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Full text of "Le crime de lèse-majesté ...: La papauté en droit international"

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HARVARD LAW LIBRARY 



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FACULTE DE DROIT DE PARIS 



DROIT ROMAIN 



LE 




CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ 



DROIT DES GENS 



LA PAPAUTÉ 

EN DROIT INTERNATIONAL 



THÈSE POUR LE DOCTORAT 

PAR 

RAOUL BOMPARD 

Avocat à la Cour d'appel , 
Cocscillcr municipal de Parii , Conseiller gênerai de la Seine." 



(f Ce devrait être le but du jurisconsulte 
d'examiner ce sujet si difficile dans un 
esprit non pas tùéologique , mais stricte- 
ment juridique. » 

Phiiximore, Intem, Law. 



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PARIS 

LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE 

ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR 

IV, nUE SOUFFLOT, ET RUE TOULLlEn, 13. 



1888 



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FACULTÉ DE DROIT DE PARIS 



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DROIT ROMAIN (t^ 



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CUIME DE LÈSE-MAJESTÉ 



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DROIT FRANÇAIS 



LA PAPAUTÉ 

EN DROIT INTERNATIONAL 



THÈSE POUR LE DOCTORAT 

FJacle public, sur les matières ci-après, sera soutenu 
le vendredi ^â février 4888, à i heure 

PAR 

RAOUL^ BOMPARD 



PftBSiDENT : M. RENAULT | 

MM. LYON-CAEN i ^ ^ ' 

, ALGLAVE Professeurs. 



JOBBE DU VAL, Agrégt. 



im^mi 



PARIS 

LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE 

ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR 

14, RUE SOOrFLOT, ET HUE TOOLUER, 13. 



1888 



JUN 2-: J921' 



A LA MÉMOIRE DE MON PÈRE 



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DROIT ROMAIN 



LE CRIME 



DE LÈSE-MAJESTÉ 



liVTIIODUCriO.N 



L'accusation de lèse-majesté n'est ni une invention 
des empereurs romains, ni même une invention romaine. 

Elle se retrouve avec ses caractères principaux dans 
la législation des démocraties antiques, en particulier 
dans celle du peuple athénien. C'est un moyen légal 
pour le peuple souverain d'exiler quiconque porte om- 
brage à sa puissance et paraît dangereux pour sa liberté. 
C'est moins l'imputation d'un fait criminel que le résultat 
d'une situation politique. 

L'étude de cette accusation se rattache donc d'une 
façon intime à celle de la constitution et de l'histoire 
romaines. Mais elle n'est pas bornée par les limites 
mêmes de cette histoire. 

Dans leur texte, en effet, les lois romaines sur le 
crime de lèse-majesté ont été appliquées sous l'empire 

1 



INTRODUCTION 



de notre ancien Droit. Au grand Cliancelier qui Tin- 
terrogeait, de Thou répondit : « J'ai su la conspiration ; 
j'ai fait tout mon possible pour en dissuader Cinq- 
Mars ; il m'a cru son ami unique et fidèle, et je n'ai pas 
voulu le trahir : c'est pourquoi je mérite la mort. Je me 
condamne moi-même par la loi Quisquis (1) ». La loi 
Quisquis est la loi 3 au Code. L. IX, t. VIII. 

Dans leur esprit, ces lois ont de beaucoup survécu à 
la puissance romaine. La confiscation générale des 
biens du condamné, par exemple, est un legs de la lé- 
gislation impériale que le Code de 1810 avait recueilli. 

Ce sont là des raisons cfe penser que l'étude de ce 
sujet peut offrir quelque intérêt. 



(1) Mémoires de Fontr ailles. 



^ 
î' 



CHAPITRE PREMIER 

Idée générale de la jn&tice politique sous la République 

romaine. 



La tendance du Droit moderne, quand il étudie les 
crimes politiques et les lois (jui les répriment, est do 
donner à Taccusé les plus larges garanties. 

Entraver les accusations pour des crimes imaginaires 
par la précision des textes; organiser une juridiction 
impartiale ; enlever aux condamnations politiques un 
caractère irrévocable; — c'est ce qui doit préoccuper 
avant tout le jurisconsulte moderne. 

Ces idées ont inspiré notre législateur quand il a in- 
stitué une échelle spéciale de peines et supprimé Técha- 
faud en matière politique. Elles ont inspiré la constitu- 
tion des États-Unis, quand, après avoir déféré au 
Sénat, corps politique, le droit de juger les fonction- 
naires, elle lui défend de prononcer contre eux d'autre 
châtiment que « la perte de leur charge et l'incapacité 
déposséder, dans les États-Unis, aucune fonction impli- 
quant honneur et confîance » . 

Tout autre est la théorie de l'antiquité. 

A Athènes comme à Rome, l'intérêt général préoc- 
cupe exclusivement le législatcîur. Les droits de l'accusé 
lui importent peu, ou plutôt il n'y a pas d'accusé, mais 




CIIAIMTKK PUKMIKU 



seuleai(3nt un homme dont la présence dans la Cité nuit 
à la chose publique. Peut-être le seul tort de cet homme 
est-il de dominer la foule par ses talents extraordinaires 
et ses vertus peu communes ? N'importe ! 11 doit être 
sacrifié à l'intérêt général. Aristote (1) admet qu'on re- 
tranche un citoyen de la ville « comme un peintre efface 
de son tableau un pied qui dépasse les proportions de 
la figure, ce pied fut-il plus beau que tout le reste », ou 
« comme un charpentier de marine n'admet pas une 
proue ou telle autre pièce du bâtiment si elle est dis- 
proportionnée ». 

Parfois ce sont les biens d'un citoyen qui sont néces- 
saires à rÉtat. Quand les coffres do celui-ci sont vides, 
on a recours, pour les remplir, aux accusations politi- 
ques: «Le Sénat, dit Lysias (2), ne commet pas d'in- 
justice quand il a des fonds suffisants pour les rétributions 
ordinaires; mais quand il est embarrassé d'y pourvoir, 
il se voit obligé de recevoir les accusations pour crime 
d'Étal, de confisquer les biens des particuliers et de 
suivre les mauvais conseils des orateurs, w 

La décision rendue par le peuple ou le Sénat en ma- 
tière de lèse-majesté a donc beaucoup moins le caractère 
d'un jugement que celui d'une mesure administrative, 
d'une décision souveraine prise pour un cas particulier 
en vue du bien général. On peut dire des jugements 
prononcés par le peuple romain en matière politique ce 
que Tocqueville dit du jugement politique prononcé aux 
États-Unis par le Sénat : « L'arrêt du Sénat est judi- 



(i) Politique, IH, 8. 

(2, Cité par Thonisscn. Droit pénal de la République Athénienne^ 
p. 123. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUnLIQUK 5 



ciaire parla forme; pour le rendre, les sénateurs sont 
obligés de se conformer à la solennité et aux usages de 
la procédure. Il est encore judiciaire par les motifs sur 
lesquels il se fonde ; le Sénat est en général obligé de 
prendre pour base de sa décision un délit du Droitcom- 
mun.Maisil est administratif par son objet (1). » 

Même chose à Rome. Les formes sont judiciaires ; le 
but est administratif. De là découlent de nombreuses 
conséquences. 

I. — D'abord la loi ne cherche pas à assurer à l'ac- 
cusé un juge impartial. 

A Rome, en principe, celui-là est juge qu'on prélend 
lésé par l'acte incriminé : c'est le peuple. A Alhcnes, 
c'estune délégation dupeuple si nombreuse qu'elle équi- 
vaut au peuple lui-même (2). 

Peu importe d'ailleurs que les sentiments du peuple- 
juge soient connus à l'avance ou même qu'ils soient 
violemment hostiles à l'accusé. 

Parfois la colère du peuple est telle qu'il veut frapper 
l'accusé (3), ou qu'il interrompt sa défense par des 
murmures (4). Parfois sa fureur est si grande qu'il veut 
prendre les armes (3) ; mais on annonce que le coupable 
est déféré non pas même au peuple tout entier, mais à 
cette partie du peuple qu'il a spécialement offensée, à la 



(1) Tocqucville. Démocratie en Amérique, I, ch. vu. 

(2) Héliasles jugcanl au nombre de 500, 1000 ou 1500 Pastoret. His- 
ioire de la Législation, t. VI, ch. viii. 

(3) Procès de Manlitis Capiloliniis et de Cœso Quinctiuf, 

(4) Procès de Rabirius, QÀc.pro RabiriOy %. 6. 

(5) Procès de Coriolan. « Adeo infensa eratplebs... plebem ira pi ope 
armavit. » Til. Liv. II. 35. 



w 



6 GHÂPITUE PREMIH:R 



plèbe : « Alors la colère tombe, chacun se sentant juge, 
c'est-à-dire maître de la vie et de la mort de son en- 
nemi (1). » 

Ce serait certes comprendre la missicm du juge d'une 
étrange façon, s'il s'agissait d'exercer une magistra- 
ture. Mais ce qui est en cause, c'est l'intérêt général ; 
nul n'est censé mieux le connaître que le peuple; aussi 
contre un tel juge il n'y a pas lieu à récusation; on ne 
peut lui dire: « Ejero, iniqiius es (2). » 

II. — Pour que les comices populaires puissent li- 
brement pourvoir au salut de l'État, le texte delà loi de 
lèse-majesté est tellement vague qu'on a pu considérer 
chaque jugement comme une loi destinée à régler la si- 
tuation particulière d'une personne à propos d'un fait 
déterminé (3). 

A Rome, chez un peuple oii l'analyse juridique fait 
distinguer quatre espèces de vol, la définition de l'atten- 
tat politique tient d'abord tout entière dans le mot per- 
duellis et l'idée qu'être perduellis c'est se compor- 
ter en ennemi de Rome. Plus tard est votée la loi Ma- 
jestaiis imminutœ. Quel crime prévoit-elle ? Celui de 
porter atteinte à la sûreté, à la puissance, à la dignité 
du peuple romain. Pas d'autre explication légale. Défi- 
nir ces mots majestas et majestatem minuere devient 
un exercice de rhétorique (4). La condamnation ou l'ac- 
quittement tiennent tout entiers dans un mot, « ex quo 



(1) Til. Liv. Ibid. : « Ibi ira est suppressa^ sejudicem quisque^ se do- 
m'inum vitœ necisque inimlci fartum vUlebal. » 
(2)Gic. />eOrûf/., H, 70. 

(3) LohonX^yQ^ Essai sur les lois criminelles ^L i, sect. ii, ch. m. 
(4, Cic. De Oral,, II. 25 et 49; ad Hct^en. II. ii. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE 



verbo lege Appuleia tota illa causa pendebat (1). » In 
illa omnidefensione atque causa quod esseinarte po- 
sitiim videbatur, ui de lege Appuleia dicerem^ ut quid 
esset miiiuere ninjestatem explicarem{2). » Pour faire 
comprendre le sens de celle expression de la loi, on ne 
peut procéder que par énuméralion, et Cicéron décon- 
seille de chercher une formule hrèvc : le laconisme 
n*est pas à rechercher pour définir une idée si vague, si 
confufie et si large : « hi hoc génère causarum nonnidli 
prœdpiunt ut verbum illud, quod causam facit, lucide 
breviterque uterque definiat, Quod mihi quidem per- 
quam puérile viderisolet (3). » Une s'agit pas d'une défi- 
nition scientifique correcte et précise, mais d'une sorte 
de principe politique à développer : « Aliaest enim, cum 
inter dodos homines de iis rébus, quœ versantur in 
aribuSy dispidatur, verborum definitio, ut quum quœ- 
ritur. quid sit lex^ quid sit civitas. In quibus hoc prœ- 
cipit ratio atque docti^ina ut vis ejus rei quam défi- 
nias sic exprimatiir, ut neque absit quidquam^ neque 
supersit, Quod quidem in illa causa neque Sulpicius 
fecit neque ego facere conatus sum, Nam, quantum 
uterque nostrum potuit, Onini copia dicendi dilatavit 
quid esset majestatemminuere{i). » 

De même à Athènes la loi punit de mort le crime 
de lésion du peuple athénien et le fait d'avoir manqué 
à ses engagements envers le peuple, le Sénat ou les 
tribunaux (4). 



(l)Gic. De Oral., U, «5. 

(2) Ibid. n, 49. 

(3) Gic. De OraL, H, 25. 

(4) Thonissen, op. cit., p., 470. 



8 CHAPITRE PRKMIER 



Sous des incriminations si vagues, on peut faire tom- 
ber les actes les plus diflérents : réunions en armes, 
meurtre d'un magistrat, intelligences avec Tennemi, 
malversations. De simples paroles suffisent même par- 
fois : tel fut le cas de Claudia, accusée d'avoir souhaité 
la perte d'une flotte romaine (1). 

De nombreux exemples prouvent que le tait pour un 
général d'avoir été imprudent ou malheureux à la 
guerre est puni comme crime de lèse-majesté. Il suf- 
fisait qu'une entreprise n'eut pas répondu à l'attente du 
peuple athénien pour qu'aussitôt les orateurs qui l'a- 
vaient conseillée et les généraux qui l'avaient conduite 
se trouvassent en butte à une accusation capitale. « Que 
de généraux, dit Démostliènes, pour avoir nui à la 
République, ont été traduits devant les tribunaux, mis à 
mort ou contraints de se bannir (2) I » A Rome, ces exem- 
ples sont aussi nombreux. Ici cependant l'intention 
coupable fait généralement défaut. Mais que prétend 
l'accusation? Que ce chef militaire a diminué la majesté 
du peuple romain, c.-à-d., selon la définition deCicéron, 
porté préjudice en quelque chose à la dignité, à la puis- 
sance, au prestige du peuple romain (3). QuMmporte en 
ceci la culpabilité ? Pour prévenir le retour d'infortunes 
pareilles, le peuple décide que l'accusé sera condamné 
à une amende, espèce de dommages-intérêts pour le 
préjudice causé à la cité. On prévenait ainsi le danger 
de l'indiflérencepour le bien public. « La tyrannie d'un 



(1) Suétone, Tibère, 2. 

(â) Thonisson, op. ait,, p. 169-17!. 

{3)Cic. De Inv. II. 17. 



JUSTICE POLITIQUE S0U3 LA RÉPUBLIQUE 9 



prince, a dit Montesquieu, ne met pas un état plus près 
de sa ruine que Tindifférence pour le bien public n'y 
met une République (1). » 

Une amende est la peine ordinaire du général mal- 
heureux, et le chiffre de cette amende est variable. 
Elle fut de 10.000 as pour Postumius (423 av. J.-C); 
de 13.000 pour le consul Sempronius (422 av. J.-C); 
de 120.000 pour Claudius Pulcher (248 av. J.-C.) (2). 

Moins heureux, le consul Plan tins lut condamné au 
bannissement, car le peuple a un pouvoir arbitraire et 
souverain pour fixer la peine. 

III. — C'est encore là une conséquence du caractère 
administratif des jugements politiques chez les Romains. 
Les mesures que commande l'intérêt supérieur de la 
cité ne peuvent être fixées à l'avance avec la rigueur 
que comporte une loi pénale. 

« Pour un grand nombre d'infractions, le législateur 
d'Athènes avait abandonné le choix des peines à l'arbi- 
traire des plaideurs et des juges. La cause était alors 
appeléeay^preeiûfWe. Dans ces causes, l'accusateur choi- 
sissait parmi les peines appliquées dans le droit national 
celle qui, à son avis, devait être infligée au délinquant... 
Il était obligé de choisir une peine corporelle ou une 
peine pécuniaire :1e cumul était formelle ment interdit. > 
Miltiade est accusé d'avoir lésé la nation. Voici, d'après 
Xénophon,laloi applicable: « Celui quia lésé le peuple 
athénien devra se défendre, chargé de fers, en présence 
du peuple. S'il est condamié, il sera jeté dans le Bara- 



(1; Grandeur et décaUenm dej R:).n:iin6, cli. iv. 
(î) V. la liste de ces procùs dans Zumpt. Criminalrecht der romUchen 
Republik, llySOQ et sq. 



iO CHAPITRE PREMIER 



tliron; ses biens seront confisqués, et le dixième attribue 
à Minerve. » Miltiade n'est cependant condamné qu'à 
une amende de cent talents (1). 

A Rome, ce qui détermine la peine, c'est souvent la 
comjiétence du tribun:\I. Los tribuns prennent en effet 
l'habitude de déférer les accusations politiques aux co- 
mices par tribus. Ceux-ci ne peuvent, en principe, pro- 
noncer que des peines pécuniaires; en fait, ils s'arro- 
gent aussi le droit de confirmer l'exil de l'accusé s'il 
est en fuite (2) et de lui interdire l'eau et le feu pour 
prévenir son retour. L'amende et le bannissement sont 
donc à peu près les seules peines que les Romains 
aient infligées pour crimes politiques. Sans doute, la peine 
de mort est écrite dans la loi qui réprime les actes de 
haute trahison; mais le sens pratique des Romains ré- 
pugne auxrigueurs inutiles. Comme nous l'expliquerons, 
l'accusé peut librement s'éloigner, et le châtiment 
suprême prononcé par la loi n'est qu'un épouvantail 
destiné à pousser l'accusé à l'exil volontaire. 

Il est résulté décos usages que la législation romaine, 
effrayante en apparence, présentait cependant un carac- 
tère de clémence très remarquable, que les historiens de 
l'époque constatent avec orgueil comme faisant hon- 
neur à la civilisation nationale. Tite-Live (I, 28) racon- 
tant Técartèlement de Metius Suffetius, dictateur d'Albe, 
dit: « Ce fut le premier et le dernier exemple d'un sup- 
plice dans lequel Rome ait oublié les lois de l'huma- 
nité; un de ses titres de gloire est d'avoir toujours pré- 



(i) Tlionissen, op. cit., p. i7l. 

(2) Ei justiim osse exsilium scivitpicbs. » Tite-Live, XXVI, 3. A propos 
de Gn. Fulvius. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA REPUBLIQUE il 



fcré (loschàtimcnlsplusdoux que ceux d'aucun peuple. » 
Sniluste (Catilina, | 50) fait dire à César, dans la discus- 
sion au Sénat sur la condamnation des complices de Cati- 
lina : « A l'époque dont je parle, conformément à la 
législation grecque, on punissait des verges les citoyens, 
on faisait subir aux condamnés le dernier supplice. Plus 
lard, quand la République se fut agraniie et qu'au sein 
d'une population nombreuse les factions eurent acquis 
de la force, des innocents payèrent de leurs têtes ; les 
abus les plus révoltants eurent lieu. Alors parut la loi 
Porcia, suivie de plusieurs autres, qui, pour cbàtiment 
légal, assignèrent l'exil aux condamnés. » Cicéron (pro 
Rabirio, % 3) vante de même la sagesse des anciens Ro- 
mains qui. après avoir cbassé les rois, voulurent que la 
République fût gardée ononp:ir l'horreur des supplices, 
mais parla clémence des lois». Les Romains méritèrent 
donc l'éloge que leur décerne Montesquieu d'avoir été plus 
r.ages que les Grecs : « Quand une République est par- 
venue à détruire ceux qui voulaient la renverser, il faut 
sehàterde mettre fin aux vengeances, aux peines et aux 
récompenses mêmes (1). » 

De même que le peuple a un pouvoir souverain d'ap- 
préciation pour fixer la peine, de même les juridictions 
exceptionnelles onlle même pouvoir quand des accusés 
politiques leur sont déférés. Dans la discussion sur le 
sort des complices de Catilina, Salluste nous montre 
(^ésar proposant de confisquer les biens des condamnés, 
de les mettre aux fers dans des municipes de premier 
ordre ; il ajoute à ces mesures la défense à qui que ce 



(1) Montesquieu. Esprit des Lois, XH, ch. xviii. 



12 CHAPITRE PREMIER 



soit d'en référer au Sénat ou d'en appeler au peuple, 
malgré les nombreuses lois qui ont établi le droit de 
provocation sous peine d'être déclaré rebelle au gouverne- 
ment et ennemi de la sûreté publique. Voilà donc un sé- 
nateur qui, dans sa proposition, combine les peines, les 
géminé comme on disait au temps de Potbier, en 
invente de nouvelles et écarte; une voie d'appel sanc- 
tionnée par la loi. 

Tous ces exemples prouvent que, comme le dit 
M. Fauslin-Hélie, lepeuple étant souverain faisait, quand 
il jugeait, le jugement et la loi (1). 

IV. — Mais, dira-t-on, la loi des XII Tables et, — d'a- 
près Cicéron, les legessacralœ défendent de porter des 
lois contre des citoyens déterminés ; c'est là voter des 
privilégia d'après l'orateur romain, et rien n'est plus 
cruel, plus odieux, plus intolérable dans les proscrip- 
tions de Sylla. 

Allons au fond des cboses. Qu'est-ce qui révolte à 
ce point Cicéron? C'est qu'une peine ait été prononcée 
sans jugement contre des citoyens nominativement dé- 
signés : 4 pœnam in cives y^omayios nominatim sine 
judicioconstitutam; j> — c'est que lui-même ait été 
condamné sans avoir été sommé de comparaître, ni 
cité, ni accusé : « neque adesse jussics, neque citatus, 
neque accusatus; » — c'est qu'on ait voulu faire décla- 
rer par le peuple <r que M. Tullius Cicéron avait été 
exilé ; comme si le peuple pouvait faire que ce qui n'a 
pas été édicté ait été édicté. Langage aussi impur que 
la loi même proposée par raccu8ateur(2) I » 



(1) Fauslin-Hélio. Rev. criL, t. XI., p. 31. 

(i) Gic. Pro. 007)10, § 17, 18. — « Veliiisjubeatis, ut M. Tiillio igniei 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE 43 



Ce que laloidesXII Tablesdéfend donc, c'cstdo réunir 
les centuries, délibérayit en la forme législative^ et 
de leur proposer une loi statuant sur un homme dési- 
gné par son nom, sans que ce citoyen ait été cité, sans 
que Taccusation ait été répétée pendant trois jours de 
marché, sans que Taccusé ait pu faire comparaître des 
témoins et présenter sa défense. A plus forte raison, 
c'est un privilegium, prohibé par la loi des XII Tables, 
que do vouloir faire sanctionner par le peuple une soi- 
disant condamnation qui n'a jamais été prononcée. 
Même pour le plus vil des scélérats, les formes de la 
procédure doivent être observées. 

Voilà ce qui ressort du plaidoyer de Cicéron pro 
domo. Il faut que toute décision du peuple prononçant 
une peine se rapporte à un texte de loi antérieurement 
promulgué, car la loi doit être connue de tous et être 
un ordre pour tous : « ut sit scitum et jussum in om- 
îtes (1). » Est par conséquent contraire au Droit public 
la disposition qui défend spécialement à un citoyen dé- 
signé telle action ou telle proposition. C'était un pri- 
vilegium que la loi proposée par les tribuns qui portait 
contre M. Fiirius Camillus une amende de 500.000 as 
pour le cas où il ferait quelque chose contre les intérêts 
des plébéiens. De même c'était unprivilegium que la pro- 
position du tribun Libon demandant que le préteur Sul- 



aqua interdiclum sit.». Hanc tibilegem Clodius scripsil spurciorein lin- 
guasua ? ut interdiclum sit cui non est interdiclum ?.. quod factum non 
eslj ut sit factum, ferri ad populum aul verbis ullis sanciri, aul suffra- 
giis confirmari potesl ? » 
(1) Gic. De Leg., 11, «9. 



14 CHAPITRE PHEMIKK 



picius Galba fût souinis^ à un jugement spécial (1). 

Mais pourvu qu'un texte de loi soit visé, ce texte 
fût-il aussi vague que celui de la loi de lèse-majesté, 
ou rincrimination résidât-elle tout entière dans ce mot 
perdiielliOj ^olors il ny a pas de privilegium. Les 
mêmes centuries qui ont le pouvoir législatif ont, en 
outre, le pouvoir judiciaire; elles peuvent fixer la 
peine à leur gré, déterminer ce qui est ou non compris 
dans la loi. A tous égards, ces jugements sont de véri- 
tables actes souverains, et le seul texte de loi dont le 
juge ait à s'inspirer, la loi réelle, la loi suprême, c'est 
le salut de la cité : ^Salus populi suprema lex esto (2).» 

De là découle une autre conséquence : c'est que la 
compétence pour connaître des crimes d'État est mal 
définie. 

V. — Tout corps constitué, tout organe de la sou- 
veraineté nationale a le droit, et le devoir de veiller à 
la sûreté de l'Étal, d'empêcber que rien ne vienne por- 
ter atteinte à sa puissance et à son prestige. 

Que fait le criminel de lèse-majesté? Il diminue 
précisément cette puissance, il porte atteinte à ce pres- 
tige ou à celui des magistrats auxquels le peuple a dé- 
légué sonpouvoir. Que fait celui qui serend coupable de 
perduellioi Wcommel un acte d'hostilité contrelepeuple 
romain. Quelle autorité n'a le devoir de prévenir de 
pareils attentats, qui, s'ils réussissent, sont des mal- 
heurs publics; de les réprimer, s'ils se sont déjà mani. 



(i) QXc.Bml., 23. 

(2) Cic. De Leg., ni,28. — V. Dumôril, Bévue gén, du DroU, VII, p. 
411. — Fuslol de Coulanges. Organisaliou delà justice, Rev^ des Deux- 
Mondes, 15 février 1871. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA HÉPUBLIQUE 15 



festés? Aussi voyons-nous le peuple, réuni par cen- 
turies ou par tribus, le Sénat, les magistrats délégués 
par Tun ou par Tautre connaître des accusations de 
lèse-majesté. 

Le peuple d'abord. C'est lui qui est censé le mieux 
connaître ce que réclame son intérêt. « Le mode qui 
parutle plus simple et le plus sur pour savoir cequeTin- 
térct public réclamait, ce fut d'assembler les hommes 
et de les consulter. Le suffrage devint le plus grand 
moyen de gouvernement. II fut la source des institu- 
tions, la règle du droit; il décida de l'utile et même du 
juste (i). » 

Mais de quelle façon le peuple sera-t-il réuni ? Par 
centuries ou par tribus ? 

En principe, les centuries seules ont le droit de pro- 
noncer une peine capitale, c'est-à-dire entraînant mort 
naturelle, perte de la cité ou de la liberté (2). Les lois 
f^urlaperduellio et majestatis iynminuiœ portent peine 
de mort ou au moins bannissement. Il semble donc que 
les comices centuriates soient seuls compétents. 

Mais, nous l'avons vu, les tribuns prennent un moyen 
détourné pour saisir les comices par tribus. Ils de- 
mandent une simple amende, sauf, si les faits révélés 
aux débats paraissent trop graves et si le peuple exige 
un châtiment exemplaire, à réclamer du préteur la con- 
vocation des comices centuriates et la mise en accu- 
sation cour pe)'clueUio{'i). Voilà pourquoi les généraux 



(i) Fustel de Goulangc^ Cité antique y p. 385» 

{%} Cic. De Legibus, IV. 

;3)Tilo-Live, XVI, 3. — Procès de Cn. Fulviu^, 



I 



16 CHAPITRE PREMIER. 



incapables sont presque toujours condamnés à une 
amende. Plus tard, les tribus s'enhardirent et pronon- 
cèrent le bannissement, celui de Cicéron, par exemple. 

Pour qui les décisions judiciaires de la plèbe furent- 
elles obligatoires? Nous observons ici les mêmes phé- 
nomènes que pour la force obligatoire des plébiscites. 

A l'origine, les centuries seules ont le pouvoir légis- 
latif, et encore faut-il que leur vote soit sanctionné par 
le Sénat, qui n'est à cette époque composé que de pa- 
triciens. Il faut encore que les patriciens n'aient pas 
renvoyé les comices sous prétexte d'auspices défavo- 
rables. A ces seules conditions, les lois sont obligatoires 
pour tous, patriciens et plébéiens. Mais en l'an de Rome 
261 la plèbe se retire sur le Mont Aventin; une scission 
se produit dans la nation romaine. Pour ramener la 
plèbe dans la cité, les patriciens consentent à créer 
une sorte de magistrat plébéien : les tribuns. Ceux-ci 
réunissent les plébéiens dans des comices spéciaux, les 
comices par tribus. Ces assemblées rendent des déci- 
sions qui sont d'abord obligatoires pour les seuls plé- 
béiens; mais elles tentent bientôt de donner à ces 
plébiscites force de loi même pour les patriciens. Les 
oplimates résistent avec énergie ; de nombreuses 
lois sont nécessaires pour faire triompher le nouveau 
principe parce qu'ici, comme pour Ig droit de jn^ovocatio, 
les richesses de quelques-uns ont plus de poids que la 
liberté do la plèbe (1). Enlin les plébéiens emportent la 

(1) Tite-Livc, X. 9. — Ne voit-on pas aussi, p. ex. dans le Droit cons- 
titutionnel Anglais, le principe que nul Anglais ne peut être arrêté, banni 
ou emprisonné sans le jugement de ses pairs, proclamé dans la Grande 
Charte de 12io, renouvelé dans le billdes Droits de 1628, affirmé de nou- 
veau dans PActe d'Établissement de 1701 ? 



jusTir.K rounoiK socs la hèpublique n 

victoire en l'an de Rome 467 : les patriciens doivent 
obéir à des lois qui ont été faites sans qu'on prenne les 
auspices, sans que le Sénat intervienne. 

11 en fut de même pour la compétence ratione per- 
sonœ des tribus exerçant le pouvoir judiciaire. Au sein 
de la plèbe, les comices^ sur la dénonciation des tribuns, 
exerçaient ce pouvoir et condamnaient à des amendes 
ceux qui désobéissaient aux règles établies par ces 
mêmes comices : « 11 a toujours été admis par les Ro- 
mains, dit M. Maynz (1), que toute agrégation de per- 
sonnes formant un milieu social a le droit de punir ceux 
de ses membres qui se rendent coupables d'une atteinte 
envers la communauté. Ainsi, le père de famille juge 
et punit les méfaits des membres de la famille soumis à 

sa puissance; le grand pontife ou le roi a une 

juridiction pénale sur toutes les personnes faisant partie 
des corporations soumises à son autorité. Dès que la 

plèbe est constituée elle use de ce droit, et fait 

punir ceux qui se rendent coupables d'attentat contre 
les tribules. » 

A l'origine, la juridiction des comices par tribus 
s'analyse en une sorte de magistrature domestique, de 
justice de paix, au sein de cette société qui s'appelle la 
plèbe. 

Mais, en l'an de Rome 2G3, un patricien, Coriolan, 
propose au Sénat d'affamer le peuple jusqu'à ce qu'il 
ren(mce aux droits qui lui ont été reconnus par les 
Leges sacralœ , et qu'il déchire lui-même le traité de 
paix conclu au Mont Aventin. Devant une telle me- 



(1) Esquisse du Droit criuiinel de raucienno Uouic, | i, Nouv. Hcvue 
Historique du Droit, t. V. 

i 



IS CIIAPITHK PHKMIEK 



iiace, que les tribuns considèrent connue une perduellio^ 
comme un acte qui trouble profondément la sûreté et 
la tranquillité de TÉtat, le peuple est sur le point de 
courir aux armes. Les tribuns Tapaisent en citant 
Coriolan devant les tribus. Que répond Coriolan ? Que 
les tribus n'ont pas la puissance judiciaire ? Non , 
mais qu'il est patricien, et qu'envers les gens de sa caste 
les tribuns n'ont qu'un droit : celui de protéger les 
plébéiens (1). Cependant le Sénat, pour sauver les pa- 
triciens par le supplice d'un seul, livre Coriolan à la 
justice plébéienne. Il est condamné, et le droit de ju- 
ridiction des plébéiens sur les patriciens, fondé à partir 
de cette époque, est reconnu par la loi des XII Tables. 
Cette loi donne aux comices par centuries le droit ex- 
clusif de prononcer les peines capitales, et concède par 
là implicitement aux tribus le droit de condamner à 
Tamende, quelle que soit d'ailleurs la qualité de 
l'accusé (2). 

La plèbe est investie du pouvoir de déterminer, en 
prononçant de fortes amendes, la fuite d'un accusé et 
de condamner ainsi indirectement à l'exil. Elle prend 



(1) AuxiUl non iurnœ jus daltnn Uli pof estait, plebisque non palriim 
fribu nos esse, T.-Live, II, 35. 

(2) S/>, M. Duméril, liev. (jén, du Droite t. VII. —Mais cet auteur fait 
intervenir, û l'origine do la juridiction criminelle des tribus, l'idée do 
la vengeance privée. 

« D'après le droit universel des républiques italiennes, l'olTenseur 
devait être livré par la Cité à laquelle il appartenait au peuple qu'il 
avait olTcnsé afin que celui-ci décidât du châtiment qui lui serait inlligé. 
Ainsi s'explique le pouvoir judiciaire exercé par les tribus même en 
matière capitale avant la loi des XII Tabh^s. Celle-ci opère la fusion 
auparavant incomplète des deux cités, et il s'ensuivit un partage do 
la juridiction criminelle. » 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA HÉPUBLIQUE 10 



elle aussi le droit de veiller au salut de la Cité. Rien ne 
saurait mieux démontrer le caractère des jugements 
politiques à Rome, que ce parallélisme absolu entre lu 
force obligatoire progressive des plébiscites et la force 
obligatoire progressive des décisions judiciaires de la 
plèbe. 

La compétence reconnue au Sénat pour réprimer les 
mêmes attentats est une autre preuve. 

VI. — Quels sont les pouvoirs judiciaires du Sénat? 
En principe, sur les citoyens romains, il n'i^n a aucun. 
Sans doute, ayant la garde des finances publiques, il 
peut mander à sa barre les magistrats ou ex-magistrats, 
réclamer d'eux des explications, les blâmer si leur 
gestion paraît infidèle. Mais son pouvoir ne va pas 
au delà; il ne peut prononcer une amende ni une 
sanction pénale : car il n'a pas de juridiction crimi- 
nelle (1). Il ne peut juger un citoyen romain que sur 
délégation des comices; peut-être connaît-il des accu- 
sations portées contre les étrangers, même pour des dé- 
lits commis dans la cité (2). Hormis ces cas, le Sénat 
n'a vraiment d'attributions judiciaires qu'a raison 
de crimes accomplis dans les provinces par d'autres 
que les citoyens romains, ceux-ci ayant, depuis 
la lex Semironia^ la ressource de la provocalio. Un 
passage de Polybe (VI, 13) nous apprend que le Sénat 
juge dans les provinces les crimes de conjuration, de 
Irabison, et, quand ces crimes se présentent dans des 
circonstances graves, ceux d'empoisonnement et d'as- 



ti) Willcius, Sénat romaifiy H, p. i34. 

(i) Faustin-nélie, Hev.crit., u. s. XI, p. 3U, 



hi OilAl'irUK PHKMIKit. 



sassiriat (1). Même dans ces cas, le Sénat ne connaît 
pas lui-même de l'affaire ; il désigne un magistrat qui 
a sur les non-citoyens un pouvoir illimité, et sur les 
citoyens un pouvoir soumis à la provocatio depuis la 
loi Senipronia (2). 

Ainsi donc, en théorie, le Sénat n'a pas d'attributions 
judiciaires sur des citoyens pour des faits accomplis 
dans la ville. 

Mais le Sénat, dit Cicéron (pro Sestio, 63), est le 
gardien, le défenseur de la chose publique. Comme tel, 
il ne doit pas souffrir que la puissance romaine soit 
amoindrie, et, la Constitution ne lui donnant aucune 
compétence criminelle, c'est par un acte législatif qu'il 
met des citoyens hors la loi, les déclare ennemis 
publics, ordonne aux magistrats de s'emparer des fac- 
tieux et même de les frapper sans s'arrêter devant le 
droit de provocalio. C'est là ce S. C. JJUimum d(mt 
la constitutionnalité fut si justement attaquée par les 
populares, mais que les o/j/ima^e^ considéraient comme 
la ressource suprême de la République. En vain, 
C. Gracchus, dont le frère avait été déclaré hosLis par 
le Sénat (3), s'efforce-t-il d'abolir cet usage inconstitu- 
tionnel en renouvelant la défense de prononcer une 
peine capitale contre un citoyen sans une interven- 
tion directe ou indirecte du peuple (4). Le Sénat ne 
s'effraie pas do ses menaces; en l'an 121, C. Gracchus 
lui-même est tué par le consul Opimius auquel le Sénat 



(!) Willems, Faustiu-Hélie, Dumeril, cp, cit. 

(2) Gic. ProRabirio, — V. Thèse de M. Théodore Roinach, 1885. 

(3; Val. Max., IV, 7, |l : « Uostls judicalus. » 

[ï) Gic. Pro Rahirio, % 4. 



JUSTICE POLITIQUK SOIS L\ IŒl»rHLUJ. K il 



ordonne t uiirempublicamdefenderet{{) ». Plus tard, 
Catilina, Antoine, Lépide (2) sont mis hors la loi. 
Parfois la mise hors la loi est prononcée d'avance contre 
quiconque s'opposerait à Toxccution de la mesure ordon- 
née : « De me senatus ila decrevit ut si qids impedis- 
set reditum meum in hostium ninvero putay^etur {3). » 
Quelquefois, le Sénat (au lieu de ratifier le meurtre d'un 
citoyen exécuté d'après ses ordres, comme il le fait pour 
Tih, Gnacchus) délibère lui-même en la forme légis- 
lative sur la peine à appliquer. Il en fut ainsi pour 
Catilina. Celui-ci ayant été arrêté avec ses complices, 
le consul demande au Sénat ce qu'il faut en faire 
€ quid de iis fieri placeat ». La discussion s'ouvre au 
Sénat, et chacun y exprime son avis en toute liberté 
sans être gêné par l'observation d'aucun texte pénal ; 
c'est une mesure d'utilité publique qu'on discute. César 
opine pour l'emprisonnement et la confiscation; Caton 
pour la mort; Julius Silanus, consul désigné, vote la 
mort, puis se ravise après avoir entendu César. Ce 
ne sont pas des juges, mais des législateurs qui votent. 
Chose singulière I Le Sénat, quand il jugeait, comme 
il en avait le droit, les crimes commis en Itah'e et dans 
les provinces, déléguait la connaissance de l'affaire, 
comme si les fonctions judiciaires lui avaient paru par 
trop étrangères à la nature* de ses attributions. Le 
même Sénat, quand il jugeait illégalement des citoyens 
romains accusés politiques, retenait TalTaire et discu- 



(1) Cic. Phil. VIII. 4, s *4. 

(2) Sallusle. Cal,, 3«. — Cic. Phil , II, 31. - Cic. Ei/isl ad Divei\^os , 
XII, 10. 

(3) Cic. In Pis., XV, 35. 



23 CHAPITHE PKEMIEU 



lait le sort des Coupables. Comment démontrer mieux 
que les jugements politiques, judiciaires par la forme, 
étaient administratifs par leur objet? Le parti populaire 
lui-même ne s'en prenait pas au Sénat, corps délibérant, 
qui avait ordonné ces mesures extraordinaires, mais aux 
magistrats (L. Opimius, Cicéron) ou aux ciloyens (Rabi- 
rius) qui les avaient exécutées. On trouvait que le Sénat 
agissait, sinon d'après le droit, au moins d'après la 
coutume, more romano, 

. Kn Tan de Rome 605, les sénateurs acquirent une 
nouvelle inlluence dans Torganisalion judiciaire par 
l'établissement de tribunaux perpétuels ou quœsliones 
perpétuée, 

VII. — Le Sénat, avons-nous dit, avait la garde des 
finances publiques, le droit de demander des comptes 
aux magistrats soupçonnés d'infidélité dans leur gestion, 
mais il ne pouvait prononcer contre eux une peine 
quelconque sans une délégation expresse du peuple. 
Celui-ci était probablement peu soucieux des mal- 
versations commises par les gouverneurs dans les 
provinces; tandis que le moindre attentat aux libertés 
populaires était sévèrement réprimé à Rome; l'injus- 
tice commise contre des Italiens et des provinciaux 
était rarement punie, et de telles accusations n'intéres- 
saient guère le peuple romain. Aussi ne fit-il aucune 
difficulté de voter, sur la proposition deCalpurnius Piso, 
dil l'honnête liomme(Frugi), l'établissement d'un tribu- 
nal spécial et perpétuel, la Quœsiio de repetundis^ pour 
juger les crimes de concussion dont les provinciaux 
accuseraient les magistrats. Ainsi, le droit d'accuser est 
étendu aux alliés d'italîe pour les défendre contre les 
rapines des administrateurs : voilà la raison d'être de 



JlîSTICK POMTUjUE SOIS LA HEPrBLiyUK i:J 



la loi : « Civibus, quum sunt ereplœ pecuniœ, civili 
fere acétone et privatojure repetuntur. Ilœc lexsocia- 
lis est; hoc jus nationum exlerarum est : hanc habet 
arcem, minits aliquanlo nunc qurlern rnunitam quant 
anlea, verumiamen si qita r cliqua spes est quœsocio)mm 
animes consolaripossit, ea tota inhaclege posita est; 
cujus legis non modo a populo y^omano , sed etiam 
ab uliimis nationibus jamprideni severi custodes requi- 
r^untur (1). » Cicéron appelle même cette loi la sauve- 
garde des alliés, « sociorum atque amicornim popidi 
romani patrona, » 

A quel corps cependant fut attribuée la connaissance 
de cette accusation nouvelle? Le Sénat ayant la garde 
des finances, la haute administration de Tltalie et des 
provinces, les jurés furent choisis pour un an parmi les 
sénateurs, nouvelle preuve de la confusion des pouvoirs 
à Rome. 

L'innovation parut heureuse. Le peuple, que de fré- 
quents débats politiques avaient blasé sur Texercice de 
la justice, laissa se multiplier ces délégations perma- 
nentes que Sylla augmenta et coordonna. L'une de 
celles-ci fut chargée de juger les crimes de lèse-majesté: 
une autre la brigue {ambilus), deux autres la concus- 
sion et la malversation [repetundarum et peculaius), 
tous crimes politiques. Les sénateurs et les chevaliers 



(i) Cic. Dir. in Car., 5. — M. Maynz, se fondant sur les mots fere 
civili actione vtjnre, croit qu'à l'origine l'action donnée aux provinciaux 
était une action civile. Nouv Rev. hisior,, VI, p 2. — Pighius {Ann, 
rom., II, p. 447) reconstitue ainsi la loi de Repetundis : « l'ti quitus in 
provinciis magistralus popidi romani eorumve comités cojilra leges pecu- 
nias cepissent quidve commisissent, earum injurianim ergoRomœ quirC 
tari quœsito sua f^eftetere provinciales passent. » 



iï CHAIMniE FRKMIKR 



se rlisputèrent alors lo pouvoir judiciaire dont la pos- 
session fut, dit Tacite, la cause principale de la guerre 
entre Marins et Sylla. , 

Le peuple, cependant, ne croyait rien avoir perdu de 
son ancienne puissance; c'est de son autorité qu'éma- 
naient les quœstiones perpetuœ; il avait toujours la puis- 
sance suprême et pensait par conséquent être toujours 
libre. 

L'arbitraire avait-il cependant été diminué par la créa- 
tion de ces tribunaux? La justice était-elle mieux 
rendue? En aucune façon. Le peuple restant le juge de 
droit commun, nous le voyons, malgré l'existence d'une 
délégation permanente pour les crimes contre la sûreté 
de l'État, juger L. Opimius, P. La^nas, Rabirius. Bien 
qu'une quœstio fut chargée de juger les crimes d'assas- 
sinat (quœstio de sicaviis)^ le peuple délégua à un tri- 
bunal extraordinaire lo jugement des meurtriers de 
César (i). Le nombre des jurés est très variable, la loi 
de majesté toujours aussi vague; enfin, le devoir du 
juge est, d'après Cicéron, de ne songer qu'à l'utilité pu- 
blique, <r ad reipublicœ ulilitatem referri (2), » et 
Sénèqueadmet'qu'un acte louable peut être puni lorsque 
cette répression est utile (3). Quand des idées aussi uti- 
litaires sont répandues parmi les philosophes d'une 
nation, quelle organisation judiciaire trouver qui sau- 
vegarde les droits de l'accusé ? 

La seule différence qui résulte de l'établissement des 
quœstiones perpetuœ^ c'estquelajustice politique, au lieu 



[{) M. Bouché-Leclcrcq, Instil. rom , p. hiVi. 

{t)DeOrfic., I, 25. 

(3) De Clempnfia, I, 2, 12. 



JUSTICK FOLÏTIQUl»: SOUS LA RÉPUBLK^l'K in 



d'être une arme dans les mains du peuple, devint un 
instrument dedomination elune source d'enricliissement 
pour roligarchie: « Si nous prenons comme exemple 
le tribunal qui jugeait sur la lèse-majesté, c'est-à-dire 
sur tous les crimes et délits atteignant l'autorité de 
l'État, il est manifeste que ce jury, composé de sénateurs, 
devait entendre par crime de lèse-majesté tout ce qui 
pouvait porter atteinte à l'autorité du Sénat et aux 
privilèges de l'oligarchie (1). » La juridiction nouvelle 
donna surtout de détestables résultats quant à la ré- 
pression du crime même pour lequel elle avait d'abord 
été instituée. « Les juges, ditM. Fustel de Coulanges (2), 
appartenaient à la même corporation que les accusés; 
ils avaient les mêmes intérêts qu'eux; ils avaient été 
proconsuls ou aspiraient à le devenir; ils avaient com- 
mis les mêmes délits ou espéraient bien les commettre 
un jour. Si jamais hommes furent véritablement jugés 
par leurs pairs, ce furent bien ces gouverneurs de pro- 
vinces jugés par les sénateurs. On pourrait presque 
dire qu'ils étaient jugés par leurs complices. » 

Vin. — Prononcer une condamnation ou un acquit- 
tement politiques équivaut à voter une loi. Accuser un 
citoyen d'un crime contre l'État équivaut à proposer une 
loi; c'est un acte politique. 

C'est par l'accusation qu'on débute dans la vie poli- 
tique, c'est par elle qu'un jeune homme ambitieux cher- 
che à faire connaître son nom « adolescebat interea » . 
César avait vingt et un ans quand il accusa Dolabella. 



{1)M. Fustel de Coulanges. Organisation delà justice, ï\ev. des Deur- 
Mondes, 45 février 1871. 
(2) Ibid, 



26 CHAPITRE PMËMIER 



Mais n'est-ce pas une mauvaise action d'accuser ainsi 
un adversaire politique, innocent peut-être de tout crime? 
Non, répond Cicéron dans son Traité des devoirs (l), 
pourvu qu'on n'invente pas contre lui une accusation 
capitale. « Si large que fût la règle, dit M. A. Desjardins, 
elle n'a pas toujours été observée, même par Cicéron. » 

L'accusation étant un droit politique, dès que le prin- 
cipe fut admis que tout citoyen jouissait de cette faculté, 
la loi dut cependant excepter ceux qui, dans toutes les 
législations, n'ont pas la jouissance des droits politi- 
ques : les incapables et les indignes. 

Sont incapables (2) les femmes, les pupilles, les mili- 
taires et (rien ne saurait mieux démontrer le caractère 
politique du droit d'accusation) ceuxqui ne paientpas un 
certain cens ; ceux-ci, en effet, n'ont pas un intérêtsuffi- 
santà la conservation de la chose publique. Enfin certains 
magistrats ne peuvent accuser, parce qu'ils ne peuvent 
être poursuivis si leur accusation est déclarée calom- 
nieuse. 

Sont écartés comme indignes les infâinec:, les faux 
témoins, ceux qui ont prévariqué de leur droit d'accu- 
sation ou qui sont suspects de calomnie. 

Certaines incapacités sont relatives et fondées sur 
le respect que le fils doit à ses parents, Taffranclii à son 
patron. 

De l'ensemble de ces règles, résultait une certaine 



(1) Cité par M. Arthur Dosjardins, le Jury et les avocats, ïievue des 
Deux-Mondes du 1" juin 1886. 

César, pour se débarrasser de ses ennemis, suborna contre eux un 
nommé Vetlius qui, gagné par argent, déclara avoir été vivement sol- 
licité d'assassiner Pompée et César. Suét. César, 20. 

(2) L. 8 D. 48, 2. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE 27 

protection pour Taccusé, puisqu'il n'était pas tenu de 
roprindre aux imputations des infâmes, par exemple. 
.Mais la loi faisait une exception pour le cas précisé- 
ment où cette garantie eût été le plus nécessaire. Les 
hommes notés d'infamie sont admis sans aucune hési- 
tation, dit Modestin, à accuser du crime de lèse- 
majesté (7 D. 48, 4); de même pour les femmes, les 
esclaves, etc. (L. 8 D. 48, 4 : c'est une fenmie qui 
«h'îcouvrit la conjuration de Catilina et en informa Cicé- 
ron). Toutes les garanties cessent pour l'accusé quand 
il s'agit d'un crime intéressant à un si haut degré l'ordre 
puhlic. < Il y a, dit Montesquieu, dans les États où Ton 
fait le plus do cas de la liherté, des lois qui la veuhMit 
contre un seul pour la garder à tous (1). » 

IX. — Enfin, jusque dans la procédure, nous trouvons 
une analogie complète avec les formes suivies pour 
faire une loi. 

Au temps de la Répuhlique, l'auteur de la loi fait 
d'abord une rogaiio ou exposé des motifs; le projet est 
afficlié pendant trois jours de marché {trinundinum) ; 
le quatrième jour le peuple vote. 

L'accusation est portée par un magistrat avant les 
quœsiiones pevpctuœ, et même depuis leur institution 
si la cause n'est pas de la compétence de ces tribunaux ; 
sinon, par un citoyen. L'acte d'accusation est dressé 
(anquisiiio) ; il est répété pendant trois jours de mar- 
ché ; le quatrième jour le peuple vote. 

Mais encore faut-il. dans l'un et l'autre cas, que les 
auspices soient favorables : t nihilhelli domique.,. nisi 
auspicato gereretur (2). » Même réunis, les comices 

(i) Esprit défi Ix>is, XIM9 
(2) Tito-Live, I, 3Ô. 



28 CHAPITRE PUEMIER 



judiciaires ou législatifs doivent se dissoudre dès qu'un 
présage néfaste se manifeste, et les patriciens, déten- 
teurs de la science augurale, ont, afin de restreindre 
les réunions du peuple, multiplié, pour cette seule cir- 
constance, les cas où les auspices sont contraires. Un 
éclair à gauche est un excellent présage dans la vie 
ordinaire; c'est un auspice défavorable quand il s'agit 
de comices assemblés p(mr élire des magistrats, faire la 
loi ou rendre la justice (1). 

Le Sénat peut annuler une loi rendue malgré des aus- 
pices contraires; c'est ce qu'il fit pour une loi proposée 
par le tribun Livius Drusus : « Decretum est enim 
contra auspicia esse latas neque Us teneripopuhnn. » 
Le Sénat a ainsi un pouvoir presque égal à celui des 
tribuns pour paralyser les mesures qui lui semblent 
dangereuses. 

De même un jugement ne peut être rendu contre la 
volonté des Dieux. Le procès de Claudius Pulcher est 
interrompu par un orage; les tribuns eux-mêmes défen- 
dent de le reprendre sous sa forme primitive (2). Le 
procès de Rabirius ne se termine pas par une sentence : 
le président des comices ayant enlevé le drapeau rouge, 
l'assemblée se disperse. C'était probablement le signe 
qu'un présage néfaste avait été aperçu. 

X. — Ainsi, tout est réuni contre l'accusé : la loi est 
vague; la peine incertaine; le juge suspect ; la com- 
pétence mal définie ; l'accusation largement ouverte. 
Quels sont les droits de l'accusé ? 

Il a d'abord le droit de présenter sa défense. 

« L'accusé, dit M. Faustin-Hélie (Instr, crim.y I, 76), 

(1) Cic. De Duinalionct H, 35. 

(2) Zuiïipt, n, 3H. et auteurs cités. 



JUSTICE POLiriiUK SOUS LA UÉPUBLKjrK 2'J 



se présentait, suivant un antique usage, couvert de vête- 
ments de deuil, la barbe longue et inculte, avec Texté- 
rieur et l'attitude d'un suppliant. Ses amis, ses patrons 
prenaient les mêmes vêtements... C'est quilne deman- 
dait pas seulement justice, il implorait la clémence de 
ses juges; c'est qu'il ne s'adressait pas seulement à des 
tribunaux investis du pouvoir judiciaire, mais à des 
juges délégués du pouvoir souverain et investis eux- 
mêmes de la souveraineté... La plupart des barangues 
de Cicéron représentent l'accusé couvert de misérables 
vêtements et versant des larmes, in hoc sqiialore et 
sordibus ; tremblant, rampant même aux pieds de ses 
juges, horreniem, trementem^ adulantem onmes, et 
par ses cris et ses prières, precibus^ lacrymis, miseri- 
cordia, s'efforçant d'émouvoir la pitié plus encore que 
d'éclairer la juslice. » 

Afin de sauver les censeurs Claudius et Graccbus, 
accusés de baute trabison, en l'an 169, pour avoir violé 
l'intercession tribunitienne et troublé les comices tri- 
butes, les principaux citoyens se dépouillent de leurs 
anneaux et revêtent des babits de deuil : « 2J^i^^oipes 
civitatis in conspectu populi, annulis aureis posius , 
vestern miUarunt, » (Tite-Live, 43, 16.) 

Suétone note comme un trait digne de remarque que 
les Claudiens ne s'abaissèrent jamais dans les accu- 
sations capitales à prendre l'babit de deuil ou à im- 
plorer la pitié. (Suét. Tibère^ 2.) 

L'accusé peut faire présenter sa défense, même si 
c'est un esclave. 

Mais la liberté de la défense est gênée par des lois 
qui en limitent la durée. Cicéron se plaint vivement, dans 
sa plaidoirie pour Rabirius, que l'acccusateurLabienus 



30 CHAPITKK PREMIER. 



ne lui ait concédé qu'une demi-heure. Dans les Ver- 
rines (I, |9). il parle aussi du lemijuslege concessutn. 
Une loi de Pompée accordait deux heures à Taccusé. Au 
temps du procès de Flaccus, l'accusation et la défense 
ne doivent pas dépasser ensemble six heures (1). 

Parfois, nousTavons vu, ladéfense était interrompue 
par les clameurs de la foule. 

L'accusé a le droit de faire entendre des témoins à 
décharge, des apologistes, des landalores. 

S'il est condamné par une autre juridiction que les 
comices, par exemple par les il viri perduellionis ju- 
dicandœ, il peut user de la provocatio. Ce droit peut 
être exercé par mandataire, ou par un citoyen quel- 
conque n'ayant aucun intérêt au procès, même si le 
condamné refuse d'iuterjeter appel et s'oppose àcequ'on 
le fasse pour lui (2). Mais on ne peut appeler au peuple 
d'une sentence rendue par un consul dans l'exercice 
de son imperium militaire. 

Si les passions populaires lui paraissent trop excitées 
pour qu'un espoir (juelconque subsiste, l'accusé peut 
alors, sans attendre le jour du jugement, s'exiler volon- 
tairement. Cette faculté de s'exiler est un véritable 
droit que les anciens reconnaissaient au citoyen ; c'est 
la véritable sauvegarde de la vie des accusés qui se ré- 
fugient dans l'exil comme vers les autels ou dans un 
asile; ce n'est pas une peine. « Non suppliciwn est. 
sed perfugium poy^usque supplicii.,. coiifugiunt 
quasi ad aram in exsilium (3). » Loin de chercher à 
assurer la présence de l'accusé aux débats, la loi 

(l)Gic. ProFlacco, 33. 

{i) L. 0, D. De appel lationibus et rei. 

(3) Pro Cecina, 34. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA KÉPUBLIQUE 31 

romaine favorisait sa fuite comme un heureux dé- 
nouement qui débarrassait la ville d'un citoyen dan- 
gereux sans faire subir aucune peine à celui-ci. La 
détention préventive est extrêmement rare sous le 
régime républicain en matière politique. Si les conjurés 
de Gatilina sont arrêtés et remis à des magistrats^ c'est 
en vertu d'une décision spéciale du Sénat. Tout au 
plus peut-on faire donner caution à Taccusc. Quand 
Ca»so Quinctius fut accusé d'avoir lésé les droits de la 
plèbe, il fut d'abord emprisonné ; mais les tribuns eux- 
mêmes tirent mettre en liberté sous caution le jeune 
patricien ; le Sénat fut chargé de fixer le montant de la 
caution (1). 

Quand l'accusé s'est enfui, le peuple se borne à pronon- 
cer contre lui une amende, ou à ratifier son exil (2) ; par- 
fois il lui interdit l'eau et le feu pour prévenir son retour. 

La confiscation des biens n'est pas encourue do plein 
droit par l'accusé contumace. Il faut, jusqu'à J. César, 
une décision spéciale du peuple (3). 

L'auteur delà Vie de Jules CV^ar (chez Pion, 186o). 
au tome I, p. 3i6, prétend que la loi de perduêllio , à 
la différence de la loi de lèse-majesté, ne laissait pas à 
l'accusé la ressource de l'exil ; il se fonde sur le § 5!) 
de la conjuration de Catilina de Salluste. (|ui ne nous 
paraît contenir aucune preuve de cette affirmation. 
Leg 51 du même ouvrage nous semble au contraire la 



(1) Salluste. CatiL, 47; Tito-Livo. UI, 13. 

(2) Tile-Live, XXVI, 3. 

(3) Suétone, César, k±. — Zuiupt, H, 281. — Reiu, Criminalrecht dev 
Ramer, p. 916. « Sous la République, il n'y a pas de coniiscaliun 
générale dos biens, mais le peuple la prononce parfois après Texil ou la 
mort du coupable. » 



35 CIIAHTKK PHEMIEK 



condamner, puisque Salluste prête à César les paroles 
que nous avons rapportées p. 11 ; César se félicite de ce 
que la loi Porcia, en assignant Texil comme châtiment 
légal aux crimes politiques, ait empêché les factions de 
décimer les innocents. 

Le droit de s'exiler aboutit en eflet à un adoucissement 
remarquable de la législation romaine en matière poli- 
tique. Même quand le procès est commencé et que la 
majorité des tribus a voté la condamnation, si une seule 
tribu doit encore donner son suffrage, l'accusé peut 
s'éloigner librement. 

Si Taccusé est acquitté, celui-ci peut faire condamner 
son accusateur aux peines portées contre la calomnie 
par différentes lois, entre autres par la loi Remnia; 
notamment il peut le faire déclarer infâme. (1 D. De 
his qui nolantur.) 

Parmi les garanties accordées à l'accusé de haute 
trahison, remarquons que, jusqu'en l'an 106 av. J.-C, 
chaque citoyen devait prendre la responsabilité de son 
vote, le scrutin étant public. Mais à cette époque le 
tribun Caîlius accusa Popiliiis Laenas de perduellio, 
et, pour le perdre plus sûrement, il lit étendre à ces 
sortes de jugements les dispositions de la loiCassiaqui 
avait introduit le vote par tablettes dans tous les comi- 
ces judiciaires, sauf en matière de perduellio. Il en 
garda toute sa vie, dit Cicéron, le remords d'avoir nui 
à la République pour perdre son ennemi : « Doluit, 
quoad viœit^ se, ut opprimer^et Popilium, nocuisse 
Iieipublicœ{l). » 

Ajoutons que, d'après le droit coutumier de Rome, 

;l)Cic. De J^gib.^Ul IG. 



JUSTICK POLITIQUE SOUS LA HKI'UBLl'jUE 33 



nul ne pouvait demander à la fois contre un accusé une 
peine capitale et une peine pécuniaire. Cicéron présente 
cet usage comme une protection traditionnelle pour Tac- 
cusé : € Nam cum tam moderata judicia populi sinl a 
majoribus constUuia, primurn lU 7ie pœna capitis cum 
pecunia conjungaiur (1). » L'application de cette règle 
fut réclamée et imposée par les tribuns (juand un de leurs 
collègues accusa Cn. Fulvius deperduellio, et demanda 
contre lui une peine capitale et une amende. On mit 
l'accusateur en mesure d'opter : « Tribuni plebis ap- 
jyellaii negarunt se in niora esse quominus^ quod ei 
more majorumpermissum est, seu legibus seu mori- 
bus mallet, anquireret, qiioad vel capitis vel pecu- 
nia judicasset privât o (2). » 

Les tribus étant compétentes pour prononcer des 
amendes et les centuries des peines capitales, cette 
règle revient à défendre de poursuivre simultanément 
le même accusé pour le même fait devant deux juridic- 
tions différentes. De même il était défendu de reprendre 
une accusation définitivement purgée par un acquitte- 
ment, ou dont une cause légitime avait terminé l'exa- 
men. Quand un orage eut dissous les comices réunis 
pour juger Claudius, les accusateurs voulurent renou- 
veler leur accusation : les tribuns firent défense aux 
mêmes citoyens d'accuser le même homme deux fois 
à raison du même fait : a Postea (ribuni plebis inter- 
cesserunt, ne iidem homines in eodem magistratu 
perduellionis bis eumdem accusaî'ent (3). » 



{{) Gic. De Do,no, XVH, 43. 

(i) Ïitu-Live, XXn,3. 

(3) Schol. Hob, in Chd., p. 3:i7. 

a 



:H CIIAPITHE PHKMIEU 



II est à remarquer à ce propos que ce sont les tribuns 
(|ui, en toute occasion, s'efforcent de conserver intacts 
les droits de la défense, même quand Faccusc est un 
patricien aussi impopulaire que Claudius Pulcher, Cn. 
Fulvius, ou Cœso Quinctius, même quand l'accusateur 
est un de leurs collègues, comme dans les deux premiers 
de ces procès. 

XI. — L'accusé une fois condamné peut-il espérer 
que sa condamnation cessera d'avoir son effet, que son 
exil aura un terme, ou que le peuple lui fera remise 
do l'amende prononcée ? 

En principe, sous la République, aucune voie d'appel 
n'est ouverte contre un jugement qui n'est pas soumis 
hla provocalio. De plus, le recours en grâce propre- 
ment dit n'existe pas. Le jugement rendu par le peuple 
ou par ses délégués a pour objet d'éloigner do la ville 
un citoyen dont la présence est nuisible à la cité; l'idée 
Ac grâce ne s'explique pas avec cette tbéorie. 

Mais le condamné peut espérer que, la situation poli- 
tique ayant changé, le peuple juge que le retour de 
l'exilé est désormais sans danger, et rapporte sa déci- 
sion. Les exemples de ce fait ne sont pas rares. Ca^so 
Quinctius et Furius Camillus furent rappelés d'exil, la 
colère que le peuple avait ressentie contre eux étant 
tombée (1). Cîcéron revint aussi d'exil en vertu d'une 
décision du peuple, sanctionnée par le Sénat. De même, 
P. Lcenas et Métellus Numidicus. Le premier de ces 
condamnés fut rappelé, au dire de Cicéron (2), par une 



(l)Gic. De Domo,3i. 86. 
(2) Cïc, BnUus/6i, iiS. 



JUSTICE POLITJQLE SOUS LA RÉPUBLIQUE 35 



loi proposée par le tribun Calp. Beslia. Liviiis Saliiiator 
fut aussi rappelé par un acte des consuls. 

Si la peine prononcée est une peine capitale, il faut 
une nouvelle décision des comices pour rendre au con- 
danié son caput et le réintéfjrer in suam Xiristinatu 
dignilaiem. Si c'est une amende, alors il n'est pas 
besoin d'une loi pour rendre au condamné l'aptitude 
aux fonctions publiques ; l'amende une fois payée, 
aucune conséquence de la condamnation ne subsiste. 
Pour le biendeTÉtat, Livius Salinator, après huit 
années d'exil volontaire , est rappelé contre sa volonté 
par les consuls et forcé d'accepter le consulat (1). 
Après des condamnations votées par les tribus, F. Ca- 
millus est dictateur; Salinator, deux fois consul et cen- 
seur; Scantinius, tribun du peuple, accusé d'attentat à 
la pudeur, est condamné à une amende et continue ses 
fonctions. La condamnation prononcée par les tribus 
n'entraîne donc pas l'incapacité. La cause en est, 
d'après Zumpt (2), que les patriciens, forcés de se sou- 
mettre à la juridiction des plébéiens, ne voulurent pas 
que leur dignité et leur rang dépendissent d'un vote des 
tribus. 

Quant aux condamnations prononcéespar les comices 
centuriates, elles n'entraînent pas l'infamie, au moins 
jusqu'à J. César (3). Mais comme ces comices ne pro- 
noncent, en vertu de la loidesXII Tables, que des con- 



(i) Tite-Live, XXVII. 34. — Zumpl, U, 294. 

(2) Zumpt, n, p. 293. 

(3) Les judicia publica n'entraînent Tinfaniio, avant le 1" siècle de 
l'Empire, que dans les procès de calurmiia et de ijvœvarieaiio. L'in- 
famie est encore encourue en cas de jndivhim turpe, tel que Vactio 
luielœ, mandaii, pro socio. — Willeuis. Dr. publie^ p. 104. 



30 CîlAPirHR PKK.MIKH 



damnations capitales, une loi est nécessaire pour ren- 
dre à Taccusé sou caput. 

XII. — Reste à parler de rinfhience que les idées 
religieuses ont pu exercer sur l'administration de la 
justice politique, 

L'union étroite de la religion et de la cité à Rome 
est un point bien établi. La première est avant tout 
nationale; elle n'a, parmi ses adeptes, que des citoyens; 
elle ne cherche pas à faire de prosélytes au dehors ; 
elle admet que les autres peuples aient leur culte. Les 
Romains considèrent la religion et la cité comme insé- 
parables; Tune suit le sort de l'autre. Aussi ont-ils 
annexé les dieux comme les terres des vaincus, et les 
ont-ils incorporés dans la légion des divinités romaines. 
Au bout d'un certain laps de temps, les dieux ainsi 
admis acquéraient le droit de cilé. Auguste, dit Sué- 
tone, n'avait de respect pour les dévotions étran- 
gères que si elles étaient anciennes et approuvées par 
les Romains (Aug., 93). Sous Tibère, une décision du 
Sénat, rapportée par Tacite (Ann., lll, 71), fait entrer 
dans la religion toutes les statues, les temples et les 
cérémonies religieuses de l'Italie. M. Horoy {Rapports 
du sacerdoce et de V Empire) rapproche avec raison ce 
décret de la décision de Caracalla conférant le droit de 
cité à tous les Italiens. 

Les règles de la religion étant sanctionnées par les 
lois positives, il en résulte que les lois criminelles qui 
protègent la cité ont primitivement consisté dans des 
préceptes religieux dont l'observation était garantie 
par une peine religieuse : la consecratio cajntis et 
bonorum. Quand une règle de la religion a été violée, 
qu'un attentat a souillé la cité, que les dieux sont offen- 



jrSTICE POUTIQUK SOUS LA HÉIH HLIQrE 37 



ses, il faut, pour les apaiser, que le criminel leur soit 
sacrifié comme une victime. « L'état d'impiété exclut 
le coupable de la société religieuse; il est exsecratus. » 
Le supplice est essentiellement un sacrifice, dit Paul : 
« Supplicia^ vet?res quœdam sacrifîcia a supplicando 
vocabant. » Do mémo Isidore : « Supplicia diceban- 
iur supplicamenla, et suppliciiimdiciiurdecujusdom- 
naiione delibatur aliquid deo : unde et supplicare (1). » 

On offre aux dieux irrités la vie et les biens du cou- 
pable, et ce sacrifice peut être accompli par tous. Ainsi 
l'enfant qui frappe son père, le patron qui trahit son 
client est sacer (2). Mais c'est surtout pour les crimes 
contre la cité que les exemples de cette mise hors la loi 
résultant d'une excommunication religieuse sont nom- 
breux. 

La ville elJe-mémo, la patrie, l'État romain sont des 
divinités. Rome était une ville sainte, fondée avec des 
cérémonies religieuses : seule elle pouvaitcontenir le feu 
de Vesta et le palladium. Rome même est divinisée dès 
la fin des guerres puniques : elle a ses temples, ses 
autels, son enceinte sacrée ; le bourreau ne pouvait 
l'habiter. L'attentat contre la patrie était donc une 
sorte de sacrilège; surtout à cette époque on peut dire : 
« proximum sacrilegio crimen est majeslatis (3). » 

Aussi l'homme qui se rend coupable d'un tel crime 
offense à la fois la cité et les Dieux; sa présence 
souille la ville; il doit être sacrifié au courroux des 
divinités; toute personne peut le tuer impunément. 

(1) Cilês par Padellelti, Storia del Dirillo roinano, p. 8i. 
(î) Festus, V» Plorare. — M. Labbé, Genéralhalion du Droit rom., 
p. 118. — Denys d'Halicarnassc, H, 10. 
(3) 1 D. 48, 4. 



38 CHAPITRE PREMIER 



En Grèce, ce meurtre est récompensé : « Quityran- 
num occideritj dit Cicéron, rapportant une loi grecque, 
Olympionicayiim prœmium capito et quam vellet sihi 
rem deposcito et magistratus ei concedito (1). » 

A Rome, parmi les lois qui ont ainsi la consecratio 
pour sanction, il faut citer les Leges sacratœ, les lois 
sur rinviolabilito dos tribuns et sur les droits de la 
plèbe. Rome avait échappé à un tel danger quand la 
retraite sur le Mont Aventin s'était produite; la puis- 
sance romaine avait été si près de disparaître dans la 
guerre civile et d'entraîner dans sa ruine la religion 
nationale, que le traité juré à cette époque entre les 
deux partis en présence avait été mis sous la protec- 
tion des Dieux, et que toute atteinte portée à ce pacte 
était un crime à la fois contre la religion et contre 
TEtat. Celui qui s'en rendait coupable pouvait être tué 
impunément, comme une victime offerte aux Dieux, 
dit Festus (v° Sacralœ leges), « Sacratœ leges dice- 
bantur quibus sanctum êrat, ut si quis adversus eas 
fecisset^ sacer alicui deorum esset cum familia pecu- 
niaque, » Le même auteur, rapportant un état de ci- 
vilisation plus avancée, ajoute : « neque fas est eum 
immolari, sed qui occidit parricidii non damna- 
tuy\ nam lege tribunicia prima cavetur ; si quis eum 
qui eo plebei scito parricida ne sit (v^ Sacer). 

C'est là. en effet, comme le fait remarquer M. Bouché- 
Leclercq (2), une deuxième phase : après l'époque où 
le sacrifice du coupable est un acte méritoire et même 
ordonné, vient une période où ces excès de zèle font 



^Ij Cic. De lnv,y n,49. — Tlionissen, op. cit., p. 1G3. 
(2) Pontifes de Vancicnne Home^ p. i98. 



JUSTICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE 39 



horreur, et où les théologiens transforment la conse- 
craiio capitis en une exécution capitale régulièrement 
accomplie par la force publique. Que si le meurtre a 
été accompli par un particulier, la loi se borne à lui 
assurer Timpunilé. Le Sénat déclara ainsi que le meur- 
tre de Tib. Gracchus avait été justum. 

La confiscation des biens, comme offrande aux Dieux, 
se rattache aussi k la, cou sec ratio. 

L'influence religieuse se manifeste encore, selon nous, 
par certaines peines spéciales portées contre les crimi- 
nels de haute trahison. Ainsi : 

1'' La maison du traître estdémolie. Cicéron énumère, 
dans son plaidoyer jO/o do)no (§38), les noms des traîtres 
dont la maison a été rasée, les Spurius Mélius,lesSpurius 
Cassius, les Manlius Capilolinus. De même, à Athènes, 
on rase la maison du traître ou du sacrilège, ou bien Ton 
grave la sentence sur les murs (1). 

2** En Grèce, le cadavre du traître est inhumé hors de 
TAttique, et, si le crime est découvert après la mort du 
coupable, ses ossements sont exhumés et jetés sur la 
terre étrangère. Il est probable qu'à l'époque théocra- 
lique il en était de même à Rome : si Tarpeia avait élé 
tuée pendant qu'elle livrait Rome à l'ennemi, dit Denys 
d'Halicarnasse. on aurait déterré les restes de son corps 
et on les aurait jetés à la voirie. Cicéron, plaidant pour 
Rabirius, supplie le peuple do le laisser mourir dans sa 
patrie et jouir des honneurs funèbres. {Pro Rabir. 
in fine, ) 

3** La race du coupable a dû, à l'époque de l'influence 



(1) Les anciens criniinalistcs français énunii'rent encore le raseinent 
de maison comme une dos parlicularilês de la condamnation pour Jùsc;- 
m ajeslé. 



40 . CHAPITRE PREMIRir 



rclif^icnso dominante, être vonée à la même exécration 
que le traître lui-même. D'après une loi grecque que 
rapporte Cicéron {de Inv., II, 49), après avoir tué le 
tyran, on faisait mourir cinq de ses parents les plus 
proches. Nous avons vu que Festus parle de la conse- 
cratio cum familia j)Gounioque. Les Romains furent 
consultés, après la condamnation de Sp. Cassius, pour 
savoir si Ton ferait mourir ses enfants ; ceux-ci ne furent 
condamnes à aucune peine ; mais on voit que la ques- 
tion était douteuse (i). Tite-Live (2) nous montre la 
gens Manlia demandant à ne plus porter un nom exécré. 

4^ Enfin Tinterdiction de porter le deuil du condamné 
pour crime de haute trahison ou do pleurer sa mémoire 
nous semble se rattacher à une idée religieuse. 

