incline  ta  face  sur  ma  détresse...  Au  secours,  sauve-moi  de  la  honte  et  de  la  mort.  » 
Mlle  A.  Kappel  a  une  jolie  voix,  le  rôle  de  Marguerite  exige  bien  autre  chose.  Mess- 
chaert  a  beaucoup  d'art,  un  organe  usé,  Faust  aussi  exige  davantage.  Senius  est  un 
ténor  agréable,  malgré  son  sourire,  et  qui  chante  bien,  Krauss,  un  Méphisto  dont  la 
voix  part  de  telles  profondeurs  qu'elle  n'en  peut  sortir.  La  scène  de  l'église  est  d'un 
Schumann  fantastique,  bruyant,  plus  dramatique  à  vrai  dire  mais  émouvant.  Quelle 
différence  entre  les  chœurs  de  Mayence,  dont  je  vous  parlais  dernièrement,  et  ceux  de 
Bonn  !  Ceux  de  Mayence  pèchent  presque  par  trop  de  virtuosité.  Ils  obtiennent  des 
nuances  invraisemblables.  Ceux  de  Bonn  non  seulement  manquent  de  souplesse  mais  de 
netteté.  Les  effets  de  douceurs  sont  obtenus  en  diminuant  le  nombre  des  voix.  Dans 
les  pianissimos  il  n'y  a  que  la  moitié  des  chœurs  qui  chante.  Comme  truc,  c'est 
trouvé  ! 

Les  commentateurs  s'évertuent  à  trouver  des  explications  à  la  deuxième  partie 
de  Faust  et  ce  n'est  pas  un  des  moindres  sujets  d'orgueil  du  peuple  allemand  que  de 
posséder  dans  sa  littérature  une  œuvre  sur  la  signification  de  laquelle  personne  encore 
n'est  tombé  d'accord.  Je  serais  volontiers  porté  à  n'y  voir  que  le  jeu  d'esprit  étincelant 
et  sublime  d'un  pince-sans-rire    de  génie. 

Schumann  a  choisi  dans  ce  chaos  splendide  un  tableau  charmant  d'abord.  Faust 
en  face  de  la  nature,  entouré  d'esprits.  Ariel  chante.  Le  soleil  se  lève.  Puis  la  scène  entre 
Faust  et  les  quatre  femmes  grises,  le  besoin  —  la  faute  —  le  souci  —  la  nécessité.  Enfin 
la  mort  de  Faust,  puis  l'apothéose.  Cette  dernière  surtout  est  énorme,  compacte.  C'est 
un  Schumann  douloureux  où  étincelle  le  génie  que  pousse  une  volonté  opiniâtre  mais 
malade  et  à  qui  les  forces  manquent  quelquefois  sinon  l'inspiration.  Le  final  est  décidé- 
ment trop  long,  il  gagnerait  à  être  sensiblement  réduit. 

Fort  copieux,  le  programme  du  deuxième  concert.  L'ouverture  de  l'opéra  Geneviève 
de  Brahant.  Une  ouverture  romantique,  très  chaude,  très  colorée  et  superbement  enle- 
vée. Il  est  vrai  que  Joachim  dirigeait  et  que  l'orchestre  de  la  Philharmonique  de  Berlin 
est  l'orchestre  des  fêtes  !  Puis  le  concerto  de  piano  op.  Ç4  joué  par  E.  V.  Dohnanyi. 
11  ne  suffit  pas  pour  jouer  Schumann  d'être  un  excellent  musicien  et  d'avoir  une  tech- 
nique étourdissante,  il  faut  de  l'émotion,  de  la  tendresse,  de  la  sensibilité  et  surtout  de 
la  poésie.  La  mimique  de  Dohnanyi,  ses  airs  recueillis  ou  inspirés  vont  bien  mal  avec 
la  simplicité  et  la  fraîcheur  de  la  musique  qu'il  jouait.  Il  y  a  un  pianiste  élève  de  Clara 
Schumann,  son  unique  élève  pourrait-on  dire,  que  tout  le  monde  s'attendait  à  trouver 
à  Bonn,  Léonard  Borwick.  Le  comité  est  inexcusable  de  ne  l'avoir  pas  invité.  Dans  les 
concertos  il  y  avait  encore  Joachim  à  l'orchestre  mais  les  Kreislertana,  cette  merveil- 
leuse fantaisie  toute  ruisselante  des  amours  du  musicien-poète  et  que  domine  le  sourire 
mélancolique  de  sa  Clara  !  !  Dohnanyi  y  a  mis  beaucoup  de  choses  jolies,  élégantes, 
voire  fines,  il  y  manquait  l'âme  même  de  ces  choses  !  Quel  dommage  !  Le  Requiem 
■pour  Mignon,  une  élégie  sobre  et  touchante,  une  des  pages  de  la  pleine  maturité  de 
Schumann,  fut  très  parfaitement  exécuté. 

Pourquoi  donc  Joachim  n'a-t-il  pas  dirigé  la  Symphonie  op.  38,  la  plus  charmante, 
la  mieux  venue  des  œuvres  symphoniques  du  maître  et  la  plus  originale.  C'est  un 
poëme  idyllique  jailli  des  merveilleuses  sources  de  son  inspiration.  «Tu  as  fait  naître 
en  moi  une  symphonie,  écrit-il  à  sa  fiancée  ».  Il  lui  avait  donné  un  nom  :  le  Printemps 
i)  Commencement  du  Printemps  ;  2)  Soirée  ;  3)  Compagnons  joyeux  ;  4)  Epanouisse- 
ment. M.  Griitcrs  avait  heureusement  sous  ses  ordres  un  orchestre  qui  marche  tout 
seul. 


—  479  — 

La  merveille  de  la  fête  fut  VOuverture  de  Manfred  dirigée  par  Joachim.  Une  révéla- 
tion de  la  plus  poignante  manifestation  du  génie  de  Schumann.  Une  communion  d'art 
indicible  !  Une  heure  inoubliable  !  Croyez-moi,  Joachim  est  à  l'orchestre  le  même 
incomparable  maître  qu'au  violon.  Je  rêve  d'un  festival  de  'musique  classiqueà  Paris, 
avec  la  Société  des  Concerts  dirigée  par  lui  ! 

J'aime  peu  le  morceau  de  concert  pour  quatre  cors.  L'auteur  attachait  à  cette  oeuvre 
une  valeur  exagérée.  Elle  est  inexécutable,  banale  souvent.  On  avait  invité  les  quatre 
cors  de  la  Société  Française  des  instruments  à  vent,  Pcnahle.  Wtiillermoz^Capdevielle^ 
Delgrange  qui  firent  de  leur  mieux  et  ne  réussirent  qu'à  demi,  -ce  dont  il  faut  faire 
surtout  un  reproche  à  Schumann. 

Que  penser  du  C/iawf  c/e  iVouve//e  A  «;2ee  pour  soli,  chœur  et  orchestre,  op.  144? 
Est-ce  faire  un  grand  éloge  d'un  morceau  de  musique  que  de  dire  qu'il  est  très  intéres- 
sant. 

Le  dernier  jour  consacré  à  la  musique  de  chambre,  au  piano,  aux  lieders  était  à 
proprement  parler  le  jour  du  Schumman  immortel  que  nous  aimons,  «vec  qui  nous  vi- 
brons, le  Schumann  épanoui  du  Quatuor  en  mi  mineur  op.  47  pour  piano  et 
cordes  exécuté  par  le  Quatuor  Joachim  et...  Camille  Saint-Saëns  !  Du  moins  c'est 
ainsi  que  l'annonçait  le  programme.  La  famille  Schumann  se  sentait  justement  flattée 
du  concours  promis  par  le  compositeur  parisien  qui  apportait  à  la  mémoire  du  maître 
de  Zwickau,  l'hommage  de  son  talent  et  de  la  France.  Au  dernier  moment,  point  de 
Saint-Saëns  !...  C'est  Dohnanyi  qui  l'a  remplacé  au  pied  levé  et  ma  foi,  fort  habilement. 

Après  le  Quatuor,  les  Amours  du  Poète,  c'est-à-dire  tout  le  cœur  de  Schumann, 
toute  son  âme,  toute  sa  vie.  Messchaert  les  a  chantés  aussi  bien  qu'il  le  pouvait  !  J'ai 
entendu  une  seule  fois  ces  merveilles  d'émotion  comme  je  les  rêve,  c'est  à  Paris  dans  un 
salon  par  Warmbrodt  ! 

Qu'il  est  regrettable  que  ces  belles  fêtes  se  soient  terminées  sur  le  Spanischcs  Lie- 
derspiel,  une  composition  légère,  pleine  d'humour,  très  agréable  du  reste  et  qu'on  a 
rarement  le  plaisir  d'entendre.  Mais  Schumann  n'est-il  pas  avant  tout  le  chanteur  des 
joies  et  des  peines  intimes,  le  romantique  délicat  à  la  sensibilité  exquise,  le  poète  enfin 
des  mélancoliques  rêveries.  C'est  sur  le  sublime  Quintette,  sur  un  choix  de  lieder,  ou 
sur  quelques  pièces  de  piano,  Etudes  symphoniques,  Noveleties,  Fantaisiestûcke  ou 
THumoreske  qu'il  convenait  de  finir  ! 

Paul  de  Stoecklin. 

LETTRE  DE  LONDRES 


Je  suis  quelque  peu  en  retard  pour  vous  parler  ici  de  la  réouverture  annuelle  du 
Théâtre  Royal  de  Covent  Garden,  dont  je  vais  résumer  le  bilan  artistique  jusqu'à  ce 
jour.  Par  une  coutume  depuis  peu  établie,  la  troupe  spéciale  engagée  pour  interpréter 
le  répertoire  allemand  (lisez  :  wagnérien,  car,  à  l'exception  de  deux  petits  opéras-co- 
miques entendus  ensemble  en  une  soirée  qui  n'eut  pas  de  lendemain,  seules  les  œuvres 
du  maître  de  Bayreuth  parurent  à  l'affiche)  la  troupe  allemande  ne  passa  cette  fois  en- 
core qu'un  mois  à  Londres.  C'est  voua  dire  que  les  représentations  de  deux  cycles  com- 
plets des  Niebelungen,  de  Tristan,  du  Tannhauser^  des  Maîtres  Chanteurs  et  du  Vais- 
seau-Fantôme se  succédèrent  presque  sans  interruption.  Elles  furent  toutes  dirigées  par 
cet  incomparable  chef  qui  a  nom  Hans  Richter  et  qui,  à  la  tête  d'une  phalange  aussi 
vaillante  que  celle  de  Covent  Garden,  obtint  des  exécutions  aussi  parfaites  que  possible, 
de  ces  partitions.  Les  chœurs  aussi  furent  remarquablement,  sinon  toujours  impeccable- 
ment bien  chantés  et  la  mise  en  scène  ne  fit  pas  regretter  celles  de  Dresden,  Munich  et 
Bayreuth  qu'elle  égala  en  mainte  occasion.  Bien  qu'il  fut  évident  qu'un  réel  désir  de 
s'assurer  le  concours  des  meilleurs  interprètes  de  Wagner  eût  dicté  le  choix  des  artistes 
engagés  par  la  direction,  ce  sont  surtout  ceux-ci,  et  particulièrement  les  ténors,  qui 
donnèrent  le  plus  de  prise  à  la  critique  au  cours  de  ces  représentations  ;  l'on  doit  pour- 


—  48"o  — 

tant  décerner  des  éloges  sans  réserves  à  la  plupart  d'entre  eux  et  particulièrement  à 
Burgstaller,  Van  Roy,  Knupfer  et  Mmes  Termina,  Gadski,  von  Mildeburg  et  Kirkby 
Lunn. 

Faust,  Roméo,  Carmen,  Rigoletto,  Pagliacci,  Carmen,  La  Bohême,  Madame  But- 
terfly nous  ont  permis  de  réentendre  toute  une  pléiade  d'artistes  favoris  du  public  lon- 
donien et  parmi  lesquels  je  citerai  la  jeune  soprano  si  fêtée,  Miss  Pauline  Donalda  ; 
Mme  Gilbert-Lejeune  ;  Fraeulein  Destinn  ;  Mme  Jane  Paulin,  Signora  Giachetti  et 
Mme  Melba  ;  MM.  Journet,  Seveilhac,  Gilibert,  Sammuarco,  Scotti,  Battisiini  et  Ca- 
ruso  ;  tandis  qu'effectuaient  d'heureux  débuts  à  Londres  les  ténors  Altchewsky  et  La- 
fitte,  les  basses  Artus  et  Crabbé  et  Mlle  Aida,  tous  nous  arrivant  en  ligne  droite  de  la 
Monnaie.  Quand  j'aurai  ajouté  que  le  répertoire  français  est  dirigé  par  M.  Messager, 
l'italien  par  Campanini,  que  le  maître  de  ballet  est  Ambrosiny,  les  régisseurs  de  la  soène 
MM.  Almanz  et  H.  G.  Moore,  vous  connaîtrez  le  tableau  complet  (sauf  omission  invo- 
lontaire) dû  personnel  artistique  du  théâtre  de  Covent  Garden. 

Quelques-unes  des  nouveautés  annoncées  ont  déjà  été  représentées.  Ce  furent 
d'abord  les  deux  opéras-comiques  allemands  auxquels  j'ai  fait  allusion  déjà  :  le  Vaga- 
bond et  la  Princesse  et  le  Barbier  de  Bagdad.  Comme  je  comptais  assister  à  leur  seconde 
représentation  —  qui  n'eut  jamais  lieu  —  je  ne  puis  donc  vous  en  parler  en  connais- 
sance de  cause.  Vint  alors  le  Jongleur  de  Notre-Dame  dont  la  désespérante  monotonie 
n'est  pas  compensée  par  le  geste  de  la  vierge  —  le  beau  geste  -^  pour  lequel  l'œuvre 
semble  avoir  été  écrite.  Nous  y  retrouvons  la  faculté  déconcertante  que  Massenet  possède 
de  parler  pour  ne  rien  dire  tout  en  faisant  écouter  le  discours  qui  se  déroule  à  la  faveur 
d'une  succession  d'harmonies  attachantes,  fixées  sur  une  palette  orchestrale  merveil- 
leuse et  rehaussée  de  l'éclat  qu'une  entente  parfaite  de  l'art  d'écrire  pour  la  voix  donne 
à  toutes  les  oeuvres  de  Massenet. 

Je  n'analyserai  pas  cette  partition.  Gela  fut  fait  ici-mêmo  à  l'occasion  de  sa  créa- 
tion à  Monte-Carlo  et  de  sa  reprise  à  l'Opéra-Comique.  Je  me  bornerai  donc  à  dire  que 
l'interprétation,  confiée  aux  soins  et  aux  belles  voix  de  MM.  Lafïitte,  Gibbert,  Le- 
veilhac,  Arthus  et  Crabbé,  en  fut  parfaite. 

Une  mention  spéciale  également  à  la  jolie  vierge  au  beau  geste,  dont  le  programme 
ne  mentionnait  pas  le  nom  —  à  tort,  je  pense,  car  son  rôle  est  important  et  elle  le  rem- 
plit à  ravir,  dans  l'éblouissement  de  jeux  de  lumières  admirablement  réglés. 

Depuis  une  vingtaine  d'années  on  n'avait  plus  représenté  un  «  ballet  d'action  » 
à  Covent  Garden  (où  l'on  ne  danse  même  plus  celui  de  Faust).  Aussi  la  première  des 
Deux  Pigeons  de  M.  Messager  était  attendue  avec  impatience,  car  de  son  succès  dé- 
pendra certainement  le  sort  des  oeuvres  de  ce  genre  sur  cette  même  scène. 

La  partition  des  Deux  Pigeons  est  digne  de  la  plume  dé  l'auteur  de  la  Basoche 
et  tant  de  pages  charmantes.  Elle  est  émaillée  de  rythmes  caressants  et  entraînants, 
d'essence  bien  gauloise  en  leur  gracieuseté  et  d'une  spontanéité  plus  absolue  que  les 
«  numéros  »  imitatifs  de  musique  hongroise.  L'orchestratioji  se  distingue  aussi  par 
son  ingéniosité  quoique  un  peu  trop  uniforme  en  ses  effets,  et  les  mélodies  soulignent 
toujours  parfaitement  les  diverses   phases  de  l'action. 

Ce  fut  un  réel  plaisir  que  d'entendre  cette  jolie  partition  et  d'en  voir  la  partie  cho- 
régraphique et  mimique,  si  parfaitement  interprétée  par  le  corps  de  ballet  de  M. 
Ambrosiny  qui  lui-même  prit  une  part  active  à  l'action  après  avoir  admirablement 
réglé  la  mise  en  scène,  les  pas  d'ensemble  et  les  soli.  Mlles  Irma  Legrand  et  Lucie 
Raulin  ont  droit  aux  plus  vifs  éloges  pour  la  façon  brillante  dont  elles  ont  inter- 
prété les  soli,  quant  à  la  «  prima  ballerina  assoluta  ))  Aida  Boni,  elle  fqt  étonnante  de 
science,  de  grâce,  entrain  et  expression.  C'est  une  danseuse  noble  de  la  plus  belle 
école. 

Léo  DiENsis. 


—  48i  — 

ORLEAIVS.  —  Concert  Sarasafe-Berthe  Marx  Goldschmidt.  —  De  ce  concert, 
nous  conserverons  le  souvenir  d'une  soirée  éblouissante  de  virtuosité,  prestigieuse 
de  mécanisme.  Sarasate  est  avant  tout  le  «  virtuose  »  de  l'ancienne  école,  dans 
l'acception  entière  du  mot  :  qu'il  interprète  du  Beethoven  ou  même  du  Chopin,  il 
joue  toujours  du  Sarasate.  Au  programme,  la  Sonate  à  Kreutzer^  exécutée  sans  sincé- 
rité et  sans  respect  pour  sa  grandeur  et  sa  puissance  ;  une  fantaisie  ridicule  sur  le  Don 
Juan  de  Mozart  et  différents  morceaux  très  à  effets  de  Sarasate. 

Mme  Berthe  Marx  Goldschmidt  a  sur  le  piano  une  ardeur  et  une  vigueur  remar- 
quables qu'elle  dépensa  dans  la  Sonate  (piano  et  violon)  ;  elle  fut  excellente  virtuose  dans 
une  Rapsodie  de  Liszt  et  très  bonne  musicienne  dans  le  Thème  varié  de  Mozart. 

Concert  Hekking.  —  Pour  la  preniière  fois  à  Orléans,  M.  Hekking  est  venu  faire 
applaudir  son  beau  talent  de  violoncelliste.  Sonorité,  mécanisme,  puissance  expressive, 
tout  est  remarquable  chez  cet  artiste,  vraiment  roi  du  violoncelle.  M.  Hekking  était 
bien  entouré  avçç  M.  Joseph  Thibaud,  un  pianiste  virtuose  que  j'admire  beaucoup  et 
qui  est  un  des  maîtres  du  clavier,  et  avec  Mlle  Artot,  une  jeune  cantajErice,  à  la  voix 
très  pure  et  bien  timbrée. 

Concerts-Rouge.  —  L'orchestre  des  Concerts-Rouge,  dirigé  avec  une  grande  com- 
pétence artistique  et  une  haute  autorité  par  M.  René  Doire,  a  donné  un  fort  beau 
concert  avec  un  programme  très  substantiel  et  très  artistique.  On  entendit  les  Ouver- 
tures du  Freischût\  et  du  Roi  d'Ys  de  Lalo,  la  musique  de  scène  de  Peër  Gynt  de 
Grieg,  la  V°  Symphonie  de  Beethoven,  le  Rondo  capricioso  de  Saint-  Saëns,  pièce  ou 
}A.  Dorson,  violon  solo,  fit  valoir  de  réelles  qualités  de  violoniste  et  de  musicien.  Mme 
Mercier-Duprez,  un  soprano  dramatique,  prêtait  son  concours,  au  Concert-Rouge,  elle 
fut  très  applaudie  et  très  appréciée  pour  sa  belle  voix  et  le  beau  sentiment  dramatique 
dont  elle  fit  preuve. 

Matinée  musicale  de  Mlle  Heurteau,  —  Mlle  Heurteau  a  monté  avec  beaucoup  de 
soin,  V Enfance  du  Christ  de  Berlioz.  Les  solistes  étaient  MM.  Sigwalt,  Maliba,  Mlle 
J.  Jacquot,  l'orchestre  était  représenté  au  piano  par  M.  Ed.  Mignan,  et  Mlle  Heurteau 
conduisait  cette  œuvre  qui  eut  tout  le  succès  qu'elle  méritait.  Dans  une  première  partie 
au  programme  très  panaché,  M.  Sigwalt  chanta  un  Air  de  Serse  d'Haendel  et  Mlle 
Heurteau  dramatisa  un  air  d'Iphigénie  en  Aulide  de  Gluck  et  un  air  de  la  Folle  par 
amour  de  Delayrac. 

Société  des  Concerts  populaires  (2',  j^  et  4°  concerts).  —  Au  deuxième  concert  po- 
pulaire, des  oeuvres  dignes  d'intérêt  étaient  inscrites  au  programme,  l'école  classique 
était  représentée  avec  Mozart,  Beethoven,  Weber,  Gliick,  l'école  contemporaine  avec 
Delibes,  Saint-Saëns,  Fauré,  Duparc  et  Besau. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  E.  Dumont.  On  entendit  à  ce  concert  Mlle  Pironnay 
une  très  excellente  cantatrice  formée  par  la  Schola  Cantorum^  elle  interpréta  entre  autre 
chose,  la  Chanson  du  Vent  de  Besau,  un  élève  de  Déodat  de  Séverac  ;  comme  son 
maître,  M.  Besau  écrit  de.  la  musique  impressionniste  vivante,  colorée,  il  ne  pouvait 
choisir  meilleure  interprète  que  Mlle  Pironnay  qui  nous  a  donné  une  vive  impression 
d'art.  A  ce  même  concert,  M.  Diétrich,  flûte  solo  delà  société,  fit  preuve  de  virtosité  dans 
des  Airs  Valaques  sans  bien  grande  valeur  au  point  de  vue  musical. 

La  Société  des  concerts  nous  a  donné  au  troisième  concert  une  interprétation  bien 
fantaisiste  et  plus  que  superficielle  de  la  Symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven. 

Le  programme  orchestral  était  complété  par  l'introduction  du  3°  acte  de  Lohengrin 
et  par  les  Scènes  w«/>o/î7aî»es  de  Massenet.  Une  cantatrice  bien  médiocre  prêtait  son 
concours  à  ce  troisième  concert  où  se  firent  applaudir  le  Quintette  Orléanais  des  instru- 
ments à  vent  dans  un  Quintette  de  Deslandres.  M.  Dumont  était  au  pupitre  de  chef 
d'orchestre. 

Pour  clôturer  ses  concerts  de  igoô,  la  Société  des  Concerts  festivala  Th.  Dubois. 
L'orchestre,  dirigé  par  M.Th.  Dubois,  nous  donna  une  interprétation  assez  bonne  et 
assez  exacte,   malgré   quelques  défaillances   de  la  Suite  villageoise  et  Miniature^  des 


—  482  — 

Danses  Cévenoles  et  du  Deuxième  concerto  pour  piano  qui  fut  joué  par  Mme  Deblauwe 
avec  une  technique  impeccable,  un  style  très  juste  et  très  expressif. 

Mme  Auguez  de  Montalant  dont  on  connaît  le  grand  talent  a  chanté  avec  une  voix 
délicieusement  pure  et  avec  une  déclamation  parfaite,  quelques  mélodies  :  Elle  eut 
grand  succès  surtout  dans  Lamentation  de  Notre-Dame  de  la  Mer, 

Comité  Orléanais  des  Concerts  de  Charité  (premier  et  deuxième  concert).  — 
Au  premier  concert  de  Charité,  nous  avons  entendu  la  Société  de  concerts  des  instru- 
ments anciens,  composée  d'artistes  d'une  rare  valeur  comme  MM.  Henri  et  Marcel 
Casadesus,  Mme  Gasadesus.  M.  Olivier  et  M.  Alfred  Casella.  Je  veux  citer  surtout 
entre  les  œuvres  exécutées,  toutes  fort  intéressantes  le  Divertissement  de  Monteclair, 
le  Ballet  de  Chimène  de  Sacchini  et  surtout  la  Symphonie  de  Bruni.  Comme  solistes, 
aussi  bien  que  dans  les  ensembles,  les  artistes  de  la  Société  des  instruments  anciens 
recueillirent  d'unanimes  applaudissements. 

La  partie  vocale  était  tenue  par,  Mlle  Jane  Bernardel  qui  a  fait  apprécier  une  excel- 
lente diction  et  un  goût  musical  parfait  dans  différentes  pièces  d'Haydn,  Lulli,  Cam- 
pra,  J.-S.  Bach  {Air  de  la  Pentecôte,  avec  violon)  et  de  merveilleux  lieds  de  Schubert- 
Schumann.  M.  G.  Rabani  tint  la  partie  de  violon  dans  VAir  de  Bach,  et  M.  Ed.  Mi- 
gnase  accompagna  le  concert  avec  infiniment  de  talent. 

Le  deuxième  concert  fut  donné  avec  le  concours  de  MM.  Charles  Pagel,  violoniste, 
M.  Ch.  Bernardel,  planiste,  pour  la  partie  instrumentale  et  M.  Warmbrodt  pour  la 
partie  vocale.  Le  concert  était  dirigé  par  M.  Rabani. 

La  partie  musicale  débuta  par  une  œuvre  d'un  très  grand  intérêt  artistique  le  Par- 
nasse où  V  Apothéose  de  Corelli  par  François  Couperin,  pour  deux  violons  et  piano^ 
Cette  sonate  fut  magistralement  interprétée   par  MM.  Pagel,  Rabani  et  Ch.  Bernardel. 

M.  Ch.  Pagel  a  en  lui  l'étoffe  d'un  grand  virtuose  :  dans  le  Concerto  de  Max 
Bruch,  joué  en  entier,  il  fit  preuve  d'une  technique  très  sûre  et  d'un  style  de  bonne 
école.  M.  Pagel  a  de  sérieuses  qualités  de  son,  de  finesse,  de  netteté  ;  son  succès  a  été 
très  vif  et  très  mérité  dans  la  RoWiZMCe  e« /a  de  Beethoven  et  une  Danse  de  Brahms, 
très  brillamment  enlevée. 

M.  Ch.  Bernardel  est  un  pianiste  distingué,  doublé  d'un  musicien  excellent,  il  joue 
simplement  et  avec  une  profonde  conscience  :  il  fut  très  applaudi  dans  une  grande 
pièce  de  Liszt,  très  descriptive.  Légende  de  Saint- François  de  Paul  marchant  sur  les  eaux. 

M.  Warmbrodt  a  chanté  avec  une  voix  délicieusement  lumineuse  des  pages  de  Schu- 
mann,  Duparc,  Fauré,  et  le  célèbre  repos  de  la  Sainte  Famille  ext.  de  ï Enfance  du 
Christ  de  Berlioz,  qui  fut  son   triomphe. 

Société  Johann-Sebastian  Bach.  —  Voici  le  bilan  des  œuvres  exécutées  en  cinq  con- 
concerts,  saison  igoç-içoô,  par  la  Société  Bach,  fondée  par  MM.  G.  Rabani  et  Mignan, 
musiciens  convaincus  dont  la  courageuse  et  tout  à  fait  désintéressée  initiative  aura  con- 
tribué  à  faire  connaître  et  aimer  la  musique  du  grand  Cantor: 

Sonate  mi  majeur  pour  violon  et  piano.  —  Sonate  ut  majeur  pour  deux  violons  et 
piano.  —  Sonate  sol  majeur  pour  deux  violons  et  piano.  —  Sonate  si  mineur  pour  flûte  et 
piano.  —  Chaconne  pour  violon  seul,  ext.  des  sonates.  —  Suite  anglaise  en  ré  mineur 
pour  piano.  —  Partita  en  si  bémol  pour  piano.  —  Concerto  en  ré  mineur  pour  piano  et 
orchestre.  —  Concerto  en  ut  mineur  pour  2  pianos  et  orchestre.  —  Concerto  en  ré  mineur 
pour  3  pianos  et  orchestre.  —  Concerto  en  ré  mineur  pour  2  violons  et  orchestre.  — 
Ouverture  en  ut  majeur  pour  orchestre.  —  Terzett,  ext.  de  VOratorio  de  Noël.  —  Récit 
et  Air  pour  alto,  ext.  de  VOratorio  de  Noël.  —  Quia  respexit,  ext.  du  Magnificat.  —  Et 
Misericordia,Qxt.  du  Magnificat. —  Laudamus  te,  ext.  de  la  Messe  en  si  mitteur.  —  Air, 
ext.  de  VOratorio  de  la  Pentecôte.  — Deux  Airs,  ext.  delà  Passion selott Saint-Mathieu. 

Cantates  sacrées  :  Pour  le  1°'  dimanche  après  la  Trinité  (n"  39).  —  Pour  le  14'  di- 
manche après  la  Trinité  (n"  7,  8.) 

Cantates  profanes  :  <(  Non  sa  che  sia  dolore  »  (n°  309).  —  «  Die  freude  reget  sich  » 
(i"  audition).  —  «  O  Holder  Tag  »  cantate  nuptiale.  —  Solistes,  chœurs  et  orchestres 
80US  la  direction  de  M.  G.  Rabani.  —  A  l'orgue  M.  Ed.  Mignan. 


-  483  - 

IE  HA.VRE.  —  Le  Cercle  de  l'Art  Moderne  vient  d'ouvrir  sa  première  exposition 
où  figurent  les  peintres  les  plus  originaux  de  l'époque  actuelle,  de  Claude  Monet 
J     et  de  Renoir  à  Charles  Guérin,  à  Matisse,  à    Maquet,  en  passant  par  Guillaumin, 
Vuillard,  Maurice  Denis,  Lebasque, 

Soucieux  d'organiser  des  manifestations  nouvelles  pour  notre  ville,  le  Cercle  don- 
nait le  8,  une  audition  musicale  dans  la  salle  même  de  l'Exposition,  à  4  heures  de 
l'après-midi.  Le  programme  de  cette  audition  était  bien  celui  d'un  groupement  créé  pour 
faciliter  les  manifestations  originales  de  l'art  contemporain. 

Sonate  en  sol  mineur  de  Guy  Ropart:^ 

Mélodies  : 

Aurore  de  Gabriel  Fauré. 

Au  bord  des  Eaux  Henry  Woollett. 

Nocturne  César  Franck. 

Trio  (op.  29)  pour  piano,  vio- 
loncelle et  clarinette  Vincent  d'Indy. 
Henry  Woollett  qui  avait  organisé  cette  audition  fut  fort  applaudi  et  comme  com- 
dositeur  et  comme  exécutant  :  et  les  très  sérieux  artistes  dont  il  s'était  entouré  : 
M.  Maurech  qui  est  notre  premier  violoncelliste,  et  un  excellent  clarinettiste,  M.  Boin, 
furent  également  à  louer  pour  la  science  et  la  beauté  avec  laquelle  ils  exprimèrent  la 
puissance  et  le  charme  de  l'admirable  Trio  de  d'Indy  —  une  des  plus  belles  composi- 
tions de  ce  maître  —  et  l'âpre  et  charmeuse  sonate  de  Ropartz,  tour  à  tour  populaire  et 
mystique,  joyeuse  et  grave. 

Mlle  Merville  détailla  avec  infiniment  de  charmp  et  d'intelligence  les 
trois  mélodies  indiquées  particulièrement,  le  grandiose  Nocturne  du  père  Franck. 

Et  ce  fut  dans  ce  décor  charmant  et  intime  d'une  salle  délicieusement  ornée  de 
tableaux,  de  plantes  vertes  et  de  tapis,  une  heure  de  musique  belle,  instructive  et 
pleine  d'attrait,  première  manifestation  de  ce  genre  au  Havre,  dans  de  telles  conditions 
et  dont  le  Cercle  annonce  pour  la  fin  de  ce  mois,  avant  la  fermeture  de  son  exposition 
le  retour  pour  la  plus  grande  satisfaction  des  amateurs  de  musique  moderne  —  trop 
ignorée  encore  au  Havre  —  et  que  les  efforts  réunis  d'artistes  véritables  s'efiForcent 
avec  un  rare  désintéressement  de  faire  connaître  ardemment  et  savamment.  G. 


VICHY.  —  C'est  à  M.  Georges  Marty,  chef  d'orchestre  des  Concerts  du  Conser- 
vatoire, que  la  direction  du  Casino  de  Vichy  a  eu  l'heureuse  idée  de  confier  la  ba- 
guette du  regretté  Jules  Danbé.  Félicitons-la  sans  réserves  et  louons-nous  de  pos- 
séder M.  Marty  qui,  dès  son  arrivée  ici,  a  conquis  les  plus  mélomanes  de  nos  hôtes  par 
sa  direction  si  ferme,  si  nette,  si  nuancée.  Au  deuxième  concert  du  soir  qu'il  dirigea, 
M.  Marty  nous  a  donné  une  interprétation  de  l'ouverture  d'Obéron  que,  certes,  nous 
aurons  garde  d'oublier  de  si  tôt.  Aussi,  le  théâtre  du  casino  était-il  comble  (fait  sans 
précédent  à  cette  époque)  pour  le  premier  concert  classique  de  la  saison.  L'ouverture  de 
Patrie  qui  le  commençait  fut  splendidement  enlevée  par  l'orchestre.  La  Symphonie  en 
ré  qui  suivait  fut  exécutée  avec  conscience,  encore  bien  que  deux  de  ses  parties,  le  lar- 
ghetto et  le  scherzo,  aient  témoigné  qu'elles  étaient  plus  familières  à  nos  musiciens  que 
les  autres.  Par  un  sentiment  de  piété  en  quelque  sorte  filiale,  M.  Marty  avait  inscrit  à 
ce  concert  la  Berceuse  de  Jules  Danbé  où  notre  premier  violon,  M.  Piédeleu,  remporta 
un  gros  et  légitime  succès. 

Des  fragments  du  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz  et  de  l'ouverture  de  la  Grotte  de 
Fingal  de  Mendelssohn  qui  complétaient  le  programme,  l'œuvre  la  plus  romantique 
n'est  pas  celle  qu'on  pourrait  croire.  Enfin,  la  Rapsodie  Norvjcgienne  de  Lalo,  rendue 
avec  tout  le  brio  et  toute  la  finesse  désirables,  clôturait  ce  premier  concert  dont  la  réus- 
site lut  grande  et  justifiée. 

Ajoutons  que,  par  une  innovation  à  laquelle  nous  ne  saurions  trop  applaudir,  M. 
Marty  a  décidé  que  les  concerts  classiques  auraient  lieu  tous  les  huit  jours,  du  15 
juillet  au  15  août,  en  telle  sorte  que  notre  saison  comportera  dix  concerts  au  lieu  de 
sept.  J.  P. 


-  484  - 

ÉCHOS    ET   NOUVELLES  DIVERSES 


FRANCE 

La  Direction  de  l'Opéra.  —  Nous  avons  déjà  parlé  en  détail  de  cette  question 
qui  intéresse  à  juste  titre  les  artistes  et  le  public.  Nous  avons  laissé  entendre  quelle 
serait  la  future  direction  probable.  Une  nouvelle  candidature  vient  d'être  enregistrée  : 
celle  de  M.  André  Messager,  l'ancien  directeur  de  la  Musique  à  l'Opéra-Comique,  le 
très  remarquable  chef-d'orchestre  de  Covent-Garden,  à  Londres. 


A  l'Opéra-Comique  :  M.  Carré  vient  de  recevoir  pour  être  représenté  à  l'Opéra- 
Comique,  le  Songe  d'une  Nuit  d'Auto7nne,  poème  de  d'Annunzio,  musique  de  M.  R. 
Torre  Alpira. 

Les  Grands  Concerts  ; 

Nous  avons  dit  que  les  Concerts  Lamoureux  seraient  donnés,  l'hiver  prochain,  au 
théâtre  Sarah-Bernhardt. 

Les  deux  premiers  concerts  de  l'abonnement  sont  fixés  aux  7  et  14  octobre. 

Du  15  au  30  octobre,  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Camille  Chevillard,  ira 
donner  une  série  de  quinze  concerts,  à  Berlin,  Dresde,  Leipzig,  Francfort,  Mannheim, 
Hannover,  Hambourg,  et  dans  plusieurs  autres  villes  de  l'Allemagne. 

Les  concerta  d'abonnements  seront  repris,  à  Paris,  le  4  novembre  pour  finir  le 
31  mai  1907. 


Une  intéressante  nouvelle  musicale  :  A  la  demande  de  M.  Albert  Carré,  directeur 
de  rOpéra-Comique,  M.  Vincent  d'Indy  va  mettre  en  musique  la  tragédie  de  M.  Jules 
Bois,  Hippolyte  couronné^  d'après  Euripide,  qui  fut  joué  au  Théâtre-Antique  d'Orange 
puis  à  rOdéon.  L'ouvrage  remanié  en  vue  de  sa  transformation  en  drame  lyrique, 
portera  le  titre  de  Phèdre  et  Hippolyte  et  sera  monté  avec  un  grand  déploiement  de 
mise  en  scène. 


Ariane  et  Barbe  bleue,  dont  M.  Paul  Dukas  achève  en  ce  moment  l'orchestration, 
entrera  en  répétition  à  l'Opéra-Comique,  au  début  de  décembre  et  passera  en  février. 
M.  Jusseaume,  chargé  de  la  confection  des  décors,  a  soumis  lundi  dernier  à  MM.  Mae- 
terlinck et  Dukas  la  maquette  du  premier  tableau. 

Les  Concours  publics  du  Conservatoire.  —  Nous  avons  annoncé  dans  notre 
dernier  numéro  les  dates  de  ces  concours  (du  16  au  28  juillet),  dont  nous  rendrons 
compte  en  détail  le  i"  août. 

Voici  quels  sont  les  morceaux  de  concours  imposés  : 

Vïo/o»  (classes  supérieures)  :  5°  Concerto  de  Vieuxtemps.  —  Piano  (classes  supé- 
rieures) (hommes)  :  Andante  et  Final  de  la  Sonate  Appassionata  (op.  57)  de  Beetho- 
ven. —  Piano  (classes  supérieures)  (femmes)  :  Etudes  symphoniqiies  de  Schumann.  — 
Harpe  :  Ballade  de  Zabel.  —  Harpe  chromatique  :  Pièce  de  Concert  de  L.  P.  Hille- 
macher.  —  Contrebasse  :  10"  Concerto  de  Zabran.  —  Alto  :  Fantaisie  en  mi  de  Mlle 
Hélène  Fleury.  —  Violoncelle  :  i"  Concerto  de  Davidoff.  —  Flûte  :  Nocturne  de  Gau- 
bert.  —  Hautbois  :  Solo  en  sol  de  Paladilhe.  —  Clarinette  :  Morceau  de  concours  de 
M.  V.  de  la  Nux,  —  Basson  :  Solo  de  concert  de  G.  Pierné.  —  Cornet  :  Morceau  de 
Concert  G.  Hiie.  —  Trompette  :  Légende  Enesco.  —  Trombone  :  Morceau  de  concert 
Pfeififer.  

Le  Concert  Planté.  —  Ce  fut  un  succès  extraordinaire  ;  des  ovations  enthou- 
siastes, presque  délirantes,  furent  faites  à  l'admirable  artiste,  qui  se  montra  plus  mer- 
veilleux, plus  jeune  que  jamais,  virtuose  incomparable  du  clavier,  musicien  délicat  et 
intense,  puissant  sans  brutalité,  sans  aucun  de  ces  efifets  exagérés  auxquels  nous  ont 
trop  accoutumés  certains  de  nos  pianistes  les  plus  acclamés.  Planté  est  vraiment  le  poète 
clu  pian©.  G.  F. 


-  485  — 

Concert  Breitner.  —  Le  29  juin,  à  la  salle  des  Agriculteurs,  M.  Ludovic 
Breitner  a  donné  un  concert  avec  le  concours  de  Mme  Félia  Litvinne  et  du  maître 
Camille  Saint-Saëns,  Mme  Litvinne  a  dû  bisser  Ich  grolle  nicht  des  Amours  du  Poète 
ainsi  que  l'air  de  Henri  VIII.  L'admirable  cantatrice  a  été  rappelée  plusieurs  fois,  ainsi 
que  M.  Camille  Saint-Saëns,  par  un  public  enthousiasmé. 

Le  Concerto  de  Schiitt  et  la  Rhapsodie  d'Auvergne  ont  été  interprétés  par 
M.  Breitner  avec  le  talent  si  personnel  que  nous  lui  connaissons.  C'est  surtout  dans  le 
Caprice  Arabe,  avec  MM.  Saint-Saëns  et  Breitner,  que  le  public  a  pu  apprécier  une  in- 
terprétation impeccable,  tant  par  la  netteté  de  l'exécution  proprement  dite  que  par  la 
compréhension,  fine  et  profonde.  G.  G* 

Le  dernier  concert  de  la  saison,  donné  par  «  l'Orchestre  »,  a  clôturé  dignement  la 
brillante  série  des  auditions  organisées  par  M.  Victor  Charpentier.  Les  séances  repren- 
dront la  saison  prochaine,  patronnées  par  l'Etat  et  par  la  ville  de  Paris. 


Les  Matinées  Musicales  Populaires,  fondées  par  le  regretté  Danbé,  à  l'Ambigu,  et 
dirigées  ensuite  par  M.  Luigini,  auront  lieu  la  prochaine  saison  sous  la  direction  de 
M.  Joseph  Jemain,  dont  nous  n'avons  pas  à  vanter  la  haute  valeur  et  l'autorité,  connues 
de  tous  les  musiciens. 

Les  séances  d'orgue  données  par  M.  A.  Guilmant  dans  sa  propriété  de  Meudon, 
ont  été  un  véritable  régal  artistique  pour  ceux  qui  ont  pu  y  assister.  Dans  ce  cadre  ex- 
quis, l'interprétation  de  l'éminent  organiste  nous  a  paru  encore  plus  grande  et  plus 
profonde.  Ce  furent  là  de  belles  sensations  d'art. 


Le  titre  exact  du  drame  lyrique  que  vient  d'achever  Mme  M.  Ducourau  est 
Donibanè  et  non  pas  la  St-Jean,  comme  nous  l'avions  publié  dans  notre  dernier 
numéro. 

Les  «  Auditions  Modernes  ».  —  Pour  rappel  :  MM.  les  compositeurs  sont 
invités  à  adresser  au  secrétaire  des  Auditions  Modernes,  maison  Pleyel,  22,  rue  Roche- 
chouart  à  Paris,  leurs  manuscrits  d'oeuvres  non  encore  exécutées  (Sonates  pour  piano  et 
instrument  à  cordes,  trios,  quatuors,  quintettes,  etc.,  exclusivement  avant  le  15  août 
1906  —  nouveau  délai  accordé. 

Ces  œuvres  inédites  ne  devront  pas  être  signées,  mais  porteront  une  épigraphe. 

—  Comité  de  lecture  :  MM.  G.  Ghevillard,  P.  Dukas,  S.  Larrazi,  P.  Vidal  et  P. 
Oberdœrfer,  fondateur.  —  Pour  renseignements  complémentaires,  s'adresser  maison 
Pleyel,  22,  rue  Rochechouart. 

On  a  inauguré,  dimanche  dernier  à  Neuilly,  au  rond-point  de  la  Porte-Maillot,  une 
très  vivante  statue  d'Alfred  de  Musset,  œuvre  du  sculpteur  Pierre  Franet.  Ce  monu- 
ment évoque,  non  le  Musset  neurasthénique  des  dernières  années,  mais  le  fringant 
poète  des  ((  Nuits  »  et  de  «  Rolla  ». 

Cette  cérémonie  —  à  laquelle  M.  Fallières  s'était  fait  représenter  par  M.  Marc 
Varenne  —  était  présidée  par  M.  Dujardin-Beaumetz  qui  a  prononcé  un  discours,  ainsi 
que  MM.  Camille  Le  Senne,  président  de  l'Association  de  la  Critique,  Huet,  Hector 
Dépasse,  Bonillet,  Olivier  de  Gonrenff,  et  Berterean,  maire  de  Neuilly. 

Après  ces  discours  officiels,  différentes  poésies  ont  été  dites  par  Mlles  Roch,  de  la 
Comédie-Françaiss,  Jane  Rabuteau,  de  l'Odéon,  et  Thérèse  Gomettant,  petite-fille  de 
notre  regretté  confrère  Oscar  Gomettant. 

Les  applaudissements  et  les  rappels  n'ont  pas  été  ménagés  aux  danseuses  et  au 
Choral  du  Conservatoire  de  «  Mimi  Pinson  »  qui  avaient  bien  voulu  prêter  leur  concours 
à  l'inauguration  de  la  statue  du  chantre  de  «  Mimi  Pinson  »  :  Alfred  de  Musset. 


M.  le  sous-secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts  vient  d'accorder,  à  titre  d'encourage- 
ment, une  somme  de  2,500  francs  à  la  Société  des  concerts  de  Lille,  et  une  somme  de 
3,000  francs  à  la  Société  des  concerts  populaires  d'Angers.  La  première  a  été  fondée, on 
le  sait,  par  M.  Emile  Ratez,  directeur  du  Conservatoire  de  Lille  ;  la  seconde  a  pour  di- 
recteur M.  le  comte  Louis  de  Romain,  et  l'on  sait  aussi  quels   signalés  services  elle  a 


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rendus  à  l'art  depuis  plus  de  vingt  ans.  Elle  justifie  d'ailleurs  pleinement,  comme  on 
l'a  remarqué  déjà,  son  titre  de  concerts  populaires,  car  à  chaque  séance  elle  met  à  la  dis- 
position du  public  500  places  au  prix  modique  de  cinquante  centimes. 

Les  journaux  américains  annoncent  que  M.  Saint-Saëns  ira  faire  une  tournée  de 
concerts  en  Amérique  la  saison  prochaine  :  l'illustre  compositeur  y  conduira  des  or- 
chestres, jouera  du  piano,  de  l'orgue,  etc.,  fera  des  conférences. 

Nous  croyons  savoir  que  Monna  Vanna,  la  célèbre  pièce  de  M.  iMaeterlink,  que 
M.  Henry  Février,  le  compositeur  du  Roi  Aveugle  représenté  dernièrement  à  i'Opéra- 
Comique,  vient  de  mettre  en  musique,  sera  jouée  la  saison  prochaine,  au  théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxelles. 

Le  23  juin  a  été  célébré  à  Saillans  (Drôme\  le  mariage  de  M.  Henry  Eymieu  avec 
Mlle  Germaine.  Tassart. 

Les  témoins  du  marié  étaient  le  général  Faure-Biguet  et  M.  Gurédan,  ancien  pré- 
fet et  ceux  de  la  mariée  MM.  J.  Tassart,  son  frère  et  J.  Roche,  avocat  général  à  la  cour 
de  Lyon. 


Salojné,  de  Richard  Strauss,  qui  vient  d'être  représentée  à  Cologne,  pendant  les 
Fcstspiele,  et  y  a  produit  une  impression  considérable,  sera,  dit-on,  montée  l'hiver  pro- 
chain à  la  Monnaie  de  Bruxelles.  M.  Richard  Strauss  termine  en  ce  moment  l'adapta- 
tion de  sa  déclamation  musicale  au  texte  original  français  d'Oscar  Wilde. 

Pourquoi  n'entendrions-nous  pas  d'abord  cette  œuvre  à  Paris  } 


Lagny.  —  La  charmante  petite  ville  de  Lagny  dont  les  promenades  sur  la  Marne 
sont  si  appréciées  des  Parisiens,  organise,  le  dimanche  16  septembre,  un  festival-con- 
cours de  musique  pour  chorales,  harmonies,  fanfares,  symphonies,  estudiantinas  et 
trompettes. 

M.  Fedon,  secrétaire  du  concours,  recevra  les  adhésions  des  sociétés  jusqu'au  15 
août.  

Martigny-les-Bains.  —  L'Etablissement  thermal  de  Martigny  (Vosges),  présente 
cette  année  le  plus  vif  attrait.  La  partie  musicale  confiée  à  M.  F.  Le  Rey  et  la  partie 
théâtre  confiée  à  M.  Roux  révalisent  de  goût,  de  variété,  d'esprit  et  d'art.  Les  musi- 
ciens de  M.  Le  Rey  nous  oflrent  de  très  intéressants  concerts  et  les  artistes  de  M. 
Roux  ne  nous  ménagent  pas  leur  agréable  talent.  C'est  ce  qui  explique  la  vogue  dé 
de  Martigny  cette  année. 

Nos  compliments  au  sympathique  directeur  M.  Depoisse.  P. 

Petites  nouvelles  : 

De  Londres  :  Manuel  Garcia,  le  célèbre  professeur  de  chant,  frère  de  la  Malibran 
et  de  Mme  Pauline  Viardot,  vient  de  mourir  à  l'âge  de  loi  ans. 

—  De  Boston:  La  direction  de  l'Orchestre  symphonique  de  Boston  est  confiée  à 
M.  Muck,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  royal  de  Berlin,  qui  obtient  un  congé. 

—  Le  violoniste  Hugo  Heermann  a  quitté  Francfort  pour  s'établir  à  Chicago  et  y 
fonder  une  école  de  violon. 

—  On  annonce  que  M.  Camille  Saint-Saëns  prêtera  son  concours,  comme  soliste, 
au  premier  concert  de  la  Philharmonie  de  Berlin,  que  dirigera  Arthur  Nikisch.  On  sait 
que  l'infatigable  maître  doit  déjà  jouer  un  concerto  de  Beethoven,  le  mois  prochain, aux 
fêtes  Mozart,  à  Salzbourg. 

—  De  Munich  :  Pour  la  première  fois,  et  malgré  l'opposition  opiniâtre  (elle  a  duré 
plus  de  deux  ans  !)  de  certaines  personnalités  musicales,  le  Hofoper  vient  de  donner 
Sa/nson  et  Dalila  :  le  succès  a  été  très  vif. 

—  De  Monte-Carlo  :  Le  Timbre  d'Argent^  de  C.  Saint-Saëns,  sera  monté  à  Monte- 
Carlo  la  saison  prochaine.  Les  interprètes  seront  MM.   Dufranne,  Clément et  Mlle 

Zambelli. 


—  487  — 

Ofltende.  — -  Les  grands  concerts  ont  commencé  sous  la  direction  de  M.  RinskopK 
Nous  en  parlerons  prochainement.  Annonçons  pour  l'instant  une  audition  de  musique 
française  moderne  pour  le  14  juillet  (!)  (oeuvres  de  d'Indy,  Fauré,  Debussy)  avec  le  con- 
cours de  Mlle  Bréval  ;  —  le  3  août,  Festival  Saint-Saèns,  sous  la  direction  du  Maître  ; 
—  le  4  septembre,  Festival  Richard  Strauss,  sous  la  direction  du  compositeur. 

Madrid.  —  La  dernière  saison  de  concerts  (1905-1906)  de  la  Société  Philharmo- 
nique Madrilène  aura  été  des  plus  brillantes.  On  sait  que  cette  Société,  fondée  il  y  a 
cinq  ans,  donne  chaque  saison  un  certain  nombre  de  séances  consacrées  surtout  à  la 
musique  de  chambre  et  dont  les  programmes,  composés  avec  le  plus  grand  soin,  ont  un 
caractère  nettement  artistique.  Les  plus  grands  virtuoses  s'y  sont  fait  entendre.  Notons, 
sur  les  programmes  de  l'année  dernière,  les  noms  de  Mme  Wanda  Landowska  (oeuvres 
de  clavecin  et  piano  de  Couperin,  Byrd,  etc.,  et  Bach);  Mlle  Maria  Gay,  Mlle  Louise 
Ritter  (Bach,  Schumann,  Schubert),  le  Quatuor  Hayot  (quatuor  de  Brahms,  Debussy, 
Franck,  Saint-Saëns),  le  Quatuor  Hermann,  Edouard  Risler,  Hekking,  Froelich,  Pugno 
et  Ysaye.  . 

A   propos  des  orgues   d'église   et  de  salon 

On  a  pu  redouter  que  l'application  d'une  loi  récente  n'a£fectât  gravement  un  art 
qui  intéresse  tout  particulièrement  la  musique  et  où  nous  avons  eu  longtemps  le  pri- 
vilège d'exceller,  je  veux  parler  de  la  lacture  d'orgues.  Nous  avons  esquisse  ici-même, 
il  y  a  quelques  années,  une  histoire  <le  l'orgue  et  nous  avons  montré  comment,  grâce 
au  génie  d'un  Cavaillé-Coll,  il  s'est  après  plusieurs  siècles  de  servitude  et  de  balbutie- 
ments, miraculeusement  guéri  de  ses  infirmités  et  de  ses  tares,  et  adapté  à  toutes  les 
exigences  de  l'art  moderne  pour  devenir  le  plus  merveilleux  des  instruments.  C'est 
pour  la  gloire  de  nos  églises,  pour  St-Denis  première  étape  de  cette  conquête,  pour 
St-Sulpice  ou  pour  Notre-Dame  que  cette  révolution  s'est  faite  et  c'est  là  que  nous 
allons  encore  nous  racheter  du  délicieux  péché  debussyste  en  écoutant  la  prédication 
de  Bach.  Il  est  à  craindre,  semble-t-il,  que  l'orgue  ne  pâtisse  de  l'indigence  des  fabriques 
et  avec  l'orgue  toute  la  musique,  car  depuis  quelques  années,  un  essaim  «  bourdon- 
nant «de  jeunes  organistes  instruits  par  nos  maîtres,  allait  s'abattre  sur  nos  plus  loin- 
taines provinces  et  purifier  les  moindres  paroisses  du  magister  mélomane  ou  de  la 
chanoinesse  en  mal  de  liturgie.  Est-il  donc  inévitable  que  la  facture  d'orgue  périclite 
et  meure,  et  n'y  a-t-il  point  pour  elle  de  salut  hors  de  l'Eglise  ?  Nous  avons  posé  la 
question  à  celui  qui  était  le  mieux  qualifié  pour  la  résoudre,  à  M.  Mutin,  successeur  et 
interprète  fidèle  des  desseins  de  Cavaillé-Coll,  qui  avait  mis  une  première  fois  trè 
gracieusement  ses  archives  et  ses  documents  les  plus  instructifs  à  la  disposition  du 
Courrier.  Nous  verrons,  en  quelques  rapides  études,  comment  la  facture  d'orgue  s'oriente 
vers  un  but  différent,  vers  l'orgue  de  ^alon  qui  se  pare,  en  se  sécularisant,  de  jeux 
inconnus,  qui  devient  plus  séduisant,  plus  élégant,  plus  raffiné,  qui  tente  de  rivaliser 
avec  l'orchestre  et  de  lui  dérober  subtilement  le  coloris  et  la  richesse  de  ses  timbres, 
entreprise  téméraire  pour  qui  ne  connaît  pas  l'adresse  et  l'ingéniosité  de  nos  organiers, 
mais  féconde  en  réalité,  et  qui  obligera  les  constructeurs  à  créer  des  types  nouveaux 
pour  les  besoins  nouveaux  et  marquera  peut-être  pour  l'orgue  au  sortir  de  sa  métamor- 
phose la  date  d'une  autre  renaissance.  P.  L. 


BIBLIOGRAPHIE 

Schumann,  par  Camille  Mauclair  (i) 


Quelle  figure  de  musicien  peut,  plus  que  celle  de  Robert  Schumann,  être  chère  au 
poète,  tel  que  nous  le  concevons  surtout  aujourd'hui  en  nos  âmes  en  défiance  du  ro- 
mantisme, c'est-à-dire  à  celui  qui  ressent,  à  celui  qu'émeut  le  spectacle  des  choses  et  le 


(i)  H.  Laurens,  éditeur. 


-  488  - 

sentiment  de  soi-même  et  qui  veut  les  confesser  sans  emphase  ni  grandiloquence,  mais 
dans  la  simplicité  douce  ou  déchirante  de  son  cœur  d'homme  enivré  de  joie  ou  meurtri. 

Il  semble  même  qu'il  n'appartienne  vraiment  qu'à  un  poète  d'en  parler  avec  une 
exacte  mesure  :  nous  pouvons  entrer  sans  guide  dans  l'édifice  beethovenien  ou  le 
théâtre  wagnérien  et  nous  serons  saisis  dès  l'abord  par  la  majesté  de  leur  architecture 
qui  nous  invitera  d'elle-même  à  la  considérer  chaque  jour  davantage  :  sans  effort,  César 
Franck  nous  entraînera  vers  les  puretés  qui  nous  sembleraient  inaccessibles  s'il  n'était 
venu  vers  nous  :  mais  Schumann  ?  il  ne  vient  pas  vers  nous  ni  ne  nous  attire  par  la 
majesté  grandiose  ou  par  quelque  enthousiaste  douceur.  Un  homme  est  là,  seul,  dans 
cette  chambre  où  se  limite  son  univers,  les  fenêtres  sont  ouvertes  par  où  son  regard 
contemple  par  moments  le  soir  d'orage  ou  le  ciel  clair,  nul  appel  qui  nous  avertisse  :  si 
nous  ne  sommes  prévenus  peut-être  passerons-nous  devant  la  porte  de  cette  pièce  où 
rêve  et  se  confesse  la  plus  admirable  simplicité  du  tragique  quotidien  :  si  nous  ou- 
vrons la  porte  d'un  geste  brusque,  nous  ne  verrons  que  l'éclat  brutal  que  donne  aux  ob- 
jets une  trop  vive  lumière. 