Mais les conséquences pénales de Texcommunication 
religieuse tombèrent en désuétude assez rapidement : 
« Déjà à répoque royale ou dans les lois déccmvirales, 
dit Padelletti dans son Histoire du Drott romain, Tin- 
fluence religieuse ou bien n'a plus d'effets civils , ou 
bien ces effets doivent être prononcés comme une peine 
spéciale par le peuple. » 

La confiscation, par exemple, dut être expressément 
prononcée jusqu'à J. César. Elle le fut contre Q. Servi- 
lius Cœpio, contre les décemvirs Appius Claudius et 
Appius, contre les partisans des Gracques. Mais la règle 
est Œ pœna capitalis cu7n pecunia noyi conjungitur », 
et Suétone (CcBî., 12} dit des Romains : « integtispatri- 
moniis exsulabant ». Cicéron ne parle jamais des biens 
dans ses affaires capitales. 



(1) Montesquieu. Esprit des Lots, I. XH, vh. xviii. 

(2) Tito-Live, I, 26. 



Jl'STICE POLITIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE • 41 



De mémo la démolition de la maison de Cicéron, 
rinlordiction do porter le deuil des Gracques semblent 
avoir été des mesures spéciales, dues à la violence des 
luttes politiques. 

Il était réservé àTEmpire de donner aux lois de lèse- 
majesté un caractère général de persécution et de 



vengeance. 



CHAPITRE II 

Historique des lois delese-majesté 

La législalion romaine comprend doux espèces de 
crimes contre la sûreté de TÉtat: 

Le crime de perduellio; 

Le crime de majesiatis imminiUœ. 

A chacune de ces accusations se raltaclient des lois 
spéciales. Nous allons en esquisser l'histoire. 

I 

Le erlmen perdu elllonls 

L — Le crimen perduellionis fut la forme première 
de laccusation politique chez les Romains. 

Être perduellis, c/est être ennemi de Rome, c'est 
être hostiSy car les deux expressions sont synonymes. 
Quos nos hostes appellamus, eos veieres perduelles 
appellabant, per hanc a'ijeciionem indicantes cum 
quibus bellum esset. » (L. 23i D. 50,10). — a Per- 
duelles dicuntur hostes, ut perfecit sic perduellum, 
et duellum id postea bellum. Ab eadem causa fada 
duellona bellona, » (Varron. Ling, lat., livre VIL) — 
Duellum, bellum, videlicet quod duabus partibus de 
Victoria contendentibus dimicatur, Jude et perduellis, 
qui periinaciter retinet bellum, » Festus, v** Duellum, 

Cicéron (dans le De Officiis, I, 12) semble attacher à 
hostis et à perduellis le sens de simple étranger, con- 
formément à l'ancienne signification de hostis. « Qui 
proprio nomine perduellis esset, is hostis vocaretur, 



U CHAPITRE II 



lenitale verbi rei trislitiam mitigatam, Hostis enim, 
apiid majores nostros^ is dicebatur, qvem nunc perc- 
grinum dichnus. » Mais cette interprétation est com- 
battue non seulement par les auteurs déjà cités, mais 
encore par ce passage de Festus : « Hostis aj)ud an- 
tiquos peregrinus dicebatur, et qui nunc hostis^ per- 
duellio. » (Yo Hostis.) 

Ainsi le perduellis ou le perduellio est un ennemi 
et même un ennemi plus acharné que Vhostis, « Per 
pro perquam, valde ut perduellio, perquam duellio et 
plus quam hostis, » (Sosipater, cité par Laboulaye. 
Essai sur les lois criminelles, p. 101.) 

Un peuple est ennemi de Rome quand il y a entre 
les deux nations une guerre ouvertement déclarée : 
« Hosteshi sunt qui nobis aut quibus nos publiée hél- 
ium decrevimus. » (L. 118 D. SO, 16.) Comment un 
citoyen devient-il ennemi de Rome ? Quelle loi per- 
met de créer ainsi cet état de guerre entre un homme 
et un peuple, contraire à la notion moderne que la 
guerre est une relation d'État à État ? Qui a le droit de 
prononcer cette excommunication du sein de la cité ? 
C'est ce qu*il faut examiner. 

II. — A Torigine, c'est vraisemblablement le roi qui a 
le droit de condamner ipouv perduellio. Il a, — au moins 
pour partie, — le droit de faire des lois ; il a celui de 
rendre la justice et son pouvoir patriarcal s*étend sur 
toutes les parties du gouvernement : Omnia manu a 
regibus guber72abantur (L. 2 | 1 D. Orig, juris); 
omnia conficiebantur judiciis regiis. (Cic. De Rep,^ 
V, 2, 3.) Il semble même que ce haut arbitrage entre 
les citoyens, cette fonction de dire le Droit et de ter- 
miner les différents, fût considéré comme la prérogative 



HISTORIQUE DES LOIS DE LÈSE-MAJKSTÈ 45 

essentielle de la royauté. « Nihil essetam regale quam 
explanationem œquitatis. (Cic, loc, cit.) De même le 
chancelier de L'Hôpital (cité par M. Duméril. Rev, gén. 
du Droite VII, p. 317) disait que « faire la guerre n*est 
chose tant royale que rendre la justice ». 

Ajoutons qu'à cette époque la loi est souvent un texte 
sacré écrit dans les livres des pontifes. Cicéron {De 
Rep., II, 31) et Sénèque (Ep, 108) recherchent dans 
ces livres les règles du droit primitif. Les pontifes 
avaient probablement le droit d'interpréter le texte 
sacré, et le roi, chef de ^la religion (Tite-Live, V, i), 
celui de l'apph'qucr (L. 2 ^ 14 D. Orig, juris). Encore 
au temps des Gracques, Plutarque fait dire à Octavius 
(Vie de César, 18): « La dignité royale est consacrée 
par des cérémonies augustes qui lui impriment un ca- 
ractère divin. » 

Mais le roi a le droit de déléguer son pouvoir déjuge, 
et le texte de lnlexhorrendi canninis paraît lui en laire 
une obligation pour les crimes de perduellio. Cette loi, 
que Tite-Live nous a transmise (Tite-Live, I, 26), pa- 
raît imposer la nomination de délégués appelés duiini- 
viri : « Lex horrendi canninis erat : ïloiri perduel- 
lionem judicent, » Mais l'historien lui-môme contre- 
dit celte indication, en rapportant que le roi a délégué 
son pouvoir pour ne pas assumer l'impopularité d'une 
sentence et d'une exécution : « ne ipse tam tristis 
ingratique ad vulgus judicii ac secundum judicium 
supplicii auctor esset. » 

Il nous semble que les Ilviri, étant les délégués du 
roi. devaient être nommés par celui-ci. Tite-Live racon- 
tant le procès d'Horace dit : « duumciros facio. » 

Do même le mot créait employé par le mémo au- 



46 CHAPITHE 11 



leur se rapporte mieux à l'idée de nomination que 
d'élection. Enfin, dans le procès de Rabirius, les llvirs, 
nommés en vertu de la leœ horrendi carminis, ont été 
désignés par le préteur. Or celui-ci supplée le consul, 
héritier delà puissance royale. (L. 2.^f 16 et 27,D. Orz^. 
juris.) Dans une autre opinion (1) on interprète ainsi 
le passage de Tite-Live : Ilviros fado légère^ en se 
fondant sur ce que le roi prononce ces paroles après 
avoir réuni les comices par curies, concilio populi ad- 
vocaio, et que la convocation des curies, eût été tout 
à fait inutile, si les Ilvirs avaient dû être choisis par 
le souverain seul. 

Les Ilvirs, à la différence des quœslores parricidii^ 
sont nommés pour chaque affaire (2) . Ils ne se bor- 
nent pas à faire l'instruction ; ils prononcent une sen- 
tence, comme le prouve le procès de Rabirius. César, 
duumvir, le condamna avec tant de passion, dit Sué- 
tone {César\ 12), qu'en ayant appelé auprès du peu- 
ple, il n'eut point de meilleure défense auprès de lui 
que la violence de son juge. 

III. — Le texte de la loi que les duumvirsavaientmis- 
sion d'appliquer est celui de la leœ horrendi canninis, 
sorte de formule d'excommunication civile et religieuse 
dont Tite-Live {loc. cit.) nous a transmis le texte : 

iiLeœ hoirendi carminis erat : Ilviti perduellionem 
judiceni. Si aIIvirisprooocaril,provocalionecerialo. 
Si Vincent, capvi obnubito, infelici a) bori reste sus- 
pendito ; vei^berato vel intra pomœrium vel eoctra po- 
mœrium. » 



(1) Padclletli. S^o/'m del Diritloromano, ch. ix, noie. — Zuiiipt, i, 12. 
(â) Padelletti , p. 89. — Mispoulet, Institut, Politiques^ I, p. 150. 



HISTORIQUE DES IX)IS DE LÈSE-MAJESTÉ 47 



Ce texte ne nous semble pas être parvenu à Thisto- 
rieu lel qu'il était à Torigine, et nous croyons qu'il ren- 
ferme une addition en ce qui concerne le droit de 
provocatio. 

L'existence de ce droit sous la royauté a été contestée 
depuis longtemps, et le texte de la loi de perduellio a 
été souvent invoqué pour l'aflirmer, ainsi que les passa- 
ges de Cicéron (Rep.^ II. 31) et de Sénèque (Ep., 108). 

Remarquons, sans sortir de notre sujet, que, dans 
le récit même de Tite-Live, la faculté pour Horace 
d'en appeler au peuple semble résultiîr, non pas d'un 
droit écrit dans la loi, mais d'une décision gracieuse 
du roi : « Tum Horaiius. auctoie TuUo, clémente legis 
interprète : Provoco, inquit. » On peut donc admettn^ 
que les rois de Rome permettaient parfois au condamné 
de recourir en grâce auprès du peuple. Le roi , dit 
Mommsen (Hist. rom., L 88, 203, 206), n'a pas le droit 
de grâce réservé au peuple seul; mais il ouvre ou refuse 
au condamné le recours en appel. Il s'agit non d'un 
appel proprement dit, mais d'un recours de faveur, que 
la République transforma en deuxième ressort régulier. 

D'ailleurs un procès célèbre pour perduellio, celui de 
Rabirius, et le plaidoyer de Cicéron pour cet accusé 
viennent, à notre sens, repousser définitivement l'opi- 
nion de ceux qui voient, dans le droit de provocatio, 
une deuxième instance ouverte à tout condamné dès 
l'époque royale. 

Rabirius avait été condamné par les Ilvirs. Il en 
appelle au peuple conformément aux principes de la 
constitution romaine. Ses adversaires se plaignent alors 
que l'ancien crimen perduellionis soit mis à l'écart, et 
qu'on invoque une ressource suprême contraire aux 



48 CHAPITIIE II 



lois sur la matière : « Nam de perduellionis judicio , 
quod a me suhlatum cHminari soles, meum crimen 
eut, non liabirii, » Ciceron voudrait pouvoir revendi- 
quer la gloire d'avoir aboli cette ancienne procédure 
qui viole les garanties de la liberté individuelle. 
a Quod uiinqm, Qui7Hles, ego id aut primus, aut 
solus ex hac republica sustulissem. Ulinam, quod 
ille crimen esse vult, propiium iestimonium meœ 
taudis essel!i> Mais cette gloire appartient, d'abord aux 
Romains de l'antiquité qui, après avoir chassé les rois, 
n'ont voulu conserver dans leurs lois de liberté aucune 
trace de la cruauté royale, puis à ceux qui ont donné 
pour sauvegarde à la liberté, non pas l'horreur des 
supplices, mais bien la clémence des lois. L'orateur 
cite les noms de ceux qui ont proposé les lois sur la 
j)rococatio (Cic. Pro Rabirio, ^§ 3 et 4) ; à ces noms 
vénérés il oppose celui de « cet individu, défenseur des 
droits populaires, qui veut, sans votre ordre, non 
seulement juger un citoyen romain, mais le frapper 
d'une peine capitale ». 

Ces passages prouvent que la provocado est venue 
modifier la lex horrendi carntinis à une époque posté- 
rieure à la chute de la royauté. Ajoutons que Cicéron 
n'eût pas manqué, si les rois eux-mêmes avaient reconnu 
ce droit d'appel à leurs sujets, de le rappeler à ses con- 
tradicteurs, et de représenter ceux-ci comme moins 
respectueux que les Tarquins eux-mêmes de la vie et 
do la liberté des citoyens. 

IV. — La peine infligée aux perduelles est la mort ; 
le genre de supplice, la pendaison avec flagellation. 
Parfois aussi, comme pour Manlius Capitolinus, la 
précipitation du haut de la roche Tarpéienne semble 



ni>TO:\iQUK DES LOIS DE LÈSE-MAJESTÉ 49 



avoir été employée. Mais le supplice décrit par Tite- 
Livc, et qu'on retrouve dans le procès de Kabirius et 
même aux temps de Claude et de Néron, est le châti- 
ment particulier de la haute trahison. C'est, en eflet, 
un des signes caractéristiques des anciennes législations 
criminelles, que chaque crime puni de mort entraîne un 
mode particulier d'exécution. A Athènes (1), les con- 
damnations prononcées pour chef de crimes politiques 
ou religieux étaient ordinairement exécutées à l'aide du 
poison; la lapidation était aussi employée dans ce cas. 
A Rome, le traître est pendu ou précipité; le parricide, 
noyé; Tincendiaire, brûlé vif; le déserteur, pendu 
ou brûlé (2) , etc. 

Celte variété se retrouve dans notre Droit ancien : 
Foihier {Procédure criminelle, n® 151) énumère la po- 
tence, la décollation, la roue, le feu, l'écartèlement, 
comme les genres de mort en usage dans le royaume. 
Il indique à quels crimes chacun d'eux est réservé, 
sauf le droit qu'ont les juges do géminer les peines. 
En cette matière, les art. 2 et 3 du C. P. de 1791 ont 
réalisé un progrès (3). 

Nous avons dit, dans notre ch. 1®"", qu'en fait, la peine 
de mort ne fut guère appliquée à Rome pour crimes 
politiques, sauf pour les délits militaires, que le consul 
jugeait en vertu de son hnperhtm, et dans les cas 
extraordinaires où le Sénat rendait la formule: Videani 



(i) Thonisscno/>. n/.,p. 91 et 92. 

(2) L. 9 D. De Incendio, 38. % 2. D. De Pœnis. 

(3) Art. 2 C. P. 1791. « La peine de mort consistera dans la siniple pri- 
vation de la vie, sans qu'il j>uissc jamîiis être exercé aucune torture 
contre le condamné. » 

Art. 3. «Tout condamné a mort aura la tête tranchée. » 

4 



50 CHAPITRK 11 



consules ; les Koinains considéraient l'amende, parfois 
Texil, comme une réparation suffisante des crimes po- 
litiques. Aussi les condamnations à mort pour pey^duellio 
sont-elles rares : on peut cependant citer celles de Sp. 
Viscellinus accusé d'avoir aspiré à la tyrannie : propter 
consilia inita de regno (Tite-Live, IV, 15) ; — pr opter 
suspioionem regni appetendi (Cic. PhiL, II, 44), et 
de Manlius Capitolinus accusé du même crime. 

IV. — C'est au caractère religieux delà lex horrendi 
carminis qu'il faut peut-être attribuer l'immutabilité 
de la législation en cette matière. 

Au temps de Cicéron, nous voyons, dans le procès de 
Rabirius, nommer des Ilvirs et prononcer la formule 
sacramentelle : « Caput obnuhiio^ arbori infelici sus- 
pendito, » (Cic. Pro Rabir, 34.) 

Sous Claude, une exécution a lieu selon l'ancienne 
coutume et l'on attache les coupables au poteau (Suét. 
Claude, 34). Néron apprend que le Sénat l'a déclaré 
ennemi de la patrie et le fait chercher pour le punir 
selon les usages de V ancienne République. Il demande 
quel est ce supplice ; on lui dit qu'on dépouillait le 
criminel, qu'on passait son cou entre les pointes d'une 
fourche et qu'on le battait de verges jusqu'à la mort. 
(Suét. Néron, 49.) 

Les seuls changements apportés à la législation primi- 
tive sont les suivants : 

i^ Le droit àe provocatio est étabh d'une façon géné- 
rale et étendu au cas de perdueltio ; 

2^ Quelques lois ont précisé certains cas de haute 
trahison. 

Telles sont : 



HISTORIQUE DES LOIS DE LÈSE-MAJESTK 51 



A. — La loi des XII Tables et la loi Gabinia (1), qui 
défendirent les réunions secrètes. « Lex Gabinia^ qui 
coiliones in tirbe con/favisset more majovum capilali 
supplicia mullaretur (M. Porcins Latro. DécL 19). Le 
même auteur ajoute que la loi des XII Tables défend 
encore les attroupements nocturnes: « ne quis in urbe 
cœtus noclumos agilaret, » Tite-Live (II, 28, 32 — 
XXX, 15) parle aussi de la loi qui prohibe a cœtus 
noctiirnos et occuUos ». 

La loi des XII Tables prévoit encore comme crime 
capital le fait d'exciter rennemi à la guerre ou de livrer 
un citoyen romain à l'ennemi (3 D., 48, 4). 

B. — Les Leges sacrât œ sur l'inviolabilité des tribuns. 

C. — Les Leges Valeriœ punissant de mort le ma- 
gistrat qui condamne à une peine capitale sans l'ordre 
du peuple. 

Notons qu'en vertu de la loi Cœlia (A. 106) le vote 
par Uiblettes fut introduit dans les procès de haute 
trahison. 

V. — Le crimen perduellionis ne fut pas abrogé 
parla loi de lèse-majesté, du moins en théorie. 

Les huit passages du Digeste, du Code et des Insti- 
tutes où le crimen j^erduellionis est mentionné, et qui 
ont été relevés par Rein (2) ; le fait que les citations du 
Digeste se trouvent dans les duo terribiles libri spé- 
cialement consacrés au Droit criminel ; le procès in- 



(I) Quelques auteurs considèrent la loi Gabinia comme la premiéni loi 
relative au crime de lèse-majesté — V. Rein, op. cit., en note, p.473.- 
Padelletti, op, cit., p. 87. — Hcineccius [Synl., 1. IV,) pense que 
c'est une loi par la(iuellc les traitre.s pouvaient être tués impuné- 
ment. 

,i] Reiu, op. cit., p. 501. 



o2 CilAl'ii'UK II 



tenté de ce chef à Rabirius en Tan 63; le passage des 
Verrines (II, 15) où Cicéron menace Verres d'un 
procès de perduellio ; le | 14 du plaidoyer 2^^o Mi- 
lone, où le même orateur dit a actionem perduel- 
lionis intenderat », prouvent que cette ancienne incri- 
mination ne fut jamais expressément abrogée. 

Elle fut réservée, au moins théoriquement, aux atten- 
tats contre la sûreté extérieure de TEtat ou contre la 
personne même du chef de l'État, considéré comme le 
général en chef de l'armée en face de l'étranger, en un 
mot a aux attentats inspirés par une intention hostile 
contre la République romaine » (11 D. 48. 4). 

C'est ce que, dans notre ancien Droit, on appelait le 
crime de lèse-majesté au premier chef, qui « est, dit 
Pothier {Procéd. c/im.,|ll), tout attentat direct contre 
la personne du roi et de l'État : tel est le crime de 
tous ceux qui entrent dans quelque conspiration ou 
conjuration...., à plus forte raison, le crime de ceux 
qui portent ouvertement les armes contre le roi ; c'est 
ce qu'on appelle perduellionis reus » . 

Mais il est certain qu'en fait, les accusations de per- 
duellio furent remplacées par celles do lèse-majesté, et 
qu'après le procès de Rabirius, il est diflicile de trouver 
des exemples de procès intentés en vertu do l'ancienne 
loi. « L'ancienne loi de perduellio^ dit M. Madwig 
(trad, Morel, III, 299), ne fut pas formellement abrogée ; 
mais en fait, au dernier siècle de la République, les 
procès majestatis prirent la place des actions en per 
duellio, » « Les accusations de perduellio^àexionnoni 
très rares depuis l'établissement d'une quœslio pour 
le crime de lèse-majesté, dit M. Laboulaye (^Essai sur 
les lois crini., p. 101), car entre ce crime et celui de 



HISTOHIQIK DES LOIS DE LKSK MAJKMK ^3 

perduellio il n'y a de (li(I«?rence que le nom. » 
La raroto do ces procès de perduellio, le fait que 
les conséquences d'une condamnation de ce genre sont 
dans le droit classique les mêmes que celles d'une 
condamnation pour Icse-majesté, le peu de textes du 
Digeste et du Code où ce délit est mentionné, ont fait 
penser à certains auteurs que le délit de j)erdiiellio 
avait été aboli par le crime de lèse-majesté. Mais nous 
avons vu que les peines civiles édictées cpntre les 
perduelles par les anciennes lois religieuses, et tom- 
bées en désuéhidc sous la Républiqiie, sont de beau- 
coup antérieures aux lois de majesté. La confiscation 
des biens fut exliumée par J. César, rétablie d'abord 
pour les cas de perduellio, puis étendue à la lèse-ma- 
jesté. Quant à la rareté des procès en perduellio, elle 
s'explique par l'impopularité de cette incrimination. 

Bien loin, en efiet, de penser, avec Rein [Criminal- 
rec/U./p, 303), que si l'accusation Aq. 2)e/'duellio avait élé 
possible sous l'empire, les Césars y auraient recouru 
pour éviter l'odieux des procès pour lèse-majesté, nous 
croyons que le crimen perdiœllionis était peut-être de 
toutes les accusations la plus odieuse aux Romains. Le 
procès de Rabirius le prouve. Cicéron déclare dans ce 
plaidoyer que le texte de la loi horrendi carminis lui 
paraît indigne même de Romulus et de Numa, et qu'il 
ne convient qu'à Tarquin « superbissimi ac crudelis- 
simi régis ». Cette loi permet de dresser la croix au 
forum {vel intra promœrium, vel extra), alors que, 
d'après les décisions des censeurs, le bourreau ne doit 
même pas respirer l'air de la Cité {carnificem non 
raodo foro, sed eiiam cœlo hoc ac spiritu censoriœ 
leges afqiie urbis domicilio carere vohœruni) ; — 



54 CHAPITRE M 



elle permet de tuer un citoyen sans provocaiio et la 
loi Porcia a arrache la liberté du citoyen des mains du 
licteur ; — elle soumet le citoyen romain à un sup- 
plice infamant, au supplice des esclaves, enlevant ainsi 
au condamné toute trace de si condition libre, a S'il 
faut mourir, mourons libres (1), s'écrie Cicéron, et que 
ces choses horribles, le bourreau, la tète voilée, le 
nom même de la croix, soient écartées, non seulement 
du corps des citoyens romains, mais encore de leurs 
yeux, de leurs oreilles, de leurs pensées. Ce n'est pas 
la perpétration et Taccomplissement de ces choses, mais 
leur possibilité, leur attente, leur mention même, qui 
sont indigènes d'un citoyen romain et d'un homme 
libre. » 

Est-ce là une loi populaire à laquelle les empereurs 
eussent pu recourir, de préférence à la loi de majesté ? 

Si, au dernier siècle de la République, les procès de 
perduellio sont rares, c'est précisément à cause du 
caractère odieux de cette accusation; en outre, les juge- 
ments de 2^^^d'^^il^o nécessitaient en appel la réunion 
des comices, ce qui n'avait pas lieu pour les sentences 
de la quœstio de rnajestate. 

Mais nous croyons que jamais le crimen perduel- 
lionis ne fut expressément abrogé par /a leœmajestatis 
imminutœ. 

VI. — Une autre opinion est celle de Zumpt (Crimi- 
nalrecht, III, p. 233). Cet auteur croit que le crimen 
majestatis est une accusation particulière, tandis que 
« crimen perduellionis » est une expression générale 
qui désigne tout procès capitaldevant le peuple. Prenant 

(i) Cic. Pro RabîriOf V. 



HISTORIQUR DES LOIS DE LÈSE-MAJE^TK 






pour point de départ la phrase de (îicéron où cet ora- 
teur oppose le fait de demander une amende. «. muUam 
irrogarat », à celui de porter une accusation de per- 
duellio (Cic. Pro Milone^ 14), l'auleur allemand con- 
clut qu'accuser de perduellio, cVst demander une peine 
capitale. — Sans doute I mais toute peine capitale est- 
elle un cas de perdueUio, voilà la question. 

L'opinion que nous combattons se fonde : 

1« Sur riusloire des lois qui ont introduit le vote 
secret dans les comices. On applique ce mode de scru- 
tin, d'abord aux comices (Rectoraux, puis aux comices 
judiciaires, enfin aux comices législatifs. Mais on nous 
dit que L. Gassius excepta d'abord de sa loi les vota- 
tions relatives à la pe/ duellio- Entend-on par là tout 
jugement capital, ditZumpt, l'exception est raison- 
nable. Mais si l'on entend par perduellio un cas spécial 
de haute trahison, pourquoi laisser subsister dans ce 
cas seulement le vote public? C'est incompréhen- 
sible, dit-on. 

De plus, quand Cœlius introduisit le vote secret 
dans les votations relatives à laperduellio^ ce fut, nous 
apprennent les historiens, pour perdre plus sûrement 
Popilius Lfenas. Mais, dit-on encore, il n'y aurait eu 
qu'à l'accuser de lèse-majesté ou de tout autre crime 
pour que le vote eût lieu par tablettes. La nécessité où 
se trouva Cœlius de modifier la loi prouve que toute 
accusation capitale rentrait dans le cas de perduellio, 
excepté par la loi Cassia ; 

2® Sur les procès de Claudius Pulcher et de Cnœius 
Fulvius. On trouve inadmissible de faire rentrer les faits 
qui leur étaient reprochés dans l'idée de perduellio. 

Débarrassons- nous d'abord de ce dernier argument. 



56 ciiapithf: II 



Rien ne nous semble, en effet, plus légitime que «l'ac- 
euser de. trahison les deux généraux dont il s'agit. Le 
premier, Cl. Pulcher, engage la bataille malgré les 
auspices défavorables; il entraîne ainsi la perte d'une 
flotte romaine; il agit en ennemi (perduellis) de 
Rome. Le second, Cn. Fulvius, abandonne lâche- 
ment Farmée; il commet un crime que toutes les légis- 
lations répriment sévèrement; il mérite d'être assimilé 
aux ennemis de la patrie auxquels il a en quelque sorte 
livré ses soldats. 

L'argument tiré de l'histoire du mode de scrutin 
employé dans les comices ne nous paraît pas plus décisif. 
L'exception de la loi Cassia s'explique par la gravité 
exceptionnelle du vote. Pour retrancher un Romain 
du nombre des citoyens et l'assimiler à un ennemi, la 
loi avait voulu que chacun prît la responsabilité de son 
suffrage et ne pût s'abriter derrière les compromissions 
d'un scrutin secret. La preuve que la garantie était 
efficace, c'est que, pour perdre son ennemi, Cœlius la 
fit abroger. Dira-t-on que les conséquences de l'accusa- 
tion étaient aussi graves pour l'accusé quand il s'agis- 
sait d'un crime capital, de parricide, par exemple, et 
que le vote avait lieu au scrutin secret dès la loi Cas- 
sia? Mais le peuple était beaucoup moins intéressé à la 
condamnation ou à l'acquittement; les influences poli- 
tiques ne pesaient pas sur le juge, et c'était alors le 
scrutin secret qui présentait le plus de garanties pour 
l'accusé. La disposition légale qui constitue une protec- 
tion pour l'inculpé dans un procès ordinaire peut tour- 
ner à sa défaveur dans un procès politique. 

Enfin remarquons que le procès de Pop. La3nas est 
en l'année 106 av. J.-C. et que la lex Appuleia majes- 



MlSrOIUQUK DES LOU DE l.È>:C-MAJE>rÊ 57 



<a//5 est d'une OU deux années posLérieure. Cœlius n'au- 
rait donc pu rinvoquer pour perdre son ennemi. 

Il faut dire, selon nous : 

1** Que le crimen perduellionis est une accusation 
spéciale, un crime capital particulier; 

2^ Qu'il n'a jamais été formellement abrogé, mais 
s'est peu à peu confondu avec lo crime de lèse-majesté. 

Ce qui nous détermine encore dans cette opinion, 
c'est que le Digeste parle de perduellio, non pas quand 
il énumère et définit les crimes capitaux (2 D. 48. 1), 
mais quand il établit certaines conséquences civiles 
des condamnations pour crimes d'État, conséquences 
que rinfluence religieuse avait attachées à l'idée de 
perduellio , que la République avait laissé tomber en 
désuétude, et que l'Empire restaura. 

Nous sommes loin de contester d'ailleurs qu'à coté 
de Fon sens juridique précis, le mot perduellio ait eu 
un sens large, comme a dans notre Droit le mot tra- 
hison, et comme avait dans l'ancien Droit l'expression 
félonie. 

Félonie était, à proprement parler, l'action injurieuse 
et violente du vassal contre le seigneur; « mais dans sa 
signification la plus étendue, félonie se prend, dit le 
Dictionnaire de Trévoux, pour toutes sortes de crimes 
autresque lèse-majesté, par lesqueU on attente à la per- 
sonne d'autrui. » 

II 

Le c rrlmen ina)cstnUslnimlniitn>. i 

Les premières lois de lèse-majc^sté furent des lois 
d'exception rendues à la suite de désastres, de défaites 



S8 CHAPITRE II 



que les hasards delà guerre ne paraissaient pas suffire 
à expliquer, et où le peuple romain croyait apercevoir 
et voulait rechercher l'influence de la trahison. 

La loi Mamilia (s'il faut la rattacher aux lois de lèse- 
majesté) eut pour cause la guerre de Jugurtha; la loi 
AppuleiaTé^vXio. de l'indignation publique à la nouvelle 
des victoires des Cimbres ; la loi Varia est la consé- 
quence de l'insurrection italiote. Notre histoire fournit 
des exemples analogues. La prise, par les Autrichiens, 
de Liège et d'Aix-la-Chapelle amena la création du tribu- 
nal révolutionnaire (9 mars 1793) et la traliison de Du- 
mouriez (connue à Paris le 3 avrilj entraîna le décret du 
o avril 1793 qui suspendit l'inviolabilité des représen- 
tants. « Considérant, dit ce dernier décret, que le salut 
du peuple est la suprême loi. » 

Les premières lois de lèse-majesté furent donc inspi- 
rées par la volonté d'assurer les responsabilités et de 
punir la trahison devant Tennemi. 

Un second groupe de ces lois eut, au contraire, pour 
cause le désir d'aflermir un certain ordre de choses 
établi, de défendre une constitution nouvelle. C'est pour 
affermir le pouvoir de l'aristocratie que Sylla fit la loi 
Çornelia^ et c'est pour défendre le pouvoir despotique 
que César promulgua la loi Julia. 

L — La première loi que l'on cite parfois comme 
ayant établi le crime de lèse-majesté est la loi Mamilia 
(110 av. J.-C). 

Jugurtlia avait pu impunément tuer Hiempsal et atta- 
quer Adlierbal. Ce dernier s'était placé sous la protec- 
tion des Romains et avait saisi le Sénat de ses plaintes. 
Le Sénat s'était borné à prescrire un partage entre l'en- 
vahisseur et le plaignant. La commission de délimita- 



HISTORIQUE DE^ LOIS DE LÈSE -MAJESTÉ S9 



tion <lo. frontières, comme on dirait aujourd'hui, donne 
la conlrée la plus riche à Jugurtha. Celui-ci envahit aus- 
sitôt la portion garantie à Adherkal, congédie brutale- 
ment les envoyés du Sénat, enfin massacre son rival, 
qui s'était rendu sur parole, confiant dans la protection 
des Romains. Cité devant le peuple, Jugurtha ne vient 
à Rome que pour faire commetirc un nouveau meurtre 
et s'enluit librement. Le Sénat sort enfin de sa torpeur 
et envoie une armée; celle-ci est défaite et obligée do 
passer sous le joug. 

Voilà une succession d'événements bien étranges. 
La stupeur était grande à Rome; elle se change en 
indignation quand lo tribun Memmius dévoile au peu- 
ple la cause de ces humiliations : l'or de Jugurtha a 
tout fait ; on a acheté des sénateurs, des magistmts, 
d«»s généraux; la trahison est partout : « HosLi acervi- 
mo prodita senatiis auctoritaSy /^roc/zYum imperium 
vestrurrij domi mililiœque res venalis fuit. (Sali. Ju- 
gurtha^ 31.) Un autre tribun, Mamilius Limétanus, pro- 
pose une loi tendant « à instruire contre ceux qui au- 
raient poussé Jugurtha à mépriser les décrets du Sénat, 
contre les envoyés et les généraux qui auraient reçu des 
sommes d'argent, qui lui auraient livré dos éléphants 
ou des transfuges, contre ceux enfin qui auraient pac- 
tisé avec l'ennemi soit pour la guerre, soit pour la 
paix». (Sali. Jugurtha, 40.) 

« Le peuple, dit le même historien, vota cette loi 
moins par amour du bien public que par haine de la 
noblesse qu'on allait frapper. L'application de la loi 
fut cruelle et violente, au gré des passions de la foule. » 
Cicéron, qui est du parti des optimates, l'appelle à plu- 
sieurs reprises une loi de haine « invidiosa lex MamU.ia » 



60 CHAPITHE 11 



(Brut,, 34, 128), et, dans la condamnation d'Opimius, 
il voit moins la répression de la vénalité que la ven- 
geance des Gracques. 

Remarquons cependant que la loi Mamilia, telle que 
Salluste nous Ta transmise, n'est pas un texte pénal 
créant un délit nouveau , mais bien une résolution 
ordonnant une enquête : « uti quœretur in eos. » 
Il est probable que ce fut en vertu de l'ancienne loi 
de perduellio que L. Opimius, C. Galba, L. Bestia, 
(]. Caton et Sp. Albinus furent jugés, quand Tenquète 
eut démontré leur culpabilité. Ils furent exilés. Les 
juges les supprimèrent de la République, dit Cicéron : 
« siisiulerunt judices. » 

II. — La première loi qui institua vraiment le cri- 
men majestatis imminutœ est la loi Appuleia. 

EiUe naquit aussi des désastres de Rome. 

Carbon, Silanus, Longinus avaient été successive- 
ment battus par les Cimbres; Gaïus Popilius, envoyé 
contre eux, s'était enfui, livrant à l'ennemi la moitié des 
armes et des bagages. Le proconsul Quintus Caîpio 
amène par son insubordination un nouveau désastre à 
Orange; déjà la rumeur publique l'accusait d'avoir fait 
enlever par dos hommes apostés le riche butin qui 
avait été fait à Toulouse, et qu'une bande mystérieuse 
avait, près de Marseille, arraché à l'escorte. 

Profitant de l'indignation générale, le tribun Appu- 
leius Saturninus, le plus éloquent des factieux depuis 
les Gracques, propose la loi de majesté. 

Ainsi expliquée, l'origine de la loi Appuleia semble 
être l'émotion causée par une grande défaite. Mais 
Rein(o/). cil,, p. 307), s'appuyant sur Sigonius et Ilei- 
neccius,rattaclie cette loi aux autres lois démagogiques 



HISTORIQUE DES LOIS DE LKSE-MAJESTÉ fli 



du même tribun, lois agraria. frumentaria^ de colonis. 
L'auteur allemand ne pense pas que la journée <rO- 
rangc ait cause à Rome une émotion suffisante pour 
justifier des mesures exceptionnelles. Mommsen , au 
contraire {Hist, rom., IV, 5), croit que « par les pertes 
matérielles et par l'effet moral la catastrophe d'Orange 
dépassait même la journée de Cannes ». 

Que les défaites subies, la nécessité de punir les 
coupables et de prévenir le retour de ces malheurs, 
aient ou non été invoquées comme arguments h l'appui 
de la loi proposée, il est certain qu'au fond celle-ci était 
une arme dirigée contre l'aristocratie. Pour Zumpt 
(II, 232), la loi Appuleiane concernait que les sénateurs 
et les fonctionnaires; cet auteur s'appuie sur ce que 
les seuls procès intentés en vertu de la loi Appuleia 
que nous connaissions sont des procès dirigés contre 
des citoyens investis de dignités et de magistratures. 
Mais ce fait peut s'expliquer par cette considération, que 
les crimes politiques sont le plus souvent commis par 
des fonctionnaires, ou par des citoyens déjà investis de 
certaines dignités. Rien, dans les renseignements qui 
nous sont parvenus sur la loi d'Appuleius, ne nous auto- 
rise à affirmer qu'elle ne visât que les seuls sénateurs 
ou fonctionnaires. 

Le caractère original de la loi nouvelle, c'est d'avoir 
réuni dans une même incrimination tous les faits, 
d'ordre intérieur ou extérieur, attentatoires à la force, 
au prestige, à la majesté, c'est-à-dire à la souveraineté 
du peuple romain. Diminuer cette force et ce prestige, 
c'est commettre le délit prévu. Pas d'autre définition, 
d'ailleurs. L'acquittement ou la condamnation dépen- 
dent de la façon dont le juge interprète les mots a mi- 



62 CHAPITRE 11 



7iuere majestatem ». Dans dos passages déjà cités (Cic. 
De oral., II, 23, 49), Cicéron nous montre raccusation 
et la défense luttant sur cette définition, et il essaie lui- 
même d'en proposer quelques unes. 

« Majestatem minuere, est de dignitate aut ampli- 
tudine autpotestale populi aut eorum, quibus jiopiUus 
potestatem dédit, aliquid derogare. » {De Inv., II, 17, 
53.) 

€ Majestatem is minuit qui ea tollit ex quibus civi- 
tatis amplitudo conslat, quœ capiunt suffy^agia populi 
et magistrattis consitium. » {Ad lier., 2, 12.) 

« Majestatem is minuit qui ampliludinem civilalis 
detrimenlo afficil. » {Ad Her\, 2, 12.) 

Sont des crimes de lèse-majesté, d'après l'orateur 
romain, le fait d'usurper le pouvoir (1), d'empêcher 
Vintercessio d'un tribun. 

Fomenter une sédition est un crime de lèse-majesté, 
à moins que ce ne soit pour un cause utile et agréable 
au peuple romain « et ubi ita refertur : Majestas est 
in imperii atque in nominis populi romani dignitate, 
quam minuit is, qui, per vim multitudinis, rem ad 
seditionem vocavit, exstitit illa disceptatio : minuerit- 
ne majestatem qui, voluntate popidi romani, rem gra- 
tamet œquam per vimegerit? » {Partitiones oratiorœ, 
30, 103.) 

Cette théorie est la justification de tous les coups do 
force. 

La loi d'Appuleius a établi le véritable crime de lèse- 
majesté, inculpation vague qui, au point de vue des 



(1) M Majestatem minuere est alhjuuî de re publica, ctim potestatem 
non habeast administrare. » Cic. Delnv., II, 17 et 18. — Cf. 258 C. P. 



HISTORIQUE DES LOIS DE LÈSE-MAJESTÉ 0."^ 



crimes politû{ucs, joue le même rôle que Taction 
de (loi en droit privé : c'est un filet où viennent se 
prendre toutes les fraudes « everriculum maliliarum 
omnium ». Mais à la diflérence de l'action de dol. celle 
de lèse-majesté n'est pas subsidiaire : l'action de vi (qui 
fut employée contre les complices de Catilina), celle de 
jyerduellio s'appliquent également. Cicéron accusant 
Verres nous montre le grand nombre de lois qu'il aurait 
pu invoquer. 

La loi d'Âppuleius a été renouvelée et renforcée par 
plusieurs lois : la loi Varia^ la loi Cornelia^ la loi 
Julia. Quelques mots sur chacun de ces textes. 

III. — Commelaloi d'AppuleiusSaturninus, la troisième 
loi de lèse-majesté, lex Varia^ est née de revers subis 
par les armes romaines. En l'an 90, les Italiens se soulè- 
vent pour réclamer les droits de citoyens romains; le 
préteur est massacré à Asculum avec tous les Romains; 
toute l'Italie moyenne et méridionale est en armes. La 
guerre des procès recommence, dit Mommsen (Hisl. IV. 
7), comme au temps des désastres infligés jadis en 
Afrique (loi Mamilia) et en Gaule (loi Appuleia), 

Q. Varius, tribun du peuple, surnommé Uybrida à 
cause de sa nationalité do\xle\xsG{pr opter jusobscurum 
civUatis), propose une loi punissant quiconque aurait 
frauduleusement poussé les alliés à la révolte (1). Cette 
loi était dirigée contre l'aristocratie qui s'était rendue 
odieuseauxitaliquesen leur refusant le droit de cité(2). 



(1) « Quorum dolo malo socii ad arma ire coacti essent . » Val. Max. 

vni, 6, 4. 

(t) « Quum ob sociis negatam civiiatem nobililas in invidia esset. » 
Asconius in Cic, Scaur, p. 22. — Mommsen croit que Tou soupçomiait 



64 CHAPITHE II 



« Les chevaliers, armés de cette loi de majesté, pra- 
tiquèrent, dit Mommsen (loc, cit.), de larges saignées 
dans les rangs de leurs adversaires. » 

Présentée connue le fait Valère Maxime, il semble 
que la loi Varna fût une loi tout à fait spéciale, ne vi- 
sant que les fauteurs de l'insurrection italiote. Mais 
le même auteur nous montre Varius étranglé dans 
les lacets de sa propre loi en Tan 89 (1); or Varius 
était certainement innocent de toute complicité dans la 
révolte des alliés. Il est au contraire parlé de la loi Varia 
comme d'une loi générale de lèse-majesté dans un pas- 
sage d'Asconius (2), et Cicéron {pro Scauro, I 3) se 
plaint qu'elle ait servi à accuser de haute trahison 
Scaurus « custos Reipublicœ » (3). 

IV. — A la différence des précédentes, les lois Cornelia 
et /w//a ne se rattachent pas, avons-nous dit, à des 
événements extérieurs. 

La première est due à Sylla et fut portée en l'an 81 
ou 80 av. J.-C. Elle eut pour objet de défendre contre 
les réactions futures l'œuvre entreprise par le dictateur, 
et qui consistait à restituer à l'aristocratie tout son as- 
cendant. Après avoir rendu aux sénateurs le privilège 
exclusif des fonctions judiciaires, enlevé au peuple la 
nomination des pontifes, aboli les comices par tri- 
bus, ressuscité en sa faveur le vieux titre de dictateur 



au coulrairo les optimales et Drusus de trahison parce (ju'ils voulaient 
émanciper l'Italie. 

(1) « Sua lex eum clomeslicis laqueis absumpsiL » Val. Max. loc. cit. 

(2) Pro CorneliOf 79 : c Mevioria teneo (vm jirimum senaiores cum 
eguitibus romanis lege Ploiia judicarenf, hominc.m dis ac nohUUaii 
perinvisinuy Cn. Pompeium, causam lege Varia de majeslate dixisse. » 

(3) Sur la loi Varia, voir Rein, op. cit., p. 509, ctZumpt, UI, 249. 



HISTORIQUE DES LOIS DE LÈSE MAJESTÉ 65 

oublié depuis plus de cent vingt ans, Sylla voulut pro- 
téger la constitution nouvelle de Rome par une arme 
légale plus redoutable et plus meurtrière que les pros- 
criptions elles-mêmes: une nouvelle loi de lèse-majesté. 

La loi ne contenait pas de définition, ni mêmcd'énu- 
mération des actes qu'elle considérait comme coupables. 
Par deux fois. Cicéron,interprétantla loi, dit que, d'après 
la volonté d.e Sylla {etsi Sylla voluit), la calomnie peut 
être réprimée par la loi Cornelia ; sont également dé- 
fendus par la loi le fait de sortir de sa province, de dé- 
clarer la guerre sans'autorisation, d'usurper le pouvoir (1). 

La loi renfermait certainement des prescriptions re- 
latives à la procédure : elle établissait le droit d'accu- 
ser pour les femmes (8 D. 48. 4) et probablement pour 
les infâmes, les esclaves, les soldats. Un fragment 
d'Ammien Marcellin (19, 12) semble faire remonter à la 
loi Cornelia la disposition qui soumet à la torture tous 
les citoyens romains accusés de lèse-majesté « aquœsiio- 
nibus velcruentis nullam exemere fortunam ». Enfin 
Sylla exhuma les anciennes lois religieuses vouant 
à rinfamie la race des coupables : il ôta aux enfants 
et petits-enfants des proscrits le droit d'hériter de 
leurs pères, et de prétendre aux charges publiques. 
Cette pénalité fut abrogée par César et rétablie plus 
tard par les empereurs. {kç^'xQXi ^Guerres civiles ^ I, H» 
96; — Suét. César, 41.) 

Les personnes accusées en vertu de la loi Cornelia 
sont jugées par un tribunal permanent; il en résulte que 
la peine est Vaquœ et igni interdiciio, et que laprovo- 
catio n'est pas admise contre la sentence rendue par 

(1) Cic. Epist, ad dioersos, HI, 11. — In Pis. y 21. 



6tJ CHAPITRK U 



une quœstio^ c'est-à-dire par une délégation du peuple. 
Ce principe fut maintenu quand J. César renouvela 
la loi Cornelia et promulgua la leœ Julia majeslalis, 
Antoine voulut cependant modiQer sur ce point cette 
dernière loi et accorda aux condamnés pour crime de 
lèse-majesté le droit d'en appeler au peuple. L'indigna- 
tion que Cicéron {Philippique, I, 9) ressent devant une 
pareille mesure montre bien que la joi de lèse-majesté 
est devenue une arme au service de l'aristocratie, des 
optimales^ contre les démocrates, les populaves. Ad- 
mettre la provocatio dans ce cas, c'est, dit l'orateur ro- 
main, encourager la violation de toutes les lois; on no 
trouvera plus d'accusateur qui consente, après avoir ob- 
tenu une condamnation, à se présenter devant la multi- 
tude; nul juge n'osera condamner; la ville sera livrée 
à toutes les violences démagogiques ; les lois de César 
seront abrogées I 

D'après un fragment d'Ulpien, qui forme la loi 2 auD. 
48. 4, la loi Julia renfermait une énumération non pas 
limitative, mais simplement énonciative des cas de lèse- 
majesté, et elle contenait plusieurs chapitres. 

Nous devons nous demander ce que comprend la loi 
de lèse-majesté à la fin de la période républicaine? 

Nous nous sommes efforcé de prouver que la nature 
même du crimen majeslalis imminulœ excluait toute 
définition précise. S'il nous fallait cependant énumérer 
les crimes qui tombent sous cotte incrimination, nous 
prendrions pour base la rubrique du t. I du liv. III de 
notre Code pénal. Sous l'inculpation « crimes et délits 
contre la sûreté de l'Etat », nous trouvons réunis des 
actes de trahison au profit de l'ennemi, et (dans une autre 
section, il esl vrai) les attentats dont le but est d'exci- 



HISTORIQUE DES LOIS DE LËSE-MAJËSTÉ 67 



ter à la guerre civile et de changer la forme du gouver- 
nement. Nous y joindrions certains crimes contre la 
constitution et la paix publique, et certains délits prévus 
par le Code de justice militaire qui sont, au premier 
chef, des crimes contre la sûreté de l'Etat : par exemple 
les capitulations dans les conditions déterminées par 
les art. 209 et 210. 

Ainsi le Code pénal punit comme crimes contre la 
chose publique, et les lois romaines comme crimes de 
lèse-majesté : 

Le fait do porter les armes contre la patrie. 75 C. P., 
1, |1 D. 48. 4; — d'entretenir des intelligences avec 
l'ennemi, de l'aider soit en lui livrant des villes ou for- 
teresses, soit en lui fournissant des secours en hommes, 
vivres, argent, etc., 77 C. P., 4 D., ihid.; 

Le fait d'exposer la patrie à la guerre ou à des repré- 
sailles, par des actions hostiles non approuvées par le 
gouvernement, 84, 83 C. P. ; — in jussu principis 
bellum gesserit, 3 D. 48, 4; — • lU ex amicis hosles 
populi romani fiante 4 D., ibid. ; — notamment le 
meurtre d'otages; 

L'excitation à la guerre civile, 91 C. P., 1 1 1 D. 48. 4 ; 

Le fait de lever dos troupes et d'enrôler des soldats, 
92 C. P., 3 D. 48. 4; 

L'exercice d'un commandement ou d'une autorité 
quelconque usurpé, ou illégalement prolongé, 93 et 197 
C. P., 2 et3D. 48. 4; 

La fausse monnaie, 132 C. P., 2 C. 9. 24; 

Le faux en écriture (et en lecture) publique, 14S sq. 
C. P.,2D. 48. 4; 

La complicité d'évasion, 237 sq. C. P., 4 D. 48. 4 ; 



68 CHAFITRK 11 



Les outrages et violences envers les dépositaires de 
l'autorité publique, 222 C. P., 1 D. 48. 4. 

La séquestration arbitraire do personnes, qui est con- 
sidérée par notre Code Pénal comme un crime contre 
les particuliers, est envisagée par les lois romaines 
comme une usurpation de la puissance publique : 1 C. 
De privatis carceribus; 341 C. P. 

Sont punis par notre Code de justice militaire et ren- 
trent dans la lèse-majesté romaine : 

La trahison, 204 sq. C. J. M. ; 1, 3, 4 D. 48. 4; 

L'espionnage au profit de l'ennemi, 205 et 206 C. J. 
M., 1 D. 48. 4 ; 38, 1 1 D. Depœnis; 6, | 4 D. De re 
mililari; 

L'embauchage au profit de l'ennemi, 208 C. J.M;1.D. 
48.4; 

La désertion à l'ennemi, 238 C. J. M., 7. D. De 
re militari. 

Le complice de tous ces crimes est puni par les lois 
romaines et par notre Droit pénal comme l'auteur prin- 
cipal {ppera^ consilio, 1 |1, 4 etc. D. 48. 4.59sq.C. P.) 

L'intention coupable (dolus malus) est un élément 
essentiel do la culpabilité. 

La peine est, avons-nous dit, Vaquœetigni interdic- 
tio. D'après un passage de Tacite, les écrits et les paro- 
les ne tombaient pas sous le coup de la loi de lèse-ma- 
jesté, pendant la durée du régime républicain. L'an- 
cienne loi, dit l'historien, s'appliquait aux trahisons 
dans l'armée, aux séditions dans Rome, aux actes d'une 
administration coupable : « fada arguebanlur^ dicta 
impune erani (I). » Sylla, le premier, l'appliqua aux 

(i) Tac. Ann,^ 1, 72. — Ce fut cependant sous la République que Claudia 
fut accusée de lùse-majcstê (Suét. rt6ère« 2), de ce chef pour avoir sou- 



HISTOKIQUE DES LOIS DE LÈSE.MAJESri> «9 

libelles calomnieux, et Auguste aux pamphlets sédi' 
lieux. 

Les empereurs qui lui succédèrent étendirent encore 
à bien d'autres cas l'application de la loi Julia, 



haité la perte d'une flotte romaine. Aussi interprétons- nous le passage 
de Tacite en ce sens que, sous la République, aucune calomnie contre 
les personnes, même d'un rang illustre, ne pouvait être considérée 
comme crime de lésc-majosté ; mais il en était autrement pour les blas- 
phèmes contre la patrie. 



CHAPITRE in 

Le crime de lèse- majesté sons TEmpire 

Les empereurs n'eurent besoin ni de promulguer une 
nouvelle loi de lèse-majesté ni de modifier Tancienne. 
Tibère se borna à confirmer celle-ci, et répondit au pré- 
teur qui lui demandait s'il devait continuer à recevoir 
les accusations de lèse-majesté : « Il faut appliquer les 
lois (1). » 

Pour faire, en eflet, de la 1er majestatis imminutœ 
l'instrument célèbre de la tyrannie impériale, il suffisait 
de considérer la souveraineté (majestas) comme trans- 
portée du peuple au prince. 

Cette transformation se fit aisément. 

Sous la République, les Romains déléguaient à leurs 
magistrats l'exercice presque complet de la souverai- 
neté. Les seules garanties delà liberté étaient la multi- 
plicité des charges et leur caractère temporaire. Le seul 
eflort des fondateurs de l'empire consista à accunmler 
toutes les magistratures sur leur tète, et à les obtenir à 
titre viager. 

César eut la dictature perpétuelle, le consulat pro- 
longé, les fonctions de censeur et de grand pontife. Au- 
guste est consul, triumvir, tribun perpétuel, censeur 



(1) Tacite. Ann., I, 72.— C'était, dit cet historien {Ann., 4, 19), le ta- 
lent (le Tibère de cacher sous des noms anciens des crimes nouveaux. 



7i CHAPITRE III 



perpétuel, pontife. 11 réunit ainsi, dit Tacite {Ann., I, 2), 
les pouvoirs du Sénat, des magistrats et des lois. 

Les empereurs eurent soin dès lors de se faire con- 
férer les deux délégations les plus importantes de la 
souveraineté : Vimperitwi consulaire et la tribunicia 
poteslas. Quand ces deux pouvoirs, d'une étendue si con- 
sidérable et destinés à se faire mutuellement contre- 
poids, furent réunis dans une même personne, celle-ci 
put à bon droit sembler investie de la souveraineté (ma- 
jestas) tout entière, et sa puissance, sa dignité, son 
inviolabilité furent défendues, comme Pavaient été celles 
du peuple lui-même. 

Les magistrats auxquels le peuple déléguait jadis 
l'exercice partiel etépbémèro de sa souveraineté étaient 
protégés contre les offenses. A plus forte raison le prince 
l'est-il, le prince qui a la délégation complète et perpé- 
tuelle de la souveraineté, qui est l'incarnation de TÉtat, et 
dont le bonheur et la prospérité sont inséparables du 
bonheur de l'empire (1). 

La loi de lèse-majesté républicaine était volontaire- 
ment vague et comprenait les actes les plus divers ; 
l'empereur fut gardé par la même loi, non seulement 
contre les attentats, mais encore contre les plus légers 
manquements au respect. C'est un crime de lèse-ma- 
jesté de porter des vêtements ou des ornements réser- 
vés au prince, de faire allusion à une de ses infirmi- 
tés (2). Un homme est, en effet, plus soupçonneux et 
plus vindicatif qu'un peuple tout entier : les paroles, les 
écrits, les pamphlets, les allusions, tout ce qui consti- 



(1) Suét. Auguste, % 58. 

(2) 4 G. De vestibus holoberis.— Suét. Caligula, 50. 



ÉPOQUE IMPÉRIALE 



tue « l'opposition (les gons du monde (1) j fut particuliè- 
rement surveille et puni. Crémutius Cordus fut le pre- 
mier poursuivi pour avoir outragé la majesté impériale 
en faisant, dans ses ouvrages, Téloge de Brutus, et en ap- 
pelant Cissius le dernier des Romains. Crémutius dut se 
donner la mort, et les sénateurs ordonnèrent la des- 
Irjction des livres incriminés; mais ceux-ci furent con- 
servés, cachés d'abord, etplustard publiés. Tacite (/l72n., 
IV, 33), rapportant ces faits, rit de la prétention des 
puissants d'un jour d'ordonner l'oubli à la postérité et 
d'enchaîner l'idée « dont l'autorité grandit avec la per- 
sécution ». Avant Beaumarchais, il enseigne que « les 
sottises écrites n'ont d'importance qu'aux lieux où on 
en gêne le cours et qu'il n'y a que les petits liommes 
qui redoutent les petits écrits ». 

La peuret la superstition inspirèrent aussi aux Césars 
des dispositions rigoureuses contre les astrologues. 
Peine de mort pour quiconque les consulte sur la sanlé 
du prince ou les affaires publiques. Peine de mort pour 
toute personne attachée à la Cour qui s'adonnera à l'art 
de deviner l'avenir (2). 

L'application de la loi de lèse-majesté varie d'ailleurs 
beaucoup selon le caractère plus ou moins susceptible 
et rancunier de l'empereur. Pour les libelles et les pa- 
roles séditieuses, notamment, elle fut impitoyable sous 
Tibère (3). 



(!) Boissior. Opposition sous les Céfan, ch. II. 

(i) Paul. Sent., V,2i, J 3. - 7 G., Demalsfirif et de mnthematicis. — 
Procès pour malêûces, voir Tacite. Annales, III. 22 ; IV, 52; etc. 

(3) Tac. Ann. HI, J 49 (Discours de Lepidus) ; IV, % 31 ; IV. i 42 
(paroles séditieuses) ; IV, $ 6S et 3! ; — VI, g 47 [itnpietaf in princi- 
pem)t etc. 



74 CHAPITRE III 



La loî « Si quis imperatori malediœerit (1) » 
nous montre, au contraire, le pouvoir impérial déflniti- 
vement affermi, et dédaignant les attaques de ses adver- 
saires. 

II. — L'empereur n'a pas seulement l'exercice de la 
souveraineté, il reçoit encore en dépôt la souveraineté 
elle-même ; d'où résulte qu'il peut à son tour en déléguer 
l'exercice. 

Comme les anciens magistrats élus par le peuple, les 
délégués de la puissance souveraine sont protégés par 
la loi de lèse-majesté. C'est un crime capital que d'atten- 
ter aux ministres du prince, à ses officiers, aux sénateurs 
surtout « qui sont une partie de son corps (2) ». 

Montesquieu {Esprit des Lois, \\\, XII, ch. viii), rap- 
portant ces dispositions et le commentaire qu'en fit l'accu- 
sation dans le procès de Cinq-Mars, s'écrie, indigné : 
« Quand la servitude elle-même viendrait sur la terre, 
elle ne parlerait pas autrement, » Mais il ajoute qu'on 
doit ces conséquences de l'idée de lèse-majesté à deux 
princes (Arcadius et Honorius) dont la faiblesse est cé- 
lèbre dans l'histoire. C'est une erreur : on les doit à la 
République. Les empereurs n'ont fait que s'approprier 
un instrument commode de despotisme; mais les appli- . 
cations les plus excessives de l'idée de lèse-majesté sous 
TEmpirene sont que des déductions rigoureuses de l'an- 
cien principe. 

III. — La majesté ou souveraineté n'est pas le seul 
attribut du peuple romain; il a encore un caractère sacré. 
Parfois aussi, des citoyens qui avaient rendu au peuple 



(1) C. IX, 7. 

(2) 5. G. IX, 8. 



ÉPOQUE IMPÉRIALE 75 



de grands services avaient été divinisés par leurs parti- 
sans. 

De même pour le prince. 

César le premier prétendit descendre de Vénus. Vénus 
est le mot d'onlre qu'il donne à Pharsale; après la vic- 
toire il élève un temple à Vénus Genitrix, mère des Jules. 
A cette Déesse, Auguste ajoute comme ancêtres Mars et 
Apollon. Tibère est chargé, comme parent de Vénus, 
(le la reconstruction d'un de ses temples (1). 

Bientôt des honneurs divins sont rendus à la per- 
sonne même du prince. César est divinisé par le Sénat, 
et sa maison transformée en temple; Auguste prend un 
nom qui n'appartient qu'aux choses religieuses. Avec 
Caligula, ce qui pouvait passer pour un excès de flatterie 
devient un culte véritable. Caligula est dieu; il s'élève 
un temple à lui-même; il s'adore, et se complait dans 
des adulations qu'Auguste et Tibère avaient fait sem- 
blant de refuser (2). 

Après lui, les empereurs sont des personnes divines. 
Numen et â?^ermto5 sont, comme majestas,def^ attributs 
du prince. La souveraineté (rnajestas) et la divinité (nw-, 
men) se réunissent; N. M. Q. E. D. portent les inscrip- 
tions, c'est-à-dire : « numini majestatique ejus devo- 

tlJLS(Z), » 

Par suite, le sacrilège et le crime de lèse-majesté ^v 
confondent. « Proœimum sacrilegio crimen est quod 
majestaiis dicUur(l D. 48. 4). » Théodose appelle in- 



(1) Ampère. Empire romain à Rome, ch. I. — Tac. Ann., IV, 43. 

(2) Ibid.f ch.Vl. — Suétone. Aug.,i 52; Tacite. Ann., IV, 37 (Discours 
de Tibère au Sénat pour refuser les honneurs divins). 

(3) Horoy, op. cit., I, p. 280. — Pistius, Lexicon Antiquitatum roma- 
narum, y^ M aj es tas. 



7a CHAPITRE ]fl 



différemment crime de lèse-majesté ou de sacrilège la 
fabrication de fausse monnaie. (9 C. Théodos. Si quis 
solidi, et 1 cod. Si quis pecunias) (1). 

Le caractère sacré du prince se communique : 
l'^ A sa famille. Les parents du dieu sont eux-mêmes 
personnes divines. Caligula divinise sa mère ; Claude, 
son aïeule Livie; le Sénat vote un temple et un culte à 
Poppéa, fille de Néron, décédée à Tàge de 4 mois. 
Aussi la loi de lèse-majesté s'applique-t-elle à la famille 
impériale. Dans son plaidoyer, Crémutius Cordus, qui 
conteste que la loi soit applicable à des vers séditieux, 
avoue cependant qu'elle protège contre toute offense le 
prince et sa mère (2) ; 



(i) Rousseaud de Lacoaibo (T/v des Mat. Crim., Impartie, chap. U, 
soct. 5) : « Le crime de lùse-majestù humaine est une offense qui se com- 
met coivtre les rois et princes souverains, qui sont les images vivantes 
de Dieu sur la terre, et qui représentent dans le gouvernement de leurs 
Klats l'autorité que Dieu exerce dans le gouvernement de Tunivors. » — 
L'exposé des motifs du Code Pénal et le rapport fait au Corps législatif 
(v. Dalloz. Crimes contre la sûreté de VÉtat) ne contiennent pas de 
déclarations théologiques de cette nature. On a assimilé Tattentat contre 
l'empereurau parricide: « De tous les crimes qui tendent à troubler Tordre 
social, dit le Rapport, le plus exécrable sans doute est Tattentat ou com- 
plot dirigé contre Tcmpereur. Le projet de loi qualifie ce crime du nom 
de crime de lése-majesté, et propose de faire subir à ceux qui s'en ren- 
draient coupables la peine décernée contre les parricides; et certes, il est 
bien affreusement parricide, le monstre qui ose attenter contre la vie ou 
contre la personne de l'empereur! La justice des hommes est insuffi- 
sante pour déterminer le supplice que mérite un semblable forfait. 
Aussi l'amputation de la main sacrilège immédiatement suivie de la 
mort du coupable..., etc. » Sacrilège est ici un effet de rhétorique. 

(2) Suét. Caligula, 15; Claude, il. — Tac. Ann,. XV. 23 et IV, 34. 

Ne pas croire à. la divinité de Poppéa est un des griefs allégués contre 
Thraséas. (Tac. Ann., XVI, M.) 

Le Code de 1791 ne protégeait d'une façon exceptionnelle que le roi, 



EPOQUE IMPÉRIALE 77 



2"" A ceux de ses officiers qui le représentent. 

Au Bas-Empire, le conseil de l'empereur est appelé 
sacrum consistorium ; le préfet de la ville est censé 
représenter la personne même du prince : aussi son 
tribunal est il nommé < auditorium sacrum (1) > ; 

3^ A sa maison, qu'on appelle domus divina^ domus 
augusta, sacrum palatium^ etc. (2); 

4^ A ses décisions, qu'on doit adorer autant que res- 
pecter. Théodose rend coupables de sacrilège les juges 
qui violent un décret impérial. Le génie de l'Empereur 
est sacré; aussile parjure est-il un crime de lèse-majesté, 
parce que le genius de l'Empereur vivant est dans la 
formule du serment. C'est aussi un sacrilège que de 
douter du mérite de ceux que le prince à choisis (3 C. 
IX. 29) ; 

5® A ses statues. 

Déjà César obtient que ses statues soient assimilées 
à celles des dieux, et Caligula enlève les têtes de celles- 
ci pour y substituer sa propre image. Les Dieux eux- 
mêmes montrent du respect pour les statues du prince 
et le feu les épargne miraculeusement. (Tac. Ann.y 
IV. 64.) 

Les statues sont des res sacrce, soumises à la solen- 
nité de la consecratio (consecralas, 6 D. 48.4) ; elles 
sont en dehors du commerce. Quiconque les détruit, les 

le régent, rhéritier présomptif; les statuts de T Angleterre ne punissent le 
complot que s*il est dirigé contre le roi, la reine ou Théritier; en Prusse 
et en Autriche, les entreprises dirigées contre la vie ou la liberté du 
chef de TEtat, constituent seuls des crimes de haute trahison (F. Hélic. 
ThJorie du Code pénal. Cf. Code 1810, art. 87 « personnes do la famille 
impériale ». 

(i) F. Hélie, I. Cr. n« 72 

(2; G., XI, 74. - C, I, 34. 



78 CHAPITRE III 



frappe, les mutile, et même leur manque de respect, en- 
court la peine de mort : on est criminel de lèse-majesté, 
sous Tibère, pour s'être déshabillé devant une image 
de César. La bonne foi peut entraîner l'acquittement, 
si l'empereur se nomme Septime Sévère (5 1 1 D., ibid.) ; 
elle serait do peu de secours s'il s'agissait d'une ofiensc 
contre Néron. On ne peut toucher à ces images sacrées 
que pour les refaire si elles tombent en ruine, ou à 
moins qu'il ne s'agisse d'un empereur dont la mémoire 
a été condamnée {veprobaias^ 4 1 1 D. 48.4). 

C(»mme les temples, les statues assurent l'impunité à 
ceux qui s'y réfugient. Le christianisme ne change rien 
à cette assimilation, « ad œdem sacram vel ad statuas 
principis, » dit Justinien. (Inst., VI, 1, t. VIII, § 2.) 

Les statues se multipliant, il fallut même régler le 
droit d'y cherclier refuge,. et plusieurs textes prescri- 
vent que si les images du prince assurent un asile con- 
tre la méchanceté et les mauvais traitements, elles ne 
sauraient couvrir de la protection impériale les auteurs 
d'une injustice (28. § 7 D. Le Pœnis; 38 D. De Inju- 
riis; 3 D. De Extraord. criminibus; 1. un. C. De 
His qui ad statuas). C'est une protection suprême et non 
un moyen d'agression. 

IV. — Sous la République, avons-nous dit, celui-là 
est juge qui est offensé : c'est le peuple. Sous l'Empire^ 
c'est le prince qui est la personne offensée. Aussi le 
voyons-nous rendre la justice, ou plutôt prononcer des 
condamnations, dans de nombreux procès de lèse-ma- 
jesté. 

Toutefois, depuis Tibère jusqu'à Adrien, la règle est 
que la connaissance des procès de lèse-majesté appar- 
tient au Sénat, règle d'apparente impartialité qui 



ÉPOQUE IMFËKIALE 79 



n'enlève rien à l'énergie de la répression. D'ailleurs, le 
prince prend parfois des précautions pour enlever aux 
juges toute velléité d'indépendance : quand Thraséas 
fut jugé, le temple où le Sénat s'assemblait fut gardé 
militairement et les sénateurs durent passer entre une 
double haie de soldats. Parfois aussi l'empereur « s'of- 
frait » comme « conseil » aux juges; il cassait les ar- 
rêts du Sénat, ou bien encore évoquait l'affaire en cours 
d'instance. Tel fut le cas pour Fabricius Veiento, cou- 
pable d'avoir écrit des vers ofiensants contre les séna- 
teurs et les pontifes ; l'accusation lui reprochait en outre 
d'avoir vendu les faveurs du prince et le droit aux hon- 
neurs, ce qui décida Néron à évoquer l'affaire (1). 

La qualité du coupable peut donner compétence 
exclusive à l'empereur; car l'inégalité devant la loi est 
la règle à l'époque impériale, et certaines personnes 
d'un rang élevé ne peuvent être jugées que par le prince, 
seul ou entouré de son conseil, ou par un de ses délé- 
gués immédiats. Ainsi les sénateurs résidant à Rome 
sont justiciables, sous Constantin, du préfet de la ville? 
à charge par celui-ci d'en référer à l'empereur. 

L'appel n'est pas ouvert contre une sentence con- 
damnant pour lèse-majesté, car on ne peut en principe 
appeler d'une sentence du Sénat. 

L'inégalité se retrouve dans la peine ; le genre do 
supplice diffère selon le rang du coupable. Au lieu du 
bannissepient, c'est la mort qui est prononcée sous 
l'empire : « humiliores bestiis objiciuntur vel vivi 
exuruntur; honestiores capite puniuntiir. » (Paul. 
Sent., V, 29, | 1.) 

V. — La loi de lèse-majesté, en devenant une arme 

(1) Tac. Ann.y XIV. 50;— XVI, 27. —Suétone. Tibère, 33. 



80 CHAPITllE m 



do défense pour un pouvoir despotique, devait en effet 
subir une profonde modification. Elle perd le carac- 
tère utilitaire qu'elle avait sous la République, pour 
revêtir un caractère de vengeance. 

Il est plus facile d'attenter à la souveraineté d'un 
homme qu'à la souveraineté d'un peuple. Aussi les Cé- 
sars tremblent-ils devant les conspirations sans cesse 
renaissantes, se vengent-ils de ceux qui les ont fo- 
mentées et s'efforcent-ils d'en prévenir le retour par la 
rigueur du châtiment. La rapacité des empereurs con- 
tribua également à changer la nature du crimen ma- 
jestaiis. Tacite met ces paroles dans la bouche de Ti- 
bère : « Si nous épuisons le trésor par avidité, il faudra 
des crimes pour le remplir. « « Caligula, dit Suétone, 
ne montait à son tribunal qu'après avoir fixé la somme 
à gagner. » (Tac. Ann, , II, 38. — Suet. Caligula^ 38.) 

VI. — Sous l'influence de ces différentes causes, on ac- 
cumula pour le cas de lèse-majesté les dispositions les 
plus exorbitantes, on dérogea à toutes les règles du 
Droit, et le crimen majestaiis devint une exception 
monstrueuse à tous les principes que les progrès de la 
science juridique avaient fait établir. 

Ainsi le Droit criminel romain avait admis : 

1^ Que la simple résolution criminelle n'est pas punis- 
sable : « Cogitationis pœnam nemopatiiur » (Ulp. 18 
D. De Pœnis)\ 

2® Que nul ne pourrait être poursuivi sous plusieurs 
incriminations pour le même fait (14 D. 48. 2); 

3® Que certaines personnes d'un rang élevé ne pour- 
raient être mises à la torture (4 C.IX. 8; 11 C. IX. 42); 

4° Que l'enclave ne pourrait être forcé par la torture 
de déposer contre sou maître (1 C. IX. 41); 



ÉPOQUE IMPÉHIALE 81 



5° Que Taccusation s'éteint par la mort du coupable: 
a Extinguitur crimenmortalitate » (11 D. 48. 4); 

G^ Que l'enfant n'est pas punissable pour la faute de 
son père : « Crimen vel pœna paterna nullam macu- 
lam filio infligerepotest. Namque unusquisque ex suo 
adniisso sorti subjicitur :nec alienî criminis successor 
constituitur » (26 D. De Pœnis), 

Par conséquent, dans les cas où la confiscation était 
prononcée à la suite d'une condamnation pour crime 
capital, une part était laissée aux enfants. La confisca- 
tion fut même abolie de fait par les Noi\ XVII, chap. xii, 
et CXXXIV, ch. XIII. 

Mais à toutes ces règles d'humanité une exception 
était apportée pour le cas de lèse-majesté. 

La seule pen^ôô du complot, la « cogilatio^^, est pu- 
nissable. aCogiiaverit », 5, C. 9. 8; j^ropier cogita- 
iionem dignus est pœna », 6 ibid. 

Il en résulte d'abord que certaines peines frappent 
l'accusé à dater du jour où il a formé la résolution de 
commettre le crime. Toute accusation capitale entraîne 
rincapacité de donner (15 D. de Don.), et de consentir 
des aliénations en fraude des droits du fisc (11, | 1 Bonis 
damnatorum). L'accusé de lèse-majesté est en outre 
privé de l'administration de ses biens, du droit de rece- 
voir un paiement, de consentir sans fraude une aliéna- 
tion à titre onéreux, une vente, par exemple, et cette 
incapacité le frappe à dater du jour môme où il a eu la 
volonté première de conspirer (H, | 1 D, de Bonis 
damn, 5, § 4 C, IX, 8). Une peine du quadruple frappe 
quiconque retiendrait des biens de perdiiellis au delà 
d'un délai fixé (11 C, IX, 49). 

La pensée du coupable lui survit, d'où celle consé- 





ib 



K2 CllAPHHK 111 



qucuce que l'accusation do lèse-majesté peut être non 
seulement continuée, mais même commencée après sa 
mort(/n5^ III, 1, 3;— 76, |9D., 31;— 2 C. IX, 30). 

Ces procès aux cadavres furent d'abord intentés par 
les empereurs pour le cas do perduelliOy probablement 
en vertu d'anciennes lois religieuses (11 D. 48. 4); 
ils furent ensuite étendus à tous les cas de lèse-majesté 
(6 et 8 C. IX. 8). 

Pendant les procès de ce genre, les biens sont mis sous 
séquestre; si l'accusation triomphe, le fisc s'en empare; 
les legs déjà payés peuvent être répétés ; les héritiers 
siens perdent rétroactivement leur qualité; Tadition des 
héritiers externes se trouve annulée. {Inst. III, 1, 3; — 
76, I 9 D. 31 ; — 6 pr et I 3 C. n. t. — 8, § 2 C. n. t.) 