Mais  si,  l'ignorant  même,  nous  avons  présenté  ce  qu'est  une  âme  de  poète  et  de 
musicien  tout  ensemble,  si  nous  en  avons  cherché  le  secret  non  point  en  de  hâtives 
indiscrétions,  mais  dans  la  profondeur  religieuse  de  nos  cœurs  inquiets,  alors  nous  en- 
trerons dans  cette  chambre  d'un  pas  assez  discret  pour  n'en  rien  heurter  et  pour  qu'ap- 
paraisse à  notre  regard  le  spectacle  familier  et  touchant  d'une  intimité  qui  devient 
nôtre.  Mais  qui,  mieux  qu'un  poète  alors,  pourra  nous  expliquer  l'âme  des  moindres 
objets,  qui  donnent  à  cette  pièce  son  caractère  et  dont  il  semble  que  l'omission  d'un 
seul  diminuerait  l'harmonie  entière.  Les  poètes  ont  pour  toucher  les  cœurs  des  gestes 
d'une  infinie  délicatesse,  ils  savent  mieux  que  d'autres,  pour  en  être  infiniment 
obsédés,  que  l'éphémère  est  l'unique  loi,  qu'un  moindre  heurt  a  des  répercussions 
incalculables  et  déterminent  d'incomparables  brisures  :  ils  savent  en  détailler  sans 
lassitude  les  minutieuses  voluptés,  en  évoquer  sans  banalité  les  éternels  aspects,  en 
déterminer  avec  douceur  des  analogies  inouïes. 

Ainsi  Camille  Mauclair  avec  une  ferveur  précautionneuse  nous  conduit  vers  Robert 
Schumann. 

Il  n'a  pas  certes,  dans  cet  ouvrage,  fixé  en  tous  ses  aspects,  cette  intéressante  figure  : 
Je  pense  qu'il  faut  en  rejeter  la  faute  sur  les  obligations  d'un  volume  dont  l'étendue 
demeure  limitée  aux  exigences  d'une  série  :  mais  Camille  Mauclair  dès  longtemps  aime 
passionnément  Schumann  ;  on  en  trouve  l'allusion  en  maint  ouvrage,  jusqu'à  la  dédi- 
cace de  son  admirable  volume  de  poèmes  Le  Sang  Parle,  qui  en  est  un  noble  et  recon- 
naissant aveu  :  nulle  page  de  ce  volume  sur  Schumann  où  ne  se  décèle  la  vénération 
pieuse  de  l'auteur  du  Soleil  des  Morts  pour  le  musicien  de  Faust. 

Les  ouvrages  que  nous  avons  en  France  sur  l'adorable  musicien  sont  rares,  hormis 
une  plaquette  de  Léonce  Mesnard,  l'ouvrage  de  M.  Schneider  et  le  petit  volume  d'une 
si  haute  élévation  que  Mme  Marguerite  d'Albert  consacrait  récemment  à  l'œuvre  de 
piano.  Je  ne  sache  pas  que  les  autres  exprimassent  convenablement  l'essence  de  la 
sensibilité  schumannisme  ;  à  défaut  d'être  absolument  complet,  l'ouvrage  de  Camille 
Mauclair  offre  du  moins  le  mérite  d'être  l'étude  minutieuse  et  juste  d'une  sensibilité 
musicale. 

Certaines  pages  sont  parfaites,  celles  sur  le  Faust  notamment;  on  regrette  que  le 
commentaire  de  l'œuvre  orchestrale  ne  soit  pas  plus  étendu,  ni  plus  précis  celui  de 
l'œuvre  pour  piano,  qui  contient  cependant  de  belles  pages,  celles  entre  autres  qui  parut 
ici  même  (i)  mais  inévitablement  il  y  a  là  des  pages  que  nul  autre  peut-être  mieux  que 
Camille  Mauclair  n'eût  su  écrire,  ce  sont  celles  qui  traitent  des  Lieder  :  là,  c'est  vrai- 
ment le  commentaire  du  poète,  dont  je  parlai  au  début,  un  écho  de  confidence  où  l'é- 
motion invinciblement  perce  à  chaque  mot,  et  là  se  dénoncent,  une  fois  de  plus  la  déli- 
catesse et  la  puissance  d'un  écrivain  dant  la  précieuse  collaboration  en  cette  revue  a  dit, 
mieux  qui  je  ne  le  saurais  faire,  la  noble  et  attirante  personnalité. 

Juin  1906.  G.  Jean  Aubry. 


Cf.  n*  du    15  «vril  dernier. 


Le  Directeur-Gérant,  Albert  DIOT. 


Parts-Thouars,  Imprimerie  Nouvelle 


ff'fp-^  ' 


"~ " ••"•'• '-  " 


TlAHOS*  A  (S^SUfi    ^  7lAnO^  DROITS 

à  Grarjd  Cadre  cri  fer  d'une  seule  Pièce  et  Cordes  croisées 


PIANOS  MUSTEL 


Factiare       eaccl\isivem.ent      A.artisticj\i© 


ORGUES    M USTEL 


mUSrEL»  ^  C>«    lîue  de  Douai,  46.  l»ai$i: 


Institut  Musical  de  France 

12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (i2^)  téléphone  924-70 

fjaririoTîisatioT^,    Orchestration;    *irrarjgernent    de    toutes    œuvres    pour    piarjo, 
fiarrnonie,  Ûrcl^estre  syn^pî^onique,  etc.  Gravure  et  Edition 

Examen  et  correction  de  toutes  compositions  musicales.  —  Conseils  aux  débutants  et 

consultations  teclmiques 

L'Institut  Musical  de  France,  qui  compte  parmi  ses  Collaborateurs  les  Professeurs  et  les 
Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  charge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Etranger.  Son  organisation 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


9e  Année,  N»  15,  i^'  Août  1906. 


Directeur:  Albert  DIOT 


Secrétaire    de    la    Rédaction  :    René    DOIRE 


§OMMAIRB  : 


Um  Virtuose  ouBLré  : 
Louis-Gabriel  Guilhmain 

{ijo^-iy-jo) L.  de  la  Laurencie 

Les  Concours  ou  Conser- 
vatoire : 

Cbant,    Opéra,    Opéra- 
Comique Victor  Debay 


Harpes,  "Piano Paul  Locard 

f^ioioH 6.  Chinard 

Alto,  yioloncelle.  Con- 
trebasse    E.  Schneider 

Instruments  à  yent G,    ROUChès 

Echos  et  Nouvelles  Diverses. 

Bibliographie L.  de  la  Laurencîe 


Administration  et  Rédaction  :  Le  Directeur  et  le  Secrétaire  de  U 

29.  RUE  TRONCHET.  PARIS  (8-)      R^'i'rtion  reçoivent  les  Mardi,  Jeudi 

^      '      et  Samedi,  de  /o  heures  a.  midi. 


Tt:Li:iM10IVE  253.05 

Bureau;c  ouverts 

de  lo  h.  à  midi  ai  àt  )  b.  à  6  h. 


Le  numéro  :  75  centimes 

Etranger  :  1  franc. 


Le  Courrier  Musical 

(le      1"      ET      LE     15      DE      CHAQUE     MOIS) 

(    Paris   et   Départements 12  francs  l'an^ 

ABONNEMENTS         ^  .^ 

[      tLTRANGER 15  »  )) 

Le    Numéro  :   75  centimes   —   Etranger  :  1    franc 
Direction,    128,  rue  de  la  Pompe,  PARIS    (16^) 
Administration  et  Rédaction  :  29,  rue  Tronchet,  PARIS  (8").    ' 


(TELEPHONE  :    252-95) 
-♦—<>—• — 


COLLABORATEURS 


MM.  Aguettant  —  Camille  Bellaigue  —  F.  Baldensperger  —  Camille  Benoit 
Eugène  Berteaux  —  A.  Bertelin  —  iwichel  Brenet  —  Gustave  Bret 
Ch.  Bordes  —  P.  de  Bréville  —  Robert  Brussel  —M.  Boulestin  —  M.-D.| 
Calvocoressi  —  J.  Chantavoine  —  Camille  Chevillard  —  D""  Colas 
M.  Daubresse  —  Victor  Debay  —  Etienne  Destranges  —  Albert  Diot 
René  Doire  —  F.  Drogoul  —  Eva  —  Emm.  Ergo  —  J.  Ecorcheville  — 1 
Gabriel  Fauré  —  Fledermaus  —  L.  de  Fourcaud  —  G.  de  Flagny  —  Henry] 
Gauthier- Villars  -  E.  Giovanna  —  Omer  Guiraud—  F.  Hellouin  —  Vincent| 
d'Indy  —  Jaques-Dalcroze  —  H.  Kling.  —  Lionel  de  la  Lau-] 
rencie  —  Paul  Leriche  —  Paul  Locard  —  Gustave  Lyon  —  Ch.  Malherbe 
A.  de  Marsy  —  Henri  Maubel  —  Camille  Mauclair  —  Jacques  Méraly 
F.  de  Ménil —  Victor  Maurel —  Mathis  Lussy —  Octave  Maus  —  Jean 
Marcel  —  A  Ifred  Mortier  —  Aloys  Mooser  —  Raymond-Duval  —  Rhené- 
Bâton  —  Guy  Ropartz  —  G.  Rouchès  —  Camille  Saint-Saëns  —  J.  Sauer-wein 
—  A  Séryeix.  —  P.  de  Stœcklin.  —  M.  Scharwenka  —  E.  Segnitz  — 
Jean  d'Udine  —  Léon  Vallas  —  D'  Fritz  Volbach  —  E.  Vuillermoz,  etc  .. 

lie   Courrier  Muscat  est  en  ^renie  : 
(j^   PAPIS:    ^9>   ^'^^^  Tronchet. 


Chez  M.  FLOURY,  libraire-éditeur,  /,  hoiilevard  des  Capucines. 

Chez  MM.  E.  FLAMMARION  &  A.  VAILLANT,  Galeries  de  l'Odêon,  —  /^,  rue  Auler, 

—   96  bis,  avenue  de  l'Opéra. 
Chez  M.  MARTIN,  ^,  Faubourg  Saint-Honcré. 
Librairie  REY,  8,  Boulevard  des  Italiens. 
Chez  STOCK,  place  du  Théâtre -Français. 

Chez  M,   LEGOIJX,  4,  rue  de  Rougemont  ;  —  20,  fauheurg  Poissonnière,  etc. 
Chez  M.  PUGNO,   i"],    Q}icii  des  Grands-oiugustins,  etc... 
EN  PROVINCE,    chez  les   principaux  marchands  de  musique  et  libraires. 


DÉPOTS: 

Pour  l'ALLEMAGNE 


Pour   la    BELGIQUE 


Pour  rANGLETERRE 


Pour    la    HOLLANDE 


Pour   l' /AMÉRIQUE 


MM.    BREITKOPF    &    H/ERTtL,   à  LEIPZIG 

(     MM.  BREITKOPF  &   H/ERTEL,    45,   rue  Montagne  de 
j  Cour,  à  BRUXELLES 

l     MM.    BREITKOPF   &   H/ERTEL,    54,    Malborough-Street, 
(  LONDON-W. 

MM.  STUMPFF  &  KONING,  à  AMSTERDAM. 

(    MM.  BRENTANO'S,  Union  Square,  NEW-YORK. 
(     M.  G.  SCHIRNER,  35,  Union  Square,  NEW- YORK. 


9"  ANNEE.  N»  1 5.  i«' AOUT  1906 

Le  Courrier  Musical 


SOMMAIRE.  —  Un  virtuose  oublié  :  Louis-Gabriel  Guillemain  (ijo^-iy-jo)  (Lionel 
DE  LA  Laurencie).  —  Les  Concours  du  Conservatoire  :  Chant,  Opéra,  Opéra-Comi- 
que (Victor  Debay)  ;  Harpes,  Tiano  (Paul  Locard)  ;  Violon  (G.  Chinard)  ;  iAlto, 
Violoncelle  Contrebasse  (E.  Schneider)  ;  Instruments  à  Vent  (Ronchés).  —  Echos  et 
Nouvelles  diverses.  —  Bibliographie  (L.  de  la  Laurencie). 


Le  prochain  miméro  dit  Courrier  VlMsicdl  paraîtra  le  25  Août, 
et  le  numéro  suivant  le  Ib  Septembre. 


Un   virtuose    oublié 


Louîs-Qabrîel   Guillemain 

(1705-1770) 


1 

Le  premier  octobre  1770,  on  enterrait  à  Chaville,  où  il  venait  de  se  suicider,  un 
violoniste  qui,  pendant  près  de  40  ans,  avait  joui  d'une  grande  réputation,  tant  à 
Paris  qu'en  province,  Louis-Gabriel  Guillemain.  Ce  malheureux  s'était  acharné  contre 
lui-même  avec  une  véritable  rage,  puisque  son  cadavre  ne  portait  pas  moins  de  quatorze 
coups  de  couteau,  et  l'inhumation  s'effectuait  le  jour  même  du  suicide,  en  présence 
du  chanteur  Bêche,  de  la  musique  du  roi,  et  de  Jean  Bellocq,  garçon  de  cette  mu- 
sique (i). 

11  y  a  lieu  de  supposer  qu'on  fit  le  silence  sur  la  mort  de  Guillemain,  et  sur  les 


{x)  L'acte  d'inhumation  de  Guillemain  se  trouve  aux  archives  du  greffe  du  tribunal  civil  de  Versailles. 
(Registre  des  actes  de  baptême,  mariage  et  sépulture.  Paroisse  de  Chaville  (1770)  ;  «  L'an  mil  sept  cent 
soixante-dix,  le  premier  jour  d'octobre^  a  été  inhumé  le  corps  de  Louis  (X)  Gabriel  Guillemain,  ordinaire 
de  la  maison  du  Roy,  décédé  d'aujourd'huy  en  ce  lieu,  âgé  d'environ  soixante-cinq  ans,  demeurant  à  Ver- 
sailles, rue  Royale,  paroisse  de  St-Louis  ;  présens  Marc-François  Bêche,  ordinaire  de  la  musique  du  Roy, 
Jean  Bellocq,  garçon  de  la  musique  du  Roy,  demeurants  tous  deux  à  Versailles,  lesquels  ont  signé  avec 
nous,  (X)  approuvé  un  mot  rayé  ;  Signé  :  Bêche,  Bellocq,  du  Tilloy,  curé.  »  On  remarquera  que  le  premier 
prénom  de  Guillemain,  Louis,  a  été  supprimé  sur  cet  acte.  11  s'appelait  bien  Louis-Gabriel  ;  le  privilège  de 
1734  dont  nous  parlons  plus  loin,  le  désigne  effectivement  sous  ce  double  prénom,  et  il  signe  la  dédicace 
de  son  premier  livre  de  sonates  :  L.-G.  Guillemain. 

Nous  exprimons  ici  toute  notre  reconnaissance  à  M.  Couard,  archiviste  de  Seine-et-Oise  et  à 
M.  Michel  Brenet,  pour  l'obligeance  avec  laquelle  ils  nous  ont  secondé  dans  nos  recherches  sur 
Guillemain. 


—  490  — 

circonstances  dans  lesquelles  il  mit  fin  à  ses  jours  ;  on  attribua  son  suicide  à  un 
accès  de  folie  furieuse,  et  la  hâte  avec  laquelle  les  amis  du  musicien  procédèrent  à  son 
enterrement,  vient,  d'ailleurs,  à  l'appui  de  cette  hypothèse  (i). 

C'est  elle  qu'a  recueillie  La  Borde  qui  attribue  le  drame  de  Chaville  à  ce  que 
Guillemain  avait  «  la  tête  dérangée  »  (2),  mais  Bachaumont,  plus  explicite,  indique  la 
raison  du  désespoir  du  pauvre  artiste  ;  «  fort  arriéré  dans  ses  affaires  et  ne  pouvant 
toucher  d'argent  ».  (3).  En  proie  à  d'inextricables  embarras  d'argent,  traqué  par  ses 
créanciers,  incapable  de  faire  face  à  ses  engagements  Guillemain  se  trouva  acculé 
au  suicide.  Les  notes  qui  suivent  confirment  pleinement  les  explications  de  Bachau- 
mont. 

Luynes  rapporte  dans  ses  Mémoires  que  Guillemain  naquit  à  Paris  en  1705,  le  15 
novembre,  précisent  les  historiens  de  la  musique.  11  aurait  été  élevé  chez  le  comte  de 
Rochechouart  qui,  lui  voyant  des  dispositions  pour  le  violon,  lui  aurait  fait  donner 
des  leçons  ;  Guillemain  se  serait  rendu  en  Italie  et  aurait  pendant  longtemps  travaillé 
avec  le  fameux  Somis,  le  maître  de  Leclair  ;  dès  l'âge  de  20  ans,  en  1725,  on  le  tenait 
déjà  pour  un  habile  instrumentiste  (4). 

Il  débuta  dans  la  carrière  artistique  à  Dijon,  où  une  Académie  de  musique,  fondée 
depuis  1725,  donnait  des  concerts  au  «Logis  du  Roi  »,  dans  l'hôtel  du  gouverneur. 
Guillemain  succédait  là  à  deux  violonistes  qu'il  ne  devait  pas  tarder  à  faire  oublier 
Lacombe  et  Isnard  (5). 

Un  privilège  sur  parchemin,  daté  de  Versailles,  le  29  mars  1734,  corrobore  les 
renseignements  ci-dessus  que  nous  empruntons  au  mémorialiste  bourguignon  Lantin 
de  Damerey. 

Il  est  accordé,  en  effet,  «  au  sieur  Guillemain,  premier  violon  de  notre  Académie 
royale  de  notre  ville  de  Dijon,  qui  s'est  appliqué  depuis  plusieurs  années  à  composer 
plusieurs  sonates  et  autres  pièces  de  musique  instrumentale  pour  le  violon  »  (6). 

Dijon,  ville  parlementaire  et  lettrée,  comptait  alors  nombre  de  salons  où  la  mu- 
sique recevait  un  culte  assidu,  et  la  fondation  de  l'Académie  prouvait  l'activité  des 
mélomanes  bourguignons.  Parmi  ceux-ci,  un  président  à  mortier  du  Parlement,  M. 
Chartraire  de  Bourbonne,  jouait  du  violon  et  portait  à  Guillemain  un  vif  intérêt.  La 
dédicace  de  la  première  œuvre  de  notre  musicien  qui  remonte  à  1734  et  qui  fut 
imprimée  à  Dijon,  est  adressée  au  président  violoniste  (7).  Il  est  probable  que  les 
œuvres  II  et  111  appartiennent  à  la  période  dijonnaise  de  la  vie  de  Guillemain,  car  ni 
l'une  ni  l'autre  ne  mentionnent  la  qualité  «  d'ordinaire  de  la  musique  du  Roi  » 
que  le  violoniste  prend  par  la  suite,  et  l'œuvre  III  est  encore  dédiée  à  M.  Char- 
traire. 

Le  bruit  des   succès  que   Guillemain   remportait   en  Bourgogne  parvint  jusqu'à 


(1)  La  série  B.  des  archives  de  Seine-et-Oise  ne  contient  pas  de  dossiers  concernant  le  xvin"  siècle  pour 
Viroflay-Chaville  (Bailliage  ou  Prévôté,  Police).  Les  liasses  de  l'année  1770  contenues  dans  le  fonds  de 
la  Prévôté  de  l'Hôtel  et  du  Bailliage  royal  de  Versailles  sont  muettes  à  l'égard  de  la  mort  de 
Guillemain. 

(2)  La  Borde.  Essai  sur  la  Musique,  III,  p.  513. 

(3)  Bachaumont.  Mémoires  V.  p.  200  C5  octobre  1770). 
{4)  Luynes.  Mémoires,  II,  p.  109  (avril  1748). 

(5)  L«5  Deux  Bourgognes,  Dijon,  1858,  VIII,  p.  56  (Extrait  du  journal    de  M.  Lantin  de  Damerey). 

(6)  Arch.  dép.  de  Seine-et-Oise.  E.  1189.  —  Ce  privilège  porte  le  n"  2251  et  figure  à  la  fin  de 
l'œuvre  1. 

(7)  Ce  livre  de  sonates  a  la  cote  Vm'  765  à  la  Bib.  nat.  Le  protecteur  de  Guillemain  était  Gabriel- 
Bénigne  de  Chartraire,  marquis  de  Bourbonne,  président  à  mortier  au  Parlement  de  Dijon  ;  il  épousa  en 
1737  Jeanne  Guillemette  Bouhier,  fille  du  célèbre  érudit  le  président  Jean  Bouhier.  —  La  Chenaye  Des 
Bois.  V.  p.  224. 


—  49'  — 

Paris,  et.  en  1737,  le  violoniste  s'acheminait  vers  la  capitale;  la  musique  du  roi  ne 
devait  pas  tarder  â  l'accueillir  parmi  ses  membres. 

On  n'est  pas  fixé  de  façon  très  exacte  sur  la  date  de  son  entrée  dans  ce  corps  de 
musique.  Alors  que  Luynes,  généralement  bien  renseigné  en  la  matière,  annonce  en 
avril  1738,  que  Guillemain  «  vient  d'être  reçu  à  la  Chapelle  et  à  la  Chambre  »  (i),  un 
document  d'archives  place  cette  réception  en  1737  (2).  Toujours  est-il  que  le  violo- 
niste se  trouvait  en  service  pendant  le  premier  semestre  de  i'année  1738,  où  il  rece- 
vait, pour  cinq  concerts,  le  même  salaire  que  le  célèbre  Guignon,  à  savoir  30  livres  (3). 
«  11  est  venu,  continue  Luynes,  au  point  d'être  le  premier  après  Guignon,  et  dans  le 
même  genre;  on  lui  donne  1,500  livres  à  la  Chapelle  ;  il  a,  outre  cela,  600  livres  pour 
la  Chambre.  »  (4). 

En  décembre  de  cette  même  année  1738,  Guignon  et  Guillemain  jouent  ensem- 
ble (5)  et  les  comptes  de  la  maison  du  roi  montrent  que  les  deux  violonistes  touchaient 
la  même  somme,  576  livres,  pour  les  96  concerts'auxquels  ils  participaient  à  la  cour  (6). 

Aussitôt  nommé  à  la  musique  royale,  Guillemain  s'installe  à  Versailles  où  il  va 
habiter  hôtel  de  Gamaches,  dans  l'avenue  de  Saint-Cloud  (7). 

Les  archives  départementales  de  Seine-et-Oise  conservent,  sous  la  cote  Ei  189,  un 
dossier  composé  de  28  pièces  qui,  pour  la  plupart,  jettent  une  vive  lumière  sur  la  vie 
de  Guillemain  ;  un  certain  nombre  de  mémoires  de  fournisseurs,  de  quittances  de 
loyer,  de  lettres,  etc,,  viennent  souligner  la  mauvaise  économie  domestique  du  musi- 
cien, et  de  ces  documents  encore  inédits  se  dégage  l'impression  que  Guillemain 
fut  toujours  mal  dans  ses  affaires.  Ainsi  s'explique,  par  mille  détails  en  apparence  bien 
minimes,  comment  Guillemain,  dont  le  caractère  était  du  reste  sombre  et  mélancolique, 
fut  poussé  à  se  donner  la  mort  dans  les  conditions  particulièrement  tragiques  que  nous 
avons  relatées. 

Dès  son  arrivée  à  Versailles,  il  charge  le  tapissier  Dubut  de  lui  meubler  son  ap- 
partement et  ses  commandes  témoignent  bien  clairement  de  son  peu  de  circonspec- 
tion ;  il  ne  regarde  point  à  la  dépense,  quitte  à  se  trouver  généralement  fort  dépourvu 
lorsque  sonne  l'heure  du  règlement.  Sa  passion  pour  les  tapisseries  l'entraîne  à  des 
frais  vraiment  excessifs.  Dubut  lui  fournit  des  pièces  de  tapisserie  de  Bergame,  cinq 
pièces  de  tapisserie  de  point  de  Hongrie,  dix-sept  aulnes  et  demie  de  tapisserie  de  ver- 
dure d'Aubusson.  Guillemain  avait  même  commandé  vingt-six  aulnes  de  tapisserie  des 
Flandres,  mais  l'élévation  du  prix  de  ces  tentures,  850  livres,  l'oblige,  par  la  suite,  à 
y  renoncer.  Le  voici  qui  achète  d'occasion  un  «soffa  »  de  bois  à  la  capucine  recouvert 
de  %-elours  d'Utrecht,  puis  six  bois  de  fauteuils  qu'il  fait  garnir  de  même,  à  raison  de 
266  livres  les  six  fauteuils,  et  encore  une  attique,  des  bras  de  cheminée,  etc.  Quand 
Dubut  présente  sa  facture,  l'infortuné  «  ordinaire  de  la  musique  »  discute,  combat 
âprement  afin  d'obtenir  des  rabais,  et  prend  tant  bien  que  mal  des  arrangements  avec 
son  fournisseur.  Bref,  on  le  sent  gêné,  à  la  recherche  d'atermoiements,  sans  cesse 
préoccupé  de  la  façon  dont  il  parviendra  à  s'acquitter  de  ses  dettes  (9). 


(i)  LMynes.  Mémoires,  II.  p.  109.  Vidal  ;  Les  Instruments  à  archet  U,  p.  285. 

(2)  «  Le  S'  Guillemain,  reçu  en  l'année  1737,  musicien  ordinaire  de  la  chapelle  et  chambre  du  Roi». 
Arch.  nat.  Pens.  Oi    6773. 

(3)  Arch.  nat.  O  I  2862,  f    211-212, 
(4).  Luynes.  Loc.  cit. 

(5)  Luynes.  II,  p.  297. 

(6)  Arch.  nat.  O  I  2862,  f*  284.  Cette  rémunération  s'élevait  à  6  livres  par  concert. 

(7)  L'hôtel  de  Gamaches,  qui  porte  le  n*  28  de  l'avenue  de  Saint-Cloud,  était  sous  Louis  XIV  l'hôtel 
du  maréchal  de  Catinat  ;  il  devint  plus  tard  l'hôtel  de  Gamaches.  Histoire  de  (Versailles,  de  ses  rues,  places 
et  avenues,  par  J.  A.  Le  Roi.  Versailles.  I.  p.  352. 

(9)  E.  1189.  Mémoire  du  23  juin  1738  pour  M.  Guillemain,  officier  de  la  musique  du  Roy,  des 
Ouvrages  faits  et  fournis  par  Dubut,  tapissier  à  Versailles.  Mémoire  du  même  du  23  janvier  1740. 