Titus fixa un délai de prescription au delà duquel on ne 
pourrait inquiéter la mémoire des morts (Suét. Titus, 8). 

VII. — Toutes les constitutions qui ont modéré 
ou aboli la confiscation ont fait exception pour le 
cas de lèse-majesté. Dans les textes où l'humanité 
a le mieux inspiré les empereurs, notamment dans 
les Novelles que nous avons citées, on trouve la même 
réserve invariable. Justinien conserve encore pour le 
crime de lèse-majesté toute la rigueur des lois primi- 
tives : « In majestatis vero crimine condemnatis^ 
veferes leges servari jubemus, » (Nov. 134, ch. 13. — 
10 C. Bonis Proscript, in fine.) 

« Justinien ne changea pas ses peines exorbitantes, 
dit M. Villard {Thèse de 1884 : la confiscation à Athènes 
et à Rome), en sorte que la confiscation politi(|ue fut 
dans le dernier état du Droit romain plus cruelle qu'elle 
n'avait jamais été. Nous avons vu la confiscation pour 
crimes de droit commun suivre une marche contraire. 



ÉPOQUE IMPÉRIALE 83 



Celle différence s'explique par les progrès du despotisme 
el par ses craintes. » 

Il faut remarquer que ces dispositions rigoureuses sont 
inspirées au gouvernement impérial non seulement par 
la cupidité, mais encore par la peur. Sans dissimuler 
les efiets de la confiscation sur des innocents, les cons- 
titutions avouent hautement le dessein de mettre hors 
d'état de nuire les enfants du conjuré, toujours soup- 
çonnés de préparer la vengeance. 

Déjà Cicéron, tout en reconnaissant ce qu'il peut y 
avoir de cruel à punir les enfants de la faute de leur 
père, loue cependant la sagesse d'une loi qui donne 
pour sauvegarde à la République Tamour des parents 
pour leurs entants {ad Brut. I. 12). Arcadius et Honorius 
(5, I 1, C. n. t.) appliquent ces principes. Us daignent 
concéder la vie aux enfants du condanuié, mais cette 
existence doit être pour eux pire que la mort elle-même. 
Ils sont déclarés infâmes, exclus de tout honneur ou 
dignité, incapables de recueillir aucun héritage, même 
celui de leur mère ou de leurs aïeux, par testament ou 
àb intestai A\% sont exclus A^^ jura sepulci orum[i |3, 
D. 38. 16) et perdent la sépulture de famille. Qui- 
conque oserait intercéder pour eux encourrait un 
châtiment rigoureux (1). (| 5, % 2, C. n. t.) 

(1/ Certains conimontateurs, Vocl par excinplo, se soof^llliianclcs si 
ces incapacités alleignent les ills émancipés, les enfants naturels, les 
petits-fils. • ^ • 

Pour les ills émancipés, Taflirmative ne nous parait pas douteuse : 
« metucnda in filiis exempta palerna, » Le lien du sang reste le monic. 

Pour les enfants naturels, Voet enseigne lané^ativA: le lieu du sanf< 
est moins fort. En vain, dirait-on que les enfants ^turels sont alor:> 
mieux traités que les enfants légitimes. « Quetn sequuntuv rommoda 



84 ^HAPITLIE 111 



La faiblesse de leur sexe rend moins redoutable la 
haine des filles du condamné ; aussi leur laisse-t-on la 
Falcidie sur les biens de leur mère," que celle-ci ait ou 
non fait un testament. Mais ce n'est là qu'un secours 
accordé à titre d'aumône ou d'aliments, et non une héré- 
dité véritable. L'incapacité générale de recevoir par suc- 
cession ou donation testamentaire subsiste, à part cette 
minime exception. Les (ils et les filles des complices 
sont frappés des mêmes incapacités (o, || 3 et 6 C. 
IX, 8). 

Si barbares que soient ces dispositions, il est juste de 
reconnaître qu'elles furent restreintes aux descendants, 
et que les autres parents du condamné, par exemple 
le père et la mère, ne furent jamais inquiétés en droit. 
De même pour la femme du coupable. 

Celle ci reprend sa dot, conformément au principe 
que les créanciers peuvent, en cas de confiscation, faire 
valoir leurs droits sur les biens des condamnés (3, | 5, 
C. IX, 8. -^ 11 D. Jure Fisci). 

On ne voit nulle part le Droit romain admettre la 
même exception que notre ancien Droit, en vertu duquel 
le roi prenait, en cas de lèse-majesté, les biens libres 
de toutes dettes et hypothèques (11 D. Jure Fisci; 
llyibid.; Jousse, Traité, t. III, part. 4, titre 28; Muyart 
de Vouglans, Tr. des crimes, tit.II, chap. 2). 

Si la loi assure à la femme un droit d'usufruit comme 
gain de survie, ce droit lui est conservé (3, 1 5, C. IX, 8). 



eumdem sequi debent incommoda. • Les enfants naturels n'ont pag 
l'espoir d'hériter. 

Pour les pclits-fils, que la conOscation atteint certainement, raifirma- 
tive nous semble certaine. 201 D. 50. iô. — JO G. Bonis Proscript, etc. 



ÉPOQUE impériale: 85 



Cet usufruit légal peut exister dans deux hypothèses : 

1"* Sur les biens que la femme recueille comme dona- 
tio propter nuptias, s'il y a des enfants d'un précédent 
mariage. (Esmoin. Le Testament du mari et la donatio 
propter nuptias, p. 76. — 6 1 1 C. V, 9. — Nov. 22, 
eh. 32.) 

2® Sur la quarte du conjoint pauvre, dans le cas où il 
existe des enfants. (Esmein, ibid.) 

A plus forte raison en est-il de même s'il s'agit d'un 
usufruit conventionnel. 

Mais si la femme peut, dans ces deux cas. jouir do 
son usufruit, le fisc ne conserve pas moins tous ses droits 
sur les biens. A l'expiration de l'usufruit, la totalité 
des biens est confisquée, sous déduction de la Falcidie 
pour les (illes (o I 5 C. IX, 8). 

Si c'est la femme qui est jugée coupable du crime de 
lèse-majeslé, la dot est confisquée. Cette confiscation 
delà dot n'a lieu que pour cinq crimes : lèse-majesté, vis 
publicQy parricide, empoisonnement, assassinat (3 D. 
Bonis Damnaiorum), Mais le mari peut alors faire 
valoir contre le fisc toutes les actions qu'il aurait eues 
contre la femme elle-même, si le mariage avait été dis- 
sous ; il peut opposer les exceptions ob res amolas, ob 
libero^, etc. (4 1). ibid.) 

VIII. — En dehors des peines si redoutables qui frap- 
pent l'accusé dans sa personne et dans ses biens, la loi 
prescrit encore certaines aggravations du droitcommun. 
Ainsi le cadavre du supplicié est refusé à ses parents 
(l D. Cadaveribus Punit orum). Sa mémoire étant con- 
damnée, il est défendu de le pleurer et de porter son 
deuil (il I 3 D. III. 2). Certains passages de Tacite 
prouvent que cette défense ne fut pas une fiction. Des 



86 CHAPITRE 111 



mères furent à leur tour accusées de lèse-majcuté pour 
avoir pleuré leurs fils déclarés coupables de ce crime. 
€ Ne pouvant accuser les femmes de vouloir usurper 
l'empire, dit riiistorien, on incriminait leurs larmes; 
voilà ce que faisait le Sénat! » (Tac. Ann., VI, 10.) 

Le complice est puni commt» Tauteur principal (6 C. 
IX, 8). 

IX. — Les peines, on le voit, étaient accumulées sur 
la tête du condamné pour crime d'État, et cependant, 
loin de mesurer la protection de Taccusé à la gravité 
de l'inculpation, la loi gardait toutes ses faveurs pour 
Taccusateur. 

L'accusation était, comme sous la République, ou- 
verte à tous. Elle était permise aux femmes, aux sol- 
dats, aux infâmes, aux aflrancbis contre leurs patrons, 
aux esclaves contre leurs maîtres. Pour ces deux der- 
nières catégories, le droit à la délation fut un moment 
aboli par Constantin, puis rétabli par Gratien (1. un. C. 
Th. Ad Leg. Jul. Maj,\ 1.2. C. Th. Pieprœter crimen 
majestatis) . 

Le pardon impérial est promis au complice qui ré- 
vèle la conjuration; des honneurs et des richesses à 
celui qui la découvre sans y avoir trempé (3 | 7 C. 
IX. 8). L'accusateur ambitieux du régime républicain 
est devenu, sous l'Empire, le délateur rapace, le qua- 
druplator, qui touche le quart des biens dévolus au 
fisc. M. Flamand (1) a calculé que les accusateurs de 
Thraséas reçurent, les uns environ 920.000 fr., les 
autres plus de deux millions. Régulus, délateur illustre, 
avait résolu de ne quitter la profession qu'après avoir 

(i; Do la procédure criminelle en droit romain, 1877. 



EPOQU£ IMPÉRIALE 



réalise une modeste aisance de 12 millions. Suilius, 
accusateur de Sénèquo, lui reprochait sa fortune ra- 
pide, la comparant aux biens laborieusement acquis par 
le travail en courant les dangers de l'accusation. (Tac. 
Ann., XIII, 42.) 

Ces dangers n'étaient pas bien considérables, puis- 
que le délateur était protégé par rcmpereur. Cependant 
il avait tout à craindre des changements de règne : le 
nouveau prince, comme don de joyeux avènement, 
accordait souvent au peuple le supplice de quelques 
délateurs. De plus, une constitution de Constantin or- 
donne d'appliquer la torture à l'instigateur de l'accusa- 
tion et à l'accusateur qui n'a pu faire la preuve (3 C. 
IX. 8). 

Par une exception toute particulière aux règles du 
Droit, l'accusation de lèse-majesté peut être soutenue 
concurremment avec une autre accusation et pour un 
même fait. Elle deviut ainsi le complément obligé de 
toute accusation « omnium accxisationum complemen- 
tum ». (Tac. Ann.^ III, 38.) Titus fit un édit par lequel 
on ne pourrait se servir de deux lois pour la même 
accusation. (Suét. Titus ^ VIII.) 

Les garanties que la loi accordait à l'accusé étaient 
presque nulles sous le règne des Césars. En efiet, pour 
assurer la vengeance impériale , la prison préventive , 
ou la remise de l'inculpé sous la garde d'un soldat, 
étaient prescrites pour tous les cas graves, au premier 
rang desquels se place naturellement le crime de lèse- 
majesté (1 D. Custodiaet exhib. reorum). 

L'exil volontaire, même quand il est possible à l'ac- 
cusé de s'enfuir, ne lui évite plus les conséquences fis- 
cales de l'accusation, puisque la confiscation est pro- 



SH CHAPITRE ni 



noncée d une façon irrévocable contre tous les contu- 
maces qui ne se présenteraient pas dans le délai d'un 
an (2 C. De Requirendis rets). 

Quant à la liberté de la défense, elle ne peut être 
qu'illusoire. Tacite dit que Silanus fut accusé -de lèse- 
majesté pour que nul ne vînt à son secours, cette accu- 
sation enchaînant la parole et forçant au silence : 
« vinclum et nécessitas silendi. » {Ann,, III, 67.) 

Enfin toutes les apparences de légalité étaient sou- 
vent mises de côté quand il s'agissait de criminels de 
marque. Le poison, l'assassinat au fond d'une prison, 
un ordre donné à un soldat, remplaçaient les formalités 
de la justice. 

Quand la clémence impériale épargnait la vie à l'ac- 
cusé, et que la peine prononcée était par exemple la de- 
portatio ou la relegatio in insulam^ le condamné ne 
pouvait espérer obtenir son pardon de celui contre le- 
quel il avait conspiré f3 C. Episcopali audientia). 
Les textes qui ordonnent des grâces à l'occasion de cer- 
taines fêtes ou de certains anniversaires, Pâques par 
exemple, exceptent le crime de lèse-majesté, a p imiim 
crimen et maximum » (7 G. Th. De Indulgentiis cri- 
minum). Ainsi, malgré leur toute-puissance, les empe- 
reurs limitaient sur ce point leur droit de grâce. « Quoi- 
que le roi, disait de même Pothier {Tt\ de la Procéd. 
crim., sect. 7, |2), dont la puissance n'a pas de bornes, 
ait le pouvoir d'accorder l'abolition de quelque crime 
que ce soit, néanmoins il y a certains crimes pour les- 
quels il a déclaré qu'il n'en accordait point. » 

Le crime de lèse-majesté est encore excepté des cas 
où l'amnistie (abolitio) peut être accordée. (L. 3 C. De 
Abolitionibus.) 



KPOQKR IMPËKIALE 89 



Quelle que soit la conséquence du crimen majesta- 
lis que Ton envisage, on retrouve partout ce caractère 
dcloi dérogeante toutes les règles du Droit qu'il affecte 
à l'époque impériale : « Pendant que la philosophie fai- 
sait intervenir la volonté connme élément principal du 
délit, pendant qu'elle pesait les degrés de la culpabilité 
et qu'elle mesurait les peines, l'empereur écrasait toutes 
ces règles, toutes ces distinctions sous le poids de la loi 
la plus inique et la plus odieuse, la loi Jvlia majesia- 
tis. » (Faustin Hélie, Instr. crim.y I, 89.) 

Cette législation fut cependant encore exagérée par 
notre ancien Droit. 

Ainsi, la confiscation fut non seulement maintenue, 
mais aggravée. La règle fut établie que le roi prend 
les biens du condamné comme premier créancier 
privilégié, à l'exclusion de tous autres, et sans qu'on 
puisse lui opposer aucun douaire, aucune dette, aucune 
substitution. La loi immolait ainsi l'intérêt des créan- 
ciers, des héritiers, des femmes, des enfants « parce 
que, dissLii (VAgiiesseauJa vengeance publique absorbe 
tellement tous ces biens, qu'il ne reste plus aucun ves- 
tige du domaine particulier de ceux qui les ont pos- 
sédés ». Aucune partie des biens confisqués n'est laissée 
aux enfants du condamné, pas même la Falcidie pour 
les filles. ^ 

Les descendants ne sont pas les seuls à subir les ri- 
gueurs de la loi : le père et la mère de Ravaillac et de 
Damiens furent bannis du royaume. 

Les complices sont punis comme l'auteur principal, 
de même qu'en Droit romain ; mais la non-révélation du 
complot est particulièrement visée par l'ordonnance de 
Plessis (1477) et punie comme le délit lui-même. 



90 CHAPITRE III 



Le crime de lèse-majesté fut déclaré imprescriptible, 
et les procès aux cadavres maintenus. 

Notre Code pénal lui-même n'a pas rompu avec ces 
traditions. 

Après avoir « soumis au creuset du plus sévère exa' 
men » la question de savoir si Ton édicterait la confis- 
cation, notre législateur décide que, « pour des consi- 
dérations d'un ordre supérieur, pour le maintien de la 
sûreté publique et enfin pour le salut de la nation en- 
tière, il pourrait être permis de punir sur un fils inno- 
cent l'action détestable d'un père criminel (1) ». Et, 
commentant un passage de Cicéron que nous avons 
déjà cité, l'auteur du rapport fait au Corps législatif 
donne, comme garantie à la tranquillitéde l'État, l'amour 
du sujet ingrat et rebelle pour sa famille. 

Peut-être eût-il été mieux inspiré en choisissant cet 
autre passage du même auteur où il glorifie les anciens 
Romains d'avoir, après l'expulsion des rois, aboli tout 
vestige de la cruauté monarchique, et protégé la Répu- 
blique par la clémence des lois et non par l'horreur des 
supplices. 

Quel régime, en effet, a jamais été sauvé par les dis- 
positions rigoureuses des lois pénales en matière de 
crimes politiques? 

(i) Rapport fait au Corps Icgislalif par M Bruneau-Beauraez. 



DROIT DES GENS 



LA PAPAUTÉ 

EN DROIT INTERNATIONAl 

a Ce devrait 6tre le but du jurigconsulte 
d'examiner ce sujet si difdcile dans un 
esprit non pas ttiéologiqne , mais stricte- 
ment juridique. » 

Phiujmore, IrUem, Law. 



INTRODUCTION 

Le pape est le chef suprême de l'Église catholique . 

D'abord élu par le clergé et le peuple avec la confir- 
mation de l'empereur, nommé par l'empereur de 963 à 
i039, choisi de nouveau par le clergé et le peuple, puis 
par le clergé seul, il est, depuis un règlement fait en 
1179 par Alexandre III et approuvé par les conciles de 
Lyon (1274) et de Vienne (1312), élu à vie par les car- 
dinaux réunis en conclave. 

Pour être éligible, il faut avoir trente ans d'âge, en 
principe être cardinal, et réunir les deux tiers des suf- 
frages exprimés. La France, l'Espagne et l'Autriche 
sont, en vertu d'un usage traditionnel, investies du droit 
d'exclure chacune un candidat. 

L'autorité spirituelle du pape est absolue. Il convient 
{decety disent les textes) qu'il prenne conseil du collège 
des cardinaux; mais rien ne lui en fait une obligation. 
Le pape est infaillible quand il parle ex cathedra^ en 
vertu de la définition du concile de 1870 (1). 

(i) L'ubbé André. Cours alphabétique de Droit canonique, v*» Pape. 



ddMH 



INTRODUCTION 



Comme chef de religion, il semble que le souverain 
pontife dût être complètement en dehors du Droit inter- 
national. 

Cette science, en effet, ne dépend d'aucune religion 
et n'en comprend aucune. Bornant son action etlimitant 
son domaine aux rapports nécessaires entre les États, le 
Droit des gens, moins encore que le Droit interne, ne 
s'occupe des cultes, de leurs préceptes, de leurs rites et 
de leurs ministres. La législation intérieure do chaque 
nation intéresse nécessairement les religions, soit direc- 
tement en réglementant l'exercice des cultes, sot 
indirectement par les lois qui régissent les écrits, les 
discours, les réunions et les associations. C'est à chaque 
peuple, dans sa souveraineté, à édicter les mesures 
qu'il croit justes et utiles en ce qui concerne les jura 
circa sacra. 

Mais à quel titre le Droit international aurait-il à 
s'inquiéter des religions ?Seulsles États sont personnes 
du Droit des gens, et leurs rapports sont régis par le 
principe de leur égalité juridique et par celui, de la 
communauté de leurs droits et de leurs devoirs. Entre 
ces personnes, il estdepuis longtemps admis que la dif- 
férence de culte ne crée aucune aucune différence juri- 
dique. Bien plus, il n'y a pas, à proprement parler, au 
point de vue juridique international, d'États catholiques, 
protestants, schismatiques ou musulmans. Tous partici- 
pent au même Droit des gens, et celui-ci s'est entière- 
mont dégagé de la religion. Comment aurait-il donc à 
traiter des rapports entre un chef religieux etlesdivers 
Etats? C'est ce qu'il semble impossible d'imaginer et 
ce qu'en effet l'histoire seule peut expliquer. 



CHAPITRE PREMIER 

La BOQYeraineté spirituelle 

Section I. — Origines dei relations diplomatiques de la Papauté. 

I. — Tous les auteurs ont constaté Taction politique 
et sociale importante que TÉglise a exercée après la 
chute de Tempire romain. Elle n^était pas seulement 
à cette époque Tunique refuge de la liberté de penser (1). 
Elle était aussi une force sociale, obligée de suppléer, 
dans une foule de circonstances, à la barbarie et à Tin- 
capacité du pouvoir civil, t Depuis quelques siècles, a 
écrit M. Guizot (2), on parle à son aise des droits du 
pouvoir temporel : à Tépoque qui nous occupe, le pou- 
voir temporel c'était la force pure, un brigandage into- 
lérable. L'Église, quelque imparfaites que fussent encore 
ses notions de morale et de justice, était infiniment 
supérieure à un tel gouvernement temporel : le cri des 
peuples venait continuellement la presser de prendre sa 
place. » 

Pour répondre à cet appel, TÉglise sortit du domaine 
habituel des religions, qui est de définir la divinité, de 
prescrire les cérémonies du culte, d'enseigner une doc- 
trine relative à la création du monde et à la vie future. 



(1) Guizot. Hts/. de la Civilisation en Europe^ leçon 6« : - En général, 
quand la liberté a manqué aux hommes, c*ost la religion qui s*est char- 
gée de la remplacer. » 

(«} Ibid. 



CHAPITRE PREMIER. - SECTION I 



Dans une série d'actes, qui ont été souvent énumérés (i), 
et, dont le plus important est la bulle In Cœna Domini, 
elle déclare qu'elle est supérieure à tous les souverains 
comme le soleil à la lune, Tesprit à la chair, l'or au 
plomb. Le glaive temporel et le glaive spirituel lui ap- 
partiennent tous deux, avec cette différence qu'elle se 
sert du premier par l'intermédiaire des rois et des 
princes, ses serviteurs. Elle a, par conséquent, le droit: 

1° Déjuger et de vérifier les pouvoirs des souverains, 
et d'apprécier leur légitimité (Décrétale Venerabi- 
lem^ etc.); 

2® De les déposer, quand ils désobéissent aux ordres 
du pape, en les excommuniant et en déliant leurs sujets 
du serment de fidélité (p. ex., bulle Ad Apostolicœ). 
Le droit de résistance et de révolution se trouvait ainsi 
transporté, comme l'a dit M. Laurent, des peuples à 
l'Église ; 

3^ De promulguer directement des lois civiles appli- 
cables aux catholiques de tous les États. Ce pouvoir 
législatif s'est exercé notamment en matière de mariage, 
de fiançailles, etc. «Le COi-pusJuris canonici^'àiï\i^\\\\- 
limore , est la loi promulguée par un chef spirituel 



(i) Voir cettoénumôration dans Miiighetli, C/i/esa e SLato. — Ernest 
Nys, Revue de Lh^oit international^ 1818. — Phillimore, International 
Lawy II, VHi, 4. ^Geiix de ces actes qui sont le plus contraires à l'indé- 
pendance des Etats sont : les Dôcrétales Venerabilem (Innocent III, 
1202) ; Solitœ (1400 environ) et Novit Ille (1204), du même pape ; la Dé- 
crôlale Ad Apostolicœ (12 i5) par laquelle Innocent IV dépose Frédéric II 
et convoque le Corps électoral pour lui donner un successeur; les Bull<'8 
de Boniface VIII, Clericis Laïcos et Ausculta Fi/i (1296 et 13. . f) ; la Dé- 
crétale Unam Sanctam (1302); la Bulle De Consuetudine (Jean XXII); 
euliu et surtout la célébra bulle In Cœna Domini(i'è70). 



iS^ES 



OHIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 5 

étranger pour une classe " particulière de ses sujets 
habitants d'États indépendants »; 

4** D'établir des juridictions spéciales pour interpré- 
ter et appliquer ces lois émanées de Rome. Il y eut 
dans chaque État toute une hiérarchie de tribunaux (ofli- 
cialités) aboutissant au pape. Celui-ci a la primauté de 
juridiction dans toute la chrétienté (1). Sous peine d'ex- 
communication (Bulle Incarna Domini, etc.), il est en- 
joint aux pouvoirs séculiers de ne pas troubler la juridic- 
tion ecclésiastique, soiten empiétant sur sa compétence, 
soit en empêchant les recours à Rome ; 

o® Enfin, d'apprécier, de contrôler et au besoin d'an- 
nuler tous les actes de la souveraineté intérieure ou 
extérieure des États. 

Ainsi la Grande Charte de Jean Sans Terre est infir- 
mée par Innocent III, parce qu'il est écrit : « Conslitui le 
super gentes et régna; dissolve colligationes impieia- 
iis. » 

De même les exemples de traités entre souverains 
annulés par le Saint-Siège sont nombreux. D'abord les 
conventions internationales, que l'on promulgue dans 
le chœur illuminé d'une égh'se cathédrale, tirent leur 
valeur, à cette époque, de l'invocation à la très Sainte 
Trinité qui les précède, et du serment de les respecter 
qui les termine. Le pape peut donc les réduire à néant 



(1) Cette juridiction s*étend sur tous ceux qui ont reçu le baptême, 
qu'ils soient catholiques ou schismatiqucs, eu vertu de décisions do Be- 
noit XIV, Pie VI, Fie VU, etc. — Dans une lettre du 7 août 1873 à l'em- 
pereur d'Allemagne, le pape affirme que « quiconque a reçu le baptême 
appartient au pape». Voir l'article déjà cité de M. Nys, et Bluntschli, 
Ue la ResponmifUité du pape. 



6 CHAPITRE PREMIER. — SECTION 1 

en dispensant Tune des parties d'observer son serment; 
c'est ce que fit Léon X pour délier François P' des 
obligations contractées par le Traité de Madrid. Ces 
annulations de traités furent même si fréquentes, qu'on 
prit la précaution de stipuler qu'on ne pourrait se faire 
relever par Rome de son serment (1). Parfois même 
l'Église annule directement un traité : ainsi la paix de 
Westphalie fut par elle déclarée « nulle , invalide , ré- 
prouvée, sans force et sans effet ». 

En matière de relations internationales, le droit des 
canons et les décisions du pape sont les seules auto- 
rités dans la période dont nous parlons. Les peuples 
n'ont encore aucune conscience de leurs devoirs réci- 
proques et de leurs rapports juridiques nécessaires ; la 
communauté de croyance religieuse est entre eux le 
lien unique ; le Saint-Siège est le seul pouvoir supérieur 
qui puisse être obéi par les rois, les princes et les peu- 
ples de la chrétienté. Aussi voyons-nous les papes être 
non seulement les arbitres choisis, mais les juges de 
droit entre souverains ; ils ordonnent de cesser la guerre, 
évoquent l'affaire à leur tribunal (2), adjugent des ter- 
ritoires, règlent les conflits que fait naître le droit d'oc- 
cupation et de découverte (3). 



(1) Hoffler, Droit international, lulroduction. — La Décrétalo Novit 
Ille affirme que le droit de rompre un traité apparticiit àl'Église. — Cf. 
Caractère de la diplomatie au Moyen âge^ par Funck Brentauo, Revue 
d'histoire diplomatique^ 1887, n» i. 

(2) Innocent UI notamment ordonne à Philippe Auguste et à Richard 
Cœur de Lion do terminer leurs guerres et de lui sounjettrc leur diffé- 
rend (1199). 

(3) L'exemple d'Alexandre VI partageant le Nouveau Monde entre les 
Portugais et les Espagnols (1493) a été souvent mentionné. On peut 



ORIGINKS DES RELATIONS DIPLOMATIQIKS 7 

La juridiction internationale appartient aussi aux Con- 
ciles qui peuvent juger un empereur (Frédéric II fut 
mandé par Innocent IV devant le Concile de Lyon, 1243), 
déposer un prince hérétique et disposer de ses États : 
(les terres de Raymond de Toulouse furent données par 
le IV® Concile de Latran à Simon do Montfort, 121S). 

IL — Pour remplir la mission qu'elle s'est attribuée, 
rÉglise universelle a besoin : 

De ressources matérielles ; 

D'une hiérarchie d'agents dans chaque État ; 

Au profit de ces agents, d'exemptions, de privilèges 
et d'immunités. 

Elle possède d'abord de grandes propriétés, des biens 
patrimoniaux, acquis à titre gratuit ou onéreux, et qui 
à la veille de la Révolution s'élèveront à 1/3 du sol 
français. Ces immeubles ou bénéfices sont attachés à 
une cure, un évêché, une abbaye. Bien plus, le clergé 
remplissant de nombreuses fonctions publiques, célé- 
brant les mariages, tenant les actes publics, recevant les 
testaments, ayant la charge de l'Assistance, a droit en 
écliange à des prestations, à des impots : il prélève la 



eucoro citer l'exemple d'Urbain IV («260) et de Nicolas V (1528), don- 
nant au roi deBiliôme et an roi de Portugal toutes les terres qu'ils 
pourraient conquérir sur les infidèles. — Adrien IV dispose de l'Irlande 
comme lui appartenant et donne à Henri II la permission de la con- 
quérir: « Sane Iliberniam ad jus B. Pétri et sacro.mnctœ Ecclesiœ non 
duhium est pertinere. » Gréj^oiro VII donne l'Angleterre à Guillaume 
le Conquérant. — A la suite d'excomunication, il arrive fréquemment 
que les États d'un prince soient donnés à un autre par le Saint-Siège. 
Innocent IV donna ainsi la Sicile à Louis IX, roi do France (12o4). — 
Les bulles d'excommunication et de déposition contre les souverains 
contiennent d'ailleurs lu clause que l-.'urs Ktats sont au jjremier occu- 
pant. V,, p. ex., Potter, /iw/. du christianisme y V, p. 208. 

7 



8 CHAIMTHK PREMIKH. - SECTION I 



dîme sur le revenu des biens de la lerre. Au contraire, 
les biens et les personnes ecclésiastiques sont affran- 
cliis de toute contribution aux charges royales : la 
Bulle Clericis Laïos excommunie les princes qui, par 
un « horrible abus de la puissance séculière », impose- 
raient aux clercs des aides non autorisées par le Saint- 
Siège, et les prélats qui les payeraient. 

Une partie des impôts prélevés par le clergé est per' 
çue au profit du pape lui-même, a Avant saint Louis, a 
écrit M. Franck, les richesses de la France s'en allaient 
par mille canaux vers la Ville Éternelle, le pape levant 
des tributs sous toute espèce de prétextes. » Ces taxes 
pontificales étaient établies parfois à titre général et 
permanent. Dans cette dernière catégorie rentrent les 
annales (ou droit de percevoir le revenu d'une année 
à chaque mutation de titulaire d'un bénéfice) (1), les vé- 
serves (ou bénéfices dont le Saint-Siège s'était attribué 
la collation), les grâces expectatives (bulles par les- 
quelles le pape donnait Pexpectativo d'un bénéfice dont 
la vacance paraissait prochaine), les causes portées en 
Cour do Rome, évoquées par elle, notamment omisso 
mediOy et pour lesquelles elle faisait payer des taxes. 

Quelquefois aussi le Saint-Siège exigeait des tributs 
de certains princes sur lesquels il prétendait avoir un 
droit de suzeraineté. Jean Sans Terre s'engagea à payer 
mille marcs sterling par an (1213). 

III. — Les agents du pouvoir ecclésiastique sont le 



(1) Jusqu'à la fin du xvii» siècle, les papes revendiquèrent leur droit 
aux annates sous peine d'excommunication. V. Polter, o/>. cit., t. IV 
p. 394, noie i, rt les huiles cilôos, savoir : les constitutions Aposloiicœ 
(1485;, Cupientes (ioo'i), Alias (1W4}, Postijuam (i07i;. 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 9 

clergé lout entier ; il forme dans chaque Etat une puissante 
corporation qui a ses représentants dans le palais du roi 
comme dans la chaumière du paysan. Quelques-uns de 
ces agents ont un pouvoir de juridiction, Tévéque par 
exemple, qui est le juge ordinaire dans son diocèse. 

L'action du clergé eût été nulle, si elle avait pu être 
entravée par la justice, — souvent bien primitive et bien 
suspecte, — des pouvoirs temporels. Aussi, à maintes 
reprises, TÉglise a-t-elle, dans les actes les plus formels, 
revendiqué pour ses ministres l'immunité de toulc juri- 
diction séculière ; à maintes reprises, elle a prononcé 
rexcomniunication propler nianuum injeclionem in 
cleros (1). L'immunité existe également en matière 
civile, personnelle ou réelle ecclésiastique, afin de sous- 
traire les biens de la reh'gion et de ses ministres aux 
exactions des seigne^urs liants justiciers. 

Même devant les tribunaux ecclésiastiques, plus le 
rang de l'accusé dans la hiérarchie catholique est élevé, 
plus la condamnation est difficile à obtenir : il faut 
72 témoins pour convaincre de crime un cardinal- 
évèque (2). * 

Quelques-unes de ces causes ecclésiastiques sont de 
la compétence exclusive du pape : c'est ce qu'on appelle 
les causœ majores. Tels sont les procès relatifs aux car- 
dinaux et aux évèques (sauf, pour ces derniers, contro- 
verse en ce qui concerne le droit des conciles provin- 
ciaux). Le pape est encore juge d'appel dans un très 
grand nombre de cas. Mais, depuis les Conciles de Latran 



(I) V. nolaininont la Biillo in Cœna Domini: la coiist. Qnia sicuV 
d'Urbain VI. 
(i) L'abbé André, op cit , v« Cardinal» 



10 CHAPITKK PREMIKU. — SECTION i 

et de Baie, les appels au Saint-Siège omisso medio 
sont interdits. 

Il est défendu d'en appeler du pape à une autorité 
quelconque, contrairement à l'usage des rois de France, 
d'en appeler du pape au pape mieux informé^ et au 
futur concile général. 

IV. — ^Parmi les agents de la Cour de Rome dans les 
différents États, il faut surtout remarquer les légats et 
les nonces. 

Cette institution trouve son origine, d'après l'opinion 
générale, dans la coutume qu'avaient les papes d'en- 
voyer auprès des empereurs romains à Constanti- 
nople des apocrisiarii ou responsales. C'est à partir de 
Constantin que cette coutume s'établit. Il y eut égale- 
ment de ces envoyés auprès de Charlemagne et de Louis 
le Débonnaire, avec les fonctions de confesseurs du roi 
et le titre de custospalatii. 

Nous ne croyons pas qu'il faille attribuer aux apocri- 
sîaires un caractère représentatif, et y voir, comme on 
l'a dit, les premiers ambassadeurs du Saint-Siège. Ce 
sont plutôt des fonctionnaires, des administrateurs, 
logés, depuis Constantin, dans un palais « pro negotiis 
ecclesiasticis condito », au ministère des cultes, dirions- 
nous. Us ont pour mission de soutenir auprès de l'em- 
pereur les intérêts, non pas du pontife romain, mais du 
diocèse qu'ils représentent, car chacun d'eux est chargé 
des affaires d'un diocèse « uniuscujusque diocœsos 
«/}ocm«r205»,dit laNovelle 6, ch. 3; « ) everendissimi 
vero apoc. isiarii cujuscunque sanclissimœ JbJcclesiœ. » 



(1} Bulles Execrahiits do Pic H, In Domini Cœna, etc. 



ORIGINES DES RELATIONS PIPLOMATIQl'ES 11 



(Novelle 123, ch. 25.) C'est par leur intermédiaire que 
l'empereur doit être instruit des affaires de chaque évêclié 
ou archevêché. Défense est faite par la Novelle 6, ch. 3, 
aux évêquesetarchevêques qui viennent àConstantinople 
pour les intérêts de leur diocèse, de recourir au sou- 
verain et de lui demander une audience avant d'avoir 
conféré avec leurs apocrisiaires respectifs. Ce sont ces 
derniers qui transmettent la réponse impériale (ajjokri- 
sis) à leurs administrés. Ils ne sont à aucun titre, on le 
voit, les représentants de l'évêque de Rome (1). 

De même, les apocrisiaires auprès des rois Carlovin- 
giens semblent avoireu pour fonction principale d'exer- 
cer une haute juridiction sur les évêques du royaume, 
et c'est encore ce caractère qui nous parait essentiel 
chez les légats et les nonces, tels que nous les présente 
le Co7yus Jurgis canonici. 

L'Extravagante Super gentes, de Jesm XXII, établit la 
raison d'être de ces agents. Le pape, dit il, est con- 
stitué par Dieu sur toutes les nations et sur tous les 
royaumes ; mais comme il ne peut être en tout lieu, il 
délègue ses pouvoirs à dos legati « qui^ vices ijjsius 
supplendo, errata corrigant, aspera in plana con-- 
vertant^ et commissis sibi populis salutis incrementa 
ministrent (2) ». De même Innocent lil écrit : « Ea 
p* opter pontificemportare onera gravia cumplenitii- 



(i) Contra^ Carpinal Soglia, ïnstiluliones Jttris publici ecclesiasiiciy 
1. n, ch. I, { 37 — Craisson, Manuale lofius Jtiris canonicif I, n" 803. 
— Carnazza-Amari, Droit international public^ traduction Montanari- 
Revest, U, p 136. —G. de Luise, De Jure publico EcclesuK, p. 4. — An- 
dré, op. cit., >•• Apocrisiaire. — Voiraussi, de Pottcr,o/>. «7., ni,p. H9, 
note 3. 

(2) Extravag. Commun., 1. I, t. I, ch. unique. 



12 CHAPITRE PREMIER. — SECTION I 



dine potestatis-,. Verum attendens quod messimuUœ 
operarius unus non sufjicit, multos sibi operarios et 
coadjutores adjungit.,. sic vices suas aliis commit- 
tendo, ut intelligatur ipsemet facere, quod per alios 
fieri decernit (1). » 

Pour accomplir cette tache, l'Église a créé des man- 
dataires du pape, que Ton divise en : i^ Nuntii non 
judices, ad aliquod nudum niinisierium exercen- 
dicm (2): tel est, par exemple, Vablégat qui est chargé 
par le Saint-Siège d'apporter à un souverain le cha- 
peau qu'il doit remettre à un cardinal nouvellement 
créé. Uablégat n'a aucune mission politique; 2° Les 
nuntii etjudices, qui comprennent : 

Les Legati a latere, 

Les Legati missi, Nuncii apostolici, et les Fnter- 
nuncii. 

Les Legati nati. 

Le légat a latere est un cardinal qui, siégeant au 
côté (latus) du pape, s'en éloigne pour remplir une 
mission. C'est l'envoyé le plus élevé de la hiérarchie ; 
devant lui cessent les pouvoirs de tout autre légat (3). 
Il a droit à dos honneurs extraordinaires : vêtu de la 
pourpre et du lin, il entre proccssionnellement dans les 
villes de sa province. Pour marquer son pouvoir de 
juridiction suprême, il fait porter une croix devant lui 
dès qu'il a quitté Rome et le territoire directement 
administré par le pape ; les archevêques et évêquos 



(1) Cité par DeLuisL\ op. cil. y p. 7. 

{t) Graisson, 0/7. cit.^ n« 805. 

()) Libri siîxti Decrelalium, de Officio Legati, chap. viii. 



OlUGINKS DES RKLATIONS DlPLOMATigrKS 13 

ne peuventarborcrd'emblèmc analogue en saprésenoc. 

Le légat a latere peut être un sujet du roi dans les 
États duquel il est envoyé : les cardinaux français d'Am- 
boisc et de Pradt furent nommés légats auprès du roi 
de France, en 1301 et 1330. On rend au cardinal-légat 
sujet les mêmes honneurs qu'au cardinal-légat étranger. 

Les Legaii missi diffèrent des précédents en ce 
qu'ils ne sont pas cardinaux (1). Quand leur mission 
est permanente, on les appelle Nuncii ou Nonces. 

Le titre de Legatus nalus est un titre purement ho- 
norifique, attaché à certains évêchés dont les titulaires 
étaient souvent choisis comme légats et qui, pour ce 
motif, « Ecclesiarum suarum prœfe.rttc legaiionis sibi 
vindicant dignitatem. » (Cliap. IX, deOffic. Leg.) A 
partir du xv*' siècle, ce n'est qu'un titre dépourvu de 
toute autorité particulière. Les évèques de Reims, 
Bourges, Lyon, étaient des Legaii nati^ appelés aussi 
Primates. 

Au-dessous des légats et des nonces se trouvent les 
internuncii ou internonces. 

Quels sont les pouvoirs du légat? 

Ses pouvoirs sont d'abord déterminés par l'étendue 
de ]q. province qui lui est confiée. Les limites de celle- 
ci étaient fixées arbitrairement par le pape, sans avoir 
aucun égard aux frontières des royaumes. Ainsi, quand 
Philippe-Auguste eut renvoyé sa première femme, Inge- 
burge, pour épouser Agnès de Méranie, Innocent III 
nomma un légat, Pierre de Capoue, dont la province 
comprenait non seulement le royaume de France, mais 



(I) Les nonces peuvent même ôlre des laïques. (Craisson, op. cil. 
n«8U6.) 



U CIIA! ITRF: P:tRM!KR. — SKCTION 1 



encore les provinces de Vienne, de Lyon et de FAqui- 
taine. Le roi ayant refusé, malgré les injonctions du lé- 
gat, de reprendre Ingeburge, le légat sortit du royaume, 
convoqua à Vienne une assemblée de prélats devant 
laquelle il publia Tédit mettant la France en interdit 
(1200). Pbilippe-Auguste se pourvut auprès du pape, 
soutenant que le légat n'avait pu, après être sorti du 
royaume, faire un acte de juridiction qui y était rela- 
tif. Innocent III rejeta le recours, parce que le légat, 
bien qu'il eût quitté le royaume, n'était cependant pas 
sorti de ses provinces, et qu'il pouvait dès lors publier 
dans Tune de celles-ci un acte fait pour une autre. 
(Cliap. VII, de Offic. LegatL) 

Même après l'établissement de nonciatures perma- 
nentes, la circonscription de chacune d'elles comprit 
les États les plus divers. La Suède et la Norwègo, par 
exemple, étaient du ressort de Varsovie (1). 

Dans sa province, l'étendue des pouvoirs du légat est 
fixée d'abord par la Bulle qui l'institue, ensuite par les 
textes du Droit canonique. 

Ceux-ci nous montrent les légats a latere investis 
d'une autorité semblable à celle des proconsuls ou des 
gouverneurs romains auxquels certaines provinces sont 
données à gouverner. Ils peuvent, pour ces pays, faire 
des édits perpétuels conservant leur force obligatoire 
même après leur départ. (Gliap. II et X, de Offic. Leg.) 

Mais le pouvoir de l'envoyé pontifical est, avant tout, 
un pouvoir de juridiction. Le légat a latere est juge de 
l'ordinaire et, comme tel, ses pouvoirs no finissent pas 
par la mort du pape qui l'a délégué, même si elle sur- 

(1) M. Nvs, op. cit. 



ORlfiINKS OKS RELATIONS DIPLO.M A TIQUES !5 

vient avant qu'il ait commencé son administration ou 
qu'il soit entré dans sa province. Il doit connaître de 
toutes les causes qui viennent à son tribunal per appel- 
lationem vel querimoniam (cli. I de Off. Leg.). « Il 
est dans sa province, dit Bouchcl (cité par André), or- 
dinaire des ordinaires et lieutenant du pape avec toute 
juridiction. » Sur ce point, cependant, un tempéranïcnt 
a été apporté par le Concile de Trente qui, dans sa 2i^ 
session, a décidé que les légats, nonces et gouverneurs 
ecclésiastiques ne peuvent troubler révoque dans l'exer- 
cice de sa juridiction et jugerdes clercs sans la réquisi- 
tion de leurévèque, à moins que celui-ci ne néglige de 
les punir. 

L'autorité du légat est si considérable que les textes 
s'occupent uniquement des actes qui lui sont interdits. 
Ainsi le légat, même a latere, ne peut déplacer des 
évéques, conférer le jus primaliœ à une église sur une 
autre, réunir deux évècbés ou en diviser un, examiner 
une affaire dont la connaissance a été spécialement délé- 
guée par le pape, absoudre de l'excommunication pro 
injeclione manuiim in cleros ceux qui sont en dehors 
de sa province, ou qui, y étant, viennent d'ailleurs. 
(Chap. III, IV, IX, de Off. Leg.) 

L'excommunication frappe quiconque s'oppose à 
l'exercice de l'autorité du légat. (Extravag. Svper 
ff entes ^ etc.) 

Les pouvoirs des nonces sont en principe moins éten- 
dus que ceux des légats a latere. Ils ne peuvent faire 
d'édits perpétuels; leur mission ne survit pas à la 
mort du pape qui la leur a confiée. Mais le nonce a les 
pouvoirs du légat a latere, et prend le titre de « nun- 
tiiis cum potestate legati a latere », quand il a touché 



46 CHaPITRK premier. — SECTION l 

la robe du pape, c'est-à-dire qu'avant son départ de Rome 
il a eu une audience du souverain pontife et a reçu ses 
instructions verbales. 

Sauf ces petites différences, l'autorité du nonce est 
égale à celle du légat ; l'excommunication est aussi pro- 
noncée contre ceux qui s'opposent à l'accomplissement 
de sa mission. 

D'après nos explications, on voit que les nonces et 
légats ne sont pas essentiellement des agents diploma- 
tiques auprès des souverains, au Moyen âge et d'après 
le Droit canonique. Ce sont surtout des agents d'exé- 
cution, faisant obéir les peuples aux ordres et aux lois 
du Saint-Siège, et brisant la résistance des souverains 
quand elle se produit. Il n'est nulle part question, dans 
les Décré taies, de négocier avec les princes par l'inter- 
médiaire des légats ; ceux-ci nous apparaissent toujours 
comme juges suprêmes et administrateurs souve- 
rains. Les bulles d'institution des légats nedérogeaient 
d'ailleurs pas aux règles des Décrétales. Même à une 
époque relativement récente, en 1664, nous voyons dans 
la Bulle nommant légat en France le cardinal Chigi, 
qu'il aura pour mission de juger entre toutes sortes de 
personnes, de quelque pays qu'elles soient, se trouvant 
dans le royaume et dans les pays adjacents, et notam- 
ment « de procéder contre les faussaires, usuriers, ra- 
visseurs, incendiaires et tous autres criminels privilé- 
giés ou non privilégiés..., juger tou5 procès criminels et 

causes civiles recevoir toutes sortes d'appellations 

des juges ordinaires et délégués...» (1). Est-ce là la mis- 
sion d'un agent diplomatique? 

(i) Cérémonial diplomatique (supplément au Corps diplomaUque du 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 17 

V. — Eu résumé, si nous examinons la situation de 
la papauté au Moyen âge par rapport aux différentes 
puissances, elle nous apparaît comme un pouvoir politique, 
qui a dans chaque État une hiérarchie d'agents munis 
de privilèges nombreux et jouissant d'une autorité con- 
sidérable: — des tribunaux particuliers; — des biens fort 
étendus; — qui s'attribue le droit de lever des impots, 
de rendre la justice même en matière civile, défaire des 
lois directement applicables aux sujets de tous les 
princes. 

Cette puissance politique, d'autant mieux obéie 
qu'elle s'appuie sur la foi religieuse universellement 
répandue, est l'influence prépondérante qui dirige les 
affaires temporelles de toutes les nations, à l'intérieur 
et à l'extérieur. C'est avec elle que tous les souverains 
devront compter; c'est contre elle que tous devront 
lutter. 

YI. — La tutelle ecclésiastique pouvait élre utile en 
edet; elle pouvait être un élément de progrès du Droit 
civil et du Droit international, tant que le pouvoir tem- 
porel était tout à fait ignorant et barbare. Le tort fut, 
comme l'a écrit M. Mingheîti, de vouloir faire des règles 
absolues de mesures temporaires, et de prétendre domi- 
ner l'autorité civile quand elle se fut éclairée et mora- 
lisme (i). Les prv'»ceptes de l'Église ne pouvaient satis- 



Droit des gens). Amsterdam, 1739, 1. I, t. I, % 27. — V. le texte entier de 
la bulle. 

(!) Guizot, op. cit. — Minghctti, Chiesa e Slato , Introduction. — 
Bluntschli, Droit, intern. codifié ^ Introduction. — F. de Martons, Dr. 
intern., p. 3/. — Wheaton, Hist. du progrès dît Dr. des gens, Intro- 
duction. — Hofîter, Dr. intern. Introduction, 8 6. — Phillimore, Inter 
national Law, II, p. 396, 



18 CHAPITRE PREMIER. — SECTION i 

faire la conscience juridique des États. Comme base du 
Droit, ils étaient à la fois trop larges et trop étroits : 
trop larges, parce qu'ils faisaient entrer au nombre des 
obligations juridiques des obligations purement mo- 
rales ou religieuses, et punissaient le blasphème, le sa- 
crilège, l'hérésie, l'apostasie, la simonie à l'égal dos 
crimes les plus atroces; — trop étroits, parce qu'ils n'é- 
taient applicables qu'aux seuls croyants. Voilà pour- 
quoi, comme Bluntschli l'a montré, l'Église a cté im- 
puissante à créer la science des rapports internationaux, 
puisqu'elle ne reconnaissait de droits qu'aux peuples 
catholiques. Voilà pourquoi la majorité des auteurs fait 
remonter l'origine du Droit international proprement dit 
au traité de Westphalie, qui a consacré l'égalité juri- 
dique des nations catholiques et des peuples hét éti- 
qiies. 

Dès que le pouvoir civil, prenant possession de lui- 
même, eut acquis la conscience de ses droits et de ses 
devoirs, il devint jaloux de son indépendance et voulut 
secouer le joug de la théocratie. Partout on s'efforça de 
restreindre la compétence du for ecclésiastique, de 
diminuer les impôts perçus par le clergé. Les rois 
revendiquèrent leur droit de souveraineté absolue sur 
tous les habitants, clercs ou laïques, de leur royaume, 
et sur tous les biens, appartenant ou non à l'Église, 
situés dans leurs États. Sans doute, les ecclésiastiques 
furent maintenus en possession de nombreux privilèges ; 
mais ils ne formèrent plus une classe spéciale de 
citoyens sujets du Saint-Siège , soumis à ses lois, lui 
payant des impôts. Ce sont des sujets du roi, auxquels 
la loi du pays reconnaît des immunités afin de leur 
conserver le repos nécessaire pour vaquer à leurs fonc- 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 10 

lions, et pour leur assurer une rémunération convenable 
« récompense de leur travail (1) ». 

En même temps qu'ils affirmaient leur droit de sou- 
veraineté sur tous leurs sujets, les rois revendiquaient 
leur indépendance à Tégard du pape. Le roi de France, 
par exemple, déclare ne tenir son royaume que de Dieu 
et de son épée ; il défend au pape de rien commander ou 
ordonner en France de ce qui concerne les choses tem- 
porelles, de prélever des impôts sans son autorisation, 
de donner le royaume de France et de délier les sujets 
du serment d'obéissance, de troubler l'exercice du gou- 
vernement en excommuniant le souverain ou ses offi- 
ciers, de le citer à son tribunal. La Cour de Rome ne 
peut faire en France aucun acte de souveraineté : les 
contrats reçus par les notaires apostoliques n'emportent 
pas liypothèque (2). 

VIL — La politique des rois, on le voit, tend à con- 
sidérer le pape comme un souverain étranger^ à le 
rejeter en dehors du Droit public national, et cette 
conception est, pour eux, pleine d'avantages, parce 
qu'elle excite les susceptibilités patriotiques, parce qu'elle 
éveille et autorise la méfiance. 

Souverain étranger, le pape devient le rival des autres 
souverains. Il est aussitôt suspect de vouloir porter la 
discorde et le trouble dans des royaumes contre lesquels 
il a peut-être des sentiments de jalousie ou d'hostilité. 

Pour prévenir l'introduction d'actes juridictionnels ou 
législatifs, contenus dans des documents ayant Tappa- 

(1) Polhier, Édit. Bugnct, i861, L p. 2. 

(2) Pilhou, Libertés, XX. — Loisel, Inslitutes Coût., 1. UI, t. VH, 
r. XIV : « GoDtrats passés en Cour d*Kglisc n'ciiiportcnl point hypo- 
thèque. » 



ÎO CHAPITRE PREMIER. — SECTION I 

rcnco (le décisions dogmatiques, on soumet partout les 
bulles, les rescrits, les lettres apostoliques à un con- 
trôle et à une autorisation qui s'appelle, selon les pays 
et les époques, droit d'annexé, d'attache, de pareutis. 
de visto bueno, d'eœequaluv, de placet regium. Publier 
une bulle sans autorisation est parfois un crime de lèse- 
majesté : il en était ainsi pour la bulle In Cœna Doniiyii 
en France (1). 

La correspondance avec un souverain étranger est 
toujours suspecte; elle peut, quand il y a guerre déclarée 
ou latente, constituer un grave danger et une trahison. 
Aussi on surveille, on subordonne à des autorisations 
{liceat scribere) les communications entre Rome, les 
évéques et les fidèles; on les interdit parfois d'une 
manière absolue. Depuis le règne d'Elisabeth jusqu'en 
1848, la loi anglaise détendait toute communication 
avec Rome : « Fait incroyable, dit Phillimore, quand on 
songe qu'il y a dans l'Irlande seule tant de catholiques 
romains (2). » 

Les subsides en argent, l'exportation de richesses 
pour subvenir aux besoins d'un pouvoir étranger, peut- 
être hostile, ont souvent été défendus comme particu- 
lièrement graves. Saint Louis, le premier en France, 



(1) La nécessité d'une autorisation pour la publication des bulles a été 
imposée par les lois autrichiennes (Joseph U), espagnoles (Pragmatique 
de 1763 ; édit de 1768, punissant de la peine de mort les notaires ou 
hommes de loi complices delà publication), portugaises (I768),siciliennes, 
sardes, toscanes, vénitiennes, bavaroises (constit. 1818), françaises 
(édit de Louis XI, 148i), — etc. — La Constitution fédérale suisse de 
1874 exige aussi le piacet, 

(2) Phillimore, Internat. Lau\ II, p. 464 sq. — Les communications 
avec Rome furent aussi interdites d'une manière absolue par Philippe V 
d'Espagne (1709). 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES Ji 

« prohiba les exactions et grièves levées d'argent im- 
posées par la Cour de Rome aux églises du royaume et 
par lesquelles ledit royaume a été nn'sérablement appau- 
vri », saut autorisation particulière du roi (1). 

Souverain étranger, le pape ne peut envoyer dans 
les Etats que des représentants et non des agents d'exé- 
cution. Tout pouvoir juridictionnel est refusé aux légats 
et aux nonces. Louis XI défend aux légats de faire por- 
ter devant eux, en sa présence, la croix, emblème de 
leur juridiction; à partir de cette époque, le porte-croix 
du légat s'arrête en dehors de la chambre royale, dans 
les audiences du roi et de la reine (2). Le 4 août 1732, 
le Parlement de Paris proclame comme une maxime 
inviolable qu'en France aucune juridiction n'est atta- 
chée au caractère de nonce, et que tout ce qui pourrait 
en être un exercice ou une suite ne peut être toléré; il 
ordonne en conséquence la destruction d'un écrit par 
lequel le nonce accordait la permission de lire certains 
livres défendus (3). Mêmes principes en Autriche, où 
Kaunitz écrit, en 1781, au nonce « que le pape n'a au- 
cune autorité dans l'État, sauf sur les questions dogma- 
tiques ou absolument spirituelles » ; en Angleterre, oii 
Guillaume II (1080 environ) conclut avec le pape Ur- 
bain II une convention « 7ie legattcs roaianus ad An- 
gliam mitteretur^ nisi quem rex prœciperet » . C'est, en 



(1) En 1484, lu Parlement de Paris csliiiic à un million «reçus d'or 
par an les sommes que le Saini-Siègo tire do France. — Louis XI fait 
chasser les collecteurs du pape. — De même Henri II défend d'envoyer de 
Targenl & Rome, parce qu'il n'était pas raisonnable, disuilil, de fournir 
au pape les moyens do lui nuire. 

(2) Cérémonial diplomalique, t. 1, 1. I, § 22. 

(3) E. OUivier, Manuel de Droit ecclésiastique. 



22 CHAFITRK PUEVIIER. — SECTION 1 

cffel, le droit de chaque État d'admettre ou non les en- 
voyés d'une autre puissance : et le principe triomphe, 
en France et en Angleterre notamment, que le pape ne 
peut envoyer de légats ou de nonces qu'avec le con- 
sentement du roi et sur sa demande (1). De plus, les 
souverains ont le droit de choisir la personne qui leur 
sera envoyée (2). Le légat a latere, le plus puissant et 
le plus redoutable des enyoyés, doit en outre prêter ser- 
ment par écrit de cesser ses fonctions dès qu'il plaira 
au roi, de respecter les lois et décrets du royaume, etc. Il 
n'a pas le droit de déléguer ses fonctions. Enfin, les bul- 
les contenant ses pouvoirs doivent être vérifiées et en- 
registrées, pour qu'on puisse s'assurer qu'on reçoit un 
agent diplomatique et non pas un juge suprême, investi 
d'un mandat d'exécution. Ainsi, non seulement on traite 
le légat et le nonce comme des représentants, mais 
encore on prend contre eux, à cause du caractère 
interne de leur mission, plus de précautions encore 
qu'envers un ambassadeur ordinaire. 

YIII. — Contre ce souverain étranger, qui ne fait 
pas partie de l'Église nationale, on cherche à éveiller 
les défiances do celle-ci. Les princes réclament le jits 



(1) a Le pape n'envoie point en France légats a latere avec faculté de 
réformer, juger, conférer, dispenser, et telles autres qui ont accoulunié 
d'être spécifiées par les bulles de leur pouvoir, sinon à la postulation 
du roy très chrestien ou de son consentement... » Pithou, Libertés, X\. 
— Philippe le Bel avait déjà déclaré qu'il ne recevrait aucun légat qui 
lui fût suspect ou qu'il aurait quelque cause raisonnable de refuser. 

(2) Le pape propose à la France, à rAuti-iche, à l'Espagne, au Por- 
tugal une liste de trois candidats à la nonciature ; TKlat intéressé 
choisit. — Les Anglais déclarèrent au pape Pascal U qu'ils n'admet- 
traient d'autre légat que l'archevêque de Gautorbéry, et alors seulement 
que le roi l'aurait demandé. ^ • 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES ^ 

avocatiœ; ils se déclarent protecteurs de la religion 
dans leurs États, par conséquent protecteurs du clergé 
national dont ils s'efforcent de conserver et d'augmenter 
les droits. La puissance des évêques est en effet beau- 
coup moins dangereuse pour les gouvernements que 
celle des papes, d'abord parce qu'elle est multiple, réside 
sur plusieurs têtes et n'a pas de caractère internatio- 
nal; — ensuite parce que les évêques habitant le terri- 
toire, on peut les obliger d'obéir à la loi, les punir, les 
frapper au besoin dans leurs biens et dans leurs person- 
nes. Aussi les rois encouragent-ils les évêques à lutter 
contre le pouvoir grandissant du Saint Siège et de ses 
agents. Aux prétentions du pape ils opposent ce qu'en 
France on a appelé les libertés de l'Église gallicane. Ils 
provoquent et font exécuter comme loi de l'État des 
actes semblables à la Déclaration de 1682, à la Punc- 
tation d'Ems de 1787; ils soutiennent la compétence 
des évêques et des conciles nationaux contre les pré- 
tentions de la justice spirituelle étrangère. Dans les 
conciles, ils cherchent à faire prévaloir les dogmes 
qui afiaiblissentle pouvoir pontifical en le subordonnant 
à l'autorité de ces assemblées ou en limitant ses droits 
sur les évêques. 

Il en résulte une ingérence des pouvoirs séculiers 
dans la direction spirituelle de l'Église, dans les 
dogmes, la hiérarchie, et jusque dans la liturgie, 
qui semblerait ridicule si l'on ne songeait aux graves 
conséquences politiques que pouvait avoir une déci- 
sion en matière spirituelle. C'est un but politique que 
poursuivaient les ambassadeurs de France et d'Es- 
pagne lorsqu'ils s'efforçaient, au Concile de Trente, de 

faire prévaloir le dogme que les évêques tiennent diroc- 

8 



24 CHAPITRE PREMIER. — SECTION i 

tement leurs pouvoirs de Dieu et que Tautorité du Con- 
cile est au-dessus de celle du pape. Et il ne faut pas 
s'étonner de voiries puissances temporelles s'intéressera 
la théologie et envoyer des représentants auprèsdupape 
et dans les assemblées œcuméniques, car c'est la politi- 
que et l'indépendance des États qui est . en jeu dans 
les Conciles, comme dans les consistoires pontificaux. 

IX. — Une autre conséquence de cette idée que le 
pape est une puissance souveraine étrangère fut que 
les rois entrèrent en négociations avec lui, soit dans des 
entrevues comme celle de Bologne en ISISjSoitpar l'in- 
termédiaire de représentants. 

Non pas que l'égalité de droits fut admise entre les 
souverains et le pape. L'idée de l'égalité juridique entre 
les États est une idée toute moderne. Le Moyen âge et 
même l'ancien régime recherchent au contraire la hié- 
rarchie entre les puissances; c'est à qui de tous les 
souverains réclamera le plus d'honneurs, de préséances. 
Or, les honneurs qu'on rend au pape sont au-dessus de 
tous ceux auxquels prétendent les couronnes les plus 
orgueilleuses. A l'entrevue de Bologne, par exemple, le 
pape attend sur son trône le roi François V^^ qui lui 
baise les pieds et s'assied à sa droite; le chancelier de 
France lit une harangue qui se terminait par une longue 
liste de très humbles formules d'obédience ; à chaque 
formule, le roi fait le geste de se découvrir. Le maître 
des cérémonies veillait avec la plus grande attention 
à ce que, même dans les conversations amicales, le 
pape ne portât point par distraction la main à son 
bonnet en présence du roi (1). Jules II, en 1504, fit un 



(1) François I"ei la Renaissance, par M. de la Gournerie, p. 37 et 38. 



OKIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 28 

règlement pour déterminer les préséances entre les diffé- 
rents souverains. Comme son souverain, l'ambassa- 
deur auprès du pape baise les pieds de S. S. quand elle 
lui donne audience. Le légat est reçu avec une pompe 
plus grande que les autres envoyés : ainsi le légat ou 
le nonce qui fait son entrée à Paris est le seul de tous 
les ambassadeurs que le roi fasse accompagner d'un 
prince. Chigi, légat en 16G4, voulut même exiger que 
le roi vînt au-devant de lui; mais H. de Lionne, secré- 
taire d'État pour les affaires étrangères, refusa (1). 

Mais ces honneurs extraordinaires rendus au pape 
ou à ses représentants n'empêchent pas les princes 
d'avoir acquis une force suffisante pour traiter avec 
lui. Ils peuvent en effet atteindre le pape, soit directe- 
ment en lui faisant la guerre, soit indirectement en 
interdisant dans leurs Etats la publication des bulles, 
en confisquant les biens de l'Église, en prohibant toute 
communication avec Rome, en frappant de peines sévè- 
res les agents du pape sur leur territoire, en provo- 
quant enfin des Conciles nationaux qui allèrent parfois 
jusqu'à déposer le pape comme hérétique. Ainsi (jue P. 
Flotte le disait à Boniface VIII, le pouvoir du pape (si 
grand qu'il soit en théorie) est verbal, celui du roi est 
réel, et le pouvoir verbal a besoin de l'aide, du con- 
cours, de la protection même du pouvoir réel, sinon la 
juridiction spirituelle du pape ne peut s'exercer, et sa 
.parole même ne parvient pas jusqu'aux fidèles. Le prince 
doit redouter que l'État ne soit troublé par l'usage ri- 



(1) Cérémonial diplomatique,!, I. - Aux termes du Dtcialus papœdo 
Grégoire VII, tous les rois de la terre doivout saluer le pape enlui baisant 
les piads. 



26 CHAPITHE FBEMIEB. — SECTION 1 



goureux de la juridiction religieuse ; le pape doit crain- 
dre que Texercico de sa suprématie ne soit paralysé 
par les décrets des souverains. Il existe donc entre les 
deux puissances un besoin de concessions réciproques, 
un terrain commun de négociations : Tère des C(?n- 
cordais va s'ouvrir. 

La première de ces conventions nous apparaît comme 
un traité de paix après la longue guerre des investitu- 
res, guerre antérieure à l'institution de mesures légales 
pour résister aux empiétements ecclésiastiques, et qui 
fut poursuivie surtout par des moyens matériels, ba- 
tailles, sièges et blocus. La cause de ce conflit entre 
le pape et l'empereur était le caractère complexe des 
évoques. Ceux-ci étaient surtout les pasteurs de leurs 
ouailles, leurs directeurs spirituels, et il semblait natu- 
rel dès lors qu'ils fussent choisis selon les règles cano- 
niques, c'est-à-dire élus en général par les chapitres de 
chanoines. Mais ils étaient aussi grands propriétaires ; 
ils possédaient des juridictions et des privilèges ; ils 
étaient membres de l'aristocratie féodale et, commetels, 
détenteurs d'une partie de la puissance publique. Aussi 
les empereurs prétendaient-ils avoir le droit, sinon de 
les nommer, au moins de leur donner une investiture 
dite « parla crosse et l'anneau ». De là une guerre de 
cinquante ans, la déposition des papes, des schismes 
provoqués par l'empereur, ce souverain excommunié 
et frappé de déchéance, la guerre civile déclarée en 
Allemagne, l'occupation de Rome par les troupes impé- 
riales. Enfin, après deux traités inexécutés, un Concor- 
dat fut signé on 1122, à Worms, entre le pape Calixte II 
et l'empereur Henri V. Celui-ci renonçait aux investi- 
tures par la crosse et l'anneau et restituait les biens 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 27 

occlésiâstiqucs confisqués ; en échange, le pape recon- 
naissait à rcmpereur le droit d'assister aux élections 
des prélats deTEmpireet de leur donner t par le sceptre • 
l'investiture des bénéfices annexés à leurs dignités. 

La nomination des évêques joua aussi un rôle impor- 
tant dans le premier Concordat conclu pour la France 
entre François I«' et Léon X, en 1516 ; mais ce ne fut 
pas l'objet principal du Concordat. La nomination des 
évêques fut retirée aux chapitres et donnée au pape par 
le roi en échange d'une concession à laquelle le Saint- 
Siège attachait le plus grand prix : l'abrogation de la 
Pragmatique Sanction de Charles VIL Par un acte de 
souveraineté intérieure, rendu sans aucune entente préa- 
lable avec la Cour de Rome, Charles VII, reprenant 
la tradition de Louis IX, avait promulgué comme 
loi de l'État vingt-deux articles extraits des canons 
du Concile de Bâle et approuvés par le clergé de 
France (1448). Ce décret rétablissait les élections cano- 
niques, reconnaissait la supériorité des Conciles sur 
les papes, décidait que ceux-ci n'avaient aucun droit sur 
le temporel des souverains, qu'ils ne pouvaient notam- 
ment percevoir des annates, établir des réserves et ex- 
pectatives, abuser des droits d'appel, confirmer les no- 
minations ; enfin il condamnait l'idée de l'infaillibilité 
pontificale, même en matière de foi. Les mêmes règles 
avaient été adoptées par l'Allemagne. Très populaire 
en France, la Pragmatique Sanction était particulière- 
ment odieuse au Saint-Siège; elle avait été condamnée 
par Pie II et Paul IL Malgré les plaintes continuelles 
d'Innocent VIII et de Jules II, on n'exécutait pas la ré- 
vocation qui en avait été obtenue de Louis XI par le 
S. -S. et que le Parlement n'avait jamais voulu approu- 



28 CHAPITRE PREMIER. — SECTION I 

ver. C'est au prix de cette révocation et pour Tobtenir 
que Léon X, supprimant les élections capitulaires, con- 
terait au roi le droit de présenter et nommer au pape 
et « à ses successeurs évoques romains, un grave et 
scientifique maître et licencié en théologie, ou docteur, 
ou licencié en tous ou l'un dos droits, en université fa- 
meuse, avec rigueurs d'examen et ayant 27 ans pour le 
moins et autrement idoine » . Le roi a un délai de six 
mois pour la présentation, à dater de la vacance, et de 
trois mois à dater de la récusation, si le candidat n'est 
pas agréé par le pape. Il yavait là, observePhillimore, 
une grande inégalité entre les parties contractantes, 
puisqu' aucun délai n'était fixé pour l'institution ponti- 
ficale. Il en est résulté des vacances pendant les conflits 
entre les deux puissances : le siège d'Auxerre a été va- 
cant douze ans sous François P*" et Louis XIII; sous 
Louis XIV, 45 sièges étaient vacants, trois papes (Inno- 
cent XI, Alexandre VIII, Innocent XII) ayant refusé de 
donner l'institution auxévêques nommés parle roi. 

François P' acorda aussi implicitement au S. -S. le 
rétablissement des annates. 

Le Concordat fut très mal reçu en France. Le Par- 
lement ne le ratifia qu'après des menaces et des injonc- 
tions réitérées; l'Université de Paris défendit de l'im- 
primer et de le publier. Un siècle plus tard. d'Aguesseau 
parlait encore de la Pragmatique « plus respectable et 
plus respectée que le Concordat ». — « Les mieux 
sensés s'étonnèrent grandement, dit Mézeray, que ces 
deux potentats (le pape et le roi) eussent fait ce troc si 
peu séant l'un à l'autre; que le pape se fût dépouillé du 
spirituel pour le conférer au roi, et que Sa Majesté, aban- 
donnant le temporel de ses États, permît que les plus 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 20 

clairs deniers de son royaume allassent à Rome. » 

Aucun autre Concordat ne fut signé chez nous jusqu'à 
la fin de la Révolution; mais un grand nombre de ces 
conventions lurent conclues pendant cette période, no- 
tamment avec les Deux-Siciles (1741), la Sardaigne 
(1750 et 1770), l'Espagne (1753), le duché de Milan 
(1757 et 1784), le Portugal (1778), etc. 

X. — Reste à examiner une dernière question : quelle 
a été, sur l'origine et le caractère des relations diplo- 
matiques de la Papauté avec les États, l'influence de la 
souveraineté temporelle du pape? 

En Droit, il faut dire que la souveraineté reconnue au 
pape comme chef de l'Église était tout à fait indépen- 
dante de l'existence des États pontificaux. Ce n'était pas 
au souverain de ce royaume que l'on reconnaissait la 
prééminence; ce n'était pas ses envoyés qu'on recevait 
avec une pompe inusitée; ce n'était pas avec lui qu'on 
signait les Concordats ; c'était avec le pontife qui pou- 
vait excommunier et déposer les princes, mettre les 
royaumes en interdit, instituer les évêques , percevoir 
les annates, qui disposait, en un mot, de la puissance 
religieuse. En théorie, le fait que le pape a longtemps 
été roi des États pontificaux n'avait donc aucune impor- 
tance pour les relations diplomatiques du Saint-Siège. 
En fait, les conséquences de ce dualisme ont été consi- 
dérables. 

Il a d'abord amené la confusion entre les rapports 
des puissances catholiques avec le pape, chef de la reli- 
gion, et les rapports des nations avec le souverain des 
États pontificaux. Par là, l'idée de reconnaître une sou- 
veraineté spirituelle au pape, de lui attribuer le droit 
de légation actif et passif a été singulièrement facilitée. 



30 CHAPITRE PREMIER. — SECTION I 

Bien que nous n'ayons lu nulle part que les légats et les 
nonces aient jamais été chargés de défendre à Tétranger 
les intérêts matériels, commerciaux par exemple, des 
États romains, les immunités diplomatiques leur ont 
été cependant accordées d'autant plus aisément qu'ils 
étaient délégués par un prince ayant un territoire et des 
sujets. 

La royauté temporelle a contribué par là à augmen- 
ter l'influence du S. -S. et a servi son ambition. Mais 
elle a nui en môme temps à son autorité en éveillant 
les méfiances et en justifiant les soupçons des différents 
peuples. 

Dès qu'il a un territoire qu'il désire agrandir et des 
ressources qu'il veut augmenter, le pape devient sus- 
pect de partialité. Quand il excommunie les souverains et 
leurs ministres, qu'il défend à leurs sujets de leur obéir, 
qu'il excite à la révolte contre les lois nationales, est-ce 
le devoir de défendre la pureté de la religion, n'est-ce 
pas le désir d'afl*aiblir un rival, de troubler ses États 
qui fait agir le pontife? On peut hésiter. 

Bien plus, comme chef d'Empire, le pape a une poli- 
tique temporelle qui se trouve souvent en opposition 
avec les intérêts des puissances catholiques. Le conflit 
va parfois jusqu'à la guerre, et l'on voit des ministres 
cardinaux de la sainte Église no pas hésiter, non seule- 
ment à lutter contre la diplomatie du Vatican, mais 
encore à combattre les troupes pontificales. Contre 
celles-ci, des rois « très chrétiens r> s'allient à l'infidèle, 
comme François P^ 

Les peuples s'habituent ainsi à traiter le pape, en tant 
que roi, comme un ennemi et à braver sa colère. Rien 
de plus naturel que leur respect pour le pontife diminue. 



ORIGINES DES RELATIONS DIPLOMATIQUES 31 

Us revendiquent le droit de conclure des alliances, de 
faire la guerre, de consentir des traités, sans être sou- 
mis au contrôle d'un chef de religion qui est en même 
temps un rival, parfois un ennemi. Le Droit des gens 
s'afirancliit peu à peu de la tutelle ecclésiastique en 
même temps que le Droit interne. 

€ C'est de Tépoque où l'on s'est efforcé de réprimer 
les usurpations des papes sur les souverains, principa- 
lement depuis le Concile de Bàle, que date l'origine du 
Droit des gens positif de l'Europe. » (Klûber. Droit des 
gens moderne y 1 12.) 

Section IL — Droit actuel des relations diplomatiques aToo le 
Saint-Siège. — Sonveraineté et Prééminence pontificale. — Droit 
de légation actif et passif. — Concordats. 

Nous avons vu, à la suite des conflits survenus entre 
les prétentions théocratiques et les revendications des 
princes temporels, s'établir, entre ceux-ci et la Cour de 
Rome, un Droit diplomatique qu'on peut ainsi résumer: 

lo Le pape, en tant que chef de l'Église catholique, 
reconnu comme investi d'une véritable souveraineté 
(au sens juridique du mot) au lieu d'une simple supré- 
matie, chose de fait, ne relevant que de la foi et n'in- 
téressant que la conscience ; 

29 Prééminence du pape sur les autres souverains ; 

30 Droit du pape d'envoyer chez les différentes nations 
des représentants (qui sont aussi ses délégués^ selon la 
doctrine catholique) auxquels le droit public des États 
ne reconnaît aucun caractère de juridiction ; 

4o Droit du pape de recevoir des ambassadeurs ; 
5<> Droit du pape de conclure des Concordats avec les 
souverains des divers États. 



3« CHAPITRE PREMIER. — SECTION II 

Toutes ces prérogatives sont encore aujourd'hui recon- 
nues au Saint-Siège par le Droit diplomatique de TEu- 
rope. Nous nous sommes efforcé de montrer l'origine de 
cet état de choses dans l'influence politique exercée par 
l'Église sur les affaires temporelles des États. Or, 
l'Église n'a nullement renoncé à cette action particu- 
lière. 

Bien loin, en effet, de vouloir émanciper l'État, son 
pupille, au fur et à mesure de son développement 
moral et intellectuel, l'Église a continué non seulement 
pendant tout le Moyen âge, non seulement après la 
Réforme et jusqu'à la fin de l'ancien Régime, mais 
aussi après la Révolution et jusqu'à nos jours, à reven- 
diquer les mêmes prérogatives, les mêmes immunités, 
la même part de souveraineté. 

Sans doute, le Saint-Siège apporte plus de prudence 
dans la rédaction de ceux de ses actes qui peuvent avoir 
des conséquences politiques graves. Il suffit, pour s'en 
convaincre, de comparer les bulles d'excommunication 
portées en 1804,1855, 1860, 1870, contre les souverains 
français et italiens, qui ne nlentionnent même pas les 
noms de ces monarques , avec la bulle retentissante 
par laquelle Sixté-Quint déclarait Henri de Bourbon, 
héritier présomptif de la couronne de France, hérétique, 
relaps, coupable de lèse-majesté divine, déchu de tous 
ses droits, déliait ses sujets de leur serment de fidélité, 
leur défendait sous peine d'excommunication de lui 
obéir, et rappelait à Henri HI son serment d'exter- 
miner les hérétiques I 

Le style des rédacteurs pontificaux s'est singulière- 
ment adouci depuis cette époque. De même toutes les 
conséquences des censures ecclésiastiques ne sont pas 



RELATIONS DIPLOMATIQUES AVEG LE SAINT-SIÈGE 38 

rigoureusement appliquées aux têtes couronnées. 
Victor-Emmanuel, excommunié, fut reçu en grande 
pompe par le clergé à son entrée à Naples ; les céré- 
monies de l'Église n'ont pas manqué à ses obsèques, 
et, plus récemment, à l'inauguration de sa sépulture 
définitive. La reine d'Italie a obtenu la permission d'en- 
tendre la messe, sinon au Quirinal même, sur lequel 
pèse l'interdit^ au moins dans un bâtiment de construc- 
tion récente annexé au vieux Quirinal (1). 

Mais s'ensuit-il que les principes aient changé, parce 
que des ménagements sont apportés dans leur applica- 
tion? Que no'is ouvrions des documents de doctrine 
comme le Syllabus, ou que nous consultions les textes 
des Concordats, nous voyons l'Église réclamer et s'ef- 
forcer d'obtenir la création de tribunaux ecclésiasti- 
ques, le droit de percevoir des dîmes, l'établissement 
de juridictions spéciales pour les clercs, le droit exclu- 
sif de célébrer les mariages et d'en régler les effets, le 
contrôle, par les évêques, de l'enseignement et de la 
presse (2). Quand le Vatican est obligé de renoncer à 
ces exigences et de consentir à des concessions, il a 
soin de réserver le principe par des formules comme 
celle-ci : « Vu les circonstances du temps... » « Les mal- 
heureuses circonstances des temps ne permettant pas. » 
Enfin, sans vouloir parler de certaine lettre récente 
engageant à voter des lois militaires allemandes, les 
exemples du droit de contrôle et d'ingérence que le 
Saint-Siège s'attribue dans l'exercice de la souverai- 
neté des États ne manquent pas. De 1830 à 1848, le 



(1) Emile Ollivier, Le Pape est-il libre à Rome, p 39. 

(2) V. plus loin notre analyse des Concordats. 



3» CHAPITRE PREMIER. — SECTION II 

papo ne voulut pas reconnaître Isabelle comme reine 
d'Espagne, ni Marie Christine comme régente, sous pré' 
texte que la Pragmatique de 1830 ne pouvait être 
considérée comme un fondement suffisant de leurs 
droits (1). 

De même le Saint-Siège n'a jamais voulu reconnaître 
l'annexion de Parme, de Modène, de la Toscane et de 
Naples au royaume d'Italie, qu'il s'obstine à appeler 
le gouvernement subalpin ou le gouvernement sarde. 
Le Syllabus prononce l'anathème contre le principe 
purement politique de non-intervention (propos. LXII). 
Par une allocution du 2 janvier 1835,1e Souverain Pon- 
tife déclarait « sans valeur et d'une entière nullité » 
une loi sarde relative aux biens ecclésiastiques. L'ar- 
chevêque de Turin à la même époque, l'évèque de Gand 
en 1817, furent approuvés pour avoir résisté aux ordres 
de l'autorité judiciaire laïque. Pour caractériser et pré- 
ciser le rôle de TÉglise en matière temporelle, il faut 
donc prendre le contre-pied de l'art. 28 de la confes- 
sion d'Augshourg : elle intervient dans les affaires de ce 
monde, elle vise à accorder des royaumes, à comman- 
der aux magistats, a abroger les lois civiles, c Lepape^ 
disait M. de Bismarck à la Chambre des seigneurs en 
1872, a été de tout temps une puissance politique qui 
est intervenue avec le plus grand succès dans les 
choses de ce monde ^ qui vise à ces immixtions et qui en 
a fait son programme. » 

Aujourd'hui comme jadis, les États se trouvent donc 
en présence d'un pouvoir politique assez considérable 
pour que son détenteur soit assimilé à un souverain. 

(1) Pliillimore, Inlern. Law, II, p. 422 sq. 



SOUVERAINETÉ ET PRÉÉMINENCE DU PAPE 3S 

Pour éviter que cette influence ne vienne troubler la 
tranquillité de TËtat et ne s'exerce contre leur propre 
autorité, beaucoup de gouvernements sont entrés en re- 
lations diplomatiques avec ce souverain, lui ont rendu 
des honneurs particuliers, ont reconnu à ses envoyés le 
caractère et les prérogatives d'agents diplomatiques, 
xïtïi accrédité auprès de lui des représentants. Pour pré- 
venir des conflits qu'ils redoutaient, ils ont conclu des 
conventions ou Cojicordats. Ce sont ces différents points 
qu'il nous faut maintenant examiner avec quelques 
détails. 

Souveraineté et préémlnenca du Pape. 

La personne du pape est assimilée à celle des sou- 
verains. 1] a droit, de plus, àuneprééminence d'honneur 
qui lui est reconnue, dit Heffter, comme un droit par 
les États catholiques, et à titre de déférence par les 
puissances qui se sont soustraites à l'autorité spirituelle 
de Rome. Cette prééminence est reconnue par la loi 
italienne des garanties (art. 3) ; elle se manifeste par 
certains honneurs spéciaux (baisement du pied, étrier, 
etc.). A leur avènement, les papes exigeaient jadis des 
souverains catholiques une ambassade qu'ils appelaient 
d'obédience et que la France appelait de révérence. La 
dernière ambassade française de cette nature fut envoyée 
par Louis XIII à Urbain VIII; elle partit au printemps 
de 1633, bien que l'exaltation fût de 1623. 

Comme souverain, le pape peut exercer le droit 
d'abitrage généralement déféré aux chefs d'États. 

La souveraineté du pape se manifeste par le droit de 
légation actif et passif et le droit de conclure des con- 
ventions internationales. 



d« CHAPITRE PREMIER. -- SECTION JI 



Droit de légation actif. 

Le pape envoie des légats (a laiere ou missi)^ des 
nonces, des internonces. Les premiers sont des en- 
voyés extraordinaires. Un légat a latere (le cardinal 
Caprara) vint en France en 1802 pour rétablir et réor- 
ganiser le culte catholique; un autre (le cardinal Pa- 
trizzi) représenta Pie IX au baptême du prince impérial, 
en 1856. 

Le légat doit, avant de commencer ses fonctions en 
France, prêter serment de se conformer aux lois de 
l'État et de cesser ses fonctions dès qu'il en sera 
averti par le gouvernement. Il ne peut commettre ni 
déléguer personne ; il doit tenir registre de tous les 
actes de sa légation, et déposer avant son départ ce re- 
gistre et le sceau de la légation au Conseil d'État. Sa 
mission finie, il ne peut exercer directement ou indirec- 
tement, en France ou au dehors, aucun acte relatif à 
l'Église gallicane. La bulle du pape contenant ses pou- 
voirs est transcrite sur les registres du Conseil d'État. 

Telles sont les conditions exigées par l'arrêté du 
18 germinal an X qui reproduit d'ailleurs les termes 
des art. 44, 45, 58, 59 des Libertés de V Eglise gallicane 
de Pithou. — Cet ouvrage et l'arrêté de l'an X im- 
posent en outre au légat le serment de se conformer aux 
libertés de l'Église gallicane, et le Moniteur reproduit le 
serment conforme du légat Caprara. Mais l'allocution 
pontificale du 24 mai 1802 {Bull. Rom., à sa date), qui 
contient le texte du serment^ ne fait pas mention du 
passage relatif aux libertés de l'Église gallicane. Une 
controverse s'est élevée sur le point de savoir laquelle 
des deux versions est conforme à la vérité historique. 



DHOIT DE LÉGATION ACTIF 37 

Les nonces sont les représentants ordinaires et per- 
manents du Saint-Siège. 

Un ouvrage de Pie VI (1), (qui est une réponse à la 
déclaration d'Ems par laquelle les évêques de Mayence. 
Salzbourg, Trêves et Cologne protestaient contre la 
création d une nonciature à Munich et approuvaient 
Tempercur Joseph II d'avoir aboli les nonciatures dans 
ses États), fait l'histoire de l'institution des nonciatures 
permanentes. Dans les provinces éloignées, dit-il, les 
papes ont nommé, dès le xi« siècle et jusqu'au xv®, des 
« Vicario$stabiles,jurisdictionedonatos » ;par exemple 
le vicariat d'Arles fut érigé au xi^ siècle et le titulaire en 
était Raimbaud, archevêque d'Arles. Puis les Primaiiœ 
se multiplièrent : ce sont des Legationes données fré- 
quemment aux métropolitains de certains sièges que, 
pour ce motif, on appelle Legati nati. Il y en a en Alle- 
magne, en Gaule, à Narbonne, à Tolède. Ils ont la dé- 
légation des pouvoirs du Saint-Siège; notamment la 
légation de Tolède a été créée t ne Hispani romano 
itinere fatigarentur ». A partir du xv® siècle, les papes ] 

ne nomment plus légats des évêques indigènes « pro- 
pter impotens œmulandi studium quod eos invaserat^, 
mais ils envoient e proprio latere des « Advenas 
NuncioSy nulli parti addictos, ecclesiastica dignitate 
ornatos, principibus caros ». (Cette dernière affirma- 
tion peut paraître hardie.) Ils instituent alors des non- 
ciatures permanentes t apud catholicas aulas et in 
urbibus principibus ». 
Elles sont, déclare Pie VI, très utiles aux peuples. 



(1) Pie VI, Responsio super nuniialuris pontifiéiis, Rome, 1789. 



38 CHAPITRE PREMIER. — SECTION II 

qui, sans dérangement et sans dépenses, obtiennent 
des nonces ce qu'il leur aurait fallu demander à Rome 
et se faire accorder par le pape. 

Les premières nonciatures permanentes furent créées 
d'abord à Vienne (1573), puis à Lucerne (1579), à 
Cologne (1582), Bruxelles (1597), Varsovie (1597), 
Munich (1786). Le pape essaya, mais en vain, d'en éta- 
blir une à Berlin en 1800, 1816, 1850 (1). Le ressort 
de chaque nonciature était jadis fixé arbitrairement, 
sans tenir aucun compte des frontières des États. Il en 
est autrement aujourd'hui. 

Les légats et les nonces sont de la première classe, 
en vertu du règlement de Vienne du 19 mars 1815, 
art. 1. Les internonces appartiennent à la seconde 
classe : il existe un internonce en Hollande (le gouver- 
nement de ce pays n'a aucun représentant auprès du 
Vatican); il y en eut un en Belgique jusqu'en 1842. 

L'art. 4 du règlement de Vienne, qui déclare ne vou- 
loir porter aucune atteinte aux prérogatives des en- 
voyés du pape, se réfère à un usage déjà fort ancien, 
en vertu duquel les nonces ont le droit de présider le 
Corps diplomatique, c'est-à-dire, de parler en son nom. 
La question de savoir si ce droit de préséance doit 
être encore reconnu aux réprésentants du Saint-Siège 
a été discutée récemment par le Corps diplomatique de 
Lima. Malgré l'opposition de la France, de la Répu- 
blique Argentine !et de San-Salvador , le droit à la 



(1) Nya, Revue de Dr. intern., op. cil. — M. do Bismarck disait, en 
1872, que trois ou quatre années auparavant il avait appelé l'atten- 
tioa du roi sur l'utilité d'une nonciature à Berlin. 



DROIT DE LÉGATION ACTIF 39 

présidence a été refusé au nonce; mais cet iionncur lui 
fut ensuite concédé à titre gracieux (1). 

D'après la théorie romaine, les nonces et les légats 
sont des vicaires, des délégués de la juridiction ponti- 
ficale. Au contraire, le Droit des gens contemporain les 
assimile aux agents diplomatiques, n'ayant par consé- 
quent aucun pouvoir de juridiction. C'est là d'ailleurs 
une question de droit interne. 

Le principe que les nonces et légats ne sont que des 
agents diplomatiques sans aucun pouvoir de juridiction 
a été énergiquement maintenu en France. Déjà formulé 
par Pithou et Gibert, il a été récemment rappelé dans 
trois occasions remarquables : 

lo En 1823, le nonce ayant notifié aux évêques l'élec- 
tion du pape et leur ayant demandé des prières, trois 
circulaires ministérielles, du 9 octobre 1823, du 19 
octobre 1823 et du 26 fév. 1824, rappelèrent que toute 
communication directe entre le nonce et le clergé na- 
tional est interdite, sauf pour Vinformation sur les 
candidats aux évèchés; 

2** En 18G5, le nonce ayant félicité Mgr Dupanloup 
pour sa brochure sur la Convention de septembre, le 
gouvernement impérial fit des observations à Rome et 
déclara qu'il ne tolérerait plus de pareils écarts : t Un 
nonce n'est, d'après le Droit public français, qu'un am- 
bassadeur, écrit M. Drouyn de Lhuys à M. de Sartiges, 
le 8 février 18G5. Un ambassadeur manque à son devoir 
le plus essentiel lorsqu'il encourage la résistance aux 
lois du pays où il réside et la critique des actes du gou- 
vernement près duquel il est accrédité » ; 

(I) Pradicr Fodéré, Droit diplotnaligue, I, p. i07, note. 



40 GHAPlTrtK PiiEMIER.— SKCÏION 11 



3° En 1870, la nonciature avait, par un avis public 
dans V Unir ers, reniorcic?, au nom du pape, les sigua- 
laires des adresses en faveur du dogme de Tinfailli- 
bilité. Le 21 juin 1870, le Journal officiel publia une 
note préalablement communiquée au représentant du 
pape et rappelant que le nonce est en tout point assimilé 
à un ambassadeur étranger. La note ajoute que Ms"^ Chigi 
avait fourni des explications et exprimé ses regrets. 

De même en Allemagne : l'empereur, par un recès 
de 1656, défendit aux nonces de revendiquer les appels ; 
en 1689, les archevêques de Mayence et Cologne se 
plaignirent des empiétements de cette juridiction ; les 
mêmes prélats et les archevêques de Trêves et de Salz- 
bourg protestèrent encore une fois, dans une réunion 
tenue à Ems. le 23 août 1786. Défense fut faite au bas 
clergé, par Joseph II, de communiquer avec le nonce. 
Bien plus, la Capitulation électorale du 30 sept. 1790 
demande Tabolition de la juridiction de la nonciature 
dans tout l'Empire. 

En Espagne, le Conseil du roi fit, en 1803, les plus 
expresses réserves sur les pouvoirs du nonce. L'Angle- 
terre, par les statuts 11 et 12 de Victoria (J8i8), 
consentit à recevoir un envoyé du « Souverain des 
Etats romains » , pourvu que ce ne fût ni un jésuite, 
ni un membre d'un ordre religieux, d'une commu- 
nauté ou société de l'Église de Rome, liée par des vœux 
Tionastiques ou religieux. 

Quelques gouvernements refusèrent même de rece- 
voir des nonces. LaRussie notamment n'a jamais voulu 
admettre que le cardinal de Bernis lui fût envoyé en 
1808 avec ce titre. La Porte s'opposa, en 1808, à la 
création d'une nonciature en Arménie. 



DROIT DE LEGATION PASSIF 41 

Les représentants du pape étant assimilés aux agents 
diplomatiques, il en résulte que, dans les Etats qui leur 
reconnaissent ce caractère, ils jouissent des immunités 
et des prérogatives accordées à ces agents. En France, 
notamment, ils doivent être considérés comme proté- 
gés par la loi du 13 ventôse an II. Nous examinerons 
plus loin les difficultés que la suppression du pouvoir 
temporel fait naître en cotte matière. 

Enfin, aucun État n'étant tenu de recevoir les repré- 
sentants d'une autre puissance, l'ancien principe, en 
vertu duquel il ne vient pas de légat ou de nonce en 
France sans le consentement du gouvernement, a été 
inscrit dans les Articles organiques (art. 2). 

Droit de léi^atlon passif. 

11 existe aujourd'hui auprès du Saint-Père, dépouillé 
de toute souveraineté temporelle, un corps diploma- 
tique absolument distinct de celui qui est établi auprès 
du roi d'Italie ; il se compose des ambassadeurs d'Au- 
triche , d'Espagne , de France , de Portugal , et des 
ministres plénipotentiaires de Bavière, Belgique, Bo- 
livie, Brésil, Equateur, Costa-Rica, Chili, Guatemala. 
Monaco, Nicaragua. Pérou, République Argentine, San 
Salvador. La Prusse a un chargé d'affaires auprès du 
Vatican ; c'est elle d'ailleurs qui, la première de tous 
les Etats protestants, a envoyé à Rome un représentant 
accrédité auprès de Pie VII (1). 



(I) Theiner, Uist. des Deux Concordais, I, p. 498. — Aux termes d'un 
canon du Concile de Bàle, il est défendu aux cardinaux d'être auprès du 
pape ambassad'ursj même de leurs souverains» parce quo, dit L(^on X, 
ils sont membres mystiques du Suint-Père. L'auibas&adeur, créé car- 



42 CHAPITRE PllEMlER 



Droit de conclure des Concordat b. 

Le Saint-Siège est lié avec un grand nombre d'États 
catholiques par des actes ayant Tapparence extérieure 
de traités, conclus avec les mêmes solennités et rédigés 
dans les mêmes formes. Le plus ancien en date est, 
comme nous l'avons dit, le Concordat Calixtin,de 1122; 
les plus récents ont été conclus en 1862 avec TÉquateur, 
le Venezuela, le Nicaragua et San-Salvador. Quatre de 
ces conventions concernent la France et ont été signées 
en 1516, 1801, 1813, 1817; les deux dernières n'ont 
jamais reçu d'exécution. 

Les Concordats ne sont conclus par le Saint-Siège 
qu'avec les puissances dites catholiques. Pour les na- 
tions protestantes, il existe des bulles du pape, dites 
Bulles de circonscription ^ actes unilatéraux dans la 
forme, mais qui constatent, dans leur rédaction, le con- 
sentement de l'État qu'elles concernent. Ainsi la Bulle 
de circonscription pour la Prusse, de 1821, dite De 
Sainte^ sanctionnée par un ordre de cabinet du roi de 
Prusse du 23 août 1821, mentionne l'approbation de 
ce souverain ; — la bulle pour le Hanovre, appelée /m- 
pensa 7'omanorum pontificium, du 26 mars 1824, 
sanctionnée à Carlton House par Georges IV, dit: « Re 

dinal, cosse d'ôtrc ambassadeur. Des difficultés furent soulevées en 1803, 
quand Bonaparte voulut nommer ambassadeur à Rome son oncle . le 
cardinal Fesch. Mais les cardinaux peuvent être ministres plénipoten- 
tiaires. En 1790, le cardinal de Bernis prend le titre de char^çé d'alTaires 
de France, et en 1761 le cardinal Rocbechouart celui de ministre pléni- 
potentiaire. (André, op. ciL, supplément, v« Ambassadeurs.) 

Le Vatican a fait des difficultés, en 1832, pour recevoir un envoyé de 
Belgique avec le iïivQ d' Ambassadeur, prétendant que le droit d'envoyer 
un ambassadeur à Rome était réservé, eu Europe, à la France, au Por- 
tugal et à rAutriche. 



ANALYSE COMPARÉE DES CONCORDATS 43 

collata cum serenissimo rege Georgio /F. » Ces docu- 
ments, faits sous prétexte de remanier les circonscrip- 
tions diocésaines^ prennent généralement acte de cer- 
taines promesses faites par le pouvoir temporel et ac- 
quièrent ainsi un caractère synallagmatique : la Bulle 
pour le Hanovre, par exemple, contient l'engagement 
pris par le gouvernement de cet État de laisser perce- 
voir des dîmes au profit du clergé. 

11 n'existe pas de bulles de circonscription pour la 
Suisse, la Hollande, la Suède et Norwège, la Grèce, 
l'Angleterre ou la Russie. Le Concordat fait en 1847 
avec ce dernier pays n'a reçu presque aucune exécution 
et a été annulé en 1866. De môme aucune convention 
n'est intervenue avec le Danemark ; mais le culte catho- 
lique est célébré à Copenhague dans une chapelle pla- 
cée sous la protection de l'Autriche, qui s'est engagée, 
par réciprocité, à tolérer une chapelle protestante à 
Vienne. 

Quelles sont les stipulations que renferment les Con- 
cordats ? 

Analyse comparée des Concordats (ij. 

Les Concordats étant des actes synallagmatiques, il 
faut naturellement rechercher quels sont les avantages 
concédés par l'Église à l'État, puis les avantages obte- 
nus par l'Eglise. 



(1) Voir le texte abrégé de tous les Concordats dans G. de Luise, De 
Jure publico Ecclesiœ; — et leur texte complet dans Conventiones de 
rébus ecclesiasticis inter S. Sedein et civUem polestatem^ a Vincentio 
Nussi. Maguntiœ, 1870,— et aussi dans le liecueil de Martenf. 

Une énumération des Concordats existe encore dans lloroy, Itapporfs 
du Sacerdoce avec l* autorité civile, II, eh. m. 



44 CHAPITRE PREMIER 



I 1. — Droits concédés à V Etat par V Eglise, 

10 Parmi ces droits, il faut tout d'abord mentionner 
celui qui a fait l'objet des premiers Concordats et qui est 
une disposition fondamentale de ces conventions : le 
droit pour le gouvernement de nommer les évoques ou 
de concourir à leur nomination, sauf institution canoni- 
que du Saint-Siège. Cette faculté a été reconnue au roi 
do France par lo Concordat de 131G, et au premier 
Consul par celui de 1801 (art. 3); mais Fart. 17 de celte 
dernière convention subordonne cette faculté pour les 
successeurs du premier Consul à la ccmdition qu'ils pro- 
fesseront la religion catholique. Un très grand nombre 
de Concordats reconnaissent à l'État ce droit de nom- 
mer, ou de présenter aux évêchcs, soit comme un 
indidt à raison des avantages que la religion doit reti- 
rer du Concordat lui-même (Italie 1803, Bavière 1817, 
Sicile 1818), ou à raison de l'engagement pris par le 
gouvernement de doter le culte (Costa-Rica 1853), ou 
enfin comme un témoignage de bienveillance spéciale 
(Autriche 1833). Dans le Concordat pour l'Equateur 
(1862), il est stipulé que les évêques présenteront trois 
candidats pour chaque siège vacant, et que le Président 
de la République devra choisir entre ces candidats celui 
qu'il proposera à la Cour de Rome. Le Concordat autri- 
chien de 1835 oblige aussi rempereur à consulter les 
évèques (art. 19). 

11 est souvent décidé que les candidats présentés 
devront être « iis dotibus prœditi qiias sacri canones 
requirunt », et que les évêques nommés ne pourront 
s'immiscer dans les affaires de leur diocèse avant d'avoir 
reçu l'institution (Bavière 1817, Autriche 1853). 



ANALYSE COMPARÉE DES CONCOBDATS 4» 

Certains Concordats parlent du droit du pouvoir civil 
de présenter au\ évMwi^ (Salvator et Nicaragua, par 
exemple) ; d'autres, comme IcConcordatfrançaisdo 1801, 
stipulent le droit de nommer^ ce (|ui semble reconnaître 
au pouvoir temporel un droit égala celui du Saint-Siège, 
quoique diflércnt. La Cour do Rome a essayé de rame- 
ner la deuxième formule à la première, en insérant, par 
exemple dans les bulles d'institution d'évêques iran- 
(;ais, des fornmles conmie celle-ci : « Te quem prœses 
^ohis 7iomi?iavil (1). » Le Concordat de Fontainebleau 
faisait de l'institution Taccessoire delà nomination, puis- 
qu'à défaut d'institution par le pape dans les six mois 
le métropolitain ou l'évéque le plus ancien pouvait 
instituer. Toutes les autres conventions de cette nature 
placent au contraire l'institution au-dessus de la nomi- 
nation, en ne fixant aucun délai pour celle-là, et en 
stipulant même quelquefois qu'à défaut de nomination 
dans un certain délai (en général six mois), le pape 
pourra nommer à Tévêclié vacant (Deux-Siciles 1818, 
Costarica 1833, Equateur 1862) (2). 

Le droit de nommer aux évéchés n'est généralement 
pas reconnu aux puissances schismatiques ou hérétiques. 
Cependant le Concordat de 1847, pour la Russie, ditque 



(4) V. Discours de M. Thiers du if juillet ISJI.— Maintes fois aussi 
des bulles d'institution ont iHù refusées parce qu'elles oraeltaient le nom 
du gouvernement qui présentait. — L'Espagne a refusé des bulles ne 
mentionnant pas le nom d'Isabelle (que le pape ne voulait pas recon- 
naître) et portant nomination « molu proprio et benignitate S.Sedis ». — 
De môme, en 4769, dans le royaume des Deux-Sicilos, refus d'une bulle 
portant nomination « pergrazia délia Sede Apostolica ». 

{t) En vertu du Concordat de 4801, le Premier Consul doit nommer 
dans les trois mois aux évéchés de nouvelle circonscription (art. 4). 



46 CHAPITRE PREMIER 



les évoques seront choisis « conciliis ante hahitis inier 
S. Sedem et Imperatorem ». 

Les bulles do circonscription, pour la Prusse et le 
Hanovre, rendent aux chapitres le droit d'élire les évo- 
ques (sur une liste de candidats approuvée par le gou- 
vernement dans le Hanovre). L'élection des évèques se 
retrouve encore dans les Concordats pour la Belgique 
(1827) et les Provinces du Rhin supérieur. 

2** Le droit de concourir à la nomination du clergé 
inférieur. 

Le droit de nommer les curés est attribué aux évè- 
ques ; la nomination doit être dans certains pays (Rus- 
sie 1847, Italie 1803, Espagne 1851, etc.) précédée d'un 
concours et d'un examen, conformément aux canons du 
Concile de Trente. 

Mais le candidat doit être agréé par le gouvernement 
d'après un très grand nombre de Concordats, parmi les- 
quels nous citerons le Concordat français de 1801 et le 
Concordat pour la Russie de 1847. 

Notre Concordat ne contient aucune disposition rela" 
tive aux chapitres et à la nomination des chanoines, 
vicaires^ etc.; il en est autrement dans beaucoup de con- 
ventions qui règlent le nombre et le mode de nomina- 
tion de ces dignitaires. (Bavière, Suisse, Espagne, Autri- 
che, etc.) ; 

3® Le droit de présenter aux bénéfices et d'exercer le 
droit de patronage, dans les pays où ces institutions 
subsistent (Bavière, Espagne. Costa-Rica, Autriche) ; 

4® Un très grand nombre de Concordats permettent 
au gouvernement d'exiger un serment de fidélité soit 
des évoques seuls, soit de tous les ecclésiastiques 
(France 1801) qui entrent en fonctions. Le texte du* 



ANALYSE COMPARÉE DES CONCORDATS 47 

serment est en général contenu dans la convention. 

Les Concordats de Costa-Rica et Guatemala déclarent 
que S. S. ne consent au serment que sur la déclaration 
du gouvernement de ces États, transmise par leur plé- 
nipotentiaire, que leur pensée n*est pas d'obliger ceux 
qui prêteront ce serment à rien qui soit contraire aux 
lois de Dieu et de l'Église ; 

3° L'obligation pour les ecclésiastiques de dire des 
prières pour le gouvernement est écrite dans les Con- 
cordats de France 1801, Costa-Rica, etc. ; 

6® Dans un certain nombre de pays, où les anciens 
biens ecclésiastiques ont été vendus , le Saint-Siège 
« dans l'intérêt de la paix publique » consent à ce que 
les acquéreurs de ces biens ne soient pas troublés dans 
leur possession et jouissent de tous les droits attachés à 
la propriété (France 1801, Italie 1803, Espagne 1831 et 
1839, etc.); 

7® Après des révolutions politiques, le pape déclare 
reconnaître au nouveau gouvernement les mêmes droits 
qu'il reconnaissait à l'ancien, ce qui peut comprendre, 
sans qu'on s'explique nettement, les droits relatifs aux 
nonces, le droit d'ingérence dans les élections pontifi- 
cales, etc. L'art. 16 du Concordat de 1801 reconnaît au 
premier Consul les mêmes droits et prérogatives dont 
jouissait près d'elle le gouvernement ancien (1); mais, 
pour pouvoir invoquer cette clause, les successeurs du 
premier Consul devront professer la religion catholique. 



(1) Napoléon I" se servit de cotte clause pour réclamer le droit de 
nommer au premier canonicat de chaque Église cathédrale vacant après 
son avènement au trône, par un brevet dit de « joyeux avènement ». 
(V. André, au mot Brevet de joyeux avènement,) 



48 CHAPITRE PREMIER 



Le Concordat de 1803 reconnaît également à Bonaparte 
les droits qui appartenaient au duc de Milan ; 

8^ Enfin, dans un intérêt politique, le pape consent 
parfois à modifier les circonscriptions des évêchés, à 
déposer les anciens cvêques et à en nommer de nou- 
veaux. Il promet en outre de consulter le gouvernement 
pour tracer de nouvelles circonscriptions d'évêchés ou 
de paroisses et pour modifier celles qui existent. 

Par le bref Tarn mulla, Pie VII demanda leur démis- 
sion aux anciens évoques dont les circonscriptions 
avaient été supprimées ou modifiées ; 43 consentirent 
à se démettre ; 36 refusèrent et furent déclarés démis- 
sionnaires. 

Voilà quels sont les principaux avantages que l'État 
retire du Concordat. Quels sont ceux qui sont stipulés 
en faveur de TÉglisc ? 

f m 

§ 2, — Avantages assurés à r Eglise par l'Etat. 

L'Église fait d'abord insérer un article qui donne au 
cidte catholique une situation privilégiée. Elle s'ellorce 
même de faire déclarer que la religion catholique est 
seule permise. Peu de Concordats lui ont donné entière 
satisfaction sur ce point : on peut cependant citer les Con- 
cordats pour l'Espagne 1831 (eœcluso alto qiiocumque 
cultii), l'Equateur 1862 (nunquampermitti pôle rit alius 
cîdtus, aliasocietas quœ damna ta ftieritab Ecclesia), et 
les Deux-Siciles 1818. La déclaration que la religion 
catholique est la religion de l'État est écrite dans le Con- 
cordat italien de 1803, et dans les conventions avec le 
Salvator, Nicaragua, Guatemala. La constatation que 
cette religion est celle de la majorité de la nation se 



ANALYSE COMPARÉE DES CONCORDATS 49 

trouve dans les Concordats pour la France (1801) et pour 
Haïti. Fréquemment on rencontre une clause disant que 
la religion catholique sera protégée et conservée « cwm 
omnibus juribus ac prœrogaticis quibus potiri débet 
jiixta Dei legem et canonicas sanctiones » . 

La primauté d'honneur et de juridiction est reconnue 
dans rÉtat au chef de la religion, par exemple dans le 
Concordat autrichien. 

Pour assurer le respect du à la religion et à ses droits, 
il est souvent stipulé que le Gouvernement devra ré- 
primer toute insulte faite à la religion et à ses ministres, 
par actes, paroles ou écrits (Italie 1803, Bavière 1817, 
Étrurie 1851, Espagne 1831, Autriche 1833). Parfois 
même, un droit de censure sur les livres est donné aux 
évêques, dont les décisions seront exécutées par les 
soins du pouvoir civil : c'esten vertu de cotte disposition 
que la lecture de Schiller fut défendue par la police 
autrichienne. Cedroitdecensure estaccordé aux évêques 
par la Bavière, TEspagne, etc. 

Un autre droit, tout aussi important, celui de surveiller 
renseignement puhlic donné à la jeunesse catholique, 
leur est conféré par certaines conventions. (Bavière, 
Bade, Espagne, Autriche, Costa-Rica,etc). Le Concordat 
autrichien de 1853 contient à cet égard des dispositions 
étendues (art. 5 à 8): renseignement dans les écoles 
publiques ou privées devra être conforme à la doctrine» 
catholique; il sera placé sous la surveillance des évê- 
ques, et ne sera confié qu'à des catholiques dans les 
écoles secondaires ; les maîtres des écoles élémentaire» 
seront soumis à l'inspection ecclésiastique; les inspec- 
teurs seront proposés par Tévêque qui peut choisir un 
ecclésiastique pour enseigner le catéchisme, s'il trouve 



SO CHAPITRE PREMIER 



insuffisante rinstruction religieuse. « Tout maître qui 
déviera du droit chemin sera écarté. » 

Le libre exercice du culte catholique réclame pour 
les minisires et les fidèles le droit de communiquer 
librement avec le Saint-Siège, et ce droit est écrit dans 
beaucoup de Concordais. Quelques-uns stipulent for- 
mellement l'abrogation des autorisations et des mesures 
préventives auxquelles le pouvoir civil soumettait la 
publication des bulles: le « liceat scribere » sera abrogé, 
dit le Concordat des Deux-Siciles. Même clause pour 
Veœequalur (Equateur 1802) et pour le placet regium 
(Autriche). Il est à remarquer que sur ce point la Cour 
de Rome n'a jamais voulu transiger expressément : 
aucun Concordat n'admet Vexequatur. 

Les évêques seront libres, disent beaucoup de con- 
ventions, de convoquer des synodes (Autriche, Espagne, 
etc.), de visiter leurs diocèses, d'ordonner des prières 
publiques, d'admettre des novices dans les ordres ou de 
les en exclure. Quelques Concordats donnent mémo à 
l'évêque le droit de correction sur les clercs dont la 
conduite serait répréhensible : ils sont autorisés à les 
enfermer dans un séminaire ou dans un monastère 
(Italie 1803, Bavière, Deux-Siciles, Costa-Rica, etc.). 

L'Église, avons-nous dit, réclame pour ses ministres 
des exemptions et des privilèges. Aussi voyons-nous 
inscrire dans les Concordats, en faveur des ecclésias- 
tiques : 

1° L'exemption du service militaire (Italie 1803); 

2° Le droit, pour les évoques, de tester librement, 
selon les canons, en dehors des prescriptions de la loi 
civile (Autriche 1833 et Espagne 1851); 

3® L'exemption des juridictions ordinaires. 



ANALYSE COMPAREE DES CONCORDATS 51 

Cette dernière immunité n'a été cependant admise 
d'une manière absolue par aucun Ëtat moderne. Les 
Concordats de Bavière, d'Autriche, des Deux-Siciles 
consacrent le principe de la juridiction ecclésiastique 
pour les clercs, ecoceptis causis mère civilibus clerico- 
riim, telles que héritages, dettes, contrats. Même dis- 
position^dans le Concordat pour le Venezuela : « Ecclé- 
siasiicum forum servabilur. Indulget tamen S, S, ut 
forum ipsum inter eos limites existât quibu3 hodie ex 
civilium legum prœscriptionibus restringitur, » 

Au criminel, vu le malheur des temps, eu égard aux 
circonstances j la Cour de Rome consent en général à la 
compétence des tribunaux séculiers, mais en stipulant 
des précautions spéciales pour assurer le respect dû à 
la dignité ecclésiastique : l'évêque devra être prévenu 
(Autriche, etc.) ; — les jugements ne seront pas publics 
(Guatemala, Costa-Rica, elc ); — remprisonnement sera 
subi dans un local séparé (Étrurie 1851. Guatemala, 
Autriche, Deux-Siciles 1834) (1); — en cas de délit, 
simple amende ou détention dans un monastère (Étru- 
rie, Guatemala, Sardaigne 1841). Plusieurs (Concordats 
créent un tribunal spécial pour juger en appel les causes 
concernant les ecclésiastiques ; deux ecclésiastiques au 
moins sont adjoints aux juges ordinaires dans le Gua- 
temala. En cas de condamnation capitale contre un 
ecclésiastique, dit le Concordat de 1834 avec les Deux- 
Siciles, si l'évêque estime qu'il y a lieu de reviser le 
procès, la cause est jugée en appel par une commission 

(1) La convention de 183i entre les Deux-Siciles et le S. -S. n'a d'autre 
objet que de déterminer les précautions à prendre dans la procédure 
contre les ecclésiastiques : ceux-ci devront êti'o conduits eu prison la 
nuit, en voiture, cachés sous un manteau, etc. 



ffS CHAPITRE PREMIER 

composée do trois évèques nommés par le S. -S. sur une 
liste de six présentée par le gouvernement, et de deux 
laïques avec voix consultative. Même disposition dans le 
Concordat pour la Sardaigne. 

Un for ecclésiastique, chargé de juger les causes 
ecclésiastiques relatives à la foi, aux rites sacrés, est 
institué par les Concordats pour TÉtrurie, le Guate- 
mala, le Wurtemberg, TAutriche, le Nicaragua. A ce for 
ecclésiastique sont dévolues les causœ matrimoniales, 
en vertu d'un canon du Concile de Trente et de diverses 
bulles (Autricbe, Bavière, Deux-Siciles, Étrurie). Le 
Concordat de 1857, pour le Wurtemberg, ajoute cepen- 
dant que les effets civils du mariage seront de la com- 
pétence des tribunaux laïques. Le magistrat civil de- 
vra faire appliquer la peine prononcée par les tribu- 
naux ecclésiastiques, dit la convention pour TÉquateur. 
Les causes majeures sont d'ordinaire réservées au 
Saint-Siège. 

Le droit d'asile dans les églises est assuré « autant 
que la justice et la sécurité publique le permettent », 
d'après le Concordat autrichien. 

Pour assurer le recrutement du clergé, l'État admet 
la création ou le maintien des séminaires, en général 
à raison d'un par diocèse, et sous la surveillance do 
l'évêque, avec une dotation fournie par l'État. Le nom- 
bre des clercs de chaque séminaire est parfois fixé 
limitativement (Russie 1847) ou laissé à la décision des 
évèques qui devront prendre en considération l'impor- 
tance du diocèse (Prusse 1821, Provinces du Rhin 1827, 
Costa Rica, etc.) Le Concordat français dit expressément 
que le gouvernement n'est pas obligé de doter les sé- 
minaires. 



ANALYSE COMPARRii: DES CONCORDATS 53 

Le clergé régulier élant, d'après les doctrines ro- 
maines, également nécessaire au développement de la 
foi catliolique, la Papauté stipule souvent que des mo- 
nastères pourront être librement créés, que le recrute- 
ment des ordres pieux ne sera pas empêché, parfois 
même que le gouvernement fondera et dotera quelques 
couvents nouveaux (Bavière). Les membres de ces 
congrégations sont placés sous les ordres de leurs 
supérieurs, sauf l'autorité des évêques (Autriche). Le 
Concordat de 1831 pour l'Espagne et celui de 1818 
pour les Deux-Siciles fixent des traitements annuels 
qui devront être payés par le gouvernement aux chefs 
de certains jordres religieux. 

La Bavière, par le Concordat de 1817, la Prusse par 
la Bulle de circonscription de 1821, se sont engagées à 
fonder des asiles pour les prêtres âgés ou infirmes. 

Quant à la rétribution des ministres du culte, on 
peut diviser les Concordats en trois catégories ; 

1° Ceux qui ne promettent qu'un traitement et cer- 
tains droits de jouissance. Ces sortes de conventions 
sont très rares. On peut cependant citer le Concordat 
français de 1801 (art. 14), qui assure aux évêques et 
aux curés f un traitement convenable », et le Concordat 
russe de 1847, qui précise le montant de ces traitements: 

2® Ceux qui promettent des dotations en biens fonds 
ou en rentes sur l'État. Ce sont de beaucoup les plus 
nombreux. Nous citerons par exemple le Concordat 
de 1817 pour la France, d'Espagne, de Costa-Rica, de 
Bavière, de Prusse, de Wurtemberg, de Bade, etc.; 

3** Ceux qui, outre les dotations, permettent de pré- 
lever des dîmes. On trouve cette clause dans les Con- 
cordats de Guatemala, de Honduras, de l'Equateur, dans 



»._ 



64 CHAPITRE PREMIER 



la Bulle pour le Hanovre, et, à titre exceptionnel, dans 
le Concordat autrichien de 1833 (art. 33), qui, eu 
général, en consacre l'abolition, vules vicissitudes des 
temps, sur les instances de S. M, et dans l'intérêt de la 
tranquillité publique. 

Outre les dotations des évêcliés, TEspagne s'est en- 
gagée à donner des traitements aux évoques nommés 
cardinaux; les gouvernements de Gosta-Rica, de Gua- 
temala et de rÉquateur, à consacrer des fonds à la pro- 
pagation de la foi et à la conversion des iniidëlcs (1). 

L'Église a dû renoncer, vu lemalheurdes temps, à 
l'immunité de l'impôt pour le clergé et pour les biens 
ecclésiastiques. fiPrena7it les temps en considération > 
elle a consenti à ce que ces personnes et ces biens 
fussent taxés. « Les malheureuses circonstances des 
temps ne permettant pas que les ecclésiastiques soient 
exempts des impôts publics, S. M. promet... de sup- 
pléer par des largesses à l'avantage du clergé lors des 
moments heureux où l'État parviendra à une plus 
grande prospérité. » (Deux-Sicilcs, 1818, art. 16.) — 
Dans la République de l'Equateur, les séminaires, les 
biens immédiatement destinés au culte et les fonda- 
tions de bienfaisance sont aifranchis d'impôts. 

Tous les Concordats stipulent pour l'Église la faculté 
d'acquérir, de posséder, de s'enrichir pardes fondations 
pieuses. Cette propriété sera sacrée et inviolable; au- 
cune réunion ou suppression de ces fondations ne pourra 
avoir lieu sans la permission du S. -S., disent les con- 



(I) Dans le Concordat arec les Deux-Siciles, le Pape se réservait à 
perpétuité le droit de prélever annuellement, sur certaines abbayes, 
12.000 ducats qu'il distribuera à ses sujets de i*ordro ecclésiastique. 



ANALYSE COMPARÉE DES CONCORDATS 55 



vcntîons pour la Bavière, rAutriclie, la République Ita- 
lienne, TEspagnc, rAulriche, etc. L'administration de 
ces biens est très souvent réglementée. 

Enfin, on trouve presque toujours des clauses stipu- 
lant que les lois contraires au Concordat seront abro- 
gées par le seul fait de sa conclusion. Parfois aussi on 
déclare que le Concordat sera exécuté comme loi de 
rÉtat (Equateur, Nicaragua, Venezuela, Salvator, Au- 
triche) ; — on promet de s'entendre avec le S. -S. pour 
les matières ecclésiastiques non prévues; de ne rien 
interpréter "ou changer au Concordat sans le consen- 
tement de Rome. L'exécution du Concordat est confiée 
à deux commissaires nommés par les H. P. C. dans le 
royaume des Deux-Siciles (Concordat de 1818). 

Il résulte de l'étude comparée des Concordats que le 
Concordat français de 1801 s'écarte et se distingue de 
tous les autres par lepeu de concessions faites àl'Église. 
Pas de situation privilégiée expressément reconnue à 
la religion catholique, pas de dotations en biens fonds 
ou en rentes, pas de clause réservant la liberté de com- 
muniquer avec le Saint-Siège, aucune stipulation rela- 
tive au for ecclésiastique ou aux immunités des minis- 
tres du culte. Ce Concordat a toujours été considéré 
comme exceptionnel par la Cour de Rome, et celle-ci 
ne l'a consenti qu'eu égard aux circonstances spéciales 
où se trouvait le culte catholique en France. Elle n'a 
jamais voulu l'étendre à l'Italie. Dans une lettre à Bo- 
naparte, du 28 sept. 1802 (V. Theiner, Les Deux Con- 
cordats, II, p. 32), le pape expliquait que s'il y consentait, 
tous les États catholiques en demanderaient un sem- 
blable; or, disait-il, V Eglise d'Italie et les autres 

10 



56 chapitre: premier 



Églises n'ont pas passé païf* les bouleversements 
affretiœ de V Église de France. Le Saint-Siège finit par 
consentir, en 1803, un Concordat pour la République 
Italienne, bien plus avantageux pour l'Église que celui 
de 1801. 

Cette convention contient en effet les clauses sui- 
vantes : la religion catholique est la religion de la Ré- 
publique cisalpine; — les communications avec le S. -S. 
seront libres; — Tévêque a le droit d'emprisonnemeni 
sur les clercs; — les ecclésiastiques seront exempts du 
service militaire ; — restent sévèrement défendus toute 
parole, toute action, tout écrit tendant au mépris de la 
religion et de ses ministres. 

On peut dire que de tous les Concordats, celui de 
1801 pour la France est le type de ceux qui sont le plus 
défavorables àrÉglise;le Concordat autrichien de 1835 
et ceux de 1862 pour les Républiques espagnoles cons- 
tituent le type opposé. 

Les Concordats ne contiennent pas tout le droit rela- 
tif aux rapports de l'Église et de l'État dans les pays 
pour lesquels ils sont conclus. 

D'une part, en effet, le régime concordataire suppose 
l'union de l'État et de la religion, leur concours mutuel. 

De là il résulte que, dans sa constitution et ses lois, 
l'État concordataire assure à l'Église des avantages non 
compris dans la Convention même. Il accorde à ses 
ministres des honneurs, des préséances, souvent même 
une participation aux affaires publiques, une représen- 
tation à la Chambre haute. L'Église, en échange, met 
sa puissance spirituelle au service des intérêts de l'État. 
C'est ainsi qu'elle a accordé au Portugal la protection 



ANALYSE COMPAKÊE DES CONCORDATS ni 



des missions catholiques en Chine, qui, depuis 1845, 
appartient à la France (1). 

D'autre part, les puissances civiles n'ont jamais con- 
sidéré que. parle fait de la signature du Concordat, elles 
se fussent dessaisies du droit de régler la police des 
cultes. DeUilos A}'ficles organiques en France, VEdit 
de 7*eligion en Bavibro^, qui, tous deux, sans déroger 
au Concordat, contiennent cependant des prescriptions 
que la Cour de Rome n'eût certainement pas ratifiées : 
la nécessité de Vexequatur pour la publication des bul- 
les, par exemple. 

Le Saint-Siège a toujours protesté contre ces actes 
de souveraineté intérieure apportant à l'exercice du 
culte des restrictions non prévues parle Concordat (2). 

Section III. —Nature des relations diplomatiques entre le Saint-Sidge 

et les puissances temporelles. 

Nous avons exposé l'état de choses existant quant 
aux relations diplomatiques du Saint-Siège avec les 
puissances temporelles. 

Il nous faut maintenant examiner la question de savoir 
si ces relations sont des rapports internationaux régis 
par le Droit des gens, (^ette question a été maintes fois 
étudiée quant à la nature des Concordats. On s'est sou- 
vent demandé : les Concordats sont-ils des Traités ? 
Non, ont répondu Neumann. Bluntschli, Fiore, Nys, 



{{) V. Revue def Det/sc-Mondcf, io dôc. 1886 : les Missions catholiques 
en Chine. 

(2) Réclamation du S.-S. contre les Articles organiques, lettre du car- 
dinal Gaprara à M. de Talloyrand, 18 août i8')3,ct réponse do Porlalis 
{Manuel de Droit ecclés. E. Ollivicr). 



58 CHAHTRE PUEMIËH 



Carnazza-Amari, Lan l'en L IleflLer, etc. (1). Non, répon- 
drons-nous à notre lour. Mais, élargissant la question, 
nous examinerons si la souveraineté du pape est une 
notion de Droit international, et si. par conséquent, ses 
envoyés sont de véritables agents diplomatiques, les 
Concordats de véritables traités. 

1. — Et d'abord quel est l'intérêt de la question ? 

On a dit quelquefois qu'il était de savoir si les Con- 
cordats pouvaient être aboliscomme des lois, oudevaient 
être dénoncés comme des conventions internationales. 
S'il en était ainsi, le problème serait peu important et 
consisterait seulement dans une question de forme. 
En fait, il est certain que les Concordats sont conclus 
avec les formes propres aux conventions diplomatiques. 
Il est, par conséquent, plus correct de suivre les mêmes 
formes pour les dénoncer. Il n*y a là qu'une question de 
courtoisie. Mais que les Ctiambres votent l'abrogation 
du Concordat ou invitent le gouvernement à le dénoncer, 
le résultat sera évidemment le même. Tout au plus 
pourrait-on dire, avec notre ministre des affaires étran- 
gères (séance de la Chambre du 8 mars 1882), que la 
proposition, sous sa première forme, est défectueuse au 
point de vue diplomatique. 

Pour nous, l'intérêt est ailleurs. Il est dans l'idée que 
les États forment une communauté internationale ; 
qu'il existe entre eux une solidarité, de telle sorte que 



(1) Neumann, Éléments de Droit des gens, traduct. RiedmaUen, { 24. 
— Bluntschli, Dr. intern, codifié, règle 413. — Fiore, Nouveau Droit 
intern, public, traduction Antoine, II, n» 1095. — Nys, article cité, Rev. 
de Dr. internat. — Garnazza-Âmari, Dr. intern. public^ trad. Montanari- 
Revest, H, p. 803. — Laurent, V Église et VÉtat après la Révolution, 
p. 294. — Heffter, Droit international, % 40, note. 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE 59 

rinjusiicG faite à l'un d'eux inquiète et trouble tous les 
autres. Que le nouveau gouvernement d'un État, pour 
prendre un exemple, refuse de reconnaître et d'exécu- 
ter les traités conclus par le gouvernement précédent 
avec telle puissance déterminée : n'est-il pas évident 
que toutes les autres nations, qui ont conclu des con- 
ventions avec cet État, se sentiront atteintes et mena- 
cées ? De même, ne seraient-elles pas inquiètes à bon 
droit, si elles voyaient ce gouvernement rompre, sans 
aucun motif, les relations diplomatiques avec une puis- 
sance, renvoyer ses représentants ou au moins leur 
retirer toute immunité, déclarer même qu'il ne reconnaît 
plus la souveraineté de cette puissance et qu'il no con- 
sentira jamais à traiter avec elle ? 

Eh bien! si le Saint-Siège est une souveraineté inter- 
nationale, s'il fait partie de cette communauté de droits, 
de devoirs et d'intérêts, l'abrogation législative d'un 
Concordat, le refus de recevoir des nonces, le rappel 
sans motif d'un représentant auprès du Vatican consti- 
tuent, de la part d'un gouvernement, une violation de ses 
devoirs internationaux, un acte qui peut et doit éveiller 
les susceptibilités des autres puissances. Si le pape, au 
contraire, est en dehors du Droit des gens, si ses rap. 
ports avec chaque puissance, quoique ayant une forme 
diplomatique, dépendent de sa législation interne, de 
son droit public et de sa constitution, la conduite de 
tout gouvernement doit alors être dictée uniquement 
par la volonté du pays et les circonstances de la poli- 
tique intérieure, sans que les nations étrangères puissent 
être alarmées ou froissées, soit par le refus de consi- 
dérer les nonces comme des agents diplomatiques, soit 
par l'abrogation d'un Concordat, 



60 CHAPITHE l'REMlER 



2. — Telles étant les conséquences de la solution à 
adopter, il nous paraît impossible d'assimiler les rela- 
tions diplomatiques entre le Saint-Siège et les États 
aux rapports internationaux. 

Ceux-ci, en effet, n'existent qu'entre souverains, et 
reposent sur le double principe : 

lo du droit absolu de souveraineté de chaque puis- 
sance sur son territoire et ses sujets; 

2<» de régalité juridique des puissances. 

Or, le pape ne peut être considéré comme investi d'une 
souveraineté eM sens international du mot. hdisouverai' 
n6?/(? réside en effet dans la nation : c'est son droit à l'au- 
tonomie, le droit exclusif et absolu de se gouverner selon 
sa volonté. Elle délègue l'exercice de ce droit à un 
gouvernement, dans la mesure indiquée par la Consti- 
tution. Comme il est impossible aux puissances étran- 
gères d'établir des différences entre les représentants 
des États selon l'étendue de la délégation qu'ils ont reçue, 
il existe, en Droit international, une fiction en vertu de 
laquelle le chef de l'État est censé être investi de l'exer- 
cice entier de la souveraineté; il est lui-même consi- 
déré comme souverain. 

Le souverain, en Droit internafional, est donc un man- 
dataire. De qui le pape serait-il mandataire? Des catho- 
liques ? Mais le mandat que ceux-ci seraient censés lui 
donner est un mandat d'une nature essentiellement 
religieuse. Faudra-t-il donc que les divers gouvernc- 
nements interprètent les dogmes, apprécient la validité 
de l'élection de tel pape, et, en cas de schisme, décident 
qUel est le véritable chef de l'Église catholique? Qu* 
ne voit combien ces matières sont étrangères au Droit ? 

En outre, les catholiques, qui seraient considérés 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE 61 



comme les mandants du pape, ne forment pas un État. 
Ils sont citoyens de différentes nations, sujets de diffé- 
rentes souverainetés qui peuvent les soumettre à des 
lois plus ou moins restrictives de leur liberté. Elles 
peuvent même, sans que les autres puissances soient 
admises à critiquer ces mesures, interdire à leurs sujets 
revêtus de la dignité cardinalice de se rendre à Rome 
et de voter au conclave. Le pape ne représenterait plus 
alors qu'une fraction des fidèles, peut-être la minorité. 
Enfin, si l'on admet que l'Église catholique est une 
puissance semblable à un État, qui a, comme telle, une 
souveraineté dont elle peut déléguer l'exercice, il faut 
en conclure que ses délégués ont le pouvoir direct de 
législation, de juridiction et d'administration sur tous 
ses membres. Certains livres, revêtus de l'approbation 
pontificale, n'ont pas craint d'admettre une conséquence 
si favorable aux pouvoirs du Saint-Siège. Le cardinal 
Soglia, dont les Institutiones Juris publici ecclesias- 
tici ont obtenu l'approbation de Grégoire XVI et de 
Pie IX, s'emparant de la définition de l'État par Puf- 
fendorff, montre que cette définition convient à l'Église. 
€ Ex institutione Christi Ecclesia est conjunctio 
hominum, quœ per homines, hoc est per Petrum et 
Apostolos, eorumque successores, administratur cmn 
imperio sibi proprio nec aliunde dependenie ; ergo 
Ecclesia est societas inœqualis sive Status. » Pour 
repousser une théorie qu'aucune puissance temporelle 
ne pourrait admettre sans renoncer à l'intégrité de sa 
souveraineté, il suffit de faire remarquer que la défini- 
tion de Puffendorfi omet un élément qu'on a toujourg 
considéré comme nécessaire : l'établissement sur un 
territoire déterminé. C'est précisément ce qui sépare 



62 chapitre: premier 



i»iS 



TEtal, personnedu Droit international, àeV Associa tio7î^ 
qui n'a pas de souveraineté, qui ne peut ni envoyer de 
véritables agents diplomatiques, ni conclure des traités, 
au sens propre du mot. Vainement citerait-on Texemple 
de certaines associations qui ont paru parfois être assi- 
milées aux Etats. Quels que soient les droits qui leur 
ont été concédés, deux différences les sépareront tou- 
jours des États : 

1® L'association (à supposer qu'où lui accorde une 
souveraineté) ne peut avoir une souveraineté absolue 
et exclusive. Les associés seront en effet soumis à la 
souveraineté sociale et à la souveraineté de leur nation ; 

2° Il en résulte que la souveraineté de l'association 
dépend de la souveraineté nationale, celle-ci pouvant 
seule permettre ou interdire à ses sujets de faire partie 
de l'association ; 

3° L'association n'ayant pas de territoire, ne consti- 
tuant pas une nationalité, ne peut être tenue des mêmes 
responsabilités, et, par conséquent, il n'y a pas entre 
elle et les États égalité de droits et de devoirs. 

Et nous touchons ici à la différence capitale qui existe 
entre les rapports internationaux et les relations diplo- 
matiques du Saint-Siège. 

Celles-ci , — bien loin d'avoir pour base, pourraison 
d'être et pour règle, le respect absolu de la souveraineté 
étrangère, — n'ont d'autre origine et d'autre cause que 
le droit d'ingérence, de contrôle, de surveillance, et 
même de législation et de juridiction directe, prétendu 
et quelques fois exercé par la Papauté chez toutes les 
nations ayant des sujets catholiques. 

Ce motif explique pourquoi, seul de tous les pon- 
tifes, le chef de l'Église catholique reçoit des ambas- 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE 63 

sadeurs et signe des traités. Ce motif faisait dire au 
premier Consul : « Traitez le pape comme s'il avait 
200.000 hommes. » Ce motif poussait la Belgique à 
créer, en 1832, une légation à Rome, bien que ses 
transactions commerciales avec les États pontificaux 
fussent nulles et que sa Constitution défendît au gou- 
vernement toute immixtion dans les affaires reli- 
gieuses. Aux libéraux belges qui, à chaque session, ré- 
clamaient la suppression de l'envoyé auprès du Saint- 
Siège, comme aux députés français qui depuis <iix ans 
reproduisent périodiquement la même motion, on a tou- 
jours répondu : La Papauté est une puissance poli- 
tique, une force morale considérable que nous devons 
craindre et avec laquelle il faut négocier. Le prince de 
Bismarck invoquait la même raison pour faire maintenir 
la légation prussienne près le Vatican de 1870 à 1874, 
et quand, en 1874, illasupprima, ce fut, disait-il, à cause 
des prétentions exorbitantes du pape, quant à son droit 
de contrôle dans les afi'aires intérieures et temporelles 
de l'Empire. 

Ainsi, ce qui fait que les gouvernements ont des re- 
lations diplomatiques avec la Cour de Rome, c'est que 
le pape a dans chaque État une influence politique, dont 
il peut se servir pour combattre ou pour soutenir le 
gouvernement. N'est-ce pas là un principe précisément 
contraire à celui du respect de la souveraineté étrangère 
qui est la base de toute relation internationale? Dirons- 
nous, par exemple, qu'un nonce est un ambassadeur? 
Mais un ambassadeur a pour premier devoir de s'abste- 
nir de toute ingérence dans l'administration du pays 
auprès duquel il est accrédité, de toute critique des 
actes du gouvernement. Or, il y a quelques années, la 



64 CHAPITRE PREMIER 



Belgique a vu le nonce do Bruxelles critiquer une loi 
scolaire votée par la représentation nationale, et, un 
autre jour, féliciter le parti catholique du résultat des 
élections ! Prenons l'hypothèse la plus favorahlo : en 
France, oii le principe qu'un nonce n'est qu'un envoyé 
diplomatique a été maintenu avec le plus de sévérité, 
on admet cependant qu'il peut communiquer avec les 
prélats pour prendre les informations nécessaires sur la 
personne des candidats aux évêchés. Imagine-t-on un 
ambassadeur communiquant avec des fonctionnaires 
pour préparer la nomination d'autres fonctionnaires ! 

3. — Mais le caractère purement interne des rapports 
entre les États et le Saint-Siège apparaît surtout quand 
on examine la nature des Concordats. 

Notre analyse comparée de ces conventions montre 
qu'un Concordat est un contrat synallagmatique par 
lequel l'État procure à l'Église certains avantages ma- 
tériels. L'Eglise promet en échange au gouvernement 
co-conlractant que l'influence ecclésiastique s'exer- 
cera en sa faveur, ou, au minimum, ne sera pas em- 
ployée contre lui. Pour sûreté de cette promesse, elle 
lui accorde en général certaines garanties (serment des 
évêques, nomination de ceux-ci). 

De cette idée résultent plusieurs raisons de décider 
qu'un pareil contrat n'est pas un traité international. 

1° Si l'on considère non pas la forme, mais l'objet 
même du contrat, celui-ci ne suppose pas nécessaire- 
ment que l'autorité religieuse avec laquelle on traite 
soit une autorité étrangère, extérieure au pays, ou 
ayant un caractère universel. On aurait pu fort bien 
comprendre un Concordat entre l'empereur de Russie 
et le patriarche de Moscou, avant la suppression de 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE tt 

cet olfice. Les premiers Concordats furent des actes 
mettant (in à des contestations entre seigneurs féodaux 
et supérieurs de monastères ; bien qu'ils fussent ha- 
bituellement homologués par le Saint-Siège, ces actes 
n*ont évidemment aucun caractère international (l).De 
même un Concordat intervint, on 1288, entre le roi de 
Portugal et les évèques de ce pays (2). 

2" Dans les Concordats intervenus entre le Saint- 
Siège et les puissances temporelles, nous pensons, 
malgré l'autorité de M.Rolin Jaequemyjis (3\ que c'est 
avec le chef de l'Église nationale que le gouverne- 
ment traite. Si le caractère universel de l'autorité pon- 
tificale peut avoir une influence sur les négociations, il 
nous parait cependant évident que, quand un souverain 
signe un Concordat et promet de donner une dotation, 
par exemple, pourvu qu'on lui concède le droit de 
nommer les évèques et de leur faire prêter serment, 
c'est l'autorité qui peut régler la nomination, la disci- 
pline et les ressources du clergé national qu'il considère; 

3® Les Concordats sont toujours faits en vue d'une 
certaine forme de gouvernement, d'un certain état 
constitutionnel. 

Il faut d'abord que le texte ou l'esprit de la Constitu- 
tion autorise le gouvernement à conclure non seulement 
des traités, mais encore des actes de ce genre. Un 
Concordat ne pourrait être valablement consenti par le 
gouvernement belge (art. 16 de la Constitution), par 
celui des États-Unis (amendement Ide la Constitution). 



(1) Horoy, Rapports du Sacerdoce et de V Empire, H, ch. m. 

(2) G. (le Luise, op. cit., p. 509. 

(3) Revue de Droit international, 1873. 



66 CHAPITRE PREMIER 



Une loi, ayant un caractère fondamental, peut aussi 
empêcher un gouvernement de traiter avec la Cour de 
Rome : ainsi la loi des garanties (titre II), qui établit on 
Italie la séparation de l'Église et de l'État, nous paraît 
limiter en celle matière le droit général du roi de né- 
gocier des traités. 

Même en dehors de toute disposition constitution- 
nelle écrite, la conclusion d'un Concordat suppose chez 
le gouvernement qui Ta consentie une certaine con- 
ception des rapports de l'Église et de l'État, le désir de 
s'appuyer sur l'Église et de se servir de l'influence reli- 
gieuse. Prenons, par exemple, le discours de Portalis sur 
l'organisation des cultes ; nous voyons donner comme 
motifs du Concordat de 1801 : que la religion catholique 
est un ressort qu'on ne peut abandonner sans danger ; 
— qu'un État n'a qu'une autorité précaire quand il a 
sur son territoire des hommes qui exercent une grande 
influence sur les esprits et sur les consciences, sans 
que ces hommes lui appartiennent, au moins sous quel- 
ques rapports ; — que l'athéisme pousse à la révolte 
et le schisme au désordre; — que les théologiens sont, 
par eux-mêmes, dans l'impossibilité d'arranger leurs 
différents; — heureusement^ dit Portalis, les théologiens 
catholiques ont un chef, un centre d'unité dans le pontife 
de Rome. 

Ainsi on traite avec le pape, parce qu'on désire for- 
tifier l'autorité consulaire en lui prêtant l'appui de 
l'autorité religieuse, et l'on choisit comme religion 
d'État la religion catholique, parce que c'est elle qui 
donne au pouvoir absolu l'appui le plus ferme. Ce sont 
là, on le voit, des motifs d'ordre purement national et 
constitutionnel ; nulle part il n'est fait allusion à une 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGK 67 



souveraineté, avec laquel il n'y ait d'autres relations 
possibles que les traites. Sans doute, Portalis déclare 
que la convention participe à la nature des traités 
diplomatiques, c'est-à-dire à la nature d'un véritable 
contrat. Mais cette affirmation est immédiatement dé- 
truite, car Portalis ajoute : t Ce que nous disons de la 
convention avec le pape s'applique aux Articles orga- 
niques des cultes protesUnts. » — Or, les Articles orga- 
niques sont évidemment un acte unilatéral. 

La pensée de l'auteur du Concordat se manifeste 
surtout dans le texte du serment des ecclésiastiques, 
qui a été reproduit par un grand nombre de Concor- 
dats, notamment par le Concordat autrichien, et qui 
fait du clergé, non seulement des fonctionnaires, mais 
une gendarmerie sacrée, comme on l'a dit : t Si dans 
mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame 
quelque chose au préjudice de l'État, je le ferai savoir 
au gouvernement. » Des prières pour la République 
et pour les consuls doivent être dites à la fin de l'office 

divin. 

Le but du gouvernement consulaire apparaît donc 
clairement : relever la religion catholique, la recon- 
naître officiellement, assurer au clergé des honneurs 
extraordinaires (1), lui donner même une participa- 
tion à la direction des affaires nationales, à l'instruction 
et à la bienfaisance publiques, et lui demander en 
échange de mettre l'influence religieuse au service du 
gouvernement. 



(I) Y. le décret du i4 messidor an XH : Les cardinaux ont la pré- 
séance sur les ministres ; honneurs militaires au S.-Sacrement, aux ar- 
chevêques, évùques, etc. 



68 CHAPiTUE PREMIER 



Le caractère étroitement constitutionnel du Concor- 
dat (que l'empereur devait, à son sacre, jurer de main- 
tenir au même titre que Tégalitc des droits et la Légion 
d'honneur) est évident (1). 

Aussi voyons-nous les changements constitutiannels 
influer souvent sur les Concordats. En 1791, l'Assem- 
blée nationale fait du principe électif la base do notre 
Droit public; elle abroge le Concordat de 1516 et le 
remplace par la Constitution civile du clergé. En 1813, 
le gouvernement consulaire s'est changé en gouverne- 
ment impérial et despotique : le Concordat, déjà bien 
dur pour la religion, est encore aggravé. La Charte de 
1814. au contraire, qui déclare la religion catholique re- 
ligion d'État, a pour conséquence le Concordat de 1817, 
singulièrement plus clément pour la Papauté que celui 
de 1801. — De même à l'étranger : le Concordat autri- 
chien de 1855 fut abrogé en fait par les lois constitu- 
tionnelles de 1 867 et en droit par la loi du 7 mai 1 874 (2) ; 
le Concordat espagnol de 1851 fut abrogé par la loi 
de 1855 *sur la liberté des cultes et la vente des biens 
ecclésiastiques; le Concordat avec la Russie, de 1847, 
fut abrogé par un édit du Sénat dirigeant de 1866 ; le 
Condordat avec les Pays-Bas (1827) fut considéré 
comme aboli par le gouvernement belge à cause de 
l'art. 16 de la Constitution de 1831. — On peut, à ce 
point de vue, se demander si le Concordat de 1801, qui 



(1) SénattU'ConxuUe du 28 floréal an XH, art. 53. 

(2) Art. l»' de cette loi : « La patente du 5 nov. 1855 (promulguant le 
Concordat) est abrogée. » Le Concordat de 1855 avait déjà été dénoncé, 
en tant que convention internationale, par le gouvernement autrichien 
en 1870, à la suite de la proclamation du dogme do rinfaillibilité. Mais 
il gardait sa force législative à cause do la patente du 5 nov. 1855. 



HELATIONS Dll'LOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE 69 

se rattache d'une façon si intime à une organisation 
constitutionnelle <léterniinée, a vraiment survécu à réta- 
blissement de nouvelles institutions, et si les droits 
qu'il confère au gouvernement et les charges qu'il lui 
impose ont été transmis au gouvernement de la Répu- 
blique. On peut en douter en voyant l'art. 17 attacher 
une grande importiince au fait que le chef de l'État 
professe la religion catholique; c'est à cette profession 
de foi catholique qu'est subordonné le droit, pour les 
successeurs du Premier Consul de nommer aux évéchés 
et la reconnaissance par le Saint-Siège, dans ces mêmes 
personnes, des droits et prérogatives dont jouissait au- 
près de lui l'ancien gouvernement. Le préambule du 
Concordat indique même que la Cour de Rome a con- 
senti à le conclure parce que « la religion a retiré et 
attend le plus grand éclat de la profession particulière 
qu'en font les consuls de la République ». Mais si cette 
importance donnée à la religion du chef de l'Etat se 
comprend quand il s'agit du Premier Consul, investi 
d'un pouvoir presque absolu et l'exerçant effective- 
ment, quel intérêt peut-il y avoir à déterminer (dil- 
ficilement peut-être) les croyances religieuses du Pré- 
sident de la République sous le régime constitutionnel 
et parlementaire, où les nominations des évêques, 
signées par lui, sont faites, en réalité, par le ministère 
responsable? 

4. — Les Concordats se rattachent donc étroitement 
aux lois constitutionnelles. 

Conclus dans la forme des traités, ce sont des actes 
publics internationaux. Nous les rapprocherions \olon- 
tiers, avec Neumann, de ces actes qui interviennent en- 
tre une ou plusieurs puissances et une association ou 



** - '- 



70 CHAPITRE PREMIER 



un particulier, mais qui ne sont pas des traités. Neu- 
mann cite comme exemple l'acte par lequel, en 1833, 
les puissances stipulaient de la maison Rothschild un 
prêt de 60 millions en faveur de la Grèce et se portaient 
garantes de Texécution de cette promesse. Un autre acte 
de même nature est intervenu, en 1885, entre les puis- 
sances et la même maison en faveur du gouvernement 
égyptien (1). 

Ces actes publics interviennent entre TÉtat et l'Église 
catholique, considérée comme association. Celle-ci ne 
jouit d'aucune souveraineté; ses membres restent sou- 
mis aux lois de leur souveraineté nationale. 

La conclusion du Concordat oblige le gouvernement 
à l'oxéculer, et non pas seulement à le promulguer 
comme loi de l'État, ainsi que l'a soutenu un auteur al- 
lemand. (A von Scheurl, ouvrage analysé par M. Rolîn- 
Jaequemyns, Rev. Dy^oit intern. 1873.) 

Mais le Concordat cesse d'être obligatoire dès qu'il 
devient contraire au Droit public de l'État qui l'a con- 
clu. Dans ce cas, le gouvernement peut librement le 
dénoncer. 

Après un changement de régime politique, le nou- 
veau gouvernement peut déclarer qu'il tient pour an- 
nulé le Concordat consenti par le régime précédent, et 
les États étrangers ne sont pas admis à critiquer cette 
conduite. 

De même le Concordat cesse de plein droit de s'appli- 
quer à la portion de territoire qui se détache de l'État 
pour faire partie d'une autre nation et vivre ainsi sous 



(1) Neumann, Éléments du Droit des gens^ Iraduci. RicdmatteD, { 24. 



RELATIONS DIPLO.VJATIQUES DU SAINT-SIÈGE 71 

une Constitution nouvelle. Ce principe a été admis pour 
la Lombardie, séparée de T Autriche en [1859; la Curie 
romainea également déclaré qu'elle ne reconnaissait pas 
au gouvernement allemand le droit d'invoquer le Concor- 
dat français pour nommer aux évêchés de Strasbourg et 
de Metz, et cette interprétation a été admise par la 
cliancellerie impériale en 1873 (1). Le Concordat de 
1827 pour les Pays-Bas serait également devenu inap- 
plicable à la Belgique à partir de sa séparation, lors 
même que la Constitution de 1831 n'eût pas établi la 
neutralité de TÉtat en matière contessionnelle (2). 

Le fait d'avoir conclu un Concordat ne dépouille pas 
un État de la faculté de régler par des lois les droits et 
les obligations de l'association catholique sur son ter- 
ritoire. La France avait le droit de faire les Articles 
organiques de 1802, et la Bavière de promulguer l'Édit 
de religion. 