—  492  — 

Sa  situation  à  la  musique  royale  le  mettait  en  relations  avec  tous  les  amateurs  de 
haute  lignée  qui  fréquentaient  à  la  cour.  En  1745,  il  dédie  au  duc  de  Chartres  (i)  des 
«  Sonates  en  quatuor  »  qu'il  a  composées  tout  exprès  pour  les  concerts  de  ce  prince. 
Quatre  ans  plus  tard,  nous  le  voyons  figurer  en  qualité  de  deuxième  dessus  de  violon  dans 
l'orchestre  du  Théâtre  des  Petits-Cabinets,  qui  se  composait,  comme  on  sait,  d'ama- 
teurs et  de  professionnels.  En  1 747-1 748,  Guillemain  s'y  trouve  en  compagnie  d'un 
porte-manteau  du  roi,  M.  de  Çourtaumer,  de  MM.  Fauchet  et  Belleville  ;  pendant  la 
campagne  suivante  (1748- 1750), la  petite  troupe  est  renforcée  de  deux  professionnels, 
les  sieurs  Marchand  et  Caraffe  l'aîné  (2).  Assisté  de  Mondonville,  il  joue  plusieurs 
petits  airs  doublés, triplés  et  brodés  avec  tout  l'art  possible.  «Ces duos,  ajoute  Luynes, 
qui  sont  d'une  exécution  très  difficile,  sont  de  la  composition  de  Guillemain  »  (3). 
Quelques  mois  après,  le  12  décembre  1748,  au  même  Théâtre  des  Petits  Cabinets,  on 
représente  une  pantomime  dont  la  musique  sort  de  sa  plume,  et  dont  les  danses  sont 
confiées  à  Dehesse  et  au  marquis  de  Courtenvaux,  ce  capitaine-colonel  des  Cent- 
Suisses  dont  les  mérites  chorégraphiques  .étaient  fort  appréciés.  Voici  comment 
Luynes  rend  compte  de  la  pantomime  en  question  :  Le  théâtre  représente  une  espèce 
de  foire  chinoise.  Les  habillements  sont  fort  agréables,  les  danses  fort  vives  et  bien 
diversifiées.  On  fut  assez  étonné  de  voir  arriver  deux  chaises  à  porteurs  sur  le  théâtre; 
dans  l'une  était  Dehesse  lui-même,  et  dans  l'autre  une  de  ces  petites  danseuses  de  ces 
ballets,  qu'on  appelle  Camille  »  (4).  Après  la  pantomime  chinoise  de  1748,  Guille- 
main compose  en  1749,  la  musique  du  Divertissement  de  la  Cabale,  comédie  épiso- 
dique  de  Saint-Foix,  qui  remporte  le  succès  le  plus  vif  (5),  puis  avec  une  extrême 
fécondité,  il  entasse  œuvres  sur  œuvres.  Ses  dédicaces  s'adressent  généralement  à  de 
grands  seigneurs  qui  collaboraient  à  l'entreprise  dramatique  et  lyrique  de  Mme  de 
Pompadour.  La  marquise  elle-même  reçoit  l'hommage  de  l'œuvre  XV  :  Divertissements 
de  symphonie  en  trio.  Le  duc  d'Ayen  qui  chantait  très  agréablement  (6),  le  marquis  de 
Sourches,  grand  prévôt  de  l'Hôtel,  dont  le  talent  musical  s'exprimait  avec  autant  de 
bonheur  sur  la  viole  et  par  le  chant  (7),  voient  leurs  noms  inscrits  en  tête  de  composi- 
tions instrumentales  de  notre  violoniste. 

Tant  de  services  rendus  par  Guillemain  à  la  cour  et  à  la  favorite  appelaient  une 
récompense,  et  par  brevet  du  14  juin  1750,  Louis  XV  accordait  au  brillant  vir- 
tuose une  pension  de  500  livres  (8).  Pareille  aubaine  venait  fort  à  propos,  car  la  posi- 
tion du  musicien  demeuraittoujours  très  précaire,  et  ses  dettes  ne  cessaient  de  s'accu- 
muler. C'est  péniblement  qu'il  parvient,  en  1750,  à  solder  un  compte  de  pharmacie  de 
67  livres  que  lui  présente  un  apothicaire  versaillais  répondant  au  nom  sédatif  de  La 
Bonté.  Guillemain  paie  par  petits  acomptes,  douloureusement  arrachés  de  30,  15  et 
22  livres  (9). 

Sa  réputation  artistique  valait  mieux  que  sa  réputation  financière,  et  son  nom 
s'associe  aux  triomphes  de  tous  les  virtuoses  alors  à  la  mode.  Lors  du  déplacement 


(1)  Le  duc  d'Orléans,  alors  duc  de  Chartres  fut  fort   remarqué  aux  Petits  Cabinets  en  1747  dans  l'En- 
fant prodigue  de  Voltaire.  Campardon  :  Madame  de  Pompadour  et  la  Cour  de  Louis  XV,  p.  85. 

(2)  A.  Jullien  :  La  Comédie  à  la    Cour,    p.    244.    C'était  François  Rebel  qui  battait  la  mesure  à  l'or- 
chestre. 

(3)  Luynes.  Mémoires.  IX.  p.  9  (avril  1748). 

(4)  Luynes.   id.     IX.  pp.   152-153.    Dehesse    appartenait  à  la  Comédie  italienne  et  était  très  renommé 
pour  son  talent  de  danseur, 

(5).  Clément  et  l'abbé  de  la  Porte.  Anecdotes  dramatiques.  I.  pp.   163-164. 

(6)  Guillemain  a  dédié  son  œuvre  VII  au  duc  d'Ayen. 

(l)  Jullien.  Loc,  cit.  p.  207,  et  Luynes.  Mémoires.  Guillemain  lui  a  dédié  son  œuvre  XL 

(8)  Arch.  nat.  Ol,  94,  f"   132.  Brevet  daté  de  Compiègne. 

(9)  Arch,  dép,  Seinc-et-Oise,  E.  I189. 


—  495  — 

de  la  Cour  à  Fontainebleau,  en  1752,  Guillemain  accompagne,  à  un  concert  donné 
pendant  le  souper  de  Louis  XV,  le  célèbre  bassonniste  du  roi  de  Sardaigne,  de  Laval, 
auquel  Guignon,  Marchand,  et  le  violoncelliste  Chrétien  prêtent  aussi  leur  collabora- 
tion (i).  Mais  les  applaudissements  royaux  ne  pouvaient  lui  faire  oublier  ses  créan- 
ciers, et  en  particulier  Dubut,  le  tapissier  aux  tyranniques  factures.  Le  30  janvier 
1752,  Guillemain  se  voit  en  présence  d'un  mémoire  de  1.680  livres  qu'il  règle  labo- 
rieusement, à  raison  de  300  livres  en  espèces,  103  livres  en  marchandises,  et  le  reste 
en  billets. 

Lorsque  quelques  années  plus  tard,  en  1757,  il  épouse  Catherine  Lan- 
glois,  sa  gestion  ne  semble  pas  devoir  s'améliorer.  Catherine  Langlois,  vieille  fille  de 
42  ans  (2),  demeurait  à  Paris,  rue  de  Seine,  à  l'hôtel  d'Espagne  ;  le  28  novembre  1757, 
elle  se  déclare  obligée  de  vendre  ses  meubles,  «étant  mariée  depuis  peu»  et  ne  pouvant 
transporter  à  Versailles  son  modeste  mobilier,  parce  que  le  logement  de  son  mari 
est  trop  exigu  pour  lui  donner  asile  (3).  Nous  savons,  en  effet,  que  l'appartement  de 
l'avenue  ds  Saint-Cloud  ne  comprenait  que  trois  chambres  (4).  Voilà  donc  Catherine 
Langlois  qui  vend  à  la  criée,  et  pour  une  piètre  somme  de  605  livres,  les  quelques 
meubles  qu'elle  possède  ;  cela  n'empêche  pas  Guillemain  d'acheter,  le  31  mars  suivant, 
un  lit  et  un  tableau  provenant  de  la  succession  de  son  propriétaire,  le  marquis  de 
Gamaches,  acquisition  pour  laquelle  il  verse  une  somme  de  275  livres,  bien  dispro- 
portionnée avec  ses  moyens  (5). 

A  partir  de  1759,  Guillemain  déménage  et  vient  habiter  chez  un  sieur  Bourdon 
qui  lui  loue,  moyennant  87  livres  10  sols  par  quartier,  un  appartement  dont  nous  pos- 
sédons les  quittances  jusqu'en  1762.  Or,  de  l'examen  de  ces  quittances  qui  men- 
tionnent toutes  pour  quels  quartiers  elles  sont  données,  résulte  cette  constatation  que 
Guillemain  est  toujours  en  retard  dans  le  payement  de  son  loyer.  Il  a,  en  moyenne, 
six  mois  de  retard  à  chaque  terme,  et  doit  se  considérer  comme  heureux  de  traiter  avec 
un  logeur  accommodant  (6). 

11  n'est  pas  jusqu'aux  menus  comptes  du  ménage  qui  ne  fournissent  la  preuve  de 
on  incurable  désordre.  Sur  des  mémoires  relatifs  à  des  livraisons  de  bois,  d'huile,  de 
chandelle,  etc.,  on  relève  toujours  et  partout  des  traces  évidentes  de  la  gêne  du  musi- 
cien ;  calculs  établis  fébrilement  et  sans  cesse  recommencés,  établissement  d'à-comptes, 
report  de  dettes,  etc.  (7). 

Du  reste,  le  placet  suivant  qu'il  adresse,  en  1766,  au  contrôleur  général  de  la 
Maison  du  Roi,  souligne  encore  sa  triste  situation  : 

«  Monsieur, 

«  Guillemain,  premier  violon  du  Roy  Et  le  plus  ancien  Simphoniste  de  La  musique 
de  Sa  Majesté,  prens  la   Libériez  D'avoir  Recours  Encore  une  fois  à  vos  Bontés,  pour 


(')  Lettre  de  Marchand  datée  de  Fontainebleau,  du  il  octobre  1752.  Luynes,  Mémoires.  XII,  p.   168. 

(2)  Elle  était  née  le  13  janvier  1715,  à  Paris  ;  son  acte  de  naissance  et  de  baptême  figure  au  dossier 
de  sa  pension.  Arch.  nat.  O  1.  677  3.  Catherine  Langlois  était  la  deuxième  femme  de  Guillemain,  car 
deux  pièces  du  dossier  E  1189,  auquel  nous  avons  fait  tant  d'emprunts,  indiquent  qu'il  était  marié  en 
1 742-1 750.  Une  de  ces  pièces  est  le  mémoire  La  Bonté  qui  porte  des  remèdes  fournis  à  Madame  en  1749- 
1750,  et  l'autre  consiste  en  une  facture  du  tonnelier  Lhérault  sur  laquelle  on  lit  ;  «  Madame  Guillemain 
m'a  payé  le  dernier  mémoire  le  deuxième  jour  de  may  1750.  »  Guillemain  avait  52  ans  lorsqu'il  épousa 
Catherine  Langlois. 

(3)  Procès-verbal  de  vente  du  28  novembre   1757,  E.  1189. 

(4)  Mémoire  de  Dubut,  tapissier,  de  janvier  1740.  Même  dossier. 

(5)  Arch.  dép.  Seine-et-Oise  ;  même  dossier. 

(6)  A  l'hôtel  de  Gamaches,  Guillemain  payait  62  livres  lo  sols  par  quartier  pour  son  loyer.  Chez  le 
D''  Bourdon,  son  loyer  est  plus  élevé  et  atteint  87  livres  lo  sols  ;  cela  revenait  donc  à  une  dépense  de 
1.050  livres  par  an,  dépense  bien  considérable  pour  la  modeste  bourse  du  musicien. 

(7)  Arch.  de. Seine-et-Oise.   Loc.  cit. 


—  494  — 

Luy  procurer  quelque  Grâce  qui  puisse  Luy  aider  à  arranger  ses  affaires.  Vous  Daî- 
gnastes.  Monsieur,  l'honorer  de  vostre  puissante  protection  auprès  de  Mgr  le  Comte  de 
Saint- Florentin,  L'année  dernière,  qui  Luy  obtint  du  Roy  300  livres  pour  tout  ;  En 
conséquence,  le  supliant  Eut  une  ordonnance  de  330  livres  pour  Gratifioation  Extraor- 
dinaire, Le  23°  d'Aoust  1765  pour  payer  près  de  6.000  Livres  qu'il  doit.  La  Bontez  de 
vostre  cœur,  Monsieur,  parut  sy  touchez  de  son  triste  Etat  Et  D'un  aussi  faible  Secours, 
que  vous  voulustes  bien  Luy  faire  Espérer  de  faire  continuer  Chaque  année  cette  petite 
Somme  Et  Gratification  Extraordinaire  puisqu'il  n'avoit  pu  Rien  obtenir  de  plus. 

Daignez,  s'il  vous  plaît,  permettre.  Monsieur,  que  le  Supliant  ose  prendre  la  Li- 
berté De  vous  rappeler  les  Espérances  qu'il  vous  a  plut  Luy  Donner  à  cet  égard  ;  Voicy 
la  29"  année  Du  service  Le  plus  exact.  Il  ne  fonde  sa  récompense,  Monsieur,  que  sur 
vostregénéreuse  protection  Et  sur  son  zèle  à  Remplir  ses  Devoirs  Depuis  29  ans  :  trop 
heureux  si  vous  voulez  bien  l'honorer  d'un  Regard  Digne  de  Vos  Boatées  et  de  la  Justice 
que  vous  aimez  à  rendre  à  tous  les  Bons  Serviteurs  du  Roy  ».  (i). 

Nous  ne  savons  si  le  «  suppliant  »  reçut  satisfaction,  et  si  la  faveur  royale  vint 
adoucir  un  peu  l'amertume  de  son  existence.  En  1760,  Guillemain  était  pourtant  le 
plus  payé  des  symphonistes  de  la  Chapelle  et,  les  états  de  paiement  de  cette  année 
portent  en  regard  de  son  nom  une  somme  de  1.650  livres,  alors  que  Guignon  ne 
touche  que  1.350  livres  (2).  Il  est  clair  que  s'il  devait  6.000  livres  en  1766,  ses  appoin- 
tements et  les  gratifications  qu'on  lui  allouait  et  dont  le  montant  ne  dépassait  guère 
3.000  livres,  le  laissaient  dans  une  situation  sans  issue. 

Dans  une  autre  lettre  autographe  qui  ne  porte  pas  de  date,  mais  qui  parait  bien 
remonter  à  la  même  époque,  il  demande  qu'on  lui  retienne  sur  deux  de  ses 
quartiers  d'appointements,  une  somme  qu'il  doit  à  un  sieur  Berteville  (3). 

Puis,  voici  le  perruquier  qui  arrive  à  la  rescousse.  Guillemain  établit  son  compte 
depuis  la  fin  de  novembre  1762  jusqu'en  mai  1770,  d'où  il  résulte  que  cet  artiste 
capillaire  reçoit  une  rémunération  mensuelle  de  4  livres.  Mais  que  de  perruques  en 
retard,  livrées  et  non  réglées  !  En  1769,  en  dépit  d'acomptes  accumulés,  le  pauvre 
violoniste  doit  encore  pour  8b  livres  de  perruques  !  (4) 

Est-ce  pour  trouver  une  diversion  à  ses  ennuis  qu'il  s'adonnait  à  la  boisson  ?  On 
serait  tenté  de  le  croire  à  l'examen  d'un  mémoire  concernant  une  fourniture  d'eau-de- 
vie  qui  semble  bien  suspecte.  En  neuf  jours  (du  i^""  au  10  septembre),  Guillemain  ne 
consomme  pas  moins,  en  effet,  de  six  bouteilles  d'eau-de-vie(5^.  Les  plus  indulgents 
trouveront  sans  doute  que  c'est  là  une  ration  anormale. 

Misanthrope,  d'une  timidité  excessive  (on  raconte  qu'il  ne  put  jamais  se  décider 
à  jouer  au  Concert  spirituel),  neurasthénique  et  probablement  alcoolique,  Guillemain, 
torturé  sans  relâche  par  des  besoins  d'argent,  et  incapable  d'arriver  à  équilibrer  son 
budget,  courait  à  la  catastrophe  finale.  Cette  catastrophe  devait  fatalement  se  produire 
et  les  longs  déboires  de  l'artiste  aussi  bien  que  sa  mentalité  maladive  suffisent  à  l'ex- 
pliquer. Nous  savons  aussi  que  la  situation  du  Trésor  était  particulièrement  obérée 
aux  environs  de  1770,  et  que  le  service  des  pensions  s'en  ressentait.  Les  seuls  docu- 
ments ou  peu  s'en  faut,  que  nous  possédions  sur  Guillemain  consistent  en  factures 
et  en  demandes  d'argent,  résumant  ainsi  toute  une  vie  de  gêne  et  d'expédients. 

Sa  veuve,  Catherine  Langlois,  reçut  en  novembre  1770  une  pension  de  600  livres 
«  en  considération  des  services  de  son  mari.  (Elle  n'entra  en  jouissance  de  cette  pen- 


(1)  Arch.  dép.  de  Seine-et-Oise.  E.   I189.  Placet  adressé  à  M.   Mesnard. 

(2)  Arch.   nat.,   17  mars   1760.  O  i,  842  i. 

(5)  Lettre  autographe  sans  date.  E.   1189.  Loc.  cit. 

(4)  Compte  du  perruquier,    même  dossier. 

(5)  Fourniture  d'eau-de-vie,    même  dossier.  Le  mémoire  s'élève  à   16  livres. 


—  495  — 

sion  qu'en  1772)  (i),  et  figure  jusqu'en  1779  sur  les  états  de  vétérance  de  la  musique 
du  roi  (2). 

II 

Guillemain  fut  un  musicien  fécond  et  un  virtuose  éminent.  C'est  ce  que  nous 
allons  constater  maintenant  en  étudiant  quelques-unes  de  ses  compositions  les  plus 
caractéristiques. 

Son  œuvre  est  considérable  ;  il  ne  comprend  pas  moins  de  18  numéros,  en  outre 
des  2  Divertissements  que  nous  avons  signalés  précédemment.  Nous  en  donnons  ci- 
après  la  liste  telle  que  nous  avons  pu  l'établir  jusqu'à  présent,  en  nous  aidant  des 
anciens  catalogues  de  Leclerc  et  des  catalogues  modernes  de  musique  instrumentale 
publiés  par  Liepmannssohn  à  Berlin  ;  on  va  voir  qu'elle  renferme  malheureusement 
deux  lacunes  :  (3). 

Œuv.  I. —  i"  Livre  de  Sojidtes  à  violon  seul  et  la  basse,  (ij  ^4).  {h.  ^i.  y  m' ,  765). 
Œuv.  IL  —  12  Sonates  en  Trio  pour  les  violons  et  les  flûtes,  avec  basse.  (S.    d.) 

(Bib.  du  Conservatoire.) 
Œuv,  III.  —  2^  Livre  de  Sonates  a  violon  seul  et  B.  C.  (S.  d.) 
Œuv.  IV.  —  Sonates  en  Duo  pour  violons  et  flûtes  sans  basse,  (i®'  livre). 
Œuv.  V.  - —  2^  Livres  de  Sonates  en  Duo.  (S,  d.)  (B.  n.  Vm',  851). 
Œuv.  VI.  —  6  Symphonies  dans  le  goîit  italien,  en  trio  (S.   d.).  (Bib.  Cons.) 
Œuv.  Vil.  —  6  Concertinos  à  4  parties.  'S.  d.).  (Bib.  de  M.  Ecorcheville.) 
Œuv.  VIII.  —  Premier  amusetnent  à  la  mode  pour  2  violons  ou  flûtes   et  la  basse 

(S.  d.)  (Bib.  Cons.) 
Œuv.  IX.  —  Pièces  pour  2  vielles,  2  musettes,  flûtes  ou  violons. 
Œuv.  X.  —  Sonates  en  Trio  pour  les  violons  ou  les  flûtes  avec  basse  (2°  livre). 
Œuv.  XL  —  f-  Livre  de  Sonate'^  à  violon  seul  et  B.  c.  (S.  d.) 
Œuv.  XII.  —  6   Sonates  en  quatuor  ou    Conversations  galantes   ou   amusantes 

entre  une  flûte  traversière,  un  violon,  une  basse  de  viole  et  la 

B.  C.  (1743).  (Bib  de  M.  Ecorcheville.) 
Œuv.  XIII.  —  Pièces  de  Clavecin  en  Sonates  avec  accompagnement  de  violon  (S.d.) 

(B.  n.  Vm'',  1894  Us  et  Conserv.) 
Œuv.  XIV.  —  2^  Livre  de  symphonies  dans  le  goût  italien  en  trio  (S.  d.),  (Bib. 

Cens.). 
Œuv.  XV.  —  Divertissements  de  symphonie  en  trio  (S.  d.),  (Bib.  Cons.). 
Œuv.  XVIII.  —  Amusement  pour  le  violon  seul  composé  de  plusieurs  airs  variés 

de  différents  auteurs,  avec  12  caprices  (S.  d.) 

(Bib.  de  M.  Ecorcheville)  (4). 

On  remarque  que  de  ces  diverses  œuvres,  deux  seulement  sont  datées,  l'œuv.  I  et 
l'œuv.  XII.  Le  Mercure  de  juin  1753  annonce  «  une  Symphonie  »  de  M.   Guillemain, 


(i)  Arch.  Nat.  Pensions    Oi  6773.     La  pension  fut  accordée  sur  les  menus  plaisirs. 

(2)  Ibid  Oi  8425. 

(^)  En  comparant  ce  catalogue  avec  celui  que  donne  R.  Eitner  dans  son  Quellen-Lexikon,  (W.  p.  422), 
on  constate  combien  celui-ci  est  incomplet.  11  n'indique,  en  effet,  que  4  œuvres  de  Guillemain.  Nous 
avons  mentionné  les  dépôts  publics  et  particuliers  où  on  peut  trouver  des  compositions  de  Guillemain  ; 
lorsque  la  mention  du  dépôt  manque,  c'est  que  l'œuvre  a  été  repérée  sur  les  catalogues  de  Leclerc  ou  de 
Liepmannssohn. 

(4)  Les  œuvres  XVI  et  XVII  manquent  ;  nous  n'avons  pu,  jusqu'à  ce  jour,  les  retreuver.  Fétis  leur 
attribue  les  dates  de  1757  et  de  1759. 


—  49<5  — 

qui  pourrait  bien  être  une  des  Symphonies  dans  le  goût  italien  du  deuxième  Livre 
(œuv.  XIV),  mais  ce  n'est  là  qu'une  simple  hypothèse  (i). 

Le  cadre  de  cette  étude  ne  nous  permettant  pas  de  nous  étendre  sur  toutes  les 
compositions  de  Guillemain,  nous  nous  bornerons  à  en  faire  remarquer  la  variété,  et 
à  attirer  l'attention  sur  quatre  d'entre  elles,  en  raison  de  l'intérêt  spécial  qu'elles  pré- 
sentent, Il  s'agit  des  oeuvres  I,  XII,  XIII  et  XVIII. 

Le  premier  livre  de  Sonates  à  violon  seul  et  la  basse  (12  sonates)  révèle  déjà  une 
étonnante  virtuosité  et  de  sérieuses  qualités  de  rythmique.  La  figuration,  surtout  dans 
les  mouvements  vifs,  y  affecte  une  grande  diversité  et  une  extrême  complication  ;  de 
plus,  l'auteur  pratique  l'ornementation  des  mouvements  lents  et  pousse  parfois  celle-ci 
jusqu'à  la  minutie,  On  ne  peut  que  souscrire  au  jugement  fort  avisé  de  Luynes  qui 
parlait  de  ses  «  airs  doublés,  triplés  et  brodés  avec  tout  l'art  possible  ».  Telle  est  bien 
l'impression  que  produit  cette  musique  ajourée,  sculptée,  semée  de  traits,  d'arpèges, 
de  doubles,  de  trilles,  d'ornements  de  toute  nature.  II  y  a  lieu  cependant  de  remarquer 
que  Guillemain  tire  généralement  son  ornementation  de  la  substance  même  de  ses 
thèmes  et  qu'il  ne  déforme  pas  ceux-ci  en'les  couvrant  de  broderies.  Lorsque  ses  ada- 
gios deviennent  des  sortes  de  «  points  d'orgue  mesurés  »,  la  ligne  mélodique  se 
conserve  dans  son  intégrité,  et  il  ne  lui  arrive  point  de  s'altérer  à  en  devenir  mécon- 
naissable comme  dans  les  exemples  que  donne  Cartier  des  diverses  façons  de  varier 
un  adagio  de  Tartini  (2). 

Voici  de  quelle  façon  Guillemain  ornera  un  thème  d'adagio  :  (3^ 


Violoniste  hardi,  Guillemain  aborde  les  positions  élevées  ;  il  écrit  des  traits  comme 
celui-ci  :  (4) 


ou  de  vétilleux  arpèges  qui  ne  peuvent  s'exécuter  qu'à  la  5*  position  :  (5) 


(i)  Mercure,  juin  1753,  p.  164. 

(2)  Cartier,  l'Jrt  du  violon.  Dans  le  plus  grand  nombre  des  exemples  donnés  pgr  Cartier,  la  ligne  mé- 
lodique est  complètement  noyée  dans  rornementation. 

(3)  adagio  de  la  Sonate  VI. 

(4)  allemande  de  la  Sonate  II  (Allegro  non  presto). 
(5^  Allegro  de  la  Sonate  XII. 


—  497  — 

Il  y  a  dans  l'Allemande  de  la  sonate  II  (allegro  non  presto)  des  séries  d'accords 
plaqués  de  3  notes,  dont,  en  raison  du  mouvement,  la  réalisation  est  loin  d'être  facile. 
Guillemain  pratique  fréquemment  aussi  le  passage  de  cordes  (Allegro  en  la  mineur  de 
la  sonate  IV),  se  joue  des  doubles  cordes  et  des  doubles  trilles,  et  si  l'on  réfléchit 
qu'une  semblable  technique  date  de  1734,  on  comprendra  aisément  la  surprise  des 
contemporains  de  notre  violoniste  en  le  voyant  jongler  avec  de  pareilles  difficultés. 

«  Guillemain,  déclare  Ancelet,  mérite  d'être  admis  dans  la  classe  des  grands 
violons  ;  il  a  une  main  prodigieuse,  une  habileté  étonnante  des  difficultés  qu'il  a  trop 
souvent  prodiguées  dans  ses  premiers  ouvrages  »  (i).  De  son  côté  Marpurg  écrivait 
en  1754:  «  Il  ignore  ce  que  c'est  que  la  difficulté;  ses  compositions  sont  assez 
bizarres  et  il  travaille  tous  les  jours  à  les  rendre  plus  bizarres  encore  »  (2). 

Aussi  Fétis  observe-t-il  justement  «  qu'il  se  distinguait  surtout  par  la  dextérité  de 
sa  main  gauche  qui  lui  permettait  de  doigter  des  passages  dont  la  difficulté  rebutait 
ses  contemporains  (3).  Fort  peu  de  violonistes  en  1734,  abstraction  faite  de  Leclair, 
eussent  été  à  même  d'aborder  les  sonates  de  Guillemain. 

Si  la  main  gauche  de  notre  violoniste  s'affirmait  merveilleuse  (il  pratiquait  très 
facilement  Yexiension  du  petit  doigt),  son  archet  devait  être  d'une  extrême  souplesse. 
Nous  en  trouvons  la  preuve  dans  les  nombreux  traits  en  staccato  dont  il  parsème  ses 
compositions,  dans  les  passages  sur  deux  cordes,  qu'il  exécute  fréquemment  et  dans  ses 
dessins  qui  nécessitent  le  saut  d'une  ou  de  deux  cordes,  dessins  analogues  à  ceux  dont 
Tartini  recommande  tout  particulièrement  l'étude  à  ceux  qui  désirent  obtenir  une  par- 
faite légèreté  d'archet  (4). 

Les  6  sonates  en  quatuor  qu'il  a  dédiées  au  duc  de  Chartres  sont  précédées  d'un 
intéressant  avertissement  qui  montre  que  Guillemain  désirait  qu'on  leur  conservât  un 
caractère  de  musique  de  chambre,  et  qu'on  ne  les  fit  pas  exécuter  «  à  grande  sym- 
phonie. »  La  chose,  d'ailleurs,  eût  été  plutôt  difficile,  en  raison  de  la  médiocrité  des 
musiciens  d'orchestre  de  ce  temps,  que  les  traits  de  la  partie  de  violon  en  particulier, 
eussent  probablement  fort  embarrassés.  Nous  citons  ci-après  le  texte  de  Guillemain 
qui  marque  bien  le  style  qu'on  doit  observer  en  jouant  ses  «  quatuors  ». 

a  J'ay  cru  ne  pouvoir  me  dispenser  d'avertir  les  personnes  qui  exécuteront  les 
quatuors  que  pour  les  rendre  dans  leur  vray  goût,  il  ne  faut  sur  chaque  partie  qu'un 
Instrument  et  même  différent,  afin  que  la  propreté  dont  ils  sont  susceptibles  soit  mieux 
entendue  ;  ne  point  trop  presser  les  mouvements,  surtout  pour  les  Allégros,  et  jouer 
les  Arias  sans  lenteur  ;  observer  aussi  de  ne  pas  forcer,  afin  que  chaque  instrument 
puisse  faire  distinguer  la  délicatesse  de  son  exécution  ;  si  l'on  veut  se  servir  du 
clavecin,  il  faut  n'accompagner  que  sur  le  petit  clavier,  et  plaquer  les  acqords  à  l'Ita- 
lienne »  (5). 

Les  «  quatuors  »  avec  clavecin,  de  Guillemain,  sont  donc  bien  des  quatuors  et 
leur  auteur  indique  avec  précision  la  manière  de  les  exécuter  «  dans  leur  vrai 
goût  » . 