L'Église catholique n'ayant pas de souveraineté, ses 
représentants ne sont pas des envoyés diplomatiques. 
11 n'existe pour les difl'crents États aucune obligation 
juridique de leur conférer des privilèges et des immu- 
nités; c'est là une question de Droit interne dont la 
solution dépend du régime constitutionnel du culte ca- 
tholique dans chaque État. 

11 n*existe non plus aucune obligation juridique pour 

(1) Hinschius, Kalolisches Kirchenrecht, H, p. 6M, n. 2. 

(2; Le gouvernement belge invoquait, non pas la séparation avec les 
Pays Bas, mais les dispositions de la nouvelle Constitution, pour soute- 
nir que le Concordat de 1827 était abrogé. Le Vatican n'admit pas tout 
d'abord cette interprétation, et retarda la désignation d'un évéque à 
Namur. disant qu'il attendait la nomination par le gouvernement, selon 
les termes du Concordat de 18i7.— V. La Belgique et le Vaticuji, publi- 
cation du gouvernement belge, introduction. 

il 



71 CHAPITRE PREMIER 



les États de se faire représenter auprès du pape. Celui- 
ci n'ayant aujourd'hui aucune souveraineté territoriale, 
les représentants des puissances auprès du Vatican ne 
sont pas des agents diplomatiques, et leur situation, 
quant aux privilèges et aux immunités, dépend du bon 
vouloir du gouvernement sur le territoire duquel réside 
le pape. 

Tout État peut rappeler son agent auprès du S. -S. 
sans être tenu de justifier d'aucun grief. Ce rappel peut 
résulter notamment de la séparation de l'Eglise et de 
l'État admise par la constitution d'un pays. 

5. — Pour nous, on le voit, toutes les questions 
qui se rattachent à la reconnaissance d'une souveraineté 
dans le pape sont des questions qui relèvent du Droit 
constitutionnel de chaque État. 

Mais, quelle que soit l'opinion qu'on adopte, il nous 
parait impossible do considérer les Concordats comme 
des traités. Prenons, en effet, le Concordat de 1801 : 
le gouvernement français se serait engagé par un 
traité perpétuel à nommer une certaine catégorie de 
fonctionnaires ecclésiastiques I Prenons le Concordai 
autrichien de 1853 : le gouvernement de ce pays se se- 
rait lié par un traité perpétuel à ne faire de lois ni sur 
l'enseignement, ni sur le mariage, ni sur la compétence 
des tribunaux en certaines matières, sans le consente- 
ment du Saint-Siège I Peut-on appeler traités et consi- 
dérer comme tels des actes par lesquels une part si con- 
sidérable de souveraineté serait concédée àunepuissance 
étrangère? Que serait-ce si nous avions pris comme 
exemple les Concordats avec les Républiques espagno- 
les : il y aurait des États engagés par traité à ne pas 
modifier l'impôt de la dîme ! 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SÀINT-SIËGE. 73 

Il n'y a d'ailleurs de contrats juridiques et de traités 
que ceux dont on peut apprécier la validité, contrôler 
la formation et déterminer la sanction sans sortir des 
limites du Droit. Tel n'est pas le caractère des Concor- 
dats. 

Peut-on, en effet, sans empiéter sur le domaine 
de la foi, décider que telle convention consentie par le 
pape (par exemple le Concordat de 1813) est con- 
traire aux préceptes de la religion? Un Concordat par 
lequel un pape abandonnerait complètement à un pou- 
voir séculier la nomination des évêques, serait-il ou 
non conforme aux dogmes et aux canons des Conciles? 
A plus forte raison, est-il impossible au jurisconsulte 
d'établir une sanction qui garantisse l'observation des 
Concordats. Faudra-t-il dire qu'avant 1870 un gou- 
vernement pouvait se venger de l'inobservation du 
Concordat par une guerre matérielle, et justifier ainsi 
les guerres religionis causa que Grotius condamnait 
déjà? 

On ne peut évidemment admettre que la force brutale 
des armes soit un moyen juridique de contrainte pour 
amener un pape à instituer unévèque, par exemple. De 
même, quel moyen de contrainte juridique donnerons- 
nous à l'Église contre PÉtat ? Faudra-t-il examiner si 
les excommunications ont été justement lancées contre 
les souverains et les gouvernements ? N'est-ce pas là le 
rôle exclusif du théologien ? 

L'Église reconnaît d'ailleurs implicitement que les 
règles du Droit des gens ne sauraient être appliquées 
intégralement à ses relations avec les puissances tem- 
porelles. Sans doute, elle invoque le Droit des gens 
quand elle proteste contre la violation des Concordats 



74 CHAPITHE: PRKMiER 



OU le rappel d'un représentant près le Saint-Siège (1). 
Mais a- t-elle jamais admis le principe de Tégalité juri- 
dique entre souverainetés, qui est la base des rapports 
internationaux ? En aucune façon. Sans parler des théo- 
logiens qui représentent les Concordats comme des 
concessions et des induits gracieusement accordés aux 
souverains par le Saint-Père (2), nous trouvons dans 
deux livres revêtus de l'approbation pontificale, et dont 
l'un est dirigé contra politicos nostri tempo» is déli- 
rantes^ la théorie romaine sur les relations diploma- 
tiques du Saint-Siège. Pour M. de Luise, comme pour 
le cardinal Soglia, l'Église est une société necessaria^ 
libéra^ supernaturalis, ayant le droit de posséder des 
biens en tout lieu, d'enseigner, de juger, de punir, d'in- 
lliger des peines. Le pape, chef de l'Église, a le droit 
d'interdire la lecture des mauvais livres, le droit de 
légiférer, de percevoir des annates (Soglia). Tout obs- 
tacle apporté à l'exercice de cette souveraineté inté- 
rieure de la part des puissances civiles est un abus de 
pouvoir que la raison condamne. L'Église, dans ses rap- 
ports avec les puissances temporelles, se sert des règle- 
diplomatiques, mais n'y est pas astreinte : « Diploma- 
tia igitur ecclesiaslica nec a jurepublico procedit^ nec 
cum illo identificatur^ sed hoc jus ipsa omnino eœce- 



(i) V. uoiamment la bullo de ratification du Concordat du 18 sept. 
1801; la dépêche du cardinal Antonelli, 19 juillet 1850; allocution ponli- 
llcale du 26 juillet 1855, et les différents textes cités. par M. Horoy, op. 
cit. y n, p. 507, note. 

(2) V. en ce sens Libcratore, Suarez et Tarquini, cités par M.E. Olli- 
vier, Manuel, p.503. — V. aussi Deux questions sur le Concordat de iSOi, 
pai-M. de Bonald, juge au tribunal de Rodez, et G. de Luise, op.cit,,, 
p. 505. sq. 



RELATIONS DIPLOMATIQUES DU SAINT-SIÈGE. 7» 

dens eœplicaty dirigit, et sua sanciione confirmât (1). » 
Le pape ne traite donc pas d'égal à égal avec les sou- 
verains. Il leur envoie des nonces et des légats munis 
d'un pouvoir juridictionnel, et sa diplomatie tend à 
assurer leur bonheur céleste : t Ecclesiasiica diplo- 
matia ita definiri polest : Scientia supremi juris 
Ecclesiœ catholicœ relationes civilium societaium 
cum suis canonibiis concordandi, ut societates pacifico 
et prospéra cursu ad beatitatis œternœ tenninum 
iter proficiendo percurrant (2). • 

Peut-être opposera-t-on que ce sont là des théories, 
un idéal, et que dans la pratique la Cour de Rome se 
comporte selon le Droit international ? Cette objection 
ne serait pas fondée. 

Le Saint-Siège n'a. renoncé en aucune manière aux 
textes par lesquels il a affirmé son droit de contrôle 
sur les actes de la souveraineté intérieure des États. 
Prenons pour exemple le pouvoir de juridiction des 
nonces et des légats. Une lettre du sous-secrétaire d'É- 
tat de Sa Sainteté au nonce apostolique à Madrid, du 13 
avril 1885, rappelle les principes du Droit canonique en 
cette matière et ajoute : « Mais est-il vrai que le S. -P. 
ne donne à ses nonces qu'une mission purement diplo- 
itiatique, sans aucune autorité sur les pasteurs et les 
fidèles des États auprès desquels ces nonces sont accré- 
dités? Est-il admissible que le S. -P. envoie ses nonces 
de la même façon que les gouvernements civils leurs 
ministres et leurs représentants ? Par les brefs qui les 
concernent et par leurs instructions, on peut, au con- 



(I) G. de Luise, op. r.7. p 3. 
(i) /6/rf., p. 4. 



76 CHAPITRE PREMIER 



traire, se convaincre que la mission confiée aux nonces 
apostoliques n'est pas purement diplomatique, mais 
autoriialive quant aux fidèles et aux matières reli- 
gieuses (1). » 

De même, par des exemples récents, la papauté a 
prouvé qu'elle revendiquait le droit d'annuler les lois 
contraires, non seulement au texte d'un Concordat, mais 
encore aux privilèges généraux que l'Église réclame. 
Le gouvernement sarde ayant proposé une loi sur les 
couvents, le pape, dans l'allocution du 22 janvier 1855, 
la déclare 9 nulle et sans valeur ». Une autre allocu- 
tion, du 27 septembre 1832, annule aussi des lois de la 
Nouvelle-Grenade. N'est-ce pas un acte de souveraineté 
intérieure que d'annuler des lois régulièrement portées, 
et. par conséquent, n'est-ce pas réclamer une part de 
souveraineté ? 

L'Église ne reconnaît pas d'ailleurs qu'elle soit à l'é- 
gard des peuples catholiques dans la situation d'une 
puissance étrangère. Le Saint-Office a, en 1624, jugé 
scliismatique et hérétique la proposition suivante : 
« Lorsque des Pontifes adressent leurs constitutions 
dans des contrées soumises à la domination des autres 
princes, ils portent des lois pour un territoire étranger, 
in territorio alieno. » Cette sentence a été approuvée 
par des papes infaillibles (2). 

Mais alors, si l'Église déclare qu'elle n'est pas dans 
la situation d'une puissance étrangère, si elle se place 
elle-même dans le Droit public interne de chaque État, 
comment pourrait-elle être admise à invoquer en même 



(1) V. texte de cette lettre, E OUivier, Manuel, p. 49). 
(2> Horoy, op. cit., I . 



RELATIONS DtPLOMATlQUES OU SAINT-SIÈGE 77 

temps la protection du Droit des gens, à envoyer des 
ambassadeurs et à conclure des traités ? 

Ajoutons qu'il y a intérêt, selon nous, à écarter 
rÉglise des relations politiques entre les États, et des 
congrès internationaux. 

L'histoire enseigne, en eflet, que le régime concorda- 
taire n'a jamais servi la cause de la liberté. Trop sou- 
vent le sacrifice total ou partiel des libertés publiques 
a été le prix dont l'État a payé l'appui que lui apportait 
l'influence religieuse. 

Ne serait-il pas à craindre que le même appui donné 
à la politique extérieure de certaines puissances, — 
même hérétiques, — ne fût récompensé par des avan- 
tages concédés au détriment de l'indépendance et de la 
souveraineté des autres nations ? 



CHAPITRE II 

Le Pouvoir Temporel 

PREMIÈRE PARTIE 

La Théocratie Romaine 

1. — Le pape, avons-nous (lit, est le chef suprême et 
infaillible de l'Église catholique. 

Jusqu'au 20 septembre 1870, il était en outre le sou- 
verain d'un État qui, en 18G9, comptait 723.000 habi- 
tants, répartis sur une surface de 12.000 kilomètres 
carrés. Une armée de 16.000 hommes, formée pour les 
deux tiers de déserteurs étrangers et de mercenaires, 
défendait ce territoire. Le budget présentait un déficit 
de trente à quarante millions. Comme chef d'État, le 
pape avait le droit de légation actif et passif, le droit 
de traiter, de faire la paix ou la guerre. 

2. — Cette distinction entre la suprématie religieuse 
et la souveraineté temporelle a toujours été faite par la 
diplomatie française. 

Elle a, au contraire, toujours été repoussée par la 
Cour de Rome. Celle-ci considérait les États soumis à 
sa puissance comme un domaine donné à l'Église ca- 
tholique par différents princes (et en particulier par 
Charlemagne), d'après « un dessein particulier de la di- 
vine Providence », pour assurer aux pontifes l'autorité 
et l'indépendance dont ils ont besoin (1). Rome a été 

(1) Allocution Maxima guidem, 9 juin 1862. 



80 CHAPITRE II 



clioisie à cet effet par saint Pierre parce que c< c'était le 
centre du monde antique et que Rome étendait sa 
puissance sur toute la terre habitée (1) ». 

Ce domaine est inaliénable. Ni le pape, qui prête 
serment de le conserver intact, ni les cardinaux, qui 
prêtent le même serment, ne peuvent Tamoindrir, car il 
appartient à TÉglise même : « Le pape ne peut con- 
« sentir à une abdication d* aucun genre y parce que 
« ses Etats ne sont pas sa propriété personnelle, mais 
« quHls appartiennent à l'Eglise 77iême, à Vavayi- 
« tage de laquelle ils furent constitués. » (Cardinal 
Antonelli au nonce à Paris, 29 février 1860.) — « // ne 
« dépend pas 2^lus du souverain pontife qu'il n'est au 
« pouvoir du Sacré-Collège de céder la moindre par- 
« celle du territoire de V Eglise. Le Saint-Père ne fera 
« donc aucune concession de cette nature; un con- 
« clave n'aurait pas le droit d'en faire; un nouveau 
« pontife n'en pourrait pas faire ; ses successeurs de 
« siècle en siècle ne seraient pas plus libres d'en 
a faire. » (Cardinal Antonelli au marquis deLavalette : 
dépêche à M. de Thouvenel, citée au Moniteur^ 1®*" mars 
1862.) 

Propriété perpétuelle de FÉglise, ce domaine est 
gouverné par son chef au même titre et de la même 
manière que les affaires spirituelles. 

Comme chef religieux, le pape exerce une autorité 
sans contrôle : auprès de lui se trouve le collège des 
cardinaux, son conseil habituel, qu'il peut toujours 
consulter sans y être jamais obligé. Il a le droit d'ex- 



il) Cardinal Grassclini, Rapport du pouvoir temporel avec la souve- 
>ià snirituêlle. 1864. n. 31. 



% — ^ — — — — ^ — — 9 g- 

raineié spirituelle ^ 1804, p. 31. 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 81 

communier ceux qui désobéissent à ses ordres ou vio- 
lent les préceptes de l'Église. 

Comme souverain temporel, le pape était monarque 
absolu; mais il avait toujours la faculté de demander 
l'avis du Sacré-Colle e. En réalité, les cardinaux pre- 
naient une part considérable au gouvernement des Etats 
de l'Église; ils avaient en 1869 trois ministères sur six, 
les quatre légations, les délégations ou préfectures, la 
présidence de la Consulte d'État pour les finances et 
d'un grand nombre de tribunaux supérieurs (1). L'essai 
de Constitution de 18i9 avait lui-même assuré leur pré- 
pondérance par l'institution d'une troisième Cbambre, 
exclusivement composée de cardinaux, qui délibérait 
secrètement sur les résolutions votées par les deux 
autres, et pouvait proposer au pape de les annuler. 
Enfin l'art. 9. 1 2, du Traité d'extradition conclu entre la 
France et les États Pontificaux, le 20 octobre 1859, assi- 
mile les cardinaux aux membres d'une famille régnante. 

Pour défendre leur domaine temporel, aussi bien que 
pour assurer l'obéissance aux règles de la religion, les 
papes se sont toujours servis de l'excommunica- 
tion, sans préjudice de la force matérielle « que l'É- 



(I) Pour tout ce qui a Irait à l'organisation intérieure des États du 
pape, voir : Almanach de Gotha. — M. Pujos, Législaiion civile ^ crimi- 
nelle et administrative des États pontificavr, 1869. — Mgr Dupanioup, 
La Souveraineté pontificale selon le Droit catholique, 1S60. — Dcbrauz 
de Saldapenna, Organisation adm. des Étatx de V Église, minwQXTO, remis 
parle nonce au gouvernement français, le 12 janvier 1863 : « On nous 
croit plus arriérés que nous no sommes », avait dit Pie IX à l'ambassa- 
deur de France ; et pour éclairer le gouvernement impérial, il lui avait 
fait remettre ce mémoire — Anvuairc des Detuc-MondeSy passim. — 
Mgr Pavy, évoque d'Alger, Esquisse d'un traité de la souveraineté tem- 
porellCy Alger, 1860. 



82 CHAPITRE II 



glisc a le droit d'employer ». (Syllabus, propos. XXIV.) 
Les foudres spirituelles étaient lancées contre les fau- 
teurs de révolutions et d'insurrections intérieures. Gré- 
goire XVI, en 1832, excommunia « eos omnes qui in 
civitaie Anconœ rebellionem et regiminis pontificii 
immutationempertentaverint, foverint, et disseminare 
non dubitaverint (1). En 1809 comme en 1870, le pape 
frappa d'anathème les souverains dont les troupes 
avaient violé le territoire pontifical. Parfois même, les 
censures spirituelles sont prononcées à l'occasion d'un 
litige international. Innocent XI, ayant résolu de sup- 
primer les franchises abusives dont jouissaient les am- 
bassadeurs étrangers à Rome et qui s'étendaient à des 
quartiers tout entiers, ordonna,le 12 mai 1687, l'excom- 
munication de quiconque prétendrait maintenir les fran- 
chises. Louis XIV refusa de céder; il envoya à Rome un 
agent diplomatique escorté de mille hommes armés; 
le pape traita l'ambassadeur comme un excommunié, 
ne voulut pas le recevoir et interdit l'église où il faisait 
ses dévotions (2). 

3. — Cette théorie mystique sur la nature de la sou- 
veraineté temporelle devait avoir pour conséquence né- 
cessaire de donner au gouvernement romain un carac- 
tère nettement théocratique. L'influence de la religion 
dictait en effet toutes les lois civiles, criminelles, admi- 
nistratives. Il fallait, par exemple, pour être avocat ou 
avoué, produire un certificat de baptême, de confirma- 
tion et de communion, prouver qu'on n'était pas enfant 
naturel, avoir « une conduite irrépréhensible au point 



(i) BuUarium nomamim, Grégoire XVI, 21 juin 1832. 
(2) H. Martin, ///»/. [rfe France, XIV, p. 79. — De Potier. Hist. du 
Christianisme, V, p. 231. 



LA THEOCKATIË ROMAINE 83 

de vue politique, religieux et moral (i) ».Pour voter aux 
élections communales établies par le moUi pronrio du 
16 sept. 1849, il fallait présenter un certificat de bonne 
conduite politique et religieuse délivré par le curé de 
la paroisse (2). La surveillance de la haute police (ou 
precetto politique), facilement prononcée contre les 
habitants suspects de libéralisme, comportait, au moins 
d'après les ordres donnés parle légat Rivarola en 1825, 
l'obligation pour le suspect de se confesser une fois 
par mois et de faire, chaque année, une retraite de trois 
jours dans un couvent désigné par l'autorité. C'était, 
comme on l'a dit, le confessional et les exercices spiri- 
tuels tombés au rang de mesures de police (3). Les au- 
torités pontificales empruntaient à l'Église jusqu'aux 
formes de langage propres aux actes religieux. Un car- 
dinal réformateur, regrettant cette confusion du tem- 
porel et du spirituel, s'étonnait qu'à l'occasion d'un 
droit d'octroi on invoquât « l'indignation du Très-Haut 
et des bienheureux apôtres Pierre et Paul (4) ». 

Dans cette organisation théocratique, il était naturel 
que le clergé fût le maître des différentes administra- 
tions (5), contrairement à ce qui existe en Russie et en 
Angleterre où l'Église et l'État ont le même chef, mais 



(1) M. Pujos, op, cil. 

(2) Circulaire du gouvernoment provisoire des Romagncs, 1*' nov. 
1859. 

\3) Ibid. et Gh. do la Varcniie, Le Pape et les Romagnes. Les prison- 
niers de guerre failspar les troupes pontifîcales sur les troupes de V.-E. 
on 1867 sont astreints à des exercices religieux. (Rev, des Diux-MondeSy 
15 mai 1886.) 

14) Cité par M. E. Ollivier, Le Pape est-il libre à RomeJ p. 53. 

(5) « L'Ktat pontifical est vrainieut l'État do l'Église, c'est pour l'Église 
qu'il a été constitué ; c*est lu, par-dessus tous les autres, lo véritable 



84 CHAPITRE II 



sont gouvernés par des autorités absolument distinctes ; 
c'est ainsi que le Czar prend conseil du Synode pour 
les afiaires religieuses, du Sénat pour les affaires tem- 
porelles (1). On opposait, sans doute, aux réclamations 
des puissances (qui se sont toujours efforcées, comme 
nous le verrons, de séculariser l'administration pontifi- 
cale) le chiffre minime des employés ecclésiastiques. Il 
n'y avait, paraît-il, dans tout le royaume, sur cinq 
mille employés environ, que 104 personnes en 1848, et 
243 en 18G1, qui fussent des prélats (2). Mais il faut 
ajouter que ces ecclésiastiques avaient les traite- 
ments les plus élevés, les fonctions les plus hautes, 
celles d'oii partent l'impulsion et la direction générales. 
Nous avons vu quelles dignités étaientoccupées par des 
cardinaux. De même, si nous prenons l'ordre judi- 
ciaire, nous voyons que le Tribunal de la Sacrée-Rote, 
Chambre d'appel en matière civile, est entièrement 
composé de prélats. Il n'en est pas autrement du 
Tribunal suprême de la Signature, formé de sept ecclé- 
siastiques présidés par un cardinal et dont les auditeurs 
et les référendaires eux-mêmes sont des prélats : or, 
en vertu du inotu proprio du 10 nov. 1834, cette Cour 



royaume très-cliréliou. Or, c'est le prelre qui représente l'Église, 
comme le soldat représente la guerre. — Le premier souci d'un gou* 
vernement de cette nature, c'est le gouvernement de la religion : or, la 
religion doit être représentée par ses ministi'es... Le pape comprouiet- 
ti*ait sa souveraineté, il compromettrait la religion, s'il acceptait la sé- 
cularisation absolue do son administration. (Kstjiunse d'un (raifê sur ia 
souveraineté tentporeUe, par Mgr Pavy, évè(iuo d'Alger, anc. profess. 
d'iiist. ecclés.) 

{{) Demombynos, Constitutions européennes^ 1, p. 464 sq. 

(i) Protocole u? ii des conférences de Gaëte eu 1849, Archives di- 
plomatiques» 1873, !2. — Annuaire des Deux-MondeSj 1861. 



LA THEOCRATIE ROMAINE 85 

a le pouvoirdisciplinaire sur tous les juges et tribunaux 
sans aucune exception. Qu'importe, après cela, le carac- 
tère laïque ou ecclésiastique des juges inférieurs ? 

Ajoutons que le Tribunal de la Sacrée-Consulte, chargé 
de juger les délits politiques, les attentats de lèse- 
majesté, rébellion, etc., se compose de douze prélats, 
et jamais régime ne fut plus sévère pour les crimes 
contre l'État qui étaient, aux yeux des juges, des crimes 
de lèse-divinité (1). 

4. — Quels étaient les résultats de ce régime théo- 
cratique? On peut, sans manquer à l'impartialité, en 
s'appuyant sur l'histoire et sur l'opinion unanime de lu 
diplomatie européenne, dire qu'ils étaient des moins 
heureux. 

L'insurrection était l'état normal des Légations. 
Pie IX le reconnaissait lui-même lorsqu'il répondait, en 
1860, à Napoléon III qui lui demandait d'abandonner les 
Romagnes : « Ces provinces sont, il est vrai, soulevées 
depuis cinquante ans (2) ; mais il y en a soixante-dix 
que la France est en révolution, et je ne crois pas qu'elle 
ait jamais voulu céder un pouce de terrain. » {Ann. des 



(1) En 1851, les libéraux avaient résolu dans toute Tltalie de ne pas 
fumer afin de diminuer les recettes du fisc à Modène, Parme, Naples, 
Milan et Rome. — Le Tribunal de la Sacrée-Gonsulte, préside par 
Mgr Antonio Sibila, condamna, le 20 mai 18ol, le mercier P. Ercoli à 
vingt ans de fers pour « avoir empêché un de ses camarades de fumer 
par esprit d'opposition politique ». Ann. des Deiu-Monde, 185o-56, p. 
26i. — Le môme Tribunal condamna, le 13 juin 1851, & iO coups de fouet 
Maria Biagi de Castelletto pour « avoir injurié des fumeurs paisibles ». 
Journal de Rome, 13 juin 1851. — Pour venir à bout do la même cons- 
piration, le duc de Modène avait ordonné à ses soldats de fumer. Ann, 
des Deux-Mondes. 

(2) Elles faisaient partie des États pontificaux depuis 1814. 



86 CUAPITKË 11 



Deux-Mondes, 1860.) Étrange comparaison, pnisqu'au- 
cune do nos révolutions n'a eu pour but, et aucun de nos 
partis n'a pour programme, d'ériger quelques provinces 
en gouvernement séparé, ou d'appeler un souverain 
étranger au trône de France ! 

D'incessantes rébellions (1), suivies de cruelles répres- 
sions (2), l'état de siège et la loi martiale devenant le 
régime habituel du pays (3), la nécessité constante pour 
le pape de demander contre ses sujets la protection 
de l'étranger (4), la déchéance du pouvoir temporel 
votée en 1849 à la Constituante romaine par 120 voix- 
sur 142 votants, prouvent suffisamment que les su- 
jets du pape ne pensaient pas, avec M. de Maistre, que 
le gouvernement pontifical fût une « administration 
douce, décente et paisible », ni, avec Pie VII, (prœ- 



(1) Les principales insurrections furent celles de 1823 & Ravcnne ; de 
1831 et 1832 dans les Romaines ; de 1844 dans les mômes provinces; de 
1840 à Ancône, etc.; de 1845 à Rimini ; de 1849 dans tous les États Pon- 
tificaux ; de 1859 dans les Romagnes, les Marches et TOmbrie. Des 
troubles avaio:it li3u presque chaque année à Bologne, Âncùuc, 
Viterbe, etc. — V. Lesur, Annuaire historique y années citées. 

(2) En particulier, massacres do Césène et de Forli, en 1831, avoués par 
la Cour de Rome qui les appelle « triste accident ». — Déportation, en 
1856, des condamnés politiques au Brésil. — Massacre de Pérouse par 
les Suisses, le 20 juin 1859: 22 tués, femmes, enfants ou vieillsu'ds, 
7 blessés. — V. Lcsur, Annuaire histonque q{ Annuaire des Deux-Mondes^ 
années citées; Massimo d'Azeglio, /, Casi di Rimini, 

(3) Cavour, dans la note du 27 mars 1856, constate que l'état de siège 
et la loi martiale sont en vigueur dans les Légations depuis 1849. Ils n'y 
furent supprimés qu'en 1857 et rétablis aussilùt api-és. 

(4) Intervention autrichienne de 1831 et de 18J2 ; de 1832 à 1838 oc- 
cupation française et autrichienne; 1849, intervention française, autri- 
chienne, espagnole et napolitaine; de 18i9 à 1859, occupation autri- 
chienne des Romagnes ; occupation de Rome par les Français, 1849- 
1866 ; intervention de la France, 1867. 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 87 

mium de motu proprio du 6 juillet 1816) qu'il pré- 
sentât c un modèle de législation >. 

Il convient d'ajouter qu'il y avait à l'avènement de 
Pie IX deux mille exilés, proscrits, ou condamnés poli- 
tiques, sans compter des milliers de c suspects publi- 
quement notés comme tels, auxquels dès lors tous les 
emplois les plus infimes étaient interdits. En 1856, 
après une amnistie, sous un souverain plus clément 
que Grégoire XVI, il restait encore 224 exilés et 338 
détenus pour crimes politiques, sans compter 59 con- 
damnés auxquels leur grâce n'avait été accordée qu'à 
titre temporaire et à condition de ne pas exercer leur 
profession (1). 

Les griefs des populations étaient principalement : 
L'absence de garanties constitutionnelles et même 
de stabilité dans la législation. Un simple motu proprio 
suffit à Pic IX pour abroger la Constitution qu'il avait 
lui-même octroyée à ses sujets. Il promit, au moins, 
devant l'Europe catholique assemblée à Gaëto, de leur 
conserver l'exercice des libertés communales : les élec- 
tions, instituées par le motu proprio du 12 septembre 
1849, furent interdites par une circulaire du 5 août 
1853 (2). Aussi les populations n'avaient-elles aucune 
confiance dans les édits réformateurs, sachant bien qu'ils 
seraient peu à peu abrogés par le même pape ou par 
son successeur ; 



(1) Gh. Gouraud, Rome sous le Pontificat de Pie IX» Rev, des Deux- 
Mondes, 1" jaiiv. 1852 — Anntuiire, i856. 

(2) De môme Léon XU abolit la plupart des réformes opérées par le 
motu proprio de 1816 dans Tadministratlon de la justice, et rétablit par 
exemple le latin comme langue officielle dans les tribunaux. 

12 



88 CHAPITRE il 



L'absence de toute liberté de conscience : un tes- 
tament n'est valable que s'il contient un legs à une 
communauté religieuse; — le tribunal du Saint-Office 
a le droit de poursuivre les blasphémateurs et ceux 
qui manquent à la messe; — le même tribunal a la sur- 
veillance des Juifs auxquels un décret de 1843 interdit 
de nourrir ou de loger des chrétiens, d*habiter ailleurs 
que dans les Ghetti, d'entretenir même des relations 
d'amitié avec les chrétiens, et auxquels il est ordonné 
de vendre leurs biens dans l'espace de trois mois. 
Rappelons à ce propos l'affaire Mortara (1858); 

La confusion et l'arbitraire qui régnaient dans l'ad- 
ministration de la justice. Au civil, 1869, après les ré- 
formes de 1832 et 1834, il y avait dix juridictions 
extraordinaires subsistantes : le pape seul, suppléé 
par son auditeur, a le droit de prononcer l'émancipa- 
tion, l'interdiction, de modifier ou annuler les testa- 
ments et d'ordonner l'aliénation des biens dotaux; — 
le tribunal delà fabrique de Saint-Pierre tientde Jules II 
le privilège de rechercher les legs pieux et d'en 
poursuivre l'exécution sans qu'on puisse opposer 
aucune prescription. — Au criminel, les commissions 
extraordinaires et la justice sommaire sont presque en 
permanence. Un simple légat, Rivarola, juge en 1823 
les habitants soupçonnés d'avoir pris part à l'insurrec- 
tion et prononce 508 condamnations dont 7 à la peine 
de mort, 13 aux travaux forcés à perpétuité, 100 à la 
surveillance politique^ 

L'absence de tout contrôle en matière financière (1); 



(i) L*uvis d3 la Consul to d'État pour les finances n'était pas obliga- 
toire. « Elle no procède que tous les six ans, en détail, à Tezamen des 



LA THEOCRATIE ROMAINE 89 

. . ■ ■ r 

Les vexations et les injustices de toute espèce 
infligées aux personnes soupçonnées d'idées libérales. 
Après la fuite des Autricliiens de Milan, en 1849, on 
trouva et l'on publia une correspondance officielle où 
Mgr Bedini, commissaire extraordinaire pontifical, 
demandait au feld-maréchal Radetzki, commandant les 
forces autrichiennes, lapermission d'incorporer dans ses 
régiments les vagabonds mal pensants ; le feld-maréchal 
refusa « pour ne pas gâter pa^ la contagion l'esprit 
exemplaire qui anitne l'armée de 5. M. Royale et Im- 
périale Apostolique ». En 1859, le gouvernement des 
Romagnes publia aussi les actes des autorités pontificales. 
Il en résulte, entre autres faits historiques, que des cen- 
taines de personnes ont été poursuivies, condamnées 
à l'amende ou à la prison, pour « légèreté, loquacité, 
idées erronées en politique, penchant pour les innova- 
tions, mauvaise conduite, versatilité politique, tiédeur 
dans leur attachement au gouvernement, tendance à 
avoir de mauvais principes (1)»; 

L'absence d'instruction pour les enfants et de car- 
rières pour les jeunes gens (2) ; 

Les exemptions et privilèges sans nombre de la no- 
blesse et de la prélature. Un tribunal, celui de l'Immu- 
nité ecclésiastique, a pour mission exclusive de veiller 
à ce que les personnes et les biens appartenant à 
l'Église soient francs et quittes d'impôts ; l'ecclésias- 
tique défendeur ne peut être assigné que devant un tri- 
dépenses ordinaires et obligatoires du budget ». Mgr Pavy, op. cit.^ 
p. 340. 

(1) Annuaire des Deux-Mondes, 1858-1859. 

■2) Gh. Gouraud, Rome sous leponlincatdo Pit3 IX, Rev. des Dnir- 
Mond€S^i"iiLn\\ 18î>i. 



90 CHAPITRE 11 



bunal ecclésiastique; la « Congregatio Lauvelana » 
est chargée crexaminer les causes qui concernent « les 
personnes privilégiées » (1); 

La résistance systématique du gouvernement à tout 
progrès, à toute innovation. Léon XII défendit la vac- 
cine; 9 vivent les chemins de fer! » et « éclairage au 
gaz! » lurent, pendant quelque temps, des cris sédi- 
tieux (2). Les papes appliquaient aux choses temporelles 
le principe posé par Grégoire XVI dans son Encyclique 
du 15 août 1832 que < TÉglise est ébranlée par quelque 
innovation que ce soit » ; 

L'impuissance de la police pontificale à réprimer le 
brigandage (3). Avant Tann^xion de 1791, Avignon était 
aussi un repaire de brigands (4)..Consalvi dut, en 1816, 
ordonner de détruire Sonnino, ville de 2.000 âmes, 
exclusivement habitée par des malfaiteurs. Les histo- 
riens citent une circulaire du gouvernement do Bologne, 
du 6 juillet 1833, prescrivant de n'arrêter les brigands 
qu'à la dernière extrémité « pour ne pas fatiguer les 
tribunaux et pour éviter de grandes dépenses au Tré- 



(1) M. Pujos, op, cil, 

(2) Meltcrnich, Mémoires, Vil, p. 412. Le premier chemin de fer fut 
inauguré le 7 juillet 1856 entre Frascati et Rome. 

(3) y. à ce sujet dépôchesde Blacas d'Aulps, ambassadeur de France, 
Hubaine, Le gouvernement temporel des papes jugé par la diplomatie 
française, p. 103, etc. — En 1856, au Congrès de Paris, lord Qarendon 
constate le défaut de sécurité dans les États romains. — V. aussi Lesur, 
V Annuaire des Deux-Mondes, et les actes publiés par le gouvernement 
des Romagnos. 

(4) V. Taine, Révolution,!!, p. 168 et les pièces citées. «Moyennant une 
faible rétribution qu'ils (les mauvais sujets de la France, de Tltalie et de 
G on es) donnaient aux agents du pape, ils en obtenaient protection et 
impunité. » 



LA THEOCRATIE ROMAINE 9i 



sor (1) •. — « Plus que les canons italiens qui firent la 
brèche à la Porta Pia, disait le garde des sceaux à la 
séance du 11 fév. 1871 do la Chambre des députés ita- 
lienne, l'asile que les brigands des provinces méridio- 
nales trouvaient dans les riches provinces pontificales 
porta le dernier coup au pouvoir temporel et fut une des 
plus puissantes causes de sa chute ; 

Enfin l'appui que les adversaires de l'unité italienne 
ont toujours rencontré à Rome (sauf dans les premières 
années du pontificat de Pie IX) et la faveur avec la- 
quelle les princes dépossédés y étaient accueillis. — 
c Le Saint-Siège, écrivait Napoléon III dans sa lettre à 
M. de Thouvenel du 20 mai 1862, est entouré des 
adhérents les plus exaltés des dynasties déchues, et cet 
entourage n'est point fait pour augmenter en sa faveur 
les sympathies des peuples qui ont renversé ces dynas- 
ties. » — « A peine l'unité de l'Italie était-elle faite, 
disait M. J. Simon au Corps législatif le 3 déc. 1867, 
que les plus importants parmi les souverains déchus et 
les ennemis de l'unité italienne venaient chercher 
refuge à Rome... Rome-est immédiatement devenue le 
Coblentz de l'Italie moderne (2). i 

5. — Les sujets du pape voulaient donc modifier pro- 



(!) Edg. Quinet, La Question romaine. — Ann, des Deux-Mondes, 
1858-59, p. 273. - Lcsur, Ann., 1858, p. 501. 

(2) « n faut éteindre à Romo un foyer permanent de conspirations et 
d'intrigues contre Tcxistence de Tltalie et contre ses institutions. » 
(Mancini, discours & la Chambre des députés, 17 août 1870.) — « Rome, 
disait le général Menabrea au Sénat, 5 déc. 1864, est le centre et le rendez- 
vous de tous les conspirateurs contre Tordre de choses actuel ; de ses 
murs sont parties et partent peut-être encore ces bandes sanguinaires 
qui portent la désolation dans les provinces voisines. » 



92 CHAPITRE H 



fondement et améliorer leur gouvernement: ils y étaient 
d'ailleurs, comme nous le verrons, encouragés par l'Eu- 
rope tout entière. Mais voulaient-ils aussi renverser le 
trône pontifical, supprimer leur nationalité distincte et 
s'unir au royaume d'Italie? 

Cette question a été souvent discutée et les adversai- 
res de l'Italie nouvelle ont maintes fois accusé le gou- 
vernement piémontais d'avoir soudoyé et fomenté l'in- 
surrection dans les Romagnes comme à Naples, pour 
avoir un prétexte à envahir et annexer ces pays contre 
le vœu de l'immense majorité des populations. Les scru- 
tins de 1860 et de 1870 n'ont aucune valeur, dit-on, comme 
entachés de fraudes et de violence (1) ; ce qui montre 
les sentiments véritables des habitants, c'est leur atti- 
tude devant l'envahisseur : « Dès que les bandes s'éloi- 
gnaient, dit M. Rothan(2), l'autorité légitime était spon- 
tanément rétablie; la bourgeoisie demandait des armes 
pour soutenir la cause du Saint-Siège et Icssqiiadriglie, 
— paysans enrôlés, — rivalisaient de courage et de fer- 
meté avec les autorités régulières. » 

On pouvait cependant répondre pardes faits qui sem- 
blent prouver chez les populations des Romagnes la 
volonté d'échapper à la domination pontificale et de se 
joindre aux autres fractions de l'Italie. Ainsi Bologne, 
en 1859, après le départ des Autrichiens, malgré la pré- 
sence de 5.165 hommes de troupes pontificales dont 
1.200 mercenaires, se trouva indépendante sans coup 



(1) Voir notamment cardinal Anlonelli au nonce à Paris, 29 fév. 1860, 
et la lettre dePielX à Victor- Emmanuel, le 2 avril 1860. « Je m'abstiens, 
dit le pape, de demander l'avis de V. M. sur le suffrage universel, 
comme aussi de dire quelle est mon opinion sur ce suffrage.» 

(2) Relations de la France et delà Prusse, VU. 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 93 



férir, et rautoritédu S. -S. fut renversée sans que nul 
songeât à s'y opposer et sans qu'il y aiteubosoin, comme 
le disait notre ministre des affaires étrangères, le 12 fé- 
vrier 1860, € d'aucune excitation particulière (1) ». Un 
gouvernement provisoire avait alors surgi et le cabinet 
français ainsi que le cabinet anglais étaient obligés de 
reconnaître que ces pouvoirs improvisés avaient su 
maintenir Tordre et que « l'Italie avait offert un specta- 
cle qui, en surprenant les uns, avait forcé les sympa- 
thies des autres (2). i» Enfin, quand les habitants furent 
appelés au scrutin, une majorité (qui était presque l'una- 
nimité) acclama la patrie nouvelle. 

On a, il est vrai, accusé ce plébiscite d'être entaché 
de fraude et de violence : c'est, en Droit des gens 
comme en Droit interne, la ressource des minorités 
dont un vote brise les espérances. Mais qu'importe 
l'emploi € de toits les moyens dont les factions victo- 
rieuses peuvent se servir (3) b, quand on songe qu'à 
Bologne il y eut 21.000 suffrages pour l'annexion, et 
deux contraires; dans les Romagnes 200.000 oui et 244 
non; dans l'Ombrie 97.000 oui et 380 non; dans les États 
romains 133.000 oui et 1.500 non et dans les Marches 
133.000 oui et 1.200 non. Dira-t-on, avec la Cour de 



(1) A cet argument, le cardinal Antonelli répondait par un argu- 
ment ad hominem : « — Peut-être ne serait-ce pas aller trop loin que 
de penser que, si ailleurs on retirait tout à coup de la capitale la gar- 
nison qui la protège, il arriverait certainement quelque chose, comme 
à Bologne, sans qu'on pût déduire d'un tel fait que le gouvernement a 
été jusqu'alors mauvais ou que les gouvernants sont incapables. » 
( Cardinal Antonelli au nonce à Paris, 29 fév. 1860.) 

(2) M. Thouvenel, dépêche au marquis de Mousticr, 31 janvier 1860, 
Lord J. Russel à sir Hudson, 27 oct. 1860. 

(3) Cardinal Antonelli au nonce à Parîs, 29 fév. 1860. 



94 CHAPITRE II 



Rome, que ces votations ne peuvent nullement indiquer 
les désirs du vrai peuple^ parce que les cinquante-neuf 
soixantièmes des électeurs n'y prirent aucune part? 
Comment se fait-il alors que ces cinquante-neuf soixan- 
tièmes n'aient pas manifesté leurs désirs véritables 
quand la France envoya des émissaires pour engager 
ces populations à rentrer sous l'obéissance de leurs 
précédents souverains? Pourquoi MM. Reiset et Ponia- 
towski échouèrent-ils dans leur mission ainsi que le cons- 
tate M. Thouvenel dans sa dépêche du 31 janvier 1860? 

D'ailleurs, l'histoire l'enseigne, bien que les résultats 
d'un plébiscite soient souvent altérés par des manœu- 
vres frauduleuses, quand un conquérant consent à sou- 
mettre ses annexions au vote des annexés, c'est que les 
sentiments de ceux-ci ne peuvent être douteux. L'Alle- 
magne a-t-elle, en 1871, consulté les Alsaciens-Lor- 
rains dont elle occupait le territoire et qu'elle aurait pu 
chercher à intimider? N'a-t-elle pas difiéré l'exécution 
de l'art. 5 du traité de Prague jusqu'au jour où elle a pu 
Pefiacer? Nous considérons donc l'introduction des plé- 
biscites dans les actes du Droit des gens, à quelque 
critique que l'application puisse donner lieu, comme 
une grande idée, et la France, qui l'a toujours défendue 
et pratiquée pour la Savoie, pour Nice, pour l'île de 
Saint-Barthélcmy, a le droit d'en être fière. Les an- 
nexions qu'un vote populaire n'aura pas sanctionnées 
seront, aux yeux de tous, des faits de simple violence, 
de l'aveu même du vainqueur. 

Il nous semble, d'ailleurs, qu'après Texpérience de 
ces dix-huit dernières années, il n'est plus possible de 
contester le désir qu'avaient les populations des États 
romains de se réunir à l'Italie. 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 95^ 



Est-il vrai, en-effet, que depuis 1860 et 1870 aucun 
mouvement n'a eu lieu pour rétablir l'ancien état de 
choses? L'ordre le plus parfait n'a-t-il pas régné dans 
ces provinces, jadis si turbulentes? Le roi Victor-Em- 
manuel n'est-il pas entré dans Rome au milieu de la 
joie la plus vive ? La loi du recrutement et la perception 
de l'impôt rencontrent-elles plus de résistances à Rome 
qu'à Gênes, à Naples qu'à Venise? Déjà le 1 S avril 
1865, M. Rouher, ministre d'État, constatait devant le 
Corps législatif que l'impôt anticipé avait été payé avec 
empressement et que l'armée italienne issue du recru- 
tement avait une excellente attitude : il y voyait avec 
raison la preuve que l'unité italienne était sincèrement 
acceptée. Ne peut-on pas le dire avec encore plus de 
vérité aujourd'hui, dix-huit ans après que Rome est 
devenue italienne? Les faits ne semblent-ils pas signifi- 
catifs, quand on songe que les papes n'osaient pas con- 
fier leur sécurité à une armée indigène, et que la France, 
dans la Convention du 15 sept. 1864, stipulait expressé- 
ment pour eux la faculté de recruter des mercenaires, 
sans laquelle il semblait que le pouvoir temporel dût 
s'écrouler? 

Rappelons, en terminant, qu'il n'y a au Parlement 
italien presque aucun représentant de la nation voulant 
la restauration du pape : < Il ne s'est pas constitué de 
parti clérical en Italie, dit M. Laveleye (1), parce que 
tous les Italiens voulaient avoir Rome pour capitale, et 
que le haut clergé s'est montré hostile aux aspirations 
nationales. Chose presque inconcevable : dans la dernière 
Chambre, on ne comptait que trois représentants dévoués 

(1) L*absence dc'partis en Italie, Rev. Deux-Mondes, l"mai 1871. 



96 CHAPITRE U 



aux idées ultramontaines (I),etdans la Chambre récem- 
ment élue il n'y en a pas beaucoup plus. » Sans doute, 
la Cour de Rome a défendu à ses partisans de prendre 
part aux élections. Mais l'abstention est le subterfuge 
auquel recourent les partis pour dissimuler leur fai- 
blesse ; que si l'espérance de la victoire ou même d'une 
défaite honorable renaît pour eux, ils répudient bien 
vite une tactique aussi peu redoutable pour leurs adver- 
saires : l'histoire de l'opposition républicaine sous le 
second Empire le prouverait au besoin. 

6. — Détesté de ses sujets, battu en brèche par le 
mouvement unitaire , le gouvernement pontifical était 
encore sévèrement jugé par les puissances étrangères. 

L'Autriche a toujours soutenu le gouvernement tem- 
porel dos papes à partir de 1814. Or le prince de Mct- 
ternich, chancelier d'Autriche, qui, de 1809 à 1848, di- 
rigea les affaires étrangères et consacra toutes les forces 
de son pays à la défense de trône pontifical, écrit dans 
ses lettres soit à Apponyi, ambassadeur de Paris, soit 
à Lutzow, ambassadeur à Rome : « Le gouvernement 
pontifical appartient malheureusement à la catégorie de 
ceux qui sont le moins capables de gouverner ; — le 
désordre qui règne dans quelques-unes de ses provinces 
est, en majeure partie, sa faute et celle de ses agents. 
— «Le gouvernement pontifical ne sait pas gouverner; 
il ne sait même pas administrer une ville gâtée comme 
l'est Bologne. » — « Si la Cour de Rome entend si 
mal l'art de gouverner les peuples, le Cabinet n'est 
guère plus avancé dans celui de saisir les nuances. > — 



(1) C'est co qu'un député de la gauche appelait « la patrouille pon- 
tificale ». 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 07 

— « Nous connaissons trop la tendance des hommes 
influents à Rome, pour ne pas admettre que le parti qui 
y prédomine et qui est opposé è tout bon gouverne- 
ment n'hésitera pas à considérer... les derniers événe- 
ments comme autant de circonstances favorables à l'a- 
journement de toute mesure utile (1). » 

Après la fuite des Autrichiens de Milan, en 1849, 
on trouva une ioule de rapports d'agents autrichiens, 
qui tous sont très défavorables à la façon d'administrer 
et de gouverner du pouvoir^ pontifical (2). 

La diplomatie française ne s'est pas montrée plus 
indulgente. Dans un discours prononcé au Sénat, le 
l^ mars 1862, un orateur montrait tous les envoyés 
français, même quand ils s'appelaient le cardinal de 
Bernis, même quand ils représentaient Louis XIV, 
Louis XV, ou Louis XVIII, blâmer la méthode de gou- 
verner des papes (3). Le cardinal de Bernis conseille, 
quand on veut s'édifier à Rome, de fréquenter les 
églises et d'assister aux offices, mais de ne pas appro- 
fondir « ni les mœurs du pays, ni les procédés, ni la 
manière d'administrer la justice et de conférer des béné- 
fices et des places importantes ». Il va même jusqu'à 
dire que l'un des plus grands sacrifices qu'il puisse 
faire au roi, c'est de résider dans une Cour pareille. 
De Blacas d'Aulps, chargé d'affaires du roi Louis XVIII, 
écrit, le 4 mai 1816 : < Trois divinités puissantes, la 



(1) Mettcrnich, Mémoires, t. V, p. 315, 341, 343,325. etc. 

{%) V. Eugène Rendu, VAutnche dans la Confédéralion italienne , et 
les Extraits des Carte secrète e Atti uffiziali délia Polizia Austriaca. 

(3) V. Documents cités dans le Discours du prince Napoléon au Sénat, 
3 mars 1862. — Y. aussi Hubaine, Le Gouvernement temporel des papes 
Jugé par la diplomatie française, 1882. 



98 CHAPITRE II 



vanité, l'argent et la peur, gouvernent ce pays-ci 
depuis des siècles. Vous serez peut-être étonné que je 
ne traduise pas en chiffres ce que je viens de vous 
exposer; mais il n'y a pas de mal, si on ouvrait ici ma 
dépêche, qu'on y vît mon opinion. Il ne sert à rien 
ici de parler raison ; j'en ai sans cesse la prouve. > 
Bref, si l'on voulait résumer l'opinion de tous nos en- 
voyés, il faudrait emprunter à Lamartine sa définition 
du gouvernement romain : « Les vices de toutes les 
natures de gouvernements, sans leurs avantages, réunis 
dans un seul gouvernement (1). • 

Ajoutons que des Cabinets, dont les rapports moins 
fréquents avec la Cour de Rome garantissent encore 
mieux l'impartialité, partageaient cette opinion. Lord 
Palmcrston déclara aux Communes de 1856 que le 
gouvernement papal était arbitraire, tyrannique, pire 
que la démocratie même (2), et sir Russell écrivait 
dans sa célèbre note du 27 octobre 1860 : 9 Le roi des 
Deux-Siciles et le pape pourvoyaient si mal à l'admi- 
nistration de la justice, à la protection de la liberté 
individuelle et au bonheur général du peuple, que la 
chute de leurs gouvernements a paru à leurs sujets un 
préliminaire indispensable de toutes les améliorations. » 

Ainsi le gouvernement pontifical était impopulaire 
dans les provinces romaines ; celles-ci voulaient faire 



(1) V. aussi un extrait des Mémoires du cardinal Pacca , E. Clairin , 
Cléricalisme f p. 115. 

(2) Le même homme d'État disait en 1862 aux Communes : « Le Pape 
lui-même a intérêt à déposer ce pouvoir temporel dont ceux qui ront 
exercé en son nom et sous son autorité ont si misérablement abusé. » 
Cité par Mancini dans son discours à la Chambre des dcputés.du 28jan- 
vier 1871. 



LA THÉOCRATIE ROMAINE 09 

partie du royaume d'Italie; l'Europe constatait que le 
gouvernement du pape était contraire aux intérêts de ses 
sujets. 

Quelles règles du Droit des gens étaient applicables 
à cette situation ? 

Quelle a été la conduite des puissances étrangères 
envers les papes et leurs sujets ? 

C'est ce qu'il faut maintenant examiner. 






/ 



DEUXIÈME PARTIE 



Les interrentions étrangères. 



I 

Introdnetion 

t 

Il faut tout d'abord reconnaître que la théorie sur 
laquelle les papes prétendaient fonder leur droit de 
gouverner les États romains ne pouvait être admise 
dans les rapports juridiques internationaux, et devait 
être repoussée , comme elle le fut effectivement, par 
presque tous les cabinets européens. 

Dire, en effet, d'un État qu'il est un domaine, que ce 
domaine est la propriété d'une communauté religieuse 
et qu'il lui est nécessaire pour le libre exercice de son 
culte; affirmer que cet État est inaliénable parce que 
le souverain n'en est pas propriétaire mais seulement 
administrateur, c'est peut-être énoncer des principes 
théologiques, c'est à coup sûr contredire les règles élé- 
mentaires du Droit des gens. 

1 . — Et d'abord un État ne peut être la propriété ni 
d'une personne, ni d'une collectivité dont les membres 
sont répandus sur toute la surface du globe. 

La raison en est qu'un État est essentiellement une 
association d'hommes et qu'une association ne peut être 
objet ni de propriété ni de possession. Sans doute, à 
cette société un territoire est nécessaire pour qu'elle 
présente aux autres nations des garanties de responsa- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES iOi 

bilité, des caractères de permanence et de stabilité» 
Est-ce à dire pour cela que les habitants de ce ter- 
ritoire devront en suivre toutes les vicissitudes, comme 
des immeubles par destination, et recevoir la loi de 
toute personne physique ou morale à qui cette terre 
sera louée, donnée, vendue, hypothéquée, concédée à 
titre de fief, au gré de tous les caprices de la politique? 
C'est là une théorie qui, méconnaissant toute liberté 
et toute dignité humaines, date, dans le Droit des 
gens, de l'époque féodale. « Dans le régime féodal, la 
condition des personnes est subordonnée à celle do la 
terre ; la propriété et la souveraineté se trouvent con- 
fondues (1). » C'est grâce à cette doctrine que l'on vit 
des souverains léguer leur royaume, comme Charles II 
d'Espagne. Mais de pareilles aliénations ne sont plus 
admissibles dans le Droit moderne : les souverains et 
les gouvernements ne sont plus considérés, au moins 
dans les rapports internationaux (2) , que comme les 
représentants et non comme les propriétaires des 
États (3). 



[{) V. Dalloz, V Propriété, 3i. 

(2) V. quant à notre Droit interne, ibid., l'exposé des motifs de la loi 
relative & la propriété, par Portails : « L'empire qui est le partage du 
souverain ne renferme aucune idée de domaine proprement dit. » 

(3) V. Garnazza-Amari (II, p. 24), Droit international public. — On 
peut s'étonner de voir, dans les protocoles du Congrès de Berlin, qu'un 
plénipotentiaire turc a pu, sans soulever de protestations, dire & la 
séance du 26 juin 1878, à propos de la Bulgarie : « Le tribut représente 
le lien qui rattache la principauté à l'empire ; il est le prix du rachat 
de la sujétion directe . » Et Carathéodory Pacha faisait bien remarquer 
que le tribut ne représentait pas du tout la portion de la dette que la 
Bulgarie aurait à supporter : l'art. 9 du Traité de Berlin dit, en effet, 
que cette part de la dette entrera en ligne de compte dans l'évaluation 
du tribut. Or, un tribut ne saurait être légitime que s'il représente 



lOf CHAPITRE II 



• Un État n'étant jamais objet de propriété, TÉglise 
catholique ne pouvait posséder Rome et son territoire (!) . 
Elle aurait pu, sans doute, acheter ou recevoir comme 
donation dans une contrée quelconque et en se confor- 
mant aux lois du pays, soit des palais pour y mettre ses 
archives, y tenir ses assemblées et y établir le siège de 
son gouvernement, soit des biens fonds pour en jouir 
et en avoir les revenus. Elle aurait pu, dans ces domai- 
nes qu'on peut imaginer très vastes, employer un grand 
nombre d'hommes à des travaux de toute nature. Elle 
eût été ainsi propriétaire d'un domaine; mais elle n'eût 
pas été propriétaire d'un État. Le domaine serait resté 
soumis à la souveraineté de l'État dont il faisait partie ; 
les employés auraient gardé leur nationalité. Allons 
plus loin : supposons que l'État, usant de son droit, eût 
abdiqué sa souveraineté territoriale sur les terres ainsi 
concédées à l'Église catholique. Il se serait formé un 
nouvel État, dont le pape et les cardinaux auraient con- 
stitué l'autorité suprême ; mais ce nouvel État aurait 
toujours eu le droit d'user de sa souveraineté intérieure 
et de changer à son gré la nature de son gouverne- 
ment. 

Mais, dira-t-on, l'État primitif ne pouvait-il pas n'a- 
liéner son territoire qu'à cette condition expresse que 
le nouvel État restât perpétuellement sous le gouverne- 
ment direct des chefs de l'Église? Il ne le pouvait pas. 



exclusivement les dettes qu'un pays nouvellement formé peut avoir 
envers l'État dont il se sépare. 

(i) Contra : Metternich : « La capitale du monde catliolique appar- 
tient aux nations catholiques ; » et le ministre des affaires étrangères 
d'Espagne : « Les peuples catholiques considèrent Rome comme une 
propriété commune. » Lawrence, Commentaires, U, S75. 



LES INTERVENTIONS ÉTHANGÈRES «03 

Un État ne peut être créé sous condition résolutoire, 
parce que sa souveraineté et son indépendance seraient 
nulles , s'il dépendait d'un tiers de faire cesser son 
existence par la revendication. De même que la loi 
civile n'admettrait pas une émancipation conditionnelle, 
de même le Droit des gens condamne une abdication 
conditionnelle de souveraineté faite par un Ëtat en 
faveur de quelques provinces. Napoléon P' revendiqua, 
nous le verrons, les États pontificaux, sous prétexte 
que Charlemagne, c son glorieux prédécesseur », les 
avait donnés aux papes sous certaines conditions qui 
n'avaient pas été remplies. Quelle dignité, quelle sécu- 
rité y aurait-il pour les nations , si de pareilles théories 
étaient admises? 

2. — Un État ne pouvant être la propriété ni d'une 
communauté, ni d'un homme, ni même de son souve- 
rain, il en résulte que nul n'a le droit d'aliéner une par- 
tie de son territoire : il n'y avait sur ce point aucune 
différence entre le pape et les chefs des autres États. 

En principe, le territoire d'une nation est inaliénable 
comme tel, puisque nul n'en a la propriété. L'État peut 
seulement abdiquer son droit de souveraineté sur une 
portion de son territoire, soit volontairement, en 
échange d'une compensation quelconque, soit contraint 
et forcé par suite de guerre. Dans ces deux cas, toute 
annexion à une autre nation n'est valable qu'avec le 
consentement des annexés. Si cette condition manque, 
et que l'annexion soit exécutée de vive force, il en résulte 
cependant un état de fait dont le Droit international 
tient compte, de même que le Droit civil considère 
comme existants les contrats entachés de violence. 

Un Ëtat est toujours maître de déclarer qu'il ne con- 

13 



loi CHAPiïKK 11 



sentira aucune abdication de souveraineté, ou (pour 
parler un langage à la fois moins précis et plus com- 
mode) aucune aliénation de territoire. Il peut, à plus 
forte raison, mettre à la validité de ces aliénations telles 
conditions qu'il juge convenables. Notre Constitution de 
1793 (art. 121) ordonnait, par exemple, de ne pas faire 
la paix avec un ennemi qui occuperait le territoire et 
déclarait nulle par conséquent toute cession consentie 
dans ces circonstances. D'autres constitutions ont im- 
posé au chef de l'État le serment de garder intactes les 
frontières du pays ; telle fut chez nous la Constitution 
de 1804 : « Je jure, devait dire Terapereur, de mainte- 
nir l'intégrité du territoire de la République. » (Art. 53.) 
Les rois de France, avant 1789, prêtaient le nièmeser- 
ment à leur sacre. C'est une obligation de cette nature 
que divers actes, et en particulier une bulle d'Inno- 
cent XII (1), imposaient au pontife nouvellement élu. 



(1) Cette bulle, du 23 juin 1692, so trouve à sa date daus le Bullaire. 
Elle est signée par tous les cai^dinaux et par le pape ; les signatures sont 
précédées de cette formule « promit to, voveo et Juro ». Le titre en est : 
« Prxscrihitur modérai io servanda a pontifice in concedendis bortis 
ecclesiasticis suis consanguineis et affinibus, horumque loco adtectis; 
necnon modus in signandis gratiis per conressum ipso œgrotante. » Pour 
les concessa arrachés au pontife malade, elle exige, comme condition de 
validité, la signature de deux cardinaux. Défense est faite au pape de 
faire des libéralités à ses parents et alliés, à moins qu'ils ne soient 
pauvres et dans la môme mesure où le pape secourrait des pauvres qui 
lui seraient étrangers. Défense est faite aussi d'assigner aux cardinaux 
des rentes à vie dépassant 12.000 écus. Pour enlever un prétexte à des 
munificences déguisées sous le nom de traitements, Innocent XII sup- 
prime une foule de charges rétribuées. 

Tous les cardinaux doivent jurer d'obéir à cette constitution. Les 
futurs cardinaux jureront « in assumptione piiei »• Le serment sera 
répété au conclave en môme temps que les cardinaux jurent d'observer 
la Constitution do Jules II « De clectione romani pontificis », de Pie V«iV> 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 105 



Mais quel est l'effet de ces différentes dispositions? 
Est-il d'annuler les traités que les rois ou les papes 
peuvent avoir signés malgré les constitutions et les 
serments? Évidemment non. Ces règles légales ont 
pour but d'engager la responsabilité des souverains 
qui les violeraient en consentant des cessions de terri- 
toire. Mais l'ennemi qui use de sa force et n'invoque 
pas la Constitution, l'ennemi qui. moyennant une acqui- 
sition territoriale, a bien voulu ne pas pousser à leur 
extrême limite les conséquences de sa victoire, l'en- 
nemi ne peut être dupé et obligé de recommencer la 
guerre, peut-être dans des circonstances plus défavo- 
rables. 

Ici se présente la même situation que pour les capi- 
tulations militaires. La loi peut défendre aux généraux 
de capituler dans telles circonstances, par exemple en 
rase campagne (1), ou avant qu'il y ait brèche accessi- 
ble et praticable au corps de la place et qu'il y ait eu 
au moins un assaut (2). On peut même concevoir une 
législation qui obligerait à l'héroïsme et interdirait ab- 
solument aux chefs d*armée de capituler. Est-ce à dire 
que les capitulations consenties par des conmiandants 
au mépris de ces lois seront nulles, et que l'assiégeant 
devra remettre de nouveau les places à l'ennemi, si elles 
lui ont été livrées alors que le Code national le défen- 

civitates et loca S. R, E. infendentur », et de Sixto V « De pecuniisin 
arce S, Angelis posilis inde non amovcndis ». Enfin le pape nouvelle- 
ment élu devra prêter le même serment. 

Cette bulle est, on le voit, inspirée beaucoup plus par les abus du 
népotisme que par la crainte des aliénations en faveur de puissances 
étrangères. 

(1) Code français de juslire îniliiaire^ art. 210. 

(â) Décret 25-26 juiUet 1792. 



I 



106 CHAPITRE II 



dait? Gomment un ennemi pourrait-il entrer dans le détail 
de la législation du pays qu'il occupe et examiner la 
valeur juridique de la convention? N'est-il pas évident 
que le seul résultat de ces défenses légales sera d'entraî- 
ner lejugement et la condamnation de ceux qui les au- 
raient violées? 

Il en est de même des gouvernements auxquels la 
Constitution impose de ne consentir aucune aliénation 
de territoire. C'est à eux d'examiner s'ils doivent arrê- 
ter dans l'intérêt de leurs peuples l'effet de la violence, 
ou s'ils préfèrent rester fidèles à leur promesse, quelles 
qu'en puissent être les conséquences (1). 

Telle était précisément la situation des papes. Liés 
par leur serment, ils ont toujours protesté contre les 
aliénations qu'on leur imposait, comme Bonaparte, ou 
qu'on leur conseillait, comme Napoléon III. Mais l'his- 
toire conserve l'exemple du traité de Tolentino où un 
pape, c cédant à une violence irrésistible (2) >, abandonna 
une grande partie du territoire de l'Église. Le Saint- 



(1) Tout autre serait la solution & donner si la cession de territoire 
avait été consentie par un pouvoir incompétent, p. ex. par le président 
de la République seul, sous Tempire de la Constitution de 1875; le traité 
serait alors absolument nul, comme le serait la capitulation conclue, 
p. ex., avec un officier subalterne non autorisé. Mais encore faudrait- il 
qu'il y ait un texte précis ou une coutume certaine, et non pas, une pré- 
tention vague, comme celle des États généraux qui, sous le roi Jean !•' 
et sous François !•', considérèrent comme nulles des cessions territoriales 
accordées sans leur aveu. 

(2) Dépêche du Gard. Antonelli, 29 février 1860. — Dans une allocution 
en consistoire public du 4 septembre 1815, Pie VII, protestant contre les 
décisions du Congrès de Vienne, invoque la nullité du traité de Tolen- 
tino :1* parce qu'un traité fait à]a suite d'une guerre injuste contre un 
État faible et innocent est essentiellement nul ; 2^ parce que le reste des 
États pontificaux, ayant été envahi peu de temps après malgré les dis- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 107 

Siège no se trouvait donc pas, comme il le disait, au 
point de vue do Tinaliénabilité du territoire, dans une 
condition unique et anormale. N'étant pas propriétaire 
de ses États, pas plus que les autres souverains, le pape 
ne pouvait les aliéner ; mais il pouvait être contraint 
par la force à des abdications de souveraineté partielles 
ou totales que les constitutions de l'Église (nullement 
opposables aux nations étrangères) leur interdisaient à 
la vérité. 

3. — La nature du pouvoir temporel des papes était 
donc en tous points semblable à celle des pouvoirs 
établis chez les autres peuples. Elle se résumait, non 
pas en un droit de propriété ni même d'administration, 
mais en un devoir de gouverner et do représenter les 
Romains au mieux de leurs intérêts. 

Il en résultait pour ces populations le droit de modi- 
fier selon leurs désirs et leurs aspirations, au besoin 
même de changer la nature de leur gouvernement ; 
pour les nations étrangères, le devoir de ne pas inter- 
venir dans ces révolutions intérieures et de reconnaître 
tout gouvernement paraissant offrir des garanties de 
stabilité suffisantes. 

Toute association d'hommes a le droit inaliénable et 
imprescriptible de se donner telle forme de gouverne- 
ment qu'il lui plaît et de changer ses représentants, rois 
absolus ou constitutionnels, chefs d'État élus ou héré- 
ditaires, dictateurs suprêmes ou assemblées toutes puis- 
santes, aussi souvent qu'elle le croit utile et conforme 
à ses intérêts. Il n'existe, au point de vue du Droit 

positions du traité, celui-ci a été annulé par Tagresseur lui-môme. — 
V. aussi Protestation de Ck)nsalvi, même date. — (V. ces documents k 
leur date, Bull. Rom. Pie VII.) 



i08 CHAPITRE II 



international, aucun droit exclusif pour telle forme mo- 
narchique ou républicaine à représenter une nation : tout 
gouvernement doit être reconnu, tout gouvernement 
est légitime dès qu'il paraît durable. 

Ce n'est pas, en cflet, le Droit des gens qui crée les 
États et leur donne le droit à l'autonomie, pas plus que 
le Droit civil ne crée les hommes et ne leur confère 
le droit à la liberté individuelle. 

Le Droit privé constate l'existence des hommes, leur 
droit de se diriger selon leur volonté, de satisfaire leurs 
besoins et leurs désirs. 11 se borne à régler leurs rap- 
ports, à empêcher que l'exercice des facultés de l'un 
n'empiète sur la liberté de l'autre, que l'autonomie de 
Primus ne soit lésée par l'ingérence abusive de Secun- 
dus. Vainement celui-ci dirait-il et offrirait-il deprouver 
que Primus gère mal ses affaires, qu'il vaudrait mieux 
pour lui élever autrement ses enfants, placer ses capi- 
taux disponibles en rentes et non en biens fonds, exer- 
cer une profession manuelle plutôt que suivre une pré- 
tendue vocation artistique. Vainement allèguerait-il que 
l'exemple donné par Primus (celui de la prodigalité 
pour prendre une hypothèse) nuit aux familles de ses 
voisins. La loi répondrait que la liberté est, comme le 
disait la Déclaration des Droits de 1793, le pouvoir de 
faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui, et pro- 
tégerait, même par la force, la liberté du domicile de 
Primus contre toute invasion, et la liberté de ses actes 
contre toute violence. 

Il n'en est pas autrement pour le Droit international. 
Celui-ci constate l'existence des États, leur droit à l'au- 
tonomie, à la libre recherche de leurs aspirations, et 
au libre choix de leur gouvernement. C'est aux consti- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 109 



tutions intérieures des nations à déterminer les formes 
et les conditions dans lesquelles ce choix sera exercé. 
Bien plus, même quand le pacte fondamental d'un Ëtat 
est violé, même quand une révolution ou un coup d'É- 
tat improvise dos autorités en dehors de toutes les pres- 
criptions de la loi, mémo alors l(*s Cabinets étrangers 
doivent reconnaître ces autorités dès qu'elles semblent 
présenter quelques chances de durée. Peut-on savoir si 
la chute du gouvernement précédent et la destruction 
de l'ancienne constitution étaient ou non désirées parla 
majorité de la nation? Peut-on savoir s'il restait au 
peuple d'autres moyens de faire exécuter sa volonté que 
de recourir aux armes? Peut-on remonter ainsi de ré- 
gime en régime pour apprécier si le gouvernement ren- 
versé avait lui-même une origine régulière? Alors que 
l'exercice sûr et impartial de la justice politique est 
presque impossible à organiser dans l'intérieur des États, 
créera-t-on un aréopage international pour juger les 
révolutions? 

C'est là le principe de non-intervention, qui est, 
comme on l'a dit, la liberté individuelle des nations, 
principe que tous les États ont intérêt à maintenir et à 
faire observer pour sauvegarderleur propre souveraineté. 
« Si mon voisin force ma porte, non seulement j'ai le 
droitdo repousser son ingérence, maisj'aile droit, pour la 
réprimer, d'appeler à mon secours tout autre de mes voi- 
sins ayant un intérêt indirect, mais légitime, au maintien 
de la liberté de chaque personne et de chaque domicile. 
De même entre États : chacun chez soi, chacun pour 
soi, tous, au besoin, pour ou contre chacun, selon l'oc- 
casion (i). » 

(1) Duc de Broglie, Souvenirs : Le ministOre du 11 août. 



110 CHAPITRE il 



Ce principe a été solennellement proclamé par la 
France en 1792 (1), invoqué de nouveau par elle en 
1830 et en 1848 (2); il forme depuis cette époque l'une 
des bases essentielles de notre Droit public internatio- 
nal. Il est aujourd'hui reconnu par un grand nombre de 
Cabinets (3) et par la plupart des auteurs; quelques- 
uns de ces derniers admettent malheureusement des 
exceptions qui détruisent le principe lui-même en en 
justifiant par avance toutes les violations (4). 

4. — La suprématie religieuse dont un chef d'État 
est investi et le caractère théocratique de son pouvoir ne 
sont pas un obstacle au principe de non-intervention. 

Tout gouvernement définit lui-même la nature du 



(1) Exposé des motifs delà déclaration de guerre à T Autriche rédigé 
par Condorcct (22 septembre 1792) : a Chaque nation a seule le pouvoir 
de se donner des lois et le droit inaliénalable de les changer. Ce droit 
n'appartient à aucune autre ou leur appartient ù toutes avec une entière 
égalité : l'attaquer dans une seule, c'est déclarer qu'on ne le reconnaît 
dans aucune autre. » 

(2) V. entre autres, Discours du président du Conseil, 1" déc.lSdO, et 
du ministre de la guerre, S déc. 1890. — Manifeste aux puissances 
rédigé par Lamartine, 4 mars 1848. 

(3) L'Angleterre Tavait déjà opposé aux délibérations de Troppau, 
Laybach et Vérone ; les États-Unis ont interprété en ce sens la décla- 
ration de Monroê (1823) ; la Russie a protesté en 1836 contre la pres- 
sion exercée par le Congrès de Paris sur le roi des Deux-Siciles ; l'Alle- 
magne a maintes fois déclaré en 1871 n'avoir pas à s'immiscer dans le 
choix d'un gouvernement en France. 

(4) Pradier-Fodéré {Droit public international, I, p.567sq.) réfute vic- 
torieusement les opinions de Vattel, Marions, lleffter, Rossi, Fiore, qui 
admettent l'intervention dans des cas trùs favorables, p. ex. pour mettre 
fin à une guerre civile, pour délivrer un peuple d'une tyrannie insup- 
portable. — Nous examinerons plus loin les exceptions admises par 
Bluntschli. — Cf. contre le principe absolu de non-intervention, Louis 
Blanc, Histoire de la Révolution de 1848, ch. xii. — Constitution de 
1793, art. 118 et 119, peu en harmonie. 



LES LNTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 111 

pouvoir qu'il exerce, le titre en vertu duquel il le 
détient, Torigine qu'il lui attribue. De même que le 
chef d'une nation peut librement prendre les appella- 
tions qui lui conviennent (1), et se faire nommer roi. 
prince, empereur, grand-duc, protecteur, margrave, 
archiduc, électeur, de même il peut déclarer qu'il tient 
ses droits de la volonté nationale ou de la naissance, de 
l'élection populaire ou de la grâce divine, sans que les 
autres Ëtats soient admis à contrôler et à discuter ces 
théories. 

Le roi des États pontiGcaux, élu par les cardinaux, 
affirmait qu'il était souverain parce qu'il était pontife, et 
que, comme tel, il avait la charge d'administrer les 
domaines de l'Église catholique. 