Les  conseils  donnés  par  le  violoniste  nous  le  font  voir  minutieux  ^  fignoleur  », 
plus  préoccupé  des  effets  individuels  des  concertants  que  de  l'effet  d'ensemble.  Aussi 
bien,  ses  «  Sonates  en  quatuor  »  consistent-elles  avant  tout  en   Duos  entre  le  violon 


(i)  Ancelet.  Observations  iur  la.  musique  et  les  musiciens,  p.  i$. 
(2^  Marpurg.  Beitrœge  I.  pp.    770-471. 
(3)  Fétis.  Biographie  Universelle.  IV,  p.   159. 

{4)  Cette  curieuse  et  instructive  lettre  est  datée  de  Padoue,  6   mars    1760,  et   adressée  par   Tartini 
son  élève  Maddalena  Lombardini-Sirmen. 
(5)  Avertissement  de  l'œuvre  XII. 


—  49^  — 

et  la  flûte,  instruments  solistes,  que  la  basse  de  viole  et  le  clavecin  accompagnent  dis- 
crètement. 

Dans  les  Pièces  de  Clavecin  en  Sonates,  qu'il  dédie  à  la  marquise  de  Castries- 
Talaru,  son  élève  (i),  Guillemain  donne  au  contraire  au  violon  un  rôle  secondaire  à 
l'exemple  de  ce  qu'avait  déjà  fait  Mondonville  dans  cet  ordre  d'idées.  On  sait,  en 
effet,  que  Mondonville,  lors  de  son  séjour  à  Lille,  avait  publié,  vers  1735  des  «  pièces 
de  clavecin,  avec  accompagnement  de  violon  »  qui  parurent  à  l'époque  une  grande 
nouveauté,  rompant  avec  la  banalité  de  la  Sonate  de  violon  et  basse  continue  (2J. 
Ici,  comme  dans  les  compositions  de  l'auteur  de  Titan  à  V (Aurore,  ce  n'est  point  le 
clavecin  qui  joue  le  rôle  d'accompagnateur,  mais  bien  le  violon  : 

«  Lorsque  j'ai  composé  ces  pièces  en  Sonates,  écrit  Guillemain,  ma  première  idée 
avait  été  de  les  laisser  seulement  pour  clavecin  sans  y  mettre  d'accompagnement,  ayant 
remarqué  souvent  que  le  violon  couvrait  un  peu  trop,  ce  qui  empêche  que  l'on  ne 
distingue  le  véritable  sujet  ;  mais  pour  me  conformer  au  goût  d'à  présent,  j'ai  cru  ne 
pouvoir  me  dispenser  d'ajouter  cette  partie  qui  demande  une  grande  douceur  dans 
l'exécution,  afin  de  laisser  au  clavecin  seul  la  facilité  d'être  entendu  »  (3). 

Si  ces  «  Pièces  en  Sonates  »  n'offrent  pas  un  intérêt  musical  très  considérable, 
en  raison  du  rôle  effacé  qu'y  remplit  le  violon,  occupé  le  plus  souvent  à  doubler  la 
ligne  mélodique  confiée  à  la  main  droite,  elles  présentent  cependant  un  tour  gracieux 
et  alerte.  Elles  offrent  surtout  l'avantage  de  pouvoir  être  immédiatement  exécutées, 
puisqu'il  n'y  a  pas  lieu  de  procéder  à  leur  égard  à  la  réalisation  de  basse  que  nécessi- 
tent les  Sonates  à  violon  seul  et  basse  continue. 

Enfin  leur  dédicace  mérite  de  retenir  un  peu  notre  attention,  car  Guillemain  s'y 
abandonne  à  quelques  déclarations  esthétiques  ;  il  affirme,  en  effet,  que  le  véritable 
succès  d'une  œuvre  musicale  résulte  beaucoup  plus  «  du  goût  que  des  règles  »  ;  et 
que  le  «  charme  qui  fait  la  perfection  de  l'art  échappe  souvent  aux  auteurs  les  plus  ins- 
truits de  l'art  même  ».  (4) 

Mais  nous  avons  hâte  d'en  venir  aux  compositions  où  se  révèlent  les  qualités  les 
plus  caractéristiques  de  son  talent  de  violoniste.  Ces  compositions  constituent  l'œuvre 
XVIII  et  consistent  en  un  Amusement  pour  violon  seul,  suivi  à.Q  Dou^e  Caprices,  écrits 
également  pour  violon  seul.  Evidemment,  Guillemain,  de  par  sa  virtuosité  même,  se 
trouvait  conduit  à  composer  des  œuvres  destinées  au  seul  violon  ;  cet  instrument  pos- 
sédait entre  ses  mains  tant  de  ressources,  il  se  montrait  susceptible  d'une  si  grande  va- 
riété que  le  musicien  ne  put  résister  à  la  tentation  de  prouver  qu'il  savait  se  suffire  à 
lui-même.  Il  y  avait  certes  des  précédents  en  Italie  et  en  Allemagne,  mais  en  France, 
la  littérature  du  violon  n'avait  point  été  orientée  dans  le  sens  auquel  songea 
Guillemain.  (5) 


(i)  Œuvre  XllI. 

(2)  Ces  c<  Pièces  de  clavecin  avec  accompagnement  de  violon  »  sont  l'œuvre  lii  de  Mondonville  qui  les 
dédia  au  duc  de  Boufllers. 

(3)  Avertissement  de  l'œuvre  XIII. 

(4)  Dédicace  de  l'œuvre  XllI  adressée  à  la  marquise  de  Castries-Talaru.  On  peut  constater  que,  comme 
presque  tous  les  musiciens  du  xviir  siècle, Guillemain,  dans  ses  déclarations,  ne  s'attache  qu'au  succès  et  se 
montre  attentif  à  suivre  le  goût  du  public. 

(5)  L'abbé  le  fils  (Joseph-Barnabe  Saint-Séverin,  dit  L'abbé)  né  à  Agen  en  1727  et  qui  fut  l'élève  de 
Leclair,  a  composé  des  pièces  de  violon  qui  rentrent  dans  la  même  esthétique  que  celle  que  Guillemain  ap- 
plique dans  son  Amusement.  Ces  pièces  forment  un  recueil  intitulé  :  Jolis  Airs,  ajustés  et  variés  pour  un 
violon  seul  et  dédié  au  Comte  de  Méry.  La  date  en  est  inconnue  et  il  est  ainsi  malaisé  de  savoir  à  qui,  de 
L'abbé  ou  de  Guillemain,  revient  la  priorité  de  la  composition  d'airs  pour  violon  seul.  L'abbé  est  beaucoup 
moins  virtuose  que  Guillemain. 


—  499  — 

L'Amusement  qu'il  dédie  à  M.  de  Bontemps  (i)  et  qui  paraît  postérieur  à  1760,  se 
compose  d'un  certain  nombre  d'airs  de  différents  auteurs  sur  lesquels  Guillemain  a 
épuisé  son  imagination,  en  les  variant  de  toutes  les  façons  possibles.  En  tête,  nous 
voyons  la  célèbre  Fûrstemherg,  à  laquelle  le  violoniste  adapte  6  variations  dont  plu- 
sieurs témoignent  d'une  grande  ingéniosité,  en  même  temps  qu'elles  sont  la  démons- 
tration de  l'extrême  habileté  technique  de  leur  auteur.  Guillemain  démanche  jusqu'au 
si  à  l'aigu  sur  la  chanterelle,  il  se  livre  à  un  intéressant  travail  d'archet  en  sautant 
deux  cordes  (variation  2)  etc.  Les  pièces  dont  il  se  sert  comme  de  thèmes  sont  en  gé- 
néral fort  courtes  et  plutôt  insignifiantes  ;  tout  l'intérêt  du  recueil  réside  dans  la 
technique  hardie  et  brillante  du  travail  violonistique. 

Nous  en  dirons  autant  des  douze  Capriccios  qui  suivent  l'Amusement.  Ces  Cappric- 
cios  sont  de  brèves  compositions  qui  relèvent  du  style  d'improvisation  ;  écrites  dans 
des  mouvements  vifs  (allegro,  presto,  prestissimo)  pleines  de  rythmes  contrastés  et 
précédées  parfois  de  quelques  mesures  d'allure  lente,  elles  permettent  à  Guillemain 
d'exposer  les  multiples  faces  de  son  talent  de  virtuose.  11  y  a  vraiment  accumulé 
comme  à  plaisir  toutes  les  difficultés  du  violon.  Voici  (mesure  4)  une  pédale  à  l'aigu 
assez  amusante  :  (2) 


Aiiegro. 


Ou  encore  ce  passage  bien  significatif  en  ce  qui  concerne   le   maniement  de  la 
double  corde  et  des  accords  de  3  et  4  notes  :  (3) 


La  légèreté  d'archet  de  Guillemain  se  manifeste  par  la  profusion  de  traits  en  stac- 
cato, etc.,  de  passages  de  cordes  qu'il  entasse  comme  en  vertu  d'une  gageure...;  il  écrit 
«  presto  »  le  trait  suivant  :  (4) 


(1)  Louis-Dominique  Bontemps  était  gouverneur  du  château  des  Tuileries  et  premier  valet  de  chambre 
du  roi. 

(2)  Caf)riccio  IV, 

(3)  Capriccio,  V. 

(4)  Capriccio,   IX. 


—  500  — 


Precîo  segne 


f   f  T   T.  f   r   f 


Quant  aux  arpèges,  il  les  pratique  à  satiété  ;   quelques-uns  apparaissent  fort  dif- 
ficiles, tels  les  deux  spécimens  ci-après  :  (i) 


-*. 


Jà± 


À 


i 


À 


12= 


4:'. 


^^^^^ 


à  1      I     '   '  i.^  i  ^  J  i 


i: 


^^ 


r 


^¥'  is>  ^  '  f 


Nous  pourrions  multiplier  les  exemples  ;  ceux  qui  précèdent  suffisent  pour  don- 
ner une  idée  de  la  virtuosité  de  Guillemain.  En  terminant,  nous  formulons  le  souhait 
que  son  œuvre  si  variée  et  souvent  si  curieuse  par  sa  bizarrerie  même  soit  un  peu  ex- 
plorée par  les  musiciens  qui  s'intéressent  à  la  musique  ancienne.  Jusqu'à  ce  jour,  on 
l'a  laissée  complètement  de  côté,  et  c'est  à  peine  si  le  nom  de  son  auteur  est  connu  de 
quelques  historiens.  Au  point  de  vUé  de  la  technique  du  violon,  Guillemain  peut 
prendre  place  à  côté  de  Jean-Marie  Leclair  qu'il  dépasse  même  quelquefois  en  audace  et 
en  brio.  C'est  peut-être  notre  premier  violoniste  à  panache. 

Lionel  de  la  LAURENCÏE. 


Les  Concours  du  Conservatoire 


11  y  aurait  ample  matière  à  épiloguer  sur  cette  intéressante  matière,  si  tout  n'avait 
été  dit  déjà.  Et  des  esprits  moroses  parlent  de  supprimer  la  publicité  des  concours! 
Ce  serait  dommage.  Cette  foire  aux  potins  et  aux  vanités  est,  après  celle  de  Neuilly, 
là  dernière  fête  du  Paris  qui  boucle  ses  malles  pour  les  vacances,  et  chaque  année  son 
succès  va  grandissant.  Sous  le  prétexte  que  l'incendie  menaçait  la  vieille  salle  du  Con- 
servatoire, où  cependant,  les  jours  de  concert,  une  société  d'élite  continue  à  s'exposer 
aux  pires  catastrophes,  on  avait  obtenu  des  pouvoirs  publics  que  la  salle  de  l'Opéra- 
ComiqUe  prêtât  sa  plus  vaste  enceinte  à  ces  séances  de  lutte  musicale,  et  Voici  qu'a- 
près une  année  d'épreuves  l'Opéra-Comique  est  devenu  trop  petite  Comment  furent 
distribués  les  billets,  je  ne  sais,  mais  les  mécontents  sont  légion.  Tous  ceux  qui  se 
prétendent  des  droits  à  assister  aux  concours  furent,  paraît-il,  sacrifiés,  et  je  me  suis 
laissé  dire  que  la  politique  en  était  cause.  D'ailleurs  que  ne  raconte-t-on  pas  dans 
les  corridors  pendant  les  entr'actes  ?  Si  nous  ramassions,  pour  le  confiera  nos  lecteurs, 


(i)  Capriccios,  VI  et  X. 


—  501  — 

tout  ce  qu'on  y  chuchote  et  aussi  ce  qu'on  y  crie,  nous  serions  traduits  en  correction- 
nelle pour  diffamation.  Devant  une  aussi  grave  éventualité^  nous  ne  commettrons  pas 
la  moindre  indiscrétion,  et  nous  nous  bornerons  à  rapporter  ici  fidèlement  ce  que  sur 
la  scène  nous  avons  vu  et  entendu.  Nous  ferons  d'abord  connaître  le  résultat  de  chaque 
concours,  et  nous  donnerons  notre  impression  sur  chaque  séance  du  mieux  que  des 
notes  prises  rapidement  nous  le  permettront.  Quelques  réflexions  y  trouveront,  à  pro- 
pos des  concurents  ou  des  morceaux  interprétés,  leur  place  toute  naturelle. 

CHANT,    OPÉRA-COMIQUE,   OPÉRA 

CHANT  {hommes) 
T*remiers  prix  :  MM.  Georges  Petit,  Francell. 
"Deuxièmes prix  :  MM.  Nansen,  Sorrèze,  Dupouy. 
Tremiers  accessits  :  MM.  Gilles,  Domnier. 
Deuxièmes  accessits  :  MM.  Vigneau,  Payan,  Tessier,Vaurs. 

M.  Sarraillé  commença  le  feu,  d'une  voix  insuffisante  et  sans  timbre,  par  la  can- 
tilène  de  Polyeucte,  que  devait  bientôt  nous  dire,  mais  avec  un  autre  récitatif  (quel  est 
le  vrai  ?)  M.  Vigneau,  jeune  baryton  qui  sait  chanter,  dire  et  nuancer  et  semble  au 
moins  comprendre  les  paroles  qu'il  prononce.  M.  Teissier  déclama  ensuite  assez  bien 
un  fragment  de  Patrie.  Qu'il  prenne  garde  à  ses  notes  élevées  qui  sont  un  peu  com- 
niunes.  M.  Rigal  chanta  d'une  voix  chevrotante  l'air  de  basse  de  la  Flûte  enchantée.  On 
espérait  mieux  de  lui.  M.  Pérol,  premier  accessit  de  l'an  dernier,  ne  parvint  pas  à 
décrocher  un  prix  avec  les  Indes  galantes  qu'il  nuança  intelligemment,  mais  ert  chan- 
tant par  à-coups  dans  les  passages  de  force.  M,  Domnier,  dans  les  Vêpres  siciliennes 
réclama  son  fils  avec  une  conviction  mélodramatique  dont  le  jury  lui  tint  compte.  Je 
fus  plus  content  de  son  concours  d'opéra  comique.  L'accompagnement  de  ce  morceau 
tragique  de  Verdi  est  la  chose  la  plus  réjouissante  et  sautillante  qu'on  puiâse  imaginer. 
M.  Engels  méritait  quelque  récompense  pour  sa  voix  sonore  et  souple  dans  l'air  de 
Ralph  de  la  Jolie  fille  de  Perth.  M.  Cazeaux  fut  la  première  des  trois  basses  qui  dé- 
ployèrent l'escalier  de  leurs  voix  plus  ou  moins  profondes  moelleuse  et  solides  pour 
nous  faciliter  la  descente  dans  les  caveaux  de  l'Escurial  de  Don  Carlos.  Aucun  n'en  fut 
récompensé.  L'insuccès  de  M.  Clamer  ne  nous  étonna  pas,  mais  MM.  Cazauxet  Meu- 
risse  ont  fait  preuve  de  style  dans  un  morceau  qui  en  manque. 

A  propos  de  cet  air  qui  nous  laissa  comparer  les  qualités  de  ses  trois  interprètes 
successifs,  je  riie  permets  d'ouvrir  une  parenthèse.  Les  voix  des  chanteurs,  hommes  et 
femmes,  sont  classées  suivant  leur  timbre  et  leur  hauteur.  A  chaque  catégorie  corres- 
pond dans  les  œuvres  de  concert  et  de  théâtre  un  emploi  et  un  répertoire  spécial.  Pre- 
nons les  barytons  par  exemple.  Pourquoi  en  dehors  du  morceau  laissé  à  leurchoix,  la 
Direction  n'imposerait-elle  pas  à  tous  les  barytons  un  même  air  qui  serait  comme  une 
pierre  de  touche  sur  laquelle  leur  organe  et  leur  talent  viendraient  faire  leurs  preuves* 
N'en  est-il  pas  ainsi  aux  concours  des  instruments,  et  n'est-ce  pas  beaucoup  plusjuste? 
Dans  le  système  actuel  tel  air  plus  avantageux  met  mieux  en  valeur  les  qualités  d'un 
artiste  que  tel  autre  où  tout  autant  de  talent  fut  dépensé.  Et  l'on  empêcherait  ainsi  la 
tyrannie  des  professeurs  qui,  désireux  de  faire  briller  certains  élèves  au  détriment  de 
certains  autres,  imposent  à  ces  derniers  des  morceaux  dans  lesquels  ils  seront  hioins 
favorisés. 

M.  Sorrèze  avec  l'air  de  Max  du  Freischut^  s'est  montré  en  très  grand  progrès  sUr 
son  concours  précédent.  La  voix  jolie,  bien  timbrée,  a  gagné  de  la  souplesse  et  attei- 
gnit avec  vaillance  les  notes  élevées.  Il  nuança  avec  goût  cet  air  difficile.  M.  Georges 
Petit  est  un  artiste  dans  toute  l'acception  du  mot.  Il  sent  ce  qu'il  interprète  et  il  pos- 


—  5^2  — 

sède  les  moyens  pour  le  rendre.  Il  chanta  T'aulus.  Dans  le  fameux  air  de  don  Qttavio 
de  Don  Juan,  j'ai  préféré  la  vocalisation  de  M.  Francell  à  son  style.  Il  n'a  pas  laissé  à 
la  mélodie  sa  belle  ligne  souple,  et  sa  voix  eut  quelques  sonorités  grêles.  M.  Nansen, 
autre  ténor,  chanta  Stratonice  d'une  voix  jolie,  mais  froide,  et  phrasa  avec  goût. 
M.  Gilles,  les  Indes  Galantes,  conduisit  avec  sûreté  un  organe  d'un  beau  métal.  M. 
Payan,  Judas- Macchabée,  et  M.  Vaurs,  Vision  fugitive  d'Hérodiade,  sont  deux  bons 
élèves  que  couronne  un  second  accessit.  M.  Dupouy,  dans  Elie,  fit  apprécier  sa  bonne 
diction,  sa  voix  sympathique  et  un  juste  sentiment  musical.  M.  Calmette  chanta  Rode- 
linda  de  façon  à  ce  qu'on  le  priât  de  recommencer...  l'année  prochaine  avec  un  air 
moins  ennuyeux. 

CHANT  {Femmes) 

Premiers  prix  :  Mlles  Lamare,    Lasalle,    Martyl. 
Deuxièmes  prix  :  Mlles  Galle,  Bailac,  Delimoges,  Madeski. 
Tremiers  accessits  :  Mlles  Chantai,  Daubigny,  Jeanne  Bloch,  Gustin. 
Deuxièmes  accessits  :  Mlles  Salva,  Le  Senne,  Sylla,  Merlin. 

Je  ne  fâcherai  pas  messieurs  les  chanteurs  si  je  dis  que  le  concours  de  leurs  gra- 
cieuses camarades  fut  plus  agréable  à  voir  et  aussi  à  entendre  que  le  leur.  Il  défila 
devant  nos  yeux  dix-huit  robes  blanches,  deux  noires,  deux  roses,  une  bleue,  une 
grise.  Quelques-unes  sortaient  de  chez  la  bonne  faiseuse,  et  la  plupart  de  ces 
demoiselles  sont  jolies.  Je  ne  les  nommerai  pas,  nous  n'étions  pas  à  un  concours  de 
beautés. 

Mlle  Salva  ouvrit  la  séance  avec  l'air  de  Suzanne  des  Noces  de  Figaro.  La  voix  est 
jolie.  Sur  les  notes  graves  et  aux  fins  de  phrase  elle  prononce  mal  les  r.  De  l'inexpé- 
rience enfin,  mais  pas  autant  que  Mlle  Leblanc  (air  du  premier  acte  dn'Tardon  de 
Tloermel)  qui  a  tout  à  apprendre.  Mlle  Delalozière  chanta  lourdement  l'air  d'Hérodiade 
(contralto^.  Dans  le  récit  de  la  T'rise  de  Troie  Mlle  Madeski  n'eut  pas  l'accent  drama- 
tique qu'exige  cette  scène  de  Cassandre,  mal  choisie  pour  une  épreuve  de  chant.  L'air 
de  César  ne  convenait  pas  mieux  aux  dons  modestes  de  Mlle  AUard.  A  défaut  d'ac- 
cents elle  y  mit  de  l'intention.  On  comptait  beaucoup  sur  Mlle  Lapeyrette  qui  dans 
Baltha^ar  n'a  pas  donné  tout  ce  qu'on  attendait  de  son  talent.  Elle  ne  put  hausser  d'un 
degré  son  second  prix  de  1905.  Dans  la  Belle  Arsène  Mlle  Rosetsky  donna  l'impression 
d'un  art  mécanique  avec  ses  trilles  sans  souplesse  et  ses  vocalises  criées.  Mlle  Merlin 
n'a  pas  tout  à  fait  l'étoflfe  vocale  qui  convient  aux  larges  chants  d'Alceste.  Mlle  Dau- 
bigny la  possède  davantage,  Mlle  Comez,  au  physique  plus  opulent,  n'en  a  pas  le 
style.  Ce  furent  là  des  erreurs  de  leurs  maîtres.  Mlle  Martyl,  la  Création,  de  voix  fraîche 
et  roucoulante,  témoigna,  dans  son  chant  et  dans  ses  vocalises  habiles,  d'un  art  aussi 
séduisant  que  sa  personne.  On  rit  en  voyant  entrer  Mlle  Doublel,  l'air  d'un  bon  gros 
bébé  et  le  public  l'écouta  avec  intérêt  chanter  d'une  petite  voix  espiègle  et  adroite 
le  Billet  de  Loterie.  Pourquoi  ne  fut-elle  pas  récompensée,  alors  que  pour  le  même  air 
Mlle  Jeanne  Bloch  obtenait  un  premier  accessit?  Le  jury  a  sans  doute  pensé  que, 
dans  une  loterie  à  deux  billets,  il  fallait  qu'il  y  eût  un  perdant.  Il  joua  leur  sort  à 
pile  ou  face.  On  ne  peut  accuser  que  le  hasard,  qui  s'en  moque,  ayant  bon  dos.  Mlle 
Galle,  Iphigénie  en  Tauride,  fut  plus  heureuse  dans  son  air  que  dans  le  récitatif.  La  voix 
est  jolie.  Il  n'en  va  pas  de  même  de  celle  de  Mlle  Sylla  (Héraklès)  qui  sembla  creuse. 
Mais  la  chanteuse  se  sert  avec  talent  d'un  organe  un  peu  ingrat.  Quelles  jolies  notes 
claires  a  Mlle  Chantai,  qui  soupira  la  pastorale  de  Judas  Macchabée  !  Son  style  pur,  la 
netteté  de  ses  vocalises,  la  sûreté  de  son  rythme  firent  remarquer  sa  jolie  nature  de 
musicienne.  Mlle  Gustin,  dans  la  Damnation  de  Faw^/,  et  Mlle  Le  Senne,  dans  Sigurd, 
méritèrent  les  accessits  qui  leur  furentdécernés.  MlleThasia  c\ïdintd.\es  Pêcheurs  de  perles. 


—  50?  — 

Mlle  Delimoges  murmura  avec  émotion  les  plaintes  de  Desdémone  dans  Othello.  Elle  fut 
simple  et  touchante.  Mlle  Lasalle  souleva  l'enthousiasme  de  l'auditoire  par  la  façon  dont 
elle  chanta  avec  une  voix  superbe,  triomphant  des  vocalises  habituellement  lourdes  aux 
contralti,  l'air  de  Fidès  du  Prophète.  Elle  y  eut  de  beaux  accents  dramatiques  qui  révé- 
lèrent en  elle  une  artiste  complète.  Mlle  Irma  Ackté  ne  remplacera  jamais  sa  sœur, 
elle  travaille  pour  devenir  contralto,  et  elle  n'est  pas  encore  dans  le  grave  ce  que 
l'aînée  fut  jadis  dans  l'aigu.  Pourtant  il  y  a  une  ressemblance  entre  ces  deux  voix  ; 
c'est  la  même  sonorité  assez  belle,  mais  inexpressive.  Mlle  Lamareosa  chanter  la  Mar- 
guerite  au  T^ouet  de  Schubert  et  en  fut  récompensée  aussi  bien  par  l'auditoire  que  par  le 
jury.  Enfin,  grâce  à  l'initiative  de  M.  Gabriel  Fauré,  on  va  donc  s'apercevoir  dans  les 
classes  de  la  rue  Bergère  qu'à  côté  du  répertoire  théâtral,  et  souvent  au-dessus  de  lui, 
il  existe  toute  une  littérature  ignorée  et  méprisée  d'admirables  lieder  qui  contiennent 
en  une  seule  de  leurs  pages  plus  d'humanité  et  de  rêve  que  n'en  renferment  de  volu- 
mineuses et  vides  partitions.  L'opéra,  ce  n'est  là  qu'un  aspect  de  la  musique,  et  pas 
toujours  le  plus  beau,  ni  le  plus  vivant.  Pourquoi  ne  voit-on  jamais  figurer  l'œuvre  de 
Bach  dans  les  épreuves  de  chant,  plutôt  que  certaines  scènes  que  nous  avons  entendues 
dans  cette  séance  et  qui  auraient  dû  être  plutôt  enseignées  dans  la  classe  d'opéra. 
Croyez-vous  qu'un  jury  intelligent  n'aurait  pas  aussi  bien  découvert  les  mérites  musi- 
caux de  Mlle  Lasalle,  dont  je  ne  veux  nullement  diminuer  le  grand  succès,  si,  au  lieu 
du  monologue  mélodramatique  de  Fidès,  elle  avait  chanté  un  de  ces  émouvants  airs  de 
cantate,  de  la  IMesse  ou  de  la  Tassion  que  le  grand  Cantor  développe  avec  cette  abon- 
dance majestueuse  sous  laquelle  palpite  un  cœur  si  vastement  humain?  Avec  Schubert, 
Mlle  Lamare  a  tenté  l'aventure,  elle  s'y  montra  supérieure,  et  c'est  justice  qu'on  l'ait 
nommée  avant  Mlle  Lasalle,  dont  le  voisinage  fut  peu  favorable  à  Mlle  Bailac  qui 
chanta  le  même  air  du  'Troph'ete  et  put  y  faire  cependant  preuve  d'excellentes  qualités. 

Après  ces  deux  concours  de  chant,  hommes  et  femmes,  les  récompenses  se  répar- 
tissent entre  les  différentes  classes  de  la  façon  suivante  : 

M.  DubuUe  :  un  premier  prix,  M.  Georges  Petit;  3  secondsprix, M. Nansen,  Mlles 
Galle  et  Delimoges. 

Mme  Rose  Caron  :  un  premier  prix,  M.  Francell  ;  2  seconds  prix,  M.  Dupouy, 
Mlle  Madeski  ;  deux  premiers  accessits,  Mlles  Chantai  et  Jeanne  Bloch. 

M.  Cazeneuve  :  deux  premiers  prix,  Mlles  Lamare  et  Lasalle  ;  un  second  prix, 
M.  Sorèze  ;  un  premier  accessit,  M.  Gille  ;  deux  seconds  accessits,  MMles  Le  Senne  et 
Sylla. 

M.  de  Martini  :  un  premier  prix,  Mlle  Martyl  ;  un  premier  accessit,  Mlle  Daubi- 
gny  ;  deux  seconds  accessits,  MM.  Payan  et  Tessier. 

M.  Duvernoy  :  un  second  prix,  Mlle  Bailac  ;  un  premier  accessit,  Mlle  Gustin  ; 
deux  seconds  accessits,  M.  Vigneau,  Mlle  Salva. 

M.  Manoury  :  un  premier  accessit,  M.  Domnier  ;  un  second  accessit  Mlle 
Merlin. 

M.  Lassalle  :  un  second  accessit,  M.  Vaurs. 

Pour  43  concurrents,  le  Jury  décerna  donc  26  récompenses.  Il  se  montra  géné- 
reux et  indulgent. 

OPÉRA-COMiaUE 

HOMMES.  —  Premiers  prix  :  MM.  Francell,  Georges  Petit,  Domnier.  —  Pas  de 
second  prix.  —  Premiers  accesits  :  MM.  Vigneau  et  Nansen.  —  Deuxièmes  accessits  : 
MM.  Sorrèze  et  Payan. 

FEMMES.  —  Premiers  prix  :  Mlles  Lamare  et  Lasalle.  —  Deuxième  prix  :  Mlle 


--  504  — 

Delimoges.  —  Premiers  accessits  :  Mlles  Jeanne  Bloch,  AHard,  Comès.  —  Deuxième 
accessit  :  Mlle  Thasia. 

Pour  15  concurrents,  la  classe  Isnardon  obtient   huit  récompenses  et  la  classe 
Bertin  cinq. 

Cette  séance  fut  dans   son    ensemble   moins  intéressante  que  les  précédentes. 
M.  Payan  chanta  honnêtement  une  scène  de  la  Jolie  fille  de  Pertb  que,   sous  le  nom 
d'air,  nous  avions  déjà  entendue  au  concours  de  chant.  Ceci  vient  à  l'appui  de  ce  que 
j'avançais  plus  haut.  Un  banc,  une  bouteille  à  la  main  de  l'interprète  et  quelques  inu- 
tiles partenaires  différenciaient  ces  deux  épreuves.  M.  Nansen  fut  un  don  José  bien 
timide,  bien  pâle,  j'allais  dire  bien  godiche  auprès  de  Mlle  Lasalle,  plus  experte,  quoi- 
que paraissant  un  peu  fatiguée.  Avec  quelle  joie  on  écouta  les  fragments  de  Gosi  fan 
tutte  où  M.  Sorrèze  ne  donna  pas  à  l'air  du  ténor  la  légèreté  élégante  qu'il  lui   faut. 
11  fut  d'ailleurs  gâté,  cet  air,  par  une  variante  finale  en  voix  de  tête,  due  au  caprice 
sacrilège  de  je  ne  sais  quelle  autorité  en  mal  de  correction.  Cette   musique  est  une 
merveille  d'esprit,  et  autour  de  moi  onregrettaitqu'une  pareille  œuvre  ne  demeurât  pâS 
au  répertoire.  Dans  Don  Juan,  auprès  de  M.  Saraillé,  Don  Juan  vulgaire,  M.  Cazaux  fut 
un  insignifiant  Leporello.  Le  concours  de  Mlle  Thasia,  gentille  petite  Mimi,   donna  à 
M.  Francell  l'occasion  d'une  assez  bonne  réplique  de  la  Fie  de  Bohême.  Mlle  Martyl 
devait  paraître  à  cet  endroit.  Nous  regrettons  que  la  maladie  l'en  ait  empêchée,  sans 
nous  faire  l'écho  de  racontars  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper.  M.  Domnier 
s'est  révélé  très  fin  comédien  et  chanteur  dans  l'Amour  Médecin  et  dans  sa  réplique  du 
Médecin  malgré  lui  dont  M.  Saraillé,  maladroit  et  sans  verve,  nous  fit  suoir  l'épreuve. 
Que  c'est  donc  triste   les  choses  gaies,  quand  on  n'en  peut  pas  rire.  M.  Domnier  sait 
composer  un  rôle,  Mlle  Lamare  et  M.  Georges  Petit  concouraient  ensemble  dans  la 
Tosca.  Le  rôle  dépassait  peut-être  un  peu  les   moyens  vocaux  de  Mlle  Lamare,  mais 
elle  y  fut  dramatique,  M.  Georges  Petit  fut  un  Scarpia  parfait  de  cruauté.  Mais  quelle 
drôle  d'idée  d'aller  choisir  pour  un  concours  de  musique  cette  scène  brutale  où  l'on 
cherche  vainement  la  musique  et  où  le  pauvre  accompagnement   du  piano  fait  mieux 
apercevoir  le  vide  et  la  prétention  d'une  telle  œuvre.  Mlle  AUard  fut  une  toute  petite 
Manon  bien  gentille  et  bien  sage,  et  M.  Nansen   n'en  abusa  pas...  pour  briller  à  ses 
dépens.  Dans  les  Folies  amoureuses  Mlle  Delimoges  prouva  qu'elle  savait  jouer  aussi 
bien  que    chanter,    de  façon  spirituelle.   A  ses  côtés  M.  Vigneau  eut  beaucoup  de 
succès.  Mlle  Lasalle  dépensa  de  belles  notes  graves    et  émues  pour  la  Charlotte  de 
IVerther,   dont  elle  interpréta  la  scène   des  lettres  en  artiste  sûre  de  son  efiîet  sur  le 
public.  M.  Francell   a  de  la  chance.  Pour  remplacer  Mlle  Martyl  malade,  Mme  Mar- 
guerite Carré,  Manon  parfaite,  se  présente,  et  le  voilà  du  coup  fort  aidé  dans  la  vic- 
toire. Il  fut  un  charmant  Des  Grieux,   connaissant  déjà  les  ficelles  du  métier  et  s'en 
servant  avec  adresse.  Mme  Carré  fut  chaleureusement  applaudie.  On  m'assure  qu'à  la 
suite  Je  cette  audition  au  pied  levé   elle  a  renouvelé  son  engagement  avec  le  directeur 
de  rOpéra-Comique.  Mlle  Comez  obtint  ensuite  un  très  grand  succès  non  pas  tant 
pour  la  façon  vulgaire  dont  elle  fut  Carmen  que  pour  la  manière  dont  elle  accueillit  la 
récompense  que  lui  avait  décerné  un  jury  indulgent.  Les  poings  sur  les  hanches,  elle 
se  campa  au  bord  de  la  rampe  et  foudroya  ses  juges  d'un  regard  mauvais  dont  ils  ont 
beaucoup  ri,  ainsi  que  le  public.  Sans  le  dévouement  d'une  camarade  qui  vint  l'arra- 
cher à  cette  immobiHté  ridicule  et  provocante,  elle  serait  restée  ainsi  les  vingt-quatre 
heures  pendant  lesquelles  tout  condamné  a,  paraît-il,  le   droit  de  maudire  ses  juges. 
LcT^réaux  C/erw,  concours  honorable  de  Mlle  Jeanne  Bloch,  fournit   à   M.  Francell 
l'occasion  d'une  très  intelligente  réplique  de  Piffarelli.  Et  les  Noces  de  Figaro^  qui  ne 
permettaient  guère  à  M.  Vigneau  de  tirer  son  épingle  du  jeu  au  milieu  de  tous  les  per- 


—  505  — 

sonnages  et  dans  les  ensembles,  mais  où  il  tint  fort  bien  sa  partie,  terminèrent  cette 
séance  avec  de  la  vraie  musique.  Mozart  eut  tout  le  succès  de  la  journée...  Pardon, 
j'oubliais  Mlle  Comès. 

OPÉRA 

HOMMES.  —  'Premier  prix  :  M.  Carbelly.  — Seconds  prix  ;  MM.  Meurisse,  Nan- 
sen,  Sorrèze.  —  "Tremiers  accessits  :  MM.  Dupouy,  Pérol,  Payan.  —  Seconds  accessits  : 
MM.  Teissier,  Gilles. 

FEMMES.  —  T^remier  prix  :  Mlle  Lamare.  —  Second  prix  :  Mlle  Bailac.  —  T^re- 
miers  accessits  :  Mlles  Madeski,  Daubigny.  —  Seconds  accessits  :  Mlles  Galle,  Le 
Senne. 

A  propos  de  Mlle  Gustin,  belle  personne  richement  costumée  (Amnéris  d'iÂïdà), 
je  voudrais  bien  être  tiré  d'incertitude.  Chez  son  professeur  de  chant,  elle  concourt  avec 
la  Damnation  de  Faust  dont  la  Marguerite  est  habituellement  confiée  à  un  soprano 
dramatique,  et  dans  la  classe  d'opéra  le  professeur  en  fait  un  contralto.  Le  jury  m'a 
semblé  trancher  le  différent,  puis  qu'il  récompensa  Mlle  Gustin  au  concours  de  chant, 
et  ne  lui  donna  rien  en  opéra.  Pour  être  juste  je  dois  reconnaître  que  Mlle  Gustin  con- 
duisit bien  sa  voix  et  chanta  avec  goût.  Mais  si  les  notes  élevées  ont  de  l'éclat,  le  grave 
est  faible  et  sourd.  M.  Clamer  renonça  à  se  faire  entendre,  préférant  sans  doute 
attendre  l'année  prochaine  où  il  se  sentira  plus  sûr  de  lui.  Mlle  Le  Senne,  qui 
donna  ensuite  une  excellente  réplique  des  Huguenots,  montra  des  qualités  vocales  et  dra- 
matiques dans  Salammbô.  Elle  a  une  prédilection  pour  l'œuvre  de  Reyer  qui  lui  porta  du 
reste  bonheur.  Sous  son  voile  léger  M.  Sorrèze  la  seconda  vaillamment.  L'épreuve  de 
Mlle  Irma  Ackté  nous  a  paru  prématurée.  Cette  jeune  fille  n'était  à  aucun  point  de 
vue  préparée  pour  affronter  dans  Orphée  unjury  qu'elle  ne  dompta, pas  par  ses  accents. 
M.  Payan  fut  un  excellent  frère  Laurent  de  Roméo  et  Juliette.  Il  bénit  avec  onction  et 
une  voix  sympathique  Mlle  Daubigny,  et  M.  Sorrège,  ténor  infatigable  qui  devait 
bientôt  se  marier  une  seconde  fois  dans  les  Huguenots  et  tuer  sa  femme  dans  Othello, 
et  je  ne  parle  pas  de  tous  les  autres  amours  dont  il  fut  le  héros  triomphant  en  cette 
séance.  Mlle  Galle  et  M.  Teissier  concouraient  ensemble  dans  iÂïda,  elle  Aida,  lui 
Amonastro.  Elle  n'y  brilla  guère,  il  y  montra  de  la  voix.  M.  Gilles  fut  un  bon  Guil- 
laume Tell.  Avec  du  travail  Mlle  Galle,  MM.  Teissier  et  Gilles  peuvent  être  plus  heu- 
reux en  de  prochaines  épreuves.  Mlle  Lapeyrette  nous  a  dans  les  Troyens  complète- 
ment déçus.  Est-ce  fatigue,  nervosité,  émotion  ?  La  voix  fut  sèche,  inégale,  et  la  mi- 
mique parut  exagérée.  Mais  aussi  quelles  pages  ennuyeuses  que  celles  où  la  pauvre 
Didon  nous  apprend  que  5a  carrière  est  finie.  Mlle  Daubigny,  dans  le  Cid,  fit  preuve  de 
qualités  dramatiques  servies  par  une  jolie  voix.  Le  Mefistofele  de  Boïto  réunissait  les 
concours  de  Mlle  Lamare  et  de  M.  Nansen.  Elle  y  triompha,  il  n'y  fut  qu'agréable, 
Mlle  Lamare  sort  cette  année  de  ses  classes,  avec  ses  trois  beaux  premiers  prix,  non 
pas  comme  une  bonne  élève,  mais  comme  une  artiste  distinguée  à  qui  tous  les  succès 
peuvent  être  prédits.  Elle  sait  chanter,  elle  sait  jouer,  elle  sait  vivre  un  rôle.  11  ne  lui 
manque  plus  qu'un  théâtre  pour  employer  ses  heureux  dons.  Mais,  malgré  le  talent 
si  émouvant  de  Mlle  Lamare,  et  la  voix  charmante  de  M.  Nansen,  combien  cette 
œuvre  de  Boïto,  que  j'ai  jadis  aimée,  m'a  semblé  surannée  et  peu  sincère.  Il  y  a  des 
choses  sur  le  souvenir  desquelles  il  vaudrait  mieUx  rester.  La  voix  de  Mlle  Delalozière  fut 
mal  assurée  dans  le  duo  de  Samson  et  Dalila  qu'une  erreur  de  M.  Sorrèze  termina  en 
déroute.  Encore  deux  concurrents  dans  la  même  scène  d'Hamlet,  Mlle  Madeski  et 
M.  Dupouy.  Mlle  Madeski  n'a  pas  l'autorité  qn'exige  le  personnage  de  la  reine,  et  son 
organe  est  un  peu  clair  pour  ses  dramatiques  accents.  Mais  jeunesse  est  un  défaut  qui 
passe  vite.  M.  Dupouy  a  la  voix  bonne,  il  nuance  avec  justesse  et  joue  sobrement.  Il 


_rt    506    

y  a  en  lui  la  promesse  de  plus  hautes  récompenses.  M.  Meurisse  avait  été  oublié  par 
le  jury  du  concours  de  chant,  son  second  prix  d'opéra  a  réparé  cette  erreur.  Dans  le 
rôle  de  Marcel  des  Huguenots  la  scène,  qu'en  argot  théâtral  on  appelle  le  mariage  à  la 
clarinette,  permit  à  sa  belle  voix  de  basse  de  sonner  de  toute  son  ampleur  homogène. 
Mllq  Bailac,  jolie  Dalila,  composa  fort  intelligemment  son  rôle  et  mit  beaucoup  de 
séduction  dans  les  intonations  d'une  voix  qui  manque  de  volume.  M.  Nansen,  Samson 
immobile  et  impassible,  soupira  avec  plus  de  charme  que  de  vaillance.  Ce  n'est  pas  à 
M.  Sorrèze,  bouillant  Othello,  qu'on  peut  adresser  ce  reproche.  La  façon  emportée 
dont  il  chanta  ce  rôle,  la  vigueur  de  ses  notes  hautes  bien  claironnantes,  l'endurance 
dont  il  témoigna  en  donnant  ce  même  jour  cinq  répliques  importantes,  rendirent  sen- 
sible l'erreur  de  ceux  qui  le  firent  travailler  et  concourir  en  opéra-comique.  M.  Sorrèze 
est  un  fort  ténor  à  qui  il  reste  encore  à  apprendre,  mais  ce  second  prix,  qui  lui  trace 
désormais  sa  voie,  doit  lui  donner  pleine  confiance  en  l'avenir.  Dans  l'Attaque  du  Mou- 
lin, iVl.  Pérol.  premier  accessit  seulement,  obtint  auprès  du  public  beaucoup  de  succès 
pour  son  chant  chaleureux  et  émouvant.  Les  pages  d'Alfred  Bruneau,  toute  vibrantes 
de  passion  et  d'un  sentiment  si  poignant,  ranimèrent  notre  attention  qui  sommeillait 
un  peu  à  cette  fin  de  concours.  M.  Carbelly,  dernier  concurrent,  la  tint  en  éveil  jus- 
qu'au bout.  Personne  n'ignore  qu'il  étaii  le  favori.  On  l'acclama  dans  RigoJetio,  et  ce 
fut  justice.  L'année  dernière  je  le  trouvais  tout  aussi  à  point  que  cette  année  pour  la 
carrière  théâtrale  qui  s'ouvre  devant  lui.  Dix  mois  de  classe  ne  lui  ont  rien  donné  de 
plus.  Le  tempérament  se  trouve  souvent  à  l'étroit  entre  les  murs  de  l'enseignement 
officiel. 

Et  ce  fut  par  une  belle  manifestation  que  se  terminèrent  ces  quatre  journées  de 
concours  lyriques  pendant  lesquels,  à  côté  de  quelques  élèves  insuffisamment  prépa- 
rés ou  impropres  à  la  tâche  à  laquelle  on  eut  le  tort  de  les  laisser  inutilement  se  vouer, 
au  milieu  de  ceux  et  de  celles  dons  nous  espérons  la  réussite  prochaine,  se  sont  ré- 
vélés des  artistes  comme  Mlles  Lamare  et  Lasalle,  MM.  Carbelly  et  Georges  Petit  à 
qui  nous  souhaitons  dans  la  carrière  théâtrale  tout  le  succès  que  méritent  leurs  belles 
qualités. 


Victor  DEBAY. 


HARPE  -  PIANO 

HARPE    CHROMATIQUE 
Professeur  :  Mme  Tassu-Spencer 
Pas  de  premier  prix. 

Deuxièmes  prix.  —  Mlles  Labatut  et  Chalot. 
Premier  accessit.  —  Mlle  Goudekett. 

HARPE  A   PÉDALES 
Professeur  :  M.  A.  Hasselmans 
Premier  prix,  à  l'unanimité.  —  Mlles  Janet  et  Laskine. 
Deuxièmes  prix.  —  Mlles  Delgado-Perez,  et  Bazelaire. 
Premier  accessit.  —  Mlles  Laggé  et  Chaumeil, 

PIANO  (Hommes) 
Professeurs  :  MM.  Diémer  et  I.  Philipp. 

Premier  prix.  —  MM.  Frey,  Pierrefitte,  Dorival  et  Lattes. 
Deuxième  prix.  —  MM.  Nat,  Gayraud,  Polleri. 
Premier  accessit.  —  MM.  Poillot,  Gallou. 
Deuxième  accessit.  —  MM.  Gantlett,  Ehrard. 


—  507  — 

PIANO  (Femmes) 
Premiers  prix.  —  Mlles  Le  Son,  Vendeur  et  Léon. 

Deuxièmes  prix.  —  Mlles  Lefebvre  Gelibert,  Villemin,  Beuzon,  Clapisson, 
Weil. 

Premiers  accessits.  — Mlles  Pennequin,  Boucheron,  Bouvaist. 
Deuxièmes  accessits.  —  Mlles  Chassaing,  Marx,  Abadie,  Chardard,  Piltan, 

La  matinée  du  21  juillet,  jour  de  Sabbat,  était  réservée  à  la  harpe,  qui  nous  vient 
de  David.  Par  bonheur  le  sexe  laid  ne  prenait  nulle  part  à  ce  concours  dont  le  moindre 
smoking  eût  rompu  le  charme,  et  si  nos  oreilles  furent  parfois  affligées  d'étranges 
douleurs,  la  courbe  mélodieuse  des  bras  nus,  les  convulsions  serpentines  des  doigts, 
évocatrices  de  quelque  pantomime  cambodgienne  et  l'harmonieuse  irisation  des  mous- 
selines palpitantes  chantèrent  à  nos  yeux  la  plus  délicieuse  chanson  de  gestes  qu'ils 
aient  jamais  recueillie.  Et  ce  fut,  je  crois,  une  erreur  des  juges  que  de  ne  pas  rêver  à 
la  fois,  avec  toute  l'absurdité  désirable,  qu'ils  étaient  l'Aréopage  et  que  l'Opéra- 
Comique  jouait  Thryné.  Car  ils  eussent  accordé  aux  douzes  rivales  douze  récompenses 
tandis  qu'il  se  trouva  dans  le  groupe  savamment  dirigé  par  Mme  Tassu-Spencer  quel- 
ques victimes  dont  MM.  Paul  et  Lucien  Hillemacher  ne  se  pardonneront  pas,  je  l'es- 
père, d'avoir  fait  couler  les  larmes. 

La  Fantaisie  de  concert  issue  de  leur  collaboration,  débute  par  une  introduction  en 
si  bémol  mineur  dont  il  est  logique  d'attribuer  la  paternité  au  cadet  tandis  que  le  grand 
frère  officia  en  ré  bémol  majeur.  Or  quand  on  prend  du  chromatique  on  n'en  saurait 
trop  prendre  et  je  n'essaierai  pas  de  décrire  ici  les  péripéties  de  ces  courses  acci- 
dentées, parmi  les  gammes  tortueuses,  les  arpèges  stylisés  et  les  embûches  de  lenhar- 
monie,  à  la  conquête  d'un  prix.  Assurément  quelqu'une  de  ces  jeunes  filles  eût 
triomphé  sans  la  perfidie  d'un  morceau  de  lecture  à  vue  où  MM.  Hillemacher  avaient 
introduit  des  successions  de  septièmes  assez  usuelles  et  aisément  intelligibles  mais 
suspectes  néanmoins  à  l'innocence  des  candidates.  Nous  y  avons  gagné  d'éviter  la 
monotonie  des  redites  et  d'entendre  en  réalité  non  pas  un  mais  six  morceaux  où  il  y 
avait  quelquefois  de  jolies  trouvailles  d'improvisation.  Et  le  jury,  les  yeux  clos,  n'a 
dispensé  que  deux  seconds  prix  à  MMlles  Labatut  et  Chalot  et  un  second  accessit  à 
Mlle  Goudeket.  Je  suppose  que  pour  dédommager  les  autres  MM.  Hillemacher  leur 
ont  donné  le  Drac.  C'est  un  cadeau  dont  elles  se  seraient  privées  assez  volontiers, 
notamment  Mlle  Blot,  lauréate  brillante  du  dernier  concours  et  pour  qui  le  sort  fut 
cette  fois  injustement  cruel. 

La  classe  Hasselmans  dut-elle  un  peu  de  son  magnifique  succès  à  la  modération 
de  Karl  Zabel  dont  les  Ballades  n'ont  jamais  prétendu  rénover  la  musique,  et  à  la 
paternelle  bienveillance  de  M.  Lavignac,  qui  ne  voulut  pas  faire  rougir  de  gracieux 
visages  sous  la  honte  d'une  humiliation  ?Je  ne  saurais  l'affirmer;  j'aime  mieux  louer 
de  suite  et  sans  réserve  la  virtuosité  sûre  et  brillante  des  élèves,  et  l'enseignement 
du  maître  qui  vit  élire  toutes  celles  qu'il  avait  appelées  et  décerner  deux  premiers 
prix  à  Mlles  janet  et  Laskine,  deux  seconds  prix  à  Mlles  Delgado  et  Ba^elaire  et  deux 
premiers  accessits  à  Mlles  Laggi  et  Chamneil,  cette  dernière  un  peu  frisottante,  pour 
parler  l'argot  des  harpistes.  C'est  là  un  défaut  que  je  lui  pardonne  et  que  je  voudrais 

que  l'on  pût  encore  me  reprocher. 

* 
•  » 

Sur  le  coup  de  deux  heures,  nous  vîmes  revenir, après  un  déjeuner  hâtif,  MM.  La- 
vignac, Veronge  de  la  Nux,  Harold  Bauer,  retour  d'exil,  Bruneau,  Mark  Hambourg, 
Merloo,  Pfeiffer,  P.  Hillemacher,  Guilmant,  Albeniz,  cher  à  Vinès  et  aux  de  Castéra, 
Jean  Risler  et  l'archange  Gabriel,  terriblement  las,  je  le  crains,  et  qui  soupire  comme 


—  5o8  — 

nous  après  le  Soir  et  la  Forêt  de  Septembre.  Il  y  avait  un  peu  de  tout  dans  ce  jury, 
même  des  pianistes.  A  la  vérité,  je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  déplorent  le  défaut  de 
signification  technique  des  deux  dernières  parties  de  la  Sonate  en  fa  mineur  de  Beetho- 
ven, dite  Appassionata.  Le  hinal  en  dehors  des  réelles  difficultés  qu'il  offre  aux  doigts 
non  encore  doués  d'une  indépendance,  d'une  égalité  et  d'une  prestesse  absolue,  ou  au 
poignet  qui  ne  serait  pas  rompu  au  staccato  le  plus  rapide,  exige  à  mon  sens  une  telle 
maîtrise  de  virtuosité  qu'il  vaut  moins  par  celle  que  l'on  y  peut  mettre,  que  par  celle 
dont  on  doit  se  garder.  Et  c'est  là,  à  mon  humble  avis,  le  comble  de  l'art.  Ne  se 
plaint-on  pas  d'ordinaire  que  les  instrumentistes  en  soient  réduits  à  exhiber  leurs 
muscles  sans  pouvoir  faire  preuve  de  quelque  tempérament  dans  l'exécution  des  bana- 
lités prétentieuses  auxquelles  on  les  condamne?  11  est  donc  intéressant  de  noter  que, 
à  part  M.  Frey,  pas  un  seul  de  ces  jeunes  gens  ne  se  sentit  frappé  de  je  ne  sais  quelle 
terreur  religieuse  aux  seuils  de  cet  Andante  dont  nul  ne  touchera  peut-être  jamais  le 
fond  et  de  cet  Allegro  on  se  prépare  sourdement  et  mystérieusement  la  plus  formi- 
dable des  explosions.  Qui  donc  osa  s'appesantir  sur  ces  syncopes  haletantes  et  lourdes 
à  se  mouvoir  et  qui  donc  vit  autre  chose  dans  la  variation  en  triples  croches  qu'un 
prétexte  à  fioritures  légères  ?  Qui  donc  aussi  osa  se  recueillir  en  suivant  le  mouve- 
ment méditatif  de  Risler  (80-84  à  la  noire)  où  ceux-là  seuls  dont  l'âme  recèle  des  tré- 
sors de  sensibilité  et  d'ardeur  expansive  ne  succombent  pas  ?  Qui  donc  nous  épargna 
le  contre-sens  grossier  d'un  vertigineux  emballement  au  début  de  l'allégro  et  qui  donc 
enfin  sentit  tout  ce  qui  gronde  et  tout  ce  qui  s'amasse  lentement,  silencieusement,  de 
force  menaçante  dans  ces  quatre  accords  étages  sur  une  pédale  d'ut  et  d'où  jaillit  la 
foudre  ?  A  tout  prendre  ce  genre  d'épreuves  est  plus  clairement  révélateur  qu'un  exer- 
cice de  steeple  agrémenté  de  chutes  retentissantes.  Non  !  Nous  ne  serons  pas  forcés  de 
choisir  entre  la  musique  et  l'acrobatie,  ni  même  de  revenir  au  séduisant  dédoublement 
inventé  par  M.  Théodore  Dubois  et  qui  avait  le  défaut  d'être  spécial  au  piano.  L'œuvre 
de  Beethoven,  de  Liszt,  de  Schumann,  de  Chopin  et  de  tant  d'autres  est  inépuisable  et 
peut  satisfaire  à  toutes  les  exigences.  A  quand  la  terrible  106  ou  même  l'enivrante 
hlaniey  ? 

Je  viens  de  nommer  M.  Frey  qu'il  faut  véritablement  mettre  hors  de  pair  et  en 
qui  nous  avons  cru  reconnaître  une  «  nature  ».  D'ailleurs  il  a  le  masque  beethovénien 
et  il  n'est  pas  le  seul,  mais  un  peu  de  l'esprit  du  dieu  s'y  reflète.  Il  a  partagé  le  premier 
prix  avec  MM.  Pierfitte  et  Lattes,  élèves  comme  lui  de  la  classe  Diémer  et  avec  M. 
Dorival,  de  la  classe  Philipp,  qui  possède  un  mécanisme  aisé,  clair  et  élégant.  Trois 
seconds  prix  échurent  à  MM.  Polleri  (classe  Philipp),  Nat  (classe  Diémer)  et  Gayraud 
(classe  Philipp),  enfin  quatre  accessits,  deux  premiers  et  deux  seconds,  récompen- 
sèrent MM,  Poillot  et  Gallon  (classe  Philipp),  Ehrard  (classe  Diémer)  et  Gauntlett 
(classe  Philipp), 

M.  Camille  Chevillard  avait  écrit  le  morceau  de  lecture  à  vue.  Son  inspiration 
s'épancha  sous  la  forrne  d'un  Andante  en  mi  bémol,  à  trois  temps,  sans  piège  de  rythme 
ou  de  mesure,  mais  semé  vers  le  milieu  de  progressions  sournoises  et  piqué  de  savou- 
reuses apoggiatures.  M,  Frey  nous  révéla  la  sûreté  de  son  intuition  en  s'aventurant 
dans  cette  trop  courte  page  avant  que  M.  Fauré  ne  lui  ait  dicté  le  mouvement  de  l'au- 
teur. Il  tomba  juste.  Après  lui  MM.  Nat,  Lattes,  Verd  et  Gallon  déchifi'rèrent  sans 
infortune  et  même  avec  quelque  agrément. 