L'Europe n'avait pas à apprécier cette théorie ; elle 
ne pouvait ni la blâmer ni l'approuver. Mais n'ayant 
pas qualité pour en apprécier le bien-fondé et pour la 
déclarer juridique, elle ne pouvait en tirer aucune con- 
séquence de droit; en particulier, elle ne pouvait en 
déduire que tout gouvernement romain fondé sur un 
autre principe serait illégitime et devrait être renversé 
par les nations étrangères. 

Pour prendre une comparaison, on peut imaginer 
que le propriétaire d'un domaine prétende, même après 
l'abolition du régime féodal, tenir ses titres non pas 
seulement de la loi, mais de telle ou telle tradition 
nobiliaire, Ihéocratique ou autre, et soutienne que ses 



(1) V.Garnazzû-Amari, I, ch.v, § 4. Jadis la question des titres, comme 
celle des préséances, créait de graves difficultés entre souverains. Le 
Pape ne reconnut le titre de roi de Prusse (qui datait de 1701) qu'en 
1786 ; la France ne reconnut le titre d'empereur de Russie (également 
créé en 1701) qu'en 1745, 



lit CHAPITRE U 



dosccndanls et lui ont seuls le droit de posséder cette 
terre ou ce manoir, inaliénables de leur nature. Qu'im- 
porte! Aux yeux de la loi, il n'y aura là qu'un proprié- 
taire par succession, vente, donation ou legs, et, si le 
domaine passe à une autre famille en vertu d'un juste 
titre, la loi reconnaîtra le nouveau propriétaire. 

0. — On a cependant affirmé que le devoir de non- 
intervention n'existait pas pour les difiérentes puissances 
de l'Europe envers les États pontificaux, et qu'elles 
avaient le droit de s'opposer, même par la force, à tout 
changement de régime dans ces États. 

La religion catholique, a-t-on dit. qui compte un 
grand nombre d'adeptes et qui est professée dans plu- 
sieurs États par la majorité des citoyens, a besoin d'un 
chef visible et libre qui maintienne runité de la foi (1). 
Elle ne le tient pour libre que s'il est souverain du pays 
qu'il habite. Cette conception est-elle juste ou fausse? 
L'État n'a pas le droit de le juger. Que les catlioliques se 
trompent ou non, ce n'est pas son affaire; Us sont invio^ 
labiés dans leur foi. On ne peut pas, sans violer la 
liberté de conscience, leur dire qu'ils ont tort de vouloir 
un chef hors du territoire qui maintienne l'unité de la 
doctrine et qui soit à la fois roi et pape. Les catholiques 
ont le droit de n'être pas froissés dans leurs convictions, 
et les puissances qui ont des sujets catholiques ont le 
devoir de veiller à ce qu'ils ne le soient pas (2). 



(1) Selon le cardinal Grassolini, Rapports du pouvoir temporel avec 
Vau'orité spirituelle, 1864, quatre conditions sont nécessaires pour que 
le pape puisse exercer son pouvoir d'une manière véritable et utile 
pour l'humanité : 1" la visibilité; 2<» l'autorité; 3« la puissance; 4« l'in- 
dépendance. 

(2) Cette théorie est éloquemment soutenue dans le Discours de 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 113 

En outre, les mêmes puissances ont un intérêt poli- 
tique considérable au maintien du pouvoir temporel. 
Le pape esl, en effet, investi, comme chef religieux, 
d'une autorité illimitée, rendue plus grande encore par 
la proclamation de Tinfaillibilité. < Il est, disait déjà 
Montalembert, le juge suprême, le tribunal en dernier 
ressort, organe vivant de la loi et de la foi catholiques. » 
Ses ordres sont respectueusement, aveuglément obéis 
par des millions d'hommes. Si le pape était le protégé, 
le sujet d'un roi ou d'un empereur quelconque, ne 
devrait-on pas craindre que son immense pouvoir ne 
fût mis au service du souverain qui le protégerait et 
pourrait lui donner des ordres? Au lieu de l'exercice 
libre et impartial d'une suprématie religieuse s'élevant 
au-dessus des préoccupations matérielles, et qui, selon 
l'expression de Bossuet, tenait la balance droite au 
milieu de tant d'empires souvent ennemis, les puis- 
sances devront redouter une action étroitement natio- 
nale, favorisant les intérêts, les ambitions, les rancunes 
du gouvernement italien, par exemple. 

Ainsi, l'intervention, qui se présente sous les aspects 
les plus divers, revêt dans cette circonstance une forme 
nouvelle; ou plutôt il n'est plus question d'intervention 
au sens propre du mot. Cliaque État doit défendre la 
liberté de conscience de ses sujets; en prenant toutes 
les mesures propres à atteindre ce but, ce sont ses inté- 



M. Thicrs au Corps législatif, 43 avril 1865. — ^ V. aussi, Discours do 
Montalembert, 30 novenibre 1849 : « Nous avons le droit de demander 
à la puissance publique, au gouvernement qui nous représente et que 
nous avons constitué, de nous garantir h la fois et notre liberté person- 
nelle en fait de religion, et la liberté de celui qui est pour nous la reli- 
gion vivante. » 



114 CHAPITRE I( 



rets qu'il protégé, sa mission qu'il accomplit et son 
devoir qu'il poursuit, même en pays étranger. 

C'est là cependant un singulier sophisme. 

Certes, la foi religieuse, quelle qu'elle soit, est inviola- 
ble, en ce sens que l'État est sans droit pour la discuter. 
L'État est un âne bâté en fait de religion, disait sous 
une forme familière un homme politique italien. Il n'a 
donc pas à discuter la théorie (1), chère à l'Église catho- 
lique, que le pouvoir temporel est nécessaire au libre 
exercice de l'autorité spirituelle du pape. Rien n*cst 
plus ridicule que de voir un empereur d'une orthodoxie 
douteuse déclarer la souveraineté matérielle nuisible à 
la religion « parce que Jésus-Christ n'a point jugé né- 
cessaire d'établir pour saint Pierre une souveraineté 
temporelle », et se vanter d'avoir replacé la religion 
€ dans son état de pureté évangélique » en la séparant 
de ce qui lui était nuisible (2) ! 

Bien plus, nous ne reconnaissons pas au jurisconsulte 
le droit d'examiner si l'existence d'un État pontifical est 
ou non utile à la religion. Nous ne discuterons donc 
pas avec Carnazza-Amari la question de savoir s'il y a 
incompatibilité entre l'exercice d'une souveraineté tem- 
porelle et la direction de l'Église, et avec Fiore, si la 
nécessité du pouvoir temporel est un « prétexte inventé 



(1) « Ce n'est pas un dogme, mais c'esl un enseignement de TËglise 
dont un catholique ne peut s'écarter sans témérité et sans scandale. » 
E. Ollivier, op, cit. — Syllabus^ propositions 75 et 76. 

(%) Discours de Napoléon !•' aux députés de Rome. 16 nov. 1809. — 
Discours d'ouverture de la session de 1809. — (Garden, op, cit., XH, p. 
161,164; XHI, 263.) 



LES INTERVENTlOiNS ÉTHANGÉUES 115 

par les papistes pour assurer dans leurs mains un scep- 
tre vacillant (1). 

Les principales autorités de l'Église catholique ont 
enseigné et enseignent que l'existence d'un État soumis 
au pouvoir du pape est désirable, utile, nécessaire dans 
l'intérêt de la religion. Nul n'a le droit de soutenir 
qu'ils comprennent mal l'intérêt de celle-ci. En ce sens, 
la foi catholique est inviolable. 

Faudra-t-il en conclure que tout État ayant des sujets 
catholiques devra, parce que la communauté romaine a 
manifesté une aspiration et exprimé un vœu, en pour- 
suivre la réalisation même par la force des armes, 
même au prix de guerres continuelles et d'exécutions 
militaires périodiques ? 

Le soutenir, c'est oublier que le Droit n'a pas pour 
but de mettre la puissance publique au service des pré- 
ceptes ou des doctrines d'une religion quelconque. C'est 
méconnaître que le Droit est une science ayant sa 
sphère propre, complètement séparée de celle des reli- 
gions, c La science allemande, dit Bluntschli, a cessé 
depuis longtemps de regarder à travers le prisme des 
confessions religieuses... Le Droit a également cessé 
d'être confessionnel. Hommes d'aujourd'hui, nous ne 
comprenons dans le Droit que ce qui est reconnu pour 
une condition générale et nécessaire de la coexistence 
humaine, et peut en même temps être obtenu par la 
contrainte (2).... » Pour exercer cette contrainte et 
obtenir de tous ses sujets une égale obéissance aux 

(1) Carnazza-Âmari, Droit international, I , p. 550. — Fioro , I, 
ch. V. 

(S) Bluntschli, De la responsabilité et de Virresponsahiliié dupapi dans 
le Droit intern. 



116 CHAPITRE U 



règles indispensables des associations humaines, TÉlat 
doit précisément s'afiranchir de la tutelle des théolo- 
giens, et garder la plus stricte neutralité dans les luttes 
entre les difiérentes Églises. Le Droit n'existe, à pro- 
prement parler» que quand il a su se dégager des pré- 
ceptes de la religion. 

Et d'ailleurs, dans quelle partie de la législation 
voyons-nous la loi, sous prétexte de liberté de cons- 
cience, sanctionner tous les préceptes des autorités 
ecclésiastiques ? 

La doctrine catholique, par exemple, enseigne que 
les pasteurs doivent pouvoir communiquer avec Rome 
et publier les Lettres apostoliques sans aucune per- 
mission préalable du gouvernement civil ; elle réprouve 
les appels comme d'abus, la surveillance des séminaires 
par l'État, l'égale tolérance pour tous les cultes (1). 
Notre Droit public admet-il ces principes ? 

Elle condamne le mariage civil, le divorce, la sup- 
pression du for ecclésiastique (2). Notre Droit civil lui 
donne-t-il satisfaction sur tous ces points? 

De même on Droit international. 

Le pape désire la possession de Rome et de quelques 
autres provinces, comme nécessaire à la liberté de sa 
mission spirituelle. A maintes reprises, il a déclaré que 
c'était le devoir des catholiques de faire la guerre pour 
le maintenir sur son trône temporel. 11 a énergique- 
ment condamné le principe de non-intervention (3). 



(1) Syllaàus, propos. 28, 41, 44. 46, 49, 77 et 78. 

(î) Ibid., propos. 66, 67, 71. 

(3) Le Hyllabus (propos. 62) met au nombre des erreurs coiicernaut 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 117 

S'ensuit'il que l'État soit, en matière internationale, 
obligé de satisfaire des aspirations qu'il ne peut réaliser 
dans sa propre législation ? L'adoption d'un pareil sys- 
tème obligerait les nations qui ont des citoyens appar- 
tenant à des confessions religieuses différentes à des 
guerres continuelles. La France , par exemple, déjà 
chargée de la protection desLieux Saints, devrait entrer 
en lutte avec l'Italie pour restaurer le pouvoir tempo- 
rel ; il lui faudrait aussi empêcher toute innovation à la 
Mecque, à Constantinople, pour complaire à ses sujets 
musulmans. 

6. — Une pareille doctrine aurait encore pour con- 
séquence de justifier d'incessantes interventions dans 
les affaires de plusieurs États, qui seraient destitués do 
leur droit à l'autonomie, et placés en dehors du Droit 
commun international. On créerait des États de main- 
morte qui seraient, comme les y^es sacrœ du Droit des 
gens, soumis au contrôle et à l'ingérence de toutes les 
nations ayant des sujets catholiques. Les conséquences 
de la doctrine que nous combattons seraient donc 
exactement les mêmes que celles de la théorie pontifi- 
cale de la propriété de l'Église sur les États romains. 
Ajoutons que l'intervention serait ici particulièrement 



la morale naturelle et chréllennc la proposition qu'on doit proclamer 
et observer le principe de non-intervention. 

Le prince de Broglie (La Souveraineté pontificale et la liberté) cons'i- 
dère comme une conception chimérique celle d'un État dans lequel 
l'Église tiendrait à sa discrétion le gouvernement auquel « il ne 
resterait d'autre fonction que de veiller en armes à la porte des con- 
sistoires et des conciles ». Le môme auteur trouve naturel que, sur Tin- 
vitalion des pouvoirs religieux, l'État livre dos guerres continuelles 
pour maintenir le pape à Rome. Où est la différence ? 



118 CHAPITRE il 



insupportable, parce qu'elle aurait pour but d'imposer 
aux Romains non seulement un régime déterminé, mais 
encore un régime théocratique. Or, d'habitude, les na- 
tions intervenantes cherchent à implanter chez les autres 
leur propre régime, celui qu'elles pratiquent, et consi- 
dèrent comme le meilleur. Ici, au contraire, on voudrait 
obliger les habitants des territoires de l'Ëglise à sup- 
porter à perpétuité un régime exceptionnel, anormal, 
tel qu'aucune puissance européenne , si catholique 
qu'elle fut, ne pourrait le tolérer. D'après ses défen- 
seurs eux-mêmes, le pouvoir temporel du pape ne peut 
se maintenir qu'en dehors des conditions ordinaires de 
tout gouvernement : c II doit exister sans armée, sans 
parlement, ni codes, ni tribunaux (1). > Dans un tel gou- 
vernement, la promulgation d'articles organiques, le 
monopole de l'Université, seraient le comble du malheur 
et du scandale (2). Au nom du pape, le cardinal Anto- 
nelli a déclaré à Gaëte que le ministère spirituel du 
souverain pontife était inconciliable, non seulement avec 
l'existence du régime constitutionnel, mais même avec 
rinstitution d'un corps quelconque investi du droit de 
voter ou de rejeter le budget (3). Il ne faut pas que les 
dépenses nécessaires à la propagande puissent être reje- 
tées par une assemblée nationale. Le pouvoir du pape 
doit être un pouvoir patriarcal (4), afiranchi de tout con- 
trôle, dirigeant surtout les consciences de ses sujets, et 



(1) La Guéronnièro, Le Pape et le Congrès, 1859. 

(2) Mgr Dupanloup, La Souv, poniif. selon le Droit catholiquefiHÔO. 

(3) Protocole 12 des conférences de Gaëte. —Disc, de Montalembert, 
Assemblée Nat., 30 nov. 1849. 

(4) La Guéronniéro, op, cit. - Mgr Pavy, op. cit., p. 303. 



LES INTEUVËiN riONS ÉTRANGÈRES 119 

subordonnant leurs intérêts au bien supérieur de la foi. 

De quel droit la France imposerait-elle à autrui des 
principes aussi contraires à son Droit public? 

De quel droit l'Espagne elle-même, dont Phillimore 
{International Law, II) constate la lutte énergique 
dans sa législation intérieure contre les prétentions pon- 
tificales, voudrait-elle forcer les Romains à n'avoir d'au- 
tre règle que les préceptes de TËglise ? 

De quel droit l'Europe entière réduirait-elle les ha- 
bitants des États romains à une situation qui serait dans 
les lois internationales ce qu'est l'esclavage dans les 
les lois civiles ? 

Pourquoi le fait d'avoir eu pondant des siècles un 
pape-roi pour chef, mettrait-il un État en dehors de la 
vie normale et du Droit commun ? C'est, sous une autre 
forme, dire avec le cardinal Bartolini que le duché de 
Rome, s'étant donné volontairement à la papauté, est 
devenu par cet acte de dédition volontaire un patri- 
moine consacré au culte, et qu'après cette dédicace à 
Dieu, il ne peut plus rentrer dans l'usage civil et com- 
mun. € En se soustrayant à la souveraineté du vicaire 
de J.-Ch., il se souillerait d'une horrible et sacrilège 
rébellion (1). » 



(1) Cité par M. E. Ollivier, Le Pape est-il libre à Borne? — V. auss 
Mgr Pavy, o/>. cit., p. 249 : « U y a plus qu'une erreur, il y a un 
Bacrilègo de doctrine à prclondre que les peuples des Etals romains 
peuvent opérer quand il leur plaît, par la révolte, leur séparation du 
gouvernement temporel de la Papauté C'est la substitution des prin- 
cipes de désordre aux principes d'ordre public. C'est la consécration de 
la révolte la plus odieuse. C'est la provocation au mépris, à la haine, 
à la spoliation des droits les plus sacrés. C'est le socialisme introduit 
dans la politique, c'est le rire de Satan traduit en axiome. ■ 

14 



<âa ciiAriTiiE II 



7. — Ces arguments théologiques ne pouvaient évi- 
doninientêtre invoqués par les hommes d'État modernes, 
et c'est sur le second argument exposé plus liant qu'on 
s'est surtout appuyé pour défendre les interventions à 
Rome. L'existence du pouvoir temporel, a-t-on dit, est 
une garantie pour toute nation catholique, parce que Tin- 
fluence considérable de la papauté n'est au service 
d'aucune puissance séculière. 

Pour que cette proposition fût admissible, il faudrait 
prouver tout d'abord que leur droit de souveraineté sur 
les États pontificaux assurait aux papes une indépen- 
dance complète à l'égard des puissances civiles. Or, 
bien loin de justifier cette opinion, c'est le contraire 
que l'histoire nous enseigne. 

Et d'abord la possession de certaines provinces ou 
de certaines villes par le Saint-Siège fournissait aux 
princes un moyen de contrainte, un gage facile à saisir, 
pour obtenir certaines concessions, même en matière 
purement spirituelle. Clément XIII, par exemple, était- 
il bien libre de ne pas supprimer les jésuites quand les 
Français s'emparaient du (]omtat-Venaissin, les Napo- 
litains de Bénévent et de Ponte-Corvo ? Faut-il rappe- 
ler qu'Avignon et le Comtat-Venaissin ont servi d'ob- 
jets de représailles aux rois de France en 1663, 1688. 
1768 ? 

Le pouvoir temporel n'aurait pu être une garantie 
sérieuse d'indépendance que si le pape avait été le 
souverain d'États ayant une grande étendue, et s'il avait 
pu faire respecter sa souveraineté par les nations 
étrangères, sans avoir besoin d'appui matériel. Or, 
depuis la Révolution, le pape a toujours été un prince 
protégé; protégé do Napoléon I^*" de 1800 à 1809, pro- 



LBS INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 121 



iégé de FAutriche de 1830 à 1848, protégé de la France 
de 1848 à 1870. En 1864, quand on voulut essayer de 
délivrer Rome de l'occupation étrangère, il fallut sti- 
puler pour le pape le droit de lever une armée de mer- 
cenaires, sans laquelle on sentait bien qu'il eût été 
chassé de ses États. Quand on parle du pouvoir tem- 
porel comme garantie d'indépendance, il ne faut jamais 
perdre de vue qu'il s'agirait de restaurer non pas l'au- 
torité d'un prince libre et souverain, mais celle d'un 
prince fatalement soumis à la protection de l'étranger. 
Si le pape résidant à Rome, capitale de l'Italie, peut ne 
pas sembler assez libre, par exemple aux Autrichiens, 
pourquoi le pape régnant dans Rome sous la protec- 
tion nécessaire des baïonnettes françaises paraîtrait-il 
plus indépendant dans l'exercice de son autorité aux 
populations allemandes ? 

Aucune des conséquences que devait amener dans 
l'ordre spirituel la seule conquête de Rome par l'Italie, 
s'il fallait en croire les défenseurs du maintien du pou- 
voir temporel, ne s'est produite. Ainsi^ selon Mgr Du- 
panloup, nul ne voudrait signer de Concordats avec le 
pape, si Ton pouvait seulement soupçonner derrière lui 
une influence étrangère (1). Or, si aucun Corcordat n'a 
été, croyons-nous, conclu depuis 1870, il en a été de 
même dans la période de 1862 à 1870, oii le pape était 
roi, et de plus, une convention, analogue à un 



(1) Mgr Dupanloup, La Souveraineté pontificale, selon le Droit Euro- 
péen. — Cf. les paroles souvent citées do Napoléon I" : « Le pape es* 
hors de Paris, et cela est bien ; il n'est pas à Madrid ou à Vienne, et 
c'est pour cela que nous tolérons son autorité... Ce sont les siccl s 
qui ont fait cela et ils l'ont bien fait. » Quelques années après, le pape 
était prisoQiiit^r de Napoléon I•^ 



us CHAPITRE U 



Concordat, a été signée entre le Saint-Siège et la Rus- 
sie en 1883. A Theure même où nous écrivons, des con- 
ventions de celte nature sont projetées entre le Saint- 
Siège et la Serbie, la Roumanie, la Prusse; des négo- 
ciations ont lieu, sans que les Ëtats co-contractants aient 
cru incompatible avec leur dignité de traiter avec le 
Souverain Pontife dépouillé de ses Etats. De même 
M. de Broglie écrivait : t Conçoit-on le sujet d'une des 
puissances de l'Europe traitant avec les souverains, 
recevant leurs ambassadeurs, accréditant des plénipo- 
tentiaires auprès d'eux (1) ?» Le pape a cependant 
exercé tous ces droits depuis 1870; il a même rempli 
l'office de médiateur entre deux souverains. Enfin le 
même auteur prévoyait que la chute du pouvoir tem- 
porel amènerait presque fatalement la dénonciation 
des Concordats existants; aucune nation n'a pensé 
qu'il y eut entre ces deux idées une corrélation quel- 
conque. 

Ce qui prouve péremptoirement que les États n'a- 
vaient aucun intérêt réel au maintien du pouvoir tem- 
porel, c'est leur attitude en 1870. Jamais conquête ne 
souleva moins d'émotion en Europe. Les puissances, 
comme le constatait Mancini dans son discours à la 
Chambre italienne du 28 janvier 1871, n'ont même pas 
iait entendre ces « protestations et ces réserves qu'a- 
mène tout changement territorial en Europe, et qu'on 
attend comme une formalité usitée et immanquable». 
L'Autriche répondit par un refus à la demande d'inter- 
vention du nonce; elle promit seulement d'intercéder, 
s'il y avait lieu, auprès du Gouvernement italien pour 

(1) A. De Broglie, La Souveraineté pontificale et la liberté. 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÊItES IÎ3 

oblenir le libre passage du pape à travers la péninsule. 
(Dépêches de Minghetti, de Vienne, 18 septembre et 
i6 octobre.) Le régent d'Espagne exprimait sa satisfac- 
tion pour l'issue des choses à Rome, le chef du cabinet 
insistait seulement, au nom de sa patrie, justement iière 
d'un titre joint à la couronne d'Espagne, pour obtenir 
l'affirmation que le Souverain Pontife serait absolument 
libre et indépendant quant à l'exercice de son autorité 
spirituelle. La France, par une déclaration du ministre 
des aOaires étrangères du 12 septembre (huit jours 
avant l'entrée des troupes italiennes à Rome) et par une 
note de son ambassadeur en date du 22 septembre 
(deux jours après l'entrée), donnait son adhésion à la 
chute du pouvoir temporel. La Suisse trouve suffisantes 
les garanties d'indépendance promises par le Gouver- 
nement italien. Le ministre des affaires étrangères de 
Belgique, qui est en même temps le chef du parti ca- 
tholique belge, dit au chargé d'affaires d'Italie que 
le pouvoir temporel n'est pas indispensable au Saint- 
Siège pour remplir sa mission dans le monde (1). Dans 
une dépêche du 8 nov. 1870 (citée par Phillimore, II, 
appendice), le ministre d'Italie à Bruxelles rend 
compte d'une conversation qu'il a eue avec le ministre 
belge : « Si l'Italie, dit le baron d'Anethan, a une 
question territoriale à régler avec le Saint-Siège, 
c'est là une affaire dans laquelle la Belgique n'a rien à 
voir. Personnellement, nous pouvons avoir les convic- 
tions qui nous conviennent, mais, comme gouverne- 



(1) Voir tous les documenls diplomatiques relatifs à Tattitude des 
puissances en 1870 dans Scaduco, Guarentigie PontifiHe. Turin, 1884. 



124 CHAPITRE II 



ment, la Belgique doit et veut rester neutre. » De 
même, le gouvernement bavarois, malgré les excita- 
tions du clergé, les processions, et les pétitions dont 
les signatures tenaient un rouleau de papier de huit 
mètres de long (1), prenait acte des déclarations du 
gouvernement italien, exprimait sa satisfaction que 
tout fut terminé presque sans effusion de sang, et affir- 
mait qu'il n'interviendrait pas dans les affaires d'Ita- 
lie (2). Le Portugal se bornait à exprimer quelques 
craintes sur les conflits futurs entre le roi et le pape. 
Seules, la Prusse et l'Angleterre gardaient une attitude 
plus réservée, tout en reconnaissant les faits accom- 
plis. La Russie déclare tenir pour corrects et irrépré- 
hensibles la conduite et le langage du gouvernement ita- 
lien; la Suède et le Norwège expriment leur sympa- 
thie. Enfin toutes les puissances ^ sans exception, y 
compris V Espagne et l'Autriche^ déconseillent au pape 
de quitter Rome, même avant le vote de la loi des ga- 
ranties. Quel est donc cet étrange t intérêt européen » 
au maintien du pouvoir temporel, qui se manifeste par 
l'adhésion unanime des États de l'Europe à l'annexion 
de Rome par l'Italie ? 

A la vérité, la plupart des gouvernements, surtout 
ceux de Belgique et d'Espagne, insistaient sur la néces- 
sité d'assurer le libre exercice du pouvoir spirituel du 
pape. Mais il y a là une question toute différente, et 
l'indépendance du Saint-Siège comme autorité reli- 
gieuse a été réclamée par les mômes hommes qui ont 
énergiquement combattu le maintien du pouvoir tempo- 



(1) Dùpôchos du ministre italien à Munich, Scaduto, op. cit., p. 71 
(%) Ibid., p. 7^. 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 425 

rel. Quinj»t. par exemple, dans son discours du 30 no- 
vembre 1848, où il protestait contre toute intervention 
on faveur du pontife-roi, ajoutait : « Autant que per- 
sonne j'approuve la protection morale do la République 
donnée au chef de la catholicité, au pasteur spirituel. » 
A la môme séance Ledru-Rollin affirmait son respect 
pour le prince spirituel, le dogme et la croyance. Le 
décret de la République romaine, en date du 9 fév. 1848, 
proclamait dans son art. 1 la déchéance du pouvoir tem- 
porel, et promettait dans son art. 2 les garanties néces- 
saires à l'indépendance du pontife dans l'exercice de 
son ministère spirituel. Entre ces deux idées, il n'y a 
donc aucune antinomie. 11 y a, au contraire, dans l'une 
el dans l'autre, un égal respect pour la liberté des po- 
pulations romaines et pour la liberté des croyances reli- 
gieuses. 

8. — Les puissances n'avaient donc aucun intérêt 
appréciable à maintenir, même par la force, l'autorité 
des chefs de l'Église sur le territoire romain ; mais ajou- 
tons que, le contraire fût-il démontré, leur devoir de 
non-intervention n'aurait pas disparu pour cela. Un in- 
térêt justifié ne dispense pas, en eflet, de respecter le 
droit d' autrui, sinon toutes les usurpations et tous les 
délits en Droit privé, toutes les oppressions et toutes les 
interventions en Droit international seraient légitimées. 
L'Autriche avait intérêt à maintenir dans toute l'Italie 
un régime despotique, afin de préserver sa propre con- 
stitution de la contagion del'exemple I Le roi de France 
avait intérêt, en 1827, à intervenir en Espagne pour 
rentrer dans le concert des souverains et pour éprouver 
la fidélité de ses troupes à la cocarde blanche I C'est tou- 
jours un intérêt propre et égoïste qui est le mobile se- 



Ii6 CHAPITRE II 



cret (lo toute i'itcrvention. Or, destituer un peuple de 
sa souveraineté, lui imposer à jamais une forme de 
gouvernement, c'est le réduire e:i esclavage, cl l'avan- 
tage de l'Europe entière ne justifierait pas plus la servi- 
tude d'un peuple, que l'intérêt de tout un peuple ne légi- 
timerait l'esclavage d'un seul homme (1). 

9. — Ainsi : 

Droit pour les populations soumises à l'autorité du 
pape de modifier librement leur gouvernement et. au 
besoin, de le changer; 

Devoir pour les nations étrangères de ne pas inter- 
venir et même d'empêcher les interventions; 

Tels sont les principes qui auraient dû inspirer 
la conduite de l'Europe dans la question romaine. 

Loin de les adopter, les gouvernements se sont cons- 
tamment immiscés dans les affaires intérieures de l'État 
romain, et c'est une longue suite d'interventions dont 
nous avons à faire l'histoire, en indiquant leurs causes 
véritables et les motifs prétextés. Après avoir étudié 
l'occupation française sous la première République et 
l'Empire (section I), nous exposerons : 

1° Les interventions autrichiennes de 1831 et 1832, 



{{] Vainement objecterait-on, avec Mgr Dupanloup, Souoîraineté port- 
i ficalff, l'exemple des Dardanelles neutralisées dans un intérêt curo- 
.pécn. n y a là une obligation de ne pas faire, au plus, une servitude 
réelle, qui n*est nullement comparable à la nécessité de garder pour 
oujours une forme déterminée do gouvjrnemjnl. Le mémo auteur cite 
l'exemple de la Colombie, privée d'un gouvernement parce qu'elle est le 
siège du pouvoir fédéral. Mais la Colombie fait V3bntairem3nt partie 
des États-Unis, et c'est le pouvoir fédéral, auquel participe la Colombie 
elle-même, qui a pris la décisiondont il s'agit. Il y a li\ une situation toute 
différente do celle d'un Etat auquel une ou plusieurs nations défendent 
1.3 librj .iXM'cic3 do sa souveraineté. 



LES INTERVKNTIONS ÉTUANGÈRIIS iî7 

et roccupation française d'Aiicône en 1832 (sec- 
tion II); 

2® La coalition de 1849 (section III) ; 

3® L'occupation française de Rome, de 1849 à 1870, 
et la Convention de 1864 (section IV) 

Section première. — L*occuiiaUon française de Rome sous la première 

République et l*Emplre. 

En 1796, la République française déclarait la guerre 
au pape et ordonnait au général Bonaparte de lui faire 
sentir la foi'ce de nos armes : € Tout ce qu'il y avait 
depatriotes sincères en France le désirait, dit M. Thiers 
(Révolution, liv. XXXIII) Le pape, qui avait anathé- 
matisé la France, prêché une croisade contre elle, et 
laissé assassiner dans sa capitale notre ambassadeur, 
méritait certes un châtiment. » 

Pie VI s'était, en effet, montré profondément hostile, 
non seulement à la Révolution, mais à la République 
française. 

Certes, il avait le droit, en tant que souverain tempo- 
rel, de protester comme il le fit contre l'annexion du 
Comtat-Venaissin à la France (1). Il avait le droit, en 
tant que pape^ de condamner la Constitution civile du 

(i) L'annexion de celle province à la France ne fut votée qu'apré*^ 
beaucoup d'hésitations, et un vote contraire par TAssemblée nationale, 
le li septembre 1791, sur le vœu répété des populations. Le décret 
établit le principe d'une indemnité en faveur de la Cour de Rome. — 
La protestation est du 5nov. 1791 (V. Bull. Rom., à sa date ; elle flétrit 
le décret de l'Assemblée* dite Assemblée nationale » et apprécie en ces 
termes la proposition d'indemnité. « Ajoutant les erreurs à l'erreur et 
la méchanceté à la méchanceté, l'Assemblée nationale a décrété que 
des négociations seraient ouvertes par le roi avec la Cour de Rome au 
sujet des compensations et de l'indemnité qui lui seraient dues. ■ Les 
négociations furent rompues. 



128 CHAPITRE II 



clergé, comme il le fit par la bulle du 13 avril 1791, et 
(le moTiIrer « quant merilo abhorrueril seynper Eccle- 
sia ah illis quia laïcO'um lurba et colluvione eligun- 
tur ». (Bull. Rom, à sa date.) 

Mais la France devait-elle supporter que le chef d'un 
Etat e'îlranger pût impunément empêcher notre ambas- 
sadeur d'arborer les couleurs nationales sur sa demeure 
et sur ses voitures, tolérât le meurtre de notre envoyé' 
et prononçât une allocution comme celle qui se trouve 
en français dans le Bullariwn, à la date du 17 juin 
1793? Dans ce document. Pic VI, parlant du jugement 
de Louis XVI, acte de souveraineté intérieure au pre- 
mier chef, critique la composition du tribunal, cite les 
ouvrages et les opinions de plusieurs émigrés, décide 
que le roi n'a été sacrifié que par une minorité légale 
de voix, appelle le vote de la Convention wn grajid for- 
fait, un crime, un assassinat, parle des nullités de la 
sentence, de la /i07ite et de Vinfamie que la France 
s'est attirées en refusant les honneurs rovaux à la dé- 
pouille. Le pape fait entendre que la France sera 
châtiée par les nations étrangères, et déclare qu'il 
poursuivra sans relâche la punition du crime, comme 
Clément VI poursuivit celle des meurtriers du roi de 
Sicile, André. L'allocution se termine par une invita- 
tion à assister, dans la chapelle pontificale, « aux obsè- 
ques publiques de S. M. Très Chrétienne, Louis XVI, 
roi de France. » 

Par la même bulle, le pape condamnait dans les 
termes les plus violents l'établissement du régime 
républicain en France (1). 



(1) « Après avoir abrogé la monarchie qui est le meilleur des gouver- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 12} 



Ces actes, vraiment contraires au Droit des gens, 
constituaient autant de provocations. l)ira-t-on que le 
pape a toujours le droit, comme gardien de la foi et delà 
morale catholiques, d'apprécier même les actes de sou" 
veraineté intérieure d'un pays, alin de les juger au point 
de vue des principes religieux et d'exhorter les fidèles 
à maintenir, à modifier, ou à renverser les gouverne- 
ments, selon qu'ils obéissent ou non aux préceptes de 
l'Église? 

Il faut alors, comme l'Autriche le proposait en 1797 
enfermer le pape dans un couvent et le dépouiller de 
toute puissance matérielle. Mais comment un gouver- 
nement pourrait-il supporter qu'un prince étranger, 
dont l'autorité spirituelle s'étend sur plusieurs mil- 
lions d'hommes, excite les habitants à la révolte, 
fomente une coalition de tous les États qui comptent 
des sujets catholiques, et fournisse à la conspiration 
intérieure et aux coalitions étrangères, une armée, des 
vaisseaux, de l'argent, et un territoire comme base 
d'opérations ? 

La France avait don: le droit de faire la guerre à 
celui qui cherchait à exciter contre elle la haine de tous 
les rois. Elle pouvait môme, si elle considérait leprince 



nciiicnts (Citation de Bossuol à l'appuij, la Convention avait transporté 
toute la puissance publique au peuple, qui ne se conduit ni par raison, 
ni par conseil, ne se forme sur aucun point des idées justos, apprécie 
peu de choses pur la véiité et en évalue un grand nombre d'après l'opi- 
nion ; qui est toujours inconstant, facile à être trompe et entraîné à 
tous les excès, ingrat, arrogant, qui se réjouit dans le carnage et l'effu- 
sion du sang humain, et se plaît à contempler les angoisses qui pré- 
cèdent le dernier soupir, comme on allait voir autrefois expirer les gla- 
diateurs dans les amphithéâtres romains. » 



130 CHAPITRE II 



de Rome (ainsi que l'appelait le Directoire, pour ne pas 
le qualifier de Saint-Père) comme un ennemi acharne, 
déclarer que l'abdication de Pie VI serait pour elle une 
condition sine quâ non de lapaix, et laisser ensuite aux 
populations romaines le soin de choisir tel prince ou 
telle forme de gouvernement qui leur conviendrait. Mais 
le Directoire eut le tort de ne pas distinguer soigneu- 
sèment entre le souverain temporel, qu'il avait le de- 
voir de mettre dans l'impossibilité de nuire, et le pon- 
tife, chef d'une religion, qui, comme tel, était en dehors 
du Droit international et des relations de souverain à 
souverain, dont la guerre fait partie. Suivant en ceci 
l'exemple donné par la Cour de Rome, le gouverne- 
ment français considéra la qualité de roi des États de 
l'Église comme l'accessoire de la fonction religieuse 
dont le pape est investi. Dans les instructions données 
à Bonaparte, on recommande au général de détruire 
f le centre d'unité romaine », parce que la religion ro- 
maine sera toujours l'ennemie irréconciliable de la Ré- 
publique « et de faire tous ses efforts pour abolir le 
gouvernement papal t soit en mettant Rome sous une 
autre puissance, soit, ce qui serait mieux encore, en y 
établissant une forme de gouvernement intérieur qui 
rendrait odieux et méprisable le gouvernement des 
prêtres (1). » On ordonna plus tard au général d'exiger 
la suppression du tribunal de l'Inquisition. 

Il faut blâmer ces instructions. Le gouvernement 
français avait le devoir d'assurer la sécurité de nos 



(I) V. le texte de cos instructions, Garden, Hist. des Traités de paix, 
VI. — V. aussi H. Martin, Hist. depuis 1789, H. — Thiers, Révolution, 
livre XXXIH. —Mgr Pavy, op. «7. 



LES INTEHVENTIONS ÉTRANGÈRES 131 

frontières et la dignité de TÉtat. Il n'avait aucune qua- 
lité pour détruire ou défendre une religion. Les reli- 
gions ne sont pas du domaine du Droit; elles relèvent 
des croyances intérieuresde l'homme ; elles ne sauraient 
être détruites par la force des armes. Comment s'éton- 
ner cependant que les puissances suivent l'exemple 
donu'. par les papes eux-mèm3s, qui ont toujours fait 
découler leur souveraineté temporelle de leur supré- 
matie spirituelle? Comment s'étonner que la religion 
reçoive alors tous les coups qui sont portés à l'État 
romain et à son prince? 

La campagne ne fut ni longue ni pénible. Nos troupes 
furent accueillies avec la joie la plus vive, non seule- 
ment à Bologne < où régnait un mépris profond des 
prêtres », mais encore dans les provinces « qui étaient 
restées dans la plus honteuse barbarie et étaient les 
plus mal administrées de toute l'Europe ». (Thiers, 
RèvoL, livre XXXIII.) Une suspension d'armes à des 
conditions très dures fut d'abord conclue (23 juin 1790). 
D'après les art. 4 et 10, le pape s'engage à livrer pas- 
sage aux troupes de la République, à fermer ses ports 
aux puissances en guerre avec la France, tandis que 
celle-ci pourra librement y faire entrer ses vaisseaux. 
Cette dernière disposition est reproduite par le traité de 
paix du 19 février 1797 par lequel Pie VI cède à la 
France Avignon, le Comtat-Venaissin, les Légations de 
Bologne, Ferrare et de la Romagne, le droit d'occuper 
Ancône jusqu'à la paix et tous les biens allodiaux appar- 
tenant au Saint-Siège dans les trois provinces. Une in- 
demnité de guerre et des réparations pour le meurtre 
(le Basseville sont stipulées, ainsi que la mise en 
liberté de toutes les personnes détenues dans les pri- 



132 GHAPITRK II 



sons pontificales à'cause de leurs opinions politiques(l). 
Aucune clause relative à la religioa ne se rencontre 
dans ce traité (2). De plus, le principe du pouvoir tem- 
porel était sauvegardé, malgré les instructions données 
à Bonaparte. Le signataire du traité pour le pape, le 
cardinal Mattéï, mandait à son souverain: c Le traité est 
signé... Les conditions sont dures et semblables eu 
tout à la capitulation d'une place, comme Ta dit plu- 
sieurs fois le vainqueur. J*ai tremblé jusqu'ici pour 
S. S., pour Rome et pour l'État. Cependant Rome est 
sauvée, la religion est sauvée avec tous les grands sa- 
crifices qu'on a faits. » Pendant ce temps, Bonaparte 
écrivait : « Mon opinion est que Rome une fois privée 
de Bologne, de Ferrare, de la Romagne et de trente 
millions que nous lui ôtons, Rome ne peut plus exister. 
Celte vieille machine se détraquera toute seule (3). » 



(!) V. Le texte delà suspension d'armes et du traité, Martens^flecMe//, 
Vi, 640 et 6«. 

(â) Le tribunal de 1 Inquisition lui-même ne fut pas supprimé. — Il 
parait que dans les premières propositions du Directoire, on demandait 
au contraire au pape entre autres conditions : l" de révoquer tous les 
brefs envoyés en France depuis 1789 ; 2» d'approuver le serment cons- 
titutionnel du clergé ; 3» de tolérer à Rome une imprimerie, unthéAtrc, 
un tribunal indépendant, le tout relevant du ministre de France; 4" d'ab- 
diquer la souveraineté temporelle qui serait exercée par le peuple et 
par un Sénat. — Mais Garden, op. cit , V, p. 388, en note, ne donne ces 
renseignements que sous une forme dubitative. 

(3; Documents cités par MgrPavy, o/>. cit. — V. aussi dansO' Meara, 
Napoléon en exilj II, p. 121, des jugements très sévères de Napoléon 
sur la Cour de Rome. 

On accuse ordinairement Bonaparte de duplicité dans ses négociations 
avec Rome. Y. l'opinion contraire dans un écrivain généralement hos- 
tile à la politique uapoléonieiine : Ë. Glairiu, Histoire du Cléricalisme, 
p. i8. 



LES IiNTERVENTiONS ËTUANGÈRES 133 

Le pouvoir leinporol devait cependant être détruit à 
brève échéance, non par une cause inhérente à sa fai- 
blesse intérieure, mais par les forces mêmes de la puis- 
sance qui l'avait laissé subsister, tout en le mutilant. 
Le Directoire n'avait traité qu'à grand'pcine avec 
le pape, sur les instances particulières de Carnot. Le 
meurtre du général Duphot, assassiné pendant qu'il 
défendait contre les troupes pontificales l'inviolabilité 
de l'ambassade, lui fournit un juste motif de rompre la 
paix. Les hostilités furent reprises. — Bonaparte n'était 
plus à la tète de l'armée d'Italie; il ne put sauver encore 
une fois le trône pontifical. Le 10 février 1798. Berthier 
entra dans Rome et occupa le château Saint-x4nge. La 
République fut proclamée. Le pape qui, durant trois 
jours, avait été laissé seul au Vatican, fut sommé d'ab- 
diquer la souveraineté temporelle; il refusa, alléguant 
« qu'il ne pouvait se dépouiller d'une propriété qui n'é- 
tait point à lui, mais à la succession des apôtres ». Le 
gouvernement français le fit conduire, « avec les égards 
dus à son âge » (Thiers), à Florence, puis à Valence où 
il mourut le 29 août 1799. 

La République romaine, organisée par une commis- 
sion que le Directoire avait choisie, dura jusqu'en 
1799 (1). Le conclave se réunit à Venise sous la pro- 
tection de l'empereur : après trois mois et demi de dé- 
libérations, le cardinal Chiaramonti fut élu, sous le nom 
de Pie VII, le 14 mars 1800. Quatre mois après, il fai- 
sait son entrée dans Rome, où nos revers de 1799 avaient 



(1) Sauf un intervalle de 17 jours, pendant lesquels Championnct 
fut obligé d'évacuer Rome devaut des forces napolitaines de beaucoup 
supérieures. 



134 CHAPITRE H 



permis aux Napolitains de restaurer le trône pontifical. 
Celui-ci ne fut pas renversé par la victoire de Marengo, 
mais on ne rendit pas les Légations au pape; les art. 8 
du traité de Campo-Formio et 12 du traité de Lunéville 
les déclarent réunies à la République cisalpine. Ces 
conventions ne parlent pas de Rome ; la France gardait 
sur ce point sa liberté d'action. Elle en usa pour détruire 
encore une fois le pouvoir temporel : le 2 février 1808, 
le général Miollis prenait possession de Rome au nom 
de Tempereur. 

Quels griefs avait Napoléon pour priver le pape d'une 
souveraineté qu'il avait sauvée à Tolentino? 

Si Ton étudie les deux rapports que le duc de Cadore, 
ministre des affaires étrangères, adressait à son souve- 
rain le 13 février 1810 pour préparer le sénatus-con- 
sulte d'annexion du 17 février; si l'on examine aussi la 
note remise le 3 avril 1808 au nonce du pape, et les 
considérants du Décret du 17 mai 1809, voici la doc- 
trine qui se dégage de ces documents : 

Charlemagne fit donation, à titre de fief, de diverses 
contrées aux évèques de Rome. Les motifs de cette do- 
nation étaient à. la fois l'intérêt de la religion et l'inté- 
rêt des peuples de l'Empire. Or, d'une part, la confusion 
dans une même personne du pouvoir temporel et de la 
suprématie religieuse n'a fait que nuire à la religion; 
d'autre part, Pie VII se montre hostile envers Napoléon, 
successeur de Charlemagne. Celui-ci a été obligé de 
prendre des mesures pour la sécurité de son empire; un 
ordre mal interprété et que l'empereur regrette (1) a 



(i) « Je suis fâché qu'on ait arrôlê le pape», écrit l'empereur, de 
SchœnbruQii, le 6 juillet, a Fouchéi ministre do la police. « C'est uuo 



LKS INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 133 

mémo fait éloigner le pape de Rome ; il en résulte que 
SCS domaines, c faibles débris de l'Empire de Charlema- 
gnc », sont en la possession de celui qui a « rétabli son 
trône ». Faut-il restaurer l'autorité pontificale et « re- 
nouveler une donation funeste à la race même de Char- 
lemagne », ou réunira la France ce qui en fut jadis 
séparé? Le rapport conclut naturellement en faveur de 
cette dernière solution. 

Nous ne nous arrêterons pas à discuter longuement 
cet étrange raisonnement, œuvre d'un courtisan plutôt 
que d'un jurisconsulte, en vertu duquel on pourrait 
ainsi remonter à l'origine des États et les revendiquer 
pour cause d'ingratitude, sans même s'arrêter devant la 
prescription de mille ans. Pour apprécier si les mesures 
prises contre le pape étaient justifiables comme consé- 
quences naturelles de la guerre, il faut examiner la 
conduite de Pie VII comme souverain temporel et voir 
s'il avait, comme son prédécesseur, fourni à la France 
de justes motifs de recourir aux armes, en prêtant à ses 
ennemis des secours matériels ou en excitant contre elle 
la haine de l'Europe. 

Or, si l'on précise les griefs de l'empereur, on trouve 
qu'ils se résument en ceci : le pape avait constamment 
refusé d'entrer dans une ligue oiTensive et défensive 
qui, d'après les premières propositions faites au cardi- 



grande folie. » — C'est un problème historique que de savoir qui a 
pris l'initiative de l'éloigncment du pape. Le général de gendarmerie 
Radet s'en est vanté en 1809, quand il y avait intérêt, et s*en est défendu 
en 1814, quand il y avait danger à Tavoir fait. Sûrement il n*a jamais 
eu d'ordre écrit. — Voir, pour tout ce qui concerne les rapports de 
Pie VII et de Napoléon^ d'Haussonville, V Église Romaine et le premier 
Consul. 

15 



lae CHAPITRE 11 



nal Bayanne, devait être dirigée contre les « Anglais et 
les infidèles », et qui, plus tard, devait l'être contre tous 
les ennemis de Napoléon. A la note du 3 avril 1808, fai- 
sant de cette alliance la condition sine quà non du 
maintien du pouvoir temporel (1), le pape avait ré- 
pondu par un refus fondé sur des arguments religieux : 
« Par une telle ligue, le Saint-Père ne se chargerait pas 
seulement de l'obligation d'une simple défense, il s'en- 
gagerait môme à attaquer. Ainsi, le serviteur du Dieu 
de la paix serait placé dans un état de guerre perma- 
nente; le père de tous s'élèverait contre ses enfants, et 
le chef de la religion s'exposerait au danger de voir 
rompus ses rapports spirituels avec les puissances con- 
tre lesquelles la ligue agirait hostilement (2). » En con- 
séquence le pape avait proclamé sa neutralité. Il avait 
même interdit aux navires des puissances en guerre 
avec la France l'accès des ports pontificaux, qui de- 
meuraient ouverts à nos vaisseaux. Il faisait ainsi plus 
que remplir envers nous ses devoirs de neutre; il les 
violait en notre faveur. 

D'ailleurs, les craintes que la diplomatie impé- 
riale feignait de concevoir pour la sécurité du territoire 



(1) « Si le Saint-Père adhère à la proposition de la ligue offensive e 
défensive, tout est terminé ; s'il s'y refuse, il annonce par cette détermi- 
nation qu'il ne veut aucun arrangement, aucune paix avec l'Empereur et 
qu'il lui déclare la guerre. Le premier résultat de la guerre est la con- 
quête et le premier résultat de la conquête est le changement de gou- 
vernement ; car, si l'empereur est forcé d'enti'er en guerre avec Rome, 
ne l'est -il pas encore d'en faire la conquête, d'en changer le gouverne- 
ment, d'en établir un qui fasse cause commune avec les royaumes 
d'Italie et de Naplcs contre les ennemis communs? » 

(2) Note du cardinal Gabrielli, secrétaire d'État, au chargé d'affaires 
de France, 19 avril 1808. V. Garden, op, cit. 



LES INTEKVENÏIONS ÉTHANGÈRES 137 

français nous paraissent peu faciles à justiGer. On n'é- 
tait plus, en effet, dans la même situation qu'en 1796; 
le trône pontifical n'était plus occupé par un ennemi 
déclaré de la France; les États du pape n'étaient plus 
entourés de principautés et de royaumes obéissant à sa 
voix et toujours prêts à se liguer contre la République. 
En 1808, le pape était bien disposé envers l'empereur qui 
avait restauré la religion catholique en France; il se 
montrait même, dans ses dépêches, humble et soumis 
envers un prince qu'il redoutait : « Vous êtes immensé- 
ment grand «.lui écrivait-il en 1805 (1). Enlin,le terri- 
toire pontifical était entouré de tous côtés par les do- 
maines de la France ou de ses vassaux, et l'offre faite 
par Pie VII de fermer ses ports aux ennemis de l'em- 
pereur leur rendait impossible l'accès des États ro- 
mains. 

On peut donc considérer comme un simple prétexte 
les craintes manifestées par M. de Champagny pour' 
la sûreté de l'Italie, « si les deux royaumes étaient 
séparés par un État où leurs ennemis continueraient 
d'avoir une retraite assurée (2). » C'était un acte con- 
traire au Droit des gens, et non excusé par une néces- 
sité politique, de refuser au pape le droit de déclarer 
sa neutralité, en alléguant que, « de la part d'un Éta 
sans puissance, la neutralité, ses devoirs et ses droits 
ne sont que des choses vaines et des dénominations 
sans réalité. » Sans doute, quand un État n'est pas 

(ijThiers, ConstUat.lll, p, 121. 

(2) Le rapport se plaint aussi des prétentions impudentes do la Cour 
de Rome (vassclage, serment d'allégeance et de haquenéo) sur Naples 
où régnait une dynastie française. Klait-co là un griof l»i 'ii sùj'Ïlîux? 
Qu'importait une protestation purement platoniijuo du pape ? 



138 CHAPITRE 11 



capable de faire observer sa neutralité par Tun des bel- 
ligérants, l'autre n'est pas tenu de la respecter. Mais 
encore faut-il que la preuve de cette impuissance ait été 
faite. 

Allant au fond des choses, on aperçoit que si Napo- 
léon tenait tant à Talliance du pape, c'était précisément 
pour ajouter à la force matérielle des armes l'appoint 
de la puissance spirituelle. Il voulait que tout catho- 
lique fût entraîné à considérer comme un ennemi de 
Dieu quiconque était l'ennemi de l'empereur. C'est tou- 
jours le même système napoléonien qui consiste à 
mettre la religion au service de la politique, et, de fait, 
dans le rapport même de M. de Champagny. on trouve 
mentionnés dos griefs d'ordre purement spirituel : l'op- 
position aux lois organiques et les attaques contre la 
Déclaration de 1682; — le refus d'étendre le Concor- 
dat au Piémont et aux provinces annexées du royaume 
d'Italie; — la bulle d'excommunication lancée sinon 
contre Napoléon, du moins contre ses sujets et son 
armée (1), et qui est, au dire du ministre, « un monu- 
ment inouï d'aveuglement, » une « pièce qu'on doit 
regarder comme apocryphe, empreinte, dans toutes ses 
parties, d'un esprit d'ambition, de ressentiment et de 
mensonge ». 



(1) « ... Sacrilegam B. Pétris, principis aposiolorum, patrimonii vio- 
lationem a Gallicis copiis attenlatam peractamque. • Mais la bulle 
excommunie selon l'usage « eos omnes qui in hac urbe et ditione contra 
Ecclesiœ aique hujus Sanctœ Sedis jura eliam temporalia perpetrarent^ 
mmon illorum tnandanles, faulores, consultores, adiiœr entes,... execu- 
tioncm procurantes. » Quoi qu'en dise M. do Champagny, l'empereur 
purull ccrlaliieuicni compris dans ces dilTêreutcs catégories! 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES «39 



L'empereur et son minisire ne manquent d'ailleurs 
pas d'affirmer que « Tunité de la religion et la sainteté du 
culte ne demandent pas que le chef de l'Église soit sou- 
verain >. Bien au contraire, les intérêts de la religion 
semblent exiger la suppression du pouvoir temporel, 
afin qu'elle ne soit plus sacrifiée à des intérêts qui ne 
regardent qu'un très petit coin de l'Italie. Le même 
souci de la grandeur de la foi catholique fait désirer 
à l'empereur que le pape réside à Paris. « La protec- 
tion que l'empereur accorde au culte catholique sera 
plus efficace. » « C'est ainsi que saint Pierre préféra 
Rome au séjour de la Terre Sainte (1). » 

Laissons là cette théologie impériale. Ce que voulait 
Napoléon à l'époque oii nous sommes parvenus, c'était 
se servir de la religion au profit de son immense ambi- 
tion; il voulait que ses guerres pussent ressembler à 
des croisades, et qu'elles fussent justifiées aux yeux dos 
catholiques par l'approbation et la complicité du pape. 
C'est précisément ce que celui-ci refusait au nom des 
intérêts de la religion. 

Irrité par ce refus-, le redoutable empereur sortit dos 
limites non seulement du Droit, mais de l'humanité. 
Pie VII ayant, comme Pie VI, refusé d'abdiquer la sou- 
veraineté temporelle « parce que, disail-il. Nous ne 
pouvons, Nous ne devons, Nous ne voulons ni céder 
ni abandonner ce qui n'est pas à Nous », fut emmené 
en captivité et soumis aux traitements les plus rigou- 
reux (2). Les cardinaux furent dispersés; quelques-uns 



(1) Discours d'ouverture de la session de 1811, Garden, XUI, p. 265. 
(î) V. dans Garden, op.ctï.,Xni, p. 273, le texte de la. contre-excommu- 
nication remise au pape par le général Bcrthicr le 14 juillet 1811, etpar 



iiO CHAPITRE II 



emprisonnés. Les troupes pontiGcales allèrent tenir 
garnison dans le Nord de l'Italie. 

Par le Décret du 17 mai 1809, les États du pape sont 
déclarés réunis à la France, et la ville de Rome devient 
impériale et libre. D'après le S.-C. du 17 février 1810, 
les anciens États pontificaux formeront deux départe- 
ments et une sénatorerie ; Rome est déclarée deuxième 
ville de l'Empire; le prince impérial prend le titre de 
roi de Rome; les empereurs seront couronnés à Saint- 
Pierre après l'avoir été à Notre-Dame. Enfin la Ville 
Éternelle « jouira de privilèges et d'immunités particu- 
liers » qui seront déterminés par l'empereur. Le pape 
aura des palais à Paris, à Rome et partout où il voudra 
résider; son existence temporelle est assurée par des 
dispositions que nous étudierons plus loin. Rien cepen- 
dant ne put fléchir le pape; il demeura inébranlable, à 
Grenoble comme àSavone et à Fontainebleau, et refusa 
constamment de céder sur la question de l'abdication 
du pouvoir temporel. Cette question devint d'ailleurs 
bientôt secondaire : le véritable motif de la querelle 
était le refus du pape d'instituer les évêques. Mais il 
est à remarquer qu'au moment oii la volonté de Pie VII 
faiblit devant les brutalités de son adversaire au point de 
signer le Concordat de Fontainebleau, il ne voulut con- 
sentir à cette convention qu'en faisantles plus expresses 
réserves quant à la possession de Rome (1). Tant est 



laquelle défense lui est faite de communiquer avec aucune église de l'Em- 
pire ni aucun sujet de l'Empereur, sous peine de désobéissance de sa 
part et de la leur; une menace de déposition termine ce document 

(1) Le 25 janvier 1813, Napoléon dut, pour décider le pape à signer le 
Concordat, lui écrire une lettre (voir Garden, op. cit., XIV, p. U6), où il 
déclare que l'empcrour n'ayant jamais cru devoir demander au pape 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 14 



grande l'importance que les papes attachent au maintien 
de leur souveraineté temporelle I 

L'empereur ne paraissait pas davantage dispose à 
céder. Il avait fait venir à Paris les archives de la Da- 
terie et de la Pénitencerie; dans les documents relatifs 
à la médiation de l'Autriche entre le pape et l'empereur 
on 1810, les propositions françaises parlent toujours de 
la réunion de Rome à la France comme d'un fait irré- 
vocable. L'empereur, écrit Metternich dans un rapport 
du 4 avril 1810. ne me paraît pas éloigné de s'arranger 
sur des bases quelconques, Rome exceptée (1). 

Mais les défaites de Napoléon l'amenèrent à relâcher 
son prisonnier, le 22 janvier 1814; le 24 mai, Pie VII 
faisait son entrée dans Rome, et, après une courte 
alerte causée par le retour de l'île d'Elbe (2), il fut 
remis en possession de son autorité temporelle par le 
Congrès de Vienne. 

Section II. — Les IntervenUons autrichiennes de 1831 et 1832. 
L'occupation française d*Ancône en 1832. 

Ce ne fut cependant pas sans difficulté que la pa- 
pauté recouvra le pouvoir dont Napoléon l'avait dé- 



une renonciation à la souveraineté temporelle, « Sa Sainteté ne peut 
avoir la crainte que l'on puisse penser qu'elle a renoncé ni directe- 
ment ni indirectement, en signant lesdits articles, à ses droits et pré- 
tentions. C'est avec le pape, eu sa qualité de chef de l'Église dans les 
choses spirituelles, que j'ai traité >. La lettre est du môme jour que le 
Concordat. 

(1) V. les documents relatifs à cette médiation dans Metternich, Mé- 
moires ^ H, p. 333. Le pape ne prononça pas un seul mot directement re- 
latif au pouvoir temporel dans ses entretiens avec le chevalier de Leb- 
zeltern; mais il eut toujours soin, dans ses écrits, de réserver les droits 
du Sakit-Siège. - 

(2) Le pape s'enfuit à Gônos. Mgr Pavy, op. cil.j p. 135. 



ii2 CHAPITRE 11 



pouillée. L'Autriche occupait le Nord de Tllalie et pré- 
tendait conserver tout ce qui avait été cédé à la France 
par le traité de Tolentino (1). Mais l'article 103 de 
l'Acte final du Congrès de Vienne rendit au Saint- 
Siège les Marches, Camerino et leurs dépendances, le 
duché de Bénévent. la principauté de Ponte-Corvo et 
les Légations, à l'exception toutefois de lapartie duFer- 
rarais située sur la rive gauche du Pô et qui restait à 
l'Autriche. Celle-ci eut en outre le droit de garnison 
dans les places de Ferrare et de Comacchio. La Cour 
de Rome protesta en vain contre ces dernières clauses, 
et réclama sans succès la restitution d'Avignon et du 
Comtat-Venaissin. L'allocution du 4 septembre 1815 
rappelle que tous les souverains de l'Europe avaient 
promis cette restitution à Pie VI en 1791 : « le vertueux 
Louis XVI notifia au même pape qu'il le rétablirait 
sur le trône dès qu'il le pourrait, > 

On le voit, les rapports entre Rome et Vienne n'étaient 
pas très cordiaux à cette époque. Le cabinet impérial 
marqua sa mauvaise humeur en différant autant qu'il 
le put la remise des Romagnes (2). Enfin en 1821 une 
occupation, et en 1829 une tentative d'occupation, eurent 
lieu malgré les protestations du Saint-Siège. Rien ne 
pouvait à cette date faire supposer les relations si inti- 
mes qui s'établirent entre les deux puissances à' partir 



(1) A on juger par l'allocution en consistoire du 6 septembre 1815, la 
restitution au Saint-Siôgo de ses possessions est duc surtout àrinfluonce 
de la Russie. 

(2) La restitution fut faite en deux fois : Tadmlnistration pontiflcale 
distinguait les provinces de premier et de second recouvrement « di 
prima e secunda ricupcra ». 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 143 

de 1831 : ce rapprochement était cependant dans la 
logique des choses. 

D'une part, en effet, le pape retrouvait ses anciens sujets 
dans un état d'esprit bien différent de celui qui les ani- 
mait autrefois : le contact des armées de la Révolution, 
le régime libéral sous lequel elles avaient vécu, la cons- 
titution républicaine qu'elles avaient facilement accep- 
tée (1), le Code civil qui les avait régies, avaient changé 
leurs sentiments et leurs exigences envers un gouver- 
nement que le Congrès de Vienne leur avait imposé 
sans les consulter. Le pape ne pouvait donc avoir con- 
fiance dans l'affection de ses sujets; il sentit son auto- 
rité particulièrement ébranlée, quand la Révolution 
française de 1830 eut réveillé les espérances de tous les 
peuples opprimés. Le Saint-Siège fut ainsi amené à se 
tourner vers la puissance qui était menacée par les 
mêmes ennemis, c'est-à-dire par les libéraux et les 
patriotes italiens. 

L'Autriche ne pouvait que répondre favorablement à 
cet appel; il lui permettait d'étendre encore son in- 
fluence en Italie. Non contente de posséder le territoire 
considérable que les traités lui avaient accordé, et 
tremblant toujours qu'une révolution ne vînt l'en chasser, 
elle avait, par de nombreuses conventions, noué 
d'étroites alliances avec tous les princes qui régnaient 
en Italie et y étaient aussi détestés qu'elle-même. 
Elle avait formé la fédération des souverains contre les 
peuples; elle avait promis aux gouvernements despo- 



(I) M. Thiers(i?éfi;o/M/ion, II,'livro XXXX) constate que les seuls op- 
posants à la République étaient quelques paysans de l'Âppennin, fana- 
tisés parles moines et d'ailleurs faciles ii soumellro. 



144 CHAPITRE U 



tiques de Parme, Modène, Naples et do, la Toscane, de 
les protéger contre les soulèvements populaires, en 
même temps qu'elle leur interdisait toute réforme libé- 
rale, afin que la liberté d'autres Italiens ne fît point 
paraître leur servitude plus insupportable aux Lombards 
et aux Vénitiens. Ainsi, un article secret du traité du 
12 juin 1815 avec Naples dit : e Les engagements que 
LL. MM. prennent, par le présent traité, pour assurer la 
paix intérieure do l'Italie, leur faisant un devoir de 
préserver leurs États et leurs sujets respectifs do nou- 
velles révolutions et du danger d'imprudentes innova- 
tions qui en amèneraient le retour, il est entendu entre 
les parties contractantes que S. M. le roi des Deux- 
Siciles, en rétablissant le gouvernement du royaume, 
n'admettra aucun changement qui ne pourrait se conci- 
lier, soit avec les anciennes institutions monarchiques, 
soit avec les principes adoptés par S. M. l'empereur 
d'Autriche pour le régime intérieur de ses possessions 
italiennes. » Toute la péninsule se trouvait placée sous 
la haute surveillance politique du cabinet de Vienne- 
L'intervention armée de i820 à Naples le fit bien voir; 
pour mieux montrer que ce n'était pas là un fai^ 
isolé, un traité conclu en 1821 avec la Toscane stipulait 
le droit de passage pour les troupes impériales qui 
traient du nord au sud et du midi au nord de l'Ita- 
lie (1). Et cependant l'article 6 du traité du 14 mars 
1814 disait : c L^Italie, hors des limites des pays qui 
reviendront à TAutriche, sera composée d'États souve- 
rains t » 



(1) Voir CCS documents cites par M. Rouhcr, discours du 15 avril 1865 
au Corps législatif. — Cf. Lettre de Cavour à Massimo d'Âzeglio, à 



LES lî^TERVE NIIONS ÉTRANGÈRES 145 

On comprend donc facilement la joie avec laquelle le 
cabinet de Vienne accueillit la demande d'intervention 
de Grégoire XVI, quand, une heure après que l'exalta- 
tion de celui-ci eût été connuedans les Romaines, éclata 
une formidable insurrection (1). La diplomatie impé- 
riale n'éprouvait d'ailleurs aucune difficulté pour justi- 
fier son ingérence dans les rapports entre le pape et ses 
sujets, puisque elle avait toujours repoussé le principe 
de non-intervention. « Le principe de non-intervention 

est très populaire en Angleterre La nouvelle France 

n'a pas manqué de se l'appropri-jr et de le proclamer 
hautement. Ce sont les brigands qui récusent la gen- 
darmerie, et les incendiaires qui protestent contre les 
pompiers. Nous n'admettrons jamais une prétention 
subversive de tout ordre social; noua nous reconnaî- 
trons toujours, au contraire, le droit de nous rendre 
à l'appel que nous adressera une autorité légale en 
faveur de sa défense, tout comme nous nous recon- 
naissons celui d'aller éteindre le feu dans la maison du 
voisin, pour empêcher qu'il ne prenne à la nôtre. » 
(Dépêche du prince de Metternich au prince Esterhazy, 
à Londres, 21 octobre 1830.) Conséquence naturelle du 
principe admis par le Congrès de Laybach que « les 
changements utiles ou nécessaires dans la législation 
des Ëtats ne doivent émaner que de la volonté libre et 

Londres, 47 mars 1859. — Des traités entre rAutriche et les États ita- 
liens assuraient en outre Textradition des prétendus criminels poli- 
tiques. 

(1) m Vous savez assez par quelle tempête de désastres et de douleurs 
nous nous trouvâmes, dès les premiers moments de notre pontificat, jeté 
tout à coup dans la haute mer, dans laquelle, si la droite de Dieu ne s'é- 
ait signalée, vous nous eussiez vu submergé par l'efTct d'une noire cons- 
piration des méchants. » Lettre encylique de 1832. 



«46 CHAPITRE II 



réfléchie de ceux que Dieu a rendus responsables du 
pouvoir ». Ce fut donc au souverain légitime des Etats 
romains, et non au chef de la religion catholique, que 
TAutriche ofi*rit l'appui de ses armées, au même titre 
qu'elle avait prêté ses services au roi des Deux-Siciles 
et au roi de Sardaigne. € Sa Majesté Impériale se 
regarde en droit d'accorder ou de refuser, selon les cir- 
constances, les secours que des États souverains 
peuvent réclamer de sa part, en laveur de la conserva- 
tion de leur indépendance. En accordant à Sa Sainteté 
l'appui que le Souverain Pontife a demandé à l'empereur 
contre les œuvres de la propagande révolutionnaire, Sa 
Majesté Impériale, en usant de son droit, a rempli en 
même temps un devoir envers son propre Empire, t 
{Dépêche de Metternich à Apponyi, 22 février 1832.) 

Ainsi, c'est le principe d'intervention à la demande 
d'un souverain légitime que l'Autriche invoquait pour 
justifier la présence de son armée dans les Romagnes. 
Il suffit, pour faire justice de ce sophisme, de remarquer 
que, si une autorité ne peut se maintenir qu'avec l'aide 
de l'étranger, c'est qu'elle est devenue odieuse à la ma- 
jorité de la nation : elle cesse donc d'être légitime, le 
Droit des gens ne reconnaissant comme tels que les 
gouvernements qui, en fait, semblent représenter un 
État avec quelques garanties de fixité et de stabilité. 
Nous repoussons, pour cette raison, la distinction ad- 
mise par Bluntschli dans ^on Droit international codi- 
fié^ art. 476. « La validité de cet appel dépend de la 
question de savoir si le gouvernement peut encore être 
considéré comme l'organe et le représentant de l'État ; 
si le gouvernement a déjà perdu tout pouvoir dans le 
pays et ne peut trouver dans la nation l'appui néces- 



LES INTERVENTIONS ÉTRAN&ÉRES 147 

sairc, il n'a plus le droit do provoquer Tintervention 
d'un État étranger, et de placer ainsi entre les mains 
d'une armée étrangère Tindépendancc de l'État et la 
liberté des citoyens. * Si le gouvernement menacé trou- 
vait dans la nation l'appui nécessaire, comment ferait- 
il appel àTintervention étrangère, toujours odieuse? Et 
d'ailleurs, comment admettre ce droit des nations de 
contrôler l'autorité et la force du gouvernement d'un 
pays voisin? Quel serait enfin le critérium? Le 23 fé- 
vrier 1848, le roi Louis-Philippe ne pouvait-il pas 
être considéré comme « l'organe et le représentant 
de l'État français» ? Et cependant, le 24 février, 
Bluntschli lui eût refusé tout appui en vertu de son 
commentaire de la règle 476 : « Lorsque le prince est 
dépossédé, il n'est plus rien qu'un mandataire révoqué, 
et, par conséquent, il a perdu le droit de parler au nom 
de la nation; il n'est plus le représentant légal de l'État. » 
Ainsi Bluntschli lui-même admet que les gouvernants 
sont à l'égard des États comme un mandataire envers 
son mandant; mais comment admettre que des tiers, 
dans leur intérêt personnel, puissent imposer à un 
mandant tel ou tel mandataire? « La Constitution, dit 
avec raison M. Pradier-Fodéré {Traité de Droit inter- 
national^ I, n° 302), est un contrat entre la'nation et le 
chef du gouvernement, et ce contrat est un mandat ré- 
vocable. Il en résulte que l'avènement d'un prince n'est 
que l'installation d'un fonctionnaire public à son poste. 
Le prince s'engage à exercer dûment les attributions 
de sa charge; le peuple, de son côté, prend l'engage, 
ment de lui payer la dotation, de lui rendre les hon- 
neurs fixés par la loi, et de forcer chaque individu à lui 
obéir dans les limites de la Constitution de l'État. Mais 



148 CHAPITRE U 



je ne saurais trop insister sur ce point que la nation, en 
contractant ces obligations, n'en conserve pas moins le 
droit de révoquer son mandataire et même de répartir 
les pouvoirs d'une manière toute diflcrdnte...La légiti- 
mité, ajoute le même auteur, au n® 306, consiste dans 
la volonté persévérante de la nation (1). » 

Mais le chancelier d'Autriche invoquait accessoire- 
ment, nous l'avons vu. l'intérêt propre qu'avait l'empe- 
reur d'étoufier un foyer de propagande révolutionnaire 
et d'empêcher ainsi la contagion, l'incendie, de pénétrer 
dans ses propres États. C'est une idée qui revient sou- 
vent sous la plume de Metternich, que celle de comparer 
la situation d'un État qui intervient en faveur d'un sou- 
verain contre la révolution, au droit qu'a tout proprié- 
taire d'aller éteindre le feu chez son voisin afin de pré- 
server son propre immeuble. Cette théorie ne serait 
admissible que s'il existait entre tous les hommes un 
consenstcs universel, qui ferait considérer certains prin- 
cipes comme aussi pernicieux que l'incendie. Mais il 
suffit, pour faire justice de ce prétendu droit, de remar- 
quer que le même ministre autrichien considère comme 
révolutionnaires (c'est-à-dire comme incendiaires), non 
seulement 1^ Charte de 1830, mais aussi les institutions 
de 1814 (2). Il voit l'incendie partout : on France, en 
i 

(1) Cf. ces étranges paroles qu'on est étonné de trouver dans la 
bouche de M. Thiers {Corps législatif, i5 avril 1S65) : « Le pape est un 
souverain qui a sou territoire qu*il possède très régulièrement et au 
titre le plus légitime. C'est le gouverneoient le plus ancien de TEurope; 
ila mille ans d'existence... Ce serait un pacte assez inique que d'en- 
lever à un propriétaire légitime les quatre cinquièmes de sa propriété 
et de lui dire ensuite : transigez! » 

(2) Mémoires de Mottornich, V, p. 83. « Eu appuyaut le trône restauré 



à 



LES LNT£RY£NT10NS ETRANGERES i49 

Saxe, dans les Pays-Bas (1830); à Modène, dans les 
États pontificaux (1831); en Egypte (1833) (1). Cha- 
que année amène, dans les pays les plus différents, des 
faits qui pourraient, en adoptant la théorie autri- 
chienne, légitimer des invasions et des occupations 
étrangères, sous prétexte d'aller éteindre l'incendie. 
Jamais système ne fournit une justification plus facile 
à toutes les ambitions et à tous les despotismes. Ren- 
trant dans le Droit, nous dirons donc, avec un auteur 
que nous avons déjà cité, que les États doivent com- 
battre la propagande des idées qu'ils croient nuisibles, 
sur leur propre territoire et non sur le territoire d'au- 
trui; qu'ils peuvent, dans ce but, établir la censure à la 
frontière contre les écrits, refuser des passeports pour 
pénétrer dans le pays à ceux qui viennent des territoires 
contaminés^ au besoin empêcher toute communication 
au moyen de cordons militaires. Mais, en aucun cas, ils 
ne sont autorisés à faire la guerre ou même à exercer 
une pression diplomatique pour imposer à une nation 
voisine certains principes ou certaines formes de gou- 
vernement (2). 

sur les principes de l'Assemblée constituante, bien qu'appliqués avec 
beaucoup de modération, il (Louis XVUI) ramenait fatalement la Révo- 
lution que Napoléon avait abattue. C'était élever un trône entouré d'in- 
stitutions républicaines : invention dont Louis XVHI est l'auteur. » — 
îàid., p. 84 : a Des Chambres séditieuses ont proclamé roi Louis-Phi- 
lippe, lia pris possession du trône et du gouvernement de la nation. 
De ces faits, il ne résulte aucun droit : Louis-Philippe est roi de fado. » 

(1) « Fidèle à ses principes, l'empereur condamne la révolte do Méhé- 
met-AJi. » Instructions de Metternich àProkesch (Mémoires, V, p. 4W5). 