Le  26  juillet,  vingt-six  jeunes  personnes,  majeures  de  treize  ans,  s'attaquèrent 
aux  Etudes  symphoniques  de  Schumann,  sous  les  yeux  de  MM.  Fauré,  de  Bériot,  Pugno, 
Vidal,  Risler,  Albeniz,    Bauer,  Cortot,  Riera,  Braud,   Staub,  Chansarel,    Bernheim, 


—  509  — 

d'Estournelles  de  Constant  et  Bourgeat.  Je  pense  que  l'administration  voulut  bien 
moins  éprouver  la  valeur  de  ses  pupilles  que  la  résistance  de  l'auditoire  et  je  confesse, 
sans  fausse  pudeur,  ma  défaite.  M.  Octave  Mirbeau  a-t-il  pu,  dans  ce  Jardin  des  Sup- 
plices où  il  enseigne  que  la  volupté  donne  la  plus  affreuse  mort,  oublier  la  torture  par 
la  musique,  par  la  musique  des  confidences  troublantes,  des  caresses  douloureuses  et 
de  l'angoisse  hallucinée  dont  chaque  note,  dont  chaque  rythme  fait  se  crisper  les  nerfs 
à  vif,  sous  la  morsure  d'un  archet  infernal  ?  Et  si  des  Esseintes,  ivre  de  la  symphonie 
de  ses  liqueurs,  est  mûr  pour  quelque  cure  prolongée  à  Evian,  on  nous  pardonnera 
d'avoir  tremblé,  à  toute  apparition  nouvelle,  devant  le  retour  périodique  de  ces  sensa- 
tions aiguës  qui  chavirent  d'abord  toutl'être,  et  d'avoir  presque  regretté,  sinon  lestrente- 
trois  auditions  successives  du  Concerto  de  Vieuxtemps,  du  moins  le  repos  de  quelque 
poncif  élégant,  de  quelque  développement  morphologique  qui  rende  à  notre  cerveau  sa 
lucidité  et  la  paix  à  notre  cœur. 

Chères  et  admirables  Etudes  symphoniques  !  Avoir  tant  souffert  par  vous  !  11  est 
vrai  que  vous  souffrîtes  un  peu  par  elles,  par  ces  enfants  trop  fragiles  pour  soutenir 
le  fardeau  des  joies  et  des  peines  que  vous  chantez.  Pourquoi  n'avoir  pas  confié  à  la 
vigueur  masculine  et  aux  larges  mains  l'interprétation  de  ces  pages  d'où  les  traits 
usuels  sont  à  peu  près  entièrement  bannis,  mais  qui  exigent,  selon  la  technique  du 
piano  moderne,  préparé  par  l'œuvre  colossal  de  Bach  et  de  Beethoven,  une  in- 
croyable dépense  d'énergie,  une  amplitude  dans  le  jeu,  une  variété  de  toucher,  une 
sûreté  d'attaque  et  un  sens  de  l'expression  polymélodique  trop  rares.  D'ailleurs,  cette 
fois  encore,  il  n'importe.  11  faut  regarder  toujours  plus  haut,  toujours  trop  haut  et 
celles  qui  ont  conquis  la  cime  ignorent  le  bonheur  que  je  leur  dois.  Chez  elles  nulle 
virtuosité  superflue,  nulle  précipitation,  nulle  trace  de  ce  rubato  qui  fleurit  dans  les 
ateliers  de  couture,  mais  une  émotion  chaleureuse,  un  puissant  instinct  des  rythmes 
schumanniens  et  la  volonté  ferme  de  nous  en  imposer  la  loi. 

C'est  par  de  telles  qualités  que  Mlles  Le  Son  et  Léon  s'imposèrent  à  notre  at- 
tention et  méritèrent  un  premier  prix  dont  Mlle  Vendeur  partagea  la  gloire  avec  elles. 
Les  deux  premières  avaient  reçu  les  leçons  de  M.  Marmontel  et  la  troisième  celles  de 
M.  Delaborde. 

Six  seconds  prix  réjouirent  Mlles  Lefebvre  (classe  Marmontel),  Gelibert  et 
Willemin  (classe  Delaborde),  Beuzon,  Clapisson  et  Weil  (classe  Duvernoy). 

Trois  premiers  accessits  :  Mlles  Hennequin  (classe  Duvernoy),  Boucheron  et 
Bouvaist  (classe  Marmontel). 

Enfin  six  seconds  accessits  :  Mlles  Chassaing  (classe  Marmontel),  Marx,  Abadie, 
Landsmann,  Chardard  et  Piltan  (classe  Delaborde). 

J'avais  essentiellement  noté  au  passage  Mlles  Le  Son  et  Léon,  ainsi  que  Mlle  Debrie, 
dont  l'interprétation  fut  originale  et  vibrante,  mais  qui  ne  pouvait  prétendre  qu'à  un 
premier  prix,  Mlles  Gellibert  et  Clapisson,  Mlle  Boucheron,  pleine  de  charme 
et  Mlle  Chassaing.  Je  ne  veux  pas  scruter  et  comparer  ici,  sur  la  foi  d'un  tel  concours, 
les  doctrines  dont  les  candidates  reçoivent  l'impulsion.  Mais  il  me  parut,  à  certaines 
particularités  de  style,  que  quelques-unes  d'entre  elles  avaient  été  frappées  véritable- 
ment de  la  grâce  d'en  haut,  influence  secrète  que  trahissaient  la  délicatesse  et  la 
couleur  sonore  avec  laquelle  elles  nuancèrent  le  dialogue  en  sol  diè:(e  mineur,  où 
s'ébauche,  sur  les  premières  notes  de  la  mélodie  proposée  à  Schumann,  un  canon  exquis, 
ou  bien  encore  le  tact  qui  leur  fit  mettre  en  pleine  lumière  le  thème,  alors  qu'il  sert 
de  basse  au  plus  pathétique  des  contre-sujets,  enfin  leur  discipline  rythmique  dans  ce 
final  têtu  sur  lequel  plus  d'une  glissa  légèrement  et  fugitivement  sans  appuyer. 

On  s'étonne  un  peu  de  certaines  hérésies,  mais  l'on  ne  s'étonne  pas  du  vilain  tour 
que,  l'émotion  aidant,  k  morceau  de  lecture  à  vue  de  M.  Paul  Vidal  joua  à  ces  pauvres 


—  510  — 

brebis  égarées  parmi  les  bémols  et  les  dièzes.  C'était  un  Andante  k  six-huit,  en  mi  ma- 
jeur, aux  rythmes  savamment  balancés,  coupé  de  périodes  chromatiques  et  modu- 
lant d'ailleurs  d'une  façon  fort  logique  et  tonale  mais  tout  de  même  imprévue,  qui 
dérangea  l'équilibre  de  tant  de  labeurs  et  promena  péniblement,  dans  les  tons  péril- 
leux aux  doigts  d'ut  dièze  et  de  sol  dièze  mineur,  des  mains  hésitantes  et  menues.  Je 
ne  puis  que  rappeler  les  très  heureux  efforts  de  Mlles  Le  Son  et  Léon,  de  Mlle  Clapis- 
son,  de  Mlle  Chassaing  en  qui  se  devine  une  musicienne  qui  sait  où  elle  va  et  qui  ira 
loin,  de  Mlles  Debrie  et  Abadie,  tout  en  exprimant  le  regret  que  Mlles  Sakoff-Grun- 
waldt  et  Delavrancea,  par  exemple,  aient  succombé  dans  cette  entreprise.  Je  leur 
souhaite  pour  l'année  prochaine  un  destin  plus  favorable  et  je  nous  souhaite,  à  nous, 
la  journée  de  huit  heures  coupée  par  un  lunch  copieux  (ne  sommes-nous  pas  sortis  de  la 
salle  Favart  à  huit  heures  et  demie  passées),  je  nous  souhaite  dis-je,  des  programmes 
plus  explicites  quant  à  la  répartition  des  élèves  dans  les  classes,  l'affichage  de 
la  liste  des  jurés  et  la  proclamation  des  résultats  en  caractères  lumineux  au  frontispice 
de  l'Opéra-Comique,  tout  ceci  pour  le  repos  d'une  critique  ambulante  et  surmenée  qui 
voudrait  pouvoir  mêler  encore  en  actions  de  grâces  à  sa  prière  du  soir  le  nom  de 

M.  Fauré. 

Paul  LOCARD. 

VIOLON 

Premiers  prix.  —  M.  Zighera,  Mlles  Renée  Billard,  Baudot,  Lapié,  Hélène  Mor- 
hange,  M.  Matignon. 

Deuxièmes  prix.  — Mlles  Novi,  Sauvaistre,  MM.  Michelon,  Etchécopar,  Mlle  Au- 
gérias. 

Premiers  accessits.  —  MM.  Spathy,  Thilot,  Soudant,  Mlles  Hélène  Wolff, 
Pierre. 

Deuxièmes  accessits.  —  Mlle  Fidide,  M.  Caruette,  Mlles  de  la  Hardrouyère,  Des- 
champs, Tulluel,  Neuburger. 

Trente -trois  fois  de  suite  le  jury  et  le  public  entendirent  le  premier  morceau  du 
Cinquième  Concerto  de  Vieuxtemps.  Vingt-deux  candidats  ont  été  récompensés  :  tous 
ont  joué  de  façon  au  moins  honorable  et  suffisante,  tous  ou  presque  tous  se  sont  tirés 
sans  anicroche  notable  de  la  page  à  déchiffrer  élégante  et  facile  due  à  M.  George 
Marty. 

Le  jury  n'a  pas  décerné  moins  de  six  premiers  prix,  tous  mérités  du  reste  ;  mais 
il  m'est  bien  difficile  dans  ces  conditions  de  louer  comme  je  voudrais  les  heureux  lau- 
réats de  cette  journée.  Je  tiens  cependant  à  signaler  M.  Zighera,  véritable  artiste  qui 
dépassade  beaucoup  tousses  camarades,  et  Mlle  Billard  qui  racheta  par  avance  quel- 
ques hésitations  dans  la  lecture  à  vue,  par  une  exécution  magistrale  du  concerto. 
Peut-être  pourrait-on  adresser  quelques  critiques  de  détails  à  ce  jury  si  justement  gé- 
néreux; beaucoup  trouvèrent  que  le  jeu  très  correct,  très  ferme  et  très  sûr  de  Mlle 
Pierre  méritait  un  peu  mieux  qu'un  premier  accessit.  Mais  pourquoi  se  plaindre,  ne 
savons-nous  pas  que  c'est  là  un  acheminement  presque  certain  vers  le  premier  prix. 
Mlle  Edson  à  la  silhouette  jolie  et  originale  méritait  bien  un  léger  encouragement, 
mais  Mlle  Novi,  la  Benjamine  du  concours,  joli  petit  oiseau  bien  stylé,  s'est  montrée 
digne  de  son  second  prix  malgré  son  jeune  âge. 

En  somme  l'impression  est  heureuse  :  tous  les  concurrents  sont  de  bons  musi- 
ciens foamés  à  une  excellente  école,  capables  de  faire  au  moins  des  exécutants  sérieux 
pour  nos  grands  orchestres  et  l'un  d'entre  eux,  M.  Zighera,  a  su  faire  preuve  d'un 
véritable  talent,  auquel  je  souhaite  de  pouvoir  se  produire  et  de  s'affirmer. 

Gilbert  CHINARD. 


—  5H   — 

CONTREBASSE,  ALTO  ET  VIOLONCELLE 

Sur  la  caisse  quelque  peu  massive  et  encombrante  de  la  vénérable  contrebasse,  sur 
ses  cordes  ronflantes  et  grondeuses  une  dizaine  de  concurrents  s'exécutent  et  de  cela 
il  faut  les  louer  car  le  morceau  de  concours  était  un  concerto  de  Labre  dont  il  serait 
difficile  de  dire  la  naïveté  rudimentaire  et  la  cruelle  absence  d'intérêt.  La  pièce  de 
lecture  était  écrite  par  M.  Chapuis.  Deux  premiers  prix  furent  décernés  à  MM.  Dar- 
rieux  et  Gibier  pour  leur  jeu  précis  et  leur  bon  déchiffrage.  Pourquoi  n'avoir  pas 
nommé  avec  eux  M.  Jou  que  son  archet  énergique  et  net  plaçait  bien  avant  M.  Corti- 
glioni  ?  MM.  Jou,  Cortiglioni  et  Hardy  obtinrent  un  second  prix.  Uu  premier  accessit 
reconnut  les  sérieuses  qualités  de  M.  Aurès  et  un  deuxième  accessit  le  courage  qui 
incita  Mlle  Cisin  à  s'attaquer  à  l'inélégant  instrument. 

Le  morceau  de  concours  que  Mlle  Hélène  Fleury  écrivit  pour  l'alto  eut  le  tort 
d'être  ingrat  et  de  ne  pas  servir  suffisamment  ceux  à  qui  incomba  le  soin  de  l'inter- 
préter. En  revanche  celui  de  M.  Tournemire,  d'une  lecture  non  exempte  de  difficultés, 
nous  charma  par  sa  joliesse  et  sa  distinction.  M.  Jurgenscn,  premier  prix,  au  jeu  souple 
et  facile,  le  déchiffra  d'excellente  façon  ;  trois  seconds  prix  récompensèrent  comme  il 
convenait  MM.  yi:(entiniet  Mont/eiiillard  et  Mlle  Dumont  qui  fit  preuve  d'un  fort  joli 
son.  MM.  Feillou,  premier  accessit,  et  Barricr,  deuxième  accessit,  firent  également 
honneur  à  leur  excellent  maître  M.  Laforge. 

Ce  fut  une  pénible  épreuve  que  d'entendre,  répété  par  treize  concurrents,  un 
désuet  concerto  pour  violoncelle,  de  Davidoff,  tout  bigarré  de  traits  vains  et  fâcheux. 
Ce  concerto  et  le  morceau  de  lecture  de  M.  Chapuis,  valurent  un  premier  prix  à  MM. 
Benedetti,  élève  de  M.  Cros-St-Ange,  et  à  M.  Ringeissen,  élève  de  M.  Loëb  ;  leur  méca- 
nisme fut  excellent  de  tous  points,  le  premier  possédant  un  jeu  net  et  très  joliment 
nuancé,  le  second  un  son  précis,  solide  et  sobre.  MM.  Louis  Boulnois  et  Gervais, 
élèves  de  M.  Loëb,  qui  montrèrent  une  grande  maîtrise  et  une  grande  sûreté  obtinrent 
chacun  un  deuxième  prix.  Le  premier  accessit  fut  partagé  entre  M.  Paul  Mas,  élève  de 
M.  Cros-Saint-Ange,  dont  le  style  est  bien  inégal,  et  M.  Gérald  Maas,  élève  de  M. 
Loëb,  que  son  jeu  distingué  et  son  excellente  sonorité  semblaient  désigner  à  une 
récompense  supérieure.  Enfin  M.  Ruyssett,  que  le  «  trac  »  éprouva  fâcheusement,  béné- 
ficia d'un  deuxième  accessit.  Nous  regrettons  vivement  de  n'avoir  pas  vu  figurer  au 
nombre  des  récompensés  M.  Dumont  qui  se  fit  apprécier  par  sa  très  bonne  sonorité  et 
son  élégant  déchiffrage. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Gabriel  Fauré,  président  ;  Alfred Bruneau,  Chapuis, 
Paul  Vidal,  H.  Biisser,  de  Bailly,  Tournemire,  Van  Woelfelghem,  Pablo  Cazals,  Salmon, 
Hasselmans,  Nanny,  Chavy  et  Fernand  Bourgeat,  secrétaire. 

Edouard  SCHNEIDER. 

FLUTE,  CLARINETTE,  HAUTBOIS,  BASSON 

27  juillet.  —  Malgré  la  grande  chaleur  et  l'atmosphère  peu  plaisante  d'un  théâtre 
en  cette  saison,  un  public  nombreux  et  bienveillant  est  venu  assister  aux  concours  de 
flûte,  de  hautbois,  de  clarinette  et  de  basson. 

Les  flûtistes  ont  à  exécuter  un  Nocturne  suivi  d'un  Allegro  S  cher {ando  dûs  à 
M.  Gaubert  et  à  déchiffrer  un  morceau  de  M.  Ganne.  Les  auteurs  figurent  dans  le 
jury.  Un  premier  prix  est  décerné  au  tout  jeune  M.  Moyse  (17  ans)  qui  vraiment  a  été 
remarquable  par  sa  virtuosité  autant  que  par  son  sentiment.  Il  a  très  nettement  sur_ 
passé  ses  camarades,  même  M.  Bergeon,  auquel  un  premier  prix  a  été  également  dé- 
cerné, MM.  Paul  et  Cléton  se  sont  partagés  les  deuxièmes  prix.  M.  Camus  a  eu  un 
premier  accessit. 


—    512   — 

Le  morceau  de  concours  pour  le  hautbois  était  de  M.  Paladilhe.  On  avait  demandé 
à  M.  de  Bréville  d'écrire  le  morceau  de  lecture  à  vue. 

Tout  le  monde  a  été  récompensé.  Les  lauréats  du  premier  prix,  MM.  Serville  et 
Vaillant  se  sont  fort  distingués.  MM.  Stien  et  Fournier  ont  eu  le  second  prix.  Des  ac- 
cessits, premiers  ou  seconds,  ont  été  répartis  entre  MM.  Lonzatte  et  Riva,  Rigot  et 
Durivaux. 

Pour  la  clarinette,  une  mélopée  orientale  et  sinistre  de  M.  P.  Véronge  de  la  Nux  ; 
le  morceau  à  déchiffrer  était  du  même  auteur.  A  l'unanimité  —  et  le  public  approuva 
le  jury  —  M.  Joseph  Loterie  obtint  la  première  récompense.  La  seconde  fut  pour 
M.  Blachet,  sans  compter  les  accessits  octroyés  à  MM.  Quet,  Hoogstoël  et  Corbet. 

Le  basson  mit  l'auditoire  en  gaieté.  La  folle  joie  déchaînée  par  les  sons  graves  de 
cet  instrument  ne  fit  trêve  que  devant  M.  Charpin  (i^r  prix  avec  M.  Raimbourg)  d'une 
habileté  consommée. 

Gabriel  ROUCHÈS.     " 

TROMPETTES   ET.  TROMBONE 

Trois  premiers  prix,  deux  seconds  prix,  trois  accessits,  en  tout  huit  récompenses 
pour  neuf  concurrents  !  Je  citerai  seulement  les  trois  premiers  prix  MM.  Villard,  Blan- 
quefort  et  Laurent,  véritables  artistes  qu'il  faut  féliciter  d'avoir  choisi  un  instrument 
que  l'on  apprécie  heureusement  à  sa  valeur  dans  l'orchestration  moderne. 

Excellent  concours  en  somme  puisque  tous  les  concurrents  ont  su  exécuter  à  leur 
honneur  non  seulement  le  morceau  de  concours,  mais  encore  la  page  à  déchiffrer  dus 
tous  les  deux  à  M.  G.  Enesco. 

Le  concours  de  trombone  fut  plus  inégal,  une  grande  partie  du  pubhc  aurait  voulu 
voir  attribuer  à  M.  Saintey  une  récompense  plus  élevée.  Mais  les  trois  premiers  prix, 
MM.  Vermynck,  Aennebelle  et  Mendels,  les  deux  derniers  surtout  malgré  quelques 
hésitations  dans  la  lecture  à  vue  ont  su  faire  applaudir  une  impeccable  virtuosité. 

G.  R. 
COR 

Les  deux  morceaux,  celui  de  concours  et  celui  à  déchiffrer  étaient  de  M.  P.  Du- 
kas.  MM.  Delgrange  et  Pétiau,  les  deux  plus  jeunes  concurrents  se  sont  partagé  le 
premier  prix.  MM.  Deswarte  et  Bailleux  ont  eu  un  second  prix  chacun.  Deux  pre- 
miers accessits  ont  été  décernés  à  MM.  Thibault  et  Lepitre,  cornet  à  pistons.  M. 
Georges  Hue  avait  écrit  le  morceau  de  concours  et  M.  Charles  Lévadé  la  pièce  à  dé- 
chiffrer qu'il  accompagnait  lui-même.  MM.  Mager  et  Foveau,  tous  deux  fort  remar- 
quables, ont  eu,  aux  acclamations  du  ;  public,  le  premier  prix.  Trois  seconds  prix 
furent  le  partage  de  MM.  Lemaire,  Body  et  Ben  Vanasek,  qui  ne  fut  pas  loin,  par  une 
mimique  bizarre,  d'exciter  le  rire  de  l'assistance.  M.  de  Lakhouwer  a  obtenu  un  pre- 
mier prix. 

G.  R. 


—  513  — 

Echos  et  Nouvelles  Diverses 


FR A  NCE 

La  Direction  de  l'Opéra.  —  Encore  une  nouvelle  candidature  :  celle  de  M.  Saugey, 
directeur  de  l'Opéra  de  Nice. 

A  r Opéra-Comique.  —  Il  est  question  d'une  solennelle  reprise  des  Noces  de  Figaro 
de -Mozart.  Quant  aux  ouvrages  nouveaux,  le  choix  dé  M.  Albert  Carré  s'est  actuellement 
arrêté  sur  le  Chandelier,  de  M.  André  Messager,  et  sur  Phèdre  et  Hippolyte,  de 
M.  Vincent  d'Indy,  livret  de  M.  Jules  Bois. 

Dans  le  cours  delà  prochaine  saison,  nous  entendrons  Mme  Emma  Calvé  dans 
Marie-Magdeleine,  dont  la  reprise  aura  lieu  pendant  la  semaine  sainte,  et  Mlle  Mary 
Garden,  laquelle  reparaîtra  dans  ses  intéressantes  créations  de  Chérubin.  Aphrodite  et 
Louise.On  dit  que  M.  Albert  Carré  a  l'intention  de  monter,  au  commencement  de  la  sai- 
son prochaine,  Madame  Butterfly.,  de  M.  Puccini. 

Nouveaux  concerts  en  perspective.  —  Nous  avons  déjà  annoncé  les  con- 
certs que  M.  Séchiari  allait  diriger  à  partir  du  22  novembre  prochain  tous  les  jeudis 
soirs  ;  ajoutons  que  ces  concerts  auront  lieu  au  «  Kursaal  »,  avenue  de  Clichy,  nouvelle 
salle  confortable  et  pratique,  comprenant  1,200  places.  A  l'exemple  des  Concerts  popu- 
laires de  la  Société  Philharmonique  de  Berlin,  il  sera  permis  de  consommer  et  de 
fumer.  L'orchestre  qui  comprendra  60  musiciens,  sera  composé  des  plus  remarquables 
instrumentistes  des  Concerts-Lamoureux.  Le  prix  des  places  sera  de  2  francs  environ, 
et  l'on  entendra  les  artistes  célèbres  ainsi  que  nous  le  fait  espérer  le  premier  pro- 
gramme où  nous  lisons  le  nom  de  Diémer. 

Les  Concerts-Berlio^.,  rue  de  Clichy,  n'en  continueront  pas  moins  leurs  intéres- 
santes séances  des  mardi,  jeudi  et  samedi. 

De  son  côté,  M.  Touche  s'est  assuré  la  collaboration  complète  de  l'orchestre  des 
Concerts-Rouge  qu'il  dirige  depuis  plus  de  dix  ans  et  fonde  avec  cet  orchestre  les  Co7t- 
certs-Touche  qui  auront  lieu  tous  les  soirs,  à  partir  d'octobre,  dans  une  charmante 
salle  remarquablement  aménagée  à  cet  effet,  boulevard  de  Strasbourg. 

Nous  croyons  savoir  encore  qu'une  entreprise  du  même  genre  et  solidement  orga- 
nisée, doit  voir  le  jour  rive  gauche,  dans  le  quartier  des  Ecoles. 

M.  Ernest  Reyer  vient  d'être  élevé  à  la  haute  dignité  de  grand  croix  de  la  Légion 
d'honneur.  Tous  les  admirateurs  et  amis  de  l'illustre  maître  ont  accueilli  avec  joie  cette 
heureuse  nouvelle. 

—  M.  Paul  Dukas  a  été  fait  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 


Nous  apprenons  que  \e.  comité  de  Direction  de  la  Société  philharmonique  de- Paris 
qui  était  composé  de  MM.  Camille  Bellaigue,  président,  Ernest  Sachs,  Pyrame  Na- 
ville,  Gustave  Doret  et  Louis  de  Morsier  s'est  dissous  et  a  laissé  la  direction  de  cette 
intéressante  association  à  M.  Rey,  qui  en  fut,  avec  le  docteur  Frenkel,  le  fondateur. 


Une  nombreuse  et  élégante  assistante  applaudit  le  12  juin  chez  Mme  Fuchs  des 
fragments  de  VArmide,  de  LuUy,  chantés  sous  la  direction  de  M.  Paul  Vidal  par 
Mlle  Croizat,  Mme  Mathieu  d'Ancy,  MM.  Paulet,  Doramier  et  Gustave  Bordes.  Les 
excellents  interprètes  et  les  chœurs  remarquablement  accompagnés  aii  piano  par  M.  Je- 
main,  obtinrent  le  plus  vif  succès.  Armide  était  suivie  d'une  parodie  du  temps,  dont 
M.  Paul  Fuchs  venait  de  retrouver  le  libretto  et  la  musique  composée  d'airs  anciens 
que  M.  Paul  Vidal  harmonisa.  Mme  Fuchs  en  exprima  avec  un  art  et  un  charme 
incomparables  la  grâce  légère  et  toujours  jeune  et  on  lui  fit  fête  ainsi  qu'à  ses  parte- 
naires, Mme  André  et  Mlle  Fuchs,  MMi  Baudouin^Bugnet,  Pineau.  Renie, .  Paulet  et 
P.  Fuchs, 


—  514  — 

Nous  sommes  heureux  d'enregistrer  la  très  flatteuse  distinction  dont  M.  Adolphe 
Boschot  vient  d'être  l'objet.  L'Académie  des  Beaux-Arts  a  récemment  décerné  en  entier 
le  prix  triennal  Kastner-Boursault  à  sa  Jeunesse  d'un  Romantique  que  nous  avons 
louée  ici-  même  et  qui  demeurera  le  type  de  la  critique  la  plus  profonde  et  la  plus  péné- 
trante en  même  temps  que  la  plus  vive  et  la  plus  intelligente  que  l'on  ait  faite  depuis 
longtemps.  

La  disparition  du  ténor  : 

On  a  beaucoup  remarqué  au  dernier  concours  de  chant,  l'absence  presque  complète 
de  ténors.  Cette  pénurie  qui  va,  chaque  année,  en  augmentant,  devient  fort  inquiétante 
pour  l'avenir  de  nos  théâtres  lyriques. 

Les  grands  ouvrages  du  vieux  répertoire  sont,  depuis  une  dizaine  d'années,  à  peu 
près  entièrement  délaissés,  faute  de  ténors  ayant  la  voix  suffisante  pour  les  interpréter. 
Mais  il  n'y  aura  bientôt  plus  de  ténors  du  tout,  et  nos  compositeurs  vont  se  trouver 
forcés  d'écrire  exclusivement  pour  les  voix  de  baryton  et  de  basse.  Celles-ci  sont 
loin  de  faire  défaut,  et  nous  en  avons  entendu  quinze,  sur  dix-neuf  concurrents. 

Le  ténor  Van  Dyck  a  loué  pour  deux  mois  (janvier  et  février  1907),  le  théâtre  de 
Covent-Garden,  à  Londres,  où  il  donnera,  avec  un  choix  d'artistes  de  premier  ordre, 
une  saison  wagnérienne.  

M.  A.  Ferté,  qu'une  persistante  indisposition  avait  tenu  éloigné  de  Paris  cet  hiver, 
sera  prochainement  de  retour  et  reprendra  ses  concerts.  Il  prépare  en  ce  moment  un 
recueil  de  mélodies  sur  des  vers  d'Albert  Samain,  de  Mlle  Marthe  Dupuy  et  de  M. 
Georges  Seine,  un  jeune  poète  de  brillant  avenir. 


Boulogne-sur-Mer.  —  Théâtres  et  concerts  classiques  obtiennent  ici  le  plus  vif 
succès,  artistiquement  dirigés  par  M.  de  la  Fuente.  Nous  applaudissons  surtout  MM.  A. 
Bachmann  et  Francis  Thibaud  qui  rivalisent  de  charme  et  de  virtuosité  aux  grands 
concerts  très  courus. 

Aix-les-Bains.  —  Sous  la  savante  direction  de  M.  P.  Flon,  les  représentations  de 
la  Villa  des  Fleurs  offrent  un  attrait  incomparable.  Nous  y  reviendrons. 


Dieppe.  —  Les  concerts  du  Casino  sont  tout-à-fait  remarquables  avec  des  solistes 
tels  que  Mmes  G.  Marty,  Douaillier,  Eléonore  Blanc,  MM.  Cazeneuve,  Nivette,  etc.  ; 
à  l'orchestre  on  apprécie  chaque  jour  MM.  Dorson,  Monteux,  Hasselmans,  Blancquart, 
Leclercq.  Mme  Bruguière-Hardel,  etc.,  sous  l'excellente  direction  de  M.  Gabriel-Marie. 

Au  Théâtre,  Carmen,  Fatist,  Grtséh'dis,  La  Tosca,  avec  Mmes  Charlotte  Wyns, 
B.  Mendès,  MM.  Delmas,  Dufrainne,  sous  l'habile  direction  de  M.  P.  Monteux. 

"  S. 

Nécrologie.  —  Nous  apprenons  au  moment  de  mettre  sous  presse  la  triste  nou- 
velle de  la  mort  de  M.  Luigini,  l'éminent  directeur  de  la  Musique  à   l'Opéra-Comique. 

M.  Luigini  était  né  à  Lyon  en  1850.  On  sait  combien  fut  brillante  sa  carrière  de 
chef  d'orchestre  à  Lyon  puis  à  Paris. 

Genève. —  Sur  la  demande  de  nombreux  professeurs  étrangers,  V Institut  Genevois 
de  gymnastique  rythmique  1  Directeur  M.  E.  Jaques-Dalcroze),  organise  un  cours  de 
vacances  destiné  aux  professionnels,  pour  la  démonstration  pratique  de  la  méthode  de 
gymnastique  rythmique  de  M.  E.  Jaques-Dalcroze.  Cette  méthode  a  pour  but  le  déve- 
loppement de  la  mentalité  rythmique  et  métrique  musicale  du  sens  de  l'harmonie  plas- 
tique et  de  l'équilibre  des  mouvements,  ainsi  que  la  régularisation  des  habitudes  mo- 
trices. 

Le  cours  aura  lieu  à  Genève  (Suisse'»  du  23  août  au  8  septembre  prochain.  S'adres- 
ser à  M.  E.  Jaques-Dalcroze,  7,  avenue  des  Vollandes,  Genève. 


—  515  — 

M.  Ernest  Consolo,  réminent  pianiste  maintes  fois   applaudi  à  Paris,  vient  d'être 
nommé  professeur  à  l'Ecole  supérieure  de  piano  du  «  Musical  Collège  »  de  Chicago. 


Luxembourg.  —  Le  Conservatoire  de  Luxembourg,  nouvellement  réorganisé,  vient, 
sous  l'énergique  initiative  de  son  directeur  Victor  Vreuls,  élève  de  Vincent  d'Indy,  de 
donner  déjà  un  concert  auquel  ont  pris  part  exclusivement  des  professeurs  et  élèves 
de  l'établissement.  Le  programme,  d'une  haute  tenue  artistique,  comportait  un 
Concerto  brandebourgeois  de  J.-S.  Bach,  un  Trio  de  Mozart,  une  Symphonie  d'Haydn, 
une  Sonate  pour  violoncelle  et  piano  et  le  Septuor  de  Beethoven.  Ces  oeuvres  diverses 
ont  été  remarquablement  exécutées  avec  le  concours  et  sous  la  direction  de  M.  Vreuls 
et  de  ses  collaborateurs  qu'il  convient  de  féliciter  de  ce  beau  succès. 


Au  château  de  Trèvano,  le  célèbre  librettiste  Luigi  Illica  (collaborateur  de  Masca- 
gni,  Puccini,  Franchetti,  Giordano,  etc.)  et  le  compositeur  Louis  Lombard  viennent  de 
finir  un  opéra  qui  sera  donné  la  saison  prochaine. 

La  musique  dramatique  en  Allemagne.  —  On  annonce  que  la  saison  prochaine 
verra  les  premières  représentations  de  plusieurs  œuvres  nouvelles  de  l'Ecole  Moderne 
allemande,  en  particulier  d'une  nouvelle  tragédie  musicale  de  Max  Schillings,  Moloch, 
d'un  opéra  de  Hans  Pfitzner,  Christelflein,  d'un  autre  opéra,  le  Doux  poison,  de  Albert 
Gorters. 


Bibliographie 


Jules  Ecorcheville.  —  Vingt  suites  d'Orchestre  du  xvii°  siècle  français  (1640- 

i67o).In-4°  raisin  de  iv.  —  145  pages, 
id.  De  Lulli  à  Rameau.  —  L'Esthétique  musicale. 

In-4°  couronne  de  ix.  —  172  pages. 

Paris,  Marcel  Fortin.,  éditeur,  igo6. 

Les  deux  thèses  que  M.  Jules  Ecorcheville  vient  de  soutenir  en  Sorbonne  pour 
l'obtention  du  grade  de  Docteur  ès-lettres,  constituent  un  remarquable  monument  élevé 
à  l'histoire  et  à  l'esthétique  de  la  musique  française. 

Dans  la  première,  l'auteur  se  livre  à  une  étude  approfondie  d'un  manuscrit  de  la 
bibliothèque  de  Cassel,  renfermant  20  suites  écrites  par  des  musiciens  français  et  étran- 
gers entre  1640  et  1670.  Ces  suites  généralement  à  quatre  ou  cinq  parties  sont  desti- 
nées à  un  orchestre  d'instruments  à  archet.  On  sait  combien  la  littérature  instrumen- 
tale de  cette  époque  est  mal  représentée  dans  nos  dépôts  publics.  Des  oeuvres  qui  for- 
maient le  répertoire  de  la  fameuse  «  Bande  des  vingt-quatre  violons  du  Roy  ))  il  ne  nous 
reste  que  de  bien  rares  spécimens  conservés  dans  la  collection  Philidor  et  dans  quelques 
Recueils  de  la  Bibliothèque  Nationale.  C'est  donc  une  véritable  et  précieuse  découverte 
qu'a  faite  M.  Ecorcheville. 

A  la  lumière  d'une  érudition  qui  ne  se  dément  jamais,  il  étudie  successivement  le 
manuscrit,  les  auteurs,  les  œuvres  et  leur  milieu,  les  danses  et  les  rythmes,  la  morpho- 
logie de  ces  curieuses  compositions  et  les  instruments  employés  à  l'exécution  de  celles-ci  : 
puis  il  donne  un  fac-similé  du  manuscrit  qui  forme  la  base  de  son  travail. 

A  l'étude  historique  et  musicale  de  la  collection  de  Cassel,  M.  Ecorcheville  a  joint 
une  réduction  pour  le  piano  des  20  suites  d'orchestre  de  cette  collection.  C'est  là  une 
idée  particulièrement  heureuse  et  qui  sera  accueillie  comme  elle  le  mérite  par  tous  les 
fervents  de  la  musique  ancienne. 

La  seconde  thèse  de  M.  Ecorcheville  est  une  thèse  d'idées.  Elle  est  consacrée  aune 
époque  encore  peu  étudiée  de  notre  histoire  musicale,  à  celle  qui  s'étend  de  la  mort  de 


-  ',i6  ~ 

Lulli  à  Rameau.  Si  cette  période  ne  donna  point  le  jour  à  des  oeuvres  bien  retentissan- 
tes, du  moins  vit-elle  éclore  les  premières  tentatives  de  la  critique  et  de  l'esthétique 
musicales.  Des  penseurs  comme  l'abbé  Pluche  et  l'abbé  Dubos,  des  écrivains  tels  que 
Lecerf  de  la  Viéville,  Raquenet,  Terrasson  et  Houdar  de  la  Motte,  ne  méritent  point 
l'oubli  injuste  dans  lequel  ils  sont  tombés.  On  ne  saurait  trop  admirer  l'ingéniosité  de 
leurs  doctrines,  la  souplesse  de  leur  dialectique,  la  subtilité  de  leurs  raisonnements  et 
souvent  la  profondeur  étonnante  de  leurs  intuitions.  S'ils  se  placèrent  trop  exclusive- 
ment pour  juger  du  phénomène  musical  sur  le  terrain  de  la  pure  raison,  encore  faut-il 
leur  accorder  qu'ils  appartenaient  à  une  génération  élevée  dans  la  stricte  discipline  ra- 
tionnelle et  intellectualiste  du  xvii°  siècle,  discipline  dont  l'influence  s'étend  sur  tout  le 
premier  tiers  du  siècle  suivant.  Ils  eurent  néanmoins  des  lueurs  admirables  sur  la  mu- 
sique et  son  avenir.  Certains  d'entre  eux  annoncent  Schopenhauer  et  Wagner. 

Le  livre  de  M.  Ecorcheville  écrit  d'un  style  aussi  élégant  que  clair,  comble  une  la- 
cune dans  l'histoire  de  la  pensée  française.  Tous  ceux  qui  s'intéressent  à  la  philosophie 
de  l'art  musical  le  liront  avec  fruit. 

L.  de  la  Laurencie. 


J.-G.  Prodhomme  :  Les  Symphonies  de  Beethoven.  (1800-182^)  in  8°  écu  de  XXI- 

492  pages.  Préface  de  M.  Edouard  Colonne. 

Paris,  Charles  Delagrave.  Editeur,  1906. 

Voici  un  ouvrage  qui  manquait  complètement  à  la  bibliographie  française  sur 
Beethoven.  M.  Prod'homme  s'est  proposé  de  retracer  l'histoire  des  9  symphonies  du 
maître  de  Bonn,  depuis  le  moment  où  chacune  d'elles  germa  dans  l'esprit  de  son  auteur 
jusqu'à  leur  complet  achèvement  et  leur  exécution  dans  les  principales  villes  d'Europe. 
Son  livre  se  trouve  de  la  sorte  logiquement  distribué  en  9  chapitres,  un  dixième  chapitre 
étant  consacré  à  la  dixième  symphonie  que  Beethoven  songeait  à  écrire.  M.  Prod'homme 
apporte  au  cours  de  ces  10  chapitres,  la  documentation  la  plus'abondante  et  la  plus  sûre 
qui  ait  été  encore  fournie  sur  la  matière,  et  il  le  fait  en  un  style  sobre,  précis  et  clair 
digne  à  la  fois  de  l'immortel  musicien  et  de  l'Histoire. 

Nous  signalerons  tout  particulièrement  le  curieux  chapitre  III,  qui  traite  de 
l'Héroïque.  Ici,  M.  Prod'homme  élucide  bien  des  obscurités  que  ni  Grove,  ni  les 
auteurs  allemands  n'avaient  dissipées.  Il  nous  donne  d'intéressants  détails  sur  les  opi- 
nions politiques  de  Beethoven,  indique  que  l'Héroïque  fut  commencée  en  1803  à  Ober- 
Deobling,  peut-être  sur  la  suggestion  de  Bernadotte,  et  se  livre  à  une  étude  attentive 
du  titre  de  la  copie  de  cette  symphonie  que  possède  la  Geselischaft  der  Musikfreunde  de 
Vienne,  titre  portant  les  traces  de  la  colère  qui  s'empara  du  Maître  lorsqu'il  apprit  que 
son  héros  s'était  transformé  en  empereur.  Ce  n'est  que  sur  l'édition  de  Simrock  (1820) 
que  la  troisième  symphonie  prit  le  nom  de  Sinfonict  eroica  cotnposta  fer  festiggiare  il 
souvenire  di  un  grand  uomo.  Par  une  ingénieuse  discussion,  M.  Prod'homme  arrive  à 
fixer  au  mois  d'août  1804  la  date  de  la  première  exécution  de  l'Héroïque. 

Ajoutons  que  d'excellentes  analyses  des  symphonies  complètent  ce  précieux 
ouvrage, 

L.  de  la  Laurencie. 


A.  PIRRO  :  J--S.  BACH,  i  voL  in-i6. 

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Il  sera  rendu  compte  de  cet  important  ouvrage  dans  notre  prochain  numéro. 


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Pianistes:  TeresaCarreno;  Teresita  Carreno-Tagliapetra ; 

L.  Godowsky  ;   F.  Lamont;  E    Schelling. 
Violonistes:  L.  Auer;  H.  Marteau;  Oliveira. 
Violoncellistes  :  Pablo  Casais. 
Chant  :    Mmes   Faliero-Dalcroze,    F.    Kaschowska  ;    M. 

Louis  Frœlich. 


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et  de  s'adresser,  de  notre  part,  à  M.  PROFFIT,  inspecteur  général  d'assu- 
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CONSEIL  :    n.  nOI^ONT,  Président LONDRES. 

PI.  Victor  VAN  VELSEN,  Administrateur  délégué.      BORNHEM. 

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COMMISSAIRES  :  MM-  C^iLDEI^  PlAIlSïiAI.L  Son  et  IBBOTSON, 

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La  Société  anonyme  belge  des  FONDERIES  DE  L'ESCAUT,  au  capital  de  500  000  francs,  ne  s'est  occupée 

jusqu'à  ce  jour  —  avec  un  succès  toujours  croissant,  «  cela  grâce  à  sa  situation  topographique  exceptionnelle  et  à  son 
merveilleux  outillage  »  que  de  la  production  de  la  tonte  de  fer. 

Le  capital  de  la  Société  ne  lui  permet  pas  d'accepter  toutes  les  commandes  et  principalement  les  plus  importantes 
qui  lui  sont  faites;  il  en  résulte  pour  elle  une  perte  importante,  d'autant  plus  sensible  que  les  fonderies  de  fer  ne 
laissent  que  de  très  modestes  bénéfices. 

Pour  pousser  le  rendement  des  FONDERIES  DE  L'ESCAUT  à  son  maximum,  l'Assemblée  générale  des  action- 
naires a  décidé  de  porter  le  capital  de  la  Société  de  500.000  à  2  millions  de  francs,  sa  transformation  en  Société 
ïnglaise,  sous  la  dénomination  de  THE  ESCAUT  FOUNDRIES  AND  EXTENSIONS  Ld,  et  l'émission  de  So.ooo 
ictions  de  1  livre  sterling,  dont  50.000  actions,  soit  750.000  francs,  seront  dès  à  présent  mises  en  vente,  les  autres  ne 
devant  l'être  qu'au  fur  et  à  mesure. des  besoins  de  la  Société.  Ces  750.000  francs  sont  de  première  nécessité: 

i"  Pour  la  liquidation  de  l'ancienne  Société; 

2°  Pour  l'installation  de  fours  à  acier; 

5°  Pour  l'exploitation  des  terrains  de  sable  spécial  qui  entourent  les  usines  et  dont  il  sera  parlé  dans  notre  prochain 
numéro.  —  On  peut  souscrire  dès  à  présent,  à  la  banque  Adolphe  MICHEL,  5/,  rue  de  Provence,  Paris. 


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piano  à  2,  4  et  6  mains,  pour  2  pianos  à  4  et  8  mains.  —  Partitions  d'opéra  piano,  piano  et  cl)ant  et  à 
4  mains,  morceaux  de  cljant  détacljé,  airs  d'opéra,  mélodies,  cljansonnettes.  —  Musique  pour  fiiolon, 
Violoncelle,  orgue,  flûte,  mandoline.  —  Musique  de  ctjambre,  trios,  quatuors. 

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Leçons  de  chant,  harmonie,  fugue  et  contrepoint. 


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Thiers,  Troyes.  —  Leçons   à  Paris,   11    bis,    rue 
Lemercier. 


Georges  Dantu.  Offl.  d'Ac,  de  l'Opéra- 
Gomique,  15,  rue  de  Saint-Pétersbourg.  Soliste 
des  Concerts  Lamoureux  et  Colonne. 


M^i^  Cécile  Winsback,  ;/  bis,  me  Lemer- 
cier. —  Leçons  de  chant. 


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Royal.  Professeur  de  chant.  Soins  et  hygiène  de  la  voix. 


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Holmstrand,  de  I'OPÉRA-COMIQUE.  Leçons  de 
Chant.  88,  boulevard  des  BatignoUes. 

Fanny  Lépine,  Cours  et  Leçons  de  Chant.  89, 
boulevard  Malesherbes. 


Malhieu  d'Ancy,  ll,   Grande-Rue.  SÈVRES. 
Leçons  particulières  de  chant. 


Mauroux,  Ofn.  den.P.—  Chant,  violon,  accom- 
pagneaient,  12,  Avenue  de  la  Grande- Armée . 


G.  Bret,  suppléant  de  M.  Widor,  à  St-Sulpice. 
Cours   et  Leçons   d'orgue,   harmonie,    composition. 

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DES  ÉLÈVES,  35  bis,  rue  de  Fleurus. 

Eugène  Gigout,  113  avenue  de  Villiers. 
Cours  et  Leçons  d'orgue,  d'improvisation  et  de 
Plain-chant,  fo7idés  en  1885.  —  Grand  orgue  de  Ca- 
vaillé-CoU  à  la  disposition  des  élèves. 

H.  Dallier,  organiste  de  Saint-Eustache.  Leçons 
de  piano,  orgue,  harmonie,  contrepoint,  fugue.  7, 
boulevard  Pereire. 

Eug.  Lacroix,  organiste  de  St-Merri  et  des 
Concerts  Lamoureux.  Leçons  d'orgue,  harmonium, 
piano,  plain-chant,  harmonie,  contrepoint  et  compo- 
sition 154,  boulevard  Magenta. 

«•"B,  Ganaye,  30,  rue  du  Printemps,  Leçons 
d'Harmonie,  contrepoint  et  fugue.  Cours  d'ensemble. 

A.  Sérieyx,  IO8,    avenue  de  Wagram .  Harmo- 
nie, contrepoint  et  composition. 


MAI© 


MM. 


@1R©1IÎ1  IT  HAEMOMl 


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«Iules  Stollz,  organiste  deSaint-Germain-des-Prés 
Leçons  de  piano,  orgue  et  d'harmonie,  30,  rue  Jacob, 


BicardO  Vînès,    6,   me   Troyon,    Cours    et 
leçons  de  piano. 


Georges    Sporck,     piano,  Harmonie,   Com- 
position, 26,  rue  Grange-Batelière. 


Paul-E.    Brunold,  3,  me   Yvon-Villarceau, 
Leçons  de  piano  et  d'harmonie. 


DecreuS,    concertiste,    leçons    particulières    de 
piano.  14,  rue  de  Navarin. 


J.  «femain.   Piano,    Harmonie,     Contrepoint     et 
Fugue,  110  ,  avenue  V.  Hugo. 


P.  Montet-Gary,  127,  rue  du  Ranelagh.  Le- 
çons de  solfège  et  piano. 


Bené  Vanzande,  pianiste-compositeur  38, 
rue  Laborde.  Leçons  de  piano,  harmonie,  contre- 
point et  fugue. 


Georges  Guiraud,  104,  aremie  de  Gravelle, 
à  Saint-Maurice{Seine]  Leçons  particulières  de  piano, 
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A.  A-^elaSCO,  l"  Prix  du  Conservatoire,  pensionné 

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de  piano  et  solfège. 


M' 


Fanny  Lamin^,  IS,  rue  Godot  de  Mauroi,  et 
101,  avenue  de  Villiers.  Cours  et  leçons  de  piano  et 
de  musique. 


¥I©IL©iî€llLL] 


Al  M. 

iWarneff,  4,  t-ue  de---  Petils-Ckamps.  Violoncelle- 
solo  des  Concerts  Lamoureux.  Leçons  de  violoncelle. 


Feuîllard,  6,  me  Chaplal.  1"  prix  du  Conserva- 
vatoire.   Leçons   de  violoncelle  et  accompagnement. 


MinSSart,  des  Concerts  Colonne,  45,  rue  Roche- 
chouart.  Leçons  de  violoncelle  et  d'accompagnement. 


M.   Morin  fils,  IIO,  Boulev.  Arago.   Leçons  de 
Violoncelie  et  d'accompagnement. 


M"^  Jeanne  Hlaré,  lis.  Avenue  d' Orléans. 
!•'  prix  du  Conservatoire  de  Bruxelles.  Leçons  de 
violon  et  accompagnement. 


MM. 

M.-G.  Wîllaume  l^r  violon  de  la  Société 
des  Concerts;  l^r  prix  du  Conservatoire,  71,  rue 
Lafaijette.    Leçons  de  violon  et  d'accompiignement, 


Blanquer,  38,   rue  Faidherbe,   leçons    particu- 
lières de  violon. 


J«  Marrot,  50,  rui  Richelieu,  des  concerts  Lamou- 
reux. Leçons  de  violon  et  d'accompagnement. 


Xh.  Soudant,  solliste  des  concerts  Lamoureux, 
59,  rue  de  Maubeuge.  Leçons  de  violon  et  d'accom- 
pagnement 

PompOSi,  75,  rue  Momrl.  Leçons  de  virlon  et 
accompagnement. 

Alberto  Bacliniann,  I6,  avenue  de  ViUiers. 
Leçons  de  violon  et  d'accompagnement. 


M"«  Berlhe  Ginoux  L'çons  de  violon, 
accompagnement  et  harmon-e,  10,  Rue  Du- 
gommier. 


Louis  Baîlly,  S2,  rue  Chauchat,  1"  prix*  du 
Conservatoire.  Leçons  d'alto,  violon  et  accompagne- 
ment. 

Ywan  Flîege.  Leçon  de  violon  et  d'accompa- 
gnement. 207,  boulevard  Saint-Germain. 

Daniel  Hermann,  9  bis,  rue  Méchain.  — 

Leçons  de  violon  et  d'accompagnement. 

H.  Saïller,  29,  rue  de  Chamelles.  Premier  violon 
de  la  Société  des  Concerts,  ex-premier  violon  de 
l'Opéra.  Leçons  de  violon  et  d'accompagaernent. 


ITS  A 


!T 


Alill 


L.  Fleury,   15    bis,    rue   de   Maubeuge,   Leçons 
particulières  de  flûte.    Préparation  au  Conservatoire. 

Georges    Grisez,  de  la  Société  des  Concerts, 
45,  rue  Rochechoîiart.  Leçons  de  clarinette. 

m.  Stiévenard,  des  Concerts  Lamoureux.  Leçons 
de  clarinette  et  d'accompagnement,  75,  rue  Blanche. 

province 

TOULOUSE 

Jll.  Onier    Guiraud     Orgue,    Harmonie,    18, 
rue  Saint-Bernard. 

NANTES 

M""®     Caldaguès  ,     Leçons  de  Solfège   et  de 
chant,  2  rue  des  Cadeniers. 

NICE 

m™''  Lacroix,  professeur  de  chant,  solfège. 
37,  boulevard  Diibouchage. 

LYON 

il.  Faudray   violon,  8,  rueTronchet. 

M'"'    Lacharrière       Piano,   Accompagnement 
7,  rue  des  Archers. 

DIJON 

m.   Dietrieh    Piano,  Orgue,  Harmonie,  105,   rue 
de  la  Préfecture. 

BOURGES 


M"^  C.  Budîn  Piano,   Solfège,  Chant,  33,  rue  de 
Strasbourg. 

PRIVAS 

M.  Antonin  Ruff    Piano,  Musique. 

DREUX 

m.  Henri  Huvey,  leçons  de  solfège,  chant  e 
et  piano.  Rue  Doguereau. 

LE  HAVRE 


M.  Michel  Aquilina  :  professeur    de    violon, 
47,  rue  JoinviUe. 

PAU 

Paul   Maufret,  29,    tue    Camot.    Leçons    de 
piano  et  d'harmonie. 

REIMS 

M-  Vaysman,  ll,  rue  de  in  Renjermerie. 
LeçOTis  de  violon  et  d'accompagnement. 


VIII 


Chemins  de  fer  de  Paris-Lyon-Méditerranée 

Relations  de  Paris 

avec  la  Côte-d*Azuf 


Rapide  quotidien  entre  Paris,  Nice  et  Menton, 
composé  de  voitures  de  l""^  classe,  de  lits- 
salons  et  de  wagons  lits. 

Londres-Nice  en  27  heures  —  Paris-Nice  en 
y  7  heures 


_  ALLER  : 

Paris départ  ...  9  h.  20  soir 

Marseille arrivée. ...  9  h.  35  matin 

Nice ))      ....  2  h.  12  soir 

Menton »      ....  3  h.  24    » 

RETOUR  : 

Menton départ 1  h.  40  soir 

.Nice. »     ...  2  h.  50    » 

Marseille »     ....  8  h.  » 

Paris arrivée    . .  8  h.  30  matin 

Relations  entrs  Paris  et  Rome 

Par  le  Mont-Cenis 


Train  de  luxe  '^  Paris -Borne  "  composé  de 

wagons-lits  et  d'un  restaurant. 

Ce  train  a  une  voiture  directe  pour  Florence 

et  une  pour  Naples 

ALLER  : 

Les  Lundis,  Jeudis  et  Samedis  au  départ  de  Paris 

du  4  Décembre  \c)o^  au  5  mai  ipo6 

Paris départ ....      1 1   h.  20  matin 

Modane arrivée.    ..      10  h.   18  soir 

Rome »      .    .  .        5  h.  50    »  (  i) 

le  lendemain 
(i)  hetire  de  l'Europe  centrale. 


RETOUR  : 

Les  Lundis,   Mercredis  et  Samedis  au  départ  de  Rome 

du  6  décembre  au  y  mai 

Rome départ.  ...      i   h.  40  soir 

Modane »      ....      7  h.  56  matin 

Paris arrivée. ...      6  h.   35  soir 

le  lendemain     (i) 
Nombre  de  places  limité.    5'adresser  aux  Agences  de  la 
Compagnie   des  Wagons-Lits. 


Qï)etr)\r)s  De  pcr  Ce  l'Quest 

— ♦— 

Vo^agei  à  fïi^  Fédait§ 

La  Compagnie  des  Chemins  de  Fer  de  FOuest,  qui 
dessert  les  stations  balnéaires  et  thermales  de  la  Nor- 
mandie et  de  la  Bretagne,  fait  délivrer  jusqu'au  31  octo- 
bre, par  ses  gares  et  bureaux  de  ville  de  Paris,  les  billets 
ci-après  qui  comportent  jusqu'à  50  0/0  de  réduction  sur 
les  prix  du  tarif  ordinaire. 

1°  Bains  de  Mer  et  Eaux  thermales 

Billets  valables  suivant  la  distance  3,  4,  10  ou  33 
jours  :  ces  derniers  donnent  le  droit  de  s'arrêter  pendant 
48  lieures  à  Faller  et  au  retour  à  une  gare  au  choix  de 
l'itinéraire  suivi  et  peuvent  être  prolongés  d'une  ou  de 
deux  périodes  de  30  jours,  moyennant  supplément  de  10 
0/0  pour  chaque  période. 

2°  Excursions  sur  les  Côtes  de 

Normandie 

en  Bretagne  et  à  l'Ile  de  Jersey 

Billets  circulaires  valables  un  mois  (non  compris  le 
jour  du  départ)  et  pouvant  être  prolongés  d'un  nouveau 
mois  moyennant  supplément  de   10  0/0. 

Dix  itinéraires  différents  dont  les  prix  varient  entre 
50  et  IIS  fr.,  en  i"  classe  et  40  et  100  fr.,  en  2»  classe, 
permettent  de  visiter  les  points  les  plus  intéressants  de  la 
Normandie,  de  la  Bretagne  et  de  l'Ile  de  Jersey. 

Pour  plus  de  renseignements  consulter  le  livret  Guide- 
illustré  du  réseau  de  FOuest,  vendu  o  fr.  30,  dans  les 
bibliothèques  des  gares  de  la  Compagnie. 


MEUCVUE    DE    FnnNCE 

26,  rue  de  Condé,  PARIS 

PARAIT    LE    1=«    ET    LE    15    DE    CHAQUE    MOIS 

Littérature,  Poésie,  Théâtre,  Musique,  Peinture,  Sculpture,  Philosophie, 
Histoire,  Sociologie,  Sciences,  Voyages,  Bibliophilie,  Sciences  occultes,  Critique,   | 
Littératures  étrangères,  Revue  de  la  Quinzaine 

Le    numéro  :    France,   1   fr.   25.   —  Etranger,   1  fr.   50. 

ABONNEMENT: 

France:   Un   an,  25  fr.  ;  six  mois,  14  fr.  ;  trois  mois,  8  fr.   —  Etranger  :   Un  an,  30  fr. 

six  mois,  17  fr.  ;  Trois  mois  :  10  fr. 


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Institut  Musical  de  France 


12,  Place  de  la  Nation,  PARIS  (12^) 


TÉLÉPHONE  924-70 


ïïarrnonisation,    Orcî^estration  ;    ^rrangei^ent    de    toutes    œuvres    pour   pia^o, 
fjannonie,  Orcl^estre  syrnpljonique,  etc.  Gravure  et  Edition 


EzameQ  et  correction  de  toates  compasitions  mnsicales. 

coQSultatioLS  teckiqaes 


ils  aux  débutants  et 


L'Institut  Musical  de  France,  qui  compte  parmi  ses  Collaborateurs  les  Professeurs  et  les 
Compositeurs  les  plus  éminents,  tous  diplômés  du  Conservatoire,  se  charge  de  tous  les 
travaux  qui  lui  sont  transmis  de  Paris,  de  la  Province  et  de  l'Etranger.  Son  organisation 
technique  lui  permet  de  traiter  toutes  les  questions  se  rapportant  à  l'Art  Musical. 


L.I  o  u  e:  U  R 


BENÉDICTrNE 


OCT  8  4  1927 


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