(2) Sic, Pradier-Fodéré, op. cit., p. 667. -- Contra, Bluntschli, op. cit., 
art. 68 et règle I, qui excepte le cas où les principes admis par une as- 
semblée constituante constituent un danger réel pour la sûreté des 
autres États, ou pour l'ordre établi et reconnu par le Droit international. 



150 CHAPITRE II 



Enfin TAutriche prétendait fonder son droit d'inter- 
vention sur la nécessité de faire respecter les traités. 
Après avoir constaté la répugnance des classes supé- 
rieures de la population des Légations pour la do- 
mination pontificale, la dépêche de Metternich à Ap- 
ponyi, du 3 mai 1832, affirme que le corps social mar- 
cherait à grands pas vers une épouvantable anarchie, si 
les puissances gardiennes de la paix de l'Europe scru- 
taient les répugnances ou les inclinations de telles ou 
telles provinces à l'égard du corps politique dont elles 
font partie. L'empereur prend pour base de sa politique 
le respect des traités.* Il déclare que les Légations doi- 
vent rester soumises au Saint-Siège, et dès lors la 
question est décidée pour lui. » Sans doute, un État n'a 
pas le droit do déclarer que telle province d'un pays 
voisin doit être séparée de celui-ci, car ce serait une 
intervention. Sans doute, une nation a le droit de cher- 
cher à maintenir, même par la force, l'intégrité de son 
territoire. Mais quand les populations ont été, sans être 
consultées, adjugées par un Congrès à un État quel- 
conque, uniquement par souci de l'équilibre politique, 
si ces populations se révoltent et déclarent hautement 
ne pas vouloir faire partie de ce groupement, de quel 
droit viendrait-on réprimer par la force la manifestation 
de leurs désirs et de leurs répugnances ? Fallait-il donc 
brutaliser des populations entières pour maintenir l'œu- 
vre bizarre et compliquée du Congrès de Vienne? Le 
respect des traités empêchait-il l'Autriche d'exercer 
une véritable suzeraineté sur les États italiens déclarés 
indépendants par l'art. 6 du traité du 14 mars 1814, ou 
d'annexer, en 1 846, Cracovie, ville libre en vertu du traité 
du 3 mai 1813, et cela sous le visible prétexte que l'exis- 



LKS INTEUYENTIONS ETRANGERES 151 

tence de cette république constituait un danger pour 
la sûreté de T Autriche, de la Prusse et de la Russie? 

Ce fut donc pour consolider et agrandir sa prépon- 
dérance en Italie que l'Autriche envoya ses armées 
dans les Ëlals pontificaux en 1831, et qu'à partir de 
cette date elle y pratiqua une intervention presque 
continuelle, pour laquelle la Cour de Rome manifesta, 
à maintes reprises, sa profonde reconnaissance (1). On 
peut même se demander si le pape conservait vraiment 
la plénitude de sa souveraineté en lisant en tète des 
actes des fonctionnaires pontificaux à Bologne : «Après 
Tentente due avec le commandement militaire autri- 
chien », tandis que les chefs autrichiens écrivaient : 
« L'impérial et royal gouvernement civil et militaire 
résidant à Bologne. » 

L'armée impériale entra dans les Légations en 1831 ; 
elle y séjourna cinq mois. Elle n'en sortit qu'après que 
les représentants des cinq grandes puissances à Rome 
eurent signé un engagement collectif de t garantir 
l'intégrité des États soumis à la souveraineté du Saint- 
Siège d'après les stipulations de 1815, garantie étendue 
pareillement sur le maintien dans toute son étendue de 



(!) Dans une lettre encyclique à ses sujets, du IS juillet 1831. Gré- 
jfoire XVI décerne de grands éloges ù rorméc autrichienne « qui, dit-il, 
a su vous donner des preuves à la fois de sa valeur et de sa modération 
exemplaire. » {Bull. Rom., Grégoire XVI, p. 32.) Il déclare naturellement 
que les Autrichiens sont venus secourir les opprimés et abattre les 
oppresseurs; de même la Déclaration de Laybach dit que les forces 
alliées sont venues au secours des peuples subjugués. 

V. aussi au flM//at>e, 5 avril 1831, encyclique a cum gratiarum aclionc 
erga auguslum, Austriœ iinperalorem Franciscum I pro prfpslito 
auxilio ».— La môme année, le pape envoie la rose d'or ii l'impératrice 
d'Autriche. 

iO 



15! CIIAI'ITKF: h 



la puissance temporelle du Saint-Siège ». Elle revint 
dans ces malheureuses provinces en i832, forle de 
(J.OOO hommes, que suivaient 3.000 hommes de troupes 
pontificales. Elle y resta jusqu'en 1838, répandant par- 
tout la terreur et multipliant les exécutions militaires. 
Enfin elle les occupa de 1849 à 1859, et n'en fut défini- 
tivement chassée que par les succès de Tarmée fran- 
çaise. 

A l'intervention armée, l'Autriche joignait, comme il 
arrive toujours, l'intervention diplomatique. Quand on 
garde les propriétés d'autrui, on est en droit d'exiger du 
propriétaire toutes les mesures qui peuvent faciliter 
cette tache. M. Thiers expliquait à la Législative, le 
13 octobre 1849, que donner des conseils à un État 
étranger serait, en temps ordinaire, une inconvenance 
et une usurpation. « Mais un souverain qui en a rétabli 
un autre, dans un intérêt commun d'ordre, d'humanité, 
de religion, trouve, dans la gravité des circonstances 
qui l'ont amené, dans les services rendus, le droit de 
donner un conseil. » L'Autriche profitait de ce pré- 
tendu droit pour mettre le pontife en garde contre « le 
masque hypocrite du perfectionnement progressif des 
lois », et pour rédiger des Conseils pour Pie IX, où on 
le détourne d'octroyer des amnisties parce que Dieu 
n'accorde que des grâces, et de faire des concessions 
parce que le gouvernement qui en accorde « se conduit 
comme le capitaliste qui vit aux dépens de son capital 
au lieu de vivre des intérêts de celui-ci ». Que si un 
pape à idées relativement libérales était élu, alors la 
méfiance et le ressentiment remplaçaient chez les diplo- 
mates autrichiens la vénération et l'appui; on qualifiait 
de satutnales les manifestations en son honneur; on 



LES INTERVblNTIONS ÊIRANGEUES i53 

allait jusqu'à prendre des précautions contre un pape 
€ aux ordres de la faction », et, malgré les protestations 
de la Cour de Rome, les villes mêmes de Ferrare et 
Comacchio étaient, au mois d'août 1847, occupées par 
Tarniée impériale, bien que Tart. 103 du traité de 
Vienne eût été jusque-là interprété comme ne s'appli- 
quant qu'aux citadelles des deux villes (1). 

En présence de faits pareils, que devient donc la théo- 
rie suivant laquelle la possession d'une souveraineté 
temporelle serait pour le chef des catholiques la seule 
garantie efficace de liberté et d'indépendance? 

Sous le prétexte d'un secours apporté à des souve- 
rains légitimes, l'Autriche suivait donc en Italie une 
politique d'envahissement indéfini, de protectorat géné- 
ral, contrairement à la lettre et à l'esprit des traités. 
Cette attitude devait éveiller les susceptibilités des 
autres nations, de la France en particulier. 

La France avait sous Louis XVIII approuvé et prati- 
qué le principe d'intervention (2), chose naturelle de la 



(1) Voir les conseils de l'Autriche au gouvernement pontifical (dé- 
pi^che du 21 avril 1832) et les conseils pour Pie IX (dépêche du 12 juil^ 
let 1846) dans \qs Mémoires de Melternich, t. V. p. 336, et VII. p. 251 
Ces deux volumes renferment de nombreuses et intéressantes dépêches 
sur les affaires de Rome. — Sur les saturnales de Varese (la popula- 
tion avait porté le buste du pape orné de rubans blancs et jaunes^ 
lettre confidentielle à Ficquelmont, t. VU. p. 435. — Dépêches sur le 
conflit de Ferrare et Comacchio, iùid., p. 466. 

(2) Talleyrand disait le 19 décembre 1814 (paroles citées par Mgr Du- 
panloup, seconde lettre à un catholiquf, p. 25), en parlant d'un cas 
d'abdication forcée : « Pour admettre cette disposition comme légi- 
time, il faudrait tenir pour vrai que les nations de l'Europe ne sont 
point unït,'S ciilrc elles par d'autres liens moraux que ceux qui les 
unissent aux insulaires de l'Océan Austral, qu'elles ne vivent entre 



«54 CIIAPITUU U 



part d'un gouvernement qui avait profité de Tinterven- 
tion étrangère (l).Mais après la Révolution de 1830, les 
ministres du nouveau roi avaient hautement déclaré que 
la France n'interviendrait pas dans les affaires des autres 
nations et ne souffrirait pas que celles-ci eussent 
une conduite différente. 

Aussi le cabinet français, qui avait approuvé la Cour 
de Rome quand celle-ci manifesta la volonté de répri- 
mer l'insurrection des Romagnes (2), et qui avait signé 
la déclaration des cinq puissances garantissant l'inté- 
grité de l'État romain, le cabinet français protesta-t-il 
vivement contre la demande d'intervention adressée par 
le pape à l'Autriche. L'envoyé de France déclarait que 



elles que sous les lois de la pure nature, que ce qu'on nomme le droit 

public de l'Europe n'existe pas en un mot que tout est légitime 

à qui est le plus fort. » 

(1) « C'est un Français qui a trouvé cette idée extraordinaire qu'un 
des mérites de Louis XVUI consistait à avoir sauvé deux fois la 
France de l'invasion étrangère. Une phrase aussi ridicule témoigne d'une 
effronterie sans pai*eillo. Je m'attends à ce que dans un panégyrique de 
Ferdinand de Naples on soutienne un jour qu'il a été un grand prince 
parce qu'il a délivré deux fois son royaume de l'invasion autrichienne. » 
Metternich, Mémoires, IV, p. IH. 

(2) Réponse du marquis de Saint-Aulaire à la circulaire du cardinal 
Bernetti, du iO janv. 1832 : « S'il arrivait que dans leur mission toute 
pacifique les troupes exécutant les ordres de leur souverain rencon- 
trassent une résistance coupable, et que quelques factieux osassent 
commencer une guerre civile aussi insensée dans son but que fatale 
dans ses résultats, le soussigné ns fait aucune difficulté de déclarer 
que ces hommes seraient considérés comme les plus dangereux enne- 
mis de la paix générale par le gouvernement français qui, toujours 
fidèle à sa politique tant de fois proclamée sur l'intégrité et l'indé- 
pendance du Saiut-Siégc, emploierait au besoin tous les moyens pour 
les assurer. » Cette note est à blâmer comme contenant une promesse 
d'intervention. 



LES INTERVENTIONS ÉTRAXGËUES 135 

t le gouvernement français ne saurait admettre le prin- 

• 

eipe en vertu duquel s'est effectuée cette occupation, n* 
adhérer à un état de choses qui, en étendant les armes 
de TAutriche au delà de ses propres domaines, porte un 
coup funeste au système politique de Tltalie et compro- 
met par le fait l'indépendance du Saint-Siège >. Une 
solennelle protestation terminait cette note, et le gouver- 
nement pontifical était rendu responsable des suites qui 
pourraient résulter de sa conduite au détriment de la 
paix. 

Mais les notes diplomatiques ne suffirent pas à empê- 
cher rAutrichc de poursuivre son dessein et de sai- 
sir Parme, Modène, Bologne et toute la Romagne. La 
France eut alors recours à des moyens plus énergiques. 
Le 23 février i 832, une escadre débarquait une armée 
devant Ancône ; les sapeurs du 66® enfonçaient les por- 
tes à coups de hache, et nos soldats occupaient la ville, 
sur laquelle le drapeau tricolore était hissé au milieu 
de la joie la plus vive. Aux demandes d'explications du 
Saint-Siège et de l'Autriche, la France répondit que 
l'objet de l'expédition était le même que celui que 
le cabinet impérial poursuivait : la pacification des Ëtats 
du Saint-Siège. Il suffit, pour démontrer que c'était là 
une simple fin de non-recevoir, de comparer l'attitude 
des autorités pontificales envers les Autrichiens et en- 
vers les Français. Tandis que l'armée impériale était 
partout reçue avec empressement et avec déférence par 
les représentants du pape, celui-ci donna ordre à ses 
fonctionnaires de quitter une ville où l'on pouvait impu- 
nément crier Vive la libeiHé! et chanter les airs natio- 
naux français ; les drapeaux, armes et insignes du Saint- 
Siège furent enlevés des édifices publics; le légat, arrêté 



45G CHAPITRE 11 



dans son lit la nuit de Toccupation, puis relâché par 
les Français, transféra à Osimo le siège du gouver- 
nement; enfin le Saint-Siège protesta par une note du 
25 février 1832 (1). 

L'occupation d'Ancône était donc dirigée contre les 
deux cabinets complices des interventions. C*était un 
avertissement sérieux au gouv(»Tnement pontifical ; c'é- 
tait une mesure énergique, prise dans un intérêt fran- 
çais (2), pour arrêter les incursions de rAutricho. Le 
cabinet des Tuileries donna à l'occupation son véritable 
caractère en déclarant qu'elle ne prendrait fin qu'avec 
l'évacuation des Romagnes parles troupes impériales; 
et, do fait, après un modus vivendi établi entre la France 
et le Saint-Siège, le 16 avril 1832 (3), l'occupation 
dura jusqu'en 1838, époque où les Romagnes furent 
délivrées du régime militaire. 

L'Autriche, étonnée de ce coup d'audace, se borna à 
qualifier l'occupation d'Ancône i\Q farce, d'attentat con- 
tre le Droit des gens, commis par une troupe de jaco- 
bins enragés y sous la protection desquels on aiguise 



(1) Lcsur, Annuaire^ 1832. — L. Blanc, ÏUftoire de dix Ans, documents 
cités dans l'Appendico. 

(î) Discours du président du Conseil et de M. Thicrs, Chambre des 
députés, séance du 7 mars 1832. 

(3) Cet accord comprenait dix stipulations. Les plus importantes 
étaient que les troupes de débarquement seraient placées sous les 
ordres immédiats de l'ambassadeur de France à Rome, qu'elles ne 
pourraient être renforcées, qu'aucun travail de fortification ne serait 
entrepris, qu'aucune immixtion dans l'exercice de l'autorité pontificale 
ne pourrait avoir lieu, que le drapeau pontifical serait arboré sur les 
remparts d'Ancône, et que les troupes françaises se retireraient en mémo 
temps que les troupes autrichiennes. Aces conditions, la Cour de Rome 
consentit au séjour des Français à Ancùne. 



LES INTERVENTIONS ÉTUANGÊKES 457 

les poignards qui doivent frapper à distance (1). Do 
plus, elle provoqua Tontrovuc de Munchenf^rîiotz qui 
aboutit au traite secret de Berlin (15 octobre 1833), par 
lequel les Cours d'Aulricbe, de Prusse et do Russie affir- 
maient une fois de plus le droit, pour tout souverain in- 
dépendant menacé par la Révolution, d'appeler à son 
aide tel autre souverain indépendant qui lui paraîtrait le 
plus propre à l'assister, sauf, pour celui-ci, la faculté d'ac- 
corder ou de refuser ce secours. Elles s'engagaient en 
outre à considérer comme un casxis belli tout acte par 
lequel une puissance quelconque s'opposerait à Tinter- 
vention d'une des trois Cours dans les affaires d'une 
autre nation. 

Nous approuvons donc bautement l'expédition fran- 
çaise de 1832, en vertu de ce principe, admis par tous 
les jurisconsultes, que délivrer un peuple étranger d'une 
intervention ne constitue pas un fait d'intervention. 

Mais pourquoi faut-il que le gouvernement français, 
désertant son principe au lieu d'en suivre les conséquen- 
ces logiques, ait, à maintes reprises, déclaré qu'il con- 
sidérait le maintien du pouvoir pontifical sur les Ro- 
magnes comme indispensable à la paix publique? Pour- 
quoi signait-il la garantie d'intégrité du territoire du 
Saint-Siège en 1831, et faisait-il remettre la note du 
marquis de Saint- Aulaire quenousavons citée? Pourquoi 
refusait-il aux populations des Légations le droit de 
cbanger et de renverser le régime tbéocratique ? 

Bien plus, la France commettait elle-même un acte 
d'intervention diplomatique en provoquant le Mémo- 

(l)Mettcrnicli, V, n-lOSI, 1054, 1057, 1059. — V. le texte du traite 
secret de Berlin, ibid,^ p. 54t. 



158 CHAPITRE II 



iM!uluin (lu 21 inii 1831 (l), signé par les cinq grandes 
puissances, conseillant au Saint-Père des réformes 
c dans l'inttTêt général de l'Europe », et réclamant de 
lui l'admissibilité des laïques à tous les emplois, les 
franchises municipales, l'institution d'une Cour des 
comptes, le retour emmotuproprio de 1816, c'est-à-dire 
à la législation française, en ce qui concernait la justice. 
Quelle compétence avaient les puissances signataires, 
dont aucune ne vivait sous un régime théocratique, pour 
indiquer au pape de quelle façon il devait gouverner ? 
Il y eut, àpartir de cette date, une question des rélor- 
mes pour les États romains, comme il y eut une question 
des réformes pour l'empire turc. A Rome comme à Gons- 
tantinople, l'Europe s'efforça d'imposer des progrès à 
des chefs d'États que leur caractère religieux condain- 
nait à une politique stationnaire ; il y eut des conseils 
respectueux adressés au pape qui, spontanément, com- 
muniquait aux puissances des édits réformateurs, comme 
il y eut en 1856 une communication spontanée des 
firmans améliorant le sort des chrétiens. (Tr. de Paris, 
28 mars 1836, art. 9.) Les motu proprio promulgués à 
la suite du Mémorandum de 1831 furent ainsi commu- 
niqués aux puissances, qui les approuvèrent fort ; cela 
n'empêcha pas les Romagnes de les repousser énergique- 

(1) « Il parallaux représentants des cinq grandes puissances, dit le 
préambule de ce Mémorandum, que, quant â l'Etat de TEgliso, il s'agit, 
dans rintcrôt général de l'Europe, de deux points fondamentaux : 
|o que le gouvernement de l'Etat soit assis sur des bases solides par les 
améliorations méditées et annoncées par Sa Sainteté elle-même dès le 
commencement de son régne ; 2» que ces améliorations, lesquelles .. 
doivent fonder une ère nouvelle pour les sujets de Sa Sainteté, soient par 
une garantie intérieure mises à l'abri des changements inhérents à la 
nature de tout ^gouvernement él(?rtif. » 



LES INTERVENTIONS ETRANGERES 159 

ment comme ne présentant aucune garantie sérieuse de 
sincérité et de stabilité. A Rome comme en Turquie, 
les puissances rencontrèrent une grande résistance et 
accusèrent de mauvais vouloir les princes qu'elles pro- 
tégeaient. 

Tous les gouvernements catholiques ne désiraient 
d'ailleurs pas les réformes au même degré : les déli- 
bérations de la Conférence de Gaëte, en 1849, le prou- 
vent suffisamment. 

Section III. — La CoallUon de 1840. 

Le pape Pie IX avait, en 1848, octroyé une Constitu- 
tion à ses sujets. Elle eut d'abord un fonctionnement 
régulier. Mais, à la suite du meurtre de Rossi et d'une 
effervescence populaire à Rome, Pie IX crut devoir 
s'enfuir le 24 novembre 1848, et se retirer en territoire 
napolitain, à Gaëte. De là il expédia à Rome un bref, 
non revêtu des formes constitutionnelles, nommant, au 
mépris du statut, une commission executive. Les deux 
Chambres, dont l'une (le Haut-Conseil) avait été en- 
tièrement choisie par le pape^ et l'autre avait été élue 
selon la loi promulguée par Ivi. et pendant qu'il exer- 
çait le pouvoir suprême^ s'assemblèrent, refusèrent 
de reconnaître le bref illégal, et envoyèrent au pape, 
pour le prier de revenir, une députation à laquelle l'ac- 
cès du territoire napolitain fut interdit par ordre du roi 
des Deux-Siciles. Après des tentatives répétées pour 
déterminer Pie IX à reprendre ses pouvoirs , les deux 
Conseils, qui tous deux, nous le répétons, tenaient 
leurs pouvoirs du pape lui-même, nommèrent, le 
H déc. 1848, une Junte, qui, dit l'art. 4, cessera ses 



160 CHAPITRE II 



fonctions dès le i etour du Pontife, ou aussitôt qu'il 
aura délègue, par acte pleinement 7'endu dans les 
formes légales, une personne chargée de remplir ses 
fonctions , et que celle-ci en prendra r exercice de 
fait, » Ce décret fut qualifié par le pape d'attentat 
sacrilège. En présence de cette attitude hostile et du 
mécontentement public, la Junte rendit, le 29 déc. 1848, 
un décret convoquant une assemblée nationale élue 
au suUrage universel et direct « pour prendre toutes 
décisions qu'elle jugera opportunes, afin de donner à 
la chose publique une organisation complète, stable et 
régulière, en conformité avec les vœux et les tendances 
de toute ou plus grande partie de la population ». De là 
sortit la Constituante romaine qui, par un décret du 
9 fév. 1849, proclama la République et la déchéance du 
pouvoir temporel, tout en promettant au Souverain 
Pontife les garanties nécessaires à l'exercice de son 
pouvoir spirituel. La même promesse de garanties est 
répétée dans les principes fondamentaux de la Répu- 
blique, art. 8 ; la religion catholique fut même déclarée 
religion de l'État (1). 

Cependant le pape avait excommunié quiconque pren- 
drait part aux élections ; il avaitappelé le décret de convo- 
cation un « acte plus monstrueux encore d'hypocrite 
félonieetde véritable rébellion; entassant ainsi iniquité 
sur iniquité, les auteurs et les fauteurs de l'anarchie 
démagogique s'efforcent de détruire l'autorité tempo- 
relle du pontife sur le domaine delà Sainte Église. . . Nous 
épargnerons à notre dignité l'humiliation d'insister sur 
tout ce que renferme de monstrueux cet acte abominable, 

(1) V. Edgar Quinet, La Question romaine, tous les documents cités. 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES dGl 

et par rillégalilé des formes, et par Timpiété du but » . Mais 
Jes foudres spiri tuellcs ne su Kisan t pas à assurer son retour, 
le pape convoqua à Gaëte les ambassadeurs des grandes 
puissances catholiques et sollicita leur intervention ar- 
mée. A cet appel, l'Espagne. F Autriche, les Deux-Siciles 
et, il est douloureux de le constater, la France, répon- 
dirent non seulement en prenant part aux conférences 
de Gaëte, mais encore en envoyant leurs armées contre 
le gouvernement républicain. 

Il semblait, cependant, que le rôle do la France fût 
déterminé, non seulement par les principes généraux 
du Droit des gens et par la tradition nationale sur le 
devoir de non-intervention, mais encore par un texte 
écrit, par l'art. 5 du préambule de la Constitution de 
1848 alors en vigueur : « La République française, disait 
ce texte, respecte les nationalités étrangères, comme elle 
entend faire respecter la sienne, n'entreprend aucune 
guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais 
ses forces contre la liberté d'aucun peuple. » Cet article 
dictait au pouvoir exécutif la conduite à tenir : ne pas 
reconnaître la République romaine, si elle ne paraissait 
pas présenter des garanties suffisantes de stabilité; at- 
tendre que la volonté populaire eût confirmé le nouveau 
régime, ou, au contraire, restauré le pouvoir papal ; 
empêcher toute intervention étrangère dans les affaires 
intérieures du peuple romain; laisser d'ailleurs le pape 
profiler de l'hospitalité que la France a toujours ac- 
cordée aux souverains déchus et aux exilés politiques. 
Mais débarquer à Civita-Vecchia, emprisonner le gou- 
verneur républicain, entrer à Rome à coups de canon, 
envoyer au pape les clefs de la ville, hisser le drapeau 
pontifical au milieu des salves d'artillerie et des Te 



i62 CHAPITRE 11 



Deum (1), chasser T Assemblée du (iapitole, était-ce là 
respecter les nationalités étrangères et ne pas enu 
ployer ses forces contre la libertJ d* un peuple? Par 
quels sophismes des actes de guerre aussi caractérisés 
ont-ils pu être présentés comme n'étant pas en opposi- 
tion avec l'art. 5 ? 

Si l'on se reporte à la première séance où, des crédits 
ayant été demandés à l'Assemblée, le rapporteur de la 
commission favorable aux crédits et le chef du gouver- 
nement durent apporter des explications et préciser le 
but de l'expédition, il résulte des déclarations de M. Ju- 
les Favre, rapporteur, et de M. Odilon Barrot, ministre, 
qu'il ne s'agissait pas de restaurer le pouvoir temporel 
du pape. Sans doute, on ne voulait pas non plus sau- 
ver la République romaine de la crise dont elle était 
menacée y ni imposer aux Italiens une forme de gou- 
vernement quelconque, pas plus la République quune 
autre. Mais le « banc des ministres » protestait éner- 
giquemcnt quand Ledru-Rollin affirmait que la restau- 
ration du pape serait la conséquence forcée de l'interven- 
tion. On disait : la République romaine va succomber: 
les Autrichiens, qui ont déjà écrasé le Piémont, réta- 
bliront le pape sur son trône, el alors la restauration 
de l'autorité pontificale se fera au profit de l'Autriche 
et au détriment des idées de liberté et d'humanité. 
Être présents à un grand événement, pour empêcher 
que la pression étrangère ne sacrifie lalégitime influence 
de la France et les libertés « qui ont toutes nos vieil- 
les sympathies », poser une limite aux prétentions de 



(1) Protocole n« 11 des conférences de Gaete. — Arch, diplom., 
1873, 11. 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈHES 163 

l'Autriche, en somme recommencer l'expédition d' An- 
cône, voilà ce que l'on demandait et obtenait l'autori- 
sation de faire. 

Or, ceci se passait le 17 avril 1849 et le protocole 
n^ 1 de la Conférence de Gaëte, daté du 30 mars, dé- 
bute ainsi : f Étaient présents... pour la France 
M. d'Harcourt et M. de Ravneval, tous chargés parleurs 
gouvernements respectifs de discuter, conformément à 
l'appel fait aux quatre puissances parle Saint-Père, le 18 
févrierdernier, les mesures qui leur sembleraient les plus 
convenables pour arriverau rétablissement de l' autorité 
temporelle du pape dans les Etats de V Eglise, comme 
indispensable garantie du libre etimpartial exercice 
de son pouvoir spirituel. > Et voici comment le vote des 
crédits était annoncé le 27 avril : « M. de Rayneval 

fait part à la Conférence 1* de la détermination, 

prise par le gouvernement français, de coopéret' maté- 
riellement, selon le vœu du Saint-Père et de la Confé- 
rence, au règlement des aQaires de Rome (Proloc. 4). » 
Enfin dans les instructions données au général Oudi- 
not, le ministère l'invite « à presser les représentants 
de Tordre de clioses établi de prêter les mains à des 
arrangements qui puissent préserver le pays de la crise 
dont il est menacé ». « Votre marche sur Rome, à la tète 
de vos troupes, faciliterait sans doute un pareil dénoue- 
ment en donnant courage aux honnêtes gens », et hâ- 
terait le moment o\x un gouvernement régulier rempla- 
cera « celui qui pèse sur les Etats de l'Eglise » . 

Le général se conforma à ses instructions, il fil la 
guerre à la République romaine qui, tout en protestant 
contre l'intervention étrangère, faisait mettre en hberlé 
les prisonniers français. (Décret du 7 mai 1849.) Il 



164 CHAPITRE II 



refusa de se prêter à rarrangement négocié par M. de 
Lesseps en vertu duquel notre occupation militaire elle- 
même était admise par le gouvernement romain. Le 
2 juillet 1849, nos troupes entraient dans Ilome,dontIcs 
clefs étaient envoyées au pape; le 15 juillet, le drapeau 
pontifical était hissé au fort Saint-Ange, salué par les 
salves de notre artillerie ; le 13 août, à la Conférence 
de Gaëte, on partagea l'occupation des provinces entre 
les troupes françaises, autrichiennes, napolitaines, es- 
pagnoles, qui avaient pris part au rétablissement du 
pape. Le but de l'expédition était atteint. On voit com- 
bien « le banc des ministres » était de bonne foi quand 
il protestait avec force contre le soupçon de vouloir ré- 
tablir le régime théocratique. 

Le masque fut d'ailleurs bientôt levé. Déjà à la com- 
mission des crédits, M. Thiers, répondant à Victor Hugo, 
avait vanté le gouvernement papal comme étant /a meil- 
leui Vj la plus ancienne^ la jdus bienfaisante et la plus 
inoU'ensice des républiques, (Mioisi comme rapporteur, 
il déclarait, le 13 octobre 1849, que l'expédition avait 
été faite dans Fintérêt français, catholique et libéral, 
contre une faction désordonnée qui avait mis la satis- 
faction de ses passions au-dessus de l'intérêt vrai de sa 
cause, s'était emparée de rilalieet l'avait plongée dans 
un abîme. Il essayait de faire voir que l'intérêt français 
avait été sauvegardé, parce que l'Autriche avait été em- 
pêchée d'aller à Rome et d'y dominer. Mais alors pour- 
quoi ne s'être pas borné à occuper une ville comme en 
1832? pourquoi avoir pris une attitude hostile envers les 
pouvoirs élus? Pourquoi avoirramenélepape? N'y avait- 
il pas une étrange inconséquence à proclamer le prin- 
cipe de non-intervention et à envoyer un ambassadeur 



LES INrERVENTIONS ÉTRANGÈRES 165 

aux Conférences de Gaëte, réunies, M. Thiers le décla- 
rait et les procès-verbaux en font foi, « pour concerter 
le rétablissement d'une autorité nécessaire à Tunivers 
catholique ? » 

Le ministère avait-il cependant trompé l'Assemblée? 
Nous ne le croyons pas, et les difiérentes demandes de 
mise en accusation émanées des membres de l'opposi- 
tion n'avaient aucune chance de succès. La mise en 
accusation est l'arme dos représentants du peuple contre 
le pouvoir exécutif, quand celui-ci les trompe ou qu'il 
prépare un coup d'Etat. Or, la majorité de l'Assemblée 
n'avait pas été trompée; elle s'était entendue à demi- 
mot avec le ministère, voilà tout, et le ministre des 
affaires étrangères avaitraisonde dire, le 18 octobre, que 
le désir de tous ceux qui avaient voté l'expédition de 
Rome était la restauration de Pie IX. Un seul homme 
avait été « joué », comme il le déclara à la tribune : 
c'était le rapporteur, J. Favre. — Quant aux coups 
d'État et aux violations de la Constitution, le mépris 
que l'Assemblée témoignait pour l'art. 5 prouve com- 
bien elle respectait la Constitution tout entière. 

SecUon IV. — L'occupation française de Home de 1840 à 1870. 

La Convention de 1804. 

Après avoir restauré l'autorité pontificale, les puis- 
sances mirent encore une fois le Saint-Siège en demeure 
d'avoir à entrer résolument dans la voie des réfor- 
mes. La France surtout, pour prix de sa blâmable pro- 
tection, croyait avoir le droit de donner des conseils et 
de les voir écoutés. C'étaient précisément ces exigences 
que redoutait la Cour de Rome; elle avait prévu que la 
protection française serait pour elle aussi pénible à sup- 



166 CHAPITRE 11 



porter que Tinfluence autrichienne l'avait été peu, parce 
(|ue, de toutes les puissances catholiques, la France 
était (le heaucoup celle qui désirait les réformes les 
plus profondes et les plus libérales. Aussi avait-elle 
fait tous ses efforts pour empêcher que l'intervention 
n'eût un caractère exclusivement français. Le cardinal 
AntoncUi avait ou Bien soin de faire remarquer à Gaëto 
que l'appel du Saint-Père s'adressait à toutes les puis- 
sances catholiques, et que la résolution, prise par la 
France, de donner au pape le secours de ses armées 
n'empêchait nullement les autres États d'agir à leur 
tour. (Protocoles n. 1 et 4, confér. de Gaëte.) Mais peu 
importait que l'Autriche occupât les Romagnes, les Na- 
politains la province de Frosinone, les Espagnols Velle- 
tri, Rieti et Spolcto, si c'était la France qui tenait Rome 
et le Vatican. 

Dès le début de la restauration pontificale, une 
lettre du président de la République à M. Ney réclamait 
l'amnistie générale, la sécularisation de l'administration, 
le Code civil et un gouvernement libéral. Par l'organe 
de M. de Rayncval la France cherchait, dans les déli- 
bérations de Gaëte, à sauver le régime constitutionnel 
et à donner aux Romains quelques garanties quant à 
l'emploi des deniers publics, en changeant le rôle con- 
sultatif de la Consulte pour les finances en un rôle déli- 
bérant. (Protocole. 12.) Sur tous ces points, la France 
n'obtint aucune satisfaction. 

Loin d'être générale, l'amnistie ne comprit ni les 
membres du gouvernement, ni les chefs militaires, ni ceux 
qui avaient commis des délits prévus par les lois en 
vigueur, etc. On institua un comité de censure pour con- 
naître des qualités et de la conduite des employés civils 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 167 

de toutes les branches, et un [conseil d'inquisition sur 
tous les délits commis dans le passé contre la religion 
et ses ministres, la majesté du souverain, la sûreté 
publique ou privée, a En fait de clémence, disait Vic- 
tor Hugo à l'Assemblée, le 18 octobre 1849, le pape oc- 
troie une proscription en masse; seulement il a la bonté 
de donner à cette proscription le nom d'amnistie. » 

La sécularisation de l'administration fut refusée 
comme inutile, le chiffre des employés ecclésiastiques 
étant minime, et S, S. voulant se réserver rentiè)"^ 
liberté d'employer tous ceux de ses sujets^ ecclésiasti- 
ques ou laïques indistinctement , qu elle jugerait capa- 
blés de rendre des services à l'Etat, Quant au régime 
constitutionnel, il fut écarté (à la vive satisfaction de 
l'Autriche, de l'Espagne et des Deux-Siciles), comme 
incompatible avec l'exercice du pouvoir spirituel du 
pape. La même raison fît repousser le droit pour la Con- 
sulte d'approuver ou de refuser le budget. (Protocoles 
4 et 12.) 

Toutes les réformes se bornèrent à la concession de 
libertés municipales et provinciales que laCour de Rome 
eut soin de communiquer, non pas à la France seule, 
mais à l'Europe entière « dont Sa Sainteté recevrait avec 
plaisir l'avis » . La majorité de laConférence s'extasia sur 
ces libertés concédées par le pape, libertés qu'une simple 
circulaire du 5 août 1853 abrogea d'ailleurs complète- 
ment. LaFrance protesta, par une note du 3 mai 1849, 
contre le refus d'opérer des réformes sérieuses, et pré- 
dit au Saint-Père les plus graves dangers. Notre ambas- 
sadeur déclara insuffisant Je motu proprio du 12 sep- 
tembre. Le ministre des affaires étrangères écrivait au 
représentant de la France à "Vienne : « Le renouvelJe- 

i7 



168 CHAPITRE 11 



ment total des abus que l'on ne pouvait pas souffrir 
sous l'ancien régime ; l<es destitutions en masse d'hon- 
nêtes employés ; une odieuse inquisition sur tous ceux 
qui se montraient contraires à la tyrannie cléricale ; 
l'exil et l'emprisonnement pour tous ceux qui se décla- 
raient ennemis de la révolution et partisans de l'ordre 
et de la liberté ; dans certaines provinces, dos mesures 
de terreur de nature à déshonorer des temps barbares, 
voilà les actes, voilà les réformes qui ont inauguré la 
restauration du pouvoir pontifical. 9 

Où trouver une meilleure condamnation de la poli- 
tique d'intervention? Quelles libertés l'action de la 
France avait-elle sauvées? Quelles conséquences plus 
désastreuses une occupation autrichienne aurait-elle pu 
avoir ? 

A partir de cette date, commence une série ininterrom- 
pue de plaintes et de reproches adressés par le gouverne- 
mentfrançais au cabinet pontifical etdont celui-ci ne tenait 
aucun compte, sachant bien que, pour des raisons de 
politique intérieure^ les ministres de l'empereur n'ose- 
raient pas retirer de Rome les troupes françaises. Loin 
d'avoir pour les commandants français la déférence 
qu'elle témoignait jadis aux autorités militaires autri- 
chiennes, la Cour de Rome subissait notre protection 
avec impatience, et des conflits incessants surgissaient 
entre les fonctionnaires pontificaux et nos officiers, 
bien que ceux-ci fussent souvent changés. Outre cet in- 
convénient, une dépêche de M. Drouyn de Lhuys du 
12 sept. 1864 énumère tous ceux qui résultent de notre 
occupation et qui dérivent t de la divergence des ins- 
pirations et des principes des deux gouvernements ». 
Dans sa lettre du 12 août 1849, Louis Napoléon, prési- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRBiS 160 



dent, avait ordonné de ne point permettre qu'à Tombre 
du drapeau tricolore on commît aucun fait qui pût 
dénaturer le caractère de notre intervention ; empe- 
reur, il était impuissant à empêcher des événements 
comme Taffaire Morlara, « tristes faits avec lesquels la 
présence de notre armée nous créait une solidarité (1). » 
La situation, difficile jusqu'en 1859, devint intolérable 
à partir de cette époque. La France avait entrepris de 
chasser les Autrichiens de Tltalie; elle avait fait appel 
aux sentiments patriotiques des Italiens; elle venait 
f seconder la lutte d'un peuple revendiquant son indé- 
pendance, et le soustraire à l'oppression étrangère ». 
A tous les Italiens elle promettait une patrie libre jus- 
qu'à l'Adriatique; à tous elle apportait la liberté. 
Mais une réserve, une exception était faite pour les 
sujets du pape, placés, comme toujours, hors la loi 
commune, c Nous n'allons pas en Italie, disait l'empe- 
reur dans sa proclamation du 3 mai, fomenter le dé- 
sordre, ni ébranler le pouvoir du Saint-Père que nous 
avons replacé sur le trône, mais le soustraire à cette 
pression étrangère qui s'appesantit sur toute la pénin- 
sule. > « Depuis douze ans, ajoutait-il à l'ouverture de 
la session de 1859, je soutiens à Rome le pouvoir du 
Saint-Père. Le passé doit être une garantie de l'avenir. » 
Le ministre des cultes affirmait par une circulaire à 
l'épiscopat que tous les droits temporels du pape 
seraient respectés. Eflectivement, les préliminaires de 
Villafranca et la paix de Zurich (art. 18) parlent d'une 
confédération italienne dont ferait partie Tempereur 
d'Autriche pour la Vénétie, et qui serait placée sous la 



(1) Discours de M. Rouher au Corps législatif, 43 avril d8jo. 



(70 cnAi'irRË 11 



présidence honoraire du Saint-Père. L'article 20 stipule 
que des réformes, les fameuses réformes, seront de- 
mandées au pape par les deux souverains contrac- 
tants. — Aux termes du traité, il aurait donc fallu réta- 
blir par la force dans les Romaines le pouvoir ponti- 
fical, qui y était tombé sans aucune résistance, sans 
aucune révolution, comme une conséquence naturelle 
du départ des Autrichiens. 

Mais, comme l'écrivait mélancoliquement l'empe- 
reur lui-même dans sa lettre au pape du 31 déc. 1859, 
les faits ont une logique inexorable. Les seules sti- 
pulations politiques du traité de Zurich qui produisirent 
leurs efiets furent celles qui avaient trait à la cession 
de la Lombardie, parce que, seules, elles étaient con- 
formes au but de la guerre, but essentiellement juste 
selon le Droit des gens, puisqu'il tendait à délivrer un 
peuple de l'occupation, de l'intervention prolongée de 
l'étranger. Au contraire, les combinaisons savantes de 
la diplomatie tombèrent dans l'oubli, et, par un fait 
peut-être sans exemple dans l'histoire, quelques mois 
après la signature du traité, le souverain victorieux qui 
l'avait imposé était forcé de reconnaître qu'il était 
inexécutable. L'article qui réservait les droits du Saint- 
Père eut exactement autant de valeur que celui qui 
réservait les droits des souverains de Modène, de 
Parme et de la Toscane. Un mois après la promulga- 
tion du traité en France, l'empereur demandait au 
pape de renoncer aux Romagnes, et à l'Autriche d'a- 
bandonner les grands-ducs (1). Quant à la confédéra- 

(1) Exposé (le la situalioii de Tempire de 1861, et documents an- 

UOAt'S. 



LES INTERVKNTIONS ÉTRANGÈRES 171 

tion, personne ne se souciait de réaliser cette concep- 
tion bizarre; comment espérer, en efiet, la fraternité, 
la communauté d'efiorts qu'une confédération suppose, 
entre le pape et le Piémont, TAutriche et la dynastie de 
Savoie? Faire une telle confédération c'était, comme 
M. E. OUivier Ta montré dans son discours du 13 avril 
1865, aller directement contre le but de la campagne, 
et donner à l'Autriche plus de puissance encore en Italie 
qu'elle n'en avait avant la guerre ! 

Le traité tomba devant rindiflérence de tous, et la 
logique inexorable des faits créa, en 1860, le royaume 
unitaire d'Italie, exclusivement composé d'Italiens, au 
lieu de l'État hybride rêvé à Zurich. Dans ce royaume 
figuraient non seulement les Romagnes, mais les Mar- 
ches et rOmbrie arrachées au pouvoir du Saint-Siège. 
On imagine les plaintes, les remontrances, les blâmes 
adressés par le pape au gouvernement français, qui lui 
avait solennellement promis l'intégrité de son terri- 
toire au début de la guerre de 1859 1 

Pour toute justification, le cabinet impérial répondait 
que la perte des Légations n'avait d'autre cause que la 
mauvaise administration de ces provinces par le gou- 
vernement pontifical ; il se déclarait impuissant à repla- 
cer les Romagnes sous la domination dos papes; il re- 
connaissait tous les vices de l'occupation et affirmait le 
droit des Romains d'avoir une souveraineté nationale, 
un droit public, qui ne fussent pas subordonnés aux con- 
venances de la catholicité. € Le contrat par lequel les gé- 
nérations futures du peuple romain seraient à perpétuité 
condamnées à subir un gouvernement, en échange des 
splendeurs de la Ville Éternelle, n'existe nulle part et 
serait radicalement nul. » (Discours de M. Rouher au 



m CHAPITRE II 



Corps législatif, 15 avril 1865.) L'empereur lui-même 
constatait que le Saint-Siège avait contre lui tout ce qui 
était libéral en Europe, c II passe, disait-il dans sa lettre 
du 20 mai 1862, pour le représentant de l'ancien 
régime et l'ennemi acharné de l'Italie. » Enfin le cabi- 
net des Tuileries affirmait que le principe de non-inter- 
vention et le principe de nationalité, bases de sa poli- 
tique, étaient incompatibles avec l'occupation de 
Rome. 

La conséquence nécessaire de cette théorie semblait 
devoir être le retrait de nos troupes, et le consentement 
donné par la France aux coilquêtes de l'Italie, consen- 
tement déjà accordé par un grand nombre de cabinets 
européens. Mais, par une inconséquence que les néces- 
sités de sa politique intérieure peuvent seules expli- 
quer, le gouvernement impérial, tout en condamnant la 
conduite du Saint-Siège, cherchait un terrain de conci- 
liation, une formule d'entente entrcle pape et le royaume 
d'Italie. 11 poursuivait une combinaison qui, c en 
maintenant le pape chez lui, abaisserait les bar- 
rières entre ses États et le reste de Tltalie. » Il affir- 
mait au pape que l'intérêt de la religion, au roi que 
l'intérêt de l'Italie, exigeaient un rapprochement. Et 
nous voyons alors éclore, de 1860 à 1864, des projets 
de traités entre les deux ennemis, des combinaisons 
plus ingénieuses que réalisables. De 1859 à 1864, 
Mgr Dupanloup compte cinq projets diff*érents : 

1° Lettre de l'empereur après Solférino, proposant 
de faire des Roriiagncs un État tributaire ; 

2° Conseils de réformes insérés dans le traité de 
Zurich; 

3° Projet de changer le pouvoir du pape sur les 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 173 

Romagnes en un droit de haute souveraineté , le roi 
Victor-Emmanuel étant vicaire du pape dans ces pro- 
vinces ; 

4® Projet de M. Ricasoli ; nous en reparlerons dans 
notre chapitre III; 

5® Médiation ofierte par la France en 1863. 

Il faut y ajouter le projet Thouvenel du 24 avril 1862, 
en vertu duquel l'occupation française cessait; le pape 
gardait les titres et les prérogatives de la souve- 
raineté ; une liste civile était fournie par les puissances 
catholiques; les populations romaines envoyaient des 
députés au Parlement italien, et le pape nommait quel- 
ques sénateurs au Sénat du royaume. Il aurait eu une 
garde pour sa personne, le droit de frapper des mon- 
naies à son effigie d'une valeur égale à celle des mon- 
naies italiennes, et d'avoir un drapeau semblable au 
drapeau italien, mais avec les armes pontificales au lieu 
de l'écu de Savoie. Enfin (et cette clause fit rejeter le 
projet à Turin), on aurait rendu au pape un territoire à 
l'ouest de l'Apennin, d'une population < d'environ 
100.000 âmes >t 

Mentionnons aussi le projet de Congrès européen 
contenu dans la lettre impériale de 1863. 

A côté des propositions officielles, venaient les sys- 
tèmes officieux, proposés dans des brochures d'autant 
plus remarquées que leur auteur véritable se dissimu- 
lait. On s'eflorçait de prouver au pape que rien ne 
serait plus utile pour lui que de restreindre son autorité 
à la ville de Rome même, un pouvoir paternel s'exer- 
çant d'autant mieux que le territoire est plus res- 
treint I On lui conseillait aussi do confier sa garde 
à l'armée italienne ! 



174 CHAPITRE H 



Mais, comnio le disait M. Thiers : f Entre le pape qui 
vous dit: c Si je n'ai pas Rome, je suis obligé de desceodre 
du trône » — et l'Italie qui vous dit : < Mon unité n'est 
pas possible sans Rome », dites-moi quel est le terrain 
de conciliation ? Gomment amener à une entente des 
puissances qu'on reconnaît être des « ennemies achar- 
nées »? Gomment persuader au Saint-Père qu'il lui 
serait avantageux de consentir à la perte des trois 
quarts de son territoire ? 

Aussi les efforts de la diplomatie impériale étaient- 
ils absolument stériles. 

Le pape répondait à toutes les propositions par des 
refus hautains et par des arguments théologiques. Il 
appelait les brochures de M. de la Guéronnière « un 
monument d'hypocrisie et un ignoble tissu de contradic- 
tions (1) ». Il prenait envers l'Italie l'attitude d'un gou- 
vernement hostile, se refusant à conclure même un de 
ces traités que le voisinage rend indipensables, par 
exemple, un traité d'extradition. La Gour de Rome 
opposait le serment pontifical à toute demande d'aliéna- 
tion partielle de souveraineté, refusait toutes les conces- 
sions offertes, depuis la liste civile à fournir par lespuis- 
sances catholiques, jusqu'à la garantie de la neutralité 
des États qui lui restaient. Elle déclarait qu'elle ne con- 
sentirait jamais à aucune transaction en dehors du ré- 
tablissement du statu quo ante bellum, non seulement 
dans les États romains, mais à Parme et à Modène (2). 
Elle flétrissait solennellement le funeste et pernicieux 



(1) Allocution du pape recevant les officiers français, le 1*' jan- 
vier 1860. 

(2) Annuaire des Deux-Mondes^ 1860, et documents cités. 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 475 

principe de non-intervention c en vertu duquel une 
sorte d'impunité et de licence est assurée, au mépris 
de toutes les lois divines et humaines, à l'invasion et à 
la spoliation des droits, des propriétés et des domaines 
d' autrui (1) ». Enfin, pour se débarrasser d'une tutelle 
devenue odieuse, la Papauté demandait elle-même le 
retrait de nos troupes. 

L'Italie, de son coté, dont les sentiments de nationa- 
lité avaient été surexcités par la campagne de 1859, 
ne supportait qu'avec impatience la surveillance, les 
conseils, l'ingérence française dans ses relations avec 
Rome. Elle ne croyait pas à la conciliation rêvée par 
le souverain des Français. Elle désirait agir hostilement 
envers un pouvoir hostile, faible par ses ressources 
matérielles, fort par son influence morale, qui ne ces- 
sait d'appeler sur elle la haine des peuples étrangers. 
Elle déclarait hautement qu'elle voulait Rome pour 
capitale, avec le consentement des Romains; qu'elle 
entendait délivrer ceux-ci de l'intervention avouée de 
la France, et de l'intervention occulte des puissances 
qui fournissaient au pape des mercenaires. L'Italie, en 
agissant ainsi, nous semble ne pas avoir violé les prin- 
cipes du Droit des gens. Le principe de nationalité ne 
peut être admis, en effet, s'il doit avoir pour résultat la 
réunion violente et forcée de toutes les populations qui 
parlent la même langue. Mais ce principe nous parait 
au contraire juridique , si l'on exige comme con- 
dition nécessaire de son application ce que Mancini 
appelle la conscience de nationalité, c'est-à-dire la vo- 



(1) Allocution en consistoire secret^ du 28 sept. 1860. 



176 CHAPITRE II 



lonté de former une association, de vivre en commun 
sous les mêmes lois^. La conscience denationalité n'est 
autre chose que la volonté libre des populations de se 
grouper sous un gouvernement commun. Or, peut-on 
nier que, depuis 1849,1e désir d'être Italiens n'ait existé 
chez les Romains ? Pourquoi le pape a-t-il toujours été 
obligé do s'entourer de mercenaires si son pouvoir 
était populaire ? Pourquoi, à Casteliidardo, les soldats 
italiens de l'armée pontificale refusèrent-ils de com- 
battre ? Ajoutons que si tous les peuples ont le droit de 
délivrer une nation de l'occupation étrangère, ce devoir 
incombe surtout aux peuples qui sont de la même 
famille que les opprimés. Si le Congrès de Vienne, 
accueillant les réclamations de la Cour de Rome, avait 
rendu à la souveraineté pontificale le Comtat-Yonaissin, 
si le pape avait appelé à Avignon les troupes autrichien- 
nes par exemple, s'il s'était entouré de mercenaires 
pour étouffer les révoltes de ses sujets, la France n'au- 
rait-elle pas eu le droit de chasser l'étranger (1) ? 



(1) Il est môme curieux de voir les écrivains français qui soulion- 
nent les prétendus droits du Saint-Siège en Italie, faire bon marché 
des mêmes droits sur le Qomtat-Venaissin, que le Saint-Siège pouvait 
revendiquer avec autant de force. En i79i , le Saint-Siège, dans 
sa protestation contre Tannexion d'Avignon à la France, affirmait 
qu'il n'y avait pas en Europe une possession qui s*appuyàt sur des 
titres plus certains et plus légitimes que la souveraineté pontificale 
sur le Comtat-Vcnaissin et la ville d'Avignon, souveraineté garan- 
tie par une possession de cinq siècles ! Cependant Mgr Pavy, par 
exemple, trouve que la ntuation de ces territoires laissait peu de 
chances à la durée de cette posses^^ion, si éloignée de Rome et si rap- 
prochée d'une nation conquérante ! Il approuve le Congrès de Vienne 
de n'avoir pas brisé le faisceau de l'unité territoriale de la France. 
Si le patriotisme français fait tenir à nos écrivains un tel langage , 
pourquoi ne pas l'admettre dans la bouche dos patriotes italiens ? 



LKS INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 177 

Les prétentions des Italiens étaient donc légitimes, 
à la seule condition de justiFier que les Romains eus- 
sent le désir de vivre de la vie nationale du royaume 
d'Italie. On voit combien la concorde était impossible 
entre Pie IX et Victor-Emmanuel. 

Aussi le débat allait-il s'irritant entre la France. 
l'Italie et le Saint-Siège. Celui-ci se refusant systémati- 
quement à tout arrangement, les deux premières puis- 
sances prirent le parti de traiter seules, sans deman- 
der l'avis du pape. De là la Convention du io sep- 
tembre 1864. 

Cette Convention présente d'abord ce caractère par- 
ticulier que la France stipule pour le Saint-Sièe;e, 
comme un État protecteur traite pour un État mi-sou- 
verain , vassal ou protégé; l'Italie lui reconnaissait 
donc implicitement un droit de protection sur les États 
pontificaux. De plus, la France traite avec l'Italie à 
propos des mêmes États ; elle lui reconnaissait dono. 
implicitement un droit, un intérêt, si conditionnel et 
si éventuel qu'il fût, sur ce territoire. 

Par la Convention, la France s'engage à retirer ses 
troupes de Rome dans un délai maximum de deux ans. 
C'est là l'objet principal de la Convention, au dire 
des Italiens. 

L'Italie promet de ne pas attaquer le territoire actuel 
des États pontificaux et d'empêcher, même par la force, 
toute attaque, venant de l'intérieur, contre le mêmee 
territoire. C'est là l'objet principal de la Convention, 
d'après le gouvernement français. 

Pour maintenir l'ordre à l'intérieur et se défendre 
contre les attaques venant de l'extérieur, le pape aura 
le droit de lever une armée, composée de volontaires 



178 CHAPITRE II 



catholiques mcmc étrangers. Cette force ne devra ja- 
mais pouvoir dégénérer en moyen d'attaque contre le 
gouvernement italien. Un premier projet, élaboré sous le 
ministère Durando. limitait dans ce buta 10,000 hommes 
les troupes pontificales à créer. Une partie à détermi- 
ner de la dette pontificale est mise à la charge de l'Ita- 
lie ; c'est la conséquence juridique de ses annexions 
de 18G0. 

Enfin, un protocole secret subordonne la valeur exé- 
cutoire de la (Convention à la translation de la capitale, 
dans le délai do six mois, de Turin à telle ville que le 
roi d'Italie choisira. 

Cette convention donna lieu à deux interprétations si 
différentes que Mancini (Disc. 19aoûtl870) alla jusqu'à 
dire que le traité étaifnul parce qu'il n'y avait pas eu 
idem placitum. Il y eut l'interprétation française et 
l'interprétation italienne. 

Pour les Italiens, la Convention était, avant tout, la 
consécration du principe de non-intervention. A per- 
pétuité, l'Italie était autorisée à s'opposer à toute ingé- 
rence, à toute intervention, patente ou occulte, de l'é- 
tranger, et en particulier de la France, à Rome. Le 
pape ne pouvait plus compter désormais que sur lui- 
même pour maintenir son pouvoir. S'il était impuissant 
à conserver son autorité, l'Italie était alors autorisée à 
entrer dans les États romains. Le gouvernement de Vic- 
tor-Emmanuel ne s'interdisait que l'emploi do la force 
brutale contre ces États ; il s'engagait aussi à remplir 
consciencieusement ses devoirs de puissance limitrophe 
en empêchant toute agression venant de l'intérieur. Mais 
l'ambassadeur qui avait négocié la Convention, la 
commission chargée de l'examiner dans son rapport, 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES 179 

les ministres dans leurs déclarations à la Chambre et 
au Sénat, affirmèrent hautement que les stipulations 
intervenues n'impliquaient aucune renonciation au pro- 
gramme national, et en particulier aux votes do 1861 
par lequels le Parlement avait déclaré Rome capitale. 

Là précisément était l'un des points sur lesquels le 
gouvernement italien était en opposition absolue avec 
l'interprétation française. Le cabinet impérial disait que 
la Convention n'avait été conclue qu'à cause du chan- 
gement d'attitude du gouvernement italien. Le Piémont 
est devenu plus sage, disait-il; il renonce à faire de 
Rome capitale la condition nécessaire de son unité; 
cette renonciation est affirmée par le transfert de la ca- 
pitale à Florence; ce transfert n'est ni une étape, ni un 
expédient, mais un gage sérieux. Enfin, l'Italie s'engage 
à ne pas attaquer ou laisser attaquer les États du pape; 
elle promet par là de ne pas user de manœuvres desti- 
nées à provoquer l'insurrection. Enfin, pour les cas 
imprévus et les événements inattendus, c'est-à-dire en 
cas de sédition à Rome ou d'attaques déguisées de l'Ita- 
lie, l'empereur déclarait à maintes reprises, avec l'ap- 
probation des Chambres, qu'il se réservait sa liberté 
d'action^ en un mot le droit d'intervenir. 

Il est certain que le gouvernement impérial feignait 
de prendre ses désirs pour des réalités quand il décla- 
rait, au mépris de toute vérité, que le roi d'Italie avait 
renoncé à Rome capitale. Si un ministre italien, disait 
avec raison M. Thiers, avait affirmé que l'installation à 
Florence était définitive, il n'eût pas achevé son dis- 
cours. Mais il est, d'autre part, bien étrange, de voir 
Mancini s'étonner qu'on pût considérer comme décou- 
lant du traité des conséquences que la simple lecture 



180 CHAPITRE II 



du texte suffit pour apercevoir, et nier, malgré les termes 
positifs de l'article 1®', que Tltalie se fût obligée à sur- 
veiller une frontière de 400 kilomètres, pour empêcher 
une agression contre le pouvoir pontifical. Il nous semble 
aussi que la France, en stipulant le transfert de la capi- 
tale à Florence, montrait suffisamment que, dans sa 
pensée, tant que lu Convention subsisterait, l'Italie ne 
pouvait songer à faire de Rome sa capitale. L'emploi 
de moyens révolutionnaires pour provoquer des émeutes 
à Rome n'avait pas besoin d'être prévu par la Conven- 
tion; il est condamné par les plus simples notions du 
respect du droit d'autrui, et la France ne pouvait vrai- 
ment faire au gouvernement italien l'injure de le pro- 
hiber expressément. Nous en dirons autant de la liberté 
d* action que l'empereur se réservait ; elle n'était autre 
chose que le droitd'intervenir, au mépris deTarticleS de 
la Convention conforme au devoir général de non-inter- 
vention. 

Le désaccord entre les deux cabinets au sujet de l'in- 
terprétation devint tel que le difiérend fut soumis à 
l'arbitrage de l'empereur; celui-ci permit au gouverne- 
ment italien do faire certaines déclarations (1). 

La vérité est que la Convention du IS septembre 1864 
avait été signée sans que les parties contractantes 
eussent voulu s'expliquer nettement, de peur de ne 
pouvoir s'entendre. 11 eût fallu, ou bien laisser le pou- 
voir temporel disparaître, ou bien tenir aux Italiens le 
langage conseillé par M. Thiers, et leur dire : « Vous 

(1) V. Archives diplomatiques, 1865. — Dépêche do Nigra, ambassa- 
deur à Paris, du 15 sept. 186i. — Note du gouvernement français, dite 
des Sept points, 30 oct. 186i. — Arbitrage de l'empereur, 2 nov. 
1864. 



LKS INTERVENTION^ ÉTRANGËKES 181 

n*aurez pas Rome. » Au contraire, le gouvernement im- 
périal avait voulu c faire quelque chose du côté de 
Rome, puisqu'il le fallait, mais de manière qu'au delà 
des Alpes, aux yeux des Italiens, on parût avoir donné 
Rome, et qu'en deçà des Alpes, aux yeux des catho- 
liques, on parût ne pas l'avoir donnée » (1). — « Selon 
nos plénipotentiaires, on n'avait pas renoncé à Rome », 
disait Massimo d'Azeglio au Sénat italien, le 30déc. 1864; 
« selon le traité et les documents, on y avait renoncé; 
selon notre presse semi-officielle, on n'y avait pas re- 
noncé ; selon la presse semi-officieuse française, on y 
avait renoncé. L'Italie dit : j'attends le progrès de la 
civilisation, et quand il me dira le moment est venu, je 

déclare dès à présent que j'agirai selon ma conviction. 
La France répond : quand votre moment sera arrivé, 
moi aussi j'agirai selon mes intérêts. Ce qui veut dire, 
en bon italien, que chacun conserve sa liberté d'action 
et qu'on a eu l'habileté de faire un traité en parfait 
accord sur tout, sauf sur les bases. » 

C'est ce qui explique pourquoi cette convention ne 
fut jamais loyalement exécutée. La France rappela ses 
troupes, mais les remplaça par la légion d'Antibes, com- 
posée de soldats français, commandée par des offi- 
ciers français, inspectée par un général français délé- 
gué par le ministre de la guerre de France, légion dont 
les déserteurs étaient envoyées dans les corps discipli- 
naires d'Afrique! L'Italie, d'autre part, qui chassait au 
faucon avec Garibaldi, selon l'expression de M. Thiers, 
ne semble pas avoir toujours pris toutes les mesures que 



(1) Discours de M. Thiers, i3 avril i865. 



182 CHAPITRE II 



le Droit des geas et la Convention de septembre com- 
mandaient pour empêcher les incursions des valon- 
laires sur le territoire pontifical. 

A la suite d'une de ces invasions que le gouverne- 
ment italien n'avait pu empêcher, et qu'il avait peut- 
être encouragée, eut lieu la déplorable expédition de 
1867, et « la douloureuse et sanglante p répression de 
Mentana. c Je ne vous dirai pas, s'écriait Mancini dans 
son discours du 19 août 1870, ce qu'en pensèrent les 
hommes politiques ; mais descendez sur les places publi- 
ques des villes italiennes, allez dans les campagnes et 
dans les usines, et vous saurez que, sans que la recon- 
naissance pour les bienfaits que l'Italie a reçus de la 
France ait diminué, sans se croire dégagée de toute gra- 
titude, cependant toute la nation italienne s'est sentie 
lésée par son amie et sa protectrice; elle s'est sentie 
humiliée, réduite à l'impuissance, condamnée par cal- 
cul à un éternel vasselage envers l'empire français. » 

L'occupation française de Rome recommença, tandis 
que les troupes italiennes entraient aussi dans les Ëtats 
pontificaux et occupaient quelques positions. On pou- 
vait croire qu'après ces actes directement contraires à 
la Convention de 1864, celle-ci eût cessé d'exister et 
qu'il n'en serait plus fait mention. Cependant, quand 
la guerre obligea le gouvernement français à rappeler le 
corps d'occupation, il annonça, par une dépêche du 
2 août 1870, qu'il voulait rentrer dans la Convention 
de 1864 en retirant ses troupes. Par une dépêche du 
4 août, le cabinet de Florence prit acte de cette décla- 
ration et promit de remplir les obligations résultant 
de ce traité. 

Mais bientôt l'attitude de l'Italie changea. Après s'è- 



LES INTERVENTIONS ÉTRANGÈRES I83 



tre assuré que les puissances ne feraient pas d'opposi- 
tion, le gouvernement royal se décida à agir contre le 
pape. Sous prétexte de maintenir Tordre et d'empêcher 
des mouvements républicains contre Rome, le minis- 
tère demanda et obtint deux crédits, l'un de 18, l'autre 
de 40 millions, puis clôtura la session de la Chambre. 
Le 2 septembre, le général Cadorna recevait Tordre de 
marcher sur Rome, et Victor-Emmanuel écrivait une 
lettre au Souverain Pontife. Les prétextes que cette 
lettre invoque pour justifier Tordre donné à Tarmée 
italienne sont tout à fait extraordinaires. A la faveur 
de la guerre franco-prussienne, dit ce document, le 
parti de la révolution cosmopolite croît en hardiesse et 
en audace, et s'apprête, surtout dans les États pontifi- 
caux, à porter les derniers coups à la monarchie et à la 
papauté. Roi catholique et roi d'Italie, Victor-Emma- 
nuel sent le devoir de maintenir Tordre dans la pénin- 
sule et de garantir la sécurité du Saint-Siège, mais il ne 
veut commettre aucun acte d'hostilité contre celui-ci. 

Ainsi, c'est dans Tintérôt du pape que les troupes 
italiennes envahissent ses États (l)t 

Pie IX répondit : « Cette lettre n'est pas digne d'un 
fils aflectueux qui se fait gloire de professer la religion 
catholique... Je bénis Dieu qui a permis à V. M. de 
combler d'amertume la dernière période de ma vie. > 
Il donna Tordre en même temps de ne résister que pour 
constater la violence. Après un bombardement de 
4 heures et une brèche ouverte, la ville do Rome capi- 
tula, le 20 septembre. Les troupes occupèrent Rome, 



(1) Oq alla même jusqu'à prétexter une insurrection à Viterbe, qui 
n'a jamais eu lieu. 

iS 



484 CHAPITRE II 



sauf les résidences apostoliques. Le 2 octobre, le Parle- 
ment, par 192 voix contre 18, transféra la capitale à 
Rome. Victor-Emmanuel y fit son entrée le 31 décembre, 
au milieu de l'enthousiasme des populations. 

Telle fut la fin du pouvoir temporel, qui avait donné 
lieu à tant d'interventions, c II faut reconnaître, dit 
Phillimore (Appendice IX du tome II), que l'incorpora- 
tion des États du pape, comme celle des États des autres 
princes italiens, au royaume d'Italie, aété eflectuéeparla 
volonté des sujets de ces domaines, aussi bien que l'ar- 
rivée de la maison de Hanovre au trône d'Angleterre, 
que l'établissement de la République aux États-Unis, 
que l'accession d'un prince de Savoie au trône d'Es" 
pagne; tous ces faits, reconnus par les États du monde 
civilisé, ont été effectués par la volonté réfléchie des 
États où ils se sont opérés, v 



CHAPITRE III 

La chate da pouvoir temporel et la loi des garanties. 

Le problème qui se posait devant les Italiens entrant 
dans Rome était celui-ci : remplacer le pouvoir tempo- 
rel supprimé par un système de garanties à déterminer 
par une loi et qui assureraient Tindépendancedu Saint- 
Siège. 

Cette idée n'était pas nouvelle en législation. 

Ainsi : 

Le décret du 17 mai 1809, qui réunit les États du 
pape à l'Empire français, exempte, dans son art. 6, les 
terres, domaines et palais du pape, de toute juridiction, 
imposition et visite, et promet des immunités parti- 
culières pour ces immeubles. L'art. 5 du même décret 
assure au pape un revenu de deux millions ; 

Dans des observations que l'empereur faisait remet- 
tre en 1810 à Metternich, médiateur entre le pape et 
lui, il demandait que le Souverain Pontife vînt se fixer 
à Avignon et promettait de l'y traiter d'une manière 
conforme à sa dignité, a II pourrait, dit la note, 
avoir des agents au dehors, recevoir des ambassa- 
deurs des Cours étrangères, chargés uniquement des 
affaires spirituelles de leur pays. Les agents, les am- 
bassadeurs jouiraient de tous les privilèges de leurs ti- 
tres, enverraient et recevraient des courriers. Toute la 
chrétienté pourrait contribuer à augmenter le revenu 
du pape. On réglerait le sort de la Propaprande et des 



186 cHAmiΠm 



cardinaux; on Jélermiiicrait le nombre de ceuv-ci pour 
chaque pays en raison de sa population » ; 

Le sénalus-consulte du i7 février i810, dans son ti- 
tre III (De rpxistence temporelle des papes), accorde au 
Pontife des palais à Rome, à Paris, et dans les villes de 
l'Empire oii il voudra résider, et lui assigne un revenu 
de deux millions en biens ruraux, francs de toute impo- 
sition, et sis dans les différentes parties de l'Empire. 
Les dépenses du Sacré-Collège et de la Propagande sont 
déclarées impériales ; 

Le Concordat de 1813 (art. 2) confère aux ambassa- 
deurs. ministres et chargés d'affaires des puissances près 
le S. -S., et du S. -S. près les puissances étrangères, les 
immunités et privilèges dont jouissent les membres du 
Corps diplomatique ; 

La République de 1849, nous l'avons dit, promit 
également dans sa Constitution (art. 8) des garanties 
pour l'exercice du pouvoir spirituel du Saint-Père ; 

Le gouvernement italien, à son tour, avait maintes 
fois affirmé que, dans sa pensée, l'annexion de Rome au 
territoire italien rendrait nécessaire le vote d'une loi 
assurant au Saint-Père des garanties de liberté et d'in- 
dépendance. Le cabinet Cavour avait, le 10 septembre 
18()1. soumis à la France et au Vatican un projet qui, tout 
en stipulant la cessation du pouvoir temporel, assu- 
rait au pape la dignité, l'inviolabilité, toutes les autres 
prérogatives de la souveraineté, et les prééminences 
d'usage; aux cardinaux, le titre de princes et les hon- 
neurs correspondants. Le roi prenait l'engagement de 
ne jamais mettre obstacle à l'exercice de l'autorité spi- 
rituelle du pape, reconnaissait à celui-ci le droit d'en- 
voyer des ambassadeurs et promettait de les protéger 



CHUTE nu POUVOIR TEMPOREL 187 

tant qu'ils seraient sur le territoire de TÉtat. Le pape 
aurait toute liberté de communiquer avec les évcques 
et les fidèles, de convoquer des synodes et des conci- 
les; il jouirait d'une dotation fixe et insaisissable, four- 
nie par toutes les puissances catholiques. Le traite 
serait garanti par celles-ci. Enfin, le gouvernement 
italien renonçait à tous les droits de patronage, de no- 
mination d'évèques, etc. — D'après une dépèche du 
29 août 1870, dans laquelle M. Visconti-Venosta, mi- 
nistre des affaires étrangères, fait tout l'historique do 
la question romaine (1), la France aurait répondu au 
projet Cavour par deux contre-projets : le premier res- 
tituant au pape ses anciennes possessions mais chan- 
geant son pouvoir en un droit do haute souveraineté ; lo 
second réduisant le [domaine temporel à la partie de 
Rome qu'on appelle la Cité Léonine. Le Vatican 
aurait fait examiner le projet par deux cardinaux (An- 
tonelli et Sanlucci) déliés par le pape de leur serment 
cardinalice afin qu'ils pussent traiter de l'aliénation des 
biens de l'Église. — Mais ces divers projets n'abouti- 
rent pas. 

Un nouveau projet, soumis le 24 janvier 1868 au 
Saint-Père, laissait à celui-ci, en toute souveraineté, 
la Cité Léonine et ses 15.000 habitants, et lui oflrait 
des privilèges qu'un accord international sanctionne- 
rait; il n'eut pas meilleure fortune. 

Enfin, quand l'invasion des États pontificaux eut été 
décidée, le 29 août 1870, le comte San Martino,' chargé 
d'un ultimatum pour le pape, lui apportait en même 
temps un mémorandum : le roi offrait de laisser au 

(1) V. ceUe importaûee dépêche, Siaaisarchir, 1871. 



188 CHAPITRE III 



Saint-Siège la souveraineté de la Cité Léonine, de 
reconnaître au pape 1° toutes les prééminences établies 
par Tusage, 2° le droit de communiquer librement avec 
les puissances étrangères, d'envoyer ou de recevoir des 
ambassadeurs. Le gouvernement s'engageait en outre 
à conserver toutes les institutions, les offices, les corps 
ecclésiastiques et leurs administrations, existant à Rome, 
sans toutefois leur reconnaître de juridiction civile ou 
pénale. Ainsi que le projet précédent, ce mémorandum 
promettait une dotation fixe et intangible; les employés 
civils et militaires de l'État pontifical de nationalité 
italienne auraient conservé leurs grades etleurs appoin- 
tements. Enfin le dernier article disait : 4 Ces articles 
seront considérés comme un contrat public, bilatéral, 
et formeront l'objet d'un accord avec les puissances qui 
sont catholiques (1). 

Ainsi l'envoyé même qui signifiait au pape le dessein 
des Italiens d'envahir ses États lui apportait un projet 
de garanties. Par cette démarche et par plusieurs autres 
actes, le gouvernement royal montra qu'il considérait 
comme inséparables ces deux idées: annexion de Rome 
à l'Italie et garanties d'indépendance pour le pape. En 
toute occasion, cette pensée fut affirmée. Le comman- 
dant de l'armée italienne disait, dans sa proclamation 
du 11 septembre 1870: a L'indépendance du S. -S. restera 
inviolable au milieu des libertés civiles, mieux qu'elle 
ne l'a jamais été sous la protection des interventions 
étrangères. »0n eut soin, dans la capitulation de Rome 

(1) Ce Mémoranduiii, dil de la Cité Léonine, ne fut pus inséré au Livre 
Vert, il fut publié par V Indépendance belge, et mentionné par Maucini 
dans la discussion de la loi des garanties (séance du 28 janvier 
1871). 



CHUTE DU POUVOIR TEMPOREL 189 

du 20 septembre, d'excepter la Cité Léonine du territoire 
à remettre aux troupes royales. Le décret du 2 octobre 
1870, portant réunion de Rome et de ses provinces au 
royaume d'Italie, dit dans son article 2 que le Souverain 
Pontife conserve < la dignité, l'inviolabilité et toutes les 
prérogatives personnelles de la souveraineté » ; l'article 3 
prévoit c qu'une loi spéciale sanctionnera les conditions 
propres à garantir, même par des franchises territoriales, 
l'indépendance du S. -S. et le libre exercice de son auto- 
rité spirituelle». Mêmes dispositions dans la loi du 30 dé- 
cembre 1870 (acceptation du plébiscite); même rappro- 
chement dans le discours royal à l'ouverture de la 
session, le 5 septembre 1870. EnQn, le ministre déposa 
simultanément, le 9 décembre, le projet de loi sur les 
garanties, la loi d'acceptation du plébiscite, et la loi 
portant transfert de la capitale à Rome ; dans la 
discussion il affirma nettement (séance du 31 décembre 
notamment) l'indissolubilité de son programme : Rome 
capitale et indépendance du pape (1). 

Ainsi l'idée générale de la loi est de rassurer les puis- 
sances catholiques en garantissant au pape la liberté 
do son ministère spirituel. C'est contre elle-même, 
contre les excès de zèle de ses agents, que l'Italie accorde 
cette garantie. Celle-ci a un caractère absolument in- 
terne, et l'expression garantie est ici prise dans le 
même sens que quand on parle de l'inamovibilité, ga- 
rantie de l'indépendance de la magistrature, ou de l'im- 
munité judiciaire, garantie de la liberté du député. 

La loi du 13 mai 1871 est en effet une loi ilalienne et 



(1) Voir les documenls cités, Nouveau Recueil général deTraitéf y XVHI, 
p. 33 sq. 



190 CHANTRE lil 



n'a, à aucun degré, le caractère d'une convention 
internationale. Elle n'a été ni soumise aux puis- 
sances, ni approuvée ou garantie pai' elles. Il y a là 
une grande différence avec les projets de 1861, de 1868 
et du 29 août 1870. Le ministère a plusieurs fois déclaré 
dans la discussion que, s'il s'était naturellement préoc- 
cupé de donner satisfaction aux désirs des États 
catholiques, il n'avaitcepcndant pris aucun engagement 
international d'aucune espèce. A la séance du 18 mars 
1871, Mancini ayant proposé un article en vertu 
duquel les dispositions de la loi des garanties ne 
pourraient jamais faire l'objet de stipulations inter- 
nationales, et un ordre du jour dans le même sens 
ayant été déposé par un autre député, le gouvernement 
promit de soumettre au Parlement, bien que la Consti- 
tution italienne ne l'exige pas, tout traité modifiant la 
condition juridique du pape et toute convention rela- 
tive à ses droits (1). (Séances du 18 et du 20 mars.) 

La loi des garanties n'a pas davantage le caractère 
d'un acte bilatéral, le pape ayant toujours refusé de re- 
connaître cette loi, de s'en prévaloir, et notamment de 
profiter des revenus qu'elle lui assure. « Nunquamnos 
accepturos aitt admissuros esse nec uîlo modo posse 
excogitatds illas a gubemio sulbapino cautiones seu 
guarentigie. » (Encycliquedu 15 mai 1871.) 

Enfin cette loin'a aucun caractère constitutionnel (2). 



(i) Un ancien ministre italien, M. Jacini, a récemment proposé de 
faire garantir par toutes les grandes puissances la « neutralité interna- 
tionale du pape », ù condition que celui-ci reconnût l'état de choses 
existant à Rome. {Revue internat., 10 déc. 1887.) 

(2) Elle est même à bien des égards contraire à la Constitution. (V. lo 
discours déjà cité de Mancini.) 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES 101 

Elle peut être modifiée ou abrogée par un simple vote 
des deux Chambres, sanctionné par le roi. Cette préca- 
rité de la loi des garanties a souvent été invoquée par 
ses adversaires : «Une loiles a accordées, ditM. E. 01- 
livier {Manuel, p. 674), une loi peut les retirer. C'est 
la droite qui les a établies; la gauche les applique; 
peut-on affirmer que Textrème gauche ne les abolira 
pas? » Mais il n'a dépendu que du S. -S. d'obtenir pour la 
Loi des Garanties la sanction des puissances, offerte par 
l'Italie dans plus d'un document. Comment pourrait-il se 
plaindre aujourd'hui de ne pas avoir le bénéfice de cette 
garantie internationale, qu'il a repoussée avec hauteur ? 

Analyse de la Loi des GaranUes. 

La loi italienne du 13 mai 1871 a pour titre : Loi 
pour les garanties des prérogatives du Souverain Pon- 
tife et du Saint-Siège, et pour les rapports entre l'Ltat 
et l'Église (1). 

Elle est divisée en deux titres : 

Le premier se rapporte aux garanties des prérogatives 
du Saint-Siège. 

Le second traite des rapports de l'Église italienne 
avec l'État italien. Nous n'en parlerons donc pas. Les 
dispositions contenues dans cette partie de la loi abo- 
lissent l'autorisation spéciale pour la réunion des syno- 
des, Vexequatur et le placet royal pour la publica- 
tion des bulles, l'appel comme d'abus ; le gouverne- 

(1) Comme commentaires de la Loi des Garanties, V. Scaduto, Gua- 
renligie Poniîficie. Turin, 1884. — Minghetti, Chiesa eslalo. — V. la 
discussion dans les comptes rendus du Parlement italien. — Ticpolo, 
Leggi Eccicsiastiche, dans U Recueil des Legyi speciali de Pacifici 
Afazzoni, série 2, vol. unique. 



192 CHAPITRE 111 



ment renonce au droit de nommer les évêques et de 
leur imposer un serment. 

Quelles sont les garanties réelles que le titre pre- 
mier accorde au Saint-Siège? 

Il faut tout d'abord constater que la loi ne reconnaît au 
Saint-Père aucun droit de souveraineté territoriale pour 
garantie de sa liberté, he^ franchises territoriales Aonl 
parlaient le Décret royal du 2 octobre et la loi du 30 
décembre 1870 ont disparu. Bien que la Cite Léonine 
n'ait pas été comprise dans la capitulation de Villa- 
Albani, il a été maintes fois répété que toute la ville de 
Rome, sans en exclure les palais apostoliques, fait 
désormais partie du territoire italien. Le pape n'a que 
\q. jouissance de certains immeubles, déterminés par 
rarticle5. Aucun député italien n'a proposé de lui donner 
un droit de souveraineté sur un territoire si restreint 
qu'il fût. 

La loi ne reconnaît pas davantage au pape le carac- 
tère de souverain, au sens propre du mot. Aucun arti- 
cle de la loi ne lui donne cette qualité, et le rapporteur, 
M. Bonghi (séance du 8 fév. 1871), a expressément dé- 
claré que, dans la pensée des rédacteurs du projet 
comme dans celle de la commission, elle devait lui être 
refusée, car elle aurait entraîné des conséquences que 
personne ne voulait admettre, le droit de juridiction, 
par exemple, et le droit de conclure des traités d'al- 
liance. 

Mais le législateur italien a détaché quelques carac- 
tères, quelques attributs de la souveraineté, qu'il a con- 
férés au pape. Celui-ci, d'après le rapporteur, se trouve 
dans la situation des princes médiatisés, qui n'avaient 
plus aucun pouvoir politique sur le territoire allemand. 



analyse: de la loi des garanties 193 

mais auxquels on donnait des honneurs, des immunités. 

ime juridiction particulière (Séance du 31 janvier 
1871.) 

Les caractères de la souveraineté ainsi attribués au 
pape sont: 

1® L'inviolabilité. 

L'article 1 de la loi dit : « La personne du Souve- 
rain Pontife est sacrée et inviolable. » 

Le sens de ces mots est fixé par l'usage (1). 11 y a là 
en effet une formule qui se trouve dans un grand nom- 
bre de Constitutions monarchiques, en particulier dans 
la Constitution italienne, et qui signifie que le roi ou 
Tempereur échappe à toute juridiction, qu'il n'est pas 
responsable de ses actes devant les tribunaux, qu'il ne 
peut-être personnellement ni assigné, ni arrêté, ni jugé. 
Mais, si la tradition donne le sens exact de cette for- 
mule, elle en limite aussi la portée. Sans doute l'irres- 
ponsabilité des souverains est absolue devant la loi 
pénale et devant les assemblées politiques; mais il n'a 
jamais été admis qu'aucun recours n'existât contre eux 
en matière purement civile, pour leurs dettes, l'exécu- 
tion des contrats qu'ils ont signés, les héritages qu'ils 
ont pu recueillir. L'inviolabilité du souverain consiste 
alors dans ce seul fait que les créanciers sont tenus 
d'assigner certains fonctionnaires qui le représentent, et 



(1) Bonghi, rapporteur. Rapport : « L'expression sacrée n'ajoute au- 
cune détermination spéciale ù celio d'inviolable. Née d'une habitude 
religieuse et d'une cérémonie ecclésiastique aujourd'hui négligée, elle 
est entrée dans la formule de plusieurs constitutions, bien qu'elle fasse 
défaut dans quolques-unea, dans celle de Prusse, par exemple. Si Tou- 
lover semblerait changer ou atténuer cette formule, l'y laisser n'en 
modifie ni la signification ni la valeur juridique. » 



194 CHAPITRE III 



qui sont, par exemple, d'après la loi française du 2 mars 
1832, Tadministrateur de la liste civile ou l'adminis- 
trateur du domaine privé. 

C'est donc à tort, selon nous, que l'on a critiqué, comme 
contraire à la loi des garanties, un jugcnu^iU par lequel 
le tribunal et la Cour de Rome se sont déclarés compé- 
tents en 1882 dans l'affaire Théodoli-Martinucci (1). 
M.Martinucci, architecte, réclamait à la maison ponti- 
ficale 13.000 fr. environ pouravoir instruit etdirigé les 
pompiers du Vatican, et 18.000 fr. environ pour travaux 
extérieurs faits à l'occasion du conclave. Il avait assi- 
gné très correctement, — non pas Léon XIII, — mais le 
cardinal secrétaire d'État (Mgr Jacobini)et le préfet du 
sacré-palais, majordome de S. -S. (Mgr Théodoli). 

L'incompétence fut opposée par ces fonctionnaires. 
Ils prétendirent que la loi des garanties reconnaissait au 
pape la souveraineté dans l'intérieur du Vatican, et qu'il 
en avait fait usage, en 1882, pour créer un tribunal 
chargé de juger les contestations entre les administra- 
tions pontificales, ou entre celles-ci et leurs employés. 
Bien loin do reconnaître au pape une souveraineté ter- 
ritoriale, le législateur italien n'a écrit nulle part qu'il 
eût une souveraineté quelconque : à plus forte raison ne 
lui a-t-il jamais accordé le droit de créer des tribunaux, 
ce qui suppose le pouvoir législatif, et d'exercer ainsi 
par délégation un pouvoir de juridiction. Il a simple- 
ment limité celles des conséquences du droit commun 
italien qu il a considérées comme dangereuses pour la 



(1) V. sur celte affaire, M. Anatole Leroy-Beaulieu, Le Vatican et le 
Quirinal depuis 1878. II. Le Pape Léon XIII et Tltalie sous le n^gime de 
la loi des garanties. Revue des Deux-Mondes^ 15 cet. 1883. — M. E. 
Brusa, La Juridiction du Vatican, Rtvua de Droit international, 1883. 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES 195 



liberté ot rindépeiidance du Souverain Pontife ; il l'a, en 
certaines matières, placé au-dessus do la loi ordi- 
naire, en lui conférant certaines prérogatives de la 
souveraineté. Sauf ces dérogations, le pape est certai- 
nement soumis au Droit italien; Texistence mêmedela 
loi des garanties en est une preuve: on ne légifère pas 
sur les droits d'un souverain étranger (1). 

Partant de cette idée que la loi de 1871 reconnaît au 
pape une souveraineté si abstraite et si idéale qu'elle 
soit, M. Leroy-Beaulieu dit que cette souveraineté doit 
au moins produire comme conséquence de valoir à 
celui qui en est revêtu le bénéficedercxterritorialité. Si 
cette idée n'était pas admise, dit-il, il en résulterait que 
le pape serait dans une situation inférieure à celle des 
envoyés accrédités auprès de lui, ce qui semble tout à 
fait inadmissible à cet auteur. Mais il y a une raison de 
droit pour que cette différence (si étrange qu'elle soit) 
existe entre le pape et les agents diplomatiques près le 
Vatican. Ceux-ci, en effet, s'ils ne sont pas respon- 
sables, même pour leurs obligations civiles, devant les 
tribunaux italiens, le sont au moins devant la justice 
de leur pays. Le créancier de l'ambassadeur de France 
auprès du Saint-Siège est sûr d'être entendu s'il s'adresse 
aux tribunaux français. Il y a là une restriction impor- 
tante au privilège exorbitant de l'immunité de juridic- 
tion. A qui s'adressera le créancier de la maison ponti- 



(1) BoDghi, rapporteur, 31 janv. 1874 : « Le projet du gouvernement 
mettait le pape hors de TÉlat d'où naissaient de grandes difficultés, en 
particulier pour toutes les conséquences de l'exterritorialité. Le projet 
de la commission le met dans l'Etat ; sinon, i^ ne serait nulle part, 
puisque nulle part il n'a de territoire. » 



IM CHAPITRE m 



ficale ? Aux tribunaux pontificaux institués par le pape 
clans le Vatican? Mais le pape a perdu tout droit de 
juridiction en perdant la souveraineté temporelle, et 
la loi des garanties ne lui a pas rendu cette prérogative. 
« La Commission, disait le rapporteur (8 février 1871), 
a expressément refusé au pape toute juridiction. Il n'y 
aurait donc, pour quiconque aurait une réclamation à 
produire contre l'administration pontificale, aucune au- 
torité à qui il pût demander justice. Est-ce admissible? » 

Dans les travaux préparatoires il avait été formelle- 
ment reconnu que le pape pourrait être poursuivi pour 
ses obligations civiles. Sur la demande de Mancini, le 
rapporteur (séance du 3 fév. 1871) dit que Ton avait 
effacé du projet primitif une disposition portant que 
le pape « jouit de l'immunité de la juridiction de 
l'État » parce qu'il y reste soumis pour ses obligations 
civiles; que les tribunaux devraient, quant à la forme 
des actes, appliquer la loi italienne (locus régit acùum), 
et consulter^ quant à la capacité du pape, la loi natio- 
nale de ce dernier. 

Le tribunal et la Cour de Rome ont donc bien jugé 
selon nous en affirmant leur compétence, sauf à déclarer 
Martinucci mal fondé dans sa demande. 

Même renfermée dans ces limites, l'inviolabilité est 
encore une garantie considérable que ni le Décret de 
1809, ni le Concordat de 1813, n'accordaient au Souve- 
rain Pontife. 

2® Le droit d'être spécialement protégé contre les 
attentats^ les offenses^ les injures. 

Le projet primitif assimilait purement et simplement 
les offenses et les injures contre le pape aux délits ana- 
logues contre le roi. (Article 2 du projet de la com- 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES i97 

mission.) Le texte définitif comporte au contraire des 
distinctions. On a jugé impossible l'assimilation com- 
plète; il existe certaines dispositions exceptionnelles que 
peut seul expliquer le trouble causé à la sûreté de TÉ- 
tat par certaines tentatives : par exemple l'article du 
Gode pénal qui punit la conspiration contre le roi, même 
indépendamment de tout commencement d'exécution. 

On admit alors : 

1** Que l'attentat contre la personne du pape, et toute 
provocation à le commettre, seraient passibles des peines 
établies pour l'attentat contre la personne du roi, et la 
provocation à le commettre. 

La sanction de cette disposition, la peine établie, doit 
donc varier avec la législation qui protège le roi. D'a- 
près les articles 153 et 468 du Code pénal actuel, l'at- 
tentat contre le roi est puni comme le parricide, et la 
provocation à le commettre de deux ans de prison et 
4.000 francs d'amende; 

2° Que les offenses et les injures publiques, commises 
directement contre la personne du Souverain Pontife 
par «l(»s paroles, des faits, ou par les moyens indiqués 
dans r^irticle 1^'' do la loi sur la presse, seraient punies 
des peines portées dans l'article 19 de cette loi (1). 

L'^s mots « directement > et « contre la personne » 
ont été écrits pour donner satisfaction à la gauche, qui 



(1) La loi italienne sur la presse est un statut de Charles- Albert, du 
2'3 mars 1848. L*art. i prévoit toute manifestation de la pensée par la 
presse, ou par tout moyen mécanique apte à reproduire des signes flgu- 
rés, publication d'imprimés, incisions, lithographies, objets plastiques, 
etc. — L'art. i9 visé par la Loi des Gciranties édicté comme peine une 
amende de i.OOO à 3.000 francs et un emprisonnement maximum de 
deux années. 



iW CHAPITRE m 



craignait qu'on n'empèchat toute discussion des actes du 
Saint-Siège, sous prétexte de protéger le pape contre les 
ofienses. La chancellerie pontificale s'exprime souvent 
en termes si violents qu'une certaine vivacité dans la 
réplique doit être permise. Pour rassurer complètement 
Topposition, on ajouta d'ailleurs ce paragraphe : « La 
discussion sur les matières religieuses est entièrement 
libre. » 

Ici la peine ne doit pas, croyons-nous, varier avec la 
législation italienne. La loi des garanties ayant spécia- 
lement visé les articles d'une loi alors en vigueur, et 
n'ayant pas complètement assimilé, comme pour l'atten- 
tat, les offenses au pape aux offenses envers le roi, il 
nous semble que ces mots c des peines établies par l'art. 
19 » ne sont qu'une expression abrégée pour énumérer 
l'emprisonnement et l'amende. M. Leroy-Beaulieu nous 
parait donc se tromper quand, à propos de cette dispo- 
sition sur les offenses, il dit : c Un des défauts de la loi 
des garanties qu'on voit se manifester ici c'est que, au 
lieu de former un tout indépendant et de se suffire à 
elle-même, elle s'appuie en partie sur d'autres lois qui 
peuvent être modifiées en dehors d'elle. » Ce reproche 
s'adresserait plus justement aux règles de la loi punis- 
sant l'attentat. 

Les délits de l'article 2 sont d'action publique et de 
la compétence de la Cour d'assises. La gauche a vaine 
ment demandé que la plainte préalable du pape fût 
nécessaire. 

On a souvent appliqué la partie de l'article 2 qui 
punit les offenses et les injures. Le dernier procès de 
ce genre^ à notre connaissance, fut intenté au journal le 
Secolo de Milan, pour le compte rendu d'un meeting 



AXALYSb: oh: la loi des GAKANTIEIS 199 



tenu le 20 septembre 1886 en Thonneur de l'entrée des 
troupes italiennes à Rome. Dos avant le vote de la loi 
des garanties et pendant qu'on la discutait, le ministère 
fît saisir, comme oiTensante pour le pape, une lettre de 
M. H. Loyson. célébrant la chute du pouvoir temporel. 

lia été jugé que Tart. 2 de la loi des garanties punit 
les oQenses au pape même quand elles lui sont adres- 
sées à raison de son ancienne souveraineté tempo- 
relle (1). 

L'article 2 s'applique-t-il aux offenses et aux injures 
commises contre la dépouille d'un pape défunt? Le mi- 
nistère italien ne semble pas l'avoir pensé, car, lors 
des funérailles de Pie. IX, il fit poursuivre les fauteurs 
de désordres en vertu de l'article 183 du Code pénal qui 
punit les voies de fait, violences, menaces et tumultes 
qui troublent les fonctions et les cérémonies de la reli- 
gion de l'État (2); 

3° Le droit à des honneurs particuliers. 

Il y a là une prérogative et une garantie, en ce sens 
que, si le pape voulait sortir du Vatican, donnerla béné- 
diction du haut de la Loggia, remplir ses fonctions 
d'évêque de Rome, se rendre processionnellement aux 

(1) Ainsi jugé dans l'afTaire d'un professeur au lycée d'Aquila, pré- 
venu d'avoir publié une ode offensante pour le S. P., considéré comme 
souverain temporel. Goss. do Naples, 22 juillet I87i. (Monitore dei Tri- 
hunali, 1872. p. 996.) 

(2) Peut-être le désir de corrcctionnaliser l'affaire expliquerait-il qu'on 
ait écarté la loi des garanties. En appel, sur six manifestants arrêtés, 
un fut acquitté, deux condamnes à un mois de prison et iOO fr. d'a- 
mende, trois autres à six jours et 51 fr. d'amende. Pour tous déduction 
fut faite delà détention préventive. — Interpellé, le gouvernement es- 
pagnol déclara au Sénat qu'il trouvait la satisfaction suffisante. — V. 
Ja critique de la sentence et de la procédure suivie, le Correspondant, 
Revue du iO sept. 1882. 

19 



2U0 CHAFlTHb: III 



églises, sa dignité serait non seulement protégée, mais 
honorée. 

Dans toute Tétcndue du royaume le gouvernement 
italien rend au Saint-Père les honneurs souverains ; il 
lui conserve en outre la prééminence d'honneur qui lui 
est reconnue par les souverains catholiques (i). 

Au droit aux honneurs se rattaclie la faculté accordée 
au pape d'avoir le nombre accoutumé de gardes auprès 
dj sa personne et pourla conservation de ses palais. Il 
ne s'agit pas, en effet, dans cette disposition de la loi, 
d'une véritable force armée que le pape pourrait lever 
comme souverain; il s'agit de gardiens plutôt que de 
gardes. Si élevé que soit le nombre de ceux-ci (600, 
disait le ministre de l'intérieur), il ne saurait y avoir là 
une troupe militaire , recevant, sans les discuter, les 
ordres de ses chefs, et assujettie à l'obéissance passive. 
« Le pape, n'exerçant aucune juridiction ni civile ni 
pénale, ne peut exercer la juridiction militaire. » (Bon- 
ghi, 8 fév. 1871.) Il aura des gardes « a custodia et 
décore », comme tout particulier peut en avoir. Pour 
bien marquer sa volonté de ne pas tolérer une armée 
derrière les murs du Vatican, la Chambre, avait adopté 
un amendement distinguant entre les différentes gardes 
(suisse, noble, palatine), et ordonnant le licenciement 
de celles qui pourraient avoir un caractère militaire. Sur 
l'observation du ministre que, pour opérer ce licencie- 
ment, il faudrait pénétrer dans le Vatican, peut-être par la 
force, cet amendement disparut de la rédaction définitive. 

Ne furent pas non plus adoptés : une proposition 

(I) V. Conclave de Léon Xlll, par do Gésare, les mesures prescrites 
par lo gouvernement italien pour faire rendre au pape les honneurs 
militaires. 



ANALYSE DE LA LOI DES GAKANTIES SOi 

(Mancini) portant que ces gardes ne pourraient jamais 
sortir en armes du palais ; — un amendement donnant 
au gouvernement le droit, en cas de guerre , de sus- 
pendre cette faculté laissée au Saint-Siège d'avoir des 
gardes, et confiant alors à la milice nationale la défense 
du pape et la protection de ses palais. 

Mais, par une disposition spéciale, on établit que les 
gardes pontificaux resteraient soumis aux obligations 
des lois italiennes, notamment au service militaire. 

4® L'immunité de juridiction des palais et lieuœ de 
résidence habituelle ou temporaire du Souverain Pon- 
tife^ ou des locauM occupés par un conclave ou un 
concile œcuménique. 

C'est là une garantie des plus sérieuses et qui a été 
rigoureusement respectée par le gouvernement italien 
depuis 1870. 

Aucun officier de l'autorité publique, aucun agent de 
la force publique ne peut s'introduire dans ces lieux 
que sur la réquisition du pape, du conclave, ou du 
concile. Aucune exception n'existe à ce principe. 

Le projet de la commission permettait, au contraire, 
de déroger à la règle posée, sur un mandat délivré par 
la Cour de cassation. Cette restriction fut vivement 
combattue par le gouvernement, qui alla jusqu'à poser 
la question de cabinet. Elle fut rejetée par 204 voix 
contre 139. 

Si cette immunité est absolue et ne comporte aucune 
exception, la raison commande de prévoir qu'il y serait 
dérogé dans certaines circonstances. Les défenseurs de 
la loi, les ministres, ont eux-mêmes comparé l'immu- 
nité dont jouissent les palais pontificaux à celle qui 
protège la résidence d'un souverain étranger ou d'un 



201 CHAPITRE III 



ambassadeur. Mais si le souverain étranger ou Tam- 
bassadeur abuse de son privilège, donne asile à des mal- 
faiteurs, fait de son habitation le lieu de refuge de 
tous les mécontents et le centre de toutes les conspira- 
tions, n'est-il pas évident que les fictions juridiques 
devront disparaître devant la nécessité pour l'État de 
se défendre? De même pour le Vatican. Le garde des 
sceaux Raëli, répondant à la gauche qui l'accusait de 
vouloir rétablir le droit d'asile , disait que la législa- 
tion a empire sur tout le territoire; mais que la situa- 
tion des résidences pontiGcales devait être comparée à 
celle d'une partie de territoire entourée d'un torrent 
impétueux, qui empêche l'accès, le passage de l'agent 
de la force publique. Le ministre de l'intérieur ajoutait 
qu'on ne pouvait prévoir le cas où le pape refuserait 
de livrer des malfaiteurs. Mais enfin, si ce cas se pré- 
sentait, ou bien si une guerre était faite à l'Italie pour 
restaurer le pouvoir temporel et que le Vatican fût 
dans Rome le rendez-vous des agents de l'étranger, 
n'est-il pas évident que le < torrent > serait franchi, et 
que l'Italie devrait violer la loi des garanties en vertu 
du principe supérieur de sa conservation et de sa dé- 
fense? M. Visconti-Venosta, ministre des affaires étran- 
res, prévoyait lui-même cette éventualité, quand il di- 
sait que, si le pape concédait asile à des malfaiteurs, 
l'opinion publique donnerait au gouvernement le droit 
de faire cesser des inconvénients que la conscience pu- 
blique condamnerait. 

5® Enfin une dernière prérogative de la souveraineté 
est accordée au pape par l'art. 11 de la loi des garanties, 
quand il lui donne le droit de recevoir des envoyés qui 
jouissent desprérogatives et immunités diplomatiques^ 



ANALYSE DR LA LOI DES GARANTIES 203 

et qui sont protégés contre les offenses. Le mémo frt. 11 
confère aussi les immunités d'usage aux représentants 
du S. 'S. qui traversent le territoire italien. 

C'est là une disposition extrêmement importante de 
la loi des garanties, parce qu'elle touche directement 
aux rapports diplomatiques entre le pape et les diffé- 
rents États. 

Si la chute du pouvoir temporel no pouvait, en 
principe, avoir aucune influence juridique sur la sou- 
veraineté spirituelle du pape, absolument distincte de 
sa souveraineté temporelle, s'il ne dépendait pas de 
ritalie d'empêcher que la France ou l'Espagne ne vou- 
lût traiter le pape comme un souverain, signer avec lui 
des Concordats et assimiler ses envoyés à des ambas- 
sadeurs, cependant la perte de toute souveraineté ter- 
ritoriale par le Saint-Siège devait nécessairement en- 
traîner des conséquences importantes pour la situation 
juridique des envoyés pontificaux près les puissances 
étrangères, et particulièrement sur celle des représen- 
tants accrédités auprès du Vatican. 

Parlons d'abord de ces derniers. Seul, le pouvoir qui 
exerce les droits de la souveraineté territoriale peut 
assurer à certains étrangers, investis d'une mission 
diplomatique, les immunités qui leur sont nécessaires 
dans l'exercice de leur mission. Seule, l'autorité terri- 
toriale peut enjoindre aux agents qui obéissent à ses 
ordres de respecter la personne, la demeure, les papiers 
de ces étrangers; seule, elle peut les placer en dehors 
du Droit commun et déroger à la règle que les lois de 
police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le 
territoire. Or, c'est l'Italie qui a la souveraineté territo- 
riale sur toute la ville de Rome; c'est d'elle par consé- 



204 CHAPITRE IH 



quent qu'il dépendait de comprendre ou non les envoyés 
près le Saint-Siège dans cette catégorie d'étrangers 
privilégiés. Sans doute des considérations politiques et 
la crainte de complications internationales pouvaient 
en fait l'y obliger. Mais juridiquement il n'existait pour 
elle aucune obligation de ce genre : les immunités ne 
sont accordées aux envoyés d'un État par un autre 
État qu'à charge de réciprocité, et l'Italie, recon- 
naissant ces immunités à des agents accrédités au- 
près d'une autre souveraineté , ne pouvait attendre 
aucune réciprocité. Juridiquement, les immunités 
diplomatiques conférées par la loi des garanties aux 
représentants étrangers auprès du Vatican sont une 
concession gracieuse du gouvernement italien (i), 
comme les mêmes garanties accordées par le Concor- 
dat de Fontainebleau (art. 2) étaient une concession 
gracieuse du gouvernement français. Le législateur 
italien est donc toujours maître de retirer cette con- 
cession. A plus forte raison pouvait il la soumettre à 
une condition, par exemple à la condition qui avait 
été écrite par Napoléon 1®*" dans la note de 1810 et que 
Mancini proposait d'inscrire dans la loi nouvelle, que 
les envoyés auprès du Pape seraient chargés unique- 
ment des affaires spirituelles de leur pays. La nécessité 
de vérifier les lettres de créance de ces envoyés pour 
assurer l'exécution de cette mesure fit rejeter l'amen- 
dement. 

L'article 11 reconnaît aux représentants des gouver" 
nements étrangers près le Saint-Siège les immunités et 

(i) Sic : Esperson (professeur de Droit internat, à Pavie), Droit di- 
plom., I, n*" 51 à 5fi. — Carnazza-Amari, H, p. 154. — Contra : Pradier- 
Fodéré, Droit diplom., p. 196. 



ANALYSE DE LA LOI DES GAHANTIES 205 

les prérogatives qui appartiennent aux agents diplo- 
matiques, en -ceriu du Droit internalionaL C'est donc 
le Droit coutumier européen, et non la loi italienne, qui 
doit être consulté, pour fixer Tétendue de ces immunités 
et de ces prérogatives. M. Esperson {op. cit., n® 311) 
en conclut que les représentants des puissances tempo- 
relles près le Saint-Siège ne jouissent pas de l'exemp- 
tion de la taxe sur la richesse mobilière accordée par 
la loi italienne du 14 juillet 1864 aux agents diploma- 
tiques : < le Droit international, dit il, n'affranchit ces 
derniers que des taxes réelles. » 

C'est au contraire la loi italienne qui, d'après le même 
article 11, punit les offenses envers les agents diploma- 
tiques près le Saint-Siège, et il était nécessaire qu'il en 
fût ainsi, le Droit international ne pouvant édicter de 
sanction pénale. La peine applicable est celle qui est 
prononcée par la loi italienne pour les offenses 
envers les représentants des puissances étrangères 
près le gouvernement italien; elle varie donc avec 
cette loi. Seront passibles de la peine portée, par 
exemple ceux qui empêcheraient un ambassadeur au- 
près du pape d'entrer au Vatican. (Esperson, n®122.) 

L'article 1 1 s'occupe encore des représentants du Saint- 
Siège près les gouvernements étrangers, légats, nonces, 
internonces, etc. (1), mais seulement en tant qu'ils tra- 
versent le territoire italien pour se rendre de Rome au 
siège de leur mission, ou pour en revenir. A ces minis- 
tres résidant en Italie, le législateur n'avait aucune pré- 



(1) On a évité dans la loi de faire l'énumération de ces agents, parce 
que, a-t-on dit, le mot légats a plusieurs sens dans le langage ecclésias- 
tique. 



«06 CHAPITRR III 



rogativo à accorder : des raisons de droit et des raisons 
do prudence politique le lui interdisaient: — des raisons 
de droit, parce que Tambassadeur d'un État auprès d'un 
autre État n*a droit à aucune immunité particulière quand 
il réside sur le territoire d'une tierce puissance ; — des 
raisons de prudence politique, parce qu'il eût été fort 
imprudent pour le gouvernement italien de donner au 
pape la faculté de conférer à tous les sujets du roi qu'il 
lui plairait d'investir d'une mission plus ou moins sé- 
rieuse, l'immunité de juridiction, l'inviolabilité de la 
personne et du domicile. 

Pendant la durée de leur voyage en Italie, les en- 
voyés du Saint-Siège jouissent des prérogatives et im- 
munités d'usage d'après le Droit international. II y a là 
une dérogation au Droit commun, puisque les envoyés 
pontificaux pourront invoquer l'inviolabilité, le droit 
de ne pas laisser visiter leurs bagages, tandis qu'il 
est généralement admis que l'ambassadeur étranger 
voyageant sur le territoire d'une tierce puissance n'a 
droit qu'à la sûreté et à la courtoisie (1). 

Il est d'ailleurs bien entendu qu'en dehors du temps 
nécessaire pour le trajet en Italie, ces envoyés pontifi- 
caux restent soumis à la juridiction des tribunaux ita- 
liens. On a formellement reconnu dans la discussion 
qu'il en serait ainsi, conformément d'ailleurs au droit 
commun. Ajoutons que si on n'avait pas admis cette 
doctrine on aurait créé une classe ie personnes échap" 
pant à toute juridiction : en effet , les tribunaux des 
puissances auprès desquels ces agents auraient été ac- 



(i)V. Pradier-Fodéré, D/'oi7 diplom., II, p. 33, et les auteurs cités 
(Grotius, Bynkershoock, Merlin, etc.) 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES Î07 



crédités auraient dû se déclarer incompétents eu vertu 
du principe de l'immunité de juridiction, et, d'autre part, 
le pape a, depuis i870, perdu tout pouvoir de juridic- 
tion (1). 

Pour invoquer le bénéfice de l'article H, les envoyés 
pontificaux doivent faire connaître leur qualité au gou' 
vernement italien. 

La situation des représentants du S. -S. dans lesËtats 
où. ils sont accrédités est régie par le droit public et la 
législation interne de ceux-ci. Il dépend de ces États 
de les assimiler à des agents diplomatiques, et de leur 
conférer ou de leur refuser les immunités ou préroga- 
tives d'usage. La chute du pouvoir temporel nous semble 
ne pas devoir exercer une grande influence sur la solu- 
tion de cette question, qui dépend des rapports consti- 
tutionnels de rÉglise et de l'État dans chaque nation. 
On peut dire cependant que, le pape ayant perdu toute 
souveraineté temporelle, il n'est plus possible de consi- 
dérer les légats et les nonces comme chargés, au moins 
pour partie, de défendre les intérêts matériels interna- 
tionaux des États romains. 

De même les événements du 20 septembre 1870 ne 
nous semblent pas devoir faire nécessairement consi- 
dérer comme abrogée la disposition du règlement 
de Vienne qui donne au nonce le droit de présider 
le Corps diplomatique (2). Cette disposition vient 
du droit de prééminence reconnu au pape comme 
chef de l'Église, et n'a aucun rapport avec l'existence 
d'une souveraineté temporelle. 

(1) Esperson, op. cit., L { 336. 

(2) Contra : Esperson, op., cit., I, JJ| 75 et 76. 



t08 CHAPITRE Uï 



Quant aux délits qu'ils pourraient commettre dans le 
pays de leur mission, les légats et les nonces sont jus- 
ticiables des tribunaux italiens dans tous les cas où 
ceux-ci peuvent connaître des délits commis par des 
Italiens résidant à Tétranger. C'est donc au gouverne- 
ment royal que les cabinets étrangers devront s'adresser 
pour obtenir la réparation de ces délits. 

Telles sont les prérogatives de la souveraineté que 
la loi des garanties accorde au pape. Elles ont pour but 
de protéger sa personne et de garantir sa liberté indi- 
viduelle. 

Mais, pour remplir sa mission spirituelle, il faut 
encore au pape : 

i^ Le droit de remplir on toute liberté les fonctions 
de son ministère spirituel et de publier les actes qui 
en émanent (1). 

L'article 9 lui donne le droit défaire afficher ces actes 
aux portes des basiliques et des églises de Rome; 

2^ La faculté d'avoir des administrations dont les 
bureaux et les papiers soient à l'abri de toute visite, 
saisie ou perquisition. (Article 8 delà loi.) 

Un 2^ paragraphe, qui donnait à l'autorité judiciaire 
le droit de décider des demandes en exhibition et en 



(1) Mais il est bien entendu que les effets civils des actes spirituels du 
Saint-Siège sont de la compétence des tribunaux civils. (Nombreux arrêts.) 
— Il a été jugé en ce sens que Tacheteur d'un fonds, auquel son ven- 
deur impose l'obligation de faire célébrer à ses frais une messe quoti- 
dienne dans une chapelle existant sur le fonds vendu, ne peut soutenir 
qu'un rescrit pontiGcal obtenu ultérieurement lui permet de diminuer 
le nombre des messes, ou en autorise 1» célébration dans une autre cha- 
pelle. Il ne peut prétendre que l'examen des conséquences civiles de ce 
rescrit échappe à la juridiction des tribunaux civils. — C. de Casale, 
S4 janvier 1873, Moniiore, table 1860-1879, v Guarentigie. 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES 209 

délivrance des documents et registres existant dans ces 
administrations, était d'abord écrit dans la loi. Il en 
fut retranché sur la demande du ministère. Vainement, 
la gauche et Mancini s'efforcèrent-ils de prouver que 
ces bureaux contenaient des documents, des testaments 
en particulier, relatifs aux affaires privées des citoyens, 
et que la loi devait protéger les droits de ceux-ci contre 
le mauvais vouloir possible des employés pontificaux. 
Le garde des sceaux répondit que l'article 8 ne 
s'appliquait pas aux curies et aux anciens tribunaux 
ecclésiastiques, dont les greffes renfermaient ces do- 
cuments d'intérêt privé, mais bien aux congrégations 
qui constituent l'ensemble des services du pape pour 
l'exercice de son autorité ecclésiastique : laPénitencerie, 
la Daterie, les Congrégations Apostoliques. Ces admi- 
nistrations n'ont que des papiers qui ne sont pas de 
la compétence du gouvernement, parce qu'ils concernent 
les secrets des consciences ou les rapports du S. -S. 
avec les États étrangers. Pour bien préciser l'espèce 

d'administrations auxquelles l'article 8 s'applique, Man- 

> 

cini fit insérer les mots « revêtues d'attributions pure- 
ment spirituelles », au lieu de a purement ecclésias- 
tiques > ; 

3^ La faculté d'avoir des agents qui, quand ils parti- 
cipent aux actes spirituels du Saint-Siège, ne soient sou- 
mis, à raison de ces actes, à aucune vexation, investiga- 
tion, ou contrôle de l'autorité publique. (Article 10.) 

Mais il est bien entendu qu'il ne s'agit que d'actes 
spirituels ; les actes d'exécution et leurs agents sont 
soumis à la loi pénale. « L'impunité se réduit à ceux 
qui proclament un principe, une maxime, une censure 
des institutions italiennes. 



210 CHAPITI^ m 



Pour jouir de rimmunité de Tarticle 10, il faut être 
ecclésiastique, résider à Rome, participer à des actes 
spirituels du Saint-Siège, à la rédaction des bulles, 
par exemple, ou à la publication d'un bref. 

Les ecclésiastiques étrangers investis d'une charge 
ecclésiastique à Rome jouissent, d'après le § 2 de l'ar- 
ticle 10, des garanties personnelles assurées aux ci- 
toyens italiens par les lois du royaume, c'est-à-dire 
qu'ils ne peuvent être expulsés d'Italie. Cette disposi- 
tion est d'autant plus remarquable que la loi italienne, 
on l'a dit au cours de la discussion, ne permet l'expul- 
sion que si l'étranger a commis un délit, a été con- 
damné, et a purgé sa peine. Ainsi, même dans ce cas, 
l'étranger fonctionnaire du Saint-Siège ne peut être 
renvoyé à la frontière. 

Pour qu'il puisse préparer des collaborateurs, et 
avoir en quelque sorte des écoles d'administration spi- 
rituelle, le Saint Siège, aux termes de l'article 13, a 
l'autorité exclusive sur les séminaires et les institutions 
catholiques d'instruction de la ville de Rome ; 

4® Le droit de communiquer librement avec l'épis- 
copat et le monde catholique tout entier. 

L'article 12 de la loi contient des règles précises ten- 
dant à assurer la liberté et le secret des correspon- 
dances postales ou télégraphiques du Saint-Siège. 

Enfin, le gouvernuraent italien a considéré qu'il 
fallait au pape ce que M. Scaduto appelle « la liberté 
de situation économique », c'est-à-dire des ressources. 
Dans ce but l'article 4 de la loi de 1871 donne au Pon- 
tite une dotation de 3.225.000 francs de rente annuelle, 
à la charge pour lui de supporter les dépenses prévues 
dans le même article 4. Le chitfre de la dotation est 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES «11 

fixé d'après le dernier budget pontifical, en retranchant 
tout ce qui avait trait à Tordre temporel, mais en con- 
servant le budget de la représentation à l'étranger. — 
La dotation n'est pas en biens-fonds, comme le vou- 
lait rextrême droite; ce n'est pas davantage une somme 
à inscrire annuellement au budget, comme le deman- 
dait la gauche. C'est une dette inscrite au Grand-Livre, 
sous forme de rente perpétuelle et inaliénable, au nom 
du Saint-Siège. Elle n'a donc pas besoin d'être votée 
chaque année, contrairement à l'opinion de M. E. Olli- 
vier. 

Les arrérages de la dotation sont prescriptibles par 
cinq ans. Un arrêt récent de la Cour de cassation de 
Rome décide en outre que le droit de toucher les reve- 
nus arriérés de la dotation n'est pas transmissible 
aux successeurs du pape qui y avait droit. Les héritiers 
de Pie IX ont par conséquent été déboutés de leur de- 
mande en paiement des revenus que leur auteur avait 
refusé de toucher. ( Voir en appendice une analyse des 
deux arrêts de la justice italienne en cette matière.) 

Mancini demanda vainement qu'on stipulât dans la 
loi que la dotation était allouée au pape c à rai- 
son de son séjour en Italie». Le rapporteur expliqua 
que le pape ne toucherait la rente que s*il était réconci- 
lié avec l'Italie, et qu'il n'aurait plus dès lors aucune 
raison de quitter Rome. Un autre député ne fut pas plus 
heureux en proposant de n'obliger que les contribuables 
catholiques à payer les dépenses pour la dotation. On a 
également rejeté un amendement tendant à fixer le 
chiffre de la dotation au début de chaque pontificat, et 
pour toute sa durée. 

Outre la dotation, le pape a encore la jouissance di s 



ut CHAPITRE m 



palais et des immeubles énumérés dans Tart. 5, et dont 
la propriété appartient à la nation ainsi qu'il fut déclaré 
dans la discussion, sans que cependant on voulût l'é- 
crire dans la loi. La chambre refusa, contrairement au 
projet de la commission, de décider que le pape serait 
tenu de laisser au public libre accès dans les musées, 
les galeries et la bibliothèque. Tout est musée au Va- 
tican, répondit-on. Mais on déclara les collections ina- 
liénables. 

La dotation et les immeubles pontificaux sont exempts 
d'impôts. 

Enfin la loi du 14 mai 1871 établit certaines garanties 
pour la liberté des élections pontificales, quand le Saint- 
Siège est vacant. Le gouvernement s'est engagé, non 
pas à étendre aux cardinaux les prérogatives conférées 
au pape, comme le voulait un projet primitif, età créer 
ainsi 72 personnes inviolables et irresponsables en Italie, 
— mais à n'empêcher ou limiter en rien, pour quelque 
cause que ce puisse être, la liberté personnelle des car- 
dinaux. On ne peut arrêter ceux-ci quand le conclave 
est réuni ou doit se réunir (art. 6). Il y a là une im- 
munité temporaire, semblable à celle des députés pen- 
dant les sessions. 

Le gouvernement est en outre chargé de veiller à la 
tranquillité du conclave, et d'empêcher que ses réunions 
ne soient troublées par la violence extérieure. Confor- 
mément à ces dispositions, les abords du dernier conclave 
furent gardés par la troupe pendant toute sa durée (1). 

L'immunité de juridiction existe, avons-nous vu, pour 
les lieux où le conclave est réuni. (Art. 7.) 



(!) V. Le ConclaK-e de Léon XIII par Raphaël de Césars, et les docu- 
menls rapportés. Paris 1887. 



ANALYSIC DE LA LOI DES GAHAiNTIES S13 

La dotation fixée par l'article 4 doit continuer à être 
payée pendant la vacance du Saint-Siège. 

Il est à remarquer qu'en dehors du conclave les car- 
dinaux n'ont droit à aucune prérogative personnelle, 
par exemple aux honneurs princiers que les anciens 
projets de traités entre l'Italie et le Saint-Siège stipu- 
laient en général pour eux. 

Enfin les conciles font partie de l'autorité suprême 
de rÉglise. A ce titre, la loi protège ces assemblées en 
ordonnant au gouvernement de veiller à la liberté et à 
la tranquillité de leurs délibérations, et en conférant le 
privilège de l'immunité de juridicton à leurs lieux de 
réunions. (Art. 6 et 7.) 

Telle est la loi des garanties. On a dit qu'elle était 
de la part des Italiens un acte extrêmement audacieux. 

On peut, en effet, considérer comme très hardi 
d'avoir concédée un prince qu'on venait de déposséder, 
et dont on ne devait attendre que des sentiments hostiles, 
des prérogatives souveraines et des immunités considé- 
rables. La loi du 13 mai 1871 suppose un certain esprit 
de conciliation et d'entente chez le roi d'Italie comme 
chez le pape. Si celui-ci voulait faire du Vatican l'asile 
de tous les mécontents et le centre de toutes les conspi- 
rations; s'il donnait reiuge à toutes les personnes 
poursuivies par les autorités italiennes et s'il les armait 
sous prétexte d'avoir des gardes; s'il lançait des bulles 
de nature à troubler profondément la tranquillité de 
l'État italien, il est certain qu'alors la loi des garanties 
tomberait d'elle-même, et que le cabinet du Quirinal 
devrait braver les complications internationales pour 
sauvegarder la sécurité de la nation. Précisément en 
ceci a consisté, chez le gouvernement qui a présenté 



2<4 CHAPITRE 111 



la loi des garanties et chez les députés qui Tout défen- 
due, la hardiesse de la conception politique. Us ont 
compté, non pas sur la bienveillance, mais au moins 
sur la correction d'attitude du S. -S. Aux hommes de 
l'opposition qui leur disaient : c Prenez garde ; le pape 
se servira de son inviolabilité pour exciter à la sédition, 
de l'immunité dé sa demeure pour ressusciter le droit 
d'asile, de la faculté d'avoir des gardes pour soudoyer 
des mercenaires contre la nation italienne », les minis- 
tres et le rapporteur ont toujours répondu : < Nous ne 
voulonsmèmepas prévoir de tels événements. » Et l'ave- 
nir leur a donné raison jusqu'ici ! 

Mais on a dit dans un autre sens encore qu'il y 
avait audace à promulguer une loi comme celle 
que nous étudions. Dans une brochure qui a eu un 
grand retentissement (1), M. Bluntschli a soutenu 
que l'effet le plus important de cette loi était de rendre 
l'Italie responsable envers les peuples étrangers des 
agissements du pape, s'ils dégénéraient en agression 
contre ces États. 

Toutes les puissances, dit le jurisconsulte allemand, 
sont obligées par le Droit des gens à se garder d'actes 
hostiles et de violations quelconques de la paix, commises 
au préjudice d'autres États; ils sont tenus en même 
temps de faire en sorte que leur territoire ne soit pas 
utilisé par d'autres perturbateurs, pour des actes hostiles 
dirigés contre des États amis. L'Italie ne saurait se 
soustraire à ce devoir international par l'effet des privi- 
lèges qu'elle a accordés au pape. Il faut que quelqu'un 



li) De la responsabilité et de V irresponsabilité du pape dans le Droit 
international, traduit par M. Rivier. 



ANALYSH: de la loi des garanties 215 

réponde des actes de celui-ci, puisqu'aucun moyen de 
coercition n'existe contre lui depuis l'annexion des 
États pontificaux. 

Nous ne croyons pas que par le seul fait d'avoir voté 
la loi des garanties, l'Italie se soit rendue responsable 
des attaques que le Saint-Siège pourrait diriger contre 
une puissance étrangère. Ce n'est pas, en effet, le gou- 
vernement italien qui a créé la souveraineté spirituelle 
du S. -P. et lui en à conféré les prérogatives essen- 
tielles; c'est l'Europe presque tout entière qui, par 
une dérogation sans exemple aux règles des rapports 
internationaux, a considéré le pape, en tant que chef 
de religion, comme investi d'une véritable souve- 
raineté; c'est l'Europe catholique tout entière qui, 
après les événements de 1870, a exprimé le désir que 
des garanties fussent accordées pour le libre exercice 
de cette souveraineté. 

Mais, dira-t-on, avant l'annexion de Rome par les 
Italiens, les nations contre lesquelles le pape com- 
mettait des actes d'hostilité pouvaient lui faire la guerre, 
se saisir de ses possessions comme d'un gage matériel; 
ce sont les Italiens qui ont rendu ce moyen de coercition 
impossible; ils doivent en supporter les conséquences. 

De quels actes d'hostilité parle-t-on, cependant ? On ne 
saurait évidemment faire allusion qu'à des actes de la 
juridiction spirituelle du pape pouvant entraver l'exercice 
de l'autorité légale dans un autre Etat (l).Mais Blunts- 



(1) Nous n'examinons pas l'hypothèse où Tagression du Saint-Siège 
contre une Uerce puissance aurait lieu par des moyens matériels, cette 
hypothèse nous paraissant tout à fait chimérique. En tout cas, il est évi- 
dent que le devoir de l'Italie serait d'empêcher la sortie du Vatican et 
le transit sur son territoire des armes, des hommes, etc. 

20 



216 CHAPITRE lll 



chli lui-même admet qu on ne peut pas faire la guerre 
au pape en sa qualité de chef d'Église; Tautorité spi- 
rituelle, dit-il, ne peut être combattue victorieusement 
que par des moyens s^Jirituels. Tout au plus le gouver- 
nement, dont une excommunication par exemple aurail* 
diminué l'autorité, pourrait-il empêcher sur son territoire 
la publication de la bulle. Mais comment admettre que 
la guerre, les sièges, les blocus et les batailles soient 
une manière de décider les questions religieuses ? Peut- 
on venir à bout d'une Encyclique à coups de canon ? 

L'action spirituelle qui appartient au Saint-Siège doit 
être comparée à la propagande qu*un État peut exercer, 
par exemple en proclamant certains principes dans sa 
constitution. Le droit des autres puissances ne consiste 
que dans la faculté de prendre toutes les mesures des- 
tinées à entraver la propagande sur leur propre ter- 
ritoire. 

Enfin, ritalie aurait pu laisser au pape la souverai- 
neté de la Cité Léonine ou de telle portion de Rome 
qu'il lui aurait plu. Il se serait ainsi formé un petit État 
sans ports de mer, enclavé de toutes parts dans le 
royaume d'Italie, ne présentant, par conséquent, caucun 
point par où l'étranger pût l'attaquer. Faudrait-il dire 
que l'Italie eût été responsable dos actes du gouverne- 
ment pontifical même dans ce cas, et par le seul fait 
qu elle eût refusé de s'annexer complètement la ville 
de Rome? Mais alors elle est aussi responsable des 
actes du gouvernement de Saint-Marin ! 

Il existe bien des cas où un gouvernement étranger ne 
se trouve pas devant un oiTensour qu'il puisse atteindre 
directement, et c'est alors sur son territoire qu'il doit 
chercher les moyens de lui nuire, soit en inlenlisant 



ANALYSE DK LA LOI DBS GAHANTIES S17 

toute cornrQunicatioa avec rennemi, soit en frappant 
ses ministres et ses partisans. 

Pour remédier à ce défaut de responsabilité du pape. 
Bluntsclili a proposé de faire une convention interna- 
tionale entre tous les États cliréticns ou du moins entre 
les principaux, touchant la condition précise et les 
termes du privilège du Saint-Siège. Cette convention 
pourrait être présentée aux papes lors de leur élection ; 
la reconnaissance du pape par tous les États, en qua- 
lité de chef de l'Église catholique, dépendrait de sa pro- 
messe de s'y conformer. 

A cette idée, plusieurs objections nous semblent 
devoir être faites : 

i° Les puissances ne peuvent que ratifier, sanctionner 
et garantir un contrat précédemment intervenu entre le 
pape et le roi d'Italie ; mais elles ne peuvent leur im- 
poser un accord. C'est précisément ce que Tunanimité 
des cabinets européens répondit en 1867 à Napoléon III 
proposant de régler la question romaine dans un con- 
grès; 

2o Cette convention internationale ne pourrait jamais 
conférer au pape une souveraineté territoriale, si res- 
treint que lût le territoire. Toute souveraineté, au sens 
propre du mot, s'analyse en un mandat entre gouver- 
nants et gouvernés, et il ne peut appartenir à un tiers 
d'imposer un mandataire à quelqu'un; 

3* Il faudrait, pour que cette charte internationale 
pût être drossée, que la puissance sur le territoire de la- 
quelle le pape résiderait consentît par traité à recon- 
naître à ce dernier des immunités et des prérogatives, 
notanimenf Timmunilé de juridiction pour sîidtMneuri'. 
Or, si toutes les législations ont admis que dans des 



S18 CHAPITRE IH 



cas délcrminés Taclion des agents de la force publique 
serait soumise à certaines conditions, parfois même 
suspendue à Tégard de certaines personnes (par exem- 
ple à regard des députés pendant les sessions) ou de 
certains lieux (palais du souverain, palais législatif), quel 
peuple tolérerait que par un traité, en vertu de pro- 
messes faites à des nations étrangères, il y eût sur son 
territoire un lieu quelconque où ]es agents de la force 
publique ne pourraient entrer? N'y aurait-il pas là une 
véritable abdication partielle de souveraineté (1)? 

4^ Enfm la sanction proposée par Bluntschli ne'nous 
semble pas admissible. 

Si le pape, dit-il, ne veut pas jurer l'espèce de prag- 
matique qui lui sera présentée à son couronnement, s'il 
ne prend pas l'engagement de respecter l'ordre légal et 
constitutionnel des différents pays et de ne commettre 
contre ceux-ci aucun acte contraire aux règles du Droit 
international, alors les puissances refuseront de le re- 
connaître comme chef de l'Église et lui retireront pro- 
tection et privilèges. 

Quelle compétence auront les gouvernements, même 
catholiques, pour reconnaître ou dénier à un pape la 
qualité de chef de l'Église ? Que répondraient-ils à un 
pontife qui refuserait de se conformer au principe de 
non-intervention, maintes fois condamné par ses pré- 
décesseurs ? 

La théorie que nous combattons prouve bien d'ail- 
leurs que, lorsque certains gouvernements témoignentla 
plus vive sollicitude pour les privilèges du S. -S., recon- 



(1) Golte objection nous semblo devoir être opposée' au système de 
M. Jucini, op cit. 



ANALYSE DE LA LOI DES GARANTIES 219 

naissent sa souveraineté et réclament pour lui les plus 
larges prérogatives, ce n*est pas leur respect pour la foi 
catholique qui les fait agir. Si la foi catholique exige en 
effet, pour que l'indépendance du pape soit complète et 
apparente, qu'il ait une souveraineté territoriale ou au 
moins les prérogatives essentielles de la souveraineté, 
s'il est du devoir de tout homme d'État de chercher à 
lui donner satisfaction sur ^ce point, qu'importe que le 
pape promette ou non de se conformer aux règles — 
souvent incertaines — du Droit des gens ? Dans l'un 
et l'autre cas nesera-t-il past le juge suprême, tribunal 
en dernier ressort, organe vivant de la loi et de la loi 
catholiques (Montalembert) »? Ne serait-ce pas une 
singulière pression exercée sur le pape, et une atteinte 
grave portée au libre exercice de son ministère spiri- 
tuel, que de le menacer de lui retirer ses prérogatives 
souveraines, l'inviolabilité de sa personne et de son do- 
micile, le droit de signer des traités, d'envoyer et de 
recevoir des ambassadeurs, parce qu'il refuserait de 
s'engager à ne pas condamner certaines constitutions, 
celles qui établissent la liberté et l'égalité absolues de 
tous les cultes, par exemple? 

Mais les puissances dontnous parlons, et qui, — sans 
offrir au pape sur leur territoire une demeure inviola- 
ble et des prérogatives souveraines, — s'empressent de 
le traiter en monarque, reçoivent ses ambassadeurs 
avec des honneurs particuliers, accréditent des en- 
voyés auprès de sa personne, proposent d'étendre et 
de sanctionner par un accord international les garan- 
ties qui lui sont accordées, parfois même, de restau- 
rer le pouvoir temporel, sont dirigées par une autre 
pensée que le souci de la liberté de conscience. Elles 



MO CHAPITRE HI 



veulent par leurs bons offices se concilier Tinfluence 
religieuse ; elles veulent se servir pour leurs visées 
de cette puissance politique dont parlait M. de Bis- 
marck en 1872, « qui, disait-il, est toujours interve- 
nue avec le plus grand succès dans les choses de ce 
monde, qui vise à ces immixtions et qui en fait son 
programme. » 

Une brochure récente fournit la preuve de cette 
préoccupation égoïste qui fait agir certaines puissances 
en faveur de la papauté. L'auteur du « Rétabhssewenf. 
du pouvoir temporel par le prince de Bismarck » (1) 
s'efforce de démontrer que l'Église catholique a besoin, 
plus qu'aucune autre, de l'appui énergique d'un État 
séculier. Le pape ne devra chercher cet appui, ni dans 
la France rationaliste^ ni dans l'Italie qui est la pire 
ennemie du Vatican ; il ne devra pas poursuivre la 
chimère du rétablissement d'une autorité universelle 
par l'union du latinisme et de la catholicité. Il saura 
comprendre cette « vérité inébranlable que l'Allemagne 
est, avec l'Autriche, la grande puissance désignée par 
l'histoire pour servir de protectrice à l'Église catholi- 
que, et que les hommes d'État allemands et autrichiens 
ont pour mission de réaliser le rêve de tout catholique, 
qui est le rétablissement du pouvoir temporel du pape ». 
Le pape cessera de manifester « une méfiance déraison- 
nable à l'égard de l'empire allemand qui est la puis- 
sance la plus moderne et la plus formidable ». Il quit- 
tera Rome et se réfugiera en Autriche, où il trouvera la 
dignité et l'indépendance. 

Mais, sans doute, en échange de leurs bons offices, 

(1) Paris, 1885. 



ANALYSK DE LA LOI DES GARANTIES iii 



l'AIlcinagiic ot sa fidèle alliée n'attendent que la satis- 
faction et l'honneur d'avoir assuré aux catholiques Ja 
liberté de leur toi? Non; les deux États trouveront dans 
l'alliance avec le Souverain Pontife « de grands avan- 
tages politique directs ». En Allemagne, l'Église aidera 
le gouvernement à empêcher que le quatrième état 
(le prolétariat) ne se développe trop rapidement; elle 
lui évitera des échecs aussi pénibles que le rejet de la 
loi sur le monopole du tabac. A TAutriche, le Saint- 
Siège assurera la suprématie dans la péninsule des 
Balkans, où l'église grecque sera pour ainsi dire livrée 
sans défense à l'organisation unitaire de l'Église ro- 
maine, c L'alliance avec le pape romain est plus indis- 
pensable à l'Autriche qu'à un autre État 3» pour fonder 
V Empire de l'Est et rejeter la Russie en Asie. De tout 
le territoire ottoman une seule ville échappera à la con- 
quête autrichienne, parce que la Russie ne pourrait 
jamais permettre une telle annexion : cette ville c'est 
Constantinople, et ce serait précisément celle qu'on 
donnerait au Saint-Siège en toute souveraineté (1). 

11 ne reste, en vérité, qu'à revenir au système de 
Napoléon I®^aux dépêches de M. de Champagny, à forcer 
le pape à se déclarer l'adversaire de tous les ennemis 
de la fédé?'ation austro-allemande, et, s'il ne veut pas 



(1)« Ne scmble-t-il pas que la Providence ait créé cette situation, qu'elle 
ail produit ces complications, qu'elle y ait intéressé le monde civilisé 
tout entier et qu'elle y ait enfin ajouté la solution satisfaisant toutes 
les parties f Ne semble-t-il ))as qu'elle ait fait tout cela afin de pouvoir 
désigner clairement, devant toute l'Europe, le seul homme qu'une tra- 
dition de quinze cents ans relie au fondateur de la « nouvelle Rome », 
et pour lequel la destinée elle-même semble avoir préparé une rési- 
dence royale sur la limite des deux parties du monde ? » 



2211 CHAPITRE lU 



contribuer à fonder V Empire de l'Esté à le faire enlever 
et emprisonner. 

Frédéric le Grand, qui ne demandait pas au pape d'in- 
tervenir dans les affaires intérieures ou dans la poli- 
tique étrangère de son royaume, a écrit dans son tes- 
tament ces conseils pour ses successeurs : c Traitez 
avec bienveillance vos sujets catholiques, mais ne vous 
occupez pas du pape , et surtout ne traitez jamais avec 
lui (1) I . 



i) Cité par Mancini, discours du 28jany. lS7i. 



APPENDICE 



Procès des héritiers de Pie IX contre le fisc italien 



Le 10 mai 1879, le ministre des finances d'Italie était 
assigné devant le tribunal civil de Rome par les héri- 
tiers de Pie IX ; ceux-ci réclamaient au fisc italien les 
arrérages de la dotation accordée par l'article 4 de la loi 
des garanties, arrérages échus pendant la vie du pape 
défunt et que celui-ci n'avait pas voulu toucher. 

Le tribunal débouta les demandeurs de leur action. 

Ceux-ci firent appel. 

Voici quels étaient les principaux arguments des 
appelants : 

Les semestres de la dotation échus à la mort de 
Pie IX sont entrés dans le patrimoine du de cujus ; 
le droit de les percevoir y est par conséquent entré éga- 
lement, et il a pu être transmis aux héritiers. 

La loi des garanties n'exige nulle part l'acceptation 
du Souverain Pontife ; la force exécutoire de la loi ne 
saurait dépendre de la volonté d'un tiers. 

D'ailleurs Pie IX n'a jamais refusé la dotation en 
elle-même, mais il Ta, au contraire, acceptée. A maintes 
reprises, en efiet, il a affirmé sa volonté de garder in- 
tacts les droits appartenant au S.-S.; or la loi du 
13 mai 1871, dans son article 4, n'a pas créé un droit 



224 APPENDICE 



nouveau ; elle n'afait, le texte de rarticlele ditfonuelie- 
mcnt, que conserver un droit antérieur. Si le cardinal 
Antonelli a fait une réponse hautaine au ministre des 
finances qui lui envoyait le titre de la dotation, c'est 
qu'il ne voulait pas accepter cette dotation avec la quali- 
fication qui lui avait été donnée ijar le goucernemenl 
italien. Et d'ailleurs le cardinal Antonelli avait-il bien 
qualité pour engager Pie IX dans cette circonstance ? 

Enfin les appelants faisaient observer que Pie IX avait 
pourvu avec ses propres ressources à des dépenses que 
la loi des garanties met à la charge de l'État, en y 
aflectant la dotation. Il était juste que le Trésor ne 
s'enrichît pas à ses dépens. 

Cette théorie fut successivement rejetée par la Cour 
d'appel et par la Cour de cassation. 

L'arrêt de la Cour d'appel (16 juin 1883) établit tout 
d'abord que le S. -S. est une institution sui generis, 
n'ayant d'analogue nulle part au monde ; qu'elle est 
juge suprême, unique, souverain de ce qui convient à 
sa vie intérieure et extérieure. L'État n'a de contrôle 
que sur les effets civils des actes de cette puissance. Il 
lui ofire une dotation et un apanage à raison de sa situa- 
tion politique antérieure, de sa mission spirituelle, des 
sentiments de la majorité des citoyens, des égards 
internationaux, mais jl ne peut ni lui imposer de l'ac- 
cepter, ni présumer cette acceptation par une fiction 
légale, sans porter atteinte à sa liberté et à son indé- 
pendance. 

L'acceptation du pape est nécessaire. La loi des ga- 
ranties ne peut l'obliger, car, comme chef de V Eglise 
universelle^ le pape, bien que résidant en Italie^ jouit 
de l'exterritorialité. 



APPENDICE 228 



Or, non seulement Pie IX n'a pas accepté, mais il a 
positivement refusé les arrérages et le titre de la do- 
tation. 

Quant à l'expression conserver dont se sert l'art 4 
de la loi des garanties, elle n'a d'autre utilité que d'ex- 
pli(|uer à l'Italie et à l'étranger comment a été fixe le 
chiffre de la dotation. 

Sur la prétendue créance des héritiers contre le 
{isc en remboursement .des dépenses que l'Etat avait 
prises à sa charge, rien n'établit que ce soit auxdéj-ens 
de son patrimoine que Pie IX ait pourvu aux dépenses 
du S. -S. Bien au contraire, dans la lettre par laquelle 
le cardinal Antonelli refusait, en son nom, le titre en- 
voyé par le ministre des finances, il indiquait que le 
pape aurait recours au produit de la charité des Gd(Mes. 
Or le denier de Saint-Pierre a rapporté plus que le pape 
défunt n'a dépensé pour les frais prévus dans l'article 4 
de la loi des garanties. Ce qui le prouve, c'est que 
Pie IX a disposé de l'excédent par son testament du 
2(5 déc. 1876. 

L'arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 1885 in- 
siste encore sur ce fait que la loi des garanties affecte 
la dotation à certaines dépenses. Il en résulte que cette 
dotation est le patrimoine d'une personne juridique dont 
chaque pontife n'est que le représentant temporaire. 
Les arrérages échus sont soumis à la même affectation: 
ils n'entrent donc pas dans le patrimoine particulier 
du pape et ne sont pastransmissibles par succession. 

(Voir, sur l'arrêt de la Cour d'appel, une note de 
M. Gabba, avocat, Foro Ilaliano^ 1884, I, 43.) 



POSITIONS 



DROIT ROMAIN 

I. — La provocatio ad populum existait à l'époque 
royale, mais le droit d'en appeler au peuple était subor- 
donné à l'autorisation du roi. 

II. — Le Crimen perdiiellionis n'a jamais été for- 
mellement abrogé par les différentes lois de lèse- 
majesté. 

in. — A l'époque républicaine, la confiscation n'était 
jamais encourue de plein droit, comme peine accessoire. 
Elle devait être expressément prononcée par le juge. 

IV. — Le Sénat romain n'est, à l'origine , composé 
que de patriciens, même dans les premiers temps de la 
République. 

V. — Le Senatus consuUum ultimum est contraire 
aux règles constitutionnelles de la République romaine. 

CODE CIVIL 

I. — L'acceptation de l'enfant naturel n'est pas 
requise dans le cas de l'article 761 C. civ. 

II. — Le propriétaire qui a loué une partie de son 
immeuble pour l'exploitation d'une industrie ou d'un 
commerce déterminés perd, par le seul effet de cette 
location et en dehors de toute condition restrictive in- 
sérée dans le bail, le droit de louer une autre partie du 
même immeuble pour une exploitation similaire . 

III. — N'est pas contraire à l'ordre public et n'est pas 
nulle en vertu de l'article 900 C. civ. la clause par 
laquelle un testateur faisant une libéralité aux pauvres 
charge une personne autre que le bureau de bienfai- 



ns POSITIONS 



sancc de distribuer la somme léguée et de désigner les 
bénéficiaires. 

IV. — La présomption de Tarticle 1385 C. civ. est 
absolue ; elle existe alors même qu'aucune faute n'est 
imputable au propriétaire de Tanimal, lequel ne peut 
s'exonérer de la responsabilité lui incombant qu'en 
prouvant le cas fortuit ou l'imprudence personnelle de 
la victime. 

DROIT DES GENS 

I. — Les agents pontificaux à l'étranger n'ont pas le 
caractère juridique d'envoyés diplomatiques. 

II. — Les concordats n'ont pas le caractère juridique 
de traités internationaux. Ce sont des actes dépendant 
essentiellement du régime constitutionnel intérieur des 
Etats. 

III. — Aucune puissance n'est autorisée à intervenir 
pour maintenir, mettre ou rétablir un chef do religion 
en possession d'un territoire déterminé. 

IV. — La création, par un congrès diplomatique, 
d'États vassaux ou tributaires est contraire aux prin- 
cipes du Droit des gens. 

V. — Le tribut n'est légitime que s'il représente une 
dette de l'État nouvellement forme envers l'État dont 
il se sépare. 

VI. — La pratique des plébiscites après les an- 
nexions doit être encouragée. 

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 

I. — Les enfants des étrangers résidant en France 
sont soumis à la loi du 28 mars 1882 sur l'instruc- 
tion obligatoire. 



Vu par le Doyens Le Président de la thèse, 

E. COLMET DE SaNTERRE. L. ReNAULT. 

Vu ET PERMIS d'imprimer : 

* Le Vice-Recteur de r Académie de Paris, 

Gréard. 



ERRATA 

1^ Droit romain. 

P. 13 noie 1. — Lire: Cic, de Legihvs IJl, 49. 
P. 14 note 2. — Lire : Oie. de Legibus III, 3. 
P. 15 note 2. — Lire: Cic, ds Legibus III ^ A. 

note 3. — Lire: Ttte Live, XXVI, 3. 
P. 24 note 3. — Lire : Cic, in Pis,, XV, 34. 
P. 33 note 2. -- Lire: Tiie Live, XXVI, 3. 
P. 38 ligne 25. — Lire : pîehei scito sacer sil, orcidcrit.parricvla 

ne sit, 

P. >I0 note 2. - Lire: Titê Live VI, 20. 

P. 43 ligne 22. — Au lieu de Jude, lire : Inde, 

P. 50 ligne 15. — Lire : Cic. pro Rabirio § 4. 

P. 52 ligne 2. - Lire: Verrines II, 1, 5. 

P. 61 ligne 13. — Lire: ZumptIII, 232. 

P. 66 ligne 28. — Lire : Ch, \. 1. 1. 1.111, 

P. 67 ligne 18. — Lire : injvissu^yx lieu deinj/ussif. 

P. 78 ligne 14. — Lire: Institutes III, 4, 5. 

P. 80 ligne 30. — Lire: H. G. IX 41. 

P. 83 ligne 24. — Lire 5 § 2 C. w. /. 

P. 86 ligne 6. — Lire 5 § 6 C. /X, 8. 



2° Dkoit dks gens. 

P. 12 note 3. — Lire : DécrélaUs de (jr^^^çoire FX, f'e officio 
Legaii, chap. viii. 

P. 85 note 1. I. 6. — Lire : Annuaire dps Dnux Mondes, i^^^- 
1857. 

P. 105 nole-i ligne 1. -- .\n lieu de infenâentur, lire : infeu- 
dentur. 

P. 107 ligne 8. — Au lieu de leur, lire lui. 

P. 205 ligne 10. — Rétablir ainsi ht citation d'Esperson : 
« le Dr<)it international n'affranchit (|ue cos derniers des 
taxes réel'es «. 



TABLE DES MATIERES 



DROIT ROMAIN 

LE GRIME DE LÈSE-MAJESTÉ 

Chapitre premier. — Idée générale de la Justice 

POLITIQUE sous LA RÉPUBLIQUE 3 

Chapitre n. — Historique des Lois de Lèse-Majesté. 43 

Section I. — Le Crïmen Perduellionis 43 

Section II. — Le Crimen Majestatis immonita 57 

Chapitre m. — Le Crime de Lèse-Majesté sous 
l'Empire 71 



DROIT DES GENS 

LA PAPAUTÉ EN DROIT INTERNATIONAL 

Chapitre premier. — La Souveraineté Spirituelle. 

INTRODUCTION 1 

Section I. — Origine des relations diplomatiques 

de la Papauté 3 

Section II. — Droit actuel des relations diploma- 
tiques avec le Saint-Sidge. — SouToraineté et 
préôminence pontificales. — Droit de légation 

actif et passif. — Concordats 31 

g I . — Souveraineté et prééminence du Pape ... 35 

g II. - Droit de légation actif 36 

Si III . — Droit de légation passif 41 

l IV . — Droit de conclure des Concordats 42 



230 TABLE DES MATIÊUES 



% V. — Analyse comparée des Concordats 43 

Droits concédés à TÉiat par l'Église 44 

Avantages assurés à TÊglise par TÉtat 48 

Section III. — Nature des relations diplomatiques 

entre le Saint-Siège et les puissances temporelles. 57 

CiiAPiTHE II. Le Pouvoir Temporel 79 

Première partie. — La théocratie romaine 79 

Deuxième partie. — Les intenrentions étrangères. . 100 

INTRODUCTION. 100 

Section I. — L'occupation française de Rome, 

sous la première République et l'Empire 127 

Section II. — Les interventions autrichiennes de 

1831 et 1832. — L'occupation française d'Ancône 

en 1832 141 

Section III. — La coalition de 1849 159 

Section IV. — L'occupation française de Rome, de 

1849 à 1870. — La ConvenUon de 1864 165 

Chapitre m. — La Chlte du Pouvoir Temporel et 

LA Loi des Garanties 183 

— Analyse de la Loi des Garanties 191 

Appendice. — Procès des Héritiers de Pie IX contre 

LE Fisc italien 223 



t^j^/ 






^497. _ Poitier.^, Imprimeria Buii, Rot et Cie, rue yictoi*- Bugo, 7. 



-,^ ./« Impr. BtAW, Roy ei Cie